L'EuROPE
ENTRE UTOPIE
ET REALPOLITIK
Questions Contemporaines Collection dirigée par JP. Chagnollaud, B. Péquignot et D. Rolland Chômage, exclusion, globalisation... Jamais les « questions contemporaines» n'ont été aussi nombreuses et aussi complexes à appréhender. Le pari de la collection « Questions contemporaines» est d'offrir un espace de réflexion et de débat à tous ceux, chercheurs, militants ou praticiens, qui osent penser autrement, exprimer des idées neuves et ouvrir de nouvelles pistes à la réflexion collective.
Dernières parutions Claude FOUQUET, Modernité, source et destin, 2009. Héliane de VALlCOURT de SERANVILLERS, La preuve par l'ADN et l'erreur judiciaire, 2009. Ivan FRIAS et Jean-Luc POULlQUEN, Soigner et penser au Brésil. Ces chemins de la culture qui passent par la France, 2009. Aliaa SARA YA, Des engagés pour la cause des droits de l'homme en Egypte, 2009. N. ANDERSSON et D. LA GO T, La Justice internationale aujourd'hui, 2009. Nicolas PRESSICAUD, Le vélo à la reconquête des villes. Bréviaire de vélorution tranquille, 2009. Jean TOURNON (dir.), La République antiparticipative, 2009. Laurent VERCOUSTRE, Faut-il supprimer les hôpitaux? L'hôpital aufeu de Michel Foucault, 2009. Anne-Marie GANS-GUINOUNE, Et si c'était à refaire... ? Des françaises immigrées aux Pays-Bas racontent, 2009. Florence SAMSON, Tabous et interdits, gangrènes de notre société,2009. Jean-Philippe TESTEFORT,
[email protected]. Envisager une transmission durable, 2009. Madonna DESBAZEILLE, Ouverture pour le XXle siècle, 2009. Jean-Pierre COMBE, Lellres sur le communisme. Un intellectuel communiste témoigne et réagit, 2009.
Irnerio SEMINATORE
L'EuROPE
ENTRE
UTOPIE
ET REALPOLITIK
Préface de Graham Watson
L'HARMATTAN
@
L'HARMATTAN,
2009
5-7, rue de l'École-Polytechnique;
75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harma
[email protected] [email protected] ISBN:
978-2-296-06928-2
EAN : 9782296069282
PRÉFACE L'Europe entre Utopie et Realpolitik invite ses lecteurs à voyager à travers les débats et les problèmes majeurs qui ont conduit au processus d'unification et d'intégration européenne, qui les ont façonnées et parfois contrastées. L'Union européenne est une expérience unique en terme de gouvernance supranationale. Aucun autre moment dans l'histoire n'a vu autant d'Étatsnations aller si loin en mettant en commun leur souveraineté. Contre les vœux de certains et les prédictions de beaucoup, l'UE a évolué en un corps législatif, doué d'un système judiciaire indépendant et d'une monnaie unique. Dans ce processus, elle a réintégré avec succès les anciens pays communistes, en les ramenant au sein de la famille européenne. En dépit de difficultés tout au long du parcours, le chemin menant à l'intégration européenne est toujours un chantier ouvert, avec des développements en cours dans la politique énergétique, de prévention des changements climatiques et des initiatives communes en matière de sécurité et de défense. Il y a peu de doutes que l'intégration européenne va continuer. Cependant, pour comprendre ce qui fait avancer l'Europe, nous avons besoin d'une appréciation correcte de son histoire, de ses peuples et de sa place dans le monde. Nous avons également besoin d'évaluer cela à travers le double prisme, des luttes occasionnelles entre moralité et sens pratique, utopie et realpolitik. Ce texte est instructif, pénétrant et accessible. C'est une pierre angulaire pour l'apprentissage et le débat, et une contribution, qui est la bienvenue, dans la littérature sur les politiques et l'histoire européennes.
Graham Watson Président de la Commission
« Alliance des Démocrates
et des Libéraux»
(ALDE) du Parlement
Bruxelles,
5
européen
le 5 mars 2009
LES POSTULATS DU RÉALISME ET LEUR ABANDON La tradition de pensée du réalisme comme doctrine de la raison de l'État, conception de la puissance internationale et interprétation calculée et rationnelle des intérêts nationaux, embrasse le cours tout entier de l'histoire de l'Europe et fait corps unique avec le concept moderne de souveraineté, comme soumission absolue à une autorité indivisible, inconditionnelle et umque. L'abandon des postulats du réalisme, de la part du monde académique continental depuis 1945, l'anarchie du système et la permanence des conflits, ont été la conséquence directe de la tragédie européenne et de deux conflits mondiaux inexpiables. Cet oubli marque l'émergence d'une conjoncture d'idéalisation des relations internationales qui représente la remise en question de la souveraineté comme fondement originaire de l'ordre international et de la société étatique, et de ce fait, l'antihistoire de l'Europe, la négation de la realpolitik. C'est dans les profondeurs de l'abîme européen et au cœur de son drame que furent ensevelies les intuitions de Machiavel, les réflexions de Richelieu et les fictions mythologiques de Hobbes. Périrent avec elles les subtiles distinctions de l'âge politique contemporain et les conceptualisations élevées des cultures, italienne du XVIe, française et allemande des XVIIIe, XIXe et XXe siècles. Conceptions développées par nombre de philosophes, historiens et juristes, parmi lesquels les pères du monde moderne et de la société des États, Hegel, Ranke, Treitsche, Meinecke, Weber et Schmitt.
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1. INTRODUCTION 1.1
LES POSTULATS DU RÉALISME
Canlmal de Richeheu
1.1.1Les postulats du réalisme et leur abandon La tradition de pensée du réalisme, comme doctrine de la raison de l'État, conception de la puissance internationale et interprétation calculée et rationnelle des intérêts nationaux, embrasse le cours tout entier de l'histoire de l'Europe et fait corps unique avec le concept moderne de souveraineté, comme soumission absolue à une autOlité indivisible, inconditionnelle et
unique. L'abandon des postulats du réalisme. l'anarchie du système et la permanence des conflits de la part du monde académique continental depuis 1945 ont été la conséquence directe de la tragédie européenne et de deux cont1its mondiaux inexpiables. Cet oubli marque l'émergence d'une conjoncture d'idéalisation des relations internationales qlÙ représente la remise en question de la souveraineté comme fondement originaire de l'ordre international et de la société étatique, et de ce fait, l'antihistoire de l'Europe, la négation realpolitik. C'est dans les profondeurs de l'abîme européen et au cœur de son drame que furent ensevelies les intuitions de Machiavel, les réflexions de Richelieu et les fictions mythologiques de Hobbes. Pélirent avec eUes les subtiles distinctions de r âge politique contemporain et les conceptualisations élevées des cultures italienne du xvr, ti-ançaise et allemande des XVIII", 7
XIXe et XXe siècles. Conceptions développées par nombre de philosophes, historiens et juristes, parmi lesquels les pères du monde moderne et de la société des États, Hegel, Ranke, Treitsche, Meinecke, Weber et Schmitt. Nous ajouterons dans le même sillage les noms de Carr et d'Aron et, au-delà de l' Atlantique, ceux de Niebuhr, Morgenthau, Kennan, Kissinger, Kaplan, Waltz et bien d'autres. À l'opposé du réalisme politique, la tradition idéaliste, tirant ses racines et ses sources de l'impératif éthique, parcourt le fil souterrain qui va de Kant à Habermas et de Hamilton à Haas et à Deutsch, puis à Robbins, Spinelli, Monnet, jusqu'aux penseurs constructivistes et déshistoricisants de la postmodernité. Ainsi, si l'histoire de l'Europe s'identifie étroitement à l'histoire du concept de souveraineté, de système légal national, de realpolitik et de doctrine d'État-puissance (Staatsmachtgedanke), la conception de l'Europe comme soft power, apparaîtra, en son pur concept, comme une antihistoire de l'Europe séculaire, sans épopée et sans mythes, sans téléologie ni transcendance, une histoire dédramatisée, dépolitisée, éthique ment indifférente et techniquement bureaucratique, au visage moral d'une « démocratie désarmée ». L'histoire de l'Europe moderne naît, dès les premiers siècles de l'âge moderne, à travers la compétition violente, la concentration progressive du pouvoir et de la force, soustraits aux privilèges des autorités féodales et des corps intermédiaires, noblesse, seigneuries et villes libres. Elle se réalise dans les formes de la monarchie absolue sur le continent ou de l'équilibre de pouvoir entre roi et parlement en Grande-Bretagne. Cette histoire de la monopolisation du pouvoir et de la violence physique constitue l'attribut et la substance mêmes de la souveraineté, comme qualification de l'autorité suprême et légitime, ayant permis à l'État d'imposer les règles indispensables d'une cohabitation pacifiée aux citoyens et la soumission à la loi des controverses privées à l'intérieur d'une société apaisée. Grâce au processus de monopolisation de la force de la part de l'État et à l'exercice d'un pouvoir de coercition irrésistible de la part de son autorité suprême, il fut possible de créer, puis d'imposer, un ordonnancement juridique et un système efficace de normes universellement valables. Ce fut par le monopole de la force qu'il fut consenti une élévation civile par l'éducation et une progression économique par la certitude du droit. Par ailleurs, la création d'une autorité centrale forte identifia dans le monopole légal de la force le fondement essentiel de la justification oligopoliste de la violence. Cette conception, mise en sommeil en temps normal dans une démocratie moderne, ne doit pas faire oublier qu'en cas de crise «il doit y avoir un homme ou un groupe d'hommes », comme le rappelle H. J. Morgenthau, «qui assume la responsabilité ultime pour l'exercice de l'autorité politique », ou à la manière de Schmitt, « qui décide de l'état d'exception », un état dans lequel, même dans la démocratie la plus 8
parfaite, la décision n'est guère de la loi, mais d'un homme, dans lequel se confondent le pouvoir de fait et le pouvoir de droit. Peut-on, de nos jours, partager la souveraineté, le système de décision, l'ordonnancement juridique, la sécurité intérieure et extérieure, sans unifier la force, l'appareil de violence, le système de coercition et de survie en un système de décision unique? Depuis toujours, le réalisme politique et la théorie réaliste ont établi une liaison, réciproquement contraignante, entre l'existence de l'État et l'anarchie internationale, au sein de laquelle règnent des facteurs de rivalité et d'antagonisme plutôt que des principes de solidarité. Que cette liaison repose sur la morphologie du système, unipolaire, bipolaire ou multipolaire, ou sur la distribution mondiale du pouvoir et donc sur une «balance », planétaire, le réalisme met en exergue la séparation nette entre sécurité interne et sécurité extérieure. En effet, le caractère objectif et critique de la menace ainsi que le poids et l'influence de la politique extérieure sur la politique interne justifient ce primat praxéologique et conceptuel, qui ne peut être démenti ni infirmé, mais seulement atténué, par la théorie de l'interdépendance entre les économies, les sociétés et les États. C'est de l'anarchie internationale et de sa permanence structurelle, c'est de l'imperfection essentielle du système que l'on ne peut exclure l'emploi unilatéral de la force. C'est l'absence d'une instance centrale de régulation et d'un ordonnancement juridique, en mesure d'imposer son arbitrage par des compromis sanctionnés et efficaces, que découle la difficulté d'une gouvernabilité globale du système international. L'imperfection des institutions universelles de sécurité est due à la permanence d'une pluralité des souverainetés militaires et à la dispersion des formes autonomes du monopole de la force. Ainsi, les problèmes de sécurité constituent, au sein de la structure anarchique du système international, le fondement même de la realpolitik et de l'exigence d'une politique qui garantit, par la logique de la puissance et la morale du combat, la survie des unités politiques en situation de crise extrême. La garantie de sécurité extérieure est donc la préoccupation fondamentale des hommes d'État et des élites politiques, car les États n'ont jamais consenti à se soumettre à l'arbitrage d'une idée, d'une morale, d'un système de valeurs ou d'une norme, lorsque des questions d'intérêt vital étaient en cause. L'histoire européenne et mondiale nous rappelle cruellement que les principes juridiques, éthiques et politiques (au sens des priorités et des principes partisans) ont été toujours sacrifiés face à la préoccupation dominante de l'État ou de ses régisseurs d'assurer la survie des nations. Ainsi, dans un contexte international, caractérisé par la subordination de toute autre valeur à l'impératif de la sécurité extérieure, tirent leur raison d'être la politique de puissance ou la stratégie, comme conduite aventureuse, liées organiquement à l'anarchie internationale. Le primat de la politique extérieure sur la 9
politique interne, à travers l'idée de raison et le calcul instrumental, s'est appliqué à l'art du gouvernement, comportant une planification rigoureuse des moyens de défense, en fonction de l'ambition politique et du «sens» assignés à la place de l'État et de la nation, dans la hiérarchie de puissance et dans le cadre plus général de la vie historique. On comprendra plus aisément pourquoi le réalisme reflète sans équivoque l'expérience du système européen des États et celle de la scène planétaire, où les considérations géopolitiques prévalent sur les affinités idéologiques des hommes de gouvernement d'autres États. Le constat de cette liaison entre les problèmes de sécurité et la structure hobbesienne du monde influe également sur le rapport entre la realpolitik et la science politique. En effet, les indications méthodologiques de Max Weber sur les « types idéaux» ne doivent pas être retenues comme un simple reflet de la réalité, mais comme des «modèles» pour comprendre les aspects fondamentaux et récurrents de comportements périlleux, en isolant en leur sein un« noyau rationnel constant », qui dépend de l'existence d'une société «sui generis », mi-sociale et mi-asociale. La société de nature, où la conciliation des intérêts antagoniques et conflictuels est l' œuvre des États, a inspiré des interprétations différentes de la realpolitik. Un de ces exemples est la politique de réconciliation franco-allemande, un épisode de la realpolitik européenne, disjointe de la politique d'intégration, mais qui a agi comme le moteur de celle-ci. Cette politique de réconciliation, inspirée par la conception gaullienne de 1'« Europe des patries », a été dictée par l'idée de bâtir un pôle de puissance européen indépendant dans le cadre de l'affrontement Est-Ouest et de la politique mondiale de la bipolarité et peut être résumée avec les mots de Bismarck à Guillaume I après Sadowa. «Nous ne devons pas choisir un tribunal (n.d. r. de l'histoire), mais bâtir une politique allemande (n.d. r. européenne) ». Une politique européenne qui a eu clairement une signification extérieure, car elle visait la conception ambitieuse d'un acteur global au sein de la pluralité des souverainetés militaires existantes.
10
1.2
NÉOKANTISME ET INTÉGRAnONNISME
La catastrophe européelme de 1945 a jeté les bases de la tentative de surmonter les dérives de la realpolitik, accusée d'avoir été à]' origine de la tragédie de l'Europe. Le point de départ de ce défi immense a été identifié dans la conception politique de Kant, selon lequel l'anarchie internationale reste le fondement de toute recherche de la paix de toute constmction intellectuelle. Cependant, celle-ci considérée dans son caractère relatif et historiquement contingent. En la construction d'une autorité supétieure aux États, une «fédération universelle », imposerait une limitation au caractère absolu de la souveraineté, dont la définition fut donnée par Jean Bodin aux États généraux de Blois en 1576, celle d'Auctoritas Superiorem non recoglloscens. La loi de la force et le rapport de forces pures ne seraient plus les régulateurs suprêmes des controverses internationales, supplantées désonnais par la domination universelle du droit. À la dure réalité de la puissance se substituerait ainsi l'utopie légaliste d'un ordonnancement jmidique, qui, partant d'une base théorique prescriptive, se développerait sur le modèle des enseignements des pères de la Constitution tëdéraliste amélicaine et de Hamilton en particulier. Le dépassement de la realpolitik a été la résultante d'une réorientation des valeurs européennes depuis 1945, allant dans le sens d'un rejet de la philosophie de l'histoire à forte empreinte romantique, élaborée au XIX< et XX" siècle par les théoriciens allemands de l'État-puissance. Cet État perdrait connotations de moyen d'expression d'un peuple d'histoire universelle et par là d'instrument de conquête et de progrès civil et culturel au service de l'humanité. L'abandon d'tlle pareille conception, hélitée des courants nationalistes du XIXe siècle, était lié à la conviction que l'Étatnation correspondait à un modèle supérieur d'organisation politique. Ainsi, les indications théoriques du philosophe de KÜnigsberg avaient pour but de poser «autrement» le problème de la souveraineté nationale absolue, surmontant, au moins en théOlie, l'obstacle conceptuel de l'anarchie II
internationale. La sous-estimation de l'emacinement mental de l'idée-force de la nation au profit d'un cosmopolitisme abstrait et de l'idéal de l'unification progressive de l'humanité a représenté les points faibles de la pensée fédéraliste, qui s'est appuyée sur l'autonomie de la raison et sur la poussée impérieuse de la loi morale. À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il fallait sortir du réalisme de la politique internationale, de la balance of power, de la logique contradictoire des intérêts nationaux concurrents, de l'utilisation de la violence, de la peur et de l'animosité réciproques. Il fallait s'engager sur la voie inédite de la conciliation des intérêts, au lieu et à la place de leur dissymétrie, des jeux d'influences compensatoires, et donc d'une sorte d'interdépendance complexe et imprévisible. Le processus d'intégration européenne a voulu substituer ainsi aux déterminismes traditionnels de l'intérêt national et de la sécurité, ceux de la paix et du bien-être, et l'intégration poursuivie s'est dessinée comme une première étape vers une vision des relations internationales remodelées par l'harmonie. Cette intégration a cru obéir, d'autre part, au critère de la nécessité et de l'irréversibilité plus qu'à celui d'une vision volontariste de l'histoire. Il en est découlé l'égarement de la finalité, fondée à l'origine sur la centralité des oppositions et sur les aléas du politique. Par ailleurs, cette centralité originelle de la politique reposait sur une lecture de la vie internationale qui affichait la volonté d'en transformer les objectifs, en permettant aux nations et d'abord aux sociétés européennes de poursuivre des buts de coopération dans des secteurs qui étaient aussitôt exclus du domaine de la politique et confiés à des autorités administratives ou techniques. À la conception réversible de la politique et donc aux contrastes entre structures d'intérêts aux finalités divergentes, qui sont le propre de toute œuvre humaine, l'intégration remplaça l'idée d'un processus irréversible qui permettrait de passer graduellement à l'intégration politique. Cette conception idéaliste de l'harmonisation des sociétés européennes a non seulement exclu du processus d'intégration la volonté mais la politique comme telle (sécurité - diplomatie - défense), restée du ressort des États. En effet, la dissociation des aspects coopératifs, à base socioéconomique, et des aspects conflictuels, à fondement politico-diplomatico-stratégique, autorisait à confier la gestion des politiques intégrées ou communautarisées à des « élites administratives de pouvoir », l'eurocratie. Or, puisque la progression de l'intégration est pragmatique et graduelle, les intérêts et les objectifs ne peuvent être pensés d'avance (incrementalism). Ceux-ci ne sont que des effets indirects. Dans ces conditions, l'exclusion de l'anticipation et celle de la politique interdisent de faire jaillir un débat et de donner une signification à la participation des citoyens qui reste perpétuellement éloignée et intellectuellement distante, même si dans les démocraties, comme oligarchies modernes, l'évocation de la souveraineté populaire est la fiction par laquelle l'origine du pouvoir et l'autorité des lois dérivent des citoyens. 12
1.3
PACIFISME ET UTOPISME LÉGALISTE
Mais ce fut le souci de la paix qui demeura le fondement de l'idéalisme intégrationniste et des premières formes du pouvoir fédératif, justitiant la quête permanente de nouveaux horizons de sécurité. Ce fut par l'idéalisation militante du combat pour la « non-guelTe », que se constituèrent deux grands courants de pensée, se réclamant de la négation de la realpolitik, le pacitisme et l'utopisme légaliste. Le premier résulta d'une sorte d'évidence, le sentiment et souvent la volonté obstinée d'imposer une conversion historique all cours de l'aventure humaine et à la nature profonde des relations de puissance entre les États. En se battant pour cette conversion historique, les différentes formes de pacifisme, idéologique, juridique, religieux individuel, portèrent à la conscience du monde la disproportion entre les moyens de destruction apocalyptique et les enjeux des rivalités de puissance. Disproportion face à laquelle toute résignation ou impuissance apparaissaient moralement coupables. Le moralisme des convictions int1uença également l'autre forme de militantisme pour la paix, l'idéologie juridique ou l'utopisme du droit. TOlite doctrine de la paix qui vèlÜlle surmonter les raisons poussant les FJats à la en pratiquant une politique de puissance devrait s'attaquer à la racine profonde de la société hobbesienne, à son caractère naturel, mi-social, mi-asocial. Cette doctrine devrait aller au-delà de la logique des acteurs, de leurs intentions et de leurs enjeux, pour prendre en considération le point essentiel de la politique internationale, il savoir que les États se reconnaissent réciproquement le droit du recours il la force, car ce droit constitue le fondement même de leur souveraineté.
13
lA
SOUVERAINETÉ ET DROIT INTERNATiONAL
Sous l'aspect juridique, la conception de la «souveraineté >.' et la politique qui la traduit en action extérieure s'identifient à la doctline de ]'indépendance nationale et, par conséquent. à une conduite conforme à la tradition coutumière des États en compétition permanente, hostiles de ce fait à toute sorte de primauté d'un ordre juridique international à vocation uni verse lIe . Au sujet d'une quête de la paix entre les peuples et les nations, l'idéologie juridique et l'utopisme du droit ont-ils été plus effjcaces que le réalisme classique, en parvenant à l'éradication de la guerre par la négation de la realpolitik '? L'idée de la Société des nations et la fonction d'arbitrage des Nations unies, qui ont pris la place de la première après la Deuxième Guerre mondiale, ne semblent guère le prouver. En effet, le fonctionnement de ces deux institutions n'a fait qu'accroître la confusion et donc l'équivoque entre deux principes, le droit des États de recourir à la force et le respect de la loi internationale visant à garantir le statut tenitorial existant, au-delà et au-dessus de tout critère de justice. D'innombrables en transgression in ternationale >>. :
. .
échappatoires ont émaiHé la pratique offensive des États, de la légalité officielle et de la «communauté
la pratique des "incidents », permettant à un État de répondre par une agression à des tensions locales en disqualifiant la notion juridique de guerre ,>
"
le recours à la "non-belligérance tiers intéressé d'une position de " indirect et partisan;
14
» en cas de conflit ouvert, ou l'adoption ». pour masquer une attitude de soutien
.
la violation du «Pacte» ou de la «Charte », exigeant efficaces et comportant un vote ou des recommandations Conseil.
des sanctions unanimes du
Plus spécifiquement les «clauses d'évasion» des Nations unies, «relatives aux menaces à la paix, aux ruptures de la paix, et aux actes d'agression» relevant du Conseil, ont été pratiquées avec souplesse dans deux cas:
. .
celui, plus récurrent, de formes d'intervention «dans les affaires relèvent de la compétence nationale et interne à un État » ! ;
qui
celui de la constitution d'alliances régionales, en charge « du droit naturel de légitime défense individuelle et collective » (OTAN).
Dans le cas de l'OTAN, il est à préciser que la «légitime défense collective » est autre chose que la « sécurité collective » des Nations unies, car elle en représente le substitut dont l'automatisme de l'art. 5 est l'expression politico-stratégique en situation de crise. La tendance moderne et post-moderne à nier la force contraignante de l'hostilité naturelle entre les personnes nationales en occultant l'importance de son corrélat, la realpolitik, revient à nier la distinction entre droit interne et droit international. Ce dernier est en effet disqualifié comme droit authentique car dépourvu de tribunal pour dire le droit et de force irrésistible pour l'imposer. Suivant cette tendance, l'imperfection essentielle du droit international le condamne à n'être autre chose qu'un droit pur ou spontané, dépourvu d'une norme originaire (Grundnorm) ou d'une série de «faits normatifs contraignants ». Or, un ordre sans obligation normative, sans subordination prescriptive, sans instance centrale d'interprétation, sans une force irrésistible de sanction pour les actes illicites, peut-il être un ordre légal? Au sein de cet environnement, la guerre n'est pas un acte illicite relevant de l'ordre juridique et moral relavant du jus gentium, mais une nécessité de l'État de nature. L'État de nature impose de se faire justice soi-même, de réagir à un acte illicite, de se défendre contre une agression, d'agir en représailles, d'obtenir satisfaction ou réparation pour un tort subi injustement parce qu'il n'y a pas de souveraineté du droit, ni de volonté commune aux États souverains, ni d'instance centrale pour la qualification des faits et la définition des normes applicables. En effet, celles-ci peuvent comporter le sacrifice de la justice sur l'autel de la stabilité et de la sécurité, plus importantes au regard de l'ordre et de la sécurité globale. Cette considération revient à réhabiliter théoriquement la realpolitik, comme politique de prudence et d'équilibre et à infirmer les illusions et les espoirs du multilatéralisme, de l'idéologie légaliste et de l'utopie du droit international public. 15
Le retour à la realpolitik, si jamais on r avait abandonnée dans un monde tendanciellement multipolaire, une portée objective et a une signification précise, celle du réalignement de l'Europe dans le jeu politique global, allant dans le sens d'une politique de prévention et de définition d'un rôle géopolitique de partenaire crédible des États-Unis donnant vie à un noyau de stabilité politique mondiale. retour est r équivalent du concept culture mondiale, d'autodétermination de puissance et de limite du soft power et impose l'exigence d'une évaluation à large spectre des menaces, des dissymétries, des vulnérabilités et des proliférations concurrentes. Ce retour suscite un débat doctrinal sur les fonnes d'intégration à prévoir et sur des alliances et des coalitions, pour restreindre la plage des affrontements futurs dans le nouveau désordre des nations.
1.5
L'UNION
EUROPÉENNE
ENTRE TRANSFERTS DE COMPÉTENCES
ET PARTAGE DE SOUVERAINETÉ
Signahltf
du Tmiré de la CEC4
Le rejet de la politique de puissance par les États européens après l'effondrement moral et politique de 1946 a-t-il permis l'atrinllation du règne de la loi conformément à l'idée de raison? A-t-il justifié le rassemblement de l'humanité en une «fédération universelle ", limitant le pouvoir absolu de la souveraineté, selon les vœux d'Emmanuel Kant? A-t-il ouvert la voie à un empire universel et donc au 16
refus volontaire de l'antagonisme la monarchie universelle?
et de la rivalité de puissance,
imposée par
Le sentiment national, encore emaciné dans les esprits, a-t-il consenti des limitations et des transferts de souveraineté qu'aucun imperium n'a pu obtenir par la force sans un consentement profond, ou sans une conscience historique élevée? L'intégration européenne ne tenta guère d'amoindrir, ni d'enlever la gestion de l'identité et de la culture nationales aux États membres. À l'inverse, 1'« appétit naturel des hommes pour l'état civil» et pour l'idée de la paix, comme postulat légal du système, implique le principe de l'unité de celui-ci et la considération que l'idée de la guerre est une notion moralement indifférente. Le Traité de Rome, silencieux sur le concept de souveraineté, a été conçu comme une « union» de plus en plus étroite entre les États et les sociétés européennes et a laissé subsister «de facto et de jure », la souveraineté politique des États membres. La pluralité des souverainetés militaires, qui en constituent le fondement, en a été la sauvegarde intangible. L'oubli intentionnel du concept de souveraineté n'a pas interdit au débat académique et, plus rarement, politique d'évoquer les perspectives institutionnelles de l'unité politique du continent. Le concept de souveraineté, ayant justifié dans la plupart des cas le partage de l'ordonnancement politique intérieur, fut employé par les idéologues de la démocratie pour justifier une seule forme de régime, dissimuler l'influence excessive des élites au pouvoir, mettre l'accent sur une fiction, le gouvernement des hommes par la loi, limiter le cadre des relations légitimes aux seuls pays démocratiques et l'action extérieure aux pays de l'Europe centrale et orientale. Seuls les souverainistes ou les doctrinaires de l'Europe des patries se préoccupèrent de l'interprétation extérieure de la souveraineté et donc de l'indépendance politique de l'Europe sur la scène internationale.
17
1.6
FÉDÉRATION ET CONFÉDÉRATION
James Modis"/1
Les fédéralistes mettaient]' accent sur la distinction entTe deux différentes perspectives institutionnelles, celle de «fédération» ou celle de « confédération» (Staatenbund), rendant la ligne de partage entre les deux formes institutionnelles pmticulièrement nette, au moins en son principe. En effet la première efface les frontières de la souveraineté politicostratégique entre États membres et crée un acteur unique sur la scène intemationale prenant la place des acteurs fédérés comme cela se fit aux USA et dans l'Empire allemand. Dans la perspective de la confédération en revanche, le cadre institutiOlme1 laisse subsister la pluralité des centres décision et d'action politico-militaires des États membres. « fédération» exige tIDe conversion des volontés de puissance, postule un pacte solennel entre les citoyens et fonde une communauté de destins entre les peuples. La question
de la ,<souveraineté
» demeure
encore centrale
car les « transferts de compétences ou de souveraineté
»
aujourd'hui,
de la haute autorité
de la Communauté européenne du charbon et de l'acier ou de la Commission européenne ont concemé des mesures de gestion comparables à celles des ministères nationaux pour des matières et des compétences spécifiques. En revanche, l'autorité constitutionnelle, qui décide d'une en une conjoncture d'exception, est souveraine dans le sens plein du terme puisqu'elle décide du destin politique et de l'existence physique des personnes nationales et donc de l'unité collective. La «supranationalité» européenne pas encore autorité fonctionnelle ». Cette «supranationalité» institutionnelles dans les trois critères:
18
franchi trouve
le seuil ses limites
. . .
du maintien
du principe
de l'absence l'Union;
de relation
d'unanimité; directe entre autorité
administrative
et citoyens
de
de la nature des accords, délégués ou restreints entre les institutions européennes et les pays tiers.
Durant les vingt dernières années, les États membres ont consenti, par une série de traités, à aller vers des perspectives d'« union fédérale », notamment en matière monétaire, ou à des formes de rationalisation implicitement politiques, visant à renforcer l'autorité du pouvoir de l'UE comme ce fut le cas dans le projet de traité constitutionnel. Ils ont consenti à pallier aux limites et incohérences de cinquante années de législation communautaire. Or, cela n'a été possible que par un jeu d'influences et de pressions intergouvernementales classiques, ou par des impulsions politiques dont la forme référencée a été le « moteur franco-allemand ». Cependant, les jeux compensatoires entre ces acteurs relèvent de la logique des relations de puissance entre États souverains en posture de coopération et de complicité institutionnelle. Cette connivence s'est fait valoir dans le processus d'intégration de manière concertée et en dehors du cadre d'intégration. En conclusion et de manière générale, l'unification économique du continent et le libre échange généralisé ne contribuent par eux-mêmes à créer ni 1'« État» ni la «nation européenne ». Jusqu'ici, les formes de «fédéralisme, subreptices, substitutives ou clandestines» ne sont pas encore parvenues à créer un système d'obligations et de règles, permettant de prendre des décisions de sécurité par lesquelles un acteur unitaire se pose en s'opposant et tranche de manière unilatérale sur le recours à la force. Elles ne sont pas parvenues à définir une stratégie de violence extérieure considérée comme l'ultima ratio regum. La division d'orientations politiques entre États européens au sujet de la décision de l'Administration Bush d'envahir l'Irak au nom d'une déstabilisation créative des États autocratiques du Golfe, a été éclairante sur le point capital de l'unité de conception et d'action de l'Union, mettant en crise sa politique étrangère et de sécurité, ainsi que l'architecture unificatrice de l'Union, bâtie sur un principe premier, celui de la stabilisation régionale et mondiale.
19
1.7
SOFT EMPIRE, INTÉGRATION
ET « PACIFISME RATIONNEL»
Revenons aux postulats du réalisme et à leur abandon. L'issue de la «guelTe civile» européenne de 1945 pas donné lieu à la naissance d'un empire et donc à l'unification d'une zone de civilisation sous J'antOlité d'une puissance hégémonique, mettant un tenne aux cont1its de souverainetés rivales. Les États-UlÜs, sortis victorieux de ce conflit n'imposèrent nullement leur loi, mais uniquement leur modèle de vie et de culture, l'américain way of l{te. Moscou, en acteur idéologique qui s'est voulu l'héritier de la « troisième Rome », a étendu sa sphère de souveraineté à toute l'Europe de l'Est et s'est présenté comme le porteur d'une «cause tmiverselle» et l'incarnation de l'idée historique du XX" siècle, le communisme, syuthèse hégélienne de dialectique matérialiste et de socialisme scientifique. milieu de ces deux espaces de pouvoir, les États de Europe libre» ont consenti à des transferts de compétences plus que de souveraineté à des autOlités supranationales, tout en sachant que ces organismes n'allaient pas effacer les réalités vivantes, les États-nations, ni les réalités imagées, l'état de nature. Placés entre deux empires à vocation universelle, les États européens choisirent volontairement la solution .> de la «fédération» l'unité politique du continent, d'abord pour en assurer la constitution, puis la défense dIe bienCe choix hésitant recelait une idée d'adaptation et d'interdépendance économique favorisant l'émergence des États continentaux, par analogie à ce qui s'était produit avec le processus d'affirmation des États nationaux à l'aube de la Renaissance. Si cela se fit au détIiment des pouvoirs régionaux et locaux, issus de la féodalité et du déclin du Saint-Empire romain germanique, ceci se ferait par l'effacement et l'érosion progressive des États-nations. Dans ces conditions l'idée de fédération ne pouvait ètre qu'une version civilisée, volontaire et « soft » d'un modèle de prépondérance hégémonique classique 20
qtÜ avait échoué par deux fois, sous la férule de Napoléon, puis sous celle Guillaume II et de Hitler. L'idée d'empiœ est celle d'un acteur prépondérant qui élimine progressivement ses rivaux et ses adversaires, créant llne zone pacifiée et sur le socle d'une civilisation commune. L'héritage de l'Empire est celui d'une législation unitaire, réconciliant les nations soumises par la culture et par le droit. Le ,( pacifisme rationne! » du processus d'intégration européenne préserve, en revanche, les nations tout en les dépolitisant. Cette intégration, en son aspect politique, demeure incomplète, car elle n'a pas su réaliser le passage de la pluralité à l'unité, ni de la «paix d'équilibre» à la «paix de satisfaction» dans le monde. sont pas nés ainsi l'unité morale, la foi inconditionnelle. la passion de combat ou l'esprit missionnaire nécessaires à la consolidation d'une cause commune et élevée, car ceux-ci ne peuvent jaillir que d'un antagonisme extérieur négateur, autrement dit du dallnÔI1 de la guerre et de ses drames, que nous réservent toujours dans l'histoire, les grandes surprises stratégiques.
1.8
LE RETOUR DE LA REALPOLITIK
Le monde est resté tel qu'il a toujours désordonné, fragmenté et visqueux, fait d' En raison de la faiblesse relative due au caractère incomplet de son intégration, l'Europe ne parviendra pas immédiatement à se doter d'une stratégie globale intégrée ni d'une vision anticipatrice de ses intérêts géopolitiques communs et permanents, susceptibles d'ordonner un comportement politique unifié sur la scène mondiale. Ce concept directeur appartient dans l'histoire à la puissance hégémonique et au statut privilégié qui accompagne sa prééminence internationale. Il appartient aujourd'hui aux États-Unis d'Amérique, puissance économique, technologique, culturelle et militaire. Seuls les États-Unis possèdent la panoplie ptÜssance et le sens de la mission historique. 28
complète
des moyens
de la
Depuis l'effondrement de l'Union soviétique, ils ont accédé au rang d'arbitres des États d'Eurasie, mais également au statut de puissance globale dominante. En raison de leur rôle, ils s'opposeront à ce qu'un État ou un groupe d'États puisse devenir hégémonique sur la masse eurasienne, exactement comme ça a été fait par l'Angleterre vis-à-vis de l'Europe lors de sa grandeur impériale. Pour des raisons qui tiennent à la fois de son épuisement historique, de l'exercice résolu de la fonction de leadership de la part des États-Unis dans les affaires au monde, ainsi que pour l'effet stabilisateur de sa puissance, découlant d'un engagement de longue date dans la défense des convictions morales historiques de l'Occident, l'Europe doit se faire avec l'Amérique et dans les institutions existantes, mais réformées et renforcées. L'unité de l'Europe ne se fera pas sur une opposition ou sur une défaite de l'Amérique. L'Europe ne pourra pas se rassembler dans la solitude face aux périls grandissants sans assurances ultimes ni sur une rupture de la confiance en elle-même et sur celle des alliés de l'Amérique, mais seulement dans le cadre d'une alliance euroatlantique sûre, large et redéfinie. Or, cette unité est décisive, pour elle-même et pour le reste du monde corrompu par la violence, et une sorte de « loi fondamentale» devra en forger la personnalité, la visibilité et la capacité de rayonnement. Unie, l'Europe saura faire face aux défis civilisationnels et sociétaux du XXIe siècle et redeviendra un acteur géostratégique, rééquilibrateur et éclairant à l'échelle mondiale. Paralysée par ses divisions internes, elle régressera à la simple expression de la géographie, au théâtre où se dérouleront les conflits futurs pour l'acquisition de la puissance globale. La fin éventuelle de l'hégémonie américaine et l'épuisement du «moment unipolaire» du système international postbipolaire conduiront plus facilement à la généralisation du désordre qu'à l'émergence d'une prépondérance de même nature, au plan économique, technologique, politique, culturel et militaire. L'Europe ne pourra pas arbitrer à elle seule les problèmes de sécurité dans un espace continental élargi et encore moins dans un contexte mondialisé. Les États-Unis ne pourront affronter tout seuls les nouvelles menaces et résoudre individuellement ou avec des «coalitions de circonstance» les conflits futurs en Eurasie, sans un partage des responsabilités communes avec l'Europe, sans un partenariat équivalent avec elle. L'espace des rivalités est sans précédent, celui des antagonismes commune mesure avec les ressources d'un seul acteur surclassant autres.
29
est sans tous les
IL3 INSTRUMENTS DE POUVOIR ET INTÉRÊTS GÉOPOLITIQUES
La maluise des nouveaux instruments de pouvoirs technologies, la communication et l'information) n'est pas suffisante pour assurer l'exercice de la prééminence mondiale. La recherche d'un équilibre durable des intérêts géopolitiques dans le monde demeure la condition sine qua non de la gestion du svstème international de demain. Or. cet équilibre a besoin de consensus s'instaurer et perdurer, plus que de domination force pure.
et d'intérêts ou d'exercice
partagés unilatéral
pour de la
ailleurs, l'impératif territorial a été, par le passé, l'impulsion incoercible des comportements agressifs des États. le contrÔle des territoires n'a pas perdu de son importance. Les litiges territoriaux dominent encore les relations internationales sous forme de conflits ethniques, identitaires. ou religieux, liés souvent à la géopolitique des ressources et aux besoins démographiques croissants. Cependant, d'autres défis apparaissent, liés à la prolifération balistique et nucléaire, surtout dans une Asie en pleine transformation et en situation d'éveil nationaliste. La dégradation rapide de l'écosystème, les changements climatiques. l'augmentation de la population dans les zones les plus pauvres de la planète, la restriction des terres arables et la diminution des ressources énergétiques rajoutent des couleurs sombres au tableau déjà obscur du devenir du monde. Ce vécu prévisible de l'humanité prendra la forme d'une remise en marche de l'espèce par des migrations à grande échelle, par des déplacements forcés des populations comportera l'adoption de schèmes mentaux le plus souvent irrationnels, à l'intérieur de "sens» ancestTaux, utopiques ou religieux. 30
lIA ENVIRONNEMENT
INTERNATIONAL
UNIPOLARISME
COOPTATIF OU MULTIPOLARITÉ ?
Aucun acteur politique n'a, dans la conjoncture actuelle, la capacité de modeler l'ordre international de demain selon sa volonté ou ses ambitions et cela en raison du phénomène dit ,',les ont rétorqué
par des questions
Peut-on être puissants
sans puissance
qui ont la valeur de réponses
militaire'?
»
« Le droit international peut-il se substituer à la foree militaire?
47
"
. .
. . . . .
«Les Européens se perçoivent-ils comme des agents de changement et comme des acteurs du monde de demain?
»
Quel est le mode d'emploi aujourd'hui de la méthode utilisée par les États westphaliens classiques, celle des temps anciens, caractérisée par l'attaque préventive, l'unilatéralisme de la menace, la défense de l'intérêt national, l'égoïsme sacré, ou l'anarchie du chacun pour soi? Ces historiens ont-ils oublié que s'engager sur la voie de la prééminence militaire signifie se condamner à la brutalité et à la servitude de la force pure, une servitude que les moralistes condamnent comme une forme de corruption de la cité politique? Les Européens peuvent-ils faire coexister deux méthodes, deux philosophies et deux morales dans une action extérieure? Celle, d'une part, de la sécurité coopérative et du rule of law entre États civilisés et celle, d'autre part, implacable, de la loi de la jungle contre des États traditionnels et prémodernes, sans que la première méthode ne corrompe la deuxième, par épuisement historique, par mauvais calcul ou par simple volonté d'apaisement? L'Europe est-elle économique?
une puissance
ou une super-puissance
Vit-elle dans l'histoire, ou, en revanche, tout est consensus et coopération?
dans une conjoncture
exclusivement
illusoire
où
A-t-elle épuisé son cycle historique et trouve-t-elle plus confortable de se laisser aller sans autre souci de gloire, dans un monde antihéroïque et postmoderne ?
Il est improbable, au niveau des conjectures, que l'Europe puisse échapper aux rivalités séculaires qui bouleversent tout système international, à la spiralisation des crises et des conflits, à la balkanisation du monde, à la poussée démographique d'un univers désoccidentalisé et sans ressources, à la révolte d'une population d'insoumis et d'intrus, qui se situent en dehors de tout ordre normatif dans lequel seulement peut prospérer la liberté des personnes et la sécurité internationale. Ce qui est primordial dans ce débat qui touche à l'avenir du système international et aux choix décisifs de l'Occident, c'est la mise en perspective des visions du monde respectives, des Européens et des Américains. Cela implique un renouveau des paradigmes intellectuels qui conduisent à des lectures différentes de la scène internationale, des buts de la politique étrangère et de l'indétermination de la conduite diplomatico-stratégique. Cela nous amènera peut-être à définir le sens de l'histoire humaine et la quête d'un avenir où la recherche de la sécurité repose pour les Américains sur les lois d'un état très proche de la société de nature et, pour les Européens, dans un avenir éloigné de l'état de guerre permanent et de toute politique de puissance. 48
111.3 TONY BLAIR ET LE CHOIX DE L'UNIPOLARISME
ÉLARGI
Dans le cadre de ce débat, le choix de l'unipolarisme élargi est justifié par Tony Blair au nom du plus important des dangers, la division et la paralyse de l'Occident, qui, dans la crise irakienne est appm'u coupé en deux. Pour la Grande-Bretagne, il s'agit d'éviter le retour à des «situations qui mettraient en cause l'intérêt stratégique sOÎt de l'Europe sOÎt des États-Unis» et qui prolongeraient en retour la tl-agmentation politique de l'Union européenne. Pour ceux qui craignent l'Ulùlatéralisme de \' Amérique, le meîlleur moyen de le provoquer serait de vouloir constituer un pôle de puissance rival ou des alliances circonstancielles et contreproductives de l'Europe avec la Russie ou avec la Chine. ,<Si c'était le cas >', a commenté Michael Ignatieff de la Harvard University, ,, avec la chaleur et le froid, et les difficultés du «terrain
»,
ouvert ou resserré. Toutes ces variables, qui doivent être connues à J'avance par Je chef de guerre, afin de dégager une bonne tactique, permettront aux combattants de bénéficier des meiUeures dispositions du milieu physique et d'en tirer parti. De ce constat découle toute une série d'enseignements et de préceptes, établissant un rapport entre les données instables de la nature et la psychologie craintive des combattants. Sun Tzu discerne lui-même de terrain dont général doit s'occuper. Sa classification fait également place aux espaces de manœuvre et à ceux qui sont favorables aux grandes batailles, de même qu'aux territoires praticables ou impraticables. D'autres auteurs, bien successifs à Sun Tzu, ont repris, en le paraphrasant, les conceptions relatives à la stratégie et à l'espace, ainsi que les caractéristiques permanentes de la stratégie et de la tactique militaire, que Sun Tzu sut présenter résumer subtilement dans son court traité sur «l'Art de la Guerre» .
92
VI.5 LE «DÉSARMEMENT
DE L'ENNEMI»
DANS
LA
PENSÉE
CHINOISE
Dans la conception occidentale de la guerre est exclu tout principe de « limite» qlÜ, dans la stratégie chinoise, trouve sa forme elliptique dans le désengagement et la «fuite ». L'expression plus fidèle de la philosophie chinoise est celle du «Livre des mutations» dont les figures divinatoires offrent une représentation symbolique de l'univers et une référence aux forces qui y sont à l' œuvre. Ces représentations de la «science des mutations je>, sont liées, deplÜs les oligines, aux atis martiaux, à la dialectique du Yin et du Yang, au sein laquelle il n'y a pas de négation, mais de simple dépassement. Grâce à l'ati divinatoire, il est possible de déchitIrer et de prévoir ce qui est encore en germe, par l'identification des traces ou des signes aVat1t-coureurs, des mutations ou des évènements qlÜ se dessinent. L'énoncé philosophique selon lequel «l'occulte est au cœur du manifeste et non dans son contraire »est au cœur du système d'interprétation de la réalité contenu dans le « Livre des mutations ». Le réel se définit par son instabilité et ses configurations transitoires. TI faudra en déchiffrer les formes et en appréhender le sens afin d' en tirer parti. «La dureté se cache sous la douceur ». On gagne la confiance tranquillisant l'ennemi et on complote contre lui en préparant l'offensive. « Créer de l'être à partir du non-être issus de l'Être, l'Être est issu du non-être.
>to Tous
en
les êtres de r uni vers sont
Ainsi, dans une pensée où la ruse est essentielle, l'art du divin comme l'art du stratège constituent la science ce qu'il advient. Scruter les signes est capital, car dans la maîtrise du futur oÙ tout est signe et indice, ceux-ci 93
dévoilent les secrets du temps, lisibles dans les hautes combinaisons stratégiques, qui exigent à chaque fois déchiffrement et interprétation. Or, dans la pensée chinoise qui est mélange de religion et de sagesse, l'importance des temps fonde l'inaction taôiste, comme observation de l'immuable, et celle-ci se révèle dans la supériorité de la transcendance sur l'immanence et de la« ruse du temps» sur la «ruse de l'homme ». Dans cette science des mutations, qui fut la matière première des lettrés, la , qui fait problème dans la vie publique, de telle sOlie qu'acquiert toute sa pertinence la question de savoir où s'arrête le contrôle du pouvoir sur lÏndividu et sur le citoyen. 144
En effet, comment peut-il être défendu le droit à opinion. sans l'irruption du totalitarisme involontaire du parant des habits de protecteur universel de la peur ?
X.14
LA PUISSANCE LES
GLOBALE,
NOUVELLES
ANTIMISSILES.
DOMINANCE
FRONTIÈRES
RECONNAISSANCE
DE
STRATÉGIQUE
L'ESPACE. OPTIQUE,
à la libre se
MISSILES
ET
TÉLÉDÉTECTION
ET ALERTE PRÉCOCE
L'arsenalisation de l'espace se poursuit entre puissances globales, en vue des futures guerres stratosphériques. Le développement qualitatif des forces balistiques et nucléaires chez les adversaires virtuels d'un échange atomique est constant. D'une part, il s'agit d'adapter les systèmes de lancement et de frappe aux sophistications de la tecluùque. d'autre part, d'être instantanément prêts à désarmer l'autre ou les autres. Un accroissement des écarts qualitatifs et quantitatifs des forces entre adversaires potentiels est une probabilité qui dépend de plusieurs facteurs pouvant s'additionner
. . . . . . . .
volonté politique; rivalité; contexte
international;
état de l'économie; effort budgét'. S'afti'ontaient alors des philosophies et des modèles de contrastants, inspirés des conceptions sociopolitiques antagoniques. Le problème du positionnement international de l'Ital ie fut en 1945 un choix de système et de ce choix découlèrent, pendant longtemps, conséquences de stagnations internes, doublées de passivités extérieures, qui renfermèrent l'Italie dans son particulare, rendant archaïques ses débats, son style et sa classe de gouvernement. C'était l'époque de l'Amérique fill! de l'Amérique comme unité de mesure du système intemational dans son entier; d'tme utilisation de l'Amérique «tous azimuts ». II fallait à tout prix que les intérêts italiens coïncident ou s'alignent sur les intérêts américains. Dans ce cadre, l'espace opérationnel réel était proche de zéro, puisque toute politique étrangère était encadrée par trois cercles, atlantique, européen et méditerranéen. Le premier assurait la sécurité, le deuxième le développement, le troisième une certaine liberté de manœuvre.
160
Le reflet intérieur de ces contraintes internationales culturelle ment par un occidentalisme verbal, un européanisme un tiers-mondisme aveugle.
se traduisait de manière et
En termes de capacités diplomatiques, cela signifiait passivité atlantique, faible créativité institutionnelle au sein de la Communauté européenne et panafricanisme à l'aspirine. Dans les formules politiques de centre-gauche un compromis statique sur la politique étrangère faisait disparaître les clivages gouvernementopposition et comportait un coût international minimal en termes d'engagements extérieurs. Un cycle plus créatif s'ouvrait donc en 1994 pour la diplomatie italienne et un rôle plus actif se dessinait pour l'Italie sur la scène internationale. y contribuèrent la mutation du contexte général et celle du système politique interne, bipartisan.
qui évoluait,
au moins
théoriquement,
vers un modèle
À l'échelle du heartland, l'implosion de l'Union soviétique remit en mouvement l'espace tectonique allant de Kiev à Varsovie et de Budapest à Istanbul. Ainsi, au point de vue du cadre stratégique mondial, la mer Noire, la Méditerranée et le Moyen-Orient, mais également l'aire adjacente du golfe Persique, acquirent une importance globale. Ce qui se métamorphosa fut, en effet, la relation générale entre la scène atlantique et la scène méditerranéenne cumulant les changements intervenus dans la jonction entre les trois continents: l'Europe, l'Asie et l'Afrique. En Méditerranée, le rapport entre l'Europe et le Maghreb plus en plus à celui du Mexique et des États-Unis.
ressemblait
de
Du point de vue des flux humains, la ligne qui va des Dardanelles à Gibraltar, en passant par le canal de Sicile, allait tenir la place du Rio Grande de l'Europe. Dans ce contexte de mouvement, l'Italie redevint une puissance européenne du centre ayant un prolongement vers la Mitteleurope au nord, vers l'espace des Balkans au sud. Elle présentait ainsi une double caractéristique, d'être, par sa position, une puissance régionale, et donc une plaque tournante entre l'Est et l'Ouest, le Nord et le Sud et, par le réseau de ses influences extrarégionales, une puissance globale. L'Italie se proclama une puissance globale au sens braudelien du terme, celui de l'économie-monde, par analogie au rôle joué par les deux républiques maritimes de Venise et de Gènes, aux XVe et XVIIe siècles, qui hantaient la terre-ferme et les conquêtes territoriales.
161
Le terme de puissance globale ne doit pas être confondu avec celui de puissance planétaire, avec son corrélât de capacités océaniques et aériennes de projection de puissance et de vision stratégique mondiale (GreatStrategy). Pour une série de raisons qui la poussaient commercialement et parfois culturelle ment à être présente en Pologne ou en Roumanie, en Algérie et au Maroc, mais également en Chine et en Amérique latine, l'Italie continue d'exercer, au plan diplomatique, un globalisme sélectif. Elle inspire son comportement à l'ouverture, à l'internationalisation des échanges, à des réglementations souples, au libre accès aux matières premières et aux sources énergétiques, bref au développement équilibré du multilatéralisme et à une définition plus équitable des modalités des échanges au sein de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Le statut de puissance globale lui fut reconnu par son appartenance et plus tard, avec la Russie, au G8.
au G7
Club fermé de grandes puissances industrielles, le G7 était alors un directoire économique qui évoluait, croyait-on, vers un centre de décision politique. Du point de vue du rang, cette appartenance compensait, pour l'Italie, sa candidature à un siège permanent au sein du Conseil de sécurité élargi de l'ONU. À cause de sa position géopolitique politique, l'Italie disposait à l'époque précédent. Cela imposait l'Allemagne.
à la diplomatie
et du changement de son système d'une liberté de manœuvre sans
italienne
un rapport
prioritaire
Dans ce rapport, problématique et direct, avec le Land der Mitte, devait faire le choix de l'option française.
avec elle
Au plan institutionnel, il n'y avait que deux approches, non permutables, de l'Union européenne, la voie anglaise et la voie française. La voie anglaise, dans son caractérisée par deux constantes:
. .
rapport
à l'Europe
et au monde,
est
quant à l'Europe, par un ralliement ambigu, qui comporta une renégociation acharnée de ses conditions d'entrée et de ses charges budgétaires, et s'est conclue à Fontainebleau en 1984. au plan de la conception et du fonctionnement des institutions, par une vision de «la coopération libre et active entre États souverains indépendants» (Mme M. Thatcher, 20 septembre 1988), ce qui explique son rejet permanent de toute politique intégrationniste et son obstruction à tout approfondissement, en matière de politique économique et sociale.
162
L'élargissement vers l'espace nordique, prôné avec vigueur par la GrandeBretagne, comporta cependant une crise, qui se solda par le compromis de Joannina, bref, par le retour possible à des coalitions de blocage et une énième tentative de dilution de l'Union en un espace marchand, libreéchangiste et neutraliste. Dans son rapport au monde, l'Angleterre est devenue à la fois avec les années un investisseur international et une terre d'accueil des investissements étrangers. De ce fait, elle est un tremplin obligé vers le continent. Ce tremplin est devenu le vecteur d'une vision britannique de l'Europe comme marché ouvert, débarrassé d'entraves tarifaires ou réglementaires: une Europe offerte. Quant à la sécurité, le maintien, déclinant, de ses « liens spéciaux» avec les États-Unis s'exprimait institutionnellement par son rôle intermédiaire entre Washington et l'Europe, prônant une adaptation politique améliorée de l'OTAN. Sa philosophie de The European Europe qu'une vision eurosceptique de l'avenir? La voie anglaise unique et inimitable.
au sein de l'Europe
Pour l'Italie, l'option française des correctifs et des variantes.
pourrait-elle
être autre chose
était et demeure
en conclusion
était la seule praticable,
avec, cependant,
Non seulement pour des raisons d'orthodoxie européenne, taxée souvent de façade, mais parce qu'elle correspondait à la voie du réalisme stratégique qu'elle a pratiquée jadis, sous le règne des Savoie. Au moment où le jeu entre les États européens redevenait compétitif, la voie française du dialogue et de l'entente directe avec l'Allemagne s'imposa comme une priorité pour l'Italie. La voie du réalisme stratégique, consistant à définir, parfois abstraitement, une doctrine des intérêts nationaux et à pratiquer la politique de l'aiguillon, de manière à exercer un poids déterminant sur la balance audelà de ses propres capacités intrinsèques, redevint nécessaire et souhaitable. Sa première application s'affirma dans le choix de l'approfondissement, tout au long des travaux préparatoires pour la révision du Traité de Maastricht. Le corrélât naturel de cette position reposait conception, toute politique du «noyau restreint» appartenir.
pour l'Italie sur une auquel elle s'estimait
La surdétermination de ce noyau par l'économique jouait pour l'Italie comme un épouvantail interne, légitimant et accélérant l'instauration de politiques d'assainissement et de rigueur budgétaires. 163
La fin du bipolarisme de la guerre froide a constitué un gain net pour l'Italie et pour l'Allemagne, car eUe a augmenté objectivement leur de manœuvre à l'échelle régionale, globale et mondiale. Dans la construction européenne, il était donc souhaitable que l'Italie opte pour la solution française et joue à la politique du avec la France. Il restait cependant à définir l'inconnue à long terme de la vision thnçaise, l'éveutueUe réalisation d'un « espace russo-européen ,> sous un directoire tripartite Paris-Berlin-Moscou, subordonné à l'axe franco-allemand et en concurrence avec 1'«espace pacitique », sous direction amélicaine.
XI.6
CONJONCTURE ÉTATS~UNIS,
DIPLOMATIQUE LA FRANCE
ET STATUTS POLITIQUES:
ET L'ANGLETERRE
LES
FACE À LEUR
RANG
La réouverture du « dossier Europe », devait examiner quelles seront, en son sein, la place et l'iufluence de l'Allemagne réunifiée. examen imposa de repartir d\me lecture du système international et d'une adaptation au deuxième « âge nucléaire », des rôles et des statuts politiques,
hérités de la guerre froide.
France, Allemagne, Angleterre et États-Unis s'interrogèrent alors sur leurs traditions diplomatiques et firent découler des constantes géopolitiques et culturelles, les attitudes et les codes de conduite qtÜ influaient sur les options et les objectifs de politique étrangère. Partout dans l'analyse de la dimension internationale, si contTaignante pour les équilibres intemes, refit surface la doctrine de l'intérêt national. C'est sous cet angle que des analystes influents soumirent à critique les fondements de pensée des perspectives stratégiques des décennies à venir. Aux États-Unis, les leçons de la realpolitik européenne. érigée sur les présupposés d'un monde dans lequel les États. mus par des «intérêts
164
propres », constituent les acteurs primordiaux de la scène internationale, ont fourni à H. Kissinger les instruments analytiques essentiels pour redéfinir le rôle de l'Amérique et celui de la tradition diplomatique américaine. Au sein du nouveau « concert des nations », cinq ou six puissances (les États-Unis, la Russie, la Chine, le Japon, l'Europe et peut-être l'Inde) devraient maintenir entre elles un équilibre subtil, fait non plus de règles rigides, comme au temps de la bipolarité, mais d'« intérêts nationaux» redécouverts, à assurer en termes de sécurité, à préserver en matière d'influence, indépendamment des régimes internes et des idéologies dominantes. Kissinger affirma que la démocratie ou les droits de l'homme, le moralisme ou les doctrines économiques et sociales, le libéralisme ou le socialisme, ne peuvent risquer l'enracinement permanent de la raison d'État. Au sein d'une constellation diplomatique, dans laquelle ils nécessitent de nouveaux idéaux, toute forme d'activisme international, non soutenue par des convictions profondes et par la force d'une morale élevée, peut devenir dangereuse. Henry Kissinger préconisa Amérique idéaliste ».
à l'époque
En France, le débat sur la politique de l'Europe.
un
étrangère
«rôle
réaliste
pour
une
se mêla à celui sur l'avenir
Dans le « cher et vieux pays », dans lequel « le passé refuse de passer », où la mémoire souterraine se superpose à la mémoire officielle, pour donner corps à la mémoire historique, la demande fondamentale était à l'époque celle-ci: « Quelle est la place de la France dans le monde? « Quelle réponse l'Europe peut-elle
rang, en d'autres termes
-
»
apporter au rôle de la France et à son
comme le dit Alain Juppé
-
à l'imagination, au
sens du mouvement, à la détermination dans l'exécution, à la tradition d'indépendance, qui créent des responsabilités particulières? » « De quelle Europe parle-t-on
et quelle Europe veut-on construire?
»
L'idée de l'Europe, qui avait divisée jusque-là, la droite française, pouvait-elle encore autoriser la pratique d'une coûteuse «stratégie de la différence », faite d'initiative, d'audace et de capacité de décision et d'action autonomes? L'Europe pourra-t-elle être le prolongement France, ou plutôt un instrument de son déclin?
et le soutien du rang de la
Le Premier ministre Balladur réaffirma encore, le 2 septembre 1994, à la réunion des ambassadeurs de France à Paris que « la France doit parler d'une seule voix », et, a-t-il ajouté, «il n'y a pas aujourd'hui d'alternatives à la construction européenne ». 165
Toutefois, la France avait besoin de réinventer une présence dans le monde et une politique étrangère qui ne se complaise pas dans la répétition de vieux schèmes. Une telle présence ne pouvait venir, conscience de sa propre identité de nation.
comme
toujours,
que
de la
Furent mis sous accusation, comme dérisoires, les succès solitaires de la France en Afrique, parce qu'ils ne serviraient à rien d'autre qu'à masquer le déclin de puissance et les difficultés de se doter de nouvelles alliances. L'idée d'anticiper sur l'avenir et de projeter le pays dans un horizon international plus interdépendant qu'hier, puisque moins soumis à la division simplificatrice des blocs, poussa à proposer comme seule voie réaliste, celle d'une européanisation de sa politique étrangère. L'affirmation d'une sorte d'universalisme renouvelé semble ne pas pouvoir se réaliser pleinement que dans le cadre de la construction européenne et grâce à celle-ci. Pour certains il s'agissait de l'espoir d'une Europe qui, loin de se limiter à une réglementation du libre échange, restaure l'expérience démocratique et sociale, répond à la globalisation des économies et de l'information, et reformule le tissu du dialogue euro-arabo méditerranéen. Dans la perspective de la présidence de l'Union européenne, France assuma le 1er semestre 1995, figuraient déjà 4 priorités:
. . . .
la croissance
et l'emploi;
la sécurité de l'Europe puissance mondiale; l'affirmation la préparation
que la
et l'affirmation
de sa dimension
de l'Union
européenne
comme
culturelle;
de la réforme institutionnelle.
La France en somme n'entendit ne pas être marginalisée par un Drang nach Osten sans contreparties, parce que ceci lui ferait perdre son rôle traditionnel d'articulation entre le Nord et le Sud. Face à une Union européenne qui risquait de se borner à être l'une des modalités du libre échange mondial, simple élaboratrice d'un corps législatif et réglementaire au nom d'une idéologie de la concurrence et du marché, la France recherchait la garantie d'une vraie stabilité, à travers une grande entente continentale avec l'Allemagne. En libérant cette dernière de sa contradiction géopolitique permanente, qui consiste, le moment où elle aborde le problème de l'élargissement à l'Est, à ne pas avoir de difficultés majeures à l'Ouest, la pleine réalisation du grand marché, à la dimension des espaces économiques concurrents d'Asie et d'Amérique, peut constituer un contrepoids à l'hégémonie mondiale anglosaxonne, conduite par les États-Unis. 166
La sauvegarde du rang de la France, qui fut l'obsession de De Gaulle et la préoccupation constante de tous ses successeurs, s'inscrivit dans la mémoire de la défaite militaire, politique et morale de 1940 et dans une vision de l'État-nation, confortée par un rôle indépendant retrouvé. Quelle réponse l'Europe peut-elle apporter à cette recherche d'une nouvelle identité, au sein de laquelle la pensée stratégique est provisoirement sans objet, tout en demeurant essentielle, pour des acteurs historiques qui veulent demeurer fidèles à eux-mêmes? Cela serait une perte grave pour l'Europe, si la France se privait de sa capacité d'invention, de proposition et d'initiative, si nécessaire, dans le nouveau « concert des nations ». Dans ce cadre, l'Angleterre, maîtresse dans l'art d'exercer la garde continentale de la balance of power, mérite-t-elle encore la condamnation du secrétaire d'État, Dean Acheson, « d'avoir perdu son empire, mais de n'avoir pas su retrouver son rôle », sinon celui, suggéré par les États-Unis, d'adhérer à l'Europe et de l'orienter vers une conception « ouverte» économiquement et « néo-atlantiste » politiquement? Ne vivait-elle pas une crise sous-jacente de l'identité nationale, qui l'obligea à se résigner d'appartenir inéluctablement à l'Europe, malgré la mondialisation de sa langue, lorsqu'elle connut le destin aussi exceptionnel de l'Empire? Qu'en sera-t-il de la singularité britannique et de sa synthèse entre modernité et tradition, le moment où elle se verra menacée dans la continuité de ses institutions et dans le choix de sa philosophie du libre échange, qui est le pilier de sa politique d'ouverture et de modernisation? Après avoir perdu les moyens de faire l'histoire et de réfléchir au monde comme à une totalité, la Grande-Bretagne, pourra-t-elle penser d'être encore, par son esprit et par sa tolérance, l'ultime rempart de la civilisation? Sa méfiance à l'égard des exigences institutionnelles de la construction européenne s'est manifestée à nouveau, en mars 1994, à l'occasion des négociations sur l'élargissement de l'Union européenne à l'Autriche, la Suède, la Finlande et la Norvège. Ces élargissements mettent sur le tapis le problème de la minorité de blocage, au sein du Conseil des ministres de l'Union, lorsqu'une décision est prise à la majorité qualifiée. L'opiniâtreté de la Grande-Bretagne dans sa volonté de défendre toutes les possibilités de manœuvre, jusqu'à suspecter des coalitions de blocage, dans le but de retarder ou de freiner les mesures d'intégration, conduisit finalement au compromis de J oannina. La Grande-Bretagne s'est toujours opposée aux renforcements institutionnels de l'Union étendant les pouvoirs « centralistes » de Bruxelles. 167
C'est ainsi que le Traité de Maastricht avait prévu deux dérogations majeures en faveur du Royaume-Uni, une sur la question monétaire, l'autre sur la question sociale. Ces approches à la construction européenne révélèrent que la GrandeBretagne avait accepté l'Europe comme un avenir nécessaire mais sans enthousiasme, et que ce ralliement était la preuve, encore une fois, de la difficulté pour le Royaume-Uni d'épouser d'autres idées que celles d'une coopération intergouvernementale pragmatique et progressive.
XI.7
LE« NOYAU DUR» ET L'ARGUMENT
Les so1ücitations politiques l'argument économique.
ou culturelles
ÉCONOMIQUE
ne doivent
faire
oublier
Le 20 septembre 1994, le président de la Banque d'affaires internationales «Morgan Stanley», Patrick de Saint-Aignan, recommandait d'investir en France. L'intérêt de la proposition était constitué par la confirmation l'appartenance de la France au « noyau dur » de l'Union européenne.
de
Après avoir passé en revue les différents paramètres de l'analyse écononùque (produit intérieur brut, demande, emploi, investissements, tensions int1ationnistes, taux d'intérêt à long terme, politique budgétaire et marchés financiers), Morgan Stanley, contrairement à bon nombre d'analyses anglo-saxonnes, prenait fermement position pour une stratégie européen et pour l'011hodoxie économique, adoptée jusqu'ici avec fermeté par le Gouvernement français. 168
Une telle ligne fut considérée comme apte à favoriser le raffermissement de la reprise cyclique de l'économie, dont les taux de croissance furent de l'ordre de 2% pour 1994 et de 3,5% pour 1995. La justification du conseil, adressée aux marchés internationaux, d'acquérir des actions en France était double.
.
financiers
Elle fut dictée:
.
par le renforcement l'D nion européenne, investisseurs;
des liens entres les pays du «noyau restreint» qui constituent un attrait important pour
de les
par la simultanéité de la reprise, dans la zone économique large du SME, caractérisée par des changes stables ou quasi fixes, ce qui contribuait à la croissance des autres pays et faisait bénéficier à toute la zone d'une forte demande étrangère.
À confirmation de ce qui a été l'Économie et des Finances des Douze, (Bavière), après avoir salué la fin de considérèrent avec optimisme l'avenir de l'UEM, celle de la monnaie unique.
exposé ci-dessus, les réunis le 10 septembre la récession et le début de l'Union et le passage
ministres de 1994 à Lindau de la reprise, à la 3e phase
Malgré les tensions sur les taux d'intérêt à long terme et la baisse du dollar, les prévisions de croissance moyenne pour l'Union européenne étaient de 2% pour 1994 et de 2,5% pour 1995. Le conseil de l'ECOFIM estima, en outre, que les modalités pour parvenir à la réduction des taux d'intérêt à long terme étaient de profiter de la reprise et des entrées supplémentaires que celle-ci engendre, pour réduire les déficits budgétaires et contenir simultanément revenus et salaires. Le bon comportement de la monnaie du Système Monétaire Européen (SME) et la stabilité des relations de changes qui caractérisent les rapports entre elles, après la crise d'août 1992, ainsi que le passage à des marges autorisées de fluctuations élargies (de 2,5% à 15%) évitèrent des dévaluations compétitives et facilitèrent la convergence des économies. La confirmation de la reprise donna une plausibilité supplémentaire au passage à la 3e phase de l'U.E.M., prévue au plus tôt pour 1997 et au plus tard pour 1999. Il fallait reconfirmer que, pour un tel passage, le Traité de Maastricht imposa un déficit du budget public inférieur à 3%, et un cumul de la dette publique qui n'excède pas 60% du produit intérieur brut (PIE). Le problème plus controversé dans l'évaluation des cinq critères définis par le Traité était celui de savoir s'ils seront interprétés de manière rigide (par exemple sur le déficit public), ou en «tendance », c'est-à-dire en tenant compte des progrès accomplis vers le respect des valeurs de référence.
169
La controverse sur la crédibilité vigueur, demande efforts résolus, d'assainissement.
sur le respect de tels crÜères resta ouverte, tandis que celle polÜique concermmt volonté de les poursuivre avec aux gouvernements des États membres d'accomplir des en vue d'une appréciation positive des politiques
XI.8
ET LE SYSTÈME INTERNATIONAL
L'EuROPE
Le système international, éruption.
issu du troisième
après-guelTe
du siècle, était en
Quels seraient, en son sein, les déterminismes fondamentaux de demain, ceux des intérêts des acteurs étatiques, au sein du nouveau «concert des nations », avec leurs ajustements de puissance, ou bien logique facteurs, dictée par une géopolitique redécouverte, une géotïnance conquérante et une géoéconomie agressive? En d'autres termes, qu'est-ce qu'influera davantage l'avenir du monde, la vie l'événement circonstanciel ou long tenne, l'échelle du temps humaine ou l'enracinement des traditions dans les siècles? Une double mondiahsation :
. .
tendance
façonna
et
en
même
l'ouverture des tllLX culturels, technologiques, humains, par leur nature, horizontaux;
temps
commerciaux,
encadra
la
financiers
et
des formes d'intégration politique partielles, it caractère régional.
L'Europe tendances.
était
à cheval
de ce double
170
mouvement
et de ces deux
Union institutionnelle atypique et configuration géopolitique classique, sans équilibres définis, elle pouvait devenir le premier pôle continental du libre échange mondial. Elle se devait donc d'être suffisamment ouverte, pour vivre en symbiose avec les autres regroupements régionaux, et, dans le même temps, assez sûre d'elle-même pour parvenir à un degré suffisant d'intégration politique et décider de son avenir et de son rôle en pleine indépendance. Son impératif fut d'établir des degrés d'ouverture compatibles avec la notion de réciprocité, car un protectionnisme généralisé la conduirait inévitablement au déclin. Elle devait, parallèlement, contribuer à la définition des modalités de l'échange, au sein de la nouvelle Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Dans ce cadre, l'Union européenne pourrait préciser sa stratégie commune, en matière de politique commerciale extérieure, conformément à ses intérêts à long terme. En revanche, l'Europe serait-elle aspects coopératifs dans le monde, tendances conflictuelles, d'où qu'elles ?
prête à maintenir et développer les et limiter, contrôler et prévenir les viennent et où qu'elles se manifestent
L'univers historique ne peut se soustraire aux phénomènes guerre, de prospérité et de misère, d'exclusion et de crise. Pour pouvoir accomplir à cette ambivalence européenne devrait être économiquement avancée, diplomatiquement en mesure d'agir. Dans un monde plus l'horizon et la prospective plus nécessaire. Sous l'aspect conceptuel, problèmes:
. .
de paix et de
de missions, politiquement
l'Union forte et
ouvert, la demande politique est plus grande, stratégiques plus présents, l'intuition historique la chute de l'ordre bipolaire posa deux types de
le rapport de l'économie à la politique internationale, et donc aux fondements du cadre de coopération multilatérale, mis en place à l'issue du deuxième conflit mondial;
la relation de l'économie à la démocratie, et donc à la transition de certains pays à l'économie de marché et à la stabilité politique.
Quant au premier point et suite aux accords du GATT, l'Europe et les USA pourront-ils résister à la concurrence inégale, voire même déloyale de certains pays d'Asie? Quant au deuxième démocratie, l'expérience
point, et donc au rapport entre l'économie et la du siècle démontra que la croissance économique a
171
appelé le développement vers la démocratie, mais l'appel à la démocratie jamais favorisé l'évolution spontanée vers une économie développée. La démocratie, enfin, restait extrêmement sous-développées ou en voie de développement. Un tour d'horizon fondée sur une vision offensif combinent, pays à bas salaires et
fragile
n'a
dans des économies
rapide confirme, en outre, que la croissance est partout libérale de l'économie et que des formes de libéralisme comme dans l'Asie du Sud-Est, une concurrence des une planification des vieux systèmes dirigistes.
Dernier constat, la libéralisation marchés imposèrent la concurrence
de l'échange et l'internationalisation des structures.
des
Face à un système-monde aux régimes aussi divers et à une très grande variété de rapports État-marché, l'Europe et, avec elle, les États-Unis, n'élaborèrent guère une stratégie cohérente, inscrite dans la durée. L'Asie était en plein développement et la Chine, Empire, subcontinent, était en phase de croissance accélérée.
État-nation
et
Son guide affiché y était la realpolitik, sa base de puissance une économie montante, son assise de pouvoir, le parti unique, sa force idéologique l'ignorance de la communauté internationale et, pour terminer, l'assurance qu'une démocratisation venant de l'intérieur est prématurée et celle, en provenance de l'extérieur, est vouée à l'échec. Dans ce contexte, la clé de voûte du système de sécurité régional était fondée sur l'autolimitation des acteurs les plus importants, assortie d'une garantie des États-Unis et du consentement implicite de l'ensemble des États de la région. L Europe ne pourrait jouer un rôle significatif en Asie, quant aux équilibres de sécurité, qu'en accord avec les États-Unis, et comme partenaire de ces derniers. En Europe, l'Union européenne devrait définir ses «responsabilités spéciales» et déclarer quelle est sa zone d'influence exclusive, affirmant que cette zone est une pièce de son système de sécurité collective et qu'elle doit y agir seule si nécessaire, avec l'OTAN si cela est conforme à ses intérêts. Cette stratégie déclaratoire, pensait-on, d'une stratégie globale d'action et comporter,
. . .
des responsabilités
devrait faire partie dès son énonciation:
particulières;
un sens de la retenue; une capacité de décision
et d'intervention
172
autonomes.
intégrante
XI.9
INTÉRÊTS
NATIONAUX
« NORMALISATION»
ET INTÉRÊTS EUROPÉENS. DE
LA
POLITIQUE
VERS UNE ÉTRANGÈRE
ALLEMANDE
Comment peut-on survivre à la désintégration d'un empire, qui fut une superplÜssance et laissa un héritage, géopolitique et militaire, incontrôlé? Comment l'Ouest peut-il intégrer des États d'Europe Je fardeau de l'ordre et de la sécurité dans le monde? À quelles conditions l'équilibre intemational en son sein, les intérêts globaux de l'Europe? Un des mérites, d'avoir affronté les leur fin - l'ordre et étrangère comme l'équilibre connue USA.
centrale et assumer
est-il possible
et quels sont,
et peut-être le principal du document de la CDU a été problèmes institutionnels par lem- bout, autrement dit par la stabilité du continent - et d'avoir proposé une po\iÜque géopolitique et la diversification du paradigme de partenariats distincts avec la Russie, la TurqtÜe et les
Pour terminer, d'avoir tenté d'esquisser les relations Est-Ouest méditerranéennes dans cadre de la globalité, de l'interdépendance coopération. La méthode proposée modèle étatique >t.
pour y parvenir:
«une modification
et euwet de la
profonde
Le danger « énoncé» : le retour au système instable d'avant-guerre. Les risques:
. .
le revival des politiques
et des solidarités
la renationalisation du jeu de puissance 173
de rechange;
du
. . . .
la tentation
d'aventures
la recherche
anxieuse
solitaires; d'alliances,
par leur nature contingentes.
Le remède indiqué: politiquement, la démocratisation équilibres entre les institutions.
de l'D nion et l'établissement
d'autres
économiquement, le souci d'empêcher un « développement divergent entre un groupe Sud-Ouest, plus enclin au protectionnisme et dirigé en quelque sorte par la France et un groupe Nord-Est, favorable au libre-échange mondial et dirigé en quelques sortes par l'Allemagne ».
Les analyses ne sont peut-être pas les mêmes en deçà et au-delà du Rhin, ou encore moins de la Manche, mais le document allemand a le mérite d'avoir posé le problème. Il aurait fallu y répondre, et chacun à sa manière, selon ses intérêts et ses visions de l'avenir, à partir de son identité et de son caractère, de son expérience de l'histoire et de sa mémoire du passé. Au moment où s'est développé en Allemagne un débat serré sur la « normalisation de la politique étrangère », portant sur la levée progressive des restrictions qui ont pesé sur le rôle international du pays, s'est fait jour l'hypothèse, associée à une évidente préoccupation, d'un échec de la ligne multilatéraliste suivie jusqu'ici. Une ligne, fondée sur la conciliation du processus d'intégration occidentale et de l'ouverture vers les nouvelles démocraties de l'Europe de l'Est. Si l'espoir d'une intégration des « voisins » dans le système d'après-guerre (ouest) européen ne devait pas évoluer dans le sens souhaité, rappelle le document: 1'« Allemagne pourrait, sous l'effet des impératifs de sécurité, être amenée à établir seule et par les moyens traditionnels, la stabilité en Europe de l'Est, ce qui dépasserait largement ses forces et entraînerait une érosion de la cohésion au sein de l'Union européenne ». Vivre en paix avec ses voisins est un souci légitime, parfaitement conciliable d'ailleurs avec l'accroissement du rôle et des responsabilités internationales de l'Allemagne. Celle-ci sera mieux à même d'affirmer et de garantir ses «intérêts nationaux particuliers » et, par conséquent, sa propre stabilité démocratique, si la formulation et l'expression d'« intérêts nationaux propres» n'apparaissaient dissociables, à terme, de sa contribution à la définition d'une politique étrangère et de sécurité commune. Les « intérêts nationaux » de l'Allemagne et les politiques pour les défendre ont été transformés par la disparition soviétique.
174
qu'elle mènera de la menace
Comme le montre le document de la CDU/CSU, les voies d'une politique étrangère et européenne plus « normale» pour l'Allemagne, passent par une responsabilité et un rôle plus actifs de celle-ci. L'esquisse catastrophe.
d'une
politique
de rechange
appartiendrait
à un scénario-
C'est pourquoi le débat sur la politique étrangère, l'avenir de IEurope et la réforme de ses institutions était et demeure si crucial pour l'ensemble des pays européens. Les dirigeants allemands veulent aller plus loin dans l'intégration européenne, vers une Union politique de l'Europe plus affirmée, avec le but, comme l'a affirmé Helmut Kohl: « de sauver l'Allemagne d'elle-même ». L'histoire allemande continue de peser sur le continent, sur les choix de la constellation diplomatique continentale et sur le futur de la construction mise en oeuvre jusqu'ici. Pendant de longues années, la «politique de responsabilité », élaborée par Hans-Dietrich Genscher, exprima par un mélange de puissance civile (Machtvergessenheit) et de politique introvertie, privilégiant l'approche multilatérale et le contexte institutionnel européen. Le souci de ne pas faire cavalier seul, de donner preuve de retenue et de poser l'accent sur la dimension morale de la politique étrangère, est allé jusqu'à élaborer l'esquisse d'une nouvelle Weltinnenpolitik idéaliste (une sorte de politique intérieure mondiale, défendant partout les Droits de l'homme et la liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes). Les partisans d'une « normalisation» de la politique étrangère allemande se trouvèrent principalement dans la coalition d'Union Chrétienne Démocrate (CDU), de l'Union Chrétienne Sociale (CSU) et dans certains secteurs du Parti Libéral (FDP) et prônèrent pour un accroissement du rôle de l'Allemagne dans le monde. Les représentants les plus éminents de ce courant ont été les deux jeunes ministres des Affaires étrangères, Klaus Kinkel (FDP) et Volker Rühe (CDU). Ce ne fut donc pas un hasard, si le document CDU/CSU dut tenir compte de leur influence dans la réflexion sur la politique européenne et sur la réforme des institutions. La position des conservateurs Europe plus intégrée.
allemands
était hostile
au projet
d'une
Ceux-ci exprimèrent des critiques sévères vis-à-vis de leurs classes dirigeantes, dont ils condamnèrent l'incapacité à formuler et dénoncer clairement, comme n'importe quel autre pays, les réalités des «intérêts nationaux », celles de la géopolitique et le poids de la puissance retrouvée dans les relations internationales. 175
Ces groupes demandèrent till ralentissement du processus d'intégration, arguant que l'ensemble des États membres de l'Union européenne avait trop longtemps protité du multilatéralisme allemand. Il a existé bel et bien un lien intellectuel implicite en Europe, entre les pmtisans de la souveraineté nationale en Frmlce (J.P. Chevènement, Ph. De Villiers, J.M. Le Pen et le courant conservateur de qui prôna depuis 1985 une Machtpolitik responsable, courant des Tories britanniques, qui allait de l'ancien chancelier de l'Échiquier, Norman Lamont, en passant par l'mlcien président du parti, Lord Tebitt, jusqu'à Jimmy Goldsmith et au député Bill Cash. Leur point commun était la critique de l'Europe, Je rejet du destin européen leur pays, au nom d'une différence et d'tme vocation solitaire dans le monde.
XI.I0
INTÉRÊTS
COMMUNS
ET DIPLOMATIE
« RAISON D'ÉTAT EUROPÉENNE
PRÉVENTIVE.
SUR LA
~~
La rétlexion sur l'Europe de la CDU/CSU a été l'expression de la volonté d'ancrer solidement l'Allemagne unifiée à une Europe intégrée, avec le but de convertir la puissance nationale de l'Allemagne, en puissance politique de l'Union européenne. Celle-ci ne sera cependant solide et digne de ce nom, que si une vision géopolitique commune, et un rapport plus étroit entre la diplomatie et la stTatégie ne sont clairement établi. Pour que l'équilibre des pouvoirs et la stabilité du continent deviennent les principes conducteurs de l'Union européenne, à valoir en toute circonstance et dans un contexte global, il est nécessaire:
176
. . . .
qne les intérêts communs de l'Union européenne intègrent it l'élaboration d'une diplomatie préventive comme élément constitutif essentiel de celle-ci, une série d'options militaires adéquates, autrement dit, une association permanente de la force militaire, que les options militaires soient soumises dét1nition est d'ordre politique;
au concept
de leur limite, dont la
que toute spiralisation de la violence soit tranchée par un calcul stratégique au sens dn hut de guerre clausewitzien et comporte une distinction rigourense entre une action déçisive et nne action qne «l'intelligence personnit1ée lill contexte géopolitique global, en intégrant dans le calcul composantes permanentes de la
» de ces intérêts connivents évalue, dans toute « force » et sa propre force, les forces culturelles profondes, comme politique mondiale.
En effet, il ne peut y avoir de diplomatie sans capacités militaires, ni de gestion de crises par la seule rhétorique des négociations. Or, le dialogue de la diplomatie et de la force doit devenir penuanent, puisqu'il n'existera jamais de politique policée, pas plus qu'une société civile globale, Toute dissociation des capacités militaires et de la volonté politique annihile la notion même de diplomatie. La présence des premières doit être constante, l'existence de la seconde primordiale.
XI.ll
UNE BALANCE OF POWER AU SEIN DE L'UNION?
Par quelle «main invisible» la logique des intérêts nationaux s'harmoniserait-elle, sans toutefois disparaître au sem de ru nion européenne? 177
Les moteurs de toute politique de l'équilibre ont été, par le passé, le réalisme et l'État-nation, et l'Angleterre a réussi, plus encore que la France, à appliquer et à théoriser la balance of power. L'équilibre de puissance n'exigeait guère, à l'âge de Richelieu, l'unité idéologique du Congrès de Vienne ou la soumission de la politique étrangère des États à des principes moraux supérieurs. L'équilibre nucléaire a simplifié et stabilisé à l'extrême, à l'époque de la bipolarité, l'équilibre des puissances et la diplomatie multipolaire, qui a été à la charnière entre le système de l'après-guerre et le nôtre. Il a fait ses véritables preuves au service de la recherche d'une sécurité collective en Europe et en Asie. Or, la garantie de tous, donnée à chacun, contre toute agression, caractérise, pour l'essentiel, la sécurité collective.
est ce qui
C'est ce que demandaient les pays de l'Est, qui ne croient guère à l'unité idéologique d'un consensus universel pour la préservation de la stabilité ou de la paix en Europe centrale. Un pacte de stabilité, dont les mécanismes diplomatiques ne soient pas en accord avec la posture et les capacités militaires des pays qui en seraient les garants, ne peut être uni par la seule cohérence des intentions ou par des généralités brillantes. Puisque la sécurité ainsi que la stabilité sont rarement indivisibles, le besoin d'être garanti se fait sentir à l'intérieur des institutions d'appartenance. Ainsi, les articulations du système institutionnel traduisent à leur manière, par des jeux de compromis croisés, la recherche d'harmonie des intérêts nationaux et leur composition. L'équilibre,
au sein de l'Union, est une démarche
partagée et acceptée.
Le « noyau restreint» y devrait jouer le rôle d'unité et de synthèse, communauté d'action et communauté de valeurs. On a voulu voir, dans ce noyau, une surdétermination
entre
par l'économique.
On fait semblant de croire, restrictivement, que l'appartenance au « noyau dur » se fasse sur des bases et avec des critères de référence économiques. Le « noyau dur » a été et demeure un concept politique et pas le substitut de ce concept. À l'égard des politiques de stabilité en Europe, l'harmonisation des intérêts nationaux se fait au sein de l'Union européenne par les deux obligations, de convergence (économique) et de cohérence (politique). La réapparition d'un conflit Est-Ouest n'étant pas, dans l'immédiat, l'ordre du jour, les problèmes de sécurité se posent en termes collectifs. L'OTAN demeure la seule alliance militaire multilatérale sein qu'a pris forme, dans un premier moment, une identité 178
à
et c'est en son européenne de
défense, et donc l'avenir de l'Europe et celui de l'UEO, comme l'Union européenne. Ainsi, l'institutionnalisation de la PESC et la persistance étatiques, en matières de relations extérieures, peuvent favoriser une phase, où l'obligation de cohérence permet de passer communs à des actions communes.
bras armé de de politiques le passage à des intérêts
Au niveau de la politique étrangère, le message géopolitique de la CDU/CSU a été interprété comme une mise en garde, face au risque de désarticulation du système institutionnel acquis jusqu'ici; risque qui s'aggraverait, le cas où l'élargissement non accompagné par un renforcement adéquat des institutions ne parvenait pas à assurer la stabilité en Europe centrale. À l'égard de lEst, la condition de tout partenariat efficace entre une Union européenne renforcée et une Russie rassurée devrait prendre la forme d'une démarcation claire des limites tolérables dans les revendications d'influence de celle-ci. Afin d'éviter que le partenariat proposé à la Russie ne comporte pas d'unilatéralisme exorbitant, qui consisterait à lui reconnaître un droit de regard et d'influence sur 1'« étranger proche », une délimitation des « intérêts vitaux européens» dans l'Europe de l'Est apparaît comme la condition de réciprocité que l'Occident (Union européenne et États-Unis) exige, pour l'aide à consentir à la Russie. Le canal institutionnel de cette aide aurait pu être l'OCDE, d'adhésion à celle-ci de la part de la Fédération de Russie.
en cas
Si un cessez-le-feu définitif entre les démocraties est une hypothèse plausible, le dilemme le plus inquiétant, dans une optique prospective, était et demeure de s'interroger sur la stabilisation de la démocratie en Russie et dans l'Est européen, là où les États étaient organisés en vue de rivalités belliqueuses. Dans quelle mesure, s'adaptera aux exigences modernité?
d'autre part, au sud de la Méditerranée, l'islam de la sécularisation, du développement et de la
Revenant en arrière, à l'équilibre institutionnalisé des pouvoirs au sein de l'Union européenne, cet équilibre tient conceptuellement d'une alliance étroite, que l'on peut appeler de noms différents, l'axe ou le couple, et d'une démarche, la géométrie variable. Cette démarche se caractérisait par une politique de compromis et donc par des compensations et des négoces. Stabilisée par la bipolarité, pensable avant 1989.
aucune
179
remise
en cause
constants,
majeure
n'était
C'était l'ère de la balance et de la stabilité globales, assurées par l'existence de l'équilibre nucléaire des deux « super grands ». Cet équilibre s'effondra avec la ruine intérieure d'un des acteurs majeurs du système et l'effondrement d'un acteur principal entraîna dans sa chute le système tout entier. Disparue la dialectique de la guerre froide et avec elle le jeu de containment et rollback, tombée l'idéologie de la sécurité collective, comme ciment de la sécurité atlantique; la réunification de l'Allemagne a conduit tout droit au volet politique de Maastricht. La rupture de l'équilibre extérieur eut un effet de domino équilibres intérieurs de la Communauté, puis de l'Union européenne. Malgré l'effort américain de toute la guerre froide et d'établir central et les interdépendances paradigme de l'équilibre global,
globaliser l'équilibre de puissance pendant des passerelles et des liens entre le système régionales par la politique du linkage, le surdéterminé par la rivalité nucléaire et par
un système d'alliances rigides (CEE
-
COMECOM/OTAN - Pacte de
Varsovie), fit reprendre lentement ses droits architecture institutionnelle multipolaires. Cette architecture
sur les
à une
diplomatie
et une
devait être à la fois plus souple et plus différenciée.
Le nucléaire, de facteur surdéterminant des relations d'alliance et d'équilibre, céda la place à des schèmes internationaux d'organisation économique, politique et de sécurité, de type polycentrique et à un cortège d'illusions et de concepts, sans cohésion politique et sans capacités militaires. Un nouveau « concert des nations» était né, d'où une nouvelle démarche de l'équilibre, redevenu tendanciellement multipolaire, qui perdait de sa rationalité globale, pour devenir la résultante de situations plus fluides et plus aléatoires. Ainsi, le seul équilibre viable, au sein d'une réorganisation multipolaire du monde, ne pouvait être désormais qu'une nouvelle triangulation et donc un nouveau linkage entre un système d'influence économique permanent (relayé par des institutions internationales), une projection de puissance in being (les différentes forces nationales d'action rapide) et des coalitions régionales contingentes et variables. L'Union européenne fut prise par surprise dans cette tempête de l'histoire. Elle devait s'y adapter et y faire face. Le moment de la réflexion est venu et ce moment a marqué pour l'Union un retour à la realpolitik et à la saisie des relations internationales comme un tout, dans leurs dynamiques et dans leur globalité.
180
XI.12
HISTOIRE
ET CONJONCTURE
La carte de l'Europe et de son environnement au XXf siècle se précisa lentement. À un moment oÙ prit forme une nouvelle distribution des jeux et des statuts politiques à l'échelle de la planète, dans un monde en pleine ouvelture, l'Europe ne put s'isoler ni à l'Est ni au Sud. Elle se devait au contraire renforcer son identité, sa compétitivité et son esprit du grand large. La montée de l'Asie, conjuguée à la renaissance de l'Amérique et à l'émergence des pays à bas salaire, poussa simultanément à l'internationalisation des marchés et aux disparités des structures. mondialisation eut moins l'effet des idées et des courants de pensées qu'une conséquence irréversible des techniques, dans les trois domaines croisés, de la communication, de l'information et des transports. Dans ce contexte, la tâche primordiale de l'Europe, sur le plan de sa politique commerciale, fut de contribuer à une réglementation des échanges mondiaux, ce qui était la mission du GATT, et de faire en sorte que cette tâche demeure demain celle de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). 11fallait éviter à tout prix qu'au désordre des nations s'ajoute le chaos d'une généralisation incontrôlée de négoces illicites. L'Union européenne eut une place primordiale, dans la recherche d'un cadre d'accords respectés, pour gérer collectivement cette ouverture 181
grandissante, y inscrire stratégie de «réciprocités globaux à long terme.
sa politique commerciale, conformément à une de concession» et à une vision de ses intérêts
Sur le plan d'une réflexion plus générale, l'Europe, qui s'est faite par le passé au gré des circonstances et par le poids de l'histoire, répond-elle aujourd'hui à un projet, ou à un destin propre? Entre les trois Europes, qui se découpent, an plan culturel, civilisationnel et identitaire, sur une géopolitique redécouverte, l'Europe anglo-saxonne, l'Europe germano-latine et l'Europe slave, y avait-il un lien qui sert de référence et d'unité au «pouvoir constituant» européen, prêt à dessiner les contours géographiques et les équilibres des intérêts et des pouvoirs, dans la préparation du débat sur la rédaction du nouveau traité de l'Union? Le retour du politique, dont on clamait la nécessité, se fera-t-il à l'avenir par une relance du processus d'intégration ou par voie intergouvernementale ? Et quels scénarios ou alternatives
en cas d'échec?
Quels autres choix pour la France, pour le Land der M itte et pour les autres pays qui appartiennent à la zone de turbulence de l'Est européen? Les repères dont on dispose étaient tous incertains.
pour juger
de la conjoncture
européenne
Élections politiques en Allemagne (octobre 1994), élections présidentielles en France, crises et instabilités politiques à l'Est (Pologne, Russie) comme à l'Ouest (Italie, Grande-Bretagne et Espagne). À ses marches, la Fédération russe entama la fondation logique néoimpériale et grande russe. Deux modèles d'intégration coexistaient entre-temps l'Ouest, inspirés par deux visions, non substituables, continentale, au milieu d'un environnement international, constitution de zones d'intégration concurrentes.
de la CEI sur une en Europe de britannique et signalé par la
La révision du traité a-t-elle sonné l'éveil d'une prise de conscience enjeux de demain, devenus désormais mondiaux?
182
des
XI.13 LA CONSCIENCE
DES ENJEUX ET LE RETOUR DU POLITIQUE
Faire prévaloÜ la plimauté européenne:
. . . .
la relance des chemins l'élandssement publiques l'affirmation J'Union d'un
de
du politique, de l'intégration
la légitimité
des
cela a-t-elk
signifié pour l'Union
~ institutions
de l'importance de la voie constituant ,>
auprès
des
intergouvernementale.
la conception de la politique comme force. de J'équilibre du champ d'action comme stratégie?
opinions
dotant
comme balance et
Ceci n'allait pas parallèlement sans « politiser la méthode communautaire» et donc sans le fonctionnement des institutions, en faisant ainsi le contrepoids à la perte de liberté des autorités nationales dans l'élaboration des choix publics. Il fallait ajouter à ces aspects de politique intérieure un impératif concernant le rôle que J'Union devait jouer dans J'identification des intérêts européens, en matière de politique extérieure et de sécLU-ité. Cet impératif imposa l'exigence géoéconomique de la scène mondiale, prospective et de la stratégie.
d'une vision géopolitique demandant un nouvel essor
L'Union européenne, née d'une idée et d'un objectif développa dans le cadre d'une stratégie dite de substitution. 183
politiques,
et de se
Elle doit revenir à sa dimension
originelle.
Après un long repli sur l'économique, au sens de la pleine réalisation du marché intérieur, elle devait faire prévaloir à nouveau son projet initial par un « nouveau contrat fondateur» (Alain Lamassoure). L'Union intemational
européenne ?
est-elle
un acteur
autonome
et distinct
du jeu
Douée de la pleine personnalité juridique, disposa-t-elle de toutes prérogatives et les potentiabtés des vieilles personnes nationales, ou ne demeura-t-elle pas, tout simplement, l'héritière d'une « int1uence collective diffuse» (Stanley Hoffman) ? Au sens propre, les capacités de décision et d'action, qui font d'une entité institutionnelle un acteur politique souverain sur la scène internationale, découlaient et découlent encore, pour l'Europe, des seules capacités de coopération intergouvemementales.
XI.14 ÉLARGISSEMENTS
ET MONDIALISME
Le réseau d'accords stipulés par l'Union européenne dans le monde est le résultat d'un processus d'intégration qui a été parcouru en commun vers la mondiabsation de la politique commerciale, grâce aux deux vagues d'élargissement de 1973 et de 1986. Celles-ci ont permis de développer des accords de coopération vers l'aire francophone dans un premier temps, puis d'y associer ceux de la zone anglophone d'Afrique, lors de l'entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté ensuite l'espace hispano-Iusophonc de l'Amérique latine, avec l'élargissement à l'Espagne et au Portugal.
184
La dualité de politique commerciale et de coopération politique, qui a constitué le socle de toute politique étrangère, a été complétée dans le Traité de Maastricht, par l'inclusion de la dimension sécurité-défense, assurée par la PESe. En d'autres termes, le rôle des élargissements successifs a été décisif dans l'orientation mondialiste des relations extérieurs de la Communauté, la seule appropriée à un ensemble de nations marchandes. L'interprétation extensive de l'art. 255 du Traité de Rome, qui a servi fondement à la genèse, puis au développement des différents accords commerce et de coopération, a permis de jouer à l'analogie de traitement donc au parallélisme juridique, entre actes et compétences internes et actes compétences extérieures de la Communauté.
de de et et
La constitution d'un immense réseau de relations d'association et de coopération dans le monde a été rendu possible grâce à l'extension politique de la famille européenne, qui a étendu, à son tour, la portée extracommunautaire de la dynamique d'intégration. Ainsi, des relations de proximité, d'interdépendance et de solidarité avec l'Afrique ont pris une ampleur inégalée dans l'histoire et constituent le modèle de référence pour l'ensemble des relations Nord-Sud. Le but de se faire entendre et de peser sur les grandes affaires du monde a donné parallèlement naissance en 1970 à la Coopération Politique Européenne (CPE). Née en dehors du cadre communautaire et sur la base d'une logique intergouvernementale et non intégrationniste, cette ébauche d'une diplomatie « sui generis », a fonctionné comme un multiplicateur d'influence, dont la Communauté avait besoin. Elle a été le relais d'ambitions nationales pour certains États, dépourvus de la taille suffisante leur permettant de jouer à la Weltmachtpolitik, par l'extension de la scène planétaire.
185
XI.15
LES ÉLARGISSEMENTS DE DÉFENSE. DE LA ePE
ET LEURS RÉPERCUSSIONS
EN MATIÈRE
À LA PEse
La séparation du high politics et du low poliTics ne pouvait durer indéfini ment. Cette dualité, de coopération politique et de relations économiques extérieures, fut mise à l'épreuve en matière de sanctions et dans l'utilisation de l'anne commerciale en situation de conflit (Malouines et Mrique du Sud). Secondant l'évolution en cours, le Conseil européen de Milan, lors de la rédaction de l'Acte unique, codifia en matière de politique étrangère :
. .
l'engagement de cohérence et l'obligation de la part des Douze, d'éviter toute prise de position nuisjble à cet engagement; l'inclusion cle la dimension «sécurité ,>clans le champ de la CPE. IimJtée dans un premier temps aux «aspects poLitiques et économiques ».
Cette nouvelle dimension ne pouvait se borner à l'affirmation d'une stratégie déclaratoire, si souvent critiquée. C'est en réponse à l'unification allemande et à l'etTondrement du bloc l'Est que l'impératif d'un positionnement de l'Union européenne sur la scène internationale rendit possible une percée dans le domaine tabou de la dimension « défense ». Cependant, le nouveau « pilier sécurité et défense », au lieu d'être intégré dans lme structure lmique, capable de conduire à une politique extérieure 186
communautarisée, rassemblant relations économiques extérieures politique étrangère de sécurité et de défense, resta bridé aux procédures coopérations intergouvernementales et soumis à la règle décisionnelle l'unanimité au sein du Conseil.
et de de
Le repli sur l'économique, n'étant plus justifié, dans cette nouvelle phase de réouverture du jeu paneuropéen, l'éclatement de la politique étrangère entre les trois piliers, a conduit au renforcement de la seule institution en mesure d'assurer la cohérence et la continuité des actions entreprises, le Conseil européen, véritable clé de voûte du traité. Le Parlement, relégué, en la matière, a un rôle consultatif; la Commission s'est vu confier un droit d'initiative, qui lui assure une fonction de jonction dans le dualisme persistant, entre la politique commerciale extérieure et la politique de sécurité et de défense commune (PESC). Mais la mise en oeuvre d'« actions communes », dans les domaines où les États membres ont des intérêts essentiels communs, exige, en effet, comme par le passé, une décision à l'unanimité. Du point de vue institutionnel, la subordination de l'UEO (Union de l'Europe occidentale, issue de la transformation du Traité de Bruxelles de 1948) à l'Union européenne, et sa reconnaissance comme « bras armé» de l'Union, a été assortie, dans l'annexe au traité, d'un lien particulier avec l'OTAN. L'Alliance atlantique, au sommet de janvier 1994, a apporté son plein appui au développement d'une identité européenne de sécurité et de défense (déclaration du Il janvier 1994). Dans le cadre des élargissements aux pays AELE, cette évidente avancée de l'Union apportera une différenciation ultérieure à la «géométrie variable », malgré l'engagement de certains pays neutres (Autriche, Suède et Finlande) à respecter la totalité des obligations qui découlent du traité. Il s'agissait d'engagements qui restaient pour le moment théoriques, car si l'UEO, comme «pilier» européen de l'Alliance atlantique, était devenu effectivement le «bras armé» dont on parlait, tous les États membres de l'Union européenne auraient eu vocation à être membres de l'UEO. C'est ce qui avait été promis aux pays d'Europe centrale devenus entre temps «partenaires associés» de l'UEO.
et orientale,
Ce partenariat devait leur permettre de bénéficier, le moment adhésion, du même degré de sécurité que les autres pays membres.
de leur
Cette garantie de sécurité étant elle-même liée à la réassurance l'OTAN, l'adhésion à l'UEO ne pourrait pas être durablement dissociée celle de l'OTAN. Ainsi, une cascade d'engagements en chaîne suscita des réticences États-Unis qui demeuraient les garants de la stabilité du continent. 187
de de aux
il semble ditfidle en fait qu'ils n'aient pas eu leur mot à dire, même indirectement, sur élargissements. susceptibles de rompre aVè:C traditions établies et légitimer ainsi leur droit de regard d, a veto. sur l'élargissement de l'Union européenne. L'Union ne put leur consentir ce droit et fut confrontée, par la logique de sa mutation permanente, à des tensions ou à des malentendus avec les ÉtatsUnis d'Amérique.
XI.16VERS
UN NOUVEAU TRAITÉ?
L'idée d'un nouveau traité fut lancée par GÜnter Rinsche (CDU), corédacteur des Réflexions Sllr la politique européenne de son parti, en plein débat sur 1'« Europe à plusieurs vitesses ». au sein du Parlement européen.
Le scénario d'un acte de refondation qui «crée un traité à côté du traité, qtùtte à faire de la stmcture existante une coqui1le vide...
,je
s'est déjà produit,
au début des années 50, lorsque les Britanniques, qui n'avaient pas accepté de faire le Conseil de l'Europe vers une union plus étroite, poussèrent les à d'abord la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier), puis la Communauté Économique Européenne (CEE). L'évocation constitutionnel, étape politique.
de cette hypothèse eu le mérite d'ouvrir un débat où il fut question pour l'Europe d'entrer dans une nouvelle
Après la contribution allemande de la CDU/CSU, il devint patent que l'Europe prend conscience de ne plus être line entreprise définie par son propre processus d'élaboration intérieur, par l'économique ou par le droit, mais qu'elle doit s'inscrire dans une finalité clairement formulée et dans des perspectives institutionnelles portant sur son identité, sur sa dimension et sur sa stmcture politiques. 188
Les vieux problèmes, longtemps éludés, de la différence interne et l'altérité devaient être finalement aflrontés et il fallait apporter, à chacun d'eux, une solution appropriée. Dans ce débat, certaines idées revenaient de loin, tels l'avenir et le contenu de la souveraineté, ou l'impossible rationalisation ou européanisation des nations, d'autres apparurent avec les intérêts européens communs exigeant qu'un nouveau linkage soumette ,,étatique se commue, dans la cité politique en loyauté et obéissance des citoyens et sur la scène mondiale en stratégie visionnaire et volonté d'affirmation histOliques.
XII.3 CONSTITUTION
ET DÉCISiON
La «dédsion» s'insère dans cette tension entre la politique et la constitution, comme passionaJité de l'action ou référence inconditionnée, conllne impératif historique el choix constitutionnel. Si le concept de politique s'enracine dans l'opposition entre l'existentiel et le normatif, la prolifération de représentations fonctionnelles est susceptible d'induire une c'l'ise de légitimité atteignant toute la structure de l'Union, et cela en raison de la faiblesse de la personnalisation et de visibilité du pouvoir, 20}
Au sein de la convention, la tendance de certains États, zélotes d'hégémonies extérieures et sans domicile constitutionnel fixe, a été celle de résoudre le problème de la souveraineté et de la direction politiques en les niant; en niant les situations d'exception (Machtpolitik), et en même temps, l'exigence historique d'un pouvoir de décision, en essayant d'émanciper la constitution de toute Zentralgebiete. En ce faisant, les États tournés vers les compromis intérieurs ont exalté la métaphysique du « démocratisme pur » ou du « Dieu impuissant ». La théorie de la décision de Schmitt et l'exigence de choix d'action de l'Europe dans le monde se sont posées et se posent aux antipodes des stratégies fonctionnelles, et des fictions juridiques, bien au-delà des scepticismes publics ou des pondérations de pouvoir. Une «constitution neutralisée» est une constitution dans laquelle la souveraineté, partagée et sans leader, est incapable d'établir une ligne de démarcation entre l'ami et l'ennemi surtout à l'extérieur et dans un monde de menaces combinées, une constitution inapte à redessiner dans une conjoncture déterminée le profil de l'antithèse politique radicale, au-delà de l'apparente normalité des équilibres constitutionnels. La tension agonale de la vue internationale est ainsi étouffée dans le cadre d'une situation régulière et homogène, susceptible de permettre l'application de la règle démocratique et celle de la norme constitutionnelle. Or, l'influence de la démocratie et celle de l'ordonnancement juridique, voire même de la constitution ne reposent guère sur la « normalité» ou sur les équilibres régulés et gouvernables mais sur l'exception, sur les situations extrêmes, fondatrices et originelles. Dans le premier cas, l'essence de la norme s'appuie sur une logique rationaliste et formelle, dans le deuxième, sur l'expérience de la vie historique, existentielle et radicale. Philosophiquement, la norme ne prouve rien et l'exception y est tout, car la règle vit de l'exception et celle-ci seulement intègre l'anarchie des sens et des forces de la vie du monde. Dans un cas, la norme apparaît figée et statique, dans l'autre, l'exception se dévoile, en son essence, passionnelle et tragique, car elle appréhende la généralité avec la passionnalité la plus énergique. Une constitution qui vit de l'équilibre de ses normes et qui en est la garante s'anéantit en elle-même. Elle se supprime et s'amenuise, elle se dépolitise et se neutralise d'abord dans les ajustements du système en tant que tel, ensuite parce que cette constitution aura perdu le sens profond du politique, la lutte pour le pouvoir et le règlement des conflits de son temps. Le « sujet» de la souveraineté européenne destiné à assurer la stabilité institutionnelle (président-ministre des Affaires étrangères) est à peine esquissé et ne peut être déduit que des impératifs de la M achtpolitik. 203
Or, l'existenÜel et la dynarnique réelle des rapports mondiaux de forces ne sont guère le produit d'une loi, d'une délégaÜon ou d'une Bildung raÜonaliste car la « décision >t et la «souveraineté T> ne sont point immanentes à la Verfassung sens propre.
mais bel et bien normtranszendent,
absolus au
Ainsi, et encore une fois, les concepts fondamentaux de la théorie moderne de la consÜtution et de l'État demeurent des concepts théologiques sécularisés.
En effet, si la « vérÜé» existentielle du pohÜque est dans l' « état d'excepÜon », au plan cognitif l'état d'exception dévoile le radicalisme de la vie naturelle des États et le « dogme ,>qui la secoue et l'inspire, la crise, de la même manière que le «miracle »,dévoile dans la théologie l'existence éclairante et tenible du Dieu créateur.
XIIA L'EXISTEI\iTIEL ET L'OCCASIONNEL
Dans la dimension totale du poliÜque,
\< souverain »
est donc celui qui
décide, selon Schmitt, sur l'état d'exception, celui qui est le maitre intégral des affaires intérieures et extérieures. Or, toute circonstance, tout moment poliÜque est virtuellement un moment d'exception (voir Je 11 septembre aux USA). C'est Je souverain qui décide de son actualisation sur la guerre au teITorisme international).
(déclaraÜon
de Bush
guère Le décisiOlmisme, introduit par l' « existentiel » n'est r« occasionnel" mais r« ontologique ». L'existenÜel est l'antinormatif par excellence, c'est-à-dire la « politique en devenir ».
204
La politique comme décision tempestive comme dieu mortel, et comme calcul (Hobbes).
(Machiavel) s'oppose à l'État rationnel, comme
Par ailleurs, la Constitution et l'État, comme l'existentiel et le temps, doivent pouvoir saisir l'occasion et la prendre par les cheveux, ainsi que nous l'admirons dans la symbolique tapis de la Renaissance italienne célébrant les Médicis. Quel système de décision, quel ensemble de nonnes, quel critère de vote, quel type de majorité permettront à l'Union d'être le temps de l'Europe qui prend l'occasion par les cheveux, l'oriente dans le sens du destin et tlnalement la domine?
XII.S THÉOLOGIE ET POLITIQUE
Puisque la vie spirituelle de toute époque est polycentrique et la philosophie de l'histoire représente l'orientation imprimée à un sujet politique par ses élites-guides, le processus de sécularisation de l'Europe, que nous vivons depuis un siècle, affaiblit cene-ci par rapport à l'offensive théologique, téléologique et métaphysique d'autres peuples, en lutte pour la vie, la survie ou l'hégémonie, offensive conduite aujourd'hui au nom de la « revanche de Dieu ». Dans ce cadre, la décision politique ne dépend d'auclme structure jmidique, d'aucune technique séculaire, d'aucun cadre constitutionnel et institutionnel mais de l'enjeu existentiel le plus radical et radicalement
205
négateur, l'opposition entre l'ami et l'ennemi, le conjoncturel et le circonstanciel.
mise à nu par l'occasionnel,
L'ennemi public n'est pas l'ennemi personnel et privé l'inimicus mais l' hostis, celui qui s'oppose à notre conception collective et occidentale de la vie et demeure le porteur d'une conception irréductible et incommensurable de l'existence et de la culture. Le normativisme juridique, l'État de droit et la légitimité internationale prêchant la « commensurabilité» et l'équivalence des intérêts neutralisent l'antithèse radicale de l'ami et de l'ennemi et la vident de sa substance éthique, négatrice et créatrice; la vident de toute puissance de changement et d'avenir. Ils la réduisent à un équilibre exsangue, à un calcul optimalisé, « commensurabilité» de valeurs incompatibles, en paix apparente artifice absolu.
à une et en
Le souverain qui décide de l'État d'exception ne peut être le chairman du Conseil de l'UE9, qui fixe les règles du jeu et qui est un produit de la normalité institutionnelle. Pour l'heure, ce président ne peut être le décideur et donc le «souverain », car il ne peut être le porteur d'une symbiose irrépressible de théologie, de philosophie et de droit-force, le droit-personne du cas extrême, en mesure d'aller au-delà des horizons constitutionnels actuels, postmodernes et posttragiques.
Le président permanent du conseil, simple président de séance dépourvu d'autorité est ici un joueur parmi d'autres et dispose d'un pouvoir limité et dérivé, non originel, non indépendant, non suprême. Selon A. Lamassoure, «[l]'évaporation de la fonction de la souveraineté ferait en sorte que, dans la nouvelle constitution, le rôle du « maître d'ouvrage » sera partagé entre le Conseil de l'UE, le président permanent dudit conseil et le président de la commission ». Cette évaporation tricéphale de la souveraineté est ainsi présentée: «ladite fonction n'a pas besoin d'être exercée par une seule personne ni une seule autorité, compte tenu de la nature collective du projet.
206
XII.6
ÉTHIQUE ET POLITIQUE. AU-DELÀ DE LA CONSTITUTION
Le concept de politique résultant de la double tension de la politique et de l'État, a dans la dialectique de l'ami et de l' ennemi un renouvellement perpétuel. Cette dialectique condui t, dans chaque conjoncture, à des a]]jances occasionnelles et temporaires. En travaillant sur System der Sittlichkeit de Hegel. Schmitt découvre que « l' ennemi ,> se constitue comme tel par une différence éthique et cette différence est elle-même 1'« ennemi» un étranger à nier dans sa totalité existentielle. En 1962, présentant à Pamplona sa Théorie des Partisanen, Schmitt rendra un hommage appuyé à Lénine dont la supéliorité sm- tous les autres marxistes de son temps consista à avoir approfondi et radicalisé la notion d'inimitié totale et d'en avoir fait r axe de gravité de la guene sociale. L'essentiel pour Lénine fut de savoir d'abord qui était son ennemi. Cet ennemi absolu fut identifié dans l'adversaire de classe. Par cette opération, Lénine tït de r ennemi réel un ennemi absolu. Or, « celui qui est en lutte avec un ennemi absolu voit un avertissement dans sa capadté immédiate de lutte, voit son affaiblissement dans l' amlétisation, la relativisation et la neutralisation de l'ennemi. D'où l'inévitable manque d'objectivité de tOLItedécision politique. Ainsi, dans la lutte, la distinction entre «légalité et illégalité» - dira Lukacs - « est pour les marxistes un problème éminemment tactique », le marxisme se situant d'emblée au-delà du droit existant et en rupture avec celui-ci, Dans cette relativisation de l'État et du droit, hérités de la tradition dujus publicum ellropaeum et de la civilisation juridique du XIX" siècle, nous percevons la mise en valeur des concepts d' « ennemi» et de « puissance 't,
207
Le droit perd de sa substance éthique et égare sa liaison conceptuelle avec les présupposés de la pensée théologique et les dogmes « pessimistes du pêché ». Le dogme théologique fondamental sur la démonisation du monde conduit à une division des hommes en « bons» et « mauvais », de la même manière que la distinction en amis et ennemis. En revanche, l'optimisme indifférencié, typique du concept universel d'homme aboutit à une conception du monde « bon », parmi lequel règnent naturellement la paix, la sécurité et l'harmonie. Le concept d'humanité n'a pas d'ennemis et comporte une obligation morale de fraternité et de solidarité. Ce même optimisme représente, par ailleurs, la dissolution de l'histoire de l'Occident comme histoire de conflits et de luttes pour l'hégémonie, imposées politiquement par la « loi du mouvement », l'anima mundi. Cela aboutit à la conception dominante dans l'Europe d'aujourd'hui, où le conflit séculaire entre le droit et la puissance est résolu par une morale publique entièrement sécularisée et devenue totalement autonome par rapport à la métaphysique et à la religion. Ainsi, dans le cadre d'une conception moralisante et légalitaire de la vie internationale, le caractère radical de la distinction de l'ami et de l'ennemi est éclipsé par la confusion du politique et des valeurs et par la soumission de ces dernières aux normes instituées, celles de l'économique et du droit. Suivant cette confusion, le concept politique de mouvement et de lutte devient, par l'influence de la pensée libérale, au plan économique, « concurrence» et, au plan spirituel, « discussion ». Ainsi, les différends dans les relations internationales tendent à remplacer la clarté de la distinction entre «paix» et «guerre» par des approches d'indécision, des options mixtes de légalité (manifestation du nomos, de la voluntas, de 1'« éthos » étatiques comme coercition et force contraignante) et légitimité (fidélité formelle à une autorité ou à un consensus occasionnel dépourvus de sanction, démocratique ou juridique) ou encore de négociation et de refus d'engagement. Cette conception est un «amas hétéroclite d'économie, de liberté, technique, de laïcisation éthique et de parlementarisme» (C. Schmitt).lO
10
de
Il aboutit, selon Marc Ferry, à un concept d'État où « sa vérité » se situerait dans le
choix d'une « alternative entre espace multiculturel des mondes fermés », autrement dit entre la société classique des États, comme «état de nature et guerre permanente » et l'« ordre cosmopolitique de sociétés ouvertes ». Cependant, il s'agit d'une alternative de réalités purement spéculatives, fondées sur un ordre défini dans la seule dimension du ius gentium et hominum, en vue de l'entente et de la coopération universelles.
208
XII.7
LE RÉALISME RADICAL
Thomas Hobbes
Nit'olo' Machial'elli
Les théoriciens de la conception «pessinÜste t, du monde - les réalistes radicaux, les réalistes classiques et, en particulier, Hobbes et Machiavel fondent la distinction entre amis et ennemis sur la conviction, ancrée dans les parties antagonistes d'être dans Je », dans le ,<juste» et dans « bon », ce qui provoque le conflit de tous contre tous. Dans les conceptions du temps présents deux univers culturels maintiennent cette foi et cette liaison existentielles avec la pensée politique et la radicalisent; les fondamentalistes américains et islamiques, et ils se déclarent prêts à mourir au nom de leurs conceptions et pour leur triomphe. Les hommes paisibles cultivent r illusion d'une « pessimistes »,
en général, et les Européens en particulier, paix sans menaces et ne tolèrent guère les
Machiavel, Hegel et Fichte écrivaient dans une situation de « défensive idéologique» et il fallait, dès lors, se prémunir de l'ennemi qui règne à l'intérieur par la démission spirituelle et les concepts démilitmisés (perçus par J'Islam comme logés dm1s demeure la provisoire, Dar KOl({i - l'Europe)
et, à l'extérieur,
pm' une pensée inspirée à la violence et à
la vision antagonique du monde, Hors, pour terminer, de toute notion de juste ou d'injuste, car il n'y a pas de nonnes universellement partagées à pm1:irdesquelles pOlm'ait se dégager un concept commun de justice. Cette vision repose dans la conjoncture actuelle sur la distinction du « Peuple du Livre » en Dar at Hw-hi (la demeure de la guerre, J'Occident) et en « Dar al Islam»
(la demeure de la paix et de la vraie religion,) 209
En conséquence, l'Occident comme consteJlation démocratisée pacifiée d'États de droits, lorsqu'il est attaqué, doit porter la lutte hors du système du jus car la lutte est toujours décidée hors du champ la Constitution et du droit, hors des institutions intergouvernementales et supranationales, hors de l'interdépendance économique, de la diplomatie et de la gouvemance.
XII,S
LE CONCEPT DE POLITIQUE ET SA MÉTAPHYSIQUE
Suivant Carl Schmitt, la Constitution, l'ordonnancement juridique, r ensemble des dispositions de droit, les procédures kgislatives ou réglementaires tirent leur signification profonde 1'« essence» du politique. Le pohtique a ses critères propres et indépendants au sein de la pensée et de l'action humaine. En effet la distinction spécitïque à laquelle il est possible de rapporter les actions et les mobiles polüiques est la dialectique de l'ami (FrelU1d) et de r ennemi (Feind). Cette distinction pas déductible d'autres critères et n'est guère fondée sur d'autres antithèses. La signification de cette distinction originelle et non dérivée, consiste à indiquer le degré d'intensité extrême d'une union ou d'une dissociation. », le est r ennemi public, 1'« hostis» non » non «ekthros ». Dans le concept de politique rentre l'éventualité d'une lutte. Or, la lutte et la guen'e conU11e possibilités réelles sont aujourd'hui émiettées et pulvérisées sous forme de «guerre civile mondiale >>.Cette pulvérisation concerne tout autant la grammaire (les moyens, les techniques et les doctrines de combat) que la logique propre de la guerre (l'entendement et les visées politiques, le type de paix recherché, les choix et les regroupements entre amis et ennemis). L'ennemi
210
Dans l'État constitutionnel, social, l'existence même de la attaquée, la lutte est décidée en seule force des armes» (Lorenz
«la Constitution est l'expression de l'ordre société des citoyens ». Ainsi, lorsqu'elle est dehors de la Constitution et du droit « par la von Stein).
Or, si un peuple craint les fatigues et le risque de l'existence politique, on trouvera un autre peuple disposé à assumer de telles fatigues, garantissant le premier des ennemis extérieurs et gérant ainsi la domination politique. «Ce sera alors le protecteur à déterminer l'ennemi, en raison de la relation éternelle qui existe entre protection et obéissance» (c. Schmitt). La relation hypothèse?
entre l'Europe
et les USA se rapporte-t-elle
à une pareille
Déjà Hobbes avait indiqué que le but principal du Leviathan était de proposer aux yeux des hommes la « mutual relation between Protection and Obedience ». Dans la parfaite sécurité du bien-être, le bourgeois - rajoutait polémiquement Hegel - trouve la compensation de sa nullité politique dans les fruits de la paix (comme l'Europe d'aujourd'hui) et demande à être dispensé du courage et soustrait au danger de la mort violente. Mais «l'ennemi est la différence elle-même et cette différence est éthique ». Elle ne peut être réglée par des discussions, par des votes, par un système de transactions, par une diplomatie de pures concessions. Elle ne peut reposer sur des irrésolutions ni sur des attentes dans l'espoir que la confrontation de nature métaphysique entre vérités opposées puisse être repoussée et résolue par une négociation sans fin. Tout système de vérités ne peut admettre l'affirmation et la diffusion de son contraire et doit le combattre, comme Dieu a combattu Satan, en le chassant du paradis terrestre. Or, le «satanisme» est un concept intellectuel qui s'oppose à la séduction du paradis, dans lequel plongent les Européens, les héritiers d'Abel « qui chauffent leur ventre au feu patriarcal» du bourgeois. Or, le « Satan» d'aujourd'hui est l'expression littéraire de l'élévation au Trône du «père adoptif» de tous ceux que, dans sa noire colère, Dieu a chassé du paradis, et que le rachat du règne de Caïn le fratricide, par d'autres « vérités », veut élever au rang de Dieu, unique, vindicatif et tout-puissant. Où sont-elles, dans le monde d'aujourd'hui, et stratégiques de ces doctrines théologiques?
les réincarnations
politiques
Nous retrouvons aujourd'hui dans la lutte contre la politique, non seulement les ennemis extérieurs qui combattent au nom de leurs « vérités» métaphysiques mais ceux qui, financiers, économistes, technocrates, s'unissent à l'intérieur pour demander que soit mis un terme à la passionnalité de la politique par l'objectivité et l'interdépendance de la vie
211
économique, par l'objectivisme des tâches admÎlùstratives, institutionnelles et managériaJes, ou par des techniques de régulation internationales. Ces épigones postmodernes de la neutralisation du politique montrent leur absence de foi dans l'histoire, car, dans leur passivité et indifférence morales, ils ont perdu de vue l'essence métaphysique de toute politique, une métaphysique qui ne connaît pas de synthèse, ni de troisième voie.
XII,9
LA CONSTITUTION
ET LA « GUERRE CIVILE MONDIALE
L'expérience politico-constitutionneJJe de l'Occident moderne autour du rapport entre souveraineté, constitution et décision, relation autour du culemme du choix et du défi de l'action.
»
a tourné et cette
Toutes les formes d'État, démocratiques, monarchiques et aristocratiques, ont de résoudre le problème de la décision dans le cadre d'un choix juridique et constitutionnel. Le grand chantier du désenchantement du «politique» ouvert par Weber, pOllfsuivi et approfondi par Carl Schmitt, a été laissé de côté depuis l'émergence d'une pensée d'inspiration kantienne constituée d'un amas inanimé de fonctiOlmalisme, de sociologisme et de constructivisme. De cette pensée sans histoire est née Jïllusion qtÙ peine à retrouver l'instinct du politique.
d'une union sans ennemis
À l'instar du cosmopolitisme kantien et du de la république universelle ainsi que de Jïdéologie postmoderne, selon laquelle l'humanité, au moins ew'opéenne, s'est commuée en une société pacifiée et en un monde hannonieux, où il 11'y aurait plus d'hostilité ni de sujets belliqueux et hostiles, ces demiers sont dégradés par les doctrinaires de la dépolitisation en partenaires cont1ictuels. 212
Le vieux réflexe du politique comme lutte, guerre et conflit a été ainsi égaré. En effet, lorsque l'on redécouvre l'ennemi, on le fait de manière primitive et ancestrale dans la dimension pré moderne et dans les zones grises de la planète, autrement dit, dans un sens prépolitique. La solution militaire d'un conflit politique s'inscrit désormais dans le cadre d'une «guerre civile mondiale» - la Weltbürgerkrieg, aux actants multiples et aux métamorphoses incessantes. Or, la dépolitisation européenne est d'autant plus frappante que les nouveaux sujets de la politique s'expriment avec les vieux concepts de la lutte à mort, les concepts radicaux d'ami et d'ennemi, et l'Occident y fait figure d'adversaire, sans détour et sans nuances. Si la fin du marxisme a mis en crise les catégories de la théorie du progrès, la fin de la bipolarité a mis un terme à l'hégémonie de la rationalité occidentale. Le XVIIIe éclairé avait adopté allait du fanatisme à la liberté, du l'illumination des esprits. « désoccidentalisé » et hostile, ce l'illumination à la superstition, de fanatisme.
une conception orientée du progrès qui dogme à la critique, de la superstition à Avec l'émergence d'un monde cheminement s'est inversé. On passe de la critique au dogme et de la liberté au
Cette inversion a une cible fixe et incontournable: l'Occident, objet a priori d'une haine absolue. Le conflit larvé entre, d'une part, ce qui est Occident et, d'autre part, ce qui ne l'est pas, est volontairement ignoré par les Européens car cela les dispense de s'armer spirituellement et de s'investir dans la création d'un outil de cohésion et d'action, une constitution politique, une politique étrangère et de défense commune, qui sont les conditions préalables pour l'émergence d'une volonté forte et d'une stratégie unitaire. La pensée officielle veut ignorer la notion même d'opposition car les vieilles oppositions ont eu pour enjeux des conflits. Ceci est dû au fait que nous vivons paisiblement une époque servile et docile, celle de l'âme désenchantée, prophétiquement annoncée par Ortega y Gasset. La notion d'opposition, que la dialectique hégélienne a commuée en contradiction, a été trahie par la conversion marxiste et néolibérale de la politique dans l'économie.
213
XII.IO
UNE
CONSTITUTION
POLITIQUE
POUR
UNE
EUROPE
RESTAURÉE
La prise de conscience du contlit, qui s'effectue au niveau des idées, des grandes conceptions du monde et des cultures, n'élimine pas, mais se superpose à la Machtpofitik, aux logiques stratégiques et géopolitiques des acteurs majeurs de la scène mondiale. des classes dirigeantes européennes, la contestation opinions au sujet d'tme polarisation des débats entre l'éthique et r économique n'a réussi ni à extirper la politique et l'État ni à dépolitiser le monde, ni encore à étouffer la recherche du sentiment universel de liberté. La Constitution doit aider à la renaissance, désormais mûre, d'une conscience géopolitique et d'un imaginaire européens, un retour aux in tentions politiques originelles des pays fondateurs et à l'émergence d'une nouvelle ère, celle d'une Europe restaurée et donc refondée à r échelle planétaire; une Europe qui dispose d'une force propre, car la force est indispensable pour les ensembles politiques qui veulent vivre sur la scène du monde. La force demeure la ressource principale de l'agir stratégique. Seuls les acquis de la puissance interdisent de confier son destin aux rêves de la paix, érigée en valeur absolue et instituée en régulatrice de la compétition internationale. choix entre idées-valeurs est un choix de destin et de ce fait un choix politique radical qui appartient au primat de la délibération politique et donc du pouvoir souverain. ce type de choix que découlent les grandes orientations de la vie collective, qui on1:à leurs deux l'exception et la norme, la paix guelTe, le passé et r avenir. 214
Ainsi, la condition de survie d'un ensemble de peuples, liés par une constitution est de prévoir les cas d'exception et les figures de la souveraineté qui délibèrent des cas extrêmes dans les situations extrêmes. En réalité, si la politique est destin, le destin de l'Europe passe d'abord par la politisation de sa constitution et par la militarisation de sa puissance, aujourd'hui « civile ». Une constitution dans laquelle existe laquelle se forge une décision; une décision se fasse valoir par une force, une finalité et les plus importantes, ce qui importe est ce on décide.
une autorité; une autorité par qui s'impose par une volonté et un espoir, car, dans les décisions que l'on décide et pas comment
En effet, la décision a son propre caractère et sa propre légitimité, et celle-ci est dictée par l'intensité qui l'anime, par la grandeur qui la soutient, par la vérité transcendante qui en est la nécessité, le symbole et le mythe, l'idée du « bien », du «juste» et du « vrai» 11. Si le texte de la convention a pour but de fixer des limites à la concentration du pouvoir, il ne doit pas constituer une entrave à l'exercice du leadership, conformément à une démocratie monocratique et moderne. Il a également pour mission de donner une réponse à la défiance des institutions, au doute et à la résignation des élites, au ressourcement des forces du changement et des réformes, aux évolutions de la scène mondiale, loin des immobilismes politiques et des syndromes culturels d'abandon. Son objectif principal est de combler l'écart entre la Constitution et la pluralité des États, entre l'État central, détenteur exclusif de la souveraineté et les États constituants sans souveraineté12, entre le politique et la « société civile» qui a été par le passé une cause permanente de crise dans le monde européen et qui est une cause de contestation permanente dans l'univers planétaire d'aujourd'hui. En termes théologiques, cet écart est marqué par la résurgence dans les relations extérieures d'un dualisme métaphysique à peine oublié, celui de Dieu et du monde, de la toute-puissance et de la force démoniaque.
11 Nous sommes aux antipodes de l'idéalisme vénusien de Mario Télà, spécifiant que le «risque inhérent à certaines transactions de l'Europe-puissance est d'envisager un mouvement vers l'Union politique de type néo-hégémonique, néo-mercantiliste, ou basé sur une « identité contre », liée à un modèle des relations internationales qui rappelle celui de la balance ofpower, aggravé parles tensions entre civilisations [...]. L'identité constitutionnelle démocratique de l'Europe est exactement le contraire de la construction d'une puissance repliée sur elle-même et orientée vers un rôle politico-militaire hégémonique [...]. La perspective kantienne est celle de la constitution d'un « pouvoir civil », aux frontières établies mais ouvertes, composante et moteur d'une démocratie continentale et mondiale. » 12 C'était le cas de la Fédération impériale du Reich allemand dont le simple rappel
est susceptible d'induire plusieurs pathologies de rejet. 215
Ce dualisme réapparaît de manière éclatante par l'appel ultime à Dieu dans la « décision» de donner et se donner la mort lors d'attaques suicides et, d'autre part, par le recours à l'éthique de la force dans le cadre de 1'« action préventive» et de la riposte proportionnée à la menace existentielle de l'ennemi. C'est ce dualisme qui impose à chaque fois et dans chaque conjoncture un choix existentiel entre l'ami et l'ennemi. Ainsi, la force du « désenchantement» des « catégories du politique» de Schmitt apparaît avec la plus grande pertinence mais aussi dans ses limites car, d'une part, l'État a perdu le monopole du politique suite à la naissance de pôles de pouvoir et de nouveaux sujets de la conflictualité à l'échelle internationale (terrorisme, êtres politiques quelconques, mouvements idéologiques ou identitaires, etc.), ce qui assigne à la politique mondiale une fonction de «gouvernabilité » et non d'intégration et, d'autre part, car la naissance de théories sur le «pouvoir diffus» relativise la fonction existentielle du « politique pur » en dépolitisant ses « options ». Le grand dilemme, élémentaire et immédiat, qui se pose à l'Europe consiste à savoir si on peut faire coexister l'utopie du droit public et d'une constitution dépourvue de la majestas d'antan avec la réalité de la politique mondiale de puissance et de force, et si 1'« essence» du politique peut être inscrite à l'extérieur dans la dialectique de l'un et du multiple et à l'intérieur dans un réseau de relations fonctionnelles, engendrant une version purement administrative de la théorie de la décision et une image tranquillisante de la paix, la pax apparens de Thomas d'Aquin. Vivons-nous le dernier crépuscule de cette paix illusoire qui, en épais brouillard de l'esprit, nous interdit la représentation classique de la souveraineté et des chefs fondateurs des républiques, celle insolente et insoutenable du roi Soleil qui, comme la mort ne pouvait être regardé dans les yeux?
216
XIII. LE SERVICE EUROPÉEN D'ACTION EXTÉRIEURE. DU « PROJET DU TRAITÉ CONSTITUTIONNEL» AU « TRAITÉ DE LISBONNE» XIII.l
LA GENÈSE INSTITUTIONNELLE
Le Service européen d'action extérieure dont la nouveauté était inscrite dans le projet de traité constitutionnel de la Convention européenne résulte de trois innovations majeures:
.
. .
la première était celle de la création d'un ministre européen des Affaires étrangères, conduisant la PESC et s'appuyant sur ce service; la deuxième. l'élection d'un président permanent du Conseil européen, élu pour deux ans et demi, renouvelable une assurant la représentation extérieure de rUnion ; la troisième, la reconnaissance et exp1icite de la personnalité juridique de l'Union. permett,mt à celle-ci d'agir sur la scène internationale.
Depuis le mandat accordé à la Convention de répondre à différentes questions sur l'avenir de l'Europe et après un an et demi de travaux, la Convention était parvenue au consensus européen de Thessalonique du 20 juin 2003, et donc à un projet de constitution qui disciplinait une série de matières et particulièrement l'action extérieure de l'Union. Celle-ci était
présentée, dans le projet de traité constitutionnel de l'Union, sous un titre unique, alors que, dans précédents, elle figurait dans des textes différents, Ce regroupement était justifié sur le plan de la logique et sur celui de la cohérence, puisque toutes les actions menées par l'UE sur la scène internationale, soient-elles économiques, humanitaires ou politiques, d'aide au développement ou de solidarité interne, dans le cas de la lutte antiterroriste, doivent avoir des objectifs communs. En parcourant rapidement le texte en matière de politique étrangère, nous devons prendre acte d'un élément de continuité et d'un facteur de discontinuité.
. .
XIII.2
L'élément de continuité était représenté par le vote à l'unanimité dans la prise de décision au sein du Conseil. L'unanimité comporte ex COf/verso le «droit de veto de chaque État sur des dossiers portant atteinte il ses intérêts, à ses orientations ou à ses principes. Le facteur de discontinuité et donc d'innovation était constitué par la création de la fonction du futur ministre des Affaires étrangères qui devait cumuler la charge du vice-président de la Commission européenne; double charge qui s'explique par le but de disposer d'un budget et d'un pouvoir de coordination afin de mener à bien les actions décidées par le Conseil.
SUR LA FIGURE DU « HAUT REPRÉSENTANT
~~
Au sein de la Commission, le ministre (aujourd'hui haut représentant), sera en prise directe, par le biais du collège des commissaires, avec les États membres sur toutes les questions qui touchent à la stratégie des moyens et à leur mise en œuvre, ainsi qu'aux orientations de politique générale.
218
Le ministre des Affaires étrangères, M. Solana, qui avait été désigné dans la figure du haut représentant/secrétaire général actuel, devait faire en sorte que l'action de soit plus efficace et mieux écoutée dans le monde. Il devait avoir pour tâche de présenter l'Union d'une «seule voix », d'assurer la coordination entre les institutions et autres acteurs de la politique extérieure, sans qu'aucune d'entre elles ne soit prépondérante, et de faire entendre cette «position concertée» à r Assemblée et au Conseil de sécurité des Nations unies. Ce nouvel outil diplomatique, sur lequel doit s'appuyer son action et dont la constitution doit être prévue, sera donc placé sous son autorité et prendra la forme d'un « Service européen d'action extérieure ». Par le biais des délégations de la Commission dans près de pays, il pourra disposer d'une structure int1uente et représentative dans les grandes régions du monde.
XIII.3 LE STATUTDU SERVICE. UN ENJEU DE POUVOIR
La question la plus importante, qui a été et demeure l'objet d'une lutte d'int1uence entre la Commission et le Conseil, est celle du statut de ce Sera-t-il autonome ou sera-t-il rattaché en pmiie au Conseil ? D'intenses débats ont eu lieu. lors de la présentation d'un «projet de service» par le président de la Commission M. Barroso et Je haut représentant/secrétaire général M. Solana au Conseil, le 10 mm's 2005, entre les institutions de l'UE et les gouvernements des États membres. Ces divergences ont porté sur la configuration du service et les liens entre les compétences et les fonctions respectives du Conseil, de la Commission et des États membres, sous le contrôle du Parlement européen. 219
Ce qui apparaissait certain, à l'époque, c'était que les directions générales de la Commission, qui ont en charge k commerce extérieur, le développement, l'aide humanitaire, ainsi que la gestion des programmes d'assistance financière extérieure, ou encore les négociations d'élargissement, restaient sous la responsabilité des commissaires désignés. En revanche seraient placés directement sous l'autorité du chef de la diplomatie européenne, l'état-major de l'UE ainsi que fonctionnaires dont les compétences recouvrent les grandes aires économiques et politiques. L'importance et le volume des effectifs devraient dépendre des options retenues, mais auraient dû être de quelques centaines de fonctimmaires. Un rapport fut présenté au Conseil européen les 16 et 17 juillet 2005, tranchant sur ces différents points.
XIII.4 LA NATURE DU SERVICE, SON AUTORITÉ, SES COMPÉTENCES ET SES LIMITES
Labvrinthe .
de MVI10s .
Considéré sous l'angle de ses compétences, le Service européen d'action extérieure aura pour mission de concevoir et de mettre en œuvre Wl équilibre délicat entre le respect des politiques étrangères, de sécurité et de défense des États membres de l'Union et le développement d'un processus décisionnel, central et efficace, de capacités crédibles d'action militaire. Dans le cadre du Traité Lisbonne, la maîtrise des traités reste dans les mains des États et ceux-ci gardent la «compétence des compétences '>, autrement dit, la souveraineté pleine en matière d'action extérieure. De ce fait, la capacité ultime de répondre de manière autonome aux défis sécuritaires, militaires et civils de l'Union européenne ou il une 220
crise existentielle et identitaire brutale, demeure dans les mains des États. Le service est le moyen constitutionnel d'un progrès politique vers des formes d'intégration sécuritaires plus poussées. Son objectif est d'aider les États membres à se doter d'influence, de puissance et de capacités de coercition par la voie de la coordination et sur une base volontaire et pas de les remplacer ou de se substituer à leurs pouvoirs. En son sein, les personnes étatiques les plus ambitieuses réaliseront des « coopérations renforcées» par la méthode européenne d'une éventuelle coalition de volontaires. Le service demeurera ainsi l'outil politique intégré d'une influence de l'Union qui n'est pas encore centralisée et fédérale, mais qui a besoin dans ce domaine d' « un plus d'Europe» et donc d'un plus de coordination. Il est 1'« outil de conception» des options, de mise en œuvre institutionnelle et des résultats politico-militaires, attendus dans le domaine de la stabilité et de la pacification partout là où des situations de crise exigent une présence de l'Europe sous la contrainte d'états de nécessité et d'urgence ou pour leur prévention. Aux termes du Traité de Lisbonne, les États membres ont souscrit à l'obligation de se consulter, de se coordonner et de se soumettre aux décisions du Conseil en matière de PESC/PESD sans disposer cependant d'un pouvoir de contrainte ni de la possibilité d'un recours à la Cour de justice, en cas de non-participation ou de non-exécution. En effet, les États membres restent pleinement souverains dans cette matière, car l'organe doté d'un pouvoir d'autonomie et de responsabilité vis-à-vis des gouvernements est le haut représentant de l'Union, lié au Conseil de l'UE. Ce dernier demeure l'institution politique de représentation des États, qui gardent la maîtrise des affaires étrangères et donc une compétence exclusive ne les obligeant d'aucune manière à une position commune. Le silence du haut représentant en cas d'absence de position commune est l'expression de cette règle, qui résulte simultanément d'un état de fait et d'un état de droit. En effet, la PESC/PESD repose totalement sur les moyens politiques et militaires des États membres, et ceux -ci demeurent les détenteurs exclusifs de toute autorité et de toute subjectivité en matière de droit international public. Une évolution est certes possible car la forme du traité elle-même n'est guère figée. En effet, elle est fondée, d'une part, sur l'évolution de la situation internationale et, de l'autre, sur la capacité d'y répondre et de s'y adapter, par la progression d'une intégration plus approfondie dans les domaines essentiels de la sécurité intérieure et extérieure. Le monde, tel qu'il est, est le vrai demandeur de «plus d'Europe », et il reste l'accélérateur le plus vraisemblable de sa constitution politique, la force dynamisante la plus probable de sa « volonté» unitaire. Cependant, le poids du « hasard» ou de la machiavélienne Fortuna ne pourront rien sans un projet politique qui demeure le seul interprète du projet constitutionnel.
221
XIII.5
LE TRAITÉ DE LISBONNE
À L'HEURE DE SA MISE EN PLACE.
LA DUALITÉ DES POLITIQUES EXTÉRIEURES
Après le rejet du projet de traité constitutionnel,
sa réféœnce à la
«
loi fondamentale »,
qui devait consacrer
par
d'une Europe politique, un
traité modificatif simplitié fut à Lisbonne le 13 décembre 2007 par les vingt-sept chefs d'État et de gouvernement et il est aujourd'hui à l'heure de sa mise en place. Le tnùté, que les plus audacieux de ses opposants (N. Dupont-Aignan), présentèrent à l'Assemblée nationale française comme . Le point limite a été atteint par les deux referenda français et hollandais et par la candidature la Turquie. Dans le cas d'un rapprochement de l'UE à raire 238
d'instabilité allant de la Biélorussie à l'Ukraine, à la Moldavie et aux Balkans occidentaux, aux pays du Caucase, de l'Asie centrale et de l'Afrique du Nord, le processus d'élargissement dessinerait une fédération hétérogène, multiethnique et eurasiatique. En son sein, les rapports de contiguïté feraient de l' « étranger proche », provenant d'un empire défunt, « un proche étranger », ayant vocation à devenir membre de l'Union européenne. Dans un pareil cas, l'Union deviendrait totalement dépourvue de personnalité structurée. Ceci est dû, en particulier, au fait que l'Europe n'a pas une identité originelle, ou intrinsèque, puisqu'elle est née d'une absence de conscience identitaire qui appartient à l'État-nation, dont le caractère repose sur une assise naturelle, ethnique, culturelle ou religieuse. Aujourd'hui, l'identité européenne est soumise, d'une part, à l'usure de la dépolitisation, dictée par des institutions non totalement légitimées, à l'émergence d'une société mondiale cosmopolite, enfantée par une économie globale et, d'autre part aux déchirements de pouvoirs aspirants à l'hégémonie planétaire. Elle est, enfin, secouée par des courants de radicalisme à base ethnique et religieuse, dont l'islamisme est l'expression paradigmatique. Perméable au terrorisme et à l'immigration massive, son plus grand risque stratégique est constitué par sa dépendance absolue des approvisionnements énergétiques venant de pays qui disposent d'un pouvoir de chantage (Russie) ou qui sont virtuellement hostiles (Moyen-Orient). Par ailleurs lUE peut-elle poursuivre dans sa tentative de conciliation modérée entre États-nations dépolitisés et un empire lâche et démocratisé? Or, les deux problèmes des empires, celui de la cohésion et la légitimité démocratique, peuvent-ils être résolus par une constitution ou par un traité, conçus comme équivalents tacites de l'unionisme? Les ratifications en cours représentent-elles légitimité encore liée à l'État-nation?
la solution à la quête d'une
Les problèmes de la politique étrangère commencent là où le processus d'élargissement et les possibilités d'intégration ne sont plus possibles, là où l'on ne peut plus résoudre les dilemmes de la cohésion et de la démocratie par le consensus et sans recours à la force. C'est là que la théorie réaliste de la politique étrangère apparaît antinomique par rapport aux fondements conceptuels de la PESC/PESD.
239
XIV.6 L'EUROPE
À L'HORIZON
2020.
LES
PROJECTIONS
DU
TRANSATLANTIC WATCH
Combien changera-t-il le pouvoir et quelle sera l'image du monde à l'horizon? Le XXe siècle sera-t-il asiatique et ou verra-t-il une poursuite de la « Pax Americana» avec Je maintien de son dans le processus de globalisation et dans la domination des institutions multinationales, politiques et financières? QueUe sera la dimension militaire du pouvoir et son revers démographique? Quelle sera la distribution du produit mondial brut, pOlU' quelle croissance et avec quelles dynamiques? La taiJJe des acteurs relevants restera-t-elle la même et la globaJisation se poursuivra-t-elle? Et, pOLIr terminer, la Chine ou J'Inde deviendront-elles riches avant de devenir vieilles? Quelles que soient les projections des trends démographiques, économiques et militaires, ceJJes-ci ne sont en mesure d'offrir une image plausible du monde sans tenir compte de l'évolution possible des puissances globales de la planète, des hégémonies systémiques et régionales et des formes d'alliances entre grands pays. À cet effet, s'il faut tenir compte de l'importance et de J'influence des politiques menées par les grandes puissances du globe, il devient nécessaire de donner une définition plausible de la puissance.
240
XIV.7
LES COMPOSANTES
DE LA PUISSANCE
L'analyse de Transatlantic Watch a été menée en tenant compte des différents composants de la puissance, qui peut être distinguée selon les facteurs suivants:
. . . .
la puissance militaire, pour mesurer la capacité terme sur l'environnement international; la puissance terme;
économique.
la puissance terme;
démographique
technologique
de nuisance
et financière
immédiate
ou à
pour définir le moyen
pour définir la force ou le potentiel
sur le long
la puissance politique et diplomatico-stratégique pour unifier, mobiliser et lier les trois autres facteurs, et leur con/ërer en caractère unitaire et globaL de de conception et d'action sur le bref. et le long terme. Autrement dit, comme capacité d'opérer un linkage prospectif au profit d'une maximisation des opportunités historiques.
241
XIV.8 CONCLUSIONS GÉNÉRALES PROVISOIRES Ainsi, les choix de l'Europe ne dépendent pas uniquement de son poids politique ou militaire. démographique ou économique, financier ou technicoscientifique. Ils résultent et résulteront en large partie de l'organisation et de la culture perceptuelle commune, de la diplomatie et des capacités communes de lecture et d'évaluation du système international, dont sera capable une classe nouvelle de personnels. issus d'une diplomatie de haut niveau et d'une académie diplomatique européenne émergeantes. que lUE a pour mission de mettre en place. Cette école et ce personnel y appOlteront le sens de la mission et la vocation à faire exister l'Europe dans le monde comme un des acteurs civilisationnels et politiques globaux du XXI" siècle.
XIV.9 PROGRÈS DE LA PESC, CORPS DIPLOMATIQUE DE L'UNION ET REGROUPEMENT DES MISSIONS DIPLOMATIQUES
Dans le long cheminement de promotion de l'Union comme acteur politique global, la PESD a réalisé un objectif important, consistant à pouvoir agir de manière cohérente sur l'ensemble de l'envirOlmement international. Cohérente, car elle a mis en place un minimum de moyens et de capacités, insérés dans un « concept de sécurité» qui éclaire la philosophie générale de l'Union sur la scène mondiale. C'est ainsi que la PESD 242
représente un cadre opérationnel pour la PESC et les deux s'inSCl;vent ensemble dans la durée et dans la continuité de l'action extérieure. Crédible, car l'organisation des capacités de l'Union dans l'accomplissement de ses missions a dû choisir entre deux types de forces, également indispensables et pouvant constituer les deux phases d'une même intervention militaire (OLlcivilo-militaire) : des forces de maintien de la paix, lourdes et statiques, d'intervention rapide, légères et flexibles. Or, cette dichotomie montre bien le caractère instrumental de la stratégie génétique de rUE (ou stratégie des moyens), qui doit traduire militairement la finalité politique générale affichée par l'Europe. En effet, la PESD n'est pas une fin politique mais un moyen de celle-ci, dont le concept global demeure la stabilité et la sécurité. Elle vise simultanément la projection des forces à l'extérieur et la protection des citoyens à l'intérieur, et sa planification a pour objectif d'accroître les options des décideurs en cas de crise. Les deux politiques dans la complexité d'un échiquier international dont le degré d'imprévisibilité est élevé, où les connits binaires ont cessé d'exister, du moins en Europe, et les instabilités politiques et culturelles sont devenues systémiques. Ainsi, dans un monde globalisé, l'élaboration des solutions politiques pour les conflits en cours dans la recherche des capacités nécessaires exige un équilibre savant entre les nations et les institutions de rUE.
Di, lomti,," de Soim Malu
243
XIV.i0
PROGRÈS DE LA PEse
ET CONSENSUS POLITIQUE
C'est pourquoi la politique européenne de sécurité et de défense doit être fondée non seulement sur la crédibilité et le réalisme mais aussi sur un consensus politique à l'intérieur de l'Union, ajusté à la complexité croissante du système international. Ce consensus peut être amélioré par l'adoption des résolutions du PE sur les progrès de la PESC, et notamment par celle adoptée le 12 juin 1997 (rapport A4-0193/97), cité dans le rapport G. Galeote Quecedo, où est rappelée la «nécessité d'adapter les corps diplomatiques et les services de renseignement nationaux, aux aspirations de la PESC », ou encore celle du 18 juillet 1996 (rapport A4-0193/97), où est souligné le «rôle important que jouent les services diplomatiques nationaux dans la définition de la politique extérieure et le peu d'encouragement dont ils bénéficient pour s'adapter à la nouvelle approche intégratrice de l'Europe ». Le rapporteur en conclut que l'établissement d'un lien entre les diplomaties des États membres et le corps diplomatique européen doit aller au-delà de la coordination accrue entre les ambassades des États membres et les missions diplomatiques et consulaires nationales, les délégations de la Commission, pour que l'Union dispose d'un appareil diplomatique qui lui soit propre, mais qu'il soit urgent, outre que nécessaire de créer des « ambassades de l'Union» et un « collège », une « académie diplomatique », pour préparer la mise en place d'une telle diplomatie européenne commune, l'objectif n'étant pas d'instaurer une diplomatie unique qui se substituerait aux services extérieurs des États membres, mais d'adapter ces services à la nouvelle réalité de l'Europe dans le monde. Dans l'ordre de la perspective cependant à démontrer:
. .
deux grandes questions
restent
la première est de savoir si la politique qui a été à la base de rUE et qui a consisté à éradiquer le conflit et la violence entre les États membres est la meilleure formule pour assurer la stabilité et la sécurité à l'extérieur ; la deuxième est de s'interroger s'il est possible de promouvoir et de projeter cette politique de bonne gouvernance et de démocratie, fondée sur des valeurs de paix, de justice et de respect du droit, dans notre environnement immédiat, et plus loin, sur la scène politique globale.
Il n'est pas sans pertinence, posée sur la défense européenne:
. . .
historique,
certaines
concernent
par ailleurs,
qu'une
les aspects politiques;
d'autres
les aspects plus proprement
d'autres
encore tiennent aux contraintes
244
stratégiques; sociétales.
série de réserves
soit
Pour en dire plus sur chacun des trois points et en partant des aspects politiques, il semble difficile de concevoir une PESC/PESD dans une Union dépourvue de volonté politique et d'un modèle d'Europe à bâtir (pôle uniquement économique ou pôle politique renforcé) ? Que dire d'une Europe qui embrasse délibérément le multilatéralisme, qui demeure une puissance incomplète et de type généraliste et qui s'interdit de définir ses zones d'« intérêts vitaux» ? La définition de l'intérêt commun et/ou vital est indispensable au niveau de chaque pays et à celui de chaque nation, mais elle est davantage indispensable au niveau européen. Quant aux aspects stratégiques, une série de faiblesses affecte l'Union et principalement l'absence de stratégie commune, un déficit de capacités militaires, en particulier, dans le domaine du transport stratégique et celui des moyens de projection de puissance. Dans cette situation, il n'est pas étonnant que l'OTAN constitue le référent et le moteur de la modernisation des forces européennes, dans le but de combler le «gap capacitaire» par rapport aux forces des États-Unis d'Amérique. Quant au troisième aspect et donc aux contraintes sociétales, la professionnalisation des armées doit tenir compte, de plus en plus, de l'hibernation de la démographie européenne et d'une structure de population vieillissante, d'investissements militaires réduits, d'un retard technologique significatif et d'une industrie de l'armement en phase de restructuration. Il pèse sur l'ensemble, le conditionnement d'une société, antihéroïque et dépolitisée, qui a banni la guerre de son univers mental, une guerre qui, par ailleurs, est toujours d'actualité en ce début de millénaire. Quels espaces de manœuvres restent-ils à l'Union dans le domaine de l'autonomie et de l'indépendance politico-stratégique et donc à une Europe de la diplomatie, de la politique étrangère et de la défense face aux grandes menaces d'aujourd'hui et aux grands défis de demain? Parviendra-t-on européenne?
progressivement
à une véritable
politique
de défense
C'est la grande question de l'Europe en construction. Celle-ci échapperait ainsi à une bifurcation de l'avenir dont une avenue conduit à un rôle subalterne de l'Union et l'autre accompagne le déclin du continent et la sortie de l'Europe de la grande histoire, l'histoire perpétuellement tragique de son passé, mais aussi de l'avenir assurément turbulent du monde.
245
XIV.ll
LA DISSUASION FRANCAISE ET SES ADAPTATIONS DOCTRINALES AU MOIS DE MARS 2008
la marge de toute analyse de la PESD, il est instructif de réfléchir au discours sur la dissuasion française prononcé ]e jeudi 19 janvier 2006 à l'île Longue, base de la force océanique stratégique, par le président Chirac. Dans un environnement géostratégique en évolution, le droit de usage de ]a force de la part de la France est pris en considération sous l'ang]e des hypothèses suivantes:
.
. .
le cas où la relation entre les différents pôles de puissance, sombrant dans donnerait lieu il un retournement imprévu du système l' hostilité. international ou il une surprise stratégique
le cas où l'intégrité du telTitoire. la protection de la population, le libre exercice de la souveraineté, constituant le cœur des ? L'annonce du président semble marquée par deux objectifs:
.
revenir à la définition des
« intérêts vitaux» snsceptibles de provoqner nne riposte nucléaire sans en détailler les hypothèses d'utilisation. afin de garder l'ambiguïté et le doute dissuasif sur sa crédibilité en situation de crise. À ce sujet. trois énoncés ne sont plus repris en compte:
249
. .
Le premier est constitué par la défense des pays alliés.
.
Le troisième la riposte contre les dirigeants recours à des moyens terroristes.
Le deuxième par l'élargissement de la garantie aux approvisionnements stratégiques.
qui auraient
Dans ce dernier cas, il est à rappeler que la dissuasion est une donc une riposte d'État à État, un « usage de légitime défense », et peut être confondue avec une posture « antipersonnelle », qui en le seuil d'emploi. L'abandon de ces trois mesures qui avaient « contre-productives» s'accompagne de propositions indirectement à deux diverses catégories d'acteurs:
. .
nucléaire
relation et celle-ci ne abaisserait été jugées adressées
le lancement d'une initiative en faveur du désarmement et contre la prolifération, prenant la forme d'un traité d'interdiction complète des essais (TICK) (visant les USA, la Russie, la Chine, l'Iran, l'Inde, le Pakistan et Israël) ;
des dispositions concernant les missiles sol-sol à portée courte ou intermédiaire, allant de 500 à 5.500 km, et visant à ne pas abaisser le seuil nucléaire en riposte au projet de Bouclier américain Anti-Missiles (BAM).
La finalité générale de ces propositions, formulées dans la perspective de la conférence sur le réexamen du Traité de Non-Prolifération (TNP) prévu pour 2010, vise à inciter les puissances nucléaires à des gestes plus transparents et significatifs à ce sujet. Par ailleurs, en termes de choix stratégiques et budgétaires, ayant pour but d'assurer la crédibilité de la dissuasion nucléaire française, le président a confirmé l'impératif pour la France de conserver les deux composantes de la force de dissuasion, océanique avec les SNLE et aéroportée, avec les missiles air-sol ASMP, dont le maintien avait été posé dans le débat sur la rédaction du « Livre blanc» de la défense et la sécurité nationale, et dont le nombre est cependant réduit d'un tiers. Ces initiatives s'accompagnent et se complètent de l'intention de la France, annoncée à Londres les 26 et 27 mars par le président Sarkozy, en visite d'État, de reprendre « toute sa place» au sein des structures militaires de l'OTAN et d'augmenter l'engagement français en Afghanistan, décision dont la confirmation serait faite au sommet de l'OTAN de Bucarest du 2 au 4 avril 2008. Dans le sillage de ces initiatives, reste-t-il un avenir, pour la capacité non seulement de la France, mais aussi d'une Europe unie, selon les expressions du Premier ministre britarmique Gordon Brown, «de changer les choses dans le monde, en devenant un acteur global et en travaillant pour des enjeux mondiaux dans la société mondiale» ?
250
XV. L'IRAK ET LE PROCHE-ORIENT. L'IRAK EN L'ABSENCE DE L'EUROPE.
LA « LONGUE GUERRE» À LA TERREUR ET LES LEÇONS DES CAMPAGNES DE L'IRAK ET DU LIBAN
XV.1 ENJEUX ET LÉGITIMITÉ DES CONFLITS
Toute politique active à l'échelle internationale pose l'exigence de définir avec rigueur le but de la stratégie et celui de la guerre.
Or, comprendre et identifier types de problèmes:
. . . .
le but de guerre implique
celui des enjeux et de la nature de l'ennemi celui de son environnement celui de son influence, légitimité
politique,
trois
réel;
social et culturel;
ses valeurs et sa légitimité
de la campagne
de délimiter
et, en conséquence,
la
voulue et du combat choisi.
Par cette compréhension élargie de la nature de la confrontation, l'axe de gravité du conflit se déplace de l'aspect «hard» du dialogue violent à l'aspect «soft» du conflit civil. Cet élargissement conceptuel embrasse l'étendue capacitaire du pouvoir de nuisance et les résistances du système sociopolitique adverse et circonscrit l'aire de crise dans l'espace cognitif, qui va de la stratégie de destruction des forces à la légitimité morale du conflit. Il s'agit d'un déplacement génétique vers l'amont de la guerre, justifiant l'action militaire par la chute préalable du pouvoir antérieur et le désarmement actuel de l'adversaire. Dans certaines situations, l'Irak par exemple, l'émergence de formes de résistance qui ôtent la victoire aux forces d'occupation, gagnantes sur le terrain, montre l'incapacité du vainqueur de proposer une légalité nouvelle et de fonder ainsi une légitimité politiquement incontestée. Celle-ci prend ordinairement la forme d'une administration de la société fondée sur un régime politique représentatif. L'occupant n'aura pas gagné tant qu'il coexistera sur le terrain, un mélange d'ordre mal défini et de désordre étendu, de passé révolu et d'absence de perspectives. L'insurrection des forces vaincues se nourrit des faiblesses de l'occupant, dont l'impasse repose sur l'impossibilité de rétablir la sécurité et d'imprimer un cours normal à la vie civile, exprimant la légitimité et l'espoir des temps de changement. Il n'y a pas de stratégie pour combattre des insurgés sans aller à la source de l'inimitié et aux revendications affichées par l'adversaire. La contre-insurrection, qui se pratique en cas de résistance civile et militaire, implique un bilan de la campagne menée, une idée de la reconstruction en cours et un «projet» de la société à venir. Pour atteindre ces objectifs, l'occupant a besoin de la collaboration des forces internes, convaincues de leurs responsabilités nationales et donc d'un «ordre réformateur» et décidées à jouer la «ruse» sur les deux versants, celui de la légitimité interne, fondamentale pour maintenir le pouvoir à long terme et celui de la légitimité internationale, décisive immédiatement pour le conquérir. La stratégie militaire de l'occupant ne pourra s'affermir sur le seul terrain du combat et de la contre-insurrection, sans la recherche d'une stratégie politique visant l'émergence d'un acteur d'unité nationale dans lequel se reconnaissent toutes les composantes du pays.
252
Ainsi, la lutte pour la réconciliation et le processus de pacification ne peut être pratiquée que comme une étape ou un segment 'militaro-civil' d'une stratégie générale politique, affichant des objectifs partagés et suscitant r émergence d'une légalité nationale à parfaire.
XV.2
POUR
UNE
APPROCHE
FONDAMENTALISTE;
THÉORIQUE
CLANDESTINITÉ
DU
TERRORISME
ET ACTION INDIRECTE
Une importante question, non seulement théorique, sur les différentes situations d'attrition des forces, peut être ainsi formulée «Le terroriste islamique peut-il être considéré comme un résistant ou un insurgé, bref un partisan? ». Si l'on considère que son combat est mené contre la légalité formelle des régimes arabes et contre l'illégitimité étrangère au nom de Charia », cela revient à dire que la seule légitimité sur laqueUe il se fonde est, non pas la légalité (républicmne et laïque) États-nations modernes ou la forme démocratique de gestion du pouvoir, ni la lutte pour la libération et l'indépendance nationales, mms un système de valeurs partagées par la société tradiüonnelle musulmane. Dans ces conditions, toute doctrine de contre insurrection l'occupant est condamnée au Mcompte des cadavres et des attentats suicides et devient vide de perspective politique. En effet elle se réduit aux seuls aspects technico-milÜaires car la légitinÜté des insurgés s'identifie à Wle légalité trahie et mal interprétée. Ainsi, par le biais de l'insuITection terroriste s'affirme un combat asymétrique entre une légitimité sociale étendue et une légalité tonnelle, dont la torme pure et plus élevée est la « Charia » et guère une démocratie représentative. La '< Charia », par l'étroite association du spirituel et du temporel possède la force de décision de la loi positive et ]a capacité de transfol1ller le droit religieux en loi de ]a communauté. En l'absence d'un pouvoir légal stable,
253
c'est donc le droÜ traditionnel qui s'arroge la tâche d'identifier dans l'occupant, en affirmant ainsi sa propre légalité à
l'ennemi
La dernière étape ou le dernier stade de l'action terroriste est l'extension et la fixation quasi permanente du théâtre de guerre à la ville, dans l'habitat urbain, au cœur de la population civile considérée comme bouclier humain (lieux de culture et de culte inclus) ce qui permet llne occultation de J'jnsurgé et interdit la frappe ciblée par crainte des dégâts collatéraux. Si le « l'uniforme improvisée une forme
combat régulier» avait autrefois son expression distinctive dans du ,<soldat », combattant à visage découveli et dans la tenue du clandestin, à cette dichotomie périmée s'ajoute aujourd'hui supplémentaire de clandestinité, sociale et technique.
La sortie de la clandestinité, comme commwlÎcation, légitimÜé populaire se fait aujourd'hui par l'action
défi et appel à la indirecte, par les
émissions « légales» d'AI-Jazeera, Al Manar ou des médias occidentaux
-
avec la lecture publique sentences (tribunaux) ]' exécution en directe d'otages et l'appel insuITectionnel pennanent de terroristes notoires. terroriste, s'il ne veut pas être confondu avec le criminel de droit commun, a un besoin absolu de légitimation que la «légalité» démocratique lui accorde.
XV.3
CAUSES ET CADRES LOCAUX, CAUSES ET CADRE PLANÉTAIRE
Au Moyen-Orient, le mode offensif du combat terroriste se met au service d'une politique régionale et nationale, relayée par les asymétries des forces régulières de pays perturbateurs (Hezbollah et Hamas par rapport à la Syrie et à l'Iran). aiIJeurs, il devient l'expression d'une agressivité planétaire, celle déclarée par le fondamentalisme religieux à l'Occident. Son mode combat 254
repose sur la stratégie d'interdiction et sur la lutte à la « paix de compromis» entre pays hostiles, en contlit latent.
La .Au plan général et malgré certaines réticences, les événements du Il septembre ont engendré le dépassement définitif de l'esprit de la guerre froide et l'apparition d'un nouveau type de conflits, les conf1its « métapolitiques », qui constituent désormais une des catégories des conflits asymétriques.
XVI.2 LES CONFLITS MÉTAPOLlTIQUES
Ce sont des conflits qui réunissent, sous un concept commun, trois types de guelTes et donc trois formes d'historicité qui coexistent dans le monde les guerres prémodemes, modemes, et postmodemes. Sont à considérer métapolitiques non seulement les conflits qui modèlent l'organisation des 278
armées et la nature des combats, ou ceux qui influent sur la variété des états de violence, mais ceux qui se distinguent pour les « sens» qu'ils assignent à la violence, et donc pour la diversité et la complexité de la réflexion sur les questions ultimes qu'animent les décideurs et les stratèges et qui inspirent une profonde diversité des buts, des rationalités et des pratiques stratégiques. Ces conflits, issus des crises périphériques et conduits sous forme de coalitions, comportent par nécessité un leadership unilatéraliste qu'assurent la prédominance et la légitimité de la hiérarchie du commandement, l'unité de l'effort de guerre et la vision stratégique et opérationnelle de l'entreprise commune. On peut noter incidemment que plus une coalition est hétéroclite, plus l'unilatéralisme s'impose comme la loi du mouvement et comme le principe-clé de l'action. Par ailleurs, le caractère hétéroclite des coalitions engendre l'unité des asymétries du champ de bataille sous le couvert d'un concept commun, la matrice métapolitique. Les conflits métapolitiques permettent de définir désormais la nouvelle doctrine des engagements des forces dans la perspective des événements du Il septembre et dans le cadre d'une initiative globale de défense antiterroriste. Celle-ci doit tenir compte également d'un corrélat important qui est celui de la «légitimité et de la « limite» de l'engagement militaire et donc de sa durée. Ces deux notions de « légitimité" et de « limite» ont une implication générale, car elles mettent en valeur la phase de préparation amont et le rôle intense de la diplomatie et de la négociation. Il s'agit d'un rôle déterminant, car il définit les options politiques, stratégiques, économiques et sociétales des issues finales des opérations de pacification, de stabilisation et de gouvernabilité internationales. Le rôle de la diplomatie des États, de la diplomatie des idées et de celle des Églises a une importance décisive non seulement dans la prévention, mais aussi dans le règlement des issues des conflits métapolitiques. En effet si, au sens le plus large, la notion de conflit désigne une confrontation armée, une confrontation d'intérêts, la spécificité des «conflits métapolitiques» repose sur l'opposition de principes, de perspectives et de valeurs, due à l'incidence de «sens », de philosophies et de systèmes éthico-culturels divergents, voire antagonistes. Ce sont ces systèmes politico-culturels qui définissent l'âpreté, l'irréductibilité et la radicalité des confrontations militaires non conventionnelles dans lesquels les systèmes des valeurs font simultanément partie du problème et de sa solution. Historiquement appartiennent à la catégorie des conflits métapolitiques les conflits qui baignent dans les champs des croyances: les croisades chrétiennes en terre d'Islam, les guerres européennes de religion, les persécutions menées contre les minorités dans l'histoire de l'Europe par le Royaume de France ou la Couronne d'Aragon, les pogroms antijuifs et plus proche de nous, la Shoah, le conflit israélo-palestinien, le Djihad, les guerres balkaniques, les affrontements bosniaques, les formes de terrorisme islamique, le conflit 279
afghan, etc. En effet, tous les conflits au cœur desquels les dimensions culturelles, civilisationnelles et identitaires constituent les aspects fondateurs, voire essentiels de l'engagement sacrificiel et de l'esprit de combat, portent en soi un fil profond de préjugés et de ressentiments historiques, une continuité des haines qui nourrissent la mémoire des violences du passé en les liant à celle du présent. Oppositions sourdes et violences irrationnelles, politiquement suscitées ou spontanées, le sens de ces déchaînements constitue le fondement de stratégies délibérées ou inconscientes et alimente le commerce violent entre communautés hostiles constituant le mobile, latent et quotidien, d'une cartographie des conflits aux ramifications multiples. Est conflit métapolitique en somme celui qui transcende à la fois la sphère du pouvoir et celles du présent et qui s'étend bien au-delà des limites d'une frontière. Ce type de conflit appartient à la catégorie des défis non conventionnels. Opposant des morales différentes et des formes de spiritualités exacerbées, le sens de ces conflits, et celui de la violence qui s' y inspire, est de nature théologique, car il nourrit l'histoire des communautés aux prises. Il s'agit du « sens» assigné par les forces en lutte au prix du sang et à la valeur salvatrice d'un message et du «destin », transmis dans la mémoire des peuples, sous forme d'interprétations ritualisées ou vécues. Ce sont des conflits qui se distinguent des conflits de pouvoir ou de puissance «purs », les conflits géopolitiques classiques ou interétatiques, mais qui peuvent s'en mêler ou interagir avec eux. Dans cette mixité des formes d'historicité se conjugue un très grand nombre de dimensions: politique, diplomatique, économique, militaire, idéologique, ethnique, identitaire et religieuse, au sein desquelles interfèrent les mobiles activateurs les plus divers, ceux des atavismes, de la psychologie, et de la tradition. En termes de compréhension et d'approfondissements ultérieurs, si la distinction des conflits métapolitiques par rapport aux conflits conventionnels réside en large partie ou essentiellement dans les fins et dans les objectifs poursuivis, leurs buts transcendent la notion et la sphère proprement occidentales de l'autorité, du pouvoir et de la légitimité et embrassent des systèmes de croyances, des conceptions du monde et des systèmes de forces, issues de configurations civilisationnelles éloignées voire hétérogènes. Au plan proprement épistémologique, puisque la politique s'emacine dans la culture et puisque les conflits métapolitiques sont partiellement sinon essentiellement des conflits de valeurs, le degré d'intensité de la violence et le ciblage des victimes de la coercition sont toujours liés pour une part à la régulation internationale de l'ordre et pour l'autre à la lutte irréconciliable entre systèmes et conflits. Quelle est l'autorité légitime et légale qui a le pouvoir d'employer la force pour régler ce type de conflit, est une question essentielle pour définir la pertinence du droit à trancher sur l'issue de la lutte. Quelle est la nature, abstraite ou objective, de la morale naturelle ayant 280
pouvoir de trancher sur la justice de r emploi de la force est une question liberté et de choix entre cultures èt systèmes culturels en conflit.
XVI.3
SÉMIOTIQUE
ET CONFLITS MÉTAPOLITIQUES
Dans son expression terroriste, le conflit métapolitique déploie lme fon11e de violence nouvelle aux buts stratégiques imprécis, liant messianisme planétaire et intelligence sophistiquée. Dans les attentats du Il septembre, cette violence a ainsi produit trois types d'effets; un effet symbolique, un choc médiatique, une atteinte irréversible à toute conception d'invulnérabilité des USA. Les objectifs visés résumaient bien la magnitude du projet et la remise en cause du système, ce qui révélait son haut niveau de sophistication. Il s'agissait de frapper simultanément trois symboles du pouvoir américain: politique (la Maison Blanche), économique (Je World Trade Center), militaire (le Pentagone) et d'occuper la scène médiatique mondiale. Puisque cette violence s'identitle à la diffusion et à J'amplification de signaux signitiants. elle acquiert la valeur d'une véritable sémiotique. Dans le conflit israélo-palestinien et le conflit de J'Irak. la violence réelle se traduit en violence symbolique, soHicitant une solidarité émotionnelle plus large enlTe deux camps. pro arabe et pro israélien. ce qui fait rejaillir à chaque fois le problème de la légitimité internationale de J'action violente. Le conflit métapolitique est non seulement un conflit symbolique, mais également un connit subliminal. n symbolique puisqu'il appartient à une dimension ancestrale, il est subliminal parce qu'il met en scène rétlexes conditionnés par la remémoration du passé. Ce rappel des codes passionnels du passé inscrit au cœur de la conscience coJJective des acteurs deux visions différentes de r avenir, puisque l'avenir s' enracine toujours dans un passé, 281
comme le rappelle Ortega y Gasset. Des comprorrus sont ditTiciles, voire impossibles, dans les contlits métapolitiques, car toute interprétation radicale des valeurs exclut l'idée même de compromis. Elle exclut également celle de neutralité, ce qui explique que, d'attaques en représailles les parties aux prises sont enfermées dans un cycle de violences ininterrompues, où les éléments activatems du conflit peuvent être retrouvés dans le « déjà vu » de la tradition, dans la mémoire des temps écoulés, dans les rituels et les symboles de la haine ancestrale. Dans l'acte terroriste, le cœur ancien a besoin pour agir d'une main moderne. Ainsi, la sophistication de la violence est l'aspect postmoderne du contlit métapolitique. Au plan général, la fonne de violence induite par les conf1its métapolitiques remet en cause le cadre général du système international, l'ensemble des alliances militaires et les rapports politiques qu'a pris l'interdépendance entre les nations et entre celles-ci et les acteurs non étatiques. Pour l'Ünportance des enjeux, elle influe sur les ou «Al Jazeera» et la logique du calcul diplomaticostratégique propre à la pennanence de la conduite el'État. En une formule, le nouveau système intemational est caractérisé par un progrès de la logique des conflits et par la prolifération des zones de tension et de crise, autrement dit par la pérennisation de 1'« état de nature» hobbesien, ainsi que par l'entendue, à l'échelle planétaire, de la survivance de l'État-nation comme forme d'organisation politique des sociétés humaines menacée mais non dépassée et encore moins moribonde.
XVI.6 UN SYSTÈME INTERNATIONAL EN QUÊTE DE MULTIPOLARITÉ
Comme vecteur l'une de principales
de violence intemationale, le terrorisme devient ainsi questions de sécurité et la priorité critique du nouveau 285
système international. Il restaure les grandes conceptions de la géopolitique classique, déplaçant vers l'Asie, aux confins de mondes russe, perse et chinois, via le Moyen-Orient et le Golfe, le centre de gravité du monde, le foyer de conflits futurs du XXI" siècle. C'est en Asie que le décloisonnement des espaces politiques produit une prolifération des armements à large échelle et une expansion des champs d'affrontement qui a profité de la liquidation d'imposants appareils militaires hérités de la bipolarité. Ainsi, les événements du Il septembre achèvent un processus de réorganisation générale des relations internationales, commencées par la chute du mur de Berlin et par l'échec de la transformation des empires en confédérations. Cet échec est signalé par une aspiration collective à la nation à base monoethnique et religieuse et par l'égarement de l'héritage humaniste et universaliste qui avait pris la forme de l'internationalisme socialiste ou prolétaire. Le cours de ce processus a baigné dans un malaise et un ressentiment profond que la redistribution des rôles, des statuts et des espaces de souveraineté a provoqués dans le monde. C'est ainsi que dans la décomposition de la notion d'ordre international se décèle la position dominante des États-Unis d'Amérique. Les champs de décomposition historique, géopolitique et stratégique, perceptible dans la sphère des intérêts qui définissent les enjeux de puissance depuis l'effondrement de la bipolarité et la disparition de l'ennemi désigné est, comme toujours, l'Eurasie. Cette disparition a été avant tout la fin de la vocation d'un acteur majeur de la scène mondiale à prétendre, par une menace unique et dominante, à une alternative globale de système. Or, le monde issu de l'implosion du monde soviétique a engendré une extraordinaire balkanisation politique, un détournement des messages de la démocratie et un dépérissement des alliances traditionnelles à fondement idéologique. Nous pouvons affirmer en somme que le système international de ce début du XXIe siècle n'est pas encore celui de la multipolarité, ni celui d'un monde unipolaire, où s'imposerait un seul acteur prépondérant aux capacités globales, les États-Unis d'Amérique. Mortimer Zuckermann a pu dire: «le XVIIIe siècle fut français, le XIXe anglais et le XXe siècle américain. Le prochain sera à nouveau américain ». Or, même si les États-Unis occupent une position sans équivalents dans l'histoire moderne et s'ils n'ont guère, dans un avenir immédiat, d'adversaires stratégiques susceptibles de remettre en cause les équilibres planétaires, en théorie les systèmes unipolaires non hiérarchiques sont des systèmes en transition et en tant que tels, précaires, aux stratégies combinatoires, sans statu quo ni maîtrise définitifs et à l'hégémonie perpétuellement menacée. Ils préludent soit à des cycles ininterrompus de désordres publics conduisant à une paix d'empire et à l'émergence d'une monarchie universelle, soit à la dislocation progressive de l'ordre ancien, dérivant vers une période chaotique. Dans cette sorte de retour à un «état de nature» des nations, s'affronteraient sans merci des États batailleurs, des acteurs non étatiques et des êtres erratiques à l'issue de 286
cette péliode de troubles s'affinneraient lùstoriquement des tmités politiques classiques, en quête d'affirmation, de sécurité ou nouvelles hégémonies. Ainsi, le monde qui s'ouvre à nous est plus incertain, plus conflictuel, plus fragmenté et globalement plus dangereux de celui qui l'a précédé. La stratégie américaine de primauté visant à pérenniser une hégémonie momentanée et justifi<mt de budgets militaires imposants, consacre ]' ambition d'assurer l'invulnérabilité de la «grande île du monde» et un nouveau linkage avec les théâtres extélieurs, en Asie, dans le Pacifique, en Europe et dans les deux Amériques. Ainsi, cette stratégie de primauté et cette vision du monde à prédominance américaine, où la puissance militaire demeure toujours aussi significative dmlS les relations intemationales, ont été à la fois bouleversées et renforcées par des événements du Il septembre 2001.
XVI.7
LA PLACE DE L'EUROPE, UNE RÉVOLUTION
CONCEPTUELLE
Plusieurs conséquences, générales et locales, découlent de ces présupposés et premièrement celle de la place qu'occupera l'UE dans le système intemational de demain. L'influence qu'elle pourra y exercer et le type d'institutions qui pourront lui assurer des options plus affennies, en particuber en matière de capacités conception, de décision et d'action. Plus loin, quelles relations, bilatérales ou multilatérales, pourra-t-elle entretenir, selon le cas et les situations, en Europe avec la Russie et dans le monde multipolaire de demain, avec les USA? Quel rôle devra-t-elle jouer au Proche-Orient entre Israël et r Autorité palestinienne, et dans la Méditerranée, dans le (Tolfe, au Moyen-Orient jusqu'au Pakistan, l'Inde et La Chine, vis-à-vis du monde m'abo-musulman ? Cette évolution exige de la pm'! de rUE une véritable existence politique et, en corrélat, une stratégie globale. Autrement dit des institutions cohérentes, des procédures simplifiées, un budget et des moyens nlÎlitaires adéquats et croissants et une 287
volonté d'ordonnancement de la puissance en fonction d'une influence politique efi~ctive. élément d'ordonnancement ou d'unification stratégies locales, nationales ou partielles appelle à une .z< stratégie globale t' et doit se déployer à l'échelle planétaire. De manière générale, les événements du 11 septembre remettent en cause les unités politiques qui n'utilisent pas leur ptÜssance militaire pour exprimer leur puissance civile ou économique. Dans ce cadre, l'Europe a un besoin urgent d'accomplir sa révolution conceptuelle et institutionnelle: conceptuelle, pour ce qui est des grandes affaires politico-stratégiques, institutionnelle, pour ce qtÜ relève des exigences d'etricacité en matière de délibération et d'action. Une révolution qtÙ la fasse sortir des limites contraignantes du passé, afin qu'elle puisse tirer profit de l'évolution rapide de l'environnement stratégique mondial. Celui-ci est c>. Cette disparité de l'affrontement aboutit au meurtre collectif, au génocide et au massacre. C'est la dissolution du principe de l'équilibre des forces et de violence entre camps opposés, qui ne se reconnaissent pas le droit à l'existence. L'asymétrie ou le conflit asymétrique opposent en effet, en son essence, deux types de sociétés, une davantage constituée et politiquement organisée 293
et l'autre à l'état naissant, chaotique, ou en dissolution extrême. Le temps et l'espace n'ont guère même valeur, le même sens et mêmes répercussions politiques pour les belligérants en situation d'asymétrie. La militarisation des nouveaux espaces de l'asymétrie est l'apanage des forts et des puissances technologiquement plus avancées, cependant que le prolongement indéfini de la duré du cont1it est dans l'expression du faible et des sociétés «héroïques» où dans l'éternelle dialectique de la tragédie humaine l'un joue la loi de l'autre à son meilleur profit, dans la mâItlise du temps, de la violence aveugle et de la force.
XVI.12
ÉVOLUTIONS
TECHNIQUES
ET
CONFLITS
MÉTAPOLITIQUES
Depuis toujours le «sens ,> de l'action pénètre les tlnalités de la «manœuvre stratégique >, et influence ses modalités et ses moyens opératoires. Depuis la fin de la guelTe froide, ce « sens» a investi le champ
de la pensée et de r action militaire et a modelé de sa rhétorique les conceptions générales de l'action internationale des États. La responsabilité éthique est devenue ainsi dans le camp occidental un élément constituant des stratégies de stabilisation, et l'intervention morale une option politique, promue par l'exigence de combattre le telTorisme et de porter assistance à populations en danger. Cette exigence a désigné une dialectique à chaque fois singulière de l'intérêt et de la morale. Au plan de l'action militaire cependant, ces t1nalités nouvelles ont pénétré les fLgures des belligérants, s'étendant au calcul des aléas, des lisques et des virtualités générales de l'action. Ainsi, le sens profond de la violence a rebondi sur son emploi, virtuel ou réel, et sur les effets, inhibitoires ou coercitifs, des mesures plises ou de celles envisageables. Grâce aux évolutions des technologies optiques, 294
balistiques et informationnelles, de nouveaux réseaux de nuisance sont apparus dans le champ du maniement de la violence et de l'action internationale. Ces réseaux se bifurquent en deux sources de danger à classer parmi les mutations des défis de sécurité, dans le champ des nouvelles menaces aux effets universels: les dangers des hackers au sein du cyberespace et de la cyberguerre et le danger des unités terroristes de nuisance politique, maniant indifféremment les frappes classiques, biologiques et nucléaires. Ainsi, les innovations techniques et l'apparition de ces nouvelles unités de nuisance modifient le rapport entre la force et la masse au profit de la force. Cette rupture de la force et de la masse, annoncée par la frappe à distance, produit une rupture de l'espace géopolitique et une désanctuarisation élargie des grands ensembles territoriaux. L'avantage assuré à la frappe s'exprime par une double modalité:
. .
la projection la projection réseaux).
des forces (concernant de nuisances
(par
les puissances des unités
aux capacités
sacrificielles
globales)
organisées
; en
Cette série de ruptures a profité au nouveau terrorisme et a engendré de nouvelles vulnérabilités, dues aux mobiles fondamentalistes, radicaux et métapolitiques. Ces mêmes ruptures influencent également les modèles et les adaptations stratégiques des appareils occidentaux de défense, l'usage plus souple, sophistiqué et dosé de la violence, ainsi que l'amplification de sa sémiotique, et donc du discours de la guerre et la dialectique conflictuelle avec l'autre ou les autres. Au cœur même des hostilités, des pas décisifs viennent d'être franchis dans la «manœuvre stratégique », grâce à «la guerre du commandement» et à « la guerre de l'information ». Cette série d'évolutions, modifiant la nature des conflits périphériques, influe sur les relations à l'intérieur des coalitions et engendre un autre type de hiérarchie et de commandement entre le leader de la coalition et l'ensemble des autres membres. C'est là, que « l'art de la manœuvre» introduit dans la logique stratégique des dimensions qui revalorisent les fonctions de vision, liées aux percées diplomatiques et conceptuelles de la grande politique, que seul le leader possède, puisqu'il possède, avec la conception hégémonique de l'action, les ressources et les moyens de la politique globale. C'est face à ces scénarios, à la rationalité politique ouverte, à ces options aux capacités de manœuvre élargies que se mesureront demain les États-Unis d'Amérique, l'Europe, la Russie, ainsi que la multitude des acteurs qui s'affrontent, globalement et localement, pour un monde bâti comme toujours sur des philosophies discordantes voire opposées.
295
XVI.13
NOTES
1. Sanctuaires ou États sanctuaires, ce sont deux catégories d'États, les Rogue-States (États hors la Loi) et les États vides de la notion d'État. Des « trous-mondes » de la globalisation, proliférant de réseaux parasitaires (mafias, corruption, criminalité, bandes, trafiques illicites) en proie permanente au chaos et aux conflits, aux atrocités diverses et à la famine. Des États-objets, cancéreux et sans espoir, où la notion de crime doit être remplacée par celle de survie. En effet, il n'y a de crime, que là où il y a loi, droit et société. 2. Conflits prémodernes (subétatiques et sociétaux), modernes (classiques ou interétatiques), postmodernes (de projection des forces, informationnels et médiatiques). C'est dans des variables asymétriques que l'Europe renforce le rôle des États-Unis et introduit dans le jeu international des éléments et des objectifs de souplesse, adaptés à des situations à chaque fois complexes. 3. Ces conflits peuvent
. .
.
venir :
des zones de crises, intéressant directement la sécurité (Balkans, CEI, Maghreb ou Proche-Orient) ;
de l'Europe
des zones de l'arc de crise, intéressant indirectement la sécurité de l'Europe. Il s'agit de zones à haut risque d'affrontements et de déstabilisation, qui se prolongent en direction de l'Asie du Sud Est, en passant par l'Asie Centrale. Ici les affrontements et les enjeux concernent les grands acteurs stratégiques, internationaux (USA, Russie, Chine, l'Iran, l'Inde, Pakistan), et l'Europe y est concernée en tant qu'acteur continental dans le cadre de l'échiquier stratégique mondial. Des répercussions de la mondialisation (terrorisme, immigrants clandestins, prolifération, menaces NBC). En effet les répercutions de celles-ci transforment la portée et les enjeux des conflits que nous appelons « métapolitiques » par une sorte de « Linkage horizontal » les commuant en conflits transcontinentaux (Golfe, Soudan, Afghanistan, USA, Russie, l'Europe, Pakistan, Chine). L'impact stratégique de ces conflits à la violence polymorphe et au sens politique multiforme, exige d'une part une vision globale du long terme (stratégie) et d'autre part une riposte militaire immédiate (coalitions ad hoc).
4. Un« office de l'influence stratégique » (OSI) a été créé par le ministère américain de la Défense, dans le but de mener la «guerre de l'information ». Il s'agit d'une subordination de 1'« office des opérations d'information », dépendant de l'état-major interarmées.
296
XVII. LÉGITIMITÉ ET SYSTÈMES INTERNATIONAUX. DU CONGRÈS DE VIENNE À L'ÂGE PLANÉTAIRE. LA POLITIQUE EUROPÉENNE AU TOURNANT DU XXIESIÈCLE
XVII.1
LE CONGRÈS DE VIENNE ET SES FONDEMENTS
Pour qui veuiHe étudier l'histoire du monde et l'évolution des systèmes internationaux, le concept d'équilibre des forces semble constituer le fil
conducteur de la recherche sur la paix et sur la sécurité internationale. Lorsque après des périodes troubles ou des guerres inexpiables, des États conservateurs ont voulu restaurer un système universel de valeurs et un ordre mondial plus stable, comme ils le firent au Congrès de Vienne, ces principes ne pouvaient être que l'expression des sociétés et des puissances victorieuses, pour qui la vie internationale a été longtemps et perdure encore synonyme de lutte et de combat violent. Un contraste apparut très vite, en 1815, entre ces deux objectifs et ces deux écoles de pensée, donnant naissance à deux types de diplomatie; une diplomatie fondée sur des valeurs communes et une diplomatie reposant sur l'équilibre de puissance, ou pour simplifier à l'extrême, une diplomatie inspirée et messianique et une diplomatie réaliste et calculatrice. La nouveauté du Congrès de Vienne et du Prince de Metternich qui en maîtrisa les débats, fut d'avoir réalisé une convergence entre ces deux aspirations fondamentales, souvent antinomiques, de la légitimité et de l'équilibre. La légitimité fut celle, retrouvée des gouvernements d'ancien régime, et l'équilibre des forces actifs, celui qui avait été reconnu en 1648 par le Traité de Westphalie, bâti sur la logique des engagements, la raison d'État et la défense de l'intérêt national vital. L'équilibre du Congrès de Vienne durera cent ans et s'effondrera avec la Première Guerre mondiale. L'échec des Traités de Versailles et du Trianon le condamnera définitivement, jetant l'Europe dans l'abîme historique, culturel et moral de la Deuxième Guerre mondiale. L'équilibre du concert européen de 1815 ressemble-t-il à l'équilibre unipolaire élargi ou multipolaire souple de l'âge planétaire et du monde d'aujourd'hui? C'est là toute la question de notre temps. En Europe, les guerres de la Révolution française résultèrent, comme la guerre des Trente Ans, du passage des sociétés féodales, fondées sur un principe de légitimité d'ordre traditionnel, la hiérarchie, l'honneur et l'ordre, vers des sociétés modernes fondées sur la nation, la raison d'État, la logique du changement et, plus tard, la volonté générale; en un mot, sur un principe de légitimité national-populaire. Les guerres totales du XXe siècle marquèrent la rupture de cette adaptation, qui se révélera conflictuelle, entre le principe de légitimité dynastique des empires multinationaux, austro-hongrois, ottoman et plus tard soviétique, et le principe de légitimité national-populaire à base démocratique, ayant comme aboutissement final l'indépendance politique et l'identification de l'État et de la nation. Le principe de légitimité commun revendiqué au sein de cet amalgame informel de traditions et d'histoires locales est de nature civilisationnelle et à base ethnico religieuse. Dans cette transition, ce qui était apparu comme une organisation politique et territoriale cohérente et prospère, les États multinationaux, devinrent soudain anachroniques et dépassés. Ce fut de même de ces ensembles disparates, les colonialismes occidentaux, qui avaient constitué des communautés d'intérêts et de culture, comme les empires coloniaux français et britarmique.
298
XVII.2
L'ORDRE MONDIAL ACTUEL
En 1989, la transition de la bipolarité de la guerre froide et de son schéma rigide à la multipolarité tendancielle du monde d'aujourd'hui, présente-t-el1e des caractéristiques comparables, à une échelle de complexité plus vaste et plus profonde, avec la stabibté et l'ordre européens établis à Vieille en 1815 ? La période que nous vivons vit en effet dans un équilibre précaire de rapports politiques, caractérisés par une logique générale de mouvement et par une «balance» de forces, où pèsent d'un poids différent trois grands ordres de grandeur
.
.
.
Un nombre réduit de puissances de tame continentale surclassant toutes les autTes les États-Unis. l'Europe, la Chine, la Russie. le Japon et peut-être I"Inde qui sont les composantes essentielles de l'ordre mondial et il qui itlcombe ln responsabilité de la stabilisation des relatiotls de pouvoir il l'échelle planétaire ainsi que la tâche et le credo les plus absolues que l'on peut triompher de l'histoire et qu'on peut surmonter toute épreuve fut-elle la plus telTible et la plus inhumaine. C'est à ce niveau où le poids politicomilitaire joue un rôle de premier pl<m et dicte ses exigences de contrôle, par lill club de puissances fermé. sur la prolifération des armements conventionnels, balistiq ues et nucléaires.
Une société civile et un systè.me économique mondial, interdépendants et où la distribution de la des biens et services, définit des régions économiques ouvertes, mais différenciées, selon les taux et le potentiel de croissance, le poids démographique, les formes d'innovation et d'intervention de I"État, les coûts sociaux et salaliaux, etc. Un paysage de nations recherchant des ajustements et des formes de stabilité conjoncturelles et précaires. Ce paysage définit des zones de 299
rivalités et d'instabilités, où l'on retrouve des aspects conjoints, de faible développement, de traditionalisme, d'anachronisme et de conservatisme du pouvoir, face auquel s'oppose un radicalisme violent. C'est le paysage dévastant de formes d'État en faillite. Ce sont des zones de vide juridique et politique, de conflits régionaux et locaux, de tensions chroniques et de guerres civiles permanentes et tragiques.
Par une sorte de paradoxe de l'histoire, le XXI" siècle est né prématurément en 1989, avec l'effondrement de l'Empire soviétique, montrant la pertinence des idéaux de la liberté. Cette naissance, au forceps de l'imprévisible, vit se liquéfier avec une extrême rapidité le collant idéologique et militaire qui avait intégré au monde slave du Nord le monde musulman du Caucase et de l'Asie centrale. Naquirent alors des revendications d'indépendance venant de la profondeur de traditions anciennes et de la vie séculaire des peuples. Leur principe d'identité et de vie ne pouvait plus être une idéologie, prêchant une conversion forcée à la raison, mais un passé lointain, repérant une origine commune dans le message de la foi ou dans les rapports de faciès d'une ethnie. Dans la plupart des cas, ce message venait des régions les plus anciennes du monde où la revendication politique s'emacine presque naturellement dans les trois ordres de vie; l'Ancien Testament, le Nouveau Testament et le Coran. Ce retour du passé déplaça l'ordre des controverses et des conflits du domaine des rapports de puissance et de l'équilibre des forces, à celui du système des valeurs et donc de la religion et du sacré. La confrontation entre monde moderne et monde traditionnel ou, de manière plus abrupte, entre Occident et Islam, pour l'affirmation de formes d'indépendance et de souveraineté nouvelles, lia son sort aux vérités révélées et à leurs affirmations conquérantes et souvent radicales. Ainsi, en deux siècles seulement, les relations internationales passèrent de la prédominance du principe de légitimité dynastique, inspirant les gouvernements des empires multinationaux, au principe de légitimité nationale, puis populaire des États-nations; et enfin, au principe de légitimité ethnique et religieux dans les anciens espaces de fracture, le long des frontières culturelles entre les trois grands monothéismes. En parallèle, en Europe, à la lente retombée des fièvres des guerres des religions, s'accompagnera un processus de sécularisation et de dépolitisation du politique qui n'est pas à sa fin. L'espace occidental, entièrement laïcisé, mène désormais un combat défensif dans le monde face à l'éveil de l'Islam, à la violence religieuse et à l'émergence d'un fondamentalisme radical.
300
XVII.3
MORALE
ET
INTÉRÊT
DANS
LES
RELATIONS
INTERNATIONALES
Avec J'effondrement de la bipolarité, comme à la fin de la guene de Trente Ans, le passage de l'universabté du Moyen Âge à la pratique de l'équilibre, reposa le problème séculaire de l'importance de la moralité et de l'intérêt dans les relations intemationales. Ainsi, les rôles que doivent jouer le droit (nomos), l'éduque et la force (kratos) dans les grandes affaires du monde fut repris et rediscuté dans une arène des débats devenue de plus en plus large, publique et mondiale. On croyait avoir appris du Congrès de Vienne que l'équilibre des forces, à lui seul, ne pouvait aboutir à la paix, ni se définir comme principe de gouvernement du monde. Par ailleurs, le Congrès de Vienne ne visait pas la paix, mais uniquement la stabilité et la modération des intérêts. Cette leçon d'autolimitation des égoïsmes sembla inspirer décideurs politiques du monde, au tout début des années 1990. Mais à la ditlérence de l'époque du concert européen, morale et le droit apparurent comme des références précieuses pour tempérer l'emploi brutal de la force, en 1991 les grands principes universels ne constituaient plus une référence commune, car disparut définitivement homogénéité culturelle du monde et s'affirma une hétérogénéité de l' traditions et de ptincipes, btisant l'unité conservatrice du monde que les deux « super-grands» avaient préservée. Les règles et les principes régissant la recherche la sécurité et celle de la stabilité internationale s'évanouirent face au radicalisme et au fondamentalisme religieux, mêlé aux revendications nationales et déclarant une guene à outrance aux puissances dominantes, à l'hégémonisme mondial des États-Unis et à l'État d'Israël, politiquement précarisé et déclassé en« entité sioniste ». Ainsi, la mise en 3D}
place d'un éqlÜlibre géopolitique modéré fut de plus en plus compliquée et difficile à atteindre. Avec l'eflondrement de l'Union soviétique comme
dernier avatar de l'utopie de la
«
raison », se brisa l'équilibre entre les trois
aires cultureJJes dont elle était limitrophe et qu'elle portait en son sein, l'Europe, l'Asie et le monde musulman, et, et par-dessus tout l'équilibre des croyances, entre le logos occidental et la foi révélée de r Islam. Cette rupture raya de la logique des contrepoids, l'élément de modération qui avait limité jadis remploi brutal de la force. La modération et l'autolimitation de la violence ont été des référents fondamentaux pOllr que puisse fonctionner con-ectement un système de sécurité comparable à celui du concert européen. Sur quoi donc faudra-t-il s'appuyer à l'avenir, dans l'ordre des motivations éthiques, pour rétablir une couvergence de retenue dans le gouvernement du monde? La fill de la Première Guem:: mondiale avait apporté une nouveauté importante et visionnaire en matière de sécurité avec les « Quatorze Points t> de Woodrow \Vilson. La proposition de remplacer le système des alliances, basées sur le principe de l'équilibre des forces, avec un système de « sécurité collective », bouleversa les mœurs de la realpolitik européenne. L'émergence d'une menace Oll d'un défi, portés à l'ordre régulé des nations devait s'appuyer désormais sur un engagement solennel, celui, improbable, d'élinÜner la guerre de privilégier l'intérêt commun à l'intérêt national vital.
302
XVII.4
LA«
SÉCURITÉ
COLLECTIVE ».
OBJECTIFS
ET
PRiNCIPES« PAIX PAR LA FORCE» OU « PAIXPAR LE DROIT» ?
Un système de « sécurité collecÜve » n'avait jamais existé auparavant et, avec la Première Guerre mondiale il fallait la destl1lcÜon de toute une génération, pour faire basculer les convictions bien ancrées des décideurs européens vers l'idéalisme d'un président américain pour qui il ne pouvait exister qu'une seule forme de sécurité, celle de la comnnillauté internationale tout entière. Le postulat œntral la sécurité collective reposait sur une idée très noble, mais fausse, que tout acte d'agression ou toute violation du principe d'lUl règlement pacifique devait être sanctionné, en dernière instance, ? de la politique d'élargissement a reposé sur la volonté de changer la , politique de «l'autre» par l'expérience brutale de la globalisation. Cependant, la véritable limite atteinte par le processus d'intégration est dans l'usw-e et dans l'affaiblissement du 377
leadership (noyau dur ou groupe pionnier). Les « revers institutionnels» de cette fonction primordiale pour l'élaboration d'une politique étrangère et de sécurité commune se traduisent par le caractère intergouvememental de cette politique et par le « principe de l'unanimité ,>qui la régit. En effet l'adoption des «coopérations renforcées» consacre cette ditliculté d'avancer à plusieurs, avec un dénominateur institutionnel paralysant et consensuel. Le concept consumériste «d'Europe à la carte» en exprime le paradoxe gnostique. Plus en amont et plus en profondeur, l'approche sécuritaire de l'Union est marquée par un vide théorique, la disparition de la notion d'ennemi, qui induit une dépolitisation des relations intemationales et gomme, dans lm monde dédramatisé, le porteur de la menace, de la puissance de négation et de l'altérité existentielle. Par ailleurs, il relève de l'évidence que l'on ne participe pas à la dialectique historique sans une taille démographique adéquate. Or, l'une évidences de l'Europe est son vieillissement et son déclin démographique. anémie existentielle freine le dynamisme social, lui interdisant le renouvellement des générations et hypothéquant son présent et SUltout son avenir. Ainsi, à la sonnette d'alarme institutionnelle et conceptuelle, il faut ajouter la cloche du danger mortel qu'impose un redressement de la natalité, liée à la faiblesse de la croissance et à la stagnation économique.
XIX.S
ÉVIDENCES NOTES
ET BLOCAGES
DU PROCESSUS
SUR LE DÉBAT EN COURS À PROPOS
D'INTÉGRATION DU PROJET DE
TRAITÉ CONSTITUTIONNEL
En rétléchissant aujourd'hui à l'Europe et au projet politique de l'Union européenne, la première évidence pour un analyste désenchanté est l'absence d'une culture politique partagée, à la mesure enjeux européens et mondiaux. 378
La deuxième évidence est que l'Union européenne, avec ses élargissements successifs, a évolué depuis 10 ans, beaucoup plus vite vers la formation d'un espace de stabilisation et de pacification interne, que vers la constitution d'une véritable puissance, exprimée par le renforcement de ses institutions. La dilution progressive de l'Union vers une Europe-espace qui s'élargirait indéfiniment, incluant la Turquie, l'Ukraine, la Géorgie et d'autres pays issus de la dislocation de l'ancien Empire soviétique, pourrait engendrer une série de conséquences préjudiciables et parmi celles-ci:
. .
l'abandon
du projet fédéral de l'Union
ou de l'unité politique
le déséquilibre entre centre et périphérie, autrement dit la substitution de la problématique du renforcement institutionnel par celle de la modernisation et de rattrapage de développement des nouveaux pays, aggravées par des questions non résolues de démocratie politique et des droits des minorités...
D'autres conséquences préjudiciables apparaissant l'Europe actuelle ou pour le dire autrement:
. . .
du continent;
comme «limites»
de
en ce qui concerne l'aspect politique, comme redéfinition d'un projet d'Union, encadré par une avant-garde d'États, décidés à aller plus loin dans les deux domaines essentiels, celui de la politique étrangère, de sécurité et de défense commune et celui de la coordination plus poussée des politiques économiques et monétaires; en ce qui concerne l'aspect économique et social, une politique de relance de l'emploi et de l'innovation, conformément aux objectifs fixés par la stratégie de Lisbonne; en ce qui concerne l'aspect énergétique commune à l'échelle communautaire.
enfin, la définition
d'une
stratégie
Le risque de régression de l'Union vers une zone de libre échange améliorée, accompagnée par la prééminence de préoccupations sociales et économiques, induites, d'une part par les standards européens et de l'autre par les poussées désagrégeantes de la mondialisation, fait ressortir l'exigence invoquée, à droite comme à gauche, de fixer les « limites» géographiques et politiques de l'Union. Par ailleurs, la double emprise, de l'influence britarmique sur les politiques internes et de l'influence américaine sur les politiques extérieures et de sécurité, impose de trouver une solution à l'absence de leadership (avant-garde, noyau dur ou centre de gravité politique), dont la traduction institutionnelle est le renforcement des institutions. Le projet de traité constitutionnel a voulu reprendre l'expression de cette exigence de réformes. Mais le débat provoqué sur ce texte a été dévoyé de son but. Certains y ont vu une rédaction insuffisante, d'autres une rationalisation indispensable, d'autres encore un projet non nécessaire pour la constitutionnalisation de 379
l'Europe, qui existerait déjà de facto. Il s'agirait, selon ce dernier courant de pensée, d'éviter de remuer les mémoires nationales et les symboles d'une idée constitutionnelle inappropriée. Ce débat n'est ni conclu ni enterré, mais il a été aiguisé par le « double rejet» référendaire français et hollandais. En ce qui concerne le seuil critique atteint par le processus d'intégration, des réponses n'ont pas été apportées à une série de questions fondamentales. Quel est le soutien réel au projet d'une Europe fédérale et donc d'une Europe puissance politique auprès des élites, intellectuelles, administratives et politiques aujourd'hui en Europe? Et quel est le soutien des opinions et des sociétés? Qui est prêt en Allemagne, en France, en Autriche, en Espagne ou aux Pays-Bas à supporter des coûts d'une vraie fédéralisation des politiques économiques et monétaires. Où doit s'arrêter l'Union projet pour le monde?
européenne,
avec quelles frontières
et avec quel
Ainsi, une harmonisation entre la finalité politique de l'Union, la temporalité nécessaire à la mettre en œuvre et la modalité institutionnelle pour la traduire en expression juridique et symbolique, est plus nécessaire que jamais. Pour ce qui est du thème de la légitimité de l'Union vis-à-vis des citoyens, l'aile « libérale» des commentateurs politiques a relevé qu'on ne peut plus «cacher l'Europe» et que la longue période de l'éloignement technocratique est révolue. Ces analystes en ont conclu que tout système d'oppression, soit-il éclairé, reste un despotisme et que son nom le plus vrai est celui d'un despotisme technocratique puisqu'il n'a pas pour origine une « volonté générale ». Il s'agirait là d'une oppression réglementaire qui est la maladie commune des démocraties représentatives modernes. Par ailleurs, le caractère illisible de la constitution aurait été l'une des raisons de son rejet, auquel on a rajouté la non-simultanéité des referenda. Cette dernière remarque argue que la non-simultanéité des scrutins aurait faussé la totalité de la consultation, là où elle a lieu, par des effets d'entraînements pervers, travestissant en expression de la volonté démocratique des enjeux nationaux, étrangers en débat européen. Ainsi, si l'Europe a existé dans les débats référendaires, elle n'a été qu'un alibi, un otage et un témoin impuissant. L'impasse de fond et la véritable « limite» de l'Europe actuelle est qu'il n'y a plus en Europe un consensus sur ce qu'il faut faire et donc sur le « sens» et la nécessité d'agir en commun. La période de la modernisation européenne, de la signature du Traité de Rome à la moitié des armées soixante-dix a été marquée par la convergence des idéologies et par la tutelle de la puissance publique allant dans le sens d'une modernisation contrôlée, de telle sorte qu'il pouvait y avoir une liaison inavouée entre dirigismes nationaux et coordination européenne et que depuis les années quatre-vingt, ce mécanisme s'est bloqué. 380
À partir des almées quatre-vingt-dix, cette hybridation des volontés, des rhétoriques et pratiques a cohabiter dérégulation libérale et modèle social national. Aujourd'hui, cette convergence ayant disparu, il apparait fort problématique de pomsuivre le processus d'adaptation et de modernisation appelé «Stratégie de Lisbonne >', puisque d'une part les objectifs apparaissent impossibles à tenir et de r autre, ils constituent matière de compétence nationale, la ComnÜssion em'opéenne n'y jouant qu'un rôle d'incitation et d'accompagnement rhétorique.
XIX.6
LES
«FRONTIÈRES
D'ABSORPTION»
EXTÉRIEURES»
ET
LES «CAPACITÉS
DE L'VE
,) de l'Europe, ce thème est sorti du domaine de l'abstraction et est devenu un sl~iet d'actualité et d'interrogation institutionnelle, un thème de réflexion géopolitique et stTatégique, mais aussi de débat citoyen, à paltir de la décision du Conseil du 17 décembre 2004 d'ouvrir les négociations d'adh6sion avec la Turquie.
Pour ce qui est du problème des « ti'Olltières extérieures
La crainte d'avoir atlaire à une Union qui ne connaît plus de limites, ni à l'Est ni au Sud-Est du continent, ni dans la région du Caucase du Sud et de la mer Noire, pour ne pas parler du Moyen-Orient et du Golfe, exige la définition d'un cadre organisateur général des relations extérieures de rUE, sm un double plall, régional et mondial, et cela en raison de l'interconnexion des défis et des dangers, étendus et multifonnes, et du repositionnell1ent
381
géostratégique de l'Occident, l'Occident américain, en Irak et en Afghanistan.
européen
et l'Occident
Ainsi, deux dimensions problématiques sont concernées, institutionnelle et, l'autre, de nature sécuritaire.
. .
nord-
une, de nature
La première est liée aux «capacités d'absorption » de l'Union européenne, et concerne la représentation, le poids et l'équilibre institutionnel au sein du Conseil des ministres de l'Union, mais aussi les capacités budgétaires et les politiques de solidarité et de cohésion.
La deuxième se réfère aux relations de proximité, les Balkans occidentaux en particulier, à des zones à très forte instabilité politique, à haut potentiel de conflits, à un degré élevé de spiralisation de la violence, en raison de l'interaction de problèmes non résolus, de haines ancestrales et de la présence de ressources et de revendications territoriales, aiguisant les crises latentes ou gelées.
Il faut y ajouter, au Proche-Orient, en Asie Mineure, en Asie du Sud-Est et en Extrême-Orient, les problèmes liés à la prolifération des armes de destruction massive et la porte ouverte sur un « clash de civilisations » entre l'Islam et l'Occident, avec, sur toile de fond, dans le Golfe et en Afrique du Nord, l'écart persistant entre la modernité occidentale et l'emprise de régimes autocratiques, incapables de se réformer. Au niveau du système international, la gestion des relations extérieures et les retournements stratégiques des situations, voire le cas de l'Iran, imposent à l'DE d'avoir une personnalité politique forte, une structure de décision efficace et une définition des « frontières sûres », qui ne demeurent plus une source d'équivoques, ni de perceptions erronées. Ceci exige une vision réaliste du monde, car la coexistence de la paix et de la guerre est toujours d'actualité, la dialectique des antagonismes toujours à l' œuvre et la conscience de l'hétérogénéité du monde est toujours là pour prouver que les individus et les peuples n'obéissent pas aux mêmes conceptions du juste et de l'injuste, de la démocratie et de la liberté et que la diversité des régimes politiques et des corps sociaux engendre différents types d'inégalités, d'inimitiés et de conflits. Par ailleurs, l'hétérogénéité des cultures rajoute à ce tableau une exigence de détermination et de prudence, face à des comportements qui demeurent sourds à la raison, extrêmes dans les idées et radicaux dans l'action.18
18
La« capacité d'absorption »de l'Union. Le traité de Copenhague a fixé parmi les critères d'adhésion de nouveaux pays la «capacité d'absorption de rUE ». Depuis Copenhague, la prise en considération de ce critère, qui touche tout autant aux aspects institutionnels et politiques (pondération des voix et capacité de décision) qu'aux aspects géopolitiques et budgétaires, a été oubliée. Or, dans la «pause de réflexion» constitutionnelle menée sous la présidence autrichienne de l'Union, le Parlement européen a pris l'initiative d'une remise en question des critères adoptés jusqu'ici, en matière de candidatures à l'adhésion, dans une résolution 382
XIX.7
UN
CHANGEMENT
L'EURASIE.
SUR
CIVILISATIONNELLES.
DE LES UN
PARADIGME:
DE
« LIMITES»
RÉGIONALES
SEUL
ÉCHIQUIER,
L'EuROPE
À ET
L'ÉCHIQUIER
MONDIAL
Parmi les «linÜtes» qui se dressent en Europe à la conception d'une politique étnmgère commune, la plus importante est le changement de paradigme intervenu depuis la fin de bipolarité. En effet, la matrice le 16 man; 2008 à une large majorité. 397 voix contre 95. Le PE a demandé à la Commission européenne de donner une définition claire de ce critère-clé et a exigé d' en et J'étendue, Cette résolution implique dès lors une réorientation évidente et
.. .
des perspectives des élargissements de la nature géographiques;
et de l'identité
de l'Union,
de J'ouverture d'une nouvelle issue pour les «
y compris pays
vivant
dans ses ,? a disparu, puisque, dans la pensée du libéralisme, le concept politique « lutte» devient « concurrence» sur le plan économique et « discussion débat» sur le plan spirituel.
de ou
Le peuple se transforme en opinion et le « citoyen» communication et de messages.
de
Les programmes des revendications de la masse cités ébranlent la cohésion subversion des pouvoirs en
XX.5 POUR UNE Df« ENNEMI»
en consommateur
autorités se calquent sur les attentes et les ou de la rue et les marginaux de la cité et des des sociétés au nom d'identités refoulées et de la bandes.
APPROCHE
SÉCURITAIRE
ET POUR UNE AXIOMATIQUE Lf« ACTION PRÉEMPTlVE »
DU
CONCEPT
RÉNOVÉE
DE
Le concept d'« ennemi» est central pour les relations de sécurité. En effet, il implique une définition identita.ire essentielle, et en même temps il tl'ace les contours d'une altérité hostile. C'est un concept incontournable et polymorphe qui a une source génétique et une mutation phénoménologique, source et mutation qui reposent sur les notions d'adversaire et d'hostilité tantôt permanents, tantôt circonstanciels. Pour acquélir une plausibilité et une signification politiques et historiques, concepts doivent être mis à J'épreuve des circonstances et des réalités L'hostilité comme latence de 403
l'ennemi est le présupposé de crises et de conflits constituant de formes d'inimitiés antérieures.
les révélateurs
Nous nous bornerons à analyser les différentes typologies de l'animus hostilis et donc des relations d'hostilités possibles pour la sécurité de l'Union. Leur variation recouvre l'éventail des relations extérieures ou intérieures selon les conjonctures et les situations. Ces variations s'appellent alliances ou coalitions à l'extérieur et cohésion stratégique à l'intérieur. Ainsi, nous reviendrons sur la matrice principielle du concept d'ennemi et sur ses figures.
. .
20
Est un «ennemi» public, l'acteur étatique ou subétatique, qui, par sa philosophie, par ses ambitions ou ses intérêts, porte atteinte à la sécurité de l'Union, à son intégrité territoriale et à celle de ses États membres, ainsi qu'à la cohésion stratégique des sociétés européennes. Est un «ennemi » latent l'acteur régulier, ou l'organisation irrégulière qui, par ses déclarations d'hostilité et de haine, par son comportement violent ou menaçant, par ses agissements terroristes évidents et occultes, porte à maturation un danger imminent et grave pour l'Union européenne20, ses États membres et ses citoyens, en faisant usage ou menaçant de faire usage de la force et de capacités conventionnelles, balistiques, nucléaires,
Un débat est en cours aux États-Unis et aux Nations unies, sur la recherche d'un
juste équilibre entre le droit à l'autodéfense et 1'« action préemptive » pour contrer actuelle de toute règle commune au sujet d'une menace imminente et grave. La quête des certitudes quant à la nature de la menace et à 1'« imminence mise à exécution engendre une série de dilemmes qui ont pour objet:
. . . ..
l'absence » de sa
la nature du système international et le rôle de la dissuasion dans le cadre d'un environnement où plusieurs équilibres doivent être assurés simultanément par une pluralité d'acteurs rivaux ou hostiles; les traits essentiels des régimes politiques hostiles, aspirant à devenir des puissances balistiques et nucléaires; la difficulté de négocier avec des organisations ou des régimes perturbateurs, autocratiques et proliférant s, en leur accordant des garanties de sécurité dans leur course à l'arme de la terreur et de la puissance politique; le dilemme
du retard au sujet d'une action irrévocable
et contre un ennemi
déclaré;
la soumission du droit naturel à l'autodéfense, à la preuve imparable d'une agression; Cette inversion des rôles entre agressé et agresseur virtuels mais désignés et la prime accordée à l'agresseur en cas d'attaque conforte la liberté d'agir en premier et restreint le droit de l'agressé à l'autodéfense. La reformulation du principe de sécurité et d'autodéfense et le renouvellement de l'axiomatique de la menace et de sa perception sont à la base de l'adaptation des principes de la légalité et de la légitimité internationale aux réalités du monde contemporain. Si, face aux menaces nouvelles, chaque acteur est dans l'obligation de redéfinir les règles de sa riposte aux vulnérabilités et aux défis émergeant s, une convergence des États majeurs de la planète peut parvenir à définir les nouvelles conditions de la riposte individuelle (unilatérale) ou collective (multilatérale) dans le cadre d'un droit universel reformulé et adapté à notre époque (voir en ce sens Henry Kissinger, Le Monde du 21 avril2006). 404
. . . .
biologiques, communauté
seul ou en liaison avec d'autres acteurs, internationale et par l'ordre légal interétatique.
bannis
par
la
L'ennemi n'est pas toujours l'agresseur au sens de la logique juridique, pénale et criminelle du droit public international. L'ennemi est l'incarnation d'un danger ou d'un risque politique objectif, la source et le présupposé de l'agression, le perturbateur de demain. L'ennemi préexiste à l'acte agressif et il en est la cause et l'origine. C'est le rapport d'inimitié qui constitue l'essence et la source des phases et des mutations successives de l'hostilité et son actualisation événementielle ou circonstancielle, préemptive ou défensive. Est un « ennemi » géopolitique de l'Union, de ses États et de ses citoyens, tout acteur ou tout actant, qui porte atteinte à la stabilité mondiale, régionale ou locale, utilisant la force ou la menace directe ou indirecte d'emploi de la force dans le but de provoquer des tensions ou des crises graves; en agissant par la subversion idéologique ou politique appuyée sur la subversion armée, ou visant à conquérir et subjuguer les esprits par l'intimidation ou le chantage. Est un «ennemi» idéologique, l'actant étranger qui tend à instaurer une vision du monde, une philosophie ou un régime éthico-politique incompatible avec l'histoire, le système des droits, des valeurs et des croyances existantes au sein de sociétés européennes désormais multiculturelles. Est un «ennemi» total ou systémique le perturbateur stratégique et civilisationnel, porteur d'une remise en cause de la balance of power et de la sécurité globale et d'une culture de rejet de l'Occident, d'une volonté d'inversion des hiérarchies établies et visant à instaurer, directement ou indirectement, par la force ou sous la menace de la force, par la discrimination identitaire, religieuse, culturelle ou ethnique, des régimes politiques et des visions de l'avenir négateurs, irréductibles dans leurs fondements structurels et moraux aux convictions profondes héritées par la tradition judéo-chrétienne, puis laïque de l'Europe et partagée par les opinions et par les modes de pensée dominants, en ce qui concerne les valeurs de paix, d'universalisme, de coexistence et de raison, valeurs qui constituent les legs de l'Occident et les horizons souhaitables de l'évolution humaine pour les siècles à venir.
C'est ainsi que l'absence de la figure de l'ennemi dans la définition du concept européen de sécurité est capitale pour la compréhension de sa faiblesse. Elle est essentielle pour déceler la nature du comportement et des mesures prévues pour faire face aux défis et aux menaces extérieures. Cette absence de la figure de 1'« ennemi » en acte n'exclut guère la définition d'un état latent d' hostilité, comme situation intermédiaire entre l'état de conflit et l'état de paix qui puisse servir à déguiser le concept et à en masquer les manifestations les plus évidentes. Le dépassement de la conception purement militaire des conflits interdit d'évaluer correctement la signification des postures politiques et des options diplomatiques pour conjurer les difficultés 405
des sÜuations de tensions de crise. Par aineurs, elle ôte aux modalités diplomatiques la possibilité de gouverner le système international. Et puisqu'il n'existe pas un monde de seuls amis, (de la démocratie ou de libe11é), il interdit de faire le partage entre la politique de compromis et la politique de coercition, entre multilatéralisme et unilatéralisme. La limite du concept de sécurité est dans la dilution de la personnalité de l'Union dans till tout politiquement hétérogène, le multilatéralisme des Nations unies, où les États démocratiques coexistent avec des États voyous, des États autocratiques et des États en faillite. Il en résulte une autre «limite» de rUE, son aveuglement et sa cécité conceptuelle. En réalité la caractéristique plincipale d'mIe puissance est son unilatéra1isme, autrement dit l'évaluation indépendante et autonome de ses choix essentiels, ne comportant pas de dilution de la volonté d'affirmation de son identité et de son avenir, au sein des délibérations d'une enceinte IlHlltilatérale, les Nations unies, à l'âme «servile et docile », une enceinte qui n'est guère l'expression de la puissance de la paix et de son idéal, mais le simple substitut de la puissance qui lui fait défaut.
XX.6 SUR LA PREEMPTIVE STRATEGYET LA« DÉMOCRATIE ARMÉE ». LA «SOUVERAINETÉ LIMITÉE»
FICTIVE»
ET LA «SOUVERAINETÉ
En ce qui concerne r , apparaît comme le moyen pour rUE de construire des alliances durables en Eurasie, fondées sur une cohérence et sur un pouvoir fédérateur équivalent à celui des USA. Il est également lm laboratoire qui consiste à appréhender les turbulences et les conflits dans leurs dimensions mondiales et à maîtriser la prolifération balistique et nucléaire et le telTorisme de portél': internationale. C'est enfin un test des « limites » de l'intégration fonctionnelle, marquant la transition vers un plus haut niveau de complexité, un progrès vers une interaction entre la gouvernance interne et la gouvernabilité internationale. Enfin, c'est le telTain de vérification des deux hypothèses centrales du système international, celle du dialogue ou celle du « choc des civilisations ». Dans la mesure oÙ cette zone charnière représente une limite informelle entre stabilité régionale et stabilité mondiale, elle est aussi le lieu d'expérimentation d'une influence éclairée de l'UE sllr les grandes affaires du monde et plincipalement sur le « grand jell » et pour le désenclavement de l'énergie, du pétrole et des matières premières au cœur de la telTe centrale, Ie heartland de Halford MacKinder29. ""
L'amiral
britannique
H. J. MackinJer
(1861-1947
421
J, qui fut professeur
de géographie
Au niveau du système international, il représenterait le relais manquant dans l'évolution vers une forme de multipolarisme coopératif et vers des formes d'interdépendances régionales.
à Oxford (de 1887 à 1905), puis à la London School of Economics and Political Science (de 1895 à 1908), est le fondateur de la géopolitique classique, celle qui oppose la terre et la mer. Il a exposé ses théories dès 1904 et les a révisées quarante ans plus tard, dans le contexte de la Deuxième Guerre mondiale. La vision mondiale de la géopolitique de Mackinder est celle d'une « île mondiale » organisée autour d'un pivot, le heartland, centre de gravité de tous les phénomènes géopolitiques. L'Eurasie, inaccessible à la puissance maritime, a pour cœur l'Asie centrale. Celle-ci est protégée par un croissant de zones faisant obstacle à la pénétration depuis les côtes, l'inner crescent constitué par la Sibérie, l'Himalaya, le désert de Gobi, le Tibet. Plus loin se trouvent les pays ayant accès aux océans, le coastland. Au-delà des mers qui délimitent l'île mondiale se trouve l'outer crescent, composé de la Grande-Bretagne et du Japon. Enfin, plus loin encore est situé le Nouveau Monde, dont le cœur est représenté par les États-Unis. L'ensemble des phénomènes géopolitiques se résume en une lutte entre le heartland et l'outer crescent. La doctrine de Mackinder est caractérisée par la doctrine de la suprématie de la puissance continentale: « Qui tient l'Europe orientale tient le heartland, qui domine le heartland domine l'île mondiale, qui domine l'île mondiale domine le monde. »La hantise de Mackinder était une alliance entre l'Allemagne et la Russie qui auraient ainsi dominé l'île mondiale. C'est pourquoi le cœur du monde doit être encerclé par les alliés terrestres de la Grande-Bretagne. Cette dernière doit contrôler les mers, mais également les terres littorales qui encerclent la Russie, c'est-à-dire l'Europe de l'Ouest, le Moyen-Orient, l'Asie du Sud et de l'Est. La Grande-Bretagne elle-même avec les États-Unis et le Japon constituent le dernier cercle qui entoure le cœur du monde.
422
XXI.9 LE RÔLE DE LA RUSSIE RÉGIONALES ÉQUILIBRÉES
ET LES INTERDÉPENDANCES
Dans cette prospective la Fédération de Russie, en chute démographique et économique pourrait y jouer un rôle de rivale amicale plutôt que d'acteur hostile, car elle n'a d'autres altematives en Asie centrale et en ExtrêmeOrient que le choix entre le Japon et la Chine dans les orientations de politique générale que sont la coopération, l'aide au développement et le peuplement. En complément elle serait conduite à réduire ses points de friction avec rUE à l'Ouest, de la Baltique au Caucase, en passant par l'Ukraine. La création de cette zone serait un puissant facteur de développement démocratique de type pacifjque. Elle aiderait puissamment au désenclavement énergétique, géoéconomique et géostratégique de la région centrale de l'Asie, davantage adaptée à un monde multipolaire et à des modèles de sociétés mixtes, mi-tracutionnelles et mi-modemes, mais à économie ouverte et à tendance libérale. Une pareille hypothèse équilibrerait
423
et renforcerait l'entente euro-américaine zone chami~re de l'Europe.
dans le monde, en rapprochant
cette
Cette vision européenne de la mullipolarité serait basée sur un ensemble d'interdépendances régionales équilibrées et intégrées. plus fondées sur la gouvernance que sur la gouvemabilité, plus coopératives qu'antagoniques. Cette vision ne s'oppose pas à la dominance coopérative de l'unipolarisme américain élargi à l'Europe et tient compte davantage des évolutions plus récentes de la politique mondiale. Elle induit l'Europe à mieux profiler sa personnalité internationale, lui permettant de faire face aux nouveaux défis de la globalisation et de r écosyst~me et au degré très élevé de complexité qui les cm'actétise. Après l'implosion de l'Union soviétique et l'effondrement du bloc de l'Est, nous entrons dans une troisième phase de l'hérHage de la postguerre froide, et donc de la logique de la stabilisation des relations politicostratégiques, par les élargissements conjoints de rUE et de l'OTAN, mm'qués pm' le sommet de Varsovie, puis de Vilnius et, après le 11 septembre et la lutte internationale au terrorisme, par la « phase de Kiev et de Tbilissi ».
XXI.l0
PROJECTION
DE L'DE
VERS LE CAUCASE
ET L'ASIE
CENTRALE ET OBJECTIFS SOUHAITABLES
",-W,-,.",W.,'.:!S>1
Cette projection de l'Union européenne vers le Caucase et r Asie centrale avec un dessein stratégique et culturel, défini en toute indépendm1ce à pm'tir de ses intérêts propres, pourrait satisfaire à une série d'objectifs:
.
fixer les limites de l'UE, demandes d'adhésion, et conséquents;
ainsi que celles des élcu'gissements soutenir ses choix à raide de
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et des moyens
.
faire de redéfinie ;
.
un partenaire
influent
dans
une politique
mondiale
favoriser un dialogue et une planification mondiale par r identification des détïs il affronter collectivement (détérioration de l'environnement, surpopulation, fanatismes, pandémies. catastrophes naturelles)
.
fixer un agenda de sécurité planétaire au XXI" qui ait pour mission d'adapter le rôle de l'Ouest dans son ensemble il une phase d'éveil du monde et sous l'effet des menaces que fQnt peser sur la planète les turbulences exacerbées par les arsenaux nucléaires et par les dynamiques de puissance en Extrême-Olient et dans les grands Balkans eurasiens,
La création de cette , avec
les terres du littoral qui côtoient J'Atlantique et constituent le premier cercle entourant le cœur du monde. Si la suprématie de la puissance continentale appartient demain à la Chine montante. la réhabilitation du Rimland de J'extérieur et du Rimland de l'intérieur apparaît à l'évidence comme le seul moyen d'établir une zone d'interposition et un moyen éprouvé pour contenir l'expansion territOliale et maritime de l'Empire du milieu en Eurasie, en dehors l'utilisation de menace verticale.
XXL13
L'UE, LA RUSSIE ET LA CHINE
Dans ces conditions,
le soutien de la part de l'UE à la création
d' un