John Morley Terry Ward Andrew Watt
Travail et emploi en Europe Traduit de l’anglais par Nirina Rabemiafara Traduction f...
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John Morley Terry Ward Andrew Watt
Travail et emploi en Europe Traduit de l’anglais par Nirina Rabemiafara Traduction française revue par Pascal Petit
La version originale de ce livre a été publiée sous le titre The State of Working Europe par l’ETUI (European Trade Union Institute). Cet institut est financé par la Commission européenne.
ISBN 2-7071-4578-5 Le logo qui figure au dos de la couverture de ce livre mérite une explication. Son objet est d’alerter le lecteur sur la menace que représente pour l’avenir de l’écrit, tout particulièrement dans le domaine des sciences humaines et sociales, le développement massif du photocopillage. Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cette pratique s’est généralisée dans les établissements d’enseignement supérieur, provoquant une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’hui menacée. Nous rappelons donc qu’en application des articles L. 122-10 à L. 122-12 du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction à usage collectif par photocopie, intégralement ou partiellement, du présent ouvrage est interdite sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris). Toute autre forme de reproduction, intégrale ou partielle, est également interdite sans autorisation de l’éditeur.
S
i vous désirez être tenu régulièrement informé de nos parutions, il vous suffit d’envoyer vos nom et adresse aux Éditions La Découverte, 9 bis, rue Abel-Hovelacque, 75013 Paris. Vous recevrez gratuitement notre bulletin trimestriel À la Découverte. Vous pouvez également retrouver l’ensemble de notre catalogue et nous contacter sur notre site www.editionsladecouverte.fr.
© European Trade Union Institute (ETUI), Bruxelles, 2004. © Éditions La Découverte, Paris, 2005. Dépôt légal : avril 2005
Remerciements
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ous sommes particulièrement reconnaissants envers l’Institut de politique économique de Washington (Economic Policy Institute, http://www.epinet.org) — dont les rapports biennaux sur l’état de l’Amérique au travail (The State of Working America) ont inspiré ce projet — ainsi qu’envers la Confédération européenne des syndicats qui nous a vivement encouragés à réaliser ce prototype européen. Nous tenons en particulier à remercier Jarad Bernstein, Dean Baker et John Schmitt à Washington, ainsi que John Monks, Reiner Hoffmann et Henning Jørgensen à Bruxelles. Nous voulons également remercier le personnel des différentes unités de la Commission européenne pour son aide, mais aussi l’OCDE, l’OIT, Eurostat et les instituts nationaux de statistiques, EUROMOD, sans oublier les autres agences et instituts européens et internationaux, avec une attention particulière pour Tim Harrison qui a extrait la majorité des données. Nous tenons également à remercier nos collègues de la Business School de l’université de Nottingham, Alphametrics Ltd. à Cambridge et Bruxelles, ainsi que l’Institut européen des syndicats (ETUI) à Bruxelles. Leur aide et leur compréhension ont été très précieuses, tout comme le soutien financier de la Fondation Hans-Böckler et de Saltsa. Comme il est d’usage dans de telles publications, nous assumons entièrement la responsabilité des conclusions et des interprétations de ce rapport. John Morley, Terry Ward et Andrew Watt
Avant-propos
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n tant que secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats, mon travail consiste principalement à promouvoir et à protéger les intérêts des travailleurs, et ce tout au long de leur vie. Le présent rapport, que l’on souhaite être la première édition d’une série sur le travail et l’emploi en Europe, rejoint ces préoccupations. Grâce à l’attention portée aux faits et à une analyse rigoureuse et indépendante, ce rapport constituera sans nul doute un ouvrage de référence dans les années à venir. Certains messages véhiculés par ce rapport sont encourageants, tels que les progrès à long terme réalisés par l’Union européenne pour élever le niveau de vie, la vitesse de convergence des nouveaux États membres (alors même que leurs revenus sont plus faibles que la moyenne) ou encore la manière dont le modèle socio-économique européen est apprécié dans le monde, contrastant avec les modèles libéraux apparemment plus compétitifs, mais qui, en pratique, n’ont pas amélioré la vie des travailleurs ordinaires. D’autres sont plus inquiétants comme le fait que la politique économique européenne n’a toujours pas atteint sa vitesse de croisière. Sa réaction face aux défis économiques reste trop lente et elle se révèle trop prudente par rapport à la capacité de l’Europe à agir en tant qu’entité économique la plus importante au monde pour déterminer sa propre destinée. En conséquence, la politique économique européenne ne parvient pas à engendrer des taux suffisants de croissance économique et de création d’emplois. Et cela menace les politiques sociales, les bénéfices à long terme du modèle social européen étant systématiquement sapés par une certaine crainte quant à notre capacité à les soutenir dans une économie plus globalisée.
AVANT-PROPOS
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Ce premier rapport est loin de couvrir toutes les problématiques économiques et sociales ou celles liées à l’emploi. Mais il offre cependant une large vue d’ensemble sur certains des plus importants développements, ainsi qu’un nouvel aperçu sur la façon dont nos systèmes fonctionnent. J’encourage d’ailleurs les auteurs à approfondir cette approche dans les prochaines éditions. Cet ouvrage servira à renforcer notre détermination à améliorer la vie des travailleurs, tout en nous proposant les preuves et arguments nécessaires pour y parvenir. John Monks
Introduction
C
e premier rapport sur le travail et l’emploi en Europe se focalise sur les progrès de l’Europe concernant la réalisation des objectifs de base définis dans le traité européen — à savoir relever le niveau de vie de tous ses citoyens. C’est l’histoire d’un succès, qui va probablement se poursuivre après l’élargissement de l’Union européenne (UE). Mais cela aurait pu être encore mieux. Tandis que l’élargissement représente une nouvelle source de croissance importante, la mesure dans laquelle ce potentiel se réalisera dépendra des politiques suivies non seulement dans les nouveaux États membres, mais aussi dans les anciens. Les pays d’Europe centrale et orientale ont énormément de possibilités de croissance, mais également des problèmes substantiels à résoudre. Leur entrée dans l’UE offre une occasion en or pour repenser les politiques économiques européennes actuelles de façon à ce qu’elles soient mieux adaptées au potentiel européen. L’Europe a une force économique et sociale colossale et son modèle de société est largement admiré dans le monde entier. Et pourtant, elle semble bloquée dans un schéma de sous-performance et de sous-réalisation de son potentiel économique. Les aspirations économiques se sont évanouies lors des récessions des années 1970 et 1980, et sont restées souvent pathétiquement faibles depuis. Les ministres des Finances et les banquiers de la BCE en particulier semblent se contenter de peu. Ils se disent systématiquement satisfaits lorsque la croissance économique approche les 2 %, même si, dans l’économie européenne, le niveau d’emploi reste constant et que le chômage se stabilise à un niveau proche
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des 10 %, qui équivaut en fait à un sous-emploi de la force potentielle de travail plus proche des 20 %. Leur réponse standard — selon laquelle la médiocre performance de l’UE est due à l’inflexibilité du marché du travail, aux États-providence sans limites et à un manque général de compétitivité — peut être une manière adéquate pour eux de se tirer d’affaire, puisqu’elle rend responsable les demandes, les comportements et attentes irraisonnés du reste de la population. Toutefois, ces explications ne tiennent pas la route si l’on y regarde de plus près. Il n’existe aucune preuve tangible que ces faiblesses réelles ou factices aient contraint la croissance pendant ces vingt dernières années — toute faiblesse structurelle existante pouvant en effet tout aussi bien être la conséquence d’une croissance ralentie. Les comparaisons négatives faites par rapport à la croissance et la création d’emplois aux États-Unis soulignent généralement et de manière exclusive de présumées « faiblesses structurelles » et négligent une raison plus évidente du succès américain : la façon dont sa politique économique est gérée. Contrairement au dynamisme économique américain et à un véritable souci de maintenir la croissance, les institutions politiques et administratives européennes n’ont pas été en mesure de reconnaître, sans parler d’exploiter, le potentiel de l’élargissement et de l’intégration croissante de l’économie européenne. Alors que les niveaux d’éducation et d’instruction sont plus élevés dans la plupart des pays de l’UE qu’aux États-Unis, le potentiel économique que cela implique n’est de toute évidence pas entièrement exploité. Trop de personnes n’ont pas la chance de pouvoir développer leurs qualifications ou tout simplement d’avoir une carrière satisfaisante. Les autorités gouvernementales, que ce soit au niveau européen ou national, semblent s’être habituées à définir des objectifs de faible performance. Non seulement celles-ci ne s’attendent pas à atteindre de meilleures performances, mais elles n’en voient pas l’utilité. Il est plus facile et plus confortable pour les personnes qui se sont hissées au sommet de la pyramide politique et sociale de jouer la carte de la sécurité une fois en place, plutôt que d’essayer de faire mieux. Cela est d’autant plus vrai que ce ne sont pas ces personnes qui souffrent à cause d’une performance économique médiocre, mais bien celles qui se trouvent au bas de l’échelle, et dont la voix n’est pas assez forte en terme politique pour compter. Le
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résultat est un cercle vicieux d’attentes peu élevées, d’investissements déprimés et de faible performance. C’est ici que le modèle politique des États-Unis — avec sa base populaire démocratique beaucoup plus flagrante — s’est révélé plus abouti en termes de résultats. Si l’administration américaine est peut-être très égocentrique et généralement insensible à l’impact de ses décisions politiques sur le reste du monde — comme l’atteste le non-respect systématique des accords commerciaux internationaux —, elle ne peut ignorer les intérêts populaires au sein même des États-Unis. Si les politiciens américains désirent rester à leur poste ou avoir plus de pouvoir, ils doivent donner la priorité à la performance économique — comme l’atteste le slogan railleur de Clinton lors de la campagne électorale de 1992 : « C’est l’économie, abruti ! » L’appareil d’État américain complexe et hautement interdépendant — y compris sa banque centrale — est ainsi mobilisé afin de réaliser de hauts niveaux de production, de bas niveaux de chômage, mais aussi de répondre aux attentes de la majorité par rapport à un niveau de vie plus élevé. Il ne pourrait y avoir contraste plus frappant avec l’Europe. Son système de sécurité sociale protège ceux qui sont le plus affectés par la récession économique beaucoup mieux qu’aux États-Unis. D’un autre côté, le fait que la politique économique dans l’UE n’ait pas été aussi activement focalisée sur la croissance et le maintien de hauts niveaux d’emploi exerce une pression financière et politique sur les États-providence nationaux — essentiels dans le modèle de société européen. Au lieu de considérer le maintien et le développement du modèle social comme un objectif clé de la politique économique et un moyen de perpétuer son succès, celui-ci est souvent perçu par les autorités économiques comme un obstacle pour la réalisation d’objectifs économiques (de plus en plus formulés en termes financiers) plutôt qu’en termes de véritables résultats économiques et sociaux. La stabilité financière et une économie sans inflation sont des objectifs politiques souhaitables. Elles constituent cependant tout au plus les moyens d’atteindre des objectifs réels — augmentation du niveau de vie et plein emploi. Ce ne sont pas des objectifs finaux en tant que tels. « Construire les fondements d’une croissance économique durable » est devenu une telle
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préoccupation qu’elle a détourné l’attention de l’objectif de croissance lui-même. On ne peut nier que les entreprises, et la façon dont elles se comportent, sont des facteurs clés pour déterminer une croissance durable. En revanche, il faut remettre en cause l’idée selon laquelle les actions visant à limiter l’inflation et l’endettement de l’État sont à elles seules suffisantes pour stimuler la croissance — en particulier si cela implique une restriction de la demande dans l’économie, diminuant ainsi la croissance des marchés dont les investissements et la performance des entreprises dépendent. Pire, trop de politiciens et de journalistes ont pris l’habitude d’accuser, que ce soit directement ou indirectement, les travailleurs et travailleuses des échecs économiques européens — notamment par leur refus de conditions de travail plus précaires et de conditions d’emploi censées augmenter la flexibilité du marché du travail, afin de mieux assurer les profits de l’entreprise lorsque les ventes commencent à piquer du nez. Cela peut aider à apaiser les marchés financiers, mais ce n’est certainement pas le moyen de construire une économie plus forte et plus dynamique ou de sécuriser et développer la société européenne. L’Europe ne doit certainement pas adopter tous les aspects d’élaboration et de gestion des politiques économiques de l’actuelle administration américaine, qui met de côté toute considération portant sur les conséquences externes et sur les risques à long terme de déficits croissants, à la fois internes et externes. Mais les décideurs politiques européens devraient reconnaître les effets expansionnistes indéniables des incitations budgétaires en période de croissance ralentie, et les bénéfices à plus long terme d’une politique monétaire non uniquement centrée sur le maintien de l’inflation à un faible niveau. À cet égard, prendre plus en considération la position de l’Europe dans l’économie mondiale et sa responsabilité partagée est primordial. De plus, il serait certainement plus facile pour l’économie européenne de réaliser de meilleures performances si les « actionnaires » étaient mieux informés sur les faits réels de la vie économique et s’ils se faisaient plus entendre sur la scène politique pour défendre leurs positions, mais aussi si les « membres des conseils d’administration » étaient moins éloignés des problèmes de la vie quotidienne.
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Ce rapport se divise en plusieurs parties pour présenter faits et arguments : — il examine tout d’abord les tendances des revenus ; les réalisations de l’UE — la croissance à long terme des niveaux de vie dans l’UE et les progrès des États membres et des régions les plus faibles pour rattraper leur retard en termes de revenu et de productivité ; mais il analyse également les faiblesses de l’Europe — l’ampleur des inégalités de revenu dans l’Union, y compris la question de la pauvreté des ménages dans différentes parties de l’Europe ; — en deuxième lieu, il analyse la compétitivité de l’Europe et sa place dans l’économie mondiale — et affirme que la force et l’importance de l’Europe par rapport aux États-Unis et aux autres pays développés ont réellement été sous-estimées et présentées dans une large mesure sous un faux jour. Il y a un besoin urgent d’avoir une politique plus tournée vers l’extérieur, édifiée sur la base de l’euro, et qui développe de manière consciencieuse son rôle en tant que monnaie internationale soutenant la croissance de l’Europe et du reste du monde ; — en troisième lieu, il se penche sur la réussite de l’Europe dans l’amélioration de sa faible performance à créer des emplois, mais également sur l’impact potentiel de l’élargissement européen sur les progrès globaux. Il porte également l’attention sur la nécessité d’adopter une perspective financière à long terme, et de développer des politiques européennes éclairées pour aider les nouveaux États membres à gérer les problèmes causés par des décennies de négligence des infrastructures de base et de l’environnement. Selon les circonstances, le rapport porte sur l’ensemble de l’UE, sur des États membres individuels ou sur des groupes de pays, et des données sur les nouveaux États membres sont, autant que possible, incluses dans l’analyse. Offrir une meilleure couverture de ces pays constituera un défi pour le prochain rapport.
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La qualité des sources statistiques Ce rapport tient à respecter les principes de base de l’analyse quantitative et des méthodes scientifiques. Malheureusement, cela n’est pas toujours le cas des travaux publiés. Même les journaux et magazines les plus « sérieux » publient fréquemment des articles et des éditoriaux sur des sujets de politique économique et sociale riches en termes de conviction politique, mais statistiquement pauvres. La « communauté scientifique » devrait jouer le rôle de contrepoids, mais sa contribution fait défaut pour d’autres raisons. En pratique, la pression exercée sur le milieu académique en termes de publication est telle que celui-ci est facilement tenté de travailler avec n’importe quelles données à sa portée, en dépit de leur fragilité ou de leur caractère inapproprié. Dans de nombreux cas, la plupart des efforts consentis à une analyse économétrique soi-disant « sophistiquée » auraient pu, en fait, se révéler plus fructueux s’ils avaient été consacrés à assurer le bien-fondé et la fiabilité des données auxquelles s’appliquent les techniques, y compris la vérification de la cohérence temporelle et la comparabilité entre les pays. Tout cela n’aurait pas une telle importance si ce genre d’exercices passait inaperçu et restait limité au monde académique. Cependant, en pratique, des données inappropriées sont trop fréquemment utilisées par des analystes ou des commentateurs afin de procurer une fausse légitimité à certaines politiques soutenues ou préconisées pour d’autres raisons. Ce rapport essaie de traiter les données de manière plus sérieuse, un effort particulier étant consacré à l’identification de la source statistique
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disponible la plus appropriée pour un thème bien défini. Lorsque cela s’est avéré nécessaire, les statistiques publiées ont été ajustées afin de les rendre plus comparables et plus cohérentes. La plupart des données utilisées dans ce rapport proviennent d’Eurostat, l’office statistique de l’Union européenne. D’autres sources ont également servi comme celles des Nations unies, de l’OCDE ainsi que des sources américaines, notamment le Bureau des statistiques sur l’emploi dans le dernier cas. Les données utilisées pour l’analyse des prélèvements obligatoires et des transferts dans le chapitre I sont issues du modèle de revenu des ménages EUROMOD, développé et mis à jour par Holly Sutherland et ses collègues de l’Unité de microsimulation à l’université de Cambridge. Ces données sont dérivées des enquêtes sur les ménages menées dans les États membres de l’UE. Étant donné que différents lots de données sont souvent disponibles pour mesurer le même phénomène de base — que ce soit l’emploi, le niveau de vie ou le niveau de performance économique —, des efforts considérables ont été consentis afin de s’assurer que les données sélectionnées sont appropriées pour l’usage qui en est fait, cohérentes à travers le temps, et aussi comparables que possible entre les pays. À cet égard, les données d’Eurostat — ainsi que celles d’EUROMOD — sont fondées sur un système commun de classification et sont collectées et construites selon des méthodes similaires. Les données américaines utilisées sont également largement comparables à celles d’Eurostat, parce qu’elles sont dérivées d’une source similaire. Rendre les données cohérentes à travers le temps — ou aussi cohérentes que possible — implique, dans certains cas, une manipulation et un ajustement
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des chiffres publiés. Dans la majorité des cas, cela est assez simple — tel que le fait de lier des séries temporelles qui ont été construites sur des bases légèrement différentes (par exemple, les données sur les comptes nationaux obtenues à partir de la classification ESA95 et celles à partir d’ESA79). Parfois, les ajustements sont plus grossiers. On s’en sert néanmoins car ils sont considérés comme une meilleure approximation de la réalité que les données publiées. La plupart des données provenant d’enquêtes sur échantillons, il existe de toute façon une marge d’erreur inévitable. Cependant, comme dans tous les cas d’ajustements que nous avons effectués, les distorsions sont probablement dérisoires pour avoir un impact significatif sur les conclusions tirées. Les sections suivantes décrivent de manière plus détaillée les données utilisées dans notre analyse, thème par thème, en suivant plus ou moins l’ordre dans lequel elles apparaissent dans le texte.
Le PIB en termes de standards de pouvoir d’achat (SPA) Lorsqu’on estime le niveau réel de PIB ou le revenu entre pays, il apparaît nécessaire de prendre en compte toute différence dans le niveau des prix entre ces pays, c’est-à-dire les différences de coût d’un « panier » commun de biens et de services. Les taux de change devraient, en principe, refléter ces différences. En pratique, ce n’est pas le cas car, en plus des prix relatifs, ils sont influencés par une foule d’autres facteurs. Et, de toute façon, les taux de change n’existent plus au sein d’unions monétaires comme celles de l’euro ou du dollar. C’est pourquoi il est plus approprié de mesurer le PIB en termes (ou standards) de pouvoir d’achat (SPA), ce qui
revient en fait à essayer de mesurer le contenu du panier de biens et services équivalent que le PIB en question peut acheter dans les États membres respectifs. Il peut se révéler particulièrement difficile de comparer les changements du PIB dans le temps dans un pays par rapport à un autre — y compris entre l’UE et les États-Unis. Un certain nombre de raisons l’expliquent : les méthodes utilisées pour ajuster les différences dans les niveaux de prix tendent à changer entre les années ; il peut y avoir des modifications dans la composition des biens et services pour lesquels les prix sont mesurés ; il peut également y avoir des changements dans la méthode d’estimation de ce panier et des prix. Tout cela signifie qu’on ne peut comparer les changements de niveau de vie dans le temps simplement en étudiant l’évolution des estimations annuelles du PIB, même lorsque ce dernier est exprimé en termes de SPA. Cela est d’autant plus vrai pour les comparaisons entre l’UE et les États-Unis. C’est la raison pour laquelle l’analyse de ce sujet dans notre rapport est fondée sur une série de données spécialement compilées sur la base des changements du PIB par tête, à prix constants, dans chacune des économies comparées. Cela a été appliqué aux chiffres du PIB par tête en SPA en 2002, derniers chiffres disponibles et parmi les plus fiables. La série qui en résulte est cohérente dans le temps et, puisque qu’elle est mesurée en prix constants, devrait prendre en compte tout changement dans le niveau des prix relatifs entre les différentes économies.
Revenus et pauvreté Les estimations de pauvreté relative dans l’UE sont issues des données sur le revenu des ménages, compilées par le
INTRODUCTION
Panel européen communautaire des ménages (PCM). Le concept de bas revenu ou de pauvreté relative est défini par convention comme la proportion de personnes vivant dans un ménage dont le revenu disponible est inférieur à 60 % de la moyenne nationale, généralement mesurée par le revenu médian (c’est-à-dire le niveau de revenu pour lequel la moitié des ménages reçoit plus et l’autre moitié reçoit moins). Une telle mesure ne donne cependant pas d’indication sur le nombre de personnes vivant dans une pauvreté absolue, c’est-à-dire celles dont le revenu est insuffisant pour boucler leur fin de mois. Mais elle renseigne toutefois sur le nombre de personnes qui pourraient ne pas être en mesure de vivre d’une manière généralement considérée comme décente ou acceptable dans cette économie. Comme pour les estimations du PIB, les revenus dans les différents États membres sont également mesurés en termes de SPA afin de fournir des chiffres comparables pour l’UE. Ainsi, alors qu’il est d’usage de mesurer la pauvreté relative dans chaque État membre, il est tout aussi légitime de comparer les revenus et les niveaux de pauvreté relative entre tous les pays membres de l’UE — comme il est fait dans ce rapport — pourvu, bien entendu, que les ajustements SPA reflètent les différences dans le niveau de prix de manière raisonnablement précise. Il reste cependant plus difficile d’estimer les revenus relatifs et les niveaux de pauvreté dans les différentes régions de l’Union par rapport à la moyenne européenne. Cela est en partie dû au fait que les données PCM proviennent d’un échantillon de population relativement petit, échantillon qui, au niveau d’une région particulière, peut ne pas être exactement représentatif de sa population dans son
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ensemble. En second lieu, il n’est pas possible d’ajuster les différences dans les niveaux de prix entre les régions par manque de données comparables, bien que ces différences puissent se révéler significatives, en particulier en ce qui concerne le coût du logement, du transport ou encore d’autres frais. Il convient de noter que ces mises en garde sur les niveaux de prix affectent également les comparaisons du PIB par tête entre régions. Celles-ci ne tiennent pas non plus compte des différences de coût de la vie entre les régions. Malgré cette faiblesse, les chiffres sur le PIB par tête continuent à être utilisés pour déterminer les régions éligibles à l’aide financière des fonds structurels de l’UE.
Inégalités de revenu et effet des systèmes redistributifs Les chiffres présentés dans ce rapport sur la proportion de revenu perçu par les 10 % de la population en haut et en bas de l’échelle dans les différents États membres, ainsi que les estimations sur les impôts payés et les transferts reçus, sont dérivés du modèle des ménages EUROMOD. Les faits montrent clairement que, afin d’évaluer les effets globaux redistributifs des politiques gouvernementales, il est important de s’assurer que les impôts et les transferts sont considérés conjointement, et non de manière séparée. Une des raisons est que les systèmes varient selon les pays. Dans un certain nombre d’entre eux, tout le monde peut bénéficier d’avantages sociaux et d’autres prestations mais ceux-ci sont soumis à la taxation. En pratique, cela a pour effet de concentrer l’aide au revenu sur les plus démunis, puisque ceux qui touchent un bas revenu ne paient normalement pas d’impôts sur ces transferts. Dans d’autres pays, on recherche le même but en jouant sur le
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montant de l’allocation versée, qui dépend en grande partie du revenu ; ceci implique que les personnes qui ont droit à cette aide soient bien informées, mais aussi désireuses et capables de suivre les procédures administratives nécessaires pour jouir de leurs droits. Plus généralement, étant donné que les impôts sont en partie utilisés pour financer les transferts, cela n’a pas de sens de s’intéresser aux caractéristiques de l’un et pas à celles de l’autre. Malgré cela, la tendance à analyser ces deux volets séparément persiste. La Commission européenne encourage cela en publiant des données résumées sur la distribution des revenus des ménages après prélèvement fiscal mais avant paiement des transferts. Il est difficile d’interpréter ces données de manière raisonnable, et le danger est bien réel d’aboutir à des conclusions erronées, pour ceux qui désirent présenter une vision déformée des coûts et bénéfices des politiques sociales européennes.
L’emploi Il existe plusieurs sources de données relatives à l’emploi, et il est primordial d’utiliser la plus appropriée en fonction du thème abordé. Par exemple, les données venant des comptes nationaux sur le nombre d’emplois dans l’économie sont les plus appropriées pour analyser la productivité, dans la mesure où celle-ci est compilée sur une base similaire aux données sur le PIB. D’un autre côté, les données sur l’emploi dérivées de l’enquête sur les forces de travail (Labour Force Survey) sont les plus appropriées pour mesurer le taux d’emploi — c’est-à-dire la proportion de la population en âge de travailler qui est effectivement au travail. Ces données sont également celles qui conviennent le mieux pour analyser les caractéristiques des emplois
car elles sont dérivées d’une enquête sur les ménages établie de longue date, maintenant effectuée tous les trimestres dans chaque État membre, et qui se focalise sur les questions liées à l’emploi. Ces données constituent actuellement la source de base pour la majorité des comparaisons portant sur les performances en termes d’emploi dans l’UE. Cependant, une précaution particulière doit être prise quant à leur interprétation. Par exemple, toute personne qui travaille au moins une heure par semaine est enregistrée comme étant employée dans l’enquête sur les ménages — ce qui ne correspond normalement pas à une définition adéquate dans le cadre des objectifs de politique d’emploi. C’est la raison pour laquelle des ajustements peuvent se révéler nécessaires afin de prendre en considération les horaires de travail réduits. Aux Pays-Bas par exemple, le taux d’emploi dépasse largement la cible de 70 % établie à Lisbonne. Cependant, quasiment 15 % de l’ensemble des femmes recensées comme étant au travail effectuent moins de 10 heures par semaine, et plus de 20 % travaillent moins de 15 heures par semaine. Dans ce rapport, les comparaisons entre les taux d’emploi observés dans l’UE et aux États-Unis sont respectivement obtenues à partir des données de l’enquête EFT et de l’enquête sur la population actuelle (Current Population Survey, l’équivalent américain de EFT). Les deux taux sont calculés sur la base du statut de l’emploi de personnes appartenant à un échantillon de ménages et définissent l’emploi de la même manière. Toutefois, l’enquête CPS couvre les personnes âgées de 16 ans et plus, tandis que EFT porte sur celles de 15 ans et plus. Les deux enquêtes ventilent cependant ces données par
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groupes d’âge assez détaillés. Il est dès lors possible de comparer directement les nombres relatifs en emploi — ou dans la force de travail dans son ensemble — pour la plupart des groupes d’âge, bien que quelques ajustements soient à effectuer aux séries publiées afin de comparer les taux d’emploi des personnes de moins de 20 ans. Cela s’applique également lorsqu’on compare le taux d’emploi de la population en âge de travailler, généralement entre 15 ans et 64 ans dans l’UE, mais entre 16 ans et 64 ans aux États-Unis — une différence qui tend à augmenter le taux américain par rapport au taux européen, étant donné que peu de jeunes de 15 ans sont au travail. La comparaison entre les taux d’emploi de l’UE et ceux des États-Unis faite dans ce rapport prend en considération un ajustement explicite de cette différence : le taux américain est notamment converti en posant comme hypothèse qu’aucune personne âgée de 15 ans aux États-Unis n’occupe un emploi.
Les heures ouvrées Les données sur les heures ouvrées sont utilisées afin d’évaluer les différences de temps de travail entre pays, mais aussi pour mesurer la productivité. Ces calculs posent quelques problèmes particuliers, notamment au niveau des comparaisons entre la situation dans l’UE et aux États-Unis. La première difficulté réside dans le fait qu’aux États-Unis, contrairement aux pays de l’UE, les données se rapportent généralement aux heures payées plutôt qu’aux heures travaillées, ce qui tend à accroître le résultat. La seconde difficulté est que les données sur l’UE concernent toujours le nombre d’heures effectuées par semaine plutôt que les heures faites sur une année, et
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peu de données sont disponibles pour faire une telle estimation. Les estimations utilisées dans notre analyse sur le nombre d’heures annuelles travaillées sont dérivées, pour l’UE, des données de l’enquête réalisée en 2000 sur les coûts du travail (Labour Cost Survey, enquête réalisée tous les quatre ans), et mises à jour pour 2003 grâce aux données EFT sur les heures effectuées par semaine. Quant aux États-Unis, les données proviennent de l’enquête sur la population actuelle (CPS) qui, comme EFT, collecte des données sur les heures ouvrées par semaine. Celles-ci sont ensuite converties en données annuelles, en utilisant des estimations sur le nombre de semaines travaillées par an — généralement, près de deux semaines de plus que dans l’UE. Les données EFT utilisées dans ce rapport font référence aux « heures habituellement effectuées » par semaine (les données sur les heures réelles pouvant être biaisées par l’effet vacances) et comprennent également les heures faites dans le cadre d’un second emploi, en plus de celles effectuées dans l’emploi principal. Selon cette étude, environ 3 % des personnes en emploi dans l’UE15 ont plus d’un travail, bien que le pourcentage soit aux alentours de 10 % au Danemark et en Suède. Les chiffres présentés sur les variations des heures ouvrées sont uniquement obtenus à partir de données hebdomadaires et ne prennent pas en compte les variations du nombre de semaines travaillées par an, étant donné qu’il n’existe pas de données fiables à ce sujet. De même, les comparaisons sur les heures faites entre les États membres de l’UE concernent uniquement les heures hebdomadaires travaillées.
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Estimations sur l’emploi équivalent plein temps Les données sur l’emploi équivalent plein temps (EPT) présentées dans ce rapport prennent en considération le temps de travail partiel en attribuant des poids plus faibles aux personnes concernées par rapport à celles qui travaillent plus. Le résultat obtenu est une estimation de ce que serait le niveau ou le taux d’emploi si tout le monde travaillait à plein temps (on attribue à chaque personne employée un poids correspondant aux heures effectivement effectuées divisées par les heures à plein temps). En calculant le nombre d’heures moyen, les heures faites dans des emplois secondaires ont été prises en compte, bien que celles-ci ne soient pas reprises dans le calcul des heures à plein temps, essentiellement définies comme les heures effectuées en moyenne dans un emploi à plein temps. Aucune distinction n’est faite entre les hommes et les femmes pour le calcul de cette moyenne à plein temps. Les chiffres sur l’emploi équivalent plein temps publiés par la Commission européenne peuvent être légèrement différents de ceux présentés ici car il existe de petites différences au niveau de la définition de l’équivalent plein temps et de son calcul. Il est à noter que les heures effectuées dans des emplois secondaires ne sont pas prises en considération avant 1992, car les données requises afin d’effectuer cet ajustement n’étaient pas encore collectées par l’enquête EFT à cette époque. Les taux d’emploi équivalent plein temps calculés de cette manière donnent une indication satisfaisante du volume global d’emploi — dans le sens où les taux d’emploi « bruts » sont réduits ou augmentés selon la proportion de personnes travaillant à temps partiel ou à plein temps. Ils peuvent être comparés entre pays ou à travers le
temps afin de nous informer sur les changements du volume d’emploi. Il est cependant à noter que le nombre d’heures moyen à plein temps, utilisé comme base de l’ajustement, varie entre pays et peut changer dans le temps, et par conséquent, même ces chiffres EPT ne permettent pas encore de mesurer de façon entièrement comparable le volume d’emploi entre différents pays.
L’avenir Notre intention est de continuer à exploiter et développer l’usage de séries de données quantitatives comparables, comme dans ce rapport. Cependant, il est également prévu d’utiliser à l’avenir davantage d’informations qualitatives, telles que les informations compilées par la Fondation européenne pour les conditions de vie et de travail (European Foundation for Living and Working Conditions) ou d’autres centres de recherche. Ces analyses couvriront des domaines où la recherche sur la base d’indicateurs qualitatifs tels que la qualité de l’emploi est déjà bien avancée, mais il est également prévu d’explorer certains sujets qui n’ont fait l’objet que de peu d’analyse en Europe. Ceux-ci portent notamment sur les questions relatives à la qualité de vie — l’environnement, le phénomène de congestion, les biens et services sociaux ou collectifs — qui n’apparaissent habituellement pas dans les évaluations plus traditionnelles des revenus ou de la richesse. Nous espérons ainsi proposer une « explication » de certaines divergences apparentes entre la manière dont les différences de niveaux de vie en Europe sont généralement perçues ou ressenties, et les résultats issus de données présumées objectives. Ce genre d’approche pourrait également
INTRODUCTION
faire la lumière sur des sujets tels que la mesure des niveaux de productivité ou des hausses de productivité, et leur contribution au bien-être social — domaines nécessitant peut-être une
interprétation plus prudente des données
que
celle
banalement
proposée de nos jours.
Abréviations utilisées dans les graphiques de cet ouvrage AUS BE CAN CH DE DK EL ES FIN FR
Autriche Belgique Canada Suisse Allemagne Danemark Grèce Espagne Finlande France
IRL IT LU NL NO PT SW UE15 UK USA
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Irlande Italie Luxembourg Pays-Bas Norvège Portugal Suède Union européenne des Quinze Royaume-Uni États-Unis
I / Revenus et niveaux de vie
Introduction Les Européens ont la chance de vivre dans une des régions les plus riches du monde. Avec seulement 6 % de la population mondiale, l’UE des Quinze (UE15) représente 20 % du revenu mondial total, mesuré en termes de pouvoir d’achat. Les citoyens américains sont cependant encore mieux lotis, avec 21 % du pouvoir d’achat mondial pour moins de 5 % de la population mondiale. Ainsi, à eux deux, l’UE et les États-Unis disposent de 40 % des revenus de l’économie mondiale, alors qu’ils ne représentent qu’un peu plus de 10 % de la population totale. À la suite de l’adhésion de dix nouveaux États membres à l’UE en mai 2004, la population européenne a augmenté de 75 millions d’individus, portant sa part dans la population mondiale à 7 %. Cependant, à cause de niveaux de vie inférieurs à la moyenne dans ces nouveaux États membres, le pouvoir d’achat total a augmenté moins que proportionnellement, bien qu’il ait porté la part de l’UE des Vingt-cinq (UE25) dans le revenu mondial à un niveau légèrement supérieur à celle des États-Unis. Les niveaux de vie actuels sont le résultat de progrès continus au cours du temps. Durant les quinze à vingt dernières années, la moyenne du PIB par tête dans l’UE15 a augmenté d’environ 2 % par an, et s’élève aujourd’hui à un peu moins de 25 000 euros par an. Cela représente environ trois fois plus que lors des balbutiements de l’Union européenne, il y a quarante ans (graphique 1). Cette amélioration a été relativement stable à travers le temps, bien que les augmentations annuelles soient moins importantes depuis le milieu des années 1970 et la crise mondiale liée
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Graphique 1. Hausse des niveaux de vie réels
La croissance du PIB par tête en termes réels entre 1960 et 2003 a été alignée avec le PIB par tête en SPA de 2002.
au premier choc pétrolier. La conséquence générale est que l’écart dans les niveaux de PIB par tête entre l’UE15 et les États-Unis s’est réduit en termes relatifs pendant cette période, mais a quelque peu augmenté en termes absolus. Les explications sur ces évolutions sont analysées dans l’annexe de ce chapitre, ainsi que dans le chapitre II. Au sein de l’UE, il y a pourtant eu une forte convergence vers une moyenne européenne à la hausse de la part des pays plus pauvres qui ont rejoint l’Union durant ces deux dernières décennies. C’est notamment le cas du Portugal — au milieu des années 1980 avec un PIB par habitant représentant environ 60 % de la moyenne de l’UE, et qui a connu depuis une amélioration atteignant environ 70 % —, mais aussi de l’Espagne, qui a rejoint l’Union avec un PIB par tête représentant 75 % de la moyenne de l’UE et a depuis dépassé la barre des 85 %. L’Irlande — le cas le plus impressionnant — avait en 1973 un PIB par tête équivalent à celui du Portugal (60 % de la moyenne de l’UE) et a vu cette proportion atteindre les 70 % à la fin des
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années 1980, puis bondir de manière spectaculaire à un niveau bien au-dessus de la moyenne de l’UE aujourd’hui. La Grèce reste l’exception, avec un PIB par tête légèrement supérieur à 70 % de la moyenne de l’UE lors de son adhésion en 1981, mais elle a ensuite connu un déclin relatif jusqu’au milieu des années 1990 avant de commencer à se redresser plus récemment. Cette convergence fut un important succès politique mais aussi économique et social pour l’Union, étant donné le passé difficile de ces pays avant leur adhésion. Cela suggère également que l’élargissement de l’Union — pour inclure dix pays de plus avec des revenus équivalant en moyenne à la moitié du niveau de l’UE15 en termes réels — peut être considéré avec confiance. Les précédents historiques montrent que les nouveaux membres peuvent s’attendre à une hausse des niveaux de vie en termes relatifs comme absolus, et que l’Europe dans son ensemble en retirera des avantages. Toutefois, les faits montrent que les niveaux de progrès ont été très différents entre les pays, et le démarrage économique rapide non garanti, ce qui indique que non seulement les gouvernements doivent assurer l’ouverture et l’efficacité opérationnelle des marchés, mais aussi qu’ils doivent travailler de concert avec leurs partenaires sociaux afin de promouvoir un développement significatif et donner la priorité à l’éducation et à l’acquisition de compétences, comme ce fut le cas notamment en Irlande.
Les niveaux de vie dans les États membres Pour évaluer les niveaux de vie réels, il est préférable de prendre en compte les revenus des ménages plutôt que le PIB par tête, étant donné que ce dernier comprend des revenus que les membres du ménage ne verront peut-être jamais — tels que les profits des entreprises, y compris ceux qui sont rapatriés à l’étranger. L’évaluation des revenus dans les différents pays nécessite également de considérer les différences en termes de coût de la vie ou de quantité équivalente de biens et services qu’un montant donné de PIB, exprimé dans une monnaie commune, permet d’acheter. Le classement des revenus par tête en euros place par exemple le Danemark et la Suède au sommet de l’échelle européenne,
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suivis par l’Allemagne et le Royaume-Uni. Au bas de l’échelle, on trouve sans surprise la Grèce et le Portugal. Toutefois, lorsque les différences par rapport au coût de la vie dans les différents pays sont prises en compte, ce classement est radicalement modifié (graphique 2). L’Allemagne, l’Autriche et la Belgique gardent leur position dominante (leur niveau de prix étant proche de la moyenne) et sont même en haut du classement. En Italie, le revenu augmente de 15 %, ce qui la classe à la cinquième place. Graphique 2. Revenu par tête dans les États membres de l’UE, 2000
Source : Eurostat, Régions : Annuaire statistique 2003. Les données se réfèrent au revenu primaire des ménages et pas au PIB.
En revanche, les pays nordiques ainsi que le Royaume-Uni voient leur place dégringoler dans le classement lorsque le coût de la vie est pris en considération. Cela implique que les chiffres non ajustés surestiment les niveaux de vie « réels » — d’environ 10 % pour le Royaume-Uni, et de 17 % à 20 % dans le cas du Danemark, de la Finlande et de la Suède. Par ailleurs, alors que les classements du Portugal, de la Grèce et de l’Espagne ne sont pas affectés par la prise en compte du
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coût de vie réel relatif — ils demeurent en bas de l’échelle —, l’écart apparent de niveau de vie entre ces pays et le reste de l’UE s’est considérablement rétréci. Une fois qu’est pris en considération le coût de la vie plus faible, le niveau de vie « réel » au Portugal s’accroît de quelque 20 % par rapport au niveau obtenu en comparant les revenus en euros, de même le niveau de vie « réel » a augmenté d’environ 27 % en Grèce. Pour éviter toute confusion, il convient de préciser que ces comparaisons n’impliquent pas nécessairement que certains pays ou régions sont les meilleurs ou les pires endroits de l’UE pour vivre. De tels jugements sont de loin plus subjectifs et prennent en compte une large variété de facteurs en plus du revenu monétaire, tels que la qualité de la vie sociale et culturelle, le degré de mécontentement ou d’insatisfaction au sein de la société ou encore l’état de l’environnement — qui peut dépendre dans une certaine mesure du revenu, de sa distribution entre les personnes et de la façon dont il est utilisé. Il peut cependant également dépendre de facteurs moins facilement maîtrisables, comme la quantité d’ensoleillement annuel ! Les calculs présentés ci-dessus nous donnent cependant une idée de la richesse moyenne des personnes en termes matériels, mesurée soit en euros soit, et cela a plus de sens, en termes de ce qu’elles peuvent acheter avec cet argent dans le pays où elles résident.
Classement régional La plupart des travailleurs dans presque toute l’Union européenne — y compris dans les régions les plus pauvres des pays les plus démunis — ont bénéficié des avantages financiers de la puissance économique croissante de l’UE. Toutefois, les progrès réalisés pour réduire les écarts souvent importants de revenus entre régions riches et régions pauvres au sein des États membres ont été moins performants. En général, les progrès dans les régions les plus pauvres semblent être dus plus à des améliorations globales dans leur économie nationale qu’à des progrès de leur position relative dans ces économies. Cela semble plus être dû aux politiques européennes, focalisées sur le développement d’opportunités de marché pour tous, qu’à celles des États membres dont la responsabilité principale est de gérer les disparités de revenu et les
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inégalités régionales au sein de leur pays, avec le soutien de l’UE par l’intermédiaire des fonds structurels. À vrai dire, on peut affirmer que les fonds de l’UE ont eu dans certains cas plus d’effets pour réduire les disparités régionales que les politiques nationales, en dépit de leur taille relativement petite (ils s’élèvent au total à environ seulement 0,4 % du PIB européen). Ces fonds ont en effet pour objectif spécifique de s’attaquer aux problèmes structurels engendrant des disparités de revenu, plutôt que d’alléger les symptômes de ces disparités. Les différences de niveau de vie entre les régions où les revenus sont parmi les 10 % les plus élevés et celles aux revenus parmi les 10 % les plus faibles sont relativement importantes en euros dans l’UE15, les 10 % les plus riches bénéficiant de près de trois fois plus de revenus que la moyenne des 10 % les plus pauvres. La prise en considération des différences dans le coût de la vie réduit l’écart, mais le décile le plus riche a encore un revenu moyen environ 2,5 fois plus élevé que le décile le plus pauvre. Cela est beaucoup plus significatif que les différences observées aux États-Unis. Si l’on compare les 51 États américains aux 71 régions de l’UE au niveau NUTS 1 par exemple — plus ou moins équivalents en termes de taille de la population (les régions européennes et les États américains ayant une population moyenne de 5 à 5,5 millions d’habitants), bien que les deux varient largement par rapport à la moyenne —, la dispersion des revenus dans l’UE est environ 60 % plus large. Au sein de l’UE, les différences dans le classement national des niveaux de vie ont dans une certaine mesure (mais pas entièrement) des répercussions sur le classement des régions. Si l’on considère les régions NUTS 2 au lieu de NUTS 1 (soit un peu plus de 200 régions, plus petites en taille, dans l’UE15), les zones avec les 10 % des revenus les plus élevés, mesurés en euros — c’està-dire sur une base non ajustée — comprennent cinq régions du Royaume-Uni (y compris Londres intra et extra muros, et les zones environnantes), trois régions allemandes, la Flandre en Belgique, la région de Paris en France, ainsi que Stockholm en Suède. Cependant, lorsque les revenus sont ajustés par rapport au coût de la vie, la situation est radicalement différente. Londres intra muros reste dans le décile supérieur — mais est reléguée à la troisième place au lieu de la première. De plus, c’est maintenant
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Les NUTS « NUTS » (de l’anglais Nomenclature of Territorial Units for Statistics) est le système utilisé par la Commission européenne pour décomposer l’Europe en régions. Dans certains pays, mais pas tous, une région correspond à une division administrative. Il existe trois niveaux de NUTS : — les NUTS 1 sont en général des unités territoriales de 3 à 7 millions d’habitants ; — les NUTS 2 sont typiquement des unités territoriales de 800 000 à 3 000 000 habitants (la France, par exemple, est composée de 22 régions sur le continent européen) ; — les NUTS 3 sont des unités territoriales de moindre population (en France, ce sont les départements).
la seule région du Royaume-Uni à figurer dans ce classement, accompagnée par quatre régions allemandes, deux régions belges (la Wallonie et la Flandre), deux régions italiennes et la région parisienne en France. Un résultat, peut-être surprenant, est que la région NUTS 2 avec le niveau de vie réel le plus élevé de l’UE est le Val d’Aoste, une région de seulement 120 000 personnes, située dans le Nord de l’Italie (qui, en dépit de sa prospérité apparente, bénéficie d’un statut privilégié en termes de transferts de la part du gouvernement central). Toutefois, les grandes régions les plus prospères de l’Union sont la Bavière dans le sud de l’Allemagne — avec une population de plus de 4 millions d’habitants — et Londres intra muros — avec une population avoisinant les 3 millions (il est intéressant de noter que le PIB par tête de Londres intra muros est encore plus élevé grâce à la contribution des banlieusards, mais que le revenu reste important après déduction du montant qui leur est imputé). Les régions formant la tranche suivante des 10 % des revenus moyens les plus élevés comprennent sept régions allemandes, trois régions du Royaume-Uni (toutes situées dans le Sud-Est, aux alentours de Londres), deux régions italiennes, une région autrichienne et une région néerlandaise. À l’autre extrémité de l’échelle, les régions où les revenus sont parmi les 10 % les plus bas sont toutes grecques, portugaises et espagnoles. Cependant, lorsque ces revenus sont ajustés par rapport au coût de la vie, une région irlandaise et une région finnoise perdent leur place dans le classement et viennent rejoindre ces dernières.
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Revenu par habitant versus PIB par tête L’analyse faite ci-dessus compare le revenu par habitant entre régions — en d’autres termes, les revenus reçus par les personnes vivant dans les zones concernées. Cela est une bonne indication de leur prospérité, mais peut aboutir à des résultats assez différents des calculs effectués sur base du PIB par tête — qui cherche à refléter les revenus et la production créés dans la région, et qui, par conséquent, devrait donner une meilleure indication de la puissance économique relative des différentes régions. Les revenus créés et reçus peuvent se révéler très similaires dans une grande région. Cependant, lorsqu’il y a des échanges importants vers et en dehors d’une région, les revenus peuvent avoir été créés dans une région, mais perçus par des personnes qui vivent dans une autre région. Ainsi, si on calcule le PIB par tête pour une de ces régions en divisant le PIB créé au sein de cette zone par le nombre de personnes qui y vivent (plutôt que celles qui y travaillent) — comme c’est souvent le cas —, le résultat peut être trompeur. Cela n’est pas seulement un point théorique. Par exemple, le PIB par tête dans la région de Bruxelles-Capitale est estimé au double de la moyenne nationale belge. Cependant, le revenu moyen par habitant dans cette région représente, en termes d’euros, seulement 80 % de celui des régions environnantes. Cela s’explique par le fait que beaucoup de personnes gagnant un revenu élevé dans la région de Bruxelles-Capitale résident en fait en dehors de la ville, et beaucoup de personnes vivant dans cette région ont de faibles revenus. Parallèlement, les régions de banlieue peuvent enregistrer des niveaux de PIB par tête relativement bas même si les revenus des personnes qui y vivent sont relativement élevés. Flevoland aux Pays-Bas constitue un exemple où, malgré la richesse relative de ses habitants, le PIB par tête était si faible que la région s’est qualifiée pour les aides d’objectif 1 des fonds structurels de l’UE pour la période 1994-1999 (accordées uniquement aux régions dont le PIB par tête est inférieur à 75 % de la moyenne européenne). Toutefois, de telles disparités entre PIB par tête et revenus moyens sont en général plus une caractéristique des régions NUTS 3 que NUTS 2 à cause de leur taille plus réduite. Il convient également de noter que les revenus mesurés peuvent aussi être affectés par le niveau des impôts et des
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transferts ainsi que par leur incidence régionale. Les revenus dans une région particulière peuvent par exemple être gonflés par des transferts versés aux habitants de cette région, comme les pensions pour ceux qui sont à la retraite ou les subventions du gouvernement versées aux producteurs. De la même façon, les revenus peuvent être réduits par des impôts prélevés sur le revenu ou par la non-taxation des profits des compagnies étrangères, transférés en dehors du pays ou de la région où ils ont été créés. De telles politiques par rapport aux firmes étrangères ou aux investissements étrangers en général peuvent ainsi avoir des implications importantes sur la manière d’interpréter les données. Si, par exemple, les investisseurs étrangers sont attirés par l’octroi de subventions généreuses ou par des exonérations fiscales, cela peut impliquer qu’une bonne partie des revenus induits par ces investissements ne bénéficie pas à la région hôte, alors qu’ils seront directement intégrés dans le calcul de son PIB. Ainsi, dans les économies où les flux d’investissements étrangers et les profits rapatriés sont importants, le PIB peut donner une indication surestimée du niveau de vie. L’Irlande connaît, dans une certaine mesure, cette situation avec un PIB par tête beaucoup plus élevé que la moyenne de l’UE, mais avec un niveau de revenu moyen inférieur à la moyenne européenne à cause de l’envoi à grande échelle des profits vers l’étranger. D’un autre côté, le PIB par tête peut être un meilleur indicateur global de la puissance économique d’une région, bien qu’il soit probablement difficile pour ses habitants d’en profiter pleinement.
Revenus relatifs et niveaux de pauvreté dans l’UE Les résultats précédents donnent une certaine indication sur les différences de revenus moyens entre les différentes régions des États membres de l’UE, mais ils ne renseignent pas nécessairement sur le nombre de personnes ayant un revenu relativement bas dans les différentes régions. La convention de l’UE établie pour mesurer le degré de pauvreté relative porte sur la distribution de revenu qui prévaut au sein de chaque État membre, plutôt que sur la position relative de tous ceux qui vivent dans l’Union.
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À cet égard, la convention définit la pauvreté relative, parfois appelée par euphémisme le « risque de pauvreté », comme la situation de personnes recevant 60 % ou moins du revenu moyen ou du PIB par tête du pays dans lequel elles vivent. Ces mesures nationales ont leur utilité, par exemple pour comparer le succès relatif des politiques nationales destinées à éviter, réduire ou contenir la pauvreté, et pour empêcher que la distribution de revenu devienne si inégale qu’un nombre significatif de personnes souffrent de privations par rapport à leurs compatriotes. Cependant, l’accent mis sur les revenus relatifs au sein des États membres tend à détourner l’attention de la distribution des revenus réels, y compris l’incidence de la pauvreté dans l’Union dans son ensemble. Cette dimension européenne devient de plus en plus pertinente à mesure que l’UE devient une entité plus intégrée. Cela a des implications sur les politiques publiques, étant donné que les questions de cohésion sociale et de performance économique sont considérées comme des questions d’intérêt commun dans le traité de l’UE. Et il est de plus en plus important pour les citoyens et travailleurs européens de pouvoir comparer leur niveau de vie avec celui d’autres citoyens européens, quel que soit le pays ou la région où ils vivent et travaillent. Afin d’aborder ces points, nous avons estimé des statistiques sur la pauvreté relative pour l’UE dans son ensemble, en utilisant les dernières données de l’enquête européenne sur le Panel des ménages (PCM) qui se rapportent à l’année 2000 et qui furent disponibles vers fin 2003 (graphique 3). Les résultats de l’enquête montrent que dans l’UE15 près de 18 % de la population — soit près d’une personne sur cinq — ont un revenu inférieur à 60 % de la moyenne européenne. Lorsqu’on examine le nombre de personnes vivant avec un revenu inférieur à ce niveau dans chaque État membre, on obtient les résultats suivants : — dans cinq pays — la Belgique, le Danemark, l’Allemagne, l’Autriche et le Luxembourg —, moins de 10 % de la population tombent sous le seuil européen moyen de pauvreté ; — dans cinq autres pays — la France, les Pays-Bas (de manière marginale), la Finlande, la Suède et le Royaume-Uni —, quelque 10 % à 15 % tombent sous ce seuil ; — dans deux pays — l’Irlande et l’Italie —, environ 20 % à 30 % tombent sous ce seuil ;
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Graphique 3. Bas revenus par rapport à la moyenne UE
Proportion de la population ayant un revenu inférieur à 60 % de la moyenne européenne dans chaque État membre.
— et en Espagne, en Grèce et au Portugal, entre 30 % et 50 % de la population sont concernés. Il n’est pas surprenant de constater que les trois pays avec les plus grandes proportions de personnes vivant dans une pauvreté relative sont ceux qui ont le revenu par tête le plus bas. Le lien entre les deux n’est cependant pas tout à fait systématique, et reflète les divers degrés de dispersion du revenu dans les différents États membres. L’Italie, par exemple, a un niveau de revenu moyen par tête relativement élevé mais enregistre également un nombre relativement élevé de personnes vivant avec des revenus inférieurs au seuil de pauvreté, tels que définis par la Convention européenne. De même, et peut-être de manière plus surprenante, dans des pays tels que la Suède ou la Finlande, où la dispersion des revenus est relativement étroite, la proportion de personnes vivant sous le seuil européen de pauvreté est en réalité proche de celle observée au Royaume-Uni, qui connaît une dispersion des revenus plus étendue, mais un niveau moyen plus élevé (tout étant mesuré en termes de SPA).
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Ces statistiques évaluent les performances des pays par rapport à un niveau commun absolu. Mais il convient également de noter que, à cause des différences de taille de population entre les pays de l’UE, près de 80 % des citoyens ayant des revenus inférieurs à 60 % de la moyenne européenne font partie des cinq grands États membres, à savoir l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne.
L’incidence régionale de la pauvreté Une seconde question, liée à la précédente, est celle du risque d’avoir un niveau de revenu en deçà du seuil de pauvreté selon la région où vivent les personnes. Des estimations ont été obtenues à partir de l’enquête PCM, mais, comme souligné ci-dessus, elles sont élaborées sur la base de données qui ne sont pas faites pour calculer des niveaux de revenu régional, dans le sens où l’échantillon de population utilisé n’est pas forcément représentatif des personnes habitant dans les différentes régions. Elles doivent par conséquent être considérées comme provisoires jusqu’à ce que des données plus satisfaisantes soient disponibles. Cela sera peut-être le cas avec l’introduction de la nouvelle enquête européenne sur les revenus et les conditions de vie (SILC) qui remplacera l’enquête PCM et couvrira un échantillon de ménages beaucoup plus grand. Cependant, les données pour l’ensemble de l’UE ne seront vraisemblablement pas disponibles avant deux ou trois ans. Les résultats soulignent les caractéristiques suivantes : — dans le cas de la Belgique, le risque d’avoir un revenu inférieur au seuil de pauvreté est 50 % plus élevé dans la région de Bruxelles-Capitale que dans le pays dans son ensemble ; — dans le cas de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal, au contraire, le risque de pauvreté est plus faible dans la région de la capitale que dans le pays dans son ensemble ; — dans le cas du Royaume-Uni, le risque de pauvreté le plus faible — moins de 10 % — est observé non seulement dans la riche région du Sud-Est entourant Londres, mais aussi au pays de Galles ; — en Italie, la séparation est nette entre le Nord et le Sud. Le risque de pauvreté est inférieur à 10 % dans la région d’ÉmilieRomagne, comparé à un risque moyen national de 27 %, et un risque de plus de 40 % en Campanie, en Sicile et en Sardaigne.
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Une comparaison intéressante peut être faite à cet égard entre la France et l’Allemagne, voisins géographiques. En Allemagne, où le risque moyen de pauvreté est légèrement supérieur à 7 %, seules trois régions affichent un pourcentage plus élevé — la Basse-Saxe, la Rhénanie du Nord-Westphalie et la Saxe-Anhalt —, mais inférieur à 10 % dans tous les cas. Il convient de noter que seule une de ces régions — en l’occurrence la dernière — fait partie de l’ancienne Allemagne de l’Est, malgré les niveaux de revenus moyens par tête plus faibles dans cette partie du pays. Cela s’explique par les mesures d’aide intensive mises en place en Allemagne pour éviter que le revenu des ménages ne tombe au-dessous d’un niveau minimum. En France, en revanche — où le risque moyen atteint presque 13 % —, les proportions vont de moins de 10 % dans la région parisienne de l’Île-de-France à plus de 21 % dans la région du Nord-Pas-de-Calais. Ainsi, le risque de pauvreté régionale semble globalement inférieur en Allemagne qu’en France, malgré les difficultés économiques et sociales qui ont suivi la réunification allemande. Il faut toutefois souligner le caractère provisoire de ces résultats. Il se peut par exemple que ceux-ci soient biaisés parce que trop peu de ménages à faible revenu sont inclus dans l’échantillon provenant de la partie orientale de l’Allemagne. Un travail plus poussé serait nécessaire afin de vérifier ces sources potentielles d’erreur. De plus, dans les prochaines éditions de ce rapport, notre intention est d’élargir cette analyse aux nouveaux États membres, où des faits suggèrent que le problème de pauvreté régionalement concentrée est particulièrement grave.
L’impact des impôts et des transferts sur les riches et les pauvres Au fur et à mesure que de meilleures données sont devenues disponibles ces dernières années, l’efficacité des systèmes de protection sociale en Europe pour réduire les niveaux de pauvreté a été de plus en plus prise en compte dans des publications telles que les rapports d’analyse comparative de l’Institut syndical européen (ISE) ou encore ceux de la Commission européenne sur la situation sociale. Ces rapports comparent cependant les revenus des ménages avant et après transferts, et ne tiennent pas compte
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de l’effet parallèle de la taxation sur les ménages. Ils adoptent cette approche à cause du manque de données sur les revenus avant et après impôts (l’enquête PCM ne permettant pas de faire la distinction) mais, comme il est expliqué plus haut (voir encadré « La qualité des sources statistiques »), les résultats obtenus sont susceptibles d’être très trompeurs. Grâce au développement d’EUROMOD et au calcul d’une série de données pour tous les pays de l’UE15 incorporant de manière explicite les effets de la taxation sur le revenu des ménages, il est maintenant possible de rectifier cette faiblesse. EUROMOD permet d’examiner l’impact des impôts et des cotisations sociales en même temps que celui des prestations sociales. Cela permet d’analyser l’effet combiné des impôts et des cotisations d’une part, et les prestations sociales d’autre part, en redistribuant les revenus entre les ménages et les individus. La première remarque porte sur les écarts entre les revenus qui appartiennent aux 10 % les plus élevés et ceux des 10 % les plus bas. Même après avoir pris en considération tous les impôts et transferts, les 10 % les plus riches dans l’UE15 dans son ensemble reçoivent près du quart du revenu total — soit dix fois plus que le montant reçu par les 10 % les plus pauvres (graphiques 4 et 5). La situation s’améliore légèrement au fur et à mesure que l’on élargit les classes de revenus comparées, mais les 20 % les plus pauvres reçoivent encore moins de 7 % des revenus totaux, comparés à plus de 40 % pour les 20 % les plus riches — soit un rapport de un à six. Cela varie cependant énormément selon les États membres. Les « meilleurs » pays pour les plus pauvres, en termes relatifs, sont la Finlande et le Danemark, où les 10 % les plus pauvres peuvent espérer recevoir 5 % à 6 % du revenu total — soit le double de la moyenne de l’UE —, tandis qu’en Autriche, aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg et en France ils reçoivent près de 4 % du revenu total. Les États membres diffèrent également quant à la mesure dans laquelle les revenus finaux des personnes pauvres dérivent des revenus du « marché » — c’est-à-dire principalement de la rémunération du travail et non des revenus provenant de prestations ou de transferts. En moyenne, le revenu primaire représente un peu moins de la moitié du revenu total disponible pour les 10 % les plus pauvres. Au Royaume-Uni et en Irlande, cependant, seule une
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Graphique 4. Part du revenu des ménages : décile des plus pauvres
Note : pas de données disponibles pour la Suède. Source : EUROMOD.
infime partie des revenus des personnes à très faible revenu — appartenant au décile inférieur — provient du revenu primaire. La majorité — pratiquement la totalité du revenu dans le cas de l’Irlande — provient des transferts. Et cette caractéristique reste valable pour ceux qui se retrouvent avec un revenu parmi les 20 % les plus bas. Au Royaume-Uni, seul un quart du revenu disponible des personnes de cette catégorie provient du revenu primaire et, en Irlande, seulement un peu plus de 10 %. Pour ce qui est des personnes dont les revenus sont parmi les 10 % ou 20 % les plus élevés, leur revenu disponible représente encore 80 % de leur revenu primaire, bien que cela varie également selon les États membres. En général, plus la part des revenus primaires est importante, plus la part des revenus disponibles sera élevée, l’Italie et le Portugal affichant les taux les plus hauts, aux alentours de 28 % de revenu disponible pour ceux appartenant au décile de revenu supérieur. Un autre aspect que l’on peut étudier grâce à EUROMOD concerne l’effet des impôts et des prestations sur les ménages
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Graphique 5. Part du revenu des ménages : décile des plus riches
Note : pas de données disponibles pour la Suède. Source : EUROMOD.
avec différents niveaux de revenus dans différents États membres. Il est également intéressant d’apprécier la façon dont ceux-ci contribuent au revenu net que les ménages, situés à divers endroits de la courbe de distribution des revenus, ont à leur disposition. Les données montrent tout d’abord, et c’est peut-être surprenant, que les personnes avec un revenu parmi les 20 % les plus faibles consacrent en moyenne 10 % de leur revenu brut à payer des impôts et des cotisations. Elles reçoivent cependant aussi des transferts substantiels représentant près de 50 % de leur revenu brut au sein de l’Union — respectivement 90 % et 75 % dans le cas de l’Irlande et du Royaume-Uni (graphique 6). Dans le cas des 20 % les plus pauvres, environ 44 % du revenu brut provient des transferts nets, c’est-à-dire des transferts moins les prélèvements. La situation est bien évidemment différente pour les personnes à haut revenu. Les 20 % les plus riches paient des impôts et des cotisations qui représentent près de 30 % de leur
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Graphique 6. Impôts et transferts : ménages à bas revenus
Note : pas de données disponibles pour la Suède. Source : EUROMOD. Effet des impôts et transferts sur le revenu brut des ménages dont le revenu est parmi les 20 % les plus bas.
revenu brut. Toutefois, ce groupe de personnes reçoit également des transferts s’élevant en moyenne à 11 % du revenu brut (graphique 7). Aussi bien les impôts prélevés sur les hauts revenus que les transferts reçus varient selon les États membres. Le pays avec le taux de taxation le plus élevé sur les hauts revenus est, de loin, le Danemark (avec plus de 45 % du revenu dédié aux impôts et cotisations), suivi par un groupe de pays avec un taux de taxation d’environ 35 % (la Belgique, l’Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Autriche et la Finlande), le reste des pays pratiquant un taux autour de 25 % (la Grèce, l’Espagne, la France, l’Irlande, l’Italie, le Portugal et le Royaume-Uni). Les transferts, eux aussi, varient. Les personnes touchant un revenu élevé en Autriche, en France et en Italie reçoivent respectivement des transferts de l’ordre de 20 %, 18 % et 15 % de leurs revenus bruts avec, à l’autre bout de l’échelle, le Royaume-Uni et
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Graphique 7. Impôts et transferts : ménages à hauts revenus
Note : pas de données disponibles pour la Suède. Source : EUROMOD. Effet des impôts et transferts sur le revenu brut des ménages dont le revenu est parmi les 20 % les plus élevés.
l’Irlande où les personnes riches ne reçoivent que 2,5 % de leurs revenus bruts grâce à ces transferts. De tels résultats impliquent des approches différentes du ciblage de l’aide publique. L’approche la plus commune (tax away) dans les États membres de l’UE consiste pour l’essentiel à verser des transferts sur une base universelle, puis à récupérer par la suite le coût de ces transferts auprès des personnes qui n’en ont pas besoin. Au Royaume-Uni et en Irlande, l’approche est en revanche plus directe, avec des transferts ciblés sur les individus les plus pauvres de la société. Elle passe généralement par des systèmes d’enquêtes sur les ressources, où on évalue sur base individuelle la demande des personnes pensant être éligibles pour une aide publique, en prenant en compte leur revenu et leur épargne. Les résultats de ces différents systèmes peuvent se révéler plus similaires que ce que leurs défenseurs et critiques avancent habituellement. Par exemple, pour les personnes à haut revenu, le
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gouvernement du Royaume-Uni affirme qu’il a le régime fiscal le plus avantageux en Europe, reflétant son désir de récompenser l’esprit d’entreprise, alors que le monde des affaires en Allemagne semble sans arrêt se plaindre des effets prétendument paralysants des taux d’imposition élevés appliqués aux personnes qui gagnent bien leur vie. En fait, une fois les transferts et les impôts pris en compte, il semble que l’ampleur des prélèvements nets pour les revenus parmi les 20 % les plus élevés soit très similaire au Royaume-Uni et en Allemagne — de l’ordre de 22-23 %. Cela montre les dangers de se focaliser uniquement sur le taux d’imposition des hauts revenus, sans tenir compte des transferts reçus en contrepartie. On doit aussi reconnaître que, au sein des différentes tranches de revenu, ceux qui bénéficient de transferts ne sont peut-être pas toujours ceux qui paient les impôts. C’est un point qui devrait pouvoir être analysé plus en profondeur grâce aux données du Panel des ménages EUROMOD. Les données mettent également en évidence d’autres résultats intéressants — par exemple, le fait que le généreux système social français semble plus soutenir les détenteurs de hauts revenus que ceux qui gagnent peu. En France, les 20 % les plus riches ont un taux de réduction net de seulement 7 % de leur revenu brut, une fois pris en compte l’effet combiné des impôts et des transferts — soit moins de la moitié de la moyenne européenne (18 %). Par ailleurs, la contribution des transferts nets au revenu brut des 20 % les plus pauvres est légèrement inférieure à la moyenne européenne de 44 %. Bien entendu, ces chiffres ne tiennent compte que des transferts financiers versés par l’État ; les services publics fournis (souvent gratuits) ont également une forte incidence sur les inégalités.
Les causes des inégalités de revenu Il existe deux explications de base à l’ampleur des inégalités de revenu au sein d’une économie. La première porte sur le niveau de développement économique dans les régions où vivent les personnes à faible revenu — il tend en effet à y avoir, dans les zones en retard de développement, à la fois moins de travail en général, moins de postes bien rémunérés, mais aussi
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moins d’opportunités pour trouver un emploi dans les secteurs porteurs. L’autre explication concerne la capacité personnelle des individus à gagner leur vie de manière satisfaisante où qu’ils vivent — en grande partie due à leur niveau d’éducation et de formation ainsi qu’à la présence ou à l’absence d’opportunités. Cela se reflète dans le fait qu’il y a relativement peu de différence entre les régions en matière de taux d’emploi des personnes à niveau d’éducation élevé, quel que soit le degré de développement économique de ces régions, mais des différences significatives sont observées pour les faibles niveaux d’éducation. Ainsi, le manque de travail touche les personnes faiblement éduquées de manière disproportionnée, même si l’activité économique dans la région concernée est plus en accord avec les qualifications de ces personnes que dans d’autres régions. Cela s’explique en partie par le fait que leurs employeurs les écartent au profit de personnes plus éduquées, et ce même pour effectuer des tâches de qualification inférieure. De plus, le nombre relatif de personnes qui ne possèdent qu’une éducation de base est beaucoup plus élevé dans les régions objectif 1 moins développées que le reste de l’UE. L’unique exception concerne l’ancienne Allemagne de l’Est où, vestige du régime précédent, presque chaque jeune reste scolarisé ou suit une formation après l’enseignement de base. Le rapport sur la cohésion (2004) récemment publié par la Commission européenne propose une revue complète des questions liées au développement régional. Une conclusion générale est que, en dépit des efforts continus des politiques menées, les disparités persistent entre les régions européennes à cause de faiblesses structurelles — manque de capital physique et humain, absence d’une forte capacité innovatrice dans les affaires, capital social limité au niveau des réseaux et d’autres formes de soutien, environnement physique pauvre, que ce soit une zone urbaine défavorisée ou moins développée ou encore une zone naturelle dévastée. Une des conséquences est que les investissements privés, y compris les investissements directs étrangers (IDE) — que ce soit d’un État membre à un autre ou en provenance de l’extérieur de l’UE — tendent à privilégier les zones les plus fortes, la plupart des IDE étant concentrés dans et autour des grandes villes. Le même phénomène est observé dans les nouveaux pays membres. De même, les dépenses en recherche et développement sont très
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concentrées — plus de la moitié du montant total est effectuée dans seulement trente des deux cents régions NUTS 2 de l’UE15. Le déclin relatif du PIB par tête et de l’emploi ces dernières années dans les régions les plus faibles est également inquiétant. Cela est notamment le cas en Finlande et en Suède : une grande importance était accordée depuis longtemps à la cohésion régionale, mais, suite aux réductions des dépenses publiques, le soutien de l’activité économique fut largement réduit dans les régions du Nord peu densément peuplées et au climat hostile. Entre 1995 et 2000, les disparités régionales au niveau du PIB par tête se sont aggravées dans neuf des douze États membres avec des régions NUTS 2, pour lesquels les disparités ont pu être mesurées (le Danemark, l’Irlande et le Luxembourg étant exclus) — et tout particulièrement en Suède — et ont baissé uniquement en Grèce, en Italie et en Autriche.
Les qualifications et la hiérarchie salariale Les sections précédentes ont fourni un lot de données factuelles, nombre d’entre elles n’ayant encore jamais été publiées, portant sur les niveaux et la dispersion des revenus entre les différentes parties de l’Union, mais également sur la mesure dans laquelle les variations dans les niveaux de revenu au sein de certains États membres sont affectées par les régimes fiscaux et les systèmes de transferts en vigueur. Ces questions ne doivent cependant pas être uniquement abordées sous l’angle des politiques de développement régional ou des systèmes d’impôts et de transferts. Afin de comprendre comment améliorer les salaires relatifs et réduire l’incidence des faibles revenus, il est nécessaire d’examiner la façon dont les marchés du travail fonctionnent, dont les rémunérations sont fixées, ainsi que la façon dont les négociations collectives jouent leur rôle dans la détermination de ces résultats. À cette fin, il semble utile de commencer par examiner et corriger certaines croyances communes, mais néanmoins fausses. La première est qu’il est normal que des personnes « brillantes et éduquées », occupant des postes hautement qualifiés, soient beaucoup mieux rémunérées que des personnes « moins brillantes et moins éduquées », et que les différentiels importants sont en quelque sorte « naturels » dans une économie de marché. La seconde est qu’une personne qui travaille dans une
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industrie ou un secteur à forte et croissante productivité devrait s’attendre à être payée plus qu’une autre travaillant dans un domaine où les niveaux de productivité sont moindres ou la croissance de la productivité plus lente. Aucune de ces présomptions n’est correcte. En fait, la distribution des revenus relatifs au sein d’une économie est essentiellement déterminée par l’équilibre entre l’offre et la demande de différents niveaux de qualification. Cela a été démontré dans les années 1950 par Jan Tinbergen, l’un des deux premiers Prix Nobel d’économie. Ses recherches montrent que s’il y a trop de personnes avec de faibles qualifications par rapport au nombre de postes faiblement qualifiés disponibles, cela entraîne les salaires vers le bas sur le marché du travail. De même, les salaires sont poussés vers le haut s’il y a un manque au niveau des qualifications par rapport à la demande. Cette vérité économique de base est communément négligée par les théoriciens libéraux, qui tendent à ne considérer que l’aspect « demande » du marché du travail, et à conclure qu’une distribution des revenus plus élargie est une preuve que le marché du travail fonctionne efficacement — récompensant ceux qui contribuent le plus (y compris eux, bien entendu). En réalité, une distribution des revenus étendue indique plus vraisemblablement que le pays concerné connaît un déséquilibre structurel entre l’offre et la demande de différents niveaux de qualification, comme le montre le graphique 8 sur les comparaisons entre pays des inégalités de revenus et des taux d’éducation. Dans l’économie américaine par exemple, il y a manifestement un problème à cause du niveau d’alphabétisation relativement bas, un très grand nombre de travailleurs peu ou non qualifiés se disputant les postes peu qualifiés disponibles, ce qui a pour conséquence de réduire les salaires au plus bas. En réponse, la politique aux États-Unis a été ces dernières années de subventionner les revenus au bas de la distribution salariale, en instaurant une sorte d’impôt négatif sur le revenu. Cela a apporté une amélioration à court terme, mais ne semble pas être une solution économique à long terme face à une faiblesse structurelle. De plus, cette solution apparaît très coûteuse en termes de budget gouvernemental. En revanche, dans le cas des pays nordiques — où l’analphabétisme est pratiquement inexistant —, il y a beaucoup moins de personnes qui se battent pour un nombre limité de postes peu
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Graphique 8. Inégalités de revenus et d’éducation
Source : Enquête internationale sur l’éducation des adultes (1994-1998). Distribution des revenus et pauvreté dans la zone de l’OCDE : tendance et déterminants, 1999.
qualifiés. Outre d’autres facteurs tels que les stratégies de négociation des syndicats, cela signifie que le travail peu qualifié reste raisonnablement bien rémunéré. Parallèlement, à l’autre extrémité du marché, ceux qui possèdent des qualifications que le marché recherche particulièrement ne gagnent pas un salaire exagérément élevé, car de telles qualifications ne manquent pas, étant donné les niveaux d’éducation et de formation élevés. Cela signifie que le marché du travail fonctionne correctement, l’éducation, la formation et les systèmes sociaux se conjuguant pour augmenter la capacité et la productivité de tous les travailleurs et pour réduire la dépendance par rapport aux transferts sociaux. On peut noter au passage que des déséquilibres dans les opportunités, couplés avec de faibles qualifications, représentent une double pénalisation pour les personnes faiblement éduquées : non seulement elles ont tendance à gagner de bas revenus lorsqu’elles travaillent, mais elles ont aussi tendance à travailler beaucoup moins d’années durant leur vie (environ 25 ans pour
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les personnes peu éduquées sur un potentiel de 40 ans, comparé à 35 ans pour celles qui ont une meilleure éducation). Quant aux niveaux de revenus absolus, les revenus moyens au sein d’une économie donnée sont étroitement liés à la productivité moyenne du travail dans l’économie (bien que celle-ci soit influencée par l’intensité capitalistique). Les salaires relatifs des différents groupes de travailleurs dans l’économie ne dépendent cependant pas de la productivité relative des firmes ou des secteurs dans lesquels ils travaillent, mais plutôt de l’équilibre entre offre et demande des différentes qualifications parmi toutes les entreprises et employeurs de l’économie. Toutes choses étant égales par ailleurs — ce qui, bien entendu, n’est jamais tout à fait le cas —, un travailleur moyen, qu’il ait des compétences dans le domaine des NTIC ou en jardinage, devrait espérer gagner des montants similaires, qu’il soit engagé par une entreprise de services financiers, l’industrie manufacturière ou le gouvernement, étant donné que la compétition pour de telles qualifications transcende tous les secteurs et qu’il devrait y avoir un taux de marché général pour chaque poste. Le fait que les choses ne soient pas toujours égales est dû à de nombreux facteurs. L’un d’entre eux est que certaines compétences sont plus demandées à l’échelle internationale — les travailleurs dont les qualifications sont recherchées par des compagnies pouvant opérer en dehors des limites de leur propre économie peuvent ainsi voir leur revenu s’accroître —, au moins à court terme. Un second facteur est que la concurrence n’est jamais vraiment égale. La plupart des firmes en expansion et certaines professions ont une position de monopole à exploiter, ce qui leur permet de payer plus que les firmes qui font face à des marchés plus compétitifs ou qui sont dans des secteurs en stagnation ou en déclin. Il y a également le fait que les travailleurs syndiqués bénéficient d’une sorte de rente par rapport à leurs collègues non syndiqués, bien que l’importance de ces rentes semble se réduire. En pratique, l’équilibre des pouvoirs entre partenaires sociaux sur le marché du travail influence le niveau et la distribution des revenus. Les salaires relatifs entre secteurs et compétences sont déterminés via des processus sociaux complexes de négociation, d’organisation et de mobilisation. Nombre d’entre eux servent à compenser des déséquilibres de pouvoir plus fondamentaux
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entre capital et travail, ce qui renforce leur rôle et leur donne une certaine légitimité en tant que normes et valeurs sociopolitiques. Ces facteurs peuvent être importants pour le travailleur individuel, qui peut espérer bénéficier du fait d’être dans une entreprise en expansion ou dans un secteur fortement syndiqué. Cependant, il reste le fait que, pour l’ensemble de l’économie, c’est le niveau de productivité global qui détermine principalement le niveau moyen des salaires, et c’est l’équilibre entre l’offre et la demande de différentes qualifications qui tend à fixer la dispersion des revenus relatifs autour de cette moyenne. L’impact durable le plus important sur le niveau et la distribution des salaires viendra probablement de changements dans la gestion de l’économie et dans la stratégie des entreprises — se détachant de l’approche de minimalisation à court terme des coûts et des salaires pour privilégier une stratégie à long terme de maximisation de la productivité et de la rentabilité, en particulier grâce à un investissement accru dans les ressources humaines.
Conclusion sur les revenus Le fait que, dans une économie de plus en plus globalisée, les États membres de l’UE aient réussi à maintenir des revenus moyens relativement élevés, à contenir l’ampleur de la dispersion des revenus et à limiter le nombre de personnes vivant avec des revenus en deçà du seuil de pauvreté est un résultat non négligeable. Mais cela ne s’est pas fait tout seul. C’est le résultat de plusieurs facteurs. Citons entre autres l’ampleur des investissements réalisés dans l’éducation universelle et la formation, le soutien offert aux personnes défavorisées via une série de politiques sociales, et les diverses formes de partenariat social qui sont à la base des relations politiques européennes. Ces politiques et ces institutions sont le résultat d’anciennes luttes et interactions sociales, et il est primordial de reconnaître et souligner les succès qu’elles ont rendus possibles. Mais il n’y a pas de quoi se complaire dans l’autosatisfaction, et encore moins relâcher les efforts en termes de politiques. Tout suggère que, en Europe, la réduction des différentiels s’est accompagnée de progrès économiques globaux et sociaux. La pauvreté est de plus en plus reconnue comme
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coûteuse — non seulement pour ceux qui sont directement touchés, mais aussi pour l’ensemble de la communauté. Étant donné que c’est une piètre éducation ou une formation inadéquate qui est à l’origine d’une grande partie des inégalités de rémunération, les gouvernements doivent accorder plus d’importance à cette question. Cela implique de s’occuper des causes principales des inégalités de revenu et de la faible productivité, plutôt que d’essayer de compenser leurs conséquences via des systèmes coûteux de soutien au revenu pour ceux qui gagnent peu, comme certains semblent actuellement tentés de le faire. Cela signifie également reconnaître que c’est la combinaison entre croissance économique durable et croissance de la productivité qui assure en fin de compte à la fois un taux de croissance global élevé du revenu et une distribution raisonnablement équitable de ce revenu grâce à des politiques appropriées.
Annexe / Les déterminants des niveaux de vie et les effets des variations de la durée de travail
L
e niveau de vie moyen dans un pays est communément défini à partir du revenu national total (ou PIB), divisé par la population totale, qui indique ce que chacun recevrait si tous les revenus créés dans le pays concerné étaient distribués également entre ses habitants. Bien évidemment, les revenus ne sont pas distribués également, mais le chiffre moyen est néanmoins important car il montre quelles sont les ressources totales disponibles au sein de l’économie et il donne une certaine mesure de la performance économique globale. Sur cette base, le niveau de vie moyen dans l’UE15 représente environ moins des trois quarts du niveau observé aux États-Unis. Cela est dû à quatre causes très proches : une productivité horaire plus faible, des taux d’emploi plus bas, des heures de travail réduites et un équilibre démographique moins favorable entre ceux qui sont en âge de travailler et ceux qui sont à la retraite. En réalité, comme le montre l’encadré ci-contre, chacun de ces éléments est déterminant, mais certains le sont plus que d’autres. En termes de productivité par heure travaillée, sujet qui sera abordé plus en détail dans le chapitre II, la différence entre les États-Unis et l’UE15 n’est pas énorme — un peu plus de 10 %. Cela est un bon résultat pour l’Union, étant donné qu’il y a des pays et des régions qui sont encore dans un processus de « rattrapage ». Ainsi, dans les économies les plus développées de l’UE, la productivité horaire dépasse le niveau moyen des États-Unis. Un autre « avantage » pour les États-Unis est lié au plus grand nombre de personnes au travail — un taux d’emploi plus élevé, comme on le verra dans le chapitre III —, ce qui ajoute encore
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Niveaux de vie : l’écart entre l’Union européenne et les États-Unis Y POP
=
Y H
×
H N
×
N WAP
×
WAP POP
PIB par tête = productivité horaire x heures de travail moyennes x taux d’emploi (nombre de personnes employées divisé par la population en âge de travailler) x taux de dépendance (population en âge de travailler divisée par la population totale)
10 points de pourcentage. C’est sur ce point que la politique européenne s’est le plus concentrée. Comme la démographie n’influence pas tellement les résultats — bien que cela soit susceptible de changer à l’avenir —, l’écart qui subsiste est principalement dû aux heures moyennes annuelles travaillées qui sont beaucoup plus élevées aux États-Unis qu’en Europe — 1 884 contre 1 682 en 2003, soit une différence de près de 200 heures par an. C’est en partie dû au fait que les Américains travaillent en moyenne plus d’heures par semaine que les Européens, mais c’est davantage parce qu’ils ont beaucoup moins de jours de vacances que ces derniers — environ deux semaines de moins en moyenne. Alors que peu d’Européens s’opposeraient à des efforts pour améliorer la productivité, spécialement dans les régions les plus en retard de développement, ou pour augmenter les taux d’emploi et créer plus de travail, il est moins évident de recueillir autant d’enthousiasme pour le rallongement de la durée du travail et la réduction des jours de vacances. Ce sont essentiellement des choix sociaux, résultats d’une série de décisions individuelles, mais qui, en pratique, peuvent être contraints dans une large mesure par la force des choses. Le fait que les gens travaillent plus d’heures aux États-Unis qu’en Europe ne reflète par conséquent pas nécessairement des préférences individuelles : les faits montrent que beaucoup de travailleurs américains préféreraient travailler moins d’heures (pour un revenu moindre) mais n’ont pas les moyens collectifs d’atteindre un tel objectif. Il est certain que travailler plus longtemps semble aller à l’encontre de l’hypothèse selon laquelle les travailleurs tendent à privilégier les loisirs plutôt que le revenu au fur et à mesure que leur revenu réel s’accroît — argument type avancé
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dans les livres d’économie (à cause de l’hypothèse de baisse de l’utilité marginale du revenu). Les preuves empiriques de ce choix sont mitigées. Certains signes montrent que le temps de travail moyen aux États-Unis a décliné sur le long terme, mais à un rythme très lent. En Europe, il y a des signaux très clairs d’un déclin général bien que sa vitesse varie selon les États membres, comme on le verra plus loin. Cela reflète, dans une certaine mesure, la priorité différente accordée à une durée du travail plus courte et à un temps de loisir plus grand par les négociateurs des conventions collectives et les législateurs, mais aussi les différentes façons d’aborder les problèmes de chômage, la réduction des heures aux Pays-Bas et en France étant considérée comme un moyen de partager le travail disponible de manière plus large.
L’organisation du temps de travail Il existe également des différences dans les évolutions de la durée du travail aux États-Unis par rapport à l’UE. Contrairement à l’idée selon laquelle les marchés du travail américains sont plus « flexibles », il semble qu’il y ait plus d’uniformité dans la durée du travail qu’en Europe et moins de variabilité dans les heures de travail. Plus de 40 % des travailleurs — très peu de différence étant observée entre hommes et femmes — travaillent 40 heures par semaine aux États-Unis. Dans l’UE, ce pourcentage est inférieur à 30 %, et il existe une différence significative entre hommes et femmes. En termes de proportion globale de personnes travaillant à temps partiel, la situation est similaire dans les deux économies (avec environ 17 % des personnes en emploi effectuant moins de 30 heures par semaine). Il existe cependant des différences importantes lorsque les hommes et les femmes sont pris séparément. Aux États-Unis, plus d’hommes travaillent à temps partiel que dans l’UE15 (plus de 11 % contre moins de 7 %), mais beaucoup moins de femmes sont concernées (22 % contre 31 %). À l’autre extrémité de l’échelle, environ 18 % des personnes employées travaillent plus de 48 heures par semaine aux États-Unis, contre 12 % à peine dans l’UE15. Les modalités des horaires et la durée de travail dans les nouveaux États membres sont plus similaires à celles des États-Unis qu’à celles de l’UE15. Il y a notamment moins de
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différence entre hommes et femmes que dans l’UE15. Dans les nouveaux États membres, une majorité de personnes travaille 40 heures par semaine (57 %) et 15 % travaillent plus de 48 heures par semaine. D’un autre côté, beaucoup moins de personnes travaillent à temps partiel (seulement 8 % travaillent moins de 30 heures par semaine — 12 % des femmes, 5 % des hommes). Ces résultats soulignent, pour ces nouveaux membres, une forte résilience des horaires de travail hérités du régime précédent, avec un degré de standardisation élevé, peu de différences entre les genres et très peu de postes à temps partiel. Les chiffres moyens pour l’UE15 révèlent en revanche des tendances très diverses selon les pays, certains États membres ayant relativement standardisé les heures de travail alors que d’autres appliquent des heures de travail extrêmement variables. On peut distinguer trois grands groupes de pays : — les pays où au moins 40 % des personnes travaillent selon le même horaire. Ce groupe comprend le Luxembourg (où 70 % des personnes travaillent 40 heures par semaine), l’Espagne (60 %), la Suède et le Portugal (environ 50 % dans les deux cas), l’Italie et la Grèce (40 %), ainsi que le Danemark (où presque 45 % des personnes travaillent 37 heures) ; — les pays où un nombre significatif de personnes travaille 40 heures par semaine, mais où un autre groupe important effectue 38 heures par semaine. Ces pays comprennent la Finlande, la Belgique, l’Allemagne et l’Autriche. L’Irlande et la France peuvent également être ajoutées car environ la moitié des gens au travail effectuent 39 ou 40 heures par semaine dans le premier cas et 35 ou 39 heures dans le second ; — les pays où les postes sont plus diversifiés en termes d’heures de travail. Les Pays-Bas et plus spécialement le Royaume-Uni se démarquent des autres États membres sur ce point. Aux Pays-Bas, environ 36 % des personnes au travail effectuent moins de 30 heures par semaine, et une part légèrement plus grande travaille 40 ou 36 heures par semaine. Au RoyaumeUni, un tiers des personnes seulement travaille entre 35 et 40 heures par semaine, 37 % travaillent plus de 40 heures par semaine, 17 % plus de 48 heures (juste un peu moins que le chiffre observé aux États-Unis, mais moins qu’en Grèce) et 24 % moins de 30 heures. Le nombre relatif de postes à temps partiel varie également entre pays. Hormis les Pays-Bas et le Royaume-Uni, la part des
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gens travaillant à temps partiel dépasse celle des États-Unis uniquement en Allemagne, en Belgique et au Danemark (et encore, seulement marginalement dans ce dernier cas) — elle est à peu près la même en Suède — dans tous les cas, largement à cause du nombre important de femmes dans les emplois à temps partiel. Ce n’est qu’aux Pays-Bas que la proportion d’hommes travaillant à temps partiel dépasse celle observée aux États-Unis bien que, au Danemark, elle soit la même. Dans la plupart des autres pays, le nombre relatif de postes à temps partiel est bien inférieur à celui des États-Unis. En Grèce et en Espagne, moins de 10 % de ceux qui travaillent ont un contrat à temps partiel. Cela est également le cas dans l’ensemble des nouveaux États membres, sauf en Lituanie et en Pologne (où la proportion est légèrement supérieure à 10 %). Ces différences dans la distribution des heures travaillées reflètent en partie les divers facteurs déterminant le travail à temps partiel. Là où des régulations et une législation limitent le temps de travail, comme dans les pays du sud de l’Europe et en France, ou là où existe une négociation collective centralisée, comme dans les pays nordiques, une certaine uniformité dans les heures effectuées est probable. Ces deux éléments peuvent limiter le développement de postes avec des heures de travail différentes, qui est une caractéristique du Royaume-Uni et des Pays-Bas. La négociation au niveau sectoriel repose souvent sur une structure duale avec deux modèles d’heures hebdomadaires (comme en Allemagne). Alors que les négociations sectorielles prédominent également aux Pays-Bas, il semble que le contenu des accords permette une plus grande variation individuelle.
Les changements dans la durée de travail Dans un certain nombre de pays de l’UE, il n’y a eu que relativement peu de changement dans la durée de travail. C’est notamment le cas en Espagne, en Italie, au Luxembourg, en Autriche et en Suède. En Belgique, au Danemark, en Grèce et en Finlande, les changements ont été limités. Au Royaume-Uni, ils se sont traduit par une légère hausse du travail à temps partiel. En effet, la variabilité des conditions de travail au Royaume-Uni n’est pas un phénomène récent, et était déjà présente dans les années 1980.
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Dans les six autres États membres, les changements ont été plus substantiels. Le Portugal a vu le nombre de personnes travaillant plus de 43 heures fortement baisser et le nombre de personnes travaillant 40 heures par semaine augmenter de manière significative. L’Irlande a connu un déplacement de la norme de 40 à 39 heures, accompagné d’un déclin des longues heures de travail. Cela reflète la réduction de l’emploi agricole, couplée avec la croissance du travail à temps partiel, et le fait que beaucoup plus de femmes sont entrées sur le marché du travail. En France, la norme a glissé de 39 heures par semaine à 35 heures avec l’introduction d’une nouvelle législation. En Allemagne, il y a eu un changement similaire de 38 à 35 heures sans nouvelle législation, alors que le nombre de personnes travaillant peu d’heures a également augmenté, reflétant probablement la pénurie continue de postes. Aux Pays-Bas, le nombre de personnes travaillant à temps partiel a continué à progresser.
Conclusions concernant les heures de travail Trois faits importants ressortent concernant l’évolution de la structure des heures de travail en Europe : — globalement, la structure des heures de travail dans l’UE n’est pas tellement différente de celle des États-Unis ; — il existe des différences significatives entre les marchés nationaux du travail à travers l’Europe concernant la distribution des heures de travail ; — alors que le temps partiel s’est considérablement accru, il ne semble pas y avoir eu de dérégulation massive des heures de travail et les schémas nationaux spécifiques restent, dans la plupart des cas, aussi reconnaissables qu’il y a vingt ans. En général, le nombre moyen d’heures travaillées en Europe est à la baisse, bien que le rythme soit lent, les 40 heures standards par semaine étant complétées, si ce n’est remplacées, par un régime de 37-38 heures par semaine, ou même 35 heures. La semaine de 35 heures a été une demande forte — bien que contestée — au sein du catalogue d’objectifs politiques de la Confédération européenne des syndicats (CES) depuis plusieurs années, et cela fait maintenant vingt ans que les métallurgistes allemands, après une des plus longues grèves de l’histoire du pays, ont obtenu un accord pour passer progressivement à la semaine de 35 heures. La France a tenté d’institutionnaliser cette
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norme par des moyens légaux, mais partout ailleurs le glissement vers les 35 heures n’a été que mineur. L’objectif des 35 heures a plus récemment été remis en question par certains commentateurs pour des raisons démographiques, bien que la situation économique actuelle aille à l’encontre de toute suggestion visant à rallonger la durée du travail. Un moyen législatif et collectif plus sensé et peut-être plus durable pour imposer la semaine de 35 heures, ou un quelconque autre standard, vient de la reconnaissance croissante du besoin d’introduire plus de flexibilité dans l’organisation du travail. Cela pour satisfaire les besoins des employeurs ou les demandes des consommateurs, mais aussi pour aider les travailleurs à concilier travail avec vie de famille et avec d’autres sources d’intérêt.
II / Compétitivité, croissance et perspectives
Introduction Renforcer la compétitivité a été un objectif ouvertement formulé de la politique européenne depuis un certain temps. Lorsque le président de la Commission européenne de l’époque, Jacques Delors, lança le Sommet de Copenhague en 1992 à la recherche de soutien pour raviver une économie européenne faiblissante, il mit l’accent sur la croissance et l’emploi. Ce qui aboutit, à la fin de cette année-là, à un Livre blanc sur la croissance, la compétitivité et l’emploi — la compétitivité ayant été ajoutée face à l’insistance des employeurs européens. L’enthousiasme pour ce terme de compétitivité est encore fort aujourd’hui. Même la déclaration du Conseil européen à Lisbonne en mars 2000 évoque inutilement l’objectif de faire de l’économie de l’Europe « l’économie la plus compétitive du monde » (souligné par nous), comme si être compétitif ne suffisait pas ou comme s’il existait une signification généralement reconnue du mot « compétitivité ». Malgré cela ou peut-être à cause de cela, la Commission européenne, plusieurs États membres, beaucoup d’organisations d’employeurs ainsi que des agences et organisations diverses produisent régulièrement des rapports sur le sujet. La compétitivité est généralement considérée dans ces rapports comme un moyen d’atteindre un taux de croissance économique plus élevé et durable, mais aussi plus d’emploi et de revenus. Malheureusement, la compétitivité européenne a chuté ces dernières années. Nous sommes encore plus en retard par rapport aux États-Unis, et c’est la cause majeure de la pauvre performance comparative de l’Europe en termes de croissance.
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Il est communément avancé que la voie du salut repose sur la levée des barrières au fonctionnement « correct » des marchés — notamment, bien entendu, le marché du travail —, ainsi que sur le soutien croissant apporté à la R&D et à l’innovation. Cela est censé renforcer la capacité des firmes européennes à concurrencer les compagnies américaines et autres entreprises étrangères. Alors qu’un accent important est mis sur la compétitivité, sa signification reste pourtant assez floue et il n’y a pas de réponse claire à la question de savoir si l’économie européenne devient plus ou moins compétitive dans le temps ou en comparaison avec d’autres pays. En réalité, de nombreux classements sur les performances comparatives nationales ne sont pas plus objectifs que des concours de beauté ou de talent.
Une longue mais nécessaire réflexion sur ce que signifie « être compétitif » Si le terme de « compétitivité » a bel et bien un sens réel et n’est pas simplement un vague synonyme de « performance » en termes de croissance ou de productivité, on peut discuter du fait qu’il est plus juste de le définir comme la capacité de l’économie à être compétitive sur les marchés mondiaux — ou, dans le cas d’une région, également sur le marché interne. Cette notion est analogue à la vision typique du monde des affaires sur la capacité des entreprises à survivre, prospérer et être compétitives sur leurs différents marchés, mais appliquée à l’ensemble de l’économie : une économie dont les entreprises sont compétitives est également compétitive. Les économistes débattent depuis longtemps sur cette transposition apparemment intuitive des entreprises à l’économie. Les firmes se font concurrence, selon leurs dires. Mais celles qui ne sont pas compétitives sont éjectées du marché, tandis que ce n’est pas le cas pour les économies. Les économies non compétitives peuvent se rétrécir ou croître moins vite que les autres, mais elles survivent. De plus, la taille des économies de marché n’est pas fixée. Et parce que les économies sont interdépendantes, la croissance d’un marché offrira de meilleures opportunités d’exportation pour les autres. Les défenseurs du libre-échange ont démontré que nous ne vivons pas dans un monde à somme nulle où les
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gains d’un pays constituent des pertes pour un autre. Malheureusement, cela tend à être oublié lorsque l’accent est mis sur la politique économique. Les métaphores liées à la « course » économique ont conduit à des diagnostics erronés sur la situation actuelle au sein de l’UE et à de fausses prescriptions politiques. En effet, ce ne sont pas tant les économies qui sont « compétitives » — dans le sens où les entreprises sont compétitives — que les producteurs qui y sont situés. Le lien de causalité peut aller dans un sens ou dans l’autre ; cependant, les caractéristiques d’une économie ou les conditions au sein de celle-ci aideront à déterminer la performance des entreprises et influenceront leur localisation à travers le monde. Si le terme de « compétitivité » est utilisé dans ce sens-là, celle-ci peut être mesurée en termes de réussite des producteurs d’un pays à être compétitif sur les marchés mondiaux, comme le reflétera leur part globale dans les exportations totales comparée à la pénétration des importations sur leurs marchés domestiques. Il faut noter que cela est également vrai pour les économies régionales, bien que cela soit plus difficile à mesurer étant donné le manque de données sur les flux de biens et services entre régions, tout comme il est de plus en plus compliqué de mesurer les flux entre les États membres de l’UE au fur et à mesure que les barrières commerciales tombent et que les contrôles administratifs sur les exportations et les importations sont moins importants. Dans ce contexte, plus les exportations d’un pays s’accroissent par rapport à la pénétration des importations sur le marché domestique, plus le taux de croissance économique sera élevé, toutes choses égales par ailleurs. Cela est en partie dû au fait que les exportations fournissent un moyen d’augmenter la demande pour les produits domestiques sans accroître la demande domestique — avec des implications positives sur la stabilité financière et l’inflation —, mais également parce que cela implique un relâchement des contraintes extérieures sur la croissance domestique, qui résulte du fait que les pays ne peuvent normalement pas être indéfiniment en déficit commercial. La recherche perpétuelle du Saint Graal de croissance poussée par les exportations — commune à de nombreux gouvernements, à l’exception peut-être des autorités américaines — a cependant ses limites. Au bout du compte, les surplus et les déficits dans le monde doivent s’annuler — tous les pays ne
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peuvent être en surplus, mais cela n’a pas empêché les décideurs politiques de nombreux pays d’essayer de le faire simultanément. Il peut bien entendu y avoir des gagnants et des perdants — comme sont souvent perçus les pays en surplus et ceux en déficit — pour un certain temps. Cependant, l’existence d’un déficit ou d’un surplus commercial ne nous apprend rien en tant que tel sur la richesse, les niveaux de vie ou la situation du marché du travail d’un pays. Même si la relation entre un déficit de la balance des paiements et la politique économique menée n’est plus aussi directe que lorsque les taux de change étaient fixes, un lien subsiste. Si la performance commerciale — définie comme la croissance des exportations par rapport à la pénétration des importations — est insuffisante, alors l’expansion de la demande domestique entraînera une aggravation du déficit de la balance des paiements. La nécessité de financer ce déficit et d’attirer l’afflux de capitaux et/ou de persuader les autres d’accepter la monnaie nationale contre des biens et services aboutira en fin de compte à des taux d’intérêt plus élevés ainsi qu’à une inflation accrue, alors qu’une pression à la baisse est exercée sur les taux de change. Les États-Unis ont pu financer des déficits importants pendant de longues périodes sans subir de pression à la hausse des taux d’intérêt domestiques et de l’inflation. Mais cela est principalement dû à la position avantageuse du dollar sur les marchés financiers mondiaux. D’autre part, un certain nombre de pays ont pu maintenir leur balance de paiements en surplus pendant un temps considérable. Cette asymétrie — entre la pression financière rencontrée par les pays en déficit et l’absence de pression sur les pays en surplus — est depuis longtemps source de biais déflationniste dans le système économique global. Tandis que les pays en déficit seront finalement obligés d’infléchir leur croissance interne, beaucoup moins de pression est exercée sur les gouvernements des pays en surplus pour augmenter l’activité économique afin que leur demande d’importations s’élève pour égaler la croissance des exportations — même si un échec implique une opportunité perdue d’accroître les revenus réels. Vu sous cet angle, un surplus de la balance des paiements — en particulier s’il persiste pour une certaine période — peut être considéré comme un signe d’échec de la politique interne, plutôt qu’une preuve de succès compétitif. C’est de toute
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évidence un indicateur potentiellement trompeur des performances commerciales, et c’est la raison pour laquelle nous optons ci-après pour des mesures alternatives plus sensées. Bien entendu, le taux de croissance qu’une économie est en mesure de réaliser dépend non seulement des politiques internes de gestion de la demande et de la croissance des marchés d’exportation, mais aussi de facteurs du côté de l’offre, en particulier de la croissance de la productivité, du taux d’investissement et du travail supplémentaire disponible. Ces facteurs déterminent le potentiel de production d’une économie sur le long terme, bien que — comme c’est le cas dans l’UE de nos jours — la production réelle réalisée puisse être très inférieure à ce potentiel. Et bien que la politique en Europe ait mis l’accent sur la croissance de la productivité, l’impact d’une hausse de la production grâce à une augmentation du nombre de personnes au travail est certainement plus significatif dans le court et le moyen terme, étant donné le chômage encore important dans de nombreux pays européens, en particulier dans les grands États, ainsi que le nombre relativement grand de personnes qui ne sont pas actives économiquement parlant. Le mérite revient aux Premiers ministres et chefs d’État d’avoir établi l’objectif de plein emploi comme but principal de la politique actuelle de l’UE, mais il est très difficile de détecter une mesure soutenant cet objectif lorsqu’on examine la politique macroéconomique de l’UE. De plus, même s’il est vrai qu’une productivité accrue crée un potentiel pour des revenus et des niveaux de vie plus élevés, cela n’est pas automatique. En effet, aussi déplaisant que cela puisse être pour les décideurs politiques, il peut y avoir des cas où une productivité accrue peut entrer en conflit avec la réalisation de taux d’emploi élevés — ce qui peut aussi générer une production plus grande et un revenu par tête plus important dans l’économie. En effet, les comparaisons entre pays suggèrent qu’il existe des différences significatives dans la manière dont ces deux objectifs sont rendus compatibles, ce qui se reflète dans la relative importance accordée par les différents pays à la réalisation d’un niveau d’emploi élevé.
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Productivité et compétitivité : que donne la comparaison ? Pour certains, une productivité plus importante est le moyen principal pour une expansion économique ; pour d’autres, il faut conjuguer croissance de la productivité et compétitivité accrue. Cela est compréhensible dans la mesure où une amélioration de la productivité réduira les coûts de production et permettra une baisse des prix des biens et services domestiques par rapport à ceux produits ailleurs dans le monde. Mais on ne peut cependant pousser ce raisonnement trop loin. La compétitivité, considérée en termes de performance commerciale, ne dépend pas uniquement des coûts, mais aussi d’une variété d’autres facteurs — la qualité et le design des produits, le service après-vente, etc. Elle dépend également du taux de change, qui peut fluctuer de manière importante dans le temps. Les taux de change devraient pouvoir assurer un équilibre commercial dans le temps entre des économies dotées de différents niveaux de coûts et de productivité, et ayant différentes aspirations à la croissance. En pratique, toutefois, les taux de change actuels ont souvent peu à voir avec des facteurs économiques sous-jacents car leurs variations sont déterminées par l’opinion du marché financier sur la façon dont ils sont susceptibles de fluctuer dans le futur. Ils peuvent éventuellement graviter autour d’un niveau « rationnel » d’un point de vue économique, mais cela ne sera que faible consolation pour les entreprises pendant la période intermédiaire. De même, la manière dont les gains de productivité sont réalisés peut également affecter la compétitivité à long terme. Les changements de productivité sont fortement influencés par les cycles économiques. La productivité tend à s’accroître lorsque les marchés et la production se remettent d’une récession, étant donné que les entreprises peuvent dans le court terme augmenter l’intensité de travail à partir de la force de travail existante et des moyens de production, et hésitent à engager plus de travailleurs et à investir plus en équipements, jusqu’à ce qu’elles soient certaines que la reprise sera durable. Lorsque les perspectives sont positives mais incertaines, comme c’est le cas actuellement aux États-Unis, les gains de productivité apparents peuvent être substantiels pendant un an ou deux, avec une croissance de l’emploi bien inférieure à celle du PIB. Cependant, cette croissance a peu de chances d’être
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durable. La croissance de la productivité peut éventuellement revenir à son niveau sous-jacent, et même aller en deçà pour une certaine période, au fur et à mesure que les entreprises recrutent pour faire face à un niveau de production plus élevé. Il existe une tendance analogue au début des phases de récession économique, lorsque la productivité baisse alors que les producteurs attendent de voir si la faible croissance du marché se prolonge ou s’il ne s’agit que d’un ralentissement temporaire. Si la perspective pessimiste prévaut, alors la réduction apparente de la croissance de la productivité sera probablement suivie d’une augmentation au fur et à mesure que les travailleurs seront licenciés. Ces fluctuations dans la variation de la production par rapport à l’emploi peuvent rendre difficile l’identification du taux sousjacent de croissance de la productivité. Les gains de productivité qui reflètent simplement le retard d’ajustement de l’emploi par rapport à une production plus élevée ou ceux réalisés par l’intermédiaire d’une rationalisation et la fermeture des usines les moins rentables engendreront des bénéfices moins durables que ceux assurés par un investissement plus important dans des équipements mis à jour et de nouvelles méthodes de production. Alors que la productivité peut afficher une augmentation significative pendant une récession et que les usines les moins efficientes sont fermées, cela n’accroît pas forcément la compétitivité à long terme ou cela signifie que l’économie est en meilleure position pour soutenir la croissance économique dans les prochaines années. En effet, le contraire peut arriver à moins que des politiques soient menées pour maintenir et développer les qualifications des personnes licenciées. Le même argument s’applique aux économies à haut niveau de productivité dans les biens et services qu’elles produisent, mais qui connaissent par ailleurs des niveaux de chômage élevés. Elles peuvent être compétitives dans les biens et services qu’elles produisent, mais ne sont pas forcément dans une meilleure position que les économies où une plus grande proportion de la population travaille, même si les niveaux agrégés de productivité sont plus bas. En somme, au niveau d’une économie, si le taux d’emploi n’est pas pris en compte simultanément, la productivité peut être un indicateur trompeur de « compétitivité », lorsqu’elle est définie comme un potentiel de croissance. Il est vrai que la productivité agrégée dans l’UE — mesurée en termes de
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production par unité de travail — est plus faible que celle des États-Unis, mais la différence est plutôt petite, comme on l’a vu dans le chapitre précédent. En attendant, les données sur la performance commerciale suggèrent que les producteurs implantés dans l’Union ont tendance à être plus compétitifs au niveau des marchés globaux que ceux situés aux États-Unis. Dans ce sens — comme nous le montrons en détail ci-dessous —, l’UE est certainement plus « compétitive » que les États-Unis. Cela ne signifie pas forcément que les entreprises européennes sont plus couronnées de succès que les américaines — si toutefois une telle distinction a un sens dans un monde de marchés globaux des capitaux. Comme il a été souligné par Robert Reich et d’autres auteurs, la propriété des entreprises repose sur des actionnaires de différentes nationalités et peut changer très rapidement. C’est pourquoi il est difficile d’associer des entreprises à des pays en particulier. Les plus grandes compagnies — qui ont réussi à dominer le commerce mondial — sont des multinationales, non seulement en termes de localisation de leur production, mais aussi en termes de propriété. Malgré cela, la politique publique a encore tendance à encourager la croissance des entreprises considérées comme nationales ou européennes — même lorsque l’échelle de leurs activités nationales ou européennes est moindre que celle de firmes détenues par des étrangers ou situées à l’étranger. Cette situation a prévalu dans l’UE dans le domaine des ordinateurs pendant au moins deux décennies et a conduit à des décisions politiques très moyennes dans le passé. Aujourd’hui, il serait imprudent de supposer que, même lorsque la nationalité des entreprises semble claire, celles-ci opèrent plus dans l’intérêt national ou européen que les autres firmes, par exemple lors d’une décision de délocalisation ou de diminution des niveaux de production.
La performance commerciale en Europe et aux États-Unis Contrairement à l’impression donnée par les vigoureux et fréquents commentaires sur le prétendu « manque de compétitivité » de l’économie européenne et de certaines de ses plus importantes économies nationales — en particulier l’Allemagne —, un examen détaillé des données du commerce international des biens et services nous révèle une réalité très
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différente, beaucoup plus positive, du moins au niveau de la façon dont la plupart des gens comprennent intuitivement la notion de compétitivité. Par exemple : — les exportations de l’UE envers les pays tiers sont beaucoup plus importantes que celles des États-Unis, et il y a peu de chance que les exportateurs européens se relâchent ; — alors que le déficit de la balance des paiements aux États-Unis s’est considérablement accru ces dernières années — au point où les importations de biens et services ont dépassé de près de 50 % les exportations en 2003 —, l’UE a connu un surplus croissant ; — le déficit américain du compte extérieur représentait 4,5 % du PIB en 2003, ce qui correspond au surplus du compte extérieur allemand par rapport à son PIB. Au sein de l’UE, en dépit de discussions continues sur ses supposées déficiences structurelles, l’Allemagne reste l’économie avec la performance commerciale la plus forte et est, par conséquent, l’économie européenne la plus « compétitive » sur la base de ce critère. Ainsi, bien que le PIB américain soit légèrement supérieur à celui de l’UE15, la valeur totale des exportations américaines en 2003 ne s’est élevée qu’à deux tiers de celle des exportations de l’Europe vers le reste du monde — soit environ 650 milliards d’euros — alors qu’elle représentait un peu moins de 85 % au début des années 1990. Bien qu’une partie de cette différence soit due à la récente consolidation de l’euro par rapport au dollar — ce qui tend à dévaloriser les exportations américaines lorsqu’elles sont exprimées en euros —, la valeur des exportations de l’UE a systématiquement dépassé de plus de 15 % la valeur des exportations américaines ces treize dernières années. L’unique exception est observée en 2000, lorsque le dollar était relativement fort, la différence étant réduite à 10 %. Lors de la dernière décennie, les exportations européennes vers le reste du monde sont passées de 7 % du PIB à 11 %, contribuant de manière significative à la demande de production de l’UE. En revanche, la valeur des exportations des États-Unis — qui représentaient aussi 7 % de leur PIB au début des années 1990 — était encore inférieure à 8 % en 2003. Au même moment, les importations américaines de biens étaient en 2003 plus élevées en valeur (près de 17 %) que les importations de l’UE
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en provenance du reste du monde, et les ont systématiquement dépassées de 10 % à 30 % ces dix dernières années. La performance commerciale de l’UE est également impressionnante comparée à celle du Japon. Tandis que les exportations japonaises au début des années 1990 représentaient environ 63 % des exportations de l’UE vers les pays tiers en termes de valeur, elles ne représentent plus que 43 % de celles-ci en 2003. D’un autre côté, les importations en provenance du reste du monde ont augmenté beaucoup plus aux États-Unis qu’en Europe au cours de cette période, conduisant à un déficit du commerce de biens d’environ 5,5 % du PIB en 2003, contre 1,5 % en 1991. Malgré un surplus au niveau du commerce de services, le déficit global de la balance des paiements en compte courant aux États-Unis s’élève à 4,5 % du PIB, soit près de la moitié du niveau des exportations. En Europe, en revanche, les importations ont eu tendance à augmenter moins que les exportations, et le compte courant est systématiquement en surplus depuis 1993 — le taux moyen, et le chiffre actuel pour 2003 étant aux alentours de 1,5 % du PIB. L’Allemagne, le prétendu « canard boiteux » de l’Europe, contribue de manière particulièrement significative à ce surplus. Ses exportations vers le reste du monde se sont élevées à environ 14 % de son PIB, soit beaucoup plus que les autres grandes économies de l’UE — 9 % pour l’Italie, 8 % pour la France et seulement 7 % pour le Royaume-Uni — et ont dépassé ses importations de quelque 3 % du PIB. Étant donné que l’Allemagne a un surplus plus important encore en termes de commerce de biens avec les autres États membres, son surplus global en compte courant représente 4,5 % de son PIB, malgré un déficit important de ses échanges de services. Comme on l’a vu plus haut, les surplus et les déficits ne sont pas en tant que tels un indicateur de performance commerciale car ils reflètent non seulement le degré de succès dans la vente de biens et services domestiques sur les marchés globaux, mais aussi le niveau de demande ou d’activité économique dans l’économie domestique par rapport à la demande étrangère. Un pays ou une région globale comme l’UE avec un surplus de son compte extérieur peut réaliser cela en limitant sa demande domestique à travers des politiques budgétaires et monétaires restrictives, diminuant ainsi la demande d’importations, plutôt qu’en réussissant à être compétitif dans certains domaines sur le
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marché international. On peut dire en effet que le surplus européen du compte extérieur reflète ce choix politique, malgré les déficits budgétaires en Allemagne et en France. Une façon de mieux tenir compte des différents taux de croissance des demandes domestique et étrangère consiste à se concentrer sur les parts des marchés d’exportations et celles du marché domestique dirigées vers les producteurs étrangers plutôt que sur la balance commerciale. Une faible demande domestique ne va guère affecter cette dernière, sauf s’il s’agit d’importations de produits de luxe ou de biens d’investissements, qui vont tous deux décliner plus que proportionnellement par rapport à la baisse de la demande. Les parts de marché sont analysées dans la section suivante.
Les parts de marché de l’UE15 et de l’Allemagne Les données empiriques sur les parts de marché au sein de l’UE tendent à confirmer la puissance relative de la performance commerciale de l’UE. En 2003, les exportateurs européens représentaient 64 % du total des importations de l’UE provenant à la fois de l’intérieur et de l’extérieur de l’Union. Ce taux est légèrement plus élevé qu’en 1991 (63 %) et en 2000 (62 %), ce qui suggère, pour le moins, qu’il n’y a eu aucune tendance à la baisse de la part des producteurs européens sur leur propre marché. Au même moment, la part des exportateurs de l’UE sur les importations totales américaines était d’environ 19 % en 2003, soit légèrement plus que dans le milieu des années 1990 (18 %). Étant donné la hausse des importations par rapport au PIB aux États-Unis — passant de 12 % à 14 % —, cela implique que les producteurs de l’UE ont accru leur part de marché aux États-Unis par rapport à celle des producteurs américains. En revanche, la part des producteurs américains sur les importations totales européennes est restée très stable depuis le milieu des années 1990, tandis que la part des exportations japonaises sur le marché européen a diminué, tout comme sur le marché américain et sur la plupart des marchés dans le monde. Étant donné la valeur des exportations de l’UE vers les pays tiers comparée à celle des États-Unis ou du Japon, il n’est pas surprenant de noter que, malgré l’arrivée de nouveaux concurrents sur les marchés mondiaux, l’Europe représente encore près de 20 % des exportations manufacturières totales mondiales en
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2003 (même en excluant le commerce intra UE) — soit à peu près le même pourcentage que dix ans auparavant. De même, les données sur les parts d’exportations suggèrent également que la performance commerciale allemande reste forte comparée à celle des États-Unis et du Japon, ou d’autres pays européens. En 2003, l’Allemagne représentait presque 31 % de toutes les exportations de l’UE vers les pays tiers, soit plus du double de la part d’un quelconque autre État membre (la France représentant la deuxième part la plus importante avec seulement 13 %). Cela constitue une légère hausse par rapport à la part observée dix années plus tôt, et une augmentation par rapport à un niveau légèrement inférieur à 28 % en 2000. En revanche, la part des trois autres grands pays de l’Union a baissé durant cette période — plus particulièrement en France et au Royaume-Uni. Il convient de noter que l’Allemagne est moins compétitive dans le commerce des services que dans celui des biens. Il est néanmoins difficile de prendre cela en compte, étant donné que les données sur le commerce des services sont moins facilement disponibles. Cependant, comme les services ne représentent environ que 20 % des exportations totales de l’UE (30 % des exportations américaines) et que ces proportions sont restées quasiment stables ces dix dernières années, il est très improbable que les conclusions de notre analyse soient altérées de manière significative si les services étaient inclus. Il faut également noter que la part allemande sur le marché européen des biens a baissé depuis les années 1990. Toutefois, cette baisse est à la fois peu importante et moindre par rapport aux pertes subies par les trois autres grands pays, l’Espagne et les Pays-Bas étant les principaux gagnants. Au même moment, la part allemande des importations américaines était en 2003 légèrement supérieure par rapport au niveau de 1995 — 5,5 % contre 5 %. De même, les exportations allemandes vers des pays situés en dehors de l’UE ont augmenté plus que les exportations américaines durant cette période — en 1995, elles s’élevaient à 38 % des exportations américaines, contre 45 % en 2003. Ces chiffres qui, dans une certaine mesure, prennent en compte l’impact d’une demande domestique déprimée, confirment globalement les résultats des analyses des balances commerciales. Dans la mesure où la compétitivité est considérée au sens traditionnel du maintien de sa position sur les marchés mondiaux, il n’existe aucune preuve empirique que l’UE15 en général et l’Allemagne en particulier soient non compétitives.
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Les implications du succès de l’UE sur les marchés mondiaux pour la politique économique Les preuves empiriques du succès de l’UE au niveau des marchés globaux jettent de sérieux doutes sur l’idée selon laquelle le manque de compétitivité serait la cause sous-jacente de la récente récession dans l’UE, ou de la croissance assez lente que l’économie européenne a connue sur le plus long terme. Il semble que l’utilisation du mot « compétitivité » comme leitmotiv dans l’élaboration des politiques européennes provoque au mieux une certaine confusion et au pire est dangereuse, parce qu’elle risque de pousser à tort les acteurs à penser en termes de compétitivité des prix. Ce qui est en fin de compte décisif pour le bien-être économique (et social) d’un pays, c’est le taux de croissance économique et la façon dont celle-ci est partagée en termes d’emploi et de productivité du travail. Nous abordons ces questions en détail ci-dessous, mais il est au préalable important de rappeler que, dans le court terme, la croissance économique dépend du niveau de demande agrégée. L’analyse ci-dessus montre clairement que, contrairement à l’impression souvent donnée, les problèmes de croissance de l’Europe sont plus liés à la demande interne qu’à la demande externe. De plus, les événements qui ont suivi la récession de l’économie américaine, et les répercussions que cela a eues en limitant la croissance des marchés dans les autres parties du monde ont mis en lumière les réactions différentes des autorités américaines et européennes face aux revers économiques que nous connaissons actuellement. Alors que les autorités américaines ont réagi en stimulant la demande domestique par l’intermédiaire de moyens budgétaires et monétaires, les autorités européennes — à la fois la banque centrale et les gouvernements nationaux — ont peu fait pour compenser la chute de la demande extérieure, attendant au contraire que celle-ci se reprenne et plaçant une confiance encore plus grande sur des parts de marchés croissantes comme clé pour sortir de la récession. En effet, tandis que le gouvernement américain lançait une incitation budgétaire de grande ampleur, le budget passant d’un surplus substantiel à un déficit de plus de 6 % du PIB en 2004, les gouvernements allemand et français ont dû faire face à de vives critiques pour avoir autorisé leurs déficits à dépasser les 3 % du PIB et pour avoir échoué à introduire des augmentations du taux
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de taxation et/ou des réductions des dépenses publiques, ce qui aurait davantage détérioré la demande domestique. On peut se poser des questions au sujet de la viabilité à long terme de l’expansion budgétaire introduite aux États-Unis, et de l’action agressive de la Réserve fédérale pour réduire les taux d’intérêt. Il y a cependant peu de doute sur l’efficacité de cette combinaison de politiques pour relancer l’économie. Les États-Unis espèrent que, comme par le passé, leurs actions politiques leur assureront une récession de courte durée. Au début des années 1990, elle a duré un an. L’inactivité des autorités européennes a, elle, prolongé la récession actuelle dans l’UE, comme ce fut le cas une décennie auparavant. Les différentes réponses au déclin de l’activité économique ont vu le PIB augmenter de 2 % en 2002 et de 3 % en 2003 aux États-Unis, et augmenter à peine en 2001. Cela contraste avec la croissance dans l’UE, qui a été en moyenne inférieure à 1 % par an durant la même période. Tandis que le déficit du compte courant américain de la balance des paiements a atteint 4,6 % du PIB, en Europe — en grande partie comme conséquence de la faible croissance de la demande intérieure —, le surplus du compte courant a atteint 1,6 % du PIB. En Allemagne, comme on l’a vu plus haut, le surplus a atteint 4,5 % du PIB, soit exactement l’inverse du déficit américain. Au même moment, et reflétant partiellement les différentes réactions des autorités par rapport à la baisse de l’activité économique, l’euro s’est significativement apprécié sur les marchés des changes extérieurs et le dollar s’est déprécié aussi fortement. Entre octobre 2000 et janvier 2004, la valeur d’échange effective de l’euro s’est accrue d’un tiers. Cette augmentation n’a que peu à voir avec les taux d’inflation relatifs — si l’on tient compte de l’inflation, l’appréciation est encore de 30 % — et elle fait plus que compenser la large diminution du taux de change survenue ces deux dernières années (s’élevant à environ 18 %). Sur la base des données de performance commerciale présentées ci-dessus, la hausse des taux de change a jusqu’à maintenant peu influencé la compétitivité de l’UE, qui a été relancée par la dépréciation précédente. On peut dire que les performances commerciales auraient été encore plus fortes ces dernières années si l’appréciation avait été moindre, et le surplus du compte extérieur de l’UE aurait pu être encore plus important.
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Néanmoins, l’effet final sera probablement une chute des exportations nettes — en particulier si le taux de change reste à son niveau actuel, historiquement élevé — et les producteurs de l’UE ont exprimé une inquiétude croissante au sujet des perspectives de croissance des exportations et de la perte éventuelle des parts de marché domestique au profit des importateurs. Les perspectives de reprise rapide et forte de l’économie européenne, suite aux deux dernières années de croissance au ralenti, ne semblent donc guère brillantes, étant donné en particulier la position politique de la BCE et des gouvernements des États membres. Une fois de plus, la politique économique de l’UE semble se résumer à attendre que quelque chose se passe, de préférence une forte relance de l’économie globale, dont l’initiative serait prise par quelqu’un d’autre. Au même moment, il est question de la nécessité des économies européennes à devenir encore plus compétitives en essayant d’influencer à la baisse le taux de change — apparemment sans se rendre compte que c’est l’inactivité politique qui a aidé à accroître la valeur relative de la monnaie encore et encore. On demande simultanément aux autorités américaines de changer leur politique (réduction du déficit budgétaire et des emprunts du gouvernement afin de renforcer le taux de change), ce qui risquerait inévitablement de compromettre la continuité de la reprise globale et tendrait à annuler tout gain pour les exportateurs de l’UE suite à une chute de la valeur d’échange de l’euro. Ce risque n’est que trop évident à la lumière de l’expérience passée sur le lien entre exportations nettes, taux de change réel et croissance commerciale mondiale. Depuis 1995, la contribution des exportations nettes au PIB en Europe a été systématiquement positive lorsque la croissance commerciale mondiale était élevée, comme on pouvait s’y attendre. Ce fut même le cas entre 1995 et 1997, malgré la valeur d’échange réelle élevée de l’écu durant cette période. En revanche, lorsque la croissance du commerce mondial fut relativement basse en 1998 et 1999, la contribution des exportations nettes fut négative, et quand le commerce mondial s’est accru plus vite en 2000, les exportations nettes sont une fois encore devenues positives. Chose inhabituelle, la chute du commerce mondial en 2001 n’a pas été accompagnée par une baisse des exportations nettes, et leur contribution à la croissance du PIB est restée positive en
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2002. On peut cependant attribuer cela à la faible valeur de l’euro, combinée avec l’état dépressif de la demande intérieure européenne, qui a réduit les importations. En 2003, l’effet combiné d’une faible croissance du commerce mondial et d’un taux de change fortement apprécié a réduit la contribution des exportations nettes à la croissance du PIB. Cette expérience suggère sans surprise que les exportations nettes sont influencées à la fois par le taux de change réel et par la croissance du commerce mondial. Ainsi, tandis qu’une chute du taux de change pourrait compenser une faible croissance continue du commerce mondial, il se pourrait qu’elle doive être plus importante pour aboutir à ce résultat — d’ampleur similaire à la chute survenue en 1999 et en 2000. Les prédictions d’une croissance plus rapide du commerce mondial peuvent se révéler correctes, mais une fois encore, l’Europe s’en remet à des forces largement hors de son contrôle plutôt qu’au développement de son propre marché intérieur.
Scénarios concernant les développements économiques futurs La position de la politique de l’UE concernant la politique budgétaire américaine (et les déficits intérieur et extérieur qui en sont une conséquence) et le taux de change dollar-euro est d’une importance capitale en termes de croissance de l’économie européenne pour les années à venir, et de perspective d’amélioration du niveau de vie. C’est pourquoi nous examinons ci-dessous divers scénarios de développements futurs dans l’économie globale, analysant les conséquences des différentes politiques menées dans l’UE et aux États-Unis. Les effets potentiels peuvent être analysés au moyen d’un modèle d’économie globale développé il y a quelques années par le département d’économie appliquée de l’université de Cambridge. Celui-ci est destiné à capturer le lien entre les principaux blocs commerciaux, comme cela est expliqué dans l’encadré p. 85. Ce modèle est utilisé ici afin de considérer les effets de l’expansion budgétaire actuelle et continue aux États-Unis, mais aussi les conséquences engendrées par la fin de cette expansion — non seulement pour l’économie américaine mais aussi pour
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l’Europe et le reste du monde. Nous estimons ensuite quelles différences peut apporter un changement de politique de l’UE. Si l’on émet l’hypothèse que les tendances passées se poursuivent — que la politique budgétaire et monétaire aux États-Unis reste concentrée à la fois sur la stimulation et le soutien de la croissance économique intérieure, et que le dollar reste faible sur les marchés de change étrangers —, il est probable que le PIB américain continue à croître d’environ 3 % par an ou un peu plus. Le déficit budgétaire et le déficit de la balance des paiements continueraient à être importants, bien que déclinant lentement par rapport au PIB. Dans l’UE, si la position politique prudente actuelle persiste, la croissance reviendrait à environ 2,5 % par an, mais il est peu probable qu’elle atteigne un niveau plus élevé — notons que pendant 17 ans, entre 1986 et 2003, la croissance du PIB en Europe fut en moyenne légèrement inférieure à 2,5 % par an, et depuis 1991, inférieure à 2 %. Le surplus de la balance des paiements resterait significatif. L’inflation resterait certainement faible car il est probable qu’il y ait peu de pression à la hausse des prix primaires et des prix de l’énergie, étant donné la croissance relativement modeste de l’économie mondiale. L’emploi augmenterait, la croissance étant supérieure à la tendance à la hausse de la productivité, mais pas assez cependant pour atteindre les objectifs de Lisbonne. Si toutefois les États-Unis succombent à la pression internationale et commencent à inverser leur politique d’expansion budgétaire afin de diminuer la hausse des emprunts gouvernementaux et de réduire le déficit de la balance des paiements, la croissance américaine ralentirait. Réduire le déficit budgétaire de moitié sur les trois ou quatre prochaines années diminuerait probablement la croissance du PIB américain de 1 % par an environ — passant de 3 % à 2 %. Cela aurait un impact considérable sur la croissance économique globale, la réduction étant presque de la même ampleur, une fois que se produisent les répercussions d’une hausse plus lente des importations américaines et l’effet déprimant sur les prix des produits primaires et ceux de l’énergie ainsi que les revenus des producteurs primaires. Dans l’UE, la croissance du PIB serait réduite de plus de 0,5 point de pourcentage par an pour atteindre moins de 2 %. Il faut noter que l’effet sur l’UE est plus important que ce que l’on suppose d’ordinaire car le modèle va au-delà de l’impact immédiat du déclin des importations américaines. Bien que
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l’Europe représente seulement près de 20 % des importations américaines, les producteurs européens sont touchés non seulement par le déclin des ventes aux États-Unis, mais aussi par la baisse des ventes aux autres blocs commerciaux qui sont similairement frappés par une réduction de leurs exportations vers les États-Unis. Les conséquences pour les exportations européennes sont donc beaucoup plus importantes que l’impact initial. Si le resserrement de la politique aux États-Unis était accompagné par un renforcement du taux de change, cela déprimerait encore plus la croissance américaine. L’Europe et certains autres pays gagneraient des parts de marché grâce à cette modification des taux de change, mais ce gain serait compensé par la faible croissance du marché américain, étant donné que les producteurs américains sont affectés par la monnaie qui s’apprécie. Il est en effet possible que tout gain obtenu à partir de parts de marché croissantes soit plus ou moins complètement compensé par une réduction de la taille du marché, laissant encore la croissance européenne sous la barre des 2 % par an. Cela illustre la situation difficile dans laquelle se trouvent les décideurs politiques des deux côtés de l’Atlantique. Le résultat de l’expansion budgétaire substantielle qui a eu lieu aux États-Unis — dans un contexte où les autres marchés globaux étaient déprimés — est un déficit important de la balance des paiements, nécessitant un financement. Cela a exercé une pression à la baisse sur les taux de change, la Réserve fédérale américaine ayant hésité à voir les taux d’intérêt augmenter. Étant donné l’ampleur du déficit commercial et la politique continue d’accroissement de la demande domestique pour maintenir la croissance, le taux de change devait en effet rester bas afin de concilier les différentes positions des politiques économiques aux États-Unis d’une part, et en Europe et dans d’autres parties du monde d’autre part. Il est peut-être effectivement nécessaire que le taux de change subisse une baisse plus grande afin d’éviter que les déficits intérieur et extérieur ne s’accroissent encore plus rapidement. La puissance croissante de l’euro, contrepartie de la faiblesse du dollar, pourrait rendre difficile le maintien des parts de marché des producteurs de l’UE. Cependant, cette responsabilité repose autant sur la politique de prudence de la BCE et des gouvernements des États membres que sur la prodigalité de l’administration américaine. Des taux d’intérêt plus bas dans la zone euro, couplés avec une politique budgétaire moins
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restrictive et un taux plus élevé de croissance du marché interne de l’UE réduiraient la pression à la hausse sur le taux de change et aideraient à estomper les déséquilibres.
Les avantages d’une croissance plus forte dans l’UE Les simulations du modèle montrent que, dans un contexte de resserrement de la politique américaine, un point (de pourcentage) de croissance supplémentaire par an sur le marché de l’UE relancerait à la fois la croissance américaine et la croissance de l’économie globale dans son ensemble. La croissance du PIB aux États-Unis augmenterait de 0,5 point de pourcentage par an avec la même orientation politique interne, et la croissance de l’économie mondiale s’accroîtrait encore plus. Cela illustre la position stratégique de l’UE dans l’économie globale. Ses importations en provenance du reste du monde sont peut-être inférieures à celles des États-Unis, mais représentent encore un marché substantiel pour les autres pays, et des développements à ce niveau ont un impact significatif ailleurs. Cela sera encore plus vrai après l’élargissement. Une telle expansion du marché interne nécessitera vraisemblablement d’abandonner toute tentative pour garder les déficits budgétaires en dessous de la barre des 3 % du PIB — on reconnaît que c’est un plafond arbitraire sans fondement économique, et qui a peu de justification politique sauf pour ceux qui pensent que les gouvernements de l’UE permettraient le cas échéant à leurs déficits de déraper en dehors de tout contrôle, provoquant la chute de l’euro et de l’économie européenne, et qui ne voient pas d’autre moyen pour faire face à une telle menace. En réalité, et étant donné l’échelle de l’économie de l’UE — avec un PIB très similaire à celui des États-Unis —, l’euro a le potentiel nécessaire pour rivaliser en tant que monnaie internationale avec le dollar. Et pourtant, le rôle international de l’euro et son potentiel de soutien à la croissance de l’UE, ainsi que les responsabilités internationales qui découlent de la taille de l’économie de l’UE ont été largement négligés par la BCE et les gouvernements européens. Les fluctuations importantes qui ont eu lieu au niveau de la valeur d’échange de l’euro depuis son introduction, et leurs effets adverses sur la croissance économique — qui proviennent en partie du climat d’incertitude régnant dans les affaires —
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démontrent avec force la nécessité d’une action internationale plus consciente pour gérer de tels mouvements, avec une coopération entre les autorités américaines et européennes, peut-être avec le soutien du Japon et d’autres grandes économies. En dépit de l’ampleur des flux de capitaux privés et de leur potentiel perturbateur, un effort de coopération concerté, même s’il ne peut bien entendu aboutir à une stabilité complète, pourrait modérer les fluctuations extrêmes, devenues une caractéristique des marchés monétaires internationaux. Cela demande cependant un grand changement au niveau des préoccupations de la BCE, qui devrait se pencher sur des questions plus larges que le taux d’inflation interne dans l’UE. La poursuite d’une cible politique unique peut avoir le mérite d’être simple, mais le choix d’objectifs de politiques économiques et leur mise en œuvre ne devraient pas être déterminés uniquement par souci de simplicité.
L’importance croissante de l’Europe centrale et orientale En mai 2004, dix pays supplémentaires ont rejoint l’UE, huit d’entre eux provenant d’anciennes économies centralement planifiées de l’Europe centrale et orientale, encore engagées dans un processus de transition vers une économie de marché. Ces pays augmentent d’environ 20 % la taille de la population de l’UE, et par conséquent le nombre de consommateurs potentiels du marché interne, mais augmentent de moins de 5 % le PIB total de l’Union mesuré en termes d’euros. Cela représente moins de la moitié de la hausse du PIB due à l’entrée de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède en 1994, qui avaient une population inférieure au tiers de celle des nouveaux pays membres. Ces nouveaux pays importent déjà cependant presque autant en provenance de l’UE que l’Autriche, la Finlande et la Suède pris ensemble, en dépit de leur PIB beaucoup plus faible et du fait qu’ils étaient en dehors du marché unique jusqu’au mois de mai. Dans l’ensemble, les pays du Centre et de l’Est, y compris ceux qui n’ont pas encore rejoint l’UE, importent près de 10 % de plus que ces trois anciens États membres réunis. En 2003, les pays membres de l’UE ont exporté pour plus de 150 milliards d’euros de biens vers les pays du Centre et de l’Est. La valeur des exportations totales de biens de l’UE vers l’Europe centrale et orientale
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s’est en effet élevée en 2003 à environ 70 % de ses exportations vers les États-Unis. De plus, ce marché s’accroît plus rapidement que celui des États-Unis. Ainsi, entre 1995 et 2003, les exportations de l’UE vers l’Europe centrale et orientale ont été multipliées par trois en termes de valeur et ont quasiment doublé par rapport au PIB de l’UE pour atteindre près de 2 %. Ce taux de croissance souligne à la fois la proportion importante de dépenses consacrées aux importations dans ces pays et la part notable qui provient des pays membres de l’UE. Les importations de biens et de services ont atteint plus de la moitié du PIB pour les pays rejoignant l’UE en 2004, comparé à une moyenne de seulement un tiers environ pour les anciens États membres, y compris en comptabilisant les importations en provenance des autres pays de l’UE. De plus, environ 60 % de ces importations proviennent de l’UE. Par ailleurs, les importations s’accroissent plus vite que le PIB, alors que la croissance des revenus évolue disproportionnellement par rapport aux achats des autres pays. Cela concerne non seulement les usines et les équipements pour la modernisation des procédés de production, mais aussi les biens de consommation durables. Entre 1995 et 2003, la part des importations par rapport au PIB a augmenté de 12 points de pourcentage dans l’ensemble de ces pays. Étant donné l’ampleur de ces importations et la taille potentielle de ce marché, le taux de croissance que ces économies parviennent à réaliser est plus important que celui des anciens États membres et pourrait donner un essor significatif à long terme à l’économie européenne s’il était durable. Cela est démontré dans les simulations du modèle mondial pour examiner les interrelations entre les économies européenne et américaine, en prenant en compte, une fois encore, non seulement l’effet initial d’une croissance plus élevée, mais également les effets multiplicateurs suivants. Bien que les exportations de l’UE vers les économies de l’Europe centrale et orientale s’élèvent à moins de 2 % du PIB de l’Union et que le PIB de ces économies ne représente qu’environ 5 % du total de l’UE, leur croissance a un impact potentiellement important sur les anciens États membres si l’on prend en compte les conséquences sur les autres parties du système commercial global. Par exemple, si les taux de croissance de ces pays pouvaient être augmentés de 2 % par an sur une base durable par
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rapport au niveau actuel, cela ajouterait en fin de compte 0,5 point de pourcentage par an environ à la croissance de l’UE15. En effet, étant donné l’échelle des exportations des nouveaux pays membres par rapport aux anciens, la croissance dans ces derniers se révèle décisive si les nouveaux pays désirent garder des taux de croissance élevés, nécessaires pour élever leur PIB par tête à un niveau plus comparable avec celui de l’UE15. La croissance est également nécessaire pour financer le développement de leurs infrastructures afin de soutenir le développement économique à long terme. La recherche de ce financement dépendra des politiques suivies par les pays de l’UE15 à leur égard, ainsi que de leurs propres efforts. Tandis que la réalisation d’un taux de croissance plus élevé au sein de l’UE15 est primordiale, il est tout aussi important qu’un financement à grande échelle soit fourni par l’intermédiaire des fonds structurels afin de répondre aux investissements substantiels requis, non seulement pour améliorer les infrastructures de toutes sortes (en particulier les réseaux de communication et de transport), mais aussi pour moderniser les systèmes d’éducation et de formation et pour soutenir le développement des affaires. Sans ce financement, les déficiences structurelles actuelles seront probablement un obstacle majeur à une croissance durable, en particulier dans les zones situées en dehors des grandes agglomérations, où les problèmes sont les plus aigus et où les entreprises hésitent à investir. Malgré les gains potentiels à la clé et les conséquences mutuelles bénéfiques liées à la possibilité pour ces pays de réaliser des taux de croissance élevés et durables, l’attitude des gouvernements des anciens États membres envers les nouveaux pays est aussi prudente, voire aussi négative que lorsqu’il s’agit d’aborder la question de la faible croissance dans l’UE15. Alors que la Commission européenne a récemment recommandé une hausse du budget de l’UE — l’élevant à un peu plus de 1 % du PIB de l’UE — afin de permettre une expansion des fonds structurels pour répondre aux besoins des nouveaux pays membres, il semble très probable que les gouvernements des États membres rejetteront cette recommandation. En effet, les gouvernements réduiront probablement le budget de l’UE après 2006, plutôt que l’inverse, étant donné leur préoccupation concernant les conséquences à court terme d’une augmentation du budget sur les dépenses publiques au niveau
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national, et leur volonté d’ignorer les bénéfices à plus long terme d’une relance de l’investissement public et de la croissance économique.
Le partage des gains potentiels entre les pays de l’UE Une des raisons possibles pour lesquelles les gouvernements de l’UE15 hésitent à contribuer à l’investissement dans les nouveaux pays membres est la différence importante entre anciens pays membres en termes de gains à tirer de la croissance des nouveaux États. Cela peut également expliquer les divers degrés d’enthousiasme pour l’élargissement de l’UE. En 2003, l’Allemagne représentait environ 42 % des exportations totales de l’UE vers l’Europe centrale et orientale. Cela correspond presque au triple de la part de l’Italie, deuxième exportateur le plus important, à près de cinq fois la part de la France et environ dix fois celle du Royaume-Uni. Ces pays représentent maintenant un marché plus grand pour les exportateurs allemands que le marché américain, avec des ventes s’élevant à plus de 20 % du total des exportations allemandes vers les pays en dehors de l’UE — soit l’équivalent de 3 % du PIB allemand. En ce qui concerne l’Autriche — qui a une place géographique stratégique et des liens historiques très proches avec ces pays —, le marché en Europe centrale et orientale est encore plus important, même si la part des exportateurs autrichiens est moindre que celle de l’Allemagne à cause de la plus petite taille de l’économie autrichienne. Les exportations autrichiennes vers cette région se sont élevées à environ 6 % du PIB autrichien et représentent 40 % de ses exportations totales en dehors de l’UE. Bien que ces pays soient pour la plupart moins importants en termes de marchés pour les autres États membres, ils ont une certaine portée pour l’Italie et la Finlande. En effet, dans les deux cas, la valeur des biens vendus aux pays d’Europe centrale et orientale est très similaire à celle des biens vendus aux États-Unis. De plus, alors que les exportateurs allemands et autrichiens profitent directement de la croissance des marchés en Europe centrale et orientale, les exportateurs des autres pays bénéficient quant à eux de la croissance des marchés allemand et autrichien grâce à la hausse de leurs recettes d’exportations.
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Cela est confirmé par les simulations utilisées dans le modèle mondial. En effet, le modèle indique que même les pays hors de l’UE, qui exportent très peu vers les pays de l’Europe centrale et orientale, ont à gagner de leur expansion au fur et à mesure que la hausse de l’activité économique s’étend globalement. Étant donné l’enjeu d’une croissance rapide dans ces pays au fur et à mesure que leurs économies se modernisent, leur potentiel de catalyseur pour la croissance dans l’économie de l’UE dans son ensemble est considérable. Cela ne va toutefois pas se faire automatiquement et requerra un effort conscient de la part des gouvernements des pays membres de l’UE15 pour adopter les politiques appropriées. Au mieux, cela semble encore incertain de nos jours.
La croissance récente de la productivité dans l’UE et aux États-Unis Bien que, comme on l’a vu, productivité ne doive pas être confondue avec compétitivité et considérée comme l’unique contrainte sur le potentiel de croissance, elle reste un facteur crucial pour la détermination du taux de croissance à long terme à atteindre. Dans le court terme, elle est également importante car elle a un rapport avec les hausses du salaire réel compatibles avec la stabilité du partage de la valeur ajoutée, tout en contenant l’inflation. On a fait grand cas de la récente hausse apparente du taux de croissance de la productivité aux États-Unis comparé à celui de l’Europe. Alors que la productivité dans l’UE (définie en termes de croissance du PIB par personne employée) a systématiquement évolué à un taux plus élevé que celui des États-Unis, l’inverse semble être vrai depuis le milieu des années 1990. Cela est particulièrement significatif car : — en premier lieu, l’emploi a aussi eu tendance à augmenter plus vite aux États-Unis qu’en Europe, ce qui était auparavant considéré dans une certaine mesure comme la contrepartie d’une croissance de la productivité plus faible ; — en deuxième lieu, la technologie en Europe dans son ensemble est encore à la traîne par rapport aux États-Unis, donc l’enjeu de la croissance de la productivité dans l’UE devrait aussi être plus important ; — et enfin, un taux de croissance plus rapide à la fois de la productivité et de l’emploi aux États-Unis aboutirait à un fossé
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grandissant entre les revenus, alors que la forte croissance de la productivité européenne a auparavant compensé le faible taux de croissance de l’emploi. Le premier point à relever est que la plupart des articles de presse tendent à se concentrer sur la productivité dans le secteur marchand qui, en termes de valeur ajoutée par heure travaillée, a augmenté particulièrement rapidement aux États-Unis ces deux ou trois dernières années. Cela a entraîné des déclarations sur le miracle de la productivité, peut-être attribué aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. L’accent est cependant mis dans ce chapitre sur la productivité dans l’ensemble de l’économie, y compris dans le secteur non marchand, où la croissance de la productivité est moins facilement mesurable, et la récente expérience moins impressionnante. Les données empiriques montrent que durant les dix-sept années allant de 1986 à 2003, la croissance de la productivité, mesurée en termes de PIB par personne employée, a augmenté plus dans l’UE qu’aux États-Unis — 1,7 % par an contre 1,4 %. Cette croissance plus élevée de la productivité en Europe était toutefois entièrement due à une hausse du taux de croissance pendant la première moitié de cette période — de 1986 à 1994 — alors que la productivité augmentait de 1,5 point de pourcentage de plus qu’aux États-Unis. Depuis, la croissance de la productivité dans l’UE s’est ralentie, alors qu’elle a augmenté aux États-Unis, mais reste encore inférieure à 2 % par an. Néanmoins, pendant la période 1994-2001, la croissance de la productivité aux États-Unis s’élevait en moyenne à 0,5 % par an de plus que dans l’UE et, entre 2001 et 2003, à plus de 1 % par an. Lorsqu’on examine plus en détail ces changements relatifs, une partie de la baisse apparente de la productivité dans l’UE semble être le résultat d’une réduction du nombre d’heures travaillées. En faisant les ajustements nécessaires et en exprimant la productivité en termes de PIB par heure travaillée, la productivité dans l’UE sur la période 1994-2001 passe de 1,3 % par an à 1,6 % par an — grâce à la baisse des heures moyennes travaillées dans l’UE de 0,3 % par an au cours de cette période, ce qui équivaut à près d’une heure par semaine sur l’ensemble de la période. Ce taux horaire est beaucoup plus proche du taux de croissance de la productivité aux États-Unis (1,8 % par an) où il semble y avoir eu peu ou pas de réduction du temps de travail
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hebdomadaire, selon l’enquête sur les ménages menée par le Bureau of Labour Statistics. Il faut noter que les estimations sur la moyenne européenne des heures travaillées sont issues de l’enquête européenne sur les forces de travail, qui ne contient que des données sur le nombre moyen d’heures travaillées par semaine. C’est l’unique source régulière de données sur le temps de travail qui couvre l’économie dans son ensemble. Dans le cas de l’UE, il est cependant possible que l’utilisation de données hebdomadaires sousestime la réduction des heures annuelles (ce qui aurait pour effet de sous-estimer la croissance de la productivité horaire) si, comme cela paraît probable, le nombre moyen de semaines travaillées par an a diminué dans l’UE. En pratique, selon l’enquête EFT, entre 2001 et 2003, les heures moyennes effectuées ont encore baissé de 0,5 % par an, faisant passer la croissance annuelle de la productivité dans l’UE de 0,7 % à 1,2 %. Pendant la même période aux États-Unis, il y a cependant aussi eu une légère réduction du nombre d’heures hebdomadaires travaillées, ce qui a poussé la croissance de la productivité à 2,1 % — soit largement plus que le taux européen. Un examen plus poussé des changements au sein de l’UE révèle des différences marquées entre États membres. Les chiffres suggèrent en particulier un brusque déclin de la croissance de la productivité en Italie, avec un taux légèrement supérieur à 1 % par an entre 1994 et 2001 et un taux négatif d’un peu plus de 0,5 % par an entre 2001 et 2003, l’emploi augmentant beaucoup plus que le PIB. Il n’y a pas d’explication évidente pour ces résultats inhabituels, mais cela vaut la peine de noter que lorsqu’on exclut l’Italie des calculs, la croissance de la productivité dans le reste de l’UE sur la période 1994-2001 semble similaire à celle des États-Unis (1,8 % par an). Et entre 2001 et 2003, alors que la croissance de la productivité dans l’UE était particulièrement lente, la croissance de la productivité globale dans l’UE14 n’était inférieure que de 0,5 point de pourcentage par an par rapport aux États-Unis (1,6 % par an contre 2,1 %). De plus, ces différences peuvent en fait avoir peu de lien avec les changements réels pour déterminer les taux de croissance de la productivité, et davantage avec les différences de réactions à court terme suite à deux années inhabituelles d’incertitude sur les marchés économiques et sur le marché du travail. Les employeurs américains peuvent par exemple hésiter à
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embaucher avant d’être sûrs que la relance sera durable — ce qui donnera un essor à court terme à la croissance de la productivité du travail — alors que dans l’UE les employeurs peuvent hésiter à licencier des travailleurs s’ils sentent que la relance est proche, réduisant ainsi la croissance de la productivité du travail à court terme.
La croissance du PIB par tête Le fait que le PIB par personne employée ait augmenté légèrement plus en Europe qu’aux États-Unis depuis le milieu des années 1980, combiné avec une hausse plus grande du nombre de personnes au travail par rapport à la population en âge de travailler (comme on le verra plus loin), signifie que le large fossé au niveau du PIB par tête qui existait entre les deux économies s’est en quelque sorte rétréci. Entre 1986 et 2003, le PIB par tête mesuré en termes réels a augmenté en moyenne de 2 % par an dans l’UE, comparé à une hausse légèrement supérieure à 1,5 % par an aux États-Unis. Ce rétrécissement du fossé est principalement survenu dans la seconde moitié des années 1980, alors que le PIB augmentait de plus de 3,5 % par an en Europe, et le PIB par tête d’un peu plus de 3 % par an. Depuis, l’écart s’est plutôt agrandi que réduit, principalement à cause de deux facteurs. En premier lieu, la plus longue récession dans l’UE au début des années 1990, le PIB par tête augmentant de moins de 1 % par an durant les trois années de 1991 à 1994, soit moins de la moitié de la hausse enregistrée aux États-Unis. Et deuxièmement, l’impact du ralentissement entre 2001 et 2003, le PIB par tête augmentant seulement de 0,5 % par an en Europe, soit moins du tiers de la hausse aux États-Unis. Entre ces deux périodes de croissance moribonde — de 1994 à 2001 —, la croissance du PIB par tête dans l’UE s’élevait en moyenne à 2 % par an, légèrement plus qu’aux États-Unis. Les faits depuis les années 1980 démontrent clairement que durant les périodes de croissance économique raisonnable, l’UE a pu rattraper les États-Unis en termes de croissance de la productivité et du PIB par tête, mais aussi de l’emploi. Le problème est qu’entre ces périodes se sont intercalées des périodes de faible croissance plus longues en Europe qu’aux États-Unis. Cela est parfois attribué à une flexibilité salariale plus
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grande sur les marchés du travail américains, dans le sens où les salaires chutent en période de récession et incitent les employeurs à embaucher plus rapidement, bien qu’il soit difficile de trouver des preuves appuyant cette thèse. L’explication la plus plausible est à rechercher dans les réponses plus agressives des politiques économiques aux États-Unis durant ces périodes, reflétant la nature moins fragmentée de la politique américaine par rapport à l’Europe, et la plus grande priorité accordée au maintien de l’emploi. La création de la monnaie unique et l’établissement de la BCE rendent en principe possible la poursuite d’une politique plus cohérente dans l’UE à l’avenir. Cependant, cela requiert plus d’attention à la gestion de la demande — question qui semble actuellement susciter un intérêt limité au niveau de la politique européenne — et une coopération plus ouverte et plus active entre les autorités européennes, les gouvernements nationaux et les partenaires sociaux. Une partie du problème vient du fait qu’au niveau national les autorités politiques sont plus proches de leur électorat et doivent justifier des actions telles qu’une hausse des impôts ou une baisse des dépenses publiques, dans un contexte où la demande est déjà déprimée. Les autorités européennes sont beaucoup plus coupées de ces réalités et de ces pressions et semblent, pour le moment du moins, tout à fait satisfaites de laisser les choses en l’état.
La croissance de la productivité dans les pays de l’UE Bien qu’une grande partie de cette analyse soit consacrée à la comparaison entre l’Europe et les États-Unis, des différences significatives apparaissent également entre les pays au sein de l’UE, à la fois en termes de compétitivité et de productivité. Il existe aussi des variations aux États-Unis — comme on l’a vu dans le chapitre I sur les variations dans le revenu régional par tête —, mais celles-ci ne sont pas aussi grandes que celles observées dans l’UE, reflétant la plus longue période depuis laquelle les États-Unis sont un marché unique, mais aussi depuis laquelle ils doivent se pencher sur le problème des disparités régionales. Quant à la « compétitivité » des différents États membres de l’UE, certaines variations entre les pays ont été observées, comme le reflète la performance commerciale. Il suffit de dire
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qu’il y a des pays avec une bonne ou mauvaise performance commerciale, qui n’accordent pas un soutien appuyé à la politique commune de l’UE pour améliorer la compétitivité de l’UE comme moyen de stimulation de la croissance. Il existe des différences de productivité tout aussi significatives, terme devenu un substitut pour « compétitivité » (à tort, à notre avis), avec un PIB par heure travaillée supérieur au niveau américain dans certains pays, et inférieur dans d’autres (graphique 9). Les différences entre pays européens en termes de productivité ces dernières années se reflètent également dans les diverses tendances de la croissance de l’emploi. Graphique 9. Croissance de la productivité dans l’UE (PIB par heure travaillée)
La croissance du PIB par heure travaillée depuis le milieu des années 1980 variait de plus de 4 % par an en Irlande et au Portugal — pays où le niveau de productivité était relativement faible au début de la période — à moins de 1,5 % par an en Espagne et en Italie — où la part des personnes en âge de travailler effectivement employées était relativement basse, accordant ainsi beaucoup d’importance à la croissance de l’emploi.
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Cela fut également le cas en Irlande, pays qui a réussi à réaliser un taux de croissance du PIB suffisamment élevé pour augmenter l’emploi de manière substantielle, tout en maintenant un taux élevé de croissance de la productivité. Globalement, la croissance de la productivité était plus basse pendant la seconde moitié de la période que lors de la première, correspondant à la tendance observée dans l’UE dans son ensemble, seuls le Danemark, la Grèce et l’Irlande ne se conformant pas à cette tendance. Le ralentissement était particulièrement marqué en Allemagne, où la réunification avec les Länder de l’Est a conduit à une poussée prononcée de la productivité résultant de la rationalisation et de la réduction du surplus de main-d’œuvre. Dans six États membres — le Luxembourg, le Portugal, l’Autriche et la Finlande ainsi que l’Irlande et la Grèce —, la croissance de la productivité entre 1994 et 2001 a dépassé celle des États-Unis. Néanmoins, il semble y avoir eu un grand changement dans la croissance de la productivité sous-jacente durant cette période au sein de l’UE, ce qui peut être lié, dans une certaine mesure, à la croissance des activités de services. La croissance de la productivité dans ce secteur est particulièrement difficile à mesurer et l’Europe a consacré beaucoup moins d’efforts à l’amélioration de cette mesure que les États-Unis. Ou alors cela peut simplement être lié aux différentes priorités politiques établies pour augmenter l’emploi et réduire le chômage pendant la récession. La réduction du chômage est clairement devenue un objectif majeur de la politique économique au sein de l’UE durant cette période, avec une attention considérable portée à la nécessité d’augmenter la prétendue « intensité d’emploi de la croissance », en réalité l’inverse de la productivité du travail. Le ralentissement de la croissance de la productivité depuis 2001 a été moins étendu, reflétant peut-être les différentes perceptions de la situation économique sous-jacente et les perspectives futures ainsi que, bien entendu, la variation de la croissance du PIB durant cette période, dépassant 4 % par an en Grèce et en Irlande mais étant négative en Allemagne, aux Pays-Bas et au Portugal. Il y a eu un ralentissement de faible ampleur ou même nul dans huit des quinze pays membres — notamment l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne — mais une chute significative de la productivité en Italie, ce qui, comme noté précédemment,
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explique en grande partie le déclin de la productivité moyenne dans l’UE. Le temps de travail moyen a aussi baissé depuis le milieu des années 1980 — plus dans l’UE qu’aux États-Unis, comme on l’a vu ci-dessus —, contribuant ainsi à la hausse du nombre de personnes au travail. En Irlande, la réduction des heures moyennes effectuées s’est élevée à un peu plus de 1 % par an durant cette période, et à plus de 0,5 % par an au Portugal et en France. Les seuls pays de l’UE n’ayant pas subi de réduction du temps de travail sont le Danemark, la Suède et la Finlande, reflétant — au moins dans les deux premiers cas — une tendance à la hausse du nombre de femmes travaillant à plein temps plutôt qu’à temps partiel. Globalement, les heures moyennes travaillées ont baissé de manière assez continue dans la plupart des pays durant la période, avec une réduction particulièrement prononcée entre 2001 et 2003, alors que la croissance du PIB ralentissait. L’effet de cette réduction du temps de travail a été d’augmenter le nombre de personnes en emploi pour tout niveau de PIB, étant donné les tendances de la productivité (graphique 10). Jusqu’en 2001, cette réduction a effectivement accru la croissance de l’emploi, liée à celle du PIB, d’environ 0,3 % par an, représentant apparemment près de 40 % de la hausse globale de l’emploi entre 1986 et 2001 (bien que cela n’implique pas qu’il y ait nécessairement une relation directe ou univoque entre les heures moyennes travaillées et le nombre de personnes au travail, voir graphique 11). Pendant les huit années de 1986 à 1994, une réduction du nombre moyen d’heures effectuées fut effectivement responsable de la plupart des augmentations du nombre d’emplois en Belgique, en Allemagne, en France, au Portugal et en Irlande. Entre 1994 et 2001, cet effet est moindre, mais est encore à l’origine de la plupart de la croissance de l’emploi en Allemagne, en Autriche et au Portugal, et de la moitié de la croissance en France. Entre 2001 et 2003 enfin, cette réduction a permis à l’emploi de se maintenir ou d’augmenter dans la plupart des pays membres. En partie à cause de la réduction du temps de travail, la croissance du PIB par personne employée fut moindre entre 2001 et 2003 que durant les sept années précédentes dans six des quinze États membres. Le PIB par personne employée est resté inchangé
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Graphique 10. Variation du nombre de personnes employées dans l’UE
aux Pays-Bas et au Portugal, et a même chuté de manière significative dans deux autres pays — l’Italie et le Luxembourg.
Convergence et divergence entre les pays membres de l’UEM On espérait que l’introduction de l’euro en 1999 — les billets et les pièces apparaissant en 2002 et la Grèce se joignant au mouvement en 2000 — augmenterait la convergence économique entre les pays membres. C’est cependant le contraire qui s’est passé. En mettant de côté l’Irlande et le Luxembourg qui sont des cas spéciaux — et qui ont de toute façon globalement peu d’impact —, les taux de croissance économique ont considérablement divergé durant ces cinq années d’union monétaire. Alors qu’il y avait une chute importante du taux de croissance moyen dans l’UE des Douze — passant de 2,8 % à 0,4 % —, l’écart s’est en fait agrandi, passant de 2,2 à 5 points de pourcentage.
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Graphique 11. Variation dans le nombre de personnes employées et dans les heures de travail moyennes, 2001-2003
Cela contraste avec les observations sur longue période — comme noté dans le chapitre I — où les pays avec un revenu relativement bas jouissaient d’une croissance plus rapide que les pays à haut revenu, avivant ainsi un espoir de convergence des niveaux de croissance avec le temps. On a eu une expérience similaire avec les différences de taux d’inflation entre les membres de l’UEM (Union économique et monétaire). Des différentiels importants ou grandissants peuvent limiter les capacités de la banque centrale à mener une politique monétaire appropriée, les décideurs se fondant sur l’idée qu’un commerce accru au sein de l’union monétaire limitera les fluctuations des prix dans chaque pays, aboutissant à la convergence des taux d’inflation nationaux. Les faits qui ressortent de ces cinq premières années d’UEM suggèrent que cela n’est toutefois pas arrivé. En pratique, l’écart entre les taux d’inflation pour les douze pays a doublé — passant de 1,5 à 3 points de pourcentage — bien que, contrairement aux
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taux de croissance économique, cela reflète partiellement la hausse de la moyenne d’un point de pourcentage. Ces deux expériences sont liées par le fait que tous les pays dans la zone UEM ont le même taux d’intérêt nominal, fixé par la BCE. Ainsi, une divergence des taux d’inflation implique une divergence des taux d’intérêt réels, les pays à forte inflation ayant des taux d’intérêt réels bas et vice versa. Cela est important car une croissance plus rapide tend à faire grimper l’inflation, tandis que des taux d’intérêt réels plus bas conduisent à une croissance plus rapide. Il y a donc un danger que certains pays membres de l’union monétaire connaissent une croissance plus rapide, conduisant à une inflation plus élevée, des taux d’intérêt réels réduits et un essor supplémentaire de croissance, alors que l’inverse se produit dans les pays à faible croissance. Ces cercles vertueux et vicieux créent des problèmes majeurs pour la politique monétaire commune. Il y a cependant un contre-mécanisme qui opère via le commerce international. Les pays au sein de l’union monétaire qui ont une inflation plus rapide ou plus lente connaissent une perte ou un gain de compétitivité vis-à-vis des autres membres, sans avoir la possibilité de compenser cela par une modification du taux de change. C’est le mécanisme sur lequel comptent les décideurs politiques pour équilibrer taux de croissance et d’inflation. Lorsqu’on compare la croissance actuelle et les taux d’inflation, on se rend en effet compte que c’est l’effet de causalité cumulative qui semble prédominer dans le court et le moyen terme. L’Allemagne, la France et l’Autriche d’un côté, l’Irlande, l’Espagne et la Grèce de l’autre ont respectivement affiché une inflation basse et élevée, des taux d’intérêt réels élevés et faibles, et une croissance économique lente et rapide. Dans le long terme toutefois, les effets commerciaux entrent en jeu. Le Portugal et les Pays-Bas sont des cas intéressants. Pendant un certain temps vers la fin des années 1990, ces pays bénéficiaient d’un cercle vertueux de croissance rapide, avec une inflation assez élevée et de faibles taux d’intérêt. Ils ont par la suite rencontré des problèmes de compétitivité (exacerbés au Portugal par un resserrement sérieux de la politique budgétaire) qui ont sévèrement réduit leur croissance économique, et les ont relégués en 2003 au rang de pire performance, en termes de croissance, alors qu’ils étaient parmi les pays réalisant les meilleurs scores.
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Un modèle du système économique global Le modèle divise le système économique mondial en douze blocs avec, entre autres, celui des États-Unis, celui du Japon, celui de l’Allemagne, celui du reste de l’Europe occidentale — ce qui correspond en gros au reste de l’UE15 — et celui d’autres économies développées (principalement le Canada et l’Australie). Les économies d’Europe centrale et orientale représentent un autre bloc, ainsi que l’ancienne Union soviétique, tandis que l’Asie du Sud-Est, la Chine, l’Amérique latine, l’Afrique et le Moyen-Orient sont chacun traités séparément. Le commerce est divisé en trois catégories : les produits manufacturiers, l’énergie et les autres produits primaires, l’offre et la demande pour ces deux derniers étant équilibrées par les mouvements des prix. Les exportations sont modélisées en fonction de la part de chaque bloc dans les importations de chacun des autres blocs, alors que les importations sont principalement affectées par la demande au sein des blocs respectifs. Les flux financiers sont supposés être la contrepartie des balances commerciales et influencer la politique par leur intermédiaire. Bien que le modèle soit une représentation extrêmement simplifiée de
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la réalité, il a le mérite de capturer l’interrelation, à travers le commerce, entre les développements dans les différentes parties du monde. Cela permet de suivre les répercussions d’un changement dans une partie du monde à travers le système global. Le fait que des équations comptables simples soient également imposées (en particulier, l’égalité entre exportations et importations mondiales, la somme nulle des balances commerciales, et les parts des différents marchés ne pouvant dépasser 100 %) assure que, pour chaque changement, il existe des réactions en réponse quelque part dans le système. Par exemple, les parts commerciales de l’UE ne peuvent augmenter à moins qu’il y ait une réduction des autres parts, de même les surplus commerciaux ne peuvent s’accumuler sans qu’il y ait des déficits en contrepartie ailleurs. Le modèle contient des données annuelles remontant à 1970 et ses équations, testées depuis plusieurs années, se sont avérées relativement robustes. Son principal usage, il faut le souligner, est d’examiner les scénarios futurs sur la base d’hypothèses alternatives, selon la méthode « qu’est-ce qui se passerait si ? ». En d’autres termes, l’objectif n’est pas de prédire ce qui est susceptible d’arriver, mais de comparer les résultats obtenus à partir des différentes hypothèses.
D’un autre côté, et de manière moins spectaculaire, l’Autriche semble bénéficier tout doucement de ses taux d’inflation inférieurs à la moyenne et améliorer sa performance de croissance par rapport à la moyenne de l’UEM. L’Allemagne suivra peutêtre, mais sa taille plus grande (et des effets commerciaux plus petits) rend ce sentier de désinflation compétitive particulièrement difficile.
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Les conclusions en termes de politiques sont complexes. Une politique monétaire ne peut provoquer un ajustement entre pays. Cela relève des gouvernements nationaux et des partenaires sociaux qui doivent fixer l’évolution des politiques nationales budgétaires et salariales de façon à limiter les cercles vicieux et vertueux, tout en permettant les ajustements nécessaires au niveau de la compétitivité nationale au sein de la zone de monnaie unique. Comme beaucoup de personnes l’ont affirmé, cela requiert tout d’abord une réforme du Pacte de stabilité et de croissance, en s’assurant notamment qu’il fonctionne de façon plus symétrique. Il n’est pas possible d’avoir une politique monétaire rigide et une politique budgétaire rigide. Il est également important pour le succès de la zone euro que les négociations salariales prennent en considération les tendances de la productivité à moyen terme dans chaque pays, et évitent de réagir à des fluctuations cycliques de court terme.
III / L’emploi : une fin en soi mais surtout un moyen
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out sociologue dira que le travail nous donne un rôle et un objectif dans la vie. Et cela est vrai, dans une certaine mesure. Mais pour la plupart des gens, la question de l’emploi est plus pratique ou plus terre à terre. On a besoin d’un travail pour assurer les revenus nécessaires à l’harmonie entre notre corps et notre esprit — à moins d’avoir des moyens financiers privés considérables ou de pouvoir persuader quelqu’un de vous prendre en charge, ou de vivre dans un pays où les dispositions sociales collectives sont exceptionnellement généreuses. Par ailleurs, plus on désire vivre mieux, plus on doit trouver et garder un poste de travail de meilleure qualité, y compris en termes d’opportunités de salaire. En gros, la plupart des Européens croient à cette vision du travail social et utilitaire, ceux qui pensent qu’« un bon travail n’existe pas, certains sont simplement pires que d’autres » étant de moins en moins représentés. Les emplois sont précieux et nécessaires, et il existe une compétition entre les travailleurs pour les postes de meilleure qualité. Et bien entendu, lorsque le chômage est élevé, il y a compétition pour n’importe quel type de poste. Au même moment, la notion traditionnelle selon laquelle les vies se construisent autour de liens conjugaux stables et une distribution stricte du travail selon le genre — les femmes s’occupant en grande partie des tâches ménagères, tandis que les hommes se chargent du travail en plein air — est lentement mais sûrement devenue archaïque, du moins parmi les générations plus jeunes, bien que des vestiges du modèle traditionnel persistent dans certaines régions du Sud, en particulier au sud de l’Italie.
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De tels bouleversements dans la structure et la composition des ménages ont créé une nécessité croissante pour nos économies d’assurer une offre abondante de travail, de types différents, offrant des niveaux de revenu avec lesquels il est possible de vivre dans un confort raisonnable, tout en respectant les besoins naturels de divers groupes de personnes, que ce soient des célibataires, des couples ou des familles. De plus, des niveaux d’éducation croissants permettent et requièrent des postes d’une plus grande complexité, offrant plus de possibilités d’épanouissement personnel à travers le travail. Ces changements sociaux exercent à l’évidence beaucoup de pression sur les entreprises et les travailleurs, mais ils affectent également les politiciens et les décideurs politiques. On a encore à l’esprit, bien que ce souvenir commence à s’estomper, la façon dont le manque de création d’emplois par le passé s’est soldé par la montée du pire régime totalitaire en Europe. Et depuis la fin des années florissantes, au milieu des années 1970, la plupart des gouvernements de l’UE ont dû reconnaître qu’ils avaient souvent échoué à relever ce défi, bien que cela soit à des degrés divers et à différents moments et endroits. Actuellement, l’UE15 manque d’environ 20 millions d’opportunités d’emploi pour fournir un poste à tous ceux qui souhaitent travailler, y compris ceux qui sont dissuadés de rechercher activement du travail car ils pensent que le travail n’est pas disponible, ainsi que ceux qui sont enregistrés comme chômeurs. De plus, près d’un quart des postes de travail existants dans l’UE ont été classifiés par la Commission européenne des emplois de piètre qualité ; un travailleur sur cinq exprime un faible niveau de satisfaction par rapport au travail effectué. On admet donc généralement la nécessité d’avoir plus d’emplois, et de meilleure qualité. Les arguments continuent cependant à faire rage sur la meilleure façon de réaliser les objectifs de l’Europe en termes d’emploi. En particulier, dans quelle mesure ceux-ci devraient être poursuivis grâce à des politiques économiques expansionnistes, orientées vers la croissance (augmentation du niveau de la demande, et donc de l’offre de travail dans l’économie) et dans quelle mesure ils peuvent être réalisés uniquement grâce à des changements au niveau du marché du travail (amélioration de la flexibilité et des qualifications de la force de travail afin de rendre les travailleurs plus productifs et « employables »).
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Il est bien entendu évident que, pour la plupart des gens qui ont un travail ou qui sont à la recherche d’un emploi, ces deux aspects sont importants : il faut que des postes soient disponibles et que les gens soient capables de faire ce qu’on leur demande. Cependant, cela n’est pas toujours aussi évident au sein du cercle académique ou du gouvernement, où des débats stériles prennent trop souvent la place d’une analyse pratique et d’une action pragmatique. Dans ce contexte, la confiance autrefois largement répandue, peut-être exagérée, dans la seule capacité de la gestion de la demande à maintenir le plein emploi semble avoir donné naissance à une notion tout aussi déséquilibrée : la croyance selon laquelle le chômage est toujours et partout un problème « structurel », qui ne peut être résolu que par des réformes institutionnelles, notamment des marchés du travail et des États-providence. Nous croyons fermement en une approche duale où les politiques d’offre et de demande doivent et peuvent se renforcer mutuellement. Dans l’environnement actuel, cela signifie un rôle plus fort des politiques du côté de la demande — comme on l’a vu au chapitre II — en combinaison avec des réformes intelligentes du côté de l’offre. Dans ce chapitre, nous examinons l’ampleur des défis de l’Europe en termes d’emploi, la structure politique mise en place au niveau européen et les stratégies de réforme suivies par les anciens mais aussi les nouveaux États membres.
La politique de l’emploi en Europe Le Livre blanc de Jacques Delors sur « la croissance, la compétitivité et l’emploi » de 1992, et le Sommet sur l’emploi qui a suivi les révisions du traité d’Amsterdam en 1997 et mis sur pied la Stratégie européenne pour l’emploi sont des étapes importantes dans le développement d’une stratégie de l’emploi cohérente dans l’UE. Cependant, ce n’est qu’en mars 2000, lors de la réunion du Conseil européen à Lisbonne, que les chefs d’État et de gouvernement des États membres de l’UE se sont engagés à rétablir le plein emploi dans l’UE. Ils ont en particulier pris la décision sans précédent, et qui connaît une résistance depuis longtemps, de se mettre d’accord sur des cibles quantitatives de performance pour l’emploi — à
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savoir un taux d’emploi global de 70 %, un taux de 60 % pour les femmes d’ici 2010, et une cible de 50 % pour les travailleurs âgés. Étant donné les faibles taux d’emploi qui prévalaient alors (62 % pour le total et 53 % pour les femmes), cela constitue en fait un accord visant à la création de plus de 20 millions d’emplois supplémentaires dans l’UE. Il n’est pas nécessaire de se pencher sur les circonstances dans lesquelles ces engagements furent pris. Ce qui est important, c’est que, dans les années 1990, les questions d’emploi et de chômage ont été reconnues comme ayant une dimension européenne, nécessitant, en partie du moins, des réponses européennes ou au moins une structure européenne de coopération entre les autorités nationales. Cependant, au même moment, on reconnaissait la diversité des situations nationales et le fait que les responsabilités politiques dans ce domaine devaient rester principalement au niveau national. La confiance des chefs de gouvernement à ce moment-là pour fixer des objectifs et pour établir des plans détaillés pour les réaliser a reflété en partie l’arrivée récente de nouveaux États : la Suède, la Finlande et l’Autriche. Leur présence dans l’UE a servi à démontrer que les pays européens pouvaient maintenir de hauts niveaux d’emploi tout en ayant des systèmes sociaux efficaces, une distribution des revenus relativement égalitaire et des niveaux de taxation élevés. Ce fut également une confirmation des efforts de la Commission européenne pour déplacer l’attention politique de la réduction ou du déguisement du chômage (que certains gouvernements ont facilement entrepris en manipulant les chiffres ou en reclassifiant les chômeurs, notamment comme personnes handicapées) vers l’emploi et la création d’emplois, un problème sur lequel s’est sérieusement penchée l’OCDE. Ce changement a également permis de reconnaître que les données sur la création d’emplois sont plus facilement liées à la hausse de la production et de la consommation que celles sur les taux de chômage, tout en étant moins faciles à présenter sous un faux jour. Mais, comme nous le verrons plus loin, même avec des données sur l’emploi, d’astucieux subterfuges restent possibles, notamment le décompte de tous les emplois sans aucune distinction les uns par rapport aux autres, peu importe si les heures de travail sont peu nombreuses ou si la rémunération est faible. Globalement, cette nouvelle approche a cependant servi à limiter la diffusion du dogme libéral simpliste qui contaminait
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l’étude de l’OCDE sur l’emploi, et causa du tort au Livre blanc de J. Delors, selon lequel le principal moyen de s’en sortir était de baisser les charges sociales et de réduire le pouvoir des travailleurs en déréglementant le marché du travail. L’importance de la croissance économique pour la croissance de l’emploi continue pourtant à être minimisée.
Le cadre politique Aujourd’hui, l’UE a une stratégie de l’emploi complète, bien qu’embryonnaire, développée dans le traité et dans les déclarations du Conseil européen de Lisbonne. Ses principaux piliers sont : — un régime de gouvernance économique fondé sur une monnaie unique aux mains de la Banque centrale européenne, le Pacte de stabilité et de croissance qui contraint les politiques budgétaires nationales, et une coordination des décisions de politiques économiques nationales à travers les grandes orientations de la politique économique (GOPE) ; — un programme de réformes du marché du travail, réexaminé à intervalles réguliers, coordonné par les lignes directrices de l’UE sur l’emploi, et dont l’accent est mis autant sur l’amélioration des qualifications et des capacités de la force de travail, et le soutien social adéquat à l’intégration, que sur la réalisation d’une plus grande flexibilité du marché du travail ; — une réforme structurelle dans d’autres domaines dans le cadre du « processus de Cardiff » — concernant les marchés des biens et des capitaux — et le programme de réformes continu du marché unique. Le Conseil européen se réunit chaque printemps afin d’évaluer les progrès réalisés par rapport aux objectifs de Lisbonne, et se met d’accord sur tout changement nécessaire dans les priorités des politiques. La revue de 2004 par la Commission a été publiée et la réunion du Conseil européen de 2004 a amorcé la revue à mi-parcours de la stratégie prévue pour le printemps 2005. Les deux questions clés auxquelles l’UE doit faire face consistent à se demander si les objectifs de Lisbonne (entièrement réalistes et réalisables si la croissance économique connaît entre aujourd’hui et 2010 un taux similaire à celui de la seconde moitié des années 1990) seront poursuivis avec l’appui nécessaire et, en second lieu, dans quelle mesure les nouveaux États
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membres (où les taux d’emploi sont partout, sauf à Chypre et en République tchèque, inférieurs à la moyenne de l’UE15, et la productivité beaucoup plus faible) peuvent aider à donner un essor à la croissance et porter l’UE à un plus haut niveau d’emplois.
La performance en termes d’emploi de l’UE La performance européenne en termes d’emploi a été décrite comme son point faible par des critiques comme le FMI, qui compare sans cesse la croissance médiocre de ses emplois à celle des États-Unis. Peu de gens contesteraient que l’UE15 dans son ensemble a eu tendance à réaliser des performances inférieures à son potentiel, en particulier sur le long terme, mais l’ampleur du décalage par rapport aux États-Unis est souvent exagérée. En premier lieu, la tendance est de comparer les taux de croissance absolus de l’emploi sans tenir compte du fait que la croissance de la population en âge de travailler aux États-Unis, qui nourrit la création d’emplois, a été sensiblement plus élevée qu’en Europe. Toutes choses étant égales par ailleurs, on s’attend à ce qu’une économie avec un taux de croissance plus élevé de sa force de travail potentielle réalise une croissance de l’emploi plus forte qu’un pays avec un taux plus bas. Ce qui importe n’est pas le taux absolu de croissance de l’emploi mais la capacité des économies à fournir du travail à tous ceux qui désirent et ont besoin de travailler. Cela se mesure en réalité par le taux d’emploi et l’UE ne s’est pas aussi mal débrouillée que l’on pense par rapport aux États-Unis. Une partie de l’explication vient du fait que les comparaisons entre taux d’emploi dans les deux économies sont souvent fondées sur des données provenant de sources différentes : l’enquête EFT pour l’UE, et les comptes nationaux aux États-Unis (qui comptabilisent les emplois plutôt que les personnes). Par ailleurs, et souvent en complément, les chiffres américains comptabilisent les personnes qui sont encore au travail bien qu’elles aient dépassé l’âge légal de la retraite (65 ans). Si l’on compare ce qui est comparable et qu’on limite la comparaison aux personnes âgées de 15 à 64 ans et qui sont en emploi, les dernières données disponibles (2003) montrent que l’écart en termes de taux d’emploi est inférieur à 6 points de pourcentage
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(un peu moins de 70 % aux États-Unis contre légèrement plus de 64 % dans l’UE15). Cela est en partie dû au fait que, depuis le milieu des années 1990, la performance de l’UE15 en termes de variation des taux d’emploi a été de loin supérieure à celle des États-Unis. Tandis que la proportion de la population en âge de travailler effectivement au travail a décliné aux États-Unis au cours de cette période, elle a augmenté de manière significative dans l’UE15 — de plus de 4 points de pourcentage entre 1994 et 2003. De plus, dans quatre États membres (Danemark, Suède, Pays-Bas et Royaume-Uni), le taux d’emploi est supérieur à celui des États-Unis. Il faut également examiner cette situation dans une perspective à plus long terme. Dans la décennie et demie qui a suivi le début de l’intégration européenne (entre la fin des années 1950 et le début des années 1970), les pays qui, en fin de compte, formèrent l’UE15, c’est-à-dire avant l’entrée des pays d’Europe centrale et orientale, ont maintenu un taux d’emploi systématiquement supérieur au niveau américain, avec un taux de chômage inférieur de moitié à celui des États-Unis. La situation s’est cependant renversée après la première crise pétrolière des années 1970. Après quoi, le taux d’emploi de l’UE a progressivement baissé, atteignant moins de 60 % au milieu des années 1980, tandis que le taux aux États-Unis s’élevait à 70 % en 1988 (graphique 12). Au même moment, le taux de chômage dans l’UE15 correspondait à 10 % en 1985 et n’est, depuis lors, jamais retombé sous la barre des 7 %. Aux États-Unis, le chômage était inférieur à 6 % en 1988 et, après avoir culminé à plus de 7 % pendant la récession de 1991-1992, a progressivement baissé pour atteindre 4 % en 2000. Depuis lors, il est remonté à 6 %, mais reste inférieur au taux de l’UE15 (8 %) où la hausse depuis 2000 a été beaucoup plus modérée. Malgré sa faible performance par rapport aux États-Unis depuis le milieu des années 1980, l’UE a connu deux périodes de croissance soutenue de l’emploi (dans la seconde moitié des années 1980 et des années 1990) qui continuent à avoir des effets durant cette décennie. À la fin des années 1980, la croissance de l’emploi atteignait 10 millions et, à la fin des années 1990, l’UE faisait encore mieux avec 13 millions de postes supplémentaires créés — mieux que les États-Unis en
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Graphique 12. Tendances récentes des taux d’emploi dans l’UE et aux États-Unis
Source : Enquête américaine sur les ménages et Enquête européenne sur les forces de travail (EFT).
effet, une fois qu’on prend en compte la hausse plus importante de la population en âge de travailler aux États-Unis au cours de cette période. Preuve que l’Europe peut créer des emplois ! Ainsi, alors que le taux d’emploi aux États-Unis dépasse encore aujourd’hui celui de l’UE15, l’écart s’est considérablement réduit ces huit à neuf dernières années. Le problème de l’UE, c’est qu’elle n’a pas réussi à consolider ces gains. Elle a perdu les emplois créés à la fin des années 1980 pendant la récession du début des années 1990, tout comme elle risque maintenant de perdre les emplois créés à la fin des années 1990 et au début des années 2000 à cause des réponses inadéquates des autorités monétaires et économiques, comme on l’a vu dans le chapitre II . Le graphique montre que les périodes de contraction de l’emploi pendant les récessions ont été beaucoup plus courtes aux États-Unis. Cela semble également vrai lors du récent ralentissement.
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Avec, en toile de fond, le rétrécissement de l’écart au niveau du taux d’emploi entre l’UE et les États-Unis, il est intéressant de regarder de plus près à quoi est dû l’emploi supplémentaire aux États-Unis. En réalité, une petite partie de la différence globale entre l’UE et les États-Unis est due à des différences d’emploi parmi les 25-54 ans, le groupe des travailleurs « dans la fleur de l’âge ». Les différences observées pour ce groupe d’âge sont largement dues à des différences dans le taux d’emploi féminin, soulignant les difficultés que les femmes en particulier rencontrent pour concilier travail et vie de famille dans de nombreux pays européens. Les différences principales sont dues à autre chose. Il existe tout d’abord des différences au niveau des classes d’âge plus jeunes pour lesquelles le taux d’emploi aux États-Unis est de 10 points plus élevé qu’en Europe. En second lieu, l’écart est encore plus important pour les personnes plus âgées (plus de 55 ans) : proche des 20 points. Dans le cas des personnes jeunes, l’« avantage » des États-Unis est discutable, étant donné les conséquences négatives à long terme d’avoir de jeunes adultes quittant le système éducatif et entrant sur le marché du travail trop tôt. Toutes choses étant égales par ailleurs, les pays qui assurent une scolarité plus longue et une formation initiale adéquate tendront à avoir des taux d’emploi plus bas pour ce groupe d’âge, et par conséquent un taux moyen plus faible. Cela est également pertinent pour la stratégie de Lisbonne : il existe des arguments solides pour exclure les adolescents du calcul des taux d’emploi. Les différences de taux d’emploi entre l’UE et les États-Unis sont les plus frappantes parmi les personnes de plus de 55 ans et en particulier celles qui ont plus de 60 ans. Aux États-Unis, le taux d’emploi des 60-64 ans est de 55 % pour les hommes et 42 % pour les femmes, comparé à 33 % et 16 % dans l’UE15. De plus, cette différence persiste au-delà de l’âge légal de la retraite, avec un taux d’emploi de plus de 25 %-30 % parmi les hommes âgés de 65 à 69 ans et près de 20 % parmi les femmes du même âge aux États-Unis, contre à peine 7 % dans l’UE (10 % pour les hommes et moins de 5 % pour les femmes). On pourrait se poser la question de savoir dans quelle mesure ce nombre impressionnant de personnes travaillant au-delà de l’âge de la retraite aux États-Unis reflète un choix plutôt qu’une nécessité et une certaine misère. D’un autre côté, il est inquiétant qu’une si
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petite proportion de la force de travail européenne reste en emploi juste avant l’âge légal de la retraite (65 ans dans la plupart des pays). Une des raisons principales du taux moyen d’emploi continuellement bas dans l’UE vient de la diversité des performances en termes d’emploi entre les États membres, et du fait que, à quelques exceptions près, ces taux ont mis du temps à augmenter dans les pays avec un faible niveau d’emploi. Cela est particulièrement inquiétant dans le sud de l’Union, les taux d’emploi étant inférieurs à 60 % en Grèce, en Espagne et en Italie (mais pas au Portugal). En Espagne, cependant, l’emploi a augmenté de manière significative depuis le milieu des années 1990 : de plus de 10 % de la population en âge de travailler. Et les faibles taux d’emploi ne sont pas un problème que l’on retrouve exclusivement au Sud, le taux en Belgique étant par exemple de seulement 59 %. En revanche, le Danemark, la Suède, les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont de bonnes performances par rapport à cet indicateur, avec des taux d’emploi supérieurs à l’objectif de 70 % de Lisbonne. Les comparaisons entre États membres montrent que, tout comme pour les comparaisons avec les États-Unis, de faibles taux d’emploi globaux sont une fois encore principalement dus à de faibles taux d’emploi parmi les femmes de tous âges et parmi les hommes âgés de 55 ans et plus. L’Europe est encore caractérisée par différents régimes d’égalité des sexes en termes de division du travail. Dans certains pays, les femmes peuvent espérer participer au marché du travail de manière plus ou moins égale par rapport aux hommes (du moins en termes d’heures de travail), grâce à différentes structures publiques d’accueil des enfants. Cependant, dans beaucoup d’endroits du Sud, une large proportion de femmes tend à travailler jusqu’au mariage et/ou la naissance de leurs enfants avant de se retirer complètement du marché du travail, que ce soit pour une longue période ou de manière définitive. Dans d’autres pays, elles ont tendance à travailler à plein temps jusqu’à la naissance de leurs enfants et réintègrent ensuite le marché du travail après un certain temps (en général lorsque les enfants vont à l’école), souvent à horaire réduit dans des postes à temps partiel. Le travail à temps partiel est particulièrement important dans des pays tels que le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Allemagne
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et l’Irlande, où les systèmes publics de garde d’enfants sont moins étendus que dans d’autres parties du nord de l’Union. Dans les nouveaux pays membres, la tradition de participation à plein temps des femmes reste bien ancrée, bien qu’elle ait subi de sérieuses pressions suite aux modifications du marché du travail et à la privatisation des structures publiques d’accueil des jeunes enfants. Des pressions pour le changement existent en effet dans la majeure partie de l’Europe, comme cela a été démontré par les différences marquées des taux d’emploi entre la jeune génération et celle des plus âgés dans un certain nombre de pays. Quant aux hommes âgés, leur faible taux d’emploi est le reflet de plusieurs facteurs. Certains sont liés à des normes sociales profondément ancrées (le « droit » à la retraite anticipée, étant donné les conditions de travail difficiles et l’espérance de vie relativement courte), mais d’autres facteurs mettent en cause soit le manque de travail lorsque la croissance économique est insuffisante, soit des signaux négatifs de la part des employeurs et des systèmes de retraite et de sécurité sociale. Ce sont les pays nordiques qui sont allés le plus loin en combattant activement le problème de la retraite anticipée et en cherchant à inverser la tendance grâce à des politiques publiques complètes. Les modèles qui ont marché, notamment en Finlande, ont montré l’importance de la prise de conscience au niveau des compétences et de l’expérience des travailleurs âgés, de l’offre d’une formation continue, et la nécessité d’assurer un environnement de travail où les questions de santé et de sécurité sont prises au sérieux. Dans certains cas, les systèmes de rémunération où les salaires sont étroitement liés à l’ancienneté doivent être reconsidérés. Dans d’autres pays cependant, la retraite anticipée reste encore un des moyens principaux d’ajustement du marché du travail, bien que les politiques gouvernementales aient changé de position en essayant de les décourager, du moins en principe. Comme dans tant d’autres domaines, s’attaquer aux problèmes du manque d’emplois est la clé pour éviter les pressions conduisant à une sortie prématurée du marché du travail.
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Perfectionner la mesure du taux d’emploi Le taux d’emploi est un bien meilleur indicateur des performances du marché du travail que le taux de chômage, mais il peut tout de même donner une impression erronée de la capacité des pays à proposer un emploi pour les personnes en âge de travailler si l’on ne tient pas compte des heures effectuées, particulièrement dans les postes à temps partiel. Lorsqu’on prend en considération les heures de travail, en exprimant par exemple l’emploi en termes de taux « équivalent plein temps » (EPT), le taux d’emploi moyen de l’UE15 passe de 64 % environ à près de 58,5 % (graphique 13). De plus, le classement relatif des États membres se modifie de manière significative (les taux d’emploi EPT sont définis comme la proportion de personnes en âge de travailler qui seraient en emploi si toutes travaillaient le nombre d’heures moyen à plein temps dans le pays en question : voir encadré « La qualité des sources statistiques »). Graphique 13. Taux d’emploi dans l’UE15, 2003
Source : Eurostat. Personnes de 15-64 ans en emploi en % de la population en âge de travailler.
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Une des conséquences de mesurer l’emploi en termes d’EPT plutôt que d’utiliser des chiffres non ajustés est de réduire la différence des taux d’emploi entre les États membres, car les pays qui ont des taux d’emploi élevés tendent à avoir un nombre relativement grand d’emplois à temps partiel. À cet égard, les Pays-Bas et le Royaume-Uni se démarquent, avec des taux EPT respectifs de plus de 16 et presque 10 points de pourcentage plus bas que leurs taux d’emplois « bruts ». Cela laisse cependant le chiffre ajusté du Royaume-Uni à quelque 3 points de pourcentage au-dessus de la moyenne ajustée de l’UE, mais réduit celui des Pays-Bas à 1,5 point de pourcentage en dessous de la moyenne européenne. Ces ajustements réduisent également l’écart de performance en termes d’emploi souvent mentionné entre la France ou l’Allemagne d’un côté et le Royaume-Uni de l’autre, d’environ 8 points de pourcentage à 3 ou 4 points. Et ce chiffre diminue encore si, comme on l’a vu plus haut, l’avantage ambigu d’un taux d’emploi plus élevé parmi les jeunes adultes au Royaume-Uni — beaucoup d’entre eux n’allant plus à l’école ou n’étant pas en formation, contrairement aux jeunes Allemands — est retiré de l’équation. Une fois de plus, en termes de taux d’emploi EPT, la plupart des différences entre États membres s’expliquent par l’emploi des femmes. En effet, pour l’ensemble de l’UE, les chiffres EPT pour les hommes sont peu différents du taux « brut » — à l’exception des Pays-Bas où le taux d’emploi très élevé des hommes (81 %) retombe à un niveau plus normal de 74 % en termes EPT — mais restent supérieurs à la moyenne de l’UE. Globalement, les taux d’emploi « bruts » des femmes étaient d’environ 56 % pour l’UE dans son ensemble en 2003, et de seulement 45 % en termes d’EPT. Une fois encore, les changements les plus importants sont observés aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, avec une réduction respective de 26 et 18 points de pourcentage, mais il y a eu une baisse considérable également en Allemagne (14 points de pourcentage) et en Irlande (13 points de pourcentage). Comme on l’a vu précédemment, ce sont tous des pays où le manque d’infrastructures d’accueil pour la petite enfance, en particulier à plein temps, est le facteur principal expliquant un faible taux EPT. Ces différences dans les taux d’emploi EPT reflètent bien entendu les différences au niveau des heures totales moyennes de travail. Ce qu’il faut noter ici, c’est le nombre moyen d’heures
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travaillées extraordinairement bas aux Pays-Bas (31 heures) comparé à une moyenne européenne de 37,5 heures. À l’autre bout de l’échelle, on a la Grèce, l’Espagne et le Portugal (en partie à cause de l’agriculture, mais aussi du manque relatif de postes à temps partiel), les autres pays se regroupant autour de la moyenne. Les différences globales dans les heures de travail sont largement attribuables aux différences au niveau des heures effectuées par les femmes — bien que, la Grèce mise à part, le Royaume-Uni arrive en tête du classement masculin avec une moyenne de presque 43 heures contre une moyenne européenne de 41 heures. La fracture est observée entre les États membres où les femmes travaillent plus que la moyenne européenne féminine de 33 heures, à savoir la Belgique, le Danemark, la France, l’Italie, l’Autriche, la Finlande et la Suède, ainsi que bien entendu la Grèce, l’Espagne et le Portugal ; et les pays où les femmes travaillent moins : l’Allemagne, l’Irlande, le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Si prendre en compte les différences dans le temps de travail et le travail à temps partiel aboutit à des taux d’emploi plus proches de la réalité du marché du travail en réduisant le poids accordé aux personnes travaillant très peu d’heures (par exemple, les étudiants ou les mères de famille effectuant quelques heures par semaine), une vision équilibrée est nécessaire pour interpréter les résultats en termes de politique. Pour certains, le travail à temps partiel n’est pas seulement mieux que pas de travail du tout, c’est mieux que le travail à plein temps lorsqu’il s’agit d’un choix délibéré de l’individu concerné. Cette vision est renforcée par les données de l’enquête européenne sur les forces de travail (comme le souligne par exemple L’Emploi en Europe, 2003), où relativement peu de personnes travaillant à temps partiel rapportent qu’elles travaillent « involontairement » à temps partiel dans le sens où elles auraient préféré un poste à plein temps mais n’ont pu en trouver un. Les exceptions sont l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Finlande et la Suède, où plus du quart des personnes ont affirmé travailler à temps partiel pour cette raison. En général, cependant, la grande majorité des personnes a rapporté travailler à temps partiel de manière « volontaire ». Ces résultats doivent toutefois être traités avec prudence, étant donné que les personnes interrogées avancent également le fait de suivre un cursus scolaire ou une formation, d’avoir des
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responsabilités familiales, d’être malade ou handicapé, ainsi que d’« autres raisons » comme une justification pour travailler à temps partiel. Alors que le premier cas peut probablement être considéré comme « volontaire », l’évaluation des autres cas est moins claire : beaucoup de personnes travaillant à temps partiel pour des raisons familiales auraient peut-être préféré avoir un poste à plein temps si les infrastructures d’accueil pour la petite enfance étaient suffisantes et abordables. Un point qui semble émerger concerne le degré d’acceptation élevé par les travailleurs néerlandais, hommes comme femmes, du rang de « première société à temps partiel au monde », où la prédominance des structures d’accueil des jeunes enfants à temps partiel plutôt qu’à plein temps paraît refléter les préférences de beaucoup de parents au travail.
L’évolution des réformes politiques dans l’UE et dans les États membres Le développement d’une politique d’emploi à dimension européenne dans les années 1990 a abouti à l’introduction d’un chapitre sur l’emploi dans le traité d’Amsterdam, ce qui a fait de l’emploi une question d’« intérêt commun ». Cela a conduit à l’établissement de la Stratégie européenne pour l’emploi (SEE) qui fixe les lignes directrices de politique commune et les procédures pour suivre les progrès. Cela s’est traduit par des objectifs d’emploi pour l’UE lors du Conseil de Lisbonne en 2000, qui a officiellement rétabli le « plein emploi » comme objectif de la politique européenne. Il est important de se demander dans quelle mesure cette politique a été une réussite et, si c’est le cas, dans quels domaines. Par quels canaux son influence a-t-elle été ressentie sur les marchés du travail nationaux et locaux ? Et quelles sont les raisons de l’échec, si échec il y a ? Ce ne sont pas des questions faciles à traiter. D’une part, les tendances d’emploi sont guidées par de nombreux facteurs sur lesquels les décideurs politiques n’ont aucun contrôle. La performance de l’Europe en termes d’emploi a été forte dans les années qui ont suivi l’introduction de la SEE, non seulement à cause de la nouvelle stratégie, mais aussi parce que l’Europe bénéficiait de l’expansion économique durable aux États-Unis. Dans un environnement économique moins favorable depuis 2000 — auquel
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les décideurs des politiques économiques dans l’UE ont répondu de manière lente et excessivement prudente —, la performance du marché du travail a été, sans surprise, plutôt faible. Dans son rapport sur L’Emploi en Europe de 2002, la Commission européenne a cherché à évaluer l’impact de la Stratégie européenne pour l’emploi (SEE) en se concentrant sur le « chômage structurel ». Elle avance que, si le chômage actuel mais aussi le chômage structurel ont baissé, cela n’est pas seulement dû à des effets cycliques, mais aussi à des « améliorations structurelles » sur les marchés européens de l’emploi, provoquées en grande partie par la SEE. Graphique 14. Inflation et chômage dans l’UE15
Cependant, mesurer le « chômage structurel » — généralement à partir du NAIRU (Non Accelerating Inflation Rate of Unemployment), le niveau de chômage à partir duquel l’inflation est supposée augmenter — est très difficile et ne s’est pas révélé un indicateur fiable pour la politique. Les estimations du NAIRU tendent à être instables dans le temps et ont été largement
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discréditées dans les faits. Par conséquent, les changements ne peuvent raisonnablement être attribués à des « réformes structurelles ». Les États membres de l’UE ont atteint un taux de chômage beaucoup plus bas que ce qu’on avait cru possible sans augmenter l’inflation. En réalité, il y a eu une tendance à la baisse à long terme de l’inflation ces deux dernières décennies à la fois en Europe et aux États-Unis, même si le chômage a fluctué au rythme des cycles économiques durant cette période (graphiques 14 et 15).
Graphique 15. Inflation et chômage aux États-Unis
La recherche suggère en fait que les améliorations de l’emploi et de l’inflation qui ont eu lieu peuvent être davantage dues à des changements dans le comportement de fixation des salaires qu’au résultat des réformes structurelles. Cela est conforté dans une certaine mesure par le fait que la part des salaires dans le PIB a chuté pendant cette période et a atteint un niveau historiquement bas aussi bien en Europe qu’aux États-Unis (graphique 16).
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Graphique 16. Part des salaires dans le PIB dans l’UE et aux États-Unis
Deuxièmement, il est difficile de savoir dans quelle mesure les réformes spécifiques que les différents gouvernements ont introduites ces dernières années sont le résultat direct de cette stratégie. La SEE a certainement fourni un cadre de référence ainsi qu’un langage et une terminologie communs, et il y a sans doute eu pas mal d’apprentissage collectif mais, pour les chercheurs, il semble difficile de déterminer la mesure dans laquelle les pays auraient agi autrement en l’absence de la Stratégie européenne. Il est clair qu’il y a eu un changement d’intérêt important en faveur des « politiques d’activation », y compris en évitant le financement de la non-activité et en offrant à la place un soutien aux chômeurs pour trouver du travail grâce à une formation, des allocations de mobilité, des infrastructures d’accueil pour les jeunes enfants et d’autres mesures similaires. Ces politiques ont été accompagnées d’obligations plus contraignantes pour les chômeurs d’accepter ce qu’on leur propose, allant jusqu’à la perte des prestations pour ceux qui refusent.
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Il s’est également développé toute une rhétorique autour de la « prévention », à savoir prendre avant tout des mesures pour éviter que les personnes basculent dans le chômage. Sur ce point, cependant, les résultats paraissent plus mitigés, malgré le fait que la « distance par rapport au marché du travail » est une prédiction importante de la probabilité de retrouver un emploi. Les gouvernements ont été encouragés à empêcher que les chômeurs ne glissent vers le chômage de longue durée, mais la SEE ne semble pas avoir été capable d’agir en pratique pour stimuler les interventions sur le lieu de travail afin d’éviter ces licenciements. Vers la fin des années 1990, l’activation et la prévention étaient considérées comme des approches très modernes dans les politiques du marché du travail. À cet égard, la Stratégie européenne peut être interprétée comme une tentative de diffusion de ces pratiques à partir de pays où ces politiques ont une longue tradition, comme la Suède. Et la SEE peut certainement s’approprier en partie le fait que les politiques « actives » du marché du travail ont été adoptées de manière croissante dans des pays où elles étaient auparavant inconnues ou peu utilisées. À cela s’ajoute le fait que le recours aux retraites anticipées comme « mesure d’ajustement » est en perte de vitesse. Il était toutefois improbable que la stratégie ait un impact uniforme. D’un côté, on a des pays comme la Suède qui peut déjà être considérée comme reflétant le modèle sous-jacent et où le besoin de changements supplémentaires était, bien que présent, clairement moindre comparé à d’autres pays. D’autre part, dans certaines parties du sud de l’Europe, où le besoin apparent de réforme est sans doute le plus grand, des questions continuent à se poser quant à la capacité institutionnelle nécessaire à mettre en place la stratégie, mais également sur son bien-fondé, du moins à court terme, étant donné les besoins et les normes prévalant dans ces pays. Il a été difficile pour les chercheurs, peut-être à cause de cette diversité, d’identifier en pratique les « chemins institutionnels » qui indiqueraient exactement où et comment la Stratégie européenne pourrait avoir un impact concret sur la politique nationale. Alors que beaucoup d’États membres prennent leur action au sérieux, dans d’autres, les Plans d’action nationaux qui doivent être présentés à la Commission et discutés par les ministres du Travail et les experts d’autres pays lors de l’examen par les pairs (élément central du processus d’apprentissage et de comparaison institutionnelle qui
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caractérise la méthode SEE) sont plus considérés comme une obligation formelle. De plus, les parlements nationaux ne sont généralement pas impliqués dans ce débat et, dans certains pays, les partenaires sociaux ne jouent même pas de rôle dans leur élaboration. Cependant, dans les pays avec une tradition « corporatiste » plus forte, les partenaires sociaux ont un rôle actif. Par ailleurs, il y a des signes qui montrent que là où la tradition de dialogue social est peu ancrée, la nouvelle stratégie ouvre aux syndicats et aux ONG une plage de dialogue avec le gouvernement, qui n’existait pas auparavant, et donc une opportunité d’être consultés sur les politiques. Cela nous amène à la question du bien-fondé de la stratégie dans les nouveaux États membres. Selon une récente recherche coordonnée par l’Institut syndical européen (ETUI), la flexibilité de la stratégie et la possibilité d’y incorporer différents types de politiques ont un certain intérêt dans le sens où ces pays n’ont probablement pas de problèmes majeurs pour faire entrer leurs politiques du marché du travail dans ce cadre. Néanmoins, les problèmes auxquels font face ces pays diffèrent à certains égards fortement de ceux de l’UE15. L’attention portée dans la stratégie à l’utilisation plus productive des services publics de l’emploi et du dialogue social pour faire fonctionner les marchés du travail plus efficacement est certainement correcte dans le moyen terme. Mais sans soutien financier concret, ces conditions requises peuvent n’avoir qu’un impact limité sur le terrain. Une évaluation globale des bénéfices de la Stratégie européenne pour l’emploi apparaît par conséquent difficile. Au point de vue procédural, c’est probablement au niveau européen le type d’influence sur les politiques nationales le plus strict qu’il est possible d’établir dans le contexte politique actuel. Cette influence est cependant probablement beaucoup plus limitée que cela peut paraître initialement avec un degré raisonnable d’ambiguïté permettant de « couvrir » un large éventail de politiques et de points de vue. Si toutefois on regarde le côté positif, il y a eu un changement récent dans l’ensemble global du processus de réforme — passant de l’intérêt porté aux domaines de réforme signalés dans les lignes directrices de politique économique à une attention politique plus large, plus concentrée sur les objectifs : plein
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emploi, qualité et productivité au travail, ainsi que cohésion sociale et inclusion. Ces actions augmentent la pression politique sur les gouvernements nationaux, favorisent la confrontation entre différentes politiques et encouragent la diffusion de bonnes pratiques, ce qui contribuera sans aucun doute à rendre le marché du travail européen plus efficace à long terme et, par conséquent, à réduire davantage le taux de chômage en dessous duquel l’inflation risque d’augmenter et à rendre possibles des niveaux d’emploi plus élevés. Le succès actuel rencontré pour réduire le chômage et augmenter l’emploi est toutefois conditionné par une stratégie pour l’emploi accompagnée de croissance et de politiques économiques orientées vers l’emploi. La politique monétaire de l’UE, en particulier, doit abandonner toute vision rigide et a priori sur le taux de croissance économique durable ou sur le NAIRU. Elle doit être beaucoup mieux préparée à « expérimenter », en fixant des conditions monétaires qui peuvent encourager une expansion de la demande, tout en contenant les attentes inflationnistes dans des limites « raisonnables ». À cette fin, la coopération devrait être intensifiée avec les négociateurs des conventions collectives, qui ont exercé une influence positive et décisive pour réduire les taux d’inflation ces deux dernières décennies.
La qualité des emplois Même si les taux d’emploi équivalent plein temps sont utilisés au lieu des taux d’emploi « bruts », ces mesures peuvent encore donner une vision erronée des performances en termes d’emploi si elles ne tiennent pas compte de la qualité des emplois. La qualité des emplois est une question complexe à laquelle l’UE consacre une attention croissante au sein du processus de Lisbonne. Elle a ainsi développé des évaluations de la qualité du travail fondées sur une série d’indicateurs, y compris des facteurs tels que les compétences, le genre, la santé et la sécurité, et l’engagement du travailleur. Ce nouvel intérêt s’est intensifié sous la présidence belge du Conseil en 2001, en partie à cause des inquiétudes de la classe politique belge par rapport aux critiques sur leur faible taux d’emploi, qu’elle considère comme injustes et contre-productives,
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étant donné la qualité, ou du moins la productivité élevée de leurs postes de travail. Un rapport publié fin 2003 par l’UE sur la qualité des emplois considère que des améliorations dans la qualité du travail sont « importantes pour le bien-être des travailleurs et pour la promotion de l’inclusion sociale, ainsi que pour l’accroissement de la productivité et de l’emploi ». Ce rapport est particulièrement critique à l’égard des faiblesses persistantes en matière de qualité des emplois. Il souligne comment des emplois précaires et sans opportunité de formation sont directement liés au chômage, luimême lié à l’exclusion sociale. Cela peut se voir d’une année à l’autre dans les expériences de ceux qui ont des emplois temporaires ou des postes à temps partiel mais désirent travailler à plein temps. Dans les deux cas, il y a des résultats positifs : 30 % de ceux qui ont un emploi temporaire trouvent un poste permanent l’année suivante. Cependant, pour 50 % d’entre eux, ce n’est pas le cas et, ce qui est le plus significatif, plus de 20 % deviennent chômeurs. De la même manière, 35 % de ceux qui travaillent à temps partiel et qui sont à la recherche d’un emploi à plein temps y parviennent l’année suivante. Mais, pour la moitié d’entre eux, ce n’est pas le cas, et plus de 15 % se retrouvent au chômage. Dans les deux cas, la position est très différente par rapport à ceux qui ont déjà un poste à durée indéterminée ou à plein temps. On retrouve ces difficultés chez ceux qui ont des emplois « sans avenir », définis dans les rapports de la Commission sur L’Emploi en Europe comme comprenant des postes sans sécurité de l’emploi et sans possibilité de formation. Tandis que certains travailleurs progressent année après année (5 % trouvent de bons emplois et 20 % des emplois décents), plus de 35 % restent cependant dans un emploi « sans avenir » et plus de 25 % ne trouvent aucun travail. Une des faiblesses majeures du groupe d’indicateurs de l’UE sur la qualité des emplois concerne l’absence de toute référence directe au salaire, alors qu’il s’agit d’un des facteurs clés, si ce n’est le facteur clé, que la plupart des gens utiliseraient pour juger la qualité d’un emploi. Cela n’est pas accidentel, mais est dû à un grand État membre qui se sert de son administration bien organisée pour faire pression sur ses commissaires (eh oui, ça arrive !) pour faire
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disparaître de telles références au cas où il serait en mauvaise posture. Nous espérons que cela sera corrigé. En général, le débat sur la qualité des emplois évolue rapidement du fait des changements majeurs à la fois dans l’UE et aux États-Unis au niveau des types de postes créés. Certains types de travail — en particulier les postes manuels — sont encore considérés comme intrinsèquement mauvais à cause de mauvaises conditions de travail, du risque d’accidents, etc. On est massivement passé des emplois manuels à non manuels ces six dernières années. Près de 90 % de la croissance de l’emploi dans l’UE est due à des emplois non manuels, et plus de deux tiers de ceux-ci sont des postes à niveau de qualification élevé ou moyen. Les postes manuels ont aussi connu une certaine croissance, bien que cela ne concerne que les postes à faible niveau de qualification, le nombre de postes manuels qualifiés étant en déclin. La tendance est presque identique aux États-Unis, mis à part le fait que la croissance des emplois manuels faiblement qualifiés y est plus basse, reflétant peut-être le niveau déjà élevé des emplois de ce type dans leur économie.
L’élargissement et les nouveaux États membres L’effondrement des économies centralement planifiées en Europe centrale et orientale, la perte du marché soviétique, ainsi que les difficultés de transition vers des économies de marché ont eu un effet traumatisant sur les économies et les marchés du travail de tous les nouveaux États membres, à l’exception de Malte et de Chypre. Les taux d’emploi auparavant élevés (maintenus artificiellement) aussi bien pour les hommes que pour les femmes se sont effondrés, en même temps que des pans de leur structure de protection sociale, notamment la garde d’enfants. C’est seulement maintenant, dix ans plus tard, que ce déclin a cessé et qu’un progrès est fait pour rétablir une croissance globale des emplois au sein d’une structure d’économie de marché. Bien entendu, les emplois eux-mêmes ont changé, pour la plupart en mieux. Cependant, globalement, les taux d’emploi « bruts » des nouveaux États membres sont inférieurs à ceux des anciens États membres, allant de 51 % en Pologne à près de 70 % à Chypre ; la République tchèque, la Slovénie et les États baltes se situant au-dessus de 60 %.
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Lorsque ces chiffres sont convertis en EPT, ils sont beaucoup plus proches de la moyenne européenne, seule la Pologne étant significativement à la traîne (50 % comparés aux 58 % de l’UE15), la Hongrie et la Slovaquie ayant juste un ou deux points de pourcentage de moins que cette moyenne. Cette différence est due au fait que le travail à temps partiel est beaucoup moins développé dans ces pays. De plus, l’autre différence structurelle de taille entre les nouveaux et les anciens États membres concerne les parts relatives d’emploi dans l’agriculture, l’industrie et les services, ainsi que la nature du contrat de travail (à durée indéterminée ou temporaire). Les différences les plus frappantes portent sur l’importance relative de l’industrie comparée aux services, ainsi que le nombre plus important de personnes employées dans l’agriculture. Bien que l’emploi ait généralement décliné de manière significative à la fois dans l’agriculture et dans l’industrie ces dix dernières années, il reste à un niveau plus élevé que dans l’UE15. Le nombre d’employés dans l’agriculture est particulièrement élevé en Pologne, secteur qui représente encore 18 % du nombre total au travail. Au niveau des contrats de travail, une proportion beaucoup plus petite de travailleurs est employée à durée déterminée ou sur base d’un contrat temporaire par rapport à l’UE15. Les écarts dans les revenus relatifs (50 % de la moyenne de l’UE) sont grands mais pas excessivement importants dans de nombreux cas, et pas très différents de la position du Portugal lorsqu’il a rejoint l’UE. Par ailleurs, les nouveaux États membres sont pour la plupart en plein processus de réformes et de modernisation. Juste avant la date de l’élargissement, il y a eu une agitation regrettable au sein du monde politique, d’anciens États membres rivalisant entre eux sur les mesures qu’ils comptaient mettre en place pour décourager les travailleurs des nouveaux États membres de venir chercher du travail dans leur pays, tout en faisant une exception pour les travailleurs qualifiés. Une telle préoccupation semblerait être en grande partie injustifiée, étant donné l’expérience de l’élargissement au sud de l’Europe, lorsque beaucoup de migrants portugais et espagnols travaillant dans d’autres États membres retournèrent en fait dans leur pays d’origine. Il y a déjà un nombre substantiel de travailleurs venant des nouveaux États membres employés dans les pays de l’UE15, en particulier dans les pays voisins. Par ailleurs,
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presque toutes les enquêtes et sondages d’opinion disponibles évoquent un taux de migration additionnelle vers l’UE15 relativement modeste, et ce principalement vers l’Allemagne et l’Autriche. Quant à la demande d’ouvriers qualifiés, elle est plutôt scandaleuse, soulignant l’incapacité de certains anciens États membres à investir suffisamment dans leurs propres ressources humaines afin de satisfaire leurs besoins en main-d’œuvre qualifiée, tout en voulant profiter de l’investissement effectué par les nouveaux États membres eux-mêmes. Étant donné la demande de travailleurs qualifiés dans les nouveaux États membres (en particulier, ceux avec un diplôme universitaire ou équivalent, moins nombreux que dans l’UE15), une telle approche ne peut être qu’à leur désavantage, rendant plus difficile la réalisation de taux de croissance élevés nécessaires pour augmenter leurs niveaux de vie et d’emploi. Ce n’est pas le meilleur départ pour l’UE élargie, mais cette question sera, on l’espère, bientôt résolue.
Les progrès de la politique : le rapport Kok et la contribution de la Commission au Sommet du printemps En mars 2003, le Conseil européen a demandé à la Commission européenne de mettre en place un groupe de travail européen sur l’emploi, présidé par Wim Kok, ex-Premier ministre néerlandais et ancien directeur syndical, afin de préparer un rapport indépendant sur les défis politiques et les réformes appropriées, avec une attention particulière sur l’impact de l’élargissement. À cette époque, cela était considéré par nombre d’observateurs comme une duplication inutile du travail qui existait déjà, qui pouvait même potentiellement miner le processus d’élaboration des politiques que constitue la Stratégie européenne pour l’emploi. Afin de s’assurer que ce rapport Kok ne soit pas complètement hors de contrôle, la Commission européenne a cependant pris la responsabilité du secrétariat, comme elle le fait pour les lignes directrices pour l’emploi. En l’occurrence, le rapport Kok contient peu de nouveautés, mais avance des arguments pour renforcer les aspects de la stratégie actuelle de manière cohérente.
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Il adopte une approche objective par rapport à un éventail de questions liées au marché du travail, y compris les effets de la taxation et la nécessité d’investir plus et de manière plus efficiente dans l’éducation et l’acquisition de compétences. Comme le souligne le rapport, cela requiert des efforts de la part des gouvernements, des employeurs et des travailleurs eux-mêmes, et il faut trouver les moyens de surmonter le « dilemme du prisonnier » qui conduit à un sous-investissement dans la formation (les entreprises investissant dans les qualifications de leurs travailleurs risquent de voir ceux-ci se faire débaucher par des entreprises qui ne le font pas). En examinant les tendances du marché du travail, le rapport aborde les questions de genre, notamment l’importance des structures d’accueil pour les jeunes enfants, et analyse avec attention les conséquences de l’élargissement. Il se penche également sur les mesures qui peuvent être nécessaires pour augmenter le taux d’emploi des travailleurs âgés, bien que ce ne soit pas uniquement ou principalement l’attitude des travailleurs âgés qui doive changer, mais bien celle des employeurs, des gestionnaires du personnel et les incitations engendrées par les systèmes fiscaux et les systèmes d’allocations dans de nombreux pays. Le rapport fait aussi une petite digression pour aborder les problèmes des États membres individuels, ce qui est approprié étant donné que la plupart des responsabilités incombent encore aux États membres, et il y a encore des différences majeures d’approche et de performance entre eux. Il fait aussi l’éloge de la performance et des politiques des pays nordiques (et des Pays-Bas, d’où est originaire Wim Kok) et donne des avertissements appropriés à ceux qui ne sont pas en bonne posture dans divers domaines. Certains se demandent toutefois si ces approches politiques sont aussi pertinentes ou réalisables pour les grands États membres. Toutes les recommandations de ce rapport n’ont pas une base aussi solide que certaines autres. L’enthousiasme pour rendre la création d’entreprise moins coûteuse et plus facile — d’ailleurs vantée dans les discussions passées au niveau européen — semble compréhensible. Mais cela peut être accueilli de manière moins chaleureuse par les consommateurs ou le monde des affaires dans les pays trompés par des entreprises véreuses qui n’honorent pas leurs commandes ou ne paient pas leurs factures. De plus, les preuves empiriques d’un
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quelconque lien entre la facilité de création d’entreprise et un succès en termes d’emploi sont faibles, pour autant qu’elles existent. Et espérer qu’un nombre important de chômeurs réussisse à créer leur propre entreprise, avec tout ce que cela implique, c’est malheureusement prendre ses désirs pour des réalités. De même, une récente recherche suggère que l’attirance pour un emploi temporaire n’est pas aussi intéressante qu’on le pense souvent, mis à part les perspectives d’emploi à long terme relativement mauvaises soulignées ci-dessus. En fait, les personnes qui ont des contrats de travail à durée déterminée forment un groupe mixte, et il est dangereux de généraliser. Tandis que pour certains jeunes travailleurs qualifiés les contrats temporaires couvrant les périodes de formation sont un moyen d’entrer sur le marché du travail, conduisant à long terme à plus de sécurité de l’emploi, ils peuvent être un piège pour beaucoup d’autres travailleurs, les laissant prisonniers dans un va-et-vient d’emplois peu qualifiés et mal payés, interrompus par des périodes de chômage. Un autre fait inquiétant est que les travailleurs avec des contrats à durée déterminée et les travailleurs intérimaires paraissent faire face à des risques d’accidents plus élevés, même lorsque d’autres caractéristiques (comme l’âge, le secteur d’activité, etc.) sont prises en considération. De plus, les études sur le marché du travail relatives au travail temporaire tendent à être assez restreintes et à négliger d’importantes conséquences, comme le fait que les travailleurs avec des contrats à durée déterminée ont plus de difficultés à planifier leur avenir, louer un logement ou emprunter pour acheter une maison. L’enthousiasme du rapport pour mettre des personnes au travail, même mal rémunérées, et compléter les bas revenus avec des transferts sociaux (méthode appréciée aux États-Unis et au Royaume-Uni et qui commence à faire son apparition ailleurs) doit être quelque peu tempéré. Non seulement une telle politique entraîne dans son sillage des coûts de transferts publics élevés, comme les États-Unis en ont fait l’expérience, mais elle peut en fait décourager et inhiber l’amélioration des compétences au plus bas de l’échelle de la force de travail, importante pour lancer la croissance de la productivité globale et pour éviter la pauvreté dans le long terme. En effet, le titre du rapport, L’Emploi, l’emploi, l’emploi, correspond mal avec l’objectif de la stratégie de Lisbonne, à savoir plus d’emplois, et de meilleure qualité.
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Néanmoins, globalement, le rapport montre une meilleure compréhension des interdépendances entre les questions économiques, sociales et celles relatives à l’emploi, et la nécessité de développer des politiques appropriées. Sa faiblesse majeure vient cependant de l’absence de discussion au sujet du réel déterminant des emplois, à savoir la performance de croissance de l’économie de l’UE. Il est généralement avancé que cela a été délibérément passé sous silence par ceux qui désiraient avoir le monopole du débat économique, mais cette lacune fait du rapport l’équivalent d’une production de Hamlet sans son prince, et déséquilibre de manière fondamentale l’argument. Selon le rapport Kok, le ralentissement économique actuel « aggrave » les problèmes d’emploi alors qu’en réalité il est au cœur du débat. Pire, la revue des performances d’emploi passées de l’UE néglige la mesure dans laquelle elles ont été dominées par des fluctuations de l’activité économique, avec de longues périodes de fortes créations d’emploi compensées par des périodes de pertes d’emploi tout aussi longues, comme on l’a vu plus haut. Le rapport évoque par exemple la « performance épouvantable des marchés du travail en Europe depuis les années 1980 » et affirme que, « contrairement à la performance des années 1980 et du début des années 1990, la croissance de l’emploi réalisée ces six dernières années dans l’UE15 a été encourageante et démontre que là où les réformes ont été menées, elles ont porté leurs fruits ». Cela est faux et trompeur. Comme le montre le graphique 17, la fin des années 1980 fut également une période de forte croissance économique et de croissance d’emplois, et ce bien avant que les réformes des politiques d’emploi actuelles débutent, et il y a en fait peu de preuves concrètes qu’une croissance accrue de l’emploi à la fin des années 1990 ait eu quelque chose à voir avec ces réformes du marché du travail. Cela ne signifie pas que les réformes du marché du travail et les réformes associées ne sont pas utiles de diverses façons. Elles augmentent notamment la qualité et la productivité des emplois, et fournissent un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et celle en dehors du travail. De plus, de telles réformes seront de plus en plus importantes au fur et à mesure que l’UE s’approchera des niveaux d’emploi de Lisbonne, mais aussi si elle veut aller au-delà de ces objectifs et imiter les taux d’emplois
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Graphique 17. Croissance du PIB et de l’emploi dans l’UE
Source : Eurostat.
encore plus élevés des économies européennes les plus couronnées de succès. Mais cela n’autorise pas à mettre les augmentations d’emplois de la fin des années 1990 sur le compte des réformes du marché du travail, ces augmentations ayant en fait été largement engendrées par l’expansion du commerce mondial, comme on l’a vu dans le chapitre II. Le rapport est très pessimiste par rapport aux objectifs de Lisbonne. Ainsi, il lui « semble de plus en plus improbable que l’objectif ambitieux pour 2010 ainsi que les objectifs en termes d’emploi soient réalisables ». Et pourtant le rapport reconnaît que « depuis 1997, l’emploi total au sein de l’UE15 a augmenté de quelque 11,5 millions » et que pour « atteindre un taux d’emploi de 70 % d’ici 2010, l’emploi doit croître d’environ 15 millions supplémentaires dans l’UE15 », ce qui contraste avec l’évaluation du potentiel de croissance faite dans ce rapport. De plus, il est également plutôt pessimiste au sujet des perspectives pour les nouveaux États membres.
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À ce sujet, le groupe de Kok souligne à juste titre que le taux moyen d’emploi dans les nouveaux États membres s’élevait à 56 % en 2002. Il ignore cependant la question abordée précédemment dans ce rapport, à savoir que ce taux d’emploi est relativement faible en raison de l’absence de postes à temps partiel, mais pourrait augmenter significativement au fur et à mesure que les nouveaux États membres adapteront leur système du marché du travail au nouvel environnement et à la législation de l’UE. Sans compter que ces économies ont un potentiel de croissance plus rapide que les anciens pays de l’UE — bien que les bénéfices en termes d’emploi de cette croissance plus forte soient en partie compensés par une croissance plus importante de la productivité. Quant à l’élargissement, le rapport de la Commission lors du Conseil européen de printemps — Réalisons Lisbonne. Réformes pour une Union élargie — est clairement plus optimiste. Il affirme en effet que « la cible des 70 % (de taux d’emploi) fixée pour 2010 reste réaliste si la relance économique peut être soutenue à des taux similaires à ceux de la fin des années 1990 ». Si le rapport Kok est décevant parce qu’il ne réussit pas à aborder les aspects économiques de la création d’emploi, la communication de la Commission au Conseil européen l’est encore davantage à cause de l’approche étrange adoptée pour parler de la croissance économique. La Commission européenne mérite à juste titre éloges et respect pour la manière dont elle a, ces cinq dernières années ou plus, poussé les États membres non seulement à accepter des objectifs quantitatifs concernant la croissance de l’emploi et la réduction de la pauvreté, mais aussi à s’engager dans un processus strict de contrôle et d’évaluation, grâce à une large gamme d’indicateurs comparables. Cela a modifié la façon dont les pays voient leurs politiques et leur performance, et a permis une meilleure prise de conscience de la nature finalement collective de l’élaboration des politiques européennes. Malheureusement, alors que ce rapport de printemps contient en annexe toutes les données pertinentes sur les indicateurs et examine la liste complète de toutes les questions pertinentes (y compris le marché interne, la cohésion sociale et environnementale), l’analyse est défaillante lorsqu’il s’agit de la relation entre emploi, croissance et productivité. Le rapport reconnaît que « les effets du ralentissement économique sont maintenant ressentis au niveau de l’emploi », avec
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une perte d’emplois estimée à 200 000 en 2003. Il poursuit cependant en parlant de « la contribution insatisfaisante de l’emploi et de la productivité à la croissance » et soutient qu’il est « vital pour l’emploi de contribuer de manière plus importante à la croissance en Europe » et que « la productivité, second facteur de croissance, ne contribue pas encore assez non plus » (souligné par nous). C’est de la comptabilité, pas de l’économie — et d’un type assez bizarre. Elle semble refléter le désir d’éviter à tout prix l’utilisation de termes tels que la « demande », pour ne pas dire la « gestion de la demande ». Cependant, quoi que l’on pense des bénéfices d’une incitation monétaire ou budgétaire en ce moment, aucune personne sensée ne peut penser que le lien de causalité va de la création d’emploi à la croissance économique. Il se peut que cela soit possible dans une « économie planifiée », mais pas dans une économie de marché mixte comme celle de l’UE. Que pensent les auteurs de ce rapport sur ce qui aurait dû se passer lors de ce récent ralentissement ? Les 200 000 personnes qui ont perdu leur emploi auraient-elles dû faire plus d’efforts et « contribuer plus », peut-être en travaillant plus d’heures pour une rémunération moindre, afin de stimuler l’économie européenne, comme cela a été suggéré pour la dernière fois dans les années 1930 ? On ne peut qu’espérer qu’à l’avenir cette approche sera remplacée par ce qui est en réalité une approche plus « conventionnelle », où les politiques monétaires et budgétaires jouent leur rôle, ainsi que les politiques structurelles (y compris les politiques du marché du travail).
Conclusions La gestion collective de l’économie européenne et du marché du travail pour atteindre et maintenir de hauts niveaux d’emploi en est encore à ses débuts, même si le degré d’intégration économique entre les États membres est bien avancé. Ce rapport aborde les questions de politiques économiques pertinentes en vigueur ailleurs (voir le chapitre II). En termes de réformes du marché du travail, il reconnaît cependant que, tandis que les marchés du travail en Europe ont peut-être encore besoin de s’adapter aux nécessités des nouvelles générations,
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ainsi qu’à celles des nouveaux employeurs et marchés, la performance en termes d’emploi de l’UE ces dernières années, du moins jusqu’en 2001, n’a en aucune façon été aussi mauvaise qu’on l’a souvent clamé. Peu de faits attestent en particulier que les marchés du travail de l’UE ne sont pas flexibles, au sens macroéconomique où ils peuvent conduire à des tensions inflationnistes lorsque survient une forte croissance de l’emploi. Ce rapport tente de souligner le fait que beaucoup de membres de la population active actuelle ou potentielle, en particulier ceux qui se trouvent en marge du marché du travail, ne bénéficient pas du soutien nécessaire pour faire face de façon efficiente aux nouveaux défis et opportunités du marché du travail. Il subsiste encore beaucoup d’emplois de types anciens, y compris ceux qui se déroulent dans des conditions physiques difficiles, mais, au fur et à mesure que la productivité augmente, on évolue vers un monde du travail où la capacité de travailler avec des collègues compte beaucoup plus ; où l’instruction, en particulier le degré d’aptitude en calcul, est essentielle ; et où les caractéristiques du travail sont de plus en plus adaptées pour mieux correspondre aux besoins individuels. Malheureusement, les structures financières, institutionnelles et légales au sein desquelles les personnes travaillent ont mis du temps à suivre le rythme, ce qui relève de la responsabilité principale des gouvernements dans la plupart des États membres. De plus, la possibilité de dialogue social pour aborder ces questions reste encore largement sous-exploitée. Un des facteurs qui entravent le plus le changement est la réticence des gouvernements à adapter les régimes de prélèvements obligatoires afin d’encourager l’activité et d’augmenter le taux d’emploi. Leur problème principal semble se limiter à augmenter les recettes fiscales, pour satisfaire les contraintes du Pacte de stabilité et de croissance, et répondre aux difficultés de taxation des facteurs de production mobiles (comme le capital et certains travailleurs hautement qualifiés). Par conséquent, beaucoup de systèmes fiscaux et d’allocations restent mal adaptés aux besoins du marché du travail moderne et de la société, décourageant souvent les personnes d’entrer sur le marché du travail et frustrant celles qui choisiraient des emplois flexibles ou avec des conditions de travail variées s’ils étaient disponibles. Une des conséquences regrettables en a été la croissance dans certains
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États membres d’une économie informelle importante et non protégée. Un autre problème concerne le contenu inapproprié de certains messages politiques récents. Les citoyens ordinaires désirent jouer un rôle dans le monde afin notamment d’avoir une meilleure vie pour eux et les personnes qui sont à leur charge. Et pourtant, trop souvent, ils se trouvent confrontés à un discours politique excessivement pessimiste qui semble aller à l’encontre de leurs aspirations personnelles, prétendant que l’avenir sera beaucoup plus difficile que le passé et que nous devrons tous « nous y mettre sérieusement » et « faire ce qu’on nous demande » si nous voulons survivre dans un « monde de plus en plus compétitif ». Non seulement c’est une mauvaise psychologie, mais elle est fausse. Comme on l’a vu dans les chapitres précédents, l’Europe est bien placée pour réussir dans le monde moderne. Elle a un modèle économique et social largement admiré, de plus en plus reconnu comme étant un système puissant et durable. Mais son potentiel en termes d’emploi peut encore être sérieusement menacé par de fanatiques attaques contre les structures complexes de partenariat social et de soutien collectif sur lesquelles la vie de l’Europe moderne est construite. Aujourd’hui, le mantra principal dans le débat européen sur l’emploi porte sur la nécessité d’augmenter le taux d’emploi. Cela est fondamentalement correct. Mais c’est un moyen pour arriver à une fin, et non une fin en soi. L’objectif réel est la création d’une société européenne complètement solidaire, où l’emploi joue un rôle central et où chacun peut contribuer et bénéficier pleinement de ses compétences. C’est par rapport à ce genre de critères que la justesse des messages et des actions politiques devrait être jugée. Et actuellement, nombre d’entre eux semblent sérieusement défaillants.
Repères bibliographiques
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Table des matières
Remerciements
3
Avant-propos
4
Introduction
6
_ Encadré : La qualité des sources statistiques, 11
I
Revenus et niveaux de vie Introduction Les niveaux de vie dans les États membres Classement régional
18 20 22
_ Encadré : Les NUTS, 24
Revenu par habitant versus PIB par tête Revenus relatifs et niveaux de pauvreté dans l’UE L’incidence régionale de la pauvreté L’impact des impôts et des transferts sur les riches et les pauvres Les causes des inégalités de revenu Les qualifications et la hiérarchie salariale Conclusion sur les revenus Annexe / Les déterminants des niveaux de vie et les effets des variations de la durée de travail
25 26 29 30 36 38 42
44
_ Encadré : Niveaux de vie : l’écart entre l’Union européenne et les États-Unis, 45
L’organisation du temps de travail Les changements dans la durée de travail Conclusions concernant les heures de travail
46 48 49
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Compétitivité, croissance et perspectives Introduction Une longue mais nécessaire réflexion sur ce que signifie « être compétitif » Productivité et compétitivité : que donne la comparaison ? La performance commerciale en Europe et aux États-Unis Les parts de marché de l’UE15 et de l’Allemagne Les implications du succès de l’UE sur les marchés mondiaux pour la politique économique Scénarios concernant les développements économiques futurs Les avantages d’une croissance plus forte dans l’UE L’importance croissante de l’Europe centrale et orientale Le partage des gains potentiels entre les pays de l’UE La croissance récente de la productivité dans l’UE et aux États-Unis La croissance du PIB par tête La croissance de la productivité dans les pays de l’UE Convergence et divergence entre les pays membres de l’UEM
51 52 56 58 61 63 66 69 70 73 74 77 78 82
_ Encadré : Un modèle du système économique global, 85
III L’emploi : une fin en soi mais surtout un moyen La politique de l’emploi en Europe Le cadre politique La performance en termes d’emploi de l’UE Perfectionner la mesure du taux d’emploi L’évolution des réformes politiques dans l’UE et dans les États membres La qualité des emplois L’élargissement et les nouveaux États membres Les progrès de la politique : le rapport Kok et la contribution de la Commission au Sommet du printemps Conclusions Repères bibliographiques
89 91 92 98 101 107 109
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