PIERRE VILAR
OR ET MONNAIE DANS L'HISTOIRE 1450- 1 920
FLAMMARION
Collection dirigée par Joseph GOY
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1974. FLAMM...
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PIERRE VILAR
OR ET MONNAIE DANS L'HISTOIRE 1450- 1 920
FLAMMARION
Collection dirigée par Joseph GOY
©
1974. FLAMMARION,
Paris
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INTRODUCTION
Ce livre n'est pas l'œuvre d'un expert monétaire, ni même d'un économiste. C'est un livre d'historien. Il ne conclura pas en donnant des conseils au Fonds monétaire international. Il ne suggérera pas au lecteur d'acheter ou de vendre de l'or ou des dollars. Simple cours universitaire, il n'a été à son origine qu'un essai
de clarification pédagogique des problèmes posés par la monnaie au cours de l' histoire 1. Cela veut-il dire qu'il n'a aucun rapport avec l'actualité? Dans un petit ouvrage sur La monnaie et ses mécanismes, M. Pierre Berger n'hésite pas à écrire que « la compréhension des phénomènes monétaires est souvent gênée par l'examen des données et des enchaînements historiq,ues. Sans professer de mépris pour l'histoire, on est condutt à considérer qu'un attachement excessif à la recherche du passé risque d'être une source de confusion pour l'analyse correcte du présent, du moins dans le domaine de la monnaie et du crédit '. »
Ce n'était pas l'avis de Marx, dont les analyses monétaires sont, comme à l'habitude, un modèle d'exposé théorique lié à l'histoire la plus fouillée. Et, pour prendre un exemple à la fois plus récent et situé à l'autre bout de l'horizon idéolOgIque, ce n'est pas l'avis de Milton Friedmann, dont la pensée théorique et l'action pratique d'économiste rappellent sans cesse 1. Cours de Sorbonne 1965-1967. 2. Berger (p.). LA monnaie .r ••• m'canism... Paria. PUF (Que sais-je ?). 1966. p. 8.
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qu'il est l'auteur de The Monetary History of the United States, 1867-1960. Rien, à vrai dire, n'est plus périlleux que l'illusion de la « nouveauté », qui n'est souvent qu'ignorance de l'histoire. Non que l'histoire ait pour fin de démontrer que « rien n'est nouveau ». Mais il lui arrive de faire la preuve que tout n'est pas aussi noUfJeau que l'opinion commune ne l'imagine. Si les économistes des années 20 de notre siècle ont mal compris l'instabilité monétaire, « nouvelle ) à leurs yeux, c'est qu'ils se référaient à une histoire récente. S'ils avaient évoqué le XVIIe siècle, ou le xrve, ils auraient su ce qu'était une dévaluation. Que de gens sont persuadés que la monnaie de crédit ou la Banque des Réglements internationaux sont choses « nouvelles ), qui n'ont jamais entendu parler des foires de Plaisance, du Consulat de Burgos! Amsi, Alexandre Chabert, ignorant (ou négligeant) l'énorme pyramide nominale construite sur les métaux précieux venus d'Amérique au XVIe siècle, a émis l'hypothèse selon laquelle la théorie quantitative de la monnaie serait valable pour ces vieux temps de monnaie-métal, mais non aujourd'hui. Or voici que Milton Friedmann, au cœur des mécanismes subtils du monde monétaire contemporain, plaide pour la « réhabilitation .) de la théorie quantitative 1. Serait-ce que notre temps différerait moins du XVIe siècle qu'il ne parait? Ou que le degré de vraisemblance de la théorie quantitative dépendrait surtout du degré de naïveté mis dans sa formulation? L'or et l'argent arrivent, tout est changé en Europe, nous dit Earl Hamilton pour le XVIe ou le XVIIe siècle. Tout changera, dit-on au ne, si nous savons créer ou éponger la monnaie, pousser ou restreindre le crédit. Sous ces formes, qu'il s'agisse de l'interprétation historique ou de la pratique monétaire, les suggestions simplificatrices sont périlleuses. Le vrai problème est celui du degré de liberté de l'homme enlace de ce qu'il crée. Et les Grandes Découvertes ou l'ouverture des mines californiennes ne sont pas moins des créations de l'homme que les banques écossaises ou la planche à assignats. 1. Chabert (A.). S~tuT, IctmtnrliqUil Ir tMori, molÛtair., Paris, 1956, pp. 33-38. Priedmann (M.). Inflation et sy.tdm.. monlta,'r.. (. Dollan and Deficits " Prentice Hall, New Jersey, 1968), Cf, l" panie : • Pour une réhabilitation de la théorie quantitative de la monnaie >.
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L'illusion est de croire que l'objet réel - l'or, l'argent - a pesé sur les hommes sans qu'ils réagissent, et que le signe monétaire pur, immatériel, leur est comme sans réserve soumis. Réalisme contre nominalisme. Le vieux débat est trop chargé de présupposés philosophiques pour que la controverse monétaire ne s'en ressente pas. Marx observe ironiquement au seuil de sa première méditation théorique sur la monnaie : « Dans un débat parlementaire sur les Bank Acts de sir Robert Peel, de 1844 et 1845, Gladstone faisait remarquer que l'amour lui-même n'avait pas fait perdre la tête à plus de gens que les ruminations sur l'essence de la monnaie. Il parlait d'Anglais à Anglais. Les Hollandais, par contre, qui, en dépit des doutes de Petty, ont de tout temps possédé une « miraculeuse intelligence » pour les spéculations d'argent, n'ont jamais laissé sombrer cette intelligence dans les spéculations sur l'argent 1. »
Et l'on pourrait ajouter que les Espagnols, les moins heureux de tous dans la gestion de leur fortune première. s'ils firent couler beaucoup de sang, de larmes et de sueurs 2 pour tirer des Indes l'argent en tant que trésor, firent aussi, sur l'argent en tant que monnaie, couler des flots d'encre. Les archives espagnoles du XVIIe siècle recèlent plus de « memoriales ) monétaires que n'a reçu de rapports le Fonds monétaire international. Et un roman picaresque - le Diable boiteux - met en scène un « arbitriste & si passionné par son combat contre l'inflation montante qu'il s'est crevé l'œil avec sa plume mais continue à écrire sans s'en apercevoir. Or « l'arbitrisme ) a la vie dure dans ce domaine. Toute poussée de fièvre monétaire fait pleuvoir sur la presse « libres opinions ) et « lettres ouvertes ) signées des plus doctes professeurs comme des autodidactes les plus ingénus. En 1963 encore, chez un des grands éditeurs spécialisés dans les publications de science économique, peut paraître à Paris un livre qui se présente ainsi (et il est vrai que l'auteur a publié aussi un Code pratique des accidents de voiture) : « Nous avons pensé que puisque la monnaie est le bien de tous, il n'était pas inopportun d'essayer de mettre 1. Marx. Contribution d la critiqu. d. l'de,,,,,,,,,i. politique, 18S9, début du chapitre II. 2. Cf. ci-dessous p. ISS.
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à la portée de chacun le problèine monétaire tel qu'il se pose à l'heure actuelle au point de vue juridique et
économique... « Comme la justice, la monnaie est un besoin de tous; elle doit à tous inspirer confiance; elle a la même valeur dans la poche du pauvre et dans celle du riche; la seule différence n'est que dans la quantité (sic)!. » Eh oui! Dans la quantité ... Et, comme disait Tomas de Mercado, lointain précurseur du marginalisme, « la différence de quantité fait la différence d'estimation ), de sorte que cent francs, « anciens ) ou « nouveaux ), dans la poche du clochard ou dans la poche du milliardaire, n'ont justement pas la même « valeur ), la même « estimation ) subjective, ce qui pose une des premières énigmes de la monnaie, ce prétendu « bulletin de vote )} égalitaire, en fait aussi trompeur que l'autre « suffrage universel ). Mais le même livre naïf, qui veut mettre à la porté~ du citoyen moyen le problème monétaire, peut invoquer de hautes autorités quand il s'agit d'exalter l'importance de ce problème dans les responsabilités des gouvernements. Il cite Charles Rist, qui écrit, un peu après 19502 : « Je reste convaincu que le problème monétaire est le problème essentiel, à résoudre avant tous les autres. Je reste convaincu qu'il existe dès à présent les données nécessaires à cette solution. Les hommes d'État qui auront le courage de s'en servir assureront la prospérité et la sécurité de la communauté internationale plus sûrement que par toute autre mesure. Et ils s'assureront à eux-mêmes, pour l'avenir, une place des plus honorables dans l'histoire de notre temps. »
Je note à mon tour qu'avec la pointe d'humour obligatoire chez un Anglo-Saxon, Robert Triffin met en tête de son ouvrage Gald and the Dollar Crisis (Yale Univ. Press, 1961), la dédicace suivante : « A mes enfants, Nicky, Kerry, Éric, qui, dans quelques années d'ici, peut-être, se sentiront fiers, ou sans doute souriront, en découvrant la tentative aventurée de leur père de prédire l'histoire, et d'en modifier le cours. » 1. Toulemon (A.). Situation paradoxale de l'or dans le monde, Sirey, 1963. In Monnaie d' hier et d' aujourd'hui, recueil Lacour-Gayet, Paris, 1952. 2.
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Ainsi, vers 1630, ou 1680, Guillén Barb6n, Gerardo Basso ou Somoza Quiroga espéraient bien, pour cause d'orthodoxie monétaire, passer à l'histoire. Ils ne relèvent plus guère que de l'érudition. Est-ce d'une érudition inutile? Non. Car les formes passées des théories monétaires révèlent à la fois, par la permanence des thèmes, les grands problèmes de fond, et par la variété des interprétations, les faits vraiment nouveaux qui ont commandé les conjonctures. Car l'économiste, comme l'historien, est dans l'histoire. La monnaie ne lui apparaît pas de même façon s'il écrit en 1570 ou en 1780, en 1923 ou en 1973. Au XIXe siècle, temps de la monnaie stable, de l'étalonor incontesté, et du billet convertible, l'économiste croit que les produits s'échangent contre les produits, et que la monnaie est neutre. Qu'un gouvernement modifiât le rapport légal entre sa monnaie et l'or serait de l'escroquerie. Les cas historiques sont de l'anecdote. Philippe le Bel n'est qu'un vulgaire (1 faux-monnayeur ). On nous dira que Dante était bien de cet avis, qui le mit, à ce titre, dans son Enfer. C'est que les intellectuels, gens à revenu fixe, n'ont jamais aimé les gouvernements dévaluateurs. Les théoriciens, il est vrai, ne les ont pas aimés davantage. N'étaient-ils pas souvent à la fois clercs, moralistes et mathématiciens, à la poursuite des notions parentes de justice et de mesure, d'équilibre et de permanence? Et sans doute est-il temps de dire ici, pour corriger nos petites ironies, que quelques-uns des plus grands esprits de tous les temps se sont affrontés aussi au problème monétaire : au XIVe siècle Nicolas Oresme, sage évêque et grand mathématicien, vers 1520 un autre Nicolas, qui n'était rien moins que Copernic, et, vers 1700, après un Locke, un Berkeley, et avant un Hume, un (1 maître de la Monnaie ) de Sa Majesté britannique, qui s'appelait Isaac Newton. C'est que la monnaie, mesure de valeur, pose un délicat problème logique. Une mesure devrait être fixe, comme l'étalon de longueur, ou l'heure d'horloge. Mais celui qui employait cette expression, le théologien Tomas de Mercado, le faisait en 1568, en pleine «révolution des prix ). Et il s'était aperçu, ayant vécu à Séville et à Mexico, que le lingot d'argent y changeait de prix (1 pour les m2mes raisons qu'un tissu ), et que, dans l'espace, le même poids d'argent n'avait pas la même (1 estima-
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tion ) - c'est-à-dire le même pouvoir d'achat - aux Indes et à Séville, en Italie ou en France. Il en déduisait une théorie des changes fondée sur la disparité des pouvoirs d'achat, que devait redécouvrir Cassel... en 1920!
Étrange « mesure de valeur) que cette monnaie, qui change de « valeur ) elle-même! Et cela, quelle qu'en soit la définition. Car la monnaie concrètement définie, la monnaie-objet - de l'or par exemple - a, comme toute marchandise, un prix de production et un prix de rareté, un prix de marché, qui change aussi bien pour l'or que pour le tissu, comme avait noté Mercado. Mais si nous définissons la monnaie, de façon abstraite et moderne, comme « tout pouvoir d'achat remis aux mains d'un agent économique ), nous savons bien que ce pouvoir d'achat varie à son tour, que les prix peuvent monter ou s'abaisser tous ensemble, qu'on « fuit ) devant la monnaie ou qu'on la recherche, qu'on lui préfère ou non d'autres « marchandises ). Mais que lui sert, alors, de n'être pas « marchandise )? A vrai dire, l'installation du capitalisme exigeait qu'elle le fût. Car avoue-t-on assez ce que serait pour le capitalisme une monnaie inébranlablement stable? Les héritiers de l'homme qui eût placé, il y a deux mille ans, un sou à intérêts composés, auraient sans rien faire, depuis longtemps, pu écraser toute production sous le poids de cette promesse unique. Et comme tout progrès technique abaisse la valeur des objets produits, une perpétuelle baisse des prix, en cas de monnaie unique et stable, eût sans cesse découragé entrepreneurs et vendeurs, pour qui le climat de hausse est le meilleur excitant. Si donc rentiers et salariés - toujours dans l'hypothèse capitaliste - redoutent spontanément la dévalorisation de la monnaie, on devine que débiteurs, entrepreneurs et vendeurs la souhaitent confusément. Bien sûr, toute catastrophe exclue (encore que quelques catastrophes, comme celle de l'Allemagne en 1923, aient liquidé bien commodément certaines dettes trop lourdes). Ces aspects positifs - non point nécessaires, mais fortement adjuvants - de la dévalorisation monétaire pour le fonctionnement du capitalisme, si l'on pouvait en contrôler le rythme optimal, le xxe siècle a enfin pris la responsabilité de les proclamer. Contre le « rentier passif) (et plus discrètement contre le salarié) il a pris
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le parti du « débiteur dynamique ~). Et, assez curieusement, il eSt allé chercher ses arguments fort loin dans l'histoire, et tout particulièrement dans celle des métaux précieux. Simiand a cru trouver le secret des épisodes positifs de la croissance moderne dans l'argent du Mexique et l'or de Californie. Keynes a chanté les effets « stimulants ~) des grandes déthésaurisations antiques, médiévales et modernes, et ceux des découvertes minières. Ainsi, à la veille d'une étape de la pensée monétaire fort dédaigneuse pour l'or, le mythe des métaux précieux a été ressuscité. Keynes, en 1930, a proposé auX historiens d'expliquer la civilisation de Sumer par l'or d'Arabie, la grandeur d'Athènes par l'argent de Laurion, celle de Rome par la dispersion des trésors de Perse par Alexandre, et la stagnation médiévale de l'Occident européen par son « maigre' avoir ~) en métaux monétaires précieux 1. Fernand Braudel, en 1946, a écrit dans un article célèbre: « Résumons : premières années du XVIe siècle: l'or du Soudan, déjà détourné par les Portugais de ses chemins directs vers la Méditerranée, se trouve lancé sur des voies nouvelles, en direction de l'Océan Indien. lEt comme par hasard la première Renaissance italienne s'étiole, périclite et pâlit... ' Trente ans : et voici qu'affiuent en Europe les métaux d'Amérique, retransmis par Séville. Comme r.ar hasard également, la puissance espagnole s'affirme et s épanouit... La grande voie par où se répand la manne, c'est la voie océanique. La voie de Laredo à Anvers. Par là ne cessaient de couler les flots d'un Pactole qui arrose à la fois la sécheresse d'Espagne et le gras pays des Flandres. Jusqu'au jour où cette voie est coupée. Où Anvers, par suite, commence à se flétrir, où Medina deI Campo s'étiole. Où Lyon cesse d'être la ville triomphante des foires, où l'Espagne se voit coupée des Flandres par la mer. Mais où, par contre, la route maritime de Barcelone à Gênes prend sa vigueur. Où les pièces d'Espagne conquièrent la Méditerranée tout entière et prolongent sa prospérité jusqu'au milieu du XVIIe siècle. Jusqu'à l'heure où, peut-être drainé vers Manille, peut-être absorbé sur place par l'Amérique en progrès, le métal blanc cesse d'inonder la Méditerranée, et par elle l'Europe. Déclin, décadence. Il n'y sera remédié, à la veille du XVIIIe siècle, que par un afflux nouveau de richesse I.
Cf. ci-dessous, p. 33.
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monnayée. Par un atHux d'or: celui des mines brésiliennes. Des « Mines générales ». Ainsi se rythment les chapitres de l'histoire du monde. A la cadence des fabuleux métaux 1. » Fresque admirable, que nous nous devions de rappeler, au seuil d'un livre consacré au thème : or, monnaie, histoire. Et dramatisme mieux étayé que les considérations gréco-romaines de Keynes. Car Hamilton et Chaunu sur l'argent d'Espagne, Magalhaes Godinho sur l'or portugais, Frédéric Mauro sur l'or brésilien, Fernand Braudel lui-même sur les circuits méditerranéens, Frank Spooner sur la circulation monétaire de l'ancienne France, ont apporté sur ces rapports histoiremonnaie plus que des suggestions : des études, des masses de chiffres. Mais le chiffre n'exorcise pas toujours la magie délirante de la danse du métal : « Cet argent arraché d'Amérique et mal gardé par l'Espagne, écrit Frank Spooner, court le vaste monde. Voici les réaux dans la Méditerrannée... Ils sont à Marseille, à Livourne, à Venise. Mis en tonneaux scellés, ils sont expédiés vers les Iles du Levant... Voici les réaux aux portes d'Alexandrie, à Tripoli de Syrie, puis courant vers les villes de l'intérieur, Alep, Damas, Le Caire, Bagdad... Un instant d'inattention, et nous les retrouvons déjà dans les Indes, en Chine ... • »
J'aime beaucoup l'instant d'inattention. Il symbolise assez bien le caractère fuyant, volage, de la monnaie. Tout dépend d'elle. Elle ne dépend de rien. C'est tout de même bien curieux pour une monnaie-objet, une monnaie métallique. ·Serait-ce que le métal, pour les hommes du XVIe siècle, exerçait un pouvoir d'attraction, extra-économique, fondé sur les structures mentales - et peut-être psychanalytiques - propres à leur temps? L'historien n'oserait le dire. Le philosophe franchit le pas. « ... les signes de l'échange, écrit Michel Foucault, parce qu'ils satisfont le désir, s'appuient sur le scintillement noir, dangereux et maudit, du métal. Scintillement 1. Braudel (F.). Monna;" et cifJilisations. D. l'or du Souda .. cl l'arg_ d'AmlrÎque, Annale., 1946, p. 22. 2. Spoonet (F.). L'lcDllbm.è mondial. or les frappes monétaires ... Fr"' ...., Paris, 19S6, p. 2S.
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équivoque, car il reproduit au fond de la terl;e celui qui chante à l'extrémité de la nuit; il y réside comme une promesse inversée de bonheur, et parce que le métal ressemble aux astres, le savoir de tous ces périlleux trésors est en même temps le savoir du monde ... 1 » L'ennuyeux est que cette phrase entend s'appuyer sur un paragraphe de Davanzati, écrit en 1586 à Florence. Or Davanzati disait seulement que tout l'or devant mesurer, par convention entre les hommes, toutes les choses désirables, il faudrait pouvoir, du haut du ciel ou d'un observatoire élevé, dire : « Il y a sur la terre tant d'or, tant de choses, tant d'hommes, tant de besoins; dans la mesure où chaque chose satisfait des besoins, sa valeur sera de tant de choses, ou de tant d'or 2. »
Ce rêve de Davanzati, ce n'est pas un produit du scintillement noir, équivoque, maudit, du métal. C'est un embryon de théorie monétaire. Et il n'est pas si élémentaire puisqu'il veut prendre en compte le nombre des hommes, le rapport des choses entre elles, et la notion de besoin. Ce que cherche Davanzati, c'est l'équation de Fisher. Ce qu'il voudrait être, c'est ce planificateur mondial qui connaîtrait assez de termes de l'équation pour fixer soit le niveau des prix, soit la masse monétaire. Qui n'a rêvé de l'être? En attendalit, on savait au XVIe siècle, comme l'on sait encore, que les marchands - et même les planificateurs - n'obtiennent qu'en tâtonnant une « vérité des prix ». Mais, quoi qu'en pense Michel Foucault, la divinatio n'a là-dedans rien à faire. La théorie quantitative de la monnaie, Davanzati la met dans la bouche d'une paysanne: « Si la valeur de la monnaie diminuait de 12 à l, les prix des choses augmenteraient de 1 à 12. La petite paysanne, accoutumée à vendre un as sa douzaine d'œufs, et voyant dans sa main un as réduit à une once, dirait : Messire, ou vous me baillerez un as de 12 onces, ou je vous donnerai un seul œuf pour un seul as. »
Davanzati savait donc que la' monnaie c'est l'or, mais c'est aussi le nom qu'on lui donne. On peut appeler 1. Foucault (M.). Les mots 2. Cf. ci-dessous, p. 233.
It
les
ChoSIS,
Paris, 1966, p. 184.
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livre un petit sous-multiple de l'once d'or, bien que l'once, mesure de poids, soit un petit sous-multiple de la livre. Une bonne partie de l'histoire monétaire tient dans cette observation. Mais la ~etite paysanne a-t-elle tort, quand on lui impose un Jeu de ce genre, de ne pas se laisser faire? Est-ce, dans son es~rit, un reste de « fétichisme » que de s'attacher au pOIds du métal? Marx a bien mis en lumière cette contradiction, parmi d'autres, de la « production marchande ». D'un côté, tout est marchandise. Comment se référer, pour mesurer la valeur d'échange, à quelque chose qui ne le serait pas? « La forme prix renferme en elle-même l'inaliénabilité des marchandises contre la monnaie et la nécessité de cette aliénation. D'autre part, l'or ne fonctionne comme mesure idéale de valeur que parce qu'il se trouve déjà sur le marché à titre de marchandise-monnaie. Sous son aspect, tout idéal, de mesure des valeurs se tient déjà donc aux aguets l'argent réel, l'espèce sonnante 1. »
Et cependant, le remplacement d'une marchandise par l'autre fait glisser la monnaie sans cesse d'une main dans une autre. Son existence fonctionnelle absorbe pour ainsi dire son existence matérielle. Reflet fugitif du prix des marchandises, elle ne fonctionne plus que comme signe d'elle-même, et peut, par conséquent, être remplacée par des signes. Seulement, il faut que le signe de la monnaie soit comme elle socialement valable, et il le devient par le cours forcé. Cette action coercitive de l'État ne peut s'exercer que dans l'enceinte nationale de la circulation, mais là seulement aussi peut s'isoler la fonction que la monnaie remplit comme numéraire '. » « ...
Cette distinction entre la « monnaie courante », dont le tarif interne (légal) dépend de l'État, et la monnaie intemationalement valable entre grands marchands, et entre les États mêmes, c'est le problème de notre temes, comme ce fut celui de jadis. Il ne peut être inutIle de l'observer à travers l'histoire. Et c'est le propos de cet ouvrage. 1. Capital, Uv. 1. I,e section, ch. III. 2. Fin du paragraphe « Mesure de. valeurs >. 2. Ibid. Fin du paragraphe • Moyen de circulation '.
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Pierre Berger nous objecterait que la monnaie et le crédit actuels ressemblent peu à la monnaie et au crédit de la vieille histoire. Mais est-il un phénomène contemporain dont on ne puisse rechercher l'équivalent théorique dans la diversité du passé? Chaque pays a-t-il cessé de distinguer entre sa monnaie interne «< moneda corrent », disaient les vieux Catalans), et les devises ou le métal nécessaires à ses échanges externes «< moneda corrible »)? Une devise s'est imposée, sous nos yeux, à la plus grande .partie du monde. Est-ce plus universellement que jadis la piastre espagnole, ou que naguère la livre anglaise? Or, tant qu'il y aura dans le monde plusieurs monnaies, elles se dévaloriseront, se revaloriseront, les unes devant les autres, et toutes devant les marchandises, quelle que soit, parmi celles-ci, celle qu'on a choisie comme référence pour évaluer - et solder - les résultats de l'échange international. Il est vrai que jamais la monnaie ne fut plus aérienne, plus nominale, plus faite d'engagements sur le papier qu'elle ne l'est aujourd'hui. Mais engagements de qui ( Jamais pourtant elle ne fut plus utilisée pour exprimer des produits, globaux ou rétrospectifs. Mais exprimer en dollars le revenu d'un Pakistanais ne manque pas d'ironie. Et pour comparer des volumes, même à assez court terme, il faut « déflater ». L'ouvrier américain raisonne sur son compte en banque et non sur son bas de laine, ce qui le rapproche plus des Fugger que de son grand-père paysan. Mais peut-être le développement des besoins, substitué aux forces de la nécessité, rouvre-t-il le domaine, un temps fermé, du prêt à la consommation, c'est-à-dire de l'usure. Ce qui rapprocherait l'ouvrier américain de Charles Quint, plus que des Fugger. Au temps où l'investissement productif est roi, ce serait un curieux effet de la dialectique du capitalisme. Ajoutons - et ce n'est pas pour simplifier que celui-ci n'est plus seul au monde. Il est vrai qu'il ne l'a jamais été. Il l'oublie parfois.
1 L'OR DANS LE MONDE DU XVIe SIÈCLE A NOS JOURS
Étudier « l'or dans le monde du XVIe siècle à nos jours t) exige d'abord, si une bonne synthèse le permet, de prendre conscience des antécédents du problème. Cette synthèse existe grâce à Marc Bloch : Le Problème de l'or au Moyen Age 1 et Esquisse d'une histoire monétaire de l'Europe 2.
Ces deux travaux abordent les problèmes de l'or dans leurs raJ?ports avec les mécanismes monétaires, . et avec l'histOire la plus générale. Bien qu'ils traitent surtout du Moyen Age, ils sont, par les définitions et les notions qu'ils précisent, des instruments de travail primordiaux. Il sera possible, grâce à eux, d'évoquer les rapports: 1° entre fait monétaire, histoire économique et histoire générale; 2°· entre problèmes de l' « or t) et problèmes (plus vastes) de la « monnaie t); 3° entre grandes périodes de l'histoire monétaire. 1. FAIT MONÉTAIRE, HISTOIRE ÉCONOMIQUE, HISTOIRE GÉNÉRALE
Le fait monétaire comme révélateur historique. « De tous les appareils enregistreurs capables de révéler à l'historien les mouvements profonds de l'écono1. Annales d'histoire économique et sociale. Janvier 1933. pages 1 à 34. 2. Cours professé en 1941 et publié en 19540 comme. Cahier des Annales.
nO 9. chez Armand Colin.
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mie, les phénomènes monétaires sont sans doute les plus sensibles )} (Marc Bloch). Le débutant en histoire économique est en droit de se demander si l'histoire monétaire est une simple science auxiliaire érudite (la « numismatique )}) ou si, comme certains le suggèrent, elle détient tout le secret de l'évolution des économies, peut-être des sociétés. Marc Bloch répond: le fait monétaire est d'abord un signe, un indicateur, un informateur sur des phénomènes plus complexes et plus cachés. Par exemplt, du XIe au XIIIe siècle, l'or cesse d'être frappé en Europe occidentale chrétienne, alors que le monde byzantin et le monde musulman font circuler partout, et même dans cet Occident, de fortes pièces d'or: besants, mangons. Cette carte monétaire correspond à de plus profonds contrastes, démographiques, sociaux, commerciaux. Mais tout d'abord elle les signale. L'information sur la monnaie ne peut pas être l'unique démarche. Elle est souvent la première démarche utile. C'est ce qui justifie le sujet de cet ouvrage. Autre exemple: un contraste dans le temps. XlXe siècle: siècle de stabilité monétaire, de fidélité à l'étalon-or dans tous les pays d'économie avancée. xxe siècle: ces pays, se détachant successivement de l'or ont des monnaies nationales soumises aux « inflations )}, « déflations )}, « stabilisations )}, « rechutes », etc. Le drame monétaire n'a pas créé hr crise. Il la signale, la situe, la date. Il est un bon instrument pour l'étudier. Cet instrument exige, pour les temps anciens, quelques connaissances numismatiques 1, pour les temps modernes, quelques notions sur les mécanismes monétaires actuels 2. Il exige aussi un minimum ,de réflexion théorique. Mais ici, comme l'accord n'est pas fait, l'historien sera méfiant, prudent. La monnaie ne l'intéresse pas en soi. Elle l'intéresse comme élément de l'Histoire.
Le faù monétaire comme facteur historique. Si le fait monétaire enregistre certains mouvements de l'économie, c'est qu'il en résulte. Mais tout résultat I. Le Manuel de numismatique française classique est celui de Blanchet et Dieudonné; l'histoire monétaire la plus précise: Luschin Von Ebengreuth: Allgemeine MUnzkunde und GeZdgeschichte. Munich-Berlin 1925. 2. Par exemple: Jean Marchal: Monnaie et crédit, Paris, 1964, éditions Cujas.
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devient cause. Marc Bloch compare le phénomène monétaire à «( quelque chose comme un sismographe qui, non content de signaler les tremblements de terre, quelquefois les provoquerait... » Cette réciprocité n'a pas toujours été admise. Les économistes du XIXe siècle (temps de monnaie stable) croyaient la monnaie «( neutre ». Les drames monétaires de 1923, 1926, 1931 ont au contraire poussé à observer, mais aussi à expliquer les mouvements de l'économie par les mouvements de la monnaie. Ce «( monétarisme» marque (d'ailleurs de façon très différente) des œuvres comme celle du sociologue François SiInland et celle de l'économiste John Maynard Keynes (autour de 1930). Marc Bloch ne tombe pas dans le «( panmonétarisme ». n dit seulement : «( ~arfois » le sismographe crée la secousse. n pense à 1 Allemagne de 1923, au système de Law, aux assignats, types d'émissions monétaires folles. Mais cela veut-il dire qu'un état global, de longue durée, sur un vaste espace, puisse être déterminé par une situation monétaire? Certains auteurs l'ont admis, et même ont prétendu le justifier théoriquement. Citons par exemple : Carlo Maria Cipolla : Encore Mahomet et Charlemagne : l'économie politique au secours de l' histoire. (Annales-Économies, Sociétés, Civilisations janvier-mars 1949, pp. 4 à 9.) Voici la phrase qui nous parait imprudente: « Pendant tout le haut Moyen Age, écrit Cipolla, l'économie européenne fut soumise à une formidable déflation monétaire... Comme dit Keynes, ce n'est pas. pur hasard si l'on constate cette exceptionnelle déflatIon monétaire pour une époque qui connaît aussi une exceptionnelle dépression de la consommation et des investissements: les deux phénomènes sont étroitement liés, l'un étant la cause de l'autre. »
Si cela veut dire : la rareté monétaire (déflation) et le ralentissement de l'activité économique (dépression) se commandent réciproquement, d'accord. Mais Cipolla (et Keynes) suggèrent une causalité unilatérale partant du fait monétaire. Le haut Moyen Age aurait peu produit, peu échangé, parce qu'il aurait manqué de monnaie. Comme preuve, on avance l'équation dite d'Irving Fisher, sous sa forme la plus simplifiée: P = MV/Q, ou PQ = MV, P étant le niveau des prix, Q la quantité
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de biens échangés, M la masse de monnaie existante, V la vitesse de circulation. Mais toute équation est en même temps une évidence et une réciprocité. Une évidence : la quantité de. biens échangée (Q), multipliée par leur prix (P) égale la masse de monnaie mise en mouvement (M) multipliée par le nombre de fois où cette monnaie a changé de mains (V). Une réciprocité: si le mouvement monétaire (masse et vitesse) varie, le prix global des biens échangés varie dans le même sens. Inversement, si la valeur des échanges augmente, la circulation monétaire doit augmenter. En aucun cas cela ne perlfiet d'écrire: le facteur monétaire a une antériorité. On ne pourrait le prouver que par l'histoire. L'équation reste utile, si l'on connaît trois termes, l>0ur calculer le quatrième. Si l'on n'en connaît aucun, (c'est le cas pour l'Europe carolingienne), elle ne peut en rien venir « au secours » de l'histoire. C'est au contraire l'histoire qui doit observer et dater les deux séries de phénomènes à relier. Pour le haut Moyen Age, elle observe, pendant des siècles, (mais on discute de la date initiale), un monde sans division du travail, où l'outillage, élémentaire, est plus souvent détruit que renouvelé, où les communications sont difficiles, où le travail n'est pas rémunéré en monnaie (il s'effectue par corvées). Ce monde dérivet-il de l'absence de circulation monétaire? ou plus simplement, n'a-t-il pas besoin de cette circulation? Sans doute les deux phénomènes se conditionnent. Un monde peu actif n'attire pas la monnaie. La pénurie monétaire décourage l'échange. Les deux faits se renforcent, jusqu'au jour où des réanimations locales, ou marginales, arrivent, par ondes successives, Il se propager. Ainsi, l'historien ne doit pas privilégier le fait monétaire, mais le suivre de près: c'est le travail de recherche. Les essais de Marc Bloch, l'essai que nous proposons ici, ne peuvent renouveler la recherche, mais ils prennent acte des faits qu'elle a déjà établis. Des réflexions théoriques comme celle de Cipolla. peuvent aider à poser les problèmes. Elles ne doivent pas, à l'avance, imposer des résultats.
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II. -
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PROBLÈMES DE L'OR ET PROBLÈMES DE LA MONNAIE
Notre sujet est l'or. Or et monnaie ne se confondent pas. L'or est une matière, un minéral. Il y a une technologie, une géographie, une économie de l'or non monétaire (usages artistiques, industriels). Sur tout cela, il existe, même en français, une riche bibliographie 1. Elle nous épargne de commencer par l'examen de ce qu'est l'or en pépites, 1'or en filons, l'or natif, 1'or minerai, le raffinage, etc. Car nous faisons de 1'histoire, et l'homme, à chaque étape technique, se trouve devant des problèmes neufs. Mieux vaudra les évoquer successivement. Mais il reste utile de se donner, pour comparaison, un minimum de culture sur ces problèmes techniques. Indiquons, pour mesurer les distances, que si le statisticien De Foville s'étonnait, en 1905, que tout l'or arraché à la terre jusqu'à cette date eût pu tenir dans un bloc cubique de 10 mètres de côté, un pareil bloc, fait avec tout l'or disponible dans l'Europe de 1500, date initiale de notre programme, n'eût pas mesuré deux mètres de côté (8 mS). Cela veut dire que de très faibles trouvailles, de très faibles déplacements, au début de l'histoire que nous retracerons, ont pu bouleverser le marché de l'or. Cela veut dire aussi que le problème de 1'or ne se confond jamais avec le problème de la monnaie. L'or n'a jamais pu couvrir la circulation totale. La monnaie, en effet, n'est pas telle ou telle matière. C'est quelque chose de plus complexe et de plus abstrait. Longtemps les économistes 1'ont définie non par ce qu'elle est, mais par ce à quoi elle sert : 1) d'intermédiaire dans les échanges, donc de moyen de paiement; 2) de terme de comparaison entre les termes échangés, donc de mesure de valeur; 3) éventuellement, quand on la conserve, de réserve de valeur. H. Hauser: L'or, Paris, 1901. L. de Launay: L'or dans le monde, Pari., 1907. V. Forbin: L'or dans le monde, Paris, 1941. J. Lepidi : L'or, Paris, 1958. Le dernier (collection , Que sais-je " nO 776) est commode pour la technique, la géographie, léger quant aux aspects économiques et historiques. J.
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Puis cette définition a été contestée. Une monnaie pouvant fonctionner comme moyen de paiement sans assurer universellement les deux autres rôles, un économiste comme Robertson a proposé d'appeler monnaie tout ce qui est largement accepté comme moyen de paiement. La monnaie, inversement, a d'autres rôles: .Keynes a insisté sur sa fonction de « liquidité ) (avoir de l'argent liquide est une commodité qui se paie). Enfin, Jean Marchal, dans un livre récent, n'hésite pas à définir la monnaie comme un pouvoir d'achat conféré aux agents économiques et comme un instrument de politique gOUfJernementale. Les économistes orthodoxes du XlXe siècle auraient frémi de cette définition. Mais l'historien retrouve dans le passé tous ces rôles de la monnaie, y compris, tout particulièrement, celui d'instrument aux mains du pouvoir. Mais, pour le comprendre, il faut s'aviser qu'on a appelé « monnaie & trois choses assez différentes : a) La monnaie-objet-marchandise : objet qui, par sa matière, son poids, possède sur toute place du monde une valeur marchande réalisable. Longtemps, on a admis que là est la seule vraie monnaie, le rôle d'étalon de valeur et de réserve de valeur exigeant cette possibilité de comparaison marchande universelle. Aujourd'hui, l'idée de monnaie-marchandise semble volontiers périmée. Historiquement, pour en saisir le sens, évoquons les portraits célèbres des changeurs italiens ou flamands, pesant leurs ducats. La balance du changeur était bien, pour la monnaie, la balance du jugement suprême. Toute denrée précieuse, conservable sans altération, divisible en parties équivalentes (ièce d'argent effectif, le rapport devient variable : swvant l'état du marché, le larin persan, pièce effective, vaut 40 ou 48 panes, c'est-à-dire soit 3 200, soit 3 840 cauris. Tous les phénomènes habituels entre monnaie interne fiduciaire et monnaie internationale métallique peuvent donc se retrouver dans ce système.
li) Le cas dé la Chine: Du XIIe au xve siècle, la Chine avait remplacé pratiquement toute circulation d'or ou d'argent, et même de monnaies divisionnaires en cuivre, par une circulation entièrement fiduciaire de monnaie-papier! Mais, à la fin du xve siècle, ce système donna lieu à une inflation galopante (multiplication sans mesure, et donc dévalorisation totale de cette monnaie-papier). Au XVIe siècle, on revint alors à un triple système monétairè, d'allure primitive: a) la monnaie circulante faite de « caixas ), qui sont des petites pièces de cuivre non marquées, à trou central, que l'on enfile sur des fils de soie; b) les échanges de type « troc », avec le riz comme base de mesure; c) les gros paiements en or et argent, mais sous forme de lingots; l'argent-lingot étant la principale marchandise
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monétaire, très prisée, nous l'avons vu, par rapport à l'or. Il existe bien des pièces d'or, mais employées exceptionnellement, honorifiquement, pour des cadeaux, gratifications, etc., (en particulier jetées aux professeurs en fin de leçon...). Par l'intermédiaire portugais, les variations de valeur des trois métaux monétaires - or, argent et cuivre sur les marchés d'Extrême-Orient ont un grand rôle dans la formation des courants commerciaux et de la circulation des monnaies. L'énorme quantité de cuivre nécessaire à la fabrication de certaines monnaies courantes asiatiques fait que le cuivre européen transporté par les Portugais sur le parcours Anvers-Lisbonne-ExtrêmeOrient est un des éléments massifs du commerce maritime au début du XVIe siècle. Plus de 500 000 kg par an! Ce cuivre s'échangeait contre l'or « da Mina ). Les Fugger lui ont dû en partie leur fortune. Mais au milieu du XVIe siècle, son prix industriel a tendu à devenir supérieur au prix monétaire qu'on en offrait en Orient. Le trafic a alors baissé. Puis, c'est l'Occident (Espagne surtout) qui, à partir des premières années du XVIIe siècle, frappera d'énormes masses de pièces de cuivre. On verra alors le phénomène inverse, et le cuivre du Japon sera importé en Europe par la Compagnie hollandaise des Indes. En somme, la circulation monétaire est une chose : à la base, elle peut aller du système le plus primitif (troc, « cauris )) au système extérieurement le plus moderne (papier-monnaie); le métal monétaire est une autre chose : servant à régler les transactions internationales et lointaines, et ayant lui-même une valeur marchande et un coût de production, il entre dans les circuits internationaux comme une véritable marchandise. Pour expliquer les influences des économies lointaines comme celles d'Extrême-Orient sur les économies et les monnaies de l'Europe, il est utile, à titre d'images suggestives, de parler de « gouffre ), ou de « cYclone ), pour exprimer l'attraction exercée sur les métaux précieux par la Chine ou l'Inde (Godinho). Mais il faut bien comprendre ce que cela signifie. Ce qui établit des « différences de pression ), c'est le déséquilibre entre valeurs relatives des marchandises d'une part, des métaux précieux de l'autre, suivant qu'on se place en Amérique, en Europe, en Asie.
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Imaginons, en gros, trois types de pays : a) deux mondes très productifs et très dynamiques:
l'Europe occidentale, l'Asie des moussons; b) deux mondes très retardés, dont l'Europe, en les conquérant, exploite d'abord les gisements métalliques: l'Mrique, l'Amérique. c) llD. peu~le à la fois conquérant et commerçant, les Portugais, s efforce de contrôler les points de contact pour profiter des déséquilibres de prix à longue distance. Pour l'or, suivant V. M. Godinho. « ... du cap de Bonne-Espérance au Pacifique, deux grandes zones anticycloniques pourvoient de métal jaune tout le monde oriental: l'Afrique cafre et éthiopienne, et l'Asie du Sud-Est, celle-ci de beaucoup plus importante que la première, car elle en fournit deux à trois fois autant. Au milieu, une zone de basse pression, l'Inde, attirant à elle la majeure partie, voire la presque totalité, des deux flux d'or..• » Joao de Barros, le grand expert portugais, avait déjà noté cette particularité de la côte de Malabar: absence de métal jaune, et particulière avidité, par conséquent, envers lui. Mais on peut généraliser; tout le Dekkan et tout l'Hindoustan faisaient partie de cene zone attractive. Il reste encore à étudier comment les Portugais, maitres des voies d'Extrême-Orient par leurs places sur le pourtour de l'Mrique, ont voulu contrôler les voies intermédiaires du Proche-Orient, et y ont partiellement réussi.
IV. LES PORTUGAIS ET LA ZONE DISPUTÉE DE L'OCÉAN INDŒN : PROCHE-ORŒNT CONTRE ROUTE DU CAP; DE L'OR VÉNITŒN A L'ARGENT ESPAGNOL
Nous avons vu que Jean Bodin situait le grand tournant vers le monde économique moderne à l'installation des Portugais aux postes-clefs du Proche-Orient, aux dépens des Vénitiens. Est-ce une vue exacte? Il y a deux problèmes : celui de la participation vénitienne au commerce d'Orient: les Portugais l'ont-ils atteinte mortellement? Venise a-t-elle été ruinée? On ne le pense plus guère. D'autre part, on parle souvent de la
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« saignée ~ de métaux précieux que représente, pour l'Europe, l'importation des marchandises de l'Onent; or, il faut distinguer des périodes diverses. a) Le commerce du Proche-Orient est resté très important, et les Portugais ont bien essayé de le capter. A Venise, au début du xve siècle, on frappait chaque année un million de ducats et la moitié - 500 000 allait vers le Caire et Aden, à destination de l'Inde, d'où on importait des marchandises précieuses. L'Égypte elle-même n'avait pas cessé de recevoir les caravanes de l'or nubien et éthiopien. Au Caire, on frappait des schérafim d'or. On frappait également des pièces d'or à Aden, clef de la Mer Rouge, et à Ormuz, clef du Golfe Persique. De La Mecque, par la mer Rouge, un considérable trafic de monnaies contre les épices a lieu avec l'Inde. Albuquerque, informé par les marchands juifs du Caire, aurait bien voulu mettre la main sur le port de Massaouah, pour contrôler l'or abyssin passant directement à Djeddah-La Mecque en traversant la mer Rouge. La mer Rouge voit surtout passer de l'or, sous forme de schérafims égyptiens et de sequins vénitiens; le Golfe Persique voit surtout passer de l'argent, sous forme de larins, frappés en particulier à Ormuz, monnaies à forme spéciale, petites barres d'argent aplaties au milieu et pliées par cette partie médiane, particulièrement faciles à camoufler, et très appréciées. On les achète en Inde avec 20 % de prime. Mais ces courants - ~ui compensent l'achat des tissus et épices d'Asie - n ont pas cessé au XVIe siècle, et si les Portugais y sont intervenus, on n'a jamais cessé, dans l'Inde, de mettre sur le même pied le cruzado, monnaie portugaise, le « sequin ), monnaie vénitienne, et le schérafim, monnaie égyptienne (toutes trois autour de 3>43 grammes d'or fin). Il n'y a pas eu substitution, il y a eu partage. b) Il n'y a pas eu toujours « saignée ) de métaux précieux : à la fin du xve siècle et au commencement du XVIe, on échange volontiers marchandises contre marchandises. -Si, au début du xve siècle, Venise envoyait les 50 % des ducats qu'elle frappait vers l'Orient, à la fin, elle n'en envoie plus que les 20 ou 30 %. C'est tout naturel, puisqu'à cette époque, l'or vaut très cher, il achète
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plus de marchandises en Europe qu'en Orient; on envoie donc en Orient de préférence des marchandises, en 1503, les «galées» vénitiennes de Beyrouth et d'Alexandrie n'exportent plus que 100 000 ducats au lieu de 500 000 en 1423, mais si cela s'explique en partie par la concurrence génoise et portugaise, cela s'explique aussi parce qu'on exporte désormais vers l'Inde (Malabar) et l'Extrême-Orient du cuivre, du vermillon, du vif-argent, de l'acier, des armes, du safran, des draps écarlates, des soieries, des taffetas, des camelots, des tapis, des verroteries, des glaces, de l'eau de rose, contre les épices, les pierres précieuses et les cotonnades des Indes. Autrement dit, dans la période de bas prix des· marchandises, aux dernières années du xve siècle, on a intérêt à les exporter plus qu'à exporter de l'or. c) Dans la première moitié du XVIe siècle, les Portugais exportent aussi en Orient plus de marchandises que de monnaies, et plus d'argent que d'or. La « saignée» de métaux précieux qu'on attribue au Portugal ,est également très relative. Par le Cap, voici quelques chiffres· connus :
1504 15°5 1506 1521 152 4 1525 1528 153 1 1533 1535 1546 1551
3°000 80000 4°000
32 44 1
100000 27 000 200000 28000 135 000 80000 3°000 4°000
On voit que c'est un courant irrégulier, et faible en face des chiffres de Venise. Mais il y a aussi l'exportation du cuivre, du cinabre, du mercure, du corail, du plomb; la moyenne de 1522 à 1557 serait, par an, de 35°000 cruzados en "aleur globale, dont 100 000 seulement en or ou argent. De plus, l'argent est plus attiré que l'or vers l'Orient; à Mélinde en Afrique, il vaut deux fois plus qu'au Portu-
gal; à Cochin dans l'Inde, de ISla à ISI8, on a reçu 16 000 marcs d'argent du PortUgal, et seulement 33 marcs d'or. Quant au cuivre, il s'envoyait par centaines de milliers de marcs. Finalement, la balance des comptes était favorable au Portugal. Une partie des marchandises, à Goa, se payait par lettres de change. Et une partie du solde, à Lisbonne, rentrait en or. Cet or pouvait à son tour aller à Anvers acheter du cuivre ou de l'argent. En somme, dans cette première moitié du XVIe siècle, les bénéfices les plus forts dans le commerce vers l'Orient sont rapportés par l'exportation, dans l'ordre, du corail, du vermillon, du vif-argent, du cuivre, de l'argent et, en dernier lieu seulement, de l'or. d) Dans la seconde moitié, et surtout à la fin du XVIe siècle, l'argent, devenu abondant et moins cher en Europe, passe en masse vers l'Orient, où il est beaucoup plus prisé et achète davantage de produits. Cet argent est espagnol, vient d'Amérique, mais les Portugais en captent une partie. Du commencement à la fin du XVIe siècle, le flot d'argent qui passe d'Ouest en Est pour solder le commerce d'Orient croîtrait de 20 SOO kg à 64 300; et l'Europe, à la fin du siècle, produit à peine 20 000 kg. Presque tout, donc, vient d Amérique, sous forme de «réaux» d'Espagne (réaux dits de a ocho, valant 8 réaux simples: c'est le duro). Marseille est devenu un des relus de ce commerce, avec l'Empire turc comme intermédiaire. Mais la Compagnie Anglaise des Indes orientales eaie aussi ses achats en argent : « any gold, but only silver »... En Italie, en IS7S, on affirme exporter vers l'Orient « vino, olio, drappi e panni ma pochi, fogli, vitri, coralli e reali l); les réaux d'Espagne sont considérés comme une véritable marchandise. Mais beaucoup de ces réaux du commerce méditerranéen viennent par le Portugal. En IS80, une flotte de S naves part de Lisbonne avec une valeur de 1 300 000 « cruzados », mais en réaux (pièces de huit). L'engouement va croître en Europe pour trois productions orientales : les soieries, la porcelaine et le thé. Tout se soldera en réaux. Pour cela même, les Portugais, habitués au commerce oriental, vont essayer de se procurer des réaux. Ils le font grâce à une fraude, sur laquelle les Espagnols ferment souvent les yeux (le Portugal est alors uni à
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l'Espagne, bien que gardant son système monétaire et douanier). Cette fraude a lieu aux Açores, à Madère, à Lisbonne même, vers où se détournent bateaux et cargaisons venant d'Amérique; déjà même le Brésil détourne de l'argent venu du Pérou. Le commerce d'Orient a ainsi mêlé les Portugais au trafic américain.
XII LA DIFFUSION DE LA RÉVOLUTION DES PRIX: L'OR ET L'ARGENT D'AMÉRIQUE
1. -
LA PROGRESSION DES ARRIVm
Reprenons, en les simplifiant, les tableaux de Hamilton
(American treasure...) sur les ar.rivées d'or et d'argent d'Amérique.
Va/eur globale des arrivées. Elle est exprimée en millions de pesos, le peso étant une monnaie de compte espagnole, correspondant à 450 maravedis, mais qui, stable pendant tout le siècle, mesure, jusqu'en 1600, les valeurs-argent en même temps que les valeurs nominales. Nous retiendrons les millions de pesos, plus 2 décimales.
a) Les trois premières décennies du sont connues :
XVIe
siècle nous
Millions de ~DI
1503-1510 15U-1520 1521-1530
1,18 2,18 1,17
Le recul de la dernière décennie est peut-être dft à des fraudes.
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b) Les trois décennies suivantes représentent un démarrage rapide. 153 1- 154° 5,5 8 1541-155° 10,46 1551-1560 17,86 En tout, six fois plus que dans les trente années précédentes; à elle seule, la décennie 1531 -40 dépassait déjà l'apport de ces trente années.
c) Les deux décennies 1561-1580, poursuivent l'élan, avec tendance au ralentissement. 1561 - 157° 25,34 1571-1580 29,15 d) Les deux dernières décennies du siècle, en revanche, bondissent à un niveau double du précédent; c'est un déluge d'argent : davantage en 20 ans que dans les 80 années précédentes réunies! 15 81 - 1590 1591- 1600 La part de chaque métal en poids de fin.
En indiquant non les valeurs, mais les poids, et pour chaque métal séparément, nous allons voir que là où, pour la fin du xve siècle, des chiffres de quelques centaines de kilos paraissent notables, il s'agit maintenant de milliers. kilogrammes d'or
kilogrammes d'argent
15°3- 1510 4965 ° 15 I I - 152O 9 153 ° 4889 148 1521 - 153° C'est la période, presque exclusivement, de l'or. 86193 14466 153 1- 154° 24957 177 573 1541- 155° 155 1- 1560 42 620 3°3 121 -C'est la période où l'argent démarre avec une extrême rapidité, mais où l'or garde un rôle important (croissances successives, pour l'or, de 72 et 70 %; pour l'argent de 102 et 70 %).
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530 942 858 1 Il8592 9429 Au cours de ces vingt ans, l'or, cette fois, est rapidement en baisse; l'argent fait au contraire un très gros nouveau bond. 1561-157° 1571- 1580
II
12101 19451 L'or reprend sa croissance; l'argent passe à deux fois et demie les chiffres des deux décennies précéd~tes. 1581-1590 1591-1600
La part de chaque métal en "a!eur. Trop souvent, comparant ces poids, on dit que l'or, réduit à des pourcentages infimes devant l'argent, n'a plus d'importance dans les dernières années du siècle; mais l'or vaut 10 à 12 fois plus que l'argent et, celui-ci abondant de plus en plus, l'or se valorise. Jusqu'en 1536, l'or vaut IO,Il fois l'argent, 1537-1565, l'or vaut 10,61 fois l'argent, 1566-1608, l'or vaut 12,12 fois l'argent.
n en résulte que, jusqu'en 1560, l'or représente plus de la moitié de la "a!eur importée; et ensuite, jamais moins de8 %. Ainsi, contrairement à ce que semble suggérer Hamilton, et qui a été parfois repris, à cause de la comparaison des seuls poids, le véritable tournant entre l'affiux d'or et l'avalanche d'argent ne se place pas vers 1540, mais vers 1560. Cela est important pour le système monétaire européen, comme l'a bien vu Spooner (Les frappes monétaires en France...).
Cependant, pour étudier « l'or dans le monde 1), il ne suffit pas de se placer en Europe, aux points d'arrivée. Les conditions de ,Production des deux métaux précieux ne peuvent nous laIsser indifférents; parce que l'Amérique y joue une part de son destin, et qu'il s'agit du gros problème cfe la colonisation, de l'exploitation de l'homme; parce que, même pour les effets monétaires, le coût de production n'est pas moins important que les quantités produites.
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Il. LES ORIGINES DE L'OR : SOURCES SUCCESSIVES; CONDITIONS DE PRODUCTION
Nous avons étudié le premier épisode, celui des nes. Et nous avons conclu qu'après 1525, Saint-Domingue, Cuba, Puerto-Rico, la Jamaïque, ont été successivement abandonnées, vidées de population, épuisées. Mais l'aventure de .'or se poursuit alors sur le continent. Dans la région des isthmes et de l'actuel Venezuela. On dira bientôt sur la « Terre Ferme & (Tierra Pirma), mais pas de façon courante avant 1525-3°. Car longtemps, on aoit à un archipel. De plus, après le voyage de Magellan, on sait qu'on peut contourner la Terre Ferme, mais on imagine que le passage sud se situe à quelques centaines de lieues de la « Terre Ferme & du nord, alors qu'il y a des milliers de kilomètres. On mettra longtemps à mesurer l'immensité du continent.
La « eastilla dei oro li : rlgion de Darien, de Veragua, de Panama. C'est en cherchant l'or que Nuiio Vâsquez de Balboa, en 1513, toucha pour la première fois la côte du «Pacifique &. L'isthme devint le premier champ d'expérience continental de la colonisation espagnole, avant le Mexique. On le nomma «Castilla del Oro &, peut-être par illusion. Mais l'illusion de l'or fait partie de son histoire. Toutes les (c Villa Rica », (c Costa Rica »ne sont pas aussi «riches » que le aoyaient ceux qui les baptisaient ainsi. Le chroniqueur Velasco dit de la région de Veragua: « C'est la terre toute chargée d'or, que l'on trouve en quelque point qu'on la creuse. Chaque noir en tire au moins la valeur d'un peso par jour; d8D.s tout fleuve, dans tout ravin, l'on découvre de bons gisements, de bonnes mines de cet or qui, au surplus, est de bon aloi... »
Un peso, c'est 4,18 grammes d'or; cela ferait presque kg d'or par 200 journées de noir. On comprend la fièvre de la recherche d'esclaves. Car on sait désormais que la population indienne s'épuise rapidement au travail. Les historiens des Indes le disent, les uns, comme le Père Bartolomé de Las Casas inaiminant l'avidité des blancs, d'autres, comme Fernândez de 1
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Oviedo incriminant le caractère belliqueux des Indiens, Car le travail forcé entraîne ici la révolte. Mais la révolte entraîne aussi le dépeuplement. Curieux paradoxe: la recherche de l'or vide cet isthme de Panama, qu'il va falloir r~upler, après 1531-154°, quand il va devenir le lien entre Pacifique et Atlantique, entre le Pérou des mines d'argent, situé sur le Pacifique, et le l'on qui écoule cet argent vers l'Europe (Nombre de 0108, sur la côte atlantique de l'isthme). Le couple des deux ports, Panama sur le Pacifique, et Nombre de Dios (plus tard Pono Belo) sur l'Atlantique, va effectuer pendant près d'un siècle, selon P. Chaunu, les 45 % du trafic Séville-Amérique, les deux ports étant reliés par portage. Ainsi, la « Castilla del Oro », vidée d'or et d'hommes, deviendra au milieu du siècle le V0int sensible du passage de l'argent, dans des conditions d'ailleurs terriblement dures: chemins taillés au «machete » dans la forêt tropicale, nuées de moustiques, traversées dangereuses de torrents, embuscades des escJaves « marrons» (en dissidence).
Les côtes septentrionales de l'Amérique du Sud. Le Vme:mela. L'arc des Antilles enserre une « Méditerranée américaine »ou « caraibe », dont les limites méridionales sont constituées par la côte nord de l'Amérique du Sud. Entre les bouches des deux ~ands fleuves, à l'Ouest le Magdalena (actuelle ColombIe), à l'est l'Orénoque (aux limites des Guyanes) s'étend la côte du « Venezueia ». Sur cette côte aussi avaient débarqué très tôt, à la recherche de l'or, les Conquérants espagnols. Mais ils furent obligés de constituer des noyaux très isolés, soit par les montagnes, soit par ·les marécages; on a pu les appeler « nes de la Terre Ferme », à cause même de cet isolement (p. Chaunu). Le Venezuela de l'Est, adossé aux savanes de l'Orénoque - les llanos"":'" est resté longtemps impénétrable. On y a trouvé plutôt que de l'or, des perles, sunout dans deux nes côtières, Cubagua et La Margarita. Précieuses sous un poids faible, les perles ont joué un rôle analogue à l'or. Objet de rescate (troc au hasard des occasions), ou d'exploitation par main-d'œuvre forcée, servant parfois de monnaie aussi, les perles ont
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donné lieu à un gaspillage de main-d'œuvre semblable
à celui de l'orpaillage. La chute de~~;ulation a poussé,
alors, à faire la chasse à l'homme les régions intérieures, pour transférer la main-d'œuvre sur la côte et dans les îles, au service de l'exploitation perlière. Le Venezuela de l'Ouest est le lieu de découverte originel, car c'est la lagune de Maracaïbo qui a suggéré le nom de « Venezuela » - petite Venise. L'ensemble du pays fut concédé, de 1528 à 1541, à une maison de commerce allemande issue d'Ulm et d'Augsbourg, les Welser, lancés dans les affaires coloniales portugaises à Anvers, créateurs d'un comptoir à Séville, d'un autre à Saint-Domingue, et créanciers de l'Empereur 1. Le caractère de l'entreprise est significatif: les «Capitulations » signées avec Charles Quint donnent aux: Welser une mission de conquête, à la fois militaire, politique, et économique. lis sont - eux: ou leurs représentants - «gouverneurs », « capitaines généraux: », organisateurs d'expéditions. Et, comme on se trompe sur les distances, leurs droits s'étendent jusqu'au détroit de Magellan! Or ils sont en même tem~s des marchands. La distinction entre pouvoirs polinques et pouvoirs économiques n'est donc pas claire. Cependant, bien que ce soit une confusion normale au XVIe siècle, les Espagnols, qui so,nt la majorité dans le pays, l'admettent mal. On accuse les Welser de tout organiser en vue de leur seul intérêt matériel. Cela finit en drames: meurtres entre autorités espagnoles et autorités allemandes, procès dont les Welser, repliés sur l'Allemagne, devront abandonner la poursuite vers 1550. Le rôle de l'or, aux: origines de l'entreprise, est dominant. Mais plutôt dans les intentions - ou les illusions - que dans la réalité. Les intentions précoces d'une organisation minière systématique sont prouvées par l'appel en Amérique de mineurs allemands, de Joachimsthal, dont la compagnie défila dans Séville au son des fifres avant d'embarquer. Mais l'échec fut total. En fait, vers 1530, l'or du Venezuela n'est pas exploité en mines, mais en «placers ». On ne découvre pas d'argent. Et les mineurs ne supportent pas le climat. La plupart meurent. Ceux: qui reviennent sont vivement déçus et irrités. 1. Cf. l'ouvrage de Juan Friede : lA,
Caracas-Madrid. 1961.
w.ù.,. ... la ctmpUt4 th V"".".la,
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Pourtant, on trouve de l'or. Dans les capitulations des Welser, il y a des indications qui leur réservent la frappe de l'or produit. Ils en ont la «ferme». Mille petits producteurs leur apportent un or en grains, en pépites, qu'ils paient comptant, mais doivent ensuite raffiner~ monnayer, en payant le quint au Roi. Sous-affermé à des Espagnols, ce droit semble avoir rapporté très peu. L'or partait vers l'Espagne par Saint-Domingue. Cependant, l'existence même du système, et le fait qu'on trouvait de l'or, si peu que ce fût, faisaient rêver d'un pays où tout serait or. Le mythe de l'El Dorado prend ici sa place. Issu de la légende médiévale sur des sortes de paradis terrestres, de la croyance que l'or était produit par les hautes températures de l'~quateur, confirmé par les objets apportés par les Indiens au rescate, exaspéré par les difficultés naturelles et la bellicosité des Indiens, le mythe de l'El Dorado déclancha des rushes, des «fièvres de l'or 1), comme le XlXe siècle en connaîtra en Californie et au Klondyke. On ne trouva pas l'or, mais on découvrit et occupa d'nnmenses régions. La légende de l'El Dorado prit plusieurs formes, qui, sont à l'origine d'explorations audacieuses. L'Allemand Alfinger, parti de Coro, croyait trouver l'El Dorado sur les plateaux de l'actuelle Colombie, parmi les tribus chibchas. Il remonta le Rio Magdalena, laissa la vie dans l'expédition, mais il avait ouvert le chemin d'une importante colonisation intérieure. A Saint-Domingue, où résidaient encore les autorités administratives espagnoles les plus anciennement installées, le bruit courait, sous des apparences scientifiques, qu'il existait un pays de l'or sur le continent, exactement au Sud de l'üe, à mi-chemin entre l'Atlantique et le Pérou récemment découvert. D'autres situaient l'El Dorado au-delà des chutes de l'Orénoque, en remontant vers les hauts plateaux, mais on se trompait sur les distances entre les points déjà reconnus. Tout cela est cependant à l'origine de la fameuse rencontre entre trois expéditions de découverte parties de points différents, en 1539: l'Allemand Federman venu de Coro, les Espagnols Quesada (venu de SantaMarta) et Belalcazar, lieutenant de Pizarre, venu de Quito (~quateur actuel, alors dépendant du Pérou), se rejoignirent dans la haute plaine de Bogotâ (actuelle Colombie). La région andine fut dès lors mieux connue, mieux assurée. L'or inexistant avait joué un rôle aussi
PIERRE VILAR
important que l'or existant, dans la Découverte, la Conquête, la Colonisation. Le résultat économique, en revanche, semble avoir été médiocre. Au cours de leur procès, les Welser soutinrent qu'Us avaient perdu 100000 ducats. Vers 1540, en tous .cas, Us se retirèrent volontairement de l'entreprise américaine. Leurs comptes avancent les résultats suivants : Us auraient payé au Roi, comme quint, 17 000 pesos, 2 tomines, 8 grains d'or, ce qui suppose une quantité d'or produite ou échangée avec les Indiens (ou pillée) de 90 000 pesos, soit 380 kg en 10 ans. Frais défalqués, l'Empereur n'aurait retiré de l'affaire que 135 pesos par an 1 Reste à savoir la sincérité des comrtes. Mais cela meslire la distance entre l'illusion de 1or et les faits réels. Une découverte vraiment importante ne peut se dissimuler. Il faut dire aussi qu'après 1533-1534, la réussite des Pizarre au Pérou, la mainmise sur les trésors incas (qui, chose curieuse, ne furent pas identifiés avec 1'« El Dorado ») écartèrent le Venezuela de la grande économie coloniale, car colons et main-d'œuvre furent invinciblement attirés vers les pays nouvellement découverts, ou vers l'étape de Panama. De même que la découverte du Mexique par Cortes avait vidé les Iles, de même celle du Pérou vida pour longtemps le Venezuela. Le Pérou de l'or.
La grande destinée du Pérou sera celle des mines d'argent du Potosi, après 1545 et surtout 1570. Mais le succès initial avait été celui de la découverte et du pillage des trésors incas, et une phase de l'or 1. Nous disposons des comptes précis du « quint ) royal sur l'or du Pérou. Cela n'apporte rien encore sur le caractère de cette production, mais a l'avantage d'en bien préciser la mesure. La série commence au 16 avril 1531 avec le débarquement de Pizarre à Coaque, village situé juste sur l':equateur, sur la côte du PacifiCJ.ue. Comme U s'agit du métal qui paya le quint royal, U comprend évidem1. Nous avons sur ce point un précieux petit travail de 1963 : Alvaro Jara : La produceion th mIIralu pr.Ûtno. 111 .1 P ..... thl,jglo XVI, Bulletin de l'Université de Santiago du Chili.
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ment le fameux trésor des Incas, accumulé pendant des siècles pour des fins décoratives et rituelles. Plus que de «production », il s'agit donc, au moins au début, de «déthésaurisation» violente (rappelons nos premières leçons). En tout cas, le montant des fameuses répartitions du trésor d'Atahualpa à Cajamarca est bien chiffré : 2475302 pesos d'or, mais de teneur variable (de 4 l 22 carats, c'est-l-dire de 6 l II douzièmes d'or fin). La valeur en fut finalement estimée l600 655 410 maravedis - ce qui correspond bien aux 1 320 000 « bezans » d'or dont parle Bodiri. tvidemment, il faut penser qu'il a pu y avoir dissimulation et fraude. Mais voici le tableau, en poids, de la production d'or et d'argent au Pérou entre 1531 et 1545.
kilOIlf81lllJlel d'or
153 1 1532 1533 1534 1535
489 489 ,639 3470 1649
kil
'J::S
183 67 I I 537 56534 27 183
On voit qu'il s'agit de quantités con..sidérables, dont on comprend qu'elles soient restées' célèbres dans l'imagination des hommes du siècle. Mais, dès les années suivantes, il y a baisse : 1536-1540 (cinq années) : 2891 kg d'or, 34900 d'argent seulement; 1541-1545 (cinq annécs-) : augmentation globale de 12 % en valeur (or et argent ne sont plus distingués, l'or reste dominant largement encore). Autrement dit, avant le grand épisode des mines d'argent, le Pérou, dans une première phase, a dégorgé l'or thésaurisé. . Remarque: si l'on compare l'or produit au Pérou entre 1531 et 1540 l l'or importé l Séville dans la même décennie, on trouve presque le même chiffre. Cela ne signifie pas que tout 1 or arrivé à Séville vient du Pérou, mais que la production du reste de l'Amérique ne dépasse pas le montant de ce qui est conservé en Amérique,
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plus les pertes et les fraudes. Pourtant le Pérou apparait bien comme l'élément dominant du moment.
L'or du Chili. Il faut encore à ce sujet signaler un ouvrage du professeur Alvaro Jara 1, ouvrage en français, qui a pour sujet l' « entreprise ) de conquête, son caractère privé, son style féodal, ses répercussions sur la société indigène, et les révoltes finales de celle-ci. L'ouvrage intéresse l'or dans la mesure où il signale des chiffres de production: de 1540 à 1560, selon un chroniqueur, 7000000 de pesos, mais, selon des études récentes, une moyenne de 2 000 kg par an entre 1545 et 1560, avec chute brusque à 500 kg après 1560. La guerre devient le grand obstacle à la production. Une nouvelle ruée s'annonçait en 1595-99 q,uand la grande révolte de 1599 arrêta brusquement la production. Le second point par lequel cet ouvrage sur le Chili intéresse le problème de l'or, c'est ce qu'il nous apprend de la main-d'œuvre: la preuve que les indigènes ressentirent comme une terrible charge les obligations extractives se trouve dans des textes qu'ils récitaient ou chantaient; ils disaient de leur lance : « Voici mon maitre; ce maitre-ci ne me fait pas extraire de l'or, ni lui apporter des légumes, ni du bois, ni garder son troupeau, ni semer, ni faucher; et puisque ce maitre me conserve la liberté, c'est avec lui que je veux aller. »
La grande contradiction était en effet de trouver à la fois une main-d'œuvre maintenant la production agricole et une main-d'œuvre travaillant aux mines. Et cela au moment même où le Pérou voisin, développant ses mines d'argent, essayait d'attirer la main-d'œuvre de partout. De là le développement de la «maloca », chasse à l'homme pratiquée en particulier par les Indiens « amis », auxquels on payait 20 pesos pour la « pièce » rapportée (enchainée par un collier), pour la revendre 100 pesos sur le marché du Pérou. 1. Alvaro Jara : au... et sOCÜl1 a" Chili: usai lÙ 'DciDlDgi. CDlDniah, Paris, Travaux de l'Institut dee Hautes iltudee de l'AmWque latine, 1961, compte rendu in • Annalee '. nov.-déc. 1963.
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Alvaro Jara signale pourtant, dans un autre article, des tentatives pour protéger l'Indien. En 1557-1561, sous le gouvernement d'Hurtado de Mendoza, le licencié Hernando de Santillân fit adopter la règle du (t sesmo dei oro », qui gardait un sixième du produit au profit des Indiens; on ne le leur donnait pas personnellement; on le capitalisait; en principe, on devait augmenter le troupeau, les moyens de culture des communautés; en pratique, les (t!:,?!~cteurs des Indiens », fonctionnaires qui eurent l'a . 'stration du « sesmo », en firent un instrument de spéculation et de trafic d'influence. Pourtant, juridiquement, on verra des communautés indiennes, au XVIIe siècle, faire des procès à ce sujet. Donc il y eut application. Il '1 eut encore, au XVIe siècle, deux pays où l'or fut extralt, et finalement dans des exploitations minières proprement dites : la région de Buritica, dans l'actuelle Colombie, et certaines régions du Mexique.
XIII LES MÉTAUX PIŒCIEUX D'AMÉRIQUE COLOMBIE, MEXIQUE
Qu'il s'agisse des Iles, des médiocres .découvertes faites en poursuivant l' « El Dorado », des « placers » de l'isthme des « trésors » du Pérou ou des . " l'or, jusqu'en 1550-1560,. a toujours espoirs du été obtenu: 1) soit par pillage et déthésaurisation forcée, 2) soit par rescate sans vrai marché économique, 3) soit par « orpaillage » dans les sables aurifères. Cet orpaillage, dont le travail consiste surtout à secouer des sortes de tamis (bateas), est plus fastidieux qu'épuisant, mais les popwations sont déplacées à mesure que les « placers » successifs s'épuisent; cela arrache la main-d'œuvre à ses occupations agricoles, à ses traditions; les cultures vivrières dont dépendait leur subsistance disparaissent; habitués à des travaux lents et discontinus, les organismes des Indiens ne résistent pas; la maind'œuvre féminine surtout est mobilisée, et les habitudes de maternité et de lactation brisées; tout prédispose aux épidémies. Alors la population s'effondre: presque à zéro dans les Iles, un peu moins brutalement sur les plateaux et dans les vallées du continent, où cependant on mesure aussi des chutes locales de 80 et 90 %! Pierre Chaunu, dans une belle synthèse 1, insiste sur ce caractère destructif de la première phase de production métallique. Il dit que cette production se fit
c1!?J:méen,
1. Mo VV., L'IJIpagM ,... t""PI tU Philipp. Il, Hachette, ParÎl, 19155.
PIl!RRE VILAR
hors des lois économiques 1>. Que faut-il entendre par là? Il est exact qu'à long terme, dans des conditions de libre concurrence et de libre embauche, le prix d'une marchandise dépend essentiellement de son coût de production, et que la rémunération de la main-d'œuvre tend à assurer, au minimum, sa subsistance et sa reproduction. Or, c'est justement ce qui ne s'est pas passé dans la première phase de l'exploitation aurifère américaine; la main-d'œuvre indienne n'a pas été assurée d'une subsistance familiale capable de permettre son renouvellement. Ne disons pas que les métaux précieux américains « coûtent plus qu'ils ne valent 1>, ou «ne couvrent pas leurs frais de production ». Au contraire. Ils trouvent en Europe une rémunération sans commune mesure avec leur coût de production aux Indes (dans le coût moyen figure le pillage!). Attention d'ailleurs, il faut faire entrer en ligne de com~te les mises de fonds, l'audace, la fatigue, les pertes, les rIsques, les longs temps perdus que représentent la conquête et les transports : pour que la tentation de découverte et de conquête se maintint, il fallait l'espérance de gains énormes. Mais il est vrai que, dans le calcul des coûts, la main-d'œuvre put être comptée presque pour rien. L'Espagnol considéra, dit Chaunu, que cette maind'œuvre lui était donnée comme l'air ou l'eau, comme une force motrice gratuite. Gratuite, mais non éternelle. Ici commence ce processus de destruction du profit par le mécanisme du profit lui-même, que Sartre, dans la Gritique de la raison dialectique, a essayé de décrire, justement à propos des métaux américains, mais qu'il a insuffisamment rattaché, en réalité, aux conditions mêmes de la production. Le colon qui exploite une main-d'œuvre sans se soucier de son renouvellement prépare la disparition de cette main-d'œuvre, et par là sa propre ruine. D'autre part, le métal, sur place, lui semble produit à si bon marché qu'il en donne sans compter pour n'importe quelle denrée venue d'Europe; ce faisant, il déclenche la baisse de la valeur d'échange du métal, c'est-à-dire de la marchandise dont il est le producteur : autre façon de préparer, à plus ou moins long terme, cette même ruine. (C
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Tel est bien le caractère fondamental de la production des métaux - et surtout de celle de l'or, qui reste dominant - dans la première moitié du XVIe siècle. Faut-il en dire autant de la seconde moitié? Cela se discute davantage. En effet, les occasions de pillage disparaissent, les placers s'épuisent; en revanche, on découvre, même pour l'or, des mines. Mais cela suppose (surtout quand il s'agira de mines d'argent en profondeur) des opérations de creusement, de drainage, donc un outillage, donc des engagements de capitaux, et d'autre part une maind'œuvre stable, et presque exclusivement masculine. En bref on se dirige peu à peu vers des conditions économiques plus normales, et le coût même que cela commence à représenter engage (et peut-être même oblige) à introduire des inntJfJations techniques. F. Braudel, à propos des crises financières que l'on constate en Espagne et en Europe au milieu du siècle (1557 en particulier) suggère de les rattacher, ce qui paraît judicieux, à ce qu'il appelle un (t changement de combustible ), c'est-à-dire le passage de l'or à l'argent comme agent principal d'excitation économique. Mais il ne s'agit pas seulement d'un changement de métal dominant. Il s'agit aussi du passage d'un type d'exploitation à un autre: du placer à la mine; et d'un type de main-d'œuvre à un autre: de la main-d'œuvre éparse et gaspillée des villages, à la main-d'œuvre rassemblée et permanente des gros centres miniers du Mexique et du Pérou. Enfin, la crise de ralentissement de la production n'est véritablement surmontée que lorsqu'on applique, vers 1560 au Mexique, et vers 1570 au Pérou, un procédé technique nouveau permettant l'utilisation de minerais de faible teneur métallique. On voit que les arrivées de métal en Europe, le rythme de la hausse des prix « généraux ) (qui signifie une baisse de valeur pour les métaux monétaires), certaines gênes financières de l'état espagnol répercutées dans toute l'économie européenne, peuvent être rattachées, dans leur chronologie précise, aux modifications des conditions américaines de la production des métaux précieux.
PŒRRE VILAR
1. - L'EXPLOITATION MINIÈRE SE SUBSTITUE AUX « PLACERS ) AURIFÈRES AUX ENVIRONS DE 1550
Les mines de Buritica.
Elles s'ouvrent vers cette date 1. Cette mine, située dans le royaume dit de la Nouvelle Grenade, dans l'arrière-pays de Carthagène des Indes, port ex~ortatew: de l'or qui y sera ~xploité, devient vite la pre1lllère en 1ll1portance du contInent. A cette mine sont dus les deux mouvements caractéristiques des arrivées d'or à Séville, que nous avons déjà notés d'après Hamilton. 1. - Le maximum des arrivées d'or en poids: 42 620 kg entre 1551 et 1560. ~ 2. La reprise des arrivées d'or à la fin du siècle: de 9429 kg en 1571-80 à 19541 kg entre 1591 et 1600. Dans l'intervalle, l'exploitation des mines a été moins poussée à cause du triomphe des mines d'argent; mais ensuite, l'abondance d'argent aboutissant à une revalorisation relative de l'or, les mines d'or redeviennent plus rentables. Le mouvement du port de Carthagène, mesuré par P. Chaunu, a dépendu de ces va-et-vient de fortune des mines de Buritica. En 1582, l'agglomération de Buritica ne comptait que 12 Espagnols vecinos, c'est-à-dire bourgeois de la ville, anciennement installés; mais il y avait 200 Espagnols ordinaires, c'est-à-dire immigrés de fraîche date, 300 noirs esclaves, et 1 500 Indiens d'encomienda, c'est-à-dire concédés (< recommandés )) aux colons propriétaires des mines. Vers la même date (1580), d'autres gisements voisins étaient découverts et de véritables villages-champignons s'installaient (Zaragoza, Remedios). Mais en 1588, une terrible épidémie détruisait presque entièrement la population indienne. Ce furent' alors des noirs qui arrivèrent par milliers pour être utilisés dans ces mines d'or. Les mines d'or du Mexique.
Le Mexique avait toujours produit de l'or. La Conquête par Fernand Cortès, à partir de 1519, avait J. Cf. James Parsons : Antioqueno colonizacion in Western Colombia, Berkeley, 1949.
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donné lieu à une mise à sac de trésors, dont les œuvres de Cortès rendent compte avec fierté. Puis il y eut, dans les régions méridionales, tropicales, comme partout, exploitation de l'or des rivières, « orpaillage ). Mais on aperçoit, au cours des années 1540-1547, une exploitation plus systématique, où interviennent les mines1 • Fernand Cortès fut un grand entrepreneur. Il eut ses grands domaines agricoles, ses bases navales de construction de navires. Il eut aussi ses placers, où des esclaves étaient entretenus « cogiendo oro ) (récoltant l'or) pour son compte. Entre 1540 et 1547, on constate qu'il y avait à la fois de tels esclaves cherchant l'or dans la rivière NotreDame de la Merci, et d'autres qui travaillaient dans les « mines de Macuiltepec ); 395 esclaves répartis en équipes - cuadrillas - de 28 à 100 travailleurs. Le prix d'un esclave indien ainsi occupé était passé de 3 à 7 pesos en 1525-1529 à 50 pesos en 1536 : cela mesure à la fois la hausse des prix et la rareté croissante de la maind'œuvre. Chaque cuadrilla est sous le commandement d'un responsable espagnol qui garde pour rémunération le 1/20e de l'or extrait. L'ensemble est sous la direction d'un « majordome ) qui, lui, conserve du 1/IOe au 1/7e de la production de sa « cuadrilla ) particulière. Cependant, l'exploitation de la mine, qui repose sur l'esclavage, dépend aussi, largement, du système de l'encomienda, c'est-à-dire des charges dues au Marquis (Fernand Cortès à l'origine) par le village de Tehuantepec, qui lui a été concédé (l'encomienda est une sorte de fief) : le village doit en effet fournir aux travailleurs de la mine la subsistance, les vêtements (les couvertures en particulier), assurer les transports, le déménagement des mines quand elles sont épuisées, etc. Constructions, scieries, sont à la charge du village. Et, de plus, il doit un tribut annuel de 1 650 pesos d'or à 16 carats (2/3 d'or fin). On envoyait le montant de ce droit, plus la production des mines, dans des sacs de cuir, au représentant du Marquis à Mexico, qui faisait fondre, et payait le quint au Roi. 1. cr. l'article: J. P. Berthe: La mina1 de oro dû Marquès dei Valle en Tehuantepec, in • Historia Mexicana '. VIII, 1958, nO 29, complété par 1. Cadenhead, article in , The Americas '. 1960, nO 3.
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On peut comparer les productions des années 1540 à 1547: elles sont très rapidement décroissantes: de l'ordre de 8 200 pesos en 1540, elles tombent à 3 300 en 1544, 1 960 en 1546, et 764 pesos seulement en 1547. En moyenne, sur huit années mesurables, un esclave avait mis un mois à recueillir 1 peso, c'est-à-dire un peu plus de 4 g d'or: rappelons qu'au début du siècle, dans l'isthme de Panama, on parlait d'un peso par jour! La chute des dernières années est due aussi à une terrible épidémie. Finalement, la mine d'or rapportait si peu qu'on transféra la main-d'œuvre survivante aux mines d'argent. Ici, le relais de l'or par l'argent est très clair; car c'est en 1546 justement qu'est mise en exploitation la fameuse mine mexicaine de Zacatecas, et en 1548 celle de Guanajuato, non moins fameuse. Baisse de rendement des exploitations d'or. Vogue des mines d'argent. Les deux choses sont liées. Elles sont liées aus~ à une tendance à l'innovation technique. Puisque, dans un document de 1545 concernant la mine d'or de Tehuantepec, on parle d'une petite quantité de métal brut envoyée à Mexico, faute de mercure pour le transformer. Il semblerait donc que, dès cette date, le procédé de l'amalgame au mercure, pour séparer le métal du minerai, courant- en Allemagne depuis assez longtemps, était connu au Mexique. Concluons-en surtout que, vers 1545, l'ère de facilité est finie. Il faut organiser une exploitation d'un nouveau type.
II. -
LES MINES D'ARGENT DU MEXIQUE, ET L'AMALGAME AU MERCURE
. Au Mexique, les « placers )} d'or étaient situés au sud, dans la zone tropicale. Les mines d'argent .vont au contraire être situées au Nord, sur la ligne qui correspond approximativement à l'isohyète de 500 mm de pluies annuelles, parce qu'il faut un minimum de sécheresse, au~dessus duquel il y a risque perpétuel d'ennoyage des mines, car on sait mal lutter contre l'eau. Or cette ligne est aussi celle qui sépare les zones peuplées de façon stable et relativement dense par les Indiens pacifiques, et les zones peuplées d'Indiens « bravos )}, c'est-à-dire nomades, peu nombreux et non soumis aux Européens.
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C'est en somme ce qu'aux :etats-Unis on appellera une frontière ». Les exploitations minières sont souvent à cheval sur cette « frontière )}. Ce sont parfois des villes, mais souvent aussi des exploitations rurales - (C ranCMS ) - , des gisements isolés « rea/es » -, sortes de camps. La plupart de ces mines sont mises en service entre IS46 et ISS6; certaines sont célèbres et le resteront jusqu'au XVIIIe siècle où elles connaîtront leur rendement maximal : Zacatecas, Guanajuato, Pachuca, Real dei monte, Sombrerete. Mais on peut observer que quelques-unes de celles qui produiront le plus au XVIIIe siècle sont situées très au nord, et ne seront ouvertes que tout-à-fait à la fin du XVIe siècle, par des conventions de trève signées avec les Indiens sauvages Chichimecas. Ainsi, San Luis de Potosi (qu'il faut se garder de confondre avec le Potosi péruvien). L'introduction du procédé de l'amalgame au mercure est un épisode essentiel de cette mise en valeur des mines d'argent. La chronologie de cette introduction est intéressante, et peut être ainsi résumée : 1) le procédé était connu dès le xve siècle dans les mines qui travaillaient pour Venise (bien qu'il ne figure pas dans le fameux traité de métallurgie de l'Allemand Agricola). 2) la querelle de priorité (sans grande importance) entre les Allemands et l'Espagnol Bartolomé de Medina pour l'introduction du procédé au Mexique semble tranchée : c'est bien un Allemand, Lomann, qui a reçu le privilège pour l'appliquer en ISS6; Medina le reçut un an plus tard. Ce qui importe véritablement, c'est la rapidité de l'implantation. On dit souvent qu'en ISS9, la mutation a eu lieu. En fait, c'est surtout aux importations du mercure (qui vient d'Almadén en Espagne) que cette implantation peut se mesurer. Le bond en avant de cette importation date de IS62 (ISS6-IS60 : 890 quintaux; IS61IS6S : 3000 quintaux). En quoi consiste le changement technique dit de « l'amalgame au mercure »? Le vieux procédé indien consistait en fusions successives du minerai broyé, dans de J;~~ts fourneaux percés de trous; encore fallait-il, une dernière opération, séparer l'argent du plomb, par oxydation de celui-ci. C'était très long, et très coûteux en combustible. (C
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Le nouveau procédé fut appelé du « patio », parce qu'on le pratiquait dans des cours fermées (agnols dans l'espoir qu'ils ne seraient plus exportés maSSivement, comme on le
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PIERRE VILAR
constatait. Ce retour de l'or contre des produits activa sans doute l'économie française. N'ayant pas de mines, la France n'aurait pu s'endetter éternellement et dut vivre sur sa production. Elle n'aurait sans doute pas pu le faire sans ces considérables progrès démographiques et productifs des années 1480-1525. Bodin, on s'en souvient, avait bien vu que tout datait de ces progrès, et que tout dépendait des ventes françaises en Espagne. Les exportations, qu'on a pu, sinon chiffrer, du moins connaître grâce à un mémoire sur la balance du commerce au milieu du siècle, sont moins des productions de luxe que des productions de la campagne française : blé, vin, eau-de-vie, sel, toiles, petites étoffes, draps, étamines, camelots, serges, quincaillerie, chanvre, safran, laine, miel, pastel, fruits secs, canevas, toiles à voile de Vitré, même du seigle, même des châtaignes! Attention : la modestie même de ces produits nous indique qu'ils doivent rapporter peu aux producteurs; ce sont des ventes d'appoint; le producteur gagne sa propre vie et l'améliore un peu par de telles ventes. Comme en Espagne, il y a en France le petit capitaliste qui recueille ces productions; il yale revendeur; et cela n'est rentable que si l'on est à proximité d'une rivière navigable, car les transports par route sont trop onéreux (sauf ceux des colporteurs pour les produits légers). . Ainsi, dès la première moitié du siècle, la France exporte contre de l'or. Elle le fera encore davantage contre l'argent dans la seconde moitié du siècle, à mesure que l'Espagne, cette fois, sera encore moins apte à produire économiquement. Seulement, alors que les conséquences des rentrées d'or, dans la première moitié du siècle, n'ont fait monter les prix que modérément, au moins jusqu'en 1540, après 1560, et surtout dans les dernières années du siècle, les hausses seront considérables. Il faut étudier la montée des prix.
III. -
LA MONTÉE DES PRIX
Moins bien connue que celle des prix espagnols, la montée des prix français, étudiés par Hauser en 1936, n'est pas encore solidement établie. Nous nous conten-
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PRIX NOMINAUX (EN LIVRES TOURNOIS) DU SETIER DE BLÉ A PARIS 1520-1620
-<
4 % 18,5 %
33,9 %
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Ainsi, à la fin du Xvm e siècle, les deux tiers environ du commerce extérieur anglais se font hors d'Europe. Si nous ajoutons qu'en 1784 et 1785, lors de la récupération du commerce espagnol avec les colonies d'Amérique, les entrées d'or et d'argent à Cadix sont de l'ordre de 8 000 000 livres sterling, ce qui représente entre le tiers et le quart du commerce extérieur anglais global, nous admettrons que l'Amérique - avec sa production de métaux précieux et le niveau des prix - doit influer singulièrement sur l'économie européenne. Concluons : le développement européen du XVIIIe siècle, démographique, agricole, commercial - industriel aussi, mais le fait n'est massif qu'en Angleterre à la fin du siècle - ne peut être d'origine essentiellement monétaire, quelle que soit l'importance ajoutée au mouvement positif des prix. Mais il n'est pas moins évident que cette poussée de l'activité européenne est en relation - en relation réciproque - avec les mouvements des métaux précieux: l'activité attire l'argent (au sens large); l'argent excite l'activité. Dans chaque cas local, régional, il importe d'étudier les processus intermédiaires. Observons en particulier que, pendant toute la première moitié du siècle, l'Angleterre a fondé sa circulation monétaire sur ses relations avec le Brésil et le Portugal, et donc sur l'or; la France a surtout développé ses relations avec l'Espagne et avec les Antilles, et par là-même a misé sur la circulation-argent.
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Et l'on peut se demander à cette occasion si les importations d'or - en particulier pour l'Angleterre dans la seconde moitié du siècle - auraient suffi à elles seules à financer un développement aussi important des échanges et de la production. En fait, les interventions de la banque et du crédit - qui n'étaient pas inconnus au XVIe siècle sont devenus au xvm e un élément permanent, quotidien. Une fois de plus, le problème des métaux précieux ne pourra être séparé de celui de la monnaie en général.
XXVIII MÉTAUX PRÉCIEUX ET ÉCONOMIE FRANÇAISE AU XVIIIe SIÈCLE : LES MÉCANISMES
Pour étudier les mécanismes qui lient le développement de la vie commerciale à la circulation de l'argent-métal, dans la France du XVIIIe siècle, nous disposons de deux articles importants de Louis Dermigny 1 et d'une petite monographie récente. Ces travaux sont très intéressants par les données qu'ils apportent et par les phénomènes décrits. Toutefois, certaines généralisations, un certain vocabulaire appellent une discussion. Par exemple, s'il est exact que les grands événements politiques ont tous, par certains côtés, des fondements et une portée d'ordre économique, il est sans doute excessif de réduire cet aspect économique à l'attraction exercée par les métaux précieux. Dire que les grandes options politiques du XVIIIe siècle èt du XIXe commençant (guerre de la Succession d'Espagne, « Pacte de Famille » entre les Bourbons de France et d'Espagne, traité de Bâle en 1795, rivalité franco-anglaise au temps de Napoléon, avec les initiatives du financier Ouvrard) ne sont que des épisodes de la lutte entre deux métaux précieux, l'or qui est la 1. Ci,cuits d,l'argent et mili.ux d'aJfai,.. au XVIII' liècl., In « Revue Historique " 19S4, tome CCXII, p. 239-278. Une ca,te monJtai,. de la F,anc, au XVIIIe -.i~cl•• In • Annales B.S.C. " 19S5, p. 480-493. Rebufat et Couxdurié : Ma'lIm. et le mgoce monitai.. international, Maneille, Publications de la Chambre de Commerce, 1966.
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chose de l'Angleterre et l'argent que la France cherche à capter en se liant à l'Espagne, c'est sûrement une partie de la vérité. Mais c'est une formule artificielle. En fait, il y a une grande rivalité mondiale et coloniale, dont les métaux précieux ne sont qu'un aspect. Il est vrai que le commerce avec l'Amérique, et le commerce avec l'Espagne, intermédiaire théoriquement obligatoire et souvent accepté, malgré les fraudes, ont une importance particulière, que l'argent du Mexique explique en grande partie. Mais la rivalité francoanglaise autour des Indes orientales, la lutte pour l'Amérique du Nord, jusqu'au Canada, le rôle dominant des « Iles» (Antilles françaises) dans le commerce des grands ports français, tout cela dépasse largement le problème des métaux monétaires. L. Dermigny lui-même, dans son ouvrage sur la Chine et l'Occident, prouve que le trafic de l'or rapportait moins que le trafic du thé, les moyennes des profits sur l'or étant de l'ordre de 33 % alors qu'elles atteignaient 150 % sur d'autres marchandises. Les directeurs de la Compagnie anglaise des Indes, au lieu de se réserver le trafic de l'or entre l'Inde et l'Angleterre, le laissaient à leurs subalternes. Il est vrai qu'en France, c'était le contraire. Tout est donc question de lieux et de temps. Autre exemple: à la fin de l'Ancien Régime en France, entre les années 1774-76 et 1789, il y a baisse des prix et raréfaction des moyens monétaires. C'est ce que E. Labrousse a appelé « l'intercycle des bas prix ) du règne de Louis XVI, et qu'il a mis à l'ongine des malaises et des tensions préparant la Révolution. L. Dermigny suggère à ce sujet: « N'y a-t-il pas quelque lien entre la Révolution française et les cheminements de l'argent dans les profondeurs de l' Mrique et de l'Asie? ) Or un des aspects les mieux connus de la crise - l'aspect viticole - est parfaitement explicable par de fortes récoltes, par une « surproduction ), ajoutée à une crise des marchés extérieurs du vin. Rien ne dit que la raréfaction de la monnaie ne vient pas de l'hésitation temporaire de l'élan économique. Chercher en Amérique, dans les mines d'argent, le point de départ des conjonctures de court terme ne peut être qu'une hypothèse, non une réponse faite d'avance à un problème posé. Il n'en est pas moins intéressant de voir comment l'argent d'Amérique venait alimenter les circuits monétaires et économiques français.
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Mais il faut sans cesse avoir à l'esprit les remarques suivantes : 1) La stabilité monétaire du XVIIIe siècle donne une particulière clarté au phénomène du mouvement des métaux précieux. Il n'y a plus de « mutations »; on ne joue plus sur les mouvements brusques du change; les afftux et les reflux de monnaie-métal s'expliquent clairement par les balances de paiements : le métal n'est pas le « moteur » des fortunes personnelles, qui cherchent aussi bien à estimer leur solde positif en biens, en créances, etc., qu'en monnaie; mais l'afftux de métal reste un signe de supériorité en matière d'activité productrice; à noter pourtant qu'au cours du siècle, l'Espagne progresse relativement et se rend plus indépendante (ce qui limite les profits étrangers réalisés sur elle) et qu'il conviendrait d'étudier, surtout pour les dernières années et le début du XIXe siècle, les modifications dans les prix de revient du métal américain. 2) Ce qui importe, est-ce « l'argent » ou est-ce le marché hispano-américain? En disant que l'argent du Mexique est « vital » pour l'économie française, on semble laisser entendre que seuls les retours en argent du commerce avec l'Espagne et l'Amérique sont intéressants. En fait, s'il est exact que l'arrivée des flottes espagnoles au port de Cadix est une préoccupation majeure pour les vendeurs de Bordeaux, ou des foires de Beaucaire ou de Pézenas, puisque ces flottes apportent le paiement des denrées vendues, il n'est pas moins exact de dire que le départ de ces flottes, leur chargement est une préoccupation aussi importante: si l'on n'expédiait rien, on ne serait pas payé, on n'attendrait pas de « retour »; et si ce « retour », au lieu d'être en argent, peut être en denrées coloniales vendables avec bénéfice, il est encore plus intéressant. L. Dermigny cite avec raison un texte de 1729 où les négociants languedociens se plaignent de la rareté du numéraire en foire de Pézenas comme sur les places de Marseille ou Lyon, parce que la flotte espagnole d'Amérique tarde à arriver. Sa venue, dit-on, ramènerait la confiance. Mais on trouve bien davantage de textes qui donnent le départ de la flotte comme condition d'une bonne foire, à Beaucaire en particulier : « Le renvoy à l'année prochaine du départ de la flotte de Cadix a porté un grand préjudice à cette foire, tant par
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le manque de confiance qu'une pareille conjoncture ne peut manquer d'opérer dans le commerce que par la diminution considérable des ventes de toutes les marchandises qui sont ordinairement destinées pour le chargement de cette flotte» (Beaucaire, 1740). Ces marchandises étaient surtout de la « toilerie )}, de la quincaillerie, produites sur les places du Languedoc, des Cévennes, du Gévaudan. Mais toutes sortes d'autres circonstances peuvent jouer le même rôle : mauvaise récolte en Espagne, mesures prises par le gouvernement de Madrid, guerre qui risque d'arrêter les convois espagnols vers l'Amérique, etc. Ainsi, ce qui importe n'est pas seulement le métal précieux, c'est le marché des produits qu'achète ce métal. Cela n'enlève pas tout intérêt aux arrivées d'argent liquide: a) Plus le commerce se développe et plus il faut d'instruments qui permettent de déplacer les capitaux à engager : problème de liquidité en numéraire, ou problème de crédit (ce qui sera une autre formule). b) Il Y a des types de commerce extérieur qui exigent l'argent effectif, sous forme de pièces monnayées (parfois même d'un modèle précis de ces pièces) : par exemple, le Levant, ou l'Afrique, origine des « drogues )}, du coton filé (d'Alep), de la cire, etc., que leurs producteurs n'échangent que contre de l'argent effectif. Dans ces conditions, le sens du trafic que nous avons déjà noté au XVIe siècle demeure un fait très important, celui que L. Dermigny exprime ainsi : « Un vaste mouvement d'ouest en est emporte l'argent d'Amérique jusqu'en Extrême-Orient, par l'Europe et la Méditerranée, sans compter l'autre route, du Mexique à la Chine par les Philippines. En lui s'ébauche une conjoncture à l'échelle mondiale ... )} C'est vrai. Mais ce n'est pas nouveau. Et on pourrait prendre d'autres produits comme typiques du mouvement inverse. Dire par exemple que le coton d'Alep, soldé par de l'argent d'Amérique, va d'est en ouest vers la France ou l'Espagne, où, transformé en toiles peintes, il va se vendre à Lima ou à Mexico, contre l'argent qui revient ensuite payer le coton d'Alep. Et il n'y a pas à ce circuit des raisons inéluctables. A la fin du siècle, vers 1780, quand les Espagnols se
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rendent compte qu'il serait plus avantageux pour eux de filer leur propre coton américain que d'acheter des filés d'Alep, ils fondent des compagnies privilégiées pour acheter et filer ce coton colonial, et le coton d'Amérique s'échange en circuit fermé entre ses producteurs et les fabricants espagnols de cotonnades, qui vendent ces cotonnades en Amérique. L'intermédiaire « argent » perd ainsi de son importance. En fait, s'il y a un problème de l'argent liquide, c'est que l'Espagne, maîtresse des mines américaines, prétend avoir le monopole de son commerce colonial, et contrôler les sorties d'argent, monnayé ou non monnayé, vers l'étranger. Il ne faut pas croire que l'Espagne souhaite un système fermé; elle ne peut pas espérer fournir tout ce dont son empire a besoin, et l'argent est pour elle un produit d'exportation comme un autre; mais ce qu'elle veut, c'est faire payer les producteurs et commerçants étrangers qui ont intérêt à se procurer cet argent. Dès lors, pour un pays comme la France, les rentrées d'argent venant de l'Empire espagnol posent un problème de négociations avec l'Espagne sur les droits à payer, et, pour les particuliers, un problème, souvent, de fraude. Non pour faire un trafic qui n'est nullement interdit, mais pour le faire plus avantageusement. En fait, il y a deux modalités possibles de l' « illicite » : 1) L'interlope, commerce direct avec l'Amérique. Au lieu de passer par Cadix, étape obligatoire jusqu'en 1778 (ou, après cette date, par un port espagnol habilité), on peut chercher à aborder directement les côtes américaines. On le fait à la fois pour ne pas payer de droits, pour se procurer ainsi à meilleur marché les produits coloniaux, enfin pour vendre ainsi à meilleur compte les produits européens sur les marchés d'Amérique. 2) Autre opération illicite, souvent pratiquée. A Cadix, au retour des flottes, on peut s'arranger pour ne pas passer par le contrôle espagnol des sorties d'argent. C'est une fraude contre ce que nous appellerions aujourd'hui le contrôle des changes. Fraude de type douanier, sur la marchandise-argent. On évite le trocadero, lieu des échanges (trocar = échanger). On essaie de pasar por alto (passer par-dessus), c'est-à-dire de lancer par dessus la muraille de mer les caissettes ou les sacs de piastres mexicaines. Ceux qui s'en chargent s'appellent
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les metedores. Pour les commerçants étrangers de Cadix, L. Dermigny observe justement : « Les piastres figurent dans leurs opérations ordinaires à côté des vins, des grains, des soies, des barilles, de la cochenille, etc., au même titre qu'eux, marchandises comme eux. Cette pratique de l'argent marchandise tant de « barres », tant de « pignes » (lingots), tant de marcs de piastres - n'a souvent rien de commun avec la Banque au sens précis du terme; elle traduit une sorte de vulgarisation, comme d'un objet de consommation courante, dont la production augmente et Cl,ue l'on transporte d'autant plus aisément que son priX de revient diminue. »
En fait, sur cette marchandise, il s'agit d'éviter les droits - qui ne sont d'ailleurs pas tellement élevés. Un mémoire sur ce commerce, vers 17501, explique bien les points de discussion officiels avec l'Espagne : 1) le gouvernement espagnol entend contrôler tout le commerce d'or et d'argent; 2) il veut faire passer les droits d'extraction de 1 ou 2 % à 3 %; 3) il entend établir pour cela une sorte de contrôle des changes, obligeant les commerçants à payer par lettres de change, et se réservant de vérifier le paiement du solde en argent-métal; 4) cela ruinera les metedores (intermédiaires, à Cadix, du trafic du métal précieux); 5) on observe qu'il ne s'agit pas seulement du solde du commerce des Indes, mais de tout le commerce avec l'Espagne (par exemple, des ventes de grains français en cas de disette en Espagne); 6) on accepterait bien 2 .%, mais pas 3 %. C'est un problème à négocier; 7) en attendant, tant pis si les particuliers fraudent, bien que, moralement, on condamne le principe, et qu'on reconnaisse le droit de l'Espagne à lever un pourcentage sur l'exportation d'argent; on recommande la flatterie au moins, la corruption au besoin, en face des agents espagnols chargés du contrôle. Cela se place au milieu du siècle; bien plus tard, en 1786, le financier Cabarrus, d'origine bayonnaise, fondera la Banque de Saint-Charles, premier essai espagnol de Banque d'État, et essaiera de percevoir 1.
Archives Nationales. Affaires étrangères. BIll, 333.
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5 % sur toutes les sorties de piastres. Cela causera des troubles très graves dans le commerce français, que commentent longuement la correspondance consulaire, et les papiers de la Maison Roux, de Marseille, récemment publiés dans l'ouvrage cité de Rebuffat et Courdurié. (Années 1786-90 ) 1. Mais cette importance même, ajoutée à des droits en somme modérés, souligne à la fois le rôle du commerce de l'argent-métal, et la faible marge de bénéfice assurée (il fallait des trafics portant sur des masses considérables pour assurer un profit notable). Cela dit, les sources où la France puise l'argent sont bien: 1) Cadix. Les maisons étrangères les plus importantes sont : Gough, George Browne, anglais; Jolif, Magon et Lefer, Le Couteulx, Lenormand et Cie, Casaubon et Béhic, Gilly Frères, Fornier Frères, etc., maisons françaises. Parmi celles-ci, les principales sont les maisons du Midi (Nîmes, Carcassonne), de Saint-Malo (les Magon) et les filiales des maisons de Banque (Le Couteulx, de Rouen et de Paris). Pour ces maisons, l'argent joue, certes, un grand rôle. Mais elles font surtout ['import-export, exportation de produits européens aux Indes occidentales, importation de produits américains. J'ai trouvé, dans les lettres échangées entre la maison Gough et les fabricants de toiles peintes de Barcelone de continuelles instructions sur les goûts de la clientèle de Lima. Ainsi, c'est bien le marché américain qui conditionne le commerce de Cadix, et il n'envoie sous forme de piastres que ce qui n'est pas dépensé à acheter des denrées coloniales (sucre, coton, cochenille, etc.). 2) Les sources atlantiques - entendons les points de relâche des galions, en particulier les Antilles françaises, surtout Saint-Domingue, île qui est partagée entre l'Espagne et la France, commodité pour la fraude. L. Dermigny cite deux exemples, l'un intéressant parce qu'il montre les activités américaines d'une famille protestante de Nîmes d'où sortira un homme politique célèbre : Guizot; l'autre parce qu'il révèle un circuit significatif : Millot, négociant de la ville du Cap, à Saint-Domingue, envoie des piastres à Roux, de Marseille, qui les vend sur le marché marseillais et fait 1.
Cf. ci-dessus, p. 327, note.
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remise de leur valeur à Waters, banquier parisien, qui inscrit cette valeur au compte des Gough, de Cadix; ce qui signifie certainement que ceux-ci avaient expédié, pour une valeur correspondante, des marchandises en Angleterre. Le circuit est complexe. Il permet sans doute d'éviter les droits. Remarquons que le rôle joué pour la France par Saint-Domingue l'était pour la Hollande par l'île de Curaçao. 3) Les arrivées directes de piastres dans les ports français. N'entendons pas par là les arrivées de bateaux français chargés de piastres à Cadix ou Saint-Domingue: c'est le même cas que dans les paragraphes précédents. Mais il y a aussi les patrons et les capitaines espagnols qui, contre des marchandises françaises, apportent des piastres dans les ports bretons, à Sète, à Beaucaire, etc. Ils le font souvent clandestinement, sans payer de droits, chargeant et déchargeant sur des plages désertes. On aperçoit l'importance de ces achats directs faits par des marins espagnols en France par les difficultés que causent, à Beaucaire, les moindres modifications dans le change espagnol (1737, 1772), ou les tentatives pour contrôler ce trafic : en 1775, cinq employés des fermes espagnoles de droits vinrent à Beaucaire surveiller les trafics espagnols. Cela arrêta la foire pendant deux jours; on fit pourtant pendant ces deux jours 40 000 piastres de trafic clandestin, et 100 000 en une demijournée dès que les contrôleurs furent partis. Mais l'inverse est vrai, et il faut toujours songer que le problème est celui d'un échange de marchandises. Par exemple, en 1774, à Beaucaire, on note une abondance de piastres, qui diminue fortement l'agio habituellement payé pour se procurer celles-ci; cela s'explique par le fait que les marins catalans, qui habituellement venaient vendre des sardines à Beaucaire, avaient cette année-là fait mauvaise pêche, et dû apporter, pour acheter les marchandises françaises, de l'argent liquide à la place de leur marchandise habituelle. Ainsi l'argent, comme n'importe quelle marchandise, a ses hauts et ses bas sur le marché. D'où les spécialistes de la spéculation sur ces variations: les Juifs portugais de Bordeaux, de Londres et d'Amsterdam sont les meilleurs techniciens en la matière. Mais c'est la production et l'exportation qui assurent l'afflux d'argent; à propos de la Bretagne, Boulainvilliers
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avait écrit : « Les toiles attirent l'argent parce qu'elles sont transportées sur les lieux d'où il vient » - c'est-àdire l'Espagne. 4) La trafic pyrénéen. C'est un fait permanent. La perméabilité des frontières, dès qu'il y a un gain possible sur le transport de l'argent, était déjà évidente au XVIe siècle. S'il s'agit de petits trafics de colporteurs et d'émigrants, ce n'est pas très intéressant, parce que c'est continu et sans importance de masse. En revanche, une étude de cette entrée d'argent par les Pyrénées serait intéressante si on la localisait bien. Rappelons-nous qu'au XVIe siècle, Bayonne fut l'un des Hôtels des Monnaies les plus actifs de France, à cause du contact avec l'argent espagnol. Or, au XVIIIe siècle aussi, il y a prospérité de Bayonne; des financiers célèbres en sortiront, au XVIIIe et au XIXe siècle : Silhouette (Zulueta), Cabarrus, plus tard Laffitte et Basterrechea. Un autre travail instructif serait de faire la chronologie serrée des passages d'argent par les Pyrénées: on constaterait, par exemple un contraste significatif entre les deux moitiés du XVIIIe siècle; dans la première, les salaires espagnols sont aussi bas ou plus bas que les salaires français; dans la seconde, les salaires catalans s'étant élevés très haut, il y a passage continu d'émigrants français vers les fabriques d'Espagne, d'où ils envoient de l'argent; d'autre part, les guerres jouent un grand rôle: pendant la guerre de la Succession d'Autriche, à la fois à cause des dépenses de l'État espagnol et des difficultés maritimes (course anglaise), on lit dans un journal du monastère de Vilabertran en Ampurdan : « 8 novembre 1745, passent par Figueras 7 chariots d'or; le 19 décembre, 6 chariots de monnaie; le 21 janvier 1746, passent par Figueras et vont passer la nuit à la Junquera 22 chariots de monnaie; le 20 avril passent par Figueras 5 chariots d'or; le 20 mai, 9 chariots d'or et par les galères, selon ce qu'on a dit, 900 caissettes d'argent; le 13 février 1747, 19 chariots et une calèche chargés de monnaie pour l'armée de Provence, qui seront laissés à Montpellier; le 31 mai, 22 chariots de monnaie : c'était la veille de la Fête-Dieu et ils ont passé la nuit à Figueras; le 8 juin, encore 12 chariots de monnaie: chacun portait 20 quintaux d'argent en douros; le 27 octobre, 18 chars de monnaie; le 13 décembre, 20; le 25 mai 1748,6 chariots et une calèche;
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le 5 juillet, 6 chariots d'or et une calèche; le 18 août, 20 chariots de monnaie, et les troupes revinrent en Espagne, un corps de Wallons fut logé à Vilabertrân; le 22 avril 1749, passèrent par Figueras 13 chariots de monnaie destinés à payer les dommages causés par les troupes dans un couvent de religieuses et autres parties du Piémont. »
Ainsi peut être mesuré le coût d'une guerre menée en Europe par l'Espagne. Comme au XVIe siècle, bien qu'en plus petit. Mais il y avait aussi des circonstances à la fois plus banales et plus continues. A propos des difficultés mises par Cabarrus à la sortie des piastres, on apprend qu'en 1786 la seule vente des moutons français pour le ravitaillement en viande de Barcelone supposait une exportation de 2 000 000 de piastres par an. Nous savons désormais comment l'argent venu d'Amérique afflue en France - et occasionnellement en Europe (1'Angleterre et le Nord forment d'autres circuits). Est-il possible de préciser quelques-uns de ces circuits? a) En France, le rôle de l' « isthme » Océan-Méditerranée. Les piastres circulent entre Océan et Méditerranée par le canal du Midi : de Sète et Agde où les apportent des Espagnols, elles filent vers Marseille, où se situe la grande demande. Elles circulent également, très officiellement, par messageries, dans les « barils de finànces ». Montpellier est la plaque tournante de cette circulation, en même temps qu'un grand centre de trésorerie publique. Peut-on parler cependant de grandes « spéculations sur l'argent » au cours de cette circulation? Il est certain qu'il existe un « change de place à place », c'est-à-dire que, suivant la balance des lettres de change à régler ou la demande d'argent liquide pour le commerce du Levant, il existe une possibilité de petits bénéfices sur le transport de l'argent. Mais aussi bien sur les exemples montpelliérains cités par L. Dermigny que dans le cas marseillais des Roux, récemment étudié, on voit que les bénéfices sur le change de place à place ou sur le transport direct de monnaie ne sont intéressants que sur de grandes quantités. Il n'y a donc pas « spéculation » véritable, malgré l'intensité de la circulation Bayonne-Toulouse-Montpellier-Marseille-Lyon. b) Le trafic international des espèces.
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Amsterdam se charge souvent, moyennant agio, de fournir les pièces d'argent aux places qui en ont besoin, comme on le constate en particulier en cas de guerre Espagne-Angleterre (1740-44), pour les besoins de la « Compagnie d'Afrique ». Mais le fait qu'on n'embarque qu'un baril de monnaie par bateau pour répartir les risques prouve que le caractère de marchandise de l'argent est ici particulièrement visible. Genève est également un centre qui dispose de piastres, et les redistribue. En fait, si Genève dispose de piastres, c'est que la Suisse vend à l'Espagne des toiles blanchies pour unpression sur étoffes et des cotonnades peintes. Seulement, il arrive que la piastre qui vaut à Genève 78 sous tournois 4 deniers, vaut à Marseille 87 sous 4 deniers, car on la demande pour le Levant et l'Afrique. Alors il y a intérêt, même en comptant les frais de transport et les risques, à faire descendre la monnaie de Genève à Marseille. Les fournitures de guerre, dont nous avons vu quels transferts d'argent elles étaient capables de déclencher, sont l'occasion de grosses opérations de transfert, dont certaines maisons sont spécialistes (Hogguer de Lyon, Thellusson de Genève). Mais ces personnages sont intéressés dans des affaires de grains, de charbon, de verreries, d'eau-de-vie, etc. Et enfin de mines, dans la première moitié du siècle (les Genevois font main-basse sur toutes les mines d'argent subpyrénéennes, mais elles seront écrasées par la concurrence mexicaine dans la deuxième moitié du siècle). c) L'attraction de l'Orient et de l'Mrique sur certaines formes de monnaie sont enfin un des éléments des courants de circulation. Un élément curieux est la préférence de l'Orient et de l'Afrique orientale· pour les « thalers » à l'effigie de l'impératrice Marie-Thérèse, qui fait que certaines places autrichiennes ont la spécialité de frapper ces thalers à partir des piastres qu'elles reçoivent. C'est contre l'or et les esclaves que ces pièces sont échangées avec bénéfice. Tentons maintenant une vue d'ensemble. Un texte de 1786 note avec satisfaction l'accroissement du numéraire en France jusqu'en 1778, au moins . .« Pendant cet intervalle de 26 années - 1755-1781 -la France recevait d'Espagne une somme annuelle de 60 ou
pmRRE VILAR 80000 000, elle en exportait à peu près la moitié à l'étranger, et les 30 ou 40 000 000 restants que produisait la balance du commerce étaient convertis en espèces de France qui paraissent avoir été exportées en Allemagne pour la âépense de la guerre jusqu'à la paix de 1763. Depuis cette époque, la somme provenant de la balance du commerce paraît être restée dans le royaume et avoir procuré dans les 15 années de paix une augmentation de 600 000 000 en numéraire. »
Un texte pareil n'est pas une garantie d'exactitude, mais il rejoint bien l'impression donnée par toutes les courbes générales que l'activité maxima du XVIIIe siècle se situe entre la fin de la guerre de Sept-Ans et le début de la guerre de l'Indépendance de l'Amérique. En 1778, interviennent d'une part la guerre d'Amérique et les dépenses qu'elle occasionne, d'autre part la fermeture de certains marchés (surtout pour les vins), l'ouverture de la plupart des ports espagnols au commerce d'Amérique, qui vivifie le commerce et l'industrie nationaux dans la péninsule (1778), un peu plus tard les mesures de Cabarrus pour garder les piastres (légère dévaluation, et droits de sortie accrus). Tout cela peut expliquer une partie de la gêne économique française à la veille de 1789. Sans oublier pourtant que le COmmerce colonial proprement dit (commerce « des Isles ») a connu même entre 1780 et 1789 son temps d'apogée. Tout cela dit, les mécanismes qui établissent les relations entre métaux précieux, monnaie circulante, trafic commercial et prix généraux, ne sont certainement pas tous éclairés. Car il faut tenir compte des moyens indirects de financement, et en particulier du crédit bancaire. Même en France, ces éléments prennent au XVIIIe siècle une sérieuse importance. En Angleterre, ils prennent peut-être le premier rôle, diminuant celui de la circulation effective du métal.
XXIX
MONNAIE, BANQUE ET CRÉDIT ENTRE 1726 ET 1790-1797 LA FRANCE
Comment a fonctionné, entre la stabilisation de 1726 et l'inflation galopante de la période révolutionnaire - assignats en France, après 1792, cours forcé des billets en Angleterre après 1797 -le rapport entre la circulation monétaire, la production et l'importation des métaux précieux, et enfin le mouvement des prix, au cours d'une longue période de développement général? Pour la France, nous avons recherché seulement les mécanismes d'acquisition et de circulation de l'argent, ses sources espagnoles et coloniales, ses cheminements depuis les ports atlantiques et les cols pyrénéens jusque vers Paris, Lyon, Marseille surtout (où il est attiré par les possibilités d'exportation, en compensation des unportations de produits orientaux). Nous avions conclu que ce qui importait, c'était moins l' « argent » - qui se comportait après tout comme une marchandise quelconque - que le marché des produits qui permettaient de l'acquérir, et que .les ,bénéfices assurés par l'acquisition, contre argent comptant, de certaines denrées africaines et orientales. Bien entendu, il y avait, nous l'avons dit, une spéculation possible sur les valeurs changeantes des pièces et des lettres de change, de place à place, et de pays à pays. Mais unitairement, les bénéfices à escompter étaient faibles; il fallait déplacer de très fortes masses d'argent pour gagner vraiment à ce trafic. Le commerce général, et la production de marchandises importent, en fait, beaucoup plus que le trafic, en apparence plus brillant, des « mameurs d'argent ».
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Cela ne signifie pas que les problèmes posés par la monnaie, et par le crédit, sont indifférents pour la compréhension du mouvement économique en général. Il est particulièrement intéressant, au contraire, de comparer, à ce point de vue, les deux pays les plus avancés d'Europe au XVIIIe siècle, la France, et l'Angleterre. Les modes de financement de l'activité économique, dans ces deux pays, ne sont nullement situés au ntême degré de développement. En Angleterre, la Banque d'Etat, et les banquiers privés deviennent les agents fondamentaux du système de la circulation monétaire et de l'expansion du crédit. En France, les souvenirs du système de Law et les habitudes de la finance publique empêchent longtemps les types modernes du financement et du crédit de l'emporter décisivement. On peut retenir, comme leur trait le plus clair, la distinction entre deux types français d'homme d'argent1 : 1) Les fi.nanciers, qui sont les hauts agents des finances d'Etat; leur activité est liée aux problèmes de l'impôt, des fournitures d'Etat, des prêts à l'Etat, des spéculations sur les commerces contrôlés, comme celui des grains, sur l'approvisionnement de Paris, etc. Les traitants, hommes des contrats de fourniture à l'Etat, qui avaient été les principaux financiers sous le règne de Louis XIV, sont en déclin au XVIIIe siècle; mais les fermiers généraux, qui avancent au Roi les sommes dues par l'imPÔt, et se chargent ensuite de relever celui-ci, deviennent les principaux personnages de la finance 2. Ces financiers, liés au fonctionnement même du régime, catholiques en général, ayant leurs agents jusque dans le fond des provinces, perdront leur raison d'être avec la réforme totale du système fiscal qu'opérera la Révolution. Beaucoup disparaîtront, physiquement, au cours de celle-ci. Rappelons-nous Lavoisier.
1. Sur l'histoire de la banque ct de la finance en France, deux ouvrages peuvent être consultés : Herbert Lüthy : La Banqu. Protestan,. .n FTan" d. la R4fJocation d. l'Édit d. Nant .. à la Rwolution, Paris, S.E.V.P.E.N., 1959, 2 volumes; Bouvier et Germain-Martin : Finance••t Financier. d. l'Ancien R4gime, Paris, P.U.F., Col. c Que Sais-je? • 1964. 2. Y. Durand. Les fermiers g4nbau:x: au XVIIIe .i'cle, Paris, P.U.F., 1971.
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2) Les banquiers représentent une catégorie, et une activité assez différentes. Ils s'occupent essentiellement d'affaires privées et d'affaires internationales. Les sources de leurs trafics et de leurs profits sont souvent difficilement saisissables (ce qui fait qu'ils soulèvent moins de méfiance que les financiers). Parce que beaucoup sont protestants, on a parlé d' « internationale protestante », et parfois constitué un mythe autour de leur solidarité. En fait, ce n'est pas la religion qui importe pour les caractériser. Mais c'est leur situation particulière de dissidents, exclus de certaines relations sociales, à l'intérieur de la France, et liés au contraire, par un réseau d'alliances familiales et de rapports réciproques de confiance, aux exilés du temps de la Révocation de l'Édit de Nantes, à la « diaspora » protestante, particulièrement active dans les grands centres économiques européens: Amsterdam, et surtout Genève. Genève est à la fois, par sa situation, une plaque tournante du commerce et des règlements financiers européens; et aussi - on l'oublie parfois - un centre Important de production moderne, avec l'horlogerie, qui exige un fort trafic sur les métaux précieux en tant que matières industrielles, et une industrie textile très avancée (cotonnades, toiles peintes), qui entraîne une liaison continue avec le commerce oriental et colonial. Il ne faut pas croire que les banquiers protestants et les contacts genevois forment la totalité du monde bancaire français; il Y a aussi de grands marchandsbanquiers catholiques : les Magon de Saint-Malo, les Lecouteulx (ou Le Couteulx), de Rouen et de Paris, les Laborde. Ils sont en général plus liés que les protestants au monde officiel. Les Laborde, par exemple, sont les banquiers de la Cour. Par là-même, ils souffriront de la Révolution comme en ont souffert les financiers. Tandis que les hommes d'affaires protestants - les Perregaux, les Mallet, les Hottinguer, les Vernes - survivront plus facilement, par leurs relations internationales, et deviendront, sinon seuls, du moins en très bonne place, les créateurs de la haute banque d'après la Révolution, et les administrateurs de la Banque de France elle-même. 1. -
LE ROLE DE LA BANQUE EN FRANCE AU XVIIIe SIÈCLE
Elle est l'intermédiaire entre l'activité commerciale et le système de dépôt et de crédit qu'exige, à un certain
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degré de développement, cette activité. La banque a aussi dans son domaine le change, c'est-à-dire le règlement des engagements en monnaies étrangères. Mais, au XVIIIe siècle, ces activités ne sont nullement séparées, encore, du commerce proprement dit : « Le négociant travaillera en banque quand il ne trouvera pas mieux à placer son argent, de même que le banquier spéculera en marchandise quand il verra à en retirer un bénéfice honnête », dit S. Ricard. Cependant, sur certaines places, comme Paris, la banque se spécialise davantage et se sépare du commerce : « Paris fait uri commerce de banque d'une étendue incroyable, on peut dire qu'il n'y a pas de ville dans l'Univers qui lui soit supérieure à cet égard ». Il y avait 21 banquiers à Paris en 1703, 51 en 1721, 66 en 1776. Ils faisaient, selon Mirabeau, trafic « de tous les effets commerçables ». Cela signifie qu'ils acquéraient et revendaient aussi bien les billets de commerce privés, que les actions et billets d'emprunt de la Compagnie des Indes, que les effets royaux, « billets de ferme », etc., ou billets de la loterie royale, éléments de la finance publique. Certes, tout cela est très différent d'une banque ayant pour fonction de drainer l'épargne et de répartir le crédit, et non moins distinct d'une banque émettant des billets gagés sur une encaisse-or. Il n'empêche qu'en. favorisant la mobilité des papiers commerciaux et des valeurs en général, la banque française du XVIIIe siècle accroît la rapidité des règlements, donc la vitesse de circulation. Arrêtons-nous un instant sur quelques traits de cette banque et de son évolution. Au sommet, les banquiers du Roi, de la Cour : les Pâris-Duvemey, les De Laborde. Ils sont liés à la prospérité même des finances royales, et à la faveur de la Cour. Ils ont à régler des problèmes de crédit public, de pensions royales, très particuliers, souvent extraéconomiques. Déjà fort différents sont les banquiers comme les Lecouteulx, dont Berryer, qui fut leur avocat au cours de la Révolution et de la Terreur, donne dans ses Souvenirs (1839) la définition suivante : «La Maison Lecouteux et Cie, c'était, dans la Banque de Paris, une maison antique, l'une des plus anciennes de la
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bourgeoisie de Paris... Cette famille J?atriarcale des Lecouteulx s'étant étendue, au lieu de sortir de sa sphère, avait adopté le système de fonder en d'autres villes, et même en d'autres États d'Europe, des banques succursales ou de correspondance. Elle avait entre autres, à Rouen, un comptoir fort important, pour le service des manufactures et fabriques de cette ville industrielle. Elle en avait un autre à Cadix, où les aînés de la famille allaient tous faire leur ap'prentissage pendant quelques années; après quoi ils revenaient se mettre à la tête d'une des maisons-mères de Paris ou de Rouen. Tous les ans, les deux familles de Paris et de Rouen, femmes, enfants et petits-enfants, se réunissaient à jour fixe, sur la route de Paris à Rouen, en une vaste maison dont elles étaient propriétaires en commun, sise à la moitié du chemin, près de Vernon 1. Là étaient apportés tous les registres des deux établissements; on procédait à un inventaire annuel, qui était signé par les chefs; après quoi on se séparait, et chacun retournait à sa destination. J'ai vu, dans les archives de cette maison Lecouteulx, place Vendôme, un cabinet dont les cases étaient remplies de la volumineuse collection de tous les grands-livres tenus depuis cent cinquante ans et clôturés par les résumés d'inventaires. J'ai lu, à la suite de l'un de ces grands-livres, dressé en 1720 à la chute du système de Law, écrite de la main du chef d'alors, la mention qu'il n'avait pas voulu entrer ni faire entrer ses correspondants dans les opérations de cette banque; qu'il avait mieux aimé liquider avec eux et leur remettre leurs fonds, qui ainsi avalent été sauvés; il terminait par dire en substance : ceci doit avertir les successeurs de ne jamais s'intéresser dans des spéculations sur les papiers d'état ou autres effets de crédit, rattachés à des entreprises gigantesques et aventureuses ... » On peut retenir de cette citation quelques traits frappants : le caractère ancien, parisien, bourgeois, de la famille; son souci d'essaimer en des points stratégiques pour les affaires du temps : Cadix, source de l'argent, où les jeunes font leur éducation de négociants internationaux, Rouen, où se rencontrent capitalisme commercial et premier capitalisme industriel; la rencontre annuelle et le soin avec lequel sont gardés les livres d'archives illustrent la conception patriarcale et traditionnelle d'une vieille maison de commerce; enfin la position sage en face de la spéculation de Law 1.
Vemon : dépt. de l'Eure, arrondissement d'gvreux, chef-l. de canton.
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montre qu'il s'agit moins ici d'audace dans l'entreprise que de calcul continu et prudent. En face de cet exemple, on peut donner celui du développement d'une maison protestante, et· des affaires d'un homme que son rôle public mettra au premier plan à la veille de la Révolution: il s'agit de la Maison Thellusson, et de son employé Jacques Necker, qui deviendra un des grands hommes de finances de la place de Paris, et un instant l'espoir du Royaume. Il faut noter d'abord que les Thellusson, d'origine lyonnaise et émigrés à Genève, sont liés depuis la fin du XVIIe siècle à plusieurs autres familles protestantes, d'activités très diverses : aux Van Robais, qui eurent les manufactures royales de tissus d'Abbeville, aux Tronchin, propriétaires exploitant des mines de toute sorte dans le Midi de la France, et grands spéculateurs, vers 1730, sur la fourniture des troupes françaises en Italie, aux Vernet à la fois marseillais et genevois, et liés, par mariage, à la banque Labahard, de Paris. En 1756, l'héritage d'un grand nombre de ces affaires advient à un jeune membre de la famille Thellusson, qui, associé à un de ses commis, encore plus jeune, Jacques Necker, fonde la raison sociale « Thellusson, Necker et Cie », à Paris, rue Michel Le Comte, au Marais. La guerre de Sept Ans (1756-1763) fit la fortune d~ cette maison, et particulièrement de Necker. Nous avons dit plus d'une fois le double caractère économique des périodes de guerre: dans l'ensemble, elles gênent le commerce, le rendent difficile (surtout le commerce océanique, habituellement rémunérateur); mais elles permettent aussi de puissants gains de spéculation, par la raréfaction de certaines marchandises, par l'élévation des tarifs du fret et des assurances; à côté de faillites sensationnelles, on aperçoit l'édification de grandes fortunes. Necker est accusé d'avoir largement profité de la guerre, et de sa fin malheureuse pour la France. A vrai dire, il existe sur Necker deux légendes opposées : l'une hagiographique, dressée par sa famille, l'autre, violemment hostile, répandue par ses adversaires, en particulier le banquier Panchaud. Necker, en 1762, aurait acheté à bas prix des effets sur le Canada, dépréciés à 80 %, ayant été informé secrètement que le traité cédant le Canada aux Anglais garantissait le remboursement
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intégral des dettes françaises envers les Canadiens; selon ses adversaires, il n'aurait pas fait participer ses informateurs aux bénéfices de ce coup de bourse. En fait, ce genre d'opérations ne peut tout expliquer. Mais il signale l'importance de l'orientation anglaise de la Banque Thellusson-Necker, qui s'affirme également dans le problème de la Compagnie des Indes. Le commerce des Indes orientales était, comme nous l'avons souvent répété, un commerce à sens unique : on achetait aux Indes et en Extrême-Orient en général, des denrées de luxe «( indiennes », « chinoiseries », laques, porcelaines, etc., très à la mode au XVIIIe siècle), et on payait en argent; il fallait donc des avances; pendant la guerre de Sept Ans, la France a fait des dettes, engagé l'argent de la Compagnie; tout est à refaire; et d'ailleurs, contrairement à la compagnie anglaise, la compagnie française a toujours été une « compagnie de fermiers, plus que de négociants ~ (l'abbé Raynal); le fait qu'au traité de Paris, la France garde cinq « comptoirs » commerciaux laisse cependant une porte ouverte; est-il possible de renflouer la Compagnie? C'est ce que Necker réussit, par ses interventions à l'assemblée de la Compagnie (bien qu'il n'y fût qu'un simple actionnaire) au nom de sa banque. En fait, Necker procura surtout à la Compagnie le crédit de la maison anglaise James Bourdieu et Samuel Chollet. Et il eut l'appui du gouvernement français contre la majorité des actionnaires de la Compagnie. Il parvint à se procurer à Cadix des piastres nécessaires aux achats de la Compagnie. Sur cet ensemble de moyens procurés à celle-ci, il obtenait, naturellement, de fortes commissions. Comme le monopole de la Compagnie fut supprimé en 1769, les adversaires de Necker l'ont accusé d'avoir fait sa propre fortune de la chute de la Compagnie. Mais ses partisans (l'abbé Morellet), qualifient ainsi son activité : (Monsieur Necker) « a dû sa fortune à la banque et à quelques opérations avantageuses avec la Compagnie des Indes, avant qu'il en fût directeur. Les profits de ce genre, quelque médiocre que soit l'intérêt, sont toujoUrs considérables avec de gros capitaux, etc., il n'y a que l'ignorance ou la méchanceté et le plus souvent l'une et l'autre qui puissent en faire un crime. » Cet exemple montre malgré tout quel type d'opérations pouvait enrichir un« banquier~; Necker se retira, fortune
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faite, en 1772, et jouit du poste diplomatique de représentant de Genève auprès du roi de France; sa femme ouvrit un célèbre salon, qui prépara le rôle public de Necker; la banque Thellusson continuait cependant ses opérations sur Cadix et l'arrivée des flottes de l'argent. En 1776, Necker profita à la fois de la chute de Turgot, et du mauvais départ d'une institution lancée par son adversaire Panchaud, et beaucoup plus proche, cette fois, d'une banque publique favorisant le crédit : la Caisse d'Escompte.
II. -
LA CAISSE D'ESCOMPTE DE
1776
Necker avait un adversaire passionné, Isaac Panchaud, qui, connaissant bien les institutions anglaises, prêchait l'établissement d'une banque publique, capable de faire baisser le taux de l'intérêt et de permettre ainsi l'installation d'une caisse d'amortissement de la dette publique. Panchaud, bien qu'il ait eu beaucoup d'échecs et de malchance, était considéré comme le véritable expert en matière de change et de crédit par des hommes comme Mirabeau, Talleyrand, Calonne, et les financiers des régimes futurs : Mollien, Louis. Malgré des faillites successives, il fut écouté, en 1776, par Turgot. Le 23 mars 1776 fut créée la « Caisse d'Escompte ) pour le soutien du commerce par l'escompte des lettres de change et tous effets de commerce à un intérêt maximum de 4 %. La Caisse n'a pas le droit de s'engager dans des spéculations de type commercial et colonial (c'est le signe que l'expérience de Law n'est pas oubliée); elle peut en revanche pratiquer le commerce des métaux précieux et des monnaies étrangères; elle n'a pas de privilège exclusif; elle peut émettre des billets payables à vue, ce qui pourrait être, en cas de succès, l'origine d'une circulation de papier bancaire; en fait, elle fut surtout un organisme de prêt à bon marché pour les banquiers et négociants bien vus des administrateurs (qui gardaient tout pouvoir d'accorder ou de refuser l'escompte). La Caisse était entièrement privée, et cinq sur sept des administrateurs étaient suisses. Ce « précédent ) de la « Banque de France ) n'a rien, on le voit, d'une « banque nationale ).
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Mais surtout, la « Caisse d'Escompte ) souffrit, dès son départ, d'une part de la chute de Turgot, d'autre part de l'approche de la guerre d'Indépendance américaine, qui troubla les conditions du commerce avec l'Amérique et l'Asie. A la fin de 1777, la Caisse n'avait émis que 320 000 livres tournois de billets; il est vrai qu'elle avait escompté pour 30000 000 d'effets de commerce. Mais elle eût végété si Necker, devenu « Directeur du Trésor royal ) ne l'eût reprise en mains en la transformant. Un consortium bancaire parisien plus traditionnel en prit la direction, avec la présence des Lecouteulx, de Cottin, etc. Dès lors, les effets escomptés passèrent, en 1780, à l'ordre de grandeur de 81000000, les billets circulants à II ou 12 000 000. Necker, cette fois, a obligé les fermiers généraux à accepter en paiement les billets de la Caisse. Dans son fameux « compte-rendu ), il défendra sa gestion de la « Caisse d'Escompte ), qui fut en effet très régulière (elle sera le modèle de la future Banque de France). Mais on l'accusera de n'avoir été qu'une « banque de banquiers ), prêtant, à 4 %, aux hommes d'affaires agréés par les administrateurs, un argent qu'ils prêtaient à leur tour à des taux bien plus élevés.
III. -
LES. DIX DERNIÈRES ANNÉES DE L'ANCIEN RÉGIME : LE TEMPS DES SPÉCULATIONS
En fait, la Caisse facilita surtout la réussite des emprunts de Necker, et le financement, par ces emprunts, de la guerre d'Amérique. Le climat d'inflation, accepté, et sans doute volontairement encouragé, sous le gouvernement de Calonne, fait des dernières années de l'Ancien Régime français une période contradictoire : d'une part, comme l'a décrit E. Labrousse dans son ouvrage La Grise de l'économie française à la fin de l'Ancien Régime (Paris, 1943), il Y a tendance à la baisse des prix agricoles, crise grave pour les producteurs viticoles, poids croissant des charges seigneuriales et fiscales pour les moins aisés des paysans, qui forment la masse du pays; d'autre part, il y a la création de la nouvelle
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« Compagnie des Indes ), apogée du commerce « triangulaire ) France-Sénégal-Saint-Domingue, et folles dépenses d'État exclusivement gagées sur l'emprunt. « On parle aujourd'hui d'un million comme on parlait il y a cent ans de mille louis d'or. On compte par millions. On n'entend plus parler que de millions pour toutes les entreprises; les millions dansent sous vos regards, qu'il s'agisse d'un édifice, d'un voyage, d'un camp. Ces millions appauvrissent tout le monde en idée, et l'on n'ose plus parler d'une fortune de 40 000 livres de rente. »
Ces phrases de Sébastien Mercier (Tableau de Paris, 1788) prouvent que le commerce spéculatif et la politique d'emJ'runt, ainsi que les débuts d'une politique de crédit (bien que prudente, et réservée à des privilégiés) donnaient à Paris l'impression d'une prospérité factice, tandis que la base de la masse imposable - fermiers, manufacturiers - devenait de plus en plus incapable de payer. En fait, le système financier et bancaire n'avait pas servi le développement de l'économie. Au surplus, au cours des mêmes années, les relations avec l'Espagne, qui avaient si longtemps alimenté la France en métal-argent, se dégradaient au profit d'une économie espagnole en voie d'expansion et de création (progrès des manufactures, du commerce américain direct, banque de Saint-Charles). Tels sont les aspects monétaires de la crise de l'Ancien Régime.
xxx MONNAIE, BANQUE ET CIŒDIT ENTRE 1726 ET 1790-1797: L'ANGLETERRE
1. -
LA BANQUE D'ANGLETERRE
La Banque d'Angleterre, dont nous avons étudié les débuts, se développe avec sûreté et régularité au cours du XVIIIe siècle. En 1722, elle établit un fonds de réserve, qui garantit sa solvabilité. En 1742, 1764 et 1781, elle voit son privilège renouvelé, payant ce renouvellement, il est vrai, en ces trois occasions, par de fortes avances sans intérêt au Trésor. Le capital de la Banque monte de :9 800 000 livres sterling en 1742 à 10780000 en 1764 et à I I 632 000 en 1781, ce qui est une croissance régulière, mais non excessive. Notons que le monopole d'émission de billets dont jouit la Banque n'est nullement celui d'une « banque d'État ), car elle reste entièrement libre de ses décisions et de ses émissions; elle est seulement l'unique banque pouvant émettre des billets remboursables à vue à moins de six mois. Et ses « billets de banque ) ne sont encore que des titres de crédit, car, s'ils sont imprimés, ils ne portent pas la somme qu'ils représentent, qui est ajoutée à la plume. Malgré cette très grande différence avec les billets actuels, ils sont considérés par les marchands comme des moyens de paiement équivalents à une monnaie. En fait;, c'est cette conviction des marchands qui importe avant toute chose pour la solidité de la Banque.
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En 1745, une crise dynastique de la Monarchie anglaise - une menace de restauration des Stuarts entraîna une panique, un ({ run » sur la Banque; celle-ci appliqua une mesure qui l'avait déjà bien servie en 1721 : elle remboursa, mais en monnaies de 6 pence,. le temps de compter la monnaie permettait d'endiguer le flot des clients. Cependant, ce qui sauva la Banque, ce fut la proclamation des marchands de Londres : « Nous, soussignés, marchands et autres, nous rendant compte combien est nécessaire en ce jour la préservation du crédit, déclarons par le présent acte que nous ne refuserons pas les paiements en billets de banque, quelle que soit la somme payable, et que nous ferons notre possible pour effectuer nos paiements en cette même monnaie. »
Un autre pas vers l'assimilation entre le billet de banque et la monnaie est franchi en 1773 quand la contrefaçon du billet de la Banque d'Angleterre est frappée de la peine de mort, donc assimilée au fauxmonnayage.
Il. -
LA MULTIPLICATION DES BANQUES PROVINCIALES
Un fait montre que le développement économique pousse à la création des organismes bancaires autant que cette création explique ce développement. C'est le fait que les billets de la Banque d'Angleterre ne circulaient guère au-delà de Londres, et que la Banque n'avait pas de succursale, ce qui n'empêcha pas les banques de foisonner, non seulement en Angleterre proprement dite, mais en Pays de Galles, et en Écosse surtout. D'abord en Angleterre même, hors de Londres; une interdiction, protectrice de la grande Banque, prévoyait qu'on ne pouvait grouper, pour exercer des fonctions bancaires, plus de six personnes dans une société; or cela entraîna un foisonnement de petites banques, créées entre particuliers, autour de simples boutiques : il y en avait 12 hors de Londres (et pour l'Angleterre stricte) en 1750; en 1793, il y en avait plus de 400. C'était trop, et l'on se plaignit beaucoup des désordres que cela entraînait. Mais la spontanéité du mouvement est bien caractéristique.
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Hors d'Angleterre, en Écosse en particulier, et naturellement dans la partie la plus touchée par le début de la révolution industrielle, le foisonnement des banques - à un niveau plus élevé, l'interdiction ne jouant pas a beaucoup frappé les hommes du temps. Nous citerons à ce propos des passages célèbres d'Adam Smith dont le grand ouvrage Recherches sur la nature et les causes de la richesse des Nations, fondement de l'économie politique « classique », parut en 1776, fut réédité en 1778, 1783, etc. C'est le temps de la guerre d'Amérique, avec ses difficultés momentanées, mais au cœur d'une époque de puissant développement. Nous distinguerons dans les pages d'Adam Smith concernant les banques trois aspects : l'un théorique, fort discuté plus tard dans les controverses monétaires, l'autre descriptif, important témoignage sur la floraison des banques de son temps, le troisième économique, sur la relation entre cette floraison et le développement de l'économie. a) Considérations sur la monnaie de papier: Adam Smith a considéré que l'erreur fondamentale des mercantilistes (qu'il n'a pas bien compris) est la confusion entre richesse et monnaie : il est donc assez naturel qu'il voie dans la possibilité de remplacer la monnaie d'or et d'argent par un signe de papier la confirmation même de sa doctrine. La monniue est un instrument, ce n'est pas une richesse en soi. « La substitution du papier à la place de la monnaie d'or et d'argent est une manière de remplacer un instrument de commerce extrêmement dispendieux par un autre qui coûte infiniment moins. »
Mais comment cette substitution peut-elle avoir lieu? « Lorsque les gens d'un pays ont assez de confiance dans la fortune, la probité et la sagesse d'un banquier pour le croire toujours en état d'acquitter comptant et à vue ses billets et engagements, en quelque quantité qu'il puisse s'en présenter à la fois, alors ces billets finissent par avoir le même cours que la monnaie d'or et d'argent en raison de la certitude qu'on a d'en faire de l'argent à tout moment. » On voit que la valeur du billet, pour Smith, dépend étroitement de la possibilité de remboursement - de sa « convertibilité » en métal. Il a eu le tort, cela étant, de
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parler sans cesse du « papier de banque ) comme d'un
« papier-monnaie ). En fait, ce qu'il décrit, ce n'est pas
un « papier-monnaie ) émis par l'État et inconvertible, c'est tout simplement un instrument de crédit augmendant non pas la quantité de monnaie circulante, mais la vitesse de circulation du moyen de paiement. « Un banquier prête aux personnes de sa connaissance ses propres billets, jusqu'à concurrence, je suppose, de 100000 livres. Ces billets faisant partout fonction de l'argent, les emprunteurs lui en paient le même intérêt que s'il leur avait prêté la même somme en argent. C'est cet intérêt qui est la source de son gain. Quoique sans cesse il y ait quelques uns de ces billets qui lui reviennent pour paiement, il y en a toujours une partie qui continue de circuler pendant des mois et des années de suite. Ainsi, quoi qu'il ait en général des billets en circulation jusqu'à concurrence de 100000 livres, cependant, souvent 20 000 livres en or et argent se trouvent faire un fond suffisant pour répondre aux demandes qui peuvent survenir. Par conséquent, au moyen de cette opération, 20 000 livres en or et argent font absolument la fonction de 100000••• La totalité de la circulation pourrait ainsi être servie avec la cinquième partie de l'or et de l'argent qu'elle aurait exigés sans cela. »
Telle est la notion de couverture-or des billets circulants, toujours inférieure à la valeur globale de ces billets, mais elle s'applique ici aux banquiers privés, prêtant contre intérêt aux « personnes de leur connaissance ). C'est un système de crédit. Smith ne le confond nullement avec un papier-monnaie « dont le paiement immédiat dépendrait en partie quelconque... de la bonne volonté de ceux qui l'auraient émis ); Smith ne manque pas de faire la critique de Law, aux idées « magnifiques, mais imaginaires ), bien qu'il croie que l'influence de Law est pour quelque chose dans cette « fureur de la banque ) constatée en particulier en Écosse. Smith critique les émissions excessives; il croit toutefois que la concurrence entre les banques privées les oblige à ne pas dépasser les possibilités, à être des « banques sages ). Sous ces réserves, il décrit et approuve la multiplication des banques en Écosse. b) La floraison des banques écossaises : « Il s'est fait en Écosse, depuis vingt-cinq à trente ans, une opération de ce genre, au moyen de nouvelles compa-
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gnies de banque qui se sont établies dans presque toutes les villes un peu considérables, et même dans quelques villages. Les effets en ont été ceux que précisément je viens de décrire. Presque toutes les affaires du pays se font avec le papier de ces différentes compagnies de banque, qui sert communément aux achats et aux payements de toute sorte. On ne voit presque point d'argent, si ce n'est pour changer un billet de banque de 20 shillings, et encore moins d'or. »
c) Le rapport entre floraison bancaire et développement économique. Adam Smith établit un rapport de cause à effet entre la création des banques et le progrès économique de l'Écosse. « ... quoique la conduite de toutes ces différentes compagnies n'ait pas été irréprochable, et qu'il ait fallu un acte de Parlement pour la régler, néanmoins le commerce du pays en a évidemment retiré de grands avantages. J'ai entendu assurer que le commerce de la ville de Glasgow avait doublé 9uinze ans environ après que les premières banques y avalent été établies, et que le commerce d'Écosse avait plus que quadruplé depuis l'établissement des deux premières banques publiques d'Edimbourg... »
Cependant, Adam Smith est prudent : Le commerce d'Écosse en général, ou celui de la ville de Glasgow en particulier, ont-ils augmenté réellement dans une proportion aussi forte, pendant un temps aussi court, c'est ce que je ne saurais affirmer. Si l'un ou l'autre a fait un pas aussi rapide, l'effet paraît trop fort pour l'attribuer à l'action de cette cause seule. » «
Mais ce que tout semble indiquer, c'est que les « progrès évidents dans l'agriculture, les manufactures, le commerce et le produit annuel des terres et du travail »,
en Écosse, ont pu se faire sans que la circulation monétaire, du moins sous sa forme argent et or, ait augmenté. Au contraire. Donc ce qui a augmenté, c'est la rapidité des opérations de paiement, grâce au crédit des banques, partout établies, jusque dans les villages. Ce qu'on peut retenir, c'est l'aspect moderne de cette interaction entre développement économique et multiplication des organismes bancaires, stade où n'est pas encore entrée, c'est certain, la France du même temps. En Angleterre, l'économie moderne est lancée. La « roue » de l'entreprise tourne sous l'effet de crédits
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circulants (l'image est aussi dans Smith). L'or et l'argent deviennent des stocks de garantie, et entrent en jeu surtout pour les paiements extérieurs. Est-ce à dire que la circulation-papier représente en Angleterre, dès les années 1770-1780, l'essentiel du système monétaire? Nullement. Selon Sombart, elle représenterait à peine 2 millions de livres sur 100 en 1750, un peu moins de 10 % en 1780. Le progrès est sensible, la proportion est encore modeste. Le rôle des métaux n'est pas terminé.
III. -
LES PROBLÈMES DE LA CIRCULATION-OR ET DE LA CIRCULATION-ARGENT
Il n'y a pas en Angleterre - ni d'ailleurs sur le continent - après les stabilisations de 1721-1726, de distorsions importantes entre la valeur des monnaiescirculantes et les prix de marché des métaux précieux monétaires. Et pourtant, d'énormes transferts extérieurs continuent à jouer. L'or a1Hue en Angleterre (toujours par le Portugal et le Brésil principalement) et l'argent s'en va, pour couvrir les achats en Orient et en Extrême-Orient. Entre 1733 et 1766, l'Angleterre fait 65 % de ses exportations en Asie sous forme d'argent, monnayé ou en lingots, mais le plus souvent monnayé. Cela représente quelque 400 millions de livres sterling (contre 9 millions seulement pour la France dans des opérations semblables : on voit la distance entre les deux économies). Après 1765, et la victoire qui donne l'Inde à l'Angleterre, époque qui correspond également à la toute première « révolution industrielle ) (celle surtout du textile), l'Angleterre enverra de plus en plus de produits manufacturés en Inde, contre les produits exotiques habituels. Double bénéfice. Cela limitera les exportations d'argent.. Cependant, c'est aussi le moment où l'or du Brésil s'épuise. Il y a alors tendance à exporter l'or (dont la valeur croît) et à réimporter de l'argent usé. En 1773, lord Liverpool, ministre de George III, retrouve presque les accents de Locke en 1696 pour dénoncer la détérioration de la circulation-argent, et
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celle même des pièces d'or. On procède alors à une refonte des monnaies d'or, en maintenant leur valeur nominale, et en la faisant correspondre à la valeur « intrinsèque » des pièces. En revanche, l'argent tend à être rejeté au rôle de monnaie d'appoint (et par là largement fiduciaire, sans contrôle de poids). C'est ainsi que la loi du 10 mai 1774, en apparence peu importante, prépare l'étalon-or. En effet: 1) Elle limite le pouvoir libératoire de l'argent; audessus de 50 livres, on peut refuser le paiement en argent, exiger de l'or; cela réduit l'argent au rôle de monnaie divisionnaire. 2) La même loi prévoit au contraire que, une fois l'or remonnayé en pièces de bon poids, l'usure admise sera limitée à 1 grain 38 trente-neuvièmes pour une guinée, soit une proportion infime. Plus tard, en 1805, lord Liverpool, âgé de 78 ans, publiera une justification de ces mesures, définissant nettement la préférence à l'étalon-or: « Il faut que la monnaie, qui doit être la principale mesure des biens, soit constituée d'un métal seulement ». Et, pour les « pays très riches et au commerce très étendu », l'or doit devenir, d'ailleurs spontanément et sans qu'il soit besoin de lois spéciales, la mesure monétaire universelle. Ainsi s'annonce la doctrine anglaise du XIXe siècle. On voit que l'attachement à la monnaie-or comme mesure universelle, et le développement de la monnaie de banque et du crédit, loin de constituer deux tendances opposées, sont simultanés.
IV. « CRISES COMMERCIALES ET POLITIQUE MONÉTAIRE
»
A mesure que se développe l'économie de crédit et de grand commerce, les crises qui, dans les économies d' « Ancien Régime », étaient normalement des crises de hauts prix du grain par insuffisance des récoltes, changent de nature. Il s'agit de « crises commerciales » périodiquement déclenchées par les excès du crédit et l'engorgement des marchés. En simplifiant, on peut imaginer le processus : Pactivité, la prospérité engagent
356
PIERRE VILAR
un nombre croissant d'entreprises à emprunter, à acheter, à hausser les prix, jusqu'au moment où les possibilités de réaliser, de vendre, sont dépassées : des chutes brusques de profit dans certains secteurs généralisent une panique, des faillites, etc. De telles « crises commerciales ) se constatent en Angleterre en 1763, 1772, 1783 (rythme décennal). Or, en cette dernière occasion, la Banque d'Angleterre, pour la première' fois, pratiqua une politique systématique: quand elle vit l'or sortir d'Angleterre (annonce de crise), elle restreignit aussitôt le crédit à ses clients, et refusa toute avance à l'État; dès qu'elle constata un mouvement de rentrée de l'or et un changement favorable dans l'orientation des changes, elle reprit ses émissions de billets et ses avances à l'État. C'est le premier exemple de « crédit dirigé ), de ralentissement puis d'accélération volontaires de la circulation suivant les indications de la « conjoncture ) - celle-ci étant décelée par le mouvement de l'or et des changes. Cela doit nous montrer que l'Angleterre fut précocement « moderne ), et que les procédés « modernes ) de lutte contre les crises ne sont pas tout à fait d'hier, bien qu'ils aient été, naturellement, perfectionnés!
V. -
HORS DE FRANCE ET D'ANGLETERRE
Il ne faudrait pas croire que les innovations d'ordre monétaire et bancaire se limitent à la France et à l'Angleterre. Sans même parler d'Amsterdam, dont nous avons vu que le rôle diminue relativement, mais ne s'efface guère avant les années 1760-70, ou de Genève, plaque tournante financière de l'Europe, il est bon de ne pas oublier, par exemple, que la Suède avait été initiatrice en matière de banque, que Hambourg était une place bancaire essentielle pour les changes européens. Mais il ne faut pas confondre ce développement bancaire avec les tendances à créer des banques d'État (ou jouant le rôle de banques d'État), ou à émettre du « papier ) jouant le rôle de monnaie dans des circonstances particulières. Le plus net exemple d' « inflation ) artificielle au XVIIIe siècle est celui des colonies anglaises d'Amérique
OR ET MONNAIE DANS L'HISTOIRE
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au cours de la guerre d'Indépendance. Du papiermonnaie inconvertible fut émis par tous les petits états en lutte et se déprécia rapidement. Mais, en Europe même, et dans des circonstances moins exceptionnelles, il y eut des émissions de papiermonnaie. Le cas de l'Espagne est à cet égard intéressant. En 1780, pour mener la guerre d'Amérique sans charger trop le contribuable espagnol, le gouvernement obtint d'un consortium bancaire où entraient Necker et le financier bayonnais Cabarrus, un prêt de 9 000 000 de pesos, gagé sur les futures rentrées d'argent d'Amérique, arrêtées par la guerre, et placé dans le public espagnol, sous forme de va/es c'est-à-dire « bons » royaux, portant intérêt, de valeur nominale élevée (600 pesos, puis 300); les va/es se déprécièrent au cours de la guerre (jusqu'à 22 %) par suite d'émissions assez fortes; mais d'une part, Cabarrus fonda, en 1782, une banque d'État, la « Banque de Saint-Charles » qui, comme nous avons eu l'occasion de le dire, prétendit monopoliser le trafic des piastres arrivant à Cadix, moyennant un pourcentage substantiel. Cette banque commença par résorber une partie des vales, et l'arrivée massive d'argent mexicain rétablit si bien la situation que les vales circulèrent avec une prime sur la monnaie métallique! Charles III en profita pour en émettre de nouvelles quantités, cette fois pour réaliser des travaux publics (canaux d'Aragon). On voit que le système de crédit, - épaulé par une économie monétaire solide à l'arrière-plan peut prendre des formes utiles et très diverses. En fait, toutefois, les va/es espagnols ne furent jamais considérés par les marchands comme un « papier-monnaie », ce qui les sauva d'une carastrophe totale au cours des dépréciations qui survinrent plus tard, en 1794-96, au temps de la guerre contre la France. Ainsi, sauf dans le cas exceptionnel de l'Amérique, le XVIIIe siècle, entre 1726 et 1792-97, ne donne pas d'exemple d'inflation véritable; ce qui se développe, c'est le crédit.
XXXI
L'ARGENT DU MEXIQUE ET LA CONJONCTURE EUROPÉENNE
Sur le problème des mines d'argent mextcames, fondamentales quant à la production du métal monétaire dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, nous disposons d'une source de valeur exceptionnelle : l'Essai politique sur le Royaume de la Nouvelle-Espagne, d'Alexandre de Humboldt, ouvrage à la fois technique, économique, géographique, historique, d'un des plus grands voyageurs et des meilleurs observateurs du début du XIXe siècle. On peut d'abord retenir de ses données sur les mines : 1) La concentration de la production d'argent; les deux tiers de l'argent américain, dans les dernières années du XVIIIe siècle, sont fournis par le Mexique; et, sur les 2 500 000 marcs d'argent mexicain qui passent annuellement par les ports de Vera Cruz vers l'Europe, et d'Acapulco vers l'Asie, la moitié est fournie par les trois seuls districts miniers de Guanajuato, Zacatecas et Catorce, le quart par le district de Guanajuato à lui seul. La Vera Cruz exporte les deux tiers de l'argent extrait; et le district minier qui produit le plus n'est pas plus étendu que les mines de Freiberg en Saxe. Il y a donc une très grande concentration géographique de la production de l'argent. 2) En revanche, le Mexique produit peu d'or; 1000000 de piastres annuelles (en valeur) contre 22000000 en argent; il s'agit de quelques mines isolées sans importance et du sous-produit des minerais d'argent (2,3 millièmes en or en moyenne). 3) Ces mines d'argent ne sont pas riches par la teneur du minerai. Humboldt était parti avec l'idée que le
PŒRRE VILAR
Mexique regorgeait de minerais riches, qu'on y trouvait de grosses pépites d'argent natif. Or il trouve des minerais contenant entre 2 et 3 onces de métal. pur par quintal, ce qui est inférieur aux moyennes européennes; pour tirer 3000 000 de marcs d'argent pur, il faut extraire 10 000 000 de quintaux de minerai. Toutefois, dans les meilleures mines, comme la Valenciana Cà côté de Guanajuato), la teneur moyenne monte à 4 onces au quintal, et la teneur maximale à 9. 4) Malgré ces observations, Guanajuato apparaît comme plus productif au XVIIIe siècle que n'avait jamais été, au XVIe, même le Potosi. Les calculs de Humboldt, toujours sur une documentation espagnole très sérieuse, admettent que le Potosi avait donné, en moyenne annuelle : entre 1556 et 1578 2227782 piastres entre 1579 et 1736 3994258 piastres entre 1737 et 1789 2548606 piastres mais que Guanajuato, dans la dernière période, donnait 4 500 000 piastres annuelles. On se trouvait donc devant une production nettement supérieure aux meilleures années du XVIe siècle. Le tableau détaillé fourni par Humboldt est donné en annexe ; retenons un tableau simplifié : année moyenne
piastres
1766- 1775 1776- 1785 1786- 1795 1796-180 3
3 0 3205° 4669286 4868266 49 1 3 265
On voit que le bond en avant de la production a eu lieu vers 1775-1776. Le rapport avec le mouvement des prix en Europe apparaît assez clairement.
1. -
L'ENTREPRISE DES MINES DE LA VALENCIANA
Si nous rapprochons les impressions et les précisions qu'Humboldt nous donne sur la plus grande mine du temps, qu'il a soigneusement visitée et étudiée, du
OR ET MONNAIE DANS L'HISTOIRE
Mémoire de Luis Capoche étudié par nous à propos du Potosi l, nous découvrons des différences considérables à la fois dans la nature et les caractères des deux exploitations, et dans les préoccupations que décèlent les deux descriptions. Capoche, au XVIe siècle, insistait sur le nombre et la variété des concessions, sur les rapports entre les concessionnaires et la main-d'œuvre, sur le problème du « marché de l'argent », libre, auquel participaient les Indiens. Au XVIIIe siècle, Humboldt insiste avec un plaisir visible sur la notion d' « entreprise » et les qualités de l' « entrepreneur » (même si les mots ne sont pas écrits, ce sont bien les notions qui ressortent du récit). L'histoire est celle qui se répétera si souvent dans l'Amérique du XIXe siècle : le découvreur obstiné et plein de foi dans sa découverte. Obreg6n, futur comte de La Valenciana, était, vers 1760, un colon sans fortune, mais « homme de bien ». Il trouva, pour ses recherches minières, l'appui d'hommes également modestes, pour « de petites sommes ». En 1766, il avait creusé le sol jusqu'à 80 mètres de profondeur, et ses frais surpassaient ses rentrées. Il acceptait malgré cela toutes les « privations », étant « passionné par les mines comme d'autres le sont par le jeu ». En 1767, il s'associa Otero, simple petit marchand de Rayas. En 1768, il remporta le premier grand succès, découvrant une veta importante. En 1771, c'était le démarrage décisif. Dès lors, de 1771 à 1804, il Y eut en moyenne une production valant 14 000 000 de livres tournois, dont 6 000 000 de profit net pour le propriétaire de la mine. Malgré la rapide pouss~e d'une ville - 8 000 habitants six ans après la découverte, là où il n'y avait que des collines à chèvres - rien de comparable à l'essor du Potosi deux siècles plus tôt. Obreg6n a gardé la « simplicité de mœurs », la « franchise de caractère » de ses débuts. La firme est divisée en 24 barres (c'est-à-dire parts, actions), dix pour les descendants d'Obreg6n, comte de La Valenciana, douze pour la famille d'Otero, deux à un tiers, Santana. Lors de sa visite, Humboldt ren, contre deux jeunes fils d'Otero qui ont chacun un capital de 6 000 000 de livres tournois, et perçoivent chaque 1. Ci-dessus p. 148 et suiv.
PIERRE VILAR
année 400 000 livres tournois de profit sur les rentrées de la mine. Nous sommes donc devant des entrepreneurs heureux. Ce ne sont pas des entrepreneurs passifs; ils ont entrepris, à la date où Humboldt les visite, de grands travaux; un grand puits, creusé dans le but d'économiser la main-d'œuvre, est projeté et doit être terminé en 1815. Mais déjà on note une singulière augmentation des frais : frais de la mine : anrtées
1787- 179 1 1794-1802
piastres
4 10000 890000
Les profits nets distribués diminuent fortement de 1797 à 1802 : années
piastres
1797 1798 1799 1800 1801 1802
1249 000 835 000 668000 5°3°00 4° 1000 285 000
On peut donc se demander si, au tournant des deux siècles, il n'y a pas relatif épuisement des grandes mines; l'histoire de la Valenciana répète celle du Potosi. Il reste qu'entre les mines mexicaines du type de la Valenciana et les mines européennes d'argent, les différences de rendement étaient longtemps restées énormes.
II. -
COUT COMPARÉ DE L'ARGENT MEXICAIN ET DE L'ARGENT EUROPÉEN
Ce coût comparé a été établi par Humboldt et c'est un des rares documents de ce type que nous possédions. Or le rattachement du problème des métaux précieux
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au problème de leur prix de production est trop souvent négligé. Quand il se produit, comme au XVIe siècle et au XVIIIe siècle, de brusques différences de potentiel entre Amérique et Europe, c'est largement à cette distance entre coûts de production des métaux précieux ici et là que ces déséquilibres sont dûs. Or ces distances entre prix de production sont également souvent mal interprétées : on les attribue parfois à des découvertes de mines particulièrement riches quant à la teneur du minerai, d'autres fois à un écrasement des salaires indigènes face aux salaires européens. Or, d'après les données d'Humboldt, il ne s'agit ni de l'une ni de l'autre chose. Les deux avantages réels sont d'une part dans l'épaisseur des filons de minerai et d'autre part dans le travail obtenu des indigènes (productivité) plus que dans la faiblesse de leurs salaires nominaux. Reprenons le tableau de Humboldt en le systématisant : sur une colonne, nous indiquerons les caractéristiques de la mine américaine de La Valenciana, sur une seconde colonne celles de la mine européenne de Himmelsfürst, dans le massif de Freiberg, en Saxe.
Mine américaine Mine européenne
1. Conditions physiques
a) les eaux
: pas d'eau
b) la profondeur:
514
mètres
c) la teneur du : 4 onces/quintal minerai
8 pds-cube/mn; nécessité de deux roues à pompe 330 mètres 6 à 7 onces/quintal
li) l'épaisseur des 3 branches de 40 5 filons de filons : à 60 m 3 dm
e) minerai extrait/an
: 720 000
quintaux
14 000
2
à
quintaux
364
PIERRE VILAR
Mine américaine
Mine européenne
1) poudre utili- 1 600 quintaux à 270 quintaux à sée : 250 livres t. le 100 livres t. le q = 400 000 1 t. q = 27 000 1 t. II. Conditions humaines
a) nombre d'ou- 3 100 métis, dont vriers : 1 800 au fond
700
b) salaire journa- 5 à 6 livres, soit lier : 100 à 120 sous t.
18
dont
mineurs, 550 au fond
sous tournois
III. Conditions économiques a) argent produit:
360000
b) frais totaux
5000000
c) profit net
3 000 000 1 t.
marcs 1 t.
10000
marcs
240000 1 t. 90000
1 t.
Résumons en calculant le rapport entre les diverses caractéristiques de la mine américaine et celles de la mine européenne : terre remuée argent obtenu profit net frais salaires nombre d'ouvriers
50 fois plus 36 fois plus 33 fois plus 20 fois plus 5,5 à 6,5, soit
environ 6 fois plus élevés 4,5 fois plus
Autrement dit, avec un nombre d'ouvriers 4 à 5 fois plus élevé qu'en Europe, on a remué 50 fois plus de terre et obtenu 36 fois plus d'argent, et 33 fois plus de profit. Ce n'est pas le salaire ouvrier qui mesure l'exploitation du travail, mais la distance entre productivité et rémunération. Au surplus, les hauts salaires apparents des métis ou indiens ne peuvent être jugés que par rapport au prix
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de la vie, très élevé sur le lieu de la mine. Ce qui pèse le plus sur la main-d'œuvre minière, c'est l'endettement; les salaires sont toujours dépensés à l'avance. La dureté du travail est sûrement écrasante. Cependant, la mine attire la main-d'œuvre par le haut salaire nominal (c'est un phénomène universel); et il ne faut pas oublier que les conditions du peon (domestique agricole) et celles de l'ouvrier des obrajes (ateliers textiles en particulier) sont pires que celles du mineur. Mais la différence de coût entre une once d'argent produite au Mexique et une once d'argent produite en Europe suffit à mesurer l'attraction que va exercer cet argent mexicain. Sur place d'abord, le maïs, nourriture quotidienne du Mexicain, qui vaut 9 livres tournois le boisseau sur le lieu de production, vaut 22 livres tournois à la mine. Et à longue distance ensuite : toute l'Europe veut produire pour la Vera Cruz, où le Mexique vient s'approvisionner en objets européens. Il est vrai que les distances sont considérables : l'argent mexicain, pour atteindre soit l'Europe, soit l'Asie, doit non seulement traverser les océans (ce qui se fait de plus en plus facilement) mais atteindre la côte : soit à la Vera Cruz, port vers l'Europe, soit à Acapulco, port vers l'Asie; auparavant, il doit d'ailleurs passer par Mexico, où il est monnayé (en « piastres .) surtout) dans le célèbre Hôtel des Monnaies. Or, il y a 69 lieues de Mexico à la Vera Cruz, 66 de Mexico à Acapulco, et plus de 100 des districts miniers à Mexico. De longues files de mulets transportent, dans un sens, les barres d'argent, ou les caisses de monnaies, dans l'autre, du suif, de la farine, du fer, des vins, des lainages, du mercure, des objets de luxe. Ces routes ne sont pas commodes; Humboldt compare leur profil à celui de la route du Saint-Gothard. Vers Acapulco, du côté du Pacifique, il faut passer les fleuves sur des radeaux soutenus par des courges sèches, ce qui ne rassure pas le voyageur; et parfois les crues arrêtent le trafic plus d'une semaine. Comme dans l'ancienne route de Panama, au XVIe siècle, le flux d'argent se heurte à de singuliers obstacles naturels. Ce flux Acapulco-Mexico-La Vera Cruz représente chaque année, à la fin du XVIIIe siècle, une valeur de 320 000 000 de livres tournois. Dans le sens Mexico-La Vera Cruz, de grands travaux ont amélioré l'itinéraire; ils ont coûté
PIERRE VILAR
15 000 000 de livres tournois aux Consulats (corps de Commerce) des deux villes. Pour les Européens, le plus dur est le climat : non celui de Mexico, qui est sain par l'altitude, mais celui de la plaine; Humboldt décrit le soulagement du voyageur quand il arrive à une certaine hauteur et échappe aux miasmes et à la chaleur humide. Ce qui est instructif, c'est de voir que tant de dangers et de désagréments n'arrêtaient pas les hommes, avides de gain; j'ai été frappé du ton de certaines correspondances naïves, lettres écrites de La Vera Cruz par de modestes employés d'une petite compagnie catalane envoyant ses produits au Mexique : eaux-de-vie et tissus, dans l'espoir d'y trouver, en argent, le plus haut bénéfice possible. L'amour de l'argent, la peur de la mort, s'expriment dans ces lettres, étrangement balancés: « Quant à ce que tu me dis, que je suis dégoûté de faire partie de la Compagnie, n'en crois rien, mais pour ce qui est d'être dégoûté de ce pays (la Vera Cruz), cela oui, je le suis, non que je regrette d'y être venu, car, grâce à Dieu, je n'en peux dire que du bien, en ce sens que, grâce à Dieu, les affaires se sont révélées meilleures que je ne pensais; mais, si je suis dégoûté de ces lieux, c'est par les difficultés quotidiennes, et ces morts imprévues, comme il y en a tous les jours, au point que tu te trouves un jour en conversation avec un ami, et deux jours plus tard tu entends dire qu'il est mort : cela suffit à effrayer; et ne t'étonne pas si j'ai pris une terreur véritable de ce pays. Tout le monde meurt à tout instant. Nous sommes tous exposés au même mal. Et qui ne craint la mort? »
Ce texte est du 9 décembre 1795. Il correspond à une grave époque de mortalité. Mais c'était presque un maI continu. Les profits qui poussaient à affronter de tels périls provenaient à la fois de la faible valeur relative de l'argent tiré des mines mexicaines, et du jeu périodique des raretés qui faisaient parfois monter verticalement les ,Prix des marchandises européennes. Humboldt notalt : « 2S à 30 millions de piastres se trouvent quelquefois accumulés à Mexico, tandis que les fabriques et l'exploitation des mines sont gênées par le manque d'acier, de fer et de mercure. Peu d'années avant mon arrivée en NouvelleEspagne, le prix du fer était monté de 20 francs le quintal à 240, celui de l'acier de 80 à 1 300 francs. »
OR ET MONNAm DANS L'HISTOIRE
Même saisonnièrement, ou, localement, suivant les arrivées de bateaux isolés, les variations de prix étaient énormes sur tous les produits d'importation; le souci des p'etits représentants de maisons espagnoles était quotIdien : arrivée d'un bateau qui bouleverserait les conditions du marché, interdiction ou autorisation de consommer l'eau-de-vie locale, qui faisait également varier, parfois du simple au double, les prix des liqueurs d'importation, etc. Pendant les deux premiers tiers du XVIIIe siècle, les marchandises arrivaient d'Espagne par (c flottes ), toutes ensemble, dans des convois protégés; elles se vendaient dans une foire périodique, celle de Xalapa, ville entre la Vera Cruz et Mexico; mais, après la renonciation au système des flottes, et le décret du « commerce libre ) (1778), chaque navire venait comme il voulait, et cela, en un sens, étalait les opérations de vente et multipliait la concurrence, mais aussi rendait les réalisations plus incertaines sur le marché. Or l'importance du marché mexicain, pour l'Europe, est considérable: vers 1800, la moyenne des exportations de la Vera-Cruz est de 21, 8 millions de piastres, dont 17 millions en argent, 2,4 millions en cochenille, 1, 3 million en sucre. La moyenne des importations de la Vera Cruz est de 9, 2 millions en tissus, 1 million en papier, 1 million en eau-de-vie, 1 million en cacao, 1,4 million en mercure, fer et acier. Ainsi, plus de la moitié des piastres exportées (9 millions sur 17) paient les tissus achetés à l'Europe. C'est là qu'on mesure l'encouragement offert par les mines mexicaines à l'industrie européenne (cotonnière en particulier). Le reste de l'Amérique, jadis beaucoup plus important que le Mexique dans le domaine des métaux précieux, est-il désormais négligeable? Évidemment pas. Et c'est d'ailleurs vers 1771-1773, au moment même où commençait la grande exploitation des mines mexicaines, que l'on découvre ou réexploite d'autres mines au Pérou ou dans les Andes (Gualgayoc, Guamachuco, Conchuco). Ces simultanéités ont toujours une signification. De même, la Nouvelle Grenade se remet à fournir de l'or (4714 kg annuels vers 1800). Malgré tout, sur 795 000 kg d'argent fournis par l'Amérique espagnole à cette même date, 537 000 le sont par le Mexique, 250 000 seulement par les vice-royautés de Buenos Aires et du Pérou. L'ensemble Chili-Pérou a un commerce extérieur de 12 000 000 de pesos, équilibrant à peu près importations
PIERRE VILAR
et exportations. Comme les relations par le Pacifique sont longues, il se produit des « captures » de l'argent du Pérou par les voies de terre : à partir du haut Pérou par les voies de l'actuelle Colombie (Bogota), à partir du Pérou méridional (actuelle Bolivie) par les routes de la pampa et Buenos Aires. Ces deux « captures » ne sont pas sans relations avec les possibilités de contrebande, que les Anglais savent exploiter. Dernière observation sur ce marché américain : si les métaux précieux - l'argent au tout premier rang y jouent de beaucoup le plus grand rôle, ils ne sont pas la seule réalité, la seule source de profit pour les négociants européens : si on peut importer en Europe, contre les marchandises qu'elle expédie en Amérique, des produits coloniaux comme le sucre, la cochenille, les bois de teinture, le bénéfice est double; des ports comme La Havane ne sont pas moins importants que la Vera Cruz quant à la valeur de leur commerce extérieur. Le nombre des caisses de sucre exportées par La Havane fut de 13000 en moyenne entre 1760 et 1763, de 50000 entre 1770 et 1778, de 103000 en 1794, de 204000 en 1802; une pareille montée n'est pas moins importante que celle de l'argent de Guanajuato, qui n'est après tout qu'une marchandise coloniale comme une autre. Cependant, le solde du commerce américain avec l'Europe est toujours couvert par cet argent frais, nécessaire au surplus pour le trafic avec l'Orient.
III. LE MÉCANISME DES RÉPERCUSSIONS DU COMMERCE ET DE L'ARGENT AMÉRICAIN SUR LES PRIX EUROPÉENS
A long terme, la mise en œuvre des grandes mines, et l'énorme distance des coûts de production de l'argent américain par rapport aux coûts de production des mines européennes, détermine la baisse du prix mondial de l'argent, et la hausse des prix-argent dans le monde entier, à des rythmes divers. Mais il arrive que, même à court terme, la confrontation argent-marchandises, soit au Mexique, soit à Cadix et dans les ports européens, entraîne de vives sautes de prix. Nous l'avons vu, déjà, à propos des
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foires de Xalapa et des marchés de la Vera Cruz. Ce qui est cher aux Indes - les tissus, le papier, les livres, la quincaillerie, le fer, l'acier, etc. - peut devenir brusquement hors de prix pour peu que le trafic soit interrompu. Mais il en est de même pour ce qui est - relativement - cher en Europe : sucre, rhum, cochenille, etc. Il arrive donc, en Europe, que l'argent se raréfie quand, par exemple en cas de guerre, les relations océaniques sont ralenties ou arrêtées, mais dès la reprise des relations, ce sont des flots de métal qui inondent Cadix, ou Barcelone, ou Nantes, et les prix font alors un bond, à cause de la brusque abondance de l'argent qui fait réaliser tous les achats retardés. Dans le mouvement espagnol des prix étudié par Hamilton, les hausses brusques correspondent souvent à ces arrivées brutales d'argent d'Amérique. Le retour des flottes après la guerre de l'Indépendance américaine, en 1784, est particulièrement significatif à ce point de vue. J'ai constaté, pour Barcelone, que cet épisode ne bouleverse pas seulement les prix, mais les salaires : entre 1784 et 1785, l'indice des salaires barcelonais passe de l'indice 118 à l'indice 145, ce qui est peut-être un bond en avant unique dans l'histoire des salaires. Outre des conditions locales qui l'expliquent en partie, ce bond en avant se comprend mieux lorsqu'on constate que si le salaire d'un charpentier de navire était en 1784 de 20 sous (catalans) à Barcelone, il était de 28 sous à Cadix, de 37,5 sous sur un navire faisant le voyage des Indes, et de 112 sous (3 pesos fuertes) à La Havane. Ces comparaisons, qui prouvent que plus on s'approche de la source de l'argent, et plus le travail est rémunéré (nominalement au moins, car les prix ne sont pas non plus les mêmes sur les diverses places), permettent d'imaginer qu'un marin revenant de La Havane, ou de la Vera Cruz, se faisait plus exigeant dans son propre pays, et obtenait des augmentations dans la mesure où l'argent abondait grâce au retour de la flotte. On disait, en Catalogne, que le marin se faisait bâtir sa maison avec l'argent du premier voyage aux Indes, et se mettait en ménage avec l'argent du second. Tel était le mécanisme des gains. Il fonctionnait parfois à court terme (retour des flottes). Mais sans réversion. D'où la hausse à long terme. Cette hausse à long terme finit d'ailleurs par être fort homogène en Europe. Si l'on compare, par exemple, la hausse longue du prix du blé à Barcelone et en France
370
PŒRRE VILAR
(indice national), en prix-argent, on a, pour les grands cycles du XVIIIe siècle, des moyennes très voisines :
1726- 1741 1742- 1757 1758- 1770 1771- 1789
Barcelone
France
100 104,8 131 161,9
100 109 129 156
Dans la première moitié du siècle, Barcelone a peu de rapports avec l'Amérique : la hausse est légèrement inférieure à celle de la France; dans la seconde moitié du siècle, les rapports directs Barcelone-Amérique s'intensifient progressivement : la hausse devient légèrement supérieure.
IV. -
LES CHANGEMENTS SURVENUS AUX CONFINS DU XVIIIe ET DU XIXe SIÈCLE : LIMITATION PROGRESSIVE DE LA MARGE ENTRE PRIX COLONIAUX ET PRIX EUROPÉENS
Un phénomène encore mal étudié, mais décelable dans toute recherche sur le commerce colonial de la fin du XVIIIe siècle, c'est la limitation de la marge entre les prix coloniaux et les prix européens, marge sur laquelle reposaient les hauts gains spéculatifs du commerce atlantique. Ces marges diminuent sous l'effet de plusieurs phénomènes : en temps normal, l'amélioration des communications océaniques, la multiplication des petits et des gros navires, la plus grande sécurité des voyages; la tendance à la formation d'un « marché mondial ) réel : pendant les guerres en particulier, aux pointes spéculatives des prix dues à la rareté des marchaIidises espagnoles sur les marchés coloniaux et à la proximité des mines, répondent une contrebande, et un appel (parfois légalisé) à d'autres fournisseurs que la métropole; on voit par exemple se développer le commerce intercolonial (les colonies échangent entre elles, produisent les unes pour les autres), l'intervention des marchandises du Nord de l'Europe (Scandinavie, Angleterre, Allemagne), enfin, dès que les effets immédiats de la guerre
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d'Indépendance sont dépassés, l'intervention des ÉtatsUnis (En Espagne, le pavillon des États-Unis couvre le commerce colonial quand les hostilités avec l'Angleterre rendent celui-ci difficile). Par exemple, dans les relations entre les ports catalans et l'Amérique coloniale, on voit se substituer à des produits locaux des produits lointains : le Mexique, ou Cuba, au lieu d'acheter du chanvre catalan, achètent du chanvre de Russie; les toiles à voile de la construction navale coloniale cessent d'être de la cotonina fabriquée en Espagne, et deviennent des Zonas (oZonnes) fabriquées en Europe; de la viande et du poisson salés, pour la consommation populaire de La Havane ou de la Vera Cruz sont achetés en Écosse et en Norvège. Il arrive que, grâce à cette généralisation du commerce intornational, les prix des denrées courantes de ce type, après 1795 et la reprise de la guerre entre Espagne et Angleterre, soient plus bas à La Havane ou à Porto Rico qu'à Barcelone. Même la hausse des salaires coloniaux est terminée: entre 1795 et 1799, le salaire moyen de l'ouvrier de La Havane tombe de 3 pesos et demi à 2 pesos et demi, au moment même où en Espagne, l'inflation artificielle de monnaie-papier due à la guerre pousse au contraire les salaires à leur maximum. Observons que c'est aussi le temps où les mines du Mexique, selon Humboldt, exigent de grands travaux et des frais supplémentaires et où les profits de leurs propriétaires menacent de s'effondrer. Ainsi, les marges entre prix des denrées coloniales - et prix de l'argent en particulier - se réduisent. Après 1805 (défaite navale française de Trafalgar devant la flotte anglaise), la coupure devient presque absolue dans le commerce avec le Mexique; des stocks d'argent immenses s'entassent dans l'Hôtel des Monnaies de Mexico. Le commerce de la Vera Cruz s'effondre. Les Anglais permettront, il est vrai, aux Espagnols de faire revenir cet argent, lorsque l'Espagne se révoltera contre Napoléon en 1808. Mais dès 1810-1812, la révolte du Mexique contre l'Espagne compromettra les conditions normales de l'exploitation des mines. En fait, les hausses de prix européennes après 1795, et jusqu'au-delà des guerres napoléoniennes, seront dues à l'inflation de diverses sortes de papier-monnaie. C'est donc - avec les assignats français, les « vales ) espagnols, et le billet anglais à cours forcé - un nouvel épisode monétaire qui s'ouvre.
XXXII
RÉVOLUTION FRANÇAISE ET SITUATION MONÉTAIRE DES ASSIGNATS AU « FRANC-GERMINAL )
Nous avons vu la masse d'argent produite au Mexique, et ses prix de revient d'abord décroissants, puis, en fin de siècle, sans doute croissants. La dispersion en Europe, à partir de Cadix et de la France, des métaux précieux américains et des profits coloniaux soutient une hausse des prix généraux sensible, mais relativement modérée, irrégulière, mais avec des secousses périodiques moindres sans doute qu'au XVIIe siècle, et sans distorsions violentes entre les prix intérieurs de chaque pays et les prix internationaux exprimés en argent, ou or. Même les nombreuses guerres qui ont arrêté, parfois momentanément, les arrivées de métal, et obligé à émettre des monnaies fiduciaires de formes diverses, n'ont pas compromis, jusqu'en 1789-93, la stabilité monétaire des grands pays d'Europe. L'Espagne a facilement absorbé, par les arrivages d'argent après 1783, l'émission de vales (billets d'État) commencée en 1780. En France, l'énorme déficit, l'énorme dette d'État, n'ont entraîné avant la Révolution, dans l'ordre monétaire, que les discussions mineures autour de la « Caisse d'Escompte) de 1776, et en Angleterre, l'économie en plein développement repose déjà sur la Banque et sur le crédit bancaire, tout en posant les bases, en 1774, d'une monnaie-or garantie inaltérable, et d'une monnaieargent légalement réduite au rôle de monnaie d'appoint (système annonçant l' « étalon-or )). Cet équilibre, cette relative harmonie du XVIIIe siècle, la Révolution française va les bouleverser, par les
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troubles internes qu'elle provoquera et les conflits internationaux qui suivront. Mais il ne faudrait pas croire que la Révolution française est un fait politique « extérieur }) aux réalités économiques, un élément « exogène }) qui vient les troubler. La Révolution française, cause des troubles économiques et monétaires d'après 1789, est aussi conséquence de la conjoncture économique du XVIIIe siècle, conséquence de la « prospérité }) de celui-ci en même temps que des déséquilibres sociaux qu'elle a provoqués. Dans la mesure où elle se rattache ainsi à la « conjoncture }) et donc à la question des monnaies et des métaux précieux, la Révolution française est liée à notre problème. Rappelons - en le simplifiant au maximum - le schéma qu'Ernest Labrousse a rendu classique.
1. CONJONCTURE DU XVIIIe SIÈCLE ET ORIGINES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Au XVIIIe siècle, les prix montent. Entendons que l'ensemble des prix, dont les prix agricoles sont de beaucoup les plus importants, tend à monter à travers les variations cycliques d'origine météorologique. Cette montée s'affirme au moins depuis 1733, et ne faiblit guère avant la décennie 1771-1780. En revanche, les pointes cycliques des prix du grain ont moins de brutalité, au moins relative, qu'au XVIIe siècle, ou au début du XVIIIe. Il n'y a plus de disette comparable à celle de 1693 ou 1709. Moins exposée aux mortalités exceptionnelles de ce type, la population monte à son tour. Il résulte de cette montée des prix et de la population diverses conséquences où il convient de distinguer : 1) les effets de long terme et les effets de court terme; 2) les effets sur les classes sociales privilégiées et les effets sur les classes sociales dépendantes; 3) les effets sur les producteurs-vendeurs (paysans aisés, artisans divers) et les effets sur les producteurs qui se suffisent à peine ou ne se suffisent pas du tout. Car d'une hausse des prix souffrent ceux qui achètent et profitent ceux qui vendent. 1) Dans le long terme : disons de 1726-1733 à 1776-1789, la hausse des prix du XVIIIe siècle implique
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la prospérité de certaines classes sociales. D'abord, nous l'avons vu, pour les négociants des grands ports, et les entrepreneurs à leur service (bâtiments, fournisseurs de produits vendus au loin, etc.). Mais aussi pour des groupes moins restreints, plus typiques de la société du temps : les rentiers du sol, qu'il s'agisse de propriétaires fonciers, au sens moderne du terme, ou de bénéficiaires de la rente seigneuriale, touchant des « droits féodaux ». Ce type de revenus, constate-t-on, augmente plus vite que les prix. Pour fixer les idées, disons que cette augmentation est de l'ordre de 80 %, tandis que les prix montent de 53 à 63 %, entre le cycle de 1726-1741 et le cycle précédant 1789. Ainsi, exprimée en pouvoir d'achat, la rente foncière (mesurée par les fermages), monte de 25 %. Pendant ce temps, les salaires unitaires (journée de travail), si on les exprime en pouvoir d'achat également, tombent (en moyenne) de 25 %. Et le paysan non vendeur de produits est aux limites de la misère. Il y a donc une contradiction à long terme entre les deux types de revenus. 2) A plus court terme, entre les années 1772 et suivantes pour la viticulture, et surtout après 1776 pour toute l'agriculture, surgit une période moyenne (un « intercycle ) de 12 à 15 ans), de stagnation ou de baisse des prix. Elle dure jusqu'en 1787. Elle unit les difficultés des rentiers, des entrepreneurs, des bourgeois, des petits propriétaires (viticulteurs en particulier) aux misères de la masse, qui subit de plus en plus la double pression fiscale de la seigneurie (( droits féodaux )) et de la monarchie. C'est le « malaise Louis XVI ) en ce sens qu'il commence à peu près avec le règne de ce roi (1774) et se prolonge jusqu'à la veille de 1789. 3) A très court terme, c'est la Inauvaise récolte de 1788 qui fait bondir le prix du grain dans des proportions oubliées depuis 1709. Dans 27 généralités sur 32, le maximum est atteint justement en juillet 1789 : 34 livres tournois pour le setier de blé (de l, 56 hl), contre une moyenne de 20 à 22 au cours des années précédentes. On se trouve au xnaximum des contradictions économico-sociales; les enquêtes des débuts de la Révolution constateront que onze millions de Français sont dans l'indigence, souvent contraints à errer à la recherche d'un moyen de vivre. Alors se conjuguent l'opposition politique à la monarchie, le désir de la bourgeoisie enrichie de contrôler
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l'État - et particulièrement ses finances - et l'agitation sociale: de mai à juillet 1789, les émeutes urbaines de chômeurs se juxtaposent aux pillages de convois de grains, classiques en cas de disette. En juillet 1789, la plus grande guerre paysanne de l'Histoire de France (la « Grande Peur )) se combinera avec la grande révolution bourgeoise.
II. RÉvOLUTION FRANÇAISE ET PROBLÈMES DE LA MONNAIE
Cette fois, le système monétaire va être ébranlé. C'est l'épisode des assignats, qui ne nous intéresse ici - dans une étude sur les métaux précieux - que de façon indirecte. Car il s'agit d'un épisode monétaire artificiel, essentiellement politique. Mais cet épisode permet malgré tout d'utiles remarques sur les relations entre monnaie, économie interne d'un pays, relations extérieures et rôle de la monnaie métallique. Surtout, sa liquidation aboutit à l'installation du franc, unité monétaire qui restera stable jusqu'à la guerre de 1914. Il n'est donc pas inutile de lui consacrer quelques réflexions. 1) Le problème posé à l'origine des assignats est celui des dettes d'État. La solution est politico-sociale. Les biens du clergé - et plus tard ceux des émigrés sont « mis à la disposition de la Nation ), pour éteindre la dette publique. On estime les biens du clergé, au départ, à 3 500 000 000 de livres tournois. Observons: cette mesure sociale est liée à la conviction économique née au XVIIIe siècle que la propriété doit être individuelle, circulante, sans cesse échangeable selon les lois de la concurrence, et non figée dans une propriété collective qui ne change jamais de main (< mainmorte )). Inversement, la mesure pose une question économique : qui peut acheter de tels biens? avec quel argent? Le XVIIIe siècle a enrichi certaines catégories de Français, en a appauvri d'autres. Qui sera preneur? Et il y a enfin un problème moral, psychologique, religieux même; la vente des biens du clergé est condamnée par les autorités catholiques: cela arrêtera-t-il les acheteurs?
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Ainsi, les conditions ne sont pas des conditions économiques normales. Il s'agit de voir comment, à l'arrière-plan, jouent tout de même, en dernière instance, les lois économiques et monétaires. 2) On n'a pas le temps d'attendre les ventes pour disposer de l'argent qu'on espère d'elles. On émet alors des assignats. Attention. A l'origine au moins, ce n'est pas une monnaie. C'est une « assignation » sur la valeur des ventes attendues. C'est une reconnaissance de dette. Et qui rapporte intérêt. Il importe, en particulier, de ne pas confondre l'assignat (du moins dans les intentions premières) avec la monnaie gagée sur la valeur de la terre en général, comme on l'avait proposé en Angleterre à la fin du XVIIe siècle, et comme Law lui-même l'avait un temps imaginé. En fait, à l'origine, c'est-à-dire en décembre 1789, l'assignat est un titre en gros billets de 1 000 livres, rapportant 5 %. L'intéressant est de voir comment il devient monnaie. On le constate à la fois par la diminution, puis par la suppression de l'intérêt qu'il rapporte, et par l'émission de titres de plus en plus petits, capables de couvrir des paiements de plus en plus modestes. 3) De l'assignat-titre à l'assignat-monnaie. En avril 1790, en même temps qu'on hâte la mise en vente des biens nationaux, on émet 400 000 000 de livres tournois d'assignats à 3 % (au lieu de 5 %), et en coupures de 500 à 200 livres. En septembre 1790, on émet 800 000 000 d'assignats sans intérêt. Et on supprime l'intérêt pour les billets des émissions précédentes. Les coupures les plus petites sont de 50 livres. En mai 1791, les petites coupures émises sont de 5 livres. En avril 1792 - avec la guerre - il Y aura des coupures de 50, 25, 15 et 10 sous. Ainsi, au début, il pouvait paraître que les assignats serviraient surtout à éponger la dette d'État en faisant acheter les biens nationaux par les plus riches créanciers de l'État, porteurs de gros titres, mais que la masse serait préservée de toute inflation-papier. Moins de trois ans après la première émission, tout était changé. Tout le monde possédait des assignats, devenus monnaie,
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et monnaie à cours forcé, dont la dévalorisation rapide menaçait tous les revenus, y compris les salaires. En contrepartie, l'acquisition de biens nationaux, payables en assignats, était ouverte à tous ceux qui pouvaient en accumuler : «
L'assignat-monnaie, écrit Georges Lefebvre, permit
à tout le monde d'en acquérir; on en acheta même pour
s'en débarrasser, et sa dépréciation favorisa les acquisitions des moins fortunés en même temps que celles des spéculateurs. On pourrait dire que l'opération devait réussir d'autant mieux à cet égard qu'elle échouerait plus complètement au point de vue financier. » C'est vrai. Mais la hausse des prix, l'essai pour la limiter par les lois du maximum, et le conflit entre maximum des prix et maximum des salaires, dominera les relations entre masses parisiennes et gouvernement révolutionnaire. On voit la portée sociale et politique du fait monnaie. 4) Oscillations de l'assignat et situation monétaire générale. Si particulier qu'il soit, si lié aux problèmes politiques, le fait monétaire de l'assignat n'est pas indépendant de la situation économique et des faits monétaires internationaux. Tout le problème est d'observer les imbrications des aspects psychologiques (confiance publique dans le système) et des aspects objectifs (masse monétaire émise, niveau des prix intérieurs et niveau des prix internationaux, etc.). Par exemple, la dévalorisation rapide de l'assignat n'est pas tellement liée aux excès des émissions: Necker estimait à 2 200 millions la circulation métallique en France en 1789; une émission de 1200 millions gagée sur les biens nationaux en septembre 1790 n'aurait pas dû entraîner une grosse prime de l'argent sur le papier; or on payait déjà 10 % de prime pour avoir de l'argent. C'est que personne ne crut aux limitations promises. Tout le monde pensa, avec raison, que l'État continuerait à émettre au-delà des chiffres promis. En novembre 1791, la chute de l'assignat, mesurée par la prime de l'argent, était déjà de 18 %. En août 1792, de 43 %. Une somme en assignats ne valait déjà plus que les 57 % de la valeur nominale inscrite sur le papier. Chose curieuse, mais qui mesure bien l'importance du facteur psychologique : le 10 août, les Massacres de-
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septembre et Valmy redressèrent relativement la situation; la valeur de l'assignat remonta de 57 à 72 % de son équivalent en espèces. Confiance brusque dans le nouveau régime? Sans doute. Mais l'économiste Hawtrey, dans son ouvrage sur la monnaie, observe : 1) que c'est la chute de l'été 1792 qui avait été excessive; 2) que la situation monétaire interne n'était pas encore désastreuse; 3) qu'à l'étranger au contraire, on constate alors une expansion du crédit et une hausse des prix qui signifient en fait une baisse internationale de la valeur des métaux précieux, de sorte que la dépréciation de la monnaiepapier française est un instant limitée par la dépréciation internationale de la monnaie-métal. La chute de l'assignat reprit en 1793. Remarquons qu'on n'avait pas interdit, en France (car la Constituante était restée fidèle aux principes libéraux) l'achat de l'or et de l'argent, ce qui permettait de mesurer quotidiennement la prime de ceux-ci sur le papier. C'est seulement en avril 1793 que le libre commerce des métaux monétaires fut interdit. Et seulement en août 1793 que l'on interdit d'accepter l'assignat avec escompte. C'est donc très tardivement que l'on peut parler d'un « cours forcé) véritable, sanctionné, il est vrai, en septembre 1793, de peine de mort. Cependant, il y avait une autre façon de montrer de la défiance envers l'assignat; si l'on ne pouvait donner la préférence au métal ou n'accepter l'assignat qu'avec prime, on pouvait toujours faire monter les prix exprimés en assignats. D'où le fameux maximum - qui est une taxation autoritaire des prix (également septembre 1793). Or cette politique autoritaire réussit partiellement. Dans la mesure où la montée des prix fut enrayée, l'assignat remonta de 22 à 48 % de sa valeur nominale entre août et décembre 1793. Coercition, énergie, victoires extérieures eurent ainsi leur effet. En fait, l'inflation « galopante ) date surtout de la Convention thermidorienne et du Directoire. Dès novembre 1794, l'assignat était retombé à 24 % de sa valeur nominale. Il en circulait 6 400 millions de livres. Le maximum supprimé, ce fut la ruée spéculative, la « fuite devant la monnaie ). C'est-à-dire qu'on achetait n'importe quoi à n'importe quel prix. Le commerce extérieur ne pouvant se faire qu'en or ou en argent, ceux-ci devenaient l'objet d'achats spéculatifs.
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Car les espèces métalliques étaient rares. On les avait exportées dans la mesure du possible. D'autres se cachaient. Et d'autre part la situation économique ne permettait pas de renouveler le stock. De 1792 à 1797, la République française ne frappa que 32 000 000 de livres en argent, et rien en or. Pendant ce temps, on avait émis pour 14 milliards d'assignats à la date de décembre 1795. En février 1796, on fixa le « plafond » des émissions à 40 milliards. On ne sait si ce chiffre fut atteint (peut-être la circulation maximale fut-elle de 35000 000 000). Les ouvriers qui imprimaient les assignats se mettaient en grève. Les frais d'impression approchaient de la valeur courante du billet imprimé. On brûla alors solennellement, place Vendôme, la « planche à billets ». Mais les assignats existants continuaient à circuler; et le pire était les brusques sautes de leur valeur, avec les spéculations correspondantes: en juin 1796, l'écu d'or de 24 livres fut coté en assignats 585 livres le 7, 1 000 livres le 13, et 450 le 16. En octobre de la même année, 2 000 livres le 26, 3 450 livres le 30, et 2 450 le
31.
On avait essayé, en mars 1796, de remplacer les assignats par des « mandats territoriaux » qui devaient permettre l'acquisition directe, sans enchères, de biens nationaux, au prix de 22 fois leur revenu de 1790. L'opération aurait pu être intéressante pour les porteurs de ces mandats. En fait, on n'émit que des « promesses de mandat » que le public confondit aussitôt avec les assignats : en 4 mois, ce papier tomba à 4 % de sa valeur nominale. Comment sortit-on de cette catastrophe monétaire, la pire qu'ait connue la France, et qui pourtant ne fut pas absolue, comparée à celles de l'Allemagne ou de la Hongrie au xxe siècle? 5) De la fin des assignats à la stabilité monétaire. En février 1797, on supprima le cours forcé, et on ne put même plus payer les impôts en assignats. Curieuse constatation: ils circulèrent encore pendant de longs mois, et on voyait des gens en acheter, pensant à d'éventuels retournements de situation. Mais les faits importants sont : a) la reprise des frappes d'argent, et celle de sa circulation;
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b) la liquidation des dettes d'État par la « banqueroute des deux tiers »; le « tiers consolidé » donna quelque stabilité à la rente, et les « deux tiers mobilisés » constituèrent une circulation transitoire entre l'inflation-papier et la circulation-argent; c) l'État restreignit son budget et organisa un nouveau système fiscal simple et efficace; d) les conditions de « déflation » furent réalisées conjointement par une série de bonnes récoltes, comme celle de 1796 (il Y eut en particulier une chute de 30 % brusque sur les prix du vin) et par les difficultés du crédit: on ne prêtait aux particuliers qu'à 2 % et davantage par mois, sauf pour les hauts clients de certains banquiers. Bien entendu, cela entraîna non seulement une stagnation du commerce intérieur, mais des faillites brutales et nombreuses, dues en particulier à la chute du trafic colonial, à la suite des événements de Saint-Domingue. Cependant, les événements extérieurs ne furent pas tous défavorables, bien au contraire : la paix de Bâle assura un temps une reprise - ou des espoirs - au commerce maritime, grâce à un renouveau du commerce avec l'Espagne (Cadix), source de l'argent; enfin, avec la campagne d'Italie commença le pillage de l'Europe par les armées françaises; c'est sûrement un facteur qu'il ne faut pas oublier. En même temps d'ailleurs, même hors des opérations de guerre, l'Europe du Nord s'ouvrait aux produits français. Telle fut l'atmosphère dans laquelle purent être créés la Banque de France et le « franc-germinal », unité monétaire stable du XIXe siècle. La Banque de France prend la suite d'une part de la « Caisse d'amortissement » créée par Gaudin, et dont Mollien sera l'administrateur, d'autre part de deux caisses privées d'escompte : la « Caisse des comptes courants » de Perregaux, Récamier, Desprez, et la « Caisse d'escompte du Commerce »; la « Caisse des comptescourants », le 13 février 1800, se transforma en « Banque de France » à 30 000 000 de capital en actions de 1 000 francs, sous la surveillance de 15 régents et de 3 censeurs élus par les plus forts actionnaires; mais c'était un organisme encore essentiellement privé, et sans monopole d'émission. La Banque fut très prudente au début, ne lan ça guère les affaires et ne soulagea pas beaucoup l'État, qui continua à dépendre des financiers. En 1803, son capital fut porté à 45 000 000,
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elle eut le monopole des émissions à Paris et s'incorpora la « Caisse d'escompte du Commerce l). En 1806, après la grave crise des affaires de 1805, la Banque sera mise davantage sous la tutelle de l'État, avec un gouverneur, mais elle aura enfin le monopole des émissions. Tout cela reste très loin du rôle joué alors en Angleterre par la Banque d'Angleterre. Par souci d'unification et d'adaptation au système métrique, les autorités révolutionnaires, en 1793, avaient prévu une pièce d'or de 10 grammes dite « franc d'or l), et une d'argent du même poids: une loi du 10 avril 1795, maintenant les caractéristiques des anciennes monnaies, ordonna en revanche de ne plus appeler l'unité « livre l), mais «franc l): il fallut attendre 1799 pour que les termes de francs, décimes et centimes se substituent obligatoirement dans les comptes aux livres, sous et deniers. Ce qui n'empêcha pas les vieilles habitudes de régner longtemps, de même que les pièces de métal du temps de Louis XV (louis, écus, sous) circulèrent encore une trentaine d'années, malgré leur démonétisation théorique. Le 7 avril 1803 enfin - 17 germinal, An XI une loi fixa l'unité monétaire française. Ce fut un francargent pesant 5 grammes, au titre de 900 millièmes, contenant par conséquent 4, 5 grammes d'argent (la livre en contenait théoriquement 4, 505, mais pratiquement 4, 5). Des pièces de 2 F, 5 F et de 0, 5 à 0, 25 devaient être frappées. Les pièces en or seraient de 20 F et de 40 F, également au titre de 900 millièmes. En frappant 155 pièces de 20 F, dans un kilogramme d'alliage aux 900 millièmes, on donnait à la pièce de 20 F un poids de 5, 806 grammes, soit 322,5 milligrammes et un contenu d'or fin de 290,33 milligrammes pour chaque franc. Le franc a donc deux équivalences légales: 4, 5 grammes pour l'argent, 0, 29033 grammes pour l'or, ce qui confère à l'or une valeur 15, 5 fois plus forte qu'à l'argent (équivalence du temps de Louis XV déjà). C'est un système bimétalliste, ce rapport étant supposé constant, et la frappe des deux métaux étant également libre, et de pouvoir libératoire indéfini. Ce système sera très largement adopté en Europe à l'exemple de la France.
XXXIII LE PROBLÈME MONÉTAIRE EN ANGLETERRE DE 1797 A 1819
Pendant la période des guerres contre la Révolution française et Napoléon, l'Angleterre a donné l'exemple d'une inflation monétaire manifestée par des crises du change extérieur et de fortes poussées des prix. Mais ce ne sont pas des faits comparables à l'inflation américaine au moment de la Guerre d'Indépendance ou à l'épisode des assignats. Ce qui est intéressant dans l'expérience anglaise, c'est sans doute au contraire: 1) les conditions particulières que l'existence et la politique de la Banque d'Angleterre assurent au système monétaire anglais; 2) la façon dont les difficultés monétaires sont finalement surmontées sans drame; 3) la discussion autour des problèmes monétaires qui, autour de 1810-1812, rappelle celle de 1696-97, et demeure aussi célèbre, plus actuelle naturellement, puisque cette fois il ne s'agit plus de mutations du type ancien, mais du rôle du papier de banque et de sa nature. L'intervention de l'économiste David Ricardo dans la controverse, la discussion de ses thèmes par l'historien des prix Tooke et par Fullarton, le brillant résumé de Marx dans la Contribution à la critique de l'économie politique et dans Le Capital font de cette controverse monétaire le fondement des théories monétaires du XIXe siècle. Entre les deux guerres, les inflations monétaires continentales, puis la crise de la livre sterling en 1931-32,
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ont de nouveau attiré l'attention sur ce passé de la monnaie anglaise. Les économistes Silberling, Hawtrey, Viner, ont reconstitué l'épisode. En France, Charles Rist 1 a résumé et repris la controverse autour de la nature de la monnaie de banque. Enfin, pour une période très courte, mais décisive, la thèse de François Crouzet 2 a clairement dégagé les faits et leur contexte économique général. Nous distinguerons, pour notre part, deux aspects: les faits d'abord, les interprétations ensuite. Dans les faits, nous examinerons trois épisodes : la crise autour de 1797, la crise autour de 1808-1810, enfin la liquidation de l'inflation du temps de guerre.
1. -
DU COURS FORCÉ A L'ÉTALON-OR
La crise monétaire de I797 et le Bank restriction Act.
Il faut noter que la situation monétaire anglaise et la situation monétaire française sont pour ainsi dire chronologiquement opposées. L'épisode français des assignats correspond à un temps de développement du commerce anglais, avec hausses de prix, mais solidité monétaire sans faille. C'est quand l'épisode des assignats se liquide en France que la monnaie anglaise connaît ses premières difficultés. En Angleterre comme en Espagne, le commerce international a fortement profité de l'effacement français au cours des années 1790-1793. C'est aussi la période où l'or et l'argent français, par peur des événements, manœuvres des émigrés, et relative liberté économique laissée aux marchands, refluent vers l'étranger, particulièrement vers l'Angleterre. Mais en 1794-96, une série de mauvaises récoltes (générale en Europe) oblige l'Angleterre à importer du grain (pour 2,3 millions de livres sterling en 1796); et la fin des assignats en France marque le commencement d'un reflux du métal vers Paris. I. « Histoire des doctrines relatives au crédit et à la monnaie de John Law ct nos jours », 1938. 2. Il L'économie britannique et le blocus continental., tome II, chap. XIII.
OR ET MONNAIE DANS L'HISTOIRE
Aussi commence-t-on, dès 1795 et en 1796, à noter une crise du change anglais, en particulier à Hambourg, qui règle le commerce du Nord. Pour limiter les sorties d'or, la Banque d'Angleterre restreint le crédit. Mais il est peu probable que les banques privées en firent autant. On constate donc à la fois: a) une hausse rapide des prix : 1790 1792 1793 1794 1795 1796 1797 (premier trimestre)
100 102 109 107 126 136 143
b) une baisse de l'encaisse-or de la Banque d'Angleterre : de 7 millions de livres sterling à 1,2. Une panique commence; les porteurs de billets de la Banque d'Angleterre se précipitent aux guichets. Alors, le 3 mai 1797, le gouvernement prend le Bank restriction Act, qui autorise la Banque d'Angleterre à ne pas rembourser jusqu'au 24 juin. Cet acte, prévoyant cette « restriction ) pour moins de deux mois, allait rester en vigueur jusqu'en 1821! Attention, il s'agit d'un cours forcé (puisque les billets ne sont plus remboursables) mais non, d'abord, d'une « monnaie ) légale. - Personne n'est obligé, en principe, d'accepter les billets en paiement. En 18n, au cours des discussions parlementaires sur la monnaie, lord King annoncera qu'il refusera de ses tenanciers tout autre paiement que de l'or. A ce moment-là seulement (en 1812) on promulguera l'obligation d'accepter les billets en paiement. Mais ce qui est curieux, justement, c'est qu'avant cette obligation, ils aient normalement été acceptés. Avant la crise de 1810, il Y avait eu comme une sorte de consensus tacite des marchands pour accepter - et accepter sans prime - les billets de la Banque d'Angleterre. Comment l'expliquer? En fait, comme nous l'avions déjà vu pour le XVIIIe siècle, la Banque est la chose des marchands, qui lui font confiance.
PIERRE VILAR
Surtout, on est en pleine période de triomphe atlantique et commercial de l'Angleterre. Et l'or circule comme monnaie, couramment, jusque dans le paiement des salaires. Les billets de la Banque au contraire, jusqu'en 1797, ne sont pas émis au-dessous de 10 livres sterling. Ils sont donc réservés aux gros paiements. Enfin la Banque, bien qu'elle fasse des avances à l'État, n'est pas confondue avec lui. Elle peut avoir sa politique. Et, même aux moments de crise, nous verrons que ses avances à l'économie privée sont supérieures à ses avances à l'État. Pour toutes ces raisons, le papier de banque reste en Angleterre très loin d'une simple monnaie-signe. Il est en fait plus proche d'une monnaie de crédit. Les contemporains ont généralement mal vu la distinction. Le problème est de savoir si la distinction est en fait très importante. Mais l'important est de constater que le cours forcé - la non-convertibilité du billet - établi en 1797 ne troubla pas l'économie, et ne dégénéra pas en inflation. Dès 1798, le change à Hambourg remontait. La dépréciation monétaire ne commença pas avant 1800 et ne devint inquiétante qu'en 1808-1810.
La période
1808-1810.
Quand il s'agit de mesurer la dépréciation d'une monnaie, on se sert de trois indices : celui du prix de l'or en monnaie circulante, celui du change « extérieur » de cette monnaie, celui des prix intérieurs. C'est cette complexité qui est gênante, car les théoriciens de la monnaie insistent, suivant leurs tendances, sur tel ou tel de ces indices (ce qui implique généralement déjà une interprétation). Nous essaierons de distinguer d'une part l'étude des signes de la dépréciation, d'autre part celle de ses facteurs probables. Les signes de la dépréciation sont : a) Le prix de l'or et de l'argent en monnaie courante. Il est difficile de les évaluer de façon continue, pour peu que la prime soit illégale, et que les changements en soient rapides suivant les lieux et les temps; en Angleterre, le marché de l'or manque souvent dans les statistiques et le calcul du prix de l'argent se fait sur les cotations de Hambourg.
OR ET MONNAIE DANS L'HISTOIRE
b) Le change. Mais, à la période envisagée, les places les plus caractéristiques du change de la livre-sterling sont souvent troublées : Amsterdam occupée par les Français, Paris ennemi (bien que régulièrement coté), Lisbonne en pleine inflation. La place généralement observée est Hambourg. Mais en 1810, les assurances pour transport de monnaie Londres-Hambourg sont passées de 0,55 % à 4 %; si on ajoute 1 à 1,5 % de frais de transport, la marge de frais dépasse 5 %. Ce n'est que si les variations de change dépassent cette marge qu'elles sont significatives; car, en deçà, elles signifient seulement une variation inférieure au gold point (point où il vaut mieux transporter le métal que supporter la perte au change). c) Les prix généraux des marchandises sont souvent le meilleur signe de la dépréciation monétaire. Pour l'Angleterre des années 1790-1820, nous avons aujourd'hui les bons indices de Gayer-Rostow. Nous pouvons utiliser aussi ceux que Silberling avait établis, justement à propos de l'épisode étudié. Nous constatons, d'après ces indices, que pour 1790 = 100, et pour 1798 = 149, une première hausse des prix se situe en 1801 = 166; mais une baisse se produit ensuite: 1802 = 143, et on ne retrouve le niveau de 1801 qu'en 1808 = 166. Il Ya donc eu, dans la première décennie du XIXe siècle, une stabilité avec oscillations légères. C'est en 1808-1810 que les signes de dépréciation se marquent assez fortement. Le change tombe de 12 % à Hambourg pendant le second semestre de 1808, et atteint 19,5 % au-dessous du pair au cours du premier semestre 1809 (23,3 % de perte à Paris). Le prix de l'or est de II,8 %au-dessus du pair en 1808, de 14,5 % en 1809; le « dollar » espagnol (piastre mexicaine) aura jusqu'à 16,2 % de prime. En gros, on peut estimer que la perte de la monnaie anglaise, en deux ans et demi, est de 10 % devant les métaux précieux, et de 15 % au change étranger. Les prix courants subissent une modification sensible dans le sens de la hausse : 1807 1808 1809 1810
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Cela recouvre des oscillations courtes plus violentes; entre octobre 1807 et mars 1809, la hausse des prix a été de 25 %, ce qui est serujible. Cela a beau n'être pas dramatique, le public s'inquiète. Comme en 1696, c'est la hausse des prix qui oblige à poser publiquement la question de la monnaie. Les facteurs de cette dépréciation peuvent être de plusieurs ordres : a) Le niveau de l'encaisse-or de la Banque d'Angleterre. Il est tombé de 7,855 millions de livres sterling en 1808 (mars) à moins de 5 millions en 1810. b) Le niveau de la circulation des billets. En voici les indices. Pour 1793 = 100, on a : 1807 1808 1809 1810
137 145 de 148 à 166 de 170 à 202
c) Les avances de la Banque se sont faites surtout à
l'~tat dans les neuf premiers mois de 1808, mais, de la
fin de 1808 à celle de 1810, ces avances se font surtout aux particuliers : le portefeuille commercial de la Banque passe de 12,7 à 19,5 millions de livres sterling. En fait, ce qu'il y a eu, c'est plus une inflation de crédit qu'une inflation monétaire; c'est la caractéristique d'un moment de boom, c'est-à-dire d'initiatives précipitées et multiples dans l'entreprise privée. d) La balance des paiements. On sait qu'il faut tenir compte à la fois de la balance du commerce et des éléments « invisibles» (sorties ou entrées de fonds pour des raisons non-commerciales). La balance commerciale anglaise, vers 1808-1810, voit à la fois un boom des exportations (mais beaucoup seront immobilisées sans être réglées, à cause du blocus), et un boom plus fort des importations, les prix intérieurs anglais, en s'élevant, encourageant les achats au dehors. Ainsi le déficit commercial s'accroit, passant de 8,6 millions de livres sterling en 1808 à 28,9 en 1810. Les paiements au-dehors se sont accrus aussi : il a fallu payer beaucoup de fret aux vaisseaux neutres; et l'Espagne envahie étant entrée en guerre contre Napoléon, il a fallu l'aider financièrement; les paiements anglais en Europe pour la guerre ont presque doublé (de 6,6 à
OR ET MONNAŒ DANS L'HISTOIRE 12~ millions de livres sterling); le pire est que l'Espagne, étant devenue alliée de l'Angleterre, lui fenne le Mexique, alors que l'état de guerre l'avait pratiquement ouvert aux Anglais. e) L'hémorragie clandestine d'or est conséquence de tout cela (et devient cause à son tour); pas un capitaine de navire londonien qui n'emporte avec lui des guinées d'or, sur lesquelles il fera en Europe des bénéfices importants; on paie ces guinées avec prime de 22 ou 23 %. Voici un texte de 18u, publié par Fr. Crouzet, sur ce qui se passait sur un marché de viandes londonien : « Les demandes qui sont faites quotidiennement et même d'heure en heure par des personnes respectables pour savoir combien je donnerais pour des guinées, et d'autre part le prix très élevé qui est offert pour les dollars, prouvent qu'il existe non seulement une tendance mais aussi une volonté de fondre la monnaie. Tout provincial venant à Londres apporte des guinées pour les vendre; des agents sont employés dans tout le royaume à la collecte, et elles sont maintenant vendues avec une prime d'une demi-couronne ... La monnaie d'or a déjà disparu de la circulation et l'argent va suivre. Encore quelques semaines et il ne restera plus un seul des dollars émis par la Banque... »
(Il faut entendre par « dollars » les piastres - « pièces de huit » - mexicaines appelées dollars en Amérique du Nord, et qu'on refrappe en Angleterre pour la circulation intérieure. ) Ainsi se présentait la crise monétaire anglaise en 1810-1811. Mais déjà le « krach » - chute brusque des prix, faillites dans les entreprises - avait succédé au « boom » du crédit.
De la crise de,18II-18I2 à la stabilisation de 1821. En fait, la crise de 18u fut universelle et beaucoup plus violente sur le continent qu'en Angleterre, et sans doute le système monétaire anglais fut-il pour quelque chose dans la relative bénignité de la brusque déflation générale. Les prix tombèrent en 1812 à l'indice 168. Les alternatives de hausses et de baisses allaient encore se poursuivre : en 1813 et 1814, l'inflation de guerre,
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les prêts au gouvernement entraînèrent les prix jusqu'aux indices 185 et 198, la prime de l'argent et de l'or sur la monnaie circulante à 26 et 36 %. La paix de 1814 fit croire à tous que la livre allait remonter au pair et qu'on reviendrait à la convertibilité du billet. Cette attente ralentit la circulation monétaire et entraîna une crise des affaires, processus normal. Mais les événements politiques reprirent le dessus sur les régulations éconoiniques; avec le retour de l'ne d'Elbe, la défiance envers la monnaie reprit brusquement; après Waterloo, l'atmosphère de déflation reprit : entre le début de 1814 et le 3e trimestre 1816, la chute des prix est de 38 %. Il Y aura cependant encore un sursaut : les années 1816-1818 sont marquées par un retour à l'inflation et à la hausse, suivies d'une chute et d'une crise généralisées. En 1820 seulement, l'once d'or retombera à 'son prix normal de 3 livres sterling, 17 shillings, 10 pence et demi sur le marché, avant qu'on ne l'y ait officiéllement fixé de nouveau (mai 1821). On voit que l'épisode a duré longtemps. L'installation de l'étalon-or et du monométallisme en Angleterre est un problème ut1 peu différent. Nous avons vu que, de 1774 à 1783 au moins, en restreignant à 25 livres le pouvoir libératoire de l'argent courant, on en avait fait une simple monnaie divisionnaire, l'or restant le seul étalon. Cela était plus ou moins tombé en désuétude jusqu'aux crises de change de 1797 qui, faisant craindre une très forte dévalorisation de l'argent courant, firent prendre, en janvier 1798, des dispositions interdisant la frappe de l'argent et limitant comme en 1774 son pouvoir libératoire. Bien que l'installation d'une circulation-papier dominante rendît le problème peu urgent, lord Liverpool, qui avait présidé à la réforme de 1774, écrivit en 1805, à la veille de sa mort, un mémoire recommandant le maintien systématique d'un seul étalon: l'or. Et en 1816, la loi du 22 juin fixa les règles du monnayage, critiquant le bimétallisme, et affirmant que seul l'or est « standard measure of value and legal tender for payments without any limitation of amount ». Au contraire, le pouvoir libératoire de l'argent est limité à deux livres. Cependant, on ne peut parler de monométallisme absolu, parce que la Banque d'Angleterre a une partie de son stock en argent (un cinquième au milieu du XIXe siècle) et parce qu'on peut, théoriquement,
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porter de l'argent à la frappe; en pratique, la disposition royale qui devait fixer la date initiale de cette possibilité ne fut jamais publiée. Pratiquement, l'étalon-or était établi.
II. LES mÉES : LA CONTROVERSE MONÉTAIRE AUTOUR DE RICARDO ET DU « BULLION REPORT &
L'économiste et historien de la monnaie Hawtrey a observé justement que, dans cette controverse et dans les commentaires qu'elle a suscités plus tard, on n'avait pas assez tenu compte de la variété des facteurs qui entrent en jeu pour expliquer les relations entre monnaie, prix et mouvement des affaires. J'ajouterais volontiers, et de leur interaction. Nous indiquerons donc, avant d'exposer les principales idées émises au cours de la controverse, en quoi le cours forcé anglais des billets de banque avait des caractères particuliers.
Les caractères particuliers du cours forcé anglais. Malgré Law et les assignats, exemples voisins et intimidants, les événements monétaires anglais de 1797 n'ont pas tourné à la panique; le Bank restriction Act a pu s'appliquer et être maintenu de longues années sans excès d'émissions et d'inquiétudes du public, malgré les discussions. Cela faisait l'admiration du comte Mollien, conseiller financier de Napoléon. C'est peut-être qu'en fait le papier anglais n'est pas émis par l'État; il garde son caractère de « papier de ban~ue ). N émettant pas par l'État, la Banque, parfois, émet pour l'État;. mais ce n'est pas continu, et elle ne cesse d'émettre pour les particuliers; et finalement cette création de crédit au r,rofit de l'économie privée l'emporte largement sur 1 émission proprement monétaire; par exemple, en 1797, les demandes d'émission de l'État l'emportent, puis en 1808, puis en 1812-1814; mais pendant de longs moments, comme en 1800-1808, et autour de 1810, c'est le crédit aux particuliers (autre facteur d'inflation, mais qui excite l'économie privée dans ses initiatives, et pas seulement la conSommation).
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De ce double aspect du rôle de la Banque est résultée la confusion, constatable chez les contemporains comme dans les commentaires ultérieurs, entre «monnaie de crédit» et simple papier-monnaie. Il est certain que cela suscita les réflexions des Anglais; le problème était: est-ce l'or qui «hausse» de valeur? ou le papier qui perd de la sienne? Les complications venaient de ce qu'on avait connu, au XVIIe et au xvme siècles, une inflation sous la forme de dégradation de la monnaie-argent, et qu'au surplus c'était l'argent qui était coté à Hambourg, sur le marché des changes.
Thornton. Comme la plupart des personnages qui interviennent dans les controverses économiques anglaises, Thornton est à la fois un homme d'affaires, un parlementaire, et un économiste (praticien plus que théoricien il est vrai). Thornton publie en 1802 un ouvrage intitulé: Recherches sur la nature et les effets du papier de crédit en
Grande-Bretagne. Le but de cet ouvrage est : 1) de justifier le cours forcé des billets tel qu'il a été pratiqué depuis 1797; 2) de mettre en garde contre un éventuel abus des émissions, contre un gonflement quantitatif excessif de ce papier. En fait, c'est Thornton qui, moins célèbre que Ricardo, édifie pour l'avenir, plus que celui-ci, la doctrine anglaise classique de la monnaie. Malgré le titre de l'ouvrage - qui parle de « papier de crédit » (ce qui correspond bien à la nature du billet de banque anglais à ses origines) - Thornton ne fait pas de distinction Inajeure entre le billet de crédit et le billetmonnaie rro~rement dit. Mais i n assimile pas, pour autant, le phénomène monétaire anglais aux expériences du continent (aux assignats, par exemple). C'est qu'il ajoute une importance décisive à l'institution qu'est la Banque d'Angleterre. Pour lui, cette institution incarne la sagesse anglaise. Le gouvernement anglais résistera spontanément à toute tentation d'émissions exagérées. Et d'ailleurs, la Banque est indépendante, elle :peut résister au gouvernement. Donc il ne saurait y avoll' d'« agio ) (prime du métal sur le papier) en proportion excessive.
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Pour justifier cela, Thomton compte sur l'esprit de stabilité des Anglais (ce qui est, bien entendu, une pétition de principe), et aussi (ce qui est beaucoup plus jmportant et justifié) sur la supériorité de la richesse anglaise, dans le domaine de la production et du commerce. Ce dernier argument est sans doute le bon. L'Angleterre, dès l'époque napoléonienne, a pris une avance économique sur les autres pays, qui lui permet d'espérer, dès la disparition des conditions de guerre, une rapide résorption de la monnaie de papier émise. Ricardo.
David Ricardo (1772-1823) est surtout célèbre par son grand ouvrage Principes de l'économie politique et de l'impôt qui ne parut qu'en 1817, et qui marque une des étapes fondamentales de l'édification de la science économique. Mais ses premiers ouvrages, beaucoup moins élaborés, avaient été des polémiques de circonstance sur la question monétaire. Ricardo, par ses origines, était lié aux milieux les plus compétents en matière de change et de monnaie (son père était un Juif d'origÏJ;1e portugaise émigré d'Amsterdam à Londres, et il avait envoyé son fils faire son apprentissage des affaires à Amsterdam). Très jeune, David Ricardo avait gagné personnellement une grosse fortune dans les affaires, qu'il abandonna seulement en 1814. Il acquit des propriétés foncières et entra au Parlement. En 1809, le « Moming Chronicle .) publia trois articles de Ricardo sur le rapport entre la valeur de la monnaie circulante (billets de la Banque d'Angleterre) et la valeur des lingots d'or; la prise de position de Ricardo domina les débats dits du Bullion Report (Commission parlementaire sur les lingots); en 1811, ayant été contredit par un des plus connus des économistes-hommes d'affaires, Ricardo répliqua par une Réponse aux observations pratiques de M. Bosanquet sur le Rapport du Bullion Committee. Dans cette célèbre controverse, Ricardo pose les principes d'une théorie monétaire qui sera discutée pendant tout le XIXe siècle sous le nom de Currency Principle. L'idée centrale est l'unité de la monnaie. Tout moyen de paiement est monnaie. La monnaie rognée, les billets circulant, donnent lieu à des phénomènes analogues. La
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relation entre les prix des marchandises et la monnaie est essentiellement quantitative. Le niveau des prix dépend de la quantité de monnaie en circulation. Internationalement, les changes expriment la diversité des pouvoirs d'achat de chaque monnaie nationale. L'équilibre s'établit spontanément I?ar le transfert du métal monétaire (pièces ou lingots). Avec une circulationmétal, il n'y a donc pas à craindre une multiplication de signes monétaires entraînant des hausses de prix désordonnées. Mais avec une circulation-papier, il y a toujours risque de multiplication excessive (dans la mesure où l'Ëtat peut trouver commode d'émettre du papier pour répondre à ses besoins). L'excès de papier de la Banque d'Angleterre explique déjà la hausse des prix et la prime de l'or sur la monnaie circulante. Il conviendrait donc de ramener la circulation-papier au niveau de sa couverture-or existant en Banque, pour ramener la parité entre la monnaie-métal internationalement valable et la monnaie intérieure. Tel est le Currency Principle. Plus tard, dans les Principles, Ricardo adoptera des formes plus nuanéées de la théorie quantitative de la monnaie. Il admettra cependant toujours que le papiermonnaie, représentant une ·certaine quantité d'or, si cette quantité ne bouge pas, et que la quantité de papier augmente, chaque fraction de papier représentera moins d'or, donc moins de valeur. Cela ne signifie pas non plus que Ricardo condamne la monnaie de papier et considère l'or comme une monnaie idéale (puisque sa valeur peut changer, ce changement constitue un risque) : Ricardo souhaiterait en fait une monnaie exactement calculée suivant les besoins de la circulation. Du point de vue des faits, il a à la fois raison - en ce sens que la monnaie anglaise était bien en train de se déprécier, depuis qu'elle était inconvertible - et tort en ce sens que la Banque n'avait prêté à l'État, nous l'avons vu, qu'en certaines circonstances, modérément, et qu'elle avait surtout fait des avances aux particuliers: c'est l'expansion du crédit qui avait détermmé le caractère inflationniste de la période, plus que l'émission de monnaie à la demande de l'État. Il n'empêche que le Currency Principle (retour à la convertibilité du billet, et à la proportionnalité entre circulation-papier et encaisse-or) restera le fondement d~
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la politique monétaire anglaise (Statut de la Banque d'Angleterre fixé par Peel en 1844, et resté valable jusqu'en 1928).
Les anti-bullionistes et Tooke. La position de Ricardo pouvait être également définie comme un « bullionisme ) (référence obligatoire au lingot d'or); cette position fut attaquée, en particulier par l'économiste Tooke, auteur d'une des grandes « histoires des prix ) qui ait été tentées en Angleterre. Sur cette observation empirique et détaillée du niveau des prix, Tooke fondait sa discussion des idées de Ricardo. Pour lui, la monnaie n'étant pas une « richesse ), mais l'or en étant une (valeur de refuge), les sautes de prix dépendaient essentiellement de la confiance du public dans la monnaie. Mais la quantité de monnaie elle-même était déterminée par la demande du public, et en dernière analyse par la balance des paiements extérieurs du pays : « la quantité des billets est un: effet et non une cause de la demande des billets ), écrit Tooke. La Banque n'émettrait donc que ce qui lui serait demandé. C'est là le « Banking Principle ), opposé au «Currency Principle) de Ricardo.
Le sens de la querelle. En fait, il ne s'agit pas de « choisir ) entre la primauté des facteurs : monétaire ou non-monétaire, politique ou économique, objectif ou psychologique, dans l'explication de l'inflation. Pour l'Angleterre des années 1808-1809, qui déclenchèrent la controverse, il est certain que l'origine de la crise est dans le déséquilibre de la balance des paiements : subsides distribués à l'extérieur (facteurs politiques, mais secondaires), et surtout achats à l'extérieur, favorisés par la hausse des prix intérieurs. Ricardo dit : là est justement la cause, il y a intérêt pour les négociants à importer, d'où la montée des importations; Tooke dit : le besoin d'importer a été dû surtout à de mauvaises récoltes; les deux explications ne se contredisent évidemment pas.
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Mais que s'est-il passé en 1808, dans une atmosphère favorable aux spéculations? Le passage de l'Espagne, maîtresse des mines mexicaines, au camp anglais a soulevé les espoirs les plus fous de gain chez les négociants; tous ont voulu acheter, tous ont demandé des avances à la Banque; entre octobre 1808 et octobre 1809, il Y a eu création de 755 banques en Angleterre et Pays de Galles, et de 123 banques en Écosse; c'est le temps de la « bankmania ). Cela veut dire : climat d'inflation. Ricardo en rend responsable le gouvernement, et la Banque qui aurait accepté de lui faire trop d'avances. En fait, c'est la position d'un opposant au gouvernement et à la politique de guerre à outrance. Elle rejoint celle d'un autre 'Whig, lord King, qui, en 18II, annonça au Parlement qu'il exigerait de ses fermiers d'être payé en or. Le Gouvernement, au contraire, croyait que l'effort de guerre et la menace du blocus obligeaient à vivre sur le principe de la monnaie-papier inconvertible, et cherchait à... (1 persuader le commercial interest que sa prospérité était essentiellement liée au système d'émissions bancaires ). En fait, le gouvernement fut justifié par sa victoire, et par le rétablissement progressif de la situation monétaire, qui ne fut jamais catastrophique. Mais ce rétablissement fut lent, puisque la parité entre le billet et l'or, réclamée par Ricardo dès 1809, ne se rétablit d'elle-même et ne fut officiellement proclamée qu'en 1821. A ce moment-là, et les circonstances exceptionnelles ayant disparu, le ralliement à la thèse du Bullion Report et de Ricardo devint général.
XXXIV MÉTAUX PIŒCIEUX ET CONJONCTURE AU XIxe SIÈCLE : 1810-21 - 1914-21
Appelons XlXe siècle les années qui vont de 1810-1821, tournant après les guerres napoléoniennes, aux années 1914-1921, tournant après la Première Guerre mondiale. Considérons que, du point de vue de la monnaie et des prix, le XVIIIe siècle, caractérisé par une hausse des prix de longue durée et par un développement de la production américaine des métaux précieux, se termine : 1) par les épisodes français et anglais de l'inflationpapier et de l'inflation-crédit; 2) par des crises brutales, du type «commercial» comme en 18II, du type alimentaire comme en 1812 et 1817; 3) par l'effondrement de la production américaine des métaux précieux au cours des événements de l'Indépendance latino-américaine. Au-delà de 1817, dans la stabilité monétaire rétablie, c'est une tendance d'ensemble à la chute des prix qui s'installe, tendance qui ne se redressera qu'autour de 1850. Les problèmes de « conjoncture » du XIXe siècle tournent autour de ces renversements, de leurs causes, de leurs effets. Pour nous, autour de leurs relations avec le problème des métaux précieux, en particulier de l'or. Nous constaterons d'abord les faits, les corrélations les plus apparentes. Nous examinerons ensuite les délicats problèmes d'interprétation. 1. -
LES RYTHMES DES PRIX
Il est bien connu que les « prix généraux ) sont entraînés dans deux mouvements superposés :
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1) Les « cycles intra-décennaux ), ou cycles « courts », dits « de Juglar ), du nom du premier économiste qui les a étudiés systématiquement, et qui recouvrent une dizaine d'années. Ils comportent une phase de montée des prix et de développement des affaires qui se termine par une « crise ), avec effondrements boursiers, faillites, chute des prix, ~ dépression ), puis reprise et nouvelle montée. Ce « cycle ), très étudié, est caractéristique du fonctionnement du capitalisme au XIXe siècle. Il ne comporte pas d'explication fondamentalement monétaire. C'est le cycle « des affaires ). Dans les pays les moins développés, il se combine encore souvent, au XIXe siècle, avec le cycle météorologique des probabilités de bonnes et mauvaises récoltes. 2) Il existe des mouvements plus longs qui, par dessus les cycles courts, entraînent les prix, pendant 25 ou 30 ans, dans une direction donnée - hausse ou baisse puis, dans les 25 ou 30 années suivantes, dans la direction inverse. Précisons-en les dates pour le XIXe siècle, en nous entendant bien sur le sens de pareilles « précisions ). Il ne s'agit pas d'un mouvement d'horloge partout semblable. Suivant les pays et les produits observés, les minima et maxima du mouvement ne coïncident pas à une année près. Nous indiquerons donc des groupes d'années, comprenant toutes les dates proposées par divers auteurs pour les renversements de tendance. Nous obtiendrons ainsi des dates limites (en fait bien groupées) pour ces renversements. Premiers maxima des prix : Ils sont atteints entre 1810 et 1821, surtout entre 1815 et 1817, années qui groupent: 1) la fin de la guerre, 2) la disette de 1817, suivie d'un effondrement des prix agricoles. Premiers minima des prix : Ils sont atteints entre 1842 et 1850, suivant qu'on prend le minimum avant ou après la brusque pointe des prix agricoles de la disette de 1847. Deuxièmes maxima des prix : Ils sont atteints entre 1870 et 1875, la date la plus caractéristique étant 1873, à la veille du krach généralisé de la crise courte qui marque cette année-là. Deuxièmes minima des prix : Ils sont atteints entre 1890 et 1897, les dates les plus fréquemment observées étant 1895-96. Troisièmes maxima des prix : Ils sont atteints entre 1913 et 1920, du fait de la guerre mondiale, et, cette fois, des
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nombreuses inflations monétaires dues à cette guerre; il y a tendance à la chute et à la crise dès 1920; mais certains considèrent que la reprise de 1925 oblige à placer la fin de cette période de hausse en 1929. Ainsi se sont dessinés deux grands « cycles ) (baisse, puis hausse) : 1817-1850-1873 1873-1895-1920 On les appelle « cycles de Kondratieff ) du nom du savant russe qui les a étudiés le premier. On peut aussi employer le vocabulaire de François Simiand: 1817-1850 : « phase B ), de baisse des prix et de rétraction économique; 1850-1873 : « phase A ), de hausse des prix et de facilité économique; 1873-1896 : « phase B ), même définition que précédemment; 1896-1920: « phase A ), même définition que précédemment. (Mais Simiand prolonge cette phase « A) jusqu'en 1929). Ces « cycles longs ), ces renversements de tendance sont assez bien établis pour que nous les considérions comme des données, comme des faits (du moins dans le domaine des prix, car, pour les taux d'accroissement de la production, par exemple, les faits sont plus controversés; il n'y a jamais recul, mais il peut y avoir moindre hausse, rupture de pente dans l'accroissement). Inutile d'ajouter aussi que lorsqu'on dit « mouvement des prix ), on entend mouvement moyen des prix (et l'établissement statistique de ce mouvement moyen sera toujours discutable); tous les prix de toutes les denrées ou produits ne suivent pas exactement le même mouvement.
II. -
LES ÉVÉNEMENTS CONCERNANT LA DES MÉTAUX MONÉTAIRES
PRODUCTION
Il n'est pas moins bien établi que le XIXe siècle a vu se succéder, dans le domaine de la production des métaux précieux, des événements dont la corrélation avec les mouvements de prix n'est pas mathématiquement démontrable, mais dont la concomitance avec ces
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mouvements fournit au moins les bases d'une hypothèse de travail: De 1810-21 à 1848, c'est la période où les mines d'argent du Mexique, du Pérou, les mines d'or du Brésil, sont de moins en moins exploitées à la suite des événements de l'Indépendance américaine. Que les métaux précieux soient alors plus chers par rapport à une production européenne de marchandises diverses sans cesse accrue, c'est assez naturel; mais il reste à préciser la liaison. Entre 1848 et 1851 en revanche a lieu la découverte des « placers » puis des mines de Californie, et bientôt après, celle de l'or d'Australie. On peut au moins faire l'hypothèse d'un rapport entre ces découvertes et la baisse de la valeur relative de l'or, c'est-à-dire une tendance à la hausse du niveau général des prix. Les contemporains n'en ont guère douté. Il est plus difficile de dire pourquoi la tendance se renverse un peu après 1870; l'or semble devenir plus cher; la première phase d'exploitation intensive des mines s'achève peut-être. En tout cas, la remontée des prix mondiaux, après 1890-96 correspond bien aux découvertes de gisements d'or dans le Grand Nord d'une part, en Afrique du Sud d'autre part; cette phase de montée - 1896-1920 s'achevant sur des phénomènes d'inflation comparables (en plus ample) à ceux des guerres napoléoniennes, on peut comparer la chute de 1920 à celle de 1817. III. -
LA STABILITÉ MONÉTAIRE GÉNÉRALE ET L'ÉTALON-OR
Mise à part cette dernière période - la guerre de et réserve faite des phénomènes locaux ou momentanés, comme la Guerre de Sécession aux ÉtatsUnis ou la défaite de 1898 en Espagne, qui entraînent des distorsions monétaires, on peut dire que la période 1820-1920 est un temps de stabilité généralisée dans le rapport des monnaies nationales aux monnaies métalliques. Il y a certes, une circulation de billets de banque. Mais ils sont convertibles en or à tout moment. Il y a développement du crédit; mais le crédit n'est pas la monnaie, et il y a toujours eu des phénomènes du même 1914 -
OR ET MONNAIE DANS L'HISTOIRE
4°1
genre (Cf. le XVIe siècle). Enfin, si l'argent garde son importance devant l'or pendant la première moitié du siècle, et pose des problèmes monétaires techniques dans la seconde moitié, il finit par perdre son rôle monétaire. L'or devient la monnaie de référence par excellence, et d'ailleurs, quand on parle de « prix », il faut désormais entendre exclusivement « prix-or ». Dès lors, il n'est pas absurde, quelle que soit la théorie monétaire invoquée, de rattacher le problème du mouvement des prix au problème de la production de l'or. Cela dit, il faut : 1) observer de plus près les faits; 2) confronter les interprétations. Il est bon de noter d'abord que si les économistes et sociologues du ne siècle ont accordé beaucoup d'attention aux « fluctuations » des prix, à la « conjoncture », aux rapports de ces fluctuations avec l'ensemble des phénomènes économiques et sociaux, les hommes du XIXe siècle n'avaient pas été moins frappés par l'incidence économique des découvertes de mines d'or. Il faut relire par exemple, le célèbre ouvrage français d'Émile Levasseur : La question de l'or (Paris, 1858). L'auteur y étudie successivement ce qu'il appelle les quatorze « révolutions » (retournements de tendance) observées au cours de l'histoire dans le rapport entre valeur de l'or et valeur des marchandises en général. Il admet que la dernière a commencé avec la découverte des mines californiennes; il étudie celles-ci, ainsi que les mines d'Australie, Russie, etc. Il étudie ensuite les conditions de la distribution de l'or dans le monde par le commerce. Et enfin les conséquences de cette distribution sur les prix, les revenus des diverses classes sociales, l'encouragement à la production, le taux d'intérêt, etc. Il prévoit enfin les crises et cherche les remèdes possibles aux effets éventuellement néfastes des trop rapides aftlux de métaux précieux. Sans oublier l'argent, encore important à la date de l'ouvrage. Mais Levasseur, sur lequel on peut encore s'appuyer pour de nombreuses observations, n'est pas le seul contemporain de la découverte des mines californiennes, à en avoir noté les effets. Marx, en 1859, dans la Contribution à la Critique de l'Économie Politique indique au cours de sa préface que ses observations sur le capitalisme s'appuient sur la phase de développement liée à la découverte de l'or.
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402 Il écrit :
« La prodigieuse documentation sur l'histoire de l'économie politique amoncelée au 'British Museum, le poste favorable qu'offre Londres pour l'observation de la société bourgeoise, et, enfin, le nouveau stade où celle-ci paraissait entrer avec la découverte de l'or californien et australien, me décidèrent à recommencer par le commencement et à étudier à fond, dans un esprit critique, les nouveaux matériaux. »
Ainsi les réflexions qui sont à l'origine de la Critique de l'économie politique dont Marx fera ensuite la base du Capital, ont été déclenchées, selon ses propres déclarations, par la mutation économique due à la découverte des mines d'or - et dès les débuts de cet épisode même.
IV. -
LA PRODUCTION DES MÉTAUX PRÉCIEUX DANS LA PÉRIODE 1817-1848
La période de baisse générale des prix - c'est-à-dire de revalorisation de l'or par rapport aux marchandises - qui va de 1817 à 1848 avait correspondu à un effondrement de la production américaine, surtout pour l'argent, mais seulement pour les années 1817-1829. Le Mexique, qui avait produit 107 millions de francs d'argent en 1788, et jusqu'à 130 en 1795, et en exporta 177 vers 1800, ne produit plus que 65 000000 de francs d'argent en moyenne entre 1810 et 1825. C'est un effondrement d'environ 3 à 1. Le Pérou qui, de 1804 à 1808, avait frappé 205000000 en argent et 9000000 en or, n'en frappa, entre 1814 et 1819, que 202000000 pour les deux métaux, et seulement 45 000 000 de 1820 à 1825. Cependant, il faut bien noter que la baisse des prix - comme tendance majeure - continue en Europe après que la production des métaux précieux a commencé à remonter en Amérique. Et ailleurs. Le monnayage mexicain de 1830 à 1840 est de 50000000 par an pour l'argent et de 300 000 F pour l'or, remonte à 65 millions pour l'argent et déjà 3800000 F pour l'or en 1841, à 71 millions pour l'argent et 5 millions pour l'or en 1844, à 132 pour l'argent et à 8 pour l'or en 1848, le progrès étant analogue au Pérou.
OR ET MONNAIE DANS L'HISTOIRE
Et surtout, on constate que dans les autres pays du monde un effort a été fait pour suppléer à la chute de production des métaux américains. L'Europe a porté sa production de 53000 kg à 120000 pour l'argent. La Russie qui, en 1810-1825, donnait en moyenne 1 095 kg d'or et 12612 kg d'argent, en donnait respectivement 10067 kg et 19272 kg en 1825-48. Concluons que la baisse des prix ne correspond nullement à une production mondiale toujours descendante, mais à un effondrement suivi d'une reconquête progressive de mines, mises en exploitation du fait même de la valeur croissante des métaux précieux, mais sans doute encore à productivité médiocre.
V. HASARD ET AVENTURE APPARENTS DANS LES DÉCOUVERTES DE 1848-1850
En Californie 1. L,a découverte de l'or californien a lieu le 24 janvier jours avant la signature du traité qui cède aux États-Unis, par achat fait au Mexique, les provinces de Californie, Nouveau-Mexique, Arizona, Nevada, Utah, pour 15000000 de dollars. L'or va en produire 45 en deux ans. Heureuse affaire! C'est que la Californie, en janvier 1848, avait 15000 habitants, San Francisco 2 000. On cherchait à attirer les colons-fermiers. Sutter, Suisse, ancien officier de la Garde Royale française jusqu'en 1830, venait de créer une grande entreprise rurale près de la rivière Sacramento, sur une concession de 100 km de long, avec une scierie dont les machines venaient de l'Est par chars à bœufs. L'installateur de cette scierie, James W. Marshall, trouva l'or dans les sables de la rivière. Le secret ne fut pas tenu. Ce fut la ruée. 1848, 9
« La propriété fut envahie, et les propriétaires dépossédés. BIentôt, les travaux des champs furent interrompus, les villages abandonnés; la fièvre du gain se répandant de proche en proche, s'empara des habitants de San Francisco et de Monterey, qui partirent presque tous pour les I. Cf, Levasseur (op. cit.) et bon résumé dans Lepidi : L'OT (coll. «Que sais-je? .).
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mines. On ne pouvait garder ni ouvriers ni domestiques, quelque salaire qu'on leur promît. Les maîtres, abandonnés de leurs serviteurs, se décidaient bientôt à faire comme eux, et allaient aussi chercher fortune. Les employés quittaient leur poste; les soldats désertaient : les maisons restaient vides. Au moins d'août, il n'y avait plus dans toute la ville de Monterey que le gouverneur et quelques officiers. A peine un vaisseau abordait-il que matelots et mousses disparaissaient aussitôt et ne revenaient plus: il y avait à la fin de l'automne plus de dix navires retenus au rivage faute de marins. Le gouvernement français crut prudent de faire avertir dans tous les ports de l'Océanie ses baleiniers et de les engager à éviter ces côtes s'ils ne voulaient pas perdre leur équipage. » C'est qu'on citait un endroit (la Fourche américaine) où un arpent avait fourni 500 000 francs-or en deux mois, des gains de 80 000 en deux semaines, de 800 et 1200 en un jour. Il se produisait, bien entendu, le même phénomène que dans le Pérou du XVIe siècle: on payait une bouteille de vin 43 francs, un cuisinier 150 et 250 francs par jour. Le courant d'immigration fut foudroyant : 1 700 mineurs travaillaient en août sur les lieux de la découverte; au printemps 1849, 17000 émigrants avaient quitté New York par mer pour la Californie. Par terre, 80000 essayaient de franchir la Sierra Nevada. 30000 seulement arrivaient au but. En juin 1850, la population de la Californie atteignait 92560 habitants (six fois le chiffre initial), et 269000 en novembre 1852. Là-dessus, en 1850, seulement 7000 femmes, et 58 000 en 1852. En 1856, les 500000 habitants dont beaucoup de Chinois et d'Européens, sont dépassés. Il est vrai que la zone d'exploitation aurifère s'est agrandie, elle s'étend sur une surface de 1 200 km de long sur 115 de large, dans la Sierra et ses avant-monts. Longtemps, l'exploitation est du type « placer », du type « orpaillage ». Au couteau, à la pioche, à la battée (la vieille « batea » des Indiens des Iles - un simple tamis que l'on secoue). Puis, on a utilisé le « berceau », auge d'un mètre ou un mètre et demi, inclinée et divisée par planchettes transversales, avec courant d'eau, parfois emploi du mercure. Puis une auge plus longue, le long tom. Enfin on perfectionne le sluice, toujours sur le même principe, mais le canal est très long, muni de couvertures qui retiennent la poudre d'or, finalement amalgamée au
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mercure et extraite ensuite. Justement une mine de mercure - la nouvelle Almadén - fut découverte en Californie. Tout cela reste assez artisanal, pas tellement différent du XVIe siècle. Mais dès 1849 et jusqu'en 1851, on découvrira des mines véritables : à Grass Valley, Ophir-City, Mariposa, dont les quartz broyés donneront de bons rendements, bien qu'à beaucoup plus de frais. Ainsi les frais de production croissent rapidement, mais le premier or découvert a été quasi gratuit. L'impact sur la relation de valeur entre l'or et les marchandises a été brutal. Ses effets lointains seront ressentis petit à petit. De 1848 à 1856, en 9 ans, la Califorme a produit 752400 kg d'or, représentant une valeur de 2 500 000 000 de francs du XIXe siècle. Là-dessus, 2 000 000 000 avaient été reçus par trois places : la Nouvelle-Orléans, New York et Londres. Un courant de marchandises diverses compensait ce flux: San Francisco et Monterey reçurent de trois à quatre mille navires par an. Ce commerce rap~la à ses débuts celui du Mexique du XVIIIe siècle : sruvant que l'approvisionnement était abondant ou la communication coupée avec la mine, ou qu'au contraire il y avait peu de denrées et beaucoup d'or, les prix de vente s'effondraient ou montaient en flèche. Levasseur observe à ce sujet combien il faut distinguer entre le prix, soumis à la loi de l'offre et de la demande instantanée, et la valeur qui s'établit à long terme. « Les mineurs ont d'abord donné « des poignées d'or » contre des objets de première nécessité... Les marchandises se sont empressées de se rendre sur un marché où elles étaient traitées si avantageusement, et elles ont fait baisser les prix par leur propre concurrence ... (Ils) descendront jusqu'à ce qu'ils se soient rapprochés sensiblement des prix du Vieux Monde qui, dans le même temps, s'élèvent peu à peu par suite de l'écoulement de l'or en Europe et en AmérIque... L'or étant partout en excès élèvera partout le prix de toute chose en perdant luimême chaque jour une p'artie de sa valeur. C'est le phénomène qui se produit déjà de nos jours; mais il faut encore des années avant qu'il s'étende uniformément sur tous les pays commerçants et fournisse partout une même mesure de toutes les valeurs» (Levasseur, 1858). En Australie. Ce fut un émigré ayant travaillé en Californie qui
fit des recherches en 1851, dans des régions que les
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géologues avaient signalées dès 1847 comme probablement aurifères. Les travaux commencèrent d'abord dans le Nord (région de Bathurst). Dans les « Montagnes Bleues ), à Sommer Hill, puis sur la rivière Macquarie, l'or fut trouvé. Puis, dès août 1851, on en trouva dans le Sud et, en 1853, près d'Adélaïde. Le nombre des habitants, la dispersion des exploitations, les récents progrès du troupeau australien, firent que les phénomènes de l'or furent moins violents qu'en Californie. Toutefois, l'importance des découvertes n'est pas niable: en 6 ans - 1851-1856 - 500 000 kg d'or, valant 1 500 000 000 de francs. Melbourne a presque tout exporté. L'exploitation dut se faire par puits, et pulvérisation des quartz aurifères. Mais il eut des « trous ) d'un rendement très satisfaisant (jusqu'à 450 kg par an). L'immigration, ici aussi, se déclencha : 372 000 immigrants en six ans. A peu près autant que l'Australie avait d'habitants en 1851. Les banques prirent une activité prodigieuse; leurs avances passèrent de 77 millions à 355 en quelques années, puis se tassèrent. Les salaires journaliers passèrent de l'ordre de 6 à 8 F en 1851 à l'ordre de 43 à 50 F en 1854, pour retomber à 16 et 20 F en 1856. La Russie. La Russie, qui produisait 3800 kg d'or en 1826, en produisait 27000 en 1847 et restait à cette moyenne entre 1848 et 1856, produisant en 9 ans 718 000 000 de F. Ce n'est pas négligeable. La Sibérie orientale, sur ce chiffre, en produisait plus de la moitié. Des recherches étaient faites un peu partout vers 1851, sans nouvelle découverte vraiment importante.
Le reste du monde. En face de l'énorme production des trois centres précédents, celle du reste du monde n'est pas, non plus, négligeable: dans les 9 ans considérés (1848-1856) il y a été produit 343000 kg d'or, valant 1 334000 000 de F (153 000 kg pour l'Afrique, 138 000 pour l'Amérique - en dehors de la Californie - 108 000 pour l'Asie, 20000 pour l'Europe). Ce n'est, malgré tout, que moins du quart de la production mondiale.
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Ainsi les découvertes californienne et australienne bouleversent les conditions du marché de l'or.
VI. SIMULTANÉITÉ, RESTES D'AVENTURE ET INTERVENTION DE LA TECHNIQUE DANS LES DÉCOUVERTES DES ANNÉES 1890
Montée de l'ordre de 650000 onces annuelles entre et 1840 à l'ordre de 6 300 000 entre 1851 et 1860, la production d'or redescend ensuite lentement jusqu'à 5200 000 onces entre 1881 et 1890. C'est dire que si les mines découvertes ne s'épuisent pas, et si l'on en exploite d'autres en profondeur dans le Nevada (Comstock Lode), il ne se passe plus d'événement décisif avant les années 90; la production stagnerait plutôt. La courbe qui fait suite à l'annexe II (page 434) met suffisamment ce fait en lumière. C'est aux abords des années 90 que le redémarrage a lieu: J'observe ici ce que j'ai signalé souvent dans des conditions historiques pourtant très différentes : une baisse des prix généraux exprimés en métal signifie une revalorisation de ce métal, donc un encouragement à sa recherche; il Y a tâtonnements, puis succès. Notons ici la simultanéité des découvertes et des mises en valeur, à des distances énormes, et de caractère très différent - ce qui est un signe. Aux États-Unis, dans le Colorado, c'est, en 1890, la découverte du Cripple Creek, avec des teneurs de 19 onces par tonne qui rapportera 125 millions de dollars en une dizaine d'années au découvreur William Stratton. En Alaska (territoire dépendant des États-Unis, mais à peu près inhabité), ce sont des Scandinaves qui déclencheront le célèbre « rush », mais il s'agit de placers, vite épuisés, qui laisseront le pays aussi vide qu'avant; découvert en 1898, l'or de l'Alaska n'a d'importance qu'entre 1900 et 1906. Puis il y a baisse et finalement chute. Au Canada, dans la région du Klondyke, le long du fleuve Yukon, qui se jette dans l'océan du côté de l'Alaska, on parlait d'or dès 1886, mais c'est vers 1896 que les 1831
408
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sables aurifères donnent brusquement lieu aux mêmes découvertes qu'en Californie vers 1848-50 : une écuelle de sable donne 12 dollars d'or, 30000 chercheurs accourent, il faut franchir des montagnes en plein climat arctique, Dawson City devient légendaire; des exploitations individuelles absurdement artisanales voisinent avec des moyens relativement modernes. Entre 1896 et 1900, la production monte à 1 350 000 onces soit l. 28 000 000. Mais cela baisse ensuite et on s'adresse à des gisements proprement dits : toujours au Canada, mais à l'opposé du pays, sur la baie d'Hudson, puis dans les provinces intérieures, puis de nouveau à l'Ouest, en Colombie britannique. Le Canada deviendra le 3e producteur d'or du monde, puis le second en 1931 (non comprise l'U.R.S.S.) : mais cela se passe entre 1920 et 1940; entre 1911 et 1920, il y avait eu, à partir du chiffre de 1 350 000 onces, chute de plus de moitié. Pour la période étudiée, il y a donc, au Canada, rush, puis chute. Dès les années 1880-84, en Afrique du Sud, on cherche: il y a la tradition historique, et le succès du diamant qui a créé Kimberley. Il y a des trouvailles qui déclenchent de petits rushes, puis déçoivent; enfin, en décembre 1883, sont découverts les gisements du Witwatersrand, sur les plateaux qui divisent les eaux entre les deux océans, Indien et Atlantique. En 1885, les frères Struben, à Prétoria, font des démonstrations devant le président Kruger. Cependant, le gisement qui donnera naissance à Johannesburg n'est découvert, une fois de plus, que par hasard, en 1886. En 1890, la production n'est encore que de 440000 onces, ce qui n'est pas négligeable, mais prend de l'élan ensuite: 3 638 000 onces en 1899. Retenons de cet ensemble la simultanéité des recherches, la simultanéité des trouvailles. Mais notons deux traits, nouveaux cette fois : 1) l'intervention de la spéculation proprement dite (encore nettement aventurière, avec Barnato, ancien clown de Londres, devenu un des rois du diamant), et l'intervention du calcul économico-politique, avec un Cécil Rhodes, créateur de la « De Beers Cy » pour les diamants, et qui a un programme d'unification de l'Afrique du Sud sous la tutelle britannique; il a déjà créé la Rhodésie comme compagnie à charte, et son intervention causera, à terme, la guerre dite «des Boers » ;
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2) l'intervention de la technique industrielle proprement dite; les minerais sont extraits à la dynamite; on creuse des puits de 500 m de profondeur; enfin, et surtout, en 1890, Mac-Arthur et Forrest découvrent le procédé de cyanuration qui, pratiqué après l'amalgame, permet de retirer tout l'or à extraire. Nous sommes ici devant une ère assez nouvelle; comparable à ce que nous avions vu pour l'argent après 1570 : la substitution du procédé industriel, avec maind'œuvre coloniale (noire et indienne), à un régime d'extraction en apparence plus productif, en réalité très disparate et artisanal. C'est là une mutation vraie. Et sans doute celle qui détermine, comme dans l'Europe de 1570, la vague de hausse des prix-métal, par chute du prix de la production unitaire de celui-ci. Nous pouvons maintenant prendre connaissance des grandes phases, en milliers d'onces, de la production de l'or dans le monde, du maximum du milieu du XVIIIe siècle à 1910, par décennies. A titre de comparaison, nous y avons ajouté l'argent, également en Inilliers d'onces (et non en millions d'onces, comme à l'annexe II). Période
1741- 1760 1761-1780 1781-1800 1801-1810 1811-1820 1821-183° 1831-184° 1841-185° 1851-1860 1861-187° 1871-1880 1881-1890 1891-1900 1901-1910
Or
79 1 665 572 572 368 457 652 1762 63 13 6108 5472 5 200 10165 18279
Argent
17 100 21000 28 300 28 700 17400 14 800 19200 25 000 26 500 39 000 66800 97 200 161 400 182600
xxxv LES ESSAIS D'INTERPRÉTATION DE LA RELATION ENTRE PRIX ET PRODUCTION D'OR
L'explication purement quantitativiste. Elle dérive de Ricardo, de son Currency Principle; elle a été, soutenue par l'économiste Cassel, et perfectionnée ou modifiée par quelques autres. Elle repose sur la comparaison de la quantité d'or effectivement existante et de la quantité d'or « normale ), ce terme signifiant la quantité d'or juste nécessaire et suffisante pour maintenir constant le niveau des prix. On appelle « quantité relative d'or ) le rapport entre la quantité « effective ) et la quantité « normale ). On trace la courbe et on regarde si elle est assez proche de la courbe du mouvement général des prix. On trouvera cette courbe page 412. En fait, on calcule non pas des quantités absolues, mais des taux de croissance. Les prix de 1850 et ceux de 1910 étant assez proches, on a admis que le taux moyen de croissance entre ces deux dates de la quantité d'or disponible était celui qui assurait la stabilité des prix. Puis on a comparé, année par année, ce taux idéal au taux réel de l'augmentation du stock. Dans ces conditions, la courbe de la « quantité d'or relative ) suit assez bien celle des prix entre 1850 et 1910. Cassel en conclut qu'entre ces deux dates, la cause essentielle des variations de longue durée du niveau général des prix est dans les modifications de la « quantité relative d'or ). C'est autour de 3 % par an d'augmentation du stock que s'établirait l'équilibre. Au-dessous, il y aurait insuffisance d'or, donc baisse des prix, au-dessus excès, donc hausse des prix.
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412
~ r_----------------_,--_.--~_,--_.__.
Quantit' effective, normale et relative d'or mondial de Cassel comparées avec le niveau ,énéral des prix.
500
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~ r--,--._--r--,--,-~---r--+_~--_T.~
,.'
Quantité normale d'Of
3~ r---r-~--~r-~~~---i--_t--_t--_t~/7·t_~ 1.
,.I l
300
......... 2~
.1 . . .
Quantité effective d'or
.-.-.- _.- -;:.::::,.. 50
o
""~;J
Niveau ,énéral des prix
-1800
1810
1120
1130
1840
/
1BSO
1860
1870
t880
1890
1900
19'0
~r---,---Q-u-.n-tj-té-r-.-I.t-jv-.-d~·o-r-m-o-né~t~.j-r.--.----,----,---,----,
de Warren et Pearson
Indice lénéral des prix 3OOr----r---+----+---_+--~----+_--_+--~t_~~--~
Rapport de l'or et de la production
o~
1840
__
~
__- L____L-__-L__
1850
1810
1870
1880
~
____
1880
~
1800
__-L____L-__ 1910
1820
~
1930
__
~
1IMO
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Les objections faites à cette théorie peuvent n'être que des objections de détail : par exemple, on a pu préférer distinguer l'or monétaire et l'or industriel et ne retenir que le premier; ou tenir compte de l'argent, ce que n'a pas fait Cassel; ou, comme Warren et Pearson,! comparer la croissance annuelle du stock à celle de la production mondiale des marchandises, supposée représenter le volume de valeurs à couvrir (en fait, les calculs sont faits sur États-Unis, France et Angleterre). Mais, dans tous ces cas, il s'agit de thèses acceptant la forme la plus simple de la théorie quantitative : P.T = M.V (le volume des transactions - T - multiplié par le niveau des prix - P - égale la masse de monnaie - M - multipliée par sa vitesse de circulation - V). Toutes les formes de monnaie sont assimilables à l'or ou censées se modeler sur lui. Et, à l'arrière-plan, l'or est accusé de rendre le mouvement des prix (donc des affaires) irrégulier à long terme, ce qui (chez Ricardo) aboutissait au souhait d'une monnaie détachée de l'or. On peut donc être « métalliste » pour condamner la monnaie-métal. Cependant, la plus grave objection aux thèses de Cassel, même perfectionnées et donnant des résultats statistiques assez frappants, c'est que ces résultats sont surtout vérifiés pour les années 1850-1910, mais fort discutables - d'après les courbes - pour 1800-1850 et pour 1910-1920. Ils n'ont donc pas de valeur absolument générale, ou sont difficilement démontrables par les méthodes proposées.
L'explication quantitative non exclusivement métalliste. On peut, comme ont fait par exemple M. Rist ou M. Marjolin, rechercher des explications à la fois plus simples dans leurs procédés statistiques, mais plus complexes dans leur conception de la monnaie. Statistiquement, on peut se contenter de comparer le mouvement de la production de l'or et de l'argent (ou de leur taux d'accroissement) au mouvement des indices de prix. Et d'autre part, on peut essayer de tenir compte des formes non métalliques de la monnaie. Enfin, on peut rechercher 1.
La courbe de Warren et Pearson filNre page 4I:Z.
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les effets de la production des métaux précieux sur le crédit, les affaires et le mouvement des prix, non pas simplement A partir des quantités produites, mais à travers les mécanismes psychologiques déclenchés par la production plus ou moins rapide de l'or.
Accroissement du stock d'or en pourcentace
,
Prix
i
:
~r.fr~---+---1----t---~---+--~---1~~
M. Rist suppose une production de marchandises augmentant régulièrement de 4 %et, la comparant Aune production d'or dont le taux d'accroissement est au contraire variable, il arrive A la conclusion que si cet accroissement dépasse 2,3 %, il y a hausse des prix, s'il est au-dessous de 2,3 %, il Y a baisse. Le graphique ci-dessus illustre cette interprétation. Pour lui, le billet de banque, et les dépôts en banque sur lesquels on tire des chèques ne sont pas des monnaies, parce qu'ils retournent aux banques, et ils n'influent que sur la vitesse de circulation. Seuls, les billets inconvertibles (le « papier-monnaie ) proprement dit), émis sans référence A un stock d'or précis, représenteraient une « monnaie ) (d'ailleurs dangereuse, puisque sa quantité ne dépendrait que d'une volonté arbitraire). Le reste serait du crédit. Il est vrai que ce crédit lui-même peut être déterminé dans ses mouvements par le mouvement du stock d'or. Si celui-ci est en augmentation rapide, le crédit a ten-
OR ET MONNAIE DANS L'HISTOIRE
dance à se gonfler. Et inversement si le stock d'or diminue ou s'accroît moins vite. Quant au fond de l'explication, MM. Rist et Mtalion reprennent les arguments de Cantillon sur le processus qui lie le mouvement des prix à la production des métaux précieux. Ils distinguent les pays producteurs d'or et les pays qui se procurent l'or par vente de produits divers aux pays producteurs d'or. Dans les premiers, quand la production du métal-précieux fait un bond en avant (surtout si ce bond est vif), les prix-or montent brusquement, déterminant une première vague de hausse sur les produits importés; cette vague se transmet aux pays producteurs de ces marchandises; la hausse des revenus de certains secteurs ainsi obtenue se traduit par des achats accrus dans les autres secteurs, et la hausse se généralise. On peut penser aussi à la propagation des espoirs et à la hausse des revenus chez les propriétaires d'actions de mines d'or, qui ne vivent pas seulement dans les pays producteurs. Cependant, il semble bien que cette hypothèse sur l'ouverture d'investissements nouveaux, correspondant à un premier temps de mise en valeur de nouvelles mines d'or, ne s'est très clairement vérifiée qu'entre 1895 et 1914, alors que l'effet rapide sur le simple prix des marchandises, lors de découvertes sensationnelles de mines d'or, était le fait dominant dans l'épisode 18521856. Ce contraste est d'ailleurs intéressant. Il peut correspondre à des phases différentes de développement : en 1852-56 jouent surtout; la surprise et la loi de l'offre et de la demande; après 1895 joue déjà le calcul économique sur le rendement de mines industriellement organisées. M. Marjolin, qui a étudié historiquement, autant que possible, les effets théoriquement supposés de la production de l'or, avance une explication complexe où inter'vient, comme intermédiaire important, le taux de l'intérêt (qui mesure les facilités de crédit) et ses mouvements. Il pense que ce taux d'intérêt a tendance à baisser quand augmente le stock d'or, jusqu'à ce que ce stock d'or se soit incorporé à la circulation normale. Observons que dans l'ensemble de théories que nous venons d'exposer - toutes « monétaristes » en ce sens que le déclenchement du mouvement économique est cherché à partir de la monnaie - les phases de baisse
PIERRE VILAR
sont plus difficiles à expliquer que celles de hausse. Cependant, il est évident qu'on peut penser à un effet contraire: toute diminution dans la production d'or, toute fermeture de mine, représente à la fois une restriction dans les revenus de certaines catégories, et dans l'espérance de profit, d'où le déclenchement d'une stagnation généralisée. M. Marjolin croit que ce processus se déclenche surtout par la diminution des facilités bancaires accordées, c'est-à-dire par la montée du taux de l'intérêt exigé pour les prêts, ce qui gêne les affaires. Cette dernière explication se combine avec une autre, plus générale dans sa portée : quand la masse des marchandises produites augmente, il y a tendance naturelle à la chute des prix, ce qui est aussi un facteur de hausse pour le taux d'intérêt, etc. Nous revenons toujours à la comparaison de deux taux d'accroissements, l'un concernant l'or, l'autre l'ensemble des marchandises. L'intervention des mécanismes intermédiaires ne change pas la nature quantitative des explications. Les objections à ces explications ont surtout reposé sur les définitions de la monnaie et du crédit. Beaucoup d'économistes ont fait valoir que des thèses reposant essentiellement sur la production de l'or (ou de l'argent, naturellement; disons: de tout métal monétaire massivement employé) peuvent s'appliquer aux systèmes monétaires anciens, où le métal l'emporte, mais déjà moins au XlXe siècle, et plus du tout au ne, quand la circulation fiduciaire, la monnaie scripturale et le crédit ont transformé totalement la nature de la monnaie. A vrai dire, nous savons bien que, dans l'économie ancienne, l'or et l'argent étaient loin de représenter les seuls moyens de règlement, et il faut toujours distinguer entre les systèmes nationaux de monnaie, et les règlements internationaux, où l'or peut encore jouer un rôle déterminant. On peut toutefois rechercher une relation entre mouvement des prix et mouvements monétaires qui tienne compte de tous les types de monnaie, à une échelle quelconque (nationale ou internationale). L'explication monétaire tenant compte de tous les types de monnaie.
François Simiand distingue entre les « phases A)), caractérisées par un accroissement de la monnaie métal-
OR ET MONNAIE DANS L'HISTOIRE
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lique, les «phases A'.) d'accroissement modéré, auprès de la monnaie métallique, d'une monnaie de papier, et enfin les «phases A" », d'accroissement déréglé de ces monnaies de papier. Les phases A seraient distinctes dans les pays producteurs d'or - ou d'argent - et dans les pays qui envoient, contre cet or ou cet argent, des marchandises qu'euxmêmes produisent. Dans le premier cas, l'accroissement du stock d'or et d'argent produit un véritable effet d'infiation, parfois déréglée; souvenons-nous du cas de l'Espagne au XVIe siècle, qui était aussi l'exemple de Cantillon. En revanche, les pays producteurs et exportateurs, qui acquièrent l'or ou l'argent contre leur propre production voient leur activité favorisée par la montée du stock - et des prix - dans les pays producteurs d'or. Les phases A' peuvent également être de nature diverse : un papier-monnaie inconvertible émis, par exemple, pour financer un programme de reconstruction, peut déterminer un taux de croissance plus fort dans la production des biens, qui s'oppose à une hausse excessive des prix. Il n'en est pas de même s'il y a simplement création de pouvoir d'achat contre des services, ou emploi extra-économique des moyens créés; car, dans ce cas, le gonflement de la masse monétaire n'ayant pas pour contrepartie une production accrue de biens, la hausse des prix rapide survient. Enfin, la phase A" est celle où l'imprévisibilité des quantités de monnaie émise rend aléatoire n'importe quel emploi économique des moyens ainsi créés. Le problème délicat est de saisir le moment - et les raisons - qui font passer de la simple phase A' à la phase A". Simiand admet qu'au XIXe siècle, il a pu y avoir des phases A' d'infiation monétaire modérée par les monnaies non métalliques. Mais c'est pendant et après la guerre de 1914 que les émissions de papiermonnaie inconvertible ont fait entrer de nombreux pays dans les phases A" (où les éléments « psychologiques .) de la (c fuite devant la monnaie .) rendent toute prévision économique douteuse). Les explications complexes, tenant compte à la fois, comme Simiand, de tous les types de monnaie, et de l'ensemble des mécanismes économiques, mais toujours monétaristes dans leur principe, peuvent faire entrer en ligne de compte cette notion psychologique de
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PIERRE VILAR
prévision sur le pouvoir d'achat escompté de la monnaie. M. Dupriez utilise la notion d' « encaisse désirée .), qui augmente en temps de baisse longue des prix (on prévoit un pouvoir d'achat croissant de la monnaie), et qui diminue en temps de hausse (quand on prévoit un pouvoir d'achat décroissant). M. Dupriez croit que les effets primaires d'une augmentation de la quantité d'or produite sont indéniables, mais l'or ne ferait que déclencher : ce serait le développement du crédit dans les pays non producteurs d'or, à la suite de ce déclenchement, qui déterminerait la hausse des prix. On peut observer d'ailleurs que certaines théories des cycles - longs et courts - du mouvement économique, peuvent invoquer des mécanismes internes non strictement monétaires (rapports entre taux de l'intérêt, productivité marginale du capital, et variations du taux d'accroissement des biens de production et des biens de consommation) sans pour cela renoncer à considérer qu'un bond dans la production de l'or peut être à l'origine du déclenchement de ces mécanismes (Ernst John). Les explications non monétaristes des cycles longs du XIXe siècle.
Ces explications n'entrent pas, à proprement parler, dans notre sujet, puisqu'elles ne prennent pas l'or et sa production comme phénomènes fondamentaux. Elles consistent à chercher l'origine des mouvements longs des prix - et les rapports de ces mouvements avec le taux de croissance des productions - dans des causes internes à l'économie tout entière: progrès techniques, - révolutions industrielles successives de la machine à vapeur, des chemins de fer, du pétrole, etc. - mise en exploitation de contrées nouvelles, ou simplement rythme de l'innovation, notion la plus générale mise en avant par Joseph Schumpeter, pour qui l'innovation, et l'implantation de l'innovation, sont les fonctions créatrices de l' « entreprise .). C'est dans les poussées successives et dans les ralentissements momentanés de l'innovation qu'il faudrait chercher l'origine des phases de création et de contraction relatives, les prix n'étant qu'un signe et non un facteur. D'autres observateurs ont fait valoir le rôle des guerres: celles de 1793-1815 et celle de 1914 ou de 1940
OR ET MONNAŒ DANS L'HISTOIRE
4 19
montrant bien, par leurs effets sur les productions et sur les monnaies, que les répercussions économiques ne sont pas moindres que celles d'une découverte d'or. Enfin il ne faudrait pas oublier, malgré son rôle en apparence secondaire depuis la révolution industrielle, l'impact de l'agriculture : le développement de la grande production des grains dans les pays neufs, dont la concurrence fait baisser les prix agricoles mondiaux et oblige les pays européens à se défendre par la protection douanière, a joué un rôle certainement important dans la dépression économique de 1873-1896. Dans de telles propositions, pour expliquer les phases longues du XIXe siècle, la monnaie ne serait alors qu'un facteur secondaire, et les prix qu'un élément dérivé. Longtemps, on a même parlé du caractère « neutre » de la monnaie. Et sans doute est-il bien difficile, devant des aspects aussi évidents que la dominante de la technique dans nos civilisations, ou devant le rôle de faits extraéconomiques comme les guerres, de vouloir ramener tout le secret des rythmes économiques à des variations dans la masse des moyens monétaires, et de réduire ceux-ci aux monnaies métalliques, et finalement à l'or. Cependant, il n'est pas moins difficile de refuser toute imr,>ltance à de non moins évidentes constatations : qu jl s'agisse de la révolution des prix du XVIe siècle; des sursauts économiques au XIXe siècle lors des découvertes de l'or vers 1850 et vers 1890, ou des longs épisodes de troubles monétaires, aussi bien ceux de la fin du règne de Louis XIV que ceux de 1920, le facteur monétaire est historiquement important.
XXXVI
CONCLUSION A LA RECHERCHE D'UNE EXPLICATION GLOBALE ET NON UNILATÉRALE
Pouvons-nous, très modestement, mais à l'aide de tout ce que nous a appris une longue histoire, dégager les principes d'une orientation pour mieux saisir les problèmes de l'or et de la monnaie? Il ne s'agit nullement de prendre position en face de théories économiques complexes, mais de réfléchir, en historiens, sur la monnaie et les métaux précieux comme facteurs historiques, sur les facteurs historiques comme éléments des mécanismes économiques. Je grouperai nos remarques autour de quelques questions. . La production des métaux précieux est-elle un phénomène autonome?
Les monétaristes métallistes « purs ), qui cherchent la cause des mouvements économiques dans le seul problème du métal monétaire, ont tendance à répondre: tout dépend de la production de l'or, et celle-ci du hasard des découvertes; nous avons vu les épisodes qui semblent leur donner raison : du trésor d'Atahualpa à la découverte fortuite du filon de Johannesbourg. Les antimonétaristes « purs ), s'appuyant sur l'observation économique des périodes récentes, affirment au contraire que la productlon de l'or, comme toute production, obéit aux lois du profit, donc s'accélère quand elle est rentable, se ralentit quand elle l'est moins, cesserait si elle ne l'était plus. Ils font de la production de l'or
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PIERRE VILAR
une conséquence des autres conditions économiques, en particulier du mouvement des prix des autres marchandises, qui dépendrait seulement de leurs conditions de production, de leur offre, de leur demande. Entre ces deux positions extrêmes, se placent ceux qui disent: aujourd'hui, la production d'or étant devenue une activité économique comme une autre, cette interdépendance entre profits des mines et production peut en effet jouer; mais, au XIXe siècle encore, comme l'indiquent les exemples de la Californie et du Klondyke, ou à plus forte raison dans les siècles antérieurs, les découvertes, les déthésaurisations violentes, n'ont dépendu que du hasard. Nous avons vu qu'il n'en était nullement ainsi. Certes, la récherche et la découverte de l'or, dans le Pérou du XVIe siècle ou le Brésil du XVIIe, ne reposaient pas sur des calculs économiques précis, de rentabilité comparée, mais il n'empêche qu'on a recherché les métaux précieux avec d'autant plus de passion que leur prix était plus élevé par rapport à l'ensemble des autres marchandises. Les découvertes se placent toujours en période de très bas prix généraux, c'est-à-dire de très hauts prix relatifs des métaux précieux; Christophe Colomb n'est pas un hasard. Il n'empêche que la date des découvertes fondamentales relève du hasard, à quelques années près, ce qui fait que la périodicité précise des mouvements, dans une histoire un peu ancienne, ~araît douteuse. Il est vrai aUSSI que la découverte, et la brusque exploitation de richesses inconnues, parfois presque gratuite à ses débuts, déterminent le changement brusque dans le prix relatif du métal et des marchandises, d'abord sur place (au Pérou en 1534, en Californie en 1849), puis, à plus long terme, dans les pays les plus étroitement reliés aux pays de l'or. ee qu'il faut donc retenir, ce n'est pas une causalité unilatérale, une rationalité absolue ou un hasard absolu, mais un type de causalité réciproque et de causalité historique (combinaison de mécanismes nécessaires et de hasard). Ces remarques sont confirmées par une comparaison de la courbe de production des métaux précieux et de la courbe des prix mondiaux. La production du métal commence à s'accroître alors que les prix baissent encore, parce que cette baisse des prix généraux signifie cherté
OR ET MONNAIE DANS L'HISTOIRE
du métal, donc rentabilité possible de sa production ou de sa recherche. Après les découvertes importantes, la ,Production de métal s'accroît en même temps que les pnx généraux se mettent à monter (tant que la rentabilité des mines nouvelles reste assez forte); mais les prix continuent à monter alors qu'on voit déjà les mines produire moins (leur rentabilité diminue). La baisse des prix surviendra alors et redonnera, au bout d'un certain temps, une rentabilité à la recherche et à l'exploitation de mines nouvelles (ou des anciennes), etc. Il s'agit là de réalités grossières pour les périodes anciennes de l'économie mondiale, de réalités plus finement analysables par la recherche économique dans les périodes de cohésion du marché mondial et de concurrence normale (1873-1914 par exemple). Mais toutes les périodes ont en commun le caractère réciproque de la causalité et l'interaction entre économie et histoire (car la guerre de 1914, qui change considérablement les conditions monétaires, vient à son tour interrompre le jeu du modèle économique pur).
Mouvement des prix et valeur des métaux précieux : long terme et court terme; prix nationaux et prix mondiaux. Il est évident que le prix d'une denrée, sur un marché donné, et à un moment donné, dépend de l'offre et de la demande de cette denrée et aussi des conditions monétaires locales (appréciation du pouvoir d'achat, présent et prochain, de la «( monnaie courante » en circulation). Donc, les mouvements de prix à court terme et dans un pays donné dépendront des conditions économiques particulières de ce pays, et de sa situation monétaire - en particulier des rapports entre sa «( monnaie courante ) et les monnaies acceptées internationalement. En revanche, les « prix généraux ) (c'est-à-dire le mouvement qui entraîne à la fois tous les prix), les « prix mondiaux ) (c'est-à-dire les prix pratiq\lés sur le marché mondial supposé suffisamment unifié), et leur mouvement à long terme ne peuvent être mesurés que dans une monnaie acceptée mondialement, monnaie qui a été, jusqu'à une période très récente, une marchandise appelée à comparer les autres entre elles. Longtemps, l'argent et l'or. Puis l'or seulement. A long terme,
PIERRE VILAR
l'élément fondamental qui peut faire varier le rapport réciproque entre l'or et l'ensemble des marchandises ne peut être que la comparaison entre le coût de production de l'or, et le coût de production des marchandises eh général. Nous avons vu de nombreuses vérifications de cette notion de coût de production du métal précieux comme facteur du mouvement des prix à long terme. Pour l'or et l'argent au XVIe siècle, pour le coût comparé de l'argent mexicain et de l'argent européen d'après Humboldt. Au XIXe siècle, les sautes brusques dans les conditions de production de l'or sont encore prépondérantes : les prospecteurs avides des débuts déclenchent un brusque mouvement de hausse locale des prix qui se répercute lentement ensuite; mais les découvertes du « Rand » sud-africain à la fin du siècle inaugurent une période nouvelle, où « l'extraction de l'or dépend de moins en moins des caprices de la nature et se trouve de plus en plus sous le contrôle de l'homme » (Dupriez) . . Enfin, notons comment l'argent, à travers des épisodes historiques divers (que malheureusement nous n'avons pas étudiés ici), a cessé d'être métal monétaire. C'est que l'argent, à partir du milieu du XIXe siècle, a été extrait moins de façon autonome que comme sousproduit d'autres industries minières : plomb, cuivre, zinc, antimoine. Dès lors, les prix de marché de l'argent ont cessé de dépendre des conditions de sa propre production, et les quantités offertes ne répondarent plus à aucun mécanisme régulateur. On finit (malgré les protestations des pays producteurs et des intérêts lésés) par renoncer à l'argent comme métal monétaire. Donc, le mouvement des prix exprimés en métal dépend des mouvements dans la valeur du métal (c'est-àdire des variations dans la productivité des mmes), à condition de penser à long terme, et au niveau mondial. Vérité de La Palice, que malheureusement beaucoup de théoriciens oublient. Métal et monnaie : les phénomènes actuels.
Le dernier grand problème est celui qui concerne les deux notions : or d'une part, monnaie d'autre part. Ici encore, il arrive que l'on caricature la réalité historique en disant : l'or, c'est la monnaie d'autrefois;
OR ET MONNAIE DANS L'HISTOIRE
aujourd'hui, la monnaie n'a plus rien de commun avec l'or. Rien n'est plus faux historiquement, en ce sens que les phénomènes monétaires anciens prouv~t à quel point le métal - or ou argent - n'était pas toute la « monnaie ». S'il y a eu dans l'histoire tant de mutations, de dévaluations, de tentatives de déflation monétaire, c'est que le rapport entre monnaies « courantes » et monnaies métalliCJ.ues internationalement acceptées (avec vérification de pOIds) par le grand commerce, était sans cesse variable. Ces monnaies « courantes » étaient pratiquement « fiduciaires » (c'est-à-dire que leur stabilité par rapport à l'or et aux marchandises en général dépendait de la confiance que leur accordait le public). Dès lors, on ne pouvait confondre cette monnaie dépendant de conditions internes au pays où elle circulait, avec la monnaie métallique internationale. Et il se posait à ce propos tous les problèmes qui ont surgi récemment aux temps d' « inflation ». De même, quand on parle de « crédit » et de « monnaie scripturale », il ne faut pas imaginer que ce sont là des phénomènes récents. Les « compensations » sur livres de foire réglaient des affaires plus nombreuses que l'or et l'argent dès le XVIe siècle; c'étaient les soldes qui se réglaient en métal. Opposer, donc, un temps de la « monnaie métallique », qui comprendrait toute l'histoire, et un temps de la monnaie moderne, naissant entre 1920 et 1930, serait une erreur. Ce qui est neuf, au cours des trente ou quarante dernières années, c'est : 1) la généralisation des paiements par compensation - de la « monnaie scripturale » - au niveau le plus quotidien, le plus populaire; 2) les « politiques 'monétaires » systématiques, l'action des états sur leur circulation, et sur le crédit; 3) depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'acceptation de certaines monnaies nationales, du dollar surtout, comme base des règlements internationaux, et la stabilité imposée du rapport entre cette monnaie et l'or, quelles que soient les variations dans les conditions de production de celui-ci; mais cela n'exprime que le poids énorme de l'économie américaine sur l'économie mondiale, du moins sur une partie de cette économie. Malgré tout, la circulation d'or ne s'arrêtant pas, et cette monnaie-marchandise continuant à solder les
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PIERRE VILAR
opérations commerciales entre systèmes mondiaux de nature différente, l'or n'a pas disparu comme facteur économique mondial. Il ne cesserait d'en être un que dans une économie mondiale unifiée et planifiée, qui ne semble pas être pour demain. Qu'en revanche, il ne faille pas confondre le problème de l'or - moyen de paiement international - avec le problème quotidien de la monnaie et avec le facteur monétaire au sein de chaque économie nationale, c'est encore une évidence. Mais n'en 'é~ait-il pas déjà ainsi au XIVe siècle, ou au XVIIe? Cela, qui laisse les économistes assez indifférents, intéresse' au contraire au plus haut point les historiens. Dans le passé comme dans le présent, ils s'attachent en effe( à découvrir le sens social, politique parfois, du problèm~ 'monétaire. Il leur arrive peut-être ainsi, à la fois en concrétisant davantage à travers l'espace, et en généralisant davantage à travers le temps, de mieux découvrir les secrets - même économiques - des phénomènes monétaires, et du rôle réel de l'or.
ANNEXES
ANNEXE 1 : Argent extrait des mines du Mexique
depuis 1690 jusqu'à 1800, d'après A. de Humboldt Année!
Marcs d'argent
Année.
Marcs d'argent
1690 1691 1692 1693 1694 1695 1696 1697 1698 1699
621883 73 1024 629732 329 691 687121 47°74° 3753 66 524 699 390 560 4 12 327
1720 1721 1722 1723 1724 1725 1726 1727 1728 1729
926 390 1113°27 10381 09 953 805 92621 4 867 °37 99601 7 95 68 33 10857 11 1 °37°55
1700 17°1 17°2 17°3 17°4 17°5 1706 17°7 1708 1709
397543 4728 34 590 900 715 206 68 553 2 55 8 49 1 726122 674709 675 012 61 3428
1730 173 1 173 2 1733 1734 1735 1736 1737 1738 1739
1146 573 992926 1026643 1 177623 1000771 93 2001 1296000 955545 1116 500 1005963
1710 1711 1712 1713 1714 1715 1716 1717 17 18 1719
789480 666598 78393 2 763 279 73 1861 749 28 4 767969 794 2°4 84395 1 853965
174° 1741 1742 1743 1744 1745 1746 1747 1748 1749
112424° 1016962 962000 101 4 000 1210000 121 5 000 1354 000 1412000 1368000 139 1000
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Ann~8
Marcs d'argent
Ann~
Marcs d'argent
1750 175 1 1752 1753 1754 1755 1756 1757 1758 1759
1554 000 1486000 1603 000 1364 000 1364 000 1469 000 1447 000 1474 000 1500 893 1532000
1770 1771 1772 1773 1774 1775 1776 1777 1778 1779
1638 39 1 1506 255 1996689 2227442 1516 714 1675916 1936856 224861 3 2334765 2199 548
1760 1761 1762 1763 1764 1765 1766 1767 1768 1769
1408000 1386000 1189940 1385 298 1152063 1365 275 1 3i8 829 1225307 1444583 1404564
1780 1781 1782 1783 1784 1785 1786 1787 1788 1789
1994 073 2311 062 201 4545 2709 167 2402 965 2 III 263 1978844 1819 141 2293555 2415 821
1790 1791 1792 1793 1794 1795 1796 1797 1798 1799
204595 1 23 63 867 2724 105 2747746 2488 304 2808380 2854 072 2818248 2697 038 2473542
1800
2098 712
Total 1690-1800 : 149350722 marcs
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OR ET MONNAIE DANS L'HISTOIRE
ANNEXE II : Production annuelle d'or et d'argent et 'Va/eur indicielle de l'or (1493-1910) Période'
1493-1520 15 21 - 1544 1545- 1560 1561-1580 1581-1600 1601-1620 1621-164° 1641-~660
1661-1680 1681-1700 17°1-17201721 - 174° 1741- 1760 1761-1780 1781-1800 1801-1810 181I-1820 1821-183° 1831-184° 1841-185° 1851 1852 1853 1854 1855
Or •
186 23° 274 220 237 274 267 282 298 346 412 61 3 79 1 665 572 572 368 457 652 1761 4°49 6709 7 227 6309 6639
Argent •
Valeur •
1,5 2,9 10 9,6 13,5 13,6 12,7 II,8 10,8 II lIA 13,9 17,1 21 28,3 28,7 17A 14,8 19,2 25 IIO
28
106 87 81 82
(1) Jusqu'en 1850 pour l'or, jusqu'en 1875 pour l'argent, le chiffre donné est la moyenne calculée sur l'ensemble des années indiquées dans la colonne « période ». Après ces dates, le chiffre de production porté est le chiffre exact correspondant à l'année considérée. (2) La production d'or est exprimée en milliers d'onces. (3) La production d'argent est exprimée en millions d'onces. (4) Valeur de l'or = Indice du pouvoir d'achat de l'or, sur la base indicielle 1910-1914 = 100.
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PIERRE VILAR
Période
1856 1857 1858 1859 1860 1861 1862 1863 1864 1865 1866 1867 1868 1869 1870 1871 1872 1873 1874 1875 1876 1877 1878 1879 1880 1881 1882 1883 1884 1885 1886 1887 1888 1889 1890 1891 1892 1893 1894
Or
6827 6662 6309 6674 5932 5 88 5 5 81 5 5932 5 862 63 80 6540 6262 6238 621 5 6050 6 258 6650 5 297 4967 4 873 5 016 55 12 5761 5 262 5 149 4984 4934 4 61 5 4921 5 246 5 136 5 Il7 533 1 5974 5749 6320 7 094 7 61 9 8764
Arsent
29
(
35
\
;
43
\1
(
63 68 63 73 74 75 79 86 89 82 92 93 96 109 120 126 137 153 165 164
Valeur
82 79 91 88 83 85 82 81 79 82 81 83 83 85 86 83 76 75 81 86 87 88 95 99 93 97 99 101 109 Il5 Il9 122 Il8 Ils Il5 Il5 122 122 132
OR ET MONNAIE DANS L'HISTOIRE
433
Période
Or
Argent
Valeur
1895 1896 1897 1898 1899 1900 1901 1902 1903 1904 1905 1906 1907 1908 1909 1910
9 61 5 9784 I I 420 13 878 14 838 12 315 12626 14355 15 853 16804 18396 19471 19977 21 422 21965 22022
167 157 160 169 168 174 173 163 168 164 172 165 184 203 212 222
133 135 133 128 122 91 85 84 84 85 87 93 97 88 90 94
Note : Tableau détaillé pour la période 1845-1850 inclusivement : 1845 1846 1847 1848 1849 . 1850 Or......... 1177 1342 1412 181 3 3 154 3555 Valeur .... 106 II2 108 87 95 93
PIERRE VILAR
434
1800 1810 1820 1830 1840 1850
1810 1810 1880 1190 1900 1110
r f-I ~ VI\
100000
En milliers d'anciens francs 50000
Production d'arlent
'1'-_","'-
r--- V
r
~
10000
r2000
En milliers d'onces 1000
P::'01uc,ion 500
1920 1930 1940 1150
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1
Ce graphique concrétise les données du tableau précédent. N. N. La production d'or et la production d'argent ont toutes deux été représentées en milliers d'onces.
TABLE DES MATIÈRES
Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 1. - L'or dans le monde du XVIe siècle à nos jours ..................... 19 II. - Les grandes phases de l'histoire monétaire : remarques sur les phases 27 primitives et l'Antiquité.......... III. - Les grandes phases de l'histoire monétaire : remarques sur le Moyen Age............................ 37 IV. - Les notions de conjoncture et de mouvement des prix : les problèmes 49 de la période 145°-1500 .......... V. - Or africain et Découvertes : Génois, 57 Espagnols et Portugais........... VI. - L'organisation portugaise du trafic de l'or et les origines de la découverte espagnole.................. 65 VII. - Découverte espagnole et or des Iles 75 VIII. - Or et conjoncture: 1450-1530.... 83 IX. - Or et conjoncture : les débuts de la « Révolution des prix ), et leur 91 interprétation ................... X. - La diffusion de la révolution des prix : les circuits commerciaux... 101 XI. - La diffusion de la « révolution des prix ) : métaux précieux et trafic portugais entre 1530-40 et 1600-10 109 XII. - La diffusion de la « révolution des prix ) : l'or et l'argent d'Amérique 125
PIERRE VILAR
XIII. XIV. XV. XVI. XVII. XVIII. XIX. XX. XXI. -
XXII. XXIII. XXIV. XXV. -
XXVI. XXVII. XXVIII. XXIX. XXX. XXXI. XXXII. XXXIII. -
Les métaux précieux d'Amérique : Colombie, Mexique.............. Le Potosi....................... Huancavelica. Que devient l'argent américain après sa sortie des mines? L'or et l'argent en Espagne...... La prise de conscience du problème des métaux précieux chez les Espagnols ...................... La « Révolution des prix » hors de l'Espagne : le cas de la France... Les idées monétaires en France... La « Révolution des prix » en Italie La transition du XVIIe et du XVIIIe siècle : métaux précieux, économie générale, économie coloniale : le rôle des Hollandais.. . . . . . . . . . . . . . . . .. Du XVIIe au XVIIIe siècle : le rÔle monétaire de la Banque d'Amsterdam La fin du XVIIe siècle en Angleterre Les origines de la stabilisation moné-· taire : l'essor anglais et l'or du Brésil Les origines de la stabilisation monétaire et du tournant économique : le cas de l'Espagne (1680-86 à 1725-35) ....................... Les origines de la stabilisation monétaire et du tournant économique : le cas français...... . . . . . . . . . . . .. Conjoncture du XVIIIe siècle et problème des métaux précieux....... Métaux précieux et économie française au XVIIIe siècle : les mécanismes Monnaie, banque et crédit entre 1726 et 1790-1797 : la France......... Monnaie, banque et crédit entre 1726 et 1790-1797 : l'Angleterre....... L'argent du Mexique et la conjoncture européenne................. Révolution française et situation monétaire : des assignats au francgerminal ....................... Le problème monétaire en Angleterre de 1797 à 1819················ ..
137 147 165 177 191 207 221 227
237 249 259 275
287 297 313 327 339 349 359 373 383
OR ET MONNAIE DANS ~'HISTOIRE
XXXIV. XXXV. XXXVI. -
439
Métaux précieux et conjoncture au XIXe siècle : 1810-21 - 1914-21 ••. 397 Les essais d'interprétation de la relation entre prix et production d'or 411 Conclusion ..................... 421
Annexe J. Argent extrait des mines du Mexique
depuis 1690 jusqu'à 1800, d'après A. de Humboldt. . . . . . . . . . . . . . . . . 429 Annexe II. Production annuelle d'or et d'argent et valeur indicielle de l'or (1493-1910) 431
DANS LA MIME COLLECTION A. ARNAULD, P. NICOLE La logique ou l'art de penser. A. BESANÇON Histoire et expérience du moi. P. BOIS Paysans de l'Ouest. J. BOUVIER Naissance d'une banque: le Crédit Lyonnais. F. BRAUDEL Écrits sur l'Histoire. H. BRUNSCHWIG Société et romantisme en Prusse au XVIII' siècle. N.CALDER Les armements modernes. A.DAUMARD Les bourgeois de Paris au XIX' siècle T.DOBZHANSKY L'hérédité et la nature humaine. J. EHRARD L'idée de nature en France à l'aube des lumières. R. ESCARPIT Le littéraire et le social. L. FEBVRE Philippe Il et la Franche·Comté. P. FONTANIER Les flgures du discours. M.GARDEN Lyon et les Lyonnais au XIII' siècle. P.GOUBERT 100 000 provinciaux au XVII' siècle. G. GURVITCH Dialectique et sociologie. J. HEERS Gênes au XV' siècle. W. JAMES Le pragmatisme. J. JAURèS La guerre franco·allemande, 1870· 1871.
A. KRIEGEL Aux origines du communisme français. LECOMTE DU NOUY L'homme devant la science. E. LE ROY LADURIE Les paysans de Languedoc. J. MEYER La noblesse bretonne au XVIII' siècle R. MICHELS Les partis politiques. K. PAPAIOANNOU Marx et les marxistes. H. POINCARI! La science et l'hypothèse. La valeur de la science. L. POLIAKOV Les juifs et notre histoi re. B. PORCHNEV Les soulèvements populaires en France au XVII' siècle. D. RICARDO Principes de l'économie politique et de l'impôt. D. RICHET La France moderne : l'esprit des institutions. B. RUSSELL Signiflcation et Vérité. R'RUYER La Cybernétique et l'origine de l'information. Dieu des religions, Dieu de la science. A.SOBOUL Mouvement populaire et gouverne· ment révolutionnaire en l'an Il (1793·1794). E. SOURIAU La correspondance des arts. J. ULLMO La pensée scientiflque moderne. P. VILAR Or et monnaie dans l'histoire.
N° d'impression: 10424 IMPRIMERIE LA NÉOGRAVURE - PARIS N° d'édition: 8968 - 2" trimestre 1974 - PRINTED IN FRANCE