HARCO
WILLEMS
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE ELÉMENTS D'UNE HISTOIRE CULTURELLE DU MOYEN EMPIRE ÉGYPTIEN
Quatre conférences présentées à l'École Pratique des Hautes Etudes. Section des Sciences
religieuses. Mai
2006.
La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations, dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1 " de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal.
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SOMMAIRE
PRÉAMBULE
XI
AVANT-PROPOS
XIII
INTRODUCTION
l
C H A P I T R E I. L A C U L T U R E N O M A R C A L E : DIMENSIONS POLITIQUES, ADMINISTRATIVES, SOCIALES E T RELIGIEUSES
5 8
L ' O R I G I N E DES N O M E S LES N O M E S P E N D A N T LA V
25
DYNASTIE
L'ADMINISTRATION DES N O M E S PENDANT LA V I ' DYNASTIE
31
L ' A D M I N I S T R A T I O N RÉGIONALE P E N D A N T LA PREMIÈRE PÉRIODE INTERMÉDIAIRE ET AU M O Y E N EMPIRE
36
LE TITRE DE N O M A R Q U E EN ÉGYPTIEN ET D A N S L'ÉGYPTOLOGIE
59
C H A P I T R E I I . U N CIMETIÈRE N O M A R C A L D U M O Y E N EMPIRE : D E I R EL-BERSHA LES FOUILLES DE
2006
D A N S LA Z O N E
67
10
LES T O M B E S DU DÉBUT DU M O Y E N EMPIRE DE LA Z O N E 2 LE PAYSAGE RITUEL DE DEIR EL-BERSHA
83 87 103
C H A P I T R E I I I . L E S T E X T E S DES C E R C U E I L S E T LA D É M O C R A T I E LES RACINES DE « L'HYPOTHÈSE D É M O C R A T I Q U E »
131 133
T R A N S F O R M A T I O N S DE L ' É Q U I P E M E N T FUNÉRAIRE P E N D A N T LA PREMIÈRE PÉRIODE INTERMÉDIAIRE ET A U M O Y E N EMPIRE
142
IX
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
U N E PERSPECTIVE DÉMOGRAPHIQUE SUR LES TEXTES DES CERCUEILS
Quantification des sarcophages décorés à Deir el-ßersha
Quantification des sarcopfiages décorés à Beni Hasan Quantification des sarcop/iages décorés à Assiout LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DES TEXTES DES CERCUEILS
149
156
160 161 172
Saqqara et Abousir
174
Tfièbes et Licht La Moyenne Egypte
178 182
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA RELIGION FUNÉRAIRE DANS LES HAUTS-LIEUX N O M A R C A U X
184
U N E HYPOTHÈSE SUR LA PORTÉE DES TEXTES DES CERCUEILS
189
Les lettres aux morts
192
Les formules 131 à 146 des Textes des Cercueils
193
La formule 14c des Textes des Cercueils
194
Les formules 30-41 des Textes des Cercueils
196
La formule 312 des Textes des Cercueils
2 01
Une conclusion
203
Le cas d ' H e q a f a
204
Le cas des sarcophages du milieu de la XII' dynastie
207
Conclusion
21 2
La vie familiale au Moyen Empire
21 4
Les Textes des Cercueils et les cours nomarcales
220
CONCLUSION
225
A P P E N D I C E . Q U A N T I F I C A T I O N DES C E R C U E I L S DÉCORÉS D U M O Y E N EMPIRE
229
ÉPILOGUE
233
BIBLIOGRAPHIE T A B L E DES FIGURES
239 2 71
T A B L E DES P L A N C H E S
275
INDEX
277
PRÉAMBULE
I
arco Willems, professeur à la Katholieke Universiteit Leuven, directeur du chantier de fouilles de Deir el-Bersha, et spécialiste
incontesté
des
Textes
des
Cercueils est venu donner, en mai 2 0 0 6 , dans le cadre de l'École Pratique des
Hautes Études, quatre conférences qu'il a accepté ensuite de publier. L'ouvrage qui en découle est véritablement novateur. Il permet tout d'abord de resituer l'organisation politico-administrative de l'Egypte depuis les origines jusqu'au
Moyen
Empire. Or, c'est une question qui a fait et fait encore l'objet de nombreuses controverses, l'argumentation en faveur de tel ou tel point de vue (création des nomes, expansion et déclin) étant parfois peu étayée. Après cette analyse indispensable, Harco Willems présente les résultats majeurs des campagnes de fouilles à el-Bersha. C'est un nouveau « paysage rituel » que nous découvrons avec, en particulier, la route qui mène de la rive orientale du Nil jusqu'aux pentes où furent creusés les hypogées des nomarques, dont le célèbre Djéhoutihotep. On mesure aussi combien l'extension du cimetière est plus vaste que celle qu'on lui attribuait traditionnellement. XI
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Dans son troisième chapitre, l'auteur remet profondément en cause ce q u ' o n continue d'appeler la « démocratisation » ou « démotisation » de la religion funéraire du Moyen Empire, en se fondant sur la lecture des textes (Lettres aux m o r t s , chapitres des Textes des Cercueils) étroitement associée à une analyse critique de la situation politique, administrative et sociale de l'Egypte de la Première Période Intermédiaire et du Moyen Empire. Il en résulte que les Textes des Cercueils, loin d'être le reflet de la religion funéraire de l'Egypte
tout
entière, et toutes catégories sociales confondues, apparaissent c o m m e l'apanage d'une élite très spécifique qui est celle des nomarques de Moyenne Egypte. Harco Willems offre avec ce livre une vision profondément originale, et du coup dérangeante, de cette religion funéraire qu'on ne doit plus, ni ne peut plus, séparer de son contexte historique et
social.
L'accent que m e t l'auteur sur l'influence des courants de pensée contemporains ou des opinions politiques sur la recherche égyptologique, influence trop souvent méconnue ou occultée, m e paraît aussi devoir être souligné. Je tiens à remercier très chaleureusement Harco Willems pour ces nouvelles perspectives qu'il nous propose, sans oublier Jean-Pierre Montesino, directeur des Éditions Cybèle qui a bien voulu prendre en charge la publication de cet ouvrage, pas plus que Gwenola de Metz qui, une nouvelle fois, a mis ses talents de graphiste au service de sa réalisation. CHRISTIANE ZIVIE-COCHE
Paris, le i 2 septembre 2007
AVANT-PROPOS
C
e volume a été écrit sur la base de quatre leçons académiques que j ' a i présentées comme l'Ecole
directeur
d'études
Pratique des Hautes
invité
à
Études,
Section des Sciences Religieuses à Paris entre le 4 et le 2 4 mai 2 0 0 6 . J e tiens à
remercier très vivement ma collègue, Christiane Zivie-Coche, directeur d'études, pour l'honneur de m'avoir invité à donner cette série de conférences. Elle a aussi corrigé mon texte français. De surcroît, au cours des conversations que j ' a i eues avec elle durant mon séjour à Paris, elle a fait quelques remarques
précieuses, qui m ' o n t incité d'approfondir divers éléments de mon étude. Les pages consacrées à la « démographie des Textes des Cercueils » en sont largement le résultat. Ce volume a une longue histoire, et constitue une sorte d'assemblage d'idées, d'abord très disparates, que j ' a i développées pendant près de vingt ans. Une première version du premier chapitre a été conçue en 1 9 9 5 , dans le cadre d'un cours intitulé « Samfund og historié » que j ' a i délivré pendant un séjour comme professeur invité à l'Institut Carsten Niebuhr de l'Université de Copenhague. Le deuxième chapitre offre une XIII
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
sélection des acquis récents de la Mission de la K.U. Leuven à Deir el-Bersha'. La thèse principale traitée dans le troisième chapitre a été exposée pour la première fois dans la conférence « The Coffin Texts and democracy » que j'ai prononcée au cours de la table ronde intitulée « Textes des Pyramides et Textes des Sarcophages », qui s'est déroulée à l'Institut français d'archéologie orientale du Caire, du 2 4 au 2 6 septembre 2 0 0 1 \ Une version très préliminaire et simplifiée a été publiée dans mon article « Het nomarchaat als politieke, sociale en religieuze factor in de Egyptische provincie », Phoenix 4 6 . 2 ( 2 0 0 0 ) , p. 7 2 - 1 0 4 . HARCO WILLEMS
Orp-le-Grand, 1 0 septembre 2 0 0 6
1.
Projet
de
fouilles
Onderzoeksfonds
de
réalisé la
grâce
K.U.Leuven
au
support
et d u
financier
Fonds v o o r
du
Bijzonder
Wetenschappelijk
O n d e r z o e k - Vlaanderen. En 2 0 0 6 , notre projet bénéficiait aussi d'une subvention de la Nationale Bank van België. 2. Communication que, par manque de temps, je n'ai pas pu publier dans les actes de ce colloque.
INTRODUCTION
E
n lisant le grand nombre d'études consacrées aux nomarques égyptiens depuis plus d'un siècle, on s'apercevra aussitôt que ces fonctionnaires ont été prioritairement considérés sous leur aspect administratif et politique, ce qui est compréhensible. Il s'agit sans aucun doute
d'une catégorie de hauts fonctionnaires régionaux qui ont exercé une influence capitale pendant l'époque qui s'étend de
la fin de la V dynastie jusqu'à l'extinction de la XII dynastie. Il e
e
n'a pas échappé aux spécialistes que la plupart d'entre eux remplissaient aussi des fonctions religieuses, par exemple comme chef des prêtres dans les temples provinciaux. Mais, si leurs autobiographies font état de leur rôle sacerdotal, les informations concernant ces tâches, probablement importantes, ne sont souvent que très laconiques. Dans la plupart des cas, les textes ne nous renseignent que sur le fait que le nomarque portait un titre tel que im.y-r hm.w-ntr,
sans détailler les
spécificités de cette occupation. Moi aussi, je vais également m'occuper principalement de l'aspect administratif de leur situation dans la société égyptienne. Néanmoins, il me semble que, si l'on recense toutes les indications disponibles, il s'avère 1
LES TEXTES
DES
SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
possible de décrire d'une manière assez approfondie ce qu'était leur activité religieuse. Mais pour arriver à ce résultat, ce serait une erreur que d'aborder dès le début les aspects rituels et théologiques qui seront le point d'aboutissement de ma présentation. Une religion ne fonctionne pas dans le vide. Les individus qui ont produit les sources religieuses que nous connaissons n'élaboraient pas seulement des idées religieuses, ils étaient aussi membres d'une société qui, comme toute autre, poursuivait des buts économiques et politiques. De nos jours, ces aspects sont assez strictement liés à des domaines sociaux différents, en tout cas dans le monde occidental, bien que les dernières années montrent malheureusement un certain mouvement dans la direction opposée. Pour les Égyptiens, une telle ségrégation n'a jamais existé. En fait, toutes les sources dont nous disposons, même celles que les égyptologues préfèrent appeler « textes autobiographiques » ou « textes historiques », ont pour origine le cadre architectural des tombes, donc un milieu profondément religieux. Il est important de ne pas perdre de vue ce fait capital. Une des fonctions de la religion qu'on peut retrouver dans plusieurs cultures, c'est qu'elle offre un fondement idéologique à la structure sociale. Sur un plan bien connu et presque banal, c'est aussi le cas en Egypte, où le roi lui-même revêtait un rôle divin — ou plutôt plusieurs rôles divins à la fois. Beaucoup d'égyptologues se sont occupés de telles questions, en étudiant, par exemple, par quels moyens s'exprimait la divinité du pharaon. Mais on pourrait aussi aborder la question dans un sens opposé : en analysant d'abord la structure sociale (dans le cas présent, celle des provinces de Haute Egypte) pour mettre en lumière dans quelle mesure cette structure correspond à celle de la mythologie ou au scénario des rituels. Le premier chapitre traite du rôle historique, social, politique, administratif et, bien sûr, religieux des nomarques. Notre 2
INTRODUCTION
documentation provient principalement des cimetières nomarcaux. Un tour d'horizon des renseignements disponibles sur ceux-ci montre tout de suite un biais à la fois dans la documentation et dans le genre de questions que se sont posés les égyptologues. Ainsi, concernant le site bien connu de Beni Hasan ce sont surtout les grandes tombes des gouverneurs qui ont retenu l'attention. Il existe, par exemple, de nombreuses études qui tentent de situer ces personnages dans le cadre historique de leurs temps. Il n'est évidemment pas sans intérêt d'aborder ce type de problématique, mais les tombes des gouverneurs n'occupent qu'une partie du site. Près de mille tombes appartenant à l'entourage des gouverneurs et aux membres de la communauté qu'ils dirigeaient ont été découvertes, il y a plus d'un siècle, par G A R S T A N G . Malheureusement ce professor of the methods
and practice
of archaeology
à l'université
de
Liverpool a détruit les contextes archéologiques de ces centaines de tombes au lieu de les documenter. De surcroît, les objets découverts ont été dispersés à travers le monde. La tentative de S. O R E L qui, il y a quelques années, a entrepris de reconstruire les contextes archéologiques, est certes importante, mais n'en donne qu'une idée très approximative. Ce qui implique que nos informations sur l'organisation du site — organisation qui doit refléter l'organisation sociale de cette communauté nomarcale — sont assez restreintes. Malheureusement, le site de Beni Hasan n'est pas une exception. Le genre de fouilles entreprises au début du X X sièE
cle à Deir el-Bersha, Meir, Assiout, Deir el-Gabrawi, Qaw elKebir, ou, plus récemment, à el-Hawawish, avaient toutes pour but de collecter des objets d'art, des textes, et des copies de tombes décorées. Pour la plupart de ces sites, qui n'ont guère attiré l'attention depuis les années trente du siècle passé, il n'existe m ê m e pas un plan. Le second chapitre sera consacré au cimetière nomarcal de Deir el-Bersha où l'équipe de la Katholieke Universiteit Leuven 3
LES TEXTES
DES
SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
a entrepris des fouilles depuis cinq ans. Là, se pose la question de ce que l'organisation du site, c'est-à-dire la distribution spatiale des tombes et des différents types de mobilier funéraire, pourra apporter de nouveau pour évaluer dans quelle mesure les coutumes funéraires étaient — ou n'étaient pas — partagées pas
tous
les
citoyens
de
la
métropole
provinciale
d'Ashmounein. Sur cette base il sera possible d'avancer des hypothèses pour estimer comment ce que l'on appelle « la religion funéraire » se répandait à travers les différentes couches sociales. A cet égard, la signification des textes funéraires inscrits sur les sarcophages du Moyen Empire est d'importance primordiale. Ces « Textes des Cercueils » (ou « Textes des Sarcophages ») sont généralement considérés comme témoins de ce qu'on appelle la « démocratisation », ou bien « démotisation », des croyances funéraires royales de la fin de l'Ancien Empire. Cette religion « démocratisée » est parfois considérée comme un trait cardinal de la religion égyptienne du Moyen Empire (et de la Première Période Intermédiaire) dans sa globalité. Le troisième chapitre traitera des origines de cette idée, et essaiera de formuler une critique de son bien-fondé. Dans ce chapitre, il est dans mon intention d'établir plus clairement qui étaient les utilisateurs de ces textes et, pourquoi et dans quelles conditions, ils les utilisaient. Je crois pouvoir montrer que les Textes des Cercueils ne reflètent pas du tout les sensibilités religieuses de l'Egypte entière, mais qu'il s'agit plutôt de la religion d'une couche influente, mais quantitativement très restreinte, de la population égyptienne. Il me semble aussi possible de démontrer que les soucis des membres de cette couche sociale se traduisent nettement dans le contenu des Textes des Cercueils.
CHAPITRE I LA CULTURE NOMARCALE : DIMENSIONS POLITIQUES, ADMINISTRATIVES, SOCIALES ET RELIGIEUSES
L
« WAS UND WER IST ÜBERHAUPT EIN "NOMARCH" ? »'
e titre de nomarque remonte à l'époque grécoromaine. Traduit littéralement, il signifie « chef de nome ou province ». Bien que les nomarques gréco-romains n'aient pas été des gouverneurs provinciaux au sens plein du m o t , le 2
terme est généralement utilisé par les égypto-
logues pour désigner les administrateurs, du rang le plus élevé, des provinces. Le t e r m e « nomarque » ainsi défini est donc une invention égyptologique. Mais m ê m e parmi les égyptologues, tous n'attribuent pas à ce vocable la m ê m e signification. Aussi est-il important tout d'abord de discuter de ce qu'étaient un nome et un nomarque. Ces réalités sont moins faciles à définir qu'on ne pourrait le supposer. De surcroît, on verra que les « vrais » 1.
FRANKE,
ßiO
62 (2005),
col.
466.
2. Au début de la période ptolémaïque le nomarque partageait le pouvoir avec le sfratègos (commandant militaire du nome) qui, déjà à partir du règne de Ptolémée III, assumait aussi des fonctions civiles, tandis que le titre de nomarque ne désignait qu'un fonctionnaire subalterne (voir pour la structure de l'administration provinciale à l'époque gréco-romaine B O W M A N , Egypt after the Pharaohs, p.
56-88
; HÖLBL,
Geschichte des
Pto/emäerreiches, p. 59 et passim). A l'époque des premiers Ptolémées, la situation n'est pas très claire (information de mon collègue Willy CLARYSSE).
5
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
nomarques, c'est-à-dire les gouverneurs provinciaux, appartenaient à une couche sociale plus large, composée d'individus qui, sans porter le titre explicite de nomarque (hr.y-tp
f
j n
N O M E ' ) , jouaient un rôle très semblable dans leurs communautés. Il faudra alors faire la distinction entre les « nomarques » au sens restreint et un mode d'organisation sociale à plus grande échelle que B. K E M P a appelé « la nomarchie »
(Nomarchy/.
C'est cette culture nomarcale, plutôt que les nomarques proprement dit, que j e me propose d'étudier. Mais il n'est évidemment pas possible de pénétrer la culture nomarcale, m ê m e dans le sens de B. K E M P , sans comprendre ce qu'étaient les nomarques et les nomes. Dans les temples de l'époque tardive, on trouve souvent des « listes de nomes » (fig. I ) . Elles se présentent généralement 5
comme
des processions de personnages personnifiant
les
nomes dont ils portent le symbole sur la tête. La base de ces symboles est souvent formée d'un signe qui rend l'image d'une série de terrains agricoles carrés, bordés de petites digues (row), comme on les voit encore en Egypte, de nos jours. Ce hiéroglyphe signifie « district », et il supporte, dans le cas des nomes, un symbole renvoyant à une région spécifique. Par exemple, le quinzième nome de Haute Egypte, où sont établis la ville d'elAshmounein et le cimetière de Deir el-Bersha, était « le Nome du Lièvre ». Ce symbole est arboré par une des personnifications de nomes reproduites à la figure 1.
3. Voir par exemple la remarque de BAER : « It is only the hrj tp 'j w h o seems in all cases to be an official actually heading the administration of a nome ; only this title should therefore be translated " n o m a r c h " » (Rank a n d Title, p. 281). M O R E N O GARCIA, dans : Des 4 . KEMP, C A J 5.
5 (1995L
O n trouvera
« Geographischen
6
P-
Voir aussi
Néferkarê aux Montouhotep, p. 220.
38.
la documentation de
Inschriften », p. 1-19.
base dans BEINLICH,
Studien zu
den
LA CULTURE
NOMARCALE
FIG. 1 : PARTIE DE LA LISTE GÉOGRAPHIQUE DE KÔM O M B O , MONTRANT LES PERSONNIFICATIONS DES XIV ET XV NOMES S
S
DE HAUTE EGYPTE (D'APRÈS DE MORGAN, KOM OMBOS
II.3, P. 2 5 5 [ 8 9 1 ] ) . 7
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
L ' O R I G I N E DES N O M E S
Dans le cadre des temples tardifs, les listes de nomes n'offrent plus qu'une image figée des divisions régionales traditionnelles remontant à une haute antiquité, qui dans la plupart des cas n'avaient plus rien à voir avec les unités administratives de l'époque . Mais ces listes ont des ancêtres plus anciens. Un des 6
plus beaux exemples se trouve sur la Chapelle Blanche de Sénousret I" à Karnak (fig. 2 ) . Là, chaque nome n'est indiqué 7
que par son nom. La liste de Sénousret I donne des précisions er
concernant la superficie des provinces, le niveau atteint dans chacune d'elles par la crue du Nil, et la longueur de la coudée conservée dans le temple principal de chaque nome. Ce qui suggère un lien étroit, au moins à cette époque-là, entre l'administration civile et le temple. Plus ancien encore, le dit « temple bas » de la pyramide rhomboidale de Snéfrou à Dahchour, du tout début de la IV dynastie, comporte
dames personnifiant les domaines royaux (hw.t)
6. Voir
1
des représentations de processions de
les remarques d e YOYOTTE,
de ce roi
Orientalia 35 (1966), p. 46. Plusieurs auteurs se
montrent les victimes du jargon égyptologique en affirmant, p a r exemple, que les nomoi de l'époque gréco-romaine étaient « the established g e o g r a p h i c a l divisions from time immemorial » ( B O W M A N , op. cit., p.
58-59].
La confusion pourrait être due
au fait que même HELCK, un des plus grands spécialistes en la matière, s'exprime d'une manière incohérente. D'une part, il soutient que les « nomes » (ég. sps.t) avaient disparu pour être remplacés par d'autres unités régionales (« villes », et autres catégories d e régions administratives, comme les w et les k'h, et, finalement, les nomoi des époques tardives) qui, d e surcroît, pouvaient être agrandies, réduites, jumelées ou abolies. D'autre part, il décrit toutes ces unités très variées (excepté les « villes ») comme « Gaue », mot généralement utilisé en allemand pour « nome » : voir HELCK, « G a u e »,
LÀ
II,
col.
385-408, qui
donne un aperçu condensé du livre
Die a/ragyptisc/ien G a u e du même auteur. Dans la présente étude on utilisera le terme nomos pour désigner les provinces gréco-romaines à la différence du terme « nome », qui désigne les spj.wt.
7. LACAU, 40-42. 8
CHEVRIER, Une
chapelle de Sésosfris I" à Karnak, p. 220-237 ; pl. 25-26 ;
LA CULTURE
NOMARCALE
i III»'-
IIIP
1 ->• " T " ~ " 7 *T- 1! ! » " ~ V iiiiaÄ— l i m 2 y.^f"onofi_|î2^iiii>fiflrt£„ i(itfif»nni tft tft iionnnn i ni m . i n
FLG. 2 : DÉTAIL DU SOUBASSEMENT DE LA CHAPELLE BLANCHE, MONTRANT LA LISTE DES NOMES DE HAUTE EGYPTE (D'APRÈS LACAU ET CHEVRIER, UNE
CHAPELLE
DE SÉSOSTRIS
I" À KARNAK,
PL.
3).
m
minim IM ", NÎIIIONNI_; ut n nu.
j
LES
(fig
TEXTES DES SARCOPHAGES
3)
8
ET LA
DÉMOCRATIE
En tête des domaines ainsi figures on trouve des dési-
gnations de nomes, de sorte qu'un groupe de domaines est rattaché à un nome spécifique. Il s'agit de la plus ancienne liste de nomes, mais il existe des inscriptions encore plus anciennes qui ont été interprétées comme symboles de nomes. Si cette hypothèse s'avérait correcte, les figurations de nomes remonteraient alors aux premières dynasties de l'époque historique''. Cette brève introduction montre que les symboles de nomes sont de haute antiquité. Mais il est certain que leur signification n'est pas demeurée aussi résistante au changement que leur forme. A l'époque tardive, les nomes ne jouaient plus d'autre rôle que dans la topographie religieuse de l'Egypte. Auparavant, ils avaient désigné des entités administratives, mais, les égyptologues ne sont pas d'accord sur la date à laquelle les nomes 8.
A . FAKHRY, The
Monuments of Sneferu at Dahshur l l . l , p. 17-58. Faute d'alterna-
tive, je continuerai d'utiliser la traduction « domaine » pour le mot égyptien hw.t. M O R E N O GARCIA a suggéré dans une monographie fort intéressante que les hw.wt étaient des institutions royales établies à travers le pays. Le bâtiment central serait un palais en forme de tour, qui constituerait le noyau d'une unité administrative régionale dirigeant non seulement la production agricole, mais aussi l'emmagasinage et la distribution des produits, ainsi que le contrôle des localités soumises à la hw.t. De surcroît, les hw.wt fonctionneraient aussi comme forteresses. Elles étaient soumises directement à la couronne et n'étaient à aucun é g a r d des propriétés privées, comme on l'a souvent pensé [hwt et le milieu rural). J'accepte les conclusions de M O R E N O GARCIA mais, malgré sa critique, la traduction « domaine royal » me semble très appropriée pour une telle institution. 9 . Pour une liste des symboles des nomes, voir W . HELCK, « Gauzeichen », LÀ II, col.
423-424. Pour la possibilité qu'une
empreinte
Khâsekhemoui désigne un nome, voir M A R T I N-PARDEY, renvoyant à KAPLONY,
IÄF
III, fig. 781.
de
sceau du règne
de
Provinzialverwaltung, p. 35,
Pour une interprétation récente, selon
laquelle certaines inscriptions datant du début de la « dynastie zéro » contiendraient des symboles d e nomes, voir J. KAHL,
CdE 78, N ° 155-156 (2003), p. 124-
130. Je dois avouer que je trouve l'argumentation de KAHL hautement hypothétique, aucun des signes ne ressemblant clairement aux hiéroglyphes plus tardifs désignant les nomes. Il a récemment été suggéré qu'une inscription à l'encre sur un vase provenant de la tombe U-j à A b y d o s désignerait une sorte de nome (ENGEL,
MDAIK
6 2 [ 2 0 0 6 ] , p. 1 5 9 , cat. 1 9 ) . L'hypothèse est peu p r o b a b l e , étant donné que les « inscriptions » sur ce groupe de vases ne montrent pas de caractéristiques de l'écriture hiéroglyphique (REGULSKI, Pa/aeographic Study I, p. 3 4 8 - 3 5 8 ) . Ainsi, il n'existe aucun indice en faveur de l'existence d'un « nome du scorpion ».
10
LA CULTURE
NOMARCALE
F I G . 3 : DÉTAIL DE LA PROCESSION DE DOMAINES F I G U R É S DANS LE « TEMPLE DE LA VALLEE » DE S N É F R O U À D A H C H O U R .
LES DEUX DAMES DE DROITE REPRÉSENTENT DEUX DES TROIS DOMAINES DU NOME DU LIÈVRE (XV ). INSÉRÉ ENTRE LES DAMES 2 ET 3 S
ON VOIT LE SYMBOLE DU NOME DE L'ORYX, SUIVI DE DEUX DES C I N Q DOMAINES DE CE NOME (D'APRÈS FAICHRY, THE MONUMENTS SNEFERU
AT DAHSHUR
II, FIG.
OF
16).
11
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
furent remplacés par d'autres types de districts administratifs. Il semble clair que les nomes étaient de vraies unités administratives vers la fin de l'Ancien Empire ; cependant, à nouveau, les débuts du système sont difficiles à repérer. La première source qui présente les nomes intégrés dans un système couvrant la totalité du pays est la liste de nomes du roi Snéfrou déjà mentionnée. C o m m e le montre la figure 3, ce document définit deux éléments d'organisation régionale à la fois : un système de domaines royaux et un système de nomes. Les domaines sont arrangés par groupes dont chacun appartient à un des n o m e s . Ces derniers sont déjà agencés dans l'ordre 10
qui deviendra canonique. Tout se présente donc comme si les domaines étaient subordonnés aux nomes. Selon une hypothèse émise il y a longtemps par K. S E T H E , les symboles de nomes auraient désigné, à l'époque prédynastique, des entités politiques indépendantes ; celles-ci auraient été absorbées dans le nouvel état au cours du processus d'unification de l'Egypte. Mais ces territoires auraient survécu sous la forme des nomes, les provinces constituant alors la forme rudimentaire des royaumes miniatures de la préhistoire". Nos connaissances archéologiques actuelles montrent que l'hypothèse de S E T H E n'a que peu de vraisemblance . De nos 12
jours, les nomes sont plutôt envisagés comme le point d'aboutissement, non de l'époque prédynastique, mais du début de l'époque dynastique. W . H E L C K suggère par exemple que les nomes pourraient avoir été originellement des territoires administrativement subordonnés aux domaines royaux établis à travers le pays". Pour lui, cette évolution aurait pris place pendant les deux 10. Voir aussi l'ostracon Leiden J
24-26
1 1 . SETHE, Urgeschichte und HELCK,
426,
de la IV" dynastie (GOEDICKE,
JEA 54 [1968], p.
et pl. V.] ), mentionnant les hw.wt du dixième nome de Haute Egypte.
älteste Religion, § 38-68. L'idée a déjà été rejetée par
Verwaltung, p. 194.
1 2 . Pour un aperçu des unités régionales prédynastiques, voir KEMP, Ancient Egypt. Anatomy of a
Civilization', p. 73-92 ; 98-99.
1 3 . HELCK, Beamtenrife/n, p.
12
78-80 ;
IDEM, « G a u e »,
LÄ II, c o l . 385.
LA CULTURE
NOMARCALE
premières dynasties, et plus probablement durant la seconde. Dans l'une de ses publications, il suppose même que les nomes ne furent constitués que sous le règne du roi Djoser, période à laquelle des jarres portant des mentions de nomes furent déposées dans les couloirs creusés sous la pyramide à degrés . La 14
création des nomes s'expliquerait par les besoins nés des projets de construction des pyramides, qui débutaient à cette époque. E . M A R T I N - P A R D E Y a souscrit dans les grandes lignes au raisonnement de H E L C K , mais elle relève que de grands programmes royaux furent déjà mis en œuvre pendant les deux premières dynasties. Selon elle, il est vraisemblable, pour cette raison, que les nomes soient apparus dès ce moment-là' . 1
Pour les deux auteurs, la conception d'entités provinciales présuppose l'existence d'un système d'administration et, conséquemment, d'un système d'écriture. Mais depuis que les fouilles allemandes dans la tombe U-j à Abvdos ont révélé un nombre important de textes , on pourrait également repousser la créa16
tion des nomes vers le début de la « dynastie zéro ». Selon une hypothèse un peu aventureuse de J . K A H L , ces textes contiendraient même, possiblement, des références à plusieurs n o m e s " . Pour ma part, je crois que la documentation est trop restreinte pour pouvoir déterminer avec certitude quand les nomes ont été élaborés et, en raison de l'absence d'une base
1 4 . HELCK,
SAK 1 (1974], p. 218. Pmvinzialverwahung, p. 14-40 (accepté par
1 5 . MARTIN-PARDEY,
WILKINSON,
Early
Dynastie Egypt, p. 142, qui plus tard admet une datation d e l'introduction du syse
tème des nomes sous la II dynastie comme la plus vraisemblable). Quelques inscriptions à l'encre trouvées sous la pyramide de Djoser font état du nome de l ' O r y x . Elles appartiennent à un groupe plus large, d a t a b l e , selon une étude récente de I. REGULSKI, du règne de Khâsekhemoui (dans :
Egypt at its Origins,
p. 949-970, et communication personnelle). Elle me renvoie aussi à l'inscription KAPLONY,
IÄF III, pl. 129 (781), que j'ai déjà mentionnée. Un parallèle récemment
découvert à Umm e l - Q a a b montrerait qu'il s'agit en fait d'un nome dont le nom s'écrit avec un taureau. 1 6 . DREYER,
Umm el-Qaab I, p. 113-145; 173-187.
17. Cf. supra, n. 9, p. 10.
13
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
chronologique fiable, il m e semble tout aussi incertain d'envisager les raisons pour lesquelles ils furent institués. Plus sérieusement encore, m ê m e si j ' a c c e p t e l'hypothèse qu'il ait existé des nomes sous le règne de Djoser et peut-être un peu avant, leur signification d'un point de vue administratif ne m e semble pas du tout claire. Les égyptologues qui se sont occupés du sujet ont généralement travaillé en s'appuyant sur l'hypothèse que l'existence de nomes équivaut à l'existence de provinces. H E L C K écrit par exemple : La mention la plus ancienne d'un nome et de son administration se trouve sur un tesson provenant de la pyramide à degrés, qui fait
état d'un « chef du nome de la
gazelle ». Sous le règne de Djoser il existait donc une répartition
en nomes et une administration
de
nomes . ]i
Le fait que ce texte inclut un signe qui, plus tard, désignerait une province est ainsi interprété comme indice, 1 que ce signe avait déjà sous la III dynastie la m ê m e signi0
e
fication que plus tard, et 2 ° qu'à cette époque-là déjà, toutes les régions égyptiennes étaient organisées selon le m ê m e modèle. L'hypothèse est évidemment envisageable, mais la documentation ne
permet
aucune certitude à cet égard. Même dans la liste de domaines et nomes de Snéfrou, rien ne prouve qu'on a affaire à des nomes en tant que provinces, c'està-dire en tant que subdivisions régionales dirigées par un gouverneur. Il me semble, ainsi, tout aussi possible que les domaines aient été rassemblés en groupes régionaux désignés par un sym18.
HELCK,
Beamtentiteln, p. 78 : « Die älteste Erwähnung eines Gaues und seiner
Verwaltung ist auf einer Scherbe aus der Stufenpyramide, auf der ein "Leiter des G a z e l l e n g a u e s " . . . genannt w i r d . Unter Zoser bestand also eine Gaueinteilung und damit eine Gauverwaltung ».
14
LA CULTURE
NOMARCALE
bole qui, pour des raisons qui nous échappent, identifiait un certain espace. Mais le reste du territoire de cet espace, où l'on n'avait pas créé de domaines, pourrait bien avoir été géré par d'autres systèmes administratifs, systèmes qui n'ont pas nécessairement laissé de traces dans les témoignages écrits. D'autres explications sont également concevables. P A R D E Y , par exemple, a récemment émis l'hypothèse que les nomes, étant associés à des symboles probablement d'origine religieuse, étaient des unités régionales originellement organisées autour de centres religieux". Dans cette perspective, il faudrait envisager un développement d'unités régionales d'ordre religieux qui, au fil des années, auraient été transformées en unités administratives. Sur la base de la documentation existante, il n'est pas évident de déterminer à quelle époque cette transformation aurait commencé, et quand elle aurait été achevée. Il semble aussi imaginable que les nomes aient conservé un aspect religieux même après leur conversion en « provinces », ce qui pourrait expliquer pourquoi les nomarques plus tardifs combinent souvent des fonctions civiles avec des charges dans les temples locaux. Mais, en vérité, toutes ces suggestions appartiennent au domaine de la spéculation, et il est peu utile de poursuivre cette piste. Bien que les textes du début de l'Ancien Empire témoignent de l'existence de différents types
d'administrateurs
régionaux, tels que les 'd mr, les hic hw.t 'j.t, les ssm tJ et les hqj spj.t, il m e semble difficile de prouver que l'un quelconque de ces titres ait désigné un individu qui, à lui seul, gouvernait une province dans sa totalité . 20
19- « Provincial Administration », dans : The Oxford Encyclopedia of Ancient Egypt I, p. 17.
20. Voir
par exemple MARTIN-PARDEY, Provinzia/verwa/tung, p.
43-63, qui
interprète en
tout cas les titres d mr, ssm V et hqj (+ nom d e nome) comme désignations d e nomar(
ques. Mais ses propositions ne tiennent pas suffisamment compte des réserves d e K. BAER qui remarque que les divers titres d'administrateurs régionaux de cette époque pourraient renvoyer à des responsabilités plus restreintes que celles d'un gouverneur : Rank a n d Title, p. 274-285. M ê m e si ses suggestions ne concernent pas explicitement les titres 'd mr et hqj (+ nom de nome), elles pourraient bien s'appliquer ici aussi.
15
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Ce qui rend difficile la compréhension du système administratif à ces époques reculées, c'est le manque de textes explicatifs. Sans doute, les différentes régions étaient-elles dirigées par des chefs locaux, mais il n'est pas du tout certain que ces personnages aient déjà été entièrement intégrés dans ce que B. KEMP
21
a appelé la culture formelle, autrement dit la culture
officielle qui se servait de l'écriture hiéroglyphique et d'une culture matérielle typiquement « pharaonique » . Au tout 22
début de l'Ancien Empire, pendant les III et IV' dynasties, il 1
n'existe, ainsi, que très peu de tombes provinciales bâties selon les principes de l'architecture formelle développée dans la région memphite. Les exemples connus sont les suivants : 1. Mastabas de la IIP dynastie et du début de la I V 21
24
à el-Kab.
2.Tombe à el-Gebelein datant de la IV dynastie. Rien n'est e
connu concernant le type de la tombe, et l'identité de son propriétaire, mais la présence d'une boîte contenant l'archive d'el-Gebelein montre que la sépulture devait appartenir à un fonctionnaire qui était intégré dans un réseau d'administrateurs ayant, au moins partiellement, adopté la culture formelle '. Tout récemment, un mastaba datant probablement de 2
la I V dynastie a été découvert sur le site . À el-Gebelein, il 26
existait aussi un temple d'Hathor, dont les vestiges les plus anciens remontent à la IIP dynastie, ou même à la IP . 27
21.
KEMP,
Ancient Egypt. Anatomy of a Civilization , p. 111-160. 2
22. Tout récemment, le même raisonnement a également été a d o p t é par M O R E N O
RdE 56 (2005], p. 98 ; IDEM, dans p. 219-220. 23. HUYGE, EA 22 (Spring 2003), p. 29-31. GARCIA,
24. QUIBELL, El Kab,
: Des
Néferkarê aux M o n t o u h o f e p ,
p. 3- Plusieurs textes trouvés dans ces tombes mentionnent le
roi Snéfrou.
25.
papiri d i Gebe/ein, p. 13. Pour les textes sur la boîte même, Leclant I, p. 315-326. 26. G . BERGAMINI, ASAE 79 (2005], p. 34-36. Le mastaba est tout à fait comparaPOSENER-KRIÉGER, /
voir POSENER-KRIÉGER, dans Hommages
ble à ceux découverts à el-Tarif.
27. CURTO, Aegyptus 33 (1953), p. 105-124 ; SMITH, H E S P O K , p. 137 ; SMITH, Art and Architecture , p. 256, n. 45 ; W I L K I N S O N , Early Dynastie Egypt, p. 3 1 1 - 3 1 2 . 2
16
LA CULTURE
NOMARCALE
3. Mastabas du début de la IV' dynastie à el-Tarif ( T h è b e s ) . 28
Les noms et les titres des défunts ne sont pas connus. Non loin de là existait aussi un temple datant probablement de l'époque « archaïque » sur une colline au nord de la Vallée des Rois . 29
4 . Mastabas à Abydos, datant des III'-IV dynasties, bien que 1
le seul objet inscrit — un sceau cylindrique — renvoie au roi Sahourê de la V' dynastie. Les noms et titres des défunts ne sont pas connus™. 5. Mastabas à Beit KhallâP . Ces tombes ont fourni une 1
masse de matériel inscrit, surtout des empreintes de sceaux
de
l'époque
des
rois
Djoser
et
Sanakht.
Aujourd'hui, l'hypothèse du fouilleur selon laquelle le mastaba le plus grand appartenait à Djoser lui-même n'est plus acceptée. Il s'agit plutôt de membres d'une élite locale dont la nature reste, malheureusement, difficile à établir". Il n'est pas possible de dire si les titres attestés sur les scellements, et qui incluent quelques titres sacerdotaux, mais d'autres aussi, peut-être d'ordre strictement administratif, font référence aux propriétaires des tombes ou non. 6. Mastabas des IIP et IV dynasties à Naga el-Deir. Les noms e
et titres des défunts ne sont pas connus. Une tombe contenait un objet inscrit au nom de Snéfrou".
28.
ARNOLD,
KOWOWSKI,
G r ä b e r des Alten und Mittleren Reiches in El-Tarif, p. PAWLIKOWSKI,
SHWA,
Frühe
KAMMERER-GROTHAUS,
11-18
; GINTER,
Keramik
und
Kleinfunde aus El-Târif, p. 59-99.
29.
Site qui a reçu le nom peu approprié de Thoth Hill ; voir VORÖS, PUDLEINER,
MDAIK 53 (1997), p. 283-287
; VÖRÖS,
Temple on the Pyramid of Thebes, p. 55-
64. 30. PEET, LOAT, The Cemeteries of Abydos III, p. 8-22. 31. GARSTANG, Mahâsna and Beit Khallâf, p. 8-27. 32. Voir très récemment W I L K I N S O N , Early Dynastic Egypt, 33. REISNER, Provincial Cemetery, p. 186-190.
p.
97 ; 324 ; 357.
17
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
7. Mastabas des III et IV' dynasties à Raqaqna. Les noms et titres e
-
des défunts ne sont pas connus' . Plusieurs des tombes sont 4
très grandes. Peu d'objets portent des inscriptions, mais dans les tombes ont été trouvés un graffito mentionnant le roi Snéfrou et une empreinte de sceau de Khâfrê. 8. Le cimetière de Nuweirat (pl. 1 ) . Nuweirat se trouve à une dizaine de kilomètres au sud du site de Zawiyet el-Mayyitin, bien connu par la petite pyramide à degrés qui y fut construite probablement avant le règne du roi Houni (fin de la III dynastie)' . Le cimetière de Nuweirat contient un très e
5
grand nombre de tombes rupestres, mais le site n'a guère été étudié jusqu'à présent. G A R S T A N G l'attribuait aux III et IV e
e
dynasties' . Cette proposition a, depuis, été contestée par 6
34. 35.
GARSTANG, PIACENTINI,
The Third Egyptian Dynasty, p. 31-60. Zawiel el-Mayetin ; pour la pyramide, voir p. 37-43. La pyramide d e
Zawiyet el-Mayyitin est généralement supposée faire partie du groupe d e pyramides miniatures érigées par le roi Houni à travers l'Egypte. Mais, en fait, G . DREYER et W . KAISER émettaient déjà quelques doutes à partir de la constatation que la pyramide de Zawiyet el-Mayyitin est pourvue d e blocs d e revêtement, ce qui implique aussi que sa taille est plus grande que celle des autres pyramides d e Houni : DREYER, KAISER,
MDAIK 36 (1980), p. 50-54. Selon
PIACENTINI, sa dimension serait comparable à
celle des pyramides plus méridionales d e Houni si l'on suppose que celles-ci aussi avaient été revêtues d e blocs en calcaire, mais elle ne peut guère présenter d'arguments en faveur d e cette thèse. De surcroît, depuis les fouilles récentes du Conseil Suprême des Antiquités, il est apparu clairement qu'il existe une chambre sous le massif de la pyramide (observation faite durant une visite en avril
2006)
; ce dispositif est
apparemment absent dans les autres pyramides du même type. Cette chambre avait déjà été insérée de manière hypothétique dans un dessin d e J.-Ph. LAUER,
Histoire
monumentale des pyramides I, fig. 62. La pyramide occupe donc une place à part, ce qui ne rend pas invraisemblable qu'elle date d'une autre période que celle d e Houni : soit avant Houni, soit, comme la pyramide d'el-Sayla, après lui, pendant le règne de Snéfrou. Étant donné que la pyramide d e Zawiyet el-Mayyitin diffère aussi, typologiquement, de celle d'el-Sayla (voir la liste de DREYER et KAISER, /oc.
cit.), la pre-
mière option pourrait être la plus vraisemblable. La conséquence en serait qu'elle daterait du règne d e Djoser, de Sekhemkhet, ou d e Sanakht. Pour la position chronologique d e Sanakht, à la fin d e la III* dynastie, mais avant Houni, voir SEIDLMAYER, dans : Haus und Palast, p. 198-200, n. 14.
36.
G A R S T A N G , Burial Customs, p.
14-16 ; 26-30.
ques tombes pourraient être plus anciennes.
18
Son p l a n suggère même q u e quel-
LA CULTURE
NOMARCALE
K E S S L E R qui suggère une date contemporaine des V et VI' e
dynasties, sans doute surtout parce qu'à cette époque, la coutume d'enterrer les grands chefs provinciaux dans des tombes rupestres était répandue
dans toute
la
Haute
Egypte". Mais, c o m m e l'équipe de la K.U.Leuven à Deir elBersha a pu le constater lors d'une visite récente du site, la céramique date de manière homogène du début de la I V dynastie' . Nuweirat se présente donc comme le premier 8
cimetière connu, comportant ce type de t o m b e s " . Ces huit cimetières appartiennent sans doute à des élites locales qui ont dû assurer des charges administratives. Dans la plupart des cas, on ne possède malheureusement pas de t e x tes nous renseignant sur leur statut. O n pourrait supposer qu'ils étaient responsables de l'administration
d'une pro-
vince, mais cela n'est pas du tout certain. Il est en tout cas frappant de noter que la plupart de ces cimetières est localisée sur des sites différents de ceux plus tardifs où l'on a enterré les nomarques. Les propriétaires d'une des tombes à el-Kab portait les titres sacerdotaux de ir.y-ih.t nsw.t et de im.y-r hm-titr, un autre était ir.y-ih.t nsw.t et shd hm-ntr . m
Rien n'étaye l'idée qu'il s'agit
de nomarques . 41
Les papyrus d'el-Gebelein font régulièrement état d'un hqJ « responsable », et du fils d'un hqj. Selon l'éditeur de ces documents, il s'agirait « sans aucun doute » d'un hqj niw.t, « respon37
KESSLER,
Historische Topographie, p. 190-199, et particulièrement p. 197.
38. Sur la base de la céramique recueillie dans le secteur nord de Nuweirat. Nous n'avons pas encore pu nous occuper du secteur sud qui, selon GARSTANG, serait plus ancien. 39- Cette découverte est due à M . D E MEYER, S. HENDRICKX, L. O P DE BEECK et S. VEREECKEN. Une étude sur la date de ces tombes par S. HENDRICKX, M . D E MEYER, L O p DE BEECK, S. VEREECKEN, H . WILLEMS est en préparation. 40. Q U I B E L I , e/-Kab, p. 3-4 et p l . XVIII.
41.
Voir aussi M O R E N O GARCIA, dans :
Séhel entre Egypte et Nubie, p. 9-10-
19
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
sable d'un vill(ag)e (c. à d. domaine) » . Elle avance clairement 42
que tous les documents sont à mettre en rapport avec le domaine (pr d.t) mentionné dans le papyrus IV, recto C. Cette explication est possible, mais deux autres solutions peuvent aussi être proposées sur la base du contenu de l'archive ellemême. Le recto D l du papyrus Gebelein I fait état de la construction ( ?) d'un « temple de Snéfrou » Qrw.t-ntr n.t •Sn/hv) ', qui 4
pourrait être, selon l'interprétation de P. P O S E N E R - K R I É G E R , soit une chapelle de Snéfrou à Mo'alla, soit son domaine hw.tSnfrw dont le nom survit dans celui de la ville moderne de Asfoun el-Mata'na . On se demandera s'il ne s'agit pas plutôt 44
d'un agrandissement du temple d'el-Gebelein lui-même, dont les vestiges les plus anciens, qui remontent à la III' dynastie ou m ê m e à la IL, témoignent déjà d'un intérêt royal '. Une inscrip4
tion de la tombe de Métjen indique que celui-ci portait le titre de hqJ
hw.t-ntr
« responsable du temple du roi
n.t Snfrw,
Snéfrou » . Le papyrus Gebelein I, lui, fait référence à un éta46
blissement religieux du m ê m e ordre que celui dirigé par Métjen, qui en était le hqj. Il se pourrait donc que le hqj des papyrus de Gebelein ait été un collègue de Métjen. Un passage du recto du papyrus Gebelein III mentionne des livraisons au hqj juste à côté de celles faites au hw.t 'j.t, t e r m e qui désigne, selon M O R E N O G A R C I A , « une sorte de palais qui 47
dirigeait de vastes exploitations agricoles de la couronne, comprenant des domaines, des localités, du bétail et des travail42.
POSENER-KRIÉGER, RdE
27 (1975),
p.
219.
Ce point de vue a été accepté par
[hwt et te milieu rural, p. 95 ; 113), bien q u e son interprétation d u
M O R E N O GARCIA
concept de « domaine » diffère de celle de POSENER-KRIÉGER. 43. POSENER-KRIÉGER, I p a p i r i di Gebe/ein, pl. 3.
44. 45.
O p . cit., p.
14.
CURTO, Aegyptus
33 (1953),
a n d Architecture , p. 25a, 2
46.
Urk. I, p.
n. 45.
7,3.
47. Il envisage un palais royal.
20
p.
105-124
; SMITH, H E S P O K , p.
137
; SMITH, Art
LA
CULTURE
NOMARCALE
leurs ; exploitations qui étaient fondées dans des régions peu organisées du point de vue administratif ou qui avaient un grand potentiel agricole, là où la couronne avait intérêt à affirmer sa présence et à développer les ressources locales ». Selon son enquête, plusieurs villages pouvaient être soumis à un hw.t
J.t .
(
n
Les chefs de telles institutions portaient le titre de hqJ hw.t 'j.l.
Même si ce titre est encore rare au début de l'Ancien
Empire dans le sud de l'Egypte, il ne serait pas surprenant que l'administrateur d'un hw.t 'j.t ait été désigné dans sa communauté par l'appellation abrégée de hqs. Il est difficile de choisir entre les hypothèses que je viens d'énoncer, mais pour notre discussion les conséquences de chacune d'elles sont les mêmes. Selon une des manières de voir, le hqs était un fonctionnaire chargé du temple local érigé pour le culte du roi, selon l'autre, d'un domaine pr d.t. Les deux villages d'Inr.ty et de l'r.w dont les papyrus d'el-Gebelein nous présentent les comptes, peuvent avoir été subordonnés soit à l'une, soit à l'autre des deux institutions. Les deux hypothèses ne sont d'ailleurs pas forcément contradictoires. En effet, Séchemnéfer I remplissait non seulement la fonction de prêtre er
à lnr.ty, mais il finançait aussi partiellement son culte funéraire grâce à un domaine (pr d.t) appelé l'r.w. Il semble ainsi certain que l'r.w ait vraiment été un domaine. Cependant, les domaines pr d.t n'étaient pas des propriétés privées, comme on l'a souvent pensé, mais dépendaient de l'administration royale qui manifestait sa présence dans la campagne surtout par le biais des domaines hw.t . 49
Il n'est donc pas exclu qu'on ait ici affaire
à un contexte où un domaine hw.t se trouvait dans la région dont dépendait l'r.w. On sait également qu'un domaine royal
48. v o , r
Op.
cit., pl. 20. M O R E N O GARCIA, ZÄS 125 (1998), p. 45-55 ; pour la citation,
P- 55-
O n notera qu'un type de personnel attaché à un hw.t 'j.t, les
hm.w
nsw.t, apparaît aussi fréquemment dans les papyrus d'el-Gebelein.
49-
M O R E N O GARCIA, hwt et
le milieu rural, p. 222-229.
21
1
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
pouvait héberger un lieu de culte pour le r o i , de sorte que son s0
c h e f était aussi susceptible d'être responsable du « temple de Snéfrou » mentionné dans les papyrus d'el-Gebelein. Cela montre la présence, dans la région d'el-Gebelein, de fonctionnaires étroitement liés, soit à la cour royale, soit au culte local du r o i , soit à un niveau plus bas, celui de chefs de domaines (hqj niw.t). Quoi qu'il en soit, ces personnages étaient nettement intégrés dans la culture formelle. Mais il n'existe aucun indice en faveur de l'existence dans la région d'un gouverneur provincial. O n ne sait rien des membres de l'élite dont nous connaissons les tombes à el-Tarif, mais l'existence, à une date très reculée, du temple du Thoth Hill rend vraisemblable l'hypothèse que, là aussi, un culte religieux avait dû jouer un rôle important. C o m m e on l'a vu, les textes écrits sur les vases trouvés sous la pyramide du roi Djoser, mais datés de la fin de la II dynastie, e
comportent les premières mentions certaines d'un nome, et ils ont été généralement interprétés, pour cette raison, comme un « terminus ante quem pour la division de l'Egypte en cantons » . s l
O n doit néanmoins tenir compte d'un trait remarquable : ces textes ne font état que d'un seul n o m e , celui de la gazelle". O n peut supposer que le fait que seul c e nome est attesté sur ces documents est simplement dû au hasard, mais ce n'est évidemm e n t pas du tout certain. O n constate que le nome de la gazelle qui apparaît de manière tellement insistante dans les Topfmarken de Djoser était une région qui, au début de l'Ancien Empire,
5
5
0.
Voir SEIDLMAYER, dans : Haus und Palast, p.
,
MARTIN-PARDEY, o p . cit., p. 18 : « "terminus ante q u e m " für die Einteilung Ä g y p -
195-214.
tens in G a u e ». 5
2
Je n'ai pas pu vérifier une impression d e sceau récemment découverte à Umm
e|-Qaab qui, selon les informations que je dois à ILONA REGULSKI, représenterait un autre nome : voir supra, n. 15, p. 13-
22
J
LA CULTURE
NOMARCALE
semble avoir été relativement importante. Une manifestation de cet intérêt en est la pyramide miniature construite probablement entre les règnes de Djoser et de Sanakht, à Zawiyet elMayyitin. Une autre marque réside dans l'existence du grand cimetière de Nuweirat, l'un des plus considérables, consacré à une élite provinciale, qui soit connu dans toute l'Egypte pour le début de la IV dynastie, et peut-être déjà plus tôt, et qui e
« annonce » l'émergence des cimetières rupestres provinciaux des V et VI dynasties. Finalement, le nombre de domaines e
1
royaux dans cette région est, selon la liste de Snéfrou, plus élevé que dans aucun autre nome de Haute Egypte '. 5
Bien qu'il me soit impossible d'expliquer la situation dans cette région, il me semble évident que le nome de la gazelle jouissait d'un prestige extraordinaire, ce qui pourrait justifier les mentions dans les textes du complexe de Djoser à Saqqara . 54
Ces inscriptions attestent l'existence de deux administrateurs régionaux : un ssm V mJ-hd et un hqj mJ-hd^,
ce qui est l'indice,
soit d'une hiérarchie entre ces fonctionnaires, soit d'une organisation avec des chaînes de responsabilité séparées . On verra 56
que le deuxième principe était peut-être aussi en vigueur pendant la V dynastie. En tout cas, il n'est pas du tout certain que e
53- Voir la liste comparative dans KANAWATI, Governmenfa/ Reforms, p. 9, fig. 3. 54- Dans un article récent, E .- M. ENGEL a démontré que des nomes existaient certainement dans plusieurs parties de l'Egypte durant le règne de [MDAIK
Khâsekhemoui
6 2 [ 2 0 0 6 ] , p. 152-157]. L'auteur tente aussi d e montrer que les nomes
existaient déjà pendant la I™ dynastie, et même avant. Les sources auxquelles elle renvoie pour prouver cette dernière hypothèse ne sont, à mon avis, pas convaincantes. Malheureusement, l'article a été publié après que la présente étude avait été mise sous presse, de sorte que, dans mon texte, je n'ai pas pu en tenir suffisamment compte. 5 5 - FIRTH-QUIBELL,
Step Pyramid
I,
p.
137 ;
II,
pl.
106 (5-6]
; PD V , pl.
28, 4-5.
Le
nom du nome a p p a r a î t aussi dans plusieurs autres inscriptions de vases trouvés sous la pyramide de Djoser, mais en dehors du cadre d ' u n titre administratif : voir PD V , pl.
28.
56. Étant donné l'incertitude sur la nature du régime administratif qui régnait alors, je doute que l'on soit en droit de qualifier ces personnages de « nomarques », comme semble le faire M O R E N O G A R C I A ,
hwt et te milieu rural, p. 230. 23
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
les autres régions aient déjà été administrées de la m ê m e façon". Si j ' a i assez longuement discuté ces différents points, c'est pour montrer que, même là où nous pouvons percevoir la présence d'une élite régionale, il n'est pas du tout assuré qu'il s'agisse de gouverneurs de nome. Au contraire, les indices en faveur de la présence de ce genre de fonctionnaires font totalement défaut, tandis qu'il existe des traces montrant que plusieurs des élites régionales ont pu être liées à un lieu de culte royal et peut-être également divin . 58
Pour la IV' dynastie, les textes disponibles nous renseignent surtout sur les fonctionnaires attachés à l'administration centrale. Il est vrai que le nombre de titres provinciaux témoigne aussi d'un accroissement. Mais si l'on jette un coup d'œil sur les sources, on s'aperçoit aussitôt que la plupart des mentions sont concentrées dans trois tombes du début de la dynastie : celles de Métjen (déjà citée), de Netjer-âperef, et de Péhernefer. Dans tous les exemples il s'agit de fonctionnaires attachés à la Résidence qui exerçaient aussi plusieurs tâches dans différentes
57. Il est important de mentionner brièvement le projet peut-être « national » de construire des pyramides miniatures à travers le pays qu'entreprit le roi Houni. La distribution spatiale de ces monuments suggère que chaque pyramide de ce groupe appartenait à un nome : SEIDLMAYER, dans : Haus und
Palast, p. 209-210.
Selon une interprétation récente, la petite pyramide d'Éléphantine était l'élément central d'un domaine royal (SEIDLMAYER, op. cit., p.
205-214, avec
renvois bibliogra-
phiques à d'autres études sur les pyramides miniatures). Il semble évident qu'un tel domaine cum pyramide devait avoir une importance plus grande qu'un d o m a i n e sans pyramide. Le fait que plusieurs domaines pouvaient exister à faible distance l'un de l'autre (dans la liste des domaines de Snéfrou, il n'est pas exceptionnel d'en trouver trois, quatre, ou même cinq dans un seul nome) suggère la possibilité d'une certaine hiérarchie administrative. O n se demandera si d e tels groupements ne pourraient pas avoir été à l'origine du système de nomes tel que le présente la liste d e Snéfrou. 5 8 . Le temple d ' H a t h o r à el-Gebelein était évidemment consacré à une déesse, mais en raison des liens étroits entre Hathor et le roi, ce cas n'est pas clair. Le culte royal doit avoir joué un rôle conséquent.
24
LA CULTURE
NOMARCALE
régions d'Egypte, régions qui sont désignées par des symboles de nomes. Il est clair que l'on ne se trouve pas en présence de gouverneurs résidant de manière permanente dans un nome, mais de fonctionnaires qui remplissaient une série de fonctions passagères. Il se pourrait que ces charges aient été confiées aux porteurs des titres dans le cadre de l'exécution de projets spécifiques. Il n'y a, me semble-t-il, aucun argument pour prouver que ce modèle avait été adopté de manière globale, partout en Egypte, pour l'administration quotidienne des provinces . Peut-être est59
il plus vraisemblable qu'on ait affaire à des cas assez particuliers. Même si l'on doit reconnaître que cette hypothèse reste à démontrer, cela est aussi vrai pour la proposition inverse
60
qui
considère Métjen, Netjer-âperef et Péhernefer comme des figures typiques du mode d'administration provinciale de la IV' dynastie. Au vu de ces incertitudes, la meilleure solution m e semble être d'accepter l'idée que les principes de l'administration régionale nous échappent largement pour cette époque. Par conséquent, l'hypothèse selon laquelle les nomes constituaient les noyaux administratifs régionaux par excellence reste douteuse, bien qu'ils soient dès cette période fréquemment mentionnés dans les textes. Si l'on doit admettre qu'ils jouaient un rôle dans l'administration, il n'est pas moins difficile pour la IV' dynastie que pour l'époque précédente de percevoir de quel genre d'administration il s'agissait.
LES N O M E S PENDANT LA V
E
DYNASTIE
Des changements profonds se produisirent dans l'état égyptien au cours de la V dynastie. Jusque là, les plus hauts fonce
59- M O R E N O GARCIA a récemment émis l'hypothèse que les activités de Métjen et de Péhernefer pourraient être mises en relation avec « la politique très active d'établissement de fondation de hwwt et de hwwt 'st en Egypte » qu'entreprit Snéfrou :
hwt et (e milieu rural, p. 156.
60.
Accepté, par exemple, par KANAWATI,
Governmental Reforms, p. 1-2.
25
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
tionnaires de l'administration centrale avaient été d'importants membres de la famille royale. Ils semblent avoir été remplacés à partir du règne de Niouserrê par des particuliers qui étaient des administrateurs professionnels '. De plus, les inscriptions 6
funéraires, maintenant plus nombreuses, montrent que ces personnages portaient toute une série de titres, titres qui sont arrangés en séries cohérentes, les title strings de K. B A E R . Elles sont généralement interprétées comme le reflet d'une tentative de professionnalisation administrative . 62
Pendant la V' dynastie, le nombre de fonctionnaires augmente considérablement. Leurs tombes restent concentrées dans la région memphite, mais on constate
parallèlement
l'émergence d'un nombre croissant de tombes de hauts administrateurs régionaux en dehors de la capitale. Cette évolution s'explique au moins partiellement par la tendance des administrateurs régionaux à s'installer de manière permanente loin de la Résidence. Mais on ne doit pas exclure une hypothèse complémentaire selon laquelle les élites régionales, qui doivent avoir toujours existé, adoptaient de plus en plus fréquemment la culture formelle dont les tombes inscrites, qui forment la base de nos connaissances, sont une manifestation. De cette hypothèse découle une conséquence importante : la visibilité des administrateurs régionaux dans nos sources pourrait refléter, non seulement un essor du régime administratif, mais aussi une formalisation de la culture matérielle qu'embrassaient les élites locales déjà existantes . 63
61.
BAER,
Rank and Title, p. 296 ; 299-300 et passim ; STRUDWICK, Administration,
P- 337 et passim. 62.
Bien que
le système de
Administration, p. 4-5),
BAER ait été critiqué à
juste titre (STRUDWICK,
la tendance générale ne doit pas être remise en cause.
6 3 . Pour ce raisonnement, voir aussi, tout récemment, M O R E N O GARCIA, RdE 56
(2005),
p.
95-128 (particulièrement p. 109] ; IDEM, dans : 215-228 ; IDEM, dans : Séhel entre Egypte et
M o n t o u h o t e p , p.
26
Des
Nélerkarê aux
N u b i e , p.
19-22.
LA CULTURE
NOMARCALE
Quoi qu'il en soit, au cours de la V dynastie on compte un 1
grand nombre d'individus chargés de tâches administratives régionales et, fréquemment, ils utilisent le symbole d'un nome dans leurs titulatures, présence souvent comprise comme un indice militant en faveur de l'existence de nomarques, et donc, des nomes en tant que provinces . Pour en citer un exemple, la 64
tombe de Khou-nes à Zawiyet el-Mayyitin contient la série de titres ir.y-ih.t nsw.t mj-hd, ssm V et im.y-r wp.t, qui a été interprétée par M O R E N O G A R C I A comme désignation du statut d'un nomarque . En étudiant les textes dans cette perspective, il 65
n'est malheureusement pas facile de cerner quels titres caractérisent un « nomarque », parce que les séries de titres qui ont été associées par les égyptologues au nomarcat sont non seulement très nombreuses, mais aussi très variables. 11 s'agit de titres comme 'd mr ( + nom de n o m e ) , hhw.t 'J.t, ssm V (+ nom de n o m e ) , ir.y-ih.t nsw.t ( + nom de n o m e ) , im.y-r wp.t, 66
im.y-r swnw, im.y-r niw.wt mJw.t, et d'autres. La compréhension de ces titres s'avère complexe. D'une part, plusieurs d'entre eux n'étaient utilisés que dans certaines parties du pays . De 67
l'autre, certains qui ont été interprétés comme titres nomarcaux, ne le sont vraisemblablement pas. C'est par exemple le cas pour le AgJ hw.t 'J.t qui dirigeait une institution royale domaniale directement soumise à la couronne . D'autres char68
ges attestées dans les provinces ne sont pas nécessairement attachées exclusivement à l'administration locale. On peut ainsi mentionner le im.y-r wp.t, titre qui signifie « chef de mission »
64.
Récemment, p a r exemple, M O R E N O G A R C I A , hwt et le milieu rural, p.
238-239.
ZÄS 125 (1998], p. 47. Voir aussi, p a r exemple, FISCHER, M A R T I N-PARDEY, Provinzialverwaltung, p. 43-63 ; 78-108.
6 5 . M O R E N O GARCIA,
Dendera, p. 66. P-
9-12
;
Selon M O R E N O GARCIA, « une sorte de nomarque » : hwt et le milieu rural,
234
6 7 . 'd mr dans le Delta, ssm tJ en Haute Egypte.
68. MARTIN-PARDEY, Provinzialverwaltung, p. 54-57 ; M O R E N O (1998), p. 45 sq. ; IDEM, hwt et le milieu rural, p. 39 ; 234.
GARCIA,
ZÀS 125
27
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
et qui peut s'appliquer aussi bien à une tâche dans les provinces qu'à d'autres fonctions . Étant donné que les associations de 69
titres qu'on rencontre au gré des exemples ne sont pas très stables, il semble clair que leur mode d'acquisition pouvait différer, dans une certaine mesure, d'un cas à un autre . Il en résulte 70
qu'ils sont liés à différentes responsabilités qui pouvaient être combinées entre elles par un m ê m e individu, mais n e devaient pas obligatoirement l'être. O n est donc en droit de dire que ces personnes sont des administrateurs fonctionnant dans les
69. Je ne vois pas vraiment la nécessité d e traduire im.y-r wp.t comme « overseer of the division », ou « Vorsteher der Teilung », ce qui a été proposé pour quelques exemples du titre au moins : FISCHER, Dendera, p.
(1984), p. 231-251.
221-223
; MARTIN-PARDEY, S A K
11
Les raisons pour supposer que le même titre lié à des offrandes,
im.y-r wp.t htp-ntr, devrait comporter un autre mot wp.t que « mission », « charge », comme le propose FISCHER, m'échappent. De même, je ne c o m p r e n d s pas pourquoi le titre « chef d e mission(s) » ne serait pas suffisamment spécifique pour être celui d'un fonctionnaire provincial, comme l'a avancé MARTIN-PARDEY. De plus, pour elle, la traduction « chef d e mission(s) » serait inadéquate, p a r c e q u e cela impliquerait que le système des nomes ne se serait pas encore imposé { p .
235-236).
Non
seulement ces remarques ne sont pas nécessairement pertinentes, mais surtout, elles tiennent comme un fait acquis l'existence d ' u n système n o m a r c a l b i e n établi. C'est, certes, une possibilité, mais qui reste à prouver. Ainsi, une partie importante des prémisses d u raisonnement d e MARTIN-PARDEY n'est pas f i a b l e . Plusieurs auteurs admettent q u e le titre im.y-r wp.t suivi du nom d'un nome aurait été le titre le plus important d ' u n nomarque, comme l'affirment FISCHER, D e n d e r a , p. 9 ; M A R T I N PARDEY, Provinzialverwaltung, p. 66 ; KANAWATI, Governmental Reforms, p. 2 ; MARTIN-PARDEY,
SAK 11 (1984), p. 231-251. Dans cette perspective, il est g ê n a n t que
ce titre, après la réforme administrative du début d e la V I ' dynastie, ne semble pas être spécifiquement attribué aux hr.y.w-tp 'j ( M O R E N O G A R C I A ,
RdE 56 [2005],
p. 116). En outre, s'il ne s'agit pas du titre de nomarque même, mais seulement de son titre le plus important, quel autre titre signifie « n o m a r q u e » ? C e q u ' o n déplore dans la discussion, c'est la manière très vague dont les auteurs utilisent parfois les termes « fonctionnaire provincial » et « nomarque ». Cela rend difficile d e comprendre de quel niveau administratif on discute. 70. La liste publiée dans KANAWATI, Governmental Reforms, p. 2-4, démontre bien la variabilité des
title strings. Dans ses publications les plus récentes,
MORENO
G A R C I A aussi semble avoir changé d'avis (cf. n. 65, p. 27), situant « la création du système des nomarques vers la fin de la V et le début d e la V I ' d y n a s t i e » : RdE 56
(2005), p. 106-107 ;
IDEM, dans : Des Néferlcarê aux M o n t o u h o f e p , p.
dans : Sériel entre Egypte et Nubie, p. 20.
28
220 ;
IDEM,
LA CULTURE
NOMARCALE
nomes, mais pas encore qu'ils sont des nomarques, bien que, dans les circonstances où une personne portait de nombreux titres, la différence devait être, en pratique, minime. Pour comprendre la raison d'être de ce système administratif fragmenté il convient de reprendre les idées énoncées par N. S T R U D W I C K sur le développement de l'administration centrale. Il montre l'émergence, pendant la V dynastie, de cinq 1
« directorats » ou « ministères », subordonnés respectivement au Chef des Scribes des Documents du Roi (im.y-r ss
'
nsw.t), au Chef des Six Grandes Maisons (c. à. d. le Ministère de la Justice, im.y-r hw.t-wr.t 6 ) , au Chef des Travaux du Roi (im.y-r Ic.t nsw.t) , 1]
au Chef du Double Trésor (im.y-r pr.wy-hd),
et au
Chef du Double Grenier (im.y-r snw.ty). Selon S T R U D W I C K , tous ces titres peuvent apparaître accompagnant celui du vizir (tJy.ty Vb tJ.ty), mais la plupart d'entre eux sont également utilisés par d'autres personnes. Le Ministère de la Justice est le seul à être spécifiquement réservé au vizir. Les fonctionnaires dirigeant les autres institutions ne sont donc pas forcément des vizirs, mais ils peuvent porter des titres de rang aussi élevé que ceux accordés à celui-ci. A cette époque, on constate donc l'existence d'un système de cinq directorats plus ou moins indépendants, le vizir n'étant qu'un primus inter pares entre leurs directeurs. Dans plusieurs cas, le vizir était seulement à la tête du directe rat de la Justice, dans d'autres il bénéficiait aussi d'un ou plusieurs autres titres . Ce processus ressemble fortement à celui que nous 72
venons d'évoquer pour les fonctionnaires provinciaux. Dans certaines conditions, lorsqu'un individu parvenait à réunir un grand nombre de titres locaux, ses pouvoirs approchaient, dans
71- Dans une note récente, KREJCI aussi discute ce titre, mais il lui attribue une place moins prééminente dans la hiérarchie que STRUDWICK particulièrement p. 71).
(Ä&L 10 [2000], p. 67-75,
Mais du fait que KREJCI n'entre pas dans une analyse du
dynamisme du système administratif, discutant les occurrences datant de la I V dynastie à la VI" en bloc, je préfère suivre STRUDWICK. 7 2 . STRUDWICK, Administration, p.
337-346
et passim.
29
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
la réalité des faits, ceux d'un gouverneur ; dans d'autres, plusieurs administrateurs pouvaient être actifs simultanément sans que l'un soit nécessairement subordonné à l'autre.
Administration centrale
Vizir Justice
i ^7
Archiv
• ^7
Travaux publics
i ^7
Greniers
•
^7
Trésor
i ^7
Administration régionale
FIG. 4 : ORGANIGRAMME SIMPLIFIÉ DE L'ADMINISTRATION ÉGYPTIENNE ENTRE LES RÈGNES DE NIOUSERRÊ ET DE DJEDKARÊ-ISÉSI. 30
LA CULTURE
NOMARCALE
Ce qui est frappant, c'est que l'administration centrale se présente aussi morcelée que l'administration provinciale. Il n'y a pas de vizir avec des responsabilités générales, il n'y a pas non plus de gouverneur responsable de toute l'administration provinciale. Je ne crois pas que ce parallélisme puisse être dû au hasard. Il est possible que la répartition administrative qui se manifeste si clairement au niveau central ait conduit à une fragmentation de m ê m e nature dans les provinces. Une tentative de visualiser et d'expliquer de manière très simplifiée comment un tel système pourrait être envisagé a été rendue à la figure 4 — il s'agit donc d'un modèle hypothétique, qui ne prétend pas être exact dans les détails, mais qui propose un modèle général susceptible d'éclairer pourquoi les responsabilités sont réparties de manière si fragmentée aussi bien dans l'administration centrale que provinciale. Elle montre une situation où les fonctionnaires envoyés temporairement en province, ou stationnés là de manière permanente, ressortaient tous d'un directorat de l'administration centrale. Au niveau provincial, cela implique une segmentation administrative qui correspond exactement à celle qu'on rencontre dans les textes autobiographiques des administrateurs locaux . 73
L'ADMINISTRATION DES N O M E S PENDANT LA V I
E
DYNASTIE
Vers la fin de l'Ancien Empire, à partir du règne de Djedkarê-Isési, on voit apparaître une nouvelle structure dans
73- Comme hypothèse, on pourrait envisager qu'un titre tel que im.y-r wp.t, « chef de mission », a été utilisé par une personne envoyée, par exemple, par le bureau du im.y-r ks.t pour un projet spécifique : ainsi, dans l'autobiographie de N é k h é b o u on lit que ce directorat dirigeait le creusement d'un canal dans le Delta. Le bureau du im.y-r snw.ty pourrait avoir été responsable d'institutions agricoles locales, etc. Le modèle de la figure 4 est certainement beaucoup trop simple, parce qu'il est prob a b l e que le palais royal avait aussi son propre réseau administratif dans les provinces. Dans ce contexte, des titres comme hqj hw.t 'j.t et im.y-r swnw (voir pour ce dernier
M O R E N O GARCIA,
ZÄS 124 [1997], p. 116-130) peuvent être envisagés.
31
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
l'administration centrale, processus qui s'achève au cours de la VT dynastie . Les cinq directorats continuent d'exister, mais le 74
vizir obtient d'office la plus haute responsabilité au Ministère de la Justice et des Archives, tandis que les chefs des autres départements perdent leurs titres de rang les plus élevés. Ainsi chaque département est désormais clairement subordonné au vizir. Il me semble important que, parallèlement à cette transformation de l'administration centrale, on constate l'apparition d'un nouveau fonctionnaire : le nomarque, appelé en égyptien hr.y-tp J n N O M E , « grand chef d'un nome » . Dans la plupart R
75
des cas, la région dont le gouverneur est responsable s'écrit avec le symbole du n o m e . Ainsi, le nouveau titre exprime clai76
rement que cette unité géographique est désormais placée sous la direction d'un seul fonctionnaire. Dès lors, personne ne doute que, vers le début de la VI' dynastie, le nome est une province. Le titre hr.y-tp 'J n s p j . l / N o M E suggère que le nomarque assume la responsabilité générale de celle-ci, de sorte que j e crois pouvoir élaborer l'organigramme présenté à la figure S . 77
Désormais, tout comme le vizir a obtenu l'autorité globale pour tous les directorats de l'administration centrale, le nomarque a plein pouvoir dans sa province. Aux deux niveaux, on opère sur la base d'une structure top down.
74.
STRUDWICK, Administration, p. 337-346 et passim ; M O R E N O G A R C I A , hwt et le milieu rural, p. 242-248. 75. Selon BAER, ce changement se manifeste déjà à partir de la fin de la V* dynastie (Rank and Title, p. 274-284), mais les exemples les plus anciens, Isi d'Edfou et Ounas-ânkh de Thèbes, sont, aujourd'hui, plutôt datés du début de la VI" dynastie, ou même, dans le cas du dernier, plus tard dans cette dynastie : voir KANAWATI, Governmental Reforms, p. 132-147. 76. Dans les nomes méridionaux, le titre a toujours la forme hr.y-tp j n spj.î, sans mention du nom du nome. Pour cette raison, le titre sera, dans les pages suivantes, souvent rendu comme hr.y-tp 's n spJ.r/NOME. 77. Le système n'apparaît pas partout en Haute Egypte. Les nomarques ne sont pas attestés dans les nomes septentrionaux, probablement parce qu'ils étaient gérés directement par des fonctionnaires memphites : M O R E N O G A R C I A , hwt et le milieu r
rural, p. 242-248. 32
LA CULTURE
NOMARCALE
C o m m e dans le cas de la figure 4 , on doit garder présent à l'esprit que le schéma n'a pour but que de figurer de manière facilement compréhensible le principe d'organisation, et non pas les détails de la structure. Ainsi, là non plus, le réseau administratif du Palais Royal n'a pas été inséré. D e
surcroît,
Administration centrale
X 7
^7
57
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
connaît pas leur nombre total. Ce secteur est moins grand, et sa surface pourrait avoisiner
IJOO
m' environ. Si l'on suppose
que la densité des tombes était la m ê m e que dans l'autre partie, on devrait s'attendre à trouver dix-huit puits supplémentaires, avec un total pour la zone 2 de soixante-huit puits. Presque tous les puits y sont de très grande taille, généralement avec une longueur d'environ 3 mètres et une largeur approximative de 1 mètre et demi, et une profondeur variant entre 4 et plusieurs dizaines de mètres. Il s'agit donc certainement d'un cimetière de la haute élite. Dans le cas de la tombe de Djéhoutihotep ( 1 7 L 2 0 / i ) ' , des cinq puits en face de celle6
ci, et des tombes nomarcales avoisinantes d'Amenemhat (à l'est) et de Djéhoutinakht VI (à l'ouest, mais non représentée sur la fig. 1 o) chaque individu possédait au moins un sarcophage décoré dont tous, sauf un, étaient ornés de Textes
des
Cercueils. Plus à l'est, dans la tombe de Nehri I", le seul puits que nous avons exploré a fourni des fragments infimes d'un ou plusieurs sarcophages décorés de Textes des Cercueils. Dans la partie centrale, les informations disponibles ne sont pas claires, mais encore plus à l'est, on rencontre la fameuse tombe 1 0 de Djéhoutinakht trouvée par R E I S N E R . Le nomarque et sa femme possédaient
cinq
sarcophages, tous avec des Textes
des
Cercueils. D'autres furent découverts dans un puits dans la cour d'accès de la t o m b e . La tombe 1 7 K 8 4 / 1 n'a pas encore 64
été fouillée, tandis que celle d'Ahanakht I renfermait les deux er
cercueils du nomarque, actuellement à Philadelphie ( B i - 2 P h ) , et je pense avoir identifié des fragments d'un autre cercueil qui pourraient provenir de cette m ê m e tombe. Les autres chambres funéraires de ce complexe, ainsi que les petites tombes 1 7 K 7 4 / 1 - 3 , conservaient des fragments de cercueils, mais je 63. Fragments découverts par la mission belge ; voir B. VERREPT, dans : WILLEMS et
al, MDAIK 62 (2006), p. 309. 64. Les cercueils B1-8B0 ; voir Paintings of tfie Middle
158
Kingdom.
pour la fouille de REISNER, TERRACE,
Egyptian
IFS
TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
n'ai pas de renseignement sur la présence, ou non, de décoration. En ce qui concerne les tombes encore plus à l'est, les informations disponibles sont, à nouveau, éparses ; la tombe la plus orientale, celle du nomarque Nehri II, contenait un panneau fragmentaire de sarcophage inscrit avec des Textes des Cercueils . Enfin, deux grands puits à l'ouest (dont l'un seule65
ment est indiqué sur la fig. 1 0 ) recelaient trois cercueils décorés qui ne portent pas de Textes des Cercueils . 66
Bien qu'il soit clair que nos connaissances restent lacunaires,
il est vraisemblable que chaque nomarque du Moyen
Empire
possédait
des sarcophages
ornés
de Textes
des
Cercueils, et que tous les défunts enterrés dans ce cimetière devaient disposer au moins d'un
sarcophage décoré.
On
connaît actuellement des (fragments d') ensembles appartenant à environ trente-sept personnages du Moyen Empire, dont neuf avaient un cercueil décoré, mais sans Textes des Cercueils. Dans l'hypothèse que cette répartition soit statistiquement significative, on peut estimer que 2 4 % des défunts avaient un cercueil décoré, mais sans textes, tandis que le reste (76 % ) bénéficiait des Textes des Cercueils. En outre, on constate qu'il n'était pas très commun dans les zones 1 et 2 d'enterrer plus d'une personne dans une chambre funéraire, bien qu'un puits funéraire conduise, parfois, à deux ou m ê m e trois salles. Les soixante-huit puits pourraient donc avoir contenu au plus cent trente corps environ. De ces cent trente individus, une centaine au plus (—76 % ) disposaient d'un sarcophage avec des Textes des Cercueils. Étant donné la rareté des indices en faveur de la présence des Textes des Cercueils dans le reste du cimetière, le nombre total de personnes oossédant cette sorte de documents ne pourrait guère avoir dépassé cent dix.
05- N o n publié. Trouvé par la mission des Universités de Leyde et Philadelphie et le Museum of Fine Arts de Boston en
1990.
66. DARESSY, ASAE 1 (1900), p. 2 4 2 5 ; WILLEMS, Chests of fife, p. 79 (B14C ; B4-5).
159
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
C o m m e nous connaissons vingt-huit de ces individus, on peut conclure prudemment qu'à Deir el-Bersha, on conserve environ 2 j % du matériel originel, bien que souvent dans un état très fragmentaire.
QUANTIFICATION
DES SARCOPHAGES DÉCORÉS À BEM
HASAN
Un autre exemple intéressant est celui de Beni Hasan. Bien que très peu de ce matériel ait été publié d'une manière utilisable, et que la plupart des cercueils ait été dans un très mauvais état de préservation, on dispose néanmoins de renseignements précieux. Dans les années 1 9 0 2 - 1 9 0 4 , G A R S T A N G avait fouillé huit cent quatre-vingt huit tombes. Sa publication inclut une liste d'objets groupés par tombe. En dépit d'un certain nombre d'erreurs avérées dans cette enumeration, elle fait état de (fragments de) cent trente-trois sarcophages environ '. 6
La plupart des tombes contenait une seule inhumation, mais il en existe aussi où l'on en a trouvé plusieurs. En supposant que les huit cent quatre-vingt huit tombes contenaient les dépouilles de mille m o r t s , les (restes de) cercueils que nous connaissons pourraient représenter 1 3, 3 % de la quantité ori ginelle (on opère ci-dessous sur la base du chiffre rond de 1 j % ) . Bien que la liste de G A R S T A N G manque de précision, il semble que le fouilleur spécifiait les cas où les sarcophages étaient inscrits ou décorés. Il s'agit de quatre-vingt sept exemplaires à peu près, donc 6 j % des cent trente-trois sarcophages. Dans l'hypothèse que ce nombre aussi représente 1 j % de la quantité originelle, on devrait compter avec six cent cinquante cercueils décorés. Parmi le matériel exhumé par G A R S T A N G , quatorze sarcophages portaient un décor à l'intérieur et donc, probablement, 67.
GARSTANG,
Burial Customs, 211-244. GARSTANG décrit ce matériel en termes très
vagues ; par exemple, q u a n d il stipule avoir trouvé des « fragments of w o o d e n coffins », doit-on vraiment en déduire que les fragments appartenaient à plus d'un seul cercueil ? Le chiffre pourrait donc être plus bas que je ne le suppose ici.
160
LES TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
des Textes des Cercueils. Si l'on suppose qu'on possède également i { % de ces sarcophages, le total originel serait d'un ordre de grandeur d'une centaine. On peut remarquer que la documentation de Beni Hasan fait une impression relativement pauvre, à en juger par les photographies assez vagues de la publication de G A R S T A N G , et par son matériel conservé actuellement à Liverpool . G A R S T A N G se 68
réfère continuellement à un nombre restreint de sarcophages décorés à l'intérieur. S'il en avait trouvé davantage, on s'attendrait à ce qu'il ait également mentionné ce matériel, ce qui n'est pas le cas. Aussi nos calculs opèrent-ils sur la base de l'hypothèse que chaque m o r t , sur ce site, possédait un cercueil, ce qui n'est pas forcément exact. Il se pourrait donc que la présence d'un sarcophage décoré (ou m ê m e d'un sarcophage) dans chaque tombe ne soit pas systématique. Dans ce cas, l'estimation que je viens de donner pourrait bien être trop haute.
QUANTIFICATION DES SARCOPHAGES DÉCORÉS À ASSIOUT
Pour finir, jetons un coup d'œil sur le site d'Assiout. Dans sa publication des Coffin Texts, D E B U C K n'utilisait que vingtsept sources. Mon étude sur les sarcophages du Moyen Empire ne s'occupait pas vraiment du matériel d'Assiout dont l'évolution typologique se distingue sensiblement de ce qui était normal dans le reste de l'Egypte, mais ma liste dénombrait déjà soixante dix-huit sources, tandis que l'étude de L A P P renvoie à quatre-vingt huit. Bien sûr, il s'agit, dans la plupart des cas supplémentaires, de sarcophages que de Buck connaissait également, mais qui ne sont pas ornés de Textes des Cercueils. Il a toujours été clair que ces listes plus récentes doivent, elles aussi, être incomplètes, étant donné l'apparition fréquente de nouveaux exemplaires d'Assiout sur le marché des antiquités ou dans des collections privées. À cet égard, Assiout diffère
68. J'ai étudié ce matériel en 1084.
l6l
LES
TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
entièrement des autres sites égyptiens. L'étude approfondie de Z I T M A N a permis de dresser une liste de deux cent quatre-vingt douze sources inscrites . D e surcroît, il fait état de l'existence 69
d'un groupe supplémentaire de quatre-vingt treize sarcophages, dont neuf modèles de sarcophages, conservés au musée de Turin, qu'il n'a pas pu étudier. Avec ce matériel, le total s'élèverait
à
trois
cent
quatre-vingt
quatorze
exemplaires.
Cependant, plusieurs de ces sources remontent à l'Ancien Empire et à la Première Période Intermédiaire. En outre, sa liste inclut quelques boîtes à canopes, sarcophages anthropomorphes, sarcophages provenant de sites avoisinants, et des sarcophages dont l'attribution à Assiout est discutable. Dans ce qui suit, j e pars d'une liste légèrement modifiée de deux cent soixante-treize sarcophages, nombre auquel on peut ajouter les quatre-vingt treize artefacts de Turin qui existent certainement, mais sur lesquels je n'ai pas de renseignements ; un total, donc, de plus de trois cent soixante-six sarcophages. Tous sont des exemplaires décorés. Assiout doit être considérée comme le site de loin le plus riche en sarcophages décorés du Moyen Empire. Deux questions s'imposent ici. D'abord se pose la question de la proportion de sarcophages ornés de Textes des Cercueils. Avant d'aborder ce point, on doit faire une remarque préliminaire. Sur la plupart des sites, deux grands groupes de sarcophages décorés peuvent être définis : 1 ° sarcophages décorés à l'extérieur, mais non à l'intérieur. Ces exemplaires ne portent généralement que peu de textes. Il s'agit de bandes de formules d'offrande et d'autres textes stéréotypés, écrits en hiéroglyphes ornementaux. Bien que reproduits sur des sarcophages, l'égyptologie ne considère pas ces textes comme Textes des Cercueils. 69.
Pour une liste de sources, voir Z I T M A N , The
Necropolis of Assi'ut, p. 105-152.
L'étude récente de H A N N I G , opère sur la base d e plus d e deux cents sarcophages (Zur Paläograph/e der Särge aus Assiut, p. VII).
l62
LES TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
2° sarcophages décorés à l'extérieur et à l'intérieur. Les Textes des Cercueils constituent normalement un des éléments les plus significatifs de la décoration intérieure. Bien qu'il existe des cercueils décorés à l'intérieur qui ne portent pas de Textes des Cercueils, cela n'est pas très habituel. A Assiout, le premier groupe diffère du matériel des autres parties de l'Egypte car les textes ornementaux y sont plus variés qu'ailleurs. Les formules d'offrande elles-mêmes sont souvent constituées de manière entièrement différente, et on introduit aussi des formules religieuses nouvelles dont on trouve, sur d'autres sites, des variantes parmi les Textes des Cercueils. Il s'agit des formules 3 0 , 3 1 , 3 2 , 3 4 c et 6 0 9 . Parfois, on rencontre également des combinaisons de formules d'offrande et de ce groupe de textes. Cet accroissement du nombre de textes à l'extérieur des cercueils est possible parce que les cercueils d'Assiout présentent parfois, au cours de la XII' dynastie, un dédoublement, ou même un triplement, des bandes de textes ornementaux. On pourrait regrouper ces sarcophages avec l'ensemble comportant des Textes des Cercueils. Mais il m e semble plus objectif de dire qu'on est en présence, à Assiout, d'une tradition différente dans la formulation des textes ornementaux ; ils peuvent non seulement consister en formules d'offrande, mais aussi en une sélection très réduite du matériel utilisé ailleurs sous la forme des Textes des Cercueils. Du reste, même dans les cas les plus élaborés, le programme textuel attesté à l'extérieur reste très restreint et relativement invariable. Pour toutes ces raisons, les cercueils contenant les formules 3 0 - 3 2 , 3 4 ^ et 6 0 9 parmi leurs formules ornementales sont considérés ici comme appartenant au groupe 1 . Dans cette perspective, nous définissons donc un Texte des Cercueils comme un texte écrit en hiéroglyphes de petit module ou en hiératique, surtout à l'intérieur des cercueils, et non pas en hiéroglyphes de grand module à l'extérieur. La liste de Z I T M A N contient deux cent soixante-treize sarcophages provenant d'Assiout, de type rectangulaire, et datant du 163
LES TEXTES
DES
SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Moyen Empire. Cinquante-neuf sont décorés à l'extérieur et à l'intérieur, dont au plus cinquante-deux portent des Textes des Cercueils, donc au plus 1 9 % . Malheureusement, ce matériel est en grande partie inaccessible, de sorte que j e ne suis pas en mesure de déterminer s'ils portent, vraiment tous, des Textes des Cercueils. J'en suis certain dans vingt-neuf cas ; dans vingttrois autres, je n'ai pas pu vérifier la situation. De plus, une grande partie du matériel est dans un état si fragmentaire qu'on ne peut pas exclure la possibilité que plusieurs fragments répertoriés sous des numéros différents appartiennent en fait à un seul sarcophage. Ces incertitudes ont comme effet de réduire le nombre effectif de pièces. Mais pour ne pas introduire un « facteur de correction » impossible à estimer, on part ici simplement de la présomption qu'à Assiout, 1 9 % des sources contiennent des Textes des Cercueils. Si l'on inclut les quatre-vingt treize sarcophages de Turin qui ne sont pas accessibles à l'étude, on obtient un total de trois cent soixante-six sarcophages décorés. Si l'on suppose que 1 9 % de ce total est inscrit avec des Textes des Cercueils, on a affaire à soixante-dix sarcophages de cette catégorie. Il est plus difficile d'estimer quelle proportion du nombre originellement déposé dans le cimetière représente cette quantité. Si l'on présume que sont conservés, comme à Deir elBersha, 2 c % du matériel originel, même sous forme fragmentaire, le total pour Assiout atteindrait plus de mille quatre cent soixante-quatre sarcophages décorés, dont deux cent soixante dix-huit ( 1 9 % ) avec Textes des Cercueils. Sur la base de l'hypothèse qu'on a retrouvé i c % du matériel, comme à Beni Hasan, on aurait deux mille quatre cent quarante sarcophages, dont quatre cent soixante-trois ( 1 9 % ) avec des Textes des Cercueils. Il est certain que ces deux estimations sont artificielles. La seule chose qu'on puisse dire, c'est que la comparaison avec deux cimetières rupestres très similaires, et le nombre très élevé de sarcophages d'Assiout connus, suggèrent qu'on possède une proportion significative du matériel originel. 164
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE Pour éviter la possibilité d'une sous-estimation, je travaillerai par la suite sur la base de l'hypothèse, probablement beaucoup trop négative, qu'on possède, sur tous les sites d'Egypte, un maigre c % des sarcophages (complets ou fragmentaires) qui y furent originellement déposés. En fonction de ce qu'on vient de voir dans l'étude détaillée de Deir el-Bersha, Beni Hasan et Assiout, on sera, j e l'espère, d'accord sur le fait que ce n'est pas une quantification trop optimiste . 70
À la figure 2 0 , j'ai établi une liste quantitative des cercueils connus à travers toute l'Egypte. Je n'ai pas tenu compte des rares sarcophages anthropomorphes qui ne portent jamais de Textes des Cercueils, mais seulement des artefacts rectangulaires décorés. J'ai aussi généralement omis les exemples où une personne possède une tombe ou un autre type d'objet inscrit avec des Textes des Cercueils ou des Textes des Pyramides. Mais j'ai inclus cette documentation dans le cas où l'on ne connaît pas d'autre matériel portant ces textes, appartenant au même individu. Par exemple, la liste ne comporte pas le décompte global des masques funéraires. Mais à Meir, ces masques sont, dans quelques cas, les seuls vestiges du mobilier funéraire de certaines personnes. Si ces masques sont inscrits avec des Textes des Cercueils, il est clair que le propriétaire de la tombe avait accès à ce type de textes. Étant donné que notre étude envisage l'accessibilité de ces textes pour les Egyptiens, j'ai pris en compte ces exemples. La figure qui suit est fondée sur une comparaison de la liste que j'ai publiée dans Chests of Life avec celle de L A P P ; pour Assiout, je me suis entièrement appuyé sur celle de Z I T M A N
71
. Les nombres pour Beni Hasan
sont basés sur les mêmes listes et sur la liste de G A R S T A N G .
70. Comme on vient de le voir, on possède, pour le premier site, (des restes de) environ 25 % du matériel originel et, pour le deuxième, 15 % ou plus du matériel originel.
71.
WILLEMS,
Chests o f Life, p. 10-40 ; UPT», TYPOIOGIE, p. 272-313 ; Z I T M A N , The
Necropolis of Assiuf, p. V05-152.
165
LES TEXTES DES
Sites
SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
Sarcophages
Nombre
Sarcophages
Nombre
Nombre
Nombre
avec Textes
d'individus
sans Textes
d'individus
total
total
de cercueils
d'individus
des Cercueils
des Cercueils Assouan
1
1
1
1
2
2
el-Gebclcin
;
2
9
9
12
11
26
23
27
17
53
37"
1 ?
1 ?
Thèbes Dcndara
71
Farshut Abydos
3
Naga e l - D e i r
3
1 ?
1
1
1
1
5
5
8
8
3
7
6
2
4
4
4
3
3
2
2
2
Akhmim Q a w e!-Qebir
1 ?
Non inclus
14
3
3
8
7
II
10
2 9 ( + 2 3 ?)
24 (+23?)
221
219
2 5 0 ( + 2 3 ?)
2 4 3 ( + 2 3 ?)
Meir
71
64
61
59
132
122
Deir el-Bersha
50
28
9
9
59
37
Beni Hasan
14
9
73
72
87
81
Ihnasiya el Medina
2
2
Sedment el-Gebel
7
5
8
Haraga
2
2
D e i r Rifa Assiout
Hawara
2
2
7
15
12
9
9
11
11
1
1
1
1
Riqqa
1
1
12
12
13
13
Liebt
10
10
8
7
18
17
1
1
1
Mazghouna
1
Dahchour
N o n inclus'*
Saqqara
36
28
26
26
62
54
Abousir
4
3
11
II
15
14
K ô m el Hisn
1
1
1
1
Qatta Origine inconnue Total
1
1
1
1
10
9
3
3
13
12
2 8 1 ( + 2 3 ?)
2 2 5 ( - 2 3 ?)
499
481
7 8 0 ( + 2 3 ?)
7 0 2 ( + 2 3 ?)
FIG. 2 0 : QUANTIFICATION DES SARCOPHAGES DÉCORÉS SANS TEXTES DES CERCUEILS ET DÉCORÉS AVEC DES TEXTES DES CERCUEILS. 166
i f S TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
L'annexe en fin de volume reprend la m ê m e liste, augmentée de renvois bibliographiques aux listes de W I L L E M S et de L A P P et, parfois, de notices explicatives. La figure 2 o présente une quantification de sarcophages par site, et établit une distinction entre les sarcophages avec des Textes des Cercueils (colonne 2) et les autres sarcophages décorés (colonne 4 ) . Il arrive régulièrement qu'une seule personne possède plus d'un sarcophage. Le décompte du nombre de cercueils n'indique donc pas exactement le nombre des propriétaires, qui nous intéresse le plus. Les colonnes 3 et c offrent cette information pour les sarcophages comportant les Textes des Cercueils et pour les autres cercueils décorés. La colonne 6 donne le nombre total de sarcophages par site, et la colonne 7 le nombre total de propriétaires. Le nombre de sept cent quatre-vingt ( + vingt-trois ?) cercueils corrobore l'impression qu'on a affaire à une masse énorme de matériel. De surcroît, on sait qu'il existe encore quatre-vingt treize sarcophages d'Assiout à Turin, de sorte que le montant s'élève à huit cent quatre-vingt seize. Finalement, si l'on opère sur la base de l'hypothèse qu'on ne possède que ç % du matériel, les quantités doivent être multipliées par 2 0 . Dans la table suivante, le registre 2 (« total de base ») offre les totaux de la figure 2 0 . Le registre 3 offre la même quantification, mais tient compte d'une estimation fondée sur les quatre-vingt treize sarcophages supplémentaires d'Assiout (« estimation de base » ) . Le registre 4 donne le total sur la base de l'hypothèse que les sarcophages et les propriétaires actuellement connus ne représentent que ç % de la réalité (« quantité originelle » ) .
7 2 . N o n pas quarante individus, parce que plusieurs personnes possèdent à la fois un sarcophage orné de Textes des Cercueils et un sarcophage sans ces textes. 7 3 - Cette source avec Textes des Cercueils doit être antérieure au M o y e n Empire, ce qui explique le point d'interrogation. 74- Voir p. 172. 75- Voir p. 1 7 2 0 7 3 .
167
i f S TEXTES DES SARCOPHAGES
DÉMOCRATIE
Sarcophages
Nombre
Sarcophages
Nombre
Nombre
Nombre
avec Textes
d'individus
sans Textes
d'individus
total
total
de cercueils
d'individus
des Cercueils
des Cercueils
'lotal de base
ET LA
m
248
499
4SI
80 3
m
263
574
553
896
(S 4 4 0
5 260
1! 4 8 0
11 0 6 0
17 9 2 0
720
Estimation de base
Quantitc originelle
16 1 6 0
FIG. 2 1 : ESTIMATION DU NOMBRE ORIGINEL DE CERCUEILS DÉCORÉS (AVEC ET SANS TEXTES DES CERCUEILS) ET DU NOMBRE DE PROPRIÉTAIRES. Mais m ê m e ces dernières quantités sont-elles vraiment si énormes ? Les cercueils ont été produits entre le début du Moyen Empire pendant le règne de Montouhotep II (pas avant 2 0 4 0 ) et la fin de la XII dynastie. On admet généralement que e
cette catégorie de matériel a disparu pendant le règne de Sénousret III ( 1 8 7 0 - 1 8 3 1 ) ou, au plus tard, pendant celui d'Amenemhat III ( 1 8 3 1 - 1 7 8 6 ) . On doit ainsi compter avec 7 6
une durée d'environ 2 2 j ans. La table suivante réduit la quantification des sarcophages originels et leurs propriétaires à une moyenne annuelle pour le Moyen Empire :
Sarcophages
Nombre
Sarcophages
Nombre
Nombre
Nombre
avec Textes
d'individus
sans Textes
d'individus
total
total
de c e f a ï c i l s
d'individus
des Cercueils
des Cercueils
Quantité originelle
6 440
Il 4 8 0
11 4 8 0
Il 0 6 0
17 9 2 0
16 1 6 0
28,6
23,4
51
49,2
79,6
71,8
Quantité annuelle
FFG. 2 2 : QUANTITÉ ANNUELLE ESTIMÉE DE CERCUEILS DÉCORÉS ET DE LEURS PROPRIÉTAIRES. 76. Dates sur la base de l'Oxford History of Ancient Egypt, p. 480. T68
(FS
TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
Il convient aussi de comparer ce résultat avec la mortalité totale au Moyen Empire. La table suivante offre une comparaison entre celle-ci et le nombre de morts possédant des cercueils décorés. Ces derniers proviennent dans leur presque totalité de Haute Egypte, le Delta faisant pratiquement défaut dans la documentation. C'est pourquoi on comparera la quantité annuelle des propriétaires de monuments funéraires ornés de Textes de Cercueils avec la mortalité annuelle totale pour la Haute Egypte . Cette relation est également exprimée en 77
pourcentages.
N o m b r e de propriétaires
N o m b r e de propriétaires
N o m b r e total de propriétaires
d'un ( o u plusieurs)
d'un ( o u plusieurs)
d'un (ou plusieurs)
sarcophages inscrit(s)
sarcophages d c c o r é ( s ) ,
sarcophages d é c o r é ( s )
avec des Textes des Cercueils
mais sans Textes des Cercueils
Quantité 23,4
annuelle
51
71,8
34 3 7 5
34 375
1 , 5 %o
2 , 0 8 %o
Mortalité annuelle en
Ï4
Haute Égvpte
375
Pourcentage de la population avec un
0,68
%o
sarcophage décoré * 7
FIG. 2 3 : ESTIMATION DE LA PROPORTION DE LA POPULATION TOTALE POSSÉDANT DES CERCUEILS (AVEC ET SANS TEXTES DES CERCUEILS).
Le tableau montre clairement que disposer d'un sarcophage décoré était très exceptionnel pour un Égyptien. Les proprié-
77- Voir p. 154-155. 78. Étant d o n n é q u ' u n e personne peut posséder à la fois des sarcophages avec et sans Textes des Cercueils, le pourcentage total n'équivaut pas exactement à la somme des colonnes 2 et 3.
169
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
taires d'un sarcophage inscrit avec des Textes des Cercueils étaient encore beaucoup plus rares . Dans l'hypothèse que j % 79
seulement de ces cercueils ont laissé une trace, un seul Égyptien sur mille quatre cent soixante-dix en détenait un. O n peut m'accuser d'être parti d'un point de départ trop pessimiste, et qu'originellement le nombre de sarcophages de ce type était plus élevé. Cela impliquerait que les chances de préservation étaient encore bien pires que je ne l'ai supposé. Même si l'on croit justifiable que i % seulement des cercueils ait été entièrement ou partiellement préservé, il ne reste pas moins qu'un faible 3 , 4 %o de la population en possédait un, donc une personne sur trois cents . Mais en se fondant sur une analyse 80
détaillée, surtout de Beni Hasan et de Deir el-Bersha, cette supposition me paraît totalement insoutenable. Une vérification indépendante est possible pour le site de Deir el-Bersha, où il est relativement facile d'aboutir à une estimation quantitative du nombre d'individus ayant eu accès aux Textes des Cercueils. Les sarcophages comportant ces textes y sont presque entièrement concentrés dans les zones 1 et 2 , et on a pu établir un pronostic sur le nombre d'individus susceptibles d'y avoir été enterrés. Notre calcul assez optimiste aboutissait à un total de cent dix individus pour la période de deux cent vingtcinq années que nous étudions. Donc, une moyenne de presque o, j morts par an possédait un ou plusieurs sarcophages avec des Textes des Cercueils. Aucun autre site dans le nome du Lièvre n'a fourni des sarcophages comportant ces textes.
79. Selon l'estimation plus basse d e l'espérance de vie de 2 5 ans environ (voir P- 155)
°
n
atteint une mortalité annuelle de quarante-quatre
an. Sur cette base, un faible 0,53
mille personnes par
% o d e la population aurait possédé un sarco-
phage décoré de Textes des Cercueils. 80. O n retiendra aussi que les calculs démographiques d e BUTZER ont été qualifiés de relativement bas par KEMP et KRAUS. Une estimation plus haute aurait comme effet de réduire le pourcentage de propriétaires de cercueils décorés.
170
LES TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
L'étude démographique de K . B U T Z E R a établi une estimation de la densité de la population des nomes au Nouvel Empire. Pour le nome du Lièvre, avec une surface de 6 ^ 0 km , il calcule une 2
population moyenne par km de cent vingt-trois personnes. Sur 2
cette base on aboutit à une population de soixante dix-neuf mille neuf cent cinquante personnes pour le n o m e . Après correction 81
pour le Moyen Empire, où la population ne se montait, selon B U T Z E R , qu'à environ 6 9 % de ce nombre , on a affaire à cin82
quante-cinq mille personnes à peu près, soit une mortalité annuelle d'environ mille sept cent dix-neuf personnes. Si l'on compare ce nombre aux o,ç morts possédant des Textes des Cercueils, on arrive à une proportion de 0 , 2 9 %o (autrement dit un individu sur trois mille quatre cent cinquante possède des Textes des Cercueils) '. Il est évident que ce décompte n'est pas 8
exact, mais il constitue une vérification indépendante, d'ordre très général, qui suggère que notre premier calcul, d'une proportion de 0 , 6 8 %o, ne devait pas être trop pessimiste. Cette conclusion s'impose d'autant plus, si l'on tient compte du fait i ° que le site de Deir el-Bersha est un des plus riches en sources desTextes des Cercueils dans l'Egypte entière ; 2 ° que la quantification du nombre originel de cercueils inscrits de ces textes y est plus claire qu'ailleurs et 3 qu'il n'y a aucun indice, dans le nome du 0
Lièvre, témoignant de l'existence d'autres cimetières où ce type de matériel aurait été déposé. On doit en inférer que l'idée courante selon laquelle les Textes des Cercueils étaient « en principe » accessibles à tous méconnaît entièrement la réalité. Disposer des Textes des Cercueils était, au Moyen Empire, aussi rare qu'il ne l'est chez
81.
BUTZER,
Early Hydraulic Civilization, p. 74, table 3.
82. Quantification fondée sur le décompte de la population de l'ensemble de l'Egypte, de deux millions neuf cent mille pour le Nouvel Empire et deux millions pour le Moyen Empire. 83. Sur la base d'une espérance de vie moyenne de 2 5 ans, on arrive à deux mille deux cents morts par an, dont 0,5 possèdent un sarcophage inscrit de Textes des Cercueils, donc une personne sur quatre mille quatre cents ou bien 0,22
%o.
171
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
nous de posséder une Rolls Royce. Il faut en conclure que les termes de « démocratisation », « démotisation », et même « prolifération » sont inappropriés. LA DISTRIBUTION G É O G R A P H I Q U E DES TEXTES DES C E R C U E I L S
La position sociale n'est pas le seul facteur déterminant pour savoir qui possédait ce type de textes. Si tel avait été le cas, on s'attendrait à ce que des cercueils inscrits, aussi rares soient-ils, aient été découverts à travers toute l'Egypte. Mais si l'on observe à nouveau la figure 2 0 , il est clair que les choses se présentent différemment. A première vue, on pourrait avoir l'impression que la liste confirme l'hypothèse que les Textes des Cercueils sont présents partout en Egypte. Le Delta manque, bien sûr, presque entière ment dans rémunération, mais en raison des conditions de préservation dans cette partie du pays, cela n'a rien d'étonnant. Pour le reste, toute l'étendue de la Haute Egypte, entre Assouan et Memphis, est représentée. On doit alors tirer la conclusion qu'il était en principe possible d'avoir un sarcophage décoré avec des Textes des Cercueils n'importe où dans le pays. Néanmoins, la liste montre aussi que les chances de trouver un document avec ces textes ne sont pas les mêmes partout. La liste que j ' a i dressée ne prend pas en considération l'évolution chronologique des sarcophages. Aussi, quelques groupes particuliers ont-ils été laissés entièrement de côté. L'ensemble des cercueils d'Akhmim a été omis parce qu'ils appartiennent
à la Première
Période Intermédiaire, avant
l'Unification du pays. On n'y rencontre pas de Textes des Cercueils. Le
groupe
relativement
important
des
cercueils
de
Dahchour a également été laissé de côté, car il date en grande majorité de la fin de la XIL dynastie ou du début de la XIII', et leurs propriétaires étaient presque tous membres de la famille 172
LES
TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
royale. Dans m o n étude qui envisage la culture funéraire des particuliers, ce matériel doit conséquemment être exclu" . 4
De surcroît, on constate que les dix-sept monuments inscrits de Licht n'appartiennent que partiellement à la tradition générale du haut Moyen Empire. Dans plusieurs cas il s'agit de salles funéraires de la fin de la XII' dynastie ou m ê m e de la XIII', décorées, dans un style caractéristique de Licht, avec des Textes des Pyramides. Les sarcophages du prêtre Sesenebenef ( L i - 2 L i ) datent de la XIIL dynastie et sont ornés d'une manière qui ne connaît aucun parallèle en Egypte". Ces sources se situent typologiquement hors du développement national des cercueils privés. Si on ne les prend pas en considération, le matériel de Licht se réduit à un nombre de douze monuments dont dix contiennent des Textes des Cercueils. Il est remarquable que Licht, le cimetière de la résidence, soit comparativement pauvre en documents comportant des Textes des Cercueils. On peut clairement déterminer trois groupes quantitativement importants dans la documentation. Le premier est celui de la zone memphite, avec une quarantaine de sources des Textes
des Cercueils, provenant
surtout
des cimetières
d'Abousir et du voisinage de la pyramide d e T é t i . Le deuxième consiste en matériel de Moyenne Egypte, entre Qaw el-Kebir et Beni Hasan, avec quelques centaines d'exemplaires. Enfin, quelques dizaines de sources sont originaires d e T h è b e s . 84. La mission japonaise à Dahchour a récemment découvert un sarcophage décoré, mais sans Textes des Cercueils. Par son a p p a r e n c e , ce sarcophage, du type IVaa, se range parmi ceux d e la deuxième moitié d e la XII" dynastie, mais les fouilleurs datent l'objet de la XIII" dynastie. En fait, le masque funéraire pourrait conforter une telle date (Waseda University Expedition
1966-2006, no. 248-249),
et le couvercle b o m b é milite aussi en faveur d'une date pas antérieure à la fin de la XII* dynastie. Robert SCHIESTL m'informe q u e la céramique relève également e
d'une datation à la XIII dynastie. Ces indices suggèrent q u ' o n a affaire à un sarc o p h a g e encore décoré selon le modèle classique d e la XII*
dynastie après la
période q u i nous intéresse dans ce livre. 85. Pour les détails, voir ALLEN, dans : Tfie W o r l d o f the Coffin Texts, p. 1-15, particulièrement p.
2
(type IV Var.) et p.
14-15. 173
LES TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
II me semble significatif qu'un nombre si élevé d'exemplaires ait été retrouvé sur ces sites, tandis qu'on n'en connaît que très peu d'autre origine. Ainsi, Abydos était un cimetière considérable, et les conditions de préservation y sont tout aussi favorables que, par exemple, à Assiout. Néanmoins, on ne recense que trois sarcophages décorés de Textes de Cercueils, en provenant. Ce qui est assez étonnant, car le culte abydénien d'Osiris jouait un rôle primordial dans la religion funéraire de l'époque. Dans la mesure où les conceptions religieuses d'origine abydénienne sont très fréquemment mentionnées dans les Textes des Cercueils, on aurait pu supposer que le site ait fourni une quantité importante de sources. Mais le fait que les contextes funéraires à Abydos n'incluent que très exceptionnellement des Textes des Cercueils ne peut pas être nié . 86
On doit en conclure que ces textes auraient pu apparaître partout, mais qu'apparemment, la nécessité de les posséder n'était pas ressentie de la m ê m e manière d'un site à un autre. Il devient alors intéressant de savoir qui étaient les personnes particulièrement soucieuses d'en disposer.
SAQQARA ETABOUSIR
Dans le cas des cercueils de Saqqara, la situation est claire. Il n'y a pas de doute que la grande majorité date du début du Moyen Empire, de la fin de la X I dynastie jusqu'au début du e
règne de Sénousret I , au plus tard. Des exemplaires plus tarer
difs existent, mais ils sont rares. Ces sarcophages contiennent beaucoup de textes
déjà
connus dans les pyramides de l'Ancien Empire. Plusieurs d'entre eux ont été publiés par de Buck comme des Textes des Cercueils ; mais dans le cas des formules d'offrande, très sem86. Un groupe d e sarcophages inscrits d e textes religieux de provenance nienne, qui a été récemment publié, est typologiquement
et
abydé-
chronologiquement
(Deuxième Période Intermédiaire) différent du matériel envisagé ici (GRAJETZKI, S A K 34 [2006], p. 205-216).
174
IFS TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
blables à celles présentes dans les Textes des Pyramides, on est en droit de se demander s'il ne s'agit pas simplement de « Textes des Pyramides » dont, par hasard, on ne possède que des exemples du Moyen Empire. Il est vrai, cependant, qu'on rencontre également des Textes des Cercueils bien attestés comme les formules jç ou 3 3 c . Et, en fait, il n'est pas invraisemblable que les scriptoria d'Héliopolis et de la région m e m phite, qui avaient élaboré les textes utilisés dans les pyramides de l'Ancien Empire, aient aussi conçu d'autres types de documents. Une partie au moins de ceux-ci pourrait avoir été transmise au Moyen Empire sous la forme des Textes des Cercueils. Ces sarcophages de la région memphite proviennent en grande majorité du cimetière lié à la ville de la pyramide du roi T é t i (dd s.wt Tti), qui abritait également, semble-t-il, la prêtrise de la pyramide du roi Mérikarê (wjd s.wt Mr.y-lo-R').
Cette der-
nière se trouvait probablement à l'est de celle de T é t i . 87
Beaucoup de ces pièces appartenaient certainement à des prêtres funéraires attachés à ces complexes royaux. Selon H. K E E S , les attestations du culte de Mérikarê montreraient que ce cimetière
date de la Première
Période
Intermédiaire . Mais Mérikarê régnait à la fin de cette période, 88
et il est difficile de replacer tous les prêtres attachés à son culte avant l'Unification du pays par Montouhotep II. On sait aussi, maintenant, que Gémeniemhat, le propriétaire de S q i - 2 X et prêtre de Mérikarê, vécut au début de la XII' dynastie . Il est 89
donc clair que les Thébains n ' o n t pas supprimé le culte funéraire de leur opposant défunt. La liste suivante offre un aperçu des monuments mentionnant les pyramides de Téti et de Mérikarê. 87.
MALEK, dans : Hommages
Ledant IV, p. 203-214.
88. Par exemple KEES, Tofeng/aufaen, p. 167.
Le raisonnement de KEES est encore
suivi, mais sans arguments supplémentaires
décisifs, par
DAOUD,
Corpus
Inscriptions, passim. 89. A L I E N , dans : The Theban Necropolis. Past, Present and Future, p. 17. V5
of
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE Sources
Culte (leTéti
Culte de Mérikarê
Autres titres
Sq4C
mt.y n SJ
ss ntr
hr.v-hb.t im.y-r hw.î-nîr hr.y-hb hr.y-tp hr.y sstJ hr.y-hb wr im.y rnp.i
Sc|8C
im.y-r hw.t-ntr ss ntr
im.y-r hw.t-ntr hr.y-hb im.y rnp.i hr.y sstJ sh-nîr
shd n SJ
SqlOSq
sdm sdm.t w'i.w im.y-r w niy m sr.wi hnt.x-s hks hw.i-nsw.t hrp kj.t htm.tybi.ty smhr w'.ty ir.y-ih.t nsw.t m: r
mi.y n sJ
htm.w-bi.ty smhr w'.ty im.y-r pr ir.yih.t nsw.t mj' im.y-r snw.ty. L a m ê m e p e r s o n n e é t a i t a u s s i im.y-r pr rh nsw.t w'.w™
Scjl^X
mt.y n SJ
ss ntr
Fausse-porte"
mî.y n sJ hnt. y-s
htm.w-bi.ty smhr w'.ty niy m sr.i rh nsw.t mj' hr.y-tp nsw.t hkj-hw.t rhnsw.i mj' hrp ks.i m imn.t.t Lb.t.t
mt.x n sJ
Sql-2X
mt.y n SJ im.y-r ms'
Fausse-porte^' Fausse-porte'"
Fausse-porte^
mî.y n sJ hnt.y- mt.x n sJ s
ss pr-hd
1
Fausse-porte '
mî.y n SJ
Fausse-porte""
Titre incomplet mentionnant la pyramide
Plâtre""
Mention incomplète de la pyramide
1
htm.w-bi.ty smhr w'.ty sdm sdm.t w'i.w ss sjb im.y-r w im.y-r sn-fJ nb sjb ir.x Nhn rh-nsw.t shd ss.w n hw.twr ss 'pr.w n nfr.w im.y-hî pr.wy-hd
FIG. 2 4 : MONUMENTS MENTIONNANT LES PYRAMIDES DE TÉTI ET DE MÉRIKARÊ. 90. Voir sa stèle dans DAOUD, Corpus of Inscriptions, p. 59-61
91. 92.
QUIBELL,
Saqqara
IÇ05-1006,
pl. XIII ; D A O U D , o p . cit., p.
et pl. XXIA.
66-69.
QUIBELL, op. cit., pl. XII.
93.
QUIBELL, op. cit., pl. XV ;
94.
QUIBELL,
95.
FIRTH, G U N N , TPC I, p. 202
D A O U D , o p . cit., p. 7 1 - 7 3
Saqqara lÇOô-lço/,
96. FIRTH, G U N N , TPC I, p. 202
et pl.
pl. VI ; D A O U D , o p . cit., p. (50)
; D A O U D , op. cit., p.
XXV.
73-75.
155.
(51) ; DAOUD, op. cit., p. 155. Mention fragmentaire
dont ne subsiste qu'une partie du nom de la pyramide de Mérikarê. 97. DAOUD, op. cit., p. 155 (impression d'un texte en plâtre contenant une mention fragmentaire du culte de la pyramide de Mérikarê).
176
LES
TEXTES DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
O n est frappé par la fréquence de l ' é l é m e n t
Gémeni-
dans les noms des personnages dont nous connaissons les c e r cueils, c o m m e Gémeniemhat. Il est bien établi que c e t é l é m e n t est le nom abrégé du vizir Kagemni de l ' A n c i e n Empire, dont la t o m b e se trouvait à proximité de la pyramide de T é t i , et dont le culte jouissait apparemment d'une t e l l e popularité que les parents donnaient à leurs enfants des n o m s comportant l ' é l é m e n t G é m e n i - . Étant donné le c a r a c t è r e 98
purement local de Kagemni, on est en droit de supposer q u e les porteurs de noms du type Gémeniemhat étaient originaires de la ville de la pyramide de T é t i . Tout donne donc à p e n ser qu'on a affaire à une communauté locale qui continuait à fonctionner après la conquête thébaine autour des pyramides de Téti et de Mérikarê. Il s'agissait certainement d'une c o m munauté
importante,
ce
dont
témoigne
le
fait
que
Gémeniemhat fut n o m m é chef des greniers et m a j o r d o m e , fonctions du plus haut niveau dans le gouvernement égyptien . 99
La situation à Abousir est comparable : les cercueils furent trouvés dans le cimetière utilisé pendant le Moyen Empire par les prêtres attachés au culte du roi Niouserrê . 100
Enfin, on sait que le culte du roi Pépi I " était toujours e n service pendant la Première Période Intermédiaire et peut être après. En 2 o o j , A. LABROUSSF, et C . B E R G E R ont décou vert une nouvelle pyramide dans ce complexe"". Il s'agit d'une pyramide de très petite dimension, datée du Moyen Empire ou de la fin de la Première Période Intermédiaire , et appartc102
98. Voir DAOUD, o p . cit., p. 60, n. 637, avec références bibliographiques. 99. Pour la position d e cette personne, voir ALLEN, dans : The Theban
Necropolis.
Past, Present and Future, p. 17. 100. SCHÄFER, Pn'estergràber.
101.
BERGER-EL-NAGGAR, LABROUSSE, B S F E
164 (2005),
p.
14-28.
102. C'est maintenant l'opinion d e Catherine BERGER-EL-NAGGAR (communication orale,
11
juin
2006]. 177
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE nant, non pas à un membre de la famille royale, mais à un particulier. Son seul titre actuellement connu (imy-r
htm.t)
conforte l'hypothèse qu'il relevait des cercles les plus élevés de l'administration de l'Egypte"". Par ailleurs, la situation analogue à Abousir et autour de la pyramide de Téti laisse envisager que cet homme pourrait avoir été attaché au culte d'un roi de l'Ancien Empire. Un papyrus rituel avec des Textes des Pyramides, mais daté du Moyen Empire, a été mis au jour, il y a quelques années, dans le temple de la pyramide de Pépi L
rl04
. Dès lors, il est certain
que ces textes étaient vraiment en circulation dans la pratique rituelle du Moyen Empire. La présence de Textes des Pyramides et de Textes des Cercueils dans ces cimetières peut être comprise aisément par le fait qu'un nombre assez élevé de la population participait activement au culte royal pour lequel on utilisait effectivement ces textes. Ces personnes occupaient une position sociale prépondérante, et on ne s'étonne pas que, dans le souci de bénéficier d'un culte funéraire faisant justice à ce rôle, ils n'aient pu résister à la tentation d'inclure ces textes religieux dont ils avaient une connaissance professionnelle profonde . 105
THÈBES ET LICHT
Le groupe thébain date majoritairement de la m ê m e époque, durant la X I dynastie après l'Unification du pays et jusque e
sous le règne d'Amenemhat I". Ce qui est remarquable, c'est que la tradition des Textes des Cercueils à Thèbes se réduit énormément à partir du règne de ce roi. Des vingt-six sarcophages ornés de Textes des Cercueils, sept seulement, apparte-
103. Voir sur ce titre P. VERNUS, dans : G r u n d und Boden, p. 253-260. 104. BERGER-EL-NAGGAR, dans : D'un monde à l'autre, p. 85-90. 105. Pour une explication complémentaire, voir p. 184.
178
i f S 7fX7fS DES CERCUEILS
ET LA
DÉMOCRATIE
nant à six personnes, sont plus r é c e n t s . Il n'est pas difficile de 106
trouver une explication à cette concentration au début du Moyen Empire, bien que ce phénomène, autant que je sache, n'ait pas attiré l'attention jusqu'à présent. L'utilisation de ces textes à Thèbes coïncide chronologiquement avec la présence dans la ville d'une cour royale. Ils émergent à l'époque où Montouhotep II est installé comme monarque du royaume réuni, et ils disparaissent au m o m e n t où Amenemhat I " déménage la résidence vers Itji-taouy, aux environs de Licht. Ce changement s'explique très aisément si on suppose que les propriétaires de cercueils et de chambres funéraires appartenaient directement à la cour du roi. Et, en fait, la liste de ces propriétaires se lit comme la nomenclature! de l'époque. On compte quatre reines , un vizir , plusieurs « ministres » ' , un « géné107
108
m
ral dans le pays entier »"°, ou des porteurs de titres de rang, respectables, mais peu spécifiques ". 1
Dans la région thébaine, on peut déterminer deux groupes de sarcophages et chambres funéraires, distincts. D ' u n e part, il existait un style décoratif qui s'était apparemment déve-
106.
TlBal,
Tl-3Be, T2-3L. J'ai
omis les cercueils noirs de la XIII" dynastie, qui consti-
tuent, non pas une continuation du style classique des sarcophages, mais un développement typologique complètement nouveau. J'ai aussi omis de la quantification le sarcophage récemment découvert par Daniel POLZ à Dra A b o u e l - N a g a , sur
26 [2005],
lequel peu d'informations sont actuellement disponibles (EA
p.
29
et
photographie à la p. 28). Je trouve difficile d'accepter, en me fondant sur la photographie, l'hypothèse que le sarcophage daterait de la XIII" dynastie, comme le suggère POLZ.
107.
Les propriétaires de
108.
Dagi, propriétaire d e la tombe TT 103 et du sarcophage
T3C, T8C, T3NY,
et
TT319. T2C.
109. BWJW, le propriétaire du sarcophage T9C
était htm.ty bi.ty smhr-w'.ty
pr (m tJ r-dr=f)
im.y-r ip.t nb.t m sm'.w tJ mh.w ;
Snnw,
propriétaire de
im.y-r prmtJ Mk.t-R'
im.y-r snw.ty im.y-r pr.wy-hd
T3X
et
TT313
était ir.y-p'.t [fu.ty-']
r-dr=f ; Hty (propriétaire d e
(propriétaire de
T2NY)
TT311),
htm.ty-bî.ty
Mrw (propriétaire de
im.y-r
smhr-w'.ty
TT240),
et
étaient des « directeurs du trésor » (im.y-r htm.t) ;
pour ce titre, voir VERNUS, dans : G r u n d und Boden, p. 110. Le général Antef, propriétaire d e
251-260.
T4X.
111. Horhotep, le propriétaire d e T l C , était htm.ty bi.ty smhr
w'.ty.
179
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE loppé localement, entre Thèbes et Assouan. Ces cercueils étaient ornés d'un genre très spécifique de frises d'objets, et présentaient un programme de textes funéraires
incluant
quelques formules qui ne sont pas attestées en dehors de la région" . 2
Par ailleurs, il est clair que certains cercueils et chambres funéraires furent décorés selon des types également connus dans le cimetière au voisinage de la pyramide d e T é t i . Cela m
suggère soit que les Thébains ont importé ce modèle depuis la région memphite après qu'ils avaient pris le pouvoir dans le nord de l'Egypte, soit qu'un modèle commun s'était imposé à cette époque. Dans le contexte particulier de l'utilisation de ces textes à Thèbes, on doit prendre en compte un fait important. O n a constaté que les propriétaires des cercueils étaient des personnages très haut placés. C'étaient des membres du gouvernement égyptien, et leurs tombes se trouvaient
directement
autour de la tombe du roi. Dans le passé, l'utilisation des Textes des Cercueils et des Textes des Pyramides a fréquemment été décrite c o m m e un processus d'usurpation de prérogatives royales par des particuliers. A Thèbes, il me semble difficile d'accepter
cette
hypothèse, car les tombes de ces « usurpateurs » ont été bâties à proximité du temple funéraire de Montouhotep II à Deir el-Bahari. Il est clair que le roi n'aurait pas admis une telle usurpation s'il y était opposé : on ne doute pas que Montouhotep II aurait eu le pouvoir de l'interdire s'il l'avait voulu. O n doit en conclure que le roi n ' y avait pas d'objection. Ce qui, dans cette situation, est tout aussi notable, c'est que ni lui, ni, pour autant qu'on sache, aucun autre roi du Moyen Empire, n'incluait ces textes funéraires dans sa pro-
112. W I L L E M S ,
Heqata, p.
113. W I L L E M S ,
Chesrs of Life, p.
180
52-54. 106
; IDEM,
Heqata, p.
24, 47-48.
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE pre t o m b e " . Dans ces circonstances, il n'y a plus aucun sens 4
à parler d'une usurpation des prérogatives royales. Il serait plus exact de dire qu'un modèle de culture funéraire, qui avait connu son essor à la cour royale à la fin de l'Ancien Empire, était désormais utilisé par la couche dirigeante du pays, tandis qu'un modèle nouveau de culture funéraire était, dès lors, adopté par le roi l u i - m ê m e " . 5
Quand le roi Amenemhat I" déplaça le siège du gouvernement dans la capitale nouvelle d'Itji-taouy, son entourage dut déménager avec lui. Cela conduisit à la création du nouveau cimetière royal de Licht. Plusieurs fonctionnaires y possédaient des sarcophages ornés des Textes des Cercueils. Mais cet usage ne se perpétua pas de manière très vigoureuse. Dix sources décorées avec des Textes des Pyramides et des Textes des Cercueils sont connues, datant de la période comprise entre Sénousret I
er
et Sénousret III. Deux de ces sources sont d'un
type très différent du matériel dont j e m'occupe ici. Les autres sources de Licht sont encore plus tardives et représentent une tradition complètement distincte" . 6
114. O n connaît deux sarcophages de Montouhotep. Le premier fut découvert par CARTER au Bab el-Hosam. Bien que la tombe ait été retrouvée intacte, le sarcophage ne contenait pas de corps. Evidemment, il s'agissait d'un ensevelissement symbolique du roi. Le sarcophage, du type I, ne portait pas d e décoration à l'intérieur ( CARTER, ASAE
2 [1901], p. 204]. Un
fragment qui pourrait avoir appartenu
à un sarcophage décoré à l'extérieur avec le nom royal et une fausse-porte ou façade de palais, mais non décoré à l'intérieur, a été découvert dans la tombe royale par É. NAVILLE
et C T . CURRELY (voir A R N O L D , Der Tempel des Königs
Mentuhotep III, p. 48 et pl. le, 6la).
Le cercueil du roi Hor, de l'extrême fin de la
XIle dynastie ou de la XIII* comporte une sélection très réduite de Textes des Pyramides à l'extérieur (voir D E M O R G A N , Dahcfiour I, p. la date, voir AUFRÈRE, BIFAO
101 [2001], p. 1-41). Aucune
101-105
et pl. XXXVI. Pour
salle funéraire royale du
M o y e n Empire n'est inscrite avec des textes religieux.
115.
QUIRKE,
Ancient Egyptian Religion, p.
155-156,
exprimait déjà ce point de vue.
116. ALLEN, qui prépare la publication d e ce matériel, reconnaît six « styles ». Les styles I et II comportent des cercueils en bois et en pierre du modèle étudié ici. Ces huit sources s'échelonnent entre le règne de Sénousret I" et Sénousret III ( ALLEN, dans : The W o r l d of the Coffin Texts, p.
13-14).
ALLEN
n'inclut pas dans sa liste deux
morceaux de feuille d'or décorés avec des textes funéraires et provenant de
l8l
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE LA MOYENNE EGYPTE
La présence des Textes des Cercueils à Thèbes et dans la région memphite est donc concentrée au début du Moyen Empire. Bien que la coutume ne s'éteigne pas totalement sur ces sites, il ne s'agit plus d'une tradition dominante. En Moyenne Egypte, l'évolution suit un cours tout à fait différent. Non seulement on y trouve le nombre le plus élevé de sources (voir les colonnes 3, ç et 6 de la figure 2 0 ) , mais il est également clair que la popularité des Textes des Cercueils ne s'éteint pas après Sénousret I . Entre Assiout et Beni Hasan surtout, le er
nombre de sarcophages avec ces textes reste assez important. Cette particularité, me semble-t-il, n'a pas été remarquée jusqu'à présent. Pourtant, c'est un fait capital, comme on le constatera plus loin. Une enquête récente de L.
GESTERMANN
a apporté des ren-
seignements singulièrement intéressants sur le problème de la dissémination des Textes des Cercueils dans cette r é g i o n " . Elle 7
prend c o m m e point de départ l'observation que la cour thébaine de Montouhotep II s'était emparée des textes funéraires en circulation dans les archives memphites. O n pourrait supposer que cette politique fut mise en œuvre par le biais du transfert des archives memphites àThèbes, mais
GESTERMANN
argu-
mente autrement. Elle constate que les sarcophages de Deir el-Bersha contiennent une masse de textes si variée, si originale, et si considéra-
cercueils de Licht
(L2-3NY)
; voir W I L L E M S , Chests of Life, p.
24.
Ces dix sources sont
prises en compte dans les figures 20 et 21. Il existe en outre deux chambres funéraires, mais elles sont décorées dans un style entièrement différent, bien qu'elles contiennent des Textes des Pyramides. Elles sont datables du règne d'Amenemhat Il (ALLEN, dans : The World of the Coffin Texts, p.
13-14).
O n pourrait également
ajouter la chambre funéraire L4NY et le bloc appartenant à une chambre funéraire
L6NY, qui
sont aussi décorés dans un style qui n'a rien à voir avec notre matériel.
Je ne dispose pas de suffisamment d'informations sur le fragment d e sarcophage
L5NY.
117. 182
GESTERMANN,
dans : D'un monde à /'autre, p.
201-217.
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE ble, qu'il semble certain que, durant le Moyen Empire, cette région devait avoir un accès direct à une archive exceptionnellement importante — plus importante, en fait, que dans le reste de l'Egypte. De surcroît, les Textes des Cercueils apparaissent plus ou moins au m ê m e moment à Thèbes et à Deir el-Bersha. Elle en déduit que les archives de textes religieux memphites avaient été transférées, non à Thèbes, mais à Ashmounein / Hermopolis. Cette ville se transforma en un centre de diffusion pour les Textes des Cercueils, d'abord à Thèbes et à Deir elBersha et, plus tard, à d'autres localités de Moyenne Egypte, également. Nos propres investigations, présentées dans le chapitre précédent, offrent un cadre historique dans lequel on comprend mieux cette politique. On a vu que les Thébains avaient élevé le nomarque Ahanakht I™ au poste de vizir provincial, de sorte qu'il supervisait les régions nomarcales récemment acquises par ces Thébains. O n a également constaté que des fonctionnaires enterrés à Deir el-Bersha étaient en poste à Thèbes. Le cas le plus intéressant dans ce contexte est celui d'Iha qui, c o m m e précepteur des princes thébains, jouait sans doute le rôle d'officier de liaison entre la cour royale à Thèbes et la cour nomarcale / vizirale à Deir el-Bersha. Il était en m ê m e temps responsable d'une Maison de Vie, probablement à el-Ashmounein. C'était donc un intellectuel qui travaillait dans un scriptorium vraisemblablement rattaché au temple de T h o t . Si, dans le contexte établi par G E S T E R M A N N , on voit cet h o m m e occuper une position de liaison entre Thèbes et le nome du Lièvre, exactement au m o m e n t où les Textes des Cercueils apparaissent dans les deux villes" , il me paraît séduisant de supposer qu'Iha 8
était un des hommes personnellement responsables de la diffusion des Textes des Cercueils. Le fait que, de cette manière,
118. Autant q u ' o n sache, le nomarque Ahanakht est la première personne enterrée à Deir el-Bersha qui possédait des sarcophages ornés de Textes des Cercueils.
183
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE Ahanakht I obtenait, lui aussi, accès à ces textes extraordinaier
res, peut être interprété comme un autre privilège que le roi thébain lui accordait" . 9
Quoi qu'il en soit, la politique des Thébains semble, si l'on suit l'hypothèse
de G E S T E R M A N N ,
avoir
conduit au développement conséquent du scriptorium
très convaincante
d'el-
Ashmounein. Il constitua le point de départ de l'apparition des Textes des Cercueils non seulement à Thèbes et à Deir elBersha, mais aussi, légèrement plus tard, dans des régions nomarcales, ailleurs en Moyenne Egypte. On doit se demander si la grande
popularité
de
ces
textes
à Saqqara
après
l'Unification du pays peut aussi être mise en relation avec les activités du centre de dissémination textuelle du
scriptorium
hermopolitain. LES TEXTES DES C E R C U E I L S ET LA R E L I G I O N FUNÉRAIRE D A N S LES HAUTS-LIEUX NOMARCAUX.
La répartition géographique des Textes des Cercueils m e paraît hautement significative. Dans le premier chapitre j ' a i essayé de montrer qu'au Moyen Empire, la « nomarchie » était un phénomène plutôt régional, dont l'influence n'était pas du m ê m e ordre dans les différentes parties du pays. A la fin de l'Ancien Empire, il semble que la plupart des régions ait été dirigée par un « nomarque », même si le titre hr.y-tp 'j n'est pas mis en évidence partout. Au cours de la Première Période Intermédiaire, les nomarques disparurent dans la région thébaine, mais ils persistèrent dans la portion du pays gouvernée par les Héracléopolitains.
Finalement, pendant le
Moyen
Empire, on constate l'existence d'un cadre assez diversifié. Le type de système d'administration n'apparaît pas aussi claire-
119. 184
Pour d'autres privilèges, voir p.
99-103.
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE ment dans chaque région. Mais ce qui appert de manière certaine, c'est qu'en Moyenne Egypte, des lignées de nomarques restaient sur le trône çà et là. Les exemples les plus patents sont les nomes où se trouvent les cimetières de Qaw el-Kebir, d'Assiout, de Deir el-Bersha, et de Beni Hasan. Dans la région de Meir ", un nouveau nomarcat semble avoir été installé pen12
dant le règne d'Amenemhat I", de sorte que toute la région entre Qaw el-Kebir et Beni Hasan tut dirigée par des lignées de nomarques. Il s'agit exactement des sites qui ont fourni le nombre le plus élevé de sarcophages inscrits de Textes
des
Cercueils . Cette coïncidence serait-elle due simplement au 121
hasard ? En examinant ce point, on doit avoir présent à l'esprit un autre phénomène : celui de la disparition des nomarques. C'est une question qui a été intensément discutée. Les nomarques disparurent vers la fin de la XII' dynastie dans des circonstances qu'on ne comprend, pour l'instant, que très mal. Selon E.
MEYER
qui supposait encore que les nomar-
ques étaient présents à travers toute l'Egypte, ces administrateurs auraient développé une force si menaçante pour la monarchie, que Sénousret III les aurait abandonnés brusquement pour avoir les mains libres . Cette hypothèse, largement 122
acceptée pendant longtemps, a été, dans les dernières années, l'objet de beaucoup de critiques. Actuellement, on admet géné-
120.
WIUEMS,
Chesfs of Life, p.
84-85.
121. A Q a w , le nombre de sources des Textes des Cercueils n'est pas important, mais les grandes tombes nomarcales qui ont été fouillées ne semblent commencer q u ' à l'époque d'Amenemhat II ; pour la chronologie, voir GRAJETZKI, G M
(l997)/
P-
55-65.
156
Par ailleurs, on ne sait pas du tout précisément quelle quantité de
matériel a été trouvée par des fouilleurs comme SCHIAPARELLI. O n rappellera que les cent cinquante-neuf sarcophages qu'il a découverts à Assiout et qui sont actuellement conservés au musée de Turin étaient, jusqu'à la thèse de doctorat de Z I T M A N , presque entièrement inconnus. Il existe aussi du matériel dans d'autres col-
11. 252-253
lections : voir C I A M P I N I , La sepo/fure d i Henib, p.
122.
MEYER,
Geschichte des Altertums
l ,2, 2
p.
=
l ,2, p. 276. 3
185
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE ralement que la disparition des gouverneurs ne doit pas être interprétée comme un coup de force du roi, mais plutôt comme
un processus lent qui dura plusieurs
décennies.
D . F R A N K E essaye de montrer que les « nomarques » de la XII e
dynastie étaient les derniers représentants d'un passé glorieux, mais il suppose qu'il n'y avait plus de place pour eux dans le climat socio-politique de l'époque. Il considère qu'au moment où un de ces derniers « fossiles vivants » mourut, on avait simplement perdu tout intérêt pour lui donner un successeur. Cela expliquerait pourquoi l'abolition de la « nomarchie » fut une évolution lente englobant une bonne partie des règnes de Sénousret II, Sénousret III, et Amenemhat III. En étudiant la famille des gouverneurs du nome de l ' O r y x , FRANKE
décrit également ce qu'il advint des descendants des
derniers nomarques. Le fils de Khnoumhotep II de Beni Hasan, lui aussi appelé Khnoumhotep, fut nommé à un poste important dans la capitale où sa tombe, un très beau mastaba, a été retrouvée ". 1
Bien que j'accepte plusieurs éléments du raisonnement de F R A N K E , j e pense que les nomarques du Moyen
Empire
n'étaient aucunement des « fossiles vivants ». En Moyenne Egypte, ils restèrent une puissance redoutable durant une bonne partie de la XII dynastie. Aussi, leur disparition est-elle e
à revoir sur quelques points. Selon la liste établie par
FRANKE,
les derniers représentants de la « nomarchie » seraient les suivants : • dans le premier nome, le hj.ty-' im.y-r hm.w-ntr
Heqaib,
daté des règnes de Sénousret III / Amenemhat III. • à Qaw el-Kebir, le hj.ty-' im.y-r hm.w-ntr Ouahka II, daté des règnes de Sénousret III / Amenemhat III.
123. FRANKE, dans : Middle Kingdom Studies, p. 51-67. Pour une reconstitution de ce monument, voir ARNOLD, dans : Timelines I, p. 37, fig. 1 ; voir aussi A R N O L D , OPPENHEIM, ASAE 79 (2005), p. 27-28.
186
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE • à Assiout, les hj.ty-' im.y-r hm.w-ntr
Djefaihâpi III et IV
(Amenemhat II / Sénousret II). • à Meir, le h-l-ty-' im.y-r hm.w-ntr Oukhhotep IV (Sénousret III / Amenemhat III). • à Deir el-Bersha, le hj.ty-' im.y-r hm.w-ntr hr.y-tp 'j n Wn.t Djéhoutihotep (Sénousret III). • à Beni Hasan, le h^-ty-' im.y-r hm.w-ntr Khnoumhotep II et son fils Khnoumhotep III (Sénousret II / III). Ces dates sont à reprendre sur quelques détails significatifs. A Assiout, on connaît maintenant la tombe d'un hJ-ty-' et idnw Khéty, datable du règne de Sénousret III / Amenemhat III' . Par 24
ailleurs, provenant de Deir el-Bersha, est conservé au musée du Caire le sarcophage C G
2 8 0 9 9 , appartenant à un
hj.ty-'
Djéhoutinakht qui pourrait être plus tardif que le nomarque Djéhoutihotep. Ce dernier mentionne les rois Sénousret II et III dans sa tombe. Si Djéhoutinakht était un dignitaire local qui avait succédé à Djéhoutihotep, il pourrait, comme l'a déjà suggéré BROVARSKI,
avoir été encore en fonction au début du règne
d'Amenemhat III . A Beni Hasan, la datation proposée par 125
FRANKE
repose sur la mention de l'an 6 de Sénousret II dans la
tombe de Khnoumhotep II . Cette date apparaît dans la scène 126
célèbre montrant l'arrivée d'un groupe de bédouins du désert oriental, apportant de la galène. Ils sont introduits devant le nomarque par un scribe qui lui présente un document officiel. L'en-tête du papyrus commence avec la date citée. Il est clair que Khnoumhotep devait être en fonction pendant l'an 6, mais le
124.
MAGEE,
dans
: Proceedings
717-729 ; datation Assiut, p. 25-33.
Egyptologists, p. Necropolis of
125.
of the Seventh
Internationa/
Congress
of
et interprétation admises par Z I T M A N , Tfie
Voir BROVARSKI, dans : Studies Dunham, p.
23
et n.
68 ; 25
et
29.
O n doit
avouer que sa position chronologique n'est pas aussi certaine que le suggère BROVARSKI : voir WILLEMS, Chests of fife, p. 79. 126.
Beni Hasan I, pl. XXXVIII.
187
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE moment où il mourut peut se situer sensiblement plus tard et, bien que Khnoumhotep III n'ait pas achevé sa tombe, l'inscription qui y a cependant été gravée montre qu'il fut gouverneur . 127
Les dates disponibles s'échelonnent donc au cours d'une période beaucoup moins longue que ne le pensait encore FRANKE
: la deuxième moitié du règne de Sénousret III et (le
début de) celui d'Amenemhat III. Il est possible, dans ces conditions, qu'on ait quand même affaire à un coup politique. Mais je ne me prononcerai pas sur cet aspect. Pour nous, il est plus important de noter qu'aucun de ces chefs les plus tardifs ne s'appelle plus nomarque (hr.y-tp 's), ce qui pourrait signifier qu'ils ne furent pas « démissionnes » directement, mais qu'ils avaient déjà auparavant subi une certaine perte de statut. A l'exception de Ouahka II de Qaw el-Kebir, leurs tombes sont également plus petites que celles de leurs prédécesseurs. Il est aussi intéressant
de renvoyer
à un hJ.ty-'
Wn.t, appelé
Oupouaouthétep, donc un notable d'el-Ashmounein. A la différence des nomarques du nome du Lièvre, celui-ci porte le titre de maire. Il ne peut pas être rangé parmi les nomarques de la XII dynastie. Typologiquement, le scarabée où apparaît sa e
titulature, est datable dans un laps de temps compris entre Sénousret II et la fin de la dynastie . O n pourrait être en pré128
sence d'un successeur des nomarques avec un statut moins élevé. Ce ne doit pas être une simple coïncidence que l ' o n ne connaisse pas de tombe pour ce personnage. Les résultats de la discussion précédente ne sont malheureusement pas très précis, mais on peut néanmoins reconnaître trois phases historiques. Au début de la XII dynastie, les chefs e
de province sont encore très puissants, situation qui perdura 127. Beni Hasan I, p. 7. Le titre très élevé de ir.yp'.t hj.ty-' ne peut guère être interprété autrement sur ce site : voir W A R D , G M 71 (1984), p. 51-57.
128. M A R T I N , Egyptian Administrative a n d Private N a m e Seals, p. 3 6 (406) ; pour l'interprétation, cf. BROVARSKI, loc. cit.
188
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE jusque pendant le règne de Sénousret III, où plusieurs d'entre eux portaient toujours le titre explicite de nomarque 'j).
(hr.y-tp
Pendant le règne de ce roi, et m ê m e encore après, on
constate que les potentats locaux restent en place, mais que le titre de nomarque n'apparaît plus, et que les tombes semblent devenir plus petites. À la fin du règne de Sénousret III et au début ( ?) de celui de son successeur, les anciennes lignées des chefs locaux s'effacent finalement aussi en Moyenne Egypte. Ce qui est notable pour nous, c'est que parallèlement au processus de perte de pouvoir, les Textes des Cercueils disparaissent également : en effet, peu de sarcophages les comportant peuvent être datés avec certitude d'une époque postérieure au règne de Sénousret III . 129
U N E
HYPOTHÈSE
SUR
LA
PORTÉE
DES TEXTES
DES
CERCUEILS
L'évolution telle qu'elle est décrite ci-dessus suggère que les Textes des Cercueils étaient, au début du Moyen Empire, les textes funéraires des couches dirigeantes du pays, mais non pas du roi lui-même. Aussitôt après, les membres de l'élite égyptienne perdirent apparemment leur intérêt pour eux, sauf dans les cours nomarcales, où ils demeurèrent en usage pour les gouverneurs et les membres de leurs familles, mais aussi pour les hauts fonctionnaires de l'administration du nome. Il semble que ces textes, pour une raison ou une autre, y exerçaient encore une attraction qu'ils n'avaient plus ailleurs. A cette époque, on pourrait dire que les Textes des Cercueils étaient l ' e x pression, non des idées funéraires du Moyen Empire en géné129. Tout récemment, GRAJETZKI a établi une liste de sources s'échelonnant entre la XIII" dynastie et la XVII", liste qui montrerait, selon lui, que « the tradition of placing religious texts on coffins never really ceased » (SAK
34 [2006],
p.
213-214).
Mais
cette liste est très courte et suggère plutôt une baisse énorme d e l'intérêt pour ces textes. De surcroît, comme j'ai l'intention de le montrer ailleurs, les textes dont parle GRAJETZKI, bien que placés sur des sarcophages, dérivent d'un cadre théologique tout à fait différent de celui des Textes des Cercueils dont il est question ici.
189
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE ral, mais surtout des couches dirigeantes de Moyenne Egypte. La question se pose de savoir pourquoi ce groupe, sociologiquement très spécifique, était attiré avec tant de force par des textes funéraires qui, dans le reste de l'Egypte, n'étaient plus à la mode. Il est vain d'espérer que les textes nous renseignent de façon directe, et l'interprétation que je vais proposer ne peut être, pour cette raison, qu'une hypothèse. Tout d'abord, on doit avoir présent à l'esprit qu'il s'agit d'une problématique complexe, qui ne s'explique probablement pas comme la conséquence d'une seule cause. La présence de la Maison de Vie à el-Ashmounein, où de grandes archives de textes funéraires avaient été déposées depuis le début du Moyen Empire au m o i n s " , doit avoir joué 1
un rôle important. Là, au centre du « territoire nomarcal », une institution qui étudiait et élaborait ces textes était disponible. Cela ne constitue sûrement pas l'unique raison de la popularité persistante de ces textes en Moyenne Egypte, mais ce fut certainement une conditio sine qua non. Par ailleurs, le contenu des textes a dû être jugé important. Il faut donc que ces textes renferment des éléments qui, dans une perspective conceptuelle, aient continué à être considérés comme d'une haute validité. Il n'est malheureusement pas facile de déterminer quels sont ces éléments. Les textes sont très nombreux, très variés, et très difficiles à comprendre. Si l'on ne veut pas suivre le verdict apodictique de
KEES
(« Bei der
Beschriftung der Särge herrschte kein System » ' " ) , on doit essayer de déceler les principes directeurs de ces formules. Mais ne sachant pas ce que nous cherchons, notre quête ressemble à celle d'une aiguille dans une meule de foin. 130. L'hypothèse de
GESTERMANN
(voir p. 182-183), que je suis, mais que je n'ai pas
analysée dans sa totalité ci-dessus, implique non seulement que des textes d'origine memphite furent transférés à el-Ashmounein, mais aussi qu'il existait dans cette ville un fonds proprement hermopolitain. 131. KEES, dans : H d O Literatur, p. 61.
IÇO
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE Mon point de départ sera complètement différent de celui de K E E S . Bien qu'il essaye sans cesse de repérer les liens entre la complexité des textes anciens et le monde réel — la nature, l'astronomie, la vie quotidienne —, la manière dont il organise sa discussion expose le lecteur, dès le début, à un bombardement de citations de textes très ardus. Ce n'est pas un reproche. On ne peut qu'admirer la profondeur des connaissances de K E E S . Mais ayant lu son livre, on reste avec le sentiment, d'ailleurs pas entièrement injustifié, que la religion égyptienne s'apparente à un nœud gordien d'associations mythologiques. Pour éviter ce problème, je ne vais pas immédiatement envisager les textes les plus classiques et les plus riches en allusions mythologiques et interprétations théologiques. Je me concentrerai, au contraire, sur des aspects plutôt terrestres. Il existe un petit nombre de Textes des Cercueils « sans mythologie », et un deuxième groupe quantitativement plus important où la mythologie ne semble jouer qu'un rôle secondaire. Dans ces textes, ce qui compte avant tout c'est la relation entre les morts et les vivants, et aussi le monde où demeurent les morts. Dans les Textes des Pyramides, et en grande partie également dans lesTextes des Cercueils, c'est le monde stellaire ou solaire où les morts vivent avec les dieux qui prend la première place. L'ensemble dont j e vais d'abord m'occuper évite largement une telle complexité symbolique. Le monde des morts semble n'y être pas tellement différent de celui des vivants, et il existe un grand nombre de liens entre les deux. On rencontre la même tonalité dans les lettres aux morts déjà évoquées en passant . La théologie y fait presque entière132
ment défaut. Les problèmes qui se posent au traducteur ne sont 132. Pour la publication de base d'un g r a n d nombre de ces textes, voir GARDINER, SETHE,
Egyptian Letters to the Dead ; pour des références bibliographiques plus
récentes et pour une interprétation de la façon de délivrer ces lettres aux destinataires, voir
WILLEMS,
dans : Social Aspects of Funerary Culture, p. 3 3 7 - 3 5 5 ', 357-
361. Voir aussi DONNÂT, f a peur du mort.
ici
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE pas à minimiser, mais il s'agit surtout d'incertitudes sur les liens entre les personnes mentionnées ou de détails de traduction. L'aspect général de l'Autre monde tel qu'il apparaît dans ces documents est, par ailleurs, relativement facile à comprendre, et notre enquête commence donc là. Les expéditeurs des lettres évoquent leurs soucis, ainsi le désir d'avoir des enfants, d'être guéri d'une maladie, ou d'être délivré de problèmes sociaux ou financiers. Dans la dernière catégorie s'inscrivent des situations où les survivants se trouvent confrontés à des membres de leur famille ou à des voisins qui s'emparent de leur propriété. Dans leur désespoir, ils appellent le m o r t à l'aide.
LES LETTRES AUX MORTS
Les expéditeurs sont toujours des proches parents du m o r t : le fils ou la femme, par exemple. Techniquement, ils approchent le défunt dans le contexte du rituel d'offrande. Après avoir rétabli le contact avec lui au cours de la cérémonie, ils terminent avec un épisode rituel qui a pour but de combattre les influences nocives, soit pour le m o r t lui-même, soit pour la famille qui exécute le rituel. Ce moment offre le cadre propice où l'on peut s'adresser au défunt. Fréquemment, la lettre est écrite sur un bol qui vient d'être utilisé pour lui présenter les offrandes. D o n c , de manière très pragmatique, on considère apparemment que le m o r t (jh) qui vient chercher les offrandes ne peut rester ignorant du contenu des textes écrits sur le contenant. Les demandes sont plutôt d'ordre pratique. Ainsi, dans une lettre datée de la fin de l'Ancien Empire, les expéditeurs écrivent qu'une autre famille de leur village cause des problèmes qui peuvent mettre en péril la continuité de leur maisonnée. Il est sous-entendu qu'un membre aîné de cette autre famille, appelé Béhesti, est déjà m o r t et se trouve donc dans le domaine des morts où demeure aussi le destinataire de la lettre. O n 192
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE demande à ce dernier : « Éveille ton père I i i " contre Béhesti ! ... Lève-toi contre eux avec tes ancêtres, tes frères, et tes amis, que tu puisses combattre Béhesti et 'An'ankhi, fils d'Aai" ». Il 4
est clair que les familles sont envisagées c o m m e des lignées dont quelques membres habitent la terre tandis que d'autres résident dans le monde des morts. En cas de problème, on peut s'adresser aux parents morts qui ont la possibilité de se mettre en contact avec les parents défunts de l'autre famille. Par l'intermédiaire des morts, une famille essaye donc d'influencer le comportement d'une autre famille avec laquelle les relations quotidiennes se trouvent dans une impasse. Le passage cité montre un monde de l'Au-delà qui ressemble assez fortement au monde des vivants. O n y vit avec des parents et des amis, et on communique avec d'autres familles, même si, dans le cas cité, la forme que prend la communication ne semble pas très agréable. L'Au-delà s'apparente à un village égyptien. On se m e t en contact avec les parents morts pendant le rituel d'offrande, moment crucial pour les défunts, parce qu'ils en sont dépendants pour obtenir leur nourriture. Fréquemment, les lettres aux morts contiennent des remarques dépourvues de subtilité qui suggèrent que l'expéditeur de la lettre ne pourra plus offrir ces offrandes si le m o r t ne s'engage pas en sa faveur. Les défunts et les vivants vivent donc dans une interdépendance mutuelle.
LES FORMULES 131 À 146 DES TEXTES DES
1
CERCUEILS ^
Plusieurs formules des Textes des Cercueils expriment une perception du monde des m o r t s , très proche de la tonalité des
133. Le determinant montre que lui aussi était mort. 134. Apparemment un membre mort de la même famille q u e Béhesti. Le passage cité se trouve dans GARDINER, SETHE, Egyptian Letters to the D e a d , pl. I, 9-11.
135.
CT II, I5la-205e
WILLEMS,
[131-146] ;
pour l'interprétation de ces formules, voir en détail
dans : Religion in Context, à paraître. 193
IFS TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
lettres aux morts. Le groupe des formules 1 3 1 à 1 4 6 en offre un bon exemple. Ces textes ont pour but d'« unifier la zb.t d'un homme avec lui dans la nécropole »
136
. Le t e r m e Ji>.f est souvent
traduit par « famille », mais il renvoie en fait à un groupe social d'un caractère un peu différent : une sorte d'ensemble domestique. Le m o r t veut donc être réintégré dans un groupe de parenté conçu c o m m e une unité spatiale — il est difficile de s'imaginer un groupe domestique autrement. Mais il ne s'agit pas d'une simple maisonnée, car, par exemple, l'épouse d'un homme n'appartenait pas à sa 2b.t. Le groupe semble plutôt avoir été une unité sociale avec un statut juridique bien défini, qui était responsable de la gestion de la propriété familiale. L'idée sous-jacente qui en ressort clairement est que cet aspect matériel et juridique importait dans l'autre monde. À plusieurs reprises, ces textes décrivent d'ailleurs des circonstances remarquablement « ordinaires » de la vie funéraire. Quand le m o r t arrive dans l'Au-delà, ses parents travaillant dans les champs jettent à terre leurs outils pour le recevoir dans leur milieu. De plus, le défunt possède un décret — selon la formule 1 3 1 , un décret promulgué par un roi qui n'est autre que le dieu Geb — qui stipule que ses parents ne sont plus obligés de travailler pour Isis et certains autres dieux' . Sans doute, avec l'aide de 37
ce document, les morts pouvaient-ils vivre la vie seigneuriale, un souhait qui est aussi, on l'a vu, la raison de déposer certains types de mobilier funéraire dans les tombes depuis l'Ancien Empire' . 38
LA FORMULE 1 4 9 DES TEXTES DES CERCUEILS'™
Un autre texte assez répandu fait état de la « famille »-Jb.t : c'est la formule 1 4 9 . Lui aussi n'offre que peu d'éléments 136. c r u , 180a [146]. 137. CT II, 20lb-204b [146], 1 5 1 0 1 5 2 c [131]. L'atmosphère n'est pas sans rappeler la formule des ouchebtis (CT VI, la-2k [472]), et le chapitre 6 du Livre des Morts. 138. Voir p. 142-149.
139. CT II, 2 2 ô b - 2 5 3 g [149]. 194
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE mythologiques. O n doit m ê m e se demander s'il s'agit d'un texte religieux utilisé sur terre par un prêtre dans le contexte de certains rituels, ou d'un texte écrit purement pour l'usage par un défunt dans l'Au-delà. Les deux possibilités ne s'excluent d'ailleurs pas. Certains détails de la formule montrent que le protagoniste est m o r t , mais il n'est pas impossible qu'une Vorlage légèrement différente ait été utilisée dans un cadre rituel. En tout cas, dans ce texte, le défunt doit, selon l'introduction, se dresser comme un p r ê t r e , avant que l'ac140
tion, qui est très hargneuse, ne débute. La formule a pour but de faire triompher un homme sur ses ennemis. Le contexte est juridique : le protagoniste combat son ennemi devant un tribunal (djdj.t), parce que le second a mal agi envers le premier. L'ennemi et sa Jb.t sont présents ; on supposerait sur la base des formules i 3 1 - 1 4 6 que la Jb.t du défunt est aussi présente, mais le texte ne contient pas de spécifications à cet égard. L'opposant est, de surcroît, accompagné
d'un
conseiller, mais finalement le défunt sort en vainqueur. A ce moment-là, le texte prend un tour violent. Le m o r t , qui a adopté la forme d'un « faucon humain », déchire son ennemi en présence de sa famille. L'ennemi ayant été abattu, sa maison — dans l'Au-delà ou sur terre ? — est détruite, et sa famille terrestre souffre également. On voit des familles dans l'Au-delà se combattant entre elles, sous la direction du défunt d'un côté et de « l'ennemi » de l'autre. On a l'impression que ce qui se passe dans ces circonstances est comparable à l'intervention réclamée par Iii contre Béhesti, selon la lettre au mort citée auparavant. Comme dans cet exemple, les agissements envers les ennemis morts sont supposés avoir des conséquences pour les membres de la famille encore vivants. Dans la lettre au mort, leur sort n'est pas précisé, mais il est cer-
140. CT
II,
226b-227b [149]. Pour
une bonne traduction et interprétation du texte,
voir GRIESHAMMER, Jense/tsgericht, p.
131-148. 195
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE tain qu'après l'action que doit entreprendre Iii, ils ne seront plus capables de gêner les expéditeurs de la lettre. Dans la formule 1 4 9 , on dit qu'ils sont « chassés » ' ' . 4
Les événements décrits dans la formule 1 4 9 n'ont rien de mythologique. Mais des faits miraculeux se produisent : le défunt se change en un oiseau prédateur pour s'emparer de son ennemi. En outre, bien que leur présence ne soit pas essentielle pour comprendre la trame de l'histoire que raconte la formule, des dieux entrent en scène à l'arrière-plan, comme déjà dans les formules 1 3 1 - 1 4 6 . Car le tribunal est dit être celui d'Osiris Khentamenti, et ce dieu se réjouit du succès du défunt '. Tout 14
donne l'impression que les défunts se trouvent dans l'autre monde de concert avec les dieux, mais sans encore s'identifier eux-mêmes aux dieux. LES FORMULES 3 0 - 4 1 DES TEXTES DES CERCUEILS'**
Pour pouvoir survivre, le m o r t était dépendant des offrandes qui lui sont apportées régulièrement par sa famille. Le groupe de formules 3 0 - 4 1 constitue une liturgie récitée pendant certains jours de fête dans la nécropole, au moment où la famille dépose les offrandes. Le texte est prononcé par le fils d'un père défunt. Le fils se présente comme le successeur du père, qui prend soin du mort. Dans la culture égyptienne il existait un lien étroit entre les deux : pour avoir droit à la succession, on devait s'occuper des funérailles — et, sans doute, du culte funéraire — du père . 144
141. c r u , 2 4 5 b [149]. 142. CT II, 2 3 3 b , 246a [149]. 143- CT I, 8 2 / 8 3 a - 1 7 7 h [30-41]. Pour les détails de ce qui suit, o n consultera WILLEMS,
dans : Social Aspects of Funerary Culture, p. 2 5 3 - 3 7 2 .
144. Pour le Nouvel Empire on s'exprimait même de manière proverbiale à cet égard ; on lit dans le P. Caire JE 5 8 0 9 2 , r ° 10-11 : « "C'est à celui qui enterre qu'on donne les possessions" dit-on, c. à d . la loi de Pharaon » ; JANSSEN, PESTMAN,
JESHO 11 (1968), pl. 1 ; voir aussi
O . PÉTRIE,
r" 7 - vs. 1 ; vs. 4-7
: CERNY, G A R D I N E R ,
H O I, pl. X X I . Pour d'autres sources, voir JANSSEN, PESTMAN, o p . cit., p. 1 6 8 .
196
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE La relation entre père et fils est donc, même après la mort du père, une sorte de symbiose, car le fils ne peut pas obtenir sa position sociale sans montrer un intérêt actif pour le défunt, tandis que le père dépend du fils pour sa survie. Dans les textes qui nous occupent, cette symbiose est parfois formulée d'une manière particulière. Le fils déclare pendant le rituel : 7u ' es ici dans ce pays sacré où tu te trouves comme 14
mon avocat' '' qui est dans le tribunal du dieu" , 4
7
tandis
que je suis ici dans ce pays des vivants [comme] ton avocat qui est dans le tribunal des hommes"". Ce passage oppose un tribunal dans l'Au-delà avec un autre dans le monde terrestre, ce dernier étant apparemment une cour de justice où les vivants peuvent déposer plainte contre un m o r t . On pourrait douter de l'existence réelle de cette alternative ; cependant, Diodore de Sicile, I, 9 2 , écrit qu'avant le départ de la barque funéraire, la loi permet à tous ceux qui le veulent de déposer plainte contre le défunt. Donc, si quelqu'un
s'avance
pour l'accuser et peut apporter la preuve qu'il a vécu une vie mauvaise envers tous, les juges annoncent ce verdict à tous et refusent au corps un enterrement
normal.
Ce texte fait aussi état de quarante-deux juges, ce qui prouve de manière indubitable le lien avec le tribunal divin du chapitre 1 2 c du Livre des Morts. Bien qu'il reste difficile d'entrevoir ce qu'était en réalité un tel tribunal, le passage de la for-
145. Le père. 146. Littéralement : « parleur ». 147. Osiris, comme dans la formule 149 ? 148. CT I, V 6 d - g [40] ; cf. CT I, \y\y\j2e
[39]. O n comparera avec CT VII, 908r
[908]. 197
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE mule 4 0 des Textes des Cercueils, traduit ici, pourrait bien contenir une allusion à une pratique comparable ; pratique exécutée non pendant les funérailles, mais durant une fête mortuaire' '. Le père défunt est donc déclaré en mesure de soute4
nir son fils devant un tribunal dans l'Autre Monde, tandis que le fils est capable de soutenir son père dans le cas d'une affaire judiciaire entreprise contre lui sur terre. La position sociale du fils dépend du soin pieux qu'il montre envers son père mort. Mais quelle est la base de celle du père dans la société de l'Autre Monde? Selon les formules 3 0 - 4 1 , cette situation se fonde sur les mêmes critères que celle de son fils. Le père m o r t mais ressuscité est conçu comme un fils qui assume ses responsabilités dans le cadre du traitement du corps de son père défunt que la liturgie identifie clairement à Osiris. On peut visualiser les relations personnelles comme suit fils vivant (A)
150
:
père m o r t (B) pere ressuscité (B) devenu Horus
le dieu m o r t Osiris (C)
Dans le rituel des formules 3 0 - 3 7 , le fils (A) transforme son père (B) en un dieu-fils qui traverse l'Autre Monde pour accéder au bâtiment où le corps de son père Osiris ( C ) attend d'être 149. Encore au XX* siècle, A h m a d FAKHRY assistait à des funérailles dans l'oasis de Bahariya assez comparables : « W h e n they arrive at the tomb, they lower the bier to the ground, a n d one of the men addresses the others: " W h a t d o you testify about the deceased?" The answer is always: " W e testify that he (or she) was a g o o d person." If, on a rare occasion someone in the group accuses the deceased of theft, failure to repay a loan, or causing some sort of harm to him, the relatives of the d e a d a p o l o g i z e or promise to pay. O n l y when everything is settled, all has been forgiven, a n d all have repeated that the deceased was " g o o d " , the g r o u p recites together a short prayer, takes the b o d y out of the bier a n d places it in the grave » : FAKHRY,
The Oases of Egypt II, p. 53-54.
150. Ici A -> B signifie : « A exécute des rituels pour B ». La flèche verticale indique la transfiguration du mort qui est la conséquence du rituel.
198
i fS TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE embaumé. Au cours de la liturgie, le fils (A) s'adresse à son père pour le guider à travers l'Autre Monde vers son lieu de destination, à Osiris pour lui annoncer la venue de son père, et à d'autre divinités pour affirmer que son père doit passer. Les lettres aux morts et les formules i 3 1 - 1 4 6 , 1 4 9 et 3 0 - 4 1 des Textes des Cercueils mentionnent bien sûr des dieux, mais, de manière générale, l'Au-delà qu'elles évoquent est un monde qui ressemble de près au monde terrestre. Les défunts y travaillent dans les champs, travail auquel les seigneurs échappent ; ils y demeurent avec leur famille et leurs amis ; et ils s'y querellent, problèmes qui doivent être résolus devant un tribunal. De surcroît, aussi bien dans l'Autre Monde que sur terre, on gagne sa position sociale en accomplissant le devoir de s'occuper du père mort. Rien de mythologique dans ce processus. Mais à la ligne inférieure du schéma on voit apparaître un défunt en tant que dieu. Bien que le modèle ne soit pas enraciné dans la mythologie, on constate néanmoins que l'auteur de la composition a ressenti la nécessité d'attribuer une identité divine au mort, identité qui n'est pas exprimée de manière abstraite (« le m o r t est un dieu » ) , mais de manière individualisée (« le m o r t est Horus » ) ' . De m ê m e , le père m o r t du défunt S1
est décrit c o m m e Osiris. Je crois que deux facteurs probablement complémentaires peuvent expliquer pourquoi des identités divines sont introduites dans ce cadre qui, pour le reste, n'a rien de mythologique. La première explication est que le père obtient ce rôle dans un contexte rituel. Il est en route vers la Place d'Embaumement où se trouve son propre père m o r t . On sait bien que l'accès à un tel lieu saint n'était possible que si l'on se montrait au courant de certains « secrets » sacrés, pendant des rites de passage. Ces secrets ont un rapport avec le drame rituel qui se déroule
151. En fait, l'auteur ne va pas si loin, n'appelant le père que « le dieu jeune ». M a i s la constellation dans laquelle il opère montre clairement qu'il joue le rôle d'Horus.
199
IFS TEXTES DES SARCOPHAGES
ET LA
DÉMOCRATIE
à l'intérieur. Pendant les funérailles terrestres, les prêtres jouaient des rôles divins comme celui d'Anubis, d'Horus, d'Isis ou de Nephthys. Les formules 3 0 - 4 1 montrent qu'on a télescopé ce contexte rituel avec celui de l'Autre Monde. Là-bas, les acteurs dans le rituel sont des êtres surhumains (morts, dieux), et il est naturel d'élaborer une image où les acteurs ne sont pas des prêtres « jouant » Horus, e t c . , mais sont identiques à ces dieux. La seconde est que l'identification du défunt à un dieu évite certains problèmes existentiels. L'idée sous-jacente à propos du monde de l'Au-delà, telle qu'elle est exprimée dans les formules 3 0 - 4 1 , est que le défunt gagne sa raison d'être en fonction de son engagement dans la pratique des rituels funéraires pour son père défunt. Si les rôles n'avaient pas été divinisés, on aurait le schéma suivant : fils vivant (A)
père m o r t (B) père ressuscité (B)
père de B ( C )
On est en droit de présumer que le prédécesseur ( C ) de B était, lui aussi, un défunt ressuscité, mais pour permettre au défunt B de jouer son rôle de fils et successeur, le défunt C devait mourir à nouveau dans l'Au-delà. Le concept de la « deuxième m o r t » existe dans la religion égyptienne, mais celle-ci a la connotation d'une m o r t définitive, dont l'on ne pouvait pas être sauvé. Suivant ce modèle, la survie après la m o r t impliquerait pour un défunt dans la position de C que cette survie serait de très courte durée : une génération au plus. Pour permettre une perspective plus acceptable, la position C était remplie, non par un individu humain, mais par l'archétype divin d'Osiris, dispositif par lequel tout m o r t restait dans la position B, et était considéré comme le fils d'Osiris, Horus. Mais, bien qu'on utilise dans ce processus des noms 200
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE mythologiques, les rôles sous-jacents n'évoquent pas un mythe, mais un rituel funéraire transposé à un niveau divin. LA FORMULE 3 1 2
]V
DES TEXTES DES CERCUEILS -
Dans les formules 3 0 - 4 1 , seules les personnes mortes reçoivent une identité mythologique. La personne A qui figure comme officiant dans le rituel exécuté sur terre, en revanche, s'appelle simplement « fils ». Mais, on vient de le voir, il était très commun d'attribuer également des rôles divins aux participants, dans le rituel. Evidemment, on ne considérait pas cesindividus comme des « dieux », mais les dieux se manifestaient dans le cadre rituel sous la forme de ces personnes. Pour mentionner un exemple beaucoup plus tardif, mais très clair, le Papyrus Bremner-Rhind I, 2 - c , concernant un rituel où deux prêtresses jouent le rôle d'Isis et de Nephthys, spécifie : Alors on amènera deuxjemmes dont le corps est pur, et qui n'ont pas encore été ouvertes'^, dont les poils ont été rasés, et dont la tête est ornée d'une perruque, j...],
por-
tant des tambourins dans leurs mains, leurs noms, (c. à d.) Isis et Nephthys, ayant été écrits sur leurs épaules'^. Dans le cadre du rite, Isis et Nephthys sont donc présentes sous la forme de ces deux jeunes dames. De la m ê m e manière, Anubis est susceptible d'agir sous l'aspect d'un prêtre-embaumeur qui, à la Basse Époque, pouvait porter un masque avec les traits d'Anubis ". Ce ne sont que des exemples d'une coutume 1
152. Pour une discussion plus approfondie d e ce qui suit, voir Aspects of Funerary Culture, p. 370-372.
WILLEMS,
dans : Social
153. En accouchant ; on comparera avec la pierre d e C h a b a k a , col. 17a, qui utilise l'expression wpi h.t, « qui ouvre le ventre », pour désigner Horus comme l'enfant d'Osiris. Le texte fait clairement allusion à sa naissance.
154.
FAULKNER,
The Papyrus Bremner-Rhind, p. 1.
155. Je renvoie ici au masque Hildesheim Pelizaeus-Museum 1585 '• voir SEIPEL,
Ägypten, p. 158-160 (125).
201
I f 5 TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE fort bien connue et ancienne ; par ce biais, le mort peut aussi se voir attribuer le rôle d'Osiris et le prêtre sJ-fmr.y=f
(« le fils
qu'il aime ») celui d'Horus. Si l'on introduit cette distribution des rôles dans le schéma des formules 3 0 - 4 1 , on obtient le modèle suivant : fds vivant = Horus (A)
^
père mort = Osiris (B)
I père ressuscité (B) devenu Horus
le dieu m o r t Osiris (C)
La formule 3 1 2 des Textes des Cercueils traduit cette situation, mais est confrontée au problème évident que les rôles d'Horus et d'Osiris sont joués deux fois, et par des personnes différentes. Le texte fait une tentative pour différencier les personnalités sans rompre la répartition des rôles mythologiques. Au début du texte, les dieux demandent à Horus (A), sur l'ordre d'Osiris ( C ) , de rejoindre ce dernier dans l'Au-delà pour l'embaumer . Horus répond qu'il n'a pas cette intention ; il se 156
trouve encore sur terre, où il souhaite « se promener et copuler parmi les hommes » ' " ; formulation destinée à indiquer, me semble-t-il, qu'il est encore jeune et veut continuer sa vie terrestre afin d'avoir des enfants qui pourront poursuivre la lignée. Ce souci est également apparent dans les formules 3 8 - 4 1 . En guise de remplaçant, Horus (A) envoie sa « forme » (Ir.w)"*, autrement dit une personne qui n'est pas identique à lui, mais qui lui ressemble étroitement. Je crois que c'est son
156. CT IV, 68b-70b [312]. 1 5 7 - C T IV, 72b [312]. 158. CT IV, f - 7 4 f [312]. 73
202
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE père déjà mort ( B ) . Dans la suite du récit, ce dernier se rend, à travers l'Au-delà, vers Osiris, avec l'intention de l'embaumer. Plusieurs passages de ce texte difficile sont tout à fait comparables à d'autres dans les formules 3 0 - 4 1 . UNE CONCLUSION
Le monde de l'Au-delà peut être compris comme la projection du milieu social terrestre. Les morts interagissent selon les rôles sociaux qui sont les leurs dans la vie quotidienne. Mais un aspect important de la vie après la mort est de fonctionner, dans l'Au-delà également, dans un contexte rituel, contexte qui s'exprime de préférence par un vocabulaire emprunté à la mythologie. Le m o r t devient un dieu jeune qui embaume son père m o r t qui est lui-même un dieu. Finalement, un dédoublement des rôles mythologiques est possible, les officiants vivant sur terre entrant, eux aussi, dans un cadre où le discours rituel se décline en termes mythologiques. Ce stade, qu'on atteint dans le cas de la formule 3 1 2 , a pour conséquence qu'aucune personne n'est plus désignée en tant que personne humaine, et que l'action semble se dérouler entièrement dans le monde mythique. Ce dernier modèle est celui qui domine dans le reste des Textes des Cercueils. Ces textes se présentent donc a prima vista comme des récits n'ayant rien à voir avec la vie terrestre. Mon impression est qu'on a affaire, là, à un déguisement voulu qui revêt les relations sociales régissant la vie quotidienne d'une enveloppe surnaturelle. Dans la plupart des textes, seule cette enveloppe est thématisée. Pour nous, lecteurs qui ne sommes pas accoutumés à penser selon les catégories sociales égyptiennes, cela conduit facilement à méconnaître le déguisement mythologique, en l'interprétant comme le fond de l'affaire. Dans ce qui suit, nous nous occuperons de compositions plus extensives et tout à fait fondamentales du corpus des Textes des Cercueils pour pouvoir déterminer les thèmes centraux de ces textes. 203
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE LE CAS D'HEQATA
C ' e s t une matière que j ' a i étudiée de manière approfondie pour le cas du sarcophage d'Heqata
Ce sarcophage
(AiC) ' . 1
9
date du début du Moyen Empire et a été découvert à Assouan. Il contient une quarantaine
de formules des Textes
des
Cercueils. Le programme textuel est donc assez important, et il inclut plusieurs textes qui étaient très répandus à travers l'Egypte, comme les formules 7 j et 3 9 8 . Ils doivent donc se rattacher à des courants théologiques particulièrement représentatifs. L'importance de cette source provient aussi du fait qu'elle nous offre la possibilité d'étudier un ensemble de textes comme une composition cohérente. Evidemment, un traitement identique pourrait être entrepris pour tous les autres cercueils inscrits , mais le seul sarcophage qui a été, jusqu'à 160
présent, soumis à une telle enquête est celui d'Heqata . 161
Dans les textes d'Heqata, l'axe fils / ritualiste - père m o r t / bénéficiaire du rituel occupe aussi une place centrale. Le défunt peut jouer les deux rôles. D'un côté il acquiert une vie nouvelle parce qu'une autre personne exécute le rituel pour lui. De l'autre, il mérite une position prépondérante parce qu'il joue le rôle d'un fils qui embaume son père m o r t . En second lieu, le discours des textes associe ces rôles à des personnalités mythologiques. C o m m e dans les textes déjà analysés, le modèle dans lequel le ritualiste est un Horus, et le bénéficiaire un Osiris est très commun, mais ce n'est pas la seule possibilité. Dans les formules empruntées au Livre de 159. Ce qui suit se fonde sur les conclusions de
WILLEMS,
Heqata ; voir surtout
p. 374-384160. L'auteur a entrepris une étude d'ensemble sur les cercueils de Sesenebenef de Licht (Ll-2Li), dont la publication est en cours de préparation. 161. MEYER-DIETRICH, Nechet und Nil, a fait la même tentative sur la base de l'analyse du sarcophage M 5 C . Je dois avouer que je trouve son traitement des textes et leur contextualisation culturelle insuffisamment poussés, et l'application d e la méthodologie de base, l'approche de la Re/igionso/co/ogie, trop prématurée pour tenir compte de ce travail dans la présente étude.
204
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE Chou (ici, les formules 7 c , 7 7 , 7 8 , 8 0 ) , le père défunt est Atoum, le fils-prêtre est Chou. Probablement, le rituel évoqué avait pour but de donner le souffle de vie au père m o r t . Pour ce faire, il était plus commode de mobiliser un fils-Chou qu'un fils-Horus, puisque Chou était le dieu de l'air. Le monde théologique évoqué dans les textes peut donc varier énormément, mais le modèle sous-jacent dans le sarcophage d'Heqata opère sur la base des mêmes modules. Il serait peu utile de répéter ici ce qui a été montré dans le détail, ailleurs. Je me limiterai à une présentation du modèle récapitulatif de mon étude sur ce sarcophage (voir fig. 2 c ) . Dans la figure, les flèches horizontales indiquent une action bénéfique des ritualistes pour un défunt, une flèche verticale (avec pointe vers le bas) une transformation d'un défunt, et la flèche verticale (avec pointe vers le haut) un lien de communication entre deux divinités. Les chiffres romains indiquent les différents rites auxquels il est fait allusion dans le sarcophage d'Heqata. Tous les textes s'intègrent dans un modèle qui comprend la vie dans l'Au-delà c o m m e un phénomène cyclique. Quand le défunt meurt, il est momifié. A la fin de ce procédé plutôt « technique », on le transforme rituellement d'un m o r t en un être qui a acquis une vie nouvelle. Puis, on le transfert vers la tombe, la procession étant aussi conçue comme un rite important pour la résurrection du m o r t (phase I ) . Cette transformation est régulièrement répétée pendant les rites mortuaires célébrés dans le cimetière. Comme l'a montré J. A S S M A N N , pendant la transmission des offrandes, on récite des formules de « glorification » qui ont comme but d'introduire le défunt dans le monde divin. Ce type de rituel réitère donc les effets déjà atteints auparavant par la momification . Ainsi, ces 162
rituels périodiques ont aussi pour finalité de ressusciter, c'est à dire de transformer, le défunt en un dieu jeune (phase II). 162.
ASSMANN,
Totenliturgien
I,
p. 13-17 et 67-68. 205
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE
le fils (et la famille)
bénéficiaire (Heqata) i funéraire
proc
fe fils
II
(et la famille)
bénéficiaire (Heqata) visitent la tombe pendant les jours de fêtes
Monde terrestre Autre monde III déesse
bénéficiaire (Heqata) rite d'embaumement veillée horaire
le défunt ressuscité se transforme en fils/ritualiste IV bénéficiaire
ritualiste (Heqata) rite d'embaumement veillée horaire
Osiris commande l'exécution de ritiels funéraires pour Heqata
FIG. 2 5 : LES CONTEXTES RITUELS REPRÉSENTÉS DANS LA DÉCORATION DU SARCOPHAGE D'HEQATA (D'APRÈS WILLEMS, HEQATA, 206
P. 3 8 6 ) .
(père
mori divi
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE Les deux types de rituels ont ainsi tous les deux la même fin : le m o r t qu'on peut, dans la dialectique de la théologie égyptienne, identifier à divers dieux morts, comme Osiris ou Atoum, se transforme en un dieu jeune et renaissant c o m m e Horus ou Chou. Selon les textes funéraires d'Heqata, ces dieux-fils n'ont qu'une seule responsabilité : celle de momifier leur père m o r t (phase IV). Par conséquent, Osiris (ou Atoum) acquiert une vie nouvelle. Ce qui est original dans le cercueil d'Heqata, c'est que 1'Osiris vivant ordonne aux dieux de donner une vie nouvelle au défunt (phase V ) . D'autres textes décrivent l'exécution de rituels funéraires pour le défunt qui doit, à ce stade, entrer dans le rôle d'un dieu-père m o r t , comme Osiris (ou Atoum) (phase III). Mais après ces rituels, il apparaît comme un dieu rajeuni, qui peut à nouveau jouer le rôle de fils / ritualiste (phase IV). Ainsi, Heqata dépend pour sa survie d'une
décision
d'Osiris, qui le transforme en Horus. Mais pour sa propre survie, Osiris dépend de l'activité rituelle d'Horus, dieu avec lequel Heqata s'identifie dans les textes de son sarcophage. La vie après la m o r t ressemble fortement à la relation fils-père m o r t comme vue dans une perspective humaine . 163
E
LE CAS DES SARCOPHAGES DU MILIEU DE LA XII
DYNASTIE
Le sarcophage d'Heqata (A i C) est un cas un peu particulier. Sa décoration inclut plusieurs éléments qui n'apparaissent que dans un nombre très restreint d'autres sarcophages ( G i T , T 3 C , partiellementT3L, et quelques autres exemplaires très endommagés). Ces sources datent d'une époque où la décoration des cercueils différait considérablement d'un site à un autre, phé-
163. Voir p. 198-200.
207
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE nomène qu'on peut aussi observer pour d'autres catégories d'objets. Il est donc, en principe, possible que le sarcophage d'Heqata reflète une tradition strictement locale et peut-être peu représentative. Il serait donc important de savoir comment les choses se présentent dans le cas des autres sarcophages. Malheureusement, l'étude ne serait-ce que d'un seul sarcophage prend beaucoup de temps, et il faudrait disposer de résultats concernant un nombre significatif d'artefacts avant de pouvoir se prononcer de manière plus assurée. Il serait particulièrement utile de posséder une analyse des sarcophages réalisés entre les règnes de Sénousret I
er
et
Sénousret III, période où l'on peut observer une tendance à décorer les cercueils selon un modèle plus ou moins rigide. Bien sûr, les concepteurs possèdent encore, à cette époque, une grande liberté dans les détails, et dans le choix des textes. Mais quelques principes sont néanmoins très apparents. Bien que le matériel soit vaste et n'ait pas encore fait l'objet de recherches poussées, quelques lignes directrices me semblent néanmoins claires . 164
A l'extérieur, ces sarcophages ne sont pas seulement décorés avec une bande horizontale de textes ornementaux et une paire d'yeux oudjat sur le côté est, comme dans les cercueils plus anciens (type I). Sous les registres d'inscriptions ornementales, on trouve maintenant des colonnes supplémentaires de textes, également en hiéroglyphes ornementaux (types IV et V ) . Les panneaux entre ces colonnes sont souvent ornés d'une façade de palais (type V I ) . Pour les différents types de cer165
cueils, on verra la figure 2 6 . A l'intérieur, un changement très important réside dans l'introduction d'une frise d'objets sur le côté ouest, de sorte que, désormais, les quatre parois possèdent chacune une frise.
164. Voir
WILLEMS,
dans : Studies te Velde, p. 343-372.
165. Voir
WILLEMS,
Chests of fife, p. 136-164, pour les types IV-VI.
208
FIG. 2 6 : TYPOLOGIE DE LA DÉCORATION EXTÉRIEURE DES SARCOPHAGES DU MOYEN EMPIRE, LA FIGURE N'OFFRE QUE LES MODELES LES PLUS COURANTS (D'APRÈS IKRAM ET D O D S O N , THE MUMMY
IN ANCIENT
EGYPT, P. 1 9 8 ) .
209
I fS TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE La thématique des frises change aussi, car elles sont presque entièrement réservées à des objets rituels et des éléments de l'ornement royal . Dans la plupart des exemples, ces cercueils 166
portent la formule 3 3 £ des Textes des Cercueils sur le couvercle, et la formule 3 9 7 sur le fond . Ces textes sont parmi les 167
plus connus du corpus. Dans le premier cas, il s'agit de la version originelle du chapitre 1 7 du Livre des Morts, dans l'autre de celle du chapitre 9 9 . Déjà au Moyen Empire, les deux textes étaient très répandus, et du fait qu'ils apparaissent souvent dans un programme qui régit la décoration des cercueils dans leur totalité, il n'est pas douteux qu'on est en présence de sources-clé pour comprendre la raison d'être des Textes des Cercueils. La formule 3 9 7 évoque le thème du bac que le défunt veut utiliser pour traverser le Canal Sinueux dans l'Au-delà. La destination qu'il a l'intention d'atteindre se trouve dans le Champ des Roseaux, proche de l'horizon oriental du ciel. Le texte, comme celui qui l'a précédé dans la pyramide d'Aba, laisse entrevoir que le corps d'Osiris se trouve en ce lieu, et que le défunt, le fils d'Osiris, a pour but de rattacher la tête de son père et de procéder au rituel d'Ouverture de la bouche sur ce dernier . Sur la base du texte lui-même et d'une comparaison 168
avec d'autres formules concernant le passeur du bac, on est en droit de conclure qu'on a affaire à un thème assez général dans ces compositions . 169
Dans la formule 3 3 J , l'embaumement d'Osiris est lui aussi thématisé. C T IV, 2 ^ 2 / 3 C - 2 7 2 C [ 3 3 ^ ] contient une description 166. Voir p. 146.
167. W I L L E M S , Chests of Life, p. 200-228, 233 et 235. 168. CTV, 780-810 [397] ; JÉQUIER, La pyramide d'Aba,
pl. X I , I.
591-592.
Un texte
très proche, mais offrant une version légèrement différente de la formule
397,
contient le même passage (voir BICKEL, dans : D'un monde à l'autre, p. 99 ; 116, I.
22-2). 169. W I L L E M S , Heqata, Velde, p.
210
360.
p.
156-177,
et surtout p.
173-177
; IDEM,
dans : Studies te
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE de la Place d'Embaumement et offre une liste de sept divinités qui constituent une partie conséquente du personnel momifiant Osiris, selon les textes ptolémaïques de la veillée horaire . 170
L'autre protagoniste du texte est le dieu solaire, mais il endosse toute une série de noms différents, comme Min et Harendotès. Ce dernier n o m ' , en particulier, est notable, 71
parce qu'il signifie « Horus qui protège son père » ; nom qui évoque les actes pieux d'Horus pour son père m o r t Osiris. Le texte fait ressortir que le dieu solaire est en route vers Osiris, avec l'intention patente de le faire revivre. Après cela, Rê doit quitter Osiris pour réapparaître comme soleil renaissant — le « sortir au jour » auquel renvoie le titre de la composition . Ce 172
long texte fort complexe ne peut être traité en détail ici, mais il semble clair qu'il concerne un thème qui nous est déjà familier : celui d'un dieu-fils — non pas Chou ou Horus, mais le dieu solaire parfois aussi appelé Horus — qui rejoint son père défunt pour l'embaumer '. 17
Le reste du programme décoratif des sarcophages étudiés s'intègre aisément à cette conclusion. Par exemple, les bandes verticales de textes ornementaux ont pour fonction de représenter un groupe de dieux qui participent aux rituels dans la Place d'Embaumement . Par ailleurs, les objets royaux qui 174
apparaissent dans les frises d'objets sont souvent mentionnés dans les textes décrivant les rituels d'embaumement. En effet, les sources interprètent souvent la momification c o m m e la victoire du m o r t osirien. Lorsque Seth tua Osiris, celui-ci perdit aussi sa fonction de roi d'Egypte. Après la momification
170.
JUNKER,
Stundenwachen, p. 3-5 et passim.
171. CT IV, 2 0 4 / 5 C [335].
172. CT IV, l 8 4 / 5 a - i 8 6 / 7 b [335]. 173. Pour une analyse plus poussée, voir WILLEMS, dans : Studies te Velde, p. 3 5 9 -
364. 174. Voir supra, n. 40, p. 149-150.
211
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE d'Osiris, les dommages causés par le crime de Seth étaient réparés. Comme signe de victoire, Osiris fut à nouveau couronné, désormais dans l'empire des morts. Dans les scènes de momification, on voit souvent les éléments de l'ornement royal sous le lit d'embaumement. Les mêmes objets ont également été retrouvés dans quelques tombes du Moyen Empire '. La 17
momification place donc le m o r t dans le rôle d'Osiris roi de l'Au-delà. Cependant, les éléments de l'ornement royal ne sont pas seulement à rapprocher d'Osiris, mais aussi du fils-ritualiste responsable de l'enterrement de son père. O n a vu que celui-ci avait le droit de succéder à son père, et les textes concernant l'embaumement renvoient parfois au fils comme à un roi et successeur . 176
Au terme de cet examen, on doit conclure que les textes et l'iconographie de ces sarcophages accordent à nouveau une place centrale au rituel d'embaumement, où les rôles de ritualiste / fils et bénéficiaire / père m o r t sont des thèmes primordiaux. La dialectique de la décoration des cercueils n'attribue pas un seul de ces rôles au propriétaire, mais les deux à la fois. Dans un contexte, il peut donc figurer c o m m e un Osiris qui acquiert une vie nouvelle grâce aux rituels pérennisés pour lui dans la décoration du cercueil. Dans d'autres contextes, il apparaît comme un fils en route pour rejoindre la salle d'embaumement d'Osiris. Bien que les détails diffèrent, on reconnaît aisément les rôles, actif et passif, que peut jouer Heqata dans les phases différentes de son destin dans l'Autre Monde.
CONCLUSION
Dans chaque texte, groupe de textes, sarcophage, ou classe de sarcophages que je viens de passer en revue, je crois pouvoir
175. Voir p. 146-148. 176. Par exemple CT I, 25lf [60].
212
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE retrouver un élément récurrent : l'emphase sur le lien familial, et surtout sur le lien entre le fils et le père défunt. Nos sources soulignent l'importance des rituels exécutés par le fils pour son père. Sans eux, le père m o r t ne pourrait pas survivre dans l'Audelà, et le fils n'aurait pas de droit à lui succéder. On a constaté que ce rapport entre père m o r t et fils vivant semble avoir été projeté dans l'Au-delà, le défunt jouant fréquemment dans l'Autre Monde le rôle d'un fils qui momifie son père. J'ai dû me concentrer sur ce qui me paraît essentiel dans ces textes, mais je dois admettre que d'autres spécialistes auraient peut-être souligné d'autres éléments des Textes des Cercueils . Il est inutile de nier que ces textes complexes se 177
prêtent à plusieurs interprétations. Cependant, il me semble aussi difficile de contester que l'axe père-fils occupait une place prépondérante dans la pensée des hommes qui composèrent ces Textes des Cercueils, axe dont le rôle fondamental pour la religion égyptienne a d'ailleurs été reconnu par d'autres' . En 78
outre, le choix de textes que j e viens de présenter ( 6 ^ 0 pages environ, donc plus de 2 0 % de l'ensemble des Textes des Cercueils) est si considérable que les résultats obtenus ne peuvent être dus au seul hasard' . 75
177. En fait, dans une étude en préparation, je crois pouvoir montrer que, dans un groupe de cercueils qui, chronologiquement et culturellement, sont à différencier de notre matériel, les Textes des Cercueils évoquent une philosophie entièrement différente.
178. Voir A S S M A N N , P- 74-75-
dans : Vaterbild, p.
12-49
et
155-162
; IDEM,
Tod und Jenseits,
179. Dans le passé, on a souvent exprimé l'opinion que les Textes des Pyramides et les Textes des Cercueils représentent deux corpus strictement séparés. O n ne peut plus souscrire à cette manière de voir. Dans une étude récente, B. MATHIEU a tenté d e déceler les critères qui pourraient faciliter une distinction entre les deux groupes, mais finalement, il a abouti 6 la conclusion qu'il reste pour l'instant malaisé de définir une différence entre les deux, et qu'ils puisent à un fonds commun (dans : D'un monde à l'autre, p.
247-262).
Pendant le colloque où il a pré-
senté cette hypothèse, le sentiment général était, en effet, qu'une différence clairement identifiable ne pouvait pas être établie. Cinq ans plus tard, je ne suis plus aussi
213
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE LA VIE FAMILIALE AU MOYEN
EMPIRE
Dans les ouvrages de vulgarisation surtout, on lit souvent que les scènes des chapelles funéraires montrent que les Egyptiens supposaient que la vie après la mort était un doublet de la vie terrestre. C'est certainement une exagération. Même là où la vie terrestre constituait le point de repère, le défunt n'aspirait pas simplement à continuer son existence, mais plutôt à acquérir dans l'Au-delà une position seigneuriale, même si son sort pendant la vie avait été très différent. Comme on l'a vu plus haut" , 10
le mobilier funéraire entre la fin de l'Ancien Empire et le début du Moyen Empire suggère que le défunt ne vit pas une copie de sa vie avant la mort, mais entre dans un scénario où certains éléments agréables de la vie terrestre dominent. Dans les textes que nous venons d'étudier, un procédé de sélection similaire est évident. Bien que les formules 1 3 1 - 1 4 6 , pour unifier un homme avec sa jb.t dans la nécropole, aient été interprétées comme l'indice que le m o r t désirait poursuivre sa vie familiale, une enquête plus poussée montre que la Jb.t n'est pas la famille dans le sens occidental, mais un groupe de personnes entretenant des liens d'ordre juridique et surtout financier. J e ne peux pas aborder le thème dans le détail ici, mais le fait que la femme du défunt n'appartienne pas à la Jb.t indique
convaincu sur ce point. D'une part, depuis la publication d e CT VIII on peut constater que les Textes des Pyramides ne sont certes pas exceptionnels dans les cercueils du M o y e n Empire, mais aussi que les cercueils n'offrent qu'une sélection assez restreinte du matériel connu des pyramides de l'Ancien Empire. De l'autre, les Textes des Cercueils contiennent quelques formules qui proviennent certainement d'un cadre non-royal, comme les formules 131-146 et 30-41, bien qu'elles contiennent des citations des Textes des Pyramides. M ê m e s'il est difficile de suivre avec certitude les mécanismes qui régissaient la transmission des textes, j ' a i l'impression que les cercueils d u M o y e n Empire comportent des textes partiellement non-royaux et partiellement royaux. Ces derniers n'étaient sans doute pas choisis au hasard, mais plutôt parce qu'ils comportaient des thèmes familiers à leurs utilisateurs, comme celui du lien entre père et fils, ou qu'ils appartenaient à des liturgies utilisables dans le cadre du culte funéraire des particuliers. 180. Voir p. 142-144.
214
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE très clairement que ces textes ne visent pas simplement à une continuité de la vie familiale dans toute son ampleur '. De plus, 18
bien que les formules i 3 1 - 1 4 6 ne soient pas rares, elles ne constituent qu'une petite minorité dans la masse des Textes des Cercueils. Dans le reste du matériel, on ne thématise qu'un seul élément du système de parenté : le lien entre le père m o r t et le fils vivant. Les relations mutuelles entre, par exemple, frères et sœurs, ou entre ceux-ci et la mère m o r t e , ne jouent aucun rôle dans le discours des Textes des Cercueils. Evidemment, on n'a pas affaire, ici, au reflet de la vie normale, mais à un choix conceptuel. Or, ce choix n'est pas propre aux seuls Textes des Cercueils. Dans les textes autobiographiques et dans les enseignements, l'axe père-fils domine aussi. Bien sûr, on trouve des cas exceptionnels de textes qui laissent entrevoir la réalité de la vie familiale, comme l'autobiographie d'Horemkhâouf. Il écrit : J'ai nourri mesjrères et mes sœurs. Je n'ai pas permis que l'un (d'entre eux) réclame les propriétés d'un autre, de sorte que chacun ouvre la porte pour l'autre. J'ai pris soin de la maison (pr) de ceux qui m'ont nourri après qu'ils avaient été enterrés et avaient été ressuscites' ". 1
Dans cet exemple, le soin du fils aîné pour ses parents est thématise, mais, détail réaliste absent des Textes des Cercueils, il s'occupe de ses deux parents, et non seulement du père. De m ê m e , le texte
signale que, après la m o r t des parents,
181. Pour la femme qui n'appartient pas à la A i d e son mari, voir déjà GOEDICKE,
PRAR, p. 66
; FRANKE,
AVMR, p. 278, 2 8 3 , 2 8 7
; ASSMANN,
dans : Vaterbild, p. 17,
n. 2 2 . Pour l'interprétation générale d e la Jb.t, voir WILLEMS, dans : Religion in Context, à paraître.
182. Stèle N e w York
M M A
35.7.55,11-13 : voir
HAYES,
JEA 3 3 (1947], p. 3-11. Un C E R N Y , JEA 47 (1961),
cas semblable est décrit sur la stèle de Mérer à Cracovie : P- 5-9-
215
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE Horemkhâouf veillait sur ses sœurs et frères. Cela ne devait certes pas être inhabituel, mais il est difficile de trouver des textes, en tout cas dans la littérature autobiographique ou dans les enseignements, qui offrent de tels détails '. Même en 18
dehors de ces genres littéraires, de semblables renseignements sont fort malaisés à repérer' . 84
Ce que les autobiographies mettent surtout en lumière, c'est que « le » fils ou, plus explicitement, « le fils aîné » établit la maisonnée. On lit souvent qu'il s'agit de la maisonnée du père, qu'il entretient et même enrichit. Le fait que les deux possibilités — établir ou entretenir une maisonnée — sont toutes les deux exprimées par la même tournure (grg pr) rend parfois délicat de décider de quelle alternative il s'agit. Mais les renvois à une situation où le fils aîné continue la maisonnée de son père sont, en effet, très courants. Dans la réalité, de tels cas doivent correspondre au fait que le fils avait continué de vivre avec ses parents, durant toute sa vie. Il n'est guère probable que ses frères et sœurs aient fait la même chose. On sait que les habitations égyptiennes sont normalement assez petites, et ne contiennent que peu de pièces . Il est 185
vrai que ce point de vue repose en partie sur l'hypothèse que les maisons égyptiennes ne possédaient qu'un seul étage, et que cette idée a été récemment nuancée, en tout cas pour le Nouvel Empire, avec des arguments probants' . Mais ce qui vaut pour le 86
Nouvel Empire n'est pas nécessairement applicable au Moyen
183. Un cas similaire dans son réalisme se trouve sur la stèle Caire JE 46048,1. 6, où un homme déclare qu'il a bâti des maisons pour chacun de ses enfants, qui étaient comparables à celle qu'il possédait lui-même p. 2 4 8 - 2 5 3
; FRANKE,
(ABDALLA, J E A
79 [1993],
SAK 34 [2006], p. 167-172).
184. Une liste très complète de la documentation sur la maisonnée (pr) a été rassemblée par
FRANKE,
AVMR, p. 257-276.
185. Pour la simplicité des plans au M o y e n Empire, on consultera BIETAK, dans : Haus und Palast, p. 24-43 (Gruppe
A)
et
(pour un résumé, voir p. 217-218).
186.
2l6
SPENCE,
JEA 90 (2004), p. 123-152.
V O N PILGRIM,
Elephantine XVIII, passim
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE Empire
187
; et même si les maisons avaient possédé plusieurs étages,
cela ne prouve à aucun égard que les enfants mariés continuaient à cohabiter avec leurs parents. En effet, ainsi que le remarque
FRANKK,
il y a plusieurs allusions à des maisonnées dans la littérature du Moyen Empire et, dans ces cas, il s'agit normalement de familles nucléaires . Comme il le souligne, il est alors question de familles 188
de paysans. Un groupe de trois papyrus fragmentaires actuellement conservés au musée de Turin, le fameux stato civile, contient des fragments de l'état civil de la rive gauche thébaine, à la fin de la XX'' dynastie. Ces documents regroupent les renseignements sur les habitants par maisonnée, et il s'agit presque sans exception de familles nucléaires. Les cas rares où un enfant marié continue de vivre avec ses parents sont indiqués en rouge, et, selon R. D E M A R É E , il s'agit probablement de situations passagères . Parfois, on rencontre aussi 189
des exemples où une personne âgée se joint à la famille nucléaire d'un de ses enfants. Pour le Moyen Empire, on ne possède malheureusement pas de document comparable, mais trois listes d'une seule maisonnée à Lahoun semblent refléter une situation très similaire à ce qu'on trouve dans le stato civile'' . 10
187. Les arguments en faveur de maisons de plusieurs étages à cette époque ont été évalués de manière critique par V O N PILGRIM, op. cit., p. 2 3 1 - 2 3 3 . 188.
FRANKE, AVMR,
p.
275.
189. Les documents seront publiés par Rob DEMARÉE et Dominique VALBELLE ; voir déjà VALBELLE, CRIPEL 7 (1985), p. 81-84. Je remercie le premier pour les renseignements qu'il m'a donnés. Ces remarques remplacent celles de KRAUS, Demographie, p. 100-101, qui suppose une situation beaucoup plus variée.
190. Ces documents sont étudiés par
VALBELLE,
CRIPEL 7 (1985), p. 75-87. O n peut
suivre cette maisonnée pendant une période prolongée. Bien qu'on n'ait pas affaire à une famille nucléaire, on reconnaît aisément la dynamique du groupe. 1] Un homme et une femme ont un fils et plusieurs filles. Les filles quittent la maisonnée, probablement q u a n d elles se marient. 2) La mère de l'homme se joint à la maisonnée, probablement quand son mari meurt ; il ne s'agit certainement pas de la situation habituelle. 3) Le fils reste dans la maisonnée après son mariage, mais à ce moment, son père est déjà mort. Il se peut qu'on ait affaire au cas d'un fils aîné restant chez ses parents, thème fréquent dans les autobiographies. Mais il est aussi possible qu'il n'ait pas établi une nouvelle maisonnée pour pouvoir soigner sa mère et sa grand-mère restées veuves après la mort d e leurs maris. Dans ce cas, on a clairement affaire à une situation qui n'est pas la règle.
217
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE II semble donc qu'une maisonnée régulière se composait d'une famille nucléaire (parents, entants), avec exceptionnellement des serviteurs et des personnes supplémentaires . 191
L'impression que, normalement, les enfants quittaient la maison parentale au moment de leur mariage semble être confirmée par nombre de textes autobiographiques où une personne dit être sortie de « la pièce de derrière de la maison du père ». Selon l'interprétation convaincante de F R A N K E , cette partie de la maison abritait les pièces privées, où vivait la famille '. 19
Les plans des maisons ordinaires de l'époque ne comportent pas de pièces à l'arrière, mais les textes autobiographiques sont issus, per definitionem,
d'une couche sociale relativement
élevée. Or, dans les grandes maisons de l'élite, on trouve parfois des espaces qui peuvent être identifiés à « la pièce de derrière de la maison ». La planche i j en présente un exemple : une des grandes maisons à Lahoun '. 19
Il s'agit d'une très vaste demeure où habitent plusieurs familles. Au premier coup d'ceil, on pourrait en retirer l'impression qu'on a affaire à une structure très différente des habitations de familles nucléaires qu'on vient d'évoquer. Mais il faut prendre en compte le fait que cette maison n'a pas une organisation comparable, par exemple, à celle d'un château européen, bâtiment qui, à lui seul, contient les quartiers d'un grand nombre de personnes. A Lahoun, la structure est très différente : on voit un espace entouré par un mur, contenant plusieurs maisons indépendantes qui ont plus ou moins le même aspect : les mai191. Plusieurs auteurs ont énoncé l'hypothèse que les Égyptiens vécurent plutôt en familles étendues (« extended families »] ; voir, par exemple, JANSSEN, GM
(1981 ),
p.
62-65,
48
avec références bibliographiques. Mais on ne comprend pas très
clairement si ces auteurs parlent d e maisons regroupées en un ensemble, ou de grandes maisons contenant plusieurs familles. Il est évident que les deux alternatives ne reflètent pas la même réalité sociale.
192. 193. 2l8
FRANKE,
AVMR, p.
266-267.
Reproduit par BIETAK, dans : Haus und Palast, p.
32, fig. 12.
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE sons I, I I , I I I et IV. Les petites maisons V, V I et V I ont un plan différent, probablement du fait qu'il s'agit simplement de pièces où sont logés les serviteurs. Le modèle généralement adopté consiste en une cour d'entrée ( H ) , suivie d'un vestibule transversal ( V ) , une salle de réception, souvent avec des colonnes ( W ) , et une ou deux pièces supplémentaires ( N , S ) . La maison centrale I est la plus grande unité et appartenait sans doute à un haut fonctionnaire. On peut supposer qu'il utilisait la pièce W comme bureau où il recevait les visiteurs. Pour cette raison, l'unité W a, dans ce cas, été dédoublée. On employait, en effet, la pièce W i , comme salle de réception officielle, tandis que la pièce W 2 et la pièce latérale N 2 devaient constituer les pièces privées de la famille. Je suggère qu'il s'agit des « pièces de derrière de la maison » mentionnées dans les autobiographies. C'est là que vivaient les enfants qui, après leur mariage, quittaient la maison pour s'installer ailleurs. La maison I I mérite une attention particulière. Par son ampleur, il s'agit de la deuxième maison du complexe, possédant une cour entourée de colonnes, et une salle de réception avec une colonne. Les personnes qui y habitaient étaient sans doute parmi les plus importantes du complexe. On constate par ailleurs que les quartiers privés de la maison I sont directement reliés à ceux de la maison I I (porte entre les pièces 8 et 2 0 ) . Ce dispositif ne se retrouve nulle part ailleurs, et indique un lien très étroit entre les familles vivant dans les maisons I et I I . BIETAK
explique la situation en supposant que la maison I était
celle du père, et la maison I I celle du fils aîné . 194
Cette explication est convaincante. On voit donc qu'un des enfants, probablement le fils aîné, reste dans le complexe domestique de son père, tandis que les autres quittent « les pièces de derrière de la maison du père » pour s'établir ailleurs. Quand le fils aîné se marie, il obtient la maison I I ; quand son 194.
O p . cit., p.
34. 219
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE père meurt, sa famille déménage vers la maison I. Le moment venu, son propre fils aîné s'installe avec sa famille dans la maison II. Voilà l'atmosphère concrète d'où dérive l'axe père-fils, si largement mis en lumière dans les textes autobiographiques, les enseignements, et les Textes des Cercueils. Tout comme les textes, ces complexes domestiques sont caractéristiques de la plus haute élite d'Egypte. Je vois un lien entre ces deux constats : les Textes des Cercueils pourraient bien avoir été écrits pour les gens qui habitent ces grandes maisonnées. Si l'on me suit dans ce raisonnement, on tient à nouveau un argument pour considérer les Textes des Cercueils comme marqueurs de la culture élitaire plutôt que d'une culture « démocratique ».
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LES COURS NOMARCALES
Il est ainsi clair que les thèmes évoqués par les Textes des Cercueils offrent un cadre théologique admirablement
en
accord avec les soucis sociaux des propriétaires des sarcophages. Mais un problème se pose tout de m ê m e . L'importance de la légitimité de la succession familiale, et de l'exécution de rituels funéraires par le fils aîné ne se rencontre pas seulement dans les autobiographies des régions nomarcales, mais partout en Egypte. On a alors du mal à comprendre pourquoi les Textes des Cercueils disparaissent largement au cours de la XIL dynastie, sauf dans les régions caractérisées par la culture nomarcale. Pour être plus précis : les maisons déjà décrites soulignent clairement l'intérêt accordé à l'axe père-fils, mais ces maisons se situent à Lahoun, endroit où il n'y a presque pas de Textes des Cercueils. Depuis quelques années, on sait que des maisons très comparables ont également existé à Abydos, dans la communauté attachée à la tombe / cénotaphe de Sénousret JII \ 19
195.
220
35 (1998], p. 1-44 57 (2001), p. 281-308.
WEGNER, J A R C E
MDA/K
; IDEM,
EA
17 (2000), p. 8-10
; IDEM,
(FS TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE Comme je l'ai signalé plus haut, à Abydos le nombre de sources des Textes des Cercueils est aussi très restreint. On doit donc admettre que, jusqu'à un certain niveau, les élites partageaient le même climat intellectuel, mais que c'était surtout les élites provinciales qui continuaient à utiliser l ' e x pression de ces idées sous la forme des Textes des Cercueils. Pourquoi cette différence ? Sans que je puisse en apporter la preuve définitive, il me semble qu'on peut reconnaître des écarts entre la structure sociale dans les nomes de Moyenne Egypte — et parfois ailleurs —, et celle en vigueur dans l'entourage plus immédiat du roi. Peut-être, les nomarques n'étaient-ils pas plus influents ou plus importants que les hauts fonctionnaires, par exemple, à Licht ou à Lahoun. Pourtant, il existait une différence de perspective. A la résidence, on comptait certainement de très hauts fonctionnaires. Mais il y en avait beaucoup, de sorte que chacun d'entre eux jouait un rôle relativement moins marqué, considéré du point de vue de la population en général. De surcroît, dans la communauté de la résidence, même les fonctionnaires les plus élevés étaient de rang secondaire par rapport au roi. Dans les provinces, la situation était évidemment perçue de manière très différente. Il est peut-être vrai que, dans l'organigramme de l'état, un chef provincial pouvait occuper une position comparable à celle de certains fonctionnaires attachés à l'administration centrale, mais pour la population du nome, il se trouvait sans doute à l'apex de la pyramide hiérarchique localement visible. Dans ce cadre, on constate, depuis la fin de l'Ancien Empire déjà, le développement de l'institution du hw.t-kj,
la chapelle
où les chefs locaux recevaient un culte personnel. Cette forme de vénération est bien attestée depuis la fin de l'Ancien Empire autour des palais et des tombes des gouverneurs régionaux, et de tels lieux de vénération ont probablement existé au Moyen 221
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE Empire, en Moyenne Egypte. La maison de ka contenant la statue colossale du nomarque Djéhoutihotep à Deir el-Bersha pourrait en avoir constitué un des exemples les plus impressionnants. Grâce à l'étude de la chapelle de Heqaib menée par F R A N K E , on sait que le culte célébré dans ce genre de sanctuaires n'est pas sans rappeler le culte des ancêtres qui constitue l'assise de la religion funéraire égyptienne. Probablement dans chaque famille égyptienne, les rituels mortuaires prenaient l'apparence d'un tel culte. O n sait aussi que le culte des « ancêtres » en Egypte était susceptible de s'adresser non seulement à des membres défunts de la famille, mais également à un éventail d'autres personnes, comme des collègues . Dans cette 196
perspective, on peut comprendre que le culte de personnes importantes de la communauté se soit répandu à travers des groupes plus larges. Cela doit avoir conduit à un type de vénération qu'on est tenté d'appeler le « culte du patron ». Dans le cas des gouverneurs, on a affaire aux patrons de toute une région ; la forme que pouvait adopter le culte de ces personnages dépasse alors les limites normales de ce qui se passait généralement dans les chapelles attachées aux tombes. Comme le montre l'exemple des chapelles des gouverneurs à Balat, à Deir el-Bersha et à Elephantine, on est en présence d'édifices qui ont été conçus en vue de célébrations publiques à très grande échelle. Les gouverneurs, comme bénéficiaires de cultes, se rapprochent, dans ce cadre, de personnalités d'essence presque surnaturelle — dans le cas de Heqaib d'Elephantine, d'Isi d'Edfou, ou des nomarques d'Assiout on leur a, en effet, conféré le statut spécial de sah, et Isi est parfois même appelé ntr, « dieu »
196. Voir
1 9 7
.
par exemple FITZENREITER, CM
197. FRANKE, Heiligrum, p. 136, n. 407. 222
143 (1994), p. 51-71.
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE On ne connaît que peu de choses des liturgies utilisées pendant les cultes des gouverneurs. Seul le sanctuaire de Heqaib a fourni un certain nombre de formules rituelles. O n trouve, par exemple, une stèle comportant la formule 2 1 9 des Textes des Pyramides" . Ce texte apparaît parallèlement sur plusieurs cer8
cueils ornés de Textes des Cercueils' . La m ê m e stèle contient 99
également une formule concernant la table d'offrandes, attestée aussi, de manière régulière, sur les sarcophages du Moyen Empire . D'autres monuments dans la chapelle de Heqaib 200
contiennent des textes rappelant les formules 2 2 2 , 2 2 3 , et 4 3 7 des Textes des Cercueils , et les paragraphes 8 7 , 2c, 2 0 0 , ^ 9 8 , 201
2 3 , 3 3 , 8 2 - 9 6 , 1 0 8 et sq., 2 1 3 et 2 1 4 des Textes des Pyramides . 202
Cette dernière collection provient de la chapelle de culte de Sarenpout I". Un autre texte n'est pas (encore ?) attesté dans le corpus des Textes des Cercueils, mais il appartient au m ê m e genre. Selon l'analyse de F R A N K E , il s'agit d'un texte de glorification
(sJh.w) \ m
On est donc en droit de présumer que, dans le culte des gouverneurs, on utilisait des textes dont on connaît, dans plusieurs cas, des parallèles exacts sur les cercueils de l'époque, et qui appartiennent au domaine des formules d'offrande et des glorifications. Les textes relevant du second genre déploient une technique rhétorique dans laquelle l'objet de culte est invoqué avec des qualificatifs divins, ou avec des phrases exprimant le désir qu'il puisse s'intégrer dans le monde des dieux. Bien que quelques-uns de ces textes soient attestés pour la première fois dans les pyramides des rois de l'Ancien Empire, 198. HABACHI, The Sanctuary of Heqaib I, p. 3 5 ; II, pl. 2 3 b ; voir FRANKE, Das Heiligtum des Heqaib, p. 2 2 3 - 2 3 5 . 199. C7VIII, 158-191.
200. Voir FRANKE, o p . cit., p. 235-240. 201. IBID., p. 241. 2 0 2 . IBID., p. 219. Pour une grande partie des ces textes on trouve aussi des parallèles dans CT VIII. 2 0 3 . IBID., p. 2 4 5 - 2 5 1 .
223
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE il est certain que plusieurs d'entre eux n'avaient rien de spécifiquement
royal. C'est sans doute pour cette raison qu'on les
rencontre dans des compositions rituelles plus tardives . Il 204
n'est évidemment pas impossible qu'il existe, parmi les Textes des Pyramides, des compositions qui aient été spécifiquement rédigées pour être employées par un roi. Mais, en fin de compte, cette idée qui, pour beaucoup d'égyptologues, semble être une certitude pour l'ensemble des Textes des Pyramides, est impossible à prouver. D e surcroît, les Textes des Pyramides utilisés par des particuliers pendant le Moyen Empire ne forment qu'une sélection assez restreinte du corpus. A titre d'hypothèse, on peut envisager que ce groupe appartient à un fonds de textes qui n'étaient pas nécessairement royaux, mais qui furent simplement mobilisés dans une perspective rituelle pour glorifier le bénéficiaire du rite, quel qu'il soit, roi, dieu, ou « patron vénéré ». De cette hypothèse découle, par conséquence, le fait que l'emploi de ces textes dans le cadre du culte des chapelles de ka ne constituait pas nécessairement une usurpation d'un privilège royal. On suppose généralement que le culte des chapelles de ka, malgré le fait que celles-ci avaient certainement une fonction funéraire, commençait déjà durant la vie du bénéficiaire, et il n'y a aucune raison de penser que cela n'était pas le cas dans les hw.t-k:
nomarcales " . Cela implique que, déjà du vivant du 2
1
204. Voir par exemple A S S M A N N , Tod und Jenseits, p. 3 2 3 ; MATHIEU, dans : D'un monde à l'autre, p. 2 5 6 - 2 5 8 . 205.
Plusieurs indices peuvent être évoqués en faveur de cette hypothèse. Par
exemple, la scène de la statue colossale d e Djéhoutihotep montre que celle-ci arrive à une chapelle où des rituels d'offrande sont déjà en train d'être célébrés (voir fig. 15 : les meilleures pièces de la table d'offrande sont dites être apportées). Deuxièmement, le graffito Hatnoub 24, I. 3-4, décrit Kay comme quelqu'un dont l'approche de ses statues de culte (hn.ty.w)
causait la joie des hommes et des
dieux, le jour où elles se rendaient vers le temple. Du contexte il ressort clairement que Kay fait allusion à une fête pendant laquelle lui-même officiait comme prêtre. Le texte, écrit de son vivant, utilise la forme relative sdm.n-f
pour relater l'événe-
ment, montrant clairement que ses statues avaient déjà été portées en procession,
224
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE nomarque,
il existait un culte qui utilisait des textes
avant
comme but de le transformer en un être divin. CONCLUSION
La conclusion que j e voudrais tirer pourrait être formulée de la manière suivante. Au début du Moyen Empire, la création de l'état nouveau conduit à l'émergence d'une élite nationale dont les monuments
funéraires,
essentiellement,
nous
sont
accessibles. À ce moment-là, le culte funéraire royal n'utilise probablement plus les Textes des Pyramides
206
; mais une collec-
tion de textes qui en sont très proches, lesTextes des Cercueils, s'est développée pour donner expression au statut religieux de la très haute élite, qui se sert aussi d'une sélection des Textes
et donc, qu'une chapelle fonctionnait déjà avant sa mort (à comparer ßeni Hasan I, pl. XXV, 83-84]. Dans une des chapelles d e ka, à Balat, on a trouvé un décret royal où le roi déclare qu'il a permis la construction d e la chapelle, mais aussi la mobilisation d'un corps d e prêtres pour celle-ci. Le texte d é c l a r e également qu'on avait agi de la même manière pour les prédécesseurs du destinataire du décret, fait qui suggère qu'on n'a pas affaire à un événement singulier (SOUKIASSIAN, W U T T M A N N , PANTALACCI,
Balat VI, p. 310-314 ; p. 521]. Un autre décret fragmentaire, trouvé dans
une chapelle avoisinante, devait avoir contenu des stipulations similaires (op. cit., P- 315)- Troisièmement, le gouverneur M é d o u n é f e r possédait une chapelle d e ka qui fut restaurée après l'incendie qui avait dévasté la ville. O r , il existe un indice que cet incendie s'était produit pendant le règne d e M é d o u n é f e r même (voir S O U K I A S S I A N , W U T T M A N N , SCHAAD,
BIFAO 9 0 [1990], p. 355). Le décret Coptos K
est adressé a u vizir Shemai. Il est sous-entendu q u ' i l existe d é j à plusieurs chapelles de ka lui appartenant ainsi q u ' à sa femme, et, dans le décret, le roi ordonne la nomination de probablement plus d e cinquante-huit prêtres d e ka. De la même manière, les chapelles de ka du vizir Idi semblent déjà être pourvues de domaines pour le financement du culte, lorsque le roi Démedjibtaoui fait rédiger le décret Coptos R. Il est clair qu'à ce moment, Idi est encore vivant ; pour les décrets discutés, voir GoEDiCKE, KDAR, p. 2 0 7 - 2 2 5 . Pour l'idée que le culte des chapelles de ka était déjà activé pendant la vie des bénéficiaires, voir aussi FRANKE, Das Heiligtum des Heqaib, p. 122-125, qui fait encore état d'autres exemples qui furent déjà institués du vivant du propriétaire. Il semble donc clair que le bâtiment fonctionnait déjà d e son vivant. Voir aussi BOLSHAKOV, A O F 18 (1991), p. 204-218, qui soutient que le culte, dans les tombes également, commençait déjà d u vivant des propriétaires. 206. En tout cas comme élément de la décoration d u monument funéraire.
225
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE des Pyramides. Un centre important de diffusion des ces textes était la Maison de Vie attachée au temple de Thot à elAshmounein. Il ne s'agit certainement pas d'une démocratisation, ou même d'une démotisation, pour utiliser l'euphémisme plus à la mode de nos jours. Le point de départ de cette évolution réside peut-être dans l'existence de chapelles de ka, dans lesquelles les grands seigneurs de l'état recevaient un culte, parfois déjà durant leur vie. Les Textes des Cercueils, où les particuliers s'assimilent à des dieux après leur mort, avaient donc des antécédents dans les liturgies des chapelles de ka, qui attribuaient des rôles divins aux hauts fonctionnaires. Cela ne signifie pas forcément que cous les fonctionnaires mentionnés aient disposé de chapelles de ka. En fait, je n'en connais pas d'exemples pour l'élite des villes des pyramides et de la capitale de l'Ancien Empire. Mais il existe des indices qu'au moins quelques membres de l'administration thébaine du début du Moyen Empire en possédaient . Quoi qu'il en soit, 207
l'existence de cultes personnels dans les provinces est bien attestée depuis la fin de l'Ancien Empire. À Elephantine et à Deir el-Bersha, mais probablement aussi sur les autres sites nomarcaux du Moyen Empire, ces cultes ont continué au moins jusqu'à la fin de la XII dynastie. O n a, en effet, l'impression e
que leur importance y devenait de plus en plus grande, si l'on peut en juger sur la base de la chapelle contenant l'énorme statue de Djéhoutihotep, ou des tombes colossales à Qaw el-Kebir et à Assiout. Dans le cadre de la continuité, et même de l'intensification, du culte du gouverneur en Moyenne Egypte, il semble crédible que le statut de son entourage immédiat ait également augmenté. Sans doute ces gens étaient-ils en bonne position pour
207. Je peux renvoyer au cas d'Antef fils de Myt, un haut fonctionnaire thébain de l'époque de M o n t o u h o t e p III (TPP/, § 33,12-13), qui possédait un « t e m p l e de sah » (r-pr n s'h pn) où travaillaient des prêtres de ka.
226
LES TEXTES DES CERCUEILS ET LA DÉMOCRATIE avoir accès à un rituel funéraire correspondant à leur niveau social durant la vie. J ' a i l'impression que l'utilisation des Textes des Cercueils est alors un élément de tout un appareil religieux visant à traduire leur rôle social prépondérant. Cela n'a rien à voir avec une tendance « démocratique ». Les chapelles de ka peuvent donc être interprétées comme un lieu où des textes religieux furent mobilisés pour le culte des particuliers. Mais j e ne vois pas, pour autant, de raison d'en déduire que toute personne ayant un sarcophage inscrit de Textes des Pyramides ou des Cercueils ait aussi possédé une chapelle de ka. Bien plutôt, ces chapelles pourraient avoir été les premiers lieux où apparut l'utilisation de textes rituels pour des particuliers . Il n'est pas étonnant qu'ils aient voulu continuer 208
de bénéficier des effets de tels textes après leur mort, ce qui conduisit à l'émergence de textes religieux dans le cadre de leurs tombeaux. Mais on ne doit pas exclure la possibilité qu'à partir de ce moment, ces textes aient aussi été adoptés par d'autres membres de l'élite qui ne disposaient pas de chapelle de ka indépendante de la chapelle funéraire. Cette dernière — qui était parfois aussi appelée « chapelle de ka »
2 m
! — pourrait avoir
conduit à une dissémination de ces textes en dehors du groupe probablement très restreint qui possédait un culte personnel. Mais comme notre enquête démographique l'a montré, le nombre d'utilisateurs de ces textes est toujours resté très faible. A la fin de la XIL dynastie, les cours nomarcales disparaissent et, avec elles, les derniers utilisateurs des Textes des Cercueils. A vrai dire, il existe quelques autres sources que D E BUCK
a inclus dans son édition des Coffin Texts. Il s'agit bien sûr
208. Il est peut être significatif que le plus ancien exemple d'un sarcophage inscrit avec des textes qui peuvent être comparés aux Textes des Cercueils appartienne au gouverneur de l'Oasis d e Dakhla, Médounefer. O n sait qu'il possédait aussi une chapelle de ka : S O U K I A S S I A N , W U T T M A N N , PANTAIACCI, Balat VI, p. 57-84. 209. Par exemple la chapelle funéraire de Hétep à Saqqara : FIRTH, G U N N , Tefi Pyramid Cemeteries I, p. 2 7 5 -
227
IFS TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE de textes écrits sur des sarcophages, mais leur étude montre qu'ils proviennent d'un cadre religieux totalement différent, qui annonce déjà le Livre des M o r t s . 210
210. Une étude de ce matériel extrêmement intéressant est en préparation.
APPENDICE QUANTIFICATION DES CERCUEILS DÉCORÉS DU MOYEN EMPIRE
L
a table suivante est accompagnée des renvois bibliographiques aux publications de cercueils parues depuis les listes établies par Chests of Life, p. 1 9 - 4 0 et par
LAPP,
WILLEMS,
Typologie,
p. 2 7 2 - 3 1 3 . Elle complète les informations de la figure 2 o.
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE Sites
Sarcophages
Nombre
Sarcophages
Nombre
Nombre
avec Textes
d'individus
sans Textes
d'individus
total
total
de cercueils
d'individus
des Cercueils
des Cercueils
Nombre
Assouan
1
1
1
1
el-Gebelein
3
2
9
9
12
11
Thcbcs
26
23
27
17
53
37'"
Dendara"
1 ?
1 ? 1
1
1
1
Abvdos
S"
3
5'"
5
8
8
Naga e l - D e i r "
4
3
3
3
7
6
rarshut
(
2
1 ?
Akhmim
2
1 ?
N o n inclus' * 1
Q a w cl-Qebir
2'"
2
2
2
4
4
D e i r Rifa
3'™
3
8
7
11
10
2 9 " " ( + 2 3 ?)
24 (+23?)
221
219
2 5 0 ( + 2 3 ?)
2 4 3 " ° ( + 2 3 ?)
71-'-"
64
61
59
132
122"'
50
28
9
9
59
37
18'"
17
32
26
2
2
Assiout Meir Deir el-Bersha " J
Beni H a s a n " '
14
9
Ihnasiyi el-Medina
2"'
2
Sedmcnt el-Gebel
7'"
5
8
7
15
12
2
2
9
9
11
11
1™
1
1
1
Riqqa
1
1
12
12
13
13
Lieht
10""
10
8
7
18
17
1
1
1
1
Haraga Hawara
Mazghouna Dahchour Saqqara
N o n inclus'" 36 " :
Abousir
1
28
26
26
62
54
3
11'"
11
15
14
K ô m el 1 iisn
1'"
1
1
1
Qatta
1'"
1
1
1
Origine inconnue
10
9
3
3
13
12
2 8 1 ( + 2 3 ?)
225 ( + 2 3 ? )
444
426
7+8
670
Total
230
APPENDICE 211. N o n pas quarante individus, parce que plusieurs personnes possèdent à la fois un sarcophage orné de Textes des Cercueils et un sarcophage sans ces textes. 212. La source doit être antérieure au M o y e n Empire ; ce qui explique le point d'interrogation. 213. Aux listes de WILLEMS et LAPP on ajoutera A b y l X , de [...]-iri/Sébekhotep (PEET, Cemeteries of Abydos, p. 61 (X3) ; p. 1 2 3 , et pl. XIII.4 ; pl. XXXVI) et Aby2X, d'Amenemhat (op. cit., p. 62 (Z2a, 122-123)).
214. Aux listes de W I L L E M S et
LAPP
on ajoutera Aby2
(GRAJETZKI,
GM 166 [1998],
p. 3 2 ; Aby3 ( PEET, op. cit. Il, p. 58 et fig. 27) ; Aby4 ( PEET, o p . cit., p. 60 (C66), fig. 28 et pl. XIV.15) ; Aby5 ( PEET, o p . cit., pl. XIII.5). 215. Il n'est pas sûr que toutes les sources appartiennent à la période étudiée ici. Quelques unes pourraient être plus anciennes. 216. Le matériel d'Akhmim semble être généralement plus ancien que les sarcophages présentés ici. 217. A u x listes de WILLEMS et LAPP on ajoutera la publication de C I A M P I N I , Le sepo/fura di Henib. 218.
Une des sources est un masque funéraire décoré avec des Textes des
Cercueils.
219. A la liste de
ZITMAN,
The Necropolis of Assiut, p. 110-151, j'ai ajouté la tombe I
de Djefaihâpi I", qui est partiellement décorée de Textes des Pyramides. Bien qu'il ne soit pas certain q u ' o n connaisse le(s) cercueil(s) de cette personne, la présence de ces textes dans sa tombe montre qu'il y avait accès. 220.
Deux propriétaires d'un sarcophage sans Textes des Cercueils possèdent
aussi un sarcophage avec Textes des Cercueils. 2 2 1 . La liste inclut cinq masques funéraires (Ml-2Ann, M16C, M 3 5 C , M36C) d e personnes dont on ne connaît pas de sarcophage. Bien qu'il ne s'agisse pas de cercueils, le fait que les masques sont inscrits avec des Textes des cercueils montre que le propriétaire y avait accès. 2 2 2 . Hâpi-ankhtifi possédait à la fois un sarcophage inscrit avec des Textes des Cercueils et deux sarcophages sans ce genre de textes. 2 2 3 . Ici on ne tient pas compte des calculs hypothétiques signalés, p. 170-171, mais on donne seulement les sources actuellement connues. 2 2 4 . M ê m e remarque q u ' à la note précédente. 2 2 5 . Aux listes de WILLEMS et LAPP, on ajoutera le sarcophage de chien BH16 (TOOLEY,
JEA 74 [1988], p. 207-211) ; BH17, de la dame Hétepout (Freiburg
Museum für Völkerkunde (CALLAGHAN,
Inv. A e 2 0 , non publié) ; BH18 de Netjer-nakht
ßACE 8 [1997], p. 19-32).
2 2 6 . En fait il ne s'agit pas de sarcophages mais de tombes décorées avec des Textes des Cercueils. Les sources sont incluses parce que les propriétaires de ces tombes disposaient d e ce genre de textes. 227. Au matériel inclus dans les listes de WILLEMS et de LAPP, on ajoutera les trois sarcophages publiés récemment : Abdel
FATTAH, BICKEL,
2 2 8 . Cercueil de Néferou-Ptah, reconstruit par
BIFAO 100 (2000), p. I-36.
GRAJETZKI,
GM 2 0 5 (2005), p. 5 5 -
65. O n pourrait aussi attribuer ce cercueil au groupe des sarcophages avec Textes des Cercueils, mais en fait, la décoration est restreinte à une série de formules religieuses de forme ornementale à l'extérieur.
231
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE 2 2 9 . La tombe d e Sénousret-ânkh a été incluse ici ; bien que le sarcophage ne soit pas connu, le fait que le propriétaire disposait d'une tombe décorée avec des Textes des Pyramides montre qu'il avait accès à ce genre de textes. Cette liste ne comprend pas les sarcophages Ll-2Li ( S N l A selon la nomenclature d'AuENJ, ni les sarcophages ZJl et X28 d'AuEN (dans : The World of the Coffin Texts, p. 13-15) qui datent de l'extrême fin d e la XII" dynastie et de la XIII* dynastie. 230. Il s'agit d'un groupe de sarcophages de personnes appartenant à la famille royale et à la cour. Ils sont d'un autre type que les sarcophages analysés dans ce volume et sont aussi plus tardifs (Moyen Empire tardif). 231. Cela inclut quelques chambres funéraires décorées exactement comme un cercueil du M o y e n Empire. A u x listes de WILLEMS et LAPP, ajouter le sarcophage
Sq23X mentionné dans Rêhérichefnakht :
GIDDY,
EA 6 (1995), p. 2 9 , et la pyramide de
BERGER-EL N A G G A R , LABROUSSE,
BSFE 164 (2005), p. 28.
2 3 2 . A u x listes de WILLEMS et LAPP on ajoutera A b l C de Khoui-ânkh : BARES, ZÀS
118 (1991), p. 89-96). 2 3 3 . A u x listes de W I L L E M S et p. 89-96).
LAPP
on ajoutera Ab7-8
: BARES,
ZÄS 118 (1991),
234. En fait, il ne s'agit pas d'un sarcophage mais d'une tombe décorée avec des Textes des Cercueils. Les sources sont incluses car les propriétaires de ces tombes disposaient de ce genre de textes. 235.
En fait, il s'agit d'une chambre funéraire décorée avec des Textes des
Cercueils.
ÉPILOGUE
L
es hypothèses que j ' a i proposées dans les pages précédentes, ont eu pour but de remettre en cause certaines opinions répandues sur la société et la religion du Moyen Empire égyptien. Les données que j ' a i utilisées comprenaient, d'une part, une masse de documenta-
tion archéologique et philologique publiée et, de l'autre, les acquis nouveaux des fouilles en cours à Deir el-Bersha. Pour l'auteur, l'exercice de formuler de manière consis-
tante des idées, jusque là éparses, eut comme conséquence inattendue que, pendant la campagne de 2 0 0 7 , le site de Deir el-Bersha s'est présenté à lui sous une lumière légèrement différente. Aussi, les fouilles reprises, des informations parfois inattendues, dont la portée n'est pas encore tout à fait claire, sont-elles apparues, qui permettent de nuancer, ou de renforcer, certaines propositions que j'avais énoncées dans mes conférences à l ' E P H E . Sans qu'il me soit possible de présenter ici tous les détails, j e crois utile d'en offrir un bilan préliminaire.
233
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE Un projet important de la campagne de 2 0 0 7 était la réalisation partielle de la stabilisation de la tombe
nomarcale
d'Ahanakht I' . La salle d'entrée de cette tombe s'était déjà r
effondrée avant que Newberry n'y travaille en
1891-1892
;
mais son rapport fait aussi état de mouvements de rochers qui se produisirent pendant sa campagne même. La situation ne s'est pas améliorée depuis. Les fouilles de G.A. Reisner de 1 9 1 ç conduisirent à un enlèvement de déblais, lui permettant de trouver un nombre important de puits funéraires nouveaux. Mais en évacuant ces matériaux — souvent en dynamitant des grands blocs de calcaire tout autour de la tombe d'Ahanakht — il déstabilisa en même temps les tombes nomarcales. En comparant des photographies de son époque avec la situation actuelle, il est clair que les rochers bougent encore, l'aire présentant le plus de risques de s'effondrer étant celle de cette tombe. Le projet de consolidation n'est pas encore terminé. Le but est, d'abord, de dresser des piliers de soutènement en trois points-clé et, ensuite, de reconstruire partiellement les parois détruites pendant que la tombe fut exploitée comme carrière. Évidemment, certains aspects ne seront plus visibles après que la restauration sera achevée. Avant d'aborder ces travaux, il était donc nécessaire d'enregistrer chaque détail qui pourrait être important ultérieurement pour l'interprétation
de l'architecture
de la tombe
d'Ahanakht et de celles, peu connues, qui l'entouraient, mais qui ont été presque entièrement démolies. R
DILS
a documenté
tous ces indices. Mais, en fait, il a procédé à une étude architecturale de plus grande échelle qui autorise une compréhension beaucoup plus précise de la moitié orientale du plateau des tombes nomarcales. Simultanément, les recherches autour de la tombe de Djéhoutihotep se sont poursuivies. Les fouilles de L.
KUIJPER
ont permis d'identifier une tombe déjà partiellement explorée 234
ÉPILOGUE par l'équipe de Newberry : la tombe « K » de Fraser . Il est 1
apparu clairement que les fouilles dont fait état Fraser n'étaient que très superficielles. Ce qui rend importante cette tombe, c'est que ses trois puits funéraires, que nous n'avons pas encore pu vider, sont, par comparaison avec la plupart des puits dans la zone 2, assez petits : ils sont carrés, les côtés ayant une longueur d'approximative ment un mètre. Le même module existe dans un puits que nous avons découvert récemment dans le caveau funéraire
de
Djéhoutihotep m ê m e . Un autre, non terminé, se trouve dans le complexe funéraire du même nomarque'. Un sixième puits du même type, lui aussi inachevé, est creusé non loin de là. Il est donc patent qu'il existe un groupe de tombes, typologiquement très distinct et jusque là non identifié : les tombes à puits carrés. Étant donné que deux de ces puits appartenaient à l'évidence à des tombes dont la chapelle a été détruite quand la tombe de Djéhoutihotep fut construite, il s'agit clairement de tombes plus anciennes que celles des nomarques du Moyen Empire. Ces dernières possèdent des puits d'un caractère tout à fait différent. Ce sont des puits rectangulaires, avec une longueur souvent de plus de trois mètres, et une largeur d'un mètre cinquante environ. Je les appellerai « les grands puits rectangulaires ». Une autre observation n'avait pas été faite auparavant : on reconnaît encore un troisième type de puits, qui est, comme ceux du Moyen Empire, rectangulaire, mais d'un module beaucoup plus petit, n'étant que légèrement plus long qu'un corps humain. De surcroît, ce dernier groupe, qu'on nommera « les petits puits rectangulaires », est peu profond, et partage certains éléments architecturaux qui devront être décrits ailleurs. On compte une dizaine de tombes environ pourvues de ce dispositif. 1. FRASER, dans : ßersheh II, p. 59. Selon lui, le complexe contenait deux puits funéraires. 2. Voir la reconstruction dans VERREPT et WILLEMS, dans WILLEMS e.a., MDAIK
62
(2006), p. 317, fig. 4 . 235
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE Les conséquences de ces découvertes ne sont pas encore claires. Cependant, on doit conclure à la présence de trois groupes de tombes nettement différenciés, et au fait que les tombes à puits carrés sont antérieures au Moyen Empire. Leur forme suggère qu'une datation à l'Ancien Empire serait envisageable. Les tombes à petits puits rectangulaires pourraient, elles, appartenir à des contemporains des nomarques du Moyen Empire. Mais il est aussi concevable qu'elles constituent le trait d'union entre les tombes à puits carrés et les grands tombeaux nomarcaux du Moyen Empire. Cette dernière option permettrait d'expliquer pourquoi les tombes nomarcales du Moyen Empire s'échelonnent en deux groupes distincts : l'un vers l'est, et l'autre vers l'ouest. La zone entre les deux n'a jamais révélé aucune trace de tombes décorées, mais on y rencontre plusieurs petits puits rectangulaires, qui pourraient avoir déjà existé avant que les nomarques du Moyen Empire n'aient construit leurs sépultures. Il est clair que cette dernière hypothèse, si elle se confirme, entraîne diverses conséquences. Plusieurs questions se posent. Si les petits puits rectangulaires datent vraiment de la Première Période Intermédiaire, qui étaient leurs propriétaires ? Les gouverneurs ? Mais on a vu que des tombes datant aussi, probablement, de cette époque existent dans la zone 1 0 , au centre du village. Ces tombes sont d'une allure beaucoup plus conséquente ; et on sait que les personnes enterrées là appartenaient aux couches supérieures de l'époque. S'agit-il donc de membres de l'élite, mais d'un statut inférieur, comparé à celui des nomarques inhumés dans la zone 1 0 ? Nous l'ignorons. Mais il reste que l'hypothèse que des tombes de la Première Période Intermédiaire soient installées dans la zone 2 a des retentissements pour l'interprétation que j ' a i présentée plus haut . J'avais suggéré un lien entre trois constats indépendants : 3
3. Cf. supra, p. 91 sq. ; 108-109. 236
ÉPILOGUE i ) le fait que Ahanakht I" fut le premier à construire une grande tombe décorée dans la zone 2 ; 2 ) le fait qu'il fut nommé vizir ; et
3 ) le fait que, vers la fin de la Première
Période
Intermédiaire ou au début du Moyen Empire, tout le site fut réorganisé autour d'une rue reliant l'embarcadère sur la rive du Nil avec la zone 2 . Ma supposition était que, dans le climat politique juste après l'Unification du pays, le nouveau roi thébain avait trouvé un allié en Ahanakht. Dans ce contexte, il lui avait attribué des privilèges importants, y compris la création d'un paysage rituel destiné à sa vénération, dans lequel la position visuellement impressionnante de sa tombe jouait un rôle. Je ne vois aucune raison pour mettre en doute l'essentiel de cette proposition. Il est tout de même possible qu'Ahanakht I" n'ait pas été le premier de son temps à ériger sa tombe dans la zone 2 , poursuivant la démarche des propriétaires des petits puits rectangulaires. Par ailleurs, l'existence même de ce dernier groupe pourrait être à l'origine de la rue traversant le cimetière dans la plaine. Elle aurait donc possiblement été conçue dès avant le Moyen Empire. Même dans ce cas, la datation des tombes alignées sur les deux côtés de la rue suggère que cette dernière ne peut pas remonter très en deçà de cette date. J e dois souligner que cette alternative est une possibilité, mais ne prouve pas que mon explication de la situation, développée dans le chapitre II, est à écarter. Si cette alternative nouvelle s'avère correcte, cela modifie également la chronologie de l'établissement de certains éléments de la topographie locale, mais non pas l'interprétation fonctionnelle du paysage rituel, qui est fondée, pour l'essentiel, non sur les données de l'époque de Ahanakht, mais sur le texte concernant la statue colossale de Djéhoutihotep . C'est cette interprétation fonctionnelle 4
qui importe le plus pour le présent ouvrage.
4. Cf. supra, p. 110-114. 237
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE La découverte des puits carrés et des petits puits rectangulaires a aussi d'autres effets. Dans le troisième chapitre, j ' a i élaboré une tentative d'explication visant à comprendre quel segment de la population utilisait les Textes des Cercueils. Dans ce cadre, j ' a i proposé des estimations sur le nombre de tombes dans la zone 2 . Mais je n'avais pas pu tenir compte du fait que trois types de tombes existent. Autant que je sache, tous les sarcophages inscrits avec des Textes des Cercueils proviennent des grands puits rectangulaires. Il n'existe aucun indice que ces textes aient aussi été reproduits sur les sarcophages trouvés dans les petits puits. Et, en fait, dans la plupart des cas, les cercueils célèbres de Deir el-Bersha sont simplement trop grands pour être introduits dans les puits carrés et les petits puits rectangulaires. J'avais fait la remarque qu'il n'existe pas d'informations sur des documents portant des Textes des Cercueils, qui proviendraient de la partie centrale de la zone 2 . C'est peut-être 5
parce que cette zone n'abrite que des petits puits rectangulaires qui ne contenaient pas ce type de matériel. La conséquence en est que la base de mes calculs était une estimation, de beaucoup trop haute, du nombre de sarcophages avec des Textes des Cercueils. Même l'hypothèse qu'un faible 0 , 2 9 %o des morts dans le nome du Lièvre en possédait serait 6
encore trop optimiste.
5. Supra, p. 158.
6. Supra, p. 171.
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TABLE DES FIGURES
1 . Détail de la procession géographique dans le temple de Kôm O m b o , montrant les personnifications des XIV" et X V nomes de Haute Egypte (d'après
DE
MORGAN,
e
Kom Ombos
II. 3 , p. 2 J C [ 8 9 . ] ) .
2 . Détail du soubassement de la Chapelle Blanche, montrant la liste des nomes de Haute Egypte (d'après Une chapelle de Sésostris
CHEVRIER,
1"
LACAU
et
à Karnak, pl. 3 ) .
3 . Détail de la procession de domaines figurés dans le « temple de la vallée » de Snéfrou à Dahchour. Les deux dames de droite représentent deux des trois domaines du nome du Lièvre ( X V ) . Inséré entre les dames 2 et 3 on voit le syme
bole du nome de l ' O r y x , suivi de deux des cinq domaines de ce nome (d'après
FAKHRY,
The Monuments of Sneferu at
Dahshur II, fig. 1 6 ) . 4.
Organigramme simplifié de l'administration
égyptienne
entre les règnes de Niouserrê et Djedkarê-Isési. ç. Organigramme simplifié de l'administration égyptienne à la VI dynastie. e
6. Plan de la partie méridionale des tombes nomarcales de Beni Hasan. Les petits points indiquent la position des tombes inférieures situées au bas des grandes tombes rupestres (d'après
WILLEMS,
Chests of Life, plan 1 ) .
7 . Les hauts-lieux de la nomarchie du Moyen Empire. 8. Plan de la région de Deir el-Bersha (plan Christoph
PEETERS).
271
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE 9. Plan du site de Deir el-Bersha, avec indication des zones archéologiques (plan Christoph
PEETERS).
1 0 . Plan préliminaire de la zone 2 . Pour notre discussion, les tombes les plus importantes sont celles d'Ahanakht I " ( 1 7 K 8 5 / 1 ) , Djéhoutinakht, Khnoumnakht et Iha ( 1 7 K 7 4 / 1 - 3 ) , Ahanakht I I ( 1 7 K 8 4 / 1 ) et Djéhoutihotep ( 1 7 L 2 0 / 1 ) . Les structures à
l'ouest de cette dernière tombe (notamment la tombe du nomarque DjéhoutinakhtVI) n'ont pas encore pu être incluses (plan Christoph
PEETERS).
1 1 . Reconstruction de la chronologie des nomarques du nome du Lièvre au début du Moyen Empire (d'après JEOL
28 ( 1 9 8 3 - 1 9 8 4 ) ,
p.
80-102
WILLEMS,
; I D E M , Dayr al-Barsha
I,
chapitre 7 ) 12.
Coupe de la tombe
17K74/1
vers l'ouest (dessin Martin
HENSE).
1 3 . Plan du « gazîra » dans la partie ouest de la zone 9 (dessin Christoph 14.
(d'après p. ic.
PEETERS).
Projection de la « rue » sur le « gazîra » vers l'est 183,
WILLEMS, PEETERS, VERSTRAETEN,
fig.
3).
Reconstruction
18.
du début de la rue processionnelle à ARNOLD,
Die Tempel Ägyptens, p.
Reconstruction des tombes de Qaw el-Kebir STECKEWEH,
(d'après
El Bersheh I , pl. XII et X V I ) .
Biahmou (d'après 17.
1 32 ( 2 0 0 5 ) ,
La destination de la statue de Djéhoutihotep NEWBERRY,
16.
ZAS
188).
(d'après
Die Fùrstengràber von Qâw).
Plan du quartier sud de la ville d' Ayn Asil (d'après r
SOUKIASSIAN,WUTTMANN, PANTALACCI,
BalatVI, p.
14,
fig. 2 ) .
1 9 A . Scène montrant une procession de porteurs du mobilier funéraire (d'après Beni Hasan II, pl. VII). B. Frise d'objets d'un sarcophage du début du Moyen Empire montrant une sélection d'objets comparables (d'après LD II, pl.
272
147b).
TABLE DES FIGURES 2 o . Quantification des sarcophages décorés sans Textes des Cercueils et décorés avec des Textes des Cercueils. 2 i . Estimation du nombre originel de cercueils décorés (avec et sans Textes des Cercueils) et du nombre de propriétaires. 2 2 . Quantité annuelle estimée de cercueils décorés et de leurs propriétaires. 2 3 . Estimation de la proportion de la population totale possédant des cercueils (avec et sans Textes des Cercueils). 2 4 . Monuments mentionnant les pyramides de Téti et de Mérikarê. 2 c . Les contextes rituels représentés dans la décoration du sarcophage d'Heqata (d'après
WILLEMS,
Heqata, p.
386).
2 6 . Typologie de la décoration extérieure des sarcophages du Moyen Empire. La figure n'offre que les modèles les plus courants (d'après Egypt, p. 1 9 8 ) .
IKRAM
et
DODSON,
The Mummy in Ancient
TABLE DES PLANCHES
1 . Partie du cimetière du début de l'Ancien Empire à Nuweirat (photographie Harco
WILLEMS).
2. Vue du nord-ouest vers le Ouadi Nakhla. A gauche du ouadi, la pente nord, où les tombes de la zone 4 sont clairement visibles. Les tombes des nomarques du Moyen Empire se trouvent plus haut. En avant-plan, les fouilles des tombeaux de la zone 9 (photographie Marleen
DE
MEYER).
3 . Vue de la zone 2 prise du sommet de la pente sud du Ouadi Nakhla (photographie Harco 4.
La
scène
du
transport
WILLEMS).
de
la
Djéhoutihotep (photographie Bruno
statue
colossale
de
VANDERMEULEN).
r. Vue de la place centrale du village de Deir el-Bersha (zone 10)
(photographie Harco
WILLEMS).
6 . Vue de l'intérieur de la tombe de la dame Djé[houtinakht]. La photographie a été prise du nord, où se trouve l'entrée du caveau (photographie Marleen
DE
MEYER).
7 . L'entrée de la tombe de Nehri I (photographie Harco W I L L E M S ) . ER
8.
A. Coupe miniature trouvée dans la tombe
17K74/1
de
l'époque d'Ahanakht I . er
B. Coupe du même type découvert par G.A.
REISNER
dans
la tombe d'Ahanakht I" (Boston MFA 1 5 - 4 - 1 0 6 ) (Courtesy Museum of Fine Arts Boston). 9 . Relief sur le montant de porte nord séparant les salles sud et nord de la tombe d'Ahanakht I " (photographie
Harco
WILLEMS).
275
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE 10.
Vue générale de la paroi ouest de la tombe tographie Bruno
17K74/ 1
(pho-
VANDERMEULEN).
1 1 . Détail de l'autobiographie sur la paroi ouest de la tombe 17K74/1
(photographie Bruno
VANDERMEULEN).
1 2 . Paroi nord de la tombe d'Iha ( 1 7 K 7 4 / 3 ) (photographie Bruno
VANDERMEULEN).
1 3. A. La colonne dans l'angle sud-est de la salle nord de la chapelle funéraire d'Ahanakht I . er
B. Le chapiteau de la colonne dans l'angle sud-est de la salle sud de la chapelle funéraire d'Ahanakht I Harco
er
(photographies
WILLEMS).
1 4 . Scan géomagnétique du « gazîra » dans la partie ouest de la zone 9 (Tomasz 1
HERBICH).
ç. Plan d'une des grandes maisons à Kahoun (d'après dans : Haus und Palast, p. 3 2 , fig. 1 2 ) .
BIETAK,
INDEX
ROIS ET
M o n t o u h o t e p III, p . 89,
REINES
M o n t o u h o t e p IV, p . 49, Aba, p.
2io.
Amenemhat
Néferefrê, p. I " , p . 44,
49,
52,
146.
Neith, p.
N i o u s e r r ê , p . 26,
,8c.
N o u b h o t e p , p.
147.
P c p i I , p. i2c,
177,
1T
1 8 2,
II, p.
185,
177.
178.
P t o l é m é e III, p . 5.
187. Amenemhat
115,
III, p .
168,
A n t e f II O u a h - â n k h , p . 4 1 ,
121.
14,
23.
S e k h e m k h e t , p . 1 8.
49,
D j c d k a r ê - I s é s i , p. 3 1. D é m e d j i b t a o u i , p.
18,
S é n o u s r e t I " , p . 8, 37, 44,
C h a b a k a , p. 201.
D j o s e r , p. 13,
S a h o u r ê , p . 17. S a n a k h t , p. 17,
186-188.
22c. 17,
J 2 , si,
c6, 59, 1 1 7 ,
18,
22,
S é n o u s r e t II, p . c6, 1 8 6 - 1 8 8 . S é n o u s r e t III, p . 109,
Snéfrou, p.
24.
168,
8, 1 2 , 14, 1 6 - 1 8 , 20,
22-25.
K h a f r ê , p . 18. K h â s e k h e m o u i , p . 10, 1 3 ,
147,
1 8 1 , 1 8 5 - 1 8 9 , 208, 220.
147, 1 8 1 .
H o u n i , p . 18,
47-
174, 1 8 1 , 1 8 2 , 208.
23H o r , p.
89.
108.
59, 88, 89, 1 7 8 , 1 7 9 , 1 8 1 , Amenemhat
226.
23.
Téti,
p.
173,
175,
177,
'7 , 8
180.
M é r e n p t a h , p . 1 50.
Mérikarê, p. 175-177. M o n t o u h o t e p I I , p . 36, 40,
44-
46, 48, 5 1 , 58, 89, 90, 168, 175,
179182. 277
LES TEXTES DES SARCOPHAGES ET LA DÉMOCRATIE ANTHROPONYMES
Hâpi-ankhtifi, p. 2 3 1 .
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H e n i b , p. 6 9 .
A h a n a k h t I", p.
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96,
1 C7, i c 8 ,
98-103, 109, n e , 183, 184, 234,
9c,
H é n o u , p. 83.
Heqaib, p .
46, 61, 1 20-123,
A h a n a k h t II, p . 8 9 , 9 0 , 9 2 .
H e q a t a , p. 2 0 4 - 2 0 8 , 2 1 2 .
A m e n e m h a t , p. 1 5 8 , 2 3 1 .
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2
2
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H é t e p o u t , p. 2 3 1 .
-
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H i r k h o u f , p. 6 1 .
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H o r e m k h â o u f , p. 2 1 5 , 2 1 6 .
B a q e t III, p . ç 1.
H o r h o t e p , p . 5 4 , 4-7, 1 7 9 -
Bebi, p. 1 0 2 .
Ia-ib, p. 1 0 8 .
Béhesti, p. 1 9 2 , 193, 1 9 c .
Idi, p. 2 2 4 .
B o u a o u , p.
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Ita, p.
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147,
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It-ib, p.
222,
224,
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278
127,
128, 186, 222, 223.
237.
ir8. 175,
K h n o u m h o t e p I , p. 4 9 , 5 1 . e r
Khnoumhotep 187.
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