Les médecins et la vie politique locale
Questions Contemporaines Collection dirigée par JP. Chagnollaud, B. Péquignot et D. Rolland Chômage, exclusion, globalisation... Jamais les « questions contemporaines» n'ont été aussi nombreuses et aussi complexes à appréhender. Le pari de la collection « Questions contemporaines» est d'offrir un espace de réflexion et de débat à tous ceux, chercheurs, militants ou praticiens, qui osent penser autrement, exprimer des idées neuves et ouvrir de nouvelles pistes à la réflexion collective.
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Élian ROBERT
Les médecins et la vie politique locale
L'Harmattan
@ L'Harmattan, 2008 5-7, rue de l'Ecole polytechnique; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com
[email protected] harmattan
[email protected] ISBN: 978-2-296-06468-3 EAN : 9782296064683
Pour Karine
Patienter sans attendre
SOMMAIRE
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 La profession médicale dans les
élections locales
~ 1 Territoires électoraux et profession médicale
~ 2 Une surreprésentation
permanente mais évolutive ~3 Une population hétérogène CHAPITRE 2 Appartenance professionnelle et
éligibilité des médecins
~ 1 Eligibilité et surreprésentation
~ 2 Déclin électoral et reconnaissance ~ 3 Les raisons d'une permanence CHAPITRE 3 La présence électorale des médecins
~ 1 Les médecins et l'individualisation électorale ~ 2 Profession médicale et espace partisan ~ 3 L'individu et le contexte CHAPITRE 4 Les médecins et l'action publique
locale
~ 1 Un engagement dans la continuité
~ 2 Assumer
une compétence d'élu
CONCLUSION
INTRODUCTION
Le travail qui est présenté ici fait suite à une thèse de doctorat portant sur les médecins élus locaux en Aquitaine soutenue en novembre 2003. Il s'inscrit pour une part dans la continuité de cette recherche mais s'en distingue sur plusieurs points. Le plus important est que l'étude des élections locales s'arrête en 2001 pour les municipales et les cantonales, 2004 pour les régionales, alors que dans l'enquête effectuée pour la thèse les derniers résultats étaient ceux de 1989. Ce changement de limite temporelle permet de préciser les analyses et de parvenir à des conclusions plus assurées. Le choix d'étudier la présence des médecins dans la vie politique locale relève de ce que l'on pourrait appeler une option particulariste. Cette dernière conduit à isoler dans le personnel politique local un groupe professionnell afin de voir si sa présence politique est plus ou moins imprégnée de cette singularité sociale. La démarche n'est pas originale puisqu'elle a déjà été adoptée pour d'autres groupes sociaux. Néanmoins, les études portant sur les médecins et la vie politique sont relativement rares. La recherche la plus récente sur cette question est consacrée aux relations entre la profession médicale et l'Etat dans une perspective comparative entre la France et l' Allemagne2. Cependant, le corps médical apparaît, de façon indirecte, dans les études sur le personnel politique lorsque les catégories sociales des élus sont repérées3. S'ils ne sont pas répertoriés clairement, ils apparaissent dans les catégories «professions libérales », «professions indépendantes », ou «professions intellectuelles supérieures» pour les professeurs de médecine et les médecins hospitaliers salariés. On a ainsi une première idée de 1
La profession médicale est un des sujets les plus étudiés par la sociologie des
professions, voir notamment, C. Dubar, P. Tripier, Sociologie des professions, Paris, A. Colin, 1998. 2 P. Hassenteufel, Les médecinsface à l'Etat, Paris, Presses de Sciences Po, 1996. 3 Voir J. Verdès-Leroux, « Etudes sur les maires des communes de plus de 2000 habitants », RFSP, XX (5), octobre 1970, p. 974-990; M-F Souchon-Zahn, « les nouveaux maires des petites communes :quelques éléments d'évolution (1971-1989) », RFSP, nOl, 1991; P. Garraud, Profession, homme politique. La carrière politique des maires urbains, Paris, L'Harmattan, Logiques sociales, 1989.
I'hétérogénéité du corps médical relativement à la diversité des modalités d'exercice. Le phénomène était déjà signalé en 19594 mais il semble plus marqué aujourd'hui5 en raison de la place prise par les spécialités médicales et les différents modes d'exercice particuliers autorisés. Cela explique sans doute que, de nos jours, on utilise plus souvent le pluriel pour évoquer les membres du corps médical. Nous reviendrons sur ce point dans la suite de l'ouvrage. TIy a une deuxième façon de faire apparaître les médecins dans la vie politique locale. TIsuffit pour cela de mobiliser la lecture notabiliaire. Les médecins constituent une des populations qui illustre «ce lien complexe entre une origine sociale, une activité professionnelle, et un rapport au territoire» 6 caractérisant le notable. Leur présence dans la vie politique locale incarne de façon permanente la relation entre la notabilité sociale et la notabilisation politique7. L'appartenance au corps médical crée une ressource d'éligibilité dans la mesure où elle permet aux médecins d'avoir plus de chance d'être élus que les autres candidats. Mais ce lien d'éligibilité demeure complexe car il agrège sur un médecin, l'autorité sociale attribuée à sa profession et les effets de son ancrage personnel dans la société locale. De plus l'éligibilité se renforce en raison de la complémentarité active entre les deux formes de notabilité. L'exercice des mandats locaux conforte la notabilité sociale et réciproquement. Mais cela n'est rendu possible que parce qu'il ya une compatibilité pratique entre les deux activités. On le voit, la conception notabiliaire agrège des interprétations portant sur des objets sociopolitiques différents mais interdépendants. Notre sujet de recherche nous incite cependant à la revisiter pour un certain nombre de raisons.
4
J. Pincemin. A. Laugier, «Les intellectuels dans la société ftançaise, les médecins»,
RFSP, n04, décembre 1959, p. 881-900. 5 C. Herzlich, M. Bungener, G. Paicheler, M-C. Zuber, Cinquante ans d'exercice de la médecine en France. Carrières et pratiques des médecins français (1930-1980), CERMES, Paris, INSERM Doin, 1993. 6 J. Fontaine, C. Le Bart, Le métier d'élu local, Paris, L'Harmattan, 1994, p. 13. 1 J. Lagroye, Le pouvoir local, in Encyclopédie des collectivités locales, 1979, p. 44-1 à 44-22. 8 Nous nous référons à la notion d'éligibilité développée par Marc Abélès, dans, Jours tranquilles en 89. Ethnologie politique d'un département français, Paris, Odile Jacob, 1989.
12
Premièrement, le cadre temporel de cette recherche (1959-2001) invite à se demander si cette lecture conserve une égale pertinence sur toute la durée. TI semble que depuis une vingtaine d'années, on assiste à une recomposition du personnel politique local qui réduit l'importance des notables. C'était l'une des conclusions d'une enquête sur les conseillers généraux réalisée en 19919. De plus, la professionnalisation de la représentation politique locale ne renforce-t-elle pas cette tendance? Mais, s'il y a moins de notables dans la vie politique locale, qu'en est-il de la proportion de médecins parmi les élus locaux? TIest donc nécessaire de connaître les différents états de la présence quantitative de la profession médicale parmi les élus locaux au cours de la période. Deuxièmement, il ne faut pas négliger le fait que la catégorie notabiliaire ne concerne pas que les médecins. C'est une catégorie du politique local, mobilisée par les chercheurs autant que par le monde politique, qui a vocation à désigner un certain type d'acteur politique. Elle ne permet pas de rendre compte de l'éventuelle singularité des médecins dans la vie politique locale et de comprendre, notamment, en quoi ils sont différents des autres notables. Enfm, cette conception nous paraît insatisfaisante pour une troisième série de motifs. D'une part, elle fait reposer la notabilité sur l'autorité sociale reconnue à certaines professions, et le corps médical en est sans doute le meilleur exemple. Or, pouvons-nous affIrmer que ce qui est reconnue à la profession médicale en la matière n'a pas varié en quarante ans? D'autre part, il nous semble que l'interprétation notabiliaire envisage les médecins sur la base d'une perception spécifIque du corps médical. Elle tend à reprendre une représentation, que l'on retrouve dans des expressions comme «le médecin de campagne» ou «le médecin de famille », et qui englobe la diversité de la profession médicale dans la présentation d'une fIgure sociale. Quand on pose la question « le prestige du médecin diminue-t-il? »10, on présuppose l'existence de cette fIgure sociale. Sans vouloir développer ici ce qui sera abordé dans les prochains chapitres, on peut apercevoir quelques traits de l'empreinte symbolique des médecins en explorant l'ensemble de connotation du 1. Un peut 9
A. Percheron, B. Roy, Enquête auprès des conseillers généraux, Paris, FNSP, 1991,
p.4. 10R-A. Gutman, «Le prestige du médecin diminue-t-il? », La revue des deux mondes, 1ermai 1964, p. 78-83. 13
signifier le singulier par opposition au pluriel mais aussi le singulier au sens d'atypique. TIpeut renvoyer à l'unité c'est-à-dire à l'étalon, ce qui sert de référence en présentant un état de formalisation parfaite. L'UI1ité présuppose un lien qui autorise plusieurs éléments à se constituer en totalité. Le 1 renvoie enfin à ce qui est unique et qui n'a donc pas d'équivalent. En examinant ces différentes significations, on peut comprendre comment s'est construite et s'est maintenue cette image de la profession médicale. Elle sous-entend que l'expression canonique du rôle de médecin est plus importante que les différentes actualisations auxquelles il donne lieu, et que l'unité de la profession l'emporte sur sa diversité. Elle invite à penser que les médecins ont une place singulière dans la société ftançaise. Nous ne pensons pas que cette présentation ait conservé toute sa pertinence. Le passage du singulier au pluriel dans la terminologie utilisée pour présenter les médecins est un indicateur. Même s'il est fait mention du corps médical ou de la profession médicale, il s'agit d'un collectif. Très souvent, c'est la diversité du corps médical qui est mise en évidence. TI y a donc lieu de s'inteIToger sur l'empreinte symbolique du corps médical aujourd'hui. Des différents points qui viennent d'être présentés, il ressort que la conception notabiliaire n'est pas suffisamment éclairante pour comprendre la réalité sociopolitique qui nous intéresse. Si elle demeure pertinente pour les premières années de la Cinquième république, elle ne l'est pas autant pour ce qui concerne les vingt dernières années de notre étude. Enfin, elle ne nous dit pas en quoi les médecins se singularisent parmi les notables. Ce n'est donc pas la conception notabiliaire qui est en cause mais sa surface de pertinence eu égard à notre objet de recherche. Ainsi apparaît-il nécessaire de préciser les questions que pose notre recherche. Si l'on veut étudier les médecins dans la vie politique locale, il faut d'abord se demander comment ils y apparaissent de la façon la plus déterminante. Or, c'est bien dans les compétitions pour l'accession aux mandats locaux et l'occupation des fonctions électives correspondantes que leur présence peut être repérée le plus facilement. C'est pourquoi, nous avons procédé à UI1eétude des élections locales entre 1959 et 2001 pour les municipales et, 1961 et 2001 pour les sélections cantonales. Les élections régionales offrent une perspective temporelle un peu plus réduite 14
puisqu'elle va de 1986 à 2004. Cependant, notre étude sur les élections locales nous conduit à prendre en compte deux types de présence. D'une part, elle nous permet de mesurer la présence quantitative de la profession médicale dans les élections locales en mettant en valeur ses caractéristiques. On peut ainsi vérifier ses proportions, leur variation dans le temps et dans l'espace, et les comparer avec celles d'autres groupes professionnels. Mais, en établissant cette présence quantitative, on se propose aussi de s'interroger sur les particularités de la profession médicale dans le personnel politique local. fi faut essayer de trouver ce qui fait trait d'union entre tous les médecins dans le monde des élus locaux. D'autre part, l'étude de la présence quantitative nous renvoie à une autre perception de la réalité. Celle d'individus, appartenant à la profession médicale, qui se trouvent engagés dans des contextes électoraux très différents ou participant à l'action des institutions politiques locales. La présence politique des médecins doit être établie dans la diversité de la vie politique locale. De ce fait, la présence quantitative des médecins correspond à deux réalités qui, elles-mêmes, appellent deux lectures différentes mais interdépendantes. L'étude des élections locales est importante dans notre recherche pour une autre série de raisons. En premier lieu, la situation électorale est celle où la présence politique se manifeste dans ses éléments les plus fondamentaux. C'est dans son contexte que les individus se présentent dans la vie politique locale de façon significative. Nous pensons ici à l'analyse que propose Hanna Arendt lorsqu'elle indique que «la polis est...1'espace où j'apparais aux autres comme les autres m'apparaissent, où les hommes n'existent pas simplement comme d'autres objets vivants ou inanimés, mais font explicitement leur apparition» Il. Ainsi, c'est en observant les différentes façons d'apparaître des médecins dans les élections locales que l'on peut reconstituer les éléments de leur présence politique. À la différence de beaucoup de candidats leur présence dans l'élection a un précédent social. Avant d'intégrer les contextes électoraux, le médecin a une présence sociale parce qu'il s'engage dans la vie locale grâce à son activité Il
H. Arendt, Condition de l'homme moderne, Paris, Calmann-Lévy, 1961, p. 63. 15
professionnelle et qu'il est reconnu antérieurement au contexte électoral. Encore faut-il vérifier si les conditions de cette présence sociale sont identiques pour tous les médecins quelles que soient les époques. Par sa présence dans une situation électorale, un médecin est confronté à deux types de processus: Une épreuve de reconnaissance des individus au sens de discrimination; Une opération qui conduit à vérifier s'il est légitime à exercer un mandat local. L'appréciation qui peut être faite d'une candidature reste fondée sur l'idée que ce que l'on sait du candidat nous laisse penser qu'il est capable d'assumer le mandat enjeu de l'élection. La simplicité de ce schéma ne doit pas passer sous silence la complexité de l'univers des représentations et des croyances qui intervient dans les élections locales. Ces dernières, au cours des quarante premières années de la Cinquième république en Aquitaine, fournissent des contextes variés. TInous appartient de savoir ce que cette variété signifie pour les opérations de reconnaissance et de légitimation des acteurs politiques locaux. Le premier élément d'intérêt qui vient à l'esprit porte sur les territoires électoraux et les modes de scrutin. On peut, au premier abord, constater une grande stabilité des territoires communaux mais ce constat appelle quelques nuances. Si les territoires sont stables, leur composition sociale change sous l'effet des mouvements de population. La tendance à l'urbanisation s'est poursuivie sous la Cinquième république avec cependant une tendance un peu plus tardive en Aquitaine que dans l'ensemble de la France. TIest d'usage de voir dans cette évolution le passage d'une dominante rurale à une dominante urbaine. TI n'empêche que le classement des territoires électoraux en devient plus délicat. Ainsi, en Gironde, beaucoup de communes de moins de 2000 habitants ne sont plus des communes rurales depuis déjà un certain temps. On peut d'ailleurs dresser le même constat pour bon nombre de cantons. TI est donc permis de se demander si le couple de notions «rural/urbain» permet d'aborder correctement les questions de reconnaissance et de légitimation qui se posent dans les élections locales. À cela, il faut ajouter que les élections municipales fournissent un très grand éventail de contextes en raison de la taille des unités. Celle-ci détermine l'importance des enjeux de l'élection et, par voie de conséquence, la compétence attendue des candidats. De plus, il apparaît 16
de façon constante que les élections dans les grandes villes ont toujours été plus marquées par l'influence des partis politiques que dans l'ensemble des autres communes. Sans aucun doute, la réforme du mode de scrutin applicable aux communes de plus de 3500 habitants, opérée en 1983, élargit-elle l'ensemble des territoires où cette influence peut se faire sentir. Or, en réalisant ce changement on modifie les conditions de reconnaissance des candidats, non pas dans la majorité des territoires municipaux, mais dans ceux qui rassemblent la majorité de l'électorat. De ce point de vue, l'enquête sur les élections municipales n'est pas sans poser quelques questions. Un dernier point doit être évoqué. Depuis une vingtaine d'années, nous assistons à un développement des territoires d'intercommunalité qui incite les communes à mutualiser leurs moyens sur des programmes d'action de plus en plus étendus. Elles abandonnent alors une partie de leurs prérogatives à ces structures. Or les responsables de ces institutions ne sont pas élus directement, ils sont des élus désignés par d'autres élus. Si une partie des prérogatives municipales est confiée à une institution qui, elle, n'est pas soumise à l'élection, la portée du geste électoral ne sera-telle pas altérée? Comme on peut le voir, une étude des élections municipales soulève des questions qui vont accompagner notre recensement des médecins élus mUnICIpaux.
TI en est de même en ce qui concerne les élections cantonales. Les territoires sont affectés par l'urbanisation de deux façons. TI y a eu à plusieurs reprises création de nouveaux cantons et certains cantons, classés ruraux en début de période, ont connu un accroissement de population qui les situe dans un espace intermédiaire. Là aussi, la question qui se pose est de savoir quelle peut être l'influence de ces recompositions démographiques et sociales sur les critères de reconnaissance et de légitimation. Même si le mode de scrutin, uninominal majoritaire à deux tours, n'a pas changé et favorise, plus ou moins, le facteur personnel, il n'est pas dit que les critères d'appréciation des individualités soient demeurés constants sur toute la période. À la différence des élections municipales, on peut dire que les élections cantonales sont un peu plus marquées par la décentralisation. Dans la mesure où les conseillers généraux ont la responsabilité de leur budget et des compétences spécifiques à gérer, l'enjeu politique devient un peu plus 17
présent. Ce n'est pas forcément clair pour les électeurs parce qu'il faut du temps pour percevoir ce type de changement. Pour les partis politiques, les Conseils généraux sont devenus des enjeux plus décisifs parce qu'ils constituent un des moyens d'assurer leur présence dans la vie politique. Nous touchons ici au second point qui nous semble important parce qu'il touche aux conditions de reconnaissance des candidatures. C'est d'autant plus vrai que les partis politiques exercent une influence croissante dans la formation des candidatures pour les élections cantonales depuis le début des années 70. On peut apprécier le phénomène de différentes façons. Certes, la bipolarisation Droite / Gauche est le facteur explicatif central mais elle s'accompagne d'une concurrence interne à chacun des pôles qui accentue la dynamique partisane. De plus, les alternances successives depuis 1981 ont renforcé l'impact de la tension partisane, chaque élection locale apparaissant comme la confirmation ou la remise en question du scrutin, local ou national, précédent. TI y a enfm une diversification de l'offie partisane avec l'émergence du Front national et des mouvements se réclamant de l'écologie qui explique, notamment, l'augmentation importante du nombre de candidatures au cours des années 90. Les médecins sont présents dans cette évolution puisque certains d'entre eux inscrivent leur engagement au sein des forces politiques émergentes. La présence des médecins dans l'univers partisan est encore plus visible dans les résultats des élections régionales puisqu'il s'agit d'un scrutin de liste qui accorde une importance significative à la présélection partisane des candidatures. Si on veut apprécier la présence politique locale des médecins, il faut donc s'intéresser à leurs relations avec les forces politiques. Quelle est la distribution de la profession médicale dans l'univers partisan? Comment les médecins réagissent-ils à la politisation partisane ascendante des élections locales? Peut-on soutenir avec la même certitude que le «pouvoir électoral des médecins est comme décuplé dans l'esprit des hommes politiques »12 sans doute «en raison de l'influence supposée qu'ils exercent sur leurs patients »13? L'étude de la présence électorale des médecins doit donc prendre en compte des contextes plus ou moins marqués par le facteur partisan 12
P. Hassenteufel, op. cil., p. 23.
13 P. Hassenteufel,
18
op.cil., p. 5.
sachant que son incidence relativise le poids des autres variables: personnalité des candidats, conjoncture électorale particulière, etc. Comme cela est indiqué plus haut, les élections locales n'engendrent pas que des opérations de reconnaissance, elles permettent d'attribuer aux élus, la plupart du temps de façon implicite, une légitimité à exercer les mandats locaux. L'élection ouvre une perspective d'engagement et confère ainsi une autre dimension à la présence politique. Celui qui a effectué un mandat peut proposer au jugement de ses électeurs une présence politique plus étoffée. Or les conditions d'engagement dans les mandats locaux ont sérieusement évolué au cours du dernier quart de siècle. Les lois de décentralisation ont conféré aux élus départementaux et régionaux la responsabilité politique de la gestion budgétaire sur un certain nombre de compétences. La création d'une fonction publique territoriale a densifié l'ensemble des acteurs intervenant dans la conception et la mise en œuvre des politiques publiques locales, ce qui peut provoquer parfois un certain flou dans la répartition des tâches avec les élus. Le développement de l'intercommunalité et des relations entre les collectivités territoriales s'est traduit par un accroissement de la dimension organisationnelle: création de structures (Communauté de communes, syndicat de pays) ; allongement du temps consacré aux phases de concertation; multiplication des procédures. Tout ceci génère une complexité technique et un alourdissement des missions imposées aux élus, en particulier ceux des petites communes. Cette tendance, ajoutée au désir de pérenniser le cumul des mandats, explique sans doute l'adoption du registre de professionnalisation de la représentation politique locale. De ce fait, il convient de s'interroger sur les effets que ces changements peuvent avoir sur l'engagement des médecins dans les mandats électifs locaux. Quelles sont les variables qui peuvent faciliter leur insertion dans cet univers? Existe-t-il, aujourd'hui plus qu'hier, des conditions qui peuvent fragiliser cet engagement? L'étude de la présence des médecins dans la vie politique locale implique donc de s'interroger autant sur leur façon d'être présents au moment de la désignation électorale que sur les modalités de leur participation à l'action publique locale. Elle repose sur une démarche relativement ambiguë dans la mesure où elle cherche à connaître une réalité politique, la présence politique locale, 19
en partant d'une désignation particulariste du social. En d'autres termes, est-ce que dans la présence politique des médecins, l'appartenance professionnelle est un facteur contributif ou déterminant? Nous tenterons de répondre aux différentes questions posées au cours de cette introduction dans les quatre chapitres de notre ouvrage. Le premier présente les données qui donnent à la présence de la profession médicale parmi les élus locaux une réalité quantitative. Dans le chapitre 2, nous verrons comment l'appartenance professionnelle peut constituer un trait d'union d'éligibilité entre les médecins. Le troisième chapitre étudie la conftontation des médecins aux espaces de reconnaissance et de légitimation qu'offrent les contextes électoraux. Le dernier chapitre envisage l'engagement des médecins dans l'action des institutions politiques locales.
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CHAPITRE 1
La profession médicale dans les élections locales
La présence de la profession médicale parmi les élus locaux est d'abord une affaire de quantité. Et, la mesure des différents pourcentages qui peuvent s'établir, entre la profession médicale et les différentes catégories d'élus, présente quelques difficultés. TIy a, en premier lieu, les contraintes qui pèsent sur toute démarche de recensement du corps médical, en particulier, lorsqu'il s'agit d'obtenir des données anciennes au niveau départemental ou régional. Le travail est d'autant plus délicat qu'il s'agit d'une profession représentant une faible proportion de la population totale ou active. De plus, les critères adoptés n'excluent pas une marge d'incertitude notamment en ce qui concerne la prise en compte des médecins retraités. Certains médecins n'exercent pas une activité consultante au sens où on peut l'entendre pour la majorité d'entre eux : médecins de la sécurité sociale, médecins biologistes par exemple. Comme l'ont souligné les nombreux travaux de sociologie médicale, le titre de docteur en médecine qui exprime l'appartenance professionnelle ne doit pas dissimuler une grande variété de modes d'exercice. C'est un indicateur minimal d'identité, pratique pour une entreprise de recensement, mais qui révèle rapidement ses limites lorsqu'il s'agit d'analyser une réalité sociale. La référence au nombre de médecins pour 100 000 habitants doit être comprise avec toutes ces incertitudes. En second lieu, la prise en compte des résultats des élections locales soulève un certain nombre de questions. Certes, l'échantillon utilisé est relativement simple à présenter: les élections municipales de 1959 à 2001 ; les scrutins cantonaux de 1961 à 2001 ; les élections régionales de 1986 à 2004. Cependant, la simplicité de cette présentation ne doit pas dissimuler les questions posées par les réalités électorales observées. Elles sont de plusieurs ordres. D'une part, chacune de ces élections a ses propres caractéristiques en termes de mode de scrutin et d'enjeux électoraux. Le scrutin uninominal s'applique pour les élections cantonales
tout au long de la période alors que le régime électoral des communes a varié de façon significative entre 1959 et1983. Les élections régionales, plus récentes, présentent un mode de scrutin proportionnel sur la base de listes départementales. De fait, ce mode de scrutin amplifie une tendance qui a vu les partis politiques prendre une place de plus en plus visible dans la sélection des candidatures. D'autre part, la décentralisation modifie sensiblement les conditions de la désignation électorale. En conférant aux départements et aux régions des domaines de compétence spécifiques, elle accentue le phénomène d'imputation visant les élus locaux. Ils seront de plus en plus jugés sur leurs capacités à participer à l'agir collectif de l'institution locale à laquelle ils appartiennent. Dès lors, la désignation électorale ne se construit plus uniquement sur ce que sont les individus mais sur leur légitimité à participer à un certain type d'action institutionnelle. Il faut enfin rappeler que la division territoriale, support implicite d'une étude des élections locales, ne reflète qu'imparfaitement ce qui se joue dans la décision électorale. Par le contexte électoral, le territoire devient un espace de reconnaissance et de légitimation. Or la reconnaissance sociale qui vise les acteurs individuels ou collectifs, si elle fait sentir ses effets dans le contexte électoral, repose sur des critères appartenant à un système d'appréciation applicable à l'ensemble de la société. Ainsi la considération portée aux membres de la profession médicale est étroitement liée à la reconnaissance dont bénéficie cette profession dans la société. Et, la recomposition sociale que connaît la société française depuis une quarantaine d'années se traduit aussi par des changements affectant le système de reconnaissance. De ce point de vue, les territoires électoraux sont insérés dans les évolutions des espaces locaux marquées par un degré croissant d'urbanisation. Il faut donc essayer de voir si ces mutations ont une incidence sur la présence de la profession médicale parmi les élus locaux. La présentation de la présence quantitative de la profession médicale parmi les élus locaux implique une prise en compte de l'évolution démographique et sociale des territoires d'élection (1), avant de mettre en évidence les tendances qui caractérisent ce groupe d'élus (2) et les variations qui affectent sa composition (3).
22
&
1 Territoires électoraux et profession médicale
Avant de rechercher les pourcentages de médecins parmi les différentes populations d'élus, il n'est pas inutile d'apporter un certain nombre de précisions sur le cadre de notre étude.
1.1 Les territoires reconnaissance
d'élections entre tlxité topololdque et espaces de
Une étude fondée sur l'observation des élections locales pose plus de questions qu'il n'y paraît au premier abord. Elle conduit à envisager les territoires locaux à travers le prisme de la désignation des candidats aux mandats électifs correspondant à ces territoires. Ces derniers ne sont plus alors considérés dans leur fixité topologique mais comme des espaces de reconnaissance des individus et de légitimation politique des acteurs. De ce point de vue, les élections régionales constituent un cas particulier parce que la région Aquitaine n'existe comme territoire d'élection que
depuis 1986. L'institution régionale partage néanmoins avec les autres collectivités territoriales une évolution qui modifie une partie du sens des élections locales. Depuis la réforme de la décentralisation, les départements et les régions ayant des compétences particulières, la désignation de leurs élus n'est plus seulement une reconnaissance des individus mais aussi une légitimation de leur capacité à agir dans ce nouveau cadre. Le sens de l'élection est donc modifié parce que les critères qui fondent la reconnaissance et la légitimation des candidats ont changé. La réforme de 1982 a aussi pour effet d'accroître l'importance de la position d'élu puisque ce dernier est dans un régime de responsabilité plus fort. Le territoire s'ouvre de cette façon comme une perspective d'agir offerte à l'élu pour laquelle il lui est demandé de se mobiliser. C'est une évolution qui demande du temps pour être perçue et assimilée par les électeurs. Espaces de reconnaissance et de légitimation, les territoires d'élection se différencient aussi, suivant les époques et les lieux, par le degré d'expression, du tacite à l'explicite, des structures partisanes dans la vie politique locale. La reconnaissance des candidats s'opère ainsi autant sur des facteurs individuels que supra-individuels. 23
De ce point de vue, les systèmes de représentation qui fondent les opérations de reconnaissance sont également liés au changement social que les tendances démographiques introduisent sans pour autant en circonscrire les limites. L'Aquitaine, à l'image de ce qui s'est produit à l'échelle nationale, a connu au cours de ces quarante dernières années une mutation démographique qui rend obsolète la dichotomie entre le rural et l'urbain depuis une trentaine d'années. La prédominance des territoires de peuplement à caractère hybridel ne doit-elle pas conduire à s'interroger sur les changements culturels qui affectent les espaces de reconnaissance? La question se pose en particulier pour l'appréciation qui est portée sur la profession médicale à différentes époques. Les aléas d.'une quantification d.es territoires Une étude sur les populations d'élus locaux demeure ambiguë sur plusieurs points. Ainsi, l'agrégation des données au niveau régional ne doit pas conduire à sous-estimer les déséquilibres qui interviennent dans la composition de l'échantillon aquitain. Le premier d'entre eux affecte le poids des élus girondins dans l'ensemble aquitain. La Gironde fournit plus de 40% de la population totale, un peu plus de 25% des élus municipaux et des conseillers généraux. Ses caractéristiques, taux élevé d'urbanisation et forte densité médicale, sont atténuées par l'agrégation régionale. En travaillant sur les élus locaux appartenant à la profession médicale, il est nécessaire de s'appuyer sur différentes échelles de comparaison: populations d'élus, catégories d'unités territoriales, population générale et population professionnelle. La difficulté réside dans le croisement nécessaire de ces différents ensembles de données. Les analyses gagneront en pertinence si elles sont complétées par une comparaison interdépartementale. fi y a des départements qui, pour des superficies comparables proposent une division territoriale assez différente. Au début des années 60, la Dordogne a 580 communes, les Landes, 340. Le découpage territorial donne vie à différentes formes de ruralité. Considérant les communes comme des territoires d'élection, il faut noter que plus de 90% des élus appartiennent aux communes ayant moins de I
M. Vanier, P. Le médecin est «pour les décisionnaires de la vie publique, un clignotant, un signal d'alarme sur le climat social, les inquiétudes et les difficultés rencontrées par la population »28. Ce registre est particulièrement utile aux médecins lorsqu'ils se trouvent, notamment au sein des partis politiques, en concurrence avec d'autres formes d'expertise. Ils peuvent se réclamer d'une connaissance du terrain et nourrir d'autorité leur positionnement dans l'espace partisan. La compétence qu'ils revendiquent ainsi réside dans une connaissance du social résultant d'une capacité de veille sur la vie de la société. Elle s'ajoute à la connaissance, plus spécialisée, du domaine de la santé et des affaires sociales, pour lequel le temps leur a conféré une légitimité de type traditionnel. L'attrait que les médecins peuvent exercer sur les partis politiques semble donc un peu moins évident qu'il ne l'était en terme de prestige social même s'il demeure bien réel dans sa dimension d'observation et de diagnostic du social. Il faut aussi reconnaître que la présence de la profession médicale au sein des partis politiques n'est pas sans présenter quelques difficultés pour ces derniers. Dans tous les partis politiques, les membres de la profession médicale bénéficient d'un monopole de compétence sur le domaine sanitaire et social. Cela a pris corps avec les médecins hygiénistes et s'est poursuivi tout, au long du vingtième siècle, à partir d'une conception extensive de la santé. C'est la raison pour laquelle, on peut se référer à une légitimité traditionnelle. Cependant, cet état de fait est susceptible de créer des conflits au sein des partis. D'une part, la position des médecins peut être en conflit de perspective avec celle des autres acteurs du secteur social, qu'ils soient experts ou travailleurs sociaux. D'autre part, l'expertise
médicale sur ce domaine peut entrer en concurrence avec des cadres de définition prenant leur source dans des orientations politiques. Dans les partis où la présence de la profession médicale est plus marquée, les possibilités d'une mobilisation de type corporatiste sont plus grandes. 27
Docteur Dufetelle, maire-adjoint chargé de l'environnement à Toulouse, Impact Médecin Hebda, n0211, 5 novembre 1993. 28« Prendre le pouls de la ville }},Impact Médecin Hebda, n0211, 5 novembre 1993. 165
Même si on ne peut attribuer à chaque médecin qui s'engage dans un parti politique, l'intention de renforcer la présence de la profession médicale au sein de ce parti, il n'en reste pas moins que, par effet d'agrégation, l'initiative individuelle est une contribution à la densification de la présence professionnelle dans les partis. Et de ce fait, elle accroît les possibilités de la profession médicale de faire pression sur les institutions représentatives et les organes décisionnels. La réduction du numerus clausus applicable aux études de médecine, obtenue au début des années 90, est un exemple de ce que cette profession peut obtenir lorsqu'elle s'appuie sur le poids de sa présence au sein des partis et des institutions politiques. La participation des médecins aux instances locales des partis politiques est donc toujours à double effet. Elle permet à chaque médecin de participer au jeu politique local, tout en ayant comme valeur incidente de densifier la présence de la profession dans l'univers partisan. Or les intérêts professionnels ne coïncident pas toujours avec les orientations doctrinales ou programmatiques. Dans le débat récurrent sur les déséquilibres financiers de la sécurité sociale, il y a une tension tout aussi permanente entre la profession médicale qui défend ses intérêts et les autres acteurs. Sur ce terrain-là, les médecins ne sont pas toujours des adhérents faciles pour les partis politiques comme semble l'indiquer l'un des leurs lorsqu'il rappelle qu' « au niveau local, régional ou national, le médecin peut être à lui tout seul une force de pression »29. Les médecins ont eux-mêmes intérêt à entretenir des liens avec l'univers partisan. Bien que pour les élections locales, le marqueur d'identification partisane soit souvent mis en équivalence avec le registre de la présence individuée, il n'en est pas moins vrai que les médecins ont eux aussi intérêt à faire présence dans l'univers partisan. Comme cela a été montré à plusieurs reprises, les changements qui caractérisent les contextes électoraux portent également sur les modalités d'engagement ou de soutien partisan. Ainsi en observant les trajectoires électives des médecins de droite ou de centre droit qui ont commencé leur itinéraire dans les années 60170, on remarque, qu'au début, les étiquettes partisanes n'apparaissent pas clairement, puis, elles fmissent par s'exprimer plus nettement à mesure que la bipolarisation s'intensifie. D'ailleurs le repérage des étiquettes partisanes a été facilité par cette clarification. Mais, le fait qu'elles n'apparaissent pas clairement ne signifie pas qu'il 29«Prendre le pouls de la ville », Impact Médecin Hebdo, n02II, 5 novembre 1993. 166
n'y ait pas de relation entre les médecins et leur environnement partisan. Parfois, le soutien partisan est réel mais il prérere rester discret vis-à-vis de l'électorat. TI en est de même pour l'investiture qu'un médecin peut obtenir d'un parti. Donc, quel que soit le degré d'intensité avec lequel se manifestent les partis politiques dans la vie locale, le médecin qui souhaite poursuivre une carrière élective est obligé de s'appuyer sur différentes formes de soutien partisan: réseau d'élus, force militante etc. D'autant qu'en devenant membre d'un parti politique, un médecin a accès à un réseau d'élus, locaux et nationaux, qui lui permet d'accroître ses possibilités d'action. Et cela devient de plus en plus important lorsqu'il y a forte concurrence entre les forces politiques. Chacune d'elles a intérêt à recruter de bons candidats mais, celui qui souhaite s'investir dans la politique locale doit s'appuyer sur un parti et entrer dans un régime de concurrence. Dans le département des Pyrénées-Atlantiques, la concurrence entre le parti gaulliste et l'UDF contraint les médecins investis dans la vie politique locale de ce département à se positionner ouvertement et régulièrement. En contrepoint, l'implication partisane a aussi un coût pour les médecins. Afficher une étiquette partisane, cela remet partiellement en question l'image de neutralité que souhaite entretenir chaque médecin. La neutralité est une résultante de l'universalisme présent dans l'éthique médicale, et, pour certains médecins, il peut exister une forme d'incompatibilité entre une éthique professionnelle à portée universaliste et l'adoption d'une présence partisane. Le registre partisan repose sur une vision différenciatrice de la société alors que l'universalisme constitue la communauté par l'égalité de considération portée à chacun de ses membres. Il peut enfin arriver que l'engagement partisan d'un médecin ait des effets sur le volume de sa clientèle professionnelle, et, dans cette hypothèse, la relation qu'il entretient avec ses patients retrouve toute son importance. Elle peut atténuer ou amplifier le phénomène. De plus, les contenus doctrinaux et prograrnrnatiques des partis constituent parfois des contraintes pesant sur l'autonomie de jugement à laquelle les médecins sont particulièrement attachés. Ce qui peut expliquer qu'ils sont plutôt portés vers des partis témoignant d'une certaine flexibilité idéologique ou vers ceux qui portent une vision de la société favorable à leurs intérêts.
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Un support doctrinal commun On peut également tenter d'expliquer la répartition des médecins entre les forces partisanes par un support doctrinal qui peut apparaître comme un fonds commun à tous les médecins. TIest caractérisé par une doctrine de l'individu qui permet de concevoir la vie de la société à travers le prisme du rapport de l'individu au monde. C'est en ce sens que l'on peut parler d'individuation comme processus mettant l'individu non seulement au centre, mais, également, au départ de toute réalité sociale et politique. Ce que nous pouvons identifier chez les médecins élus locaux, ce sont des registres d'actualisation de cette doctrine. La diversité de ces registres lui confère un caractère syncrétique comme en témoignent les différentes versions qui peuvent en être données. La première ligne d'interprétation est généralement associée à l'univers professionnel en étant dotée d'une forte consonance éthique. Or la construction éthique se distingue des autres formes de construction sociale des catégories parce qu'elle se réfère à l'ordre du fondamental. De ce fait, elle entend se situer au-dessus ou à l'origine. Donc en situant ce que nous appelons de façon imparfaite la doctrine de l'individu au niveau de l'éthique, on lui attribue implicitement une valeur par rapport aux différentes formes de construction intellectuelle que les hommes sont capables de produire individuellement ou collectivement. L'exemple qui a déjà été évoqué dans le chapitre 2 est celui de la responsabilité individuelle du médecin face à la délégation de confiance que lui consent le patient. Cette dimension éthique donne à la doctrine de l'individu une force qui lui permet de rendre acceptables toutes formes de déclinaison. Ainsi, les médecins qui appartiennent à des partis de droite se réfèrent implicitement à cette doctrine quand ils associent la responsabilité individuelle du médecin au caractère libéral de leur statut professionnel. Par extension, ils peuvent considérer que tous les individus peuvent fonctionner sur ce schéma, et donc qu'il faut éliminer tout ce qui peut empêcher les êtres humains de prendre leurs responsabilités. Toute forme d'assistance est considérée comme portant atteinte à l'initiative individuelle et doit donc, de ce fait, être réduite. Mais comme un médecin ne peut pas dire qu'il faut réduire la couverture santé de la population, il est plutôt enclin à encourager une réduction des dépenses sociales.
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Mais la doctrine de l'individu peut tout aussi bien être mobilisée par des médecins de gauche ou de centre gauche dans une interprétation différente. Ici, l'individu est un être humain qu'il faut soigner médicalement et socialement à partir d'une conception extensive de la santé telle qu'elle a été définie au moment de la mise en place de la protection sociale. Comme cela a été dit plus haut, il y a dans ce type d'interprétation une rencontre entre la compassion chrétienne et l'universalisme démocratique. Mais dans ce cas, il faut développer les formes d'assistance pour créer les conditions sociales d'une bonne santé de la population. Donc, à partir de la doctrine de l'individu, la profession médicale peut produire deux systèmes de justification aboutissant à des politiques opposées. On peut également voir dans la référence au gaullisme, une autre déclinaison de la doctrine de l'individu. TIs'agit là d'une exaltation des qualités personnelles d'un leader jugé exceptionnel. L'adhésion se réalise par rapport à ce qu'un individu peut incarner. Tout ce qui est produit en son nom devient alors acceptable. Par certains aspects, cette représentation est assez proche du type de reconnaissance que certains médecins souhaitent à leur égard. En étant capable de générer des interprétations contradictoires, la doctrine de l'individu se révèle être un registre de reconnaissance soumis aux interprétations subjectives suivant des intentions variables. De sorte que ce qui apparaît déterminant politiquement, ce n'est pas le registre en lui-même, mais les tournures que les médecins peuvent en proposer. Or pour chaque médecin, comme pour tout individu, ces interprétations ne dépendent pas uniquement de son appartenance professionnelle mais de tous les éléments qui entrent dans la formation de sa conscience sociale et politique. Avec la notion d'individu, on peut ainsi voir se développer deux lignes d'interprétation qui s'appuient toutes les deux sur une référence éthique mais qui peuvent s'orienter sur deux conceptions concurrentes de la société. La conception qui se réclame de I'humanisme est plutôt mobilisée par des médecins de centre gauche, alors que celle qui passe de la responsabilité individuelle du médecin à la responsabilité de l'individu dans la société sera plutôt soutenue par des médecins de droite. Bien entendu, il faut comprendre que tous les médecins peuvent évoquer ces deux registres, seule l'intensité de la préférence pour l'un ou pour l'autre varie. Le recours à l'argument éthique ne constitue pas le seul facteur permettant aux médecins de se distancier de la production de sens proposée par les 169
partis politiques. Ainsi que cela a été montré dans le chapitre 2, l'exercice du rôle de médecin routinise chez les membres de cette profession une forme de compétence, c'est-à-dire un savoir fmalisé sur une action. Par leur pratique professionnelle, les médecins sédimentent en chacun d'eux un dispositif de connaissance, l'analyse clinique, dans un lien de nécessité avec une action réparatrice. lis s'habituent, sans toujours le savoir, à la gestion d'une position de pouvoir. Or cela a plusieurs conséquences sur la position des médecins au sein des partis politiques. D'une part, ils sont porteurs d'une forme de compétence directement mobilisable, ce qui accroît leur crédit tout en développant une certaine méfiance à leur égard. D'autre part, ils entendent conserver une part d'autonomie à l'égard des productions idéologiques ou doctrinales que peuvent proposer les partis. Car, eux, à la différence de beaucoup de militants, peuvent savoir ce qu'il faut connaître et dans quel but se situe la démarche de connaissance. Cette forme de compétence a plus de chance d'être reconnue à une époque qui ne valorise pas les constructions idéologiques comme c'est le cas aujourd'hui. Par exemple, les médecins du parti socialiste se retrouvent davantage dans l'évolution que ce parti a connue depuis vingt ans que dans ce qu'il était avant 1981. De l'étude des relations entre les médecins et l'univers partisan dans la vie politique locale, nous pouvons tirer quelques observations conclusives. Ainsi, il est remarquable que malgré une reformulation significative de la configuration partisane nationale et locale, la présence des médecins est toujours assurée. Elle est plus marquée à droite qu'à gauche mais conserve une force d'expression quelle que soit la conjoncture politique. Sans doute faut-il y voir le goût des médecins pour la chose publique et la faculté de réussir dans l'univers partisan. En soi, le phénomène n'est pas original. li s'insère dans une interprétation, plus générale, associant le degré de socialisation politique des individus à leur niveau d'études. Peut-être faut-il aller au-delà de ce dernier critère, pour comprendre le fonds doctrinal et la compétence qui permettent aux médecins d'intégrer les partis politiques constituant la majorité de la constellation partisane. Par conséquent, il ne nous paraît pas évident que la baisse de la surreprésentation des médecins élus locaux soit liée à l'influence croissante des partis dans la vie politique locale.
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~ 3 L'individu et le contexte Si l'on peut présenter la présence électorale des médecins à partir des lectures qui viennent d'être proposées, il ne faut pas pour autant négliger le fait que chaque contexte électoral porte ses propres particularités. Derrière la présence électorale d'une population, les médecins élus locaux, il faut comprendre qu'il y a la présence électorale de chaque médecin, individu qui a pour principale tâche d'intérioriser les propriétés de son contexte d'élection pour trouver la formule politique locale la plus juste, tout en se montrant capable de la porter. Dans la présence électorale d'un candidat est également appréciée une compétence à maîtriser les variables structurelles et conjoncturelles caractérisant le contexte électoral.
3.1 Assimiler les éléments structurant
la vie politique locale
Faire présence électoralement, c'est aussi pour un médecin se montrer capable de s'inscrire dans la profondeur des traditions politiques locales ou dans la continuité des évènements qui ont pu la marquer. Différentes façons d'activer l'histoire locale Là où le poids des traditions locales se fait encore sentir, une partie de la présence électorale se doit de les exprimer. Nous prendrons ici plusieurs exemples pour étayer notre propos. Les seuls médecins élus au Conseil général sous l' étiquette du parti communiste l'ont été en Dordogne au cours des années 60. Cela s'explique principalement par l'action du PCF dans ce département pendant la Résistance. Dans ce cas, la personnalité du médecin est doublement mise en valeur. D'abord parce qu'il très rare qu'un médecin soit soutenu par le parti communiste, et sa position est aussi anticonformiste qu'elle peut apparaître courageuse. Ensuite, parce que sa présence porte la mémoire d'une histoire locale au-delà de celle son propre parti. À ce titre, le médecin candidat du PCF bénéficie de la bienveillance voire du soutien d'électeurs qui ne voteraient pas pour le PCF. Les réseaux constitués pendant la Résistance ont influencé la vie 171
politique locale pendant une trentaine d'années, en maintenant des liens de solidarité plus forts que les appartenances partisanes. La Dordogne a été un des départements les plus marqués par ce phénomène. Comme nous l'avons vu plus haut, beaucoup de médecins se sont fait élire sous l' étiquette radicale ou radicale socialiste en particulier dans les premières années de la Cinquième république. Or une étude un peu approfondie de la vie politique locale dans les différents départements d'Aquitaine permet de s'apercevoir que, si un médecin se réclame du radicalisme dans sa présence électorale, on n'est pas radical de la même façon en tous lieux. L' étiquette radicale, grâce au syncrétisme doctrinal de ce courant, permet une adaptation aux réalités politiques, sociales et culturelles locales. Ainsi, en Dordogne, la forte influence du parti communiste fait apparaître les radicaux comme une alternative modérée pouvant intégrer le centre gauche et le centre droit. Lorsqu'un médecin se présente sous étiquette radicale, il a vocation à mobiliser dans l'électorat des tempéraments politiques locaux devenus traditionnels par sédimentation historique. Mais dans les Pyrénées-Atlantiques, autrefois Basses-Pyrénées, la tradition radicale doit se positionner par rapport à des tendances un peu différentes par leur intensité. Dans la circonscription d'Oloron-Orthez, par exemple, la tonalité partisane dominante est plutôt à droite, catholique et conservatrice. De ce fait, le positionnement du courant radical s'effectue principalement sur la question de la laïcité en particulier en ce qui concerne l'enseignement parce qu'il s'agit d'un enjeu traditionnel dans la vie locale. Dans un contexte historique où la droite modérée et conservatrice est largement majoritaire dans l'électorat, le courant radical apparaît comme l'opposition de gauche la plus crédible. À leur époque respective, des médecins comme les docteurs Dhers ou Ebrard ont parfaitement assumé ce rôle. Plus récemment, dans le Lot-et-Garonne, deux chirurgiens ont été élus sous l' étiquette du parti socialiste. Leurs succès électoraux s'expliquent, en premier lieu, par l'absence de leadership local au sein de ce parti, tout au moins dans leurs zones d'influence, l'Agenais et le Villeneuvois. En second lieu, ils représentent un parti qui dégage, aujourd'hui, une image de modération assimilée à une forme de modernité. Paradoxalement, ce qui apparaît comme de la modernité nous semble davantage correspondre, dans ces contextes, à l'actualisation d'une présence radicale dans un 172
territoire où, justement, cette tradition est très prégnante. Tout le mérite de ces individualités est d'avoir réussi à intégrer un leadership partisan local et une position sociale facilitant l'accès aux couches les plus matériellement favorisées, pour proposer une formule politique qui s'inscrit dans la plus pure tradition locale. Ainsi, par sa flexibilité normative, le radicalisme permet à des médecins de produire une présence politique adaptée aux traditions locales. TIfaut rester attentif aux traditions locales ou, plus exactement, à ce qui fait tradition dans un espace donné, c'est-à-dire à ce qui est susceptible de faire rémanence à tout moment. Occuper l'espace de leadership local Dans la plupart des espaces politiques, la question du leadership reste posée comme une variable structurelle. Sans doute est-ce dans le leadership local que s'agrègent les différents éléments de la présence électorale. En Aquitaine, on peut citer plusieurs exemples de médecins qui se sont trouvés dans cette position. On pense au docteur Grenet à Bayonne, au docteur Bioulac en Dordogne ou au docteur Labeyrie à Mont de Marsan. Dans des styles très différents, ils ont en commun de parvenir à faire coïncider leur propre image et celle de leur territoire, tout en maîtrisant les variables partisanes. Cependant, il est des situations où l'appartenance au corps médical ne garantit pas la réussite dans la transmission d'un leadership local. Sur le site Langonais, le médecin qui a pris la suite du député maire a reproduit un leadership local, comme si l'espace en question ne pouvait pas admettre une autre forme de direction politique que celle-là. TI avait au départ, l'avantage d'une notoriété personnelle et professionnelle qu'il a complétée par un engagement au parti socialiste. Mais ces deux facteurs, s'ils sont nécessaires, ne suffisent pas à établir un leadership local. La réussite de son leadership repose aussi sur sa capacité à concilier les différents mondes qui composent son espace électoral: principalement ici, un électorat plutôt urbain et un autre un peu plus proche des traditions rurales. Ses résultats électoraux constituent une des preuves de son crédit politique. Peut-être que cela rend plus difficile sa succession politique. En effet, le médecin qui a essayé de lui succéder au Conseil général n'est autre que son premier adjoint, chirurgien à la notoriété personnelle et professionnelle indiscutable, mais qui a échoué à 173
deux reprises en laissant le siège au candidat communiste. TIsemble bien que dans ce cas, ce qui a fait défaut à ce médecin, c'est une capacité à représenter un trait d'union entre l'espace urbain et ce qui reste du monde rural. Pour confirmer notre argument, il faut rappeler que le candidat communiste qui a été élu bénéficiait d'un solide crédit politique dans l'espace rural autour de Langon. Cet échec est une illustration de la complexité d'une présence politique et des difficultés à construire un leadership local. On peut être un médecin réputé, bénéficier du soutien partisan majoritaire et pourtant ne pas être élu.
3.2 Maîtriser les éléments conjoncturels Sur la base d'enjeux électoraux de nature différente nous allons montrer que la présence électorale d'un médecin réside dans sa capacité à se saisir de ces questions pour faire état de sa compétence à les gérer politiquement. L'échec électoral quand il survient est révélateur d'une impossibilité à assurer cette mission. L'hôpital, enjeu électoral Dans beaucoup de villes, I'hôpital est très souvent le plus gros employeur de main d'œuvre. TIn'est pas rare qu'un médecin exerçant ou ayant exercé à I'hôpital devienne le maire de la commune et se retrouve, de ce fait, président du conseil d'administration de l'entreprise la plus importante de sa ville. Jusqu'aux années 80, la croissance de l'équipement sanitaire du pays a encouragé le développement du tissu hospitalier. Chaque maire pouvait ainsi se prévaloir de la qualité de son hôpital et en faire un enjeu de politique locale. À cela s'ajoute le fait, que la présence d'un hôpital incite la profession médicale à s'investir de façon plus significative dans l'action politique locale parce qu'elle a ses propres intérêts dans la vie de l'hôpital. On remarque que dans ce type de contexte, des listes concurrentes comprennent souvent des médecins travaillant dans le même hôpital. Ce qui signifie que le facteur professionnel revient dans le débat politique local mais pas seulement dans le sens abordé plus haut. TIne s'agit pas d'évoquer le surplus de reconnaissance accordé à un médecin du fait de son activité hospitalière. 174
TIfaut souligner que la concurrence, les oppositions entre médecins ou au contraire les affmités, peuvent influencer le débat électoral surtout lorsque des médecins prennent la tête d'une liste contre un de leurs confrères. Plus récemment, la question hospitalière s'est trouvée au cœur du débat politique national mais aussi local lorsque la carte hospitalière a été revue dans une perspective restrictive. Ainsi, lors des élections municipales de 2001 en Gironde, on peut citer deux exemples de médecins, exerçant le mandat de maire, dont le succès ou l'échec a été attribué à l'action qu'ils ont menée pour défendre l'existence de l'hôpital. Celui qui a été battu était installé qepuis longtemps sur sa commune, il avait travaillé à I'hôpital, il obtenait régulièrement un des meilleurs scores de sa liste lorsqu'il se présentait aux municipales, et il était membre du parti qui gérait la ville avant lui. TIavait donc pour lui tous les éléments favorables à sa réélection. Pourtant, il a été battu à l'issue d'une campagne électorale où la question de l'hôpital est demeurée au centre des débats. À l'opposé, celui qui a connu un succès a mené une campagne très active au plan national, notamment par l'intermédiaire de l'Association des petites villes de France, en faveur des hôpitaux de proximité en faisant valoir à plusieurs reprises son expertise de médecin. TI a également encouragé une mobilisation locale en faveur de son hôpital. Bien entendu, il n'est pas question de s'exprimer sur le bien fondé des processus d'imputation visant les deux médecins mais de comprendre que la présence politique se nourrit de la capacité des individus à maîtriser des enjeux conjoncturels. Si cette maîtrise n'apparaît pas dans la présence électorale, il y a risque d'échec. Toutefois, il faut aussi admettre que chaque contexte électoral génère sa dose d'incertitude et que la valeur d'un candidat est appréciée en fonction de celle des autres. Cette variable intervient dans la répartition de la reconnaissance accordée aux candidats.
Incarner un régime d'alliances La conjoncture électorale est aussi l'occasion de mettre à l'épreuve l'aptitude des médecins à réaliser un système d'entente regroupant des forces sociales, économiques et politiques ayant une influence sur la vie locale. Le facteur personnel est un élément clef de la présence sociale mais il ne se limite pas à une question de notoriété. L'exemple le plus 175
parlant en la matière nous est fourni par les élections municipales de La Teste (33) en 2001. Le médecin qui a gagné les élections municipales contre l'ancien maire, chirurgien au même hôpital, a réalisé un régime d'alliances regroupant des forces politiques allant au-delà des limites partisanes. La réussite de son entreprise ne découle pas uniquement des attributs de sa notoriété personnelle, bien réelle d'ailleurs, mais de la démonstration d'une capacité à réaliser ce régime d'alliances. Le deuxième aspect de ce succès réside dans l'approbation apportée par l'électorat à ce régime d'alliances en lui accordant, par son vote, une crédibilité démocratique. Concrètement, la différence ne s'est pas faite par le vote de la gauche, qui n'est pas majoritaire dans la ville, mais par la confiance accordée, par une partie des électeurs de centre droit, à une personnalité locale capable de garantir une faisabilité de gestion locale à ce projet électoral. Quand il s'avère nécessaire de construire des systèmes d'alliances, il faut aussi se montrer capable de les incarner.
Au cours de ces dernières années, la proportion de médecins parmi les élus locaux, en Aquitaine et en France, a décliné. On peut expliquer cette évolution à partir des conditions de réalisation de la présence électorale des médecins. Celle-ci se décompose en plusieurs espaces de reconnaissance et de légitimation qui sont plus ou moins activés selon les contextes d'élection. Ainsi, la présence électorale de la profession médicale se traduit pour chaque médecin, candidat à une élection, par trois positionnements possibles: celui du médecin dans la vie locale; celui du médecin dans l'espace partisan quand le contexte électoral le nécessite; celui du médecin acteur politique local qui doit maîtriser les variables politiques, sociales et culturelles de son environnement. Ce schéma analytique nous a permis d'expliquer la diminution de la part de la profession médicale dans la population des élus locaux. TI semble que ce phénomène soit, pour l'essentiel, lié à la perte d'influence de l'espace de reconnaissance centré sur l'individualisation d'une présence électorale nourrie de la considération professionnelle. Nous avons montré que cette évolution se mesure par un changement des critères de
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reconnaissance qui affecte la profession médicale et, plus généralement, la mise en valeur des individus dans la société locale. Par contre, il ne nous paraît pas évident que les médecins puissent pâtir de la politisation partisane croissante des élections locales. Certes, celle-ci contribue à la relativisation du mode de reconnaissance dont nous avons parlé plus haut. Mais c'est une profession qui est très présente dans l'univers partisan, surtout à droite, et qui en tire avantage en termes de représentation politique nationale et locale. Cela est encore plus net sous la Cinquième république si l'on se rétère aux élections législatives. Toutefois, la présence électorale d'un médecin, candidat à une élection locale, ne se limite pas à ces deux positionnements. Sa réussite repose aussi sur ses capacités d'adaptation aux conditions structurelles et conjoncturelles qui caractérisent son environnement politique et social. Comme tout candidat, le médecin doit produire et incarner une formule politique locale. La compétence qu'il met en œuvre dans ce cadre-là est celle d'un acteur politique qui sait construire un projet politique en phase avec les circonstances électorales. La mise en évidence de ces trois dimensions de la présence électorale invite à relativiser certaines réalités. TI apparaît ainsi que l'impact de l'appartenance à la profession médicale dans l'éligibilité des médecins dépend des critères qui fondent la reconnaissance des individus dans la société locale. On peut également soutenir que l'intelligence qui permet de s'imposer dans un contexte électoral donné est plus une affaire d'individu que de médecin. C'est précisément cette intelligence individuelle qui assure la plasticité de la présence politique locale. Elle lui permet de se modifier sous l'effet des ruptures, plus ou moins fortes, enregistrées dans l'environnement politique, économique et social.
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CHAPITRE 4
Les médecins et l'action publique locale
La présence politique des médecins trouve son accomplissement dans l'exercice des mandats locaux. Par leur engagement, ils participent à l'action développée par les institutions politiques locales tout en se donnant la possibilité de conférer une dimension supplémentaire à leur présence électorale. La distribution de la profession médicale dans les positions électives locales est très variée. La présentation réalisée dans le chapitre 1 évoquait celles de maires et de conseillers généraux. Parfois, ces positions sont cumulées et donnent lieu à des trajectoires électives purement locales ou, plus rarement, mêlent le local et le national. Pour chaque médecin, l'accession à une position élective se traduit par un potentiel de positionnements ouvrant sur des perspectives singulières. Elles peuvent être groupées en deux ensembles. Dans le premier nous plaçons toutes celles qui ont à voir avec la connaissance des réalités alors que, dans le second, figurent les perspectives d'engagement qui ouvrent sur les différents systèmes d'interaction auxquels un élu local peut être confronté. Bien sûr, chaque positionnement met en jeu des perspectives des deux types. TInous paraît utile d'apporter ces précisions parce qu'elles permettent de comprendre comment se forme la compétence d'élu. C'est par l'apprentissage et la pratique répétée de ces positionnements que les médecins acquièrent et consolident les capacités nécessaires à leur intégration dans l'univers des institutions politiques locales. C'est en adoptant ces positionnements qu'ils peuvent saisir les changements qui affectent le système politique local ainsi que la nature des demandes qui lui sont adressées par les différents acteurs de la société. Cela est d'autant plus important que ces changements affectent le cadre dans lequel les élus exercent leur mission. On pense notamment à la réforme de la décentralisation, au développement de la coopération entre collectivités territoriales, aux nouveaux rapports entre celles-ci et l'Etat, ou à la professionnalisation de la représentation politique. Bien d'autres questions encore seront abordées au cours de ce chapitre.
Dans ces conditions, comment peut-on envisager la participation des médecins à l'agir public local? Peut-on leur reconnaître une façon particulière d'accéder à la compétence d'élu? Est-il concevable que la diminution du nombre de médecins élus locaux résulte d'une modification des rapports entre l'exercice des fonctions électives et la profession de médecin ? Nous tenterons de répondre à ces questions en montrant que s'il existe un secteur de l'agir public local par lequel les médecins accèdent à une compétence d'élu, il n'en est pas moins vrai que leur réussite dans ce type d'engagement repose sur une maîtrise de cette compétence et surtout sur la possibilité de l'exercer. Nous verrons dans un premier paragraphe que les institutions politiques locales proposent un cadre permettant aux médecins d'intégrer l'agir public local sur la base d'une continuité avec leur activité professionnelle. Dans le second paragraphe, nous montrerons que la répartition de la profession médicale dans les positions électives ne s'établit pas uniquement sur la continuité de deux compétences spécialisées, elle se réalise par la réussite dans une compétence d'élu dont le contenu est devenu de plus en plus exigeant.
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~ 1 Un eneaeement
dans la continuité
S'il existe un domaine institutionnel qui peut faciliter l'insertion des médecins dans l'agir public local, c'est bien celui de l'action sanitaire et sociale. Le point important qu'il faut souligner ici est qu'il est reconnu aux médçcins une autorité sur un secteur qui ne correspond pas à une conception étroite de la santé. Que l'on s'intéresse aux petites communes, aux villes ou aux départements, on retrouve souvent des médecins dans des positions institutionnelles où ces questions se trouvent traitées. Cela s'explique de plusieurs façons. Il y a d'abord un processus de développement qui relie la santé aux conditions sociales de sa production. De ce fait, le domaine sanitaire et social peut se traduire par plusieurs défmitions sociales. Il peut renvoyer à des questions de santé strictement médicales comme les vaccinations ou le traitement de l'épidémie de sida. Il peut se référer à des questions sociales qui ont un lien avec l'état médicalisé des individus. On pense ici aux différentes versions de l'accompagnement social d'une construction médicalisée du vieillissement. Et il yale domaine des différentes interactions entre le social et la santé. Ainsi en est-il lorsqu'on se propose d'aborder une question sociale comme l'exclusion à partir d'une perspective santé. Dans ce cas, le registre sanitaire retrouve sa valeur de légitimité immanente. Il constitue une base de légitimation à toutes les autres formes d'intervention. La singularité de la position reconnue à la profession médicale réside dans la reconnaissance à pouvoir intervenir dans un domaine d'action qui a un ensemble de défmition aussi dense qu'imprécis dans ses contours. La continuité ente l'appartenance professionnelle et l'insertion dans l'agir public local se joue donc à ce niveau. Il peut en être ainsi parce que dans les différents territoires locaux, il existe des possibilités institutionnelles pour que cette continuité puisse se mettre en œuvre. Et ces possibilités institutionnelles évoluent. C'est précisément en raison de ces facteurs d'évolution que la perspective sanitaire et sociale ne réserve pas toujours une position de monopole aux médecins qui s'y engagent. On serait même tenté de dire que parfois cette position est menacée. Si dans la plupart des cas, le cadre institutionnel est favorablement investi par des élus membres de la profession médicale, ces derniers peuvent aussi se retrouver dans des contextes d'action où leur suprématie n'est pas toujours assurée. 181
1.1 Le cadre communal Dans la diversité des territoires communaux, la perspective sanitaire et sociale ne revêt pas la même consistance. Justement, c'est à travers la diversité de ces dispositifs institutionnels et des contextes d'action qui peuvent en découler que l'on mesure la singularité de la position des médecins élus locaux. Ainsi pour les petites communes qui n'ont pas véritablement d'action à mener en matière de santé publique, l'intervention des médecins joue davantage par rapport aux affaires sociales. C'est un secteur important qui a connu une forte croissance dès le début des années 80 puisque les dépenses d'aide sociale des communes ont augmenté de 125% entre 1975 et 1983 alors que celles des départements variaient, dans le même temps de 44%1. TIreste sensible à des facteurs structurels comme l'aggravation des difficultés sociales ou le vieillissement de la population. Cependant, au fur et à mesure que la taille des communes augmente, la différenciation entre les affaires sociales et la santé devient plus claire. L'engagement des médecins s'oriente alors vers la délégation à la santé. C'est la raison pour laquelle nous distinguerons le cas des petites communes de celui des villes. Les petites communes La perspective d'action ouverte aux petites communes en matière sanitaire est relativement réduite. Certes, le maire dispose de pouvoirs de police en matière de salubrité publique mais c'est surtout dans le domaine social qu'il existe, pour lui, une capacité d'action. De ce fait, c'est dans les petites communes que l'on peut aisément vérifier la légitimité traditionnelle de la compétence des médecins sur les affaires sociales. On retrouve sur le terrain communal les effets de la position spécifique qu'occupe la profession médicale dans le système de protection sociale. Comme nous l'avons expliqué dans le chapitre 2, cette position s'explique par le fait que les médecins sont les premiers ordonnateurs de soins et qu'à ce titre ils ont une responsabilité particulière dans l'évolution des comptes sociaux. En s'appuyant sur une conception plus ou moins I
J. Tymen, H. Noguès, Action sociale et décentralisation, Paris, L'Harmattan, Logiques sociales, 1988, p. 39-41. 182
extensive de la santé, ils peuvent demander des prises en charge générant un alourdissement des coûts pour la sécurité sociale ou pour les collectivités territoriales suivant le type de prestation. Car, sur le terrain professionnel, les médecins sont confrontés quotidiennement à des situations qui les obligent à intervenir dans le domaine social à partir de situations médicalisées. TIpeut leur être demandé de fournir un certificat de vie pour la CAV, une série d'informations pour la constitution d'un dossier d'allocation, une aide à domicile, etc. Lorsqu'un médecin devient titulaire d'une délégation aux affaires sociales, il prend en charge un secteur qu'il connaît déjà d'un autre point de vue. TI sait ce qui est du ressort des services communaux et ce qui appartient au domaine des relations avec les services sociaux du département. TIest ainsi considéré comme ayant une légitimité naturelle à occuper cette délégation. Cependant, l'action des communes en matière d'aide sociale est étroitement liée au contexte économique et social. Jusqu'en 1975, le taux de chômage est bas et la précarité sociale moins marquée. La demande d'aide sociale s'exprime moins fortement. Depuis le milieu des années 80, la libéralisation de l'économie française entraîne au contraire une précarisation d'une partie de la population. La demande d'aide sociale adressée aux communes connaît une croissance régulière. Ces dernières se trouvent contraintes d'y répondre directement ou d'intensifier leur collaboration avec les services du Conseil général. TIressort clairement des entretiens et des réponses aux questionnaires qui ont été réunis pour la recherche de thèsé que cette préoccupation est présente dans l'esprit des médecins élus municipaux. Toutefois, il faut noter qu'un second élément vient s'ajouter à la précarisation. En effet, le vieillissement de la population relie de plus en plus la responsabilité des médecins à la question des finances locales. En tant que professionnels de santé, ils ont à assurer le suivi médical du vieillissement tout en lui associant l'accompagnement social qu'ils jugent indispensable. Les médecins élus municipaux se retrouvent alors dans une position plutôt délicate. D'un côté, ils peuvent souhaiter qu'un grand nombre de patients ait accès aux dispositifs sociaux leur permettant de vivre mieux pour protéger leur santé. Mais ils peuvent aussi, en tant qu'élus, se montrer soucieux des fmances locales et ne pas souhaiter augmenter les coûts relatifs à ces prises en charge. Enfm, il leur est difficile d'ignorer l'avantage clientéliste 2 Voir notre thèse, Des médecins élus locaux en Aquitaine, op. cit., p. 227 et 232. 183
conféré à celui qui octroie des aides de divers types. Le médecin élu a ainsi la possibilité de conforter la relation individualisée qu'il entretient avec ses patients et ceux qui bénéficient de son aide n'ont pas intérêt à ce que cela prenne fin. En ce sens, le rapport clientéliste qui s'instaure de façon tacite constitue un point positif pour la réélection du médecin. fi n'est d'ailleurs pas exclu que cela puisse aussi avoir des effets positifs sur la clientèle professionnelle. L'occupation d'une position d'élu municipal adjoint aux affaires sociales donne au médecin la possibilité de connaître d'autres perspectives. Si la commune dont il est l'élu n'est pas en mesure de fournir le service demandé, il peut consulter des associations, les services du Conseil général ou recourir à une structure d'intercommunalité. fi est en relation avec l'institution départementale pour la constitution des dossiers du Revenu Minimum d'Insertion. Même s'il s'agit d'une pratique traditionnelle, il faut remarquer que l'évolution sociale et démographique accentue la valeur de ce registre d'action. Entre la précarité sociale et le vieillissement de la population, le secteur des affaires sociales dans les petites communes est appelé à demeurer un secteur nécessaire des politiques municipales. Et même si le nombre de médecins élus dans les petites communes a beaucoup diminué, on peut considérer que leur présence dans ce secteur est appelée à se maintenir. Les villes Si tant est que l'on associe le développement de la perspective sanitaire au développement des sociétés démocratiques, on peut rechercher l'origine de la responsabilité communale en matière sanitaire et sociale dans le mouvement de laïcisation associé à la Révolution française. En effet, avant 1789, le clergé possède la majeure partie des hôpitaux et assume la part la plus importante de l'activité de soin et d'aide aux indigents. L'appropriation publique des biens du clergé votée en 1789 place ce secteur sous contrôle public. Naturellement, les communes apparaissent comme les institutions publiques les mieux placées pour assumer localement la gestion de ces institutions. Les autorités communales mettront ainsi en œuvre la séparation entre la gestion de l'assistance aux pauvres et la lutte contre les maladies, première différenciation problématique entre le sanitaire et le social. 184
Tout au long du 1ge siècle, la responsabilité sanitaire et sociale des municipalités est confirmée. Même si l'Etat conserve un pouvoir de tutelle sur les hôpitaux et les hospices, le principe de la localisation des secours et celui de la contribution fmancière des communes marquent la primauté des autorités municipales. On mesure leur engagement de façon encore plus évidente quand on observe les initiatives municipales qui s'inscrivent dans le prolongement des prescriptions hygiénistes. Très souvent, les autorités municipales ont anticipé les évolutions dans ce domaine même si ce n'est pas le cas de toutes les villes. Sans doute étaitce l'amorce d'une évolution, présente tout au long du 20e siècle, qui voit les villes intervenir directement dans le domaine sanitaire mais de façon plus ou moins structurée par les choix politiques locaux. Cependant, les initiatives municipales connaissent un certain déclin dans le dernier quart du vingtième siècle en raison de l'amélioration générale de l'accessibilité aux soins médicaux et des conditions de vie. Plus récemment, on a assisté à une réactivation de la perspective sanitaire articulée aux questions sociales. Mais dans ce processus, il est difficile de parler d'interventionnisme municipal tant les conditions de l'action publique ont changé. C'est la raison pour laquelle, il nous semble important de distinguer les phases où les villes ont pu se montrer interventionnistes, de celles, plus récentes, où elles sont apparues davantage animatrices. L'interventionnisme municipal en matière sanitaire Nous montrerons à travers quelques exemples que les municipalités, depuis plus d'un siècle, ont pris des initiatives, illustrant un interventionnisme, en matière sanitaire et sociale. L'interventionnisme se comprend ici comme la création d'institutions publiques, exprimant la volonté d'une politique municipale, et mobilisant les moyens budgétaires de la collectivité. TI est vrai que dans ces processus de construction politique, des membres de la profession médicale ont joué un rôle important. Cela ne signifie pas pour autant que la profession médicale ait eu, en tant que telle, une influence déterminante.
185
Des bureaux municipaux d'hygiène communaux d'hygiène et de santé
publique
aux
services
La création des bureaux municipaux d'hygiène publique est un exemple d'institutionnalisation de la perspective sanitaire dans les politiques municipales. TIest intéressant à plusieurs titres. En premier lieu, il est révélateur des rapports qui se tissent au début du 20e siècle entre l'Etat et les communes depuis la loi de 1884. Très souvent, les villes ont pris l'initiative de créer un bureau municipal de la statistique et de 1'hygiène en se montrant réceptives aux demandes des médecins hygiénistes. À Bordeaux3, celui-ci est créé en 1891 et il sera remplacé quelques années plus tard par une Division de l'assistance et de 1'hygiène publique. Mais la première réglementation sanitaire significative remonte, en fait, à 1884, année de la loi qui octroie aux maires plus de responsabilités dans ce domaine. C'est en se référant à cet acquis que les élus municipaux bordelais mettront un certain temps pour répondre aux prescriptions de la loi du 15 février 1902. Les conflits qui surgissent à cette époque, entre le représentant de l'Etat et les différentes municipalités bordelaises sur cette question, sont évocateurs de la tension permanente entre le désir d'autonomie des municipalités et la volonté de régulation du pouvoir central. L'opposition est d'autant plus vive que le nouveau bureau municipal d'hygiène tel qu'il est défini dans la loi de 1905 présente une certaine ambivalence juridique. En second lieu, il ne fait pas de doute que l'interventionnisme municipal dans le domaine de l'hygiène publique a été stimulé par l'action des médecins hygiénistes. On le voit à Bordeaux à différentes époques comme cela a pu se produire dans d'autres villes. C'est l'action de ces médecins à l'échelon local comme au niveau national qui permet d'évoquer l'existence d'un «lobby hygiéniste »4. Et il faut bien comprendre qu'il y a ici non seulement des enjeux politiques locaux mais, également, la volonté d'affirmer la position de la médecine hygiéniste au sein de l'institution médicale. De plus, l'omniprésence des médecins hygiénistes 3
S. Barry, « La loi du 15 février 1902 : Quelquesunes de ses applicationsà Bordeaux au
début du XXe siècle )), dans La santé publique; un enjeu de politique municipale, J-C Guyot, B. Herault, (dir.), eds MSHA, Bordeaux, 2001, p. 95-131. 4 Faure (O.), Histoire sociale de la médecine (XVIIl-XXe siècle), Paris, Anthropos, 1994, p. 242-244. 186
sur ce terrain ne doit pas faire croire que la profession médicale est engagée dans sa globalité par leur action. Avant la loi de 1905, beaucoup de médecins, en tant qu'élus municipaux, ne sont pas très favorables à la mise en place d'un service qui peut s'avérer coûteux pour les finances de la commune, et trop réglementaire pour la gestion des patrimoines immobiliers. TIest donc vraisemblable que les médecins hygiénistes ont joué un rôle d'impulsion, et surtout d'expertise, à une époque où les conditions d'hygiène et de salubrité constituaient un réel problème dans les villes. L'amélioration des conditions d'habitat et le développement de la protection sociale au cours du 20e siècle expliquent que, progressivement, les bureaux d'hygiène aient perdu de leur utilité pour être remplacés au bout du compte par les services communaux d'hygiène et de salubrité. (SCHS) en 1982. Ceux-ci tirent leur singularité du fait qu'ils dépendent pour leur fonctionnement d'un financement de l'Etat, et des prérogatives préfectorales en matière d'hygiène, alors qu'ils demeurent placés sous l'autorité tutélaire des municipalités qui décident de leurs attributions et de leurs champs d'intervention5. Chaque municipalité possède donc une capacité d'intervention directe dans le domaine sanitaire, tout en gardant la possibilité de fixer les limites de son action. Cela explique que les villes qui appliquent la réglementation constituent une réalité sociale et politique assez hétérogène que l'on peut analyser à partir de plusieurs modèles6. Il ne faut cependant pas oublier que parmi les grandes villes qui avaient obligation d'appliquer cette réglementation, 52% seulement d'entre elles l'ont fait. Même si des médecins trouvent à s'investir dans l'action d'un SCHS, il n'en est pas moins vrai que la création de ce service, et la délimitation de son champ d'action, reposent sur le poids «des déterminants sociaux et politiques locaux }/.
5
P. Valarié, «Gouverner l'archipel urbain; actions et réseaux de santé publique à
Béziers », dans D. Fassin, (dir), Les figures urbaines de la santé publique, Paris, la Découverte, 1998, p. 50. 6p. Valarié, «Gouverner l'archipel urbain; actions et réseaux de santé publique à Béziers », dans D. Fassin, (dir), Les figures urbaines de la santé publique, Paris, La Découverte, 1998, p. 62. 7
P. Valarié,
ibid.
187
Les centres municipaux de santé À la différence des bureaux d'hygiène, l'expérience des centres municipaux de santé affiche plus clairement une perspective santé. Plus exactement, elle montre comment cette perspective peut être intégrée dans une vision politique nettement marquée à gauche. Les médecins qui s'y trouvent impliqués soit en tant qu'élus municipaux, soit en tant que praticiens officiant dans les CMS, partagent les orientations idéologiques des municipalités et défendent une conception de la médecine qui est minoritaire au sein de la profession médicale. Si l'on se réfère à une étude publiée en 19958, l'orientation idéologique des municipalités qui ont intégré, de façon structurelle, une perspective santé dans leur politique municipale est majoritairement proche du parti communiste. Ainsi, remarque-t-on que 56 % des villes communistes ont un centre municipal de santé contre 23% des villes socialistes et 32 % des villes de droite9. Ceci s'explique par le fait que si la plupart des centres municipaux de santé sont créés après la seconde guerre mondiale, ils apparaissent dans la continuité des dispensaires institués dans beaucoup de villes ouvrières pendant la période de l'entre-deux-guerres. Donc les initiateurs des centres municipaux de santé, élus et médecins, revendiquent la mise en place d'une médecine sociale permettant aux populations les moins favorisées d'avoir accès à une médecine de qualité tant sur le plan technique qu'humain. C'est aussi une médecine qui se donne pour objectif d'associer plus étroitement la prévention et le curatif. Dans un autre registre, on peut noter que les CMS ravivent par leur existence la diversité de la profession médicale et les conflits qui la traversent. Certes les médecins favorables à ce type de structure de soin sont très minoritaires dans leur profession. TIsse retrouvent en conflit avec leurs confrères lorsque, par exemple, les syndicats de médecins lient les accords de conventionnement à la possibilité pour eux de contrôler la création des centres municipaux de santéIO. TIsdemeurent porteurs d'une conception qui rapproche l'exercice de la médecine d'un service public à 8
J-C. Guyot, «L'institution municipaledes centres de santé », dans La santépublique:
un enjeu de politique municipale, op.cit, p. 251-270. 9 I. Groc, M. Legros, La santé, un nouveau terrain d'action pour les communes? Paris, CREDOC, octobre 1995, p. 57. 10J-C. Guyot, op. cU., p. 262. 188
l'image de ce qui existe dans d'autres pays européens. Le succès relatif de cette forme de médecine sociale, après la seconde guerre mondiale, est étroitement lié à l'absence d'accord de conventionnement entre la sécurité sociale et la profession médicale. Pour beaucoup de patients, le recours à cette dernière est moins remboursé. De ce fait, les accords de conventionnement qui interviennent par la suite inversent la tendance. Au fur et à mesure que se mettent en place des accords entre la sécurité sociale et les syndicats de médecins, la médecine libérale devient accessible au plus grand nombre. Les CMS perdent alors une partie de leur raison d'être. Qui plus est, les accords de conventionnement ont contribué à une certaine banalisation de la consommation médicale en rendant de plus en plus naturel le recours à la médecine libérale. Sur ce terrain-là, les centres municipaux de santé ont perdu une part de leur attractivité. TI faut enfin souligner que les politiques de réduction des dépenses sociales ont imposé aux CMS des contraintes de gestion de plus en plus difficiles à assumer dans la mesure où elles impliquent une aide financière des municipalités. Même si seulement 12 % d'entre eux sont gérés directement par les communes, ces dernières doivent néanmoins assurer l'équilibre fmancier de ces structures. Or, elles ne souhaitent ou ne peuvent pas toujours le faire parce que les élus municipaux considèrent qu'ils ont d'autres priorités. On peut donc dire qu'après avoir connu une phase d'expansion, l'interventionnisme municipal en matière de santé publique connaît un déclin relatif. Sans doute, les différentes institutions créées par le passé, bureaux d'hygiène, services municipaux de santé scolaire, centres municipaux de sante, ne semblent plus répondre de façon adéquate aux besoins renouvelés des populations. Toutefois, on peut remarquer que les villes qui ont fait preuve d'une certaine dose d'interventionnisme en matière de santé publique ont acquis au moins une sensibilité aux questions de santé publique, au plus, une compétence qui peut leur être utile. L'exemple du CMS d'Ivry est une bonne illustration. Il a eu une action innovatrice en matière de traitement de la toxicomanie puisque c'est le produit mis à l'essai dans cette commune qui a été retenu par le Ministère de Affaires sociales pour une expérimentation à l'échelle nationale. Dans le cadre de politique de DSQ qui ne prévoyait pas explicitement de volet santé, certaines villes dotées de CMS ont pris l'initiative de développer des actions santé qui seront reprises plus tard dans la politique de la ville. Cependant, il ne semble pas que cette 189
expérience soit suffisante pour répondre aux nouvelles exigences posées les politiques de santé menées sur le terrain local et notamment dans les villes. Même si les lois de décentralisation ne leur conf'erent que peu de compétences nouvelles en matière de santé, ce domaine semble revêtir depuis quelques années une importance particulière pour les élus des villes. Ainsi, on peut remarquer que dans les villes de 30 000 habitants, 77,9% d'entre elles ont un délégué santé et que parmi eux, 53% sont adjoints au maire11. Mais, cette préoccupation réactualisée des questions de santé s'est accompagnée d'une reformulation de l'action publique locale qui ne place pas toutes les communes dans une perspective d'interventionnisme. Des villes animatrices d'une réactivation de la perspective sanitaire Depuis une vingtaine d'années, les villes se retrouvent au cœur d'un processus de revitalisation de la perspective sanitaire avec parfois une articulation avec le social ce qui suggère un questionnement qui porte sur les deux phénomènes. D'un côté, il y a bien une réactivation de la perspective sanitaire mais, de l'autre, il y a une articulation de ces politiques avec des réalités sociales. Mais cette articulation n'est pas problématique pour les médecins élus locaux parce qu'ils ont une légitimité traditionnelle sur l'ensemble du secteur. De plus, l'articulation paraît somme toute assez logique quand on examine les conditions prescriptives d'émergence de cette problématique sanitaire autant que ces contextes d'actualisation. Les conditions prescriptives sont elles-mêmes des facteurs structurant le positionnement des médecins élus municipaux car elles définissent les contours et la texture de leur perspective et, donc, les modalités de leur engagement. Quand on observe ce qui a été réalisé dans les villes depuis vingt ans dans le cadre de cette réactualisation de la perspective sanitaire et sociale, on discerne autant d'homogénéité que d'hétérogénéité. Suivant les contextes urbains, on va trouver des perspectives santé et des perspectives santé articulées avec des problématiques sociales. On a une perspective qui articule le sanitaire au social, qui fait lire du social à partir du sanitaire en
11
P. Laudoyer, «Toxicomanie et politique locale », dans J-C Guyot, B. Hérault (dir.), La
santé publique.
190
Un enjeu de politique municipale,
op.cit, p. 200.
faisant rappel du registre de légitimité immanente. La protection de la vie vient au secours de la misère sociale. Dans ce cadre d'expérience, les médecins ne sont plus seuls à porter la perspective santé. On ne peut pas dire que les médecins élus locaux aient eu un rôle central dans cette évolution même si sur le terrain local certains médecins, élus ou non, ont joué un rôle important. TIy a d'un côté un ensemble d'orientations pouvant inspirer les initiatives locales, de l'autre, des contextes d'action produisant des initiatives. L'homogénéité prescriptive et pragmatique de la perspective santé Par conditions prescriptives, nous nous référons à une série d'initiatives qui ont fini par constituer des sources d'inspiration autant que des normes indicatives pour les villes dans la mise en œuvre de leur action sanitaire et sociale. On peut citer notamment la Charte d'Ottawa qui donne naissance au programme Villes-santé de l'OMS pour lequel la ville de Rennes a joué rôle pilote en France. Ce programme s'appuie sur une conception plutôt extensive de la santé en insistant également sur la nécessité de relier la thématique santé à tous les autres secteurs de la vie urbaine. Elle tend à prendre en compte de multiples aspects de la vie sociale en considérant que « la santé se présente.. .comme un espace de rencontre et de convergence, comme une manière d'aborder les problèmes susceptible d'intégrer toutes les dimensions de la vie des habitants d'un quartier ou d'une ville >P. Dans une approche comparable, il faut inclure le programme du bureau Europe de l'OMS intitulé «La santé pour tous vers l'an 2000. On peut également se référer aux dispositifs mis en place dans le cadre de la politique de prévention de la délinquance (1983, création du Conseil national de prévention de la délinquance et des comités locaux correspondants au niveau départemental et communal) dans la mesure où ils seront associés à une approche médico-sociale de la délinquance. L'équation de mise en forme sociale relie les causes psychologiques de la délinquance aux conditions de vie. Suivant cette interprétation, elle implique une approche thérapeutique et sociale.
12
M. Joubert, «Remonter le fil des dégradations: La production urbaine de santé dans la banlieue parisienne», Les annales de la recherche urbaine, n° 73, p. 39. 191
La 3e source d'inspiration se situe dans la politique de développement social des quartiers. Dès 1985 avaient été organisées des Assises nationales sur le thème « Santé et quartiers d'habitat social ». En 1988, la Commission Nationale pour le développement social des quartiers a produit une note de synthèse faisant le point sur les initiatives locales en
matière de santé et d'habitat social. Cette orientation a été maintenue avec la création de la Direction interministérielle à la ville (DIY) chargée de préparer les orientations de la politique de la ville. C'est ainsi que l'on peut trouver dans le dossier «Ressources» pour les contrats de ville du XIe plan l'indication suivant laquelle la santé est considérée comme «un des indicateurs des situations de pauvreté et de précarité mais également comme un des facteurs conditionnant le retour à une inscription sociale et professionnelle ». Cela a donné lieu à la mise en place des plans « Santé ville» en décembre 1993 avec une incitation faite aux DRASS, DDAS, aux préfectures pour développer les réseaux de proximité en matière de santé. On peut enfin mentionner la politique de lutte contre la toxicomanie avec la création, en 1985, de la Mission interministérielle de lutte contre la Toxicomanie relayée au niveau local par des comités départementaux qui seront progressivement absorbés par les CDPD. On retrouvera leur influence dans les actions de prévention initiées pour lutter contre le sida. Les orientations définies au niveau national dans ces différents secteurs ont davantage une valeur incitative qu'impérative pour les villes. On le voit avec l'utilisation de la procédure contractuelle entre l'Etat et les villes dans le cadre de la politique de la ville. Une reformulation des conditions d'engagement des élus À plus d'un titre, les villes apparaissent les mieux placées pour réaliser «une globalisation à l'échelle territoriale des fins poursuivies et des moyens mobilisés »13. Le territoire urbain, quelle que soit sa taille, permet de circonscrire les actions envisagées en leur donnant une cohérence d'ensemble. TI est supposé faciliter une meilleure prise en charge des populations concernées par les différentes politiques menées. Toutefois, la mise en avant du territoire urbain ne signifie pas que les 13
J-C. Guyot, «Les municipalités face aux nouveaux e~eux de la santé publique », dans
La santé publique:
192
enjeu de politique municipale,
op. ci!, p. 81.
autorités municipales aient, dans ce nouveau contexte, la maîtrise de l'initiative et la direction des entreprises politiques. Bien au contraire, on assiste à une formulation de l'action publique, jugée novatrice à bien des égards. Cela résulte de la diversité des acteurs engagés dans ces politiques: services municipaux; administrations d'Etat; services hospitaliers; acteurs associatifs ayant parfois une expérience significative dans certains domaines. Or la formulation des conditions de l'action publique modifie les propriétés du cadre dans lequel les élus locaux ont à agIT. Cependant, tout ceci ne s'effectue pas à l'identique dans toutes les villes. Toutes ne sont pas forcément engagées dans la procédure proposée par l'OMS, elles n'intègrent pas toutes le même contenu santé dans leur contrat de ville, elles n'ont pas nécessairement un tissu associatif ayant le même dynamisme, elles n'ont pas non plus, la même expérience en matière de santé publique locale et sans doute pas la même sensibilité. La mise en place de la perspective sanitaire et sociale dans les villes constitue un exemple de ce que l'on caractérise parfois par une «déhiérarchisation» et un «décloisonnement de l'action publique» 14.TI Y a «déhiérarchisation» en ce sens que l'Etat cherche davantage à associer les municipalités aux politiques qu'il promeut en établissant avec elles des liens contractuels. L'exemple le plus connu étant celui des contrats de ville dans le cadre de la politique de la ville. Mais cette notion est également applicable aux relations que les autorités municipales instituent avec les différents acteurs qui participent à la mise en place de la perspective socio-sanitaire. En ce sens, le rôle des autorités municipales est beaucoup plus d'impulser et d'articuler l'action collective que de la diriger, comme cela pouvait être le cas avec l'action des BMH ou des centres municipaux de santé. L'articulation s'impose d'autant plus que la diversité des perspectives portées par les différents acteurs rend la cohérence d'ensemble plus difficile à réaliser. Cette complexité, on la rencontre quand il faut intégrer une dimension santé dans une politique de DSQ. On peut la retrouver lorsqu'il faut établir une perspective santé, reliée à un projet, entre des acteurs aux expériences différentes et divergeant sur les normes qui guident leur action. Ces conditions définissent un contexte d'expérience qui modifie les normes régissant l'action des élus municipaux. TIne s'agit plus pour eux 14
J-C. Guyot, op.cit; p. 84.
193
de diriger une action municipale mais de faire preuve d'une compétence de coordination des acteurs engagés dans une perspective d'action commune. n leur appartient d'intégrer les perceptions parfois divergentes que les individus ou les groupes peuvent porter, pour parvenir à la définition d'une perspective commune. Avec la perspective sanitaire et sociale, les élus du territoire municipal n'ont pas la maîtrise unilatérale de la décision qui s'applique sur le territoire. Dans ces conditions, les médecins élus municipaux comme les autres élus municipaux doivent exprimer une compétence adaptée à ce nouveau contexte. Une perspective qui modifie la position des médecins La compétence de l'élu qui se trouve engagé dans une perspective sanitaire est une capacité à concilier des perspectives parfois contradictoires. n doit se montrer capable de gérer la construction intersubjective des accords et des désaccords. Or cette compétence est souvent liée à une expérience de la multipositionalité. Certains médecins en devenant élus municipaux prolongent un positionnement individuel dans un cadre qu'ils connaissent déjà15. C'est pourquoi on peut observer dans les différentes villes que les médecins en charge des questions de santé ont déjà assumé différents engagements sociaux avant d'être élus. Leur accession à cette position n'est pas seulement liée au fait qu'ils sont médecins mais également à leur passé d'engagement dans ce secteur. De ce fait, ils connaissent déjà les règles du cadre et les perspectives portées par les autres acteurs. Cependant, ils se trouvent parfois dans une situation ambiguë du fait que d'autres acteurs sont amenés à porter la perspective sanitaire. n existe en effet des possibilités d'interaction entre le sanitaire et le social qui mettent en jeu des processus sociaux assez différents. On peut le mesurer à travers plusieurs exemples. Ainsi lorsqu'on mobilise un prisme sanitaire pour qualifier l'état de mal-être liée aux conditions de vie et qu'on associe de fait une perspective santé à une politique de développement social des quartiers. C'est dans une optique similaire, que l'on attire l'attention sur une pathologie comme le saturnisme pour mettre en valeur la mauvaise qualité de I'habitat. La perspective santé est utilisée 15
P. Valarié, «Gouverner l'archipel urbain: Actions et réseaux de santé publique à
Béziers », op.cil., p. 81.
194
à des fins sociales lorsqu'on fait de la prise en charge médicale un élément de resocialisation des personnes marginalisées ou en voie de l'être. L'association d'une carte santé au dispositif du RMI en est un exemple. Une approche sanitaire principalement
destinée aux exclus
TIapparaît ainsi que les différentes actualisations de la perspective socio-sanitaire qui ont été initiées dans les villes ont pour mission principale d'organiser la prise en charge des populations répertoriées comme exclues. Il nous paraît intéressant d'observer que dans ces contextes se trouve réhabilité un régime d'interaction entre le social et le sanitaire qui met en valeur les usages sociaux des langages de médecine. Le langage de la santé et celui de la maladie, fonctionnent comme des vecteurs de construction sociale, c'est-à-dire, qu'ils restent soumis à l'interprétation de ceux qui les utilisent, tout en conservant leur propriété de légitimation immanente. On le voit par exemple lorsqu'on se propose de traiter la question de la toxicomanie dans un quartier en visant un objectif de sécurité publique. C'est également le cas lorsque des acteurs abordent des enjeux sociaux sous l'angle de la santé, au risque parfois, de «subsumer les problèmes sociaux dans le langage de la prévention médicale »16.Dans les usages sociaux de ce registre se met en place une forme de reconnaissance sociale qui singularise des groupes d'individus, tout en développant à leur égard une logique compassionnelle qui tend à les «victimiser », et les prive de leurs capacités à s'affirmer comme sujets de droits 17. Derrière les usages sociaux des langages de médecine se dessine une conception de la reconnaissance des individus, visant à préserver l'ordre social en éliminant en chacun d'eux la confiance en sa propre détermination. Sans doute faut-il voir là quelque analogie avec la perspective défmie par les hygiénistes au 1ge siècle. Cependant, il n'est pas dit que cette perspective puisse exercer ses effets de façon durable 16
A. Lovell, I. Féroni, «Sida-toxicomanie: Un objet hybride de la nouvelle santé
publique à Marseille », in Les Figures urbaines de la santé publique, sous la direction de Didier Fassin, Paris, La Découverte Recherche, 1998, p. 234. 17M. Lussault, «L'instrument sanitaire: rôles et valeurs de la santé publique dans les politiques territoriales à Tours », in Les Figures urbaines de la santé publique, sous la direction de Didier Fassin, Paris, La Découverte Recherche, 1998, p. 200. 195
dans la mesure où rien ne garantit la pérennisation de dispositifs faisant l'objet d'un faible degré d'institutionnalisation municipale18au point que l'on puisse parler de «municipalisation en trompe l'œil ». La reformulation de l'action publique municipale dans la perspective sociosanitaire porte en elle sa propre précarité. Des différents exemples que nous avons présentés, il ressort qu'à toutes les époques, les communes ont proposé un cadre, plus ou moins institutionnalisé, permettant d'accueillir la compétence des médecins élus locaux. Certains d'entre eux s'y sont engagés parce qu'ils étaient déjà plus ou moins investis dans ce type d'intervention. Sans doute peuvent-ils s'affirmer plus aisément lorsqu'il est question de perspective clairement centrée sur la santé. Dans les petites communes, le médecin élu local a une vision plus élargie sur le social parce que la spécification sanitaire est moins présente et qu'il se trouve confronté à une demande sociale plus directe.
1.2 Le cadre départemental Pour illustrer l'importance du secteur sanitaire et social dans l'organisation institutionnelle du Conseil général, on peut citer la déclaration d'un médecin candidat à l'élection cantonale de Talence (33) indiquant que «l'action sanitaire et sociale a coûté plus de 500 millions de nouveaux francs au Conseil général, plus de la moitié du budget départemental »19. C'est dire que l'institution départementale a toujours offert un cadre d'expérience permettant d'accueillir la compétence reconnue à la profession médicale sur ce domaine. Cependant, il ne serait pas exact de postuler que la perspective proposée aux élus en charge de ce secteur n'a pas évolué dans le temps. Ainsi, comment expliquer qu'avant la décentralisation il y a peu de Conseils généraux où ce secteur fait l'objet d'une commission? Dans quelle mesure la décentralisation a-t-elle
18
P. Hassenteufel,B. Le Bihan-Youinou,P. Loncle-Moriceau,A. Vion, «L'émergence
problématique d'une nouvelle santé publique », in Les Figures urbaines de la santé publique, sous la direction de Didier Fassin, Paris, La Découverte Recherche, 1998, p.108. 19Sud Ouest, 33, 15 mars 1979. 196
changé le rapport que les médecins, conseillers généraux, entretiennent avec ce domaine de l'action publique départementale? Nous allons tenter de répondre à ces questions en distinguant la période avant la décentralisation de celle qui lui succède. Les médecins, conseillers généraux, et la perspective sanitaire et sociale avant la décentralisation Avant la décentralisation, il n'existe qu'un département d'Aquitaine où l'on peut trouver une commission du Conseil général, spécialement consacrée au secteur des affaires sanitaires et sociales. Cela peut paraître paradoxal eu égard au volume financier qu'il génère. Mais ce n'est pas aussi étonnant dans la mesure où ce domaine est assimilé à l'administration générale puisqu'il constitue la part la plus importante de l'administration départementale. La perspective sanitaire et sociale n'est pas spécifiée parce qu'elle représente l'essentiel de la tâche de gestion impartie aux conseillers généraux. Ces derniers n'ont pas le pouvoir de décision ultime puisque c'est le préfet qui prépare et exécute le budget du Conseil général. Privés de cette prérogative essentielle, les conseillers généraux n'en ont pas moins accès à une perspective dense et complexe. Elle comprend l'ensemble des établissements publics dépendant directement du département mais également les partenaires privés qui participent à l'action du Conseil général dans le domaine social ou médico-social depuis longtemps. La Direction Départementale de l'Action Sanitaire et Sociale constitue dans chaque département l'interface administrative qui vient compléter cette perspective. Cela n'est pas indifférent car cette administration déconcentrée gère des domaines qui ne sont pas directement du ressort des conseillers généraux. Néanmoins, ces derniers ont accès, grâce au système de relations avec la DDASS, à un éventail très large de questions touchant à la santé comme au social. À travers le champ relativement unifié qui leur est proposé, ils peuvent comprendre les articulations entre les différents secteurs, les procédures à utiliser, et côtoyer les acteurs impliqués dans les actions publiques. Un univers associant la santé et le social ne peut que conforter la position des médecins conseillers généraux, et leur permet d'accentuer leur avantage de compétence sur les autres conseillers. TIs ont ainsi la possibilité de 197
reproduire au niveau du département la position extensive qui glisse continuellement de la santé vers le social. De surcroît, leur compétence les place en position favorable vis-à-vis des différentes associations impliquées dans les actions départementales. Pour obtenir des aides du Conseil général, chaque association a intérêt à compter un médecin conseiller général dans son conseil d'administration car il apporte une garantie d'expertise et assure le lien avec l'institution départementale. En retour, le conseiller général peut consolider sa présence électorale en se constituant une sorte de clientèle dans le monde associatif. C'est d'autant plus aisé que les conseillers généraux ne sont pas responsables d~ l'exécution du budget. Ds peuvent donc insister sur leur capacité d'intercession en faveur des associations comme des particuliers. Cela semble naturel dans la mesure où la médiation est la forme de compétence la plus attendue des conseillers généraux. Le rôle du conseiller général est nettement marqué d'une empreinte cantonaliste qui le conduit à servir d'intermédiaire entre les pôles que sont les élus du canton, le préfet, les administrations déconcentrées et les administrés. C'est précisément par l'usage répété de ces pratiques que les médecins conseillers généraux entretiennent et approfondissent régulièrement leur compétence sur leur secteur de l'action sanitaire et sociale. Après la décentralisation Avec le processus de décentralisation, le cadre d'expérience des élus départementaux change dans ses principes, et, d'une certaine façon, le secteur de l'action sanitaire et sociale s'en retrouve le plus affecté puisqu'il devient le domaine le plus important d'un budget sur lequel les élus du département ont une totale responsabilité. Il devient véritablement un enjeu de la politique départementale. Dans ce contexte nouveau, les médecins conseillers généraux conservent une partie de leur spécificité mais dans des conditions sensiblement différentes. Les affaires important
sanitaires
et sociales:
l'enjeu
budgétaire
le plus
Le transfert de compétence qui porte sur ce qui était déjà sous la responsabilité du Conseil général fait du département « le pivot, le centre 198
des politiques de solidarité locale »20.Cela s'entend par le fait qu'il a la responsabilité comptable de la gestion de ce secteur et qu'il se trouve au carrefour des relations entre les différents acteurs locaux. On peut d'ailleurs remarquer que le terme solidarité est adopté par la plupart des départements d'Aquitaine, un seul choisissant de lui adjoindre une référence à la santé. Sans doute ce terme offre-t-il un espace de connotation suffisamment ouvert pour autoriser une perspective politique élargie comme pourrait le signifier le docteur G. Duhamel, VicePrésident, délégué aux affaires sanitaires et sociales du département des Hauts-de-Seine21 lorsqu'il indique que «le concept de solidarité participe non seulement de l'action sanitaire et sociale mais aussi de la politique du logement, des transports, de l'éducation, de l'emploi ». Même si la santé ne constitue qu'un domaine réduit de l'action du Conseil général, elle reste pour élus départementaux appartenant au corps médical un registre disponible. On le voit avec la mise en place de la carte santé associée au dispositif du RMI, en rappelant que «la première des intégrations, c'est la santé »22.Le registre de la santé demeure à l'état latent et peut, de ce fait, être replacé dans le contexte syncrétique de la solidarité. Cela permet aussi d'entretenir la représentation suivant laquelle «gestionnaires et politiques, nos médecins n'en oublient pas leur premier métier »23. Après la décentralisation comme avant, le secteur des affaires sanitaires et sociales, rebaptisé Solidarité, représente près de 50% du budget des départements. Ainsi la Commission des Affaires sociales est considérée par les conseillers généraux comme l'instance qui a le plus de poids dans la décision politique départementale et qui semble de ce fait avoir un certain prestige. Peut-être faut-il voir là une explication supplémentaire de la surreprésentation des médecins dans cette commission. L'enquête effectuée dans le cadre de la thèse montre, qu'entre 1982 et 1988, le pourcentage de médecins membres de cette commission est très supérieur au pourcentage de médecins conseillers généraux. Leur compétence traditionnelle sur ce domaine leur permet d'intervenir sur un budget qui 20
G. Cloarec, «La décentralisation: état des lieux enjanvier 1983», Décentralisationet
politiques sociales, Paris, Futuribles/CEPES, 1983, n041. 21 L'élu local, n0180, mars 1989. 22 Docteur J. Sourdille, Président du Conseil général des Ardennes, Impact Médecin quotidien, n0357, 15 mars 1994. 23Impact Médecin quotidien, n0357, 15 mars 1994. 199
mobilise d'importants moyens en termes de personnel, d'équipements et de relations contractuelles. On peut d'ailleurs remarquer que les budgets départementaux dans ce secteur n'ont pas tous la même structure. Cette dernière varie en fonction des priorités définies antérieurement par les départements que ce soit en matière d'équipements où d'engagements avec le réseau associatif. Le facteur démographique a également une incidence. L'autre particularité de ce budget est qu'il comprend le fmancement d'opérations associant le département, l'Etat et les communes. Par exemple, le département finance les établissements habilités au titre de la justice ou les centres d'éducation en milieu ouvert, alors qu'il s'agit d'une compétence partagée avec l'Etat. Tout ce qui concerne le logement et l'insertion professionnelle peut générer des financements croisés entre le département et les communes. Le principe du transfert de bloc de compétence place les conseillers généraux devant l'obligation d'assurer la continuité des dispositifs mis en place avant la décentralisation. De ce fait, leur marge d'autonomie pour réaliser des arbitrages budgétaires dans ce domaine est relativement réduite. 11semble que dans un premier temps, leur premier souci est de parvenir à une maîtrise des dépenses. Si décentralisation transforme «totalement la position et les responsabilités de ceux qui s'y trouvent impliqués »24c'est pour privilégier «un critère de bonne gestion, de sérieux, de lutte contre le laisser-aller »25. La réduction des dépenses sociales est devenue un impératif. De ce point de vue, il apparaît que l'opposition partisane entre la Droite et la Gauche n'a qu'une influence très réduite ou nulle sur les priorités ou les orientations politiques et sociales »26.
24
C. Rioual, Décentralisation et dépenses d'aide sociale. Le cas des départements
aquitains, Bordeaux, Centre de sociologie de la santé, Politiques locales de santé2, 1991, p.99. 25 J-C Guyot, F. Vedelago, Les élus et le social. Le cas de l'Aquitaine et de ses conseillers généraux, Bordeaux, MSHA, 1994, p. 85. 26
J-C Guyot,F. Vedelago,op.cit.,p. 185.
200
Un secteur de l~action publique dense et complexe C'est un secteur difficile à appréhender pour plusieurs raisons. D'abord on peut mesurer cette difficulté à la façon dont les conseillers généraux font état de leur perception de ce secteur. Par exemple, on sait que dans le transfert de compétences réalisé, le secteur de la santé est très peu concerné. Or lorsqu'ils sont interrogés sur les différents types d'action concernés par les politiques sociales et médico-sociales, ils accordent à la santé le statut de priorité dans plus de 82% des cas, «les conseillers généraux donnent aux problèmes de santé la première place dans la hiérarchie de leurs préoccupations bien avant les mesures permettant de traiter les problèmes de précarité fmancière (67,7%) ou ceux soulevés par les questions de sécurité (46,3% des cas) »27.Il faut préciser sur ce point ce que l'on entend par «préoccupations des conseillers généraux ». Lorsqu'il s'agit de d'objectifs ou de priorités d'ordre général, c'est la santé qui vient en premier, mais, s'il est question de priorités budgétaires, on revient aux prérogatives départementales. De même que si l'on interroge les conseillers généraux sur le dispositif institutionnel, on trouve un certain flou sur la connaissance des dispositifs des grands secteurs de l'action sociale et sur les acteurs qui pèsent le plus sur la décision publique en la matière. Il y a une contradiction entre l'investissement au niveau du discours et la difficulté que les élus rencontrent pour «conférer à des actions éclatées, décidées à des moments et pour des bénéficiaires différents, une unicité, une rationalité, une cohérence qui très souvent ne préexistent pas aux discours »28. Dans une enquête réalisée une dizaine d'années après la décentralisation, les auteurs constataient une absence de projet global dans le domaine de l'action sociale et médico-sociale29.
27
J-C. Guyot, F. Vedelago, op. cit., p. 74.
28 P. Lehingue, «Le social dans les débats politiques locaux », dans D. Gaxie (dir.), Le social transfiguré. La représentation politique des préoccupations sociales, Amiens CURAPP, PUP, juillet 1990, p. 119. 29J-C. Guyot, F. Vedelago, op. cit., p. 215. 201
La compétence spécifique des médecins La complexité du secteur de la solidarité départementale met en valeur la compétence spécifique des médecins et la responsabilité particulière qu'entraîne la mise en œuvre de cette compétence. En effet, il s'agit d'un domaine de l'action publique qui présente un degré élevé de segmentation que l'on peut mesurer lorsque, par exemple, il est question de classer, et de normaliser les différents types de prestation. Ainsi, le secteur médico-social peut être présenté comme un «domaine aux frontières mal définies, où les responsabilités administratives et professionnelles sont interactives, imbriquées les unes dans les autres, ce qui au demeurant ne manque pas de créer de multiples incertitudes, voire des conflits de compétence »30. Les médecins qui, depuis longtemps, occupent une position dans «la structuration en profondeur des institutions de santé, des services sociaux et médico-sociaux »31ont une compétence quasi naturelle à réaliser un travail de validation des diagnostics, de désignation des prestations et d'articulation des dispositifs institutionnels. Ce qui permet de dire qu' «en matière sanitaire et sociale (comme souvent ailleurs), la segmentation et la parcellisation des problèmes va souvent de pair avec la spécialisation et la concentration des questions entre les mains de quelques spécialistes ».32Cette compétence différencie les médecins par rapport aux autres conseillers généraux et renforce leur autorité vis-à-vis du personnel départemental engagé dans ces différentes missions. Mais, avec la décentralisation, cette compétence a également un effet technique et budgétaire. En effet, la compétence de qualification des médecins devient utile dans une action de gestion des diagnostics parce qu'elle permet de répartir les dossiers entre les différentes filières de gestion tout en réglant les conflits de compétences qui peuvent se présenter. Elle est à même d'intervenir dans le signalement du handicap ou de l'inadaptation. Elle peut apprécier
30
J-C Guyot, F. Vedelago, op. cit., p. 144.
31J_CGuyot, F. Vedelago, op. cit., p. 141. 32P. Lehingue, «Le social dans les débats politiques locaux », dans D. Gaxie (dir.), Le social transfiguré. La représentation politique des préoccupations sociales, Amiens, CURAPP, PUF, 1990, p. 119. 202
le bien fondé d'une demande de subvention à une association en replaçant l'action de celle-ci dans une cohérence sectorielle et médicale. Or ces opérations de qualification ont une incidence budgétaire puisque la portée du diagnostic induit l'acceptation ou le refus d'une prestation financée par le département. Il en est ainsi lorsqu'on décide de passer d'un financement de l'aide sociale à l'enfance à un fmancement sécurité sociale, ce qui a pour effet de diminuer ou de stabiliser les dépenses dans ce domaine. La compétence médicale intervient aussi dans la qualification du handicap et l'on sait que «l'impact économique des handicapés dépend de la manière dont ils sont pris en charge, voire reconnus et diagnostiqués »33. Le recours à la compétence médicale intervient dans les procédures d'octroi de l'Allocation compensatrice pour tierce personne. En rendant plus exigeantes les conditions d'obtention de cette allocation, on diminue les dépenses départementales. Il en est de même quand on réalise un transfert de la demande sociale du champ de l'inadaptation à celui du handicap médico-sociae4. La compétence traditionnelle des médecins conseillers généraux sur le secteur sanitaire et social, aujourd'hui appelé Solidarité, a donc une portée particulière. Elle a une influence sur le volume budgétaire de la moitié du budget départemental. C'est un point qui a une importance certaine dans les années qui suivent la décentralisation parce que les élus départementaux entendent démontrer leur capacité à gérer correctement les finances départementales. En même temps, elle s'inscrit en contradiction avec ce qui se passait avant la décentralisation. Contraints par l'impératif de bonne gestion du département, les conseillers généraux, médecins, ne peuvent plus satisfaire aussi facilement les demandes sociales qui leur sont adressées. Comme on vient de le voir, les médecins élus locaux rencontrent dans l'exercice de leurs mandats des contextes et des dispositifs institutionnels qui leur permettent d'utiliser une compétence associée à leur métier. Cela apparaît de façon évidente lorsqu'ils ont à s'exprimer sur des questions purement médicales dans les assemblées départementales ou communales
33
A. Triomphe, S. Tomkiewicz,Les handicapés de la prime enfance, Paris, PUF, 1985,
p.51. 34 J-F Guyot, F. Vedelago, op. cit., p. 155. 203
ainsi qu'on peut le constater dans d'autres enceintes35. Cependant, le fait qui nous semble le plus remarquable est que leur compétence s'applique sur le domaine élargi des affaires sanitaires et sociales. TIy a reproduction à l'échelon des institutions politiques locales d'éléments qui fondent la position sociale de cette profession dans la société. C'est le résultat d'un processus historique de construction d'une conception extensible de la santé et de l'effort de positionnement d'une profession dans cette évolution. Mais, nous avons vu que ces dispositifs peuvent évoluer et que les conditions qui entourent l'action des médecins ne leur donnent pas toujours la même reconnaissance ou une autonomie comparable. Dans la vie des institutions locales, la perspective qu'ils incarnent habituellement, ne leur appartient plus en totalité, car elle reste sous l'influence des propriétés du cadre d'expérience politique local.
~ 2 Assumer une compétence d'élu En analysant les données disponibles sur notre population de médecins élus locaux, il apparaît que cette profession est largement distribuée dans toutes les fonctions électives. Notre présentation sur la présence des médecins dans les exécutifs locaux serait donc incomplète si elle se limitait à la lecture proposée dans le premier paragraphe. Comme les autres élus locaux, les médecins peuvent connaître des trajectoires électives plus ou moins complexes, avec des succès comme des échecs. En participant à l'action d'une ou plusieurs collectivités locales, ils entrent dans un univers qui a ses propres règles, et chaque position élective définit un cadre d'expérience. La réussite d'un médecin dépend de sa capacité à assimiler les propriétés de ce cadre de façon à donner plus de crédit à sa présence politique locale. Or, si nous nous référons aux changements intervenus dans le système politique local depuis un quart de siècle, on peut avancer sans risque que les conditions d'exercice des mandats locaux ont singulièrement évolué. D'un autre point de vue, nous avons constaté qu'il y a véritablement deux tendances dans la présence 3S
A. Collovald, B. Gaïti, «Discours sous surveillance. Le social à l'Assemblée », dans Le social transfiguré..., op. cit., pp. 38-47. 204
quantitative de la profession médicale parmi les élus locaux en Aquitaine: une forte surreprésentation jusqu'à la fin des années 80; une diminution de la surreprésentation à partir du début des années 90. Peuton expliquer chacune de ces tendances par les conditions d'exercice des mandats locaux suivant les époques? En d'autres termes, les propriétés du cadre d'expérience faciliteraient-elles l'engagement des médecins dans l'action des institutions politiques locales à une période plus qu'à une autre? Nous répondrons à ces questions en trois temps. Dans un premier point, nous montrerons qu'à travers la diversité des positions électives occupées par les médecins, ces derniers se trouvent toujours dans l'obligation d'assimiler les propriétés du cadred'expérience que leur fournit chacune de ces positions. Cependant, nous verrons, dans un deuxième point, qu'il existe des conditions plus favorables à la compatibilité entre l'exercice du métier de médecin et l'engagement dans les fonctions électives locales. Nous verrons, dans un dernier temps, que les transformations du système politique local ont sensiblement changé la compétence attendue des élus, rendant plus délicat l'engagement des médecins dans l'action des collectivités locales.
2.1 Les médecins et l'apprentissae:e des positions électives Il ne serait pas exact de ne conserver à l'esprit que l'interprétation proposée dans le paragraphe précédent. Si on observe les positions électives occupées par les membres de la profession médicale dans les institutions locales, principalement les communes et les Conseils généraux, on peut noter que les médecins se répartissent dans un éventail très large de fonctions. De ce point de vue, il n'y a pas de différence avec les autres -élus. Comme~-derniers, les médecins lo~ils-- accèdent à des fonctions électives intègrent le cadre d'expérience de ces positions. C'est-à-dire que la position élective fournit une façon d'appréhender la gestion locale mais, en même temps, elle situe le médecin élu dans un contexte institutionnel qui a ses propres règles. Ainsi, la première accession à un mandat local constitue une étape de socialisation politique. Le médecin découvre les différents domaines de l'action publique locale, 205
il doit se familiariser aux rôles qu'un élu est appelé à tenir. Sa réussite dépend de sa capacité à assumer les spécificités du système de relations sociales qui organise la vie de ce cadre: relations avec les autres élus, avec les services administratifs, avec les administrés. On peut alors se demander si le fait d'exercer le métier de médecin facilite cette épreuve de socialisation politique au point de faire émerger une autre forme de continuité. Certaines interprétations peuvent le laisser croire lorsque elles évoquent «une spécificité de leur attitude que l'on peut dire clinique »36ou qu'elles soutiennent que « le médecin apportera son sens clinique des situations »37.Ce type de lecture renvoie à un questionnement plus large conduisant à se demander si «des milieux professionnel véhiculent des savoirs et des connaissances qui prédisposent à comprendre le métier politique ou à s'y intéresser »38.M. Weber l'avait l'utilisé en évoquant le cas des avocats39. Si nous reprenons une partie de l'analyse qui a été développée dans le chapitre 2, nous pouvons trouver quelques arguments pour conforter cette interprétation. Ainsi, il nous semble que la compétence relationnelle des médecins résulte, sans doute pour une bonne part, de leur activité professionnelle. C'est un des impératifs de leur rôle de thérapeute. Ils ont pour tâche première d'entrer en empathie avec des patients qui, par définition, sont tous différents. L'expérience du facteur humain qu'ils en retirent est une bonne préparation au cadre d'interaction auquel leur position d'élu donne accès. De plus, la connaissance de la société qu'ils peuvent se former au cours de leur vie professionnelle est un facteur d'habilitation supplémentaire. Sur un second point, la compétence professionnelle de médecin peut faciliter l'assimilation des rôles associés aux positions électives locales. Cela s'explique par la possibilité de réinvestir une compétence d'objectivation et de traduction que les médecins manipulent de façon quotidienne dans leur activité. Cette compétence d'intelligibilité intervient au moment où ils ont à se saisir des différentes perspectives qu'offrent les 36
P. Guillaume,Le rôle social du médecin depuis deux siècles, Paris, Associationpour
l'étude de la sécurité sociale, 1996, p. 33. 37J-C. Guyot, F. Vedelago, Les élus et le social en Aquitaine, op. cit., p. 166. 38P. Braud, Le jardin des délices démocratiques, Paris, Presses de la FNSP, 1991, p. 178~179. 39Le savant et le politique, Paris, UGE 10/18, 1982, p. 127-128. 206
positions électives, ainsi que dans les situations où doit se fOffiler une connaissance préalable à l'action. Elle est aussi une ressource qui leur peffilet de saisir les spécificités de chaque perspective. Nous pouvons le vérifier en étudiant de façon plus approfondie la diversité des positions offertes par les communes et les départements. Il y a les positions à dominante généraliste comme celle de maire et d'adjoint aux finances dans les communes. Même si cette distinction n'est pas absolue en soi parce que tous les conseillers municipaux ont accès à la connaissance du budget et tous peuvent se constituer une connaissance généraliste s'ils le désirent. D'un point de vue décisionnel néanmoins, les positions que nous avons mentionnées semblent les plus pertinentes. Dans un Conseil général, les positions de Président, Vice-président, président de commission, membres du bureau offrent une entrée généraliste. Il y a ensuite des positions plus spécialisées qui peffilettent aux élus de se forger une compétence dans un domaine particulier. Souvent les médecins
choisissent une commission en rapport avec la spécificité de leur canton. Ils adoptent une nOffile de choix analogue à celle des autres élus. Dans le cadre de l'enquête effectuée pour la thèse, nous avions ainsi remarqué que des médecins élus sur un canton où se trouve un nœud de communications routières et ferroviaires faisaient partie de la commission Transports. D'autres, élus sur la partie côtière du département, appartenaient à la commission Tourisme. En agissant ainsi, les médecins peuvent se forger une compétence spécialisée tout en se donnant les moyens de servir les intérêts de leur canton. C'est en ce sens-là qu'ils intériorisent les prescriptions attachées à leur rôle d'élu. Il en est partiellement de même pour ceux qui occupent des positions d'adjoints dans les municipalités. Bien entendu, la taille des communes est un élément déteffilinant parce que les charges d'adjoints sont plus importantes dans les grandes villes. Elles impliquent des relations suivies avec le cabinet du maire, avec le secrétariat général et les services municipaux rattachés à la délégation. Le cadre de socialisation politique est plus complexe. C'est par l'apprentissage régulier de ce cadre d'expérience que se construit la compétence d'élu. L'intégration des médecins à la vie des institutions politiques locales peut aussi être mesurée d'une autre façon. Ils sont soumis comme les autres élus aux règles d'apprentissage et de réussite dans leur mission. On 207
constate ainsi que très peu de médecins obtiennent des positions décisives dans un Conseil général après leur première élection. TIsaccèdent à une présidence de commission ou une vice-présidence au mieux après leur première réélection. La seule exception est celle d'un professeur de médecine qui était leader du parti majoritaire dans l'institution départementale. Pour pouvoir occuper ces positions, ils doivent être reconnus par les autres élus soit sur des critères de compétence soit parce qu'ils appartiennent à la majorité départementale. Dans les deux cas, ils restent soumis aux normes de reconnaissance propres au cadre d'expérience politique. En dernière analyse, on peut apprécier l'intériorisation de la compétence d'élu chez les médecins à partir des rhétoriques qu'ils utilisent lorsqu'ils se représentent dans une élection locale. Cela peut exprimer un positionnement de défense des intérêts du canton au sein du Conseil général: «habitants du 5e canton, vous m'avez élu et réélu pour défendre les intérêts du 5e canton »40. Parfois, l'insistance peut être mise sur la défense d'intérêts particulièrement présents sur le canton: intérêts agricoles41 ; intérêts de différentes catégories professionnelles42 TIpeut aussi être fait état du bilan de l'élu: «Vous savez ce que nous avons déjà fait à Pessac pour l'emploi en créant un parc industriel de 55 entreprises »43 En adoptant ce type de positionnement, le médecin montre qu'il a intériorisé les prescriptions associées aux différents rôles d'élu, ici la défense des intérêts de son canton. En termes de perspective d'engagement, les médecins qui accèdent aux positions électives se retrouvent impliqués dans un ensemble de relations sociales complexe. Sans doute, la compétence sociale qu'ils retirent de leur vie professionnelle contribue-t-elle à leur intégration à l'univers politique. Mais, il est difficile de dire qu'il s'agit d'un facteur déterminant. Comment peut-on, par exemple, distinguer ces facteurs de compétence des qualités individuelles d'intelligence propres à chaque personnalité? La réussite des médecins dans leurs missions d'élus dépend 40Docteur G, candidature Se canton de Bordeaux, Sud Ouest, 33, 6 mars 1970. 4\ Docteur L, cantonale de Brantôme, Sud Ouest, 24, 31 mai 1961 ou docteur F, cantonale de Puymirol, 47, Sud Ouest, 3 mars 1970. 42Docteur G, cantonale de Bordeaux Se,Sud Ouest, 33, 3 mars 1970. 43Docteur D, candidature sur Pessac, Sud ouest, 33, Smars 1985. 208
de leurs capacités à s'imposer dans le cadre d'expérience de la vie politique locale. Or ce cadre a beaucoup évolué au cours de ces trente dernières années. Si l'on se réfère aux données présentées dans le chapitre 1, la proportion de médecins parmi les élus locaux a régulièrement diminué depuis le début des années 90 en Aquitaine. Les variations de ce cadre d'expérience fournissent une explication partielle à cette inversion de tendance. C'est pourquoi, il paraît utile de distinguer deux configurations, la première étant plus favorable à l'engagement des médecins dans les mandats locaux.
2.2 Une confieuration plus favorable à la complémentarité et à la compatibilité des compétences La configuration dominant la vie politique et sociale locale jusqu'au début des années 80 nous semble plus favorable à la participation des médecins à l'agir public local parce qu'elle autorise un cumul de l'activité professionnelle et des mandats d'élus. L'étendue de la compétence attendue des élus autorise cette compatibilité et génère de la complémentarité. Si l'on se réfère au mandat de maire, on peut dire que, pour la majorité des communes rurales, l'essentiel de la mission est circonscrit à une perspective de bonne gestion des finances communales. TIest souvent fait référence à une «gestion en bon père de famille ». TIs'agit de prendre le moins de risques possibles afin de ne pas menacer les équilibres. Chaque maire donne un peu l'impression de vouloir reproduire le modèle incarné par Antoine Pinay. Mais cela correspond aussi à un état de la société locale dans lequel les individus n'ont pas forcément envie d'exprimer des demandes. L'influence du monde rural explique partiellement cet accord entre des élus gérant les deniers publics avec parcimonie et une demande sociale rétive. Ainsi le maire, appuyé par un ou deux adjoints et un secrétaire de mairie, peut conduire les affaires de sa commune parallèlement à son activité professionnelle. Ce n'est qu'à partir de la fin des années 70 que les choses commencent à changer dans les mentalités avec ce que Jean-Louis Marie appelle «la symbolique du changement ». L'urbanisation modifie la composition sociale des communes et une demande d'équipements publics, dans le 209
domaine des sports et de la culture par exemple, prend naissance. Les candidats aux élections municipales intègrent dans leurs discours de campagne l'argument rhétorique du changement. Les élections municipales de 1977 constituent une étape charnière dans ce processus. Dès cette époque s'annonce une reformulation partielle de la compétence d'élu municipal parce que la demande sociale s'exprime de façon de plus en plus nette. Il est demandé aux élus locaux de faire usage de leur pouvoir selon une conception transformatrice et plus seulement gestionnaire. On peut retrouver des points de similitude en observant les conditions d'exercice du mandat de conseiller général. La vie d'un Conseil général défmit un cadre d'expérience plutôt orienté vers les relations interindividuelles. L'enjeu politique central est focalisé sur le préfet et les services extérieurs de l'Etat. Les conseillers généraux participent à l'élaboration du budget Ils n'ont pas de possibilité de création en matière d'administration départementale. De plus, l'exécution de la plus grande partie de l'action du département dépend des personnels de la DDASS, placés sous l'autorité d'un Directeur qui a lui-même sa part d'autonomie. En fin de compte, il n'y a pas d'enjeu politique central dans l'enceinte départementale même si à la fin des années 70, la tension partisane commence à faire sentir ses effets sur les relations entre le préfet et certains élus départementaux. Dans ces conditions, le poids des relations interindividuelles est plus fort. C'est en ce sens qu'est valorisée l'activité relationnelle44 du conseiller général souvent assimilé à un médiateur de la demande sociale auprès des instances décisionnelles. Cette activité relationnelle correspond aux différents positionnements qu'un élu départemental peut adopter. Comme représentant de son canton, il peut faire aboutir les demandes individuelles des administrés auprès de l'administration; faciliter l'action des associations actives sur son canton, tenter d'obtenir des subventions. Il faut quand même se souvenir que pendant la période que l'on a appelée «Les trente glorieuses », la demande d'aide sociale était peu importante parce que la population était plus jeune, qu'il y avait peu de chômage et que l'essentiel du progrès social passait par l'amélioration de la protection sociale de droit commun. Donc la demande adressée aux conseillers 44
J-Y. Nevers, «L'activité
octobre décembre
210
relationnelle des conseillers généraux », Politix, n07-8,
1988, p. 51-57.
généraux dans ce secteur était circonscrite à des populations ciblées et peu nombreuses. L'activité relationnelle du conseiller général est d'autant plus importante que le niveau de formalisation des relations politiques locales est bas. Le souci d'intercommunalité ne s'exprime pas massivement parce que le désir d'autonomie communale reste encore marqué. Comme nous l'avons montré dans le chapitre l, l'Aquitaine garde les propriétés d'une société rurale un peu plus longtemps, à l'exception, cependant, de la Gironde. L'intensité de l'activité relationnelle du conseiller général dépend aussi du souci des acteurs locaux de ne pas avoir recours à une formalisation organisationnelle de l'espace cantonal. La crainte d'une bureaucratisation de la société demeure forte dans une société où le secteur public est important, surtout que la vie politique locale est encore dominée par des notables exerçant le plus souvent des professions libérales. Ils ne sont pas toujours favorables à une extension de l'action publique locale. La dimension cantonaliste reste cependant très présente dans l'activité du conseiller général comme en témoigne le mode de répartition des conseillers généraux dans les différentes commissions. Des médecins conseillers généraux élus de la bordure océane participent aux travaux de la commission incluant le tourisme. D'autres siègent à la commission Transports parce que leur canton est un point névralgique du trafic routier et ferroviaire. Sur ce point, les critères de choix des médecins sont les mêmes que ceux des autres conseillers généraux. Toutefois, cette dimension ne peut trouver son efficacité que si le médecin est avantageusement intégré dans le système relationnel de l'institution départementale. Pour attirer sur son canton les financements publics, susciter l'intervention des services publics, ou obtenir tout autre avantage, le médecin conseiller général doit entretenir de bonnes relations avec le préfet et les services qui lui sont directement rattachés. Or, dans cet univers façonné par les relations personnelles, la profession de médecin permet de présenter une double crédibilité de profession intellectuelle et d'acteur de terrain. C'est d'autant plus vrai lorsqu'il ya cumul de mandats locaux. Dans la surreprésentation de la profession médicale au cours des années 60170, on retrouve, de façon assez récurrente, des exemples de médecins généralistes, élus municipaux et conseillers généraux qui incarnent bien cette capacité à se positionner au centre de plusieurs systèmes de relations. n n'est pas interdit de penser que la faiblesse des clivages partisans à l'intérieur de l'institution départementale accentue 211
l'impact des relations personnelles. La réussite du médecin dans cet univers leur permet de se prévaloir des résultats obtenus en faisant état des différentes réalisations qu'il peut inscrire à son bilan de conseiller général45. Il adopte de ce fait une véritable logique d'élu. Le médecin est soumis à la même règle d'ancienneté pour ce qui concerne l'accession aux positions honorifiques du Conseil général. Il est très rare qu'un médecin élu conseiller général pour la première fois accède à une présidence de commission. Comme les autres élus, il doit franchir l'épreuve de reconnaissance du premier mandat. C'est-à-dire qu'il doit se montrer capable techniquement et politiquement. Dans le contexte antérieur à la décentralisation, la réussite politique dans l'assemblée départementale se définit avant tout par l'entretien de bonnes relations avec le préfet et les membres influents du Conseil général. Dans ce système relationnel, l'appartenance à la profession médicale constitue une entrée plutôt favorable comme l'atteste la forte présence des médecins parmi les élus locaux pendant les vingt cinq premières années de la Cinquième république. Et cela est rendu possible par la compatibilité qu'il existe entre l'exercice de la profession de médecin et la détention d'un ou plusieurs mandats locaux. Pour cette période, la lecture notabiliaire conserve ainsi toute sa pertinence lorsqu'elle montre comment la notabilité sociale et la notabilisation politique fmissent par s'entretenir mutuellement.
2.3 Un contexte nouveau fra2ilisant la compatibilité des compétences Dans la seconde période, celle au cours de laquelle la proportion de médecins élus locaux diminue régulièrement, les conditions d'exercice des mandats locaux connaissent une évolution nous permettant de penser qu'elle contribue à cette diminution. Avec la décentralisation, les Conseils généraux et régionaux deviennent des enjeux politiques dans la mesure où leurs exécutifs ont la pleine responsabilité sur les budgets et des domaines de compétences. Leur fonctionnement est donc plus sensible à la variable partisane et au clivage majorité/opposition. La responsabilisation politique des élus départementaux et régionaux demande aussi un engagement plus fort de la part des élus. De plus, la décentralisation 45Docteur D, candidature cantonale de Pessac, Sud Ouest, 33, 5 mars 1970. 212
déclenche une dynamique qui conduit les élus locaux à vouloir prendre de plus en plus d'initiatives. Le cumul de ces tendances suscite une densification de l'agir public local autour des acteurs centraux que sont les collectivités territoriales. Ainsi, les conditions d'exercice des mandats locaux se trouvent modifiées tant pour ce qui est de la compétence attendue des élus que pour celle qu'ils exercent effectivement. Dans ce contexte, la position des médecins paraît un peu ftagilisée. Une empreinte partisane plus sensible dans la vie des collectivités locales En donnant au Conseil général et au Conseil régional, une responsabilité politique claire sur l'administration d'un champ de compétence et l'autonomie budgétaire, on en fait des enjeux politiques. De ce fait, les partis politiques ont intérêt à s'assurer la maîtrise du fonctionnement interne de chaque institution. Cela transparaît dans la formation des candidatures pour les élections mais également dans la vie quotidienne des élus. Désormais, les relations que les élus entretiennent avec leurs exécutifs respectifs sont filtrées par le clivage partisan et celui instauré entre la majorité et l'opposition au sein de chaque institution. Certes, nous avons montré, dans le chapitre précédent, que les médecins n'ont pas véritablement à souffrir de la prégnance du facteur partisan. Cependant, leur positionnement au sein de l'institution repose moins sur leur présence personnelle que sur leur appartenance à la majorité ou à l'opposition. Lorsqu'ils occupent des positions décisives au sein d'un Conseil général ou du Conseil régional, c'est en raison de leur appartenance à la majorité et non parce qu'ils sont médecins. Cela peut également jouer lorsqu'un médecin conseiller général souhaite obtenir des avantages pour son canton, son degré de proximité avec l'exécutif départemental peut avoir une influence. Or la réussite dans un mandat de conseiller général, concrétisée par une réélection, passe par un certain nombre de réalisations. On peut étendre le constat aux villes de plus de 3500 habitants qui, depuis 1983, ont un mode de scrutin favorisant l'émergence d'un rapport majorité/opposition. Là aussi le poids du facteur individuel dans la gestion locale est un peu relativisé. Les médecins élus locaux doivent adopter au sein de l'institution un positionnement cohérent par rapport à ce clivage. 213
Leur marge d'autonomie et leur capacité d'affIrmation en tant qu'élu en deviennent plus réduites comme pour les autres élus. Une densification de l'agir public local À partir du début des années 80 se développe une densifIcation de l'agir public local que l'on peut identifIer à travers plusieurs tendances. TIya d'abord un renforcement du rôle des acteurs centraux que sont les institutions politiques locales. La décentralisation organise le transfert aux départements et aux régions de blocs de compétences assorti d'une dévolution aux élus de la responsabilité budgétaire. À ces transferts correspond une allocation de moyens humains et matériels permettant aux collectivités locales de mener leur action. Les départements sont les plus concernés par ces transferts parce qu'ils prennent sous leur responsabilité le personnel et le patrimoine de l'action sanitaire et sociale. La formation professionnelle, l'enseignement secondaire et universitaire ainsi que l'aide au développement économique sont les principaux domaines d'action de la région. Le transfert de responsabilité effectué au profIt des exécutifs départementaux et régionaux a pour effet de sensibiliser les élus aux contraintes de gestion des moyens fInanciers, humains et matériels mis à leur disposition. Au cours des premières années de la décentralisation, ils doivent faire la preuve de leurs capacités à gérer correctement les fmances locales tant vis-à-vis de l'Etat que de leurs électeurs. C'est pour répondre à cet objectif que se met progressivement en place une fonction publique territoriale d'encadrement, chargée de les accompagner dans leurs missions. Les institutions politiques locales deviennent des acteurs politiques centraux, en raison du pouvoir qu'elles acquièrent sur certains domaines et de la puissance organisationnelle qu'elles mettent en place. En même temps, le mouvement de décentralisation suscite chez certains élus locaux une dynamique d'initiative qui les pousse à intervenir dans un ensemble de domaines de plus en plus en large ou pour le moins de faire état de leur intention en la matière. Ainsi, pour tenter de répondre aux difficultés sociales générées par la libéralisation de la société française, certains élus mentionnent souvent leur volonté de favoriser le développement économique de leur commune. Un médecin, maire, se propose, par exemple, de mettre en place un projet Ortho-santé sur sa 214
commune pour favoriser son développement, «il s'emploie donc à réaménager sa ville, à la doter d'infrastructures socioculturelles mais aussi à la dynamiser économiquement» 46. Parfois, le maire n'est-il pas présenté comme «le dernier rempart face à la crise de l'emploi et du logement »47. On a également pu mesurer cette évolution à travers les entretiens réalisés pour l'enquête de thèse. Dans la position de maire ou d'adjoint, les médecins font ressortir la façon dont ils ont assimilé la perspective qui leur est offerte, en énonçant des priorités de gestion communale qui peuvent aller dans le sens d'une amélioration de la gestion des deniers publics, du développement économique, du développement local, de la défense des services publics48. TIs produisent des représentations qui reflètent leur perception de la réalité par la reprise des registres les plus utilisés dans le monde des élus. Ces derniers expriment le souci de répondre à la fois aux demandes formulées par les administrés notamment en termes d'équipements collectifs et, aux difficultés particulières rencontrées dans certains espaces locaux. Cet aspect est nettement apparu au moment où les maires ont eu à assumer les effets des restructurations du tissu hospitalier qui se sont traduites par la fermeture d'un grand nombre de petits hôpitaux. Certains maires, appartenant au corps médical, ont insisté sur le risque sanitaire que présentait la fermeture de l'hôpital dans leur ville mais, ils n'ont pas manqué de rappeler le poids économique et social de cette structure dans son environnement local. D'autres élus, comme les maires des communes rurales, se sont trouvés confrontés à des enjeux parfois contradictoires. Certains ont eu à assumer les effets d'un vieillissement et d'une déperdition de population alors que d'autres ont eu à gérer l'arrivée de nouvelles populations avec une série de contraintes supplémentaires pour la gestion locale. Dans les deux situations, la question des équipements collectifs reste posée. Le maire peut chercher à les préserver pour conserver sa population et il se trouve contraint de les améliorer si elle croît. L'évolution de la compétence attendue des maires est assez bien résumée dans la proposition suivant laquelle «le maire est passé du rôle de gestionnaire d'équipements dans les années 70, celui de développeur 46Maires de France, octobre 1998, p. 75. 47G. Lemoine, Maires de France, septembre 1995, p. 20. 48Voir la thèse « Des médecins élus locaux en Aquitaine », p. 325. 215
économique dans les années 80, à celui de gestionnaire de crise dans les années 90 »49. Elle traduit un élargissement de la compétence d'élu dépendant des demandes de l'environnement politique et social souvent appuyées par un secteur associatif en forte expansion. Des registres de qualification de la compétence d'élu Par la combinaison des mutations institutionnelles et des demandes adressées par l'environnement aux institutions politiques locales, les élus locaux sont conduits à adopter de nouveaux registres d'identification à leur mission et se présentent ainsi différemment à leurs électeurs. Ainsi lorsque les conseillers généraux reçoivent la pleine responsabilité sur la gestion du département. ils se montrent sensibles à une gestion rigoureuse des finances locales. Sans doute se forme-t-il dans leur esprit le souci de maîtriser une responsabilité budgétaire nouvelle, et donc de faire état d'un degré élevé de compétence. Ce souci de rigueur budgétaire s'accompagne d'une volonté de mieux utiliser les moyens mis à la disposition des élus, et c'est ainsi que l'on voit se développer les procédures d'audit des services publics au niveau des municipalités comme des Conseils généraux. Il faut dire que le discours politique dominant au niveau de l'Etat reste marqué par une volonté toujours réaffirmée de maîtriser voire de réduire les dépenses publiques. La maîtrise des dépenses publiques et la recherche d'une plus grande efficacité des services publics constituent une perspective qui s'impose progressivement à tous les élus, et les médecins élus locaux n'échappent pas à cette nouvelle norme prescriptive. Par exemple, le docteur Calmat à Livry-Gargan essaie plutôt d'améliorer l'organisation des services publics municipaux en proposant de changer les méthodes de travail5o. À travers un registre de justification, c'est une conception de la compétence qui se met en place. Les élus locaux savent qu'ils doivent maîtriser les dépenses budgétaires et qu'ils seront jugés sur leur action en la matière que ce soit par leurs électeurs ou leurs opposants. Mais en adoptant cette norme gestionnaire, les élus donnent plus d'importance aux experts chargés de veiller à la bonne gestion donc ils se 49
G-L Rayssac,
Maires
de France,
septembre
50 Le Courrier des maires, septembre
216
1996.
1995, p. 20.
déchargent d'une partie de leur compétence au profit d'une catégorie de collaborateurs. Ceux qui incarnent cette position d'expertise représentent un pouvoir intellectuel concurrent à celui des élus pouvant se prévaloir d'une autorité intellectuelle. Favoriser la position d'expertise dans l'univers de la décision locale contribue à réduire la capacité d'influence des élus à qui est attribuée une autorité intellectuelle. De cela les élus médecins peuvent pâtir. Une dynamique de bureaucratisation Parallèlement à la décentralisation, une dynamique de bureaucratisation de l'action publique locale s'est développée au cours des vingt dernières années. Elle s'exprime par une multiplication des structures, des procédures et des temps de négociation. Le développement de l'intercommunalité en est un exemple. Partant du constat, déjà ancien, que les territoires communaux :trançais sont trop morcelés, les communes ont mis en place différentes formes de regroupement visant à mutualiser les moyens afm de réduire les coûts de l'action publique locale. Ces initiatives s'inscrivent dans un souci plus global de rationalisation de l'action publique. C'est ainsi qu'après les SNU et les SIVOM sont apparus les communautés de communes et les syndicats de pays. Ces dispositifs organisationnels sont venus s'ajouter à ceux qui régissent les relations entre les communes, les Conseils généraux et les Conseils régionaux et l'Etat. On pense, par exemple, au traitement des dossiers d'aide sociale par les communes ou à celui du RMI. Dans les grandes villes, on peut se référer aux différents programmes mis en place dans le cadre de la politique de la ville. Pour les élus municipaux, plus particulièrement ceux des petites communes, ceci se traduit par un alourdissement des tâches d'organisation qui rend de plus en plus délicate la compatibilité entre l'exercice d'un mandat de maire et une activité professionnelle. Il ne fait pas de doute que l'augmentation des retraités parmi les élus locaux est une des réponses apportées à cet accroissement des charges de travail. C'est un point particulièrement sensible pour les médecins exerçant un mandat de maire dans une petite commune car ils ne disposent pas d'une administration suffisamment étoffée pour les épauler dans leur mission à l'inverse de ce qui peut se produire dans une grande ville. Là se trouve, 217
sans doute une des explications de la diminution du nombre de maires appartenant à la profession médicale, précisément dans les municipalités les plus petites. Pour les médecins conseillers généraux, qui sont souvent élus municipaux, la charge de travail est également importante si l'on se réÎere à l'étude réalisée en 199151 puisqu'elle s'élève à 38 heures hebdomadaires. Dans ces conditions, il paraît difficile à un médecin de ne pas se trouver dans l'obligation d'avoir à effectuer un choix de carrière. Croissance organisationnelle et redéfinition de la compétence d'élu Comme nous l'avons déjà indiqué, les élus locaux ont constamment réaffirmé leur souci de gérer les budgets locaux avec rigueur. Mais en acceptant que ce critère constitue un élément d'appréciation de la décision publique, ils valorisent la position d'expertise qui lui est associée. TIs se placent alors en situation d'équivalence avec ceux qui ont à assumer les différents rôles liés à l'expertise. TIpeut s'agir d'experts recrutés sur le mode contractuel mais, le plus souvent, ce sont les fonctionnaires territoriaux qui assurent ces missions. Ce qui permet d'affirmer que «la montée en puissance de la gestion met en quelque sorte élus et fonctionnaires sur le même plan »52. Cette tendance s'inscrit dans un mouvement général de technicisation de l'administration locale qui est porteuse d'ambiguïtés sur la répartition des responsabilités entre élus et fonctionnaires territoriaux. En allant dans cette direction, on conforte l'idée d'une technicisation croissante de l'action publique que l'on rencontre également dans la mise en place d'une puissance organisationnelle. Pour développer le système des relations entre collectivités territoriales, mettre en place des projets, établir des procédures d'action conjointe avec les partenaires privés impliqués dans des actions publiques, il faut des acteurs spécialisés dans ces techniques d'administration. Or le seuil d'intervention de ces spécialistes dans l'élaboration de la décision publique est assez imprécis. On a pu ainsi souligner, à propos des Conseils généraux, « le fait que les nouveaux fonctionnaires des services départementaux soient très présents 51
52
A. Percheron, B. Roy, Etude auprès des conseillers généraux, FNSP, op. cil., p. 42.
S. Trosa, «Les relations élus fonctionnaires locaux, n02l, 3e trimestre, 1989, p. 98.
218
et la représentation
locale )), Pouvoirs
dans les instances de décision du Conseil général (bureau, commissions du CG) et qu'ils jouent un rôle très importants dans la préparation des rapports des Présidents des Conseils généraux, illustre toute l'importance de ces nouvelles structures et le pouvoir d'expertise de ces cadres »53. Mais la remarque pourrait également s'appliquer aux cadres territoriaux accompagnant les maires des grandes villes dans leur action ou ceux participant à un exécutif régional. Le point est encore plus sensible lorsque les élus pratiquent le cumul des mandats. Dans ce cas, s'ils ne peuvent assumer la totalité de la compétence découlant des positions électives qu'ils occupent, ils sont contraints de se reposer sur leurs experts pour connaître les dossiers, faire des propositions, et préparer la décision politique. Sans que l'on puisse savoir très précisément quelle est la part prise par l'élu dans la conception de la décision publique. De ce fait, il nous semble que si «les frontières entre le pôle politique et le pôle administratif sont devenues floues, la délimitation des rôles et des responsabilités plus fluctuante »5\ effectivement, «la question du partage des responsabilités entre le politique et l'organisation se trouve posée »55. Toutefois, la question a au moins deux volets. D'un côté, elle concerne la perception que les électeurs peuvent avoir de leurs élus dans ce contexte décisionnel. D'un autre point de vue, elle conduit à envisager les relations entre les élus locaux et les fonctionnaires territoriaux. Dans leurs relations avec les électeurs, les élus sont contraints par une logique d'imputation qui confond dans un même mouvement l'autorité de la décision publique et son auctorialité56. L'élu est supposé être à l'origine de la décision auquel son mandat électif confere l'autorité. Or, s'il existe une imprécision croissante dans la répartition des responsabilités entre l'administratif et le politique, c'est bien la question de l'auctorialité des élus sur la décision publique qui est remise en question. Dans le champ municipal, les fonctionnaires peuvent ainsi apparaître comme les 53
J-M. Nicolas, «Vers une nouvelle gestion publique? Le cas des administrations
départementales », Les cahiers du CNFPT, n028, p. 124. 54D. Lamarzelle, «Cadres et élus: la zone grise du management territorial », Pouvoirs locaux, n037, p. 68. 55D. Lorrain,« Les nouveaux paradigmes de l'action publique et la fonction publique territoriale », Les cahiers du CNFPT, n035, p. 25. 56 G. Leclerc, «l'autorité énonciative entendue comme crédibilité de l'auteur, l'auctorialité entendue comme nom de l'auteur », Histoire de l'autorité, Paris, PUF, Sociologie d'aujourd'hui, 1996, p. Il. 219
« coauteurs des politiques municipales »57alors que « le problème de celui qui met en œuvre une politique municipale est de pouvoir en tirer le bénéfice, d'être reconnu comme son initiateur »58. À moment donné, chacun peut s'interroger sur le fait de savoir quels sont les véritables auteurs des décisions publiques dans un univers où les compétences des acteurs sont étroitement imbriquées. n est vrai que le cumul des mandats a pour effet de monopoliser l'activité des élus autour de pratiques permettant leur réélection, abandonnant aux acteurs de l'expertise une part de conception et de mise en œuvre de l'action publique. C'est peut-être en raison de cette complémentarité concurrente que s'est installé chez les fonctionnaires territoriaux comme chez les élus, le registre de la professionnalité. Certes, ce registre n'est pas une spécificité du cadre d'expérience politique. n représente un instrument de construction intersubjective d'estime sociale par lequel les groupes sociaux «parviennent à présenter publiquement leurs qualités et leurs capacités propres comme particulièrement précieuses pour la collectivité» et «s'efforcent sur le plan symbolique de valoriser les capacités liées à leur mode de vie particulier et de démontrer leur importance pour les fins communes »59.Un modèle de reconnaissance des individus, basé sur des qualifications de compétence et non sur des attributs d'état, s'est imposé dans tous les secteurs de la société, du monde du sport à celui de la politique. On voit l'application de ce principe lorsque la référence à la professionnalité permet d'éluder la distinction entre le secteur privé et le secteur public. C'est un registre qui peut donner lieu à des usages sociaux relativement variés: système de repérage des activités de travail; discours de justification fondant une demande de reconnaissance d'un individu ou d'un groupe social; discours de distanciation reposant sur la distinction entre le professionnel et le profane. Sans doute, T. Parsons anticipe-t-illes potentialités de ce registre lorsqu'il indique que« l'émergence massive du phénomène professionnel dépasse en signification, du point de vue des transformations structurelles de la société du vingtième siècle, celles de la spécificité des modes d'organisation de type capitaliste ou socialiste »60. 57
S. Trosa, op. cit., p. 102.
58S. Trosa, Op. cU., p. 100. 59A. Honneth, La lutte pour la reconnaissance, Paris, Cerf, collection Passages, 2000, p.154. 60T. Parsons, Encyclopedia of the social sciences, 1968, p. 565. 220
Entre les partenaires de la décision publique que sont les élus locaux et les fonctionnaires territoriaux, le registre de la professionnalité intervient dans une construction dialogique permettant à chaque groupe d'affIrmer qu'il a de l'identité. Cependant, ce n'est pas dans la même intention. Pour les fonctionnaires territoriaux, il constitue une façon d'imposer leur présence dans l'univers décisionnel des institutions politiques locales. Ce qui peut paraître relativement fondé puisqu'il s'agit d'un corps de création récente. Mais, en imposant leur modèle de compétence, ils obligent aussi les élus à se positionner par rapport à la densification organisationnelle du système politique et administratif local. Pour ces derniers, le registre de la professionnalité est utilisé pour justifier le fait que les élus se consacrent exclusivement à leurs mandats avec notamment l'obtention d'un statut de l'élu. Dans cette perspective, le cumul des mandats est naturellement accepté puisqu'il semble diffIcile de vivre de la politique avec un seul mandat. Pour les médecins élus locaux, cette évolution a plusieurs conséquences. En premier lieu, la densification des tâches imparties aux élus rend de plus en plus diffIcile la compatibilité matérielle avec l'exercice de leur profession. Ils se trouvent dans la situation d'avoir à choisir entre les deux activités, ce qui n'est pas toujours évident au regard des aléas de la vie politique. À l'inverse de ce que nous pouvions constater dans les années 60170, il est aujourd'hui très rare de rencontrer un médecin cumulant deux mandats locaux tout en exerçant son activité professionnelle à temps plein. En second lieu, l'accent mis sur la spécificité de la compétence d'élu uniformise les conditions de reconnaissance des élus en gommant les propriétés sociales qu'ils peuvent porter à travers leur appartenance professionnelle. De sorte que si l'on compte un peu moins de médecins parmi les élus locaux, c'est peut-être parce que le cadre d'expérience politique demande à chacun d'eux d'être un peu plus élu parmi des élus.
L'exercice des mandats locaux représente pour les médecins une forme d'achèvement de leur présence politique. Il apporte à cette présence une certitude de légitimité, là, où la présence électorale ne consacrait que de la reconnaissance. De ce fait, la participation d'un médecin à l'action 221
d'une collectivité locale donne une plus grande consistance à sa présence politique. Nous avons montré que l'on pouvait envisager l'engagement des médecins dans l'action des institutions politique locales à partir de deux lectures. Dans la première, nous avons poursuivi dans l'intention particulariste qui est un des points de départ de notre recherche pour montrer en quoi cet engagement peut être singulier. On peut observer qu'ils se retrouvent souvent, en particulier lors d'un premier mandat, dans le secteur des affaires sociales ou des questions sanitaires. Mais cela est rendu possible par le fait que les institutions locales sont capables de produire différents cadres permettant d'accueillir cette continuité. Suivant la taille des communes, les médecins se trouvent responsables des affaires sociales ou de la santé à proprement parler. Dans les Conseils généraux, c'est le secteur de la solidarité qui prévaut aujourd'hui. Il s'agit d'une continuité en relation avec la position traditionnelle de cette profession dans le système de protection sociale. Sur le terrain local, elle se justifie par la compétence des médecins dans ce domaine. Cependant, les modalités de cet engagement varient en fonction des époques et des territoires d'exercice de l'action publique locale. Les marges d'action des médecins élus locaux ne sont plus exactement les mêmes parce que les conditions imposées aux élus ont changé. Dans la seconde lecture, nous avons considéré la population des médecins élus locaux dans la diversité de ses positions électives. Sur ce point, il n'y a pas de singularité de la profession médicale. Elle est présente dans les institutions politiques locales à travers toutes les possibilités offertes par ces dernières. Sa permanence découle en partie de la réussite des médecins dans l'exercice des mandats locaux. Celle-ci ne résulte pas uniquement du fait qu'ils sont médecins. Ils s'imposent dans le monde des élus locaux à différentes époques parce qu'ils assimilent les propriétés du cadre d'expérience de leurs positions électives. Cependant, les changements qui traversent la vie des institutions politiques locales depuis un quart de siècle modifient les conditions dans lesquelles les médecins peuvent s'engager dans l'action publique locale. Il leur est plus difficile de concilier l'exercice de leur métier et leurs mandats électifs. Ils se retrouvent, comme tous les élus, dans l'obligation de s'investir à temps plein dans leurs activités d'élu. Sans doute est-ce un autre facteur explicatif de la diminution de médecins élus locaux en Aquitaine. 222
CONCLUSION
Au moment de conclure cette étude sur la présence politique locale des médecins, nous pouvons tirer un certain nombre d'enseignements. En nous intéressant, en premier lieu, à la présence de la profession médicale parmi les élus locaux d'Aquitaine, nous avons déterminé quelles peuvent être ses proportions et leurs variations au cours des quarante premières années de la Cinquième république. L'élément d'information le plus marquant est, sans aucun doute, la diminution de la surreprésentation de cette profession parmi les élus municipaux et les conseillers généraux. Le constat est identique pour les médecins et les élections régionales même s'il est effectué sur une période plus récente. Si l'on compare les données agrégées au niveau régional avec ce que l'on peut savoir au niveau national, la tendance se montre plus tardive en Aquitaine que sur l'ensemble du territoire national. Elle n'est vérifiable qu'après 1989. La mesure de la surreprésentation a été réalisée à partir de deux indicateurs. Le premier permet de comparer le pourcentage de médecins dans différentes populations avec celui des catégories les plus représentées dans ces populations: candidats, élus, conseillers municipaux, maires, conseillers généraux, conseillers régionaux. Le second, appelé multiplicateur de surreprésentation, correspond à la valeur par laquelle il faut multiplier le pourcentage de densité professionnelle pour retrouver le pourcentage d'élus. À l'évidence, la multiplication de la densité professionnelle par un facteur un peu supérieur à 3 altère nettement la valeur de ce multiplicateur à la fm de la période. Toutefois, nous pensons qu'il ne faut pas donner à ce multiplicateur le statut qu'il n'a pas. En em~t, reconnaître que la proportion de médecins dans la population des élus locaux d'Aquitaine est supérieure à ce qu'elle est dans la société ne signifie pas que les médecins sont trop représentés. En raisonnant ainsi, on présuppose que la représentation politique doit reproduire mécaniquement la composition de la société. Ce serait traiter avec un peu de légèreté la complexité des processus de sélection démocratique qui font la spécificité et la force d'une démocratie pluraliste.
De plus, il s'agit davantage d'une variable arithmétique que sociologique. Sa valeur est incitative plus que démonstrative. Elle nous invite à nous interroger sur la reconnaissance visant cette profession et, sur les effets éventuels de cette reconnaissance sur l'éligibilité locale des médecins. Mais, en établissant un lien entre reconnaissance de la profession médicale et éligibilité des médecins, on réintroduit dans les espaces locaux de reconnaissance et de légitimation une variable qui ne leur appartient pas en propre. Car on attribue aux médecins une part de la considération honorifique qui est portée au corps médical en raison du rapport que celui-ci entretient avec la société française. On insère dans le local un élément d'appréciation présent dans l'ensemble de la société. Ceci nous conduit à formuler deux constatations supplémentaires. D'une part, il faut voir que derrière le découpage des territoires électoraux, il existe des espaces de reconnaissance et de légitimation qui, tout en s'activant plus clairement à l'occasion des élections locales, mobilisent des représentations, des croyances, des valeurs dont la portée ne peut être circonscrite aux limites de ces territoires. C'est aussi ce que l'on remarque lorsqu'on entend s'appuyer sur la dichotomie rural/urbain pour appréhender les changements qui interviennent dans la composition des espaces de reconnaissance et de légitimation en œuvre dans les élections locales. Nous avons, en Aquitaine, un grand nombre de territoires qui présentent une structure topographique de type rural tout en relevant de la catégorie urbaine pour ce qui est du mode de peuplement. Or cette recomposition sociale des espaces locaux est porteuse de changements de valeurs et de représentations. Parfois le couple rural/urbain nous paraît insuffisant. Par exemple, dans quelle catégorie peut-on ranger l'influence des médias sur la formation du sentiment de compétence politique? Le point est important puisqu'il est lié au degré de personnalisation ou de dépersonnalisation de l'influence politique. La question touche particulièrement les médecins car, dans une société à dominante rurale, la valeur de l'interconnaissance favorise le passage de l'influence politique par la relation personnelle. D'autre part, cela nous a permis de montrer que l'appartenance à la profession médicale agit différemment sur l'éligibilité locale des médecins. En premier lieu, elle permet à chaque praticien de bénéficier de la position sociale qu'occupe sa profession dans la société française. Nous avons 224
montré que cette position sociale s'est construite sur une durée d'un peu plus d'un siècle et qu'elle ne résulte pas uniquement de l'action des médecins. Peut-être vaut-il mieux se référer à la notion de processus de civilisation chère à Norbert Elias. Ainsi, il y a des moments dans I'histoire où la perspective proposée par certains médecins a été jugée recevable par l'univers politique tout en étant reconnue par la société. On a relevé les exemples des hygiénistes du 1ge siècle et des humanitaires à la fin du 20e. Nous avons signalé que le développement de l'institution médicale est étroitement associée à l'essor démocratique parce qu'en se proposant de protéger la santé, elle s'inscrit dans le registre de reconnaissance de l'individu. Le processus de développement économique et social a permis une extension de cette institution en assurant au plus grand nombre une meilleure protection contre la maladie, au point de faire de la santé une nécessité ordinaire. La position sociale de la profession médicale résulte donc des processus de construction sociale qui se sont instaurés au fil du temps sur le registre de la protection de la vie. De ce fait, l'institution médicale ne fait pas que produire du soin. Elle participe à la production du sens en proposant un registre de légitimation qui se distingue par son caractère immanent, c'est-à-dire qu'il s'impose de lui-même et peut servir de base à la construction d'autres registres de légitimation. Dans ces conditions, il nous semble que le prestige attribué à la profession médicale concentre sur ce groupe professionnel une considération honorifique qui contribue à passer sous silence des évolutions sociales et politiques sur lesquelles les médecins n'ont pas d'auctorialité. Mais le sens originaire du mot prestige ne se rattache-t-il pas à l'illusion? En second lieu, l'exercice du métier de médecin permet à celui qui l'exerce d'affirmer sa présence sociale dans la vie locale en ouvrant un espace de reconnaissance centré sur sa personne. Ainsi est-il possible d'éclairer les éléments qui font la spécificité de la médecine généraliste. Ceux qui l'exercent ont la possibilité de se construire une éligibilité directe dans la mesure où leurs patients sont aussi leurs électeurs. La forte surreprésentation constatée en début de période résulte, selon nous, du plus grand nombre de configurations locales dans lesquelles la présence sociale du généraliste s'accordait avec les valeurs de la société locale au point de les incarner. La diminution qui caractérise les quinze dernières années découle, pour une part, de la réduction du nombre de configurations locales de ce type. 225
Nous avons eu confIrmation de cette analyse en élargissant notre perspective de recherche aux éléments composant la présence électorale des médecins. TIy a une première période où une convergence de facteurs sociaux et politiques favorise l'individualisation des présences électorales. Les médecins, en particulier les médecins généralistes, en sont les premiers bénéfIciaires. Mais la bipolarisation de la vie politique, les changements de mode de scrutin, la succession des alternances à l'échelon national encouragent une pénétration de plus en plus affirmée du critère partisan dans la présence électorale. De ce fait, les contextes où l'individualisation jouait pleinement deviennent moins nombreux, et les critères de reconnaissance de l'individualité ont changé. On mobilise davantage des attributs de compétence explicitement défInis, là où, on privilégiait des attributs d'état permettant de résumer la présence sociale d'un individu à son statut professionnel. C'est de cette évolution que la présence électorale des médecins pâtit le plus. Car, ils sont relativement bien présents dans l'univers partisan même s'ils n'en supportent pas toujours les contraintes. On peut illustrer notre affirmation en évoquant le retour de la profession médicale à l'Assemblée nationale sous la Cinquième république, en particulier grâce à l'ascension du mouvement gaulliste. Quoique moins importante, on perçoit une tendance analogue dans la mouvance de centre gauche au cours des années 80. Même s'il est difficile d'envisager une stratégie collective de la profession médicale pour être présente dans l'univers partisan, il faut lui reconnaître un sens aigu de l'opportunité politique. Pour autant, il ne nous semble pas que l'appartenance professionnelle soit un facteur déterminant dans l'affiliation partisane des médecins. Certes, on remarque qu'ils sont majoritairement situés sur la droite de l'échiquier partisan comme la grande majorité des professions libérales. Mais l'univers de sens qui permet d'organiser les différentes conceptions des membres de la profession médicale est assez syncrétique pour nourrir des registres de légitimation concurrents. L'axe central autour duquel s'articulent ces différents registres est une valorisation de l'individualité. D'un côté, cela peut aboutir à défendre la responsabilité individuelle, avec notamment une référence à l'éthique médicale, pour privilégier une conception de la société à tonalité libérale. Mais la même référence à l'individu peut générer un registre privilégiant une tonalité humaniste, un peu plus attentive à la prise en charge des difficultés sociales. De ce point de vue, 226
on ne peut pas vraiment dire que l'appartenance à la profession médicale structure l'engagement partisan des médecins. Il ne faut pas oublier que d'autres facteurs entrent en ligne de compte. Derrière chaque médecin, il y a une histoire familiale, une genèse sociale, un itinéraire de vie personnel. Le choix de la profession de médecin, celui du mode d'exercice, réfléchissent des conceptions qui préexistent à l'engagement partisan. De fait, la personnalité du médecin est un autre élément important de sa présence électorale. Ses qualités personnelles lui permettent de comprendre la complexité des contextes électoraux, de s'y adapter et de trouver la formule politique adéquate. La présence électorale des médecins est constituée d'un ensemble d'éléments parmi lesquels, certains vont avoir plus ou moins d'influence selon les contextes politiques et sociaux. Les médecins n'échappent pas aux facteurs de socialisation politique applicables aux autres acteurs politiques. Néanmoins la présence politique des médecins serait incomplète si elle n'intégrait pas l'exercice des mandats publics. Nous avons montré que la profession médicale illustre sa permanence par l'occupation d'une grande diversité de positions électives dans l'agir public local. On s'est intéressé en particulier aux positions municipales et cantonales tout en sachant qu'elles peuvent être intégrées dans des trajectoires de cumul. Elles sont aussi génératrices de positions au sein des institutions politiques locales, mettant en jeu des processus de reconnaissance internes et se trouvant dotées de perspectives sur l'action publique locale sensiblement différentes dans leur contenu. De plus, le cadre d'expérience de ces positions a profondément évolué au cours des vingt dernières années. La réforme de la décentralisation, le développement de l'intercommunalité, les nouvelles relations entre l'Etat et les collectivités locales ont modifié les conditions d'exercice des mandats locaux et, de fait, la compétence attendue des élus. C'est cela que nous avons pu mesurer en étudiant l'engagement des médecins dans l'action des institutions politiques locales. Ainsi, dans une première lecture, nous avons montré que les médecins peuvent s'engager dans l'action publique locale dans le sens d'une continuité avec leur activité professionnelle. Cela est rendu possible par la convergence de plusieurs phénomènes.
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Les communes comme les départements offrent des dispositifs institutionnels ou des contextes d'action dans lesquels les médecins peuvent faire prévaloir leur légitimité à gérer les questions sanitaires et sociales. TIs'agit là d'un effet de la position sociale du corps médical que nous avons présentée dans le chapitre 2. Même si des médecins sont parfois à l'origine de certains de ces dispositifs, il est difficile de soutenir que la profession médicale, en tant que telle, a eu une influence déterminante sur ce point. La décision de placer la santé au cœur de l'action municipale, par exemple, est le plus souvent d'ordre politique et parfois en opposition avec les intérêts de la profession médicale. Plus significative nous paraît la capacité des médecins à se positionner favorablement dans le traitement des questions sociales. Les langages de médecine permettent de créer une articulation entre les deux secteurs, et les médecins se trouvent dans le jeu de fonctionnement de cette articulation. TIs ont alors la possibilité d'intervenir sur des questions concernant la santé à proprement parler, et parfois sur des enjeux de nature sociale ou médico-sociale. Mais ce qui apparaît le plus remarquable dans les contextes les plus récents, c'est de mesurer combien les langages de l'institution médicale peuvent devenir des vecteurs de construction sociale et politique. Le langage de la médicalisation n'est pas uniquement porté par les médecins, il peut être utilisé par les intervenants sociaux, les associations. Le langage de la pathologie peut servir à souligner des situations sociales devenant par-là même problématiques pour les rendre acceptables dans l'univers politique. Certes, cela n'est pas nouveau comme l'ont bien montré des recherches récentes sur le courant hygiéniste. Mais, nous pouvons rencontrer dans l'agir public local des dispositifs institutionnels ou des contextes d'action où s'expriment autant l'engagement des médecins que les virtualités de l'institution médicale. Pourtant, la mise en évidence de cette modalité d'engagement des médecins ne doit pas faire illusion. S'il est bien vrai que ce domaine est souvent dominé par des médecins au niveau municipal comme départemental, beaucoup de médecins participent à d'autres secteurs. De même, ils peuvent se retrouver dans des positions institutionnelles qui relèvent de processus politiques propres à la vie des institutions locales. Cela pour nous rappeler qu'en accédant à des mandats locaux, les médecins deviennent des élus à part entière. TIsdoivent alors adopter les règles propres au cadre d'expérience auquel ils accèdent et réussir dans les 228
différents contextes d'action où ils se trouvent impliqués. Leur succès dans cet univers dépend de leur capacité à se positionner dans les circuits de pouvoir avant la décentralisation comme après. On remarque, par exemple, qu'après la décentralisation la détention des positions de pouvoir au sein des départements est principalement liée à l'appartenance à la majorité départementale. C'est précisément parce qu'ils se trouvent obligés d'investir les différents rôles associés aux positions d'élus qu'ils deviennent plus sensibles aux évolutions du cadre d'expérience politique local. Ainsi la complexification croissante des missions imparties aux élus rend de plus en plus problématique la compatibilité entre la profession de médecin et l'exercice d'un mandat de maire, voire d'un cumul de deux mandats locaux. Cela oblige souvent les médecins à cesser partiellement leur activité pour s'inscrire dans une logique de professionnalisation politique à moins que leur âge ne leur permette de s'y consacrer à plein temps. Alors que dans la première partie de la Cinquième république, il y avait une compatibilité entre les deux domaines, aujourd'hui, les médecins doivent souvent opter pour l'un ou pour l'autre. Sans doute, la diminution de la proportion de médecins élus locaux trouve-t-elle là une explication supplémentaire. À la suite des différents éléments de conclusion qui viennent d'être présentés, il convient d'apporter quelques précisions sur l'option particulariste qui a structuré notre objet de recherche et sur la notion de présence politique qui lui a permis de se développer. Nous avons choisi d'étudier la présence politique d'une catégorie particulière d'élus locaux, ceux appartenant à la profession médicale, en essayant de voir si notre choix permettait de trouver dans la réalité sociopolitique observée des éléments permettant de singulariser cette présence politique. Certes, il existe des facteurs communs à l'ensemble des médecins qui interviennent soit dans leur éligibilité, soit dans leur implication au sein des institutions politiques locales. Toutefois, nous ne pensons pas que la présence politique de chacun des médecins puisse se réduire à cette appartenance. C'est précisément la notion de présence politique qui nous permet de comprendre cela. La présence politique se compose de différents constituants à la fois individuels et supraindividuels comme nous avons pu le vérifier avec les médecins. Si l'option particulariste a le mérite de souligner certains éléments de 229
singularité d'une population d'élus, elle ne pennet pas de rendre compte de la présence politique de ces élus. La présence politique des médecins n'est pas qu'une présence politique de médecin. Une étude particulariste a une fécondité introductive sans détenir pour autant une portée conclusive.
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Presse. Nous avons utilisé la presse locale pour compléter notre étude des résultats électoraux et des argumentaires de campagne. À titre principal, le journal Sud Ouest dans ses différentes éditions locales. Parfois une presse plus localisée comme La Dordogne libre, L'Eclair des Pyrénées, le Résistant, le Petit Bleu. Le magazine littéraire n0207, mai 1984. Presse spécialisée dans les collectivités locales. 257
Communes: n0347 avril 1996. Courrier du maire: 23/09/1994 ; 22/09/1995 ; 20/12/1996 ; 31/05/1996. Le courrier des maires: septembre - octobre 1995 ; n056 avril 1996. L'élu local: n0180 de mars 1989. Maires de France: n° hors série de juin 1995 ; septembre 1995 ; octobre 1995 ; décembre 1996 ; octobre 1998 ; juillet - août 1999 ; juin 2000. Départements et communes: juillet-août 1991, octobre 1994, Sur les médecins: Statistiques professionnelles: D. Sicart, DREES, Séries statistiques n° 22, juillet 2001, Les médecins, estimations de 1984 à 2000. Ordre nationale des médecins, La démographie médicale (1980-1990). Pour la période antérieure à 1980 : Documents sur les personnels sanitaires et sociaux du Ministère des Affaires sociales. Impact Médecin Hebdo n0161 (25/09/1992) ; n0211 (5/11/1993) ; n0258 (25/11/1994) ; n0276 (14/04/1995) ; Impact Médecin quotidien: n0283 (30/09/1992) ; n0372 (23/05/1993) ; n0373 (24/03/1993); n0376 (30/03/1993); n0377 (31/03/1993); n0379 (5/04/1993) ; n0386 (19/04/1993) ; n0549 (6/04/1994) ; n0753 (13 :06/1995) ; Le quotidien du médecin n04452 du 25/01/1990; n04581 du 6 /09/1990 ; Sur les médecins au Parlement, voir les numéros des 5 et 12 octobre 1995 du Nouvel Observateur. Sur la question de la sécurité en milieu hospitalier qui est à l'origine du livre blanc publié par l'Association des Petites villes de France, il est possible de consulter plusieurs numéros de Science et avenir: octobre 1997 ; septembre et octobre 1998 ; mai et octobre 2000
Collection, Les quatre pages INSEE Aquitaine n090, novembre 2000, Dynamiques démographiques, Cantons d'Aquitaine, 1962-1999 n099, novembre 2001, Les catégories socioprofessionnelles en Aquitaine. 258
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259
TABLE DES MATIÈRES
SOMMAIRE
9
INTRODUCTION
Il
CHAPITRE 1 La profession médicale dans les
élection s locales
~ 1 Territoires
......
électoraux et profession médicale
21 23
1.1 Les territoires d'élections entre tlxité topologique et espaces de reconn aissan ce 23 - Les aléas d'une quantification des territoires , 24 1.2 Des changements démographiques socia ux - Une Aquitaine à dominante rurale - L'Aquitaine recomposée
à la mixité des mondes
1.3 La profession médicale en Aquitaine - Une profession bien implantée -Une distribution spatiale déséquilibrée
...26 27 30 32 33 34
~ 2 Une surreprésentation permanente mais év0lu tive
36
2.1 Mesure de la surreprésentation au niveau régional 37 - Surreprésentationdiscrète mais diminution récente chez les élus municipaux
38
- Surreprésentation plus marquée mais déclinante chez les maires - Comparaison entre les données nationales et régionales - Surreprésentation et déclin plus nets chez les conseillers
.4 .4
généraux 45 - Une surreprésentation toujours plus marquée en Aquitaine qu'en France malgré une régression comparable .4 - Une réussite électorale variable 51 2.2 Comparaison entre les différents départements - Les médecins, conseillers municipaux et maires des cinq départements... ... - Une surreprésentation différenciée chez les conseillers généraux - Valeurs du multiplicateur et des densités professionnelles départementales - L'influence rurale encore présente dans 3 départements sur 5
54 ..55 57 .60 62
2.3 Les élections régionales
64
~ 3 Une population
65
hétérogène
3.1 Diminution de la surreprésentation cro issan te
et urbanisation 66
3.2 Des médecins davantage exposés aux variables partisanes
67
3.3 Recomposition professionnelle et mandats locaux
68
CHAPITRE 2 Appartenance
professionnelle
et
éligibilité des médecins
71
~ 1 Eligibilité
et surreprésentation
73
1.1 Incarner une institution exceptionnelle - Le monopole de représentation de l'institution médicale
73 75
262
- Un contexte historique réceptif à la perspective
hygiéniste
78 80 82 82 83 85 86
-Consolidation de la profession médicale et de sa position - Légitimité de l'institution et institution légitimante - La légitimité de l'institution médicale - Un registre de légitimation: la protection de la vie - Les langages de médecine et le sens commun
- Langages de médecine
de la société et du politique
1.2 Des rôles au service d'une présence sociale - Entre éligibilité directe et indirecte: les médecins généralistes - Une immersion prolongée et régulière dans la société locale - L'éligibilité indirecte des médecins spécialistes et des professeurs .médecine - Présence sociale des médecins et société locale
93 93 95 de 97 98
~ 2 Déclin
101
électoral et reconnaissance
2.1 Une surreprésentation altérée - Maires et conseillers municipaux - Conseillers généraux... - Conseillers régionaux.. 2.2 L'éligibilité érodée de la profession médicale - Une faculté d'incarnation diminuée - Une perspective médicale sous contraintes - La considération paradoxale portée à l'institution médicale - Une déperdition de reconnaissance pour la médecine généraliste - Un sentiment de dévalorisation - La reconstruction plutôt réussie d'une position - Conditions d'exercice professionnel et milieu social
~3 Les
raisons d'une permanence
3.1 La richesse des positionnements parallèles au rôle th éra pe utiq ue - L'investissement dans le secteur sanitaire et social
101 102 103 104 104 105 106 108 ..110 1l0 111 113 115 116 117
263
- L'effet structurant du rôle professionnel sur la compétence individuelle des médecins . .. . .. . .. . .. . . .. . .. .. . .. ..119
3.2 Une permanence fragilisée par une compatibilité pratique de plus en plus incertaine ...122
CHAPITRE 3 La présence électorale des
IDéd ecins
~ 1 Les
127
médecins et l'individualisation
électorale
129
1.1 De la présence sociale dans la conjoncture électorale - Activité professionnelle et présence électorale - Etre présent par un registre de légitimation
129 130 132
1.2 Un contexte politique et social favorable à l' in divid ualisati 0n - Société locale et reconnaissance des individus - L'incidence des modes de scrutin - Une vie politique locale propice à l'individualisation - Une politisation ambiguë - L'apolitisme local au service des individus
136 137 138 139 140 141
1.3 Une société locale en mutation - Changements dans la vie politique locale - Urbanisation, modernité et changement de valeurs
143 143 145
~2 Profession
148
médicale et espace partisan
2.1 Les médecins dans les partis politiques 150 - Une profession majoritairement à droite 152 - S'inscrire dans les traditions politiques locales: les médecins UDF, CNIP et divers droite .152 - Les médecins du gaullisme local.. 156
264
- Les médecins
du courant PS/MRG (PRG)
160
2.2 Les médecins et l'univers partisan - Médecins et partis politiques: l'utilité réciproque - Un support doctrinal commun
163 163 168
~3 L'individu
171
et le contexte
3.1 Assimiler les éléments structurant la vie politique locale - Différentes façons d'activer l'histoire locale - Occuper l'espace de leadership local
171 171 173
3.2 Maîtriser les éléments conjoncturels - L'hôpital, enjeu électoral - Incarner un régime d'alliances
174 174 175
CHAPITRE 4 Les médecins et l'action publique locale
~ 1 Un engagement
179 dans la continuité
1.1 Le cadre communal - Les petites communes - Les villes - L'interventionnisme municipal en matière sanitaire - Des bureaux municipaux d'hygiène aux services communaux d'hygiène et de santé - Les centres municipaux de santé - Des villes animatrices d'une réactivation de la perspective sanitaire - L'homogénéité prescriptive et pragmatique de la perspective santé.. ... - Une reformulation des conditions d'engagement des élus - Une perspective qui modifie la position des médecins - Une approche sanitaire principalement destinée aux exclus
181 182 .182 184 185 .186 188 .190 .191 192 194 195 265
1.2 Le cadre départemental et la perspective sanitaire et sociale avant la décentralisation - Après la décentralisation - Les affaires sanitaires et sociales: l'enjeu budgétaire le plus important - Un secteur de l'action publique dense et complexe - La compétence spécifique des médecins
196
- Les médecins
~2 Assumer
une compétence d'élu
2.1 Les médecins et l'apprentissage
.197 198 .198 201 202 204
des positions électives
205
2.2 Une configuration plus favorable à la complémentarité compatibilité des compéten ces
et à la 209
2.3 Un contexte nouveau fragilisant la compatibilité des compéten ces .212 - Une empreinte partisane plus sensible dans la vie des collectivités locales ..213 - Une densification de l'agir public local 214 - Des registres de qualification de la compétence d'élu 216 - Une dynamique de bureaucratisation 217 - Croissance organisationnelle et redéfinition de la compétence d'élu .218
CONCLUSION
223
BIBLI OG RAPHIE
231
266
Reconnaissance La réalisation de cet ouvrage fUt une belle aventure. Le moment est venu de témoigner ma reconnaissance à celles et ceux qui ont bien voulu m'accompagner. M Claude Sorbets, qui, après avoir dirigé ma thèse, a relu les différentes épreuves en m'apportant critiques, suggestions et encouragements. MM Pierre Sadran, Jean-Daniel Chaussier, Eric Kerrouche et Pierre Valarié, les membres de mon jury de thèse. Leurs questions, leurs analyses ont inspiré la réflexion constitutive du présent ouvrage. Tous les médecins qui ont bien voulu m'accorder leur temps. Les personnes qui m'ont facilité la tâche pour la collecte des données notamment à l'Assemblée Nationale, dans les préfectures, et aux archives départementales. Geneviève et Sylvie pour leurs relectures patientes et leur aide dans la mise enforme finale. Claire, enfin, pour avoir apporté l'estocade graphique à lafinalisation de ce travail.
L.HARMATTAN.ITALIA Via Degli Artisti 15; 10124 Torino L'HARMATTAN HONGRIE Konyvesbolt; Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest L 'HARMATTAN BURKINA FASO Rue 15.167 Route du PÔ Patte d'oie 12 BP 226 Ouagadougou 12 (00226) 76 59 79 86 ESPACE L'HARMATTAN KINSHASA Faculté des Sciences Sociales, Politiques et Administratives BP243, KIN XI ; Université de Kinshasa L'HARMATTAN GUINÉE Almamya Rue KA 028 En face du restaurant le cèdre OKB agency BP 3470 Conakry (00224) 60 20 85 08
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