Timée le Sophiste: Lexique platonicien
Philosophia Antiqua A Series of Studies on Ancient Philosophy
Previous Editor...
239 downloads
840 Views
3MB Size
Report
This content was uploaded by our users and we assume good faith they have the permission to share this book. If you own the copyright to this book and it is wrongfully on our website, we offer a simple DMCA procedure to remove your content from our site. Start by pressing the button below!
Report copyright / DMCA form
Timée le Sophiste: Lexique platonicien
Philosophia Antiqua A Series of Studies on Ancient Philosophy
Previous Editors
J.H. Waszink† W.J. Verdenius† J.C.M. Van Winden Edited by
K.A. Algra F.A.J. De Haas J. Mansfeld C.J. Rowe D.T. Runia Ch. Wildberg
VOLUME 108
Timée le Sophiste Lexique platonicien Texte, traduction et commentaire par
Maddalena Bonelli Avec une introduction de
Jonathan Barnes
LEIDEN • BOSTON 2007
This book is printed on acid-free paper.
ISSN: 0079-1678 ISBN: 978-90-04-15887-0 Copyright 2007 by Koninklijke Brill NV, Leiden, The Netherlands. Koninklijke Brill NV incorporates the imprints Brill, Hotei Publishing, IDC Publishers, Martinus Nijhoff Publishers and VSP. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, translated, stored in a retrieval system, or transmitted in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording or otherwise, without prior written permission from the publisher. Authorization to photocopy items for internal or personal use is granted by Koninklijke Brill NV provided that the appropriate fees are paid directly to The Copyright Clearance Center, 222 Rosewood Drive, Suite 910, Danvers, MA 01923, USA. Fees are subject to change. printed in the netherlands
A mon père (1922–2005)
TABLE DES MATIÈRES
Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Abréviations. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
ix xi
Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1
David Ruhnke … 1 ; La fortuna d’un lexique … 3 ; Les manuscrits du Lexique … 9 ; Un cadeau de fête … 12 ; La lettre de dédicace … 16 ; ‘Timée le Sophiste’ … 19 ; La date du Lexique … 22 ; Les collègues de Timée … 31 ; ‘Lexiques’, ‘lexicographes’, etc … 42 ; La lexicographie dans l’Antiquité … 48 ; Une lexicographie scientifique ? … 50 ; Pourquoi lire Platon ? … 59 ; Les variétés de lexique … 64 ; Comment organiser les entrées ? … 70 ; Comment compiler un lexique ? … 77 ; Un mauvais dictionnaire ? … 86 ; ‘Des extraits tirés des Expressions de Platon de Timée le Sophiste’ … 88 ; Des entrées non-platoniciennes … 95 ; Des entrées modifiées … 99 ; Les entrées perdues … 101 ; La forme des entrées … 104 ; Une entrée du Lexique de Timée … 116 ; L’apport de la lexicographie antique aux études platoniciennes … 122
Sigla . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 Texte et traduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127 Illustrations: Cod. Coisl. gr.345, X siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176 Note sur les Apparats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177 Commentaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181 Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 633 (A) Éditions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 633 (B) Lexiques platoniciens modernes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 636 (C) Études . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 637 Index établis par J. Barnes et M. Bonelli . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 643 Index des lemmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 645 Index des textes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 651 Index locorum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 657 Index verborum potiorum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 663 Index général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 665
PRÉFACE
Ce livre est le résultat d’un projet financé par le Fonds National Suisse, et commencé en 2001 à Genève sous la direction de Jonathan Barnes (projet nº 1214-058982.99). L’occasion d’aborder ce sujet m’a été donnée par Barbara Cassin, grâce à une invitation à présenter le Lexique de Timée au colloque Les vocabulaires philosophiques (Paris, juin 1995). Que le Fonds National Suisse et Barbara Cassin soient donc les premiers à être chaleureusement remerciés. Je tiens également à remercier mon ami et maître Jonathan Barnes, qui non seulement a dirigé le projet, mais a aussi écrit l’introduction. Et je remercie Sylvie Germain, bibliothécaire du département de philosophie de l’Université de Genève, qui m’a aidée dans mes recherches bibliographiques avec une sympathie et une efficacité toujours remarquables. Le groupe des amis et collègues genevois a, comme d’habitude, contribué de façon vive et intelligente à la compréhension, toute autre que facile, de certaines entrées du lexique de Timée. Je veux les remercier individuellement : Chris Boyd, Otto Bruun, Lorenzo Corti, Stefan Imhoof, Giulia Lombardi, Angela Longo, Andreas Schmidhauser. Merci aussi à Michael Frede et André Laks, pour leurs remarques pénétrantes à propos de la toute première version de ce travail ; et à mon amie Juliette Lemaire, qui a révisé le français. Un remerciement spécial va à Francesca De Vecchi pour son soutien qui ne fut pas seulement scientifique. Paris mars 2006
ABRÉVIATIONS
Dans l’Introduction ainsi que dans les apparats critiques et dans le commentaire les noms des auteurs anciens et les titres de leurs ouvrages sont abrégés selon des modèles standards—et dans la plus grande parties des cas selon LSJ. Il y a deux exceptions à cette règle : les titres des ouvrages platoniciens et les titres des lexiques anciens. LSJ OCT RE
Liddell-Scott-Jones, Greek-English Lexicon Oxford Classical Texts Pauly-Wissowa, Realencyclopädie Ouvrages platoniciens1
Alc. I Alc. II Amat. Apol. Ax. Charm. Clit. Crat. Critias Crito Def. Ep. Epin. Eryx. Euthyd. Euthyph. Gorg. Hipparch. Hipp. I
1
Alcibiade majeur Alcibiade mineur Amatores Apologie Axiochus Charmide Clitophon Cratyle Définitions Epîtres Epinomis Eryxias Euthydème Euthyphron Gorgias Hipparque Hippias majeur
Les textes de Platon et de [Platon] sont cités selon les éditions de l’OCT.
xii
abréviations
Hipp. II Ion Lach. Legg. Lysis Men. Menex. Min. Parm. Phaed. Phaedr. Phileb. Polit. Prot. Rep. Sis. Soph. Symp. Theaet. Theag. Tim. Virt.
Hippias mineur Laches Lois Ménon Ménexène Minos Parménide Phédon Phèdre Philèbe Politique Protagoras République Sisyphe Sophiste Banquet Théétète Théagès Timée De la vertu Lexiques anciens2
Ael.Dion. Ammon. Antiatt. Apollon. Ar.Byz. Att.Nom. Coll. Verb.1 Coll.Verb.2 [Did.] Dik.On. EM Erot.
2
Aelius Dionysius, Fragmenta Ammonius, de Adfinium vocabulorum ‘Antiatticiste’ Apollonius, Lexicon Homericum Aristophane de Byzance, Nomina aetatum anon., De Atticis nominibus anon., Collectio verborum, éd. Bachmann anon., Collectio verborum, éd. Boysen [Didyme], Περ τν πορουμ νων anon., Δικν νματα, Etymologicum Magnum Erotien, Vocum Hippocraticarum collectio
Pour les détails bibliographiques v. Bibliographie, section (A)(ii).
abréviations Et.Gen. Et.Gud. Et.Parv. Et.Sym. [Eud.] Gal. Gloss.Rhet. Harp. [Hdn.] [Her.] Hsch. Lex.Can. Lex. haimod. Lex. Hermann Lex. in Greg. Naz. Lex. in Hdt. Lex.Pat. Lex.Rhet. Lex.Rhet.Cantab. Lex.Sabb. Lex.Vind. Moer. Paus. Phlp. Phot. Phryn. Poll. Ptol. Syntact. Thom.Mag. Zenob. Zenod. [Zon.]
Etymologicum Genuinum Etymologicum Gudianum Etymologicum Parvum Etymologicum Symeonis [Eudemus], Περ λ ξεων ητορικν Galien, Glossarium Hippocratis anon., Glossae Rhetoricae Harpocration, Lexicon in decem oratores [Aelius Herodianus], Schematismi homerici [Herennius], De verborum significationibus Hésychius, Lexicon anon., Λεξικν τν καννων anon., Lexicon αμωδεν anon., Lexicon, éd. Hermann anon., Λ ξεις κ το εολγου anon., Ηροδτου λ ξεις anon., Lexicon Patmense anon., Ρητορικα λ ξεις anon., Lexicon Rhetoricum Cantabrigiense anon., Lexicon Sabbaiticum anon., Lexicon Vindobonense Moeris, Lexicon Atticum Pausanias, Fragmenta Jean Philopon, De vocabulis Photius, Lexicon Phrynichus, Praeparatio Sophistica Julius Pollux, Onomasticon Ptolemaeus, Περ διαφορας λ ξεων anon., De syntacticis Thomas Magister, Ecloga Zenobius, Epitome Zenodorus, Περ συνηε&ας [Zonaras], Lexicon
xiii
INTRODUCTION1
David Ruhnke2 Timaei Sophistae Lexicon vocum Platonicarum ex codice Sangermanensi primum edidit atque animadversionibus illustravit David Ruhnkenius : l’editio princeps du lexique platonicien de Timée le Sophiste parut à Leyde en 1754 apud Samuelem Luchtmans et filios3 ; le texte a été établi par David Ruhnke, qui a agrémenté son édition d’un commentaire savant. Ruhnke est né à Bedlin, en Poméranie, le 2 janvier 1723. Il fut étudiant au Collegium Fredericianum de Königsberg, où il a rencontré le jeune Immanuel Kant. Après avoir passé quatre ans dans les universités allemandes—à Königsberg et puis à Wittenberg—, il s’est installé en 1744 à Leyde en Hollande, sacratissima Musarum sedes et totius Belgii ocellum4. Il est resté à Leyde jusqu’à la fin de sa vie en 1798. Au début de ses années hollandaises, Ruhnke travaillait surtout sur des textes de droit ancien. Mais dans une lettre datée de 1749, il avoue qu’il est en train ‘de lire et de corriger le divin Platon’ ; et les deux Epistolae criticae de 1749 et 1752—la première consacrée aux hymnes homériques et à Hésiode, la seconde à Callimaque et à Apollonius de Rhodes—témoignent d’une vaste connaissance de la littérature grecque. Les Epistolae démontrent aussi que Ruhnke était déjà rompu aux lexiques et aux encyclopédies de l’Antiquité. Cela ne doit pas étonner : en Hollande à l’époque—et pas seulement en Hollande—, il existait un grand intérêt pour ces textes apparem1 Cette introduction s’appuie sur deux articles de Maddalena Bonelli : ‘La lessicografia filosofica’, ‘La lexicographie philosophique’.—Les références à la littérature secondaire sont données, ici ainsi que dans le commentaire, sous une forme abrégée (nom de l’auteur suivi par titre abrégé). Les références complètes se trouveront dans la Bibliographie. 2 La plus grande partie des renseignements, dans cette section, provient des Studia Ruhnkeniana de Hulsoff Pol.—Pour l’orthographe du nom de Ruhnkenius v. Hulsoff Pol, Studia, pp. 10–11. 3 Dans une lettre du 17 mars 1754, Ruhnke promet d’envoyer un exemplaire du Lexique à Capperonnier : sa façon de s’exprimer laisse entendre que l’édition vient d’être publiée. (La lettre est inédite : je dois les renseignements à M. Andreas Schmidhauser.) 4 La description est de Pierson, Moeris, p. VIII.
2
introduction
ment aussi arides que tardifs. Au début du siècle sont parus la Souda de Kuster à Rotterdam ainsi que le Pollux de Hemsterhuis à Amsterdam. Cette passion s’est accrue pour la génération précédant Ruhnke : et Ruhnke en a hérité—pour le léguer à sa postérité. Ainsi, en 1788, Hermann Toll fait publier à Leyde son édition du Lexique homérique d’Apollonius le Sophiste, pour laquelle il avait pu employer, ‘comme guide et autorité, David Ruhnke, vir clarissimus’5. Parmi les savants de Leyde qui s’occupaient des lexiques se trouvait Joannes Alberti, théologien et professeur du Nouveau Testament. Alberti avait 25 ans de plus que Ruhnke ; mais entre les deux collègues, une étroite amitié s’est développée qui s’est maintenue jusqu’à la mort d’Alberti en 1762—et même au-delà. En effet, Ruhnke, qui avait aidé Alberti pour le premier volume de son édition d’Hésychius, paru en 1746, s’est rendu responsable de la préparation du deuxième volume, qui n’a été publié qu’en 17666. A vrai dire, la santé d’Alberti n’avait été jamais très solide7. Durant l’été 1750, Ruhnke l’a accompagné aux thermes de Spa. Là, Ruhnke a fait la connaissance d’un savant ecclésiastique anglais, Henry Gally8. Une amitié s’est nouée, et tandis qu’Alberti se rétablissait en buvant les eaux, Ruhnke et Gally se promenaient en parlant de la littérature sacrée et profane. Trop tôt, Gally doit partir pour Paris. Ruhnke lui demande son aide : à Paris se trouve l’Abbaye de St Germaindes-Prés avec sa riche bibliothèque—il y a là quelques items dans un manuscrit grec dont Ruhnke veut bien avoir une copie—si Gally pouvait s’en occuper ? On se serre la main et se dit au revoir. A Paris, Gally parle à Claude Sallier, l’illustre Académicien et bibliothécaire du 5 Toll, Apollonii Sophistae, p. I—c’est la première phrase de la dédicace ; v. aussi pp. V–VIII de la préface. 6 v. Latte, Hesychii Lexicon, p. XXXIV—qui, tout en louant l’édition, fait remarquer qu’elle ne s’est pas fondée sur la lecture du manuscrit. 7 Pour le paragraphe qui suit, v. Hulshoff Pol, Studia, pp. 144–152, ainsi que la dédicace de Ruhnke, Timaei Sophistae.—Les dédicaces ainsi que les préfaces des deux éditions du Lexique ont été réimprimées dans Ruhnke, Opuscula I, pp. 75–87 ; II, pp. 660– 678. Les différences entre les deux versions sont toutes scrupuleusement signalées par les éditeurs des Opuscula ; mais elles sont mineures et dans presque tous les cas d’ordre stylistique. 8 Henry Gally (1696–1769) était de souche française, son père étant un émigré huguenot. Sous le patronage de Lord King, il est devenu prébendier des cathédrales de Gloucester et de Norwich, curé de l’église de St Giles in the Fields—St Gilles des Prés—à Londres, et chapelain du roi Georges II. Il publia, entre autres choses, deux dissertations sur la prononciation du grec. Savant, cultivé, charmant, bon vivant, il était un membre typique des hauts échelons de l’Eglise d’Angleterre du dix-huitième siècle.
la fortuna d’un lexique
3
roi9. Sallier parle à Jean Capperonnier, qui est professeur de grec, qui travaille dans la bibliothèque du roi, et qui (dit-on) a besoin d’un peu d’argent pour augmenter son pécule10. Capperonnier fait les copies que Ruhnke a demandées. Il les donne à Gally. Gally les apporte en Angleterre, d’où il les envoie à Ruhnke. L’un des deux items copiés par Capperonnier est le Lexique de Timée11 : c’est ainsi que Ruhnke a pu préparer son édition—qu’il dédie à Gally.
La fortuna d’un lexique Avant 1754, Timée et son Lexique n’étaient pas tout à fait inconnus. Vers 850, Photius, patriarche de Constantinople, l’a lu, comme il le dit dans sa Bibliothèque : On a lu Timée, à Gentianus, à propos des expressions chez Platon, en ordre alphabétique—un petit travail bref dans un seul livre. (Bibl. cod. 151, 99b16–1912)
Ruhnke connaissait la Bibliothèque de Photius—il connaissait la première édition du texte grec, préparée par David Hoeschel et publiée à Augsburg en 1601, et il connaissait aussi la traduction latine faite par Andreas Schott et publiée à Augsburg en 1606. Il a ainsi appris que Timée avait écrit un lexique platonicien ; mais il le croyait perdu à tout jamais. La redécouverte du Lexique est due à Bernard de Montfaucon13. Pierre Séguier, chancelier de la France et allié du Cardinal Richelieu, 9 Sallier (1685–1761) était professeur d’hébreu au Collège Royal, secrétaire du Duc d’Orléans, membre de la Royal Society de Londres. Il fut élu au seizième fauteuil de l’Académie en 1729. Il s’est intéressé au lexique de Moeris (Pierson se félicite d’avoir pu utiliser le commentaire inédit de Sallier pour son édition de ce texte) ; et sans doute s’est-il intéressé aussi à Timée. 10 Capperonnier (1716–1775) est devenu bibliothécaire du roi à la mort de Sallier, et il a épousé une femme riche. Il est resté en contact avec Ruhnke durant toute sa vie : il y a une correspondance, érudite et amicale, entre les deux hommes ; et Capperonnier a fait—ou fait faire—d’autres copies de manuscrits parisiens pour Ruhnke. 11 L’autre pièce est le lexique de l’‘Antiatticiste’ : Ruhnke l’a étudié mais il ne l’a jamais édité, et le public a dû attendre l’édition d’Immanuel Bekker, qui est publiée en 1833. 12 Pour le nom ‘Γεντιανς’ (les manuscrits de Photius ont ‘Γαιτιανς’) v. infra, p. 13. 13 Pour les paragraphes suivants, v. Devreesse, Fonds Coislin, pp. I–XVI.—Montfaucon (1655–1741) était soldat sous Turenne, avant de prendre l’habit de St-Benoît.
4
introduction
était fou amoureux des livres—à un ami, il écrit : ‘Je vous recommande de prendre soin de ma bien-aimée, je veux dire ma bibliothèque ; elle est ma passion’. Sa collection de manuscrits grecs, constituée avec plus d’amour que d’honnêteté, comprenait quatre cent volumes. A la mort de Séguier, en 1672, la bibliothèque grecque passa entre les mains de son petit-fils, Henri Charles du Cambout, duc de Coislin et évêque de Metz. Les collections de la bibliothèque ont dû être cataloguées, et c’est l’érudit bénédictin Montfaucon à qui Coislin a confié la tâche. Le catalogue a été publié en 1715. Bibliotheca Coisliniana olim Segueriana est un ouvrage qui combine l’élégance et l’utilité, la science et la culture ; il est un grand monument de l’art du bibliothécaire ; et il a fait sensation. Ému, Coislin signalait son plaisir en déposant ses manuscrits dans la bibliothèque de l’Abbaye bénédictine de St Germain-des-Prés. A la mort de Coislin en 1734, c’est l’Abbaye qui a hérité des manuscrits. Leur destin ne fut pas sans incidents : il y a eu des vols, un incendie, et toute une révolution. Finalement, en 1796, la collection—tous les manuscrits qui restaient—a été transportée à la Bibliothèque Nationale, où elle se trouve toujours. La collection de Coislin contient un grand codex du 10ème siècle, rempli d’ouvrages grammatico-lexicographiques—qu’on appelle les lexica segueriana. Il y a là l’Atticiste de Moeris, la Préparation sophistique de Phryniche, le lexique de l’‘Antiatticiste’, … et le Lexique platonicien de Timée le Sophiste. Dans le catalogue de Montfaucon le manuscrit reçoit le nombre 345, nombre qu’il a gardé fidèlement jusqu’à nos jours. Le Coislinianus 345 a été écrit à Constantinople. Plus tard, il fut conservé au Mont Athos, dans le monastère de Lavra, où en 1637 Athanasius, dit le Rhéteur, un prêtre au service de Séguier, l’a trouvé : Athanasius l’a acheté pour Séguier, et le manuscrit est venu à Paris14. La Bibliotheca ne consacre que quatre lignes à la description du Coislinianus 345 ; mais Montfaucon sait que beaucoup de savants s’intéressent au type de littérature que le manuscrit comprend—et, pour cette rai-
Une maîtrise des langues anciennes, qu’il montrait dans ses éditions des œuvres de St Athanase et de St Jean Chrysostome, lui valait une renommée internationale. Sa connaissance des bibliothèques d’Europe et de leurs manuscrits grecs était sans parallèle à son époque—comme elle le sera après. 14 Pour une description du manuscrit, le codex Coislinianus 345, v. Omont, Inventaire III, pp. 186–187 ; Devreesse, Fonds Coislin, pp. 329–330 ; de Leeuw, ‘Der Coislinianus 345’ ; Cunningham, Synagoge, pp. 16–18.—Ruhnke appelle le manuscrit ‘Sangermanensis’ puisque, à son époque, il habitait l’Abbaye de St Germain. Quand il a été transféré à la Bibliothèque Nationale, on lui a redonné son nom de ‘Coislinianus’.
la fortuna d’un lexique
5
son, il décide de publier quelques échantillons. De fait, les échantillons occupent plus de quarante pages en folio. Parmi eux se trouve presque la moitié du lexique de Timée15. C’est bien entendu ce texte du Coislinianus 345 que Capperonnier a copié quarante ans plus tard : si grâce à Gally et à Capperonnier, Ruhnke a obtenu une copie de son texte, c’est grâce à Montfaucon qu’il savait que ce texte existait toujours, et c’est la Bibliotheca qui lui a permis d’avoir une première impression de sa nature et de son contenu16. La publication du Lexique n’a pas échappé au monde savant : les lexiques—on l’a déjà remarqué—étaient à la mode ; un nouveau texte, et surtout un nouveau texte platonicien, ne pouvait pas ne pas être fascinant ; et le commentaire que Ruhnke a ajouté au texte démontrait à la fois une intelligence pénétrante et une érudition qui était hors du commun même à son époque. L’édition attirait les jeunes et étonnait les vieillards. Daniel Wyttenbach l’a lue quant il avait 23 ans : il est allé tout de suite à Leyde, où il est devenu élève, ami, biographe, et successeur de Ruhnke17. L.C. Valckenaer avait dix ans de plus que Ruhnke : à l’édition du Lexique, il a appliqué un bon mot de Scaliger— ‘La sauce vaut mieux que le poisson’ ; et c’était un véritable éloge, car, selon Valckenaer, le poisson, lui, n’était pas mauvais du tout. Ruhnke faisait ses recherches sans l’aide d’un thesaurus informatisé (il connaissait ses textes), il n’appartenait à aucun réseau international (il avait un cercle d’amis18), sa carrière n’était suivie par aucun centre national de recherche scientifique. Ô les beaux jours19. v. Montfaucon, Bibliotheca II, pp. 477–481. v. Ruhnke, Timaei Sophistae, p. XII. [Les références au Timée de Ruhnke citent les pages de l’édition revue par Koch.]—Ruhnke mentionne l’édition partielle de Montfaucon, et il affirme que le texte publié dans la Bibliotheca ‘n’a pas été copié avec précision’ (ibid.) ; mais ce qui démontre qu’il a lu l’édition est qu’il cite quelques notes de Montfaucon sur le début du texte. 17 Il y a un éloge élégant de Wyttenbach de la part de Ruhnke dans la deuxième édition de son Timée, s.v. πενεστικν (347). 18 Il remercie Ernesti, Heusinger, et Valckenaer pour leur aide ; il est particulièrement reconnaissant à Tiberius Hemsterhuis, qu’il cite dans le commentaire une quinzaine de fois et parfois in extenso.—Pour une belle description du groupe hollandais v. la préface du Moeris de Pierson, pp. VIII–X. 19 Bien entendu, l’édition de Ruhnke n’est pas sans fautes, et on se demandera si Ruhnke n’a pas travaillé un brin trop rapidement : une fois ou deux, il imprime une correction du texte reçu sans la mentionner en tant que telle (p.ex. ‘(χων’ au lieu de ‘(χον’ s.v. γχ*μαλος (11)) ; parfois, il accepte dans son commentaire une leçon qu’il n’imprime pas dans son texte (p.ex. ‘ λ α’ au lieu de ‘α+λα&α’ s.v. ,λη (151)) ; et plus d’une fois, il s’attribue une correction du texte qui est celle d’un collègue (v. infra, p. 12). quandoque bonus dormitat Homerus. 15 16
6
introduction
En 1756, et donc deux ans après la première édition de Ruhnke, Johann Friedrich Fischer—qui allait éditer une dizaine des dialogues de Platon—publie à Leipzig ce qu’il appelle une édition de Timée a recensione Davidis Runquenii. Ayant décidé de réimprimer l’Atticiste de Moeris dans l’édition de Hudson, Fischer a appris que Moeris a puisé dans le lexique de Timée20. Puisque l’édition de ce lexique que Ruhnke venait de faire publier n’existait que dans très peu d’exemplaires, il pensait qu’il serait une bonne idée de réimprimer Timée comme un appendice, ou comme un deuxième volet, de son Moeris. Le volume contient une longue préface, adressée à Heusinger, qui pourtant ne dit presque rien de Timée ; le texte ne diffère de celui de Ruhnke que très rarement ; quant aux notes que Fischer a ajoutées au texte, elles sont, de son propre aveu, presque toutes des extraits très abrégés du commentaire de Ruhnke. Bref, c’est un bon travail d’instituteur, un travail que Ruhnke n’a apparemment jamais vu21. Dans les années suivantes, d’autres savants ont contribué à l’établissement et à l’explication du texte de Timée. Parmi les plus importantes des contributions, se trouve celle de Villoison. En effet, Jean-Baptiste Gaspard d’Ansse de Villoison, qui parle de Ruhnke comme vir omni laude maior et qui est devenu son ami, préparait une édition du lexique homérique d’Apollonius le Sophiste, dont la seule copie médiévale se trouve dans le même codex Coislinianus que le Lexique de Timée. En travaillant sur Apollonius, Villoison a pris le temps de relire Timée dans le manuscrit ; et plus tard, dans son édition de Longus de 1778, il a publié quelques remarques à son propos22. 20 Parmi les 919 entrées qui constituent l’Atticiste, il y en a 66 qui se trouvent aussi chez Timée : Fischer a dû compter plutôt 80, puisque l’édition de Moeris faite par Hudson et fondée sur le Parisinus contenait la douzaine d’entrées timéennes que le copiste avait interpolées (v. infra, p. 10). 21 Johann Friedrich Fischer (1726–1799), co-recteur et (enfin) recteur du Collège de St Thomas à Leipzig, auteur d’articles sur la grammaire du grec ancien ainsi que d’éditions de plusieurs textes grecs. L’article sur Fischer dans la Biographie Universelle de Michaud (vol. 14 : Paris, 1856) est sévère : ‘il est fort blâmable d’avoir réimprimé Moeris et Timée sans les excellentes notes de Pierson [sic] et de Ruhnkenius. En effet, le texte seul de ces grammairiens est d’une assez mince importance : ce sont les remarques de leurs savants éditeurs qui en font à peu près tout le mérite, et on ne les recherche guère pour eux-mêmes ; mais Fischer avait un préjugé peu raisonnable contre l’érudition riche, abondante, quelquefois diffuse des Hollandais, et ce préjugé a été celui de beaucoup d’Allemands’. 22 v. Villoison, Longus, pp. 179–180 ; 183–184.—Villoison (1750–1805) publia le Lexique homérique d’Apollonius en 1773. Le plus important de ses ouvrages était sans doute la nouvelle édition de l’Iliade d’Homère (Venise, 1788).
la fortuna d’un lexique
7
Ruhnke lui-même a continué à s’intéresser au texte. En novembre 1754, il est parti pour Paris, où il a passé toute une année. La plus grande partie de son séjour a été consacrée à la lecture des manuscrits des deux grandes bibliothèques parisiennes, celle du roi et celle de St-Germain. Lorsque, en 1789, Ruhnke a publié une deuxième édition du Lexique23, il pouvait donc se servir des observations de Villoison (qu’il cite une dizaine de fois24), il pouvait agrandir et enrichir le commentaire grâce aux travaux de ses collègues ainsi qu’à ses propres recherches et réflexions, il pouvait exploiter ses lectures parisiennes (il cite fréquemment les autres lexiques contenus dans le Coislinianus—et à son époque toujours inédits). Parmi les manuscrits que Ruhnke a lus à Paris se trouvait le Coislinianus 345, le manuscrit qui contient le Lexique de Timée. (Il a fait pour Pierson une copie, peut-être partielle, du texte de Moeris25.) On l’imagine en train de lire le texte de Timée, son édition ouverte à côté de lui. On imagine qu’il a contrôlé la transcription de Capperonnier sur le Coislinianus, qu’il a corrigé les quelques erreurs que Capperonnier aurait faites. Mais l’imagination est trompeuse. Sous l’entrée ‘- μ λεε’, Ruhnke fait remarquer, dans la deuxième édition du Lexique, que ‘Codex Timaei teste Cl. Villoisono ad Longum p. 180. in margine habet - δε&λαιε, inserendum post .Ω μ λεε’26. Le rapport est correct : Villoison affirme, à la page indiquée par Ruhnke, que les mots ‘- δε&λαιε’, absents et de la copie de Capperonnier et de l’édition de Ruhnke, se trouvent dans la marge du Coislinianus et doivent être insérés dans le texte du Lexique. Mais Villoison a tort, par deux fois : en premier lieu, les mots omis par Ruhnke ne se trouvent pas dans la marge du manuscrit : ils se trouvent dans le texte. Ensuite, les mots ne sont pas absents de la copie de Capperonnier (que Villoison n’a sans doute jamais vue) : la copie de Capperonnier est correcte, et c’est Ruhnke—fatigué, presque à la fin de ce gros travail …—qui a laissé tomber la formule ‘- δε&λαιε’. Pour la deuxième édition, Ruhnke a corrigé son erreur. Mais il l’a corrigée sur 23 La deuxième édition est plus grande que la première d’environ un tiers. Il y a des paragraphes de la première édition que Ruhnke a supprimés—et que Koch a soigneusement catalogués, Observationes, pp. 36–57 (v. p. VIII). 24 v. Timaei Sophistae, p. XIII n.*.—Toutes les citations de Villoison, sauf une seule, rapportent les quelques scolies dans les marges du manuscrit que Capperonnier n’avait pas copiées. 25 v. Pierson, Moeris, p. X. 26 Timaei Sophistae, p. 233.
8
introduction
la base du rapport de Villoison. On peut inférer que Ruhnke n’a pas lu le texte de Timée dans le Coislinianus—et qu’il n’a pas même relu la copie de Capperonnier. Vingt ans après, F.J. Bast est allé à Paris, il a relu le Coislinianus : c’est lui qui a identifié la deuxième main ; de plus, il a commenté de manière très érudite les abréviations tout en suggérant leur résolution, et il a trouvé une quinzaine de petites erreurs dans la copie de Capperonnier. Bast publie ses résultats en 1805 dans l’Appendice ajouté à la Lettre critique qu’il a adressée à Boissonade27. Les notes textuelles de Bast sont rapportées dans l’editio nova du Lexique que Georg Aenotheus Koch publie en 1828. A vrai dire, l’expression ‘editio nova’ est un tantinet exagérée. En effet, le lecteur trouvera une réimpression du texte de la deuxième édition de Ruhnke ainsi que de son commentaire. Koch n’a presque rien changé. (Mais il vaut la peine de signaler que c’est Koch qui a modifié toutes les renvois à Platon, remplaçant les références à l’édition de Lyon par des références à l’édition de Stephanus. Qu’il soit remercié.) En outre, Koch a ajouté entre crochets un petit nombre de notes nouvelles, presque toutes dues à la science d’autrui28. Cinq ans plus tard, Koch publie ses propres Observationes sur le Lexique, qui constituent une sorte d’appendice au commentaire de Ruhnke29. L’appendice est court—trente-cinq pages—et la plus grande partie des notes rapporte des suggestions faites par d’autres philologues. Mais Koch propose cinq ou six corrections au texte qu’il vaut la peine de considérer. Six ans après les Observationes de Koch, une nouvelle édition du Lexique est parue. Elle fait partie de l’Opera Omnia de Platon publiés en 1839 à Zurich sous les noms de J.C. Beiter, J.C. Orelli et A.W. Winkelmann. La version zurichoise de Timée offre un texte grec établi d’après une nouvelle collation du manuscrit faite par Franz Dübner. 27 Friedrich Jakob Bast (1772–1811), diplomate et savant. Lorsqu’il était en poste diplomatique à Paris, il a trouvé le temps de copier ou de collationner bon nombre de manuscrits. Sa Lettre critique, qui rapporte ses trouvailles, lui a assuré une renommée internationale. Pour ses notes sur Timée, v. Bast, Appendix, pp. 12–26. 28 Timaei Sophistae Lexicon vocum Platonicarum ex codice MS. Sangermanensi primum edidit atque animadversionibus illustravit David Ruhnkenius. Editio Nova. Curavit Georg Aenotheus Koch P. Doct. Lipsiae 1828. Sumptibus Laufferi. (Réimpression photographique : Hildesheim/New York, 1971.)—Koch (1802–1879) était professeur de lycée. Il est responsable d’une deuxième édition du Moeris de Pierson (Leipzig, 1830). Sa publication la plus célèbre est un dictionnaire latin-allemand. 29 C’est lui qui le dit : v. Koch, Observationes, p. XVIII.
les manuscrits du lexique
9
Il n’y a pas de commentaire ; mais le texte est muni d’un bon apparat critique, qui—de plus—contient des références au texte de Platon ainsi qu’à d’autres lexiques antiques. Ce qui rend l’édition vraiment différente de ses prédécesseurs, c’est que les éditeurs suisses n’ont pas voulu s’en tenir à une version corrigée du texte du Coislinianus : afin que le Lexique soit plus utile au lecteur, ils ont modifié l’ordre des entrées selon l’ordre alphabétique stricte, et ils ont inséré parmi les entrées timéennes des dizaines d’autres gloses anciennes sur Platon, gloses qui se trouvent dans les lexiques, dans les scolies, dans les encyclopédies byzantines, …30. Finalement, un siècle après la première édition de Ruhnke, Karl Friedrich Hermann a fait imprimer le Lexique dans l’édition des œuvres de Platon qu’il a préparée pour la maison d’édition de Teubner à Leipzig. Dans sa préface, Hermann explique qu’il n’a pas voulu suivre la pratique des zurichois, et qu’il a imprimé le texte de Timée tel quel et sans ajout. Il n’y a aucun commentaire et aucune note. On n’y trouve pas non plus d’apparat critique, mais deux pages de la préface proposent une poignée de corrections31. L’édition de Hermann parut pour la première fois en 1853. Elle a été souvent réimprimée. Après Hermann, jusqu’à présent, il n’existe aucune nouvelle édition du Lexique. Et bien que Timée n’ait jamais été tout à fait oublié, il faut avouer que dans les derniers 150 ans, on a prêté beaucoup moins d’attention à son ouvrage que pendant le premier siècle de sa redécouverte. Pourquoi ? Une réponse à la question sera esquissée à la fin de cette introduction.
Les manuscrits du Lexique Le Coislinianus 345 est le seul témoin médiéval du Lexique de Timée. On a l’habitude de dire que le Lexique fait partie des textes anciens qui n’existent que dans un seul manuscrit. Mais ce n’est pas exact. En effet, hormis le Coislinianus, il en existe au moins deux copies faites au 18ème siècle, dont l’une est conservée dans le Nachlaß de Ruhnke dans la bibliothèque de l’Université de Leyde, et l’autre se trouve dans 30 Les ajouts sont imprimés dans une police moins grasse. Pourtant, plus d’un utilisateur du TLG électronique, qui a adopté le texte zurichois, s’est laissé tromper. 31 Si l’on juge Hermann par ce qu’il dit aux pp. XXIII–XXXIV, on dira qu’il n’a pas revu le manuscrit.
10
introduction
les papiers de Capperonnier à la Bibliothèque Nationale à Paris32. Le manuscrit de Leyde n’est rien d’autre que la copie faite par Capperonnier et présentée à Ruhnke par Gally. Quant au manuscrit de Paris, il a été écrit par la même main que celui de Leyde—et la main est celle de Capperonnier. Capperonnier a donc copié le Lexique de Timée au moins deux fois. Mises à part les copies de Capperonnier, il existe probablement un ou deux autres manuscrits de la même époque ; et, de plus, il y a au moins deux copies au 20ème siècle. Ajoutons les copies partielles du texte : le copiste du Parisinus graecus 1630, qui date du 14ème siècle, travaillait sur le Coislinianus 345, et bien qu’il n’ait pas transcrit le Lexique de Timée, dans son texte de Moeris il a inclus—on ne sait pas pourquoi—une douzaine d’entrées timéennes33. Par conséquent, nous avons, entre le Parisinus et ses huit descendants, neuf autres manuscrits qui contiennent un texte partiel de Timée. Il est donc faux de dire que nous n’avons qu’un seul manuscrit du Lexique. Ce qui est vrai, c’est que tous les textes du Lexique—manuscrits ou imprimés—dépendent du Coislinianus ou d’une copie (d’une copie …) de ce manuscrit. Or, puisque le Coislinianus est toujours dans un état très lisible, les autres manuscrits n’ont aucune importance pour la reconstruction de ce qu’on appelle la paradosis du texte. Il n’en suit pas, bien entendu, que les apographes du Coislinianus peuvent être négligés par l’éditeur de Timée. En effet, ils présentent parfois des leçons vraies qui ne se trouvent pas chez leur parent, là où leurs copistes ont fait une correction—ou une erreur—heureuse. Les deux copies de Capperonnier sont soigneusement écrites. Comme tout copiste, Capperonnier a fait des erreurs de transcription, et parfois il a mal compris ce qu’il a lu34. Mais, tout compte fait, les copies sont excellentes. Elles ne sont pas des copies ‘diplomatiques’. Quant au manuscrit de Leyde—CL—, Ruhnke a demandé, et Capperonnier a produit, une copie du texte de Timée et non pas un fac-similé du manuscrit parisien. Ainsi, par exemple, Capperonnier n’a pas reproduit la mise en page du manuscrit ; il n’a pas copié la ponctuation ni 32 Cette copie est le premier item du manuscrit supp.gr. 869 : v. Omont, Inventaire III, p. 318. 33 v. Hansen, Moeris, pp. 26–30. 34 v. p.ex. s.v. γε0σα (99) (la copie de Leyde a ‘πρσποδας’, qui n’a aucun sens, et que Ruhnke corrige en ‘πρποδας’ : de fait, le Coislinianus a ‘πρποδας’ sous une forme abrégée) ; ou s.v. τραγικ1 σκην2 (431) (la copie de Leyde a ‘ν ε3τρ4ω’, qui n’a aucun sens, et Ruhnke—d’après une correction faite par Pierson dans la Souda—corrige en ‘ν εν σκευα0ς’ : de fait, le Coislinianus a ‘ν εν σκευ56’ sous une forme abrégée).
les manuscrits du lexique
11
l’accentuation du copiste médiéval ; il a laissé de côté les scolies (lesquelles, il faut le dire, ne sont ni nombreuses ni intéressantes) ainsi que les deux ou trois formules ajoutées au manuscrit par une deuxième main ; et là où le manuscrit présente une forme abrégée, il a toujours écrit une expression non-abrégée. De plus, il a indiqué, dix-sept fois, des passages où le texte lui semblait être corrompu, et a proposé des corrections dans la marge. Il en va de même pour le manuscrit de Paris—CP. Dans ce dernier, on trouve sept endroits où Capperonnier a suggéré une correction dans la marge de sa copie. Il vaut la peine de dire que les notes marginales des deux copies proviennent de la même main que le texte. Elles dérivent donc assurément de Capperonnier. Le travail de Capperonnier soulève des problèmes. D’abord, quelle est la relation entre les deux copies qu’il a faites du Coislinianus ? L’histoire de la copie de Leyde est connue. En revanche, celle de la copie de Paris est obscure. On n’a aucune indication externe de sa date de composition, ni de la raison pour laquelle Capperonnier l’a faite. Écrite sur des petits morceaux de papier, est-elle un brouillon de la copie que Capperonnier a faite pour Ruhnke ? Ou est-elle plutôt une copie de la copie faite pour Ruhnke, une copie que Capperonnier voulait garder pour lui-même ? Peut-être, enfin, a-t-il copié le Coislinianus une deuxième fois, pour son propre plaisir ? Il est peu probable que CP ait été faite sur CL. En effet, sept fois CP présente la leçon du Coislinianus quand CL n’est pas exacte. Il est peu probable que CL ait été faite sur CP. En effet, CL est correcte sept fois, quand CP présente des erreurs de transcription. Il en découle que Capperonnier a copié le Coislinianus deux fois et de façon indépendante35. Cette conclusion semble être confirmée par les corrections que Capperonnier a notées dans les marges de ses copies. Douze des corrections proposées dans CL ne se trouvent pas dans CP. Quatre des corrections de CP ne se trouvent pas dans CL. De plus, dans CP, mais non pas dans CL, quelques-unes des corrections sont accompagnées par la remarque
35 Mais il faut signaler une anomalie : s.v. γκυρτ&α (142), Capperonnier, dans CL, a d’abord écrit ‘ρκυρτ&α’, puis il a changé le rho en gamma, et finalement a écrit à gauche du lemme ‘γ’, pour que la leçon correcte puisse être sûre. Or, dans CP on trouve précisément la même chose. Si les deux copies sont indépendantes, alors Capperonnier a fait la même erreur deux fois, ce qui n’est guère concevable. Mais si l’une des deux copies a été faite d’après l’autre, alors il aurait délibérément reproduit sa propre erreur, ce qui n’a aucun sens.
12
introduction
‘ex Phavor.’ : c’est-à-dire que Capperonnier a confirmé sa conjecture en consultant le grand Lexique que Phavorinus Varinus a publié à Bâle en 1538–154136. Ensuite, il subsiste une interrogation à propos du comportement de Ruhnke. Treize des dix-sept corrections que Capperonnier a fait dans les marges de CL ont été acceptées par Ruhnke37. Une fois il attribue la correction à Montfaucon (et la correction de fait se trouve dans l’édition partielle de Montfaucon) ; jamais il ne mentionne Capperonnier comme leur auteur. Un exemple frappant concerne l’entrée υηπολοσι (224). Ruhnke imprime : υηπολοσι7 περιπολοσι, δι9 υσιν :πισχνο;μενοι εο