Michel Allard et Bernard Lefebvre
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Michel Allard et Bernard Lefebvre
Sous la direction de
L
a formation en muséologie et en éducation muséale à travers le monde est le résultat d’une étude internationale. Cet ouvrage présente une masse critique d’informations sur des pays de langues et de cultures différentes qui donnent matière à la comparaison et éveillent peut-être des hypothèses de changement propices au progrès d’un jeune champ d’études en expansion.
MICHEL ALLARD, Université du Québec à Montréal (Québec) ; PIERRE ANSART, Université Denis Diderot, Paris VII (France) ; SUZANNE BERNIER, Ministère de la Culture et des Communications (Québec) ; JEAN-PIERRE CORDIER, Centre de recherche sur les liens sociaux, CNRS/Paris V (France); DAVID DEMANT, Museum Victoria, Melbourne (Australie); FRANCINE DENIZEAU, Université du Québec à Montréal (Québec) ; COLETTE DUFRESNE-TASSÉ, Université de Montréal (Québec) ; JACQUELINE EIDELMAN, Centre de recherche sur les liens sociaux, CNRS/Paris V (France) ; HELOISA HELENA F. GONÇALVES DA COSTA, Université fédérale de Bahia (Brésil) ; EILEAN HOOPERGREENHILL, Université Leicester (Angleterre) ; DANIEL JACOBI, Université d’Avignon (France) ; GEORGIA-GINA KROUTCHA, Hellenic Children’s Museum, Athènes (Grèce) ; ANIK LANDRY, Doctorat en éducation à l’Université de Montréal (Québec) ; ANTONI LAPORTE, Artimetria, stratégies pour la culture, Barcelone (Espagne) ; BERNARD LEFEBVRE, Université du Québec à Montréal (Québec) ; ANNE-MARIE LEMAIRE, Maîtrise en muséologie à l’Université du Québec à Montréal (Québec) ; ANIK MEUNIER, Doctorat en éducation à l’Université du Québec à Montréal (Québec) et en muséologie à l’Université d’Avignon (France) ; MARIECLARTÉ O’NEILL, École du Louvre (France) ; MARYSE PAQUIN, Université d’Ottawa (Canada) ; MARIE-ÉMILIE RICKER, Université catholique de Louvain (Belgique) ; CU TIH MINH, Musée Ho Chi Minh, Hanoï (Viêt-Nam) ; MONTSE L. TOLOSANA, Aritmetria, Stratégies pour la culture, Barcelone (Espagne) ; GUY VADEBONCŒUR, Musée Stewart (fort de l’île Ste-Hélène) (Québec)
ISBN 2-89544-019-0
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La formation en muséologie et en éducation muséale à travers le monde
Les auteurs
La formation en muséologie et en éducation muséale à travers le monde Sous la direction de
Michel Allard et Bernard Lefebvre
La formation en muséologie et en éducation muséale à travers le monde
La formation en muséologie et en éducation muséale à travers le monde Sous la direction de
Michel Allard et Bernard Lefebvre
Données de catalogage avant publication (Canada) Vedette principale au titre : La formation en muséologie et en éducation muséale à travers le monde Comprend des réf. bibliogr. ISBN 2-89544-019-0 1. Muséologie – Étude et enseignement. 2. Musées – Personnel – Formation. 3. Musées – Aspect éducatif. 4. Musées – Coopération internationale. I. Allard, Michel, 1940- . II. Lefebvre, Bernard, 1928 . AM7.F67 2001
069.071
C2001-941545-1
QUELQUES PHOTOS DU COLLOQUE Photographies : Martin Villeneuve, muséologue en informatisation et numérisation des collections.
Bernard Lefebvre, Francine Denizeau
Raymond Baillargeon, Jacqueline Eidelman
Ginette Cloutier
Ouverture du colloque : Anik Meunier, Bernard Lefebvre, Francine Denizeau, Marc Turgeon, Pierre Ansart, Ginette Cloutier
Jean-Pierre Cordier, Ginette Cloutier
Guy Vadeboncœur, Cu Tih Minh, Heloisa Helena F. Gonçalves da Costa
Raymond Montpetit, Marie-Émilie Ricker Anik Meunier, Bernard Lefebvre
Anik Landry
Helena F. Gonçalves da Costa
Pierre Ansart, Ginette Cloutier
Louise Julier, Guy Vadeboncœur, Cu Tih Minh, Heloisa Helena F. Gonçalves da Costa
Liste des collaborateurs MICHEL ALLARD
Université du Québec à Montréal PIERRE ANSART
Université Denis Diderot, Paris VII SUZANNE BERNIER
Ministère de la Culture et des Communications (Québec) JEAN-PIERRE CORDIER
Centre de recherche sur les liens sociaux, CNRS/Paris V DAVID DEMANT
Museum Victoria, Melbourne FRANCINE DENIZEAU Université du Québec à Montréal COLETTE DUFRESNE-TASSÉ
Université de Montréal JACQUELINE EIDELMAN Centre de recherche sur les liens sociaux, CNRS/Paris V HELOISA HELENA F. GONÇALVES DA COSTA
Université fédérale de Bahia EILEAN HOOPER-GREENHILL
Université Leicester DANIEL JACOBI
Université d’Avignon GEORGIA-GINA KROUTCHA
Hellenic Children’s Museum, Athènes ANIK LANDRY
Doctorat en éducation à l’Université de Montréal ANTONI LAPORTE
Artimetria, stratégies pour la culture, Barcelone BERNARD LEFEBVRE
Université du Québec à Montréal
2 ANNE-MARIE LEMAIRE
Maîtrise en muséologie à l’Université du Québec à Montréal ANIK MEUNIER
Doctorat en éducation à l’Université du Québec à Montréal et en muséologie à l’Université d’Avignon MARIE-CLARTÉ O’NEILL
École du Louvre MARYSE PAQUIN
Université d’Ottawa MARIE-ÉMILIE RICKER
Université catholique de Louvain CU TIH MINH
Musée Ho Chi Minh, Hanoï MONTSE L. TOLOSANA
Aritmetria, Stratégies pour la culture, Barcelone GUY VADEBONCŒUR
Musée Stewart (fort de l’île Ste-Hélène)
TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION ...............................................................................................................................................................5 MICHEL ALLARD ET JACQUELINE EIDELMAN LA MUSÉOLOGIE ET L’ÉDUCATION MUSÉALE COMME CHAMP D’ÉTUDES...........................................7 BERNARD LEFEBVRE OUVERTURE DU COLLOQUE ....................................................................................................................................11 L’ÉDUCATION MUSÉALE: QU’EN EST-IL DE LA FORMATION ? FRANCINE DENIZEAU
PREMIÈRE PARTIE NOUVELLES ENTITÉS PROFESSIONNELLES LES FORMATIONS MUSÉALES EN FRANCE.........................................................................................................15 JEAN-PIERRE CORDIER L’ÉDUCATION ET LE MUSÉE EN PERPÉTUELLE MÉTAMORPHOSE .........................................................39 EILEAN HOOPER-GREENHILL (TRADUCTION DE ANNE-MARIE LEMAIRE) LA PLACE DE L’ÉDUCATION AU MUSÉE DANS LES PROGRAMMES COLLÉGIAUX ET UNIVERSITAIRES CANADIENS DE FORMATION EN MUSÉOLOGIE....................................................51 MICHEL ALLARD, ANIK MEUNIER ET GUY VADEBONCŒUR LE MUSÉE COMME LIEU D’ACCÈS À LA CULTURE DANS LES PROGRAMMES DE FORMATION DES ENSEIGNANTS......................................................................................................................67 ANIK MEUNIER
DEUXIÈME PARTIE PROGRAMMES DE FORMATION LA FORMATION EN MUSÉOLOGIE EN AUSTRALIE .........................................................................................77 DONNÉES RECUEILLIES PAR DAVID DEMANT ET COMPILÉES PAR MICHEL ALLARD EN COLLABORATION AVEC ANNE-MARIE LEMAIRE LA FORMATION DU GUIDE-CONFÉRENCIER DANS LE CURRICULUM DE L’ENSEIGNANT EN HISTOIRE DE L’ART À L’UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN, BELGIQUE............................79 MARIE-ÉMILIE RICKER LE BRÉSIL ET LA MUSÉOLOGIE, PROPOSITION DE FORMATION EN ÉDUCATION MUSÉALE .......87 HELOISA HELENA F. GONÇALVES DA COSTA
4
LES ÉTUDES DE MUSÉOLOGIE EN ESPAGNE......................................................................................................95 ANTONI LAPORTE MONTSE L. TOLOSANA LES PROGRAMMES DE FORMATION EN MUSÉOLOGIE DANS LES INSTITUTIONS SUPÉRIEURES D’ENSEIGNEMENT AUX ÉTATS-UNIS................................................99 ANIK LANDRY
L’ENSEIGNEMENT DE LA MUSÉOLOGIE EN GRÈCE .....................................................................................109 GEORGIA-GINA KROUTCHA EN COLLABORATION AVEC ANNE-MARIE LEMAIRE L’ÉDUCATION MUSÉALE AU VIÊT-NAM ............................................................................................................115 CU TIH MINH
TROISIÈME PARTIE PISTES DE RÉFLEXION LES FORMES DE L’INTERVENTION ÉDUCATIVE DANS LES EXPOSITIONS ET SES CONSÉQUENCES SUR LA FORMATION DES PERSONNELS DES MUSÉES ...............................125 DANIEL JACOBI DISCOURS À DEUX VOIX SUR LES ENJEUX D’UNE COLLABORATION INTERNATIONALE ............137 C. DUFRESNE-TASSÉ M.C. O’NEILL L’ÉDUCATION MUSÉALE À LA CROISÉE DES CHEMINS..............................................................................157 BERNARD LEFEBVRE LE RAPPROCHEMENT CULTURE-ÉDUCATION AU QUÉBEC.......................................................................175 SUZANNE BERNIER
QUATRIÈME PARTIE SYNTHÈSE ET CONCLUSION SYNTHÈSE DU COLLOQUE.......................................................................................................................................185 MARYSE PAQUIN POSTFACE ......................................................................................................................................................................187 PIERRE ANSART REMERCIEMENTS
INTRODUCTION Michel Allard et Jacqueline Eidelman Si les musées occupent désormais une place centrale dans l’univers culturel, leurs rôles et leurs missions se sont fortement complexifiés. Privilégiant traditionnellement la recherche disciplinaire et la conservation, ils ont renforcé leur fonction éducative à travers la création d’expositions et le développement de dispositifs d’accueil des publics et d’aides à la visite. Le rééquilibrage de ces différents pôles d’activités a entraîné l’émergence de nouveaux corps de métier et, ce faisant, une redéfinition et une réorientation des programmes de formation des personnels. À partir des années 70, de nombreuses institutions universitaires du monde occidental ont créé des programmes de formation en études muséales contribuant ainsi à la professionnalisation des occupations reliées au musée. Toutefois aucun inventaire de ces programmes n’avait été réalisé jusqu’à présent, et aucune étude n’avait été conduite sur la place qu’ils occupent et la fonction qui leur est impartie. Pour pallier ces carences, le CNRS (France) a accepté de financer une recherche comparative menée par des laboratoires de sciences humaines et sociales de quatre universités : Université de Leicester (Grande-Bretagne), Reiwardt Academy (Pays-Bas), Université du Québec à Montréal, Université René Descartes – Paris V. Cette dernière, à travers le Centre de recherche sur les liens sociaux (CERLIS), a coordonné l’étude, alors que le Groupe de recherche sur l’éducation et les musées (GREM) de l’UQAM a été chargé de la diffusion des résultats (colloque et publication). Deux objectifs prioritaires étaient visés : ∑
établir la place de l’éducation muséale dans des programmes d’enseignement supérieur, de type généraliste ou de type professionnalisant, et présentant en totalité ou en partie des cursus rattachés au domaine des musées ;
∑
dégager des modèles de formation et, si possible, d’intervention dans les musées.
Pour atteindre le premier objectif, il a été nécessaire de procéder à l’inventaire des formations universitaires dispensées dans le domaine de la muséologie. Il a été convenu de n’examiner que les formations diplômantes, éliminant de facto de l’enquête tous les programmes de perfectionnement professionnel dispensés par des structures privées ou associatives concourant à la formation permanente ou continue. Un questionnaire, élaboré lors d’un premier séminaire (Paris : 22-23 février 1996), a été adressé par courrier à environ 120 établissements universitaires des quatre pays. Les données ont été réunies, colligées et interprétées lors de trois séminaires (Leicester : 7-8 novembre 1996 ; Amsterdam : 8-9 mai 1997 ; Montréal : 29-30 septembre 1997).
6 Il est alors apparu essentiel de communiquer les résultats de cette analyse et de les livrer à la critique d’autres équipes de recherche. C’est, dans ce contexte que le GREM a organisé, le 30 octobre 1998 en collaboration avec la maîtrise conjointe en muséologie (UQAM-UdeM) ainsi qu’avec le Département des sciences de l’éducation (UQAM) et le Centre de coopération interuniversitaire franco-québécoise (CCFIQ) un colloque intitulé L’éducation muséale : qu’en est-il de la formation ? Ce colloque, ouvert au public, s’est tenu au Musée d’archéologie et d’histoire de Montréal, Pointe-à-Callière. Il réunissait des chercheurs universitaires (professeurs et étudiants de deuxième et de troisième cycle) en provenance de plusieurs pays et des représentants de quelques institutions (Ministère de la Culture, Société des musées québécois, etc.) qui, au Québec, participent à la formation continue en éducation muséale. Les Actes de ce colloque livrent les résultats de la recherche initiale. Ils présentent également des travaux, menés dans d’autres contextes et dans d’autres pays (Australie, Belgique, Brésil, Espagne, États-Unis, Grèce et Viêt-Nam), et qui sont animés des mêmes objectifs. Cette perspective comparative élargie rend perceptible les dissemblances et les constantes de la formation à l’éducation muséale dans différentes aires culturelles. En complément des universitaires, des responsables de formation dédiés aux musées et des professionnels de la muséologie ont été sollicités pour faire part de leurs propres expériences et réflexions. Il en résulte un ouvrage qui, en plus de fournir un tableau de bord des formations dans une dizaine de pays, en propose une grille d’analyse et un cadrage en termes de philosophies d’action. Espérons que cet ensemble saura intéresser les chercheurs du domaine et permettra de dégager des modèles de formation à l’éducation muséale. Nous remercions le programme d’aide à la publication de l’Université du Québec à Montréal qui a permis la présente publication.
LA MUSÉOLOGIE ET L’ÉDUCATION MUSÉALE COMME CHAMP D’ÉTUDES Bernard Lefebvre Le processus de professionnalisation se développant dans les métiers du musée, le besoin de rehausser au plan académique la formation du personnel s’est imposé. Les universités et les collèges ont reçu le mandat d’assumer cette mission, relayant ainsi les musées qui s’en chargeaient précédemment avec des moyens souvent réduits vu leurs faibles ressources. Une fois le cursus établi, il a fallu faire appel à des spécialistes issus de disciplines comme l’histoire de l’art, les beaux-arts, l’histoire et autres sciences sociales, l’éducation, l’administration, etc. Selon les besoins particuliers, des spécialistes en anthropologie ou en conservation des œuvres se sont ajoutés aux précédents. Malgré la différence de leur formation respective, leurs intérêts convergeant sur l’un ou l’autre aspect des musées ouvrent un domaine de recherche peu exploré. Depuis une vingtaine d’années, des étudiants, surtout de sexe féminin, ont profité de cette formation dans de nombreux pays et l’ont terminée étant porteurs d’un diplôme de niveau collégial ou d’un grade universitaire. Habituellement, la formation théorique se complète par des stages et des mémoires qui favorisent la synthèse des savoirs acquis au cours de la formation. Des recherches doctorales ont favorisé l’étude approfondie de sujets portant sur la muséologie ou l’éducation muséale. Suite à cette effervescence toute nouvelle, il est opportun de tenter de décrire l’état des lieux dans divers pays. Voilà l’objectif poursuivi par le présent ouvrage dont les chapitres offrent tantôt une analyse fouillée des formations qui existent dans un pays, tantôt certains aspects originaux que l’on développe ailleurs. Nous ne trouverons que peu de statistiques même si l’ensemble dresse un inventaire de ce qui existe. Cependant, nous considérons que La formation en muséologie et en éducation muséale à travers le monde présente une information pertinente sur l’enseignement dispensé en muséologie pour les professionnels des musées et en éducation muséale autant pour les éducateurs de musée que pour les enseignants. La lecture des chapitres successifs favorise la comparaison entre pays et scrute les raisons qui motivent l’existence de situations différentes. Une autre préoccupation ne peut être éludée, soit celle de se demander quelle est la pertinence des programmes d’études proposés en regard des musées qui en sont les débouchés professionnels, de l’amélioration de leur efficacité comme dépositaires et conservateurs culturels mais aussi comme dispensateurs de biens destinés aux citoyens. Il en va de même de la médiation servant à adapter le contenu des expositions de façon
8 à en faciliter la réception pour les visiteurs et de l’art de guider c’est-à-dire de devenir l’hôte expérimenté qui assure une visite agréable. Nous gardons en vue l’importance d’utiliser les musées comme moyen complémentaire d’éducation mis à la disposition des établissements scolaires de niveau primaire et secondaire. Les programmes de muséologie ne doivent pas omettre ou considérer à la légère la fonction d’éducateur muséal et de la rabaisser au niveau d’une fonction mineure ou auxiliaire. Cet éducateur n’est-il pas le médiateur de première ligne. Nous insistons aussi sur la nécessité de prévoir dans la formation des maîtres, des cours, des séminaires, des ateliers ou, du moins, des thèmes portant sur l’exploitation pédagogique des musées qui offrent des ressources didactiques inépuisables et d’une immense richesse. Si les aspirants à l’enseignement et les enseignants euxmêmes sont ignorants de ce fait et n’y ont jamais été sensibilisés, il n’est pas surprenant que l’une des plus importantes missions du musée ne soit si peu atteinte. La formation en muséologie et en éducation muséale à travers le monde comprend trois parties. La première, intitulée Nouvelles identités professionnelles, présente des études reliées à une recherche concertée regroupant, entre autres pays, la France, l’Angleterre et le Canada. Partant d’un questionnaire commun d’enquête, les auteurs ont donné une touche personnelle à la présentation de la situation prévalant dans leur pays. La deuxième partie, intitulée Programmes de formation, présente divers programmes de formation existant dans des pays tels que l’Australie, la Belgique, le Brésil, l’Espagne, les ÉtatsUnis, la Grèce et le Viêt-nam. La troisième partie, délaissant l’approche plus strictement descriptive, se veut Pistes de réflexion et maintient la préoccupation réservée à la formation. D’abord la question est posée à savoir si les formes de l’intervention éducative dans les expositions ont des conséquences sur la formation des personnels de musées. Après avoir tenté de distinguer les unes des autres, la fonction d’éducateur, d’interprète et de médiateur, on demande quelle orientation donner à la formation selon le type d’intervenant visé. Revenant sur le terrain des réalisations, la narration et l’analyse critique d’une coopération de recherche et de formation entre la maîtrise en muséologie de l’Université de Montréal et l’École du Louvre illustre comment la coopération internationale peut s’instaurer entre institutions ancrées dans des milieux éloignés les uns des autres et dont les origines et le passé diffèrent grandement. Les auteurs illustrent comment le dialogue s’est amorcé et la dynamique qui s’est instaurée en vue d’organiser de part et d’autre des activités de formation à l’intention des étudiants de chacune de leurs institutions. Ensuite, l’éducation muséale est considérée dans sa relation avec le musée et l’école, intègre un modèle théorique de planification des programmes selon un modèle didactique ayant cours en éducation et se préoccupe des partenariats à établir entre le musée et le milieu scolaire. Sont brièvement présentées dans le même chapitre des expériences d’éducation muséale en formation des maîtres. Suivent des suggestions d’actions à entreprendre en éducation muséale. Un dernier chapitre explique comment au Canada, le gouvernement du Québec a favorisé le rapprochement entre la culture et l’éducation. En effet, la concertation entre le ministère de la Culture et des Communications et le
9 ministère de l’Éducation s’est conclue par un protocole destiné à susciter, à stimuler et à valoriser des interventions en matière de culture et d’éducation en vue de rehausser le niveau culturel des programmes d’études. La conclusion de l’ouvrage prend la forme d’une postface qui relève les constats émergeant des rapports préparés sur la formation en muséologie et sur l’éducation muséale dans différents pays. En ressortent les initiatives prises par des institutions de formation souvent très éloignées les unes des autres, des éléments d’originalité de même que des points de convergence. Il arrive parfois que des orientations surprenantes soient porteuses de questionnement et de réflexion. La formation en muséologie et en éducation muséale à travers le monde est le résultat d’une étude internationale. Nous avons une masse critique d’informations sur des pays de langues et de cultures différentes qui donnent matière à la comparaison et éveillent peut-être des hypothèses de changement propices au progrès d’un jeune champ d’études en expansion.
OUVERTURE DU COLLOQUE L’Éducation muséale : qu’en est-il de la formation ? Francine Denizeau1 Ce colloque intitulé L’éducation muséale : qu’en est-il de la formation ?, de dimension internationale, a été rendu possible grâce à l’appui d’acteurs clés du monde de la recherche et de la formation en éducation, et je suis particulièrement fière que l’Université du Québec à Montréal y soit associée de manière privilégiée. Le potentiel lié au rapprochement université-école-musée est extrêmement riche et porteur pour l’avenir. Parce qu’elle provoque la rencontre d’expertises et de problématiques de nature fort différentes, que ce soit, par exemple, au plan culturel, social, scientifique, artistique ou pédagogique, une telle démarche ne peut que mener à l’émergence de synergies nouvelles et productives. Mais j’aimerais surtout souligner que les partenariats université-école-musée permettent d’acquérir des moyens de formation que l’on ne pourrait développer d’aucune autre façon. Le musée est en effet un formidable laboratoire aux dimensions multiples, qui offre des conditions d’apprentissage bien distinctes de celles de l’école traditionnelle. Un musée est un lieu où l’on peut apprendre à son propre rythme, de manière souple, exploratoire et volontaire. Le laboratoire muséal permet donc d’envisager des perspectives nouvelles pour l’étude de questions relatives à la personne en apprentissage, à la pédagogie et au milieu. Ce sujet a été récemment discuté par Michel Allard et Suzanne Boucher dans leur ouvrage intitulé « Éduquer au musée, un modèle théorique de pédagogie muséale ». Il est bien clair, à l’heure actuelle, que le progrès de nos sociétés dépend de plus en plus de la créativité du cerveau humain. Il nous faut donc trouver les moyens pour intensifier, dans les processus d’apprentissage, la mobilisation de la créativité de l’individu, quelle que soit la sphère de connaissances à laquelle on s’intéresse. Il s’agit là d’un défi considérable, car, en cette matière, nos modèles éducatifs se doivent d’être réadaptés, sinon réinventés. Je suis cependant convaincue que l’éducation et la formation muséales sont des voies fertiles qui sauront promouvoir la créativité de l’être humain et ainsi son mieux-être dans la société. L’Université du Québec à Montréal contribue activement au domaine de l’éducation et de la formation muséales, par ses programmes d’études de cycles supérieurs, en particulier par la Maîtrise en muséologie, conjointe avec l’Université de Montréal, de même que par le dynamisme
1. Lors de la tenue de ce colloque en octobre 1998, Mme Denizeau occupait le poste de doyenne des études de
cycles supérieurs et de la recherche à l’Université du Québec à Montréal.
12 de ses professeurs, spécialement ceux du Groupe de recherche sur l’éducation et les musées (GREM) dirigé par le professeur Michel Allard. J’aimerais féliciter et remercier tous ceux qui ont travaillé à la réalisation de cet événement. Vous avez créé un forum d’échanges renforçant notre vision du développement de la formation par l’éducation muséale. Je souhaite à tous un colloque des plus stimulants et des plus fructueux.
PREMIÈRE PARTIE NOUVELLES ENTITÉS PROFESSIONNELLES
LES FORMATIONS MUSÉALES EN FRANCE Jean-Pierre Cordier
Quelles formations pour quelles professions ? Observées en France depuis le début des années 1970, la multiplication et la diversification des musées offrent de nouvelles opportunités d’emplois dans le domaine de la culture. Mais comme, de surcroît, les musées se transforment, plusieurs questions se posent quant à la nature de ces emplois, les nouvelles qualifications qu’ils requièrent, et si ces changements figurent une autre étape de la professionnalisation dans cette branche d’activité. En 1990, la réaction institutionnelle à cette situation fut la définition d’un nouveau statut de conservateur du patrimoine qui reconnaît aux membres de la profession – une fois recrutés par concours et formés dans une grande école d’application (l’École Nationale du Patrimoine) – le monopole de la responsabilité scientifique et de la direction des musées. Cependant, les évolutions qui continuent à marquer le milieu muséal ne concernent pas seulement les fonctions de direction, même si ces dernières font toujours l’objet d’un questionnement1. Elles touchent également les autres métiers du musée se rapportant à la conception des expositions ou à la médiation culturelle et qui, sans avoir la même reconnaissance statutaire, sont suscités par l’émergence de nouveaux besoins. En amont, au niveau de la politique sectorielle des administrations de tutelle, une réponse est la définition, sur la base d’analyses de postes, de nomenclatures de métiers types spécifiant les différentes compétences utiles pour la bonne marche de l’organisation muséale, conformément à l’évolution de ses missions. Mais qu’en est-il en aval, au niveau de la formation des personnels présents et futurs de ces établissements ? Même si la structuration du champ des professions muséales est favorisée par la multiplication des établissements qui génère de nouveaux postes de conservateurs, ce changement d’échelle ne suffirait pas s’il ne s’accompagnait d’une diversification des métiers du musée en rapport avec la spécialisation des compétences. La mise en place d’une nouvelle division du travail serait ainsi à la fois une conséquence de la croissance des établissements et une condition pour qu’elle puisse se poursuivre avec la mise en œuvre de politiques d’investissement orientées vers l’attraction d’un public plus étendu. On peut donc s’attendre à ce que la prise en compte de ces nouveaux besoins ait des effets au niveau de l’offre de formation aux métiers du musée, du fait que celle-ci alimente le bassin d’emplois propres à ce secteur d’activité. D’où la question de savoir comment
1 . Encore récemment, la réflexion sur ce sujet a motivé la tenue d’un colloque organisé par l’Association générale
des conservateurs des collections publiques de France : « Conservateur : un métier pour le troisième millénaire ? », les 25, 26, 27 mars 1998, Paris.
16 la fraction du milieu éducatif qui forme les professionnels des musées réagit aux changements quantitatifs et qualitatifs du champ des activités muséales : par un simple accroissement des effectifs inscrits dans les formations existantes ? par une évolution des curricula plus conforme aux nouvelles qualifications requises ? par la création de nouveaux cursus orientés vers d’autres créneaux que ceux, traditionnels, dévolus aux fonctions de conservation-restauration des œuvres, dans la perspective d’une diversification qui viserait l’adéquation des formations aux emplois ? Ces interrogations, non limitées au cadre national, ont fourni la matière d’un colloque organisé en 1993 sur la formation des conservateurs en Europe2 qui mettait en lumière la tendance des cursus traditionnels à intégrer de nouvelles disciplines, conjointement à une élévation du niveau des études. En considérant que ces changements s’appliquent aux autres métiers du musée, l’hypothèse qu’il faille reconsidérer la question de la professionnalisation en France dans le sens de l’émergence de nouveaux pôles de compétence définit le sens de notre démarche. Dans le cadre de la recherche comparative exposée dans cet ouvrage, le volet centré sur la France reprend le parti théorique d’appréhender le processus de professionnalisation dans la sphère muséale à partir de certaines conditions de validation : en sus de la mise en place d’une « formation spécialisée de longue durée dans un système de connaissances abstraites » (Goode, 1960), nous stipulons avec Freidson « que la formation en tant que telle ne permet pas de distinguer clairement métiers et professions, et que seule est décisive la question de l’autonomie et du contrôle exercé par le métier sur la formation » (Freidson, 1984). Dans le cas qui nous intéresse, l’étude de la relation entre profession et formation implique une explicitation des termes utilisés : nous dirons que la muséologie, comprise comme « science du musée »3, est la base disciplinaire de la formation de professionnels qui se reconnaissent comme des muséologues ou plutôt des muséographes, qualificatif retenu par Desvallées en dépit de son imprécision et de son ambiguïté4. On pourra alors se demander si la façon dont la muséologie se constitue comme champ disciplinaire ayant un statut académique répond suffisamment à ces critères pour y voir le signe et l’instrument de la mutation engagée par les musées pour faire face à leur nouveau positionnement social, favorisant l’émergence d’une profession de muséographe/muséologue, selon que l’accent porte davantage sur la position de praticien ou d’expert. Dans le champ muséal, la question de la professionnalisation se pose en effet dans un contexte particulier caractérisé par l’emprise croissante d’une conception plus libérale de la gestion économique de ce type d’institutions. Cette orientation favorise la constitution de nouvelles identités professionnelles en rapport avec la complexification de la division du travail et le changement de modèle organisationnel : passage de politiques muséales d’inspiration académique, centrées sur la consécration, la perpétuation et la transmission du patrimoine, à un modèle entrepreneurial soucieux d’une bonne gestion économique et financière qui implique la valorisation commerciale de ce patrimoine auprès d’un public client. Dans un tel contexte, les
2. La formation des conservateurs de biens culturels en Europe, Actes du colloque de l’École nationale du
patrimoine, déc. 1993, La Documentation française, Paris, 1994. 3. Préface d’André Desvallées dans Deloche (1985). o
4. André Desvallées, Exhiber ou démontrer ? L’objet de l’exposition, Musées 19-1/La lettre de l’OCIM n 50, 1997.
17 musées sont plus qu’avant incités à compléter les ressources émanant de leur autorité de tutelle par une intégration à l’économie de marché qui les conduit à négocier leur « exception culturelle ». Il convient alors d’examiner si la multiplication des métiers, l’existence d’une « polarisation sur le service rendu ou sur la collectivité » (Goode, 1960) qui concourent à l’organisation professionnelle du milieu muséal, s’accompagnent également, au plan de la formation, d’une prise d’autonomie et de contrôle telles qu’il soit possible d’y voir – à travers la mise en place d’un vivier de jeunes diplômés dotés de nouvelles compétences – la transformation des métiers du musée en une nouvelle profession dont le rapport avec le corps de la conservation serait à définir. Ainsi, par delà la description d’une réalité saisie à un moment donné, l’inventaire des cursus pourrait montrer la mise en place d’un appareil de formation de nouveaux corps de personnels en muséologie dont l’autonomie par rapport aux instances académiques traditionnelles reposerait sur une synergie avec des secteurs du milieu professionnel porteurs de nouveaux besoins. Autrement dit, l’étude des cursus de formation montre-t-elle que le rapprochement des musées avec les champs de l’industrie culturelle et du tourisme de masse s’accompagne de l’adoption de plus en plus répandue de critères économiques (exigence de rentabilité visant une capacité d’autofinancement) et de méthodes de gestion (sur le modèle des entreprises commerciales soumises aux lois du marché et à la concurrence) qui impliquent l’apport de nouvelles catégories de personnels spécialisés dans ces domaines ? Que l’accroissement de l’audience des musées se conjugue avec celle de détenteurs de compétences orientées vers une prise en compte accrue des visiteurs, tant au niveau de la politique de communication et d’information que de l’offre proposée (contenu des expositions, mise en scène, services annexes) ? Enfin, dans la perspective d’améliorer la qualité de l’offre faite à un public plus diversifié, et surtout, plus instruit qu’il y a 20 ans, la vocation culturelle et socialisatrice traditionnellement dévolue aux musées fait-elle l’objet d’un surcroît d’attention sous la forme de politiques éducatives focalisées sur la jeunesse qui nécessitent l’élaboration d’une pédagogie muséale, fondée sur des relations de partenariat avec le milieu scolaire ?
Méthode d’investigation L’hypothèse d’un développement des formations en muséologie sous le contrôle de la profession peut être validée selon plusieurs critères, qui opèrent à différents niveaux : –
au niveau institutionnel : on pourrait s’attendre à ce qu’il y ait un nombre accru de formations intégrées dans des établissements liés au milieu muséal, ou qui proposent des certifications susceptibles de conduire à une insertion professionnelle. Il conviendra donc d’examiner la chronologie des créations de cursus en muséologie selon le type d’institution d’accueil, ainsi que le type de certification décerné et les débouchés effectifs.
–
au niveau de la définition des curricula : le statut disciplinaire de la muséologie, les orientations communes et optionnelles, la part de l’expérience professionnelle dans les critères de sélection, celle d’une pédagogie par alternance fondée sur des stages sur le
18 terrain, sont autant d’indicateurs sur le caractère professionnalisant des formations qui pourront être interrogés. –
au niveau de l’encadrement pédagogique : on pourra examiner les appartenances et les origines disciplinaires des responsables et des formateurs pour connaître la part des formations dirigées et animées par des membres de la profession, ou par des spécialistes issus des champs disciplinaires particulièrement concernés par le mouvement de mutation du musée en entreprise culturelle, dans les divers cadres où ils se trouvent (extérieur ou non au milieu muséal, privé ou public, associatif ou académique).
Les analyses réalisées à ces divers niveaux ont suivi une double perspective : à côté de celle, chronologique, qui permet de saisir les tendances en cours, nous avons également considéré la taille des formations (en termes d’effectifs d’élèves inscrits) de telle sorte que l’interprétation des résultats tienne compte de leur poids relatif – de fait très inégal – dans la production de la main d’œuvre potentielle des musées. Pour mettre en œuvre ce projet, il a été réalisé en 1996-1997 une enquête par correspondance auprès des établissements français d’enseignement supérieur qui proposent une formation initiale dans les domaines culturels qui traitent du patrimoine, entendu dans ses diverses composantes (arts, sciences, techniques, société …)5. L’échantillon se compose de 50 formations instituées dans 30 établissements d’enseignement supérieur, répartis dans 18 villes universitaires et 12 régions (cf. annexe p. 37 et 38). L’effectif des étudiants inscrits dans les 40 formations qui nous ont communiqué ce renseignement s’élève à 3 099 personnes. Leur répartition montre une très grande disparité, la taille réduite de la plupart d’entre elles manifestant à la fois la nouveauté de ce domaine dans les cursus universitaires extérieurs au milieu professionnel, un phénomène de forte concentration au bénéfice des institutions fondatrices, ainsi que les limites des nouveaux débouchés offerts. En effet, sur les 40 cas répertoriés, d’un côté, 26 cursus n’ont pas plus d’une trentaine d’inscrits et les 514 étudiants qu’ils rassemblent correspondent à 16 % de leur effectif total ; de l’autre côté, l’École du Louvre compte à elle seule 1600 inscrits pour les trois années de scolarité qui mènent au diplôme du premier cycle – soit 53 % des effectifs décomptés ! Entre ces situations contrastées, il n’y a que trois cursus qui dépassent également la centaine d’étudiants : le diplôme universitaire d’archéologie en Europe de l’Université d’Arras (210 inscrits), une nouvelle fois l’École du Louvre avec un diplôme d’études supérieures (170 inscrits), et enfin la maîtrise d’ingénierie culturelle et touristique de l’Université de Lille 3 (139 inscrits).
5. Cette étude a été initiée par Monique Laigneau (chercheur au CNRS) dans le cadre de l’ATP du CNRS
« Éducation et Formation en Europe » coordonnée par Jacqueline Eidelman (chercheur au CERLIS), en collaboration avec Michel van Praët (professeur au Museum) et l’auteur de l’article. Monique Laigneau a rédigé un « Premier rapport d’étape » paru en 1997 (rapport CERLIS).
19 La version française du questionnaire commun d’enquête été envoyée aux filières de formations répertoriées dans des listes parfois complétées6. En plus des réponses aux questions posées, la documentation existante sur l’organisation et le programme des formations en place était demandée. Finalement, l’étude porte sur trois ensembles de données relatives aux 50 formations de niveau universitaire qui composent l’échantillon. Le caractère non entièrement homogène du corpus s’explique par quelques non réponses et réponses partielles à la demande d’enquête : –
les résultats du questionnaire plus une documentation complémentaire (25 cas) ;
–
les résultats du questionnaire seulement (5 cas) ;
–
la documentation sur la formation sans le questionnaire (12 cas) ;
–
uniquement les informations relevées dans les répertoires signalétiques (8 cas).
Bien que regrettable, l’absence d’exhaustivité de l’inventaire ci-dessous – nonobstant le choix d’exclure le champ encore plus mouvant et dispersé de la formation continue, particulièrement développé dans le secteur privé – ne fait cependant pas obstacle au projet d’analyser quelles tendances sous-tendent la multiplication des formations initiales aux métiers du musée. S’il ne peut prétendre circonscrire l’ensemble des formations diplômantes existant en France, l’échantillon dont on dispose recouvre un large éventail, au-delà des pôles les mieux connus du milieu professionnel.
Situation des formations en muséologie Cadre institutionnel et localisation a)
Trois fois sur quatre, les 50 formations étudiées sont implantées dans des départements d’université décernant un enseignement disciplinaire généraliste. Le quart restant (12 cas) est réparti entre des établissements ayant une finalité directement professionnelle en relation, soit avec le milieu muséal (cinq cas entre l’École du Louvre, l’École du Patrimoine et l’IFROA), soit avec le milieu artistique (deux Écoles des Beaux-Arts), ou dans des Instituts Universitaires (quatre cas d’IUT ou d’IUP). Enfin, seul le MNHN décerne une formation à finalité généraliste (un DEA) dans un établissement qui associe la fonction muséale à celles de recherche et d’enseignement.
o
6. Notamment la Lettre n 17 de l’OCIM, fév. 95 et l’inventaire de Michel van Praët.
20 L’examen des dates de création indique une multiplication forte et récente des formations qui proposent un enseignement relatif aux musées. Commencé au milieu des années 1980, ce mouvement s’accélère à l’époque de la révision du statut de conservateur (cinq créations en 1990 ; huit en 1991), puis diminue légèrement pour se stabiliser vers une moyenne de trois par an.
1991 à 1996
22
1986 à 1990
8
1981 à 1985
4
1971 à 1980
2
1882 à 1970
2 0
Figure 1
5
10
15
20
25
Chronologie des formations en muséologie
Bien qu’elle se soit surtout réalisée dans un cadre universitaire (19 cas sur 22 depuis 1991), cette multiplication ne suffit pas à renverser la prépondérance des institutions proches du milieu professionnel (tout particulièrement de l’École du Louvre). On peut seulement dire que ces dernières ont perdu la situation de quasi monopole qu’elles occupaient pour conserver une position qui reste encore largement dominante : les cursus situés dans des écoles spécialisées proches du milieu professionnel (soit une sur dix) rassemblent les six dixièmes des effectifs étudiants de l’échantillon (1902 inscrits sur 3099). b) La localisation des formations est un autre indicateur des évolutions en cours : elle permet de voir la constitution de pôles d’attraction susceptibles de faire pendant à une implantation historiquement centralisée sur Paris. Deux régions rassemblent plus de la moitié des formations (27 sur 50). Il s’agit en premier de l’Ile-de-France, en conformité avec la forte concentration des centres universitaires en région parisienne. En particulier, l’Université de Paris I propose deux filières dédiées aux questions de la conservation des biens culturels et de leur médiation, respectivement situées dans les centres de Tolbiac et du Panthéon. En second, la région Bourgogne rassemble huit formations qui dépendent de l’Université de Dijon. À elles seules, ces deux universités regroupent un quart des formations de l’échantillon.
21 On note que la constitution de ces pôles doit beaucoup à l’influence des personnalités universitaires qui les animent : des enseignants fortement investis dans une stratégie de développement local de leur domaine d’activité dans un sens, soit d’extension transversale (interdisciplinaire), soit d’intégration verticale (couvrant plusieurs niveaux d’un même cursus). L’Université de Dijon illustre le premier cas de figure puisque c’est la dynamique impulsée par l’un des fondateurs du DEA de muséologie (D. Jacobi) – plutôt que la présence de l’OCIM et de son centre de documentation sur les musées –, qui explique le nombre élevé de formations ayant une composante de muséologie. Cette stratégie favorise la dissémination de ce domaine, selon diverses modalités (options, séminaires intégrés, stages…), dans d’autres disciplines relatives aux métiers de la communication, de l’ingénierie culturelle, de l’archéologie. La pratique d’essaimage sous la forme d’une intégration verticale (du DEUG jusqu’au DEA) est observée dans les deux filières de l’Université de Paris I (respectivement animées par Sodini et Darras), et dans une moindre mesure, dans d’autres centres universitaires (par exemple Clément à Lyon I). La situation est évidemment toute autre en termes d’effectifs : les universités et les écoles parisiennes rassemblent plus de sept dixièmes des inscrits, tandis que loin derrière, le Nord Pas-de-Calais compte près de 400 étudiants et la région Bourgogne, deux centaines. En résumé, la dissémination des formations en muséologie s’effectue en dehors des pôles du champ professionnel selon une logique qui relève surtout des pratiques universitaires et implique un éventail d’autres disciplines. Afin de savoir si ce nouveau champ d’action recèle les indices de processus de professionalisation parallèles à celui du métier de conservateur, nous avons recherché quels pourraient être les effets de l’influence du type de cursus universitaire sur la relation qui s’établit entre la formation et l’emploi – ce qui conduit à s’interroger sur l’adéquation entre les certifications et leurs débouchés tant potentiels qu’effectifs dans le champ muséal.
Caractérisation des certifications et leurs débouchés a)
L’examen des certifications selon leur finalité professionnalisante (DUT, MST, DESS, DES, DU) ou généraliste (DEUG, DEUST, Licence, Maîtrise, DEA) indique une proportion de deux tiers en faveur des premières7. Plus exactement, on voit que si, à l’exception du DEA situé au MNHN, tous les cursus insérés dans des institutions proches des milieux professionnels ont une finalité professionnalisante, la réciproque n’est pas vraie pour les formations en muséologie intégrées dans des cursus universitaires généralistes : sur 38 cas,
7. Diplôme Universitaire de Technologie ; Maîtrise de Sciences et Techniques ; Diplôme d’Études Supérieures
Spécialisées ; Diplôme d’Études Supérieures ; Diplôme Universitaire).
22 plus de la moitié (vingt et un) conduisent à une certification dont la finalité est qualifiée de professionnalisante, contre 17 cas de généraliste. Le fait que les enseignements de muséologie se trouvent en majeure partie dans des filières ayant un caractère professionnalisant – y compris dans les structures universitaires définies comme généralistes – n’est pas nouveau, comme le montre le graphique ci-dessous. On relève cependant une légère évolution : alors que jusqu’au milieu des années 1980, la quasitotalité des cursus décernaient une formation professionnelle, plus récemment, il s’est créé autant de cursus à finalité généraliste que professionnalisante de telle sorte que selon ce critère, l’hypothèse d’une nouvelle étape du processus de professionnalisation n’est pas confirmée – du moins sous cette forme directe puisqu’il n’est pas exclu que les certifications généralistes puissent déboucher soit sur une formation professionnalisante de niveau supérieur, soit sur l’émergence d’un nouveau métier.
12
11
11
10 8
total gén
6 4 4 2 0 0
0
avant-1970
Figure 2
1970-1980
total prof
3
2
2
4
1 1981-1985
1986-1990
1991-1996
Chronologie comparée des formations en muséologie généralistes et professionnelles
b) Le niveau de certification des formations est élevé : près de trois fois sur quatre, il est égal ou supérieur à bac+4, ou bien encore, une fois sur trois, à bac+5. De plus, les quelques formations du premier cycle universitaire (un cas sur sept) proposent souvent une troisième année de spécialisation. Par ailleurs, il s’agit essentiellement de formations courtes : sur les 50 cursus examinés, elle dure un an deux fois sur trois ; entre un an et demi et deux ans dans neuf cas ; trois ans dans trois cas (DES de l’École du Louvre – 1er cycle ; diplôme d’ingénieur maître en ingénierie culturelle et touristique ; diplôme d’ingénieur maître en gestion de la culture) ; enfin quatre ans dans quatre cas (MST Conservation et restauration des biens culturels ; DES conservation et restauration des œuvres sculptées ; diplôme de l’IFROA ; DES de conservation et restauration – option peinture de chevalet).
23 On note que les formations longues concernent surtout les métiers de la conservation, notamment ceux qui impliquent l’acquisition de savoir-faire techniques perfectionnés, auxquels se rajoutent deux formations à l’ingénierie culturelle. Ce sont des cursus professionnalisants, qui rassemblent la majorité des étudiants (63 % des effectifs).
7 bac+2
16 7
bac+3 bac+4 bac+5
20
Figure 3 Niveau de certification des formations en muséologie On peut remarquer que le niveau élevé des certifications n’est pas sans conséquences sur le type de relation formation-emploi qui lui correspond. En effet, s’il signifie que la muséologie est un corps de connaissances qui prépare aux fonctions de direction ou d’encadrement supérieur dans les institutions muséales, un problème peut se poser : étant donné que ces postes de responsabilité occupés par les conservateurs sont déjà largement pourvus, et fortement contingentés, existe-t-il d’autres débouchés pour ces formations, à moins d’entériner – crise de l’emploi aidant – une dévalorisation des diplômes avec l’affectation de leurs titulaires à des fonctions où ils seraient à la fois surqualifiés et sous-rémunérés, nonobstant les grilles indiciaires définies par les conventions collectives8. Cela ne résout pas la question de la formation aux postes du niveau intermédiaire (technicien supérieur) tout en hypothéquant la pérennité de ces cursus dans l’avenir, pour cause de saturation des débouchés. À cette situation correspond la difficulté des étudiants à s’insérer professionnellement dans leur filière d’élection, ou même en dehors. Les rares réponses à la question sur la proportion de diplômés qui ont trouvé un emploi en fin d’études paraissent éloquentes9 – la discrétion
8. Associé aux pratiques de recours croissant à l’emploi temporaire, le problème de la titularisation des personnels
hors statuts en situation de précarité est par ailleurs exacerbé par le développement des emplois jeunes au niveau des collectivités territoriales. Les récents mouvements de revendication montrent que ce problème peut entraver la bonne marche des établissements... 9. Présentés à titre indicatif, les résultats des huit réponses reçues qui concernent l’obtention d’un emploi en
muséologie ou sinon dans d’autres secteurs culturels (archives et documentation notamment) montrent une
24 sur des relevés positifs s’imposant ici d’autant moins que la majorité des cursus se situent dans une filière à finalité professionnalisante. Toutefois, dans un contexte de crise de l’emploi qui affecte particulièrement les jeunes, nous ne disposons pas des statistiques qui permettraient de situer le rang des professions du musée sur le marché du travail, par rapport à d’autres types d’activité, notamment dans le secteur culturel. Cela étant dit, dans l’hypothèse d’une professionnalisation progressive du milieu muséal, on conçoit que la formation aux niveaux de qualification les plus élevés ait été mise en place la première. Mais bien qu’elle soit en grande partie assurée par la voie des concours au poste de conservateur préparés dans les écoles spécialisées ayant une grande notoriété, le fait que les nouvelles formations universitaires se situent à ce niveau renforce l’écart entre le nombre de formations d’un niveau au moins égal à la maîtrise (36 sur 50) et celui des premiers cycles universitaires (7 sur 50). Ainsi, la professionnalisation se ferait présentement par la voie d’une déqualification relative d’un personnel très diplômé recruté dans les concours de conservateurs-adjoints ouverts au niveau des collectivités territoriales et formé sur le tas à la fonction de technicien supérieur, plutôt que par un appel croissant aux diplômés des quelques établissements qui décernent la qualification spécialisée requise par ces emplois. Quant aux fonctions les moins qualifiées, elles sont de plus en plus souvent assurées par un recours à l’emploi précaire, au prix d’une déprofessionalisation. Au demeurant, cette distorsion peut s’expliquer aussi par la propension des acteurs du milieu universitaire à hausser autant que possible le niveau des cursus qu’ils instaurent dans un nouveau créneau perçu comme « porteur » en raison d’un engagement manifeste de l’État10 et de l’existence d’une demande sociale, à l’aune du prestige académique qu’ils peuvent espérer en retirer – avec pour épiphénomène l’instabilité chronique de ce secteur de formation soumis aux aléas d’initiatives locales. On voit ainsi que les critères de compétitivité et de productivité, mais aussi de diversification et d’ouverture, qui marquent l’évolution des institutions muséales concernent tout autant celle des formations aux métiers du musée : en peu d’années, on passe d’une situation de quasi monopole de quelques institutions prestigieuses proches du milieu professionnel à un micro-marché où le jeu de l’offre et de la demande dépend tout autant des stratégies de carrière des acteurs universitaires que des politiques d’expansion des responsables du secteur muséal dans le champ des industries culturelles – chacun guidé par la logique de ses intérêts, selon son autorité de tutelle.
grande dispersion : DESS de Médiation et ingénierie culturelle à Nice (75 % avec 20 % en muséologie) ; DU Métiers du patrimoine à Lyon 2 (70 %) ; Maîtrise « Mecadoc » à Mulhouse (55 %) ; DUT InformationCommunication à Dijon (50 % dans leur filière) ; DEA de médiation culturelle à Paris 1 (50 %) ; MST du patrimoine à Montpellier 3 (44 %) ; DESS d’histoire et gestion du patrimoine culturel à Paris 1 (30 % pour la seule muséologie) ; DESS de communication scientifique et technique à Strasbourg (10 % pour la muséologie). 10. Au point d’être parfois décrié. Cf Fumaroli (1991).
25 Il faut remarquer que la transformation du champ muséal qui s’accomplit en parallèle avec celle de son système de formation ne lui est pas spécifique. Des processus comparables, bien qu’à des degrés et selon des modalités diverses, sont observables dans d’autres champs de pratique sociale, tel, pour citer un exemple proche de la culture et des musées, celui de l’éducation : « Le développement de l’autonomie statutaire, financière et pédagogique de l’université oblige à la considérer comme une institution dont les missions sont définies par l’État, mais également comme un ensemble de professions scientifiques, et de plus en plus comme une entreprise produisant des connaissances et des diplômés pour un marché » (Dubois, 1998). En résumé, ces quelques réflexions sur l’évolution de la relation formation-emploi dans le milieu muséal montrent l’ambiguïté du processus de professionnalisation avec d’un côté une expression élitiste autour du statut de conservateur, et de l’autre côté, un désengagement par la précarisation des emplois. Entre le malthusianisme du sommet et le grignotage de la base, le métier de muséologue représente-t-il une alternative pour les nouveaux diplômés surqualifiés qui souhaitent travailler dans ce secteur, en même temps qu’une régénérescence du milieu professionnel ? c)
La plupart des formations offrent un nombre limité de places. Ce numerus clausus est respecté au moyen de procédures de sélection qui se fondent principalement sur l’examen du dossier de candidature et un entretien avec le postulant – la voie du concours sur épreuves caractérisant l’entrée dans les établissements les plus prestigieux. S’agissant d’une formation initiale, il est rarement requis une expérience professionnelle antérieure. Les conditions financières ne constituent pas non plus un critère particulier de sélection : sauf exception, les frais de scolarité sont ceux des droits d’inscription universitaire. Si le déroulement des études varie selon le type de filière d’enseignement et de métier, la quasi-totalité des formations inclut des stages ou des voyages d’études. Situés le plus souvent en fin d’année scolaire, voire de l’ensemble du cursus, ils ne relèvent pas pour autant d’une pédagogie par alternance qui associerait des instances éducatives et professionnelles, sauf exception. Ils sont toutefois d’assez longue durée (pour le tiers des 27 cas relevés, cela varie de quatre à neuf mois ; dans la moitié des cas c’est de deux à trois mois, et quatre fois seulement, juste un mois). Il n’est pas très surprenant que les formations professionnalisantes regroupent presque tous les stages d’une durée égale ou supérieure à trois mois (14 fois sur 15, le DEA du MNHN faisant encore figure d’exception). L’examen des branches d’activité professionnelle concernées par ces stages montre leur importance dans les formations en gestion culturelle (7 cas sur 15, soit aussi la moitié des formations de ce type faisant partie de l’échantillon). Ce champ disciplinaire est même davantage représenté que celui des métiers relatifs au patrimoine (5 cas, soit le quart de leur part dans l’échantillon). Quant aux activités qui traitent des problèmes de réception-médiation, elles ne figurent que dans trois cursus (un sixième de leur représentation dans l’échantillon). Ces résultats, bien qu’issus d’un modeste échantillon, sont indicatifs des tendances qui concourent le plus à influer le devenir du milieu muséal dans le sens d’une nouvelle professionnalisation.
26 La destination de ces stages privilégie les « institutions culturelles » et parmi elles, plus de la moitié concerne des musées – y compris venant de cursus où la muséologie est formellement peu représentée, voire ignorée. Ceci n’est pas contradictoire avec l’image de ce secteur d’activité, à savoir, d’être davantage reconnu comme un terrain d’expérience pratique ou un nouveau gisement de débouchés professionnels que comme la matière d’un savoir scientifique. On pourrait même y voir la préfiguration du risque de mainmise opérée par certains professionnels sur la politique muséale, dénoncé par Desvallée. En somme, selon les critères de la structure d’accueil et du type de certification, l’hypothèse d’un processus de professionnalisation pluriel ne semble pas pertinente. S’il y a bien une tendance des institutions muséales à se rapprocher d’un mode d’organisation entrepreneurial, le besoin de personnels compétents dans les nouvelles fonctions requises ne se manifeste pas dans l’augmentation du nombre de formations professionnalisantes. En revanche, on voit que sans avoir un rôle structurant du curriculum des études, l’existence de stages d’assez longue durée manifeste le souci de maintenir une relation avec le milieu professionnel, à ceci près que la place tenue par les nouvelles formations à la gestion des organisations montre un glissement vers d’autres cadres de référence. Il reste que ces résultats ne tiennent pas compte d’une autre variable qui est la définition du curriculum disciplinaire : d’une part, ils mettent sur le même plan les formations professionnalisantes centrées sur la profession de muséologue/muséographe avec celles qui forment les professionnels d’autres secteurs d’activité où la muséologie est un savoir auxiliaire doté d’une faible dotation horaire ; d’autre part, cela ne préjuge pas des changements qui dans l’organisation des cursus et la définition des curricula peuvent manifester la transmission de connaissances relatives aux nouvelles qualifications demandées dans la profession, indépendamment de leur étiquetage formel.
Une discipline en construction Situation académique L’examen des programmes ou des plaquettes de présentation de 42 cursus qui intègrent le musée comme objet d’étude montre qu’il n’y en a que trois à avoir un intitulé explicitement affiché en muséologie : Diplôme d’Études Supérieures (DES) de l’École du Louvre (année de 2e cycle en muséologie) ; Diplôme d’Études Approfondies (DEA) de muséologie des universités de Dijon et de St-Étienne ; DEA de muséologie des sciences naturelles et humaines du Muséum National d’Histoire Naturelle. Autrement, elle figure au niveau d’options ou de modules intégrés dans le curriculum d’autres cursus universitaires (14 cas) ; ou alors, la muséologie est présente en tant qu’unité de valeur, voire comme l’objet d’une ou deux séances de séminaire (17 cas). À la limite, elle peut être traitée de manière quasiment clandestine pour éviter une concurrence ouverte avec la formation officiellement reconnue d’un autre établissement du même bassin universitaire. Au
27 total, 34 formations sur 42 affichent peu ou prou la muséologie dans leur curriculum officiel (comme domaine et/ou discipline) et dans les autres cas, elle est considérée comme un savoir diffus qui peut concerner presque toutes les disciplines enseignées, sans qu’on lui reconnaisse d’identité propre. Un bref examen chronologique montre que les trois cursus focalisés sur l’enseignement de la muséologie sont récents : en 1993 pour le premier DEA en muséologie d’où les deux formations citées plus haut sont issues en 1995 ; 1991 pour le second cycle de l’École du Louvre, refondu après sa création en 1945. De même, les modules obligatoires ou optionnels sont postérieurs à 1990, sauf la maîtrise dite Mecadoc créée à Mulhouse en 1987. Enfin, on remarquera que les cursus insérés dans les établissements dont la réputation historique, la taille et l’insertion institutionnelle proche d’un musée concourent à former le plus grand nombre de spécialistes des musées accordent à la muséologie une place très limitée dans leur formation de base (Premier cycle de l’École du Louvre). C’est ultérieurement, au cours d’une spécialisation à la fois plus strictement contingentée au niveau interne et ouverte à l’extérieur que la muséologie est pleinement reconnue. Ainsi, contrastant avec l’ancienneté des musées, la situation de la muséologie dans le champ universitaire est d’abord celle d’une jeune discipline en quête de reconnaissance, le développement des domaines qui la composent étant tributaire de leur ancrage dans d’autres disciplines associées à diverses filières professionnelles. Cependant, cette situation n’est pas contradictoire avec une position qu’on pourrait qualifier d’avant-garde dans un processus de reconnaissance à la fois disciplinaire et professionnel. Plus précisément, l’ancrage des formations représentées dans l’échantillon indique qu’elles peuvent être regroupées dans trois grands pôles d’activité : en premier, les métiers centrés sur le traitement du patrimoine (19 cas distribués entre découverte, restauration, conservation, archivage) ; ensuite, presque aussi nombreux, les métiers relatifs à la communication et à la réception des savoirs (17 cas répartis entre deux volets, l’un médiatique et l’autre didactique) ; enfin, les métiers autour de l’ingénierie culturelle et touristique, y compris la gestion et l’administration des musées (14 cas). La mise en rapport de ces trois pôles d’activité avec la finalité académique des formations montre que la quasi-totalité de celles qui s’appliquent au traitement du patrimoine sont professionnalisantes (18 sur 19), de même que celles relatives au management culturel (12 sur 14). En revanche, la grande majorité des formations à la médiation (qui se réclament le plus souvent de la muséologie) sont de type généraliste (14 sur 17). Ces résultats montrent une situation paradoxale : en dehors de la perpétuation de l’attention accordée aux témoins du patrimoine, le processus de professionnalisation s’appliquerait principalement aux aspects organisationnels de leur mise en valeur dans le champ de la consommation culturelle, et minimiserait l’interrogation autour des problèmes de réception par le public. Or, c’est pourtant cette voie que semble privilégier la muséologie comme enjeu d’une professionnalisation, au plan de l’expression formelle. Il en ressort l’image d’un processus éclaté entre plusieurs facettes étrangères l’une à l’autre quoique susceptibles de converger vers une redéfinition de la profession.
28 L’intrication des logiques universitaires et professionnelles Les résultats précédents montrent qu’à côté de l’interprétation socio-économique des changements observés dans la sphère muséale, il convient d’envisager d’autres logiques. Ainsi, dans la mesure où la création et l’évolution des formations dépendent du système universitaire et de son organisation en champs disciplinaires à la fois complémentaires et concurrentiels, on s’est demandé si l’instauration de cursus en muséologie aurait un rapport avec la formation disciplinaire de leurs responsables (assimilés aux fondateurs pour la plupart des cursus récents). Pour cela, nous avons examiné les liens de ces personnes avec le milieu professionnel d’une part, avec les champs disciplinaires dont le développement relance la question de la professionnalisation (gestion, communication, éducation) et, d’autre part, dans le souséchantillon des 28 responsables de formations concernant la muséologie qui nous ont indiqué leur parcours universitaire, on remarque d’abord la très faible présence d’acteurs issus de la filière spécifique au milieu professionnel (un seul cas de conservateur). Ceci est cohérent avec la dissémination de la plupart des cursus dans un cadre universitaire tout en manifestant la séparation entre les administrations éducatives et culturelles. Ensuite, l’examen des appartenances disciplinaires de ces responsables indique qu’à peine un quart est issu d’une des filières en rapport avec l’art (histoire de l’art, Beaux-Arts) traditionnellement proches du milieu muséal. Ils sont plus nombreux à avoir une formation en sciences de la nature, et surtout, en sciences humaines et sociales (12 cas sur 28, dont 4 viennent de la communication et 4 des sciences de l’éducation si on considère la double formation de deux personnes). On remarque également qu’aucun spécialiste en gestion ne dirige de cursus de muséologie. La multiplication des formations dans ce domaine est donc indépendante de l’identité disciplinaire des responsables de cursus muséologie. En fait, le statut des enseignants de gestion est essentiellement celui de personnels contractuels ou vacataires dont l’intervention correspond à la prise en compte accrue de cette dimension par le milieu professionnel, sans interférence avec le pouvoir académique. On dira alors que ces enseignants, bien que n’appartenant pas au milieu professionnel des musées, y jouent un rôle d’acteurs extérieurs de la mutation qu’opèrent ces institutions. S’il est donc hors de propos d’évoquer à leur sujet l’entrée des musées dans l’« Ère des managers », il reste que, pour les raisons déjà dites, la part grandissante que ce type de fonction est susceptible de prendre dans la vie des musées, rendue possible par le développement de formations dans ce domaine, conduit à s’interroger sur les rapports à venir avec le corps professionnel de la conservation : les méthodes de gestion sont-elles un savoir supplémentaire transmis en formation initiale ou continue aux représentants en titre du milieu muséal et sinon, à des auxiliaires spécialisés, ou bien augurent-elles un partage des responsabilités dans le cadre plus ouvert d’une future profession de muséologue ?
29
Tableau 1
Disciplines d’origine des enseignants (données pour 23 formations en muséologie) Conserv. Restaur.
Histoire de l’art
Archit. design
n
%
n
%
n
Direction
1
4
3
11
Permanents
22
12
25
Vacataires
170
37
193
29
Total
%
Sciences de la nature n %
Sciences hum. et sociales n %
n
%
N
3
11
9
32
12
43
-
-
28
14
21
11
21
11
66
36
28
16
183
60
13
21
4
62
14
53
12
91
20
457
88
13
45
7
92
14
131
19
119
18
668
Autres
Total %=100
Parmi les membres permanents, on voit qu’une majorité relative d’un tiers est issue des sciences humaines et sociales (dont 14 en sciences de l’éducation). Pour leur part, les divers spécialistes du champ artistique (plasticiens, historiens d’art) sont un peu moins représentés avec 46 enseignants. Quant à la répartition des personnels enseignants vacataires, elle est davantage fidèle à celle des effectifs d’élèves avec une forte représentation des spécialistes de la conservation et de la restauration des œuvres, concentrés à l’École du Louvre. Par ailleurs, nous nous sommes demandé si le développement de la muséologie à la fois comme discipline et fonction professionnelle autonome ne se produirait pas plus lentement dans les institutions du milieu muséal du fait qu’elle se ferait de l’extérieur, au travers de savoirs spécialisés nouveaux venus rattachés à d’autres branches d’activité sociale (communication, gestion, informatique…), qui doivent faire leur place au milieu des enseignements ancrés dans la tradition muséale. Le cas particulier du DEA de muséologie au MNHN figure une confirmation a contrario de cette hypothèse : en faisant abstraction de l’écart entre l’intitulé de cette formation et un curriculum où la didactique des sciences de la vie occupe une large place, cette création a bénéficié de l’absence de formation préexistante dans les métiers du musée, ainsi que de son implantation dans un établissement à vocation scientifique dont la problématique – en rapport avec la transmission de savoirs plutôt que l’apprentissage de la sensibilité esthétique – offre un terrain privilégié au développement de la muséologie.
30
Les signes d’une nouvelle condition professionnelle L’émergence de nouveaux domaines À partir de l’intitulé des formations et de la composition de leurs cursus on a examiné quels sont les types de domaines privilégiés parmi neuf fonctions principales : –
Médiation culturelle, conservation et restauration des œuvres, métiers du patrimoine, gestion, information et communication, muséologie, éducation, autres (informatique, langues …).
–
Les huit formations répertoriées jusqu’en 1987 préparaient aux fonctions de conservateur et de restaurateur.
–
La formation en information-communication apparaît en 1988, suivie en 1990 de trois formations centrées sur la médiation culturelle.
–
En 1991, création de deux formations en gestion, de même qu’en éducation, ainsi que d’un cursus sur le patrimoine.
–
En 1992, apparition de la muséologie.
–
Sur les 28 diplômes institués de 1993 à 1996, trois seulement portent sur la conservation restauration.
14 12 10
conserv
8 médiat 6 gestion
4 2 0
avant 1970
Figure 4
1970-1980
1981-1985
1986-1990
1991-1996
Dates de création des formations selon leur domaine principal
Dans la chronologie de ces thématiques, on peut distinguer trois périodes de durée très inégale : le règne des collections, la découverte du public, et enfin, avec la muséologie, la perspective d’une prise d’autonomie associée à un processus de transfert des fonds de l’État sur des financements régionaux, dans un contexte de libéralisation économique. On vérifie que cette dernière tendance se caractérise par la mise en exergue de deux fonctions auparavant considérées comme auxiliaires : d’abord la médiation/communication, qui place le public au centre de
31 l’activité muséale, et ensuite, la gestion, qui correspond au souci de davantage rentabiliser les installations et les ressources aussi bien humaines que matérielles. Cependant, il convient de nuancer cette analyse en faisant état de la complexité des situations observées, dont un trait est l’intrication plus ou moins poussée des trois fonctions désignées. Par exemple, plusieurs formations se situent en gestion du patrimoine tout en intégrant dans leur programme un enseignement sur la communication. La tendance à la polyvalence est encore plus grande pour les cursus qui se réclament des métiers du patrimoine conformément à la mission assignée aux conservateurs depuis 1990. Cette notion, qui recouvre un éventail de qualifications différentes pouvant donner lieu à un système d’options dont il est difficile de repérer la dominante. Allant à l’encontre de l’image d’une spécialisation plus poussée des compétences qui marquerait la professionnalisation des métiers du musée, il se pourrait que ce soit le développement de cette polyvalence qui y concoure davantage.
Le cas de l’éducation muséale Parmi les nouvelles fonctions dont le développement est indicatif du processus de constitution d’une profession de muséologue – au sens générique qui dépasse la juxtaposition de métiers spécialisés – l’éducation muséale occupe une place particulière : elle définit un domaine spécifique de ce secteur d’activité (à la différence, par exemple, de la communication ou de la gestion) centré sur la mission d’opérationaliser l’articulation des dimensions éducatives et culturelles de l’institution muséale, et plus largement, chargé de donner sens et contenu à la relation École-Musée. Ensuite, ce domaine engage l’avenir de la demande sociale faite aux musées puisqu’il fonde le travail de sensibilisation effectué à l’occasion des visites scolaires pour former les futurs adultes au « métier de visiteur ». Par ailleurs, l’intérêt porté à l’éducation muséale ne revient pas seulement à améliorer l’adaptation de l’offre des musées aux demandes du public tout venant, non plus qu’à celles d’un public scolaire de moins en moins captif : le produit des recherches sur les apports didactiques et les procédures pédagogiques de la visite, s’il permet de mieux répondre à la demande de loisir culturel des jeunes visiteurs (« apprendre sans s’ennuyer »), signifie aussi la revalorisation de la finalité des musées dans l’originalité de leur démarche pédagogique : la transmission du savoir aux différentes générations à partir de l’observation ou de la manipulation d’objets, dans des situations didactiques bien définies. Enfin, orienté sur la découverte et la mise en œuvre des conditions matérielles, sociales, cognitives et relationnelles qui permettent de faire du musée un lieu de sensibilisation et d’éducation de tous les publics, et d’abord de la jeunesse, le développement récent de ce domaine marque le fait qu’il ne saurait y avoir de profession de muséologue sans la constitution d’un ensemble de connaissances et de savoir-faire centrés sur la prise en charge, la motivation et la fidélisation de ses différentes clientèles, scolaires, familiales ou autres.
32 Aussi, au niveau des formations en muséologie, nous avons regardé si l’importance accrue de l’offre destinée aux visiteurs-clients se manifeste par une attention plus forte à la dimension éducative des expositions – que ce soit en réponse à des attentes ou pour stimuler un esprit de curiosité. Position dans les cursus En tant que domaine spécifique de la muséologie, l’éducation muséale, même comprise au sens le plus large (rôle pédagogique du musée ; rapports école-musée ; sensibilisation scolaire à la culture des musées …) n’occupe qu’une place restreinte dans la formation : parmi le sousensemble des 34 cursus où la muséologie figure dans le curriculum officiel, elle a la place d’une option dans deux des trois formations diplômantes en troisième cycle dans la discipline ; c’est une unité de valeur dans la moitié des 14 cursus optionnels en muséologie, et elle est citée sept fois comme un simple séminaire parmi les 12 unités de valeur répertoriées. Finalement, à peine la moitié (16 sur 34) des formations reconnues pour traiter de muséologie consacrent aux questions de l’éducation au musée ne serait-ce qu’un séminaire de quelques heures – alors que cette fonction, en sus de figurer parmi les missions premières des musées, permet de fonder l’attraction du public sur d’autres bases que l’appât de présentations spectaculaires. Tableau 2
Répartition des enseignements en éducation muséale selon le niveau de formation
3e cycle
Séance de séminaire
Unité de valeur ou séminaire
Option ou module
Total/ cursus en muséo
1
4
2
7/17
e
4
4
0
8/26
er
1
0
0
1/7
6
8
2
16/50
2 cycle 1 cycle Total
Les résultats montrent que par rapport à la répartition des cursus en muséologie, l’éducation muséale est d’autant plus souvent prise en compte que le niveau de la certification est élevé. Cela correspond au caractère de spécialité complémentaire de ce domaine. Incidence de la localisation Parmi les 17 formations qui abordent les questions d’éducation au musée, six se trouvent dans le sud-est de la France, la région Rhône-Alpes notamment (quatre entre Lyon, Saint-Étienne et Grenoble). L’écart par rapport à la localisation des formations en muséologie indiquée ci-dessus peut s’expliquer par les orientations différentes des filières d’appartenance : ainsi à Paris, la dominance de formations centrées sur la préservation-restauration des œuvres (qui s’explique par la présence des grands musées d’art nationaux) serait moins favorable au développement d’un enseignement intégrant le souci d’une action éducative auprès des publics que ne le sont des
33 formations tournées vers les métiers de la médiation ou de la gestion, plus nombreuses dans les régions particulièrement attentives au développement de l’activité touristique, comme la Provence Côte-d’Azur – ou encore, dans d’autres régions ayant un riche patrimoine industriel susceptible d’être valorisé sous l’enseigne d’une culture scientifique et technique à visée éducative, tel qu’en Rhône-Alpes. Identité disciplinaire En ce qui concerne les 16 formations qui proposent un programme d’étude en éducation muséale, la répartition des disciplines d’origine de leurs responsables indique11 : –
Une moitié d’universitaires issus des sciences humaines et sociales (dont 4 sur 8 en sciences de l’éducation), ce qui correspond aux trois quarts des responsables de cursus intégrant la muséologie formés dans ces disciplines.
–
Presque autant (soit 7 sur 16) de spécialistes des sciences de la nature, ce qui représente aussi les trois quarts des responsables d’un cursus en muséologie ayant cette formation.
–
Les secteurs proches des beaux-arts ou de la conservation ne figurent que par deux spécialistes en histoire de l’art, bien qu’un quart des responsables de cursus incluant la muséologie proviennent de l’une ou l’autre de ces filières.
Quant à la discipline d’origine des autres enseignants permanents de ces formations, on relève l’important écart entre la forte présence de spécialistes en sciences humaines et sociales (un sur deux, soit environ les trois quarts de l’effectif dénombré dans tous les cursus associant la muséologie) et la très faible part des enseignants en art plastique, architecture ou design (moins d’un sur cinq). En outre, on note que si la plupart (18 sur 23) des enseignants en conservation et en restauration des œuvres se trouvent dans les formations qui intègrent l’éducation muséale, cela concerne seulement la moitié des historiens d’art. Enfin chez les vacataires, on voit qu’en dehors des spécialistes des techniques de conservation et de restauration, presque tous ceux qui exercent dans des cursus de muséologie se retrouvent dans le sous-groupe concerné par l’éducation muséale. Cela signifie que la formation en éducation muséale est inversement proportionnelle au statut académique des enseignants qui l’assurent. En résumé, les enseignements en éducation muséale impliquent principalement des universitaires issus des sciences humaines, et en second, ceux issus des sciences de la nature. Ce constat ne fait pas qu’énoncer l’évidence de proximités disciplinaires ou de traditions scientifiques (importance des collections dans les sciences de la vie) : il rappelle aussi que ce sont les logiques universitaires qui se manifestent, sans qu’on puisse toutefois parler d’une désaffection du milieu professionnel.
11. Le total est supérieur à 16 du fait que quatre spécialistes des sciences de la nature ont suivi une double formation.
34
Conclusion Les éléments de réponse rassemblés autour de la question d’un processus de professionnalisation dans le milieu muséal qui se manifesterait au niveau de l’appareil de formation ne permettent pas de conclure de façon univoque, et encore moins, définitive. Sans ignorer les réserves qui peuvent être faites sur la composition de l’échantillon et les limites du corpus des données d’une part, sur le cadre théorique mobilisé pour l’interprétation des résultats d’autre part, plusieurs points sont à signaler. Si on peut parler d’un processus de professionnalisation, il ne se fait pas dans un milieu dépourvu d’histoire ni de tissu institutionnel. En particulier, comme le rappelle un article récent sur l’évolution des conservateurs de musée (octobre, 1999), c’est une profession ancienne dont le statut a été réaffirmé au début des années 1990. Elle n’en reste pas moins toujours confrontée à des changements qui, particulièrement visibles dans des secteurs comme celui des musées d’art contemporain, suscitent des clivages identitaires entre la mission du service public et la nécessité d’adopter des stratégies d’entrepreneurs qui interviennent en position d’acteurs sur un marché. Il conviendrait donc de parler plutôt d’un mouvement de redéfinition et de recomposition d’un champ professionnel jusqu’à présent focalisé sur les fonctions traditionnellement associées au statut de conservateur. Il est en outre manifeste que d’importants changements sont en cours dans le système de formation des professionnels des musées, avec notamment l’entrée en force d’un nouvel acteur social, l’université, dans un champ où les écoles spécialisées exerçaient un monopole de fait. Cette entrée s’accompagne d’une multiplication et d’une diversification des formations qui fait une place égale aux finalités généralistes et professionnalisantes. Les nouveaux cursus universitaires ne mettent pas en cause le rôle prépondérant des écoles spécialisées dans la formation des personnels potentiels des musées. En revanche, ils participent au renouvellement de ce secteur d’activité en développant de nouveaux domaines de compétences qui, en plus d’élargir l’éventail des fonctions assurées dans les musées, favorisent l’intégration d’autres types d’espaces culturels dans un champ plus étendu : la médiation du patrimoine. La question d’une professionnalisation se poserait ainsi non pas tant au niveau des différenciations institutionnelles ni même statutaires qu’à celui d’une évolution fonctionnelle de l’activité des personnels des musées : à côté de celles, traditionnelles, centrées sur la collecte et la conservation des œuvres, d’autres fonctions aussi anciennes, mais restées jusqu’à maintenant dans l’ombre comme relevant de l’intendance, font l’objet d’un surcroît d’attention en rapport avec les modifications de l’image des musées, de leurs rôle et position dans la société. Ces fonctions qui privilégient le rapport avec le public (médiation, information, éducation) conjugué avec la disposition d’une plus grande autonomie (non synonyme d’indépendance administrative)
35 se trouvent diversement prises en considération dans la finalité des nouvelles formations universitaires : alors que celles qui mettent l’accent sur l’ingénierie culturelle se situent (au même titre que la conservation-restauration) dans les cursus professionnalisants, celles qui portent sur la médiation sont plutôt dans des cursus de type classique. Malgré leurs différences, la conjonction de ces deux fonctions concourt à l’adoption d’un modèle d’organisation entrepreneuriale par des établissements que la stagnation ou la baisse en francs constants de leurs subventions (quand les collectivités territoriales ne compensent pas le désengagement de l’État), pousse de plus en plus à s’implanter sur un marché où ils sont en concurrence avec les offres des loisirs culturels. Aussi, pour se développer ou simplement, pour subsister dans un contexte de contraintes supplémentaires, ils doivent attirer et fidéliser une clientèle source de recettes en même temps que rationaliser leur organisation. Par cette stratégie d’augmentation de leur capacité d’autofinancement, ils peuvent espérer disposer de moyens suffisants pour réaliser les projets d’une politique plus autonome. C’est dans le cadre de cette logique que nous avons interprété l’émergence récente de formations en muséologie et tout particulièrement, en éducation muséale, survenue sitôt après la création de cursus sur la médiation : pour sa part, la muséologie suscite une nouvelle catégorie de professionnels dotés d’un éventail de compétences spécialisées. En particulier, ils sont à même de contribuer à la mutation des institutions muséales en entreprises culturelles grâce à l’amélioration de la qualité de l’offre faite à un public varié soumis à de multiples sollicitations. De ce point de vue, on dira que si la venue des muséologues manifeste l’acquisition d’une autonomie et la reconnaissance d’une spécificité par rapport à certains corps de métiers extérieurs au milieu muséal (universitaires, architectes, scénaristes, designers, …), qui interviennent fortement dans son orientation, c’est qu’elle pourrait figurer aussi le pendant, au titre de capital humain, de l’investissement que représentent au plan matériel les opérations de création, d’extension et de rénovation des musées. Vecteur d’une réappropriation du milieu muséal par ses représentants, la muséologie participerait ainsi pleinement à un processus de re-professionnalisation, au sens de réoccupation d’un territoire contesté par d’autres professions. Mais encore, il se pourrait qu’au niveau interne, la reconnaissance de la muséologie comme matrice d’un renouvellement de la profession ait pour contrepartie une perspective de redéfinition identitaire et de transfert partiel de souveraineté, prix que dans les secteurs les plus ancrés dans la tradition des métiers du musée, les dépositaires de la transmission de ces savoirs pourraient hésiter à payer. L’introduction de la muséologie, discipline à l’intitulé ambigument rassembleur, est-elle un pari sur l’avenir fondé sur un éventail d’expertises plus étendu que celui des métiers traditionnels de la conservation, qui implique des relations plus étroites entre les écoles spécialisées et le milieu universitaire (orientation suivie par le second cycle de l’École du Louvre) ? S’agit-il plutôt d’un autre avatar du Cheval de Troie ? Sur le fond, la question demeure très ouverte quant à la façon d’apprécier l’introduction progressive, réelle ou potentielle, des conditions de l’économie de marché dans la sphère muséale. D’un côté, cela peut favoriser un processus de professionnalisation et une prise
36 d’autonomie par rapport à des pesanteurs politiques et sociales liées à la centralisation administrative. De plus, grâce à la popularisation de l’offre muséale qu’implique une politique visant à l’autofinancement, cela peut contribuer à faire évoluer la conception élitiste de la culture. Mais d’un autre côté, on peut se demander si d’autres ordres de pression ne risquent pas de se substituer aux précédents : que ce soit au niveau des administrations territoriales selon la façon dont elles gèrent la tutelle héritée de l’État dans le cadre de la décentralisation, ou bien par les conséquences d’une mise en concurrence directe avec des entreprises du marché des loisirs dont les intérêts privilégient d’autres ordres de valeurs que la diffusion humaniste de la culture. Sur ce dernier point, on peut aussi se demander si la multiplication d’enquêtes de chalandise et de procédures d’évaluation des pratiques de visite ne préfigure pas – à côté de leur contribution reconnue à parfaire la qualité de l’offre muséale et son profit pour le public grâce à une meilleure connaissance scientifique des processus de réception – le développement d’un système de consommation culturelle scientifiquement dirigé qui serait le contrepoids, d’une façon respectueuse de la spécificité des finalités des musées, aux procédures d’orientation des pratiques de consommation de masse. En ce sens, associé au souci de rationalisation économique, le développement d’une pratique de la muséologie ne fournirait-il pas les moyens supplémentaires devenus aujourd’hui nécessaires pour qu’une politique en accord avec les valeurs humanistes fondatrices des musées soit mise en œuvre ? RÉFÉRENCES Costa de Beauregard, P. et Hanet, D. (1999). La formation des conservateurs en Europe, éléments de comparaison. Musées, no 221/222, déc. 98/mars 99, 64-67. Deloche, B. (1985). Museologica. Contradictions et logique du musée. Paris : J. Vrin. Desvallées, A. (1997). Exhiber ou démontrer ? L’objet de l’exposition. Musées, Vol. 19, no 1/La lettre de l’OCIM, no 50, 28-32. Dubois, P. (1998). Les universitaires entre l’État, la profession et l’entreprise. Dans L. Bourdoncle et L. Demailly (dir.). Les professions de l’éducation et de la formation. Lille : Presses Universitaires du Septemptrion. Freidson, E. (1984). La profession médicale. Paris : Payot, (éd. orig. 1970). Fumaroli, M. (1991). L’état culturel. Une religion moderne. Paris : Éditions de Fallois. Goode, W. J. (1960). Encroachment, Charlatanism, and the Emerging Profession : Psychology, Medecine, and Sociology. American Sociological Review, XXV, 902-914. Octobre, S. (1999). Profession, segments professionnels et identité. L’évolution des conservateurs de musée. Revue Française de Sociologie, XL-2, 357-383. Tanguy, L. (1986) (dir.). L’introuvable relation formation/emploi. Un état des recherches en France. Paris : La Documentation française.
ANNEXE : Liste des formations étudiées Région Alsace (3 formations) Bourgogne
Ville Mulhouse Strasbourg Dijon
Établissement Université de HauteAlsace Université Louis Pasteur Université de Bourgogne
(8 formations)
Bretagne (2 formations) Centre (2 formations) Franche-Comté
Rennes
Ile-de-France (19 formations)
Paris et banlieue
Tours Besançon
IUP IUT Université de Rennes 2 IUT de Tours École des Beaux-Arts Université de FrancheComté École du Louvre École Nationale du Patrimoine IFROA Muséum National d’Histoire Naturelle Université de Paris I
LanguedocRoussillon Nord (2 formations)
Filière de Formation Mécadocte (archives et docu. pour collect. territoriales) Com. scient. et tech. Act. art., pol. cul., mus.
Certification Licence Maîtrise DESS DESS
Géologie (mus. Sc.-Tec.) Gest. activ. touristique Gestion de la culture Hist. art et archéol Méthodes en archéol. Ingén. éduc. et cult. Métiers du livre Métiers de l’exposit. Concours conservat Carrières sociales Conserv.-restaurat. œuvres sculptées Attaché artistique
Maîtrise DESS Diplôme ingénieur DEUG DESS MST DUT MST
Premier et second cycles (muséologie) Concours conservation
Diplôme de l’École du Louvre DES École du Louvre Diplôme de l’École du Patrimoine Diplôme de l’École du Patrimoine DEA
Conservation du patrimoine Restauration d’œuvres d’art Muséo sces naturelles et humaines
DUT (spécial.) DES D.U.
MST DESS DESS DEUG Licence Maîtrise DEA DEA Maîtrise MST DESS DESS DEA
Montpellier
Conservation des biens culturels id. Histoire et gestion du patrimoine Médiation culturelle id. id. id. Université de Paris V Sciences de l’éducation (option) Université de Paris VII Conception de projets culturels Université de Paris VIII Études européennes id. Université de Paris X Consultant culturel Université Paris-Sud et Enseignement et diffusion des sciences ENS Cachan Université Paul Valéry Patrimoine
Arras
Université d’Artois
Lille
I.U.P.
DUTAE Licence Maître-ingénieur
Tech. archéo. en Europe Valoris. patrimoine européen Art et Culture
MST
Liste des formations étudiées Région Pays de la Loire Provence-Côtes d’Azur (4 formations)
Réunion Rhônes-Alpes (5 formations)
Ville Angers Aix-en-Prov. Avignon Nice La Réunion Grenoble Lyon
Saint-Étienne
Établissement IUP Université de Provence École des Beaux-Arts Université de Nice-Sophia Antipolis Université de Grenoble 1 et Université de Lyon 1 Université de Lyon 1 Université de Lyon 2 Université de St-Étienne et Université de Bourgogne
Filière de Formation Ingénierie transport, tourisme Médiation culturelle
Certification MST MST
Cons-rest.peinture sur chevalet Information et communication Médiat et ingénierie culturelle Art plast. et musée Didactique des disc. scientifiques
DES Maîtrise DESS DUA DEA
Info. et doc. sc. et tech. Muséo. des sc. et tech. Métiers du Patrimoine Muséologie
DEUST DEUST DU DEA
L’ÉDUCATION ET LE MUSÉE EN PERPÉTUELLE MÉTAMORPHOSE1 Eilean Hooper-Greenhill2
Les problèmes de construction de sens dans les musées Le plus grand défi que doivent actuellement relever les musées réside dans la reconceptualisation de la relation public-musée. Depuis près d’un siècle, les musées ont entretenu une relation plutôt distante avec le public. Maintenant, ils cherchent de nouvelles façons de se rapprocher de leurs visiteurs. Ce besoin se fait d’ailleurs de plus en plus pressant à mesure que l’on demande aux institutions muséales de devenir des environnements sociaux accueillants où il est possible pour le visiteur d’acquérir des connaissances tout au long de sa vie. Bien souvent, lorsqu’il est question de la relation du musée avec ses visiteurs, on donne priorité à sa fonction éducative. Le rôle éducatif du musée est un concept établi depuis longtemps, mais son objet, sa nature et sa visée suscitent encore plusieurs débats au sein de la profession. L’incertitude à définir la nature de l’éducation offerte dans les musées et les galeries d’art ainsi qu’à déterminer la forme que prendra la pédagogie muséale, s’explique en partie par le manque de connaissances des profonds changements survenus tout au long du siècle dernier, au sein des processus éducatifs et des structures d’enseignement à l’extérieur des musées. De plus, jusqu’à quel point considère-t-on le rôle éducatif du musée au moment de traiter de questions plus vastes ayant trait à l’utilité de la culture au sein de la société ? Dans les institutions plus conventionnelles comme les écoles, les collèges et les universités, le contenu éducatif et les méthodes utilisées pour l’enseignement et pour l’apprentissage se sont radicalement modifiés depuis le début du XXe siècle. Le contenu des programmes scolaires a été bien souvent l’objet d’analyses et de débats politiques et sociologiques. De plus, la professionnalisation des enseignants est maintenant bien établie. Depuis les 30 dernières années, des recherches systématiques ont été effectuées en éducation afin de connaître l’efficacité des différentes méthodes d’enseignement, de développer différentes techniques d’apprentissage et d’évaluer l’utilité voire la pertinence de certains contenus disciplinaires destinés à des groupes d’âge spécifiques. De plus, les organismes œuvrant au sein des communautés, mais en dehors des institutions, utilisent des approches qui font appel à une conception de l’enseignement axée sur l’apprentissage permanent. Ils œuvrent bien souvent au sein d’un cadre qui doit tenir compte de la dimension politique de l’éducation et de la culture, compte tenu que des questions de
1. Cet article est basé sur des extraits de mon livre Museums and the interpretation of visual culture (Routledge,
2000) ; les idées y sont alors documentées et explorées à fond. 2. Traduction : Anne-Marie Lemaire.
40 représentation et de ressources sont soulevées quotidiennement. L’articulation de la culture, de l’éducation et du pouvoir devient alors importante. Au moment où on a pris conscience que l’enseignement et l’apprentissage ne se limitaient pas aux institutions conventionnelles, mais qu’ils avaient cours tout au long de notre vie, au sein de multiples lieux informels, le concept d’éducation s’est approfondi et élargi. Les processus éducatifs traditionnels ne représentent qu’un faible et quelquefois inefficace pourcentage de ceux qui sont nécessaires tout au long de la vie; ils impliquent à la fois l’acquisition d’un nouveau savoir et d’une expérience enrichie de même que l’utilisation d’habiletés et de connaissances déjà existantes. L’importance accordée aux techniques d’apprentissage a amené les chercheurs à s’intéresser aux différentes façons, traditionnelles ou non, propres à chaque individu d’aborder le processus d’apprentissage et de compléter une expérience pertinente et significative. L’intérêt porté à l’interprétation individuelle mène tout naturellement à des questions d’identité et de culture. Dans le domaine de la muséologie, des analyses similaires sont apparues beaucoup plus tardivement et ont eu beaucoup moins de portée. La connaissance des visiteurs et l’attention accordée aux processus d’apprentissage demeurent rudimentaires. L’ancien concept d’éducation comme processus didactique limité à des horaires et à des lieux spécifiques est encore de rigueur. Ainsi, le rôle éducatif du musée a plus de chances d’être considéré comme un service destiné spécifiquement à des groupes ayant effectué des réservations comme, par exemple, des groupes scolaires. Ce travail, bien qu’il soit hautement spécialisé, est très souvent confié aux jeunes employés de l’institution et ne fait pas toujours partie des priorités lors des prises de décisions administratives. Le type d’apprentissage que l’on retrouve dans les musées, celui qui permet à l’individu d’acquérir des connaissances tout au long de sa vie, est encore très peu compris et le puissant rôle pédagogique des dispositifs de présentation des expositions n’est presque pas reconnu et est rarement considéré comme objet de recherche. À une époque où les musées doivent développer rapidement une relation plus étroite et de plus grande qualité avec les publics traditionnels et les nouveaux publics, plusieurs ne maîtrisent pas les concepts propres à l’éducation et ne possèdent ni l’expertise ni le personnel nécessaires.
La pédagogie muséale et la construction du sens Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, les musées étaient considérés comme des institutions éducatives qui jouaient un rôle social important. Toutefois, leur approche pédagogique était basée sur une didactique conventionnelle et sur la conviction que la seule présentation d’objets suffisait à assurer la transmission des connaissances. Ainsi, les dispositifs de présentation servaient à communiquer des lois universelles sur les disciplines associées aux objets. Ils étaient présentés de façon conventionnelle et indifférenciée à de vastes publics, selon le paradigme de l’histoire naturelle. De nos jours, cette approche n’est plus de mise. L’éducation est maintenant comprise comme un processus qui donne priorité à l’expérience et aux besoins d’apprentissage de l’apprenant. Elle reconnaît également l’existence d’une pluralité de publics aux attitudes culturelles et aux caractéristiques sociales distinctes. Cette nouvelle conception de l’éducation incite les musées contemporains à développer de nouvelles formes de relations avec
41 le visiteur et avec les différentes communautés, relations basées sur des méthodes de communication plus personnalisées et sur des approches pédagogiques diversifiées. Dorénavant, les musées doivent considérer les différents usages que les individus font des expositions visitées. À cet égard, ils doivent évaluer diverses possibilités d’ouverture pour leur institution. La fonction pédagogique des musées peut être analysée en observant à la fois ce qui est dit et comment cela est dit. En premier lieu, la pédagogie muséale est structurée par des discours construits à l’aide des dispositifs de présentation muséale et, en second lieu, par des méthodes utilisées afin de communiquer ces discours. Elle crée un environnement visuel propice à l’apprentissage où les visiteurs élaborent leurs propres stratégies d’interprétation. Que se passe-til lorsqu’ils entrent dans un musée et observent les dispositifs de présentation des expositions ? Comment construisent-ils un sens à partir de ce qu’ils voient et de quelle manière ce sens est-il influencé par les intentions de ceux qui ont produit l’exposition ? Quelles sont les conditions de construction du sens dans les musées et les conditions d’interprétation de la culture visuelle ? Ces questions complexes et polysémiques sont soulevées lorsque l’on s’intéresse au rôle éducatif du musée. Certaines questions se posent relativement aux objets. Quels sont ceux qui font partie des collections ? Pour quelle raison ? Que sait-on à leur sujet et sous quel angle cette connaissance est-elle abordée ? Un élément essentiel à la construction de sens réside dans la présence ou l’absence d’objets particuliers ; une autre considération essentielle a trait au cadre d’intelligibilité au sein duquel les objets collectionnés sont placés. Les objets sont assemblés dans les musées afin d’émettre des messages visuels qui se conjuguent pour produire des discours visuels. Les collections et les expositions individuelles sont la conséquence de réflexions discriminant ce qui est pertinent et ce qui ne l’est pas. Chacune incarne des idées et des valeurs et les exprime de façon plus ou moins explicite. Les objets entretiennent des relations ambiguës et variables avec le sens. Ils sont muets à cet égard, leur signification permet plusieurs interprétations. Ils peuvent être perçus à partir d’un éventail de points de vue qui diffèrent selon l’époque ou la culture spécifique. Différents types d’individus peuvent introduire ces objets dans une conversation et ce, au moyen de diverses stratégies faisant en sorte qu’ils aient un sens. Les objets peuvent être compris à l’aide d’informations factuelles ou peuvent être investis d’une signification émotionnelle. Ils possèdent leur propre histoire connue, inconnue ou maintenant oubliée, et se prêtent à des interprétations multiples et quelquefois contradictoires. Si les objets considérés isolément sont complexes du point de vue de leur signification, les expositions – groupes d’objets combinés avec des mots et des illustrations – le sont encore davantage. Le sens se situe alors dans les relations entre les objets et les autres éléments ; il est combinatoire et relationnel. Les idées que l’on cherche à communiquer par la mise en scène du dispositif de présentation muséale sont souvent – mais pas toujours – clairement suggérées dans les textes de l’exposition. Il se peut que le visiteur préfère interpréter par les textes plutôt qu’à l’aide des différents éléments visuels. Toutefois, l’expérience du visuel est différente de
42 l’expérience du texte ; elle est plus ouverte et, en même temps, il est plus difficile d’en discuter. Bien souvent les conservateurs préfèrent laisser le sens potentiellement ouvert et ambigu, particulièrement dans les expositions présentées dans les musées d’art. Même lorsque les textes semblent commander des interprétations spécifiques, comme dans les musées de sciences, l’exposition ne garantit pas une façon unique de vivre l’expérience. Il n’est pas facile de traduire verbalement l’expérience visuelle. Pour cette raison, il est difficile d’en discuter, de la partager et de la comprendre. L’émotion profonde naît d’une couleur, la réaction physique peut dépendre de la foule environnante ; la relation est à la fois incarnée et dans l’image cérébrale. Tout cela reste bien mystérieux. Au sein des musées, le phénomène du dispositif de présentation – ou des expositions – constitue la forme pédagogique la plus importante. Les dispositifs de présentation caractérisent le musée pour la plupart des visiteurs. Ils produisent et transmettent des connaissances. Toutefois, les expositions tout comme les technologies visuelles constituent des formes problématiques de pédagogie. D’une part, les techniques de production des expositions sont bien développées ; les professionnels de musées savent comment les objets doivent être assemblés et présentés au public et ils tiennent compte à tout moment de la conservation physique des objets. D’autre part, l’interprétation des expositions par les visiteurs est beaucoup moins bien comprise, analysée et étudiée. Dans la plupart des musées, l’idée de considérer à la fois le phénomène d’interprétation des visiteurs et celui des conservateurs comme parties intégrantes d’un même processus de développement d’une exposition demeure souvent incomprise et inexplorée. Dans l’enseignement, on conçoit les nouveaux matériaux d’apprentissage en considérant et en évaluant, dès le début du processus d’élaboration, les connaissances, les attitudes et les perceptions des étudiants en situation d’apprentissage. Dans le développement des expositions, il est encore rare de manifester un intérêt similaire envers les connaissances des visiteurs. Bien que les expositions soient créées afin de communiquer des messages visuels et textuels, rien ne garantit que le sens proposé sera bel et bien compris. Les visiteurs réagissent différemment face à une exposition. Ils peuvent saisir ou non les significations proposées. De plus, en les percevant, ils peuvent être en accord ou en désaccord avec celles-ci, les trouver intéressantes ou non, leur porter attention ou non. Par exemple, alors que certaines expositions d’art sont conçues de façon à illustrer une école ou un mouvement particuliers de l’histoire de l’art, les visiteurs peuvent évoluer au sein d’un cadre d’interprétation beaucoup plus personnel. Par exemple, un visiteur du Musée Royal de l’Ontario à Toronto écrit à propos de sa réaction face à une peinture exposée dans les galeries historiques canadiennes : Ma grand-mère paternelle est née à Glace Bay. Tout au long de ma vie, je me suis demandé à quoi avait ressemblé son enfance. Depuis quelque temps, je ne peux communiquer avec elle qu’en criant et en utilisant le langage des signes. Elle a 92 ans. Elle va mourir bientôt, mais maintenant j’ai vu sa maison. Maintenant, les mots ne sont plus nécessaires. Merci.3
3. Worts, 1995:176.
43 Il relève de la responsabilité du conservateur ou de l’équipe de conception d’une exposition de créer des dispositifs de présentation qui possèdent une cohérence interne clairement transmissible aux visiteurs. Toutefois, les visiteurs construiront tout de même leur propre cohérence, qu’elle soit conforme ou non à celle du conservateur. Il n’existe pas qu’un seul processus d’interprétation, mais bien plusieurs, et ceux-ci originent de perspectives variées. Le sens rattaché aux objets présentés au visiteur sera différent suivant le rôle que celui-ci adopte à ce moment-là (parent, individu scolarisé, guide touristique, artiste, personne seule). Les visiteurs du musée produisent du sens à partir de leur point de vue personnel, en utilisant leurs habiletés ou leur savoir, selon les demandes du moment en réponse à l’expérience offerte par le musée.
La structure de la pédagogie muséale Le type de collection et la nature des informations que l’on cherche à véhiculer influencent directement l’expérience vécue au musée. Les collections transmettent des messages de différentes façons et au moyen de différents styles de dispositifs de présentation. Les uns comme les autres incarnent l’idée que les conservateurs se font des visiteurs, de leurs connaissances ainsi que de la façon dont ceux-ci font usage de l’exposition. Il est possible d’analyser la pédagogie muséale à la fois par le biais du contenu et du style. Le contenu pédagogique fait référence à la nature du message transmis ou de l’objet d’enseignement. Dans le domaine muséal, cela correspond aux messages exprimés par les collections et par les dispositifs permanents de présentation ou par des expositions temporaires. Le style pédagogique réfère au mode de transmission du message ou à la méthode d’enseignement. Dans le domaine muséal, cela correspond au style de communication des dispositifs de présentation, incluant la façon dont les objets sont utilisés et disposés, la façon dont le texte est rédigé, la présence au sein de l’exposition de différents stimuli sensoriels comprenant la vue, le toucher et l’ouïe, l’utilisation de la lumière et de la couleur, l’utilisation de l’espace, etc. Évidemment, il existe une relation entre le contenu et le style, puisque que le mode – ou le style – de communication véhicule des idées représentant les réponses et les comportements attendus. Ces « intentions cachées » impliquent la présence de certaines attitudes, perceptions et valeurs qui, même si elles ne sont pas énoncées clairement, semblent être reconnues par les visiteurs. Au cours de la dernière partie du XIXe siècle, le style des dispositifs de présentation muséale a été influencé par une nouvelle approche tenant compte de la façon dont les objets pouvaient être perçus et utilisés dans la production du savoir. Les objets étaient alors considérés comme des sources de savoir ; ils représentaient des éléments du monde réel possédant des significations fixes et circonscrites qu’il était possible de découvrir définitivement, puis d’enseigner par leur présentation. Les liens établis entre les séries d’objets exposés visaient à illustrer les lois universelles propres à certaines disciplines comme l’histoire de l’art ou à mettre en représentation
44 les familles d’oiseaux ou de plantes. Mettre en lumière ces connaissances et les rendre accessibles par le biais du musée public constituait alors un acte pédagogique, puisque les visiteurs qui déambulaient à travers les salles d’expositions acquéraient de nouvelles connaissances. Selon cette technique d’exposition, on croyait qu’un important gain social serait obtenu, étant donné qu’un grand nombre d’individus apprenaient simultanément de nouvelles choses. De nos jours, on reconnaît que cette approche éducative est inefficace dans les écoles et les collèges. Les professeurs sont maintenant encouragés à utiliser des méthodes pédagogiques adaptées aux différents styles d’apprentissage qui offrent des expériences d’apprentissage diverses et qui tiennent compte du fait que le processus individuel d’acquisition de connaissances est de nature active. La théorie constructiviste étudie et évalue les différentes méthodes qui peuvent aider l’apprenant à saisir le sens et les éléments pertinents d’un objet d’enseignement de façon à ce que le processus d’apprentissage se produise. Elle tente également de mettre en place les conditions les plus favorables à cet apprentissage. Certains musées ont commencé à tenir compte de cette théorie éducative contemporaine dans leur façon de concevoir les expositions. Toutefois, plusieurs musées produisent encore des dispositifs de présentation qui ne tiennent pas compte des divers besoins de l’individu en cours d’apprentissage. Dans certains musées, les dispositifs de présentation ont changé radicalement de style ; l’apparence conventionnelle et magistrale des salles d’expositions a été modifiée à mesure que les méthodes de communication avec les visiteurs devenaient plus informelles et plus vivantes, en offrant davantage de possibilités d’interaction mettant en jeu le corps et l’esprit. Il est maintenant connu, par exemple, que le public familial recherche des dispositifs de présentation variés qui peuvent être utilisés de différentes façons. Toutefois, bien que plusieurs musées produisent maintenant des dispositifs de présentation plus vivants, certains principes qui sous-tendent l’approche traditionnelle prennent plus de temps à changer. De nos jours, les théoriciens de l’éducation reconnaissent le fait que les individus en cours d’apprentissage ont besoin d’établir une interaction signifiante avec une nouvelle information avant que celle-ci ne fasse partie de leur répertoire de connaissances. De plus, ils estiment que pour offrir un environnement facilitant l’apprentissage, il faut établir avec les apprenants ce qu’ils considèrent comme signifiant. Il ne suffit pas de fournir des occasions où il est possible de manipuler et de toucher, si les concepts fondamentaux de l’interactivité demeurent trop complexes pour le public ou lui sont étrangers. Il est nécessaire qu’une étude du public et que des objectifs pédagogiques clairement définis viennent compléter ces présentations muséales aux styles vivants et attrayants. Les musées font beaucoup d’efforts afin d’inclure l’étude préalable du public dans le processus de développement d’une exposition. De cette façon, les interrelations entre le style et le contenu deviennent visibles. Bien que les publics désirent que les discours visuels du musée soient à la fois accessibles et divertissants, ils se préoccupent également du contenu de ceux-ci. Au sein de sociétés de plus en plus diversifiées du point de vue de l’origine ethnique, des traditions culturelles et de l’expérience historique, les individus qui appartiennent à des communautés sociales et culturelles distinctes réagissent aux musées et à leurs collections en fonction de leur propre vision des choses. Une recherche menée au sein de communautés ethniques en Angleterre a permis de démontrer qu’elles considéraient que les apports du peuple noir à la société
45 britannique étaient ignorés parce qu’une vision coloniale du passé prévalait encore au sein du musée. Toutefois, les musées étaient également perçus comme des lieux où il était éventuellement possible pour des parents asiatiques et afro-caribéens de discuter de leurs propres valeurs culturelles4. Un visiteur du Horniman Museum, situé au sud de Londres, a écrit ce poème après avoir pris connaissance des collections africaines : Maternity figure of woman on Ashanti stool suckling child – wooden, still – milk-breathed and at one. Maternity figure of woman other situation we know full well non child to suckle. Child done gone. Sold. Mother wooden – still – Too drained, too whip-lashed. A stone ; non stool5.
Il est rare d’entendre une réponse de ce type dans des musées. Habituellement, c’est la voix et le texte du conservateur qui prévalent. Si les musées désirent devenir des lieux d’intégration sociale, ils doivent considérer différentes perspectives, en tenir compte et faire en sorte qu’il soit possible de les voir et de les entendre. Au sein de certains musées, les messages visuels et textuels des dispositifs de présentation ont été l’objet d’analyses, de critiques et même, quelquefois, de polémiques. C’est le cas dans les musées d’ethnographie où il est possible de discerner plus clairement les politiques de la culture visuelle du musée. Plusieurs, particulièrement en Amérique du nord, en Nouvelle-Zélande et en Australie, ont dû se sensibiliser à différentes versions de l’histoire, à des discours complémentaires ou contradictoires et à la subjectivité des publics. En muséologie, c’est dans un contexte historique que le caractère construit du sens est démontré avec le plus de clarté. Que le public puisse se représenter ou imaginer le passé demeure une question controversée. Cependant, les idées véhiculées avec le plus de force dans les musées d’anthropologie sont souvent d’un intérêt plus général. Tous les types d’objets exposés acquièrent une signification en fonction du cadre interprétatif au sein duquel ils sont placés et selon l’interprétation historique ou culturelle à partir de laquelle ils sont perçus. Ainsi, l’interprétation de la culture visuelle possède des implications politiques ; elle peut permettre à certains individus, groupes ou communautés,
4. Desai and Thomas, 1998. 5. Anim-Addo, 1998: 39.
46 de voir différentes opportunités s’ouvrir à eux, tout comme elle peut leur en bloquer l’accès. La pédagogie muséale fait partie de la politique culturelle.
Le musée moderne, un modèle durable De nos jours, les musées se transforment ; ils évoluent vers un nouveau modèle à partir d’un nouveau concept, soit celui du musée moderne. Ce dernier a vu le jour en Europe au cours du XIXe siècle. Contrairement aux cabinets de curiosités et aux collections royales, le musée moderne a été conçu afin de jouer un rôle public au sein de l’État-nation. Ce rôle se vouait à l’éducation de larges pans de la société. Le « Victoria and Albert Museum » et le Louvre en sont deux exemples. Les artefacts et les spécimens collectionnés et classifiés par les musées, issus bien souvent de territoires colonisés par la nation collectionneuse, ont été rassemblés afin d’illustrer une vision encyclopédique du point de vue occidental. Le musée moderne a émergé graduellement, mais est devenu une institution bien établie et très puissante à la fin du XIXe siècle. Cette conception du musée a persisté durant la plus grande partie du XXe siècle, et, encore aujourd’hui, elle surgit à l’esprit lorsque le mot « musée » est utilisé6. Ce modèle soustend encore la plupart des pratiques professionnelles de plusieurs travailleurs de musées. Le musée moderne collectionnait des objets et les exposait. Les messages visuels, élaborés à partir d’une disposition d’objets aux relations soigneusement établies, présentaient différents aspects d’une conception européenne du monde. La force du dispositif de présentation à titre de moyen de communication réside dans le fait qu’il peut produire des discours visuels apparemment harmonieux, unifiés et complets. Ces discours imposants et apparemment impossibles à contourner, généralement présentés comme des autorités anonymes en la matière, légitimaient certaines façons de penser et leur conféraient un statut de vérité. Le dispositif de présentation représente une méthode de communication de masse à sens unique ; au moment où elle est achevée et présentée au public, elle s’avère très difficile à modifier. Le musée moderne ne tenait pas compte du discours du visiteur dans l’élaboration de ses expositions. Le musée moderne était – et est encore – imaginé comme un bâtiment à la forme classique, avec colonnades et fronton, à la forme du cube blanc d’un musée d’art moderne ou avec l’apparence plus dynamique et inhabituelle de certains musées comme le Musée Guggenheim à Bilbao. Toutefois, bien que la forme varie, les processus d’élaboration des expositions et la relation musée/public demeurent inchangés.
Le post-musée : un nouveau concept muséal
6. Le rapport de recherche sur les musées et les galeries Cultural diversity: attitudes of ethnic minority populations
towards museums and galleries démontre que les communautés ethniques d’Angleterre partagent une même vision du musée. Cette vision est celle du musée moderne, avec ses « vieux bâtiments » et ses « gens bien nantis ». Voir Desai and Thomas, 1998: 1.
47 Né au XIXe siècle, le musée moderne représente une force toujours présente et avec laquelle on doit encore interagir. Mais le concept de musée se modifie et certaines de ses caractéristiques et de ses défis se clarifient. La nouvelle conception du musée s’adaptera au post-modernisme et au post-colonialisme du XXIe siècle. Le post-musée conservera quelques caractéristiques héritées de son prédécesseur, mais les reformulera afin que celles-ci servent ses nouveaux desseins. Actuellement, le caractère le plus distinctif consiste en la redéfinition de la relation avec ses publics. L’importante période de collectionnement des musées est maintenant terminée. Le post-musée va conserver et prendre soin des objets, mais va se concentrer davantage sur leur utilité plutôt que sur leur accumulation. De plus, il sera intéressé à l’héritage intangible. Lorsque les objets matériels et tangibles d’un groupe culturel ont été largement détruits, ce sont les souvenirs, les chansons et les traditions culturelles qui incarnent le passé et le futur de cette culture que les musées voudront collectionner. Le dispositif de présentation représente la forme de communication principale du musée moderne, mais cette approche de la pédagogie présente d’importantes limites. Dans le postmusée, l’exposition prendra la forme de la communication parmi plusieurs autres. L’exposition fera partie d’un noyau d’événements qui se situeront à la fois avant et après le montage de l’exposition. Ces événements pourront, par exemple, impliquer l’établissement d’un partenariat communautaire et institutionnel ; la production d’objets pour les programmes éducatifs, destinés par la suite à s’intégrer dans la collection ; la mise en place de certaines périodes réservées à des groupes communautaires spécifiques afin qu’ils utilisent l’espace muséal selon leurs besoins ; la présence d’écrivains, de scientifiques et d’artistes en résidence ou des présentations satellites installées dans les pubs et les magasins7. Des discussions, des ateliers, des performances, des danses, des chansons, des repas et des expositions auront alors lieu. L’organisation d’événements et d’expositions comme processus dynamiques conjoints permet l’incorporation de plusieurs opinions et de plusieurs points de vue dans le musée. De cette façon, le savoir, au lieu d’être unifié et monolithique, devient fragmenté, polysémique et ouvert. Il n’y a plus de point de vue unique, mais plutôt une polyphonie de voix qui présentent un riche éventail de visions, d’expériences et de valeurs. La voix du conservateur en sera l’une parmi d’autres. Certaines situations impliquent pour le musée la responsabilité permanente de transmettre des connaissances, de prendre soin de ses collections tangibles et intangibles, de parler de façon équitable et équilibrée au nom de tous ceux qui le désirent, de décider s’il prendra ou non position sur certains sujets éthiques et moraux et, à quel moment il le fera. Il est impossible de fournir des réponses simples à ces problèmes. Plusieurs musées, principalement ceux qui abritent des collections ethnographiques, œuvrent déjà de concert avec les différentes communautés, afin
7. Voir Merriman (1997). The Peopling of London pour la description d’une exposition qui faisait partie d’un
ensemble d’événements traitant d’un même thème.
48 de trouver leurs propres solutions et de prendre les dispositions nécessaires au fur et à mesure qu’un nouveau cas se présente. C’est l’ensemble de ces solutions qui mènera éventuellement à de nouveaux procédés et à de nouvelles façons de faire. Alors que le musée moderne était – et est encore – imaginé comme un bâtiment, il est possible d’imaginer le musée du futur comme un processus ou une expérience. Le post-musée prendra – et est déjà en train de prendre – plusieurs formes architecturales différentes. Toutefois, le musée ne se limite pas à sa propre enceinte, mais prend la forme d’une série de processus qui évoluent au sein des différents espaces, préoccupations et ambitions des communautés. Le développement du post-musée sera signe d’une certaine féminisation du musée. Plutôt que de maintenir des valeurs d’objectivité, de rationalité, d’ordre et de distance, le post-musée négociera la souplesse, encouragera les partenariats mutuellement enrichissants et célébrera la diversité. Il est probable qu’une grande part du développement intellectuel du post-musée aura lieu à l’extérieur des centres européens importants qui ont participé à la naissance du musée moderne.
La formation pour le post-musée Le musée du XXIe siècle sera jugé en fonction de sa valeur sociale dont l’un des aspects résidera dans son efficacité éducative. Toutefois, la conception de l’éducation dans le post-musée ira bien au-delà de l’offre d’ateliers destinés aux groupes scolaires. Comme nous en avons déjà discuté, son ambition éducative inclura la révision politique de l’histoire, pour intégrer les groupes marginalisés, développer des stratégies sociales visant l’intégration communautaire et viser autant le développement de qualités personnelles que l’acquisition de connaissances spécifiques. Ces vastes visées sociales représentent en partie la différence entre les musées et les autres institutions éducatives. De façon générale, l’éducation muséale est plus vaste, plus souple et plus ambiguë que l’éducation dispensée au sein des institutions conventionnelles d’enseignement comme les écoles et les collèges. De plus, les résultats demeurent imprévisibles et difficiles à évaluer. L’éducation dans les musées est bien souvent informelle, libre, et partie intégrante d’un moment de détente. En même temps, les musées ont la possibilité d’offrir des services culturels qui s’inscrivent dans un cadre plus conventionnel. Le rôle éducatif des musées se révèle donc multiple et complexe. De nos jours, quel type de formation convient à un professionnel de musée ? Les conservateurs et les éducateurs devraient-ils tous recevoir une formation en éducation muséale ? Quel but cette formation doit-elle viser ? Au Département de muséologie (Museum Studies) de l’Université de Leceister, il y a actuellement 280 étudiants qui complètent un diplôme de deuxième cycle (Post-graduate diploma) ou une maîtrise (Masters degree) en muséologie. Il est possible de s’inscrire à ce
49 programme à temps plein, à temps partiel ou à distance. Le même programme est suivi par tous, avec quelques différences du point de vue des méthodes d’enseignement, compte tenu du mode de transmission de la matière ou selon le groupe auquel l’enseignement s’adresse. L’enseignement se fonde sur les intérêts de recherche du personnel, sur le savoir professionnel ainsi que sur les habiletés nécessaires à une carrière réussie dans les musées ou les galeries. Les huit enseignants à temps plein et les sept tuteurs à temps partiel partagent une philosophie qui reconnaît l’importance de la valeur sociale des musées. Les éléments éducatifs sont à la fois enseignés directement et sous-tendent tout le programme de muséologie. Tous les étudiants suivent un cours de 60 heures intitulé Museum Communication and Education (Éducation et communication muséale), qui fait appel à des théories éducatives constructivistes, à l’herméneutique et aux théories de la communication, afin d’explorer les façons dont les expositions et les programmes éducatifs peuvent être développés, pour permettre aux visiteurs de les trouver signifiants en fonction de leurs propres critères. Des ateliers pratiques traitant de l’enseignement par l’objet et de l’écriture de textes se combinent avec des visites de musées et des conférences offertes par des professionnels invités. Dans le cours intitulé Museums and New Technologies (Musées et nouvelles technologies), les étudiants peuvent créer un site Internet destiné à combler les besoins d’apprentissage des adolescents et des jeunes enfants. Dans le cours intitulé Museum Management (Gestion du musée), les modules consacrés aux stratégies marketing évaluent les moyens de rejoindre les groupes sous-représentés dans les musées et tentent de combler les besoins intellectuels et physiques des personnes handicapées. De plus, tous les étudiants choisissent parmi plusieurs cours optionnels. Les modules de conservation (conservation des arts, de l’archéologie, des sciences et de l’histoire) se structurent généralement en deux parties ; l’une porte sur les éléments communicationnels et éducationnels du travail du conservateur, spécialisé en histoire par exemple. Les cours à option traitent des postes spécifiques que les étudiants peuvent occuper au sein des musées et des galeries dont celui d’éducateur muséal. Les étudiants qui désirent suivre cette voie professionnelle prennent le module portant sur l’éducation muséale. Son contenu est élaboré à partir des habiletés et des connaissances nécessaires à la fonction. Certains étudiants qui possèdent des habiletés d’enseignement doivent vérifier de quelle façon leur expérience pédagogique peut leur servir dans des lieux professionnels nouveaux et complexes. Certains sont moins expérimentés, mais ont été – ou demeurent – impliqués en éducation muséale dans les musées, les galeries ou les maisons historiques. Certains en sont au tout début de leur carrière professionnelle et jugent nécessaire d’acquérir une formation en éducation – en plus des études muséales – afin d’élargir leurs opportunités professionnelles. À Leicester, nous considérons que tout le personnel de musée devrait se sentir concerné lorsqu’il est question de la fonction éducative du musée et devrait considérer les visiteurs comme une priorité. Nous savons qu’à l’avenir plusieurs conservateurs devront se charger du travail éducatif puisqu’ils n’auront pas nécessairement pour collègues des éducateurs spécialisés ; tous seront impliqués dans le processus de conception des expositions et des dispositifs de présentation et auront besoin d’y percevoir le potentiel éducatif. L’ensemble du personnel a la responsabilité d’augmenter la valeur sociale de son institution et doit être à même de répondre aux changements
50 rapides ayant cours qui auront des répercussions dans l’avenir. Il doit reconnaître les limites du musée moderne au sein de notre monde actuel et développer une vision du post-musée potentiel. Les étudiants en muséologie travailleront encore dans 30 ou 40 ans. Pour l’instant, il est impossible d’imaginer les changements qui auront lieu à ce moment-là. Nous avons besoin de former des professionnels capables de réfléchir, d’analyser, de s’informer sur les musées et qui se montreront confiants et prêts à apprendre. Nous devons instaurer une approche de formation continue de façon à ce que l’éducation devienne une manière de vivre. À partir du moment où cela fera partie intégrante de la vie de l’individu, elle s’inscrira tout naturellement dans la vie du musée.
LA PLACE DE L’ÉDUCATION AU MUSÉE DANS LES PROGRAMMES COLLÉGIAUX ET UNIVERSITAIRES CANADIENS DE FORMATION EN MUSÉOLOGIE Michel Allard, Anik Meunier et Guy Vadeboncœur Au Canada, les universités dispensent des programmes de formation axés spécifiquement sur la muséologie depuis peu de temps. Quant à l’éducation muséale, elle n’occupe encore qu’une modeste place dans le curriculum. Après avoir tracé à grands traits le tableau historique de l’insertion de la muséologie dans les programmes universitaires canadiens et québécois, nous présenterons les résultats d’une enquête effectuée durant l’été 1997 auprès des institutions canadiennes qui offrent une formation en muséologie. Les données recueillies permettent de mieux cerner la place de cette discipline relativement jeune dans les collèges et les universités canadiennes.
La formation en muséologie : quelques repères historiques Ce n’est qu’au cours de la décennie 1960 que l’idée de mettre en place une formation universitaire uniquement en muséologie apparaît, quoique timidement, au Canada. Deux programmes sont créés. En 1960, l’Université de la Colombie-Britannique met en place un programme de Museum studies, puis, en 1969, l’Université de Toronto et le Musée Royal de l’Ontario inaugurent un programme conjoint et complet de formation universitaire en muséologie. En 1977, il prend l’appellation de Museum Studies Program. Le Musée des beauxarts de l’Ontario (Ontario Art Gallery) et quelques petits musées de la grande région de Toronto participent aussi à ce programme. Un seul programme naît dans les années 1970 : il s’agit de celui de l’Université Queen’s. Six nouveaux programmes apparaissent entre 1980 et 1990. Les institutions qui les donnent sont chronologiquement l’Université Victoria, l’Université Simon Fraser, l’Université de Montréal conjointement avec l’Université du Québec à Montréal, l’Université Laval et l’Université Guelph en collaboration avec la Galerie d’art Macdonald Stewart. Dans la dernière décennie du XXe siècle, seulement deux nouveaux programmes s’ajoutent, à savoir celui de l’Université Trent de concert avec le Collège Sir Sandford Flemming et du Collège Montmorency (ville de Laval). Bref, le moins que nous puissions affirmer, c’est que la rentrée de la muséologie dans les établissements d’enseignement supérieur est relativement récente. « Quebec is cultural desert … There is no structural training available ». Le Québec se réveille bien durement suite à cette affirmation tirée du Rapport Segger (1976) sur la formation muséale et le perfectionnement professionnel qu’avait commandé la Société des Musées Nationaux du Canada, organisme aujourd’hui disparu. En 1978, le gouvernement du Québec renchérit en faisant le constat de l’amateurisme généralisé des personnels à l’emploi des musées au Québec. À
52 la même date, Lynne Teather complète pour le compte de l’Association des Musées canadiens une étude analysant les relations entre les emplois dans les musées et les programmes de formation permettant de les atteindre. L’auteure constate que peu de programmes préparent directement à l’exercice d’une carrière dans les musées. Enfin, en 1978, le Rapport Jentel, rédigé à la demande du ministère des Affaires culturelles du Québec, fait état que le personnel œuvrant dans les musées du Québec est à la fois en nombre insuffisant et peu ou pas formé. Suite à ce rapport, un programme de bourses de formation et de perfectionnement est mis en place, en 1979, par la Direction des Musées privés et des Centres d’expositions du Québec du ministère des Affaires culturelles du Québec. L’absence de formation en muséologie au Québec dirigeait nécessairement les bénéficiaires à l’extérieur de cette province. Maintenu jusqu’en 1982, ce programme s’adressait aux membres du personnel des musées privés du Québec. Il les incitait à se doter d’une formation adaptée à l’exercice de leur profession et à parfaire les connaissances acquises surtout sur le tas. Enfin, cette même année, la Commission Jean sur le développement de la main-d’œuvre au Québec constate qu’il n’existe pas de formation universitaire en muséologie. Les commissaires reconnaissent que la formation et le perfectionnement du personnel des musées peuvent fournir l’occasion d’un rapprochement entre le musée et l’école, y compris le secteur de l’éducation des adultes. La recommandation 149 va encore plus loin en établissant [...] que dans une perspective de complémentarité et d’utilisation des ressources, les institutions muséologiques reçoivent l’appui financier nécessaire à la formation d’un personnel qualifié et permanent et à la poursuite d’une fonction éducative permanente leur permettant un engagement dans la vie éducative et culturelle de leur milieu.
En plus de reconnaître les carences de la formation en muséologie, la fonction éducative du musée est identifiée comme l’une des premières bénéficiaires dans la formation du personnel. Par conséquent, on espère développer des relations plus complètes et plus harmonieuses entre le musée et les partenaires culturels et éducatifs du milieu. Suite au retrait par le ministère des Affaires culturelles de son programme de bourses de formation et de perfectionnement professionnel en 1983, la Société des Musées québécois, de concert avec l’Association des Musées canadiens, assume la mise sur pied de programmes professionnels de formation et de perfectionnement. En collaboration avec le ministère de la Main-d’œuvre du Québec, la Société des Musées Québécois élabore, entre 1985 et 1995, huit devis de formation portant sur les professions muséales. Ils portent respectivement sur les postes de directeur, de conservateur, d’archiviste des collections, de restaurateur, d’éducateur, de guideanimateur, de designer d’exposition et de technicien muséal. Enfin en 1988, naît le programme conjoint de maîtrise en muséologie à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université de Montréal, inaugurant ainsi la formation académique en muséologie au Québec. Ce bref survol historique, qui n’a pas la prétention d’être exhaustif, met en lumière les préoccupations majeures, à la fois des musées et de l’État, sur les questions de la formation professionnelle, au cours des 30 dernières années. On reconnaît que les fonctions inhérentes à des occupations dans les musées exigent une formation spécifique qui s’identifie à une discipline récente : la muséologie. En fait, le développement disciplinaire et la mise en place d’un système de formation vont de pair. Mais au Canada, en quoi consiste la formation en muséologie dispensée par les institutions universitaires ?
53
La méthodologie de l’enquête Pour établir la nature de la formation en muséologie et cerner la place de l’éducation muséale dans les programmes, le questionnaire (Appendices Ia et Ib) élaboré d’un commun accord par les équipes françaises, britanniques, néerlandaises et québécoises a été envoyé aux 15 institutions canadiennes qui, d’après le répertoire de l’Association des Musées canadiens, dispensaient une formation en muséologie. Treize questionnaires dûment remplis sur 15 (87 %) ont été retournés (Annexe I). L’enquête a permis de recueillir des informations générales concernant les types de diplômes, les professeurs, les étudiants et les programmes. La description des programmes a aussi permis d’établir la place réservée à l’éducation muséale.
Les systèmes de formation en muséologie Les institutions de formation Le taux de réponses particulièrement élevé pour cette enquête offre l’occasion de tracer un portrait relativement fidèle des systèmes de formation en muséologie au Canada. On retrouve deux programmes complets portant sur les techniques appliquées aux musées qui sont dispensés dans les collèges d’enseignement professionnel, un en Ontario et un autre au Québec. Onze universités canadiennes offrent des programmes en muséologie : trois en Colombie-Britannique, cinq en Ontario et trois au Québec. Ces institutions sont publiques, à l’exception de l’Université Guelph qui détient un statut mixte (public et privé). La formation en muséologie n’est offerte que dans trois provinces canadiennes, soit le Québec, l’Ontario et la Colombie-Britannique. Les provinces centrales du Canada (Alberta, Saskatchewan et Manitoba) de même que les provinces de la côte de l’Atlantique (Terre-Neuve, Île-du-Prince-Édouard, Nouveau-Brunswick et Nouvelle-Écosse) apparaissent les plus démunies pour ce qui est de la formation en muséologie.
54 Tableau 1
Les institutions d’enseignement
Provinces
Colombie-Britannique
Ontario
Québec
Institutions d’enseignement Simon Fraser University (1986) University of British Columbia (1960) Victoria University (1983) Queens University (1974) Toronto University (1969) Western Ontario (non précisé) Guelph University-Macdonald Stewart Art Gallery (1988) Trent University- Sir Sandford Fleming College (1994) Collège Algonquin (non précisé) Université de Montréal (1987) Université du Québec à Montréal (1987) Université Laval (1988) Collège Montmorency (1994)
Niveau d’enseignement 1er cycle 1er cycle et 2e cycle 1er cycle 1er cycle et 2e cycle 1er cycle et 2e cycle 2e cycle 1er cycle 1er cycle Études collégiales 2e cycle 2e cycle 2e cycle Études collégiales
On retrouve une grande variété de programmes. Leur durée s’étend d’une session à deux ou trois ans. Huit universités dispensent des programmes en muséologie, alors que les autres traitent de cette question dans d’autres programmes (exemple : Master of Arts in history avec un volet muséologique). Nonobstant cette remarque, toutes les formations mènent à un diplôme d’études, qu’il soit de niveau collégial ou universitaire : un baccalauréat, un certificat, un diplôme d’études supérieures, une maîtrise ou un doctorat. Décernés par des institutions publiques, les diplômes sont généralement reconnus à l’étranger. Ils permettent aussi l’accès à des niveaux de formation supérieure. Cependant, certains programmes professionnels, comme les formations techniques, par exemple, exigent que les étudiants réussissent des cours d’appoint avant de pouvoir s’inscrire à des études d’un niveau supérieur.
Les personnels et les étudiants des programmes de formation À l’exception d’un cas, les responsables de programmes détiennent tous un diplôme d’études supérieures (M.A. ou Ph.D.). Ils proviennent de champs disciplinaires diversifiés. Notons l’art (histoire de l’art, architecture, art contemporain, esthétique), la philosophie, les lettres modernes, l’éducation, la conservation, l’histoire, la psychologie, la sociologie, l’anthropologie et l’ethnohistoire. Quant aux professeurs, leur formation disciplinaire couvre aussi un spectre étendu. Ceux qui détiennent un diplôme en muséologie sont peu nombreux. La récente rentrée de la muséologie au sein des programmes universitaires de formation explique cette situation. Les étudiants qui aspirent à un statut de technicien ou de professionnel de la muséologie sont en grande majorité de sexe féminin. Pour l’ensemble des programmes universitaires, les cohortes comptent en moyenne 77 % de femmes et 23 % d’hommes. Il faut noter que la majorité des étudiants sont inscrits dans un cheminement de formation continue plutôt que dans un profil de
55 formation initiale. On peut donc présumer que la plupart d’entre eux occupent déjà un emploi, probablement dans un musée. Toutefois, il faut remarquer que dans les institutions qui offrent le programme depuis plus longtemps, la proportion des étudiants inscrits en formation initiale augmente d’une année à l’autre. La muséologie semble apparaître de plus en plus comme un champ professionnel d’expertise exigeant une formation initiale pertinente avant de s’y engager.
L’accès aux programmes de formation L’accès aux programmes de formation en muséologie est habituellement contingenté. Malgré tout, plus de 500 étudiants, pour l’ensemble du Canada, étaient inscrits au moment de l’enquête (1996), à l’un ou l’autre des programmes de formation. La sélection des étudiants se fait généralement sur présentation d’un dossier faisant état de leurs réalisations professionnelles et personnelles. On considère également le plan de carrière des candidats, l’expérience pertinente, le dossier académique ainsi que les lettres de recommandation. Tous les programmes exigent des frais de scolarité qui varient d’une institution à l’autre. Le taux de placement des étudiants varie considérablement. L’écart entre 10 % et 90 % apparaît trop prononcé pour que nous puissions dégager une conclusion, d’autant qu’il aurait fallu tenir compte du nombre d’étudiants en formation continue déjà à l’emploi d’une institution muséale ou de ceux qui bénéficient d’un congé d’études.
La place de l’éducation muséale dans les programmes de formation Si nous excluons les programmes de niveau collégial axés essentiellement sur l’apprentissage de techniques comme celles qui sont reliées à la conservation des artefacts, seulement quatre programmes offrent une formation générale complète en muséologie (Museum Studies) et, par conséquent, consacrent des cours ou des parties de cours à l’éducation muséale. C’est le cas notamment de la maîtrise en muséologie offerte conjointement par l’Université du Québec à Montréal et l’Université de Montréal qui, en plus de consacrer quelques heures à l’éducation muséale dans les cours obligatoires, compte deux cours optionnels portant sur le sujet. L’un d’eux, dispensé par l’Université du Québec à Montréal, aborde de façon spécifique les relations école-musée et, par conséquent, s’intéresse surtout aux enfants et aux adolescents ; l’autre, offert à l’Université de Montréal, porte sur l’éducation des adultes. À l’Université Laval, les cours obligatoires traitent de la question de l’éducation au même titre que les autres fonctions dévolues aux musées. À l’Université de Toronto, un seul cours optionnel est réservé à l’éducation muséale. Certains programmes universitaires, à l’instar du Art Conservation Program de l’Université Queens, se spécialisent dans une discipline reliée à la muséologie et n’abordent pas directement l’éducation muséale. D’autres, dont le Museum Studies Seminar de l’Université Guelph, proposent un seul cours de muséologie proprement dit qui ne traite pas nécessairement des questions reliées à l’éducation muséale. Enfin, les programmes de l’Université Simon Fraser se limitent, à l’intérieur de cours généraux axés sur la muséologie, à quelques notions spécifiques à l’éducation muséale.
56 On peut affirmer que l’éducation muséale est plus ou moins présente dans la majorité des programmes de formation en muséologie. Il ne faut pas s’en étonner. Car, ce n’est que très récemment que les musées considèrent leur fonction éducative au même titre que celles de recherche, de conservation et d’exposition. L’insertion de l’éducation muséale dans les programmes de formation révèle que les musées développent un intérêt plus grand à l’égard du public visiteur. Réservés aux chercheurs et aux connaisseurs, les musées sont apparus pendant longtemps comme des temples du savoir. Toutefois, l’importance accrue accordée aux statistiques de fréquentation, la relative diminution du financement public et l’augmentation du nombre de visiteurs incitent les musées à porter une attention particulière aux différents types de publics qui les fréquentent. Les services d’éducation se sont développés et la demande pour un personnel qualifié et rompu aux techniques de l’enseignement et de la communication augmente. D’autant qu’un peu partout, du moins dans le monde occidental, on considère de plus en plus le musée comme un lieu d’apprentissage capable de parfaire ou parfois même de remplacer la formation dispensée à l’école. Dans ce contexte, on comprend mal pourquoi les programmes universitaires de muséologie ne réservent pas à l’éducation muséale une place plus importante qu’elles ne le font actuellement.
Conclusion Il ressort que la formation universitaire des personnels de musée s’est mise en place surtout entre les années 1980 et 1990. Notons que les études en muséologie au Canada anglais semblent se spécialiser dans certains domaines comme l’anthropologie ou les beaux-arts. Seul le programme de l’Université de Toronto considère la formation muséale selon une approche globale et générale. Pour sa part, le Québec n’a fait son entrée dans le secteur de la formation muséale que récemment. Ses programmes englobent l’ensemble des fonctions du musée. Ils ne se limitent pas aux seuls aspects pratiques et techniques, mais abordent aussi des questions d’ordre théorique qui fondent les assises épistémologiques de la muséologie que l’on considère désormais comme une nouvelle discipline. Somme toute, il apparaît clairement que des préoccupations de formation en muséologie existent dans les universités canadiennes. Certes, plusieurs programmes demeurent très spécialisés et ne traitent pas de l’ensemble des fonctions dévolues aux musées. Mais il est désormais acquis que la muséologie fait vraiment partie du curriculum universitaire.
57
Références Allard, M., Naurais, V. et Cadieux, I. (2000). Les services éducatifs et/ou d’action culturelle des institutions muséales québécoises. Montréal : Groupe de recherche sur l’éducation et les musées Cahiers du GREM, no 13. Association des musées canadiens. Programme de formation en muséologie au Canada. Gouvernement du Canada (1976). Rapport Segger. Ministère du Patrimoine canadien. Gouvernement du Québec (1978). Politique québécoise de développement culturel. Gouvernement du Québec (1982). Rapport de la Commission Jean sur le développement de la main-d’œuvre au Québec. Jentel, M.-O. (1978). Rapport sur la formation en muséologie au Québec. Québec : Ministère des Affaires culturelles du Québec. Teather, L. (1978). Professionnal Directions for Museum Work in Canada. An Analysis of Museum Jobs and Museum Studies. Ottawa : Association des Musées canadiens.
58
Annexe I Liste des institutions participantes et identification des programmes en muséologie • • • • • • • • • • • • •
Université Simon Fraser (Colombie-Britannique) : Certificate and post baccalaureate diploma program Université de Guelph et le centre d’art Macdonald-Stewart (Ontario) : Museum Studies Seminar *Université de la Colombie-Britannique (Colombie-Britannique) : Museum studies at UBC Université Queen’s (Ontario) : Art Conservation Program Université de Western Ontario (Ontario) : Master of Arts in History *Université de Toronto (Ontario) : Museum Studies Program *Université de Montréal (Québec) : Maîtrise en muséologie *Université Laval (Québec) : Diplôme de deuxième cycle en muséologie *Université du Québec à Montréal (Québec) : Maîtrise en muséologie *Université Trent et collège Sir Sandford Fleming (Ontario) : Post diploma certificate in Museum Management and Curatorship Université de Victoria (Colombie-Britannique) : Diploma in Cultural Conservation *Collège Montmorency (Québec) : Diplôme d’études collégiales (DEC) de technique de muséologie *Collège Algonquin (Ontario) : Museum Technology Program
Note.
Les institutions marquées d’un point (•) sont celles ayant répondu au questionnaire de l’enquête. Les institutions marquées d’un astérisque (*) représentent celles qui offrent un programme complet d’études muséales.
59 Appendice I a Analyse des formations en études muséales 1. Fiche d’identification - Pays : - Institution (Université, Académie, Institut ...) - S’agit-il d’une institution : publique (financée par des fonds publics) privée mixte - Nom de la formation en muséologie : - Adresse : - Téléphone :
Fax :
Courrier électronique :
- Nom, titre et/ou fonction du responsable : - Date d’ouverture de la formation : - Durée de la formation : - Délivrance d’un diplôme en fin d’études :
oui
non
- Nom du diplôme : - Ce diplôme est-il reconnu officiellement par entente avec d’autres pays ? oui
non
- Si oui, dans quel(s) pays ? - Quelles sont les équivalences ? - Pourcentage de vos étudiants occupant un emploi en muséologie à la fin de cette formation : - Le diplôme décerné ouvre-t-il vers d’autres formations de niveau supérieur ? oui - Si oui, lesquelles ?
non
60 2. Renseignements sur la formation Encadrement – Formation disciplinaire du responsable de la formation et diplômes obtenus – Nombre de formateurs permanents et occasionnels selon le type de formation disciplinaire : conservation restauration
histoire de l’art
art plastique architecture design
sciences du vivant et de la matière
sciences humaines et sociales
sciences de l’éducation
permanents occasionnels
Étudiants - Nombre total d’étudiants actifs : Hommes
Femmes
1re année 2e année 3e année 4e année TOTAL
À l’entrée, nombre d’étudiants : – en formation initiale : – en formation continue : Conditions d’admissibilité – Y a t-il un nombre limité de places (contingentement) ?
oui
non
- Si oui, combien de places à l’admission ? – Diplôme requis ou équivalence pour entrer dans la formation : – Y a t-il une procédure de sélection des candidats ? – Si oui, quels sont les critères de choix ?
oui
non
autres (précisez)
61 – Quelle forme prend cette procédure de sélection ? (cochez votre réponse) test ou épreuve de connaissances expérience antérieure de travail dans un musée entretien présentation d’un dossier (décrivez le contenu attendu) autres (précisez) : _____________________________ – Faut-il payer des droits d’inscription (demandes d’admission etc.) à l’entrée dans la formation ? oui
non
– Si oui, de quel montant ? – Faut-il payer par la suite d’autres droits d’inscription annuelle ? oui
non
– Si oui, quel montant par année subséquente ? – Faut-il payer d’autres frais (formation, frais de scolarité ...) ? oui
non
– Si oui, lesquels ? – Quand ? – Quel montant ? La formation – Nombre total d’heures de cours pour l’ensemble de la formation : – Liste des modules d’enseignement obligatoires (ex : histoire des musées, conservation, communication, gestion de collection, éducation …). Précisez le nombre d’heures de chaque module :
– Liste des cours optionnels (précisez le nombre d’heures pour chacun)
62
– Y a t-il des stages obligatoires ?
oui
non
– Si oui, à quel(s) moment(s) de la formation ? – Durée totale ? – Où ? – Type(s) de stage(s) ? – Y a t-il d’autres travaux exigés (travail dirigé, mémoire, etc.) ? Précisez lesquels.
3. Formation sur l’éducation au musée Liste et contenu des cours obligatoires portant sur l’éducation au musée (précisez le nombre d’heures pour chacun)
Liste et contenu des cours optionnels portant sur l’éducation au musée (précisez le nombre d’heures pour chacun)
Liste et contenu des cours portant plus précisément sur la relation entre l’école et le musée (par ex. : histoire des rapports des deux institutions, connaissance des curricula, connaissance des méthodes d’enseignement ...). Précisez le nombre d’heures pour chacun :
Formation des formateurs Quels sont la formation d’origine, la qualification et les diplômes du ou des formateurs qui dispensent ces cours sur l’éducation au musée ?
Veuillez annexer une copie de la bibliographie recommandée aux étudiants pour le module éducation, ainsi que le programme de formation et la documentation s’y rapportant.
63 Appendice I b Museum Studies Analysis 1. General Information – Country : – Organization (University, Institute, Academy...) – Your organization is : public (government funded) private mixed – Name of the museum studies program : – Address : – Telephone :
Fax :
E-Mail :
– Name and title of the person responsible for the program : – Date of the creation of the program : – Duration of program (semesters, hours, etc.) : – Recognized diploma certificate :
yes
no
– Is this degree officially recognized outside of your country ? yes
no
– Name of the final degree/certification :
– If yes : – in which countries ? – what are the equivalencies ? – What percentage of your graduating students work in a museum at the end of this training ? – Does this degree lead to higher degree or post-graduate studies ?
64 2. Information on program Staff – What is the specialized field and degree(s) of the person responsible for the program ? – Number of permanent and part-time staff per specialized field : conservation restoration
art history
visual arts architecture design
sciences
social studies and humanities
education
Permanent Part-time
Students Total number of students : Men
Women
First year Second year Third year Fourth year TOTAL
– For first year students :
– number of first time students ? – number of students on continuing education ?
Access to program – Does this program have fixed quotas ?
yes
no
–If yes, how many candidates are accepted each year ? – Prerequisites (diploma or equivalencies) for this program : – Is there a candidate selection process ?
yes
–If yes, what is the selection process (please check) Test Museum work experience Interview Written presentation Other(s) (specify) :
no
others (specify)
65 – Do students have to pay registration fees ?
yes
no
yes
no
If yes, how much ? – Do students have to pay other fees (tuition…) ? – If yes, how much ? – When ? – Type of fees ? The program content – Total number of lecture hours for the entire program : – List of compulsary courses or modules (ex : Museum theory, conservation, collection management, communications, education …) (Specify the number of hours per course)
– List of optional courses (specify the number of hours)
– Does this program include compulsary internship ?
yes
If yes, when during training ? – Duration ? – Where ? – Types of internship ? – Does this program include other compulsary work (papers, thesis, etc.) ?
no
66
3. Training on museum education within the program The content – List and contents of compulsary lectures on Museum education : (Specify number of hours for each lecture)
– List and contents of optional lectures on Museum education : (Specify number of hours for each lecture)
– List and contents of lectures on School-Museum relationships : (Specify number of hours for each lecture)
Staff – What are the specialization fields, the qualifications and the degrees of the person(s) responsible for lectures on Museum education ?
Please join the bibliography recommended to the students for this module.
LE MUSÉE COMME LIEU D’ACCÈS À LA CULTURE DANS LES PROGRAMMES DE FORMATION DES ENSEIGNANTS AU CANADA1 Anik Meunier
La pensée se développe à travers des démarches interdisciplinaires et multidisciplinaires, ce qui a pour effet que la richesse des uns s’ajoute à la richesse des autres. La fertilisation croisée s’applique maintenant à la démarche d’acquisition des connaissances; ainsi le développement repose sur des bases fortes sur le plan technique et riches sur le plan intellectuel. En somme, vous [les enseignants et les directeurs d’école] êtes condamnés [...] à être des hommes et des femmes pluriels, c’est-à-dire ouverts, créateurs, audacieux même, comme la société en a tant besoin. Vous devez donc être des personnes cultivées, dans le sens où l’entend Edgar Morin, c’est-à-dire capables de contextualiser, de globaliser et d’anticiper. (Arpin, 1995 : 12-13)
Introduction Alors qu’au Québec le ministère de la Culture et des Communications et le ministère de l’Éducation concrétisent leur rapprochement par un protocole d’entente (1997) et que les programmes des écoles primaires et secondaires prévoient accorder une place plus grande à la culture2 (Gouvernement du Québec, 1999), il importe que les institutions mettent en place une structure administrative, politique et sociale, susceptible de répondre aux exigences de leur fonction éducative. Mais, au-delà de la structure, il y a les acteurs eux-mêmes qui mettent en place des programmes et qui participent aux diverses activités. D’une part, les professionnels de la muséologie répondent au créneau scolaire de leur clientèle par une offre éducative variée et diversifiée. D’autre part, les enseignants prennent part de plus en plus à l’enrichissement de leur enseignement et aux activités culturelles dans un cadre extrascolaire, entre autres, par des sorties éducatives dans les musées. On sait que les gens de musée accordent une place importante à l’éducation et à l’action culturelle, au sein de leur structure et institution. Quant à ceux de
1. Cette enquête a été réalisée dans le cadre d’un projet de recherche issu du programme Éducation et formation en
Europe du Centre national de recherche scientifique (CNRS/Université René Descartes, Paris V). Le projet s’inscrit dans le cadre d’un groupe de recherche « Savoirs et Musées » qui explore les situations de complémentarité et/ou de concurrences issues de la nouvelle configuration de l’espace de circulation des savoirs et des savoir-faire et s’attache à développer une sociologie de l’action éducative et communicationnelle des musées. Depuis, ce dernier est devenu le CERLIS (Centre de Recherche sur les Liens sociaux). Dans le cadre de ce projet d’envergure internationale, plusieurs groupes de recherche ont collaboré, notamment le Groupe de recherche sur l’éducation et les musées (GREM) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) qui a mené cette étude sur la formation à l’éducation muséale des enseignants au Canada. 2. Nous entendons par culture « [...] cette part de connaissances qui dépasse les savoirs spécialisés pour développer
l’homme lui-même » (Dictionnaire encyclopédique des sciences de l’éducation, Nathan, 1994). Mais aussi, « [...] le développement de certaines facultés de l’esprit par des exercices intellectuels appropriés » et « l’ensemble des connaissances acquises qui permettent à l’esprit de développer son sens critique, son goût, son jugement » (Dictionnaire Le Robert, en 6 volumes).
68 l’enseignement, on ne connaît que très peu leurs pratiques culturelles. Si les enseignants les plus motivés et les plus convaincus, à titre personnel ou avec leurs classes, participent aux activités proposées par leurs collègues des musées, qu’en est-il des autres enseignants qui accordent plus ou moins d’importance à ces activités culturelles ? La question centrale de ce texte cherche à identifier la place qu’occupe le recours à la culture (artistique, historique et scientifique) dans la formation des enseignants. En d’autres termes, qu’en est-il de la sensibilisation des enseignants à l’utilisation de lieux et de ressources extérieurs à l’école tels que les musées dans leur formation universitaire ? Nous présentons les résultats d’une enquête menée auprès des facultés ou des départements d’éducation des universités canadiennes3. Elle vise à connaître les différentes formations destinées aux futurs enseignants qui utilisent des ressources communautaires hors de l’école, notamment le musée, à des fins éducatives. Nous repérons d’abord les formations (initiales et/ou continues) qui font appel à l’éducation dans le musée pour les enseignants puis, nous analysons les principaux éléments qu’elles contiennent et, finalement, nous soulignons leurs particularités4.
La méthode de l’enquête À partir de la liste de toutes les facultés d’éducation francophones et anglophones du Canada, nous avons adressé un envoi au doyen ou à un professeur de chacune d’entre elles. L’envoi comportait une lettre expliquant le projet de recherche ainsi qu’un questionnaire à compléter et à retourner par courrier postal ou télécopie qui comprenait des questions d’ordre général ayant trait à la formation en sciences de l’éducation (Annexe 1). Certaines d’entre elles avaient pour objet les ressources et les lieux extrascolaires ou l’existence de cours (généraux ou spécifiques) portant sur l’utilisation de lieux et de ressources communautaires hors de l’école, en particulier du musée, à des fins éducatives. Dans le cas précis où des cours abordaient spécifiquement cette problématique, des questions concernent la définition de ces cours et le programme dans lequel ils s’inscrivent ainsi que la description des cours (plan de cours, bibliographie, contenu, etc.). Après deux mois, une relance a été réalisée auprès des institutions n’ayant pas donné suite à la demande d’information.
3. Au Canada, il existe une cinquantaine de Facultés de sciences de l’éducation. Dans la plupart des universités, la
dénomination « Faculté de l’éducation » ou « Faculté des sciences de l’éducation » est d’usage. Toutefois, dans le réseau des universités au Québec, on emploie le terme « Département des sciences de l’éducation ». Dans le présent texte, le terme générique « Faculté d’éducation » sera employé pour signifier toutes les cellules constituées dans les universités et ayant pour fin de dispenser une formation à l’intention des futurs maîtres. 4. Il est difficile d’identifier, pour chacune des universités canadiennes, s’il s’agit d’un programme de formation
initiale ou continue, puisque certains enseignants déjà en poste ont accès aux cours du programme de formation initiale. Aussi, la majorité des informations obtenues ne nous permettent pas de nuancer, en ce sens, l’analyse des données.
69 Trente-deux facultés d’éducation ont répondu à l’enquête. Ce nombre de réponses est très satisfaisant, compte tenu qu’il en existe 49 au Canada. Le taux de réponses obtenu représente 65 % de l’ensemble des universités canadiennes. Les tableaux 1 et 2 montrent le pourcentage de réponses obtenues dans le cadre de l’enquête et la provenance des facultés qui ont répondu au questionnaire. Tableau 1
Nombre et pourcentage de réponses obtenues dans le cadre de l’enquête
Source d’information
Nombre
Pourcentage (%)
Facultés d’éducation francophones
13/15
86
Facultés d’éducation anglophones
19/34
55
Total (toutes facultés confondues)
32/49
65
Tableau 2
Répartition des facultés répondantes selon les provinces canadiennes
Province
Nombre de répondants
Pourcentage (%)
12/32 10/32 2/32 2/32 2/32 1/32 1/32 2/32 0/32 0/32 32
38 31 6 6 6 3 3 6 0 0 100
Québec Ontario Nouveau-Brunswick Nouvelle-Écosse Saskatchewan Manitoba Terre-Neuve Alberta Île-du-Prince-Édouard Colombie-Britannique Total
Les résultats de l’enquête En premier lieu, nous présentons le dépouillement des réponses obtenues. Ces résultats sommaires comportent un premier niveau d’analyse. Ils permettent toutefois de distinguer le nombre de facultés universitaires qui favorisent une formation à l’utilisation de lieux tels que le musée et à d’autres ressources extrascolaires destinées à des fins éducatives, dans des programmes de formation en enseignement. Ce premier niveau d’analyse indique le programme et le cours dans lesquels s’inscrit cette formation. En second lieu, nous analysons de manière plus approfondie les programmes préconisant une forme d’enseignement qui utilise des ressources communautaires, en particulier le musée. Ce deuxième niveau d’analyse précise le contenu dispensé, le contexte et les critères de ces cours.
70 Premier dépouillement des données Les données recueillies indiquent qu’il n’y a aucun programme de formation complet destiné aux futurs enseignants portant sur l’utilisation des ressources extérieures à l’école. Toutefois, on note que la formation à ce sujet est abordée dans le cadre de cours dispensés au sein de certains programmes d’éducation. Si l’on considère l’ensemble des facultés francophones et anglophones, 17 d’entre elles, soit 53 %, offrent des cours relatifs à l’utilisation de lieux et de ressources éducatives. En effet, toutes facultés confondues, huit programmes de formation comprennent des cours spécifiques à cette question et neuf facultés ont répondu que la formation s’effectue davantage dans le cadre de cours généraux. Notons cependant qu’en dépit de ces résultats, presque la moitié des universités canadiennes (47 %) qui possèdent une faculté et un programme d’éducation n’offre aucun cours sur le sujet. Tableau 3
L’offre des cours relatifs à l’utilisation de lieux et de ressources éducatives tels que les musées Source d’information
Nombre
Pourcentage (%)
Facultés avec cours relatifs à l’utilisation de lieux et de ressources éducatives
17/32
53
Facultés sans cours relatifs à l’utilisation de lieux et de ressources éducatives
15/32
47
Total (toutes facultés confondues)
32/32
100
Tableau 4
Types de cours dans lesquels s’inscrit la formation à l’utilisation de lieux et de ressources éducatives tels que les musées
Facultés répondantes
Total (nombre) Total (%)
Cours général
Cours spécifique
Aucun cours
8/32
9/32
15/32
25
28
47
71
Les formations universitaires canadiennes destinées aux futurs enseignants et portant sur l’utilisation de lieux éducatifs et de même nature tels que les musées Remarque méthodologique Avant de présenter les analyses sur les formations universitaires canadiennes destinées aux futurs enseignants, il faut préciser certains éléments méthodologiques. Bien que nous ayons eu recours à un questionnaire fermé et uniforme, envoyé à chacune des universités, les réponses obtenues varient considérablement. Certains répondants ont annexé au questionnaire une documentation abondante et détaillée alors que d’autres se sont contentés de répondre succinctement aux questions posées. Afin de tenir compte de la variété des données recueillies, nous avons élaboré une grille pour pousser plus loin l’analyse des formations répertoriées. Celle-ci regroupe les rubriques suivantes : le nom de l’université où est dispensé le programme de formation ; le titre du cours ; le professeur ou la personne responsable du cours ; le programme de formation dans lequel le cours s’inscrit ; le type de cours (général ou spécifique) ; les clientèles visées ; les stratégies d’enseignement privilégiées ; la planification des visites sur le terrain (dans les musées ou autres lieux communautaires hors de l’école) ; la bibliographie suggérée aux étudiants et les remarques à formuler à l’égard des cours de formation. Une rubrique de la grille d’analyse s’intéresse à l’optique et aux critères d’utilisation du musée. Elle présente une gradation comportant trois échelons : ∑
Échelon 1. correspond à un cours qui traite précisément de l’éducation extrascolaire, non formelle et muséale, dans le cadre de programmes universitaires de formation destinés aux futurs enseignants ;
∑
Échelon 2. indique un cours dans lequel on a recours au musée mais pas nécessairement à des fins éducatives, par exemple pour illustrer un propos scientifique, historique ou artistique. Dans ce cas, on ne se questionne pas sur la manière dont le musée peut être visité par des élèves pour initier ou compléter un enseignement en classe;
∑
Échelon 3. signifie qu’il n’y a pas matière à analyser le cours en question puisque les informations fournies sont sommaires ou incomplètes.
Présentation des résultats À partir de cette grille, nous avons analysé toutes les informations fournies par chacune des facultés d’éducation canadiennes, anglophones et francophones, qui affirment dispenser des cours sur l’utilisation de lieux et de ressources hors de l’école tels que les musées. Dans le tableau 5, nous concentrerons l’analyse des résultats sur les cours correspondant à l’échelon 1 et 2 puisque les autres, appartenant à l’échelon 3, n’offrent aucune matière d’analyse.
72 Tableau 5
Les cours dans lesquels s’inscrit la formation à l’utilisation de lieux et de ressources éducatives tels que le musée
Facultés répondantes
Échelon 1 Cours ayant trait à l’utilisation de lieux et de ressources éducatives tels que le musée
Total (nombre) Total (%)
10/17 59
Échelon 2 Cours ayant trait à l’utilisation de lieux et de ressources tels que le musée, mais non à des fins éducatives
6/17 35
Échelon 3 Cours pour lequel il n’y a pas matière à analyse
1/17 6
Au Canada, sans égard à la langue d’enseignement dans les universités francophones ou anglophones, il existe pour les enseignants 16 cours de formation portant sur l’utilisation des ressources extrascolaires à des fins éducatives, particulièrement l’éducation dans le musée. Parmi les 16 cours identifiés, on a généralement recours à différents musées en vue de compléter l’enseignement prodigué en classe. Toutefois, une nuance s’impose en regard de leur répartition selon les échelons. Dix cours correspondent à l’échelon 1, parce qu’ils ont recours à l’utilisation de lieux (le musée) et de ressources (les programmes et activités) dans une visée éducative, alors que six utilisent des lieux et des ressources extérieures aux institutions d’enseignement (écoles ou universités), sans nécessairement avoir un but déclaré d’éducation. À propos des six cours de l’échelon 2, ils abordent l’utilisation du musée dans le cadre de la formation des enseignants mais sans que ce soit à des fins éducatives. Dans un cas, la question est examinée sommairement, dans un autre, le musée est utilisé comme lieu de formation pratique (stage) pour des étudiants qui se vouent au métier d’animateur ; dans un autre cours, le musée est présenté comme une ressource faisant partie d’une démarche de recherche, mais il n’est pas forcément visité. Dans un autre cas, le musée est fréquenté pour les travaux pratiques portant sur la critique d’œuvres d’art et, dans un autre, le musée n’est pas visité, mais seulement mentionné à titre d’exemple de lieu d’éducation extrascolaire pouvant être visité avec des groupes d’élèves. Dans l’ensemble, les six cours correspondant à l’échelon 2 ont recours au musée pour illustrer un propos tenu en classe ou encore dans le cadre de travaux pratiques. L’utilisation du musée ne se fait pas dans l’intention de l’exploiter de façon éducative, soit pour enrichir, compléter ou rehausser l’enseignement. Quatorze de ces 16 cours sont de premier cycle universitaire et les deux autres se situent au deuxième cycle. Ils sont, pour la plupart (15/16), offerts au sein de facultés d’éducation, hormis un cours en provenance d’une faculté d’histoire. Dans la formation des enseignants, ces cours exploitent à des fins spécifiquement éducatives, une variété de musées, entre autres, les musées d’histoire, d’art, de sciences, d’ethnologie ou d’autres genres de musées.
73 Le tableau 6 présente la compilation globale des facultés, anglophones et francophones, offrant des formations spécifiques à l’utilisation de lieux et de ressources extrascolaires à des fins éducatives et ayant recours aux musées, à travers le Canada. Tableau 6
Compilation des cours en éducation extrascolaire (notamment muséale) dans les programmes de formation des futurs enseignants à travers le Canada francophone et anglophone
Facultés et programmes de formation
Cycle de formation
Types de musées utilisés
Nombre de cours
Éducation
Premier
Musées d’histoire
1
Éducation
Premier
Musées d’art
2
Éducation
Premier
Musées de sciences et d’histoire
2
Éducation
Premier
Musées d’art et d’histoire
1
Éducation
Second
Musées d’art et d’histoire
2
Histoire
Premier
Musées d’histoire
1
Éducation
Premier
Musées en général
1
Éducation
Premier
Musées d’ethnologie
2
Éducation
Premier
Musées en général
2
Éducation
Premier
Musées d’histoire
1
Éducation
Premier
Musées d’art
1
Total
16
Onze des 32 facultés qui ont répondu à l’enquête dispensent des cours portant sur l’utilisation de lieux éducatifs et de ressources de même nature tels que les musées. Au total, 16 cours sont disponibles au sein de ces 11 facultés.
Conclusion La formation et la sensibilisation à la culture des futurs enseignants demeure au stade des premières initiatives et n’est pas généralisée dans les programmes des facultés d’éducation au Canada. Elle se résume souvent en actions ponctuelles et exploratoires. En effet, si l’on prend l’exemple de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), plus précisément le Module d’éducation préscolaire et d’enseignement primaire, formation initiale qui a comme but la formation des futurs maîtres, il existe une foule de projets de sensibilisation à la culture. Bien que ceux-ci soient des projets pilotes, ils sont expérimentés pour être éventuellement implantés dans la formation des futurs enseignants. Notons, à titre d’exemple, Le projet écolemusée, réalisé de concert avec le ministère de la Culture et des Communications et le Groupe de recherche sur l’éducation et les musées (GREM) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), consistait en une recherche-action sur la question de l’éducation muséale. Comme ce projet a pris
74 forme dans le cadre de stages, les étudiants, selon le choix du musée dans lequel ils conduisaient leur classe, ont approfondi une question relative à l’intégration de la problématique des sorties éducatives dans les musées avec des groupes scolaires. Le projet école-musée a donné lieu à une analyse qui se présente sous la forme d’un rapport intitulé L’école et le musée : un rapprochement nécessaire (Allard et Meunier, 1999). Dans le même programme de formation, le projet Culture & Formation initiale, qui s’adresse principalement aux étudiants de la première année, vise surtout à favoriser la préoccupation culturelle à l’école, en donnant de l’information sur les programmes de soutien à la culture et sur les diverses ressources culturelles de même qu’à inciter les étudiants à expérimenter celles-ci dans le cadre de leur formation. Si les étudiants intègrent une telle approche culturelle dès le début de leur formation, ils seront certainement plus enclins à la mettre en pratique dans leur enseignement. De cette manière, la valorisation de la notion de culture s’inscrit dans la réflexion sur le programme de formation et elle est enrichie par des actions concrètes menées au cours des quatre années du baccalauréat. La notion de culture favorise une ouverture à la culture et à ses moyens d’expression pour les enseignants-associés, les étudiants en formation des maîtres et les élèves. Elle comprend la culture pédagogique, comme la fréquentation des penseurs en éducation et de ceux qui ont influencé la pédagogie, qu’ils soient philosophes, sociologues ou psychologues. Cette notion de culture s’étend aussi à la langue, à la culture artistique, à la culture littéraire, à la culture des religions et à la culture scientifique (Julien et Meunier, 2000). En fait, ces initiatives visent à rendre l’enseignant plus « culturel » et « cultivé » au sens où Zakhartchouk (1999) l’entend. Nous lui laissons d’ailleurs le mot de la fin : C’est probablement à un voyage que nous devons inviter les élèves à participer. [...] Si l’enseignant aide à effectuer ce voyage, il devient donc ce passeur vers une « culture » qui « vaut la peine », une culture dans laquelle lui-même se doit d’être plongé, bien que le voyage soit une occasion continuelle d’aller plus loin. Passeur « cultivé » s’il veut être « culturel », et « cultivé » en particulier dans son domaine spécifique, celui de la pédagogie, sans laquelle il ne peut y avoir passage pour tous. (p.19-20)
Références Allard, M. et Meunier A. (1999). L’école et le musée : un rapprochement nécessaire. Les cahiers du GREM, no 19, Groupe de recherche sur l’éducation et les musées, Montréal : Université du Québec à Montréal. Julien, L. et Meunier, A. (2000). Projet Culture & Formation initiale, Proposition de projet, Rencontres culture-éducation, Volet 3 : Projet de concertation. Document non publié. Zakhartchouk, J.-M. (1999). L’enseignant, un passeur culturel. Paris : ESF éditeur, Collection Pratiques et enjeux pédagogiques.
DEUXIÈME PARTIE PROGRAMMES DE FORMATION
LA FORMATION EN MUSÉOLOGIE EN AUSTRALIE Données recueillies par David Demant et compilées par Michel Allard en collaboration avec Anne-Marie Lemaire
Trois universités australiennes, à savoir celles de Canberra, de Sydney et la James Cook University ont répondu au questionnaire que nous leur avons fait parvenir. Compte tenu du nombre relativement restreint d’universités ayant répondu, nous ne prétendons pas tracer un portrait pour l’ensemble de l’Australie. Nous nous contenterons d’un aperçu sommaire mais au demeurant instructif. Les universités de Canberra et de Sydney comptent un département de muséologie et dispensent des études supérieures (maîtrise ou doctorat) dans cette discipline. L’université de Sydney offre aussi un diplôme de premier cycle en Cultural Heritage Management. Quant à la James Cook University, elle venait, au moment de notre enquête, de suspendre son programme faute de personnel. Les diplômes décernés sont reconnus en Australie ainsi que dans tous les pays étrangers. Notons aussi que 70 % des étudiants ayant complété des études supérieures trouvent un emploi à leur sortie de l’université. Les départements de muséologie existent depuis environ 25 ans et comptent deux à cinq professeurs à temps plein auxquels se joignent trois à cinq enseignants à temps partiel. La majorité des professeurs détient un doctorat en beaux-arts ou dans l’un des sciences humaines. Les études de maîtrise à l’université de Sydney comptent un nombre variable d’heures de cours. À l’université de Canberra, quelques séances de cours généraux obligatoires en muséologie sont consacrées à l’éducation muséale. À l’université de Sydney, un cours obligatoire de 18 heures a pour objet la communication et les programmes publics. Au surplus, dans l’option Communication, des cours obligatoires et optionnels traitent de l’éducation muséale. Bref, on peut affirmer qu’en Australie la muséologie occupe une place au sein des disciplines universitaires, que les étudiants peuvent compléter des études de tous les cycles et que l’éducation muséale a sa place au sein des programmes offerts.
LA FORMATION DU GUIDE-CONFÉRENCIER DANS LE CURRICULUM DE L’ENSEIGNANT EN HISTOIRE DE L’ART À L’UNIVERSITÉ CATHOLIQUE DE LOUVAIN, BELGIQUE Marie-Émilie RICKER
Présentation de la formation à l’agrégation de l’enseignement secondaire supérieur en histoire de l’art et en archéologie En Belgique, l’on est amené à constater l’absence de formation spécialisée en muséologie. Seule, la licence en archéologie et histoire de l’art, dispensée dans les universités, comprend certains enseignements qui forment à cette discipline. L’agrégation de l’enseignement secondaire supérieur en histoire de l’art, archéologie est le titre pédagogique qui se greffe sur la formation universitaire d’archéologue et historien de l’art (deux années de candidature suivies de deux années de licence et la présentation d’un mémoire de fin d’étude) organisée par la Faculté de philosophie et lettres de l’Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve, Belgique). La formation de l’agrégation peut être menée parallèlement aux licences ou réalisée après celles-ci. Il s’agit d’un titre pédagogique qui permet d’enseigner les cours d’histoire de l’art et d’esthétique dans le cycle secondaire supérieur des humanités (15-17 ans), dans l’enseignement artistique et dans les académies des Beaux-Arts. La formation s’articule essentiellement dans deux domaines : la didactique de la discipline (120 heures de cours, séminaires et exercices) et les sciences de l’éducation (105 heures). Parallèlement, les étudiants effectuent 30 heures de stages actifs dont deux tiers environ se déroulent dans le champ de l’enseignement « scolaire » et un tiers dans les musées. La guidance dans les musées concerne, bien évidemment, les publics cibles de l’enseignement scolaire, mais elle s’adresse, également, aux divers autres publics des musées. Les étudiants sont ainsi amenés à guider des groupes qui vont de l’enseignement maternel (3 ans) aux groupes de seniors. En effet, la formation est soucieuse d’étendre les compétences professionnelles des agrégés en histoire de l’art car, en Belgique, la fonction de « guide-conférencier » n’exige aucun titre requis. De plus, hormis l’agrégation en histoire de l’art, aucune formation spécialisée dans la médiation culturelle n’existe actuellement dans notre pays. Afin de former l’agrégé à la pratique de la guidance muséale et de le confronter aux multiples variables professionnelles caractéristiques du domaine culturel, nous avons établi de très satisfaisantes collaborations avec les services pédagogiques de plusieurs musées. Ainsi, nous avons organisé un réseau de maîtres de stage, eux-mêmes licenciés-agrégés en histoire de l’art, qui exercent les fonctions de responsables de services pédagogiques ou de guides-conférenciers au sein d’une institution muséale (Musée royal de Mariemont, Musées royaux d’Art et d’histoire à Bruxelles, Musées des Beaux-Arts de Belgique sections art ancien – art moderne à Bruxelles, des exercices sont également organisés au Musée de Louvain-la-Neuve).
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La formation à la guidance dans les musées et les expositions La formation à la guidance dans les musées et les expositions est organisée autour de trois axes complémentaires qui favorisent une interaction théorico-pratique. Formation plus « théorique » à l’université Il nous semble utile de pointer, parmi d’autres, certains caractères spécifiques de quelques cours afin d’éclairer concrètement les caractères généraux de la formation. Au sein du cours de « Didactique de l’histoire de l’art » on met notamment en évidence les objectifs de la formation à l’appréciation critique des œuvres d’art. Ces objectifs sont articulés en trois catégories génériques qui traitent les différents aspects qui doivent être visés lorsque l’on forme un public à la connaissance et à l’appréciation des œuvres d’art. Le premier objectif vise le développement cognitif, le second traite les aspects socio-affectifs et l’objectif terminal envisage l’installation d’un comportement culturel autonome et épanouissant. Les objectifs qui visent le développement optimal des facultés cognitives affinent plus particulièrement les capacités liées à l’observation, la faculté de description et la réflexion critique. En outre, il s’agira, bien évidemment, de faire acquérir des connaissances culturelles en veillant, d’une part, à l’acquisition de la maîtrise d’un vocabulaire spécifique et approprié et, d’autre part, en visant l’acquisition de connaissances, à proprement parler, culturelles. Le développement du comportement socio-affectif se fonde sur l’affinement de la perception sensible mais il instaure également une ouverture d’esprit doublée d’un sens critique. En étant familiarisé à comprendre et à accepter les œuvres d’art qui témoignent de croyances et d’aspirations qui lui sont étrangères, le public s’ouvre à d’autres cultures en relativisant les modes de pensée qui sont en vigueur dans la sienne. En envisageant l’art funéraire qui témoigne des angoisses et des espoirs des hommes qui vivaient dans l’Égypte ancienne, en Grèce, à Rome, en Chine, en Afrique ou en Amérique précolombienne, le public est amené à concevoir la coexistence de diverses valeurs culturelles et de modes de vie différents du sien. De là s’installe, petit à petit, un esprit social et civique qui se fonde essentiellement sur l’acceptation de la différence, qui n’est plus perçue comme une agression dirigée contre les valeurs personnelles, mais bien comme l’expression d’autres croyances qui peuvent harmonieusement se concevoir parallèlement. Il s’agit ainsi d’encourager le dépassement de l’ethnocentrisme en contribuant à installer une sensibilité élargie qui ouvre aux autres et à une meilleure compréhension des problèmes qu’ils évoquent. En analysant et en comparant les différents modes d’expressions artistiques, on suit un cheminement de réflexions successives qui permettent d’acquérir une plus grande objectivité qui s’étendra ensuite à d’autres champs d’activités. La répercussion s’opère ensuite dans le quotidien en ouvrant, dans un état d’esprit positif, à la société pluriculturelle qui est actuellement la nôtre et qui ne fera que s’intensifier dans un avenir proche. De là, on peut
81 également constater que l’initiation à l’appréciation du langage artistique est un réel facteur d’intégration sociale qui permet de donner un éclairage valorisant pour toute forme de culture1. Les objectifs terminaux du cours de didactique de l’histoire de l’art envisagent l’impact des cours d’appréciation et de connaissance des arts plastiques en visant à instaurer l’amour de l’art et des loisirs culturels tout en installant une curiosité intellectuelle englobée dans une volonté continue d’apprendre. De manière indirecte, on peut estimer qu’une formation à la connaissance des mécanismes créatifs peut contribuer, au sens large, à l’amélioration des possibilités créatrices de l’apprenant. Par ailleurs, nous soulignerons également l’importance de comprendre le fonctionnement des obstacles qui constituent les « filtres » à la perception et à la compréhension des paramètres spécifiques du langage artistique. Qu’ils soient liés à l’impact particulier d’une culture ou à celle d’un milieu socioculturel, ou encore qu’ils émanent des caractères ponctuels liés à la morphologie (organes de la vue) ou à la psychologie de la personne, nul n’aborde l’art sans une batterie de présupposés et de croyances diverses2. Les points d’émergence les plus caractéristiques des présupposés artistiques se découvrent généralement lorsque la matière présentée traite de l’art contemporain. C’est alors que l’enseignant ou le guide-conférencier doit relever le défi de prendre en compte la distorsion fondamentale entre son opinion de « professionnel » et les lieux communs véhiculés par la majorité des publics non formés à la connaissance du langage artistique3. Un autre enseignement, tel que le cours intitulé « Approche épistémologique de l’histoire de l’art » propose aux étudiants d’analyser comparativement des ouvrages de type encyclopédique qui traitent d’une même matière, certains étant des ouvrages « anciens » (début du siècle) et les autres des ouvrages récents (voire une production multimédia ou des sites Internet). Il s’agit principalement d’observer les impacts de l’évolution de la conception de la discipline à travers les ouvrages de référence qui constituent le substrat scientifique sur lequel le communicateur fonde les bases de son commentaire. L’enjeu principal de la démarche vise à ce que le futur communicateur réalise concrètement la dimension de savoir « ventriloque » que l’historien de l’art pourrait transmettre. Il serait préférable d’en prendre, au moins, plus ou moins conscience, plutôt que de véhiculer, tout bonnement à son insu, théories et conceptions idéologiques diverses. De plus, il est bon de mettre en perspective un état du savoir et de relativiser l’inévitable mosaïque des points de vue sur l’histoire de l’art. Par ailleurs, lors du cours de « Réflexion sur les
1. Andrée de Chamiec-Parisis et Marie-Émilie Ricker. Comprendre les œuvres d’art c’est apprendre à accepter l’autre et le rejoindre dans sa différence humaine et culturelle. Dans Nouvelle Tribune, septembre-octobre 1997, p. 22-23. 2. Marie-Émilie Ricker. Un enfant de cinq ans pourrait en faire autant... Rôle des préreprésentations dans la didactique de l’appréciation esthétique des œuvres d’art et particulièrement, de la peinture moderne. Actes du Colloque de l’ADMÉE, Mons, septembre 1998. 3. Voir, à ce propos, l’ouvrage synthétique de la sociologue Nathalie Heinich (1998). Le triple jeu de l’art contemporain. Paris, Éditions de Minuit.
82 contenus des programmes, histoire de l’art, esthétique et musique » les étudiants sont amenés à prendre en compte la nature complexe de la discipline qui se développe depuis la préhistoire jusqu’à l’époque contemporaine, en couvrant toutes les civilisations. De plus, l’histoire de l’art, elle-même, a évolué en rendant de plus en plus floues les catégories telles que arts majeurs/arts mineurs ou les clivages traditionnels entre architecture, peinture, sculpture pour inclure, en sus, la photographie, le cinéma, la bande dessinée, l’art vidéo, l’art informatique, ... La formation intra-muros à l’université se poursuit avec une série d’enseignements qui présentent la caractéristique fondamentale de permettre l’interaction théorie-pratique. Tout d’abord, dans le cadre du cours de « Méthodologie de l’observation en classe », les étudiants sont non seulement amenés à assister à des prestations d’enseignants, mais ils suivent également les activités de guides-conférenciers qui travaillent au sein des services pédagogiques de différents musées. Dans leur fonction de « maîtres de stage », les guides-conférenciers invitent également les stagiaires à participer activement aux ateliers créatifs qui suivent généralement les visites destinées aux jeunes. De plus, ils les sensibilisent aux multiples paramètres, non seulement conceptuels, mais également organisationnels (souvent très concrets), qui doivent être pris en compte au sein des diverses missions des musées. Par ailleurs, force est de constater que la place du service pédagogique est rarement vécue comme une mission prioritaire du musée et que les interactions entre les différents services ne présentent pas toujours le caractère de souplesse qui favoriserait au mieux la mission éducative de ces institutions culturelles. Parallèlement, lors de séances intitulées « Exercices de communication d’un savoir scientifique », les étudiants sont amenés à exercer leur voix, à prendre conscience des dimensions verbales et non verbales de leur communication orale et à exercer leurs capacités à articuler un exposé adapté à un public-cible. Ils doivent également analyser de manière autocritique les enregistrements vidéo de leurs exposés afin de pouvoir dresser un bilan de leurs spécificités communicatives en visant à établir leurs propres objectifs de performance fondés sur leurs qualités personnelles mais en prenant conscience de leurs inévitables faiblesses. Finalement, un « Séminaire d’intégration des stages » constitue une plate-forme de mise en commun des expériences individuelles. Autour d’une thématique donnée, l’échange s’établit sur la base de la relation des expériences individuelles concrètes qui donnent ensuite lieu à des discussions auxquelles chacun est invité à participer. En visant à confronter la pratique à des aspects théoriques, cela permet d’envisager d’avoir prise sur le vécu en l’analysant et en l’évaluant afin de garder la possibilité d’expérimenter de nouvelles méthodes. L’enjeu est de former des jeunes qui puissent réellement maîtriser leur pratique professionnelle en disposant d’outils qui leur donnent la capacité de pouvoir, s’il y a lieu, modifier leur pratique.
83 Formation personnelle de l’étudiant à une méthode d’analyse esthétique de l’œuvre d’art : vers l’autonomie appréciative La formation des étudiants à l’analyse critique de la dimension esthétique des œuvres d’art se fonde sur la méthode d’analyse esthétique élaborée par Andrée de Chamiec-Parisis4. Cette méthode présente des caractéristiques qui reposent sur l’hypothèse scientifique que l’œuvre d’art est un objet de communication. La méthode vise à élaborer un commentaire personnel qui ne s’appuie pas (ou le moins possible) sur des connaissances stylistiques préalables. Elle permet de construire un dialogue qui décentre le point de vue subjectif dans une volonté d’objectiver le commentaire. Il s’agit de souligner qu’un lieu commun récurrent qui se caractérise par l’expression populaire « des goûts et des couleurs on ne discute pas » tend à laisser croire que le discours sur l’œuvre d’art serait irréductiblement subjectif. Dans cette optique, toute discussion artistique ne pourrait être conçue que comme la confrontation antithétique de subjectivités par essence étrangères l’une à l’autre. Bien que l’on puisse, en effet, raisonnablement supposer que le vécu sensible et personnel soit généralement subjectif, il est tout aussi raisonnable d’affirmer qu’une discussion qui tend à l’objectivation est souhaitable à instaurer en vue de construire un dialogue. De plus, cette méthode d’analyse vise à donner les clefs d’utilisation de critères d’appréciation endogènes au langage de l’art afin de mener le public à une autonomie appréciative. Si le procédé d’apprentissage repose sur la pratique du cheminement analytique, il vise à instaurer une capacité à dépasser les aspects constrictifs de l’application du cheminement préconisé afin d’installer, en dernière instance, une liberté d’application qui doit essentiellement s’articuler sur les spécificités stylistiques de l’œuvre envisagée. Sans entrer dans le détail de cette grille d’analyse, nous nous bornerons à indiquer les cinq étapes principales qui s’articulent pour mettre en jeu une succession d’opérations cognitives qui vont du simple (observation) au complexe (analyse et discussion). Tout d’abord, il s’agit de considérer l’œuvre dans sa totalité en en dégageant l’impression générale. Il s’agit de former à prendre en considération le projet global de l’œuvre et de contrer ainsi la tendance récurrente à se focaliser sur un seul aspect (par exemple la gamme de couleurs jugée « plaisante » ou « déplaisante », un détail anecdotique ou peu significatif, un thème ou un sujet qui interpelle personnellement, ...). La seconde phase consiste à détecter les nombreux procédés techniques choisis par l’artiste. Une des premières caractéristiques de l’apprentissage à l’appréciation de l’art consiste essentiellement à apprendre à voir et à regarder, en les différenciant, des paramètres tels que la composition, les formes, les couleurs, les matières, les volumes, les états de surface, la facture, la lumière, la perspective, l’insertion dans l’espace, ...
4. Andrée de Chamiec-Parisis, Claire-Hélène Blanquet et Martine Hautfenne (1981). Initiation à l’art. Perception et lecture d’une œuvre. Cabay : Louvain-la-Neuve. Andrée de Chamiec-Parisis et Marie-Émilie Ricker (1994). L’analyse esthétique de la peinture contemporaine, dossier no 24, Faculté de Philosophie et Lettres, Unité DIAM, U.C.L., Louvain-la-Neuve. Andrée de Chamiec-Parisis et Marie-Émilie Ricker (1994). L’analyse esthétique de la sculpture contemporaine, dossier no 25, Faculté de Philosophie et Lettres, Unité DIAM, U.C.L., Louvain-la-Neuve.
84 En troisième lieu, seulement, vient la réflexion concernant le contexte socioculturel dans lequel l’œuvre a été créée. Trop fréquemment utilisée comme préalable à toute appréciation, la connaissance (ou la méconnaissance) du contexte socioculturel ne peut occulter la capacité à apprécier la qualité de la formulation plastique. Dans un quatrième temps, une analyse de l’interaction entre les procédés choisis par l’artiste et les effets stylistiques recherchés permet d’apprécier l’orchestration et l’interaction des différents procédés techniques préalablement repérés individuellement. Cette phase analytique permet de mettre en jeu les différents paramètres observés précédemment afin de juger de leurs interactions mutuelles. Finalement, ces étapes progressives permettent d’établir les bases d’une discussion portant sur la dimension esthétique de l’œuvre. Celle-ci sera envisagée en abordant, notamment, des concepts tels que l’authenticité du message, l’universalité de sa mise en forme, la pertinence de l’adéquation entre les procédés utilisés et les effets recherchés et, finalement, la qualité d’unité des différents paramètres plastiques qui, généralement, s’articulent en fonction d’une certaine loi d’économie. La formation à la méthode d’analyse esthétique se déroule, dans un premier temps, lors d’exercices réalisés dans le cadre des cours afin de bien comprendre la portée de la méthode et d’acquérir la capacité de l’appliquer aussi bien à la peinture qu’à la sculpture et à l’architecture, mais également de percevoir qu’elle est à même de traiter les arts décoratifs, la mode, le design voire la publicité. Il s’agit donc fondamentalement d’un apprentissage à la lecture du langage visuel c’est-à-dire de former à lire l’image, discipline encore généralement absente des cursus scolaires, alors qu’un consensus étonnant s’accorde à qualifier notre société contemporaine de culture de l’image. Lorsque le mécanisme de la méthode d’analyse semble acquis, les étudiants vont dans les musées effectuer des exercices d’analyse de la dimension esthétique d’œuvres d’art (art ancien et art moderne). Encadrés par un maître de stages, les étudiants réalisent individuellement les exercices qu’ils présentent au groupe des stagiaires dans une interaction qui prête alors aux échanges et discussions. Lorsqu’ils se sentent aptes à effectuer des exercices en autonomie, les étudiants choisissent eux-mêmes les œuvres qu’ils présentent à leurs condisciples en situation simulée de guidance. Quel que soit le statut de l’exercice, les étudiants sont invités à utiliser des méthodes actives et fonctionnent toujours en dialogue avec le groupe. Stages actifs : visites guidées Dans le cadre des 30 heures de stage pratique effectuées par les étudiants stagiaires de l’agrégation, environ un tiers des heures peut être consacré à la guidance muséale. Lors de chaque contact avec un maître de stages au sein d’un musée, l’étudiant est amené à effectuer préalablement des heures d’observation passive. L’acquis de ces observations est reflété par la qualité de la réflexion pédagogique qui est un des points importants dans la rédaction écrite
85 suivant chaque prestation. Cette préparation écrite est d’abord soumise à l’appréciation du maître de stage qui indique s’il y a lieu d’apporter certaines modifications. Lorsque le maître de stages a marqué son accord, l’étudiant effectue une prestation en prenant en charge, soit un module dans une visite effectuée par le maître de stage, soit en assumant entièrement toute une prestation. Celle-ci est alors entièrement suivie par le maître de stage qui évalue la prestation, tant au point de vue de la qualité de la préparation que des divers aspects de la passation. Sont ainsi pris en compte les qualités relationnelles instaurées avec le groupe, la capacité à s’adapter aux circonstances, les qualités communicatives, la connaissance de la matière, le respect de la structure prévue, le calcul du temps, ... De plus, l’étudiant s’implique concrètement dans la préparation et la réalisation de l’atelier créatif qui prolonge la visite effectuée par les groupes de jeunes.
Conclusion Finalement, il est peut-être utile de préciser pourquoi une part aussi importante de la formation des agrégés s’effectue dans le cadre muséal. Tout d’abord, il faut souligner combien il est indispensable de favoriser le contact direct et sensible avec les œuvres d’art. En effet, la réalité concrète de l’œuvre est avant tout sensible et il faut rappeler combien l’aspect purement visuel, qui paraît évident, est étroitement imbriqué dans une interpellation des autres sens que sont le toucher et l’ouïe bien que l’odorat et le goût soient également fréquemment suscités dans un vécu où les cinq sens entrent en jeu. Un enjeu culturel de poids consiste à rendre familier le lieu « musée ». Une enquête que nous avons menée auprès d’un échantillon de plus de 500 étudiants d’environ 20 ans appartenant à dix facultés de notre université, a montré une corrélation très importante entre l’intensité de la fréquentation culturelle (visites de musées et d’expositions) et la précocité de l’initiation qu’ils avaient reçue dans le domaine de ce type de loisirs. Or, l’initiation culturelle précoce telle que nous l’avons étudiée (avant 7 ans) est généralement prise en charge par le milieu familial. Dès lors, si l’on souhaite que l’école puisse jouer un rôle de formateur culturel, il s’agit d’instaurer le plus précocement possible des habitudes culturelles que le milieu familial ne serait pas à même de pouvoir apporter aux jeunes qui appartiennent aux milieux socioculturels moins favorisés. Par ailleurs, comme nous l’avons expliqué, l’appréciation du langage artistique permet d’installer une démarche de curiosité et d’intérêt pour les manifestations culturelles étrangères. Cet intérêt peut contribuer à diminuer l’ethnocentrisme récurrent et à installer un facteur de meilleure compréhension de la société pluriculturelle de plus en plus présente actuellement. Dès lors, il permet finalement de mieux accepter l’autre dans un contexte social où la violence semble souvent émerger comme l’unique capacité relationnelle en lieu et place de l’instauration du dialogue.
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Les objectifs terminaux de la formation visent donc l’installation d’une habitude de la pratique de loisirs culturels qui soient agréables et épanouissants, en favorisant l’installation d’une démarche autonome d’appréciation de l’œuvre d’art fondée sur la connaissance de la spécificité de son langage communicatif.
LE BRÉSIL ET LA MUSÉOLOGIE, PROPOSITION DE FORMATION EN ÉDUCATION MUSÉALE Heloisa Helena F. Gonçalves da Costa Notre intention est de tracer un profil de l’enseignement de la muséologie au Brésil. Pour ce faire, nous établirons d’abord les grandes lignes des programmes d’études universitaires, leurs origines et leurs changements ; ensuite, nous présenterons quelques exemples de projets de stage de nos étudiants ; enfin, nous réfléchirons sur l’utilisation éducative du musée dans les écoles primaires et secondaires brésiliennes.
La formation universitaire en muséologie Trois institutions offrent des cours de muséologie de premier cycle ; l’Université de Rio de Janeiro (UNI-Rio), l’Université Estacio de Sa située elle aussi à Rio de Janeiro et l’Université Fédérale de Bahia, au nord-est du Brésil. De plus, de nombreux musées offrent une formation complémentaire en offrant à l’intention des professionnels des séminaires, des ateliers et des cours ponctuels de spécialisation ainsi que des ateliers divers à l’intention des étudiants. Les trois programmes universitaires de muséologie durent au minimum quatre ans. En première année, les étudiants reçoivent une formation générale de caractère interdisciplinaire. Ils doivent suivre des cours portant sur l’art mondial et brésilien, l’anthropologie, la sociologie, la philosophie, l’histoire générale ainsi que celle du Brésil. Puis, ils se spécialisent dans des domaines spécifiques à la muséologie et à la muséographie. Les étudiants approfondissent leurs connaissances sur la théorie muséologique, la documentation, la conservation de collections dans un climat tropical, l’architecture des musées, la planification d’expositions ainsi que l’action culturelle et éducative. Au cours des deux dernières années, ils doivent effectuer un stage supervisé puis élaborer et réaliser un projet muséal sous la direction d’un professeur. Ces programmes en muséologie conduisent au grade de bachelier. Ils visent à former des professionnels capables de réaliser, correctement et avec compétence, les tâches et les activités inhérentes à la profession de muséologue. Les étudiants reçoivent une formation intensive sur les fonctions fondamentales internes et externes des musées. Ces fonctions ont pour objet la recherche, l’inventaire des collections, la planification des divers types d’expositions, la communication pédagogique, la connaissance du public et l’éducation muséale. Le programme de la Faculté de Rio Estacio de Sa sise à Rio de Janeiro est beaucoup plus orientée vers la conservation, la restauration des objets d’art, des édifices et des monuments publics. La Faculté travaille en coopération avec les laboratoires de recherche du Musée National de beauxarts. Grâce à ce partenariat, à la fin de la deuxième année du programme, les étudiants reçoivent un certificat professionnel de restauration. Au terme du programme, ils obtiennent des diplômes
88 selon le choix de leur concentration : muséologue, gestionnaire d’expositions ou médiateur culturel. Le programme de l’Université UNI-Rio et celui de l’Université Fédérale de Bahia visent à former des muséologues possédant une vision interdisciplinaire les rendant capables de comprendre le rôle social du patrimoine historico-culturel. Ces deux universités sont d’accord sur l’ampleur du champ de travail du muséologue. Il ne se limite pas au musée mais s’élargit, entre autres, aux parcs et aux réserves naturelles, aux centres culturels, aux galeries d’art, aux écoles, aux jardins botaniques et zoologiques et aux universités. À l’Université de Rio, la communication dans les expositions thématiques joue un rôle très important dans l’ensemble des activités inhérentes au musée. On se préoccupe beaucoup de l’interprétation des collections par rapport au message qu’on transmet au public à travers la construction du discours et l’articulation des interprétations. Autrement dit, on considère que la muséologie étudie la relation entre l’homme et les biens culturels et naturels, dans un espace de représentation ou sur une scène appelée musée. Par contre, à Bahia, on insiste sur les activités éducatives et l’action culturelle auprès des communautés qui n’ont pas de musée. De nombreuses activités sont réalisées hors du musée dans les lieux historiques ou dans les territoires considérés comme des espaces culturels importants. Citons comme exemples : les expositions de photos à contenu historique réalisées sur les places publiques, la création du centre du « Terreiro de Menininha do Gantois » maison de culte africain située dans un quartier pauvre du centre-ville de Bahia ou encore le projet muséologique de création du nucleus de la mémoire infirmière, à l’intérieur d’une des anciennes salles de cours de l’école des Infirmières de l’Université Fédérale de Bahia.
Le programme de l’Université Fédérale de Bahia Pour compléter leur formation interdisciplinaire, les étudiants de l’Université Fédérale de Bahia doivent réussir un programme totalisant 144 crédits regroupant quatre blocs de disciplines : ∑ le curriculum de base (programme obligatoire = 88 crédits ) ∑ les disciplines complémentaires ( programme obligatoire = 32 crédits) ∑ les disciplines complémentaires ( programme optatif = 15 crédits ) ∑ les disciplines complémentaires ( programme électif = 9 crédits ) Nous avons précédemment décrit la formation de base. Le bloc des cours complémentaires obligatoires se divise en deux champs de concentration : les musées d’histoire et les musées d’art.
89 Pour les étudiants qui choisissent l’option musées d’histoire, le programme se compose comme suit : l’éducation et la société, l’histoire des religions, l’anthropologie du peuple noir au Brésil, l’anthropologie des sociétés autochtones, l’histoire de la civilisation américaine, l’histoire de l’Afrique, l’histoire de la culture. Pour ceux qui veulent étudier les musées d’art, le programme s’axe autour de la connaissance artistique, c’est-à-dire les techniques et le processus en art, la perception visuelle, l’histoire de l’art contemporain, la formation ethnique de l’art de Bahia, l’esthétique. Dans le bloc de disciplines optatives, l’étudiant doit choisir quatre cours parmi les suivants : introduction à la gestion d’entreprises, la conservation et la restauration des œuvres d’art, l’ethnologie brésilienne, l’anthropologie du folklore, la culture de Bahia, la culture brésilienne, le français et l’anglais instrumentaux. Les disciplines électives sont choisies par l’étudiant sous les conseils de l’orienteur pédagogique qui lui suggère les quatre cours qui complètent sa formation. Pour obtenir l’habilitation professionnelle, le finissant doit réaliser un stage supervisé. Ce stage se prépare à la fin de la deuxième année. L’étudiant doit d’abord choisir et élaborer un projet thématique et trouver un professeur qui peut l’orienter. Ensuite, il l’offre à une institution qui aurait des affinités par rapport au sujet choisi. En général, les projets sont bien acceptés, ce qui révèle la qualité du travail des étudiants. Le cours de muséologie de l’Université Fédérale de Bahia se dispense dans la ville de Salvador, capitale de la province de Bahia et la première capitale du Brésil au XVIe siècle. Cette ville est dotée d’un extraordinaire ensemble de bâtiments qui témoignent de l’architecture civile et religieuse du XVIIIe siècle et des suivants. Elle possède aussi 32 musées dotés de collections diversifiées dans les domaines des arts, des sciences, de la technologie, de la zoologie et de l’histoire. La ville elle-même peut être considérée comme un musée vivant et dynamique où règne la richesse de la diversité culturelle. Cet environnement naturel et culturel offre aux étudiants inscrits au programme de muséologie une expérience enrichissante dans une communauté urbaine. La réussite de la majorité des projets a stimulé les professeurs du programme à partager les connaissances entre les institutions et l’université. À cette fin, on a créé un séminaire annuel d’intégration où les professionnels des musées et les étudiants mettent en commun leurs expériences. Les participants proposent de nouveaux projets selon les besoins de chaque groupe. Bref, les activités de formation et de perfectionnement professionnel sont constamment recyclées et mises à jour.
90
Quelques exemples de projets de stage supervisé 1.
Apprender brincando com o Museu : uma parceria de sucesso para mostrar como o patrimônio é uma pedagogia viva, Salvador (1990-1991) Les institutions engagées : Fondation Musée Carlos Costa Pinto, un musée d’arts décoratifs et d’histoire locale et l’Instituto Social da Bahia, école primaire, secondaire et de deuxième cycle (équivalant aux deux premières années du cégep). Le but de ce projet était d’informer les professeurs du primaire des possibilités qu’offre le patrimoine muséal pour expliquer des concepts de sciences sociales contenus dans le curriculum officiel des écoles publiques et privées du Brésil ; par exemple, concept de groupe social, de communauté, de citoyenneté, d’ethnie, de nation.
2.
Preservando valores humanos de nossa comunidade ; o rico trabalho cerâmico de Crispina, Feira de Santana, Bahia (1992-1993) Les institutions engagées : Escola Ubaldina Régis, école publique primaire et secondaire d’un quartier pauvre de la ville de Feira de Santana, province de Bahia et le Museu do Sertao, un musée d’histoire régionale. L’idée principale du projet était de faire prendre conscience aux élèves de l’école publique de l’importance attachée à la préservation du patrimoine historico-culturel local.
3.
Preservando nossa arte dentro dos museus : uma proposta de reorganização da reserva técnica do Museu Abelardo Rodrigues, Salvador, Bahia (1993-1994) L’institution engagée : Musée Abelardo Rodrigues, un musée d’art sacré. Ce projet a développé des activités à la fois éducatives et techniques. Les fonctionnaires, les auxiliaires de nettoyage et les gardiens ont réalisé avec l’équipe des muséologues des activités d’initiation aux étapes de renouvellement des réserves techniques du musée. Parallèlement, les étudiants et les conservateurs ont restauré les images sacrées et des oratoires fabriqués en bois et en ivoire.
4.
Projeto de conservação da coleção de obras raras da Biblioteca Isaias Alves, Salvador (1993-1994) L’institution engagée : Faculté de Philosophie et Sciences Humaines de l’UFBA. Le climat tropical et des conditions inadéquates de conservation ont détérioré une partie de la collection. Le groupe de travail a renouvelé le conditionnement et a développé entre les
91 fonctionnaires et les utilisateurs des activités d’initiation à la conservation préventive des livres et documents. 5.
Inventário da coleção de objectos em madeira do Museu Wanderley de Pinho, Candeias, Bahia (1990-1991) L’institution engagée : Museu Wanderley de Pinho, ferme coloniale du XVIIe siècle classée comme site historique national. La documentation de la collection était le but ultime de ce projet. Néanmoins, les activités élaborées ont permis le dialogue entre les stagiaires et les gardiens du site qui ont acquis une meilleure connaissance de cette collection et du milieu. Depuis cet apprentissage, ces fonctionnaires sont devenus plus conscients de la nécessité de mener, auprès du public, une action éducative de respect du patrimoine muséal.
Voilà quelques-unes des expériences stimulantes que nous avons entreprises avec nos étudiants. Elles stimulent la réflexion par rapport à la problématique qui nous occupe : qu’en est-il de la formation muséale ?
Quelques réflexions sur l’éducation muséale au Brésil Au Brésil, le musée, institution d’origine européenne ne reflète pas vraiment la réalité d’un continent pluraliste, soumis à de graves difficultés économiques et sociales. L’attention est encore plus axée sur les objets que sur une thématique qui met en contexte la collection dans le but de mieux saisir le contenu. De plus, à cause de ces difficultés, l’éducation est soumise à des contraintes politiques et budgétaires qui confèrent au processus d’enseignement un caractère plus informatif et non formel. La visite au musée se fait sporadiquement, sans nécessairement avoir de lien avec le curriculum officiel. La visite au musée est considérée par les étudiants et même par les professeurs comme un moment de loisir et de divertissement. Parfois, les professeurs laissent les élèves avec l’équipe du musée et ne retournent les chercher qu’à la fin de la visite. Par contre, depuis les années 1990, à mesure que les effets de l’ouverture politique se sont fait sentir au Brésil, un processus de sédimentation et de prise de conscience démocratique a commencé. Ainsi, les ministères de l’Éducation et de la Culture (Culture no Brasil, 1995) ont proposé des séminaires et des colloques conjoints, en s’interrogeant sur la place de la culture à l’école. En fait, les deux ministères ont stimulé une réflexion sur les liens entre l’éducation et la culture. Les possibilités du travail conjoint demeurent encore une question pertinente et de grande actualité, tout en considérant la faiblesse relative des contenus culturels dans les programmes scolaires. De plus, les musées commencent à utiliser des stratégies pédagogiques dans le but de mieux s’adapter aux programmes scolaires. Par exemple, les deux premiers projets cités plus
92 haut, ont été développés en collaboration tout en conservant la spécificité de chacune des institutions participantes. Dans ce contexte, les programmes de muséologie ont intensifié la réflexion théorique sur le rôle de la culture à tous les niveaux du système éducatif. C’est ainsi que plusieurs projets des stagiaires ont exploité les possibilités pédagogiques qu’offre le patrimoine historico-culturel (Relatorio Anual, 1994).
Conclusion De nos jours, plusieurs auteurs prônent une relation étroite entre le processus éducatif et les stratégies didactiques mises en œuvre dans les musées. Nous savons que de nombreux musées, en recourant aux nouvelles technologies de communication et au design innovateur, sont devenus plus modernes et attirants tout en perdant leur aspect rigoureux. Les jeunes, en particulier, sont séduits par les musées de science qui diffusent et vulgarisent la connaissance scientifique fondamentale. Quelques musées d’histoire, en adoptant des stratégies similaires ont présenté des expositions plus décontractées et plus scéniques. Malgré tout, le rapport école-musée s’avère encore difficile. Nous devons alors réfléchir à quelques pistes d’analyse qui nous aideront à mieux cerner la question. En général, les facultés d’éducation et les programmes de muséologie ne sensibilisent pas assez leurs diplômés au rôle éducatif des musées, le reléguant après ceux de conservation, de recherche et de planification des expositions. Ces dernières peuvent être avant-gardistes, mais encore aujourd’hui on se préoccupe davantage d’esthétique, de design ou de contenu scientifique plutôt que de faire comprendre l’ensemble des activités d’un musée. De notre expérience, nous avons déduit que le musée et la muséologie doivent être perçus à travers une approche holiste, parce que toute l’œuvre d’un musée possède une caractéristique pédagogique dans le sens qu’un musée est un lieu, à la fois d’apprentissage et d’enseignement. Le caractère didactique du travail muséal est ainsi beaucoup plus évident qu’auparavant. Suite aux interrogations de nos étudiants, nous concevons que l’action de préservation et de diffusion du patrimoine culturel doit être capable de répondre aux questions suivantes : •
Pour qui sauvegardons-nous notre héritage ?
•
Pour quelle raison le faisons-nous ?
•
Comment devons-nous le faire ?
93 L’idée de faire interagir les écoles et les musées en proposant des activités culturelles et éducatives de manière pédagogique et démocratique resitue le rôle de la conservation culturelle dans la société contemporaine. Néanmoins, il importe que cette interaction soit fondée sur une conception de l’éducation comprise comme un processus global et continu (Costa, 1984). Ce processus doit amener l’homme à acquérir des connaissances et des valeurs qui lui permettent d’être bien ancré dans un équilibre systémique, de connaître le bonheur et de vivre dignement dans sa communauté. Ce processus continu et permanent doit permettre à l’homme d’être à la fois singulier, en accord avec son individualité, et pluriel, dans sa condition d’acteur social solidaire et responsable. L’éducation, selon Paulo Freire, doit libérer l’homme afin qu’il puisse ainsi mieux réfléchir sur sa condition et sur son action sociale. Elle doit lui permettre de créer son propre savoir à partir de la dynamique sociale et de pouvoir ainsi intervenir pour le bénéfice de la collectivité. Selon Freire, tout apprentissage doit se trouver intimement associé à la prise de conscience de la situation concrète vécue par l’élève (Freire, 1974). Dans un processus de collaboration entre l’école et le musée, il faut faire en sorte que les enseignants participent à chaque étape mettant en œuvre un programme conjoint, car les élèves seront plus actifs et plus intéressés si les professeurs reconnaissent la valeur du programme. Pour intégrer l’école aux musées, ces derniers peuvent élaborer une activité destinée aux professeurs, dans le but de faire découvrir les possibilités qu’offrent les collections. Toutefois, cette activité doit être à la fois enrichissante et amusante pour atténuer la réputation trop sérieuse et formelle que l’on attribue au musée. On peut apprendre mieux et plus rapidement dans une situation ludique et interactive. Les musées, institutions qui préservent une grande partie du patrimoine humain, doivent participer à la recherche concernant la condition humaine. À cet égard, ils doivent encourager les activités interdisciplinaires de construction de la connaissance. La muséologie, discipline d’interprétation du patrimoine, aide les citoyens à prendre conscience de leur univers symbolique. Cette conscience entraîne les communautés à acquérir les outils nécessaires pour mieux se comprendre et mieux communiquer les unes avec les autres.
Références Cultura no Brasil (1995). Rapport du ministère de la Culture, Brasilia. Relatorio Anual, Département de Muséologie, Salvador, Université Fédérale de Bahia, 1994. Heloisa Helena F.G. da COSTA (1984). A contribuição dos museus para o desenvolvimento social. Mémoire maîtrise en Sciences Sociales, Salvador : Université Fédérale de Bahia, p. 17-18. Paulo Freire (1974). Educação como pratica da liberdade. Sao Paulo : Paz e Terra, p. 6.
LES ÉTUDES DE MUSÉOLOGIE EN ESPAGNE Antoni Laporte Montse L. Tolosana En Espagne, on ne peut se référer à une longue tradition dans les études de muséologie. Cette situation représente à la fois des avantages et des inconvénients. D’une part, l’Espagne ne possède ni d’infrastructure académique ou universitaire, ni de professeurs spécialisés mais, d’autre part, rien ne freine l’innovation. Nous analyserons la situation actuelle et nous réfléchirons aux conséquences positives et négatives de cette absence de tradition sur la formation en muséologie en général et, plus spécifiquement, sur l’éducation muséale. Les premières études de muséologie ont débuté par quelques cours organisés par l’administration publique à l’intention des professionnels de musée. Il faut dire que l’Espagne est un pays administrativement divisé en 17 communautés autonomes dont quelques-unes possèdent une certaine juridiction dans les domaines de la culture et de l’éducation. En fait, la gestion et l’organisation administrative des musées peuvent différer d’une communauté à l’autre. C’est pourquoi les cours de muséologie, tout en ayant débuté à divers moments, ne sont pas identiques partout. Cette diversification s’atténue depuis que les universités offrent des cours aux contenus presque similaires. C’est au cours des années 1990 que les universités ont commencé à organiser des études supérieures en muséologie surtout au niveau de la maîtrise. Depuis cette date, plusieurs programmes sont offerts. Dix huit programmes en gestion culturelle, en gestion du patrimoine et en muséologie comptent annuellement environ 360 étudiants. Chaque année, de nouveaux programmes ouvrent ; certains réduisent leur nombre d’étudiants ; quelques-uns disparaissent tandis qu’un certain nombre, surtout à Madrid et Barcelone, se stabilisent. La distribution géographique des programmes indique que des concentrations importantes se rencontrent dans la moitié septentrionale de l’Espagne, bien que, depuis trois ans des programmes sont apparus sur presque tout le territoire. Il faut dire que la majorité des programmes se concentre dans les grandes cités comme Barcelone, neuf programmes, et Madrid, sept programmes. Il faut ajouter que, même s’ils sont offerts par les universités publiques, les programmes d’études supérieures doivent s’autofinancer. Par conséquent, lorsque peu d’élèves s’inscrivent, ces programmes ne peuvent être maintenus. Comme nous l’avons souligné, il n’existe pas, en Espagne, une longue tradition dans les études en muséologie. Peu d’universités organisent des programmes de licence. La plupart des programmes d’études supérieures ont été inaugurés au cours des huit dernières années. Toutefois, le nombre de programmes ne doit pas nous leurrer. On ne retrouve pas dans les universités
96 espagnoles un seul département de muséologie (encore qu’une école de Patrimoine affiliée à l’Université de Girone, en Catalogne, vient d’être créée). Les cours sont habituellement offerts par différents départements (art, ethnologie, dessin, économie, communication, didactique des sciences sociales, etc.), quelquefois de façon conjointe surtout dans les universités où l’on retrouve deux ou trois professeurs intéressés. Quelques recherches sont menées et quelques thèses sont soutenues. Toutefois, il n’existe pas de programmes bien structurés de recherche bien que quelques expériences intéressantes soient conduites et que certains professeurs soient très actifs. Par contre, plusieurs professeurs sont issus du monde professionnel. Ils assurent la liaison avec la réalité quotidienne du milieu culturel. Enfin, notons que plusieurs programmes de maîtrise manquent de cohérence pédagogique et se limitent à un ensemble de conférences sur des sujets différents. Il faut souligner aussi que tous ces programmes ne sont pas spécifiques à la muséologie. À la fin des années 1980 et surtout au début des années 1990, ce sont les programmes spécialisés en gestion culturelle qui ont répondu à la demande. Divisés en différents modules, ils ne s’occupaient pas beaucoup de la spécificité de la muséologie et encore moins de l’éducation muséale. Toutefois, cela ne veut pas dire que l’éducation muséale soit un domaine inconnu ou peu travaillé. On retrouve, particulièrement en Catalogne, une certaine tradition de recherche. Des expériences sont entreprises. Ainsi, des professionnels en éducation muséale forment le groupe le plus nombreux des professionnels des musées de la Mairie de Barcelone. Déjà, à la fin des années 1970 et pendant les années 1980, des journées d’études et des congrès sur le sujet étaient organisés malgré le peu de ressources disponibles. Ces activités ont généré quelques publications parfois sous forme mimiographiée. Malheureusement, il existe peu de liens entre cette tradition et la formation actuellement offerte par les universités en éducation muséale. C’est pendant les années 1990 que sont apparus des cours d’éducation muséale dans les programmes spécifiques en muséologie et en gestion du patrimoine culturel. On en retrouve actuellement dans dix programmes qui sont régulièrement offerts. Ces derniers ont presque tous une section spécifiquement dédiée soit à la diffusion (le terme qui s’emploie souvent en Espagne à la place d’éducation muséale ou de didactique du patrimoine) soit à la communication. Ces modules ou sections ne comptent pas plus, dans le meilleur des cas, que 60 heures de cours. Habituellement, les cours consacrés à l’éducation muséale durent environ 30 heures. C’est minime. À la fin du cours, l’éducation muséale apparaît encore comme peu importante. L’éducateur et l’éducatrice de musée demeurent peu reconnus sur le plan professionnel. On rencontre toutefois une exception. Ce sont les programmes spécifiques en éducation muséale. Actuellement, on en relève deux en Espagne. L’un est dispensé sporadiquement à l’université de Huesca. Il apparaît et disparaît en fonction des inscriptions. L’autre qui réunit, chaque année, très peu d’élèves est offert par l’Université de Barcelone. Ce dernier programme entretient peu de liens avec les autres programmes en muséologie et en gestion culturelle qui sont offerts par cette
97 même université. Il est fortement influencé par des études américaines qui, malgré leur qualité, demeurent souvent très loin de la réalité espagnole. En fait, on peut douter que ce genre d’études puisse favoriser les sorties éducatives, particulièrement celles réalisées au musée. C’est dans ce contexte qu’il importe de considérer, en Espagne, la situation de l’éducation muséale. De fait, elle n’existe pas officiellement. Aucune loi ou règlement ne régit la fonction d’éducateur/éducatrice de musée pas plus d’ailleurs que celle de muséologue. Toutefois, il existe en Catalogne une certaine tradition de recherche dans le domaine de l’éducation muséale. Plusieurs expériences ont été entreprises et réalisées par des professionnels appartenant à des musées locaux. Il y a quelques années, ce mouvement laissait présager que les éducateurs de musée se propageraient dans tous les musées où ils n’étaient pas encore présents et deviendraient collectivement une force importante. Mais, à la fin des années 1980 et pendant les années 1990, les politiques budgétaires restrictives ont contribué à changer radicalement le paysage. Quelques éducateurs de musée ont été licenciés, d’autres ont été transférés de poste. Certains ont même créé des entreprises qui offrent leurs services à plusieurs musées. Aujourd’hui, c’est devenu une pratique courante pour un musée d’offrir des services éducatifs par l’intermédiaire d’une entreprise mal payée qui recrute normalement ses employés parmi les étudiants ou ceux qui viennent d’être diplômés sans avoir nécessairement suivi des cours en éducation muséale. D’autres musées optent pour des bénévoles ou des étudiants-stagiaires. Dans ces conditions, il s’avère difficile de trouver de véritables professionnels de l’éducation muséale qui font des expériences-pilotes, procèdent à de véritables évaluations, profitent d’une formation continue et tissent des liens de coopération avec les différentes institutions muséales. Il faudra être attentif et surveiller ce qui arrivera prochainement aux programmes d’études. Il est évident que le marché du travail ne peut absorber tous les diplômés qui obtiennent une maîtrise en muséologie ou en gestion du patrimoine. Toutefois, il faut espérer que cette expérience de quelques années haussera la compétence de la main-d’œuvre et augmentera la qualité des services offerts. Ces études, espérons-le, stimuleront l’intérêt scientifique pour la muséologie en général et l’éducation muséale en particulier.
LES PROGRAMMES DE FORMATION EN MUSÉOLOGIE DANS LES INSTITUTIONS SUPÉRIEURES D’ENSEIGNEMENT AUX ÉTATS-UNIS Anik Landry Le tableau sur les formations en muséologie ne saurait être complet sans la présentation d’un point de vue général sur les possibilités que proposent les institutions d’enseignement supérieures américaines en ce qui a trait à la muséologie1 et sans une description plus détaillée des programmes généraux et spécialisés abordant ce champ d’étude. De plus, les programmes d’éducation muséale ont été analysé de façon particulière. Cette recherche est basée sur un ouvrage récent édité par l’American Association of Museums (AAM)2 : « 1999-2000 Guide to Museum Studies and Training in the United States ». Cet ouvrage répertorie, entre autres, des programmes en muséologie offerts aux États-Unis : ce répertoire n’est pas exhaustif, toutefois il existe depuis quelques années et il est mis à jour annuellement. L’ouvrage est basé sur un sondage tenu d’octobre 1998 à janvier 1999 par le service des informations techniques (Technical Information Service) de l’American Association of Museums. L’enquête repose sur 575 différentes formations qui ont été sollicitées pour fournir de l’information sur leurs programmes. Environ 225 institutions ont répondu à l’enquête pour la première fois et ont été ainsi ajoutées à la liste déjà existante. D’autres institutions ont simplement mis à jour leurs programmes et clairement défini les opportunités qu’elles présentent pour le domaine. Si une institution n’avait pas répondu à l’enquête de 1998, alors que son programme existait toujours, la description recueillie lors de l’enquête de 1997 fut alors retenue, donnant l’impression à quelques endroits que les informations étaient un peu anciennes.
1. En 1995, Raymond Montpetit, à l’époque directeur de la maîtrise en muséologie à l’Université du Québec à
Montréal, a entrepris, en collaboration avec Marie-Josée Couture, étudiante à la maîtrise en muséologie, une recherche dans le but de connaître les programmes en muséologie offerts dans les institutions américaines d’enseignement supérieur. Pour réaliser cette étude, l’Association des Musées Américains a été sollicitée pour fournir la liste des universités qui proposaient des cours reliés à la muséologie. C’est ainsi qu’à l’été 1995, une demande d’informations relatives aux divers programmes de formation en muséologie a été acheminée à 40 universités américaines. Trente et une d’entre elles ont bien voulu y répondre. Une première compilation sommaire fut rédigée par Sylvie Chéné et Anik Meunier. 2. AMERICAN ASSOCIATION OF MUSEUMS (1999). 1999-200 Guide to Museum Studies and Training in the
United States, Washington : Roxana Adams, Series Editor.
100 Tous les programmes offerts en muséologie aux États-Unis ne se retrouvent pas nécessairement dans ce répertoire. Cet ouvrage fournit plutôt l’occasion de promouvoir des programmes. Les institutions n’offrant que quelques cours de muséologie ont tout intérêt à se retrouver au répertoire. Il est donc parfois difficile de mettre en comparaison les programmes présentés : si certains portent strictement sur la muséologie, d’autres s’y rattachent de manière assez ténue. De même, on constate que chaque institution a répondu à sa façon, malgré les balises posées par l’enquête de l’AAM, et on note des différences importantes dans la description des programmes. Les comparaisons sont donc difficiles à réaliser. De plus, les renseignements contenus dans le répertoire demeurent très généraux, les titres et la description des cours y apparaissent rarement. Les institutions n’ont pas systématiquement répondu à toutes les questions de l’AAM; ainsi dans la compilation des informations, les données manquantes ont été soustraites du total. Pour dresser le tableau sur les formations en muséologie, seuls les programmes conduisant à un diplôme ont été retenus; les séminaires, la formation continue, les stages, les programmes de perfectionnement professionnel n’ont pas été compilés même si quelques-uns apparaissaient dans le répertoire. Toutefois, pour obtenir des informations supplémentaires sur les cinq programmes d’éducation muséale du répertoire, nous avons consulté leur site Internet.
La création et le dénombrement des programmes de muséologie L’une des données intéressantes dans les informations recueillies par l’enquête de l’AAM est l’année de création des programmes. Le tableau 1 montre à quel rythme ils apparaissent, décennie par décennie, au cours du XXe siècle. Tableau 1
Décennies de création des programmes en muséologie
Décennies
Nombre de programmes
% respectif
Cumul des %
1910-1919
1
0,5
0,5
1920-1929
0
0
0,5
1930-1939
2
1
1,5
1940-1949
2
1
2,5
1950-1959
6
3,2
5,7
1960-1969
13
6,8
12,5
1970-1979
78
41
53,5
1980-1989
60
31,6
85,1
1990-1999
28 190
14,7 99,8
99,8 99,8
Total
* 61 programmes n’ont pas mentionné la date de leur création
101 Le premier programme en muséologie apparaît en 1910 dans l’État d’Iowa. Une augmentation importante des programmes se manifeste au cours des années 60 et, de façon plus caractéristique, lors des trois décennies suivantes. Plusieurs facteurs expliquent cette croissance. D’une part, l’augmentation du nombre de musées crée le besoin d’un personnel qualifié. D’autre part, durant cette période, on assiste à la professionnalisation de plusieurs secteurs d’activité dans les musées. En réponse à ce besoin nouveau, les universités développent plusieurs programmes en muséologie. Le répertoire de l’AAM dénombre 251 programmes reliés à la muséologie de façon directe ou connexe, et offerts par 149 institutions dont certaines proposent plusieurs programmes de niveau différent : mineure, certificat, baccalauréat, maîtrise et doctorat. Chaque niveau d’un cursus a été comptabilisé comme programme à part entière : un programme de muséologie au niveau du baccalauréat et un autre au niveau de la maîtrise d’une même université sont comptabilisés comme deux programmes complets et distincts. Les 149 établissements dénombrés sont dispersés dans 47 États : seuls le Dakota-du-Nord, le Dakota-du-Sud, le Maine et le Montana ne possèdent pas d’institutions offrant des cours en muséologie ou dans un domaine relié à celle-ci.
Le niveau des programmes de muséologie La formation en muséologie se situe à différents niveaux des études universitaires. Le tableau 2 présente la répartition des programmes selon le niveau d’études. Tableau 2
Programmes en muséologie et dans les domaines afférents selon le niveau des études Niveau
Nombre de programmes
% respectif
Collégial
1
0,4
Mineure
11
4,7
Certificat
55
23,6
Baccalauréat
30
12,9
Maîtrise
126
54,1
Doctorat
10
4,3
233
100
Total * 18 programmes n’ont pas spécifié le niveau des études
102 D’une part, on constate qu’une seule institution du répertoire offre une formation technique en muséologie. D’autre part, on note une concentration importante (54,1 %) des programmes au niveau de la maîtrise. Il existe aussi un nombre appréciable de certificats dans le domaine, soit 23,6 %. En regard de ces deux regroupements dominants qui représentent 77,7 % des programmes, on assume que les programmes en muséologie font suite à une première formation universitaire. Le fait que le domaine de la muséologie emprunte habituellement le parcours du certificat ou de la maîtrise implique-t-il que ce domaine nécessite une certaine réflexion et une maturité suffisante de la part des étudiants?
Les différents titres de programmes Tous les programmes du répertoire de l’AAM ne sont pas spécifiques à la muséologie. On peut observer plusieurs titres et descriptions qui dévoilent des domaines connexes à la muséologie, par exemple l’histoire de l’art, ou des programmes qui sont orientés sur une fonction précise du domaine, par exemple la conservation. Les titres des programmes permettent de décrypter quelles fonctions muséales sont visées par les institutions de formation. Le tableau 3 montre dans quels secteurs de la muséologie se répartissent les programmes répertoriés dans le catalogue de l’AAM. Tableau 3
Le nombre de programmes selon leur titre Titre
Nombre de programmes
% respectif
66
27,8
65
27,4
48
20,3
37
15,6
Anthropologie
6
2,5
Faune et flore
6
2,5
2
0,8
3
1,3
2
0,8
Muséologie (Museum Studies, Museology, Museum Education, Museum Exhibition Planning/Design)
Administration (Public and Nonprofit Management, Arts Management, Philanthropic Studies, Museum Administration)
Conservation (Arts Conservation, Architectural Conservation, Hstoric Preservation, Preservation Planning, Building Preservation)
Histoire (Public History, Art History, Architecture History, Decorative Arts History)
(Science Program in Public Horticulture, Wildlife and Fisheries Sciences)
Design d’exposition (Exhibition Design)
Gestion des collections (Archival Management and Historical Editing)
Apprentissage et évaluation dans des lieux informels
103 (Learning & Evaluation in Informal Settings)
Études indépendantes
2
0,8
237
99,8
(Independent Study)
Total * 14 institutions n’ont pas spécifié le titre de leur programme.
Le musée possède cinq fonctions fondamentales selon l’ICOM : collection, recherche, conservation, présentation et éducation. Le tableau 3 indique que plus du quart de ces programmes est consacré à l’administration, avec des titres aussi révélateurs que « administration d’organismes publics à but non lucratif » et « administration des arts ». Seuls deux programmes, au niveau de la mineure, portent le titre « administration muséale ». Il y a peu de programmes dont le titre se rapporte spécifiquement à l’administration des musées, mais comme les institutions muséales sont des organismes à but non lucratif, les nombreux programmes d’administration inscrits au répertoire de l’AAM proposent une formation pour les administrateurs de musées. Les deux mineures proposées sont offertes en complément à une formation initiale, ce qui nous laisse croire qu’un muséologue pourrait perfectionner ses connaissances en administration par l’un de ces programmes. Malheureusement, comme les descriptions du répertoire sont relativement succinctes, il est difficile de savoir si ces programmes d’administration prennent en considération l’aspect culturel des institutions muséales. Toutefois, l’importante proportion de programmes consacrés à l’administration nous rappelle l’importance du sujet dans ces institutions : les musées requièrent de fins administrateurs pour gérer les immeubles, le personnel, les budgets, les achats, les recettes, etc., dans un contexte économique qui n’est pas toujours favorable à la culture. Les trois premiers domaines, soit muséologie, administration et conservation, représentent plus des deux tiers de l’ensemble des programmes offerts. On peut penser que les fonctions de présentation et d’éducation sont peu valorisées dans les universités. Ces fonctions semblent être prises en considération dans les programmes généraux de muséologie. À cause des descriptions succinctes du répertoire, il est difficile de faire une analyse systématique de ces programmes de muséologie. D’ailleurs, le répertoire ne révèle pas si les cours liés aux fonctions de présentation et d’éducation sont obligatoires ou optionnels. En contrepartie, même si des fonctions semblent laissées pour compte, certains programmes se consacrent entièrement à l’éducation muséale, au design d’exposition, à la gestion des collections ainsi qu’à l’apprentissage et à l’évaluation dans des lieux informels. Son bassin de population et la qualité de ses universités permettent aux États-Unis d’offrir des programmes très pointus.
104
Formation en muséologie Soixante-six programmes sur 237 portent sur la formation en muséologie, soit tout près de 28 %. Le tableau 4 s’attarde de façon plus particulière à l’offre de ces programmes et le tableau 5 au niveau des études. Tableau 4
Programmes reliés directement à la muséologie selon leur titre Titre
Nombre de programmes
Muséologie
60
(Museum Studies, Museology)
Éducation muséale
5
(Museum Education)
Design d’exposition muséale
1
(Museum Exhibition planning/design)
Total Tableau 5
66
Programmes portant le titre « muséologie » (Museum Studies) selon le niveau des études
Niveau
Nombre de programmes
% respectif
Collégial
0
0
Mineure
7
10,6
Certificat
20
30,3
Baccalauréat
7
10,6
Maîtrise
30
45,5
Doctorat
1
1,5
Non-spécifié
1
1,5
66
100
Total
Encore une fois, on retrouve ici les mêmes tendances observées pour l’ensemble des programmes : les trois quarts se situent aux niveaux du certificat et de la maîtrise. La configuration du répertoire ne permet pas une analyse en profondeur des programmes de muséologie. Ces derniers couvrent la muséologie de façon générale, mais la qualité des universités et des programmes varie beaucoup d’un endroit à l’autre. De plus, certains valorisent une orientation particulière qui rend la comparaison d’autant plus ardue. Toutefois, malgré
105 l’aspect disparate de l’ensemble des programmes, un dénominateur commun ressort : les stages sont obligatoires dans la plupart, ce qui laisse penser que la formation pratique est essentielle à la formation en muséologie.
L’éducation muséale Pour obtenir des informations supplémentaires sur les cinq programmes d’éducation muséale inscrits au répertoire, nous avons consulté le site Internet. Nous avons ainsi obtenu le titre et une brève description des cours pour quatre de ces programmes. Voici comment ils sont libellés et les institutions où ils sont dispensés. •
Programme d’éducation muséale The George Washington University, Washington, Columbia (district fédéral)
•
Programme de direction de l’éducation muséale Bank Street College, New York, New York
•
Programme d’éducation muséale Bank Street College, New York, New York
•
Programme d’éducation muséale University of the Arts, Philadelphie, Pennsylvanie
Ces quatre programmes se situent au niveau de la maîtrise. Tous prévoient un stage en guise de formation professionnelle. Il ressort que l’expérience pratique revêt une importance primordiale. Toutefois, chacun de ces programmes comporte des caractéristiques particulières. George Washington University Le programme d’éducation muséale du « George Washington University » a été créé en 1973. Il comporte 33 crédits et il est possible de les compléter au cours d’une année. Vingt et un crédits font partie d’un noyau relié à l’éducation muséale et 12 autres proviennent de cours optionnels. L’approche pédagogique se base sur l’apprentissage par l’expérience. Ainsi, l’apprenant est d’abord amené à observer des praticiens au travail dans le cadre scolaire et muséal. Ensuite, il met sur pied un programme avec les méthodes dont il a fait l’apprentissage dans le cadre des séminaires et des observations sur le terrain. Finalement, l’apprenant est invité à partager ses réflexions et l’avancement de son projet avec ses pairs et ses supérieurs pour valider le processus de décision.
106 Les cours de ce programme sont les suivants : un cours général en muséologie, un cours pour développer les habiletés en communication, un cours sur les publics dans les musées ainsi qu’un projet de recherche et un stage. Bank Street College Le programme offert par le « Bank Street College » porte le titre de direction de l’éducation muséale et a été créé en 1978. D’une durée de deux ans, il a été créé pour les personnes travaillant déjà avec les divers publics des musées. Il peut être suivi par des gens qui résident à l’extérieur de la ville de New York, car les cours sont offerts de décembre à mai à raison d’une fin de semaine par mois, soit le vendredi en soirée et le samedi. De plus en juin, un séminaire de cinq jours complète la formation. Le programme comporte 42 crédits répartis sur deux ans. La première année est consacrée aux fondements de la compréhension et du développement des publics. Les cours qui s’y rapportent traitent du développement humain, des théories d’apprentissage ainsi que de la conception et de l’évaluation de programmes éducatifs. La deuxième année est orientée sur le développement et l’administration incluant la gestion financière, la levée de fonds, la direction et les tendances futures des institutions culturelles à but non lucratif. Le collège porte une attention particulière aux différents publics. On retrouve dans le curriculum les titres suivants : •
le développement humain 1 : le développement de l’enfant et de l’adolescent ;
•
le développement humain 2 : le développement de l’adulte ;
•
les principes de la programmation muséale 1 : programmes pour les enfants et les adolescents ;
•
les principes de la programmation muséale 2 : programmes pour les adultes.
Les autres cours se concentrent particulièrement sur la gestion et l’administration muséale. De plus, on remarque la présence d’un cours général en muséologie sous le titre Histoire, philosophie et développement des musées américains. Bank Street College Un autre programme d’éducation muséale se retrouve au « Bank Street College ». Créé en 1975, il comporte 42 crédits qui peuvent être complétés à l’intérieur d’une année et de deux étés. Il propose une solide formation sur le développement humain, les théories de l’apprentissage et les curriculums scolaires. Le programme met l’accent sur le rôle éducatif et la mission des musées dans une société pluraliste. Le programme semble tirer avantage du riche environnement muséal
107 de la ville de New York. Les étudiants font fréquemment des visites dans les musées, ont des rencontres avec leur personnel et développent des projets en collaboration avec des musées. Le cursus comporte une vaste panoplie de cours. Les cinq cours suivants sont obligatoires : le développement et l’évaluation d’exposition, l’enseignement à l’aide d’objets dans l’environnement du musée et de la classe, l’introduction aux pratiques de recherche en éducation muséale et, finalement, deux séminaires sur l’éducation muséale. Les autres possibilités de cours sont vastes. L’étudiant doit choisir un cours portant sur le développement de l’enfant et un autre sur la méthodologie de recherche. De plus, il doit choisir des cours dans le domaine de l’éducation dont un portant sur les curricula scolaires, un cours sur l’enseignement de la lecture et de l’écriture, un cours sur l’enseignement des mathématiques et un cours sur les sciences de la nature. Ainsi, le programme semble couvrir les grands domaines de l’enseignement. University of the Arts Le programme en éducation muséale de l’« University of the Arts » de Philadelphie a été créé un peu plus tardivement, soit en 1992. Il comprend 36 crédits et peut être complété en deux semestres et un été ou en trois semestres. Cette maîtrise est orientée sur le développement et l’implantation de pratiques pédagogiques et sur les habiletés pour communiquer avec le public sur la culture et les arts. Ce programme comprend trois blocs distincts : les théories et les méthodes en éducation, une concentration en muséologie et ses pratiques, une recherche et un stage avec la collaboration d’un musée qui touchent spécifiquement l’aspect professionnel. Il existe aussi des cours ayant trait à l’éducation : le développement créatif et cognitif; la programmation éducative pour les musées et les sites alternatifs; le public des musées; la pratique de l’éducation muséale; la recherche en éducation; les méthodes et les tendances. Toutefois, ce programme est caractérisé par la présence d’un cours qui lui est unique : média interactif pour les arts et les éducateurs de musée. Aucun des trois autres programmes ne semble prendre en compte cet aspect de la muséologie, du moins aucun ne lui consacre un cours complet. De plus, deux autres séminaires sont propres à ce programme : art et design dans la société, structure et métaphore. Ces deux cours semblent être présents pour ouvrir des horizons et sensibiliser à différentes facettes des arts et du design. Comme dans les autres programmes, on constate la présence d’un cours général en muséologie : Histoire des musées et le musée dans la société. Ce programme comporte aussi un projet de recherche et un stage.
108
Dans l’ensemble, on peut observer que les quatre programmes consacrés à l’éducation muséale s’intéressent aux différents publics et à l’éducation dans le contexte muséal. Toutefois l’aspect de l’éducation est développé de façon fort différente d’un programme à l’autre et seul le programme d’éducation muséal du « Bank Street College » semble accorder dans son curriculum de l’attention au développement de liens étroits avec le milieu scolaire.
En guise de conclusion L’« American Association of Museums » répertorie 66 programmes en muséologie et 171 dans des domaines qui y sont reliés. L’ampleur de l’ensemble rend son analyse complexe. Les courtes descriptions du répertoire ne permettent pas une analyse en profondeur des programmes de muséologie offerts aux États-Unis. D’ailleurs, l’entrée des programmes de muséologie dans les universités demeure un phénomène relativement récent. Dans les prochaines années, il est possible que certaines fonctions pourront s’intégrer à l’organigramme des musées. Nous souhaitons alors que l’éducation muséale fasse partie à part entière de la formation offerte aux futurs muséologues.
L’ENSEIGNEMENT DE LA MUSÉOLOGIE EN GRÈCE Georgia-Gina Kroutcha1 En Grèce, l’enquête a été conduite à l’automne 1999 par Georgia-Gina Kroutcha qui, à ce moment-là, était à l’emploi du Hellenic Children’s Museum d’Athènes. Elle a traduit en grec le questionnaire déjà utilisé dans les autres pays et l’a envoyé dans huit universités dont celles d’Athènes, d’Ionie, de Patras, de Thessalie, de Thessalonique et de Thrace. Quatre universités ont complété le questionnaire. Il faut souligner qu’à cette époque la région d’Athènes a été frappé d’un violent tremblement de terre. Quelques répondants ont remarqué qu’il était difficile de répondre au questionnaire qui ne tenait pas compte de la situation particulière de la Grèce.
Les résultats On ne retrouve pas en Grèce de départements dispensant des enseignements de premier ou de deuxième cycle universitaire qui se consacrent exclusivement et spécifiquement à la muséologie. Toutefois, depuis quelques années, des discussions sont en cours afin de créer un tel département à l’Université d’Aristote de Thessalonique. Quelques universités offrent des enseignements de premier ou de deuxième cycle portant sur la muséologie, en général ou sur l’éducation muséale, en particulier. Cet enseignement prend la forme de cours optionnels ou s’insère dans des modules obligatoires faisant partie de cours plus généraux. Les professeurs qui dispensent l’enseignement détiennent tous des doctorats. Toutefois, ces derniers ne portent pas toujours sur la muséologie ou sur l’éducation muséale. Les heures d’enseignement consacrées à l’éducation muséale ou à la muséologie varient de 4 à 64 heures. La charge de travail obligatoire rattachée à ces cours prend la forme d’essais, de longs travaux d’enquête ou d’élaboration de programmes. Les étudiants ne paient pas de frais d’inscription afin d’assister aux cours. Un seul répondant mentionne qu’il n’y a pas de processus de sélection des candidats.
Conclusion En Grèce, on ne décerne pas de diplômes portant spécifiquement sur la muséologie. Les universités n’ont pas encore cru bon de créer des départements dont les membres se consacreraient exclusivement à la muséologie. Toutefois, de plus en plus d’étudiants se rendent à l’étranger, particulièrement en Grande-Bretagne, afin de poursuivre des études supérieures en muséologie ou, plus spécifiquement, en éducation muséale.
1. En collaboration avec Michel Allard et Anne-Marie Lemaire.
110 Séminaires non universitaires ayant pour sujet la muséologie et l’éducation muséale Il existe certains organismes privés qui offrent régulièrement des cours ayant pour sujet une introduction à la muséologie ou à l’éducation muséale. Ces cours sont entièrement financés par les individus qui y assistent, les professeurs ne détiennent pas nécessairement un doctorat et les étudiants se voient attribuer un certificat de présence. À titre d’exemple Athènes comprend les organismes suivants : Les ateliers Hellas en sciences humaines de Christie, le Collège américain d’Athènes et le Musée hellénique des enfants. De plus, il y a des centres de formation culturelle et professionnelle ainsi que des organismes internationaux comme l’Organisation mondiale pour l’éducation préscolaire (O.M.E.P.) qui organisent occasionnellement des séminaires ou quelques jours de formation sur l’éducation muséale dans les villes importantes de la Grèce.
111 ANNEXE I LISTE DES UNIVERSITÉS AYANT ÉTÉ CONTACTÉES Institutions
Réponses
Université Panteion, Département des communications et des mass médias, Athènes
OUI
Université de Patras, Département d’éducation préscolaire
OUI
Université de Patras, Département d’éducation préscolaire
NON
Université d’Aristote de Thessalonique, École d’Éducation spécialisée en petite enfance.
OUI
Université d’Aristote de Thessalonique, École de Technologie. Faculté d’architecture, Département d’Histoire de l’architecture, Histoire de l’art, Morphologie architecturale et restauration.
OUI
Université de Thessalie
NON
Université d’Ionie, Département des archives et bibliothèque.
NON
Université de Thrace
NON
112 ANNEXE II DONNÉES RECUEILLIES A. Skaltsa Matoula, Université d’Aristote de Thessalonique : École de Technologie – Faculté d’architecture, Département d’Histoire de l’architecture, Histoire de l’art, Morphologie architecturale et restauration. • •
Il n’y a toujours pas de département de muséologie aux premier et deuxième cycles universitaires. Il y a un cours de muséologie qui est offert : – comme cours optionnel au premier cycle universitaire dans le département d’Histoire de l’architecture : – comme cours optionnel dans le programme interdépartemental de deuxième cycle de l’École de Technologie et qui s’intitule « Protection, conservation et rénovation des monuments culturels ».
B. Tsioumi Chrysanthi, Université d’Aristote de Thessalonique : École d’Éducation, Département de la petite enfance. Premier cycle Cours obligatoires 1. Patrimoine culturel dans le domaine de l’éducation 2. Art moderne et contemporain dans le domaine de l’éducation Cours obligatoires uniquement pour les individus qui se spécialisent en éducation de l’Esthétique : 1. Musée et éducation 2. Monuments et sites archéologiques dans le domaine de l’éducation Cours optionnels 1. Programme multidisciplinaire en Esthétique 2. L’artefact artistique : ses leçons et ses applications • L’ensemble des cours se termine par une dissertation qui permet l’obtention du diplôme. Deuxième cycle •
• •
Les études de deuxième cycle pour la formation en sciences comportent une option « Langage et culture ». Les cours obligatoires pour cette option sont : 1. Programmes de développement ayant pour sujet la formation en art et en éducation 2. Éducation muséale : théorie et pratique 3. Histoire et société 4. Sociolinguistique et langage de l’enfant 5. Créativité et habiletés artistiques Il y a un essai obligatoire pour chacun des cours. Après les deux premières années d’étude, les étudiants doivent rédiger une dissertation sur leur sujet d’étude. Aucun programme indépendant, mais fait partie de la formation des professeurs.
113 C. Daphe Voudouri, Université Panteion, Département des communications et des mass médias • • • • •
• • •
Autre équipe d’employés à temps partiel : 1 (histoire de l’art), 2 (sciences humaines et sociales), 2 (archéologie et muséologie) 20-30 chaque année. Principalement des femmes. Troisième année seulement. Il n’y a pas de limite quant au nombre d’étudiants que peut accueillir ce programme. La personne en charge du programme détient un doctorat en droit et en politique dans le domaine culturel. Il s’agit d’un séminaire semestriel de quatre heures par semaine destiné aux étudiants de 3e année ayant choisi l’option « Gestion Culturelle » au département des communications et des mass médias de l’Université Panteion de Sciences Sociales et Politiques. À ce séminaire interviennent une dizaine de personnes ayant une formation et/ou une expérience spécifique dans le domaine des musées. Aucun frais d’inscription 64 heures – 4 heures par semaine durant 1 semestre Travail obligatoire = quelques travaux écrits
D. Schier Dorothea, Université de Patras, Département d’Éducation préscolaire • • • • • • • • • • • • • • •
Organisme public Titre du programme : Muséologie et éducation Personne en charge du programme : Dr Christina Nova Programme non reconnu à l’extérieur de la Grèce. Ne mène pas à des études de deuxième cycle ou des études supérieures. Les étudiants n’ont pas encore obtenu leur diplôme. 1 équipe d’employés à temps partiel pour l’éducation (doctorat en anthropologie sociale/pédagogues). 38 femmes à la deuxième année. Il n’y a pas de limite quant au nombre d’étudiants admis au programme. Aucun frais (inscription et autres). 36 heures de cours Cours optionnel traitant de l’éducation muséale Aucun stage obligatoire Travail obligatoire : travaux écrits Il n’y a aucun processus de sélection pour l’admission des candidats.
114 E. Zafeirakou Aigli, Université de Thrace, Département d’éducation préscolaire • • • • • • • • • • • •
Organisme public Titre du programme : Éducation muséale Cours créé en 1996 Un seul semestre – 3 heures par semaine Aucun diplôme reconnu, mais le module est reconnu dans les pays de l’Union européenne comme étant un module équivalent. 1 équipe d’employés à temps plein spécialisés en éducation (doctorat) Le groupe d’étudiants est composé de 20-25 femmes qui étudient pour la première fois Aucune limite d’admission, aucun prérequis, aucun processus de sélection de candidats Aucun frais d’inscription Aucun stage obligatoire Travail exigé : projets de recherche à petite échelle et essais Le module porte sur la relation entre les écoles et les musées.
L’ÉDUCATION MUSÉALE AU VIÊT-NAM Cu Tih Minh
Introduction À l’instar de beaucoup de pays, les musées vietnamiens jouent un rôle didactique important dans le développement cognitif et affectif des élèves. Dans le présent texte, j’aborderai l’utilisation des musées dans l’enseignement historique à l’école secondaire de mon pays. Ce problème intéresse beaucoup les muséologues et les professeurs vietnamiens. À cet égard, les musées et les écoles ont tissé des liens très étroits de collaboration afin de hausser le niveau de connaissances générales de nos élèves. On ne retrouve au Viêt-nam que deux lieux d’enseignement de la muséologie : l’Université de la Culture à Hanoï et l’école supérieure à Ho Chi Minh Ville. Elles dispensent une formation très spécialisée et orientée exclusivement vers les objets : la recherche, l’interprétation, la collection, la conservation, et l’exposition. Les programmes universitaires restent muets à propos de la fonction éducative des musées. Dans ce contexte, la formation historique et pédagogique – négligée par les universités – des professionnels de musée ne peut venir que des liens établis entre le musée et l’école. C’est grâce aux contacts multiples avec les professeurs d’histoire, les élèves et les écoles que cette formation s’effectue. Voici quelques exemples de contacts avec le milieu scolaire : •
En vue d’améliorer le contenu de la visite des élèves, les professionnels étudient le contenu historique des leçons et choisissent les documents concordants.
•
En se rendant observer les élèves dans les écoles, les professionnels s’initient peu à peu à la psychologie, à l’évaluation et la pédagogie pratiquée par les enseignants.
•
Les professionnels assistent à des cours d’histoire dispensés par les professeurs.
•
Lors des récréations, ils se mêlent aux élèves et leur posent des questions à propos des événements historiques afin de vérifier leurs connaissances. Par exemple : En quelle année notre pays a-t-il obtenu son indépendance ?
Voilà comment l’école peut suppléer à la carence de l’université en fournissant aux professionnels l’occasion d’acquérir la double formation historique et pédagogique nécessaire pour accueillir des groupes d’adultes et d’enfants au musée. Pour montrer comment on utilise le musée à des fins éducatives, j’ai retenu l’exemple du musée de la Révolution du Viêt-nam. Il se situe à Hanoï.
116
Les musées au Viêt-nam Le musée de la Révolution est né à un moment particulier du développement des musées vietnamiens. Les premières institutions muséales du pays ont été fondées par les Français au début du XXe siècle. Ces musées étaient presque exclusivement scientifiques et ne publicisaient aucunement leur existence. Après le départ des Français, les institutions muséales du Viêt-nam ont connu, durant les années 1956-1960, un grand essor, si bien qu’aujourd’hui on compte environ 285 musées et « maisons traditionnelles ». Les maisons traditionnelles se consacrent à l’histoire locale ou à une technique spécialisée comme le tissage. Musées ou maisons, le but de ces institutions est non seulement d’offrir de l’information générale à tous les visiteurs, mais aussi et surtout d’élaborer des programmes éducatifs à l’intention des élèves. Quatre musées de Hanoï jouent ce rôle important d’éducation : le musée de l’histoire de la rue Trang Tien, le musée des militaires de la rue Dien Bien Phu, le Musée de la Révolution du Viêt-nam de la rue Tong Dan et le musée Ho Chi Minh de la rue Ngoc Ha. Le musée de la Révolution du Viêt-nam est un lieu où l’on expose des documents et des objets sur l’historique de la révolution et de la construction du pays.
La visite dans les musées du Viêt-nam Au Viêt-nam, la visite des musées peut prendre l’une des trois formes suivantes. •
Une visite générale où l’on présente, d’une façon courte et concise, le contenu d’une exposition ou la collection générale du musée. Cette forme convient bien à la population générale et aux élèves des écoles.
•
Une visite thématique où l’on traite d’un sujet ou d’un thème qui répond à une demande spécifique des visiteurs. Ce type de visite convient bien aux chercheurs, aux étudiants et aux élèves.
•
Une visite de sensibilisation où les visiteurs sont invités à s’asseoir dans une grande salle pour recevoir des informations sur le contenu de l’exposition du musée. Cette visite prend l’allure d’une conversation historique accompagnée d’illustrations et d’une analyse de contenu. Après cette sensibilisation, les visiteurs sont libres de parcourir le musée. Cette forme de visite a cours lorsque plusieurs visiteurs font en même temps la même demande et que le nombre d’animateurs ne suffit pas pour les accompagner dans chaque salle d’exposition.
117
La visite du musée de la Révolution à des fins historiques Le Musée de la Révolution offre aussi les mêmes types de visites selon les méthodes mises en œuvre dans l’enseignement de l’histoire à l’école secondaire, mais elles doivent respecter certaines règles. •
Un lien très étroit doit exister entre les professionnels du musée et les enseignants d’histoire. Les professionnels doivent bien connaître le contenu des leçons historiques dispensées à l’école et choisir les documents pertinents pour la leçon. Par contre, les professeurs doivent non seulement étudier le contenu de l’exposition du musée, mais aussi l’adapter à des auditoires différents.
•
L’éducation muséale doit coïncider avec le niveau de scolarité et l’âge des élèves. Les trois formes de visites ont déjà été pratiquées au musée de la Révolution et les résultats ont été encourageants.
L’organisation d’une visite guidée au musée L’essentiel du travail de guide est de présenter et de démontrer la valeur et la signification historique, scientifique, idéologique et esthétique de l’héritage culturel, à l’aide d’objets, de groupes d’objets, d’images et de documents. Dans les faits, la visite est une activité extrascolaire qui se déroule à l’occasion de fêtes ou à l’issue d’un concours. Malgré tout, la visite doit respecter le contenu d’une leçon en classe. Au cours de la visite, les élèves écoutent attentivement le guide, admirent les objets, prennent des notes et posent des questions.
La stratégie de la visite La visite guidée permet le bilan des révisions. Cette stratégie a pour objet de généraliser les connaissances acquises et de les consolider. Par exemple, les élèves peuvent établir un tableau général d’une période historique. Pendant ce temps, le maître ne présente pas de nouvelles connaissances, il aide les élèves à répéter et à assimiler celles déjà apprises, à corriger les fautes et à tirer une conclusion historique générale.
La leçon d’histoire au musée Pour la leçon d’histoire, le maître choisit une ou quelques salles qui ont trait au contenu de la leçon. L’enseignement se donne dans les salles choisies. La leçon se centre sur le contenu du manuel, tout en étant conforme aux documents et aux objets du musée. Le maître adapte sa leçon aux connaissances déjà acquises et aux intérêts des élèves. On utilise des photos, des documents,
118 des objets et des images pour illustrer le contenu de la leçon. Cette façon de procéder facilite la compréhension des élèves et leur plaît bien. Par ces moyens, on couvre plus de matière plus rapidement et plus profondément. La leçon peut aborder un thème ou faire la synthèse d’une période historique. Un exemple de thème : « La Résistance contre les colonialistes français et les Américains pour libérer le pays », ou encore « Le président Ho chi Minh et la révolution d’août 1945 ». Une synthèse possible serait « Faire le bilan de l’histoire de la Révolution du Viêt-nam à travers la période 1930-1945 ». Bien sûr, qu’il s’agisse d’un thème ou d’un bilan, cette leçon concorde avec le contenu des expositions du musée de la Révolution.
Un contexte difficile Dans le contexte actuel, l’enseignement de l’histoire au musée rencontre plusieurs difficultés matérielles : les moyens de transport manquent, le financement est limité. Ainsi, seules les écoles d’Hanoï peuvent en profiter. De plus, le matériel du musée ne répond pas encore aux attentes et aux besoins des écoles. Bon nombre d’édifices qui abritent les musées n’ont pas été conçus pour présenter des expositions ou développer les différentes fonctions muséales. Ce sont souvent d’anciennes maisons patrimoniales qui abritaient autrefois des bureaux des colons français. Ainsi, le Musée de la Révolution occupe les bureaux de l’ancien département commercial de l’Indochine. Les salles d’exposition sont étroites et, pendant la leçon, il faut se déplacer continuellement d’une salle à l’autre.
Collections et autre matériel d’appoint pour les écoles Pour surmonter ces difficultés, le Musée de la Révolution et le secteur de l’éducation réunissent des collections d’images, d’objets, de documents et de photos afin de faciliter la leçon d’histoire en classe : ces collections portent sur un chapitre de l’histoire ou servent à la révision de la matière. En outre, le Musée de la Révolution réunit, toujours à l’intention des écoles, d’autres collections plus spécifiques sur l’histoire du Viêt-nam. L’utilisation de ces collections du musée ont donné des effets positifs : •
Les professeurs illustrent leur enseignement en classe à l’aide de ces collections et facilitent ainsi une meilleure compréhension de leurs élèves.
•
Les écoles qui n’ont pas accès à la visite parce qu’elles sont trop éloignées du musée, achètent les collections du musée de la Révolution. Toutefois, les photos sont moins
119 vivantes que les documents du musée. De plus, il faut investir pour se procurer ces collections. Outre les collections, le Musée de la Révolution publie des catalogues de photos et produit des bandes vidéo sur le contenu d’exposition du Musée pour que les écoles puissent les acheter et les utiliser pour l’enseignement et l’étude de l’histoire en classe. Durant les dernières années, l’amélioration des conditions économiques a permis à plusieurs écoles de se procurer des vidéocassettes et d’acheter plus de collections.
Les avantages d’utiliser le musée dans l’enseignement de l’histoire Malgré des difficultés pratiques dans son application, le programme destiné à l’utilisation du musée de la Révolution pour l’enseignement de l’histoire profitent aux élèves, aux professeurs d’histoire et aux professionnels du musée. Pour les élèves La visite ou l’étude au Musée est l’occasion pour les élèves d’apprendre la révolution vietnamienne à l’aide de méthodes historiques. Le travail des élèves Après la visite au musée, les élèves doivent rédiger un texte ou répondre oralement aux questions des professeurs ou à celles des professionnels du musée. Voici, deux exemples de questions posées par les professeurs d’histoire : •
À travers les images et les objets du Musée de la Révolution vietnamienne, décrivez l’état du Viêt-nam au cours de la Première Guerre mondiale.
•
Racontez le mouvement révolutionnaire vietnamien dans les années 1920-1930, après la Première Guerre mondiale.
Voici également deux exemples de questions posées par les professionnels du musée : •
Comment aimez-vous apprendre votre histoire à l’aide des objets exposés au musée de la Révolution ?
•
Quel est l’objet qui vous a le plus touché durant votre visite au musée ?
On se basant sur les réponses orales des élèves et leurs textes écrits, on constate que leurs connaissances historiques s’accroissent après avoir étudié au Musée de la Révolution. Les élèves
120 dépassent le niveau de la connaissance des simples événements et commencent à analyser leur histoire et à établir des liens avec la vie actuelle. Ces améliorations se remarquent aussi dans l’attention toute particulière que les élèves portent aux objets, aux documents et aux images qui présentent les crimes des impérialistes et des féodaux, ou encore qui montrent les sacrifices et le courage des soldats de la révolution. Voici quelques remarques des élèves après leur visite au musée : … Chaque objet me rappelle un événement historique que j’ai étudié. J’ai eu la chance de le voir aujourd’hui.
Bui Thanh Huyen, classe 10e, école Nguyen Hue … La recherche de l’origine de l’histoire nationale et de l’histoire de la révolution est un travail très indispensable, particulièrement pour nous – les élèves de la 12e classe. Il y a une connaissance du passé, on peut comprendre le présent et prévoir le futur. Pendant que moi et mes amis, nous sommes en train d’entrer dans la vie, cette recherche nous a aidés à identifier un chemin pour toutes nos vies ... Alors, l’étude historique est une des activités importantes qui nous a permis de créer un atout précieux pour affronter la vie.
Nguyen thi Minh Nguyet, classe 12e, l’école Da Phuc ∑ Évaluation d’une visite scolaire au musée à des fins historiques Lors de tests, deux groupes expérimentaux de 12e avec visite au musée ont été comparés à deux groupes de contrôle de 12e sans visite au musée. Nous n’entrerons pas ici dans le détail des tableaux comparatifs. Qu’il suffise de mentionner que les résultats ont été de 57 % et 66 % en faveur des élèves qui ont effectué une visite au musée. • L’école Yen Hoà (1991)s classe 12D N = 49 avec visite au musée N %
Résultats /10
classe 12G N = 42 sans visite au musée N %
9
4
8
0
0
7
35
71
17
40
5
10
20
21
50
4
0
8
4
9
49
99
42
99
Total
• L’école Minh Khai (1991)
121 classe 12D N = 35 avec visite au musée N %
Résultats /10
classe 12G N = 42 sans visite au musée N %
9
2
6
0
0
7
20
57
18
43
5
13
37
20
48
4
0
0
4
9
35
100
42
100
Total
Pour les professeurs L’enseignement de l’histoire à l’école est principalement livresque, basé sur le manuel qui sert à la fois de programme et de leçon. On ne retrouve pas de matériel d’enseignement concret à part quelques cartes géographiques et des plans de bataille. Dans ce contexte, les élèves sont très peu motivés à étudier l’histoire. Pour améliorer les connaissances historiques de leurs élèves ainsi que la qualité de leur enseignement historique, les professeurs d’histoire se rendent souvent au musée de la Révolution consulter des documents riches et précieux : cet apport est essentiel pour leurs recherches historiques et leurs cours d’histoire. Le musée fournit le matériel d’appoint nécessaire pour reconstituer le passé : plus de 3 000 objets, des documents écrits d’archives, des œuvres visuelles et des films. Les expositions présentent un contenu historique plus vaste et plus riche que le manuel scolaire. En faisant appel essentiellement à un matériel qui lui est propre, le musée a plus de souplesse dans ses présentations, parce qu’il n’est pas astreint à un programme rigide et à des règles pédagogiques strictes. À l’opposé, on demande à l’école de viser un but éducatif bien défini et de s’accorder au niveau des élèves. Les profits que tire alors l’école de l’utilisation du musée sont multiples : •
Les professeurs d’histoire perfectionnent leur didactique par l’observation d’éléments visuels et la manipulation d’objets que l’on retrouve au musée.
•
Les professeurs raffinent leur contenu historique grâce au contact avec de nouveaux documents historiques que le musée est seul à pouvoir leur apporter.
•
Enfin, devenus meilleurs, ces professeurs atteignent l’objectif visé, à savoir : l’acquisition par leurs élèves de connaissances historiques de qualité ainsi qu’une compréhension de l’histoire nationale et révolutionnaire.
Pour les professionnels de musée Les échanges entre le musée et l’école ne se font pas à sens unique. Les professeurs ne sont pas les seuls à en tirer profit : les professionnels du musée également reçoivent beaucoup de l’école.
122 Actuellement, ces professionnels ne sont formés ni à l’histoire ni à la pédagogie, deux disciplines pourtant primordiales pour présenter des visites muséales de qualité aux professeurs d’histoire et à leurs élèves du secondaire. Les activités aident les élèves à combler ces lacunes.
Conclusion Chez vous, vous dites qu’« une image vaut mille mots ». Au Viêt-nam, un proverbe dit : « Avoir écouté mille fois n’égale jamais avoir vu une seule fois ». Voir l’histoire au musée s’avère au moins aussi important qu’écouter l’histoire à l’école. C’est donc à ce titre qu’une collaboration très étroite entre le professeur d’histoire et le professionnel de musée devient primordiale. D’une part, grâce aux documents du musée, les professeurs enrichissent leurs méthodes didactiques et améliorent la présentation de leur leçon d’histoire. D’autre part, grâce aux exposés des professeurs, les professionnels du musée enrichissent leurs connaissances historiques et leur pédagogie. En fin de compte, leurs jeunes visiteurs des écoles tirent un meilleur parti de la visite au musée ; ils comprennent mieux l’histoire de leur pays.
TROISIÈME PARTIE PISTES DE RÉFLEXION
LES FORMES DE L’INTERVENTION ÉDUCATIVE DANS LES EXPOSITIONS ET SES CONSÉQUENCES SUR LA FORMATION DES PERSONNELS DES MUSÉES Daniel Jacobi Évoquer la question du rôle éducatif des musées, où qu’on le fasse, fait toujours l’objet d’une approbation bienveillante et unanime. Les professionnels, chaque fois qu’il leur paraît opportun de le faire, n’omettent jamais de mettre en avant leur mission éducative (tout en rappelant, il est vrai, que ce n’est pas leur charge première puisqu’il leur revient d’abord de conserver et de transmettre le patrimoine qui leur est confié)1. Les responsables, qui octroient des crédits encore considérables – même s’ils diminuent un peu – aux institutions muséales, ne manquent pas de souligner qu’ils le font dans le souci de rendre la culture accessible à tous : le rôle éducatif des musées ne justifie-t-il pas quelques sacrifices ? Et bien entendu, quant à eux, les partenaires naturels que sont les enseignants et le personnel des services éducatifs des musées soutiennent volontiers qu’il s’agit là du tout premier rôle des musées : les activités organisées en direction des jeunes publics conduits par leurs maîtres ne sont-elles pas le garant de l’avenir des institutions et un gage de fidélisation ultérieure d’un public plus vaste d’adultes ? Bref, pour le redire d’une phrase, c’est dans un bel élan d’unanimité que tous semblent plaider et militer pour l’éducation muséale. Ce consensus mou, comme c’est souvent le cas dans notre société, résiste-t-il à l’épreuve des faits ? Ne parvient-on pas à se mettre d’accord à bon compte pour ne pas examiner de façon plus précise en quoi consiste le présupposé que les expositions sont en permanence et partout des lieux ou des moyens éducatifs de première importance2 ? Il est toujours imprudent pour un chercheur d’adhérer aux idées reçues. Un exemple récent nous l’a opportunément rappelé. Lors d’une étude-action, encore non publiée, nous avons été conduit à rencontrer des responsables de musées scientifiques et de Centre de Culture scientifique et technique industrielle (CCSTI) pour faire le point avec eux sur le rôle éducatif de leur musée ou
1. Pour un aperçu de ce point de vue, voir les témoignages de professionnels publiés dans les actes du très
intéressant colloque québécois de 1995. Michel Allard et Bernard Lefebvre (édit.), Le musée, un lieu éducatif, Montréal, Musée d’art contemporain, 1997, 416 pages. 2. Odile Coppey et Daniel Jacobi (1995). Musée et éducation. Lyon, PUL : Publics et Musées, 7.
126 leur équipement3. Comme il se doit, quand on procède par entretien semi-directif, notre échange commençait à chaque reprise par une question large et ouverte par laquelle nous invitions à faire préciser ce que recouvrait, pour notre interlocuteur, cette mission. Il est troublant, et en tout cas intéressant, de relever que près de 9 fois sur 10, notre interlocuteur a reformulé notre demande ou s’est mis à nous parler, non pas du rôle éducatif du musée ou de l’exposition mais... de l’accueil des groupes scolaires. Il est clair que la fréquentation de ce public captif (il représente à lui seul de 30 à 50 % de la fréquentation totale d’un équipement muséographique) tend à emplir, dans l’esprit de celui que l’enquêteur interroge, tout l’horizon de pensée, au point qu’il en vienne à en confondre accueil de classes d’élèves et travail éducatif du musée. Ce glissement est en tout cas révélateur de l’importance de cette préoccupation et, par conséquent, montre qu’elle pèse fortement sur la vie de l’institution. Mais, comme dans la plupart des cas la suite de l’entretien l’a montré, l’accueil des bataillons ou des cohortes scolaires n’est ni la seule activité éducative du musée, ni probablement la plus créative et la plus innovante. Quelles que soient les qualités et les vertus de la coopération école-musée, on ne saurait réduire à cette dernière la question des formes de l’intervention éducative et de ses conséquences sur la formation des personnels et de futurs professionnels. Dans une perspective d’élaboration des contenus de formation des professionnels des musées, et pour choisir, parmi les tâches qui leur sont confiées, celles qui doivent être dérivées en objectifs de formation et en habiletés minimales à acquérir, il est indispensable de revenir au plus près du travail éducatif et des formes qu’il revêt. Il est clair qu’on ne saurait réduire le travail d’éducation muséale à la seule gestion du service pédagogique ou d’une classique salle de découverte créée pour les jeunes visiteurs. Le travail pédagogique est beaucoup plus présent et diffus dans le fonctionnement des musées et des équipements de diffusion de la culture. Du coup, la question qui se pose est celle de savoir comment délimiter, parmi les activités des musées et des autres institutions qui organisent des expositions, ce qui relève de l’action éducative par opposition à ce qui y est étranger ?
Deux préalables Décrire et analyser les formes de l’intervention éducative dans un musée, qu’il soit petit ou grand, et dans une exposition, quelle que soit la nature de celle-ci, suppose deux préalables. Le premier est de parvenir à identifier sans équivoque ce que l’on considère comme éducatif dans une exposition ou dans un musée par rapport à ce qui ne l’est pas. Le second préalable est de parvenir à nommer, désigner et formaliser la nature du projet éducatif car il n’y a pas à proprement parler d’éducation possible sans projet destiné à provoquer ou à induire des changements sur le public (on préférera ce mot à celui de groupe d’élèves ou d’apprenants) pour lequel précisément on a conçu une intervention éducative.
3. Anik Meunier (1998). « La mission éducative des musées et des expositions scientifiques et techniques, note de synthèse ». Dans Confronter et développer l’action éducative des muséums et des CCSTI, Rapport non publié sous la direction de Jacqueline Eidelman, Jean Davallon et Daniel Jacobi, Mission musées, MENRT, Paris.
127 Ce qui est éducatif dans une exposition ou un musée Comment identifier parmi les moyens et les situations créés dans un espace muséographique ce qui est véritablement éducatif ? La question peut paraître naïve, voire incongrue. Surtout si l’on sait qu’il existe aujourd’hui, dans la plupart des institutions patrimoniales, sinon des services culturels, éducatifs ou pédagogiques dûment constitués, au moins des personnels (permanents ou à temps partiel) qui, pour une partie de leur activité parfois seulement, organisent et conduisent des activités spécifiquement conçues pour des publics captifs, venus dans l’institution dans une perspective scolaire ou même avec leurs enseignants dans la continuité de leurs activités. Dans ce cas, il n’y a pas d’ambiguïté, est éducative toute activité : a)
conduite par le service éducatif pour un groupe déjà constitué ;
b) dans une perspective d’apprentissage ; c)
reliée d’une façon ou d’une autre au domaine scolaire.
Mais tout le monde sait qu’il est tout à fait injuste de réduire à l’accueil d’élèves, de collégiens ou de lycéens l’intervention éducative. Il faut aussi citer les très fréquents ateliers ou les cycles organisés pour le public volontaire quel que soit son âge. Ou encore la production très répandue de matériel didactique, de fiches, feuillets, livrets, journaux et documents destinés à être utilisés dans les expositions ou ailleurs. Et enfin les mallettes et autres ouvrages documentaires qu’il est possible d’acheter ou d’emprunter et qui ont été conçus et édités par le lieu d’exposition. Mais plus compliqué, il n’est pas rare que l’on mentionne la présence d’unités d’exposition installées à la périphérie de l’exposition principale ou même incluses dans le parcours et à qui on attribue, sans la moindre ambiguïté, un rôle pédagogique. Fréquemment, les dispositifs interactifs, qu’ils soient vidéo-informatisés ou pas sont classés parmi les éléments d’exposition susceptibles de jouer un rôle pédagogique. Sans compter qu’il n’est pas rare que soient installées des expositions temporaires ou des salles entières que l’on qualifie de découverte ou de pédagogique. Dans ce dernier cas, c’est donc le travail de conception des expositeurs qui en soi est considéré comme relevant de la mission éducative. L’idée même que l’exposition constitue un moyen pédagogique n’est pas choquante en soi. Pourtant, il n’est pas sûr que les commissaires d’exposition et autres concepteurs, surtout dans le domaine des beaux-arts, acceptent facilement de voir leur travail réduit à celui d’enseignant. La conception qu’ils ont de l’histoire de l’art et le fait qu’ils considèrent l’exposition comme une rencontre directe du public avec des œuvres ou des artistes, rencontre qui n’est que source de contemplation et de délectation, tend à faire de toute perspective éducative quelque chose d’inutile, de grossier, voire même pour les plus radicaux, de gênant pour la qualité du projet d’exposition. Pour ces derniers, l’idée même que l’on puisse associer la pédagogie à leur travail d’auteur d’exposition leur est insupportable. Il n’est pas rare dans une discussion entre professionnels d’entendre dire, à propos d’une exposition, en guise de reproche, qu’elle est « seulement » pédagogique ou « trop didactique ».
128 Cette position se modifie dès que, quittant le milieu des expositions artistiques, on s’intéresse à l’exposition thématique et à toutes celles qui dans les autres musées ou institutions ne sont pas de simples présentations de collections ou de parties de celles-ci. Dans les musées d’histoire et d’archéologie, il est évident que le principe organisateur et structurant de la mise en exposition, s’il n’est pas à proprement parler de nature pédagogique, utilise une logique et une trame diachroniques qui sont évidemment de même nature. Et les préoccupations qui se font jour actuellement à propos de la mise en valeur des réserves susceptibles de devenir accessibles au public ou encore d’informatisation des données relatives à l’inventaire des spécimens de la collection – inventaire qui serait consultable en se connectant sur un réseau – ne sont pas à leur tour sans être influencées par une préoccupation vaguement éducative : on inclut dans le bordereau de saisie des paramètres descripteurs de l’item des données qui ne sont pas toutes utiles aux conservateurs et aux spécialistes. Ce qui permet de considérer comme éducative une activité conduite au sein d’un espace muséal Le seul fait d’affirmer que l’on se préoccupe d’éducation ou que l’on estime l’éducation des visiteurs comme essentielle suffisent-ils à considérer que l’on organise réellement des activités éducatives ? Accueillir des groupes, les guider dans une exposition, leur expliciter un certain nombre d’idées, commenter savamment ce qui est donné à voir ne sont pas nécessairement des activités éducatives. En effet, on s’accorde aujourd’hui pour admettre qu’il y a intervention éducative lorsqu’on réunit simultanément les trois conditions qui caractérisent une situation d’apprentissage : déterminer le ou les objectifs d’apprentissage, choisir, réunir et organiser les conditions favorables à l’apprentissage et, enfin, évaluer pour vérifier si l’objectif est atteint (ou partiellement atteint ou non atteint). Examinées en regard de cette triple exigence, certaines activités proposées par un musée, aussi passionnantes soient-elles, ne sont manifestement pas éducatives4. D’autres, au contraire, qui ne sont pas citées comme telles, le sont peut-être. Pour prendre des exemples, on peut citer la multiplication des jeux, les feuillets ou livrets prévus pour les groupes scolaires ou certains parcours pour jeunes visiteurs. Inciter à des comportements ludiques, proposer des devinettes, chercher à intéresser les jeunes visiteurs à certaines unités d’exposition qui leur conviendraient davantage, proposer des listes de questions ou des tests de closure qui les incitent à compléter compulsivement le feuillet qui leur a été remis à l’entrée ne sont pas en eux-mêmes de réelles activités éducatives même s’ils
4. La pratique de l’évaluation demeure, il est vrai, encore balbutiante et rudimentaire. La mise en œuvre d’une évaluation dûment construite et instrumentée est sans doute possible, comme le proposent Miles ou Screven. Chandler G. Screven, G. (1991). The measurement and Facilitation of Learning in the Museum Environment ; an Experimental Analysis. Washington : Smithsonian Press. En dépit de l’ancienneté de la réflexion sur l’évaluation, on continue d’utiliser pourtant des outils très grossiers et approximatifs tels les indices de satisfaction qui rassurent leurs promoteurs du bien-fondé de toute visite éducative d’une exposition.
129 peuvent parfois y contribuer. On peut estimer que ces procédés présentent un certain nombre d’avantages : ils attirent de manière privilégiée l’attention du public sur certaines parties de l’exposition, ils focalisent utilement l’intérêt ; on estime qu’ils régulent le parcours ou encore qu’ils permettent de maîtriser les impulsions à courir ; on peut aussi supposer qu’ils favorisent la mémorisation et préparent une exploitation ultérieure de la visite. Réciproquement, les exigences concernant la conduite à tenir dans un musée, l’intériorisation de certaines règles sociales comme la possibilité de toucher ou de ne pas toucher des types d’objets, la découverte physique et matérielle d’items qui n’appartiennent pas à l’univers familier et quotidien (un très grand tableau, un squelette de dinosaure) représentent des contenus éducatifs de première importance, alors qu’ils ne sont habituellement pas mis en avant, ou qu’ils demeurent implicites.
Quels éducateurs pour quelle éducation dans les musées et les expositions ? Qui fait quoi ? Si donc, au-delà de l’approbation unanime sur l’intérêt ou l’importance de la mission éducative des musées et des expositions, on essaie de regarder au plus près ce qui se passe réellement dans ces équipements, on est conduit à distinguer d’emblée deux grands volets distincts : l’offre éducative orientée vers les publics captifs scolaires, d’une part ; celle organisée par le personnel du musée ou de l’équipement muséographique en direction de ses visiteurs spontanés, qu’ils soient des enfants, des jeunes ou des adultes, d’autre part. Les publics scolaires captifs Intéressons-nous d’abord au public scolaire, dit captif puisque leur visite est prescrite par l’institution scolaire qui programme cette activité5. Dans ce cas, on peut d’emblée distinguer deux modalités d’organisation : ou bien, les enseignants conduisent leurs élèves dans l’équipement pour y accomplir les activités d’enseignement qu’ils ont planifiées, qu’ils encadrent et évalueront eux-mêmes ; ou bien, ils se contentent d’accompagner leur groupe jusqu’au lieu de visite et de le confier à la personne qui organisera, pour le compte du lieu d’accueil, une activité éducative ou culturelle. Dans le premier cas, cet équipement peut être assimilé à un centre de ressources, alors que, dans le second, il peut prétendre au statut d’institution éducative à part entière, intervenant effectivement dans le champ de l’éducation.
5. Sur la question des rapports école/musée et de leur éventuelle coopération, souvent (peut-être par utopie !) appelée partenariat, voir entre autres : Françoise Buffet (1995). Entre école et musée ; le temps du partenariat culturel éducatif ? Publics et Musées, 7, Lyon : PUL, 47-68. Et aussi : Jacqueline Eidelman et Jacqueline Peignoux (1995). Les enseignants de l’école primaire et la cité des Sciences et de l’Industrie de La Villette ; les conditions du partenariat école-musée, Dijon, Office de Coopération et d’information Muséographique, La Lettre de l’OCIM, 37, 1995, 17-25.
130 Le recours des enseignants à une exposition ou à un musée comme lieu ressources vaudrait d’être décrit et analysé finement. On pourrait ainsi caractériser deux styles d’utilisation : d’un côté le modèle intégratif, de l’autre le type illustratif. L’utilisation intégrée fait du musée un espace clef de l’intervention éducative. Le temps d’utilisation est long, répété. Les méthodes pédagogiques utilisées, souvent actives et inductives, supposent un appui fort sur les collections exposées, voire l’utilisation de ressources documentaires consultées sur place. L’évaluation, qui peut se dérouler dans le musée, prend nécessairement appui sur les items exposés. Le type illustratif stipule, au contraire, une utilisation unique ou exceptionnelle de l’exposition. La visite intervient soit au début, comme une sorte de sensibilisation, soit à l’issue de la formation en tant que répétition et confirmation du noyau dur des apprentissages qui se sont tous déroulés dans le cadre scolaire. Bien entendu, l’évaluation, qui a parfois précédé la visite, se déroule dans la classe et elle porte exclusivement sur les contenus scolaires et non pas sur les items des expositions. Cette partition, en apparence rigide, n’est cependant pas toujours opérationnelle. On peut imaginer que l’enseignant qui conduit ses élèves dans une exposition ou un musée peut le faire dans une perspective de détente et non pas d’enseignement, en particulier lorsque le contenu de l’exposition ne se rapporte nullement à la discipline qu’il enseigne. Ou encore que les objectifs qu’il attribue à cette visite n’ont rien à voir avec ceux que lui assigne le curriculum. Les visiteurs spontanés Qu’en est-il des publics non scolaires ? Il faut commencer par écarter les publics d’enfants ou de jeunes qui, sans être de nature scolaire, peuvent leur être assimilés de fait : on pense aux groupes qui sont conduits par leurs animateurs les jours où l’école est fermée (fermeture hebdomadaire, période de vacances) dans le cadre des activités de loisirs encadrés (centres de loisirs, centre de vacances, vacances thématiques organisées...). Leur comportement, comme les contenus qui leur sont proposés, sont identiques à ceux des autres groupes scolaires accueillis dans le cadre de l’enseignement formel académique. Par contre, certaines institutions muséographiques prennent l’initiative d’organiser et de proposer des activités éducatives (parfois elles se contentent de dire qu’elles prévoient de le faire à la demande). Dans ce cas, il s’agit soit de groupes déjà établis ou qui se constitueront à cette occasion (on pense à ces visites organisées par des comités d’entreprise ou d’établissement), soit de personnes qui s’inscrivent à titre individuel pour des ateliers ou des cycles destinés à des enfants, des jeunes, des adultes ou même des seniors à partir d’une offre programmée et publiée par les responsables de l’équipement. Certaines institutions de grande taille, comme le Louvre à Paris, publient périodiquement des sortes de catalogues, largement diffusés, et qui présentent en détail les activités éducatives et culturelles proposées, avec les lieux, le calendrier et les conditions d’inscription ainsi qu’une présentation succincte du thème de l’activité.
131 Pour marquer la différence entre l’enseignement obligatoire délivré dans les institutions éducatives officielles et les apprentissages qui peuvent intervenir de manière volontaire pendant les temps de loisirs, certains observateurs ont proposé de les classer dans ce qu’ils ont nommé l’éducation non formelle par opposition à l’enseignement académique (ou éducation formelle). Les savoirs du musée Il est évident que la distinction entre éducation formelle et non formelle prend appui sur ce que l’on peut enseigner réellement dans un équipement muséographique6. Lorsqu’on a affaire à une institution classique ou une institution à la finalité nettement dédiée, il paraît assez évident d’y organiser un enseignement formel. Il est naturel d’enseigner l’histoire de l’art dans un musée de beaux-arts, l’histoire naturelle et la géologie dans un muséum de sciences, l’écologie dans une maison de parc, l’histoire de la première guerre mondiale dans un mémorial de la « grande guerre ». Cependant, dans ce cas, le public concerné serait réduit : ne visiteraient les musées de beaux-arts que les seuls étudiants en histoire de l’art. La recherche d’une correspondance étroite entre les savoirs scolaires ou les contenus correspondant aux objectifs curriculaires et ceux proposables par les équipements muséographiques marque de fortes limites et ne peut à elle seule justifier que la fréquentation des publics scolaires concernent de tels effectifs. Deux hypothèses différentes peuvent rendre compte de ce décalage. La première est celle de l’existence d’un contenu propre à ces équipements ou ces institutions que l’école accepterait de prendre à son compte. On songe ici à des activités dites de tiers temps laissant place, dans le cadre de l’enseignement obligatoire, à des activités physiques, d’éducation manuelle ou technologique, à des visites et à la créativité. La seconde hypothèse est celle d’une coalition sociale entre les deux catégories d’institutions officielles de diffusion de la culture. L’école a besoin du musée et le musée des écoles. La première, pour faire prendre conscience du patrimoine et de sa nécessaire préservation ; le second, pour disposer d’un public suffisamment cultivé pour goûter et se délecter de ce qui est exposé. Selon cette voie, il est donc indispensable que l’école fasse de la fréquentation du musée l’une de ses préoccupations. Il n’y aurait rien de scandaleux à ce que parmi les buts de l’enseignement formel figure quelque chose du genre : familiariser les élèves avec la visite d’une exposition ou leur donner le goût de fréquenter les bibliothèques et les musées.
6. Sur l’éducation non formelle et les musées : A.-M. Lucas (1995). Interactions Between Formal and Informal Sources of Learning Science, in Communicating Science to the Public. Londres : J. Wiley et Sons, 1987, 64-79. Et aussi: Daniel Jacobi et Odile Coppey (1995). Musée et éducation ; au-delà du consensus, la recherche du partenariat., Publics et Musées, 7, Lyon : PUL, 9-22.
132 Qui est pédagogue dans un équipement culturel ? Cette subtile distinction nous conduit alors à nous demander où commence l’intervention éducative et qui peut se prétendre pédagogue ou formateur ? Cette question est rendue opaque par deux types de difficultés. La première est la présence effective d’enseignants, c’est-à-dire d’un (ou de plusieurs) pédagogue ès qualité dans les musées et les équipements. En France, il est possible que des enseignants soient détachés ou mis à disposition pour une période de leur vie professionnelle dans un musée ou un autre équipement muséographique. Ou encore qu’il effectue une partie de son service d’enseignant, soit quelques heures hebdomadaires, dans celui-ci. Dans tous ces cas, il est difficile pour d’autres personnes de l’institution de se prétendre à leur tour enseignant ou pédagogue alors que parmi les membres du personnel certains sont précisément là pour s’occuper spécifiquement de cette tâche. Il en est de même quand, dans les institutions moyennes (ou grandes), est créé un service éducatif (ou pédagogique) et que du personnel est embauché pour y travailler. La répartition des tâches prévue par l’organigramme conduit ici encore à intériorisation de son statut et par-là de son rôle. Cette partition est, par contre, inopérante dans les petits musées ou les tâches et les rôles se superposent. Le conservateur et son adjoint sont autant chargé d’exposition que de l’accueil des groupes et ils remplissent aussi, en cas de besoin, des tâches qui incombent ailleurs au service éducatif. À cet effet organisationnel, il faut cependant ajouter une autre raison à plus forte valeur explicative. L’évolution des équipements muséographiques en fonction de la dynamique communicationnelle a conduit à un rééquilibrage des priorités : un peu moins de poids à la préservation du patrimoine et aux collections7 ; davantage de crédit et d’attention accordés aux visiteurs et aux utilisateurs. Ce qu’on a parfois résumé sous la forme d’un slogan : placer le visiteur au centre du dispositif. Cette nouvelle orientation suppose évidemment que toutes les personnes employées par le musée s’en préoccupent et œuvrent, chacune à sa façon, à davantage prendre en compte le public, que ce soit lors de la conception des expositions que lors de l’accueil ou de la prise en charge des visiteurs. Si autrefois la partition du personnel entre ceux qui sont au contact des visiteurs et ceux qui ne les voient jamais était opérante, elle n’est plus idéologiquement acceptable dorénavant. C’est peut-être ce qui explique le recours (et le succès) à d’autres dénominations pour désigner les activités éducatives dans les équipements muséographiques et patrimoniaux.
7. On aurait tort d’imaginer que la dynamique communicationnelle soit un phénomène très récent. Elle a de fait déjà modifié le métier de conservateur : Nathalie Heinich et Mikaël Pollack (1989). Du conservateur de musée, à l’auteur d’exposition ; l’invention d’une position singulière, Sociologie du travail, 31, 1. Paris : Le Seuil. Pour ce qui est de la communication, Cameron l’avait déjà lui-même pointée en soulignant ses conséquences sur la mission éducative : Duncan, F. Cameron (1968). Un point de vue; le musée considéré comme système de communication et les implications de ce système pour les programmes éducatifs muséaux. Dans Vagues ; une anthologie de la nouvelle muséologie, Mâcon : Éditions W, 1992, 259-270.
133 Éducation, interprétation et médiation À la partition évidente et de bon sens (est éducatif le travail effectué par un enseignant ou un employé du service éducatif), on oppose parfois des notions plus récentes et qui ont connu un certain retentissement dans le milieu des musées et des expositions comme celles d’interprétation ou de médiation. Les expositions et les musées ne seraient pas des institutions éducatives comme les autres au point qu’il faudrait désigner autrement le travail conduit en direction du public et des visiteurs. L’interprétation, lors de ses origines, paraissait réservée aux espaces naturels. Elle correspond, dans les années cinquante, à un travail plutôt militant, effectué par des bénévoles, auprès des groupes à qui les interprètes font découvrir le milieu pour mieux les encourager à le préserver et à le défendre8. Depuis, la notion d’interprétation a connu un réel succès. Elle s’est étendue dans deux directions. D’une part, elle est aussi utilisée pour rendre compte de la valorisation d’autres patrimoines que les espaces naturels. D’autre part, elle ne se réduit plus à l’accueil et à l’accompagnement de groupes mais englobe aussi bien le travail du muséographe qui conçoit des parcours ou des dispositifs que les outils que les concepteurs élaborent pour favoriser l’appropriation de l’exposition par ses visiteurs. La notion de médiation est plus récente et a peut-être succédé à celle d’animation, elle-même héritée de la tradition de l’éducation populaire. Elle met l’emphase sur la prépondérance d’un tiers dans le classique face à face du couple émetteur/récepteur. Le médiateur est celui qui parvient à rétablir une communication qui, sans lui, serait difficile ou impossible. Traducteur, mais aussi créateur dans le cas de la transposition ou de la fabrication d’outils propres à optimiser sa mission, il devient un personnage indispensable de la vie de l’institution. Dans les descriptions récentes proposées en particulier par la Direction des Musées de France et formalisées par Elisabeth Caillet, la médiation rassemble plusieurs tâches, toutes relationnelles et intermédiaires, à assumer dans un musée : l’accueil, l’information mais aussi l’éducation des publics9. Pour souligner la différence qui sépare la médiation de l’enseignement, on insiste sur le fait que les musées et les expositions constituent des centres de ressources, qu’ils ne présentent pas des contenus disciplinaires scolaires, qu’ils privilégient l’approche sensible par les objets, etc. Le médiateur culturel est actuellement une figure qui, même si elle demeure vague, est de plus en plus revendiquée par plusieurs des intervenants dans un musée ou un équipement patrimonial.
8. Voir le dossier préparé par Daniel Jacobi et Anik Meunier. Au service du projet éducatif de l’exposition : l’interprétation. Dans La Lettre de l’OCIM, Dijon : Office de Coopération et d’information Muséographique, 1999. 9. Élisabeth Caillet (1995). À l’approche du musée, la médiation culturelle. Muséologies. Lyon : PUL.
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Qui former à quoi ? Lorsqu’il s’agit de mieux penser la formation des personnels des musées affectés à temps plein (comme à temps partiel) à l’éducation muséale, on doit résoudre deux problèmes de nature distincte. Première question : ce que l’on appelle éducation muséale a-t-il une spécificité et si oui quelle est-elle ? Seconde question : à qui cette préparation à l’éducation muséale est à proposer ? À la première question, nous avons apporté une réponse plutôt nuancée. L’éducation muséale oscille entre divers sens qu’il importe de séparer les uns des autres lorsqu’on veut déterminer en quoi consistent les tâches éducatives. En allant de la définition la plus spécifique de la mission éducative à celle qui est la plus générique, on peut, d’un côté, se contenter de réduire ce qui est éducatif à l’enseignement prévu dans un curriculum mais qui se déroule dans le musée sous la responsabilité des enseignants ou des éducateurs engagés à cet effet. De même, on peut plaider pour une éducation spécifique prenant appui sur les objets et le sensible, refusant les découpages disciplinaires, abordant des thèmes et des contenus autres que ceux prévus dans les descriptions des programmes scolaires, et confiée à des personnels formés à une pédagogie originale. À l’opposé, on peut considérer que l’éducatif (confondu avec le culturel) correspond à tout type d’activité organisée pour les groupes, y compris les visites commentées et à l’édition de n’importe quelle aide à la visite ou aide à l’interprétation. Rappelons qu’il est aussi possible d’appeler éducation muséale le projet visant à familiariser le public (et surtout les jeunes) avec le média exposition et cherchant à développer le goût du musée, projet qui suppose une connivence entre école et musée. Nous avons aussi montré que l’éducation muséale, parce qu’elle prend appui sur le média exposition, confère à cette dernière une fonction d’acculturation. Le choix des objets, leur mise en valeur, leur interprétation, le parcours et la trame narrative sont autant d’ingrédients qui, sans être à proprement parler éducatifs, facilitent l’appropriation du discours muséographique10. Enfin, n’oublions pas qu’il existe un genre dans l’exposition que certains professionnels n’hésitent pas à appeler exposition pédagogique ou didactique. Dans ce cas, il s’agit soit de petites expositions itinérantes pouvant être installés dans des écoles, des collèges, des lycées, des maisons de jeunes ou les centres sociaux des quartiers urbains ou des petits villages, soit
10. Voir à ce propos le vibrant plaidoyer proposé il y a déjà 30 ans par Gabus : Jean Gabus (1965). Principes esthétiques et préparation des expositions didactiques. Dans Vagues ; une anthologie de la nouvelle muséologie, Mâcon : Éditions W, 1992, 337-386. Plus récemment, et bien représentatif du point de vue pragmatico-optimiste nord-américain, voir Beverly Serrel (1987). Science Education Through Graphics at Zoos. Dans Communicating Science to the Public, Londres : J. Wiley et Sons, 147-154.
135 d’expositions installées à la périphérie de grandes expositions et destinées à familiariser les visiteurs qui le souhaitent avec une technique ou tout autre thème dérivé de l’exposition principale. Une des préoccupations essentielles des responsables de formation chargés du recrutement comme de l’entraînement des futurs professionnels sera donc de choisir et de délimiter ce qu’ils considèrent comme relevant ou pas de leurs responsabilités et au besoin de classer par priorité les tâches et les habiletés qui constituent le socle commun de leur professionnalité. La seconde question, celle de savoir qui on doit former, est évidemment dépendante de l’orientation que l’on privilégie quand on parle d’éducation muséale. Concepteurs et muséographes, médiateurs, interprètes, animateurs ou guides, sans oublier éducateurs ou enseignants bien entendu, autant de personnels visés. De plus, pour chacune des acceptions de l’éducation muséale, plusieurs alternatives existent : faut-il former des éducateurs de musée ou est-il préférable de compléter la formation d’un enseignant en ajoutant un volet éducation muséale à sa compétence générale à enseigner ? Faut-il travailler à l’individualisation d’une didactique muséale ou se contenter de parler de la pédagogie de la visite ou du travail sur documents ou par projet ? Tout montre en tout cas que la formation est nécessaire et les musées qui organisent chaque année des sessions de formation destinées aux enseignants pour les familiariser avec les nouvelles expositions et échanger sur la préparation et l’exploitation des visites l’ont bien compris. Dans un contexte de crise et s’il fallait définir des priorités, il sera probablement toujours difficile de résoudre une contradiction : faut-il mettre l’accent sur la formation des personnels qui, au contact du public, exercent une médiation active en agissant sur les visiteurs ? Est-il préférable de donner plus de moyens et de mieux former les concepteurs du média exposition afin qu’ils sachent mieux fondre dans celle-ci les moyens endogènes d’interprétation et de régulation de la visite qui implicitement faciliteront l’appropriation du discours par les visiteurs ?
DISCOURS À DEUX VOIX SUR LES ENJEUX D’UNE COLLABORATION INTERNATIONALE Colette Dufresne-Tassé et Marie-Claire O’Neill Ce texte comprend trois parties. La première présente brièvement l’historique d’une collaboration entre l’École du Louvre et la Maîtrise en muséologie à l’Université de Montréal1. La seconde offre une analyse de cette collaboration sous l’angle du partenaire canadien ; elle est rédigée par C. Dufresne-Tassé. Dans le même esprit, M.C. O’Neill étudie cette collaboration sous l’angle français.
Histoire de la collaboration Au printemps 1993, E. Hooper-Greenhill organise un colloque auquel participent M.C. O’Neill et C. Dufresne-Tassé. Ces dernières sont toutes deux responsables d’un enseignement de muséologie de deuxième cycle. C’est leur seul point commun. En effet, alors que M.C. O’Neill est historienne d’art, possède une longue et vaste expérience de l’intervention auprès du public et appartient à une institution qui forme des professionnels de musée depuis plus d’un siècle, C. Dufresne-Tassé est une spécialiste des sciences humaines, poursuit une carrière essentiellement orientée vers l’enseignement et la recherche, gère un programme qui n’a pas encore dix ans d’âge. Toutefois, au lieu d’écarter ces femmes, cette série de différences les réunit, car elles saisissent rapidement leur complémentarité. Elles se mettent à faire de la recherche ensemble et investiguent parallèlement les éléments des expositions et des activités culturelles muséales susceptibles de favoriser l’enrichissement de l’expérience des visiteurs adultes. À cause de cette complémentarité et de cette collaboration, chacune juge important d’inviter l’autre à intervenir auprès de ses étudiants, c’est-à-dire d’enseigner dans son programme. En 1997, M.C. O’Neill et C. Dufresne-Tassé auront déjà publié conjointement quelques articles et leurs institutions respectives estimeront avantageuse la signature d’une entente de collaboration de trois ans prévoyant l’échange d’étudiants, d’enseignants, de chercheurs, ainsi que la poursuite de projets divers. Dès juillet de la même année, et grâce aux ententes cadres de la Conférence des recteurs et des principaux des universités québécoises (CREPUQ), sept étudiants de l’École du Louvre sur le point de terminer leur deuxième cycle de muséologie viendront à Montréal pour une période de trois mois. Ils repartiront en octobre après avoir réalisé un projet de recherche appliquée pour une institution muséale ou paramuséale montréalaise. Les questions soumises par ces institutions émergeront de leur activité même. L’université les traduira en projets à l’issue de nombreux échanges. Elles viseront indifféremment l’une ou l’autre des grandes fonctions des musées : collection, conservation, exposition, éducation du public. Les étudiants compléteront
1. Cette maîtrise est sous la responsabilité partagée de l’Université de Montréal et de l’Université du Québec à
Montréal. Cependant, seule la première université est engagée directement dans la collaboration avec l’École du Louvre.
138 leur recherche dans les trois mois de leur séjour et remettront le rapport des résultats obtenus avant de rentrer en France. Ayant reçu un enseignement de méthodologie et un encadrement formel de la part de l’université, celle-ci leur délivrera une attestation d’études avancées2. L’expérience sera reprise tous les étés et, fin 1999, 32 étudiants français auront été accueillis par la Maîtrise en muséologie à l’Université de Montréal. Dès 1998, M.C. O’Neill désire accueillir des étudiants canadiens. Cependant, bien que les programmes de Paris et de Montréal soient de même niveau et possèdent un contenu similaire, leur organisation est totalement différente. En fait, seuls quelques étudiants de Montréal bénéficient d’un enseignement ou d’un encadrement pédagogique offert par l’École du Louvre. Par ailleurs, la valeur du dollar est, depuis quelques années, si faible par rapport à celle du franc, et les frais de scolarité des Canadiens si élevés que très peu de ces derniers peuvent s’offrir un séjour de trois mois en France. Il n’était donc guère possible de réaliser un simple échange d’étudiants. Ce n’est qu’à la fin de 1999 que M.C. O’Neill et C. Dufresne-Tassé connaîtront suffisamment leurs programmes respectifs pour élaborer un projet satisfaisant. Celui-ci consiste en un enseignement crédité de 15 jours amenant en France une vingtaine d’étudiants de Montréal selon un programme conçu et réalisé par l’École du Louvre. Cet enseignement comporte des exposés, des visites et des travaux pratiques dans diverses institutions françaises, de même que des activités d’analyse et de synthèse. Son but est de permettre aux Canadiens de saisir la façon dont se réalisent les grandes fonctions muséales en France, ce qui donne au système français son caractère spécifique et comment les particularités de ce système influencent la vie et l’activité des divers types de musées français. L’enseignement débutera dès l’automne 2000, l’appui financier de l’Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ) et du Bureau de la coopération internationale de l’Université de Montréal permettant aux étudiants d’en bénéficier moyennant une contribution modique. Le renouvellement de l’entente entre l’École du Louvre et l’Université de Montréal pour une nouvelle période de trois ans avalisera ce dernier projet, de même que le prolongement des activités décrites précédemment : recherche conjointe, échange de professeurs, de chercheurs et accueil d’étudiants français à Montréal pour y réaliser une recherche soumise par une institution muséale ou paramuséale de la région. Les deux textes suivants analysent cette expérience de collaboration internationale et en font la critique selon les perspectives propres à chaque établissement universitaire et aux contextes nationaux dans lesquels chacun s’inscrit. Ce choix d’un discours à deux voix résulte de la volonté d’identifier avec précision et souplesse les éléments majeurs ayant contribué aux difficultés et au succès de chacun des projets réalisés.
2. Attestation de 12 crédits.
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La collaboration vue de Montréal Comme on a pu le noter précédemment, l’entente de l’Université de Montréal avec l’École du Louvre comprend une collaboration entre individus – il s’agit de recherche conjointe – puis une collaboration institutionnelle qui s’est matérialisée dans deux interventions. Chacune sera abordée dans l’ordre où elle s’est développée. Collaboration individuelle Lors de ma rencontre avec M.C. O’Neill en 1993, je travaille depuis un peu plus de cinq ans sur le fonctionnement psychologique du visiteur adulte en salle d’exposition et la problématique du groupe de recherche que je dirige à l’Université de Montréal s’est déjà modifiée et enrichie, suite au traitement de deux séries de résultats. Comme ma collègue s’intéresse au même sujet, nous discutons ces résultats. Elle confirme certaines de mes interprétations, mais saisit aussi des aspects qui m’avaient échappés et donne parfois un sens différent à certaines de mes observations. En outre, elle s’intéresse aux données que je possède pour des motifs différents des miens. Pour elle, ces données constituent avant tout une information susceptible d’orienter la conception des programmes muséaux offerts au public, alors que pour moi elles révèlent plus directement l’influence de l’exposition sur l’expérience du visiteur. Une exploration systématique des principales questions soulevées par les programmes muséaux me convainc de l’importance de travailler sur ces derniers et j’en viens beaucoup plus rapidement que prévu à réaliser un ensemble d’investigations empiriques les concernant. Ces investigations portent sur certaines habiletés de traitement des objets muséaux. Leurs résultats montrent que si l’on aide des visiteurs adultes à utiliser dans une salle d’exposition les habiletés qu’ils emploient au moment où ils vont acquérir quelque chose de coûteux ou de précieux – comme une maison ou un bijou – ils retirent des bénéfices psychologiques importants de l’observation de chaque objet ayant attiré leur attention. Une communication et un article sur le sujet nous vaudront, avec les étudiants avancés qui nous avaient aidées, un prix scientifique conjoint. Ma collègue exploite ensuite seule nos résultats pour en déduire une série de programmes destinés à continuer d’« outiller » les visiteurs pour qu’ils tirent davantage de connaissances, d’idées et de plaisirs de leur passage au musée. Cependant, l’ensemble de cette recherche sur les programmes ne me divertit pas de mon questionnement sur l’exposition même. Comme le sens que j’attribue à certaines des données que je recueille sur ce dernier sujet n’est pas nécessairement clair ou convaincant pour ma collègue, je tente de lui faire saisir mon point de vue en choisissant des exemples d’exposition autres que ceux sur lesquels j’avais travaillé à Montréal. Ces cas, je les prends dans les villes américaines ou européennes où je me rends lors de rencontres scientifiques ou professionnelles. Pour moi, l’enrichissement est inestimable, car je suis amenée à développer une grille d’analyse et à étudier systématiquement une trentaine d’expositions. Vu l’extrême diversité des sujets de ces dernières et de l’appareil muséographique mis en place pour les traiter, j’en viens à identifier des constantes sous l’hétérogénéité des moyens muséographiques identifiés et à élaborer sous forme
140 hypothétique des principes concernant l’influence de divers aspects de l’exposition sur le fonctionnement psychologique du visiteur. Mais les exemples utilisés dans les discussions avec ma collègue n’étant pas, la plupart du temps, des exemples parisiens, leur valeur illustrative est souvent médiocre et nous sommes forcées de faire ensemble les analyses d’exposition. Le résultat de ces analyses est à la fois une confirmation des intuitions que j’avais eues et la découverte de variantes des principes déjà élaborés. Cette vérification et cette précision accrue représentent un progrès important, car elles permettront le lancement d’investigations empiriques vérificatoires plutôt qu’exploratoires. Entre temps, ma collègue ayant développé un groupe de recherche à l’École du Louvre, nous pouvons multiplier le nombre de ces investigations. On le voit, les retombées de ma collaboration de recherche avec M.C. O’Neill sont nombreuses et positives : enrichissement du processus d’investigation ; accélération du traitement de certaines questions ; augmentation du nombre et de la variété des sujets traités ; compréhension approfondie des résultats obtenus. Mais également, prise en compte des orientations de la muséologie française et internationalisation des données recueillies, surtout en ce qui concerne les expositions. Enfin, amélioration de mes capacités de planification du programme de recherche de l’équipe que je dirige et reconnaissance publique de la qualité du travail exécuté. Ces effets, on peut les attribuer à des facteurs tels que la tension provoquée par la différence de formation aussi bien que par l’expérience des deux partenaires et leur capacité d’exploiter cette tension au cours du travail conjoint. Ces facteurs ont sans doute permis de confirmer les intuitions du chercheur isolé et ont libéré celui-ci de certaines craintes. Ils ont aussi favorisé la multiplication des significations accordées à ses résultats, mais également, l’identification et l’exploitation de données qui auraient échappé à son attention. Enfin, cela semble avoir contribué à l’enrichissement du processus de recherche et à son efficacité, à l’autonomie des deux partenaires aptes à poursuivre seuls une démarche commencée ensemble et susceptibles de réaliser cette démarche de manière suffisamment rigoureuse pour qu’il devienne impératif de convaincre l’autre s’il se montre indifférent ou dubitatif. À ce jour, la collaboration commencée en 1993 se poursuit et s’intensifie même. Comme on va le voir, elle inspire et alimente la collaboration institutionnelle analysée ci-après. Collaboration institutionnelle 1. Séjour d’étudiants français à Montréal Le but initial de l’Université de Montréal en accueillant chaque été pour un programme de 12 crédits un groupe d’étudiants français était de démarrer sa collaboration institutionnelle avec l’École du Louvre. On va le constater, cette collaboration aura des conséquences inattendues, nombreuses et importantes. Les étudiants français, on l’a vu plus haut, venaient réaliser un projet de recherche muséologique de caractère appliqué soumis par une institution montréalaise. Alors que la « R and D »
141 (recherche et développement) abonde et que ses règles sont bien établies chez les ingénieurs, les médecins et dans diverses professions des sciences humaines – telles que l’éducation ou le service social – elle est peu fréquente en muséologie, sauf sous sa forme évaluative. Cette rareté peut s’expliquer par le caractère récent de la muséologie comme champ d’étude, mais aussi parce que les difficultés et les règles de la « R and D » variant de façon appréciable d’un domaine à l’autre, il n’est pas facile de transférer des acquis réalisés dans un autre secteur. En recherche appliquée, la difficulté d’emprunt tient en grande partie à l’importance des contextes qui entourent le phénomène étudié, de même qu’à la disparité de ces contextes. Pour chaque domaine, il faut donc élaborer des stratégies de recherche particulières et développer des façons d’assurer la rigueur de la démarche choisie, la qualité des données recueillies, de même que la justesse de leur interprétation. C’est une condition nécessaire à la validité des études réalisées. La haute qualité de celles-ci n’est pas moins essentielle qu’en recherche fondamentale. En effet, une institution sérieuse utilise le rapport qu’elle a commandé pour orienter son action. ∑ Des conséquences positives Aux 32 projets des étudiants français venus à Montréal en trois ans s’en ajoute une quinzaine réalisés par des étudiants réguliers de la Maîtrise en muséologie3. Cette cinquantaine de projets ayant impliqué tous les types de musées et visé l’ensemble des fonctions muséales, j’ai eu accès, à titre de responsable de leur encadrement, à une grande variété de « cas ». De cette façon, Montréal est probablement devenue le centre le plus actif au monde de mise au point de la recherche appliquée en muséologie et de son enseignement à de futurs professionnels. Les conséquences de cette réalisation ne sont pas banales. Outre la création de ce que l’on appelle au Canada un centre de recherche de pointe, elle a eu au moins trois effets importants. Premièrement, les programmes universitaires de deuxième cycle tendent à fonder leur enseignement sur des résultats de recherche. Avec la multiplication de ces programmes dans les pays occidentaux, on peut prévoir que, d’ici quelques années, un grand nombre de diplômés désireront baser leur pratique sur de la recherche plutôt que sur la tradition ou sur les coutumes des institutions qui les auront embauchés. Former ces diplômés à la « R and D » anticipe donc sur leurs besoins et les prépare à jouer plus efficacement et harmonieusement leur rôle. Le second effet est d’un tout autre ordre. Si les musées montréalais, comme la plupart des musées nord-américains, fondent leurs expositions sur une solide recherche disciplinaire, ils n’ont que rarement recours à des études systématiques pour régler les problèmes concernant les autres fonctions muséales. Cette situation prévalait en 1997, de sorte que lorsque l’université a, pour la
3. Jusqu’à tout récemment, les étudiants montréalais n’étaient pas invités à réaliser une recherche empirique pour
obtenir leur diplôme. Ceci explique le petit nombre de ceux qui ont contribué à la mise au point des règles propres à la recherche appliquée en muséologie.
142 première fois, sollicité des projets de muséologie appliquée, les sujets offerts ont été, pour la plupart, à ras des pratiques quotidiennes, plutôt techniques que vraiment muséologiques et sans rapport étroit avec une activité prioritaire de l’institution. Par exemple, un musée demandait à un étudiant de relever les caractéristiques physiques des locaux des centres culturels intéressés à recevoir les expositions itinérantes qu’il offrait. Toutefois, les données recueillies par les étudiants, la teneur des rapports qu’ils présentaient et, surtout, les discussions et la réflexion qu’ils engageaient avec les responsables muséaux de leur supervision ont contribué à une évolution marquée des projets offerts. Maintenant, la plupart de ceux-ci portent sur des sujets relativement vastes et, par-dessus tout, ancrés dans les préoccupations majeures du musée. Ainsi, voulant faciliter la visite familiale, une institution fait analyser la relation parent-enfant telle qu’elle se présente dans ses salles d’exposition et relance la recherche à partir des résultats obtenus. Une deuxième ayant pressenti que ses visiteurs peuvent avoir du mal à saisir la chronologie des événements de l’histoire locale, propose d’investiguer deux points : l’explication de cette difficulté et les moyens d’y pallier. Un autre, enfin, fait réaliser toute la collecte et la critique des données nécessaires à l’élaboration de sa politique concernant un secteur essentiel de son activité. Ainsi s’est élaborée une collaboration hautement fonctionnelle et productive entre l’université et les musées. L’université y a gagné des projets plus formateurs pour ses étudiants, tandis que les musées ont importé dans leur fonctionnement un facteur lourd de développement : l’intégration d’investigations systématiques dans la réalisation de leurs fonctions majeures. Et comme les diplômés montréalais auront acquis des compétences de recherche, ils seront en mesure de dynamiser ce développement dès qu’ils seront embauchés à titre de jeunes professionnels. La troisième série de bénéfices issus de l’accueil d’étudiants étrangers était plus prévisible. Tout d’abord, malgré une communauté de langue, les situations canadiennes à étudier désarçonnaient souvent les étudiants. Responsable de l’enseignement que l’université leur offrait, je devais donc les leur faire comprendre, ce qui, à tout coup, m’a amenée à en approfondir la signification et à pouvoir la présenter à des personnes qui les voient avec un autre regard que le mien. Ensuite, ces étudiants avaient une longue pratique de l’enseignement universitaire français. Le contact avec l’enseignement canadien, très influencé par les méthodes développées aux États-Unis, était un choc pour beaucoup d’entre eux. Si je voulais que mes cours demeurent efficaces, il fallait comprendre les causes de ce choc et adapter mes méthodes en conséquence, tout en n’allant pas trop loin, de manière à ne pas priver les personnes avec lesquelles je travaillais d’une confrontation bénéfique. Enfin, les étudiants étant sur le point de terminer leur deuxième cycle, ils connaissaient bien le système muséal français et en évoquaient volontiers des éléments. Ces évocations étaient suivies d’échanges. J’approfondissais de cette façon des connaissances dont je pouvais enrichir mes cours aux étudiants montréalais. En somme, la présence des étudiants français a grandement contribué à ma formation de deux manières : 1) En m’amenant à accroître mes capacités de gérer des situations impliquant des cultures différentes et celles d’y intervenir efficacement ; 2) En m’offrant des cas étrangers dont l’utilisation contribue à l’intensification du caractère international de mon enseignement régulier.
143 L’examen précédent d’une intervention universitaire ne visant à l’origine que le démarrage de la collaboration institutionnelle de mon université avec une école d’un autre pays a montré qu’une opération, conçue comme un pur service, pouvait avoir une série d’effets bénéfiques pour l’établissement qui la réalisait. Certains de ces effets, comme le développement des capacités de médiation culturelle d’un professeur et l’intensification du caractère international de son enseignement, étaient tout à fait prévisibles. Cependant, les autres, en particulier, le renforcement d’un programme universitaire, la création d’un centre de recherche de pointe, l’évolution marquée d’un ensemble d’institutions muséales et l’approfondissement des liens universitémusées, étaient beaucoup plus difficiles à anticiper. Vu le caractère dynamisant de ces conséquences, on peut penser qu’exploitées intelligemment, elles seront à leur tour source de projets qui contribueront à une amélioration accélérée de la muséologie montréalaise et au développement de son caractère réfléchi. ∑ Des difficultés alourdissantes Alors que la collaboration de recherche avec ma collègue M.C. O’Neill ne comportait pas de lourdeurs particulières, la venue de ses étudiants s’est avérée consommatrice de temps, d’énergie et de force morale. À première vue, ces étudiants étant, à cause des ententes CREPUQ, considérés comme des étudiants réguliers de l’Université de Montréal, il n’y avait pas de raison que cela occasionne un surcroît de travail ou d’ennuis. La réalité est toute différente. À titre indicatif, les procédures de leur admission sont particulières ; à leur arrivée, on doit s’assurer qu’ils réalisent un ensemble de démarches administratives et parfois les aider à les compléter ; leur adaptation est parfois problématique et le sens humain le plus élémentaire suppose que l’on intervienne pour les aider à traverser une période difficile, etc. Sur le plan académique, il faut leur donner un encadrement plus attentif qu’aux étudiants réguliers du programme, vu qu’ils doivent obligatoirement terminer leur recherche et remettre leur rapport avant de quitter Montréal, c’està-dire dans une période de trois mois. Il faut également prévoir pour eux une série de visites de musées et de rencontres avec des responsables de service qui leur font comprendre le réseau muséal canadien – c’est une condition essentielle à une interprétation sensée de leurs résultats et, plus généralement, à la réussite de leur projet. De plus, la mise au point de l’enseignement qui leur est destiné est, pour les raisons évoquées plus haut, beaucoup plus longue que celle du même enseignement offert aux étudiants montréalais. Après deux ans, le cours destiné à ces derniers donne pleine satisfaction, alors qu’après trois ans, celui que reçoivent les étudiants de l’École du Louvre bénéficierait encore de quelques ajustements. Les interventions de collaboration internationale comme celles-ci n’existant pas dans l’ensemble des départements de l’université, la surcharge de travail qu’elles entraînent n’est pas encore reconnue. Elle est même parfois niée. De plus, les problèmes accompagnant l’aspect financier de telles interventions sont nombreux et harassants, car il est d’abord difficile d’obtenir les sommes nécessaires à leur réalisation, même si elles engendrent des montants supérieurs à leurs coûts. Puis l’utilisation de ces argents est parfois semée d’embûches. Enfin, on reproche volontiers à cette collaboration de monopoliser des ressources humaines qui devraient être consacrées aux étudiants du programme régulier.
144 J’ai tenu à présenter ces aspects pénibles d’une intervention de coopération internationale parce que les conséquences positives exposées plus haut ne me semblent assurées que si un professeur accepte ce qui précède, c’est-à-dire réaliser minutieusement une foule de tâches sans prestige, assorties d’une multitude de tracasseries et pour lesquelles il ne reçoit pas de reconnaissance en termes de charge de travail. Lorsque c’est un chercheur qui se retrouve dans cette situation, il doit de plus se livrer à une gymnastique d’équilibriste pour maintenir son équipe, son rythme de publication et le montant de ses subventions. Dans ce contexte, deux éléments contribuent significativement au courage et à la ténacité du professeur. Sur le plan personnel, la conviction, soutenue par des preuves patentes que les interventions réalisées contribuent puissamment au renforcement du programme au sein duquel elles se déroulent, de même qu’aux institutions qui y participent. Sur le plan institutionnel, tout d’abord, l’activité du Bureau de la coopération internationale4 qui, en plus de diffuser une information nécessaire à la connaissance du monde de la coopération et à la mise en perspective de ce que l’on fait dans les départements, offre à chaque projet un support technique, logistique et moral. Ensuite, une attitude éclairée et bienveillante du rectorat vis-à-vis de tout projet porteur de développement pour l’université et attentivement géré. 2. Enseignement offert en France à des étudiants montréalais Au cours des moments consacrés à la recherche conjointe avec M.C. O’Neill, l’observation suivante avait été à l’origine de notre première intervention institutionnelle : au-delà de nos divergences et de notre complémentarité, les différences entre nos deux pays sont une source d’enrichissement personnel. Une autre observation réalisée dans le même cadre orientera notre minuscule intervention : une différence non expliquée risque d’être interprétée superficiellement en termes de « Ils sont mieux que nous » ou « Nous sommes en avance sur eux » et de contribuer à la création de stéréotypes, véritables parasites des relations et responsables au premier chef de leur stérilité, si ce n’est de leur échec. Par contre, la poursuite d’une explication est fascinante ; elle mène à la constatation qu’outre quelques cas d’exception, la compréhension se loge dans le contexte où se produit le phénomène étudié, les caractéristiques mêmes de ce contexte expliquant au mieux les faits relevés. Cette constatation nous a amenées à penser que si nous voulions éviter chez les étudiants la production de comparaisons insignifiantes entre la France et le Canada, nous devions présenter les musées et les réalisations françaises comme des éléments d’un système. Nous devions également montrer que les personnes responsables de ces institutions ou de ces œuvres sont des agents soucieux d’exploiter le potentiel de ce système. Vu que l’exécution de la présente intervention de coopération débute à peine, je n’en examinerai qu’un nombre réduit d’aspects : ce qu’elle a exigé de ma part jusqu’à présent, le but que je poursuis à travers elle, son importance pour la muséologie et les éléments qui me semblent essentiels à sa réalisation.
4. Ce bureau est une émanation de la haute direction de l’université. Il a entre autres pour fonction la mise en
application de la politique de l’institution en matière de coopération internationale et d’aide au développement.
145 ∑ Exigences À quelques moments enthousiasmants d’échange permettant de cerner les idées maîtresses de l’intervention, succèdent de nombreuses heures de traduction de ces idées dans des prestations d’enseignement. Ce travail comporte des références à la recherche scientifique que je poursuis avec ma collègue et, pour cette raison, ne semble pas totalement isolé de celle-ci. C’est le moment le plus satisfaisant de l’aventure, car viennent ensuite d’innombrables heures de labeur technique nécessaires à la planification des échéanciers, à l’établissement des budgets, à la rencontre des étudiants pour préciser aussi bien les exigences académiques du cours que les aspects les plus matériels du voyage comme la demande de passeport et la liste des objets à emporter impérativement. Parmi cet ensemble de détails il en est un, la demande d’appuis financiers, qui mérite qu’on s’y arrête. Les étudiants montréalais ne pouvant défrayer une dépense d’environ 1 500$ en sus de leurs frais de scolarité, il fallait trouver du financement. Cette situation signifie l’identification de bailleurs de fonds et la présentation des traditionnelles « demandes de subvention ». Ces démarches sont lourdes, mais formatrices pour le responsable canadien de l’intervention. En effet, elles lui offrent la possibilité de saisir les orientations des organismes subventionnaires, les discours que l’on tient dans le pays sur la coopération internationale et les moyens matériels dont on assortit ou n’assortit pas ces discours. En d’autres termes, ces démarches augmentent sa compréhension de la façon dont la coopération internationale s’actualise autour de lui et accroît ses capacités d’action dans ce secteur. ∑ But Mon dessein à travers cette seconde intervention est d’internationaliser davantage l’enseignement de la muséologie offert à l’Université de Montréal. Dans mon idée, cette internationalisation5 comporte au moins les quatre composantes suivantes. C’est d’abord, dans chaque cours – que l’on traite de conservation préventive, de gestion ou d’action culturelle muséale – une préoccupation de la manière dont le sujet est conçu dans diverses parties du monde et de la variété des moyens d’action correspondants, sans oublier une réflexion sur la distance séparant ce qui se passe ailleurs de ce qui se fait ici. L’intention est de mieux saisir le sens et les conséquences de nos propres options et de leurs limites. L’internationalisation est aussi la préoccupation de former des professionnels capables de saisir la complexité de la scène internationale, la situation de leur pays sur cette scène, de même qu’une série de relations : lien entre ce qui se passe à l’étranger et ici, lien entre ce qui arrive dans le pays sur les plans politique, économique, social et culturel ; lien entre le sort des musées et celui de la société à laquelle ils appartiennent ; lien enfin entre ce qui advient de la personne et ce qui se produit dans le milieu où elle désire s’insérer professionnellement. En d’autres termes, l’internationalisation est, à travers l’enseignement d’une matière, le souci d’offrir à des étudiants l’occasion de se construire une compréhension aussi cohérente que possible du monde et de leur place dans celui-ci. C’est, de
5. Ce terme a reçu plusieurs définitions ; voir en particulier : Bellavance, 1994 ; Dufresne-Tassé, 1996 ; Knight,
1999.
146 plus, le soin d’aider des jeunes à affermir leur identité, leurs valeurs propres et le sens qu’ils donnent à leur existence, pour qu’ils puissent maintenir leur cap même dans des périodes tourmentées. C’est enfin l’intérêt des enseignants pour le développement chez les étudiants d’une série d’habiletés à intervenir dans l’espace international. ∑ Importance pour la muséologie Si les quatre préoccupations que je viens d’identifier ont toujours été présentes, bien qu’à des degrés variables dans l’enseignement universitaire canadien, on leur accorde présentement une attention particulière6. Mais alors qu’elles sont dans la plupart des domaines louables, elles sont cruciales en muséologie. En effet, un professionnel de musée doit constamment traiter en concomitance « ici » et « ailleurs ». Les collections dont il a la garde sont constituées aussi bien d’objets exotiques que d’objets locaux. Les expositions qu’il conçoit mêlent des pièces empruntées à des musées situés parfois aux antipodes et des pièces « indigènes », quand ces expositions ne sont pas carrément élaborées en collaboration avec une institution d’un autre pays. Et ces expositions, quand elles sont itinérantes, peuvent être montrées sur deux et même trois continents à un public cosmopolite, composé de nationaux, mais également d’étrangers de passage ou d’immigrants arrivant d’une multitude d’horizons. En somme, une ouverture marquée d’un programme de muséologie sur le reste du monde constitue une nécessité pressante. ∑ Éléments essentiels Actuellement, quatre « ingrédients » me semblent essentiels à la réalisation de cette seconde intervention dans l’optique du but décrit précédemment. 1. De la générosité vis-à-vis du partenaire étranger pour qu’il puisse concevoir le service qu’il rend de manière bénéfique pour lui-même, tout comme j’ai su dériver des avantages importants des services que j’ai commencé à lui offrir. Cette attitude peut sembler peu compatible avec l’âpreté actuelle des relations interinstitutionnelles nord-américaines. Elle peut même avoir toutes les apparences de la naïveté, de la mollesse ou de la complaisance. Les adeptes d’une rentabilité entièrement chiffrée, immédiate et maximale la trouveront inacceptable. Toutefois, si l’on raisonne en bonne logique, on ne peut accepter leur position. En effet, comment obtenir d’un partenaire qu’il fasse ce que je ne voudrais pas faire, c’est-àdire réaliser plus d’une fois une intervention qui ne lui apporte pratiquement aucun bénéfice ? Une telle exigence saperait à sa base toute collaboration harmonieuse et vraiment rentable pour les personnes qui la réalisent au premier chef et pour les institutions qui les mandatent.
6. Voir en particulier : Bond et Thayer Scott, 1999; Dufresne-Tassé, 1996; Vertesi, 1999.
147 2 . Du temps comme condition requise à l’exploitation des possibilités de développement inscrites dans la collaboration. Du temps qui permette aux partenaires d’acquérir une connaissance réciproque de leurs programmes et de leurs institutions, de façon que leurs interventions soient vraiment appropriées et profitables pour chacun dans le sens que je viens d’évoquer. Du temps également pour améliorer les interventions et leur donner leur forme optimale. Enfin, le temps indispensable à l’accumulation de cohortes d’étudiants qui finissent, année après année, par marquer les programmes et le milieu muséal d’une façon significative et durable, c’est-à-dire à avoir un effet qu’il est juste d’appeler structurant. 3. De l’évaluation convenablement orientée. De toute évidence, une appréciation annuelle des interventions suscitées par une collaboration serait utile pour affiner ces dernières et leur donner leur forme optimale. Ensuite, un jugement triennal permettrait d’accorder ces interventions à l’évolution des programmes académiques et à celle de la situation internationale. Cette évaluation devra éviter le piège des modèles utilisés actuellement dans le milieu de la coopération internationale. S’inspirant des pratiques du milieu des affaires et de l’école primaire ou secondaire, ces modèles ne visent essentiellement que l’atteinte des objectifs de départ. Cette position réductionniste diminue la sensibilité des acteurs au potentiel des situations dans lesquelles ils évoluent et nie l’importance de l’imprévu. Dans le cadre de la présente collaboration, une telle conception de l’évaluation aurait ignoré les deux tiers des conséquences de la première intervention institutionnelle, alors qu’elles constituent, de fait, les conséquences les plus importantes pour l’Université de Montréal et pour le milieu muséal montréalais. En plus de s’intéresser à l’imprévu, le mode d’appréciation d’une collaboration devrait prendre en compte le moyen et le long terme, car on l’a vu à répétition dans ce texte, ils sont aussi riches de bénéfices que le court terme. L’accumulation de rapports comme celui-ci et leur étude devrait permettre d’élaborer une formule d’évaluation qui leur ferait une place adéquate. Cette formule pourrait consister, par exemple, en un guide d’analyse des actions réalisées et en un ensemble de pistes de réflexion sur leurs conséquences. Un appui financier récurrent. Si des projets comme le voyage d’étude d’un professeur ou l’invitation d’un conférencier étranger peuvent se satisfaire de subventions ponctuelles, il n’en va pas de même des interventions décrites précédemment, caractérisées par leurs effets profonds sur un programme et un milieu. On vient de le voir, ces interventions ont besoin de temps et de la possibilité de se répéter pour porter pleinement leurs fruits. Elles doivent donc être accompagnées d’un financement approprié, c’est-à-dire qui vise plusieurs années (au moins trois dans le cas présent). L’orientation des organismes subventionnaires qui a prévalu jusqu’ici voulait que l’on accorde une somme permettant de démarrer une collaboration entre un partenaire canadien et un partenaire français et qu’ensuite ceux-ci cherchent ailleurs l’argent nécessaire au développement de cette collaboration. Cette orientation ne peut pas convenir aux projets structurants des institutions d’enseignement, car il n’y a pas actuellement « d’ailleurs » où aller frapper ! Ces organismes, de même que les universités devront donc s’interroger sur l’importance qu’ils
148 attachent aux interventions structurantes et prévoir des modalités de financement qui leur assurent un appui adéquat. Mieux saisir la dynamique des interventions pour accélérer la recherche sur la coopération internationale On a vu l’importance d’une conviction personnelle forte chez le professeur et d’un soutien institutionnel réconfortant à ses interventions. Ces éléments, tout comme une attitude généreuse vis-à-vis du partenaire étranger, du temps pour assurer le plein déploiement d’une intervention, puis son rendement maximum, une évaluation souple et attentive afin d’en saisir même les aspects inattendus, de même qu’un financement adéquat sont apparus comme des conditions essentielles à la poursuite d’une collaboration internationale harmonieuse et féconde. Tous ces facteurs, mais surtout les trois derniers, c’est-à-dire du temps, une évaluation pertinente et un appui financier de longue durée me semblent des composantes majeures de ce que j’appelle un programme de coopération internationale, par analogie avec ce que les organismes subventionnaires canadiens considèrent depuis une vingtaine d’années comme un programme de recherche. D’ailleurs, la poursuite de cette analogie permettrait probablement de cerner des aspects de la présente expérience qui gardent dans ce texte un caractère implicite, tels l’intérêt de buts rattachés à une problématique importante et celui de liens organiques entre diverses interventions. Dans le même esprit, je voudrais, pour terminer, donner forme à un aspect de la collaboration que l’analyse précédente n’a pas réussi à dégager. Cet aspect semble influencer une intervention de façon particulière. Il s’agit de la recherche sous quelques-unes de ses formes. Celle-ci apparaît dès les premiers moments de la collaboration de C. Dufresne-Tassé avec M.C. O’Neill. Elle emprunte alors le genre de la recherche fondamentale. Sous ces traits, elle joue plusieurs rôles. Elle est à l’origine de l’orientation donnée aux deux collaborations institutionnelles. De plus, elle sert à déterminer certains de leurs contenus et à fixer des niveaux d’exigence vis-à-vis de ce que l’on en attend. Et dans un tout autre ordre d’idées, elle crée entre les deux chercheurs une relation intellectuelle forte qui n’est pas sans rappeler une grande amitié par l’aisance d’échanges auquel elle aboutit, par le souci et l’estime de l’autre qu’elle engendre. L’importance de cette relation sera ressentie constamment, mais plus particulièrement lorsqu’il faudra étudier les deux programmes de muséologie ou procéder à l’évaluation des interventions réalisées. Dans les deux situations, elle suscitera une compréhension empathique, profonde et créatrice. La recherche est à nouveau présente, mais sous deux autres formes dans la première intervention institutionnelle (il est encore trop tôt pour se prononcer sur les visages qu’elle empruntera dans la seconde). Tout d’abord, c’est de la recherche sur la « R et D » en muséologie qui aboutira à créer à Montréal un centre d’étude de pointe sur le sujet. Elle deviendra alors un produit de l’investigation. Ensuite, à titre de recherche action, elle accompagnera le processus de mise au point de l’enseignement méthodologique destiné à former les étudiants.
149 En somme, qu’elle précède une intervention, qu’elle l’accompagne ou qu’elle en découle à titre de produit, la recherche en assure en grande partie le niveau académique. Si elle n’est pas essentielle à la réalisation d’une intervention, elle est nécessaire à sa qualité et à son originalité. Pour s’en convaincre, il suffit d’imaginer ce que deviendrait la première intervention institutionnelle sans la recherche qui l’a précédée, puis qui l’a traversée. Elle se transformerait en banal séjour à l’étranger pour étudiant avancé. Dans cette dernière analyse comme dans les précédentes, j’ai mis en relief des démarches, des processus et leur aspect purement humain, car, comme bien d’autres, cette expérience de collaboration internationale révèle que si une intervention ne peut se réaliser sans la volonté politique d’une institution et sans des possibilités situationnelles de développement d’un programme ou d’un département, elle ne peut être un succès que si elle est fondée sur des intérêts profonds d’une personne et sur une grande ténacité de sa part. L’importance de la recherche comme élément dynamisant d’une collaboration internationale ne devrait pas faire oublier l’importance de celle qui prendrait la coopération internationale comme champ d’étude. Cette dernière devrait viser aussi bien le niveau microscopique que le niveau macroscopique des phénomènes entourant la coopération. Par exemple, une recherche d’orientation microscopique et réflexive pourrait approfondir les phénomènes identifiés dans ce texte en accordant une attention particulière à leur caractère évolutif. À titre indicatif, cette recherche pourrait examiner les tensions inhérentes à toute collaboration et se demander lesquelles sont positives, ce qui les caractérise et différencie leur évolution de celles qui sont négatives. Elle pourrait aussi analyser « l’internationalisation » d’un programme en se posant des questions comme celles-ci : L’internationalisation constitue-t-elle une variable à développement infini ou, au contraire, une variable dont on saisit rapidement et aisément les limites ? Une internationalisation optimale peut-elle se réaliser à partir d’une collaboration unique ou impliquet-elle nécessairement des collaborations multiples ? Une collaboration passe-t-elle, comme une entreprise, par des cycles au terme desquels elle meurt ou devient plus ou moins stérile ? La relève des professeurs qui ont développé une collaboration est-elle une simple affaire de remplacement de personnes ou nécessite-t-elle aussi, pour réussir, une évolution des institutions ? Une recherche réflexive soutenue par de telles questions aurait le double avantage de détailler, de rendre plus intelligible la dynamique des phénomènes étudiés et de favoriser chez les professeurs et les administrateurs des paliers intermédiaires de gestion des universités, l’élaboration de façons plus avantageuses de gérer ces phénomènes. De plus, les résultats de cette recherche de nature microscopique augmenterait sensiblement la signification et la validité des données de nature macroscopique déjà rassemblées au moyen d’enquêtes institutionnelles ou nationales car ils permettraient de suivre, maille à maille, la chaîne d’une intervention ou d’un groupe d’interventions. Intégrées, ces données microscopiques et macroscopiques fourniraient aux autorités universitaires et gouvernementales une information adéquate au développement de politiques aptes à favoriser et à dynamiser la coopération internationale pratiquée dans les universités canadiennes.
Évaluation française de la collaboration
150 Les points communs La collaboration entre l’École du Louvre et l’Université de Montréal, telle qu’elle vient d’être successivement décrite historiquement dans son déroulement depuis l’origine, puis analysée qualitativement sous l’angle canadien, a été et demeure le fruit d’un travail commun fondé, à la fois, sur la durée en terme de temps et sur l’exigence réciproque en terme de visées et d’exigence de résultats. Elle a nécessité et continue à nécessiter de longs moments d’information réciproque, de réflexion commune, d’élaboration de propositions, de confrontations d’opinions ou d’expériences, d’évaluations progressives des actions entreprises. Une partie de la vision canadienne de la collaboration est donc, très naturellement, issue de cette maturation commune dont une des richesses, évoquée plus haut, est de générer des retombées qui vont au-delà des expectatives premières de leurs auteurs. Elle reflète donc partiellement des approches et des jugements qui, au fil de la réflexion, sont devenues communes aux deux parties. Il sera donc inutile de reprendre dans la partie française certaines des idées développées précédemment et qui constituent, pour certains d’entre eux, les bénéfices communs ou les lourdeurs communes aux deux institutions : élargissement d’horizons pour les enseignants comme pour les étudiants, description détaillée des deux programmes, de leurs buts et de leurs retombées immédiates, approche systémique de la muséologie, nécessité d’adaptation des enseignements aux particularismes nationaux, mais aussi difficultés liées à la quête ou à l’obtention de ressources financières, poids considérable et peu reconnu par les institutions des aspects organisationnels, etc. Contact personnel et développement durable On aurait pu rester au premier niveau de collaboration, celui de l’affichage médiatisé d’un projet ponctuel commun. L’École du Louvre, institution ancienne, majoritairement connue pour son enseignement en histoire de l’art, y aurait gagné en terme de réputation : une école moderniste, ouverte à l’étranger et plus particulièrement à un pays à la muséologie avancée. C’est un axe différent qui, progressivement, s’est mis en place, malgré l’incompréhension des organismes financiers sollicités. Une conviction commune s’est dégagée, plus que toutes autres, de ces heures de mise en écho respective, illustrant de manière explicite les opinions fréquemment entendues dans les réunions de chargés de coopération internationale des institutions d’enseignement supérieur. Les conditions nécessaires au développement d’une réelle coopération, celle qui va au-delà de signature de conventions flatteuses ou politiquement opportunes, sont doubles : l’une est la complicité et l’entente profonde entre des individus décidés à œuvrer dans la même direction et à y mettre les moyens en terme d’énergie et de puissance de conviction à l’égard de leur environnement. L’autre est l’obligation de dépasser l’organisation d’actions ponctuelles, faites au moment où une idée est à la mode dans les milieux influents, le type même d’action qui obtient sans difficulté du financement ponctuel, pour viser au développement durable de la relation, à son incarnation progressive dans le milieu et les institutions concernées, à sa normalisation, en quelque sorte. Pourtant la course aux partenaires multiples, exigée par exemple de manière croissante par les communautés européennes pour le financement d’une action, illustre bien l’attrait récurrent des organisations internationales pour la largeur plutôt que pour la profondeur.
151 En conséquence, la condition d’un développement durable est impérative ; c’est que chacune des institutions concernées considère que la coopération internationale, à ce niveau d’exigence, ne peut plus être considérée comme la cerise sur le gâteau, comme quelque chose qui relève du « en plus », de la même essence qu’une opération de communication, qui peut être remise en question ou doit être justifiée à tout moment. La profondeur, la durée, la normalisation progressive exigent que la collaboration internationale soit progressivement considérée comme un moteur important pour l’évolution du programme qui y est investi. De supplémentaire, l’apport devient complémentaire avant d’évoluer vers le constitutif. C’est dans cet esprit que seront décrits les bénéfices et les contraintes de la collaboration analysée. Ressemblances, dissemblances, complémentarités Ces retombées peuvent être décrites en utilisant le filtre des ressemblances et des dissemblances. En effet, on sait que c’est la différence qui est recherchée dans l’alliance avec un autre, étranger. Mais on sait aussi que beaucoup de programmes de collaboration internationale voient leurs retombées positives mises en cause sur le long terme par de trop grandes dissemblances. C’est la difficulté principale des programmes de coopération où la formation offerte ne correspond que trop peu aux réalités du terrain que l’on cherche à faire évoluer. Une collaboration réussie s’appuie donc sur un subtil mélange de ressemblances et de dissemblances. Les ressemblances rendent possibles, facilitent et permettent un réel approfondissement. Les dissemblances ouvrent les yeux, enrichissent, font évoluer. Le programme « muséologie canadienne – muséologie française » est un exemple, me semble-t-il, de cette complémentarité. Dans les ressemblances positives, on peut mettre la communauté linguistique partielle. Les formations culturelles ont ceci de spécifique que leur instrument incontournable est la langue. Organiser des formations culturelles en langues étrangères, avec ce que cela implique de mauvaise compréhension éventuelle, mais surtout d’expression approximative des idées échangées, représente une difficulté dont il ne faut pas se cacher les conséquences en terme d’efficacité pédagogique et de retombées qualitatives de l’effort de formation consenti. Dans le cas traité ici, l’usage de sa langue maternelle pour un enseignement méthodologique exigeant et l’usage complémentaire de l’anglais pour la bibliographie ou certains contacts professionnels ou institutionnels représente un élément de facilitation évident. L’expérience n’est, de ce fait, fermée à aucun étudiant à priori pour des raisons linguistiques, le niveau de communication entre les divers acteurs du programme est optimal. Les racines culturelles communes entre la France et le Canada facilitent également l’insertion rapide des étudiants dans un monde aussi lourd de référents culturels complexes que le musée et permet, là aussi d’atteindre plus rapidement aux couches profondes de la réalité explorée.
152 Mais c’est, bien entendu, ce qui diffère qui est marquant et la mise en abîme intellectuelle que cela représente. La muséologie est un terrain d’observation particulièrement intéressant et significatif de ce point de vue. En effet, sur fond de ressemblance des institutions considérées, tout est dissemblable : l’importance numérique relative des collections conservées dans les musées, partant, l’attention relative donnée au patrimoine dans les deux communautés et la hiérarchisation différente des fonctions du musée (conservation, étude scientifique des collections, communication, éducation, etc.) Le poids d’attention donné aux collections et à leur étude par rapport à la prise en compte des besoins et du fonctionnement du visiteur, les attentes des citoyens comme les buts poursuivis par les professionnels ainsi que les moyens structurels qui conditionnent les politiques culturelles, tout, ou presque tout, peut être prétexte à questionnement et à mise en perspective. L’enseignement universitaire présente également, on le sait, des différences importantes en terme de pédagogie entre les deux pays, particulièrement au niveau de la maîtrise. C’est spécialement sensible en muséologie lorsque l’on compare les programmes de Montréal avec ceux de l’École du Louvre : une trentaine d’élèves d’un côté, environ 180 à Paris. De cette différence naît une complémentarité qui a constitué un des points de surprise de l’opération. Le programme de Montréal a vu se développer extrêmement vite, relativement, au sein des musées l’habitude de la « Recherche et Développement » à cause du nombre important d’élèves français présents chaque été au Canada et susceptibles d’effectuer un travail de cette nature. Les étudiants montréalais ont profité de cette dynamique par la qualité des recherches qu’ils ont été invités progressivement à faire pour les musées. Les étudiants français, eux, ont eu le privilège de bénéficier d’un encadrement très étroit en terme d’accompagnement de leur recherche, encadrement que leur institution d’origine n’est pas en mesure de leur fournir avec une telle ampleur à cause du nombre très important des élèves concernés. Les élèves canadiens qui sont venus se joindre à des groupes de recherche en France pour la rédaction de leur mémoire ont vu leur réflexion fortement dynamisée par la taille même du groupe travaillant sur la même thématique et l’ampleur des données ainsi recueillies. Dans les deux pays, le nombre et la vitalité des étudiants entraînés dans la dynamique de recherche partagée par leurs enseignants et responsables de programmes ont eu pour conséquence une adhésion plus rapide des institutions muséales aux propositions de recherche, l’idée de la voir faite par des étudiants étant, de surcroît, moins déstabilisante et semblant moins porter à conséquence pour l’institution qu’un travail mené officiellement par un groupe de chercheurs reconnus. On pourrait multiplier les exemples divers de cette dynamique de ressemblances, différences, complémentarités. C’est leur combinaison, sans cesse renouvelée qui fait la richesse des divers aspects de la collaboration et qui génère l’évolution des propositions et la variété des retombées. Ces deux convictions constituent un savoir-faire progressif qui peut être utilisé à l’occasion d’autres collaborations. L’École du Louvre, dans un domaine bien différent, celui de
153 l’organisation de séminaires européens d’histoire de l’art, a développé une politique d’ouverture de son enseignement en direction de l’étranger en mettant à profit et en reprenant certains aspects de l’expérience canadienne : Les séminaires sont proposés à l’ensemble des étudiants d’histoire de l’art des universités européennes et nord-américaines, permettant la comparaison des méthodes autour d’un patrimoine qui, dans ses différences, ne s’en est pas moins constitué de manière pour le moins connexe, adoption du plurilinguisme réceptif, principe selon lequel chacun s’exprime dans sa langue, mais est sélectionné sur son aptitude à comprendre les autres langues utilisées par les intervenants ou les autres étudiants. Dans ces séminaires aussi, la préférence est donnée, dans la mesure des propositions, aux collaborations institutionnelles et personnelles pouvant s’inscrire dans la durée. Le but déclaré de ces séminaires est de favoriser et de diffuser la recherche en histoire de l’art. Impact de la dimension recherche On aura compris, à la lecture du début de ce texte, à quel point la recherche a été importante dans la naissance et le développement de la collaboration décrite. Sans revenir sur les aspects déjà abordés, je souhaiterais mettre plus particulièrement l’accent sur les retombées de cette dimension sur le programme de second cycle-muséologie de l’École du Louvre. Le domaine le plus directement influencé a été celui correspondant au sujet de nos recherches communes, enseignement intitulé dans le programme parisien « Patrimoine et publics ». C’est un enseignement récent en France, l’École du Louvre ayant été la première institution à l’inclure dans son enseignement, timidement vers la fin des années 1980, à part entière à partir des années 1990. La faible quantité de recherches dans les domaines de la sociologie, de la psychologie et des sciences de l’éducation appliquées au domaine des musées en France avant les années 1980 explique en partie cet état de fait, alors même que l’action culturelle dans les musées était active depuis l’après-guerre. De plus, le réseau traditionnel de l’École du Louvre est plus particulièrement celui des professionnels et scientifiques des musées et du patrimoine développant une recherche d’excellence dans les disciplines de contenu ou d’examens des œuvres mais peu au fait des disciplines plus proches des sciences humaines. On sent bien la difficulté, dans ces conditions, d’appuyer un enseignement sur autre chose que des récits d’expérience, un début de présentation historique ou une approche philosophique générale, à moins de s’appuyer sur une bibliographie internationale difficile d’accès et majoritairement anglophone. Le bénéfice des premiers contacts avec l’Université de Montréal a été de sortir de cet isolement intellectuel, d’avoir l’occasion, grâce à des séjours répétés à Montréal, d’avoir largement accès aux sources nord-américaines et de pouvoir progressivement valider certains axes de recherche sur l’éducation muséale. On devine l’impact de cette ouverture sur l’enseignement magistral donné aux étudiants : exemples nouveaux, textes de référence mais surtout données de recherche permettant de mettre en perspective la présentation historique des actions développées par les musées en direction de leur public. Le deuxième bénéfice de la collaboration commençante a été le renforcement de la recherche sur les publics de musée au sein du programme. L’École du Louvre a une tradition ancienne de recherche en muséologie, articulée autour d’un corpus de monographies exécutées par les élèves
154 depuis plusieurs dizaines d’années. Cette tradition avait été étendue au domaine des publics dès la création de la chaire traitant de ces questions. Les monographies exécutées consistaient en d’intéressantes collectes d’expériences d’action culturelle ou éducative assorties d’analyses critiques ou présentant des synthèses historiques. L’apport d’une approche façon sciences humaines et la comparaison possible avec d’autres travaux du même type sur le monde des musées a donné à cet aspect du programme une dimension supplémentaire immédiate. Colette Dufresne-Tassé a été très naturellement associée à l’élaboration et à l’encadrement de certains travaux des étudiants. Cet état de fait a eu plusieurs conséquences bénéfiques : meilleure reconnaissance par le milieu professionnel et le milieu académique des travaux exécutés par les étudiants, renforcement du réseau muséal acceptant de fournir des données ou d’en permettre la collecte, pour arriver depuis 1998 à de véritables commandes d’études de public alors même que, en France, le milieu des musées autres que scientifiques reste encore très sceptique ou peu expérimenté sur ces questions. On peut considérer, dans cette optique, que l’impact de cette accélération de la recherche, outre sur les étudiants en formation, influe progressivement sur le milieu professionnel des musées et du patrimoine, qui laisse d’autant plus facilement aborder des sujets sensibles, proches de l’évaluation, que les travaux sont exécutés par des étudiants dont les prestations paraissent moins perturbantes que celles de professionnels pour lesquels il faudrait de surcroît trouver des fonds de recherche dans un environnement encore peu sensibilisé à cette pratique. On voit bien ici la suite de conséquences en cascade de cette collaboration basée sur la recherche : meilleure formation académique, initiation à la recherche, reconnaissance améliorée du milieu professionnel et ses conséquences sur l’insertion professionnelle des étudiants. Dans cette dynamique, cela a pu être la lecture par un responsable français d’un des travaux de recherche exécuté au cours de l’été à Montréal qui a suscité une demande du même type (nonpublic, étude d’impact, visites en famille, etc.). Les travaux exécutés à Montréal sont déposés, en effet, systématiquement, au centre de documentation muséologique de la Direction des Musées de France et de l’ICOM qui dispose d’une liste des travaux exécutés en France disponibles, eux, à la bibliothèque de l’École du Louvre. Autres impacts sur l’enseignement Le programme dit de réciprocité, et consistant à accueillir les étudiants canadiens à Paris, devrait permettre d’expérimenter de nouvelles dimensions d’enseignement. Il va enfin permettre un véritable mélange des étudiants des deux programmes qui n’avait pu encore avoir lieu et l’expérimentation de modes différents de formation, tant pour les étudiants canadiens que français. C’est une nouvelle manière d’aborder la collaboration qui, sans doute, créera, là encore, des retombées autres que celles directement prévisibles. Une implication forte et une présence de tous les instants des deux responsables sera une fois de plus la condition de l’amélioration constante du programme, l’évaluation étant, en quelque sorte, intégrée de manière permanente au déroulement du programme. Les aspects largement positifs d’une telle collaboration tant pour les institutions que pour les étudiants et les chercheurs ne doivent pas faire oublier la grande fragilité d’existence de tels programmes quel que soit leur désir et leur acharnement à durer. Le démarrage et le suivi attentif
155 menant à une évaluation en profondeur et en finesse nécessitent l’implication profonde d’individus. Ceux ci peuvent être éloignés de cette tâche par de multiples circonstances, mettant ainsi en péril l’existence même du programme ou, à tout le moins, sa durée dans une égale qualité. Les programmes internationaux sont nécessairement plus coûteux que des programmes nationaux. Leur organisation dépend de la bonne santé financière de l’institution qui les génère et de financements extérieurs dont nous avons vu plus haut à quel point ils étaient peu sensibles, c’est le moins que l’on puisse dire, à un travail dans la durée. Ils sont à tout moment en concurrence directe, en terme de ressources financières et humaines, avec les programmes nationaux plus difficiles à remettre en question. Leur aspect déconcentré génère au sein des institutions toutes sortes de fantasmes autour du bienfondé relatif des déplacements et séjours à l’étranger. Ils nécessitent donc, plus que tous autres, une évaluation constante et une communication répétée des bénéfices qu’ils procurent aux programmes réguliers et à l’institution même. Ils ne peuvent se dérouler que grâce à une considérable dépense d’énergie en termes organisationnels. Tout est plus lourd et plus complexe en enseignement décentralisé. Les participants au programme dépendent de celui-ci pour tous les aspects, y compris les plus prosaïques, de leur vie matérielle et intellectuelle (cours relatifs des devises, transports, logement, photocopies des travaux, plurilinguisme, rapports humains compliqués par la différence de nationalité, etc.). Il est difficile de faire prendre la mesure du travail que représente chacun de ces aspects et le poids organisationnel est souvent porté par très peu d’épaules. Enfin, faire durer le même programme dans la durée signifie priver son institution d’autres expériences internationales comparables ou différentes. Les choix sont rendus nécessaires par la limitation même des moyens financiers, organisationnels et humains. On retrouve là l’importance de définir progressivement des outils d’évaluation des programmes internationaux permettant d’offrir aux institutions des critères susceptibles d’aider à la définition d’une véritable politique.
Références Bellavance, M. (1994). L’internationalisation de l’enseignement supérieur : le cas de l’École nationale d’administration publique du Québec. Actes du colloque réseau sur l’internationalisation à l’Université du Québec (document 2). Québec : Université du Québec, 3-11. Bond, S. et Thayer Scott, J. (1999). De l’acceptation réticente à l’accueil modéré : L’internationalisation de l’enseignement universitaire de premier cycle. Dans S. Bond et J.P. Lemasson (édit.). Un nouveau monde du savoir ; les universités canadiennes et la mondialisation. Ottawa : Centre de recherches pour le développement international, 47-80.
156 Dufresne-Tassé, C. (1996). La coopération scientifique internationale, sa contribution à l’enseignement et au développement de nouvelles formes de diffusion des connaissances. Dans Y. Lenoir et M. Laforest (édit.). La bureaucratisation de la recherche en éducation et en sciences sociales. Sherbrooke : Éditions du CRP, 143-157. Knight, J. (1999). Thèmes et tendance de l’internationalisation : une optique comparative. Dans S. Bond et J.P. Lemasson (édit.). Un nouveau monde du savoir ; les universités canadiennes et la mondialisation. Ottawa : Centre de recherches pour le développement international, 223-265. Vertesi, C. (1999). Les étudiants : Des agents de changement. Dans S. Bond et J.P. Lemasson (édit.). Un nouveau monde du savoir ; les universités et la mondialisation. Ottawa : Centre de recherches pour le développement international, 139-175.
L’ÉDUCATION MUSÉALE À LA CROISÉE DES CHEMINS Bernard Lefebvre Depuis une trentaine d’années, l’éducation muséale s’impose comme une réalité incontournable. En effet, à Paris, en 1964, le Conseil international des musées (ICOM), organisme relevant de l’UNESCO, tenait un colloque portant sur le rôle éducatif des musées et leur reconnaissait trois missions éducatives et culturelles (Zetterberg, 1970 ; Allard et Boucher, 1999). Le musée doit enseigner, épanouir l’individu et l’intégrer dans la communauté humaine et, enfin, être un lieu de loisir. Chaque année, le Comité d’éducation et d’action culturelle de l’ICOM tient ses assises dans diverses parties du monde. À preuve, ces dernières années, elles eurent lieu à Vienne, Rio de Janeiro et Melbourne. D’ores et déjà, le musée s’impose comme un lieu éducatif. Hier, on le considérait comme un lieu de haute culture réservé aux professeurs et aux étudiants des universités et des établissements du second degré ainsi qu’aux artistes, aux spécialistes de l’art et à un public restreint, cultivé et bien nanti. Aujourd’hui, se démocratisant, il entend appeler l’ensemble de la population à l’appropriation des trésors qu’il recèle. Les musées s’intègrent dans le réseau des ressources communautaires de nos cités modernes, à côté des églises, des établissements scolaires, des bibliothèques, des services publics, des salles de spectacles et des centres sportifs. Voilà autant d’endroits de formation et d’information, de débat et de dialogue, parfois d’âpres discussions et même d’opposition (B. Lefebvre, 1997). Il est alors opportun de suspendre momentanément nos tâches d’intervenants en milieu muséal ou scolaire, pour réfléchir sur l’éducation muséale. Nous aborderons les sujets suivants : le musée et l’école, un modèle théorique de planification des programmes éducatifs au musée, les étapes de réalisation d’un programme éducatif au musée, la concertation et le partenariat entre le musée et l’école, la formation et le perfectionnement des maîtres. Nous terminerons par la recherche d’actions à entreprendre en éducation muséale. Nous nous limiterons à des questions se rapportant à la clientèle scolaire.
Le musée et l’école Afin de demeurer dans une rectitude parfaite, rappelons la définition du musée telle que libellée en 1975 et qui apparaît à l’article 2 des statuts de l’ICOM adoptés à La Haye en 1989. C’est une institution permanente sans but lucratif, au service de la société, qui acquiert, conserve et présente des objets et où l’on fait des recherches à leur sujet. Elle a pour but la connaissance et la
158 jouissance des objets relatifs à l’homme et à son environnement, le tout contribuant à son éducation. (ICOM, 1990)
Il ne suffit plus seulement d’acquérir, de conserver et de classifier scientifiquement des objets, le musée a aussi la mission de contribuer à l’éducation des visiteurs. Il devient un lieu d’enseignement, d’apprentissage et de loisir en vue de l’épanouissement et de l’intégration de la personne dans la communauté (Allard et Boucher, 1999). La notion de musée étant très large, elle englobe tous les types possibles de musées, qu’ils soient d’arts, d’histoire, d’anthropologie, d’archéologie, de traditions et d’arts populaires, de sciences naturelles, incluant les jardins botaniques, les aquariums, les parcs zoologiques, sans oublier les sites archéologiques, les espaces construits comme les parcs nationaux et les quartiers historiques d’une ville. Même s’il ne s’agit pas uniquement des musées de beaux-arts comme le Louvre et le Prado, tout musée digne de ce nom offre un lieu de bon goût dans l’arrangement et la présentation des objets ou des œuvres, qu’ils soient de nature artistique, architecturale, domestique ou scientifique. C’est un truisme de dire que l’école a perdu le monopole de l’acte éducatif. Les moyens de communications modernes comme la radio, la télévision, le cinéma et l’Internet nous bombardent d’informations, de publicité et de propos qui font acquérir des connaissances mais qui influencent aussi nos valeurs, nos attitudes et nos comportements (B. Lefebvre, 1997). Pour répondre à leur mission éducative, les musées ont développé des services d’éducation, remplissant ainsi un rôle complémentaire à celui des écoles. En effet, jamais ces dernières ne peuvent accumuler en matériel didactique les riches collections que renferment les musées. Le temps où les collèges et les universités possédaient des embryons de musées de sciences naturelles, quelques reproductions ou des masques en plâtre des personnages de l’antiquité est révolu. Encore faudrait-il que les enseignants connaissent les ressources didactiques des musées et que ceux-ci établissent des relations continues avec le milieu scolaire. Si l’on assume généralement que l’école est dispensatrice de l’éducation formelle et que le musée se perçoit plutôt comme un centre d’éducation informelle, nous constatons que, d’une part, les écoles s’ouvrent davantage à des activités ouvertes et créatrices et que, d’autre part, les services éducatifs des musées multiplient les programmes orientés et structurants (B. Lefebvre, 1996). Identifions maintenant certains éléments de complémentarité existant entre l’école et le musée (Allard, 1999). L’apprentissage scolaire se fonde beaucoup sur la compréhension de concepts tandis que celui qui se réalise au musée réfère spontanément aux objets. Le musée s’adresse prioritairement au sens de la vue même si d’autres sens sont aussi mis à contribution. À l’école, le sens de l’ouïe s’exerce pendant les cours magistraux où domine la parole du maître. L’immobilité en position assise durant de nombreuses heures est de rigueur pour écouter et
159 comprendre le discours de l’enseignant tandis que le visiteur de musée est invité constamment à se déplacer selon un itinéraire variable. Si l’école cherche à développer l’intelligence logique, le musée incite plutôt à découvrir, à induire et à interpréter. Ces propos qui peuvent prêter flanc à la caricature n’ont d’autres buts que d’illustrer l’appui que le musée peut apporter à une approche pédagogique centrée davantage sur les capacités cognitives des élèves.
Un modèle théorique de planification des programmes éducatifs au musée Le Groupe de recherche sur l’éducation et les musées de l’Université du Québec à Montréal avait reçu le mandat de mettre au point un plan d’évaluation des programmes éducatifs offerts dans les lieux historiques de Parcs Canada. L’inventaire des écrits indiquait qu’il n’existait aucune étude générale à ce sujet. Il chercha un modèle dans un domaine similaire au sien, soit l’éducation. Trouvant un modèle de l’analyse de la situation pédagogique dans le Dictionnaire actuel de Legendre (1993), la recherche se situait en amont de son objectif initial d’évaluation en devenant l’identification des éléments d’un programme éducatif dans un lieu historique et des liens qui se tissent entre chacun. Cette étude identifie ce dont il faut tenir compte dans la planification d’un tel programme, dans son évaluation s’il existe déjà et dans les jugements ainsi que les actions à poser en vue de son amélioration à la suite de son évaluation. Une démarche de cette nature a tôt fait prendre conscience qu’elle serait bénéfique non seulement aux lieux historiques, mais aussi aux musées quelle que soit leur nature. Il convenait donc de commencer en se basant sur le modèle systématique de la situation pédagogique, puisque les programmes qui existaient déjà s’adressaient surtout à la clientèle scolaire du degré primaire et du degré secondaire. Voilà comment se schématise ce modèle.
160
MILIEU
SUJET
relation d'enseignement
relation d'apprentissage
relations pédagogiques
AGENT
Figure 1
OBJET
relation didactique
Le modèle systémique de la situation pédagogique Tiré de Renald Legendre (1983), L’éducation totale, 251 et cité par Allard et Larouche, 1999
La situation pédagogique ainsi illustrée situe dans le milieu scolaire les apprenants et les enseignants en présence d’un programme d’études à faire acquérir et à assimiler. Les relations de bipolarité qui existent entre ces quatre éléments sont également précisées. Empruntons l’explicitation de ce schéma à Allard et Larouche (1999). Le milieu désigne l’endroit où la situation pédagogique se déroule ; le sujet, la personne ou le groupe de personnes pour lesquels la situation pédagogique a été élaborée ; l’objet, le contenu de la situation pédagogique ; l’agent, la ou les personnes impliquées dans la situation pédagogique à titre de facilitateur de la démarche du ou des sujets. La relation didactique s’établit entre l’objet et la relation d’enseignement, entre l’agent et les sujets : le premier doit élaborer des stratégies et mettre en œuvre des moyens pour faciliter l’apprentissage du second ; la relation d’apprentissage entre le sujet et l’objet désigne à la fois la perception, l’interaction et l’intégration d’un objet par un sujet. (p. 305)
Suite à son expérimentation, ce modèle de la situation pédagogique devait être modifié pour s’appliquer adéquatement aux programmes éducatifs en situation muséale. On conserva les termes suivants : le milieu qui correspond à un lieu historique ou à une institution muséale, le sujet qui convient au visiteur et l’agent qui équivaut à l’agent d’éducation muséale. Les autres concepts de la situation pédagogique doivent être adaptés. L’objet désigne « toute chose matérielle conservée et présentée […] dans le cadre d’une exposition ; l’objet matériel s’insère dans une collection déterminée, s’expose dans un cadre spécifique et fait partie d’un exhibit particulier » (ibid., p. 306). Le terme thématique s’est substitué à celui d’objet pour
161 désigner « le lien unificateur de tous les objets réunis dans un lieu à des fins de collection, de recherche, d’exposition et d’éducation » (ibid.). La relation d’appropriation se substitue à la relation d’apprentissage, car la relation qui s’établit entre le visiteur et la thématique, loin de se limiter au domaine cognitif, le déborde et englobe le domaine affectif, sensitif et imaginaire. Dans la logique de ce qui précède, il est plus approprié de qualifier de support plutôt que d’enseignement la relation qui existe entre l’agent et le visiteur, puisque le processus de communication n’a pas pour but unique un apprentissage. Comme une exposition ne vise pas seulement des objectifs d’ordre cognitif, la relation didactique devient plutôt une relation d’interprétation selon laquelle la planification d’un programme éducatif implique l’adaptation du contenu et des objectifs de l’exposition à la capacité d’appropriation d’un public spécifique. Selon Allard et Larouche, le modèle théorique d’utilisation des musées à des fins éducatives se schématise de la façon suivante.
Le musée thématique relation d'appropriation
élève-visiteur
relation de support
Figure 2
Programme éducatif
relation de transposition
intervenant
Le modèle théorique d’utilisation des musées à des fins éducatives
D’autres relations s’ajoutent aux précédentes. En effet, l’agent muséal ne saurait élaborer une thématique sans tenir compte des programmes d’études en vigueur dans les écoles : c’est une relation d’ordre curriculaire. Cette dernière suppose l’établissement d’un réseau de contact avec les intervenants du milieu scolaire, d’où une relation de concertation entre les agents de l’éducation muséale et les agents scolaires tant dans l’élaboration des programmes que de la mise en œuvre et de la mesure d’impact des programmes éducatifs. Le modèle de toutes les relations qui se tissent lors d’une situation pédagogique dans les musées se schématise comme suit :
162
LIEU HISTORIQUE
pertinence relation d'origine
relation curriculaire
OBJET SCOLAIRE relation d'apprentissage
OBJET HISTORIQUE relation d'appropriation
SUJETVISITEUR
relation didactique
AGENT SCOLAIRE
relation d'enseignement
Programme éducatif
relation de support relation de concertation
MILIEU SCOLAIRE
relation de vulgarisation
LIEU HISTORIQUE AMENAGE
AGENT D'EDUCATION
engagement
INTERVENANT relation de coopération
AUTRES ORGANISATIONS
Figure 3
Le modèle de toutes les relations qui se tissent lors d’une situation pédagogique au musée
Ce modèle complexe à l’avantage d’intégrer à la fois le milieu scolaire et le lieu historique ou l’établissement muséal, ajoutant à cela la relation curriculaire et la relation de coopération avec les intervenants du milieu scolaire et d’autres musées. Voilà présenté dans un ensemble évolutif un modèle théorique qui fonde des programmes éducatifs. Il jette de la lumière sur les éléments et les relations susceptibles d’être examinés dans l’évaluation d’un programme éducatif. Ce modèle théorique doit être opérationnalisé, afin de permettre de recueillir les données, de les analyser et de les interpréter. Le modèle opérationnel est compris dans le Guide de planification et d’évaluation des programmes éducatifs (1998). Il prend la forme d’un questionnaire en plus de 80 points abordant l’élaboration, la mise en œuvre et la mesure de l’impact du programme éducatif.
Les étapes de réalisation d’un programme éducatif au musée Une fois élaboré, un programme éducatif doit être mis en œuvre. L’activité pédagogique comprend toujours trois étapes : la préparation en classe, l’activité au musée et le prolongement en classe (Allard et Boucher, 1991).
163 Première étape La première étape de la démarche d’apprentissage, l’amorce de toute leçon ou de tout projet, comprend la mise en situation, la préparation émotive et la préparation intellectuelle. Appliquée à la visite au musée, il s’agit de l’activation des connaissances ou de l’exploration. C’est en classe que l’élève identifie les questions auxquelles il tentera de répondre au musée. « C’est aussi en classe qu’il prépare sa cueillette de données » (Allard et Boucher, 1991, p. 36). Les élèves se sensibilisent au thème à étudier par la présence d’objets ou de documents apportés par le maître ou par les élèves et servant à faire naître des questions et à amorcer l’observation à l’aide d’une grille collectivement mise au point. Pour poursuivre les recherches, les élèves ont besoin de pousser leur enquête. C’est là que la visite du musée prend tout son sens. Il faut ensuite avoir des informations sur le type de musée à visiter, sa situation géographique et le trajet à parcourir pour s’y rendre. L’enseignant doit aussi s’informer sur les activités existant au musée, les horaires et l’organisation matérielle à prévoir. Mieux vaudrait qu’il rencontre un professionnel du musée en charge des visites scolaires, au musée ou à l’école, ou qu’il consulte un guide de visite. La deuxième étape La deuxième étape comprend la visite au musée au cours de laquelle les élèves procèdent à la cueillette des informations. Ils cherchent alors des réponses aux questions posées en classe, en interrogeant les objets exposés dont certains peuvent même être touchés. Les principes d’une telle visite sont les suivants : A.
Favoriser la cueillette d’informations.
B.
Inciter l’élève à une participation active.
C.
Conférer un aspect ludique aux activités.
D.
Prévoir des moments de relâche.
E.
Prévoir des activités propres au musée.
F.
Viser l’atteinte d’objectifs diversifiés.
G. Réserver une attention spéciale à l’accueil. (Allard et Boucher, 1991, p. 70). La brièveté de cette énumération mériterait de longues élaborations. Contentons-nous de commentaires rapides sur l’un ou l’autre point.
164 Pour éviter la surcharge d’informations, on doit sélectionner les vitrines et les îlots d’exposition en fonction de leur relation avec la thématique du programme éducatif dont le contenu spécifique est délimité à la fois par les objectifs du curriculum scolaire et les collections du musée. Pour restreindre l’emploi de l’exposé, il suffit souvent de questionner les élèves afin de créer l’interaction désirée et de susciter l’intérêt. La visite au musée doit surtout prévoir des stratégies qui proposent une démarche active comme faire vivre des situations expérimentales, permettre d’explorer, de construire, de discuter seul ou en équipe, de favoriser l’expérience en suivant le rythme de l’élève (Benoît, 1994, Robitaille, 1997 ; Allard, Larouche, Meunier et Thibodeau, 1998). Si l’on érige en principe l’une des conditions indiquées précédemment, soit l’activité ludique, c’est en marquer toute l’importance. Cependant, le fait d’insister sur ce point ne signifie pas que le musée se transforme en salle de récréation. L’enfant y apprend en s’amusant et il doit en être conscient. Dans ce contexte, la coopération n’est pas exclue : questions, commentaires et discussions sont possibles entre camarades. N’étant pas la salle de classe, le musée est un lieu où l’on circule. C’est l’occasion de donner aux élèves la chance de bouger sans avoir à demander la permission. Pour cela, procurons-leur un cahier d’accompagnement qui pose des questions de connaissance et de raisonnement, fournit des croquis à colorier d’après un modèle ou demande d’en dessiner quelques-uns. Acrostiches, mots croisés, mots mystères invitent à retrouver des cartelettes ou à identifier des œuvres ou des objets. De plus, dans les moments de relâche, les récréations dirions-nous à l’école, que les élèves soient autorisés à déambuler calmement dans le musée, pour qu’ils en prennent possession, et à s’arrêter peut-être devant une œuvre ou un objet qu’ils admirent ou qui les intrigue. D’ailleurs, l’habitacle muséal mérite qu’on en fasse l’exploration. Les animateurs et les enseignants sont là pour activer les élèves dans leur réflexion, pour poser des questions, afin de leur laisser le plaisir de la découverte. Ils prennent soin que les activités soient propres au musée, reléguant à l’école les exercices proprement scolaires. Les rallyes et les courses au trésor se prêtent bien à l’emploi des carnets d’accompagnement. Si l’élève du premier cycle primaire se situe intellectuellement au niveau des opérations concrètes, il ne faut pas croire qu’ils sont les seuls à bénéficier du contact intime avec les objets pour en acquérir une connaissance approfondie. Les activités de manipulation sont toujours d’un précieux apport et non dénuées d’intérêt pour la plupart. Les animateurs muséaux savent aussi faire vivre les jeunes dans la peau des personnages en leur faisant porter des costumes d’époque, en parlant avec un accent particulier et un vocabulaire approprié. Ils invitent les jeunes à jouer des scénarios qui les entraînent dans des situations fictives et éloignées au plan historique ou géographique.
165 Des périodes d’ateliers suivent souvent les visites centrées sur les programmes éducatifs en arts plastiques. Nos ateliers ont pour objectif d’offrir au visiteur […] l’occasion de prolonger son expérience esthétique par l’expérimentation de diverses techniques, médiums et matériaux reliés à un concept ou à une thématique présents dans une œuvre ou une exposition. C’est à l’expression plastique de développer chez le visiteur le désir et la capacité de créer. (Guillemette, 1997)
Les objectifs n’ont pas à se cantonner dans les seules acquisitions de connaissances. L’activité muséale s’adresse à tout l’être. Si elle sollicite l’intelligence, elle met aussi à contribution les sens, particulièrement le toucher, et aussi l’affectivité et l’imaginaire. La troisième étape Se réalisant en classe, la troisième étape de la démarche d’apprentissage est celle de l’objectivation comprenant des activités de prolongement au cours desquelles la classe revient sur la visite pour décoder, classifier et comparer les données recueillies. Chacun complète les réponses à ses questions, vérifie ses hypothèses et élabore de nouvelles conclusions (Allard et Boucher, 1991, p. 37). Par un travail d’analyse, les élèves prennent conscience de ce qu’ils ont appris. En équipe, ils reviennent sur leur cahier d’accompagnement, complètent leurs dossiers de recherche ou leur tableau de compilation. Ils sont maintenant en mesure de réinvestir les données dans des activités de synthèse où les rapports écrits et les dessins rendent compte de leurs conclusions de recherche (Allard, 1993, p. 41). Rien de mieux que d’exprimer ensuite socialement les trouvailles par des présentations orales et par une exposition. Cette étape ultime incite les élèves à développer un juste sentiment d’estime personnelle et de groupe. L’enseignant est aussi valorisé en voyant les résultats de son travail. Il faudrait alors éviter que cette phase ne soit omise ou qu’elle se résume à une rapide évaluation informelle d’ordre affectif. Ne délaissant pas les hôtes du musée, la communication avec eux doit demeurer ininterrompue. Il faut les mettre au courant des activités de prolongement. Ils ont besoin de connaître la rétroaction des enseignants et des élèves, afin de s’adapter constamment au besoin de la clientèle scolaire. Leur coopération avec les écoles trouve son aboutissement dans l’approfondissement des connaissances et le réinvestissement qu’en font les élèves. Par son implication, le musée ne joue pas seulement un rôle de soutien : il est partie prenante à la démarche pédagogique du commencement à la fin. Sans lui, l’école perdrait un des répondants majeurs du milieu communautaire qui lui apporte des ressources précieuses pour atteindre les objectifs des programmes scolaires et pour éduquer les jeunes, c’est-à-dire les conduire à l’épanouissement de la personne par la science, les arts et la culture.
166 Ce modèle didactique en trois étapes intègre des activités réalisées à l’école et d’autres au musée. Il se veut de caractère général pour que son application s’adapte aux particularités de chaque musée et conviennent à la dynamique propre à chaque milieu scolaire.
La concertation et le partenariat Suite à l’exposé des étapes de réalisation d’un programme éducatif au musée à l’intention des écoles, la concertation des intervenants issus des deux genres d’institutions s’impose naturellement lors de l’élaboration, de la mise en œuvre et de la mesure de l’impact d’un tel programme (Allard, Larouche, Meunier et Thibodeau, 1998). Il est à souhaiter que cette concertation s’élève au niveau du partenariat, celui-ci traduisant « un mode de collaboration entre les organisations et les acteurs respectifs pour réaliser une activité commune » (Landry, SavoieZajc et Lauzon, 1995). La direction des musées et la direction pédagogique de l’organisation scolaire doivent alors définir une politique commune de coopération dans la préparation et la réalisation de projets concertés et mandater de part et d’autre les ressources humaines nécessaires (Vadeboncœur, 1997). Les musées n’ont d’autres choix que de s’adresser fréquemment et de façon répétée au personnel des écoles, aux conseillers pédagogiques, aux directeurs et aux enseignants, s’ils désirent attirer un grand nombre d’élèves. Ils font parvenir leurs programmes éducatifs annuels comprenant une brève description de chacun, le degré ou le cycle scolaire auquel ils s’adressent, le calendrier des activités et les coûts encourus. Les services éducatifs invitent les enseignants à des rencontres d’information dans les musées et proposent, si possible, de visiter les enseignants et les élèves pendant l’étape préparatoire à une visite. Pour assurer le succès d’une visite au musée, les éducateurs de musée mettent à la disposition des écoles le matériel didactique propre à l’étape préparatoire et, le cas échéant, à l’étape de prolongement. Quant aux enseignants et aux directeurs d’école, leur participation à un programme éducatif muséal dépend de leur sensibilisation aux bénéfices qu’ils peuvent retirer de l’utilisation pédagogique du musée. Encore faut-il qu’ils connaissent l’existence des musées qui possèdent des collections servant à intéresser les élèves, à illustrer des notions dans des disciplines aussi variées que l’histoire de l’art, les sciences humaines, l’histoire, la géographie, les sciences de la nature, etc. L’expression orale, l’expression écrite, les mathématiques et les arts plastiques s’appliquent naturellement à l’occasion de n’importe quel projet d’activité muséale, vu la profusion des stimuli amenant les élèves à réagir. Si les enseignants assistent à des rencontres d’information et font leur propre visite au musée préalablement à leur visite avec les élèves, ils remplissent les conditions qui assurent le succès de l’entreprise. Ils ne sont pas de passifs surveillants d’élèves durant la visite. Pourquoi ne se transformeraient-ils pas en animateurs secondant l’éducateur muséal. Suite à l’étape de prolongement, il leur incombe d’informer les intervenants muséaux des activités que la visite a fait naître, afin que ces derniers soient en mesure d’apprécier les suites données à leurs interventions.
167
La formation et le perfectionnement des maîtres La raison principale pour laquelle les enseignants accusent un manque d’intérêt à l’égard des musées consiste dans leur manque d’information et de formation à ce sujet. Pour remédier à cette situation, le programme de baccalauréat en enseignement au préscolaire et au primaire de l’Université du Québec à Montréal donne des notions sur l’éducation muséale et fait vivre une visite de musée à caractère pédagogique dans le cadre du cours de didactique des sciences humaines. De plus, un stage intensif d’enseignement, compris dans le même programme, propose un projet de visite au musée parmi un ensemble de projets possibles. Les étudiants qui choisissent cette activité la réalise en accord avec l’enseignant de la classe où ils font leur stage et accomplissent la démarche didactique présentée précédemment. Ils apportent ainsi une contribution originale au milieu scolaire et apprennent à discerner ce qui sert à l’enrichissement culturel des élèves. Cette expérience guidera sa pratique professionnelle et contribuera éventuellement à initier d’autres enseignants à l’utilisation pédagogique des musées. La Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa offre un programme de formation initiale en didactique des arts où les étudiants effectuent une visite au Musée des beaux-arts du Canada et réalisent un travail d’appréciation artistique dans la section d’art moderne, d’art contemporain ou d’art canadien. La démarche de l’expérience esthétique comprend les étapes suivantes : ∑ une préparation avant la visite au musée ; ∑ une visite orientée dans les sections d’art moderne et contemporain ; ∑ une exploration individuelle d’une œuvre d’art choisie par l’étudiante ou l’étudiant dans ces sections ou dans celles d’art canadien ; ∑ un échange en sous-groupes permettant d’identifier les ressemblances et les différences entre les expériences et les émotions suscitées par l’exploration individuelle ; ∑ une autoévaluation de l’apprentissage réalisé lors de la visite ; ∑ l’inscription de commentaires par rapport à la visite ; ∑ une rétroaction de l’expérience lors du cours subséquent à la visite. (Théberge, 1998 ; Théberge, 1999) À l’Université de Montréal, dans le programme de la maîtrise d’enseignement à l’intention des enseignants, il existe un cours qui s’intitule Musée et didactique des arts et des sciences humaines.
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Les objectifs du cours sont les suivants : ∑ s’approprier à l’aide de quelques visites les éléments du patrimoine culturel québécois ou autres se rapportant à des biens culturels comme les musées ou des sites liés à l’espace construit ; ∑ analyser quelques recherches pertinentes permettant le transfert didactique dans d’autres domaines éducatifs ; ∑ élaborer un devis didactique simple permettant aux enseignants de transférer dans leur classe ou autre lieu des éléments de la culture. La méthodologie proposée dans ce cours comprend : ∑ des échanges et des discussions sur des thèmes liés à l’éducation muséale ; ∑ des visites actives de musées et de sites ; ∑ la conception et la réalisation d’un devis pédagogique simple permettant d’utiliser une ressource muséale. Le cours se partage en deux types d’activités : 1. des lectures, des échanges d’informations et des discussions à l’université ; 2. des visites de musées équivalant à la même période de temps passée à l’université. Les travaux prévus sont de deux natures : 1. le rapport écrit de deux visites de musées, sous forme de réflexion critique au plan personnel et professionnel, selon un plan déterminé à l’avance ; 2. la préparation d’une visite éducative de musée à réaliser avec un groupe d’élèves au cours de la prochaine année scolaire. Un stage d’été au « Royal Ontario Museum » et un suivi au cours de l’année scolaire suivante réunissait des enseignants, des directeurs d’école et des artistes, afin d’établir un modèle de formation intégrée des arts dans un environnement muséal. Cette approche centrée sur les arts favorisait le renouvellement des programmes d’études. Les stagiaires travaillaient ensemble à mieux comprendre les arts, à développer des habiletés pour les enseigner et à construire un programme scolaire mieux adapté. Des enregistrements sur bandes vidéoscopiques et des questionnaires ont fourni la documentation à analyser en vue de vérifier si les 75 heures d’activités qui cherchaient à intégrer le théâtre, les arts visuels, la musique et la danse ont contribué à transformer les participants au plan personnel et professionnel (Soren, 1999)
169 Citons enfin le cas du « Science Centre » de Toronto qui offre de la formation créditée aux enseignants en vue de les habiliter à utiliser ce musée interactif pour illustrer et faire comprendre des notions scientifiques faisant partie des programmes scolaires. Ces exemples de formation en éducation muséale n’ont d’autres buts que d’illustrer diverses avenues utilisées pour former les futurs enseignants et pour perfectionner ceux qui sont en exercice. De nombreuses autres formules de sensibilisation naîtront à la suggestion des musées des centres de formation des maîtres et des organismes scolaires, en vue de sensibiliser les enseignants à une utilisation plus poussée et plus efficace des musées au plus grand profit de leurs élèves.
La recherche d’actions à entreprendre Les acteurs de l’éducation muséale tout comme les enseignants sont confrontés à une action quotidienne. Nos analyses réflexives portent sur l’expérience de la tâche à accomplir de manière à la concevoir de façon consciente, de la critiquer avec objectivité et d’élaborer des expériences à entreprendre pour remplir avec une efficacité accrue la mission éducative du musée. L’existence de services d’éducation dans les musées a fait évoluer le rôle des guides (Banna, 1996). De dispensateur de l’information sous forme magistrale, il se transforme en celui d’animateur qui met en place et facilite l’organisation de situation où le visiteur est actif dans son apprentissage. Réduisant son discours au minimum, il entretient un climat favorable à des échanges, questionne les visiteurs et suscite des commentaires. L’évaluation de son rôle et le changement apporté à ses interventions nécessitent la révision de sa formation. Aux savoirs en histoire de l’art se juxtaposent des préoccupations sur les théories de l’apprentissage, sur les phénomènes perceptuels, sur la psychologie, les intérêts et le fonctionnement des jeunes visiteurs. Le guide se transforme en personne-ressource et même en éducateur muséal. Il développe ses compétences en communication et en animation de telle sorte qu’il fait cercle avec les visiteurs autour des œuvres ou des objets exposés. Ce faisant, le discours revêt un caractère fonctionnel et la visite devient récréation et re-création. S’il appartient au musée de former son personnel, il incombe aux universités d’apporter leur contribution de formation et de recherche à l’éducation muséale. Dans les programmes de maîtrise et de diplôme de deuxième cycle en muséologie, les cours sur ce sujet semblent peu nombreux. Cependant, il reste loisible aux étudiants d’exploiter davantage cette avenue au cours de leurs stages au musée et dans les travaux écrits ou les mémoires (Allard, Meunier, Lefebvre, 1999). Il est important que les programmes éducatifs de musée s’arriment avec des objectifs d’apprentissage contenus dans les programmes d’études. C’est pourquoi leur élaboration et leur évaluation nécessitent la participation de spécialistes dans ce domaine. Mais, rien n’empêche de prévoir des programmes culturels qui servent à l’enrichissement des curricula scolaires.
170 Pour s’assurer l’adéquation des programmes des musées avec la clientèle des enfants et des adolescents auxquels ils s’adressent, il est recommandé d’inviter quelques-uns uns d’entre eux à participer à l’évaluation formative de chaque étape préparatoire (Daigneault, 1994). De nouveaux moyens de communication et d’échange augmentent la panoplie de ceux qui existent déjà : il s’agit de l’ordinateur (Légaré, 1996), de l’Internet (Dale et Bowen, 1999) et du courrier électronique. Ces médias facilitent l’information sur les programmes éducatifs et peuvent même véhiculer les documents à faire parvenir aux écoles. Les enseignants et les élèves sont à même de faire parvenir leurs réactions et leurs commentaires au musée durant l’étape de prolongement d’une visite. Il importe de convaincre la direction du musée d’établir des ententes de coopération avec les autorités scolaires et les écoles. C’est par la multiplication de projets multilatéraux que les intervenants des deux milieux apprendront à coopérer et à partager leur responsabilité dans des entreprises communes d’éducation. Nous souhaitons que les directeurs des programmes conduisant à l’enseignement soient sollicités par les musées de façon qu’ils connaissent les ressources mises à la disposition des futurs enseignants et qu’ils prévoient des activités de formation en éducation muséale. Quant à la mise à jour des enseignants, souhaitons que des stages à leur intention aient lieu dans les musées et que des ateliers sur les ressources muséales en lien avec l’enseignement des matières se tiennent au cours des journées pédagogiques. Le musée est le lieu tout indiqué pour développer l’éducation du regard, pour apprendre à voir par une méthode de décryptage de la réalité matérielle et de l’image créée. Cette observation systématique comporte des opérations comme repérer un objet au milieu de son environnement, le capter dans son ensemble, prendre conscience des parties de l’ensemble, caractériser les parties et les nommer, établir un rapport des parties au tout et du tout aux parties, identifier la structure matérielle de l’objet et évaluer le degré de transformation des matériaux. Apprendre à voir déborde la simple observation. La structuration constitue l’étape suivante au cours de laquelle nous déduisons la fonction utilitaire ou décorative de l’objet. Cela suppose aussi la mise en œuvre des matériaux et l’organisation formelle des éléments, la comparaison avec d’autres objets, l’interprétation, l’évaluation, l’utilisation de l’objet et sa mise en contexte (O’Neill, 1999 ; Dufresne-Tassé, 1999). L’éducation du regard invite à « la rencontre non verbale, la rencontre visuelle […] entre l’homme et l’objet » (A. Lefebvre, 1999). Elle invite à découvrir par la vue, sens le plus noble de l’homme, cette rencontre significative entre l’être humain, doué d’intelligence et de sensibilité, et le monde comprenant celui des musées.
171
Conclusion Question d’actualité que l’éducation muséale destinée aux enfants du degré primaire et aux adolescents du degré secondaire. La tâche est d’autant plus délicate que ces jeunes constituent le potentiel des visiteurs de musée du XXIe siècle. Apprendront-ils au musée et apprendront-ils à l’aimer et à y revenir ? Les musées ont-ils conscience du rôle névralgique que joue leur service d’éducation pour atteindre certains de leurs objectifs consistant à assurer leur rayonnement social et à fidéliser leur clientèle ? À la croisée des chemins, notre réflexion nous indique de nombreuses voies d’élucidation. Les actions à entreprendre prolifèrent. Elles concernent le rôle et la fonction des guides, la formation et le perfectionnement des maîtres à l’égard de l’éducation muséale, la planification et l’élaboration des programmes d’éducation muséale en relation avec les programmes scolaires, l’évaluation de ces programmes, l’emploi des nouvelles techniques de communication, la collaboration des musées avec le milieu scolaire, et enfin, l’apprentissage du regard. Il reste à faire des choix judicieux suite à l’évaluation de la situation qui prévaut dans chaque musée, en vue d’améliorer l’offre de ses services en éducation muséale.
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LE RAPPROCHEMENT CULTURE-ÉDUCATION AU QUÉBEC Suzanne Bernier L’importance que le ministère de la Culture et des Communications (MCC) accorde à l’éducation muséale dans le cadre du rapprochement culture-éducation auquel la société québécoise nous semble conviée fera l’objet de notre propos. On pourrait penser que ces deux mots, éducation et culture, vont automatiquement de pair, qu’ils sont presque synonymes. Il n’en pas toujours été ainsi. C’est à l’issue de longues négociations que le ministère de la Culture et des Communications (MCC) et le ministère de l’Éducation du Québec (MEQ) ont signé, en avril 1997, le Protocole d’entente culture-éducation. Ce protocole était d’une importance capitale pour le MCC, car une réforme en profondeur de l’éducation s’amorçait au Québec et le ministère voulait s’assurer que la culture occuperait une place plus importante à l’école. Ce sont les grandes étapes de cette rencontre que j’aimerais retracer avec vous.
Une histoire encore récente On peut dire que le Québec moderne n’a pas encore 50 ans. En effet, c’est au milieu du siècle qu’il s’est doté, en matière d’éducation et de culture, de structures gouvernementales qui traitent tous les citoyens du Québec sur un même pied d’égalité. Pour remédier à l’existence d’un système à deux vitesses, selon l’expression utilisée aujourd’hui, qui desservait les communautés anglophone et francophone au Québec, une grande réforme de l’éducation est entreprise dans les années 1960. Elle préconise la démocratisation de l’éducation par la mise en place d’un système scolaire unifié, intégré et public, de la maternelle à l’université. En 1964, on assiste à la création du ministère de l’Éducation, tel que nous le connaissons. Les collèges d’enseignement général et professionnel (mieux connus sous le nom de cégep) remplacent les anciens collèges classiques privés. C’est ce que l’on a appelé « l’école pour tous » qui vise l’accès du plus grand nombre et l’égalité des chances en éducation. Tous les jeunes Québécois et Québécoises reçoivent depuis ce temps un même programme de formation générale. C’est à la même époque, plus précisément en 1961, que fut adoptée la Loi créant le ministère des Affaires culturelles du Québec. Au fil de ses 30 premières années d’existence, ce ministère a eu comme priorités de doter le Québec d’institutions et d’organismes artistiques professionnels, autant par de l’aide au fonctionnement que par la construction d’un réseau d’équipements culturels adéquats (salles de
176 spectacle et institutions muséales) répartis sur l’ensemble du vaste territoire québécois. Il a également entrepris de développer un réseau de bibliothèques publiques, domaine où le Québec accusait un net retard par rapport au reste du Canada. La protection et la mise en valeur du patrimoine ont aussi été des priorités de ce ministère dans les années 1970 et 1980. De maître-d’œuvre, le rôle du ministère des Affaires culturelles se transforma peu à peu en celui de soutien aux organismes culturels à travers la régionalisation de ses actions. Il est de plus en plus associé aux municipalités auxquelles il reconnaît aussi un rôle important dans le développement culturel de la communauté. Le ministère devint également un intermédiaire qui cherchait à rapprocher les divers acteurs pour créer des partenariats structurants. L’adoption de la Politique culturelle du Québec, en 1992, vint modifier en profondeur le rôle du ministère. Le ministère des Affaires culturelles qui devint le ministère de la Culture, puis le ministère de la Culture et des Communications. L’aide aux artistes et aux organismes culturels fut alors confiée au Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) et à la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC). L’action du ministère ne devait plus porter exclusivement sur le soutien au milieu culturel professionnel, mais aussi viser l’accès et la participation des citoyens à la culture. Dans cette optique, le ministère devint aussi responsable du loisir culturel et scientifique ainsi que du développement de la culture scientifique et technique.
Les premiers liens culture-éducation Ce n’est véritablement qu’en 1984 que s’amorça une relation avec le milieu scolaire, par la création du programme La Tournée des écrivains, suivi quelques années plus tard par celui des Artistes à l’école. Lors de l’élaboration de la politique culturelle, la Commission parlementaire sur la culture a reçu des centaines de mémoires se prononçant sur la définition d’une future politique culturelle québécoise. Un message fit l’unanimité : « il est essentiel et urgent, ont insisté les milieux culturels, les gens d’affaires, les syndicats et les milieux municipaux, que le système scolaire contribue, du primaire à l’université, au développement culturel du Québec ». L’école est donc identifiée comme une voie privilégiée d’accès à la culture. Le gouvernement entendait donc relancer l’éducation artistique et culturelle en milieu scolaire et assurer la sensibilisation des jeunes aux arts, à la littérature et à l’histoire. Des liens plus étroits ont alors été tissés entre le MCC et le MEQ, plus particulièrement dans le domaine de l’éducation artistique et de la sensibilisation aux arts. Le ministère de l’Éducation créa la Semaine québécoise des arts et les Prix Essor et chercha à mettre en place des comités culturels en milieu scolaire. Pour sa part, le ministère de la Culture et des Communications augmenta le soutien financier des programmes existants (Les Artistes à l’école, La Tournée des écrivains et des écrivaines dans les écoles, Writers in Schools). De plus, il instaura la mesure
177 Specta-jeunes qui défraie une partie du coût du transport scolaire pour l’assistance à des spectacles dans les lieux professionnels de diffusion des arts de la scène. À l’instar de la France, l’idée d’un protocole liant les deux ministères prit forme. En 1995, dans le cadre de la mise en place des États généraux sur l’éducation qui ont amorcé la présente réforme de l’éducation au Québec, le ministère de la Culture et des Communications présenta un mémoire qui insistait sur les points suivants : –
inscrire la dimension culturelle au cœur de la mission générale du système scolaire ;
–
favoriser un recours accru de l’école aux ressources culturelles ;
–
permettre à l’école de développer l’accès des élèves aux nouvelles technologies de l’information ;
–
établir un partenariat étroit entre le ministère de l’Éducation et le ministère de la Culture et des Communications ;
–
associer les milieux culturels à la définition des consensus qui se dégageront des États généraux sur l’éducation.
Aux Assises nationales des États généraux sur l’éducation, on a pu constater que le consensus qui s’était dégagé cinq ans auparavant lors de la Commission parlementaire sur la culture tenait toujours. Plusieurs participants aux Assises nationales, qui ne faisaient pas partie du milieu culturel, mais qui représentaient plutôt le patronat et les syndicats, les Églises et les communautés culturelles, le milieu municipal et celui de l’éducation, ont insisté sur la nécessité d’enrichir le curriculum d’études au niveau culturel. Il n’est donc pas surprenant que l’on retrouve, dans le Rapport final de la Commission des États généraux sur l’éducation intitulé Rénover notre système d’éducation, parmi dix chantiers prioritaires, le chantier suivant : Restructurer les curriculums du primaire et du secondaire pour en rehausser le niveau culturel.
Le Protocole culture-éducation En janvier 1996, lors de son assermentation, le Premier ministre Lucien Bouchard affirma, en faisant référence à l’âme du peuple québécois, que : Cette âme se doit d’être nourrie, métissée, enrichie, contestée, bousculée, réinventée. Et cela ne peut se faire que par la culture et l’éducation. Et cela ne peut se faire que par la culture dans l’éducation.
178 Pour concrétiser cette volonté, le ministère de la Culture et des Communications met en place une Direction de la formation et de l’éducation. Le mandat de la direction est de : –
contribuer à l’élargissement de la place accordée aux arts et à la culture, dont la culture scientifique, dans les domaines de l’éducation, de la formation professionnelle et du développement de la main-d’œuvre par l’enrichissement des connaissances, l’identification des grands enjeux, l’élaboration d’orientations et de stratégies d’intervention et par leur mise en œuvre ;
–
encourager et soutenir la concertation et le partenariat avec les sociétés d’État, les organismes et les associations professionnelles des milieux concernés, le ministère de l’Éducation, la Société québécoise de développement de la main-d’œuvre, les divers réseaux d’institutions œuvrant dans les domaines visés et les municipalités.
Le 9 avril 1997 est signé le Protocole d’entente culture-éducation entre les deux ministères concernés. L’objet de ce protocole est : le renforcement du partenariat entre les deux ministères et leurs milieux respectifs. Le protocole couvre plus large que les arts, car il vise : pour tous les ordres d’enseignement, les arts, tant du point de vue de la sensibilisation que de l’éducation et de la formation, la langue et la littérature, l’histoire et la sensibilisation au patrimoine, la culture scientifique et technique ainsi que les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Ses principales orientations sont les suivantes : –
renforcer et développer la coopération et la coordination entre les deux ministères en vue d’assurer la cohérence entre les projets éducatifs et culturels de la société québécoise ;
–
favoriser une plus grande ouverture du milieu de l’éducation aux ressources culturelles disponibles afin de mieux traduire l’intégration de la dimension culturelle à sa mission éducative ;
–
favoriser une plus grande ouverture du milieu culturel aux besoins des établissements d’enseignement afin d’adapter et d’harmoniser ses diverses interventions ;
–
soutenir, promouvoir et valoriser les initiatives locales, régionales et nationales de concertation et de partenariat entre les organismes culturels, municipaux, associatifs et ceux du monde de l’éducation, afin d’assurer à la clientèle étudiante une éducation artistique et culturelle de meilleure qualité et un accès aux œuvres et aux lieux de culture ;
179 –
contribuer à l’harmonisation des interventions gouvernementales en matière de formation professionnelle et technique et d’enseignement supérieur dans le domaine des arts ;
–
favoriser le partenariat visant à encourager une plus grande utilisation des nouvelles technologies de l’information dans le milieu de l’éducation.
À la suite de la signature du protocole, on assiste à la création de lieux de concertation et d’échanges formels réunissant des participants du milieu de la culture et du monde de l’éducation tels que : –
le Comité interministériel culture-éducation regroupant les sous-ministres ;
–
des Tables de travail formées de représentants des deux ministères pour chaque niveau d’enseignement : • préscolaire, primaire et secondaire, • formation professionnelle et technique, • enseignement collégial préuniversitaire ;
–
une Table de concertation arts-éducation regroupant des intervenants du milieu artistique et du monde de l’éducation. Les représentants du milieu artistique regroupent le Conseil québécois de la musique, le Conseil québécois du théâtre, le Regroupement des artistes en arts visuels du Québec, le Regroupement québécois de la danse, la Société des musées québécois, l’Association des cinémas parallèles du Québec, les Théâtres unis enfancejeunesse et RIDEAU. Le monde de l’éducation est représenté par l’Association québécoise des professeurs d’art dramatique et celle des enseignants et enseignantes spécialisés en arts plastiques, la Fédération des associations de musiciens éducateurs du Québec, une enseignante du Regroupement québécois de la danse et le Regroupement des comités culturels scolaires.
Considérant les retombées positives de cette table de concertation, des mécanismes semblables concernant la lecture et le patrimoine seront mis en place au cours des prochains mois. Dans la foulée du Protocole, le ministère de la Culture et des Communications a également créé un nouveau programme de Soutien à la concertation culture-éducation, auquel il a affecté un budget d’un demi-million de dollars. Les objectifs du programme sont de : –
créer un partenariat structurant entre les milieux de la culture et de l’éducation ;
–
favoriser et promouvoir l’intégration de la culture à la mission éducative des établissements d’enseignement de tous les ordres, principalement par : 1) le rehaussement culturel des enseignements donnés aux jeunes ; 2) un recours accru du milieu de l’éducation aux ressources du milieu de la culture et des communications ; 3) un approfondissement de l’expérience artistique vécue par les jeunes ; 4) l’intensification de la vie culturelle dans les
180 établissements d’enseignement ; 5) l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Durant sa première année d’existence, soit en 1997-1998, le programme a soutenu plus de 70 projets dans toutes les régions du Québec. L’aide du ministère a représenté le tiers des montants investis. La majeure partie des projets concernait les arts, soit la musique, les arts plastiques, le théâtre et la danse, mais aussi la langue et la littérature, l’histoire et l’éducation aux médias. Les projets ont permis un réel rapprochement du milieu culturel professionnel avec les jeunes, presque toujours dans le cadre d’activités de création ou de production. Le ministère analyse présentement la possibilité de remanier l’ensemble des mesures de soutien qu’il offre au milieu scolaire pour l’aider à mieux intégrer la dimension culturelle dans sa mission éducative.
L’Énoncé de politique éducative L’Énoncé de politique éducative intitulé L’école, tout un programme, paru en 1997, se fonde sur les principes du Rapport du Groupe de travail sur la réforme du curriculum (rapport Inchauspé) intitulé Réaffirmer l’école. Ce document aborde de front plusieurs problèmes très importants pour le Québec, dont la question de la langue (p. 36) et celle de l’histoire nationale (p. 35). Certains points concernent plus particulièrement la culture. Dans l’Énoncé de politique éducative, la maîtrise de la langue maternelle, la connaissance de son histoire et l’initiation aux langages artistiques sont identifiées comme faisant partie de l’essentiel de la formation donnée aux jeunes, au même niveau que la maîtrise des éléments principaux des mathématiques, l’appropriation de la base des sciences et l’acquisition de méthodes de travail. L’Énoncé prévoit trois façons pour atteindre le « rehaussement du niveau culturel des programmes », soit : –
réserver une meilleure place aux matières plus naturellement porteuses de culture (langue, arts, histoire) ;
–
favoriser une approche culturelle pour enseigner ces matières (faire connaître les productions culturelles associées à chaque matière) ;
–
prévoir explicitement l’intégration de la dimension culturelle dans les disciplines lors de la révision des programmes.
À titre d’exemple, voici ce que préconise l’Énoncé pour que l’enseignement des arts produise ses effets. Il doit initier les élèves aux langages et aux formes de pensée qui favoriseront le développement de leur créativité, leur donner les connaissances que suppose une telle pratique et les conduire à la création artistique. Il doit encore faire découvrir et comprendre aux élèves des
181 créations et des œuvres de leur environnement artistique et culturel actuel. Il doit donc conduire les élèves à la fréquentation des lieux culturels et à des rencontres avec les créateurs et créatrices. Enfin, il doit mettre les élèves en présence de créations artistiques du patrimoine culturel de l’humanité et de leur propre pays et leur donner les connaissances qui leur permettent de les interpréter et de les comprendre.
Le rôle éducatif des institutions muséales On peut entrevoir le rôle important des institutions culturelles et surtout muséales, pour compléter l’enseignement donné à l’école. Roland Arpin, le directeur général du Musée de la civilisation à Québec, lors du 4e colloque international de l’Association internationale des musées d’histoire qui s’est tenu dans ce musée en octobre 1998, a donné la conférence d’ouverture qu’il a intitulée Le musée entre la fonction politique et l’action politique. En guise de conclusion, il disait : Les musées sont un fragment, comme je l’ai déjà souligné, de cette force culturelle que représentent les grandes institutions : les bibliothèques, les lieux de création, les arts visuels, les arts d’interprétation, les grands festivals. Et que dire de l’importance de nous unir aux réseaux de l’éducation! Il est de notre responsabilité de jeter des ponts pour créer une force intellectuelle et culturelle, d’ouvrir nos portes pour jouir de l’air frais de l’innovation, d’aller au devant de nos visiteurs. Cette cohésion doit cependant reposer sur des principes clairs et sur une définition de nos missions respectives.
Le récent document produit par la nouvelle Commission des programmes d’études, intitulé Orientations et encadrements pour l’établissement du programme de formation, semble convenir du rôle important que les institutions culturelles peuvent jouer en complémentarité avec l’école. Il y est spécifié tout particulièrement que : La Commission des programmes d’études est favorable à la publication, à l’intention des enseignantes et des enseignants, de documents d’accompagnement aux programmes d’études afin de les renseigner sur certaines questions particulières. Par exemple : l’exploitation de lieux éducatifs à l’extérieur de l’école.
Un rendez-vous historique Il semble donc que tous les acteurs, particulièrement les parents qui sont appelés à jouer un rôle de plus en plus important dans la définition du projet éducatif de leur école, sont conviés à un rendez-vous culturel qu’il ne faudrait pas manquer.
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Références Les principaux documents cités sont disponibles dans les sites Internet des deux ministères : Ministère de l’Éducation : http://www.meq.qc.ca Ministère de la Culture et des Communications : http://www.mcc.qc.ca
QUATRIÈME PARTIE SYNTHÈSE ET CONCLUSION
SYNTHÈSE DU COLLOQUE Maryse Paquin Deux constats ressortent clairement des propos tenus lors de la journée portant sur la formation en éducation muséale. Le premier met en relief le fait qu’en muséologie il est difficile de rapprocher la théorie de la pratique ou, si l’on veut, l’aspect scientifique de l’aspect professionnel. Cette difficulté se situe également au cœur du domaine de l’éducation, c’est-à-dire qu’on voit encore se creuser un fossé entre la réalité de la salle de classe et la salle de cours de l’université, composée d’étudiants en formation initiale qui deviendront de futurs enseignants. Malgré tous les efforts entrepris depuis ces 30 dernières années dans le domaine de l’éducation, beaucoup de chemin reste à parcourir pour atteindre cet objectif fondamental de la formation des enseignants. Le second constat réside dans le fait qu’il existe aussi un fossé entre l’école et le musée, c’est-à-dire qu’il y a une méconnaisse des diverses ressources dont ces institutions disposent et qui doivent être mises en commun. Cette situation existe en dépit des efforts consentis par divers intervenants depuis une dizaine d’années, notamment par le Groupe de recherche sur l’éducation et les musées comme nous en faisait part Manon Lapointe de la Société des musées québécois. Leurs interventions ont permis de diffuser l’information destinée à favoriser le rapprochement entre l’école et le musée. Elles ont également contribué à mieux faire comprendre les bénéfices d’une collaboration réussie entre ces deux institutions, tant chez les enseignants et les agents d’éducation muséaux que chez ceux qui se forment à l’enseignement et à l’éducation muséale. Il ressort des propos d’aujourd’hui, particulièrement ceux de Daniel Jacobi, qu’il est nécessaire de poursuivre la réflexion et le questionnement, tant en France qu’au Québec, sur un modèle permettant d’envisager des voies de formation qui légitimeraient la conjonction du domaine de l’éducation et celui de la muséologie. Une des solutions à envisager réside-t-elle dans la création d’un programme de troisième cycle en muséologie ? Si l’on se base sur l’histoire brossée par Guy Vadeboncoeur, il a fallu une vingtaine d’années pour assister à la mise en œuvre d’un programme de muséologie à partir du souhait initial concernant une telle formation. À ce rythme, si la tendance se maintient, assisterons-nous, à l’aube du nouveau millénaire, à la création d’un doctorat en éducation muséale ? À moins qu’il ne s’agisse d’un doctorat en muséologie éducationnelle ? Après tout, n’existe-t-il pas un programme de muséologie sociale au Brésil, tel que nous en a fait part Heloisa Gonçales da Costa. Quoi qu’il en soit, une formation doctorale permettrait certainement d’alimenter la recherche portant sur le lien à créer entre les bases théoriques et pratiques de l’éducation muséale. Ce lien, dont l’absence est si fortement ressentie et qui fait si cruellement défaut, demeure entièrement à construire. En ce sens, les exemples tirés de l’exposé de Ginette Cloutier sont particulièrement éloquents. Bien sûr, nous comprenons que le stage pratique réalisé pendant la maîtrise en muséologie, quoique crucial dans la formation des éducateurs muséaux, n’est pas destiné à alimenter la réflexion au sujet de la profession, car son rôle est beaucoup trop ponctuel. En effet, ce stage consiste à faire bénéficier les étudiants d’une expérience dans l’environnement éducatif
186 du musée. Ce lien à créer entre les bases théoriques et pratiques de l’éducation muséale ou entre la formation en muséologie reçue à l’université et celle que procure le stage dans le lieu muséal apparaît aussi fondamental que celui dont il est question en éducation dans le domaine de la formation des maîtres. Il ne fait aucun doute qu’un programme de troisième cycle en muséologie viendrait compléter la formation de niveau collégial, de premier et deuxième cycle universitaire, telle qu’établie depuis les vingt dernières années, tant au Québec qu’ailleurs dans le monde. L’instauration d’un tel doctorat deviendrait le premier programme entièrement de langue française puisqu’un tel programme en langue anglaise existe déjà à Leicester, en Angleterre, et qu’une option en muséologie est disponible dans le doctorat en Sciences de l’information et de la communication, dans plusieurs universités françaises. Toute démarche de réflexion menant à une véritable structuration des études muséales, du collège jusqu’au plus haut degré universitaire, contribuerait au rapprochement tant souhaité entre les institutions scolaires, muséales, universitaires voire gouvernementales comme l’a exprimée Suzanne Bernier. Pierre Ansart, professeur émérite de l’Université Denis Diderot (Paris VII) poursuivra la synthèse des présentations et des échanges qui ont eu lieu au cours de cette journée consacrée à la formation en éducation muséale.
POSTFACE Pierre Ansart On peut se demander pourquoi cette journée consacrée à la formation en éducation muséale a obtenu un tel succès, suscité tant d’intérêt et de réactions. Le lieu, sans doute, le Musée d’archéologie et d’histoire de Montréal, où madame Francine Lelièvre, directrice, accueillait les participants, y était favorable, avec sa longue sédimentation historique, propice aux étonnements. L’organisation et sa préparation aussi, remarquablement vigilante et efficace. Et encore les nombreux soutiens qui avaient été rassemblés, tels la Société des Musées québécois ou le Centre de coopération interuniversitaire franco-québécoise. Mais c’est bien la formation en éducation muséale elle-même qui suscite interrogation, réflexion et engagement, en raison des problèmes qu’elle pose. Le développement considérable des musées à travers le monde, leur diversité et leur importance culturelle, font émerger, en effet, de nouveaux problèmes et de nouveaux défis ; il ne suffit pas qu’un lieu muséal ait été créé, encore faut-il qu’il soit compris, apprécié et aimé. De nouveaux métiers sont apparus qui requièrent de nouvelles compétences. Comment préparer à ces nouvelles, comment former ces personnes qui vont être appelées à être les médiateurs entre les œuvres présentées et les visiteurs ? Les problèmes sont d’autant plus délicats que ces médiateurs sont engagés dans des pratiques en évolution, qu’ils seront sans doute amenés à changer d’activités au cours de leur carrière au sein de cet univers des musées. La question se pose particulièrement aux universités qui ont à défricher ici un nouvel espace. On sait qu’elles n’y sont pas toutes préparées et qu’en bien des disciplines, elles abritent difficilement éducation théorique et formation professionnelle. L’Université du Québec à Montréal, sous l’impulsion de Michel Allard (dont l’absence, provoquée par un grave accident en Australie, fut vivement regrettée) a pris, en 1981, l’initiative de créer, au sein du Département des sciences de l’éducation, un groupe de recherche sur l’éducation et les musées (GREM). Dix-sept ans après sa fondation, il appartenait à ce groupe d’appelés à faire le point sur cette question de la formation. Francine Denizeau et Marc Turgeon, respectivement doyenne des Études avancées et directeur du Département des sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Montréal, manifestèrent, dès la séance d’ouverture, le soutien de cette université à l’entreprise commencée. La formation en éducation revêt d’autant plus d’intérêt pour les universités en devenir qu’elle peut être exemplaire des initiatives qu’elles doivent prendre aujourd’hui pour concilier, dans toutes les disciplines, et selon des formules à inventer, la formation théorique et la préparation aux professions concernées.
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Un bilan international La première tâche qu’avait à remplir le Colloque était de faire un état de la question et de comparer les formations à travers le plus grand nombre de pays possibles. L’enquête animée depuis trois ans par Jacqueline Eidelman, de l’Université René Descartes – Paris V/CNRS, présente, dès maintenant, un ambitieux panorama analytique sur ces formations en quatre pays : l’Angleterre, les Pays-Bas, le Québec et la France. Cette comparaison permet de dépasser les limites usuelles des connaissances en la matière et de confronter des structures et des pratiques qui ont à la fois leurs ressemblances et leurs particularités. Chaque nation a, sur ce sujet, son histoire propre qui apparaît dans la diversité des structures. Mais, comme le montrent les résultats de l’enquête, elles ont toutes à affronter le double problème des changements des musées et des changements des universités, double monde en devenir et en ajustement permanent à l’environnement. Il se dégage néanmoins des axes communs et significatifs : les formations s’orientent toutes vers des spécialisations comparables que sont la conservation, la gestion et la pédagogie. On y repère aussi une évolution décisive vers la recherche de la « compétence » qui se substitue à l’objectif de « qualification » : les nouvelles formations cherchent à associer à la formation les qualités professionnelles préparant aux pratiques éducatives muséales et à leur évolution. Cette enquête, portant sur plus de 100 formations, s’est trouvée complétée et enrichie par un rassemblement d’informations issues de cinq pays géographiquement éloignés les uns des autres : le Québec, le Viêt-Nam, le Brésil, la France et la Belgique. Ces vastes rapprochements, à travers notre planète, mettent à jour spécificités et ressemblances. Guy Vadeboncœur, conservateur du Musée Stewart de Montréal, Bernard Lefebvre et Anik Meunier, du GREM, rappellent les changements rapides survenus au Québec depuis 1980. Avant cette date, ceux que l’on n’appelait pas encore agents d’éducation muséale, les éducateurs, se formaient « sur le tas », cherchant à répondre aux demandes diverses des publics et des organisateurs. Les initiatives et les correctifs émergeaient dans ce milieu, non sans confusion et inventivité. C’est une véritable histoire particulière que cette histoire des formations, marquées, au Québec par le Rapport Trudel qui, en 1978, invitait, suivant en cela une tradition québécoise bien antérieure, à compter les musées parmi les instruments originaux de l’éducation. La création du GREM, trois ans plus tard, répondait à cet appel et aussi aux besoins des musées de voir se joindre aux guides traditionnels des personnes exercées aux relations pédagogiques. Il faut ajouter qu’au Québec, la Société des musées québécois, comme l’a exposé Manon Lapointe, responsable de la formation, s’est jointe à ces activités de formation en créant des programmes de formation continue à l’intention des professionnels en muséologie. Il y eut, peut-être, de la part des organisateurs du Colloque, une certaine provocation intellectuelle à entraîner les auditeurs de Montréal à Hanoï, d’une nation habituée à une longue paix, vers une nation bouleversée depuis un demi-siècle par une série de guerres et de mouvements révolutionnaires. Mais le Musée de la Révolution de Hanoï que présente Ti Minh Cu, aussi éloigné qu’il soit des musées de Montréal, doit aussi remplir des tâches comparables :
189 sensibiliser les élèves à l’histoire nationale, leur faire découvrir le sens des objets et des traces exposés. Ce musée rencontre des problèmes qui sont aussi présents ailleurs : articuler les visites et les programmes scolaires, affronter la tâche de transmettre aux visiteurs des informations et des documents propres au musée, répondre pratiquement à la question de savoir comment le musée prend place dans la culture nationale. Le Brésil multiplie les cas de figures et les questions. Comme le rappelle Héloïsa Costa, un pays aux multiples visages, du nord au sud et d’est en ouest, ne se résume guère, en quelque domaine que ce soit. Cette grande diversité incite à reposer des questions de fond sur l’originalité de l’éducation muséale. Le problème, en effet, demeure de savoir s’il appartient davantage à l’école d’inspirer la démarche éducative, transformant le musée en l’une de ses ressources, ou s’il appartient, au contraire, au musée lui-même, de construire sa propre stratégie ou d’en inventer d’autres. Et, dans l’extrême diversité des cas de figures au Brésil, on peut prévoir que différentes réponses à cette question sont mises en œuvre. Il y a, sans doute, moins de diversité en France, comme le montre Jean-Pierre Cordier. Cependant, en présentant les résultats d’une enquête initiée en 1996, il souligne qu’il serait illusoire de croire que les formations sont homogènes ou en évolution vers l’uniformité. Les deux tiers des certifications sont universitaires, certaines s’appuyant sur des enseignements plus prolongés dans certaines universités ; toutes rendent obligatoires les stages pratiques en musée pour l’obtention du diplôme. Dans ce domaine qui est en mouvement et en transformation, l’École du Louvre conserve ses particularités, préparant les éducateurs dans le domaine des Beaux-Arts. Le cas de figure détaillé par Marie-Emilie Ricker illustre l’exemple d’une formation fortement centrée, comme l’École de l’Université catholique de Louvain, à Louvain-la-Neuve et articule, d’une part, les cours d’histoire de l’art, les études des contextes socioculturels, les analyses internes et, d’autre part, des stages actifs dans les musées : elle vise à procurer les compétences attendues du guide-conférencier. Comme le montre bien cette contribution, les objectifs relationnels de cette formation (favoriser la familiarité avec l’univers muséal, transformer les habitudes culturelles, lutter contre les ethnocentrismes...) ne s’expriment pas suffisamment dans les structures d’un programme et doivent cependant être considérés et évalués pour bien comprendre les pratiques d’une formation. Ce vaste panorama des formations en éducation muséale serait incomplet s’il négligeait les collaborations entre les universités et les musées et les conséquences de ces partenariats. Comme pouvait l’évoquer Ginette Cloutier sur les lieux mêmes de cette activité (au Musée d’archéologie et d’histoire de Montréal, Pointe-à-Callière), le musée, avec ses richesses particulières, ne peut être indifférent à la venue des étudiants qui viennent y effectuer leur stage. Il y a là un autre aspect des formations muséales qui ne peut être négligé et qui impose aux universitaires comme aux responsables des musées de travailler en commun car tous ces stages ont leurs caractéristiques singulières : les musées sont aussi contraints de tenir compte des attitudes et des attentes des stagiaires qui ont à s’adapter aux particularités du musée qui les reçoit.
190 Bien des leçons se dégagent de ce vaste parcours international qui a entraîné l’auditeur du Québec au Viêt-Nam en passant par le Brésil et autres lieux. S’en dégage, certes, une impression kaléidoscopique puisque les cursus ne sont pas identiques, puisque les options privilégiées sont diverses et, en partie, liées aux traditions culturelles nationales. Mais de grandes tendances se dessinent néanmoins entre pratiques éducatives : le souci croissant de développer les compétences, la préoccupation d’associer la connaissance et les pratiques. À travers ces descriptions comparées des pratiques, on pouvait se demander si ne manifestait pas, de façon rigoureuse, un savoir commun, au sein de la muséologie, et quelles formes prenait ce savoir pratique.
Une journée de dialogues On sait ce qu’est bien souvent le déroulement d’un colloque. Des spécialistes venus d’horizons plus ou moins différents exposent leur point de vue ou le bilan provisoire de leurs travaux et se soucient peu ou pas du tout des apports des autres contributeurs. Il s’agit plus de monologues successifs que de véritables échanges. Tout au contraire, les participants à cette journée ont assisté à un travail collectif, à des dialogues permanents. Il y a, certes, loin de Montréal à Hanoï ou de Louvain-la-Neuve à Sao-Paulo, cependant les échanges furent incessants, explicitement ou implicitement. À cela, sans doute, deux raisons ; la seconde encore plus importante que la première. Tout d’abord les objets considérés, les pratiques étudiées étaient bien propres à être rapprochés. Dans ce domaine indéfiniment complexe des liens entre les musées et les lieux de formation, les relations ont été suffisamment construites et élaborées pour que les dialogues puissent se développer. Sans doute cette courte histoire que l’on peut débuter dans les années 1980 porte déjà ses fruits en faisant de l’éducation muséale un lieu cohérent de pratiques et d’expériences tel qu’il puisse être traité par des spécialistes venus de toutes les parties du monde. Ce qui, il y a quelque 20 ans, était encore épars, s’est cristallisé, grâce à l’initiative de certains pionniers, en véritable objet de recherche et de propositions. Une seconde dimension, plus importante encore, est clairement apparue : la manifestation d’un savoir collectif et d’un langage commun. En raison de la multiplicité des relations qui entourent les pratiques éducatives muséales (diversité des acteurs, des institutions muséales, des intérêts en jeu), il n’était aucunement évident et nécessaire que se constitue un savoir suffisamment délimité pour autoriser des recherches comparables. Le déroulement du colloque a démontré l’existence de ce savoir, non plus seulement individuel et particulier, mais ouvert aux prises de parole et aux interventions. L’existence d’un tel savoir et la délimitation du champ de recherche correspondant se sont fortement manifestées par l’usage de concepts communs. La formation de ce savoir disposant d’un vocabulaire permet de délimiter des problématiques communes, des champs de réflexion et de questionnement, des critiques, des objections écoutées et des réponses. On ne s’étonne pas, dans le domaine des sciences plus anciennes, que les dialogues s’étendent au niveau international puisque ces savoirs ont acquis depuis longtemps leurs cadres de référence et leur conceptualisation. Le déroulement des débats, lors de cette journée, entre acteurs venus des quatre coins du monde, confirme, s’il en était besoin, que l’éducation muséale a conquis, au sein
191 de la muséologie, son espace intellectuel, son langage et ses méthodes. C’est dire aussi qu’elle rend possible la discussion.
Une réflexion critique Il ne saurait y avoir de débat scientifique aussi longtemps qu’il n’y a pas de champ de recherche et de langage communs. Mais dès lors que ceux-ci sont constitués, la discussion devient possible et les interactions entre contributeurs et participants. Une simple journée n’autorise pas les longues discussions et les laborieuses mises au point. Cependant elle laisse place à l’expression d’interrogations suffisamment explicites pour ouvrir à des prolongements et aux remises en question. Plusieurs rappels salutaires se sont exprimés incitant aux précautions et à de nouvelles investigations. En présentant et en comparant les pratiques éducatives muséales au Brésil, au Viêt-Nam ou au Québec, les intervenants ont mis en garde contre l’oubli des particularités, et implicitement, invité à mieux les comprendre. Ce n’est pas une mince suggestion et elle va audelà du constat des différences. La question est à la fois théorique et pratique : théorique, en ce qu’elle appelle à comprendre et à analyser davantage ces différences dans les objectifs, les attitudes et les programmes. Pratique, en ce qu’elle appelle à mettre en place des stratégies éducatives prenant lucidement en compte ces spécificités culturelles des situations et des acteurs. D’autres rappels salutaires ont été formulés contre l’illusion des conclusions hâtives. Le bilan audacieux qui a été dressé ne doit pas, a-t-on rappelé, faire illusion et il comporte bien des imprécisions. Comme l’ont suggéré Jacqueline Eidelman et Jean-Pierre Cordier, les résultats des enquêtes doivent être lus avec précaution. Aussi audacieuses qu’elles soient, les enquêtes dessinent les grandes lignes des structures et des curriculums, elles ne sauraient livrer les subtils détails qui permettraient de comprendre exactement les succès et les éventuels échecs rencontrés. Même la tendance à la professionnalisation, que chacun s’accorde à reconnaître, demande à être évaluée avec précision, comme le suggèrent ces intervenants. Les concepts sur lesquels s’accordent les chercheurs et les éducateurs doivent aussi être repensés et reprécisés. Daniel Jacobi semble ébranler les conditions du consensus intellectuel en faisant d’un concept apparemment dénué d’ambiguïté un problème. En posant une question fondamentale telle que celle des critères de définition de l’acte éducatif, il oblige chacun à reprendre un élément de base du paradigme commun et appelle à en préciser les conditions de validité. Si, comme il le propose, on doit intégrer à la définition et à la pratique de toute action éducative son évaluation, ne faut-il pas réviser sur ce point tout ce qui touche à bien des pratiques muséales ? L’interrogation n’est pas sans conséquences et le temps mesuré n’a pas permis de déployer longuement cette réflexion, mais les réactions suscitées ont bien montré toute l’importance de cette interrogation critique.
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Des suggestions pratiques Ce n’était pas l’objectif de cette journée que de formuler des suggestions pratiques. Mais on ne pouvait être surpris qu’entre spécialistes d’un champ clairement circonscrit et élaboré, des remarques s’expriment sur des attentes ou sur des modes d’action possible. Plusieurs suggestions ont été faites sur des enquêtes et des travaux de recherche à réaliser. Héloïsa Costa a regretté le flou qui subsiste sur l’influence des loisirs et des médias susceptibles d’agir sur la relation école-musée et d’en brouiller, éventuellement, l’efficacité. Difficile question sur laquelle chacun a des connaissances partielles mais qui n’a pas, semble-t-il, donné lieu, jusqu’à maintenant, à recherche systématique. Comment analyser, de façon efficace, la concurrence qui se développe aujourd’hui entre les autres ressources culturelles (cinéma, médias...) et l’apport original des musées ? De même, comme l’ont indiqué plusieurs participants, les indications générales sur les objectifs de l’action éducative sont-elles suffisantes ? N’est-il pas nécessaire, pour comprendre plus étroitement les relations écoles-musée, d’élaborer plus finement les objectifs poursuivis tant au niveau empirique de réalisation qu’au niveau des modèles stratégiques ? Et ne faudrait-il pas, pour faciliter et développer les études en ce domaine, que les universités prennent les décisions requises pour stimuler la recherche ? Maryse Paquin s’est faite l’avocate de cette proposition : le moment n’est-il pas venu d’encourager les recherches doctorales dans ce domaine en développement ? L’intervention de Suzanne Bernier de la Direction de la Formation de l’Éducation au ministère de la Culture et de la Communication a été significative de cette préoccupation : soutenir efficacement les activités relevant de l’éducation muséale et favorisant les échanges entre les différents lieux de la création culturelle. Les moyens de ces développements sont d’une singulière diversité. L’exemple présenté du jumelage entre le musée archéologique français (de Saint-Romain en Gal) et le musée d’archéologie où se déroulait le colloque n’en était-il pas un ? Yvan Mathoevet, du Musée d’art moderne de Saint-Étienne, en décrivant le déroulement des échanges entre musées québécois et français, a bien montré que des réalisations pratiques pouvaient retentir sur les formations et mettre en place des processus de formation permanente. Il restait à Ginette Cloutier, directrice de l’éducation au Musée d’archéologie et d’histoire, et à Clotilde Sgard, représentante du musée archéologique de Saint Romain en Gal, à dialoguer sur l’exposition en cours pour illustrer l’imbrication des théories et des pratiques, des projets et des réalisations, de l’éducatif et du muséal, de la connaissance et du ludique. Ce fut le dernier message de cette intense journée.
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REMERCIEMENTS Nous remercions le Service des publications de l’Université du Québec à Montréal pour la subvention qui a permis la publication de l’ouvrage et le Département des sciences de l’éducation dont le secrétariat s’est chargé de la saisie et de la mise en page des textes. Nous désirons souligner l’expertise de madame Michelle Le Bot qui a coordonné avec courtoisie la préparation de cet ouvrage. Monsieur Jacques Archambault a bien voulu assumer la dernière révision du manuscrit. Notre gratitude empressée s’adresse à toutes ces personnes et à tous ces organismes qui nous ont aimablement apporté leur concours.