La crise • De la crise financière à la crise économique • Les crises du capitalisme : histoire et théories • Les menaces...
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La crise • De la crise financière à la crise économique • Les crises du capitalisme : histoire et théories • Les menaces sur la reprise • A la recherche d'un nouveau modèle
La crise
Sommaire Editorial
5
La deuxième vague Quatre lectures de la crise
6
De la crise financière à la crise économique
12
Les grandes étapes La croissance à crédit Finance : la machine à dettes Les alchimistes du risque L'engrenage Le paroxysme : la faillite de Lehman Brothers Des milliards pour les banques Sauver les banques ou sauver les banquiers Trois modèles de sauvetage des banques une récession mondiale Aux grands maux, les grands remèdes La France en crise L'industrie française en danger, par Gilles Le Blanc La nouvelle vague de plans sociaux Retour sur quelques accélérateurs de crise Notation : ces agences qui font la loi La faute aux normes comptables ?, par Nicolas véron Des règles prudentielles incomplètes Des risques mal calculés Les mauvais coups des produits dérivés
13 15 20 24 29 34 39 43 46 49 58 64 66 68 71 71 73 76 77 79
Menaces sur la reprise
81
une périlleuse sortie de crise Comment lutter contre le chômage ? Comment sortir du dopage monétaire ? Les banques renouent avec les profits, pas avec le crédit Pourquoi les banques rechignent à prêter ? Comment réduire la dette publique sans tuer la reprise ? L'inflation n'est pas la solution, par Anton Brender et Florence Pisani L'euro est-il menacé par la crise ? L'Europe n'a pas des moyens de faire face à la crise grecque, entretien avec Jean Pisani-Ferry La Chine peut-elle tirer l'économie mondiale ? Une mue difficile
- Alternatives Economiques - Hors-série poche n 43 bis - avril 2010
82 84 90 93 95 97 101 104 108 112 115
Les crises du capitalisme : histoire et théories
120
L'éternel retour des crises Le fantôme de la Grande Dépression Les leçons de la déflation japonaise La crise asiatique de 1997 Pourquoi tant de crises ?, par Robert Boyer Pourquoi les économistes n'ont rien vu venir Les économistes remis en cause, par Jean Pisani-Ferry Minsky, une interprétation prémonitoire des crises. par Dominique Plihon
121 126 131 135 139 143 146
Réguler la mondialisation
152
Vers une gouvernance mondiale ?, par Christian Lequesne La finance est-elle sous contrôle ? Le G20 passe à côté de l'essentiel, entretien avec André Orléan Le nouveau Bretton Woods attendra Quelle réforme du système monétaire international ? entretien avec Michel Aglietta Le protectionnisme n'est pas la solution Les pays émergents sortent renforcés de la crise entretien avec Jérôme Sgard
153 155 164 168
Changer de modèle
184
La crise du modèle inégalitaire Les managers, rois du capitalisme financier « socialiser le capitalisme », par Pierre-Yves Gomez Et si on démocratisait l'économie ? Un New Deal vert pour le XXI e siècle, entretien avec Alain Lipietz Pour une croissance qualitative, par Jean Gadrey
185 190 193 195 198 201
Annexes
206
Bibliographie Lexique
206 212
148
172 170 180
Ce numéro rassemble des textes et des entretiens originaux, ainsi que des articles déjà parus dans Alternatives Economiques, mais entièrement actualisés et augmentés. [*] Ce signe indique que le terme qui précède est expliqué dans le lexique page 212.
Alternatives Economiques - Hors-série poche ° 43 bis - avril 2010-
Editorial
La deuxième vague
D
epuis la sortie, il y a un an, de la première édition de ce hors-série, l'activité a redémarré, les banques ont renoué avec les profits et les bourses se sont refait une santé. Il n'en fallait pas plus à certains pour décréter que la crise était finie. Il suffit de jeter un coup d'oeil à la situation du marché du travail pour démentir ce point de vue. Le chômage et son cortège de pauvreté et de découragement revient en force. En France, le seuil des 10 % de chômeurs vient à nouveau d'être franchi - et que dire de notre voisin, l'Espagne, où près d'un actif sur cinq est à la recherche d'un emploi. Mais les Etats ont brûlé toutes leurs cartouches pour sauver le système bancaire de la débâcle, il ne reste plus grand chose pour sauver les salariés du chômage. La crise n'est pas finie : elle a muté. La première vague s'est brisée, dans un grand fracas de milliards, sur la digue des interventions publiques. Les Etats ont joué tous les rôles, à la fois prêteurs en dernier ressort, quand les banques avaient besoin d'argent frais, et emprunteurs en dernier ressort, quand le crédit privé s'est effondré. Ils ont laissé leur dette exploser pour permettre aux banques de réduire la leur. Mais cette digue n'est pas à toute épreuve. D'autant que les marchés financiers sont ingrats : on peut compter sur eux pour jouer maintenant les censeurs implacables des Etats jugés mal gérés. Aujourd'hui la Grèce, qui demain ? 11 n'y a donc plus de crédit qui tienne, il va falloir payer les pots cassés. Comment partager l'addition ? C'est toute la question - hautement conflictuelle - qui attend à présent les Etats. Ils ont dû collectiviser les pertes issues de la crise bancaire, vont-ils laisser celles de la crise économique à la charge de victimes qui, elles, ne sont pas responsables de leur sort ? Il en va de la paix sociale : il y a des limites aux injustices que des sociétés démocratiques peuvent supporter. Mais il en va aussi de la prospérité future. Jusqu'à la crise, la montée de l'endettement avait masqué la stagnation - voire la régression - des revenus des classes moyennes et populaires. Ce masque est tombé. Il n'y aura pas de reprise solide sans une nouvelle répartition des revenus. Mais le chemin sera long. La deuxième vague de la crise est une lame de fond. Moins spectaculaire, elle pourrait être, si l'on n'y prend pas garde, plus ravageuse que la première. Sandra Moattl
Alternatives Economiques - Hors-série poche 11° 43 bis - avril 2010 - 5
La crise
Quatre lectures de la crise Déroute bancaire, déséquilibres financiers internationaux, impasse d'un modèle de croissance inégalitaire, montée de la contrainte écologique : ces quatre aspects de la crise sont distincts, mais complémentaires. Et chacun appelle des réponses spécifiques.
L
a crise actuelle annonce-t-elle une nouvelle phase dans l'histoire du capitalisme ? Au regard des c o n s é q u e n c e s des plus grandes crises
financières du passé, la question est essentielle. La crise de 1873 avait mis fin à la première mondialisation des échanges et inauguré une période de
longue dépression et de repli protectionniste. La crise de 1929 et la « Grande Dépression » qui l'a suivie avaient ouvert la voie à un nouveau modèle de croissance fondé sur la redistribution des surplus de productivité à la masse des salariés. Dans ces deux cas, une refonte profonde du capitalisme en avait résulté. Parce que ces crises traduisaient, dans la sphère financière mais aussi dans l'ensemble des modes de régulation de l'économie, des déséquilibres très profonds. La crise actuelle est-elle grosse de tels bouleversements ? Ou bien n'estelle qu'un accident de parcours de plus dans une histoire financière qui fait se succéder des périodes d'enthousiasme exubérant et de désillusion tout aussi excessive ? Un accident dont le déclenchement n'aurait guère plus de conséquences sur la croissance de long terme que ceux qui l'ont précédé ces dernières années ? Dans cette dernière hypothèse, il suffirait d'adapter SEULE UNE MONTÉE EN PUISSANCE DE LA D E M A N D E INTÉRIEURE AU SEIN DES P A Y S ÉMERGENTS POURRAIT CONTRIBUER À RÉÉQUILIBRER L'OFFRE ET LA DEMANDE AU NIVEAU MONDIAL
à la marge les réglementations, les conventions et les institutions existantes pour y intégrer les enseignements de l'épisode actuel. Mais la dimension prise aujourd'hui par cette crise conduit à penser qu'elle traduit un dérèglement plus profond de notre régime d'accumulation et de son mode de régulation. Et les crises financières qui l'ont précédée durant les années 1990 (Japon
en 1990-2000, pays asiatiques puis émergents en 1997-1998, bulle Internet en 2000-2002) en ont été les premiers symptômes. Autrement dit, le régime de croissance financiarisé et mondialisé mis en place dans les dernières décennies du X X e siècle n'a pas créé les conditions de sa stabilité. Sur ces bases, on peut appréhender la crise actuelle à travers quatre niveaux de lecture, non exclusifs les uns des autres. Ces différents types de crises se caractérisent par leur portée sur l'économie réelle et appellent en réponse des modalités d'action distinctes des pouvoirs publics et la combinaison de plusieurs niveaux d'intervention.
1. Une crise bancaire La crise peut être tout d'abord perçue sous son angle financier. Elle apparaît comme la conséquence d'une surexposition des banques sur le crédit
- Alternatives Economiques - Hors-série poche n 43 bis - avril 2010
hypothécaire, plus précisément sur le marché des prêts subprime ( * ) , des prêts risqués accordés à une clientèle peu solvable. Cette surexposition a été rendue possible par le mécanisme de titrisation ( * ) des créances qui a ainsi permis aux banques de diffuser le risque au sein du système financier. La crise financière enclenchée depuis plus d'un an et demi aux Etats-Unis a eu pour première conséquence de dégrader le bilan des banques et de créer un mouvement de défiance qui a tellement asséché le marché interbancaire que la majeure partie des refinancements transite encore aujourd'hui par la Banque centrale américaine, la Fed. Elle a eu pour seconde conséquence majeure d'entraîner une dépréciation massive et concomitante d'une gamme très large d'actifs (baisse des prix de l'immobilier et chute des Bourses notamment).
2. une crise de financement mondial Au cours de la dernière décennie, la croissance mondiale s'est accompagnée d'une montée des déséquilibres commerciaux bilatéraux, les pays émergents en excédent courant finançant de fait les pays les plus riches. L'industrie financière américaine a ainsi drainé une abondante épargne des pays émergents encore dépourvus des capacités de bâtir des institutions sociales et financières adéquates. Les moteurs de la croissance mondiale ont été, d'une part, les pays émergents, « surproducteurs » dotés de réserves de change considérables et, d'autre part, les pays développés « surconsommateurs », avec les Etats-Unis érigés en « consommateur en dernier ressort » du monde. L'abondance des liquidités ( * ) , autorisée par l'action des banques centrales, a joué un rôle clé dans cet ordonnancement de la croissance mondiale. Elle a notamment alimenté un effet de levier ( * ) , au sens où le coût de l'argent emprunté était structurellement inférieur aux rendements des différentes classes d'actifs : actions, obligations privées (corporate), produits dérivés ( * ) , encourageant les prises de position spéculative. Plus en amont, la crise peut aussi être interprétée comme la propagation d'un déséquilibre qui prend racine dans la déflation rampante japonaise. La déflation nipponne a pour cœur l'excès d'épargne des ménages qui a conduit à un très fort affaissement des rendements, devenus proches de zéro. La recherche d'une meilleure profitabilité par les investisseurs nippons a alimenté l'offre de capitaux au niveau mondial et une hausse corrélative du prix des actifs dans les pays développés et les pays émergents. Les effets de richesse induits ont conduit à surestimer le degré de préparation des retraites dans les pays dotés de systèmes par capitalisation. La décrue des taux d'épargne, notamment aux Etats-Unis, peut ainsi apparaître comme une conséquence de la crise japonaise. Ainsi, à cette période de désépargne pourrait succéder une remontée des taux d'épargne des ménages vieillissants des pays développés, proportionnelle à leur situation démographique respective, entraînant un déficit de demande intérieure alimentant des tendances déflationnistes. Seule une montée en
Alternatives Economiques - Hors-série poche ° 43 bis - avril 2010-
La crise
puissance de la demande intérieure au sein des pays émergents pourrait alors contribuer à rééquilibrer l'offre et la demande au niveau mondial.
3. La crise d'un modèle de croissance inégalitaire La montée des inégalités internes, en particulier aux Etats-Unis, a fait le lit de la crise d'endettement. Depuis les années 1970, les 20 % des ménages américains les plus pauvres ont vu l'augmentation de leur revenu ralentir en valeur absolue, mais aussi relativement aux autres ménages. Ils ont connu ainsi une décennie de quasi-stagnation de leur revenu réel (+ 0,2 % par an en moyenne pendant dix ans), alors que les 20 % des ménages les plus riches bénéficiaient d'une augmentation quatre fois plus rapide. La part des 10 % de ménages les plus riches dans le revenu total serait désormais équivalente au ratio qui prévalait il y a quatre-vingts ans, lors du déclenchement de la crise de 1929.
[1] Le partage de la valeur ajoutée est stable sur très longue période aux EtatsUnis, même si la part du travail régresse très légèrement depuis vingt ans. La part des salaires a sensiblement diminué depuis dix ans en Europe, du fait en particulier de l'Allemagne, mais est plutôt stable en France. Ce qui est moins controversé, en revanche, est le fait que la forte décrue des taux d'intérêt réel, c'està-dire du coût de la dette, semble avoir entièrement profité aux actionnaires durant cette période. Ceci pourrait expliquer que le rapport de force supposé par certains auteurs comme favorable aux actionnaires soit resté compatible avec une progression globale de la masse salariale.
La dégradation relative, à partir des années 1980, des conditions matérielles des travailleurs peu qualifiés des pays industrialisés semble découler d'abord d'une modification structurelle de l'économie (gains de productivité liés aux nouvelles technologies profitant aux emplois les plus qualifiés, affaiblissement des syndicats, développement des services). L'expansion des marchés locaux des grands pays émergents et leurs réservoirs de main-d'œuvre non qualifiée pour l'industrie ont renforcé l'avantage comparatif du Sud et participé plus significativement à la montée des inégalités au Nord après 1990. L'endettement excessif des ménages aux Etats-Unis, au cœur de la crise actuelle, découlerait donc de ce creusement des inégalités : les ménages peu ou moyennement qualifiés, qui ont subi une détérioration du partage de la valeur ajoutée à leur détriment, ont maintenu leurs standards de consommation en s'endettant tout en conservant l'illusion de s'enrichir, aussi longtemps que le prix des actifs immobiliers ou boursiers s'est accru. Le constat plus général d'une déformation des revenus en faveur du capital demeure très controversé ' 1 | . En revanche, le renforcement des asymétries entre catégories de salariés (qualifiés ou non qualifiés, appartenant à un grand groupe ou à un sous-traitant...) concernant la stabilité de l'emploi, la formation des salaires, l'accès aux assurances, rend nécessaire une réouverture du débat sur la gestion du rapport salarial par les entreprises et, plus généralement, sur leur mode de gouvernance. La question de la gouvernance ne se résume pas à la critique de la « prise de pouvoir des actionnaires ». Elle interpelle des modes de gestion dont la diffusion a contribué à accroître l'instabilité de la finance et de l'emploi. Au cœur de ces modes de gestion, axés sur la maximisation de la valeur actionnariale, on trouve le principe selon lequel c'est à la financé de diversifier et de mutualiser le risque. Ce principe a très fortement influencé les stratégies des grands groupes : recentrage sur leur cœur de métier et recherche de flexibilité tous azimuts. Toutes les opérations de restructuration (externalisation, sous-traitance, acquisitions...) qui en ont résulté ont
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accru l'instabilité de l'emploi. Il en a résulté une profonde redistribution des risques au sein de la société, notamment dans les pays où l'Etat n'a pas pris le relais des systèmes de solidarité et de protection devenus défaillants au sein des entreprises.
4. Une crise du système « productiviste » Enfin, la crise financière peut être aussi lue comme le symptôme de contradictions plus profondes, liées à l'épuisement du régime d'accumulation et de consommation qui a prévalu dans l'après-guerre et s'est étendu à plusieurs régions du monde. Elle soulève la question de la stabilité d'un mode de croissance dont les dernières années ont laissé présager que ses perspectives pouvaient être perturbées tour à tour par deux risques larvés et en apparence contradictoires : celui de l'inflation du prix des ressources rares lorsque tous les pays sont en phase de croissance, et celui de la déflation quand la décélération de la croissance mondiale durcit les conditions de la concurrence pour les entreprises exposées au commerce international. Dès 2006, les tensions de prix sur les marchés de l'énergie et des matières premières alimentaires et non alimentaires ont mis à mal la projection d'un monde définitivement non inflationniste, une idée particulièrement sécurisante pour la finance. Plus fondamentalement, la prise de conscience par les agents économiques des contraintes imputables au développement durable s'est nettement affirmée au cours de la dernière décennie. Le rapport Stern est emblématique de cette évolution. Sans
L'INSTABILITÉ DES PRIX ET L'INCORPORATION DES COÛTS ENVIRONNEMENTAUX SONT DE N A T U R E À INFLUENCER LE C A L C U L É C O N O M I Q U E ET À C O N D U I R E À U N E R É V I S I O N À LA B A I S S E DES RENDEMENTS ET DE LA VALEUR DES ACTIFS
dispositif de correction, la pression sur les ressources environnementales pèsera sur la croissance future, en entamant la productivité de secteurs comme l'agriculture, et en générant des coûts de réparation et des coûts sur la santé humaine. Au total, le rapport Stern évalue l'ampleur de ces dommages à une perte de produit intérieur brut (PIB) de 10 % à 20 % entre 2050 et 2100 selon les scénarios. Cette menace rend légitimes les politiques de protection de l'environnement, même si elles pèsent à court terme sur certaines composantes de la croissance. Elles occasionnent en effet des coûts directs (redevances ou taxes) et des coûts indirects de mise en conformité (normes et réglementations). Ces deux éléments, d'instabilité des prix et d'incorporation des coûts environnementaux, sont de nature à influencer le calcul économique et à conduire à une révision à la baisse des rendements et de la valeur des actifs. Dans cette perspective, des changements suffisamment profonds devraient alors intervenir, permettant l'éclosion d'un système de régulation capable de stabiliser le régime de croissance et/ou remettant plus radicalement en cause le régime d'accumulation.
Alternatives Economiques - Hors-série poche ° 43 bis - avril 2010 -
La crise
Des réponses spécifiques et complémentaires Ces quatre niveaux d'interprétation appellent donc des réponses spécifiques et complémentaires de la part des pouvoirs publics. Face à la crise bancaire, l'Etat doit d'abord jouer son rôle assuranciel de prêteur en dernier ressort via la reprise des créances douteuses et/ou la recapitalisation des institutions financières. Il lui faut, parallèlement, redéfinir les règles prudentielles (*). Dans la deuxième interprétation, la sortie de crise passe également par un rééquilibrage des flux de financement entre régions du monde. Cela suppose une meilleure coordination des politiques macroéconomiques et des politiques de change, un renforcement de la gouvernance mondiale et une montée en puissance de la demande intérieure des pays émergents, qui passe notamment par une mise à niveau de leur Etat-providence. La troisième lecture suppose de remettre en chantier dans les pays industrialisés les systèmes de gouvernance afin de rénover l'Etat social, et ce d'abord aux Etats-Unis. La dernière interprétation se relie à l'exigence d'un développement plus durable et appelle à un réexamen de nos modes de production et de consommation. Les membres du département des Affaires économiques et financières du Centre d'analyse stratégique, dirigé par Olivier Passet Pour en savoir plus • « Nouveau monde, nouveau capitalisme, éléments de débat », contribution du Centre d'analyse stratégique au colloque des 8 et 9 janvier 2009. • « Analyse : après la crise, quelles pistes de changement dans la régulation du capitalisme ? », Note de veille n° 120 du Centre d'analyse stratégique, janvier 2009. Ces deux documents sont consultables sur www.strategie.gouv.fr
10 - Alternatives Economiques - Hors-série poche n" 43 bis - avril 2010
La crise - CHAPITRE
I
De la crise financière à la crise économique
Avant la crise, la croissance était tirée par l'endettement immobilier des ménages. Une frénésie de crédit notamment encouragée par les innovations financières. Jusqu'au jour où cet échafaudage de dettes s'est effondré. Plongeant l'économie mondiale dans la pire récession depuis les années 1930. Alternatives Economiques · Hors-série poche n° 43 bis - avril 2010
Les grandes étapes Juin-septembre 2007 : le début de la crise et la propagation aux marchés financiers - Juin : première vague de déclassements d'actifs adossés à des crédits subprime par les agences de notation, - Juillet : faillite de deux fonds spéculatifs de la banque d'investissement américaine Bear Stearns. - 9 août : première injection massive de liquidités par les banques centrales face au blocage des marchés interbancaires. - Septembre : l'annonce par la Banque d'Angleterre de l'octroi d'un prêt d'urgence à la cinquième banque anglaise, Northern Rock, déclenche une panique sur les dépôts bancaires de cette banque. octobre 2007-févrler 2008 : la montée des Inquiétudes sur le secteur bancaire et les assureurs de crédit - Montée des dépréciations d'actifs et des pertes annoncées par des établissements financiers majeurs. - Prises de participation par les fonds souverains des pays émergents dans les établissements financiers occidentaux. - Coordination des banques centrales, qui décident de financer les banques en acceptant en contrepartie des titres de qualité plus incertaine. - Janvier : la Société générale dévoile la fraude commise par l'un de ses traders, Jérôme Kerviel. Les pertes associées se montent à 4,9 milliards d'euros. - Février : nationalisation de la banque anglaise Northern Rock. - Forte baisse des taux de la Fed. La Banque centrale européenne (BCE) maintient une politique de taux élevés. Mars-août 2008 : l'Intensification de la crise - Mars : le rachat de la banque d'affaires Bear Stearns, en quasi-faillite, par JP Morgan Chase révèle l'extrême fragilité des banques d'investissement. - Lourdes pertes pour les banques commerciales européennes et américaines. - Les banques centrales élargissent leurs instruments d'intervention. Mais ia BCE
maintient ses taux inchangés en raison des pressions inflationnistes entraînées par la hausse des prix de l'énergie et des matières premières. - L'activité ralentit fortement aux EtatsUnis et en Europe. Septembre-novembre 200S : le paroxysme de la crise bancaire et son extension à l'économie mondiale - 7 septembre : le Trésor américain met sous tutelle les agences de crédit hypothécaire Fannie Mae et Freddie Mac. - 1 5 septembre : la grande banque d'affaires Lehman Brothers dépose son bilan. -16 septembre : la Fed et le gouvernement américain nationalisent de facto l'assureur AIG, menacé de faillite, en lui apportant une aide de 85 milliards de dollars. - Les grandes banques centrales élargissent considérablement les possibilités de refinancement des banques. Elles accordent également leur aide aux banques centrales de petits pays voisins (en Europe : Danemark, Hongrie...). La Fed décide d'acquérir directement des titres. - 19 septembre : annonce du plan Paulson de sauvetage des banques américaines, il sera d'abord refusé par le sénat, puis adopté le 3 octobre. - Fin septembre : les Etats européens réagissent dans le désordre aux difficultés de leurs banques. Le 30 septembre, le gouvernement irlandais décide de manière unilatérale d'apporter une garantie générale de deux ans aux six grandes banques du pays. - 12 octobre : les gouvernements européens adoptent enfin un plan concerté pour le sauvetage du système bancaire. - Novembre : l'aide du FMI est requise par l'Islande, la Hongrie, le Pakistan, l'Ukraine... - Les économies américaine et européenne plongent dans la récession. Les ventes d'automobile s'effondrent. Novembre 2008-mars 2009 : on touche le fond - Début novembre : sommet du G20 pour
Alternatives Economiques - Hors-série poche ° 43 bis - avril 2010 -
La crise - CHAPITRE
I
soutenir l'économie mondiale et réformer le système financier - Annonce de plans de relance de l'activité dans tous les grands pays. La Chine annonce en novembre un plan de 4 000 milliards de yuan (470 milliards d'euros). En décembre, les chefs d'Etat européens approuvent un plan de relance de 200 milliards d'euros, constitué en fait essentiellement de la collection des plans nationaux (26 milliards d'euros pour le plan français). En février le Congrès américain adopte le plan de relance de Barack Obama (790 milliards de dollars, soit 5,5% du PIB américain). - La BCE se résout à baisser fortement ses taux, la Fed et la banque d'Angleterre adoptant une politique de taux zéro. - La situation des banques américaines reste extrêmement fragile. Les recapitalisations et les garanties de dettes massives n'empêchent pas la chute des cours des actions des banques. - En décembre, une fraude estimée à 50 milliards de dollars, montée par le fonds d'investissement de Bernard Madoff, est mise au jour. - Le Trésor américain vient au secours de General Motors : à l'issue de plusieurs renflouements, l'Etat deviendra actionnaire à 60 % du constructeur américain en juin 2009. En France, le gouvernement propose de l'aide à Renault et PSA. - A u Royaume-Uni. les nationalisations bancaires se poursuivent avec Lloyds Banking (après Northern Rock, Bradford & Bingley et RBS). De son côté, l'Etat allemand engage la nationalisation d'Hypo Real Estate après de multiples mesures de sauvetage. - En mars, la Fed annonce qu'elle va acheter jusqu'à 300 milliards de dollars de bons du Trésor à long terme au cours des six prochains mois, puis pour 750 milliards de dollars supplémentaires d'obligations adossées à des crédits immobiliers, portant le total de ces rachats à 1 250 milliards de dollars. - Plan Geithner pour le rachat des créances douteuses des banques, associant l'Etat et les investisseurs privés. Avril 2009 : le bout du tunnel ? - Avril : réunion du G20 à Londres, qui se
4 - Alternatives Economiques Hors-série poche n° 43 bis avril 2010
conclut par plusieurs dispositions sur la régulation et les moyens des organisations multilatérales (le FMI voit ses ressources triplées). - La banque américaine Goldman Sachs est la première à renouer avec les bénéfices. - Juin : l'OCDE entrevoit la sortie de la récession pour les économies les plus importantes. - Le Trésor américain autorise dix des plus grandes banques du pays à rembourser les aides reçues de l'Etat depuis l'automne, pour un total de 68 milliards de dollars. - Septembre : le président de la Fed, Ben Bernanke, déclare que la récession aux Etats-Unis est probablement terminée. - Sommet du G20 à Pittsburgh. Les dirigeants se mettent d'accord sur de nouvelles règles destinées à limiter le risque de crise financière. - Octobre : plusieurs grandes banques françaises annoncent le remboursement des participations de l'Etat prises dans le cadre du plan de soutien au secteur bancaire. - Novembre : annonce de la restructuration de la dette de Dubaï World, principale entreprise d'Etat de Dubaï. - Janvier : par référendum, les Islandais refusent le pian visant à rembourser les épargnants hollandais et britanniques suite à la faillite du système bancaire islandais en 2008. - Aux Etats-unis, Barack Obama présente un projet de réforme bancaire, inspiré par l'ancien président de la Fed, Paul Volcker. il prévoit notamment d'interdire aux banques de dépôts d'avoir une activité de trading pour compte propre et de détenir des fonds spéculatifs. - La découverte d'irrégularités dans les statistiques grecques conduit à réévaluer à 12,7 % du PIB le déficit public grec. La spéculation sur la dette grecque s'enflamme. Dans les semaines qui suivent, le gouvernement grec annonce un plan de rigueur drastique, encore durci à la demande des grands pays de l'union européenne. La spéculation se calme un peu. - A la mi-mars, la Bourse américaine avait regagné 70 % par rapport à son point bas de mars 2009.
La croissance à crédit Très classiquement, la crise actuelle trouve son origine dans une bulle immobilière associée à une bulle du crédit. Une dérive attisée par les politiques publiques, mais également par l'abondance de liquidités mondiales.
E
nrichissez-vous par la pierre et par la dette. » Ainsi détournée, la fameuse formule de Guizot {« Enrichissez-vous par le travail et par l'épargne ») aurait pu être la maxime de la décennie qui a précédé la crise. Entre 1997 et 2007, la hausse cumulée des prix des logements avoisine en effet 100 % aux Etats-Unis, 150 % en France, 200 % au Royaume-Uni et en Espagne. Seuls l'Allemagne et le Japon ont échappé à ce mouvement, du fait de la surabondance de l'offre accumulée lors du cycle précédent et d'une croissance démographique déprimée. Partout cette envolée des prix a été attisée par une forte hausse de l'endettement des ménages. En l'espace d'une décennie, leur dette rapportée à leur revenu disponible est passée de 50 % à 83 % en France, de 53 % à 118 % en Espagne, de 93 % à 138 % aux EtatsUnis et de 102 % à 173 % au Royaume-Uni. La crise actuelle trouve ainsi son origine, très classiquement, dans une bulle immobilière associée à une bulle du crédit. Une configuration souvent observée dans le passé et dont les mécanismes de base sont bien connus : l'augmentation du prix de l'immobilier favorise le crédit, ce qui stimule en retour la demande de logement et nourrit la hausse des prix. Le boom du crédit immobilier avait du bon : il a soutenu l'investissement logement, mais aussi la consommation des ménages. C'est pourquoi la plupart des économistes ont longtemps vu d'un bon œil la progression de l'endettement. « Dans les pays où, profitant de la baisse des taux, les ménages se sont endettés, l'immobilier a connu une activité forte, les transactions entre ménages ont poussé les prix à la hausse, le taux d'épargne des ménages a baissé et la consommation a été particulièrement dynamique, soulignait une étude de l'OFCE en 2005 »1. Ainsi, en Espagne, au Royaume- Uni et aux Etats- Unis,
[1] « L'immobilier, pilier de la croissance ou épée de Damoclès ? », octobre 2005.
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La crise -
HAPITRE
la croissance a été soutenue par le marché immobilier. » On tiendrait là une bonne part de l'explication des différentiels de croissance observés entre les pays.
L'immobilier, moteur de la croissance Le premier relais - classique - du boom immobilier sur la croissance est le dynamisme de la construction. Ce fut particulièrement le cas dans un pays comme l'Espagne, où la construction a représenté jusqu'à 13 % de l'emploi total en 2007. Un autre mécanisme, purement psychologique, est ce que les économistes appellent l'effet de richesse ( * ) : les ménages, se sentant plus riches, s'autorisent à diminuer leur épargne. Ainsi, l'appréciation de l'immobilier est souvent considérée comme la principale cause de la baisse du taux d'épargne des Français entre 2003 et 2008 - et le secret de la résistance de leur consommation. Au contraire, les ménages allemands, dont le logement perdait de la valeur, ont augmenté leur taux d'épargne sur la même période.
Ï 2 J Ensemble des revenus du travail, de la propriété et des prestations sociales, moins les impôts et les cotisations sociales.
Un dernier mécanisme, propre au monde anglo-saxon, fait de l'inflation immobilière un soutien direct de la consommation, via le crédit. Quand le logement d'un ménage s'apprécie, les banques anglaises ou américaines lui accordent de nouveaux crédits, gagés sur la valorisation de son bien immobilier. Cette « extraction » de la plus-value latente du logement sous forme de liquidité ( * ) immédiatement mobilisable pour la consommation était estimée par les économistes de l'OFCE à 3 % du revenu disponible 121 des Américains et à 7 % de celui des Anglais en 2004. Une jolie rallonge d'argent de poche à un moment où les revenus de l'Américain moyen stagnaient !
H u n e « s o c i é t é de p r o p r i é t a i r e s » L'envolée des prix n'a fait évidemment que rendre plus désirable l'accession à la propriété. L'achat de son logement a été vivement encouragé par les politiques publiques, en particulier dans les Etats-Unis de George Bush, lequel a promu la « société de propriétaires » au rang d'idéal social. Le problème, c'est que la « démocratisation » du crédit est passée par les établissements spécialisés dans les prêts aux ménages auxquels les banques classiques refusaient de prêter. Cette solution consistait aussi, plus crûment, à faire payer plus cher le crédit aux emprunteurs les plus vulnérables et à leur faire porter des risques qu'ils ne pouvaient assumer. Ainsi sont nés les fameux crédits subprime (*), par où la crise est arrivée.
traduit par un endettement des ménages moins développé que dans la plupart des pays de l'OCDE (voir graphique ci-dessus). Au contraire, dans les pays anglo-saxons, l'octroi d'un prêt est déterminé avant tout par la qualité de la garantie, c'est-à-dire par la valeur de l'actif. D'où une dynamique de l'endettement immobilier largement auto-entretenue : plus les prix montent, plus la valeur des garanties augmente et plus il est possible d'emprunter. Et donc plus une demande solvable se développe et plus les prix s'envolent. Mais quand le cycle se retourne, les ménages se retrouvent avec des dettes hors de proportion avec leur capacité de remboursement. C'est ce qui est arrivé aux Etats-unis depuis le retournement du En France, de telles pratiques sont exclues par marché immobilier. Pas d'autre solution alors que l'interdiction faite aux banques de prêter au-dessus d'abandonner son logement en laissant la clé sur la du taux d'usure (soit un tiers au-dessus de la moyenne porte, à charge pour la banque de le revendre pour des taux pratiqués). Plus généralement, la culture du crédit y est différente : « Les prêts y sont accordés récupérer son capital. Les mises en vente massives dépriment alors de encore un peu plus les prix. Et le en fonction de la solvabilité des ménages, et non cercle vertueux de la société de propriétaires se la valeur de la garantie », explique Olivier Eluere, transforme en descente aux enfers. économiste au Crédit agricole. Cette prudence se
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Greenspan et les bulles... Dans ces pays, le marché de l'immobilier s'est donc révélé être un puissant relais des décisions de politique monétaire. L'endettement des ménages a en effet été encouragé par le niveau très bas des taux d'intérêt entre 2001 et 2004. Au lendemain de l'éclatement de la bulle Internet et du 11 Septembre, la Fédéral Reserve (Fed), la banque centrale américaine, avait descendu très rapidement son taux directeur, jusqu'à 1 %, un record historique à l'époque, et l'avait maintenu très bas pendant deux ans et demi. A un moment où les entreprises, surendettées suite à la bulle Internet, étaient en cure d'austérité, les ménages ont pris le relais. Le crédit immobilier est ainsi devenu une courroie de transmission majeure de la politique monétaire. A l'époque, on avait beaucoup célébré la réactivité et l'audace d'Alan Greenspan, alors à la tête de la Fed, crédité d'avoir préservé les Etats-Unis d'une récession sévère. Rétrospectivement, il apparaît que les taux d'intérêt sont restés trop longtemps trop bas, favorisant un endettement excessif et le gonflement des prix immobiliers (mais également boursiers). Pour Greenspan, il n'entrait pas dans les missions d'un banquier central de prévenir les bulles. Il expliquait ainsi en janvier 2004 : « Notre stratégie consiste à nous occuper des conséquences de l'apparition des bulles plutôt que des bulles elles-mêmes. » Et se justifiait en expliquant que, pour imposer son point de vue contre celui de millions d'investisseurs, » il aurait fallu que la Fed relève ses taux d'intérêt à des niveaux tels que le pays aurait connu une sévère récession ». La politique monétaire n'explique cependant pas tout. A partir de 2004, la Fed s'est mise à remonter ses taux directeurs. Un tel resserrement aurait dû normalement se répercuter sur les taux à long terme. Il n'en a rien été. A cette époque, Alan Greespan parle de l'énigme (« conundrum ») des taux longs. Enigme dont la globalisation financière fournit sans doute une explication.
Globalisation financière et abondance d'épargne C'est en effet l'abondance d'épargne disponible dans le monde qui expliquerait la persistance de taux à long terme très bas. Depuis le début de la décennie 2000, un nombre croissant de pays se sont retrouvés exportateurs d'épargne. A l'Allemagne et au Japon, traditionnellement excédentaires, se sont ajoutés deux groupes de pays : les pays pétroliers, dont les excédents ont explosé avec la flambée de l'or noir entre 2002 et l'été 2008, et les pays du Sud-Est asiatique. A la suite de la crise de 1997, ces derniers ont en effet profité de la dépréciation de leur monnaie pour renforcer leur stratégie de croissance tirée par les exportations. Dans le même temps, ils ont accumulé
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La crise
- CHAPITRE I
des réserves de change, pour éviter à l'avenir d'avoir à nouveau à subir la tutelle humiliante du Fonds monétaire international. Cette stratégie a été adoptée à grande échelle par la Chine dans les années 2000. Rapidement, l'excédent chinois est devenu la principale contrepartie du déficit américain, dépassant en 2006 l'excédent japonais et celui du Moyen-Orient dans son ensemble en 2007. Ces excédents d'épargne sont venus combler les énormes besoins de financement des Etats-Unis, dont le déficit extérieur s'est creusé de façon spectaculaire, passant d'un peu plus de 100 milliards de dollars au milieu des années 1990 à 800 milliards en 2006, soit près de 6 % du produit intérieur brut (PIB) américain.
Les cigales et les f o u r m i s Les soldes des balances courantes représentent la différence entre ce que gagnent et ce que dépensent les résidents de chacune des régions considérées. Lorsqu'un pays est déficitaire, comme le sont les Etats-Unis, ses résidents dépensent plus qu'ils ne gagnent, ils peuvent le faire parce que les résidents d'autres régions - excédentaires, celleslà - dépensent moins qu'ils ne gagnent, et réciproquement. Tout se passe comme si le revenu épargné dans les pays excédentaires était prêté aux pays déficitaires. Ces transferts d'épargne ne sont bien sûr jamais directs, ils résultent d'une multitude de mouvements de capitaux rendus possibles par l'imbrication des systèmes financiers nationaux et l'internationalisation des firmes. Si l'Union européenne dans son ensemble affichait une balance extérieure proche de l'équilibre, elle a
connu, en son sein, des déséquilibres encore plus massifs que ceux des Etats-Unis et de la Chine. Dans la zone euro, l'endettement a été favorisé par des taux d'intérêt réels très bas, voire négatifs, dans les pays les plus inflationnistes de la zone. L'Espagne et l'Irlande ont ainsi bénéficié de conditions monétaires très favorables, qui ont dopé l'endettement des ménages et le secteur de la construction. Le retournement y est aujourd'hui d'autant plus douloureux. Mais les déficits étaient encore plus accusés parmi les nouveaux membres de l'Union européenne. En Bulgarie ou dans les Etats baltes, ils dépassaient ainsi 20 % du PIB en 2007, du fait d'une croissance débridée du crédit au secteur privé, largement entretenue par les filiales locales des banques d'Europe de l'Ouest.
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Cette situation pouvait paraître a priori mutuellement bénéfique : elle permettait aux Américains de vivre au-dessus de leurs moyens en profitant des excédents d'épargne des Chinois et des pays pétroliers ; elle permettait à la Chine d'engranger un taux de croissance à deux chiffres, fondé sur le dynamisme de ses exportations, tout en plaçant son épargne excédentaire dans des actifs américains « sans risque ». L'alliance du consommateur américain et de l'exportateur chinois a en tout cas dopé un temps la croissance mondiale, qui a été proche de 5 % en moyenne entre 2004 et 2007. Entre ces deux pôles, le système financier américain a fait le pont. Toute l'ingéniosité des banques américaines a consisté à transformer les prêts risqués consentis notamment aux ménages américains peu solvables en actifs [3] Les publications de la Banque réputés sans risque pour satisfaire la demande de placements issue des pays des règlements excédentaires. Car si les Chinois avaient de l'épargne à placer, ils n'avaient internationaux (BRI) attestent cependant, aucune intention de prendre des paris risqués. dès 2005, d'une de conscience Rétrospectivement, le système financier paraît avoir fonctionné comme prise de la sous-évaluation un accumulateur de déséquilibres. Mais sa responsabilité est passée lar- du risque sur les marchés financiers, gement inaperçue avant l'éclatement de la crise 131 . Certes, l'endettement et de la dépendance croissant des ménages, la bulle immobilière, le déficit extérieur abyssal critique du système financier à l'égard des Etats-Unis : tout cela ne laissait pas d'inquiéter les observateurs. Mais d'une liquidité susceptible il y a une chose dont presque personne ne doutait, c'est de la santé des de s'évaporer banques américaines... · Sandre Moatti brutalement.
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La crise - CHAPITRE
I
m u Finance : la machine à dettes La libéralisation et les innovations financières ont changé le métier des banques. Transformées en courtiers des marchés financiers, elles vendent les crédits qu'elles ont initiés plutôt que de les porter jusqu'à échéance. Un modèle hautement rentable.
S
timulée par la déréglementation, le décloisonnement et la globalisation des marchés financiers, la finance directe met en relation directe épargnants et emprunteurs sur le marché des capitaux, à travers l'émission de titres (actions, obligations). Tandis que les créances détenues par les banques ne s'effacent en principe de leurs bilans qu'avec l'extinction des dettes correspondantes, ou leur annulation en cas de défaut, un titre peut être cédé par son détenteur à un prix variable selon la situation de l'offre et de la demande sur le marché des capitaux. Ce mode de financement direct de l'économie a pris le pas dans nombre d'économies avancées sur l'intermédiation bancaire.
Une évolution qui aurait pu marginaliser les banques. Celles-ci étaient en effet doublement menacées : dans leur fonction d'octroi de crédit, d'une part, du fait de l'apparition de nouvelles sources de financement moins coûteuses pour les entreprises (puisque non grevées du coût de l'intermédiation bancaire) ; et dans leur activité de collecte de dépôts, d'autre part, l'épargne des ménages se détournant des dépôts bancaires classiques au profit de nouveaux instruments de placement plus rentables (Sicav, fonds de placement, etc.) et à peine moins liquides. Aux Etats-Unis, la part des dépôts bancaires dans les actifs de l'ensemble du secteur financier est ainsi passée de 50 % en 1980 à 25 % en 2000 ï%
Un nouveau modèle bancaire La solution pour les banques a consisté à prendre place sur le marché des capitaux. Le nouveau modèle bancaire, dit d'octroi et de cession des crédits (originate and distributé), consiste ainsi pour les banques à se défaire de leurs créances et à en organiser la conversion en titres négociables et la diffusion sur le marché financier. Produit des innovations financières des années 1980, la technique de la titrisation ( * ) donne aux banques la possibilité de se débarrasser de leurs créances en les transformant en titres financiers pour les vendre à des investisseurs prêts à en assumer le risque.
[1) Voir «New Landscape, New Challenges : Structural Change and Regulation in the US Financial Sector », par Ashok Vir Bhatia, IMF Working Paper n" 07/195, FMI, août 2007.
L'avantage pour les banques est triple : en épurant leurs bilans des créances les plus risquées, elles se protègent tout d'abord du risque de non-recouvrement de ces créances ; elles économisent par là même le coût des provisions qu'elles auraient été tenues de constituer si elles avaient conservé les créances en question ; enfin, elles améliorent le rapport de leurs fonds propres à leur encours de crédit, ce qui leur permet d'accorder de nouveaux crédits. Par idéologie ou par pragmatisme, les gouvernements ont longtemps vu d'un bon œil ce processus. La diffusion maximale du risque qu'il était
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censé produire réduit en effet les risques dits systémiques ( * ) , autrement dit les risques que des défauts de paiements massifs, comme ceux des pays en développement dans les années 1980, provoquent la faillite de banques de taille importante, obligeant les pouvoirs publics à intervenir pour prévenir des défaillances en chaîne et le spectre d'une panique bancaire. Les emprunteurs, pour leur part, ne pouvaient que bénéficier du nouvel environnement financier. Les banques pouvant se défausser des risques pris sur les clients moins solvables en les transférant sur le marché des titres, l'accès au crédit bancaire était désormais ouvert à une gamme plus large d'emprunteurs. Pour organiser la conversion de leurs créances en titres, les banques ont créé des structures ad hoc - des véhicules - qui reprennent les créances, les regroupent par tranches de risque et s'en servent pour émettre sur le marché financier des obligations dites ABS, asset backed securities (*), dont la valeur est en principe garantie par les crédits dont elles sont la contrepartie. L'argent ainsi
[ L'explosion de la titrisatio n Une des innovations majeures qui valait au système financier américain, il y a trois ans encore, sa réputation de robustesse et son insolente prospérité, c'est la titrisation. La logique de la titrisation est de transformer une créance bancaire en un titre pouvant faire l'objet de transactions. Par exemple, une banque accorde des prêts immobiliers à ses clients. Au lieu de conserver ces crédits à son bilan, elle les vend à un organisme financier qui émet en contrepartie des titres de dette qui seront vendus à des investisseurs. Au départ, dans les années 1980, l'essentiel de la titrisation concernait des crédits hypothécaires souscrits par des ménages dotés d'une bonne solvabilité et correspondant au cas typique de l'endettement immobilier américain : à taux fixe sur trente
ans (prêts prime). Et les titres ainsi émis étaient garantis par deux organismes financiers créés par le gouvernement américain, connus sous les sobriquets de Fannie Mae et Freddie Mac. Puis d'autres organismes se sont mis à émettre des titres à partir de prêts à des entreprises, de prêts à la consommation, de découverts de cartes de crédit, des prêts pour financer des fusions-acquisitions ou des LBO (leveraged buyout) (*) et surtout des crédits immobiliers non garantis (les fameux subprime ), destinés aux ménages américains les moins solvables. Tous ces titres forment la grande famille des ABS (asset backed securities, en français « valeurs mobilières adossées à des actifs »). Dans le cas particulier des crédits hypothécaires, on parle de MBS (mortgage backed securities).
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La crise - CHAPITRE I
obtenu finance le rachat initial des créances des banques. Ces titres sont acquis par les investisseurs financiers, mais aussi par d'autres établissements financiers en quête de rendements attractifs. Souscrits massivement par les banques d'affaires et les hedgefunds (*), les titres en question peuvent à leur tour être utilisés comme garanties pour le déblocage de crédits à court terme par le système bancaire, qui finance ainsi leur acquisition. Hautement rentable à court terme, le nouveau modèle bancaire s'est rapidement diffusé aussi bien dans les banques de dépôt classiques que dans les banques d'affaires, telles Bear Stearns, Lehman Brothers ou Merrill Lynch. Il portait le mythe d'un marché financier autorégulé à l'échelle mondiale, capable de disséminer les risques vers les acteurs les mieux à même de les supporter, et donc d'éliminer tout risque systémique.
L'emballement Inférieur à 100 milliards de dollars en 1980, l'encours des obligations de type ABS a franchi aux Etats-Unis le seuil des 11 000 milliards en 2006. Initialement émises sur la base de crédits accordés aux entreprises ou de prêts hypothécaires garantis, ces créances titrisées se sont progressivement étendues à d'autres classes d'actifs comme les crédits à la consommation, les cartes de crédit, les prêts aux étudiants, puis, dans la seconde partie des années 1990, aux prêts hypothécaires non garantis (voir graphique p. 22). La croissance de ce type de prêts s'est ensuite emballée dans les années 2000, dans un contexte d'extrême liquidité ( * ) des marchés financiers.
Le p o i d s e x o r b i t a n t de la finance Sur les soixante dernières années, le poids du secteur financier américain est passé de 2,3 % à 7,7 % du PIB. La rupture coïncide avec la phase de dérégulation qui commence au début des années 1980. A partir de là, la rémunération par employé du secteur financier commence à s'écarter de plus en plus des salaires dans le reste de l'économie.
jusqu'à atteindre presque le double du salaire moyen dans le privé. Il faut dire que la part des profits captés par la finance dans les années 2000 est montée jusqu'à 40 % de l'ensemble des profits des sociétés américaines, alors qu'elle n'emploie qu'un peu moins de 5 % de la main-d'œuvre. S. M .
A la suite de l'éclatement de la bulle Internet, puis des attentats du 11 septembre 2001, la Fédéral Reserve (Fed), la Banque centrale des Etats-Unis, a en effet réduit son taux directeur de 6,5 % fin 2000 à 1,75 % fin 2001. La baisse des taux s'est poursuivie jusqu'à un plancher historique de 1 % à la mi-2003, niveau qui allait être maintenu jusqu'à la mi-2004. En voulant amortir l'impact récessif du krach du Nasdaq (la Bourse américaine des valeurs technologiques), la Fed a créé les conditions de formation d'une nouvelle bulle spéculative, dont la flambée de l'immobilier et celle de la Bourse étaient les manifestations les plus visibles. A quoi s'ajoutait le fait que les excédents courants croissants des pays pétroliers et des économies émergentes d'Asie accentuaient la situation d'extrême liquidité des marchés mondiaux, encourageant les comportements d'endettement sur l'ensemble des marchés. L'argent facile, et donc peu rémunéré, incite en effet les investisseurs à se détourner des placements classiques et à prendre davantage de risques en faisant jouer au maximum l'effet de levier ( * ) de l'endettement. L'essor spectaculaire des obligations basées sur les subprime (*), dont l'encours représentait le quart de l'ensemble des titres ABS en 2006, est l'une des expressions de cette quête agressive du rendement, qui a conduit les organismes de crédit hypothécaire ( * ) à proposer des prêts immobiliers à haut risque aux ménages américains les moins solvables. · Jacques Adda
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La crise -
HAPITRE
Les alchimistes du risque Le système financier américain masquait une immense machine à recycler des dettes de qualité douteuse.
O
n les appelait les « ninja » : no-income, no-job, no-asset (pas de revenu, pas de travail, pas de patrimoine). Ces ménages américains modestes
dont les revenus étaient faibles ou aléatoires ne présentaient pas les garanties
suffisantes pour souscrire un prêt immobilier standard, les prêts « prime ». Pour eux, les compagnies de prêts hypothécaires ont inventés les « subprime » (*), littéralement « en dessous du premier choix ». Les crédits subprime ont représenté jusqu'à 40 % des nouveaux crédits hypothécaires ( * ) en 2006. En effet, quand la clientèle plus classique des ménages ayant accès au crédit prime a commencé à se tarir, les prêteurs ont alors courtisé une clientèle moins solvable. Et tous les moyens furent bons pour la séduire : des formules de prêt de plus en plus exotiques se sont développées. La plupart de ces prêts étaient LES DEUX PREMIÈRES ANNÉES,
ainsi à taux ajustables, contrairement aux prêts
LES C L I E N T S É T A I E N T A P P Â T É S
prime, essentiellement à taux fixe. En outre, les
PAR UN T A U X D'INTÉRÊT D'APPEL
prêteurs ont multiplié les ruses pour faire baisser
T E L L E M E N T BAS QU'ILS
le coût apparent du crédit. Ainsi « 25 % des prêts
CONTINUAIENT EN RÉALITÉ
accordés en 2006 ne comprenaient pas de rembour-
D ' A C C U M U L E R D E L A D E T T E A U LIEU
sement de capital les premières années, contre 0 %
DE C O M M E N C E R À LA REMBOURSER
en 2000, et près de la moitié ont été accordés en fonction
des revenus déclarés par les ménages,
sans
que ceux-ci n'aient à les prouver », rappelle Florence Pisani, économiste à Dexia AM. Certains pratiquaient même des amortissements négatifs : les deux premières années, les clients étaient appâtés par un teaser rate, un taux d'intérêt d'appel tellement bas qu'ils continuaient en réalité d'accumuler de la dette au lieu de commencer à la rembourser. Une fois la période de promotion passée, la charge de la dette pouvait exploser du jour au lendemain de 25 % ou même de 50 %.
Tous complices Comment des établissements de crédit ont-ils pu prêter à des ménages aussi fragiles dans des conditions aussi hasardeuses ? La réponse réside dans
U Un i n t e n s e l o b b y i n g Le lobby bancaire a-t-il poussé à une sous réglementation de la distribution de crédits immobiliers aux Etats-Unis ? Selon trois économistes du Fonds monétaire international (FMI) m, la réponse est clairement positive. Depuis 1995, les cabinets de lobbying sont obligés de présenter de manière transparente leurs activités. L'examen de leurs
rapports réguliers révèle qu'entre 2000 et 2006, pas moins de 16 projets de loi visant à réguler la distribution des crédits immobiliers ont avorté sous la pression des grandes institutions financières... Ch.Ch. [1] « Lobbying and the Financial Crisis »>, D. Igan et alii, wmv.voxeu.nri», 27 janvier 2010.
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un système qui allie l'absence de règles protectrices pour les emprunteurs à une extrême sophistication du traitement du risque du côté des prêteurs. Sur le moment, tout le monde y trouvait son compte : les ménages emprunteurs, pour lesquels ces prêts constituaient une chance unique d'accéder à la propriété, comptaient sur la
C O M M E N T DES ÉTABLISSEMENTS
hausse continue des prix immobiliers pour revendre
DE CRÉDIT ONT-ILS PU PRÊTER
plus cher leur logement ou renégocier leur prêt.
À DES M É N A G E S AUSSI FRAGILES
Quant aux intermédiaires entre l'emprunteur
DANS DES CONDITIONS
et l'investisseur final, ils avaient surtout intérêt
AUSSI HASARDEUSES ?
à « faire du chiffre ». C'est évidemment vrai des courtiers immobiliers, payés à la commission sur le volume de prêts placés, mais aussi des banques, que la titrisation ( * ) a transformées en courtiers des marchés financiers et qui se rémunèrent non pas avec les intérêts payés par les emprunteurs, mais avec les commissions liées à la fabrication de produits complexes adaptés aux besoins des investisseurs. Les banques et autres organismes de crédit hypothécaire ( * ) n'avaient en effet pas de raison d'être très regardants sur les capacités de remboursement des emprunteurs, puisqu'ils allaient se débarrasser des créances accordées et des risques qui leur étaient associés. En offrant la possibilité de transférer le risque, la titrisation conduit les prêteurs à le négliger. La preuve de cette négligence, c'est que la distribution de prêts subprime continuait de plus belle alors même que le taux de défaut sur ce type de prêts commençait à augmenter. Les prêteurs n'auraient jamais distribué une telle quantité de crédits à des ménages aussi fragiles dépourvus de garanties s'ils avaient dû les garder dans leur bilan.
Boîte noire Encore fallait-il trouver des investisseurs prêts à racheter ces paquets de « crédits pourris ». C'est là qu'interviennent les grands alchimistes du risque, capables de transformer du plomb en or. Les banques d'investissement ont créé des sociétés spécifiques, les SPV - spécial purpose véhiculés ( * ) -, boîtes
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La crise - CHAPITRE
I
noires où s'élabore la titrisation ( * ) de produits plus ou moins complexes. A l'entrée, les « véhicules » en question achètent des actifs comme des crédits immobiliers ou bien encore des créances diverses (crédits hypothécaires, à la consommation, aux entreprises...), des titres représentatifs de créances mais aussi des produits dérivés ( * ) . A la sortie, ils vendent des produits dits structurés, c'est-à-dire découpés en différentes tranches présentant des rémunérations et des risques différents, tels les CDO (*), les collaterised debt obligations, « obligations adossées à des actifs ». Et au cœur de la boîte noire, des modèles mathématiques si complexes que seuls leurs artisans pouvaient les comprendre - et encore !
[1] Même aveuglement du côté des rehausseurs de crédits (les compagnies d'assurances garantissant les titres assis sur ces prêts). Le principe de l'assurance consiste à assurer un risque certain mais qui se réalisera selon une probabilité connue : accidents, incendies, vols... A l'inverse, dans ce cas, c'est le modèle « catastrophe naturelle » qui s'est appliqué. Rien d'étonnant alors à ce que l'Etat soit requis pour jouer le rôle d'assureur en dernier ressort.
Virtuosité mal maîtrisée ou dissimulation délibérée des risques ? Rétrospectivement, on s'aperçoit combien les erreurs commises sont grossières. La première a été d'évaluer les risques de défaut sur la base de probabilités passées avec des historiques relativement courts, souvent d'une quinzaine d'années seulement. Or, entre 1991 et le troisième trimestre 2007, l'indice du prix des maisons aux Etats-Unis a augmenté tous les trimestres. Tout le monde a cru, ou a feint de croire, que cela continuerait éternellement. D'où l'autre erreur des modèles : traiter les défauts comme des risques indépendants. Autrement dit sans lien entre eux : si quelques ménages de Denver ne remboursent pas, les autres continueront de payer. Personne ne semble avoir perçu qu'en cas de ralentissement économique prononcé et de baisse des prix immobiliers, les défauts ne pouvaient que se multiplier aux quatre coins du pays, puisque les crédits étaient gagés sur une hypothétique valorisation continue du patrimoine m .
Les agences de notation : juge et partie Personne n'a tiqué, pas même les agences de notation ( * ) censées évaluer la qualité de ces produits. Car, pour pouvoir vendre des titres aussi complexes à une vaste gamme d'investisseurs, les banques avaient en effet besoin du sceau des agences. Celles-ci ne se sont pas fait prier pour participer au business juteux de la titrisation. Mais habituées à juger de la solvabilité des entreprises, elles n'ont pas été très clairvoyantes dans l'évaluation de ces produits financiers complexes. Aussi ont-elles accordé aux tranches supérieures de CDO adossés à des crédits subprime des notes équivalentes à celles des placements sans risque. Il faut dire que leur position ne favorisait pas l'indépendance d'esprit : elles étaient à la fois juge et partie, conseil lors du montage des produits et experts indépendants dans la notation. Et dans les deux cas, payées par les banques émettrices elles-mêmes.
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Ainsi parées de la respectabilité de la note maximale (AAA), les créances titrisées ont pu être vendues à toutes sortes d'investisseurs institutionnels, pour lesquels elles avaient l'attrait de placements sûrs, aux performances quelque peu dopées grâce à l'inventivité des banquiers. Les CDO, notamment, ont connu un véritable engouement de la part des investisseurs. Entre 2001 et 2007, l'encours de ces titres a doublé en moyenne chaque année. Il s'élevait à près de 3 000 milliards de dollars en juin 2007.
Un système bancaire parallèle Mais les banques ont aussi créé elles-mêmes leur propre clientèle. Elles ont en effet sécrété des sociétés les - spécial inuestrnent véhiculés, SIV ( * ) - qui ont massivement acheté des créances titrisées. Ces structures hors bilan présentaient l'avantage de n'être pas liées par les obligations de fonds propres imposées aux banques et de n'être soumises à aucun contrôle. Elles ont ainsi pu s'endetter massivement, en émettant des papiers à court terme sur les marchés, pour acheter des produits complexes plus rémunérateurs, empochant au passage la différence de taux d'intérêt. Tout comme les banques, ces entités prêtent à long terme en empruntant à court terme. Mais contrairement aux banques,
[ [ A l'ombre des paradis fiscaux Les paradis fiscaux ne sont pas à l'origine de la crise des subprime. Néanmoins, ils en ont été l'un des acteurs clés, en abritant une bonne partie des opérations du « système bancaire fantôme ». En renforçant la complexité et l'opacité des institutions
financières, les paradis fiscaux ont contribué à un accroissement des prises de risque et à la perte de traçabilité de ces risques. Ils ont ainsi nourri la crise et contribué à faire de la finance internationale une zone de non-régulation. Ch.Ch.
H La finance criblée de dette s L'originalité de la crise actuelle réside dans le fait que le levier de l'endettement n'a été que modérément mobilisé par le secteur productif tandis qu'il l'était massivement par les ménages et les institutions financières, en particulier les banques d'affaires, les hedge funds (*), les siv, etc. Dans le cas des banques classiques, la croissance des crédits est en effet limitée par les règles prudentielles imposées par les banques centrales, qui limitent l'encours de crédits par rapport aux fonds propres. Dans ie cas des banques d'affaires américaines et des autres institutions financières non bancaires, tels les hedge funds, la croissance de l'endettement n'est nullement réglementée. Elle est d'autant plus forte que les actifs de la banque ou du fonds sont comptabilisés à leur valeur de marché, et non à leur valeur d'achat. De même que la flambée des prix de l'immobilier permettait aux particuliers d'emprunter des sommes sans proportion avec leurs revenus, puisque gagées sur le prix des biens acquis, l'euphorie financière
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La crise - CHAPITRE
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elles ne sont soumises à aucun contrôle, ni aucune contrainte réglementaire. La titrisation a ainsi favorisé l'essor d'un système bancaire parallèle ou fantôme, constitué des banques d'investissement (soumises à un contrôle beaucoup moins strict que les banques commerciales), des SIV et autres hedge funds (fonds spéculatifs), eux aussi gros acheteurs de créances titrisées. C'est là que s'est massivement recyclée la dette subprime. Ne mobilisant que très peu de capital, ces structures ont massivement fait jouer l'effet de levier ( * ) (voir encadré p. 27). Les banques d'investissement, par exemple, avaient des effets de levier gigantesques, avec des engagements représentant 30 à 50 fois leurs fonds propres. Elles ont donc bénéficié d'une rentabilité nettement plus élevée que les activités bancaires réglementées. Mais en prenant aussi beaucoup plus de risques : disposant de peu ou pas du tout de fonds propres, elles peuvent être rapidement balayées en cas de désaffection des prêteurs ou d'augmentation des pertes. Ce qui est arrivé le jour où les défauts des emprunteurs subprime ont commencé à prendre des proportions inquiétantes. · Sandra Moatti
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L'engrenage Le r e t o u r n e m e n t du m a r c h é i m m o b i l i e r a u x Etats-Unis a d é c l e n c h é u n e v a g u e d e d é f a u t s d e r e m b o u r s e m e n t d e s p r ê t s subprime. Les b a n q u e s o n t alors d é c o u v e r t qu'elles a v a i e n t j o u é a v e c l e f e u e t qu'elles é t a i e n t liées e n t r e elles par u n e p e l o t e i n d é m ê l a b l e de risques. Par effet domino, la crise f i n a n c i è r e s'est r é p a n d u e .
L
e juteux business des subprime ( * ) reposait sur une condition centrale : que le prix des logements continue de s'apprécier. Mais à la fin de l'année 2006, le marché immobilier américain a commencé à se retourner sous l'effet de la remontée des taux d'intérêt directeur de la Fédéral Reserve (la Fed). En même temps, les charges de remboursement sur les crédits subprime se sont mises à augmenter. Il est alors apparu qu'un nombre croissant de ménages ne pouvait faire face à leurs engagements. Pris à la gorge par la hausse de leurs remboursements, coincés par la baisse de la valeur de leur logement (qui ne leur permettait pas de vendre pour rembourser le prêt), ils ont été de plus en plus nombreux à voir leur maison saisie. Ce qui a amplifié la baisse des prix, laquelle a mécaniquement fait croître encore les défauts sur les prêts et entraîné la chute du prix des titres adossés à des crédits subprime.
Après les ménages, forcés d'abandonner leur maison sur un marché immobilier désormais complètement déprimé, ce fut au tour des établissements spécialisés qui leur avaient prêté d'être touchés. Les premières faillites de prêteurs firent la une de l'actualité américaine au premier trimestre de l'année 2007. En quelques mois, une vingtaine d'établissements durent ainsi mettre la clé sous la porte. Mais ils n'étaient heureusement pas de taille à déstabiliser les grandes banques. Après tout, le total des prêts subprime ne représentait que 13 % du total des prêts hypothécaires. Les déboires des emprunteurs semblaient pouvoir être absorbés sans trop de remous. D'autant
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La rise -
HAPITRE
que le risque de défaut sur les titres émis par ces établissements de crédit était supposé distribué entre une multitude d'investisseurs. C'est l'avantage des opérations de titrisation ( * ) : tout le monde détient un peu de risque, mais aucun grand établissement n'en porte suffisamment pour flancher. La suite des événements a cependant montré que cette large répartition des risques peut aussi conduire à aggraver la panique quand le marché ne sait plus les situer ni les quantifier. A l'été 2007, la crise du subprime prit en effet une nouvelle dimension. L'augmentation massive des défauts avait enfin conduit les agences de notation ( * ) à ouvrir les yeux sur les produits qu'elles L A CRISE N ' A P A S T A R D É
avaient cautionnés et à dégrader leurs notes. Les
À TRAVERSER L'OCÉAN !
dégâts s'étendirent alors aux investisseurs dont le
LES B A N Q U E S ET DES O R G A N I S M E S
portefeuille était un peu trop chargé en CDO ( * ) . Fin
DE PLACEMENT EUROPÉENS
juillet, deux fonds spéculatifs, des hedge funds (*)
S'ÉTAIENT AMPLEMENT FOURNIS
de la grande banque d'investissements américaine
EN TITRES ADOSSÉS
Bear Stearns, en firent les frais les premiers. Il faut
À DU « S U B P R I M E » A U P R È S
dire que les hedge funds, toujours à la recherche
DES BANQUES AMÉRICAINES
de rendements élevés, étaient particulièrement friands de ces titres. Quand la contre-performance
des subprime s'est amplifiée, certains déposants ont demandé à retirer leurs fonds, et des créanciers ont refusé de reconduire leurs crédits. Les fonds de Bear Stearns n'ont alors pas pu assumer et ont fait défaut. La crise n'a pas tardé à traverser l'océan. Bien qu'il n'y ait pas en Europe d'équivalent au marché subprime américain, ni de titrisation des prêts hypothécaires d'une telle ampleur, les banques ou des organismes de placement européens s'étaient amplement fournis en titres adossés à du subprime auprès des banques américaines. Sous l'égide des pouvoirs publics, un consortium de banques allemandes a dû voler au secours de l'aventureuse banque allemande IKB. En France, plusieurs gestionnaires de fonds ont aussi été touchés, tels AXA IM ou Oddo.
infarctus monétaire C'est au cours de la deuxième semaine d'août 2007 que la crise s'est transformée en une crise de liquidité ( * ) aiguë. La liquidité est l'oxygène des marchés financiers : c'est ce qui permet de réaliser des opérations de vente et d'achat de produits financiers sans délai ni coût notable. Or c'était le talon d'Achille des nouveaux produits structurés. En période normale, ces produits hautement sophistiqués, conçus quasiment sur mesure en fonction des demandes des investisseurs, étaient déjà peu liquides. Mais avec la suspicion croissante dont ils ont commencé à faire l'objet, les acheteurs ont complètement déserté. Dans ces conditions, impossible de déterminer un prix. « L'évaporation complète de la liquidité sur certains segments de marché aux Etats-Unis a rendu impossible la valorisation adéquate de certains actifs », indiquait BNP Paribas le 10 août 2007, après avoir suspendu le calcul de la valeur liquidative ( * ) de
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trois de ses fonds. Cette décision a fait l'effet d'un coup de tonnerre. Et ce, d'autant plus que la banque avait annoncé des résultats records une semaine auparavant et s'était vantée d'être à l'abri des éclaboussures de la crise des subprime ! La réaction des autres banques au lendemain de cette annonce n'avait rien de rassurant non plus. En temps normal, les banques se prêtent en permanence des liquidités ( * ) sur le marché monétaire ( * ) à un taux légèrement supérieur à celui de la banque centrale. Or, brutalement, leur méfiance les unes à l'égard des autres est devenue telle que l'écart de taux a explosé (voir graphique p. 35). Ce qui a suffi à bloquer les transactions car, compte tenu des taux d'intérêt pratiqués vis-à-vis de leurs propres clients, les banques ne pouvaient plus gagner d'argent en empruntant elles-mêmes à des taux aussi élevés. A cette situation exceptionnelle, la Banque centrale européenne (BCE) a répondu en ouvrant sans restriction le robinet du crédit au jour le jour. Autrement dit, elle a autorisé les banques à emprunter auprès d'elle, pour la journée, tout ce dont elles avaient besoin, au taux de 4 %. Résultat : les banques se sont littéralement jetées sur les liquidités : 95 milliards d'euros ont été injectés au cours de la seule journée du 11 août, soit davantage qu'au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 (la BCE n'avait alors dû prêter « que » 69 milliards d'euros). Le lendemain, la BCE a de nouveau prêté 61 milliards, puis encore plusieurs dizaines de milliards d'euros les jours suivants... Dans le même temps, la banque centrale des Etats-Unis (la Fed) et celle du Japon intervenaient également, quoique avec une moindre ampleur. Ces réactions massives ont ramené un certain calme sur les marchés. Après le coup de chaud de l'été 2007, les banquiers centraux voulaient encore croire à une crise passagère. Après tout, il était plutôt sain que la rémunération du risque financier, après avoir excessivement baissé, soit réévaluée à la
[ Les LBO ou les subprime de la d e t t e d'entrepris e il n'y a pas que les ménages américains qui ont pu s'endetter au-delà du raisonnable. Certains fonds d'investissement n'ont pas hésité, eux aussi, à profiter des largesses des banquiers pour racheter des entreprises en s'endettant de façon hasardeuse. Ces montages financiers, appelés LBO (leveraged buyout ) (*), consistent à racheter des entreprises avec un minimum de fonds propres et un maximum de dettes. Ces dettes, logées dans des sociétés holdings, étaient censées être remboursées par les profits, forcément croissants, tirés des entreprises acquises. Ces opérations ont représenté 10,3 milliards d'euros en France en 2007, soit 0,5 % du produit intérieur brut (PIB), et encore 7,4 milliards en 2008. Fin 2008, les dettes correspondantes accumulées pesaient 60 milliards d'euros dans le bilan des banques françaises.
Mais le mécanisme se grippe du fait de la crise économique. Face aux résultats en baisse des entreprises, les holdings surendettées sont incapables de faire face à leurs échéances. Les fonds d'investissement n'ont pas d'autre choix que de renégocier leur dette avec leurs créanciers, principalement des banques. Une négociation tendue pour des institutions en situation déjà difficile par ailleurs. Les prêteurs ont cependant souvent plus à perdre en cas de faillite de la société sous LBO que les fonds d'investissement, qui n'ont apporté qu'une part très réduite de capital. Mais comme pour les pauvres américains qui perdent leur logement en raison des subprime, ce sont surtout les salariés des entreprises concernées qui paient les pots cassés... Alexis Canuet
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La crise
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hausse. Quant à la chute des Bourses, elle restait modérée au regard de leur appréciation depuis 2003. D'autant que ces corrections intervenaient dans un contexte macroéconomique relativement satisfaisant : le Fonds monétaire international (FMI) avait même revu à la hausse ses prévisions de croissance mondiale fin juillet 2007. Les entreprises faisaient des profits et pouvaient résister à une élévation limitée du coût du crédit. Les banques affichaient de tels bénéfices qu'elles pouvaient bien supporter une petite purge. Ben Bernanke, le président de la Fed, estimait l'étendue des pertes liées à la crise du subprime autour de 100 milliards de dollars, une goutte d'eau dans l'océan des bénéfices bancaires.
Le piège se referme Cette vision optimiste souffrait pourtant de deux angles morts. Tout d'abord, l'incendie n'était toujours pas circonscrit aux Etats-Unis : les défauts sur les subprime poursuivaient leur inexorable progression. La saisie et la remise en vente de centaines de milliers de maisons contribuaient à déprimer encore un peu plus le marché immobilier américain, où les stocks de logements disponibles dépassaient déjà les quatre millions, contre deux millions en 2004. Mais surtout, les banques étaient bien plus exposées qu'on ne le pensait. Les risques dont elles croyaient s'être débarrassées grâce à la titrisation, leur revinrent au centuple, sous une autre forme. En effet, une bonne part des produits complexes recelant des créances à risque s'étaient retrouvés dans l'escarcelle d'acteurs liés aux banques, mais placés hors de leur bilan. Ils échappaient ainsi au contrôle des autorités bancaires et à la réglementation prudentielle qui oblige à immobiliser un certain montant de fonds propres. Ces SIV ( * ) , gorgés de produits titrisés et fragilisés par un énorme effet de levier (*), n'ont pas résisté à la montée des défauts des emprunteurs subprime.
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Or les banques étaient liées à ce système bancaire fantôme par une multitude de liens, de contrats et d'engagements. Quand les titres émis par les SIV pour se financer n'ont plus trouvé preneurs, ceux-ci se retournèrent, acculés, vers leurs banques « sponsors », lesquelles durent reprendre dans leur bilan les actifs douteux des véhicules en question et provisionner les moins-values latentes. Douloureux processus de réintermédiation, puisqu'il impose aux banques d'augmenter leurs capitaux propres au moment même où ceux-ci sont amputés par des pertes croissantes. Au cours de l'automne 2007, les banques commencèrent à révéler leurs pertes. Un à un, les géants de Wall Street avouèrent qu'ils s'étaient fait prendre au piège des subprime. Des PDG démissionnèrent ou furent remerciés. Mais plutôt que de se jeter par la fenêtre comme en 1929, ils sautèrent en parachute doré : Charles Prince, PDG de Citigroup, partait avec 105 millions de dollars ; Stanley O'Neal, PDG de Merrill Lynch, faisait mieux : 161 millions de dollars. On découvrit que les banques européennes étaient elles aussi très impliquées. La banque britannique Northern Rock, spécialisée dans l'immobilier, fut sauvée in extremis par la banque d'Angleterre, après un mouvement de panique des déposants.
Le tournant Bear Stearns En mars 2008, la faillite de la cinquième banque d'investissement américaine, Bear Stearns, est évitée de justesse par son rachat par JP Morgan, téléguidé par le Trésor américain. La crise change de nature. La fragilité des banques d'investissement, qui fonctionnent avec un capital très réduit, éclate au grand jour. Pour éviter qu'elles n'engloutissent tout le système financier dans leur chute, la Fed est conduite à ouvrir ses guichets aux banques d'affaires : elles pourront désormais se refinancer auprès de la banque centrale, alors que celle-ci n'a aucun droit de regard sur leurs activités. En juillet, c'est au tour de Fannie Mae et de Freddie Mac, les deux géants du refinancement hypothécaire américain, d'être pris dans la tourmente. Pendant l'année 2008, l'administration américaine les a poussés à acheter et à garantir des prêts hypothécaires de moins en moins sûrs afin d'éviter un assèchement du crédit immobilier, ce qui les a beaucoup fragilisés. En juillet, le Congrès autorise le secrétaire au Trésor, Henry Paulson, à acheter des titres de dette des deux agences, éventuellement aussi leurs actions. Mais les investisseurs ne sont pas convaincus : le cours des actions de Fannie Mae et de Freddie Mac s'effondre et, malgré la quasi-garantie publique donnée à partir du mois de juillet, leur coût de financement ne cesse de monter... entraînant avec lui les taux des prêts immobiliers aux ménages. Pour ne rien arranger, la défiance à l'égard des deux agences, pivots du système financier américain, provoque une baisse du dollar. C'est ce qui décide finalement le gouvernement à les nationaliser en septembre. Ce n'était que le début du septembre le plus noir de l'histoire de la finance... · Sandra Moatti
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La crise -
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Le paroxysme : la faillite de Lehman Brothers La mi-septembre 2008 marque l'entrée dans une troisième phase de la crise, celle d'une panique boursière et d'une paralysie des marchés financiers associées à la faillite de la banque Lehman Brothers.
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out s'est joué le week-end des 13 et 14 septembre 2008 aux Etats-Unis.
Henry Paulson, le secrétaire américain au Trésor, et Ben Bernanke, le patron de la Fédéral Reserve (Fed), la banque centrale américaine, constatent le vendredi 12 que deux banques d'affaires, Merrill Lynch et Lehman Brothers, sont au bord de la faillite. Ils passent les deux jours suivants à échafauder une solution : Bank of America est intéressée pour racheter Merrill et la Britannique Barclays lorgne sur Lehman. Le premier deal débouche, mais celui avec la Barclays échoue. Dans son récit de la crise publié en février 2010 m, Paulson affirme que le gouvernement britannique a bloqué la transaction par crainte de devoir assumer les risques pris par Lehman. Une source interne à la banque d'affaires américaine affirme à l'inverse que les Britanniques étaient prêts à garantir pour moitié la valeur des actifs de Lehman si le gouvernement américain garantissait l'autre moitié, ce que Paulson aurait refusé. Quoi qu'il en soit, à la fin du week-end, Lehman Brothers n'a pas de repreneur.
Faire un exemple Le lundi matin, la faillite de Lehman est annoncée. Ancien dirigeant de la banque d'affaires Goldman Sachs et proche du Parti républicain, Paulson n'est pas un chaud partisan de l'intervention directe de l'Etat dans la finance. Il refuse une nationalisation temporaire de la banque et une recapitalisation avec des fonds publics. Il se dit par ailleurs que la faillite d'un établissement aura des vertus à long terme en montrant que, si l'Etat est prêt à intervenir pour gérer les crises, certains acteurs peuvent y laisser leur peau. Une façon de minimiser 1' « aléa moral » (*), c'est-à-dire le fait que, assurés d'être de toute façon sauvés par la puissance publique, les banquiers n'hésitent pas à prendre les risques les plus inconsidérés. Enfin, il pense qu'après l'effondrement de Bear Stearns en mars et son rachat par JP Morgan, les marchés ont eu le temps d'intégrer et de se préparer à la disparition d'une autre banque, même Lehman et ses 630 milliards de dollars d'actifs. Les grands patrons de la finance américaine présents dans son bureau le confortent dans cette idée.
(11 Henry Paulson, On the Brink. Inside the Race to Stop the Collapse of the Global Financial System, 6d. Business Plus, 2010.
Paulson et Bernanke ont tout de même deux craintes. Ils ont constaté qu'au moment des problèmes de Bear Stearns, en mars, le marché des « repos » (repurchase agreements), là où les banques d'affaires gèrent leurs liquidités par des emprunts et des prêts de court et de très court termes, s'était coincé, les banques refusant de se prêter les unes aux autres. Pour éviter que cela ne se reproduise, la Fed va annoncer qu'elle permet aux banques d'affaires de lui apporter une gamme assez large de titres financiers en contrepartie desquels
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elle leur prêtera de l'argent. De plus, Paulson fait pression sur les établissements financiers privés pour qu'ils annoncent la création d'un fonds privé commun doté de 70 milliards de dollars et ouvert aux établissements en difficulté. Ils savent également que des compagnies d'assurances, des hedge funds (*) et d'autres établissements financiers ont vendu un nombre important de CDS (collaterized debt obligations) ( * ) sur les obligations émises par Lehman, c'est-à-dire des assurances qui permettent à ceux qui les souscrivent d'être remboursés si la banque d'affaires était amenée à ne pouvoir payer ses dettes. Ce qui va se produire avec la faillite. Avec, en plus, cette particularité du marché des CDS qui fait que l'on peut acheter une protection contre le non-remboursement d'une obligation... sans que l'on détienne cette obligation. C'est ainsi que, si la dette obligataire de Lehman Brothers est évaluée à environ 155 milliards de dollars, le montant des contrats de CDS sur cette dette est estimé à l'époque à 400 milliards de dollars. Le marché des CDS étant opaque, Paulson et Bernanke ne peuvent savoir qui sera vraiment touché. Les suites de la faillite ne sont donc pas complètement maîtrisées. Mais ils décident de tenter le coup.
Réactions en chaîne Enorme erreur. La faillite de Lehman va entraîner une série de réactions en chaîne amenant la finance mondiale dans un état de panique totale. Au moment des difficultés de Bear Stearns en mars, les actionnaires avaient perdu leur investissement, mais les détenteurs d'obligations émises par la banque avaient été remboursés. Pas pour Lehman. Du coup, les vendeurs de CDS sont dépassés par les événements et l'un des premiers d'entre eux, l'assureur AIG, fait faillite. Ce qui force le gouvernement à dépenser 180 milliards de dollars pour que les banques qui se sont assurées contre la faillite de Lehman auprès d'AIG touchent bien leurs indemnités d'assurance. Lorsqu'un assureur fait faillite, les assurés prennent généralement une part du coût à leur charge en acceptant d'être remboursés à moins de 100 % de ce à quoi ils ont droit. En pleine crise, les grandes banques internationales refusent tout compromis et l'Etat américain paie plein pot, dont 12,9 milliards pour Goldman Sachs, 11,9 milliards pour la Société générale, 11,8 milliards pour la Deutsche Bank... De leur côté, les hedge funds (les fonds spéculatifs) se mettent à vendre les actions des banques d'affaires, craignant qu'une autre ne passe à la trappe, alimentant de ce fait une forte baisse des cours boursiers. Et ils se mettent à
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La crise - CHAPITRE
I
parier en même temps sur la faillite à court terme des banques, entretenant un mouvement de baisse inexorable des cours. Les deux grandes banques d'affaires indépendantes restantes, Goldman Sachs et Morgan Stanley, sont fortement attaquées et voient fondre leurs cours de Bourse. Si elles devaient y passer elles aussi, les cibles suivantes seraient les banques commerciales. Et là, c'est l'ensemble du système de distribution américain - et donc mondial - du crédit qui risquerait de s'effondrer. D'autant plus que, dans le même temps, le marché interbancaire, celui où les banques se prêtent de l'argent entre elles, part en vrille. Le taux d'intérêt des prêts au jour le jour passe de 3,1 % le 15 septembre à 6,4 % le 16, avant de rebaisser ensuite et de connaître un nouveau pic le 30 septembre à 6,9 %. Et même à ce taux-là, les banques ont tellement peur de la situation de leurs consœurs qu'elles refusent de prêter. Et ce n'est pas fini. Les fonds de placement à court terme, l'équivalent de nos Sicav, qui avaient acheté de la dette à court terme de Lehman en pensant tenir un placement sûr, se retrouvent avec une bonne partie de leurs actifs qui ne valent plus rien. L'un d'entre eux, le Reserve Primary Fund, passe à la trappe. Le marché du financement à trois mois s'écroule, touchant aussi bien les banques que les multinationales, y compris celles qui sont en situation solide et ont l'habitude d'y recourir pour financer leurs affaires courantes. Enfin, l'Europe est touchée à son tour, par le biais du Royaume-Uni. Le 17 septembre, la banque immobilière HBOS fait faillite et passe dans les mains de sa concurrente, Lloyds TSB. Ouvrant ainsi une ère où les règles anticoncentration sont mises de côté dans nombre de pays européens. Et tout ça du fait d'une seule faillite ! Les banques se retrouvent alors prises dans un double piège. Une crise de liquidité (*), c'est-à-dire une incapacité à trouver des financements de court et moyen termes pour assurer leurs affaires au jour le jour. Et une crise de capital, c'est-à-dire une incapacité à trouver des investisseurs prêts à leur faire confiance, alors même que la dépréciation de la valeur des actifs qu'elles détiennent entraîne des pertes qui mangent leur capital, tandis que la chute des cours de Bourse fait en outre fondre la valeur de ce dernier. Ce qui met en péril l'existence même des banques. Le temps de la gestion de la crise au coup par coup
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prend alors fin. Dans une frénésie d'interventions publiques, ministères des Finances et banquiers centraux font feu de tout bois pour empêcher le système bancaire mondial de s'effondrer et, avec lui, l'ensemble de l'économie.
Les Etats au chevet des banques Le 18 septembre, sentant que le système financier mondial est en train de s'écrouler, Paulson prend une mesure drastique : il annonce que l'Etat américain met 700 milliards de dollars sur la table pour racheter les créances toxiques détenues par les banques. En vidant ainsi leurs poubelles, le gouvernement espère qu'elles n'auront plus besoin de courir après le capital et que les marchés boursiers se calmeront. Par ailleurs, les banques centrales se mettent à injecter des dollars et des euros par centaines de milliards pour aider les banques à se refinancer. De plus, la Fed et les autorités monétaires britanniques interdisent aux vendeurs de titres financiers de vendre dans deux heures ou dans deux jours des actions à un prix fixé maintenant, en jouant sur le fait que leur prix va baisser entre-temps et qu'au moment où l'on devra les acheter pour les livrer, on
L E 1 8 SEPTEMBRE, H E N R Y P A U L S O N
les vendra plus cher que ce qu'on les achète. Cette
ANNONCE QUE L'ETAT AMÉRICAIN
pratique courante des acteurs de marché est doré-
MET 7 0 0 MILLIARDS DE DOLLARS
navant qualifiée par les autorités de « manipulation
SUR LA TABLE POUR RACHETER
du marché » !
LES C R É A N C E S T O X I Q U E S
La réaction des autorités publiques semble d'abord
D É T E N U E S P A R LES B A N Q U E S .
fonctionner. La Bourse se calme. Un peu. Mais le
M A I S LE 25 SEPTEMBRE, COUP DE
25 septembre, un coup de tonnerre éclate : le plan
T O N N E R R E : LE P L A N EST REJETÉ
Paulson est rejeté par une majorité de représentants, les idéologues libéraux dénonçant le « socialisme financier » du plan et joignant leurs voix aux parlementaires - républicains, mais aussi démocrates -, qui redoutent de se voir sanctionnés, lors des élections de novembre, par des électeurs alors hostiles au sauvetage des banques. La double crise, de liquidité et de capital, explose de plus belle et les Bourses flanchent. L'Europe, cette fois, est sérieusement touchée : Fortis, Hypo Real Estate, Dexia ne doivent leur survie qu'à des aides publiques massives. Les banques britanniques réclament également des fonds publics à leur gouvernement. Le 3 octobre, le plan Paulson est finalement voté.
Un plan en trois points Côté européen, le 9 octobre, Gordon Brown, le Premier ministre britannique, met sur la table un plan de soutien au système bancaire anglais qu'il propose comme modèle d'intervention pour l'ensemble des pays. Il comporte trois dimensions. D'abord, débloquer le marché interbancaire : puisque les banques ne veulent plus se prêter d'argent à court terme, les banques centrales doivent annoncer conjointement qu'elles fourniront des liquidités de manière illimitée. Certaines, comme la Banque centrale européenne (BCE), l'ont déjà fait. De plus, chaque gouvernement doit proposer à ses banques d'échanger les actifs illiquides - dont personne ne veut - contre des bons du Trésor, sans risque.
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La crise - CHAPITRE
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Ensuite, débloquer les financements de moyen terme des banques : puisqu'elles ne veulent pas se prêter d'argent à cet horizon et que les entreprises commencent également à souffrir de la situation, les Etats doivent garantir les émissions d'obligations à horizon de quelques mois à trois ans. Si la banque ou l'entreprise fait défaut, c'est l'Etat qui remboursera la dette ainsi contractée. La Fed avait pris les devants en annonçant quelques jours auparavant qu'elle était prête à acheter directement ces obligations si elles ne trouvaient pas preneurs : ce n'est plus seulement une banque centrale, mais une banque publique de financements à court terme ! Enfin, il faut recapitaliser les banques importantes et saines : les Etats doivent renflouer le capital des banques qui ne trouvent plus d'investisseurs. Une nationalisation partielle qui permet de redonner de l'oxygène à leur bilan et leur procure des réserves à mettre en face de leurs actifs risqués. Le dimanche 12, en réunion de crise à l'Elysée, les dirigeants européens s'engagent à une action massive et coordonnée inspirée du menu anglais, chacun y puisant pour mettre en avant ses propres priorités. Paulson annonce alors le 13 qu'il suit la voie européenne et débloque 250 milliards de dollars pour recapitaliser les principales banques américaines. L'Arabie Saoudite, l'Australie, l'Inde, la Suisse, etc., annoncent également leur plan d'intervention. Devant cette volonté de reprise en main de la finance, les Bourses se calment. Durant les mois qui suivent, les différents plans nationaux se mettent en place. Les banques sont recapitalisées. Le marché interbancaire se remet doucement à fonctionner. Le moment le plus chaud de la crise financière est passé. Il est temps de gérer ses effets désastreux sur la croissance et l'emploi. · Christian Chavagneux
[ Les p o u v o i r s p u b l i c s ont-ils é t é à la h a u t e u r ? Rétrospectivement, les banques centrales, plus proches des marchés financiers, semblent avoir pris plus rapidement la mesure de la crise que les politiques. Dès le 18 septembre 2007, Ben Bernanke, le gouverneur de la Réserve fédérale américaine, commence à baisser les taux d'intérêt, avant d'ouvrir de plus en plus grand au fil des mois les vannes à liquidités pour les banques. Des interventions qui tranchent avec la gestion au coup par coup de Henry Paulson, alors secrétaire américain au Trésor, et l'Immobilisme des leaders européens qui ne réagiront que lorsque la panique sera là.
L'idéologie libérale ambiante, hostile à l'intervention de l'Etat dans la finance, a sa part de responsabilité. Paulson aurait pu lessiver les actionnaires en forçant les banques à prendre leurs pertes, nationaliser temporairement les banques en les renflouant avec des fonds publics, remercier les dirigeants et restructurer les établissements avant de les revendre au privé. Il a préféré éviter aux banques de reconnaître la perte de valeur de leurs actifs toxiques et maintenir des dirigeants qui, deux ans après avoir été sauvés de leurs excès par les contribuables, s'octroient des bonus mirobolants.
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Des milliards pour les banques 12 000 milliards de dollars, c'est le montant faramineux que l'on obtient en faisant la somme de toutes les interventions des pouvoirs publics des pays du G20 pour venir au secours du système financier. Ce chiffre agrège cependant des interventions de nature très différente.
1. L'action des banques centrales
I
l y a d'abord les quelque 5 000 milliards d'injections de liquidités ( * ) auxquelles ont procédé les banques centrales. Les autorités monétaires ne se sont en effet pas contentées de baisser massivement les taux auxquels elles prêtent aux banques. Elles ont aussi ouvert massivement les vannes du refinancement. Elles l'ont fait dès la première alerte d'août 2007, dans le cadre de leur rôle de prêteur en dernier ressort ( * ) . Quand les banques ne parviennent plus à se financer les unes auprès des autres sur le marché interbancaire, la banque centrale dispose du pouvoir d'octroyer des liquidités ( * ) de manière illimitée aux établissements en difficulté, afin de leur éviter le dépôt de bilan et, au-delà, d'empêcher une propagation de faillites en chaîne qui déstabiliserait tout le système de paiement et de crédit, et donc l'activité économique et l'emploi. Cela signifie qu'elles prêtent aux banques à un jour, à plusieurs jours ou à quelques semaines, en échange de titres que ces banques leur confient en garantie. Ces dernières remboursent donc rapidement l'argent reçu, avant peut-être d'en emprunter de nouveau en cas de besoin. L'argent créé par les banques centrales ne l'est donc que de manière très temporaire. Pour répondre aux besoins des banques, les banques centrales ont considérablement élargi la gamme de titres de dette susceptibles d'être refinancés, permettant aux banques de leur céder des titres hypothécaires et autres obligations privées. Elles ont également accepté de prêter à des horizons de plusieurs mois, quand elles fournissent habituellement des liquidités au jour le jour. Aux Etats-Unis, la Fédéral Reserve (Fed), la banque centrale américaine, a ouvert ses guichets aux banques d'affaires, qui n'étaient pourtant pas soumises à sa surveillance. Le krach financier de l'automne 2008 a conduit les banques centrales, et en premier lieu la Fed, à aller encore plus loin dans la
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V A C J Á S E - CHAPITRE I
prise en charge directe du financement de l'économie. Face à l'extension massive de la crise au secteur réel de l'économie (illustrée aux Etats-Unis par les menaces de faillite de General Motors, Chrysler et Ford) et aux risques de déflation, les banques centrales ont procédé à partir d'octobre 2008 à une réduction accélérée de leurs taux d'intérêt. Aux Etats-Unis, la Fed brisait le plancher historique de 1 % et portait en décembre son taux directeur entre 0 % et 0,25 %. Au Royaume-Uni, la Banque d'Angleterre ramenait en quelques semaines son taux d'intérêt de 5 % à 0,5 %. La BCE, à son tour, baissait par étapes son taux directeur de 4 % à 1 %. Des baisses d'une ampleur certes exceptionnelle, mais qui ne sortaient pas du registre des interventions classiques. Mais quand les taux directeurs s'approchent de 0, la politique monétaire classique atteint ses limites. Il faut alors passer à des mesures plus audacieuses. La véritable révolution dans la conduite de la politique monétaire est venue de la Fédéral Reserve. Pour débloquer les marchés obligataires, celle-ci décidait en effet de racheter directement des titres de dettes, en créant, simplement, de la monnaie.
| D é t e n t e q u a n t i t a t i v e : la F e d va plus loin q u e la BCE On distingue deux formes principales de détente quantitative. La première, active, consiste pour la banque centrale à acheter directement des titres sur le marché obligataire, de façon à faire baisser les taux à long terme. Au Royaume-uni, la Banque d'Angleterre a ainsi financé la quasi-totalité du déficit budgétaire en 2009 en achetant elle-même les titres émis par le Trésor britannique. Aux EtatsUnis, la Réserve fédérale a acquis en 2009 pour 1 500 milliards de dollars de titres obligataires, dont 300 milliards de titres de la dette publique. En favorisant une hausse des prix des obligations, ces politiques permettent de réduire leurs rendements, donc d'abaisser les taux à long terme. La Banque centrale européenne (BCE) pratique, quant à elle, une seconde forme de détente quantitative, dite passive. Elle consiste à proposer aux banques d'emprunter des sommes illimitées à un taux fixe sur des périodes pouvant aller jusqu'à un an, alors que, traditionnellement, la BCE leur prête pour des périodes beaucoup plus courtes. Ainsi, en juin 2009, les banques ont-elles emprunté sur douze mois la somme record de 442 milliards d'euros au taux fixe de 1 %. Dans la mesure où les liquidités ainsi accumulées par les banques sont elles-mêmes placées en titres obligataires, cette forme de détente quantitative rend possible, elle aussi, une détente des intérêts à long terme. De par son statut, la BCE n'a pas le droit de financer directement le déficit budgétaire des Etats, comme le font les banques
centrales anglaise, américaine ou japonaise. Le fait de ne pas intervenir - ou seulement de façon marginale - sur le marché obligataire privé correspond en revanche à un choix, qui a été fortement contesté au sein même de l'institution.
Avant la crise, l'actif de la Fed était composé pour l'essentiel de titres publics à court terme. Avec le développement de la crise, sa composition s'est déformée au fur et à mesure que la Fed élargissait la gamme des titres et des agents qu'elle acceptait de refinancer, sans pour autant que son volume augmente. A partir d'octobre 2008, en revanche, face à l'aggravation de la récession et à la montée des risques déflationnistes, la Fed a laissé son bilan croître de façon disproportionnée, finançant ses nouvelles interventions par la création monétaire.
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Elle annonçait la mise en place de deux nouveaux programmes : l'un de rachat de titres adossés à des crédits aux PME, à des prêts aux étudiants et aux cartes de crédit, à hauteur de 200 milliards ; l'autre visant à racheter, jusqu'à hauteur de 600 milliards, des titres adossés à des crédits immobiliers de qualité douteuse. Ce faisant la Fed se substituait purement et simplement au système de crédit défaillant, assumant la fonction de prêteur en premier ressort ( * ) pour des pans entiers de l'économie. Enfin, elle programmait l'achat de 300 milliards de bons du Trésor de façon à provoquer la chute des taux longs. Une opération de monétisation du déficit budgétaire des plus hétérodoxes ! Au total, le bilan de la Fed est passé en quelques mois de 900 à 2 200 milliards de dollars.
2. L'action des Etats L'action des banques centrales ne pouvait cependant que répondre à la crise de liquidité (*), autrement dit aux difficultés des banques à trouver des financements à court terme. Cela ne suffisait pas à prévenir les risques de faillite liés aux pertes en capital massives qui grevaient le bilan des banques. Les Etats ont mobilisé l'argent public pour renforcer leur capital, garantir leurs engagements et, dans certains cas, racheter leurs actifs « toxiques ». A la différence des prêts des banques centrales ou de leurs achats de titres financés par création monétaire, ces opérations de renforcement des bilans des banques mobilisent de l'argent public, que les Etats doivent théoriquement débourser au détriment d'autres usages. Théoriquement seulement, car les montants annoncés pour recapitaliser les banques ou racheter des actifs n'ont pas toujours été intégralement utilisés. Quand ils le sont, il ne s'agit cependant que d'une dépense temporaire : tôt ou tard, les prises de participation pourront être dénouées, les titres revendus et les prêts remboursés. Avec un risque pour l'Etat, en négatif comme en positif. Par ailleurs, le plus gros des plans de sauvetage consistait en garanties publiques, qui n'ont pas de raison d'être mobilisées si la situation des banques s'améliore. Si elle tourne mal en revanche, le coût pour les Etats peut être très substantiel. Chaque Etat a décliné ces principes généraux à sa manière. En France, le plan de sauvegarde décidé par le gouvernement en octobre 2008 s'est appuyé sur la création de deux agences publiques. La première est la
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La crise - CHAPITRE
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Société de prise de participation de l'Etat (SPPE), chargée d'aider à la recapitalisation des banques françaises, dans la limite de 40 milliards d'euros. Pour cela, elle a emprunté de l'argent sur les marchés financiers internationaux et s'en est servi pour prendre des participations au capital des banques françaises. A l'origine réticents à mobiliser cette aide par crainte d'apparaître affaiblis, le Crédit agricole, BNP Paribas, la Société générale, le Crédit mutuel-CIC, BPCE (la banque créée par le regroupement entre les Caisses d'épargne et les Banques populaires) ont finalement reçu 10,5 milPOUR LE CONTRIBUABLE FRANÇAIS,
liards d'euros de la part de la SPPE le 20 octobre
LA FACTURE DES SAUVETAGES
2008, suivis de 10,5 autres milliards début 2009.
B A N C A I R E S P R O P R E M E N T DITS
Face à l'arrivée massive d'argent public dans les
SERA AU TOTAL SANS DOUTE
grandes banques étrangères, les banques françaises
MODESTE. EN REVANCHE,
apparaissaient alors de plus en plus, aux yeux des
C'EST LE C O Û T DE LA CRISE,
investisseurs, comme sous-capitalisées par rapport
Q U E LES I M P R U D E N C E S
à leurs concurrentes. Comme elles, les banques
DES B A N Q U E S O N T SUSCITÉE,
françaises procéderont à des augmentations de
QU'ILS N ' O N T P A S FINI D E P A Y E R
capital pour se mettre au niveau international (mais les nouvelles contraintes réglementaires
en cours d'élaboration, plus strictes sur la définition de ce qui peut être considéré comme du capital, pourraient obliger les banques françaises à chercher de nouveaux capitaux). Cet apport public a pris la forme d'obligations émises par les banques et souscrites par la SPPE à un taux de l'ordre de 8 %, les intérêts rentrant dans les poches de l'Etat qui emprunte, lui, à environ 4 %, soit un gain net pour le budget. Début 2010, seule la BPCE n'avait pas encore remboursé l'aide de l'Etat. La seconde institution, baptisée Société de refinancement de l'économie française (SFEF), détenue à 66 % par les banques et à 34 % par l'Etat, est née le 17 octobre 2008. Elle pouvait emprunter avec la garantie de l'Etat sur les marchés internationaux pour assurer les besoins de financement à court et moyen termes des banques, dans une limite de 320 milliards d'euros. Les banques apportaient, de la même façon qu'à une banque centrale, des titres financiers de bonne qualité comme garanties (crédits à la consommation, aux collectivités locales...), en échange des prêts, avec intérêts, de la SFEF. L'objectif était d'assurer une source de refinancement aux banques en cas de blocage prolongé du marché interbancaire. La Société de refinancement a cessé d'émettre des obligations à l'automne 2009 et a été depuis « mise en sommeil » par la loi de finances 2010. Au total, la facture pour le contribuable français des sauvetages bancaires proprement dits sera sans doute modeste. En revanche, c'est le coût de la crise que les imprudences des banques ont suscitée qu'ils n'ont pas fini de payer. · Sandra Moatti, Christian Chavagneux et Jacques Adda
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Sauver les banques ou sauver les banquiers ? Toute crise financière entraîne une redistribution du pouvoir et de la richesse entre entreprises, banques. Etats et populations. D'où la difficulté d'établir des compromis dans un contexte violemment conflictuel.
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arement la contradiction propre au système financier mondial se sera manifestée avec autant d'ampleur : ce système dépend pour son fonctionnement essentiellement d'acteurs privés, alors qu'il constitue plus que jamais un bien public, un élément essentiel du fonctionnement social. La conviction collective est qu'il revient à la puissance publique d'assurer son bon fonctionnement, alors qu'il dépend avant tout de banques privées.
On l'a vu quand les différents Etats sont venus massivement au secours de leurs banques. Face au risque de faillite, les plus libéraux d'hier ont appelé l'Etat au secours sans vergogne. « Aidez-moi ou je fais un malheur et je vous entraîne tous dans ma chute ! » Les mêmes qui, hier, reprochaient au bon peuple sa mentalité d'assisté quand il réclame un salaire minimum ou une indemnisation correcte du chômage, rassurent désormais les boursicoteurs inquiets : l'Etat fera son devoir. Et d'appeler les autorités publiques (et donc le même bon peuple sous la forme du contribuable) à venir au secours des financiers imprudents. Cette situation, où l'on voit un acteur économique ne pas avoir à supporter les conséquences des risques qu'il a pris hier, est qualifiée par les économistes d'aléa moral (*). L'aléa moral a d'abord été étudié par Kenneth Arrow. Il a observé le comportement des assurés, qui sont amenés à prendre trop de risques sachant que, en fin de compte, ce serait toujours l'assurance qui paierait. Dans le cas qui nous préoccupe, l'assuré, ce sont les banques, et l'assurance, ce sont les banques centrales et l'Etat, et derrière eux la collectivité.
Laisser s'exécuter le châtiment des marchés La logique libérale voudrait que les autorités publiques laissent la sélection naturelle jouer à fond : qu'on laisse périr les mauvaises banques et, avec elles, les mauvais banquiers. Le châtiment des marchés doit être exécuté dans toute sa rigueur et les bons, les prudents, ceux qui hier affichaient des plus-values moins flamboyantes, doivent être enfin récompensés de leur sagesse. Ce n'est pas seulement affaire de morale, mais aussi d'efficacité : dans une économie monétaire de marché, l'argent est l'outil qui permet d'échanger des biens et des services, mais c'est aussi le support du capital. Le capitalisme est fondé sur la rareté de l'argent : seul celui qui dispose d'un capital ou qui a accès au crédit peut investir. Celui qui n'en a pas est dans l'obligation de vendre son travail contre un salaire. La contrepartie de cette inégalité est que le crédit ne doit être accordé qu'à ceux qui en font le meilleur usage : ceux dont les projets vont créer de la richesse, ceux qui réussiront demain à faire des bénéfices en vendant avec profit des biens et des services, ceux qui parviennent à équilibrer leurs comptes courants et leurs
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La crise - CHAPITRE
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bilans. C'est à cette condition que le capitalisme peut être sinon légitime, du moins tolérable. Aussi, quand les banquiers gagnent des milliards en prenant des risques insensés, quand le crédit sert à accumuler des fortunes et non à produire des richesses, il est juste que les banquiers soient punis.
intervenir pour éviter le risque systémique Le problème, cependant, ne se pose pas uniquement en termes individuels - punir les vilains - mais aussi en termes collectifs. L'interpénétration générale du système financier est telle qu'un maillon qui lâche risque de mettre en danger toute la chaîne. Si la déconfiture de banques de taille réduite est tolérable, comme ce fut le cas, par exemple, lors de la faillite de la Barings en 1995, suite aux opérations hasardeuses d'un de ses traders, ou de dizaines d'établissements régionaux américains depuis 2007, les grands établissements sont « too big tofail» (« trop gros pour faire faillite »). D'où le sauvetage des caisses d'épargne aux Etats-Unis dans les années 1980, des banques asiatiques lors de la crise de 1997 (dont la faillite aurait entraîné les banques occidentales dans leur chute) ou encore du fonds spéculatif américain LTCM, dont le sauvetage par les grandes banques fut imposé par la banque centrale américaine en 1998 pour éviter la contagion à l'ensemble des banques d'affaires. Le choix de sauver ou pas un établissement est donc extrêmement délicat, comme Henry Paulson, le L E P A R A D O X E EST Q U E LES
chef du département du Trésor de George W. Bush, l'a
BANQUES CENTRALES, INSTITUTIONS
prouvé par l'exemple, quand il a laissé Lehman Brothers
CHARGÉES PAR LA COLLECTIVITÉ
faire faillite le 15 septembre 2008. Le système bancaire
D'ASSURER LA RÉGULATION
mondial a failli s'effondrer dans la foulée, les banques
DE LA RARETÉ DU CAPITAL,
refusant de se prêter les unes aux autres, incertaines
SE SONT TROUVÉES CONDUITES
sur leur solvabilité puisque la garantie de l'Etat en
À EN ASSURER L ' A B O N D A N C E ,
dernière instance pouvait faire défaut.
AU PROFIT DES BANQUIERS
On a alors vu concrètement se développer ce que
les économistes appellent un « risque systémique » (*), la menace d'un effondrement de l'ensemble du système financier. Pour l'éviter, les banques centrales ont racheté des créances bancaires de plus en plus douteuses en échange de bons dollars (ou d'euros, de livres sterling...), tandis que les Etats recapitalisaient les banques sous forme de prêts subordonnés ou d'entrée directe à leur capital. Le paradoxe de cette affaire est que les banques centrales, institutions chargées par la collectivité d'assurer la régulation de la rareté du capital (à travers une gestion des quantités de monnaie ou une gestion du taux d'intérêt, ce qui revient au même), se sont trouvées conduites à en assurer l'abondance, au profit des banquiers. Tout cela n'est évidemment plus du tout moral, mais n'est-ce pas un moindre mal si cela évite un effondrement du système bancaire qui provoquerait à son tour un étouffement de l'économie réelle, faute de crédit, et donc du chômage et de la misère ? La réponse est oui. Mais la raison même qui rend l'intervention publique légitime - l'ampleur de la crise - rend tout autant légitime l'interrogation sur ses modalités. Dit plus clairement, s'il faut sauver les banques, faut-il pour autant sauver les banquiers et leurs actionnaires ?
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Enjeux de pouvoir et de richesse Selon les modalités choisies, selon les compromis qui s'établissent entre acteurs, selon la volonté des acteurs publics de sanctionner ou non les anciens responsables - managers et actionnaires -, se jouent des positions en termes de richesse et de pouvoir. On l'a bien vu lors des rapprochements forcés initiés par les pouvoirs publics, comme la reprise de Fortis Banque par BNP Paribas. La fronde des actionnaires a failli faire capoter l'opération. La nationalisation, dans ces conditions, peut apparaître comme la solution la plus efficace et la plus juste : elle permet aux pouvoirs publics d'agir directement pour relancer le crédit, alors qu'une banque en situation difficile est tentée de se refaire sur le dos de ses clients. La nationalisation évite aussi que les fonds publics permettent aux actionnaires et aux managers d'échapper aux conséquences des risques pris antérieurement. Mais il est bien difficile pour des gouvernants, dont la proximité à l'égard des milieux patronaux et bancaires est forte, d'oser assumer une nationalisation. On l'a vu au Royaume-Uni, où les prises de participation publique dans certaines banques n'ont été imposées que sous la pression de l'urgence (la faillite de Northern Rock en septembre 2007) ou comme la contrepartie d'un transfert de risque colossal (comme pour la Lloyd's en mars 2009). L'Etat devient alors majoritaire au capital, mais garantit de fait la valeur des titres des minoritaires en prenant à sa charge l'essentiel des pertes potentielles de la banque. Même exemple, en France, avec Natixis et Dexia. Suite aux difficultés de ces deux établissements, liées notamment à leurs aventures américaines, l'Etat aurait pu constater leur perte totale de valeur et officialiser sa prise de contrôle en nommant de nouveaux dirigeants et en injectant les capitaux indispensables pour assurer la continuité de leurs engagements. En pratique, l'injection de fonds publics et la nomination de nouveaux dirigeants ont bien eu lieu, mais l'Etat s'est refusé à constater la ruine des actionnaires pour ne pas accroître encore la défiance des investisseurs à l'égard des titres bancaires. La gestion de toute crise financière par les pouvoirs publics masque donc, derrière de complexes débats techniques, des enjeux majeurs en termes de redistribution du pouvoir et de la richesse. Cela ne va pas sans conflits, lesquels ne sont pas toujours tranchés, et quand ils le sont, l'issue n'est pas toujours celle qui aurait été souhaitable en termes de justice comme d'efficacité. · Philippe Frémeaux
Trois modèles de sauvetage des banques Pour mettre un terme à l'hémorragie des pertes, trois options peuvent être efficaces. Mais il faut avoir conscience qu'elles n'auront pas les mêmes effets, en particulier sur le crédit. Et pour le contribuable.
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endant plusieurs mois, les Etats ont multiplié les apports d'argent public
sans parvenir à enrayer les pertes des banques ni à raviver le crédit. Ainsi, en mars 2009, cinq mois après l'adoption du plan Paulson aux Etats-Unis et
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La crise -
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l'injection de 350 milliards de dollars de fonds publics dans le capital des banques américaines, les pertes bancaires continuaient de s'accumuler, les cours des actions bancaires étaient toujours au plus bas, les besoins de capitaux toujours aussi importants et les banques continuaient de thésauriser leurs fonds au lieu d'accorder des crédits à des économies à l'agonie. Trois modèles paraissent à même de mettre un terme à l'hémorragie des pertes. Mais ils n'ont pas les mêmes implications en termes de redistribution et de reprise du crédit.
Le m o d è l e de la garantie publique Le modèle de la garantie publique sur les actifs des banques prend acte du fait, amplement démontré par l'échec du plan Paulson, que l'injection de capitaux ne résout rien tant que les bilans des banques demeurent encombrés d'une masse considérable de créances douteuses et d'actifs toxiques. S'il évite à l'Etat de devoir racheter les actifs douteux des banques, il n'en transfère pas moins la totalité des risques de pertes futures sur les actifs en question sur le contribuable, sans que celui-ci soit associé d'une quelconque façon à la possibilité de gains éventuels, en cas de retour à la normale des marchés. A cela s'ajoute le fait que l'Etat, refusant de recevoir la part qui serait revenue à tout investisseur privé en contrepartie des capitaux apportés - ce qui le rendrait majoritaire -, s'interdit de limoger les dirigeants des banques et de peser de façon décisive sur leur politique de crédit. Ce modèle s'analyse ainsi comme un immense cadeau fait aux actionnaires des banques en faillite, sur le dos des contribuables et au détriment des banques concurrentes ayant fait preuve d'une gestion plus raisonnable. Le cas de Citigroup, première banque américaine LE MODÈLE DE LA GARANTIE PUBLIQUE par le montant de ses actifs, est exemplaire de ce SUR LES ACTIFS DES BANQUES mode de traitement. Le 28 octobre 2008, la banque S'ANALYSE COMME UN IMMENSE recevait une première injection de capitaux publics, CADEAU FAIT AUX ACTIONNAIRES pour 25 milliards de dollars dans le cadre du plan DES BANQUES EN FAILLITE, SUR LE DOS Paulson. L'action de Citigroup, qui avait perdu 80 % de DES CONTRIBUABLES ET AU DÉTRIMENT sa valeur depuis juin 2007, rebondissait alors de 12 à DES BANQUES CONCURRENTES 15 dollars, avant de reprendre sa chute vertigineuse et A Y A N T ÉTÉ PLUS RAISONNABLES de toucher un point bas à 4 dollars le vendredi 21 novembre. Au bord de la faillite, menaçant d'entraîner dans sa chute l'ensemble de l'édifice financier américain, la banque bénéficiait le 23 novembre 2008 du plan de sauvetage le plus important de toute l'histoire financière. Fondé sur le principe de l'assurance, ce plan offrait la garantie du gouvernement sur 90 % du portefeuille d'actifs risqués de la banque (crédits aux entreprises et titres adossés à des crédits immobiliers, crédits à la consommation, cartes de crédit, etc.), soit 306 milliards de dollars. Il procédait en outre à une nouvelle injection de fonds publics à hauteur de 20 milliards de dollars. En contrepartie, Citigroup acceptait de passer par pertes et profits 29 milliards de dollars de titres et de créances non recouvrables et cédait au gouvernement une participation dans son capital de... 7,8 % ! Un montant dérisoire au vu de la capitalisation de
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la banque le jour de l'accord (28,6 milliards de dollars) et des risques désormais assumés par le gouvernement américain. Aucun changement n'était exigé à la direction de la banque, qui pouvait continuer de gérer les affaires tranquillement, moyennant quelques limitations salariales.
Le modèle de la « bad bank » Solution alternative, le modèle de la bad bank consiste pour l'Etat à racheter les actifs toxiques des banques, de façon à la fois à désencombrer leurs bilans et à permettre à l'Etat de bénéficier de plus-values éventuelles lors de la revente future des actifs en question. Il présente l'inconvénient d'obliger les Etats à débourser immédiatement LE MODÈLE DE LA BAD BANK les fonds destinés au rachat desdits actifs. Surtout, CONSISTE POUR L ' E T A T À RACHETER il ne garantit nullement que les banques se remetLES ACTIFS TOXIQUES DES BANQUES tent à faire crédit tant que leur capital continue de fondre. Or, sans reprise du crédit, la dégradation accélérée de l'activité a toutes les chances de gonfler le volume des créances douteuses des banques, donc d'entretenir la défiance des marchés à leur encontre et, avec elle, la fonte de ce qui reste de leurs fonds propres (*). Le plan de Timothy Geithner, le secrétaire d'Etat au Trésor de Barack Obama, est une version originale de ce modèle. L'administration Obama ne disposant plus que d'une centaine de milliards sur les 700 alloués au plan Paulson et refusant d'entendre parler de nationalisation, la solution trouvée fut d'associer les investisseurs privés - fonds de pension, fonds mutuels, fonds obligataires, fonds spéculatifs - à la reprise des actifs toxiques des banques, en partenariat avec l'Etat. Afin d'atteindre les sommes requises pour assainir sérieusement les bilans bancaires, l'innovation du plan Geithner a consisté à faire jouer massivement l'effet de levier (*), en autorisant les investisseurs privés à emprunter jusqu'à douze fois leur mise auprès de la banque centrale ou bien sur les marchés privés, avec la garantie de l'Etat pour racheter les actifs des banques. Pour les convaincre de prendre le risque, les prêts de la Fédéral Reserve (Fed), la banque centrale américaine, ne sont garantis que par les actifs toxiques acquis par les fonds, ce qui signifie qu'en cas de défaut de paiement ou de faillite, les pertes seront assumées par l'Etat. Bref : en cas de plus-value, autrement dit de revente ultérieure des actifs bancaires à un prix supérieur à leur prix d'acquisition, les profits seront partagés entre le privé et l'Etat. En cas de pertes, tous les risques seront aux frais des contribuables.
Le modèle de la nationalisation En réalité, comme le montre l'exemple suédois de 1993 (voir page 133), la solution à la fois la plus équitable et la plus efficace consiste à aligner les intérêts des institutions financières soutenues à bout de bras par l'Etat avec ceux des contribuables qui financent leur remise à flot. L'intérêt du public est que les vannes du crédit soient rouvertes le plus rapidement possible, pour empêcher que la récession actuelle ne se transforme, comme elle en prend
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le chemin, en dépression. Cela suppose que la gestion des banques cesse d'être guidée par la raison privée, laquelle dépend trop étroitement de la protection immédiate des actionnaires et débouche, dans le contexte actuel, sur la thésaurisation des liquidités ( * ) . Si une banque est trop grande pour faire faillite, alors elle doit être nationalisée. Ses actionnaires doivent assumer les pertes et sa direction être limogée. Cela suppose de conditionner l'injection de capitaux publics à la reconnaissance par les banques de leurs pertes, autrement dit l'inscription des actifs toxiques dans les bilans à leur valeur de marché. Puis de sanctionner l'échec de la gestion passée et l'état de quasi-faillite des banques en permettant à l'Etat, à l'instar de tout investisseur privé et à plus forte raison d'un fonds souverain étranger, d'acquérir le capital des banques à son prix de marché. Enfin, seulement, de transférer les actifs toxiques des banques vers une bad bank chargée de les gérer jusqu'à ce que leur revente devienne possible. Faute d'une telle politique, l'Etat se condamne à socialiser l'ensemble des pertes passées et futures du système bancaire, sans pour autant s'assurer que les sommes énormes investies permettront le redémarrage du crédit. · Jacques Adda
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Une récession mondiale La crise financière se transforme en crise économique via de multiples canaux, qui prennent tous leur source dans les difficultés des banques.
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ur l'échelle de Richter des crises qui ont secoué la finance et l'économie depuis un siècle, celle de 2008-2009 n'est guère surpassée que par celle de 1929. En deux trimestres, fin 2008 et début 2009, la production industrielle des trente pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) est retombée à son niveau de 1996. Dans ces mêmes pays, 15 millions de personnes ont perdu leur emploi entre début 2008 et fin 2009. Et leur nombre pourrait atteindre 25 millions en 2010. Au niveau mondial, la production a été négative en 2009 pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale. Exceptionnelle, cette crise l'est à plus d'un titre. D'abord parce qu'elle touche le cœur du système, les banques, qui fournissent à l'économie son oxygène, le crédit ; ensuite, parce qu'elle affecte simultanément toutes les régions du monde : même les pays qui n'ont pas participé aux excès financiers des années 2000, notamment au Sud, ont subi la crise via la contraction des échanges internationaux et le reflux brutal des mouvements de capitaux. Retour sur les multiples canaux qui ont transformé une secousse financière en une récession mondiale. En anglais, la source de tous ces mécanisme tient en un mot : deleveraging (en français, inversion de l'effet de levier) (*). Pendant des années, le système financier a en effet déversé une avalanche de crédits dans l'économie, en s'endettant luimême massivement, notamment au niveau des institutions les moins régulées, les hedge funds ( * ) (les fonds spéculatifs) et les banques d'investissement. La crise inflige aux banques des pertes en capital massives. Pour améliorer leur ratios de fonds propres ( * ) (le montant des crédits qu'elles distribuent à leurs capitaux propres), elles sont conduites à resserrer drastiquement le robinet du crédit. Résultat : tous les secteurs qui dépendent du crédit souffrent.
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1. Le canal du marché immobilier Et en premier lieu le secteur immobilier. La soudaine prudence des banques en matière de crédit entrave les achats immobiliers des ménages, ce qui enclenche ou amplifie la baisse des prix. Du coup, la construction dégringole. Aux Etats-Unis, épicentre de la crise, le retournement du marché immobilier est le plus sévère de l'après-guerre. Les prix immobiliers ont reculé de 20 % en 2009 par rapport à 2008. Les mises en chantier, qui s'élevaient à 2 millions de logements par an en 2006, étaient tombées à 500 000 l'an dernier, un point bas depuis la création de la statistique en 1959 ! Un secteur important de l'économie se trouve ainsi sinistré : l'investissement en logement ne représentait plus que 2,5 % du produit intérieur brut (PIB) l'an dernier, contre 6 % deux ans auparavant. Les pays les plus touchés sont bien sûr ceux où les ménages s'étaient le plus massivement endettés pour acheter de l'immobilier et où ce secteur pesait le plus lourd dans l'économie nationale. En Espagne, notamment, la frénésie immobilière avait fait tripler le prix des appartements entre 1997 et 2007, une hausse qui n'est dépassée en Europe que par celle enregistrée en Irlande et au Royaume-Uni. L'enrichissement des ménages - à 90 % propriétaires de leur logement - s'est fondé sur une croissance explosive de l'endettement, qui atteignait 135 % de leur revenu disponible en 2007, contre 47 % dix ans plus tôt. Parallèlement le secteur de la construction avait gonflé, au point d'occuper 13 % des actifs espagnols - soit environ le double de la France. Pas étonnant dans ces conditions que la péninsule Ibérique pâtisse très durement de la crise, avec uiie croissance en repli de 3,6 % en 2009 et surtout un taux de chômage qui avoisine désormais les 20 % !
2. Le canal de la richesse L'éclatement de la bulle immobilière n'a pas seulement sinistré le secteur de la construction, il a aussi amputé la richesse des ménages. Au moment même où le cours des actions dégringolait. En mars 2009, la capitalisation boursière avait fondu de moitié par rapport à la mi-2008, aux Etats-Unis comme dans la zone euro (avant de se reconstituer en partie).
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Si bien que les ménages se sont soudain sentis beaucoup moins riches. Ces « effets de richesse » ( * ) , comme disent les économistes, sont le deuxième canal de transmission de la crise financière à l'économie réelle. Ils ont été particulièrement violents pour les Américains, qui avaient largement profité de l'augmentation de leur patrimoine pour obtenir des rallonges de crédit. Si bien que, dans la phase de double bulle immobilière et boursière, ils en étaient venus à dépenser presque plus qu'ils ne gagnaient. La source du crédit étant tarie, leur patrimoine s'étant en partie évaporé - non seulement le patrimoine immobilier, mais également leurs plans de retraite par capitalisation -, leur emploi étant parfois menacé, les ménages américains ont réappris à se serrer la ceinture. Bridant ainsi la consommation, principale source de la croissance. Sur tous ces plans, les Français ont été un peu moins éprouvés que d'autres. L'économie hexagonale a été victime des mêmes mécanismes, mais avec une moindre ampleur. Les prix immobiliers ont moins baissé et la construction
| Le d é s a s t r e d e s f o n d s de p e n s i o n S'il en est besoin, la crise financière de 2008-2009 (après déjà celle de 2001) prouve que les systèmes de retraite par capitalisation ne peuvent en aucun cas constituer une alternative satisfaisante aux systèmes de retraite fonctionnant sur le principe de la répartition. Historiquement, les fonds de pension étaient surtout des systèmes dits « à bénéfices définis » : comme des systèmes par répartition, ils garantissent aux ayants droit un revenu prédéterminé, fonction de leurs revenus d'activité. Seulement ils le font grâce aux revenus du capital (ou aux plus-values) qui résultent de l'accumulation de cotisations versées chaque mois par les salariés et l'entreprise au fonds de pension. Avec la crise, les actifs détenus par les fonds de pension ont fondu de manière spectaculaire du fait de la perte de valeur des titres financiers : un tiers en moyenne en Irlande, selon l'OCDE, au cours de la seule année 2008, un quart aux Etats unis, 18 % au Royaume-uni... Et l'amélioration intervenue depuis sur les marchés financiers est très loin encore d'avoir compensé ces pertes. Dans tous les pays, les autorités surveillent (heureusement) en permanence ces fonds pour s'assurer qu'ils disposent de suffisamment de moyens pour faire face à leurs engagements futurs. Or avec la crise, ce n'était très souvent plus le cas, loin de là. Du coup, les autorités de surveillance ont partout demandé aux entreprises (ou aux gouvernements, pour les fonds de pension publics) de renflouer d'urgence les fonds de pension pour compenser les pertes constatées sur les marchés. Mais du coup, ce renflouement aggrave les difficultés financières
des entreprises et des Etats, et donc la crise ellemême... On trouve aussi et de plus en plus des systèmes de retraite par capitalisation, dits « à cotisations définies » : les salariés mettent chaque mois de l'argent de côté à titre individuel, moyennant souvent un abondement par leur employeur et des exemptions fiscales et/ou sociales. Ces systèmes se sont beaucoup développés ces dernières années parce que, contrairement aux systèmes à bénéfices définis, ils dégagent entreprises et gouvernements de toute responsabilité vis-à-vis du niveau des retraites futures : celui-ci dépend uniquement de la stratégie de placement des individus et de l'état des marchés financiers... Du coup, avec la crise, nombre de papy-boomers qui se trouvent au seuil de la retraite ont vu fondre comme neige au soleil le patrimoine qu'ils avaient patiemment accumulé pour financer leur retraite... Les poussant soit à épargner beaucoup plus, soit à se maintenir en emploi s'ils le peuvent. Résultat : en Argentine, le gouvernement a nationalisé les fonds de pension ; en Slovaquie, en Hongrie et en Croatie, les gouvernements ont autorisé ceux qui avaient fait le choix de la capitalisation, incités en cela par une fiscalité avantageuse (et par la propagande des organisations internationales), à revenir dans le système public par répartition. Et partout, les Etats cherchent désespérément des expédients pour éviter que les réformes imprudemment engagées ces dernières années afin de promouvoir les retraites par capitalisation ne virent au drame social... Guillaume Duval
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moins fléchi qu'ailleurs, notamment grâce au dynamisme démographique de la France, qui contribue à soutenir la demande de logements. Si la bulle immobilière - les prix des logements ont doublé entre 1997 et 2007 - est allée de pair avec une hausse substantielle de l'endettement, celle-ci a été moins extravagante qu'en Espagne, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Irlande, ou même au Danemark ou en Finlande. De sorte que les ménages français ont été moins pris à la gorge par le retournement immobilier. Les Français figurent en outre parmi les champions du monde de l'épargne, puisqu'ils mettaient de côté 15,5 % de leurs revenus début 2008. Si ce taux est remonté depuis à 17 % (troisième trimestre 2009), la hausse est beaucoup moins brutale qu'aux Etats-Unis par exemple. En outre, cette épargne est le plus souvent placée dans des produits à faible risque (un Français sur six seulement détient directement ou indirectement des actions). Et même si le système de retraite par répartition est régulièrement réformé, il leur donne l'assurance de toucher un jour une retraite sans être à la merci des aléas des marchés financiers.
3. Le canal du financement des entreprises Le troisième canal de transmission de la crise a été celui du financement des entreprises. Durant quelques mois, toutes les sources de financement se sont taries. Du côté des marchés de capitaux, la dégringolade des Bourses jusqu'en mars 2009 a rendu un temps impraticable l'émission de nouveaux titres. Du côté des marchés obligataires, les investisseurs se sont mis à fuir les obligations émises par les entreprises au profit de celles jugées « sans risque » des Etats - un phénomène de « fuite vers la qualité » propre à toutes les paniques. Les primes de risque se sont envolées, notamment pour les emprunteurs jugés les plus sûrs. Quant au crédit bancaire, il est resté accessible pour les grandes entreprises, bénéficiant d'une position solide, jusqu'à ce que le retour de la confiance sur les marchés financiers leur permette d'émettre à nouveau des titres, notamment des obligations. En revanche, les petites entreprises, qui n'ont pourtant pas d'alternative au financement bancaire, ont vu leur accès au crédit se réduire drastiquement. En particulier les entreprises en situation difficile, auxquelles les banques ont retiré leur soutien de peur de ne pas être remboursées. Résultat, les faillites se sont multipliées. Aux Etats-Unis, elles ont bondi de 54 % sur un an en 2008, et devraient avoir progressé encore de 45 % en 2009, d'après les estimations d'Euler Hermès. En France, la poussée est moins spectaculaire - 15 % en 2008 et 17 % en 2009 -, mais elle se rapproche
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du record de 1993. Les entreprises du secteur de la construction sont, sans surprise, les plus touchées. Mais il s'agit en général de très petites structures. En revanche, les grosses défaillances - en 2009, dix entreprises réalisant un chiffre d'affaires de plus de 150 millions d'euros ont fait faillite - se retrouvent dans l'industrie ou le commerce. Au-delà du cas extrême des faillites, le rationnement du crédit pose un problème à des entreprises françaises fortement endettées. Leur dette brute représentait en effet 121 % de leur valeur ajoutée en 2008, un niveau qui dépasse celui atteint en 2001, à la veille de l'éclatement de la bulle Internet. La progression récente de l'endettement s'explique moins par le dynamisme de l'investissement que par la montée des versements de dividendes aux actionnaires, qui atteignait 27 % de leur excédent brut d'exploitation en 2008, contre 17 % en 2001. Avec un taux d'autofinancement au plus bas, des banques qui ne leur prêtent qu'à reculons, des profits entamés par la crise et préemptés par les actionnaires, les entreprises françaises n'ont guère de marge pour investir. Et risquent d'aborder la reprise en mauvaise posture.
4. Le canal du commerce extérieur L'autre caractéristique de cette crise, c'est son extension mondiale. Même les pays dont les banques n'avaient pas trempé dans le juteux business des subprime ( * ) ont été ébranlés. La crise s'est diffusée au monde entier à travers deux canaux : une contraction brutale et sans précédent du commerce international et une inversion non moins brutale des flux de capitaux internationaux. Le volume du commerce mondial de biens et services s'est contracté de 12,3 % en 2009. La chute libre des échanges au cours des six mois qui ont suivi la chute de Lehman Brothers a surpris tous les observateurs. Elle s'explique à la fois par la désorganisation des circuits de financement du commerce international et par la contraction de la demande intérieure des pays du Nord. Les économies les plus dépendantes des exportations ont bien sûr été les plus touchées. Au Nord, les champions traditionnels de l'exportation que sont l'Allemagne et le Japon enregistrent en 2009 des récessions sévères : l'activité
[ L ' a r g e n t tari d e s m i g r a n t s La transmission de la crise des pays du Nord vers ceux du Sud passe aussi par un autre canal : la baisse des revenus des migrants. L'OCDE note une baisse des flux des migrations professionnelles, notamment à destination des Etats-Unis, du RoyaumeUni, de l'Espagne et de la France. De plus, les travailleurs étrangers sont parmi les premiers touchés par la crise. En Espagne, aux Etats-Unis et en Irlande, le taux de chômage des immigrés a doublé. Comme l'explique Jean-Christophe Dumont, expert des migrations internationales à l'OCDE, « les immigrés
sont surreprésentés dans les secteurs où l'emploi est le plus sensible aux chocs conjoncturels, notamment le BTP et l'hôtellerie-restauration ». Et il ajoute : « Les immigrés ont en moyenne des contrats de travail qui sont moins protecteurs. » Résultat : les flux financiers en provenance des migrants pourraient diminuer de 5 % à 8 % cette année, selon la Banque mondiale, provoquant de très sérieux problèmes dans les pays où ils jouent un rôle essentiel de soutien à l'économie (Tadjikistan, Lesotho, Honduras...). Ch. Ch.
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- CHAPITRE I
s'est contractée de 4,8 % en Allemagne en 2009 et de 5,3 % au Japon, d'après les estimations du FMI de janvier dernier. Alors même que ces deux pays étaient restés en dehors de la frénésie immobilière de 2002-2007. Les pays du Sud, globalement plus ouverts aux échanges internationaux que les pays riches, ont subi en outre la chute du prix des produits de base. Le prix de l'ensemble des matières premières a en effet chuté de moitié au cours du dernier trimestre 2008, affectant des pays aussi divers que la Russie, dont les deux tiers des exportations sont énergétiques, l'Argentine, principalement exportatrice de produits alimentaires, ou encore l'Afrique du Sud, surtout concentrée sur les minerais. Mais c'est plus largement toute l'Afrique, dont les exportations sont axées sur les matières premières, et la majorité des pays d'Amérique latine qui ont vu s'effondrer leurs revenus d'exportation. Dans ces pays, ce recul des exportations a fortement freiné l'activité pro-
| Des dégâts humains L'instabilité financière et les pertes de croissance a contribué à diminuer les déficits extérieurs des qu'elle provoque dans les pays du Sud ont des pays pauvres importateurs d'énergie et à rendre conséquences désastreuses sur les populations les produits agricoles plus accessibles aux plus pauvres de ces pays. Selon les estimations fournies démunis. Depuis, de manière paradoxale en période en juin par l'Organisation des Nations unies pour de récession et de faible demande mondiale, les l'alimentation et l'agriculture (FAO), le nombre de prix des matières premières et des produits agripersonnes souffrant de malnutrition devrait battre coles sont repartis à la hausse. Pour Frédéric Lasserre, un triste record historique cette année, avec 1,02 mil- directeur de la recherche sur les matières premières liard de personnes concernées, dont les deux tiers à la Société générale, l'explication est simple : « Les en Asie. « Un mélange dangereux constitué investisseurs par le reviennent vers la classe d'actifs ralentissement de l'économie mondiale matières et la flampremières. » En clair, ayant perdu leurs bée persistante des prix des denrées alimentaires terrains de jeu habituels sur les marchés du Nord, dans de nombreux pays a fait sombrer dans la faim cherchent à faire de l'argent en jouant les financiers et la pauvreté chroniques quelque 100 avec millions de ou plutôt avec son prix, et avec la nourriture, personnes de plus par rapport à l'an dernier celui de »,l'énergie. expliquait en juin 2009 Jacques Diouf, le directeur Cette instabilité est source de gros problèmes général de la FAO. pour les populations du Sud. Quand les prix sont De fait, ces populations doivent faire face aux bas, les importations évincent les producteurs locaux fluctuations erratiques des prix des matières pre- et font des 1,3 milliard de paysans du Sud des mières. Entre 2007 et le début de l'été 2008, les travailleurs pauvres. Quand les prix sont hauts, les prix du pétrole comme ceux des principales céréales pauvres urbains n'ont plus accès à une nourriture ont fortement augmenté. Si cela a pu profiter à devenue trop chère, sans que cela suffise à inciter quelques économies rentières, il en a résulté dans les producteurs locaux à investir pour offrir davanune majorité de pays des pénuries énergétiques et tage, tant la volatilité des prix et l'insuffisante organisation des filières locales limitent souvent leur de nombreuses émeutes de la faim. L'effondrement Ch. Ch. des prix observé au cours du second semestre 2008 capacité à bénéficier de leurs efforts.
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ductive domestique, plombé les recettes fiscales (qui dépendent pour une large part des recettes d'exportation) et creusé les déficits publics. Selon les estimations de la Banque africaine de développement, le solde budgétaire des pays d'Afrique subsaharienne devrait passer d'un surplus de 2,8 % du PIB en 2008 à un déficit de 5,4 % en 2009. De quoi contraindre nombre de pays africains à pratiquer des politiques d'austérité budgétaire et à tailler dans les investissements de fond que sont les dépenses de santé, d'éducation, de construction d'infrastructures, etc. Ces pays n'ont en effet pas la capacité de pratiquer des politiques de relance, car ils ont bien plus de difficultés à financer leur dette publique que les pays du Nord. Comme à chaque période de troubles financiers, les investisseurs privés prennent peur. Quant à l'aide au développement, elle risque d'être la première sacrifiée à l'heure où les pays riches cherchent eux aussi à faire des économies.
5. Le canal des flux de capitaux internationaux La crise se diffuse en effet aussi via la contraction des financements extérieurs. Alors que, début 2008, les capitaux affluaient encore vers les marchés émergents, attirés par la croissance de ces pays et la dégradation au Nord, un brutal retournement s'est produit à l'automne 2008. La prise de conscience que les pays émergents allaient eux aussi être touchés par la crise a conduit les investisseurs à une plus grande méfiance. Mais les pays émergents ont aussi été victimes des difficultés des établissements financiers américains et européens, qui ont coupé brutalement des lignes de crédit et liquidé leurs portefeuilles de titres pour rembourser investisseurs et créanciers. D'où une chute spectaculaire des investissements en actions et en obligations aussi bien que des crédits bancaires. Certaines Bourses, en Afrique du Sud, au Brésil, au Chili, en Corée du Sud, en Inde, en Thaïlande et en Russie, ont connu des sorties nettes de capitaux et une très forte chute des cours. Elles sont ensuite reparties en flèche au printemps dernier, les investisseurs renouant avec la conviction collective qu'il y avait quelques bons coups à réaliser. Le caractère extrême d'une telle volatilité ne permet pas d'assurer les financements stables de long terme dont les pays en développement ont besoin. Mais la situation est d'autant plus grave que la dépendance aux financements extérieurs était plus forte. Les pays d'Europe centrale et orientale (Peco), en particulier, ont joui jusqu'en 2008 d'un afflux de capitaux privés
| Le r e t o u r du FM I Avec la crise, le Fonds monétaire international (FMI) a repris du service. A partir de l'automne 2008, un nombre croissant de pays ont requis son aide, en Europe (Islande, Hongrie, Ukraine, Lettonie, Roumanie...), en Amérique latine, en Afrique. Si bien qu'en mars 2010,
57 pays avaient conclu un accord avec le Fonds. Pour lui permettre de faire face à toutes ces demandes, le sommet du G20 d'avril 2009 a décidé une augmentation historique de ses ressources, multipliées par trois, à 750 milliards de dollars.
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en provenance de l'Ouest qui leur a permis de vivre très largement au-dessus de leurs moyens. Avec un marché intérieur très ouvert aux produits d'Europe de l'Ouest, et des banques occidentales prêtes à leur faire largement crédit, il était tentant d'accéder aux standards de consommation occidentaux. En 2007, la croissance du crédit au secteur privé avait été de l'ordre de 50 % par an en Europe de l'Est. Ce boom était entretenu depuis le début de la décennie par les filiales locales des banques d'Europe de l'Ouest, qui détiennent l'essentiel du réseau bancaire de l'Europe émergente. Jusqu'au jour où les difficultés des maisons mères ont entraîné un resserrement brutal du crédit - crédit crunch ( * ) - à l'Est, privant ces économies du principal carburant de leur consommation et de leur investissement. Pire : dans nombre de pays, les crédits avaient souvent été contractés en devises étrangères et non en monnaie locale, pour bénéficier de taux d'intérêt plus faibles. En Hongrie, par exemple, plus de la moitié des crédits accordés aux ménages (60 %) et aux entreprises (48 %) était libellée en euros en 2007. Quand les investisseurs ont retiré leurs billes pour se rabattre sur des territoires plus sûrs (selon le processus classique en temps de crise de « fuite vers la qualité »), les taux de change des monnaies d'Europe de l'Est se sont
L'insolente c r o i s s a n c e c h i n o i s e Avec une croissance estimée à 8,7 % en 2009, la Chine a réussi à passer à travers la crise. Ce n'était pas gagné, compte tenu de la très forte dépendance de l'économie chinoise vis-à-vis du marché mondial. Et pourtant ce pays qui exporte plus de 40 % de son PIB a continué de croître quand le reste du monde s'enfonçait dans la récession. La recette n'a rien de miraculeux. Voyant poindre les difficultés, le gouvernement chinois a lancé en novembre 2008 un plan de relance de la demande intérieure, afin de compenser la baisse des exportations. Portant sur 4 000 milliards de yuans (586 milliards de dollars) en 2009 et 2010, soit 8 % du PIB sur deux ans, il inclut à la fois des dépenses nouvelles et des mesures déjà programmées mais dont la mise en œuvre a été accélérée. Si ce plan a atteint ses objectifs en termes de croissance, il accentue les déséquilibres de l'économie chinoise. Il mise en effet principalement sur les investissements en infrastructures (chemins de fer, routes, aéroports, réseau électrique), alors que la consommation est le maillon faible de la croissance chinoise. Des mesures visant à étendre la protection sociale des ménages ou à accroître les revenus des paysans ont certes aussi été prises. Mais ces soutiens restent limités. Au total, c'est l'investissement qui a contribué à l'essentiel de la croissance du produit intérieur brut en 2009.
En outre, les projets d'investissement ont été très largement financés par des crédits bancaires en explosion, ce qui fait planer la menace d'un gonflement des prêts non performants dans les prochaines années. Les banques chinoises risquent de sortir fragilisées de la crise, d'autant que celle-ci a montré qu'elles étaient sous forte influence politique et a sans doute provoqué un grand bond en arrière dans l'amélioration de leur gestion du risque. D'une manière générale, la politique monétaire expansionniste a favorisé la réapparition des bulles, boursières ou immobilières. La prochaine tâche des autorités chinoises sera de les dégonfler en douceur. Françoise Lemolne et Sandra Moattl
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effondrés. Entraînant une perte brutale de pouvoir d'achat sur les produits importés et une explosion du poids des dettes privées, puisqu'il fallait continuer à rembourser les intérêts et le capital en euros. La gestion de la crise financière à l'Ouest a aussi aggravé la fuite des capitaux : ainsi, en octobre 2008, quand les gouvernements d'Europe de l'Ouest ont promis, dans le désordre, de garantir les dépôts effectués dans leurs banques, les comptes se sont vidés à toute vitesse à l'Est. Les conséquences sur l'activité de ces pays sont massives. Les plus durement touchés sont les pays baltes, avec un effondrement de l'activité de 18 % en 2009 en Lettonie et Lituanie. Ces pays paient en effet le prix de déficits extérieurs abyssaux (jusqu'à 22 % du PIB en Lettonie en 2007) qu'ils doivent aujourd'hui résorber sans dévaluer leur monnaie, ancrée à l'euro. La Roumanie accuse une chute de 8 % de son PIB, la Bulgarie et la Hongrie une baisse de l'ordre de 6 %. L'Europe de l'Est apparaît ainsi comme une des régions les plus sinistrées par la crise. Celle-ci a mis un brutal coup d'arrêt au processus de rattrapage des économies occidentales qui était la promesse contenue dans l'adhésion des Peco à l'Union européenne. La crise jette aussi une lumière crue sur la faiblesse des mécanismes de solidarité internes à l'Union, puisque certains pays membres de l'Union européenne, comme la Hongrie, la Lettonie et la Roumanie, n'ont eu d'autre choix que de faire appel au Fonds monétaire international pour pouvoir payer leurs créanciers, comme n'importe quel pays en développement. Une manifestation, parmi beaucoup d'autres, des difficultés de l'Union à gérer les conséquences de la crise en son sein. · S. M. avec Ch. Ch.
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Aux grands maux, les grands remèdes La crainte que l'économie ne s'enfonce dans la dépression a suscité de fortes réactions des pouvoirs publics. La relance a cependant été plus timide en Europe, d'où finalement une récession plus sévère.
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ace à un horizon économique extrêmement sombre, les gouvernements ont ressorti la vieille artillerie de la relance. Des Etats-Unis à la Chine, en passant par tous les pays d'Europe, chacun y est allé de son plan. Keynes fait à nouveau des émules. Les plus ardents chantres du laisser-faire se sont convertis à l'intervention publique. Il faut dire que cette crise est le type même de crise de la demande décrit par le grand économiste de Cambridge. Le rationnement du crédit de la part des banques bride la demande et fait chuter toutes les formes d'investissement. La remontée de l'épargne des ménages, qui ont vu fondre leur patrimoine et qui craignent pour leur emploi, entrave la consommation. Les chefs d'entreprise anticipent une baisse des ventes et réajustent leur production et leurs effectifs à la baisse. Le chômage augmente. Deux cercles vicieux menacent alors de transformer la récession en une dépression profonde.
Gare aux effets de second tour Le premier tient à ce que les économistes appellent des effets de second tour. Les banques, qui sont largement à l'origine de la crise (voir article précédent), en subissent également les conséquences. Comme l'explique Xavier Timbeau, de l'OFCE, « pour chaque entreprise dont elles se protègent en arrêtant de la financer, les banques voient arriver une entreprise victime des impayés de la première ou du ralentissement induit de l'activité. Pour chaque emprunt immobilier refusé, c'est un autre ménage qui devra vendre l'appartement dont il n'arrive plus à payer les mensualités à un prix plus bas qu'il ne l'a acheté. Et à chaque fois, la pression augmente sur le bilan des banques, qui cherchent à nouveau à échapper aux créances toxiques qu'elles fabriquent elles-mêmes. C'est le paradoxe du désendettement : c'est un objectif dont la poursuite éloigne la réalisation ». Les difficultés des entreprises et des ménages rejaillissent sur les banques et les entraînent dans de nouvelles vagues de dépréciation d'actifs et de pertes. De rapport en rapport, le Fonds monétaire
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international (FMI) a ainsi revu à la hausse ses estimations de pertes bancaires. En octobre 2009, il évaluait à 1 500 milliards de dollars les pertes de valeurs que les banques auraient encore à subir sur leur portefeuille d'actifs d'ici la fin de l'année 2010, en plus des 1 300 milliards déjà enregistrés depuis la mi2007. De quoi prolonger encore le rationnement du crédit...
La déflation en perspective L'autre cercle vicieux se nomme « déflation », autrement dit la baisse du niveau général des prix. Le propre de la baisse des prix, quand elle est généralisée, est de prendre à contre-pied les paris faits sur l'avenir par les entrepreneurs. Comme le souligne Keynes, toute activité productive suppose une mise de fonds qui n'a une chance d'être récupérée que si les prix ne chutent pas entre le moment où l'investissement est engagé et le moment où le produit arrive sur le marché. La baisse du niveau général des prix oblige en effet les entreprises à vendre à un prix ne couvrant pas leurs coûts. Il suffit qu'elle soit anticipée pour que des pans entiers de l'activité soient paralysés, les entreprises préférant liquider leurs stocks et réduire l'emploi plutôt que de continuer à produire à perte. A quoi s'ajoute, de façon symétrique, l'effet dissuasif qu'elle exerce sur la consommation : pourquoi acheter maintenant si les prix doivent baisser demain ? Conséquence d'une chute prolongée de la demande en dessous des capacités d'offre de l'économie, la déflation a pour effet de différer l'ensemble des décisions de dépense, ce qui, ajouté à la montée du chômage, déprime davantage la demande, et donc les prix.
| K e y n e s et les anticipations autoréalisatrice s Comme l'avait bien vu Keynes dans les années 1930, face au ralentissement de l'activité, les acteurs économiques développent des « anticipations » pessimistes. Keynes estimait que ces anticipations louaient un rôle extrêmement important. Lorsque tous anticipent un ralentissement de l'activité, la demande effective (qui, dans son langage, ne désignait pas la demande observée, mais la demande attendue) aboutit à geler nombre de projets d'investissement, ce qui engendre une contraction effective (d'où le terme) de l'activité par une sorte d'autoréalisation. Ce que nous craignons se concrétise précisément parce que cela influence nos actes, dans le domaine économique comme sans doute dans d'autres domaines. Loin d'être un mécanisme équilibrant, les forces du marché aggravent encore la situation, un cercle vicieux se développe alors : moins de consommation engendre moins d'investissement, qui provoque moins d'activité, qui suscite davantage d'épargne de précaution, qui... La récession (une légère réduction d'activité) risque alors de dégénérer en dépression (un ralentissement marqué et durable).
Ces anticipations pessimistes accentuent encore la baisse des cours boursiers, initiée par la réallocation des actifs financiers : les titres les moins sûrs et les plus incertains en termes de valorisation sont vendus au profit de titres d'Etat, même assortis d'un intérêt faible, parce qu'un tiens vaut mieux que deux tu l'auras. Là encore, Keynes retrouve une actualité brûlante, il a été le premier à expliquer que, lorsque l'efficacité marginale anticipée du capital diminue, seul l'Etat est en mesure de capter l'épargne de précaution qui se développe et ne s'investit plus. Le rôle de l'Etat est alors de procéder à un recyclage public de cette épargne, sous forme de dépenses publiques, de manière à mettre fin à la dépression issue d'une dépense privée en diminution. Au prix d'une dette publique accrue ? Evidemment : puisque les épargnants se ruent sur les titres d'Etat, c'est le moment d'en émettre, pour recycler cette épargne de précaution dans des dépenses publiques nouvelles. L'argent public doit alors être dépensé rapidement, de manière à relancer la demande et retourner les anticipations. D. Cl.
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| L'envolée du c h ô m a g e Tous les pays ne sont pas également touchés par la remontée du chômage. Aux Etats-unis, son taux a plus que doublé en deux ans, passant de 4,6% en 2007 à près de 10 % fin 2009. Le bond est encore plus gigantesque en Espagne, où 19 % de la population active, près d'un actif sur cinq, sont aujourd'hui à la recherche d'un emploi. En revanche, le chômage n'a accusé en Allemagne qu'une hausse de 0,5 point, pour s'établir à 7,5 %, alors que le décrochage de l'activité, mesuré par le recul du produit intérieur brut (PIB), y a été nettement plus sévère qu'aux Etats-Unis.
durée déterminée (CDD). Le coût de l'ajustement est donc en grande partie supporté par la frange de la population active la plus vulnérable, en général la plus jeune et la moins qualifiée.
Comment s'explique ce paradoxe ? Outre-Atlantique, où il est facile pour les entreprises d'ajuster leurs effectifs, celles-ci ont massivement licencié. En Allemagne, elles ont au contraire gardé leurs salariés, en abaissant la durée du travail et en ayant recours au chômage partiel. Deux modèles diamétralement opposés: aux Etats-Unis, l'ajustement à la baisse d'activité se traduit par une diminution du nombre de personnes en emploi et repose essentiellement sur les salariés qui perdent leur poste. Outre-Rhin, l'ajustement passe par une baisse du nombre d'heures travaillées et son coût est réparti entre les entreprises, les salariés et l'Etat, qui en assume la part la plus importante. La France se situe à mi-chemin de ces deux modèles. Le taux de chômage dépasse désormais 10 %, contre 7,5 % il y a deux ans. Les entreprises hexagonales ont réduit leurs effectifs, en mettant fin d'abord aux contrats d'intérim et aux contrats à
A ces enchaînements négatifs dans la sphère réelle de l'économie se superpose une dynamique non moins perverse dans la sphère financière. Dans un contexte de surendettement du secteur privé, les effets d'une baisse des prix risquent d'être catastrophiques pour les débiteurs, qui doivent faire face à la fois à la contraction de leur patrimoine Q U A N D LES I N V E S T I S S E U R S
financier et à l'alourdissement de la valeur réelle
FUIENT LE RISQUE, QUE LES B A N Q U E S
de leurs dettes.
PRÉFÈRENT GARDER LEURS LIQUIDITÉS ET QUE LA DETTE PRIVÉE
Les entreprises sont particulièrement pénalisées, puisque la baisse de leurs prix de vente accroît
SE RÉTRACTE, C'EST À LA D E T T E
automatiquement leur taux d'endettement. Les
PUBLIQUE DE PRENDRE LE RELAIS.
banques, dont les bilans sont déjà grevés par les actifs à valeur fondante accumulés dans la phase
d'euphorie financière, ne peuvent que tenter de réduire le crédit au fur et à mesure que se dégrade la situation financière de leurs clients. Et le crédit se restreint encore un peu plus... Seule une intervention publique rapide et énergique peut éviter que ces deux spirales infernales ne plongent l'économie dans un marasme dont il
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sera très difficile de sortir. Que faire ? Venir au secours des banques en les recapitalisant ou en les débarrassant de leurs actifs toxiques, comme l'ont fait les gouvernements, est certes incontournable, mais cela ne suffit pas si, derrière, la situation économique continue de se dégrader. Baisser massivement le loyer de l'argent, comme l'ont fait les banques centrales, est tout aussi indispensable, mais cela cesse d'être efficace quand les taux directeurs se rapprochent de zéro. Les autorités monétaires peuvent alors agir non plus seulement sur le coût du crédit (les taux d'intérêt), mais aussi sur sa quantité, en prêtant directement aux agents économiques. La Fed est allée très loin dans cette politique de « détente quantitative ». Non sans résultat, puisque les taux d'intérêt des crédits immobiliers notamment se sont sensiblement détendus. Mais cela ne suffit pas à faire repartir le crédit. En effet, on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif. Quand les investisseurs fuient le risque et que les banques préfèrent garder leurs liquidités plutôt que de prêter au secteur privé, quand la dette privée se rétracte, c'est à la dette publique de prendre le relais. Dit autrement : lorsque la crise est trop profonde, un « prêteur en dernier ressort » ne suffit plus ; c'est l'intervention d'un « emprunteur en dernier ressort » qui devient nécessaire. La politique budgétaire passe alors en première ligne.
L'Europe à la remorque Les plans de relance décidés par un grand nombre de gouvernements fin 2008-début 2009 découlent de ce constat. Ils varient cependant beaucoup entre les pays, selon la sévérité de la récession subie, les marges de manœuvres autorisées par l'état initial des finances publiques, mais aussi la taille des Etats-providence. Dans les pays d'Europe, où la part des revenus socialisés est plus importante qu'ailleurs, le plus gros du soutien à l'activité est venu des stabilisateurs automatiques. Comme toujours en période de crise, l'Etat enregistre moins de recettes, du fait de la contraction des assiettes fiscales, alors que, dans le même temps, ses dépenses sociales augmentent. D'où un creusement spontané du déficit qui contrebalance l'effet du cycle d'activité. Ces stabilisateurs automatiques
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La crise - CHAPITRE
I
ont joué à plein en France pour limiter la récession, creusant un trou dans les comptes publics équivalant à 3,6 points de PIB en 2009. En comparaison, le plan de relance proprement dit, c'est-à-dire les mesures spécifiques prises pour faire face à la crise, pèsent peu : 1,2 point sur les 8,2 % de déficit public en 2009. Il faut dire que la France avait des marges de A L O R S QUE L ' E U R O P E N ' É T A I T P A S
manœuvre plus limitées que d'autres Etats moins
L'ÉPICENTRE DE LA CRISE,
endettés. Des pays comme la Chine, qui partaient de
L'ACTIVITÉ A N E T T E M E N T PLUS
situations d'excédents budgétaires avec des dettes
RECULÉ D A N S L A Z O N E EURO
publiques très faibles, ont pu relancer beaucoup
QU'AUX E T A T S - U N I S EN 2 0 0 9
plus massivement. Mais l'Europe paie surtout les carences de sa
gouvernance économique. Alors que la politique monétaire est commune pour les pays de la zone euro, la politique budgétaire, elle, est restée dans le giron des Etats. Ce qui pouvait passer simplement pour une anomalie s'est avéré une importante faiblesse en période de fortes turbulences. La Commission euro-
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péenne s'est bornée à une coordination de façade de l'intervention budgétaire des Etats. L'essentiel des efforts de relance a été réalisé selon une logique qui confine au « chacun pour soi », en multipliant les aides d'Etat aux entreprises nationales, ce qui met d'ailleurs en cause, de facto, les règles qui fondent le marché intérieur. L'Eurogroupe, qui rassemble les ministres des Finances de la zone euro, ne s'est pas révélé plus utile : il a été lui aussi incapable d'impulser la moindre initiative réellement coordonnée. Résultat : alors que l'Europe n'était pas l'épicentre de la crise, l'activité a nettement plus reculé dans la zone euro qu'aux Etats-Unis en 2009 (- 3,9 %, contre - 2,5 % outre-Atlantique, selon les estimations du FMI de janvier 2010), et la reprise s'y annonce aussi beaucoup plus languissante. · S. M. avec G.D. et Ch. Ch.
Alternatives Economiques - Hors-série poche ° 43 bis - avril 2010 -
La crise - CHAPITRE
I
La France en crise Le fameux modèle social français a contribué à atténuer les effets de la crise sur la population. Reste que l'emploi en sort sinistré, en particulier dans l'industrie.
D
ans la violente crise qui frappe tous les pays développés, la France paraît un peu moins mal lotie que la plupart de ses voisins. Rien cependant qui justifie de grands cocoricos : comme ailleurs, la récession est profonde dans l'Hexagone et le chômage monte en flèche. Mais les effets de la crise y sont quand même un peu moins marqués, grâce notamment à une consommation qui ne fléchit pas. Alors que les pays qu'on nous avait régulièrement cités en modèle ces dernières décennies (l'Amérique de la high-tech, le tigre celtique irlandais, l'industrieuse Allemagne, le Royaume-Uni libéral ou la dynamique Espagne post-franquiste) traversent tous une passe très difficile.
Le m o d è l e français fait de la résistance Ce modèle français si décrié aurait-il donc finalement quelques vertus insoupçonnées ? La croissance de l'économie hexagonale apparaît rétrospectivement plus équilibrée que celle de ses voisins. Elle reposait moins sur l'endettement effréné des ménages que celle du Royaume-Uni, de l'Irlande ou de l'Espagne. Aussi échappe-t-elle à la difficile phase de désendettement à l'œuvre dans ces pays. Mais elle dépend également moins des marchés extérieurs que la très extravertie économie allemande. Les exportations ne représentent en effet en France que 23 % du produit intérieur brut (PIB), moitié moins qu'en Allemagne. Aussi la France a-t-elle moins pâti de la contraction du commerce mondial que sa voisine d'outre-Rhin. D'autres caractéristiques structurelles contribuent à expliquer la relative résilience de l'économie hexagonale. Le poids important des mécanismes de J Une chute historique de l'activit é Variation annuelle du PIB, données trimestrielles, en %
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redistribution participe à la stabilisation des revenus en ces temps difficiles. Le dynamisme démographique soutient la consommation des ménages et la demande de logements. Mais le recul de 2,3 % du PIB en 2009 a beau être moins important que chez tous nos grands voisins, il n'en constitue pas moins la pire récession que la France a connue depuis la Seconde Guerre mondiale. En 1975, après le premier choc pétrolier, le PIB n'avait diminué que de 1 %, et il n'avait reculé que de 0,9 % lors de la dernière récession en date, en 1993.
L'emploi Industriel sinistré Les effets de la crise actuelle sur l'emploi, et donc sur le chômage, n'ont pas d'équivalent dans les récessions précédentes. Le solde des créations et des suppressions de postes de travail avait déjà été négatif de 37 000 en 2008. En 2009, on en aurait perdu 378 000, selon les dernières estimations de l'Insee, soit une baisse de l'emploi de 1,8 % en deux ans. Un niveau très supérieur à celui qui avait été enregistré en 1993 (- 215 000) ou encore en 1984 (- 268 000), les deux précédents records en la matière. Sans surprise, c'est d'abord dans l'industrie que ce recul a été le plus massif, avec 269 000 emplois supprimés entre début 2008 et fin 2009. Soit une baisse de 7,7 % sur des effectifs pourtant déjà fortement comprimés au cours des années précédentes. Et encore ce décompte n'inclut-il pas la suppression des emplois d'intérimaires travaillant dans l'industrie. Surtout, ce qui ne rassure guère, c'est que la tendance ne faiblit pas : l'Insee estime que 90 000 emplois industriels ont été perdus au second semestre 2009 et que 63 000 devraient encore disparaître pendant le premier semestre 2010.
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La crise - CHAPITRE I
Des effets irréversibles La crise porte ainsi un coup extrêmement dur à une industrie française déjà en perte de vitesse. L'industrie manufacturière, qui fournissait un quart du PIB en 1960, n'en représentait plus que 12,1 % en 2007. Une division par deux, même si les progrès de l'externalisation et de l'intérim amènent à relativiser cette chute. C'est aussi quasiment la moitié du poids de l'industrie dans le PIB allemand. En Europe, il n'y a qu'en Lettonie et en Grèce où ce poids est inférieur. La crise accélère la désindustrialisation de la France, comme l'illustre le décrochage spectaculaire de la production industrielle. A son point bas d'avril 2009, celle-ci était retombée à son niveau de 1994 ! Un tel recul de la production entraîne des destructions de capital humain et de capital physique, la disparition de savoir-faire et de relations commerciales sans doute en partie irréversible. Il est à craindre que la crise emporte des pans entiers de ce qui reste du tissu industriel français. · S. M.
L'industrie française en danger Le p o i d s d e s m u l t i n a t i o n a l e s , p o u r l e s q u e l l e s le territoire i m p o r t e peu, s'ajoute p l u s qu'il ne s ' o p p o s e à la taille t r o p faible d e s PME. Les sites de p r o d u c t i o n et les savoir-faire e x i s t e n t p o u r t a n t et la crise actuelle p o u r r a i t ê t r e l'occasion de les sauvegarder. La crise va-t-elle porter le c o u p de grâce à u n e industrie française déjà mal en point ? La crise conjugue ses effets immédiats à des facteurs de fragilité plus structurels. On constate des baisses d'activité très importantes qui vont probablement entraîner la disparition de segments entiers d'activité, notamment dans la sous-traitance automobile. On avait pris l'habitude de considérer que ce qui menaçait l'industrie française, c'était les problèmes de compétitivité à l'égard des pays émergents. On avait oublié qu'un choc de demande peut aussi avoir des effets similaires.
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A ce niveau, la forte présence d'entreprises étrangères en France, y compris d'ailleurs au niveau des PME, constitue un handicap : ces entreprises n'ont pas de liens très forts avec les territoires où elles sont implantées et ne font donc pas d'effort particulier pour préserver l'emploi en temps de crise. On le constate dans les différents conflits sociaux (Continental, Caterpillar, Molex...) qui ont défrayé la chronique ces derniers mois. De plus, les politiques publiques très massives mises en œuvre par exemple au Japon ou aux Etats-Unis pour soutenir notamment l'industrie automobile incitent certaines entreprises à y relocaliser des activités jusque-là effectuées en France. A cette fragilité, liée à la forte dépendance à l'égard des multinationales étrangères, s'ajoutent les limites atteintes par le mode d'ajustement suivi jusque-là par l'industrie française vis-à-vis de la pression concurrentielle des pays émergents. En effet, cet ajustement a été conduit principalement via une très forte intensification du travail, avec une chasse aux gaspillages et des efforts d'automatisation très poussés. D'où d'ailleurs une productivité du travail très élevée en France. Mais le fait que cette politique ait déjà été menée si intensivement depuis un quart de siècle maintenant a aussi pour contrepartie que, dans la crise actuelle, il n'y a plus de marge de manœuvre pour espérer rebondir grâce à des efforts de productivité supplémentaires, contrairement à d'autres pays. Il faudrait surtout miser beaucoup plus sur la recherche ou sur l'innovation que cela n'a été fait jusque-là en France. Ce type d'action n'est cependant pas d'un grand secours dans l'immédiat, car il ne peut avoir d'effet qu'à moyen terme. La France est enfin un pays dont la spécialisation industrielle est faible : on y produit un peu de tout, contrairement au Japon ou à l'Allemagne qui ont des points forts plus marqués. Dans la crise, c'est à la fois un atout, car cette diversité amortit un peu le choc sectoriel que subit par exemple l'Allemagne dans l'automobile ou les biens d'équipement, mais aussi un handicap, puisque tous les secteurs sont touchés en même temps
On souligne souvent la faible taille des PME industrielles françaises... En effet, cette faible taille est un handicap tant en matière de recherche et développement que d'exportation : dans ces domaines, il faut avoir atteint une taille minimale pour pouvoir être actif. De plus, dans la crise, quand l'accès au financement devient lui aussi beaucoup plus difficile, ce handicap est décuplé. D'une certaine façon cependant, cette crise pourrait être aussi une opportunité pour corriger ce défaut traditionnel : les pouvoirs publics pourraient en effet, sans tomber dans un dirigisme excessif, inciter les entreprises à se regrouper plutôt que de mettre la clé sous la porte.
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La crise - CHAPITRE I
L'industrie française ne pourrait-elle pas s'en sortir même si les activités de production étaient localisées dans les pays à bas coût ? Je ne le crois pas. Tout d'abord, les Français, y compris les décideurs politiques, ont souvent une vision déformée de la réalité actuelle : ils considèrent fréquemment que l'industrie a déjà quasiment disparu en France. Or, ce n'est pas le cas. Le volume de la production industrielle est resté quasiment constant au cours des dernières décennies, et si l'emploi industriel a fortement reculé, cela est surtout dû aux importants efforts de productivité déjà évoqués, ainsi qu'au développement de l'intérim. Et pour l'avenir, je ne crois pas du tout que nous pourrons continuer à maintenir en France des activités à haute valeur ajoutée en matière de recherche, conception, marketing, etc., si nous laissions disparaître dans la crise les sites de production. · Propos recueillis par G. D.
La nouvelle vague de plans sociaux Les restructurations ne sont pas des accidents ponctuels, mais un processus récurrent face auquel les salariés apparaissent inégaux et peu préparés. Crise oblige, les restructurations sont revenues sur le devant de la scène. Et de manière spectaculaire. Depuis début mars, les annonces de fermetures d'usines ou de plans sociaux se multiplient, avec pour corollaire une radicalisation des conflits : séquestration de dirigeants chez Caterpillar, 3M, Faurecia, Sony, Heuliez, Scapa, Molex ou Siemens ; dégradation de locaux par les salariés de Continental ; blocage des trois usines françaises du groupe Manitowoc... Rarement la colère sociale aura autant fait la une des médias. La rapide montée du chômage a replacé les restructurations au cœur de l'actualité. C'est ainsi qu'en 2009, l'administration a recensé 2 242 plans de sauvegarde de l'emploi - on ne dit plus « plans de licenciement collectif pour raison économique » -, un chiffre qui a plus que doublé par rapport à l'année précédente. Par ailleurs, les inscriptions à Pôle emploi suite à un licenciement économique ont explosé : + 43% entre 2009 et 2008. Cette envolée des plans sociaux, pour spectaculaire qu'elle soit, ne traduit pas une réelle rupture avec les tendances antérieures. « Depuis une dizaine d'années, la restructuration est de moins en moins un phénomène rythmé, c'està-dire un traumatisme ponctuel. Elle devient de plus en plus un phénomène permanent, voire une méthode de gestion bien intégrée par le management de certaines entreprises », explique Martin Richer, directeur général de Secafi, un cabinet d'expertise au service des comités d'entreprise. Après une baisse dans la seconde moitié des années 1990, le nombre de plans de sauvegarde de l'emploi est en effet resté à un niveau considérable : près de 1 200 par an en moyenne entre 2001 et 2008.
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Inégaux face aux licenciements Tous les salariés ne sont pas logés à la même enseigne face à l'insécurité de l'emploi. L'inégalité la plus évidente concerne la taille de l'entreprise. Seules les sociétés de plus de 50 salariés qui licencient plus de 9 employés sont tenues de mettre en œuvre un plan social. Ainsi, dans la pratique, seuls 10 % à 20 % des salariés touchés par un licenciement économique bénéficient d'un plan de sauvegarde de l'emploi. Autre source d'inégalité : la santé financière de l'entreprise qui licencie. Selon le code du travail, la validité d'un plan social « est appréciée au regard des moyens dont dispose l'entreprise ». En clair, en l'absence de tout mécanisme de mutualisation, les actions de reconversion mises en place en cas de licenciement collectif ne dépendent pas des besoins réels des salariés licenciés mais de la capacité contributive de l'entreprise qui se sépare d'eux. D'autre part, les titulaires d'un contrat précaire sont exclus du bénéfice des mesures d'un plan social, alors qu'ils sont les premiers sacrifiés en cas de difficultés. En janvier 2010,
S I LES BÉNÉFICIAIRES D ' U N P L A N
115 700 personnes se sont inscrites à Pôle emploi
SOCIAL SONT ASSURÉMENT MIEUX
après avoir terminé un contrat à durée déterminée
L O T I S Q U E L E S A U T R E S , ILS N E S O N T
et 28 700 à l'issue d'une mission d'intérim, contre
PAS POUR A U T A N T TIRÉS D'AFFAIRE.
seulement 16 100 nouveaux chômeurs victimes d'un
S E U L S 50 % DES PERSONNES
licenciement économique.
CONCERNÉES PAR UN PLAN SOCIAL
Inégalitaire, le dispositif français d'accompagnement des restructurations est également inadapté
O N T RETROUVÉ UN EMPLOI U N A N A P R È S LEUR L I C E N C I E M E N T
aux réalités économiques actuelles. Et notamment à la croissance du nombre de groupes de sociétés. Début 2007, les 7 500 groupes que compte l'industrie manufacturière concentraient 88 % des effectifs salariés de ce secteur. Cette structuration des entreprises en groupe leur permet de démultiplier les effets de seuil : en créant des filiales de moins de 50 salariés ou en répartissant les licenciements pour qu'ils ne dépassent pas 10 personnes par entité, cela leur permet de contourner la législation. Sans compter que les représentants des salariés auront beaucoup plus de mal à se faire une opinion sur la situation économique d'un groupe aux ramifications complexes. Les salariés se retrouvent dépendants d'un centre de décision qui n'est pas leur employeur juridique. « La distance s'est creusée entre dirigeants et salariés, confirme Martin Richer. Les séquestrations apparaissent dès lors comme la seule manière de faire revenir le dialogue social sur un site. » De fait, la plupart des entreprises où des cadres dirigeants ont été retenus sur leur lieu de travail appartiennent à des groupes étrangers : Molex, 3M et Caterpillar sont américains, Continental allemand et Sony japonais.
Un accompagnement dépassé Si les bénéficiaires d'un plan social sont assurément mieux lotis que les autres, ils ne sont pas pour autant tirés d'affaire. Seuls 50 % des personnes concernées par un plan social ont retrouvé un emploi un an après leur licenciement. Directions comme syndicats jouent rarement le jeu. Côté employeurs,
Alternatives Economiques - Hors-série poche n° 43 bis - avril 2010 - 6
La crise -
HAPITRE
les stratégies d'évitement sont monnaie courante : recours massif aux mesures d'âge, multiplication des plans de départ volontaire, engouement pour les ruptures conventionnelles, etc. Les syndicats et les salariés ont, de leur côté, tendance à privilégier l'obtention d'indemnités conséquentes, plutôt qu'un véritable plan de reclassement. « La montée des revendications indemnitaires est de plus en plus forte, constate Dominique Paucard, du cabinet d'expertise Syndex. C'est le signe d'une faible crédibilité des mesures actives de retour à l'emploi. » Ce succès des « primes à la valise » est symptomatique du fait que les restructurations continuent d'être traitées comme des accidents, non comme un processus récurrent. Là où il faudrait mieux anticiper, on se contente de traiter à chaud, quand le mal est fait. Anticiper suppose en premier lieu de pérenniser l'employabilité des salariés, via la formation continue. Or, selon un récent rapport du Conseil économique, social et environnemental, la France est nettement sous la moyenne européenne en termes de formation permanente. Comme l'analyse Claude-Emmanuel Triomphe, chercheur et responsable Europe de l'Association travail emploi Europe société (Astrees) : « Nous n'avons toujours pas tiré les conséquences des grandes crises précédentes. Le cas de Continental est symptomatique : ce sont des ouvriers peu qualifiés que l'on n'a pas préparés à des mutations futures. D'une manière générale, les gens les plus vulnérables sont ceux qui sont les moins accompagnés ». ·
Laurent Jeanneau
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Retour sur quelques accélérateurs de crise Agences de notation, normes comptables et normes prudentielles, calcul des risques, produits dérivés, pourquoi ce qui aurait dû rendre la finance plus solide a en fait aggravé la crise.
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ans la crise, nombre de techniques, d'institutions ou de règles censées apporter stabilité ou transparence aux marchés financiers se sont révélées déstabilisatrice. C'est le cas des agences de notation ( * ) , dont l'aveuglement suivi de revirements brutaux ont provoqué des effets désastreux. Mais elles ne sont pas seules en cause. Les règles censées décrire et encadrer l'activité des banques se sont également révélées « procycliques » : ensemble, elles ont contribué à accentuer la détresse des établissements financiers. Les modèles de contrôle des risques utilisés par les banques, qui auraient dû les prémunir contre des prises de risque excessives, sont eux aussi fautifs. Quant aux produits dérivés ( * ) , inventés pour protéger contre les variations non anticipées de prix, ils sont devenus le support de spéculations démesurées.
Notation : ces agences qui font la loi Supposées donner un avis objectif sur la solidité des emprunteurs, les agences de notation sont parfois juge et partie. Elles ont pourtant un énorme pouvoir qui peut déstabiliser les marchés. Les grosses agences de notation comme Moody's, Standard & Poor's et Fitch exercent une grande influence sur le monde de la finance. En donnant une note, généralement sous forme de lettres (AAA, AA-...) au Brésil, à Microsoft, à la Société générale ou à la mairie de Lyon, elles indiquent aux investisseurs du monde entier ce qu'elles pensent de la capacité de chacun de ces acteurs à rembourser l'argent qu'ils empruntent. La désintermédiation financière leur confère un rôle central. Dès lors que les entreprises peuvent se financer directement sur les marchés de capitaux en émettant des titres, les investisseurs susceptibles de les acheter, qui ne connaissent pas l'émetteur du titre comme une banque peut connaître son client, veulent évaluer le risque qu'ils encourent. C'est là qu'interviennent les agences de notation: elles évaluent la solvabilité de l'émetteur et en informent les investisseurs. Les agences contribuent à l'homogénéité de l'information et assurent la transparence des marchés financiers. Leur pouvoir est considérable : la note étant supposée refléter le niveau de risque d'un investissement, elle influence directement le taux d'intérêt demandé par les investisseurs et donc le coût du financement des entreprises ou des Etats. La révision à la baisse d'une note peut ainsi avoir des conséquences
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La crise -
HAPITRE
funestes pour l'emprunteur. Elle peut ébranler tout le marché quand ces révisions affectent toute une classe de titres. On l'a bien vu au début de la crise des subprime ( * ) . Au début du printemps 2007, les agences assuraient aux investisseurs que les titres adossés aux désormais célèbres crédits subprime étaient absolument sans risque. Quand les défauts ont commencé à se multiplier, les agences ont revu les notes à la baisse, ce qui a entraîné la chute brutale de la valeur de ces produits. L'impact de leurs évaluations est d'autant plus considérable que les régulateurs internationaux s'en remettent à leurs avis pour juger du caractère plus ou moins risqué d'un investissement. Les investisseurs financiers - banques, compagnies d'assurances, fonds de pension... - sont soumis à certaines règles concernant la qualité des titres qu'ils détiennent. « Elles sont devenues des organismes de certification : elles produisent un bien public, certifiée.
une information
Mais produire un bien public à partir d'un
DES ÉTATS-UNIS À L'UNION
oligopole privé qui ne doit obéir à aucun cahier des
E U R O P É E N N E , LES P O U V O I R S PUBLICS
charges est sans doute la plus mauvaise manière de
O N T M E N A C É LES A G E N C E S
le faire », estime l'économiste Michel Aglietta. En outre, les agences sont des entreprises privées
DE N O T A T I O N D'UNE STRICTE RÉGULATION, CERTAINS ENVISAGEANT
dont les conditions de rémunération ne sont pas très
M Ê M E DE LES T R A N S F O R M E R
propices à un exercice indépendant de l'évaluation.
EN ENTITÉS PUBLIQUES
Premier problème : ce ne sont pas les investisseurs
qui payent pour connaître les notes des emprunteurs, mais les emprunteurs eux-mêmes qui payent les agences pour être notés. Dans ces conditions, donner une mauvaise note peut s'avérer délicat. Selon l'agence de presse Bloomberg, Moody's aurait ainsi perdu 70 % du marché de la notation des nouveaux titres émis après être devenue en avril 2007 moins conciliante sur les notes des titres financiers liés aux crédits subprime. Alors que plus de la moitié de son chiffre d'affaires venait de la notation de ce genre de produits sophistiqués... Par ailleurs, les agences jouent souvent le rôle de conseil aux emprunteurs pour les aider à concevoir les produits financiers qu'ils vont offrir aux investisseurs. Ce qui peut aider à obtenir une bonne note... Enfin, bien que leurs opinions puissent avoir de graves conséquences, les agences ne sont en rien responsables de leurs erreurs. Certains investisseurs, outrés que les agences notaient encore Enron comme un placement sans risque quelques jours avant sa faillite, ont voulu leur intenter un procès. Peine perdue : leurs opinions ressortent de l'article 1 de la Constitution américaine, qui leur garantit la même liberté de parole qu'aux journalistes ! Des Etats-Unis à l'Union européenne, les pouvoirs publics ont menacé les agences de notation d'une stricte régulation publique, certains envisageant même de les transformer en entités publiques. Ce qui a incité les acteurs privés, par l'intermédiaire de l'Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV), qui regroupe les régulateurs boursiers de la planète, à proposer à la mi-2008 un code de bonne conduite aux agences de notation. Les régulateurs financiers attendent désormais de celles-ci qu'elles le mettent en
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œuvre. Ils souhaitent que leurs pratiques de notation deviennent plus transparentes, que les notes des produits financiers sophistiqués tiennent compte non seulement des risques de crédit (le défaut des emprunteurs) mais aussi des risques de liquidité ( * ) (l'effondrement du marché faute d'acheteur) qui existent sur ces produits très spécifiques, etc. Ces évolutions vont dans le bon sens, mais elles sont loin d'être fondamentales. Elles ne règlent ni la question du mode de rémunération, ni la séparation des métiers, ni la situation d'oligopole des trois grosses agences qui contrôlent l'essentiel du marché. Mais même avec la meilleure régulation possible, les agences de notation ne seront jamais parfaites. Les investisseurs doivent cesser de se fier aveuglément à leurs évaluations. · Ch. Ch et S. M.
La faute aux normes comptables ? Les normes comptables que doivent utiliser les sociétés cotées leur imposent de suivre les règles de la comptabilité dite « en juste valeur ». Une méthode décriée par de nombreux acteurs qui y voient un facteur central de la crise financière actuelle. Ces critiques sont en partie fondées, mais il n'existe pas pour autant d'alternative plus fiable. La crise financière a conduit certains à dénoncer le rôle de la comptabilité « en juste valeur » 1 1 1 imposée par les principales normes comptables utilisées par les sociétés cotées à travers le monde, à savoir les normes US Generally Accepted Accounting Principies (US GAAP) aux Etats-Unis et les International Financial Reporting Standards (IFRS) en Europe. Les critiques de la comptabilité en juste valeur portent principalement sur deux problèmes : par Nicolas véron, l'illiquidité ( * ) (comment valoriser au bilan des instruments financiers économiste, directeur sur lesquels il n'y a pas ou peu de transactions) et la procyclicité (quand les du développement de Bruegel normes contribuent à accentuer les évolutions du marché). IFRS et US GAAP proposent une définition de la juste valeur d'un instrument financier à trois niveaux : celle-ci correspond à un prix de marché observable ou, en cas d'absence de celui-ci, au prix de marché observable d'un produit similaire, ou encore, lorsqu'on ne se trouve dans aucun des deux cas précédents, au résultat d'un modèle d'évaluation financière. Or, pour les produits complexes issus de la titrisation ( * ) d'actifs tels que des prêts immobiliers, qui ont été au cœur de la crise financière, les conditions de marché ont été marquées à partir d'août 2007 par un fort déséquilibre entre l'offre et la demande. Selon l'argument de l'illiquidité, leurs prix ne 111 Comptabilité refléteraient plus la valeur intrinsèque des titres, définie comme leur po- en juste valeur : tentiel à générer des revenus futurs. La notion de juste valeur contraindrait enregistrement des différents actifs d'une alors les banques à enregistrer une baisse de la valeur des titres qu'elles entreprise à la valeur détiennent qui ne serait pas justifiée par les fondamentaux économiques, où l'on pourrait les vendre à un moment entraînant une baisse correspondante du cours de leurs actions. Afin de donné.
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La crise - CHAPITRE
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pomnm maintenir leurs ratios de solvabilité ( * ) , elles seraient obligées d'accroître leur capital au détriment des actionnaires existants, ou bien de restreindre leurs prêts, au risque d'engendrer un effet dépressif sur l'économie. L'argument de la procyclicité a une portée plus large : l'idée même que les prix de marché constitueraient la meilleure indication possible de la valeur d'un titre financier serait discutable, parce qu'elle renforce la solidité apparente des bilans bancaires au plus haut du cycle économique et la réduit de la même manière en bas de cycle. Ceux qui défendent ces arguments font généralement référence aux travaux de recherche qui suggèrent que les marchés sont souvent imparfaits, en temps normal et encore plus lorsque se produisent des bulles spéculatives, notamment à cause des asymétries d'information entre agents économiques. En accordant trop d'importance aux marchés, les normes comptables seraient donc coupables d'accentuer les phases d'expansion et de récession économiques. Les difficultés auxquelles se réfèrent ces deux critiques sont bien réelles. Mais les solutions proposées - modifier les normes actuelles, temporairement ou définitivement, afin de limiter la portée de la comptabilité en juste valeur restent peu convaincantes. Tout d'abord, s'il est facile d'identifier les défauts de la juste valeur, il est moins évident de proposer une méthode alternative qui remplirait mieux les exigences de pertinence, de fiabilité, de comparaison et de compréhension indispensables pour des normes de comptabilité financière. En particulier, la référence à des prix historiques (c'est-à-dire au prix lors de l'achat du bien ou du titre, sans prendre en compte les variations ultérieures), souvent évoqués dans ce débat, apporterait une information moins comparable et moins pertinente. Lorsque le marché des titres financiers est profond et liquide, l'idée que des valeurs comptables pourraient être fixées au-dessus des prix du marché est contraire à la prudence.
Quelles alternatives ? Les instruments financiers non liquides constituent un défi plus important, mais même là, l'idée de réduire le champ d'application de la juste valeur n'a pas suscité d'alternative crédible aux standards existants, qui eux-mêmes sont hybrides (de nombreux actifs ne sont pas concernés par la notion de juste valeur) et résultent de décennies d'ajustements. Une option parfois proposée consiste à rendre plus facile le remplacement de la référence à des prix de marché par des modèles d'évaluation financière, ou mark-to-model (en comptabilité de juste valeur, cette modélisation n'est autorisée pour l'instant que lorsque les prix de marché ne peuvent être observés pour des instruments similaires). De tels modèles financiers peuvent aider à la transparence s'ils sont accompagnés d'informations détaillées sur les hypothèses sous-jacentes. Mais ils permettent généralement aussi au management d'ajuster les paramètres clés (comme le taux d'actualisation), et ainsi d'influencer largement la valeur attribuée à un instrument donné. Pour cette raison, la grande majorité des investisseurs conçoit les modèles comme une solution de dernier recours et préfère la référence à des prix du marché, même imparfaits.
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D'autres propositions ont été formulées pour amortir le choc comptable résultant du dérèglement des marchés pour les entreprises financières. Comme celle de lisser les prix du marché sur une période de six mois à un an, pour fournir des références plus stables à la comptabilisation des actifs financiers. Mais cette proposition diminuerait le contenu informatif des comptes sans pour autant atteindre l'objectif fixé. Dans le cas spécifique de l'utilisation des indices ABX 121 comme référence pour les titres basés sur des prêts immobiliers, qui a donné lieu à nombre de débats, cela n'aurait pas notablement amélioré la situation. La valeur de ces indices est en effet restée basse durant plus de six mois ; une moyenne temporelle produirait donc elle aussi une valeur artificiellement basse par rapport à ce que les critiques de la juste valeur estiment être les fondamentaux économiques.
« Le pire des systèmes à l'exception de tous les autres » Les alternatives proposées jusqu'ici à la juste valeur n'apportent aucune réponse convaincante aux besoins immédiats. En revanche, elles ont en commun d'avoir des effets potentiellement dangereux. Elles limiteraient l'information financière disponible et offriraient aux entreprises bien plus de marge de manoeuvre que la comptabilité en juste valeur pour lisser leurs résultats de manière discrétionnaire. Elles impliqueraient très probablement des primes de risque ( * ) plus élevées au niveau des actions. Cette situation a pu être observée dans les années 1990 au Japon, lorsque le ministère des Finances autorisa les banques à ne pas déprécier les actifs dont la valeur avait été réduite pour cause de dépression du marché. Le résultat fut une perte de confiance générale dans la communication financière des banques, qui, d'après la plupart des observateurs aujourd'hui, a exacerbé la crise plutôt qu'elle ne l'a atténuée. La comptabilité à la juste valeur a été parfois rapprochée de la définition donnée par Churchill de la démocratie : « Le pire des systèmes à l'exception de tous les autres. » Même dans les circonstances exceptionnelles qui ont prévalu sur les marchés financiers depuis août 2007, casser ou tordre le thermomètre comptable n'aurait pas amélioré la santé du patient et n'aurait fait que rendre la tâche du docteur un peu plus difficile... ·
[2] Indices ABX: indices qui reflètent la valeur d'un panier de titres financiers constitués à partir de crédits titrisés.
Des règles prudentielles imparfaites Au plus fort de la crise, la perte de valeur de leurs actifs, qui a fait fondre leurs fonds propres, a mis les banques en grande difficulté. Au même moment, les exigences de fonds propres augmentaient du fait de la montée des risques sur les actifs des banques, une situation inextricable sans recapitalisation publique. Afin d'éviter qu'elles prennent des risques excessifs, les banques sont soumises à des règles dites « prudentielles ». Ces règles exigent en particulier que quand elles prêtent X, les banques détiennent une proportion minimale de Y en fonds propres ( * ) . En effet, si les banques ne prêtaient que l'argent
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La crise -
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des autres, on pourrait redouter qu'elles manquent davantage encore de prudence... Ce sont les accords dits « de Bâle » qui harmonisent ces montants, car c'est à Bâle, siège de la Banque des règlements internationaux (BRI), que se réunit le club des principales banques centrales. Depuis le 1 e r janvier 2008, les banques européennes sont soumises à la seconde version de ces accords, dits « Bâle II ». Ils distinguent différentes catégories de prêts aboutissant à des exigences de fonds propres elles aussi différentes : prêter de l'argent à l'Etat français est en effet beaucoup moins risqué que de prêter de l'argent à un ménage pour du crédit à la consommation. Plus les banques prennent des risques, plus elles doivent disposer de fonds propres importants. C'est une évolution majeure par rapport au premier accord de Bâle, toujours en vigueur aux Etats-Unis, où le niveau de
La m é c a n i q u e infernale une banque commerciale a pour métier de collecter de l'épargne et d'accorder des prêts. Le bilan d'une banque est constitué, d'une part, de ses dettes, pour l'essentiel les dépôts de ses clients, qui sont inscrits au passif, et d'autre part, de créances, constituées des prêts qu'elle a accordés, inscrits à l'actif. Or, ces actifs n'ont de valeur que si les emprunteurs sont bien en mesure de rembourser leur crédit ou, à défaut, que la valeur des biens dont les banques peuvent disposer en garantie est supérieure à la dette. Exemple : une banque octroie à un ménage un crédit de 400 000 euros pour financer une maison. La banque inscrit donc à l'actif de son bilan une créance de 400 000 euros. Un an plus tard, le ménage est incapable de faire face aux mensualités du prêt. La banque saisit alors la maison qui avait été hypothéquée. Or la valeur de cette maison n'est plus que de 300 000 euros du fait de la baisse des prix
immobiliers. La banque doit donc déprécier sa créance de 100 000 euros. Cette dépréciation se traduit également par une perte au niveau de son compte de résultat. Et ce résultat négatif vient diminuer d'autant les capitaux propres dont dispose la banque à son bilan. Ceux-ci sont constitués par la somme des capitaux apportés par les actionnaires, des réserves accumulées lors des exercices bénéficiaires précédents et du résultat de la période. Or les capitaux propres d'une banque peuvent fondre comme neige au soleil. En effet, le métier de la banque étant de prêter l'argent déposé par ses clients, et non ses ressources propres, seule une faible part de l'actif d'une banque est couverte par des capitaux propres. De ce fait, une baisse même limitée de la valeur des crédits accordés par une banque peut suffire à réduire ses capitaux propres à zéro.
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fonds propres exigibles dépendait quasi uniquement du niveau d'encours de crédits, et pas du risque associé. Cette logique incitait plutôt les banques à privilégier les prêts les plus risqués, aux rendements plus élevés. Le cadre de Bâle II offre aux banques la possibilité de calculer le risque de différentes manières ' 1 1 . Dans tous les cas, cette pondération des actifs en fonction du risque associé permet d'obtenir ce qu'on appelle la base de capital, qui détermine le niveau de fonds propres nécessaire à une banque donnée. Ce rapport est fixé par les ratios de solvabilité. Le ratio dit « core Tier 1 » utilise la définition la plus restrictive des capitaux propres, c'est-à-dire uniquement le capital apporté par les actionnaires et les réserves résultant de l'activité bénéficiaire passée. Le minimum réglementaire de fonds propres est de 4 % de la base de capital l2>.
Un effet procyclique L'évaluation des risques et donc la pondération des actifs dépendent en particulier de leur appréciation par les agences de notation financière. Résultat : la dégradation de cette note va se répercuter sur la banque qui a prêté de l'argent, l'obligeant à immobiliser davantage de fonds propres pour couvrir ce prêt. Les règles de Bâle II ont donc ce qu'on appelle un effet procyclique : plus l'économie va mal, plus les risques sont importants, plus les banques vont avoir besoin de capitaux propres pour couvrir leurs actifs. Un mécanisme que la crise des subprime ( * ) a souligné à l'extrême. Avant le début de la crise, les titres adossés à des crédits hypothécaires étaient considérés comme peu risqués. Ces actifs ont ainsi pu bénéficier de notes élevées permettant aux banques qui les possédaient de mobiliser peu de fonds propres. Jusqu'au jour où le retournement du marché immobilier aux Etats-Unis a entraîné la hausse des défauts sur ces crédits. Une réévaluation brutale du risque associé à ces actifs a obligé les banques à mobiliser davantage de fonds propres pour les couvrir, au moment même où leurs fonds propres se contractaient du fait des pertes accumulées sur ces mêmes actifs. Un cercle vicieux s'est enclenché car les fonds propres supplémentaires mobilisés pour couvrir ces actifs sont venus amputer d'autant la capacité des banques à financer de nouveaux projets rentables, et donc à relancer l'investissement et la croissance. Entraînant le redouté crédit crunch (*), c'est-à-dire l'arrêt de la distribution de crédit. Une situation fatale pour l'activité économique, dont il constitue le carburant de base. Les règles prudentielles sont donc loin d'être optimales. Que faire ? Assouplir ces règles ne serait pas raisonnable, car cela inciterait les établissements financiers à prendre des risques encore plus importants. Une tentation d'autant plus forte que la banque est l'une des rares activités où une faillite se traduit plus souvent par un sauvetage public que par une liquidation. Mais à l'inverse, un renforcement des exigences de fonds propres risque de réduire encore un peu plus l'offre de crédit dans un contexte économique déjà morose. · Alexis Canuet
111 Elles peuvent s'appuyer sur des pondérations forfaitaires fondées sur les notes émises par les agences de notation ou sur des modèles internes d'évaluation du risque validés par les autorités de régulation. 121 D'autres ratios, comme le Tier 1 et le Tier 2, utilisent une définition plus large des capitaux propres qui inclut des quasi-fonds propres, comme les dettes subordonnées ou les provisions pour le Tier 2.
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La crise - CHAPITRE I
Des risques mal calculés Les b a n q u e s o n t s u d é v e l o p p e r d e s o u t i l s efficaces p o u r é c h a p p e r a u x r é g u l a t i o n s , m a i s t o t a l e m e n t i n o p é r a n t s p o u r l e c o n t r ô l e d e s risques. C'est ce q u e m o n t r e l'histoire de la « v a R », la m e s u r e m i r a c l e qui n'a pas tenu ses promesses. Au cours des années 1990, la banque américaine JP Morgan a mis au point une mesure des pertes potentielles liées aux paris risqués, la VaR (value at risk), bientôt suivie par les financiers du monde entier, et même consacrée par les régulateurs. Le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, qui regroupe les régulateurs des établissements financiers, puis la Commission européenne ont ainsi permis aux banques de définir elles-mêmes, grâce à la VaR, le montant de capital qu'elles devaient mettre de côté pour se protéger en cas de coup dur. La value at risk estime les pertes maximales qui pourraient résulter d'un choix de portefeuille financier donné, dans un horizon de temps donné, et avec une probabilité donnée. Le problème, c'est que les calculs de la VaR reposent essentiellement sur des probabilités évoluant selon ce que les statisticiens appellent une « loi normale », représentée par la fameuse courbe en cloche (voir encadré ci-dessous). Selon cette loi, plus les événements sont extrêmes (éloignés de la moyenne des observations), plus leur probabilité est faible. L'important, pour les financiers, c'est de connaître la probabilité de se retrouver loin de la moyenne, ce que mesure l'écart-type. Pour donner un ordre
| Les m a r c h é s n ' o b é i s s e n t pas a u x lois du hasar d Un mathématicien français travaillant aux EtatsUnis, Benoît Mandelbrot, a largement critiqué l'hypothèse selon laquelle, grâce à l'efficience des marchés, les variations quotidiennes de cours suivent une « marche au hasard ». Dans ce cas, la distribution des observations suivrait la fameuse « courbe en cloche » de Gauss. Le sommet de la cloche étant l'observation la plus fréquente, la fréquence des autres observations (en moins ou en plus) diminue régulièrement au fur et à mesure que l'on s'éloigne de ce sommet. Le hasard est donc ordonné : plus on s'éloigne de la tendance de fond, moins nombreuses doivent être les observations. Cela peut être illustré par un jeu de hasard : sur 100 coups de dés, il est très rare de ne tirer aucun 6, et il est assez fréquent d'en tirer 16 ou 17 (la probabilité théorique étant d'en tirer 16,6666...).
produire une fois tous les 300 000 ans : or on l'a constatée 48 fois. Conclusion de Mandelbrot : l'efficience des marchés est un leurre. Les marchés sont sujets à des sautes d'humeur fréquentes, qui exercent des effets durables. Ils sont turbulents, et soumis au hasard, mais un hasard particulier, produit par ce qu'il appelle les « mathématiques fractales », qui produisent de l'incertitude, des irrégularités, des turbulences et des bulles, lesquelles finissent par crever en faisant des dégâts. Denis Clerc
L'observation montre que cette hypothèse est fausse : entre 1916 et 2003, l'indice Dow Jones des valeurs industrielles de wall Street a varié de plus de 4,5 % sur 366 jours durant cette période, alors que la « marche au hasard » n'aurait dû donner que six cas. Une variation supérieure à 7 % devrait se
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d'idée, la probabilité de faire des pertes supérieures à 8 écarts-types est d'un jour... sur l'ensemble de la durée de vie de notre univers ! D'où la panique de David Viniar, alors directeur financier chez Goldman Sachs, lorsqu'il avoue au début de la crise : « On a vu des choses qui étaient à 25 écarts-types, pendant plusieurs jours de suite. » Ce qui avait théoriquement autant de chance de se produire que de gagner plus de 20 fois de suite au Loto... Bref, alors qu'elle est censée prévenir des conséquences d'un dérapage des marchés, la VaR mesure d'autant mieux les effets des crises sérieuses... qu'il ne s'en produit pas ! Comme l'analyse fort justement Jean-Pierre Landau, vice-gouverneur de la Banque de France, « en exagérant un peu, on peut dire que la finance moderne s'est construite en pratique, si ce n'est en théorie, sur une tolérance implicite et une ignorance admise des événements extrêmes ». Comme l'explique Jôn Danielsson, de la London School of Economies, les lois de la finance ne sont pas comme les lois de la nature : « La finance n'est pas la physique ; elle est plus complexe. » Quand un ingénieur étudie les lois de la physique pour construire un pont, il peut bâtir un ouvrage solide car la nature ne réagit pas aux choix de l'ingénieur. Alors que dans la finance, dès que l'on étudie les propriétés statistiques du prix d'un actif, les financiers réagissent à l'information donnée par le modèle ; ils adaptent leurs stratégies et affectent ce qui est observé. Or les modèles fondés sur la VaR ne tiennent notamment aucun compte du caractère rapidement illiquide du marché en période de crise, c'est-à-dire de l'impossibilité de diminuer son risque en vendant ses actifs car il n'y a plus d'acheteurs (ce qui s'est produit après la faillite de Lehman Brothers). La quasi-totalité des critiques techniques faites ci-dessus à la VaR ont été exprimées dès le milieu des années 1990. Mais même les féroces critiques des modèles de la finance par un mathématicien de renommée internationale comme Benoît Mandelbrot n'ont pas changé grand-chose. En période d'euphorie financière, l'appât du gain est fort et les avis contraires à la vague dominante sont laissés de côté. · Christian Chavagneux
Les mauvais coups des produits dérivés S'ils o n t u n e utilité certaine, les p r o d u i t s d é r i v é s c o m p o r t e n t a u s s i d e s risques. Les e n c a d r e r s e m b l e d é s o r m a i s n é c e s s a i r e . Crise mexicaine en 1994, crise asiatique en 1997, quasi-faillite du fonds spéculatif américain LTCM en 1998, affaire de la Société générale, faillite de Lehman Brothers, la liste des crises financières d'importance où sont impliqués les marchés de produits dérivés ( * ) ne fait que s'allonger. Une implication d'autant plus étonnante que ces instruments financiers ont été inventés pour se protéger des variations inattendues du prix des matières premières ou du cours des actions, des taux de change, des taux d'intérêt, etc.
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La crise - CHAPITRE I
Acheter un produit dérivé donne en effet la possibilité d'acheter ou de vendre un actif dit sous-jacent (action, devise, pétrole...) à une date ultérieure, mais à un prix Fixé aujourd'hui. Ainsi, une compagnie aérienne peut acquérir le droit d'acheter du pétrole en septembre prochain à un prix fixé aujourd'hui ; elle ne se fera donc pas surprendre en cas de hausse inopinée du prix du baril. En face, il y a bien sûr un investisseur qui prend le risque qu'en septembre, le prix auquel il s'est engagé à livrer le pétrole soit inférieur au prix du marché auquel il devra l'acheter pour le livrer et qu'il en soit de sa poche. Mais c'est le jeu. Les produits dérivés sont donc utiles, car ils permettent à de nombreux acteurs économiques d'éviter de prendre des risques en les transférant à d'autres acteurs qui les assument. C'est là qu'entre en jeu le spéculateur. C'est quelqu'un qui accepte de prendre le risque de garantir un prix dans six mois, en pariant qu'il arrivera à acheter ce qu'il doit fournir moins cher que le prix de vente qu'il a promis. Le pari peut être très risqué, mais il peut aussi rapporter gros. On dit que le spéculateur donne de la liquidité ( * ) au marché dont il permet l'existence. C'est l'aspect positif de ces paris. Mais ils introduisent également plusieurs fragilités. Ils mobilisent ce qu'on appelle l'effet de levier ( * ) , c'est-à-dire la possibilité de prendre beaucoup de paris en ayant peu d'argent à soi, l'essentiel étant emprunté auprès des banques, quand elles ne jouent pas elles-mêmes le rôle du spéculateur, attirées par des perspectives de profits élevés. Jusqu'au jour où la spéculation échoue. Et là, non seulement le spéculateur a des problèmes, mais aussi toutes les banques qui lui ont beaucoup prêté. Et si ce sont les principales banques du pays, c'est toute l'économie qui se retrouve en danger. Le spéculateur a ainsi introduit le risque systémique ( * ) , la possibilité qu'une crise locale devienne une crise généralisée. Dans la crise, les banques commerciales, les banques d'affaires, les assureurs, les fonds spéculatifs, les fonds de pension, etc., tous les grands acteurs financiers ont pris des paris risqués en jouant sur les marchés de dérivés. Et ils ont beaucoup perdu. D'où, parmi les propositions politiques discutées actuellement, la nécessité d'encadrer ces marchés. · Ch. Ch.
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Menaces sur la reprise
Pour soutenir l'activité, l'économie a été placée sous perfusion d'argent public. Mais ce traitement ne peut être prolongé indéfiniment. L'austérité se profile déjà dans une Europe chahutée par la spéculation, alors que le chômage n'a pas fini de croître. Et ce n'est pas la consommation des Chinois qui pourra tirer la reprise. Alternatives Economiques - Hors-série poche n 43 bis - avril 2010 -
La crise - C H A P ™
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Une périlleuse sortie de crise M i s e s s o u s p e r f u s i o n m o n é t a i r e e t b u d g é t a i r e , les é c o n o m i e s s e m b l e n t s e refaire u n e santé. M a i s l e s e v r a g e s ' a n n o n c e t r è s délicat.
L
e malade semble tiré d'affaire. Pendant une année et demie, il s'était laissé dépérir ; le voilà qui reprend des forces. Depuis le second semestre 2009, l'économie mondiale est sur la voie de la reprise. Les marchés financiers ne sont plus tétanisés par la panique, les banques se refont une santé, les échanges internationaux reprennent et l'activité redémarre enfin. La croissance est positive en France et en Allemagne depuis le deuxième trimestre 2009, et depuis le troisième dans la zone euro dans son ensemble et aux Etats-Unis. Mais ces quelques bons chiffres se détachent sur un fond toujours sombre. Le niveau de la production demeure nettement en deçà de celui d'avant la crise. Ainsi, en décembre dernier, la production industrielle française était retombée à son niveau du début de l'année 1997, en retrait de 17 % par rapport à son pic d'avril 2008. L'activité est donc très loin d'avoir retrouvé son régime de croisière. Les entreprises n'utilisent que partiellement leurs capacités de production et diffèrent leurs investissements. Du coup, elles continuent de détruire des emplois.
Des performances fragiles Ces performances fragiles sont celles d'économies sous perfusion. Sous perfusion de liquidités quasiment gratuites, fournies sans compter par les banques centrales. Sous perfusion aussi des milliards injectés en argent public par les Etats. Le traitement a sans doute permis d'éviter une dépression redoutable, mais ces remèdes de cheval ne peuvent être administrés trop longtemps sous peine de miner la confiance dans la valeur de la monnaie et dans la capacité de remboursement des Etats. Des effets secondaires apparaissent d'ailleurs déjà. Les liquidités surabondantes alimentent la spéculation et la formation de nouvelles bulles, sur les matières premières et les Bourses. Le creusement des déficits se traduit par une explosion des dettes publiques que certains Etats risquent de payer très cher. C'est pourquoi la grande question économique du moment est celle des stratégies de sortie. Autrement dit : comment mettre fin au dopage monétaire et budgétaire sans provoquer un sevrage trop violent qui tuerait dans l'œuf la reprise ? La question n'est pas triviale. Il faudra en effet beaucoup d'adresse aux gouvernements pour éviter de faire replonger l'économie. Mais croire que la sortie de crise se résume à une bonne gestion des stimuli publics serait comme croire qu'il suffit de bien doser la méthadone pour guérir un drogué. Le drogué, c'est une économie dont la croissance jusqu'à la crise dépendait d'un endettement en perpétuelle augmentation et d'une destruction des ressources non renouvelables. En faisant du retour de cette croissance la priorité des politiques publiques, les gouvernements
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s'exposent à un échec à court terme. Plus grave : ils ne préparent pas les sociétés à vivre avec une croissance qui, demain, pourrait ne pas être - voire ne devra pas être - aussi soutenue qu'hier. Ils prolongent artificiellement un modèle insoutenable.
Les causes profondes perdurent Plus de deux ans après le début de la récession, les causes profondes de la crise perdurent. La demande mondiale est toujours déséquilibrée. La sous-évaluation du yuan reflète la sous-consommation persistante des ménages chinois. Celle-ci durera tant que l'immense majorité de ce peuple sera privée de la plus grande partie des richesses qu'il produit. Au Nord, la situation des classes moyennes, dont les revenus stagnaient déjà avant la crise, s'est encore dégradée : leur patrimoine s'est en partie évaporé, leurs emplois sont détruits, leur rémunération stagne, alors que leur stock de dettes reste coLA FINANCE N'EST TOUJOURS PAS lossal. L'endettement public a pris le relais d'un BRIDÉE. LES PRINCIPES ÉDICTÉS endettement privé devenu insoutenable, mais le PAR LE G 2 0 M E T T R O N T DU TEMPS chemin d'une prospérité durable ne se dessine À ENTRER EN VIGUEUR ET RIEN pas encore. N'ASSURE QU'ILS SUFFIRONT La finance n'est toujours pas bridée. Les prinÀ REMETTRE LES BANQUES AU SERVICE cipes édictés par le G20 mettront du temps à DU FINANCEMENT DE L'ÉCONOMIE entrer en vigueur et rien n'assure qu'ils suffiront à remettre les banques au service du financement de l'économie. Enfin, l'économie mondiale est toujours à la merci de pénuries de ressources aussi fondamentales que l'alimentation ou l'énergie. Il ne faut pas oublier que l'envolée des prix des matières premières jusqu'à l'été 2008 a été le déclencheur d'une récession que la crise financière n'a fait qu'amplifier. La croissance n'a pas fini de venir buter contre la rareté des ressources naturelles. Au total, les multiples facteurs qui ont donné naissance à la crise sont toujours là. Mais le monde qu'elle laisse n'est plus tout à fait le même. Les pays du Nord en sortent affaiblis et lourdement endettés. Les cartes passent dans d'autres mains. Celles des pays qu'on ne devrait plus appeler émergents, qui gagnent une place de premier plan, tant économique (ils pèseront la moitié du PIB mondial en 2014, contre le quart en 2000) que politique (à travers le G20). Et surtout entre les mains de la Chine, grande puissance qui ne pourra plus jouer longtemps la stratégie économique d'un petit pays exportateur. · Sandra Moatti
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La crise -
HAPITRE
Comment lutter contre le chômage ? L'envolée s a n s p r é c é d e n t d u c h ô m a g e , loin d'être t e r m i n é e , n é c e s s i t e rait u n e m o b i l i s a t i o n g é n é r a l e , c o m m e celle q u i a e u lieu p o u r s a u v e r les b a n q u e s . M a i s p o u r l'instant, o n n e v o i t rien venir...
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r\ millions de chômeurs étaient inscrits à Pôle emploi en janvier 2010, y «J soit 770 000 de plus qu'en janvier 2008. Au cours des trente dernières années, le pays a déjà connu quelques moments où le chômage a été encore plus important qu'aujourd'hui, mais jamais il n'avait été confronté à une hausse aussi brutale et rapide. Et selon les prévisions actuellement disponibles, c'est loin d'être fini : bien que l'économie française soit sortie de la récession, 2010 devrait être marquée par une nouvelle hausse sensible du chômage. La reprise est en effet très lente et l'activité n'est toujours pas revenue au niveau d'avant la crise. Les entreprises qui avaient souvent fait le dos rond au cœur de la tempête ajustent
LE CHÔMAGE POURRAIT BIEN AUSSI TUER LA REPRISE ÉCONOMIQUE, CAR IL RISQUE D'AVOIR RAISON DE LA CONSOMMATION DES MÉNAGES, QUI A V A I T BIEN RÉSISTÉ JUSQUE-LÀ ET TIRAIT L'ACTIVITÉ
désormais leurs effectifs à la baisse. Au-delà même des importantes difficultés qu'il impose à ceux qui le subissent directement, le retour du chômage de masse risque d'avoir un effet particulièrement délétère sur une société française dont la cohésion sociale était déjà très fragilisée. En désespérant en particulier une jeunesse qui
s'était prise à croire que les papy-boomers allaient lui libérer de la place en masse sur le marché du travail. Le chômage pourrait bien aussi tuer la reprise économique elle-même, car il risque d'avoir raison de la consommation des ménages, qui avait bien résisté jusque-là et tirait l'activité. Après le volontarisme de nos dirigeants face à la crise bancaire fin 2008, on ne peut qu'être surpris par leur timidité sur le front du chômage. Il faut dire que nombre des mesures qui permettraient de limiter les dégâts - réduction du temps de travail, emplois aidés, emplois publics - impliqueraient de revenir sur les promesses de campagne du candidat Sarkozy...
Ce n'est pas fini Bien que l'économie française soit sortie de la récession depuis le deuxième trimestre 2009, l'emploi continue de diminuer. Normal : les effectifs des entreprises s'ajustent toujours avec retard aux évolutions de l'activité. A la baisse comme à la hausse. Mais cet effet est particulièrement marqué aujourd'hui. La chute spectaculaire de l'emploi à laquelle on a assisté en 2009 est en effet loin de refléter l'ampleur de la baisse d'activité. On s'en rend compte en mesurant la productivité, c'est-à-dire la quantité de richesses produite par chacun de ceux qui occupent un emploi. Au premier trimestre 2009, elle était plus faible de 2,6 % qu'au premier trimestre 2008. Or, en temps normal, on parvient au contraire chaque année à produire un petit peu plus de richesses avec autant de travail, grâce à de
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nouvelles machines, à une meilleure organisation, etc. D'ordinaire, le niveau de ces gains de productivité est de l'ordre de 1,5 % par an en France. Quand on se situe à - 2,6 %, cela signifie que les effectifs employés sont trop importants, à hauteur de 4 % environ par rapport à la normale. Ces sureffectifs ont notamment été gérés jusqu'à présent grâce à un recours massif au chômage partiel et à la souplesse donnée aux entreprises par les accords sur les 35 heures, qui ont permis de cumuler les réductions du temps de travail (RTT) et d'éviter ainsi des licenciements. Malgré l'aide de la puissance publique au chômage partiel, cette situation ne peut cependant pas s'éterniser : les salariés sous-employés pèsent négativement sur la rentabilité des entreprises, au moment où celles-ci peinent à obtenir des crédits auprès des banques et ont le plus grand besoin de les rassurer, ainsi que leurs clients et leurs fournisseurs, sur leur viabilité. En effet, la part des profits dans la valeur ajoutée des entreprises (les sociétés non financières) avait plongé à 30,1 % au premier trimestre 2009, un record à la baisse depuis 1985. C'est pourquoi, bien que l'économie française soit sortie de la récession dès le deuxième trimestre 2009, les suppressions d'emplois se sont poursuivies depuis, et se poursuivront cette année, à un rythme élevé. Fin 2009, le rattrapage était en effet encore loin d'être terminé : au troisième trimestre, la productivité était toujours inférieure de 0,9 % par rapport à la même période de 2008. Autrement dit, au niveau actuel de production, les effectifs employés par l'économie française sont encore trop importants de l'ordre de 2,5 %, soit 580 000 emplois, si on prend en compte 1,5 % de gains de productivité potentiels annuels. Sauf si des mesures très volontaristes sont adoptées, il y a tout lieu de redouter non seulement une reprise économique sans emplois, mais aussi une poursuite de la montée du chômage.
Que faire ? Pour créer des emplois, le gouvernement veut surtout soutenir les très petites entreprises et les entrepreneurs individuels. Il a ainsi supprimé les cotisations sociales des salariés recrutés au niveau du Smic dans les entreprises
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La crise - CHAPITRE
II
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de moins de dix salariés. En décembre dernier, 740 000 emplois en avaient bénéficié, selon le gouvernement. Le chiffre est élevé, mais pour une bonne part lié à ce qu'on appelle un « effet d'aubaine » : ce type de mesure coûte en effet très cher aux finances publiques, alors que la plupart des emplois qui en bénéficient auraient été créés même sans ces allégements. La deuxième grande politique menée par le gouvernement consiste à inciter les gens à se mettre à leur compte. 580 000 entreprises ont vu le jour l'an dernier, contre 331 000 en 2008, soit une hausse de 75 % malgré la crise, grâce notamment au succès du nouveau statut d'auto-entrepreneur. Malheureusement, si ces entreprises nouvellement LE C H Ô M A G E PARTIEL UN OUTIL
créées soulagent temporairement les statistiques
ESSENTIEL POUR GARDER AU SEIN
du chômage, la grande majorité d'entre elles ne
D E S E N T R E P R I S E S LES S A L A R I É S
survivront pas : dans un tel contexte, beaucoup de
LORS D'UN CREUX D'ACTIVITÉ :
ceux qui se sont lancés dans l'aventure connaîtront
3 2 0 0 0 0 PERSONNES
m ê m e de grandes difficultés financières. Sans
EN O N T BÉNÉFICIÉ
oublier que ce n'est pas vraiment de toutes petites
A U DEUXIÈME TRIMESTRE
2009
entreprises dont l'économie française a besoin, il y en a déjà trop.
Plus sérieusement, le gouvernement et les partenaires sociaux ont beaucoup élargi et amélioré les conditions de recours, la durée et l'indemnisation du chômage partiel. C'est en effet un outil essentiel pour garder au sein des entreprises les salariés lors d'un creux d'activité (voir encadré ci-dessous). 320 000 personnes en ont bénéficié au deuxième trimestre 2009 et encore 140 000 au troisième. Mais, même étendu, ce type de dispositif ne peut valoir que pour une période transitoire. On ne pourra donc guère continuer à compter autant sur lui en 2010.
il m a n q u e des contrats aidés Autre outil plus pérenne : les emplois aidés. Tout le monde a conscience que ce n'est pas l'idéal, mais ils sont utiles à différents titres : pour limiter l'impact désocialisant du chômage sur les personnes ; pour aider à modifier les « files d'attente » des chômeurs en donnant une chance de revenir dans l'emploi à celles et ceux qui en ont a priori très peu ; enfin, pour permettre
| Le c h ô m a g e partiel, un r e m è d e p r o v i s o i r e La crise économique s'est traduite par un important recours au chômage partiel. Réformé en décembre 2008 et janvier 2009, ce dispositif permet à une entreprise de réduire temporairement la durée de travail de ses salariés. En contrepartie, ces derniers touchent une indemnisation égale à 75 % de leur rémunération horaire brute, un taux relevé en avril 2009 à l'initiative du gouvernement. L'objectif est d'éviter les licenciements en cas de baisse brutale (mais limitée dans le temps) de la demande, et donc de ne pas rompre le contrat de travail qui lie l'employeur et
remployé. Cela permet ainsi aux entreprises de préserver leur collectif de travail et de ne pas être contraintes de se séparer de salariés qu'elles ont parfois mis du temps à former. Ce dispositif ne peut être utilisé plus de 1 000 heures sur l'année et pendant 24 mois au maximum (des durées qui ont été rallongées du fait de la crise). Si les difficultés rencontrées par l'entreprise se prolongent, le chômage partiel n'a cependant pour effet que de retarder les licenciements, un scénario, hélas, probable dans de nombreux cas...
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à certaines activités d'exister dans le secteur non lucratif, que sinon il ne parviendrait pas à financer. Le gouvernement avait fortement réduit ces contrats en 2007 et 2008, il est (enfin) revenu en arrière en 2009. Il fait état de 440 000 contrats aidés conclus l'an dernier. Mais il faut déduire ceux qui se sont terminés. Au final, l'Insee estime qu'après avoir baissé de 63 000 en 2008, le nombre total de ces contrats aidés n'est remonté que de... 48 000 en 2009. Et qu'il ne devrait pas s'accroître au premier semestre 2010. On reste donc en réalité toujours très loin du compte. Il existe par ailleurs d'autres actions, potentiellement efficaces, auxquelles le gouvernement répugne encore à recourir pour des raisons essentiellement idéologiques. De même que l'Etat endosse le rôle de banquier en dernier ressort lorsque le système financier risque de s'écrouler, il peut et doit aussi être l'employeur en dernier ressort lorsque le chômage menace de
[ L e s j e u n e s e n p r e m i è r e lign e On comptait 465 000 demandeurs d'emploi âgés de moins de 25 ans en janvier dernier, soit 137 000 de plus que deux ans auparavant, une hausse de plus de 40 % ! En comparaison, le nombre de demandeurs d'emploi de 25 à 49 ans n'a augmenté « que » de 29 % entre janvier 2008 et janvier 2010. Et cela dans un contexte où le chômage des jeunes était déjà nettement plus important. Le taux de chômage des 15-24 ans est en effet calculé uniquement en fonction de ceux qui sont présents sur le marché du travail, soit 38,5 % de l'ensemble de cette classe d'âge en 2007 (les autres poursuivant toujours des études). La situation des jeunes interpelle d'autant plus que nous sommes en plein « papy-boom » : la population âgée de 15 à 59 ans diminuera cette année de 120 000 personnes, alors que jusqu'en 2007, elle augmentait bon an mal an de 200 000 personnes environ. Cela devrait se traduire, selon l'Insee, par une baisse de la population active en 2009. une première, une telle perspective portait en elle la promesse d'une amélioration significative de la situation des jeunes sur le marché du travail. Mais c'était sans compter avec la violence du choc économique actuel... Le chômage des jeunes est beaucoup plus sensible aux fluctuations conjoncturelles que celui des plus âgés. La flexibilité accrue du marché du travail repose pour une large part sur leurs épaules, que ce soit dans le privé ou dans la fonction publique. Ainsi, les 15-29 ans sont deux fois plus souvent intérimaires que la moyenne des personnes en emploi. Et un peu plus d'un jeune sur quatre de 15 à 29 ans qui occupe un emploi est en contrat à durée déterminée (CDD) ou en emploi aidé, contre 11 % de l'ensemble des actifs occupés.
Or les jeunes sont les mal-aimés de la protection sociale : ils n'ont pas encore droit au revenu de solidarité active (RSA), sauf pour les chargés de famille, ils sont peu ou pas indemnisés par l'Unedic, alors même qu'ils sont les premières victimes du chômage. Leur taux de pauvreté est donc bien plus élevé (21 %) que pour l'ensemble de la population (13 %). Au final, pour toute une classe d'âge, la crise va laisser des traces durables. Les enquêtes « Génération » du Centre d'étude et de recherche sur les qualifications (Céreq) montrent que le fait d'arriver sur le marché du travail lorsque la situation économique se dégrade engendre des effets durables : pour la « génération 2004 » (une mauvaise année sur le front de l'emploi), le taux de chômage est resté systématiquement plus élevé lorsque la situation s'est améliorée (de 2005 à 2007) que cela n'a été le cas pour les générations antérieures. Laurent Jeanneau
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La crise -
HAPITRE
plonger l'économie et la société dans la crise. Cela peut prendre la forme de la création d'emplois publics. Il faut naturellement être prudent : compte tenu de la protection statutaire dont bénéficient ces emplois, ces créations sont difficilement réversibles. Mais pour l'instant, le problème ne se pose pas : le gouvernement entend, au contraire, supprimer LES 4 MILLIARDS D'EUROS DÉPENSÉS POUR SUBVENTIONNER LES HEURES S U P P L É M E N T A I R E S
30 000 emplois dans la fonction publique (dont 16 000 à l'Education nationale), soit le plus grand plan social du pays.
AURAIENT PU PERMETTRE
Travailler moins ?
DE FINANCER QUASIMENT ENTIÈREMENT 1 0 0 0 0 0 EMPLOIS EN PLUS...
Dans les circonstances actuelles, la réduction du temps de travail pourrait, elle aussi, limiter le nombre de chômeurs. Mais loin d'aller dans ce
sens, le gouvernement continue d'encourager les salariés à faire des heures supplémentaires à grand renfort d'argent public. En 2009, malgré la crise, on a encore enregistré 676 millions d'heures supplémentaires subventionnées, soit l'équivalent de 434 000 emplois. Un emploi coûte en moyenne 41 000 euros par an, charges comprises. Les 4 milliards d'euros dépensés pour subventionner les heures supplémentaires auraient donc pu permettre de financer quasiment entièrement 100 000 emplois en plus... Enfin, plus délicat, une autre forme de réduction du temps de travail
| Un m i l l i o n de c h ô m e u r s en fin de droits en 2010 Les chômeurs sont toujours plus nombreux à ne pas retrouver d'emploi et un million d'entre eux vont arriver en 2010 en « fin de droits », c'est-à-dire qu'ils ne toucheront plus d'argent de l'assurance chômage. Près de la moitié d'entre eux seront privés de toute allocation de remplacement pour amortir le choc. Chaque année, de nombreux chômeurs se retrouvent dans une telle situation. Un million de chômeurs ayant épuisé leurs droits à l'assurance chômage en 2010, cela représente une hausse de 22 % par rapport à 2009 et de 32 % par rapport à 2008. Cette hausse est pour l'essentiel bien évidemment liée à la dégradation de la conjoncture économique depuis l'été 2008. Les suppressions d'emplois ont été massives : 378 000 en 2009. Le nombre de demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi a augmenté de 18 % entre fin 2008 et fin 2009 et celui des chômeurs de longue durée (inscrits depuis un an et plus) de 28 %. Parmi ces chômeurs, un grand nombre arriveront au terme de leurs droits à l'assurance chômage courant 2010 du fait de la conjoncture morose sur l'emploi. Que deviendront-ils ? Plusieurs dispositifs existent. Il y a tout d'abord l'allocation de solidarité spécifique (ASS), d'un montant maximal d'environ 450 euros
par mois. Pour y avoir droit, il faut cependant avoir travaillé au moins cinq ans au cours des dix années précédentes. On peut prétendre également au RSA « socle », l'allocation qui a remplacé le revenu minimum d'insertion (RMl) et l'allocation de parent isolé (API) depuis le 1 e r juin 2009. Le montant maximal du RSA socle est de 460 euros pour une personne seule et de 690 euros pour un couple. Pour toucher cette somme, il faut cependant avoir plus de 25 ans et n'avoir aucun revenu par ailleurs |11 . D'autres allocations sont spécifiquement prévues pour les chômeurs de plus de 60 ans ou les demandeurs d'emploi en formation. Restent environ 400 000 personnes qui ne devraient rien toucher du tout, soit parce qu'elles n'ont pas travaillé assez longtemps, soit parce qu'elles ont moins de 25 ans ou des revenus supérieurs au plafond du RSA socle. De quoi provoquer une hausse considérable de la pauvreté si ces personnes sont abandonnées à leur sort. Camille Dorival [11 Le RSA socle est en effet une allocation « différentielle » : si l'allocataire perçoit par exemple 180 euros d'allocations familiales et que son conjoint touche une indemnisation chômage de 500 euros, son RSA socle ne sera que de 10 euros (690 - 680).
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est envisageable : une des politiques traditionnelles face aux poussées du chômage de masse consiste à encourager les salariés les plus âgés à anticiper leur départ en retraite afin de donner la priorité aux jeunes qui arrivent sur le marché du travail. Or, en 2009, c'est l'inverse qui s'est produit : le nombre de départs en retraite a été l'année dernière, contre toute attente, inférieur à ce qu'il avait été en 2008. Et malgré la crise, le taux d'emploi des 55-64 ans a continué de s'accroître sensiblement, tandis que celui des 1524 ans plongeait brutalement. Les problèmes de financement de la protection sociale sont réels, mais au vu de l'évolution récente du chômage et compte tenu de l'absence de perspectives d'amélioration à court terme, il convient probablement de revenir, en partie et provisoirement, sur la politique qui a consisté toutes ces dernières années à limiter au maximum ces départs anticipés. Bref, il existe des moyens pour freiner la montée du chômage, mais leur mise en œuvre à grande échelle impliquerait de remettre en cause certains dogmes auxquels le gouvernement s'accroche toujours, malgré la gravité de la crise. · Guillaume Duval
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La crise - CHAPITRE II
Comment sortir du dopage monétaire ? Les politiques des banques centrales ont contribué à la reprise économique. Mais l'abondance de liquidités pourrait aujourd'hui favoriser la formation de nouvelles bulles spéculatives. Reste à savoir comment corriger les politiques sans provoquer une brutale remontée des taux à long terme.
C
onfrontées à l'apparition de puissantes pressions déflationnistes, les banques centrales ont ramené en un temps record leurs taux d'intérêt au voisinage de zéro. Face au risque de défaillances en chaîne des institutions financières, elles ont permis aux banques de se refinancer dans des proportions pratiquement illimitées. Décidées à réactiver les circuits de financement à long terme de l'économie, elles sont intervenues directement sur le marché obligataire ( * ) en rachetant des titres représentatifs de la dette privée comme publique.
Ces politiques, dites de détente quantitative, ont porté leurs fruits. Mises en œuvre de façon systématique en 2009, elles ont rétabli la liquidité sur le marché interbancaire, rendu possible le retour des primes de risque ( * ) sur les obligations privées à leur niveau d'avant la crise et suscité une reprise spectaculaire des marchés boursiers. En Europe comme aux EtatsUnis, ceux-ci ont refait la moitié du chemin perdu entre septembre 2007 et mars 2009. Conjuguées aux programmes de relance budgétaire les plus massifs jamais réalisés en temps de paix, ces politiques ont permis d'enrayer les dynamiques déflationnistes à l'œuvre depuis la fin 2008 et contribué à la reprise de l'activité observée dans les économies avancées depuis l'été 2009.
De nouvelles bulles en préparation Mais en ouvrant au maximum les vannes de la création monétaire, les banques centrales ont pris un risque. Si un dérapage de l'inflation semble improbable à court terme du fait de l'atonie persistante de la consommation et du niveau élevé du chômage, l'abondance de liquidités ( * ) pourrait à terme menacer la stabilité monétaire, en cas d'accélération de l'activité. L'euphorie qui s'est emparée des marchés financiers à partir du printemps 2009 laisse craindre par ailleurs que de nouvelles bulles spéculatives soient en voie de formation. Parce qu'elle favorise des prises de risque excessives, la politique de taux d'intérêt zéro des banques centrales semble avoir porté le prix des actifs financiers à des niveaux sans rapport avec les données fondamentales de l'économie. D'une façon générale, la gestion des crises financières depuis une vingtaine d'années fait apparaître un biais expansif propice à la formation de bulles spéculatives, les banques centrales réduisant brutalement leur taux chaque fois qu'une crise éclate et ne les relevant que très tardivement
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et très progressivement ensuite, de façon à faciliter la convalescence des institutions financières. Conscientes de ces risques, les banques centrales devraient entrer maintenant dans une phase de normalisation des conditions monétaires. Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale (Fed) a achevé son programme de rachat de titres de la dette publique et annoncé la fin de ses interventions sur le marché obligataire privé pour le 31 mars 2010. Arrêter d'injecter des liquidités supplémentaires n'est cependant pas tout. Encore faut-il éponger les liquidités en excès dont regorge désormais le système bancaire. C'est la délicate mission à laquelle la Fed doit désormais s'attaquer. Au Royaume-Uni, la Banque d'Angleterre, qui avait porté en novembre dernier l'enveloppe de son programme d'achats de titres à 200 milliards de
| Trop de liquidités en circulation Déjà au lendemain de l'éclatement de la bulle Internet, la Réserve fédérale américaine (Fed) avait descendu très rapidement son taux directeur, jusqu'à 1 %, un record historique à l'époque, et l'avait maintenu très bas pendant deux ans et demi. A l'époque, on avait beaucoup célébré la réactivité de la Fed, créditée d'avoir épargné aux Etats-Unis une récession sévère. Mais le revers de la médaille s'est révélé ensuite : la faiblesse prolongée des taux d'intérêt a encouragé les ménages à s'endetter et a nourri une bulle immobilière. Elle a aussi incité les acteurs financiers à prendre des risques inconsidérés, dans un contexte de déréguiation financière et d'abondance d'épargne mondiale. Où va aujourd'hui l'argent distribué si généreusement par les banques centrales ? Pas dans les poches des ménages ni dans celles des entreprises en tout cas, puisque les crédits qui leur sont consentis stagnent. Mais plutôt dans celles des Etats, pour financer les dettes publiques, et surtout dans celles des banques, qui renouent avec les profits. Ce serait plutôt une bonne chose - les bonus des traders mis à part -, si elles en profitaient pour assainir leur situation : se débarrasser de leurs actifs pourris, augmenter leurs fonds propres, investir dans des dispositifs de contrôle des risques, etc. Le font-elles ? L'opacité est toujours de mise en la matière. Le risque est qu'elles tirent surtout les bénéfices à court terme d'une politique qui leur assure des profits faciles et qui améliore automatiquement leur bilan, grâce à la remontée en flèche du prix des actifs, dopés par la liquidité surabondante fournie par les banques centrales.
de bulles spéculatives sur différents marchés. L'économiste en décèle les signes sur le marché des actions, sur les obligations d'entreprises, dont les primes de risque (*) baissent malgré la hausse rapide des taux de défaut, et, enfin, sur les marchés de matières premières, en particulier du pétrole. Les banques se remettent également à pratiquer le carry trade, c'est-à-dire à emprunter à très faible taux dans une monnaie pour financer des opérations plus rémunératrices dans d'autres devises. Après le yen, le dollar est devenu le support de cette technique, à la faveur du niveau quasi nul des taux d'intérêt à court terme aux Etats-Unis. La politique monétaire hyperaccommodante actuelle comporte donc plus de risques qu'il n'y paraît. Dans un monde où les banques restent insuffisamment contrôlées, où toutes les occasions de spéculation bonnes à prendre, elle masque la situation réelle En effet, I'« inondation monétaire » actuelle,sont comme la qualifie Patrick Artus, chef économiste à Natixis, des banques et nourrit des bulles qui peuvent éclaS. M. a des effets secondaires déjà visibles, sous forme ter à la moindre hausse de taux.
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La crise - CHAPITRE
II
livres sterling, a procédé en janvier, pour un montant mineur, à une première revente de titres obligataires privés. Dans la zone euro, la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé en décembre que les opérations de refinancement illimitées des banques ne se feraient plus désormais au taux fixe de 1 %, mais à taux variable et sur des périodes plus courtes.
La danger de la remontée des taux longs Au-delà de la stabilisation de la sphère financière, l'impact majeur de la détente quantitative porte sur le niveau des taux d'intérêt à long terme, qui conditionnent le coût du financement de la dette publique, des grandes entreprises et des emprunts immobiliers. Le risque majeur d'un arrêt de ces programmes et, à plus forte raison, d'un drainage des liquidités en excès accumulées par le secteur bancaire, réside par conséquent dans une remontée des taux longs. Aux Etats-Unis, par exemple, les interventions de la Fed sur le marché obligataire ont porté en 2009 sur un montant à peu près équivalent à celui des besoins de financement du secteur public. L'arrêt de ces interventions à partir du 31 mars 2010 pose donc la question des conditions du financement du déficit budgétaire, qui devrait se situer en 2010 comme en 2009 à plus de 10 % du produit intérieur brut (PIB) américain. La remontée des taux longs, qui semblait s'engager au dernier trimestre 2009, risquerait notamment d'entraîner une rechute du marché immobilier, encore convalescent. En Europe, les besoins de financement des Etats pour 2010 sont estimés à 1 000 milliards d'euros, soit là aussi plus de 10 % du PIB de la zone. Un resserrement de la liquidité ne compromettrait pas seulement la reprise fragile de la demande intérieure en France ou en Allemagne, elle exacerberait aussi les difficultés de financement des Etats de la zone au bord de la rupture financière, tels la Grèce, le Portugal ou l'Espagne. Au Royaume-Uni, où le déficit public programmé atteindra 13 % du PIB en 2010 et où des élections parlementaires doivent se tenir en milieu d'année, la sortie de la détente quantitative s'annonce particulièrement périlleuse. Au total, la gestion de la crise financière dans les économies avancées n'a permis de résorber qu'à la marge l'endettement privé passé. Elle s'est employée à le refinancer par la création monétaire et lui a substitué l'endettement public. Tout comme au début des années 2000, les banques centrales ont donc pris le risque d'encourager la formation de nouvelles bulles spéculatives, qu'elles ne peuvent désormais prévenir qu'au prix d'une déstabilisation du marché obligataire. Et donc d'une rechute de l'activité. · Jacques Adda
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fat
Les banques renouent avec les profits, pas avec le crédit Les banquiers français renflouent leurs coffres grâce à de grosses marges réalisées sur les prêts accordés à leurs clients, mais aussi du fait de leurs gains sur les marchés financiers.
L
es banquiers français ont le sourire. Normal : ils refont déjà des profits. Un an et demi après la chute de Lehman Brothers, qui a failli emporter tout le système bancaire mondial, voilà de nouveau les banques en train de gagner beaucoup d'argent. En 2009, les cinq
grands réseaux bancaires que sont BNP Paribas, Crédit agricole, Société générale, Crédit mutuel-CIC et BPCE - le dernier-né, issu de la fusion entre les Banques populaires et les Caisses d'épargne le 31 juillet 2009 - ont engrangé ensemble 11 milliards d'euros de profits (soit le double de l'année précédente, mais la moitié de 2007). Ce qui leur a permis de rembourser sans attendre les aides reçues de l'Etat français l11 . Cette santé apparaît quelque peu insolente, alors que la reprise demeure bien timide et que le chômage continue d'augmenter. Comment font-elles pour dégager des résultats en croissance dans une économie atone ? Paradoxalement, elles y parviennent en faisant ce que l'on attend en priorité des banquiers : distribuer des crédits. Même si la croissance de leur activité s'est nettement ralentie avec la crise, les grandes banques n'en ont pas moins continué à financer les entreprises et les particuliers. Et ces financements ont été assurés dans des conditions bien plus rentables qu'avant la crise, ce qui joue très positivement sur leurs résultats.
Des marges confortables Les établissements financiers empruntent de l'argent à court terme pour le prêter à moyen et long terme : plus l'écart de taux entre ce qu'elles empruntent et ce qu'elles prêtent est important, plus les crédits sont rentables. Or le taux au jour le jour sur le marché interbancaire se situe désormais entre 0,3 % et 0,4 %, contre 4,3 % en moyenne en septembre 2008. En revanche, confrontées à la nécessité d'apurer leurs pertes et au ralentissement de la
[11 Sauf BPCE, dont le retour à des résultats positifs ne date que du 3 e trimestre et qui a indiqué vouloir procéder à un remboursement progressif en 2010.
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La crise - CHAPITRE
II
croissance qui rend les crédits plus risqués (les entreprises peuvent disparaître, les individus perdre leur emploi...), les banques n'ont pas répercuté la baisse du coût de leurs ressources sur les taux auxquels elles prêtent. Leurs marges se sont donc considérablement gonflées. Et même si la distribution du volume de crédits augmente peu, la rentabilité des crédits a nettement progressé, faisant de l'activité classique de banquier la source des bons résultats de cette année. Les banques ont également bénéficié d'un boom de leurs activités sur les marchés financiers. Ces gains ont été réalisés essentiellement en aidant les grandes entreprises à y lever des capitaux (ce qu'elles font massivement) et en intervenant plus activement sur les marchés de produits dérivés ( * ) les moins risqués. De quoi mettre du beurre dans les épinards pour compenser leurs erreurs d'hier sur ces mêmes marchés.
Le poids des erreurs passées
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Pourtant, en termes d'activité de marché, les banques paient encore la note de leurs erreurs. Elles doivent toujours « passer des provisions », c'est-à-dire mettre de l'argent de côté pour faire face à la perte de valeur des actifs toxiques qu'elles détiennent dans leur bilan. Ces coûts n'ont pas fini de plomber leurs résultats. Ainsi, le rendement des activités de marché de la Société générale s'établit à 7 % pour le troisième trimestre 2009. On est loin des 40 % et quelques de la période d'euphorie... Au total, si l'on tient compte des pertes liées aux paris perdus en jouant avec leur propre capital et celles liées à des activités risquées dont elles sont en train de se débarrasser, l'ensemble des activités de marché joue négativement sur le résultat des grandes banques françaises. Sauf pour BNP Paribas : on disait, hier, qu'elle avait pris moins de risques que les autres dans la période euphorique, on en a aujourd'hui la confirmation dans ses comptes.
| la t r è s lucrative b a n q u e de détail Les grandes banques françaises sont dites « universelles », c'est-à-dire qu'elles développent leurs activités dans différentes sortes de métiers financiers (voir tableau). Même dans les périodes où elles prennent trop de risques sur les marchés financiers, elles conservent une base solide grâce à leurs réseaux de distribution de crédits. La collecte de dépôts représente pour elles une ressource importante. Et la distribution de crédits peut s'avérer très rentable - du moins quand les banques étudient sérieusement les dossiers (ce qu'elles ont moins tendance à faire lorsqu'elles les transforment en actifs financiers pour les vendre grâce à la titrisation). C'est pourquoi elles cherchent à développer leurs réseaux à l'étranger, comme l'a fait BNP Paribas en rachetant Fortis ou comme le font pratiquement toutes les banques en développant leur présence dans les pays émergents.
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Les banques ne sont pas encore complètement tirées d'affaire pour autant. Selon les dernières estimations du Fonds monétaire international (FMI), qui concernent l'ensemble des banques de la zone euro, celles-ci n'ont pour l'instant comptabilisé que 40 % des pertes qu'elles devront finir par prendre en compte. De plus, si la reprise de la croissance tardait à venir, les banques seraient alors obligées de provisionner pour faire face à la montée des crédits non remboursés. En attendant, grâce à de grosses marges sur leurs clients et à des revenus tirés des marchés financiers, les banques sont en train de se refaire une santé. Espérons que cela leur permettra de baisser leurs taux et de s'engager plus fortement en faveur du financement de l'économie française quand celle-ci repartira. · Eve Channing
Pourquoi les banques rechignent à prêter L'incertitude conduit les banques à thésauriser leurs liquidités plutôt qu'à prendre le risque d'abaisser leurs ratios de fonds propres en accordant de nouveaux crédits.
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ientôt trois ans après l'éclatement de la crise des subprime, l'anémie du crédit constitue toujours un obstacle majeur au redressement de la demande intérieure dans les économies développées. Aux Etats-Unis, au Japon, dans la zone euro comme au Royaume-Uni, la croissance des crédits au secteur privé s'est effondrée en 2009, devenant négative sur douze mois au second semestre. Qu'il s'agisse des prêts immobiliers, des crédits aux entreprises ou à la consommation, les banques ont durci leurs critères de prêt. Au regard des moyens considérables mis en œuvre par les banques centrales et les gouvernements pour rétablir les circuits de financement de l'économie, un tel constat a de quoi surprendre.
De nouvelles créances douteuses Plusieurs facteurs expliquent la réticence des banques à prêter. Le premier a trait aux contraintes réglementaires. Les banques sont en effet tenues de limiter les crédits qu'elles accordent en fonction du niveau de leurs fonds propres. Sérieusement affaiblis par la crise, les ratios de fonds propres sur encours de crédits se sont redressés grâce au retour des profits et
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La crise - CHAPITRE II •••jBflTClHTgJ··
aux efforts de recapitalisation des banques, mais aussi à la contraction du crédit. Les banques répugnent toutefois à reprendre une activité normale de prêt tant qu'elles sont exposées à des pertes qui viendraient à nouveau entamer leurs capitaux propres. Or les risques bancaires sont nombreux : de nouvelles créances douteuses apparaissent, générées par la récession, le niveau élevé du chômage, la crise qui sévit dans l'immobilier commercial ou encore la dépréciation des dettes de certains Etats européens. Dans son rapport d'octobre 2009 sur la stabilité financière globale, le Fonds monétaire international (FMI) évaluait à 1 300 milliards de dollars les pertes sur crédit ou les dépréciations d'actifs reconnues par les banques à l'échelle mondiale entre le début de la crise et la mi-2009. Le montant des pertes supplémentaires sur la période allant de la mi-2009 à la fin 2010 est évalué à 1 500 milliards. Sur la base d'un ratio de fonds propres définis au sens strict (capitaux apportés par les actionnaires et profits accumulés rapportés au total des actifs) de 4 %, les besoins de capitaux des banques jusqu'à la fin 2010 étaient estimés à 670 milliards, la majeure partie en Europe. La situation des banques européennes - zone euro, Royaume-Uni et Suisse - ne laisse pas d'inquiéter. Celles-ci n'ont en effet reconnu que 40 % des pertes et des dépréciations d'actifs évaluées sur la période 2007-2010 (contre 60 % pour les banques américaines) ; elles sont aussi fortement exposées aux risques liés à la crise des dettes publiques dans la zone euro (par exemple, près de 60 % des obligations émises par le gouvernement grec depuis 2005 sont détenues par des banques européennes). Disposant de moins de fonds propres que les banques américaines, elles sont plus sévèrement contraintes dans leur capacité de prêt, alors même que le financement de l'économie dépend pour les deux tiers du crédit bancaire en Europe, contre un tiers seulement aux Etats-Unis. Enfin, les projets de refonte de la régulation financière contribuent aussi à dissuader les banques de reprendre leur activité de prêt. Au total, l'incertitude conduit les banques à thésauriser leurs liquidités sous forme de réserves à la banque centrale plutôt que de prendre le risque d'abaisser leurs ratios de fonds propres en accordant de nouveaux crédits. Les gouvernements ont beau exhorter les banques à prêter, ils n'ont pas réellement de prise sur leur politique de crédit. Faute d'en avoir pris le contrôle lorsque cela était possible, ils ne peuvent que s'en remettre à l'action des banques centrales, dont la préoccupation principale est désormais le resserrement de la liquidité. Difficile dans ces conditions d'entrevoir une reprise du crédit. · J. A.
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Comment réduire la dette publique sans tuer la reprise ? Après la crise, il faut chercher à limiter la dette publique. Mais les différentes stratégies possibles n'ont pas le même impact, ni sur l'économie ni sur la société.
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n un an, entre la fin du troisième trimestre 2008 et celle du troisième trimestre 2009, la dette publique française a bondi de près de 14 points, en pourcentage du produit intérieur brut (PIB). Son montant a grossi de 170 milliards d'euros. Les 1 500 milliards d'euros seront donc dépassés avant la fin de cette année, contre 1 000 milliards fin 2003. La France n'est pas seule dans ce cas, puisque la progression a été similaire dans l'ensemble de la zone euro.
Quand la dépense privée fait défaut, il est en effet nécessaire que la dépense publique prenne le relais. Et il fallait absolument casser la spirale dépressive qui s'amorçait et renflouer un système bancaire au bord de la faillite. Ainsi, plus les pays ont eu de difficultés et plus ils ont fait appel au déficit public : en un an, la progression a atteint 32 % en Espagne, 45 % en Irlande, 58 % au Danemark, sans même parler des 151 % de la Lettonie. Mais, tôt ou tard, il faudra rembourser : soit en augmentant les prélèvements, soit en réduisant les dépenses, soit en acceptant un peu plus d'inflation, puisque la hausse des prix dévalorise la dette passée et en rend le remboursement plus facile.
Un recours à l'emprunt déjà a v a n t la crise En 2009, les recettes de l'Etat n'ont représenté en France que les deux tiers de ses dépenses (234 milliards sur 364) ; le tiers restant a dû être emprunté. A ce chiffre s'est ajouté un déficit de 27 milliards pour la Sécurité sociale. Pour une part, cet écart résulte de la crise, qui a réduit les recettes (l'impôt sur les bénéfices des sociétés, par exemple, a été divisé par deux par rapport à 2008) et conduit à augmenter les dépenses publiques. Mais, avant même que la crise n'éclate, l'Etat avait massivement recouru à l'emprunt, du fait des
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La crise -
HAPITRE
baisses d'impôts et de cotisations sociales dont il attendait officiellement un surplus de croissance, donc de ressources publiques. Croire que, dans les quatre ou cinq années à venir, la reprise économique, même accompagnée de réductions drastiques des dépenses publiques ou sociales, permettra de combler cet écart très important entre dépenses et recettes relève cependant de la foi plus que de la raison. Certes, l'Etat français dispose encore de marges de manœuvre, il peut donc continuer à s'endetter sans trop de problème : sur les marchés financiers, les obligations du Trésor à dix ans trouvent preneurs à un taux d'intérêt de 3,5 % par an, soit à peine 0,2 point de plus que l'Allemagne, considérée comme le pays le plus solide de la zone euro, malgré une dette publique représentant 72 % de son PIB, un niveau pas très différent de celui de la France (75,8 %). Rien à voir avec d'autres pays, comme la Grèce notamment (mais le Portugal, l'Espagne et l'Irlande se trouvent également dans l'œil du cyclone) qui ne peut se financer sur les marchés internationaux que moyennant C R O I R E QUE, D A N S LES Q U A T R E o u
un surcoût de 3 points en raison des craintes que
C I N Q A N N É E S À VENIR, LA REPRISE
l'Etat fasse défaut.
ÉCONOMIQUE, MÊME ACCOMPAGNÉE
Il est cependant clair que le rythme actuel de
DE RÉDUCTIONS DRASTIQUES
l'endettement public français, lié à l'ampleur de la
DES DÉPENSES PUBLIQUES OU
crise, ne peut être longtemps poursuivi alors que
SOCIALES, PERMETTRA DE COMBLER
celle-ci semble s'atténuer : de ce point de vue, le
L'ÉCART TRÈS IMPORTANT ENTRE
« grand emprunt » de Nicolas Sarkozy n'est pas
DÉPENSES ET RECETTES RELÈVE
forcément une bonne idée. Le coût de l'endettement
DE LA FOI PLUS QUE DE LA R A I S O N
- de l'ordre de 50 milliards actuellement -, qui est déjà le second poste de dépenses de l'Etat, risque en
effet de devenir rapidement prohibitif, surtout si les taux d'intérêt remontent, comme c'est probable. Ils sont en effet aujourd'hui maintenus à un niveau historiquement bas à la fois par la Banque centrale européenne (pour lutter contre le risque de dépression) et par l'abondance de l'épargne privée à la recherche de placements sans risque. Mais cela ne durera pas...
Faire jouer l'inflation ? Traditionnellement, c'est par l'inflation que sont effacées les dettes lorsqu'elles deviennent insupportables. Les ménages qui se sont endettés dans les années 1960 ou 1970 pour acquérir leur appartement le savent bien : leurs remboursements de prêt ont pesé de moins en moins lourd sur leur budget au fur et à mesure que les prix (et du coup leurs revenus) grimpaient. L'Etat également le sait bien : il a remboursé en monnaie de singe dans les années 1950 les bons du Trésor émis avant la Seconde Guerre mondiale, ce qui lui a permis de financer la reconstruction du pays et les guerres coloniales. L'inflation permet, dans certaines conditions, de concilier le beurre et les canons. Mais à l'époque, les capitaux ne voyageaient pas (ou seulement clandestinement). La Banque centrale européenne et son mandat anti-inflationniste impératif n'existaient pas. Les marchés financiers, avec leurs milliers d'experts à l'affût du moindre symptôme inflationniste pour s'en prémunir par le biais
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d'une hausse des taux d'intérêt, n'avaient pas le degré de sophistication qu'ils ont aujourd'hui. N'empêche : le jour où les milliards d'euros ou de dollars injectés par les banques centrales sortiront des bas de laine dans lesquels ils dorment actuellement par crainte du lendemain ou des mauvaises surprises, la hausse mondiale des prix risque d'être forte. Et d'autant plus forte qu'elle s'accompagnera sans doute de tensions sur les prix des matières premières. Certes, les banques centrales manieront alors l'arme des taux d'intérêt pour casser l'engrenage inflationniste avant qu'il ne prenne de l'ampleur. Mais, entre-temps, c'est bien l'inflation qui allégera le coût réel des emprunts émis aujourd'hui à un taux historiquement bas. S'endetter massivement aujourd'hui tout en se préparant à réduire fortement le besoin de financement de demain n'est donc pas un calcul idiot pour les emprunteurs du monde entier. « L'euthanasie des rentiers », chère à Keynes, demeure une arme envisageable pour réduire la dette. Mais c'est une arme qui ne servira pas longtemps et qui sera bénéfique uniquement à ceux qui pourront éviter de s'endetter demain. Pour les autres, elle élèvera sans doute significativement le coût de l'endettement : dans un monde où les créanciers des Etats sont désormais majoritairement des investisseurs étrangers (les deux tiers de la dette publique française sont aux mains de non-résidents), les marchés financiers se prémunissent contre l'érosion de la valeur de la dette en exigeant des taux d'intérêt plus élevés.
Réduire les dépenses ? La dépense publique n'est pas en soi vertueuse. Elle ne le devient que dans deux cas. Lorsqu'elle vise à se substituer à une dépense privée qui se rétracte, ou lorsqu'elle permet de produire des services et des biens publics bénéfiques à tous. Encore faut-il que cela se fasse au moindre coût ou, en d'autres termes, que la dépense publique soit efficace. Vouloir la réduire en éliminant les rentes de situation qu'elle permet parfois d'entretenir (dans les entreprises qui vivent de la commande publique ou dans les organismes administratifs) n'est donc pas forcément illégitime, bien au contraire. Mais faute d'indicateurs d'efficacité discutés et acceptés par tous, la tendance est plutôt aujourd'hui de tailler à la hache que d'effectuer des réglages délicats
Alternatives Economiques - Hors-série poche n° 43 bis - avril 2010 -
La crise - CHAPITRE II
en veillant à ne pas engendrer d'effets pervers. Dans ce domaine, la conviction que « moins » = « mieux » est encore plus contestable que l'affirmation « plus » = « mieux ». En outre, et surtout, réduire de plusieurs dizaines de milliards les dépenses publiques pour ramener, grâce à ce seul levier, le déficit public à 3 % dès 2013, comme le veut la Commission européenne, n'est pas seulement déraisonnable, mais probablement aussi contre-productif. Cela risque de détruire le fragile équilibre macroéconomique actuel, d'aboutir à replonger l'activité dans le marasme et, par voie de conséquence, à devoir gonfler de nouveau les déficits que l'on cherche à réduire. Une telle pratique attaquerait également la substance d'une protection sociale et de services publics essentiels pour l'ensemble de la société, car seules des coupes sombres dans ces fonctions publiques seraient susceptibles de procurer des économies aussi importantes. Or la crise a montré à quel point cette protection sociale et ces services publics ont servi d'amortisseurs et à quel point ils contribuent à la cohésion sociale. Enfin, on nagerait en pleine contradiction au moment où l'on affirme en haut lieu vouloir sortir de la dictature du PIB et s'intéresser au bien-être : en effet, une forte limitation de la dépense publique risque de réduire le bien-être tout en freinant, voire en bloquant, la reprise.
J J u s q u ' o ù ira l ' e n d e t t e m e n t public ? Les scénarios d'évolution future de la dette publique sont extrêmement sensibles aux hypothèses de croissance et de taux d'intérêt. La première rend la dette plus légère, les seconds renchérissent son coût. Si le taux d'intérêt est supérieur au taux de croissance, la charge de la dette augmente plus vite que le produit intérieur brut (PIB). C'est ce qu'on appelle l'effet « boule de neige ».
Pour stabiliser le ratio de la dette sur le PIB, il faut alors que l'Etat dégage un excédent primaire, c'est-à-dire un excédent budgétaire avant prise en compte de la charge de la dette. Un excédent d'autant plus important que la croissance est faible et l'endettement élevé, Ainsi, une variation de 0,5 point de croissance annuelle (1,3 % ou 1,8 %) à partir de 2011 change radicalement le profil de la dette, comme le montrent les simulations réalisées par l'OFCE 11>. Dans le premier cas, la dette continuerait de dériver et dépasserait 115 % en 2020. Avec une croissance de 1,8 %, une stabilisation est possible en 2015, à condition cependant de tenir les engagements de maîtrise des dépenses publiques pris par le gouvernement dans le dernier programme pluriannuel de finances publiques. Un écart de 1 point de taux d'intérêt se traduit par un écart équivalent sur la dette publique. De telles projections ont cependant des limites, car la croissance et le taux d'intérêt ne peuvent être considérés comme des données totalement exogènes. Ils sont, au contraire, largement influencés par la politique budgétaire menée. [11 « Quelle dette publique à l'horizon 2030 en France ? », par Eric Heyer, Mathieu Plane et Xavier Timbeau, Revue de l'OFCE n° 112, janvier 2010.
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Augmenter les impôts ? La seule façon de sortir de cette contradiction - réduire le déficit public pour freiner la montée de l'endettement public - est donc d'accroître les recettes fiscales. L'Elysée en repousse l'idée même : pas question d'augmenter les impôts, « je n'ai pas été élu pour cela », proclame le président de la République, qui a fait campagne en 2007 sur le thème d'une forte baisse - quatre points - des prélèvements obligatoires. Depuis 2000, ces derniers (hors prélèvements sociaux) ont déjà sensiblement diminué, passant de 21,8 % du PIB (impôts d'Etat et impôts locaux confondus) à 19,1 % en 2008. Et la baisse se poursuit depuis (suppression de la taxe professionnelle, réduction de la TVA sur la restauration, bouclier fiscal, détaxation des heures supplémentaires, etc.). Pour l'essentiel, ces réductions d'impôts ont bénéficié aux groupes sociaux aisés. Ils se traduisent donc moins par une consommation accrue que par une épargne supplémentaire. Accroître le niveau d'imposition des couches sociales les plus favorisées aura donc moins d'effets déflationnistes que si l'impôt était relevé pour tous. En outre, l'équité plaide en faveur d'un relèvement de l'impôt sur le revenu ou de la contribution sociale généralisée (CSG), à condition que les ménages modestes en soient épargnés, car une partie d'entre eux payent déjà lourdement le prix de la crise (chômage, précarité). Mais l'équité intergénérationnelle plaide aussi dans le même sens : ne pas relever les impôts, c'est mettre le remboursement de la dette à la charge des générations à venir, alors que ce sont les générations actuelles, et plutôt, en leur sein, ceux à la recherche de profits financiers de plus en plus élevés, qui sont à l'origine de la crise. · Denis Clerc
L'inflation n'est pas la solution Face à la montée de l'endettement public, la tentation est grande de recourir à l'inflation. Mais les circonstances ne s'y prêtent pas.
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our éviter d'être pris dans l'engrenage de l'endettement, les Etats ne risquent-ils pas d'être tentés de « faire de l'inflation » ? Cette solution classique s'appuie sur un raisonnement simple. Si les finances publiques sont équilibrées (hors charges d'intérêt), le poids de la dette publique évolue en fonction de l'écart entre croissance économique et taux d'intérêt. La dette s'alourdit en effet du montant des intérêts qui se composent, mais s'allège « naturellement » avec la croissance économique (les revenus de l'Etat étant largement indexés sur celle-ci). Le partage de cette croissance entre progrès de l'activité réelle et augmentation des prix est toutefois indifférent. Si le taux d'intérêt moyen de la dette publique est de 5 %, le poids de celle-ci (rapporté au produit intérieur brut ou aux recettes de l'Etat) s'allégera autant pour une croissance économique nominale de 10 %, que cette dernière se partage en 2 % de hausse des prix et 8 % de croissance réelle, ou l'inverse.
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La crise -
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Un pays développé ne peut espérer soutenir une croissance réelle de 8 %, mais une dérive des prix à ce rythme pendant plusieurs années ne semble pas hors de portée. Faute de pouvoir revenir rapidement à une croissance réelle suffisamment forte, les Etats pourraient, dès lors, céder à la tentation inflationniste. Jacques Delpla, membre du Conseil d'analyse économique, calculait ainsi qu'« une inflation de l'ordre de 10 % à 15 % sur cinq ans permettrait de réduire le poids dans le PIB de la dette américaine de 40% à 50% »
Un contexte peu propice Certains vont même plus loin et considèrent que l'on est déjà passé de la tentation à la tentative. La Réserve fédérale n'a-t-elle pas fait « marcher la planche à billets » à un rythme rarement vu, faisant presque tripler la taille de son bilan depuis 2008 ? Et n'a-t-elle pas financé l'achat de plus de 1 700 milliards de créances titrisées - dont 300 milliards de dollars de titres du Trésor - par émission monétaire ? Avant de conclure que cette politique va conduire à une hausse de l'inflation, il faut pourtant y regarder à deux fois. D'abord, il ne suffit pas qu'une banque centrale injecte des liquidités pour que l'inflation accélère. Cette injection s'est traduite certes par une augmentation de la base monétaire - les réserves LA MONTÉE RAPIDE DU CHÔMAGE
de monnaie banque centrale détenues par les ban-
ET L'ACCUMULATION
ques commerciales -, mais la vitesse à laquelle ces
P A R LES E N T R E P R I S E S DE C A P A C I T É S
réserves circulent baissant parallèlement, il n'y a
DE PRODUCTION EXCÉDENTAIRES
eu aucune accélération de la distribution de crédit.
I M P O R T A N T E S R E N D E N T PEU
Dans ces conditions, ces injections de liquidités
PROBABLES L'APPARITION
n'ont aucune chance de conduire par elles-mêmes
DE PRESSIONS INFLATIONNISTES
à une demande accrue de biens et de services. Or, pour « faire de l'inflation », il faut non seulement
que cette demande monte, mais aussi qu'elle dépasse les capacités de production de nos économies. La montée rapide du taux de chômage comme l'accumulation par les entreprises de capacités de production excédentaires importantes rendent peu probables, à l'horizon de la fin de cette décennie, l'apparition de telles pressions inflationnistes.
Tenter d'enrayer la spirale déflationniste Ensuite, dans de nombreux pays - en Europe et aux Etats-Unis en particulier -, les banques centrales sont devenues indépendantes et ont pour mission d'assurer la stabilité des prix. Si la Réserve fédérale a décidé d'acheter des titres du Trésor ou d'agences parapubliques, ce n'est pas dans l'espoir de voir l'inflation accélérer fortement - on peut sérieusement douter que Ben Bernanke (ou Jean-Claude Trichet) puisse même jamais souhaiter une inflation à 10 % ! -, mais plutôt pour prévenir une spirale déflationniste : en faisant baisser les taux d'intérêt sans risque, en agissant aussi directement sur 11] Les Echos, 14 janvier 2009.
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le niveau des taux hypothécaires, elle essaye seulement d'enrayer la baisse du marché immobilier et de stabiliser la croissance. Si demain les ménages
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et les entreprises se remettaient à emprunter vivement, il y a fort à parier que la banque centrale américaine reprendrait les liquidités excédentaires aussi rapidement qu'elle les a injectées. En même temps, elle engagerait aussi une remontée de ses taux d'intérêt. Certes, la gestion de cette période de transition ne sera pas simple, mais de son succès dépendra la préservation d'une crédibilité acquise au cours des décennies.
Le vrai risque est ailleurs Bien sûr, un retour de l'inflation n'est pas impossible, mais le cheminement qui pourrait y conduire aurait des conséquences beaucoup plus dévastatrices que ses avocats ne le supposent. L'inflation ayant peu de chances de provenir d'une surchauffe de l'économie réelle, le seul vrai risque est celui d'une perte de confiance dans la valeur de la monnaie - une perte liée par exemple à la perception par les agents d'une monétisation excessive des dettes dans un contexte où la banque centrale aurait perdu son indépendance ou renoncé à son objectif de stabilité des prix. L'effondrement de la demande de monnaie provoquerait alors un choc inflationniste massif. Choisir de « faire » de l'inflation par ce biais serait toutefois suicidaire. L'envolée de l'inflation s'accompagnerait d'une hausse brutale et forte des taux d'intérêt auxquels se financent les agents privés, et la croissance serait vite étouffée. Le déficit public s'en trouverait immédiatement accru, en même temps que les conséquences économiques du ralentissement et de la montée de l'inflation aviveraient les tensions sociales. Un retour de l'inflation est certes possible, le danger serait de penser qu'il offre aux Etats une issue paisible au problème de leur endettement... ·
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La crise -
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L'euro est-il menacé par la crise ? L'euro a joué pleinement son rôle de stabilisateur pendant la crise, mais les carences de la politique économique européenne sont aussi clairement apparues. Les difficultés financières de la Grèce l'ont encore récemment rappelé.
L
e réveil est brutal. Il y a un an, la monnaie unique célébrait son dixième anniversaire. Mais aujourd'hui, l'heure n'est plus à la fête. La zone euro a été violemment secouée par la crise financière : son produit intérieur brut (PIB) devrait se contracter de 4 % en 2009, tandis que la situation budgétaire de plusieurs membres de l'union monétaire s'est fortement dégradée.
La révélation, en décembre 2009, par le nouveau gouvernement grec d'un déficit public beaucoup plus important qu'annoncé jusque-là a fait franchir une nouvelle étape dans la crise. Les agences de notation ont en effet dégradé la note accordée aux titres de la dette publique émis par l'Etat grec au vu de l'ampleur des déséquilibres de ses comptes publics (12,7 % du PIB pour le déficit et 113 % pour la dette publique en 2009). La conséquence mécanique d'une telle baisse est l'augmentation des taux d'intérêt des emprunts grecs. Or plus la charge des intérêts de la dette s'alourdit, plus la Grèce aura du mal à la rembourser. La dette grecque risque de gonfler comme une boule de neige. La crainte que la Grèce ne soit plus en mesure bientôt de rembourser sa dette s'est étendue par contagion à d'autres Etats en difficulté comme le Portugal et, dans une moindre mesure, l'Espagne et l'Irlande. Cette crise comporte une part significative d'exagération spéculative : les acteurs financiers profitent en effet des politiques monétaires accommodantes pour emprunter massivement afin de faire chuter les valeurs sur lesquelles ils ont engagé des paris potentiellement juteux. Elle n'en traduit pas moins de profondes faiblesses de la gouvernance économique de la zone.
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une sévère mise à l'épreuve La crise constitue un test grandeur nature pour l'euro. Bonne nouvelle, la monnaie unique a rempli l'un des objectifs principaux qui avaient présidé à sa création : éviter les effets délétères des attaques spéculatives sur les taux de change. De fait, les Etats membres n'ont pas eu besoin de se préoccuper des fluctuations de leur monnaie, contrairement à ce qui s'était produit au début des années 1990, lors de la récession précédente, marquée par une profonde instabilité des changes
L A DÉRIVE D E S F I N A N C E S PUBLIQUES
au sein de l'Union. Des pays comme l'Espagne,
G R E C Q U E S A ÉTÉ M A S Q U É E P A R
l'Irlande ou la Grèce, avec leurs énormes déficits
LES ARTIFICES DU G O U V E R N E M E N T
commerciaux, auraient sans doute vu leur monnaie
HELLÉNIQUE, M A I S CELLE DES
attaquée et massivement dépréciée.
F I N A N C E S PRIVÉES PORTUGAISES,
Mais sans l'euro, ils n'auraient sans doute pas non plus accumulé de tels déséquilibres. La monnaie
ESPAGNOLES OU IRLANDAISES N ' A POSÉ DE P R O B L È M E À P E R S O N N E
unique leur a permis de bénéficier de taux d'intérêt très bas, voire négatifs pendant plusieurs années (voir graphique ci-dessous). En effet, les taux à court terme fixés par la BCE étaient, en termes réels, c'està-dire une fois l'inflation déduite, trop bas pour les pays plus inflationnistes tels que la péninsule Ibérique, mais aussi l'Irlande ou la Grèce. Ces taux d'intérêt réels très faibles ont alimenté la bulle immobilière en Espagne et en Irlande, tandis que le gouvernement grec en a profité pour s'endetter de manière déraisonnable. Mais, au final, le résultat n'est pas très différent : ces pays sont aujourd'hui surendettés. Grâce à cette facilité, ils ont cessé d'épargner et se sont mis à consommer plus qu'ils ne produisaient. Avec comme conséquence le creusement progressif de déficits extérieurs abyssaux : 12 points de PIB pour la Grèce en 2008, 10 pour le Portugal et 9 pour l'Espagne. Et cela d'autant plus que le différentiel d'inflation ne cessait parallèlement de dégrader leur compétitivité-coût par rapport aux producteurs du reste de la zone. A contrario, le dynamisme
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La crise - CHAPITRE II
interne de l'économie allemande était freiné par des taux d'intérêt réels non négligeables. Mais le pays se rattrapait sur les exportations : ses excédents extérieurs, réalisés aux deux tiers au sein de l'Union européenne, n'ont pas arrêté de gonfler. La dérive des finances publiques grecques a été masquée par les artifices du gouvernement hellénique, mais celle des finances privées portugaises, espagnoles ou irlandaises n'a posé de problème à personne : le pacte de stabilité censé permettre aux institutions européennes de contrôler la situation dans la zone ne prévoit aucune surveillance de la dette privée, pas plus que des déficits et/ou des excédents extérieurs. On mesure ici les limites de ce pacte : il se focalise exclusivement sur les finances publiques. Pendant des années, l'Espagne a ainsi fait figure de bon élève grâce à ses excédents budgétaires et à sa dette publique nettement inférieure au plafond des 60 % du PIB. Alors que pendant ce temps l'endettement des ménages progressait de manière exponentielle. Résultat : quand la bulle immobilière a éclaté et que l'activité s'est effondrée, l'endettement public a explosé.
Retour de bâton Au-delà de la dimension spéculative de la crise actuelle, il existe donc bien un réel problème de surendettement et de perte de compétitivité dans plusieurs pays. Mais quand une telle situation existe au sein d'une zone monétaire unifiée, il n'est pas aisé d'en sortir. En effet, avant l'euro, il suffisait de dévaluer sa monnaie pour corriger le tir : tous les habitants du pays se retrouvaient d'un coup plus pauvres, mais aussi plus compétitifs vis-à-vis des voisins. C'était brutal, mais relativement indolore. Mais au sein de la zone euro, ce n'est plus possible. Et sortir de l'euro serait une option beaucoup trop coûteuse : les taux d'intérêt flamberaient brutalement, les dettes contractées en euros pèseraient encore plus lourd, puisque la monnaie devrait être dévaluée par rapport à l'euro. Il faut donc rester et « s'ajuster », c'est-à-dire faire baisser les salaires, les prestations sociales, les dépenses publiques, les prix... A l'instar de ce que l'Union européenne demande aujourd'hui aux Grecs. C'est forcément un processus beaucoup plus lent et beaucoup plus douloureux qu'une dévaluation. C'est aussi un processus nécessairement plus conflictuel : tous les groupes sociaux essaient de limiter leur part du fardeau, alors que la dévaluation réglait la question plus simplement.
L'austérité pour tous Cela signifie enfin que ces pays, très dynamiques au cours des années récentes, vont durablement connaître une croissance très lente. Pour limiter l'impact sur l'activité de l'ensemble de la zone, il faudrait qu'en contrepartie d'autres prennent le relais. En particulier les pays qui dégagent des excédents extérieurs importants, comme l'Allemagne mais aussi les Pays-Bas, devraient relancer leur demande intérieure. On n'en prend pas le chemin : non seulement
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les instances européennes veulent imposer l'austérité à la Grèce, à l'Espagne, au Portugal et à l'Irlande, ce qui est compréhensible au vu de leur situation, mais elles demandent également à l'Allemagne et à la France d'adopter elles aussi des politiques restrictives. On bute là sur une des incertitudes majeures que soulève cette crise pour l'avenir. Non seulement le sauvetage à court terme de la Grèce pose encore des problèmes inextricables en l'état actuel des traités européens, mais en plus il serait nécessaire de changer en profondeur l'architecture de la zone pour surmonter les dysfonctionnements qui ont conduit à la crise.
• Le c o û t du risque Au fur et à mesure que les doutes croissent sur non-remboursement d'une obligation que l'on ne la capacité des Grecs à rembourser leurs dettes, le détient pas ! Mais pourquoi payer une assurance si prix de l'assurance contre le risque de défaut aug- on n'a rien à assurer ? C'est que, en achetant des mente lui aussi. Tout investisseur peut en effet se CDS aujourd'hui, on peut espérer gagner beaucoup protéger contre le fait qu'un émetteur d'obligations d'argent en détenant des actifs dont le prix augmente risque de ne pas rembourser sa dette : il achète si les prix des assurances continuent de monter. une assurance sous la forme de ce qu'on appelle Ainsi, d'une prime d'un peu plus de 100 points de un produit dérivé (*), en l'occurrence un CDS ou base à la fin de l'été 2009 (soit 1 % de taux d'intécrédit default swap (*). Mais les acheteurs sont rêt en plus), le prix du CDS sur la dette grecque est notamment des fonds spéculatifs ou hedge funds. monté jusqu'à plus de 420 points début février 2010. Ces acteurs financiers cherchent des rendements Ce qui signifie qu'il fallait débourser plus de à court terme. Ils n'en ont absolument rien à faire 420 000 euros par an pour assurer 10 millions de des bons du Trésor grecs. Ils profitent simplement dettes grecques, contre un peu plus de 100 000 six du fait que, contrairement à une assurance normale, mois plus tôt. Une multiplication par quatre qui peut on peut s'assurer sur le marché des CDS contre le rapporter gros. Ch. Ch.
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La crise - CHAPITRE II
Il faudrait en effet se doter d'un budget européen de taille significative et donner aux institutions communes la capacité de s'endetter. Il faudrait une harmonisation fiscale poussée qui évite le dumping fiscal et la dégradation tendancielle des comptes publics. Il faudrait enfin une autorité centrale qui soit suffisamment légitime et reconnue pour obliger les Etats à adopter des politiques économiques conformes à l'intérêt commun de la zone. Or, pour l'instant, malgré la gravité du coup de semonce grec, personne ne semble prêt à une telle refonte de l'architecture de la zone euro. Aussi longtemps qu'il en sera ainsi, les crises de ce type risquent de se renouveler et la question de la survie de l'euro de se poser. · L. J. et G. D.
L'Europe ne dispose pas des moyens pour faire face à la crise grecque La crise grecque est très difficile à résoudre, car l'Europe ne dispose pas des instruments nécessaires. Et au-delà des problèmes immédiats, il ne sera pas aisé non plus de réformer la gouvernance de la zone euro. La crise grecque est-elle vraiment grave ?
Jean Pisani-Ferry, directeur du C e n t r e Bruegel et m e m b r e du Conseil d'analyse é c o n o m i q u e
Oui, c'est une crise sérieuse. Surtout parce que l'Europe ne dispose pas des moyens de faire face à un événement de ce type. La crise grecque est une crise de financement d'un Etat, exactement le type de crise contre lequel on pensait s'être prémuni avec le traité de Maastricht grâce à toutes sortes de précautions concernant la limitation des déficits, des dettes, etc. En revanche, aucun mécanisme n'a été mis en place pour gérer ces crises si elles surviennent. On s'est même plus précisément interdit de le faire, parce qu'on voulait éviter de donner l'impression qu'on aiderait un pays qui aurait des difficultés, ce qui aurait incité les Etats membres de la zone à des comportements imprudents. On s'est aussi explicitement interdit d'utiliser, au sein de la zone euro, les mécanismes de prêt qu'on a mobilisés l'an dernier pour venir en aide à la Hongrie, à la Lettonie ou à la Roumanie. C'était une erreur. Du coup, l'Union européenne n'est pas en mesure, sans acrobatie juridique, d'offrir à la Grèce une assistance. Elle ne peut même pas lui accorder des prêts conditionnels, comme le ferait le Fonds monétaire international (FMI).
Comment en sortir ? Il est très difficile d'inventer dans l'urgence une assistance conditionnelle efficace, parce que l'Europe ne dispose pas d'instrument financier adapté, qu'il n'existe pas de bases juridiques pour intervenir, qu'elle n'a pas les équipes ni la crédibilité acquise grâce à l'expérience... Pour l'instant, on
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parie sur le fait que l'affirmation vague d'une solidarité financière future de la part de l'Europe calmera les marchés et que les Grecs feront des réformes suffisantes. Les Européens ne veulent pas que le FMI intervienne dans la zone euro, mais ils ne fournissent pas pour autant à la Grèce l'aide que le FMI lui apporterait. Les Grecs risquent de percevoir ces exigences européennes comme excessives alors qu'ils ne se jugent pas seuls responsables de ces errements. Il me semble que les Européens auraient dû jouer le jeu d'une intervention conjointe avec le FMI. Après tout, ils en sont des actionnaires
LE « L A I S S O N S LES G R E C S T O M B E R , CELA SERVIRA D'EXEMPLE » EST UNE OPTION QUI N'EST NI SOUHAITABLE NI RÉALISTE. O N OBSERVE DÉJÀ UNE CONTAGION À L'ÉGARD DE L ' E S P A G N E ET DU PORTUGAL
très importants, le Fonds est dirigé par un des leurs... Ce que je redoute désormais, c'est un scénario dans lequel in fine on fasse quand même appel au FMI, après avoir échoué à mettre en œuvre une solution européenne. L'effet politique serait très dommageable.
Aider financièrement la Grèce se heurte aussi à l'hostilité des opinions publiques, notamment en Allemagne... On observe de nombreuses confusions dans le débat public : on mélange coresponsabilité sur les dettes grecques, voire transferts aux Grecs, avec prêts conditionnels. Il n'est question ni de dons ni de prise en charge des dettes, mais de prêts. Quand on prête de l'argent à quelqu'un, cela ne signifie pas qu'on le décharge de ses responsabilités puisqu'on attend d'être remboursé en contrepartie. C'est une forme de solidarité qui ne crée pas de confusion. Et le FMI gagne de l'argent en faisant crédit aux pays en difficulté. Une activité qui peut donc être profitable pour ceux qui prêtent.
Pourrait-on se contenter de laisser la Grèce faire défaut ? Dans les conditions actuelles, le « laissons les Grecs tomber, cela servira d'exemple » est une option qui n'est ni souhaitable ni réaliste. On observe déjà une contagion à l'égard de l'Espagne et du Portugal. Un tel signal aurait pour eux des effets difficilement prévisibles. De plus, cela ne se produira pas parce que la Grèce a toujours le choix de se tourner vers le FMI.
Quelles réformes faudrait-il engager dans la foulée ? Il est important de tirer rapidement les conséquences de cette crise. D'abord, sur le plan de la prévention : le système de surveillance en place n'est pas sérieux. On n'a pas voulu faire d'audit des statistiques grecques parce qu'on butait sur le respect de la souveraineté : il n'était pas convenable de se comporter vis-à-vis d'un Etat comme vis-à-vis d'une entreprise douteuse. Mais à partir du moment où on se dit prêt, dans certaines conditions, à aider un Etat, il n'est plus possible d'en rester là. La question du système de gestion des crises est plus complexe. Il faudrait que l'Europe se dote d'une capacité de prêt conditionnel, articulé ou non
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La crise - CHAPITRE II
au FMI. Mais, sur ce terrain, on bute sur des obstacles politiques et juridiques. Notamment parce qu'un article du traité interdit explicitement les prêts à un Etat en difficulté quand celui-ci appartient à la zone euro. Faire sauter ce verrou serait très important, mais très difficile compte tenu du climat allemand. Mais je ne suis pas sûr que l'opinion française ait elle-même beaucoup de sympathie pour l'idée d'aider les Grecs.
Ne faudrait-il pas modifier aussi ce qu'on surveille ? Oui. C'est surtout le cas de l'Espagne qui le montre : c'est un exemple quasi chimiquement pur de pays qui n'avait pas de problèmes budgétaires et qui, donc, selon les critères en vigueur, était supposé être dans une situation parfaitement saine. Et pourtant, son déficit extérieur courant était passé de l'équilibre en 1997 à 10 % du produit intérieur brut (PIB) en 2007, il y avait une bulle de crédits évidente, etc. Le système de surveillance a fonctionné de manière perverse : à partir du moment où le solde budgétaire espagnol était en excédent, ceux qui attiraient l'attention sur les déséquilibres ne pouvaient être que des jaloux. Sur ce plan, il n'est pas compliqué de changer d'approche : les bases juridiques existent. Il faut surtout accepter de renverser la perspective par rapport à l'idée jusque-là dominante que la sphère privée serait spontanément stable et que les sources d'instabilité potentielle ne proviendraient que de la sphère publique. Si on pense que tel pays conduit une politique économique qui crée un risque, les instances européennes ont les moyens de le lui dire. L'important, c'est d'y mettre suffisamment de poids politique. On ne peut certes pas sanctionner cet Etat, mais des sanctions ne seraient de toute façon ni très efficaces ni très crédibles. Mais cela reste difficile à mettre en pratique, parce que personne ne sait, par exemple, ce qu'est un bon déficit courant. Tout le monde sait qu'à 20 %, 11 y a sans doute un problème. Mais 5 % ou 7 %, est-ce vraiment grave ? On ne va pas obliger tous les pays à rester à l'équilibre extérieur alors qu'on crée une zone intégrée justement pour permettre à l'épargne de circuler !
Cette crise ne signifie-t-elle pas au fond que l'euro était prématuré, inadapté ? Certains critiques, notamment américains, voient en effet la crise grecque comme la preuve que le projet de l'euro ne pouvait de toute façon pas fonctionner compte tenu des divergences existant au sein de la zone. Mais il était prévisible que l'euro ne fonctionnerait pas parfaitement du premier coup : le processus d'apprentissage passe nécessairement par des essais et des erreurs. Nous réalisons une union monétaire pour la première fois dans l'histoire mo-
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derne, et personne ne peut savoir par avance tout ce que cela implique. Ce qui importe, en revanche, c'est de corriger rapidement les dysfonctionnements.
La crise pourrait-elle permettre au contraire un saut dans l'intégration européenne ? Je ne le crois pas. Il n'existe nulle part d'appétit politique pour une intégration beaucoup plus poussée. Il a été tellement difficile de négocier et de ratifier le traité de Lisbonne que personne ne souhaite se relancer dans une opération de ce type. Au-delà même de la mécanique institutionnelle, il n'existe pas de vision assez claire et partagée des étapes ultérieures à franchir. L'idée que la crise serait l'occasion d'un saut en avant vers une Europe plus intégrée me
IL É T A I T PRÉVISIBLE QUE L'EURO NE
semble donc irréaliste. En revanche, il faut traiter
FONCTIONNERAIT PAS PARFAITEMENT
toute une série de problèmes.
DU PREMIER C O U P :
Les grandes difficultés de tous les Etats en matière
LE PROCESSUS D ' A P P R E N T I S S A G E
de finances publiques vont peut-être les conduire
PASSE N É C E S S A I R E M E N T
à reposer la question de l'harmonisation fiscale. Le
PAR DES ESSAIS ET DES ERREURS
fait que la chancelière allemande, Angela Merkel, parle de gouvernement économique est un changement important : les chefs d'Etat de la zone euro se rendent compte qu'ils ne peuvent pas simplement déléguer les affaires de la zone à leurs ministres des Finances ou aux banquiers centraux. Apporter une solution aux dysfonctionnements apparus dans la crise nécessite un investissement politique majeur. C'est pourquoi il me paraît surtout nécessaire de marteler l'idée qu'avec la monnaie unique, nous avons créé un bien commun qui a beaucoup de valeur et que l'échec serait dramatique. Cela me semble plus utile que de raviver le rêve du grand saut vers une Europe véritablement fédérale. ·
Propos recueillis par Chloé Mahier et Guillaume Duval
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La Chine peut-elle tirer l'économie mondiale ? La croissance mondiale dépend-elle du taux de change de la monnaie chinoise ? Au vu du défilé des dirigeants occidentaux à Pékin et des appels incantatoires à la réévaluation du yuan, on serait tenté de le croire. L'argument, a priori, relève du bon sens économique. Mais les Chinois ne font pas la même analyse.
D
epuis la fin des années 1990, la croissance mondiale est tirée par deux moteurs principaux : la consommation américaine et l'investissement chinois. La première est durablement affaiblie par le niveau record du chômage outre-Atlantique et la nécessité de résorber les excès de l'endettement passé. Le second a le défaut majeur d'accroître les capacités de production déjà fortement excédentaires de l'industrie chinoise, dont les produits se déversent inexorablement sur les marchés mondiaux, exacerbant les problèmes d'emploi et les pressions déflationnistes dans les pays développés. La Chine paraît ainsi détenir la clé de la prospérité mondiale, à condition de rééquilibrer son modèle de croissance au profit de la consommation et au détriment de l'investissement et des exportations.
La crise, l'occasion manquée d'un rééquilibrage ? Un tel rééquilibrage nécessite des réformes structurelles visant à augmenter la part des salaires dans la valeur ajoutée chinoise et à réduire l'épargne forcée des ménages, ce qui suppose de développer la prise en charge sociale des dépenses d'éducation et de santé m. Il imposerait en outre un double ajustement à la hausse du taux d'intérêt et du taux de change : le premier de façon à renchérir le coût du capital et à freiner l'investissement, le second afin d'encourager la consommation de produits importés et à réduire la profitabilité relative des exportations par rapport à la production pour le marché intérieur. La crise actuelle ne rend pas seulement ces ajustements nécessaires, elle crée les conditions de leur réalisation. Côté américain, la politique monétaire ultra-expansive conduite par la Réserve fédérale (Fed), depuis la fin 2008 a entraîné une dépréciation importante du dollar. Cette chute a facilité à son tour la reprise des exportations américaines au second semestre 2009. Côté chinois, le plan de relance budgétaire massif adopté en novembre 2008 (14 % du produit intérieur brut sur deux ans) constituait l'occasion idéale d'un rééquilibrage de la croissance en faveur de la consommation. [1] Voir «La Chine peut-elle tirer l'économie mondiale ? », Alternatives Economiques, hors-série nD 80, 2 e trimestre 2009.
Le point de vue occidental Aux yeux des Occidentaux, l'occasion a été ratée ou est en passe de l'être. Au lieu de soutenir la consommation, la relance chinoise se concentre en effet sur le développement des infrastructures et les aides aux entreprises. Elle encourage de fait la formation de nouvelles capacités d'offre dans des
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secteurs tels l'acier, l'aluminium, le ciment, la chimie et le raffinage pétrolier, où les capacités existantes excèdent déjà nettement les besoins du marché intérieur chinois. A titre d'exemple, dans le domaine de l'acier, les capacités de production chinoises s'élevaient fin 2008 à 660 millions de tonnes, pour une consommation intérieure de 470 millions de tonnes, soit un excédent égal à la totalité de la production de l'Union européenne. Ce qui n'empêchait pas les entreprises chinoises d'accroître leurs capacités à hauteur de 58 millions de tonnes en 2009. Par ailleurs, les autorités chinoises ont décidé en août 2008 de revenir à la politique de parité fixe du yuan vis-à-vis du dollar, politique en vigueur de 1994 à 2005. Elles ont ainsi interrompu le mouvement d'appréciation contrôlée du yuan engagé en avril 2005, qui avait permis une revalorisation de 21 % de la devise chinoise en trois ans. Le yuan a donc suivi le dollar à la baisse à partir de mars 2009, se dépréciant de 17 % par rapport à l'euro et de 12 % par rapport au yen. Si l'on tient compte de l'orientation géographique des échanges, le yuan s'est déprécié en huit mois vis-à-vis des monnaies des principaux partenaires de la Chine de 16 % en termes nominaux 1 2 1 et de 11 % en termes réels |3 >. De la part d'un pays ayant accumulé en dix ans 2 000 milliards de dollars de réserves de change et dont l'excédent des échanges courants approchait 10 % du PIB en 2008, une telle politique ne peut passer que pour l'expression d'un mercantilisme agressif, visant à exporter la crise en « volant les emplois » du reste du monde l41 . A ce titre, elle est susceptible de dégénérer rapidement en affrontement commercial avec les Etats-Unis et l'Europe, la sous-évaluation du yuan étant l'équivalent monétaire d'un tarif à l'importation ou d'une subvention à l'exportation. Les Occidentaux n'ont pas manqué, par ailleurs, de faire valoir que cette politique contrarie la volonté des dirigeants chinois de freiner les tendances spéculatives à l'œuvre dans l'économie. En effet, en taux de change fixe, l'excédent de la balance courante se traduit par une augmentation correspondante de la masse monétaire. Et donc par un excès de liquidités jugé par beaucoup responsable de la spéculation boursière et immobilière.
Le point de vue chinois Reste à comprendre pourquoi les autorités chinoises ne voient pas les choses ainsi. L'argument de la dépréciation du yuan est tout d'abord balayé d'un revers de main. S'il est vrai que la monnaie chinoise suit le dollar à la baisse depuis mars 2009, elle l'avait aussi suivi à la hausse au second semestre 2008. Ainsi, par rapport à avril 2008, le yuan ne s'est guère déprécié vis-à-vis du yen, tandis qu'il s'est apprécié de 6 % vis-à-vis de l'euro. En termes réels effectifs tsi, le yuan se situait fin novembre 2009 à 14 % au-dessus de son niveau de 2005. La Chine affirme par ailleurs jouer pleinement le jeu de la coopération internationale, puisque son taux de croissance, supérieur à 8 % en 2009, a été atteint grâce à une contribution exceptionnelle de 12 points de PIB de la demande intérieure, la différence résultant d'une contribution négative des
[21 Le taux de change nominal est celui constaté à travers les prix courants. [3] Le taux de change réel est calculé de manière à éliminer les écarts d'inflation entre pays. 14J L'expression est de Paul Krugman. [5] Le taux de change effectif synthétise l'évolution du change d'un pays à l'égard de l'ensemble de ses partenaires. Il est calculé en pondérant chaque taux de change bilatéral par îe poids de chaque partenaire dans ies échanges du pays considéré.
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échanges extérieurs à la croissance. En témoigne le dégonflement accéléré de son excédent courant, revenu de 11 % du PIB en 2007 à moins de 8 % en 2009, selon le Fonds monétaire international. De même, les reproches quant à la composition de la dépense publique sont jugés infondés. Le gouvernement chinois fait valoir qu'il a mis en chantier la construction de 270 000 logements sociaux, 200 000 kilomètres de routes en milieu rural et 1 500 kilomètres de voies ferrées. Des réformes sont aussi engagées en vue d'élargir la couverture des systèmes de retraite et de santé, dont les effets se feront sentir sur la durée. Quant à l'argument sur les effets monétaires pervers d'un régime de parité fixe, il est loin d'emporter la conviction. Les autorités chinoises observent en effet que l'appréciation du taux de change nominal a exercé dans le passé un puissant effet d'attrait des capitaux étrangers, ce que confirme l'expérience récente des économies émergentes dont les monnaies s'apprécient, du Brésil à la Corée du Sud. Elle n'est donc pas moins propice à la formation de bulles spéculatives. Pour le gouvernement chinois, la réponse aux dérapages du crédit et de l'inflation financière doit être recherchée dans la régulation bancaire, pas dans la politique de change. De fait, les autorités monétaires ont resserré ces derniers mois les normes prudentielles en matière de fonds propres, ce qui a provoqué une correction sévère des cours boursiers au troisième trimestre. Plus fondamentalement, la Chine garde en mémoire l'expérience de la libéralisation financière et de l'appréciation du yen mise en œuvre par les autorités japonaises sous la pression américaine au milieu des années 1980. L'euphorie financière qui s'en était suivie avait nourri d'énormes bulles boursière, immobilière et foncière. Leur éclatement spectaculaire à la fin des années 1980 a précipité le Japon dans une longue période de stagnation et de déflation, dont le pays ne s'est jamais vraiment remis. Le gouvernement chinois est bien conscient qu'à terme, le rééquilibrage de la croissance en faveur de la consommation est non seulement inéluctable mais souhaitable, et qu'il s'accompagnera d'une revalorisation du yuan. Celle-ci est toutefois jugée inopportune à court terme du fait de ses effets négatifs sur
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les exportations - qui ont chuté de près de 25 % en dollars courants entre l'été 2008 et l'été 2009 - et par conséquent sur l'emploi. Avec 24 millions de jeunes et de travailleurs migrants des campagnes intégrant le marché du travail chaque année, la Chine ne peut courir le risque de déstabiliser son secteur exportateur, qui constitue le principal pôle de création d'emplois de l'économie. Faut-il alors réévaluer le yuan ? Certainement, répondent en substance les dirigeants chinois, lorsque la reprise des exportations pourra s'appuyer sur celle de la demande mondiale. Quant au rééquilibrage de la croissance mondiale, il ne peut faire l'économie d'une correction des excès financiers occidentaux, qui ont précipité l'économie mondiale au bord du gouffre. · Jacques Adda
Une mue difficile Le spectaculaire décollage de la Chine n'est pas dépourvu de faiblesses. Des fragilités qui, au moins autant que la puissance économique de ce pays, pourraient devenir un problème pour le reste du monde.
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lors que le monde dans son ensemble sort difficilement de la récession, l'économie chinoise affiche des performances insolentes : son économie a crû de 8,7 % en 2009 et elle a profité de la crise pour rafler de nouvelles médailles. La Chine est devenue le premier marché automobile mondial en 2009. Elle a aussi pris la tête des pays exportateurs et deviendra probablement la deuxième puissance économique mondiale en 2010. Elle construit des autoroutes en Pologne, gère le port d'Athènes, rachète les PC d'IBM, dicte ses conditions à la conférence de Copenhague sur le climat, etc. Le décollage économique de la Chine bouleverse la donne mondiale : l'empire du Milieu est revenu au centre du jeu.
Une stratégie de petit pays Pour autant, le type de développement qu'a connu la Chine depuis trente ans et son insertion actuelle dans la division internationale du travail sont hautement problématiques pour le reste du monde. La Chine s'est en effet développée en misant prioritairement sur les exportations. Elle est devenue l'atelier du monde, attirant les industriels étrangers ou exportant les productions de ses propres entreprises grâce à des coûts de revient imbattables. A l'aide notamment du contrôle que le gouvernement a conservé sur le taux de change de sa monnaie, qu'il s'est bien gardé de laisser flotter sur les marchés financiers. Du coup, la Chine produit aujourd'hui plus du tiers de l'acier et des produits blancs (réfrigérateurs, lave-vaisselle, etc.) ou encore la majorité des jouets, du textile et des chaussures vendus dans le monde, mais aussi plus de 10 millions de voitures, des portables, des ordinateurs... Résultat : ce géant de 1,3 milliard d'habitants (un cinquième de la population mondiale) possède une économie dont la structure est très proche de
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celle de petits pays très ouverts comme les Pays-Bas ou la Suisse. En 2008, son commerce extérieur (exportations de biens et de services + importations correspondantes) représentait ainsi 63 % de son PIB, en baisse sensible toutefois par rapport aux 76 % de 2007. A titre de comparaison, cette proportion se situe autour de 22 % du PIB aux Etats-Unis et en Europe. Cette prépondérance du commerce extérieur dans l'économie chinoise résulte également d'importations : dans de nombreux domaines, la Chine reste encore un pays d'assemblage low cost pour des multinationales qui y importent des composants à haute valeur ajoutée avant de réexporter des produits finis. Il n'empêche : ces échanges extérieurs dégagent depuis le début des années 1990 des excédents de plus en plus colossaux. Excédents qui ont joué un rôle majeur dans la crise récente, car ils forment la contrepartie de l'endettement excessif des ménages américains. Par ailleurs, l'afflux des exportations chinoises a un effet très déstabilisateur sur le tissu industriel du reste du monde, entraînant fermetures d'usines et délocalisations. Et pas simplement dans les pays riches : les industries du Maghreb ou de Turquie ont beaucoup souffert ces dernières années de la concurrence chinoise, notamment dans le textile. Pour éviter que ces tensions commerciales ne dégénèrent en conflits ouverts, comme pour limiter le risque d'une nouvelle crise financière, il serait donc essentiel que la Chine recentre son développement sur son propre marché.
Le poids des lobbies L'actuel président chinois, Hu lintao, était arrivé à la tête du pays en 2003 avec un programme de réduction des inégalités et de développement du marché intérieur. Il succédait à l'équipe de Jiang Zemin, qui avait privilégié le développement des zones côtières et des industries d'exportation, creusant des écarts spectaculaires entre l'est et l'ouest du pays et aiguisant les tensions internes entre riches et pauvres, villes et campagnes. Mais si les élites actuelles du régime sont conscientes de la nécessité de réorienter le développement chinois, il leur est très difficile de passer à l'acte. En tout cas sans perdre le contrôle de la situation, ce qui reste la préoccupation centrale du Parti communiste chinois.
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Contrairement à ce qu'on pourrait croire, il est en effet à peu près aussi compliqué de faire en sorte que les Chinois consomment plus et épargnent moins que d'obtenir des Américains qu'ils consomment moins et épargnent plus. Car cela bouleverserait de nombreux et fragiles équilibres internes. Depuis trente ans, les industriels exportateurs ont constitué en Chine de puissants lobbies. Ils influencent d'autant plus facilement le pouvoir pour préserver leurs intérêts (yuan faible, salaires sous contrôle, profits élevés...) qu'il n'existe pas de démocratie ni de liberté des médias en Chine.
IL EST À PEU PRÈS A U S S I C O M P L I Q U É
A contrario, le développement du marché intérieur impliquerait une hausse sensible de la part
DE FAIRE EN SORTE QUE LES C H I N O I S C O N S O M M E N T PLUS
des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises
ET ÉPARGNENT MOINS
(ils pèsent aujourd'hui moins de la moitié, contre
QUE D'OBTENIR DES A M É R I C A I N S
65 % en France) et la mise en place d'une protection
QU'ILS C O N S O M M E N T M O I N S
sociale digne de ce nom. Mais dans un pays où il
ET É P A R G N E N T PLUS
n'existe pas de liberté syndicale ni de véritable Etat de droit, la base a beaucoup de mal à défendre ses intérêts face aux patrons et aux barons locaux du Parti (souvent les mêmes). Du coup, la volonté réformatrice des despotes éclairés du sommet de la hiérarchie se perd dans les sables de bureaucraties locales corrompues. Et la crise récente, en mettant en difficulté le secteur exportateur, a plutôt accru ces blocages. C'est pourquoi les autorités chinoises continuent de défendre, avec tant de mauvaise foi, le refus de réévaluer le yuan. Alors qu'une telle réévaluation aurait pour effet immédiat d'augmenter le pouvoir d'achat des Chinois vis-à-vis du reste du monde. Malgré sa puissance apparente, le régime est donc fragile et l'étape qui s'ouvre à haut risque. Tous les Chinois se souviennent que la dernière guerre civile ne s'est terminée qu'il y a soixante ans, que les troubles avaient bien failli repartir dans les années 1970 avec la Révolution culturelle et qu'en 1989, seul un bain de sang avait permis d'étouffer le mouvement de la place Tien An Men. C'est pour une bonne part parce qu'ils redoutent le retour de l'instabilité chronique et la perte de puissance qui l'avait accompagnée que les Chinois tolèrent encore la dictature du Parti communiste. Bref, ce ne sont pas tant la force retrouvée de la Chine que ses faiblesses persistantes qui risquent de la rendre peu coopérative et agressive vis-à-vis du reste du monde. · Guillaume Duval
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Les crises du capitalisme : histoire et théories
La récurrence des crises nous rappelle que la finance est intrinsèquement instable. De la grande crise de 1929 à la déflation japonaise, chacune éclaire à sa façon l'épisode actuel. Davantage que la théorie économique dominante, qui n'offre pas d'outils pour la penser. 10 - Alternatives Economiques - Hors-série poche n" 43 bis - avril 2010
L'éternel retour des crises Les crises financières suivent toutes peu ou prou le même schéma : une innovation inaugure une période d'euphorie, qui se transforme en bulle, laquelle finit par éclater. L'Etat arrive alors à la rescousse, la confiance revient et le cycle peut recommencer.
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a période de détresse peut durer des semaines, des mois, voire des années, ou tout au contraire se concentrer sur quelques jours. Mais tout est lié à un changement d'anticipation avec le passage d'un état de confiance à un état où cette confiance dans l'avenir n'existe plus. » C'est un beau résumé de la fébrilité du système financier international, banques et Bourses confondues, et de l'incertitude dans laquelle elle a plongé l'économie mondiale en 2008. Mais lorsqu'il fait ce commentaire, l'économiste américain Charles Kindleberger décrit les crises financières du... XVIII e siècle. Et pourtant, l'analyse reste pertinente : les soubresauts actuels se nourrissent aux mêmes sources que les épisodes précédents d'instabilité financière.
Tout c o m m e n c e par une innovation Les crises financières ont toutes pour origine une innovation importante. Elle peut venir de l'économie réelle, comme les chemins de fer au XIX e siècle ou Internet au XX e . Elle peut être aussi réglementaire : ainsi, la libéralisation
• Un schéma récurrent
Une innovation importante, comme la libéralisation des mouvements de capitaux, incite les acteurs financiers à prendre des risques pour en profiter. En période d'euphorie, le crédit bancaire vient financer les placements spéculatifs sur les différents marchés, auxquels, par mimétisme,
participent tous les intervenants. Une bulle se forme, qui accroît la fragilité de l'économie et finit par un krach que seule une intervention énergique - et souvent coûteuse - de l'Etat peut endiguer. Une fois la confiance revenue, un nouveau cycle peut commencer...
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des marchés financiers à partir des années 1960 a permis le développement d'une mondialisation financière marquée par nombre de crises internationales. Enfin, l'innovation peut être purement financière : par exemple lorsque les banques inventent de nouveaux moyens de transformer les risques qu'elles prennent en actifs pour les vendre à d'autres acteurs financiers qui, eux-mêmes, inventent de nouvelles techniques pour découper ces actifs en tranches, les mélanger avec d'autres et les revendre à leur tour, notamment... aux banques. C'est ce qui s'est passé ces dernières années. Dès qu'une innovation apparaît, elle suscite un fort engouement. Les investisseurs y voient de nouvelles opportunités de rendements élevés et la demandent, tandis que les financiers se font concurrence pour l'offrir et récupérer des commissions de gestion, en même temps qu'ils l'utilisent pour eux-mêmes comme outil de placement. Et c'est ainsi qu'on s'aperçoit que, jour après jour, des banques américaines aux banques européennes en passant par la Bank of China, tous les grands établissements du monde sont impliqués dans la crise des prêts immobiliers subprime ( * ) aux EtatsUnis, comme ils l'étaient dans la crise du financement des pays du Sud dans les années 1980.
Le crédit nourrit la chaudière Le second carburant essentiel de toute crise financière est le crédit. La finance internationale fonctionne encore comme une locomotive à charbon : le train n'allant jamais assez vite pour eux, les financiers empilent emprunt
| Le rôle décisif du s y s t è m e bancaire d a n s l'ampleur d e s crise s La gravité des crises tient au degré de concentration/dispersion des risques et au degré de résistance du système bancaire. On constate en effet que les crises financières sont d'autant plus graves que tous les risques tendent à se concentrer sur les banques, alors qu'elles sont au centre de la continuité du système des paiements et des relations de crédit. C'est pourquoi les banques centrales ont décidé de prêter largement aux banques depuis l'été 2007, afin de rapidement rétablir la confiance entre acteurs financiers et sauvegarder le bon fonctionnement du financement des économies. C'est pourquoi aussi le Japon a connu une grave baisse des prix et de l'activité dans les années 1990 à la suite de l'éclatement d'une bulle spéculative, car les banques avaient systématiquement sousestimé les risques qu'elles étaient les seules à porter. A l'inverse, les banques américaines n'ont été que faiblement affectées par l'éclatement de la bulle Internet au début des années 2000, car elles ont su gérer leurs risques et en reporter une large partie vers d'autres agents économiques, comme
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les assureurs ou les investisseurs financiers, qui acceptent d'acheter une partie des risques pris par les banques. Dans les pays nouvellement ouverts à la finance internationale, souvent qualifiés de « marchés émergents », les désordres financiers les plus graves ont été marqués par des « crises jumelles » : un effondrement simultané du taux de change et du système bancaire. Les agents et surtout les banques des pays en développement deviennent en effet très vulnérables dès lors qu'ils s'endettent sur les marchés internationaux. Leur dette étant libellée en monnaie étrangère (en dollars, le plus souvent), elles sont soumises aux variations des taux de change, qui peuvent aggraver brutalement le coût de leur dette. Ainsi s'expliquent les nombreuses faillites bancaires enregistrées dans les pays émergents. Ces crises jumelles ont un coût social et économique considérable, qui peut s'élever jusqu'à 50 % du produit intérieur brut (PIB), comme en Indonésie après 1997. Robert Boyer, Mario Dehove et Dominique Pllhon
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sur emprunt, jusqu'à la surchauffe. Non contents de jouer leur argent dans les nouveaux produits du capitalisme casino, les intermédiaires financiers empruntent de l'argent pour accroître le montant de leurs paris. Une bonne partie de l'ingéniosité financière des années 1990 et 2000 a consisté à inventer les moyens permettant d'emprunter le plus possible sans que cela se voie trop - l'opacité est aussi l'un des ingrédients essentiels de toute crise -, afin de ne pas affoler les prêteurs. Ces derniers sont soit des gestionnaires d'épargne (fonds de pension, fonds souverains, compagnies d'assurances...), soit des banques. Même dans une économie de marchés financiers, ces dernières continuent à jouer un rôle important, par leurs propres placements et par le financement des autres acteurs de la finance. Ainsi se met en place ce que les économistes appellent un « accélérateur financier ». Lequel va former une bulle auto-entretenue : l'argent prêté sert à acheter des actions, des maisons, etc., dont les prix montent et peuvent servir de garantie pour de nouveaux prêts et ainsi de suite. En cela, toute crise financière résulte d'une crise de crédit.
Le retour à la réalité Mais la réalité finit toujours par reprendre ses droits. C'est le « moment critique » décrit par Kindleberger, celui où la confiance dans l'avenir disparaît. Toutes les entreprises de la nouvelle économie n'allaient pas devenir Microsoft ou Google, et la bulle technologique s'est effondrée en 2000. Le prix des maisons aux Etats-Unis non plus n'allait pas monter jusqu'au ciel : la demande a diminué, faisant éclater la bulle immobilière en 2007. Ce qui a réduit la valeur du patrimoine des Américains ; les plus pauvres ont été incapables de rembourser leurs emprunts, et la crise des subprime a démarré. Quand les acteurs s'aperçoivent qu'il n'y a plus rien à gagner, ils veulent tous quitter la fête en même temps. Non contentes de freiner des quatre fers le crédit immobilier, les banques, incertaines de la solidité des autres acteurs financiers, ne veulent même plus se prêter entre elles. C'est ce qui s'est passé pendant l'été 2008 et les mois qui ont suivi. C'est le moment clé de toute crise financière. Celui où la « main invisible » d'Adam Smith disparaît, où l'agrégation des intérêts privés ne permet pas d'assurer le fonctionnement et la stabilité des marchés. Face à une crise, les investisseurs pensent qu'il vaut mieux détenir de l'argent liquide que des actifs financiers. Ils vendent donc sur toutes les places du monde. Si la panique ne se calme pas, les prix finissent par n'avoir plus aucun sens. Les financiers ne veulent plus alors qu'une seule chose : vendre.
La nécessaire intervention publique Instruits par l'erreur de la banque centrale américaine en 1929, dont l'absence d'intervention rapide avait contribué à amplifier la crise, les banquiers centraux interviennent désormais rapidement en période de turbulences. Soit en fournissant de l'argent aux banquiers sous la forme de prêts pour relancer le marché, soit en baissant le prix de l'argent, soit encore en faisant les deux
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ensemble. S'il le faut, les gouvernements peuvent aussi apporter du capital aux banques en difficulté dans le cadre d'une nationalisation partielle ou totale. A plus long terme, les autorités financières tentent d'éviter de nouvelles crises. Elles pourraient surveiller l'innovation financière et la limiter en cas de besoin, mais elles le font rarement, trop influencées qu'elles sont par les acteurs privés. Elles peuvent empêcher les banques de prendre trop de risques : elles s'y essaient dans un jeu perpétuel où les banques inventent de nouveaux moyens pour contourner les nouvelles règles. Réguler la finance est pourtant possible. Comme le déclarait le président des Etats-Unis : « Dans le chemin qui nous fait avancer vers la création d'emplois, nous avons besoin de deux garde-fous pour
| Q u e l q u e s g r a n d e s bulles de l'histoire 1637 : la crise de la tulipe aux Pays-Bas La découverte de bulbes rares, produisant des fleurs aux pétales marbrés, suscite un boom de la demande à partir de 1630. Les transactions (signées devant notaire) se multiplient. En 1636, un système de Bourse, où se négocient des contrats à terme, est mis en place. Entre 1625 et 1637, les prix des bulbes sont multipliés par cinq. Celui d'un seul oignon rare peut atteindre quinze fois le salaire annuel d'un artisan. Mais en février 1637, les cours s'effondrent. Le krach sera suivi de plusieurs années de stagnation de l'économie néerlandaise. 1720 : la South Sea Bubble La South Sea Company avait pris en charge une grande partie de la dette publique britannique, et ce en contrepartie du monopole que lui accordait le Parlement de Sa Majesté sur le commerce avec la côte ouest des Amériques. La conversion de la dette en titres procurant de substantiels profits, une intense spéculation s'est alors développée - notamment à travers un réseau d'estaminets -, conduisant au krach de 1720. 1720 : la banqueroute de Law En 1715, alors que la situation financière de la France est dramatique, le financier John Law propose au Régent un système d'émission de papier-monnaie contre de l'or. Il crée à cet effet la Banque générale. En 1717, il rachète la Compagnie du Mississipi, dont l'objet est de mettre en valeur la Louisiane française. En 1718, la Banque générale devient Banque royale, garantie par le roi. Law rachète plusieurs autres compagnies coloniales, qu'il intègre au sein de la Compagnie perpétuelle des Indes. En 1720, il est nommé contrôleur général des Finances ; la Banque royale et la Compagnie des Indes fusionnent. L'idée de Law était d'attirer la monnaie d'or et d'argent circulant dans le royaume et de lui subs-
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tituer du papier-monnaie, gagé sur les recettes coloniales et la puissance économique de la France. Les prêts de la banque au Trésor royal entraînent des augmentations de capital, qui donnent lieu à une intense spéculation sur les actions. En janvier 1720, plus d'un milliard de livres de billets de banque sont émis, alors que le capital de la banque ne se monte qu'à 322 millions de livres. La méfiance se transforme en panique lorsque plusieurs grands du royaume viennent en personne changer leurs billets contre de l'or au siège de la banque, rue Quincampoix. Le 21 juillet, la banqueroute est prononcée et les billets de banque suspendus à partir du 1 e r novembre. 1873 : l'immobilier et les chemins de fer Le développement très rapide du crédit hypothécaire (*) en Europe - surtout dans l'Empire austrohongrois, en France et en Prusse - provoque une hausse spéculative des prix immobiliers, alimentée par l'endettement. Mais les économies européennes sont affaiblies par la guerre franco-allemande de 1870 et la concurrence américaine sur les produits agricoles. Les défauts de paiement se multiplient. La Bourse de vienne s'effondre le 9 mai 1873 et plusieurs banques autrichiennes font faillite. La crise gagne les Etats-Unis, où la spéculation s'était déchaînée sur le secteur des chemins de fer. En septembre 1873, plusieurs compagnies ferroviaires font faillite, ainsi que la banque d'affaires Jay Cooke, qui les finançait. La Bourse de New York ferme pendant dix jours. 1890 : la (première) chute de la Barings La plus vieille banque britannique, la Barings (qui a été fondée en 1762), frôle la faillite en novembre 1890 en raison du défaut de paiement de l'Argentine et de l'Uruguay sur leurs dettes souveraines. Elle est sauvée par un consortium bancaire
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éviter le retour des problèmes passés : nous devons mettre en place une stricte surveillance des banques, de la distribution des crédits et des investissements; nous devons mettre fin à la possibilité de spéculer avec l'argent des autres. » Mais c'était Franklin D. Roosevelt qui parlait ainsi, en mars 1933. Confronté aux conséquences de la débâcle de 1929, il avait sévèrement encadré la finance, aux Etats-Unis et dans le monde, grâce aux accords de Bretton Woods. Qui sera le Roosevelt du XXI e siècle ? ·
Christian Chavagneux
organisé par le gouverneur de la Banque d'Angleterre, William Lidderdale. Sa chute définitive aura lieu un peu plus d'un siècle plus tard, en 1995, provoquée par les prises de position spéculatives du trader Nick Leeson. 1907 : un krach global Le développement des trusts (des sociétés d'investissement qui jouaient largement sur l'effet de levier (*) de l'endettement pour investir en Bourse) s'était traduit par une vague de spéculation. Le point de départ de la crise est l'échec de la famille Heinze dans une manœuvre complexe de manipulation de cours sur la United Copper Company. Ruinés, les Heinze entraînent dans leur chute la Knickerbocker Trust Company, qui les soutient. Cette dernière, qui a un statut de banque, doit affronter une ruée des déposants. La panique gagne les autres trusts et provoque un effondrement de wall Street, qui atteint les autres places boursières en Europe et en Amérique latine, une commission d'enquête parlementaire se réunira pour étudier la crise et aboutira à la création de la Réserve fédérale (Fed), la banque centrale des Etats-Unis, en 1913. 1929 : le jeudi le plus noir La hausse de la Bourse a accompagné la croissance économique des années 1920, mais la spéculation s'alimente aussi à d'autres sources : l'achat à crédit d'actions, autorisé depuis 1926 avec une couverture de 10 % du prix des titres ; la manipulation des cours par des consortiums de financiers ; le pullulement des fonds d'investissement drainant l'argent du public, mais à la gestion opaque, et dans lesquels les banques et les compagnies d'assurances peuvent recaser leurs plus mauvais titres ; l'absence de contrôle Interne dans les banques... L'économie donne des signes de faiblesse depuis plusieurs mois. Le krach commence le jeudi 24 octobre. Trois
semaines plus tard, wall Street aura perdu 40 % de sa valeur, soit 30 milliards de dollars. 1987 : un coup de tonnerre dans un ciel bleu Poussées par une vigoureuse croissance économique, les Bourses des pays développés viennent de connaître cinq années d'euphorie. Mais la résolution des gouvernements occidentaux de mettre fin à la baisse du dollar (accords du Louvre en février 1987) laisse craindre un durcissement de la politique monétaire américaine. Sur des marchés très nerveux, une hausse des taux de la Bundesbank et l'annonce d'un déficit commercial américain plus élevé que prévu provoquent un électrochoc : Wall Street chute de 22,6 % dans la seule séance du lundi 19 octobre. L'effondrement est accentué par le program trading (le déclenchement automatique des ventes quand la baisse atteint un certain niveau). La Fed, présidée depuis peu par Alan Greenspan, réagit aussitôt en ouvrant le robinet du crédit. La crise n'aura que peu d'effet sur la croissance. 2000 : la bulle Internet et son éclatement L'engouement pour les valeurs liées aux technologies de l'information et de la communication se traduit à partir de 1995 dans les cours de Bourse. L'indice phare du Nasdaq (le marché des valeurs technologiques aux Etats-Unis) franchit la barre des 1 000 points en 1995 et culmine à plus de 5 000 points au début de 2000. La hausse est poussée par des anticipations très optimistes sur les revenus des entreprises du secteur, par la déréglementation et l'ouverture des marchés des télécommunications, par l'abondance de l'épargne mondiale (*) et par la politique accommodante de la Réserve fédérale américaine. Les premiers craquements ont lieu dès mars 2000. Fin 2002, le Nasdaq sera redescendu presque à son niveau de 1995. Maud Seror
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La crise - CHAPITRE III
Le fantôme de la Grande Dépression Innovations productives et financières, accroissement des inégalités et de l'endettement..., le contexte de la crise de 1929 présente des similitudes troublantes avec la situation actuelle. Bien que les conditions monétaires soient très différentes, cette crise illustre la virulence des processus de contagion quand les Etats échouent à coopérer.
L
'histoire, dit-on, ne se répète pas. La puissance destructrice de la crise financière et la dégradation brutale de l'activité et de l'emploi à l'échelle mondiale depuis l'automne 2008 ne cessent cependant de réactiver dans la conscience collective le fantôme de la Grande Dépression. Par-delà les différences massives qui séparent les deux époques, le caractère mondial de la crise, les faillites bancaires qui scandent son développement et l'effondrement généralisé de la confiance ne laissent à l'analyse d'autre point de comparaison que le séisme économique des années 1930.
2009, certes, ne ressemble guère à 1929. Les politiques monétaires sont depuis longtemps affranchies du carcan de la convertibilité-or des monnaies. Le dogme de l'équilibre budgétaire n'entrave plus l'action d'aucun gouvernement. Dans nombre de nations, l'Etat-providence protège les sociétés de l'instabilité inhérente à la vie économique. L'Europe, unie, n'est plus empoisonnée par la question allemande, et la tentation isolationniste ne semble plus de mise aux Etats-Unis. En d'autres termes, le monde a su tirer, après la guerre, les leçons de la catastrophe des années 1930. Ce qui ne l'a pas empêché, avec le temps, d'oublier deux des principales d'entre elles : le caractère profondément déstabilisant de la finance lorsqu'elle est livrée à elle-même, et le caractère vital de la coopération internationale dans une économie mondialement intégrée.
Révolution technologique, inégalités et endettement L'actualité de la crise des années 1930 réside tout d'abord dans les conditions de sa gestation. Aux Etats-Unis, épicentre de la crise financière, l'effondrement de Wall Street en octobre 1929 clôt une période de croissance exceptionnelle. Depuis le début des années 1920, le produit intérieur brut (PIB) progresse de près de 5 % par an tandis que le taux de chômage reste contenu en deçà de 5 %. L'accélération des gains de productivité, qui fait suite à la généralisation des nouvelles méthodes de production issues du taylorisme et du fordisme, s'accompagne de la diffusion de nouveaux biens de consommation de masse, dont la radio et la télévision, mais aussi la cuisinière, le réfrigérateur, etc. En dix ans, la production automobile triple, pour atteindre 5,4 millions de véhicules en 1929. Revers de la médaille, la révolution technologique s'accompagne, comme de nos jours, d'un creusement rapide des inégalités. La part du décile des revenus les plus élevés passe ainsi de 38 % du revenu national en 1920 à 46 % en 1928, tandis que les salaires ouvriers stagnent. L'innovation ne reste pas cantonnée à la sphère productive. Dans le domaine financier, la période voit l'essor des sociétés d'investissement, dont l'activité consiste
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Les ci :apitali
à spéculer, grâce aux fonds levés en Bourse, sur les cours des autres sociétés en faisant un usage immodéré de l'effet de levier (*), autrement dit de l'endettement. L'envolée des profits des sociétés, aussi bien dans l'industrie que dans la grande distribution, le pétrole et le cinéma, provoque un engouement sans précédent pour la Bourse. A Wall Street, l'indice Dow Jones décolle d'un plateau de 100 en 1924-1925 pour culminer à 381 le 3 septembre 1929. L'endettement du système privé, qui s'élevait à 120 % du PIB en 1920, explose à 230 % du PIB en 1929, un niveau qu'il ne retrouvera que dans les années 2000.
La passivité de la Fed L'abondance des liquidités ( * ) est rendue possible par la passivité de la banque centrale américaine. La Fédéral Reserve Board (Fed), créée en 1913, s'inquiète de la frénésie spéculative mais craint de briser la croissance. Elle soutient qu'une augmentation du taux d'escompte, à moins d'être brutale et d'étouffer l'activité, n'aurait guère d'effet sur l'offre de crédit, mais contribuerait en revanche à accroître les entrées de capitaux et donc la masse monétaire. Les déséquilibres financiers internationaux constituent en effet la trame de fond de la crise qui couve. En Europe, la surévaluation de la livre sterling et le problème des réparations allemandes exacerbent la sensibilité des autorités par rapport aux sorties de capitaux. Dans le cadre de l'étalon-or, restauré sous une forme aménagée dans les années 1920 (voir encadré ci-dessous), la baisse des réserves de change, conséquence d'un déficit de la balance des paiements, a pour effet de contracter l'offre de monnaie, ce qui pénalise l'activité. En 1927, les dirigeants des banques centrales anglaise, française et allemande demandent instamment à la Fed de baisser son taux d'escompte afin de freiner les sorties de capitaux européens, attirés par l'envolée de Wall Street. Plus soucieuse de préserver les marchés
| Le Gold E x c h a n g e Standard et la crise h é g é m o n i q u e de l'entre-deux-guerres Adopté par la plupart des pays industrialisés dans les années 1870, le régime de l'étalon-or a été abandonné pendant la Première Guerre mondiale. En 1919, les Etats-Unis, qui disposent de 40 % du stock d'or mondial, rétablissent la convertibilité-or du dollar. Désireux de restaurer la primauté financière de Londres et le statut international de la livre sterling, le Royaume-Uni convoque en 1922 la conférence de Gênes, à laquelle les Etats-Unis ne participent pas. prenant acte de l'incapacité de la plupart des pays de revenir à l'étalon-or, les accords de Gênes instituent un système hybride, le Gold Exchange Standard ou étalon de change-or, dans lequel la valeur d'une monnaie est définie soit par une parité-or (cas des « devises clés »), soit par rapport à une devise clé. La convertibilité des monnaies en or est limitée aux transactions entre banques centrales, tandis que le lien qui relie l'émission monétaire aux réserves
de change (or et/ou devises) est relâché. Ces accords organisent ainsi le retour à un régime de changes fixes. En 1925, le Royaume-Uni rétablit la convertibilité de la livre sterling à sa parité d'avant-guerre, qui est manifestement surévaluée. Dès lors, le système monétaire international est structuré autour de deux devises clés, le dollar et la livre, et la rivalité financière entre Londres et New York alimente l'instabilité financière internationale. Tandis que le Royaume-Uni, dont les réserves d'or sont limitées, n'a plus les moyens de ses ambitions monétaires, les Etats-Unis, tentés par l'isolationnisme, ne sont pas prêts à assumer les leurs. Le déficit de leadership à l'échelle mondiale expliquerait, selon l'analyse magistrale de Charles Kindleberger, la décomposition du système monétaire international et la transformation de la récession en dépression durable.
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La crise - CHAPITRE III
d'exportation des firmes américaines que de brider l'inflation financière, la Fed acquiesce et ramène son taux de 4 % à... 3,5 %. Cette décision illustre le déséquilibre profond du modèle de croissance américain. Le partage inégal des gains de productivité, qui alimente la croissance des profits au détriment des salaires, se traduit par une insuffisance de débouchés. Laquelle ne peut être compensée que par un recours accru des ménages au crédit et par la croissance des exportations. Or la faiblesse de la demande européenne dans la seconde partie des années 1920 pénalise les producteurs américains. L'activité devient ainsi de plus en plus dépendante du gonflement du crédit et des effets de richesse ( * ) créés par la flambée de Wall Street. La Bourse, dont l'envolée semble justifiée dans un premier temps par la montée des profits, perd tout contact avec la réalité économique à partir de 1927. La rentabilité des placements boursiers et la demande de crédit qu'elle suscite sont telles qu'elles finissent par détourner les capitaux des entreprises vers le marché monétaire ( * ) , où les taux d'intérêt atteindront jusqu'à 20 % en mars 1929. Incapable d'imposer sa volonté aux milieux d'affaires, refusant d'assumer la responsabilité de la crise désormais imminente, la Fed continuera d'alimenter le système en liquidités. Le Dow Jones, qui s'était stabilisé autour de 320 entre février et juin 1929, connaîtra une ultime flambée de près de 20 % entre juin et septembre, avant de s'effondrer en octobre.
Du krach boursier à ia dépression Entre 1929 et 1933, le revenu national américain se contracte de moitié en termes nominaux et d'un tiers en termes réels. Si le krach boursier explique la sévérité de la récession, il n'explique pas qu'elle ait dégénéré en dépression économique. L'impact immédiat du krach ne doit pas être sous-estimé. La destruction de l'épargne placée en Bourse et la D A N S LES D O U Z E MOIS QUI S U I V E N T
ruine de plus d'un million d'investisseurs provo-
LE K R A C H DE 1 9 2 9 , PRÈS DE
quent l'effondrement de la consommation, tandis
3 MILLIONS DE P E R S O N N E S P E R D E N T
que l'arrêt brutal du crédit asphyxie les entreprises.
LEUR EMPLOI A U X E T A T S - U N I S
Dans les douze mois qui suivent le krach, près de
3 millions de personnes perdent leur emploi. Les doutes sur la solvabilité des banques, confrontées à une masse considérable de créances non recouvrables, incitent les particuliers à retirer leurs dépôts et à thésauriser les liquidités. La transformation de la crise financière en crise bancaire fait basculer l'économie dans la dépression. En quatre ans, près de 11 000 banques font faillite aux Etats-Unis, sur un total de 25 600 en 1929. Les phénomènes de panique bancaire qui apparaissent à l'automne 1930 ressurgissent à la suite de la crise monétaire européenne de l'été 1931 et culmineront au printemps 1933. Ils achèvent de déstructurer le système financier et de ruiner les épargnants, soulignant une fois de plus la responsabilité de la banque centrale : elle refuse d'intervenir comme prêteur en dernier ressort ( * ) et laisse les banques chuter les unes après les autres. La Fed n'assiste pas seulement sans réagir à la contraction de la masse monétaire et à la spirale déflationniste qui s'enclenche.
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Elle s'emploie jusqu'en 1931 à stériliser le gonflement du stock d'or provoqué par l'afflux des capitaux qui fuient l'Europe. En vendant au secteur bancaire des titres de la dette publique, elle réduit la liquidité bancaire et bloque toute augmentation de la masse monétaire. Un temps stabilisé, le Dow Jones reprend en septembre 1930 sa chute vertigineuse jusqu'à toucher un point bas à 41 en juillet 1932 (voir graphique). Pire, après la dévaluation de la livre sterling en septembre 1931, la Fed choisira d'augmenter son taux d'intérêt, afin de défendre le dollar contre les attaques spéculatives. En 1933, alors que les prix baissent au rythme de 5 % l'an et qu'un quart de la population active est au chômage, le taux des refinancements offerts par la banque centrale est de 2,6 %, soit un taux réel de près de 8 %. A l'aveuglement des autorités monétaires répond l'ineptie de la politique budgétaire, illustrée par la décision du président Hoover, en 1931, de procéder à une hausse substantielle des impôts, afin de « rééquilibrer le budget et de ramener la confiance ». Le rejet de tout interventionnisme à l'intérieur va paradoxalement de pair avec une résurgence du nationalisme économique. Le 17 juin 1930, le Smoot-Hawley Tariff Act relève les droits de douane sur plus de 20 000 produits importés. Les représailles européennes ne tardent pas et provoquent à leur tour l'effondrement des exportations américaines. A la conférence d'Ottawa d'août 1932, le Royaume-Uni organise le repli de l'économie britannique sur son empire et les dominions et met en place le système de la « préférence impériale ». Entre février 1929 et février 1933, le commerce international se contracte des deux tiers en valeur.
La propagation internationale de la crise La crise des années 1930 est aussi une crise de la mondialisation. L'intégration financière internationale, mesurée par le rapport des actifs étrangers au PIB, est à la veille de la Grande Crise près de deux fois plus élevée que ce qu'elle était dans les années 1980. Dans les années 1920, les capitaux américains s'investissent massivement en Europe. A la suite du krach de Wall Street, la liquidation des portefeuilles américains en Europe
Alternatives Economiques
Hors-série poche n 43 bis - avril 2010
La crise - CHAPITRE III
a pour effet de contracter la liquidité dans les pays européens. L'Allemagne et les pays d'Europe centrale, qui dépendaient le plus des financements étrangers, sont les plus touchés. Le Royaume-Uni, affaibli par la déflation et la crise industrielle, est lui aussi très vulnérable. La France, en revanche, est relativement protégée par la bonne tenue du franc Poincaré, dont la convertibilité a été rétablie en 1928 à un taux sous-évalué. Les tensions monétaires sont amplifiées par la contraction des importations américaines et la dégradation des soldes commerciaux. Pour freiner les sorties de capitaux et la spéculation contre les monnaies, nombre de gouvernements relèvent leurs taux d'intérêt, aggravant les tendances déflationnistes à l'œuvre et la récession en cours. La situation est particulièrement tendue en Allemagne, où la dette extérieure est composée essentiellement de crédits à court terme et où les réparations, bien que réduites à partir d'octobre 1930 par le plan Young, font peser une charge exorbitante sur l'économie. C'est toutefois d'Autriche que part la secousse qui va ébranler l'ensemble de la finance européenne et provoquer l'effondrement du Gold Exchange Standard. Le 14 mai 1931, la faillite de la Creditanstalt, qui contrôle 70 % de l'industrie autrichienne, provoque une panique bancaire généralisée et des attaques contre la monnaie, qui obligent le gouvernement à suspendre la convertibilité du schilling. En raison des liens économiques et financiers étroits entre les deux pays, la crise se propage comme une traînée de poudre à l'Allemagne, où les retraits précipités de fonds déstabilisent les plus grandes banques. Tenu par la défense du Reichsmark, le gouvernement ne peut rien faire en juillet 1931 pour sauver de la faillite la Danat Bank, ce qui aurait supposé de libérer l'offre de monnaie. La seule solution ne pouvait venir que d'un soutien financier international. Les Etats-Unis proposent un moratoire sur les réparations de guerre. L'Angleterre, dont les avoirs en Autriche sont désormais gelés et qui est exposée aux rapatriements des avoirs en livres sterling placés à Londres, débloque des crédits à court terme, qui ne suffisent toutefois pas à arrêter l'hémorragie. La France, en revanche, tente d'exploiter la situation pour bloquer le projet d'union douanière entre l'Autriche et l'Allemagne et tarde à répondre. En juillet, l'Allemagne, qui compte 6 millions de chômeurs, suspend la convertibilité de sa monnaie. La spéculation se reporte alors sur la livre sterling, qui est pénalisée par l'immobilisation des avoirs anglais en Allemagne. Malgré les prêts accordés par les Etats-Unis et la France, l'encaisse d'or britannique s'effondre. Le 19 septembre 1931, le Royaume-Uni abandonne l'étalon-or, ce qui provoque une dépréciation immédiate de la livre de 40 %. Il est suivi par une trentaine de pays dont les monnaies étaient liées à la livre sterling. Les Etats-Unis ne s'y résoudront qu'en avril 1933, après l'entrée en fonction de Roosevelt. Ultime tentative de coopération internationale face à la crise, la conférence monétaire de Londres en juin 1933 échoue à produire le moindre accord sur la question cruciale des échanges commerciaux et des taux de change. La première mondialisation a vécu, et avec elle le capitalisme financier libéral. Il ne renaîtra de ses cendres qu'un demi-siècle plus tard. · Jacques Adda
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Les leçons de la déflation japonaise Plus que celle de 1929, la crise actuelle évoque la crise japonaise des années 1990. Ben Bernanke, le patron de la Fed, qui l'avait étudiée en détail, cherche aujourd'hui à éviter les erreurs commises à l'époque par les autorités japonaises.
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'il est un sujet qui n'a cessé de hanter les autorités monétaires américaines ces dernières années, c'est bien l'implosion financière du Japon pendant la décennie 1990. Dès 2000, Ben Bernanke, qui allait succéder à Alan Greenspan à la tête de la Federal Reserve (la Fed), la banque centrale américaine, dénonçait la paralysie de la Banque du Japon et l'extrême médiocrité de sa gestion monétaire depuis la fin des années 1980 m . De fait, la référence obligée des banques centrales face à la secousse financière qui ébranle le monde depuis l'été 2007 n'est pas tant la crise de 1929 que la déflation ( * ) financière et monétaire qui a étouffé la croissance japonaise entre 1992 et 2003. Les similitudes ne manquent en effet pas. Dans les deux cas, la crise est provoquée par l'éclatement d'une double bulle, boursière et immobilière. Dans les deux cas, l'inflation financière est alimentée par une politique monétaire exceptionnellement expansive. Au Japon, la croissance accélérée du crédit à la fin des années 1980 est encouragée par la banque centrale, qui entend ainsi aider les entreprises à faire face à l'appréciation phénoménale du yen, dont le taux de change face au dollar augmente de 90 % entre 1985 et 1988. Aux EtatsUnis, l'aisance monétaire aussi est voulue par la Fed dans la première partie des années 2000, pour contrer les effets de l'éclatement de la bulle Internet. Elle est accentuée par le recyclage massif des excédents asiatiques, puis de l'Opep sur le marché financier américain.
Une double bulle Tout comme dans la crise actuelle, l'effondrement de la Bourse japonaise - le Nikkei, qui avait triplé entre 1985 et 1989, perd 60 % en deux ans - et des prix fonciers frappe de plein fouet le système bancaire. Face à la fonte de leurs capitaux propres, dont la valeur boursière s'est évaporée, les banques sont obligées de se recapitaliser au plus vite. Parallèlement, le krach de l'immobilier MonetàuyPoîLy : a et du prix des terrains les contraint à provisionner massivement les créances Case of Self-induced Paralysis ? », par Ben
douteuses accumulées sur les ménagés et les entreprises. Pour reequtlibrer s . Bernanke, dans leur bilan, les banques n'ont d'autre choix que de vendre à perte une partie de p™rallels leurs actifs (actions, terrains, immeubles), ce qui déprime encore davantage les to us Expérience, cours. Surtout, elles réduisent de façon drastique l'encours des crédits qu'elles p^n"" accordent, ce qui accroît les difficultés des entreprises, donc le volume des P· 149-166, En 1994, sept organismes desuite. crédit immobilier, les jusen, font faillite, mecréances douteuses, et ainsi de naçant d'entraîner avec eux leurs maisons mères, qui ne sont autres que les
Alternatives Economiques Hors-série
Washington DC, International institute for Economics, septembre 2000.
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La crise - CHAPITRE
III
principales banques du pays. En 1997, la faillite de trois banques d'affaires (Sanyo Securities, Yamaichi Securities et la Hokkaido Takushoku Bank) fait basculer le système bancaire dans une crise systémique totale. Le marché interbancaire est entièrement paralysé.
Une crise sans fin Fin 1998, le gouvernement doit procéder à la nationalisation de deux banques d'affaires en faillite, Long Term Crédit Bank, l'une des toutes premières banques mondiales, et Nippon Crédit Bank. A contrecœur, il se résout à injecter des capitaux publics dans le secteur bancaire. Fin 1998, il y avait investi 495 milliards de dollars, soit 12 % du produit intérieur brut (à comparer aux 7 % réalisés à ce jour aux Etats-Unis). Cela ne devait pourtant pas suffire : entre 1998 et 2003, les nouvelles créances douteuses inscrites au bilan des banques s'accroissent plus rapidement que les anciennes ne sont effacées. Elles atteindront le niveau record de 330 milliards de dollars en mars 2002, soit 8,4 % de l'encours des crédits. Entre-temps, la déflation s'était en effet durablement installée dans l'économie. La baisse des prix laisse la politique monétaire apparemment impuissante ; les taux d'intérêt, ramenés à 0,5 % en 1995, puis à 0 en 1999, ne pouvaient tomber plus bas (voir graphique ci-contre). Or la baisse des prix représente un poison mortel pour l'économie réelle : en augmentant les taux d'intérêt réels et la valeur des dettes, elle asphyxie les entreprises et les force à se débarrasser de leurs avoirs et à solder leurs stocks pour se désendetter. Ce qui accentue la déflation et accroît encore le niveau du taux d'intérêt réel. En avril 2003, le Nikkei touche son point bas à 7 830 points, alors qu'il avait atteint un sommet de 39 000 en décembre 1989 ! Dans le même temps, le prix des terrains a perdu 80 % de sa valeur. Le redressement n'interviendra qu'après 2003. En 2001, la Banque du Japon décide d'inonder le marché financier en portant de 40 à 300 milliards de dollars le montant des titres qu'elle est susceptible d'accepter à son bilan ; elle étend également la gamme de ces titres aux actifs titrisés ( * ) des banques et aux actions. Elle poursuivra cette politique, dite de « détente quantitative », jusqu'en mars 2006. En 2003, le gouvernement procédait au rachat en masse de l'ensemble des créances douteuses des banques. En 2004, l'économie sortait de la déflation et retrouvait le chemin de la croissance. En 2005, le niveau des créances douteuses était revenu à 3,5 % de l'encours des crédits. La crise bancaire était enfin close. Les banques pouvaient commencer à rembourser les fonds reçus de l'Etat et reprendre leur activité de crédit.
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Quatre leçons La stratégie des autorités américaines, et tout particulièrement de la Fed, face à la crise financière actuelle illustre a contrario les leçons tirées de l'expérience japonaise. La première leçon est que rien ne sert de se voiler la face : en niant plusieurs années durant la gravité de la crise et en laissant les banques masquer leurs pertes dans des artifices de bilan, plutôt que de les assumer et d'y faire face au plus vite, les autorités japonaises ont laissé la détresse financière s'installer dans toute l'économie. La deuxième leçon, qui découle de la première, est que la vitesse de réaction des autorités, et en particulier de la banque centrale, est décisive pour bloquer la propagation de la crise à l'ensemble du secteur financier, puis à l'économie réelle. Alors que la bulle boursière éclatait au Japon en décembre 1989 et que le Nikkei perdait 40 % de sa valeur en un an, la Banque du Japon a continué de resserrer le crédit, augmentant son taux directeur de près de 2 points au cours des douze mois suivants. Il faudra attendre juillet 1991 pour qu'elle se
Suède, J a p o n : l'un s'en sort, l'autre pas En 1992-1993, le système bancaire suédois était en faillite généralisée à l'issue de l'éclatement d'une double bulle, immobilière et financière. D'où une crise aiguë : des pertes bancaires égales à 12 % du produit intérieur brut (PIB) ; une économie en chute libre, avec un PIB en contraction de 6 % et un taux de chômage qui bondit de 3 % à 9 % en l'espace de trente mois ; un déficit public qui s'envole à 12 % du PIB...
En septembre 1992, le gouvernement et l'opposition annonçaient conjointement - fait exceptionnel - un plan de sauvetage du système bancaire. Son principe : protéger de toute perte l'ensemble des créanciers des banques, à l'exception des actionnaires. Pour recevoir des fonds publics, les banques devaient préalablement assumer les pertes découlant de la
dépréciation de leurs actifs. En échange des capitaux injectés, l'Etat recevait des actions des banques, qui étaient de facto nationalisées. Parallèlement, l'Etat créait une société de rachat de leurs actifs douteux, une bad bank dans le jargon actuel, ne laissant au bilan des banques nationalisées que les actifs de qualité convenable. Tant les actions des banques nationalisées que les actifs récupérés par la bad bank furent acquis à leur prix de marché. Au total, le coût pour l'Etat du sauvetage des banques s'éleva à 4 % du PIB, un montant comparable aux 700 milliards de dollars du plan Paulson. Dès 1994, l'activité repartait et, en 1997, la quasi-totalité des actifs repris par la bad bank avait été vendue, souvent avec une plus-value, limitant le coût final du plan pour l'Etat à 2 % du PIB.
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décide à baisser modestement ses taux et jusqu'en 1995 pour qu'elle se résolve à les ramener à proximité de zéro, alors que la déflation menaçait déjà. Le contraste est saisissant avec l'attitude de la Fed cette fois-ci : elle les a baissés de plus de 3 points en six mois, alors même que la hausse des prix s'emballait sous l'effet de l'inflation importée. La troisième leçon, manifestement assimilée par la Fed, est qu'au-delà
[2] Voir « Révolution dans les banques centrales », Alternatives Economiques n° 272, septembre 2008, disponible dans nos archives en ligne.
du taux d'intérêt, la banque centrale dispose d'une arme maîtresse qui est sa capacité à accroître presque indéfiniment son bilan. Pour cela, il lui suffit de démultiplier le volume et d'élargir la gamme des titres qu'elle accepte de refinancer, ainsi que la nature des opérateurs susceptibles de frapper à sa porte 121 . Mise en œuvre aux Etats-Unis immédiatement après la cessation de paiement de Bear Stearns, la politique de « détente quantitative » inventée par la Banque du Japon a joué un rôle clé dans le freinage de la propagation de la crise américaine, même si elle s'est avérée insuffisante pour l'enrayer. Ce qui nous amène à la quatrième leçon, la plus difficile : l'activisme de la banque centrale ne peut se substituer à l'injection de capitaux publics dans le secteur bancaire. Les relances budgétaires successives pratiquées par le gouvernement japonais dans la première partie des années 1990 n'auront servi à rien si ce n'est à doubler la dette publique. Seuls le rachat massif des créances douteuses et la restructuration du secteur bancaire imposée par les pouvoirs publics ont pu mettre un terme au crédit crunch (*), le rationnement du crédit. Il aura fallu douze ans aux autorités japonaises pour s'y résoudre. Un an a suffi aux autorités américaines, grâce notamment à la force persuasive du gouverneur de la Réserve fédérale, Ben Bernanke. Celles-ci ont, il est vrai, l'avantage de l'expérience, et surtout la détermination à en tirer parti. · J.A.
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La crise asiatique de 1997 Aveuglement des investisseurs, opacité des circuits de financement, complaisance des agences de notation, libéralisation financière menée à la va-vite, la crise qui a frappé la plupart des pays d'Asie du Sud-Est en 1997 mettait davantage en cause l'instabilité propre à la finance que le modèle de développement de ces pays.
L
e 2 juillet 1997, les autorités thaïlandaises décidaient de laisser flotter leur monnaie, le baht. Celui-ci n'allait pas tarder à plonger et à entraîner dans sa chute les monnaies de la quasi-totalité des dragons et des tigres asiatiques. Entre le début juillet et la mi-octobre 1997, la dépréciation des taux de change de la zone atteignait 30 % à 50 %, celle des cours des actions entre 20 % et 30 %. Une réaction en chaîne à la mesure du comportement moutonnier des investisseurs internationaux. L'admiration sans limite du modèle asiatique s'est alors vite muée en condamnation sans appel. Les difficultés qui en ont résulté ont provoqué une récession brutale, une montée du chômage et une chute souvent forte du niveau de vie.
La faute à qui ? A l'époque, une des raisons invoquées pour expliquer la crise a été le manque de transparence qui prévalait dans les économies asiatiques. Une des vertus prêtées jusque-là au modèle asiatique était l'étroitesse des relations interpersonnelles entre décideurs publics et privés, entre financiers et industriels. Avec la crise, la vertu est devenue défaut : l'opacité des circuits de décision aurait été à l'origine de surinvestissements, et les économistes libéraux de rappeler que des marchés parfaitement transparents, sur lesquels circule une information fiable et complète, sont la condition d'une allocation harmonieuse des capitaux. L'opacité reprochée aux pays d'Asie du Sud-Est avait bon dos : elle a surtout permis, a posteriori, de justifier le comportement spéculatif des investisseurs occidentaux qui leur ont prêté au-delà du raisonnable jusqu'à la mi-1997. Elle a fourni aussi des circonstances atténuantes aux agences de notation ( * ) - déjà elles - qui n'ont pas vu venir la crise, alors qu'elles étaient payées fort cher pour évaluer le risque d'un pays émetteur. Dans le cas de la Corée, ce n'est qu'après le déclenchement de la crise que ces agences ont baissé leurs notes... pour le porter à un niveau aussi faible que celui de la République dominicaine ! Il fallait pourtant être aveugle pour ne pas voir qu'une bulle spéculative se développait sur certains marchés boursiers asiatiques, et notamment en Thaïlande. « Même privés d'une partie des données, les indicateurs de base de risque-pays donnaient une photographie exacte de la situation effective des économies », soulignait à l'époque une étude de la Caisse des dépôts et consignations.
Des recommandations orthodoxes inadaptées Face à un retrait massif des capitaux, plusieurs pays, comme l'Indonésie, la Corée du Sud et la Thaïlande, ont été contraints de faire appel au Fonds
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monétaire international (FMI). Celui-ci leur recommanda, dans un premier temps (avant de se montrer plus conciliant), les potions amères qu'il impose toujours lorsqu'il intervient, à base de rigueur budgétaire (pour freiner la demande intérieure et réduire le déficit commercial) et de hausses des taux (pour défendre la monnaie). Le hic, c'est que cette thérapie n'était pas adaptée au malade. Dans la plupart des pays, les finances publiques étaient saines. En Corée, « le taux de croissance moyen dépassait 8 % entre 1994 et 1996, le taux d'inflation était en baisse, de 6% à moins de 5 %, le déficit courant, très modeste jusqu'en 1995, avait connu une augmentation fort peu alarmante, à moins de 5% du produit intérieur brut (PIB) en 1996, ramené à 2 %dès 1997, observait Michel Aglietta, économiste au Cepii, dans un article consacré à la crise asiatique. On était loin d'une détérioration de la situation économique ! » Monter les taux et serrer la dépense publique aurait affaibli davantage l'activité, alors qu'elle basculait en récession. Et aurait ruiné les banques, déjà mises à mal. Car la crise asiatique était d'abord une crise de la finance privée : elle ne remet pas fondamentalement en cause le mode de développement des économies asiatiques. Les banques locales avaient massivement emprunté à court terme et en dollars : quand les monnaies asiatiques se sont effondrées et que les capitaux étrangers se sont évanouis, elles ont été étranglées par leurs dettes et ont subi une grave crise de liquidité ( * ) . Du coup, elles ont été dans l'incapacité de financer l'activité économique, d'où l'entrée en récession.
Libéralisation précipitée Comment en était-on arrivé là ? En partie du fait de l'introduction d'une dose de libéralisme au tournant des années 1980 et 1990. Les systèmes financiers asiatiques, jusque-là étroitement contrôlés par les Etats, se laissèrent alors subjuguer par les sirènes de la déréglementation. « L'ambition des dirigeants politiques de ces pays - accélérer encore la croissance en important des capitaux étrangers - a rencontré le souci américain de trouver des sources de profit à une finance secouée par la crise immobilière et la récession », expliquait alors Michel Aglietta. Cette libéralisation financière fut menée à la va-vite, sans que soit mise en place une réglementation prudentielle ( * ) apte à prévenir les risques de système ( * ) . Elle a provoqué un afflux trop massif de capitaux
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étrangers, que les banques locales ont placé, par exemple, dans des activités spéculatives (comme l'immobilier) ou peu rentables économiquement. En Corée, le secteur bancaire et indirectement les chaebols (les grands conglomérats industriels qui dominent l'économie du pays) croulaient sous les dettes externes à courte échéance. Ce sont ces châteaux de cartes qui se sont effondrés quand les capitaux étrangers ont pris peur. Dans certains pays, la crise et ses conséquences ont été aggravées par les tensions politiques. En Indonésie, le marasme qui a suivi tient largement à la situation politique très tendue du pays, qui se traduira à terme par l'effondrement du régime. Rien à voir avec la situation bien plus robuste de Taiwan, où la croissance reposait, entre autres facteurs, sur des taux d'épargne et d'investissement productif élevés et équilibrés, et où la spécialisation industrielle (notamment dans le matériel informatique et les semi-conducteurs) avait été bien menée.
Le retour de la croissance La crise asiatique n'a pas sonné la fin du modèle de développement asiatique. D'abord parce que le terme recouvre des réalités bien distinctes : la Corée, pays industriel désormais membre de l'OCDE, différait et diffère encore du tout au tout de l'Indonésie, qui conserve aujourd'hui de nombreux traits caractéristiques du sous-développement. Ensuite, les vertus prêtées au libéralisme par les dirigeants des institutions économiques internationales ont traduit à l'époque la volonté des banques et des entreprises industrielles occidentales de profiter de la crise asiatique pour s'implanter dans des pays au nationalisme économique souvent ombrageux. En fait, la caractéristique majeure du modèle asiatique - l'existence d'Etats développeurs soucieux d'accroître la puissance économique de leur nation - n'a pas été remise en cause par la crise. La Malaisie n'a pas craint d'établir dans les années qui ont suivi un strict contrôle des mouvements de capitaux. Sans se plier à tout ce qui leur avait été conseillé, sans remettre d'un coup en question le rôle de l'Etat, la plupart des pays de la région ont renoué avec la croissance dès 1999. Cette reprise a été permise par plusieurs facteurs conjoncturels (la très forte croissance américaine, la compétitivité accrue des exportations du fait des dévaluations...), par les atouts
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structurels accumulés au cours des décennies passées (la qualification de la main-d'œuvre, l'abondance de l'épargne, les infrastructures modernes) et aussi par des politiques monétaire et budgétaire alors accommodantes.
Un tournant de la globalisation financière Au-delà des conséquences de la crise financière, les mutations que les pays d'Asie du Sud-Est ont eues à gérer depuis 1997 sont moins liées à l'épuisement d'un modèle qu'aux évolutions rendues nécessaires par le niveau de développement atteint. Après un rattrapage accéléré, largement fondé sur une insertion agressive dans le commerce international et la valorisation d'une main-d'œuvre relativement qualifiée, mais mal rémunérée, il leur fallait construire des économies plus diversifiées et des sociétés salariales modernes. Le processus a continué à progresser en Corée ou à Taiwan, mieux que dans les autres pays de la région. Au niveau international, la crise asiatique a entraîné « un changement radical dans les interdépendances qui structurent l'économie mondiale », selon Michel Aglietta et Laurent B e r r e b i m . Jusqu'alors, les pays émergents d'Asie étaient globalement en situation de déficit courant à l'égard des pays de l'OCDE et recevaient en contrepartie des flux de capitaux en provenance de ceux-ci. La situation s'est à ce moment inversée. Du fait de l'austérité qui leur a été imposée, mais aussi de leur volonté d'assurer leur souveraineté économique, ils ont désormais cherché à dégager des excédents, quitte à « vivre en dessous de leurs moyens ». Cette stratégie, pratiquée à grande échelle par la Chine, a exacerbé l'hyperconcurrence engendrée par la mondialisation, contribuant au creusement des inégalités dans les pays riches. La conjonction de tous ces facteurs a porté la crise actuelle, l'endettement massif des moins aisés
[1) voir Désordres dans le capitalisme mondial, éd. Odile Jacob, 2007.
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devenant le seul substitut à la stagnation de leurs revenus. Un endettement parallèlement facilité par une offre de crédit recyclant pour partie les excédents asiatiques. · Claude Demma et Philippe Frémeaux
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Pourquoi tant de crises ? Les crises ont fait leur réapparition depuis deux décennies. Un retour qui s'explique par le rôle de la monnaie et des innovations et par la libéralisation financière.
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ans la période de forte et régulière croissance de l'après-Seconde Guerre mondiale, les crises bancaires avaient quasiment disparu. Le krach boursier de 1929 ne s'était pas répété et le régime de changes fixes instauré à Bretton Woods en 1944 assurait la stabilité de l'économie mondiale. Par contraste, depuis les années 1980, les crises financières ont fait leur réapparition. Elles ont frappé nombre de pays émergents et affectent aussi les pays développés, comme en témoigne la débâcle financière née de la crise des subprime ( * ) aux Etats-Unis.
par Robert Boyer, économiste, directeur d'études à i'EHESS, directeur de recherches au CNRS-Cepremap
La double face de la monnaie Nos économies de marché dérivent leur existence de l'acceptabilité de la monnaie comme intermédiaire nécessaire d'échanges fondamentalement décentralisés. Son introduction a deux effets sur l'économie. D'un côté, la réduction des coûts de transaction stimule les échanges qui, à leur tour, permettent la division du travail et la spécialisation. A la suite d'Adam Smith, beaucoup s'accordent pour considérer que telle est l'origine de la croissance. D'un autre côté, cependant, la séparation de l'acte d'achat de l'acte de vente introduit une incertitude quant à la correspondance automatique de l'offre et de la demande : le producteur doit anticiper a priori la demande qui lui sera adressée, et son pronostic peut se voir invalider dès lors que l'économie n'est pas stationnaire.
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Ainsi s'ouvre la possibilité de crises économiques du fait des caractéristiques propres d'une économie marchande, par opposition à des crises provenant de chocs trouvant leur source en dehors de l'économie (mauvaises récoltes, guerres...). Quand l'économie de marché devient capitalisme, les échanges et l'activité de production ne sont plus que des étapes intermédiaires dans la valorisation du capital de l'entrepreneur. Lorsqu'une déconnexion de l'offre par rapport à la demande se produit, les crises marchandes puis industrielles apparaissent, toujours comme caractéristiques intrinsèques du système économique. L'histoire économique confirme qu'aux crises de pénurie à l'ancienne succèdent les crises de surproduction des premières étapes du capitalisme industriel. Mais il est des épisodes plus graves encore, dans lesquels le mécanisme de marché lui-même s'enraye au point qu'il n'est plus possible d'assurer les échanges. La crise du crédit hypothécaire ( * ) américain et ses suites illustrent la fragilité du mécanisme de marché, tout particulièrement lorsqu'il porte sur les actifs financiers. En effet, tous les investisseurs financiers voulaient acheter dans la période de spéculation, mais lorsque le marché s'est retourné, les mêmes se sont précipités pour vendre, de sorte que la possibilité d'un équilibrage de l'offre et de la demande s'est effondré, alors qu'il semblait aller de soi avant la crise. Ainsi, certains marchés mal organisés, imparfaitement contrôlés ou soumis au mimétisme peuvent s'écrouler.
Echecs du marché Le marché s'est avéré fort efficace pour organiser les échanges de marchandises que sont les matières premières, les produits intermédiaires, les biens de consommation. Surtout si on le compare à la planification centralisée de type soviétique. En revanche, la puissance du marché a été plus problématique lorsqu'il s'est agi d'organiser les échanges en matière L'HISTOIRE A M O N T R É LES LIMITES
de travail, de monnaie et de relations avec la nature.
D'UNE GESTION PUREMENT
Karl Polanyi qualifiait de fictives les marchandises
MARCHANDE DE LA MONNAIE
correspondantes, et à sa suite une large fraction des
ET DU CRÉDIT
sciences sociales s'accorde sur le caractère corrosif du marché concernant leur gestion. Clairement, la vie, support du travail, n'est pas produite en vue du marché ; l'histoire a montré les limites d'une gestion purement marchande de la monnaie et du crédit ; enfin, en l'absence de normes et de règlements spécifiques, l'activité productive conduit à la détérioration de l'environnement. Paradoxalement, les limites du marché apparaissent le plus dans le domaine de la finance, alors même que l'on semble confronté à la figure emblématique de marchés parfaits agrégeant un ensemble d'offre et de demande au travers de cotations devenues électroniques. Mais cette apparence est trompeuse car, en matière de finance, s'échangent non pas des marchandises typiques mais des promesses et des anticipations d'une valeur future marquée par toutes les incertitudes nées de la conjonction, de comportements stratégiques, mais aussi de l'incapacité qu'ont les acteurs à calculer les conséquences de
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leurs décisions présentes sur leur revenu futur. Voilà pourquoi les acteurs du marché boursier, par exemple, s'avèrent incapables de calculer la valeur fondamentale - celle qui résulterait d'une analyse de l'activité réelle d'une entreprise dans son secteur - des titres qu'ils échangent, contrairement à ce que suppose la théorie standard. Car de l'agrégation de leurs anticipations émerge une convention, un sentiment partagé, qui sert de référence à la révision des évaluations privées. Or, lorsque l'incertitude
LES MARCHÉ SONT INTRINSÈQUEMENT
s'accroît, les acteurs sont tentés de faire davantage
SOUMIS À DES CRISES PÉRIODIQUES
confiance à la convention du marché qu'à leurs
QUI P E U V E N T SE DIFFUSER
propres évaluations. Dans ce cas, le marché tend
AU RESTE DE L'ÉCONOMIE,
à osciller entre deux évaluations extrêmes : soit
PRÉCIPITANT LE PASSAGE
très optimiste, soit excessivement pessimiste. Le
DU K R A C H BOURSIER À LA RÉCESSION
basculement de l'une à l'autre se manifeste souvent par une crise financière. Bref, les marchés financiers sont intrinsèquement soumis à des crises périodiques qui peuvent se diffuser au reste de l'économie, précipitant le passage du krach financier à la récession économique, voire à la dépression. C'est d'autant plus probable que la finance occupe une place importante dans l'économie, comme le montrent tant l'histoire financière que les comparaisons internationales. C'est une première explication à la résurgence des crises depuis deux décennies.
Finance : innovation et libéralisation Une seconde explication prend la suite de Joseph Schumpeter et de Charles Kindleberger pour insister sur le rôle des innovations réputées radicales dans l'occurrence de crises majeures. Dans la mesure où le capitalisme incite en permanence à l'innovation, périodiquement, certaines d'entre elles paraissent offrir des perspectives spécialement attractives en termes d'extension des marchés et des profits. Sur cette croyance, d'autres firmes suivent les innovateurs et s'endettent pour mettre en œuvre plus rapidement les nouvelles techniques de production et/ou vendre les nouveaux produits. Ce faisant, elles déclenchent une phase d'expansion que la spéculation financière, la distribution accrue de crédits par les banques, amplifie. Au point de provoquer à un moment l'apparition de surcapacités, d'où une réévaluation des perspectives de profit, l'apparition de mauvaises dettes et un retournement endogène de la conjoncture économique. Tel est le schéma qui est à l'origine de la plupart des crises financières contemporaines. Ainsi, la précipitation des banques après le premier choc pétrolier pour offrir des crédits au Mexique et aux autres pays du Sud, qui débouche sur une crise majeure. Autre type d'innovations, la libéralisation financière interne et l'ouverture aux mouvements de capitaux internationaux des économies asiatiques et latino-américaines ont déclenché autant de crises : asiatique en 1997, russe en 1998, argentine en 2001. Ce schéma concerne aussi les pays de longue tradition financière, ce dont témoignent l'éclatement de la bulle Internet aux Etats-Unis en 2000, mais aussi celle du
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La crise - CHAPITRE III
marché hypothécaire américain depuis 2007. Tant les innovations productives que les financières peuvent donc déboucher sur des crises majeures, et la période contemporaine en est riche. Enfin, un dernier facteur de crise n'est autre que la généralisation de la libéralisation financière et l'interdépendance croissante des systèmes nationaux. En effet, la levée des règlements qui codifiaient antérieurement l'allocation des crédits, en particulier la spécialisation des institutions financières, a suscité la multiplication des innovations à l'initiative des agents privés. Ces derniers ont invoqué la complexité des produits correspondants et la légitimité des profits tirés de ces innovations pour faire pression sur les pouvoirs politiques afin que ne soient pas introduites des réglementations et des normes encadrant leur activité. Une phase de spéculation s'est alors amorcée, au cours de laquelle les agents ont poussé jusqu'aux limites de la stabilité macroéconomique les perspectives de gains ainsi ouvertes.
Le retard de l'intervention publique C'est le retard de l'encadrement et de la réglementation de ces nouveaux produits financiers qui est en définitive l'une des explications de la répétition des crises contemporaines. En témoignent les crises jumelles - crise de change et crise bancaire - des pays asiatiques, l'effondrement du fonds spéculatif LTCM, d'Enron ou encore la crise actuelle. Dès lors, la maîtrise des crises fait apparaître la nécessité d'une certaine re-réglementation financière. N'est-ce pas retrouver les conclusions que les économistes et les responsables politiques avaient tirées de la crise des années 1930 ? Mais est-il possible de mener aujourd'hui à l'échelle internationale ce qui fut fait à l'époque à l'intérieur de chaque espace national ? ·
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Pourquoi les économistes n'ont rien vu venir La théorie économique dominante repose sur deux concepts majeurs, les anticipations rationnelles et les marchés efficients, qui ne permettent pas de penser les crises. Une remise en cause s'impose.
I
l était une fois, un monde économique merveilleux, dans lequel le chômage
involontaire était inexistant, les crises impossibles et la finance douce et bienfaisante. Un monde où la main invisible du marché engendrait la concorde générale et le bien-être pour tous. Où les seules catastrophes envisageables ne pouvaient venir que de l'Etat, accusé de vouloir se mêler de ce qui, fondamentalement, ne le regarde pas : le fonctionnement de l'économie de marché. Ce monde-là - imaginaire - est celui décrit par les théoriciens parmi les plus respectés de l'analyse économique contemporaine. A ce titre, ils ont reçu, pour la plupart, le prix de sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel de la Banque de Suède - dit « prix Nobel d'économie ». Et ils tenaient, il y a peu encore, le haut du pavé. Ils sont aujourd'hui nettement plus discrets. A l'abri de la ligne Maginot de leurs théories, il n'est même pas sûr qu'ils aient constaté que les Panzer de la crise étaient là : leurs équations les ont rendus aveugles et certains, un peu moins aveugles, soutiennent comme d'habitude que c'est « la faute à l'Etat ». Ce monde imaginaire, rose et rassurant, on y accède par deux mots magiques, dotés chacun d'un qualificatif : anticipations rationnelles et efficacité informationnelle.
Les anticipations rationnelles Le monde des anticipations rationnelles a été imaginé initialement par John Muth, un universitaire américain (décédé en 2005), mais c'est Robert Lucas (un autre économiste américain) qui, le premier, s'est emparé du mot (et de l'idée) pour bâtir une théorie économique. Laquelle est rapidement devenue dominante dans un monde - celui des années 1980 - où l'on se gaussait du keynésianisme et de son impuissance à stimuler autre chose que l'inflation. Robert Lucas raconte d'ailleurs que, lorsqu'on se mettait à évoquer l'analyse keynésienne, dans le monde de la recherche économique, « l'assistance se mettait à bavarder et à rire ». Le terme d'« anticipations rationnelles », qui fit la gloire et le succès de Lucas, ne signifie pas que les anticipations que chacun fait à propos de l'avenir se réaliseront, mais que, à un instant donné, chacun mobilise pour construire ces anticipations toute l'information existante. L'homme économique est calculateur et rationnel : il ne sait évidemment pas ce que sera l'avenir, mais il est capable de l'imaginer rationnellement, à partir de tout ce qu'il connaît, en s'appuyant non seulement sur les faits, mais aussi sur la théorie économique et les leçons de l'expérience. Evidemment, à tout instant, de nouvelles informations ou des événements viennent modifier la donne
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et donc les anticipations. Mais, à moins de supposer que ces informations nouvelles relèvent du « dessein intelligent » de quelque être suprême, leur arrivée dépend de phénomènes aléatoires, lesquels, justement parce qu'ils sont aléatoires, peuvent être générateurs de nouvelles anticipations plutôt à la hausse ou plutôt à la baisse. La politique économique ne sert donc à rien : si la puissance publique baisse les taux d'intérêt pour relancer l'activité, chacun en déduira qu'il y aura davantage de monnaie, donc davantage d'inflation, et aussitôt l'inflation se produira, annulant l'effet relance visé. Si la puissance publique décide de dépenser plus qu'elle ne prélève, chacun en déduira que les impôts à venir augmenteront et s'y préparera en épargnant davantage. Dans tous les cas, le désir étatique de régulariser les fluctuations du marché par une politique contra-cyclique échoue, alors à quoi bon persister dans cette voie sans issue ? Laissons le marché faire son œuvre, avec ses hauts et ses bas, personne ne fera mieux. Appuyé sur des mathématiques sophistiquées, l'apport de Lucas lui valut le prix de la Banque de Suède en 1995 : il avait prouvé que l'Etat ne sert à rien en matière économique, si ce n'est à perturber inutilement le jeu des acteurs. Lucas devint la nouvelle star des podiums de recherche économique.
Les marchés efficients Et la finance, dans tout cela ? Les subprime ( * ) , la titrisation ( * ) , les fonds spéculatifs et les bonus, coupables ou non coupables ? Non coupables, évidemment, Votre Honneur. Parce que les marchés financiers sont efficients ( * ) . Le marché est dit « efficient » si le prix exprime alors toute l'information connue des opérateurs et reflète parfaitement les caractéristiques du titre coté : son rendement attendu (ce qu'il devrait rapporter en LA T I T R I S A T I O N , LES
dividendes et en plus-value), le risque encouru, la
F O N D S S P É C U L A T I F S E T LES B O N U S ,
liquidité ( * ) (la capacité à pouvoir le revendre rapi-
L E S SUBPRIME,
COUPABLES OU N O N COUPABLES ?
dement et sans coût) et, enfin, ses caractéristiques
N O N COUPABLES, ÉVIDEMMENT !
fiscales (certains titres étant plus taxés que d'autres sur les revenus ou la plus-value). Si un marché est
efficient, les différences de cours entre deux titres sont le reflet exact des écarts entre les caractéristiques des titres cotés. Mais comment, alors, expliquer les énormes fluctuations de cours qui peuvent se produire ? Et les différences de cours d'un produit à l'autre ? Les fluctuations ne sont que la conséquence des nouvelles informations qui font que chaque acteur révise, à la hausse ou à la baisse, ses anticipations, provoquant ainsi des ventes ou des achats. Quant aux différences entre le rendement financier des différents titres cotés, il reflète le niveau de risque attaché à chacun : une action rapportera plus qu'une obligation d'Etat, parce que le risque qu'une entreprise fasse faillite est plus grand que le risque qu'il en soit de même pour un Etat. Le marché, parce qu'il est efficient, révèle ainsi le niveau de risque attaché à chaque titre financier : c'est ce qu'on appelle la « règle de Markowitz », du nom de Harry Markowitz (prix de la Banque de Suède en 1990), économiste
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américain qui l'a formulée... en 1952. Si une action rapporte davantage qu'une autre, c'est forcément qu'elle est plus risquée, avança William Sharpe, autre économiste américain (et colauréat du prix suédois en 1990). Enfin, pour couronner le tout, Robert Merton et Myron Scholes, américains eux aussi, furent couronnés en 1997 pour avoir montré que les produits dérivés ( * ) et les options sont un parfait système d'assurance permettant au propriétaire d'un titre de transférer le risque à un tiers, moyennant une rémunération proportionnée au risque dont le titre est porteur. Ainsi, acquérir une option d'achat sur une action déterminée permet à son détenteur d'être assuré qu'il ne paiera pas cette action plus d'un montant déterminé par l'option ; mais il lui en coûtera le prix de l'option : c'est sa prime d'assurance. De même, les marchés de produits dérivés permettent de s'assurer contre le risque de variations du prix d'une matière première, d'une devise, d'un taux d'intérêt, d'un panier d'actions, etc. : en achetant aujourd'hui le titre lié à chacun de ces produits, je m'assure contre le risque qu'ils augmentent ; et en le vendant, je m'assure contre le risque qu'ils baissent. Il m'en coûte chaque fois quelque chose, mais le marché financier cesse alors d'être un casino.
Une régulation
inutile
La seconde boucle est désormais bouclée : grâce à la rationalité des acteurs et à l'efficience des marchés, le rendement d'un titre révèle l'ampleur du risque encouru, et chacun peut alors, grâce à d'autres marchés financiers, s'assurer contre ce risque en le « refilant » à d'autres, qui sont rémunérés pour cela.
| La rationalité m i m é t i q u e Dans le chapitre XII de sa Théorie générale, Keynes, pour expliquer la façon dont les acheteurs sur les marchés financiers sélectionnent ces titres, utilise la métaphore du concours de beauté, qui est devenue célèbre : « La technique du placement [financierl peut être comparée à ces concours organisés par les journaux où les participants ont à choisir les six plus jolis visages parmi une centaine de photographies, le prix étant attribué à celui dont les préférences s'approchent le plus de la sélection moyenne opérée par l'ensemble des concurrents. Chaque concurrent doit donc choisir non les visages qu'il juge lui-même les plus jolis, mais ceux qu'il estime les plus propres à obtenir le suffrage des autres concurrents, lesquels examinent tous le problème faire comme tout le sous le même angle. » Bref, monde, ou comme ce que l'on pense être le comportement de la majorité, serait en réalité le mode de fonctionnement le plus fréquent sur les marchés financiers. Et c'est même le plus rationnel, explique André Orléan, l'un des économistes qui récusent l'hypothèse d'efficience informationnelle. Les investisseurs
opèrent en effet dans un contexte d'incertitude radicale, où l'enjeu, pour eux, consiste à prévoir les prix futurs. Or cette évolution dépend du comportement de tous les autres opérateurs. Le problème de l'investisseur est donc de savoir comment les autres vont réagir à un événement donné. C'est cela qui importe pour lui et non ce qu'il pense du niveau des « vraies valeurs ». S'il estime que le marché va monter, il achète, s'il estime qu'il va baisser, il vend, indépendamment de sa propre conviction sur la surévaluation ou la sous-évaluation des actifs. Ce comportement mimétique qui consiste à s'aligner sur l'opinion moyenne est parfaitement rationnel individuellement, mais peut se révéler désastreux collectivement puisqu'il provoque des bulles, et que ces bulles finissent par éclater. Même l'acteur qui a parfaitement identifié une bulle a intérêt à la suivre tant qu'il ne prévoit pas le déclenchement imminent du krach. Le marché est donc intrinsèquement inefficient, puisque le jugement de chacun n'engendre pas un optimum collectif, comme le voudrait la théorie libérale.
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La crise - CHAPITRE III
Aucune bulle spéculative ne peut naître - rationalité des acteurs oblige - et le marché permet à coup sûr de connaître le risque encouru. A quoi bon des régulateurs, des superviseurs et des contrôleurs ? Ce serait mettre des grains de sable inutiles dans les rouages bien huilés d'une finance où seule la prise de risque peut expliquer des gains plus élevés que la moyenne. La théorie des marchés efficients n'a pas besoin de l'Etat, et si les bulles existent, ce n'est pas la faute des marchés ou des opérateurs voraces, c'est parce que la politique monétaire américaine a mis trop de liquidités sur le marché, poussant les pauvres à s'endetter alors qu'ils n'en avaient pas les moyens. L'Etat, vous dis-je, c'est le grand fautif. · Denis Clerc
Les économistes remis en cause Depuis longtemps accusés d'être de tristes sires, les économistes se voient taxés d'incompétence depuis la crise des subprime, voire de malhonnêteté. L'attaque est rude, mais logique.
L par Jean Plsani-Ferry, directeur du Centre Bruegel et membre du Conseil d'analyse économique
es économistes n'ont pas attendu la crise pour avoir mauvaise presse.
Il leur était facilement reproché de se prendre pour des scientifiques, d'ignorer les faits sociaux, d'oublier les acquis des autres disciplines, d'idolâtrer le marché et de négliger les transitions et ce qu'elles comportent de souffrances. Même les hétérodoxes parmi eux finissaient par être vus comme porteurs de cette science sinistre. De cette triste réputation, nous avions fait notre bannière. Nos potions étaient amères, mais c'était preuve de leur nécessité. La hausse du chômage était le prix du contrôle de l'inflation. La réforme des retraites s'imposait pour préserver l'avenir. Il fallait choisir entre protection de l'emploi et création d'emplois. Si nous étions sinistres, c'est que nous étions sérieux et honnêtes. La crise a d'abord induit un procès en ignorance. On a découvert que spécialistes de la finance et macroéconomistes se parlaient peu ; que les premiers s'intéressaient peu aux crises et que si les seconds avaient tant annoncé une crise du dollar, et si peu une crise financière, c'est en bonne partie parce que la disponibilité des données les orientait vers les questions de change. Est venu ensuite le procès en filouterie. On n'a pas tardé à susurrer que si ceux qui connaissaient la finance n'avaient pas alerté, c'était parce qu'ils étaient capturés : que les uns étaient employés par des banques, et les autres consultaient pour l'industrie financière ; que la distance critique leur avait fait défaut et qu'en définitive les professeurs de vertu avaient fait preuve d'une complaisance coupable. Sommes-nous donc incompétents, malhonnêtes ou les deux à la fois ? Aussi excessif qu'il soit, le soupçon appelle une double réponse. La première est d'ordre intellectuel. Un réexamen s'impose, qui doit porter à la fois sur les paradigmes de l'analyse et sur l'organisation de la recherche. Le débat sur le premier point a été lancé avec fracas par Paul Krugman (voir
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- Alternatives Economiques - Hors-série poche n" 43 bis - avril 2010
encadré). Mais il est tout aussi important de réfléchir aux moyens de remédier aux conséquences néfastes de la spécialisation et de la compartimentalisation des perspectives qui en résulte. La seconde est d'ordre déontologique. Une profession si attentive aux incitations ne peut continuer à tenir les siennes propres pour négligeables. Il est parfaitement légitime qu'un économiste qui consulte pour telle ou telle entreprise, ou qui bénéficie de contrats de recherche finalisés, participe aussi au débat public. A condition qu'il soit transparent sur ses activités et se fixe la discipline de signaler tout conflit d'intérêt potentiel. Ce n'est pas toujours le cas. Nous aurions tort de nous rassurer en croyant que la crise nous rend indispensables. C'est vrai. Mais cela ne nous dispense pas du travail intellectuel et déontologique qui nous attend. ·
| Paul K r u g m a n c o n t r e les é c o n o m i s t e s Dans un imposant article paru dans le New York Times 111 Paul Krugman explique tout : le goût des économistes pour les « beaux » modèles (mathématiques), même s'ils sont faux empiriquement ; la fascination de la profession pour le marché libre, dieu vénéré ; la disparition des débats théoriques au cours des deux dernières décennies ; le mépris des libéraux pour les idées keynésiennes, considérées comme des « contes de fées » (quand ce sont des comptes de faits I) ; la croyance chevillée au corps dans I'« efficience des marchés » et le refus de croire à l'existence de bulles, etc. Krugman explique notamment que les libéraux qui ont dominé la discipline ces deux dernières décennies, au point de recevoir des « prix Nobel » et de faire disparaître de l'enseignement les Idées keynésiennes (et marxistes), sont beaucoup plus radicaux que Milton Friedman lui-même : le grand tueur de Keynes est, en effet, en comparaison, très... keynésien par rapport aux délires d'Eugene Fama (père de la théorie de l'efficience des marchés) ou de John Cochrane, tous deux professeurs de finance à la Business School de l'université de Chicago. Pour ces auteurs, s'il y a du chômage de masse.
c'est tout simplement parce que, les salaires étant plus bas, les salariés préfèrent ne plus travailler du tout, le travail n'étant plus suffisamment rémunérateur pour compenser l'effort qu'il leur coûte. En outre, pour eux, les récessions sont bénéfiques, elles permettent de purger l'économie des entreprises les moins efficaces : après la crise, l'économie repart, plus belle, plus propre, plus saine... Evidemment, pendant la crise, il y a des dizaines de millions de chômeurs, mais les économistes - dont le salaire n'est pas fonction de la qualité de leur analyse - n'en font pas partie. Ces affirmations sont absurdes. Mais, comme le relève Krugman, elles sont inévitables si vous faites l'hypothèse que les personnes sont rationnelles et que les marchés fonctionnent toujours efficacement. Or c'est notamment à cause de ces idées fausses (l'efficacité générale du marché ; l'inefficacité générale de l'Etat ; la nécessité d'équilibrer le budget de l'Etat, surtout en période de crise, en réduisant les dépenses publiques et en augmentant les impôts) que la crise des années 1930 a été aussi sévère. Gilles Raveaud 111 « How Did Economists Get It So Wrong ? », 2 septembre 2009.
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Hors-série poche n 43 bis - avril 201014
La crise -
HAPITRE
Minsky, une interprétation prémonitoire des crises La crise a fait redécouvrir les analyses de l'économiste américain Hyman Minsky sur l'instabilité intrinsèque du capitalisme. Celui-ci montre notamment que les crises sont d'autant plus sévères que la phase d'expansion précédente a été longue.
L par Dominique Plihon, professeur à l'université Paris-Nord, membre du conseil scientifique d'Attac
a crise financière a redonné vigueur aux analyses de John Maynard Keynes et de ses disciples, qu'il s'agisse de Charles Kindleberger et de son approche historique des crises, de John Kenneth Galbraith et de son interprétation de la crise de 1929, dont les échos nous sont particulièrement sensibles aujourd'hui, ou de Hyman Minsky, dont l'hypothèse d'une instabilité financière intrinsèque du capitalisme apparaît désormais prémonitoire. Fils de deux militants socialistes, Minsky a rédigé sa thèse sous la direction de Joseph Schumpeter et de Wassily Leontief, dont les visions globales du capitalisme eurent une grande influence. Ses nombreux travaux (une centaine d'articles) et son livre majeur, Stabilizing an Unstable Economy, publié en 1986, eurent un certain retentissement aux Etats-Unis. Ses séminaires à l'université de Berkeley, auxquels participaient des banquiers, lui permirent d'élaborer sa fameuse « hypothèse d'instabilité financière ».
un schéma d'analyse très keynésien Selon Minsky, qui reprend à son compte la vision pessimiste de la finance de Keynes, l'instabilité des marchés financiers est endogène, en d'autres termes elle est inhérente au comportement des acteurs financiers et des entreprises. Le principal mécanisme qui pousse l'économie capitaliste vers l'instabilité financière et vers les cycles économiques est l'accumulation de la dette par les entreprises. Minsky distingue trois types de comportements en ce qui concerne le financement des investissements : le financement couvert (hedgefinancing), dans lequel le paiement des intérêts et du principal de la dette est couvert par le rendement attendu de l'investissement ; le financement spéculatif [spéculative financing), où le rendement anticipé de l'investissement ne couvre que le paiement des intérêts, la dette étant constamment reconduite ; le financement à la Ponzi (Ponzi financing), où les revenus de l'investissement ne permettent même pas de couvrir les charges d'intérêt, la survie du projet dépendant de la possibilité de s'endetter encore plus, ou de vendre des actifs. Le terme Ponzi vient du nom de l'escroc (un précurseur de Madoff...) qui, dans les années 1920, a ruiné des épargnants bostoniens en leur proposant des rendements exceptionnels fondés sur un système de financement par cavalerie. Le fonctionnement des marchés est tel que les perspectives de gains financiers attirent inévitablement des acteurs spéculateurs et Ponzi, ce qui accroît la probabilité de crise. C'est exactement ce que Keynes voulait dire
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Alternatives Economiques - Hors-série poche n" 43 bis - avril 2010
dans le chapitre XII de sa Théorie générale, quand il écrivait : « Lorsque l'organisation des
marchés se développe,
l'activité d'entreprendre.
l'activité de spéculer l'emporte sur
»
L'hypothèse d'instabilité financière L'hypothèse d'instabilité financière, qui est au cœur de la théorie de Minsky, peut se formuler ainsi : le système financier est caractérisé par un mouvement alterné de phases de stabilité et d'instabilité du fait des interactions entre les différents types de comportements financiers. Ces basculements sont à l'origine des cycles économiques, c'est-à-dire des phases successives d'expansion et de récession. Dans la phase ascendante du cycle, le financement couvert l'emporte. Mais l'activité se développant, la vigilance privée et publique se relâche, l'endettement s'accélère, finançant des projets de plus en plus spéculatifs. La montée de la spéculation et de
L E S BULLES S ' E N C H A Î N E N T
l'endettement engendre des risques de hausses de
LES U N E S A U X A U T R E S À MESURE
prix importantes, ce qui amène les autorités mo-
QUE LA S P É C U L A T I O N SE D É V E L O P P E
nétaires à lutter contre l'inflation par une politique
ET D É G É N È R E EN F I N A N C E P O N Z I
restrictive. C'est alors que les unités spéculatives sont fragilisées et deviennent Ponzi. Celles-ci sont amenées à emprunter pour rembourser leur dette passée et pour payer leur charge d'intérêt. Puis elles commencent à vendre leurs actifs pour se financer, ce qui engendre une baisse des prix de ces actifs. Une défiance généralisée s'installe alors sur la valeur des actifs, ce qui entraîne un risque d'effondrement des marchés. La seule solution est une intervention en urgence de la banque centrale, agissant en tant que prêteur en dernier ressort ( * ) , pour apporter au marché la liquidité ( * ) dont il a besoin. L'observation des faits semble corroborer l'hypothèse d'une instabilité fondamentale de la finance proposée par Minsky. On constate en effet que l'économie mondiale a été frappée depuis la fin du XX e siècle par une succession ininterrompue de crises financières. Les pays capitalistes vont de bulle en bulle : à la bulle Internet, qui implosa en 2000, a succédé la bulle immobilière au début des années 2000, suivie de la bulle sur les matières premières à partir de 2007. Ces bulles s'enchaînent les unes aux autres à mesure que la spéculation se développe et dégénère en finance Ponzi. Enron, Worldcom, Vivendi-Universal... sont les acteurs Ponzi de la bulle Internet, tandis que Bear Stearns, AIG et Lehman Brothers sont les acteurs Ponzi associés à la bulle immobilière récente. On constate également que - conformément à l'intuition de Minsky - l'accumulation de la dette joue un rôle central dans le processus d'instabilité et de crises financières. C'est parce que les ménages américains ont contracté une dette excessive et sont devenus insolvables que la crise financière a éclaté en 2007. L'originalité de la crise actuelle, par rapport au processus décrit par Minsky, est que ce sont cette fois-ci les ménages (et non les entreprises) qui sont touchés par la crise de la dette. Les ménages américains se sont
Alternatives Economiques • Hors-série
poche n" 43 bis - avril 2010 • 149
La crise -
HAPITRE
comportés comme des agents Ponzi, dans la mesure où ils se sont endettés au-delà de leurs capacités. Plusieurs facteurs expliquent cette conduite. D'abord, la libéralisation financière, qui a amené les autorités américaines à supprimer les règles qui protégeaient les ménages contre le surendettement. Ensuite, le comportement de maximisation des profits des intermédiaires financiers, qui LORS DES PHASES D'EXPANSION
a conduit ceux-ci à proposer des produits financiers
L O N G U E S , LES DÉSÉQUILIBRES
plus innovants qui se sont révélés très pervers. C'est
ET L'ENDETTEMENT DEVIENNENT
le cas des prêts rechargeables à taux variables, qui
TRÈS IMPORTANTS ;
mettent en difficulté les emprunteurs dès qu'il y a
LA PHASE D'AJUSTEMENT
une hausse non anticipée des taux d'intérêt.
EST ALORS TRÈS VIOLENTE.
Or la Fed - la Fédéral Reserve, la banque centrale américaine - a agi exactement comme le prévoit
Minsky dans son schéma d'analyse. Celle-ci a augmenté brutalement ses taux directeurs à partir de 2004, pour essayer de freiner la montée de la dette et la hausse des prix immobiliers. Résultat : les ménages américains ont été pris à la gorge par la hausse de leurs charges financières indexées sur les taux d'intérêt. Les plus modestes sont devenus insolvables. Leurs maisons ont été mises en vente pour permettre aux banquiers d'être remboursés, ce qui a provoqué l'implosion de la bulle immobilière.
Expansion longue, chute brutale En fidèle disciple de Schumpeter qui s'intéressait aux cycles longs du capitalisme, Minsky a développé une approche à long terme du processus d'instabilité financière qui apparaît particulièrement adaptée à la crise actuelle. L'idée de départ est simple : lorsque les économies capitalistes connaissent des phases d'expansion longues, les déséquilibres et l'endettement deviennent très importants, et la phase d'ajustement est alors très violente. Exprimé autrement : les cycles économiques courts (de quelques années seulement) sont utiles pour assainir les économies, dans la mesure où chaque phase de ralentissement permet d'éliminer les unités les plus fragiles (en particulier les acteurs Ponzi). Mais moins les ajustements sont nombreux, plus ils sont profonds. Or que constate-t-on ? Depuis le début des années 1980, les principales économies (en particulier les Etats-Unis) ont connu une phase de croissance particulièrement longue, avec seulement deux épisodes de ralentissement, au début des années 1990 et des années 2000. Ce qui contraste fortement avec les décennies antérieures qui avaient été caractérisées par des cycles beaucoup plus fréquents. Les économistes expliquent le plus souvent cette atténuation récente des cycles conjoncturels par des politiques économiques (monétaires et budgétaires) devenues durablement accommodantes. Ainsi, on a assisté à une baisse spectaculaire des taux d'intérêt (nominaux), que les banques centrales ont favorisée à mesure que l'inflation ralentissait dans la plupart des pays depuis les années 1980. Mais, symétriquement, le niveau d'endettement des ménages a fortement augmenté, passant, de 1980 à 2005, d'environ 35 % à 85 % du revenu disponible dans les pays de l'Union européenne.
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L'analyse de Minsky jette un éclairage particulièrement lumineux sur la crise actuelle. Sa gravité serait la conséquence de la phase exceptionnellement longue d'expansion depuis le début des années 1980, qui a vu s'accumuler des déséquilibres qui n'ont pas été corrigés, en particulier l'accumulation d'une dette excessive des ménages. Lorsque les économies connaissent des phases d'expansion longues, des comportements optimistes, socialement construits donc largement répandus, se mettent en place, qui tendent à sous-estimer les risques et conduisent inévitablement à des structures financières très fragiles. Ce qui conduit à une brutalité du retournement de l'économie au moindre choc, par exemple suite à une hausse des taux d'intérêt décidée par les autorités monétaires. La conclusion que Minsky tirait de son analyse, et qui est d'une grande actualité, est que les autorités ne peuvent plus se contenter de réguler le crédit par le seul instrument des taux d'intérêt. Celles-ci doivent mettre en œuvre une réglementation financière stricte. Et les Etats doivent aussi négocier leur aide aux banques contre un rôle actif, voire un contrôle public, du secteur financier. N'est-ce pas en ces termes que se pose aujourd'hui la question de l'avenir du système financier ? ·
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Hors-série poche n 43 bis - avril 2010 1
La crise -
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Réguler la mondialisation
Le m o n d e qui sort de la crise est davantage multipolaire, mais pas forcément plus gouvernable. Si les Etats semblent décidés à mieux encadrer la finance, ils ne sont en revanche pas prêts à m i e u x coordonner leurs politiques économiques ni à fonder un s y s t è m e monétaire international cohérent pour remplacer l'hégémonie du dollar.
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Vers une gouvernance mondiale ? En septembre 2009, le sommet de Pittsburgh a fait du G20 la nouvelle instance de coopération économique mondiale. Il a ainsi consacré la reconnaissance des pays émergents dans un monde désormais multipolaire. Cependant, le principe de souveraineté nationale a encore de beaux jours devant lui.
L
a crise économique et l'élection de Barack Obama aux Etats-Unis ont ramené la notion de gouvernance mondiale au cœur du débat. Une notion qui renvoie à l'idée d'un monde multipolaire et à la reconnaissance du pouvoir des grands Etats dits émergents (Chine, Inde, Brésil, etc.).
Des signes d'émergence Le sommet de Pittsburgh, en septembre 2009, a ainsi institutionnalisé le G20, dont les Etats membres représentent quelque 90 % du produit intérieur brut (PIB) de la planète. Il l'a fait aux dépens du G8, qui regroupait uniquement les pays occidentaux, la Russie et le Japon. Cette reconnaissance du G20 comme nouvelle instance de coopération économique mondiale, se réunissant deux fois par an, reflète la réalité du pouvoir aujourd'hui. Il était également dans l'ordre des choses que le sommet de Pittsburgh décidât d'une réforme du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Le transfert d'au moins 5 % des quotes-parts du FMI aux pays émergents, ainsi que l'augmentation d'au moins 3 % des droits de vote des pays en voie de développement au sein de la Banque mondiale sont des signes d'émergence de la nouvelle gouvernance mondiale.
par Christian Lequesne, directeur du Ceri
I Le G20, u n e institution r é c e n t e p r o m i s e à un bel a v e n i r Tout a commencé au lendemain du choc pétrolier de 1973, avec la naissance du G6 en 1975, qui réunit les Etats-Unis, le Japon, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l'Italie, auxquels s'ajoutent le Canada en 1976 (G7) et la Russie en 1998 (G8). Cette instance de concertation, et non de décision, se réunit à tour de rôle dans chacun des pays membres, selon un ordre du jour fixé par le pays invitant. Force est de reconnaître que cette instance n'a pas réellement fait la preuve de sa capacité à engager des politiques économiques coopératives et coordonnées. Elle a toutefois joué un rôle important en intervenant fortement dans le domaine financier : en 1985, pour faire baisser progressivement et sans panique le taux de change du dollar qui était monté jusqu'à des niveaux très excessifs (l'équivalent de 1,80 euro) ; en 1987, pour empêcher que le krach
boursier ne dégénère en crise financière ; en 1995, à l'appel du FMI, pour venir au secours du Mexique. En 1999, le G8 a suscité la création d'un forum économique avec un ensemble de pays émergents, en raison de la place croissante que ces derniers occupent dans le commerce international. Ce forum, appelé G20, comprend, outre les pays du G8 (qui subsiste par ailleurs), le président du Conseil européen en exercice (si bien que l'Union européenne est représentée en temps que telle), ainsi que l'Afrique du Sud, l'Arabie Saoudite, l'Argentine, le Brésil, la Chine, la Corée du Sud, l'Inde, l'Indonésie, le Mexique, la Turquie et l'Australie. Les réunions de novembre 2008 et d'avril 2009 ont été consacrées à la crise financière et elles se tenaient pour la première fois au niveau des chefs d'Etat.
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La crise - CHAPITRE I
Le pouvoir rémanent des Etats Il n'en reste pas moins qu'il ne faut pas surestimer ce que le G20 pourra faire à l'égard d'Etats (et en particulier les émergents) qui restent animés par le bon vieux principe de la souveraineté nationale. Cela est particulièrement vrai pour la régulation du système financier international. Si le G20 a appelé à un encadrement renforcé des traders et des banIL N'EXISTE PAS AUJOURD'HUI
quiers, en demandant que leurs rémunérations
DE GOUVERNEMENT SUPRANATIONAL
soient liées aux performances de long terme plutôt
CAPABLE D'EXERCER UN POUVOIR
qu'aux prises de risque de court terme, la mise en
DE COERCITION MONDIAL,
œuvre de ces principes reste entre les mains de
NI MÊME RÉGIONAL
superviseurs nationaux.
Il n'existe pas aujourd'hui de gouvernement supranational capable d'exercer un pouvoir de coercition mondial, ni même régional. L'Union européenne en est le seul embryon, bien qu'elle soit soumise elle aussi aux limites de la souveraineté des Etats. Quel sera ainsi le pouvoir de contrainte des autorités européennes de supervision des marchés financiers, bancaires et de l'assurance - qui devraient voir le jour cette année - que le gouvernement britannique, soucieux de préserver l'indépendance de la City, a acceptées en freinant des quatre fers ? La récente crise financière renvoie finalement à une question bien classique de la théorie des relations internationales : celle du pouvoir rémanent des Etats en tant que communautés politiques légitimes, alors que les problèmes à traiter sont de plus en plus mondiaux. Et ce qui est vrai des marchés financiers l'est tout autant du changement climatique.
Des formes d'engagement Il est certainement vain de rêver d'un gouvernement mondial. En revanche, il faut espérer une meilleure coordination mondiale des Etats (c'est cela, le sens du mot gouvernance), car les déclarations conjointes finissent par créer parfois des formes d'engagement. Sans doute peut-on aussi estimer que la « société mondiale », notion chère à l'école anglaise des relations internationales, est moins une illusion aujourd'hui qu'il y a cinquante ans. Dans un monde où les échanges sont intenses, syndicats, organisations non gouvernementales (ONG) et citoyens, qui diffusent sur leurs blogs des diagnostics communs des besoins du monde, ont acquis le pouvoir de contraindre davantage les Etats à converger. ·
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La finance est-elle sous contrôle ? Ministres des Finances et banquiers centraux semblent vouloir aller loin dans l'approfondissement du contrôle des banques. De son côté, la régulation des marchés de produits dérivés, des fonds spéculatifs et des paradis fiscaux avance également, mais trop mollement. Le chantier de la régulation de la finance ne doit pourtant pas s'arrêter à mi-chemin.
L
a faillite de Lehman Brothers a conduit le système bancaire mondial au bord du gouffre. Les ministres des Finances et les banquiers centraux ne veulent plus revoir cela. Ils ont donc ouvert en 2009 de nombreux chantiers de régulation susceptibles de transformer radicalement le paysage réglementaire et l'activité des banques. Nombre de propositions étaient déjà dans les cartons. Il y a en effet plusieurs années que la Banque des règlements internationaux (BRI), le club des banquiers centraux, prévenait de l'imminence d'un dérapage. Aussi, dès l'automne 2008, quelques semaines après la panique liée à la faillite de Lehman Brothers, ses experts ont-ils présenté plusieurs projets de régulation, comme s'ils n'avaient attendu qu'une bonne occasion de les mettre en avant. Au niveau des grands principes, ces projets ont été validés politiquement par le G20 réuni à Londres en avril 2009.
Ces propositions ont été affinées six mois plus tard à la réunion de Pittsburgh. Exprimées dans un charabia technique impénétrable pour le commun des mortels, elles sont invendables auprès des opinions publiques. Les chefs d'Etat préfèrent alors parler des bonus des traders... Certes, le sujet n'est pas sans importance : mieux vaut que les principes de rémunération des grands spéculateurs ne les incitent pas à prendre des paris insensés, très rémunérateurs en cas de gains, sans avoir à en subir les conséquences en cas de perte ! Fini les bonus garantis sur plusieurs années ; moins de paiement en cash et plus en actions pour intéresser les traders à l'avenir de leur entreprise, etc. Rien de bien révolutionnaire en fait. Notamment pour les grandes banques françaises qui appliquaient déjà ces principes. Mais l'essentiel n'est pas là. Les bonus des traders ne sont que la partie émergée de l'iceberg des profits bancaires : lorsqu'un pari spéculatif est gagné, la règle est 20 % pour le trader et 80 % pour la banque. Les traders ont certes profité du boom spéculatif pour réclamer davantage : en présentant ses résultats pour 2009 en février 2010, BNP Paribas a avoué qu'avant la crise, ses traders se voyaient redistribuer 40 % des profits réalisés sur les marchés financiers.
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La crise -
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Mais si l'on veut limiter l'excès de rémunération des traders, il faut les empêcher de dégager des revenus faramineux en prenant des paris risqués. Ce qu'il faut donc, c'est encadrer directement l'activité des institutions financières. Du côté des banques, les régulateurs, adoubés par les chefs d'Etat à Pittsburgh, n'y vont pas avec le dos de la cuillère. Un nouveau cadre réglementaire plus contraignant est bien en train de se mettre en place. Mais mieux encadrer les banques ne suffit pas, il faut aussi limiter leur terrain de jeu. Or le contrôle des risques liés aux produits dérivés, aux fonds spéculatifs et aux paradis fiscaux avance lentement. Tour d'horizon de l'état des grands chantiers en cours.
1. La stabilité financière, nouvelle mission des banques centrales Jean-Claude Trichet, le gouverneur de la Banque centrale européenne (BCE), le répète souvent : son objectif premier est d'assurer la stabilité des prix. Comprenez la stabilité des prix des biens, ceux que vous achetez dans votre supermarché. Pas celle du prix des actions en Bourse, des maisons et de tous les produits financiers sophistiqués avec lesquels jouent les banquiers, les fonds spéculatifs, etc. Jusqu'à présent, les banquiers centraux disaient même qu'ils n'avaient pas à se préoccuper de ces prix-là, car dans une économie où l'inflation des prix des biens est maîtrisée, tout le monde est tellement confiant dans l'avenir qu'il ne
[ La g o u v e r n a n c e f i n a n c i è r e m o n d i a l e s'organise La crise des subprime entraîne une vaste réorganisation de l'architecture des institutions en charge de la régulation financière internationale. Tout en haut, se trouve désormais le Financial Stability Board (FSB), le Conseil de stabilité financière. Il est l'héritier du Forum de stabilité financière, créé après la crise asiatique de 1997-1998 pour mieux surveiller la finance... Cette fois, le FSB - qui rassemble les banques centrales, les régulateurs des banques, des Bourses, des assurances, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque des règlements internationaux (BRI) et les ministères des Finances - a pris un poids technique et politique important. Comme l'avouait récemment un haut fonctionnaire de Bercy, « c'est là que ça se passe ». Chaque pays devra ensuite traduire concrètement les évolutions décidées. Ce qui, là encore, provoque en ce moment de grands changements. Un nouveau Conseil européen du risque systémique (Cers) a été créé et doit devenir opérationnel cette année. Dominé par les banques centrales, il a en charge la surveillance des risques qui pèsent sur la stabilité du système financier européen dans son ensemble (politique macroprudentielle). A ses côtés, un système européen de surveillance finan-
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cière (SESF) observe les établissements financiers (politique microprudentielle) en coordonnant un réseau de superviseurs nationaux, en coopération avec trois nouvelles entités européennes de contrôle des banques, des assurances et des Bourses. Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale a dû accepter en octobre 2009 de ne pas devenir le régulateur financier central. Les membres du Congrès ont en effet refusé, en raison de ses responsabilités dans la crise, une nouvelle architecture du système de contrôle qui lui faisait la part belle. Une sorte de conseil du risque systémique coordonnant un grand nombre de régulateurs financiers américains devrait donc être instauré cette année sous la direction du secrétaire au Trésor, l'équivalent américain du ministre des Finances. Toutes ces nouvelles autorités publiques doivent encore trouver leur place. Une chose est sûre : les grands Etats créent les institutions à même d'assurer de manière coordonnée et pérenne une surveillance verticale (du local au mondial) et horizontale (des banques aux marchés) de la finance mondialisée. Reste à savoir s'ils iront jusqu'au bout de leur démarche. Ch. Ch.
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peut y avoir que de petits mouvements d'agitation sur les marchés financiers. Manque de chance, la crise de la nouvelle économie à la fin des années 1990 et celle des subprime sont venues montrer que l'on pouvait avoir en même temps une inflation parfaitement maîtrisée et des bulles sur le prix des actifs. Et quand elles éclatent, elles provoquent de sérieux dégâts. Le G20 en a pris acte. D'abord institutionnellement, en donnant des responsabilités élargies au Forum de stabilité financière (FSF), désormais renommé Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board, FSB). « Le rôle du FSB sera de construire une doctrine commune des grandes banques centrales en matière de politique macroprudentielle, telle que le principe en est affirmé par le G20 », commente Michel Aglietta, professeur à l'université Paris-Ouest. Macroprudentiel : le gros mot est lâché. Traduction : « Cela veut dire que les banques doivent en permanence être en alerte face aux dérapages de la distribution de crédits dans leur économie », explique l'économiste. En effet, les crises financières de grande magnitude sont celles où les banques ont nourri les dérapages par une distribution inconsidérée de crédits. D'où l'idée de définir une progression « normale » du crédit dans une économie, en fonction de son potentiel de croissance. Puis de repérer le moment où le crédit s'emballe et devient excessif au regard de cette norme, signe que les banques sont sûrement en train d'alimenter une bulle spéculative. L'étape suivante
I Les d e u x a p p r o c h e s du c o n t r ô l e d e s b a n q u e s Jusqu'à présent, le contrôle des banques était « microprudentiel » : il s'agissait de vérifier que chaque banque prise individuellement était en bonne santé et avait mis assez d'argent de côté (du capital) pour faire face à d'éventuels problèmes. Ce genre de supervision repose sur l'idée que les gros problèmes que peuvent rencontrer les établissements financiers viennent surtout de l'extérieur du système financier (un ralentissement de la croissance qui empêche les emprunteurs de rembourser leurs prêts, une poussée d'inflation qui secoue les marchés, etc.) et que les relations entre les acteurs financiers ne représentent pas un enjeu crucial du moment que chaque banque est bien gérée.
Avec la crise des subprime, cette approche a montré toutes ses insuffisances. En dépit du fait que Lehman Brothers était loin d'être le plus gros acteur des marchés, sa faillite, de par les milliers de transactions dans lesquelles elle était engagée avec les autres acteurs, a créé un mois de panique qui a failli emporter l'ensemble du système bancaire américain et mondial. Que les banques aient été bien protégées individuellement ou pas, elles ont toutes failli y passer. C'est ce qu'on appelle le risque systémique : un problème local peut devenir global et menacer l'ensemble du système. D'où la nécessité de mettre également en place un contrôle macroprudentiel.
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consiste alors à pointer les établissements financiers qui participent à cette bulle et à leur imposer de mettre davantage de capital de côté pour faire face à l'accroissement des risques qu'ils sont en train de prendre. Ce qui cassera la rentabilité des crédits, les fera diminuer et crèvera la bulle avant qu'elle ne devienne importante. En pratique, la chose est délicate à mettre en place. Comment définir une progression « normale » de crédits ? Comment savoir si les crédits distribués par telle ou telle banque alimentent ou non un risque systémique ? Qui, en Europe notamment, se verra doté du pouvoir d'imposer à tel ou tel établissement bancaire d'augmenter ses contraintes en capital ? Il faudra encore plusieurs mois pour rendre opérationnelle cette nouvelle politique qui porte en germe un contrôle public de la dynamique de distribution de crédits par les banques.
2. Faire payer les banques plutôt que les contribuables Les banquiers peuvent dormir tranquilles : la panique qui a suivi la faillite de Lehman Brothers a été telle qu'aucun gouvernement, confronté à une nouvelle crise, ne prendrait le risque de laisser tomber un établissement important par la taille ou par ses connexions à d'autres établissements. C'est ce que les économistes appellent l'aléa moral : les grosses banques, les gros fonds spéculatifs, les grosses compagnies d'assurances savent désormais qu'ils peuvent prendre les paris les plus fous : en cas de pépin, les pouvoirs publics seront toujours là pour leur porter secours. Les contribuables paieront. Une véritable incitation à la débauche... Il faut donc les contraindre à la prudence. Comment ? Au moyen d'une politique microprudentielle cette fois, c'est-à-dire qui encadre chaque établissement individuellement. Les régulateurs vont d'abord leur demander de mettre davantage de capital de côté quand tout va bien. Il s'agit de freiner l'exubérance de crédits dans les phases d'euphorie, mais aussi de constituer des réserves plus importantes pour faire face aux retournements de conjoncture. On a bien vu, dès 2007, les difficultés des banques à lever du capital supplémentaire pour éponger leurs pertes et rééquilibrer leur bilan. Les investisseurs n'étaient plus très chauds pour mettre leurs billes dans des entreprises en difficulté. L'idée est donc de demander aux banques de renforcer leur capital plus tôt, quand tout va bien, pour faire face aux problèmes éventuels de demain.
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Les banques devront également améliorer la qualité de leurs fonds propres. En effet, « la notion de fonds propres était devenue assez floue », constate Michel Aglietta. On comptait non seulement le capital stricto sensu, c'est-à-dire les fonds apportés par les actionnaires, mais aussi certaines obligations de long terme, notamment des « titres hybrides » ( * ) . Or le ratio de fonds propres (capital/prêts) imposé aux banques par la BRI était de 8 %, mais le sous-ratio mettant en rapport les engagements de la banque et ses fonds propres « durs », c'est-à-dire son capital au sens strict, n'était que de 4 %. La crise a balayé toutes ces subtilités. D'abord, la BRI devrait porter ce sous-ratio de 4 % à 8 %, la norme minimale qui est en train de s'imposer sur les marchés; Ensuite, elle entend mettre en œuvre un nouveau ratio de levier « pur », rapport entre le total de l'activité des banques et leurs fonds propres. Au Canada, ce ratio réglementaire est fixé à 20. Juste avant la crise, il se situait à 30 pour certaines banques commerciales américaines et européennes et à 40 pour les banques d'investissement. Comme l'a indiqué clairement Jean-Claude Trichet, l'objectif d'un tel ratio est de « freiner la croissance excessive des bilans ». Toutes les grandes banques savent donc désormais que si elles veulent continuer à prêter ou à jouer sur les marchés, elles devront accroître sérieusement le montant de leur capital. Plusieurs d'entre elles, aux Etats-Unis, en Suisse et en France, ont pris les devants. D'autres prennent déjà du retard. L'addition de toutes les nouvelles mesures étant coûteuse, les régulateurs ont promis de ne pas les mettre complètement en œuvre avant 2012 et les négociations vont bon train entre régulateurs publics et grandes banques privées. Tout n'est donc pas réglé. Appliquer ce nouveau champ réglementaire de manière identique partout dans le monde suppose notamment que toutes les banques comptabilisent leurs activités de la même façon. Or la convergence des systèmes comptables et prudentiels entre les Etats-Unis et l'Europe est loin d'être acquise. Par exemple, le ratio de levier pur de la BRI devrait s'appliquer en Europe à toutes les activités des banques, y compris le hors-bilan, mais pas aux Etats-Unis, pays dont les banques n'appliquent toujours pas les règles de la BRI liées aux fonds propres (les Américains ont promis de les mettre en œuvre rapidement).
3. Les banques peuvent aussi mourir En cas de panique généralisée, il y a peu de chances que, quel que soit le niveau de capital accumulé, celui-ci s'avère suffisant. Si l'Etat n'accepte plus de laisser un gros établissement faire faillite, les contribuables devront toujours en être de leur poche. D'où l'idée - subtile - de faire comprendre aux banques que s'il n'est pas question de les abandonner à leur sort au vu des dégâts que cela provoque, il est tout à fait envisageable de les liquider rapidement sans que cela pèse trop sur la bonne marche du système de crédit, et donc de l'économie. Et tant pis pour leurs actionnaires. Pour faciliter leur liquidation, les banques devront écrire un « testament » (living wills). Autrement dit un document dans lequel elles clarifient l'ensemble
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de leur structure capitalistique, afin de permettre un dénouement aisé de toutes les transactions et un dépeçage rapide de la bête. En effet, ce que l'on appelait « la » banque Lehman Brothers, dont la faillite a déclenché la crise en septembre 2008, était en fait composée de près de 3 000 entités juridiques différentes entre lesquelles se nouaient d'incestueuses connexions. Avec pour objectifs, premièrement, de faire apparaître les profits dans les filiales les moins taxées et ainsi d'éviter de payer des impôts, et, deuxièmement, de masquer les risques. Résultat : un an après la faillite de Lehman Brothers, le cabinet d'audit PricewaterhouseCoopers, mandaté pour démêler l'écheveau des créances et des dettes de la seule filiale londonienne, a annoncé qu'il lui faudrait trois ans pour mettre tout à plat et une dizaine d'années pour tout régler ! Connaître avec précision l'organisation d'une banque permettrait aux autorités publiques de repérer rapidement quelles entités de l'établissement continuent à bien se porter, quelles parties sont essentielles au bon fonctionnement de l'économie et doivent être aidées, et lesquelles sont au bord du gouffre et peuvent être mises en faillite aux frais des actionnaires. En gros, ne soutenir que les activités de banque commerciale et leurs crédits à l'économie, et laisser tomber les parties spéculatives. C'est une sorte de retour discret du Glass-Steagall Act, la loi américaine de 1933 qui imposait une distinction entre les activités de banque de détail et celles de banque d'affaires.
4. incertitudes sur les produits dérivés Un vrai contrôle de la finance internationale ne peut s'arrêter aux banques. Si celles-ci, via les crédits qui nourrissent les bulles, sont des acteurs clés des dérapages de la finance, elles ne sont pas les seules. Les fonds spéculatifs, qui empruntent beaucoup pour jouer, généralement en toute opacité, peuvent être demain à l'origine de gros ennuis. Banques et fonds posent d'autant plus problème que leur terrain de jeu, les marchés de produits dérivés, est très mal contrôlé. Et si les paradis fiscaux ont été fortement attaqués comme
J La m i s e en place de contre-pouvoirs dans les b a n q u e s est toujours en attente « La meilleure réglementation n'arriveracontrôleà des rienrisques si et les comités de rémunération sous la responsabilité de la le problème de la gouvernance n'est pasdevraient surmontéêtre placés », estime l'économiste Michel Aglietta. Pour lui, les présidence du conseil d'administration, de sorte prises de risques excessifs comme les rémunérations qu'ils ne soient pas « capturés » par les dirigeants extravagantes des traders et des dirigeants des opérationnels. banques sont le symptôme de la capture du pouvoir Pour avancer dans ce domaine, Michel Aglietta par un petit groupe. Elles traduisent un problème compte sur le réveil des investisseurs institutionnels majeur : l'absence de contre-pouvoir organisé dans - assurances, fonds de pension, etc., qui sont les les banques, ici, plus encore qu'ailleurs, le principe actionnaires dominants des banques - pour se metde la valeur actionnariale (le contrôle des action- tre à exercer un réel contrôle des dirigeants opéranaires sur les dirigeants) a failli. tionnels, avec une priorité donnée aux performances Pour ne pas retomber dans de nouvelles dérives, de long terme. Ce qui implique entre autres un chanil faudrait des administrateurs vraiment compétents, gement des politiques de rémunération à la performais surtout une présidence d'établissement sépa- mance, dans le calcul des bonus et les conditions Sandra Moatti rée de la direction opérationnelle. Les acteurs du d'exercice des stock-options.
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sources d'évasion et de fraude fiscales, leur rôle déstabilisateur n'a pas encore été complètement reconnu. Indéniablement, sur ces trois dossiers - fonds spéculatifs, produits dérivés, paradis fiscaux -, la régulation avance. Mais de manière encore trop floue et incertaine. Un meilleur contrôle des risques liés aux marchés financiers passe d'abord par un encadrement du fonctionnement des marchés de produits dérivés ( * ) . Impossible en effet aujourd'hui de savoir avec précision qui prend des risques sur ces marchés et à quelle hauteur. Car la très grande majorité des transactions s'y effectue de gré à gré, c'est-à-dire de manière bilatérale et opaque entre acteurs financiers. Ainsi, au moment de la faillite de Lehman Brothers, les opérateurs de marché pensaient qu'il y avait en circulation pour 400 milliards de dollars de CDS ( * ) sur Lehman. La surestimation de ce montant a conduit à la panique des investisseurs, car chacun craignait de nouvelles faillites bancaires à la suite de Lehman Brothers. En fait, il n'y en avait que 72 milliards en circulation. Et au final, une fois éliminés les contrats redondants (A doit à B, qui doit à C), un solde de 6 milliards de dollars, qui a été effectivement payé par les vendeurs de CDS. Les régulateurs veulent rendre ces marchés plus
S I LES B A N Q U E S , V I A LES C R É D I T S
transparents : sur les volumes échangés, sur les
QUI N O U R R I S S E N T LES BULLES,
prix pratiqués, sur les risques pris. Pour cela, ils
S O N T DES ACTEURS CLÉS
souhaitent que les échanges s'organisent de plus
DES DÉRAPAGES DE LA FINANCE,
en plus au sein de chambres de compensation,
ELLES NE S O N T P A S LES SEULES
des institutions privées dont les acteurs financiers sont les actionnaires et qui jouent le rôle de notaires enregistrant les transactions. Elles veillent à ce que tous les joueurs aient de quoi payer au cas où ils perdraient leurs paris. A cette fin, elles leur demandent de déposer du cash ou des actifs financiers, ce que l'on appelle un « collatéral ». Enfin, elles se portent garantes si l'un des joueurs fait faillite ou ne peut payer les autres. Les régulateurs devront alors surveiller qu'elles aient assez de capital pour faire face à une crise éventuelle. Bien entendu, passer par une chambre de compensation coûte plus cher puisqu'il faut laisser des garanties dont le montant est réévalué chaque jour en fonction de l'évolution des marchés. De quoi accroître le coût de la spéculation. Les acteurs financiers font donc de la résistance, au motif que leurs produits financiers sont à ce point sur mesure qu'il est difficile de fixer le montant adéquat du collatéral, car il n'y a pas de marché de référence pour ces produits très sophistiqués. La Banque des règlements internationaux évoque alors l'idée d'un registre des transactions, obligatoire, qui lui permettrait quand même de mieux savoir qui prend quels risques et à quelle hauteur. L'avenir de la régulation des marchés de produits dérivés n'est pas encore écrit. En décembre 2009, la Chambre des représentants a voté aux Etats-Unis un texte allant dans le sens de cette nouvelle organisation des marchés. Le Sénat doit débattre du sujet et il faudra plusieurs mois aux parlementaires américains pour se mettre d'accord. L'Europe souhaite avancer dans le même sens. Compte tenu des importants profits réalisés sur ces marchés,
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La crise - CHAPITRE I
les acteurs financiers exercent depuis l'an dernier un puissant lobbying des deux côtés de l'Atlantique pour tenter de limiter la portée de ces nouvelles régulations.
5. Bataille autour des fonds spéculatifs L'industrie des fonds spéculatifs a fait partie des perdants de la première année de crise. 10 % de ces fonds ont été emportés dans la tourmente. Ceci explique peut-être pourquoi leur régulation ne fait pas partie des priorités mondiales. Ils n'ont cependant pas été oubliés. La définition des politiques macroprudentielles (voir point 1) inclut la surveillance des gros fonds susceptibles de mettre en péril par leur défaillance l'ensemble des systèmes financiers. Reste le problème de ceux qui, individuellement, sont trop petits pour que leur faillite individuelle ait un impact global, mais qui agissent comme un groupe moutonnier : « En cas de crise et de difficulté lement de leurs financements,
à obtenir un renouvel-
ils vendent tous ensemble les mêmes actifs,
au
même moment, pour obtenir de la liquidité », met C Ô T É AMÉRICAIN, LE DÉBAT SUR LA POSSIBILITÉ D ' E N C A D R E R
en garde Michel Aglietta. Côté américain, le débat sur la possibilité d'en-
D I R E C T E M E N T LES F O N D S
cadrer directement les fonds spéculatifs n'avance
SPÉCULATIFS N'AVANCE PAS
pas, mais le président Barack Obama a présenté en janvier 2010 un projet de loi visant à interdire à
toutes les banques qui bénéficient d'une garantie publique de pouvoir « détenir, investir ou soutenir » un fonds spéculatif ou de private equity (*). Sous l'impulsion notamment de la France, l'Europe a avancé plus vite avec un projet de directive présenté par la Commission européenne en avril 2009. Mais ce projet n'envisage que de contrôler les gestionnaires des fonds et pas les fonds eux-mêmes : il laisse ainsi la porte ouverte aux acteurs opaques domiciliés dans les paradis fiscaux. Cela n'empêche pas les fonds installés à Londres de se battre contre le nouveau pouvoir de régulation qui serait donné à la Commission : une bataille d'influences s'est engagée entre la City, le Parlement européen, le Conseil des ministres et la Commission, dont on connaîtra le résultat dans le courant de cette année.
6. Paradis fiscaux : une régulation insuffisante La lutte contre les paradis fiscaux lancée par le G20 en 2009 est paradoxale. Les pays du G20 ont su forcer ces territoires à lever en partie leur secret bancaire pour mieux traquer l'argent des riches individus fraudeurs, mais ils n'ont pas voulu s'attaquer aux pratiques fiscales douteuses des multinationales, ni aux 111 Rapport sur les prélèvements obligatoires des entreprises, disponible sur www. ccomptes.fr/fr/ CPO/documents/ divers/Rapportprelevementsobligatoiresentreprises.pdf
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activités des institutions financières. Chercher à mettre la main sur des recettes fiscales en période de fort déficit budgétaire est compréhensible. Mais alors, pourquoi s'arrêter aux particuliers alors que les pratiques des entreprises représentent de l'avis des experts des sommes beaucoup plus importantes ? En France, par exemple, selon un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires de la fin 2009 M l , les entreprises françaises sont très loin de payer le taux officiel d'imposition
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de leurs bénéfices, fixé à 33,3 %. Leur taux d'imposition effectif (les impôts sur les bénéfices ramenés à l'excédent net d'exploitation) se situe en effet en moyenne à 18 %. Et à 8 % seulement pour les entreprises du CAC 40 ! Le G20 ne s'est pas mobilisé contre ce genre de pratiques. Le RoyaumeUni mène pourtant une bataille politique intéressante en la matière, avec la promotion d'une comptabilité pays par pays. Pour chaque territoire où elles sont installées, les grandes entreprises devraient communiquer leur chiffre d'affaires, le nombre de personnes employées, les profits réalisés et les impôts payés. Les pays utilisés pour minimiser les impôts apparaîtraient immédiatement. Une étude du Sénat américain de l'été 2009 montre que les industries pharmaceutiques, informatiques et électroniques sont championnes en la matière et que les Pays-Bas, la Suisse, les Bermudes et l'Irlande sont les principaux paradis concernés | 2 1 . L'OCDE (l'Organisation de coopération et de développement économiques, le club des pays riches) travaille sur ce principe comptable depuis le début de 2010 et doit rendre un rapport en cours d'année. Reste enfin le rôle des paradis fiscaux comme promoteurs de l'instabilité financière internationale, et donc leur contribution à la crise de 2007-2008. Ce rôle reste sous-estimé. Les éléments d'analyse ne manquent pourtant pas 1*1. Les paradis fiscaux sont des paradis réglementaires qui jouent le rôle de centres financiers offshore dérégulés et abritent les deux tiers des fonds spéculatifs mondiaux. Un rapport du Government Accountability Office (GAO), l'équivalent aux Etats-Unis de la Cour des comptes, montre qu'une partie du système bancaire fantôme établi par les institutions financières américaines pour développer les actifs toxiques l'a été aux îles Caïmans. Les déboires de la banque britannique Northern Rock sont ainsi dus à un excès d'endettement à court terme dissimulé dans sa filiale Granité, enregistrée à Jersey. L'Islande se retrouve endettée sur plusieurs générations pour dédommager les clients britanniques et hollandais des filiales de ses banques installées à Guernesey (Landsbanki) et l'île de Man (Kaupthing) i«'. Le rôle de la Suisse, du Luxembourg, des Iles Vierges britanniques ou des Bermudes a été mis en évidence dans le scandale Madoff, tout comme l'implication d'Antigua dans le scandale Allen Stanford... Le G20 a fermement déclaré vouloir s'attaquer au problème. Mais la liste promise des paradis réglementaires permettant des prises de risques sans contrôle n'a pas vu le jour. Il reste donc beaucoup de chemin à parcourir. Les régulateurs financiers font en ce moment feu de tout bois. Ils ont saisi à pleines mains l'opportunité politique que la crise leur a donnée. Mais ils savent que le soutien des gouvernements ne sera pas éternel, que les lobbies financiers leur mettent des bâtons dans les roues. Comme l'a affirmé récemment Jean-Claude Trichet : « Bien que nous ayons déjà fait beaucoup, beaucoup reste encore à faire. Le moment n'est pas à l'autosatisfaction ». Un constat lucide. ·
[2] Tax Havens: International Tax Avoidance and Evasion, par Jane G. Gravelle, Congressional Research Service, juillet2009, Imp:// assets.opencrs. com/rpts/R40623_ 20090709.pdf [3] Voir Tax Havens : How Globalization Really Works, par Ronen Palan, Richard Murphy et Christian Chavagneux, Cornell University Press, 2010. [4] Les Islandais ont refusé par référendum les conditions de remboursements de cette dette, mais les négociations continuent.
Christian Chavagneux
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La crise -
HAPITRE
Le G20 passe à côté de l'essentiel La crise d'aujourd'hui n'est pas, c o m m e le laisse s u p p o s e r les conclus i o n s du G20, le s i m p l e résultat d'une série de d y s f o n c t i o n n e m e n t s . Elle s ' e x p l i q u e a v a n t t o u t p a r l'inefficience i n t r i n s è q u e d e s m é c a n i s m e s d e m a r c h é p o u r réguler la finance. P o u r l i m i t e r les effets d e s bulles, il faut r e c l o i s o n n e r les activités financières. -•1
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André Orléan*, directeur de recherches au CNRS et directeur d'études à l'EHESS
P o u r e x p l i q u e r à la fois le s u r g i s s e m e n t et l ' a m p l i t u d e de la crise, on incrimine s o u v e n t les innovations financières débridées de ces dernières a n n é e s et le m a n q u e de régulation de ce secteur. V o u s insistez plutôt sur le caractère i n t r i n s è q u e m e n t instable de la finance. Tout à fait. Ce diagnostic s'oppose radicalement au diagnostic dominant, et notamment à celui formulé par le G20, qui voit la crise comme résultant d'une série de dysfonctionnements. On nous explique, par exemple, que la titrisation était opaque, que les produits structurés étaient difficilement évaluables, que les agences de notation étaient déficientes, que les systèmes de rémunération poussaient à prendre des risques excessifs, que les normes comptables étaient procycliques, que les autorités de régulation n'assumaient pas leurs responsabilités ou encore que les banques centrales n'ont pas vu la bulle. Toutes les institutions auraient fauté sauf une, étrangement, le marché luimême, qui se trouve exonéré de toute responsabilité. S'il a mal fonctionné, cela ne tiendrait nullement à des déficiences qui lui seraient intrinsèques, mais au fait qu'on lui aurait livré des produits mal dessinés, trop opaques. En conséquence, selon le G20, tout doit être transformé à l'exception de la concurrence financière, dont « l'intégrité » doit être préservée. Elle demeure, dans le projet du G20, comme le mécanisme central qui organise l'allocation du capital à l'échelle planétaire. On n'ose pas, ou on ne veut pas, remettre en cause l'idée que le marché disposerait de capacités régulatrices intrinsèques. Pourquoi cette vision est-elle inappropriée ? Parce qu'elle perd de vue l'essentiel, à savoir l'origine des déséquilibres, qui réside dans l'instabilité propre aux marchés d'actifs. Il est dans leur nature de produire des évolutions de prix excessives. Telle est la source du mal.
[*1 Auteur notamment de De l'euphorie à la panique : penser la crise financière. éd. Rue d'Ulm, 2009 (voir notre note de lecture dans Alternatives Economiques n° 282, disponible dans nos archives en ligne).
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Sur les marchés de biens ordinaires, quand les prix s'écartent de la vraie valeur des biens, le jeu de l'offre et de la demande provoque un retour automatique à l'équilibre. Par exemple, lorsque le prix dérive à la hausse, la demande s'affaiblit, ce qui pousse alors le prix à la baisse. Tout le problème est que, sur les marchés d'actifs, ce mécanisme ne fonctionne pas : quand les prix augmentent, cela peut produire l'augmentation de la demande, et non sa baisse ! C'est ce que l'on a observé dans l'immobilier. Parce que la montée des prix permet de dégager des plus-values et donc des rendements, elle attire de nouveaux investisseurs, qui nourrissent la demande et stimulent à nouveau
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la hausse des prix. Il s'ensuit la formation d'une croissance auto-entretenue des prix, encore appelée « bulle », qui vient contredire la thèse selon laquelle la concurrence financière serait stabilisante. Notons que notre hypothèse d'instabilité explique aussi bien l'excès baissier que l'excès haussier. Quand les prix baissent, la chute des rendements, loin de faire repartir la demande comme le voudrait l'hypothèse d'efficience financière, provoque un mouvement de fuite des investisseurs qui accentue encore la pression baissière. Seule l'intervention d'acteurs extérieurs à la finance, à savoir la puissance publique, a pu stopper la chute vertigineuse des prix, preuve manifeste de l'incapacité du système financier à s'autoréguler.
La crise actuelle n'a donc rien de spécifique ? Non. Ce qui me frappe, au contraire, c'est son caractère tout à fait classique. Elle trouve son origine dans une bulle immobilière associée à une bulle du crédit : une configuration souvent observée dans le passé et dont on sait qu'elle est très perturbatrice. Les mécanismes de base en sont bien connus : l'augmentation du prix de l'immobilier, parce qu'elle provoque une sous-estimation du risque hypothécaire, favorise le crédit, ce qui stimule en retour la demande de logements et nourrit puissamment la hausse des prix.
Mais l'intensité de la crise reste très inhabituelle, comment l'expliquezvous ? En effet, ce double mécanisme de bulle immobilière et de bulle du crédit ne produit pas nécessairement une dévastation planétaire. Il aurait pu conduire à une crise localisée sur le seul marché immobilier des Etats-Unis. S'il en a été autrement, cela tient à l'interconnexion générale des marchés financiers, produit de la libéralisation des trente dernières années. Celle-ci a homogénéisé le comportement de tous les acteurs, faisant en sorte que banques et investisseurs adoptent des stratégies de plus en plus similaires. D'où la diffusion généralisée des crédits subprime et des produits structurés. Or on sait depuis Darwin que la capacité d'adaptation d'une espèce dépend de la diversité de son patrimoine génétique. Lorsque tous les individus sont identiques, ils peuvent tous périr suite au même choc. En l'occurrence, l'interconnexion généralisée des marchés et le jeu de la concurrence ont créé une situation où tous les acteurs avaient en quelque sorte le même patrimoine génétique ! Résultat : quand la bulle des subprime a éclaté, elle n'est pas restée cantonnée à quelques acteurs spécialisés sur le marché du crédit immobilier états-unien, mais elle a touché toute la finance mondiale, sans que quiconque ait développé des stratégies immunisantes.
Mais tous les dysfonctionnements pointés par les régulateurs ont tout de même joué un rôle... Evidemment, mais ils sont eux-mêmes un produit de la concurrence financière qui incite ces agents et ces institutions à adopter les comportements
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qu'on leur reproche aujourd'hui, des comportements qui ne sont pas exogènes au fonctionnement des marchés. Prenons le cas des agences de notation ( * ) . Pourquoi n'ont-elles pas bien noté les produits structurés ? La réponse donnée aujourd'hui consiste à dire qu'il y aurait eu un conflit d'intérêts : puisque les offreurs de produits structurés payaient la notation, les agences étaient incitées à minimiser les risques. Cela n'est pas faux, mais le problème est bien plus profond ! Le véritable enjeu tient à la nature même de l'évaluation financière. Dans le cas de la bulle immobilière, par exemple, la question est de savoir à quelles conditions elle pouvait être identifiée a priori. C'est là un point tout à fait essentiel pour qui veut éviter que la crise actuelle se renouvelle. L'analyse en termes de dysfonctionnement des institutions retient l'idée que l'on pourrait faire en sorte que les erreurs passées soient évitées à l'avenir (sans que l'on nous dise d'ailleurs pourquoi il en serait ainsi). Ma conviction est, au contraire, qu'il n'y a aucune raison de penser que les agences de notation ne referont pas les mêmes erreurs demain du fait même de la difficulté de leur métier : la valorisation de tout actif financier suppose une certaine représentation de ce que sera l'évolution économique future. Or, en cette matière, nos connaissances sont insuffisantes. Comme le soulignait John Maynard Keynes, le futur est radicalement incertain. Si l'on considère la conjecture d'avant 2007, il apparaît que les raisons qui ont conduit la majeure partie des acteurs financiers à repousser l'hypothèse d'une bulle immobilière étaient solidement fondées. Je ne suis pas sûr qu'on puisse faire beaucoup mieux, même une fois que seront résolus les conflits d'intérêts que connaissent les agences de notation. On peut montrer que c'est l'ensemble de l'opinion financière qui était favorable à ce laxisme des notations.
Le G20 réclame la mise en œuvre d'une surveillance macroéconomique prudentielle permettant de prévenir la formation de bulles. Cela vous paraît-il aller dans le bon sens ? Ces propositions vont effectivement dans le bon sens. Pour autant, je ne vois pas comment ces principes de surveillance pourront concrètement être mis en place et de manière efficace. La difficulté à détecter une bulle d'actifs, dont je parlais auparavant, est toujours là. Sauf à vouloir imposer des règles extrêmement rigides, par exemple une limitation à 10 % du volume annuel de crédits distribués. Faire cela est un acte fort, car cela revient à dire que la logique des marchés n'est pas bonne, qu'il faut former une règle qui est extérieure aux évolutions spontanées de la finance. Il faudrait aussi que les régulateurs soient prêts à prendre le risque d'imposer des contraintes en termes de distribution de crédits, qui seraient nécessairement fortement contestées au nom de la croissance et de l'emploi... Cela nécessite une puissance politique assez forte pour l'imposer et un discours théorique qui le justifie. Il ne me semble pas que ces deux conditions soient encore réunies aujourd'hui.
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Que peut-on donc faire ? Dès lors qu'on admet que les marchés financiers sont intrinsèquement instables, la seule solution qui peut mettre un terme à l'instabilité financière serait de les supprimer ! Mais les marchés ont aussi une utilité : ils assurent la circulation du capital entre secteurs et entre régions. Si le capital était totalement immobilisé, l'investissement et la croissance en seraient freinés. Il faut donc faire un compromis
JE SERAIS FAVORABLE
entre les coûts et les avantages de la liquidité, ce
À UN C L O I S O N N E M E N T
que Keynes appelait le « dilemme de la liquidité ».
DES ACTIVITÉS FINANCIÈRES
Ma proposition, puisque les bulles sont consubs-
PAR MÉTIERS, EN DISTINGUANT
tantielles à la finance, est de les cantonner afin d'en
PAR EXEMPLE L'IMMOBILIER,
limiter les effets. Et pour y parvenir, de rétablir du
LE CRÉDIT À LA C O N S O M M A T I O N ,
cloisonnement dans les activités financières.
LE F I N A N C E M E N T DES ENTREPRISES...
Différentes solutions sont possibles. Dans les années 1930, le Glass-Steagall Act avait séparé les activités des banques de dépôt et celles des banques de financement et d'investissement, afin que les errements des secondes ne se répercutent pas sur les premières. Pour ma part, je serais favorable à un cloisonnement des activités financières par métiers, en distinguant par exemple l'immobilier, le crédit à la consommation, le financement des entreprises... Une telle réforme localiserait les difficultés. Elle aurait aussi un autre effet, de nature socio-économique : elle réintroduirait de la logique professionnelle, de la logique de métier, dans le comportement des acteurs. De nouvelles finalités seraient ainsi mises en avant qui viendraient concurrencer la toute-puissance du rendement financier. Les conséquences pourraient en être importantes, car cette exclusivité de la valeur abstraite a encouragé la démesure des comportements financiers. Il faut casser cette abstraction et contraindre les acteurs à intégrer d'autres critères d'évaluation, d'autres visions du monde. Enfin, dans la mesure où la puissance de la finance est proportionnelle à la liquidité, le cloisonnement aurait pour effet de l'affaiblir notablement, rendant ainsi plus difficiles ses stratégies de contournement. Cela contribuerait à rétablir l'autorité du régulateur sur le régulé, alors qu'aujourd'hui, c'est ce dernier qui fait la loi. Segmenter la finance est la seule manière d'en reprendre le contrôle en limitant sa toute-puissance. · Propos recueillis par Philippe Frémeaux
Alternatives Economiques • Hors-série
poche n 43 bis - avril 2010 1
La crise -
HAPITRE
Le nouveau Bretton Woods attendra Les moyens accordés au Fonds monétaire international (FMI) par le G20 vont contribuer à la relance. Mais une réelle refondation des relations économiques et monétaires internationales n'est pas encore à l'ordre du jour.
L
e Fonds monétaire international est de retour aux affaires », s'est félicité Dominique Strauss-Kahn, son directeur général, à l'issue du G20 d'avril 2009 qui s'est tenu à Londres. Le triplement de ses ressources, qui devraient atteindre 750 milliards de dollars, montre bien la volonté des Etats de remettre l'institution de Bretton Woods au centre du jeu. Pour autant, le sommet de Londres n'a pas été, loin s'en faut, ce « nouveau Bretton Woods » que Nicolas Sarkozy appelait de ses vœux en septembre 2008. Pour mériter ce titre, il aurait fallu que les Vingt s'attaquent non seulement aux causes financières de la crise, mais aussi à ses causes plus profondes, économiques et monétaires. Car réguler la finance ne suffira pas à prévenir les prochaines crises si les déséquilibres extérieurs et l'instabilité des changes persistent. Des thèmes qui n'ont même pas été effleurés dans les réunions du G20.
Des monnaies toujours séparées La crise actuelle traduit en effet une fois de plus les contradictions d'un système dans lequel les économies sont de plus en plus interdépendantes mais où les monnaies demeurent séparées. En effet, la fin du système de Bretton Woods dans les années 1970 (voir encadré ci-dessous) a soldé l'échec d'une tentative historique pour gérer collectivement la monnaie. Depuis, les pays ne sont plus tenus de stabiliser la valeur externe de leur monnaie : ils peuvent la laisser flotter librement sur le marché des changes au gré de l'offre et de la demande de devises. La régulation du système monétaire par le marché apparaît de prime abord beaucoup moins contraignante que les règles de Bretton Woods. En renonçant à la stabilité des changes, dans un contexte d'intégration financière croissante, les Etats s'émancipent en
I II était u n e fois B r e t t o n W o o d s . . . Les accords de Bretton Woods en 1944 ont organisé un système de taux de change stables entre les différentes monnaies autour d'une monnaie pivot, le dollar, lui-même lié à l'or. Le Fonds monétaire international (FMI) a été alors créé pour aider les pays à maintenir la valeur de leur monnaie en cas de déséquilibres temporaires de leur balance des paiements, en leur prêtant des réserves de change. Dès la fin des années 1950, le système de Bretton Woods a été progressivement miné par le
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développement d'une offre de crédit privé en dollars à l'extérieur des Etats-unis. La masse de dollars détenue hors des Etats-Unis est devenue démesurée par rapport au stock d'or censé en garantir la valeur, ce qui a fragilisé l'étalon de change or. En 1971, sous la pression des attaques spéculatives, les Etats-Unis décidèrent de dévaluer le dollar et de suspendre sa convertibilité or, enterrant les règles qu'ils avaient eux-mêmes forgées vingt-cinq ans plus tôt.
- Alternatives Economiques - Hors-série poche n 43 bis - avril 2010
principe du besoin d'équilibrer leurs comptes extérieurs. Les déséquilibres de balance courante cessent théoriquement d'être un problème. Un déficit, par exemple, peut être ou bien résorbé automatiquement par une dépréciation de la monnaie, ou bien, encore mieux, financé par l'extérieur. C'est la loi de l'offre et de la demande sur les marchés financiers qui arbitre désormais entre ces deux options. La mondialisation financière autorise des transferts massifs d'épargne entre pays, et donc des déséquilibres des balances courantes qui auraient été impossibles sans cela. Elle émancipe en principe les Etats de toute contrainte extérieure. C'est d'ailleurs pourquoi ces derniers l'ont favorisée. Mais si les marchés financiers avaient eu toutes les vertus qu'on leur prêtait encore avant la crise, ils auraient dû permettre d'ajuster automatiquement la valeur des monnaies entre elles, d'allouer au mieux l'épargne mondiale et, enfin, de répartir largement les risques financiers. En pratique, ces bienfaits théoriques ont été largement démentis par la réalité.
Les promesses non tenues de la libéralisation financière La flexibilité des taux de change, tout d'abord, loin de permettre un rééquilibrage automatique des déséquilibres extérieurs, a produit une énorme instabilité monétaire, source de perturbation pour l'activité. Seules peuvent supporter de telles
SL LES M A R C H É S FINANCIERS A V A I E N T
variations du cours de leur monnaie de très grandes
E U T O U T E S LES V E R T U S Q U ' O N LEUR
économies, c o m m e les Etats-Unis et dans une
P R Ê T A I T E N C O R E A V A N T L A CRISE,
moindre mesure le Japon et aujourd'hui la zone
ILS A U R A I E N T D Û P E R M E T T R E
euro, pourvues de systèmes financiers suffisam-
D'AJUSTER LA VALEUR DES M O N N A I E S
ment développés pour permettre aux entreprises
ENTRE ELLES, D'ALLOUER A U M I E U X
de se couvrir contre le risque de change. Pour les
L'ÉPARGNE MONDIALE ET DE RÉPARTIR
autres, le taux de change est une variable trop
L A R G E M E N T LES RISQUES F I N A N C I E R S
sensible pour être laissée à l'arbitrage capricieux des marchés : les autorités monétaires ne peuvent donc s'en désintéresser. D'où le choix fait par de nombreux pays de lier leur monnaie à une grande devise internationale, le plus souvent le dollar. La Chine est emblématique de cette stratégie. Le grand marché mondial de l'argent devait également conduire à une allocation optimale de l'épargne mondiale. En réalité, il a surtout profité aux grands pays développés, principalement aux Etats-Unis. Ceux-ci ont pu capter l'épargne du reste du monde pour vivre au-dessus de leurs moyens, sans se soucier particulièrement du taux de change du dollar, puisque l'essentiel de leurs transactions internationales s'effectue dans leur propre monnaie. Pour les pays du Sud, le bilan est nettement plus amer. L'internationalisation de la finance était censée leur donner accès aux capitaux nécessaires pour financer leur développement. En réalité, elle ne leur a fourni qu'une source de financement intermittente et capricieuse. A des afflux massifs de capitaux étrangers, parfois à l'appui de politiques hasardeuses, comme on l'a vu en Russie ou en Argentine, ont succédé des reflux brutaux qui ont fait s'effon-
Alternatives Economiques
Hors-série poche n 43 bis - avril 2010 1 9
La crise - CHAPITRE
I
drer leur monnaie et tari le crédit. Ces cycles de surendettement suivis de désendettement à marche forcée forment le scénario récurrent qui, dans les années 1980 et 1990, soumet les pays du Sud à des crises à répétition. Si bien que depuis la fin des années 1990, pour se prémunir contre les mouvements erratiques des marchés financiers, les pays émergents ont drastiquement réduit leur dépendance envers les capitaux extérieurs. D'importateurs nets d'épargne dans les années 1990, ils sont devenus dans leur ensemble exportateurs nets de capitaux dans les années 2000. Leurs excédents d'épargne ont rencontré le besoin de financement insatiable des Etats-Unis et permis la croissance d'un endettement démesuré. Ce double déséquilibre - excès d'épargne d'un côté, insuffisance de l'autre - a atteint ces dernières années des niveaux inégalés. De gigantesques transferts d'épargne ont transité par les marchés internationaux de capitaux. L'afflux de liquidités a abaissé le coût du crédit, encouragé la prise de risques et alimenté les stratégies hasardeuses d'un système financier mal contrôlé. Une autre promesse de la libéralisation financière, celle de permettre une large diffusion des risques entre les mains d'une multitude d'investisseurs et d'accroître ainsi la stabilité du système financier, s'est trouvée démentie. Dix ans après le coup de semonce de LTCM, ce hedge fund ( * ) américain dont la faillite aurait menacé la stabilité du système financier international en 1998 s'il n'avait été « sauvé » par la Réserve fédérale américaine, la crise actuelle a révélé la concentration de risques dissimulés dans le système bancaire. Mais les errements des acteurs financiers - les banques américaines dans la crise actuelle, les banques asiatiques dix ans plus tôt - ne doivent pas faire oublier que le problème n'est pas nouveau : il y a des limites, que les marchés ne savent pas discerner, à la quantité de capitaux extérieurs qu'un système financier peut utilement faire fructifier. Même quand il s'agit du système financier, réputé hyperperformant, de la première puissance mondiale.
Pas de discipline collective Comment limiter les déséquilibres extérieurs pour prévenir à l'avenir de telles dérives ? La limitation de la liberté des mouvements de capitaux n'étant pas à l'ordre du jour, la seule solution serait de mieux coordonner les politiques économiques. Mais les grands pays ne sont pas prêts à se plier à une discipline collective, et les déclarations du G20 restent au niveau des
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pétitions de principe. Certes, la crise aidant, les déséquilibres extérieurs se sont réduits d'eux-mêmes en 2009. Aux Etats-Unis, comme dans les autres pays en déficit, le taux d'épargne des ménages est nettement remonté et la demande privée a considérablement ralenti. Résultat : le déficit extérieur s'est résorbé de plus de la moitié. Symétriquement, la chute du commerce mondial a fait fondre les excédents des principaux exportateurs. Mais le problème n'est pas réglé pour autant. Une croissance mondiale plus équilibrée supposerait que les consommateurs allemands, japonais et surtout chinois prennent durablement le relais des Américains. Aujourd'hui, la consommation ne représente que 35 % du produit intérieur brut (PIB) en Chine, contre 70 % aux Etats-Unis. Et le changement ne pourra être que très lent. Quant au
U N E CROISSANCE MONDIALE PLUS ÉQUILIBRÉE S U P P O S E R A I T QUE LES C O N S O M M A T E U R S ALLEMANDS, JAPONAIS ET SURTOUT CHINOIS PRENNENT DURABLEMENT LE RELAIS DES A M É R I C A I N S
déficit américain, même s'il s'est réduit, il reflète désormais un besoin de financement public. Or, contrairement à celle des ménages, la dette de l'Etat est détenue directement par des investisseurs étrangers, dont on connaît l'humeur volatile. A cet égard, le rôle de la Chine est profondément ambivalent. La masse de réserves qu'elle détient (2 300 milliards de dollars en octobre 2009, soit l'équivalent de la moitié des richesses produites par le pays cette année-là) lui confère certes un droit de vie ou de mort sur le billet vert, mais elle l'oblige aussi à une solidarité de fait : pour préserver son trésor de guerre, elle n'a aucun intérêt à voir le dollar dévisser. La stabilité du système monétaire international repose ainsi sur un équilibre plus inquiétant que jamais : un équilibre de la terreur. ·
Sandra Moatti
Alternatives Economiques
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La crise -
HAPITRE
Quelle réforme du système monétaire international ? Le s y s t è m e m o n é t a i r e international f o n d é s u r le dollar t e n d à s'effacer au profit d'un s y s t è m e caractérisé par un p o l y c e n t r i s m e monétaire, p r o p i c e à u n e c o n c u r r e n c e f é r o c e e n t r e les devises. R e n f o r c e r le rôle du F o n d s m o n é t a i r e i n t e r n a t i o n a l et de sa m o n n a i e , le DTS, e s t la c o n d i t i o n d'une maîtrise d e s m o u v e m e n t s d é s o r d o n n é s d e s t a u x d e change.
Va-t-on vers la fin de l'hégémonie internationale du dollar ?
Michel Aglietta, professeur d'économie à l'université de Paris-Ouest, consultant au Cepli.
Ce n'est pas la première crise du dollar. En 1971-1973 ou encore en 19851987, beaucoup avaient prédit la fin du dollar comme devise clé unique. Il n'en a rien été. Le billet vert a beau avoir perdu les trois quarts de sa valeur contre le yen depuis 1971, et les deux tiers contre le mark (puis l'euro), sa part dans les réserves de change n'en a pas été sensiblement modifiée. Ce qui montre bien que l'hégémonie monétaire a d'abord des raisons politiques. Dans les années 1970 et 1980, les pays dont les monnaies auraient pu concurrencer le dollar, celles de l'Allemagne et du lapon, étaient dans l'orbite politique des Etats-Unis. En outre, sur le plan économique, ni le mark ni le yen n'avaient vraiment les caractéristiques d'une monnaie internationale : la taille de leur économie restait très en deçà de celle des Etats-Unis et leurs marchés financiers, beaucoup moins développés et surtout étroitement contrôlés, n'offraient pas du tout la même liquidité que le marché américain. Résultat : le système monétaire international est resté celui d'un semi-étalon
L e dollar t o u j o u r s d o m i n a n t p o u r l'instant Aujourd'hui, la méfiance grandit à l'égard du dollar : le niveau des déficits extérieurs et les déséquilibres manifestes du modèle de développement américain incitent à rechercher des alternatives. Depuis sa création en 1999, la monnaie européenne a gagné sa place dans le concert des devises mondiales. Quel que soit l'indicateur retenu, elle est aujourd'hui la deuxième plus grande monnaie du monde, loin devant les autres devises, mais largement derrière le dollar. En matière de facturation du commerce international, tandis que les firmes américaines vendent exclusivement en dollars et importent à plus de 90 % dans leur
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propre devise, les firmes allemandes exportent en dehors de la zone euro à 65 % et Importent à 57 % en euros (respectivement 51 % et 44 % pour la France). Du côté des banques centrales, on ne connaît avec certitude la décomposition par devises que pour 60 % des 7 500 milliards de dollars de réserves qu'elles détenaient en septembre 2009. Le dollar y tient la première place (62 %), largement devant l'euro (28 %). La part de ce dernier n'a certes pas cessé de monter au cours de la dernière décennie (elle n'était que de 17,5 % en 2000), mais celle du dollar reste largement prédominante. De plus, la part de l'euro reste encore infé-
- Alternatives Economiques - Hors-série poche n" 43 bis - avril 2010
rieure à ce que représentait la somme des différentes devises européennes avant sa création. L'euro a encore plus de mal à s'imposer auprès des acteurs privés. Si l'on se place du point de vue des emprunteurs, le dollar représente environ 45 % des actions et des obligations émises internationalement, c'est-à-dire par des entreprises ou des Etats dans une monnaie qui n'est pas celle de leur pays d'origine. La part de l'euro est légèrement supérieure à 30 %, ce qui n'est certes pas négligeable, mais lorsqu'on regarde de près qui, parmi les étrangers, émet des obligations en euros, on s'aperçoit que pour moitié, il s'agit du Danemark,
dollar : certaines monnaies se sont découplées par rapport au billet vert, notamment en Europe ; d'autres lui sont restées liées, comme dans la majorité des pays émergents. A la mi-2008, en pleine crise financière, le gouvernement chinois a même renforcé les liens du yuan avec le dollar. Pourquoi cela pourrait-il changer aujourd'hui ? L'hégémonie du dollar se détériore sur tous les fronts. Au plan politique, les principaux créditeurs des Etats-Unis sont pour beaucoup aujourd'hui hors de l'orbite américaine (comme la Chine, la Russie, l'Inde et le Brésil) et leurs intérêts économiques prennent de la distance par rapport à ceux des Etats-Unis. La fin du surendettement des ménages américains va provoquer le recentrage de la croissance sur la zone asiatique. Car le dynamisme occidental sera trop affaibli pour que les exportations soutiennent une croissance suffisante de la Chine et de l'Inde. C o m m e n t le s y s t è m e va-t-il é v o l u e r ? La fonction d'ancrage jouée par le dollar pour les monnaies de nombreux pays émergents va s'effacer au profit d'un polycentrisme monétaire. Dans les régions du monde où le commerce intrazone devient déterminant, comme en Europe hier et en Asie aujourd'hui, les pays ont besoin de rapports de change relativement stables. De même que la naissance du système monétaire européen (SME) dans les années 1970 a été une réaction à la baisse du dollar, la crise actuelle pourrait accélérer la mise en place d'arrangements monétaires en Asie, même si ceux-ci ne seront pas forcément aussi formels que le SME ou l'euro. On peut aussi imaginer voir naître un système monétaire
de la Suède et du Royaume-Uni, soit des pays fortement intégrés économiquement dans la zone euro. De la même manière, ces pays sont ceux qui décident de placer leur épargne internationale prioritairement en euros, le reste du monde préférant le faire en dollars. L'euro reste donc avant tout une monnaie régionale et ne représente pas un substitut au dollar. Et en dépit des succès économiques récents de la Chine, le yuan, monnaie dont le cours reste déterminé par le gouvernement, n'est pas susceptible lui non plus de concurrencer le dollar à un terme prévisible. Ch. Ch.
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La crise -
HAPITRE
en Amérique latine, autour du Brésil, appelé à devenir une forte puissance économique fondée sur les matières premières agricoles. On voit que les pays du Golfe se cherchent eux aussi une voie de sortie du dollar. A plus long terme, la monnaie de certains pays émergents accédera à une dimension internationale. Ce sera bien évidemment le cas de la Chine, quand son système financier sera suffisamment robuste à l'intérieur et ouvert sur l'extérieur.
Un tel système n'est-il pas fortement instable ? En effet. Le polycentrisme monétaire est propice à une concurrence entre les devises qui peut être ravageuse. Or la monnaie internationale est un bien public mondial qu'il importe de préserver pour conserver une économie mondiale ouverte. Si les politiques économiques des pays à devise clé sont trop discordantes, on assistera à une très grande instabilité des changes qui aura des effets déstabilisants pour l'économie mondiale. Pour l'éviter, il faudra trouver les formes d'une cogestion internationale de ce bien public qu'est la monnaie. Les moyens pour y parvenir sont une meilleure gouvernance du Fonds monétaire international (FMI) et la promotion du droit de tirage spécial (DTS) comme instrument de réserve ultime.
En quel sens faut-il réformer le FMI ?
[1] Toutes les décisions importantes du FMI réclament une majorité de 85 % des droits de vote. Les Etats-Unis, en cumulant 17%, disposent donc d'un droit de veto. Abaisser la majorité supprimerait la possibilité du veto.
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y.
Si le FMI reçoit pour mission de prévenir les déséquilibres macroéconomiques mondiaux et de superviser les facteurs communs de l'instabilité financière, il doit renforcer son poids politique. Cela implique des changements dans sa gouvernance, pour renforcer le poids des pays émergents et améliorer le soutien de son directeur général. L'Europe est le partenaire le plus faible du FMI. Depuis la création de l'euro, les pays européens bénéficient d'un total de 30 % des droits de vote au FMI, alors qu'ils n'ont plus de monnaie nationale. Parallèlement, l'euro - deuxième monnaie mondiale - n'a pas de représentation politique et n'a personne au sein du FMI qui soit capable - et légitime pour cela - d'exprimer une opinion sur son rôle international. Aucune réforme substantielle de la gouvernance monétaire internationale ne pourra aboutir tant que cette anomalie persistera. En laissant 15 % à 20 % des quotas à l'Europe, la fusion des droits de vote de tous les membres de la zone euro aurait un double avantage : créer une autorité politique sur la gestion macroéconomique dans la zone euro et donner un pouvoir de vote important au représentant de l'euro. Et cela libérerait suffisamment de droits de vote pour améliorer sensiblement la part du reste du monde. Outre une réforme des quotas plus radicale que celle prévue a minima en 2011, l'amélioration de la gouvernance du FMI réclame d'autres dispositions. La capacité d'un seul pays d'opposer son veto au vote à la majorité qualifiée devrait être abrogée par l'abaissement de la majorité requise ' 1| . Le comité exécutif devrait être transformé en un conseil politique, comptant des représentants politiques mandatés par leur gouvernement. Il devrait
- Alternatives Economiques - Hors-série poche n 43 bis - avril 2010
se réunir chaque mois et être en mesure d'appuyer instantanément les initiatives du directeur général. La désignation de celui-ci doit être ouverte. L'exclusivité de l'Europe - et d'ailleurs des candidats occidentaux (car elle est couplée avec l'exclusivité de l'Amérique à la tête de la Banque mondiale) - devrait être abrogée.
Et quel pourrait être le rôle du DTS ? Il y a trois raisons au renforcement du rôle du DTS. La première est de limiter le penchant des banques centrales à acquérir des dollars. La deuxième est de fournir des ressources inconditionnelles aux pays victimes d'un problème dë liquidité. C'est cette action de prêteur en dernier ressort ( * ) , destinée à atténuer la pénurie de liquidités dans les pays fragilisés par la crise, qui était derrière l'allocation de DTS en août 2009. Le troisième intérêt est de permettre aux pays dotés d'une quantité excessive de réserves en dollars, comme la Chine, de diversifier la répartition de leurs réserves en dehors du marché des changes, à travers un compte de substitution au sein du FMI, et donc d'éviter de fortes variations perturbatrices des taux de change. Ce sont là des avantages importants du point de vue de la stabilité financière globale. · Propos recueillis par S. M.
[ Le DTS, un e m b r y o n de m o n n a i e m o n d i a l e « Une décision historique. » C'est en ces termes vrier 2010, le DTS valait environ 1,50 dollar. La que Dominique Strauss-Kahn, le directeur générai création de DTS reste cependant très contrainte : du Fonds monétaire international (FMI), a salué la elle nécessite une décision à la majorité de 85 % décision du G20 d'avril 2009 d'autoriser la création et est allouée aux Etats membres en proportion de 280 milliards de dollars de droits de tirage de leur quote-part au sein du FMI. spéciaux (DTS). Les 280 milliards de dollars de DTS récemment Le DTS est une quasi-monnaie internationale, un créés constituent un véritable changement d'échelle : objet bizarre qu'on croyait remisé au grenier des auparavant, il n'y avait eu que deux allocations de innovations sans lendemain. Le FMI ne crée nor- DTS, au début et à la fin des années 1970, pour un malement pas de monnaie : ce n'est pas une ban- montant total de 30 milliards de dollars environ. que, encore moins une banque centrale interna- Pour autant, les DTS restent une goutte d'eau (3 %) tionale, comme l'aurait souhaité Keynes. C'est un dans la mer des réserves de change mondiales. fonds d'assistance mutuelle, constitué par les réA plus long terme, le DTS pourrait bien être appelé serves apportées par les Etats et sur lesquelles à un plus grand destin. Le 24 mars dernier, zhou chaque membre a des « droits de tirage » en cas Xiaochuan, le gouverneur de la Banque de Chine, de besoin, en proportion de ses propres apports. a clairement plaidé pour une monnaie de réserve Par rapport à cette logique, les droits de tirage mondiale « déconnectée des conditions économispéciaux, créés en 1969, ont constitué une inno- ques et des intérêts d'un seul pays ». Il estime que vation radicale. Il s'agit d'un actif purement fidu- le DTS pourrait remplacer graduellement les monciaire, créé ex nihiio sur décision des membres du naies de réserve existantes. A condition d'assouplir FMI et qui vient compléter les réserves des Etats, les règles de sa création et de son utilisation, et aux côtés de l'or et des devises. La valeur du DTS d'élargir le panier de monnaies qui le composent et son taux d'intérêt sont déterminés par rapport aux monnaies de « toutes les grandes économies ». à un panier de monnaies, qui comprend actuellement On en est encore très loin. La monnaie mondiale le dollar, l'euro, la livre sterling et le yen. Fin fé- rêvée par Keynes n'est pas pour demain. S. M.
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La crise - CHAPITRE I
Le protectionnisme n'est pas la solution Plutôt que le protectionnisme, c'est une action internationale mieux coordonnée qui apporterait des réponses à la crise et aux nombreux dysfonctionnements de la mondialisation libérale.
L
a crise a traduit la faillite des dogmes économiques qui ont prévalu depuis trente ans. Sa profondeur remet en particulier en cause la volonté d'aller vers toujours plus de liberté dans les échanges commerciaux et les investissements internationaux. Dans la plupart des pays développés, les appels se multiplient en faveur d'un retour à une forme ou une autre de protectionnisme. Le libreéchange généralisé n'était évidemment pas la panacée, mais un retour de bâton protectionniste comporterait lui aussi de nombreux pièges.
Le protectionnisme aiderait-il à sortir de la crise ? Sur longue période, le libre-échange généralisé est plutôt un handicap pour le développement. Mais dans les circonstances actuelles, l'adoption de mesures protectionnistes par les différents Etats risquerait au contraire d'aggraver la crise. Le commerce international s'est déjà effondré de 12 % en 2009 sous l'impact de la récession. Dans ce contexte, le recours à un protectionnisme accru déclencherait probablement une réaction en chaîne. Imaginons que l'Europe décide de limiter les Importations de textiles ou de produits électroniques. Les pays lésés réagiraient probablement en limitant leurs achats d'Airbus ou de centrales nu-
[ Pas de f e r m e t u r e d e s m a r c h é s en v u e La récession et les fortes pertes d'emplois subies par la plupart des économies ont fait craindre que les Etats ne soient tentés par des politiques protectionnistes, afin de reporter leurs problèmes sur les autres. De l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à l'OCDE, en passant par la Banque mondiale, les grandes institutions internationales n'ont eu de cesse d'attirer l'attention sur ce risque protectionniste au cours de l'année passée. Mais peu d'éléments permettent de conclure à un retour du protectionnisme pour l'instant. Simon Evenett, professeur de commerce international, a été durant la crise le principal porte-drapeau de la thèse d'une menace protectionniste. Ainsi, dans un article publié en décembre dernier |11 , il note que 297 mesures de protection ont été mises en œuvre à travers le monde depuis novembre 2008, principalement à l'encontre de la Chine, laissant ainsi entendre que le protectionnisme est déjà devenu une
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réalité. Un tiers des mesures considérées correspond à des politiques nationales de soutien aux banques, au secteur automobile, etc., dont l'objectif premier était de sauvegarder les économies de l'effondrement plutôt que de mettre en place des politiques commerciales agressives du type de celles des années 1930. Quant aux deux tiers restants, il est difficile de savoir s'ils marquent réellement une rupture par rapport au flux habituel des petites bisbilles commerciales, car les données mises en avant par Evenett ne démarrent qu'en novembre 2008. Pascal Lamy, le directeur général de l'OMC, dresse un tableau moins alarmiste. Lors du Forum de Davos du début 2009, il indiquait avoir détecté « plusieurs points rouges » en matière de pratiques commerciales. AU début de l'été, il notait encore « un glissement significatif» vers le protectionnisme. Mais, présentant le bilan des actions protectionnistes réellement entreprises du fait de la crise, il affirmait finalement en
- Alternatives Economiques - Hors-série poche n 43 bis - avril 2010
cléaires. Aggravant au final partout le marasme économique. Plus au fond, une bonne partie de nos importations sont difficilement substituables à court terme, qu'il s'agisse de produits de base dont nous sommes dépourvus ou de produits que nous ne fabriquons pas ou plus. En outre, du fait de l'internationalisation des processus productifs, une grande partie des importations est en réalité intégrée au sein de produits mode in France et contribue à leur compétitivité. Enfin, une montée du protectionnisme risquerait de compromettre les relations entre Etats, à un moment où l'action internationale coordonnée est plus que jamais nécessaire pour mettre en place les régulations indispensables afin d'éviter le retour de désordres de ce type.
L'Europe doit-elle devenir protectionniste ? En Europe, plus personne ou presque ne prône un protectionnisme national. La question est désormais posée au niveau de l'Union, comme le propose par exemple Emmanuel Todd [11 . L'Europe est en effet une des zones économiques les plus ouvertes sur l'extérieur. Devrait-elle mieux protéger son marché intérieur ? Probablement, mais les raisons qui l'en empêchent pèsent très lourd. Il convient tout d'abord de relativiser les déséquilibres qu'impose le reste du monde à l'économie européenne. Sur ce plan, elle est dans une situation très différente de celle des Etats-Unis : même en 2008, quand il avait fallu acheter beaucoup de pétrole et de gaz à des prix très élevés en dehors de l'Union à 27, ses échanges extérieurs avaient été quasiment équilibrés ; le déficit commercial s'était limité à 1,1 % du produit intérieur brut (PIB), un déficit qui s'est même réduit à 0,8 % du PIB en 2009. La Chine est le seul pays vis-à-vis duquel le déficit soit massif. Les phénomènes de dumping social qui affectent négativement la situation
novembre dernier que « l'économie mondiale est aussi commercialement ouverte aujourd'hui qu'elle l'était avant que la crise ne commence » ! Et dans un entretien au quotidien Les Echos, il conclut le 1 e r décembre 2009 que « le commerce mondial affecté par des mesures restrictives n'atteindra que 1 % dans le pire des cas ». Pas de quoi fouetter un chat... Quant à l'insuccès du cycle de négociations commerciales de Doha, il tient avant tout à la faiblesse des gains espérés d'une plus grande libéralisation. Mais cela n'indique pas que les pays membres de l'OMC soient prêts à s'engager dans des affrontements commerciaux. Paradoxalement, c'est peut-être une fois que les effets de la crise se seront atténués qu'un discours plus ostensiblement protectionniste pourrait revenir sur le devant de la scène. Les prises de position récentes d'économistes de renom - comme Paul Samuelson, Paul Krugman ou Alan Blinder - sur certains
[1] Dans Après la démocratie, éd. Gallimard, 2008.
effets négatifs du libre-échange ont cassé le consensus intellectuel qui le soutenait dans les années 1990 et 2000. Comme le remarque dans une étude récente l'économiste Jean-Marc Siroën |2 ', « si l'ensemble des critiques ne conduit pas à une remise en cause radicale du libre-échange, il en nuance les bienfaits ». Et le professeur de Dauphine de préciser que « l'évolution doctrinale, jusque-là très favorable à une libéralisation des échanges la moins conditionnelle possible, commence à admettre la possibilité de restrictions économiquement ou éthiquement justifiées », y compris, comme il le montre citations à l'appui, dans les documents mêmes de l'OMC ! Ch. Ch. [1 ] « The Lansdcape of Crisis-Era Protectionism One Year After the First G20 Crisis-Related Summit », dans The Unrelentig Pressure of Protectionism. The third GTA Report, rapport du Global Trade Aiert, disponible sur www.voxeu.org [2] « L'OMC face à la crise des négociations multilatérales », éd. Les études du Céri, décembre 2009.
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Hors-série poche n 43 bis - avril 2010 1
La crise -
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des salariés de pays comme la France sont, pour une bonne part, internes à l'Union. Ils ne seraient donc pas réglés par un éventuel protectionnisme européen. L'élargissement de l'Union aux pays de l'Europe centrale et orientale (Peco), indispensable politiquement, a en effet considérablement creusé les écarts au sein même de l'Union : le PIB par habitant d'un Luxembourgeois est vingt fois plus élevé que celui d'un Bulgare et le coût du travail d'un Polonais était en 2008 en moyenne quatre fois plus faible que celui d'un Français, soit l'équivalent de celui d'un ouvrier de Hongkong ou de Taiwan. En 2009, ce ratio est même monté à 4,7 avec la chute de la monnaie polonaise vis-à-vis de l'euro. Sans oublier non plus la politique non coopérative de l'Allemagne qui freine sa demande intérieure depuis de nombreuses années : avec ses excédents extérieurs colossaux, réalisés aux deux tiers au sein de L'UNION E U R O P É E N N E PAIE
l'Union européenne, l'Allemagne est en quelque sorte à
S O N ABSENCE DE POLITIQUE
l'Europe ce que la Chine est au monde...
INDUSTRIELLE ET LE P R I M A T A C C O R D É À LA POLITIQUE DE LA CONCURRENCE
Mais l'Union européenne paie aussi son absence de politique industrielle et le primat accordé à la politique de la concurrence. Les Etats ont dévolu à la Commission le pouvoir de leur interdire d'aider telle ou telle activité
aux dépens de celles des voisins. En revanche, les politiques de recherche et développement demeurent nationales, ce qui engendre des surcoûts et des concurrences inutiles. Chacun s'accorde à considérer qu'il faudrait investir en commun dans la recherche en développement, afin de lutter à armes égales avec les Etats-Unis ou le Japon. Mais le mouvement ne suit pas, faute de volonté politique. Pourtant, dans les rares domaines où l'Europe a su unir ses forces, non sans difficultés persistantes, le succès a été au rendez-vous : on l'a vu avec Airbus, on le voit aussi dans la téléphonie mobile grâce à l'adoption de normes communes. Facteur aggravant : le primat de la concurrence a aussi conduit à freiner la constitution de géants proprement européens par la fusion d'entreprises de différents pays de l'Union. Compte tenu des frontières linguistiques et des susceptibilités politiques, ce processus est de toute façon très compliqué. Mais la Commission européenne a sa part de responsabilité, car elle a longtemps défendu une interprétation intégriste de la lutte contre les positions dominantes au sein de l'Union. Du coup, les champions nationaux n'ont plus l'Europe pour seul, voire pour principal, horizon. Leur stratégie de croissance se déploie désormais surtout aux Etats-Unis, en Asie ou encore en Amérique latine. Ce qui les rend très hostiles à un protectionnisme européen qui nuirait immédiatement à leurs activités extraeuropéennes, devenues essentielles pour eux. Est-ce à dire qu'il n'y aurait rien à faire pour limiter le dumping social mondial ? Non. En dehors des problèmes intraeuropéens, seul un pays menace de manière significative l'emploi et les revenus des salariés de l'Union : la Chine. L'Europe peut et doit agir davantage, conjointement avec les Etats-Unis, pour que la Chine réévalue sa monnaie et développe le niveau de vie de sa propre population au lieu d'accumuler des excédents extérieurs considérables.
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Le protectionnisme serait-il bon pour l'environnement ? La défense du protectionnisme s'est enrichie ces derniers temps d'un nouvel argument : la crise écologique et le souci de relocaliser l'économie. Sur le plan des échanges, il faut bien sûr limiter fortement et rapidement les modes de transport très émetteurs de gaz à effet de serre. Or les carburants utilisés par les bateaux et les avions ne sont pas soumis aux taxes que subissent pratiquement partout les combustibles fossiles. Cette aberration explique notamment le développement rapide du fret aérien ces dernières décennies. Cela dit, l'essentiel du fret lié à la mondialisation des échanges emprunte actuellement la voie maritime et son effet environnemental reste limité. Une taxation nettement accrue du fuel lourd utilisé par les navires serait nécessaire, mais elle ne serait sans doute pas de nature à infléchir notablement le volume des marchandises échangées de cette façon. Exporter une voiture de l'Europe vers les Etats-Unis par bateau émet nettement moins de gaz à effet de serre que de la déplacer d'Est en Ouest dans ce pays sur un semi-remorque : les enjeux écologiques du transport sont au moins autant nationaux qu'internationaux. De plus, une part croissante des échanges internationaux est dématérialisée. C'est le cas d'une grande partie des échanges de services, mais aussi de multiples activités dont la production matérielle est réalisée à proximité du lieu de consommation. Ainsi, l'activité de nombre de multinationales parmi les plus emblématiques - de McDonald's à Coca-Cola, en passant par Walt Disney ou Microsoft et Google - implique peu d'échanges physiques internationaux. La nécessaire régulation de leur activité n'est donc pas directement liée aux enjeux écologiques du transport. Mais c'est surtout à propos d'une éventuelle taxe carbone aux frontières de l'Europe qu'on débat du protectionnisme écologique. Une telle taxe compenserait les surcoûts subis par les industriels européens du fait des efforts qui leur sont imposés dans la lutte contre le changement climatique. La menace d'une telle taxe peut être utile dans les négociations internationales en vue d'un accord général qui prendrait la suite du protocole de Kyoto après 2012. Si cette négociation aboutissait, cette menace n'aurait pas besoin d'être mise à exécution. Ce qui serait bien sûr la meilleure solution : davantage encore qu'en matière économique, le protectionnisme écologique n'est qu'un « second best» de mauvaise qualité par rapport à la coopération internationale. En effet, l'essentiel des problèmes qui menacent la planète ne peuvent être résolus qu'à l'échelle mondiale. Mais après l'échec du sommet de Copenhague en décembre dernier, la conclusion d'un accord mondial précis et contraignant pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre semble de plus en plus improbable. Dans un tel contexte, il est nécessaire que l'Europe se prépare à mettre en place effectivement une taxe de ce type pour préserver la possibilité de mener en interne des politiques ambitieuses malgré l'absence de politiques équivalentes dans d'autres parties du monde. ·
Guillaume Duval
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La crise - CHAPITRE
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Les pays émergents sortent renforcés de la crise C h i n e en tête, les p a y s é m e r g e n t s o n t p l u t ô t b i e n résisté à la crise, car ils o n t tiré les l e ç o n s du krach a s i a t i q u e de 1997. R e s t e à s a v o i r si, de leur côté, les g r a n d e s p u i s s a n c e s s o n t p r ê t e s à faire le m é n a g e d a n s le s y s t è m e f i n a n c i e r p o u r é v i t e r u n n o u v e a u choc. C ô t é p a y s é m e r g e n t s , quelles leçons p e u t - o n tirer d e ces d e u x dernières
Jérôme Sgard*, économiste au Cerl
années ? Pour vous répondre, il faut remonter à la crise asiatique, il y a dix ans, et à ce qui a changé depuis. Beaucoup de pays qui avaient subi durement la crise de 1997-1998, ou qui avaient eu très peur à ce moment-là, se sont révélés beaucoup plus solides cette fois-ci. Un ralentissement conjoncturel a pu avoir lieu, mais en aucune façon une remise en question des règles du jeu économique. Ils ont maintenant le savoir et l'équipement nécessaires pour tenir le cap, même par mauvais vent. Ils protègent bien mieux leur économie et leur société. C'est d o n c la g r a n d e t h è s e du « d é c o u p l a g e » e n t r e les v i e u x pays riches et les n o u v e a u x ? C'est ma lecture. Mais ce terme de découplage a souvent été utilisé de manière un peu sotte, comme s'il s'agissait de grands enfants qui se mettraient à leur compte, quitte à clamer qu'ils ne sont pas si émancipés que cela lorsque leur Bourse chute. Dès lors qu'ils sont étroitement intégrés à l'économie globalisée, ils subissent forcément ses crises et ses cycles de manière très directe. Ceux qui sont réellement hors système, ce sont le Mali et le Bhoutan. Il faut comprendre ce découplage des pays émergents comme la capacité nouvelle et impressionnante de ces économies à conduire une politique économique autonome, à répondre aux crises et à préserver bien mieux leur croissance. Il y a peu encore, ils étaient ballottés par les vagues et jetés parfois sur les récifs sans pouvoir faire grand-chose. Du coup, depuis deux ans, ces économies ont fonctionné de manière anticyclique, c'est-à-dire comme « absorbeurs de chocs », face à une crise qui est d'abord celle des pays développés. Il y a dix ans, ils auraient ajouté leur crise à la nôtre et le résultat aurait été épouvantable, sans commune mesure avec ce que nous avons connu. C'est p o u r q u o i la mondialisation de l'économie n'est pas v r a i m e n t remise en cause par la crise ?
I*1 Auteur notamment de L'économie de la panique. Faire face aux crises financières, éd. La Découverte, 2002.
Pour une part, oui. Tout le monde a compris très vite, même Nicolas Sarkozy, qu'il fallait à tout prix éviter le repli protectionniste. C'est devenu le g r 0 s mot interdit ! Lors de la crise en Asie, c'était le contrôle des mouvements ,
de capitaux : rejeter catégoriquement cette option était le test numéro un pour être considéré comme sérieux - la différence, c'est qu'on se trompait il y a dix ans, mais pas aujourd'hui.
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Cela étant, le protectionnisme doit se comprendre comme un choix rationnel : c'est la réponse mauvaise à une situation devenue chaotique, incontrôlable, lorsque la préservation du pré carré, c'est-à-dire de l'ordre social, s'impose à la décision politique. C'est comme cela que les choses se sont passées après la crise de 1929. Aujourd'hui, à l'inverse, la solidité du système international, la convergence sans doute plus forte des principaux intérêts, c'est-à-dire l'intégration très forte des différentes économies, et bien sûr les leçons du passé ont puissamment joué. Ainsi que la solidité des économies émergentes, qui ont ancré l'économie mondiale et qui sont un des moteurs sur lesquels on peut compter aujourd'hui pour adosser les plans de relance et retrouver un régime de croissance soutenable.
Ceci justifie-t-il qu'on donne à ces pays davantage de place dans la gouvernance économique internationale, par exemple au G20 ou au Fonds monétaire international (FMI) ? Certainement. Sur les sommets où se rencontrent les grands de ce monde, ceux qui ne savent pas mettre leur maison en ordre n'ont simplement pas voix au chapitre. En revanche, lorsque vous réalisez 8 % de croissance par an, et que vous tenez dans la tempête, vous devenez une star. Cependant, le débat actuel est mal posé. Une meilleure assise économique et une meilleure représentation aux sommets mondiaux n'impliquent pas nécessairement que l'on sache se saisir du pouvoir, ni que l'on contribue à la gestion des biens communs internationaux, plutôt que de défendre ses
TOUT LE MONDE EN CONVIENT, IL EXISTE UN V R A I RISQUE, À PRÉSENT QUE S'ATTÉNUE LA CRISE FINANCIÈRE, QUE LE BUSINESS AS USUAL R E P R E N N E
propres intérêts. Dans le cas de la Chine, ce dernier point est très hypothétique. Idem avec le Brésil et l'Inde, pour ne pas parler de la Russie. En d'autres termes, ce n'est pas parce qu'on a des institutions plus représentatives au plan international que l'on gouverne mieux. Cynique au plan national, la proposition me paraît ici incontestable.
Les pays du G20 se sont pourtant engagés dans une vraie réforme du système financier... Indéniablement, ils prennent le problème très au sérieux. Le renforcement des fonds propres des banques, l'encadrement des bonus des traders, les paradis fiscaux, les normes comptables, la surveillance des fonds spéculatifs et des produits dérivés, les agences de notation, toute ces questions sont sur la table. Pour chacune, des propositions concrètes sont faites, des groupes d'experts constitués, des calendriers de réforme programmés. Reste bien sûr à savoir ce qui sera effectivement mis en place. Tout le monde en convient, il existe un vrai risque, à présent que s'atténue la crise financière, que le business as usual reprenne - comme après la crise de 1997 en Asie. Déjà, les grandes banques américaines ont retrouvé leur assise et leurs profits, et par conséquent leurs énormes capacités de lobbying auprès des pouvoirs publics. En ce moment même, Wall Street exerce une pression sans mesure
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La crise -
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sur le Congrès américain. Les jeux d'influences autour des régulateurs européens et britanniques se mènent au grand jour : il suffit d'ouvrir le Financial Times pour suivre les débats sur la régulation des hedge funds ou sur les paradis fiscaux. L'affaire n'est cependant pas perdue. N'oubliez pas qu'avec cette crise, les banquiers centraux, les superviseurs, les « technos » des ministères des Finances ou du FMI ont passé deux années en enfer. Ce n'était pas pareil en 1997, lorsqu'il s'agissait « seulement » du gouverneur de la banque centrale indonésienne ou de ministres russes ! Je ne suis pas sûr qu'ils soient disposés à passer l'affaire par profits et pertes et à se contenter de ne modifier le statu quo qu'à la marge. S'ajoute le fait que les contribuables vont payer pendant longtemps pour le traitement de cette crise : la représentation parlementaire a donc son mot à dire et si elle fait bien son travail, elle peut peser. Il revient aux politiques d'imposer un cap précis à leurs experts et de faire en sorte que les difficultés ne soient pas enterrées ou laissées dans les mains des lobbies.
A côté de ces avancées sur le front de la régulation financière, le sommet de Pittsburgh n'a pas vraiment abordé les déséquilibres macroéconomiques. Ce n'est plus le sujet ? Cela reste un sujet central, mais qui est effectivement passé au second plan. La dimension principale de ces enjeux macroéconomiques reste le déséquilibre sino-américain, qui a fait couler tant d'encre depuis le début de la décennie. S'il en est moins fait état aujourd'hui, c'est peut-être parce que les Chinois sont suffisamment forts pour faire taire toute critique sur leur politique de change. On ne leur fait plus la leçon. En outre, demander aux Chinois de consommer plus chez eux pour exporter moins d'épargne poserait fatalement la question de l'insuffisance d'épargne des Américains ou de leur surendettement. Or à l'heure qu'il est, consommer moins et épargner plus n'est vraiment pas la priorité de l'administration Obama ! Donc on continue, et les risques sous-jacents ne font que s'accroître, même après avoir contribué à la crise actuelle. · Propos recueillis par Bertrand Richard et Antoine de Ravignan
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La rise - CHAPITRE ^ Changeri
Changer de modèle
La crise a m o n t r é les limites d'un m o d è l e de croissance inégalitaire et productiviste. La réduction des inégalités n'est pas s e u l e m e n t un enjeu de justice sociale, c'est aussi la condition p o u r r e n o u e r avec une prospérité plus stable et plus respectueuse de l'environnement. 1
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La crise du modèle inégalitaire Il faut mettre un terme au cycle de montée des inégalités sociales qui a largement contribué à la crise. Une tâche qui supposerait notamment de réhabiliter la fiscalité progressive. Pas évident à court terme.
L
a crise va-t-elle sonner le glas de la montée des inégalités dans les sociétés occidentales ? Elle a en tout cas déjà démenti les prophéties selon lesquelles leur creusement est un mal nécessaire si l'on veut atteindre une plus grande efficacité économique. Non seulement la dynamique inégalitaire mise en place depuis trente ans n'a pas produit les bienfaits escomptés, mais elle a été l'un des ressorts de la crise actuelle. Il n'est pourtant pas sûr que cette fin de cycle idéologique s'accompagne d'une transformation aussi rapide des réalités sociales : il y a parfois loin de l'épuisement d'une idée au renouvellement des politiques qu'elle a suscitées...
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la plupart des pays développés font le choix de politiques keynésiennes adossées au déploiement de protections sociales ambitieuses. Comme le dit alors William Beveridge, le fondateur de la protection sociale britannique, * la guerre a donné de l'importance aux gens ordinaires ». La guerre, mais aussi l'expérience de la crise de 1929, la tragique leçon des années 1930 et la compétition avec le modèle communiste à l'Est, qui apparaissait encore à l'époque comme prometteur. La redistribution des énormes gains de productivité réalisés au cours des décennies suivantes permet en tout cas de porter les inégalités à un niveau historiquement bas au milieu des années 1970.
La remontée des Inégalités Depuis, cette mécanique s'est inversée. La remontée des inégalités n'a été nulle part aussi prononcée qu'aux Etats-Unis : de 1979 à 2004, tandis que les 20 % les plus pauvres voyaient leurs revenus progresser de 6 %, les 20 % les plus aisés enregistraient une augmentation de 69 % (et de 176 % pour le 1 % le plus fortuné !). Comme l'ont montré les économistes Thomas Piketty et Emmanuel Saez, il faut remonter à... 1929 pour trouver de tels écarts dans la patrie de Roosevelt. Quoique plus lent et plus tardif, le phénomène n'en a pas moins aussi touché l'Europe. Ces dix dernières années, les inégalités de revenus entre les 20 % les plus pauvres et les 20 % les plus riches ont vu leur rapport progresser de 4,6 à 5 pour l'ensemble de l'Union européenne. Ces moyennes cachent cependant
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La crise -
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d'importantes disparités. Les pays scandinaves restent dans une fourchette basse, mais de grands pays comme l'Allemagne enregistrent une hausse soutenue. Le Royaume-Uni, qui connaissait quant à lui un niveau d'inégalités déjà élevé, continue sur sa lancée. La France, de son côté, connaît une apparente stabilité. Mais ces données ne tiennent compte que de façon parcellaire des revenus du patrimoine. En France comme dans beaucoup d'autres pays occidentaux, elles occultent en effet, en haut de la distribution, une catégorie d'« ultrariches » survitaminés aux stock-options et autres produits financiers, dont les revenus ont augmenté de manière faramineuse (voir encadré ci-dessous). Dans le même temps, en bas de la distribution, la crise vient ajouter un supplément de précarité et d'exposition au chômage à des situations déjà très compliquées : les dépenses contraintes (alimentation, loyers, transports, énergie) occupent en effet une part croissante du budget de ces ménages.
Un mal nécessaire ? Ces constats auraient dû inquiéter les gouvernements. En pratique, la montée des inégalités a souvent été perçue, au contraire, comme la condition d'un redressement de la croissance. La frugalité salariale était censée permettre de contenir le coût du travail et de soutenir la compétitivité des
J Inégalités m a s q u é e s Les données historiques diffusées par l'Insee font apparaître en France une nette diminution des inégalités salariales de la fin des années 1960 au milieu des années 1980. Le rapport du seuil des salaires des 10 % les moins bien payés avec celui des 10 % les mieux payés, n'est plus « que » de 1 à 3 à la fin de cette période, contre 1 à 4,2 au début. Et depuis plus de vingt ans, ces inégalités se seraient stabilisées selon l'institut de la statistique, voire continueraient un peu à décroître. Mais où passent donc alors les revenus mirifiques des dirigeants et des traders, équivalant à des centaines d'années de Smic ? Ce paradoxe mérite quelques explications. Tout d'abord, l'Insee compare le salaire le plus haut des 10 % les moins bien payés avec le salaire le plus bas des 10 % les mieux rémunérés. Or l'explosion des hautes rémunérations concerne une toute petite minorité de managers salariés. En fouillant dans les données de l'Insee, on trouve quelques indices. Par exemple, selon l'institut, le pouvoir d'achat des salaires des dirigeants de société anonyme a gagné 58 % sur la période 1998-2007, soit dix fois plus que le pouvoir d'achat de leurs salariés, dont le salaire net moyen n'a augmenté que d'un peu plus de 5 % après inflation. Ces dirigeants ont ainsi gagné 2 000 euros de plus par mois, quand le salarié moyen se contentait d'une centaine d'euros...
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Un chercheur de l'Ecole d'économie de Paris, Camille Landais, a essayé d'en savoir plus >1>. Il a exploité les déclarations de l'Impôt sur le revenu, à la suite des travaux réalisés par l'économiste Thomas Piketty. Il est vite tombé sur des données qui décrivent mieux la réalité. Le 0,01 % des salariés les mieux payés a vu ses rémunérations augmenter de 68,9 % entre 1998 et 2006, alors que les salaires des 90 % les moins bien payés n'ont crû, eux, que de 0,9 % (voir tableau). Louis Maurln [1] « Les hauts revenus en France (1998-2006) : une explosion des inégalités », 2007. Accessible surwww.inegalites.fr/IMG/ pdf/hautsrevenuslandais.pdf
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Changer de modèle ^
entreprises au moment où la mondialisation leur imposait une concurrence impitoyable avec les économies émergentes et leur abondante main-d'œuvre à bas coût. L'adage mille fois répété était qu'avant de partager la richesse, il fallait la produire. La redistribution des gains de productivité fut donc reléguée au rang des conséquences escomptées et non des conditions d'une bonne politique. Les libéraux soutenaient également la déréglementation du marché du travail afin que les entreprises puissent ajuster plus rapidement leur masse salariale aux fluctuations de leur activité. Pour les mêmes raisons, ils souhaitaient contenir l'évolution du salaire minimum, voire en modifier substantiellement les règles de calcul. Comme, parallèlement, rien ne fut fait pour soutenir le contre-pouvoir syndical dans l'entreprise (quand un antisyndicalisme déclaré ne fut pas mis en place, comme aux Etats-Unis), les salariés se trouvèrent peu à peu isolés et affaiblis dans leurs capacités de résistance et de négociation. Cette dynamique inégalitaire avait aussi pour but de favoriser la prospérité des riches, considérée comme un puissant facteur de relance économique. Contre les représentations du rentier plus soucieux du rendement de son épargne que de sa contribution au progrès et à l'innovation, les libéraux cherchaient à imposer l'image d'un investisseur intrépide, créateur d'emplois et consommateur insatiable de biens et de services à forte valeur ajoutée. Ce programme de relance par les inégalités - ou « keynésianisme inégalitaire » - trouva sa traduction la plus évidente dans les politiques d'allégement de la facture fiscale pour les plus aisés, menées à grande échelle dès les années 1980 par des figures aussi emblématiques que Ronald Reagan aux Etats-Unis et Margaret Thatcher au Royaume-Uni. Le « paquet fiscal » adopté en France en 2007 en est l'un des plus récents exemples.
Un ajustement par l'endettement L'expérience de la crise vient cependant de démontrer que tout cela n'a guère fonctionné. D'une part, ce qui n'a pas été donné aux plus modestes n'a pas seulement profité à l'investissement productif, à la compétitivité, ni même à la création d'emplois, mais aussi et surtout à un gonflement excessif du prix des actifs et à la rémunération du capital : les rendements déraisonnables que le système financier, fort d'une autonomie et d'un pouvoir croissants, a exigés des entreprises ont « pompé » une part plus que proportionnelle de la valeur ajoutée. D'autre part, dans des économies dont le produit intérieur brut (PIB) dépend lourdement de la consommation des ménages (jusqu'à 70 % aux Etats-Unis !), les individus ont été priés d'être des salariés compréhensifs tout en restant des consommateurs boulimiques. Cette injonction paradoxale n'a pu être surmontée qu'en favorisant le recours au crédit. Or cet ajustement par l'endettement des ménages (en particulier sur l'immobilier) a bandé le premier ressort de la crise. Si le système financier en a démultiplié et disséminé les effets en en faisant un objet de spéculation, la cause première du problème réside bien dans un régime de croissance qui tente de concilier surproduction et surconsommation. Ce modèle de croissance fondé sur le crédit est cependant d'abord une affaire
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américaine, et les inégalités n'ont pas la même ampleur de part et d'autre de l'Atlantique. Ce sont surtout les dysfonctionnements du système financier qui ont transformé ces difficultés en déflagration mondiale.
un sérieux avertissement Toujours est-il que l'exemple américain est un sérieux avertissement pour tous ceux qui seraient tentés de continuer sur le chemin d'une augmentation des inégalités. Si la contradiction entre compression des salaires et encouragement à la surconsommation n'atteint pas en Europe le niveau américain, elle alimente déjà les frustrations d'un individualisme non solvable, c'est ]'« individualisme négatif» dont parle le sociologue Robert Castel : les modèles d'accomplissement de soi, de maîtrise de son destin et de réussite sociale placés sous les yeux des individus appellent toujours plus d'autonomie et de moyens, au moment même où ceux-ci leur deviennent de plus en plus inaccessibles. Dans ces conditions, le ressentiment né de l'écart entre les valeurs les plus largement diffusées et la réalité économique et sociale ne peut qu'aigrir davantage. Si l'on veut conjurer à la fois le retour d'une crise de ce type et les complications politiques qui pourraient en résulter, il faudrait donc désormais s'attaquer I u n e fiscalité de moins en moins progressive Contrairement aux impôts proportionnels (comme la TVA) dont le taux est constant, les impôts progressifs ont un taux qui s'élève avec la base d'imposition (le revenu imposable, le patrimoine, etc). Les travaux de l'économiste Thomas Piketty ont montré que ce type de fiscalité avait permis de réduire fortement les inégalités après la Seconde Guerre mondiale. En effet, dans les années 1930, mais surtout pendant la Seconde Guerre mondiale, les pays développés ont mis en place une telle fiscalité, qui a même eu un caractère quasi confiscatoire pour les (très) très hauts revenus, puisque les taux d'imposition sur les tranches supérieures de revenu ont dépassé pendant plusieurs dizaines d'années les 80 % aux Etats-Unis. Mais à partir du milieu des années 1960, la progressivité de l'impôt a commencé à se réduire
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fortement outre-Atlantique. Puis la suprématie du discours libéral et la concurrence fiscale ont amené tous les Etats à la limiter fortement. La France n'a pas échappé à cette tendance : depuis le début des années 2000, les impôts progressifs, qui jouaient déjà traditionnellement un faible rôle dans sa fiscalité, ont été vidés de leur substance. Les gouvernements de ces dernières années ont abaissé notablement les taux supérieurs de l'impôt sur le revenu. Ils ont aussi réduit à sa plus simple expression l'impôt sur les successions, multiplié les niches fiscales... Autorisant ainsi, au nom d'une supposée efficacité économique, une remontée des inégalités de revenus et de patrimoine. Pourtant, si on voulait aujourd'hui réellement limiter les revenus des PDG ou des traders, la fiscalité progressive resterait la solution la plus efficace...
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aux inégalités. La crise s'est traduite par de gigantesques transferts des contribuables vers un système bancaire qu'il fallait sauver de l'effondrement, par de fortes augmentations du chômage exposant les moins favorisés à d'importantes pertes de revenus et, finalement, par un durcissement de l'accès au crédit pour les ménages. Dans un tel contexte, la réduction des inégalités est non seulement un enjeu économique pour la relance de l'activité, mais d'abord et surtout, un impératif démocratique et moral. A cet égard, la question des rémunérations les plus élevées s'avère stratégique si l'on veut ramener la confiance au sein des sociétés elles-mêmes. Des propositions ambitieuses et contraignantes sont attendues notamment pour limiter les bonus et encadrer la rémunération des dirigeants et des traders. De la même manière, la solidarité face
LA RÉDUCTION DES INÉGALITÉS
à la crise appelle des politiques fiscales différentes
EST N O N SEULEMENT UN ENJEU
de celles qui ont prévalu ces dernières années. D'un
ÉCONOMIQUE POUR LA RELANCE
côté, le poids accru de la dette publique ne permet
DE L'ACTIVITÉ, MAIS D'ABORD
plus d'envisager sérieusement de nouvelles baisses
ET SURTOUT, UN IMPÉRATIF
d'impôts. De l'autre, les efforts qui ont été demandés
DÉMOCRATIQUE ET MORAL
aux classes moyennes et populaires ainsi que la nécessité de soutenir la consommation des ménages requièrent désormais une contribution renforcée des plus aisés. L'un des moyens éprouvés pour y parvenir serait d'augmenter substantiellement le taux de la dernière tranche de l'impôt sur le revenu. C'est ce que le président américain Franklin D. Roosevelt avait fait, dans les années 1930, en le portant à des niveaux quasi confiscatoires pour les très hauts revenus.
La fin de l'hégémonie libérale ? Mais si l'on veut s'attaquer à la racine du problème, il faut remettre en cause plus largement le régime de croissance qui a alimenté et justifié la montée des inégalités depuis trente ans. La stagnation des salaires et la déréglementation du marché du travail ne peuvent plus être considérées comme une contrepartie nécessaire au dynamisme économique, sauf à compromettre gravement la cohésion sociale, voire la stabilité politique de nos pays. A condition que soient soutenus parallèlement de puissants efforts d'innovation, un autre régime de croissance devrait permettre de nouveau la redistribution des gains de productivité à tous. Les équilibres d'hier sont d'autant plus intenables que les sociétés vont devoir négocier un virage écologique sans précédent dans leur histoire, imposant des changements considérables dans les modes de production et de consommation. Bref, l'âge de l'hégémonie libérale a vécu. Reste à savoir si les démocraties occidentales sauront trouver l'énergie pour prendre des initiatives d'ampleur comparable à celles de l'immédiat après-guerre sans avoir à subir des épreuves aussi douloureuses. On peut en douter à court terme. Ces évolutions se heurtent en effet à de nombreuses contraintes. La période de faible croissance qui s'annonce, lestée par un endettement public record, risque fort de s'accompagner d'une séquence d'austérité qui pourrait geler durablement l'état des inégalités. Par ailleurs, la concurrence
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La crise - CHAPITRE er de m o d è l e
chinoise qui pèse sur les salaires va très probablement se poursuivre. Quant à la révolution fiscale, elle peinera certainement à réunir suffisamment de suffrages pour s'imposer dans les urnes. Dans le même temps, les sociaux-démocrates cherchent vainement les contre-pouvoirs susceptibles d'agir sur le capitalisme et d'en infléchir l'évolution : à quelques exceptions près, les taux de syndicalisation sont historiquement bas. Les sociétés occidentales se trouvent de fait dans une situation inconfortable et dangereuse. La crise a imposé une défaite historique à l'idéologie libérale, mais cette défaite reste essentiellement intellectuelle. Les contours d'un modèle de croissance plus juste se cherchent encore. · Thierry Pech
Les managers, rois du capitalisme financier En faisant alliance avec les investisseurs Institutionnels, les managers ont été les grands gagnants de la montée des marchés financiers. Les salariés et les petits épargnants y ont perdu en revenu et en sécurité.
L
a grande divergence », c'est le titre du chapitre que Paul Krugman, le prix « Nobel d'économie » 2008, consacre dans son ouvrage L'Amérique que nous voulons111 au formidable creusement des inégalités intervenu outreAtlantique depuis les années 1970. Il caractérise ainsi la période actuelle par rapport aux périodes antérieures de fortes inégalités : « Si l'Américain à haut revenu vers 1905 était par essence un baron de l'industrie qui possédait des usines, son homologue cent ans plus tard est un cadre supérieur immensément récompensé de ses efforts par des primes et des stock-options. »
Des patrons propriétaires aux managers salariés A la fin du XIX e siècle et au début du XX e , les entreprises étaient dirigées généralement par des patrons propriétaires. Et leurs salariés étaient, pour l'essentiel, des « prolétaires », comme ceux que décrivait Karl Marx, des gens qui n'avaient pas les moyens d'épargner et qui étaient contraints de travailler pour survivre au jour le jour. Puis, progressivement, les propriétaires ont cessé d'exercer eux-mêmes la direction de leur entreprise ; ils en ont confié la gestion à des managers salariés. Alors que, parallèlement, se développaient des marchés financiers qui attiraient des petits porteurs, rendant de ce fait l'actionnariat des entreprises de plus en plus éclaté. Dans le même temps, suite notamment à la crise de 1929, tous les Etats développés ont, selon des modalités et à des degrés divers, cherché à améliorer la situation des salariés en développant notamment des systèmes de protection sociale. Ils ont également reconnu aux syndicats un pouvoir de négociation important, tant au sein des entreprises, qui restaient 111 Ed. Flammarion, 2008.
encore très nationales, que dans la société. Enfin, ils ont institué une fiscalité très progressive sur les revenus et les héritages, ce qui a contribué à faire
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éclater davantage encore la propriété des entreprises. Dans un tel contexte, le capitalisme est devenu managérial, comme l'ont observé des auteurs comme John K. Galbraith. Les managers salariés n'avaient plus qu'un lien de dépendance très théorique à l'égard d'actionnaires nombreux et dispersés. Ils privilégiaient donc l'extension de leur empire, garant de celle de leur bureau, plutôt que l'accroissement des profits à reverser aux actionnaires sous forme de dividendes ou de plus-value sur les actions. Pour ce faire, ils passaient des compromis avec les organisations syndicales et acceptaient de partager avec les salariés les gains de productivité réalisés.
L'alliance avec la finance, et tout bascule Dans les années 1970, ce compromis est partout remis en cause. Le premier choc pétrolier est passé par là, de même que le développement de la stagflation, c'est-à-dire l'existence conjointe de l'inflation et du chômage. Du côté de la vie politique, arrivent au pouvoir des gouvernements qui abaissent brutalement la fiscalité progressive sur les revenus et les patrimoines. Ce sont Ronald Reagan aux Etats-Unis et Margaret Thatcher au Royaume-Uni. Ils s'attaquent
¡ J » » îaru pot d e s s t o c k - o p t i o n s Entre 1936 et 1939, la rémunération moyenne des 150 dirigeants les mieux payés des 50 plus grandes entreprises américaines représentait 82 fois le salaire moyen. Entre 1960 et 1969, ce ratio était tombé à 39, après ce que Paul Krugman appelle la « grande compression », intervenue à la suite notamment de la mise en place par le président Franklin D. Roosevelt, après la crise de 1929, de taux d'imposition très élevés sur les plus hauts revenus. Mais, après l'élection de Ronald Reagan en 1980, ce ratio est remonté en flèche, pour atteindre 187 durant la décennie 1990 et culminer à 367 au début des années 2000 ! Cette envolée est liée en particulier au développement d'un mécanisme de rémunération qui n'existait quasiment pas avant les années 1950, mais qui concerne aujourd'hui 90 % des patrons américains : les stock-options (*). Celles-ci, qui ne représentaient encore que 11 % des rémunérations des 150 plus grands patrons américains dans les années 1960, en pesaient 48 % au début des années 2000. Du coup, alors que la rémunération directe de ces dirigeants n'a été, en moyenne, multipliée « que » par 3,1 en dollars constants entre les années 1960 et le début des années 2000, leur rémunération totale, elle, est devenue 8,5 fois plus élevée.
forme de stock-options. Lentement, mais sûrement, la norme inégalitaire mise en place depuis une vingtaine d'années apparaît de plus en plus illégitime. Une inversion de la tendance dépend cependant avant tout d'une chose : un retour du balancier en matière fiscale. A cet égard, les bonnes intentions affichées par les dirigeants du G20 pour la mise au pas des paradis fiscaux constituent un enjeu central : c'est largement leur existence qui justifiait jusqu'ici que les Etats baissent la garde dans la lutte contre les inégalités via la fiscalité.
Depuis l'éclatement de la bulle high-tech en 2001, on assiste cependant à une certaine stabilisation des plus hauts revenus. Avec même, en France, un recul significatif des rémunérations accordées sous
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La crise -
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également aux syndicats et à leur pouvoir. Et favorisent l'internationalisation des firmes en libéralisant les échanges. Le paysage change aussi profondément du côté des marchés financiers : les actionnaires individuels sont de plus en plus remplacés par des professionnels, les investisseurs institutionnels (les « zinzins » dans le jargon boursier). Ceuxci collectent l'épargne de salariés qui ont cessé d'être, pour nombre d'entre eux, des prolétaires. Une épargne notamment destinée à financer leur retraite avec les fameux fonds de pension, mais pas seulement. Les entreprises, quant à elles, restent dirigées par des managers salariés, mais dans ce contexte transformé, ceux-ci changent leur fusil d'épaule. Ils rompent leur alliance implicite avec les syndicats et cela d'autant plus facilement que les effets du changement technologique et de la mondialisation les y aident : dans des entreprises internationalisées, en réseau, les syndicats sont bien incapables de présenter un front commun face aux directions qui jouent les salariés des différents pays les uns contre les autres, tout en externalisant une part croissante de l'emploi. Les managers font alors alliance avec les investisseurs institutionnels, acceptant notamment, via les stock-options, de lier leur sort à celui du cours des actions.
Stagnation des salaires et revenus extravagants Les couches moyennes salariées, détentrices en dernier ressort des actifs placés en leur nom par les investisseurs institutionnels, n'ont pas vraiment été les gagnantes d'une telle évolution. Côté salaires, elles ont subi la stagnation qui a résulté du nouveau régime de croissance ; côté patrimoine, elles ont souvent été flouées, que ce soit avec l'éclatement de la bulle high-tech en 2001 ou depuis l'été 2007 avec l'onde de choc de la crise financière. En revanche, les managers et les gestionnaires de fonds qui avaient partie liée entre eux eux s'en sont très bien sortis jusqu'à présent. A la Société générale, par exemple, qui employait Jérôme Kerviel et qui est aussi la banque la plus « avancée » en France sur la finance de marché, l'ancien PDG Daniel Bouton n'a gagné en 2007 « que » 3,2 millions d'euros, soit l'équivalent de 208 ans de Smic, mais les dix salariés les mieux payés de sa banque ont touché en moyenne 7,1 millions d'euros, soit 462 années de Smic ! Le problème provient notamment du fait que les modes de rémunération, tant des managers que des gestionnaires de fonds, sont le plus souvent asymétriques : ils gagnent beaucoup quand ils prennent des risques avec succès, mais ne perdent rien en cas d'échec. Ce qui les pousse à prendre et à faire prendre des risques inconsidérés aux entreprises qu'ils dirigent ou pour lesquelles ils placent des fonds. Au final, en termes d'inégalités, on en est revenu à bien des égards à la situation qui prévalait au début du XX e siècle. Les managers, et au premier chef les acteurs de la finance, ont réussi à profiter de la vogue des discours sur la valeur actionnariale pour rendre le système beaucoup plus profitable pour eux. Une formidable leçon de judo. ·
Guillaume Duval
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« Socialiser le capitalisme » La crise actuelle révèle le besoin de contre-pouvoirs plus efficaces à l'intérieur des firmes. Trois scénarios sont envisageables pour faire évoluer la gouvernance d'entreprise. Quels sont les enjeux de la gouvernance d'entreprise ? Diriger une entreprise, c'est prendre des décisions et choisir des stratégies dont les répercussions vont bien au-delà de l'entreprise elle-même. Aussi, depuis l'origine du capitalisme, la gouvernance d'entreprise est-elle en débat : qui décide de la direction à prendre, au nom de quels intérêts, comment sont choisis et contrôlés les dirigeants, quels contre-pouvoirs permettent de réguler le système ? Les parties prenantes de l'entreprise - c'est-à-dire les propriétaires capitalistes, les dirigeants, les salariés et la collectivité - ont des intérêts divergents à défendre. Leurs rapports de force constituent un gouvernement d'entreprise, c'est-à-dire un équilibre d'institutions, de règles et de pratiques qui délimitent le pouvoir de diriger. Depuis deux siècles, plusieurs régimes se sont succédé : régime familial et paternaliste au XIX e siècle, managérial et technocratique entre 1930 et 1980, actionnarial marchand depuis une vingtaine d'années. Parallèlement, des contre-régimes ont proposé des alternatives : coopératisme ouvrier, mutualisme ou étatisation. La question du gouvernement des entreprises va donc bien au-delà de l'organisation formelle des pouvoirs de direction et de contrôle. Elle interroge les pressions exercées par les parties prenantes pour légitimer l'exercice du pouvoir économique, notamment dans les entreprises capitalistes. La crise de 2007-2008 ouvre probablement une nouvelle période pour la gouvernance d'entreprise.
Quelles sont les perspectives ? La réponse à cette question dépendra largement de la façon dont les différentes parties prenantes comprendront leur rôle dans le gouvernement des entreprises et se saisiront (ou non) de l'occasion historique de le jouer. On peut proposer trois scénarios : le déni, le dépassement et l'appropriation sociale. Dans les trois cas, le pouvoir politique jouera un rôle décisif. Selon le scénario du déni, la crise financière traduirait simplement une panne momentanée d'un régime de gouvernance fondamentalement vertueux. Pour ses tenants libéraux, l'information communiquée au marché n'a pas été assez contrôlée ; des dérives ont donc été possibles. Il faut remettre de l'ordre dans l'industrie financière en améliorant la communication et le contrôle des informations de manière à rendre les marchés encore plus efficaces. Ce scénario conduirait les Etats à imposer des normes d'information plus strictes aux entreprises. Après un temps de réforme pour plus de transparence, la gouvernance orientée par la finance resterait le régime de référence. Avec le scénario du dépassement, la crise financière signe l'échec de ce régime et la nécessité de revenir en arrière. La légitimité réelle des proprié-
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La rise - CHAPITRE
taires capitalistes est en cause, en particulier parce qu'ils sont déconnectés de l'entreprise et lui imposent des choix purement financiers. Selon ce scénario, on doit encourager les modifications de gouvernance permettant de contrebalancer le pouvoir des propriétaires capitalistes par d'autres parties prenantes, les salariés et la puissance publique principalement. Une recomposition de l'organisation des conseils d'administration permettrait d'en faire des lieux de contre-pouvoir où serait représentée la diversité des intérêts des parties prenantes. Sur le modèle allemand, des administrateurs salariés, et même des représentants de la puissance S E L O N LE S C É N A R I O
publique dans des entreprises jugées sensibles,
DE L ' A P P R O P R I A T I O N SOCIALE,
interviendraient avec la même légitimité que les
L A FAIBLESSE D U S Y S T È M E A C T U E L
représentants d'actionnaires pour contrôler les
VIENT DE LA SOUS-REPRÉSENTATION
stratégies des entreprises.
DES A C T I O N N A I R E S V É R I T A B L E S
Enfin, le scénario de l'appropriation sociale
QUE S O N T LES É P A R G N A N T S .
considère que la faiblesse du système actuel vient,
L E U R RÔLE A ÉTÉ SUBTILISÉ
paradoxalement, de la sous-représentation des
PAR L'INDUSTRIE F I N A N C I È R E
actionnaires véritables que sont les épargnants. Leur rôle a été subtilisé par l'industrie financière.
Selon ce scénario, il s'agirait de politiser l'intermédiation entre les épargnants et le capital, de « socialiser » le capitalisme, selon un mot de Peter Drucker. Des groupes d'influence représentatifs de catégories d'actionnaires (comme les salariés) et des associations représentatives d'intérêts sociétaux ou éthiques pourraient défendre leur patrimoine au nom d'intérêts qui ne se résument pas à la seule performance financière. Utilisant les principes mêmes du capitalisme, c'est leur capacité à mobiliser le pouvoir que donne la propriété capitaliste qui serait décisive.
Lequel de ces scénarios a le plus de chance de s'imposer ? Les scénarios du dépassement et de l'appropriation sociale ne sont pas forcément exclusifs l'un de l'autre. Tous deux supposent une prise de conscience de la société sur la signification réelle d'un capitalisme de masse. Cette prise de conscience et la mobilisation qu'elle implique seront déterminantes pour orienter les choix politiques de la puissance publique. Sans elles, il ne faudra pas s'étonner que les Etats choisissent la position la plus simple : réparer les excès du régime de gouvernance par les marchés financiers et le remettre en selle. ·
Propos recueillis par G. D.
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Et si on démocratisait l'économie ? De l'instauration d'un salaire maximum à la construction d'une vraie sécurité sociale professionnelle, quelques pistes pour corriger les graves dérives qui ont mené à la crise.
S
a suffit comme ça ! Après les affaires Enron et tant d'autres en 2000-2001, la crise actuelle confirme qu'il est plus que temps de limiter les inégaet de faire entrer un peu de démocratie dans les entreprises. Pourquoi les actionnaires devraient-ils décider seuls de leur avenir avec les dirigeants qu'ils nomment ? Alors que ce sont surtout les salariés qui trinquent dès que cela tourne mal. Par ailleurs, limiter les inégalités, ce n'est pas seulement une question de morale mais aussi d'efficacité économique : ces inégalités fantastiques et la cupidité sans borne des plus riches sont à l'origine des prises de risque insensées qui ont provoqué la crise actuelle. Quelques pistes, sans prétention à l'exhaustivité, pour corriger ces graves dérives.
Et si... les membres des conseils d'administration étaient pour moitié des salariés ? Vous n'y pensez pas ! Pourtant, c'est déjà le cas en Allemagne, et ce depuis 1951 : dans toutes les entreprises de plus de 2 000 salariés, la moitié des membres du conseil de surveillance sont des représentants des salariés. Et cela n'empêche pas les succès de l'économie allemande. On peut même penser que cela les explique en bonne partie. La présence de salariés au sein du conseil d'administration contraint en effet les dirigeants à ne pas avoir pour seule préoccupation de satisfaire les attentes des actionnaires lors des prochains résultats trimestriels. Elle les incite à adopter une gestion moins soumise à la dictature du court terme, à développer de nouveaux produits, à investir dans la recherche, etc. Cette présence des salariés, qui n'est pas du tout une exclusivité allemande, ne résout évidemment pas tous les problèmes et la gestion des entreprises outreRhin n'est pas toujours un modèle de transparence. Reste que la gouvernance d'entreprise à l'américaine a définitivement fait faillite. Il est donc grand temps que l'ensemble des parties prenantes à la vie des entreprises soient associées à leur gestion. Et pas seulement d'ailleurs dans les grandes entreprises.
Et si... on instaurait un salaire maximum ? Cette idée pouvait passer, il y a quelques années encore, pour une utopie fumeuse, mais entre-temps, le gouvernement allemand, puis Barack Obama, le président des Etats-Unis, l'ont fait : les salaires des dirigeants des grandes entreprises américaines aidées par l'Etat fédéral ont été plafonnés à 500 000 dollars par an tant que cette aide ne sera pas remboursée. Pourquoi ne pas appliquer cette règle à toutes les entreprises ? Après tout, elles sont
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La crise -
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en permanence indirectement aidées par la puissance publique à travers les infrastructures que celle-ci met à leur service. Que ces infrastructures soient matérielles - routes, électricité, téléphone - ou immatérielles - éducation, santé... Le succès d'une firme dépend bien davantage des efforts qui ont été réalisés, souvent sur plusieurs siècles, pour lui fournir un environnement favorable que des qualités personnelles de ses dirigeants. La société est donc parfaitement légitime à s'immiscer dans M Ê M E DANS LA MONDIALISATION
le niveau des rémunérations distribuées dans
MAL RÉGULÉE D'AUJOURD'HUI,
les entreprises quand le marché engendre des
LES P A Y S QUI O N T C O N S E R V É
déséquilibres qui mettent en cause la cohésion
UN SYNDICALISME PUISSANT
sociale. Après tout, la puissance publique instaure
S O N T AUSSI CEUX QUI O N T SU
bien un salaire minimum, qui traduit le revenu
LE MIEUX ÉVITER JUSQUE-LÀ
au-dessous duquel la société considère qu'on ne
LES D É R I V E S DU C A P I T A L I S M E
peut vivre dignement de son travail.
À L'ANGLO-SAXONNE
Certes, mettre en place un salaire maximum est une affaire c o m p l e x e : quel niveau fixer ?
comment lutter contre les possibilités de contournement ? Mais on ne peut plus faire confiance à la vertu des dirigeants : les « codes de conduite » adoptés par les entreprises ont surtout permis d'éviter que le législateur interfère dans le petit jeu entre amis qui se joue au sein des comités des rémunérations... Et la crise actuelle rend encore plus légitime un plafonnement des hauts revenus. En effet, après que ceux qui les reçoivent ont pris les décisions qui ont plongé l'économie dans la récession, ce sont les contribuables qui paient l'addition et les salariés qui trinquent. Ceci dit, la mise en œuvre de taux marginaux d'impôt sur le revenu très élevés aurait des résultats analogues.
Et si... on supprimait l'héritage ? Les dernières décennies ont été marquées par une forte baisse de la taxation pesant sur les héritages. Comment croire qu'on puisse établir cette fameuse égalité des chances dont se réclament même les plus libéraux si on permet une transmission quasi intégrale des plus gros patrimoines ? Des patrimoines dont la distribution est encore plus inégale que celle des revenus. L'héritage engourdit les sociétés et les économies, car il favorise la reproduction des positions sociales de génération en génération et empêche l'émergence de nouveaux talents. Un retour à une forte taxation des héritages ne sera cependant socialement et politiquement acceptable qu'à condition de garantir à chacun le droit à une éducation de qualité, l'accès à un logement décent et à des soins de santé..., autrement dit des services publics de haut niveau. Cette abolition de l'héritage serait facilitée par la mise en œuvre parallèle de taux marginaux élevés pour l'impôt sur le revenu, ce qui réduirait mécaniquement toute possibilité d'accumuler des patrimoines colossaux.
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Et si... tous les salariés étaient syndiqués ? Le syndicalisme, un des contre-pouvoirs majeurs au sein des entreprises comme dans la société, s'est fortement affaibli au cours des dernières décennies. Cette évolution résulte de causes multiples : diminution de l'emploi industriel, individualisme plus poussé, chômage de masse aggravant la concurrence sur le marché du travail, pression à la baisse sur les salaires liée à la montée des pays émergents... Le recul syndical est cependant particulièrement marqué en France, notamment dans les petites entreprises, pourtant de plus en plus nombreuses, où les salariés ne disposent, en général, d'aucun moyen de se défendre collectivement. Du coup, faute de disposer de suffisamment d'adhérents, les organisations syndicales sont à la merci d'arrangements plus ou moins compromettants avec les entreprises et l'Etat pour se financer, limitant par là même leur capacité à représenter en toute indépendance les intérêts des salariés. A contrario, on constate que, même dans la mondialisation mal régulée d'aujourd'hui, les pays qui ont conservé un syndicalisme puissant, comme les pays Scandinaves, sont aussi ceux qui ont su le mieux éviter jusque-là les dérives du capitalisme à l'anglo-saxonne. Sans rencontrer de difficultés particulières pour s'insérer dans la division internationale du travail.
Et si... on construisait une vraie « sécurité sociale professionnelle » ? On peut rêver de supprimer le chômage ou d'interdire les licenciements. L'exemple de l'Union soviétique, où ce programme avait été réalisé, est là pour rappeler que ce n'est pas une solution, en termes d'efficacité économique comme de libertés individuelles. L'interdiction du chômage débouche toujours sur l'obligation de travailler. Une tentation totalitaire qui n'est malheureusement pas morte avec la chute du communisme : on la retrouve dans de nombreux pays capitalistes sous la forme du workfare, qui consiste à contraindre les pauvres à travailler en contrepartie de la maigre assistance qui leur est versée. Le licenciement doit être encadré pour éviter tout abus. Il faut également que la politique économique ait pour priorité de limiter au maximum le chômage. Mais il faut aussi et surtout garantir à ceux qui se trouvent momentanément dans cette situation des revenus décents, qui leur permettent de continuer à être des citoyens à part entière, et des possibilités réelles en termes de formation et d'accompagnement qui les aident à revenir aisément dans l'emploi. Et même d'y revenir avec davantage de billes que lorsqu'ils l'ont quitté, contribuant ainsi à accroître à la fois leurs capacités personnelles et le potentiel de l'ensemble de la collectivité. Cela fait un certain temps déjà que cette idée est affirmée en France, mais elle peine à être mise en œuvre. Nous vivons toujours dans une société où la moitié des chômeurs ne sont pas indemnisés et où les minima sociaux ne représentent que la moitié du seuil de pauvreté. Le revenu de solidarité active (RSA) n'y change rien, puisqu'il améliore seulement la situation des travailleurs pauvres. · G. D.
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La crise - CHAPITRE
Un N e w Deal vert pour le X X I e siècle La crise financière a ses origines d a n s l'explosion du n o m b r e de c o n s o m m a t e u r s pauvres. Face à cela, la r e c o n v e r s i o n de la société selon les n o r m e s du d é v e l o p p e m e n t durable serait un g i s e m e n t d'emplois et de croissance. P o u r ce faire, un véritable « N e w Deal v e r t » serait nécessaire.
Alain Lipietz, docteur en économie, ancien député européen (Verts) [ 11 Voir le blog d'Alain Lipietz : http://lipietz. net/spip.php?motl78
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V o u s d i t e s q u e c e t t e crise e s t à la fois s o c i a l e et e n v i r o n n e m e n t a l e . P o u r q u o i ? E s t - c e la fin de ce q u e v o u s a p p e l e z le « s y s t è m e libéralproductiviste »»> ? L'aspect libéral de la crise est ce qui l'apparente à la crise de 1929 : une accumulation de richesses qui ne trouvent plus à s'investir, car les pauvres sont trop pauvres pour acheter. Aux Etats-Unis, on a dépassé en 2007 la polarisation sociale de 1928, époque où le 1 % des plus riches se partageait quasiment le quart de la richesse nationale. Ainsi, en raison de la destruction achevée du New Deal inventé justement par Roosevelt pour remédier à la crise de l'entre-deux-guerres en développant une large classe moyenne, nous avons retrouvé il y a un peu plus d'un an le niveau de déséquilibre qui avait provoqué la crise de 1929.
La baisse du prix du pétrole : un mauvais signal pour la reconversion écologique de l'économie
Le tassement de la demande d'énergie s'est traduit par une chute spectaculaire des prix de l'énergie, dont l'indice moyen calculé par le FMI a été divisé par deux entre juillet et novembre 2008. Sous l'effet de la récession, la consommation mondiale de pétrole s'est en effet légèrement contractée en 2008, puis en 2009, une première depuis 1983. Elle a été estimée pour 2009 à 84,1 millions de barils par jour en moyenne, soit 2 millions de moins qu'en 2007. Mais cette baisse aura été de très courte durée. Selon les services statistiques des Etats-Unis, la consommation sera de 85,5 millions de barils par jour en moyenne en 2010, soit presque le niveau de 2008, et elle dépassera l'an prochain celui de 2007. Un retour, en somme, à la case départ.
blement décliner), Il est actuellement au niveau de l'automne 2007. Et aujourd'hui comme il y a trois ans, ce niveau n'est pas suffisamment élevé pour entraîner de grands changements de comportement. Pire : par rapport à 2007, la crise a amputé les capacités financières des individus et des entreprises, ce qui ne les pousse pas à investir pour réduire leur consommation d'énergie fossile. Antoine de Ravlgnan
Avec le regain de l'activité économique et de la consommation, le repli des prix de l'énergie a été lui aussi de courte durée : entre janvier 2009 et janvier 2010, le baril de brent est ainsi passé de 43 à 76 dollars. Si ce cours est appelé à remonter à l'avenir, et de beaucoup, compte tenu des tendances de fond de la demande (soutenue par l'évolution économique et démographique des pays du Sud) et de l'offre (les géologues situent autour de 2015 le moment où la production pétrolière va irrémédia-
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On se retrouve même dans une structure de distribution mondiale plus dangereuse encore que celle de 1928. Car, d'une part, les travailleurs américains ou européens se sont appauvris, mis en concurrence avec ceux de l'ex-tiers monde, alors que, d'autre part, la modernisation productive s'élargissait presque au monde entier. Or la crise de 1929 venait de la mauvaise distribution des gains de productivité : dans les années 1920, les salaires stagnaient tandis que la productivité croissait, avec des profits « rugissants ». De nos jours, les ouvriers chinois travaillent sur des machines achetées en Allemagne, avec la productivité de 2008, mais ils sont payés avec les salaires de 1900. Nous sommes face à une crise de 1929 au carré ! Le deuxième aspect, c'est l'aspect productiviste de la crise. Pour la première fois depuis 1848, et même depuis la Grande Peste, on assiste, en plus de la crise du système économique, à une crise d'épuisement des ressources naturelles. En 1929, les récoltes étaient bonnes, il n'y avait aucun problème du côté de la nature : on brûlait le café invendable dans les locomotives. Aujourd'hui, on atteint la limite de la plupart des ressources non renouvelables : pétrole, métaux... Tout s'épuise à la fois, non seulement les matières premières, mais également notre environnement global, avec l'explosion des émissions de gaz à effet de serre, qui représente un péril bien plus grave encore. La crise a cassé le boom des prix du pétrole. Ils ont retrouvé fin octobre 2008 leur niveau de 2006-début 2007. Mais à plus long terme, à moins d'une politique ambitieuse d'économies d'énergie et de régulation des prix, ils pourraient de nouveau exploser, avec le creusement du fossé entre l'évolution projetée de la demande et celle de la production, qui va inexorablement décliner. Mais il n'y a pas que l'énergie. Les prix alimentaires ont crû de façon vertigineuse entre 2006 et la mi-2008. Le monde a manqué courir à la catastrophe totale en se lançant en 2007 dans les agrocarburants. Pour lutter contre la rareté du pétrole, cette décision a aggravé celle des produits alimentaires. Et les Chinois enrichis commencent à manger de la viande, ce qui nécessite de mobiliser de plus en plus de terres agricoles pour l'alimentation du bétail : il faut quatre à dix calories végétales pour produire une calorie animale. A quoi se sont ajoutées les conséquences de l'effet de serre, avec la sécheresse en Australie, ce « grenier » majeur de la planète. Résultat : les 27 pays les plus pauvres étaient en état de crise alimentaire en mai 2008, en l'absence de sécheresse ou d'inondation particulière !
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fe Changer de modèle
Quelle pourrait être la forme d'un autre régime d'accumulation, d'un autre mode de régulation et d'un nouveau modèle de développement ? On ne va pas revenir au fordisme ? Par ses ressemblances avec la crise de 1929, il devra sans doute y avoir quelque chose de rooseveltien dans les solutions à la crise actuelle. Donc une redistribution des revenus à l'échelle mondiale. Et l'Etat-nation est désormais impuissant à réguler le capitalisme : il nous faut au moins une Europe fédérale. Mais, bien sûr, on ne reviendra pas au fordisme, et ce à cause de la crise écologique : il ne faut pas garantir une automobile à chacun, mais des logements bien isolés, produisant leur propre énergie, et des transports en commun ! C'est toute l'idée de la croissance verte. La norme de consommation devra être non seulement économe en énergie et en gaz à effet de serre, mais elle devra en plus réduire les déséquilibres accumulés. On ne peut pas se contenter de la décroissance de l'activité. Ce serait vrai si on était à l'équilibre et s'il fallait maintenir les choses en l'état. Or ce n'est pas du tout le cas. Il faut bien comprendre que lutter contre la crise écologique suppose une croissance massive de l'activité humaine. Nous devrions être aujourd'hui dans une « économie mobilisée », au sens de l'économiste hongrois Jânos Kornai : une économie où il y a adéquation entre l'immensité des besoins collectifs reconnus comme tels par les individus et la capacité de l'offre de travail à satisfaire ces besoins. En un an, tout pays « mobilisé » pourrait être en situation de plein-emploi, avec des gens en train de construire des logements écologiques, des vélos, des couloirs pour autobus à méthane, issu de la fermentation des ordures, en train de remettre les HLM et les copropriétés aux normes HQE (haute qualité environnementale). Le travail que nous avons à mener, dans les collectivités locales et dans les institutions européennes, c'est de montrer ce que serait le New Deal du XXI e siècle. · Propos recueillis par Bertrand Richard
| Des relances vert pâle La gravité du choc économique et de ses impacts durables sur l'emploi a remis la dépense publique à l'ordre du jour. Mais les Etats se sont très inégalement saisis de l'opportunité de ce « moment keynésien » pour s'engager dans une relance verte. En France, selon le Fonds mondial pour la nature (WWF) ( 1 ) , à peine 6 % des 26 milliards d'euros du plan de relance annoncé en décembre 2008 étaient consacrés à l'environnement, une fois déduites les sommes qui financent des investissements générateurs d'émissions supplémentaires de C0 2 , comme la réactivation de certains projets d'autoroutes qui avaient été gelés par le Grenelle de l'environnement. Autre mesure en retrait par rapport aux discours écologiques du gouvernement, la prime à la casse n'a été assortie
que d'une conditionalité écologique légère. Elle était en effet accordée pour l'achat d'une voiture émettant moins de 160 grammes de C0 2 par kilomètre, soit plus que le seuil retenu pour bénéficier du bonus mis en place suite au Grenelle de l'environnement, qui était de 130 grammes. Outre-Rhin, aucun seuil d'émission de C0 2 n'avait été instauré. En revanche, les Allemands ont consacré des sommes substantielles pour renforcer l'efficacité énergétique des bâtiments, si bien que près de 15 % des dépenses de leur plan de relance peuvent être considérées comme favorables à l'environnement. A. R. [1] Dans son étude de 2009 « How climate friendly are the economic recovery packages ? ».
0- Alternatives Economiques - Hors-série poche n 43 bis - avril 2010
Pour une croissance qualitative Abandonner la logique productiviste purement quantitative au profit d'une logique durable et qualitative permettrait de créer de nombreux emplois. La crise est l'occasion de proposer une autre vision du progrès, qui passe aussi par un nouveau partage des richesses.
U
n débat essentiel existe à gauche entre ceux qui pensent qu'il faut très
vite relancer la croissance (qu'ils qualifient de « verte », crise écologique
oblige) et ceux qui estiment qu'il faut profiter de la crise pour en finir avec le culte de la croissance et proposer une autre vision du progrès. Les premiers ont un argument : la croissance est favorable à l'emploi et elle dégage des surplus économiques pour améliorer les conditions de vie et la protection sociale. Cette « loi » a été plus ou moins vérifiée dans le passé. On en déduit qu'elle doit s'appliquer à l'avenir. C'est faire preuve de peu d'imagination
Par Jean Gadrey, professeur émérite d'économie à l'université de Lille l
face à une crise systémique.
En finir avec le culte de la quantité Créer des emplois sans croissance des quantités produites, mais par la croissance de la qualité (de vie, des produits) et de la durabilité (des produits, des processus, des modes de vie) est une possibilité que la plupart des économistes ignorent, scotchés qu'ils sont aux bonnes vieilles « lois » du passé : quand la productivité du travail progresse de 1 % par an, il faut une croissance de 1 % pour seulement maintenir l'emploi, et de plus de 1 % pour ajouter des emplois. C'est absolument imparable (à durée du travail inchangée) tant que l'on croit que les chiffres de croissance et de productivité sont l'alpha et l'oméga de l'analyse
T O U T CE QUI EST EN TRAIN
économique. Mais c'est absolument insoutenable
DE BOUSILLER LES R E S S O U R C E S
lorsqu'on prend conscience que ces chiffres passent
NATURELLES, L'EAU, LA BIODIVERSITÉ
à côté de ce qui va devenir l'essentiel !
ET LE CLIMAT COMPTE POUR
Les calculs macroéconomiques de la croissance, de la productivité et du pouvoir d'achat ne tiennent
D U BEURRE D A N S LES C O M P T E S DU FORDISME AUXQUELS
pratiquement aucun compte des gains ou des pertes
NOS ÉCONOMISTES CROIENT
de qualité et de durabilité. La production d'un kilo-
D U R C O M M E FER
wattheure d'une centrale à charbon y est comptée comme celle d'un kilowattheure d'une éolienne, la production d'une tonne de blé bio comme celle de la même quantité de blé issu de l'agriculture polluante, celle d'un mètre carré de logement à zéro émission comme celle d'un logement qui gaspille l'énergie, à confort identique. Le gigot néo-zélandais qui a parcouru 18 000 kilomètres en avion-cargo réfrigéré y est équivalent au gigot « propre et sain » de proximité, et, pour peu que le premier soit moins cher, on dira même qu'il améliore notre pouvoir d'achat. Tout ce qui est en train de bousiller les ressources naturelles, l'eau, la biodiversité et le
Alternatives Economiques
Hors-série poche n" 43 bis - avril 2010 1
La crise - CHAPITRE
climat compte pour du beurre dans ces comptes du fordisme auxquels nos économistes croient dur comme fer. Ils ne peuvent donc pas envisager une seconde une progression de l'emploi sans croissance « puisqu'il y a des gains de productivité liés au progrès technique ».
Davantage de travail et de valeur ajoutée Ce qui détermine l'emploi, c'est d'abord la valeur ajoutée et son contenu en travail, et non pas le couple croissance/productivité, qui ne mesure pas l'essentiel des changements en cours et à venir. Or il existe deux grandes façons typiques de faire « progresser » la production. La première, fordiste, consiste à produire davantage des mêmes choses avec la même quantité de travail. C'est la définition des gains de productivité du travail. Fort bien, tant qu'on oublie qu'il faut en général plus de matériaux, plus d'eau et plus d'énergie, que les uns et les autres sont disponibles en quantités limitées et que certaines ressources naturelles sont proprement vitales. La (trop) forte croissance du passé a dilapidé des ressources clés, dont le climat, et avancé de plusieurs décennies les « pics » (moments où la production commence à décliner) du pétrole et de la plupart des ressources minières, au détriment des générations futures. Et cela continue. La bataille du charbon et d'autres batailles historiques pour toutes les formes d'énergie, pétrole en tête, ont certes permis des gains de productivité énormes, mais fondés sur la mise en coupe réglée de la nature. La seconde voie, qui va se trouver au cœur du développement durable, consiste à produire et à consommer autrement et plus sobrement d'autres choses (des kilowattheures « propres », des aliments bio, des mètres carrés à zéro émission, des produits à longue durée de vie et recyclables...). Et cela exige en général davantage de travail et de valeur ajoutée par unité produite que ce qui est nécessaire dans les solutions productivistes. Par conséquent, une réorientation de la production et des modes de vie vers la durabilité, par substitution des productions et des consommations « propres » aux solutions « sales », va se traduire par... une baisse de la productivité du travail telle qu'on la mesure actuellement, selon des méthodes inadéquates. En revanche, cela n'a aucune raison de réduire la valeur ajoutée globale et l'emploi, bien au contraire.
Une é c o n o m i e dont le principe serait de « prendre soin » Supposons, premier exemple, qu'on remplace progressivement l'agriculture productiviste, avec ses innombrables dommages collatéraux sur l'environnement et sur la santé, par de l'agriculture biologique de proximité. A production identique en quantité, il faudrait approximativement 40 % à 50 % d'emplois en plus. Les comptes nationaux actuels nous diront alors que la croissance est nulle (même quantité produite) et donc que la productivité du travail baisse (même production en volume, plus de travail). Pourtant, on aura créé de nombreux emplois, la part de la valeur ajoutée agricole aura progressé (ce qui serait une formidable inversion d'une tendance séculaire) et surtout la qualité
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et la durabilité de la production auront été bouleversées positivement. Dans un autre secteur essentiel, celui de l'énergie, le scénario NégaWatt, mis au point par une centaine d'experts, prévoit de produire en 2050 autant de kilowattheures qu'aujourd'hui. Les comptes actuels, insensibles à la différence entre des kilowattheures « propres » et des kilowattheures « sales », diront donc « croissance zéro dans ce secteur ». Pourtant, selon ce scénario, on pourrait doubler les usages pour chaque kilowattheure en raison des progrès de l'efficacité énergétique : bâtiments mieux isolés, transports, machines et éclairages moins gourmands en énergie, etc. Par ailleurs, on remplacerait progressivement l'énergie polluante par des énergies renouvelables, avec plus d'emplois à la clé, notamment en raison du caractère très décentralisé de cette production. Une étude pour le Fonds mondial pour la nature (WWF) estime que dans l'Hexagone, à l'horizon 2020, 30 % de C 0 2 en moins signifierait 684 000 emplois en plus. De même, le remplacement des grandes surfaces commerciales par des commerces de proximité serait créateur d'emplois et réducteur de dommages collectifs divers. Pourtant, la croissance de ce secteur étant mesurée par celle du volume des biens vendus, une telle révolution qualitative sera assimilée à une croissance zéro (et à une chute de la productivité) si ce volume ne change pas.
T A N T QUE LES P R O D U C T I O N S
La liste est longue des secteurs où une stratégie
DURABLES SERONT INACCESSIBLES
de montée en qualité-durabilité restera invisible
À UNE PARTIE DE LA P O P U L A T I O N ,
dans « les comptes de la croissance ». Les grands
LES I N D I C A T E U R S DE DURABILITÉ
gisements d'emplois et de valeur ajoutée du futur
RESTERONT DANS LE ROUGE ET
pourraient résider dans une é c o n o m i e dont le
LES C R É A T I O N S D'EMPLOIS LIMITÉES
principe serait de prendre soin des personnes (des
PAR L'INSUFFISANCE DU POUVOIR
services de bien-être sans visée de productivité),
D'ACHAT DURABLE DES MÉNAGES
des biens (pour les faire durer plus longtemps, les
AUX REVENUS MODESTES
réhabiliter et les recycler, ou pour des logements à isoler), de la nature, de la cohésion sociale, de la qualité et du sens du travail, et de la démocratie. Prendre soin, cela prend du temps, du temps de travail et du temps hors travail. C'est du temps perdu dans une optique productiviste, mais gagné pour une société soutenable. Et cela donne un tout autre sens au travail et à la production.
Organiser le partage des gains de qualité et de durabilité Le bilan des emplois créés par ces gains de durabilité et des emplois supprimés dans les activités insoutenables serait-il positif à l'échelle globale ? Ce n'est pas exclu. La plupart des activités non durables sont hautement capitalistiques et automatisées et elles ne regroupent qu'une petite minorité des emplois actuels. Mais alors, il faut se pencher sur la demande de durabilité (écologique et sociale). Le fordisme a su susciter, par des dispositifs puissants (dont la publicité, le crédit...) et avec l'appui d'institutions ad hoc, une avidité permanente d'achat de biens et de services sans cesse multipliés en quantités.
Alternatives Economiques Hors-série
poche n" 43 bis - avril 2010
La crise - CHAPITRE ^ Changer c
C'est ce qu'on a appelé le partage des gains de productivité, qui a été aussi de façon invisible le partage d'un gâteau de plus en plus empoisonné. Ce qu'il faut désormais organiser par d'autres dispositifs, c'est le partage des gains de qualité et de durabilité. Le problème peut être posé ainsi : si on laisse faire le marché, les biens et les services issus de productions durables seront en moyenne plus chers que les anciens, justement parce qu'ils sont plus riches en travail. En réalité, on ne paye pas plus cher pour la même chose, mais pour avoir mieux, sur la base de davantage de travail et de moins de dégradations de l'environnement et de la société. Il n'empêche que, pour beaucoup de gens, ces produits seront d'abord perçus comme étant trop chers pour eux. Tant que ces productions durables seront inaccessibles à une partie de la population, les indicateurs de durabilité resteront dans le rouge, et les créations d'emplois demeureront limitées par l'insuffisance du pouvoir d'achat durable des ménages aux revenus modestes. C'est pourquoi, pour sauver la
I L'enjeu de la s o l v a b i l i s a t i o n d e s m é n a g e s Le comportement et la demande des ménages sont décisifs pour relever le défi de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, puisqu'ils sont responsables de la moitié de ces émissions. Le problème est qu'ils n'en ont pas les moyens et que, du coup, la demande risque de faire défaut. En effet, pour la grande majorité des ménages (au moins les trois cinquièmes), les marges de manœuvre financières sont nulles ou presque. Certes, le pouvoir d'achat de l'ensemble des ménages n'a pas régressé ces dernières années, comme beaucoup le pensent, mais comme les ménages sont de plus en plus nombreux (séparations, allongement de la durée de la vie engendrant une fréquence plus grande des veuvages, décohabitation d'une partie croissante des jeunes, etc.), la progression du niveau de vie de chaque personne est moitié moindre : de l'ordre de 1 % en moyenne par an depuis le début de la décennie. A cela s'ajoute un autre phénomène encore plus important : la montée des dépenses contraintes, celles sur lesquelles un ménage ne peut pas agir à court terme, parce qu'elles relèvent d'un engagement contractuel (bail, abonnements, location de compteur, engagement de durée minimale) ou obligatoire (impôts, remboursement d'emprunts, assurances...). La comptabilité nationale y Inclut le chauffage et l'électricité. Ces dépenses représentaient 20 % du budget des ménages en 1979 et 36 % en 2006 : elles ont absorbé quasiment toute l'augmentation de pouvoir d'achat Intervenue durant cette période. Pis, pour les ménages placés dans le dixième le plus bas des revenus, elles sont passées de 24 % à 48 %, et pour les familles monoparentales (qui sont fréquemment
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dans ce dixième le plus bas...), elles sont passées de 27 % à 42 %. Si l'on ajoute à ces dépenses contraintes celles issues de l'usage d'une voiture, comme le nécessite de plus en plus l'urbanisme extensif caractéristique des trente dernières années, la ponction sur le pouvoir d'achat s'amplifie. Ainsi, les dépenses d'utilisation des véhicules particuliers ont progressé près de trois fois plus vite que l'indice des prix à la consommation en 2008 (+ 7,7 %, contre + 2,8 %). En particulier, le poids des dépenses énergétiques du cinquième le plus pauvre des ménages était, en 2006, 2,5 fois plus lourd (en proportion du budget) que celui du cinquième le plus riche : 15 %, contre 6 %. Or, justement, qu'il s'agisse de réduire les coûts de transport en changeant de lieu d'habitation ou de voiture ou d'isoler son appartement, dans les deux cas, ce cinquième le plus pauvre en est incapable financièrement. S'il est essentiel que la construction et l'automobile, secteurs centraux de l'économie française marchande, repartent, il faut que ce soit dans une bonne direction, de manière à assurer la durabilité de la reprise. Et c'est justement là que se noue le problème : les ménages dans leur majorité sont trop contraints financièrement pour qu'il en soit ainsi, et ceux qui ne le sont pas pourraient ne pas être convaincus de l'importance de payer plus cher des produits ou des techniques de nature durable, alors que, d'un point de vue individuel, cela ne représentera à l'échelle collective qu'une petite cuillère face à l'immensité de la mer. La solution, on le devine, réside dans la solvabilisation des ménages. Denis clerc
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planète en préservant le bien-être, il faut réduire fortement les inégalités, à la fois par le haut (d'autant que ce sont d'abord les riches qui détruisent la planète, du fait de leur «pouvoir de consommation» plus grand) et par le bas. Il faut aussi favoriser, par divers dispositifs, la sobriété matérielle à l'opposé de l'avidité consumériste. Il faut investir massivement dans les productions les plus douces pour la nature et pour la société (passer, c'est une image, du produit intérieur brut au « produit intérieur doux ») au prix d'une vague d'innovations multiples, technologiques et surtout non technologiques. Il faut, enfin, édicter des normes de production strictes et faire de la discrimination positive pour les productions durables et de la désincitation pour les autres. Dans tous les cas, la société civile doit s'emparer de ces enjeux pour pousser les institutions publiques à une nouvelle régulation post-fordiste, post-croissance et antiproductiviste s'imposant aux acteurs économiques. · Pour en savoir plus • Scénario NégaWatt 2006 : www.negawatt.orgA/5%20docs%20nW/docnW.htm • « Emplois verts : pour un travail décent dans un monde durable, à faibles émissions de carbone », rapport de l'Organisation internationale du travail, 2008. Téléchargeable sur www.ilo. org/global/what_we_do/Publications/Newreleases/lang-fr/docName-WCMS_098488/index.htm • « - 30 % de C0 2 = + 684 ooo emplois », par Philippe Quirion (Cired/CNRS) et Damien Demailly (WWF-France), 2008. Téléchargeable sur www.centre-cired.fr/perso/quirion/quirion_ emploi_wwf.pdf
Alternatives Economiques Hors-série
poche n" 43 bis - avril 2010
La crise - Annexes
Bibliographie validité de ses critiques de la théorie financière dominante qui suppose l'efficience des marchés. Crise et rénovation de la finance, par Michel Aglietta et Sandra Rigot, éd. Odile Jacob, 2009. Les 100 mots de la crise financière, par Les économistes qui voudront se replonBertrand Jacquillat et Vivien Levy-Garboua, ger dans quelques décennies dans la crise coll. Que sais-je ?, éd. PUF, 2010. des subprime auront tout intérêt à comD'« Agences de notation » à « Structure mencer par ce livre. Sa description des de défaisance », d'« Aléa moral » à « Créressorts fondamentaux de la crise et ses dit crunch », en passant par « Keynes » et propositions précises de régulation, en « Minsky », le lecteur trouvera des explicaprincipe et en pratique, le classent parmi tions claires sur les principaux termes qui les ouvrages de référence. Son principal reviennent si souvent dans les commentaires handicap reste cependant son degré élevé sur la crise. Si les auteurs sont de ceux qui de technicité. considèrent que « c'est de davantage de finance dont le monde a besoin », ce petit ouvrage, La crise. Pourquoi en est-on arrivé là ?ni trop technique ni trop simpliste, n'en est pas moins d'une aide fort Comment s'en sortir ?, par Michel Aglietta, précieuse. éd. Michalon, 2008. Un court essai dans lequel l'économiste Michel Aglietta rassemble les principaux « La crise du capitalisme financier », éléments de son analyse de la crise finanRevue de l'OFCE n° 110, juillet 2009. cière et de ses conséquences sur l'écoUne série d'analyses sur les causes de nomie réelle. Contexte macroéconomique, la crise financière, les mécanismes de sa comportement des acteurs financiers, transmission à l'économie réelle, les stratébasculement du pouvoir financier vers gies de sortie de crise et les propositions de l'Asie, rôle de l'Europe, propositions de réforme du capitalisme financier. Rigoureux, régulation, etc. : les thèmes traités sont mais austère. nombreux. En toile de fond, l'idée, énoncée d'emblée par l'auteur, que les crises sont Natixis. Enquête sur une faillite d'Etat, inhérentes au fonctionnement de la finance. Matthieu Pechberty, éd. First, 2010. Une réédition est prévue pour mai 2010. Voici une belle promenade derrière le rideau - à moins que cela ne soit dans les égouts la- du capitalisme à la française ou De l'euphorie à la panique : penser comment une banque hexagonale s'est recrise financière, par André Orléan, coll. Cetrouvée prise dans l'étau de la crise. premap, éd. Rue d'Ulm, 2009. Loin de la description technique des insL'histoire est celle d'une petite filiale de truments de la crise, André Orléan s'attache la Caisse des dépôts (CDC) qui s'est retroudans ce livre à expliciter les mécanismes vée au cœur d'un gros scandale par un jeu fondamentaux des dérapages financiers complexe de conflits de pouvoir, de bataille récents. Il montre combien II est dans la d'ego, de copinage et de trahison politique, nature de marchés financiers libéralisés de sans oublier le rôle des réseaux francsproduire des évolutions excessives de prix maçons. On suit ainsi le parcours de la CDC des actifs. Il décrypte avec précision les sur les marchés financiers, du début de la mécanismes qui font que tout le monde se filialisation des activités en 1995 jusqu'à la jette à corps perdu dans la bulle. quasi-faillite de Natixis en 2009. L'auteur préconise le cloisonnement de Le livre souffre néanmoins de la multiplila finance, afin de limiter la course à la cation des noms, d'allers et retours chronoliquidité des actifs qui a caractérisé les logiques incessants et d'une mise en page dernières décennies. On pourrait presque souvent indigeste. Il surprend également reprocher à André Orléan d'être souvent par sa conclusion idéologique, montrant du trop modeste dans ses appréciations théodoigt l'Etat, comme si les banquiers privés riques tant la crise est venue démontrer la avaient traversé la crise sans encombre. SUR LA CRISE
206 - Alternatives Economiques - Hors-série poche n°43 bis - avril 2010
par
Malgré cela, il serait dommage de se priver de cette lecture.
et très pédagogique. Les deux auteurs expliquent pourquoi cette abondance de monnaie ne doit pas faire La chute de la maison Fortis, par craindre Joan un retour de l'inflation, l'offre monCondijts, Paul Gérard et Pierre-Henri Thomas, diale de biens restant pléthorique. Le risque éd. Lattès, 2009. pour la croissance mondiale est surtout celui Un bon exemple vaut souvent mieux de nouvelles bulles financières. Pour les éviqu'une longue démonstration. Pour comter, les banques centrales doivent se donner prendre comment plusieurs grandes banun objectif de contrôle de la progression du ques ont été prises dans le maelstrôm des crédit et des prix des actifs. subprime et comment les Etats ont réagi au moment de la panique de la fin 2008, plonLa crise de la finance globalisée, gez-vous dans cette remarquable enquête. Anton Brender et Florence Pisani, coll. Elle retrace avec précision les déboires de Repères, éd. La Découverte, 2009. Fortis et de Dexia ainsi que la façon dont L'objectif de cette étude précise - et parles gouvernements européens ont négocié fois assez technique - est de remettre la le sauvetage en urgence de ces deux étacrise dans la perspective de la globalisation blissements. financière de ces dix dernières années. Les transferts massifs d'épargne des pays Le livre explicite fort bien les stratégies de émergents et pétroliers vers les Etats-Unis prise de risque des banquiers, en particulier n'ont été possibles que parce qu'ils se sont de Fortis. Les auteurs retracent la façon accompagnés de transferts de risques que dont la banque est rentrée tardivement sur le système financier occidental a pris en le marché des produits toxiques, débaucharge. Les auteurs restent convaincus des chant une équipe de la Société générale bienfaits des innovations financières et des pour essayer de doper ses bénéfices sur techniques de transfert de risques, tels la un marché estimé juteux. On comprend le titrisation et les produits dérivés, mais ils rôle essentiel de la mauvaise gouvernance estiment que la finance globalisée appelle des banques dans la crise, les batailles poliune régulation globale. tiques associées au contrôle des risques et la responsabilité que portent les dirigeants dans les déboires de leurs institutions. La finance mène-t-elle le monde
par
?, par
Un livre tout en pédagogie, qui démêle des entrelacs de négociations et nous fait pénétrer dans les arcanes du monde bancaire et la gestion politique d'une panique historique.
Marie-Paule Virard, coll. A dire vrai, éd. Larousse, 2008. Dans la logique de cette collection d'essais brefs et directs, l'auteure dénonce tous les travers de la finance : les dérapages de type subprime (dont la crise est remarquablement résumée dans le premier chapitre), Le roman vrai de la crise financière, par mais aussi les mots d'ordre des investisOlivier Pastré et Jean-Marc Sylvestre, éd. Perseurs financiers - du rendement, plus vite, rin, 2008. plus haut, plus loin ! - et les inégalités entre Un talent pédagogique certain pour expliquer la crise des subprime et les dérapages des patrons surpayés et des salariés vicde la finance, et même pour esquisser quel- times d'un casino dans lequel ils n'ont pas demandé à jouer. ques pistes de régulation. On pourra tout de même être surpris par quelques chapitres célébrant les vertus de la mondialisation Comprendre les crises financières, et de la rigueur budgétaire à tout prix. Au Olivier Lacoste, éd. Eyrolles, 2009. total, cependant, une introduction simple à Parmi les nombreux ouvrages qui traitent un sujet compliqué. de la crise financière, celui-ci est un de ceux qui présentent les choses le plus pédagogiLa liquidité incontrôlable. Quiquement. va maîtriser Il sera très utile à tous ceux qui la monnaie mondiale ?, par Patrick Artus et à mieux comprendre, sans sensacherchent Marie-Paule Virard, éd. Pearson, 2010. tionnalisme, comment on en est arrivé à une La finance regorge de liquidités prêtes à crise économique et financière aussi grave. enfanter de nouvelles bulles spéculatives Avec toutefois les inconvénients de ses avanpartout dans le monde. Que peut-on y faire ? tages : sur certains sujets, les inégalités de C'est le thème de ce petit livre passionnant revenus, par exemple, ou encore les défauts
Alternatives Economiques
Hors-série poche n43 bis - avril 2010
par
La crise - Annexes
de la régulation financière depuis trente ans, un ton moins neutre et moins distancié aurait parfois été plus approprié...
tre est également consacré à la construction européenne et à la position ambiguë de la France et de l'Allemagne sur le sujet. Un style clair et un certain sens de la formule rendent la lecture agréable.
AUTOUR DE LA CRISE « Une crise tant attendue. Leçons d'histoire pour économistes », par Robert Boyer, Prisme n° 13, Centre Cournot pour la recherche en économie, 2008. Robert Boyer livre ici une analyse précise et historique des dérapages liés aux innovations financières depuis une vingtaine d'années et il explique les spécificités de la crise actuelle. Il propose d'appliquer aux innovations financières les mêmes procédures de certification qui sont nécessaires pour les produits alimentaires, les médicaments ou la sécurité des automobiles. « Les impensés de l'économie », Esprit, janvier 2010. « Retour sur Terre, retour à nos limites », Esprit, décembre 2009. « Les contrecoups de la crise », Esprit, novembre 2009. La revue Esprit a consacré trois numéros récents aux conséquences intellectuelles de la crise. Des contributions multiples et passionnantes qui invitent à prendre du recul sur les événements récents et à réfléchir à la place de l'économie dans nos sociétés.
Finance servante ou finance trompeuse ?, par Paul H. Dembinski, éd. Desclée de Brouwer/Parole et silence, 2008. Ecrit par le directeur de l'Observatoire de la finance, un organisme suisse qui analyse les liens entre finance et bien commun, cet ouvrage propose une analyse à la fois systémique et éthique. La finance, explique-t-il, transforme le fonctionnement du système économique : en permettant aux acteurs de se couvrir contre certains risques, elle leur offre aussi la possibilité de danser plus près du volcan (c'est le problème bien connu de l'aléa moral). Elle réveille les passions que le marché était censé contenir, en substituant la cupidité à l'intérêt, le court terme au long terme. Elle « apporte des réponses (...) aux besoins, aux désirs, voire aux angoisses de nos sociétés ».
Mais ces réponses sont sources de problèmes : la finance substitue la notion de transaction à celle de relation. Alors que cette dernière se déroule dans la durée et implique un engagement des acteurs et la construction de compromis entre eux, la transaction permet de s'en désintéresser en vendant et en encaissant la plus-value. Une lecture stimulante. Contre la courte vue. Entretiens sur le Sorties de crise. Ce qu'on ne nous dit Grand Krach, parTommaso Padoa-Schioppa pas. Ce qui nous attend, par Patrick Artus avec Beda Romano, éd. Odile Jacob, 2009. et Olivier Pastré, éd. Perrin, 2009. Ancien de la Banque d'Italie et de la Dans la profusion éditoriale sur la crise, ce Banque centrale européenne, ex-ministre livre fait partie des bonnes surprises. Dense, des Finances italien, Tommaso Padoaprésentant souvent des réflexions originales, Schioppa a fait partie de ces régulateurs de même si l'on n'est pas obligé de partager la finance qui étaient au pouvoir au moment de la période de libéralisation financière. toutes ses idées, il nous donne à réfléchir sur le monde économique de demain. Il n'a aujourd'hui pas de mots assez durs pour fustiger cette époque qui a « vécu dans Au delà de la phobie hystérique des deux l'illusion selon laquelle tout ce auteurs qui naîtvis-à-vis sur d'une menace protecle marché trouve sa propre disciplinetionnistedans très surestimée, le livre trace ce le marché lui-même ». L'idéologie libérale que pourrait être l'avenir de l'économie est ainsi largement critiquée dans ce livre mondiale, développant alternativement des d'entretiens où la finance et ses errements scénarios pessimistes et optimistes qui donoccupent une grande place. nent à réfléchir sur les politiques de change (la Chine étant plus coopérative qu'on ne le On y trouve aussi des réflexions sur le croit), les politiques budgétaires, le partage manque de coopération internationale et de la valeur ajoutée, les tensions et les sur le déclin de l'engagement cosmopolite coopérations possibles entre Etats, etc. chez les hauts fonctionnaires dont la culture commune est celle de la défense d'une souLa dernière partie est consacrée à un veraineté illimitée de l'Etat-nation. Un chapi- florilège de propositions très éclectiques :
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remise en cause de la liberté de circulation des capitaux et clause sociale d'un côté, encouragement à ce que tout le monde risque ses économies à la Bourse ou réduction des « charges » des entreprises au nom de la sacro-sainte compétitivité de l'autre. On peut s'agacer de telle formulation ou sourire au fait que Patrick Artus attend tout de la capacité de leadership des Etats-Unis dont il diagnostiquait six mois plus tôt, dans un ouvrage précédent, le déclin... Reste un livre clairement écrit et qui fait réfléchir.
siècles. Loin de raconter des histoires de crise, les deux auteurs enchaînent graphiques et commentaires de graphiques pour tenter d'en sortir des grandes constantes de l'histoire financière. Il en ressort beaucoup de résultats intéressants. Par exemple, sur les crises de la dette des Etats souverains : tous les pays y passent au cours de leur histoire. Du côté des crises bancaires, les deux auteurs rappellent à l'envi combien les périodes d'excès de distribution de crédits apparaissent toujours à leurs contemporains comme justifiées. fois, c'est différent », proclament-ils. Sortir de la crise globale. Vers « Cette un monde crises bancaires durent moins longsolidaire et écologique, Attac, Les éd. La temps que les crises souveraines : face au Découverte, 2009. risque d'affaissement de leur système banS'attaquer aux dimensions multiples de la caire, les gouvernements réagissent vite. crise actuelle et proposer des solutions pour la dépasser, voici l'ambition, qui n'est pas petite, de ce livre. Les experts d'Attac ont eu à The Great Depression and the New Deal. A cœur de travailler les liens entre crise finanVery Short Introduction, par Eric Rauchway, cière, crise sociale et crise écologique pour Oxford University Press, 2008. montrer qu'ils s'enchevêtrent et résultent des Le principal effet du New Deal de Franklin conséquences de la mise en œuvre du néoDelano Roosevelt, explique l'historien Eric libéralisme contemporain. Les chapitres sont Rauchway, a été de chambouler les rapports courts et les textes clairs, que l'on partage ou de force politiques au sein de la société non les points de vue développés. La fin du américaine. livre avance plusieurs propositions pour enLes premiers perdants ont été les financadrer la finance, lutter contre les inégalités ciers. L'administration Roosevelt est ici inet promouvoir une croissance responsable. tervenue en deux fois. D'abord, pour prendre Mais cela reste à ce stade plus un catalogue des mesures d'urgence afin de redonner de mesures avec des objectifs politiques confiance à un système bancaire en pleine que les prémices de la construction d'un crise : comme l'a écrit l'un des commenmodèle intellectuel alternatif au libéralisme. tateurs de l'époque, « le capitalisme a été Un exercice, certes, plus difficile. sauvé en huit jours ». Ensuite, pour prendre en main le système financier, instaurant uneReally séparation entre banques d'affaires et Tax Havens. How Globalization Works, par Ronen Palan, Richard Murphy banques de détail, renforçant le pouvoir de régulation, mettant en place un système de et Christian Chavagneux, Cornell University protection des déposants, etc. Press, 2010. Une synthèse de l'état des connaissances Les gagnants ont été les agriculteurs et sur le rôle des paradis fiscaux comme les entreprises industrielles, qui ont trouvé infrastructures clés de la mondialisation la possibilité d'augmenter leurs prix. Le New contemporaine. Mêlant analyses statisDeal a également contribué à un rééquilitique, historique, économique et politique, brage géographique au profit des Etats du les auteurs expliquent notamment la place Sud et de l'Ouest. Enfin, il a renforcé le occupée par les centres financiers offshore pouvoir des salariés : poussée de la syndidans la crise actuelle. calisation, établissement d'un système de retraite et d'allocations chômage, etc. This Time is Différent. Eight Centuries of Financial Folly, par Carmen M. Reinhart Le savoir et la finance. Liaisons dangeet Kenneth S. Rogoff, Princeton University reuses au cœur du capitalisme contemPress, 2009. porain, par El Mouhoub Mouhoud et DomiCarmen M. Reinhart et Kenneth S. Rogoff nique Plihon, éd. La Découverte, 2009. se sont plongés dans les archives statisL'émergence d'une économie de la connaistiques pour produire un livre d'analyse emsance (ou économie cognitive) fortement pirique des crises financières à travers les mondialisée et l'essor d'une finance égale-
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qui se révélait prémonitoire, puisqu'il soument fortement mondialisée sont les deux tenait la thèse de l'inévitabilité des bulles évolutions majeures qui marquent nos sociéspéculatives dans la finance de marché tés. Contrairement aux discours dominants, libéralisée. Cette nouvelle édition est largel'économie de la connaissance telle qu'elle se ment augmentée et mise à jour pour décrire développe ne se traduit pas par la disparition et analyser la crise financière de première du taylorisme, mais par des formes de divigrandeur que nous avons vécue en 2008. sion internationale du travail qui sont sources Les réformes mises en œuvre, notamment de « fortes inégalités entre les territoires la suite du G20, sont insuffisantes, estime comme entre les nations », accentuéesà par l'auteur, faute de volonté politique en mala privatisation des connaissances. Quant à tière de coopération intergouvernementale. la finance, elle joue un rôle essentiel dans l'essor de l'économie du savoir, mais, en Inventing Money. The Story of Long Term même temps, elle contribue largement à Capital Management and the Legends modeler ces nouvelles formes d'organisation behind it, par Nicholas Dunbar, éd. John productive et à imposer des normes de rentaWiley, 2000. bilité qui accentuent ce néotaylorisme. SurA travers la quasi-faillite du fonds spécutout, incapable d'évaluer la valeur des actifs latif américain LTCM, une histoire du risque immatériels, elle s'en est remise au marché, et de la façon dont les produits dérivés, engendrant ainsi bulles et krachs. chargés de nous en protéger, sont aussi des Pour mettre le savoir et la finance au serobjets de spéculation. vice d'une société plus juste et moins inégalitaire, les deux derniers chapitres ouvrent Theories of Financial Disturbance. An Exaun certain nombre de pistes intéressantes. mination of Critical Theories of Finance Au total, un livre plutôt remarquable. from Adam Smith to the Present Day, par Jan Toporowski, éd. Edward Elgar, 2005. De Smith à Minsky en passant par Veblen, LES CLASSIQUES Keynes ou Bentham, ce livre analyse les Histoire mondiale de la spéculation finanidées des économistes sur la finance et ses cière, par Charles Kindleberger, éd. Valor, conséquences sur l'économie réelle. 2005. Classique inépuisable qui explique, à partir Le pouvoir de la finance, par André Orléan, de nombreux exemples historiques, comment éd. Odile Jacob, 1999. naît, vit et meurt une bulle spéculative. L'auteur présente dans cet ouvrage l'approche dominante des théories financières Les crises financières, par Robert Boyer, pour la critiquer et présenter sa propre déMario Dehove et Dominique Plihon, rapport marche inspirée de Keynes. du Conseil d'analyse économique, éd. La Documentation française, 2004. Macroéconomie financière, par Michel Un résumé de la littérature contemporaine Aglietta, coll. Grands Repères, éd. La Désur les crises financières et un décryptage couverte, 2008. des mécanismes des crises de la dernière Une des meilleures introductions à la fidécennie. nance contemporaine. A la fois présentation de ses mécanismes, analyse de son instaL'économie de la panique. Faire bilité face et de aux ses effets déstabilisants sur les crises financières, par Jérôme Sgard, économies et mise en avant de quelques éd. La Découverte, 2002. propositions de régulation. Un décryptage du rôle essentiel des politiques publiques dans la gestion des crises, La crise de 1929, par Bernard Gazier, principalement à partir d'une analyse fine de coll. Que sais-je ?, éd. PUF, 2009. la crise asiatique de 1997-1998. Un livre devenu, à juste titre, un classique sur la Grande Crise en raison de ses qualiet de la pertinence des Le commerce des promesses. Petittés pédagogiques traité analyses proposées. L'auteur montre que sur la finance moderne, par Pierre-Noël la crise doit son ampleur moins à l'effonGiraud, éd. du Seuil, 2009. drement boursier qu'à la fragilité des écoLe livre a fait date lors de sa première édinomies et à l'inertie des Etats concernés. tion (2001) par sa pédagogie et son analyse
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Il met en évidence les mécanismes qui ont conduit de la panique boursière à la dépression et généralisé la paralysie bancaire. Opposant les explications keynésiennes (le blocage de la demande globale à un bas niveau) aux explications monétaristes (le refus de la Banque centrale de fournir les liquidités), il propose, dans une partie inédite, un parallèle éclairant avec la crise actuelle. Excellent. SUR LA TOILE www.financialstabilityboard.org : le site du Forum de stabilité financière, la tête pensante des propositions de réforme de la finance. Des rapports plutôt techniques, mais qui plongent au cœur des mécanismes financiers.
www.banque-france.fr : des études de fond, des explications et les prises de position du gouverneur de la Banque de France sur la crise. A noter, en ligne, les n o s 2 et 3 de Documents et débats consacrés tous les deux à la crise financière. www.assembleenationale.fr , www.senat . fr : les deux assemblées ont auditionné de nombreuses personnalités du monde de la finance. Voir les vidéos de ces auditions en ligne sur leurs sites. www.marketwatch.com : sur un site du Wall Street Journal, un suivi de révolution des marchés financiers et de ce que pensent les élites économiques privées. www.levy.org : les analyses des économistes de centre gauche américains.
www.imf.org : avec son Global Financial www.iie.com/index.cfm : la crise analysée Stability Report, le Fonds monétaire internapar des économistes libéraux américains. tional (FMI) propose un suivi semestriel de l'impact de la crise sur le système financier http://krugman.blogs.nytimes.com : le mondial. Par ailleurs, son site fournit régublog de l'économiste Paul Krugman, surtout lièrement des analyses sur les mécanismes centré sur le débat de politique économique et les conséquences de la crise. américain. www.banquemondiale.org : le site de la Banque mondiale pour suivre les effets de la crise sur les pays les plus pauvres.
http://gregmankiw.blogspot.com : le suivi de la crise par un économiste, ancien conseiller de George W. Bush.
www.bis.org : le site de la Banque des règlements internationaux (BRI), avec les statistiques essentielles pour suivre l'évolution de la finance mondiale, des analyses techniques et le suivi du débat sur la réglementation internationale des banques.
www.alternatives-economiques.fr : un suivi de l'actualité de la crise sur notre site et de nombreux blogs pour la commenter.
www.g8.utoronto.ca : le Centre d'information sur le G8, où l'on peut retrouver les communiqués des réunions des G7, G8 et G20, ainsi que les documents de travail qui les accompagnent.
www.france.attac.org : un suivi de la crise et du débat politique par l'association Attac, avec des propositions pour réformer la finance internationale. www.taxjustice.net : le site du Tax Justice Network, l'ONG mondiale la plus en pointe dans la lutte contre les paradis fiscaux.
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Les mots de la crise des émissions de titres financiers ou encore ABS (Asset backed sécurité) : titre reprédes opérations de fusion-acquisition. Elles sentatif d'un portefeuille d'actifs financiers peuvent également fournir des services de (prêts à la consommation, encours de cartes gestion de fonds et de courtage. de crédit, etc.). Voir « Titrisation ». Agences de notation : organismes spécialisés dans l'évaluation de la solvabilité des emprunteurs émetteurs de titres de dettes. Elles attribuent des notes (des « ratings », en anglais) aux différents titres financiers, en fonction de la capacité de l'émetteur à faire face à ses engagements. Ces notes vont de AAA (très peu de risque) à C (très risqué). Trois agences se partagent l'essentiel du marché : Standard and Poor's, Moody's et Fitch. Aléa moral (ou hasard moral) : encouragement à la prise de risque provoqué par l'existence d'une assurance en cas de réalisation du risque. Ainsi, les banques peuvent prendre des risques excessifs sachant que, quoi qu'il arrive, elles seront assistées par un prêteur en dernier ressort qui leur évitera la faillite. Arbitrage : désigne tout choix entre deux utilisations concurrentes d'une même ressource rare (temps, argent, énergie...). Sur les marchés financiers, cela consiste à tenter de tirer parti d'écarts « anormaux » de cours entre des actifs proches, cotés sur différents marchés. L'arbitrage est supposé assurer l'efficience des marchés (voir « Efficience »). Assurance des dépôts : garantie assurée aux particuliers que les fonds déposés auprès d'une banque leur seront remboursés en cas de faillite de la banque en question. Banque des règlements internationaux (BRI) : organisation internationale créée en 1930 et chargée de promouvoir la coopération monétaire et financière entre banques centrales. Son siège est à Bâle, en Suisse (d'où les «Accords de Bâle » fixant les règles prudentielles). Banques d'investissement : contrairement aux banques commerciales, les banques d'investissement ne reçoivent pas de dépôts. Et le service qu'elles rendent aux entreprises consiste non à leur prêter de l'argent, mais à leur donner accès aux marchés financiers pour des introductions en Bourse,
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CDO (Collaterized debt obligation) représentatif de portefeuilles composés d'actifs financiers de nature diverse, tels que des créances bancaires, des titres négociables, des dérivés de crédits... Les parts d'un CDO sont divisées en trois tranches selon le degré de risque pris par l'investisseur.
: titre
CDS (Crédit default swap) : mécanisme d'assurance contre le risque de crédit. Il prend la forme d'un contrat par lequel un acheteur de protection paie régulièrement une prime à un vendeur de protection qui s'engage à compenser ses pertes en cas de défaut de paiement de l'emprunteur. Chambre de compensation : organisme chargé de l'échange des créances entre les participants à la chambre, de sorte que seuls les soldes soient réglés. Collatéral : garantie apportée servant de gage au remboursement d'un prêt, au cas où l'emprunteur ne pourrait remplir ses obligations. Comptabilité en juste valeur : enregistrement des différents actifs d'une entreprise à la valeur où l'on pourrait les vendre à un moment donné. S'oppose à l'enregistrement au « prix historique », c'est-à-dire à la valeur lors de l'achat du bien ou du titre, sans prendre en compte les variations ultérieures.
Conduit : dans un montage de titrisation, désigne la structure provisoire qui détient un portefeuille de créances et émet des titres représentatifs de ce portefeuille. Ces structures présentent la caractéristique de ne pas être consolidées dans le bilan des banques, si bien qu'elles requièrent peu de fonds propres. Elles utilisent massivement l'effet de levier en s'endettant à court terme. Crédit crunch : situation dans laquelle le crédit cesse d'être disponible, si ce n'est à des taux prohibitifs.
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Crédit hypothécaire : crédit garanti par une hypothèque sur le bien. En cas de nonremboursement, la banque peut saisir le bien sans avoir besoin d'engager des démarches judiciaires complexes. Crise de liquidité : situation dans laquelle les banques et autres établissements financiers refusent de se prêter mutuellement de l'argent en raison d'une perte de confiance. Déflation : baisse générale du niveau des prix (voir page 59). Effet de levier : mécanisme qui permet à un opérateur (ménage, entreprise ou institution financière) de dégager des rentabilités très élevées à partir d'un capital de départ limité. La méthode consiste à mobiliser non seulement son propre argent, mais aussi des sommes empruntées pour se lancer dans des opérations risquées, à la rentabilité bien supérieure au taux d'intérêt exigé par les prêteurs. Prenons l'exemple d'un investisseur qui dispose d'un capital de 2 millions d'euros. Il emprunte 8 millions d'euros au taux de 5 %. Avec les 10 millions ainsi réunis, il se lance dans une opération risquée, mais qui lui rapporte 10 %, soit un million. Une fois les intérêts de 0,4 million payés, il lui reste 0,6 million. A rapporter à son capital de départ (2 millions), ce qui fait une rentabilité sur capitaux propres de 30 %. Evidemment, quand le risque se concrétise, non seulement la rentabilité n'est pas au rendez-vous, mais 11 devient impossible de rembourser. Effet de richesse : effet d'une variation de la valeur de leur patrimoine sur la demande des ménages. Lorsque le prix des maisons ou des actions montent, leurs propriétaires voient leur patrimoine se revaloriser et cet enrichissement peut avoir un effet sur leurs dépenses. Ils peuvent en effet soit s'endetter davantage (en gageant leurs emprunts sur un patrimoine plus élevé), soit vendre une partie de leurs actifs pour concrétiser leur bénéfice. Efficience : au sens économique, l'efficience désigne le fait que le prix d'un titre financier prend en compte toutes les informations disponibles et se révèle donc un indicateur fiable pour les opérateurs.
Epargne mondiale : partie non affectée à la consommation des revenus issus de la richesse produite dans le monde. Fonds propres : capital social de l'entreprise (les parts versées par les actionnaires pour devenir copropriétaires), augmenté des bénéfices non distribués aux actionnaires et accumulés dans l'entreprise. La réglémentation prudentielle impose aux banques un certain niveau de fonds propres au regard des crédits qu'elles accordent.
Government Sponsored Enterprises (agences hypothécaires): le plus gros de la titrisation des emprunts hypothécaires est effectué par deux organismes financiers, Fannie Mae et Freddie Mac, créés par le gouvernement américain, mais dotés (jusqu'à leur sauvetage en septembre dernier) d'un actionnariat privé et cotés en Bourse. Les agences titrisaient traditionnellement les crédits prime, peu risqués et très standardisés. Hedge funds (fonds d'arbitrage) : fonds spéculatifs qui visent un objectif de rendement absolu et disposent d'une grande liberté de gestion. Basés le plus souvent dans des centres financiers offshore - comme les îles Caïmans -, ils échappent à tout contrôle des banques centrales. Illiquidité : incapacité temporaire d'un agent à honorer ses engagements. Cette situation peut advenir d'un manque d'argent liquide à un moment donné, alors même que les ressources de l'agent à long terme dépassent largement ses dettes. A ne pas confondre avec l'insolvabilité. Indices ABX : indices qui reflètent la valeur d'un panier de titres financiers constitués à partir de crédits titrisés. Insolvabilité : situation dans laquelle un agent est incapable de faire face à ses engagements parce que ses dettes dépassent son actif. LBO (Leveraged buyout) : montage financier consistant à acheter une société à l'aide d'un prêt, puis à rembourser ce prêt grâce à des dividendes versés par la société achetée.
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Levier d'endettement : voir « Effet de levier ».
banques en cas de crise de liquidité. Ce rôle est joué par la banque centrale.
Liquidité : notion qui renvoie à trois Prime de risque : supplément de coût sur concepts différents. Pour une banque, la le prix normal pour faire face à l'incertitude liquidité consiste à pouvoir honorer ses vis-à-vis des résultats réels de l'entreéchéances à court terme. Pour un actif, elle prise. correspond à la possibilité de s'échanger à tout moment sur un marché (la monnaie Produit dérivé : contrat entre un acheteur est l'actif liquide par excellence). Enfin, pour et un vendeur qui prévoit un échange d'acun marché, elle désigne la capacité de ce tifs dans le futur à des conditions prévues marché à absorber rapidement des ventes dès le départ. Il peut s'agir de monnaies, d'actifs, sans perte significative de prix. Ces de taux d'intérêt, de matières premières ou trois concepts ne sont pas indépendants : d'actifs financiers. du fait du recours accru des banques aux L'objectif initial était de se couvrir contre financements de marché, « la liquidité deles risques associés à des fluctuations marché apparaît comme un déterminant de cours. De plus en plus, les produits de plus en plus important de la liquidité dérivés ont servi de base à des opérations bancaire », explique la Banque de France. spéculatives. Marché de gré à gré : transactions bilatérales de produits financiers s'effectuant en dehors d'un marché organisé.
Prudentielle (politique/réglementation) : politique qui vise à contrôler la façon dont les banques prennent des risques. Elle est mise en œuvre au niveau international par le Comité de Bâle sur la supervision Marché monétaire : marché sur lequel bancaire, basé à la Banque des règlements les banques se financent à court et moyen internationaux (BRI), en Suisse. termes. La banque centrale peut intervenir Depuis 1988, ce comité impose aux bansur ce marché pour réguler la liquidité du ques de détenir au moins 8 % de fonds système bancaire dans son ensemble et propres en face de leurs crédits risqués, orienter ainsi le niveau des taux d'intérêt. c'est le ratio Cooke. En 2004, de nouveaux accords, dits Bâle II, ont vu le jour afin de Mark-to-market (valorisation à la juste mieux appréhender les risques. Ils sont valeur) : méthode qui valorise un actif à sa applicables depuis 2008 en Europe (mais valeur de marché, par opposition à la valopas aux Etats-Unis). La crise des subprime risation au coût historique (valorisation à la a montré que le contrôle des risques que date d'achat). le Comité de Bâle organise est insuffisant Monoiines (rehausseurs de crédit) : as- (voir page 76). sureurs spécialisés dans la couverture du risque de crédit. A l'origine, ils se portaient caution des émissions obligataires des collectivités locales, lesquelles pouvaient ainsi emprunter à moindre taux. Mais certains rehausseurs, pour améliorer leurs affaires, se sont mis à intervenir dans des montages de titrisation. Du coup, ils se sont retrouvés emportés par la crise des subprime, comme CIFG, ex-filiale de Natixis. Normes IFRS : normes comptables édictées au niveau international par l'International Accounting Standards Board (IASB) et destinées aux entreprises cotées afin d'harmoniser la présentation de leurs comptes. Prêteur en dernier ressort : institution qui peut prêter de manière illimitée aux
Ratios de solvabilité : contraintes réglementaires auxquelles sont soumises les banques pour s'assurer qu'elles disposent de suffisamment de capital et qu'elles ne prennent pas des risques inconsidérés. Risque de système (ou systémique) : situation où la faillite d'une banque peut provoquer, par contagion, l'effondrement de l'ensemble du système de financement. SIV (Structured « Conduit ».
investment
vehicle)
: voir
Spread: écart entre le taux d'un placement réputé sans risque (bon du Trésor américain ou allemand, par exemple) et celui d'un placement à risque.
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La crise - Annexes
Subprime: signifie littéralement « en dessous du premier choix ». Il désigne les prêts consentis à des ménages américains modestes qui ne présentent pas assez de garanties pour accéder à un prêt normal, dit « prime », soit parce que leurs revenus sont faibles ou aléatoires, soit parce qu'ils ont déjà eu des difficultés financières par le passé. Alors que les prêts prime sont très standardisés (le plus souvent à taux fixe sur trente ans), les prêts subprime sont non conventionnels (taux variable, remboursement différé, etc.). Swap : accord d'échange d'actifs ou de revenus entre deux parties, généralement des banques ou des institutions financières. Titrisation : technique financière permettant de transformer une créance bancaire en titre pouvant être vendu sur les marchés
financiers, et donc de transférer le risque de crédit associé à cette créance. Valeur fondamentale : valeur d'un actif financier censée refléter celles des principales variables considérées comme déterminantes pour son évolution (les profits pour une entreprise, la croissance pour une économie, etc.). Valeur liquidative : argent que l'on peut récupérer si l'on vend tous les actifs d'un fonds. Vente à découvert (Short sell) : opération financière qui consiste à vendre sur un marché à terme un titre que l'on ne possède pas, en espérant le racheter à un cours moins élevé. Ces pratiques peuvent engendrer des pertes potentiellement infinies quand le cours du titre monte.
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