NOUVELLE ECONOMIE DES SERVICES ET INNOVATION
Collection Économie et Innovation dirigée par Sophie Boutillier et Dimitri Uzunidis Dans cette collection sont publiés des ouvrages d'économie industrielle, financière et du travail et de sociologie économique qui mettent l'accent sur les transformations économiques et sociales suite à l'introduction de nouvelles techniques et méthodes de production. L'innovation se confond avec la nouveauté marchande et touche le cœur même des rapports sociaux et de leurs représentations institutionnelles. Ces ouvrages s'adressent aux étudiants de troisième cycle, aux chercheurs et enseignants chercheurs. Les séries Krisis, Clichés et Cours Principaux collection.
font partie de la
La série Krisis a été créée pour faciliter la lecture historique des problèmes économiques et sociaux d'aujourd'hui liés aux métamorphoses de l'organisation industrielle et du travail. Elle comprend la réédition d'ouvrages anciens, de compilations de textes autour des mêmes questions et des ouvrages d'histoire de la pensée et des faits économiques.
La série Clichés a été créée pour fixer les impressions du monde économique. Les ouvrages contiennent photos et texte pour faire ressortir les caractéristiques d'une situation donnée. Le premier thème directeur est: mémoire et actualité du travail et de l'industrie; le second: histoire et impacts économiques et sociaux des innovations (responsable: Blandine Laperche). La série Cours Principaux comprend des ouvrages simples et fondamentaux qui s'adressent aux étudiants des premiers et deuxièmes cycles universitaires en économie, sociologie, droit, et gestion. Son principe de base est l'application du vieil adage chinois: « le plus long voyage commence par le premier pas ».
COORDINATION
Farida DJELLAL
FaÏz GALLOUJ
NOUVELLE ECONOMIE DES SERVICES ET INNOVATION
INNOV AL 21, Quai de la Citadelle 59140 Dunkerque, France L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris FRANCE
L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3 1026 Budapest HONGRIE
L'Harmattan Italia Via Bava, 37 10214 Torino ITALlE
Remerciements
Plusieurs personnes ont contribué, de différentes manières, en fonction de leur spécialité, à la réalisation matérielle de cet ouvrage. Nous voudrions leur témoigner notre amitié et rendre hommage à leur professionnalisme. Il s'agit de Jean-Luc Kedzir (reprographie), Marianne Kleim (gestion), Dominique Maertens (reprographie), Kourosh Saljoghi (informatique), Véronique Testelin (composition), Younès Tiouassiouine (documentation).
Les auteurs
André Barcet, Maître de conférences en économie à l'Université de Lyon 2. Joël Bonarny, Chargé de recherche CNRS au GATE, Université de Lyon 2. Jocelyne Barreau, Rennes 2.
Professeur d'économie à l'Université de
Faridah Djellal, Maître de conférences en économie à l'Université de Lille 1. Quynh Delaunay, Chercheur au laboratoire «sociologie du travail» du CNAM, Paris. FaÏz Gallouj, Professeur en économie à l'Université de Lille 1. Carnal Gallouj, Maître de conférences en économie à l'Université de Lille 1. Abdelillah Harndouch, Maître de conférences en économie à l'Université de Lille 1. Johan Hauknes, Directeur de recherche, STEP Group, Oslo (Norvège). François Horn, Maître de conférences en économie à l'Université de Lille 3. Bénédicte Lapassousse, Maître de conférences en gestion à l'Université Montesquieu, Bordeaux IV. Marie-Christine Monnoyer, Professeur de gestion à l'IAE, Université de Toulouse I. David Nahon, Chargé de recherche à l'INRA, Paris-Grignon. Jacques Nefussi, Chargé de recherche àl'INRA, Paris-Grignon. Esther Sarnuelides, Allocataire de recherche à l'université de Paris 1.
@L'Hannatlan,2002 ISBN: 2-7475-3069-8
INTRODUCTION GÉNÉRALE: HISSER LA QUESTION DE L'INNOVATION DANS LES SERVICES HORS DE LA « TRAPPE DE COMPÉTENCES » Faridah Djellal et Faïz Gallouj
Il y a maintenant près de soixante-dix ans que la France a atteint ce que Jean et Jacqueline Fourastié (1989) ont intitulé « le point des trois tiers» (c'est-à-dire le moment où l'industrie, l'agriculture et les services ont commencé à représenter chacun un tiers de l'économie française), et près de trois décennies qu'elle a amorcé son processus de désindustrialisation des emplois. Le premier tournant a été atteint, il y a bien plus longtemps enc9re, dans d'autres pays (1810 en Grande-Bretagne, 1910 aux Etats-Unis) et le second en 1950 et 1955, respectivement pour chacun de ces pays. La littérature économique et sociologique consacrée aux services a été dominée pendant longtemps par un débat relativement manichéen qui a opposé les tenants des thèses postindustrielles (la société de service traduit un progrès socioéconomique) aux tenants beaucoup plus nombreux des thèses néoindustrielles (la montée des services est une pathologie). Ce débat a longtemps consacré la suprématie de ces dernières. Les conceptions néo-industrielles relayées par certains pouvoirs politiques trouvaient une certaine légitimité théorique dans les thèses des fondateurs de l'économie politique (en particulier, Adam Smith pour qui les services sont improductifs puisqu'ils s'évanouissent au moment de leur production) et une illustration empirique ou une preuve dans la crise économique née dans les années soixante-dix. Ces thèses sont par ailleurs confortées par le score relativement faible réalisé par les services dans un certain nombre de variables économiques centra-
les: faible productivité, faible qualification de la force de travail, faible effort de R-D et d'innovation. Ce débat a occulté une réflexion plus sereine sur la nature profonde des services, et sur l'inaptitude d'appareillages analytiques hérités d'une tradition industrielle et agricole à rendre compte des spécificités des servIces. Les économies contemporaines sont désormais irrémédiablement des économies de service. Plus personne ne le conteste. Ce n'est ni un bien, ni un mal. C'est un fait statistique, une réalité socio-économique fondamentale, qui s'impose à toutes les économies développées. Les performances de nos économies de services ne sont pas nécessairement mauvaises. Elles sont comme celles des élèves surdoués dans le système scolaire. Elles échappent en partie aux outils de mesure traditionnels. Ainsi, comme l'analyse Gadrey (1996), la productivité n'est peut-être pas aussi faible qu'on le croit, dans les services, elle est tout simplement mal mesurée. Le paradoxe de Solow traduit ainsi non pas une stagnation de la productivité, mais une stagnation de l'acuité de nos outils de mesure de la productivité. Nos appareillages analytiques subissent les mêmes irréversibilités ou lock-in que celles fort bien décrites par la théorie évolutionniste du changement technique (David, 1985). Une autre formule tout aussi évocatrice est utilisée par les théoriciens de l'organisation: celle de «trappe de compétences» (Levitt et March, 1988), qui traduit l'idée que la spécialisation d'une entreprise dans un produit donné et son succès l'empêchent de renoncer à ce produit pour d'autres lorsque cela s'avère nécessaIre. La question de l'innovation dans les services est longtemps restée enfermée dans une telle « trappe» de compétences, l' économiste s'évertuant à appliquer les catégories analytiques disponibles qui ont fait leur preuve et qui sont même institutionnalisées dans les indicateurs des organisations de statistiques nationales et internationales. Malgré l'horizon ouvert par les thèses schumpeteriennes dès le début du vingtième siècle, la théorie économique s'est ainsi développée en privilégiant l'innovation de process associée à des systèmes techniques (celle dont le concept de fonction de production était en mesure de rendre compte). Les systèmes techniques étant produits dans le secteur industriel, l'innovation dans les services a longtemps été réduite à la question de l'adoption de ces systèmes techniques par les firmes de service et à l'examen de leurs conséquences sur des variables économiques comme la productivité, l'emploi, les qualifications, l'organisation du travail, l'échange, la qualité.
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Dans une telle perspective, tout se passe comme si les économies contemporaines étaient reconnues comme étant à la fois des économies de service et des économies de l'innovation (dont on dit parfois qu'elle est permanente) sans véritablement pouvoir prétendre être des économies de l'innovation dans les services. Autrement dit, s'ils coexistent, les deux phénomènes majeurs de nos économies développées s'ignorent pour l'essentiel. La sortie de cette « trappe» est en cours de réalisation. Elle s'effectue selon au moins cinq directions ou programmes de recherche: 1) Un processus d'endogénéisation des nouvelles technologies dans les services. Ce programme de recherche prolonge les approches initiales en termes d'impact (des NTIC sur les services). Il permet d'enrichir fondamentalement la question du lien entre les services et les nouvelles technologies. En effet, les services ne sont plus considérés comme se contentant d'adopter ces NTIC. Ils jouent un rôle de plus en plus actif dans leur production et leur diffusion; et l'innovation de service apparaît souvent comme une catégorie hybride associant des NTIC et une activité d'ingénierie organisationnelle, c'est-à-dire de conception développement de formules organisationnelles. 2) Un programme de recherche des spécificités de l'innovation dans les services. L'accent a été mis ici tout naturellement sur les spécificités de la nature de l'innovation. Cette spécificité de nature peut être approchée de manière déductive ou inductive. En effet, les caractéristiques théoriques des services (en particulier, leur immatérialité, leur interactivité, etc.) sont des idéaux-types qui permettent de formuler un certain nombre d'hypothèses sur les spécificités de l'innovation dans les services. Ainsi, en se contentant de ce seul cas (mais le tableau 1 en illustre d'autres), le caractère flou et « dynamique» de l'output entraîne un brouillage des frontières entre les différentes catégories analytiques habituelles (produit, process, organisation.. .), des difficultés de dénombrement, des difficultés d'évaluation des impacts économiques de l'innovation. Il facilite l'imitation. Par ailleurs, les travaux empiriques (en particulier, dans le domaine des services « purs») permettent de mettre en évidence des formes particulières d'innovation, qui échappent aux conceptions traditionnelles. La question des spécificités a été déclinée à d'autres dimensions de l'innovation dans les services: spécificité de l'organisation de l'innovation, spécificité des déterminants, spécificité des régimes d'appropriation, etc.
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Les caractéristiques
Tableau 1 : des services et leurs conséquences sur l'innovation
Caractéristiques des services
Conséquences théoriques et méthodologiques sur l'innovation: sa nature et son organisation
Diversité des supports (matière, information, connaissance, individu...) Le produit est un process flou
- Multiplicité des formes et trajectoires d'innovation (technologiques, mais aussi non technologiques) + relations multiples entre elles. - Difficulté de distinguer innovations de produit, de process, organisationnelle
- Dénombrement des innovations difficile - Imitation plus aisée - Relation ambiguë vis-à-vis de la technologie - Difficulté d'évaluer les impacts économiques de l'innovation - Difficulté d'appréhender le degré de nouveauté et de distinguer innovation, diversification, différenciation Le service est interactif
- En contradiction avec une conception linéaire de l'innovation - Existence de différents modèles d'organisation de l'innovation - Participation du client au processus d'innovation - Importance de certaines formes d'innovation (sur mesure, ad hoc) - Reconnaissance implicite de l'innovation organisationnelle - Distinction entre innovation dans les services et innovation par les services - Problèmes des régimes d'appropriation - Problèmes d'évaluation des coûts et de fixation des prix de l'innovation
Absence de transfert - Facilité d'imitation, problèmes de protection de droit de propriété Le secteur des servi- - Types de « produits» extrêmement variables ces est d'une extrême - Problèmes de double comptabilisation diversité Source:
D}ellal et Gallou}, 2000
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3) Un programme de recherche orienté vers une volonté d'intégration des biens et des services dans le traitement de la problématique de l'innovation. L'hypothèse qui est faite ici est celle d'une convergence entre biens et services dans la mesure où l'on assisterait, d'une part, à une montée en puissance du service et de la relation de service comme mode de coordination entre agents économiques partout, dans le secteur industriel, mais aussi dans le secteur agricole, et, d'autre part, à une « industrialisation » de certains services, qui recouvre en réalité (de manière sans doute impropre) deux processus différents: l'un de rationalisation professionnelle, l'autre de rationalisation industrielle (Gadrey, 1994). Autrement dit, les spécificités des services mises en évidence dans le programme précédent n'en seraient pas véritablement et les efforts consentis pour mieux comprendre l'innovation dans les services (leur nature, leur mode d'organisation) n'est pas un facteur de divergence, mais au contraire un facteur de convergence: l'innovation industrielle devrait elle aussi être mieux comprise in fine. 4) Un programme consacré au rôle de certains services dans l'innovation de leur client. Ce programme explore l'hypothèse d'un certain renversement du rapport de force entre le secteur industriel et le secteur des services. Certains services (en particulier les services intensifs en connaissances, et notamment l'ingénierie et le conseil) jouent un rôle extrêmement important dans l'innovation de leurs clients. Ils sont décrits comme des machines à traiter et à produire de la connaissance. Ils occupent ainsi une place importante dans les processus d'apprentissage interactifs des firmes et contribuent à des innovations qui couvrent l'ensemble du spectre des fonctions de l'entreprise: fonctions technologiques, juridiques, commerciales, etc. Ce programme de recherche permet ainsi d'articuler deux champs problématiques de la théorie économique: celui de la connaissance et celui des services. 5) Un programme méthodologique qui est étroitement lié à chacun des programmes précédents. Derrière les questions théoriques se cachent en effet aussi des questions de mesure. Ce programme de recherche concerne en particulier les pouvoirs publics et les institutions statistiques nationales et internationales. Les outils de mesure de l'innovation dans les services utilisés par ces institutions soulèvent de nombreuses difficultés. Une partie non négligeable de l'activité d'innovation et de R-D leur échappe. Les deux principaux manuels de l'OCDE: le manuel d'Oslo et le manuel de Frascati sont ainsi confrontés aux résultats des programmes de recherche précédents et des révisions sans envisagées afin de mieux tenir compte de l'innovation et Il
de la R-D dans les services. En effet, les indicateurs du manuel d'Oslo ne permettent de saisir que l'innovation technologique, et le manuel de Frascati n'est pas en mesure de rendre en compte de la totalité des activités de R-D dans les services qui ont souvent une nature composite, mêlant des aspects de sciences et techniques, de sciences humaines et sociales, d'ingénierie organisationnelle, etc. RÉSUMÉ DES CHAPITRES
Les différents chapitres de cet ouvrage issus, pour l' essentiel, des communications à un colloque pluridisciplinaire organisé à Lille en juin 2000 intitulé «Economie et socioéconomie des services» contribuent chacun à hisser les services hors de la «trappe de compétences» dans laquelle ils sont confinés en matière d'innovation. Les contributions réunies ici relèvent de la sociologie, de l'économie et des sciences de gestion. Outre cette pluridisciplinarité, elles couvrent des secteurs différents: services intensifs en connaissances, services publics, grande distribution, etc. Ces différents chapitres s'articulent relativement bien avec les cinq programmes de recherche esquissés précédemment. L'ouvrage comporte trois parties. La première partie intitulée «Nouvelles technologies et services» explore les relations multiples qu'entretiennent les nouvelles technologies avec les activités de service. Le chapitre de Bénédicte Lapassousse et Marie-Christine Monnoyer est consacré à l'analyse des systèmes d'offre électronique. Il aborde cette thématique à travers trois questions: l'évaluation de la rupture stratégique introduite par le commerce électronique, le rôle du site électronique dans l' élaboration de la politique commerciale de l'entreprise, les conséquences de la politique commerciale retenue sur la relation de service, c'est-à-dire, dans ce cas, sur l'interaction entre le prestataire et son client, médiatisée par le site électronique. La contribution de Bénédicte Lapassousse et Marie-Christine Monnoyer qui articule, d'une part, une analyse théorique des canaux de distribution et de la construction de l'interaction servicielle, et, d'autre part, un travail empirique dans le domaine de la distribution des vins de Bordeaux puis, plus généralement, de la distribution multimarque conforte l'hypothèse selon laquelle le commerce électronique est une innovation radicale (perçue comme telle à la fois par l'offre et la demande). Par ailleurs, cette analyse des systèmes d'offre électronique permet de mettre en évidence les sources actuelles de leur différenciation, 12
leurs limites et la manière dont l'élargissement de l'offre par l'intensification de la dimension servicielle permet d'envisager une fidélisation potentielle de la clientèle du site. Le chapitre de Abdelillah Hamdouch et Esther Samuelides examine la manière dont les NTIC contribuent à réorganiser les prestations de services traditionnelles et à générer de nouvelles prestations. En effet, les NTIC sont à l'origine d'innovations significatives dans le contenu et l'organisation des prestations de services. L'innovation exerce dans ce type d'activités une influence tout aussi considérable sur la compétitivité des acteurs que dans l'industrie, ce qui explique sa fréquence. Hamdouch et Samuelides se proposent de mettre en évidence les caractéristiques des innovations affectant actuellement les services afin d'isoler celles qui confortent la position concurrentielle des prestataires et assurent le développement des marchés. Ils rappellent dans un premier temps l'apport des NTIC dans les services et proposent quelques exemples de ce qui est appelé « les nouvelles industries de services ». Puis ils mettent en évidence les principaux attributs des nouveaux services et montrent que les innovations qui les affectent dépendent de l'utilisation qui est faite des NTIC. Enfin le chapitre examine la manière dont ces innovations se développent dans une perspective d'assimilation et d'accumulation ainsi que les processus grâce auxquels les prestataires de services peuvent réussir à innover en permanence. François Hom, dans le chapitre 3, s'intéresse au paradoxe de la productivité dans la production des logiciels. Les gains de productivité y seraient faibles, ce qui confirmerait la réalité du paradoxe de Solow. Ainsi, l'activité informatique appartiendrait au secteur «à stagnation asymptotique» au sens de Baumol. Selon Hom, moyennant un certain nombre de précautions d'interprétation, l'examen de plusieurs indicateurs techniques suggère au contraire que la productivité dans les activités de conception des logiciels connaît une croissance significative. Ainsi, surtout, si l'on prend en compte une des évolutions les plus fondamentales de l'économie des logiciels de ces vingt dernières années, à savoir la substitution de l'utilisation de progiciels (c'est-à-dire de biens intangibles) à l'utilisation de logiciels sur mesure (qui correspondent à une activité de services), on constate que la productivité a augmenté de façon importante. Une explication de la sous-estimation de la croissance de la productivité dans la production des logiciels est qu'elle est beaucoup moins rapide que la croissance de la productivité dans le matériel informatique (qui évolue à un rythme exceptionnel) et qu'elle reste donc insuffisante face à la très forte croissance des 13
besoins. Hom en déduit que le secteur informatique est globalement un secteur asymptotiquement croissant, avant d'esquisser quelques perspectives d'évolution de la productivité dans la production des logiciels. La deuxième partie (L'innovation dans les services: des formes et des dynamiques spécifiques ?) approfondit, sous différentes perspectives, le programme de recherche n° 2 (celui des spécificités de l'innovation dans les services). Plusieurs contributions sont consacrées à une thématique qui est loin d'être épuisée: celle de la nature ou des formes de l'innovation dans les services. D'autres mettent l'accent sur la spécificité des dynamiques de l'innovation sous l'angle de ses déterminants ou de la nature de ses cycles de vie. Dans le chapitre 4, Johan Hauknes articule une interrogation théorique et un questionnement méthodologique, qui s'inscrivent dans les programmes n° 2 et 5. Sur le plan théorique, il rappelle les dangers d'une application aux services de théories de l'innovation forgées pour des économies industrielles. Cette tendance contribue à sous-estimer l'innovation dans les services et à la réduire à l'adoption de systèmes techniques issus des secteurs manufacturiers. En s'appuyant sur cette base théorique, Hauknes opère une critique des définitions officielles de l'innovation et en particulier de la notion d'innovation technologique de produit et de process telle qu'elle est véhiculée par les manuels de l'OCDE. Cette discussion critique s'appuie sur une enquête réalisée en Norvège et sur la propre expérience de l'auteur dans le domaine de l'édition. Le chapitre de Faridah Djellal et Faïz Gallouj s'appuie sur une enquête postale exploratoire consacrée à l'innovation dans les services. Il rend compte ici de la nature de l'innovation dans les services selon différentes perspectives: en s'appuyant, dans un premier temps, sur une typologie prédéfinie (produit, process, organisation, relation externe), en tentant, ensuite, d'appréhender la nature de l'innovation par son contenu technologique, son degré de nouveauté, les modalités de l'innovation de produit. On constate ainsi que l'innovation dans les services ne se réduit pas aux dimensions technologiques de cette activité et que des formes particulières d'innovation peuvent être mises en évidence. Ce chapitre s'inscrit également à la fois dans les programmes de recherche n° 2 et 5. Le chapitre de Jocelyne Barreau est consacré à la notion d'innovation sociale définie comme « le processus qui consiste à modifier les règles de coordination et d'incitation, sur la base de négociations sociales et de compromis formels et informels». Cette notion d'innovation sociale est confrontée aux 14
formes plus traditionnelles d'innovation à savoir l'innovation technique et l'innovation organisationnelle. L'auteur tente ainsi d'examiner dans quelle mesure les nouvelles approches économiques du changement technique et organisationnel peuvent être transposées à l'innovation sociale. Les champs d'investigations retenus sont les services publics et en particulier La Poste, France Telecom, la gendarmerie nationale, l'hôpital public. L'auteur tire la conclusion que sous l'angle de l'innovation sociale, les activités de service et notamment de service public font preuve d'une «inventivité » particulière (plus élevée que celle du ,secteur privé). Or, l'innovation sociale, tout comme l'innovation technologique, contribue à l'accroissement de la performance des firmes et des organisations. Le chapitre de André Barcet et Joël Bonamy est consacré aux spécificités de la dynamique de la régulation économique pour l'innovation dans les services. Selon Barcet et Bonamy, si les activités de service jouent un rôle important dans la dynamique économique actuelle et si l'innovation de service devient une question d'actualité dans les pratiques des entreprises, ce sont les conditions microéconomiques, liées aux questions de concurrence et de différenciation de l'offre marchande, qui ont été principalement analysées. Les conditions macroéconomiques sont peu identifiées, elles paraissent cependant fondamentales pour la réussite de ces innovations. L'hypothèse centrale du chapitre est que l'innovation de service ne peut trouver son véritable rôle que dans une modification de certaines conditions de la dynamique et de la régulation économique. Partant d'une identification des formes de l'innovation de service (l'innovation de service complémentaire à l'offre de biens, l'innovation de service liée au développement des technologies de l'information, l'innovation dans les services de proximité) qui émergent aujourd'hui, les auteurs examinent les enjeux qu'elles représentent pour la forme actuelle de la croissance. Des mutations des conditions macroéconomiques paraissent alors nécessaires pour que les innovations de service trouvent leur efficacité économique et sociale. Elles concernent les problèmes de reconnaissance institutionnelle de ce type d'innovation (ce qui suppose une identification et surtout des critères clairs d'évaluation), les problèmes de temporalité (dans le sens où l'innovation de service implique de nouvelles logiques dans l'utilisation du temps individuel ou social), les problèmes d'apprentissage (notamment au niveau collectif) et les problèmes de monétarisation d'une sphère économique peu développée et souvent non marchande (cette monétarisation laisse supposer des modes de financement eux-mêmes innovants). 15
Carnal Gallouj, dans le chapitre 8, porte son analyse sur la grande distribution. Il s'agit d'un secteur qui, en particulier dans le domaine des sciences de gestion, dispose d'un certain nombre de théories « locales» (c'est-à-dire spécifiques à ce secteur particulier) de l'innovation. Il examine ces différentes théories (en particulier les théories de l'accordéon et de la roue de la distribution) et met en évidence leur incapacité à rendre compte de la diversité des formes de l'innovation dans la grande distribution. Ce chapitre explore d'une manière détaillée la multiplicité des formes de l'innovation dans la grande distribution, montrant ainsi que si l'introduction, voire la production de systèmes techniques y sont importants, ils n'épuisent pas, loin de là, le potentiel d'innovation dans ce type d'activités. Ainsi, ces théories locales, qui ont l'intérêt de poser la question de l'innovation dans les services dans sa dynamique et non pas seulement dans sa morphologie souffrent des mêmes limites que des théories à prétention plus générale, comme la théorie du cycle de vie inversé de Barras (1986). La troisième partie intitulée « L'innovation par les services et au-delà des services» est consacrée, d'une part, aux brouillages des frontières entre les secteurs et quant à la nature des « produits» et, d'autre part, à la contribution de certaines activités de services à l'innovation dans d'autres secteurs économiques. Elle relève ainsi des programmes de recherche n° 3 et 4 évoqués précédemment. Les trois chapitres correspondants illustrent l'idée selon laquelle la valeur de nombreux biens (industriels et agricoles) est alimentée par les services et l' innovation dans les services. Ainsi, Quynh Delaunay, dans le chapitre 9, définit le design industriel comme un « service d'aide à l'innovation et à la réalisation de produit et de service », dont l'apport est fondamental dans une économie où la compréhension des usages et des rapports sociaux d'usage est tout aussi importante que les performances techniques et économiques. Elle accompagne sa réflexion sur la nature de cette activité (de ce produit) par une analyse fine des prestataires, de leur organisation et des outils qu'ils mobilisent. Dans le prolongement des modèles d'innovation entrepreneuriale et monopoliste formalisés par Schumpeter, le chapitre de Faïz Gallouj propose un nouveau modèle d'innovation intitulé: le modèle d'innovation interactionnelle. Ce modèle microéconomique qui renvoie, au niveau macroéconomique, aux rôles de certains services dans les systèmes nationaux d'innovation articule les quatre éléments suivants: les différentes composantes du processus d'innovation sur lesquelles le prestataire peut être amené à intervenir; les fonctions de l'entreprise cliente supports de l'activité d'in16
novation; le degré d'implication du prestataire (et du client) dans l'innovation (degré de coproduction) ; les formes cognitives de l'intervention du prestataire dans le traitement et la production de connaissances. Ce chapitre met ainsi en évidence un certain nombre de configurations parmi lesquelles la configuration standard (définie par l'absence d'interaction et le caractère mécaniste du transfert de technologie) n'est qu'un cas limite. La contribution de David Nahon et de Jacques Nefussi vise, tout d'abord, à rompre avec l'idée d'un produit agricole réduit à sa dimension matérielle, autrement dit à mettre en évidence la « richesse en services» du produit agricole. Elle vise, ensuite, à montrer dans quelle mesure l'innovation dans l'activité agricole passe de plus en plus par les services. Une étude de cas très fine est consacrée au cas de la pomme de terre de consommation qui constitue un champ d'innovation étonnant, qui s'appuie sur les services et le contenu en service. Au total, en adaptant les éclairages théoriques, cet ouvrage met en lumière l'importance de l'innovation dans les activités de services, ce qui contribue à réévaluer la place de ces activités dans la dynamique économique et leur rôle dans la désindustrialisation tendancielle des économies contemporaines. Si l'on en revient aux thèses de Schumpeter, il se pourrait fort bien que l'expansion des services s'explique aussi par leur capacité d'innovation dans le cadre des vagues de destructions créatrices.
BIBLIOGRAPHIE BARRAS R., Towards a theory of innovation in services, Research Policy, 15, 1986, pp. 161-173. DAVID P., Clio and the economics of QWERTY, AEA Papers and Proceedings, American Economic Review, mai, 75 (2), 1985, pp. 332-337. DJELLAL F., GALLOUJ F., Le «casse-tête» de la mesure de l'innovation dans les services: enquête sur les enquêtes, Revue d'économie industrielle, n° 93, 2000, pp. 7-28. FOURASTIE J. et FOURASTIE J., La ruée tertiaire, Futurible, juin 1989, pp. 21-34. GADREY J., La modernisation des services professionnels, Revue française de sociologie, n° 35, 1994, pp. 163-195. GADREY J., Services: La productivité en question, Desclée Debrouwer, 1996. LEVITT B. et MARCH J.G., Organizationallearning, Annual Review ofSociology, 14, 1988, pp. 319-340.
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PARTIE I: NOUVELLES TECHNOLOGIES ET SERVICES
CHAPITRE 1 : SYSTEMES D'OFFRE ELECTRONIQUE: L'ELARGISSEMENT DE LA DIMENSION SERVICIELLE Bénédicte Lapassousse, Marie-Christine Monnoyer Université Montesquieu, Bordeaux IV et lAB de l'Université de Toulouse I
INTRODUCTION
Au regard de la complexité organisationnelle et des coûts que suppose la création de circuits de distribution internationaux, la commercialisation via Internet apparaît, au premier abord, comme un mode de distribution simple, rapide et peu coûteux. Cinq ans après l'apparition des premiers sites de commerce électronique, il est en effet possible pour toute entreprise, quelle que soit sa taille, de trouver les prestataires nécessaires en moins d'un mois, de se doter des équipements indispensables et de quelques pages web qui lui permettront d'être en contact avec un client potentiel pour 10 000 F. .. Cette simplicité est-elle pour autant la garantie d'un succès commercial? La réd\lction des perspectives de développement du commerce électronique n'est pas en effet à l'image de cette apparente facilité. Notre analyse n'a pas pour ambition de répondre complètement à cette question difficile. Plus modestement, notre objectif est de comprendre comment la médiation électronique modifie la construction du service de distribution pour la vente de produits aux consommateurs, et de mettre en évidence
les sources de création de valeur de ce nouveau circuit de distribution qui constituent autant de clés de succès potentielles. Au cours de ces trois dernières années, les auteurs qui se sont focalisés sur les dimensions marketing de l'Internet ont montré que la virtualisation remettait en cause la gestion de l'interactivité avec le client (Abidi et Alba, 1998 ; Boulaire, 2000; Bergadaa, 2000; Hagel, 1997; Madrid et Monnoyer, 2000; Marion, 2000... ) mais apportait en contrepartie une connaissance fine de ce dernier, permettant un renouvellement de la réflexion marketing (Don Peppers, 1998; Hagel, 1997; Branche, 1999.. .). D'autres chercheurs ont mis l'accent sur la prégnance des problèmes logistiques soulevés par la réduction possible des intermédiaires entre le producteur et l'utilisateur (Pelton, 1997; Joyce, 1998; Dornier, 2000), problèmes qui avaient souvent été sous-estimés lors des premières expériences et amputaient largement la profitabilité du nouveau circuit de distribution. Enfin un troisième courant de travaux a mis en évidence les conséquences de la numérisation des relations offre-demande et les potentialités organisationnelles qui en résultent tant sur l'amont que sur l'aval du processus productif stricto sensu (Bitouzet, 1999; Don Peppers, 1998; Gilles, 1994 ; Iansiti, 1997 ; Isaac, 2000 ; Kalika, 2000 ; Levy, 2000 ; Madrid et Monnoyer, 2000. ..). C'est dans ce courant que nous avons ancré notre interrogation quant aux sources de création de valeur apportée par la numérisation de l'échange. Cette démarche nous a conduit à explorer les caractéristiques de la distribution électronique, et son impact sur les fonctions de back-office de l'entreprise, sur la base d'une étude sectorielle approfondie relative à la commercialisation des vins de Bordeaux (Madrid et Monnoyer, 2001). Nous avons depuis entrepris de confronter les hypothèses issues de ces terrains, au marché plus vaste de la distribution multimarques, grâce à une enquête quantitative consacrée aux caractéristiques des offres de 52 sites multiproduits (cf. annexe n° 1). Après avoir analysé les spécificités de la commercialisation électronique et son positionnement dans la chaîne de valeur de l'entreprise (section 1), nous nous proposons de faire le point sur les apports de nos enquêtes quant à la création de valeur (section 2) en mettant plus particulièrement en évidence les spécificités de la dimension servicielle dans le contexte de la commercialisation électronique (section 3).
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1. De la distribution physique à la distribution virtuelle La numérisation des informations affecte les modalités organisationnelles de tout processus productif. Dans le cas de la distribution, nous nous interrogerons sur les incidences qu'exerce la virtualisation possible de l'échange d'informations, sur les fonctions de cette prestation de services. 1.1. Les dimensions de la distribution électronique Pour déceler la réalité des opportunités que présente le commerce électronique, il nous semble nécessaire de revenir à la définition du concept de canal de distribution et aux fonctions qu'il recouvre, et qui doivent être accomplies pour que cette forme d'approvisionnement n'apparaisse pas aux consommateurs comme une version réduite par rapport aux prestations dont il est coutumier. Pelton (1997) distingue cinq responsabilités distinctes dans un canal de distribution: l'accès à l'offre, la mise à disposition, la gestion des stocks, le financement et la valorisation commerciale du produit. Pour chacune d'entre elles nous mettrons en évidence les caractères spécifiques du commerce électronique vis-à-vis des autres formes de distribution. 1.1.1. L'accès à l'offre
Sous ce terme, Pelton évoque les efforts réalisés par le producteur ou le distributeur pour rendre l'offre accessible à des clients géographiquement dispersés. Toute personne ayant accès au réseau Internet se trouve de fait en contact possible avec une offre de produit présentée sur un site. Pour assurer la diffusion spatiale de ses produits, le producteur ou le commerçant n'a plus besoin de construire un réseau de vendeurs ou de distributeurs. La numérisation des informations nécessaires à la présentation de l'offre semble moins coûteuse que la réalisation des catalogues de vente par correspondance. En revanche la commercialisation électronique suppose la transmission à l'internaute d'informations plus diversifiées, celles qui sont nécessaires à la connexion sur le site et à la compréhension des informations qui y ont été rassemblées. La dimension informationnelle semble prendre une importance plus grande que la dimension relationnelle ou résiliaire qui caractérise la grande distribution ou le commerce de proximité (Laurent-Lasson, 23
1999). Dans une première approche, le coût de la gestion de cette information peut apparaître plus faible que le coût de la constitution et la gestion d'un réseau physique. 1.1.2. La mise à disposition Le service de distribution suppose que les biens et les services soient remis à la clientèle sur les lieux de vente ou d'utilisation. Les concepteurs de la grande distribution ont imaginé, à la différence du commerce de proximité et des succursalistes qui les avaient précédés, de ne pas supporter seuls la charge financière et matérielle de cette mise à disposition et de la répartir entre les différents intervenants de la chaîne d'approvisionnement des consommateurs. Le client est invité à effectuer un déplacement, qui peut être important, pour accéder au produit. Cet « effort» est rétribué par un allégement des prix par rapport au commerce de proximité (Chétochine, 1998). Cet allégement est rendu possible par le moindre coût de la localisation du commerçant, la taille de l'équipement. La commercialisation par correspondance (VPC) n'exige pas cet effort de déplacement, mais nécessite, en revanche, l'acceptation par le client d'un délai d'acheminement du produit vers le lieu d'utilisation et la facturation de frais de transport liés au poids et aux caractéristiques des colis. Le commerce électronique qui ne peut acheminer par le réseau téléinformatique que les produits ou services numérisables, se rapproche de la VPC. Les contraintes logistiques constituent un véritable frein commercial puisque le commerçant en ligne doit effectuer aussi bien la préparation du colis (que le consommateur assure lui-même dans les formes dites de libre-service) que son contrôle et son expédition. Un ou plusieurs intermédiaires logistiques peuvent se révéler indispensables (groupage des commandes, transport, passage en douane. ..). Ils augmentent le coût du produit «sortie usine» et font apparaître un délai d'acheminement proche de celui qui caractérise les formes les plus efficaces de la VPC. Seule la circulation de l'information autour de l'envoi et de l'acheminement et à destination tant des intermédiaires que du client, est accélérée et rendue moins onéreuse, du fait de sa numérisation Ces contraintes ne peuvent être reportées sur l'acheteur sans incidence négative sur l'attractivité du site.
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1.1.3. La gestion des stocks
Le consommateur doit pouvoir disposer, au moment où il le désire, d'un bien dont la fabrication n'a pas été organisée pour lui directement mais incluse dans un processus productif plus large. La responsabilité de stockage représente un coût dont l'incidence est lourde sur le processus productif. Sans réponse à cette contrainte, l'effort de diffusion spatiale perd sa signification. Pour réduire cette charge et améliorer ainsi sa compétitivité, la distribution moderne s'appuie largement sur les technologies de l'information et plus particulièrement sur l'E.D.I. (Monnoyer, 1993) pour réduire le besoin de stockage et le reporter partiellement sur l'amont de la filière de distribution. Le recours à l'E.D.I., en diminuant le délai nécessaire à l'accomplissement du cycle de la commande, permet également d'élargir la variété des produits proposés sans alourdir le stockage. Le commerce électronique modifie ces contraintes pour les biens numérisables, les services et les informations qui accompagnent toute prestation productive. Pour les autres biens, une organisation logistique est nécessaire et son efficacité doit être proche de celle obtenue par la distribution moderne. 1.1.4. Le financement du produit service dans la filière de distribution Le coût du stockage évoqué précédemment a incité industriels et distributeurs à accélérer l'organisation logistique (de la commande à la remise au client final). En s'engageant dans une démarche de commercialisation électronique, l' offreur accepte de supporter un allongement des délais qui peut provenir de l'éloignement géographique de sa clientèle. A contrario, le paiement électronique, qui peut accélérer et simplifier la réalisation de la transaction, suppose la mise en place d'une sécurisation du paiement ou le recours à un tiers de confiance. 1.1.5. La valorisation commerciale du produit-service L'utilisation d'un site de commercialisation électronique permet de transformer la communication monologique traditionnelle (publicité graphique ou télévisuelle) en une communication dialogique et interactive entre producteur et consommateur dès qu'existe sur le site, une adresse électronique ou un forum. 25
La communication sur le produit peut être, par ce moyen, enrichie. De plus, comme le constatent de nombreux webmasters, l'efficacité des modalités de cette communication est testée très rapidement au moyen des logiciels d'analyse de circuits de visite de sites. Elle peut donc être adaptée en cas d'erreur (Plant, Willcocks, 1999). L'internaute, par les questions qu'il pose ou par les caractéristiques qu'il donne volontairement ou involontairement sur ses besoins et ses attentes, conduit le prestataire à reconsidérer les caractéristiques de son offre ou de sa présentation (Mehlmann, 1997). La personnalisation de l'offre qui naît du dialogue entre producteur et consommateur facilite la différenciation de l'offre sur le marché. Sans modifier celle-ci, l'offreur peut mettre en valeur les éléments les plus incisifs de sa prestation pour un profil de consommation donné. Il peut aussi choisir, parmi son catalogue, une prestation qui lui semble plus adaptée à la demande formulée (McKenna, 1998). Cette construction relationnelle, avec le client que Don Peppers a qualifié de « one to one », s'appuie sur la mémorisation des informations échangées et induit un enrichissement de l'offre en service. Si cette relation permet d'accroître les marges (Don Peppers, 1998 ; Lee, 1998), sa construction en est pourtant délicate. Elle s'appuie sur une interaction virtuelle et non plus humaine dont le rôle dans l'appréciation de la qualité du service rendu au client n'est plus à démontrer (Eiglier, Langeard, 1987; Philippe, 1996). L'interaction peut s'étendre à une communauté d'utilisateurs qui par leurs échanges interpersonnels enrichissent la base de connaissances et élargissent aussi le produit-service offert (Hagel, Armstrong, 1997). Chacune des cinq fonctions constitutives d'un canal de distribution est donc affectée par la numérisation de la commercialisation, bien qu'à des degrés divers. Toutefois, comme le montrent les travaux de M. Porter (1986) « la base ultime de la différenciation est la firme et le rôle que joue son produit dans la chaîne de valeur de son client ». Pour mettre en évidence l'intérêt de la dimension numérique dans la création de valeur, nous nous proposons d'utiliser le concept portérien de chaîne de valeur.
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1.2. Les sources de valeur ajoutée de la distribution électronique Porter décompose les sources de l'avantage concurrentiel de l'entreprise en fonction des activités pertinentes pour sa stratégie et créatrices de valeur. L'identification de ces activités repose sur leur impact potentiel élevé en matière de différentiation. La chaîne de valeur générique distingue cinq catégories d'activités principales qui permettent de construire une différenciation sur le marché, des activités de soutien qui peuvent être associées à l'ensemble de la chaîne ou venir en appui d'une activité principale en particulier (cf. figure n° 1). La numérisation de l'échange constitue à nos yeux une sixième activité principale qui vient compléter les apports de deux d'entre elles qui agissent sur la phase de commercialisation: celles qui sont associées à la « fourniture de moyens par lesquels les clients peuvent acheter le produit et sont incités à le faire» et celles « qui concernent la fourniture de services visant à accroître la valeur du produit» (Porter, 1986). En donnant un support numérique aux informations constitutives de chacune des dimensions produit et service, il devient possible d'offrir au client un mode d'accès et un usage différents de l'offre qui lui était proposée avant la numérisation. Cette dernière constitue donc bien une activité principale supplémentaire dans la chaîne de valeur puisqu'elle fait évoluer le positionnement concurrentiel du produit-service concerné. Slywotzky et Morrison (2001) évaluent à 10 % les gains de marge des sociétés qui intègrent vraiment la dimension numérique dans leur système d'offre. Figure n° 1 : La place de la dimension électronique dans la chaîne de valeur
Logistique interne
Commercialisation du roduit
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Service VALEUR
La généralisation de la numérisation des systèmes d'information affecte toutes les activités qualifiées de principales, et constitue en cela une activité de soutien dans la logique « portérienne ». On observe précisément une liaison de coordination de la fonction numérisation de l'échange avec les activités de soutien que constituent l'infrastructure de la firme et le développement technologique. Porter recommande de subdiviser les activités de la chaîne de valeur tant que l'analyse permet de découvrir des éléments susceptibles d'influer sur le positionnement concurrentiel de la firme. L'activité production peut, par exemple, être subdivisée en plusieurs fonctions telles que la promotion, la gestion de la force de vente, le design. Le ou les services associés s'appuient, quant à eux, sur un double processus, organisationnel et humain. Dans cette logique, nous avons cherché à désagréger la numérisation de manière plus fine. A l'instar d'Eiglier et Langeard (1987) mobilisant la théorie des systèmes pour montrer le caractère interdépendant des éléments fondamentaux de la servuction, nous avons décomposé la transaction électronique proposée pour repérer les modalités de l'échange virtuel et ses clefs de succès. En nous appuyant sur nos travaux précédents (Madrid et Monnoyer, 2000, 2001), nous formulons l'hypothèse de l'existence de composantes originales, conçues de manière différente des transactions non numérisées. Il s'agit des formes de l'interaction, des supports de la confiance et de l'organisation logistique (figure n° 2). Figure n° 2 : Le système d'offre électronique, la subdivision de l'activité « numérisation»
VALEUR
Interaction
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L'interactivité est très souvent évoquée par la littérature (Bergadaa, 2000 ; Dandouau, 2000) puisqu'elle est liée de manière intrinsèque à la nature du média électronique. Elle permet à un consommateur d'étudier de près ses produits en fonction des critères qui l'intéressent particulièrement. La qualité de l'interaction suppose une personnalisation du site. Mais la virtualisation de la rencontre nécessite «un confort de navigation» (Boulaire, Matthieu, 2000). L'ergonomie du site constitue le premier support de la construction de la relation personnalisée avec le client. Filser (1998) rappelle que le consommateur, en situation d'achat non routinier, est souvent peu confiant dans ses propres capacités à analyser les informations qui lui sont fournies pour prendre ses décisions d'achat. Cette fragilité, exacerbée par l'hyper-choix auquel l'individu est confronté, l'incite à se fier à une marque (Kapferer, 2000), à s'attacher à un point de vente, à suivre les préconisations d'un vendeur... Avec le temps, ces repères sont sources de fidélité et engendrent la confiance (Ladwein, 1999). Le passage à un échange numérisé doit organiser deux fonctions traditionnellement dévolues à un canal de distribution: l'accessibilité à l'offre et la gestion des stocks. Elles représentent aussi les principales composantes physiques de l'achat. Un délai de livraison jugé trop lent ou une rupture de stocks, risquent de rompre la confiance si difficile à susciter (Nuss, 2000). 2. L'observation des systèmes d'offre électronique Nous avons cherché à confronter aux réalisations des offreurs électroniques les hypothèses que nous venons de formuler, quant aux sources de création de valeur de la numérisation de l'échange. Seront ici présentés les résultats d'une étude empirique effectuée sur 52 sites électroniques (l'annexe 1 fournit une description et les caractéristiques des offres de sites multiproduits). Nous analyserons successivement chacune des trois composantes précédemment identifiées.
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2.1. L'analyse de la composante « interaction» de l'offre De manière générale, les résultats de l'étude empirique mettent en évidence l'existence de deux types « d'items »1 (cf. tableau n° 1). Les premiers (que nous avons qualifiés de « standards », parce que nous les trouvons sur plus de la moitié des sites analysés) et ceux qui ne sont que rarement exploités et que nous considérons donc comme des vecteurs de différenciation. L'observation
Tableau n° 1 : de la composante « interaction»
Items2 Informations sur le secteur Richesse de la fiche produit Convivialité: utilisation de vidéo, photos... Vente d'articles complémentaires Liens avec d'autres sites Possibilité d'un contact mail personnalisé avant achat Possibilité d'un contact mail personnalisé après achat Forum Mailing list Club Avis des utilisateurs Nombre de situations d'utilisations Co-construction d'une offre
Fréquence (52 sites) 38 42 36 13 23
Nature de l'item standard standard standard différenciateur différenciateur
51
standard
49
standard
8 17 Il 37 2 30
différenciateur différenciateur différenciateur standard différenciateur standard
Les possibilités de convivialité liées à la technologie électronique sont exploitées largement. Les sources de différenciation qui peuvent constituer des éléments de valeur ajoutée, pour les clients et donc pour les offreurs, proviennent d'abord de la volonté d'entretenir une démarche relationnelle (mailing lists, club...) qui allège la charge de la recherche d'informations pour l'acheteur. Des prestations de services complémentaires à l'offre produit (articles complémentaires, liens avec d'autres 1 ou caractéristiques observées pour chaque offre électronique. 2 Grâce à une phase exploratoire nous avons identifié de quelles manières pouvaient se manifester, en pratique, les composantes des systèmes d'offre. Les items proposés dans le tableau correspondent aux modalités selon lesquelles s'exprime la composante « interaction» de l'offre. 30
sites, richesse de la fiche produit...) réduisent les charges d'approvisionnement de l'acheteur. Elles complètent la composante logistique que nous analyserons plus loin. 2.2. L'analyse de la création de confiance L'information est une des principales ressources mises en œuvre par l'acheteur pour forger la hiérarchie de ses préférences (Filser, 1998). Or, comme nous l'avons largement développé, le site est un puissant vecteur informationnel. Cette information peut contribuer à la structuration du choix par les éléments et les connaissances mises à la disposition du consommateur. Elle peut ainsi donner une dimension rationnelle à un « achat passion ». Cette source d'informations peut même inspirer une confiance qui naît de l'environnement de l'internaute lors de la consultation (conditions de lecture, absence d'influences visibles, de précipitation. . .). Elle peut sans doute alléger les nombreux facteurs de méfiance des consommateurs (Jarvenpaa, Grazioli, 1999) liés à la question de la sécurité de paiement, aux problèmes de la confidentialité des données personnelles ou à la complexité d'utilisation des nouvelles technologies. L'observation
Tableau n° 2 : des vecteurs de confiance
Items
Fréquence
Gamme: présence de produits de marque Possibilité d'échange: satisfait ou remboursé Comité d'appréciation /banc d'essai Remboursement si retard Garantie Mise en avant du professionnalisme Points ou cadeaux fidélité
16 28 8 2 7 4 9
Nature de l'item différenciateur standard différenciateur différenciateur différenciateur différenciateur différenciateur
L'étude empirique montre que l'attention à la création de la confiance n'est pas générale. Les responsables de site s'efforcent de susciter la confiance soit en s'appuyant sur le renom des produits commercialisés soit en s'assurant de la qualité des produits commercialisés (cf. tableau n° 2). Dans les secteurs où les sites ne peuvent s'appuyer sur le renom d'une marque, d'autres éléments tels que le professionnalisme, la garantie sont mis en avant. L'information écrite, visuelle, auditive vient con31
forter, sur les sites les plus soignés, les efforts de communication déjà réalisés par les producteurs dans les médias traditionnels. 2.3. L'analyse de la composante « organisation logistique» L'analyse du tableau n° 3 montre que désormais l'attention aux problèmes que posent l'acheminement et la remise des achats sont clairement perçus par les offreurs. L'effort de différenciation entre les sites porte donc fortement sur la dimension logistique et la qualité du service qu'elle représente. On constate l'existence de nombreux items différenciateurs3 . Les sites cherchent vraisemblablement à favoriser un premier achat électronique en s'efforçant de réduire les freins liés à la virtualité, sans pour autant creuser les éléments constitutifs de l'organisation logistique qui constituent de réelles créations de valeur pour leurs clients. L'observation
Tableau n° 3 : de 1'« organisation logistique»
Items
Total
Choix d'un emballage protecteur Possibilité de paquet cadeau Envoi d'un mail, tenir au courant des différentes étapes Communication d'une référence commande et d'un numéro de téléphone Tarification abordable (à définir) Rapidité de livraison en nombre de jour: entre 2 et 7 jours Adresse de livraison différente (pour cadeau) Message personnalisé accompagnant la livraison
1 24
Nature de l'item différenciateur différenciateur
32
standard
16
différenciateur
6
différenciateur
Présentation explicite des procédures de sécurité Possibilité de communiquer son numéro de carte par fax ou téléphone Porte-monnaie électronique Possibilité de paiement par chèque
différenci ateur 39
standard
16
différenciateur
39
standard
19
différenciateur
6 5
différenciateur différenciateur
3 Ces efforts portent sur des points qui diffèrent selon les spécificités du produit commercialisé. Par exemple, le paquet cadeau pour les fleurs n'est pas un item différenciateur sur ce secteur. 32
2.4. Le dépassement
des pratiques actuelles
Le commerce électronique répond aujourd'hui à une recherche d'expériences à la fois sensorielles (animations multimédia) et intellectuelles (lecture de documents intéressants surprenants, amusants... ). Mais la banalisation de l'innovation technologique est susceptible d'en réduire rapidement l'atlractivité. Après la phase d'expérimentation, le commerce électronique peut devenir, pour les internautes, un circuit de distribution qui allège la recherche d'informations nécessaires aux achats et les contraintes logistiques de l'approvisionnement. Les conclusions de cette étude empirique révèlent que les concepteurs de sites électroniques se sont focalisés logiquement sur les problèmes nouveaux posés par ce circuit de distribution, sans dépasser de façon générale, nous semble-t-il, le premier niveau d'exploitation des potentialités de la technologie numérIque. Or, au-delà de la création d'un premier achat, il s'agit de susciter une dynamique qui permette de passer d'une transaction ponctuelle à l'établissement d'une relation fidélisée. A cet égard, une différenciation qui s'appuierait uniquement sur les constituants basiques de la dimension logistique n'est guère durable à nos yeux. Attiré par le caractère novateur de l'achat électronique, le client a été encouragé par la promesse d'une livraison rapide de quelques produits phare, d'un paiement sécurisé, en somme par le fait de retrouver des conditions proches de celles qu'il connaît sur le ou les points de vente qu'il fréquente habituellement. Ce contexte n'est sans doute pas suffisant pour créer un véritable changement d'attitude. Seule, une véritable création de valeur chez le client, est susceptible de conduire ce dernier à abandonner son fournisseur habituel ou à accepter de payer, à sa juste valeur, le nouveau service rendu (Porter, 2000). Pour identifier les facteurs qui impulseraient ce changement, il faut s'appuyer sur les avancées de la recherche dans le domaine du comportement d'achat. L'analyse fondée sur la représentation d'un individu raisonnant dans le cadre d'une approche purement cognitive ne permet plus d'expliquer des tendances actuelles, telles que la remise en cause du pouvoir de conviction de la marque ou le développement des formes d'échange (troc ou brocante). En revanche, le modèle de recherche d'expériences (Filser, 1996) qui replace l'acte d'achat ponctuel dans le contexte de la consommation met l'accent sur la gratifi33
cation psychologique que l'individu attend de l'usage du bien ou service. Il s'agit, désormais, d'intégrer la diversité des expériences vécues aux plans symbolique, social, émotionnel et affectif, grâce à cet achat, plutôt que de tenter d'expliquer un choix ponctuel. La prise en compte de cette attente permet de prolonger l'intérêt du consommateur, attiré initialement par une recherche d'expérience innovante. Dans cette optique, l'accompagnement que procure la consultation d'un site, avant (co-construction de l'offre), ou dans la continuité de l'achat, insère l'usage d'Internet dans le contexte d'un continuum de consommation. Il est donc source de fidélisation. Cet accompagnement reste largement d'ordre informationnel même si lui sont adjoints des services riches en maind'œuvre. Le système d'offre dispose, dès lors, d'un potentiel de développement, construit autour d'une dimension servicielle (Mills, 1986). Nous nous proposons, ci-après, d'analyser de manière plus approfondie cet accompagnement informationnel et serviciel. 3. De la prestation de service à la proximité virtuelle L'adjonction de services à une prestation initiale ou à la fourniture de produits constitue désormais une modalité de positionnement concurrentiel largement pratiquée. Les impacts de cet élargissement de l'offre ont été longuement analysés par la littérature (McKenna, 1991 ; Mathé, 1986 ; Furrer, 1999). Dans le cas d'une offre de nature électronique, l'emploi du substantif service peut apparaître paradoxal, tant la dimension servicielle est marquée par la relation humaine. Pourtant, l'accompagnement informationnel qui caractérise toute phase d'interaction dans la prestation de service, peut être maintenu dans un environnement marqué par la virtualité, grâce à une nouvelle analyse du concept de proximité (Filser, 1998 ; Giddens, 1994) et à une gestion performante des bases de données clients (Brosset, 2000).
34
3.1. La question de la proximité virtuelle L'échange d'informations nécessaire à la prestation commerciale ne s'appuie plus sur une co-présence des acteurs, ni même sur une télé-présence de ceux-ci. Son cadre s'éloigne donc, des schémas définis dans le cadre du marketing des services (Eiglier, Langeard, 1987 et 1994 ; Lovelock, 1996 ; Philippe, 1996). En revanche, les performances de la gestion de bases de données clients conduisent à proposer des prestations complémentaires de l'offre, s'appuyant largement sur des échanges informationnels. Elles constituent des services qui répondent à l'expression de la demande. Elles correspondent aux besoins d'écoute et de reconnaissance qui sous-tendent la démarche du consommateur lorsque celui-ci prend contact avec un vendeur ou un prestataire de services dans un contexte de proximité géographique. Ce sont ces prestations qui font l'objet de la mémorisation la plus importante. Elles accroissent, chez le consommateur, le sentiment de qualité et de confiance envers le prestataire (Eiglier, Langeard, 1994 ; Lovelock, 1996 ; Philippe, 1996). Internet apparaît comme un lieu privilégié de mise en œuvre d'un concept élargi de proximité puisqu'il permet, quelle que soit la distance spatio-temporelle, de choisir parmi tous ceux qui offrent un type de produit ou de service, celui qui, par les caractères de sa communication, apparaît proche des aspirations du consommateur internaute et l'incite à ouvrir le dialogue avec lui (Boulaire et Ballofet, 1999). Si l'absence de coprésence est incompatible pour certains avec le concept de proximité, elle n'effraie pas, bien au contraire, ceux qui découvrent avec le réseau, le moyen de construire leurs propres relations de proximité, quels que soient leur origine ou l'environnement qu'ils subissent (Giddens, 1994). 3.2. Le rôle de la proximité virtuelle selon les types d'achat Si le comportement du consommateur est marqué par la recherche de sens, comme nous l'évoquions plus haut, il est aussi affecté par les contraintes économiques. On observe ainsi un comportement dual: . la recherche de produits personnalisés pour lesquels l'implication du consommateur est importante;
35
.
la recherche d'une prestation «produits-mise à disposition» au meilleur prix possible, lorsque le consommateur est plus expert, plus rationnel. Cette dualité justifie la nécessité d'une segmentation des comportements d'achat. Le premier critère de segmentation sera obtenu par la qualification de l'achat par le consommateur (achat utilitaire ou porteur de sens). Mais ce premier niveau de distinction n'est cependant pas suffisamment pertinent. La consommation doit, aussi, être abordée dans le contexte de la gestion du temps disponible de l'individu (Marzloff, Le Carpentier, 1999). La part du temps libre consacrée aux achats peut ainsi être perçue comme une contrainte ou comme une opportunité de rencontres sociales, de loisirs... L'arbitrage sur le temps ne peut être dissocié des revenus, et de la quête de sens associée au produit. Il constitue non seulement un élément d'explication des décisions de recours aux services de proximité, mais aussi un facteur d'« intemalisation» de certaines activités confiées auparavant à des prestataires extérieurs, en fonction du talent et de l'envie de chaque individu4. Dans le cas d'un achat utilitaire, le temps consacré est perçu comme une contrainte par l'individu, la fréquentation des magasins est peu valorisée par le consommateur. L'interface de vente doit procurer une fonctionnalité suffisante pour en réduire la durée. Dans ce cas, le rôle de la proximité virtuelle consiste à diffuser l'information permettant d'en préparer l'achat, par exemple en comparant les produits, en les réservant, voire de renouveler l'achat dans les mêmes conditions5. Lorsque l'implication personnelle du consommateur est plus importante, la perception de l'activité de magasinage menée au cours d'un temps choisi (Bonnin, 1999) est différente. Dans le cas de l'achat utilitaire, le point de vente favorise l'accès à l'offre. Dans le cas de l'achat geste, il constitue une part de l'offre. Les produits deviennent prétexte au développement d'une activité ludique et sociale, (Bonnin et al., 2000). Pour reprendre Chétochine (1998), il s'agit de passer de la « civilisation produit à la civilisation client» et ce, en tentant de résoudre tous les problèmes afférents au produit recherché par le client, en proposant un savoir-faire plutôt qu'un assorti4 L'essor spectaculaire du bricolage et le succès des enseignes telles que Castorama ou Leroy Merlin illustrent cette tendance. 5 Par exemple le ré-achat d'une marque habituelle d'un produit de consommation courante sur le site de l'enseigne auprès de laquelle l'individu a l'habitude de faire ses courses. 36
ment. Le rôle du commerce électronique dans cette « civilisation client », consiste à entretenir un dialogue permanent en fournissant notamment un accompagnement post-achat. En s'inspirant de la démarche de Remy et Kopel (2000), qui décomposent l'ensemble des « composantes qui font lien» entre une entreprise prestataire de service et ses clients, on peut distinguer les types de liens procurés par la consultation du site Internet, dans le prolongement de l'achat. Il peut s'agir d'un service « relationnel» ou« communautaire ». Dans le premier cas, l'entreprise cherche à établir la construction d'un suivi personnalisé. Dans le second, le consommateur satisfait son désir d'appartenance à une communauté d'émotions (Pras, 1999). Dans les deux cas, la numérisation des flux informationnels permet d'envisager de réaliser ces prestations à des coûts abordables. L'offre de lien peut devenir un élément de différenciation. En situation de proximité virtuelle, la dimension servicielle de l'offre peut devenir plus large et plus complexe en tenant compte de la perception du temps consacré à l'achat, combinée avec les valeurs associées à cet achat. Il appartient a chaque fabricant de concevoir l'articulation entre ses points de vente physique et virtuel au sein de son réseau de distribution, en fonction de sa stratégie marketing. CONCLUSION
L'exacerbation de l'intensité concurrentielle et son corollaire, la banalisation des produits, ont rendu patente la nécessité de compléter la commercialisation d'un produit physique, par un accompagnement serviciel qui vient l'enrichir d'une composante immatérielle (Eiglier, Langeard, 1987 ; Furrer, 2000). Notre recherche s'est intéressée au rôle de cette composante pour les systèmes d'offre électronique. Elle a mis en évidence les sources actuelles de leur différenciation et leurs limites. Elle a montré les enjeux d'une dimension servicielle numérique. La source de différenciation acquise grâce à la conception d'un couple produit-service résidait dans la mise en place d'une relation de face à face avec le client. Les N.T.I.C rendent aujourd'hui possible - donc nécessaire dans un contexte d'hyperconcurrence - la numérisation. Cette dernière introduit (cf. figure n° 3) une troisième dimension dans la politique d'offre, qui vient s'ajouter aux dimensions produit et service que décli-
37
naient les auteurs de « Servuction », et qui représente une source supplémentaire de valorisation de l'offre. Figure 3 : Le passage à la troisième dimension Commercialisation . électro que
Electronique
S rvuction n mérisée Produit
Service
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Les caractéristiques
ANNEXE 1 : de la démarche d'étude empirique
Une phase exploratoire a permis d'établir une classification des principales options relatives aux systèmes d'offres en ligne, à partir de l'exemple de la commercialisation des vins de Bordeaux. Objectifs: Décrire les systèmes d'offre commerciale actuels des sites «multimarques» (par opposition à des sites de prestations de service ou de commercialisation en ligne d'un seul produit). Confirmer et/ou préciser le choix des deux dimensions (performance logistique et caractère interactif de la communication) à partir desquelles a été élaborée la classification des sites de vins. Observer les techniques de création de confiance des sites et valider l'importance de ce concept, dans la stratégie de développement commercial des sites. Méthodologie: 1) Construction de l'échantillon: Identification des produits susceptibles d'être commercialisés par des sites multimarques : livres, jouets, fournitures informatiques, C.D. musicaux, produits alimentaires haut de gamme, terroirs régionaux... Mise au point de critères de définition d'un site multimarques. Mise au point d'un processus de repérage des sites (utilisation d'un moteur de recherche précis, recoupement de plusieurs moteurs, utilisation d'un métamoteur ). Prétest de la grille (compléter les items d'observation notamment). 2) Recueil des données: Observation des caractéristiques de l'offre de chaque site de l' échantillon. L'observation s'appuie sur des critères explicitement décrits par le site, à partir d'une grille (équivalent d'un questionnaire).
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CHAPITRE 2 : INNOVATION, CONCURRENCE ET STRATEGIES D'ATTRACTION DE LA DEMANDE DANS LES SECTEURS DE SERVICES LIES AUX NTIC Abdelillah Hamdouch, Esther Samuelides MATISSE-CRIFES, Université de Paris 1
INTRODUCTION
Les Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) sont à l'origine de nombreuses innovations dans les industries de services. Trois types d'effets innovants peuvent généralement être distingués: i) l'apparition de nouveaux services d'Information et de Communication; ii) le développement de services intermédiaires dont la finalité est d'aider les entreprises ou les particuliers à assimiler ces technologies; iii) l'évolution de services plus traditionnels utilisant ces technologies. Ces nouveaux services utilisant les TIC connaissent actuellement une croissance élevée (Durlacher, 2000 ; OCDE, 2000) et les innovations qui les affectent semblent renforcer cette croissance. L'objet de cette contribution est de faire apparaître les caractéristiques des innovations affectant ces industries de services. Nous montrons ensuite quels types d'innovations sont susceptibles d'assurer le succès de leurs prestataires. Les innovations dans les services liés aux TIC reproduisent les particularités des innovations de services relativement à celles d'origine industrielle. En effet, les prestataires de servi-
ces liés aux TIC ne participent pas directement à la recherche technologique développée par des équipementiers extérieurs à la firme mais utilisent ces technologies pour créer des applications de service. La conquête de parts de marché dans ces secteurs de services en croissance semble en effet déterminée par la capacité du prestataire à attirer ses clients par l'offre de services à valeur ajoutée utilisant ces technologies. Comme le marché est récent, le succès des applications commerciales basées sur ces technologies de l'information reste incertain. En outre, l'assimilation de ces nouvelles technologies dans les services est longue et coûteuse. Par conséquent, les prestataires de service doivent sonder et anticiper les besoins de leurs clients comme le développement et les limites des applications technologiques. Ils doivent alors accroître leur réactivité face aux évolutions de leur environnement et de la concurrence en adoptant des stratégies organisationnelles flexibles qui nécessitent préalablement de substantielles innovations en interne. Comme les innovations de services constituent la compétitivité des prestataires, elles sont introduites fréquemment en phase de concurrence accrue. Les prestataires de services doivent en outre préempter les nouveaux marchés en forte croissance liés aux TIC en raison des effets de réseau induisant des avantages pour les premiers entrants. Ces nouveaux services sont valorisés davantage par les investisseurs sur leur base de clientèle que sur leurs résultats financiers, si bien que la conquête de nouveaux clients et l'obtention de leur fidélité est cruciale. La préemption des marchés peut être effectuée par des innovations dans le contenu du service et dans les stratégies organisationnellesl. Les services issus des TIC génèrent ainsi de nouvelles fonctions, de nouveaux modes de communication et requièrent de nouvelles compétences des entreprises qui les utilisent. Le désir d'être le premier à exploiter les nouvelles opportunités technologiques induit une coopération avec les équipementiers comme une surveillance permanente des marchés afin de favoriser l'assimilation des évolutions du secteur et stimuler la créativité des prestataires. Un examen des interdépendances entre innovations technologiques, organisationnelles et commerciales, et le rôle que chacun de ces types d'innovation a sur la performance d'une entreprise permet de comprendre comment les prestataires de services peuvent éta1 La nature organisationnelle et commerciale des innovations de service est décrite dans Hamdouch et Samuelides (2000). 44
blir une dynamique d'innovation continue, nécessaire à leur survie sur ces nouveaux marchés. Nous rappelons dans un premier temps les apports des NTIC, à l'origine de ces «nouvelles industries de services» (section 1). Puis, nous mettons en évidence les principaux attributs de ces services (section 2) et différencions les innovations qui les génèrent selon la manière dont les prestataires utilisent les NTIC (section 3). Enfin, nous examinons comment les innovations s'y développent dans une perspective d'assimilation et d'accumulation (section 4) ainsi que les processus grâce auxquels les prestataires de services peuvent réussir à innover en permanence (section 5). Enfin, nous rappelons en conclusion les principaux résultats de ce travail. 1. Les applications des TIC à l'origine de nouvelles activités de servIces Dans la dernière décennie, les services liés aux TIC ont connu une très forte croissance. Ces services peuvent être définis comme des prestations consistant à mettre en communication deux personnes par transmission de signaux, afin d'échanger ou de vendre des biens, des services ou de l'information. Grâce à des innovations technologiques telles que la numérisation, la commutation par paquet et l'accroissement constant du débit de la transmission ainsi que la transmission radio, les opérateurs de réseaux ont pu fournir de nouveaux services d'information et de communication qui ont permis d'établir des contacts en temps réel ainsi que le transfert rapide d'un large volume d'informations. Ces innovations ont en outre considérablement réduit les coûts de communication et de transport. Enfin, la convergence croissante des différentes technologies de transmission au sein de réseaux intégrés permet un accès à des services identiques par des terminaux variés, comme des téléviseurs, des ordinateurs, ainsi que des téléphones mobiles et fixes (Ducatel, 1999 ; Katz et Woroch, 1997). Cette grappe d'innovations technologiques induit des innovations dans les services car elle permet la réalisation de nouvelles prestations et améliore l'efficacité des services qui y ont recours. Les services de télécommunications ont été les premiers affectés par ces nouvelles technologies de l'information. Les opérateurs de réseaux de télécommunications peuvent en effet commercialiser désormais des services comme les téléconférences, le transfert de fichiers, les e-mails ou des portails de 45
services spécialisés, à condition de s'être dotés de réseaux haut débit (Colombo et Garrone, 1998). Des services intermédiaires entre les équipementiers et les consommateurs ont été développés pour faciliter les transactions électroniques qui ont nécessité l'adaptation des techniques de vente et de gestion existantes. Les entreprises manquaient par exemple d'intégrateurs de systèmes, d'informaticiens, de consultants, de même que d'une veille technologique afin de comprendre comment sélectionner, installer et exploiter la variété des applications des nouvelles technologies. Des concepteurs de sites et des prestataires de ces nouveaux services de communication sont aussi nécessaires afin d'élaborer des stratégies marketing spécifiques à ces nouveaux media. Avec le développement des transactions commerciales en ligne, les clients ont par exemple un besoin croissant de portails de services adaptés et de navigateurs intelligents. Les entreprises utilisent également le Web comme un canal publicitaire, qui permet en outre à leurs clients d'acheter en ligne et de choisir les biens ou services qu'elles commercialisent par ces biais. Le développement de technologies assurant la sécurisation et la confidentialité des transactions facilite le paiement électronique. Les transactions ainsi réalisées vont de la distribution de livres et de médicaments à celle d'une large gamme de produits tels les produits d'alimentation congelée, les automobiles, les vêtements, jusqu'à la distribution de masse via le développement de supermarchés en ligne. Outre la distribution de biens, les prestataires peuvent aussi et surtout effectuer des prestations de services sur ces supports électroniques. Il peut s'agir de la transmission d'informations telles des actualités, des services météorologiques ou des visites virtuelles dans des musées et des villes. Les clients ont désormais également accès à des services comme la banque directe, l'assurance et la facturation de l'électricité et du gaz, des réservations en ligne pour les trains ou les théâtres, etc. Les TIC permettent enfin de réaliser des services liés aux données et aux sons par téléchargement. La variété des effets de ces technologies dans les services peut s'observer dans la figure 1.
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Figure 1 : L'influence des TIC sur les services
1. Evolution des stratégies
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organisationnelles Ex: automatisation, téléconférences
cs
2. Création de nouveaux services utilisant ces technologies
Ex: e-commerce, banque en ligne, voix sur IP
~
Création de nouveaux services fondés sur ces technologies Ex: concepteurs de web-site, intégrateurs, fournisseurs d'accès
Bien que ces évolutions aient donc d'abord affecté les services traditionnels qui n'utilisaient les TIC que comme des supports techniques, les nouveaux services suscitent également des évolutions dans les besoins et les usages des consommateurs. Les nouvelles technologies ont d'abord entraîné des économies dans les coûts de logistique et de vente. Les dépenses de mar47
keting par client étaient ainsi réduites puisque ces services d'information se diffusent à un coût identique quel que soit le nombre de personnes qui en sont bénéficiaires, ce qui permet à l'entreprise de présenter une large variété de produits. Les clients achètent donc des produits et des services à des prix moins élevés et économisent du temps (achats livrés à domicile). Ces nouveaux services liés aux TIC représentent ainsi une menace pour le commerce traditionnel, bien que certaines entreprises les considèrent plutôt comme un système de distribution complémentaire des circuits traditionnels. Les sites Web attirent des cibles de marché différentes, ils augmentent et diversifient la demande, si bien que les distributeurs traditionnels utilisent de plus en plus ce media. Des clients qui découvrent ces entreprises sur Internet peuvent ainsi acheter leurs produits dans des magasins traditionnels. Les clients traditionnels peuvent eux utiliser Internet pour économiser du temps et éviter les désagréments des transports comme dans le cas des supermarchés en ligne. Une concurrence accrue s'est instaurée entre d'une part les acteurs originaires d'Internet, pour la plupart des start-ups maîtrisant les technologies de réseau, le sponsoring et les systèmes électroniques de facturation, et, d'autre part, les acteurs traditionnels bénéficiant de liquidités et d'une base de clientèle suffisante pour leur permettre de se lancer dans ce type d'activité qui tend à générer de lourdes pertes à ses débuts. 2. Les évolutions dans le contenu du service En raison du nombre et de la variété des activités impliquées dans les applications de services des TIC, le rôle d'un prestataire de services est d'introduire une combinaison valorisante de services complémentaires, de comparer différentes prestations de service, et ainsi d'en améliorer la qualité pour ses clients. La distribution de services variés par le même media permet aux distributeurs de rassembler différents services dans un même produit. A titre d'exemple de cette convergence de services, on peut citer les achats groupés avec des bonus de fidélité qui favorisent les échanges sur le site. Les sites de réseaux de la grande distribution organisent des enchères ou, au contraire, réduisent les prix d'autant plus qu'ils attirent des acheteurs. L'intégration de services devient une activité à part entière: elle représente la plus grande part de la valeur ajoutée pour le client. Ce dernier évite en effet les pertes de temps dues à l'achat auprès de différents prestataires de services, les coûts 48
de transaction associés à la recherche des entreprises, les coûts de comparaison des différentes offres et la perte de temps représentée par la souscription à ces différents services en ligne. Pour toutes ces raisons, la distribution de services variés par le même média représente une source de revenus croissante à la fois pour des insiders et pour de nouveaux entrants. Par exemple, les opérateurs de télécommunications essaient de migrer vers ces activités profitables en raison de la baisse des prix des télécommunications due aux nouvelles technologies de transmission. Parallèlement, comme l'intégration de services permet aux entreprises de se concurrencer sur d'autres bases que les coûts et les économies d'échelles, elle offre à de nouveaux entrants la possibilité de se différencier des opérateurs et intervenants traditionnels. Un autre axe d'évolution dans le contenu du service découle du caractère désormais anonyme des transactions en ligne. Les entreprises sont ainsi contraintes de rechercher de l'information sur l'identité et les besoins de leurs clients potentiels. Les données sur les consommateurs sont en effet d'autant plus précieuses que les prestataires essaient de développer des services personnalisés. Ces services permettent d'optimiser le profit de l'entreprise car les prestataires peuvent ainsi vendre leurs services à chaque cible de marché à un prix correspondant à son revenu et son profil de consommation. Pour inciter leurs clients à révéler l'information sur leurs goûts, certaines entreprises offrent alors des services en option ou des réductions de prix. Elles exploitent aussi les transactions antérieures en les enregistrant systématiquement. D'autres outils électroniques comme les «cookies» enregistrent automatiquement les sites Web consultés, ce qui permet aux prestataires de service de déduire de cette information les intérêts des usagers. Enfin, l'utilisation de logiciels élaborés, basés sur des statistiques et l'analyse factorielle, ainsi que le recours à des techniques de marketing pointues pour exploiter ces données et développer des services personnalisés, constituent également un trait saillant des nouvelles formes d'organisation de l'offre de services. Une autre caractéristique de ces nouveaux services est que les entreprises doivent convaincre leurs clients d'utiliser les TIC afin de pouvoir bénéficier des services qu'elles offrent. En Europe, où la première génération de terminaux mobiles a rencontré peu de succès en raison du prix des services et de la taille encombrante des terminaux, l'apparition de téléphones portables GSM, d'utilisation plus facile, et l'introduction de 49
formules de marketing attractives ont accru la pénétration des services de téléphonie mobile. Les stratégies commerciales engagées par les prestataires de services et les équipementiers ont ainsi déterminé la diffusion et le succès de cette technologie. De même, plusieurs de ces technologies sont récentes et représentent une évolution si radicale que les clients ne s'habituent que progressivement à l'informatique et à l'interface homme/ machine. Cette réticence concerne particulièrement des clients potentiels comme les retraités qui n'utilisent pas les TIC dans leurs activités professionnelles. Par conséquent, les prestataires de services adoptent des stratégies variées pour inciter leurs clients à essayer des services et s'adresser à des marchés de masse. Ils essayent d'adopter des prix plus bas, de subventionner les terminaux, d'introduire des promotions pour les premières utilisations, voire de pratiquer une tarification gratuite pour l'accès à Internet. Les nouveaux services présentent alors des avantages comme des prix moins élevés, une facilité d'usage et des gains de temps dans l'achat en ligne, le renouvellement et le paiement automatique, de même que le plaisir d'utiliser ces nouvelles technologies. Les clients sont ainsi invités à expérimenter les possibilités du multimédia comme celles de programmes interactifs, leur donnant l'impression de choix, de variété et de services personnalisés. L'utilisation de « navigateurs intelligents» aide les clients à chercher dans le volume croissant des données disponibles (Maxwell et Vernet, 1999). La conception du site Web, afin d'attirer le plus grand nombre de personnes, contribuera également au succès du prestataire de services. Enfin, les prestataires de service devront garder leurs clients et rémunérer leur fidélité en leur accordant des réductions et des services optionnels gratuits. 3. Quelle innovation pour quel type de service? Comme indiqué ci-dessus, de nombreuses innovations sont apparues dans les services traditionnels. Toutes ne présentent pas la même importance et leurs impacts sont variés. Distinguer différents types de services aide à mieux appréhender leur diversité et à comprendre comment des services présentant un certain type de caractéristiques peuvent être améliorés, ou encore quel type d'innovation est requis dans une certaine catégorie de services (Hamdouch et Samuelides, 2000).
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Sur un plan général, nous pouvons distinguer quatre types d'applications génériques des innovations de services: . les services fournis indépendamment d'autres applications, en d'autres termes, des services satisfaisant un besoin générique, comme par exemple les services bancaires qui permettent de financer un investissement; . les services fonctionnels, supports d'activités telles le marketing ou la recherche; . les outils utilisés pour améliorer l'efficacité organisationnelle ; . enfin, les services contribuant à favoriser ou à créer des relations. Ils peuvent être des attributs d'autres prestations de services, comme par exemple les lignes d'accueil des opérateurs téléphoniques, mais ils sont aussi utilisés par les entreprises pour des usages internes, tels la communication entre différents départements ou la relation équipementier-client. Les innovations s'appliquant à chaque type de services mentionnés ci-dessus sont décrites dans le tableau 1. Afin de mieux comprendre la distinction entre ces types de services, prenons comme exemple les services d'information et de communication. Ils peuvent revêtir les quatre usages, selon l'identité de leurs utilisateurs, que ces derniers soient des entreprises ou des particuliers. Ils représentent d'abord le contenu du service vendu par les prestataires de services d'information et de communication. Ils peuvent aussi tenir lieu de services-fonctionnels, comme c'est le cas pour le concepteur de sites ou pour les consultants multimédia. Mais pour la plupart des entreprises, ils sont utilisés en tant qu'outils de travail ou comme des services relationnels. Ces usages multiples expliquent leur succès croissant.
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Innovations Type de service Servicefonction
Serviceoutil
Tableau 1 : dans les différents types de services Exemples
Innovations
Recherche, marketing, vente, international juridique, etc. Objectifs: - Constitution de compétences - Organisation et Management - Planning et prospection Sondages, interviews, statistiques, bases de données, tests de qualité, etc. Objectifs: - Prospection et information - Evaluation, certification - Standardisation
Serviceproduit
Spécifications du produit ou service précisant comment, combien, quoi, quand, où. Objectifs:
- Nouvel
organigramme - Co-design-équipementier/ distributeur - Nouveaux modes de décision
- Nouveau logiciel - Nouveau système de rémunération - Nouveau système de contrôle - Nouvel indicateur - Nouveau support de vente
- Nouveau concept de service - Nouvelles caractéristiques
dans l'exécution ou le contenu - Recombinaison de services traditionnels
- Satisfaire un besoin géné-
rique - Résoudre un problème spécifique au client Servicerelation
Négociation, échanges d'information, gestion des interfaces, etc. Objectifs: - Améliorer la notoriété et l'image Capter des idées et de l' information - Instaurer un environnement favorable
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- Introduction
de services de conseil et d'assistance - Nouveau processus de coordination - Co-design - Services de réclamation - Développement de contacts réguliers avec les clients
Les entreprises utilisent souvent différents types de services parmi les quatre catégories (service-outil, service-fonction, service-produit et service-relation), reliées les unes aux autres dans l'organisation interne de la firme (cf. figure 2). Une innovation affectant un service en génère souvent une autre dans un autre type de service. Par exemple, l'innovation dans un service-outil induit parfois des innovations dans le service produit par l'entreprise qui utilise cet outil. De la même manière, des innovations dans le contenu d'un service commercialisé requièrent souvent des évolutions significatives de l'organisation et, par conséquent, l'apparition de nouvelles fonctions ou des innovations dans les outils de travail. Souvent aussi, les entreprises introduisent des innovations qui se fondent sur les synergies constatées entre les différents services. Comme le montre la figure 2, ces innovations interviennent autant au niveau de l' organisation interne de l'entreprise qu'à l'interface entre le prestataire et ses équipementiers, ses distributeurs et, naturellement, ses clients.
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Figure 2 : Diversité des prestations utilisées et produites par une entreprise de services
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l~HE~L~rJ\lID:Dlè SER\rxIe ~iœs-FluX1t:iQD!i : - llmlle 1.£d1ml1c1gique - :R&,D~ Jt.f1ttketi~
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4. L'émergence d'innovations plus ou moins radicales Les innovations peuvent laisser intactes certaines caractéristiques des services qu'elles affectent. Pour les premiers théoriciens comme Schumpeter (1912), la définition du concept d'innovation ne fait pas allusion à l'intensité de la rupture introduite. Mansfield (1968) introduit le concept d'innovation incrémentale qui consiste soit en l'amélioration, soit en l'ajout de certaines caractéristiques dans un service. Plus récemment, Henderson et Clark (1990) ajoutent le concept d'innovation architecturale, combinaison de plusieurs éléments existants. Enfin, dans le domaine spécifique des services, Gallouj (1994) et Gallouj, Weinstein (1997), en se basant sur une approche en termes de caractéristiques « à la Lancaster », complètent et affinent ces ditTérentes catégories, notamment en distinguant innovation incrémentale (par substitution ou adjonction de caractéristiques), innovation d'amélioration (qui «consiste à améliorer certaines caractéristiques, sans aucun changement dans la structure du système») et innovation de recombinaison ou architecturale (à partir de caractéristiques techniques ou finales issues de technologies et de produits existants). Ces distinctions permettent d'affiner les processus d'émergence des innovations. Un examen des innovations apparues dans les offres et l'organisation des opérateurs de téléphonie mobile (Hamdouch et Samuelides, 2000) montre que des innovations globales peuvent provenir d'innovations incrémentales ou architecturales. Inversement, des innovations globales peuvent s'appliquer à différents produits et être réutilisées pour développer des innovations architecturales. Plusieurs innovations sont ainsi issues du même concept ou de la recombinaison de services existants. Le degré de rupture introduit par une innovation est lié à un arbitrage entre le désir de l'entreprise innovante de se différencier et le risque induit par l'introduction de nouvelles utilisations dont le succès reste incertain. Dans le développement d'une innovation radicale, par exemple, une entreprise préférera introduire des changements progressifs dans son offre afin d'y familiariser ses clients préalablement; c'est pourquoi l'introduction d'un service complètement nouveau requiert souvent, au préalable, plusieurs innovations incrémentales. Dans les nouveaux services liés aux TIC qui se traduisent, comme on l'a vu précédemment, par une personnalisation de l'offre de services, les entreprises reproduisent en
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outre les innovations introduites par leurs concurrents en les adaptant aux besoins ou désirs spécifiques de leur clientèle. Ces connexions constatées entre les différents types d'innovations examinées en section 4, de même que cette diffusion cumulative, expliquent comment les prestataires de services peuvent influer sur leur propre trajectoire de développement, d'une part, en exploitant toutes les possibilités d'un nouveau concept élaboré en interne, et, d'autre part, en imitant et absorbant les évolutions extérieures. Cette faculté se trouve liée aux compétences de l'entreprise et à sa capacité à retirer un profit des expériences d'autres entreprises. Les firmes doivent en outre améliorer leur connaissance des goûts de leurs clients du fait que les marchés sont jeunes et que la demande est souvent incertaine. Elles doivent par conséquent familiariser les clients à leurs nouveaux services et diversifier les besoins traditionnels. Les prestataires introduisent ainsi de nouvelles manières de tester la demande, et apprennent comment ajuster leurs services relativement à la réaction de clients confrontés à leurs innovations. Ces innovations et l'assimilation des évolutions récentes du marché déterminent le succès du prestataire de services. Les effets de réseau (Katz et Shapiro, 1985) et les économies d'échelle jouent un rôle important dans les industries de réseaux en raison des effets de notoriété, de l'existence de services destinés à des communautés d'usagers, et des modes de financement publicitaires. Les effets de réseau sont en premier lieu importants dans Internet pour les raisons suivantes: le nombre d'échanges augmente avec la croissance du nombre d'usagers, parce qu'il augmente la variété de l'offre et favorise la définition de services pour des cibles de marchés spécifiques. Une autre raison est effectivement que les prestataires de services et les sites sont subventionnés par des sponsors diffusant en ligne des spots publicitaires visuels. Ces derniers sont prêts à payer d'autant plus qu'ils seront vus fréquemment par un grand nombre d'utilisateurs qu'ils auront identifié le plus précisément (Kavassalis, Solomon et Benghozi, 1996). Par ailleurs, pour des services comme les e-mail ou les sites communautaires, les effets de réseau sont évidents. Dans ces services, l'avantage concurrentiel clé pour un prestataire de service repose sur sa capacité à constituer et consolider sa base de clientèle - attraction et fidélisation de nouveaux clients - en développant des effets de marque, en particulier en raison du coût de la résiliation des contrats du aux coûts finalement élevés d'acquisition du client (Madden, Savage et Coble Neal, 1999). 56
Les innovations liées aux technologies de l'information tendent donc à améliorer la facilité d'accès et d'usage, encourageant les clients à essayer les services et à les adopter, en augmentant progressivement leur consommation. La plupart des innovations dans ces nouveaux services sont donc commerciales plus que technologiques. Elles paraissent alors très mineures et consistent surtout à améliorer la présentation des produits, leur emballage, le prix, et les formules marketing. Ces domaines sont ainsi soumis à des évolutions fréquentes car un prestataire de services doit tester les goûts de ses clients afin de rester compétitif et de déterminer quels services auront le plus de succès. L'annonce régulière de l'introduction d'innovations lui permet ainsi de retenir l'attention des clients et de préserver sa notoriété sur le marché. Par exemple, la segmentation et les innovations commerciales dans la tarification multiplient les innovations architecturales car elles augmentent le nombre de combinaisons possibles. Chaque mode de consommation peut alors être combiné à des innovations tarifaires ou à des services déjà dédiés à une cible de marché précise (cf. Hamdouch et Samuelides, 2000) pour des exemples de l'extension d'innovations à des services existants). Du fait de l'urgence de la préemption du marché, la plupart des innovations consiste dans la gratuité ou des réductions de prix temporaires pour inciter les clients à acheter. Dans les services de téléphonie mobile, par exemple, les innovations de produit comme les cartes prépayées, les packs ou les forfaits ont affecté uniquement les prix ou les modalités de la consommation. Certaines innovations améliorent aussi l'accessibilité de services de TIC en subventionnant le premier terminal des usagers. Les innovations sont souvent introduites comme des promotions temporaires ou sont accompagnées par des prix promotionnels, par exemple, lorsque le contenu du service se trouve affecté. Quand elles ont un impact significatif sur les performances des opérateurs, ces évolutions sont présentées comme des innovations radicales et différencient souvent les opérateurs sur un segment de marché donné. Dans les services de téléphonie mobile, par exemple, la possibilité de consultation de données ne constitue pas réellement une innovation radicale. Elle a en effet été annoncée il y a plusieurs années comme un projet sur lequel des chercheurs industriels et des opérateurs travaillaient en collaboration. Néanmoins, les services «W AP », s'appuyant sur une technologie favorisant l'accès à Internet avec un usager en situation de mo-
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bilité, sont présentés comme des innovations et sont différenciés dans l'offre de chaque prestataire de service. Les techniques et les innovations technologiques sont ainsi vendues comme des «matières premières» ou des « commodités », c'est-à-dire qu'elles sont disponibles pour chaque entreprise pourvue de ressources financières suffisantes. La différenciation est alors plus fondée sur les particularités du contenu du service et de la relation au client que sur ses performances techniques. Les innovations dans ces services sont souvent architecturales car les prestataires doivent les adapter aux besoins spécifiques de leurs différentes cibles de clientèle, ce qui pousse généralement les entreprises à adapter un service existant à une demande particulière. 5. Processus d'innovation, concurrence et coopération dans les télécommunications Avant la dérégulation, la recherche industrielle et technologique en Europe était développée par les filiales des monopoles d'Etat. Les opérateurs de télécommunications investissaient ainsi dans des projets de recherche technologique (Lanza et Antonelli, 1998). A présent, les technologies développées par les équipementiers sont disponibles pour tous les opérateurs ayant les capacités financières et la volonté d'investir dans les nouveaux réseaux. Comme de telles innovations technologiques sont très coûteuses, les équipementiers coopèrent dans leur conception comme lors de l'introduction d'un nouveau standard. Cette coopération apparaît d'autant plus nécessaire que la croissance de la deuxième génération de terminaux mobiles (GSM) a révélé les avantages et la nécessité de la standardisation dans les technologies de l'information. Ainsi, contrairement à ce qui s'est passé en Europe, la croissance du nombre d'usagers des services mobiles aux Etats-Unis a chuté du fait de l'incompatibilité des standards, qui différaient d'un Etat à l'autre. Des équipementiers, tels Cisco ou Alcatel, introduisent donc des innovations technologiques standardisées affectant les services et essaient de les vendre au plus grand nombre de prestataires. Les opérateurs travaillent alors en collaboration avec eux pour implémenter ces innovations dans les réseaux existants et essaient également de développer à partir de ces réseaux des applications de services avec des coûts réduits et une haute qualité. Mais le vrai changement est que cette relation équipementiers/prestataires se tourne de manière croissante 58
vers la détection des évolutions de la demande plutôt que sur des innovations technologiques. Comme la technologie évolue très rapidement, les prestataires de services doivent anticiper les évolutions technologiques à venir et leurs applications, ainsi qu'orienter les projets de recherche technologique. Afin d'introduire des services compétitifs, les opérateurs et les équipementiers doivent concevoir des applications à ces technologies encore en phase de développement. La convergence des technologies et les effets de réseau entre ces activités variées induisent des alliances entre entreprises de différents secteurs (par exemple Microsoft et France Télécom), de même que les acquisitions de fournisseurs de services Internet par des opérateurs puissants (Capron et Mitchell, 1998). Comme cela a été souligné par Felder et Liu (1999) et par Creze et Husherr (1998), la chaîne de valeur de l'industrie se modifiera selon la nature des acteurs qui réussiront à s'imposer dans ces services. La chaîne de valeur dépend elle-même étroitement des habitudes des clients. Par exemple, avec la convergence d'Internet et des services de téléphonie mobile, les clients pourront d'une manière alternative considérer le rn-commerce uniquement comme un nouvel accès à Internet, ou au contraire comme l'opportunité de découvrir des services spécifiques liés à la situation de mobilité (Ancian, 1999). Les business models liés à ces activités ne sont pas encore définis et chaque entreprise, comme chaque secteur d'activité, essaie de l'emporter sur les autres en anticipant la demande, en entretenant contacts et échanges d'informations avec les clients par des procédures de co-conception et de sondages, ou en introduisant des services-options personnalisés. Cette volonté de sonder la demande traduit ainsi la tendance croissante des opérateurs à personnaliser les applications de service. Comme l'investissement dans les nouveaux réseaux et le développement des applications technologiques nécessitent des liquidités conséquentes alors que le succès commercial des futures applications de services ne peut être anticipé, l'assise capitalistique des opérateurs devient cruciale. Il existe ainsi une dissociation croissante entre les équipementiers ou gestionnaires de réseaux, et les prestataires de services, bien que ces derniers soient forcés de coopérer avec les constructeurs et équipementiers afin de fournir à leurs clients des combinaisons de services et de biens associés. Elle accroît la distinction entre les opérateurs de réseaux, qui conçoivent et gèrent l'administration des réseaux haut débit en les adaptant aux TIC, et les prestatai59
res de services, qui modulent leurs offres selon différentes cibles de clientèle, en anticipent les besoins, sont en contact avec le marché et facturent les clients, etc. L'apparition de prestataires de services spécialisés accélère la sophistication des pratiques marketing et la segmentation des services selon différentes cibles de marché (Hamdouch, Samuelides, 2000). De ce fait, la capacité à sélectionner les cibles rentables en fonction de ses ressources (investissement, réseaux, partenaires, stratégie, expériences de services précédentes) représente l'atout essentiel du prestataire. Cependant, certains opérateurs, en particulier les anciens monopoles, se positionnent comme des opérateurs universels, s'opposant ainsi à cette dissociation opérateur de réseau/prestataire de service. Ils s'efforcent de garder un contrôle à la fois sur la gestion de la relation au client et sur celle des infrastructures. La gestion de la relation au client constitue en effet l'essentiel de la valeur du service, en particulier parce que les coûts de transmission sont désormais réduits, d'où la tendance croissante des opérateurs à devenir des prestataires de services intégrés, en multipliant les partenariats transversaux et verticaux avec diverses activités, par exemple, avec les banques et les constructeurs automobiles. Les opérateurs de téléphonie traditionnels commencent ainsi à diversifier leurs services dans des applications sophistiquées à valeur ajoutée liées à la transmission de données, tel l'accès à l'Internet mobile, où l'usager est connecté à des fournisseurs de services que l'opérateur a préalablement sélectionnés. Pour les mêmes raisons, des équipementiers, tels Microsoft ou Nokia, essaient d'instaurer une relation au client qui leur confère une plus grande valeur ajoutée ; ils souhaitent ainsi vendre des terminaux personnalisés directement à leurs clients ou via des partenariats avec des prestataires de service. La globalisation des marchés induite par l'universalité du réseau augmente la taille des marchés ainsi que le nombre de concurrents et pousse à la concentration des secteurs de services liés aux TIC. Cette concentration s'est faite notamment par des acquisitions issues du démantèlement de plusieurs alliances. Au cours des cinq dernières années, les alliances entre les anciens monopoles de télécommunications comme France Télécom et Deutsche Telekom ont été démantelées, comme l'ont été les consortia globaux tels Esprit, Global One et, plus récemment, Unisource avec la vente de Siris à Deutsche Telekom. Les entreprises d'information et de communication ac60
quièrent ainsi leurs concurrents et entrent en concurrence frontale avec leurs anciens partenaires (Idate, 2000 ; Gassot et al., 2000). La dissolution brutale de ces alliances s'explique par les nouvelles possibilités d'entrée sur les marchés de services de télécommunications pour les opérateurs en concurrence pour les licences UMTS (Universal Mobile Telecommunications System). Ces licences sont en effet en nombre limité du fait de la rareté des fréquences, ce qui explique l'intensification de la concurrence dans ce domaine. Le démantèlement des alliances s'explique aussi par le refus des opérateurs de partager des profits issus de l'investissement dans des projets de R&D dont les coûts de lancement avaient été mutualisés avec les alliances, de même que par le besoin de ces opérateurs de réaliser des partenariats avec d'autres activités ou d'acquérir des start-ups Internet, par exemple, des fournisseurs d'accès, ces nouvelles alliances paraissant, de fait, plus profitables et moins risquées que des alliances avec des rivaux puissants. Par conséquent, dès qu'une nouvelle alliance est établie ou quand des acquisitions ont lieu, les opérateurs suivants forment des partenariats afin de se maintenir à une taille critique. Comme cela a été montré dans Hamdouch (2001) et Samuelides (2000), ces rapprochements entre entreprises ont par ailleurs un caractère préemptif car ils réduisent les possibilités d'alliances des concurrents. Ces phénomènes expliquent la séquence des acquisitions et la rapidité des changements structurels sur les marchés. Comme la croissance de tels marchés est élevée et soumise à des effets de réseaux, les prestataires de service se concurrencent sur la taille de leur base de clientèle en attirant de nouveaux utilisateurs et en améliorant leur notoriété par des services originaux relativement à leurs concurrents. En outre, le besoin des prestataires d'adapter leurs services à la demande, et à l'environnement concurrentiel de chaque pays, explique la nécessité pour un prestataire de services d'innover en continu pour bénéficier de la croissance du marché et améliorer sa position concurrentielle. Afin de développer ou d'anticiper la demande, l' apprentissage (Cohen et Levinthal, 1989) est une condition de survie pour ces activités de services. Il leur permet de tester le succès, la rentabilité et les effets des évolutions passées. De la même manière, les innovations sont introduites par accumulation et assimilation des changements antérieurs. L'anticipation de la clientèle potentielle, l'investigation du marché, l'assimilation des résultats des tests auprès de la demande, requièrent la res61
tructuration permanente des modes organisationnels traditionnels (par exemple avec l'apparition de la veille concurrentielle et des référentiels systématiques). Cette adaptation procure des idées nouvelles pour des applications de service. Par exemple, la co-conception dans les processus d'innovation à l' œuvre dans les télécommunications induit de nouveaux services pour satisfaire les demandes des clients (renouvellement de terminaux et d'options de services, possibilité de choisir une formule forfaitaire après un test sur un mois, ou encore diminution des tarifs des communications entre réseaux fixes et mobiles, etc.). Comme indiqué dans la figure 3, les innovations et l'apprentissage se rencontrent dans des boucles variées qui impliquent le prestataire de services et ses différents partenaires. En particulier, des innovations passées améliorent généralement la connaissance du marché par l'observation des échecs ou des succès liés à leur développement. Un tel apprentissage permet d'innover, de contrôler et d'améliorer les processus d'innovation. L'apprentissage est à la fois interne, à l'interface entre équipementiers et prestataires de services, et dans la relation au client. Les différents partenaires rassemblent ainsi leurs savoirfaire et leurs sources d'informations pour concevoir de nouveaux produits, c'est-à-dire à la fois de nouveaux biens industriels (terminaux, équipements) et de nouveaux services. Les équipementiers fournissent des connaissances scientifiques et techniques, le prestataire de services et les distributeurs fournissent leur connaissance du marché et des évolutions de la demande. Ces boucles d'apprentissage sont cruciales dans les innovations de services car elles affectent la capacité du prestataire à maîtriser les délais des processus d'innovation et à maintenir son avance sur ses concurrents.
62
Figure 3 : Les dynamiques d'apprentissage liés aux TIC
dans les services
......................
Equipementiers en technologies (produits, processus)
(i)
A
(i)
(ii)
(ii)
PRESTATAIRESDE SERVICES Utilisateurs et intégrateurs de nouvelles technologies
(iv)
t
A
(iii
Distributeurs
(iv)
(iv)
t
>1
< (i) (ii) (iii) (iv)
(iii)
1
(iii)
Clients
--7
~
A
no............... 1.-.
Transactions commerciales (vente et distribution) Interactions et processus d'apprentissage (feed-back) Vente de technologies (terminaux, équipements) Participation dans la conception des technologies (transfert d'information sur la demande) Participation dans la conception des nouveaux services (tests sur clients, traitement des réclamations) Prestations de services
63
:
CONCLUSION
Les nouvelles technologies de l'information et des télécommunications sont en train de réorganiser les prestations de services traditionnelles et de générer une dynamique de développement de nouvelles activités, à la fois dans les nouvelles entreprises et dans les entreprises traditionnelles. D'une part, les TIC améliorent les performances des entreprises utilisatrices en permettant d'augmenter la vitesse des transactions et le volume de stockage et de traitement de l'information. Avec le développement d'Internet, ces technologies génèrent, d'autre part, de nouveaux services d'information et de communication, à l'origine de la création de la plupart des start-ups nées au cours des années quatre-vingt-dix. Ces technologies affectent aussi la gestion de la relation au client et la distribution, si bien qu'elles permettent aux industries traditionnelles de renouveler leurs activités en proposant des prestations de services innovantes, personnalisées, intégrées et accessibles. Les prestataires doivent donc introduire des innovations commerciales et de nouvelles stratégies organisationnelles afin d'élaborer des réponses rapides aux besoins du marché par de nouveaux concepts de service qui doivent permettre à leurs clients de s'initier aux TIC et d'en devenir des utilisateurs réguliers. Ces innovations génèrent ainsi de nouvelles prestations de service, utilisées à la fois comme outils de loisir et de travail. Les prestataires de services introduisent souvent ces innovations cumulativement en les combinant afin d'accroître la valeur des services et habituer leurs clients à des évolutions radicales. Un prestataire de services doit donc établir une dynamique continue d'innovations en associant évolutions organisationnelles et commerciales ainsi qu'en assimilant les flux continus d'innovations technologiques. Les prestataires peuvent instaurer et développer des processus d'apprentissage afin d'améliorer leur aptitude à introduire des innovations de services en surveillant les évolutions de la demande. Ils développent des stratégies d'innovation cohérentes en exploitant les synergies entre les différentes innovations. Les échanges d'information entre les équipementiers et la demande sont assurés par les prestataires de services qui jouent le rôle d'intermédiaires et établissent de nouvelles applications aux projets de R&D des équipementiers. L'évolution de ces industries est déterminée par le rythme de croissance de la demande qui reste encore incertain, comme les futures innovations technologiques, de telle 64
sorte que le prestataire de services concentre désormais son activité sur la détection des besoins des consommateurs. Cette évolution liée aux TIC implique ainsi une reconfiguration globale des activités de services et de nouveaux processus d' apprentissage afin de détecter et d'assimiler les évolutions continues et rapides de la demande et des technologies. Les innovations de services permettent ainsi aux prestataires de services de pénétrer ces activités en forte croissance et, en s'appuyant sur des effets de réseaux, d'occuper rapidement une position dominante sur ce marché. Par la compréhension approfondie de la variété des applications des technologies de l'information, un prestataire pourra fournir à ses clients des services qui contribueront à la création et la croissance de ces nouvelles activités. Ces innovations affectent la plupart des services qui utilisent les TIC pour réaliser des transactions commerciales comme à des fins de communication interne. Ces changements de l'offre et de la demande de services dans un contexte de concurrence accrue impliquent une adaptation en profondeur de la structure des activités de services traditionnelles, qui passe par la convergence d'activités variées, notamment grâce à des alliances et des acquisitions. Cette évolution favorise donc la reconfiguration des activités de services en de nouvelles activités associant des secteurs variés, comme c'est le cas à travers les nouveaux partenariats observés entre distributeurs, fournisseurs de contenu, opérateurs, intégrateurs et équipementiers. BIBLIOGRAPHIE ANCIAN P., «Mobile-Internet: nouvel accès ou nouveau service? », Communications et stratégies, 36, 1999, pp. 207-222. CAPRON L., MITCHELL W., « The Role of Acquisitions in Reshaping Business Capabilities in the International Telecommunications Industry », Industrial and Corporate Change, vol. 7, 4, 1998, pp. 715-729. COHEN W., LEVINTHAL D., «Absorptive Capacity: a new Perspective on Learning and Innovation », Administrative Science Quaterly, vol. 35, 1, 1989, pp. 128-152. COLOMBO M.G., GARRONE P., «Common carriers' entry into multimedia services », Information, Economics and Policy, 10, 1998, pp. 77-105.
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CHAPITRE 3 : LES PARADOXES DE LA PRODUCTIVITE DANS LA PRODUCTION DES LOGICIELS François Hom1 Clersé - Iftési, Université de Lille 3
INTRODUCTION
Le «paradoxe de Solow», selon lequel « on voit des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de productivité », suscite de nombreux débats. Une interrogation préalable porte sur la réalité statistique du paradoxe en émettant des sérieux doutes sur la pertinence des statistiques de productivité, notamment dans les activités de services, où «les mesures existantes de productivité [sont] inadaptées pour saisir la forte complexification» des activités (Gadrey, 1996, p. 227) ou donne des résultats contradictoires. Au-delà, plusieurs explications de ce paradoxe ont été proposées: difficultés pour passer de gains partiels réels à des améliorations globales; « nature intrinsèquement sociale du processus d'informatisation» (Pichault, 1990, p. 170) d'où l'existence de comportements stratégiques des acteurs (salariés mais aussi dirigeants) qui empêcheraient d'exploiter toutes les potentialités de l'informatisation; mauvaise gestion de l'informatisation (Brynjolfsson, 1993) ; objectifs d'informatisation des organisations qui ne sont pas nécessairement la recherche de gains de productivité, l'informatisation pouvant avoir une multiplicité d'impacts et être un investissement obligatoire en raison de nécessités administratives, des exigences des clients ou des entreprises partenaires, et des pressions des entreprises 1 Mes sincères remerciements pour leurs commentaires et remarques sur une première version de ce texte à William 1. Baumol et à Jean Gadrey.
concurrentes; prise en compte de la dimension temporelle, les effets de l'informatisation se manifestant avec retard, comme dans le cas de l'électricité où il fallut attendre quarante ans pour que son impact sur la croissance apparaisse dans les statistiques (David, 1991) notamment en raison de la lenteur des processus d'apprentissage. Nous voudrions contribuer à ce débat à partir de l'étude de la réalité de ce paradoxe dans un secteur particulier: la production des logiciels. L'étude de ce paradoxe pour cette activité est particulièrement intéressante dans la mesure où la production des logiciels utilise massivement des technologies de l'information (matériel informatique, autres logiciels). De plus, la part de ces technologies est croissante, au détriment des connaissances tacites des programmeurs, avec les tentatives d'automatisation de cette activité par l'utilisation d'outils de génie logiciel de plus en plus sophistiqués, et par leur regroupement dans des Ateliers de génie logiciel. L'absence de gains de productivité dans la production des logiciels serait d'autant plus fâcheuse qu'une des fonctions principales de la plupart des logiciels est justement d'améliorer la productivité des utilisateurs (productivité indirecte) . Or, apparemment, l'économie du logiciel se caractérise par la faiblesse des gains de productivité pour produire des logiciels (que ce soit en termes de niveau ou d'évolution). Par exemple, Jones, fondateur et président de la société Software Productivity Research, dans un livre intitulé «Programming Productivity » constate que « la programmation est universellement jugée trop coûteuse, génératrice de trop d'erreurs et beaucoup trop lente », (1989, p. 14). De même, Printz estime que « la productivité de la programmation est le problème numéro un du bon usage des ordinateurs» (1998, p. 322). Selon Baumol, l'absence d'amélioration de la productivité dans la production des logiciels justifie le classement de l'informatique dans le secteur « à stagnation asymptotique» (section 1). Pourtant, nous verrons qu'à condition de prendre un certain nombre de précautions d'interprétation, l'examen de plusieurs indicateurs techniques montre que la productivité dans les activités de conception des logiciels connaît une croissance significative (section 2). Surtout, si l'on prend en compte une des évolutions les plus fondamentales de l'économie des logiciels de ces vingt dernières années, à savoir la substitution, dans un nombre croissant de situations, de l'utilisation de progiciels (c'est-à-dire de biens intangibles) à l'utilisation de logiciels sur mesure (qui correspondent à une activité de services), on constate alors que la productivité a augmenté de façon importante 70
même si cette augmentation est difficile à mesurer précisément (section 3). Il reste alors à s'interroger sur les raisons de cette sous-estimation. Une explication de la sous-estimation de la croissance de la productivité dans la production des logiciels est qu'elle est beaucoup moins rapide que la croissance de la productivité dans le matériel informatique (qui évolue à un rythme exceptionnel) et qu'elle reste donc insuffisante face à la très forte croissance des besoins. Nous en déduisons que le secteur informatique est globalement un secteur asymptotiquement croissant, avant d'esquisser quelques perspectives d'évolution de la productivité dans la production des logiciels (section 4). 1. La thèse de Baumol : l'absence d'amélioration de la productivité et ses conséquences Le point de départ de l'analyse est l'examen critique des modèles de Baumol, en raison de l'impact de ces modèles sur les débats concernant l'évolution de la productivité, et surtout parce qu'une des deux activités, qui est étudiée pour appuyer sa thèse est l'informatique et en son sein les problèmes liés à l'importance prise par la production des logiciels. Le premier modèle de « croissance déséquilibrée» de Baumol (1967) voulait rendre compte des effets des taux de croissance de la productivité plus faible dans les activités de service. L'économie y était divisée en deux secteurs, un secteur « stagnant» et un secteur « progressif». Le secteur « stagnant» comprenait les activités de service dans lesquelles le travail était l'intrant principal et les gains de productivité faibles. Le secteur « progressif» comprenait des activités de production de biens dans lesquelles l'usage croissant de capital et la mise en œuvre de nouvelles technologies entraînaient des accroissements continus du produit par travailleur et, par conséquent des salaires plus élevés. Comme les salaires plus élevés se propageaient du secteur « progressif» vers le salaire « stagnant », les coûts et les prix dans ce secteur devaient croître de manière continue ( FI désigne « la recherche d'informations, d'idées pour un problème relatif à la fonction juridique» ; - la relation 13 < > F5 signifie qu'un test est réalisé dans le cadre de la fonction «règlement» d'une prestation d'assurance. . Les combinaisons {Ii} < > {Ck} (relation 2) rendent compte non pas du degré de coproduction de la prestation, mais de celui de l'innovation (ou de certaines de ses étapes), encore que, comme nous l'avons déjà signalé, les deux processus soient confondus dans certains cas, dans la mesure où l'innovation peut « émerger» du processus de prestation. On constate là encore que le degré de coproduction peut varier d'une tâche à l'autre (exemple: être faible pour Il, le recueil d'informations, très élevé pour 13, le développement). . Les combinaisons {Ii} < > {Ml} (relation 3) représentent les modalités intellectuelles d'intervention du prestataire dans les différentes étapes du processus d'innovation de son client. Ainsi, Il < > Ml symbolise le simple transfert mécanique d'informations ou d'idées; 13 < > M3, la production de connaissances nouvelles (activité de R-D par combinaison créatrice de connaissances anciennes). 3.2. Différentes configurations du modèle Le modèle d'innovation interactionnelle désigne un nombre considérable de combinaisons {(Ii),(Fj),(Ck),(MI)}. Ainsi, les multiples combinaisons des différents vecteurs dont les composantes peuvent elles-mêmes également être combinées permettent d'envisager de très nombreux espaces d'innovation « coproduite». Ce modèle général ne peut se réduire à quelques configurations stables clairement identifiables. On peut cependant opposer une configuration standard du modèle et une configuration (générique) que nous qualifierons d'évolutionniste. La configuration standard est stable et facile à identifier. Elle construit un espace d'innovation univoque clairement dé271
limité (cf. Figure 2). En effet, pour chacun des ensembles {Ck}, {Ml}, les choix sont réduits à l'unité: . la coproduction de l'innovation est nulle (CO) dans la mesure où il n'y a pas ou peu d'interaction entre le prestataire et le client. Il s'agit d'une relation de sous-traitance; . le mode de traitement de cette connaissance technologique est le simple transfert mécanique (Ml). En ce qui concerne, les ensembles {Ii} et {Fj}, en revanche, les choix sont multiples: . en effet, les fonctions Fj concernées sont celles nécessaires à la production d'un nouveau bien ou d'un nouveau service si l'objet de l'innovation est celui-là. Plus généralement, il pourra s'agir de n'importe quelle fonction ou groupe de fonctions indépendamment de tout bien ou service; . quant au processus d'innovation, là encore, différents « moments» Ii ou groupes de «moments» peuvent être concernés. Ces différentes opérations portent sur un processus d'innovation considéré comme linéaire, c'est-à-dire dont les différentes activités sont indépendantes l'une de l'autre (absence d'interaction ou de rétroaction). Il est important de noter que les deux composants fondamentaux de la configurations standard sont l'absence d'interaction (CO) et le caractère mécanique du transfert (Ml). Figure 2 : La configuration standard du modèle d'innovation interactionnelle (ou assistée) Il, 12 Transfert mécanique I
li
lm FI F2
Ml
I
M2
Fj
Ml Mp
Fn
Co, CI. ..Ck Sous-traitance I
I
272
.Co
Autrement dit, dans cette configuration standard, le modèle se réduit à une activité de transfert d'informations (technologiques) codifiées, visant à alimenter l'une ou l'autre ou l'ensemble des étapes du processus d'innovation sans la moindre coproduction, c'est-à-dire sans interrelation avec le client. Un exemple type de cette configuration standard est le transfert technologique (clés en mains) en direction des pays en voie de développement, dans lequel certaines firmes de conseil et d'ingénierie se sont distinguées, avec les échecs retentissants que l'on c01Ll1aît.Mais, il ne faut pas oublier que ce transfert peut également concerner des technologies non incorporées, des formules de management, des méthodes, des familles cognitives ou fonctions. Cependant, la configuration standard n'est qu'un cas limite de notre modèle qui permet d'envisager de très nombreuses autres configurations ou « états ». Dans la mesure où la théorie évolutionniste s'intéresse aux systèmes riches en interactions (Coriat et Weinstein, 1995), en variété (Saviotti, 1996), et qu'elle introduit la multiplicité des modalités de traitement intellectuel des connaissances, on peut considérer comme des configurations évolutionnistes l'ensemble des espaces d'innovation coproduits pour lesquels le transfert n'est pas réduit à son expression mécanique. Chaque « état» du modèle suppose toujours, en effet, un transfert (vers le client) des connaissances drainées ou produites, mais ce transfert s'accompagne de manipulations et traitements plus ou moins complexes (contextualisation, formalisation, association, etc.). Dans la mesure où il ne semble pas possible de réduire l'immense diversité des configurations évolutionnistes du modèle d'innovation interactionnelle à quelques cas types, on se contentera de fournir un certain nombre d'exemples de configurations (issus de travaux empiriques: cf. notamment Gadrey et al., 1993) qui illustrent cette diversité. Pour simplifier les représentations graphiques, les différentes configurations sont envisagées pour une fonction ou un groupe de fonctions données. 1) L'espace d'innovation coproduite délimité par l'ensemble {Il, 12, CO, M3, M4} (figure 3) peut désigner, par exemple, la coproduction d'une solution à un problème relatif à la fonction juridique, ce qui est parfois qualifié d'innovation ad hoc (C. et F. Gallouj, 1996). Il et 12 y représentent respectivement le recueil d'informations et d'idées et une certaine activité analytique et conceptuelle assimilable à de la R-D ; CO, un degré de 273
coproduction élevé; M3 et M4 les processus de contextualisation et de combinaison des connaissances. Dans cette configuration du modèle d'innovation interactionnelle, l'innovation ne peut pas être envisagée indépendamment du processus de prestation et des acteurs. Elle se construit au cours du déroulement de la prestation. Figure 3 : La configuration de l'innovation ad hoc Etapes de l'innovation
Il 12 13 I4
Ii.
Im Co Coproduction faible
CI C2 C3
Formes cognitives d'intervention
Degré de coproduction
2) L'intervention d'un consultant dans la mise au point d'un contrat d'assurance (et plus exactement dans la phase de test de ce nouveau contrat) est illustrée par la Figure 4. Il s'agit d'une configuration fréquente dans les services, qu'on peut qualifier de configuration du « test assisté par consultant». Elle est délimitée par les ensembles {I3, CI} et {Ml} dans lesquels 13 désigne la phase de test; C I un degré de coproduction ou d'interaction non nul; {Ml} toute la gamme des méthodes de traitement de la connaissance;
274
Figure 4 : Le modèle du test assisté par consultant Test Il 12 13 14
Ii
lm
Co
Ml M2 M3 La totalité ou une partie des formes cognitives
CI Coproduction faible
C2 C3
M4
3) L'externalisation de la R-D, c'est-à-dire le recours à des laboratoires extérieurs publics ou privés, à des Universités, des boursiers relève également de notre modèle d'innovation interactionnelle. Il peut fonctionner selon la configuration standard algorithmique (sous-traitance et transfert mécanique), ce qui est rare, mais plus souvent selon le mode interactif. Les étapes du processus d'innovation concernées sont celles de Recherche et Développement (12 et 13) et les méthodes de traitement de la connaissance utilisées peuvent être n'importe lesquelles des {Ml}. Parmi les variantes du modèle d'externalisation de la RD, l'une d'entre elle est celle illustrée par la figure 5. Figure 5 : Une variante du modèle d'externalisation interactionnelle de la R-D Recherche-développement
Il 12 13 14... ..Ii... ..1m Ml M2 La totalitéou une ~4 partiedes formes cognitives Co
275
Coproduction élevée
4. Les implications théoriques du modèle d'innovation interactionnelle Le modèle d'innovation interactionnelle soulève un certain nombre de questions intéressantes sur le plan théorique qu'il s'agit d'examiner maintenant. 4.1. Au-delà de la relation (de service) microéconomique : le système et le réseau Dans ce chapitre, nous avons jusqu'ici mis l'accent sur l'innovation interactionnelle comme relation microéconomique. Mais le modèle ne peut être compris que s'il est resitué dans un système de relations plus large de niveau mésoéconomique, voire macroéconomique qui conditionnent son fonctionnement. Il ne s'agit pas seulement ici de la réflexion habituelle en économie sur les difficultés de l'agrégation des composantes microéconomiques pour accéder à des niveaux d'analyse supérieurs. Ces niveaux supérieurs participent de manière essentielle au fonctionnement du modèle, à la fonction de production de celui-ci. Les incidences méso ou macroéconomiques d'un tel modèle s'expriment donc aussi à travers les rôles que jouent les consultants, et plus généralement les services aux entreprises intensifs en connaissances, dans les systèmes d'innovation et les réseaux technico-économiques (élargis). L'économie évolutionniste de l'innovation et la sociologie de l'innovation et des réseaux se rejoignent ici en partant d'un même point de départ: l'interaction entre les agents. Les consultants sont ainsi à la fois des composants (des noeuds) du système local, régional et national d'innovation (Lundvall, 1988) ou du réseau technico-économique (Callon, 1991), mais ils sont aussi et surtout des vecteurs de relation, des instruments de connexion entre agents. Ils créent des liens, des «ponts» pour reprendre l'expression de Granovetter (1973). Ils entretiennent des « liens forts» avec leurs clients9, mais surtout sont capables de mobiliser, au bénéfice de ceux-ci, des liens plus «faibles ou affaiblis » par les différents types (additifs) de « distances» vis-àvis des clients en question, qu'il s'agisse de distance temporelle 9
La force de ces liens est en partie exprimée par le degré de coproduction de
notre modèle {Ck}.
276
(on a rencontré un problème similaire, il y a un certain temps) ; sectorielle ou fonctionnelle (on a rencontré un tel problème dans une activité complètement différente) ; ou géographique (on l'a rencontré dans un autre pays) ou encore symbolique (réseaux de grandes écoles en France). Les consultants (mais souvent également les experts internes) peuvent ainsi être considérés comme des entités où se croisent trois types de réseaux (Decoster et Matteaccioli, 1991): des réseaux internationaux d'affaires, qui constituent les supports de l'information provenant d'autres espaces géographiques nationaux ou internationaux; des réseaux institutionnels de diffusion (les relations avec les pouvoirs publics) ; des réseaux académiques de prestige (les relations entre les consultants et les grandes écoles; et entre les diplômés des grandes écoles) ; Dans les réseaux technico-économiques (élargis), les consultants peuvent être des acteurs des pôles de transfert, mais aussi des pôles centraux (pôles scientifiques, techniques, marchands), selon les distinctions établies par Callon (1991). On peut ainsi classer les consultants internes ou externes selon le pôle de leur spécialité: spécialistes du pôle scientifique, du pôle technique ou du pôle marchand, et spécialistes du passage d'un pôle à l'autre. Les consultants jouent également un rôle dans la morphologie et la dynamique du réseau technicoéconomique. Ils peuvent ainsi contribuer à reconfigurer le réseau ou l'allonger, c'est-à-dire adjoindre d'autres acteurs réellement ou virtuellement (c'est-à-dire en mobilisant des liens faibles dans leur fonction de production). Ils peuvent également faciliter la « traduction» au sens de la sociologie des réseaux (Callon, 1986) et contribuer à la convergence du réseau (c'està-dire à la fluidité de la circulation des informations, des connaissances, des solutions, au sein du réseau). 4.2. L'innovation interactionnelle et la convergence des systèmes d'innovation Dans ce travail, nous défendons une conception du prestataire et de la relation de service en tant que lieu d'expression de l'esprit schumpeterien d'entreprise, mis à la disposition des clients ou activé par lui. Autrement dit, nous envisageons les « consultants », comme des « suppléments de mémoires cognitives» pour des entreprises qui sont désormais définies, non pas comme des fonctions de production, mais comme des 277
«structures d'apprentissage» (learning organizations). Notre hypothèse est qu'ils entretiennent la diversité économique, ce qu'on pourrait appeler «l' éco-diversité » (ou la socio-écodiversité) par analogie avec la « biodiversité» ; et qu'ils activent les processus de production de connaissances et l'apprentissage organisationnel (au moins dans certains conditions de réussite de leur mission). Cependant, de même que Schumpeter craignait que l'endogénéisation de la fonction d'entrepreneur dans des départements de R-D guettés par l'inertie bureaucratique ne conduise à terme à l'étouffement du moteur du capitalisme, on pourrait envisager l'hypothèse de consultants facteurs de convergence et d'irréversibilisation des systèmes d'innovation, c'est-à-dire de réduction à terme du degré de variété. Ainsi, les consultants auraient une action néfaste dans la mesure où ils conduiraient à une baisse de l'éco-diversité (une disparition des espèces économiques, en quelque sorte). Les conséquences à terme en seraient l'uniformisation des systèmes économiques par l'application des mêmes systèmes techniques, des mêmes types d'organisations, des mêmes systèmes de gestion, par exemple la reproduction internationale des normes comptables, financières, de recrutement, de gestion, de «lean production», etc. Cette convergence « cognitive» serait d'ores et déjà à l'œuvre par l'intermédiaire des réseaux internationaux de conseil anglosaxons ou d'origine anglo-saxonne. En France, certains sociologues (Henry, 1992) imputent cette convergence aux comportements économiques endogames générés par un système singulier de production et de reproduction des élites (les grandes écoles françaises). Si l'on suppose que la variété économique est préférable à l'uniformité, on peut énoncer un certain nombre d'arguments qui contribuent à rejeter ce risque de convergence (en tant que tendance dominante) : 1) Le premier argument tient au caractère «localisé» ou « contextualisé » des connaissances, des savoir-faire et des innovations coproduites et diffusées par les consultants. Comme nous l'avons déjà dit, ces connaissances sont souvent «reconstruites» ; elles se déforment au contact des différentes entreprises définies comme des espaces économiques multidimensionnels (Antonelli, 1995). Elles subissent des déviations au contact des différents points de cet espace. Par ailleurs, ces espaces, qu'il conviendrait plutôt d'appeler espaces socioéconomiques multidimensionnels, ne sont pas statiques, mais fondamentale278
ment dynamiques. Ils changent au cours du temps, ce qui est source d'éco-diversité. On retrouve ici certaines thèses de l'économie spatiale selon lesquelles la diffusion spatiale à l'échelle mondiale d'un mode d'organisation dominant n'homogénéise pas l'espace, mais au contraire qu'il s'y diversifie au contact des spécificités (historiques, culturelles, économiques, etc.) et de la dynamique de l'innovation spécifique qui y est à l' œuvre. La diffusion spatiale donne naissance à autant de trajectoires d'innovations différentes qu'il existe de « milieux» innovateurs (Aydalot, 1996 ; Decoster et Matteaccioli, 1991). Cette même idée se retrouve dans les travaux récents de l'école de la régulation. «Les modèles industriels voyagent à la recherche d'espaces favorables et s'en trouvent transformés », telle est l'une des principales conclusions du «Monde qui va changer la machine» (Boyer et Freyssenet, à paraître). 2) Il ne faut pas sous-estimer la puissance des clients (notamment les plus grands) et leurs qualités cognitives. Le risque de convergence est une fonction du rapport de force et d'influence réciproque entre le client et le prestataire. Une relation de type sous-traitance pourra plus facilement induire une convergence à terme, c'est-à-dire une uniformisation des produits, des process, des méthodes... La tentation (procustienne) y peut être grande de vouloir faire coïncider tous les problèmes avec les solutions existantes. En revanche, une relation plus interactive qui prend davantage en compte les spécificités des clients et de leur environnement interne et externe sera, au contraire, source de diversité, de solutions nouvelles, car les situations sont elles-mêmes toujours nouvelles. Sous la pression des clients (la «voice» au sens de Hirschman (1972) quand les clients ont les connaissances suffisantes), les consultants font des efforts de «localisation » de leurs informations et de leurs connaissances de sorte qu'elles s'adaptent au «besoin» en même temps qu'elles «reconstruisent» celui-ci. La coproduction permet d'introduire l'empreinte personnelle spécifique du client dans cette connaissance. Elle est facteur de syncrétisme et d'hybridation, autant de mécanismes favorables à l'éco-diversité. Par ailleurs, dans un projet d'innovation, le client pourra mobiliser plusieurs consultants, les faire travailler en coopération ou en concurrence de façon à assurer une certaine diversité. 3) Il ne faut pas non plus sous-estimer la capacité d'innovation propre aux consultants eux-mêmes, qui est source de diversité et de différenciation par rapport aux concurrents. Cette 279
capacité d'innovation des consultants alimente leur contribution à l'innovation de leurs clients, et réduit le risque de convergence. Si les consultants sont les instruments des lois de l'imitation, il ne faut pas oublier que l'universalité de ces lois au sens de Gabriel de Tarde (1890) peut prendre une tournure paradoxale: imiter c'est aussi se différencier ou faire le contraire de l'objet de l'imitation. Autrement dit, le benchmarking n'existe pas ou seulement en tant que « slogan mobilisateur» au sein des firmes, car «ce n'est pas l'innovation qui change le monde, mais le monde qui change l'innovationlO ». Par ailleurs, chez les consultants, l'existence de « réseaux» de différents niveaux crée des « distorsions» dans les transferts, qui modifient la nature de la connaissance. Plus le réseau est long et plus le risque de convergence est limité. Il y a en effet déperdition, sélection, déformation des connaissances tout au long de leur cheminement dans les mailles du réseau. 4) Contrairement aux modèles de Schumpeter I et II qui sont des modèles «poussés par la science », les modèles d'innovation interactionnelle réconcilient les approches science push et demand pull. En effet, le client et ses besoins (formalisés par les fonction (Fj) supports ou « objets» du problème à résoudre et par l'intensité (Ck) de la relation client-consultant) constituent un élément central du modèle. Il faut également noter que ce modèle confère un contenu plus riche au déterminant scientifique dans la mesure où il prend également en compte les sciences sociales et humaines. Cette détermination par la science (prise dans un sens élargi) et la demande est également une source de variété qui limite les risques de convergence. CONCLUSION
Nous avons mis en évidence, dans ce chapitre, un modèle d'innovation qui prolonge les modèles schumpeteriens traditionnels. Ce modèle, dans lequel un ou des consultants (ce terme étant pris dans une acception large) assistent leur client dans une innovation bien identifiée ou émergente (c'est-à-dire non programmée), peut prendre des configurations multiples selon la ou les fonctions de l'entreprise qui constituent le sup10
Ces propos sont empruntés à Robert Boyer, Séminaire Clersé, 28 mai 1998,
Lille.
280
port de l'innovation, la ou les étapes du processus d'innovation qui sont en cause, les méthodes de traitement ou de production de la connaissance qui sont envisagées. Les différentes configurations de ce modèle dépendent d'un certain nombre de facteurs parmi lesquels le style du consultant, celui du client, la nature du problème, etc. La configuration standard de ce modèle, c'est-à-dire pour simplifier, celle dans laquelle le traitement de la connaissance se réduit au transfert mécanique et l'interaction à son niveau minimum, ne constitue qu'un cas limite de ce modèle, qui est un modèle principalement évolutionniste, riche en interactions faibles ou fortes, dans différents espaces: temporels, fonctionnels, géographiques, symboliques. Au total, ce modèle s'appuie sur une définition plus large de l'innovation qui rend compte de toute l'hétérogénéité de ce qu'on renferme souvent derrière les termes d'innovation ou de changement organisationnel, mais aussi de la diversité sémantique des notions d'innovation de produit: de nouveaux biens, mais aussi de nouveaux services (produits immatériels), de nouvelles solutions (produits ad hoc et sur mesure) ; et de la notion de process: des technologies, mais aussi des méthodes... En tant qu'acteur possible dans cette diversité d'innovation, le modèle constitue bien un nouveau lieu d'expression de l'esprit schumpeterien d'entreprise. BIBLIOGRAPHIE ANTONELLI C., The economics of localized technological change and industrial dynamics, Boston, Kluwer Academic Press, 1995. ARROW K.J., « Classificatory notes on the production and transmission of technical knowledge », American Economic Review, 1969, pp. 29-35. ATKINSON A.B., STIGLIZ J.E., « A new view of technological change », EconomicJournal, 79,1969, pp. 125-153. AYDALOT P., Trajectoires technologiques et milieux innovateurs, in AYDALOT P. (Ed) Milieux innovateurs en Europe, GREMI,1986. BANCEL-CHARENSOL L., «NTIC et systèmes de production dans les services », Economies et Sociétés, EGS n° 1, 5, 1999, pp. 97-116.
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283
CHAPITRE Il : LES SERVICES AU CŒUR DE L'INNOVATION DANS LA PRODUCTION AGRICOLE: L'EXEMPLE DE LA POMME DE TERRE David Nahon, Jacques Nefussi INRA Paris-Grignon
INTRODUCTION
Depuis le milieu des années quatre-vingt, l'agriculture a engagé une profonde mutation de son statut économique: elle est passée d'un secteur primaire produisant des matières premières, '« le pétrole vert de la France », à celui d'un secteur élaborant des produits supports de signes et de services. Depuis quelques années, les services incorporés et associés aux produits agricoles sont même devenus le principal facteur de différenciation des produits agricoles. Ainsi le produit agricole peut être analysé comme un «produit-service» permettant la fabrication de produits alimentaires qui sont depuis longtemps caractérisés comme des produits supports de services (des prêts-à-consommer différenciés). L'intégration des produits et des services (cf. De Bandt et Gadrey, 1994) concerne aussi l'agriculture1. Dans une première partie, nous retraçons l'évolution des « fondements industrialistes» de l'économie rurale (ou agricole). Leur remise en cause progressive conduit à appréhender de manière implicite la notion de services en agriculture. Dans une deuxième partie, nous reviendrons sur les aspects théoriques liés au marketing des services. Puis, nous analyserons 1 Nefussi J., 1999, « Les filières agt:oalimentaires : filières de produits ou filières de services? », Demeter 2000, Economie et stratégies agricoles, A. Colin.
I'histoire du contenu en services de la pomme de terre de consommation. Ce produit non transformé permet en effet de mettre en évidence les processus d'innovation par les services pour les produits agricoles. Enfin, nous analysons les coordinations au sein des filières agroalimentaires en tant que relations de services ainsi que leurs conditions permissives. 1. L'économie rurale et ses fondements industriels Au début du siècle, les spécificités de la production agricole ont rapidement conduit au développement d'une branche particulière de l'économie: l'économie rurale puis économie agricole. L'analyse économique de l'agriculture s'est alors assignée pour tâche de rendre compte de la production et des marchés agricoles par référence à l'analyse économique des autres secteurs, notamment l'industrie, tout en en soulignant les spécificités. Les approches classiques ont ainsi mis en évidence le rôle des facteurs de production, la terre faisant l'objet d'une analyse approfondie. De m~me, les particularités des marchés agricoles (la régulation de l'Etat) et des comportements des paysans ont conduit à de nombreuses analyses. Dans cet ensemble de travaux, l'analyse des relations entre l'agriculture et les industries alimentaires joue un rôle particulier. Il se justifie par la coexistence d'un paradigme industrialiste sous-jacent et d'une volonté de rendre compte des spécificités de l'agriculture. En 1900, Kautsky2 tente une analyse marxiste de la production agricole. Ne parvenant pas à identifier un processus d'exploitation comparable au secteur industriel, il pose «la question agraire». Ses analyses, en termes de transferts de la valeur de l'agriculture vers les industries alimentaires (IAA), sont reprises dans les années soixante: l'analyse porte sur l'exploitation de la force de travail qui est jugée plus ou moins formelle, ou de la prolétarisation du producteur agricole par les industries alimentaires. Ces approches nécessitent l'élaboration de concepts ad hoc: exploitation ou prolétarisation sans salariat, marchés « administrés» sans relations marchandes, capital structurellement sous valorisé, etc. Ces analyses butent en fait sur une contradiction d'ordre théorique: l'identification d'un processus de production et d'appropriation de plus value sans vente de la force de travail. Plus fondamentalement, elles sous-estiment la puissance
2 Kautsky K., 1900, «La question agraire. Étude sur les tendances de l'agriculture », Paris, réimpression Maspero 1970. 286
des rapports marchands non capitalistes car elles sont prisonnières d'une approche industrialiste de la production agricole. En 1912, Michel Augé-Laribé3 montre les limites d'une analyse du progrès technique en agriculture qui se limiterait aux processus de production en agriculture. Il analyse le rôle des industries agro-alimentaires qui engendrent des changements par la nature de leur demande, «par leur prescription ». Cette analyse a d'abord été centrée sur la dimension technique de la relation agriculture/IAA, puis elle a pris en compte les marchés de produits agricoles destinés à la transformation. Dans les années soixante, l'économie des « filières agroalimentaires» s'est considérablement développée avec les analyses portant sur l'intégration en agriculture. L'aviculture et les conserveries de légumes ont notamment permis d'observer l'impact d'une demande industrielle sur la production agricole. Depuis la fin des années quatre-vingt, le domaine couvert par cette approche s'est notablement étendu, il intègre les changements liés à l'optimisation de flux physiques (gestion de stocks, logistique, délais de livraison) et ceux liés à la différenciation des produits par des signes de qualité4 (Label Rouge, Appellation d'Origine, Agriculture Biologique, ...). Ces travaux s'appuient majoritairement sur l'économie des coûts de transaction pour caractériser les formes de coordination entre les entreprises des filières agroalimentaires. En particulier, l'analyse des formes de gouvemance permet d'éclairer les transferts de valeurs et les prises de risques par les acteurs. Ces analyses font l'hypothèse d'une création de valeur qui reste cantonnée à chaque «maillon de la filière» : la relation inter entreprise n'est pas appréhendée comme un lieu de production de valeur. Dans cette optique, il n'y a pas de co-production dans les filières. Cette problématique a cependant le mérite d'ouvrir l'analyse de la production agricole à des domaines nouveaux qui sont immatériels: la qualité organoleptique ou technologique, la qualité sanitaire et la sécurité, l'origine. Plus récemment, l' activité de l'agriculteur est appréhendée dans un cadre plus large encore, la «multifonctionnalité ». Cette notion intègre la préservation de l'environnement et du paysage, les activité tertiaires effectuées en milieu rural, comme le tourisme à la ferme, l'occupation du territoire et son rôle contre la désertification. La multifonctionnalité des producteurs agricoles relève naturelle3 Augé-Laribé M., 1912, « L'évolution de la France agricole », Colin, Paris. 4 Valceschini E., 1993, « La qualité des prodqits agricoles et alimentaires dans le marché unique européen », Demeter 93, Economie et stratégies agricoles, A. Colin. 287
ment des analyses en termes de services. Ce n'est pas cet aspect de la production agricole que nous souhaitons analyser mais le contenu en services de la production matérielle des agriculteurs. 2. L'orientation vers le service: un peu de théorie Le service a fait l'objet d'une attention croissante depuis les années quatre-vingt, tant d'un point de vue théorique que pratique. Pour la plupart des travaux publiés depuis cette date, c'est précisément la part intangible, dite « de service », qui revêt une importance croissante dans le succès d'une relation commerciale. Or, le terme de service ne s'applique pas seulement aux activités économiques appartenant au secteur dit tertiaire. De nombreux travaux de recherche (Delaunay et Gadrey, 1990 ; Normann, Ramirez, 1993 ; de Bandt et Gadrey, 1994) ont critiqué les distinctions traditionnelles entre produits et services, notamment celles découlant de définitions des services fondées sur leur non-stockabilité, leur intangibilité, ou la non-séparabilité entre production et consommation (Bourgeois et Ramirez, 1999). Il est alors délicat, au regard de ces recherches, de parler des services comme s'il s'agissait d'une offre de nature fondamentalement différente de celle des biens. Il semble plus logique d'évaluer des offres comportant toutes des éléments tangibles et intangibles en proportions variables. Dans cette perspective, et suivant en particulier de Bandt et Gadrey (1994) ; Normann et Ramirez (1993), Gronross (1990), le service se définit comme une relation de coproduction, entre un offreur et un client, visant à résoudre un ou des problèmes de ce dernier, ou à l'aider à mieux produire de la valeur pour lui-même. Cette logique implique donc la présence d'éléments intangibles et permet dans un premier temps, de rendre compte du fait que le service peut concerner tous les secteurs de l'économie, y compris ceux dits industriels. Il est en effet difficile d'imaginer une offre qui ne serait pas du tout co-produite; même une transaction autour d'un bien nécessite de la part de l'acheteur un minimum d'action. Le client joue dans cette optique, un rôle essentiel dans le processus de service. Il doit connaître ce rôle au sein du système, disposer d'un certain temps et attendre de l'entreprise de service qu'elle en fasse un usage efficace. Le processus de service, son impact fonctionnel et technique sur la qualité dépendent de la façon dont le système client-entreprise fonctionne. On voit ici apparaître en filigrane l'importance de la notion d'apprentissage dans le processus. 288
Selon Bourgeois et Ramirez (op. cit., 1999), nous entendrons ici par « fortement co-produite », une offre qui, selon Eiglier et Langeard (1987), requiert la «participation active» du client. Ils en donnent comme exemple une cafétéria ou un village de vacances, alors que la «participation passive» (ou faible coproduction) se rencontre par exemple dans la chirurgie hospitalière ou la réparation automobile. Sur le plan pratique, de plus en plus d'organisations adoptent une politique d'orientation vers le service (Quinn, Doorley et Paquette, 1990). Cette orientation est définie comme la volonté stratégique d'augmenter significativement la part des prestations dites intangibles dans l'offre proposée au client, et de passer d'une offre fondée sur des transactions autour du produit, à une autre fondée sur une relation de coproduction avec le client, visant la résolution de certains de ses problèmes. Les interfaces entre la production et la consommation des services sont des moments clefs de la perception du service qui ont des conséquences à long terme sur les comportements d'achat des consommateurs. Dans la littérature, le management de ces interfaces est appelé «marketing interactif» ou« relationnel» (Gronross, 1990). Ce type de marketing, qui prend en compte simultanément le processus de production et de consommation du service, est vital pour les entreprises qui veulent fidéliser leurs clientèles. Quelle que soit la définition retenue, le service se définit d'abord comme un système complexe d'interfaces et d'échanges (Jallat, 1999), et de nombreux auteurs ont pu mettre en évidence la nature et les caractéristiques des relations qui lient l'entreprise à ses clientèles (Eiglier et Langeard, 1987 ; Gronross, 1994). Néanmoins, les recherches dans ce domaine ont jusqu'alors essentiellement favorisé une analyse «binaire» de l'échange, en s'attachant à décrire de manière approfondie les processus d'interaction entre le personnel au contact et les clients de l'entreprise prestataire. De ce fait, il n'est pas surprenant que les approches relationnelles, fondées sur le développement de liens réciproques à long terme, se soient d'abord développées dans le cadre des activités tertiaires (Gronross, 1989). Comme l'indique Jallat (1999), deux aspects majeurs semblent caractériser le marketing relationnel: 1) Une optique, désormais classique, favorisant les rapports à plus long terme entre acteurs et privilégiant la relation avec les clients actuels de l'entreprise.
289
2) Une optique plus novatrice prenant en considération la multiplicité des acteurs et l'importance stratégique des réseaux de l'entreprise. Le marketing relationnel se fonde sur le principe que l'entreprise est en relation, non pas avec un seul et unique ensemble composé de clients potentiels, mais bien avec une diversité de réseaux recouvrant différents sous-ensembles constitués de clients, d'interlocuteurs de référence, de fournisseurs, de collaborateurs externes, de réseaux d'influence et du personnel de l'entreprise (Payne, Christopher et Peck, 1993). Le marketing relationnel privilégie par conséquent une démarche globale et substitue à la seule analyse d'un marché de consommateurs, différentes méthodes de concertation et de partenariats (inspirées d'ailleurs de la démarche classique du marketing) avec l'ensemble des réseaux d'acteurs ayant une influence directe ou indirecte sur la demande. L'attention est portée tant sur les réseaux externes constituant l'environnement économique et social de l'entreprise que sur ses réseaux internes. Le marketing relationnel recouvre ainsi des modes d'action aussi divers que le marketing amont, le marketing interne ou encore le trade marketing. Les spécialistes du management des activités de service doivent donc acquérir des compétences plus fines permettant de dépasser le cadre strict de l'entreprise, pour envisager les relations multiples et complexes de l'organisation au sein de ses environnements au sens large. Nous allons tenter de démontrer que l'intégration de la notion de service dans la production agricole s'inscrit parfaitement dans ce cadre théorique et que le produit agricole en tant que tel est lui-même le résultat d'un processus serviciel conséquent. Avant d'analyser les filières agroalimentaires en termes de relations de services, nous présentons un exemple d'innovation par les services dans la production agricole: la pomme de terre de consommation. 3. Le service dans l'innovation de la production agricole: le cas de la pomme de terre de consommation Le marché de la pomme de terre de consommation a considérablement évolué depuis la fin de années quatre-vingt. Les services sont au cœur de cette mutation. Concrètement, la pomme de terre est devenue un « produit-service ». Cette évolution repose sur l'élargissement des fonctionnalités de la pomme de terre pour répondre aux attentes croissantes de la grande distribution et des consommateurs.
290
Les services attendus par la grande distribution permettent de répondre aux problèmes suivants: . La propreté des magasins: les pommes de terre non lavées comportent de la terre qui salit le voisinage du rayon pomme de terre. . La différenciation des produits: le rayon de pommes de terre au début des années quatre-vingt est peu attractif, il est comparé au rayon « charbon de bois », aucune différenciatÏon des produits n'existe, sa capacité à générer des marges commerciales est faible. . Les prestations logistiques: à partir du moment où la pomme de terre devient un produit à faible temps de conservation (quelques jours), des livraisons juste-à-temps sont indispensables pour éviter les ruptures et la mise au rebut. Pour les consommateurs, le statut de la pomme de terre a beaucoup évolué depuis les années cinquante. A cette époque, la pomme de terre fait partie des aliments de base (la consommation est de 152 kg par personne en 1950), son prix est suivi dans le cadre de l'indice des prix. Au cours des années soixante, soixante-dix et plus encore des années quatre-vingt, la consommation de pomme de terre en l'état se réduit: 62 kg par personne en 1990. Ainsi, la pomme de terre de consommation perd progressivement son statut d'aliment bon marché pour devenir un produit alimentaire susceptible d'une forte différenciation5. Pour montrer comment les services sont à l'origine de la différenciation sur ce marché, on peut décrire, depuis les années 50, l'évolution du contenu immatériel d'une pomme de terre de consommation (non transformée) au stade du détail: . Desannées50 à [afin des années quatre-vingt . Produit à stocker à la maison . Conditionnement: 50 kg, 25 kg, à 5 kg . Produit garanti indemne de corps étrangers . Marchandise calibrée . Produit à laver . Pendant les années quatre-vingt-dix . Produit frais disponible en permanence . Conditionnements adaptés à la demande: 10 kg,5 kg, 2,5 kg, 1 kg 5 Cette évolution est la conséquence des changements dans la préparation des pommes de terre qui s'est industrialisée: lyophilisation (purée), pasteurisation (soupe), surgélation (frites, croquettes, ...). Comme pour les autres légumes frais, la transformation ne se traduit pas par une augmentation du prix à la consommation (Nefussi J., 1989, «Les industries agroalimentaires », Que sais-je ?, PUF, Paris). 291
. Conditionnement micro-ondes . Conditionnement
permettant une cuisson dans des fours
dans de la tourbe (conservation de la fraîcheur) . Produit garanti indemne de corps étrangers . Marchandise calibrée . Produit lavé (propreté des coffres de voiture) . Aspect: forme, couleur, absence de tâches, absence de blessures . Différenciation des goûts et saveurs . Produit à consommer avec la peau . Informations sur: la variété, l'origine, l'usage culinaire . Informations sur l'itinéraire cultural: Agriculture Biologique, Production Raisonnée . Sécurité sanitaire garantie . Traçabilité . Support de Signes de Qualité: Label Rouge, AOC, AB . Assurance qualité: ISO 9002, Qualipomfel (assurance qualité de services). Cet accroissement considérable des attributs fonctionnels de la pomme de terre de consommation vise à rendre service aux enseignes de la distribution et aux consommateurs. Ces contenus immatéri~ls comportent des caractéristiques qualitatives du produit, des informations, des garanties, des prestations de services associées (livraisons juste-à-temps, dématérialisation des relations administratives: EDI, ECR, etc. Cet ensemble fonde la segmentation du marché au stade du détail. La variété «bintje» généralement vendue non lavée s'oppose aux variétés à chairs fermes et aux autres variétés lavables. Ces deux dernières falnilles constituent l'essentiel des variétés chargées en services. L'évolution des parts de marché en France (figure 1) montre l'ampleur des changements: ces variétés chargées en services passent de 10 % de part de marché en 1987/88 à 60 % en 1995/96. Le poids de ces variétés dépasse 70 % en 1999.
292
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SoUtce : SECODIP
Source: SECODIP
Pour offrir des pommes de terre aussi riches en services, les négociants (les collecteurs-conditionneurs) achètent des pommes de terre « agricoles» qui comportent déjà un fort contenu en services incorporés aux produits et en prestations de services associées: . la lavabilité : . la forme du tubercule, la couleur de l'épiderme, . l'absence de blessures, de tâches, de coups, . des caractéristiques technologiques de l' épiderme (taille des lenticelles), . la traçabilité de l'itinéraire cultural,
. des garanties concernantl'origine du plant,
. des garanties concernant la sécurité sanitaire, . les conditions de stockage et de livraison, . les modalités de transfert d'informations et de communication (téléphone mobile, fax, internet). Ces services vendus par le producteur agricole sont précisés dans le cahier des charges caractérisant le produit, il font très souvent l'objet de contrats entre le producteur agricole et le négociant.
293
La pomme de terre de consommation est un exemple de la mutation de la production agricole. Cette mutation est de même nature que le processus d'intégration des services et des produits industriels. Comme pour les autres produits, le produit agricole est évidemment une «construction humaine» s' appuyant sur des processus de production. Le secteur agricole est affecté par l'évolution des industries alimentaires et des circuits de commercialisation. En particulier, la différenciation des produits alimentaires et la demande de sécurité sanitaire imposent des changements profonds à la production agricole. En effet, il n'est pas possible de répondre aux attentes des consommateurs sans impliquer les producteurs agricoles par la différenciation qualitative des produits agricoles, par la traçabilité des itinéraires techniques, par la maîtrise des risques sanitaires, par les garanties apportées grâce à l'assurance qualité. En outre la production agricole intègre de plus en plus les contraintes liées à la préservation de l'environnement. Enfin, la dimension éthique de la marchandise apparaît aussi au niveau agricole. Tous ces facteurs fondent le processus d'intégration des produits agricoles et des services. Le produit agricole perd son statut de matière première pour devenir un produit défini par sa destination et élaboré en collaboration avec l'utilisateur. Cette évolution est déjà notable dans les céréales, le raisin pour la vinification, les fruits, les légumes, le lait, le porc. En s'appuyant à nouveau sur l'exemple de la pomme de terre de consommation, on peut mettre en lumière l'existence de relations de services entre les producteurs agricoles et leurs clients. 4. Les filières agroalimentaires: des réseaux de relations de services reposant sur des infrastructures La filière pommes de terre de consommation est constituée des acteurs suivants:
. . .
.. .
les industries de semences (S), les producteurs agricoles de plants de pomme de terre (P) , les négociants en pommes de terre (appelés collecteurs-
conditionneurs) (N), les producteurs
de pommes de terre (P),
le commerce de détail (D), les consommateurs
(C).
Les relations entre les acteurs de cette filière sont parfois structurées par des transactions qui comportent à la fois une vente et un achat. Elles sont représentées sur le schéma suivant (figure 2). 294
Figure 2 : La filière « pommes de terre de consommation»
Les relations entre le producteur de pommes de terre et le négociant visent l'élaboration d'un produit parfaitement positionné dans la segmentation du rayon pommes de terre. Ce produit est le résultat d'un processus qui engage les deux acteurs. Il est, en général, formalisé par un contrat qui porte sur: . la vente de plants au producteur, . l'achat des pommes de terre par le négociant. Le contrat est « un accord sur le prix et la chose ». Dans le cas de la vente de pommes de terre, la « chose» est le produit agricole défini par le cahier des charges, il précise les aspects matériels et immatériels que nous avons décrits précédemment. Ces services incorporés aux produits sont élaborés par les agriculteurs dans une relation très étroite avec les négociants. Le contenu de la relation porte sur: . le choix de la variété et des sols, . la date de plantation, . la densité de plantation, . le suivi de l'itinéraire technique (irrigation, ...), . les traitements phytosanitaires, . la date de défanage, . les méthodes de récolte, . le suivi du stockage, . les modalités de livraisons.
295
C'est dans cette relation que s'élaborent les « services intermédiaires» agricoles incorporés aux produits agricoles. Il s'agit d'une « relation de services» où une co-production est réalisée par la mise en commun de connaissances: connaissance du marché, techniques agronomiques, techniques de stockage (cf. figure 3). Dans cette relation, il y a un processus d'apprentissage et d'accumulation d'expériences caractéristiques des relations de services. Au-delà des relations entre les producteurs et le négociants, l'organisation du rayon au stade du commerce de détail, l'élimination des produits non conformes, la mise en avant des produits (le merchandising) contribuent à la « production » de la pomme de terre au stade final, comme pour tous les produits frais. Figure 3 : Coproduction dans la filière pommes de terre
De même, la définition du produit dans toutes ses composantes matérielles et immatérielles est le résultat d'un processus de prescription: les attentes de l'aval sont prises en compte, confrontées aux possibilités agronomiques et techniques, puis adaptées. Contrairement à la «quasi-intégration» de filières comme l'aviculture ou les légumes de conserves, où la définition du produit est stable, le producteur n'étant qu'un soustraitant, la pomme de terre de consommation est un exemple d'élaboration commune, notamment dans le processus d'innovation. La mise au point d'une variété et de son positionnement marketing dure entre trois et cinq ans, les expérimentations ne concernent pas seulement les producteurs et les négociants. En 296
l'occurrence, la relation de services s'étend au-delà de la relation clients-fournisseurs en associant des acteurs à l'amont (le semencier) et des acteurs à l'aval (GMS) de la relation entre les producteurs et les négociants. C'est un processus de prescription pluri-acteurs. Au-delà de l'abaissement des coûts des services, l'efficacité de la relation de services, c'est-à-dire sa capacité à générer des produits conformes aux projets, dépend des infrastructures de la relation. Trois types d'infrastructures apparaissent essentielles: . les infrastructures matérielles et les investissements immatériels, . les infrastructures organisationnelles entre les entreprises, . les infrastructures institutionnelles qui fixent les règles du Jeu. Les infrastructures matérielles correspondent aux investissements effectués en moyens de production: irrigation, matériels agricoles, bâtiments de stockage, pallox, équipements informatiques, etc. Les infrastructures matérielles sont accompagnées d'actions de formation et de sensibilisation aux différentes formes de qualité, notamment dans le domaine de l'assurance qualité. L'optimisation des outils suppose une accumulation de compétences. Les infrastructures organisationnelles désignent les modalités de mise en commun des connaissances, des expérimentations, des contrôles. Par exemple, l'agréage d'un lot à la livraison peut être précédé par un pré-agréage par le producteur. Les méthodes de qualification de la marchandise et de transmission de l'information donnent lieu à une véritable organisation de la relation, tout comme la logistique. Les infrastructures institutionnelles correspondent aux dispositifs sectoriels et interprofessionnels qui permettent le développement de relations de services entre les entreprises. Dans le cas de la pomme de terre, il s'agit notamment de la création du CNIPT, des Contributions Volontaires Obligatoires (CVO), et des « accords interprofessionnels» étendus. Le Comité National Interprofessionnel de la Pomme de Terre (CNIPT) est une organisation interprofessionnelle rassemblant les syndicats professionnels des producteurs de pommes de terre, des négociants et du commerce de détail. Cet organisme est créée en 1977 dans le cadre de la loi de 1975 sur les interprofessions. Le CNIPT a pour vocation d'élaborer des accords interprofessionnels qui deviennent obligatoires pour les différents acteurs lorsque les Pouvoirs Publics ont «étendu» l' accord. Les Contributions Volontaires Obligatoires sont un exemple d'accord interprofessionnel qui a pour objet de constituer des 297
moyens de financement propres à l'interprofession par des cotisations. Les accords interprofessionnels portent sur la définition des normes en matière de qualité des produits mis sur le marché et sur la promotion générique. Dans la filière pomme de terre de consommation, des accords ont été conclus pendant les années quatre-vingt-dix dans les domaines suivants: . une orientation stratégique commune en matière de qualité . une communication cohérente . une normalisation de la production raisonnée . une offre commune de traçabilité : tracenet . un guide de bonnes pratiques pour l' agréage . une charte de bonnes pratiques commerciales Dans les année quatre-vingt-dix, les accords interprofessionnels ont formalisé une volonté politique commune de modifier qualitativement «la pomme de terre». Cette transformation vise explicitement la différenciation du marché de la pomme de terre par les services. En l'occurrence la lavabilité du produit permet de fournir un service supplémentaire, et au-delà, de construire une nouvelle segmentation du marché. Cette dynamique ayant pour finalité de nouvelles règles communes et des changements entre les différents secteurs composant la filière, seule une contrainte d'ordre institutionnel volontaire pouvait imposer aux acteurs des comportements cohérents. Dans ce nouveau contexte institutionnel, la formation des prix de la pomme de terre de consommation a été totalement bouleversée: «la cotation d'Arras» qui fixait le prix de la bintje a été supprimée. Les nouvelles variétés de pommes de terre ont des prix beaucoup moins volatiles car elles comportent beaucoup plus de services incorporés. La formation des prix n'est plus la simple expression d'une offre et d'une demande quantitative, la programmation de la production et la contractualisation d'une partie de la production ont un effet stabilisateur au cours de la saison. En revanche d'une campagne à l'autre des écarts de prix moyens peuvent être observés en fonction des rendements et des aléas climatiques en France et à l'étranger. Ainsi, la filière pomme de terre de consommation a non seulement connu une évolution très profonde des structures de production avec l'émergence de nouvelles variétés, mais elle a connu aussi une mutation radicale des règles de formation des prix. Cet exemple presque caricatural par l'intensité et la rapidité des mutations, constitue vraisemblablement un nouveau modèle de développement de la production agricole: une production de matière première comportant de plus en plus de services, qui sont incorporés aux produits ou qui sont associés aux 298
produits par le biais d'une prestation de services des producteurs. CONCLUSION
La production agricole est, au même titre que la production industrielle, concernée par le processus d'intégration des produits et des services. L'agriculture sort d'une dynamique centrée sur le produit et ses modes de production, où l'usage du produit est jugé secondaire par le producteur, pour entrer, comme les autres secteurs, dans un rapport au marché où l'utilisation du produit devient centrale. Si une spécificité apparaît, elle concerne le nombre d'acteurs impliqués dans la coproduction et la co-prescription des aspects intangibles des produits agricoles. La complexité des processus nous conduit ainsi à désigner par « services intermédiaires» ces aspects intangibles du produit qui trouvent leur justification chez le client du client ou même au-delà. Par ailleurs, il apparaît que le consommateur est aussi un acteur de la co-production du produit, indépendamment de son rôle de pre scripteur. Il n'est pas suffisamment intégré dans les analyses des filières agroalimentaires en tant qu'acteur de la production, « l'approche par les services» peut contribuer à lui donner une nouvelle place. BIBLIOGRAPHIE BERRY L.L., PARA SURAMAN A., Marketing services: competing through quality, The free Press, New York, 1991. BOURGEOIS D., RAMIREZ R., « Un divorce trop vite annoncé: le service et la bureaucratie », Revue Française du Marketing, 171(1), 1999, pp. 33-52. De BANDT J., GADREY J. (éd.), Relations de services, marchés de services, CNRS Edition, collection Recherche et entreprise, 1994. COMBRIS P., NEFUSSI J., « Le concept agroalimentaire : intérêts et limites », Economie rurale, n° 160, mars-avril 1984. DELAUNAY J.-C., GADREY J., Services in economic thought: three centuries of debate, Kluwer academic publishers, London, 1992. EIGLIER P., LANGEARD E., Servuction : le marketing des services, McGraw Hill, Paris, 1987. GRONROSS C., «Defining marketing: a market oriented approach », European Journal of Marketing, n° 23(1), 1989. 299
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300
CONCLUSION GÉNÉRALE Si, pendant très longtemps, l'association des termes « service» et « innovation» a pu paraître incongrue (le service renvoyant aux images négatives de la servitude et des services publics) ; tel n'est plus le cas désormais. Les services et l'innovation ne sont pas deux phénomènes contemporains majeurs, concomitants, mais fondamentalement étrangers l'un à l'autre. Bien au contraire, les entreprises et les organisations de services sont le lieu d'efforts de Recherche-Développement et d'innovation considérables, qui sont à la mesure de leur contribution à la richesse nationale. La croissance tertiaire ne constitue donc pas un défi à la thèse des « vagues de destructions créatrices» de Schumpeter selon laquelle les entreprises et les secteurs non innovants disparaissent au profit des entreprises et des secteurs qui introduisent de nouvelles «combinaisons productives». Elle en est peut-être tout simplement une nouvelle illustration. Cependant, pour prendre toute la mesure des efforts d'innovation dans les services, l'analyse (qu'elle soit économique, sociologique ou gestionnaire) doit elle-même consentir certains efforts d'adaptation voire d'innovation conceptuelle et méthodologique. Les outils d'analyse traditionnels ne sont pas toujours en mesure de rendre compte de la nouvelle économie des services et de la connaissance. Ils contribuent, dans une certaine mesure, à « verrouiller» nos analyses dans ce que les sciences de l'organisation appellent, de manière métaphorique, une « trappe de compétences ». Bien entendu, cette nécessité d'innovation conceptuelle se traduit par la nécessité de l'adaptation des dispositifs concrets de mesure. Les efforts des chercheurs convergent ainsi et s'entrecroisent avec ceux des institutions statistiques nationales et internationales. C'est ainsi, par exemple, que la plupart des manuels de l'OCDE qui fixent les directives en matière de définition et de mesure de la R-D et de l'innovation ont été récemment révisés à la lumière de la nouvelle économie des services et de la connaissance, ou sont en
passe de l'être: le manuel de Frascati des indicateurs de R-D est ainsi en cours de révision, le manuel d'Oslo consacré aux indicateurs de l'innovation technologique l'a été en 1997 et un projet de révjsion du manuel « brevets» est en cours. Il est important néanmoins de reconnaître que la dynamique des services et celle des autres secteurs de l'économie sont caractérisées par une semblable dialectique de convergence et de divergence. Cette dialectique se traduit ainsi, par exemple, par une certaine universalité de la « dimension service» ou de la relation de service ou encore de la « servuction », qui déborde les frontières sectorielles pour s'insinuer au cœur de la production industrielle, mais aussi de la production agricole (l'exemple de la pomme de terre développé dans cet ouvrage est très édifiant), et y ouvrir la voie à des formes d'innovations nouvelles (produits et process immatériels, innovation sur mesure, innovation ad hoc) ainsi qu'à des modes nouveaux d'organisation et d'incitation de l'innovation. Cette dialectique se traduit également par l'universalité des nouvelles technologies de l'information et des communications (NTIC), qui introduisent dans les services des points d'ancrage matériels, qui facilitent sinon une certaine forme d'industrialisation de la prestation du moins de « rationalisation industrielle », qui les rattache aux formes traditionnelles d'innovation sans pour autant écarter l'existence de spécificités de nature. Ainsi, l'effort des chercheurs doit-il se porter à la fois sur la recherche de spécificités éventuelles, mais aussi sur l'intégration des analyses de l'innovation, c'est-à-dire sur la construction de modèles théoriques généraux indépendants des contextes sectoriels. Les contributions réunies dans cet ouvrage participent de cette stratégie générale de recherche.
302
SOMMAIRE Introduction générale: Hisser la question de l'innovation dans les services hors de la « trappe de compétences» Faridah D}ellal, Faïz Gallou)
7
Partie 1 : Nouvelles technologies et services
19
Chapitre 1 : Systèmes d'offre électronique: l'élargissement de la dimension servicielle Bénédicte Lapassousse, Marie-Christine Monnoyer
21
Chapitre 2 : Innovation, concurrence et stratégies d'attraction de la demande dans les secteurs de services liés aux NTIC 43 Abdelillah Hamdouch, Esther Samuelides Chapitre 3 : Les paradoxes de la productivité dans la production des logiciels François Horn
69
Partie 2 : L'innovation dans les services: des formes et des dynamiques spécifiques?
101
Chapitre 4 : L'innovation sous l'angle des services: faut-il créer de nouveaux concepts? Johan Hauknes
103
Chapitre 5 : A propos de la nature de l'innovation dans les services: les enseignements d'une enquête postale Faridah D}ellal, Faïz Gallou}
135
Chapitre 6 : Les services publics français et l'innovation sociale
165
Jocelyne Barreau
Chapitre 7 : L'innovation de service: conditions macro-économiques André Barcet, Joël Bonamy
187
Chapitre 8 : Grande distribution, innovation et « théories» des cycles: la roue toume-t-elle encore?
211
Carnal Gallou)
Partie 3 : L'innovation par les services et au-delà des services
233
Chapitre 9 : Le design industriel: entre l'industrie et les services Quynh Delaunay
235
Chapitre 10 : L'innovation interactionnelle : un modèle neoschumpeterien Faïz Gallou)
255
Chapitre Il : Les services au cœur de l'innovation dans la production agricole: l'exemple de la pomme de terre David Nahon, Jacques Nefussi
285
Conclusion générale
301
304
INNOV ATIONS Cahiers d'économie de l'innovation Éditions L'Harmattan (Paris) Revue/ondée en 1995
Numéros déjà parus: n01 Progrès et ruptures, 1995-1 n02 Innovation, croissance et crise, tome 1, 1995-2 n03 Innovation, croissance et crise, tome 2, 1996-1 n04 J. Schumpeter, Business Cycles et le capitalisme, 1996-2 nOSStructures industrielles et mondialisation, 1997-1 n06 Karl Marx, Le Capital et sa crise, 1997-2 n07 La valeur du travail, 1998-1 n08 Petite entreprise, le risque du marché, 1998-2 n09 Travail et Capital, la mésentente, 1999-1 nOlOLe salariat en friches, 1999-2 nOlI Déséquilibre, innovation et rapports sociaux, 2000-1 n012 Entrepreneurs, jeux de rôles, 2000-2 n013 La parade économique, l'État de la libre entreprise, 2001-1 n014 Joan Robinson, Hérésies économiques, 2001-2 n015 L'économie sociale, laboratoire d'innovations, 2002-1 n016 Géo-économie de l'innovation, 2002-2 Abonnement annuel: 33,54 € Renseignements Dimitri Uzunidis Laboratoire RI! téléphone: 03.28.23.71.35 email:
[email protected] 305
Collection "Économie et Innovation" Dirigée par S. Boutillier et D. Uzunidis Derniers ouvrages parus M. KANKWENDA, Marabouts ou marchands du développement en Afrique ?, 2000. A. GOGUEL d'ALLONDANS, Les fonds de pension à la française, Vers un nouveau mode de régulation des retraites ?, 2000. Ph. BROYER, L'argent sale, dans les réseaux du blanchiment, 2000. J-P. CHANTEAU, L'entreprise nomade, localisation et mobilité des activités productives, 2001. B. LAPERCHE (éd.), Propriété industrielle et innovation, la « nouvelle économie )) fausse-t-elle l'enjeu ?, 2001. M. DECAILLOT, Demain l'économie équitable, Bases, Outils, Projets, 2001. M. VAN CROMPHAUT (éd.), Les Mondialisations, gouffre ou tremplin?, 2001. B. GUIGUE, L'économie solidaire, alternative ou palliatif?, 2002. M. RICHEV AUX, M. CALCIU et E. VERNIER, Le travail dans la nouvelle économie, aspects de gestion et de droit, 2002. M. TAMIM, Le spectre du Tiers-Monde, l'éducation pour le développement, 2002. N. LAMAUTE-BRISSON, L'économie informelle en Haïti, 2002. R. VOLPI, Mille ans de révolutions économiques, la diffusion du modèle italien, 2002. P. MOUANDJO B. LEWIS, État et régulation en Afrique, Tome I, L'économie politique de l'Afrique au XXème siècle, 2002. P. MOUANDJO B. LEWIS, Facteurs de développement en Afrique, Tome II, L'économie politique de l'Afrique au XXème siècle, 2002. P. MOUANDJO B. LEWIS, Crise et croissance en Afrique, Tome Ill, L'économie politique de l'Afrique au XXème siècle, 2002. * Série Krisis R. BELLAIS, S. BOUTILLIER, B. LAPERCHE et D. UZUNIDIS (éd.), La femme et l'industriel, Travailleuses et ménagères en colère dans la révolution industrielle, 2000. G. HARC01)RT (éd.), L'Economie rebelle de Joan Robinson, 2001. J-P. FAUGERE et A. KARTCHEVSKY (éd.), Philosophie, travail, système(s), Hommage à Guy Caire, 2001. B. GUIGUE, Les raisons de l'esclavage, 2002. H. JORDA, Le Moyen Age des marchands, 2002. * Série Clichés Y. GUIHENEUF, Economie et Utopies, du marxisme à l'ultralibéralisme en 31 points, 2002. * Série Cours Principaux S. AÏT-EL-HADJ, Systèmes technologiques et innovation, Itinéraire théorique,2002. J. FAU, Acteurs et fonctions économiques dans la mondialisation, 2002. 306
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