Jacques GARELLO Georges LANE
FUTUR DES RETRAITES &
RETRAITES DU FUTUR III. La transition
IREF CONTRIBUABLES ASSOCIES...
18 downloads
1037 Views
2MB Size
Report
This content was uploaded by our users and we assume good faith they have the permission to share this book. If you own the copyright to this book and it is wrongfully on our website, we offer a simple DMCA procedure to remove your content from our site. Start by pressing the button below!
Report copyright / DMCA form
Jacques GARELLO Georges LANE
FUTUR DES RETRAITES &
RETRAITES DU FUTUR III. La transition
IREF CONTRIBUABLES ASSOCIES Éditeurs
L'IREF, Institut de Recherches Economiques et Fiscales, a été fondé en 2002 par des universitaires et des personnalités du monde des affaires pour observer et analyser les politiques économiques actuelles, en particulier dans une Europe confrontée aux défis de la mondialisation. L'IREF veut être l'un des acteurs d'un débat rigoureux et non partisan autour des réformes mises en œuvre dans l'espace européen. Au cœur de ces réformes, celles qui concernent la fiscalité sont déterminantes, car elles impliquent de véritables choix de société. Dans certains pays, dont la France, ces choix sont difficiles ou différés. L'IREF se propose de les éclairer. L'IREF a tenu des colloques dans l'Europe entière: Rome, 20 janvier 2004 : Fiscal federalism in the European Union. Paris, 24 avril 2004 : Le futur des impôts en Europe. Aix-en-Provence, 30 août 2004: La fiscalité et l'esprit
d'entreprise. Bruxelles,
28
septembre
2005:
Public
Debt
today,
Unemployement tomorrow. Genève, 6 décembre 2005 : Dette publique aujourd'hui,
chômage demain. Prague, 23 avril 2006 : Taxation and Justice. Paris, 10 mai 2006: La flat tax: faire de l'Europe un
paradis fiscal. Lyon, 1er juin 2006 : Finances locales et décentralisation. Aix-en-Provence, 29 août 2006 : Concurrence ou harmoni-
sation fiscale en Europe? Turin, 13 mars 2007 : La loi Director: qui bénéficie des
transferts sociaux de l'État? Berlin, 9 novembre 2007 : La concurrence fiscale pour un
État responsable. Prague, 18 avril 2008 : European Tax : Bad or Good ? Zurich, 25 novembre 2008 : Steuerwettbewerb heute und
morgen (La concurrence fiscale aujourd'hui et demain).
4
L'IREF a mené et publié plusieurs travaux scientifiques: La décentralisation fiscale (2003) V. Curzon-Price & J. Garello Taxation and Economie Growth (2005), D. Tohac, A. Robson Public Debt, Public Expenses and Growth (2005) P. Garello, P. Minford Taxation and Justice (2006) P. Orogvanylova, P. Bessard, D. Pellerin Finances et libertés locales (2006) G. Bramoullé Taxing Wealth - What for? (2007) J. Schnellenbach, P. Bagus, D. Pellerin European Tax: Bad or Good ? (2008) J. Toser, M. Trovato Taxation in Europe (2008) P. Garello & v.a. La loi Direktor (2008) : Qui profite de la redistribution des revenus? B. Lemennicier Tous les événements, travaux et rapports de l'IREF sont facilement accessibles sur le site (français et anglais) www.irefeurope.org. Ce site donne également accès à la plupart des statistiques et documents de base sur la fiscalité. Il commente les ouvrages récents sur la fiscalité et assure une véritable veille fiscale européenne grâce à son réseau de correspondants dans une trentaine de pays.
-
CONTRIBUI\BlES
ASSOCIES _
~ntre "oppression fiscale la pression deS contribuableS
Contribuables Associés a tenu dès le départ à accompagner Jacques Garello et Georges Lane dans leur recherche sur la réforme des retraites en France. En effet, les contribuables français payent un lourd tribut à l'Etat, mais aussi à la Sécurité Sociale, car tout contribuable est aussi, par obligation légale, un « assujetti» à la Sécurité Sociale. Les excès de la fiscalité française ont la même origine que ceux de la protection sociale: bureaucratie, dépenses incontrôlées, secteur public pléthorique et privilégié, irresponsabilité généralisée. Ces excès sont d'autant moins tolérables pour le système de retraites qu'ils concernent un domaine où l'on peut facilement faire des économies substantielles en faisant appel à la capitalisation. Un
5
grand nombre de nos pays partenaires ont amorcé, voire achevé cette transition de la répartition à la capitalisation - objet de ce troisième volume. Nos auteurs ont le mérite d'insister sur un aspect de la réforme qui est trop souvent négligé : changer de système n'est pas tellement une question technique qu'un problème politique. Comme pour la réduction des dépenses budgétaires de l'Etat, c'est le courage qui manque à nos hommes politiques. Ils ne savent pas résister aux pressions de ceux qui sont à l'abri de la faillite de la répartition: les salariés du secteur public, les fonctionnaires. Par exemple, l'alignement des retraites du public sur celles du privé ferait économiser 30 milliards par an, mais la volonté politique est absente. Pourtant, la vraie réforme des retraites, celle de la transition à la capitalisation aurait des effets bénéfiques pour notre économie. La France a le niveau de prélèvements obligatoires le plus élevé du monde. La compétitivité. de nos entreprises et le pouvoir d'achat des salariés pourraient être stimulés d'un seul coup en diminuant les charges sociales, et en particulier celles des retraites, qui à elles seules amputent aujourd'hui la feuille de paye d'un smicard de 2 500 euros par an (l'équivalent de deux mois de son salaire net). Jacques Garello et Georges Lane tordent le cou aux mensonges qui associent la capitalisation et la crise financière actuelle et voient au contraire dans la transition une occasion de relancer l'économie, parce qu'elle permet de retrouver des valeurs sûres de la croissance: le travail, l'épargne et la responsabilité. Contribuables Associés partage la conclusion des auteurs: les Français soucieux de leur avenir doivent faire pression pour armer nos dirigeants du courage de réformer l'Etat Providence. Alain MATHIEU Président de
CONTRIBUABLES ASSOCIÉS
7
PRÉFACE Avant de vous inviter à la lecture de ce nouvel ouvrage consacré au futur des retraites, nous voudrions dire combien nous sommes redevables à un homme hors du commun, notre ami José Piflera. Cet économiste a joué un rôle pionnier dans les reformes des régimes de retraite en gérant avec succès la transition qui a conduit son pays de la répartition à la capitalisation. Son pays, c'est le Chili, et il en était ministre du travail en 1980. Depuis cette expérience réussie on n'a rien trouvé de mieux en matière de transition. Tous ceux qui aujourd'hui s'interrogent sur le futur des retraites ont une dette à l'égard de cet innovateur, qui non seulement a «pris le taureau par les cornes» 1 mais a fait aussi oeuvre pédagogique en expliquant la technique de transition qu'il avait appliquée, de sorte que de nombreux pays (à commencer par ceux d' Amérique Latine) l'ont suivi. S'agit-il d'ailleurs d'une simple affaire technique 7 Le mérite de José Piflera - et nous avons choisi la voie qu'il indiquait - a été de mettre en avant deux élélnents majeurs de la transition, que l'on a tendance à passer ordinairement sous silence, peut-être parce qu'ils dérangent. La transition ne se ramène pas à un sitnple transfert financier et à une anticipation lucide du futur. La transition est une exigence impérieuse et une ouverture merveilleuse. L'exigence est celle du courage politique. C'est ce qui semble manquer le plus dans ces pays (peut-être le nôtre 7) où la classe politique est prisonnière des conservateurs et des idéologues. Les uns n'ont pas compris qu'il faut changer, les autres veulent tout renverser. Pour réussir la transition il faut d'abord dire la vérité un exercice périlleux pour les politiciens, il faut ensuite s'en tenir à des mesures fermes sans s'occuper des échéances électorales - un comportement presque héroïque, il faut enfin aimer profondément les petites gens et préserver leur avenir au lieu de les bercer d'illusion avec des promesses démagogiques, des réformes de façade et des effets d'annonce. Mais quelle extraordinaire ouverture sur une économie dynamique, et sur une société renaissante! La transition, c'est la 1. C'est le titre de l'ouvrage que José Piflera a publié en France l'an dernier Le Taureau par les cornes, traduction et préface de Jacob Arfwedson, ed. Charles Coquelin, Paris 2008
8
meilleure relance qui soit. Elle utilise au mieux une épargne jusque là gaspillée, elle allège les charges sociales, accroît le pouvoir d'achat et la compétitivité des entreprises. Par-dessus tout, elle motive les gens, elle leur rend la dignité en même temps que la propriété de leur travail. Comme le dit Gary Becker2 la marche vers la capitalisation c'est un retour à l'épargne, c'est un retour au travail, c'est un retour à la responsabilité. Un vrai changement de société: d'une société d'assistés, condamnée à la stagnation et à la crise sociale et financière, vers une société prospère, permettant la protection des plus faibles, la promotion des plus entreprenants, et laissant à chacun le libre choix de son avenir, vers une société d'initiative et de vraie solidarité. Nous aimerions très sincèrement que le message et l'exemple de José Piflera soient connus et reçus de vous tous, qui êtes dans une légitime angoisse pour vos retraites actuelles et futures, et ne trouvez pas pour l'instant les réponses que vous attendez. Votre trouble est explicable: on ne vous a jamais dit la vérité, et vous n'avez pas le sentiment que le futur des retraites intéresse beaucoup les princes qui nous gouvernent, quel que soit leur parti. Pourquoi ces mensonges? Pourquoi ces silences? Ce qu'ont réussi José Piflera et ceux qui l'ont suivi nous encourage aujourd'hui à expliquer, à notre tour, comment la transition est à la fois nécessaire, praticable et riche en promesses pour toutes les générations. Jacques GARELLO Georges LANE 15 avril 2009
2. Prix Nobel d'économie 1992, dont les thèses sont évoquées dans le dernier chapitre de ce volume, p. 95-96.
AVERTISSEMENT AUX LECTEURS Ce volume est le dernier d'une trilogie consacrée aux retraites. Certains d'entre vous auront parcouru ou étudié les deux volumes précédents. Le premier était consacré au système actuel des retraites en France. Sa conclusion était claire et sans appel: ce système, fondé sur la répartition, n'a aucun avenir sinon celui de son inéluctable explosion. Le deuxième volume nous transportait hors de France, dans tous les pays dont certains sont aussi mal en point que le nôtre pour les mêmes raisons, mais dont plusieurs se sont engagés résolument dans la voie de la capitalisation. Quelques uns d'entre eux ont fait tout le chemin et en ont pratiquement terminé avec la répartition, réduite à un simple filet social. D'autres sont encore en route, et il est instructif de voir comment ils procèdent. Aucun n'a fait machine arrière. Ce volume, soumis maintenant à votre attention, devrait jouir des qualités que nous avions voulues pour les précédents: simplicité, qui n'exclut pas la rigueur, clarté, qui n'exclut pas la précision. La tâche était pourtant délicate. Notre travail est à notre connaissance inédit en France. C'est bien sur la transition que nous attendent tous les sceptiques de la réforme, tous les inconditionnels de la répartition. Il leur plairait que nos idées ne vous séduisent pas, ce qui pourrait se faire si de notre fait leur présentation n'était pas convaincante. Nous allons donc faire pour le mieux, parce que ces idées le valent bien. Nous commencerons par prendre acte des barrières qui se dressent devant la transition, au point qu'en général on y renonce bien vite après l'avoir envisagée. Les tenants du système actuel agitent volontiers le chiffon rouge de l'insécurité dans laquelle la capitalisation plongerait les assurés; par ces temps de crise c'est adroit, mais nous essaierons de vous persuader que la transition n'est pas un saut dans le vide, puisqu'elle offre aujourd'hui des garanties sérieuses et plus réalistes que celles que promet une répartition moribonde. Nous en viendrons alors au défilé des mannequins: toutes les formules techniques qui sont à disposition pour gérer la transition. Veut-on aller vite, ou progressivement? Veut-on faire appel au contribuable, ou non? Qui va prendre en charge les cotisations et
10
comment leur capitalisation sera-t-elle organisée? On a l'embarras du choix, il faut trouver le vêtement le plus seyant aux assurés français. En réalité l'embarras du choix est surtout embarrassant pour les hommes politiques, qui ne veulent pas se lancer dans la réforme pour des raisons qui ne résistent pas à l'analyse. Comment leur donner un courage qu'ils n'ont pas? La réponse est peut-être dans les perspectives économiques ouvertes par la transition. Au lieu de se perdre dans des politiques de relance dont l'échec est déjà inscrit dans leur nature, les dirigeants devraient se rendre à une évidence: là où elle a été amorcée et développée, la transition a provoqué la plus belle relance qu'on pouvait espérer. Il y a une raison simple: elle redonne espoir pour l'avenir, elle fait renaître confiance et responsabilité. Ce sera à vous de tirer la conclusion: la transition ne peut réussir sans votre accord, sans votre mobilisation. Ce n'est pas avant tout l'affaire des hommes politiques, c'est l'affaire du peuple des assurés, cotisants, retraités et contribuables. Ayant été conquis à l'idée de la transition, il vous faudra ensuite y conduire les dirigeants. Il leur arrive d'écouter - surtout le chant des sirènes électorales. Nos efforts de présentation et de simplification ne doivent cependant pas priver ceux d'entre vous qui le désirent des informations et des argumentations scientifiquement établies qui sous-tendent le texte. Vous les trouverez en notes, en annexes, en bibliographie, et dans tous les renvois à des rapports, articles et ouvrages qui seront regroupés dans le site de l'IREF, www.irefeurope.org.
Chapitre 1
PLAIDOYER CONTRE LA TRANSITION A la lecture des deux volumes précédents, vous avez pris conscience de deux réalités indiscutables: 1° Le système actuel des retraites en France, fondé sur la répartition, est irrémédiablement condamné à l'explosion: les cotisations augmenteront, les pensions diminueront. En dépit des amendements introduits par les «réformes» successives, aucune amélioration durable n'est possible. Non seulement les retraités français seront ruinés, mais les charges sociales et l'ardoise léguée aux générations futures atteindront des niveaux catastrophiques. 2° De nombreux pays étrangers ont été dans la même situation que nous. Mais depuis dix ans (ou parfois vingt ou trente) un grand nombre d'entre eux ont réagi et fait évoluer leur système en introduisant des doses croissantes de capitalisation. Le « pilier» de la répartition a été renforcé par celui de régimes complémentaires en capitalisation, et mieux encore la capitalisation est devenue le nouveau pilier principal. Contrairement à l'idée entretenue par les défenseurs de la répartition, la crise financière mondiale n'a pas compromis l'avenir de la capitalisation. Reste maintenant à se demander comment on peut réaliser la transition de la répartition à la capitalisation en France.
1. DE BONNES RAISONS DE RENONCER La transition n'est pas chose facile, les pays étrangers l'ont vécue dans la douleur et dans le trouble: les sacrifices imposés ne portent leurs fruits que plusieurs années plus tard. Exception française : chez nous les difficultés apparentes sont telles qu'on se demande s'il ne vaut pas mieux renoncer au lieu de penser à réformer. Les raisons de renoncer sont à la fois techniques, politiques et économiques. Du point de vue technique, la France accumule les handicaps de la transition: un pays vieillissant où la durée de vie
12
active est relativement courte, des niveaux élevés de pensions, des réserves patrimoniales épuisées, un endettement très lourd. Tout d'abord c'est un pays vieillissant, et il ne faut guère espérer un brusque afflux de cotisants en mesure de payer la retraite des personnes âgées. Peut-être une immigration massive semblerait-elle régler le problème, en augmentant soudainement le nombre d'actifs cotisants, mais les immigrés deviendraient à leur tour des retraités dans l'espace d'une génération, et on n'aurait repoussé le déséquilibre que très provisoirement. De plus d'autres problèmes d'éducation, de logement, d'emploi et de culture accompagneraient une telle immigration. Ensuite la France est un pays où la durée de la vie active est parmi les plus courtes au monde. «Raccourcie à la tête, raccourcie à la queue », disait Albert Sauvy. On se met au travail plus tard qu'ailleurs, et on cesse son activité plus tôt qu'ailleurs. Sans doute le prolongement de la scolarité et des études supérieures est-il un « investissement en capital humain », dont les bénéfices pour la nation entière devraient se faire sentir plus tard: la concurrence mondiale ne donne-t-elle pas aujourd'hui une prime à la matière grise aussi importante que celle que procurent des ressources naturelles? On n'a pas de pétrole, mais on a des idées. Malheureusement, du fait de l'inadéquation (constatée par tous) de la première formation, les idées sont assez creuses et les jeunes n'ont pas une qualification significativement plus poussée qu'ailleurs; de la sorte ils ne trouvent un emploi qu'avec un retard important, et le taux de chômage des moins de 25 ans est l'un des plus élevés de l'Union Européenne. Quant au départ à la retraite, jusqu'à une période récente, il était le plus précoce s'agissant de l'âge légal, et le travail des seniors a du mal à faire une percée. De nombreux régimes « spéciaux» demeurent (pour les salariés des entreprises publiques notamment) et le privilège d'une retraite à 55 ans, voire même avant, a été à ce jour défendu avec efficacité par ceux qui en bénéficient. Partir plus tôt à la retraite, c'est raccourcir le nombre d'années où l'on cotise, mais c'est aussi allonger la période pendant laquelle on sera pensionné. Aujourd'hui cette période dépasse les vingt ans - une vraie tranche de vie: évolution heureuse à plusieurs égards, mais qui crée des difficultés financières insurmontables.
13
2. AVONS-NOUS LES MOYENS FINANCIERS DE LA TRANSITION? En effet, les Français ont jusqu'à présent bénéficié d'un système considéré comme «assez généreux». Le niveau des retraites, surtout pour les fonctionnaires, paraît assez proche de celui des revenus d'activité. Mais il ne faut pas s'arrêter à cette première impression. D'une part, le « taux de remplacement» (proportion entre la pension du retraité et le revenu qu'il avait quand il était actif) n'est pas aussi élevé que les statistiques officielles le font apparaître (parce qu'elles le calculent sur le salaire net et non sur le salaire complet)3. D'autre part, le rapport entre les cotisations et les pensions est particulièrement élevé, un vice qui est dû évidemment à la logique de la répartition (les sommes versées au titre de l'assurance vieillesse ne rapportent rien). Le système est peut-être généreux, il est assurément très coûteux. Coûteux pour les assurés, il l'est aussi pour «l'assureur Sécurité Sociale». Comme la répartition creuse chaque année davantage les déficits de l'assurance vieillesse - qui viennent s'ajouter aux déficits de l'assurance maladie - ce sont des milliards d'euros que la Sécurité Sociale doit se préparer à payer au cours des décennies prochaines. Ces milliards représentent le total des droits acquis par les Français actuellement en activité, qui s'attendent évidemment à les récupérer tout au long des années où leur vie de retraité se prolongera. Les sommes ainsi accumulées sont tellement pharamineuses qu'elles paraissent irréelles: elles sont estimées entre 4 000 et 6 000 milliards d'euros. Cela veut dire que si du jour au lendemain la Sécurité Sociale voulait se dégager des obligations qu'elle a contractées à l'égard des retraités actuels et futurs - par exemple pour liquider le régime par répartition en épongeant toute l'ardoise - elle devrait trouver la valeur de 3 à 4 PIB (produit intérieur brut), ce qui signifie que les Français 3. La différence est spectaculaire. Selon un Rapport du Gouvernement (décembre 2007, pp.64-65), pour une carrière complète entièrement cotisée à taux plein au SMIC, le taux de remplacement en terme de SMIC net se situe entre 63,7 % (pour le régime général avec exonération de CSG) et 59,1 % (pour le RG avec CSG à taux plein). En termes de salaire complet le taux est environ de 40 %. Sur le concept de salaire complet et sur ce point capital du taux de remplacement on se réfèrera à notre Tome 1 chapitre II pp. 54-60 et annexes A et B pp.70-74, ainsi qu'à notre annexe A, infra pp. 117-118.
14
devraient consacrer jusqu'à 4 années pleines de leur activité pour régler la note, quatre années pendant lesquelles toute la richesse créée dans le pays serait uniquement affectée au rachat des droits acquis, sans que l'on puisse consommer ou investir le moindre centime. Cette seule considération permet à beaucoup de personnes de balayer d'un revers de main la transition à la capitalisation, prenant argument de ce que l'on s'est trop avancé dans le processus de la répartition pour pouvoir maintenant faire machine arrière. Cet argument est d'autant plus fort que la France ne peut compter apparemment sur aucune recette extraordinaire pour éponger l'ardoise. On a constaté que dans certains pays, comme le Chili, le gouvernement a pu totalement stopper le processus de répartition en puisant dans des ressources patrimoniales très importantes. On y a privatisé les entreprises publiques, et le produit de la vente a permis à l'État de financer sans problème la transition, d'autant plus que l'ardoise n'était pas très lourde, les retraités chiliens n'ayant pas des retraites très élevées. En France, les privatisations depuis 1986 ont rapporté énormément à l'État, sans doute plus de 2 000 milliards d'euros, mais cette « cagnotte» s'est envolée en fumée. Elle a permis d'engager un surplus de dépenses de fonctionnement et de masquer les déficits budgétaires. Il resterait encore la solution de l'endettement: on pourrait emprunter pour rembourser les droits acquis par les retraités actuels et futurs. Mais l'endettement a atteint un tel niveau que l'État français, et par voie de conséquence la Sécurité Sociale, sera bientôt déclassé par les agences de notation, et ceux qui sont considérés comme de mauvais payeurs ne peuvent emprunter sur le marché financier mondial qu'à des taux d'intérêt très vite prohibitifs. Que l'on se rappelle que la seule dette de l'État français se monte officiellement à 70 % du PIB (1.000 milliards d'euros) mais en réalité à près de 2.000 milliards (pour tenir compte des «droits acquis» par les fonctionnaires pour leur retraite, droits couverts par le budget courant de l'État). Quant à la dette de la Sécurité Sociale, en dépit de l'invention de l'impôt appelé CRDS (Contribution au remboursement de la dette sociale) elle est encore plus élevée que celle de l'État4 ! 4. Sur l'endettement des finances publiques française, on se réfèrera au rapport publié en 2007 par l'IREF : L'endettement de l'État: stratégie de croissance ou myopie insouciante? Pierre GARELLO & Vesselina SPASSOVA www .irefeurope.org
15
Actuellement, pour faire face aux dépenses et aux déficits croissants de la Sécurité Sociale (qui auront atteint pratiquement 20 milliards en 2008), le Parlement vote un budget de l'État en déficit (plus de 100 milliards d'euros en 2009) lui-même couvert par un endettement nouveau. Ce procédé ruineux est cumulatif, puisque le service de la dette (le paiement des intérêts) est la deuxième dépense de l'État, avec près de 17 % du budget. On paie les dettes antérieures en faisant des dettes nouvelles. On appelle cela de la « cavalerie ». « L'État est en faillite» avait dit le Premier ministre dans un sympathique élan de sincérité au début de son mandat. Aujourd'hui la faillite n'effraie plus personne. Quand les médias familiarisent les citoyens avec des milliers de dollars injectés par les États-Unis et les autres, les quelque 2 000 ou 3 000 ou 4 000 milliards de dette publique française n'impressionnent plus. « Après nous le déluge» : on verra bien ... Ainsi les gouvernements se sont-ils résignés à faire du replâtrage, à creuser des trous pour en combler d'autres. Ils multiplient les réformes qualifiées de « paramétriques », celles qui prétendent améliorer le système de répartition en modifiant sensiblement les données quantitatives du problème: on touche le paramètre de l'âge légal de la retraite, ou le paramètre du calcul des pensions, ou du montant des cotisations. Mais ils se sont refusés à ce jour à pratiquer les réformes «systémiques », celles qui remettent en cause le système par répartition et permettent d'amorcer et de réussir la transition à la capitalisation. La discussion ne va pas plus loin: la transition ne peut s'envisager parce qu'elle est techniquement impraticable. Ainsi conclut régulièrement le Conseil d'Orientation des Retraites, qui n'ignore rien de la situation, mais qui pense qu'on ne peut rien y faire.
3. CEUX QUI N'ONT PAS INTERÊT AU CHANGEMENT Si les réformes systémiques ne sont pas tentées en France, ce n'est pas seulement pour des raisons techniques. Ces raisons constituent un alibi commode, une excuse toute trouvée pour l'immobilisme. Les réactions violentes enregistrées au moment de la tentative de réforme des « régimes spéciaux» et la façon dont s'est comporté le gouvernement montrent bien qu'il y a d'autres raisons,
16
politiques celles-ci, au rejet des réformes systémiques: les intérêts catégoriels d'une part, les mœurs politiques françaises d'autre part. Dans le pays qui a pour devise et pour obsession l'égalité, il n'y a rien de plus inégalitaire que le système des retraites. Nous avons consacré notre étude de façon presque exclusive à ce que l'on appelle le «régime général ». Il concerne aujourd'hui 12 millions de retraités et 17 millions d'actifs, tous salariés du secteur privé ou entrepreneurs individuels, ou exerçant des professions libérales, ou vivant des revenus de leur patrimoine. Par là même nous avons écarté les salariés des administrations publiques (État, collectivités locales, hôpitaux publics) soumis au fameux « statut de la fonction publique », ainsi que les salariés des entreprises publiques. Par la force de la loi (on dira même par un coup d'État) la population française a été ainsi coupée en deux s'agissant du régime des retraites. Il y a ceux qui sont du bon côté. Les salariés des entreprises publiques bénéficient de divers «régimes spéciaux» avantageux mais toujours plus intéressants que les régimes de retraites des fonctionnaires. Mais, à leur tour, les fonctionnaires bénéficient de régimes bien plus favorables que ceux qui régissent les salariés du secteur privé, qui sont donc du mauvais côté. C'est eux qui sont menacés par l'explosion du système de répartition. C'est eux qui ont un intérêt majeur à la transition, avant que l'explosion ne se produise. Mais sur la route de la transition se dressent immédiatement ceux qui sont du bon côté. Leurs retraites sont subventionnées par les impôts et (dans une certaine mesure) les charges sociales sont payées par le reste de la population. Quand on parle de « répartition» on ne devrait pas omettre qu'il y a aussi une curieuse répartition des charges et bénéfices entre les Français, une redistribution des uns au profit des autres. Rien ne justifie cette redistribution, si ce n'est la pression politique qui a présidé à la naissance des privilèges et à leur maintien. Quand les électriciens ou les cheminots sont menacés de voir leurs régimes « spéciaux» alignés sur celui de la fonction publique, pourtant bien plus avantageux que le régime général, ils savent organiser la résistance, et désarmer le Parlement et le gouvernement pour qu'ils renoncent à l'essentiel des réformes. L'égalité devant la loi n'est donc pas assurée, la France est et demeure le pays des privilèges. Priva lex, loi privée, privilège: des centaines de milliers de Français ne sont pas soumis à la loi
17
publique mais bénéficient d'une loi privée, taillée à la mesure des intérêts de leur corporation. Cependant il serait exagéré de dire que ces Français sont hors la loi. Ils agissent apparemment en pleine légalité, pour faire appliquer des textes qui ont bien été jadis légalement édictés. On en oublie peut-être que la façon dont le droit est produit en France est assez surprenante, s'agissant d'une grande démocratie.
4. D'OU VIENNENT CES PRIVILÈGES? Une autre raison politique tient en effet aux déviations de la démocratie française. Certaines de ces déviations sont couramment évoquées. On déplore par exemple que le Parlement ne fasse pas réellement le travail de législateur qui est naturellement le sien, puisque les textes qui lui sont soumis sont préparés dans plus de neuf cas sur dix par le gouvernement, et plus précisément par le corps des fonctionnaires des divers ministères. La discussion des textes et leur amendement sont tenus dans d'étroites limites, le gouvernement demandant à sa majorité parlementaire de retirer ce qui ne lui plaît pas, ou recourant au vote bloqué. Ainsi les députés et les sénateurs sont-ils dans l'impossibilité d'infléchir les grandes orientations politiques, définies par le seul pouvoir exécutif, et le plus souvent par le seul pouvoir présidentiel. Ces vices constitutionnels ont été régulièrement relevés, mais n'ont jamais disparu depuis le début de la Cinquième République. Les quelques révisions envisagées ont été purement formelles et sont tombées en désuétude. Depuis quelques mois, le climat de crise économique et financière instaure un «état d'urgence» qui semble légitimer un renforcement de la centralisation politique. On pourrait en déduire qu'un pouvoir fort est en mesure d'imposer les réformes nécessaires. Mais il n'en est rien. Car si la démocratie française a pour premier trait la concentration du pouvoir politique, elle a pour seconde caractéristique
l'impuissance du pouvoir politique face aux pressions corporatives parfaitement illustrées par l'action syndicale. De la sorte, si la loi ne se fait pas au Parlement, elle ne se fait pas non plus à l'Élysée, elle se fait dans la rue. A propos d'une réforme assez prometteuse, celle du CPE (Contrat Première Embauche) on a vu un texte de loi voté par le Parlement et promulgué par le Président retiré purement et simplement pour calmer les
18
manifestations de lycéens. Il n'est pas besoin de préciser que le lTIême comportement est périodiquement observé chaque fois qu'il s'agit de réformer sérieusement les retraites. Car toute réforme sérieuse met en péril les privilèges dont jouissent les Français qui sont « du bon côté» et qui sont maîtres du pavé. La France ne vit donc pas en état de droit. Une législation sociale inégale et injuste est apparue et se développe sous la seule pression de minorités organisées. La place occupée par les leaders syndicaux dans la vie publique et dans les médias est sans rapport avec leur représentativité. Ces syndicalistes sont élus par moins de 5 % des salariés au nom desquels ils s'expriment (encore la moyenne est-elle relevée par le secteur public où 15 % des salariés sont syndiqués). Mais ils sont capables de mobiliser assez de salariés (surtout des fonctionnaires), et de manipuler assez d'étudiants et de lycéens pour organiser de grandes manifestations et faire plier les dirigeants. L'ardeur syndicale à ne rien changer dans le système de retraites n'a évidemment rien à voir avec la défense des intérêts des assurés. Comme vous le comprenez les salariés soumis au régime général n'auraient qu'avantages à une vraie transition. Mais toucher à l'organisation actuelle de l'assurance vieillesse représente un risque incommensurable pour les leaders syndicaux. En effet ils ont obtenu une position dominante dans les caisses, et les rouages de la Sécurité Sociale leur permettent d'avoir des emplois et surtout des ressources financières qui leur permettent de vivre et faire vivre confortablement. Les syndicats sont gérés comme une firme à la recherche de profit, à la différence près qu'une entreprise privée doit affronter la concurrence et se plier aux indications du marché, tandis que la firme syndicale bénéficie d'un monopole et d'un marché captif.
5. TOUJOURS PENSER AUX PROCHAINES ÉLECTIONS Peut-on tenir rigueur aux dirigeants, et plus généralement aux hOlTIlTIeS politiques, pour leur passivité, leur résignation et leurs abandons? Peut-on leur reprocher d'être si sensibles aux pressions des syndicats et des lobbies? Les déviations que nous avons repérées dans la démocratie française se retrouvent aussi dans de nombreux pays, et tiennent à une logique du comportement des hommes politiques, bien
19
analysée par les économistes de l'école des «public choice». Partout les hommes politiques sont sous la coupe de minorités qui font l'assaut du pouvoir. Remarquons au passage que si les « lobbyistes » existent partout, leur démarche est en général tout à fait officialisée et légalisée (comme à Washington ou à Bruxelles) alors que les lobbyistes français n'hésitent pas à recourir à la violence et sont le plus souvent dans l'illégalité - impunie d'ailleurs. Mais il est inéluctable que le jeu politique pousse tous les politiciens à privilégier le court terme plutôt que les projets de longue période. Les politiciens vivent en effet au rythme du calendrier électoral. Leur horizon va rarement au-delà de la prochaine consultation où ils espèrent conserver ou conquérir le pouvoir national ou local. Le paradoxe est qu'ils prétendent en même temps préparer l'avenir de la nation. Ce qui caractérise en théorie l'État est la continuité du pouvoir: le roi est mort, vive le roi. Ce qui caractérise en réalité les hommes d'État c'est leur inconstance en fonction du climat politique, des sondages, des chances qu'ils ont de passer le prochain cap électoral. Ils naviguent de cap en cap, ils travaillent au coup par coup. Voilà pourquoi ils ont une préférence pour le court terme, et une aversion pour le long terme. Ils ne veulent donc pas prendre de décisions ni engager des réformes qui pourraient passer pour impopulaires ou douloureuses dans l'immédiat même si elles sont en fait urgentes et salutaires pour tous. Ces non-choix à courte vue auront de lourdes conséquences à la longue. Au minimum, ils créeront durablement toutes les conditions de l'immobilisme et du chaos, ils contribueront à la « tyrannie du statu quo ». Les avatars de la démocratie peuvent être accentués ou atténués par les dispositions constitutionnelles. On ne peut pas dire que la Constitution de la va République et les amendements qu'elle a reçus soient gages de sérénité. L'élection du Président de la République au suffrage universel direct, le quinquennat qui lie étroitement le sort de l'Assemblée Nationale à celui du Président, la multiplication des échelons politiques impliquant la multiplication des consultations: tout cela concourt à renforcer chez les hommes politiques l'idée qu'ils doivent absolument faire quelque chose dans l'immédiat pour préparer la prochaine élection. Cette tendance naturelle est renforcée par la mode, si répandue en France, du pragmatisme. Le pragmatisme a l'avantage de permettre de retourner sa veste et de changer de ligne au hasard des manifestations, des sondages et du
20
calendrier. Le dogme est bien encombrant: avoir de fermes convictions et s'y tenir empêche de jouer avec l'opinion publique au gré de l'actualité économique, sociale ou internationale. Tout programme politique sérieux passe pour une «idéologie ». Il est sain que l'on condamne des idéologies dangereuses et totalitaires, comme le communisme, le nationalisme, le collectivisme ou l'étatisme - elles vont souvent de pair d'ailleurs. Mais il est malsain de condamner la doctrine, et d'empêcher les électeurs de savoir quelles seront les priorités dans les années à venir, et quelles décisions ou réformes majeures on introduira. La doctrine est d'ailleurs gênante à un autre point de vue: elle risque de heurter les électeurs hésitants. Présenter un programlne qui est visiblement d'un bord c'est se priver de la voix des électeurs qui ne savent pas de quel bord ils sont. C'est dans le marais du centrisme que s'enlise l'action politique. Les considérations précédentes étaient nécessaires pour éclairer toute réflexion sur la réforme des systèmes de retraites. Car ces données politiques expliquent mieux que toute autre pourquoi certains dossiers ne sont jalnais ouverts, et pourquoi à leur sujet les dirigeants successifs se sont cantonnés dans des mesures publicitaires et des effets d'annonce se refusant à «prendre le taureau par les cornes »5 La réforme des retraites est l'un de ces dossiers, tout comme la réforme du systèlne de santé ou de l'éducation nationale.
6. RENDEZ-VOUS APRÈS LA CRISE Les adversaires de la transition sont d'autant moins tentés de la mettre en chantier qu'ils sont occupés à lutter contre la crise. Ainsi les raisons économiques viennent-elles s'ajouter aux raisons techniques et politiques pour renvoyer la réforme des retraites aux calendes grecques. La lutte contre la crise est organisée en France, comme dans la quasi-totalité des pays, suivant les principes dits « keynésiens ». On applique à l'économie des remèdes de cheval, à effets immédiats, estimant que l'injection de quelques dizaines ou 5. Titre de l'ouvrage récent du grand réformateur des retraites qu'a été José Piflera, qui a bien insisté sur la difficulté qu'il a eue au Chili pour vaincre les réticences des hommes politiques et des syndicalistes. Cf. José PrNERA. Le taureau par les cornes, éditions Charles Coquelin, Paris 2008.
21
centaines de milliards peut permettre une relance. La théorie de Keynes, présentée par son auteur même comme une analyse de courte période conduisant à une politique à court terme, repose sur la croyance qu'une économie peut toujours redémarrer si l'État «réamorce la pompe », si les dépenses publiques remplissent les carnets de commande des entreprises et sauvent l'emploi. Évidemment les keynésiens se demandent rarement où trouver l'argent pour financer les dépenses publiques. Si on ne l'a pas, il n'y a qu'à l'emprunter ou - encore mieux - à le fabriquer (les banques centrales sont là pour çà). On verra bien plus tard comment ces déficits et cet endettement pourront se régler, mais peu importe puisque entre temps le plein emploi sera revenu et la crIse vaIncue. La crise persuade aussi les dirigeants qu'il faut il tout prix préserver la «paix sociale». Le chômage s'accroissant, le pouvoir d'achat diminuant, les réactions sont vives dans la population. Ces légitimes désarrois sont savamment exploités par les leaders syndicaux, trop heureux de renforcer leur pouvoir. Dans ce contexte, il n'est évidemment pas question de parler de ce qui fâche. Mettre en chantier la transition serait un casus belli, une véritable provocation. De la sorte, lnême ceux qui ont conscience de la fatalité de l'explosion de la répartition ne peuvent la remettre en cause. L'explosion se produira dans cinq ans ou plus tard (indiquer une échéance précise est déraisonnable, il suffit de savoir que l'échéance est certaine), et appellerait une action en urgence dès aujourd'hui, mais comment faire passer en 2009 des mesures qui ne prendront effet qu'en 2015 ou plus tard, alors même que tout le monde est inquiet pour le lendemain ? On se dit qu'on peut se donner rendez-vous après la crise pour ouvrir les grands dossiers. Pour l'instant il y a urgence. Le problème est que tout retard pris dans le processus de transition le rend encore plus difficile et coûteux. Martin Feldstein avait calculé que chaque année perdue augmentait d'un trimestre la durée globale de la transition qui d'après son plan s'établirait déjà à quelque 70 ans 6. Finalement, au moment où tous les Français sont soucieux de leur avenir immédiat, peut-on leur parler des nuages qui s'amoncellent à l'horizon lointain? Quand la crise financière est ouverte et les fonds de pension en perte, est-il opportun de leur parler de capitalisation ? 6. cf infra p. 37-38.
22 Ceux qui bénéficient des privilèges actuels et tirent avantage de la répartition ne tnanquent pas de considérer la transition comme une utopie. Mais vous, qui appartenez à la masse des assurés assujettis au régime général de la Sécurité Sociale, vous qui feriez une bonne affaire avec la transition, pourquoi vous laisser dire que la transition est dangereuse? Si vous êtes parmi ces millions de Français sur le point d'être ruinés, nous nous faisons un devoir d'éclairer le processus de transition, qui n'a rien de tnystérieux ni de dangereux. Nous pouvons vous démontrer qu'en dépit des «bonnes» raisons techniques, politiques et économiques, invoquées par les adversaires ou les sceptiques de la transition, il ne faut pas la craindre, il faut la souhaiter.
Chapitre 2
LA TRANSITION, UN SAUT DANS LE VIDE? Les bons résultats obtenus dans les pays qui ont accepté la transition vers la capitalisation seraient-ils assez convaincants pour des Français? D'abord la plupart des Français les ignorent complètement, les médias se sont bien gardés de les présenter et de les comn1enter (si ce n'est parfois pour les caricaturer, comme avec Enron, Maxwell, Madoff, etc.) Ensuite, ceux qui connaissent les expériences étrangères sont persuadés qu'elles ne peuvent être transposées à la France, pour de multiples raisons évoquées dans le chapitre précédent. Enfin ils n'ont pas une compréhension suffisante des modalités de la transition pour être pleinement rassurés, et ils craignent confusément que la transition soit longue, douloureuse, et incertaine. La transition serait un saut dans le vide. Qui veut sauter? Avant toutes choses, il faut avoir à l'esprit que toute transition doit apporter aux retraités actuels et futurs des certitudes absolues, des garanties totales. S'il y a un saut dans le futur, il y a aussi des parachutes.
1. LES GARANTIES APPORTÉES AUX RETRAITÉS ACTUELS La première certitude est que nul assuré ne rIsque de se retrouver un jour sans ressource. 1° Un «filet social» existera toujours pour empêcher les plus démunis de se retrouver à la retraite sans ressources. Les plus démunis sont ceux qui par exemple n'ont pas pu souscrire à un contrat en capitalisation, ou qui n'ont pas beaucoup d'années de cotisations validées. 2° Ceux qui sont actuellement à la retraite ne perdent rien. Ils ont cotisé toute leur vie pour avoir une pension, on ne peut les en priver du jour au lendemain. Il est possible qu'à la suite de la transition leur pension soit réduite par rapport à ce qu'ils étaient en droit d'attendre quand ils sont entrés dans le système par répartition, mais leur pension ne devra jamais tomber en dessous
24
du niveau que la Sécurité Sociale serait en mesure de rembourser. Il leur sera garanti au moins autant que ce que la sécurité Sociale pourra leur donner. Ici trois possibilités sont ouvertes, suivant le scénario de transition choisi: 1° un scénario « minimum» : dans l'état actuel des finances de la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse, l'assuré connaît le montant de la pension qu'il s'attend à toucher. Supposons que ce soit 1.000 euros par mois? Mais ce montant, calculé aujourd'hui, est purement théorique, car les «droits acquis» ne sont pas exprimés en euros, la Sécurité Sociale ne s'est jamais engagée sur un montant 8• Elle a toute latitude pour diminuer (ou éventuellement) augmenter le montant en modifiant à sa guise les paramètres et le mode du calcul des retraites. Comme la faillite de la répartition laisse prévoir une réduction progressive mais drastique des pensions, son montant véritable pourrait tomber par exemple à 700 euros en 2015 9 . Dans le scénario minimum, il est garanti que la transition débouchera sur ce montant de 700 euros en 2015. Jamais le retraité ne perdra plus que les 300 euros que la Sécurité Sociale peut lui faire perdre. 2° un scénario «réassurance»: sous certaines hypothèses concernant l'effort demandé aux actifs actuels, la transition peut conduire à couvrir totalement l'assuré actuel contre le risque de défaillance de la Sécurité Sociale. La pension versée au retraité sera donc de 1 000 euros, égale aux droits que le retraité avait acquis dans le système par répartition. La transition réalise pleinement les promesses que la Sécurité Sociale est incapable de tenir. 3 ° un scénario intermédiaire: où la couverture de la défaillance de la sécurité Sociale n'est que partielle: par exemple les assurés touchent entre 700 et 1 000 euros par mois.
7. Montant grosso modo médian dans le système actuel. 8. Par exemple, en février 1996, le tribunal de grande instance de Paris a jugé que, dans un système de retraites par répartition, les retraités n'avaient pas de droit acquis sur le montant de leur pension. Le tribunal a affinné que si le retraité avait un droit acquis à une pension, il ne pouvait revendiquer un droit acquis au montant de celle-ci. 9. Nombre proche du minimum vieillesse actuel.
25
2. LES AVANTAGES OUVERTS AUX RETRAITÉS FUTURS Abandonnons les retraités actuels pour nous intéresser aux actifs d'aujourd'hui, retraités futurs. En ce qui les concerne, voici une nouvelle certitude: ils auront des pensions supérieures à celles que la Sécurité Sociale pourrait éventuellement leur verser. Cette certitude provient d'abord du pronostic fatal de la faillite du système par répartition. Comme nous l'avons expliqué et démontré, chiffres en mains lO , le rapport entre la population des actifs et celle des retraités est déjà tel que l'équilibre du système est impossible, et que le déséquilibre ira croissant. L'amputation des pensions sera comprise entre 20 et 40 % suivant la politique menée pour les cotisations et le mode de calcul des retraites (mesures paramétriques qui ont à ce jour la faveur des gouvernelnents français). Il est donc certain que les droits acquis par les actifs actuels ne seront pas honorés. L'avantage de la transition, c'est d'éviter cette perte imparable. Ensuite, on sait que la capitalisation fait « des miracles ». En quelques années, l'épargne placée à un taux moyen permet de constituer un capital impressionnant. Sur la base d'un salaire net annuel de 12 000 euros environ, le système par .répartition ouvre droit à une rente de 16 000 euros au maximum, alors que la capitalisation pendant 30 ans rapporte une rente qui va de Il 000 à 48 000 euros 11 • Pour des salaires plus élevés, la capitalisation pendant seulement 20 ans est jusqu'à 8 fois plus rentable que la répartition ! Cela signifie qu'il est possible pour les personnes actuellement actives de préparer une pension confortable en un minimum de temps. Si on les autorise à cotiser pendant vingt ans en versant leur argent dans un fonds de pension au lieu de le mettre dans le tiroircaisse de la Sécurité Sociale, le moment venu de l'âge de la retraite ils auront largement dépassé le montant de ce qu'ils auraient touché en restant « assujettis» à leurs Caisses d'Assurance Vieillesse. Dans une version moins «brutale », si on les autorise à distraire deux ou trois points de leurs cotisations pour les affecter à 1O. Cf. Le futur de la répartition, tome l, chapitre 1er : La faillite. Il. Les calculs sont faits dans notre volume II Les retraites du futur: la capitalisation, p.198.
26
la capitalisation, ils auront réussi à cOlnpenser tout ou partie des pertes qu'ils ne manqueront pas de subir avec le systèlne public obligatoire par répartition. C'est d'ailleurs une mesure qui a été prise dans de nombreux pays qui ont réformé leur système de retraite 12. C'est aussi le principe des complémentaires par capitalisation (