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n° 14 avril1995
( anciennement CAHIERS DU CEDAF )
( voorheen ASDOC-STUDIES )
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n° 14 avril1995
( anciennement CAHIERS DU CEDAF )
( voorheen ASDOC-STUDIES )
ISSN 1021-9994 Périodique bimestriel de It Tweemaandelijks tijdschrift van het Bimonthly periodical of the
Institut Africain Centre d'Etude et de Documentation
Afrika Instituut Afrika Studie...en Dokumentatie...
Africaines (CEDAF)
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rue Belliard, 65, 1040 BRUXELLES,
BELGIQUE Belliardstraat, 65, 1040 BRUSSEL, BELGIË rue Belliard, 65,1040 BRUSSELS, BELGIUM
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Jean-Claude WILLAME
Aux sources l'hécatombe rwandaise
Institut Africain-CEDAF Afrika Instituut-ASDOC Bruxelles-Brussel
de
Editions L'Harmattan 5-7, rue de l'Ecole-Polytechnique 75005 Paris
Du même auteur
L'é.l.TJopée d'Inga. Chronique d'une prédation industrielle, Paris, L'Harmattan, 1986. "Chronique d'une opposition politique: CEDAF, n° 7-8, 1987.
l'UDPS (1978-1987), Les Cahiers du
"Eléments pour une lecture du contentieux belgo-zaïrois", Les Cahiers du CEDAF, n06, 1988. Patrice Lumumba: la crise congolaise revisitée, Paris, Karthala, 1990. "La décennie 80 : L'aide en question. Esquisse comparative des politiques de développement dans quatre pays européens", Les Cahiers du CEDAF, n° 2, 1991. "De la démocratie "octroyée" à la démocratie enrayée", Les Cahiers du CEDAF, nOS-6, 1991 (Zaïre, années 90, volume 1). L'automne d'un despotisme. Pouvoir, argent et obéissance dans le Zaïre des années quatre-vingt, Paris, Karthala, 1992. "Les manipulations du développement. ,Ajustement, cogestion et démocratisation au Burundi", Les Cahiers du CEDAF, n° 5, 1992. "Gouvemance et pouvoir. Essai sur trois trajectoires africaines. Madagascar, Somalie, Zaïre", Les Cahiers Africains, n° 7-8, 1994.
Couverture: La Montagne aux brûlis, Francine Somers, huile sur toile. ~ Africa Museum, Tervuren.
@ Institut Mricain / Afrika Instituut - CEDAF / ASDOC, 1995 ISBN: 2-7384-3106-2 ISSN: 1021-9994
Sommaire
Introduction:
"Mort, désespoir et défi"
1. Un bref détour par la théorie Le regard classique Violence et violences Les violences du lointain
2. Un ancrage "traditionnel" des violences? Une histoire oblitérée Une histoire d'inégalités et de violences? L'intégration par le haut et par le bas
3. Un cycle de violences vindicatives La "révolution"
de 1959
Le contexte du drame Le prisme ethnique du clergé expatrié Le "Muyaga" du Rwanda Les réactions et les conséquences
9 17 17 19 22 28 28 31 41
45 46 46 48 52 58
Le mini-génocide
64
de 1963
65 67 72 77
Un royaume revisité Vers un second cycle de violences Anatomie d'un massacre Les conséquences et les réactions Les "déguerpissements"
ethniques
de 1973
La silencieuse implosion du mythe égalitaire Vers un nouvel exode La guerre de 1990 Heurs et malheurs d'un régime Les Inkotanyi aux frontières La "répression"
4. Régime démographique et violences La phase de dépression démographique L'explosion du régime démographique L'accroissement des densités rurales et les violences
5. Une ruralité oppressante Des "avancées" mitigées Descontrailltes paysannes uniformes La pauvreté, partout Une société cloisonnée et insu laire face à l'enrichissement d'une minorité Ruralité et urbanisation
83 83 86 91 91 94 99 109 110 116 119 132 132 138 143 146 151
6. Le sens d'une hécatombe
157
Bibliographie
166
Liste des tableaux, graphiques et cartes
175
HL'histoire hUfnaine est une séquence Inonotone de guerres, de massacres et de carnages. S'il y a des espèces animales qui s'entre tuent, elles y dépensent infiniment moins de temps et d'énergie. L'art de tuer est un champ d'intérêt privilégié de l'intelligence humaine. Au cours des siècles, les techniques s'améliorent et les guerres font de plus en plus de victimes. On passe de milliers aux millions, et récemment aux dizaines de millions ~..). Je fne demande quelquefois s'il n'aurait pas mieux valu que l'évolution s'arrête au niveau des papillons. " Hubert Reeves, L 'heure de s'enivrer. L'univers a-t-il un sens ?, Paris, Seuil, 1986, p. 19
"La nuit, j'ai peur des balles. A Nyakabiga, c'est une véritable hécatombe (..). On parle de bombes et de grenades qui explosent. Et nous tous? Il n y a pas de Hutu ni de Tutsi. On est tous des enfants des rues. A cause de ces histoires de' Hutu et de Tutsi, on se .fait fflassacrer. n
Innocent et Philibert, enfants des rues de Bujumbura, avril 1994.
INTRODUCTION
"MORT, DESESPOIR ET DEFI"
1
Le 6 avril 1994 à 21 h., l'avion transportant le président de la République du Rwanda, Juvénal Habyarimana, et son collègue burundais était abattu de plusieurs coups de missiles aux abords de l'aéroport de Kigali 2. Un quart d'heure après, débutaient les premières violences 3 perpétrées par des milices civiles armées et des éléments des Forces armées rwandaises. En quelques heures, le pays est à feu et à sang. Comme en 1959, 1963, 1991, 1992 et 1993, on pille, on brûle et surtout on tue.
1. J'ai emprunté ce titre à celui du rapport d'Africa Rights, Rwanda: Death, Despair and Defiance, Londres, septembre 1994. 2. Rappelons qu'à ce jour il n'existe aucune certitude sur les responsabilités de cet attentat. La journaliste C. Braeckman, qui a fait état d'une implication française à partir d'une simple lettre anonyme anivée à son journal et qui a accrédité la thèse que l'opération Turquoise faisait partie d'une opération entreprise pour brouiller l'appui de la France au Hutu power, reconnaît finalement et d'une manière passablement embrouillée qu' "aucune hypothèse ne peut être exclue, y compris celle de la responsabilité du Front Patriotique dans l'attentat" . Voir Colette Braeckman, Rwanda. Histoire d'un génocide, Paris, Fayard, 1994, p. 199. 3. Bien que le tenne de génocide ait été utilisé dans cette étude pour qualifier les événements de 1994, il ne nous satisfait pas pleinement. En effet, dans son acception plénière, il suppose l'extermination intentionnelle d'un "peuple" ou d'une "ethnie". Or, on sait que les concepts de peuple ou d'ethnie pour qualifier les Hutu prêtent à discussion. Par ailleurs, il n'est nullement évident que les promoteurs du "génocide" visaient au premier chef l'éradication des Tutsi en tant que tels. TI y a tout lieu de croire que les Tutsi, regardés comme des "ennemis intérieurs", et les opposants hutu qui avaient accepté de "pactiser" avec Wl "envahisseur" (le F. P. R.) furent désignés à la vindicte publique non pas parce qu'ils étaient ethniquement marqués, mais parce qu'ils étaient perçus comme une "cinquième colonne".
10
L 'lIECA
TOh.ffiE RWANDAISE
Hécatombe dont les sinistres résultats sont, pour la première fois dans 1'histoire, médiatisés instantanément Les témoignages de ce qui apparaît comme un génocide populaire sont innombrables, ceux qui en portent la responsabilîté, réfugiés aujourd'hui en France, en Belgique ou ailleurs, sont très vite répertoriés dans des listes qui sont du domaine public. A ce jour, le rapport le plus complet sur les violences rwandaises est celui de l'organisation britannique Africa Rights. L'intérêt de cette enquête de plus de 600 pages est de nous faire entrevoir une réalité plus sinistre encore qu'un génocide de "Tutsi" par des "Hutu". Le rapport distingue en effet trois types de violences: les meurtres et assassinats politiques individualisés (contre des opposants), les massacres (de Tutsi comme de Hutu) sur une grande échelle et une "chasse ethnique" contre les Tutsi. On épinglera dans le sonmlaire du rapport les passages suivants: Le~v .tlleurtnulpt.Jlitiqu/!.s
( ...). Dans les heures qui ont suivi (l'assassinat
du président Habyarimana), la
première vague de meurtres fut déclenchée. Les listes des figures de l'opposition qui devaient être assassinées avaient été préparées à l'avance. La garde présidentie11e pourchassa les politiciens de l'opposition dans leurs nlaisons (... ). Une cible privilégiée fut les journalistes indépendants (...). Les animateurs des organismes des droits de 1'homme furent aussi visés. certaines catégories de fonctionnaires, notamment ceux qui relevai Congo-Zaïre 1874-1981. La perception du lointain, Paris, L'Hannattan, 1992, p. 51. 14. André Gide, Voyage au Congo, Paris, Gallimard, 1927-1928, p. 26. IS.Bernard Piniau, op.cit., p.53. 16. André Gide.~op,.cit., p. 175. 17. Graham Greene, La saison des pluies, Paris, LafIont~ 1961.
24
L'HECATOMBE
RWANDAISR
obscurément vers un centre mythique, terrifiant, enlisé dans des durées éternellement somnolentes, en proie à de lentes décompositions. Les secousses du Congo s'accordent à l'aléatoire, l'irrationnel, l'imprévisible, le nonhumanisé. Avec les plus récentes chroniques de l'italien Alberto Moravia 18, nous sommes toujours dans un univers de type conradien. Le romancier, en visite à Kisangani, y évoque l' "inquiétant éloignement de cette partie du monde". Dans la grande forêt équatoriale, il éprouvera l'impression de "descendre aux enfers vers le coeur ténébreux de l'Afrique". Plus loin dans sa chronique de voyage, il évoque la "fascination du chaos antique pendant lequel la nature organisait, un peu au hasard, les épreuves de la création". "Il n'est vraiment pas difficile d'imaginer le lac ldi Amin Dada comme il devait être il y a quatre ou cinq cent millions d'années, avec des monstres qui, sans doute, habitaient autour de ses eaux".:Et en finale cette conclusion étonnante: "J'ai dit qu'en me présentant devant ce panorama, j'avais eu l'impression de contempler un autre monde. Mais qu'est-il ce monde, alors? J'y pense un moment, et je me rends compte que c'est précisément le monde où, à une époque immémoriale, 1'humanité a été exclue pour toujours". Sans doute existe-t-il une littérature coloniale plus en prise sur des réalités moins fantasmagoriques. Pierre .Halen, qui a démonté avec beaucoup de minutie toute la richesse de ce genre souvent décrié et méprisé, a montré à quel point elle ne se réduit pas seulement à des fantasmes sur une "mystérieuse" sauvagerie. Le roman colonial, c'est aussi une "histoire d'amour" et de "délivrance du frère noir" 19.En ce qui regarde précisemment le Rwanda, on s'en convaincra en relisant les très belles pages de P. Ryckmans sur les sentiers "indigènes" dont le traçé sinueux exprime J'idée de liberté mais qui seront effacés. devant la route, "cette invention du Blanc 20. On peut même voir dans ce genre littéraire une sorte de charnière entre l'exotisme plat et la littérature africaine. Mais, il n'en reste pas moins marqué d'un triple exotisme: le triptyque coloré "de Ja moukère, du palmier et du chameau", la péjoration discrètement méprisante et paternaliste, ainsi qu'une recherche de l'altérité qui n'est souvent qu'une quête de soi-même 21.
-
18. Alberto Moravia, "Viaggio nello Zaïre", Corriere della Serra, janvier avril 1981. 19. Pierre Halen, Le petit Belge avait vu grand. Ulle littérature coloniale" Bruxelles, Editions Labor, 1993, p. 39. 20. P. Ryckmans~ ,Barabara, Bruxelles, Larcier, 1947, pp. 136-138. 21.Idem,pp.375-378
UN BREF DETOUR
PAR LA TIIEORIE
25
Au niveau d'un public plus large, les grandes expositions coloniales de Paris, Tervuren ou Marseille ont popularisé l'univers de la sauvagerie conradienne en diffusant le message d'une Afrique sauvée de la Sauvagerie par la Civilisation, de l'Esclavage par la Liberté, du Fétichisme par la Religion 22. Les images sont tout aussi nettes et simples datlS les manuels scolaires: dans l'étude qu'il a menée sur 50 d'entre eux publiés entre 1932 et 1984, B. Verhaegen relève que "lorsque la population du Congo de l'époque léopoldienne n'est pas réduite à l'état d'objets de l'entreprise coloniale (esclaves à libérer, malades à soigner, et païens à convertir), elle est désignée dans la plupart des manuels, y compris les plus récents, par les termes "primitive", "barbare", "hostile" ; "roitelets nègres", "négresses à plateau" et "cannibalisme" appartiennent à l'imagerie des manuels scolaires les plus récents 23. C'est surtout dans la presse et en particulier dans des cas de décolonisation agitée que l'imaginaire de la violence réapparaît au grand jour. Dans le traitement que font les journaux belges de l' "été chaud" au Congo indépendant, B. Piniau a pu montrer qu'une soudaine prise de conscience d'un Co.ngo qui cessait d'être mythique conduisait les analystes à affecter la colonie belge "d'une extraordinaire, d'une écrasante supériorité de puissance négative". "Un bon millénaire d'imaginaire, relayé, ravivé, actualisé par cent années de traditions littéraires, par cinq années d'activités journalistiques, se décharge tout d'un coup. Tout ce que la représentation archaïque normative, monarchique tenait à distance, (...) déferle. Tous les symboles permutent. Point de métaphores ici. La sauvagerie, la barbarie, le désordre, le chaos, la régression ne "qualifient" pas la situation congolaise. Le Congo incarne la sauvagerie; il est la barbarie en acte, le désordre en action, l'essence du chaos, l'absolu de la régression. Le primitivisme a un visage, vivant, monstrueusement vivant. Il .laisse des traces, sacrilèges, que la presse, la. radio, la télévision cadrent en gros plans. Ce mirage historique et culturel s'insère avec aisance, dans un univers mental tout disposé à l'accueillir. La classe dirigeante en est victime tout autant que les opinions publiques" 24. Des 22. Hans-Jürgen Lüsebrink, "Images de l'Afrique et mise en scène du Congo belge dans les expositions coloniales françaises et belges (1889-1937)", dans PietTe Halen et Janos Riesz, Images de l'Afrique et du Congo-Zai"re, Actes du colloque international de Louvain-la-Neuve, Bruxelles - Kinshasa, Textyles-éditions - Ed. du Trottoir, 1993. 23. Benoît Verhaegen, "La colonisation et la décolonisation dans les manuels d'histoire en Belgique", dans Marc Quaghebeur et Émile Van Balberghe, Papier blanc, encre noire. Cent ans de culture francophone en Afrique centrale (Zai"re, Rwanda et Burondi), Bruxelles, Editions Labor, 1992, p. 358. 24. Bernard Piniau, op. cit., p. 219.
26
L 'HECATOMBE
RWANDAISE
autorités belges, manipulées ou manipulables, voient soudainement, guerre froide oblige, des cargos polonais fantômes croisant au large des côtes congolaises, des dizaines d'avions soviétiques tout aussi fantomatiques, de diaboliques manoeuvres d'un premier ministre congolais, dont on n'a pas mesuré l'énorme impuissance, prêt à "vendre notre Congo" à l'eoocmi. Un haut responsable représentant la Belgique à l'ONU, R. Scheyven, ira jusqu'à alerter le Secrétaire d'État américain: "Lumumba nous mène droit à la troisième guerre mondiale" 25. Un certain courant tiers-mondiste radical ne contribua-t-il pas lui aussi à cette mise en scène de la Violence même s'il inversa les termes de la problématique, même s'il chercha à la canaliser positivement à travers des luttes de libération" ? Ainsi, pour Fanon, c'est le colonialisme qui est "la violence à l'état de nature". Et c'est contre cet état de nature que "la tension musculaire du. colonisé se libère périodiquement dans des explosions sanguinaires", "à travers des mythes terrifiants si prolifiques dans les sociétés sous-développées", ou à travers des danses extatiques et des phénomènes de possession qui "tournent à vide". Seule donc une plus grande violence qui, "praxis absolue" pour le décolonisé, doit être cette fois instrumentalisée peut venir à bout de cet "état de nature" 26. Un lourd héritage d'images fortes et stéréotypées pèse donc sur la manière dont le lointain est perçu. Les violences rwandaises -- mais pas seulement elles puisqu'il Y a aussi le Soudan, la Somalie, l'Angola et le Liberia -- sont l'occasion rêvée pour réchauffer de vieux mythes sur la "Sauvagerie" africaine, le plus souvent recouverts ou même occultés par des silences embarrassés ou des charivari médiatiques. Il n'est en effet guère aisé pour l'Occident éduqué depuis les "Lumières" dans le principe de la forclusion de la violence non légitimée par l'Etat-nation moderne de comprendre et d'accepter celle qui ne dériverait pas de lui. Voir dans les violences africaines le "trait d'une mentalité culturelle particulière" 27, ne rend évidemment pas compte d'un temps historique long 25. Jean-Claude Willame, Patrice Lumumba. La crise congolaise revisitée, Paris, Karthala, 1990. 26. Franz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, François Maspero, Cahiers libres n° 27-28, 1961, pp. 42 sv. 27. Telle est l'une des hypothèses qui se dégage de l'ouvrage de P. Emy sur le Rwanda : l'auteur met en scène lUl certain nombre de représentations, d'émotions et de sentiments "qui ont joué, me semble-t-il, lUlrôle décisif dans toute cette histoire". P. Emy y réduit la "mentalité" du Rwandais au portrait suivant: "Les Rwandais fonnent lUl peuple très
UN BREF DETOUR
PAR LA TIIEORIE
27
marqué d'abord par la très longue absence d'un État laïcisé et seul détenteur du monopole de la force, mais aussi par des comportements d'évitement et de résistance au pouvoir, par des recherches d'un consensus unanimiste (même si celui-ci est le plus souvent remis en cause), par des adaptations pacifiques et des processus de syncrétisme, le tout fonctionnant dans le cadre de ce que C. Monga qualifie d'une "indiscipline caractérisée" et d'un imaginaire de survie 28. Patiemment et subrepticement, c'est-à-dire le plus souvent sur la "véranda" dont il a été question plus haut, "des lieux de désaccord se créent, de nouveaux langages s'élaborent, des discours originaux s'affirment; avec leurs codes secrets, leurs clés d'accès, leurs errements (aussi) 29 et leurs insondables mystères" 30. Certes, il n'est que trop vrai que le "sage" Rwanda s'est dramatiquement fourvoyé dans d'autres "stratégies", d'autres comportements qui n'ont rien à voir avec le eonsensus.~l'évitement ou le syncrétisme et qui se traduiront à partir de 1990 par un retour programmé aux heures noires des errements antérieurs, c'est-àwdire aux violences et aux exclusions de type instrumental ou "colérique" qui avaient déjà marqué sa trajectoire. Ce n'est cependant pas au travers de notions implicitement ou explicitement centrées sur une "sauvagerie atavique" ou d'une histoire des mentalités détachée de son objet que l'on arrivera à expliquer l'hécatombe rwandaise, mais au travers d'une patiente reconstruction des contraintes multiples qui pèsent sur l'itinéraire historique de ce pays. C'est ce à quoi on a voulu s'atteler dans les chapitres suivants.
compliqué, incompréhensible
pour les étrangers. Chez eux, tout se développe en profondeur sous un masque d'indifférence. Ds semblent calmes, silencieux et équilibrés, alors ue tout leur intérieur bout de passion". Pierre Emy, Rwanda 1994. Clés pour comprendre le calvaire d'un peuple, Paris, L'Harmattan, 1994, pp. 167, 180. 28. Célestin Monga, Anthropologie de la colère. Société civile et démocratie en Afrique
noire, Paris, L'Harmattan, 1994, pp. 59 sv. 29. Souligné par nous. 30. Idem,
p. 60.
2. UN ANCRAGE
"TRADITIONNEL" VIOLENCES?
DES
La récurrence des violences "ethniques" au Rwanda doit-elle être rattachée à un socle d'institutions traditionnelles pluri-séculaires ? Répondre à cette question n'est pas chose aisée. Le passé historique rwandais est encore trop mal connu et a de plus été fortement réifié et par le pouvoir de tutelle et par la contre-idéologie raciale professée par l'élite postcoloniale qu'elle soit hutu ou tutsi d'ailleurs. "L 'histoire (. ..) des royaumes des hautes terres centrales africaines, relève à ce propos A. Guichaoua, fait l'objet d'interprétations polémiques d'approximations et de schématisations dont on ne connaît que peu d'exemples aussi caricaturaux dans l'histoire des ex-pays colonisés" 1.
Une histoire oblitérée
Claudine Vidal elfait naguère état des difficultés qu'elle a rencontrées dans ses enquêtes ethnologiques auprès de personnes très âgées qui, dans les années 1960, étaient les seuls témoins sur lesquels un chercheur pouvait encore s'appuyer. D'une part, explique-t-elle, "sept ans après l'indépendance, il était encore difficile aux Rwandais de se montrer impassibles à l'égard des vicissitudes de leur histoire nationale. (...) Les événements des dernières années (c'est-à-dire les massacres de 1963) interdisaient que le passé soit évoqué sans passion par des témoins objectifs. Tout au contraire, une enquête
1. André Guichaoua "Un lourd passé, un présent dramatique, ID1avenir des plus sombres", dans André Guichaoua (sous la direction de), Les crises politiques au Burundi et au Rwanda (1993-1994). Ana/J)se, faits et docunlents, Lille, Université des Sciences et Technologies, 1995, p. 20.
UN ANCRAGE "TRADITIONNEL"
DES VIOLENCES?
29
sur l'ancien régime nous situait d'emblée dans les catégories actuelles de la conscience politique rwandaise" 2. D'autre part, pratiquement tous les informateurs ont parfaitement et systématiquement substitué aux pratiques anciennes le droit coutumier élaboré par les Belges avec l'aide de leurs auxiliaires tutsi. "La théorie de la clientèle qu'ils présentent n'est que l'énoncé de la jurisprudence coloniale. Tous les vieux qu'ils soient tutsi, qu'ils soient hutu, sont unanimes à définir l'ubuhake comme un ensemble de droits et de devoirs naturels observés par le patron et son client. Malgré mes tentatives pour susciter la contradiction, personne ne conteste la validité de cette image de paix sociale. (..~). Cette étape (des enquêtes) me donne l'impression d'avoir régressé par rapport aux faits que la littérature suggérait" 3. A ceci il fau.t encore ajouter une société où, beaucoup plus qu'ailleurs, le discours de l'étranger est dominant. Le sociologue français, A. Guichaoua, s'étonnait à ce propos que "plus que dans d'autres pays, on est frappé de voir à quel point les jugements (sur le Rwanda) reflètent les discours et la perception des seuls interlocuteurs expatriés" 4. Face à un discours péremptoire, cette société se réfugie alors dans l'amalenga, c'est-à-dire dans "ce que les étrangers-ne-peuvent-pas-comprendre" 5. Ce qui est toutefois établi, c'est d'abord la grande fermeture de cette région des Grands Lacs par rapport à son environnement géopolitique extérieur. "Un isolement splendide", écrit Lemarchand à propos du Rwanda et du Burundi, un isolement qui est renforcé tant par la configuration montagneuse et marécageuse de cette partie de l'Afrique centrale que par la crainte d'invasion des populations qui sont voisines du coeur du royaume rwandais. Les commerçants d'ivoire et d'esclaves ont toujours dû contourner cet espace qui n'a été que très peu et très épisodiquement relié aux réseaux des échanges à longue distance en Afrique orientale et centrale. Baumann, le premier Blanc qui foule le sol rwandais, est frappé par l'absence d' "objets européens" dans
2. Claudine Vidal, "Enquête sur le Rwanda traditionnel: conscience historique et traditions orales", Cahiers d'études africaines, Vol XI, n° 144, 1971, pp. 527-528. 3. Idem, p. 530. 4. André Guichaoua, "Isolement et méconnaissance", introduction à "L'Attique des Grands Lacs", Revue Tiers Monde, Tome 27, nOl06, avril-juin 1986, p. 249. 5. Alain Hanssen,Le dé.yenchantement de la coopération. Enqllête au pays des mille coopérants, Paris, L'Hannatlan, 1989, p. 149.
30
L'HECAT01\ABE
RWANDAISE
un territoire où l'ordre règne, l'accueil est poli, sans plus, et où l'on n'entre et on ne sort pas du pays "sans l'autorisation du roi" 6. D'emblée s'impose le stéréotype d'une "race de seigneurs supérieurs" dominant par la force et le mépris une population considérable de Hutu "exploités jusqu'au sang" et "serviles dépendants des Watussi" : en 1899, l'explorateur R.Kandt observe que ces "Watussi" ne cessent de poursuivre et de frapper les Hutu qui proposent des vivres à l'étranger en échange de pacotilles. Aux Hutu qui se plaignaient de leur sort, Kandt répond :')e leur ai dit de s'aider eux-mêmes et je me suis moqué légèrement d'eux en leur demandant comment ils ont pu se laisser soumettre par les Watussi auxquels ils sont cent fois supérieurs en nombre et pourquoi ils se lamentent comme des femmes" 7. D'emblée aussi se profile la future politique coloniale allemande, pllis belge: le climat du Rwanda est jugé très favorable à la colonisation européenne dont les populations, réputées asservies depuis des siècles, deviendront des instruments dociles et qui devra reposer sur un soutien à la domination tutsi tout en atténuant l'exploitation arbitraire des Hutu par leurs chefs tutsi 8 . En laissant de côté ces poncifs raciaux surannés, on ne peut toutefois nier la réalité existentielle d'un clivage sociopolitique entre deux collectifs de population. La question ici n'est pas tant de s'acharner sur la démonstration de l'existence ou la non-existence de catégories "ethniques", mais bien de cerner ce qui a pu lui donner naissance. "Quand l'ensemble ethnique, pris comme objet négatif, écrit avec raison C. Vidal, concentre sur lui les ressentiments, désigne l'adversaire principal, passe pour cause de l'oppression, il ne suffit pas d'établir, du point de vue de la vérité, les espaces mythiques de l'ethnie, de s'en tenir à d'éruditesdéconstn1ctions" et "généalogies". Il faut encore, puisque les combattants ne sont ni des déments, ni des ignorants incapables de concevoir le programme de vérité des
6. O. Baumann, "Durch Massailand zur Nilquelle''', Berlin, D. Reimer, XIV, 1894. 7. Richard Kandt, Caput Nili. Eine emfindsame Reise zu den Quellen des Nils, Berlin, D. Reimer, 1921, pp. 188-195. D'autres "visiteurs" (Hans Meyer, le duc de Meclenburg) renforceront encore la stéréotypie rwandaise: les Tutsi seront considérés comme "des géants imperturbables, dissimulateurs, opportunistes et paresseux" tandis que les Hutu seront identifiés à des êtres "couards, sans aucun sens de la dignité, leur amour propre s'étant éteint suite à des siècles de servage". 8. Richard Kandt, idem ~ Richard Kandt, "Bencbt über meine Reissen und gesammte Thatigheit in :Deutsch...Ostafrika", Mitteilungen aus den deutschen Schutzgebieten, XIII, 1900, pp. 240-264.
UN ANCRAGE "TRADITIONNEL"
DES VIOLENCES?
JI
historiens, analyser comment (...) ce collectif, déterminé comme ethnie, est devenu un objet négatif' 9. y -a-t-il, de ce point de vue, des fondements anthropologiques, socioéconomiques et historiques à des ressentiments, à des passions et à des violences qui se sont finalement exprimées par des actes de génocide sur une large échelle?
Une histoire d'inégalités
et de violences?
Au départ, il faut sans doute en revenir à une problématique moins "chaude" et plus sereine que celle qui privilégie I'histoire des mentalités et des conflits ~'culturalistesn entre deux collectivités qui s'affrontent, à savoir celle qui met en scène des modes de production différents. Même si l'image du "pasteur tutsi" opprimant l' "agriculteur hutu" est suspecte, on doit sans doute admettre l'existence d'un antagonisme potentiellement déterminant entre les impératifs de l'élevage et ceux de l'exploitation agricole. Non que ces deux modes de production soient antagonistes en eux-mêmes: ils peuvent cependant le devenir lorsque et l'agriculture et l'élevage sont mangeurs d'espace et/ou lorsque la pression démographique s'accroît. En temps normal, c'est-à-dire pendant un temps qui fut sans doute très long, la cohabitation entre ces deux modes de production ne posa guère de problèmes. Comme le souligne Vansina, il est tout à fait vraisemblable que les Tutsi nomades (sans doute peu nombreux) entretinrent avec des populations agraires nmnériquement majoritaires des relations d'échange pur et simple sans que s'établissent des relations sociales étroites entre les deux collectivités 10. Ce n'est que progressivement que s'instaure un contrat de vasselage relativement clément qui existe dans tous les royaumes voisins. Au Rwanda surtout, ce contrat se transformera plus tardivement en un contrat qui se chargera d'une connotation franchement inégalitaire : l'ubuhalœ. Celui-ci, qui consacre la conservation du bétail aux mains d'un groupe fermé "méritant pleinement d'être qualifié de caste", dira par ailleurs imprudemment de
9. Claudine Vidal, Sociologie des passions (Côte d'Ivoire, Rwanda), Paris, Karthala, 1991, p. 24. 10. Jan Vansina.~L'évolution du royaunle Rwanda des origines à 1900, Bruxelles, Académie royale des sciences d'outre-mer, 1962 , p. 79.
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L"HECA TOlvffiE RWANDAISE
Heusch Il, consacre une situation de domination. Perversion d'un système d'accord réciproque et d'un échange égalitaire initial, l'ubuhake a, selon de Heusch, profondément remodelé toute la fabrique sociale: les liens claniques sont vidés de toute substance au profit d'une parenté fictive de patrons tutsi avec leurs "clients" hutu, la multiplication de liens personnalisés crée une situation de dépendance qui engendre la nécessité et le besoin de protection. On verra plus loin les aménagements à apporter à cette lecture de I'histoire des inégalités au Rwanda. On ne suivra de toutes les façons pas de Heusch qui, marqué par une anthropologie structuraliste, avance que Hutu et Tutsi auraient été intégrés dans un système de castes cohérent 12.Si la société rwandaise précoloniale est fortement stratifiée, elle n'est pas entièrement "déterminée" par des identifications statutaires aussi rigides. C. Vidal a apporté à ce sujet des correctifs importants à partir d'enquêtes qui montrent toute l'importance à accorder aux situations individuelles, à des "exceptions" qui ne confortent pas la règle générale. Des cinq cent chroniques lignagères récoltées au centre, au sud et au nord du Rwanda, l'auteur découvre que "la partition entre Tutsi et Hutu cessait d'être une catégorie abstraite fondée sur un hypothétique critère racial ou bien une théorie simpliste de la caste. L'histoire des lignages révélait une hiérarchie complexe où les Tutsi n'étaient pas nécessairement dominants et les Hutu sujets, où certaines lignées d'origine hutu accédaient progressivement au statut de Tutsi et où, inversement, des lignées issues de puissants lignages tutsi s'en détachaient et s'assimilaient aux Hutu" 13. Par ailleurs, dans sa relation de la rébellion de 1912 au Nord du Rwanda, A. Des Forges a montré comment les figures épiques de cette révolte avaient réussi à exploiter à la fois "la légitimité du royaume rwandais (tutsi) et de nouvelles sources charismatiques de pouvoir". Or, ils étaient des hO.mmesde nulle part, des étrangers dont on ne connaissait pas l'origine parentale et lignagère. "Chez un peuple à forte conscience historique, (ces figures) étaient des "outsiders" réputés mais sans passé connu". Tous deux firent toujours valoir leur parentèle royale et donc leur droit à se substituer au Mwami.L 'un d'entre eux, Ndungutse, "se rasait la tête à la manière des aristocrates tutsi et portait des vêtements de coton que seuls les riches pouvaient s'acheter. Il groupait ses hommes en deux formations militaires comme les armées de la cour. L'une était composé de Batwa, l'autre de cultivateurs et de pasteurs". Il. Luc de Heusch, Le Rwanda et la civilisation interlacustre. Études d'anthropologie historique et strocturale, Bruxelles, Institut de Sociologie, 1966, p. 141. 12. Iden" p. 144. 13. Claudine Vidal, "Enquête sur le Rwanda traditionnel..,") op.cito, p. 533.
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UN ANCRAGE '~TRADITIONNEL" DES VIOLENCES?
Ndungutse, qui fait ici figure de métèque, aurait sans doute réussi dans son projet de prise de pouvoir, n'était l'intervention allemande. Qu'il ait été un noble tutsi ou un roturier hutu importait peu: la légende de ce métèque "royal" passa dans l'histoire. E.n 1913, en 1928 et en 1935, des "étrangers" qui se réclamaient de lui suscitèrent des troubles au Nord et beaucoup de Rwandais d'âge moyen disaient que "s'il vivait encore, il devait être un très vieil homme" 14.Grégoire Kayibanda, premier président de la République et père fondateur de la "révolution hutu" ne fut-il pas en quelque sorte une réincarnation de Ndugutse le rebelle qui réclamait le titre et les insignes de mwami ? Si les catégories sociales et statutaires ne sont pas toujours aussi figées qu'on a voulu le croire, il apparaît cependant avec certitude qu'à un moment donné, en l'occurrence au début du XIXème siècle, un petit État situé au centre du Rwanda prend son essor et entame une phase d'expansion alors que dans un passé distant, la lignée dynastique qui émerge, celle des Abanyiginya, était seulement "un des nodules d'une galaxie de petites entités semblables il y a trois cents ans" 15."Le tambour est plus grand que le cri" devient un dicton accepté au Rwanda, relève A. Des Forges. Ce qui signifie que "le pouvoir de l'État prend le pas sur celui du peuple" 16. Cette expansion de royaumes dans l'Afrique des Grands Lacs n'est pas limitée au seul cas rwandais: elle concerne aussi le Burundi, le Buganda et le Nkore où des centres politiques puissants émergent et rayonnent à partir d'une "cour royale" 17. Au Rwanda en particulier, la violence accompagne ce processus. Selon de Heusch, elle prend une double forme dans l'histoire sociale du pays. "La violence larvée, socio-économique, de l'ubuhake, qui enrichit l'aristocratie tuutsi et la dégage de toute servitude agricole, la rendant disponible pour la guerre, s'oppose à la violence toute militaire de la seconde phase historique (razzias et colonisation)" 18. 14. Alison L. Des Forges, "The drum is greater than the shout:
the 1912 rebellion in
northern Rwanda", dans Donald Crummey ed., Banditry, Rebellion and Social Protest in Africa, London
- Portsmouth,
James Currey -Heinemann,
1986, pp. 322 sv.
15. David Newbury, "The Rwakayihura famine of 1928-1929. A nexus of colonial rule in Rwanda", dans Histoire sociale de l'Afrique de l'Est (XIXe-XXe siècle), Actes du Colloque de Bujwnbura (17-24 octobre 1989), Paris, Karthala, 1991, p. 273. 16. Alison L. Des Forges, op.cit., p. 312. 17. Voir à ce sujet Émile Mworoha, "L'État monarchique et son emprise sur la société dans la région des Grands Lacs au XIXe siècle", dans Histoire sociale de l'Afrique de l'Est..., op.cit., p. 37. 18. Luc de I-Ieusch,Le R\vanda et la civilisation..., op.cit., p. 144.
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L'ubuhake a en effet définitivement perdu son caractère contractuel. "Par sérialisation, multiplication des liens personnels, le groupe paysan devient client du groupe pastoral" 19. Une inégalité foncière se met progressivement en place. Elle était encore figurée de façon sensible par les vieux interrogés par C. Vidal en 1968 : "des différences de statut sont restituées tant par l'opposition entre une alimentation de riche et une nourriture de pauvre, entre vêtements de luxe et habits de travail, que par l'opposition de ceux dont les champs ont été cultivés par une main-d'oeuvre rétribuée et de ceux qui n'avaient que leur propre houe et l'aide des voisins" 20. C'est bien pourquoi toute comparaison avec un système de type féodal classique est fallacieuse. Ce dernier est le produit de l'éclatement d'un pouvoir centralisé, alprs que, dans la situation rwandaise, une structure politique centralisée et située *'au dessus" de la société naît du système de clientèle, de la réciprocité dans la subordination et de la destruction des lignages qui, selon de Heusch, a d'étonnantes similarités avec l'empire mérovingien 21.
Cette situation d'inégalité radicale est transcrite dans les mythes fondateurs rwandais. Dans ces enquêtes des années 60, C. Vidal relève deux variantes de ces mythes. "Pour les Tutsi, l'origine des lois se confond avec celle des hommes: le pouvoir du premier mwami (Gihanga : mi-homme, mi-dieu, héros culturel, inventeur des techniques et des lois) s'est édifié sur une organisation de la société où les Hutu sont les serviteurs des Tutsi par le biais de la clientèle pastorale. Un mythe très populaire de la découverte de la vache soutient leurs affirmations. Les Hutu ne remontent pas à l'origine des lois, mais font intervenir un autre mwami, RuganzuNdori, beaucoup plus proche dans la généalogie dynastique et dont la geste relate les luttes qu'il soutint contre les roitelets-magiciens hutu, les bahinza. Après les avoir vaincus, Ruganzu Ndori instaure le pouvoir tutsi et son corollaire, l'ubuhake" 22, Luc de Heusch mentionne le même dualisme dans les mythes fondateurs, la même supériorité existentielle d'un groupe sur un autre qui est mis en situation d'échec. "Des traditions aristocratiques établissent un écart maximal entre le caractère céleste de la caste pastorale issue de l'ancêtre éponyme Mutuutsi tombé du ciel, et le caractère "autochtone", terrien de la caste paysanne. Une autre version, historisante celle-là, présente une structure inverse mais sa signification est identique: au lieu de poser au départ l'écart 19.Idem, p. 151. 20. Claudine Vidal, "Enquête sur le Rwanda traditionnel...", op.cil., p. 535. 21. Luc de Heusch, Le Rwanda et la civilisation..., op.cit., pp. 436 sv. 22. Claudine Vidal., "Enquête sur le Rwanda traditionnel... ", op.cit., p. 334.
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VIOLEN(."ES
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naturel maximal (ciel-terre), elle affirme d'abord la supériorité familiale de Gahutu, ancêtre des Hutu, sur Gatuutsi, son frère cadet, ancêtre des Tuutsi. Gahutu avait été choisi comme héritier par leur père Kazikamuntu. Mais Gahutu fut déshérité car il s'endonnit après avoir trop bien mangé alors que Kazikamuntu lui avait confié une importante mission. Gatuutsi, demeuré sobre, réussit là où son frère avait échoué et supplanta l'héritier désigné". De Heusch conclut en affirmant que les Tutsi hésitent donc entre deux systèmes de justification contradictoires qui ne font l'un et l'autre que masquer la violence politique et socio-économique 23. L'instauration, dans la société précoloniale rwandaise, des "prémisses de l'inégalité" -- pour reprendre l'expression de J. Maquet -- ne doit toutefois pas être réifiée comme elle le fut durant toute l'époque coloniale. A cet égard l'histoire doit davantage reprendre ses droits par rapport à une anthropologie structuraliste qui ignore trop souvent le poids des situations et des conjonctures particulières. La relation d'inégalité sociale au travers de l'ubuhake n'a sans doute jamais eu l'extension qu'on lui a prêtée. "La relation de clientèle instaurée par l'ubuhake n'a jamais affecté plus qu'un petit pourcentage de la population rwandaise", 'estime même C. Newbury qui, se basant sur des recherches dans la préfecture CieButare, avance que moins de 10% de la population masculine y était impliquée 24. Par ailleurs, la littérature sur le Rwanda s'est beaucoup trop focalisée, selon elle, sur le seul ubuhake, sans prêter suffisamment d'attention à des formes plus atténuées de clientèle comme l'umuheto qui subsistèrent longtemps dans les régions périphériques du royaume. Ce type de relation, contrairement à l'ubuhake, supposait certes des rapports d'inégalité entre un patron et un lignage, mais ces rapports étaient inversés: dans l'ubuhake, c'était l'usufruit du troupeau qui était cédé au client tandis que dans la situation d'umuheto, c'était le groupe client qui faisait don de vaches à intervalles réguliers au patron 25. Aux relations d'inégalité idéologique et économique qui s'étendent lentement dans tout le corps social et qui arrivent certainement à maturité au XIXème siècle, il faut aussi ajouter l'expansion d'une dynamique de "violence d'État". Dans l'Afrique des Grands Lacs, c'est surtout en Ankole et au Rwanda que se développent d'importantes organisations militaires et guerrières. "Au Rwanda, outre les contingents guerriers (intore) installés à la cour du mwami, la monarchie nyiginya avait, depuis (...) la seconde moitié du 23. Luc de Heusch, Le Rwanda et la civilisation..., op.cil., pp. 370-371. 24. Catharine Newbury, The Cohesion of Oppression. Clientship and Ethnicity in Rwanda, 1860-1960, New York, Columbia University Press, 1975, p. 134. 25. Idern;, pp. 75...76,
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XVIlIème siècle, créé des frontières militarisées où des guerriers stationnaie,nt en permanence afin de faire face aux agressions éventuelles des royaumes voisins du Burundi, du Nkore (Ankole) ou du Bushi" 26. Avec cette militarisation de la société, un imaginaire d'héroïsme -- et donc de violence -se libère. "Le royaume du R\vanda, poursuit Mworoha, était également attaché aux aspects rituels de la guerre qui se dégagent dans les rôles des héros mutabazi et mucengeri. Ce dernier était une personne sacrifiée en vue d'assurer la victoire dans des conflits provoqués par le Rwanda tandis que le mutabazi se faisait tuer chez l'ennemi afin d'assurer la victoire de son mwami" 27. Et Mworoha de citer un passage de L. De Lacger qui met en évidence, chez le mutabazi, une violence qui se prolonge au-delà même de la mort "Le mutabazi (...), c'est le sauveur qui, au prix de sa vie, affranchit ses frères d'une servitude, d'un fléau quelconque, et tourne une malédiction en bénédiction; c'est le vengeur d'espèce unique, qui, au lieu de tuer l'injuste agresseur de son pays, se fait tuer par lui, afin de charger sa tête d'un forfait abominable, et que son (unbre, son propre muzimu, revenant en puissance,aît le droit de le frapper et de lui faire subir un inexorable retour sur la peine du talion" 28. Des entretiens qu'elle a eus avec une vieille rwandaise "née avant les Blancs", Nyirabwandagara, C. Vidal redécouvrit aussi ces princes (abatabasi) qui "allaient se suicider en terre étrangère de manière à ce que le sang versé sur le sol des ennemis ruine leurs entreprises contre le Rwanda". Mais Nyirabwandagara évoquait aussi les "sauveurs" à qui était confiée la tâche beaucoup moins héroïque de jeter les filles-mères dans la rivière ou de les abandonner en forêt. "Elle assure qu'après cette exécution, ses ancêtres recevaient en récompense un gros veau" 29. Mais c'était surtout l'ampleur de la violence politique qui revient à la mémoire de celle "qui est née avant les Blancs". "Le petit peuple des collines connaît nombre de récits qui (...) assimilent la politique d'autrefois à des luttes mortelles entre factions où rivalisent l'astuce, la ruse et la cruauté". "J'entendais dire, relate Nyirabwandagara, qu'on commettait des meurtres innombrables, qu'on assassinait les gens pour rien. On coupait les têtes, les testicules servaient à orner le tambour royal. Souvent à la Cour, pendant la veillée, quelqu'un prenait une pierre et la jetait contre le tambour qui 26. Émile Mworoha, op.cil., p. 53. 27. Idem, p. 54. 28. L. De Lacger, Rwanda, Kagbayi, 1961, p. 140. 29. Claudine Vidal, Sociologie des passions..., op. cil., p. 73.
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résonnait. On disait: "Karinga a senti un criminel dans cette assemblée!" On le recherchait et on trouvait celui qui était haï ou qui était rival d'un grand che£: et on le déclarait coupable, dénoncé par Karinga. Il était immédiatement livré aux bourreaux qui lui coupaient la tête et les testicules. Le roi distribuait tous ses biens à d'autres". Nyirabwandagara, conclut Vidal, acceptait sans réticence aucune que le meurtre avait été autrefois "l'instrument politique par ex-cellence"30. Ceci signifie-t-il que cette violence ordinaire engendrait des situations de quasi-ethnocide comme F. Rodegem le pense à propos du Burundi? "La tradition, écrit-il, a gardé le souvenir d'éradications totales de certains groupes humains. Le pouvoir, ivre d'autorité, décide de la vie comme de la mort. Les données récoltées manifestent uniquement la folie du pouvoir dont l'abus conduit à l'anéantissement. Qu'on soit prince du sang, pasteur hima ou simple cultivateur ntentre réellement pas en ligne de compte. Le groupe entier est estimé coupable et destiné à disparaître. La répression frappe non des individus, mais les groupes et cette totalisa~ion est caractéristique de ce que l'on appelle aujourd'hui un ethnocide. Il ne s'agit pas là de phénomènes récents imputables à la situation coloniale. La violenée est endogène et les luttes intestines des pasteurs-guerriers étaient permanentes" 31. Ce jugement paraît exagéré et contient un risque sérieux d'amalgame historique: Rodegem présente en effet sa communication au moment du génocide qui a éclaté au Burundi en 1972. En fait, on peut sans doute penser que des violences "collectives" ont eu lieu à l'époque de l'expansion du royaume -- les anciens questionnés par Vidal témoignent de nombreuses révoltes contre le pouvoir des chefs ou contre le mwami 32__mais elles n'ont sans doute impliqué que des antagonismes entre des "patrons" et leur clientèle. Beaucoup plus plausible est l'appréciation nuancée que C. Vidal donne sur la portée du climat précolonial de violences à partir des récits de Nyirabwandagara. "Tant qu'ils ne se trouvent pas malencontreusement pris au travers des règlements de compte, les petites gens se contentent du rôle de témoins et de commentateurs. Ils enregistrent les coups portés, tiennent à jour la liste des vainqueurs et des vaincus, imaginent le temps où, la fortune 30. Idem, p. 66. 31. François Rodegem, "Les poids de l'histoire",
dans René Lemarchand et Jeremy
Greenland, Les problèmes du Burundi, Bruxelles, 1974, p. 18. 32. Claudine Vidal) "Enquête sur le Rwanda traditionnel", op.cil., pp. 534-535.
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changeant de camp, s'exerceront les vengeances. Ainsi, les obscurs, devenant chroniqueurs des lignages les plus en vue, n'enveloppaient-ils d'aucun mystère le mouvement de I'histoire; les ambitions des favoris du roi expliquaient tout et la rumeur publique tirait au clair les machinations les plus embrouillées" 33, Ceux qui tantôt sont les spectateurs ordinaires de ces violences, tantôt en sont les acteurs obligés de par leur position statutaire n'appartiennent et ne s'identifient en aucune façon à ce que l'on appellerait aujourd'hui une ethnie. En fait, le "Hutu" et le "Tutsi" n'ont pas de consistance existentielle. Les rapports sociopolitiques s'établissent par rapport aux détenteurs locaux de pouvoir, de terre et de bétail, "rapport liés à la bipartition de la société en pasteurs et agriculteurs". "Chacun se savait Tutsi ou Hutu, c'étaÎt une certitude, point n'était besoin de justification historique, ni de preuve: par naissance, l'on était Tutsi, c'est-à-dire pasteur, ou bien Hutu, c'est-à-dire agriculteur"34. d'autres termes, les catégories Tutsi et Hutu ne paraissent guère avoir été relevantes en terme politique jusqu'à l'époque de l'expansion du royaume. On peut surtout s'en rendre compte dans les régions périphériques. Sur l'île d'Idjwi, située aujourd'hui en territoire zaïrois et qui a toujours maintenu des contacts étroits avec le Rwanda, le terme "Hutu" n'est pas répandu ou bien n'est pas clairement compris selon C. Newbury. "Les Rwandais sont identifiés collectivement à des "Badusi" (terme dérivé du terme kinyarwanda Abatuutsi), mais individuellement un Rwandais est identifié à son clan. (Dans la région de Kinyaga au sud-est du Rwanda), le statut du "Tuutsi" est considéré, non pas simplement en fonction de la descendance, mais en fonction du contrôle de la richesse (surtout en troupeaux) et du pouvoir. (...) Avec l'arrivée (à Kinyaga) de Rwabugiri et de ses chefs, la classification hutu-tutsi tendit à devenir beaucoup plus rigide. Les lignages qui étaient riches en troupeaux et avaient établi des liens avec des chefs puissants furent considérés comme Tutsi" 35. Comment expliquer la montée d'une déstructuration sociale porteuse des violences politiques et des inégalités sociales qui sont pourtant attestées au coeur du royaume rwandais? Tant J'histoi.re que l'anthropologie sont impuissantes à fournir des réponses péremptoires à cette interrogation. Jusqu'ici on a pu démonter un "Rwanda mythique", mais rien n'a encore été dit sur les fondements structurels des déséquilibres producteurs de tensions socio-politiques. Dans une contribution récente, Christian Thibon a peut-être 33. Claudine Vidal, Sociologie des passions..., op. cil., pp. 66-67. 34. Iderll, p. 74. 35. Catharine Newbury, op. cil., p. Il.
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trouvé un fil conducteur intéressant et insuffisamment exploité, à savoir les particularités du régime démographique dans cette partie de l'Afrique. On l'a déjà dit: une des spécificités du Rwanda (et du Burundi) a été son isolement par rapport à la dynamique commerciale et politique qui se déploie en Afrique centrale et orientale. A l'exception de quelques zones qui furent pourvoyeuses d'esclaves (plaine de la Ruzizi et de l'Imbo), les royaumes centraux des Grands Lacs restèrent à l'écart de la traite: les Zanzibarites furent repoussés et contenus sur les rives du lac Tanganyika, les envahisseurs Ngoni venus de l'Est furent stoppés aux frontières, et les commerçants africains islamisés (Tippo Tip~ Mirambo...), éconduits dans la région, évitèrent la zone située entre le nord du Tanganyika et le lac George 36. L'isolement du Rwanda a dû avoir d'importantes conséquences sur le plan démographique. En effet, échappant aux ravages de la traite, aux agressions extérieures~ 1'.espacerwandais fut exempt des grandes épidémies qui touchèrent les populations d'Afrique orientale et centrale dès 1850. "(Son) isolement -- on pourrait parler d'un équilibre immuno-parasitaire spécifique -le protégea de l'unification microbienne; cette situation semble avoir été prise en compte par les populations puisqu'on recueille bon nombre de récits et jugements sur les dangers des communications à longue distance, sur l'intérêt d'un isolement prophylactique. Le cloisonnement que l'on observe, tant à l'échelle domestique et familiale qu'au niveau des pays, imprégnait ces sociétés" 37. Durant cette phase d'isolement, le peuplement peut donc s'accroître au Rwanda. Une des premières conséquences de cet accroissement est l'éclatement des communautés claniques et territoriales sous l'effet des forces centrifuges de leur propre croissance "Le cadre lignager ne pouvant gérer et contrôler une population qui tendait à s'accroître implosa ce qui pourrait expliquer leur multiplication ou leur regroupement perceptible tant au Burundi qu'au Rwanda"38. On peut ici supposer que le démantèlement lignager renforça le système familial élémentaire et une économie domestique centrée exclusivement sur le rugo, c'est-à-dire sur la maisonnée.
36. John Tosh> "The Northern Interlacustrine
Region", dans Richard Gray et David
Binningham, Pre-colonial African Trade. Essays on Trade in Central and Eastern Africa before
1900,
London
- New- York - Nairobi, Oxford University
Press, 1970.
37. Christian Thibon, "Croissance et régimes démographiques anciens (Bunmdi, Rwanda et leurs marges 1800/1950)", dans Histoire sociale de l'Afrique de l'Est..., op.cft., p. 228. 38. Ide"" p. 223.
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Mais un tel démantèlement pouvait aussi s'accompagner, deuxième conséquence de la croissance démographique, d'un essor de la concentration du pouvoir qui parvient à accaparer la distribution des terres, à multiplier les "bénéfices" de sa protection et les réseaux individualisés de clientèle, et à contrecarrer ainsi les solidarités .lignagères longues qui pouvaient lui être hostiles. "L'éclatement ménager et la concentration du pouvoir iraient donc de pair, ce qui expliquerait le rôle managérial de la royauté. Celle-ci garantissait la prospérité, du moins la régularité des récoltes; les sécheresses pouvaient être fatales pour les rois rendus responsables de cette panne cosmique. Mais par ailleurs, toute période difficile était pour les pouvoirs l'occasion de renforcer leur autorité, leurs liens de fidélité, leurs réseaux de clients et dépendants au moyen de secours et de protections. Ajoutons enfin que cette équation entre le pouvoir et la redistribution des biens de survivance s'actualisait à chaque deuil royal ou princier qui donnait lieu à des interdits concernant les travaux des champs, parfois à des famines "pénitentielles" 39. Selon G. Feltz, l'émergence d'un pouvoir monarchique coïncida aussi avec la pression d'un apport de gros b~tail qui rendait nécessaire la désintégration du régime foncier traditionnel. "Sous l'action conjuguée de deux facteurs -poussée démographique des agriculteurs hutu et accroissement rapide du gros bétail -- s'amorça la rationalisation du sol et le départage des terres à usage agricole et des terres à usage pastoral" 40. Cependant, si le renforcement du pouvoir central et l'implosion du cadre lignager furent possibles grâce à l'expansion du peuplement et à un déséquilibre qui devait être restauré entre pressions pastorales et besoins de nouvelles terres à défricher, la "nouvelle royauté" ne parvint pas vcbritablementà s'imposer comme elle réussit à le faire par exemple dans le royaume merina (Madagascar) dont la trajectoire historique fut à un moment similaire à celle des structures politiques des Grands Lacs 41. IO'Dansun 39.Idem, p. 226. 40. Gaétan Feltz, '''Evolution des structures foncières et histoire politique du Rwanda (llXe et XXe siècle)", Études d'Histoire Africaine, Vil, 1975, p. 149. 41. Produit de l'expansion de groupes allogènes habitant les hauts plateaux de l'île, organisé sur une base d'inégalités statutaires semblable à celles du Rwanda et du Burundi, le pouvoir merina réussit à se transfonner en véritable gestionnaire de la production rizicole et, comme au Rwanda, a casser les identités lignagères réduites à leur plus simple expression (le foko). Voir Françoise Raison-Jourde, Bible et pouvoir à Madagascar au XIXème siècle. Intervention d'une identité chrétienne et constroction de l'État, Paris, Karthala, 1991 ; Jean-Pierre Raison, Les Hautes terres de Madagascar, Paris, KarthalaOrstoln, 1984,
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deuxième temps, avance C. Thibon, la croissance démographique entama à terme, à la fin du siècle, le pouvoir royal dans la mesure où celui-ci ne put se transformer en appareil étatique "moderne", contrôler un territoire et une population surdimensionnés conlpte tenu de ses capacités de fonctionnement; la croissance, après avoir supporté l'unification royale, entretint la rébellion des anti-rois tant à la périphérie que dans les zones les plus peuplées" 42. C'est donc à un point précis de la trajectoire historique du Rwanda qu'il faut faire intervenir le concept et la réalité d'une violence politique qui accompagne des modifications structurelles dans l'environnement humain du. pays.
L'intégration
par le haut et par le bas
Réduire 1'histoire rwandaise, même dans ses phases les plus agitées, à une "violence fondatrice" est cependant très exagéré. Il est en effet nécessaire de mettre en évidence les facteurs institutionnels d'intégration qui sont également à l'oeuvre dans cette histoire.
Il y a d'abord l'institution du mwami qui n'est nullement le produit d'une prétendue "conquête tutsi" sur des agriculteurs hutu. Celle-ci paraît avoir préexisté aux mouvements de populations pastorales qui agitent la région il y a plusieurs siècles. Une dynamique de petits royaumes, où pasteurs "tutsi" et agriculteurs "hutu" ont très probablement coexisté, forme la trame politique majeure de tout l'espace des grands lacs. J. Vansina parle de petits "états de théâtre" dont la taille minuscule "était accompagnée de règles élaborées de succession, d'accession au trône et de funérailles royales, d'une théorie complexe de titres entourant la fonction royale, de rituels royaux compliqués et d'une pléthore d'emblèmes". "Souvenirs complexifiés de ce que d'autres (royaumes), plus loin à l'Est, avaient été avant l'apparition des grands États des grands lacs, en partie imitations de ces royaumes", ces entités connaissent la royauté divine et magique qui restera toujours le fondement des structures d'autorité dans la région 43.
42. Christian Thibon, op.cil., p. 223. 43. Jan Vansina, "Sur les sentiers du passé en forêt. Le cheminement de la tradition politique ancienne de l'Afrique équatoriale", Enquêtes et documents d 'histoire africaine, Louvain",la...Neuve- Mbandaka, n° 9, 1991, pp. 240-241.
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Pour de Lacgeret de Heusch aussi, la "monarchie" royale et sacrée est le trait typique d'un axe de civilisation très ancien qui s'étend depuis les confins de la frontières méridionales de J'Éthiopie au mystérieux "empire" Monotampa et que les "rois tutsi" n'ont fait en fm de compte que réaménager 44 "La monarchîe muhutun' apparaît pas autre en sa constitution que la monarchie mututsi ; elle en semble même le prototype" 45. Tambours royaux, association du couple roi-reine mère, confinement du monarque, enterrement dans une peau de taureau: autant d'artefacts que l'on retrouve chez les rois "tutsi" aussi bien que dans les royautés agro-pastorales antérieures 46. La place de l'institution se situe donc bien au-delà de simples arbitrages, de la conduite des guerres, et de l'organisation de rituels politiques. Le Mwami, image du dieu suprême (Imana) sur terre, est avant tout inviolable, hors de portée de ses sujets ordinaires. Même dans sa fonne ach.evée au XIXème siècle, il est surtout le garant de la fécondité et de la prospérité du royaume et non pas tellement le sommet d'une pyramide de clientèle basée sur la détention de bétail. "Entre la terre et le ciel", il est aussi celui qui pennet, en principe du moins, un arbitrage au sein d'un système agro-pastoral qui, on l'a vu, est en pleine effervescence au XIXème siècle. Mais l'intégration au niveau sociétal et donc l'atténuation des violences potentielles dont le système politique est en tout cas porteur au XIXème siècle est aussi réalisé par le biais d'une autre institution qui a son ancrage dans le "bas" de la société. Il s'agit du mythe de Ryangombe et du culte qui lui est associé, le kubandwa. Célébré dans tOlite la région interlacustre et pratiqué encore (en secret) au Rwanda à la fin des années 60 --les informateurs de C. Vidal insistent sur le fait qu'il s'agit "d'une religion digne d'être célébrée" 47_ -, la tentation est forte de faire de Ryangombe et du kubandwa un mythe et un culte de possession spécifiquement "hutu" 48. En réalité, Ryangombe et le rite du kubandwa transcendent fondamentalement les clivages et les fractures de la société rwandaise pré44. Luc de Heusch, Essais sur le symbolisme de l'inceste royal, Bruxelles, Institut de Sociologie, 1958 ~L. De Lacger, Le Rwanda ancien, Namur, 1939. 45. L. De Lacger, op.cil., p. 76. 46. Luc de Heusch, Le Rwanda et la civilisation interlacustre..., op. cil., pp. 69-77. 4ï. Claudine Vidal, "Enquête sur le Rwanda traditionnel", op.cit., p. 533. 48. Georges Balandier parlera d'un culte "né de la paysannerie hutu". Voir Georges Balandier, Anthropologie politique, Paris, Presses universitaires de France, 1967, p. 109 et 143.
UN ANCRAGE "TRADITIONNEL"
DES VIOLENCES?
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coloniale et nous introduisent dans un univers a-historique. Célébrés à la fois par les Tutsi et les Hutu sans pouvoirs, parfois perçus comme dissidence et combattus, parfois encouragés (en période d'épidémie de peste bovine par exemple 49, Ryangombe et le kubandwa s'écartent complètement. de la représentation officielle de la royauté dont ils sont les contrepoids. Selon de Heusch, "bien que dans le (rite) kubandwa, Ryangombe possède une vache personnifiée et un vacher, ni l'un ni l'autre n'interviennent dans la geste. Ce roi-chasseur n'est pas un amateur de bétail; le symbole de son pouvoir n'est pas le tambour des rois-pasteurs, mais une queue de lièvre. Son fils Binego est un destructeur de bétail. Au sein de la société (mythique) imandwa, les barrières de rang ou de castes sont abolies. Pour se marier ou séduire les filles, Ryangombe n'a pas besoin de bétail, il les conquiert au moyen d'une peau de léopard" 50. Selon Dominique Nothomb, le mythe est aussi en opposition avec l']mana, ce dieu de la tradition monarchique à qui l'on ne parle pas, qui n'a pas de secrets, qui ne s'allie pas avec les hommes, qui ne promet pas de salut 51. "Le Kubandwa offre aux Rwandais la possibilité d'un culte développé, ritualisé, avec cérémonies, célébrants, gestes, objets rituels, paroles rituelles, chants, déclamations, participations aux pouvoirs des héros invoqués, initiation, sacrifices, communion... autant de besoins religieux que l'imanismene fournissait pas. (...). Il conteste l'ordre social, dénonce le caractère dramatique, ambigu, cruel, étouffant de la condition humaine" 52. Si de Heusch et Nothomb s'accordent à dire que la royauté de Ryangombe est chimérique et que le kubandwa est un processus de fuite de la réalité -comme beaucoup de rites de possession africains d'ailleurs --, ces deux institutions offrent sans doute un cadre de référence idéologique et même existentiel qui a permis à ceux du "bas" d'échapper aux tentations de l'état "hobbesien" de nature.
49. Gérard Gahigi, "Lyangombe et la société", dans Lyangombe. Mythe et n'tes, Actes du deuxième colloque du CERUKI, Bukavu, Centre de Recherches universitaires, mai 1976, p. 120. Voir aussi, A. Kagame, "Un abrégé de l'ethno-histoire du Rwanda", Butare, 1972, p. 117. 50. Luc de Reusch, Le Rwanda et la civilisation interlacustre, op.cit., p. 239. 51. Dominique Nothomb, "Signification religieuse des récits et des rites de Lyangombe", dans Lyangombe, Mythe et rites, op.cit., p. 106. 52. Iderfl, p. 109.
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Ainsi donc, la trajectoire historique du Rwanda est marquée par des rapports sociopolitiques violents, en particulier à partir de la seconde moitié du XIXème siècle au cours duquel on assiste à une certaine pétrification dans les relations de maître à sujet. Mais, l'exclusion, la volonté de détruire des identités et à fortiori des comportements génocidaires sont absents du système politique même si celui-ci se déploie dans un contexte de très grandes violences entre factions. C'est le système colonial et son héritier post-colonial qui seront porteurs de fractures à comlotatioIl plus spécifiquement raciale avec toute la violence larvée que ceci induit. L'anthropométrie tient désormais lieu d'anthropologie tandis que la carte d'identité, sur laquelle la mention d~ l' "ethnie" est estampillée, symbolise la citoyenneté à deux vitesses. Le fil d'une trajectoire historique faite d'équilibres tout aussi délicats qu'ambigus est désormais rompu par une "modernité" dans laquelle il faut être obligatoirement classé "tutsi" ou "hutu". C'est précisemment cette polarisation classificatoire qui va se trouver à la base de ce que C. Vidal a appelé les passions ethniques, dans la mesure où le "Tutsi", puis le "Hutu" bénéficieront successivement du l1ionopoledu pouvoir et des avantages qu'il engendre.
3. UN CYCLE
DE VIOLENCES VINDICATIVES
Dans la mesure où son souvenir n'est pas géré, la violence engendre-t-elle la violence? Telle est la question à laquelle on voudrait répondre dans ce chapitre. Colin Lucas a montré l'existence, dans le cas des campagnes françaises de la fin du XIXème siècle, de véritables cycles qui ont ordonné la scénographie ultérieure de la violence collective au sein des communautés 1 . A première vue, le cas rwandais illustre bien ce processus: avec .la fin de la tutelle belge, les conditions sont réunies pour que s'enclenchent des violences de type cyclique. Les affrontements autour de l'enjeu du pouvoir dans un Rwanda indépendant vont mettre en scène ceux qui font partie de ce que Claudine Vidal appelle la "quatrième ethnie", c'est-à-dire celle dont les contours sont définis par les élites (hutu comme tutsi) qui aspirent à la monopolisation du pouvoir politique et qui ne gèrent une situation conflictuelle que par des exclusions ethniques. Le sens réel de ces affrontements va être conditionné d'une part par un renversement à 1800 de la stratégie belge dans son ex-territoire sous tutelle; il va aussi être occulté par l'épanouissement d'une mythique "révolution populaire", soutenue par la catholicité belge progressiste et fondée sur l'opposition entre "féodaux" et "masses populaires". A partir des événements de 1959, le terreau politique est désormais subrepticement perverti par la mise en route du registre des peurs de revanche, des violences et des exclusions réciproques, registre déguisé sous les appellations de "révolution sociale" puis de "révolution morale": dans ce sens, le génocide de 1994 se trouve implicitement inscrit dans la "révolution hutu" de 1959, dans les massacres de 1963, dans les flambées d'exclusion de 1973, et surtout dans les tueries sélectives qui accompagnent le début de la "guerre" de 1990.
1. Colin Lucas, "Themes in Southern Violence after 9 Thennidor", dans Beyond the Terror. Essays ÜJFrench Regional and Social History, Cambridge, Cambridge University Press, 1988.
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La "révolution"
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de 1959 2
Du 1er au 12 novembre 1959, le Rwanda fut le théâtre de violents affrontements qui restèrent inscrits dans I'histoire officielle de ce pays comme le début de "la révolution "de paysans hutu" réduits à l'état de servage contre leurs "seigneurs féodaux tutsi". Il a fallu du temps pour que soient remis en cause et le concept de révolution et celui d'une insurrection purement ethnique, concepts qui furent et sont encore emblématiquement attachés à l'épopée politique du Rwanda indépendant.
Le contexte du drame
Il est opportun de rappeler ici les principales étapes d'une tension à fleur de peau qui s'intensifie à partir des premières élections communales de 1956 puis surtout en mars 1957, date de la parution d'un "Manifeste des Bahutu" rédigé par des intellectuels originaires pour la plupart du nord du pays. Préparé dans la foulée d'une mission de l'ONU sur les évolutions politiques au Rwanda et au Burundi, ce manifeste pose d'emblée ce qu'il appelle l'aspect social du problème racial et réclame des réformes en faveur de la population muhutu en butte au "monopole hamite sur les autres races habitant plus nombreuses et plus anciennement le pays". Le document traduit les revendications d'une mince élite qui s'appréhende comme marginalisée et bloquée dans son processus d'ascension sociale 3. Cette nouvelle élite indigène, bientôt regroupée autour d'une association connue sous le nom d'APROSOMA (Association pour la promotion sociale de la masse), n'a encore pratiquement aucun relais sur les collines du Rwanda, mais elle bénéficie du soutien de plus en plus marqué de l'Église 2. Cette partie est lUle version remaniée d'lUl article publié dans les Cahiers jranç~is d'Histoire d'Outre-mer sous le titre "Le Muyaga ou la "Révolution" rwandaise revisitée", Revue française d'histoire d'outre-mer, Tome 81, n° 304, 1994. 3. Entre 1946 et 1954, le "groupe scolaire d'Astrida", pépinière des futurs chefs et cadres du Rwanda-Unmdi est composé de 45 à 60 "Tutsi" et seulement de 1 à 3 "Hutu". Au Conseil supérieur du pays, les Hutu sont représentés par deux membres contre 31 Tutsi tandis que les représentants des premiers aux conseils de territoire sont au nombre de 30 contre 125 pour les Tutsi. Voir Dominique Daroon, "les conflits de pouvoir au Burundi"> dans Dominique Darbon et Philippe L'Hol)', Pouvoir et intégration politique. Les cas du Burundi et du Malawi, Bordeaux, CEAN, 1982, pp. 49..51
~sainage, les autorités de la communeont fait appel à leurs populations pour
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participer à ce travail communautaire. La date du travail étaittixée au 28 décembre et "les travailleurs" ont dû se présenter avec machettes et gros bâtons (...). Le jour fixé, les Tutsi et Bagogwe (de la commWle)ne se sont pas présenté pour le travail (...). Les Hutu ont remarqué leur absence et les ont suspectés. Sans doute les Bagogwe et Tutsi, connaissant bien 1:tmstoire de l'umuganda de débroussaillage,
avaient trouvé prudent de rester chez eux
(00')'
Le jour de l'umuganda, des foules
années de machettes et de bâtons sont sorties de la forêt pour brûler les maisons des Bagogwe et Tutsi, pour tuer les vaches et pour piller. Région du Bugesera (Cette région, qui est pourtant éloignée des zones de guerre, mais qui abrite un camp militaire important -- le camp de Gako où sont entraînés tous les soldats rwandais, a été le théâtre de nombreuses tueries en mars 1992 (NDA). (...) Le 1er mars 1992,(un tract circule dans la commune de Kanzenze). TIconcluait en ces termes: 'lOlL.
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SEXE MASCULIN
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EN CONSEOUENCE. lA POf'ULA TlON CONTINUERA A S'ACCROITRE PENDANT AU MOINS 40 ANS MEME SI lA FECONDITE TOMBE AUX NIVEAUX DE REMPLACEMENT EN RAISON OU GRAND NQMf!AE DE NAISSANCES FUTURES OU'ENREGISTRERONT
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Source: "Rapport sur la planification démographique au Rwanda", Kigali~ Office national de la population (ONAPO)~ (1980).
REGIME DEMOGRAPmQUE ET VIOLENCES
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Si l'on s'en tient à la seule population scolarisable de 7 à 17 ans, on arrive à des chiffres qui donnent le vertige. En 1990, les effectifs de la population en âge scolaire ont été estimés à 2~188..000.Si l'on s'en tenait aux données de la planification rwandaise, plus de 550.000 unités étaient laissées en dehors du système scolaire. En outre, pour pouvoir atteindre les objectifs de sa planification, il était prévu que le Rwanda devait impérativement multiplier l'infrastructure existante par 5 ! 39 Ces "variables non-économiques" conditionneraient-elles le climat de violences politiques toujours à l'état de latence et qui se sont cycliquement manifestées depuis 1959 ? Les pistes de solutions proposées depuis plus de deux décennies par les démographes et les agronomes -- émigration internationale, planning familial, augmentation des rendements --, seraientelles finalement en complet porte~à-faux par rapport à l'hypothèse d'un état de guerre et de violences cycliques comme moyen de soulager une pression démographique insupportable? Le raisonnement est théoriquement séduisant. Pourtant, il faut se garder de corrélations trop hâtives. L'explosion de 1959 part d'une chefferie, Ndiza (en territoire de Gitarama), qui n'est pas située dans une zone de population particulièrement saturée; elle gagne cependant immédiatement le Nord-Est, effectivement très peuplé, mais aussi la région "vide" de Byumba. Par contre la préfecture de Butare et les zones de peuplement important comme la préfecture de Cyangugu restent à l'écart des événements 40. En fait, ce n'est pas l'intensité du peuplement qui a été à l'origine des violences mais plus probablement sa consséquenc indirecte, à savoir la raréfaction des terres pour une partie des populations. En 1954, l'institution de l'ubuhake a été finalement abrogée, mais, outre le fait qu'elle continuait à subsister dans la pratique, cette décision bien tardive de l'autorité de tutelle ne résolvait pas le problème capital de la double surcharge, agricole et pastorale, qui pesait sur le développement du pays. La suppression de l'ubuhake ne pouvait sortir ses effets que si l'on procédait à une réforme complète du régime d'appropriation des terres par les "patrons" tutsi, les paysans, du fait de l'accroissement des densités de population, étant contraints de vivre sur et de se contenter de parcelles foncières de plus en plus petites 41. 39. Voir Laurien Uwizeyimana, "Les difficultés d'intégrer population et développement à partir de l'exemple du Rwanda", Hubert Gérard ed., Intégrer population et développement, Chaire Quetelet 1990, Louvain-la~Neuve, Academia, 1993, pp. 631-632. 40 ~ ..
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