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eut-on favoriser la santé des Canadiens de tous âges ? Notre système de santé est-il de bonne qualité ? Quels en sont les coûts, comparativement à ceux des autres pays ? En février 1997, le Forum national sur la santé présentait au gouvernement fédéral ses recommandations quant aux moyens d’améliorer le système de santé du Canada et la santé des Canadiens. Le Forum appuie ses recommandations sur plus d’une quarantaine d’études réalisées par les plus éminents spécialistes du domaine. Ces études sont regroupées dans la série « La santé au Canada : un héritage à faire fructifier », qui comprend cinq volumes :
V O L U M E
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Volume 1 – Les enfants et les adolescents Volume 2 – Les adultes et les personnes âgées Volume 3 – Le cadre et les enjeux Volume 4 – le secteur de la santé au Canada et ailleurs Volume 5 – Données probantes et Information Le volume 1 présente les études suivantes : Jane Bertrand – Enrichir l’expérience des enfants d’âge préscolaire Paul D. Steinhauer – Développer la résilience chez les enfants des milieux défavorisés David A. Wolfe – Prévenir la violence et la négligence à l’endroit des enfants Christopher Bagley et Wilfreda E. Thurston – Lutter contre l’abus sexuel à l’endroit des enfants Barbara A. Morrongiello – Prévenir les blessures accidentelles chez les enfants Benjamin H. Gottlieb – Promouvoir le développement optimal des jeunes au Canada Paul Anisef – Transition entre l’école et le travail Pamela C. Fralick et Brian Hyndman – Les jeunes, la toxicomanie et les déterminants de la santé Gaston Godin et Francine Michaud – La prévention des MTS et du sida chez les jeunes
Les déterminants de la santé
LES ENFANTS ET LES ADOLESCENTS
La santé au Canada : un héritage à faire fructifier Études commandées par le Forum national sur la santé
Les déterminants de la santé
LES ENFANTS ET LES ADOLESCENTS
Tullio Caputo et Katharine Kelly – Améliorer la santé des jeunes de la rue isbn 2-921146-44-4
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FORUM NATIONAL SUR LA SANTÉ FORUM NATIONAL SUR LA SANTÉ
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NATIONAL FORUM ON HEALTH
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LA SANTÉ AU CANADA : UN HÉRITAGE À FAIRE FRUCTIFIER ÉTUDES COMMANDÉES PAR LE FORUM NATIONAL SUR LA SANTÉ
Les déterminants de la santé
LES ENFANTS ET LES ADOLESCENTS
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LA SANTÉ AU CANADA : UN HÉRITAGE À FAIRE FRUCTIFIER ÉTUDES COMMANDÉES PAR LE FORUM NATIONAL SUR LA SANTÉ
Les déterminants de la santé
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FORUM NATIONAL SUR LA SANTÉ
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Données de catalogage avant publication (Canada) Vedette principale au titre : La santé au Canada : un héritage à faire fructifier Publ. aussi en anglais sous le titre : Canada Health Action : Building on the Legacy L’ouvrage complet comprendra 5 v. Comprend des réf. bibliogr. Sommaire : v. 1. Les enfants et les adolescents. ISBN 2-921146-61-4 (série) ISBN 2-921146-44-4 (v. 1) 1. Santé publique – Canada. 2. Santé, Services de – Canada. 3. Médecine préventive – Canada. 4. Enfants – Santé et hygiène – Canada. 5. Adultes – Santé et hygiène – Canada. 6. Personnes âgées – Santé et hygiène – Canada. I. Forum national sur la santé (Canada). RA449.C2814 1998 362.1’0971 C97-941657-4
Révision linguistique : Ginette Trudel et Robert Paré Correction des épreuves : Ginette Trudel Design de la couverture : Gérard Beaudry Réalisation des figures : Emmanuel Gagnon
Volume 1 : Les enfants et les adolescents ISBN 2-921146-44-4 Cat. No. : H21-126/6-1-1997F Dépôt légal – Bibliothèque nationale du Québec, 1998 Dépôt légal – Bibliothèque nationale du Canada, 1998 © Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, 1998
On peut se procurer la série Études du Forum national sur la santé à l’adresse suivante : Éditions MultiMondes 930, rue Pouliot Sainte-Foy (Québec) G1V 3N9 CANADA Téléphone : (418) 651-3885 ; sans frais depuis l’Amérique du Nord : 1 800 840-3029 Télécopieur : (418) 651 6822 ; sans frais depuis l’Amérique du Nord : 1 888 303-5931 Courrier électronique :
[email protected] Internet : http://www.multim.com
Publié par les Éditions MultiMondes, en collaboration avec le Forum national sur la santé et les Éditions du Gouvernement du Canada, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada. Tous droits réservés. La reproduction totale ou partielle de cet ouvrage, par quelque procédé que ce soit, tant électronique que mécanique, ou par photocopie ou enregistrement, est interdite sans l’autorisation écrite et préalable du ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada. Dans la présente publication, le générique masculin est utilisé uniquement dans le but d’alléger le texte.
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Avant-Propos En octobre 1994, le Premier ministre du Canada, le très honorable Jean Chrétien, créait le Forum national sur la santé en le chargeant d’informer et de sonder la population, puis d’aviser le gouvernement fédéral quant à des façons novatrices d’améliorer le système de santé et l’état de santé de la population canadienne. Le Forum a été constitué comme organisme consultatif composé du Premier ministre à la présidence, du ministre fédéral de la Santé à la vice-présidence et de 24 membres bénévoles, forts de leur engagement dans le système en tant que professionnels, consommateurs ou bénévoles. Les membres ont rempli leur mandat en privilégiant les enjeux à long terme et les grandes caractéristiques du système de santé. Visant à soumettre des conseils judicieux pour l’élaboration de politiques nationales, ils ont réparti les tâches en fonction de quatre domaines clés : les valeurs, l’atteinte d’un équilibre, les déter minants de la santé et la prise de décisions fondées sur des données probantes. Le rapport complet du Forum national sur la santé comprend les deux volumes intitulés : La santé au Canada : un héritage à faire fructifier Rapport final du Forum national sur la santé et La santé au Canada : un héritage à faire fructifier Rapports de synthèse et documents de référence Des exemplaires du rapport complet sont disponibles auprès de : Centre de distribution, Santé Canada Communications, PL 090124C, Édifice Brooke Claxton, Pré Tunney’s, Ottawa (Ontario) K1A 0K9. Téléphone : (613) 954-5995. Télécopieur : (613) 941-5366 (Also available in English.) Le Forum a appuyé ses recommandations sur 42 études réalisées par les plus éminents spécialistes dans le domaine. Ces études sont regroupées dans une série qui comprend cinq volumes :
Volume 1 – Les enfants et les adolescents Volume 2 – Les adultes et les personnes âgées Volume 3 – Le cadre et les enjeux Volume 4 – Le secteur de la santé au Canada et ailleurs Volume 5 – Données probantes et information
Les volumes de la série Études du Forum national sur la santé peuvent être achetés auprès de : Éditions MultiMondes, 930, rue Pouliot, Sainte-Foy (Québec) G1V 3N9. Téléphone : 1 800 840-3029. Télécopieur : 1 888 303-5931 (Also available in English.)
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LA SANTÉ AU CANADA : un héritage à faire fructifier
Le Groupe de travail sur les valeurs
Le Groupe de travail sur les valeurs a cherché à comprendre les valeurs et les principes de la population canadienne relativement à la santé et aux soins de santé afin de s’assurer que le système reflète toujours ces valeurs et continue d’en tenir compte. Pour cerner les valeurs fondamentales de la population à l’égard du système de soins de santé et en saisir la portée sur le processus décisionnel, le Groupe de travail a mené des sondages d’opinion à partir de scénarios, ou courts récits, traitant de plusieurs sujets sur lesquels les autres groupes de travail du Forum se sont penchés. Les scénarios ont été mis à l’essai auprès de groupes de discussion. Le groupe de travail a aussi entrepris des recherches quantitatives afin de pouvoir mieux généraliser les résultats de son sondage auprès des groupes de discussion. Il a en outre contribué à une revue des sondages d’opinion sur la santé et la politique sociale. Enfin, il a commandé une étude sur les organismes d’éthique au Canada et à l’étranger afin de cerner leur apport potentiel au débat continu sur les valeurs en tant que fondements de la prise de décisions. Le Groupe de travail sur l’atteinte d’un équilibre
Le Groupe de travail sur l’atteinte d’un équilibre s’est penché sur les moyens à prendre pour répartir les ressources restreintes de la société de manière à optimiser la protection, le rétablissement et la promotion de la santé de la population. Il a étudié la question de l’équilibre des ressources au sein du secteur de la santé et les autres branches de l’activité économique. Le groupe de travail a commandé une série d’études pour alimenter ses délibérations. Il a étudié à fond l’évolution internationale des dépenses de santé, de la consommation de services de santé et des performances sanitaires. Il a apporté beaucoup d’attention au partage des dépenses de santé entre les secteurs public et privé, à l’organisation du système de santé et aux transferts fédéraux-provinciaux. Il a publié un document sur le financement public et privé du système de santé et un énoncé de position sur le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux. Le Groupe de travail sur les déterminants de la santé
Le Groupe de travail sur les déterminants de la santé a cherché à cerner les mesures à prendre dans la difficile conjoncture économique et sociale actuelle pour permettre aux citoyens de ce pays de continuer à vivre une longue vie et, si possible, d’améliorer leur état de santé. Il a consulté des spécialistes pour trouver des moyens d’agir sur les déterminants non médicaux de la santé. Il a chargé des experts de rédiger des études sur des sujets qui se rapportent à la santé de la population, notamment à l’environ nement macroéconomique et au cadre de vie (c.-à-d. la famille, l’école, le travail et la communauté), ainsi que sur des sujets qui touchent la santé aux différentes étapes de la vie. Chacune de ces études fait état des connaissances sur la question, présente des exemples de réussites ou d’échecs et dégage les incidences en matière de politique.
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Avant-propos
Le Groupe de travail sur la prise de décisions fondées sur des données probantes
Le Groupe de travail sur la prise de décisions fondées sur des données probantes a étudié les moyens à prendre pour que les consommateurs, les professionnels de la santé et les responsables des politiques appuient leurs décisions sur les données les plus sûres dont on dispose. Il a organisé deux ateliers auxquels ont été conviés des experts afin de discuter des meilleures façons de tirer parti de l’information sur la santé pour créer et alimenter une culture de la prise de décisions fondées sur des données probantes, définir la nature des renseignements dont les Canadiens ont besoin pour devenir de meilleurs consommateurs de soins de santé, et de déterminer les moyens à prendre pour leur communiquer ces renseignements. Le groupe de travail a aussi commandé des études dans les buts suivants : déterminer ce qu’il faut entendre par « données probantes » et « prise de décisions fondées sur des données probantes » ; relever des exemples de décisions bien fondées et de décisions mal fondées ; décrire l’infrastructure de l’information sur la santé requise pour appuyer la prise de décisions fondées sur des données probantes ; examiner les outils d’aide à la décision ; et élaborer des stratégies qui permettront d’élargir le rôle des consommateurs dans la prise de décisions concernant leur santé et le système de soins de santé.
Membres du Forum
William R. C. Blundell, B.Sc.A. (Ont.) Richard Cashin, LL.B. (T.-N.) André-Pierre Contandriopoulos, Ph. D. (Qué.) Randy Dickinson (N.-B.) Madeleine Dion Stout, M.A. (Ont.) Robert G. Evans, Ph.D. (C.-B.) Karen Gainer, LL.B. (Alb.) Debbie L. Good, C.A. (Î.-P.-É.) Nuala Kenny, M.D. (N.-É.) Richard Lessard, M.D. (Qué.) Steven Lewis (Sask.) Gerry M. Lougheed Jr. (Ont.)
Margaret McDonald, inf. aut. (T.N.-O.) Eric M. Maldoff, LL.B. (Qué.) Louise Nadeau, Ph.D. (Qué.) Tom W. Noseworthy, M.D. (Alb.) Shanthi Radcliffe, M.A. (Ont.) Marc Renaud, Ph.D. (Qué.) Judith A. Ritchie, Ph.D. (N.-É.) Noralou P. Roos, Ph.D. (Man.) Duncan Sinclair, Ph.D. (Ont.) Lynn Smith, LL.B., c.r. (C.-B.) Mamoru Watanabe, M.D. (Alb.) Roberta Way-Clark, M.A. (N.-É.)
Secrétaire et sous-ministre, Santé Canada
Michèle S. Jean
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LA SANTÉ AU CANADA : un héritage à faire fructifier
Le Secrétariat
Directrice exécutive Marie E. Fortier Joyce Adubofuor Lori Alma Rachel Bénard Kathy Bunka Barbara Campbell Marlene Campeau Carmen Connolly Lise Corbett John Dossetor Kayla Estrin Rhonda Ferderber Annie Gauvin Patricia Giesler Sylvie Guilbault Janice Hopkins
Lucie Lacombe Johanne LeBel Elizabeth Lynam Krista Locke John Marriott Maryse Pesant Marcel Saulnier Liliane Sauvé Linda St-Amour Judith St-Pierre Nancy Swainson Catherine Swift Josée Villeneuve Tim Weir Lynn Westaff
Nous remercions sincèrement toutes les personnes qui ont participé aux diffé rentes étapes de réalisation de cette série d’études.
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Table des matières générale – Volume 1
les enfants Enrichir l’expérience des enfants d’âge préscolaire ...............8
Jane Bertrand Points saillants des écrits sur le sujet ...............................................................8 Exemples à suivre .........................................................................................15 Mesures préconisées . ....................................................................................36 Résumé des mesures préconisées . .................................................................43 Développer la résilience chez les enfants des milieux défavorisés.........................................................................49
Paul D. Steinhauer La résilience : définition et facteurs ...............................................................53 Accroître la résilience des enfants défavorisés ................................................54 Effet des risques inhérents aux milieux défavorisés sur le potentiel de résilience .....................................................................57 Favoriser le développement de la résilience dans les milieux défavorisés : exemples à suivre . ......................................70 Points à considérer pour l’élaboration d’une politique ..................................91
Prévenir la violence et la négligence à l’endroit des enfants...............................................................................................107
David A. Wolfe Principales conclusions tirées de la documentation ....................................115 Une initiative couronnée de succès ............................................................122 Interventions stratégiques ..........................................................................129 Conclusions ..............................................................................................135 Lutter contre l’abus sexuel à l’endroit des enfants...........141
Christopher Bagley et Wilfreda E. Thurston Prévalence et conséquences des abus sexuels à l’endroit des enfants . ..........147
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LA SANTÉ AU CANADA : un héritage à faire fructifier
Dénonciation des agresseurs, évaluation des victimes et collecte d’éléments de preuve . ..........................................................149 Facteurs familiaux à considérer relativement aux abus, à leur prévention et à leur traitement ....................................................150 Problèmes cliniques et thérapeutiques .......................................................153 Les mères des victimes ...............................................................................154 Programmes de prévention à l’intention des enfants ..................................155 La santé mentale, la délinquance, les fugues, la prostitution et le cycle victime-agresseur chez les adolescents victimes d’abus sexuels ...............158 Santé mentale et traitement des survivants parvenus à l’âge adulte .............160 Évaluation, traitement et réadaptation des agresseurs . ...............................162 Études de cas .............................................................................................165 Conclusions et priorités . ...........................................................................175 Recommandations spécifiques ...................................................................179 Prévenir les blessures accidentelles chez les enfants......185
Barbara A. Morrongiello Les blessures chez les enfants .....................................................................192 Comparaison entre les approches actives et passives pour la prévention des blessures ..........................................................................................195 Questions d’évaluation ..............................................................................197 Programmes de prévention des blessures : les « modèles à suivre » . ..............200 Conclusions et recommandations ..............................................................230 Mesures préconisées . .................................................................................232
les adolescents Promouvoir le développement optimal des jeunes au Canada...................................................................................................251
Benjamin H. Gottlieb Introduction et aperçu . .............................................................................256 Buts et présentation . .................................................................................256 Principales conclusions des écrits sur les déterminants de la santé ..............257 Caractéristiques et situation des adolescents du Canada . ...........................260 Stratégies d’amélioration de la santé mentale des adolescents : exemples à suivre .......................................................................................261
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Table des matières générale – volume 1
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Mesures préconisées . .................................................................................284 Transition entre l’école et le travail.........................................293
Paul Anisef Partie 1 – Définition du problème ........................................................297 Énoncé de principe . ..................................................................................297 Introduction . ............................................................................................298 Définition du problème . ...........................................................................299 Facteurs clés de l’examen de la transition de l’école au travail et de la rétention des élèves ...................................................................301 Principales conclusions de la documentation sur le décrochage quant à la transition de l’école au travail ...............................................304 Questions méthodologiques ......................................................................305 Principales conclusions ..............................................................................306 Partie 2 – Réalisations ...........................................................................310 Critères de succès ......................................................................................313 Pour un meilleur avenir .............................................................................313 Programme d’apprentissage pour les jeunes de l’Ontario (PAJO) . .............316 Lien études-travail .....................................................................................321 Partie 3 – Conclusions et mesures préconisées . ....................................323 Les jeunes, la toxicomanie et les déterminants de la santé.................................................................................................333
Pamela C. Fralick et Brian Hyndman Introduction . ............................................................................................336 Les écrits : quelques éléments de réponse ...................................................336 Exemples ...................................................................................................349 Lacunes théoriques ....................................................................................360 Considérations politiques ..........................................................................366 Recommandations . ...................................................................................369 Conclusions ...............................................................................................371
La prévention des MTS et du sida chez les jeunes..................377
Gaston Godin et Francine Michaud La problématique des MTS et du sida ........................................................381 Le cadre d’intervention . .............................................................................382
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LA SANTÉ AU CANADA : un héritage à faire fructifier
Bilan des études examinant les facteurs associés aux comportements à risque ..................................................................388 Les stratégies de prévention efficaces . .........................................................391 Études de cas...............................................................................................395 Recommandations en matière de prévention des MTS et du sida ...............409 Améliorer la santé des jeunes de la rue.....................................419
Tullio Caputo et Katharine Kelly Introduction . ............................................................................................426 Estimation de la taille de la population des jeunes sans abri .......................427 Facteurs incitant les jeunes à fuguer ...........................................................439 Interventions pour venir en aide aux jeunes sans abri : exemples tirés de deux études de cas . ..........................................................................443 Mesures préconisées pour améliorer la santé des jeunes itinérants ..............455
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Les enfants
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Enrichir l’expérience des enfants d’âge préscolaire Jane Bertrand Enseignante George Brown College
Résumé On reconnaît depuis longtemps l’importance que revêtent les premières expériences des enfants pour leur développement ultérieur. Un nombre considérable de données illustrent quelles sont les expériences marquantes et pourquoi elles le sont. C’est au cours des premières années de l’enfance, soit les années qui précèdent l’entrée à l’école, que s’établissent les mécanismes biologiques, comportemental et psychologique qui guideront l’enfant tout au long de sa vie. Les schèmes de développement qui se sont formés au cours des premières années peuvent être changés, mais avec le temps, il devient de plus en plus difficile de les modifier. À la naissance, les nourrissons possèdent déjà des structures et des systèmes biologiques pour interpréter le monde et interagir avec celui-ci. Ce sont les expériences qui déterminent le développement de ces systèmes. Or, les expériences des premières années sont particulièrement déterminantes dans l’orientation de ce développement. Le présent document explore les moyens d’enrichir les expériences préscolaires de tous les enfants, mais particulièrement de ceux qui viennent de milieux défavorisés, pour faire en sorte qu’ils prennent un bon départ dans la vie. Nous examinons d’abord les points saillants de la documentation portant sur les expériences préscolaires et l’impact de ces expériences sur les déterminants de la santé. Ensuite, nous examinons plusieurs projets conçus pour enrichir les expériences préscolaires et améliorer à long terme la santé physique, sociale et mentale de l’enfant. Ce document se termine par un exposé sur les mesures préconisées.
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LA SANTÉ AU CANADA – Les enfants et les adolescents
Points saillants
La situation socioéconomique influe sur le développement de l’enfant, notamment sur le plan de la santé et de la longévité. Même avant l’âge scolaire, les groupes d’enfants socialement favorisés ont tendance à surpasser les groupes moins privilégiés sur le plan des compétences sociales et cognitives. L’attachement solide à un adulte aimant est un facteur crucial du développement des jeunes enfants. La qualité de cette relation est liée à un certain nombre d’éléments de l’enfance et de la vie adulte. Les premières relations d’attachement établissent comment la personne vivra ses relations futures, quels seront ses comportements sociaux et émotionnels et comment il résoudra les problèmes. La recherche confirme que les premières expériences déterminent les compétences, la santé, le bien-être et la capacité de faire face aux problèmes de la vie et elle en explique les fondements biologiques. C’est au cours des premières années que le développement du cerveau, y compris le nombre de neurones et comment ces neurones sont reliés entre eux pour former des trajets neuronaux, est le plus actif. En outre, les modes de réaction au stress sont établis dès les débuts de la vie et semblent s’intégrer à l’organisation neuronale du jeune enfant. Ainsi, les stratégies d’adaptation établies au cours des années préscolaires ont de fortes chances de persister toute la vie. Pendant leurs premières années, les enfants développent des structures conceptuelles centrales aux applications diverses qui leur permettent de profiter des occasions et des défis d’apprentissage ainsi que d’acquérir des compétences et des connaissances. Les premières expériences peuvent stimuler la création et le développement des structures liées à l’aptitude numérique et à l’alphabétisation et, par conséquent, elles peuvent influer sur l’apprentissage scolaire ultérieur. La maturité sociale, émotionnelle et cognitive de l’enfant en 1re année sont des facteurs déterminants qui permettent de prédire les compétences, les capacités d’adaptation, l’état de santé et le bien-être du futur adulte. Les expériences préscolaires qui appuient directement l’acquisition des compétences pour réussir la 1re année augmentent les chances de réussite, tant chez l’enfant que chez les parents. Exemples à suivre
Parmi les initiatives d’enrichissement préscolaire des enfants, de la naissance à l’entrée à l’école, on trouve de nombreux exemples qui étayent le processus et les résultats de l’intervention ou du programme. La sélection de réussites présentées ci-après illustre diverses approches et fait ressortir les résultats longitudinaux, lorsque c’est possible. Les responsables du programme Staying on Track, un projet de santé publique élaboré par le Dr Sarah Landy et le Service de santé publique de Brockville, en Ontario, ont fait une évaluation de rentabilité. Le programme, qui faisait appel à de nouvelles méthodes de dépistage et d’intervention précoces, a été offert durant trois ans et demi aux enfants de Brockville âgés de moins de 4 ans. On a pu constater que le niveau de fonctionnement des jeunes participants s’était considérablement amélioré par rapport à celui des enfants qui n’avaient pas participé au programme. En outre, le programme a permis de cerner
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Jane Bertrand – Enrichir l’expérience des enfants d’âge préscolaire
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trois problèmes précis : la dépression de la mère, les difficultés précoces dans l’apprentissage du langage et la maîtrise des émotions. Les facteurs socio-démographiques ne se sont pas révélés d’aussi bons déterminants du succès de l’enfant que la qualité de l’interaction des parents avec l’enfant et les antécédents des parents, ce qui porte à croire que ce genre de programme pourrait être appliqué de façon plus générale, à l’échelle communautaire, par exemple. Le Victoria Day Care Research Project et le Victoria Day Care Research Follow-up Project ont permis de recueillir des données sur les expériences quotidiennes, la qualité des soins et l’évolution du développement (immédiate et longitudinale) dans trois types de garderies – les garderies en milieu familial reconnues, les garderies en milieu familial non reconnues et les garderies communautaires reconnues. L’étude initiale et le suivi ont été conçus en vue d’explorer l’interaction familiale, les soins prodigués à l’enfant et l’effet des variables de l’enfant sur son développement. L’échantillon incluait des enfants et des familles à risque ainsi que des enfants et des familles non à risque. L’étude originale a révélé que les enfants venant de familles ayant peu de ressources (soit les familles monoparentales où la mère a un faible niveau de scolarité, un emploi peu valorisant et un revenu peu élevé) se retrouvaient en plus grand nombre dans des garderies où les soins étaient de qualité inférieure et qu’ils obtenaient des résultats moins élevés aux tests d’évaluation du langage. Le suivi portait sur les aptitudes scolaires, cognitives et sociales, à l’adolescence, des enfants ayant participé à l’étude initiale. On a constaté des retombées positives sur le plan du développement chez ceux ayant fréquenté une garderie communautaire reconnue durant les années préscolaires. Le Children’s Television Workshop a été mis sur pied au début des années 1960 afin de produire Sesame Street, une intervention visant à aider les enfants défavorisés à acquérir les aptitudes sociales et scolaires dont ils auront besoin à l’école. Une étude récente des effets de la télévision éducative (surtout de Sesame Street) sur l’aptitude aux études et le niveau de maturité scolaire des enfants d’âge préscolaire de familles à faible revenu et sur la façon dont ils s’adaptent au milieu scolaire a permis d’établir un fort lien positif entre le niveau de maturité scolaire et le fait d’avoir regardé des émissions éducatives comme Sesame Street. Le Perry Preschool Project est un des programmes d’intervention préscolaire les plus connus. Ce programme d’enrichissement préscolaire a été offert dans les années 1960 à des enfants de familles à faible revenu du Michigan qui semblaient présenter un risque élevé d’échec scolaire. Les enfants qui ont participé au programme d’enrichissement préscolaire ont été comparés à un groupe témoin d’enfants. On continue, 27 ans plus tard, de suivre les deux groupes ; on a ainsi pu déterminer que les adultes ayant participé au programme ont des revenus plus élevés, commettent moins de crimes et ont des niveaux plus élevés de scolarité. Il y a également eu moins de grossesses chez les adolescentes du groupe « expérimental ». De nombreuses initiatives canadiennes tentent actuellement d’enrichir les expériences préscolaires d’enfants défavorisés dans le but d’améliorer leur capacité d’apprentissage au moment de l’entrée à l’école et, par conséquent, de favoriser leur épanouissement à long terme. Ces initiatives s’appuient sur les connaissances acquises et les expériences menées jusqu’à présent pour mieux comprendre les interactions des enfants, des familles et des
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LA SANTÉ AU CANADA – Les enfants et les adolescents
communautés et procèdent à des évaluations très poussées (généralement longitudinales). Ces programmes sont, entre autres : Get Ready to Learn, de TV Ontario ; 1,2,3, GO !, qui est mené à Montréal ; Partir d’un bon pas, pour un avenir meilleur, en Ontario ; ainsi que les programmes du Plan d’action communautaire pour les enfants, mis sur pied par le gouvernement fédéral.
Mesures préconisées
En faisant vivre à un enfant toute une variété d’expériences préscolaires adaptées à son contexte social, on peut contribuer sensiblement au développement, à long terme, de sa santé, de son bien-être, de ses compétences et de sa capacité d’adaptation. De nombreux facteurs qui influencent le développement de l’enfant sont liés à d’autres déterminants de la santé. De plus en plus de faits démontrent qu’une intervention avant la transition critique vers l’école peut avoir une influence positive sur la santé et le bien-être ultérieurs. La question pour les décideurs consiste à déterminer comment organiser les politiques et les programmes de façon à mieux soutenir les initiatives préscolaires. On doit tenir compte des liens qui existent entre les besoins des familles en matière de garderie et les programmes d’éducation préscolaire tout en reconnaissant les obstacles financiers et politiques qui entravent la création d’un vaste système de garderies publiques. Il faut surtout s’efforcer de réorganiser les ressources actuelles, de doter les communautés des moyens nécessaires et de mettre l’accent sur les parents et ceux qui s’occupent des enfants. Il devrait exister des services de soutien aux enfants et à leur famille pour tous les enfants dans la communauté. De même, on doit mettre en place des programmes axés sur les enfants à haut risque. Ces programmes spécialisés peuvent être offerts dans le même cadre d’opération. Puisque l’on peut mesurer les effets de diverses expériences sur le développement des enfants, ces effets devraient faire l’objet d’un suivi sur des périodes de temps prolongées. En mesurant les résultats et en utilisant les renseignements ainsi obtenus pour décider des mesures à adopter, nous pourrions davantage maximiser l’utilisation de nos maigres ressources. La situation socioéconomique est un facteur qui influe constamment sur le développement de l’enfant au cours des années préscolaires. Ce facteur est un des déterminants de la santé et du bien-être tout au long de la vie. Toute proposition visant à assurer un bon départ dans la vie doit comporter des mécanismes qui permettront la distribution adéquate de ressources économiques aux familles qui ont des enfants d’âge préscolaire.
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Table des matières
Points saillants des écrits sur le sujet ..................................................................8 La situation socioéconomique et le développement de l’enfant........................8 L’attachement et les relations interpersonnelles..............................................10 Le système neuronal......................................................................................11 Les habiletés cognitives et linguistiques..........................................................13 Le contexte social..........................................................................................13 La transition vers l’école : élément et déterminant..........................................15
Exemples à suivre ........................................................................................... 15 Staying on Track............................................................................................16 Le Victoria Daycare Research Project.............................................................20 Sesame Street..................................................................................................25 Le Perry Preschool Project.............................................................................30 Les initiatives en cours à l’échelle communautaire au Canada........................34 Get Ready to Learn....................................................................................34 Partir d’un bon pas, pour un avenir meilleur.............................................35 1,2,3, GO !...............................................................................................36
Mesures préconisées ....................................................................................... 36 Le soutien aux familles, les soins à l’enfant et l’éducation des jeunes enfants..........................................................................................37 Les programmes généraux et les programmes spécifiques...............................40 L’évaluation des résultats................................................................................41 Les politiques socioéconomiques ..................................................................42 Résumé des mesures préconisées .................................................................... 43 Bibliographie......................................................................................................45
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Points saillants des écrits sur le sujet
On ne compte plus les recherches qui portent sur les expériences préscolaires et les répercussions de ces expériences sur le développement des enfants et d’autres déterminants de la santé. De nombreuses cultures ont reconnu depuis longtemps le lien entre les expériences vécues au cours des premières années et l’épanouissement des personnes. Des études récentes ont permis d’établir de façon convaincante l’existence de ce lien. D’après les constatations d’un certain nombre de disciplines, incluant la psychologie, la biologie, l’éducation, l’intervention précoce, les études familiales, l’économie, la santé publique et la sociologie, il est possible de déterminer comment le développement progresse au cours des premières années et quelles sont les expériences marquantes. On peut également déterminer jusqu’à quel point le développement au cours des premières années peut influencer la santé, les habiletés et la capacité d’adaptation futures. La présente partie résume les découvertes et fait état des principales conclusions qui ressortent de l’ensemble des recherches. Plus particulièrement, la discussion sur les principaux résultats de recherche souligne l’établissement des systèmes biologique, comportemental et psychologique pendant les années préscolaires. La situation socioéconomique et le développement de l’enfant
La situation socioéconomique d’un enfant, déterminée par le revenu familial, la profession des parents et le niveau de scolarité de ces derniers, est un facteur qui a une grande influence sur le développement de l’enfant et ce, dès sa conception. La pauvreté a de lourdes conséquences pour les enfants. Les enfants qui viennent de familles pauvres sont plus susceptibles que les enfants de familles mieux nanties : – d’éprouver des difficultés à la naissance (Hanvey et al., 1994) ; – de mourir au cours de leur première année (Hanvey et al., 1994) ; – d’être malades plus souvent (Hanvey et al., 1994) ; – d’avoir des problèmes émotionnels et des problèmes de comportement (Offord et al., 1989 ; Duncan et al., 1994) ; – d’accuser un retard intellectuel durant la période préscolaire (Burchinal et al., 1989 ; Burchinal et al., 1995 ; Wright, 1983). Néanmoins, on ne s’entend pas sur la façon dont la pauvreté influe sur le développement de l’enfant et sur les types de pauvreté qui sont les plus dommageables pour les enfants (Bolger et al., 1995 ; Dodge et al.,1994 ; Steinhauer, 1995). Une étude américaine (Dodge et al., 1994) a isolé huit facteurs qui semblent accroître les effets néfastes d’un faible revenu sur le comportement. Ces facteurs sont les punitions sévères, le manque de chaleur humaine, l’interaction avec des adultes agressifs, la nature agressive des valeurs maternelles, la présence de facteurs de stress dans la vie familiale, le manque de soutien social de la mère, l’instabilité du groupe des pairs et le manque de stimulation cognitive. La pauvreté augmente les probabilités que ces facteurs soient présents dans le milieu familial de l’enfant (Bolger et al., 1995 ;
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Dodge et al., 1994). Les enfants d’âge préscolaire dans les familles à faible revenu sont plus susceptibles de manquer de possibilités de jeux stimulants et d’occasions d’explorer (Wright, 1983 ; Ross et al., 1994). Les enfants de familles à faible revenu risquent aussi plus de recevoir des soins de qualité inférieure d’autres personnes (Goelman et Pence, 1988). Bref, les enfants pauvres semblent recevoir moins de soins et de stimulation, ces choses mêmes qui pourraient aider à contrer les effets néfastes de la pauvreté. Les chercheurs se sont également penchés sur les répercussions de la pauvreté à court terme comparativement aux effets de la pauvreté persistante ou à long terme. Une étude récente, menée aux États-Unis (Bolger et al., 1995) a révélé que les enfants qui vivent dans la pauvreté chronique ont plus de problèmes de comportement que les enfants qui ont connu de courtes périodes de pauvreté. (Comme on l’avait prévu, les enfants qui ne vivaient pas dans la pauvreté éprouvaient moins de difficultés.) Duncan et ses collaborateurs (1994) ont trouvé des problèmes émotionnels et comportementaux plus prononcés chez les enfants de 5 ans vivant dans une situation de pauvreté chronique. Mais le lien entre la situation socioéconomique et les répercussions sur le développement des enfants ne tient pas aux seuls effets néfastes de la pauvreté, et le fait d’éliminer la pauvreté ne suffirait pas à enrayer tous les problèmes de santé physique et émotionnelle, de fonctionnement intellectuel et de comportement. Dans un certain nombre de domaines, lorsque l’information sur l’épa nouissement de l’enfant peut être analysée par quintile de revenu, on peut établir un lien entre les revenus plus élevés et l’épanouissement ou le degré de réussite de l’enfant (Ross et al., 1996). Les taux de mortalité infantile et de faible poids à la naissance s’améliorent à chaque niveau de revenu (Statistique Canada, mentionnée dans Hanvey et al., 1994). Dans une étude sur la compréhension que les enfants ont des nombres, on a relevé, chez les enfants de la maternelle, divers niveaux de compréhension qui étaient liés à la situation socioéconomique de la famille (Griffin et al., 1994). Lorsqu’on leur a demandé lequel des chiffres 5 ou 4 était le plus élevé, plus de 90 % des enfants dans le groupe de revenu le plus élevé ont répondu correctement. Le pourcentage de bonnes réponses a baissé proportionnellement à la situation socioéconomique des enfants pour atteindre 15 % chez les enfants du groupe à plus faible revenu. Dans d’autres domaines, il n’existe pas de données permettant d’examiner les différences dans l’épanouissement des enfants. Offord (communication personnelle, 1995) déclare qu’il existe un seuil au-delà duquel la quantité de revenu supplémentaire ne confère plus d’avantages supplémentaires aux enfants sur le plan de l’adaptation émotionnelle et comportementale et de la réussite scolaire. Ce seuil se situerait entre 25 000 $ et 35 000 $ de revenu familial par année. Les enfants pauvres ont plus de difficultés intellectuelles, émotionnelles et comportementales, mais la majorité des enfants d’âge préscolaire qui éprouvent de la difficulté ne sont pas des enfants pauvres. Même si l’élimination de la pauvreté devrait réduire l’incidence de ces problèmes, il est peu probable que cela changerait quelque chose pour les enfants qui ne vivent pas dans la pauvreté. Comme le souligne
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l’Étude sur la santé des enfants en Ontario (Offord et al., 1989), les probabilités de troubles de comportement chez les enfants pauvres sont plus élevées ; cependant, il y a, dans l’ensemble, plus d’enfants ne vivant pas dans la pauvreté qui ont des problèmes.
L’attachement et les relations interpersonnelles
Les relations affectueuses avec les autres sont un des déterminants connu de la santé et du bien-être pour tous les groupes d’âge. L’attachement désigne un lien primaire fort entre deux personnes qui se soucient l’une de l’autre et qui font le nécessaire pour que la relation se poursuive. L’attachement du nourrisson est un lien émotionnel étroit entre celui-ci et un ou plusieurs adultes qui lui prodiguent des soins. Il existe de nombreuses théories et études sur l’attachement du nourrisson. La plupart du temps, les nourrissons développent un attachement pour leur mère, bien que plusieurs établissent un lien émotionnel étroit avec leur père, d’autres membres de la famille ou d’autres personnes. Des études sur des singes (Harlow et Zimmerman, 1959) et des enfants à haut risque (Werner et Smith, 1982) démontrent la valeur potentielle de l’attachement à un adulte « substitut » aimant qui n’est pas l’un des parents biologiques. Le tempérament et l’expérience sont deux facteurs qui influencent l’attachement. Les nourrissons qui ont par prédisposition une faible tolérance au stress et qui sont élevés par des personnes (parents ou autres) sensibles à leurs besoins formeront un lien solide avec ces dernières. Si les mêmes nourrissons sont élevés par des personnes plus rigides qui sont moins attentives à leurs besoins, ils seront plus susceptibles d’éprouver de la difficulté à former des liens d’attachement solides (Kagan, sous presse). Les recherches sur les méthodes d’éducation des enfants appliquées aux singes rhésus ont mené aux mêmes conclusions (Suomi, 1993). Les singes ayant un faible niveau de tolérance au stress qui étaient placés auprès de mères nourricières très aimantes formaient des liens d’attachement très forts et se développaient bien. Cependant, les autres singes de même tempérament qui étaient élevés par des mères nourricières autoritaires avaient des réactions extrêmes aux nouvelles situations et au stress durant toute leur vie. Une étude longitudinale, qui suivait les sujets de la prime enfance à l’âge adulte (Werner et Smith, 1982), a permis de vérifier que le fait d’avoir une relation stable et de confiance avec au moins un adulte est le facteur qui influe le plus sur la capacité de survivre aux événements traumatisants et difficiles, y compris les cas où les parents sont absents, violents ou distants. Beaucoup de données de recherches établissent le lien entre un attachement solide et les aptitudes sociales et scolaires ainsi qu’avec d’autres aspects positifs d’un bon développement. L’attachement précoce semble établir le fondement pour les relations futures (Beckwith, 1990 ; Bretherton et Waters, 1985 ; Main, 1990). Les modes de communication et d’établissement de relations avec les autres, d’interprétation de l’information, de résolution de problèmes, d’expression des émotions et de comportement sont tous influencés par la qualité des premiers
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attachements (Beckwith, 1990 ; Keating, 1993). D’autres études longitudinales signalent que les enfants qui avaient formé des liens d’attachement solides dès leur plus jeune âge obtenaient des meilleures notes et avaient moins de conflits avec les autres à l’école primaire (Egeland, 1989). Chez les humains, les nourrissons forment généralement des liens d’attachement pendant la première année de leur vie. Les enfants qui ne forment pas de liens d’attachement au cours de cette première année peuvent le faire plus tard, mais il leur est alors beaucoup plus difficile d’y parvenir.
Le système neuronal
Les biologistes cellulaires et moléculaires en apprennent toujours un peu plus sur le fonctionnement du système nerveux. Les innovations technologiques ont mené à la création d’équipement beaucoup plus puissant pour l’exploration du cerveau, permettant aux chercheurs d’en mesurer la croissance et le développement et de mieux comprendre l’influence de l’environnement sur celui-ci. Les bébés et les jeunes enfants qui grandissent auprès d’adultes qui s’occupent d’eux dans un environnement stimulant réussissent généralement mieux que les enfants qui vivent dans des situations moins optimales. Non seulement ils réussissent mieux dès leur jeune âge, mais ils sont également plus compétents, mieux adaptés et en meilleure santé dans leur vie d’adulte. L’incidence, sur la vie d’adulte, des expériences vécues au cours des premières années est bien documentée et généralement acceptée. Le récent rapport de la Carnegie Corporation de New York (1994), intitulé Starting Points, résume très bien les résultats de la recherche. D’abord, le développement du cerveau avant la naissance et pendant la première année de vie est impressionnant (Carnegie Corporation de New York, 1994). À la conception, la vie commence par une cellule. Un nourrisson né à terme possède un cerveau et un système nerveux constitués de plus de 100 milliards de cellules nerveuses ou neurones. Toutefois, ces cellules ou neurones ne sont pas tous reliés les uns aux autres. Pendant la première année de vie, le cerveau se développe à mesure que les connections, ou synapses, se forment entre les neurones. La partie du neurone qui reçoit l’information s’allonge pour se connecter à d’autres neurones. Les chiffres sont incroyables : chaque neurone forme jusqu’à 15 000 synapses. Ces connexions créent des trajets, qui constituent la carte cérébrale de l’apprentissage. Le cerveau est très vulnérable aux premières expériences. Il y a de fait (Carnegie Corporation de New York, 1994) des périodes critiques où le cerveau doit se développer pour appuyer certains systèmes sensoriels. Une période critique est un temps fixe et limité pendant lequel un processus de développement donné doit avoir lieu. Si l’environnement n’est pas en mesure de fournir la stimulation ou l’apport nécessaire pendant cette période critique, il peut en résulter un dérèglement permanent du fonctionnement de ce système sensoriel. Par exemple, des études sur le manque de stimulation visuelle durant la période critique (une brève période au cours de la première année de vie) indiquent que le développement complet de l’aire visuelle du cerveau peut être compromis (Cyander, 1994). De plus en
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plus de données semblent indiquer qu’il pourrait exister des périodes critiques ou sensibles pour des fonctions du cerveau autres que les fonctions liées aux systèmes sensoriels (Cyander, 1994 ; Carnegie Corporation de New York, 1994). On peut donc raisonnablement conclure qu’un manque de stimulation durant la première année de la vie pourrait nuire au développement du cerveau et réduire les capacités cognitives et linguistiques. L’environnement influe non seulement sur le nombre de neurones et de synapses, mais également sur la façon dont ils sont connectés (Carnegie Corporation de New York, 1994). Un nouveau-né dispose d’un surplus de neurones et de synapses. Le processus de connexion établit des trajets entre les neurones et les synapses qui sont fréquemment utilisés et élimine ceux qui sont inactifs. Il façonne les habiletés, la capacité d’adaptation, l’état de santé et le bien-être ; c’est un processus interactif compliqué sur lequel les scientifiques ont encore beaucoup à apprendre. Ce processus se déroule surtout durant les premières années de la vie, mais il se poursuit durant l’adolescence. Bien que la programmation génétique joue un rôle dans la détermination des trajets neuronaux du cerveau, l’expérience acquise par la stimulation sensorielle semble également jouer un rôle crucial. Le stress subi pendant les premières années de la vie peut avoir des effets néfastes sur le développement du cerveau et son fonctionnement (Carnegie Corporation de New York, 1994). Le stress est un événement ou une circonstance qui met à rude épreuve la capacité d’adaptation d’une personne. Il donne lieu à des réactions psy chologiques et physiologiques. Les réactions au stress activent le système immunitaire et le système nerveux. Les glandes surrénales produisent des corticostéroïdes ou hor mones du stress. Sur une longue période, les corticostéroïdes peuvent affaiblir le système immunitaire et avoir des effets sur la mémoire et les fonctions d’apprentissage du cerveau (Cyander, 1994). Par exemple, il a été établi que la violence ou la négligence subies au cours de la prime enfance entravent la capacité de l’enfant d’établir des relations. Bon nombre d’études (signalées dans Keating, 1993) indiquent que de mauvaises relations interpersonnelles qui comportent des éléments de violence et de négligence peuvent également réduire la souplesse cognitive et entraver le fonctionnement du système immunitaire. Le stress engendré par la violence et la négligence peut se solder par des changements neuronaux qui influent sur les fonctions biologiques et cognitives. Les premières expériences d’adaptation au stress contribuent à modifier les fonctions biologiques de base et à établir des modes relativement stables de réaction plus tard dans la vie (Keating, 1993). La capacité de s’adapter efficacement réduit la tension imposée au système immunitaire et au système endocrinien connexe, ce qui favorise une meilleure santé et un meilleur fonctionnement des capacités cognitives. La recherche mène de plus en plus à la conclusion que les expériences façonnent le cerveau. Les capacités potentielles sont certes le fait du bagage génétique, mais, en réalité, ce sont la quantité et la qualité des expériences qui déterminent les capacités réelles.
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Les habiletés cognitives et linguistiques
Au cours des années préscolaires, les enfants acquièrent des habiletés cognitives et linguistiques de base qui influent sur les aptitudes et sur l’expertise à l’âge adulte (Keating, 1993). Des enquêtes récentes indiquent que les structures conceptuelles centrales qui favorisent le développement cognitif et linguistique font leur apparition pendant cette période (Case, 1992 ; Volpe et al., 1994). Le fonctionnement intellec tuel des enfants est réorganisé en structures conceptuelles qui ne sont pas propres à des habiletés particulières comme la lecture ou le calcul. L’apparition des structures conceptuelles centrales dépend des expériences précédentes et semble se produire pendant certaines périodes clés au cours des années préscolaires. Cette théorie cadre avec les données déjà présentées dans le présent document au sujet de l’existence de périodes critiques ou sensibles pour le dévelop pement de l’élément cortical du cerveau lié aux fonctions cognitives. La façon dont les enfants font l’acquisition du langage appuie la notion d’une structure conceptuelle centrale qui se développe selon les influences de l’environ nement. La capacité des enfants de maîtriser la complexité des communications verbales humaines apparaît au cours des premières années. Tout le monde admet qu’il existe certaines prédispositions d’ordre biologique. Cependant, sans expériences et sans stimulation environnementale, l’acquisition du langage ne se fait pas ou est gravement compromise. L’aptitude numérique, ou la compréhension élémentaire des chiffres et de la façon de les manipuler, jette les bases de la compréhension et de la connaissance ultérieures des mathématiques. Les données récentes montrent qu’une structure générale appelée « ligne de calcul mental » (Case, 1992) fait son apparition entre 4 et 7 ans. Cette structure conceptuelle est nécessaire pour comprendre et manipuler les chiffres. Elle semble aussi dépendre des expériences vécues. Les recherches indiquent que si cette structure ne fait pas son apparition au cours des premières années, elle sera plus difficile à développer par la suite, comme c’est le cas pour l’acquisition tardive du langage.
Le contexte social
L’attachement, le développement neuronal et l’acquisition des habiletés cognitives et linguistiques sont des étapes de développement importantes de la période préscolaire (Keating, 1993). Il semble exister une période de disponibilité ou réceptivité inhérente, parfois appelée « période sensible », aux expériences qui stimulent le développement social, émotionnel, physique, neurologique et cognitif. « Un grand nombre de données, portant sur diverses fonctions, confirment que si la stimulation voulue n’est pas donnée à un moment précis de la prime enfance, la fonction peut être développée plus tard dans la vie en ayant recours à d’autres formes de stimulation. La fonction est tout simplement plus difficile à acquérir » (Hertzman, 1995, p. 11). Le contexte social de l’enfant ou son environnement façonne ses expériences, influençant directement l’attachement, le développement neuronal et les habiletés qui commencent à prendre forme.
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Le contexte social immédiat des enfants inclut leur famille et leur milieu de garde. Les environnements secondaires qui influencent directement et indirectement l’enfant sont, entre autres, le voisinage, les milieux de travail, les services de santé et les services sociaux spécialisés, les organisations religieuses et les installations récréatives. Les politiques gouvernementales sur la redistribution du revenu, les services publics ainsi que l’équité et la justice sociale, bien qu’ils soient plus éloignés de l’environnement immédiat de l’enfant, ont également une influence sur d’autres niveaux de l’environnement. Les enfants qui vivent dans des environnements chaleureux et stimulants ont tendance à mieux franchir toutes les étapes du développement (l’attachement, le développement neuronal et l’acquisition des habiletés cognitives et linguistiques) durant les années préscolaires. Les besoins de développement insatisfaits laissent présager de graves problèmes au cours des années préscolaires ainsi que dans le développement ultérieur des habiletés sociales, émotionnelles cognitives et physiques (Keating, 1993 ; Tremblay et Craig, 1994 ; Offord et al., 1992 ; Doherty, 1995). Beaucoup d’initiatives de prévention et d’intervention s’adressent aux enfants considérés comme « à risque » en raison de leur situation socioéconomique, de leur situation familiale et des difficultés de leurs parents. Les programmes de soutien aux familles et ceux d’éducation préscolaire ont réussi à réduire les répercussions de ces risques sur l’évolution du développement (Doherty, 1992 ; Keating, 1993 ; Tremblay et Craig, 1994, Volpe et al., 1994). Bon nombre de ces études, effectuées sur des échantillons relativement petits, présentent certaines lacunes dans la méthodologie et ne sont financées que pour une durée limitée à titre de programme pilote. Il pourrait s’avérer difficile de généraliser en se fondant sur les conclusions individuelles de ces études, mais, prises collectivement, elles semblent toutes pointer dans la même direction. Elles signalent presque toutes une amélioration de développement à court terme ; celles qui comprennent un élément de suivi font état d’un certain nombre d’avantages à long terme. Aucune de ces initiatives n’a mentionné de résultats négatifs (Tremblay et Craig, 1994 ; Doherty, 1992). Toutefois, la population à risque n’est pas la seule à avoir besoin de soutien. Du fait des changements démographiques et de l’augmentation du nombre de personnes, particulièrement de mères, sur le marché du travail, la majorité des familles canadiennes avec des enfants d’âge préscolaire doivent prendre des dispositions pour faire garder leurs enfants lorsque les parents sont au travail ou suivent des cours (Lero et al., 1992). Les faits indiquent clairement que les contextes dans lesquels les enfants reçoivent des soins de qualité ont des incidences positives sur l’épanouissement des enfants de tous les milieux (Doherty, 1995 ; Whitebook, et al., 1990 ; Clarke-Stewart, 1987). Par contre, des soins de qualité inférieure ont des effets néfastes pouvant influer à long terme sur l’épanouissement (Vandell et al., 1988). Les études effectuées au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Europe ont invariablement mené à la conclusion que des soins de mauvaise qualité ont une influence néfaste sur le développement social, émotionnel et cognitif pendant les années préscolaires et par la suite (Doherty, 1995). La majorité des enfants d’âge préscolaire ne reçoivent pas de soins de grande qualité ni même de qualité suffisante
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(Lero et al., 1992 ; Whitebook et al., 1990 ; Galinsky et al., 1994). Les parents seuls, les couples où les deux conjoints travaillent et les parents qui travaillent à temps plein à la maison pourraient tous profiter de divers programmes de soutien aux familles, quel que soit leur niveau de revenu. La qualité des soins et de la stimulation que reçoivent les enfants d’âge préscolaire est le facteur déterminant de l’épanouissement de l’enfant (Ontario, Conseil du premier ministre sur la santé, le bien-être et la justice sociale, 1994 ; Keating, 1993). Le soutien aux familles, la qualité des soins apportés à l’enfant et les programmes d’éducation sont autant de facteurs qui façonnent le contexte social de l’enfant d’âge préscolaire. Cependant, ces programmes ne changent rien aux effets du voisinage, des services sociaux et des soins de santé, des politiques gouvernementales, de la distribution du revenu, des circonstances économiques et de la justice sociale.
La transition vers l’école : élément et déterminant
Une entrée réussie dans le milieu scolaire (1re année) constitue à la fois une mesure du niveau de développement atteint et l’un des meilleurs moyens de prédire la réussite scolaire et le développement socio-émotionnel par la suite (Offord et al., 1992 ; Tremblay et al., 1992 ; Alexander et Entwistle, 1988 ; Rutledge, 1993). Les enfants qui réussissent bien leur 1re année sont prêts, sur les plans social et cognitif, à apprendre. Ils sont capables de se concentrer, ils ont les aptitudes sociales nécessaires pour travailler en groupe et solutionner des problèmes et se considèrent comme des apprenants (Ontario, Commission royale sur l’éducation, 1994). Ils ont acquis une connaissance élémentaire des lettres et des chiffres pendant leurs années préscolaires (Keating, 1993) et développé les structures conceptuelles centrales dont ils ont besoin pour poursuivre leur apprentissage. Les enfants qui vivent des expériences positives pendant leurs deux premières années scolaires acquièrent les habiletés et l’assurance nécessaires pour réussir sur les plans social et scolaire à l’école. Bien sûr, la dynamique de l’expérience scolaire en soi peut avoir une influence sur le cheminement de l’enfant, mais la transition initiale est particulièrement importante (Ontario, Conseil du premier ministre sur la santé, le bien-être et la justice sociale, 1994). Dans une étude menée aux ÉtatsUnis, la première année d’école (1re année) a été un facteur déterminant de la réussite scolaire, particulièrement chez les enfants des minorités ethniques (Alexander et Entwistle, 1988).
Exemples à suivre
Les quatre initiatives décrites ci-après illustrent diverses stratégies pour enrichir les expériences préscolaires des enfants.
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Staying on Track
Le programme Staying on Track a été conçu, mis en œuvre et évalué pour favoriser le développement de tous les enfants de la région de Brockville, en Ontario, et de leur famille (Landy et al., 1993). Interventions sur les déterminants non médicaux de la santé
Le programme a établi et évalué un système permettant de dépister tôt les jeunes enfants de Brockville et des comtés de Leeds-Grenville, de les suivre, d’intervenir auprès d’eux et de bien les diriger. Pour cela, il a fallu mettre sur pied et appliquer un système de recensement et de suivi des enfants de toute la communauté, de la naissance à l’âge de 5,5 ans, établir une base de données en vue d’étudier les répercussions d’un certain nombre de variables sur l’épanouissement à l’âge de 5,5 ans, créer des programmes d’assistance et d’information sur la fonction parentale, cerner les problèmes et déterminer les interventions à faire, améliorer la collaboration entre les divers fournisseurs de services dans les secteurs de la santé, des services sociaux et de l’éducation. Le programme avait en outre pour but d’évaluer l’efficacité des éléments d’intervention et d’effectuer une analyse coûts-avantages en vue de déterminer l’efficacité d’un système de suivi et d’intervention. Le programme Staying on Track, qui s’est échelonné sur une période de trois ans et demi (de 1990 à 1992), s’adressait aux enfants de moins de 4 ans et à leur famille. Les familles avec des enfants nés entre avril 1990 et juin 1991, les familles avec des enfants de 18 mois en 1990, les familles qui avaient des enfants de 3,5 ans (âge préscolaire) en 1990 et celles avec des enfants de 5,5 ans (âge du contrôle) en 1991 étaient admissibles. On a appris à des infirmières de la santé publique à utiliser les outils de dépistage et d’évaluation pour mesurer les comportements d’autoréglementation, le niveau de développement, les relations sociales, les caractéristiques physiques et la santé des sujets. Dans le cas des nouveaux-nés, les visites se faisaient à domicile et le premier contact avec les enfants du groupe des 18 mois avait lieu au Service de santé publique. L’inscription à la prématernelle fournissait l’occasion d’une première visite avec les enfants d’âge préscolaire. Au cours de la visite initiale, on évaluait l’enfant à l’aide des outils appropriés, on remplissait des questionnaires et on s’informait sur sa croissance, son développement et sa santé. On offrait ensuite des conseils aux parents sur les points qu’ils avaient soulevés. Les visites de suivi étaient déterminées d’après les résultats d’une évaluation, suivant un ensemble de variables permettant de déceler un risque potentiel sur le plan du développement, à la suite de craintes formulées par l’infirmière de la santé publique au sujet d’un enfant, d’un parent ou d’une famille ou, encore, quand un parent faisait part d’un problème à n’importe quel moment du programme. Si un problème persistait après le suivi de l’infirmière de la santé publique, la famille était dirigée aux services ou organismes compétents. Au total, on a communiqué avec 723 familles admissibles pour leur demander de participer au programme Staying on Track. Le taux de participation moyen dans
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les différents groupes se situait à 70 %. Les familles qui ont accepté de prendre part au programme avaient des situations d’emploi et des niveaux de revenu semblables à ceux des autres familles de la région. Les participants avaient cependant des niveaux de scolarité plus élevés que l’ensemble de la population. Les interventions ont considérablement amélioré les chances d’épanouissement des enfants du groupe des nourrissons qui ont participé au programme compa rativement à celles des nourrissons qui n’y ont pas participé. L’amélioration a été moins importante chez les enfants du groupe des 18 mois, et aucun effet notable n’a été mesuré chez les enfants du groupe préscolaire. Plus de 90 % des parents qui ont participé au programme ont affirmé qu’il devrait faire partie intégrante du système de santé et 83 % ont indiqué qu’ils souhaitaient poursuivre le programme. En plus du soutien et des services nécessaires qu’il offrait, le programme a permis de cerner certains problèmes comme la dépression de la mère et les difficultés précoces d’apprentissage du langage et de la maîtrise des émotions. Le programme Staying on Track a permis d’obtenir d’importants renseignements sur la façon dont les facteurs de risque, les facteurs de protection et les trajets (ou carte cérébrale) influent sur l’épanouissement. Les conclusions du programme indiquent que plusieurs variables permettent de prédire le degré d’épanouissement à chacun des âges de l’étude. Les interactions parents-enfant ainsi que la perception qu’a la mère de ses propres capacités parentales, les expériences de la mère pendant sa propre enfance et son attitude envers le bébé constituent les variables s’appliquant le mieux aux enfants du plus jeune groupe étudié. À l’âge de 5,5 ans, l’adaptation à l’école et aux pairs sont les variables qui ont été considérées comme ayant les plus importantes répercussions sur le développement de l’enfant. Dans l’ensemble, les facteurs socioéconomiques ne semblent pas permettre de prédire l’épanouissement de l’enfant aussi bien que la qualité des interactions parents-enfant et les antécédents des parents, ce qui indique que ce programme se prêterait bien à une application à l’échelle de la communauté toute entière.
Raisons du programme
Le programme Staying on Track a été mis sur pied dans le but d’étudier un modèle rentable pour dépister les populations de très jeunes enfants à risque et, au besoin, pour permettre l’intervention précoce d’infirmières de la santé publique. Bien que les gouvernements et les communautés reconnaissent que les initiatives de promotion, de prévention et d’intervention précoces sont essentielles pour améliorer la santé de l’ensemble de la population, les services de santé publique, dont l’effectif ne cesse de diminuer, se concentrent sur la visite à domicile des nouvelles mères. L’intervention des infirmières de la santé publique auprès des nourrissons, des jeunes enfants et de leur famille est de plus en plus axée sur les familles à risque. Les problèmes physiques des nourrissons sont l’élément le plus révélateur d’une situation dite « à risque ». En général, on n’utilise pas les mesures habituelles. Les déterminants non physiques de l’épanouissement de l’enfant, comme la santé émotionnelle, le comportement et le fonctionnement intellectuel, ne sont généralement pas inclus.
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Intervenants
Le programme Staying on Track était le fruit d’une collaboration entre les fournisseurs de services de première ligne (les infirmières de la santé publique, les fournisseurs de services de santé et de services sociaux connexes et les enseignants), les cliniciens et les chercheurs. Un comité consultatif communautaire était composé de représentants des secteurs de la santé, des services sociaux et de l’éducation et des utilisateurs de ces services. Environ 600 enfants et leurs parents ont pris part au programme, qui a été mis en œuvre en 1990 par le service de santé des districts de Leeds, Grenville and Lanark et le Beechgrove Children’s Centre. Le Dr Sarah Landy du C.M. Hincks Treatment Centre et le Dr Ray DeV. Peters de la Queen’s University se sont chargés du plan d’étude du programme. Le Dr Landy a choisi les outils d’évaluation initiaux après avoir consulté la documentation sur le sujet, le Dr Peters et d’autres spécialistes. Les Drs Landy et Peters, ainsi que les Drs Brian Allen et Faye Brookes, étaient les gestionnaires du programme. Les infirmières de la santé publique ainsi que le coordonnateur à temps partiel ont été choisis parmi le personnel du service de santé des districts de Leeds, Grenville and Lanark pour assurer la mise en œuvre du programme. Avant que le programme ne soit réellement mis en œuvre, on a créé un comité communautaire consultatif. Les responsabilités du comité consultatif consistaient, entre autres, à faciliter la collaboration entre les organismes, à élaborer des stratégies pour une meilleure coopération entre ces organismes, à évaluer le degré de satisfaction des organismes et des consommateurs et à cerner les lacunes dans la prestation des services aux nourrissons, aux jeunes enfants et à leur famille. Le comité consultatif était composé de 22 membres représentant le secteur de la santé, les conseils scolaires locaux et les organismes de services sociaux, ainsi que les parents et les petites entreprises. Le rapport final indique que la composition du comité consultatif a contribué à obtenir la collaboration et le soutien dont le programme avait besoin. Cependant, les parents et le milieu des affaires n’étaient représentés que par une seule personne chacun, et il est parfois difficile pour deux personnes de véritablement faire valoir le point de vue des consommateurs. Le rapport final indique que, selon le comité consultatif, le programme s’est révélé un succès et que 90 % de ses membres préconisaient l’intégration du programme au système de santé. Un peu plus de 50 % des membres du comité consultatif ont indiqué que la collaboration entre les organismes avait augmenté. Bien que le comité consultatif ait été composé de 22 membres, il semble que seulement 9 d’entre eux ont répondu au sondage sur le degré de satisfaction par rapport au programme.
Analyse des résultats
Dans l’ensemble, le programme propose une approche innovatrice pour favoriser l’épanouissement des enfants. En intégrant une méthode d’évaluation plus large et plus systématique aux visites traditionnelles, mais de plus en plus rares, qu’effectuent
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les infirmières de la santé publique au domicile des nouveau-nés, le programme s’est révélé un moyen efficace et simple de recenser et de suivre les nouveau-nés et les jeunes enfants. Les données et l’analyse indiquent que plusieurs variables permettent de prédire le degré d’épanouissement futur, bien que ces variables n’aient pas été soulignées dans la documentation sur les facteurs de risque et de protection. Les coûts immédiats du programme ont été établis, mais il est plus difficile d’effectuer une analyse coûts-avantages à long terme en raison du nombre insuffisant de données longitudinales. Le rapport n’indique pas clairement si le programme a favorisé la collaboration entre les services locaux d’intervention précoce. Cela pourrait tout simplement s’expliquer par le fait que la coordination des services sociaux et des organismes de santé spécialisés et la collaboration entre eux étaient déjà assez bonnes. Brockville est une petite communauté qui ne compte que quelques organismes et organisations, ce qui facilite probablement la coordination. En outre, il existait déjà un groupe consultatif bien établi sur les services à l’enfance qui coordonnait de façon efficace les services connexes dans la région depuis plusieurs années. Le rapport final fait état de certaines limites de la recherche. Tout d’abord, la durée de trois ans et demi ne permet pas une évaluation complète des interventions sur la période de cinq ans qui précède l’entrée à l’école. Certains des outils de mesure utilisés ont été conçus spécialement pour ce programme et leur validité n’est pas confirmée. Les fournisseurs de services devaient se limiter aux outils d’évaluation qu’ils pouvaient utiliser facilement dans un contexte communautaire. Mais, point encore plus important, on ne sait toujours pas si les résultats positifs attribuables à cette intervention persistent durant les années d’études et par la suite. Il est permis de croire que les interventions précoces pour modifier les interactions parentsenfant et les attitudes parentales auront des effets durables sur les capacités et les attentes des parents et, par conséquent, qu’elles auront une influence positive sur les relations parents-enfant et l’épanouissement des enfants. Des suivis pourraient s’avérer utiles pour explorer ces questions. Étant donné la taille et la stabilité de la population de Brockville, il pourrait être possible de suivre ces enfants pour toute la durée de leurs études. Le rapport final indique que d’autres recherches pourraient être effectuées pour comparer ce modèle d’intervention à un projet de conception similaire utilisant des auxiliaires. Cela soulève la question du niveau de direction professionnelle et spécialisée que nécessitent la conception et la mise en œuvre du programme. Ce dernier a été dirigé et mis en œuvre par des fournisseurs de services professionnels et des spécialistes de la recherche. Rien ne semble indiquer que les résidents qui ont pris part à l’étude ou que les deux membres du comité consultatif qui représentaient les intérêts de la communauté (les parents et le milieu des affaires) aient contribué à la conception ou à la mise en œuvre du programme.
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Reproductibilité du programme
Le programme recommande l’élaboration de systèmes de dépistage, de suivi et d’intervention précoce pour les nourrissons, les jeunes enfants et les familles de toutes les communautés, de la naissance à l’entrée à l’école. Le système recommandé est fondé sur une approche en trois volets comprenant un niveau de soutien élémentaire offert à tous les enfants et à leur famille, des renseignements plus spécialisés pour ceux qui ont des problèmes particuliers et un service d’orientation vers les organismes de service appropriés pour ceux qui ont été désignés comme étant à risque. Les recommandations proposent également des outils particuliers pour le dépistage et le suivi des familles qui ont besoin de ressources supplémentaires. À l’heure actuelle, le Hincks Centre reprend, sous la direction du Dr Sarah Landy, le programme Staying on Track à Jamestown, quartier du centre-ville de Toronto. Le Hincks Centre collabore avec le Service de santé publique de la ville de Toronto, le Cabbagetown Youth Centre et le conseil scolaire de Toronto. Financement
En tout, le programme Staying on Track a coûté 675 000 $ sur une période de trois ans et demi. Le Conseil du premier ministre sur la santé, le bien-être et la justice sociale a financé les coûts de la conception, de la recherche et de la mise en œuvre du programme. Le coût annuel par enfant ayant participé au programme a été évalué à 454 $.
Évaluation
Le rapport final (Landy et al., 1993) décrit l’évaluation du système de dépistage, de suivi, d’intervention et de référence précoce qui a été établi dans le cadre de ce programme. Les variables étudiées sont regroupées en quatre catégories : variables de l’enfant, variables socioculturelles, variables des parents et variables des interactions parents-enfant. De nombreux outils de mesure ont été utilisés pour chaque catégorie de variables.
Le Victoria Daycare Research Project
Le Victoria Daycare Research Project a été mené à Victoria, en Colombie-Britannique, au début des années 1980 dans le but d’étudier les effets de trois différents types de garderies. Le programme était axé sur l’interaction de la famille, des soins prodigués et des variables de l’enfant sur le plan de l’acquisition du langage (Goelman et Pence, 1988). En 1992-1993, le Victoria Day Care Follow-up Research Project a communiqué avec les familles qui avaient participé à l’étude initiale et a recueilli des données sur la situation actuelle des enfants sur les plans cognitif, linguistique et scolaire. Cette étude longitudinale est unique au Canada en ce qu’elle suit un groupe d’enfants non ciblés qui ont fréquenté une garderie communautaire avant et après leur entrée à l’école (Pence, 1995).
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Les résultats des deux études sont importants pour décider des orientations stratégiques à adopter puisque plus de 70 % des enfants canadiens d’âge préscolaire sont régulièrement confiés aux soins de personnes autres que leurs parents (Lero et al., 1992).
Interventions sur les déterminants non médicaux de la santé
Cette initiative ne comportait aucune activité ni intervention quelconque. Elle se limitait à étudier l’efficacité de trois types de garderies, en comparant les effets, sur les enfants, de soins de haute qualité et de soins de qualité inférieure compte tenu des variations des caractéristiques familiales. L’étude initiale de recherche, menée au début des années 1980, était une des premières à se pencher sur les effets des interactions des parents, des enfants et des personnes chargées de leur prodiguer des soins. En utilisant un cadre environne mental, l’étude a été en mesure de faire ressortir des relations intéressantes. Le suivi visait à explorer l’impact longitudinal des constatations initiales. Dix ans plus tard, on a communiqué avec les familles qui avaient participé à l’étude initiale et, lorsque cela s’avérait possible, on a fait des entrevues avec les enfants et leur famille et on les a évalués (Pence, 1995). Cette étude de suivi avait pour but de recueillir des données sur l’épanouissement des enfants et d’établir des constantes à partir de l’étude initiale. Les conclusions de l’étude de suivi ne sont pas encore prêtes pour publication, mais elles devraient servir à brosser un tableau typiquement canadien des répercussions à long terme de services de garde de qualité diverse. Raisons du programme
Les études portant sur les répercussions de l’éducation préscolaire et des expériences de garde sur le développement des enfants, surtout en ce qui concerne la réussite scolaire, ont plutôt mis l’accent sur les enfants que l’on considérait comme étant à risque. Au moment de la mise sur pied du Victoria Day Care Research Project, la majeure partie des recherches avaient porté soit sur les programmes d’éducation compensatoire à temps partiel à l’intention de la prime enfance, soit sur des garderies très bien nanties qui servaient souvent de laboratoire à un établissement d’enseignement ou un établissement de recherche. Les effets des programmes offerts dans de tels contextes sont généralement positifs (Doherty, 1995 ; Lazer et Darlington, 1982), mais les coûts sont élevés. Bien que les arguments selon lesquels ce genre d’investissement permettra de réaliser des économies soient convaincants (Barnett et Escobar, 1990 ; Schweinhart et al., 1993), il convient de considérer ce qui est du domaine du possible compte tenu des réalités financières actuelles. Il faut également reconnaître que les programmes à temps partiel d’éducation compensatoire des jeunes enfants n’offrent pas les services de garde dont ont besoin les parents qui travaillent, vont aux études ou poursuivent une formation.
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La plupart des enfants d’âge préscolaire au début des années 1980, comme les enfants d’aujourd’hui, n’étaient pas des enfants à risque et fréquentaient régulièrement une garderie. De nombreux enfants à risque, désignés comme tels selon des critères de faible revenu et d’autres caractéristiques familiales, fréquentent aussi régulièrement une garderie. Cette étude est axée sur le type d’arrangement qui constitue le lot quotidien de nombreux enfants canadiens. L’étude nationale canadienne sur la garde des enfants (1992) a révélé que les garderies en milieu familial non reconnues constituent la forme de soins non parentaux la plus répandue (27 %). Très peu de familles au Canada confient leurs enfants à des garderies en milieu familial reconnues (2 %). La garde des enfants par un membre de la famille se classe au deuxième rang des types de services de garde courants (23 %) pour les enfants de moins de 6 ans, et la garde des enfants à domicile par une personne agréée constitue le troisième type d’arrangement le plus utilisé (14 %). Par conséquent, il est parfaitement justifié d’examiner les répercussions des services de garde qui sont communément offerts aux familles. Cette initiative comporte également un autre aspect important, c’est-à-dire qu’elle tient compte de l’impact des divers types de services de garde dans un contexte environnemental, ce qui permet l’examen des liens entre la qualité des soins et la qualité de la vie familiale. Le suivi a permis de recueillir des renseignements précieux sur le rendement scolaire ultérieur de ces enfants et a en outre fourni une analyse détaillée des données qui tend à confirmer l’existence d’un lien entre la qualité des soins et leur épanouissement futur. Enfin, l’étude a été menée au Canada. Certes, les études longitudinales menées aux États-Unis et en Europe sur les répercussions des différents types de services de garde sont utiles pour décider des mesures à adopter au Canada, mais il est toujours préférable de s’assurer de leur applicabilité au contexte canadien.
Participants
En tout, 125 enfants et leur famille et gardienne ou service de garde ont pris part à cette étude. L’étude incluait 61 garçons et 64 filles de familles monoparentales et 61 enfants de familles biparentales. Tous les enfants qui participaient à l’étude allaient à leur garderie actuelle depuis au moins six mois ; ils étaient soit aîné de famille soit enfant unique, et leurs parents travaillaient ou suivaient des cours durant au moins 30 heures par semaine. Les variables des enfants, entre autres l’âge auquel l’enfant avait été confié à des services de garde non parentaux, et les variables parentales, notamment la scolarité, le revenu et la profession, étaient représentées de façon égale dans chacun des trois groupes de services de garde. Cinquante-quatre enfants étaient inscrits dans des garderies communautaires reconnues, 38 dans des garderies en milieu familial reconnues et 33 dans des garderies en milieu familial non reconnues. Les garderies reconnues ont été sélectionnées en s’adressant aux autorités locales responsables d’accorder les permis, et les garderies non reconnues ont été sélectionnées au moyen d’annonces dans les journaux et d’avis sur les tableaux d’affichage communautaires de quartier. Les gardiennes d’enfants
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qui voulaient participer en parlaient à leurs clients et, lorsque les parents donnaient leur accord, les enfants étaient choisis selon les critères décrits ci-dessus. Il semble raisonnable de présumer que les gardiennes qui ont volontairement participé au programme, particulièrement les garderies en milieu familial non reconnues, estimaient fournir des soins de qualité. Analyse des résultats
Le Victoria Day Care Research Project a entrepris d’examiner et de comparer trois différents types de services de garde. Ces services sont créés expressément pour garder des enfants d’âge préscolaire et, par conséquent, ils ont probablement comme objectif global de s’occuper de l’enfant et de le stimuler. Les gardiennes ont été les premières personnes contactées aux fins de l’étude et elles se sont portées volontaires pour y participer. Les résultats et l’analyse de la recherche ont donné lieu à plusieurs constatations intéressantes. D’abord, les résultats ne concordaient pas avec ceux des études qui associent les garderies de grande qualité à une meilleure acquisition du langage chez l’enfant (Doherty, 1995 ; McCartney, 1984). Ensuite, les premières données ont fait ressortir une plus grande variation dans la qualité des garderies en milieu familial, qu’elles soient reconnues ou non. Les enfants qui fréquentaient des garderies en milieu familial de meilleure qualité se sont classés bien avant ceux qui fréquentaient des garderies en milieu familial de qualité inférieure. Ce lien a été corroboré par des études plus récentes (Galinsky et al., 1994 ; Clifford et al., 1993). Les activités des enfants variaient selon la qualité de la garderie en milieu familial. Les enfants fréquentant des garderies de meilleure qualité participaient plus souvent à toutes sortes d’activités (motricité fine, motricité globale, information et lecture). Les enfants qui fréquentaient des garderies en milieu familial de qualité inférieure regardaient plus souvent la télévision, éducative et non éducative, que les enfants confiés à des garderies en milieu familial de haute qualité. Les garderies en milieu familial reconnues se sont révélées de qualité plus élevée que les garderies en milieu familial non reconnues. Troisièmement, les caractéristiques familiales, comme la scolarité de la mère, constituaient des facteurs permettant de prédire assez fidèlement l’acquisition du langage par les enfants dans tous les types de services de garde. Cependant, la constatation la plus importante de cette recherche est le fait que les enfants de familles « ayant peu de ressources » se retrouvaient en grand nombre dans les garderies de qualité inférieure, alors que les enfants de familles « aisées » se retrouvaient surtout dans les garderies de meilleure qualité.
Reproductibilité du programme
Les garderies retenues dans le cadre de cette étude n’ont pas été créées ou mises sur pied pour les besoins de l’étude. Le programme a utilisé un échantillon de services de garde existants. Il est donc possible de transposer cette étude et d’examiner un échantillon d’enfants, de parents et de gardiennes et les arrangements pris pour
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faire garder les enfants dans une région géographique donnée. En reprenant l’étude à plus grande échelle, il serait probablement possible d’obtenir encore plus de renseignements sur les répercussions, sur la vie de l’enfant, du recours aux divers types de services de garde. Ce genre d’étude pourrait également aider les responsables des politiques à orienter leurs décisions afin d’offrir des choix optimaux en matière de services de garde pour tous les enfants. D’autres études sur ce sujet viendraient probablement confirmer de nouveau les répercussions positives des services de garde de haute qualité et l’effet néfaste des services de qualité inférieure sur l’épanouissement de l’enfant, tant à court qu’à long terme. Financement
Le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada a financé le programme de recherche initial. Les garderies étaient financées par les frais de garde payés par les parents. Elles n’ont reçu aucun fonds supplémentaire pour leur participation à l’étude. Les parents des enfants dans les garderies reconnues étaient admissibles à une aide gouvernementale prenant la forme d’une déduction d’impôt pour les frais de garde, sous réserve des critères en vigueur à l’époque. Les renseignements au sujet des frais de garde ou des dépenses des garderies ne figurent pas dans la documentation relative à ce programme. Évaluation
Le programme de recherche initial a eu recours à toute une gamme de méthodes pour obtenir des renseignements au sujet des arrangements pris pour faire garder les enfants, des genres d’activités offertes quotidiennement aux enfants à l’endroit où ils sont gardés, des attitudes et perceptions des parents et de ceux qui gardent les enfants relativement à chaque arrangement et des liens possibles entre les expériences des enfants, les caractéristiques familiales et l’acquisition du langage. La qualité globale des installations physiques et des activités au programme des garderies a été mesurée à l’aide du Early Childhood Rating Scale (Harms et Clifford, 1980) pour les garderies communautaires, et du Day Care Home Environment Rating Scale (Harms et al., 1983) pour les garderies en milieu familial. Ces deux échelles sont reconnues dans les écrits sur le sujet comme des outils valides d’évaluation (Doherty, 1995). On a élaboré le Child Observation Form (Goelman, 1983) pour l’observation directe et l’enregistrement des activités des enfants, tant dans les garderies en milieu familial que dans les garderies communautaires, aux fins de la recherche. Les parents et les éducateurs ont subi une entrevue structurée d’une heure en vue d’obtenir de l’information sur leurs perceptions du cadre des services de garde. Le Test de vocabulaire par l’image de Peabody (Dunn, 1979) et l’Expressive One-Word Picture Vocabulary Test (Gardner, 1979) ont servi à évaluer les habiletés linguistiques des enfants à trois reprises au cours de l’étude de deux ans. Les deux tests sont unanimement reconnus comme des outils valides pour l’évaluation de l’acquisition du langage chez les enfants d’âge préscolaire.
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Sesame Street
Sesame Street est la plus connue des émissions de télévision éducatives pour enfants en Amérique du Nord. Il serait difficile de trouver des enfants qui ne connaissent pas les personnages de Sesame Street. L’approche et le style de cette émission de télévision sont non seulement copiés par d’autres productions de télévision éducative et de divertissement à l’intention des enfants, mais ils ont probablement influencé les perceptions et les attentes nord-américaines quant à la programmation télévisuelle pour les enfants d’âge préscolaire (Bertrand, 1994). Sesame Street a été conçue au cours des années 1960, dans le mouvement qui avait donné naissance au Head Start Program aux États-Unis et au Régime d’assistance publique au Canada. Fondées à la fois sur la recherche et l’idéologie, les initiatives du genre Sesame Street visaient à contrer les effets de la pauvreté et à améliorer les chances et les occasions de réussite pour tous les enfants. Sesame Street, dans sa version adaptée aux besoins éducationnels et culturels canadiens, est toujours télédiffusée au Canada. Le potentiel de la télévision autant comme outil d’éducation que comme élément qui contribue à l’agressivité, à la violence et aux habitudes de passivité et d’inattention est bien étayé partout dans la documentation (Liebert et Sprafkin, 1988 ; Garbarino, 1995). Tout en admettant l’effet néfaste, et bien documenté, de la télévision sur la vie des enfants, la présente discussion sera axée principalement sur les répercussions de Sesame Street.
Interventions sur les déterminants non médicaux de la santé
En 1968, le Children’s Television Workshop a commencé à produire une émission de télévision à l’intention des enfants défavorisés d’âge préscolaire (Liebert et Sprafkin, 1988). L’émission quotidienne était conçue pour favoriser le développement intellectuel et social. Le programme éducatif était élaboré pour permettre aux enfants d’acquérir des habiletés précises comme reconnaître les lettres et les chiffres, compter et accroître leur vocabulaire ainsi que pour favoriser l’acquisition des habiletés sociales comme la collaboration et l’acceptation de la diversité ethnique (Liebert et Sprafkin, 1988). Une étude récente sur la télévision publique et ses effets sur les enfants (Volpe et al., 1994), préparée pour le compte de TV Ontario, a révélé que 98 % des foyers canadiens possèdent au moins un poste de télévision et 70 %, un magnétoscope à cassette. Cette étude précise également que les enfants d’âge préscolaire (entre 2 et 6 ans) regardent entre 19 et 22 heures de télévision par semaine. Compte tenu du rôle important de la télévision dans les foyers canadiens, de l’expansion rapide des systèmes de câblodistribution qui offrent un grand nombre de canaux, de la disponibilité des magnétoscopes et de la quantité de temps que les enfants d’âge préscolaire consacrent à la télévision, il est probable que la plupart des enfants canadiens d’âge préscolaire regardent Sesame Street. Le succès de Sesame Street à titre de divertissement populaire est évident. Les faits prouvent également que l’émission prépare les enfants à apprendre.
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Raisons du projet
Comme nous l’avons mentionné plus tôt, le Children’s Television Workshop a créé Sesame Street à titre d’outil d’intervention précoce pour améliorer les capacités sociales et scolaires des enfants défavorisés et les aider ainsi à réussir à l’école. Le projet initial mentionnait que Sesame Street permettrait de répondre « à la demande nationale pour que nous assurions aux enfants défavorisés un bon départ dans la vie » (Liebert et Sprafkin, 1988, p. 219). Les producteurs de Sesame Street désiraient utiliser la télévision pour stimuler les enfants de foyers défavorisés et leur fournir des occasions d’apprendre dans le but de faire contrepoids aux ressources dont disposaient prétendument les familles bien nanties. Les personnages et les situations imaginés visaient à présenter des modèles de comportement racial, linguistique et culturel différents dans des situations constructives et amicales. La résolution de conflits, l’acceptation des différences et la glorification de la diversité étaient et sont toujours des thèmes privilégiés dans chaque épisode, vignette et chanson de Sesame Street. Le concept de Sesame Street s’appuie sur la prémisse que l’apprentissage est un processus qui prend sa source en dehors de la personne et qui évolue du simple au complexe. La préparation à l’apprentissage est liée à la maîtrise de comportements, de concepts et de compétences simples dans le but d’en venir à des concepts plus complexes. La motivation est vue comme un moyen de diriger l’attention. On estimait que les enfants défavorisés avaient besoin de modèles pour acquérir les habiletés et les attitudes nécessaires pour réussir leur entrée à l’école. La télévision constituait un bon moyen de rejoindre tous les enfants, quelle que soit leur situation sociale (Volpe et al., 1994).
Intervenants
Le Children’s Television Workshop, créateur de Sesame Street, a vu le jour en 1968, grâce à des fonds publics et privés, dans le but de produire une émission quotidienne pour les enfants. Le groupe fondateur qui a financé le projet était composé de la Carnegie Foundation, de la Ford Foundation et de divers départements du gouvernement américain. À l’instar du programme Head Start, mis sur pied en 1966, le Children’s Television Workshop répondait à un intérêt croissant dans le potentiel des interventions précoces pour améliorer le développement des enfants et aux pressions publiques et politiques visant à mettre fin à la pauvreté (ou du moins à la réduire). Ce projet a été soutenu par ceux qui avaient financé le programme Head Start ou qui y avaient participé comme éducateur ou recherchiste. Pour la conception et la production initiale de Sesame Street, on a mis une équipe de création de très haut calibre en contact avec des spécialistes du développement de l’enfant et de la formation préscolaire (Liebert et Sprafkin, 1988). Ils avaient pour mandat de produire une émission de télévision divertissante qui captiverait les enfants d’âge préscolaire et les motiverait à regarder l’émission. Les leçons visant à les préparer à entrer à l’école ainsi qu’à leur enseigner et leur faire adopter des
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comportements sociaux étaient intégrées à l’émission. Celle-ci a été créée autour d’un ensemble de personnages réguliers, notamment Big Bird, et plusieurs MuppetsMD dont Kermit la grenouille, Cookie Monster, Ernie et Bert. Une variété impressionnante de vedettes des mondes du sport et du spectacle ont fait des apparitions à l’émission à titre d’invités spéciaux. Les nouvelles applications de la télévision pour favoriser l’apprentissage des enfants reconnaissent l’importance du contexte social immédiat et élargi des enfants (Volpe et al., 1994 ; Singer et al., 1993). L’inclusion des parents et des dispensateurs de soins dans les stratégies d’action directe et la reconnaissance des réseaux sociaux divers sont maintenant pris en considération pour concevoir des émissions éducatives à l’intention des enfants d’âge préscolaire, mais ces éléments ne faisaient pas partie de la stratégie originale de Sesame Street.
Analyse des résultats
Vers la fin des années 1960, les créateurs de Sesame Street ont entrepris d’intervenir dans la vie des enfants défavorisés d’âge préscolaire et de leur procurer la stimulation dont ils avaient besoin pour être prêts à faire leur entrée à l’école. Le but visé était de combler une partie du fossé séparant les enfants privilégiés et les enfants défavorisés au moment de l’entrée à l’école. Les études initiales ont révélé, en se fondant sur des mesures des comportements sociaux et du rendement scolaire, que les enfants défavorisés qui écoutaient Sesame Street réussissaient mieux que ceux qui ne l’écoutaient pas (Liebert et Sprafkin, 1988). Quelques années plus tard, des études ont remis en question cette constatation (Cook et al., 1975). Vingt ans après, de nouvelles études sont revenues à la conclusion que le fait d’écouter Sesame Street prépare vraiment les enfants à entrer à l’école. L’influence de Sesame Street sur l’épanouissement des enfants dans les dernières années d’études et après n’a pas été évaluée. Il est tout à fait possible que l’avantage initial que procure le fait d’avoir un niveau d’habiletés plus élevé au moment de l’entrée à l’école s’estompe avec le temps. Cela irait dans le sens des recherches qui ont évalué l’impact des programmes Head Start sur le rendement scolaire (McKey et al., 1985). Cependant, l’impact de Sesame Street, comme l’impact des programmes d’éducation préscolaire (Lazer et Darlington, 1982), pourrait être lié à des attentes plus élevées en matière de rendement scolaire, tant de la part des enfants que de celle des parents, et des répercussions que cela a sur le comportement par la suite. Depuis son apparition, Sesame Street a connu un succès phénoménal auprès d’auditoires du monde entier. Après 25 ans de production et de télédiffusion continue, la popularité de cette émission ne montre aucun signe de faiblesse. Il serait difficile de trouver un enfant d’âge préscolaire ayant accès à un poste de télévision qui n’a jamais écouté Sesame Street. Les magasins de jouets regorgent de toute une gamme de produits Sesame Street, par exemple des poupées, des figurines, des livres, des jeux, des enregistrements audio et vidéo et des CD-ROM interactifs qui se servent des personnages de l’émission pour motiver l’attention et des méthodes
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d’instruction de l’émission pour inculquer des habiletés et des concepts. Sesame Street fait maintenant partie intégrante de la culture populaire nord-américaine. L’auditoire ciblé, soit les enfants défavorisés, n’est pas le seul public de l’émission. En fait, les enfants de familles bien nanties écoutent probablement Sesame Street plus souvent que les enfants de l’auditoire cible (Liebert et Sprafkin, 1988 ; Wright et Huston, 1995). Les chercheurs n’ont pas encore examiné les répercussions de l’émission sur l’apprentissage des enfants privilégiés d’âge préscolaire, mais elle pourrait avoir contribué à élargir le fossé des habiletés pour les enfants défavorisés qui entrent à l’école. Par ailleurs, le caractère presque universel de Sesame Street lui a valu une réputation en tant qu’émission éducative divertissante pour les enfants d’âge préscolaire et non à titre de programme d’intervention précoce. Ce facteur pourrait contribuer à faire accepter l’émission dans les foyers défavorisés où les téléspectateurs pourraient mal accueillir une émission qui sous-entend que la pauvreté peut constituer un obstacle à leur réussite. L’évaluation de l’incidence de Sesame Street comporte des difficultés inhérentes. Il est difficile de vérifier les variables confusionnelles qui influent sur le développement de l’enfant. La plus récente évaluation des répercussions de Sesame Street sur le rendement scolaire (Wright et Huston, 1995) vérifie plusieurs variables familiales, mais ne vérifie pas la participation à un programme de prématernelle ou la fréquentation d’une garderie. Il est probablement impossible de trouver en Amérique du Nord un groupe témoin qui ne connaisse pas Sesame Street. Le succès de Sesame Street pourrait avoir donné d’autres résultats imprévus. Cette émission est produite selon des normes esthétiques et techniques très élevées. Le style, le format et les prestations de premier ordre plaisent aux jeunes téléspectateurs et accaparent toute leur attention. Les vignettes animées qui présentent les concepts à acquérir ponctuent les dialogues des personnages pendant l’émission. Ce format plaît aux jeunes enfants, peut-être parce qu’il se rapproche de la programmation commerciale où l’émission est entrecoupée de pauses publicitaires sur des produits particuliers. Par contre, Sesame Street ne fait peut-être qu’apprendre aux enfants à regarder la télévision, avec toutes ses pauses publicitaires. Les enfants qui grandissent en écoutant Sesame Street sont-ils des téléspectateurs plus attentifs de la télévision commerciale que les enfants qui ne l’écoutent pas ?
Reproductibilité de l’émission
Il est difficile d’imaginer comment ou pour quelles raisons on tenterait de créer un autre Sesame Street en Amérique du Nord. D’autres émissions éducatives pour les enfants sont devenues populaires et elles sont souvent perçues comme des compléments de Sesame Street (Wright et Huston, 1995), mais aucune n’a été aussi populaire ni aussi écoutée. En 1996, TV Ontario mettait sur pied l’émission Get Ready to Learn, une émission éducative à l’intention des enfants d’âge préscolaire, des personnes s’occupant des enfants et des parents, qui s’appuyait sur la programmation actuelle pour les enfants. Le concept de Get Ready to Learn a été influencé par les expériences,
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les évaluations et le succès de Sesame Street. Nous traitons plus en profondeur de Get Ready to Learn dans la partie portant sur les initiatives en cours. Le Children’s Television Workshop a créé d’autres émissions pour enfants, entre autres, Electric Company, émission axée sur l’apprentissage de la lecture, 3-2-1 Contact, émission visant à stimuler l’intérêt pour la science et la technologie chez les enfants de 8 à 12 ans, et Square One TV, qui vise à stimuler l’intérêt pour les mathématiques chez les enfants de 8 à 12 ans (Liebert et Sprafkin, 1988). Comme pour Sesame Street, les programmes plus récents sont le fruit d’un effort de collaboration entre des équipes de création, des spécialistes du marketing, des spécialistes du développement de l’enfant et des éducateurs, pour transmettre de façon divertissante de l’information utile selon une programmation soigneusement conçue. La leçon la plus précieuse que l’on peut tirer de Sesame Street est peut-être son immense popularité. L’importance de son auditoire régulier indique que la télévision est la méthode la plus efficace pour rejoindre les enfants d’âge préscolaire, les parents et ceux qui s’occupent des enfants. Financement
Le Children’s Television Workshop est un organisme sans but lucratif. Le financement initial provenait d’organisations publiques et privées. Sesame Street a reçu un fonds de développement de 8 millions de dollars (Liebert et Sprafkin, 1988) et génère ses propres fonds pour le financement des activités, de la recherche et du développement. Évaluation
Puisque Sesame Street a été conçu pour être éducatif, le projet initial comportait une évaluation indépendante de son efficacité (Liebert et Sprafkin, 1988). Pendant la première année de production (1969), les Educational Testing Services ont mesuré les répercussions de l’émission à la grandeur des États-Unis. Cette évaluation initiale (Ball et Bogatz, 1970 ; Bogatz et Ball, 1971) démontrait qu’il existait une plus grande amélioration des habiletés linguistiques et des aptitudes numériques ciblées par l’émission chez les enfants qui écoutaient l’émission que chez ceux qui ne l’écoutaient pas. En outre, des aptitudes et des habiletés qui n’étaient pas directement incluses dans la programmation, comme lire et écrire son nom en majuscules, se sont mieux développées chez les enfants qui écoutaient Sesame Street que chez ceux qui ne l’écou taient pas. Les enfants qui écoutaient l’émission avaient également des attitudes et des perceptions plus positives envers les minorités visibles, particulièrement à l’égard des Afro-Américains et des Hispaniques. Une analyse ultérieure des évaluations initiales a remis en question les cons tatations positives (Cook et al., 1975). L’effet que l’on avait discerné chez les assidus de Sesame Street était en grande partie attribué aux encouragements de la mère plutôt qu’à l’émission de télévision. Les variations dans l’acquisition des habiletés étaient largement imputables à l’apprentissage machinal et non à l’amélioration de la capacité générale de penser et de comprendre.
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Après l’évaluation sommative initiale des répercussions de Sesame Street sur le développement des enfants, on a mené plusieurs études à court terme sur le contenu de la programmation éducative de Sesame Street. La majorité de ces études en confir maient l’efficacité (Wright et Huston, 1995). Une récente étude longitudinale d’une durée de quatre ans s’est penchée sur les habitudes télévisuelles des enfants défavorisés (en mettant un accent particulier sur Sesame Street) et sur les liens entre ces habitudes et les habiletés scolaires ultérieures, le degré de préparation à l’école et l’adaptation au milieu scolaire (Wright et Huston, 1995). Les résultats de la recherche indiquent que, jusqu’à l’âge de 5 ans, il existe un solide lien positif entre écouter Sesame Street et se faire faire la lecture, lire ou participer à d’autres activités éducatives. Pour les enfants de 2 et 3 ans, l’écoute de Sesame Street permettait de prédire les habiletés linguistiques (la reconnaissance des lettres, l’importance du vocabulaire), les aptitudes numériques et le degré de préparation à l’école, à l’aide de tests de rendement normalisés selon l’âge. Pour les enfants de la 1re et de la 2e année du primaire, une écoute régulière de Sesame Street permettait de prédire de façon positive la compréhension des textes lus et l’adaptation globale au milieu scolaire, d’après l’évaluation des enseignants. L’étude vérifiait d’autres variables comme la scolarité des parents, la qualité du milieu familial et le revenu familial. Le Perry Preschool Project
Le Perry Preschool Project est le programme d’intervention précoce auprès des enfants auquel on fait le plus souvent référence. Menée au début des années 1960, cette étude longitudinale portait sur les effets d’un programme d’éducation préscolaire des enfants de 3 et 4 ans. Dans presque tous les débats sur les déterminants non médicaux de la santé, on finit par citer les conclusions de ce programme, qui appuyaient sans réserve les avantages sociaux et financiers de l’éducation des jeunes enfants. Interventions sur les déterminants non médicaux de la santé
Le programme Perry Preschool s’est déroulé d’octobre à juin et comportait un volet d’activités de deux heures et demie, cinq avant-midi par semaine, et une visite hebdomadaire d’une durée d’une heure et demie effectuée au domicile de l’enfant par les éducateurs en éducation préscolaire. La plupart des enfants avaient 3 ou 4 ans quand ils ont participé au programme d’une durée de deux ans. Des éducateurs spécialisés ont travaillé en étroite collaboration avec des spécialistes du développement de l’enfant et de l’enseignement pour mettre au point un programme de développement d’habiletés cognitives fondé sur la théorie du développement cognitif de Piaget (Weikart, 1967). Le programme qui en est ressorti est devenu la source d’inspiration pour la création de la High/Scope Foundation, laquelle regroupe maintenant des programmes pilotes pour les nourrissons et les jeunes bébés, les enfants d’âge préscolaire et les enfants d’âge scolaire, des programmes de formation préalable et de formation sur le tas pour les enseignants, la High/Scope Press et de vastes installations de recherche
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dans le domaine de l’éducation. Cette fondation, qui administre un budget de plusieurs millions de dollars, produit des programmes et des outils de recherche multimédias qui sont distribués partout dans le monde. Le Perry Preschool Project était une étude longitudinale qui suivait les progrès des participants du programme préscolaire initial tout au long de leurs études et jusqu’au début de leur vie d’adulte (Schweinhart et al., 1993). Il a permis de constater que les enfants qui ont participé au programme au cours des années 1960 se sont mieux débrouillés au secondaire (sur les plans scolaire et social) et qu’ils continuent à signaler d’autres résultats positifs dans leur vie d’adulte (revenus plus élevés, moins d’arrestations, etc.). Il importe de préciser que le programme Perry Preschool n’était ni un programme Head Start ni un programme de garderie. Il portait sur l’éducation compensatoire à temps partiel destiné aux jeunes enfants à laquelle s’ajoutaient des visites à domicile. Raisons du programme
Le programme Perry Preschool a été élaboré dans le but d’enrichir la vie des enfants défavorisés d’âge préscolaire en leur offrant un programme éducatif stimulant ainsi qu’en éduquant et en soutenant les parents, particulièrement les mères. Il constituait également une excellente occasion de mettre en pratique un concept expérimental pour l’étude des effets à long terme de ce genre d’initiative. Comme nous l’avons déjà mentionné, les années 1960 ont été marquées, au Canada et aux États-Unis, par le souci d’atténuer la pauvreté et ses répercussions sur les jeunes enfants. Aux États-Unis, la lutte pour les droits civils a mis en évidence les inégalités dont les enfants afro-américains étaient victimes. On était fermement convaincu que si on leur fournissait une aide de « rattrapage » pendant la période préscolaire, ces enfants auraient les mêmes chances de succès que les autres lorsqu’ils commenceraient l’école (Zigler, 1990). Le programme Perry Preschool, comme Head Start et Sesame Street, avait pour but de favoriser le « rattrapage ». Par contre, le Perry Preschool Project était beaucoup plus petit et d’une portée bien plus restreinte. Il a été mis sur pied dans le cadre d’un projet de recherche et de développement de programme. La possibilité de mesurer les résultats et de concevoir un programme pratique à partir des théories de Piaget sont d’autres importantes raisons qui expliquent cette initiative.
Intervenants
Le Perry Preschool Project a étudié 123 enfants de familles afro-américaines vivant dans le quartier entourant la Perry Elementary School à Ypsilanti, au Michigan (près de Détroit), dans les années 1960. Les enfants avaient tous été évalués comme ayant un faible QI et leur famille avait un faible revenu (Barnett et Escobar, 1990). Environ 50 % des enfants (58) ont participé au programme ; les autres (65) n’y ont pas participé et faisaient office de groupe témoin.
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Chaque classe était composée de 8 à 13 enfants et de deux personnes qualifiées pour enseigner dans les écoles publiques et ayant une formation en éducation préscolaire et en éducation spécialisée (Barnett et Escobar, 1990). Le programme d’activités axé sur les enfants, élaboré à partir des théories de Piaget sur le développement cognitif, a été en grande partie conçu par David Weikart qui a travaillé en collaboration avec les éducateurs pour la conception, la mise en œuvre et l’évaluation. Analyse des résultats
Toutes les interprétations des résultats indiquent que le programme Perry Preschool a eu des effets positifs sur l’épanouissement de ce groupe d’enfants, tant à court qu’à long terme. À l’instar des constatations des autres travaux de recherche sur les programmes d’éducation préscolaire (Doherty, 1992), le programme a démontré que les enfants étaient mieux préparés pour l’école (sur les plans scolaire et social) et qu’ils obtenaient de meilleurs résultats scolaires. Les constatations plus récentes, qui signalent un plus haut degré de réussite à l’adolescence et au début de la vie adulte, n’ont pas d’équivalent dans d’autres études (Doherty, 1992). Tout d’abord, très peu d’études longitudinales ont comporté de suivi sur une aussi longue période. Les autres études qui ont suivi leurs participants jusqu’à l’adolescence n’ont pas constaté de différences aussi marquées entre ceux qui avaient participé au programme préscolaire et les autres. Cette différence reflète probablement l’interaction complexe de la maison, de l’école et du quartier pendant l’évolution des enfants jusqu’à l’âge adulte. L’échantillon étudié dans le cadre du Perry Preschool Project était restreint et très ciblé ; il est donc difficile de généraliser les constatations liant les expériences positives vécues par la suite à l’adolescence et à l’âge adulte et le programme préscolaire sans la corroboration d’autres travaux de recherche. L’élément le plus important du Perry Preschool Project est peut-être son analyse en profondeur des coûts et avantages. Les coûts du programme ont été établis en tenant compte des économies prévues en matière de services sociaux, d’éducation et de justice. Bien que le programme en lui-même ait bénéficié d’un financement solide et qu’il ait coûté assez cher comparativement aux programmes préscolaires courants du secteur communautaire, les économies globales estimées étaient énormes. Les chercheurs ont indiqué que pour chaque dollar consacré au programme préscolaire, on en économisait sept au titre de l’éducation spécialisée, des services sociaux, du système judiciaire et de l’enseignement correctif (Schweinhart et al.,1993). Les résultats du Perry Preschool Project peuvent être interprétés de façon à mettre en relief les effets positifs d’un programme préscolaire de deux ans, soit un plus fort taux de diplômés au secondaire, un taux plus faible de grossesses chez les adolescentes, des revenus plus élevés, un taux moins élevé d’arrestations et moins d’assistés sociaux. Cependant, il est aussi apparent que les enfants qui ont participé au programme préscolaire ont beaucoup moins bien réussi que les enfants venant de familles mieux nanties (Hertzman, 1995).
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Il faut également tenir compte de la participation des concepteurs et des gestionnaires du programme au processus d’évaluation. Comme pour le programme Staying on Track, bien que l’on fasse état de protocoles de recherche adéquats, il faut reconnaître qu’il existe un potentiel de conflit d’intérêts ou de parti pris dans la méthodologie de recherche. Reproductibilité du programme
Au Canada, Wright (1983) a mis en œuvre un programme compensatoire pour les enfants d’âge préscolaire à la University of Western Ontario à London, en Ontario. Celui-ci ressemblait au programme d’activités axé sur les habiletés cognitives élaboré pour le Perry Preschool Project. Ce programme d’une demi-journée était offert à des enfants de familles à faible revenu et à des enfants de familles à revenu plus élevé. Les enfants qui ont suivi le programme durant deux ans ont été comparés à ceux qui l’ont suivi seulement un an, et les enfants venant de familles à faible revenu ont été suivis jusqu’à la maternelle et comparés aux enfants qui n’y ont pas participé. On a dénoté plusieurs problèmes quant à la méthodologie. Une proportion comparativement peu élevé d’enfants de familles à faible revenu participait au programme, qui était offert dans les locaux de l’université plutôt que dans une communauté défavorisée. De plus, les données de suivi ont perdu de leur valeur du fait d’une diminution considérable de la taille de l’échantillon. Néanmoins, bien qu’elles aient été beaucoup moins marquées que celles du Perry Preschool Project, les constatations du programme de London indiquent que le programme d’éducation compensatoire préscolaire a eu des effets positifs sur les capacités intellectuelles et les habiletés linguistiques des enfants de familles à faible revenu. Des examens de programmes d’éducation compensatoire préscolaire effectués au Canada ont toutefois soulevé des doutes au sujet de l’applicabilité de l’expérience du Perry Preschool Project, qui était fondée sur 123 enfants afro-américains issus de familles à faible revenu près de Détroit au début des années 1960, à la réalité canadienne des années 1990 (Wright, 1983 ; Ministère des Services sociaux et communautaires, Ontario, 1989).
Financement
À l’origine, les activités et la recherche ont été financées par des organismes de bienfaisance. Les coûts du programme préscolaire d’une demi-journée auraient été supérieurs au coût moyen d’un programme de prématernelle à l’époque. Le suivi du programme de recherche se poursuit avec l’aide de la High/Scope Research Foundation, qui s’autofinance par ses publications et les services de formation avancée qu’elle offre.
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Évaluation
Le Perry Preschool Project était un programme restreint d’une demi-journée qui n’a duré que cinq ans. Quelque 30 ans plus tard, les responsables de politiques, les groupes de défense et les chercheurs continuent de s’y référer pour faire ressortir les avantages des programmes préscolaires. La recherche expérimentale effectuée dans le cadre du Perry Preschool Project a grandement contribué à la crédibilité globale du programme. Contrairement à la plupart des travaux de recherche sur l’éducation et la psychologie des enfants, le Perry Preschool Project a choisi au hasard les enfants qui feraient partie du groupe expérimental, soit ceux qui participeraient au programme préscolaire et ceux qui feraient partie du groupe témoin, et ceux qui n’y participeraient pas. Après 30 ans, les pertes sont remarquablement faibles – 99 des 123 enfants du programme ont pris part au suivi. Le Perry Preschool Project montre également le pouvoir des données longi tudinales (Zigler et Styfco, 1994). On a suivi les participants durant plus de 25 ans et on continue d’évaluer leur degré d’épanouissement. Les évaluations longitudinales qui vérifient les effets à long terme des expériences de la prime enfance sont trop peu nombreuses. Les initiatives en cours à l’échelle communautaire au Canada
Au Canada, un grand nombre de praticiens et de chercheurs travaillent à l’élaboration et à la mise en œuvre de stratégies pour aider au développement des enfants d’âge préscolaire, en adoptant un modèle environnemental qui reconnaît l’interaction des environnements immédiats et plus éloignés des enfants de ce groupe d’âge. Nous résumons ici quelques-unes de ces initiatives, dont les résultats ne sont pas encore connus, mais qui semblent prometteuses. Get Ready to Learn
TV Ontario (TVO) est un service public de télédiffusion autorisé par l’Office de la télécommunication éducative de l’Ontario. TVO a lancé l’émission Get Ready to Learn dans le but d’enrichir l’environnement d’apprentissage des enfants d’âge préscolaire. Cette émission conjugue une programmation éducative pour les enfants et des stratégies de soutien pour les parents et ceux qui s’occupent des enfants pour les aider à prendre soin des jeunes enfants et à faire leur éducation. La plupart des enfants d’âge préscolaire ont accès à un poste de télévision et sont souvent placés dans des garderies non reconnues ou restent à la maison avec un parent. Ce genre d’environnement ne leur fournit pas toujours toute la stimulation dont ils auraient besoin (Volpe et al., 1994). La programmation éducative pour les enfants d’âge préscolaire, comme Sesame Street, est conçue pour favoriser le développement des habiletés cognitives et linguistiques qui serviront plus tard à l’école. Get Ready to Learn a été conçue pour promouvoir la santé dans l’environnement des enfants d’âge préscolaire en améliorant
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les ressources, en soutenant les parents et ceux qui s’occupent des enfants et en s’appuyant sur la communauté pour créer des occasions de développement. Pour ce faire, TVO entend exploiter les possibilités qu’offrent la technologie télévisuelle et la technologie non télévisuelle pour les parents, les autres personnes qui s’occupent des enfants et la communauté. TVO a chargé des spécialistes du développement de l’enfant et de l’enseignement d’examiner les écrits sur l’éducation des jeunes enfants, l’intervention et le rôle de la télévision publique (Volpe et al., 1994). Le projet Get Ready to Learn a établi des partenariats avec divers groupes d’intervenants qui travaillent auprès des familles, des enfants et des personnes qui s’occupent des enfants en Ontario. L’important comité consultatif est composé de fournisseurs de services (aux jeunes enfants, comme les garderies communautaires, les garderies en milieu familial et les centres de ressources familiales), d’éducateurs et de formateurs, d’organisations professionnelles représentant les éducateurs et ceux qui enseignent aux jeunes enfants et d’organismes gouvernementaux représentant les enfants, les familles, les communautés, la santé, les services sociaux et l’éducation. Les stratégies d’action directe dans la communauté comprennent, entre autres choses, des séances pour permettre aux parents et à ceux qui s’occupent des enfants d’exprimer leurs points de vue et leurs besoins sur le plan de la préparation des enfants pour l’apprentissage. L’information obtenue au cours de ces séances servira à l’élaboration de la programmation télévisuelle et de stratégies de programmation interactive non télédiffusées à l’intention des adultes qui s’occupent des enfants. Les parents, les personnes qui s’occupent des enfants et les organismes locaux élaboreront des moyens de rejoindre les parents et les dispensateurs de soins qui ne répondent pas aux efforts initiaux. Est également prévu un contrôle des effets de l’émission sur les enfants. Partir d’un bon pas, pour un avenir meilleur
Partir d’un bon pas, pour un avenir meilleur est un projet pilote de recherche longitudinale mené en Ontario (Peters et Russell, 1994). Il est financé par le ministère de la Santé, de l’Éducation et des Services sociaux de l’Ontario et par deux ministères fédéraux, soit Affaires indiennes et du Nord Canada et Patrimoine Canada. Le programme fournit des fonds à 12 communautés pour assurer des services visant à satisfaire les préférences et les besoins locaux. Après une année initiale de planification et de développement du programme, le financement sera fourni pour quatre années d’opération. Les chercheurs suivront les progrès des enfants, de leur famille et de leur communauté durant 20 ans. Le modèle Partir d’un bon pas, pour un avenir meilleur s’appuie sur la recherche en matière de programmes de prévention et sur les résultats d’un sondage mené auprès des principaux intervenants au sujet de programmes de prévention canadiens. Le modèle reprend les meilleurs éléments connus des visites à domicile aux mères venant d’accoucher, du soin des enfants et des programmes environnementaux dans les écoles primaires et y ajoute le développement communautaire et l’intégration des services.
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La vaste recherche menée à plusieurs endroits à des fins de comparaison est dirigée par un consortium multidisciplinaire de chercheurs. Le programme est axé sur les enfants de 8 ans et moins vivant dans 12 communautés défavorisées de l’Ontario. Les communautés choisies ont toutes accepté d’assurer une participation importante et significative des résidents aux processus décisionnels et de créer, d’intégrer et d’améliorer les services locaux. Le programme en est maintenant à sa troisième année de mise en œuvre globale. Les données sur les résultats ne seront pas disponibles avant plusieurs années, mais, en attendant, il se produit des changements. Au moins 50 % de tous les membres des comités et des sous-comités sont des parents et des leaders communautaires qui travaillent avec les fournisseurs de services et les éducateurs. Les membres du comité ont rédigé les descriptions de tâches, employé du personnel et décidé du financement. Un meilleur contrôle des services et de l’éducation a mené à une autoévaluation et à une évaluation de la communauté beaucoup plus positives. Les parents et les leaders communautaires sont maintenant plus confiants et plus optimistes quant à leur capacité de favoriser le développement des enfants.
1,2,3, GO !
Le programme de mobilisation communautaire 1,2,3, GO ! est mené dans six quartiers défavorisés de Montréal. Il a été conçu pour améliorer le degré d’épa nouissement des enfants de 3 ans et moins. Le programme fait appel aux ressources financières, humaines et matérielles de la communauté pour offrir des activités de soutien aux enfants et à leur famille. L’évaluation du programme portera notamment sur le degré d’épanouissement des enfants (cognitif et social) et fera état des stratégies ayant permis d’obtenir le soutien de la communauté (Bouchard, 1995).
Mesures préconisées
Les méthodes qui visent à enrichir la vie des enfants défavorisés d’âge préscolaire au Canada doivent tenir compte du fait que les enfants font partie de familles immédiates et étendues et que ces familles font elles-mêmes partie de quartiers et de communautés culturelles. Les enfants et leur famille sont influencés par les milieux de travail, les services de santé, les services sociaux, les médias d’information et de divertissement, les écoles et les installations récréatives. Les enfants, leur famille et leur environnement sont par ailleurs touchés par les gouvernements, le milieu des affaires, la législation et les grandes questions de justice sociale. Ces environnements et ces systèmes finissent à leur tour par être influencés par ce qui arrive aux enfants pendant leurs années préscolaires. Le fait de prendre un bon départ pendant les années préscolaires ne garantit pas le succès et n’immunise pas contre les difficultés ultérieures, mais cela semble mettre les enfants sur la voie de la santé et du bonheur et améliorer les habiletés et les capacités d’adaptation plus tard au cours de l’enfance, à l’adolescence et dans la vie adulte. Le marché du travail
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canadien et la société canadienne ont besoin de personnes compétentes, capables de s’adapter au changement et de continuer à apprendre. C’est en investissant dans les enfants, dans leur famille et leur communauté que l’on formera de tels citoyens. Une approche qui reconnaît le lien intrinsèque entre les environnements immédiats et plus éloignés des enfants est une approche utile, d’autant plus que nous en savons ou en soupçonnons déjà beaucoup sur la façon d’enrichir les expériences des enfants d’âge préscolaire. Le soutien aux familles, les soins à l’enfant et l’éducation des jeunes enfants
Les programmes d’éducation des jeunes enfants favorisent l’acquisition du langage, de la sociabilité et des habiletés cognitives. Dans un même temps, les parents qui travaillent doivent pouvoir avoir accès à des soins de qualité pour leurs enfants afin de pouvoir remplir leurs responsabilités parentales. On ne peut raisonnablement séparer les soins à l’enfant, les besoins en matière d’éducation des jeunes enfants et les expériences des enfants. Soins de qualité et bons programmes d’éducation des jeunes enfants vont de pair ; ils sont, implicitement, des programmes de soutien aux familles et bon nombre d’entre eux incluent des mesures spéciales et explicites à l’intention des parents et des autres membres de la famille. Parmi les autres services qui sont surtout perçus comme un soutien aux familles, mentionnons les services d’intervention et d’information sur les soins à l’enfant ou l’éducation des jeunes enfants. Néanmoins, les politiques et les programmes canadiens portant sur le soin et l’éducation des jeunes enfants séparent souvent le soutien aux familles, les soins à l’enfant et l’éducation des jeunes enfants. Par exemple, l’élaboration de la politique nationale sur l’aide à l’enfance, la recherche et le financement des programmes de garderie sont maintenant la responsabilité de Développement des ressources humaines Canada. Pourtant, plusieurs programmes et initiatives portant sur l’éducation des jeunes enfants et le soutien aux familles relèvent de Santé Canada. À l’heure actuelle, d’importantes considérations d’ordre financier et politique empêchent la création au Canada d’un programme national de services de garde et d’éducation des jeunes enfants comprenant des initiatives de soutien aux familles. Pourtant, rien ne justifie de maintenir le statu quo ; les avantages immédiats et à long terme ne sont que trop évidents. Nous proposons trois lignes directrices pour orienter la prise de mesures dans ce domaine. Commencer par ce qui existe – Pour recevoir de l’aide pour élever leurs enfants, les parents peuvent faire appel à des membres de la famille, aux réseaux sociaux par l’entremise du comité de quartier, aux programmes de visites à domicile ou aux professionnels de la santé. Ils peuvent aussi participer à des programmes d’éducation des jeunes enfants, suivre des cours, devenir membres de groupes d’entraide familiale, s’adresser à des centres de ressources familiales, ou encore se renseigner en écoutant la télévision, en utilisant les divers moyens de communication électronique ou en lisant sur le sujet. Élever des enfants n’est pas affaire d’instinct ; la capacité de s’occuper
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d’autres personnes est peut-être innée, mais prodiguer des soins à un enfant et le guider jusqu’à l’âge adulte suppose l’acquisition d’habiletés qui seront influencées par le contexte social. La grande majorité des enfants canadiens font l’expérience, pendant la prime enfance, de deux types de soins : parentaux et non parentaux. La qualité combinée de ces soins influe considérablement sur leur développement à court et à long terme. Les soins non parentaux peuvent être prodigués de diverses façons, allant de la gardienne à la maison à la fréquentation de la maternelle en passant par les garderies en milieu familial reconnues et non reconnues. Ces arrangements pour la garde des enfants peuvent être occasionnels, à temps partiel ou à temps plein. Tous les arrangements non parentaux contribuent à l’apprentissage et au développement de l’enfant, même si ce n’est pas toujours de façon positive. La gamme actuelle de services de soutien aux familles et aux jeunes enfants n’est ni adéquate ni équitable. Certaines familles peuvent réellement faire des choix parce que leur situation socioéconomique, leurs ressources ou leur situation géographique le leur permettent. Par contre, d’autres familles n’ont d’autre choix que de prendre des moyens de fortune pour la garde de leurs enfants d’âge préscolaire. Nombre d’entre elles ne bénéficient de presque aucun soutien familial. Néanmoins, la gamme actuelle de services de soutien aux familles et aux jeunes enfants constitue un point de départ. Il est essentiel que nous reconnaissions et que nous acceptions la gamme d’options dont nous disposons réellement pour accroître et améliorer la qualité et la quantité des services aux jeunes enfants et aux familles du Canada. Supprimer les obstacles législatifs, administratifs et financiers qui empêchent la mise sur pied de services aux jeunes enfants – Il existe plusieurs façons d’enrichir les expériences des enfants d’âge préscolaire ; elles ne sont pas mutuellement exclusives et peuvent se compléter pour accroître les chances de succès des enfants dans la vie. Par exemple, il serait important d’accroître la collaboration entre le réseau préscolaire et le réseau scolaire. Pour les enfants, l’école est le point convergent de la communauté. Une telle collaboration doit toutefois respecter les valeurs, les préférences et les besoins des familles et de la communauté. Elle doit viser la résolution concertée des problèmes, les partenariats entre les secteurs, le partage des ressources et la prise des décisions communes et non l’appropriation des programmes et services disponibles. La politique et les programmes canadiens se rapportant aux services aux jeunes enfants ont souvent tendance à séparer le soutien aux familles, les soins à l’enfant et l’éducation des jeunes enfants. Comme nous l’avons déjà mentionné, la politique nationale sur l’aide à l’enfance, la recherche et les programmes de services de garde relèvent de Développement des ressources humaines Canada. Cependant, le crédit d’impôt pour les frais de garde d’enfants, mesure fiscale, est administré par Revenu Canada, Impôt, tandis que Santé Canada est chargé de plusieurs programmes et projets d’intervention précoce et de soutien aux familles. Lorsque le gouvernement fédéral a séparé les fonds pour l’aide à l’enfance des fonds pour le soutien aux familles et les interventions précoces, il a créé un nouvel obstacle.
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Mobiliser les intervenants dans la communauté pour apporter un soutien aux familles et aux jeunes enfants – Les communautés ont les ressources humaines et financières pour trouver des moyens souples, novateurs et efficaces de s’occuper et d’éduquer les enfants d’âge préscolaire tout en aidant les familles à assumer leurs responsabilités parentales (Garbarino, 1995 ; Healthy Child Development Project, 1995). Il n’existe pas de solution universelle ; par conséquent, les intervenants de la communauté sont les mieux placés pour prendre les mesures qui conviennent pour répondre aux besoins locaux. Les employeurs pourraient instaurer une politique de travail axée sur la famille qui permette aux parents de prendre une part active à l’éducation de leurs enfants au cours des premières années de leur vie ou de s’absenter du travail pour soigner leurs enfants lorsqu’ils sont malades. Les écoles pourraient travailler de concert avec des partenaires dans la communauté et avec les parents pour mettre sur pied des services de garde des enfants après l’école, des activités parascolaires et des programmes préscolaires. Dans certaines communautés, le fait de modifier les heures de classe pourrait aider les parents à concilier leurs horaires de travail et aider les organismes communautaires à fournir des programmes parascolaires. Pour être efficaces, les solutions communautaires doivent avoir le soutien financier, législatif et administratif de tous les ordres de gouvernement. Ces solutions risquent d’être compromises, voire impossibles à appliquer par les gouvernements qui se déchargent de leurs responsabilités sociales. Mettre l’accent sur les parents et ceux qui s’occupent des enfants – Les mesures à adopter relativement au soin des jeunes enfants et aux programmes d’éducation préscolaire, y compris les projets de soutien aux familles, doivent être axées sur les parents et ceux qui s’occupent des enfants. La qualité des soins parentaux et non parentaux est un des déterminants du bon développement de l’enfant pendant ses années préscolaires (Ontario, Conseil du premier ministre sur la santé, le bien-être et la justice sociale, 1994). La compétence et les aptitudes des parents et des personnes qui s’occupent des enfants continuent d’être les facteurs les importants pour évaluer la qualité des soins (Doherty, 1995 ; Keating, 1993 ; Volpe et al., 1994). Les résultats des programmes préscolaires spécifiques procèdent d’interactions complexes des compétences, des intérêts, de l’information, des occasions, des défis, des attentes et des relations. Les expériences sociales des enfants d’âge préscolaire dépendent directement de leur famille. Le quartier, la communauté, le milieu de travail, les services sociaux, les soins de santé et les politiques gouvernementales sont autant de facteurs qui influencent le développement des enfants d’âge préscolaire par le truchement de leur famille. La culture, l’appartenance sexuelle, la classe sociale et les diverses caractéristiques individuelles posent autant de défis qu’elles créent de possibilités pour les expériences préscolaires et, par la suite, les expériences en milieu scolaire. Les projets qui visent à enrichir les expériences préscolaires des enfants défavorisés doivent tenir compte de la diversité et la respecter. Les méthodes d’éducation des jeunes enfants et les pratiques parentales devraient tenir compte des dernières découvertes concernant les structures conceptuelles qui font leur apparition au cours des années préscolaires. Elles devraient être axées sur
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l’évolution des relations et des attentes, ainsi que sur le développement des habiletés sociales et scolaires essentielles à la réussite à l’école primaire. Les programmes généraux et les programmes spécifiques
Les programmes qui ciblent des groupes économiques ou culturels spécifiques posent un problème. En singularisant un groupe pour lui apporter un soutien spécial, on risque de le stigmatiser. Les effets néfastes de la stigmatisation nuisent au développement des enfants. De surcroît, des critères trop restrictifs peuvent exclure aussi bien des enfants qui auraient besoin du programme que des enfants qui n’en ont pas besoin. Comme il en a déjà été question dans le présent document, nombreux sont les enfants qui, bien que leur famille ne soit pas défavorisée, ont des problèmes et sont à risque (Keating, 1993 ; Offord et al., 1992, Vandell et al., 1988). Parallèlement, les programmes généraux qui visent à fournir des chances égales, comme le système scolaire public, n’ont pas réussi à répondre aux besoins d’un grand nombre (Keating, 1993). Si la notion d’égalité des chances permet à tous d’être admis, certains ont besoin d’un plus grand soutien pour parvenir à s’épanouir (Offord, communication personnelle, 1995). La recherche et l’expérience de première ligne indiquent que l’approche consistant à offrir l’accès à tous les membres de la communauté, en offrant un soutien supplémentaire aux familles qui en ont besoin, constitue le meilleur moyen d’arriver à des résultats équitables. L’universalité signifie que tous les enfants et leur famille ont un accès égal aux services de soutien aux familles et aux jeunes enfants et que ceux qui sont défavorisés ou à risque peuvent bénéficient des ressources supplémentaires dont ils ont besoin pour arriver à s’épanouir de façon équitable. Le principal argument contre les solutions générales est le coût. Cependant, l’accès égal et les résultats équitables n’excluent pas la possibilité d’imposer des droits d’utilisation. Même s’il est nécessaire d’avoir l’appui de la majorité du public pour instaurer des services de qualité aux jeunes enfants, il n’est pas déraisonnable de présumer que la majeure partie des coûts sera assumée par les familles elles-mêmes. En outre, l’utilisation des fonds publics pour venir en aide aux enfants d’âge préscolaire représente un investissement à long terme et non une dépense de consommation (Mustard, 1996). Dans moins de 20 ans, lorsque les travailleurs de la génération du baby-boom commenceront à prendre leur retraite, la population active au Canada ira en décroissant. Or, la productivité du pays repose sur des travailleurs qualifiés et compétents, capables de subvenir aux besoins d’une population vieillissante toujours plus nombreuse. L’augmentation de l’immigration ne permettra pas davantage d’atteindre ce but si trop de jeunes adultes ne sont pas prêts socialement et cognitivement à jouer un rôle actif dans une économie axée sur les connaissances et à vivre dans des communautés culturellement diversifiées (Keating, 1993 ; Mustard, 1996). Enfin, il a été amplement établi que si nous négligeons d’investir dans nos enfants d’âge préscolaire, nous augmentons les coûts que nous devrons plus tard consacrer aux systèmes d’éducation, de santé, de services sociaux et au système judiciaire pour combler les lacunes (Mustard et Keating, 1993 ; Offord et
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al., 1992 ; Schweinhart et al., 1993 ; Tremblay et Craig, 1994). Ces coûts équivalent à des dépenses de consommation pour réparer des dommages qui auraient pu être évités. À défaut d’investir sérieusement dans les années préscolaires, ces services onéreux deviendront submergés et ne seront pas en mesure d’aider ceux qui en ont le plus besoin. Bien sûr, un engagement à investir dans les premières années de la vie des enfants a des répercussions financières. Il est donc nécessaire de veiller à ce que toutes les dépenses actuelles faites au titre de programmes, d’avantages et de services du genre soient soigneusement comptabilisées. La prochaine partie de ce document souligne l’importance de mesurer les résultats et d’attribuer les ressources en conséquence. La situation financière du Canada devrait aller en s’améliorant au cours des dix prochaines années. Cependant, la concurrence pour les ressources, y compris des pressions afin de faire réduire les impôts et d’adopter des mesures fiscales plus avantageuses pour la population vieillissante du Canada, ne cessera pas pour autant. Nous ne pourrons investir dans les services aux jeunes enfants et le soutien aux familles que si la population a été considérablement sensibilisée à l’importance actuelle et future de tels investissements.
L’évaluation des résultats
Des décisions sont prises quant aux politiques publiques et au financement, par les gouvernements, des programmes destinés aux enfants d’âge préscolaire et à leur famille sans connaître vraiment les répercussions de ces décisions. En outre, on se préoccupe très rarement de recueillir des données sur l’impact de ces décisions. De la même manière qu’ils doivent examiner soigneusement leurs dépenses, les gouvernements et les communautés doivent absolument savoir comment vont les enfants et quelles interventions sont efficaces. On a besoin de renseignements à l’échelle nationale, provinciale et locale, notamment d’une évaluation du développement des enfants et des environnements primaires dans lesquels ils vivent. À l’heure actuelle, trois initiatives visent à recueillir des données sur le développement des enfants : l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants (Statistique Canada et Développement des ressources humaines Canada), le Progrès des enfants au Canada (Centre des statistiques internationales) et Achievements and Well-Being of Children and Youth (Ontario, Conseil du premier ministre sur la santé, le bienêtre et la justice sociale). L’Enquête longitudinale nationale sur les enfants démontre l’influence à long terme des expériences de vie, des caractéristiques individuelles, de la famille, du foyer et de l’environnement communautaire sur le développement des enfants. L’enquête produira des données nationales indiquant comment vont les enfants et dans quelle direction il convient d’orienter les programmes et les politiques. L’avenir de l’enquête fait actuellement l’objet d’un examen (SPR Associates, 1996). Le progrès des enfants du Canada est un rapport annuel qui touche divers aspects du bien-être des enfants et de la famille, y compris des indicateurs environnementaux
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et des indicateurs de progrès. Les données du rapport proviennent de l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants ainsi que d’autres sources. Ce rapport ressemble à celui de la publication de l’UNICEF intitulée Progrès des nations. Achievements and Well-Being of Children and Youth est un outil de rapport mis à la disposition des communautés pour recueillir des données précises sur leurs enfants et sur les jeunes. On en est actuellement aux dernières étapes de la conception des questionnaires de collecte de données (Offord, communication personnelle, 1995). Ces trois initiatives se révèlent très utiles pour dresser un portrait de la société et faire les choix qui s’imposent. Elles se complètent l’une l’autre et elles aideront les décideurs à trouver la meilleure façon d’agencer les ressources destinées aux enfants et aux jeunes, notamment les enfants d’âge préscolaire, et de promouvoir l’épanouissement de tous. Il faudra toutefois obtenir des fonds publics pour continuer le travail entrepris. De grandes études longitudinales canadiennes sont nécessaires pour déterminer si les stratégies de prévention et d’intervention à petite échelle conçues à l’étranger sont applicables au Canada. Ce type de recherche permettra aux gouvernements et aux communautés de déterminer quels agencements de soutien familial et de services aux jeunes enfants sont les plus efficaces (Offord, communication personnelle, 1995 ; Tremblay et Craig, 1994). Les initiatives décrites ci-dessus, qui sont maintenant en cours un peu partout au Canada, constituent un excellent pas dans la bonne direction.
Les politiques socioéconomiques
Les écrits qui font état des interventions visant à enrichir la vie des enfants défavorisés d’âge préscolaire et les résultats des programmes dont il a été question dans le présent document confirment l’opinion d’Edward Zigler selon laquelle :
[L]e modèle environnemental nécessite clairement que nous évitions de surestimer ce que nous sommes réellement en mesure d’accomplir à l’aide des programmes d’intervention précoce dont nous disposons actuellement. Souvent, ces programmes ne peuvent tout simplement pas modifier suffisamment le milieu ou l’environnement global pour avoir une incidence notable sur la vie des familles. Pour de nombreuses familles, les problèmes ne seront pas réglés à l’aide d’interventions précoces, mais plutôt en changeant les caractéristiques fondamentales de l’infrastructure de notre société. L’aide psychopédagogique, les programmes à l’intention des jeunes enfants et les visites à domicile ne peuvent se substituer aux emplois qui permettent d’avoir un foyer décent, aux logements à prix abordable, aux soins de santé adéquats, à une configuration familiale optimale ou à des voisinages intégrés où les enfants rencontrent des adultes qui sont des modèles positifs. [Zigler, 1990, p. xiii.]
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Le fait de réduire la pauvreté au Canada ne donnerait pas à tous les enfants le coup de pouce dont ils ont besoin, mais cela aurait tout de même un impact considérable. Les sociétés où le fossé entre les citoyens les plus riches et ceux les plus pauvres est peu profond affichent un gradient d’effet moins prononcé pour plusieurs résultats, y compris ceux se rapportant au développement des enfants (Mustard et Keating, 1993). Modifier les circonstances économiques des familles à faible revenu qui ont des enfants d’âge préscolaire est une étape importante vers la réduction de l’écart entre les familles canadiennes à faible revenu et les familles à revenu élevé et vers la réduction de la pauvreté. On peut élever les revenus des familles à faible revenu de deux façons : en augmentant les transferts de revenus ou en augmentant les salaires. La meilleure stratégie pour répondre adéquatement aux besoins des enfants défavorisés d’âge préscolaire consiste à combiner ces deux options. Les mères seules qui ont des enfants d’âge préscolaire ont moins de chances de trouver du travail à l’extérieur du foyer que les mères de famille où les deux parents sont présents. L’Étude canadienne sur la garde des enfants a révélé que seulement 35,6 % des mères seules ayant des enfants d’âge préscolaire travaillent à l’extérieur, comparativement à 47,3 % des mères de famille où les deux parents sont présents (Lero et al., 1992). Les mères seules ont de meilleures chances de se trouver un emploi si elles peuvent prendre des arrangements adéquats pour la garde de leurs enfants. Les décisions qu’elles prennent relativement à la garde de leurs enfants sont surtout fondées sur des considérations financières (Cleveland et Hyatt, 1996). Pour élargir le soutien aux familles et les services aux jeunes enfants en améliorant les services actuels, il faudra augmenter et non réduire les dépenses publiques. Cependant, certains des coûts ainsi investis seront compensés par une augmentation des taux d’emploi et de revenu des mères seules qui ont des enfants d’âge préscolaire. En outre, cette mesure devrait contribuer à réduire les versements au titre de l’aide sociale. Le crédit d’impôt pour enfants fondé sur le revenu de la famille est un moyen efficace de transférer des revenus aux familles qui ont des enfants. En augmentant ce crédit, on pourrait réduire l’écart entre les familles à faible revenu et les familles à revenu élevé et régler ainsi le problème de la diminution des revenus chez les jeunes familles qui ont des enfants d’âge préscolaire. Cette mesure atteindrait tant les familles qui perçoivent des prestations d’aide sociale que les familles où les salaires sont trop bas. L’augmentation du crédit d’impôt pour enfants pourrait également aider considérablement les parents qui souhaitent travailler hors du foyer mais qui ont besoin d’aide jusqu’à ce que leur revenu d’emploi augmente.
Résumé des mesures préconisées
Les constatations de la recherche et les expériences de première ligne dont il a été question dans le présent document indiquent plusieurs options possibles :
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Services à la prime enfance – Reconnaître toutes les formes d’éducation des jeunes enfants, de services de garde, d’intervention précoce et de programme de soutien aux familles actuellement disponibles. Supprimer les barrières législatives, financières et administratives qui nuisent aux services. Rallier les membres de la communauté et soutenir leurs efforts. Mettre l’accent sur l’amélioration des capacités et des aptitudes des parents et des personnes qui s’occupent des enfants. Accès à toute la communauté – Faire en sorte que tous les enfants aient accès aux services à la prime enfance. Certains enfants et leur famille auront besoin d’un soutien supplémentaire ou de plus de services pour être en mesure de participer pleinement. Maintien de la santé et du bien-être des enfants – Soutenir les initiatives complémentaires comme l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants, le rapport annuel Le progrès des enfants du Canada et le sondage communautaire Achievement and Well-Being of Children and Youth. Faire en sorte que les politiques économiques et sociales apportent des solutions à la pauvreté chez les enfants – Faire en sorte que les services de garde figurent parmi les services à la prime enfance qui sont accessibles aux parents à la recherche d’un emploi, particulièrement les mères seules. Élargir le programme de crédit d’impôt pour enfants afin de favoriser la transition de l’aide sociale au revenu d’emploi. Investir dans nos jeunes enfants équivaut à investir dans notre productivité. Le lien entre la qualité des soins et l’alimentation pendant les premières années de la vie, et les problèmes de santé plus tard dans la vie, a des implications non seulement sur les politiques en matière de santé, mais également sur les politiques se rapportant aux habiletés et aux capacités d’adaptation de la population – en d’autres termes, le capital humain. [Fraser Mustard, 1996.] Jane Bertrand enseigne au George Brown College, dans le cadre du programme Early Childhood Education. Elle a étudié le développement de l’enfant et la méthodologie des premières années d’enseignement à l’Institut ontarien d’études en enseignement. Elle a pris part à plusieurs initiatives d’élaboration de politiques liées aux services à la petite enfance dispensés aux jeunes enfants et à leurs parents. Jane Bertrand croit fermement à l’élargissement des programmes d’aide à l’enfance et de soutien parental.
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Développer la résilience chez les enfants des milieux défavorisés Paul D. Steinhauer, M. D., FRCP(C) Professeur de psychiatrie à l’Université de Toronto Président de Sparrow Lake Alliance et de Au nom de nos enfants
Résumé Après un survol de la documentation sur le sujet, l’auteur définit la résilience comme une adaptation exceptionnelle en présence d’un stress aigu ou la capacité de la personne stressée à revenir au niveau d’adaptation observé avant l’apparition du stresseur. Il analyse ensuite les facteurs biologiques, psychologiques, familiaux et sociaux qui caractérisent les milieux défavorisés et nuisent à l’émergence des précurseurs de résilience. Il énumère aussi, pour chacun de ces aspects, les facteurs qui préservent le potentiel de résilience. Il examine une par une les grandes étapes du développement de l’enfant – de la conception à la naissance, prime enfance, années préscolaires, années scolaires – et détaille pour chacune les facteurs personnels, familiaux et sociaux qui peuvent empêcher ou favoriser l’apparition de la résilience. Il donne pour chacune les principales tâches développementales et il considère l’effet des différents facteurs de risque et de protection sur l’accomplissement de ces tâches et l’émergence de la résilience. L’auteur donne ensuite, pour chaque étape de développement, des objectifs et des modèles d’intervention éprouvés visant à promouvoir la résilience et à contrebalancer les principaux facteurs de risque. En guise d’exemples, il présente 12 « histoires à succès » : des programmes qui ont déjà aidé un nombre considérable d’enfants défavorisés à développer leur résilience ou qui semblent particulièrement prometteurs et mériteraient, par conséquent, d’être suivis jusqu’à ce que l’on puisse en établir l’efficacité. L’auteur conclut en présentant dix recommandations qui, advenant leur mise en œuvre, aideront un nombre considérable d’enfants défavorisés à transcender l’adversité et à développer leur plein potentiel.
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Table des matières
La résilience : définition et facteurs . ............................................................... 53
Accroître la résilience des enfants défavorisés ................................................. 54 Effet des risques inhérents aux milieux défavorisés sur le potentiel de résilience ........................................................................... 57 Favoriser le développement de la résilience dans les milieux défavorisés : exemples à suivre ............................................... 70
1er objectif – De la conception à la naissance..................................................70 Le programme français de prévention des naissances prématurées par l’amélioration des soins prénatals....................................71 Le Dispensaire diététique de Montréal......................................................73 2e objectif – Les trois premières années de vie................................................74 Programme de soins prénatals et de soins aux nourrissons (programme Olds)...........................................................74 Le programme Healthy Start d’Hawaii.....................................................76 Staying on Track.......................................................................................78 3e objectif – Les années précédant l’entrée à l’école........................................79 Le programme préscolaire Perry................................................................80 4e objectif – Programmes parascolaires...........................................................82 Ryerson Outreach/Ryerson Community Initiative....................................82 Helping Children Adjust..........................................................................84 Cities in Schools.......................................................................................86 Étude expérimentale longitudinale menée à Montréal et portant sur le comportement turbulent des garçons à la maternelle........................................................................87 5e objectif – Mobiliser les communautés défavorisées.....................................88 Partir d’un bon pas, pour un avenir meilleur.............................................88 Partenaires dans la croissance....................................................................90 Points à considérer pour l’élaboration d’une politique . .................................. 91 Bibliographie .................................................................................................. 97
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Liste des figures
Figure 1 La solidité des liens affectifs vue comme précurseur de la résilience..................................................................................55 Figure 2 Les conflits conjugaux et leur effet sur le développement de la résilience..................................................................................64 Figure 3 Le style d’éducation et ses effets sur le développement de la résilience..................................................................................65 Liste des tableaux
Tableau 1 Prévalence des troubles psychiatriques sur six mois, par âge et par sexe...........................................................................61 Tableau 2 Comparaison des services de garde et d’éducation précoce de haute qualité à ceux de mauvaise qualité.....................................80 Tableau 3 Résultats des anciens du programme préscolaire Perry à l’âge de 27 ans comparés à ceux du groupe témoin ......................81 Tableau 4 Faits saillants du sondage auprès des enseignants de l’école Ryerson...........................................................................83
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La résilience : définition et facteurs
Il n’y a pas une, mais plusieurs définitions de la résilience (parfois appelée « ressort psychologique »), comme l’indique clairement la documentation sur le sujet. La résilience chez l’enfant est définie en résultats positifs, et la description de ces derniers varie d’une étude à l’autre (Kaufman et al., 1994). « Résilience » s’entendra ici d’une adaptation exceptionnelle en présence d’un stress aigu (Beardslee, 1989) ou de la capacité d’un enfant stressé à revenir au niveau d’adaptation observé avant l’apparition du stresseur (Garmezy, 1991a). Cela suppose que l’enfant a, avec le temps, mobilisé les ressources nécessaires pour s’adapter, voire devenir plus fort, et surmonter les difficultés présentes dans sa vie (Garmezy, 1993 ; Prevention and Children Committee, 1995 ; Egeland et al., 1993). Plusieurs facteurs peuvent aider un enfant à transcender l’adversité, et ces facteurs se renforcent souvent mutuellement. Ils incluent : – le patrimoine génétique et la santé de l’enfant ; – l’harmonie entre l’enfant et ses parents ; – la capacité des parents, comme individus et couple, à soutenir l’enfant pour qu’il développe son plein potentiel ; – le niveau de stress chronique (environnemental, social ou psychologique) vécu par la famille et l’enfant ; – l’attitude des parents et de l’enfant devant un stress. L’analyse qui suit traite principalement de ces facteurs de résilience propres à l’enfant, à sa famille et à son environnement social. De nombreux enfants supportent un niveau élevé de stress chronique ou font face à une adversité constante en raison de leur état de santé ou de leur environnement. Cependant, la présence d’un facteur de risque (p. ex. maladie chronique, mauvais traitements ou pauvreté) peut être compensée par la présence de facteurs de la triade protectrice : les ressources individuelles, la solidité des liens familiaux et les mécanismes de soutien externes tels que l’école et la communauté (Garmezy, 1991b). Adéquatement soutenu, l’enfant peut faire preuve de ressort malgré un désavantage chronique, voire être rendu plus fort par sa lutte (Sinnema, 1991 ; Cicchetti et al., 1993). La résilience a de multiples facettes : par exemple, un adolescent exposé à un stress aigu, mais doté d’excellentes aptitudes sociales peut surmonter d’énormes problèmes d’adaptation à l’école, qu’ils soient d’ordre émotionnel ou autre (Luthar et al., 1993). Certains traits de caractère peuvent jouer un rôle protecteur et aider l’enfant à transcender les désavantages inhérents à son milieu, par exemple de bonnes aptitudes sociales (ibid.), l’autonomie et la capacité de résoudre des problèmes (Steinhauer et al., 1984), sans oublier un caractère résilient (Benard, 1991 ; Sheppard et Kashani, 1991). L’enfant qui a un caractère résilient est, en essence, optimiste. La vie a pour lui une certaine signification, il a un certain dessein, une volonté de vaincre, un sentiment d’assurance, une bonne estime de soi, de même qu’une tendance et une habileté naturelles à gagner des appuis dans son entourage. Il sait faire preuve
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de créativité devant les problèmes à résoudre, surmonter les difficultés et même persévérer après un échec initial (Fine, 1991 ; Garmezy, 1991a ; Wolin et Wolin, 1993 ; Williams et al., 1992). Sa personnalité inclut une dimension spirituelle, teintée d’espoir (Danieli, 1994). Les enfants qui acquièrent ces qualités protectrices semblent avoir en commun des liens solides avec leur famille, laquelle leur procure stabilité et soutien (figure 1). La famille et l’école peuvent aussi jouer un rôle protecteur et encourager la résilience, c’est-à-dire : – donner amour et soutien (Gribble et al., 1993) ; – fixer des attentes élevées, mais réalistes ; – donner à l’enfant l’occasion de participer et de contribuer (Baumrind, 1989) ; – développer, comme famille, la capacité de supporter le stress chronique et de traverser des crises répétées (McCubbin et al., 1992). Selon un proverbe africain, il faut tout un village pour éduquer un enfant. Bronfenbrenner (1985) a justement montré que la société humanitaire sert d’appui à la famille ; elle favorise l’acquisition des habiletés, ainsi que le développement des précurseurs de la résilience. Dans une communauté où le capital social et la cohésion manquent, les parents doivent investir plus d’efforts et suivre l’enfant de plus près pour qu’il développe un caractère résilient. Et malgré tout, il n’est pas garanti que ces efforts suffisent à compenser les effets accablants d’un désavantage extrême et d’une communauté dénuée de tout sens civique (Garbarino et al., 1992 ; Richters et Martinez, 1993 ; Capaldi et Patterson, sous presse).
Accroître la résilience des enfants défavorisés
Comment aider les enfants défavorisés à devenir résilients ? Le mot « défavorisé » est souvent synonyme de « pauvre ». La pauvreté mine, et son effet est cumulatif (Garmezy, 1991b). L’incidence des troubles comportementaux est trois fois et demie plus élevée chez les garçons et les filles qui grandissent dans la pauvreté. Ceux-ci souffrent presque deux fois plus souvent de maladies chroniques et présentent un taux de problèmes scolaires, d’hyperactivité et de troubles affectifs plus de deux fois supérieur à celui des autres enfants (Ross et al., 1994). Une étude importante a d’ailleurs montré que le taux de violence augmente avec la pauvreté – il triple chez les filles et quintuple chez les garçons (Tremblay et al., 1994). Néanmoins, ce n’est pas tant le degré d’impuissance ou d’iniquité (l’écart entre les riches et les pauvres dans une société) que le dénuement économique lui-même qui mine le plus la santé physique et mentale (Marmot et al., 1987 ; Davey Smith et al., 1990 ; Hertzman et al., 1990 ; Institut canadien de recherches avancées, 1991). Toute mesure qui accroît l’iniquité, y compris celles qui visent à réduire le déficit économique de l’État mais érodent le capital social, provoque une multiplication des problèmes de santé physique et mentale (y compris des suicides), ainsi que des actes criminels. On cite souvent la Nouvelle-Zélande pour illustrer comment l’économie du ruissellement peut aider un pays aux prises avec des problèmes économiques. Cependant, que s’est-il réellement passé en Nouvelle-Zélande depuis 1984, année
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Parents à l’écoute
Enfant normal
Liens solides
Capacité de faire confiance
Fondement de l’autonomie
Fondement de la confiance en soi
Capacité d’empathie
Optimisme inhérent
Capacité de surmonter les difficultés et de persévérer
Assurance
Capacité de s’apaiser
Maîtrise des impulsions (capacité d’intérioriser les tensions, de réfléchir avant d’agir)
Caractère résilient
Capacité de tisser et d’entretenir de bonnes relations
Capacité de recruter des appuis sociaux
Palette de mécanisme d’adaptation efficaces (compétence)
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Source : Steinhauer, 1997.
Capacité de résoudre des problèmes
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Résilience
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où le gouvernement a décidé de s’attaquer au déficit en faisant complètement fi de la situation sociale ? Le pays a effectivement réglé ses problèmes de trésorerie, mais la dette nationale a doublé durant ces 12 années. Tandis que le gouvernement était occupé à régler les problèmes économiques, voilà ce qui s’est passé : – Le taux de suicide chez les jeunes (le plus élevé au monde) a doublé depuis 1985 ; – Le taux de criminalité en 1993 était le plus élevé des pays industrialisés ; – Le taux de pauvreté a grimpé de 40 % par suite des coupures budgétaires dans les programmes d’aide sociale et d’assurance-chômage (près de 25 % des enfants néo-zélandais grandissent aujourd’hui dans la pauvreté) ; – Le taux de chômage a triplé en l’espace de quatre ans, pour atteindre 12,7 % (selon la définition acceptée en 1984) ; – La classe moyenne s’est érodée ; – L’écart entre riches et pauvres (sur les plans financier et scolaire) a beaucoup augmenté et, pour la première fois de son histoire, la Nouvelle-Zélande se voit aux prises avec un groupe considérable de marginaux, vivant dans la pauvreté (Société Radio-Canada, 1995). Pour les enfants, l’effet de ces circonstances se manifeste vraisemblablement par une intensification du stress parental, une multiplication des conflits familiaux, une augmentation de la violence et des mauvais traitements, ainsi qu’une diminution des services et du soutien à l’école et dans la communauté ; il est aussi probable qu’ils s’assimilent au sentiment d’aliénation, de marginalité et de trahison ressenti par leurs parents. Il existe trois types et degrés de désavantage. La pauvreté contribue de plusieurs façons au stress des parents et aux tensions familiales, constituant ainsi elle-même une source de stress. Elle érode les ressources psychosociales limitées des parents et amplifie les problèmes d’ordre interpersonnel ou psychologique. Elle complique les relations parents-enfant (Avison, 1994), tout en réduisant les possibilités d’échapper temporairement aux stresseurs. Néanmoins, il appert de plus en plus que c’est l’effet combiné de plusieurs stress environnementaux (Rutter, 1979a ; Rae-Grant, 1991) et l’effet groupé des privations psychosociales accompagnant souvent la pauvreté (en particulier la dépression maternelle, l’abus de substances psychoactives par les parents, la violence parentale et la criminalité paternelle) qui nuisent le plus à la compétence et à la résilience, non le manque de revenus en lui-même (Dembo et al., 1992 ; Fondation ontarienne de la santé mentale, 1994 ; Byrne et al., 1996 ; Steinhauer, 1995a). D’autre part, l’expérience et la pauvreté transitoires des enfants d’immigrants qui reçoivent tout le soutien voulu de leur famille ne peuvent pas être comparées aux désavantages vécus par des enfants prisonniers d’une classe marginale permanente (Steinhauer, 1995a). Les enfants défavorisés ne sont pas nécessairement pauvres. Ceux qui, à l’intérieur de l’unité familiale, sont constamment victimes de négligence, de conflits, de violence ou de mauvais traitements sont aussi défavorisés, indépendamment de la situation financière de leur famille. L’évolution de la structure économique, la nécessité pour un nombre croissant de parents de travailler tous les deux afin
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d’assurer la subsistance de la famille (Hanvey et al., 1994, p. 119 ; Avard et Chance, 1994), l’échec de nombreux mariages (Selon Barr [1993], la proportion d’échecs est aujourd’hui plus de dix fois ce qu’elle était avant la Seconde Guerre mondiale) et la mobilité accrue des gens (signifiant dans bien des cas qu’on ne peut plus compter autant sur le soutien de la famille étendue pour les soins aux enfants) sont autant de facteurs qui limitent le temps et l’énergie que les parents peuvent consacrer à leurs enfants (Hewlett, 1991a ; Scrivener, 1994). Nos statistiques, qui remontent 60 ans en arrière, indiquent que jamais les parents et les enfants ont passé si peu de temps ensemble (Watkins et al., 1987) – situation que Mattox (1990) qualifie d’absence de vie familiale. Aujourd’hui, environ 65 % des familles avec des enfants en bas âge ont besoin de deux revenus pour échapper à la pauvreté (Vanier, 1994). C’est donc dire qu’on a grand besoin de services de garde de qualité, à un prix abordable. En l’absence de tels services, un grand nombre de familles font face au dilemme de Hobson : un parent peut rester à la maison (et entraîner ainsi toute sa maisonnée dans la pauvreté) ou l’on peut placer les enfants dans un service de garde dont la qualité laisse à désirer. Dans la section qui suit on examine comment les risques (biologiques, familiaux et environnementaux) inhérents aux milieux défavorisés nuisent au développement de la compétence et de la résilience. Suivra une discussion des facteurs et des processus qui peuvent aider l’enfant défavorisé à vaincre l’adversité et, partant, à développer sa résilience. La conclusion présente quelques modèles d’intervention pour favoriser la résilience sur le plan personnel, familial et communautaire, depuis la conception jusqu’à l’adolescence.
Effet des risques inhérents aux milieux défavorisés sur le potentiel de résilience
Comment est-ce que les dangers inhérents aux milieux défavorisés tendent, à différents stades de développement, à contrecarrer l’action protectrice des facteurs génétiques, familiaux, environnementaux et psychologiques à la base de la résilience ? De la conception à la naissance, les risques importants sont surtout d’ordre biologique, quoique certains peuvent provenir de l’environnement. On englobe généralement sous le vocable « insuffisance pondérale » deux conditions qui se recoupent : certains bébés ont un poids insuffisant à la naissance en raison de problèmes de croissance et d’autres naissent trop tôt (Paneth, 1995). De nos jours, on sauve la majorité des nouveau-nés ayant une insuffisance pondérale, incluant certains qui pèsent à peine 750 grammes à la naissance. On doit ces miracles à l’amélioration des soins néonatals, mais leur prix est souvent bien élevé : en effet, plus un bébé est petit, plus il risque d’avoir des problèmes de développement ou des problèmes médicaux graves qui persisteront toute sa vie. Ces problèmes peuvent, dans certains cas, empêcher l’enfant de profiter pleinement de la vie et contribuent à faire grimper la facture que les contribuables doivent payer pour les soins de santé et les services d’orthopédagogie, déjà bien souvent insuffisants (Allen et al., 1993 ; Hack et al., 1994). Les bébés qui ne sont pas assez gros, en particulier ceux qui ont
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une insuffisance pondérale grave, meurent souvent à la naissance ou pendant la première année de leur vie. Les risques qu’ils souffrent d’une maladie chronique ou d’une déficience (p. ex. paralysie cérébrale, troubles de la vue, hyperactivité et déficit de l’attention, difficultés d’apprentissage et problèmes respiratoires) sont aussi deux fois plus grands (Canada, 1992 ; McCormick et al., 1990). Dans les quartiers défavorisés, les insuffisances pondérales sont 1,4 fois plus nombreuses que dans les quartiers aisés (Hanvey et al., 1994, p. 123). Toutefois, on ne sait pas encore dans quelle mesure les retards de développement moins graves, mais plus fréquents, observés chez ces bébés découlent de l’environnement où ils grandissent. Bien sûr, un milieu défavorisé aggrave les problèmes cognitifs et comportementaux causés par une déficience biologique (Watkins et al., 1987 ; Shiono et Behrman, 1995). Au nombre des facteurs contribuant aux risques d’insuffisance pondérale chez les nouveau-nés figurent entre autres : le très jeune ou le très vieil âge de la mère (moins de 20 ou plus de 45 ans) ; les naissances multiples ; l’appartenance à la race noire, indépendamment du niveau de désavantage (Paneth, 1995, p. 26 ; Shiono et al., 1986) ; la consommation de tabac et la malnutrition de la mère. Les mères les plus pauvres sont également celles qui fument le plus, ce qui explique au moins en partie l’écart de poids entre les bébés de classes sociales différentes (Institute of Medicine, 1985 ; Rush et Cassano, 1983). La cigarette, qui ralentit la croissance du fœtus, est le facteur de risque le plus important que nous puissions modifier pour accroître le poids des nouveau-nés et leurs chances de survie. Dans presque deux tiers des cas, les retards de développement résultent de la consommation de tabac ou, encore, d’un gain de poids insuffisant par le bébé ou la mère durant la grossesse (Kramer, 1987). On pourrait éliminer jusqu’à 20 % des insuffisances pondérales à la naissance si toutes les mères arrêtaient de fumer durant leur grossesse (Chomitz et al., 1995). La consommation d’alcool ou d’autres drogues pendant la grossesse contribue aussi à retarder le développement du fœtus et augmente le risque de naissance avant terme (Schneider et al., 1989 ; Rodgers, 1989 ; Canada, 1992). Un autre risque biologique guette l’enfant durant cette période : les lésions cérébrales (p. ex. le syndrome d’alcoolisme fœtal), qui peuvent causer une hyperactivité, une pauvre maîtrise des impulsions, une humeur dysphorique, ainsi qu’une incapacité à être apaisé. On observe fréquemment ces symptômes chez les enfants de mères qui ont consommé de l’alcool ou des drogues (en particulier la cocaïne) au cours de leur grossesse. Les enfants qui naissent avec des lésions au cerveau ont généralement plus de difficulté à tisser des liens affectifs, connaissent moins de succès à l’école, manifestent souvent un comportement oppositionnel, défiant et antisocial, et développent plus souvent des troubles psychiatriques une fois adultes (Mannuzza et al., 1993). Certains facteurs sociaux peuvent aussi augmenter le risque d’insuffisance pondérale légère ou grave, notamment l’isolement, le manque de soutien psychosocial, le stress chronique et les mauvais traitements infligés à la mère pendant sa grossesse (Goodyer, 1990 ; Garmezy, 1991b ; Carnegie Corporation of New York,
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1994). Tout ce qui diminue l’isolement et le stress psychosocial accompagnant souvent la pauvreté prépare l’établissement de liens affectifs solides entre l’enfant et la mère, et agit ainsi comme précurseur de la résilience enfantine (figure 1 : Jacobson et Frye, 1991). Il existe un lien indéniable entre la classe sociale et l’incidence des naissances prématurées, qui sont responsables de la plupart des insuffisances pondérales aux États-Unis et causent plus de mortalité infantile que les retards dans le développement fœtal (dont l’incidence est également liée à la classe sociale) dans les pays industrialisés. En outre, la cigarette et la malnutrition affectent le dévelop pement du fœtus plus que la durée de la grossesse. Bref, remédier à l’isolement de la mère, améliorer son alimentation et limiter sa consommation de tabac et de substances psychoactives durant la grossesse pourra se traduire par une amélioration notable, bien que modeste, du nombre de nourrissons sains et potentiellement résilients, nés d’une mère détendue et préparée. De la naissance jusqu’à l’apprentissage de la marche, les risques les plus importants pour l’enfant restent de nature biologique et environnementale. La qualité du milieu familial prend toutefois une importance croissante, comme facteur nuisible ou favorable au développement de la résilience. Il appert de plus en plus que la négligence et les sévices continus (stress chronique) infligés au cours de la première et la deuxième année de vie peuvent causer des lésions cérébrales permanentes. Le développement du cerveau immature et vulnérable de l’enfant dépend largement de la qualité et de la quantité de stimuli qu’il reçoit durant les périodes de réceptivité accrue qui marquent les trois premières années de sa vie. Pendant ce temps, l’environnement a une influence capitale sur le développement de son cerveau et, partant, sur son potentiel cognitif et sa maîtrise des émotions intenses, notamment l’anxiété et l’agressivité (Carnegie Corporation of New York, 1994 ; Keating, 1992 ; Perry, sous presse). Pour des raisons physiologiques et, à l’occasion, génétiques, le système limbique (région du cerveau) de certains enfants présente une sensibilité extrême à l’inconnu et aux changements, ce qui se traduit par une surexcitation constante du système nerveux sympathique (Garcia-Coll et al., 1984 ; Kagan et al., 1987). C’est là un autre facteur biologique capable de saboter le potentiel de résilience. Les bébés qui naissent avec ce problème souffrent d’une plus grande insécurité affective et ont généralement plus d’inhibitions (Manassis et al., 1994). En vieillissant, ils ont tendance à éviter les situations nouvelles ou stressantes. Ils diminuent ainsi leur anxiété, mais ne parviennent pas à faire l’acquisition de stratégies d’adaptation plus efficaces. L’absence de telles stratégies empêche l’émergence d’un sentiment de maîtrise, il favorise l’évitement et prédispose au développement de troubles anxieux (Biederman et al., 1990 ; Hirshfeld et al., 1992). Néanmoins, si les parents sont à l’écoute de l’enfant et parviennent à créer pour lui un milieu sécurisant, celui-ci pourra éventuellement développer des mécanismes d’adaptation plus efficaces et, ainsi, garder son potentiel de maîtrise, de compétence et de résilience. Au reste, sur le plan familial, les principaux facteurs favorisant la résilience sont ceux qui soutiennent l’établissement de liens affectifs solides avec la première
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dispensatrice de soins durant cette période. L’établissement de ces liens est plus facile lorsque la mère est détendue, qu’elle ne craint pas pour sa sécurité, qu’elle se sent appuyée et accepte bien l’enfant. Par contre, il pourra s’avérer plus difficile si la mère n’a pas elle-même résolu toutes ses difficultés d’attachement. Ces difficultés résiduelles découlent souvent de la négligence ou des sévices que la mère a ou croit avoir subis dans son enfance (Main et Goldwyn, 1984). Plusieurs facteurs peuvent heureusement réduire les risques d’échec : des contacts sociaux, un encadrement adéquat durant la période néonatale et la prime enfance, le traitement de la dépression, de la psychose ou de la toxicomanie de la mère (le cas échéant), ainsi qu’un soutien pour aider la mère à supporter les frictions chroniques avec son partenaire, la violence que lui inflige celui-ci ou son abandon (Garmezy, 1991b). Les liens que l’enfant tisse avec son père peuvent aussi compenser pour la faiblesse des liens avec sa mère (Fox et al., 1991). D’autres facteurs, outre les problèmes des parents, peuvent nuire à l’établissement d’une bonne relation parents-enfant, par exemple une naissance prématurée, une difformité ou maladie chronique – en particulier lorsque cette dernière restreint les contacts entre les parents et l’enfant et lorsqu’un long séjour à l’hôpital empêche les parents de prendre soin de l’enfant ou interfère avec l’établissement des liens affectifs (Minde, 1980). Les hôpitaux qui encouragent les parents à participer activement au soin de leur enfant et à le toucher facilitent l’attachement et contribuent ainsi à préserver le potentiel de résilience du tout petit. Les traits de caractère de ce dernier peuvent compliquer l’établissement d’un bon rapport avec les parents, surtout s’il a un tempérament difficile ou si son caractère inné ne cadre pas avec celui des parents. Dans un tel cas, tout le processus d’attachement, essentiel au développement de la compétence et de la résilience, risque d’en souffrir. D’un autre côté, un caractère facile ou calme agit souvent comme un « tampon » en cas de stress et rehausse ainsi la capacité d’adaptation de l’enfant, ce qui favorise l’accord entre lui et ses parents, de même que l’établissement de bons liens affectifs (Werner, 1984 ; Raine et al., 1990). Par ailleurs, une excitation insuffisante (manque d’anxiété) risque autant de mener à la délinquance et à la criminalité (Magnusson et al., 1991 ; Raine et al., 1990 ; Tremblay et al., 1991). La vulnérabilité de l’enfant hypersensible, dont le système nerveux sympathique réagit mal à l’insécurité, pourra être aggravée si la principale soignante1 souffre ellemême d’insécurité ou d’un trouble anxieux (Manassis et al., 1994). Pour l’enfant inhibé, la réaction du parent peut revêtir une importance cruciale ; si cette réaction n’offre pas tout l’encouragement nécessaire, l’enfant risque de ne pas acquérir les mécanismes d’adaptation qui pourraient autrement le protéger des troubles d’intérioration et contribuer à sa résilience (Weissman et al., 1987 ; Kochanska, 1991 ; Baldwin et al., 1990). Au stade préscolaire et scolaire, la possibilité pour l’enfant de jouer librement avec des pairs l’aidera à parfaire ses aptitudes sociales, ainsi qu’à diminuer sa conduite d’évitement, son anxiété et son inhibition, ce qui favorisera sa résilience à condition que l’expérience soit positive (Rubin, 1982).
1. Dans la majorité des foyers canadiens, les soins incombent à la mère. Dans les familles où le père remplit ce rôle, c’est avec lui que l’enfant établira ses premiers liens affectifs.
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Dans les années de prime enfance, d’âge préscolaire et d’âge scolaire, le principal facteur protégeant la résilience de l’enfant est la capacité de ses parents, comme individus et comme couple, de répondre à ses besoins de développement. Maladies et déficiences nuisent souvent à l’épanouissement de l’enfant mais peuvent, dans certains cas, avoir l’effet contraire et contribuer à sa résilience (National Center for Youth with Disabilities, 1991 ; Sinnema, 1991). La réaction d’un enfant au stress peut être influencée par son sexe. Les filles sont portées à tout intérioriser, en particulier à faire de l’angoisse de séparation et à souffrir de dépression ; tandis que les problèmes des garçons s’expriment surtout à l’extériorisation, c’est-à-dire qu’ils sont portés à l’hyperactivité avec déficit de l’attention, aux troubles oppositionnels, à la défiance et aux troubles de comportement (Offord et al., 1989 ; Last et al., 1987) (tableau 1).
Tableau 1 Prévalence des troubles psychiatriques sur six mois, par âge et par sexe Âge et sexe Troubles Hyperactivité Troubles Conversion de comportement (%) affectifs (%) (%) (%)
4 à 11 ans Garçons Filles
6,5 1,8
10,1 3,3
10,2 10,7
__ __
12 à 16 ans Garçons Filles
10,4 4,9
7,3 3,4
4,9 13,6
4,5 10,7
Source : Données dérivées de D.R. Offord et al., 1989.
Les facteurs individuels qui, souvent, empêchent les parents de bien jouer leur rôle auprès de l’enfant et de favoriser sa résilience ne sont pas toujours contrôlables. Ces facteurs « nuisibles » peuvent être d’origine génétique ou psychodynamique. Sur le plan génétique, les facteurs contribuant à la résilience de l’enfant incluent l’absence de maladie congénitale ou de problèmes psychiatriques tels que les troubles affectifs, la schizophrénie, les troubles anxieux, la toxicomanie, l’alcoolisme et les troubles d’apprentissage. L’intelligence doit aussi être à tout le moins adéquate (Luthar et Zigler, 1992). L’enfant dont l’un des parents a fait une dépression majeure risque deux à quatre fois plus que les autres de développer des troubles psychiatriques. Il souffrira généralement de dépression. Toutefois, les risques de troubles anxieux et de problèmes comportementaux sont aussi plus grands (Beardslee et al., 1993 ; Rutter et Quinton, 1984 ; Pape et al., 1996). L’enfant dont les parents souffrent de troubles anxieux a plus de risques de faire lui-même de l’anxiété ; cependant, on n’a pas encore réussi à déterminer si cette prédisposition est de nature héréditaire ou environnementale ou si elle tient
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plutôt des deux (Reeves et al., 1987 ; Turner et al., 1987 ; Messer et Beidel, 1994 ; Thapar et McGuffin, 1995). Le petit garçon dont la famille compte un membre criminel plus âgé a deux fois et demie plus de risques de sombrer dans la délinquance mais, encore une fois, on ne connaît pas exactement le rôle respectif de la génétique et du milieu dans l’apparition du problème (Fisher, 1985 ; Gabel et Schindledecker, 1993). D’un point de vue psychodynamique, la santé mentale d’un parent peut favoriser la résilience de l’enfant, mais ce n’est pas toujours le cas. Cela dépend de l’impact de la maladie mentale du parent sur le développement de l’enfant. L’âge et le niveau d’évolution de ce dernier entrent ici en ligne de compte, de même que la nature, la sévérité et la périodicité de la maladie, les effets secondaires du traitement appliqué et, enfin, la présence à la maison d’une autre personne capable de répondre aux besoins de l’enfant et de le protéger de l’effet de la maladie ou de l’effet indirect de cette dernière sur le mariage de ses parents. Les troubles parentaux qui interfèrent avec l’établissement des liens affectifs sont ceux qui risquent le plus d’entraver la résilience de l’enfant, surtout si la principale soignante ne peut donner une attention soutenue à l’enfant en développement. C’est notamment le cas des grandes maladies mentales qui ont un effet direct sur les schémas de relation ou diminuent la capacité du parent à remplir son rôle, par exemple : les troubles affectifs, la schizophrénie, ainsi que toute situation ou trait de caractère qui, en raison de sa nature ou de la médication employée pour le traitement, contribue à plonger le parent dans un état de préoccupation ou de retrait ou, encore, à provoquer des crises durant lesquelles le parent manifeste un comportement imprévisible, erratique ou hostile qui effraie l’enfant (Resnick et al., 1993 ; Beardslee et al., 1993). L’effet résiduel de la négligence ou des sévices subis par les parents eux-mêmes durant leur enfance – et c’est leur perception plutôt que les faits qui comptent dans ce cas – peut compliquer énormément l’établissement des liens affectifs, mais les difficultés ne sont pas insurmontables (Main et Goldwyn, 1984). La toxicomanie et l’alcoolisme parentaux réduisent aussi le potentiel de résilience de l’enfant, et les refus de traitement sont fréquents (Reich et al., 1993). Une fois l’enfant attaché à ses parents, son développement pourra encore être influencé par la psychopathologie de ses parents, mais de façon indirecte surtout ; cette psychopathologie pourra, en effet, avoir un effet corrosif sur le mariage et la relation parents-enfant. La psychopathologie des parents ne mine pas toujours la résilience de l’enfant. Aussi surprenant que cela puisse paraître, certaines personnes réussissent à être d’excellents parents malgré un état assez sérieux. De plus, l’adversité peut favoriser la mobilisation des ressources nécessaires à la résilience, en particulier chez les enfants ayant un tempérament facile et qui ont réussi à nouer de solides liens affectifs au début de leur vie2 (Beardslee, 1989 ; Garmezy, 1991a ; Cicchetti et al., 1993). Toutefois,
2. The Effect of Gamma Rays on Man-in-the-Moon Marigolds, pièce de théâtre écrite par Paul Zindel, montre de façon admirable comment les difficultés familiales peuvent promouvoir la résilience.
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pour que cela se produise, il faut habituellement que l’enfant puisse compter sur l’appui de l’autre parent ou d’un mentor à l’extérieur de sa famille immédiate : un membre de la famille étendue, une enseignante, un animateur de groupes de jeunes, une voisine ou un thérapeute qui se préoccupe sincèrement de son bien-être et qui est assez présent pour servir de parent substitut, généralement pour une période prolongée (Rutter, 1979b). L’harmonie à l’intérieur du couple favorise aussi la résilience (figure 2). En présence de conflits conjugaux, les parents sont moins portés à fixer des attentes cohérentes et relâchent souvent leur surveillance, ce qui prédispose l’enfant à des problèmes de maîtrise de soi et de socialisation (Fergusson et al., 1992 ; Pedersen, 1994). L’augmentation du niveau de tension à l’intérieur de la famille et du couple agit sur l’enfant de diverses façons. Elle polarise les parents, ce qui mène inévitablement à un manque de cohérence dans l’éducation de l’enfant. Ce dernier se retrouve souvent dans un triangle, coincé entre les attentes contradictoires des deux adultes en guerre. Selon son intensité et sa durée, le conflit risque de dégénérer en violence. Celle-ci peut rendre l’enfant agressif, réduire sa capacité d’empathie, le rendre antisocial et accroître sa vulnérabilité aux troubles psychiatriques, même s’il n’est pas la cible de cette violence (Hinchey et Gavelek, 1982 ; Lewis et al., 1983 ; Jaffe et al., 1986 ; Moore et al., 1989 ; Widom, 1989). Enfin, les conflits graves et chroniques entre époux aboutissent généralement à une rupture, laquelle peut avoir des conséquences diverses pour l’enfant : celui-ci bénéficiera de l’éducation d’un seul parent (forcé de faire le travail de deux) ; sa mère se retrouvera seule à la tête de la famille, comme c’est le cas pour 84 % des familles monoparentales au Canada (Hanvey et al., 1994, p. 6) ; il sera abandonné par son père, c’est-à-dire qu’il perdra un soutien affectif et, possiblement, économique (Hewlett, 1991b) ; la famille tombera sous le seuil de la pauvreté, comme c’est le cas pour plus de 60 % des familles monoparentales dirigées par la mère (Hanvey et al., 1994, p. 117) ; ou, encore, l’enfant grandira dans une famille reconstituée, situation qui augmente les risques d’un piètre résultat sur le plan développemental (Philp, 1995). Les dangers entourant une rupture trouvent donc leur expression dans les séquelles de la séparation, lesquelles comportent toutes des risques considérables, surtout la pauvreté. Le style de la famille intacte qui allie un amour et un engagement profonds à des attentes élevées, mais raisonnables, est particulièrement propice au développement de la confiance et de la compétence (ainsi que du sentiment de bien-être qui en découle) chez l’enfant, à l’acquisition des mécanismes d’adaptation nécessaires pour maintenir cette compétence et l’émergence de cette capacité qui permet de mettre les choses en perspective (capacité qui détermine la réaction aux stress). L’interaction de ces facteurs favorise la résilience (Garmezy et Masten, 1991 ; Barnes et Farrel, 1992 ; Resnick et al., 1993 ; Dodge et al., 1994 ; Campbell, 1995) (figure 3). Les parents autoritaires, tels que les définit Baumrind (1989), fixent des attentes élevées mais raisonnables à leur enfant ; ils participent activement à sa vie, portent une grande attention à ses besoins et contribuent énormément à son apprentissage. Au cours de la prime enfance et des années qui précédent l’entrée à l’école, cette
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Figure 2 Les conflits conjugaux et leur effet sur le développement de la résilience HARMONIE CONJUGALE
Attentes cohérentes et surveillance
Diminution des risques de problèmes d’extériorisation : – hyperactivité avec déficit et de l’attention – troubles oppositionnels – troubles de conduite
Diminution des risques de pauvreté
Diminution des risques de troubles d’intériorisation : – anxiété – dépression
Diminution de la colère et de l’agressivité
Climat propice au développement de la compétence et de la résilience
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Diminution des coûts que la société doit payer pour : – les services d’orthopédagogie – la répression du crime – le traitement des troubles psychiatriques – la perte de productivité et d’autonomie
Meilleure capacité d’empathie et d’intimité
Diminution des risques d’abandon par le père
Meilleur rendement scolaire
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Climat propice au développement de la maîtrise de soi et de la compétence
Meilleure socialisation
Diminution des risques de séparation
Absence de conflits chroniques, de violence familiale et de mauvais traitements
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Figure 3 Le style d’éducation et ses effets sur le développement de la résilience
Parents autoritaires*
Participation active à la vie de l’enfant et attention à ses besoins
Liens affectifs solides
Participation à l’apprentissage, encourage la discussion des problèmes et la responsabilité sociale chez les garçons
Réciprocité dans les rapports parentsenfant
Circonspection – Confrontations non coercitives
Bonne transmission des valeurs familiales et sociales
Abstention de toute mesure disciplinaire inefficace
Moins de comportements oppositionnels
Plus grande compétence (face à l’adversité ou au désavantage)
Résilience Selon Baumrind parentsfixent autoritaires élevées mais raisonnables à ** Selon Baumrind (1989),(1989), les parentsles autoritaires des attentesfixes élevéesdes maisattentes raisonnables àleur leur enfant, participent activement à sa vie et portent attention une à ses besoins. enfant, participent activement à saune viegrande et portent grande attention à ses besoins.
contribution prend la forme d’une stimulation cognitive et langagière. Cependant, avec le temps, cette contribution se transforme pour devenir de plus en plus un encouragement ayant pour but d’amener l’enfant à exprimer ses idées et à négocier efficacement avec les autres – compétence préalable à la résolution efficace des problèmes. Les familles autoritaires insistent toujours beaucoup sur la réciprocité, c’est-à-dire que chaque membre s’efforce d’écouter et de satisfaire les besoins des autres. Sans réciprocité, l’enfant a tendance à rejeter les attentes et les limites imposées par ses parents, même si elles sont raisonnables. Règle générale, les parents autoritaires ont des attentes claires et cohérentes à l’égard de leur enfant, appuyées par une forme de discipline, prévisible, non coercitive et non restrictive, qui sert de modèle pour la résolution des problèmes et des différends. La famille autoritaire n’esquive pas les confrontations nécessaires mais, ces confrontations n’étant pas coercitives, elle les mène de façon à encourager la
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socialisation et à inculquer de bonnes techniques de résolution des problèmes. Circonspecte, elle encourage l’enfant à assumer la responsabilité de ses actes et à tirer une leçon des conséquences. Elle évite ces extrêmes que sont la passivité excessive (évitement des confrontations) et la coercition, qui nuisent toutes deux à la socialisation. Règle générale, un enfant se fâche et se rebelle devant la coercition. Préoccupé par l’injustice parentale dont il est victime, il n’apprend pas à s’interroger sur ses actes ni à en assumer la responsabilité. Les familles autoritaires font systématiquement de leurs enfants des personnes compétentes, rarement des personnes incompétentes. Comme il a déjà été mentionné, la compétence doit être acquise dans l’adversité pour donner naissance à la résilience. Garçons et filles ne réagissent pas de la même façon aux différents styles d’éducation. Par exemple, des rapports chaleureux entre l’enfant et ses parents encourage la responsabilité sociale chez les garçons comme chez les filles, mais elle n’améliore la compétence intellectuelle que chez les garçons. De la même façon, si la sensibilité cognitive améliore la compétence générale et l’assurance des garçons et des filles, c’est uniquement chez les garçons qu’elle favorise la responsabilité sociale. Une autorité parentale ferme, mais non coercitive, améliore les aptitudes sociales des deux sexes, quoique chez les filles il améliore l’assurance et chez les garçons, la responsabilité sociale (Baumrind, 1989). Durant les années scolaires, les enfants défavorisés apprennent plus difficilement les aptitudes cognitives, affectives et sociales essentielles à leur succès scolaire. Ils sont aussi beaucoup plus nombreux que les enfants des milieux plus favorisés à avoir un déficit de l’attention, à souffrir d’hyperactivité ou à éprouver de la difficulté à maîtriser leurs impulsions. Les garçons sont particulièrement à risque (Tremblay et al., 1995). Les échecs scolaires et la délinquance sont généralement plus fréquents chez les enfants souffrant de tels troubles. Privés de succès dès le départ, ils courent déjà un risque quand ils entrent à l’école. Les expériences qu’ils vivront dans ce milieu peuvent saper davantage leur confiance et leur compétence. Toutefois, moyennant des soins adéquats (à la maison ou, encore, dans un centre d’éducation spécialisée ou un centre de garde et d’éducation précoce offrant des services de haute qualité), on peut aider les enfants défavorisés à acquérir la maîtrise nécessaire pour rester calmement assis, se concentrer et travailler de façon autonome. La maturité intellectuelle de l’enfant (à savoir sa capacité d’apprendre) à son entrée en maternelle permet de prédire assez certainement sa réussite ou son échec en mathématiques rendu en 8e année ; elle est aussi un facteur de protection contre la délinquance (Fuchs et Reklis, 1994). Ceux qui, avant leur entrée à l’école, sont déjà capables de maîtriser leur agressivité et possèdent les aptitudes sociales nécessaires pour tisser des liens avec leurs pairs et accepter l’autorité d’un enseignant ont, autant que les enfants de milieux plus favorisés, les qualités nécessaires pour réussir sur les plans scolaire, social et affectif. Les garçons et les filles qui, forts de solides liens affectifs, sont capables de faire assez confiance à leur enseignant pour qu’il devienne un partenaire d’apprentissage et qui possèdent de surcroît l’assurance et l’estime de soi nécessaires afin de prendre les risques qui s’imposent pour apprendre, connaîtront
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probablement très tôt le succès à l’école. Et ce succès, en retour, nourrira leur confiance, leur estime et leur résilience. Les garçons éprouvent plus souvent que les filles des difficultés en 1re année, cela parce qu’ils sont moins matures sur le plan cognitif et sont plus sujets aux difficultés d’apprentissage d’origine génétique. Une fois de plus, les parents peuvent contrecarrer ce désavantage en transmettant la motivation et les aptitudes garantes de succès, et en supervisant étroitement les travaux scolaires faits à la maison. On a constaté que moins les élèves du deuxième cycle du secondaire (secteur public) passent de temps sans supervision, moins ils risquent d’avoir un problème de toxicomanie et plus ils ont de chances de réussir à l’école (Richardson et al., 1989). En fait, lorsque l’enfant atteint l’âge de 14 ans, son succès à l’école – en particulier en anglais (langue maternelle) et en histoire – dépend plus de ce qui se passe dans sa famille qu’à l’école (Coleman et Hoffer, 1987). Vingt pour cent des jeunes Canadiens et Canadiennes qui fréquentent une école publique restent sans supervision durant l’absence de leurs parents qui travaillent ou étudient. Parents et écoles pourraient favoriser la réussite scolaire et sociale de ces enfants en créant un nombre suffisant de services intersectoriels, intégrés au système d’éducation, capables de prendre la relève au moment où les cours prennent fin (Hanvey et al., 1994, p. 7). L’échec scolaire et la difficulté à maîtriser l’agressivité vont souvent de pair et se renforcent l’un et l’autre. Les garçons impulsifs et hyperactifs qui sont peu anxieux et ne montrent aucun intérêt pour les récompenses à la maternelle (c.-à-d. à 5 ans) risquent de devenir violents et antisociaux à l’adolescence (Tremblay et al. 1994 ; Magnusson et al., 1991). Ceux qui sont déjà violents à la maternelle le resteront probablement s’ils ne connaissent pas le succès à l’école (Tremblay et al., 1991). Les difficultés d’apprentissage qui accompagnent souvent la délinquance sont déjà bien établies en 2e année : dans une étude, 45 % des enfants perturbateurs montraient un retard à la lecture et 36 %, un retard à l’écriture (Meltzer et al., 1984). À l’école, les problèmes de rendement et d’intégration sont souvent compliqués par des problèmes de comportement. Les autorités scolaires sont naturellement portées à prendre des mesures disciplinaires, marquant ainsi le début d’un combat dont l’ampleur ne cesse de croître au long du primaire et du secondaire et qui, à l’adolescence, résulte souvent dans la délinquance et le décrochage (Loeber et Keenan, 1995). L’intervention opportune des parents, complétée au besoin par un séjour en garderie ou par des services de garde et d’éducation précoce de grande qualité avant l’entrée à l’école, peut améliorer considérablement les habiletés cognitives, langagières et sociales de l’enfant, la maîtrise de son agressivité, son respect des instructions données par les adultes et sa capacité d’apprendre, tout en réduisant l’incidence des problèmes de comportement signalés par l’enseignant en 1re année (Bertrand, 1993). Les écoles qui procurent un environnement de rechange, offrant à la fois stimulation et soutien, parviennent dans bien des cas à atténuer l’effet du désavantage et peuvent aider même les enfants mal préparés à transcender l’adversité en les préparant à réussir à l’école. Ces écoles créent une atmosphère dans laquelle les enfants se sentent en sécurité et où ils trouvent respect, stimulation et attention, malgré les effets néfastes émanant à l’occasion de leur famille ou de leur communauté.
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Ces écoles ont des attentes élevées en matière de rendement et de comportement, mais offrent aux élèves la structure, le soutien et les possibilités d’enrichissement nécessaires au développement de leur potentiel. Les enseignants qui y travaillent se préoccupent réellement du bien-être des enfants et sont prêts à intervenir au besoin de façon plus personnelle, par exemple en jouant le rôle de mentor auprès des garçons et des fillettes qui le souhaitent. Par leur nature, les écoles encouragent le respect et la réciprocité dans tous les rapports. La brutalité n’est pas tolérée. Ces écoles travaillent aussi à bâtir des ponts entre elles et la communauté, qu’elles voient comme un véritable partenaire dans cette tâche collective qui consiste à aider les enfants à développer leur plein potentiel à l’école et dans la vie en général (Rutter et al., 1979b ; Sylva, 1994 ; Comer, 1985 et 1988). Les rapports d’un enfant avec ses pairs contribuent énormément à définir son attitude et son comportement durant les années où il fréquente l’école et, de plus en plus, durant toute son adolescence. Les relations qu’il entretient avec d’autres enfants lui donnent une occasion additionnelle de perfectionner ses talents en relations humaines, si importants pour son intégration sociale. La camaraderie offre à l’enfant une véritable communauté en microcosme, qui l’aide à devenir de plus en plus indépendant ; cette communauté peut toutefois avoir une incidence positive ou négative sur le développement de sa capacité à résoudre des problèmes, son estime de soi et la maîtrise de ses émotions (y compris son agressivité). Les activités de groupe improvisées ou supervisées peuvent être une grande source de plaisir, et, de plus, elles constituent de bonnes expériences d’apprentissage, capables en ellesmêmes d’aider les enfants à réussir malgré leurs désavantages (Kellam, 1990 ; Jones et Offord, 1989). Les interactions positives avec des pairs apprennent aux enfants à suivre des règles et à attendre leur tour. Pour les enfants socialisés, les activités en groupes peuvent servir d’antidote à l’ennui et offrir en plus de bonnes occasions de sublimer leur agressivité. Les activités bien supervisées offrent tous ces avantages et permettent aussi à l’enfant de trouver un mentor – point commun de nombreux enfants défavorisés ayant réussi à développer une résilience (Kellam, 1990). Dans le cas d’enfants très anxieux, en particulier ceux dont les parents sont eux-mêmes anxieux, l’établissement de rapports positifs avec des pairs fournit l’expérience et les modèles nécessaires à la formation de mécanismes d’adaptation qui les aideront à réduire leur anxiété et contrebalanceront leur penchant pour l’évitement (Manassis et Bradley, 1994). Les enfants et les jeunes qui, pour une raison ou pour une autre, se sentent aliénés à l’école et dans leur famille peuvent se tourner vers leurs pairs afin de trouver l’acceptation et la reconnaissance sociales qui leur font défaut. Le choix des pairs a une importance capitale, car il peut favoriser une attitude et un comportement prosociaux aussi bien qu’antisociaux. L’enfant ou l’adolescent qui a un comportement oppositionnel trouvera souvent l’acceptation et le soutien qu’il cherche dans un groupe dont les membres ont en commun une animosité à l’égard de la famille, de l’école, des adultes, de l’autorité, d’un groupe ethnique ou racial ou des mœurs de la société par laquelle ils se sentent rejetés. Si les sentiments de ce groupe sont cimentés par une célébration (impliquant la consommation d’alcool ou de drogues illicites) ou un comportement antisocial collectif, le jeune s’assure alors d’une source de
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soutien remédiant à sa solitude et offrant un modèle d’identification. À l’adolescence, ce groupe de pairs peut devenir l’influence sociale la plus importante du jeune, renforçant de plus en plus ses attitudes et comportements antisociaux (Henggeler et Borduin, 1990). Ces groupes, officiels ou non, étaient jusqu’à récemment formés principalement de garçons, mais les criminologues et les services de police rapportent l’émergence de groupes d’adolescentes – phénomène inquiétant, qui se répand rapidement (Matthews, 1993). Le problème est de savoir comment la vie dans une communauté défavorisée nuit au développement du potentiel de l’enfant. L’hyperactivité et les troubles de comportement, qui vont souvent de pair avec l’échec scolaire et une socialisation inadéquate, sont deux fois plus fréquents chez les enfants pauvres que chez les autres (Ross et al., 1994 ; Tremblay et al., 1994). Au Québec, une étude portant sur 4 000 enfants a révélé que l’incidence de la violence augmente en proportion du degré de pauvreté, en particulier chez les filles (Tremblay et al., 1991). Il faut sans doute attribuer ce phénomène au désespoir qui accompagne généralement les sentiments d’impuissance et de marginalisation. Dans les sociétés non humanitaires – c’està-dire, caractérisées par l’absence de croyances, de valeurs et normes de conduite communes, la méfiance générale, le manque de communication ainsi que le manque de cohésion entre les sous-groupes distincts (Putnam, 1993) –, la socialisation requiert un engagement plus grand des parents, qui doivent bien surveiller l’enfant et veiller à imposer une discipline efficace. Les familles déterminées à bien éduquer leurs enfants voient souvent leurs efforts minés quand elles habitent dans un quartier à grande densité de population où la criminalité et la toxicomanie sont monnaie courante, où la cohésion sociale est faible et où les gens ont un sentiment d’impuissance face à leur destinée (Bronfenbrenner, 1985 ; Garbarino et al., 1992 ; Richters et Martinez, 1993). La violence parentale, qui joue énormément dans le développement de troubles psychiatriques liés à l’intériorisation et à l’extériorisation ainsi que dans l’apparition de la délinquance (Fondation ontarienne de la santé mentale, 1994), vient généralement compliquer l’isolement, si fréquent chez les populations défavorisées. Le sentiment d’aliénation peut contribuer à perpétuer ce vide social, même lorsqu’il est volontairement imposé. Il isole aussi ces familles des sanctions sociales qui visent à décourager la violence et qui peuvent avoir un effet modérateur sur les familles moins isolées. L’isolement prolongé mène souvent à une dépression, à une animosité et à une hostilité croissantes, auxquelles on associe une incidence accrue de violence parentale, de troubles psychiatriques, d’échecs scolaires, de décrochage et de délinquance juvénile (Fondation ontarienne de la santé mentale, 1994). Par ailleurs, dans une société non humanitaire, les groupes éloignés du centre de pouvoir se sentent généralement marginaux et croient qu’on leur dénie les privilèges accordés aux autres membres de la société, ce qui accentue généralement l’aliénation, la perte de cohésion sociale et le rejet des règles de conduite générales (Steinhauer, 1996). Quand la pauvreté et la marginalité se côtoient, comme dans certaines de nos minorités défavorisées, il faut une grande force de caractère et un bon soutien familial pour développer sa résilience et devenir productif malgré l’hostilité du milieu.
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Nombre des facteurs ci-dessus influent sur la vie des enfants et des jeunes autochtones qui habitent dans les réserves. Nombre de ces collectivités sont affligées de désavantages multiples et leurs habitants sont très marginalisés (Hanvey et al., 1994). Est-ce que le sentiment d’isolement et d’impuissance de ces collectivités – qui portent encore les cicatrices psychologiques d’une époque où il n’était pas rare que les enfants soient enlevés à leurs parents pour être éduqués au loin, dans une culture qui leur était étrangère – explique leurs taux élevés de toxicomanie, de violence familiale (jusqu’à 85 %), d’alcoolisme (près de 80 %), d’agressions sexuelles et d’inceste (Conseil canadien de développement social, 1987 ; Griffiths et Yerbury, 1995) ? Le taux de toxicomanie, de délinquance et de suicide des enfants et des jeunes autochtones est bien au-dessus de la moyenne nationale (Vanderburg et al., 1995 ; Steinhauer, 1996). Néanmoins, un nombre considérable d’enfants autochtones parviennent non seulement à survivre, mais à réussir malgré leurs désavantages énormes. Leur succès est un hommage au pouvoir de résilience des personnes, avec ou sans le soutien de leur famille.
Favoriser le développement de la résilience dans les milieux défavorisés : exemples à suivre
Compte tenu des nombreux facteurs qui menacent l’épanouissement de l’enfant depuis sa conception jusqu’à son adolescence, existe-t-il des programmes mani festement capables d’avoir un effet positif et de préserver le potentiel de résilience d’un nombre appréciable d’enfants défavorisés ? Rappelons-nous que, indépen damment de la nature du stress (personnel, familial ou social), d’autres facteurs peuvent soutenir l’épanouissement de l’enfant et aider celui-ci non seulement à survivre, mais à transcender l’adversité. Comme la précédente, la section qui suit aborde chaque niveau de déve loppement séparément.
1er objectif – De la conception à la naissance : des interventions visant à accroître le nombre de bébés sains, nés de mères détendues
L’intervention réussie doit se traduire par une réduction du nombre d’insuffisances pondérales légères à graves ou du nombre de lésions cérébrales causées par la consommation d’alcool et d’autres substances psychoactives durant la grossesse. Bien que l’on cherche à réduire les risques pour la santé de l’enfant, il faudra généralement travailler à éliminer ou diminuer les stress sociaux de la mère, ainsi qu’à changer certaines de ses habitudes de vie pour améliorer sa santé et celles de l’enfant à naître. Les soins prénatals traditionnels ne sont pas la solution au problème des insuf fisances pondérales (c.-à-d. les retards de croissance et les naissances pré-maturées). Pour être vraiment efficaces, les programmes de soins prénatals devraient concentrer leur tir sur les facteurs qu’on sait responsables des problèmes de poids. La consom mation de cigarettes est, parmi les facteurs modifiables, celui qui influe le plus sur le
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poids et les chances de survie des nouveau-nés ; pourtant, bien peu de programmes incitent les mères à arrêter de fumer. Les programmes nutritionnels n’ont qu’un effet modéré sur un petit ensemble de femmes à risque (U.S. Department of Health and Human Services, 1989). Il ne faut toutefois pas en conclure que les programmes prénatals ou les programmes nutritionnels sont inutiles. Les cas d’insuffisance pondérale à la naissance et de mortalité infantile sont effectivement un peu moins fréquents chez les femmes ayant reçu des soins prénatals, mais on ignore si c’est à cause des soins eux-mêmes ou parce que, règle générale, les femmes qui fréquentent ces programmes ont une meilleure santé, une meilleure instruction et un meilleur statut socioéconomique. Du reste, l’utilité des programmes dépasse largement la prévention des problèmes de poids. Ils permettent notamment de diagnostiquer et traiter les problèmes médicaux menaçant la santé de la mère et de l’enfant, de renseigner les femmes qui attendent leur premier enfant sur le déroulement de la grossesse, du travail et de la naissance, ainsi que d’orienter les mères pauvres vers les services médicaux et sociaux pertinents (incluant des services de soutien destinés au couple et à ses enfants qui peuvent influencer la mère et, partant, contribuer à améliorer le développement du fœtus) ; enfin, les femmes qui reçoivent des soins prénatals sont généralement plus portées vers les soins préventifs après la naissance de leur enfant (Bates et al., 1995 ; Paneth, 1995). Voici deux programmes très différents, qui ont réussi tous deux à rehausser le nombre de bébés sains, nés de mères mieux préparées et plus détendues. Un autre programme pertinent, offrant des visites à domicile, a été regroupé avec ceux de la période allant de la naissance à la troisième année (2e objectif).
Le programme français de prévention des naissances prématurées par l’amélioration des soins prénatals
Interventions non médicales – L’État français a d’abord établi, au moyen d’études épidémiologiques, que les femmes risquant le plus d’accoucher avant terme et de donner naissance à un bébé de poids insuffisant étaient celles qui avaient un statut socioéconomique peu élevé. A suivi une restructuration des services en fonction d’une analyse des principales causes de naissance prématurée et des méthodes de prévention existantes, ainsi qu’une évaluation des résultats, des coûts et des avantages. On a jugé que la solution passait par l’éducation, puisque le principal obstacle à la prévention était l’ignorance du public, ignorance elle-même attribuable à une mauvaise diffusion de l’information. Pour garantir la réussite du programme, les médecins, les sages-femmes et les mères elles-mêmes devaient apprendre (au moyen de la presse et de la télévision pour les dernières, au moyen de conférences et d’articles spécialisés pour les autres) qu’il est possible de prévenir nombre de naissances prématurées grâce à un programme bien structuré, englobant à la fois les aspects médicaux et sociaux. Il fallait notamment inciter les professionnels de la santé à diagnostiquer dès le premier trimestre les cas de béance cervicoisthmique (un état qui augmente le risque de naissance prématurée). Cette mesure visait plusieurs objectifs :
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– prestation de soins complets aux femmes à risque, incluant des examens réguliers pour détecter le cas échéant les signes de travail prématuré ; – mise au repos des femmes à risque et intervention auprès de leur époux, ou d’autres membres de leur entourage, pour qu’il assume une part des responsabilités ménagères ; – visite hebdomadaire d’une sage-femme ayant reçu la formation pertinente ; admission à l’hôpital, dans les cas les plus graves. La clé de voûte du programme restait cependant l’éducation des femmes pour amener celles-ci à réduire les risques de naissance avant terme par la modification de leurs habitudes de vie. Raison d’être – Le programme avait pour but d’améliorer les soins prénatals et de réduire le nombre de naissances avant terme qui, grâce à l’avancement de la néonatalogie, se traduisaient par la survie de bébés de plus en plus immatures, de moins en moins gros. L’incidence de déficiences de degrés variés chez les survivants et la forte augmentation des coûts engagés pour leur soin ont poussé les autorités à élaborer un programme cohérent et bien coordonné pour réduire le nombre de prématurés. Depuis 1945, les Françaises reçoivent une allocation si elles consultent au moins une fois pendant le premier trimestre de leur grossesse. Toutefois, avant la mise en place du programme qui nous intéresse, les soins prénatals étaient la responsabilité du médecin de famille jusqu’à la fin du huitième mois de la grossesse ; généralement parlant, les médecins de famille n’étaient pas emballés par la nouvelle politique de prévention. C’est pour cette raison que le programme a été confié aux obstétriciens et aux sages-femmes supervisées par un spécialiste. La mise en œuvre s’est effectuée dans les cliniques de maternité de quatre régions. Acteurs – Le programme reposait sur la participation des médecins, des sagesfemmes, des responsables de la santé publique ainsi que des femmes présentant un risque de mettre au monde un bébé prématuré ou dont le poids est insuffisant. Analyse des résultats – Les résultats proviennent de quatre ensembles de données distincts. L’un de ces ensembles (la ville d’Haguenau) montre que les femmes peu instruites et défavorisées d’un point de vue socioéconomique étaient les plus difficiles à rejoindre, mais bénéficiaient davantage du programme. En Martinique, où l’on a misé beaucoup sur le suivi à domicile, le taux de naissances prématurées dans le groupe défavorisé a été ramené au taux de la population « privilégiée ». Les auteurs de l’étude soulignent que ces résultats ont été obtenus en éduquant les sages-femmes et les mères, non grâce à des spécialistes ou à la technologie. Reproductibilité – La réussite dépendrait de l’intérêt des médecins et des autorités de la santé pour un programme de prévention misant sur l’éducation des praticiens et insistant sur le rôle essentiel des mères elles-mêmes. Financement – Le programme s’est, en bonne partie, autofinancé grâce à une redistribution plus sensée des fonds gouvernementaux de santé destinés aux mères et aux enfants. La principale nouveauté résidait dans la tenue d’une vaste campagne d’information ayant pour but de changer l’opinion des femmes sur ce que doivent comprendre des soins prénatals adéquats.
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Évaluation – Les résultats nationaux montrent une diminution des naissances avant terme, qui représentaient 8,2 % des naissances en 1972 et seulement 5,6 % en 1981. Ces données ont été bien diffusées dans les revues spécialisées. Après une analyse coûts-avantages, le gouvernement français a étendu le programme à toute la France en 1971 (Papiernik, 1984 ; Goujon et al., 1984 ; Papiernik et al., 1985 et 1986).
Le Dispensaire diététique de Montréal
Interventions non médicales – Le Dispensaire diététique de Montréal est le seul programme nord-américain d’alimentation complémentaire pour les mères établi avant les années 1970 et toujours en fonction. Le Dispensaire offre conseils, motivation et, si besoin est, nourriture aux femmes enceintes à risque – dont 62 % vivent d’aide sociale et près de 10 % n’ont pas encore atteint l’âge adulte. Le Dispensaire cherche à briser le cycle de la pauvreté. Son programme a trois niveaux : – visite à domicile pour établir un premier contact et commencer l’évaluation nutritionnelle ; – consultations visant à éduquer et motiver les futures mères ; – alimentation complémentaire (94 % des clientes reçoivent un litre de lait et un œuf par jour). Le Dispensaire dit aux femmes qu’elles mangent pour alimenter un enfant qu’elles ne connaissent pas encore. Plus les consultations débutent tôt, meilleurs sont les résultats. Les bénévoles jouent un rôle capital dans le programme. Raison d’être – La directrice, Agnes Higgins, a constaté que 80 % des mères vues en clinique prénatale souffraient de malnutrition. Elles étaient trop maigres et leur consommation de protéine s’avérait insuffisante – situation particulièrement dangereuse pour les adolescentes, car la femme enceinte doit gagner plus de poids pour nourrir et protéger le fœtus lorsqu’elle est maigre. La pauvreté et le manque de motivation, conjugués aux mauvais conseils donnés par les professionnels aux femmes d’un poids insuffisant, aggravaient les problèmes nutritionnels des futures mères. Acteurs – La diététicienne est la principale intervenante. Le succès du Dispensaire repose sur le rapport de ses diététiciennes avec les clientes, qu’elles rencontrent deux fois par mois ou plus dans les cas plus graves. Analyse des résultats – Dans une étude portant sur plus de 1 000 femmes, les nourrissons dont la mère avait été suivie par le Dispensaire pesaient considérablement plus que les autres nourrissons de mères à risque. Reproductibilité – Le gouvernement américain s’est inspiré du programme du dispensaire pour créer des services d’alimentation complémentaire et d’éducation à l’intention des femmes enceintes. Le Dispensaire de Montréal aide actuellement deux centres de services communautaires à appliquer ses méthodes de consultation nutritionnelle. Le programme pilote, qui est dans son dix-huitième mois, semble prometteur. La fondation nationale de la Marche des dix sous a par ailleurs été assez impressionnée pour parrainer une série d’internats de trois semaines au Dispensaire. Les personnes qui y ont pris part ont encensé le programme, soulignant l’importance des consultations.
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Financement – Le Dispensaire est enregistré comme une corporation à but non lucratif. Il est dirigé par un conseil d’administration, constitué de bénévoles, et bénéficie d’une exonération fiscale du gouvernement provincial et du fédéral. Quinze pour cent des fonds alloués à la consultation proviennent de la communauté. Le reste des activités est, vraisemblablement, financé par Centraide et les gouvernements. Évaluation – En 1991, les bébés du Dispensaire étaient deux fois moins nombreux à souffrir d’insuffisance pondérale que ce que l’on observe généralement dans les populations défavorisées. De ce nombre, seulement 4,9 % pesaient moins de 2 500 g. Le coût du programme atteint environ 300 $ par grossesse. Ses avantages sont donc considérables si l’on considère l’amélioration du taux de survie et la réduction des coûts (Wynn et Wynn, 1975 ; Siever et O’Connel, 1979 ; Higgins, 1975 ; Dispensaire diététique de Montréal, 1991).
2e objectif – Les trois premières années de vie : des programmes de visites à domicile pour soutenir les mères d’enfants à risque
Les visites à domicile sont un moyen très efficace – à vrai dire, parfois le seul – de prévenir les problèmes de poids chez les nouveau-nés et l’accouchement prématuré chez les femmes qui sont extrêmement isolées et qui présentent des risques terriblement élevés d’avoir un bébé avec une insuffisance pondérale et qui naît de façon prématurée (Goujon et al., 1984 ; Olds et al., 1986a). Dans les familles les plus à risque, les programmes de soutien à domicile permettent aussi de prévenir efficacement les sévices et de promouvoir la résilience durant les trois premières années de vie de l’enfant. À ce stade, les parents particulièrement inexpérimentés et ceux qui ne bénéficient d’aucun appui peuvent accepter une aide à domicile ou, encore, choisir de fréquenter un centre commu nautaire dédié à l’éducation des enfants et à l’exploration du rôle parental. Les programmes de ce genre ont pour but d’aider les parents à se prendre en main, à combattre leur isolement, ainsi qu’à répondre à leurs besoins et à ceux de l’enfant. Ils peuvent notamment déterminer si l’enfant a des besoins spéciaux et, le cas échéant, indiquer à la famille comment obtenir une évaluation complète en vue de répondre à ces besoins. Ils peuvent aussi offrir des services de garde de haute qualité, des activités spécialisées et des chances de répit pour les parents d’enfants avec des besoins spéciaux. Le lecteur trouvera ci-dessous une description de trois programmes du genre dont l’efficacité a été prouvée.
Programme de soins prénatals et de soins aux nourrissons (programme Olds)
Interventions non médicales – Ce programme d’éducation à domicile, dispensée par des infirmières, s’est étendu sur plus de deux ans. Il visait plusieurs objectifs : – promouvoir une bonne alimentation ; – faire diminuer la consommation de tabac ;
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faire diminuer la consommation d’alcool et d’autres substances psychoactives ; faire valoir l’importance du repos ; renseigner sur le déroulement de la grossesse et préparer l’accouchement ; faire comprendre le développement humain, les comportements ainsi que les besoins socioaffectifs et cognitifs du nourrisson ; – promouvoir l’élargissement du réseau de soutien personnel de la femme ; – faire le pont avec d’autres services, notamment les services de soins prénatals et d’alimentation complémentaire. Le programme incluait aussi des examens périodiques pour vérifier la santé et le bon développement de l’enfant. En moyenne, les infirmières visitaient chaque famille 8 fois durant la grossesse et 23 fois de la naissance au deuxième anniversaire de l’enfant. L’éducation, adaptée aux besoins de la mère, représentait environ 83 % du temps de chaque visite. Les auteurs de l’étude reconnaissent que les résultats attendus englobaient nombre de déterminants qui n’avaient jamais été étudiés de façon sérieuse auparavant. Raison d’être – Le programme avait pour but de réduire les cas d’insuffisance pondérale, d’améliorer la santé, le développement et l’éducation des enfants, ainsi que de permettre une interaction des femmes attendant pour la première fois un enfant, défavorisées d’un point de vue socioéconomique, célibataires ou âgées de moins de 19 ans. Il visait une communauté semi-rurale à haut risque, présentant l’un des taux de mortalité infantile les plus élevés de l’État de New York et le taux le plus élevé de sévices signalés et confirmés. Acteurs – Cette étude, déjà considérée comme classique, a été menée par David Olds, de l’Université de Rochester (New York), assisté par une équipe d’infirmières et de chercheurs réunis exprès. Analyse des résultats – Le programme a eu de nombreux résultats positifs, en particulier pour les mères les plus à risque et les plus intéressées. Les participantes ont diminué leur consommation de tabac et ont amélioré leur environnement familial ; elles ont aussi tiré un meilleur parti des cours prénatals, des programmes d’alimentation complémentaire et des autres services. Les jeunes adolescentes et les fumeuses ont gagné plus de poids durant leur grossesse et ont donné naissance à des bébés plus gros. Le taux d’accouchement prématuré chez les fumeuses a baissé de 75 %. Les femmes qui ont reçu la visite d’une infirmière entretenaient de meilleurs rapports avec le père de l’enfant, leur famille, leurs amis et les intervenants. Les probabilités qu’une personne les accompagne à l’accouchement étaient aussi plus grandes. Les bébés de ces femmes obtenaient de meilleurs résultats aux tests de développement normalisés (Bayley, 1969) et leurs mères les décrivaient comme plus heureux et satisfaits. Les cas de sévices étaient aussi plus rares chez les mères visitées. Bref, Olds a démontré qu’un programme complet de visites à domicile, effectuées par des infirmières, peut amplifier les avantages des soins prénatals en clinique pour les femmes défavorisées. Reproductibilité – Le programme et l’étude pourraient être reproduits.
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Financement – Cette étude a été parrainée par le bureau de santé communautaire (Bureau of Community Health Services), ainsi que les fondations Robert Wood Johnson et W.T. Grant. Évaluation – Cette étude est en effet le premier essai clinique avec répartition aléatoire des sujets portant sur des services prénatals complets et visant à démontrer qu’il est possible d’améliorer le contexte social et la santé générale des familles socialement très défavorisées qui attendent un nouvel enfant (Olds et al., 1986a et b). Le programme Healthy Start d’Hawaii
Interventions non médicales – Healthy Start a vu le jour en 1985 à titre de démonstration, dans une communauté à risque très élevé. Depuis, il a été étendu à tout l’État. Le programme vise les objectifs suivants : – promouvoir l’éducation positive des enfants ; – améliorer les interactions des parents avec les enfants ; – améliorer la santé et le développement des enfants ; – prévenir l’abandon et la maltraitance des enfants ; – rattacher chaque famille à un intervenant en soins de santé primaires ; – garantir l’utilisation optimale des ressources communautaires. Le repérage des familles est la responsabilité d’« agents de dépistage précoce ». Ceux-ci parcourent les dossiers d’admission des hôpitaux pour choisir les familles de la zone cible. Les familles sont ensuite notées en fonction de 15 indicateurs de stress. Une personne spécialement formée interroge les familles ayant obtenu un pointage élevé et les évalue à partir d’une liste de contrôle conçue pour faire ressortir les stresseurs (Kempe). Quatre-vingt-quinze pour cent des familles jugées à haut risque consentent à être visitées. Une paraprofessionnelle spécialisée dans le soutien aux familles rencontre les mères très vulnérables avant qu’elles ne quittent l’hôpital et leur rend visite toutes les semaines durant un an environ ; les visites sont ensuite graduellement espacées (une fois par mois, puis quatre fois par année) et cessent lorsque l’enfant arrive à l’âge de 5 ans. La fréquence des crises familiales, la qualité de la relation parents-enfant, la capacité de la famille à utiliser les ressources du milieu et le résultat des évaluations normalisées aident cette personne à déterminer quand réduire la fréquence des visites, diriger les parents vers leur professionnel en soins primaires attitré (médecin ou clinique) ou négocier leur prise en charge par l’un des services professionnels disponibles. Les visites permettent d’établir un rapport de confiance, qui sert ensuite plusieurs objectifs : – donner des renseignements sur le développement normal de l’enfant ; – améliorer la compétence des parents en matière d’éducation enfantine ; – fournir un modèle d’interaction des parents avec l’enfant ; – rattacher la famille à un professionnel en soins de santé primaires ; – recommander et coordonner l’utilisation d’autres services sociaux.
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Le programme est doté de mécanismes visant à prévenir l’épuisement des intervenants et, effectivement, des examinateurs externes ont souligné le moral exceptionnel de l’équipe. Raison d’être – Le programme Healthy Start d’Hawaii a été conçu pour réduire le taux de négligence et de sévices à l’endroit des enfants de 4 ans ou moins (actuellement de 15 pour mille). Acteurs – Le programme a été conçu par le Hawaii Family Stress Center et mis en œuvre par une brochette d’agents de dépistage précoce et de paraprofessionnels spécialisés dans le soutien aux familles. Analyse des résultats – En 1992, on a comparé les taux de négligence et de sévices dans les 13 377 familles du programme (familles ayant reçu des services de juillet 1987 à juillet 1991) aux taux de négligence et de sévices confirmés ainsi qu’aux taux d’autres programmes de visites à domicile. Parmi les 2 193 familles participantes considérées comme très vulnérables en raison de leur profil, 99,2 % n’avaient pas infligé de mauvais traitements à leur enfant. Chez les familles à risque n’ayant reçu aucun service, le taux de maltraitance était presque deux fois plus élevé que la moyenne de l’État (29,3 pour mille). Le taux de maltraitance était de seulement 7,2 pour mille dans les familles très vulnérables desservie par le programme – la moitié de la moyenne de l’État et moins que le taux des familles jugées à faible risque (8,7 pour mille). Il n’y a pas eu de récidive dans les familles maltraitantes déjà signalées au service de protection de l’enfance au moment de leur première évaluation par le programme. Les cas de négligence étaient moitié moins nombreux dans les familles du programme (1 %) que dans les familles inscrites dans des programmes moins intensifs de visites à domicile. Reproductibilité – Un programme structuré a été mis en place afin de former de nouvelles équipes, composées de cinq à huit paraprofessionnels, superviseurs et gestionnaires et chargées de reproduire le programme dans le reste de l’État. L’évaluation du programme étendu pour la période de 1987 à 1989 a fait ressortir sont efficacité extraordinaire (aucun mauvais traitement dans 99,99 % des cas et aucune négligence dans 99,95 % des cas). Elle a aussi prouvé que le modèle était reproductible. En 1993, le programme englobait 13 endroits et évaluait 54 % de toutes les familles hawaïennes avec un nouveau-né. Son coût atteignait environ 7 millions de dollars, dont 75 % étaient consacrés aux visites à domicile. Financement – La direction de la santé maternelle et enfantine du département hawaïen de la santé (Maternal and Child Health Branch, Department of Health) coordonne le programme, dont la prestation est confiée en sous-traitance à sept organismes privés. Malgré son succès manifeste, le programme a de la difficulté à obtenir des fonds et ses défenseurs recommandent que l’on diversifie ses sources de financement, c’est-à-dire qu’on sollicite des subventions d’organismes comme Medicaid, Zero to Three et le National Centre on Child Abuse and Neglect. Évaluation – Le programme compare les familles participantes aux autres familles très vulnérables ainsi qu’à la moyenne de l’État, mais il n’y a pas de vérification au hasard. Le comité national pour la prévention de la maltraitance enfantine (National Committee to Prevent Child Abuse) terminera sous peu une évaluation aléatoire
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et la fondation Robert Wood Johnson prévoit en effectuer une autre (Breakey et Pratt, 1991 ; Fuddy, 1992).
Staying on Track
Interventions non médicales – Staying on Track est un programme communautaire visant le diagnostic précoce, le suivi et l’évaluation périodique des bébés à l’intérieur de la zone définie, depuis la naissance jusqu’à l’âge de 5,5 ans. Sa création visait plusieurs objectifs : – permettre aux enfants de la communauté de développer leur plein potentiel physique, mental, affectif et social ; – éduquer les parents et les intervenants en matière de santé ; – permettre un diagnostic précoce des troubles de la vue et de la parole susceptibles de nuire à l’éducation de l’enfant. Une infirmière, spécialisée en santé publique, rendait visite à chaque famille pour observer l’interaction des parents avec l’enfant à 1 mois et à 6 mois. D’autres données sur le développement de l’enfant, les parents et le statut sociodémographique de la famille étaient recueillies au moyen de questionnaires, dans les cliniques de santé publique et dans les écoles, lorsque les enfants atteignait l’âge de 1,5 an, 2,5 ans, 3,5 ans, 4,5 ans et 5,5 ans. En plus d’un suivi et d’une évaluation de l’enfant, l’infirmière aidait au besoin les parents à résoudre les problèmes développementaux et leur donnait de la documentation sur les nourrissons et les enfants d’âge préscolaire. Si elle constatait un problème sérieux chez l’enfant ou sa famille, l’infirmière faisait des visites additionnelles ou dirigeait la famille vers les services appropriés dans le secteur. Près de la moitié des familles ont reçu des appels, des visites ou un soutien additionnels en raison de problèmes d’alimentation, d’une dépression, d’un manque de ressources ou d’inquiétudes concernant des mauvais traitements, des difficultés familiales ou maritales ou, encore, des conflits. Certains de ces problèmes n’étaient que mineurs, et il suffisait de rassurer la famille ; mais d’autres, qui n’auraient pu être relevés sans le suivi et l’évaluation de l’infirmière, ont nécessité une série de visites ou une orientation vers des services spécialisés. Un comité consultatif, formé de représentants d’un organisme local d’aide à l’enfance, se réunissait régulièrement pour trouver les services nécessaires et coordonner la prestation. Raison d’être – Le programme est né d’une croyance, c’est-à-dire que la famille a besoin de soutien pour bien fonctionner et offrir au nourrisson ou au tout petit les conditions nécessaires à son épanouissement. Acteurs – Le programme a été mis sur pied par le Service de santé de Lanark et Leeds-Grenville. Les visites à domicile étaient effectuées par des infirmières spécialisées en santé publique, soutenues par des professionnels de la santé mentale. Analyse des résultats – Les responsables du programme ont constaté qu’une proportion étonnamment élevée (22 %) de mères souffraient de dépression après leur accouchement. Quinze pour cent d’entre elles étaient considérablement déprimées et quinze autres pour cent, toujours déprimées six mois après la naissance de leur enfant. Le degré de dysfonction familiale et le nombre d’incidents négatifs dans les mois
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précédents augmentaient les risques de dépression. Ces constatations confirmaient donc les conclusions de Cowan et Cowan (1992) : la communication et l’aptitude à résoudre efficacement des problèmes avant l’accouchement protègent la mère contre la dépression. Vingt-six pour cent des mères inscrites dans le programme ne se sentaient pas appuyées par leur partenaire au moment de l’accouchement et 29 % se sentaient dépassées par la situation. Vingt-sept pour cent des mères jugeaient aussi que le développement de leur enfant était inférieur à la moyenne – jugement qui, selon les ouvrages spécialisés, n’est pas sans lien avec les difficultés subséquentes de l’enfant ainsi qualifié. Au quarante-deuxième mois de l’enfant, 25 % des mères trouvaient celui-ci hostile ou agressif et 22 %, anxieux ou craintif. Vingt et un pour cent estimaient que leur enfant avait un sérieux problème de comportement. Le rapport final (Landy et al., 1994) des auteurs porte sur 600 enfants, répartis en trois cohortes. Les auteurs ont notamment constaté que l’amélioration des divers aspects (développement de l’enfant, interaction parents-enfant et sentiment de compétence des parents) était proportionnelle à la durée de la participation au programme. Leur rapport comparait aussi le coût de 400 $ par enfant à celui, beaucoup plus élevé selon Schorr (1988), que la société devrait autrement payer plus tard pour les services d’orthopédagogie, la répression du crime et l’aide sociale. Reproductibilité – Le programme pourrait être reproduit. Financement – Staying on Track a été financé durant trois ans et demi par le Fonds d’innovation-Santé du Conseil du premier ministre sur la santé, le bien-être et la justice sociale en Ontario. Après quoi, les concepteurs ont dû solliciter des fonds additionnels du gouvernement pour prolonger le programme, qui a duré en tout six ans. Évaluation – Puisque, au départ, les concepteurs ne disposaient d’argent que pour une période de trois ans et demi, ils ont adopté l’approche des cohortes. Le programme devant s’étendre à toute la communauté (intervention universelle), il était impossible de suivre un plan expérimental strict avec répartition aléatoire des sujets entre un groupe d’intervention et un groupe témoin. Les concepteurs ont par conséquent opté pour un plan quasi expérimental et comparé dans le temps la différence entre groupes du même âge (Landy et al., 1994).
3e objectif – Les années précédant l’entrée à l’école : des services de garde et d’éducation précoce de haute qualité pour mieux préparer les enfants à l’école et leur apprendre à mieux maîtriser leur agressivité
Les services de garde et d’éducation précoce peuvent amoindrir l’effet de la pauvreté sur la santé, le rendement scolaire et la maîtrise de soi, qui en retour favorisent l’épanouissement social, émotif et cognitif de l’enfant et se traduisent en bout de ligne par une amélioration de ses résultats scolaires et une diminution des risques de décrochage (Cameron, 1986 ; MacKillop et Clarke, 1989 ; Bertrand, 1993 ; voir tableau 2). Pourtant, si les enfants pauvres ont plus à gagner des services de garde
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et d’éducation précoce, ils sont généralement moins nombreux que les autres à en recevoir (Hayes et al., 1990 ; Pence et Goelman, 1987).
Tableau 2 Comparaison des services de garde et d’éducation précoce de haute qualité à ceux de mauvaise qualité Haute qualité Mauvaise qualité Meilleures aptitudes sociales
Aptitudes sociales médiocres
Compétence langagière et aptitude au jeu mieux développées
Compétence langagière et aptitude au jeu moins développées
Meilleure maîtrise de l’agressivité
Moins bonne maîtrise de l’agressivité
Meilleure obéissance aux adultes
Moins bonne obéissance aux adultes
Moins de problèmes comportementaux signalés par l’enseignant en 1re année
Plus de problèmes comportementaux signalés par l’enseignant en 1re année
Meilleure ouverture à l’apprentissage (volonté et compétence nécessaires pour apprendre)
Moins grande ouverture à l’apprentissage (manque de volonté et de compétence)
Meilleure préparation à l’école
Mauvaise préparation à l’école
Source : Données de Bertrand, 1993.
La différence entre les services de garde et d’éducation de bonne qualité et ceux de mauvaise qualité est bien établie. Les premiers sont parmi les facteurs contribuant le plus à la résilience des enfants grandement défavorisés du point de vue familial ou environnemental – à condition que ces derniers aient la chance d’en recevoir, bien entendu (Doherty, 1991). Les mauvais services de garde et d’éducation précoce ont tous les désavantages de l’incompétence parentale, mais leurs conséquences peuvent être telles que même de bons parents ne réussiront pas à en compenser entièrement l’effet. Voilà pourquoi le meilleur moyen de promouvoir la compétence, la résilience et la productivité future des garçons et des filles du Canada serait d’assurer à tous les enfants des services de garde et d’éducation précoce de qualité acceptable, à un prix raisonnable. Le programme préscolaire Perry
Interventions non médicales – Le projet avait pour but d’offrir, dans le cadre de l’école, un programme enrichi d’éducation précoce pour les enfants d’âge préscolaire (3 à 6 ans), défavorisés sur plusieurs plans. Les enfants inscrits au programme recevaient quatre demi-journées de soins et d’éducation de haute qualité par semaine. En plus de cela, l’éducatrice se rendait au domicile de la famille pour une visite hebdomadaire. Raison d’être – Le programme a débuté au cours des années 1960 dans la localité d’Ypsilanti, dans l’État du Michigan. C’était une initiative locale ayant pour but d’améliorer le rendement scolaire des enfants défavorisés.
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Acteurs – La fondation High/Scope Educational Research d’Ypsilanti. Les éducatrices (des enseignantes diplômées) avaient à leur charge six enfants chacune. Analyse des résultats – Le programme était petit (l’échantillon pour le suivi n’était que de 123 enfants) et s’est terminé en 1967. Néanmoins, son suivi à long terme (plus de 25 ans), assorti d’une analyse poussée des coûts et des avantages, en fait l’une des études longitudinales les plus convaincantes et les plus acceptées sur l’effet positif des services de garde et d’éducation précoce pour les enfants défavorisés sur plusieurs plans (tableau 3). Reproductibilité – Le programme et le plan de recherche sont bien documentés et, par conséquent, reproductibles. Financement – Le programme a été financé par le gouvernement. Le rapport avantages-coûts atteint plus de sept pour un. Évaluation – Les enfants ont été assignés au hasard au groupe expérimental ou au groupe témoin, sauf deux exceptions dont l’effet ne semble pas suffisant pour affaiblir les résultats. Il y a eu suivi auprès des participants à 19 et 27 ans. Le tableau 3 compare le rendement des participants au programme avec celui des membres du groupe témoin à l’âge de 27 ans (Berrueta-Clement et al., 1984 ; Schweinhart et al., 1993 ; Barnett, 1993).
Tableau 3 Résultats des anciens du programme préscolaire Perry à l’âge de 27 ans comparés à ceux du groupe témoin
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Arrestations et convictions
50 % de moins
Cinq arrestations ou plus
80 % de moins (7 % comparativement à 35 %)
Grossesses pendant l’adolescence (et, partant, dépendance chronique)
42 % de moins
Diplôme d’études secondaires
33 % de plus
Salaire mensuel moyen (à 28 ans) • 2 000 $ par mois ou plus
1 219 $ • Quatre fois plus nombreux (29 %)
Propriétaires de leur maison
Trois fois plus nombreux
Aucune prestation d’aide sociale durant les 10 dernières années
Deux fois plus (41 % comparativement à 20 %)
Vie avec un partenaire, un enfant
Considérablement plus
Paiement d’impôts
Considérablement plus
Économies approximatives pour chaque dollar dépensé dans le cadre du programme
7,16 $
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4e objectif – Programmes parascolaires : aider les enfants à réussir malgré leurs désavantages
La capacité de l’école à favoriser le développement et la résilience des enfants défavorisés est bien reconnue. La section qui suit décrit quatre programmes de prévention très différents. Les programmes Helping Children Adjust et Ryerson Outreach ont un champ d’action étendu, c’est-à-dire qu’ils veulent améliorer le rendement de tous les élèves à l’intérieur des écoles participantes. Le programme Cities in School et l’étude longitudinale menée à Montréal ont une visée plus restreinte, soit réduire la fréquence du décrochage et de la délinquance grave chez les enfants considérés comme très vulnérables. Note. Les programmes marqués d’un astérisque (*) sont très prometteurs compte tenu des résultats préliminaires, mais on attend encore l’analyse finale. Ryerson Outreach/Ryerson Community Initiative *
Interventions non médicales – Le programme Ryerson Outreach a été conçu pour accroître le bien-être général de l’enfant sur les plans scolaire, social et affectif. Il a transformé l’école publique en véritable centre de services communautaires grâce à la participation active de professionnels divers au service de l’enfance dans le domaine de la santé (physique et mentale), des services de garde, du bien-être et des services sociaux. Avant la création du programme, l’école était relativement coupée de la communauté et se contentait de solliciter ponctuellement l’aide des professionnels et des organismes de l’extérieur lorsqu’elle avait épuisé ses autres recours ; les psychologues du conseil scolaire et les travailleurs sociaux s’occupaient uniquement des besoins scolaires ou des besoins connexes des enfants. Le budget de fonctionnement du programme Ryerson Outreach est très limité. Néanmoins, dès le début, les conseillers en santé mentale ont travaillé avec le directeur, le directeur-adjoint et le personnel de l’école à l’atteinte d’objectifs précis : – éclaircir les besoins psychosociaux des enfants ; – faire participer la communauté, de sorte qu’elle devienne un véritable partenaire de l’école ; – jeter un pont entre la communauté, l’école et les différents intervenants, services et programmes ; – faire de l’école un agent actif du développement de la communauté. L’élaboration conjointe du programme et sa phase initiale sont bien décrits (Chung et al., 1993). Les organismes sociaux ont été invités individuellement à collaborer avec l’école, de manière à offrir des services améliorés aux élèves et aux familles, à contribuer au développement de la communauté, à fournir un soutien en matière d’alimentation, de santé mentale et de services sociaux, à améliorer au besoin les communications et, éventuellement, à étendre et intégrer les activités récréatives, les programmes extrascolaires et les services communautaires. Plusieurs facteurs ont motivé la création du programme Ryerson Outreach, notamment l’inquiétude du personnel devant les problèmes comportementaux des
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élèves et son impuissance à répondre à tous les besoins, le consensus sur la nécessité de mieux coordonner le travail de l’école et des organismes sociaux (desservant également les enfants et leur famille) et les restrictions budgétaires découlant de la récession. Il n’y a eu aucune résistance active au programme, bien que la participation de certains enseignants soit minime comparée à l’enthousiasme des autres (Bolton, 1996). La vision, le dynamisme et la participation de toutes les parties intéressées, en particulier l’influence du directeur, ont joué un rôle déterminant dans la réussite du programme. Raison d’être – Le programme est né du désir d’améliorer le rendement scolaire et social ainsi que la qualité de vie des enfants fréquentant une école au centre de la zone urbaine torontoise, dans un quartier multiethnique caractérisé par la pauvreté, la haute densité de la population, la criminalité et la toxicomanie. L’intention initiale était de reproduire le modèle de consultation de James Comer, c’est-à-dire d’offrir un service professionnel de santé mentale centré sur le « client » à l’intérieur du cadre scolaire (Comer, 1985 et 1988). Acteurs – Un centre de santé mentale (le Hincks Children’s Mental Health Centre) et la société d’aide à l’enfance de l’agglomération torontoise (Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto) ont proposé à l’école de fournir gratuitement, à raison d’une demi-journée par semaine, les services d’un psychiatre pour enfant et d’un superviseur en travail social pour appuyer le directeur et le personnel enseignant de l’école. Les trois partenaires ont fondé la Sparrow Lake Alliance (Steinhauer, 1992), qui a donné naissance au programme. Analyse des résultats – Le tableau 4 présente les résultats d’un sondage mené auprès de tous les enseignants afin de connaître leur opinion sur les changements apportés par le programme (32 réponses en 1993 et 44 en 1995). Un plus grand nombre d’enseignants estiment que l’on détecte plus vite les besoins spéciaux des élèves et que le décalage entre la détection et la satisfaction des besoins a nettement diminué en deux ans.
Tableau 4 Faits saillants du sondage auprès des enseignants de l’école Ryerson
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Variable
1993
1995
Diminution du nombre et de la gravité des problèmes comportementaux à l’extérieur de la salle de classe
17 %
44 %
Diminution du nombre et de la gravité des actes de vandalisme
17 %
48 %
Augmentation du respect pour les enseignants
13 %
39 %
Augmentation du respect pour les autres élèves
7 %
41 %
Augmentation du respect pour la propriété de l’école
13 %
47 %
Proportion approximative d’élèves fréquemment absents
13 %
5 %
Pourcentage d’enseignants qui estiment qu’on détecte plus tôt les besoins spéciaux des élèves
37 %
57 %
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Néanmoins, les membres du personnel ont certaines réserves concernant les communications avec l’administration et le soutien que celle-ci leur offre compara tivement à la situation qui existait il y a deux ans (Ryerson Community Outreach, 1995). Cela s’explique peut-être par le style différent du nouveau directeur, arrivé dans l’école il y a deux ans seulement. Mais il se peut aussi que ce soit attribuable à la dégradation des conditions économiques et à la baisse générale du moral des enseignants, influencés par d’autres facteurs extérieurs au programme. Selon plusieurs ouvrages, il n’est pas rare que les programmes de prévention novateurs s’écroulent après le départ d’un dirigeant doté de charisme. Ryerson Outreach a néanmoins amélioré ses résultats depuis le départ du directeur qui a vu naître ce programme. Reproductibilité – Cinq écoles de la ville de North York reproduiront le pro gramme en septembre 1996. Le directeur de Ryerson servira de conseiller. Financement – Le programme ne dispose que d’un budget très limité. Les coûts sont partagés entre le conseil scolaire et les organismes sociaux qui prêtent les services de leurs employés. Le ministère des Services sociaux et communautaires de l’Ontario a payé durant un an le salaire d’un travailleur en services communautaires, mais la subvention n’a pas été renouvelée et les responsables du programme tentent en ce moment d’obtenir des fonds du secteur privé. Évaluation – Jusqu’à présent, les seules données disponibles sont celles des sondages auprès du personnel. On travaille actuellement à adapter la grille d’évaluation utilisée par Comer dans les écoles de New Haven, au Connecticut, et à en améliorer la rigueur (p. ex. en incluant des données plus objectives et en procédant à une répartition aléatoire). Les écoles de North York qui reproduiront le programme utiliseront ce nouveau protocole d’évaluation et incluront une comparaison avec d’autres écoles dans leur plan expérimental. Helping Children Adjust *
Interventions non médicales – Le programme a pour objet de comparer l’efficacité de divers types et combinaisons d’interventions visant à améliorer l’adaptation sociale, les habiletés interpersonnelles (aptitudes sociales) et le rendement scolaire des élèves du secteur public. Il s’adresse en particulier aux enfants qui ont l’un des comportements suivants : ils causent des troubles ou sont généralement antisociaux (c.-à-d. qu’ils ont une attitude caractérisée par l’opposition ou l’agressivité) ; ils sont excessivement passifs, renfermés ou dociles (c.-à-d. ils ont un comportement pouvant aller jusqu’à la victimisation). L’objectif est de réduire le nombre de problèmes actuels, ainsi que de prévenir les problèmes futurs. On a d’abord effectué un sondage auprès des parents et des enseignants. Puis, on a classé « à risque » les élèves figurant dans le premier dixième de la liste dressée par suite du sondage. Le programme, d’une durée de cinq ans, englobe des élèves de la maternelle à la 3e année et s’étend à plus de 60 écoles, réparties dans 11 conseils scolaires différents en Ontario. Il a débuté en 1990-1991 et achève maintenant sa cinquième année. Les écoles participantes ont été choisies au hasard. Chaque conseil scolaire est la cible d’une gamme d’interventions qui, pour la plupart, mettent à profit les ressources
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existantes. Les écoles qui ne participent pas servent à établir des comparaisons. Environ le même nombre d’enfants sont inscrits à chaque programme. L’ensemble du personnel de l’école, incluant les enseignants et le directeur, ainsi que tous les élèves de la première moitié du primaire participent. Les options offertes sont les suivantes : – un programme général d’amélioration des aptitudes sociales et de la maîtrise de soi (visant toute la classe), assorti d’un programme d’éducation parentale ; – un programme de soutien scolaire ; – aucun programme. Les trois options sont testées séparément et en combinaison ; cependant, la participation au programme d’éducation parentale a été tellement basse (moins de 15 %) qu’on l’a rapidement laissé tomber. Raison d’être – Ce programme préventif, offert à l’intérieur du cadre scolaire, est né d’une inquiétude devant la proportion d’enfants ayant des troubles d’extériorisation persistants et perturbateurs – selon l’Ontario Child Health Study (Offord et al., 1989), c’est le cas d’environ 8,3 % des enfants de 4 à 11 ans – ainsi que par souci pour les enfants dociles à l’excès. Acteurs – Le programme a été conçu et les travaux menés par une équipe de l’Université McMaster, sous la direction des Drs David Offord et Michael Boyle. Analyse des résultats – Les résultats finaux ne sont pas encore disponibles, car le programme n’est pas terminé. Il est malgré tout présenté, car les auteurs ont conçu une méthode d’évaluation d’une grande rigueur. Des huit écoles ayant offert un programme général d’amélioration des aptitudes sociales et de la maîtrise de soi durant la première année du programme, quatre ont indiqué vouloir continuer au-delà de la période convenue. Permettre aux enseignants d’adapter les composantes du programme en fonction de leur style améliore le taux de continuation. Par ailleurs, le rapport préliminaire publié en septembre 1994 (après trois ans) indique que les enfants qui ont changé d’école pendant le programme et ceux dont les parents ont participé au programme d’éducation parentale ont un profil intéressant. La majorité des enseignants, et une majorité un peu moins grande de parents, trouve que le programme général d’amélioration des aptitudes sociales et le programme de soutien scolaire sont utiles, mais les premiers se sont plaints de la paperasse et du temps de planification nécessaires pour les interventions combinées. Quatre écoles sur 42 n’ont pas respecté le plan expérimental durant les quatre premières années de l’étude. Dans la plupart des cas, ce désengagement s’explique par un manque d’appui – soit une carence en ressources du conseil (p. ex. pour couvrir les dépenses salariales découlant de la mise en œuvre), soit un rejet par l’administration de l’école (s’expliquant par une déception à l’égard du programme assigné ou une inquiétude face à l’investissement de temps requis des enseignants). L’appui du directeur d’école est essentiel au succès. Par ailleurs, la réticence à se plier aux exigences d’un protocole venu « d’en haut » peut expliquer une part des réponses négatives. Reproductibilité – Le plan expérimental et le protocole de recherche sont très clairement définis et pourraient, par conséquent, être reproduits.
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Financement – Les coûts (en tout 4 millions de dollars répartis sur six ans) ont été partagés entre trois ministères (Services sociaux et communautaires, Santé et Éducation) et les conseils scolaires participants. Évaluation – Le plan expérimental est bien détaillé et les programmes sont répartis de façon aléatoire entre les écoles participantes. Les auteurs prévoient procéder à une analyse économique qui comparera le coût de chaque intervention donnant des résultats appréciables avec les économies découlant de la baisse de demande pour des services spéciaux (Boyle et al., 1994). Cities in Schools
Interventions non médicales – Le programme Cities in Schools vise l’établissement de partenariats avec le milieu des affaires, les organismes sociaux, les fondations et les organismes bénévoles, afin de mieux servir les jeunes qui présentent un risque élevé de décrochage au secondaire. Ces jeunes, qui sont souvent victimes de désa-vantages sociaux, économiques et affectifs multiples, sont inscrits dans un programme qui est très personnalisé, sûr et coordonné. Cities in Schools recrute de petites équipes d’adultes intéressés pour travailler, à l’intérieur du cadre scolaire, à créer une atmosphère très propice à l’apprentissage et à réduire le stress associé aux problèmes sociaux et affectifs des jeunes. Des enseignants et des tuteurs bénévoles se chargent d’offrir un encadrement scolaire durant les heures de classe et un coordonnateur, engagé par le programme, veille à obtenir les services sociaux nécessaires (p. ex. aide financière, logement, orientation professionnelle, assistance psychosociale, soins de santé, tutorat). Raison d’être – Cities in Schools, Inc. est le plus grand organisme de bienfaisance travaillant à prévenir le décrochage aux États-Unis. La ville de North York a mis sur pied deux programmes pilotes en 1989. L’organisme cite le Conference Board du Canada, selon qui le Canada économiserait 20 milliards de dollars si l’on réduisait de 10 % le taux de décrochage. Acteurs – Le programme de North York reproduit un programme américain existant depuis plus de 30 ans. Les bénévoles, enseignants et travailleurs sociaux qui y participent sont décrits ci-dessus. Analyse des résultats – Les responsables affirment pouvoir réduire le taux de décrochage, augmenter la proportion d’élèves terminant leurs études secondaires, enseigner aux jeunes à risque la compétence dont ils auront besoin sur le marché du travail et, de ce fait, contribuer à l’amélioration de la productivité et de la compétitivité du Canada. Apparemment, 75 % des élèves participant aux programmes pilotes de North York (sur un total de 259) fréquenteraient toujours l’école. Reproductibilité – L’expérience de North York prouve que le programme est, effectivement, reproductible. Le manuel The Cities in Schools Context : Concept and Strategy contient une description très concrète et très facile à lire du programme, explique pourquoi il fonctionne et détaille ensuite, avec une clarté et une rigueur exceptionnelles, les obstacles les plus fréquents à la mise en œuvre et la façon de mobiliser la communauté.
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Financement – Les deux tiers des fonds de Cities in Schools (1 700 $ par élève) provenaient d’une subvention gouvernementale, qui a depuis été retirée. Le reste, que les responsables du programme espèrent augmenter, vient du milieu des affaires, des organismes de services sociaux (qui affectent du personnel aux écoles participantes) et du conseil scolaire (qui fournit les enseignants). La contribution des entreprises privées prend la forme de dons, d’emplois d’été et d’emplois à temps partiel, d’ordinateurs ou d’une participation directe à titre de mentor, tuteur ou membre du conseil d’administration. En ce moment, le programme de North York est vulnérable à cause de la perte des fonds gouvernementaux. Évaluation – Cities in Schools a donné des résultats concrets (nombre d’élèves qui sont restés à l’école ou qui y sont retourné) et existe depuis un 30 ans. À North York, le taux de rétention pour les cinq dernières années atteint 75 % (Cities in Schools, sans date ; Cities in Schools – North York, 1995).
Étude expérimentale longitudinale menée à Montréal et portant sur le comportement turbulent des garçons à la maternelle
Interventions non médicales – L’étude a débuté en 1984 par l’évaluation de tous les garçons (1 037) inscrits à la maternelle dans les 53 écoles des quartiers les plus défavorisés de Montréal. Un groupe de garçons, choisis au hasard parmi les plus perturbateurs, a participé à un programme de prévention intensif. Deux groupes similaires servaient à la comparaison. Le programme de prévention, qui a débuté à la fin de la 1re année et s’est étendu sur deux ans (de l’âge de 7 à 9 ans), incluait à la fois une formation à la maison pour les parents et l’enseignement d’aptitudes sociales aux garçons, à l’intérieur du cadre scolaire. Les auteurs de l’étude ont ensuite effectué un suivi annuel auprès de tous les sujets, de leur famille et de leurs amis, de l’âge de 10 à 16 ans, en se servant d’évaluations, d’observations directes et de questionnaires. Raison d’être – Comprendre l’évolution de l’agressivité chez les garçons et trouver des moyens de prévenir la déviance. Acteurs – Une équipe du Groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant, de l’Université de Montréal, dirigée par Dr Richard Tremblay. Analyse des résultats – Comparativement aux garçons jamais jugés agressifs, ceux qui ont été qualifiés d’agressifs par un ou plusieurs enseignants étaient neuf fois plus susceptibles de faire partie des 8 % manifestant le comportement le plus délinquant entre l’âge de 10 et 14 ans. Les garçons qualifiés d’agressifs par seulement un enseignant risquaient cinq fois plus que les garçons jamais considérés comme agressifs de devenir délinquants. Outre l’agressivité, les auteurs de l’étude se sont appuyés sur les comportements qui suivent en maternelle pour prédire les risques de délinquance des garçons entre l’âge de 10 et 13 ans : hyperactivité (facteur permettant le mieux de prédire la délinquance), manque d’anxiété (facteur suivant immédiatement l’hyperactivité pour la prédiction de la délinquance) et le manque d’altruisme. La présence des trois quadruple les risques de délinquance grave au début
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de l’adolescence, mais la présence du facteur protecteur le plus puissant (l’altruisme) à elle seule fait baisser les risques de 80 %. Les traits de caractère individuels relevés en maternelle étaient davantage amplifiés par la consommation de drogues avant l’âge de 13 ans que par l’association avec des pairs déviants à la préadolescence (voir aussi Kellam, 1990). Jusqu’à l’âge de 15 ans, les garçons ayant participé au programme avaient moitié moins de problèmes d’adaptation graves à l’école (22 % comparativement à 44 %) ; ils ont aussi montré moins de comportements perturbateurs entre l’âge de 10 et 15 ans. Les garçons plus agressifs risquaient aussi d’avoir des retards scolaires par rapport à leurs pairs. Reproductibilité – Le protocole d’intervention et de recherche est bien décrit ; donc, le seul obstacle à la reproduction de l’expérience serait vraisemblablement financier. Financement – Les fonds provenaient d’organismes fédéraux, provinciaux et municipaux. Évaluation – L’étude offre un modèle original d’intervention préventive, limitée aux garçons qui présentent des risques élevés de délinquance et d’échec scolaire graves d’après leur comportement en maternelle (Tremblay et al., 1995).
5e objectif – Mobiliser les communautés défavorisées : les transformer pour qu’elles aient un impact positif et non négatif sur le développement des enfants
Partir d’un bon pas, pour un avenir meilleur *
Interventions non médicales – C’est un programme de recherche et de prévention important, qui rejoint 4 000 familles à risque avec des enfants de 0 à 8 ans, réparties dans sept centres urbains et dans cinq collectivités autochtones. Il vise trois objectifs : – promouvoir le développement cognitif, affectif et social des enfants ; – prévenir les troubles cognitifs, affectifs, sociaux et comportementaux chez les enfants ; – accroître la capacité des collectivités à haut risque de soutenir le développement d’enfants sains et compétents. Les collectivités visées participent activement à tous les aspects du programme, qui intègre les services à l’enfance existants avec des nouveaux. L’un des volets emploie une équipe de 19 personnes occupées à former 16 membres de la collectivité, qui resteront sur place à la fin du programme. Chaque collectivité choisit où mettre l’accent – nourrissons, programmes préscolaires ou programmes écologiques d’enseignement primaire –, et 85 % des fonds doivent être dépensés dans ce secteur durant les cinq années du programme ; le reste des fonds peut être réparti à discrétion. Chaque volet du programme adopte la langue de la collectivité et respecte fidèlement ses traditions culturelles.
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Le programme peut adopter l’une ou l’autre des orientations suivantes : – renforcer les enfants, c’est-à-dire • diminuer l’isolement des mères très vulnérables qui n’ont pas de soutien en leur rendant visite à domicile (visites effectuées par des membres de la collectivité), • offrir des services de garde avant et après l’école pour les enfants « clé au cou », • soutenir les enseignants ; – renforcer les familles, c’est-à-dire • inviter les parents à participer comme ils le peuvent (p. ex. à la garderie) parce que, ce faisant, ils se sentent respectés et s’épanouissent, • mettre en place des groupes de soutien, tels que des groupes de répit (Take a Break) pour les mères isolées et des groupes d’échange (Parent to Parent) pour les parents d’enfants plus vieux ; – renforcer la collectivité. Raison d’être – Le programme Partir d’un bon pas est un effort général pour prévenir les problèmes et promouvoir le sain développement des jeunes enfants qui vivent dans une collectivité défavorisée, ainsi que pour aider les familles et collectivités défavorisées à subvenir aux besoins de leurs enfants. Acteurs – Le programme a été financé par le ministère des Services sociaux et communautaires, le ministère de la Santé et le ministère de l’Éducation de l’Ontario. Le ministère fédéral des Affaires indiennes et du Nord ainsi que le Secrétariat d’État ont fourni des fonds additionnels. Analyse des résultats – Les résultats et l’analyse finals n’ont pas encore été publiés. Les auteurs vont continuer de suivre les enfants en question durant environ 25 ans pour voir s’ils se portent mieux que les enfants de collectivités comparables. Cependant, même si l’étude n’est pas terminée, on avait déjà appris des leçons pertinentes à la fin de la quatrième année. Les parents et les membres des collectivités participent efficacement à la planification, à la mise en œuvre, à la direction et à l’évaluation. On travaille à intégrer les services, ainsi qu’à rehausser la qualité du programme et à adapter celui-ci aux besoins définis par les collectivités. On a réussi à instaurer des visites à domicile, à offrir de meilleurs services de garde et à implanter des activités écologiques d’enseignement primaire. Les collectivités sont plus fières et les enfants, moins stressés, plus coopératifs, mieux habillés et mieux nourris. Parents, enseignants et responsables du programme travaillent ensemble pour les enfants. Un nombre accru de parents reçoivent une formation, et ils s’occupent mieux de leur enfant. Par ailleurs, il y a une limite à ce que l’intégration des services peut accomplir quand le financement reste segmentaire. De plus, l’intégration sans participation communautaire est peut-être pire que pas d’intégration du tout. Pour garantir le succès, il faut que tous les comités importants comptent au moins 50 % de membres de la collectivité (bénévoles, parents, etc.), c’est-à-dire assez pour refléter la diversité de chaque quartier. La collectivité doit réellement participer aux grandes décisions
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(p. ex. descriptions de travail, dépenses et questionnaires de recherche) et non les laisser aux responsables du programme ou à un conseil d’administration élitiste. Reproductibilité – Le modèle et le protocole de recherche sont bien documentés ; il n’y aurait donc pas d’obstacle à la reproduction du programme, sinon le financement. Financement – Le programme a reçu des ministères nommés ci-dessus une somme de 7 millions de dollars par année, pour une période de cinq ans. Évaluation – Il y a eu une grande résistance à la recherche. Les gens des collectivités visées se sentaient stigmatisés ; ils avaient l’impression d’être des citoyens de seconde classe, qu’on les disséquait sans qu’eux ou leurs enfants en tirent d’avantages pendant que leur quartier continuait de se détériorer. Ils ont eu l’impression de devoir céder au chantage pour recevoir des services nécessaires, que la classe moyenne obtient gratuitement. En guise de compromis, les auteurs de l’étude ont engagé des chercheurs habitant sur place ou à proximité et ont créé des comités de recherche locaux, chargés de modifier les questionnaires ou d’arrêter toute recherche jugée condescendante ou inopportune. Les résultats finals n’ont pas encore été analysés (Ontario, 1993 ; Peters et Russel, 1993).
Partenaires dans la croissance *
Interventions non médicales – Partenaires dans la croissance est un programnme d’intervention pluridisciplinaire qui s’adresse aux familles aux prises avec une gamme de problèmes. Sa principale préoccupation reste toutefois les besoins des jeunes enfants. Sa palette de services inclut 20 types de service à la personne, un service de thérapie familiale, 14 programmes de groupe et sept approches communautaires. Les intervenants visitent les familles après la naissance d’un enfant et tâchent d’évaluer besoins et risques. Suivant les renseignements recueillis, on propose alors à la famille une gamme de services plus ou moins intensifs allant de la thérapie parents-enfant (pour promouvoir la santé) au simple soutien familial, sans oublier une série d’initiatives incluant la défense des intérêts, des activités d’entrepreneurship, ainsi que des programmes de développement communautaires (programme élargi, mobilisation ou autres) choisis par les résidents. Les agents du programme travaillent à bâtir un partenariat avec la communauté. Ils espèrent ainsi : – optimiser les liens affectifs, la santé, les capacités cognitives, la compétence langagière, les aptitudes sociales, la maturité pédagogique, l’adaptation (au milieu familial et scolaire) et la compétence générale des enfants de 0 à 5 ans ; – répondre aux besoins affectifs et thérapeutiques des parents ayant des troubles psychiatriques, des familles très dysfonctionnelles ainsi que des parents alcooliques ou toxicomanes, de manière qu’ils acquièrent les compétences, les aptitudes et la stabilité nécessaires pour bien remplir leur rôle de parents ; – aider les parents à mieux utiliser les services sociaux, et donner de plus à la communauté un sentiment de cohésion, d’entraide, de soutien, d’appartenance et de maîtrise pour que les résidents s’y sentent en sécurité.
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Raison d’être – Le programme s’adresse aux résidents d’un complexe urbain où le tiers des familles présente huit facteurs de risque ou plus (on considère qu’il y a un danger sérieux d’échec développemental en présence de quatre facteurs ou plus). Il vise plus particulièrement à améliorer la santé, le bien-être et le développement des nourrissons, des jeunes enfants et de leur famille. Le premier obstacle à surmonter était l’ampleur même des problèmes vécus par les membres de la communauté et l’impact négatif de l’environnement. Dans le complexe, le revenu moyen est moitié moins élevé que dans le reste de la ville. Seulement 27 % des familles parlent anglais à la maison et il a fallu recruter des interprètes pour traduire les 18 langues différentes utilisées par les autres. Les responsables du programme ont également dû faire face à l’opposition des autorités de la santé publique, qui ne voulaient pas que les infirmières fassent des visites à domicile (la partie centrale du programme) et investissent tant de temps et d’énergie dans une seule communauté. Acteurs – Le programme Partenaires dans la croissance est parrainé par le Hincks Centre for Children’s Mental Health et le Service de santé publique de Toronto. Il reçoit en plus des fonds de la fondation Invest in Kids. Analyse des résultats – Le programme est à ses débuts et l’on travaille encore à élaborer le protocole d’évaluation, largement qualitatif. Pour l’instant, toutes les données sur son efficacité sont de nature empirique. Le programme a néanmoins reçu en 1995 un prix de la Peter Drucker Canadian Foundation, qui récompense l’innovation dans le secteur à but non lucratif. Reproductibilité – La fondation Invest in Kids prévoit implanter le programme dans d’autres villes canadiennes en 1996-1997. Si l’on respecte l’esprit initial, chaque nouveau programme sera unique et s’adaptera à la communauté qu’il dessert. Financement – Le programme, caractérisé par sa grande souplesse et son adaptation aux besoins individuels, a de la difficulté à satisfaire les critères conven tionnels établis par les organismes de financement ; il a par conséquent du mal à obtenir des fonds. De plus, on ne sait pas si la fondation Invest in Kids continuera de financer le programme original après l’implantation de programmes similaires dans d’autres villes canadiennes. Évaluation – Les responsables du programme ont de la difficulté à élaborer un protocole de recherche à cause de la grande souplesse des services offerts aux enfants et aux familles ; ils croient de plus injustifiable, compte tenu du dénuement de la communauté, de répartir les résidents au hasard entre un groupe expérimental et un groupe témoin (Growing Together, 1996).
Points à considérer pour l’élaboration d’une politique
Actuellement, on estime que la santé (physique et mentale), la compétence et la productivité future d’au moins un enfant canadien sur quatre sont compromises à cause de troubles psychiatriques, d’échec scolaire ou de comportement antisocial et violent – et c’est là une estimation prudente. De plus, au moment où la diminution des possibilités d’emploi et des services accroît la pression sur toutes les familles (sauf
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celles qui bénéficient d’une richesse et d’une sécurité exceptionnelles), on réduit les soins de santé et les services sociaux, surchargeant et sabotant de ce fait les services généraux et spécialisés dont ont grand besoin nombre d’enfants et de familles. Si nous n’aidons pas les familles à répondre aux besoins de leurs enfants pendant qu’il en est encore temps (certaines des interventions les plus importantes doivent se faire au courant des deux ou trois premières années de vie), nous en souffrirons tous : les enfants verront leur développement, leur compétence et leur productivité future définitivement compromis, et ils vivront aux crochets de la société canadienne jusqu’à la fin de leurs jours (Carnegie Corporation of New York, 1994 ; Keating, 1992 ; Promotion/Prevention Task Force, 1996 ; Begley, 1996). Si tous les paliers de gouvernement apportent les changements décrits ci-dessous, ils contribueront à maintenir le potentiel de résilience d’un nombre considérable d’enfants, dont les perspectives d’avenir auraient autrement été ruinées.
1. Le Canada devrait se donner comme priorité d’éliminer la pauvreté, car son investissement sera très rentable à long terme.
Il est crucial d’éliminer la pauvreté ; cela non seulement parce que nous, comme nation, nous sommes déjà engagés à le faire en signant la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, mais parce que le prix à payer plus tard sera bien plus élevé si nous ne le faisons pas. Comme le lecteur a pu le voir dans le présent document, la pauvreté et ses corollaires multiplient au moins par deux la vulnérabilité à la plupart des troubles graves minant la compétence et le potentiel des enfants. C’est une situation inacceptable pour le Canada et ses enfants : en bout de ligne, nous devons assumer la facture des soins médicaux, de l’orthopédagogie, des services sociaux et psychiatriques, de la lutte contre la criminalité et de l’aide sociale. Nous en faisons aussi les frais par la détérioration du capital social et la déshumanisation de la société, qui sombre de plus en plus dans la criminalité et la violence, ainsi que par la perte d’un potentiel de production, dont dépendent la compétitivité et l’avenir du Canada.
2. Tous les paliers de gouvernement doivent enchâsser la protection de l’enfance, et plus particulièrement de l’enfance défavorisée, dans leur politique économique.
Tant que cela ne sera pas fait, environ un petit Canadien sur quatre aura un « déficit développemental » une fois parvenu à l’âge adulte. Aujourd’hui, ce sont les ministres des finances qui élaborent les politiques publiques. Mais il est temps de se rendre compte que le Canada a deux déficits – l’un économique et l’autre social. Et ces deux déficits sont inextricablement liés, comme l’ont découvert les Néo-Zélandais ; c’est-à-dire que toute tentative pour corriger l’un aux dépens de l’autre se traduira en bout de ligne par une aggravation des deux.
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3. En cette ère de rationnement des ressources, il faudrait insister sur la protection du développement des enfants et des jeunes.
La qualité des soins que l’enfant reçoit durant les trois premières années de sa vie est le facteur le plus déterminant (exception faite de son patrimoine génétique) pour ce qui est de sa santé physique, de sa santé mentale, de sa productivité et de son épanouissement futurs. Les gouvernements devraient se donner comme priorité de soutenir le développement des enfants. Car il est plus facile, moins cher et plus efficace de prévenir que de guérir ; une fois sur la voie de la maladie mentale, de la délinquance, du décrochage et de la dépendance chronique, il est bien difficile de faire marche arrière. Les enfants qui n’arrivent pas à transcender leurs désavantages seront toute leur vie un fardeau plutôt qu’un atout pour la société. Il faut veiller à ce que toutes les familles aient le soutien nécessaire pour soutenir le développement de leurs enfants – il y va de l’intérêt du Canada autant que des enfants.
4. Pour atteindre cet objectif, tous les paliers de gouvernement devraient adopter une politique prioritaire de portée générale, à la fois complète et intégrée, qui soutient à long terme le développement de tous les enfants, depuis leur naissance jusqu’à leur entrée sur le marché du travail.
Cette politique nécessitera l’intégration de plusieurs politiques existantes et la collaboration de nombreuses instances ayant un effet sur la vie des enfants ; les ministères de la Justice, de l’Immigration ou des Affaires indiennes et du Nord auront un rôle aussi important à jouer que le ministère de la Santé et celui du Développement des ressources humaines. Une telle politique reconnaîtra l’impor tance, sur les plans humain et économique, de programmes tels que ceux décrits précédemment pour l’avenir du pays. Les gouvernements devraient particulièrement appuyer les programmes répondant aux critères suivants : – Ils mettent l’accent sur la population ; – Ils reposent sur analyse rigoureuse des problèmes à résoudre ; – Ils sont conçus de manière à promouvoir la santé (soutenir le développement) à tous les stades de la vie, par exemple au moyen de services prénatals, de visites à domicile, de services de garde et d’éducation précoce, de programmes scolaires ou de programmes visant à mobiliser la communauté et qui • reposent sur des recherches, c’est-à-dire qui appliquent ou enrichissent les connaissances déjà acquises, mais sont assez souples pour s’adapter aux besoins de la population servie ; • sont sûrs et comportent un élément d’évaluation qui n’empêche cependant pas la créativité et la souplesse des agents de service vraiment novateurs (voir Schorr, 1988, résumé dans Steinhauer, 1993).
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5. Chaque palier administratif devrait s’engager à investir une part déterminée de ses revenus (1 %) dans le développement de l’enfance.
Tout en continuant d’adapter les services au contexte économique, il faudrait mettre l’accent sur la promotion de la santé et la prévention, c’est-à-dire : – soutenir les futures et les nouvelles mamans isolées ou vulnérables grâce à des programmes universels de visites à domicile, permettant le dépistage précoce et le suivi continu des femmes que l’on soupçonne capables de négliger ou maltraiter leur enfant. Le programme hawaïen Healthy Start et celui de Olds sont de bons exemples. Pour se convaincre du bien fondé de tels programmes il n’y a qu’à regarder le coût du laisser-faire : selon Santé Canada, au cours de sa vie, un enfant maltraité coûtera environ un million de dollars à l’État (Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, 1995) ; – créer un continuum de soutien en offrant des programmes, inspirés des programmes décrits précédemment, pour les parents et les enfants de tous âges ; – accroître la disponibilité des services de garde et d’éducation abordables et de qualité pour les enfants dont les deux parents doivent travailler afin d’éviter que la famille ne tombe sous le seuil de la pauvreté (cela devrait être une priorité nationale) ; – favoriser et mieux financer les programmes qui tiennent compte des différences culturelles, qui cherchent à mobiliser la communauté afin d’accroître sa cohésion, et offrir un soutien environnemental aux familles qui élèvent de jeunes enfants dans une zone à risque.
6. Il faut mettre en place des mécanismes communautaires de planification stratégique, afin de sensibiliser les communautés au prix humain et économique à payer lorsque nous ne protégeons pas le potentiel des enfants vulnérables et de leur famille, en particulier au cours des trois premières années de vie.
L’ignorance et la frustration expliquent en bonne partie l’opposition publique aux services de garde et d’éducation précoce, ainsi qu’à l’implantation de mécanismes rationnels et efficaces pour contenir la criminalité chez les jeunes (Associés de recherche Ekos, 1995). Il faut renseigner la population sur les programmes qui fonctionnent, dire pourquoi ils fonctionnent, exposer les conséquences de l’inaction et expliquer pourquoi il importe (sur les plans humain et économique) de promouvoir le sain développement des enfants, en particulier ceux des familles défavorisées. Si le public est informé, il appuiera plus volontiers les enfants et leur développement. 7. En Amérique du Nord, on a tendance à considérer que la responsabilité revient aux parents seuls. Notre campagne d’information du public devrait par conséquent avoir entre autres buts d’inculquer
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aux gens une mentalité semblable à celles des Européens, qui considèrent les enfants comme une ressource naturelle commune et dans lesquels ils voient l’avenir de leur société.
Le monde aujourd’hui est bien différent de ce qu’il était dans les années 1950, 1960 ou 1970. Cependant, bien peu de gens sont conscients de l’effet de ces changements sur la structure et le fonctionnement des familles ainsi que de la nécessité, pour nombre d’entre elles, d’avoir l’aide de la société pour réussir à élever leurs enfants dans un contexte de plus en plus difficile. Nos dirigeants doivent renseigner le public sur la pauvreté, sur les services de garde et d’éducation précoce, ainsi que sur la délinquance. 8. Il faut centraliser la recherche de fonds pour les programmes visant à soutenir les familles qui ont des nourrissons ou de très jeunes enfants.
Les novateurs, comme ceux qui ont mis sur pied les programmes décrits précédemment, perdent beaucoup trop de temps à chercher les fonds nécessaires à la survie de leur programme. Ils sont souvent à la merci d’organismes de financement imposant des critères rigides, qui ne cadrent pas avec la réalité. Partenaires dans la croissance est un bon exemple de programme dont la souplesse – son principal point fort – nuit à l’obtention de financement. Encore une fois (voir la quatrième recommandation), la reddition de comptes ne doit pas faire obstacle à la créativité ni à la souplesse. 9. Il faut élaborer une norme nationale en matière de soutien et de services sociaux.
La modification du régime des paiements de transfert en matière de santé et de services sociaux présente un danger tout spécial pour les enfants dans le besoin et leur famille. Non seulement le gouvernement fédéral réduit-il ses paiements mais, en plus, il faut s’attendre à ce que l’argent qui reste aille surtout aux institutions bien établies (comme les hôpitaux et établissements d’enseignement postsecondaire) tandis qu’on mettra de côté l’aide sociale et les services sociaux, pourtant essentiels au développement des enfants et des jeunes défavorisés (Steinhauer, 1995b). Il faut réduire certaines dépenses sociales, mais ces réductions doivent être dictées par la recherche plutôt que par l’idéologie dominante ou les pressions publiques (Steinhauer, 1995b). Naturellement, il est impossible de dégager un consensus sur les normes à adopter à l’échelle nationale et, en l’absence de consensus, plusieurs provinces ont déjà commencé à tourner le dos aux enfants et aux familles les plus défavorisés. Un nombre croissant de provinces s’opposent à l’adoption d’une norme nationale. Mais, en abdiquant ses responsabilités pour mettre tout le monde sur un pied d’égalité (p. ex. en abandonnant l’équité verticale et horizontale), le gouvernement fédéral fait fi du coup de ce que notre pays a de plus exceptionnel selon un récent sondage auprès de la population (Gregg, 1995). Dans notre lutte pour
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l’unité, notre meilleure arme serait probablement une campagne positive et informée pour protéger ce qui compte vraiment aux yeux des Canadiens. 10. Il faut sensibiliser les membres du public à l’importance de notre capital social et à la déshumanisation progressive de notre société, mobiliser le plus grand nombre possible d’individus et de groupes pour entreprendre la reconstruction de notre tissu social.
Paul D. Steinhauer, M. D., Fellow of the Royal College of Physicians, enseigne la psychiatrie à l’Université de Toronto et est psychiatre à l’Hospital for Sick Children. Psychiatre pour enfants, le docteur Steinhauer pratique la thérapie familiale depuis 1962. Il fut aussi, durant vingt ans, directeur de la formation de troisième cycle à la Division de la psychiatrie de l’enfant de l’Université de Toronto. Ses recherches et ses publications touchent les domaines de la thérapie familiale, de la famille d’accueil, de l’enseignement en psychiatrie de l’enfant et, plus récemment, du développement de la santé mentale. Il fut président fondateur de la Canadian Academy of Child Psychiatry. Il préside en ce moment deux grands regroupements – Sparrow Lake Alliance (www.sparrowlake.org) et Au nom de nos enfants (www.voices4children.org) – encourageant le développement de la santé, de la compétence et de la productivité des enfants ontariens, ainsi qu’une meilleure utilisation de ressources professionnelles limitées dans l’amélioration des résultats pour les enfants.
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Prévenir la violence et la négligence à l’endroit des enfants David A. Wolfe, Ph. D. Professeur de psychologie et de psychiatrie Université Western Ontario
Résumé
Principales conclusions sur les déterminants de la santé
Le plus souvent, les enfants sont maltraités au berceau, quand leurs parents commencent tout juste à s’en occuper, ainsi qu’à la petite enfance, lorsque les parents doivent assurer leur socialisation. La violence et la négligence à l’endroit des enfants sont souvent associées à l’instabilité et à des perturbations familiales, ou encore à l’absence prolongée de mécanismes ou de services sociaux de soutien pour la famille. Pour prévenir la violence à l’endroit des enfants et pour que les familles restent fonctionnelles, il faut donc encourager des méthodes positives d’éducation des enfants et des relations parents-enfant saines. Il est possible de mettre en application de telles méthodes en tenant compte des besoins de chaque famille et de chaque collectivité et des changements de situation et de développement inhérents à la relation parents-enfant. Les interventions auprès des parents d’enfants maltraités étaient traditionnellement fondées sur un modèle pathologique privilégiant l’individu qui a peu à peu cédé la place à un modèle plus holistique, ou environnemental, où l’on reconnaît de plus en plus l’importance de la relation d’un parent avec son enfant et son contexte. Parallèlement, l’approche en matière de traitement est passée de la correction des comportements déviants à la reconnaissance du grand nombre de facteurs stressants qui sapent la relation parentsenfant en développement. Nous sommes désormais en mesure de reconnaître un grand nombre des indicateurs précoces de l’évolution d’une famille vers la violence et la négligence à l’endroit des enfants, mais nos systèmes de protection de l’enfance ne mettent pas cet acquis à profit pour aider les
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familles à risque. La plupart des services offerts aux familles dont les enfants sont victimes de violence ou de négligence privilégient la protection de l’enfant plutôt que le traitement de la famille. Cette utilisation des ressources ne répond absolument pas aux besoins des parents – pourtant plus nombreux – susceptibles de violence ou de négligence à l’endroit de leurs enfants, qui bénéficieraient d’une intervention plus tôt. Généralement, le premier contact de la famille avec le système est précipité par une « crise ». En outre, bien que les modèles de traitement se soient grandement améliorés et qu’ils aient contribué à de meilleurs résultats, les praticiens restent déchirés entre le désir de fonder leurs interventions sur des recherches prometteuses et celui de répondre aux besoins immédiats de protection et de bien-être de l’enfant. Les théories actuelles sur les mauvais traitements à l’endroit des enfants favorisent le renforcement de la compétence parentale et la réduction du fardeau du stress pour les familles. Les partisans de ces théories soutiennent qu’il faudrait concevoir et mettre en œuvre des services d’intervention précoce visant à améliorer : – la connaissance qu’ont les parents du développement de l’enfant et des exigences de leur rôle ; – la capacité des parents de supporter le stress de s’occuper de jeunes enfants ; – l’attachement et la communication parents-enfant ; – la connaissance qu’ont les parents de l’économie domestique ; – l’accès des familles aux services sociaux et aux services de santé. Et ces théoriciens maintiennent aussi que les services devraient aider les familles à réduire le fardeau qu’élever des enfants représente pour elles, ou à le répartir différemment. Les interventions visant à réduire la violence et la négligence à l’endroit des enfants chez les parents et les enfants à haut risque ont pris une ampleur considérable dans les deux dernières décennies. Les principes qui suivent sont clairement exprimés dans la documentation pertinente. • Les interventions collectives et les visites à domicile intensives qui aident les parents à s’occuper des enfants et qui les renseignent sur les méthodes de stimulation cognitive nécessaires améliorent les attitudes et les comportements des parents et favorisent l’adaptation maternelle. • Les programmes d’interventions conséquentes (mais pas nécessairement longues) privilégiant le développement de l’enfant améliorent à la fois les capacités cognitives de l’enfant et son adaptation comportementale. • Les programmes d’aide aux familles améliorent le fonctionnement maternel général. • Comparativement aux services moins intensifs, les programmes multidimensionnels – ceux qui offrent toute une gamme de services, à la demande des parents, sur une période prolongée – à l’intention des familles à haut risque justifient les efforts et les dépenses supplémentaires qu’on y consacre. Dans l’ensemble, ce sont des programmes personnalisés d’une durée de un à trois ans (p. ex. ceux qui offrent des visites à domicile) qui donnent les meilleurs résultats, particulièrement dans le cas des individus à haut risque. La nature personnalisée de cette approche semble bien répondre aux besoins de soutien, d’information sur leur rôle et d’accès aux ressources des parents.
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Le mérite d’une des grandes réalisations en matière de prévention des mauvais traitements à l’endroit des enfants est attribuable à David Olds, qui a commencé ses travaux en ce sens à la fin des années 1970, dans le nord de l’État de New York. Ses sujets sont des nouvelles mères qui présentent aussi au moins un des facteurs de risque de violence à l’endroit de leur enfant (elles sont adolescentes, célibataires ou pauvres). Le programme offre aux participantes des services de garde plus ou moins intensifs, de même que des visites à domicile prénatales et postnatales par une infirmière qui leur donne de l’information sur le développement des enfants et qui les aiguille vers les ressources appropriées. Dans ce contexte, les interventions tendent à tirer parti des qualités et des aptitudes de la mère plutôt qu’à simplement évaluer ses lacunes. Le tout se traduit en une stratégie d’habilitation dans laquelle chacune des participantes reçoit de l’aide pour comprendre ses propres besoins et ceux de son enfant nouveau-né afin d’être plus en mesure d’y répondre. On lui inculque les aptitudes nécessaires pour renforcer sa relation avec son enfant et pour poursuivre son propre développement. L’initiative fait intervenir plusieurs des déterminants psychologiques, sociaux et économiques de la santé ; les mères améliorent leur compréhension de la santé et du développement de l’enfant et leurs attentes en matière de développement personnel se transforment. Le programme favorise l’efficacité des mères, en améliorant leurs points forts et en accroissant leur confiance. Les travailleurs de la santé forment des liens thérapeutiques étroits avec la mère et les autres membres de la famille durant la grossesse, ce qui leur permet d’établir des relations efficaces avec leur clientèle en se concentrant sur les points forts des membres de la famille et en cherchant à résoudre leurs problèmes. Les facteurs de stress familial sont identifiés, et on aide les membres de la famille à obtenir des services de santé et des services sociaux, notamment de l’aide financière, des logements subventionnés, de l’assistance familiale, des suppléments alimentaires, des vêtements, des meubles et des soins médicaux de qualité. Le programme a été reproduit dans trois villes des États-Unis; à Hamilton, en Ontario, on met actuellement un programme analogue à l’essai. Les données recueillies jusqu’à présent laissent entendre qu’il est possible d’en reproduire les résultats dans des contextes différents, même s’il faudrait évaluer soigneusement les particularités des environnements locaux avant de choisir l’endroit où lancer un nouveau programme du genre. Les concepteurs soulignent qu’il est important, si l’on veut implanter le programme ailleurs, de mieux comprendre comment gérer les différences des environnements locaux, pour veiller à ce que ses éléments essentiels soient reproduits.
Interventions stratégiques
Les enfants exposés à des risques de développement en raison des conditions associées aux mauvais traitements qu’ils subissent ont besoin de relations positives avec des adultes, car ce sont elles qui leur fournissent les possibilités d’apprentissage susceptibles de prévenir des troubles de développement et de favoriser une saine adaptation. Les enfants maltraités, généralement privés des conseils les plus propices à leur développement, vivent dans des conditions extrêmement stressantes, avec très peu de ressources. La politique sociale devrait
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accorder la priorité à l’amélioration des environnements sociaux où le stress est élevé et le soutien presque inexistant, car les enfants issus de ces milieux sont sans doute les plus vulnérables aux mauvais traitements ainsi qu’à tous les autres facteurs qui risquent de saper leur développement. La stratégie de prévention de la violence et de la négligence à l’endroit des enfants proposée dans ces pages est fondée sur une éthique d’inclusion et de soutien, plutôt que simplement d’interception et de protection. Elle part du principe que les besoins primaires des enfants et des familles seront bien servis par des collectivités et des milieux aidants, qui favorisent une réduction de l’incidence des mauvais traitements. Pour que cette démarche soit fructueuse, il faudra bien planifier et agir avec diligence afin que les collectivités et les familles reçoivent le soutien nécessaire au moment optimal. Il ne sera pas facile d’obtenir les résultats désirés, car on devra renverser des tendances sociales manifestes dans les milieux à très haut risque et dans l’ensemble de la nation. La politique fédérale devrait par conséquent privilégier des programmes : – suffisamment intensifs et variés pour fournir aux collectivités le soutien et les ressources nécessaires à la mise en place de programmes complets basés sur le milieu, centrés sur l’enfant et axés sur la famille ; – suffisamment souples pour être adaptables aux besoins et pour tirer parti des atouts des collectivités rurales, urbaines, culturelles et ethniques des différentes régions du pays, y compris des collectivités autochtones. Les nouvelles politiques devraient aussi refléter l’orientation des programmes sur la violence et la négligence à l’endroit des enfants de nombreux organismes fédéraux et provinciaux, afin de favoriser la participation de différents groupes professionnels et de divers administrateurs et praticiens. Il faudrait charger les centres provinciaux et régionaux de mener à bien une grande initiative de recherche. Les structures de financement devraient être simplifiées, pour rendre possibles des activités de protection de l’enfance et de soutien de la famille conçues en fonction du milieu, conformément à un plan interorganismes unifié. Les politiques devraient favoriser l’universalisation des visites prénatales et néonatales volontaires à domicile. La première étape en ce sens consisterait à accorder à de nombreux projets pilotes coordonnés le financement nécessaire à l’évaluation des résultats et des répercussions dans différents secteurs de la population. Ces projets devraient être conçus pour déterminer ce qui s’impose (au palier fédéral) afin d’établir et d’administrer un système national de visites à domicile. La stratégie nationale devrait : – renforcer et soutenir les milieux urbains, suburbains et ruraux de façon à répondre aux besoins des enfants et des familles ; – repenser la prestation des services, pour qu’il soit aussi facile de fournir aux familles des services de prévention des mauvais traitements à l’endroit des enfants qu’il l’est actuellement de leur retirer leurs enfants pour les placer en foyer nourricier ; – accroître l’ampleur des approches fondées sur la promotion de la santé publique et individuelle dans le contexte de la prévention de la violence et de la négligence à l’endroit des enfants ;
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– mettre sur pied des programmes d’information sur le développement des enfants et sur le rôle des parents qui soit facile à comprendre, pratique et accessible pour les parents d’aujourd’hui et de demain ; – calculer le coût total des mauvais traitements à l’endroit des enfants pour l’ensemble des organismes gouvernementaux ainsi que celui des économies rendues possibles grâce aux programmes de visites à domicile. Puisqu’une grande partie des facteurs qui aboutissent à des mauvais traitements pour les enfants influent sur la santé et le fonctionnement de la majorité des familles, la stratégie nationale devrait s’attaquer aux causes de la violence et de la négligence à l’endroit des enfants dans une optique de santé publique plutôt que d’intervention tertiaire.
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Table des matières
Principales conclusions tirées de la documentation ...................................... 115 Définition et incidence de la violence et de la négligence à l’endroit des enfants...................................................................................................115 Causes du problème....................................................................................116 Facteurs psychologiques..........................................................................117 Facteurs socioéconomiques.....................................................................119 Contexte social et culturel.......................................................................120 Déterminants des relations parents-enfant saines....................................120 Une initiative couronnée de succès ............................................................... 122 Aperçu.........................................................................................................122 Mesures prises à l’égard des déterminants non médicaux de la santé.............122 Valeurs fondamentales du programme....................................................122 Mesures prises à l’égard des déterminants psychologiques de la santé...........123 Mesures prises à l’égard des déterminants sociaux de la santé.......................124 Mesures prises à l’égard des déterminants économiques de la santé..............124 Raisons de l’initiative...................................................................................124 Acteurs........................................................................................................125 Analyse des résultats....................................................................................126 Mauvais traitements et développement de l’enfant..................................126 Facteurs liés au développement personnel de la mère..............................127 Reproductibilité du programme .................................................................127 Financement................................................................................................128 Évaluation...................................................................................................128 Interventions stratégiques ............................................................................ 129 La vision......................................................................................................129 La stratégie..................................................................................................130 Rôle du gouvernement fédéral................................................................130
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Stratégie nationale..................................................................................131 Conclusions ................................................................................................. 135 Bibliographie....................................................................................................139
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Principales conclusions tirées de la documentation Définition et incidence de la violence et de la négligence à l’endroit des enfants
Aux fins de la recherche sur l’étiologie et l’évolution des mauvais traitements dont les enfants sont victimes, il est essentiel d’avoir une définition valable de la violence et de la négligence à leur endroit. Cette définition est absolument fondamentale pour le système de détection, de prévention et de prestation des services à l’intention des familles à problèmes. Les collectivités doivent dépister les enfants et les familles qui ont besoin d’aide, en informant tous leurs membres des façons acceptables et inacceptables d’élever des enfants. Néanmoins, en dépit de la clameur publique et du mépris que les mauvais traitements infligés aux enfants inspirent, les tentatives de définir la violence et la négligence à leur endroit ont été extrêmement controversées, et les définitions se sont révélées insatisfaisantes. (La controverse est en partie imputable à la nature des mauvais traitements des enfants, qui exige que la définition soit appliquée avec beaucoup de discernement.) La violence à l’endroit des enfants est une question si complexe que les spécialistes aussi bien que le public ont de la difficulté à déterminer ce qui constitue un traitement acceptable ou inacceptable des enfants par ceux qui s’en occupent. Il s’ensuit que les mesures prises pour lutter contre cette violence ont fluctué en réaction au sentiment du public, aux cas qui ont fait la manchette, aux nouvelles lois et aux méthodes de traitement prometteuses. On a déployé de grands efforts dans les définitions tant juridiques que théoriques de la notion de mauvais traitements physiques pour y inclure de nombreuses précisions sur les types d’indications apparentes de violence, sur les comportements qui caractérisent l’enfant maltraité et sur les conséquences psychologiques et développementales insidieuses et durables des façons inacceptables (c’est-à-dire violentes, négligentes et inadaptées) d’élever des enfants (Mash et Wolfe, 1991). En dépit des progrès réalisés, des définitions différentes des mauvais traitements se sont imposées au cours des 20 dernières années. Elles ont été raffinées de façon à refléter les besoins des organisations, des organismes communautaires, des chercheurs ou des législateurs. Les municipalités et les États, par exemple, adoptent souvent une définition largement axée sur les critères de la preuve, afin de faciliter les poursuites contre les délinquants ou les interventions gouvernementales au nom de l’enfant. Néanmoins, ceux qui fournissent des traitements peuvent accorder plus de poids à d’autres critères pour déterminer ce qu’ils considèrent comme de la violence ou de la négligence. Les mauvais traitements à l’endroit des enfants sont définis au sens large comme les blessures physiques ou mentales, l’abus ou l’exploitation sexuels, la négligence ou les mauvais traitements infligés à un enfant de moins de 18 ans par une personne (y compris tout employé d’une installation résidentielle ou tout travailleur s’occupant de l’enfant à l’extérieur de son foyer) responsable du bien-être de l’enfant. Le comportement
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répréhensible doit être évitable et non accidentel. Cette définition générale sépare la violence en deux catégories : – blessure ou déficience légère n’exigeant pas de traitement professionnel et demeurant observable au moins 48 heures ; – blessure ou déficience grave mettant en danger la vie de la victime, entraînant une déficience physique à long terme ou des traitements pour éviter une telle déficience. Selon ces critères généraux, les mauvais traitements physiques comprennent habituellement les brûlures à l’eau ou à la vapeur, les coups portés avec un objet, les punitions corporelles dures, les gifles, les coups de poing et les coups de pied ; les actes de négligence comprennent les manquements aux obligations des personnes responsables de l’enfant, comme le fait de ne pas répondre à ses besoins d’éducation, de supervision, de logement et de sécurité, ainsi qu’à ses besoins médicaux, physiques ou émotifs, de même que l’abandon comme tel. L’ancien Institute for the Prevention of Child Abuse de Toronto a analysé des données de prévalence sur la nature et la description des rapports de mauvais traitements non avérés, soupçonnés et avérés à l’endroit d’enfants, fondées sur l’Ontario Incidence Study of Reported Child Abuse and Neglect (Trocme et al., 1994). L’échantillon de 2 950 dossiers d’enquêtes familiales a été choisi au hasard dans une population totale de 53 000 dossiers ouverts en Ontario en 1993. Dans les deux tiers des cas de l’échantillon (1 898), il y avait eu des enquêtes pour violence ou négligence présumée, portant sur 2 447 enfants en tout. Ces données ont rendu possibles d’intéressantes comparaisons avec les données américaines et ont été révé latrices des caractéristiques des familles en cause. L’analyse des données a montré qu’il y existe à peu près deux fois plus de cas de mauvais traitements à l’endroit d’enfants aux États-Unis qu’au Canada (43/1000 c. 21/1000). Cette différence reflète le pourcentage d’enquêtes sur des cas de présumée négligence dans les deux pays, qui est environ deux fois plus élevé aux États-Unis qu’au Canada, ce qui pourrait être attribuable à l’incidence plus élevée de la pauvreté aux États-Unis ainsi qu’au fait que les services sociaux et les programmes médicaux et éducatifs auxquels de nombreuses familles américaines ont accès sont plus limités (Trocme et al., 1994). En outre, le système ontarien de bien-être de l’enfance est saisi de cas moins nombreux et moins graves de mauvais traitements à l’endroit d’enfants que ses équivalents américains, s’il faut en croire les renseignements descriptifs fournis aux organismes des États et des provinces des deux pays (Trocme et al., 1994).
Causes du problème
Les enfants sont le plus souvent maltraités au berceau et pendant leur petite enfance, quand leurs parents commencent tout juste à assumer leur rôle, puis qu’ils doivent assurer la socialisation de leur progéniture. La violence ou la négligence à l’endroit de l’enfant est aussi fréquemment associée à l’instabilité ou à un éclatement de la famille, ou encore à l’impossibilité prolongée pour elle d’avoir accès à des services
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de soutien et autres services sociaux (Milner, sous presse). S’il en est ainsi, c’est que la violence et la négligence à l’endroit des enfants sont des désordres relationnels, c’est-à-dire des problèmes résultant d’un rapport déficient entre les parents, l’enfant et l’environnement (Cicchetti et al., 1988). L’incapacité des parents de donner à l’enfant des soins aimants, sensibles et aidants est une caractéristique fondamentale des deux formes de mauvais traitements. En outre, l’incompétence (ou la rigidité excessive) des parents est une des principales causes des problèmes ultérieurs de développement de l’enfant, qui précipitent la récurrence de la violence d’une génération à l’autre (National Research Council, 1993). Cela dit, sans rien enlever au rôle critique des parents, on s’entend désormais pour reconnaître que la violence et la négligence à l’endroit des enfants ne sauraient être imputées à un seul facteur ou à une seule cause. Bien au contraire, la docu mentation sur le sujet confirme qu’une combinaison de facteurs – individuels, familiaux, environnementaux et socioculturels – accroissent le risque que l’enfant soit maltraité, tandis que des mécanismes de protection peuvent le prévenir. Les modèles récents construits pour tenter d’expliquer la violence physique et la négli gence privilégient la nature de la relation parents-enfant (p. ex. Bugental, 1993 ; Crittenden et Ainsworth, 1989 ; Milner, 1993) et les facteurs qui influent sur la formation normale d’une relation saine axée sur l’enfant (Cicchetti et al., 1988). Les principaux facteurs environnementaux, familiaux et individuels pertinents sont brièvement décrits dans les pages qui suivent.
Facteurs psychologiques
La majorité des parents qui maltraitent leurs enfants ou qui les négligent ont été élevés dans des familles en proie à de nombreux problèmes, où ils ont été exposés dans leur enfance à des expériences traumatisantes ou négatives, comme la violence et l’instabilité familiales (Wolfe, 1985). Arrivés à l’âge adulte, ils sont souvent incapables de gérer le stress et tendent à éviter les contacts sociaux qu’ils jugent être des sources potentielles de stress. Comme ils ont été insuffisamment ou mal exposés à des modèles et à des appuis parentaux positifs (et qu’ils ne le sont toujours pas) et qu’ils peuvent avoir des capacités intellectuelles et des aptitudes pour régler des problèmes limitées (p. ex. s’ils sont incapables de prendre des décisions judicieuses dans une situation où ils sont chargés d’un enfant), ils peuvent considérer la responsabilité d’en élever un comme difficile et désagréable (Wolfe, 1987). En outre, ces parents se plaignent souvent de symptômes laissant entendre qu’ils ont des problèmes de santé et des difficultés à faire face à la situation qui limitent encore davantage leur aptitude à jouer efficacement un rôle parental. Il s’ensuit qu’un pourcentage élevé des parents dénoncés pour avoir maltraité des enfants sont caractérisés par un manque de compétence, c’est-à-dire par une piètre capacité à avoir des relations interpersonnelles positives, par des aptitudes sociales déficientes et par une capacité d’observation et de jugement médiocre dans leur rôle de parents (Wolfe, 1985).
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Les études sur les caractéristiques psychologiques des parents violents et à haut risque ont mené à d’autres conclusions importantes. En effet, même si ces parents ne souffrent pas toujours de troubles psychiatriques, ils tendent plus que les autres à avoir des capacités d’apprentissage limitées ou à éprouver des problèmes d’immaturité qui risquent de contribuer à la maltraitance de leurs enfants. Ils ont des problèmes d’éveil émotionnel, et il leur est difficile de maîtriser leur colère et leur hostilité ; de plus, ils réagissent très rapidement aux provocations de l’enfant (Vasta, 1982). En outre, les aptitudes et les techniques qu’ils emploient pour élever leurs enfants sont limitées ou inadaptées ; par exemple, leurs façons de stimuler l’enfant ne sont pas appropriées, puisqu’ils ont recours essentiellement à des techniques négatives plutôt qu’à l’encouragement et à l’écoute active (Burgess et Conger, 1978). Qui plus est, ces parents ont souvent des attentes irréalistes et injustes à l’égard des enfants en général et de leur enfant en particulier. Cela reflète une constatation évidente : leurs attitudes et leurs convictions sur la façon d’élever les enfants sont souvent plus axées sur les parents que sur l’enfant lui-même, de sorte que les attentes du parent envers l’enfant sont souvent incompatibles avec ce dont l’enfant est capable (Azar et al., 1984). Enfin, il est reconnu que le mode de vie et les habitudes des parents influent sur la relation qui s’établit entre eux et l’enfant (Harrington et al., 1995). Par exemple, les problèmes liés à la consommation d’alcool ou de drogues, au comportement criminel et à des systèmes de soutien limités sont très répandus chez les parents violents, et ils sapent la prestation des services sociaux et communautaires voulus (Cohen et Densen-Gerber, 1982). Dans les études récentes, on a accordé beaucoup d’attention aux conflits entre adultes, qui sont un autre facteur important qui risque de déclencher de mauvais traitements. Il existe un lien manifeste entre la mésentente et la violence familiale, d’une part, et une incidence élevée d’actes de violence graves à l’endroit d’enfants, d’autre part. (Dans environ 40 % des familles où les partenaires adultes sont violents l’un envers l’autre, on constate aussi des actes de violence envers un enfant à un moment donné dans une période quelconque de 12 mois [Straus et al., 1980].) Parallèlement, des études cliniques récentes sur les relations de couple et les enfants ont prouvé l’existence d’un lien entre les conflits d’adultes et l’intensification des problèmes de comportement des enfants (Hennessy et al., 1994). Cette dernière constatation n’a rien d’étonnant, puisque l’escalade des émotions ou de l’agressivité physique associée aux conflits entre adultes peut aisément se répercuter sur les interactions des parents avec l’enfant, qui peut être pris dans le feu croisé entre ses parents (ou d’autres adultes avec qui il habite), voire précipiter un conflit du couple, en créant du stress pour l’un des parents ou pour les deux. (Par exemple, l’enfant peut désobéir à sa mère, en disant que son père lui a donné la permission.) Plus tard, l’enfant peut être blessé en tentant d’empêcher ses parents de se disputer, d’échapper au conflit ou de poursuivre ses activités ordinaires (Jaffe et al., 1990). Le comportement de l’enfant est aussi un important déclencheur des épisodes de violence, ce qui souligne l’importance d’aider les parents à acquérir très tôt des
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aptitudes et des connaissances efficaces pour savoir élever des enfants. La recherche laisse entendre que les cas de violence à l’endroit des enfants sont le plus souvent précipités par un comportement de l’enfant qui peut être difficile à refréner, mais pas exceptionnel (Herrenkohl et al., 1983). Dans un contexte de ce genre, le compor tement d’un enfant qui pleure, par exemple, peut être une source de tension et de colère pour l’adulte au point d’aboutir à un acte de violence contre l’enfant. Les cas de mauvais traitements physiques sont le plus souvent associés à des compor tements de l’enfant tels que refuser, se disputer et discuter, ainsi qu’à des accidents, de même qu’à des comportements immoraux, dangereux, voire sexuels de l’enfant. Les circonstances précédant les incidents de négligence sont davantage caractérisées par une incompétence chronique des parents (p. ex. refuser de répondre aux besoins familiaux, mal surveiller les enfants, ne pas avoir les connaissances nécessaires, ne pas faire appel comme il convient aux services médicaux, ne pas assurer un environ nement familial sûr et avoir un comportement dangereux) que par le comportement de l’enfant (Herrenkohl et al., 1983). Facteurs socioéconomiques
Les enfants issus de familles défavorisées à faible revenu sont largement surreprésentés parmi les victimes de violence et de négligence à l’endroit des enfants, tant aux ÉtatsUnis (Pelton, 1978) qu’au Canada (Trocme et al., 1994). Il n’est donc pas étonnant que la recherche ait largement confirmé l’existence d’un lien entre les mauvais traitements des enfants et le stress socioéconomique. Le chômage, les perspectives d’emploi et d’éducation limitées, la violence ou l’instabilité familiales et tous les autres facteurs négatifs qu’on associe fréquemment à l’appartenance aux classes inférieures de l’échelle sociale (p. ex. logements insatisfaisants, manque d’intimité, exposition à des niveaux de bruit et de pollution élevés) comptent désormais tous parmi les grands facteurs socioéconomiques qui influent sur l’incidence de la violence à l’endroit des enfants en Amérique du Nord. Par conséquent, même si les mauvais traitements dont les enfants sont victimes ne sont pas exclusivement imputables à la situation socioéconomique de leurs parents, la pauvreté et le stress financier en sont des facteurs importants. De nombreux chercheurs qui étudient les familles des enfants victimes de violence ou de négligence les décrivent en les disant extrêmement stressées par leurs conditions de vie et leurs problèmes personnels. La pauvreté et les difficultés maté rielles peuvent donc être associées aux mauvais traitements dont les enfants sont victimes, sans toutefois les expliquer. Par ailleurs, les familles à faible revenu tendent à être isolées des services de soutien et des ressources nécessaires (Thompson, 1994) ; souvent, elles n’ont pas de groupes de pairs ou d’amis intimes et ne peuvent pas obtenir des services de garderie ou des logements convenables. Ces facteurs jouent un rôle important, quoique indirect, dans la formation précoce et l’établissement sain d’une relation parents-enfant positive.
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Contexte social et culturel
Les mauvais traitements à l’endroit des enfants sont particulièrement répandus dans les familles en proie à des problèmes multiples, où la pauvreté, la psychopathologie des parents, leur alcoolisme et le dysfonctionnement familial influent largement sur le développement de l’enfant (National Research Council, 1993). Comme nous l’avons déjà précisé, bien des familles dans lesquelles on a constaté des mauvais traitements à l’endroit d’enfants sont caractérisées par une situation socioéconomique précaire, des problèmes conjugaux ainsi que de la violence et des conflits familiaux (Wolfe, 1987). Les écueils de ce genre jouent un rôle important – quoique pas déterminant – dans ces mauvais traitements, puisqu’il n’y a ni violence, ni négligence à l’endroit des enfants dans la plupart des familles défavorisées. Toutefois, quand leurs ressources sont insuffisantes, les familles sont plus stressées et plus confuses que les mieux nanties, ce qui peut accroître les risques de mauvais traitements dans leur cas. Par exemple, une étude récente des blessures accidentelles et non accidentelles d’enfants a révélé que la pauvreté, les situations familiales chaotiques et imprévisibles, les logements surpeuplés et les changements d’adresse fréquents sont des facteurs qui contribuent aussi bien aux blessures accidentelles qu’aux mauvais traitements dont les enfants sont victimes (Peterson et Brown, 1994). Ces constatations confirment l’argument selon lequel le risque de formes multiples de mauvais traitements augmente en fonction du nombre de facteurs de stress de cet ordre. L’isolement social des parents violents et négligents est une caractéristique fréquemment soulignée (Thompson, 1994). Ces parents n’ont souvent pas de rapports sociaux significatifs avec une famille étendue, un voisinage, une collectivité et des organismes sociaux capables de leur fournir l’aide nécessaire (Korbin, 1994). Il est donc difficile de détecter la violence et la négligence dans leur cas, et les agents communautaires capables de favoriser des relations parents-enfant saines ont moins de chances d’avoir de l’influence sur eux. En outre, au problème de l’isolement social s’ajoute la possibilité que certains facteurs culturels (p. ex. les façons d’élever les enfants, les distinctions géographiques, les systèmes de parenté, etc.) accroissent – ou réduisent – le risque de violence et de négligence à l’endroit des enfants. Déterminants des relations parents-enfant saines
De nos jours, la relation parents-enfant et son contexte sont considérés comme des facteurs de première importance pour que les familles soient saines et pour prévenir la violence et la négligence à l’endroit des enfants (Cicchetti et al., 1988 ; Martin, 1990). Il s’ensuit que les théoriciens et les praticiens ont peu à peu renoncé au traitement de la violence et de la négligence à l’endroit des enfants dans une optique fondée sur la déviance et la maladie, en lui préférant une approche tenant compte des nombreux facteurs qui influent sur la relation parents-enfant en développement. Le passage à une approche contextuelle comme celle-là, plus axée sur le processus, favorise le renforcement de la compétence des parents et la réduction de la pression sur les familles (Melton et Barry, 1994).
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Les déterminants des relations parents-enfant saines sont les suivants : – la connaissance qu’ont les parents du développement de l’enfant et des exigences de leur rôle ; – la capacité des parents de supporter le stress de s’occuper de jeunes enfants et de favoriser leur développement grâce à une stimulation convenant à leur âge, en leur accordant l’attention appropriée ; – la capacité des familles de former des liens parents-enfant normaux et d’établir précocement des mécanismes de communication positifs ; – la connaissance qu’ont les parents de l’économie domestique, y compris la planification financière de base, le logement et la planification des repas ; – les possibilités de réduire le fardeau que s’occuper d’un enfant représente et de le partager entre les hommes et les femmes ; – l’accès aux services sociaux et aux services de santé. Certaines familles ont tout cela, mais d’autres ont besoin très tôt d’aide et de ressources (Wekerle et Wolfe, 1993). Les familles où le risque de mauvais traitements à l’endroit des enfants est élevé ont bénéficié des progrès dans la prestation des services attribuables à une meilleure compréhension des facteurs susdécrits, comme la documentation le montre (Wekerle et Wolfe, 1993 ; Wolfe et Wekerle, 1993) : • Les interventions collectives et les visites à domicile relativement intensives conçues pour aider les parents et leur montrer comment s’occuper de leurs enfants ou assurer leur stimulation cognitive améliorent les attitudes et le comportement des parents et facilitent l’adaptation des mères qui viennent d’avoir un premier enfant. • Les interventions conséquentes (mais pas nécessairement longues) axées sur le développement de l’enfant améliorent à la fois la capacité cognitive de l’enfant et son adaptation comportementale. • Les programmes d’aide aux familles améliorent la manière générale d’agir de la mère et, dans l’ensemble, l’adaptation personnelle. • Comparativement aux services moins intensifs, les programmes multidimensionnels – ceux qui offrent toute une gamme de services, à la demande des parents, sur une période prolongée – à l’intention des familles à haut risque justifient les efforts et les dépenses supplémentaires qu’on y consacre. Au cours des 15 dernières années, on a conçu plusieurs programmes pour renforcer la relation initiale parents-enfant en aidant les nouveaux parents à relever le défi de s’occuper d’un enfant. Pour la plupart de ces programmes, on a fait appel à des médecins ou à des hôpitaux et au personnel hospitalier pour venir en aide aux participants ; dans bien des cas aussi, on a offert des visites à domicile commençant soit avant la naissance (généralement dans le troisième trimestre de la grossesse), soit peu après l’accouchement. Habituellement, les interventions étaient fondées sur un modèle de consultation dans lequel les questions parentales étaient étudiées dans une optique aidante non structurée plutôt que sur un modèle didactique privilégiant l’éducation des parents ou le nouveau-né.
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Wekerle et Wolfe (1993) ont souligné que les programmes personnalisés d’une durée de un à trois ans (autrement dit ceux qui offraient des visites à domicile) donnent les meilleurs résultats, et qu’ils se sont révélés particulièrement fructueux dans le cas des personnes à haut risque. Bref, l’approche des visites à domicile semble répondre aux besoins d’aide, d’information sur le parentage et d’accès aux ressources des parents. Les réalisations que nous allons maintenant décrire le confirment. Une initiative couronnée de succès Aperçu
Le mérite d’une des plus grandes réalisations en matière de prévention des mauvais traitements à l’endroit des enfants est attribuable à David Olds, qui poursuit encore des travaux entrepris à la fin des années 1970 dans le nord de l’État de New York. (Il travaille maintenant au Kempe Centre for Child Abuse Prevention de Denver, au Colorado.) La recherche était axée sur des nouvelles mères qui présentaient au moins un des facteurs de risque de violence à l’endroit de leur enfant (elles étaient pauvres, adolescentes ou célibataires). Le programme offrait aux participantes des services plus ou moins intensifs de soins des enfants ainsi que des visites à domicile prénatales et postnatales d’une infirmière qui leur fournissait de l’information sur le développement de l’enfant et les aiguillait vers les ressources idoines. L’étude de l’équipe de David Olds a porté jusqu’à présent sur deux gros échantillons de mères, soit 400 dans le cadre du programme d’Elmira, dans l’État de New York, et 1 138 dans celui du programme de Memphis, au Tennessee. Les familles ont reçu en moyenne neuf visites prénatales et 23 visites postnatales, le nombre de visites variant selon les besoins de chaque famille. L’intervention, à caractère général, était complète. Les infirmières ont appris aux mères comment rester en bonne santé, comment créer un environnement sûr et sensible aux besoins de l’enfant et comment prendre des décisions sur leurs études et leur carrière ainsi qu’en matière de planification des naissances.
Mesures prises à l’égard des déterminants non médicaux de la santé Valeurs fondamentales du programme
La prévention des mauvais traitements à l’endroit des enfants et des troubles de développement qui y sont associés est largement fonction de la capacité de la mère à s’adapter aux exigences de son rôle parental, tant durant sa grossesse qu’au cours des premières années de la vie de l’enfant. En outre, la formation d’une relation parents-enfant saine et adaptable est l’un des plus importants facteurs du développement normal de l’enfant ; la relation contribue en outre énormément à prévenir les mauvais traitements à l’endroit de l’enfant, les troubles de comportement
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chez ce dernier et les mécanismes intergénérationnels qui mènent à la violence et aux mauvais traitements à son endroit. Les concepteurs du projet étaient convaincus que les ressources psychologiques de la mère influaient directement sur sa capacité d’assumer son rôle avec compétence. Ils se sont donc efforcés de donner aux mères participantes des possibilités d’accroître leurs connaissances, leurs aptitudes et leur confiance en leur capacité d’élever un enfant et d’atteindre leurs objectifs personnels. L’importance qu’ils accordaient aux ressources psychologiques de la mère se reflète d’ailleurs manifestement dans des interventions conçues pour tirer parti des qualités et des aptitudes de la mère plutôt que simplement pour évaluer ses lacunes ; chacune des participantes s’est vu montrer les techniques nécessaires pour poursuivre son développement et pour améliorer sa relation avec son enfant. Comme les pères étaient généralement absents dans les familles à haut risque à l’étude, le rôle n’a pas été abordé. Cette lacune a été soulignée dans des critiques récentes (Phares et Compas, 1992).
Mesures prises à l’égard des déterminants psychologiques de la santé
Plusieurs stratégies ont été conçues ou renforcées pour favoriser la relation parentenfant en devenir. Elles avaient pour objectif d’aider les mères à améliorer leur compréhension de la santé et du développement de l’enfant et à modifier leurs attentes quant à leur propre développement ; elles étaient censées aussi accroître leur efficacité en tant que mère, en développant leurs qualités et leur confiance en elles-mêmes. Pour aider la femme enceinte à mieux comprendre la santé de l’enfant, l’infirmière qui la visite chez elle lui fournit de l’information détaillée sur les effets pour son enfant, pour sa famille et pour elle-même du gain de poids prénatal, de la nutrition, du repos, du tabagisme et de la consommation d’alcool et de drogues illégales. Après l’accouchement, le programme éducatif est concentré sur de l’information au sujet des problèmes de santé les plus répandus, de ce que s’occuper d’un nouveau-né exige et de la façon de réagir dans chaque cas. Pour aider les femmes à améliorer leur développement personnel, les infirmières leur fournissent de l’information sur des sujets tels que la limitation des naissances et la façon d’atteindre leurs objectifs éducatifs tout en s’occupant de leur enfant. Afin d’améliorer l’efficacité des mères, les interactions d’un programme de ce genre sont conçues pour créer chez les participantes des attentes de réalisations personnelles et pour les renforcer. Premièrement, l’infirmière qui se rend chez la mère l’encourage à apprendre par la pratique, en lui donnant du renforcement positif lorsqu’elle s’acquitte bien de sa tâche, par exemple lorsqu’elle reconnaît les besoins du nouveau-né et qu’elle y répond bien, ou qu’elle élimine un danger pour lui. Deuxièmement, l’infirmière l’aide à s’attaquer à de petits problèmes surmontables de façon propre à accroître les chances qu’elle réussisse à le faire. Cette approche, qualifiée de thérapie axée sur les solutions, est fondée sur un modèle de compétence en solution de problèmes conçu pour aider les sujets à répéter les comportements
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productifs plutôt qu’à éliminer ou à modifier des comportements lacunaires. Elle place la mère au centre du processus, en reconnaissant qu’elle est mieux placée que quiconque pour comprendre sa propre existence et que, avec l’aide des professionnels de la santé, elle peut arriver à trouver des solutions à ses problèmes. Enfin, l’infirmière s’efforce d’établir une relation aidante avec la mère, de façon à accroître l’efficacité du modèle de rôle et à réduire le stress émotionnel de la participante. Mesures prises à l’égard des déterminants sociaux de la santé
L’infirmière établit des liens thérapeutiques étroits avec la mère et les autres membres de la famille durant la grossesse ; il s’agit pour elle d’établir des relations efficaces avec eux en se concentrant sur les qualités des membres de la famille et en s’intéressant aux questions qui les préoccupent. Comme l’établissement de relations de ce genre ne se fait pas du jour au lendemain, les visites à domicile commencent bien avant la naissance de l’enfant et se poursuivent durant deux ans et demi.
Mesures prises à l’égard des déterminants économiques de la santé
Au cours des premières visites, l’infirmière identifie les facteurs de stress pour la famille, évalue les besoins de celle-ci et la met en relation avec les services de santé et les services sociaux qu’il lui faut ; elle l’aide aussi à obtenir de l’aide financière, un logement subventionné, de l’assistance familiale, des suppléments alimentaires, des vêtements, des meubles et des soins médicaux de qualité. L’infirmière assure donc le lien essentiel entre les mères et les praticiens ainsi que les services communautaires qui renforcent les ressources familiales et aident la famille à s’assumer. De plus, elle aide la mère à trouver les programmes de formation professionnelle ou les autres services dont elle a besoin pour être indépendante. Dans certains cas, les fournisseurs de services structurés – ceux des écoles et des organismes de bien-être de l’enfance, par exemple – ont eu une attitude punitive à l’égard des jeunes femmes qui participaient au programme ; certains directeurs d’école ont cherché à interdire à des femmes enceintes ou mères de jeunes enfants de fréquenter l’école, en raison de leur comportement antérieur. En pareil cas, les infirmières chargées des visites à domicile se sont adressées aux écoles locales pour rétablir ces relations, ou bien ont cherché ailleurs des sources d’enseignement et de formation pour leurs clientes.
Raisons de l’initiative
L’approche de David Olds pour prévenir les mauvais traitements à l’endroit des enfants est fondée sur la reconnaissance du fait qu’une grande partie des difficultés les plus insidieuses, insolubles et coûteuses que les parents et les enfants doivent surmonter résultent de comportements maternels négatifs en matière de santé, comme
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de mauvais soins prénatals, une façon dysfonctionnelle de s’occuper du nouveauné et des conditions environnementales stressantes qui nuisent au fonctionnement parental et familial. Ces facteurs sont non seulement des causes directes de violence et de négligence à l’endroit des enfants, mais contribuent aussi à la mortalité infantile, au faible poids à la naissance, aux blessures à l’enfance, à la violence chez les jeunes et à une piètre autonomie économique. En outre, les problèmes de ce genre sont particulièrement répandus chez les enfants nés de mères pauvres, adolescentes ou célibataires (ou de mères qui ont eu plusieurs enfants en quelques années). Même si de nombreux facteurs sociaux et culturels influent sur la santé et le fonctionnement social des enfants et des jeunes, une importante partie de leurs difficultés sont imputables aux comportements de leurs parents pendant la grossesse et dans leur petite enfance. La capacité de quelqu’un d’être un bon parent est souvent sapée par son vécu de violence ou de négligence, d’immaturité psychologique ou de dépression, de conditions de vie stressantes et de mécanismes de soutien social insuffisants durant son enfance. De plus en plus de données scientifiques laissent entendre qu’il est possible d’améliorer les résultats de la grossesse, d’accroître les aptitudes des parents de s’occuper de leurs enfants et de réduire le fardeau de l’aide sociale grâce à des programmes de visites à domicile prénatales et postnatales au cours des premières années de la vie de leurs enfants. Néanmoins, aucun programme n’avait jusqu’alors tenté de réunir tous ces éléments d’une façon sensible aux besoins et aux capacités de différentes familles pour une période suffisamment longue afin qu’un changement durable soit réalisable. L’équipe de recherche de David Olds s’est efforcée d’assurer les services manquants. Entre-temps, les progrès de la théorie et des méthodes de promotion de la santé ont aidé l’équipe de recherche à élaborer sa méthode. Par exemple, la conception du programme a profité des progrès de l’éducation en matière de santé, qui ont rendu possible une démarche en quatre étapes, à savoir : • Aider le sujet à reconnaître qu’un comportement donné aboutira à un résultat désiré en matière de santé. • Enseigner au sujet comment adopter ce comportement. • Convaincre le sujet qu’il peut réussir à adopter ce comportement. • Motiver le sujet à apprécier suffisamment les résultats pour qu’il maintienne son nouveau comportement. Bien que l’éducation en matière de santé ait été essentiellement axée sur les deux premières de ces étapes, le programme conçu par David Olds les a combinées toutes les quatre dans une démarche conçue pour favoriser l’efficacité des sujets.
Acteurs
À la fin des années 1970, une équipe de chercheurs et de professionnels de la santé basée à l’Université Cornell a mis sur pied un programme de visites à domicile pour les mères risquant d’être violentes à l’endroit de leurs enfants. L’équipe originale était composée largement de psychologues, d’infirmières, de travailleurs sociaux ainsi que
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de médecins. Le financement initial du programme a été assuré par la collectivité ainsi que par le gouvernement de l’État et par le gouvernement fédéral. Ses partisans savaient qu’il fallait établir des services à l’intention des familles à haut risque, afin de prévenir un cycle chronique récalcitrant de violence, de négligence et d’autres résultats indésirables pour la santé. Les participantes au programme se comptent aujourd’hui par milliers. Le programme est en œuvre dans trois localités : Elmira, dans l’État de New York ; Memphis, au Tennessee ; et Denver, au Colorado. Les participantes sont des primipares, dont 85 % à faible revenu, célibataires ou adolescentes. Il y a de nombreuses Blanches, Afro-Américaines ou Hispaniques dans chacune des trois localités ; les constatations relatives aux besoins et aux résultats des participantes de chacun de ces groupes seront disponibles dans les évaluations à venir. Le programme est mis en œuvre par des infirmières qualifiées, au niveau du baccalauréat, qui se rendent dans chaque famille au cours de la grossesse de la participante, puis deux fois par mois durant deux ans après la naissance de l’enfant.
Analyse des résultats Mauvais traitements et développement de l’enfant
Les constatations tirées des évaluations de la recherche démontrent que le programme réduit les facteurs généraux de risque de délinquance, de criminalité et de violence (Olds et al., 1986 ; Olds et al., 1994 ; Olds et al., sous presse ; Robinson et al., sous presse). On a constaté en effet une réduction de la consommation de substances nocives par les mères pendant la grossesse (probablement avec des réductions correspondantes des troubles neurodéveloppementaux du fœtus), une réduction de l’incidence des mauvais traitements à l’endroit des enfants, une réduction du nombre d’enfants, une baisse du nombre de grossesses à intervalles rapprochés et une diminution du nombre de cas d’aide sociale chronique. D’autres recherches ont montré que chacun de ces facteurs augmente les risques de troubles de comportement, de délinquance, de criminalité et de violence chez les jeunes ; le rapport est plus évident encore quand plus d’un facteur est présent (Patterson et al., 1989). Les constatations – baisse du nombre de cas confirmés par l’État de mauvais traitements à l’endroit d’enfants et d’actes médicaux dans des cas de blessures et d’ingestion – laissent entendre que le programme a réduit l’incidence de la garde dysfonctionnelle des enfants. Par exemple, dans le cadre du programme d’Elmira, le pourcentage des cas avérés de mauvais traitements à l’endroit d’un enfant du groupe de comparaison était globalement de 10 %, et de 19 % chez les mères présentant les trois facteurs de risque retenus (pauvres, célibataires et adolescentes). Or, les pourcentages correspondants pour les participantes du groupe d’intervention (celles qui avaient eu des visites d’infirmières pendant leur grossesse, puis au cours des deux premières années suivant la naissance de leur enfant) n’était globalement que de 4 %, et de 4 % aussi pour celles qui étaient pauvres, célibataires et adolescentes.
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Au cours de la période de deux ans qui a suivi la fin du programme, les enfants des familles qui avaient eu des visites à domicile étaient beaucoup moins susceptibles que les autres de devoir être soignés par un médecin pour des blessures, des ingestions ou des problèmes sociaux ; ils totalisaient 35 % de moins de visites à l’urgence que ceux du groupe de comparaison. Les résultats étaient à peu près exactement les mêmes dans le cas du programme de Memphis, ce qui laisse entendre, là encore, que les mères qui avaient eu des visites d’infirmières étaient plus au diapason des besoins de leur enfant et créaient des environnements plus sûrs pour eux. Les observations à domicile menées durant le suivi de deux ans de l’échantillon d’Elmira (jusqu’à ce que l’enfant ait 4 ans révolus) ont révélé que les femmes qui avaient eu des visites d’infirmières s’intéressaient davantage à leurs enfants et étaient plus aptes à choisir des formes appropriées de punition et de stimulation pour leurs enfants que leurs homologues du groupe témoin (Olds et al., sous presse).
Facteurs liés au développement personnel de la mère
Le développement personnel des participantes a nettement bénéficié du programme. Au cours des quatre premières années suivant la naissance d’un premier enfant, elles ont eu un taux de grossesses inférieur de 43 % à celui des femmes du groupe témoin. En outre, leur participation à la main-d’œuvre active a été plus élevée de 84 %, et elles ont eu beaucoup moins besoin de prestations d’aide sociale que celles du groupe de comparaison. Il vaut la peine de souligner que ces constatations se maintiennent jusqu’à présent dans le suivi de l’échantillon d’Elmira, qui doit se poursuivre sur une période de 15 ans – déjà aux trois quarts écoulée. (Les constatations sont considérées comme préliminaires jusqu’à ce que toutes les données aient été analysées, mais les résultats obtenus laissent clairement entendre que le cheminement des familles à faible revenu qui ont participé au programme évolue sous d’importants aspects susceptibles de réduire le risque que les enfants soient exposés plus tard à des influences de pairs négatives et à la violence dans leurs relations.) Les facteurs auxquels il est le plus vraisemblable d’attribuer le succès du programme (abstraction faite du dévouement et du travail acharné de l’équipe de recherche) sont largement sociaux. En effet, bien que l’aide financière accordée aux familles participantes ait eu son importance, il semble que les contacts sociaux que les mères ont établis au cours des visites à domicile aient favorisé l’établissement de la relation parent-enfant. Les résultats positifs sont probablement attribuables surtout à l’approche aidante de renforcement de la compétence du programme.
Reproductibilité du programme
Le programme de l’équipe de David Olds a d’abord été mis sur pied à Elmira, dans l’État de New York ; on le reproduit actuellement dans deux autres villes des ÉtatsUnis, et un programme analogue a été lancé à Hamilton, en Ontario. Les données recueillies jusqu’à présent laissent entendre que les résultats sont susceptibles d’être
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reproduits dans différents contextes, même s’il faudrait évaluer soigneusement les différences locales (p. ex. l’importance des appuis politiques, la participation des professionnels de la santé et les ressources communautaires disponibles ; voir la section Interventions stratégiques, plus loin). Les concepteurs du programme insistent sur le fait qu’un des éléments importants à considérer dans la diffusion de cette approche consiste à mieux comprendre comment gérer les différences des contextes locaux, pour veiller à ce que les éléments essentiels du programme soient reproduits.
Financement
Le programme a été largement financé grâce à des subventions des fonds des fiducies des États pour les enfants et du National Institute of Mental Health des États-Unis. Les chercheurs ont présenté des demandes de subventions pour la recherche et pour la mise en œuvre d’un programme expérimental. Leurs demandes ont été évaluées par des pairs et elles ont dû être présentées plusieurs fois, pour que les subventions soient renouvelées. Le personnel a été rémunéré conformément aux échelles de traitement locales. Il est arrivé dans un cas qu’une pénurie d’infirmières dans la région avoisinante amène les hôpitaux à augmenter leurs échelles de traitement, ce qui a incité de nombreuses infirmières chargées de visites à domicile à se retirer du programme pour accepter des emplois mieux rémunérés. Le changement de personnel ainsi causé a eu d’importantes répercussions pour les familles participantes (les progrès réalisés par les familles qui avaient été visitées par la même infirmière durant tout le programme ont été plus marqués que ceux des autres). Évaluation
L’étude menée par l’équipe de David Olds compte parmi les études sur l’effet des visites prénatales et postnatales et de l’intervention à domicile qui ont été évaluées de la façon la plus exhaustive. L’évaluation a été menée par l’équipe de recherche, grâce à une subvention obtenue par concours. Les résultats, présentés sous la rubrique qui précède, ont été publiés depuis le début des années 1980 dans des périodiques dont le contenu est critiqué par des pairs ; un numéro spécial du Journal of Community Psychology sur les points saillants du déroulement et des résultats du programme paraîtra en 1997. L’évaluation du programme comprend des éléments longitudinaux et des recoupements, ainsi que des évaluations des procédés et des résultats ; sa conception est donc probablement l’une des plus rigoureuses et des plus perfectionnées qui soient. Le développement et le comportement des nouveau-nés ainsi que l’adaptation et le comportement des mères sont régulièrement mesurés en fonction de critères établis ; en outre, la nature longitudinale de l’étude rend possible l’analyse ultérieure du développement et du changement au fil des années. L’étude a d’ailleurs été conçue pour qu’il soit possible de déterminer quelles méthodes sont fructueuses et pour qui, puisqu’elle est fondée sur de gros échantillons de familles ayant des caractéristiques
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sociales, culturelles et psychologiques variées. Les dernières analyses ne seront pas menées à bien tant que les données du suivi à long terme des échantillons des trois villes américaines ne seront pas toutes disponibles, mais il est déjà possible, à partir des tendances actuelles, de tirer des conclusions provisoires sur l’impact du programme sur les femmes qui avaient au départ les plus grands besoins (voir Analyse des résultats, plus haut). Enfin, l’évaluation de l’effet durable du programme laisse entendre que la collectivité dans son ensemble en bénéficiera. David Olds a particulièrement étudié son effet sur le recours des familles participantes aux autres services gouvernementaux et sur les coûts correspondants. Il a déclaré que le programme a coûté 3 173 $US par famille pour deux ans et demi d’intervention. Selon lui, les économies réalisées par le gouvernement correspondraient à la différence entre les sommes qu’il a consacrées au groupe d’intervention et les dépenses effectuées pour le groupe de comparaison. Les familles participantes à faible revenu qui avaient eu des visites d’une infirmière au cours de la grossesse et jusqu’à la fin de la deuxième année suivant la naissance d’un premier enfant avaient coûté au gouvernement 3 313 $US de moins par famille que leurs homologues du groupe de comparaison au moment où cet enfant avait atteint l’âge de 4 ans (Olds et al., sous presse). On n’a décrit aucun cas d’épuisement professionnel comme tel dans l’évaluation du programme. Bien au contraire, les infirmières qui avaient déjà travaillé dans des services sociaux et de santé plus traditionnels de leur localité et qui participaient au programme ont dit que leur degré de satisfaction professionnelle s’était accru.
Interventions stratégiques La vision
Sur la foi des recherches effectuées jusqu’à présent, nous pouvons postuler que la violence et la négligence à l’endroit des enfants sont des problèmes dont les causes sont multiples et dont le déroulement peut être réparti en « stades » relativement prédictibles. Bien que les mauvais traitements soient relativement bénins au stade initial, les interactions parents-enfant dépourvues de sensibilité ou inappropriées peuvent rapidement escalader jusqu’à la violence ou à la négligence. Qui plus est, l’incapacité du parent de répondre efficacement dès le départ aux exigences de son rôle (faute d’avoir les ressources, l’aide ou la compétence nécessaires, ou à cause d’un stress écrasant) peut intensifier les pressions sur la relation parent-enfant et accroître d’autant la probabilité d’un comportement violent. Les objectifs de prévention de la violence à l’endroit des enfants devraient par conséquent consister à : – accroître la capacité des parents de s’adapter aux exigences externes et de répondre aux besoins de développement et de socialisation de l’enfant ; – réduire le stress subi par la famille. Les pratiques de socialisation saines qui sont sensibles aux changements de la situation et du développement de l’enfant le protègent contre les influences stressantes ou négatives de son environnement ; elles réduisent aussi la nécessité, pour les parents,
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d’avoir recours à des méthodes fondées sur le pouvoir pour maîtriser leurs enfants ou pour négliger leurs besoins. Compte tenu du rôle important que les collectivités et les milieux aidants jouent afin de répondre aux besoins primaires des enfants et de leur famille, les stratégies de prévention des mauvais traitements à l’endroit des enfants devraient être inspirées par une éthique d’inclusion et de soutien plutôt que simplement d’interception et de protection. Ce genre d’approche est compatible avec la tradition canadienne de volontariat et d’aide mutuelle, bien qu’on l’ait rarement appliquée à la protection de l’enfance. Il faudra bien planifier et agir avec diligence pour concrétiser cette vision en veillant à ce que les collectivités et les familles reçoivent le soutien voulu au moment optimal. Atteindre les résultats désirés ne sera pas facile ; on n’y arrivera qu’au prix du renversement de tendances sociales puissantes dans les milieux où le risque est le plus élevé, ainsi que dans l’ensemble de la nation.
La stratégie Rôle du gouvernement fédéral
Même si les mesures prises par le gouvernement fédéral ne suffiront pas à elles seules à instaurer les transformations sociales radicales qui s’imposent pour que les enfants reçoivent la protection et l’aide qu’il leur faut, les changements nécessaires seront impossibles sans une réforme de la politique fédérale. Les services fondamentaux complets dont les enfants à risque et leur famille ont besoin – comme d’ailleurs les changements correspondants de l’aide aux paliers provincial et communautaire – devront être établis grâce à une réforme des mécanismes fédéraux, sous la direction des autorités fédérales. À cette fin, le rôle du gouvernement fédéral dans les efforts de réduction de l’incidence de la violence et de la négligence à l’endroit des enfants au Canada devrait consister à favoriser des programmes : – suffisamment intensifs et variés pour fournir aux collectivités le soutien et les ressources nécessaires à la mise en place de programmes complets basés sur le milieu, centrés sur l’enfant et axés sur la famille ; – suffisamment souples pour que les efforts déployés en ce sens puissent être adaptés de façon à répondre aux besoins des collectivités rurales, urbaines, culturelles et ethniques de toutes les régions du pays, y compris les collectivités autochtones, en tirant parti de leurs atouts. Cette souplesse devrait tenir compte de l’évolution des méthodes à mesure que la stratégie est mise à l’épreuve et qu’elle se transforme en conséquence. Le gouvernement fédéral devrait aussi adopter une nouvelle politique reflétant les objectifs des programmes de lutte contre la violence et la négligence à l’endroit des enfants de nombreux organismes fédéraux et provinciaux, afin de favoriser la participation de différents groupes professionnels et de divers administrateurs et praticiens.
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Dans ce contexte, il devrait charger des centres provinciaux et régionaux de mener à bien une grande initiative de recherche. Les structures de financement devraient être simplifiées pour qu’il soit possible d’élaborer un plan interorganismes unifié pour la mise en œuvre de programmes de protection des enfants et de soutien des familles basés sur le milieu. Les politiques gouvernementales devraient refléter l’évolution vers l’universa lisation des visites prénatales et néonatales à domicile, sur une base volontaire pour les familles participantes. La première étape en ce sens consisterait à accorder à de nombreux programmes pilotes coordonnés un financement suffisant pour qu’il soit possible de faire des évaluations des résultats et des effets sur divers secteurs de la population. Les programmes de ce genre ne tenteraient pas de réaffirmer l’efficacité (déjà bien établie) des visites à domicile pour prévenir les mauvais traitements à l’endroit des enfants, mais plutôt de déterminer ce qu’il faut (au palier fédéral) pour établir et administrer un système national de visites de ce genre. Stratégie nationale
Comme la recherche de David Olds l’a montré, c’est sur le milieu et la collectivité qu’il faut faire porter les efforts en vue de réduire l’incidence de la violence et de la négligence à l’endroit des enfants ; toutefois, les mesures prises à cet égard doivent être guidées et appuyées par les autres ordres de gouvernement. Une stratégie nationale de prévention des mauvais traitements à l’endroit des enfants devrait favoriser l’engagement et la participation communautaires à la protection de l’enfance et au développement sain de l’enfant. Les principes généraux d’une telle stratégie sont les suivants. La stratégie nationale devrait renforcer et soutenir les milieux urbains, suburbains et ruraux de façon à répondre aux besoins des enfants et des familles. Il semble exister une relation inverse entre la classe sociale et la dépendance des ressources du milieu ; bien des familles et des personnes pauvres dépendent en effet davantage des ressources locales que leurs homologues de la classe moyenne, et pourtant, les décideurs et les spécialistes bien nantis tendent à sous-estimer l’importance du milieu pour les familles défavorisées. Bien des familles qui maltraitent leurs enfants sont cantonnées dans des milieux qui s’appauvrissent et qui attirent des éléments antisociaux de la population tout en repoussant et en chassant les familles fonctionnelles. La revitalisation de ces milieux n’est possible que grâce à des investissements, des services sociaux, une volonté politique et une présence policière (Barry, 1994). Les collectivités vont devoir réclamer des ressources pour préserver et améliorer leurs milieux (surtout les quartiers et les voisinages à faible revenu). Il est temps de commencer à accorder autant d’attention à l’environnement des humains qu’à celui du poisson et de la faune. La valeur et l’avantage économique des services à domicile sont bien établis dans les études sur la question. Les visites à domicile – surtout celles qui commencent avant que les mauvais traitements ne se manifestent – sont bénéfiques aussi bien pour les enfants que pour les mères ; elles réduisent la violence et la négligence à l’endroit
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des enfants. En général, les services de ce genre devraient fournir aux parents une formation qui combat les idées fausses et les attentes irréalistes quant aux capacités des jeunes enfants ; ils devraient leur offrir d’autres solutions que les punitions corporelles et leur montrer des activités prosociales favorables au développement auxquelles ils peuvent se livrer avec leurs enfants. La prestation des services devrait être repensée pour qu’il soit aussi facile d’offrir aux familles des services de prévention des mauvais traitements à l’endroit des enfants qu’il l’est actuellement de leur retirer leurs enfants pour les placer en foyer nourricier. Le système actuel de bien-être des enfants est conçu essentiellement pour les protéger plutôt que pour venir en aide aux familles. Cela revient à ne rien faire pour aider les nombreux parents qui risquent de perdre leur maîtrise aux dépens de leurs enfants et qui pourraient bénéficier d’une intervention précoce. Les décideurs doivent reconnaître que l’intervention après coup est rarement satisfaisante pour l’enfant, pour la famille et pour la collectivité. En outre, il y a souvent un grand écart entre le genre de traitement dont les familles ont besoin et ce qu’on leur fournit dans la pratique. Les familles devraient avoir plus facilement accès à de l’aide avant une crise ou une tragédie. Même si la protection et le bien-être de l’enfant exigent des lignes directrices rigoureuses et des pouvoirs légaux, le développement de l’enfant est renforcé si sa famille est stable, si ceux qui en prennent soin ne changent pas et s’il vit dans une famille et une collectivité aidantes. Les relations positives avec leurs parents donnent aux enfants des possibilités d’apprentissage qui préviennent les troubles de développement et favorisent une saine adaptation. En général, les enfants maltraités sont aussi ceux qui n’ont pas eu accès aux conseils aidants les plus susceptibles de les faire progresser ; ils vivent dans des conditions extrêmement stressantes et n’ont accès qu’à peu de ressources. Les environnement sociaux aussi stressés et aussi peu soutenus méritent la plus grande priorité dans les politiques sociales, car les enfants qui en sont issus sont les moins capables de tolérer les mauvais traitements ou de survivre à d’autres perturbations de leur développement. Les stratégies de prévention de la violence et de la négligence à l’endroit des enfants fondées sur la promotion de la santé publique et individuelle sont prometteuses et méritent d’être développées. La stratégie nationale ne devrait pas saper les services existants de traitement et d’intervention précoce ; toutefois, elle devrait être fondée sur une approche plus large et mieux structurée. Les mesures gouvernementales d’incitation financière, par exemple, devraient favoriser la prévention et le traitement plutôt que la détection, les enquêtes et le placement en foyer nourricier. La politique de promotion de la santé devrait répondre aux deux besoins primaires suivants : 1) la nécessité, pour toutes les familles, d’avoir accès à un certain niveau de soutien et d’éducation (une stratégie de « renforcement » plutôt que d’interception) ; et 2) la nécessité de maximiser les qualités développementales de chaque enfant, grâce à une stimulation axée sur lui à laquelle participent les personnes responsables au premier chef de s’en occuper. L’élaboration des programmes devrait être combinée avec les mesures de promotion de la santé, tout en étant axée sur les moyens de fournir aux parents de l’information
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sur le développement des enfants et sur leur rôle qui soit facile à comprendre, pratique et accessible pour toutes les populations de parents actuels et potentiels. Dans ce contexte, il faudrait particulièrement s’intéresser aux influences sociétales qui contribuent à la violence et à la négligence à l’endroit des enfants, surtout dans les circonstances où les familles sont exposées à des dangers pour la santé, à des conflits et aux effets néfastes de la pauvreté. Une perspective interculturelle de ce genre sur la prévention des mauvais traitements à l’endroit des enfants ne serait plus axée sur l’individu et la famille, mais plutôt basée sur les conditions sociétales et culturelles qui atténuent ou exacerbent les problèmes familiaux. Ceux qui élaborent les politiques doivent aussi réclamer l’établissement de « niveaux minimums de soin » dans leurs collectivités, compte tenu de la diversité culturelle de la population et de la part disproportionnée de la responsabilité des enfants qui est assumée par les femmes. Divers autres facteurs influent eux aussi sur la mesure dans laquelle les parents sont disposés et aptes à participer à des initiatives d’intervention précoce. Cela dit, dans le contexte actuel, l’utilisation de matériel éducatif approprié, le recours aux fournisseurs de soins de santé traditionnels et l’emploi d’activités axées sur l’enfant ainsi que de modèles d’intervention qui privilégient les qualités plutôt que les lacunes individuelles sont freinés par l’importance que notre société accorde à l’autonomie et à l’intimité de la famille. Il faut que les mauvais traitements à l’endroit des enfants soient considérés comme un problème collectif du milieu et non simplement comme un problème de familles et de parents pris individuellement. Donner aux collectivités les plus défavorisées les moyens de s’assumer reste un défi. Les milieux qui ont le plus besoin de programmes de soutien familial et social pour réduire l’incidence des mauvais traitements à l’endroit des enfants sont généralement composés de personnes les moins bien placées pour se définir de manière à faciliter de tels efforts. Il faut absolument consentir des investissements extraordinaires dans les collectivités où le stress est élevé et les ressources limitées. À cet égard, deux faits sont criants : • Les besoins des minorités ethniques méritent qu’on s’y intéresse davantage. Si nous voulons définir les risques et les atouts particuliers de différents groupes culturels et ethniques afin de planifier des services sensibles aux différences ethniques et culturelles, il faudra faire des recherches. Néanmoins, même si la recherche sur les enfants maltraités des collectivités et des minorités ethniques fait généralement défaut, il existe suffisamment de données pour justifier la mise en œuvre et l’évaluation de méthodes d’intervention et de prévention adaptées aux différentes cultures. • Les jeunes adultes, particulièrement les parents adolescents, sont en cause dans une forte proportion des rapports dénonçant de mauvais traitements à l’endroit des enfants ; l’aide qu’ils reçoivent est comme toujours habituellement insuffisante. Des services de prévention conçus à l’intention des jeunes pourraient les aider à acquérir les attitudes et les connaissances nécessaires afin qu’ils puissent reconnaître et établir des relations saines ; les programmes éducatifs nécessaires pourraient être axés sur les aptitudes pratiques qu’il faut pour résoudre les conflits sans exercer un pouvoir. Il vaut la peine de concevoir, de mettre en œuvre et d’évaluer dans
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les établissements d’enseignement, les collectivités et les organismes de service des programmes de prévention conçus pour renseigner les adolescents à faible et à haut risque sur des questions telles que l’emprise et le pouvoir dans les relations, la violence sexuelle et physique ainsi que les valeurs familiales et les principes à respecter pour élever des enfants (Wolfe et al., 1995). Il faudrait entreprendre une analyse économique des mauvais traitements à l’endroit des enfants à laquelle participeraient tous les organismes gouvernementaux intéressés, afin de mieux évaluer le coût réel de ces mauvais traitements pour la société ainsi que les économies rendues possibles grâce aux programmes de visites à domicile. Aucun organisme du domaine de la santé ou gouvernemental ne peut justifier selon des critères de recouvrement des coûts que les dépenses des services de visite à domicile soient intégralement subventionnées. Il n’y a donc guère d’intérêt pour un organisme ou une organisation du secteur de la santé à subventionner des programmes de ce genre, même s’ils représentent des économies potentielles considérables pour le gouvernement ou pour la société dans son ensemble. En outre, le coût de la correction des problèmes graves liés au fait que les enfants ont été mal élevés est prohibitif, alors que les dépenses consacrées aux services de prévention non seulement préviennent la violence à l’endroit des enfants, mais sont aussi bénéfiques à d’autres titres pour les individus et les collectivités. (Il faudra d’autres analyses pour confirmer ces conclusions.) Enfin, certaines indications tendent à démontrer que le coût de prestation des services aux familles les plus défavorisées pourrait être réduit en préparant mieux les parents à assumer le rôle d’élever les enfants ainsi qu’en leur offrant une gamme plus étendue de services adaptés à leurs besoins. Bien entendu, un modèle d’intervention comme celui-là suppose que les intervenants soient formés pour aider les familles quand elles en ont besoin, plutôt que pour détecter des problèmes et pour intervenir après coup. Les intervenants doivent être sensibles aux préférences individuelles, communautaires et culturelles, ainsi qu’aux facteurs socioéconomiques auxquels se butent la majorité des familles défavorisées. Ils doivent aussi être disposés à accepter les limites de leurs clients et à respecter leurs différences culturelles. Cette approche nécessite des investissements plus importants et plus précoces dans le développement familial, mais elle donnera sûrement de meilleurs résultats, à moindre coût que le système de réaction actuel. Puisqu’un grand nombre de facteurs causant des mauvais traitements à l’endroit des enfants sapent aussi la santé et le fonctionnement de la majorité des familles, la stratégie nationale devrait s’attaquer aux causes de la violence et de la négligence à l’endroit des enfants dans une optique de santé publique plutôt que d’intervention tertiaire. La stratégie nationale ne devrait pas miner les efforts actuels de traitement et d’intervention précoce ; elle devrait plutôt être conçue pour s’attaquer aux problèmes des mauvais traitements à l’endroit des enfants dans une optique plus large et plus structurelle. À cette fin : • Il faut privilégier l’éducation du public et des décideurs en bâtissant des coalitions avec les instances politiques intéressées pour que les initiatives d’intervention et de prévention précoces obtiennent les nombreux appuis dont elles ont besoin ;
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• Il faut concevoir des stratégies de communication efficaces pour faire connaître le programme aux échelons populaire, communautaire et législatif. Conclusions
Dans le meilleur des mondes, une stratégie nationale devrait être complète et exercer son action sur plusieurs fronts à la fois. Toutefois, en ce qui concerne la protection de l’enfance, la réalité et le manque d’investissements consentis jusqu’à présent dans la promotion de la santé des enfants et des familles fait qu’il est illusoire de s’attendre au niveau nécessaire de coordination et d’appui des différents ordres de gouvernement. Par conséquent, il ne s’agit pas tant de savoir quel est le plan d’action optimal, mais plutôt de trouver ce que nous pouvons faire avec les moyens dont nous disposons et de décider par où commencer. De toute évidence, les ministères, les organismes publics du secteur de la santé et les organismes non gouvernementaux ont des vues bien différentes à cet égard. Tous les décideurs, législateurs, administrateurs et directeurs d’organismes devraient se servir à cette fin des ressources dont ils peuvent le plus facilement disposer, tout en s’efforçant d’unir leurs efforts avec ceux de leurs homologues qui ont des buts et des responsabilités compatibles. Il est préférable de partir de la base, en demandant aux gens du milieu et à leurs dirigeants de quelle façon on pourrait faire de leur quartier ou de leur voisinage un meilleur endroit où vivre et élever des enfants en sécurité (Barry, 1994). Les données tirées des différentes expériences de visites à domicile à des parents défavorisés ont montré que des programmes complets, intensifs et de longue durée améliorent les résultats de la grossesse et des premiers stades de l’éducation des enfants, tout en réduisant les risques de dépendance de l’aide sociale, de troubles de comportement et de violence. Ces programmes coûtent cher, mais les données préliminaires laissent entendre que le coût à long terme de ne pas fournir les services nécessaires dépasse celui de l’investissement initial pour les assurer. Il est possible de transformer radicalement la capacité d’établir des relations avec autrui, même chez les enfants et les jeunes qui ont grandi dans un climat de violence. Quand une personne cesse d’avoir un comportement coercitif et coopère, le changement – l’exception plutôt que la règle – est souvent attribuable à l’influence de personnes saines non violentes, comme des enseignants, des parents nourriciers et des grands-parents, ainsi qu’aux qualités et aux ressources de l’enfant ou du jeune lui-même (son intelligence, les bonnes écoles qu’il fréquente et ses autres possibilités d’apprentissage). Compte tenu de leur incidence, les mauvais traitements à l’endroit des enfants peuvent être comparés aux autres grands dangers pour la santé publique, comme le sida, les maladies infantiles, la pauvreté et les familles dangereuses. Il est donc logique, à long terme, qu’on s’attaque aux causes du problème dans une optique de santé publique plutôt que d’intervention tertiaire. L’efficacité d’un modèle de prévention comme celui-là est démontrée dans des rapports d’études menées dans les pays scandinaves. La Suède, la Finlande et
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le Danemark ont tous trois des programmes d’envergure nationale ressemblant aux programmes de soutien des familles qu’on étudie actuellement aux ÉtatsUnis. En outre, ces trois pays bénéficient d’un régime d’assurance universelle, de l’enseignement général et professionnel gratuit, de congés de perfectionnement professionnel payés, d’allocations annuelles pour chaque enfant de moins de 16 ans et d’une indemnité de six mois pendant la grossesse pour les mères qui ne font pas partie de la population active, de services maternels de santé pour les enfants, de soins de santé primaires subventionnés et d’autres avantages. Pransky (1991) a résumé les résultats de ces avantages en ces termes : • Les soins prénataux des femmes enceintes commencent dans 95 % des cas avant la fin du quatrième mois de la grossesse, comparativement à moins de 85 % aux États-Unis et au Canada. • Moins de 4 % des mères ont moins de 20 ans à la naissance de leur premier enfant, comparativement à 10 % aux États-Unis et à 26,6 % au Canada. • Le nombre d’enfants morts de troubles respiratoires se situe entre 22 et 67 pour 100 000, comparativement à 107 pour 100 000 aux États-Unis et à 20 pour 100 000 au Canada ; • L’incidence des handicaps mentaux légers est de huit à dix fois inférieure dans ces pays à ce qu’elle est aux États-Unis et au Canada. • Le nombre de cas de violence à l’endroit des enfants y est environ huit fois moins élevé qu’aux États-Unis et quatre fois moins élevé qu’au Canada. En outre, les dépenses consacrées aux soins de santé se situent dans les pays scandinaves entre 7 % à 10 % du produit national brut (PNB) . Au Canada, elles sont comparables (9,7 %) ; aux États-Unis, elles s’élèvent à 11 % du PNB. Ces coûts comparatifs devraient figurer en bonne place dans une analyse coûts-avantages de l’approche nord-américaine à l’égard de la façon d’élever les enfants et des problèmes familiaux. Par exemple, d’après les statistiques américaines (il n’existe pas encore de données canadiennes à ce sujet) : • En 1987, l’aide aux familles fondées par des adolescents a coûté environ 19 milliards de dollars américains à l’échelle nationale. • Presque 66 % des filles de mères célibataires finissent par être prestataires de l’aide sociale. • En moyenne, il coûte presque deux fois plus d’assurer des soins prénatals de qualité aux enfants à haut risque qu’aux enfants normaux à faible risque (Pransky, 1991). En dépit de leurs doutes, les collectivités, les organismes et les spécialistes reconnaissent parfois que la prévention présente plus d’intérêt que le simple traitement. Cet intérêt est d’ailleurs confirmé par deux faits. Premièrement, il n’y aura jamais suffisamment de spécialistes compétents, de policiers ni de prisons pour répondre aux besoins en matière de santé mentale et de justice pénale de la plupart des collectivités. Deuxièmement, les interventions actuelles dans les domaines de la santé mentale, du bien-être de l’enfance et de la justice pénale cherchant à retirer les enfants à risque ou les personnes dangereuses de leur milieu afin d’en établir l’équilibre ne sont tout simplement pas très efficaces.
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Ces faits expliquent l’intérêt des stratégies conçues pour accroître la compétence, l’adaptativité et les autres conditions favorables. Cela dit, bien que les programmes de prévention soient généralement désirables et efficaces, certains sont plus fructueux que d’autres. L’examen de la documentation pertinente met en évidence les éléments des programmes qui ont connu un succès manifeste. En général, les programmes de prévention sont particulièrement efficaces quand ils ciblent les individus à haut risque avant qu’ils aient des comportements dangereux, en leur offrant des programmes de qualité fondés sur des bases théoriques solides. En outre, plus le programme est complet et mieux il est intégré à la collectivité et à la population visées, plus il a des chances de succès. Les problèmes se manifestent habituellement en combinaison plutôt qu’isolément, et les programmes qui tiennent compte de cette réalité dans leur conception tendent à avoir plus de succès que les autres. Enfin, nous devons nous demander si nos collectivités sont contraintes à adopter une approche de gestion de crise pour répondre aux besoins des enfants et des familles, et si nous ne devrions pas plutôt y préférer une planification judicieuse, en offrant aux intéressés l’accès à l’aide dont ils ont besoin dans les périodes de transition critiques. Les lois sur le bien-être de l’enfance ont été conçues uniquement dans une optique de protection. Autrement dit, ceux qui fournissent les services sont souvent forcés d’attendre jusqu’à la dernière minute avant de tenter d’intervenir. Entre-temps, de nombreuses familles à risque restent indétectées. Il y a bien sûr des exceptions à la règle dans certains aspects de la médecine et de l’éducation ainsi que dans d’autres services destinés à la majorité saine de la population, celle qui n’a pas de problèmes. Par contre, les spécialistes qui travaillent avec des enfants en difficulté ou des parents à risque sont devant une tâche dont ils ne peuvent s’acquitter convenablement avec le système actuel et les ressources disponibles. Ils interviennent trop peu et trop tard, et les fournisseurs de services sont souvent victimes du stress et de l’épuisement professionnel et physique résultant du fait de jouer constamment les pompiers. Bref, un changement d’optique radical s’impose ; nous devons reconnaître la contribution de chaque membre de la société et l’intérêt d’encourager les familles à assumer leurs responsabilités, en cessant de les punir quand elles échouent. La théorie qu’on préconise actuellement dans les domaines de la santé physique et mentale n’est plus axée sur l’efficacité, les coûts, la sécurité, la protection ni la déviance, mais bien sur des stratégies et des programmes de promotion de la santé qui privilégient le changement positif, offrent des possibilités et renforcent la compétence des gens, pour leur permettre de développer leur potentiel. Cette optique reflète l’importance d’atteindre l’équilibre entre les capacités de l’individu (ou de groupes d’individus) et les défis et les risques de l’environnement. Dans le domaine des soins de santé, ce grand changement d’optique aura des conséquences d’envergure, car le nouveau modèle transformera la façon des gens de penser à la santé, à l’organisation et au déroulement du quotidien, à la répartition des ressources sociales et à la façon de prendre les autres décisions en matière de politique sociale. C’est une optique pleine de promesses pour la santé mentale et pour l’avenir des enfants et des jeunes.
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David A. Wolfe, Ph. D., est professeur de psychologie et de psychiatrie à la University of Western Ontario (London) et membre fondateur du Centre for Research on Violence Against Women and Children de London. Ancien directeur de la recherche à l’Institute for the Prevention of Child Abuse de Toronto, il a travaillé à l’élaboration d’orientations et à la recherche touchant la prévention de la violence ; son engagement a mené à la mise sur pied du Youth Relationships Project. Parmi ses nombreuses publications on note : Children of Battered Women (en collaboration avec P. Jaffe et S. Wilson ; Sage, 1990), Child Abuse : Implications for Child Development and Psychopathology (Sage, 1987), Preventing Physical and Emotional Abuse of Children (Guilford, 1991), Youth Relationships Manual : A Group Approach with Adolescents for the Prevention of Woman Abuse and the Promotion of Healthy Relationships (en collaboration avec C. Wekerle, R. Gough, D. Reitzel-Jaffe, C. Grasley, A.L. Pittman, L. Lefebvre, J. Stumpf ; Sage, 1996) et Alternatives to Violence : Empowering Youth to Develop Healthy Relationships (en collaboration avec C. Wekerle et K. Scott ; Sage, 1997).
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Bibliographie Azar, S.T., Robinson, D.R., Hekimian, E. et Twentyman, C.T., 1984, « Unrealistic expectations and problem-solving ability in maltreating and comparison mothers », Journal of Consulting and Clinical Psychology, 52, p. 687-691. Barry, F., 1994, « A neighbourhood-based approach : What is it ? », dans G.B. Melton et F.D. Barry (dir.), Protecting Children from Abuse and Neglect : Foundations for a New National Strategy, New York, Guilford, p. 14-39. Bugental, D.B., 1993, « Communication in abusive relationships : Cognitive constructions of interpersonal power », American Behavioral Scientist, 36, p. 288-308. Burgess, R.L. et Conger, R., 1978, « Family interactions in abusive, neglectful, and normal families », Child Development, 49, p. 1163-1173. Cicchetti, D., Toth, S. et Bush, M., 1988, « Developmental psychopathology and incompetence in childhood : Suggestions for intervention », dans B.B. Lahey et A.E. Kazdin (dir.), Advances in Clinical Child Psychology, New York, Plenum, 11, p. 1-77. Cohen, F.S. et Densen-Gerber, J., 1982, « A study of the relationship between child abuse and drug addiction in 178 patients : Preliminary results », Child Abuse and Neglect, 6, p. 383-387. Crittenden, P.M. et Ainsworth, M.D.S., 1989, « Child maltreatment and attachment theory », dans D. Cicchetti, et V. Carlson, V. (dir.), Child Maltreatment : Theory and Research on the Causes and Consequences of Child Abuse and Neglect, Cambridge, Cambridge University Press, p. 432-463. Harrington, D., Dubowitz, H., Black, M.M. et Binder, A., 1995, « Maternal substance use and neglectful parenting : Relations with children’s development », Journal of Clinical Child Psychology, 24, p. 258-263. Hennessy, K.D., Rabideau, G.J., Cicchetti, D. et Cummings, E.M., 1994, « Responses of physically abused and nonabused children to different forms of interadult anger », Child Development, 65, p. 815-828. Herrenkohl, R.C., Herrenkohl, E.C. et Egolf, B.P., 1983, « Circumstances surrounding the occurrence of child maltreatment », Journal of Consulting and Clinical Psychology, 51, p. 424-431. Jaffe, P., Wolfe, D. et Wilson, S., 1990, Children of Battered Women, Thousand Oaks (CA), Sage. Korbin, J., 1994, « Sociocultural factors in child maltreatment », dans G.B. Melton et F.D. Barry (dir.), Protecting Children from Abuse and Neglect : Foundations for a New National Strategy, New York, Guilford, p. 182-223. Martin, B., 1990, « The transmission of relationship difficulties from one generation to the next », Journal of Youth and Adolescence, 19, p. 181-199. Mash, E.J. et Wolfe, D.A., 1991, « Methodological issues in research on physical child abuse », Criminal Justice and Behaviour, 18, p. 8-29. Melton, G.B. et Barry, F.D., 1994, « Neighbors helping neighbors : The vision of the U.S. advisory board on child abuse and neglect », dans G.B. Melton et F.D. Barry (dir.), Protecting Children from Abuse and Neglect : Foundations for a New National Strategy, New York, Guilford, p. 1-13. Milner, J., sous presse, « Characteristics of abusive parents », dans D.A. Wolfe, R. McMahon et R. DeV. Peters (dir.), Child Abuse : New Directions in Prevention and Treatment Across the Lifespan, Thousand Oaks (CA), Sage. Milner, J.S., 1993, « Social information processing and physical child abuse », Clinical Psychology Review, 13, p. 275-294. National Research Council, 1993, Understanding Child Abuse and Neglect, Washington (DC), National Academy Press.
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Lutter contre l’abus sexuel à l’endroit des enfants Christopher Bagley, Ph. D., et Wilfreda E. Thurston, Ph. D. Faculté des sciences sociales et Faculté de médecine Université de Calgary
Résumé Il semble que l’abus sexuel à l’endroit des enfants soit courant dans la société canadienne ; il faut donc en déduire que plusieurs enfants ont déjà été victimes et devraient recevoir un soutien adéquat pour empêcher des abus additionnels et prévenir les séquelles. Les enfants à risque devraient être protégés afin de ne jamais être victimes. Les enfants comptent sur les adultes pour l’application des politiques ; malheureusement, un nombre appréciable d’adultes sont aux prises avec des problèmes sociaux, psychologiques ou physiques parce qu’ils ont eux-mêmes été victimes de violence au cours de leur enfance, y compris de violence sexuelle. C’est particulièrement le cas des mères et, à ce jour, il n’y a eu que peu de recherches sur l’impact de cette violence sur la relation mère-enfant. Les recherches et les services aux victimes sont encore déficients, et c’est compréhensible : jusqu’à tout récemment, l’abus sexuel était généralement perçu comme un problème personnel, de nature clinique ; ce n’est que depuis peu qu’on le définit comme un problème social. La fréquence, la nature, les sources et les conséquences des abus ne sont pas les mêmes pour les garçons et pour les filles. Les répercussions à long terme dépendent du contexte familial et social de l’enfant ; la gravité de l’abus ne semble donc pas avoir une influence directe, bien que les répercussions soient plus marquées si l’abus se prolonge dans le temps. Les interventions maladroites, dictées par l’indignation ou le désir de punir, peuvent toutefois aggraver les conséquences de l’abus. La dénonciation de l’agression, l’évaluation de la victime et la collecte d’éléments de preuve peuvent également s’avérer traumatisantes. En ce qui concerne l’évaluation, elle devrait non seulement porter sur l’abus sexuel, mais aussi sur la négligence et toute forme de violence concomitante. Il n’est toutefois pas nécessaire de procéder systématiquement à un examen médical. Par ailleurs, il semble futile de chercher
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des facteurs de risque ayant une grande valeur prévisionnelle. Ces facteurs incluent, entre autres, les troubles de communication, la maladie mentale, le remariage de la mère, la parentification, la pauvreté et l’alcoolisme. Pour bien comprendre les séquelles de l’abus, il faut commencer par caractériser le développement normal de l’enfant, sa vulnérabilité et sa résilience à divers âges, en tenant compte des normes culturelles. Les troubles somatiques, la dissociation, les problèmes alimentaires, l’état limite de trouble de la personnalité et l’automutilation délibérée sont plus fréquents chez les victimes d’abus que chez les autres enfants, mais seule une minorité d’entre elles développent des problèmes aussi graves. Par exemple, peu de victimes d’abus se livrent plus tard à la prostitution, mais la plupart des adolescents prostitués ont été agressés sexuellement pendant leur enfance. La majorité des adolescents qui ont des troubles de comportement ou des réactions antisociales sont aussi des survivants d’abus, mais cette étiologie est souvent négligée. Les programmes d’intervention auprès des adolescents qui se livrent à la prostitution n’ont eu qu’un succès limité à ce jour et, dans les faits, la majorité des programmes de traitement pour les victimes d’abus n’ont jamais été sérieusement évalués. Incontestablement, la forme de prévention la plus courante est l’éducation en milieu scolaire c’est-à-dire que le poids de la prévention est placé presque entièrement sur les enfants. La plupart des programmes reposent sur des bases théoriques et des messages fondamentalement erronés et produisent des résultats inopinés. De surcroît, il n’y a aucune preuve que cette méthode de prévention primaire fonctionne. Les seconds maris et les adolescents qui risquent de devenir agresseurs ont, jusqu’à présent, reçu peu d’attention ; à vrai dire, il n’y a pas assez de recherches sur les agresseurs. Les conclusions des recherches menées auprès des adultes ayant été victimes d’abus dans leur enfance suggèrent de nouvelles avenues de prévention, par exemple : les conséquences de l’abus peuvent être atténuées s’il règne un climat d’affection, d’amour et d’acceptation dans la famille et que celle-ci a un esprit ouvert face à la sexualité ; les familles qui ont des rapports de pouvoir équitables sont moins exposées aux abus ; la victime qui se blâme met en danger son équilibre psychologique et social ; il est possible de refouler certains souvenirs ; la divulgation de l’abus à une personne accueillante est, en soi, thérapeutique ; il est impossible d’aborder l’abus sexuel à l’endroit des enfants sans parler des multiples formes de violence faites aux femmes (incluant l’agression sexuelle, le « viol sur rendez-vous », le harcèlement sexuel et la violence conjugale). La mise en place d’une nouvelle politique est un processus en plusieurs étapes : il faut élaborer des plans d’action, cerner les solutions possibles, choisir les options appropriées et, enfin, passer à l’application. Deux comités fédéraux ont participé à l’élaboration d’un plan d’action pour prévenir les abus ; hélas, ce plan a eu quelques ratés. Nous espérons que le Forum national sur la santé stimulera une révision et une reprise du plan. Lorsqu’un groupe doté d’un bon leadership reconnaîtra la nécessité de la prévention, il sera possible de mettre en place des programmes holistiques efficaces, à l’image de celui de la bande indienne d’Alkali Lake ; le cycle d’élaboration et de mise en œuvre d’une politique est cependant bien long, et il faudra attendre avant de voir le fruit des efforts déployés. Certains programmes d’intervention ont déjà été mis à l’essai au Canada et n’attendent plus que d’être disséminés. La London Family Court a ainsi montré qu’une bonne préparation avant-procès aide
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à réduire l’anxiété des enfants et joue en plus un rôle thérapeutique, en empêchant par exemple les garçons de devenir eux-mêmes des agresseurs. À Kingston, la Sexual Behaviour Clinic a réussi à réadapter des délinquants sexuels. L’utilisation de la thérapie pour prévenir le récidivisme est une option importante vu que peu de cas aboutissent devant les tribunaux, que l’emprisonnement coûte cher et que les victimes favorisent rarement cette dernière option. Il serait de plus envisageable de traiter les hommes à risque avant qu’ils ne passent à l’acte. Le modèle québécois offre une autre solution pour la protection des enfants, de même que pour la coordination de l’évaluation et du traitement ; il donne aussi une option de rechange à l’emprisonnement. Le York Region Abuse Program, lui, est un exemple d’approche multisectorielle coordonnée, qui fait du traitement et de la prévention des outils de développement communautaire et amène les survivants à s’aider eux-mêmes et à s’entraider. Le développement communautaire fonctionne, mais le programme End the Silence montre que le changement social est un processus plein d’embûches et qu’il faut porter une attention spéciale aux populations les plus vulnérables. Enfin, soulignons que ce ne sont pas tous les membres de nos collectivités qui appuieront la lutte aux abus sexuels à l’endroit des enfants et qu’il faut s’attendre à la résistance de groupes divers. Pour être efficace, la prévention de l’abus et de ses séquelles devrait reposer sur les principes de santé publique. Les politiques et les programmes doivent tenir compte du contexte socioéconomique, de l’environnement physique, des pratiques personnelles en matière de santé, ainsi que des capacités et des mécanismes d’adaptation individuels des gens et des communautés ; ils doivent en plus viser la création de services de santé efficaces. Il faut expliquer clairement l’interdépendance de la prévention primaire, secondaire et tertiaire. Notre rapport conclut par une série de recommandations pratiques.
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Table des matières
Prévalence et conséquences des abus sexuels à l’endroit des enfants ...............147 Dénonciation des agresseurs, évaluation des victimes et collecte d’éléments de preuve . ...................................................................149 Facteurs familiaux à considérer relativement aux abus, à leur prévention et à leur traitement .............................................................150 Problèmes cliniques et thérapeutiques ............................................................153 Les mères des victimes ....................................................................................154 Programmes de prévention à l’intention des enfants ......................................155 La santé mentale, la délinquance, les fugues, la prostitution et le cycle victime-agresseur chez les adolescents victimes d’abus sexuels ...................................................................................158 Santé mentale et traitement des survivants parvenus à l’âge adulte ................160 Évaluation, traitement et réadaptation des agresseurs ....................................162 Études de cas ..................................................................................................165 Élaboration de recherches et de politiques sur l’abus sexuel des enfants au Canada : quelques exemples..................................................165
L’abus sexuel à l’égard des enfants et la régénération des collectivités : l’exemple d’une collectivité autochtone en Colombie-Britannique...............166
La London Family Court Clinic..................................................................168 L’étude et le traitement des délinquants sexuels : travail du groupe de Kingston......................................................................169
Dilemme de la dénonciation : le modèle québécois......................................170
Le programme de lutte contre les abus de la région de York : coordonner les services communautaires......................................................172
End the Silence : un programme pour les survivants qui ne parlent pas........................................................................................174
Méprise sur les recherches, les politiques, le traitement et les activités de prévention : l’expérience d’une ville.......................................175
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Conclusions et priorités ............................................................................... 175 Recherche....................................................................................................176 La famille et son contexte social...................................................................176 Services de prévention et de traitement........................................................177 Questions juridiques....................................................................................177 Besoins spéciaux..........................................................................................178 Financement................................................................................................179 Recommandations particulières . .................................................................. 179 Bibliographie....................................................................................................181
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La Santé pour tous (Epp, 1986), c’est un objectif que le Canada n’atteindra pas à moins de réduire le taux de violence sexuelle à l’égard des enfants. Les effets de l’abus sexuel sur la santé à court et à long terme varient en fonction de la résilience de l’enfant, de sa famille et de sa communauté. Cette résilience est en partie déterminée par le statut socioéconomique. Sans traitement, l’abus sexuel peut faire baisser le statut socioéconomique de la victime et, conséquemment, influer sur d’autres aspects de sa santé. On a rarement étudié la violence sexuelle à l’égard des enfants du point de vue de la santé publique (Hertzman, 1994 ; Marmor et al., 1994 ; Marmot, 1994). Dans un contexte de promotion de la santé, la prévention des abus doit dépasser l’intervention individuelle et l’amélioration des services professionnels. Le cadre de référence pour la promotion de la santé élaboré par Santé Canada (Framework for Population Health, 1994) servira de base à notre discussion sur la prévention. Nous nous appuierons aussi sur notre expérience en promotion de la santé et en soins cliniques. L’analyse que nous vous présentons repose sur quelque 1 500 études, publiées entre 1979 et 1995 (Bagley et Thurston, 1989, 1996a et 1996b).
Prévalence et conséquences des abus sexuels à l’endroit des enfants
Dans un monde idéal, les enquêtes communautaires au hasard donneraient des informations complètes sur la prévalence des abus sexuels à l’endroit des enfants, de même que sur leurs conséquences sociales et leurs séquelles psychologiques à long terme. Malheureusement, le taux de réponse à ces enquêtes dépasse rarement 75 %. D’un point de vue statistique, c’est un pourcentage acceptable, mais il nous amène à nous demander pourquoi certaines personnes refusent d’être interrogées sur leur enfance et leur passé familial. Il existe deux sources potentielles de distorsion : il se peut que les personnes troublées soient heureuses de parler de leur expérience ou, au contraire, qu’elles ne souhaitent pas parler des expériences traumatisantes vécues dans leur enfance. 1. Selon des études canadiennes basées sur une définition conventionnelle de l’abus (agression sexuelle répétée et non sollicitée, comportant un contact physique), environ 7 % des femmes et 5 % des hommes sont victimes d’abus sexuel avant l’âge de 16 ans. Les abus prolongés de cette nature sont, de tous les abus, ceux qui accablent le plus la santé, en particulier lorsqu’ils sont accompagnés de violence corporelle et psychologique. Les enfants qui, au départ, n’ont pas une très bonne estime d’euxmêmes (un symptôme de violence corporelle ou psychologique) ont beaucoup de difficulté à demander de l’aide lorsque surviennent les abus. La violence sexuelle se rencontre dans tous les types de famille, mais son incidence est plus grande dans les milieux économiquement défavorisés. Les femmes ayant grandi au milieu de la violence sexuelle ont tendance à se marier plus jeunes, à connaître une vie sexuelle moins satisfaisante et à être déçues par leur conjoint ; leur taux de divorce est aussi plus élevé que celui des autres femmes. Ceux qui ont été victimes d’abus sexuel durant leur enfance (les survivants) connaissent aussi moins de succès sur les plans scolaire et professionnel quand on tient compte de leur classe sociale d’origine.
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2. Les écrits consultés notent que les séquelles des abus et les problèmes familiaux connexes (p. ex. la violence corporelle et psychologique, les perturbations familiales et l’absence parentale) forment une problématique sérieuse du point de vue de la santé publique à cause de leur rapport, vraisemblablement causal, avec l’insuccès personnel et scolaire ainsi que l’état de santé (incluant les grossesses non désirées, les maladies vénériennes et divers problèmes de santé chroniques tels que douleurs physiques, troubles psychiatriques, troubles sexuels, comportements suicidaires et abus de substances intoxicantes). 3. Les séquelles de la violence corporelle et psychologique ressemblent souvent à celles de la violence sexuelle. Quand plusieurs types de violence coexistent, leur effet combiné compromet encore plus l’équilibre et la santé de la victime parvenue à l’âge adulte. Il est difficile de reconnaître l’abus sexuel comme seul responsable des problèmes (sauf dans les cas de boulimie et de comportement suicidaire) ; toutefois, les modèles les plus plausibles indiquent une action et une synergie entre les effets négatifs de l’abus sexuel, les effets d’autres formes de violence, les facteurs familiaux et les facteurs sociaux. 4. Toutes les études s’entendent pour dire que moins de 10 % des victimes d’abus se confient avant la fin de leur enfance ou de leur adolescence, et celles qui parlent à un adulte sont fréquemment accusées de mensonge ou, encore, se voient jeter le blâme. 5. Les filles sont généralement agressées par un membre de leur famille ; les garçons, par une personne à l’extérieur du noyau familial. Les effets négatifs à long terme semblent moins prononcés chez les garçons, mais ces derniers ont plus souvent un comportement suicidaire à l’âge adulte. Peut-être ce phénomène a-t-il un rapport avec les doutes que les garçons agressés par un individu du même sexe entretiennent à l’égard de leur identité sexuelle et leur transition au rôle d’agresseur. 6. Deux auteurs américains ont enquêté auprès de collectivités de femmes et obtenus des résultats fort différents. Russell (1986) soutient que l’abus sexuel prolongé, généralement perpétré par le père de la victime ou le second mari de sa mère, aboutit à la mésadaptation grave dans seulement 33 % des cas. Kilpatrick (1992), lui, affirme que cette proportion est de seulement 6 % environ et va plus loin en postulant que ces répercussions négatives découlent possiblement de l’effet conjugué de l’abus et des réactions de l’entourage. Paradoxalement, il se peut que le désir de la société de punir les agresseurs blesse davantage les victimes. 7. Dans le cadre d’une étude importante, menée auprès d’Américaines blanches de classe moyenne, Moeller, Bachmann et Moeller (1993) ont constaté que 53 % des femmes interrogées avaient été victimes au moins une fois de violence corporelle, psychologique ou sexuelle pendant leur enfance, 19 % avaient subi deux types de violence et 5 %, trois types. Ils ont aussi observé que la violence sexuelle avait deux fois plus de risques d’être associée à un autre type de violence que de se produire seule. Les trois types de violence semblent avoir un effet additif et, ensemble, laissent plus de séquelles physiques et psychologiques chez l’adulte. Il est possible que les abus sexuels moins brutaux n’aient pas d’effet direct sur la santé malgré la présence
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simultanée de violence corporelle ou psychologique ; néanmoins, l’imposition de rapports sexuels fréquents, sur une période de plusieurs années, peut avoir des conséquences désastreuses pour l’adolescente qui tente de former son identité. Il semble d’ailleurs exister un lien étroit entre ce genre d’abus et les comportements suicidaires, dépressifs et boulimiques. 8. Malgré tout, environ 50 % des femmes agressées à répétition durant plusieurs années s’en tirent indemnes, c’est-à-dire qu’elles ne souffrent d’aucun trouble mental nuisant à leurs activités quotidiennes une fois parvenues à l’âge adulte.
Dénonciation des agresseurs, évaluation des victimes et collecte d’éléments de preuve
Les recherches que nous vous présentons dans cette section indiquent un conflit de rôles : conflit entre le rôle de victime (ou de présumée victime) et celui des services de protection de l’enfance, des thérapeutes, de la police, du système judiciaire et des parents – y compris, le cas échéant, le parent agresseur, à qui la victime et le reste de la famille sont toujours attachés. À ces rôles incompatibles il faut ajouter celui des principaux gardiens de la moralité dans notre société moderne. Quand il y a conflit de rôles, il est facile d’oublier les besoins de l’enfant. Des études sérieuses, reposant sur une méthodologie rigoureuse, nous invitent à la prudence. Les études les plus solides font d’ailleurs ressortir l’absence de certitude. S’il est vrai que de nombreux enfants sortent relativement indemnes de l’agression elle-même, d’autres sont blessés par les intervenants et les procédures judiciaires, voire par l’inaction de leur communauté. Il arrive souvent que les enfants examinés après une agression ne montrent aucune anomalie, que ce soit dans leurs actes, leurs pensées ou leurs émotions ; toutefois, à long terme, cela n’exclut pas la possibilité de séquelles. Les mesures ayant pour objet de satisfaire la conscience morale des collectivités et des groupes d’intérêts peuvent marquer l’enfant autant que son présumé agresseur. 1. Les accusations fausses ou erronées sont rares : elles représentent seulement de 3 % à 8 % des cas. Elles surgissent à l’occasion au milieu d’une lutte amère pour obtenir la garde de l’enfant ; elles peuvent également survenir lorsqu’un des parents est psychotique ou souffre d’une maladie mentale. Quoi qu’il en soit, les accusations erronées (par opposition aux accusations malicieuses) représentent environ 60 % de la charge des services de protection de l’enfance ; cela montre qu’il y a peu d’enquêtes officielles et suggère en plus que les travailleurs sociaux ont une perception biaisée de l’abus sexuel. 2. L’interrogation de la victime afin de réunir des éléments de preuve peut se révéler une expérience effrayante, voire traumatisante. Les interrogatoires répétés peuvent de plus avoir un effet émoussant. Il s’écoule souvent plus d’un an entre la dénonciation et le procès. En plus qu’il retarde la thérapie, ce délai est généralement source de grande anxiété pour l’enfant et ses parents. Ajoutons que l’agresseur tente souvent de mettre fin à ses jours avant le procès, geste qui peut accroître le sentiment de culpabilité de la victime.
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3. L’interrogation et l’examen de la présumée victime sont difficiles. La majorité des enfants agressés sexuellement (abus confirmé par la confession de l’agresseur) qui sont soumis à un examen psychologique ne manifestent aucun symptôme psychiatrique ni anomalie. Les poupées qui représentent correctement l’anatomie humaine peuvent être utiles en thérapie, mais elles ne constituent pas un outil d’évaluation fiable aux fins d’une enquête criminelle. En effet, la majorité des enfants ayant été victimes d’abus sexuels les manipulent normalement, alors que certains enfants ne l’ayant jamais été ont une conduite sexuellement explicite. Par ailleurs, il faut une compétence spéciale pour interroger les enfants ayant une déficience développementale, quatre fois plus vulnérables que les autres aux abus. 4. Les menaces de se plaindre au tribunal de la famille ou d’entamer des poursuites criminelles sont des armes efficaces pour convaincre l’agresseur de quitter le foyer. 5. Les professionnels, hommes ou femmes, chargés d’évaluer les présumées victimes devraient se renseigner sur le passé des parents afin de savoir si ces derniers ont eux-mêmes été victimes de violence corporelle ou psychologique dans leur enfance, de détecter toute confusion dans les rôles familiaux, de dégager les schémas de communication, de confirmer ou réfuter la présence d’autres formes de violence, ainsi que d’évaluer les réseaux et les appuis sociaux. Un examen restreint à l’abus sexuel risque de ne pas faire ressortir la cause des problèmes comportementaux de l’enfant. 6. Notre analyse des écrits sur les examens médicaux nous permet de tirer deux conclusions. Premièrement, les examens devraient être effectués à des fins médicales seulement, non pour réunir des éléments de preuve : l’examen médical est souvent une expérience traumatisante pour l’enfant et il prouve rarement qu’il y a eu agression, car la région anogénitale guérit rapidement et, après 72 heures, il ne reste souvent plus aucune trace de viol. Deuxièmement, lorsqu’il y a bien lieu de faire un examen médical, celui-ci devrait autant que possible être confié à une pédogynécologue.
Facteurs familiaux à considérer relativement aux abus, à leur prévention et à leur traitement
L’étude des interactions familiales, ainsi que du climat et des échanges affectifs, qui précèdent, accompagnent et suivent la violence sexuelle, psychologique ou corporelle pose des difficultés de taille et parfois même paradoxales aux chercheurs et aux cliniciens. 1. Dans les familles nucléaires, l’abus sexuel s’accompagne habituellement d’autres types de violence (p. ex. punitions corporelles excessives et fréquentes ; expression fréquente, par l’adulte, de remarques blessantes à l’intention de l’enfant ; négligence physique et psychologique). L’équilibre psychologique et les mécanismes d’adaptation du futur adulte risquent d’être gravement compromis par la négligence et la violence corporelles lorsque celles-ci sont combinées à la négligence et à la violence psychologiques. De plus, l’abus sexuel est difficile à détecter quand une autre forme de violence ou de négligence le précède. Quand l’enfant n’est pas soumis à
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d’autres formes de violence et que sa famille lui procure un soutien psychologique adéquat, l’abus sexuel est moins dévastateur et son effet n’est pas ressenti aussi longtemps – à condition qu’on ne jette pas le blâme sur l’enfant et que celui-ci reçoive un soutien affectif et social après l’incident. 2. L’abus se rencontre plus souvent qu’autrement dans les familles nucléaires où existent un problème de communication systématique, des échanges tendus, une maladie mentale, un problème d’alcoolisme parental ou une transposition des rôles (c.-à-d. l’enfant est forcé de remplir des fonctions normalement réservées aux adultes, comme cuisiner, s’occuper d’autres enfants ou gagner de l’argent). On appelle ce transfert de rôles « parentification ». La parentification peut inclure l’abus sexuel. Lorsque, parvenue à l’adolescence, la fillette dans une telle situation veut mettre fin à la relation incestueuse, l’adulte tentera de l’en empêcher parce, émotivement et physiquement, il est plus dépendant qu’elle. Cette transition est cruciale pour l’ado-lescente et, dans la mesure où sa mère et sa communauté l’acceptent et la soutiennent, elle ne souffrira probablement pas de conséquences graves à long terme. 3. Quelle est la pire situation envisageable ? La fillette est battue fréquemment, violée à répétition et blessée si elle résiste ; elle est l’objet de violence psychologique de la part de son agresseur et des autres membres de la famille ; on l’accuse de mentir ou d’avoir séduit l’agresseur ; sa famille la jette à la rue, elle se retrouve sans foyer (parfois avec la connivence des services sociaux) ou elle commet une fugue, puis se retrouve à nouveau victime d’abus sexuel. Elle souffrira alors de graves problèmes d’identité, d’adaptation sexuelle et de culpabilité. 4. La dynamique dénaturée des familles qui sont le siège d’abus ressemble à celle des familles avec un parent alcoolique. Les thérapeutes doivent donc considérer la coexistence possible des deux. 5. Il n’est pas facile de distinguer les effets de la violence corporelle, psy-chologique et sexuelle. Les enfants victimes de violence corporelle ou psychologique (sans violence sexuelle) ont souvent autant de problèmes d’adaptation que les enfants victimes d’abus dont la famille possède les mêmes caractéristiques. Certaines études indiquent que les différents types de violence ont un effet additif et d’autres signalent un effet interactif (c.-à-d. que l’impact de la violence corporelle et de la violence psychologique combinées est tel qu’aucun modèle additif ne peut l’expliquer). 6. La nature de l’agression, sa durée et le rapport de la victime avec son agresseur (père, autre membre de la famille, personne à l’extérieur du noyau familial) sont autant de variables expliquant la différence dans les séquelles. La plupart des enfants ne parleront pas de l’agression commise par un membre de leur famille (inceste) à une personne de l’extérieur, mais il n’est pas rare qu’un proche le découvre ou devienne un confident. Le rétablissement et la santé de la victime seront largement tributaires du soutien et de l’empathie de l’entourage, en particulier de la mère. La réaction du réseau social, incluant les autres membres de la famille, joue un rôle déterminant à court et à long terme. 7. Plusieurs études définissent des sous-classes de familles incestueuses : famille marquée par les échanges érotico-affectifs ; famille dirigée par un despote cruel,
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qui s’adonne à plusieurs types de violence et a plusieurs victimes ; famille étendue à relations incestueuses multiples de types variés, qui recoupe plusieurs familles nucléaires et plusieurs générations. 8. Il est possible que la « tendre » séduction d’un enfant ne cause pas de dommage immédiat lorsque cette séduction prend la forme d’un échange affectueux. Paradoxalement, dans un tel cas, l’intervention sociale, légale ou thérapeutique, fondée sur des modèles diagnostiques teintés de sexisme ou de classisme, risque de causer plus de torts que l’abus lui-même en éveillant un sentiment de culpabilité et de doute chez la victime. 9. L’interaction du père avec le nouveau-né déclenche peut-être un processus biosocial qui décourage l’inceste ; toutefois, il sera nécessaire pour le second mari ou le conjoint de fait de trouver un autre moyen de bloquer les pulsions sexuelles à l’endroit de l’enfant acquis. Les beaux-pères abusent cinq fois plus souvent que les pères biologiques des enfants à leur charge. Au Canada, le taux d’inceste pour les pères biologiques n’atteint pas 1 %. 10. Il existe plusieurs modèles thérapeutiques pour le traitement des familles incestueuses. Le modèle humaniste de Giarretto (1981) est le plus connu et donne d’excellents résultats pour les familles reconstituées si l’on se fie aux évaluations. Le modèle thérapeutique de Larson et Maddock (1995) est, de tous les modèles, celui qui a les meilleures assises théoriques, mais il n’a pas encore fait l’objet d’une évaluation exhaustive. Le modèle de Bentovim (1988) est bien décrit, mais les évaluations révèlent que les services d’aide à l’enfance, bien souvent, ne font pas leur part, que de nombreuses familles abandonnent avant la fin et qu’il y a un risque de revictimisation pour les fillettes vivant dans une famille réfractaire à la thérapie. La majorité des thérapies familiales imposent des obligations légales à l’agresseur, qui se voit offrir l’abandon des poursuites criminelles ou la suspension de sa sentence en échange de sa coopération. Les pères incestueux sont décrits comme faibles, égocentriques et égoïstes, ils manquent généralement d’empathie pour l’enfant et ne comprennent pas la confusion psychologique qui est la sienne ; par conséquent, il est préférable de ne pas reconstituer les familles incestueuses, à moins que la mère appuie sa fille sans réserve et que le père montre un sentiment de culpabilité et de remord. À cause de cela, bien des mères se trouvent malheureusement devant un choix impossible : prendre le parti de leur fille (synonyme de divorce et de pauvreté) ou celui de leur mari (avec la prospérité relative du mariage). Les modèles de thérapie familiale sont encore critiqués pour leur incapacité à prendre en considération les jeux de pouvoirs et les autres facteurs socioéconomiques, comme le statut inférieur de la femme. 11. Les filles qui n’obtiennent pas l’appui de leur mère ou, encore, se voient accusées de mensonge ou blâmées par les autres membres de leur famille sont fréquemment incapables de rester à la maison ou d’y retourner. Selon une étude complémentaire menée auprès de filles victimes d’inceste, 20 % d’entre elles regrettaient avoir dénoncé l’agresseur, et la santé mentale de bon nombre s’était détériorée depuis la dénonciation. On a associé ces résultats au manque de soutien
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maternel ainsi qu’aux interrogatoires harassants et répétés des autorités médicales, légales et sociales, qui n’ont pas donné assez de soutien social et affectif en échange. Problèmes cliniques et thérapeutiques
Les études cliniques portent généralement sur les cas dirigés aux hôpitaux, aux cliniques de santé mentale et aux programmes thérapeutiques. Ces cas sont probablement les plus graves ; par conséquent, il ne faudra pas généraliser à tous les enfants abusés les résultats des études cliniques, malgré l’importance d’un nombre considérable d’entre elles. Quelques-unes des études résumées dans cette section n’utilisent pas des mesures standard pour évaluer l’adaptation ou des mesures dont la validité a été prouvée. De plus, certaines ne comparent pas les résultats obtenus à ceux d’un groupe témoin. Si nous les citons malgré tout, c’est en raison de leur perspicacité sur le plan clinique et des nouvelles avenues de recherche qu’elles suggèrent. 1. L’abus sexuel (souvent combiné à d’autres formes de violence) nuit considérablement au sain développement de l’identité, privant les victimes chroniques d’un sentiment de compétence lorsqu’elles parviennent à l’âge adulte et leur laissant souvent des doutes quant à leur identité psychosexuelle. 2. Il n’existe pas, à proprement parler, un « syndrome de l’abus sexuel ». Les études comparant les adolescents non agressés à ceux qui sont agressés à répétition durant leur enfance suggèrent qu’environ 25 % de ces derniers ont des problèmes sérieux. La nature des problèmes varie probablement en fonction de facteurs tels que la vulnérabilité individuelle, le tempérament et les autres expériences, nommément la violence corporelle et psychologique. Les troubles les plus carac-téristiques des victimes d’abus sont la sexualisation traumatique et le passage à l’acte sexuel (p. ex. la promiscuité sexuelle). Les troubles somatiques, la dissociation, les troubles alimentaires, l’état limite de trouble de la personnalité et l’automutilation délibérée sont aussi plus fréquents chez les victimes d’abus que chez les autres enfants, mais seule une minorité d’entre elles développent des problèmes aussi graves. 3. Un grand nombre d’études cliniques, évaluatives et descriptives sont de nature non théorique, mais on a récemment vu paraître d’excellents articles conceptuels, notamment ceux de Finkelhor (1995), Putnam et Trickett (1993) et Bukowski (1992). Ces auteurs insistent sur la nécessité de caractériser le développement normal de l’enfant, sa vulnérabilité et sa résilience à divers âges, ainsi que l’effet de traumatismes divers, pour bien comprendre l’abus sexuel. 4. Il existe une multitude d’études de suivi systématique auprès des victimes traitées. Il est difficile d’établir des comparaisons aléatoires avec des victimes non traitées, mais nombre d’auteurs n’essaient même pas d’obtenir un groupe de comparaison. Les études les plus rigoureuses sur le plan méthodologique indiquent que les autres formes de violence et la négligence contribuent à la gravité des conséquences, tout comme la réaction de l’entourage après la dénonciation de l’agresseur et l’engagement de procédures judiciaires. Parce qu’on ne s’est pas penché sur l’étiologie complexe des problèmes affligeant les victimes, la taxinomie repose sur des caractéristiques individuelles et ne peut être étendue d’une étude à l’autre.
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5. Les enfants qui viennent d’un milieu défavorisé sur le plan économique ou d’une famille monoparentale semblent plus souvent victimes de plusieurs types de violence et souffrent généralement de séquelles plus graves. Toutefois, serait-ce simplement que ces enfants et familles font plus souvent l’objet d’interventions officielles et de recherches ? Cela reste à déterminer. Le taux d’abus sexuels est peutêtre moins élevé dans certains groupes culturels (p. ex. chez les Asiatiques, plus conservateurs sur le plan sexuel). En Amérique du Nord, la sexualisation de nombreux enfants passe par l’interaction avec des pairs, ce qui les rend possiblement plus vulnérables aux abus ; paradoxalement, il se peut aussi que cette sexualité normative les immunise en partie contre les effets persistants des abus.
Les mères des victimes
À la dénonciation, il est crucial que la victime bénéficie du soutien de sa mère ; l’absence d’étude sur le rôle de cette dernière est donc troublante. Si, au départ, on a blâmé les mères, on tait maintenant presque entièrement leur rôle et leurs besoins (comparativement aux masses d’écrits sur les autres aspects des abus sexuels à l’endroit des enfants). Selon les études publiées, la mère se retrouve devant un dilemme lorsqu’elle constate que l’homme qui la soutenait économiquement et qui, bien souvent, dominait sa vie abuse de ses enfants. Si la mère est elle aussi une « survivante », c’està-dire si elle a été elle-même victime d’abus par le passé, le choc de cette découverte risque de faire remonter à la surface de sa psyché blessée des souvenirs pénibles et de provoquer de ce fait une crise psychologique. Des études effectuées aux États-Unis révèlent que jusqu’à 25 % des mères nient la victimisation de leur fille. Le risque de négation est particulièrement grand lorsque la victime est une adolescente et qu’il y a eu un rapport sexuel. Ces adolescentes sont souvent placées dans une famille ou un centre d’accueil et, règle générale, gardent de graves séquelles parvenues à l’âge adulte. Même quand la mère soutient sa fille, toutes deux vivent des mois difficiles en attendant le début du procès. Les rares études sur les mères donnent l’impression très nette que l’adolescente rejetée à la divulgation de l’inceste souffrira presque invariablement de problèmes mentaux et d’autres problèmes de santé à long terme, mais il faudrait confirmer cette conclusion en menant d’autres études. Les mères issues de familles désorganisées et d’un statut social peu élevé ont de la difficulté à se retrouver dans le dédale de services qui pourraient leur offrir soutien et protection. Faute d’appuis sociaux et de solutions à leurs problèmes les plus immédiats (notamment financiers), la mère et l’adolescente sont bien souvent incapables de se payer une thérapie ; au mieux, celle-ci sera intermittente, ce qui les place toutes deux en danger de revictimisation. Aussi cruel que cela puisse paraître, les adolescentes dans une telle situation auraient sans doute de meilleures perspectives de santé à long terme si elles ne révélaient pas l’inceste.
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Programmes de prévention à l’intention des enfants
Plusieurs auteurs insistent sur l’importance de la prévention vu la fréquence des abus sexuels et la difficulté pour les victimes d’obtenir un traitement adéquat après la révélation de l’abus. En fait, rares sont ceux qui ne sont pas d’accord. Toutefois, on ne s’entend pas sur la façon de prévenir. La majorité des programmes de prévention visent les enfants de 4 à 12 ans. Ces programmes éducatifs ont des bons côtés, mais les approches courantes posent de sérieux problèmes. Règle générale, les enfants ont de la difficulté à assimiler les concepts de prévention et n’en retiennent que quelques-uns ; toutefois, les idées présentées peuvent avoir sur eux un effet durable. Certains enfants réussissent effectivement à comprendre les concepts d’intégrité corporelle et d’autorité abusive. Voici les principales critiques pertinentes formulées à l’endroit des programmes de prévention qui s’adressent aux enfants : 1. Les programmes tiennent rarement compte de la diversité culturelle, qui devrait pourtant faire partie du cadre théorique de base. La prévention doit être une entreprise communautaire et pluridisciplinaire, dont l’éducation des enfants ne re-présente qu’un seul aspect. Il faut également s’occuper des enfants qui ont des besoins spéciaux, notamment les enfants « clé au cou » qui sont vulnérables durant la période allant de la fin des classes au retour des parents. 2. Peu de membres du personnel enseignant sont prêts à assumer les à-côtés, notamment la dénonciation d’un abus après la présentation du programme. 3. Plusieurs auteurs soulignent le manque d’information générale sur la sexualité – un fait qui plaît aux pédophiles, puisque les enfants n’ont pas de définition claire de l’abus sexuel. Les parents conservateurs s’opposent souvent à l’éducation sexuelle des enfants au primaire, généralement à cause des règles de leur Église. 4. Les programmes incluent rarement des messages sur la moralité de l’abus. La majorité d’entre eux insistent sur le droit de l’enfant à préserver son intégrité corporelle et à refuser les « mauvais touchers », mais peu soulignent l’impropriété de tout contact ou action de nature sexuelle entre un adulte et un enfant. Les programmes n’abordent pas non plus la possibilité qu’un enfant ignorant tout de la sexualité reçoive de « bons touchers » d’un pédophile habile. 5. Aux États-Unis, l’élaboration de programmes préventifs génère des millions de dollars. Cependant, bien peu de ces programmes sont testés ou évalués, et leur utilisation risque de rendre le personnel enseignant complaisant et de lui donner l’illusion qu’il a tout fait en son pouvoir pour prévenir les abus. L’utilisation du matériel varie beaucoup d’un enseignant à l’autre, et rien ne prouve encore que les programmes préviennent effectivement des abus ou valent ce qu’on les paie. 6. Les programmes sont souvent mal utilisés avec les enfants en bas âge, ceux qui appartiennent à une minorité culturelle et ceux qui ont des besoins d’apprentissage spéciaux. Idéalement, il faudrait les adapter à chaque groupe d’âge et à chaque sexe. Plusieurs auteurs soutiennent que la prévention fonctionne rarement pour les enfants de moins de 7 ans, qui sont généralement incapables de comprendre ou de retenir l’information présentée. Certains enfants ont échoué à répétition au cours d’études
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longitudinales visant à évaluer leur rétention à la suite d’un programme préventif. Il s’agissait en général d’enfants dotés de pauvres capacités cognitives ou manquant d’estime de soi. Malheureusement, ce sont probablement les plus à risque. Les garçons et les filles ont besoin d’une éducation différente. Les premiers sont généralement approchés d’une façon très sexuée par l’agresseur potentiel, qui est habituellement du même sexe et fait appel à leur masculinité ou à leur machisme. Nombre de garçons croient que leur rudesse innée les met à l’abri des abus ; ils ne comprennent pas que le pédophile déterminé utilise tout un arsenal de moyens pour arriver à ses fins. 7. Les programmes tentent rarement de combler le fossé entre les connaissances, les attitudes, les croyances et les comportements. Les rares programmes qui incluent des jeux de rôle semblent prometteurs. Néanmoins, une étude a mis au jour le cas d’un employé d’une école primaire qui a réussi à embarquer 22 enfants dans un « réseau sexuel » malgré qu’ils aient tous visionné une vidéo préventive. 8. Beaucoup d’arguments prêchent en faveur de l’éducation des adolescents, qui peuvent être tentés d’abuser sexuellement des enfants et d’agresser des pairs. Le « viol sur rendez-vous » et le cycle abuseur-victime sont des problèmes clés que l’on pourrait aborder au moyen de programmes éducatifs sur l’étiquette sexuelle, les rôles sexuels et les conséquences du viol et de l’abus sexuel. 9. La rudesse est une question absente des programmes préventifs, mais fréquemment soulevée par les enfants qui les suivent. En effet, ceux-ci la perçoivent souvent comme une atteinte à leur intégrité et, par conséquent, comme un exemple de « mauvais toucher ». 10. Plusieurs auteurs s’entendent pour dire que les programmes préventifs insistent trop sur l’abus par des étrangers et des personnes à l’extérieur du cercle familial et ne clarifient pas le sens et les implications véritables de l’inceste. Cela s’explique, d’une part, par les inhibitions des concepteurs qui hésitent à donner aux pères le rôle d’agresseur potentiel et, d’autre part, par les pressions des parents qui préfèrent exclure des programmes tout contenu relevant précisément d’éducation sexuelle. Dans les programmes on ne parle pas non plus de la dynamique familiale, qui contraint parfois l’enfant à endurer l’abus pour satisfaire ses besoins naturels d’affection, d’amour, d’attachement et de dépendance, autrement insatisfaits. 11. Certaines études ont révélé que les programmes ont parfois des effets négatifs sur les enfants, qui peuvent éprouver une peur et une anxiété plus grandes à l’endroit des étrangers, développer une aversion aux touchers affectueux et innocents des autres membres de leur famille, porter des accusations erronées à cause d’une mauvaise compréhension des messages du programme et refuser les mesures disciplinaires (p. ex. la fessée) en les assimilant aux « mauvais touchers ». 12. Certains programmes encouragent les enfants à se défendre lorsqu’ils sont approchés par un agresseur potentiel. C’est une pratique dangereuse : selon une étude effectuée à la grandeur des États-Unis, l’enfant qui se défend risque une contre-attaque de son agresseur, en particulier si celui-ci est étranger. 13. Les programmes sous-entendent que l’abus est quelque chose de soudain, reconnaissable, compréhensible et évitable. Ils taisent le fait qu’un grand nombre
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d’agresseurs utilisent la dépendance émotive de l’enfant ou en créent une. Les attouchements abusifs sont souvent périphériques et graduels, ce qui désensibilise l’enfant à leur signification. Les tendres jeux de séduction convainquent souvent l’enfant d’accepter l’abus. Voici des critiques plus fondamentales, selon lesquelles il faudrait abandonner les programmes de prévention jusqu’à ce qu’on ait réglé les problèmes de base : 1. En optant pour les programmes d’éducation enfantine, nous rendons les enfants eux-mêmes responsables de la prévention, ce qui est déplorable et injuste. On tient pour acquis que ces programmes peuvent protéger les enfants et que tout est réglé une fois que ceux-ci ont visionné une vidéo préventive. 2. Rien ne prouve que les programmes ont prévenu un seul abus. En théorie, leur utilisation généralisée aurait dû faire baisser l’incidence des abus à l’endroit des enfants, mesurée au moyen de sondages périodiques auprès des jeunes adultes. Il n’existe aucune étude de ce genre, et les études effectuées montrent plutôt une augmentation des abus. 3. Le concept des « bons touchers, mauvais touchers », sur lequel repose nombre de programmes préventifs, est fondamentalement erroné. Les enfants sont géné-ralement impuissants devant les agissements de leur famille et nombre d’entre eux doivent endurer des touchers désagréables et fréquents, allant de la gifle à la raclée, malheureusement légales au Canada. Tant que la société n’interdira pas les corrections physiques et l’exploitation sexuelle des enfants, les programmes de ce genre ne serviront à rien. 4. Les programmes sont dangereux car ils font croire aux enseignants aux parents et aux enfants qu’on peut éviter les abus sexuels simplement en visionnant une vidéo. 5. Les agresseurs ont donné des renseignements pertinents sur leurs schémas de conduite, renseignements qui pourraient être incorporés aux programmes. Un grand nombre de pédophiles deviennent des amis de la famille pour avoir accès à l’enfant sur lequel ils ont jeté leur dévolu sexuel. Les mères seules et surmenées sont des proies particulièrement faciles. L’enfant qui a une bonne estime de lui, qui sait bien communiquer et qui bénéficie du soutien de parents stables ne risque pas autant d’attirer le pédophile et de se laisser prendre au piège. L’enfant qui, au contraire, a déjà subi une violence corporelle ou psychologique est une victime de choix aux dires des pédophiles. 6. L’argent et les efforts gaspillés pour éduquer les enfants du primaire devraient être réorientés vers les adolescents, qui sont à la fois des victimes et des agresseurs potentiels, ou risquent de devenir agresseurs une fois parvenus à l’âge adulte. Certains auteurs présentent de plus des arguments convaincants en faveur des programmes d’éducation familiaux, conçus pour soutenir l’établissement de liens affectifs entre le père et le nouveau-né (processus biosocial qui décourage l’abus envers son propre enfant) et mettre en garde les seconds maris contre le danger des rapprochements sexuels avec les enfants acquis. 7. Il n’y a pas encore eu d’étude systématique afin d’évaluer le nombre de dénonciations effectuées par suite des programmes préventifs, mais les données
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existantes suggèrent que ce nombre est nettement inférieur au nombre réel d’abus, tel que l’indiquent les enquêtes de suivi auprès des adultes. Un grand nombre d’enfants abusés ont une très mauvaise estime d’eux-mêmes et peuvent éprouver un sentiment de culpabilité ou de désespoir s’ils n’arrivent pas, à la suite du programme éducatif, à révéler l’abus à leur enseignant. 8. Les messages véhiculés – « écoute tes sentiments, choisis les bons touchers, ton corps t’appartient » – sont irréalistes. En effet, le pédophile déterminé peut faci-lement tirer avantage de cette éducation qui enseigne à choisir les touchers plaisants et insiste sur le droit de l’enfant à décider lui-même qui peut le toucher. Les attou-chements sexuels volontaires procurent du plaisir aux adultes, mais ils en procurent aussi aux enfants. 9. Aux États-Unis, les programmes visant à persuader les adolescents de retarder leurs premières relations sexuelles, pour éviter les maladies vénériennes et les grossesses non désirées, ont connu un échec monumental. Peut-être constaterons-nous que les programmes de prévention des abus destinés aux enfants sont aussi inefficaces.
La santé mentale, la délinquance, les fugues, la prostitution et le cycle victime-agresseur chez les adolescents victimes d’abus sexuels
Des études menées auprès des adultes montrent que, chez les hommes, la déviance sexuelle commence souvent à l’adolescence. Cette période semble donc le moment idéal pour intervenir ; en effet, il est difficile de repérer ou traiter les pédophiles adultes, et un seul pédophile peut faire des centaines de victimes. Dans cette section, nous discuterons également d’un certain nombre d’enquêtes, visant la population entière de quelques écoles choisies. Ces enquêtes présentent un intérêt considérable, parce qu’elles produisent vraisemblablement un profil plus complet de la population (au moins jusqu’à l’âge de 16 ans) que les études auprès des étudiants de niveau postsecondaire ou de groupes d’adultes. Les études en milieu scolaire indiquent non seulement la prévalence, dans le présent ou le passé, d’abus sexuels source de stress extrême pour les jeunes, mais aussi l’effet négatif d’autres stresseurs familiaux. 1. Les adolescentes sont exposées à divers types de violence sexuelle : la plus fréquente est le « viol sur rendez-vous » (c.-à-d. le viol commis par un ami ou une connaissance), mais cela n’exclut pas le viol par un étranger ou par un membre de la famille. Après une agression, la victime vit souvent dans la peur, l’anxiété et la dépression pour le reste de son adolescence. Les adolescentes qui vivent dans un milieu défavorisé sur le plan économique sont plus souvent victimes de viol. Les jeunes agresseurs sont généralement au milieu de l’adolescence et, selon une étude américaine, viennent de tous les groupes ethniques. Règle générale, ces jeunes sont des marginaux qui ont un comportement délinquant. Ces constatations posent un défi pour les concepteurs de programmes de prévention et d’éducation : il faut informer les adolescentes des risques et apprendre aux adolescents que l’agression sexuelle est un acte cruel, susceptible de laisser des séquelles psychologiques à la victime.
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2. Plusieurs études canadiennes et américaines, menées auprès des jeunes qui se livrent à la prostitution, révèlent qu’un grand nombre de ces adolescents ont été victimes d’abus sexuel (environ 70 %) avant de quitter le domicile familial et de devenir citoyens de la rue. Leur famille d’origine cache souvent, sous des couverts de respectabilité, des problèmes d’alcoolisme parental, ainsi que de violence psychologique, sexuelle et corporelle à l’endroit des enfants. Pour ces jeunes, la vie sur la rue est synonyme de toxicomanie et d’exploitation aux mains de souteneurs. Les programmes d’intervention auprès de ce groupe n’ont qu’un succès limité. 3. Les adolescents qui agressent des enfants plus jeunes souffrent souvent d’isolement et d’un problème d’intériorisation, tel que l’anxiété, la dépression ou le comportement suicidaire. La majorité d’entre eux viennent d’une famille marquée par l’alcoolisme et la violence psychologique et sont bien souvent des survivants. Il se peut également que des problèmes neurologiques précoces soient à la source de la déviance sexuelle. Un grand nombre d’adolescents qui passent du rôle de victime à celui d’agresseur viennent de familles psychologiquement négligentes ou violentes ; la plupart d’entre eux ont aussi développé un attachement traumatique pour leur agresseur. Tout traitement doit nécessairement amener ces jeunes à accepter la responsabilité des agressions et à ne plus utiliser celles-ci pour se donner un sentiment de pouvoir. 4. La mesure de l’accomplissement personnel peut servir à repérer les adolescents victimes d’abus sexuels. Au Canada, environ 9 % des élèves vivent dans une famille marquée par au moins une forme de violence (psychologique, corporelle ou sexuelle), où les parents sont dysfonctionnels et souvent alcooliques ; ces jeunes ont souvent un comportement dépressif ou suicidaire, et une estime de soi presque nulle. Les politiques en place ne reconnaissent pas la cause profonde de la déviance et, par conséquent, tendent à blâmer les victimes. Au Canada, environ 15 % des jeunes confiés aux services de protection de l’enfance montrent des signes de troubles dissociatifs, trahissant un passé de grande violence corporelle et sexuelle. Wolfe et ses collaborateurs (1994) ont constaté qu’environ 40 % des délinquantes et une grande proportion des délinquants dirigés vers la London Family Court Clinic signalent avoir été victimes d’abus sexuels violents. La majorité d’entre eux voient leur expérience comme non résolue. Ils portent une grande douleur psychologique et jugent insatisfaisante la réaction des personnes responsables de les aider. Ce traumatisme causé par le système est une façon de blâmer les victimes, qui sont punies lorsqu’elles ont un comportement perturbateur et antisocial. 5. À l’adolescence, l’enfant normal vit une transformation sur les plans physique, social et psychologique qui entraîne un changement profond dans son identité. L’adolescent parvenu à maturité sexuelle récapitulera ses expériences antérieures en fonction de sa nouvelle identité. Pour les victimes d’abus, ce processus risque d’être difficile et de les isoler ; il y a risque de fixation sur la culpabilité et le passage à l’acte sexuel. La fixation de l’identité est peut-être un facteur important dans le déclen-chement du comportement agresseur chez les hommes et l’insuccès de la promiscuité chez les filles. Les mères-adolescentes ont souvent été victimes d’abus sexuel dans leur enfance ou d’un viol.
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6. Selon une importante étude canadienne, les jeunes victimes ne définissent pas l’abus de la même façon que les professionnels, hommes ou femmes. Pour les jeunes, il y a abus seulement lorsque l’événement cause une blessure ou un traumatisme psychologique. Cette perspective phénoménologique suggère que l’on devrait écouter attentivement les adolescents durant les enquêtes et le traitement. Santé mentale et traitement des survivants parvenus à l’âge adulte
Une bonne partie des études examinées dans cette section rapportent que les victimes ont de graves séquelles à l’âge adulte. Il est toutefois important de se rappeler que l’abus n’a pas toujours des conséquences aussi graves que celles observées chez les survivants faisant l’objet d’études cliniques. Par définition, les recherches qui s’intéressent aux patients vus à l’hôpital, en clinique ou en pratique générale, pour des problèmes psychologiques et physiques précis, s’intéressent aux plus mal en point. Ces victimes n’en demeure pas moins très importantes et requièrent des interventions efficaces et avisées. Les conséquences psychologiques à long terme, qui empoisonnent la vie d’un nombre considérable de victimes d’abus sexuels, font ressortir la nécessité d’améliorer les stratégies visant à prévenir toutes les formes de violence à l’égard des enfants. Il existe une multitude d’études sur les survivants et les effets connus de la victimisation sexuelle des garçons. Cependant, nous n’avons trouvé aucune étude systématique sur le petit nombre de femmes agresseurs (5 %). Les études que nous avons analysées mènent toutefois aux conclusions suivantes : 1. La violence extrême, de nature corporelle ou psychologique, imposée de façon systématique aux enfants nuit à l’établissement de liens affectifs sains et au développement de l’identité. La violence corporelle et la violence psychologique, de même que les troubles de l’interaction familiale, précèdent et accompagnent souvent l’abus sexuel, contribuant ou exacerbant ainsi ses effets. Il est difficile d’établir exactement le rôle de l’abus sexuel dans les problèmes d’adaptation subséquents sans contrôler les autres facteurs familiaux et développementaux. Quand, malgré tout, on y parvient, il appert que l’abus sexuel joue un rôle dans la conduite suicidaire, les problèmes sexuels, les troubles alimentaires, les troubles dissociatifs et les manifestations psychosomatiques, telles que les douleurs chroniques au pelvis et les symptômes gastro-intestinaux. Chez les hommes, l’abus sexuel semble aussi à la base de la conduite suicidaire, de la toxicomanie, de l’alcoolisme et des séries chaotiques d’agressions. 2. Étrangement, peu d’études ont trouvé un lien direct entre les problèmes psychologiques des adultes et les détails de l’abus : identité de l’agresseur (p. ex. le père), nature de l’abus (p. ex. caresses, rapports sexuels) et moment où il a commencé. Les éléments cruciaux semblent les suivants : intimation à garder le secret dans une atmosphère familiale marquée par les troubles de communication et d’attachement ; violence psychologique, violence corporelle ou les deux ; sentiment de honte et de culpabilité de la victime.
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3. L’environnement social et familial de la victime a aussi une importance cruciale : l’abus aura des conséquences beaucoup moins graves pour la victime s’il règne un climat d’affection, d’amour et d’acceptation dans la famille et que celle-ci a un esprit ouvert face à la sexualité. La famille et le réseau social peuvent contribuer à la santé de la victime en l’acceptant sans la blâmer après la dénonciation. 4. Le pronostic en cas de revictimisation (p. ex. la fillette victime d’inceste qui est plus tard agressée violemment par une personne à l’intérieur ou à l’extérieur du noyau familial) n’est généralement pas très bon ; de plus, la revictimisation s’accompagne souvent de sentiments écrasants de culpabilité et d’impuissance, y compris une tendance à la résignation et à l’attachement à des hommes abusifs. Ce cycle de victimisation se rencontre surtout chez ceux qui viennent d’une famille où l’abus sexuel coexistait avec la violence psychologique ou physique, ou les deux, et où l’un des parents était alcoolique, avait une maladie mentale ou entretenait un rapport dysfonctionnel avec l’enfant. La thérapie du survivant parvenu à l’âge adulte devra nécessairement examiner ces interactions pathologiques du parent avec l’enfant, ainsi que le climat familial, avant de s’attaquer aux séquelles de l’abus sexuel même. Une thérapie individuelle de ce genre peut préparer l’adulte à la thérapie de groupe. 5. Divers types de thérapie de groupe, souvent conjuguée à une thérapie individuelle, peuvent diminuer le sentiment d’isolement et de culpabilité. Les thérapeutes de sexe féminin ont plus de succès avec les survivants hommes ou femmes. 6. L’abus sexuel, de même que la violence corporelle et psychologique, peut jouer un rôle dans le développement de troubles dissociatifs. Toutefois, la dissociation positive (c.-à-d. la capacité de se détacher de l’abus en se plongeant dans une transe hypnotique) améliore le pronostic de la victime. La comparaison avec des personnes moins fortunées et la distanciation par rapport à l’abus ou à son souvenir sont d’autres techniques utiles. Malheureusement, leur emploi est sans doute limité aux survivants doués d’une bonne intelligence ou, encore, ayant su établir des communications et des liens affectifs sains avec des personnes qui les soutiendront et les aideront durant et après leur expérience. 7. Le débat au sujet des souvenirs refoulés se poursuit. Néanmoins, les expériences cliniques montrent clairement qu’il est possible de refouler le souvenir d’un abus violent – souvenir qui sera toutefois ravivé par un stimulus précis. Le suivi de survivants d’abus confirmés indique que certains oublient complètement l’abus ou réussissent à en voiler certains détails. 8. Se remémorer l’abus, en parler, écrire à son sujet ou participer à d’autres activités cathartiques, telles que la thérapie par les arts, avec une thérapeute empathique ou avec un groupe de personnes ayant vécu la même expérience peut contribuer grandement à la réadaptation psychologique. 9. Les crises d’angoisse et le stress post-traumatique peuvent indiquer un abus refoulé. Nombre de survivants sont hypervigilants, phénomène rattaché à un taux d’anxiété élevé chez l’adulte. Chez les survivants, l’abus de substances intoxicantes et les tentatives de suicide peuvent être déclenchés par des attaques d’anxiété. L’hyper
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vigilance et la réactivité aux attouchements sexuels non désirés peuvent conduire à l’abaissement du seuil de douleur. Néanmoins, les efforts pour « diagnostiquer » le stress post-traumatique n’ont pas une grande valeur clinique pour les survivants. 10. Paradoxalement, même parvenues à l’âge adulte, les victimes peuvent rester loyales à leur agresseur et garder un sentiment d’hostilité à l’égard du parent qui ne les a pas protégées. Les thérapeutes doivent prendre soin de ne pas blâmer l’agresseur ou d’exprimer un dégoût à son égard au début de la thérapie. 11. Il faudrait informer les spécialistes en soins primaires que l’abus sexuel peut causer des troubles alimentaires ou, encore, déclencher des douleurs chroniques au pelvis et des symptômes gastro-intestinaux résistant à tout traitement. Un grand nombre de survivants ne font pas le lien entre leurs symptômes et l’abus dont ils ont été victimes – lien qui a justement une grande importance pour leur réadaptation psychologique. 12. Le thérapeute doit comprendre le style cognitif de la personne qui a été victime d’abus. Car, souvent, l’inadaptation cognitive dénote une tendance auto-destructrice dans la façon dont cette personne aborde le corps, la psyché et le monde extérieur. Le survivant qui se croit mauvais et s’attribue la responsabilité de la violence sexuelle, corporelle ou psychologique qui lui a été infligée se blâmera systéma-tiquement de tout, aura une piètre estime de soi, ne se sentira pas à la hauteur et éprouvera un sentiment d’impuissance dans ses rapports humains. Ce style cognitif amène le survivant à se blâmer pour des événements négatifs, extérieurs, qui échap-pent à sa volonté. La thérapie cognitive, qui cherche à éliminer les croyances irrationnelles et négatives par la restructuration cognitive individuelle, peut aider le survivant à s’absoudre de tout blâme relativement à l’abus, ainsi qu’à acquérir un sentiment de compétence envers sa propre personne et ses rapports sociaux. Son efficacité a été prouvée par des études longitudinales.
Évaluation, traitement et réadaptation des agresseurs
Comparativement aux études sur les victimes et sur l’éducation préventive des enfants, il y a étonnamment peu d’écrits sur les personnes qui commettent des agressions. Toutes proportions gardées, il n’existe qu’un petit nombre de travaux cherchant à déterminer comment empêcher les agresseurs potentiels de passer à l’acte et comment les traiter efficacement lorsqu’ils sont appréhendés. L’un des problèmes est justement que la plupart des études portent sur des hommes déjà aux mains de la justice ; c’est-à-dire qu’il s’agit vraisemblablement des plus persistants, impulsifs, violents et incompétents des agresseurs, ceux qui intéressent le plus la police, qui risquent le plus d’être pris et de passer en jugement. Seuls quelques chercheurs ont retracé ou recruté des hommes avec un long passé d’abus sexuels. Au moins les deux tiers de ces hommes n’avaient jamais été arrêtés, mais ils ont admis, sous le couvert de la confidence, avoir agressé des dizaines, voire des centaines d’enfants. Mal-heureusement, en Amérique du Nord, les lois sur la dénonciation en vigueur dans la majorité des secteurs, conçues pour réduire le nombre d’abus, empêchent les agresseurs n’ayant pas encore été repérés d’obtenir un traitement non punitif qui pourrait les empêcher de commettre de nouvelles agressions.
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1. L’étude de Groth et Birnbaum (1978), considérée comme classique, distingue deux groupes d’agresseurs en apparence assez différents : les rétrogrades (habi-tuellement, ces hommes commettent des incestes) et les fixés (typiquement des pédophiles, dont les premiers abus remontent à l’adolescence, qui ont été eux-mêmes victimes d’abus sexuels pendant leur enfance et qui s’en prennent généralement à des garçons avec lesquels ils n’ont aucun lien de parenté). Les recherches subséquentes pointent plutôt à un continuum, puisqu’il semble y avoir un groupe intermédiaire, possiblement plus important. Ce groupe est composé d’agresseurs incestueux, qui se sont déjà livrés à la violence et à divers actes criminels dans le passé, incluant parfois l’abus sexuel d’enfants à l’extérieur de leur famille. Une autre typologie s’appuie sur les aptitudes sociales (médiocres ou bonnes) et le degré de fixation (faible ou élevé) pour définir quatre types d’agresseurs. Ceux qui n’ont pas beaucoup d’aptitudes sociales et qui ont un degré élevé de fixation risquent le plus de finir en prison. Il arrive que des pédophiles épousent une femme ayant déjà des enfants pour avoir accès à ces derniers. Les pédophiles séducteurs peuvent faire preuve d’une patience inouïe lorsqu’il s’agit de choisir un enfant et de le préparer graduellement à l’activité sexuelle. D’autres manquent d’empathie pour la souffrance de leurs victimes. L’apprentissage de l’empathie pourrait donc constituer une part importante de leur thérapie. Cette approche n’a toutefois pas encore fait l’objet d’une évaluation sérieuse. De toute évidence, il y a lieu d’effectuer d’autres recherches pour mieux classifier les agresseurs et, partant, raffiner les stratégies de traitement et de prédiction des risques de récidive. 2. Les agresseurs ont été décrits comme déficients sur le plan des aptitudes sociales, de l’ego et de l’estime de soi ; toutefois, ces caractéristiques sont peut-être attribuables à la douleur et à l’humiliation causées par les poursuites judiciaires et l’incarcération. Certains survivants agressent des enfants pendant une fugue, lorsqu’ils sont dans un état dissociatif ou sous l’influence de l’alcool et, par la suite, ils nient souvent avoir commis une agression ou rejettent l’idée que leur acte ait pu être blessant. D’ailleurs, un grand nombre de pédophiles prennent clairement un risque en approchant et séduisant des enfants. Paradoxalement, la séduction d’un enfant requiert une bonne dose de détermination et n’est pas le geste d’un timide. Personne n’a encore proposé un modèle intégrant ces conclusions paradoxales et il faudra peut-être construire des modèles de motivation distincts pour chaque sousclasse d’agresseurs. 3. La motivation des pédophiles peut avoir des origines diverses, mais celles-ci remontent généralement à l’enfance. Certains ont développé un lien affectif pour leur agresseur et ont intériorisé son rôle lorsqu’ils ont quitté leur foyer, marqué par la violence corporelle et psychologique. Pour d’autres, c’est l’empreinte laissée par des actes sexuels avec des pairs ou des adultes qui les a amenés à développer une forte motivation sexuelle. L’homme incestueux qui se livre à l’exploitation sexuelle des enfants semble à la fois exprimer son désir sexuel et un pouvoir de domination mal assuré, qui est celui d’un être manquant d’estime de soi ou doté d’un ego trop faible. La motivation sexuelle de nombreux pédophiles atteint des sommets extra ordinaires, c’est pourquoi on a parfois recours à la « castration chimique » dans leur
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cas. Cette motivation découle peut-être d’anomalies au niveau du lobe temporal et de l’hypophyse, anomalies détectées chez environ 25 % des agresseurs. Certains facteurs génétiques semblent aussi jouer un rôle, tout comme certains types de tempérament. 4. Les données empiriques donnent beaucoup de crédibilité au modèle à quatre facteurs élaboré par Finkelhor (1984) afin d’expliquer la motivation des pédophiles. Selon ce modèle, quatre facteurs doivent être présents pour que l’abus sexuel se produise : a) il faut avoir la motivation voulue pour abuser sexuellement d’un enfant ; b) il faut surmonter ses inhibitions internes envers l’abus ; c) il faut surmonter les inhibitions et les contrôles externes ; et d) il faut venir à bout de la résistance ou de la réticence de l’enfant au moyen d’une forme d’emprise, d’autorité ou de quasi-socialisation. 5. Les évaluations psychologiques standard ont donné des résultats décevants. Les profils d’agresseurs du Minnesota Multiphasic Personality Inventory sont souvent similaires aux profils des membres du groupe témoin. Les agresseurs appréhendés semblent avoir un quotient intellectuel inférieur : cela traduit peut-être une dysfonction du cerveau liée aux motivations pédophiles ou peut-être est-ce simplement que les pédophiles et les hommes incestueux les plus brillants sont rarement pris. Les pédophiles sont souvent capables de dissimuler leurs caractéristiques psycho-logiques et leurs intérêts sexuels, ainsi que d’avoir une vie conjugale normale lorsqu’ils le choisissent. D’ailleurs, un grand nombre d’entre eux savent produire une réaction normale aux stimuli érotiques conventionnels quand ils sont soumis à une étude phallométrique. Les agresseurs appréhendés peuvent, au cours des évaluations psychologiques, simuler une bonne ou une mauvaise réponse en fonction du contexte et de l’objectif de l’évaluation, par exemple ils peuvent simuler une mauvaise réponse pour les mesures impliquant une diminution de la responsabilité. 6. L’alcoolisme est un facteur important dans l’inceste. L’alcool augmente la libido, diminue les inhibitions, dérègle les fonctions sexuelles, altère les rapports sociaux et, à moins qu’on ne s’attaque directement à sa consommation, freine la thérapie. Il arrive que l’agresseur fasse également consommer de l’alcool à sa victime pour réduire son opposition au contact sexuel. L’inceste se produit la plupart du temps dans les familles où il y a des problèmes de communication, des liens affectifs déficients entre les enfants et les adultes, ainsi que de la violence corporelle ou psychologique, ou les deux. 7. Amener l’agresseur à admettre l’abus sexuel et à voir les conséquences réelles de son geste sur l’enfant sont des étapes cruciales du traitement. Ceux qui en sont à leur premier délit peuvent généralement être traités dans la communauté sans risque de récidive, en particulier s’ils ont agressé une seule victime et que celle-ci faisait partie de leur famille. Ce type d’intervention requiert toutefois la coopération du système judiciaire, qui doit consentir à libérer l’agresseur à condition qu’il suive une thérapie et participe à celle de sa victime et de sa famille. Une approche des systèmes familiaux basée sur la compréhension du sexisme et du « classisme » pourra s’avérer efficace dans ce contexte. Malheureusement, il existe peu d’études de suivi rigoureuses sur les agresseurs traités.
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8. Il est important que les détenus suivent une thérapie pour éviter les récidives après leur libération. En effet, sans traitement, l’agresseur ne changera probablement pas ses schémas sexuels et risque de récidiver une fois en liberté. La thérapie en milieu carcéral est relativement peu coûteuse et pourrait s’avérer un investissement très rentable. 9. Outre l’absence de traitement en prison, voici les facteurs qui permettent de prédire la récidive : agresseur qui est lui-même un survivant ; premières agressions à l’égard d’enfants commises à l’adolescence ; interactions sexuelles brèves, en série, avec des enfants à l’extérieur de sa famille, habituellement des garçons ; célibat ; multiples condamnations antérieures. Certains hommes restent traitables malgré la présence de nombreux facteurs de risque, mais d’autres ne le sont pas compte tenu des thérapies disponibles. Des travaux additionnels en taxinomie permettraient peutêtre de cerner les sous-classes d’agresseurs nécessitant un traitement plus particulier pour prévenir la récidive. 10. En ce qui concerne les pédophiles faisant une fixation, l’utilisation de la thérapie cognitive et comportementale en combinaison avec la pharmacothérapie (pour réduire le taux de testostérone et le désir sexuel) ramène le taux de récidive quelque part entre 10 % et 30 %, comparativement à un taux d’environ 50 % pour les pédophiles non traités.
Études de cas Élaboration de recherches et de politiques sur l’abus sexuel des enfants au Canada : quelques exemples
Au Canada, c’est vers la fin des années 1970 que la perception des abus à l’égard des enfants, de leur traitement et de leur prévention a commencé à changer, sous la poussée de différentes initiatives locales (notamment à Calgary, à Vancouver et à Toronto). L’ouverture du gouvernement au pouvoir a permis la création du Comité canadien sur les infractions sexuelles à l’égard des enfants, présidé par le Dr Robin Badgley et parrainé par le ministère de la Justice et le ministère de la Santé et du Bien-être social du Canada. En 1984 a paru Infractions sexuelles à l’égard des enfants : Rapport du Comité sur les infractions sexuelles à l’égard des enfants (Badgley, 1984) – document en deux volumes. Le rapport de Badgley, reposant sur quatre sondages nationaux relatifs aux survivants ainsi qu’au traitement et à la réadaptation des victimes, représentait un tour de force intellectuel et moral ; ses 52 recommandations ont suscité un débat et amené les collectivités à s’exprimer, ce qui a finalement entraîné la modification des lois et de la politique fédérale. Conformément à une recommandation du rapport, le gouvernement a nommé un commissaire doté de pouvoirs généraux et lui a confié le mandat de concevoir et d’intégrer les programmes et la politique de trois secteurs : santé, bien-être et justice criminelle. Une bonne partie des changements juridiques proposés ont été acceptés et ont mené à la modification du Code criminel et de la Loi sur la preuve au Canada (Wells, 1990) en 1988. Le commissaire a de plus publié une série de documents de consultation (Rogers, 1990).
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En 1985 a paru le rapport du Comité spécial d’étude de la pornographie et de la prostitution (Fraser, 1985). Ce rapport traitait à la fois de la prostitution des adultes et des enfants, mais un grand nombre de ses propositions faisaient écho au rapport de Badgley. Il y a cependant une exception notable : Fraser s’opposait à la criminalisation de la prostitution juvénile contrairement à Badgley, qui recommandait d’en faire une infraction liée au statut juridique de la personne afin que les jeunes participant à des actes sexuels à des fins lucratives puissent être poursuivis au même titre que les mineurs qui achètent et consomment de l’alcool. Le débat se continue, mais il reste qu’il faut donner à la police le pouvoir d’intervenir lorsqu’il y a prostitution de mineurs (enfants, adolescents). Les souteneurs qui contrôlent la prostitution juvénile sont rarement traduits en justice. Les personnes qui achètent les services sexuels d’un mineur commettent un acte criminel, même s’ils ne connaissent pas l’âge du mineur ; il est cependant très difficile pour les services de police d’appliquer cette loi. À notre connaissance, il n’y a pas eu de poursuites criminelles en ce sens au cours des cinq dernières années. Les recherches, les politiques et les mesures légales qui ont vu le jour dans la foulée du rapport de Badgley sont des exemples importants de recherche et d’intervention coordonnées, qui montrent comment on peut réformer les politiques en dressant un plan d’action. Malheureusement, vers le milieu des années 1990, l’intérêt pour la question a faibli. Le bureau du commissaire responsable de l’examen des politiques intergouvernementales a été aboli. D’ailleurs, il n’y a pas eu de recherches additionnelles après l’examen de la première et l’analyse de ses implications (Bagley et Thomlison, 1991). Les compressions fédérales ont limité sérieusement les subventions des organismes nationaux de recherche, tels que le Conseil de recherches en sciences humaines et le Programme national de recherche et de développement en matière de santé. Le National Institute for the Prevention of Child Abuse a fermé ses portes en 1995 faute d’argent et le même sort guette maintenant d’autres programmes. Le Forum national sur la santé pourrait prendre l’initiative et veiller à ce que la prévention des abus sexuels à l’égard des enfants continue de figurer au plan d’action général du gouvernement.
L’abus sexuel à l’égard des enfants et la régénération des collectivités : l’exemple d’une collectivité autochtone en Colombie-Britannique
Tous les peuples autochtones d’Amérique du Nord ont subi l’invasion européenne, suivie par la perte de leurs terres et de leurs moyens de subsistance. Les envahisseurs ont délibérément affaibli leurs traditions familiales, linguistiques et spirituelles. Les autorités ont notamment enlevé les enfants et les ont placés dans des internats, où plusieurs ont été victimes de violence corporelle, psychologique et sexuelle. Cette brutalité a laissé des séquelles : un chômage endémique, ainsi qu’un taux élevé d’alcoolisme, de toxicomanie et de suicides (Bagley et al., 1991). On ne sait pas exactement quelle proportion de femmes autochtones ont déjà été victimes d’abus
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sexuels. En 1990, Rundle en a interrogé 203 dans les centres de soins de santé et de services communautaires de Calgary et des environs. De ce nombre, 97 avaient été agressées avant l’âge de 17 ans. Une bonne partie des agresseurs étaient des adolescents ou des adultes alcooliques sous l’influence de l’alcool au moment de l’incident. De toute évidence, la consommation d’alcool contribue à faire grimper le nombre d’abus sexuels à l’endroit des femmes autochtones, et il ne s’agit là que du premier d’une longue liste de problèmes. La bande indienne d’Alkali Lake, dans le Nord-Est de la Colombie-Britannique, est un exemple remarquable de régénération, obtenue grâce à l’élimination des problèmes d’alcool et, conséquemment, des problèmes d’abus sexuel à l’égard des enfants. Ce revirement communautaire a pris place durant les années 1980 et est bien documenté. La société Radio-Canada (secteur anglais) a notamment produit une série de reportages sur le sujet. En 1996, un membre du conseil de bande interrogé par téléphone a affirmé qu’au moins 95 % des adultes étaient toujours sobres. Les adultes ayant été victimes d’agression sexuelle dans leur enfance continuent de recevoir un soutien en participant à des séances de groupe. Les groupes incluent des adultes (y compris des survivants) devenus agresseurs. Ils favorisent le pardon et le partage des sentiments. On a par ailleurs rapporté une nette diminution des cas de négligence infantile, et il n’est plus nécessaire que des travailleurs sociaux de l’extérieur se mêlent de la vie de la bande. La bande indienne d’Alkali Lake est un modèle important d’action communautaire née des efforts de quelques personnes. Cependant, pour garantir le succès, il faut que d’autres facteurs soient présents : il faut notamment régler les problèmes de dépendance économique et de chômage chronique. Comme nous l’avons constaté dans nos recherches en Alberta, le taux de suicide est inversement proportionnel au revenu moyen des membres des bandes. C’est-à-dire que la collectivité qui souhaite enrayer l’alcoolisme et les abus sexuels à l’endroit des enfants doit d’abord régler d’autres problèmes. Il faut cinq ingrédients pour assurer la régénération d’une collectivité : 1) la résolution des problèmes économiques, y compris le règlement des revendications territoriales pour rendre la bande autosuffisante ; 2) le retrait des organismes externes, à moins qu’ils ne soient présents à la demande du conseil de bande ; 3) la reconnaissance du problème par toute la collectivité, et la participation de ses membres à la recherche de solutions (p. ex. déterminer si la consommation d’alcool est effectivement un problème à régler) ; 4) la participation de la majeure partie de la collectivité ; et 5) la patience de mettre les changements en œuvre, car la vitesse de régénération des collectivités est imprévisible (p. ex. les autochtones d’Alkali Lake ont mis une décennie pour restreindre l’alcoolisme à une minorité d’individus). L’expérience des autochtones d’Alkali Lake montre par ailleurs que, toutes choses égales, une collectivité peut surmonter les problèmes d’abus sexuels présents ou passés à partir de ses propres ressources. Ce succès, et la sagesse acquise à travers lui, peut être transposé en modèles de développement communautaires comme ceux présentés aux ateliers du Nechi Institute of Northern Alberta, à l’intention des autochtones qui travaillent dans le domaine de la santé.
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Les écrits sur la prévention des abus donnent peu d’exemples de programmes communautaires d’auto-assistance et d’entraide ou de promotion de la santé communautaire. La London Family Court Clinic
Une équipe de la London Family Court Clinic, dirigée par le D r Louise Sas, a fait preuve d’innovation dans le soutien des enfants qui doivent témoigner en cour contre leur agresseur (Sas, 1991). La clinique a reçu des fonds considérables du gouvernement fédéral pour mener à bien son projet. Le personnel comprenait un groupe d’universitaires, de chercheurs de la University of Western Ontario, dirigée par le Dr David Wolfe. Ce groupe a contribué considérablement à l’enrichissement des connaissances théoriques et pratiques relatives au traitement et à la prévention de l’abus sexuel à l’endroit des enfants. Témoigner en cour contre un présumé agresseur est souvent une expérience traumatisante pour l’enfant, et l’anxiété peut l’empêcher d’exposer clairement les faits. La Couronne abandonne souvent les poursuites parce que le témoignage et la contre-interrogation risquent d’être trop traumatisants pour la victime. Dans le cadre d’une étude dirigée, 144 enfants ont été répartis en trois groupes : 1) les enfants du premier groupe n’ont reçu aucune préparation avant le procès, mais ont eu accès aux services d’assistance psychosociale habituellement offerts aux victimes ; 2) en plus de l’accès qu’ils avaient aux services normaux d’assistance psychosociale, les enfants du deuxième groupe ont fait une visite de la cour et ont reçu des explications sur le déroulement du procès environ une semaine à l’avance ; 3) les enfants du dernier groupe ont fait une visite de la cour et ont participé en moyenne à cinq séances préparatoires, incluant des jeux de rôle simulant le déroulement du procès, des exercices de relaxation et, après évaluation de leur état cognitif et affectif, des services d’assistance psychosociale spécialisés. Pour des raisons de légalité, les conseillers n’ont abordé aucun aspect de la présumée agression ; toutefois, certains enfants ont rencontré le procureur de la Couronne pour discuter des détails de leur témoignage et des questions susceptibles d’être soulevées durant le contre-interrogatoire. Quatre-vingts pour cent des enfants visés par l’étude étaient de sexe féminin, 37 % avaient été agressés par une personne ayant une autorité sur eux et 34 %, par une personne ayant menacé de recourir à la force. La majorité avaient entre 10 et 13 ans et environ 20 % fonctionnaient à un niveau intellectuel bas. Les attouchements sexuels représentaient 74 % des agressions, c’est-à-dire qu’ils étaient le type le plus courant ; la pénétration vaginale représentait 13 %. Quarante-neuf pour cent des enfants étaient en état de stress post-traumatique. Dans bon nombre de cas, un an ou plus s’était écoulé entre la dénonciation et l’audition de la cause ; certains ont attendu deux ans. Ces délais sont, en eux-mêmes, traumatisants, puisque les conseillers ne peuvent discuter de l’abus avec la victime tant que la cour n’a pas tranché.
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Selon les évaluations effectuées avant et après les procès, les enfants ayant eu droit à une préparation intensive éprouvaient beaucoup moins de peur et d’anxiété à l’égard de la procédure judiciaire, et leur niveau général d’anxiété était moins élevé que ceux des autres groupes. En cour, les procureurs de la Couronne ont constaté que le témoignage des enfants ayant eu droit à une préparation intensive était plus clair et ont abouti plus souvent à la condamnation de l’agresseur. Sas recommande que tous les enfants appelés à témoigner dans une affaire d’agression sexuelle reçoivent une préparation complète pour diminuer leur anxiété. Elle souligne aussi que les garçons qui n’ont pas reçu une telle préparation sont réapparus en cour plus tard comme agresseurs ; quant aux filles, nombre d’entre elles ont abouti dans une relation abusive. La préparation des témoins semble donc avoir des avantages qui vont bien au-delà de la prévention de l’anxiété à l’égard du procès et la diminution du taux de condamnations. Le succès de la préparation des témoins ne se mesure pas seulement au nombre de condamnations. En moyenne, il s’est écoulé 322 jours entre l’engagement de la poursuite et le procès. La Couronne a laissé tomber 32 des 144 cas ; 127 ont été entendus, et la cour a rendu une décision dans seulement 75. Sur les 144 accusés, seuls 37 ont été trouvés coupables, cela malgré le témoignage des victimes. Seulement 6 % de ces accusés ont effectivement été incarcérés. En 1995, le programme n’a pas été prolongé, et il n’a pas non plus été reproduit ailleurs au Canada. La London Family Court Clinic a toutefois publié un rapport clé sur le programme, expliquant comment les enfants divulguent les abus et comment une clinique rattachée à la cour familiale peut les soutenir (Sas et al., 1995). En 1995, la clinique a publié le premier numéro de Viva Voce, bulletin national à l’intention des avocats et des thérapeutes spécialisés en matière d’abus sexuels à l’endroit des enfants. Un nouveau problème apparaît cependant en Ontario : en 1996, le tiers des avocats au service de la Couronne perdront leur emploi à cause des compressions gouvernementales. Cela signifie que beaucoup d’hommes accusés d’abus ne seront jamais jugés parce que la cour doit laisser tomber les accusations quand trop de temps s’est écoulé depuis l’engagement des poursuites.
L’étude et le traitement des délinquants sexuels : travail du groupe de Kingston
W. Marshall et ses collègues de Kingston mènent des recherches cliniques d’avantgarde reconnues internationalement parce qu’elles montrent ce qu’on peut accomplir dans un domaine déterminé de prévention tertiaire, moyennant des ressources financières adéquates. Le groupe de Marshall a entrepris plusieurs études cruciales sur les délinquants sexuels du pénitencier de Kingston et a collaboré avec des chercheurs de la Nouvelle-Zélande. Son travail inclut une étude sur les effets du reconditionnement masturbatoire pour les pédophiles ayant agressé un enfant avec lequel ils n’avaient aucun lien de parenté (Johnston et al., 1992) – groupe particulièrement difficile à traiter. L’évaluation phallométrique à la suite du traitement
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montre une diminution de l’excitation à la vue d’art érotique représentant des enfants (le taux est passé de 61 % à 17 %). Marshall et ses collaborateurs (1991) ont analysé les effets de leur traitement et d’autres programmes sur les pédophiles. Au chapitre de la pharmacologie, les auteurs concluent que l’acétate de cyprotérone, conçu pour atténuer le désir sexuel, fonctionne souvent lorsqu’il est administré en combinaison avec un traitement psychologique et accompagné de surveillance et d’encouragement pour garantir la prise du médicament. Les programmes de thérapie cognitive et comportementale en milieu institutionnel comprend généralement plusieurs composantes : réorientation cognitive (axée sur les croyances et perceptions usuelles), développement des aptitudes sociales, motivation, désensibilisation aux fantasmes déviants, stimuli répulsifs (p. ex. chocs électriques ou inhalation d’ammoniaque) accompagnant des illustrations ou des histoires déviantes, et rétroaction biologique. Habituellement, le taux de récidive chez les hommes appréhendés pour la première fois et traités de cette manière (souvent en conjonction avec la pharmacothérapie) est d’environ 10 % cinq ans après la libération, comparativement à 35 % pour les autres. Le suivi effectué auprès des anciens détenus de Kingston révèle que 57 % des hommes non traités ont récidivé, comparativement à 39 % pour les hommes traités (incluant les multirécidivistes). La thérapie cognitive et comportementale a donc eu un succès relatif. En se basant sur ces résultats, les auteurs ont changé et amélioré plusieurs aspects de leur traitement et espèrent réduire encore plus le taux de récidive. Ils recommandent l’ajout de nouvelles facettes à la reprogrammation cognitive et comportementale, ainsi que la réalisation de nouvelles évaluations (Barbaree et Marshall, 1991). Marshall (1994) rapporte également avoir eu un succès relatif dans ses efforts pour amener les agresseurs à accepter leurs actes, étape essentielle pour la poursuite de la thérapie. Après le traitement en groupe, seulement 2 participants sur 26 continuaient de nier leur crime, et seulement 2 des 9 « minimiseurs » ont maintenu leur point de vue. Marshall et ses collègues (1991) ont résumé leurs recherches à la Sexual Behaviour Clinic de Kingston. Les auteurs ont montré que le taux de récidive chez les hommes traités est 25 % moins élevé. Il en coûte 200 000 $ aux gouvernements provincial et fédéral pour chaque délinquant sexuel qui récidive ; c’est-à-dire qu’en deux ans les auteurs, qui ont traité 100 délinquants, on fait économiser environ 4 millions de dollars à l’État. Ce genre de programme est très rentable ; malheu-reusement, vu les actuelles restrictions budgétaires, une partie des fonds a été coupée.
Dilemme de la dénonciation : le modèle québécois
Devant une allégation d’abus, l’un des choix les plus difficiles du travailleur de première ligne est de déterminer l’ampleur des moyens à déployer. Si l’on décide d’alerter la police et les autorités judiciaires, il faudra alors coordonner avec soin leurs interventions avec celles des services de protection de l’enfance et de l’équipe thérapeutique. Selon les écrits du domaine, aux États-Unis et au Canada, environ 60 % des plaintes s’avèrent non fondées à cause de suppositions fautives sur les
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connaissances sexuelles de l’enfant (non parce que les allégations sont fausses). Vu la difficulté de mettre en œuvre toute la batterie de moyens, et le gaspillage de ressources précieuses qui en résulte trop souvent, le gouvernement québécois a décidé de laisser au travailleur responsable la décision de faire appel ou non à la police et aux autorités judiciaires. Le mérite de ce modèle est qu’une grande partie du traumatisme systémique causé par l’enquête peut être évitée. Le système judiciaire du Québec diffère de celui de l’Amérique du Nord anglophone, qui repose sur les principes de la common law. Le Code civil du Québec a permis à la législature provinciale de créer un régime entièrement nouveau de protection de la jeunesse. Sous ce régime, tous les enfants victimes d’abus sont dirigés vers la Direction de la protection de la jeunesse, au Centre local de services communautaires (CLSC). La Direction de la protection de la jeunesse évalue la situation et oriente les personnes en cause vers les services d’aide appropriés. Cette procédure non judiciaire donne aux centres d’aide à la jeunesse et à la famille le pouvoir de traiter les cas d’inceste selon leur jugement, de manière à protéger les intérêts de l’enfant. Ces centres font une différence entre l’inceste qui résulte d’une déviance sexuelle prononcée (dans lequel cas, le pédophile est séparé de sa famille sur ordre de la cour) et l’inceste que l’on peut traiter en même temps que les problèmes familiaux concomitants. Si l’agresseur est jugé traitable, il n’y a habituellement pas de poursuites judiciaires. Au Québec, la législation sur les enfants menacés est codifiée dans la Loi sur la protection de la jeunesse de 1988 (Sansfaçon et Presentey, 1993). Lorsque la police prend connaissance d’un cas d’abus, elle doit en informer le Bureau des services à la jeunesse, mais ce dernier n’est pas tenu de rapporter les cas d’abus à la police comme ailleurs au Canada. Le Bureau a le mandat d’éviter les recours judiciaires lorsque c’est possible, en particulier lorsque l’abus a lieu à l’intérieur de la famille. Sansfaçon et Presentey ont cependant utilisé des études de cas pour montrer comment les travailleurs sociaux utilisent parfois les poursuites judiciaires comme instrument d’influence dans les cas d’inceste (p. ex. pour faire en sorte que l’agresseur quitte la famille et s’abstienne de toute récidive). Environ 25 % des cas traités par le Bureau des services à la jeunesse font l’objet d’un recours judiciaire parce que la « coopération volontaire » de l’agresseur est mise en doute. Les agresseurs trouvés coupables sont généralement remis en liberté surveillée. Cependant, l’adulte accusé d’avoir contraint un enfant de moins de 12 ans à participer à des activités de prostitution ou d’avoir commis un viol avec violence à l’endroit d’un enfant doit généralement faire de la prison s’il est trouvé coupable. Le Québec est doté de plusieurs centres d’évaluation et de traitement qui proposent une thérapie familiale basée sur le modèle humaniste de Giarretto (1991). Cette initiative importante n’a pas encore été évaluée et n’a pas non plus fait l’objet d’une comparaison avec les pratiques des provinces anglophones. Deux questions cruciales devraient pourtant être posées : a) est-ce que le système québécois est effectivement moins traumatisant pour les enfants victimes d’abus sexuels ? ; b) la nature facultative du rapport avec la police a-t-elle un effet positif ou négatif sur le taux de récidive (p. ex. abus additionnels à l’endroit de l’enfant ou d’autres
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enfants de la famille) et cadre-t-elle avec les autres politiques sociales, telles que l’égalité des sexes et la sensibilité aux différences culturelles ?
Le programme de lutte contre les abus de la région de York : coordonner les services communautaires
En 1981, York comptait 252 000 habitants. Dix ans plus tard, le nombre atteignait 505 000, et l’on s’attend à ce que la croissance continue. La ville est située juste au nord de l’agglomération torontoise. La région comprend à la fois des banlieues multiculturelles (au sud) et des collectivités agricoles (au nord). Officiellement, le York Region Abuse Program (YRAP) est le seul organisme de North York au service des survivants d’abus sexuels. Il coopère toutefois avec d’autres organismes et assure la coordination entre intervenants de divers domaines : services sociaux, santé, religion, éducation, justice et gouvernement. La collectivité participe au conseil d’administration et aux comités opérationnels. Vingt-six organismes collaborent avec le YRAP, qui offre des services de formation à l’intention des professionnels et coordonne les services nécessaires pour chaque client. Le caractère multidisciplinaire du YRAP se voit dans la façon dont les cas sont gérés : ceux-ci sont confiés à des gens de l’extérieur, spécialisés en santé ou en travail social (p. ex. médecin, travailleur social, infirmier). Le professionnel travaille individuellement avec son client et fait un suivi après le traitement. Le programme d’internat du YRAP donne une formation intensive aux professionnels venant d’autres organismes (15 personnes ont été formées en 1994) ; ceux-ci peuvent ensuite diriger des groupes ou former d’autres professionnels internes. Le YRAP a été créé par l’Institut pour la prévention de l’enfance maltraitée (ministère des Services sociaux et communautaires de l’Ontario) afin de démontrer qu’on pouvait procurer des services de traitement et de soutien à des groupes. YRAP vit maintenant grâce aux subventions de divers organismes. Pour l’exercice 1993-1994 et l’année 1995, les sources de financement et leur importance relative étaient les suivantes : ministère des Services sociaux et communautaires de l’Ontario, respectivement 45 % et 49 % ; ministère de la Santé de l’Ontario, 14 % et 14 % ; North York, 7 % et 5,5 % ; Centraide 8 % et 7,5 % ; levées de fonds dans la commu nauté, 26 % et 20 %. En 1995, le conseil scolaire de la région de York et d’autres bienfaiteurs ont contribué chacun pour 2 %. Le financement a été relativement stable durant deux ans. Les contributions locales (Centraide, municipalité et levées de fonds) représentaient près de 50 % du budget de fonctionnement. Une base de financement aussi diversifiée permet de garder l’appui de la communauté et laisse une certaine marge de manœuvre pour le lancement de nouvelles initiatives. Le désavantage, c’est l’absence de sécurité d’emploi pour les membres du personnel, déjà stressés à cause de la nature de leur travail. (Pour la première fois depuis sa création, le YRAP a eu un déficit en 1994-1995.) Le programme de traitement en groupe est complet et gratuit. Il inclut des survivants d’âges variés : enfants d’âge préscolaire, 6 à 8 ans, 8 à 10 ans, 10 à 12 ans, adolescents et adultes. Le YRAP a aussi des groupes pour les survivants ayant une
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déficience développementale, les parents non délinquants, les adolescents agresseurs, les adultes agresseurs, les survivants d’agression sexuelle, ainsi que les survivants qui doivent témoigner en cour. En 1994, 323 enfants et adultes ont participé aux activités de 24 groupes différents. Le programme de prévention des abus, offert par l’intermédiaire du conseil des écoles publiques et le conseil des écoles séparées, a huit composantes distinctes : 1) séance d’information pour les directeurs et les surintendants ; 2) deux pièces de théâtres, jouées par des élèves du secondaire et visant chacune un public précis (la première s’adresse aux enfants de la maternelle à la 4e année et la seconde, à ceux de la 5e à la 8e année) ; 3) atelier de trois heures pour le personnel enseignant et non enseignant, expliquant comment préparer les enfants à la pièce et comment réagir advenant qu’un enfant dénonce un abus ; 4) désignation et formation d’une personne-ressource dans chaque école ; 5) séance d’orientation et d’éducation de deux heures pour les parents avant la pièce ; 6) soutien psychoéducatif pour les acteurs ; 7) séance d’une heure pour les parents des élèves du secondaire ; 8) trousse didactique pour chaque école qui présente les concepts de prévention primaire et secondaire, incluant des suggestions d’activités. En 1994, 30 écoles ont participé, c’est-à-dire 19 000 élèves, 3 500 parents et 1 350 enseignants. Le programme Reach Out and Recover (ROAR) est l’élément le plus excep tionnel du YRAP. Les clients qui suivent ou ont suivi une thérapie de groupe forment des groupes d’auto-assistance, et un groupe de bénévoles donne des services qui améliorent l’accès au YRAP : soutien téléphonique pour les personnes sur une liste d’attente pour des services ; services de garde dans les locaux du YRAP ; représentation du YRAP dans des activités communautaires ; soutien administratif ; transport pour les clients ; services auxiliaires pour les parents ; levées de fonds. Le programme ROAR permet de dépasser la prévention tertiaire auprès des personnes, ainsi que de faciliter le soutien social, le maillage en réseaux et l’action sociale (Breen, 1994). La démarche ressemble aux programmes d’émancipation, qui encouragent les participants à comprendre l’expérience de tous les autres ou à former une conscience collective. Plusieurs activités communautaires de prévention primaire et secondaire sont nées de YRAP. Les parents s’entraident (prévention tertiaire) et appliquent leur compétence à la prévention primaire. Le rayonnement de YRAP est décuplé et dépasse le cadre des programmes où victimes et familles travaillent individuellement. La compétence des individus et des familles augmente aussi à mesure qu’ils acquièrent et mettent en pratique de nouvelles capacités et tissent des liens. Le YRAP incorpore une évaluation dans bon nombre de ses programmes. Sa mission inclut en outre la défense des intérêts et la recherche. Au chapitre de la recherche, il a fait trois contributions : une étude sur la supervision des groupes par les thérapeutes de groupe (Steadman et Harper, 1995), une étude sur l’efficacité de la thérapie de groupe pour les femmes qui ont été victimes d’abus sexuels dans leur enfance (Breen et al., 1994) et une évaluation du programme d’auto-assistance.
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End the Silence : un programme pour les survivants qui ne parlent pas
Par le passé, les intervenants auprès des personnes handicapées manquaient de formation en prévention des abus sexuels et ceux qui travaillaient auprès des victimes d’abus ne connaissaient pas les besoins des personnes handicapées. En 1993, deux organismes à but non lucratif de Calgary ont commencé à envisager la possibilité d’un partenariat afin de pouvoir répondre aux besoins d’éducation sexuelle des femmes ayant une déficience et utilisant des aides techniques pour suppléer à la communication orale. Il s’agissait de la Calgary Birth Control Association, qui donne informations et conseils sur la sexualité, et du Technical Resource Centre (TRC), qui travaille à améliorer la vie des personnes ayant une déficience physique grâce à l’information, à l’éducation et aux techniques de pointe. Les deux organismes ont une structure similaire : un directeur général, un conseil d’administration, un effectif de moins de 10 personnes, des fonds provenant principalement de Centraide. Le TRC a reçu des fonds spéciaux de Centraide pour préparer la trousse d’information End the Silence, incluant une brochure, une affiche et un livret éducatif. Centraide a aussi versé une subvention afin de permettre aux partenaires de mettre la trousse à l’épreuve. Cette trousse contient des renseignements, des stratégies de résolution des problèmes et des suggestions pour améliorer la communication entre les femmes ayant une déficience (incluant celles qui ne peuvent pas parler) et les intervenants, de même qu’aider ces derniers à concevoir des services adaptés pour les femmes victimes d’abus sexuel qui ne peuvent pas parler. Centraide a recommandé la création d’un comité consultatif incluant des femmes ne pouvant pas parler. Le coordonnateur du programme a accepté. Le comité consultatif mis sur pied comptait 14 personnes, représentant tous les groupes cibles (des femmes ayant une déficience physique et ne pouvant pas parler, un conseiller en matière de déficiences et d’abus, des soignants, ainsi que des spécialistes en droit, en éducation et en réadaptation). Il avait pour mandat de fournir des renseignements, de donner de la rétroaction et de formuler des orientations. Le coordonnateur croyait qu’il serait impossible d’apporter des améliorations sur le plan des communications, de la compréhension et de la résolution des problèmes sans un partage de points de vue, de compétences et d’habiletés entre tous les intéressés. On espérait que le comité devienne un modèle de communication, de compréhension et de collaboration entre parlants et non-parlants. Le comité a consenti à ce que son expérience soit documentée et évaluée. Un chercheur uni versitaire a entrepris d’évaluer trois aspects du programme End the Silence : le contenu de la trousse d’information, le comité consultatif et le partenariat entre les deux organismes. Selon ces évaluations, le coordonnateur a reçu du comité une rétroaction abondante, représentant une vaste gamme d’expériences. Les membres du comité ont commencé à nouer des liens, ainsi qu’à partager leurs points de vue et leur savoir-faire. Le comité a aussi fait appel à des professionnels de la communauté, qui ont apporté leur temps et leur savoir-faire au programme. Malheureusement, l’objectif de communication n’a pas été atteint. Le programme visait à responsabiliser
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les femmes ayant une déficience physique et ne parlant pas, mais les réunions du comité tendaient à reproduire les schémas d’interaction de la société. Le comité, qui avait pourtant de bonnes intentions, a perpétué sans le faire exprès le silence de ces femmes. Cet exemple illustre comment deux organismes communautaires peuvent collaborer pour répondre aux besoins spéciaux des victimes d’abus sexuels de tous genres et comment les universités peuvent soutenir ces efforts. On a réussi à développer à peu de frais une ressource précieuse qui a contribué à éduquer la communauté. L’évaluation elle-même a été une occasion d’apprendre. Elle a en outre permis de diffuser à la fois la trousse et les connaissances acquises. Enfin, l’expérience des deux organismes montre que la promotion de la santé pose de nombreux défis. Méprise sur les recherches, les politiques, le traitement et les activités de prévention : l’expérience d’une ville
Aujourd’hui, la majorité des grandes villes canadiennes offrent des programmes de traitement aux survivants d’abus. En 1980, des activistes et des professionnels de Calgary ont organisé une conférence sur les abus sexuels à l’endroit des enfants, qui a aidé à convaincre le gouvernement fédéral de créer une commission spéciale. Le juge Herb Allard, de Calgary, faisait partie de cette commission, créée en 1983 (la commission Badgley). Il a rédigé le chapitre sur la prostitution juvénile, où il recommandait de faire de cette dernière une infraction liée au statut juridique de la personne. Depuis la publication du rapport, en 1985, Calgary a fait beaucoup pour empêcher la prostitution des enfants et des adolescents sur son territoire. Parmi les champions de cette cause figurent les services sociaux de la ville, les membres du conseil municipal et Centraide. Les mesures prises incluent la création d’équipes « de terrain », l’élaboration d’une procédure pour le corps policier et l’ouverture de maisons d’hébergement. Toute cette activité a attiré l’attention d’un tabloïde américain qui, en 1994, a publié un article où il qualifiait Calgary de « capitale de la prostitution juvénile au Canada ». Rien n’était plus loin de la vérité. Mais, parce que les activistes avaient donné la priorité au problème, on en a conclut que la prostitution juvénile était chose courante dans la ville (Bagley, 1995). Cet exemple est important, parce qu’il montre comment les gens tendent à éprouver un malaise à l’égard des programmes et services donnant l’impression que leur collectivité est plus « déviante » que les autres.
Conclusions et priorités
Les études cliniques et les recherches montrent la complexité des problèmes entourant la prévention et le traitement des abus sexuels à l’endroit d’enfants, ainsi que la difficulté de proposer des solutions universelles. Nous avons regroupé nos conclusions par thème ; néanmoins, les actions recommandées sont loin d’être mutuellement exclusives. Nous tenons d’ailleurs à rappeler aux décideurs que, en
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matière d’abus sexuels comme dans la plupart des domaines de la santé, il n’y a pas de vide politique : en refusant d’agir, on néglige le bien-être de nombreux enfants à court et à long terme.
Recherche
1. Clairement, la question mérite de faire l’objet de plus amples recherches et de meilleures conceptualisations. Il faut élaborer des modèles de programmes fondés sur les théories de changement individuel et social. On a également besoin de techniques bien conçues pour évaluer les stratégies de traitement et de prévention visant les enfants, les jeunes et les adultes. Tout cela supposera l’application de méthodes épidémiologiques ou d’autres méthodes quantitatives, triangulées avec des théories, des données phénoménologiques, des études de cas et d’autres méthodes qualitatives sérieuses. 2. Les répercussions de l’abus à court et à long terme varient. L’idéal serait bien sûr d’éliminer complètement l’abus sexuel à l’endroit des enfants, mais il y a peu de chances qu’on y parvienne. Il faut par conséquent faire plus de recherches sur la résilience des victimes, de manière à soutenir les ressources individuelles des sur-vivants. De toute évidence, les déterminants de la santé (le revenu, l’instruction, le statut social, les appuis sociaux, les mécanismes d’adaptation, la compétence et les services de santé conçus pour promouvoir la santé) jouent un rôle important à ce chapitre. 3. Les recherches en santé publique et la promotion de la santé n’accordent pas assez d’importance au sexe et aux préoccupations propres aux femmes. Les recherches sur l’abus sexuel à l’endroit des enfants doivent faire une distinction entre les sexes. Par exemple, les analyses vectorielles qui contrôlent le sexe ne font qu’induire en erreur, car il faut des modèles distincts pour les hommes et les femmes. La famille et son contexte social
4. Il faut comprendre le contexte familial dans lequel se produisent les abus sexuels, ainsi que la violence psychologique, la violence corporelle et la négligence qui les précèdent et les accompagnent souvent. 5. Il faut voir la famille dans le contexte des grands courants sociaux. La prévention des abus requiert une collaboration entre plusieurs secteurs. Cette institution qu’on appelle « famille » a changé radicalement au cours des 20 dernières années ; et les politiques sociales (notamment celles qui concernent les services de garde) peuvent, dans certains cas, influer sur sa capacité à résister aux stresseurs externes et internes. À un niveau plus général, il faut reconnaître l’isolement social des familles et enseigner à la population que demander de l’aide est non seulement correct, mais admirable. 6. Il faut mettre en place des programmes de soutien familial pour les familles reconstituées (un facteur de risque important) et favoriser l’établissement de liens
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solides entre les pères et leurs enfants (liens qui aident à prévenir l’inceste chez les pères). 7. Il faut créer des programmes de soutien pour les familles qui vivent des problèmes graves, tels que l’alcoolisme et la parentification des enfants, augmentant le risque d’abus. 8. Les communautés doivent soutenir les mères, qui ont un rôle à jouer dans la prévention de l’abus et doivent épauler leur enfant quand il s’avère qu’il y a eu inceste. On a cruellement besoin de politiques en ce sens. Services de prévention et de traitement
9. Il ne faut pas centrer la prévention sur les enfants, mais sur les adultes et les institutions communautaires ; ces derniers sont en effet les mieux placés pour arrêter les abus. 10. La prévention et le traitement doivent englober tous les types de maltraitance et de négligence. Les organismes doivent en outre collaborer et coordonner leurs efforts pour éviter le cloisonnement et rester près de la communauté. Cet effort d’intégration rehausse l’importance des travaux en promotion de la santé, en particulier les études sur le développement communautaire concomitant et la prestation de services en clinique. 11. Il semble que les problèmes psychologiques les plus graves à long terme aient généralement l’une ou l’autre des causes suivantes : a) abus sexuels à répétition durant l’enfance, accompagnés par d’autres problèmes familiaux, notamment des troubles de communication et d’attachement, ainsi que la négligence et la violence psychologique ; b) viol avec violence à l’adolescence. Les enfants qui vivent une expérience de ce genre doivent recevoir de l’aide le plus rapidement possible. 12. Les stratégies de prévention actuelles, qui visent les enfants, ne donnent peut-être pas les résultats escomptés ; au contraire, elles rendent peut-être les enfants plus vulnérables. L’éducation préventive doit viser les adolescents, à la fois victimes et agresseurs potentiels, ainsi que les adultes qui montrent un potentiel pédophile. Elle doit en outre reposer sur des recherches, des évaluations et des théories solides. 13. Une fois adultes, certains survivants développent des problèmes de santé que l’on ne pourra régler à moins de traiter l’étiologie psychosociale sous-jacente. Heureusement, il semble que la santé de ces adultes s’améliore souvent lorsqu’un professionnel en qui ils ont confiance reconnaît l’importance de leur passé ; d’autres ont cependant besoin d’une aide additionnelle. Tous les professionnels de la santé devraient apprendre à reconnaître et à traiter les séquelles d’abus. Les survivants ont également besoin d’un plus grand nombre de programmes d’entraide et d’autoassistance.
Questions juridiques
14. Les examens et interrogatoires prolongés auxquels on soumet les enfants victimes d’abus avant qu’ils ne témoignent en cour peuvent être aussi traumatisants
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que l’agression elle-même. Nous avons décrit plus haut deux modèles de substitution : le programme de préparation des témoins conçu par la Family Court Clinic de l’Ontario ; le Bureau des services à la jeunesse du Québec, qui laisse aux travailleurs sociaux le soin de déterminer s’il y a lieu de faire appel à la police dans un cas précis. Nous croyons qu’une combinaison de ces deux modèles serait très profitable aux enfants. 15. Les services de police peuvent porter des accusations criminelles contre les adultes qui achètent les services sexuels de mineurs, mais ils le font rarement. Le Canada a un urgent besoin de techniques novatrices de maintien de l’ordre et de mécanismes de soutien social pour les victimes. Faire de la prostitution juvénile une infraction liée au statut juridique de la personne encouragerait peut-être les interventions de ce genre. 16. Le traitement des pédophiles en milieu carcéral est possible et rentable à plus d’un égard : en effet, il permet non seulement d’économiser de l’argent, mais empêche aussi que des enfants soient agressés. Les programmes de ce genre sont sous-financés, et il en résulte que de nombreux pédophiles sont relâchés sans avoir reçu de traitement. 17. Peu d’agresseurs sont jugés et la procédure judiciaire s’avère souvent dévastatrice pour les victimes et leur famille. Puisque le système judiciaire est responsable des délinquants sexuels, les autres institutions sociales s’en lavent les mains. Il faut repenser les politiques publiques, qui favorisent la correction et l’emprisonnement plutôt que le traitement et la réadaptation en milieu communautaire.
Besoins spéciaux
18. Les adolescents qui passent à l’acte, qui sont troublés ou qui fuguent sont souvent blâmés pour un comportement antisocial attribuable à la violence de leur milieu familial. Il est injuste et inutile de blâmer les victimes. La majorité des mineurs qui se livrent à des actes de prostitution ont été victimes d’abus et ont besoin d’une aide immédiate. Il faut plus de travailleurs sur le terrain et plus de maisons d’hébergement. 19. Les peuples autochtones ont les ressources sociales et psychologiques nécessaires pour résoudre leurs problèmes d’abus à l’endroit des enfants, mais ils manquent de ressources matérielles. Cela veut dire qu’il faut, entre autres choses, régler équitablement les revendications territoriales et adopter des politiques pour mettre fin au racisme et à la discrimination. 20. Les personnes handicapées sont quatre fois plus souvent victimes d’agression sexuelle que les personnes du même âge n’ayant aucune déficience. Il faut rendre les services accessibles et permettre à ceux et celles qui interviennent auprès des personnes handicapées de s’occuper des problèmes d’abus. 21. Tous les programmes et toutes les politiques devraient tenir compte des problèmes de racismes, respecter les différences culturelles et prendre en considération la synergie culturelle.
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Financement
22. Plusieurs programmes d’intervention novateurs ont vu le jour au Canada dans les années 1980. Malheureusement, les restrictions budgétaires aux échelons provincial et fédéral ont accru le stress des travailleurs, freiné la créativité et l’innovation, et réduit l’efficacité de certains programmes. Le filet de sécurité sociale a été conçu, en partie, pour garantir un accès équitable à tous les déterminants de la santé. Quand ce filet est déchiré, les enfants sont les premiers à passer à travers les trous. Recommandations particulières
I. Les principaux organismes qui financent la recherche dans le domaine des abus sexuels à l’endroit des enfants devraient collaborer afin de promouvoir les travaux qui visent à consolider les fondements théoriques, à combler des lacunes précises dans les connaissances, à évaluer des programmes et à disséminer le savoir. Ils devraient en particulier appuyer les recherches multidisciplinaires, non sexistes et sensibles aux différences culturelles qui prennent naissance à l’échelon local et qui mettent l’accent sur l’action. II. Il conviendrait d’organiser une conférence nationale ou internationale sur les modèles d’intervention évalués, afin de diffuser les connaissances, de faciliter le maillage en réseaux et d’encourager les communautés canadiennes à se préoccuper sérieusement des abus sexuels à l’endroit des enfants. III. Les programmes d’intervention entrepris à titre de démonstration devraient être appuyés, en particulier s’ils touchent un aspect encore peu exploré (p. ex. les adolescents qui deviennent ou risquent de devenir des agresseurs, les seconds maris, les pédophiles non incarcérés et les mères des victimes). Ces programmes devraient en outre mettre l’accent sur le développement des ressources individuelles et communautaires plutôt que sur la professionnalisation. IV. Le programme d’études de toutes les disciplines pertinentes enseignées dans les collèges et les universités devrait faire l’objet d’un examen semblable à celui effectué par Santé Canada en en ce qui concerne la violence familiale Christopher Bagley, Ph. D., est spécialisé en psychosociologie et travaille dans le domaine de l’assistance sociale. Il a entrepris une étude longitudinale des enfants victimes d’abus sexuels pour l’année 1968 et a rendu compte de l’état de santé mentale de cette cohorte devenue adulte dans son livre Child Sexual Abuse and Mental Health in Adolescents and Adults (1995). Il a signé, en collaboration avec Wilfreda Thurston de l’Université de Calgary, un ouvrage en deux tomes intitulé Understanding and Preventing Child Sexual Abuse (1996). Parmi ses livres les plus récents on note : Children, Sex and Social Policy : Humanistic Solutions for Problems of Child Sexual Abuse (1997) et, en collaboration avec Richard Ramsay de l’Université de Calgary, Suicidal Behavior in Adolescents and Adults (1997). Il a obtenu son doctorat à l’Université du Sussex, en Grande-Bretagne, et travaillé pour le Service de psychiatrie sociale du Medical Research Council, à l’hôpital Maudsley de Londres. Par la suite, il s’est rendu au
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Canada, où il a accepté la Chaire de la protection de l’enfance à l’Université de Calgary, poste qu’il a occupé durant quinze ans, avant de retourner en Angleterre s’occuper de la Chaire d’assistance sociale de l’Université de Southampton. Le professeur Bagley a aussi publié des ouvrages et articles sur l’adaptation des enfants immigrés (de la Jamaïque au Canada), l’influence des troubles neurologiques sur l’adaptation des enfants, et la santé et l’adaptation des enfants en adoption internationale et interraciale. Il vient de terminer une étude comparative des trafiquants de sexe à Calgary et à Manille. Wilfreda Thurston, Ph. D. en épidémiologie et en recherche sur la santé, a œuvré auprès d’organismes gouvernementaux et communautaires de services sociaux et de santé. Elle se spécialise dans la planification et l’évaluation de programmes de promotion de la santé, s’intéressant particulièrement à la santé des femmes et des groupes ethnoculturels. Elle enseigne au Département des sciences de la santé communautaire de la Faculté de médecine de l’Université de Calgary, dont elle dirige également l’Office of Gender and Equity Issues, en même temps qu’elle préside le University Women’s Health Research Group.
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Bibliographie Nota : Les travaux cités dans le présent document ont fait l’objet d’une analyse en deux volumes, réalisée par Bagley et Thurston (1996a et 1996b). Prière de consulter ces ouvrages pour une liste plus complète des références.
Babins-Wagner, R., 1991, « Development and evaluation of a family systems approach to the treatment of child sexual abuse », dans Child Sexual Abuse : Expanding the Research Base on Program and Treatment Outcomes, compilé par B. Thomlison et C. Bagley, Calgary, University of Calgary Press, p. 103-128. Badgley, R. (président), 1984, Infractions sexuelles à l’égard des enfants : rapport du Comité sur les infractions sexuelles à l’égard des enfants, vol. 1 et 2, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada. Bagley, C., 1995, Child Sexual Abuse and Mental Health in Adolescents and Adults in Canada and Britain, Brookfield, Avebury. Bagley, C. et King, K., 1990, Child Sexual Abuse : The Search for Healing, London, TavistockRoutledge. Bagley, C. et Ramsay, R., 1990, « Sexual abuse in childhood : Psychological outcomes and implications for social work practice », Journal of Social Work and Human Sexuality, no 4, p. 33-47. Bagley, C. et Thomlison, R., 1991, Child Sexual Abuse : Critical Perspectives on Prevention, Intervention, and Treatment, Toronto, Wall and Emerson. Bagley, C. et Thurston, W.E., 1989, « Preventing child sexual abuse : Reviews and research », Rehabilitation and Health Monograph Series, no 18, Calgary, Faculté de travail social de l’Université de Calgary. ______, 1996a, Understanding and Preventing of Child Sexual Abuse. Volume II – Male Victims, Adolescents, Adult Outcomes, and Offender Treatment, Aldershot, Arena Social Work Pubs. ______, 1996b, Understanding and Preventing Child Sexual Abuse. Volume I – Children : Assessment, Social Work and Clinical Issues, and Prevention Education, Aldershot, Arena Social Work Pubs. Bagley, C., Wood, M. et Khumar, H., 1991, « Suicide and careless death in an Aboriginal population », Canadian Journal of Community Mental Health, no 9, p. 127-142. Barbaree, H. et Marshall, W., 1991, « Treatment of the adult male child molester », dans Child Sexual Abuse : Critical Perspectives on Prevention, Intervention and Treatment, compilé par C. Bagley et R. Thomlison, Toronto, Wall and Emerson, p. 217-256. Bentovim, A., 1988, Child Sexual Abuse Within the Family : Assessment and Treatment, London, Wright-Butterworth. Breen, H., 1994, « Child sexual abuse : Parent group leads to community and social action », Revue canadienne de santé publique, no 85, p. 381-384. Breen, H., Harper, K., Staley, S., Steadman, J.H., Wargel, K. et Watson, E., 1994, « Effectiveness of group treatment for female adult survivors of child sexual abuse », manuscrit non publié. Briere, J., 1992, Child Abuse Trauma : Theory and Treatment of the Lasting Effects, Newbury Park, Sage. Bukowski, W., 1992, « Sexual abuse and maladjustment considered from the normal development process », dans The Sexual Abuse of Children : Theory and Research, compilé par W. O’Donahue et J. Geer, vol. I, Hillsdale (NJ), Erlbaum, p. 261-282. Comité consultatif fédéral-provincial-territorial sur la santé de la population, 1994, Stratégies d’amélioration de la santé de la population : investir dans la santé des Canadiens, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada.
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Prévenir les blessures accidentelles chez les enfants Barbara A. Morrongiello, Ph. D., C. Ps. Professeur de psychologie University of Guelph
Résumé Au Canada, les blessures entraînent à elles seules plus de décès chez les enfants que les six causes énumérées ci-dessous réunies. Les blessures figurent également parmi les principales causes de consultation en salle d’urgence et d’hospitalisation. Il existe de nombreux programmes et de nombreuses mesures de contrôle, mais, trop souvent, leur efficacité n’a pas été démontrée. Dans le présent document, on jette un œil critique sur les programmes de prévention des blessures chez les enfants âgés de 13 ans et moins. Ce document vise les buts suivants : 1) cerner les approches à grande échelle et les programmes qui se sont montrés efficaces pour promouvoir l’observation des règles de sécurité chez les enfants, réduire les comportements pouvant causer des blessures et diminuer les blessures proprement dites ; 2) examiner certaines questions relatives à l’évaluation des programmes ; 3) discuter des mesures à adopter à partir de ces données. Le document est composé des parties suivantes : – un survol des constatations épidémiologiques en ce qui a trait aux blessures chez les enfants et une discussion des effets de ces constatations sur les programmes de prévention des blessures chez les enfants (c.-à-d. quels types de programmes sont nécessaires à diverses étapes du développement de l’enfant) ; – une brève discussion des avantages et des coûts des approches actives (soit les approches qui exigent un certain degré de participation des sujets) et des approches passives (celles qui ne nécessitent aucune participation des sujets) de prévention des blessures. – une discussion des questions relatives à l’évaluation de programme dans la documentation sur le sujet ; – un examen critique des programmes visant à prévenir les blessures chez les enfants ;
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– des conclusions et des recommandations pour les futurs programmes de prévention des blessures chez les enfants ; – une discussion des mesures préconisées. La partie portant sur l’évaluation de programme contient des détails sur les caractéristiques structurelles, le contenu et l’efficacité des programmes qui visent à prévenir les types de blessures les plus fréquents chez les enfants : les accidents d’automobile, soit comme passager, soit comme piéton ; les brûlures, les traumatismes à la tête et à la moelle épinière ; les blessures subies au foyer. Les programmes ont été inventoriés à la lumière d’entretiens avec des professionnels canadiens qui travaillent dans ce domaine et au moyen d’une recherche informatique poussée des écrits sur le sujet parus partout dans le monde. Les programmes qui n’ont jamais été évalués n’ont pas été inclus. Nous avons tiré un certain nombre de conclusions : 1. Les approches passives sont extrêmement rentables et atteignent une grande partie de la population ciblée. Il en résulte d’importantes diminutions des taux de mortalité infantile. Bref, ces approches sont très efficaces. 2. Les approches actives connaissent divers degrés de succès attribuables à plusieurs facteurs : • Celles qui mettent l’accent sur l’éducation entraînent rarement des changements de comportement et, par conséquent, sont presque toujours inefficaces à titre de méthode de prévention des blessures lorsqu’on les considère de façon isolée. • Ces programmes sont plus efficaces lorsqu’ils ciblent des groupes à risque pour certains types de blessures et qu’ils sont mis en œuvre dans un contexte personnel et individuel. Pour améliorer l’efficacité des programmes qui ciblent directement les enfants, il faut faire participer ces derniers. 3. Les interventions ayant pour but de modifier le comportement (réduction des comportements à risque, meilleure observation des règles de sécurité) sont beaucoup plus efficaces que les programmes d’éducation. Les programmes de modification du comportement donnent souvent de bons résultats pour ce qui est de l’observation des règles à court terme et de la baisse (jamais en deçà de la norme, cependant) des taux sur des périodes plus longues (6 à 12 mois). L’efficacité de ces programmes peut être portée à son maximum par l’intégration d’un agencement de caractéristiques (jeux de rôle ou apprentissage par l’observation, rétroaction et gratifications). Les taux d’observation des règles de sécurité peuvent demeurer élevés durant de longues périodes grâce à des séances de renforcement périodiques. 4. Les interventions communautaires peuvent être très efficaces et produire des changements de comportement et d’attitudes. Les programmes qui ont du succès visent un seul but (p. ex. promouvoir le port du casque chez les cyclistes) et comportent un élément éducatif (p. ex. publicité à la télévision locale). Ils transmettent aussi de l’information simultanément par l’entremise de nombreuses sources, créant ainsi des interventions d’un tel impact qu’il est difficile de ne pas être informé et de ne pas se laisser entraîner. Ces interventions peuvent être très rentables. De ces conclusions découlent de nombreuses recommandations : 1. Les approches passives pour la prévention des blessures doivent être utilisées partout où c’est possible.
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2. Il faut choisir les approches actives en fonction de leur rentabilité, de la population visée (p. ex. un segment à haut risque ou à faible risque) et des comportements à modifier. Il est préférable de limiter l’intervention aux types de blessures les plus graves ou les plus fréquentes au lieu de viser toute une gamme de blessures en même temps. Il faut créer des programmes aussi pluridimensionnels que le permettent les ressources financières et humaines disponibles. • Combiner les mesures législatives à des stratégies d’éducation du public et d’application. • Veiller à ce que les interventions éducatives s’adressent à l’individu, qu’elles soient menées à bien par des personnes respectées, qu’elles visent des groupes à haut risque et qu’elles portent sur un sujet précis. • Assurer le suivi des interventions visant à agir sur les comportements à l’aide de messages de renforcement occasionnels afin de favoriser un taux élevé d’observation à long terme. Pour réduire les coûts, il faut limiter les programmes aux enfants qui sont particulièrement à risque pour un type de blessure particulier. • Intégrer aux interventions communautaires des éléments éducatifs et comportementaux ainsi que des stratégies ascendantes (c.-à-d. qui viennent de la communauté) plutôt que des stratégies descendantes (c.-à-d. qui sont imposées de façon organisationnelle) et faire en sorte que l’intervention convienne à l’auditoire visé et tienne compte de la culture de la communauté ciblée. Un certain nombre de mesures à adopter sont discutées : 1. Au Canada, la prévention des blessures devrait être une priorité et être gérée à l’échelon national plutôt que provincial. Il faut élaborer un programme et essayer de sensibiliser le public ainsi que les secteurs privé et public à cette menace pour la santé. 2. Nous devrions désigner un groupe d’intervenants clés et lui donner le mandat, les ressources et l’autorité pour élaborer et mettre en œuvre une stratégie nationale de prévention des blessures et éliminer les chevauchements. 3. Bien que les évaluations de programme représentent une dépense d’argent et que les décisions sur les mesures de prévention et les stratégies d’évaluation appropriées soient difficiles à prendre, elles sont des éléments indispensables des programmes d’intervention et de prévention. La validité apparente (soit la mesure dans laquelle le programme semble s’attaquer au problème de blessure visé) ne suffit pas. 4. Puisque les données relatives aux blessures sont d’une importance cruciale pour définir les questions de prévention aux échelons local et national et pour déterminer le degré d’efficacité des programmes de prévention, la surveillance des blessures doit inclure une collecte exhaustive d’information, être instaurée dans tous les hôpitaux et faire appel aux techniques de l’heure. 5. Les populations à haut risque doivent devenir le point de mire des programmes de prévention des blessures. Cependant, il faut poursuivre les recherches afin de cerner les déterminants clés de la santé dans ces populations (p. ex. les garçons, les enfants de familles à faible revenu, les enfants autochtones). En mettant ces programmes en œuvre sans avoir auparavant effectué une évaluation complète des facteurs et des processus qui contribuent à augmenter ou diminuer les risques de blessures dans ces groupes, on ne fait qu’augmenter les probabilités d’échec.
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Table des matières
Les blessures chez les enfants ..........................................................................192 Les facteurs liés au développement .............................................................192 Les facteurs liés au sexe................................................................................193 Les facteurs socioéconomiques.....................................................................194 Comparaison entre les approches actives et passives pour la prévention des blessures .....................................................................195 Les stratégies passives...................................................................................195 Les stratégies actives.....................................................................................196 Questions d’évaluation . ............................................................................... 197 Programmes de prévention des blessures : les « modèles à suivre » ....................................................................................200
Blessures subies par des passagers dans un accident d’automobile....................................................................200 Programmes visant à promouvoir l’utilisation des sièges d’auto...............200 Programmes de promotion du port de la ceinture de sécurité pour les enfants.......................................................................................204 Blessures occasionnées aux piétons dans un accident d’automobile....................................................................207 La Safe Kids/Healthy Neighborhoods Coalition ....................................208 Brûlures.......................................................................................................211 Traumatismes à la moelle épinière et à la tête...............................................214 Programmes de promotion du port du casque de cycliste........................216 La Seattle Children’s Bicycle Helmet Campaign......................................218 Blessures au foyer .......................................................................................220 Programmes de prévention des blessures chez les nourrissons et les enfants d’âge préscolaire.................................................................220 Le Safe Block Project..............................................................................224 Programmes d’enseignement des règles de sécurité au foyer à l’intention des enfants « clé au cou »......................................................226
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Empoisonnement........................................................................................228 Noyade........................................................................................................228 Suffocation..................................................................................................229 Chutes.........................................................................................................229 Conclusions et recommandations ...................................................................230 Stratégies passives........................................................................................230 Stratégies actives..........................................................................................230 Stratégies de prévention législatives.........................................................230 Programmes d’éducation........................................................................231 Programmes de modification du comportement.....................................231 Interventions communautaires................................................................232 Mesures préconisées ........................................................................................232 Faire de la prévention des blessures une priorité nationale............................233 Déterminer les principaux intervenants pour appliquer la solution...........................................................................235 Rendre obligatoire l’évaluation des programmes..........................................236 Améliorer la surveillance..............................................................................237 Entreprendre des recherches sur les facteurs et les processus qui sont à l’origine des blessures chez les populations à haut risque..............239 Bibliographie....................................................................................................242
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Barbara A. Morrongiello – Prévenir les blessures accidentelles chez les enfants
Si une maladie tuait nos enfants en aussi grand nombre que les accidents, les gens seraient hors d’eux-mêmes et exigeraient que l’on élimine ce fléau. C. Everett Koop, 1991, M. D. (ancien ministre de la Santé des États-Unis)
Au Canada, comme dans de nombreux pays industrialisés, les blessures par accident sont la principale cause de mortalité chez les enfants de plus de 1 an (ICSI, 1994). La mortalité infantile n’est qu’une partie du problème. Les blessures sont également une des grandes causes de consultation en salle d’urgence et d’hospitalisation des enfants. Ainsi, les blessures sont une menace nationale pour la santé et le bien-être des enfants canadiens. Au cours des 20 dernières années, au fur et à mesure que le taux de mortalité attribuable aux maladies infectieuses et aux mauvaises conditions d’hygiène a commencé à baisser, l’attention s’est portée sur les blessures dont les enfants sont victimes. On a mis en place de nombreux programmes et plusieurs mesures pour prévenir les blessures. Cependant, trop souvent l’efficacité de ces programmes n’a pas été déterminée ou on a constaté qu’elle laissait à désirer. Dans le présent document, on jette un œil critique sur les programmes qui visent à prévenir les blessures accidentelles (à l’exclusion du suicide) chez les enfants de moins de 13 ans. Le principal objectif du présent document est de faire état des succès, soit des programmes qui ont été évalués et ont donné des résultats satisfaisants pour la prévention des blessures chez les enfants. Le document est divisé en plusieurs parties. La première est un survol de l’incidence des blessures qui met en relief les types de blessures les plus fréquentes à diverses étapes du développement et leurs corrélations. La deuxième partie traite de façon générale des points forts et les lacunes des stratégies de prévention passives et actives. Certaines questions relatives à l’évaluation des programmes y sont soulevées et on passe en revue des programmes regroupés selon le type de blessure. La sélection de programmes n’est pas exhaustive ; on a plutôt tenté de déterminer et d’examiner ceux qui ciblent les populations à haut risque de blessures chez les enfants. Soulignons que les programmes de l’échantillon ont été sélectionnés à partir d’une base de données internationale. Enfin, on fait des recommandations pour les futurs programmes de prévention des blessures et discute des mesures préconisées.
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Les blessures chez les enfants
Divers facteurs ont une influence sur le type et le nombre de blessures chez les enfants, notamment le niveau de développement, le sexe et la situation socioéconomique de l’enfant1. Ces facteurs sont tous traités ci-dessous. Les facteurs liés au développement
Les types de blessures qui se produisent fréquemment chez les enfants et les endroits où surviennent ces blessures varient beaucoup selon le niveau de développement de l’enfant (Shanon et al., 1992). Ces différences ont d’importantes répercussions sur le ciblage des programmes de prévention. Les blessures chez les nourrissons (qui n’ont pas encore développé leurs fonctions locomotrices) se produisent souvent au foyer. Les blessures qui surviennent à la maison sont, entre autres, les chutes d’un endroit élevé, la suffocation, les brûlures par l’eau ou la nourriture et les noyades dans la baignoire. Les blessures subies dans des accidents d’automobile découlent du fait qu’un enfant n’est pas installé dans un siège d’auto, que l’enfant est installé dans un siège d’auto qui ne convient pas, que le siège est orienté dans la mauvaise direction ou encore qu’il n’est pas fixé solidement. Selon l’Institut canadien sur la santé infantile (ICSI, 1994), les principales causes de décès par suite de blessures chez les enfants au Canada sont la suffocation, les brûlures, la noyade, les chutes et les accidents de voiture. Les chutes constituent la principale cause d’hospitalisation. Puisque ces blessures découlent souvent de décisions ou de comportements des dispensateurs de soins, les programmes de prévention visant à réduire les blessures chez les enfants sont souvent axés sur les dispensateurs de soins. Comme pour les nourrissons, c’est surtout au foyer et dans des accidents de voiture que les jeunes enfants (qui sont capables de se mouvoir, mais sont limités sur le plan de la communication, soit les enfants de 12 mois à 3,5 ans) subissent des blessures. Cependant, le comportement des jeunes enfants joue un rôle plus prépondérant dans ce cas-ci. À la maison, ce sont souvent des facteurs comme la curiosité croissante de l’enfant, son besoin de bouger et son désir d’explorer le monde qui l’entoure qui sont à l’origine des blessures. Cette catégorie de blessures englobe les empoisonnements par ingurgitation de médicaments ou de produits de nettoyage, les cas d’étouffement avec de petits objets comme des boutons et des pièces de monnaie, la suffocation avec des sacs de plastique ou des cordes de stores vénitiens, la noyade dans de grands bacs et dans des bassins pour les plantes, les coupures avec des objets pointus ou coupants comme des couteaux ou des outils, les brûlures avec des briquets et les chutes d’un endroit élevé ou dans des escaliers ainsi que les blessures causées par des meubles que les enfants font tomber sur eux 1. D’autres facteurs qui influent sur les statistiques relatives aux blessures (p. ex. les antécédents familiaux, la région géographique, le contexte urbain ou rural, la race, les variations temporelles, les influences historiques) sont examinés, par exemple, par Baker et al., 1984 ; Rivara et Muller, 1987 ; Wilson et al., 1991 et l’ICSI, 1994.
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en essayant d’y grimper. Selon l’Institut canadien de la santé infantile (ICSI, 1994), les principales causes de décès par suite de blessures chez les jeunes enfants sont les accidents d’automobile, les noyades, les brûlures et la suffocation. Les chutes constituent la principale cause d’hospitalisation. Les blessures causées par un accident de la route englobent aussi les accidents dont sont victimes les piétons (p. ex. un enfant qui surgit dans la rue en courant), bien que ce genre d’accident soit plus rare dans ce groupe que chez les enfants plus âgés. Puisque les blessures chez les jeunes enfants sont souvent causées par un manque de jugement de la part du dispensateur de soins, une surveillance insuffisante ou un manque de connaissances, les programmes de prévention des blessures chez les jeunes enfants s’adressent également aux personnes qui prennent soin de ces derniers. Les enfants d’âge préscolaire (3,5 ans à 6 ans) et les jeunes écoliers (moins de 10 ans) courent un risque accru d’être victimes, en tant que piétons, d’accidents causés par des véhicules automobiles. Divers programmes tentent de réduire ce type de blessures. Certains ciblent les dispensateurs de soins et d’autres visent directement les enfants. La plupart des programmes qui visent les enfants sont offerts dans les écoles. De nombreux enfants d’âge préscolaire et de jeunes écoliers se promènent à bicyclette ou pratiquent d’autres sports qui sont à l’origine de nombreuses blessures. Les enfants à bicyclette sont souvent heurtés par des automobiles ou ils heurtent eux-mêmes des automobiles ou d’autres objets stationnaires. Ce genre d’accident peut entraîner des blessures comme celles causées par les chutes (coupures, fractures, etc.) et des traumatismes à la tête. Les programmes de sécurité à bicyclette s’adressent souvent aux enfants eux-mêmes, bien que certains programmes visant à répandre le port du casque cycliste s’adressent plutôt aux parents. Comme pour les nourrissons et les jeunes enfants, les chutes constituent la principale cause d’hospitalisation chez les enfants d’âge préscolaire et les écoliers canadiens (ICSI, 1994). Enfin, en ce qui concerne les enfants canadiens âgés de 10 à 13 ans, les principales causes de décès par suite de blessures sont les accidents mettant en cause un véhicule automobile, les brûlures, la suffocation et les noyades. Dans ce groupe également, les chutes constituent la principale cause d’hospitalisation (ICSI, 1994). Les programmes visant à réduire les blessures chez les enfants de ce groupe s’adressent directement aux enfants. Les facteurs liés au sexe
À chaque âge passé l’âge de 1 an, on constate que les risques sont plus élevés chez les garçons que chez les filles dans presque toutes les catégories de blessures (Baker et al., 1984 ; ICSI, 1994). Cette différence entre les sexes sur le plan des blessures n’est pas le propre de l’enfance puisqu’elle persiste jusqu’à l’âge de 70 ans (Rivara et Mueller, 1987). Selon le type de blessures, le taux de blessures est de deux à quatre fois plus élevé chez les garçons que chez les filles. Cet écart est particulièrement grand dans le cas des blessures causées par la vitesse ou par un transfert mécanique d’énergie, comme les accidents d’automobile et les blessures subies en pratiquant
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un sport ou en jouant (Rivara et Mueller, 1987). Outre leur incidence accrue, les blessures de ce type sont également plus graves chez les garçons. Les facteurs qui font que les garçons se blessent davantage sont complexes et difficiles à saisir pleinement. Les écarts dans les taux de blessures ne sont pas simplement imputables à la différence d’exposition aux risques – les corrections statistiques pour tenir compte des taux de participation font quand même ressortir et parfois accentuent cette différence entre les sexes (Routledge et al., 1974 ; Rivara et al., 1982). Les recherches révèlent que les différences innées sur les plans de l’impulsivité et du niveau d’activité (Manheimer et Mellinger, 1963 ; Matheny, 1980, 1988), les jeux plus agressifs et plus audacieux auxquels s’adonnent les garçons (Smith et Daglish, 1977), le goût du risque plus prononcé chez les garçons (Ginsberg et Miller, 1982) sont autant de facteurs qui contribuent à cet écart des taux de blessures entre les sexes. Des recherches plus récentes effectuées dans mon propre laboratoire ont révélé que les attitudes et les opinions des enfants en ce qui concerne les blessures sont très étroitement liées à leurs décisions de prendre ou non des risques. Les garçons de 6 à 10 ans sont plus optimistes (c.-à-d. qu’ils ont la conviction de courir moins de risques d’être blessés que les autres) que les filles du même groupe d’âge ; ils ont plus tendance que les filles à sous-estimer la gravité perçue d’une blessure réelle ou potentielle et ils attribuent les blessures et les accidents à la malchance plus souvent que ne le font les filles (Morrongiello et Rennie, sous presse). Malgré cet écart entre les sexes sur le plan des blessures, on se rend compte, en examinant les ouvrages sur la prévention, qu’aucun programme ne cible les garçons différemment des filles.
Les facteurs socioéconomiques
Un survol des études épidémiologiques sur les blessures permet de constater que l’incidence des blessures varie également selon la situation socioéconomique (Baker et al., 1984 ; Wilson et al., 1991 ; ICSI, 1994). Il a été prouvé que le niveau d’instruction de la mère, souvent considéré comme un indice indirect de la situation socioéconomique, est inversement associé au risque de blessures infantiles (Rivara et Mueller, 1987). Une situation socioéconomique défavorable est associée non seulement à un taux de blessures plus élevé, mais également à des blessures plus graves, voire fatales (Rivara et Mueller, 1987). Par exemple, une étude très bien conçue menée dans le Maine a révélé que les enfants pauvres étaient deux fois plus susceptibles de subir des blessures fatales que les enfants mieux nantis (Nersesian et al., 1985). Au Canada, les enfants autochtones, qui viennent trop souvent de familles à faible revenu, ont un taux de blessures de quatre à sept fois plus élevé que la moyenne nationale pour les enfants (ICSI, 1994). On n’a pas encore clairement établi comment la situation socioéconomique influe sur le taux de blessures infantiles, mais il est probable que plusieurs éléments entrent en jeu. Dans les secteurs où sont concentrées des familles économiquement défavorisées, par exemple, les enfants grandissent dans un environnement plus
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dangereux et ont moins d’aires de jeu adéquates (Lueller et al., 1990). Les enfants dans ces secteurs risquent plus de jouer dans les rues et d’utiliser des matériaux dangereux à la place de jouets (p. ex. des morceaux de bois au lieu de bâtons de baseball, des cailloux au lieu de balles de baseball). Souvent, les familles dans ces secteurs sont plus bruyantes et plus chaotiques, autant de caractéristiques liées à un risque élevé de blessures. Les caractéristiques parentales peuvent également contribuer à accroître le risque. Les parents dans les secteurs pauvres n’ont souvent qu’une connaissance limitée du développement de l’enfant et peuvent mal évaluer les capacités de leurs enfants, les plaçant ainsi dans des situations où le risque de blessures est élevé (Rivara et Howard, 1982). Quels que soient les facteurs qui contribuent à augmenter les risques de blessures chez les enfants pauvres, les statistiques établissent clairement que les programmes doivent cibler ces groupes à haut risque si l’on veut réellement prévenir les blessures. À cette fin, le présent document se penche sur les programmes de prévention qui ont, avec succès, axé leurs efforts sur les populations à haut risque et à faible revenu. Comparaison entre les approches actives et passives pour la prévention des blessures
On caractérise souvent les stratégies de prévention des blessures comme étant actives ou passives (Williams, 1982), même s’il a déjà été établi qu’il serait préférable de les considérer comme un continuum (Wilson et Baker, 1987). Les stratégies passives
Les stratégies passives sont des approches de prévention des blessures axées sur la communauté ou la population et qui n’exigent aucune ou à peu près aucune participation des individus. Ces stratégies sont souvent désignées comme des stratégies environnementales ou structurelles de prévention des blessures puisqu’elles créent une protection en faisant apporter des changements à la conception des produits ou à l’environnement. Les bouchons à l’épreuve des enfants imposés par la loi dans le cas des médicaments, les coussins de protection gonflables dans les automobiles et les vêtements de nuit pour enfants résistant au feu sont autant d’exemples de prévention passive. Wilson et Baker (1987) résument ainsi les buts de ce genre d’approche : 1) ne pas créer de nouveaux dangers ; 2) éliminer ou réduire les dangers existants ; 3) mettre en œuvre des stratégies de réduction des risques dans le cas des dangers qui ne peuvent être changés. Alors que les approches qui satisfont à ces critères ont prouvé leur grande efficacité en matière de prévention de plusieurs types de blessures chez les enfants, d’autres interventions passives créent parfois de nouveaux dangers. À titre d’exemple, on a découvert que certains agents ignifuges utilisés dans la fabrication des vêtements de nuit pour enfants avaient des propriétés cancérigènes (Blum et Ames, 1977). Les bosses de décélération, qui sont conçues pour obliger les automobilistes à rouler moins vite, sont parfois, en fait, une cause d’accidents parce qu’elles font perdre la
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maîtrise de son véhicule au conducteur (Allen et Walsh, 1975 ; Turturici, 1975). De toute évidence, il faut évaluer et soupeser les effets négatifs potentiels par rapport aux effets positifs prévus lorsque l’on décide d’adopter une stratégie passive. Dans les écrits sur la prévention des blessures, le consensus est que les approches passives sont plus efficaces que les autres stratégies (Williams, 1982 ; Wilson et Baker, 1987). Si l’on a pas plus souvent recours aux approches passives, c’est probablement surtout parce qu’elles sont très difficiles à mettre en œuvre et à faire accepter (Roberts, 1987). Bien que très efficaces, les changements légiférés demandent beaucoup de temps et d’efforts avant qu’on puisse les mettre en œuvre. Les lobbyistes doivent documenter la portée et l’importance du problème posé par le type particulier de blessure, démontrer que l’intervention proposée aura pour effet d’atténuer ou de réduire le problème et convaincre les décideurs politiques que les effets seront suffisamment importants pour justifier une telle intervention. En outre, plus la question est délicate sur le plan politique (p. ex. le contrôle des armes à feu), moins il est probable d’en arriver à un consensus sur les mesures législatives appropriées. Bien que les approches réglementaires de prévention des blessures se soient révélées efficaces, la lutte entre les défenseurs des droits individuels et les tenants de la sécurité des enfants se poursuit et restreint l’utilisation des approches passives de prévention des blessures (Roberts et Brooks, 1987 ; Peterson et Roberts, 1992).
Les stratégies actives
Les stratégies actives sont des approches de prévention des blessures axées sur la personne et elles exigent des actions répétées de celle-ci pour empêcher que les blessures ne se produisent. Les passagers des automobiles, par exemple, doivent prendre l’initiative d’attacher leur ceinture de sécurité chaque fois qu’ils sont en voiture. Puisqu’il n’est pas possible d’avoir recours aux stratégies passives pour toutes les situations, de nombreux chercheurs tentent de trouver des moyens pour accroître le succès (l’application par la personne) des approches actives de prévention des blessures. Beaucoup d’interventions actives qui ont un bon taux de succès s’inspirent de principes psychologiques et font appel à des techniques de modification du com portement pour changer les comportements individuels dangereux. Ces interventions sont, notamment, l’éducation (p. ex. au sujet des statistiques sur les blessures subies par les passagers), l’adoption de comportements sécuritaires (p. ex. le port de la ceinture de sécurité) et les gratifications pour avoir observé les règles de prudence (p. ex. la remise d’autocollants aux enfants qui portent leur ceinture de sécurité durant le trajet jusqu’à l’école). Grâce à des séances de renforcement (mises à jour) périodiques, on peut maintenir durant longtemps un niveau assez élevé d’observation des règles de prudence (Roberts et al., 1987). Les premières approches actives s’appuyaient uniquement sur l’éducation et elles se sont révélées plutôt inefficaces (voir Pless et Arsenault, 1987). L’intégration de principes de psychologie a augmenté l’efficacité des approches actives de prévention des blessures, faisant de ces stratégies une solution de rechange intéressante lorsque les mesures passives ne conviennent pas.
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De nombreux chercheurs se sont penchés sur les lacunes des stratégies actives de prévention des blessures (Rivara et Mueller, 1987 ; Wilson et Baker, 1987). Ces lacunes sont les suivantes : • Les personnes peuvent ne pas être disposées ou ne pas être en mesure de poser les gestes requis. • Les interventions actives ne conviennent pas forcément à tous les types de blessures. Aussi, les décisions doivent être fondées sur une parfaite compréhension des circonstances dans lesquelles un certain type de blessures se produit. • Étant donné que les personnes peuvent se sentir bombardées de messages les incitant à modifier de nombreux comportements liés à la santé (p. ex. l’alimentation, le tabagisme, l’exercice, la sécurité), il faut concentrer les efforts sur les comportements qui occasionnent des blessures graves et fréquentes (Etzioni, 1978). • Il peut exister des effets secondaires indésirables, mieux connus sous le nom de « compensation du risque ». Par exemple, certains conducteurs conduiront peut-être plus vite parce qu’ils utilisent leur ceinture de sécurité ou que leur véhicule est muni d’un sac de protection gonflable (Streff et Geller, 1988 ; Wilde, 1982). Les mesures législatives en vue d’obliger les gens à adopter des comportements sécuritaires (p. ex. le port obligatoire du casque pour les motocyclistes) constituent une approche active de prévention des blessures, mais elles ont des conséquences autres que la réduction des blessures potentielles, soit l’imposition d’amendes à ceux qui ne respectent pas la loi. Bien que la conséquence négative que représente l’amende ne soit pas suffisante pour motiver toutes les personnes à modifier leur comportement, le taux d’observation des règles est plus élevé quand des lois sont adoptées. De toute évidence, pour avoir une efficacité optimale, les interventions législatives doivent prévoir les ressources nécessaires à leur application. Pour optimiser son efficacité, une intervention du genre doit s’inscrire dans un contexte plus large qui inclut l’éducation du public et des stratégies d’application. Bref, dans les cas où la gravité potentielle des blessures est élevée (p. ex. de 70 % à 85 % des décès dans les accidents de motocyclette sont causés par un traumatisme à la tête) (NHTSA, 1980) et où aucune approche passive de prévention des blessures ne convient, les approches actives légiférées ont démontré leur efficacité pour favoriser l’adoption de comportements sécuritaires (p. ex. le port du casque) et pour réduire l’incidence de blessures (Watson et al., 1980).
Questions d’évaluation
En matière d’évaluation de programme, la question de ce qui constitue une mesure convenable des résultats continue de susciter un débat. Une baisse des taux de blessures est le standard idéal pour déterminer si un programme est un succès. Cependant, pour toute une variété de raisons, très peu de programmes sont évalués au moyen de cette mesure. Par exemple, les catégories de blessures les moins courantes constituent un problème. Les statistiques peuvent ne pas indiquer de
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baisse significative des taux de blessures, mais les blessures risquent d’être d’une telle gravité (p. ex. les traumatismes à la tête) et entraîner de tels coûts personnels et financiers à long terme que les évaluateurs peuvent considérer que le programme est un succès du simple fait qu’il permet de réduire les taux. De toute évidence, la pertinence statistique et la pertinence pratique n’indiquent pas toujours le même niveau de succès d’un programme. En ce qui concerne les programmes qui utilisent des techniques de modification du comportement, certains chercheurs soutiennent qu’une augmentation des comportements qui favorisent l’observation des règles de sécurité (plutôt que la baisse des taux de blessures) est la mesure qu’il convient d’adopter pour déterminer le succès du programme. Cette mesure pose toutefois un problème, soit le fait que dans de nombreux programmes du genre on établit une distinction entre les taux d’observation des règles à long terme et ceux des règles à court terme. Plus précisément, le niveau de succès (c.-à-d. les comportements sécuritaires) peut baisser avec le temps, ce qui complique la comparaison entre des programmes qui évaluent le taux de succès à des moments différents après l’intervention. Le moment choisi est un facteur qui influe aussi sur l’évaluation des programmes communautaires. Les gains immédiats sur le plan de l’observation des règles, par exemple, peuvent diminuer lorsque les gratifications ou les incitatifs du programme sont interrompus ou si la personne doit fournir un certain effort pour maintenir un certain comportement (p. ex. remplacer la pile dans le détecteur de fumée). Par ailleurs, des niveaux d’observation qui sont d’abord faibles peuvent augmenter grâce à un changement graduel dans les attitudes et les convictions, entraînant un changement semblable dans le comportement. Pour des raisons financières, peu de programmes prévoient mesurer leur propre succès à long et à court terme. Cette omission est malheureuse puisque les résultats peuvent changer au fil du temps. Il faut aussi considérer la question connexe des nombreuses évaluations qui reposent sur des comportements déclarés par les intéressés plutôt que sur des observations directes. Ce genre d’évaluation présente un problème particulier pour ce qui est des programmes de prévention des traumatismes à la moelle épinière et à la tête. Le problème devient plus évident lorsque l’on considère les effets possibles de la participation à un programme de prévention des traumatismes à la moelle épinière : l’enfant a peut-être été persuadé de boucler sa ceinture de sécurité, mais il peut aussi bien avoir appris qu’il est socialement préférable d’affirmer avoir utilisé sa ceinture de sécurité ou peut-être croit-il qu’il passera pour un imbécile s’il affirme le contraire (autrement dit, l’enfant devrait se rappeler que le programme lui a appris que cette réponse est la bonne). Il est difficile d’interpréter les « succès » des programmes qui mesurent leurs résultats en se fiant aux déclarations des intéressés sur leurs propres comportements. Le lecteur remarquera peut-être le manque d’uniformité des moyens utilisés pour mesurer les résultats lorsqu’on passe d’un type de blessure à l’autre : parfois le taux de succès est mesuré par une baisse des taux de blessures (dans les types d’évaluation de programmes plus stricts) ; il est parfois mesuré par une augmentation des comportements sécuritaires sans baisse correspondante des taux de blessures, et,
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parfois, on se fie aux déclarations des intéressés sur leurs propres comportements plutôt qu’à des observations directes. Utiliser la fréquence des incidents comme seule mesure des résultats dans les évaluations de programme pose également un problème, particulièrement pour certaines catégories de blessures. Par exemple, les programmes de prévention des brûlures apprennent souvent aux sujets comment minimiser la sévérité de la brûlure après coup. Ainsi, les interventions n’ont peut-être aucun effet sur l’incidence générale des brûlures, mais elles peuvent contribuer à réduire la sévérité des brûlures puisque les gens en savent plus long sur le sujet et peuvent donc réagir plus rapidement en cas d’accident. Plusieurs autres questions relatives à l’évaluation des programmes ressortent des écrits sur le sujet. Par exemple, la confusion entourant les sources d’information sur la prévention est une question sur laquelle on s’attarde rarement dans l’évaluation des programmes de prévention des blessures. Les programmes de prévention sont souvent mis sur pied en réaction à des statistiques élevées sur les blessures. Étant donné l’accent que les médias mettent sur les statistiques et les facteurs qui mènent à ces résultats, il est impossible de parler avec certitude des effets « réels » d’un programme de réduction des blessures. Le fait que de nombreux programmes aient une portée diversifiée est une autre question connexe. Bien que cet aspect puisse contribuer au succès d’un programme (voir ci-dessous), les évaluateurs sont souvent incapables d’attribuer ce succès à l’un ou l’autre des éléments du programme, limitant ainsi la capacité de prendre des décisions éclairées au sujet des éléments essentiels lorsqu’on tente de mettre sur pied une version plus modeste du programme. Il convient également de mentionner que la plupart des composantes d’évaluation des programmes utilisent des approches statistiques tout à fait rudi mentaires. Par exemple, on ne considère souvent même pas l’utilisation de contrôles statistiques pour déterminer les effets potentiels des saisons sur la mesure des résultats (en hiver, on ne voit probablement que les cyclistes les plus passionnés, et ces per sonnes portent probablement le casque de toute façon, ce qui limite l’exactitude de l’évaluation des campagnes de promotion du port du casque). On ne dispose souvent d’aucune mesure de base provenant d’une communauté témoin qui servirait à la comparaison avec les communautés ciblées pour évaluer le succès du programme. On se contente plutôt de données démographiques pour effectuer la sélection des communautés témoins. Cette approche complique l’interprétation des écarts entre les résultats après l’intervention dans la communauté ciblée. Cela dit, dans la partie qui suit on examine en détail les programmes qui ont obtenu du succès. Lorsqu’il y a lieu, la discussion se porte également sur les échecs et les facteurs qui déterminent le succès ou l’échec.
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Programmes de prévention des blessures : les « modèles à suivre »
Blessures subies par des passagers dans un accident d’automobile Programmes visant à promouvoir l’utilisation des sièges d’auto
Les collisions automobiles sont la principale cause de décès et de blessures chez les enfants (Roberts et al., 1987). Les professionnels de la santé estiment que l’on pourrait éliminer jusqu’à 70 % de ces décès et blessures si les enfants étaient correctement installés dans un siège d’auto (pour les nourrissons), dans des sièges d’appoint (pour les jeunes enfants et les enfants d’âge préscolaire) ou en bouclant la ceinture de sécu-rité (pour les enfants d’âge préscolaire qui sont plus grands et les enfants d’âge scolaire). Les premiers programmes étaient axés sur l’éducation des dispensateurs de soins et comptaient sur des profanes (p. ex. des enseignants ou des bénévoles), des médecins et d’autres professionnels de la santé publique pour promouvoir l’utilisation des sièges d’auto. En général, les effets étaient plus positifs lorsque le message venait d’un médecin plutôt que d’un profane ou d’un autre professionnel de la santé. Autrement dit, le statut du messager importe : plus la personne est considérée comme un expert dans le domaine, plus son message aura d’effet sur le comportement des dispensateurs de soins (Bass, 1993). Dans la même veine, les messages donnés avant la naissance de l’enfant, dans la mesure où l’on peut considérer qu’ils ont un effet quelconque, ont eu plus d’effets sur la décision des parents d’utiliser un siège d’auto pour leur bébé que les messages donnés par la suite. Autrement dit, le moment où le message est transmis importe : il est préférable de convaincre les parents de l’importance de la mesure avant qu’ils ne développent un faux sentiment de sécurité (Allen et Bergman 1976 ; Kanthor, 1976). Bien que limités, certains indices indiquent également que les messages éducatifs visant à susciter de façon positive l’utilisation des sièges d’auto (p. ex. une discussion des avantages) ont plus d’effets sur le comportement des dispensateurs de soins que les messages axés sur les aspects négatifs (p. ex. la crainte). Donc, la nature du message est importante aussi (Treiber, 1986). Dans l’ensemble, cependant, les effets positifs de ces approches strictement éducatives, s’il en est, sont éphémères (voir Pless et Arsenault, 1987, pour un examen plus détaillé). Par exemple, un des programmes s’est penché sur les effets des discussions, des brochures et des prescriptions officielles pour l’utilisation des sièges d’auto ainsi que sur une démonstration donnée par un pédiatre sur la bonne utilisation des différents types de dispositifs de sécurité (Reisinger et al., 1981). On a pu constater, deux mois après le programme, un écart de 72 % dans l’utilisation des sièges d’auto entre les groupes cibles et les autres groupes, mais cet écart n’était plus que de 9 % après quatre mois (voir également Geddis et Pettengell, 1982). Ainsi, les approches exclusivement éducatives ne sont pas particulièrement efficaces pour convaincre de façon durable les dispensateurs de soins d’utiliser un siège d’auto.
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D’autres approches englobent, entre autres, les mesures législatives rendant obligatoires les sièges d’auto, les programmes de prêts visant à assurer la disponibilité des sièges d’auto et l’intégration de techniques de modification du comportement dans la formation des dispensateurs de soins sur l’utilisation des sièges d’auto. Partout en Amérique du Nord, des exigences sont fixées par la loi. En général, les études par observation révèlent que le taux de respect de la loi ne dépasse pas 50 % (American Academy of Pediatrics, 1984 ; Reagan, 1984 ; Decker et al., 1984 ; Siegler, 1989). Même si ce résultat est loin d’être idéal, l’utilisation accrue des sièges d’auto a suffi pour entraîner une baisse considérable des décès chez les enfants passagers d’une automobile (Decker et al., 1984). Il n’est pas surprenant de constater que plus le programme d’application est strict, plus le taux de respect est élevé. Par exemple, dans le cadre d’une étude financée localement à deux endroits à Philadelphie, la mise en œuvre d’un programme d’application très strict a donné lieu à une utilisation accrue des sièges d’auto pour les jeunes enfants comparativement aux taux initiaux qui sont passés de 71,8 % et de 60,9 % à 76,8 % et 71,4 % respectivement. Le bon usage des sièges, quant à lui, est passé de 67 % et 57,5 % à 72,8 % et 69,3 % respectivement (Decina et al., 1994). De toute évidence, lorsque l’application augmente et qu’on en fait la publicité (de pair avec des renseignements sur les avantages des sièges d’auto pour les enfants), les dispensateurs de soins réagissent en faisant une plus grande utilisation des sièges d’auto. Par conséquent, pour être efficaces, les mesures législatives doivent être accompagnées de programmes d’application stricts et de mesures d’éducation du public sur la prévention des blessures. Les programmes de prêts (p. ex. les programmes offerts par les hôpitaux, le Club Lion, le Club Rotary) visent à éliminer l’obstacle du coût en fournissant des sièges d’auto gratuitement ou à prix très réduit (nous traiterons plus tard des avantages inhérents à la promotion de l’observation des règles de sécurité en fournissant gratuitement ou à peu de frais des dispositifs aux parents). Ces programmes ont donné des résultats variables (Reisinger et Williams, 1978 ; Greensher, 1984), ce qui illustre bien que le fait de mettre des sièges à la disposition du public ne garantit pas qu’ils seront utilisés. Néanmoins, les programmes de prêts peuvent avoir un franc succès (p. ex. Colletti signalait, en 1984, des taux d’utilisation des sièges d’auto dépassant 70 % au moment de la sortie de l’hôpital, soit une grande amélioration du taux de 16 % avant le programme) si certaines caractéristiques sont intégrées au programme. Christophersen et ses collaborateurs (1985), par exemple, ont documenté l’importance d’un programme exhaustif qui, non seulement fournit du matériel éducatif sur les avantages des sièges d’auto pour enfants et rend ces sièges disponibles, mais fait également des démonstrations sur leur bonne utilisation, fournit une bonne documentation et donne aux parents l’occasion de se pratiquer à bien utiliser les sièges d’auto et de profiter d’une rétroaction. L’intégration de techniques de modification du comportement à la formation des dispensateurs de soins augmente considérablement leur utilisation des sièges d’auto. Si l’on considère le succès que ces méthodes ont obtenu pour ce qui est de l’utilisation des ceintures de sécurité chez les adultes (Geller et al., 1982), cela n’a rien de surprenant. En s’inspirant de la théorie de l’apprentissage, ces approches
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tentent de susciter des changements de comportement au moyen d’une utilisation judicieuse des gratifications. Cette technique est fondée sur le principe selon lequel les comportements qui sont récompensés sont susceptibles de devenir plus fréquents. Ainsi, moyennant des gratifications, les parents ont des chances de modifier leur comportement et d’utiliser les sièges d’auto pour leurs enfants. Les constatations appuient cette prémisse. Citons l’exemple de Christophersen et Gulay (1989), qui ont tenté d’inciter les parents à faire une plus grande utilisation des sièges d’auto pour enfants en en faisant valoir les effets positifs (p. ex. les enfants se conduiraient mieux et dérangeraient moins s’ils étaient convenablement attachés à leur siège). Les auteurs ont constaté des effets positifs lorsqu’ils ont demandé à des professionnels de la santé de rédiger un protocole d’utilisation à l’intention des parents. Ce protocole mettait en relief le fait que les enfants sont moins turbulents lorsqu’ils sont attachés dans l’automobile et fournissait également des conseils sur la façon d’inciter les enfants à demeurer dans le siège d’auto. Après l’intervention, cinq mères sur huit ont commencé à utiliser les sièges d’auto pour enfants ; après six mois, cinq parents sur huit utilisaient toujours les sièges d’auto. Par contre, on a constaté que cette proportion était tombée à trois au suivi d’un an. Les programmes de modification du comportement assortis de gratifications concrètes aux parents pour l’utilisation des sièges d’auto engendrent un taux d’utilisation encore plus élevé. Roberts et Turner (1986), par exemple, ont eu recours à cette approche auprès de parents dans deux garderies privées. Si les enfants arrivaient à la garderie dans un siège d’auto, les parents recevaient des jetons dont certains pouvaient être échangés contre des prix. Les entreprises locales ont fait don de repas de pizza, d’hamburgers, de poulet, de tacos ou de poisson, de laissez-passer pour des films, de coupons pour des cornets de crème glacée et des biscuits, soit approximativement 500 $ en prix. On a publiquement remercié les entreprises pour leur participation au programme dans une lettre aux parents et dans la publicité locale sur le programme. Chaque jour, les parents dont les enfants arrivaient à la garderie dans un siège d’auto se voyaient remettre un jeton par des observateurs formés à cette fin. Certains de ces jetons portaient la mention « Vous gagnez » et d’autres la mention « Essayez de nouveau ». Les chances de gagner, d’abord très élevées, ont commencé à diminuer au fur et à mesure que l’utilisation des sièges d’auto a augmenté. Les résultats indiquaient que les gratifications avaient fait passer l’utilisation des sièges d’auto de 49 % à 80 % après deux semaines dans une des garderies (familles de classes moyenne et supérieure) et de 11 % à 64 % dans l’autre (familles de classes moyenne et inférieure). Habituellement, les interventions comportementales engendrent un taux d’utilisation élevé qui retombe lorsque les gratifications disparaissent. Néanmoins, les taux demeurent de beaucoup supérieurs aux taux initiaux. Aussi, on estime que les approches comportementales de prévention des blessures sont en général très efficaces. La faible proportion de parents qui utilisent des sièges d’auto n’est pas le seul facteur qui limite le succès des programmes visant à réduire le nombre de décès
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d’enfants par suite d’accidents d’automobile ; la mauvaise utilisation des sièges d’auto compte également pour beaucoup. Par exemple, un sondage téléphonique s’appuyant aussi sur l’observation mené par Transports Canada (1992) auprès d’un échantillon de 21 844 enfants au sujet de l’utilisation des sièges d’auto a révélé que 21 % des sièges d’auto pour nourrissons, 19 % des sièges d’auto pour enfants et 5 % des sièges d’appoint étaient mal utilisés. Ces constatations mènent aux conclusions suivantes : 1) les indicateurs d’utilisation sont peut-être trompeurs laissant croire à une situation plus favorable qu’elle ne l’est en réalité, puisqu’une mauvaise utilisation compromet la sécurité de l’enfant. Il est difficile de déterminer si un siège d’auto est utilisé correctement par la simple observation d’un véhicule en marche. Par conséquent, les taux de blessures subies par des passagers constituent probablement un indice plus précis de l’efficacité des programmes que les seules observations ; 2) pour réussir à mieux prévenir les blessures, nous devons mettre davantage l’accent sur la bonne utilisation des sièges d’auto. La multitude de modèles que l’on peut se procurer sur le marché, chacun ayant ses propres caractéristiques et des mécanismes de bouclage différents, est un des principaux facteurs qui empêchent de promouvoir efficacement la bonne utilisation des sièges d’auto. À cause de cette variété, il est impossible de faire d’annonces publiques sur la façon de bien utiliser les sièges d’auto (exception faite des sangles d’attache qui sont communes à tous les sièges d’auto orientés vers l’avant). Les manuels sont parfois difficiles à suivre et ne sont souvent disponibles qu’en anglais, rendant encore plus difficile la bonne utilisation des sièges d’auto pour les segments non anglophones de la population. On pourrait régler le problème de la mauvaise utilisation en intégrant les sièges d’auto au design des automobiles (pour toutes les automobiles et non seulement pour les automobiles haut-de-gamme comme la Volvo, qui offre cette caractéristique, éliminant ainsi le besoin d’un siège d’auto indépendant). Dans la même ligne de pensée, les concessionnaires automobiles pourraient élargir leur gamme de services en faisant l’inspection de l’installation des sièges d’auto et en fournissant un rapport au client. Puisque le désir d’agrandir la famille est l’une des motivations les plus courantes pour acheter un nouveau véhicule, ce service pourrait attirer des acheteurs. On pourrait également demander aux fabricants de sièges d’auto de fournir une cassette vidéo sur la façon appropriée d’installer les différentes sortes de sièges d’auto. Les consommateurs pourraient louer ces cassettes à leur club vidéo et le prix de la location leur serait remboursé lorsqu’ils retourneraient la cassette (les instructions sur cassette vidéo se sont révélées très efficaces pour promouvoir des travaux de rénovation domiciliaire à faire soi-même). De même, des manuels détaillés pour bien installer des sièges d’auto – comme le guide « Before You Turn The Key » (Avant de tourner la clé) produit par l’Infant and Toddler Safety Association de Kitchener (Lee, 1995) – pourraient être mis à la disposition du public dans les bibliothèques locales. Des inspections gratuites et des conseils pour corriger les problèmes (p. ex. Esso a parrainé ce genre de programme communautaire avec la collaboration de Safe Kids Canada, en Ontario) ont aussi donné des résultats satisfaisants.
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Probablement, l’une des meilleures façons de motiver les parents à apprendre à bien utiliser leurs sièges d’auto est d’adopter une approche passive et de faire de la bonne utilisation des sièges une condition des lois sur les dispositifs de sécurité pour enfants. Une stratégie de ce genre a dernièrement été adoptée en Alberta, bien que la loi connexe n’ait pas encore été promulguée (Anna Lovasik, Injury Prevention Centre, Alberta, communication personnelle). Ce programme préconise un niveau de « tolérance zéro », et ses éléments d’éducation sur l’utilisation des sièges d’auto mettent l’accent sur la bonne utilisation de ces sièges. Ainsi, les conducteurs dont les enfants ne sont pas bien attachés dans leur siège d’auto sont passibles d’une amende. Ils peuvent se soustraire au paiement de celle-ci en assistant à une séance de 45 minutes sur la bonne utilisation des sièges d’auto. Bien que ce programme en soit toujours au stade de la mise en œuvre et qu’il n’ait pas encore été évalué, il s’attaque directement à ce qui semble en passe de devenir l’une des questions primordiales en matière de dispositifs de sécurité pour enfants au Canada et à l’étranger, soit le fait que les parents utilisent mal leurs sièges d’auto.
Programmes de promotion du port de la ceinture de sécurité pour les enfants
Les deux types de programmes les plus utilisés sont les programmes éducatifs et les programmes de modification du comportement. Les programmes éducatifs qui ciblent les enfants ne sont habituellement pas très efficaces. Cependant, ils peuvent être mis en œuvre à très peu de frais et atteindre un grand nombre d’enfants (par le système scolaire, p. ex.). Aussi, les écoles continuent d’utiliser ce genre de programmes qui fait appel à des outils comme les livres à colorier d’Elmer l’éléphant. Des indicateurs récents révèlent que l’on peut augmenter l’efficacité de ces programmes en y intégrant un élément interactif ou de participation. Par exemple, Lehman et Geller (1990a) ont démontré qu’en faisant pratiquer une saynète de 15 minutes sur le port de la ceinture de sécurité (deux semaines de répétitions incluant des pratiques en classe sur le port de la ceinture de sécurité) à des enfants de la maternelle et à des jeunes d’âge scolaire et en leur faisant présenter cette saynète, on avait augmenté le port de la ceinture de sécurité chez ces enfants, qui n’utilisaient la ceinture de sécurité que de façon intermittente auparavant (47 % à 82 %), et que l’on avait également augmenté le port de la ceinture de sécurité chez les parents qui avaient assisté à la présentation de la saynète (une augmentation de 36 % à 56 %). Ces gains étaient toujours apparents trois mois plus tard. Un autre programme éducatif auquel les enfants (de 4 à 9 ans) étaient appelés à participer activement et de façons diverses a connu un succès qu’il convient de souligner. Le programme (Morrow, 1989) a été mené à bien par des enseignants connus et a pris la forme d’un mois intensif d’interventions intégrées (May Is Buckle Up Month [Le mois de mai, le mois pour s’attacher]). Les enfants ont lu des livres, visionné des films et participé à de nombreuses activités (p. ex. la fabrication d’affiches) dans le but de concevoir des messages visant à promouvoir le port de la ceinture de sécurité. Le programme scolaire (lecture, mathématique et
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art) a été adapté pour présenter le port de la ceinture de sécurité sous un jour plus positif (aucune peur n’était suscitée) en mobilisant la participation des enfants et en favorisant un sentiment d’emprise sur leur environnement. Le programme incluait aussi la composante « Flash for Life » (voir Geller et al., 1985), qui faisait appel à la participation des enfants qui devaient demander à d’autres personnes de boucler leur ceinture de sécurité. Ainsi, lorsqu’ils voyageaient en automobile, les enfants devaient montrer aux passagers et aux conducteurs non attachés dans les automobiles voisines une carte postale où il était inscrit « Je vous aime – Bouclez votre ceinture ». Lorsque la personne attachait sa ceinture, ils retournaient la carte, à l’endos de laquelle il était écrit « Merci ». Cette caractéristique, même si elle n’a pas été isolée par les concepteurs du programme, pourrait avoir fortement contribué au succès du programme et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, les recherches indiquent qu’elle produit à elle seule une augmentation considérable du port de la ceinture de sécurité chez les adultes (Geller et al., 1985). Deuxièmement, la carte pourrait avoir contribué à rappeler aux enfants de faire eux-mêmes usage de leur ceinture de sécurité. Troisièmement, pour participer ainsi, les enfants devaient boucler leur propre ceinture de sécurité. Quatrièmement, cette caractéristique pourrait avoir fourni des gratifications intrinsèques aux enfants (promotion de l’estime de soi et sentiment d’emprise et de pouvoir sur son environ nement, y compris sur les comportements des adultes). Le programme a amélioré le taux de port de la ceinture de sécurité chez les enfants ainsi que chez leurs parents, bien que les parents n’aient pas été directement ciblés. Chez les enfants, le port de la ceinture de sécurité est passé de 46 % à 66 % et chez les parents, il est passé de 47 % à 61 %. Ces améliorations persistaient toujours au moment du suivi effectué trois semaines après le programme. Contrairement aux programmes éducatifs, les programmes de modification du comportement sont extrêmement efficaces mais ils coûtent assez cher à mettre en œuvre et, par conséquent, ils sont généralement limités à de petits groupes d’enfants. Roberts et Turner (1986), Roberts et Layfield (1987) et Roberts et ses collègues (1988) ont effectué certains des travaux les plus novateurs dans ce domaine. Ils ont démontré que l’application des principes comportementaux (comme les gratifications) mène à une augmentation considérable du port de la ceinture de sécurité chez les enfants, que le programme vise les parents (pour le compte des enfants) ou les enfants euxmêmes (voir Roberts et Fanurik, 1986). Soulignons également que les programmes à l’intention des enfants donnent souvent lieu à une augmentation du port de la ceinture de sécurité chez les parents (Roberts et Layfield, 1987) et même chez les frères et sœurs plus jeunes (Roberts et al., 1988), laissant entrevoir que les enfants peuvent provoquer des changements de comportement chez les autres membres de la famille en demandant ou en adoptant eux-mêmes ces changements (Morrow, 1989). Ces effets de généralisation améliorent la rentabilité du programme et indiquent que le fait de cibler les enfants ou leurs parents peut suffire à réduire les blessures chez les passagers des deux groupes. Un programme de modification du comportement ressort toutefois du lot pour ce qui est de faire exception au problème mentionné plus tôt, soit que ces
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programmes sont généralement axés sur un petit groupe d’enfants. Le programme en question a été mis en œuvre dans 27 écoles (revenus faibles à moyens) et visait plus de 10 000 enfants (de 5 à 11 ans) des systèmes scolaires public et privé (Roberts et al., 1990). Des gratifications (des certificats pour des pizzas gratuites) étaient distribuées en vue de promouvoir le port de la ceinture de sécurité. La mise en œuvre du programme a coûté 13 600 $ et une pizzeria locale a accepté d’absorber les coûts en échange de publicité. Le programme, qui a duré quatre semaines, proposait une nouvelle activité chaque semaine. Pendant la première semaine, on a diffusé de l’information à l’intention du public et tous les enfants ont reçu de la documentation sur le pro gramme. Le programme a fait l’objet d’une importante couverture médiatique durant tout le mois, qui a été publiquement désigné comme le « mois pour s’attacher ». Les enfants ont reçu des livrets « Flash for Life », comprenant des explications sur la façon d’utiliser ces livrets pour inciter les autres à boucler leur ceinture de sécurité. On a encouragé les jeunes à « convertir » au moins une personne par jour. On leur a également remis un autocollant de pare-choc que leurs parents pouvaient coller à l’arrière de leur véhicule pour signaler leur participation au programme (l’autocollant portait le slogan « Please Buckle Up, I Care » [Je vous aime, bouclez votre ceinture] et le logo de la pizzeria). Les parents et les enfants ont reçu des renseignements sur le programme et on leur a précisé le rôle des policiers (lorsque les policiers voyaient une automobile portant l’autocollant sur le pare-choc arrière et dans laquelle tous les passagers étaient attachés, ils remettaient un certificat pour un repas de pizza gratuit). Le nom de chaque gagnant (à raison de cinq par jour) était annoncé chaque soir à la télévision locale pendant les prévisions de la météo. Durant la deuxième semaine, le programme de gratification a été mis en œuvre dans toutes les écoles. Des bénévoles ont remis des autocollants en couleurs aux enfants qui étaient attachés à leur arrivée à l’école ; si un passager n’avait pas attaché sa ceinture de sécurité, l’enfant ne recevait pas d’autocollant. L’autocollant portait le slogan « Buckle Up, I Care » (Je vous aime, bouclez votre ceinture) et le logo de la pizzeria. Au cours de la troisième semaine les bénévoles ont choisi deux jours au hasard dans la semaine pour la distribution des autocollants. Cette distribution a été ramenée à un jour la quatrième semaine de l’intervention. Ce programme axé sur la gratification a efficacement augmenté le port de la ceinture de sécurité. Dans une école, par exemple, le taux qui était de 23,5 % est passé à 31 % la première semaine, à 42 % la deuxième semaine, à 34 % la troisième semaine, à 44 % la quatrième semaine et à 42 % les deux semaines suivant le programme. Il importe de souligner que les enfants qui ont participé au programme n’obtenaient des autocollants que lorsque tous les passagers de l’automobile étaient bien attachés. Cette exigence a engendré un résultat indirect : les taux de port de la ceinture de sécurité ont également augmenté chez les parents et chez les frères et sœurs. De toute évidence, les principes comportementaux peuvent être appliqués à grande échelle avec succès. Pour ce faire, il est toutefois nécessaire de disposer d’un grand nombre de bénévoles pour distribuer les gratifications, d’observateurs pour
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consigner les comportements sécuritaires et de fonds pour remettre aux familles les gratifications et la documentation d’appui. Les communautés ont également trouvé d’autres moyens de participer aux interventions comportementales, entre autres en obtenant l’aide des entreprises locales (comme le don d’espace sur les panneaux publicitaires) et en recrutant des commanditaires pour l’achat d’espace sur les panneaux publicitaires ou dans les journaux locaux. Des groupes locaux (forces de l’ordre, pédiatres, universités, auxiliaires médicaux, etc.) mènent des campagnes de promotion publique en vue de sensibiliser le public et d’obtenir son appui (Roberts et al., 1988). De toute évidence, plus une intervention communautaire a une grande portée et un vaste champ d’action, plus elle aura de succès, même s’il s’agit de programmes de modification du comportement qui obtiennent généralement un niveau de succès assez élevé. Dans les écrits sur les interventions comportementales, on se demande si les gratifications sont essentielles au succès des programmes. Puisque l’élément grati fication engendre souvent des coûts prohibitifs, il importe de s’interroger sur le rapport coûts-efficacité de ces programmes. Récemment, Lehman et Geller (1990b) soutenaient que les gratifications ne sont pas essentielles pour amener les enfants à faire usage de leur ceinture de sécurité si l’interaction du groupe est intégrée au programme éducatif. Il existe des moyens d’intégrer des gratifications intrinsèques dans le processus d’intervention des programmes d’éducation interactifs (l’appui des enseignants peut être une gratification, le sentiment de maîtriser le sujet peut aussi être une gratification, etc.). Cependant, il est nécessaire de poursuivre les recherches pour établir la validité de cette assertion. Quoi qu’il en soit, les chances de succès des programmes de modification du comportement sont plus élevées si l’observation des règles est récompensée. Blessures occasionnées aux piétons dans un accident d’automobile
Les enfants âgés de 5 à 9 ans sont particulièrement vulnérables aux blessures occasionnées aux piétons. La plupart du temps, ces blessures se produisent dans des secteurs résidentiels, le plus souvent lorsque les victimes s’amusent près de leur domicile. Les enfants qui surgissent soudainement dans la rue d’entre des voitures stationnées sont la cause d’accident la plus fréquente observée (Malek et al., 1990). La plupart des programmes qui ont pour but d’inculquer la sécurité piétonnière aux enfants sont des programmes scolaires. Ces programmes sont généralement articulés autour d’un cadre conceptuel et incluent certaines stratégies ou règles applicables dans plusieurs situations (Ampofo-Boateng et Thomson, 1990) L’enseignement en classe comprend généralement des présentations par des agents de police ou des brigadiers scolaires qui peuvent être complétées par de la documentation écrite ou des aides visuelles (affiches et vidéos). Malheureusement, le degré de succès de ce genre de programmes n’est pas encourageant : les enfants en savent souvent plus sur la sécurité routière, mais ils appliquent peu ces connaissances dans leur vie
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de tous les jours (Numenmaa et Syvanen, 1974 ; Ryhammer et Berglund, 1980). On parvient rarement à réduire l’incidence des blessures de plus de 10 % (Howarth et Repetto-Wright, 1978). La critique probablement la plus souvent formulée à l’égard des programmes d’enseignement en classe tient au peu de rapport entre cet enseignement et la réalité à laquelle les enfants font face en tant que piétons. La simulation ou la formation pratique, qui consiste à faire répéter aux enfants les comportements souhaités, est une technique beaucoup moins utilisée mais qui se rapproche beaucoup plus de la réalité. Rothengatter (1984) a élaboré un programme de ce genre. Il enseignait aux mères d’enfants qui fréquentaient la maternelle et à leurs éducateurs comment apprendre aux enfants à traverser la rue, et ces adultes le montraient à leur tour aux enfants de 5 et 6 ans en situation réelle. Même après une période de quatre mois, on remarquait des améliorations dans la façon dont les enfants traversaient la rue. Ce programme pilote a servi de modèle pour d’autres programmes, mais les évaluations de ces derniers n’ont pas encore été publiées. Dernièrement, on a lancé un programme appelé « Kidestrians » dans le sud-ouest de l’Ontario. Ce programme est très prometteur puisqu’il enseigne aux enfants comment traverser la rue de façon sécuritaire lorsqu’ils traversent ailleurs qu’aux intersections ou qu’ils doivent passer entre des véhicules stationnés. Les approches éducatives traditionnelles avaient rejeté ces objectifs, même si la plupart des blessures occasionnées aux jeunes piétons se produisent exactement dans ces circonstances. Certaines interventions récentes ont également adopté une approche plus systématique en vue de déterminer avec exactitude la compétence dont l’enfant a besoin pour traverser la rue sans incident (Ampofo-Boateng et Thomson, 1990 ; Thomson, 1991) et en vue d’établir un lien entre le niveau de compétence et le taux de blessures (Pless et al., 1989, 1995 ; DeJoy, 1992). De même, une analyse des caractéristiques communes des endroits où les jeunes piétons subissent des blessures (Ampofo-Boateng, 1987) a mené à l’adoption d’approches expérimentales novatrices qui ont donné des résultats encourageants sur le plan de l’éducation en matière de sécurité routière. Par exemple, une étude de formation a démontré que les enfants, dès l’âge de 5 ans, peuvent acquérir la compétence leur permettant de trouver des trajets sécuritaires pour traverser la rue (Ampofo-Boateng et al., 1993). Cette étude de formation et les programmes de type « Kidestrians » ont en commun la formation en situations réelles qui permet l’adoption de certains comportements, la répétition et la rétroaction (y compris les gratifications comme les louanges), qui sont une des caractéristiques des programmes de modification du comportement ayant connu du succès sur le plan de la prévention des blessures.
La Safe Kids/Healthy Neighborhoods Coalition
Un des succès que j’ai décidé d’étudier en détail est un programme qui a été mis sur pied dans le quartier de Harlem, à New York, pour faire baisser les taux élevés de blessures (Davidson et al., 1994). Ce programme ciblait une population urbaine défavorisée et à risque élevé pour les blessures.
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Description – L’étude s’est échelonnée sur neuf ans et était le fruit d’un effort communautaire intensif et coordonné en vue de promouvoir la sécurité. Le pro gramme était fondé sur un principe en deux volets : pour réduire les blessures subies à l’extérieur, il faut d’abord fournir des aires de jeu sécuritaires aux enfants, et il faut ensuite surveiller les jeux des enfants. Raisons du programme – Les parents et les éducateurs de Central Harlem ont demandé aux professionnels de la santé de mettre sur pied un programme de sécurité dans les terrains de jeu. En effet, les terrains de jeu étaient le lieu de prédilection des vendeurs de drogues et, en plus, ils étaient en mauvais état. On présumait que l’absence d’aires de jeu sécuritaires et de divertissements encadrés contribuait au taux élevé de blessures que les enfants subissaient à l’extérieur. Un examen des statistiques sur les blessures dans le quartier, effectué par le Northern Manhattan Injury Surveillance System, a révélé que : 1) l’incidence de blessures graves (nécessitant une hospitalisation ou causant la mort) était deux fois plus élevée dans Central Harlem que dans le quartier avoisinant de Washington Heights (ces deux communautés étant comparables à bien des points de vue, Washington Heights est devenu le quartier témoin) ; 2) l’incidence avait tendance à augmenter chez les enfants et les adolescents de 5 à 16 ans et à baisser chez les enfants de moins de 4 ans ; 3) les principales causes de blessures étaient les chutes et les accidents d’automobile dont les enfants sont victimes en tant que piétons. À la fin de 1988, le Harlem Hospital Injury Prevention Program, en collaboration avec des groupes communautaires et des organismes municipaux, a mis sur pied la Safe Kids/Healthy Neighborhoods Coalition, qui avait pour but de réduire l’incidence des blessures subies à l’extérieur par les enfants et les adolescents de 5 à 16 ans. Plus particulièrement, cette coalition s’est employée à : 1) rénover les terrains de jeu ; 2) inciter les enfants et les adolescents à participer à des activités sécuritaires et encadrées pouvant leur faire acquérir des habiletés utiles (la danse, le sport, l’horticulture, la menuiserie) ; 3) donner de l’information sur la prévention des blessures et de la violence ; 4) fournir des casques cyclistes à prix raisonnable. Intervenants – Durant les trois premières années (1988 à 1991), 26 organismes municipaux, organismes bénévoles et groupes de citoyens ont pris part à l’inter vention. Ainsi, le Service des parcs a réparé tous les terrains de jeu et a demandé aux enfants de peindre des murales, et le Service des transports a mis sur pied dans les écoles un programme d’éducation intensif sur la sécurité piétonnière à l’intention de tous les enfants de 3e année. Le Harlem Hospital Injury Prevention Program a mis sur pied un programme de danse, un studio d’art, une ligue mineure de baseball, une clinique de baseball pendant l’hiver et une ligue de soccer. Plus de 1 000 enfants ont participé à ces programmes et plus de 500 casques cyclistes ont été distribués dans la communauté. Résultats – Afin d’évaluer l’efficacité du programme, on a comparé la communauté témoin et la communauté ciblée. On a analysé les données en pro fondeur en prenant soin d’apporter les ajustements nécessaires pour tenir compte des tendances annuelles et saisonnières qui ne dépendaient pas de l’intervention. Au début, les blessures graves étaient deux fois plus nombreuses dans Central Harlem
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que dans Washington Heights. À la fin de la troisième année d’intervention, on a pu constater une baisse considérable des taux de blessures de Central Harlem et une réduction de l’ordre de 26 % du taux global des blessures au sein du groupe visé d’enfants et d’adolescents de 5 à 16 ans. On n’a observé aucune réduction de ce genre parmi le groupe non visé d’enfants plus jeunes. Dans la catégorie de blessures visées, les blessures mettant en cause une voiture et les agressions ont considérablement diminué, mais les blessures subies à l’extérieur n’ont pas diminué (peut-être parce que le programme d’activités sportives a fait augmenter le risque de chutes à l’extérieur chez les enfants). Reproductibilité – Un nombre relativement restreint de programmes communautaires utilisent les variations des taux de blessures pour mesurer leurs résultats ; beaucoup ont plutôt recours au degré d’augmentation des comportements favorisant la sécurité. Néanmoins, dans deux programmes similaires de grande envergure, établissant des comparaisons entre les taux de blessures à des emplacements témoins et à des emplacements ciblés, on a fait la preuve de gains importants. Le Massachusetts Statewide Childhood Injury Prevention Program (SCIPP) a constaté une réduction dans l’une des catégories visées (les blessures subies par les passagers dans un accident d’automobile) (Guyer et al., 1989). En Suède, un programme populaire d’une durée de quatre ans a donné lieu à une réduction de l’ordre de 28 % des blessures causées par les accidents d’automobile, ainsi qu’à une réduction de 27 % des blessures subies à la maison (Shelp, 1987, 1988). Ces résultats indiquent que les interventions communautaires peuvent s’avérer très efficaces pour réduire les blessures chez les enfants (ces idées sont reprises dans la partie consacrée aux blessures au foyer). Financement – Le programme a été financé en partie grâce à des subventions accordées par les Centers for Disease Control, le Health of the Public, la Mellon Foundation et la Robert Wood Johnson Foundation. Évaluation – Cette intervention, visant une population urbaine particulière à haut risque et à faible revenu, a considérablement réduit les blessures chez les jeunes piétons de 5 à 16 ans. Les interventions de prévention des blessures sont rarement évaluées de façon aussi rigoureuse que dans ce programme. En effet, il pourrait servir de modèle en matière d’évaluation. Son succès tient surtout à ce qu’on a offert des solutions sécuritaires (terrains de jeu) pour éviter que les enfants ne jouent trop près des rues et qu’on a offert des activités supervisées intéressantes. Ces deux éléments ont réussi à éliminer efficacement le danger (la proximité des automobiles). Les programmes scolaires sur les règles de sécurité pour les piétons ont probablement augmenté les connaissances et sensibilisé les enfants aux dangers que représentent les automobiles. Cependant, les résultats des recherches antérieures indiquent que ce type de programme a probablement peu d’effet sur les habiletés nécessaires pour traverser la rue de façon sécuritaire (voir l’examen ci-dessus). En fait, il n’y a pas eu de mesure de la compétence pour traverser la rue de façon sécuritaire avant ou après l’intervention. Ce programme démontre que les programmes à grande échelle qui visent à prévenir certains types bien précis de blessures peuvent être efficaces. Il convient de
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souligner que le programme n’a toutefois pas réussi à réduire l’incidence des blessures à l’extérieur du domicile. Cette lacune découle probablement, en partie, du manque de spécificité du programme (p. ex. les chutes n’ont pas été ciblées d’une façon particulière). Il a été clairement établi, dans les écrits sur la prévention des blessures (voir, p. ex., la partie consacrée aux traumatismes à la moelle épinière et à la tête), que plus une intervention est axée sur un comportement précis, plus ses chances de réduire les comportements à risque et d’augmenter l’observation des règles de sécurité sont grandes. Comme nous l’avons dit plus tôt, il se peut que l’incidence de chutes graves n’ait pas baissé pendant la période d’intervention parce que les activités sportives qui étaient proposées à titre de solution de rechange aux jeux dans la rue augmentaient le risque de blessures à l’extérieur. Il se peut que cette intervention ait réussi à réduire l’incidence d’un type de blessures (blessures aux piétons), mais qu’elle ait contribué à augmenter les probabilités d’un autre type de blessures (les chutes), ne créant ainsi aucun changement du taux de blessures imputables aux chutes. Pour résumer, les stratégies qui réussissent à réduire efficacement les blessures chez les jeunes piétons sont celles qui leur apprennent à traverser la rue en situation réelle ou de simulation (p. ex. les programmes « Kidestrians ») ou celles qui réduisent l’exposition au danger en réorientant les enfants vers d’autres activités et en créant des aires de jeu extérieures sécuritaires. L’enseignement en classe permet de mieux sensibiliser les enfants au danger, mais elle n’entraîne aucun changement appréciable dans les comportements adoptés pour traverser la rue. Par conséquent, cette méthode n’est pas vraiment rentable. Idéalement, c’est au cours des années préscolaires et des premières années d’école qu’il faudrait mettre l’accent sur l’éducation des piétons, soit lorsque les enfants courent un plus grand risque de subir ces types de blessures et qu’ils ne font que commencer à acquérir la compétence dont ils ont besoin sur ce plan.
Brûlures
On a utilisé plusieurs approches pour tenter de prévenir les blessures causées aux enfants par le feu. Certaines interventions tentent de modifier l’environnement (p. ex. en installant des détecteurs de fumée, en utilisant des agents ignifuges dans la fabrication des tissus pour les vêtements d’enfants, en diminuant la température des chauffe-eau). D’autres s’appuient sur des approches comportementales pour apprendre aux enfants à minimiser les risques de blessures dans les situations présentant un danger potentiel. Ces programmes ayant tous donné des résultats moyens, il n’y a pas de succès qu’on puisse examiner de façon détaillée. Aussi, l’étude se limitera à un survol des types de programmes qui visent à réduire l’incidence des brûlures chez les nourrissons et les enfants. Lorsqu’on a constaté que 70 % des brûlures chez les enfants étaient causées par des vêtements ayant pris feu, on a, au Canada et aux États-Unis, adopté des mesures législatives pour que les vêtements de nuit pour enfants soient traités avec des agents ignifuges. Comme la plupart des autres interventions passives, cette intervention a donné des résultats satisfaisants, soit une chute considérable du nombre et de la
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gravité des brûlures causées par des vêtements de nuit ayant pris feu (McLoughlin et al., 1977). Dans le même ordre d’idées, bien que très peu d’endroits aient adopté des lois sur les feux d’artifice (je n’ai réussi à trouver qu’une seule étude sur le sujet), soulignons que cette approche de prévention des brûlures s’est révélée extrêmement efficace aux États-Unis. En effet, le taux des blessures imputables aux feux d’artifice est considérablement plus élevé dans les États où il n’existe aucune loi pour restreindre l’accès à ce genre de produit (Berger, et al., 1985 ; Smith et Falk, 1987). Donc, les stratégies légiférées pour restreindre l’accès aux produits dangereux sont des mesures efficaces de prévention des blessures causées par le feu. Les programmes de promotion des détecteurs de fumée ont été mis en œuvre en réaction à deux statistiques importantes sur les incendies résidentiels : 1) 75 % des incendies résidentiels se produisent entre 21 h et 7 h, soit la période pendant laquelle il est le plus probable que les occupants de la maison soient endormis (National Fire Protection Association, 1982) ; 2) 26 % des victimes d’incendie succombent à leurs brûlures et les autres (74 %) meurent des suites de l’inhalation de fumée parce qu’ils n’ont pas réussi à sortir à temps (Levin et Radford, 1977). En réalité, si aucun détecteur de fumée n’est installé dans la maison, les occupants sont 2,5 fois plus susceptibles de perdre la vie dans un incendie (Federal Emergency Management Agency, 1983). À titre d’exemple, dans une étude à grande échelle menée auprès de 79 000 foyers en Ontario, les détecteurs de fumée ont donné un avertissement précoce dans 85 % des incendies et ont ainsi permis d’éviter des blessures graves et des décès (Ministère du Logement de l’Ontario, 1978). Bien que les approches où l’on prête l’équipement n’aient produit que des résultats mitigés en matière de prévention des blessures à la maison et dans des accidents d’automobile (voir les parties pertinentes pour en prendre connaissance), les programmes où l’on donne gratuitement du matériel réussissent généralement à inciter les familles à utiliser les détecteurs de fumée (Miller et al., 1982). Dans le cadre d’une étude menée dans un quartier urbain défavorisé de Baltimore présentant un risque élevé d’incendies, un sondage de 231 foyers choisis au hasard qui avaient demandé et reçu des détecteurs de fumée environ huit ou dix mois plus tôt (3 270 de ces appareils avaient été distribués) a révélé que 92 % d’entre eux avaient installé les détecteurs et que 88 % de ces détecteurs étaient fonctionnels (Gorman et al., 1985). Le succès de ce programme est digne de mention parce qu’il exigeait une participation active des consommateurs. Ceux qui pouvaient se permettre d’acheter les détecteurs ont pu le faire au prix coûtant, mais ils devaient se rendre au service des incendies pour se les procurer. Ceux qui ne pouvaient pas se permettre d’acheter les détecteurs devaient en faire la demande directement au service des incendies, en personne, par téléphone ou en plaçant une affiche dans leur fenêtre de façon que les pompiers puissent la voir en passant dans la rue. Les détecteurs étaient ensuite livrés à domicile. Une autre approche qui tente de modifier l’environnement est celle des pro grammes de prévention des brûlures qui incitent les dispensateurs de soins à réduire la température de leur chauffe-eau (p. ex. à 55 °C). Environ 10 % de tous les cas de brûlures admis en pédiatrie sont causés par l’eau du robinet (Green et al., 1984), et ces
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brûlures couvrent souvent une plus grande proportion du corps et sont responsables d’un plus grand nombre de décès que les autres types de brûlures (Smith et O’Neill, 1984). Par conséquent, l’eau chaude est une importante cause de blessures chez les enfants, particulièrement chez les enfants de moins de 3 ans (Raine et Azmy, 1983 ; Green et al., 1984 ; Smith et O’Neill, 1984). On a essayé de nombreuses approches pour tenter de convaincre les dispensateurs de soins de réduire la température de leur chauffe-eau. La plupart d’entre elles visaient, à l’aide de brochures ou de conseils, à renseigner les dispensateurs de soins et à leur montrer comment ajuster le thermostat de leur chauffe-eau à la baisse. On leur fournissait aussi parfois un thermomètre afin qu’ils puissent déterminer la température exacte de leur eau. Comme la plupart des autres programmes éducatifs sur les risques de blessures, ces programmes ne sont pas particulièrement efficaces. De surcroît, ils peuvent se révéler plutôt onéreux lorsqu’il faut joindre des thermomètres à la trousse éducative. Citons une étude multimédia de très grande envergure, menée à l’échelle communautaire par Katcher (1987), dans laquelle on incitait les membres d’une population de 2,1 millions de personnes à demander de l’information (brochures et thermomètres) gratuite. Plus de 140 000 personnes ont répondu à l’invitation. Un sondage téléphonique de suivi a révélé que 61,5 % des répondants avaient utilisé le thermomètre et que, parmi ces derniers, 43 % avaient indiqué que la température de leur chauffe-eau était trop élevée. Parmi ceux qui ont indiqué des températures trop élevées, seulement 52 % ont réglé le thermostat de leur chauffe-eau à une température plus basse. Donc, ce programme, qui a coûté 200 000 $, n’a incité que quelques 20 000 familles à baisser la température de leur chauffe-eau à un niveau plus sécuritaire. Dans d’autres études, comme dans celle de Katcher (1987) (qui n’a obtenu qu’un niveau de conformité de 52 %), on remarque que ce qui fait le plus souvent obstacle au succès est la difficulté de convaincre les gens de modifier leur comportement, même après les avoir mis au courant du problème (Webne et al., 1989). La conception des chauffe-eau est peut-être en partie à blâmer. En effet, pour de nombreux fabricants, un réglage à « chaud » signifie une température de 70 °C (c.-à-d. lorsque l’eau est brûlante) ; par contre, pour obtenir une température de 50 °C, il faut régler le chauffe-eau à « tiède ». En remplaçant ces qualificatifs par « brûlant » et « sécuritaire », on inciterait probablement les consommateurs à baisser la température de leur chauffe-eau (Webne et al., 1989). Les dispensateurs de soins peuvent également tirer un faux sentiment de sécurité du fait qu’ils ont déjà donné des bains à leurs enfants sans incident de brûlures. Il est alors plus difficile de con-vaincre les parents des dangers que représente la température actuelle de leur eau. En plus des interventions structurelles, comme la modification de l’étiquetage des réglages, une approche législative passive pour obliger les fabricants à prérégler les chauffe-eau à des températures plus basses pourrait considérablement aider à solutionner ce problème. Même s’il faudrait probablement des années avant de réaliser des gains nets en matière de réduction des brûlures causées par l’eau chaude (la plupart des chauffe-eau résidentiels doivent être remplacés environ tous les dix ans), une intervention législative produirait les effets nécessaires au fil du temps. En effet,
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un examen des données américaines recueillies dans les régions où des lois régissent les températures des chauffe-eau indique que l’intervention passive est un moyen tout à fait défendable de prévenir ce genre de blessures. Par exemple, à Seattle, dans l’État de Washington, les hospitalisations pour brûlures ont baissé de 5,5 % à 2,4 % par année après l’adoption d’une loi exigeant le préréglage des chauffe-eau à 49 °C (Erdmann et al. 1991). Enfin, plusieurs programmes ont tenté de réduire la peur du feu chez les enfants et de minimiser les risques de brûlures en cas d’incendie. Puisque la peur peut influer sur les réactions dans les situations d’urgence (Janis et Mann, 1967 ; Jones et Ollendick, 1986), la maîtrise de la peur est souvent intégré aux programmes de formation sur les situations d’urgence à l’intention des enfants. Les programmes qui ont le mieux réussi à enseigner aux enfants ce qu’il faut faire en cas d’incendie ont utilisé des approches comportementales en situation de simulation. L’utilisation de simulations qui reproduisent des situations réelles est probablement l’élément essentiel pour réussir à inculquer des comportements sécuritaires précis. Ces programmes montrent que les enfants qui sont exposés à des modèles de compor tements sécuritaires, qui ont l’occasion de mettre en pratique ces comportements dans des simulations et qui reçoivent une rétroaction et des gratifications (p. ex. des louanges) adoptent les comportements sécuritaires voulus en cas d’incendie (Jones et al., 1981, 1989).
Traumatismes à la moelle épinière et à la tête
Chez les nourrissons et les jeunes enfants, les chutes d’un endroit élevé constituent une cause courante de traumatismes à la tête et à la moelle épinière. Cependant, rares sont les programmes qui ont cherché à éliminer ce genre de chutes chez les enfants en bas âge. La Children Can’t Fly Campaign (campagne « Les enfants ne peuvent pas voler ») fait exception à la règle. Cette campagne a été lancée en 1971 par le New York City Heath Department en vue de mettre un terme au problème précis des enfants qui font des chutes par les fenêtres. Ce genre de chutes a été à la source de 12 % de tous les décès infantiles à New York entre janvier 1965 et septembre 1969. Le succès de ce programme de faible envergure, qui a réduit de 50 % l’incidence de chutes par les fenêtres dans les deux ans qui ont suivi sa mise en œuvre, a mené à l’adoption, dans toute l’Amérique du Nord, de lois obligeant les propriétaires d’immeubles d’habitation à logements multiples à grillager les fenêtres des appartements où résident des enfants de 10 ans ou moins. Chez les enfants d’âge scolaire, les traumatismes à la moelle épinière et à la tête surviennent le plus souvent lorsque les enfants font de la bicyclette sans casque, lorsqu’ils plongent en eaux peu profondes et lorsqu’ils adoptent des comportements à risque qui se soldent par des chutes (p. ex. grimper aux arbres, faire du patin à roues alignées sans porter de casque) (Stover et Fine, 1986). C’est chez les adolescents et les jeunes adultes (15 à 24 ans) qu’il se produit plus du tiers de tous les traumatismes à la moelle épinière, et presque la moitié de ces blessures sont le fait d’accidents d’automobile où le jeune n’avait pas attaché sa ceinture de sécurité (Kraus et al., 1984). On estime que
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le coût à vie d’un traumatisme à la moelle épinière chez un jeune est de 1,2 million de dollars américains (National Spinal Cord Association, 1987). Compte tenu du coût très élevé de ces blessures, tant sur les plans personnel que financier, un grand nombre d’interventions ont été mises en œuvre pour tenter de les prévenir. La plupart des interventions visent plusieurs objectifs : promouvoir le port de la ceinture de sécurité et du casque, réduire les comportements à risque, renseigner les enfants sur leur corps et les répercussions de ce genre de blessures sur le fonctionnement de ce dernier, et, de plus, sensibiliser davantage les enfants quant à leur vulnérabilité aux traumatismes à la moelle épinière et à la tête. La majorité de ces programmes ciblent les élèves du deuxième cycle du primaire et les élèves du secondaire. Moins de 10 % des programmes ciblent les jeunes écoliers (Richards et al., 1991), ce qui est surprenant si l’on considère qu’en sensibilisant les enfants aux comportements à risque qui peuvent causer des blessures, ainsi qu’aux conséquences de ces blessures, on favoriserait une meilleure assimilation des attitudes et des comportements qui les aideront à éviter ces blessures en vieillissant. En examinant la documentation sur ce sujet, on constate que de nombreux programmes n’ont jamais été évalués et que ceux qui l’ont été n’ont donné que des résultats équivoques. Ainsi, un programme de la University of Missouri a donné lieu à des améliorations des connaissances, des attitudes et de certains comportements une semaine après la présentation du programme (Lechman et Bornwich, 1981). Cependant, les autres études n’ont pas révélé d’effets aussi positifs (Robertson et al., 1974 ; Neuwelt et al., 1989 ; Ng, 1991). Un programme mis en œuvre auprès des enfants d’une école primaire (de la maternelle à la 6e année) a réussi à faire mieux connaître les conséquences des blessures aux enfants de tous les niveaux et à leur apprendre des stratégies préventives. Cependant, le programme n’a eu aucun effet sur le port de la ceinture de sécurité (Richards et al., 1991). Dans une étude préliminaire qu’ils ont menée en 1992, Frank et ses collaborateurs se sont penchés sur les effets à long terme d’un programme en cinq éléments sur la prévention des traumatismes à la moelle épinière chez les adolescents. Ces chercheurs ont constaté, parmi les personnes qui avaient participé au programme trois ans plus tôt, qu’un plus grand nombre d’entre elles disaient utiliser leur ceinture de sécurité et qu’elles étaient moins susceptibles de voyager en automobile avec des amis qui avaient consommé de l’alcool. Par contre, les propriétés psychométriques des outils de mesure utilisées étaient faibles et les principales données comportementales étaient toutes tirées de déclarations faites par les intéressés. Il est donc possible que la participation au programme ait incité les participants à faire état de comportements qu’ils jugeaient plus acceptables sur le plan social. Enfin, une évaluation en profondeur du programme THINK FIRST, un programme national de prévention des traumatismes à la moelle épinière et à la tête mis sur pied par l’American Association for Neurological Surgeons et le Congress of Neurological Surgeons, a donné lieu aux mêmes constatations que la plupart des écrits dont il a été question jusqu’à présent : le programme permet d’augmenter les connaissances et la sensibilisation, mais il n’engendre que très peu de changements comportementaux qui accroissent la sécurité et réduisent les risques (Englander et al., 1993).
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Bref, je n’ai trouvé aucun programme de prévention des traumatismes à la tête et à la moelle épinière qui ait réussi à réduire de façon probante les comportements à risque, même si de nombreux programmes ont réussi à augmenter la sensibilisation et les connaissances. La conclusion la plus intéressante est peut-être que nous savons que les programmes ponctuels ne suffiront probablement pas à changer les comportements à risque pouvant causer des traumatismes à la moelle épinière et à la tête. Bien que l’on soit tenté de croire qu’une approche exhaustive (p. ex. THINK FIRST) est susceptible de donner les meilleurs résultats, les écrits sur les interventions comportementales indiquent que le problème de ces approches réside dans leur manque de spécificité comportementale. Autrement dit, elles tentent d’en faire trop à la fois. À preuve, certains programmes qui n’ont pas produit de résultats positifs dans des secteurs où d’autres recherches avaient réussi à prouver l’efficacité de l’approche en restreignant le champ d’action et en mettant l’accent sur des comportements précis (McLoughlin et al., 1982). Les programmes seraient peut-être plus efficaces s’ils ne visaient que le pire comportement à risque dans les différents groupes d’âge et étaient répétés en insistant chaque fois sur un comportement précis dans chaque groupe d’âge ciblé (p. ex. le port de la ceinture de sécurité chez les 15 à 24 ans ; l’utilisation du casque chez les 8 à 14 ans ; la sensibilisation aux risques de blessures imputables aux chutes chez les 5 à 7 ans). Pour finir, le fait que THINK FIRST n’ait pas réussi à produire de changements comportementaux est une indication que le programme canadien HEROES, dont la conception se rapproche beaucoup de THINK FIRST, pourrait ne pas réussir à modifier les comportements à risque. Étant donné le coût de la mise en œuvre de ces programmes, il faudrait procéder à des évaluations détaillées afin de déterminer quels effets positifs peuvent produire des programmes comme HEROES. Les statistiques sur les blessures indiquent clairement que le fait de mieux faire connaître les risques de traumatismes à la tête ne suffit pas à réduire l’incidence des comportements à risque. Ce résultat est conforme à la conclusion que l’on retrouve dans beaucoup d’écrits sur la psychologie de la santé, à savoir que la connaissance mène rarement à des changements de comportement.
Programmes de promotion du port du casque de cycliste
Les programmes de prévention qui portent précisément sur les traumatismes à la tête et sont axés sur le port du casque ont donné de meilleurs résultats que les programmes plus généraux visant à réduire l’incidence des traumatismes à la moelle épinière et à la tête. Chez les écoliers, les accidents de bicyclette constituent la cause la plus fréquente de blessures nécessitant un traitement en salle d’urgence (Rivara, 1982) et la principale cause de blessures à la tête (Coalition pour le port du casque cycliste, 1995). Le taux des décès causés par des accidents de bicyclette est particulièrement élevé chez les enfants de 8 à 14 ans ; à cet âge, on permet aux enfants de se promener à bicyclette sans surveillance adulte. Les recherches épidémiologiques indiquent que 76 % des décès découlant d’accidents de bicyclette sont causés par des
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traumatismes à la tête (Commission de la sécurité des produits de consommation, 1983 ; Thornson, 1984). Des recherches récentes ont révélé que le port du casque réduit l’incidence des traumatismes à la tête d’environ 85 % (Thompson, 1989). Les casques réduisent également la gravité des blessures à la tête : les cyclistes qui ne portent pas de casque sont sept fois plus susceptibles de subir des lésions cérébrales que ceux qui portent le casque (Coalition pour le port du casque cycliste, 1995). Par conséquent, un des grands buts des programmes visant à réduire l’incidence des traumatismes à la tête chez les enfants est d’augmenter le port du casque chez les cyclistes. Pour favoriser le port du casque chez les enfants, on a eu recours à toute une gamme de stratégies d’intervention : programmes éducatifs en milieu scolaire, campagnes médiatiques à l’échelle communautaire, distribution de matériel éducatif aux patients et adoption de lois rendant obligatoire le port du casque de cycliste. Chacune de ces interventions a connu un certain succès (Wood et Milne, 1988 ; Bergman et al., 1990). Il n’est pas surprenant de constater que les programmes qui intègrent de multiples stratégies d’intervention sont les plus efficaces, mais aussi les plus coûteux. Ces constatations sont l’indication que pour vraiment réduire l’incidence des blessures à la tête causées par des accidents de bicyclette en augmentant le port du casque à l’échelle nationale au Canada, il faudra être prêt à dépenser beaucoup d’argent. Cependant, compte tenu des coûts qu’entraînent les traumatismes à la tête, les stratégies nationales de prévention des blessures sont justifiées et se révéleraient probablement rentables très rapidement. L’efficacité des interventions législatives pour augmenter le port du casque n’est plus à démontrer, bien que le port obligatoire du casque soit un phénomène récent dont on continue à mesurer les effets (c.-à-d. que les taux de port du casque pourraient montrer un effet cumulatif et qu’il faudra de nombreuses années avant d’en mesurer la pleine incidence, comme cela s’est produit après l’adoption des lois sur le port obligatoire de la ceinture de sécurité). Dans une banlieue du Maryland, le port du casque a augmenté de 43 % (soit de 4 % à 47 %) à la suite d’un programme éducatif et de l’adoption de la première loi du genre aux États-Unis (Cote et al., 1992), comparativement à une augmentation de seulement 4 % (soit de 7 % à 11 %) à la suite de l’application du seul programme éducatif (Dannenberg et al., 1993). Par ailleurs, après plusieurs années d’une campagne d’éducation concertée en vue d’augmenter le port du casque à Victoria, Australie, le port du casque est devenu obligatoire, donnant lieu à une augmentation fulgurante du taux de port du casque chez les cyclistes – jusqu’à plus de 80 % – et d’une réduction tout aussi impressionnante des blessures à la tête liées à des accidents de bicyclette (Wood et Milne, 1988 ; Ozanne-Smith et Sherry, 1990). Donc, les interventions législatives contribuent efficacement à augmenter le port du casque chez les enfants et, par conséquent, réussissent mieux à prévenir les blessures.
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La Seattle Children’s Bicycle Helmet Campaign
À Seattle, dans l’État de Washington, les statistiques sur les blessures ont suscité la mise sur pied d’un programme qui est probablement une des interventions actives de promotion du port du casque qui a le plus fait couler d’encre. Cette intervention communautaire a immédiatement donné lieu à une légère augmentation du port du casque, laquelle s’est poursuivie au cours des années subséquentes. Ce succès comporte certaines caractéristiques uniques et illustre une approche communautaire qui pourrait être appliquée à d’autres types de blessures. Description – Cette campagne communautaire a été menée de 1986 à 1989, d’abord à Seattle puis dans l’ensemble de l’État. Raisons du programme – Le programme fait suite à un projet de recherche mené par le Harborview Injury Prevention Research Center (un des cinq centres financés par les US Centers for Disease Control) visant à déterminer les raisons pour lesquelles les enfants ne portent pas de casque. Une fois ces raisons connues, les objectifs de l’intervention communautaire étaient : 1) de convaincre les parents qu’il est dangereux de faire de la bicyclette sans casque ; 2) de réduire le prix des casques pour les rendre abordables ; 3) d’aider les enfants à surmonter leur répugnance à porter un casque. Intervenants – Le Harborview Injury Prevention and Research Center s’est chargé de diriger et de coordonner une coalition composée de 16 membres. Cette coalition rassemblait notamment des personnes appartenant à des organisations de cyclistes, un fabricant de casques et un représentant de la santé publique. Pour se joindre à la coalition, une organisation devait apporter une contribution concrète en argent, en services ou en biens. Le programme misait énormément sur l’expertise d’un spécialiste des relations publiques et d’un coordonnateur de programmes d’éducation à la santé. En outre, les médecins, les hôpitaux et les employés de la clinique du County Health Department ont joué un rôle important en distribuant le matériel éducatif. Les porte-parole de la campagne incluaient des médecins et des chirurgiens qui traitaient des victimes de traumatismes à la tête et faisaient du travail de réadaptation, ce qui ajoutait à la crédibilité du programme. Pour éliminer tout discrédit quant au port du casque, des personnalités sportives locales ont été recrutées pour faire la promotion du casque. Les groupes de jeunes qui étaient populaires et avaient une bonne visibilité dans la communauté (p. ex. les scouts) ont contribué à la promotion des casques en ajoutant le port du casque à leurs programmes d’insignes de mérite et en exigeant le port du casque au cours des activités à bicyclette. Le fait que des personnalités sportives connues aient fait la promotion du port du casque (c.-à-d. des héros aux yeux des enfants) et que des représentants du domaine médical (c.-à-d. des porte-parole pouvant probablement exercer une influence sur les parents) aient lancé des messages non équivoques expliquent probablement le succès du programme. Résultats – Les premiers résultats ont révélé que le port du casque était passé de 5 % à 16 % sur une période de deux ans, résultat plutôt décevant compte tenu de l’envergure du programme. Cependant, le port du casque a ensuite augmenté pour atteindre 25 % (Rivara et al., 1990), puis 38 % l’année suivante (Young, 1991).
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Reproductibilité – À ma connaissance, personne n’a tenté de transposer ce programme ailleurs. Financement – La mise en œuvre d’un programme de cette envergure a coûté très cher. Cependant, la majeure partie du soutien a été fournie sous forme de biens et de services plutôt que sous forme de contributions financières directes. Par exemple, la Washington Medical Association a procédé à une levée de fonds pour l’impression du matériel éducatif et pour la distribution de ce matériel aux médecins. Elle a même demandé à son agence de publicité de faire la publicité des activités. Le Children’s Hospital a imprimé et distribué des coupons-rabais pour l’achat de casques et a fourni des bénévoles pour en contrôler l’échange. Le County Health Department a publié une brochure et a organisé plusieurs rodéos cyclistes. La station de télévision locale a organisé plusieurs activités importantes et a fait gratuitement la publicité et a fourni le matériel. Une compagnie de production (professionnelle) a réalisé les messages publicitaires au prix coûtant. Les journaux et les stations de télévision ont fait de nombreux reportages sur des cas d’enfants qui avaient subi des traumatismes à la tête dans des accidents de bicyclette ; ces reportages étaient présentés sous la bannière de la campagne pour le port du casque. C’est le seul programme que j’ai trouvé qui ait incorporé des cas vécus de blessures personnelles à sa campagne médiatique. Puisque la peur ne réussit généralement pas aussi bien que les incitations positives pour prévenir les blessures, il serait utile de savoir si la stratégie qui consiste à rapporter des cas vécus de blessures donne lieu à des changements d’attitude ou de comportement. Une des principales questions à régler consistait à réduire le coût prohibitif des casques eux-mêmes (à l’origine entre 40 $ et 60 $ US). À cette fin, les responsables de la campagne ont demandé au directeur de la publicité d’un fabricant de casques de se joindre à la coalition. La société en question a fait une production massive de casques sous un autre nom et les a lancés sur le marché à moitié prix (20 $ US). Lorsqu’une société plus importante a pris la relève, elle a fait un don de 5000 $ US pour la publicité du port du casque à condition que les affiches et les documents éducatifs montrent des enfants portant son produit. De plus, on a fait distribuer des coupons-rabais par les bureaux de médecins, les écoles, les regroupements de jeunes et dans le cadre d’événements communautaires afin de faciliter l’achat de casques pour enfants au prix de 25 $ US dans plus de 59 boutiques de cyclisme dans tout l’État. Évaluation – Étant donné le faible taux de décès (12 % par année), il faudra attendre plusieurs années avant de pouvoir déterminer le plein effet de cette intervention. Néanmoins, jusqu’à présent, les statistiques sont encourageantes. La campagne d’éducation et la publicité dans les médias, deux éléments de ce programme pluridimensionnel, ne se sont pas révélées très efficaces lorsqu’elles étaient employées isolément (Robertson et al., 1974). Cependant, jumelées à des incitations financières et à des porte-parole efficaces, elles ont constitué un programme exhaustif qui a incité un plus grand nombre d’enfants à porter leur casque à bicyclette. À la lecture des écrits sur cette intervention, on a l’impression que toute la communauté s’est investie dans ce programme de sorte que les parents et les enfants ne pouvaient pas faire autrement que d’être au courant de celui-ci. En outre, la spécificité du sujet
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distingue ce programme de la plupart des interventions précédentes et moins réussies qui mettaient l’accent sur le comportement plus général à bicyclette (Halperin et al., 1983). Les interventions comportementales ajoutent certainement de la crédibilité à la notion selon laquelle une intervention a plus de chances de succès lorsqu’elle est axée sur un sujet spécifique. Blessures au foyer Programmes de prévention des blessures chez les nourrissons et les enfants d’âge préscolaire
Pour protéger les nourrissons et les enfants d’âge préscolaire contre les blessures, il faut que les dispensateurs de soins sachent prendre les bonnes mesures. Par conséquent, de nombreuses approches ont été prises pour inculquer à ces derniers des règles de sécurité au foyer et les inciter à les mettre en application. L’American Academy of Pediatrics et l’Association médicale canadienne ont recommandé d’intégrer l’enseignement des règles de sécurité au foyer au programme de soins à l’enfance normale – par exemple, le Programme de prévention des blessures est mis à la disposition des médecins pour les aider dans ce processus d’assistance – bien que l’efficacité d’approches aussi limitées ait souvent été remise en question dans les recherches d’évaluation (Berger, 1981 ; Morrongiello et al., 1995). Il est surprenant de noter que de nombreux programmes visant la sécurité au foyer ont été mis en place sans qu’on ait cherché au préalable à recueillir des données solides et empiriques sur les attitudes, les convictions et les habitudes des parents en ce qui a trait à la sécurité des enfants et aux blessures qu’ils peuvent subir (Wortel et al., 1994). Il n’est donc pas surprenant que beaucoup de ces programmes réussissent mieux à hausser le niveau de connaissances qu’à amener des changements de comportement chez les parents. C’est ce qui a donné lieu à des campagnes en vue de faire adopter des mesures passives pour protéger les enfants contre les blessures (Eichelberger et al., 1990). Santé Canada a récemment parrainé une enquête nationale (Morrongiello et Polak, 1995) sur les attitudes parentales à l’égard des blessures chez les enfants. L’enquête a révélé que les parents n’étaient pas au courant de la gravité du problème des blessures chez les enfants au Canada. Les répondants n’ont pas semblé très convaincus du fait que l’on pouvait prévenir de nombreux types de blessures chez les enfants. Il en est de même aux États-Unis, où une enquête sur les attitudes parentales et la sécurité des enfants (effectuée à Chicago dans le cadre de la campagne nationale de SAFEKIDS menée sous l’égide de Johnson & Johnson Products et du National Safety Council) a révélé que les parents, particulièrement ceux qui sont économiquement défavorisés, n’étaient pas très bien informés des moyens de prévenir les blessures résultant d’un accident de bicyclette, les brûlures et les noyades. De nombreux parents ont parlé de la nécessité de « faire attention », mais ils n’étaient pas en mesure de préciser ce que cela supposait exactement dans le cas de leur propre
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comportement (Eichelberger et al., 1990). Dans cette enquête, les parents estimaient également que les enfants étaient plus susceptibles d’écouter d’autres représentants de l’autorité (p. ex. des médecins ou des policiers) et de suivre leurs conseils en matière de sécurité que d’écouter leurs parents (les parents se classaient eux-mêmes au dernier rang). En outre, plusieurs parents estimaient que la sécurité était un sujet ennuyeux. Ce mélange d’indifférence et d’ignorance met sans aucun doute en relief les problèmes que doivent surmonter les programmes qui tentent de modifier les comportements parentaux afin de réduire l’incidence des blessures chez les jeunes enfants. Qui plus est, on a constaté que les parents ont souvent tendance à surestimer la connaissance que leurs enfants ont des risques et leur capacité à faire face aux situations d’urgence (Yarmey et Rosenstein, 1988). Le fait de surestimer la capacité des enfants peut mener à un relâchement des efforts parentaux pour inculquer aux enfants des règles de sécurité au foyer et d’évitement des risques. Les recherches récentes (Morrongiello et Dayler, sous presse) et les constatations que l’on trouve couramment dans les écrits sur la psychologie de la santé indiquent qu’il existe une grande corrélation entre, d’une part, les taux d’observation des règles de sécurité chez les parents et la perception qu’ils ont de la vulnérabilité de leurs enfants aux blessures ciblées (c.-à-d. la menace perçue) et, d’autre part, leurs attitudes et leurs convictions au sujet des blessures chez les enfants (le caractère évitable des blessures, leur gravité et la responsabilité de ces blessures). Les indices qui montrent que les comportements des parents en matière de sécurité sont influencés par leurs attitudes et leurs convictions proviennent des recherches sur l’incidence des blessures chez les enfants : seulement 39 % des parents dont un enfant d’âge préscolaire a subi des blessures nécessitant une intervention médicale ont changé leur comportement sur le plan de la sécurité pour réduire la possibilité d’un nouvel incident (Langley et Silva, 1982). De toute évidence, les autres parents n’estimaient pas que leur comportement pouvait avoir eu quelque chose à voir avec le fait que leur enfant ait été blessé. Bref, pour élaborer des programmes qui ciblent les parents et visent à réduire l’incidence des blessures au foyer, il est nécessaire de mener des recherches de base afin de cerner les attitudes et les convictions parentales qui prédisposent les enfants aux blessures et empêchent les parents d’appliquer les règles de sécurité et de les enseigner à leurs enfants (Greaves et al., 1994). Ces recherches pourraient nous donner une idée des raisons pour lesquelles les garçons se blessent plus souvent et plus gravement que les filles. Les parents surveillent peut-être différemment leurs garçons et leurs filles ou peut-être leur font-ils prendre conscience du danger de façon différente. De toute évidence, les lacunes dans nos connaissances font obstacle à l’élaboration de programmes qui réussissent à prévenir les blessures au foyer et à réduire l’incidence des blessures chez les garçons. Une chose est certaine, nous savons que le fait d’augmenter les connaissances des parents sur la sécurité des enfants n’est pas suffisant pour modifier leurs comportements à l’égard de la sécurité au foyer (Paul et al., 1994). Certains programmes cités dans les écrits sur la sécurité au foyer visent à inciter les parents à utiliser des dispositifs de sécurité au foyer. Une enquête récente a révélé
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que seulement 40 % des foyers avec des jeunes enfants utilisent des couvre-prises de courant (Kelly et al., 1987). En examinant ces programmes, on découvre que c’est la facilité d’utilisation qui détermine si les parents utiliseront les dispositifs de sécurité au foyer distribués gratuitement. Dans le cadre d’une étude portant sur des parents instruits et à l’aise (Dershewitz, 1979), tant le groupe sujet que le groupe témoin ont fait un plus grand usage de dispositifs faciles à installer (p. ex. les couvre-prises de courant) mais non des dispositifs plus difficiles à installer (p. ex. les verrous d’armoires) lorsque les deux types de dispositifs leur étaient fournis gratuitement. Les séances éducatives (séances individuelles de 20 minutes sur la sécurité des enfants, brochures sur la sécurité au foyer, appels téléphoniques de suivi pour renforcer la démarche et fournir de l’encouragement) ont permis d’augmenter de façon marquée le taux d’utilisation dans le groupe sujet deux mois après l’intervention. Dans le cas de plusieurs catégories de blessures, les résultats semblent indiquer que le fait de fournir des dispositifs (p. ex. des détecteurs de fumée, des sièges d’auto pour nourrissons, des dispositifs de sécurité au foyer, des grillages pour les fenêtres) gratuitement ou à bas prix dans le cadre d’un vaste programme d’intervention peut inciter les parents à utiliser ces dispositifs, mais que cette utilisation est entravée par des obstacles auxquels les futures recherches devront trouver des solutions. De nombreux programmes communautaires détaillés visant à promouvoir la sécurité au foyer ont été mis en œuvre avec plus ou moins de succès. Safe Start, un programme canadien mis sur pied en collaboration avec le British Colombia Children’s Hospital et parrainé par la Banque Royale (500 000 $ sur une période de 5 ans), cible les familles avec des enfants d’âge préscolaire qui sont exposés à des risques de blessures plus élevés que la moyenne. Les documents et les outils de Safe Start (vidéos, brochures, fiches de croissance), qui ont été produits en six langues, sont distribués par les services de santé publique, les organismes de services aux femmes enceintes et comporte une variété de programmes offerts à la population multiculturelle. La Safe Start Mobile House est un outil d’enseignement qui permet d’offrir des séances d’information sur la prévention des incendies dans toutes les communautés de la Colombie-Britannique. Les données préliminaires récoltées par les responsables de la prestation du programme révèlent un niveau de satisfaction élevé à l’égard de la documentation et de l’ensemble du programme (CS/RESORS Consulting Limited, 1995). On prévoit effectuer une évaluation des résultats au cours des prochaines années. Le Home Injury Prevention Program (HIPP), un programme unique en son genre visant à réduire l’incidence des blessures au foyer chez les familles à faible revenu qui vivent dans des logements insalubres, constitue le parfait exemple d’un programme communautaire qui a réussi à réduire l’incidence des blessures dans une population urbaine à haut risque. Le HIPP, mis en œuvre au Massachusetts dans les années 1980 (Gallagher et al., 1985), a adopté une approche globale et pluridimensionnelle comprenant une stratégie éducative (information des parents au sujet des dangers potentiels au foyer), une approche réglementaire (détermination des infractions aux codes de l’habitation en vigueur et résolution des problèmes) ainsi qu’une stratégie technologique (distribution et installation gratuite de dispositifs
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de sécurité peu onéreux dans les logements des familles ciblées) afin de réduire les blessures chez les enfants de moins de 6 ans qui vivent dans des logements insalubres. Le programme avait pour but de réduire les dangers liés aux brûlures, aux empoisonnements, aux chutes, aux étouffements et à l’utilisation de produits de consommation dans les foyers. Puisque la contribution des employés des services de santé locaux était nécessaire pour faire appliquer le code de l’habitation, on leur a confié des tâches supplé mentaires. Ainsi, en plus de l’inspection des domiciles, ils devaient conseiller les parents sur des dangers précis au foyer et sur les corrections à apporter, et distribuer et installer des dispositifs de sécurité. Les employés effectuaient une seconde visite aux domiciles afin de s’assurer du respect du code de l’habitation et de renforcer les messages éducatifs. Pour l’évaluation, on a effectué des visites de suivi 45 jours plus tard dans 29 % des foyers initialement visités. On a pu constater que les dangers au foyer étaient considérablement réduits, de 13 à 7, particulièrement dans la cuisine et dans les chambres d’enfants. Bien que les trois stratégies aient eu du succès (c.-à-d. la réduction des dangers), c’est l’assistance éducative, qui nécessitait le plus d’effort de la part des parents, qui a produit le moins de changements. Ce résultat cadre bien avec les grandes tendances décrites dans la documentation sur la prévention des blessures, à savoir que les interventions réglementaires et technologiques sont plus efficaces que les stratégies éducatives. La réussite du HIPP est probablement imputable à plusieurs facteurs : 1) Puisque le counselling était effectué à domicile, le message était mieux ciblé et plus pertinent pour les parents. Le message consistait, entre autres, à déterminer les dangers et les solutions capables de les éliminer. La visite de suivi permettait au personnel de répéter et de renforcer les messages éducatifs. Le fait que l’assistance éducative était fournie par un représentant de l’autorité, soit un agent des services de santé locaux, a probablement contribué à le rendre plus efficace. 2) La plupart des dispositifs de sécurité étaient installés par l’inspecteur, limitant du même coup les efforts requis de la part des parents. En fait, les quelques dispositifs que les parents devaient installer eux-mêmes étaient rarement en évidence au moment de l’inspection de suivi. 3) Le non-respect du code entraînait des conséquences judiciaires, ce qui a probablement contribué à motiver les parents à s’y conformer. 4) La nature pluridimensionnelle de l’intervention, avec ses diverses stratégies en vue de cibler une population à risque élevé pour laquelle l’information était directement pertinente, a probablement aussi contribué au succès du programme (Spiegel et Lindaman, 1977). Le rapport sur ce programme (Gallagher et al., 1985) contient une longue discussion sur la nécessité de donner de la formation, des encouragements et du soutien aux inspecteurs de la santé locaux pour les inciter à inclure la promotion de la prévention des blessures dans leurs fonctions et les aider à surmonter leur résistance à ce type de démarche. Le programme a été rentable parce qu’il a su utiliser de façon optimale les intervenants qui effectuaient déjà, quoique pour d’autres raisons, des visites routinières dans ces foyers à risque élevé. De toute évidence, la coopération et l’appui des fonctionnaires locaux et des organismes communautaires
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sont indispensables pour assurer le succès de ce genre d’approche. Néanmoins, il ressort aussi qu’un tel niveau de coopération et de soutien n’est pas impossible à obtenir et qu’il peut mener à une réduction rapide des dangers au foyer dans les populations à haut risque. Dans la même veine, citons une autre intervention communautaire qui a réussi à réduire l’incidence des blessures au foyer de presque 30 % dans une ville suédoise. Pour ce faire, les intervenants ont intégré tous les aspects du programme à des activités courantes financées par leur budget habituel (Shelp, 1987, 1988).
Le Safe Block Project
Dans le cas des modèles à suivre dont il sera maintenant question, on a opté pour une approche innovatrice à l’égard de la prévention des blessures en demandant aux résidents locaux d’effectuer des évaluations à domicile dans leur propre communauté. Description – Le Safe Block Project est un programme de sécurité au foyer en milieu urbain qui a été mis en œuvre dans un quartier de Philadelphie où les risques de blessures étaient élevés (Schwartz et al., 1993). Le programme a été élaboré dans le cadre du Philadelphia Injury Prevention Program, un effort coopératif du Philadelphia Departement of Public Health, de la University of Pennsylvania School of Medecine, du Children’s Hospital of Philadelphia et du Philadephia Citizens Advisory Board for Injury Prevention. Il ciblait une population défavorisée à haut risque composée principalement d’Afro-Américains. L’intervention se divisait en trois volets : 1) l’inspection des domiciles pour informer les résidents des dangers et des façons de les éliminer ; 2) des modifications et des réparations simples en vue d’éliminer les dangers ; 3) de l’information sur les moyens de prévenir les blessures. Les programmes d’information ont été menés dans les domiciles et dans le cadre de réunions communautaires et de rencontres avec les habitants d’un îlot résidentiel. Raisons du programme – Mis sur pied en réaction aux statistiques locales sur les blessures, le programme avait pour but de réduire l’incidence des chutes, des incendies, des brûlures par des liquides bouillants, des empoisonnements et des homicides dans un quartier de Philadelphie où l’incidence de blessures était très élevée. Le programme visait à : 1) améliorer les connaissances sur les moyens de prévenir les blessures et réduire les dangers au foyer ; 2) réduire les taux de blessures au foyer. On a sélectionné les emplacements ciblés et les emplacements témoins en s’appuyant sur les données démographiques et les statistiques sur les blessures. Intervenants – On a constitué des équipes de 13 membres (trois responsables de la liaison de sécurité et dix inspecteurs de sécurité) recrutés dans la communauté. Le travail des équipes était contrôlé par les employés de la Injury Control Section (Section de la prévention des blessures) du Philadephia Department of Public Health. Les responsables de la liaison recrutaient un bénévole dans chaque îlot résidentiel pour répertorier les ressources locales, communiquer avec les résidents de l’îlot et renforcer les messages de sécurité au cours des réunions mensuelles avec ceux-ci. Chaque mois, les agents de liaison se réunissaient avec les représentants
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des différents îlots pour préparer un nouveau thème sur la sécurité, organiser les rencontres avec les résidents et déterminer et fournir le matériel éducatif aux foyers de l’îlot résidentiel. Après avoir obtenu le consentement des résidents, les inspecteurs de la sécurité pouvaient exercer leur mandat : inspecter les domiciles, aider pour les modifications et informer les résidents sur les dangers. Les outils fournis pour chaque domicile coûtaient 10,34 $ US et comprenaient un détecteur de fumée, un thermomètre pour prendre la température de l’eau (pour prévenir les brûlures dans la baignoire), une veilleuse (pour prévenir les chutes), du sirop d’ipéca (pour induire des vomissements si un enfant a absorbé du poison), un autocollant pour le téléphone indiquant les numéros d’urgence et une affiche magnétique pour le réfrigérateur donnant des renseignements sur la prévention des brûlures, des empoisonnements, des chutes et des blessures occasionnées par la violence conjugale. Les inspecteurs enseignaient aux résidents comment éliminer les dangers (en donnant des instructions simples sur les réparations à faire), baissaient la température des chauffe-eau, installaient les dispositifs de sécurité fournis, vérifiaient qu’il n’y avait rien qui puisse causer des chutes (tapis mal fixés, etc.), des empoisonnements (médicaments, peinture écaillée, etc.) ou des chocs électriques (fils électriques usés ou dénudés). Ils enseignaient aux parents comment utiliser le sirop d’ipéca et le thermomètre pour le bain et les informaient des ressources communautaires auxquels ils pouvaient s’adresser pour obtenir des renseignements sur les sièges d’auto pour enfants, l’entreposage des armes et la violence conjugale. On demandait aux résidents de solliciter la participation de leurs voisins. Ce n’est qu’après trois communications (à des jours et à des heures différents) visant à inviter les résidents à participer au programme que l’on considérait qu’un foyer était non participant. Le programme a obtenu un taux de participation de 51 % des foyers dans la région ciblée. Résultats – Environ 12 mois après l’intervention, l’équipe du programme a rendu visite à un échantillon de foyers ciblés (72 %) et de foyers témoins (72 %) pour évaluer les dangers (vérifier si les dangers avaient été éliminés conformément aux recommandations et si les dispositifs de sécurité étaient toujours intacts) et les connaissances en matière de prévention des blessures. Comparativement aux foyers témoins, les foyers ciblés possédaient plus de dispositifs de sécurité et comportaient moins de dangers du type pouvant être éliminés avec un effort de moindre à modéré (moindre : veilleuse, sirop d’ipéca, détecteur de fumée fonctionnel, etc. ; modéré : médicaments hors de la portée des enfants, formulation de plans de sortie en cas d’incendie, élimination des dangers de tré buchement, etc.). Les résidents ciblés avaient également une meilleure connaissance de la sécurité. On n’a remarqué aucune différence entre les foyers en ce qui concerne les dangers qui ne peuvent être éliminés qu’au prix d’un effort considérable (planchers de cuisine non sécuritaires, peinture écaillée, etc.), mais il convient de souligner que ces réparations ne dépendent pas seulement d’un effort mais également de la disponibilité des fonds pour se procurer les matériaux nécessaires. La distribution des dangers indiquait également que les parties du domicile qui avaient fait l’objet de la plus grande attention durant l’inspection de sécurité présentaient le moins de dangers
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au moment de l’évaluation de suivi. Enfin, l’analyse des types de dangers existants a permis de constater qu’il y avait beaucoup moins de dangers d’empoisonnement et de brûlures dans les foyers ciblés que dans les foyers témoins. Par conséquent, puisque les effets de l’intervention se sont avérés précis, les effets positifs peuvent probablement être attribués à l’intervention en tant que telle. Reproductibilité – Aucun autre rapport publié ne fait état d’interventions communautaires comportant des programmes d’éducation des résidents d’un même îlot résidentiel et d’interventions à domicile auprès de populations à risque élevé de blessures. Le HIPP (l’intervention du Massachusetts) a également fait appel aux services d’inspecteurs et a, de plus, opté pour une approche globale (stratégies éducatives, réglementaires et technologiques), et a réussi à obtenir des taux de réussite acceptables (voir ci-dessus). Pour finir, un programme mené dans une région rurale de la Suède qui avait adopté la stratégie des visites à domicile a signalé une baisse de 10 % des taux de blessures, même s’il ne s’agissait pas exactement d’une intervention à partir de la base (c.-à-d. l’éducation des voisins par des voisins) comme le programme Safe Block. Financement – Le programme a été financé par les US Centers for Disease Control et la Henry J. Kaiser Family Foundation. Évaluation – Lorsque l’on compare ce programme à d’autres qui n’ont pas eu autant de succès (p. ex. SCIPP ; Guyer et al., 1989), on peut constater qu’une intervention à l’échelle communautaire visant à réduire les blessures au foyer chez les enfants a plus de chances d’être efficace si : 1) elle fait appel à un processus ascen dant, qui prend sa source à la base (c.-à-d. que c’est la communauté elle-même qui fait évoluer l’intervention, que celle-ci s’appuie sur des statistiques locales et trouve ses solutions dans les ressources locales) ; 2) elle suppose des communications individuelles (p. ex. des résidents formés qui parlent à leurs voisins, des représentants de l’autorité qui parlent avec les résidents) ; 3) elle prévoit l’inspection des domiciles (information et conseils à domicile au sujet de dangers précis et des façons de les éliminer) ; 4) elle offre gratuitement des dispositifs de sécurité faciles à installer (c.-à-d. l’installation par les inspecteurs) ; 5) elle prévoit plusieurs visites ou des communications de suivi afin de renforcer l’observation des règles de sécurité et éliminer les dangers ; 6) elle prévoit une grande couverture médiatique pour élever le niveau de sensibilisation à ces questions et favoriser l’observation des règles de sécurité. Le succès du programme Safe Block est particulièrement digne d’intérêt parce qu’il était à teneur populaire et visait un quartier urbain très défavorisé et qu’il utilisait des résidents très peu scolarisés comme intervenants clés.
Programmes d’enseignement des règles de sécurité au foyer à l’intention des enfants « clé au cou »
Les enfants « clé au cou » sont des enfants qui sont laissés sans surveillance durant un certain temps au cours de la journée, généralement après l’école, jusqu’à ce qu’un des parents revienne du travail. On en est venu à les appeler ainsi parce que la plupart ont sur eux une clé de la maison (attachée à leur chemise, p. ex.). On a mis en œuvre
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un certain nombre de programmes pour enseigner les règles de sécurité au foyer à ces enfants. Ces programmes s’inspirent généralement des techniques de formation comportementales et exigent des administrateurs formés, des gratifications pour les participants et de nombreuses séances de formation comprenant des apprentissages par l’observation, des répétitions et une rétroaction. Les tentatives pour réduire les coûts de ces programmes se sont généralement soldées par une perte sur le plan des résultats. Par exemple, après avoir réussi à inculquer des règles de sécurité au foyer à des enfants de 8 ans (p. ex. comment réagir en situation d’urgence), Peterson et ses collaborateurs ont tenté de rendre le programme plus rentable en ramenant la durée de l’enseignement et de la formation à dix heures (assortie de séances occasionnelles de mise à jour) et en ayant recours aux services de bénévoles (p. ex. des parents) plutôt qu’à des enseignants professionnels (Peterson, 1984a, 1984b ; Peterson et Mori, 1985 ; Peterson et al., 1988). Les parents de cinq enfants qui participaient au programme ont reçu une formation, ont été supervisés et ont pu bénéficier d’une rétroaction des enquêteurs chaque semaine. Ainsi, le temps économisé en réduisant la formation donnée aux enfants était contrebalancé par le temps consacré à la formation des administrateurs bénévoles du programme. Au moment du suivi effectué six mois après l’intervention, on a constaté que les cinq enfants en question avaient bien assimilé les règles de sécurité enseignées et les appliquaient bien. Cependant, un autre groupe de 16 enfants dont les parents n’avaient pas bénéficié d’une surveillance professionnelle pour administrer le programme et qui avaient été amenés à participer au programme par leurs enfants (au lieu de se porter eux-mêmes volontaires) ont obtenu de bien moins bons résultats. Ces constatations indiquent « qu’on en a pour son argent » lorsqu’il s’agit de programmes de sécurité pour les enfants. De toute évidence, la mise en application de programmes de modification du comportement à grande échelle s’appuyant sur une surveillance professionnelle réduite a peu de chances de succès. Peterson et ses collaborateurs ont aussi tenté de déterminer si l’on pouvait remplacer la formation en groupe échelonnée sur une courte période par la formation individuelle continue. On a organisé six séances de 15 minutes avec des groupes d’enfants pour faire des jeux de rôle et discuter d’une nouvelle question de sécurité à chaque séance. Des tests effectués avant et après l’intervention ont révélé une meilleure connaissance des règles de sécurité sur chacun des sujets traités (p. ex. comment réagir en cas de feu, de coupure, si un étranger se présente à la porte), mais aucun enfant n’a aussi bien réussi que les enfants qui avaient reçu la formation individuelle et intensive du programme de formation à domicile. Bref, bien que certains programmes de sécurité aient réussi à hausser le niveau d’observation et de connaissance des règles de sécurité chez les enfants « clé au cou », ces programmes coûtent en général très cher. Les tentatives pour réduire les coûts de ces programmes en vue d’en augmenter la rentabilité n’ont pas donné de très bons résultats.
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Empoisonnement
En matière de prévention des empoisonnements chez les enfants, les interventions qui se sont avérées les plus efficaces sont les mesures passives. Les lois rendant obligatoires les bouchons à l’épreuve des enfants sur les bouteilles de médicaments et qui limitent le nombre de comprimés d’aspirine pour enfants à 36 par bouteille ont réduit de moitié le nombre d’empoisonnements chez les enfants de moins de 5 ans (Clarke et Watson, 1979). De même, la création de centres antipoison avec lesquels on peut communiquer par téléphone a également contribué à contenir le problème (Dershewitz et Christophersen, 1984). Les programmes comme Mr. Yuk se sont révélés inefficaces pour réduire l’incidence des empoisonnements puisqu’une personne doit apposer des étiquettes d’avertissement sur chaque contenant approprié dans la maison (Fergusson et al., 1982). Les interventions qui ciblent les blessures au foyer de façon plus générale comportent souvent des mesures de prévention des empoisonnements dont le degré de succès varie (voir ci-dessus). Noyade
En fait de stratégies de prévention des noyades chez les enfants, on trouve les cours de natation et l’installation de barrières pour empêcher l’accès aux plans d’eau (p. ex. les piscines). Il existe de nombreux programmes « Aquabébés » à l’intention des nourrissons et des jeunes enfants, mais rien ne prouve que ces programmes réussissent à réduire de façon marquée le nombre de noyades chez les enfants de ces groupes d’âge (Quan, 1982). Cependant, on a récemment mis sur pied un programme à cette fin et il a donné des résultats encourageants (Asher et al., 1995 ; Barass, 1995 ; Smith, 1995). La Société canadienne de la Croix-Rouge a dernièrement révisé et élargi son programme dans le but d’améliorer les connaissances des enfants sur le plan de la sécurité aquatique et de leur apprendre à nager. Pour ce faire, elle a adopté des normes nationales sur la prestation, le contenu, les préalables et les exigences en matière d’accréditation. Ce nouveau programme de sécurité aquatique est offert dans un certain nombre d’emplacements pilotes au Canada. L’attention que les médias ont porté au nouveau programme a contribué à augmenter le nombre de participants et à atteindre un des objectifs du programme (c.-à-d. rejoindre un plus grand nombre d’enfants). Cependant, seule une évaluation à long terme nous permettra de déterminer si le programme donne lieu à une réduction du nombre de noyades chez les enfants. Millner et ses collaborateurs (1982) se sont penchés sur l’efficacité des règlements relatifs aux clôtures à Mulgrave Shire, en Australie, et ont estimé qu’une stricte application de ces règlements pourrait réduire d’environ 80 % les noyades chez les enfants de moins de 14 ans. Pendant les dix années de l’étude, aucun enfant ne s’est noyé dans une piscine clôturée. De toute évidence, les interventions législatives visant à restreindre l’accès des enfants aux plans d’eau peuvent être très efficaces pour réduire l’incidence des blessures chez les jeunes enfants. Puisque les piscines sont un lieu
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de noyade fréquent chez les jeunes enfants (Société canadienne de la Croix-Rouge, 1994), de nombreuses municipalités canadiennes ont adopté des règlements sur les clôtures. Au Canada, il n’existe toutefois pas de norme de sécurité pour les piscines, ce qui rend la stricte application de ces règlements presque impossible. Suffocation
Au Canada, la suffocation est la principale cause de blessures et de décès chez les enfants de moins de 1 an (ICSI, 1994). Les causes de suffocation sont nombreuses : les lits d’enfant dans lesquels les enfants restent pris (particulièrement les lits d’enfant dont la fabrication est antérieure à l’adoption des nouvelles normes de sécurité), les cordes comme les cordes de stores vénitiens ou les fils de téléphone avec lesquels l’enfant s’étrangle, le corps étranger qui bloque les voies respiratoires, les sacs en plastique ou les oreillers qui restreignent l’arrivée d’oxygène, etc. Fait surprenant, très peu de mesures législatives ont été prises pour prévenir les cas de suffocation. Par exemple, les fabricants de sacs de plastique ne sont pas tenus de mettre un avertissement sur leur produit pour alerter les parents au fait que ces sacs constituent un danger pour les jeunes enfants. Je n’ai pu trouver aucun programme de prévention ciblant ce type de blessures. Les blessures de ce genre sont généralement englobées dans les programmes de prévention des blessures au foyer.
Chutes
Bien que les blessures attribuables à des chutes soient toujours la première cause d’hospitalisation chez les enfants canadiens âgés de 2 à 14 ans, il n’existe aucun programme spécialement conçu pour réduire l’incidence des chutes. La nécessité de réduire les chutes est plutôt soulevée dans les programmes de sécurité au foyer, dans les discussions sur la sécurité dans les terrains de jeu, dans les programmes de prévention des traumatismes à la tête et à la moelle épinière, etc., mais le sujet ne reçoit souvent qu’une attention secondaire. La sécurité dans les terrains de jeu est une question qui suscite des inquiétudes croissantes en raison du nombre de blessures attribuables à des chutes. À Montréal, par exemple, une étude a révélé que les chutes étaient à l’origine de 74 % de toutes les blessures subies dans les terrains de jeu (Lesage et al., 1993). De même, les données du Ontario Trauma Registry (1995) indiquent que près de 20 % de toutes les admissions d’enfants dans les hôpitaux à la suite de chutes sont imputables à des chutes survenues dans des terrains de jeu. Pour solutionner ce problème, l’Association canadienne de normalisation travaille de concert avec des professionnels américains pour réviser les normes de sécurité dans les terrains de jeu et établir un ensemble de normes pour l’Amérique du Nord. C’est un début, mais les autres questions, comme celle qui consiste à savoir qui assumera les coûts des améliorations à apporter et de l’entretien, doivent également être débattues. En raison des budgets limités, de plus en plus de terrains de jeu sont éliminés plutôt qu’améliorés ou entretenus. Ainsi, on augmente les probabilités que les enfants iront jouer à des endroits plus dangereux,
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comme dans les rues et sur des surfaces cimentées comme les trottoirs. Il semble clair que nous devons, sans tarder, trouver des façons de réduire les chutes chez les enfants et régler le problème de la sécurité dans les terrains de jeu. Conclusions et recommandations
Comme le montre le présent examen des écrits sur la prévention des blessures, différentes stratégies ont été mises à l’essai pour tenter de trouver des solutions aux divers types de blessures qui sont fréquentes chez les enfants. Les constatations qui découlent de ces tentatives appuient les conclusions et les recommandations suivantes. Stratégies passives
Dans la mesure du possible, il faudrait donner la préférence aux stratégies passives (c.-à-d. celles qui ne nécessitent aucun effort de la part de la personne). Puisque ces interventions sont faites auprès de la population, les approches passives sont très rentables et amènent des réductions importantes des taux de blessures, en peu de temps. Pour leur garantir un appui solide, les interventions passives devraient généralement être accompagnées d’une démarche d’éducation du public sur les questions pertinentes, mais il y aura toujours des gens qui contesteront la limitation de leurs libertés et de leurs choix personnels. Néanmoins, les interventions passives donnent des résultats et devraient constituer l’intervention de choix pour réduire les blessures chez les enfants. À ma connaissance, il n’est jamais arrivé qu’une intervention passive de réduction des blessures chez les enfants ne produise d’importantes baisses des taux de mortalité imputables à des blessures (pour une analyse plus poussée, voir Lovasik, 1995). Stratégies actives
Les interventions actives nécessitent qu’une personne observe les règles et, par conséquent, leur succès varie. Stratégies de prévention législatives
Les interventions de prévention des blessures faisant l’objet d’une loi réussissent généralement assez bien à inciter les gens à observer les règles de sécurité. Cependant, pour être pleinement efficaces, ces stratégies devraient s’inscrire dans un contexte plus vaste comprenant une démarche d’éducation du public et une stratégie d’appli cation. Cette approche globale nécessite probablement un effort de collaboration, de coordination et de communication de la part des intervenants, mais il s’agit là d’une condition essentielle à la réalisation de la pleine efficacité d’une stratégie de prévention légiférée.
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Programmes d’éducation
Les programmes d’éducation donnent généralement lieu à une augmentation des connaissances, mais ils produisent rarement des changements de comportement. Ces programmes peuvent sembler rentables puisqu’ils rejoignent un grand nombre de personnes à la fois (p. ex. la publicité télévisée, les programmes scolaires) mais, lorsqu’ils sont offerts de façon isolée, leur efficacité est presque nulle. Les chances de succès des programmes d’éducation peuvent être améliorées si : 1) ils ciblent un groupe à haut risque précis pour prévenir un type de blessure en particulier ; 2) ils limitent leur champ d’application (p. ex. s’ils ne visent qu’à changer un seul comportement bien défini) ; 3) ils sont mis en œuvre dans un contexte personnel et individuel par un symbole d’autorité (p. ex. un médecin) ; 4) ils intègrent des incitations individuelles ou des gratifications naturelles. Pour améliorer les programmes ciblant les enfants, il est également important de faire en sorte que le message éducatif soit transmis de façon interactive et participative. Néanmoins, même en satisfaisant à tous ces critères, les programmes éducatifs demeurent moins efficaces que les autres approches d’intervention pour réduire les taux de blessures.
Programmes de modification du comportement
Les interventions comportementales tentent généralement de susciter une meilleure observation des règles de sécurité (par opposition à une baisse des risques de blessure). La plupart des interventions se sont révélées efficaces, qu’elles tentent de modifier les comportements des enfants ou ceux des dispensateurs de soins. Ces programmes entraînent souvent de bons taux d’observation des règles à court terme, lesquels diminuent (bien qu’ils restent toujours supérieurs aux taux initiaux) à plus long terme (p. ex. 6 à 12 mois). Les chances de succès de ces programmes peuvent être améliorées si on leur intègre un agencement de caractéristiques : 1) des objectifs limités sur le plan des comportements ; 2) des jeux de rôle, l’apprentissage par l’observation et des répétitions ; 3) une rétroaction et des gratifications. On peut maintenir des taux d’observation élevés sur de longues périodes en offrant périodiquement des séances de mise à jour. Malgré leur efficacité, les programmes de modification du comportement ont des limites. Ces programmes individualisés nécessitent des séances de formation répétitives menées par des personnes compétentes et ils doivent offrir des gratifications tangibles aux participants. En raison de leur coût, il devient impossible d’offrir ces programmes à plus d’un petit nombre de participants. Les programmes de modification du comportement ne sont donc pas un moyen très rentable de réduire considérablement l’incidence des blessures chez un grand nombre d’enfants. Offrir ces programmes aux seuls enfants qui sont particulièrement vulnérables à un certain type de blessures pourrait aider à rentabiliser ce genre d’intervention, surtout si des comportements sécuritaires sont également adoptés par les membres de la famille qui n’ont pas participé au programme (p. ex. les programmes de sensibilisation au
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port de la ceinture de sécurité amènent souvent une généralisation du comportement chez tous les membres de la famille). Interventions communautaires
Les interventions communautaires sont très prometteuses. C’est d’ailleurs sur ces interventions que devraient principalement porter les efforts en raison de leur efficacité, de leur taux de succès relativement élevé et de leur potentiel pour modifier tant les attitudes que les comportements. En général, ces interventions rejoignent un grand nombre de personnes et, grâce à un usage optimal des ressources de la communauté, permettent de maintenir les frais généraux à un niveau assez bas. Les programmes qui réussissent le mieux : 1) sont très étroitement définis (c.-à-d. qu’ils visent un but unique ou qu’ils tentent de modifier un seul compor tement clé) ; 2) ciblent plus d’un niveau (p. ex. l’individu, le milieu ou l’environ nement, la communauté ; 3) sont pluridimensionnels. En général, ce type d’inter vention comporte un élément éducatif à plusieurs niveaux (communications personnelles et messages transmis par les médias), offre des possibilités d’appren tissage par l’observation, la répétition et la rétroaction (soit certains des principaux aspects des interventions comportementales) et tente de modifier le milieu (p. ex. la disponibilité des dispositifs de sécurité). Les programmes qui ont du succès ont généralement recours à plusieurs sources pour communiquer simultanément de l’information, de sorte que les interventions occupent tellement de place qu’il est difficile pour les personnes de ne pas être informées ou de ne pas collaborer. Les programmes communautaires ont souvent un défi de taille à relever : celui de coordonner la communication de l’information et les éléments du programme. En général, les programmes ont de meilleures chances de succès et bénéficient d’un plus grand appui de la part des membres de la communauté lorsque les décisions sont prises à l’échelon local ; cette façon de procéder favorise une sentiment de propriété communautaire et satisfait les besoins locaux en matière de prévention des blessures. Pour avoir du succès, ces interventions doivent être adaptées à l’auditoire ciblé et doivent s’appuyer sur une bonne connaissance de la culture de la communauté ciblée et sur le respect de cette culture. La surveillance des blessures à l’échelon local doit essentiellement constituer la première étape du développement d’un programme de prévention des blessures pertinent à l’échelle communautaire.
Mesures préconisées
Dans le présent document, on a proposé plusieurs approches pour réduire l’incidence des blessures chez les enfants. Toutefois, et c’est peut-être ce qui ressort le plus de la documentation examinée, il est impossible de retenir une stratégie particulière et de l’appliquer uniformément à toutes les catégories de blessures. Il ressort aussi des écrits que les chances de succès sont plus élevées dans le cas des interventions pluridimensionnelles (c.-à-d. les programmes qui intègrent plusieurs stratégies de
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prévention des blessures). À l’heure actuelle, nous en savons beaucoup sur la façon de prévenir certains types de blessures chez les enfants (p. ex. les blessures infligées aux passagers dans un accident d’automobile), mais nous en savons relativement peu sur la façon de prévenir d’autres types de blessures (p. ex. les chutes). On pouvait être tenté de se baser sur cet examen des ouvrages sur la prévention des blessures pour suggérer aux artisans de la politique de mettre l’accent sur la prévention des blessures les plus fréquentes, les plus graves et les plus coûteuses (p. ex. au Canada, les chutes sont la principale cause d’hospitalisation pour des blessures chez les enfants de 2 à 14 ans), mais il est nécessaire de bien saisir la question de la prévention des blessures pour être en mesure de trouver des solutions à ce problème national de santé. Cela dit, je souhaite attirer l’attention des décideurs politiques sur les besoins suivants. Faire de la prévention des blessures une priorité nationale
Les blessures sont la principale cause de mortalité infantile et la principale cause d’hospitalisation chez les enfants, mais trop peu de gens au Canada le savent. Chaque année, nous dépensons des milliards de dollars pour soigner des enfants parce que nous ne parvenons pas à réduire l’incidence des blessures. Par exemple, en 1993, un examen de 10 528 admissions d’enfants dans les hôpitaux de l’Ontario a révélé que 15 % de ces admissions étaient imputables à des blessures. La durée moyenne du séjour à l’hôpital était de trois jours (Ontario Trauma Registry, 1995). Si l’on consacrait ne serait-ce que le tiers de l’argent dépensé pour le traitement de ces blessures à des programmes de prévention, on réussirait, selon toutes probabilités, à réduire considérablement l’incidence des blessures chez les enfants, ce qui donnerait lieu à des économies beaucoup plus considérables à long terme. Par exemple, le programme de vaccination contre la rougeole mené durant huit ans a permis d’économiser 1,3 milliard de dollars à long et à court terme (Witte et Axnixk, 1975). À la lumière de ces statistiques et des coûts qu’entraînent les blessures, il semble évident que le capital investi dans la prévention des blessures au Canada rapporterait beaucoup si l’on prenait l’engagement de réduire encore plus l’incidence des blessures chez les enfants. Une analyse des coûts effectuée aux États-Unis a estimé que le décès de 22 000 enfants entraînait une perte de productivité future de l’ordre de 8,3 milliards de dollars américains (Rice et al., 1990). Il est clair que nous devons faire de la réduction des blessures une priorité nationale. Pour que cela puisse se réaliser, cependant, la prévention des blessures ne doit pas être considérée comme une priorité nationale par les seuls intervenants, mais également par le public. Par conséquent, il faut concevoir une stratégie nationale pour parvenir à prévenir les blessures au Canada et pour sensibiliser le public sur cette question. Frank (1966) parlait de « l’indignation morale » comme d’un catalyseur pour faire évoluer les mentalités sur les questions sociales qui façonnent nos vies. Apparemment, les Canadiens n’ont pas encore atteint un niveau d’indignation suffisant pour faire campagne en vue de l’adoption de mesures de prévention des blessures. Les artisans de la politique doivent agir pour aider à atteindre ce but.
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L’absence de stratégie nationale pour contenir ce problème n’est probablement nulle part plus apparente que dans la diversité des niveaux de priorité que les provinces accordent à ce problème et des ressources qu’elles y consacrent. L’approche canadienne actuelle à l’égard de la prévention des blessures ne peut être qualifiée que d’« approche fragmentaire ». Étant convaincue que nous avons besoin d’une stratégie nationale, je propose ce qui suit pour promouvoir l’élaboration d’une stratégie nationale visant à réduire les blessures chez les enfants et pour amener les Canadiens à considérer la prévention des blessures comme une priorité nationale. 1. Les stratégies de prévention des blessures devraient être coordonnées à l’échelon national et non à l’échelon provincial. Une attention nationale mènerait à l’uniformité dans l’établissement des priorités, dans le choix des interventions et dans l’évaluation du taux de succès. Ce genre d’approche contribuerait à faire de la prévention des blessures une question de santé nationale et mènerait à la coordination d’un effort national pour la réduction des blessures. Les doubles emplois s’en trouveraient éliminés et l’élaboration ainsi que la mise en œuvre des stratégies deviendraient un effort de collaboration national. Les provinces auraient quand même la possibilité de cibler une région géographique ou une population donnée quand des statistiques locales sur les blessures le justifient. 2. La démarche pour mettre la prévention des blessures au programme national passe nécessairement par la sensibilisation du public à la gravité du problème des blessures chez les enfants. Un public sensibilisé exigera des ressources et des programmes novateurs, ce qui aura pour effet de déclencher des initiatives gouvernementales et d’augmenter les chances de recruter des sociétés commanditaires. Nous devons entreprendre une campagne multimédia à l’échelle nationale pour augmenter le niveau de sensibilisation et promouvoir les attitudes axées sur la prévention. On pourrait recruter des sociétés commanditaires pour financer la campagne, mais l’orientation et la portée de celle-ci devraient être déterminées par l’organisme compétent (voir la partie suivante). Il ne faut pas essayer d’informer par la peur, puisque cette approche n’est pas aussi efficace que les incitations positives (Treiber, 1986) et peut laisser croire que seules les blessures atypiques ou les blessures graves sont la source du problème. En s’inspirant des écrits sur la psychologie de la santé et sur les blessures chez les enfants, la campagne médiatique devrait communiquer les messages suivants : • Les blessures constituent la principale cause de décès et la principale cause d’hospitalisation chez les enfants. • N’importe qui peut se blesser (les gens ont souvent des convictions optimistes : « Ce sont les autres qui se blessent, pas moi ou mes enfants »). • La plupart des blessures chez les enfants ne sont pas réellement des « accidents » (c.-à-d. des événements imprévisibles) puisqu’elles peuvent être évitées. • Bien que les blessures soient fréquentes et que n’importe qui peut se blesser, elles ne sont pas normatives (c.-à-d. à prévoir et normales au cours de l’enfance). • Parce que ce n’est pas pratique ou parce que le dispensateur de soins est stressé, des décisions peuvent être prises qui compromettent la sécurité des enfants,
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même lorsque les dispensateurs de soins sont des gens « informés » (voir Morrongiello et Dayler, sous presse). Les décisions des dispensateurs de soins et des enfants plus âgés doivent être fondées sur le principe du « risque calculé » (même s’il n’est pas toujours facile à mettre en application). La SMARTRISK Foundation de Toronto pourrait peut-être aider à définir et à faire connaître le concept du risque calculé au public. Ces messages doivent être transmis de façon à ne pas donner l’impression que l’on « blâme les victimes ». Ils doivent plutôt véhiculer l’idée qu’il est possible de maîtriser le problème et ils doivent paraître proactifs (en étant axés sur la prévention des blessures) plutôt que réactifs (motivés surtout par les statistiques sur les blessures). 3. Les médecins, les infirmières et les professionnels de la santé publique, soit les principaux intervenants qui ont le potentiel pour sensibiliser la population, devraient recevoir une formation spéciale en médecine préventive qui inclurait un élément de prévention des blessures et mettrait l’accent sur l’importance des conseils en matière de prévention afin de promouvoir la sécurité auprès des dispensateurs de soins. (Dans le cadre d’une enquête menée auprès des médecins de London, en Ontario, plusieurs estimaient que leur formation ne les avait pas bien préparés à évaluer la portée du problème et l’importance des conseils en matière de prévention ; voir Morrongiello et al., 1995). Nous devons apporter des changements aux programmes de formation et au mandat des services de santé publique pour faire en sorte que la prévention des blessures se voit accorder toute l’attention et les ressources nécessaires pour devenir une priorité aux yeux de ces professionnels de premier plan.
Déterminer les principaux intervenants pour appliquer la solution
L’obstacle premier à la prévention des blessures au Canada n’est pas un manque de compréhension des moyens à prendre (en effet, la présente étude met en relief tout ce que nous savons déjà au sujet des stratégies qui mènent au succès), mais plutôt l’absence de groupe ou d’intervenant clé chargé d’appliquer la solution. Le pouvoir décisionnel au sujet de la prévention des blessures est éparpillé entre de nombreux intervenants et organismes, chacun ayant son propre programme, ses propres vues, ses solutions idéales et des idées bien arrêtées. Cet éparpillement du pouvoir limite les progrès qui pourraient être réalisés, encourage les dédoublements d’efforts et va même à l’encontre du but recherché lorsque les intervenants ne s’entendent pas sur les priorités. Cela dit, je fais les recommandations suivantes : 1. Nous devons charger un groupe clé d’intervenants d’établir les priorités et d’appliquer la solution. Les dispensateurs de soins de santé constituent le choix le plus logique pour exécuter cette tâche. Ces intervenants forment un groupe à l’échelle nationale ; ils sont respectés de la plupart des gens ce qui conférerait encore plus de crédibilité à leurs messages ; ils sont confrontés aux résultats lorsque la prévention des blessures échoue ; ils ont depuis toujours contribué à faire mieux connaître les questions de prévention des blessures (p. ex. les sièges
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d’auto, les marchettes, les casques de cycliste) et ils ont participé à l’élaboration de mesures pour régler les problèmes (p. ex. des campagnes publicitaires, des pressions pour l’adoption de mesures législatives), même s’ils n’ont pas toujours obtenu les résultats escomptés. À défaut de confier cette tâche à un groupe clé d’intervenants, il faudrait établir des organismes de santé publique qui seraient chargés de coordonner les efforts des nombreux secteurs gouvernementaux et de faire connaître les résultats des diverses interventions de prévention des blessures à tous les intervenants (privés, professionnels et gouvernementaux). Rendre obligatoire l’évaluation des programmes
Au Canada, beaucoup de programmes d’intervention ne sont pas évalués ou sont mal évalués. Par conséquent, il est difficile de distinguer les programmes qui ont atteint leurs buts et encore plus difficile de cerner les caractéristiques pouvant mener au succès. En période de restrictions budgétaires, la tentation peut être forte de laisser tomber l’évaluation des programmes de prévention. Cependant, ceux qui financent et développent ces programmes doivent résister à cette tentation. La validité apparente, ou la mesure dans laquelle le programme semble permettre de réduire le type de blessures visé, n’est pas une mesure suffisante pour évaluer un programme. Le fait que le programme THINK FIRST n’ait pas atteint les objectifs fixés (le sujet est traité dans la section consacrée aux traumatismes à la moelle épinière et à la tête) illustre parfaitement ce point. L’évaluation et la documentation de l’efficacité sont des éléments essentiels pour obtenir l’appui des hommes politiques, ainsi que l’aide financière du secteur privé, et éveiller l’intérêt des médias quant à l’ampleur du problème que représente la prévention des blessures. Ce n’est donc pas sans raison que l’évaluation des résultats est un élément nécessaire des programmes qui visent à réduire la mortalité infantile causée par des blessures accidentelles. Cela dit, je fais les recommandations suivantes : 1. Il faudrait exiger un plan d’évaluation avant d’accorder des fonds aux pro grammes de prévention des blessures. (L’Alberta a dernièrement adopté cette stratégie pour le financement des programmes de prévention ; c’est le genre de stratégie ferme à adopter pour convaincre les concepteurs de programmes de la nécessité et du rôle de l’évaluation dans le développement de programmes qui ont du succès.) 2. Le plan d’évaluation devrait être élaboré au début de l’initiative afin que le programme de prévention puisse être planifié en tenant compte de l’évaluation et que l’on puisse recueillir les données nécessaires avant, pendant et après la mise en œuvre du programme. 3. Le plan devrait prévoir des évaluations à long et à court terme, puisque l’efficacité du programme peut croître (de nombreuses interventions communautaires ont démontré des effets positifs cumulatifs) ou baisser (les programmes de modification du comportement ont tendance à voir leurs résultats baisser lorsque les gratifications sont interrompues) au fil du temps. Il n’existe aucune
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période standard pour l’évaluation à long terme, mais un suivi effectué après un ou deux ans serait probablement suffisant. 4. L’évaluation devrait porter sur les résultats (p. ex. l’incidence des blessures ou l’observation des règles de sécurité, la connaissance des méthodes de prévention des blessures), au lieu de porter uniquement sur les particularités du programme (p. ex. le matériel) ou du processus (p. ex. la mise en œuvre). 5. Pour préserver l’intégrité des résultats, le plan d’évaluation devrait être appliqué par des gens qui ne sont pas directement touchés par le programme de prévention. 6. Les responsables de la mise en œuvre du programme de prévention doivent être ouverts aux résultats de l’évaluation du programme. Le meilleur moyen d’y parvenir est de faire en sorte que le programme ne pourra continuer à recevoir le soutien nécessaire que si une évaluation indique que le programme atteint ses buts (qu’il s’agisse de buts directement liés, comme la réduction de l’incidence des blessures chez les enfants, ou de buts indirectement liés, comme l’information sur la prévention des blessures) ou qu’il pourrait probablement les atteindre moyennant quelques modifications mineures. 7. Nous devons nous doter d’une infrastructure pour que les intervenants clés (p. ex. le personnel des services de santé publique) soient mis au courant de l’évaluation de programme et pour les aider à acquérir de la compétence en matière de programme afin qu’ils puissent comprendre le processus d’évaluation, proposer des stratégies d’évaluation et interpréter les résultats de celle-ci. Voici quelques propositions sur la forme que pourrait prendre cette infrastructure : – des ateliers, qui pourraient être parrainés par les services de santé publique ou des associations médicales, permettant au besoin d’obtenir des unités de crédit d’études ; – une liste de professionnels de l’évaluation de programme (p. ex. les membres de la Société canadienne d’évaluation) qui sont prêts à partager leur expertise dans le cadre d’un projet donné, en échange du droit de cosigner le rapport qui sera publié sur le programme ; – un cours par correspondance élaboré par une université qui offre un cours de deuxième cycle en évaluation de programme (p. ex. le département de psychologie de la University of Guelph).
Améliorer la surveillance
La question de l’évaluation s’accompagne de la nécessité d’instaurer un système de surveillance pour recueillir des renseignements exhaustifs sur les blessures (que faisait l’enfant lorsqu’il s’est blessé, où la blessure s’est-elle produite, etc.) qui soit le même partout (c.-à-d. le même système dans toutes les provinces et dans les hôpitaux aussi bien locaux que régionaux) et qui utilise la technologie de pointe afin de pouvoir être modifié plus tard. En effectuant une recherche dans les écrits sur la prévention des blessures, on découvre qu’il existe très peu de données canadiennes pouvant être utilisées pour suivre les tendances à l’échelle nationale, ce qui empêche le Canada de
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gérer la prévention des blessures à l’échelle nationale. C’est pourquoi la prévention des blessures est surtout gérée à l’échelon provincial. Nous devons donc instaurer un système de surveillance pour planifier nos propres stratégies nationales de prévention et en évaluer l’efficacité. Un système de surveillance commun aurait pour effet de faciliter la commu nication et la collaboration à l’échelle nationale et aiderait à suivre les tendances en matière de blessures dans tout le pays. En même temps, les programmes communautaires de prévention doivent avoir accès à des statistiques locales pour cerner les secteurs qui présentent un problème de prévention des blessures et déterminer les effets des programmes qui tentent de réduire des types de blessures particuliers. Donc, la surveillance, l’élaboration des programmes et l’évaluation sont des éléments qui sont tous conceptuellement liés et qu’il convient d’examiner en même temps ; sinon, notre manque de données de surveillance limitera la disponibilité des données nécessaires pour établir les besoins en matière de prévention et même pour mesurer les résultats au moment de la planification des stratégies d’évaluation. Cela dit, je fais les recommandations suivantes : 1. Pour recevoir des fonds, les services de santé d’urgence devraient être tenus de consigner et de transmettre des statistiques fiables sur les blessures. (L’État de Victoria, en Australie, a récemment adopté cette approche. Les décideurs canadiens disposent donc dorénavant d’une source de renseignements sur la mise en œuvre de ce genre de stratégie.) 2. Il faudrait appliquer une norme nationale afin que soient utilisés les codes E pour signaler les différents types de blessures. (Au Canada, les blessures sont classifiées selon les codes E de la Classification internationale des maladies. Cependant, le problème au Canada est que l’utilisation des codes E pour la catégorisation des maladies varie beaucoup selon les régions.) Pendant la première année d’application (ou de développement) de cette norme nationale, on pourrait disposer d’un numéro sans frais afin de cerner et de corriger les problèmes de classification et de définition. Le système informatique en direct du Réseau canadien de la sécurité infantile (sous l’égide de Santé Canada) pourrait fournir aux intervenants des rapports nationaux sur la modification ou la mise en œuvre de la norme. 3. Il faudrait publier un rapport global à partir des données relatives à la surveillance nationale afin de discuter des tendances des blessures au Canada. Une mise à jour de ce rapport, tous les deux ou trois ans pourrait faire état de l’évolution des tendances et indiquer l’efficacité des initiatives nationales qui ciblent des catégories particulières de blessures. (À l’heure actuelle, il est difficile d’avoir une idée précise de la situation globale puisque les données sur les blessures sont fragmentées entre plusieurs organismes et ministères gouvernementaux. Le gouvernement prépare couramment des résumés de l’étude d’impact de la réglementation, mais ces résumés ne sont pas distribués à grande échelle et, par conséquent, ils n’ont qu’une utilité limitée.)
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Entreprendre des recherches sur les facteurs et les processus qui sont à l’origine des blessures chez les populations à haut risque
Les programmes de prévention des blessures doivent axer la majeure partie de leurs efforts sur les populations à haut risque, mais nous devons d’abord mieux comprendre les facteurs et les processus à l’origine des blessures. Pourquoi certains segments de la population infantile – les garçons, les enfants économiquement défavorisés, les enfants autochtones – sont-ils plus susceptibles de subir des blessures ? Plus parti culièrement, pourquoi l’incidence des blessures chez les enfants autochtones est-elle de quatre à sept fois plus élevée que chez la moyenne des enfants canadiens ? Nous devons effectuer d’autres recherches sur les déterminants de la santé. Quels sont les facteurs qui contribuent à augmenter la vulnérabilité aux blessures chez ces groupes d’enfants ? Quels facteurs, le cas échéant, permettraient d’assurer leur protection ? Élaborer un programme en réaction à des statistiques sur les blessures sans avoir auparavant bien compris comment ces blessures se sont produites est une démarche prématurée à laquelle il faut résister. La prévention des blessures ne devrait pas simplement viser à prévenir certains types de blessures auxquels sont exposés les enfants parce qu’ils appartiennent à un groupe d’âge particulier ou qu’ils vivent dans un type d’environnement donné. Le but devrait être plus général : prévenir ce type de blessures et empêcher que les enfants prennent des risques à l’avenir. Le programme doit favoriser la sensibilisation aux risques de blessures afin que les enfants puissent intérioriser une orientation préventive qui, à son tour, influencera leurs attitudes et leurs convictions au sujet de la sécurité et des risques. En essayant de modifier leurs comportements sans s’intéresser à leurs attitudes et à leurs convictions, il est peu probable que l’on parvienne à modifier leur orientation générale en matière de sécurité. Cela dit, je fais les recommandations suivantes : 1. Les chercheurs devraient tenter de déterminer pourquoi les garçons subissent plus de blessures que les filles. (Mes propres recherches sur le sujet ont révélé que ce problème comporte de nombreux aspects : on constate que les attitudes et les convictions des garçons et des filles sont différentes à bien des points de vue pour ce qui touche les blessures et la prise de risques ; voir Morrongiello, 1997.) Nous avons besoin de recherches plus poussées pour établir les bases des différences d’attitudes et de convictions concernant les blessures, pour déterminer quels autres facteurs différencient les garçons des filles, pour traduire ces différences en risques de blessures. 2. Les chercheurs devraient se pencher sur les processus qui sont à l’origine des blessures chez les populations à faible revenu et à haut risque. La pauvreté semble s’accompagner d’un risque plus élevé de blessures, mais la lutte pour la réduction de la pauvreté n’est pas la même que celle pour la réduction des blessures puisque les conditions de pauvreté ne sont pas uniformes dans toutes les populations à haut risque. Bien qu’à première vue le fait de créer des environnements plus sécuritaires puisse sembler un moyen de réduire les risques de blessures dans les populations à haut risque, il faut s’attaquer séparément aux attitudes et
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convictions qui font que les enfants économiquement défavorisés courent plus de risques d’être blessés. Il faut adopter une approche de prévention des blessures axée sur la recherche pour être en mesure d’élaborer des programmes qui ciblent les facteurs critiques à l’origine les blessures chez les enfants issus de familles à faible revenu. 3. Les chercheurs devraient examiner le processus de blessures chez les enfants autochtones. Je n’ai pas trouvé un seul programme qui ait réussi, preuves à l’appui, à réduire les blessures chez les enfants autochtones au Canada (voir également Frankish et al., 1993). Il est essentiel d’effectuer des recherches pour recueillir des données sur l’environnement, les situations et les comportements ainsi que sur les attitudes et les convictions qui motivent ces comportements. Les principaux facteurs mentionnés dans le présent document devraient faire l’objet d’interventions en vue de réduire les blessures chez les enfants autochtones. Les populations à haut risque ont besoin d’approches novatrices en ce qui concerne la prévention des blessures en raison des difficultés liées à la diversité des cultures (p. ex. les attitudes, les coutumes, les échelles de valeur), des situations socioéconomiques (p. ex. le manque de ressources financières), et aux communications (p. ex. la langue autochtone parlée). Avant d’entreprendre l’élaboration de programmes, nous devons cependant effectuer des recherches de base afin de bien comprendre les implications de la diversité ethnique et économique chez les populations à haut risque et d’en tenir compte au moment de la planification, de la mise en œuvre et de l’évaluation des programmes de prévention des blessures. Ces défis doivent être relevés si nous voulons atteindre un meilleur niveau de prévention des blessures chez les enfants les plus vulnérables au Canada. Barbara A. Morrongiello, Ph. D., C. Ps., est professeur au Département de psychologie de l’Université de Guelph. Elle a à son crédit une vaste expérience de recherche dans le domaine des blessures de l’enfance et de la prévention. Ses travaux ont permis d’en apprendre davantage sur les facteurs qui font que les garçons se blessent plus souvent que les filles, sur les attitudes des parents à l’égard des enfants qui prennent des risques et qui se blessent, sur l’influence des frères et sœurs et des autres enfants dans la décision de prendre des risques pouvant entraîner des blessures, et sur l’élaboration d’un programme efficace de prévention des blessures destiné à réduire les lésions cérébrales acquises chez les enfants.
Remerciements L’auteure tient à remercier Linda Dayler, du Trauma Prevention Council du sud-ouest de l’Ontario, Caroline Gagnon du Service de secourisme de la Société canadienne de la Croix-Rouge, Anna Lovasik du Injury Prevention Centre, en Alberta, le D r Barry Pless de l’Hôpital pour enfants de Montréal, Judith Radford de la SMARTRISK Foundation, à Toronto, Malak Sidky de Safe Kids Canada, à Toronto, Jack Smith du Canadian Safety Council, à Ottawa, Jenny Tipper de l’Institut canadien sur la santé infantile, à Ottawa, Ann Williams du Safe Start Program, en Colombie-Britannique, Bev Woods du Ontario Injury Prevention Centre, les membres de l’Unité
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de la santé de la famille et de l’enfance de Santé Canada, particulièrement Lorie Root et Sally Lockhart pour avoir suggéré des sources de documentation et les avoir mises à sa disposition, Tess Dawber, Hish Husein et Lorna McLeary pour avoir trouvé et copié la documentation. L’auteure remercie également les nombreuses personnes partout au Canada qui ont pris le temps de discuter des programmes avec elle et qui lui ont fait parvenir de la documentation pertinente aux fins du présent rapport. Enfin, un remerciement tout particulier à Robert Conn, Anna Lovasik, Barry Pless et Judith Radford pour leurs échanges sur les mesures préconisées, même si l’auteure assume l’entière responsabilité des vues exprimées dans le présent document.
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Promouvoir le développement optimal des jeunes au Canada Benjamin H. Gottlieb, Ph. D. Professeur de psychologie University of Guelph
Résumé
Promouvoir le développement optimal des jeunes au Canada
L’adolescence est une période de développement et de transition pleine de risques et de défis marquée par une croissance et une transformation rapides de la personne et de son entourage. C’est aussi une période où l’on est extrêmement conscient de soi, durant laquelle on s’interroge constamment sur son allure et son acceptabilité sociale, en commençant à assumer son indépendance et ses responsabilités. Et comme c’est une période où nos décisions et nos choix déterminent nos perspectives d’avenir, il faut que des efforts concertés soient déployés pour fournir aux jeunes les conseils, le soutien et les aptitudes dont ils auront besoin pour mener une vie saine et productive. Il y a des indications croissantes que les adolescents résilients face à l’adversité bénéficient de trois types de protection : une famille unie et stable, des sources de soutien extérieur et des aptitudes et des ressources personnelles qui les aident à se débrouiller. Certains de ces éléments se prêtent davantage au changement que les autres et devraient donc être visés dans les programmes et les politiques de promotion de la santé mentale, de la compétence sociale et des perspectives d’avenir à l’intention des adolescents. Le présent document est une analyse critique de diverses initiatives qui se sont révélées efficaces ou prometteuses pour favoriser le développement personnel et social des adolescents. Il contient aussi des propositions capables d’assurer une mise en œuvre efficace des programmes de ce genre, d’éviter les écueils et d’enraciner les programmes dans la communauté et dans ses institutions. Enfin, il précise les besoins stratégiques qui s’imposent, en suggérant des mesures destinées à orienter les interventions des pouvoirs publics, des établissements d’enseignement et des autres organismes au service des jeunes.
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La démarche commence par une définition succincte de la santé mentale des adolescents, suivie d’une description de leur situation au Canada, puis d’une analyse des types de facteurs de protection définis (Garmezy, 1983 ; Rutter, 1983) dans la documentation sur la résilience, en insistant sur les facteurs susceptibles d’être modifiés grâce à des interventions planifiées. L’examen des programmes modèles – ou si l’on préfère des exemples à suivre – fait ressortir trois stratégies : 1) formation comportementale en résolution de problèmes et en acquisition de compétence sociale ; 2) participation aux activités d’organismes commu nautaires de développement des jeunes, surtout ceux qui offrent des possibilités de fournir des services à autrui ; 3) mobilisation du soutien social, notamment grâce à des initiatives faisant intervenir des groupes de soutien, à des possibilités d’offrir et de recevoir un encadrement et à des mesures de restructuration du milieu. Une certaine attention est donc accordée aux jeunes qui sont particulièrement vulnérables parce qu’issus d’un milieu économiquement défavorisé, qui font face à une situation personnelle stressante ou qui appartiennent à une minorité ethnique ou visible. Toutefois, les stratégies envisagées sont plus universelles que ciblées. Le document contient des descriptions détaillées de la structure et du contenu des trois programmes de formation en compétence sociale qui y sont évalués : 1) le programme de résolution de problèmes et de prise de décisions sociales (SDM-PS) conçu par Elias et Clabby (1989) et largement adopté dans le système scolaire du New Jersey, par exemple ; 2) le programme de développement de la compétence sociale des jeunes adolescents (SCPPYA) conçu par Weissberg, Jackson et Shriver (1993), qui a été mis en œuvre dans toutes les écoles publiques de New Haven, au Connecticut, États-Unis, dans des écoles de 25 autres États et de quatre autres pays ; et 3) le programme de sensibilisation aux choix positifs pour adolescents (PACT) conçu par Yung et Hammond (1995), qui favorise l’acquisition d’aptitudes et d’une compétence sociale tout en étant axé sur la prévention de la violence, particulièrement chez les jeunes Afro-Américains. Bien que certains programmes de développement des jeunes soient d’envergure nationale, la plupart sont des initiatives communautaires reflétant la culture locale ainsi que les besoins et attentes des jeunes de la communauté. Comme ces initiatives ont souvent des budgets modestes et atteignent un nombre relativement limité de jeunes de l’endroit, elles ne sont généralement pas évaluées. Par contre, une analyse succincte de plusieurs initiatives communautaires canadiennes est présentée, dont : 1) MAD (Make a Difference) for Youth, programme de développement et d’autonomie pour les jeunes d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse ; 2) les 180 maisons de jeunes du Québec, où des jeunes de 12 à 18 ans peuvent passer une partie de leurs loisirs à apprendre à se connaître les uns les autres et à se familiariser avec la vie communautaire ; 3) la création d’un bureau de dépannage à l’intention des jeunes dans un centre commercial de la région de Toronto où l’on offre des services d’assistance psychosociale, de soutien communautaire et d’aiguillage ainsi que des programmes d’éducation non traditionnelle adaptés à la culture des jeunes de 12 à 24 ans ; et enfin 4) les activités récréatives, sociales et culturelles de soutien de la Rancho Ehrlo Society de la Saskatchewan à l’intention des jeunes autochtones, qui comprennent du travail de développement communautaire pour les jeunes en collaboration avec plusieurs bandes indiennes de cette province.
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Dans le document on fournit une description plus détaillée de deux autres programmes pour lesquels il existe des données d’évaluation : 5) le premier consistant à former des adolescents bénévoles pour qu’ils se lient d’amitié avec des enfants lourdement handicapés, afin que ceux-ci puissent participer aux activités communautaires (Cooley et al., 1989) ; et 6) l’initiative d’acquisition d’attitudes communautaires PALS (Participate and Learn Skills [Participe et apprends]) d’Ottawa, qui est destinée aux enfants de 5 à 15 ans d’un complexe de logements subventionnés (Jones et Offord, 1989). Il existe aussi une troisième série de programmes fondés sur les preuves manifestes de l’importance du rôle de la famille ou d’un adulte aidant pour accroître la résilience des jeunes et pour les protéger à la fois des conséquences néfastes des traumatismes de la vie et des transitions ainsi que des milieux chroniquement stressants. Le document décrit plusieurs interventions individuelles (p. ex. des ententes de mentorat) et collectives (p. ex. des groupes de soutien pour les enfants dont les parents sont séparés ou divorcés) ayant pour objet d’offrir de l’aide dès le début d’une situation stressante et, par conséquent, de permettre aux jeunes de continuer à fonctionner en s’y adaptant. Cette rubrique est suivie de données d’évaluation et de principes à suivre pour que les interventions soient couronnées de succès. La dernière partie du document consiste en une analyse des caractéristiques des programmes communautaires de promotion de la santé mentale qu’on a réussi à mettre en œuvre en y attirant des jeunes. Les mesures préconisées sont ensuite présentées, avec des recommandations aux autorités scolaires et aux pouvoirs publics.
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Table des matières
Introduction et aperçu ................................................................................. 256 Buts et présentation ..................................................................................... 256 Principales conclusions des écrits sur les déterminants de la santé ................ 257 Sources de résilience chez les jeunes : déterminants psychosociaux de la santé et de la compétence....................................................................257
Définition de la santé mentale des adolescents.............................................258 Caractéristiques et situation des adolescents du Canada ............................... 260 Stratégies d’amélioration de la santé mentale des adolescents : exemples à suivre . ........................................................................................ 261
Programmes de résolution de problèmes et d’acquisition de compétence sociale et de compétence de base à l’école............................261 Participation aux organismes communautaires de développement des jeunes.......................................................................268 Caractéristiques des organismes efficaces de développement des jeunes.......................................................................274 Initiatives de service communautaire à l’intention des grands adolescents.................................................................................274 Interventions de soutien..............................................................................278 Soutien individuel : sujets et objets du mentorat..........................................278
Groupes de soutien : création de systèmes de soutien transitionnel...............................................................................282
Mobilisation du soutien par des modifications des politiques et du milieu...........................................................................283 Mesures préconisées ..................................................................................... 284 Réalisations dans la communauté................................................................284 Promotion des programmes auprès des jeunes.............................................286 Mesures à prendre par le gouvernement et les organismes au service des jeunes.........................................................286 Initiatives stratégiques gouvernementales.....................................................287 Bibliographie....................................................................................................291
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Introduction et aperçu
Il y a 400 ans, l’adolescence a inspiré la réflexion suivante à William Shakespeare, l’un des observateurs de société les plus perspicaces de son temps :
J’aimerais qu’il n’y ait plus personne de 10 à 23 ans, à moins que ces jeuneslà ne passent toutes ces années à dormir, parce qu’ils ne font rien d’autre qu’engrosser les filles, faire rager leurs aînés, voler et se battre.
Disons-nous que, tout éternelle qu’elle soit, cette réflexion du célèbre auteur reflète les épouvantables conditions sanitaires, économiques et sociales typiques de la vie des jeunes citadins dans l’Angleterre du xvie siècle. De nos jours, comme nous sommes bien décidés à améliorer les perspectives des adolescents, nous devrions non seulement arriver à prévenir l’émergence d’une sous-classe de jeunes coupés de la majorité, mais aussi favoriser le développement optimal des jeunes et leur santé mentale, ainsi que leur potentiel de devenir des adultes productifs. Dans ce document, le principe de départ est qu’une stratégie globale conçue pour atteindre ces objectifs doit comprendre des initiatives conçues pour dévelop per la compétence sociale des adolescents, les faire participer à des activités com munautaires valables, particulièrement dans des rôles où les jeunes peuvent rendre service à la société, et mobiliser du soutien pour eux. L’adolescence est une période de transition pleine de risques et de défis, marquée par une croissance et une transformation accélérées non seulement de la personne, mais aussi de son environnement. C’est une période de conscience de soi accrue où l’on s’interroge sur son allure et sur son acceptabilité sociale et où l’on assume son indépendance et ses responsabilités. La jeune adolescence est un stade par-ticulièrement difficile, en raison des profondes transformations physiologiques qu’elle implique, avec ses grandes exigences scolaires et sociales et l’éveil de la sexualité. Comme les décisions et les choix que nous faisons dans cette période sont déter-minants pour nos perspectives d’avenir, il est essentiel que des efforts concertés soient déployés pour fournir aux jeunes les conseils, le soutien et les aptitudes dont ils auront besoin afin de pouvoir mener une vie saine et productive. Buts et présentation
Le présent document est une analyse critique d’une gamme d’initiatives qui se sont révélées efficaces ou prometteuses pour optimiser la santé mentale et la compétence sociale des adolescents. Il pose des principes afin que les programmes nécessaires puissent être mis en œuvre et intégrés dans le tissu social de la communauté et de ses institutions. Il a aussi pour but de dégager les mesures stratégiques qui s’imposent dans ce contexte, en articulant une série de principes capables d’orienter les initiatives des pouvoirs publics, des autorités scolaires et des autres organismes au service des jeunes.
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L’analyse commence par un examen des facteurs de protection cernés dans les écrits sur la résilience, en mettant en lumière ceux qui peuvent changer grâce à des interventions planifiées. La documentation pertinente conclut que, même si aucune stratégie de développement n’assure à elle seule l’optimisation de la santé mentale et le succès du jeune dans sa transition vers l’âge adulte et le statut de citoyen à part entière, les stratégies d’intervention qui favorisent de bonnes relations interpersonnelles, l’acquisition d’aptitudes efficaces de résolution de problèmes et de prise de décisions ainsi que la participation à des activités que les adolescents jugent personnellement valables sont particulièrement prometteuses pour les aider à se bâtir une vie constructive et satisfaisante. La section qui suit contient une définition de la santé mentale des adolescents ainsi qu’une description succincte de leur situation au Canada, particulièrement à cet égard. Quant au corps du document, il présente des programmes ou, si l’on préfère, des exemples à suivre, en se concentrant sur trois stratégies de programmation : 1) la formation comportementale en résolution de problèmes et en compétence sociale mettant l’accent sur des mesures propres à réduire les risques de violence chez les jeunes ; 2) la participation à des organismes communautaires de développement des jeunes, particulièrement à ceux qui leur permettent de rendre service aux autres et d’assumer un leadership ; et 3) la mobilisation du soutien social, grâce à la création de groupes de soutien, à l’établissement de relations de mentorat et à une restruc turation du milieu. C’est l’universalité d’application plutôt que la mobilisation ciblée des jeunes qui est privilégiée dans chacune de ces trois stratégies d’intervention, bien qu’une certaine attention soit accordée aux jeunes qui sont particulièrement vulnérables parce qu’issus d’un milieu économiquement défavorisé, soumis à des événements stressants ou appartenant à une minorité ethnique ou visible. Notre démarche est axée sur des stratégies de prévention primaire étayées par des données empiriques ou jugées prometteuses parce qu’elles attirent les jeunes ou nécessitent des partenariats stratégiques. Elle ne porte donc pas sur des stratégies conçues pour prévenir des problèmes particuliers liés à la santé mentale des jeunes à risque élevé qui pourraient être visés par les intervenants.
Principales conclusions des écrits sur les déterminants de la santé Sources de résilience chez les jeunes : déterminants psychosociaux de la santé et de la compétence
De plus en plus d’indices révèlent que les adolescents qui, contre toute attente, surmontent l’adversité et font preuve de résilience bénéficient de trois types de protection : une famille unie et stable, des sources de soutien extérieur et des ressources personnelles (Garmezy, 1983). En ce qui concerne le milieu familial, la recherche démontre que certains parents arrivent mieux que d’autres à favoriser, chez l’enfant, la confiance en soi, la maîtrise
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de soi et les capacités d’adaptation : ce sont ceux qui adoptent un style « autoritaire et démocratique » caractérisé par une attitude chaleureuse, un encadrement ferme et des limites claires, mais qui accordent aussi l’attention nécessaire au développement des aptitudes sociales et cognitives de l’enfant. À l’inverse, les parents dont le style est autoritaire et arbitraire ou qui sont partisans du laisser-faire, surtout s’ils sont très critiques, surprotecteurs ou inquiets, ont plutôt tendance à saper l’estime de soi et l’auto-efficacité de leurs enfants et à miner aussi bien leur développement psychologique que leur santé mentale (Baumrind, 1971). De plus, en ce qui concerne les sources de soutien extérieur, la documentation montre clairement que les enfants qui vivent dans des conditions chroniquement stressantes, telles que la pauvreté, et ceux qui subissent des événements dramatiques (comme la mort d’un parent ou d’un frère ou d’une sœur) surmontent mieux ces épreuves lorsqu’ils peuvent compter sur au moins un adulte avec qui ils ont une bonne relation marquante. Un confident qui s’occupe d’eux avec sollicitude, les guide et leur inspire un sentiment de sécurité peut arriver à réduire grandement les risques de séquelles (Garmezy, 1983). Enfin, les caractéristiques personnelles qui distinguent les enfants capables de rester stables même lorsqu’ils sont stressés comprennent des atouts comme l’estime de soi et l’autonomie, ainsi que des aptitudes intellectuelles – notamment en résolution de problèmes –, des aptitudes sociales comme l’entraide, la capacité d’avoir des réactions conviviales, le sentiment d’être efficace et un tempérament sociable (Garmezy, 1983 ; Rutter, 1983). Certains éléments de cette triade de facteurs de protection se prêtent davantage au changement que les autres, et c’est donc sur eux qu’on devrait axer les politiques et les programmes conçus pour favoriser la santé mentale, la compétence sociale et les perspectives d’avenir des adolescents. Toutefois, avant d’analyser ces initiatives, il importe de préciser la raison d’être des mesures prises pour promouvoir le développement sain des adolescents, de les situer dans un cadre et de préciser certains risques ou certaines situations que les adolescents du Canada doivent affronter.
Définition de la santé mentale des adolescents
Définir les critères de la santé mentale des adolescents est extrêmement difficile en raison des nombreux points de vue sur le fonctionnement des jeunes et de la myriade de valeurs que sous-entend la notion d’une bonne santé mentale. Pour certains, la santé mentale des adolescents ne saurait être distinguée de leur santé physique et spirituelle ; les programmes de promotion de la santé doivent par conséquent en aborder tous les aspects, soit l’alimentation, l’exercice, les aptitudes sociales et l’image de soi, et s’appliquer à tous les contextes de socialisation primaire, c’est-àdire l’école, la famille, les groupes de pairs et les institutions au service des jeunes de la communauté. C’est pourquoi les plus grands spécialistes du domaine de la santé des adolescents réclament des modèles pluriannuels à volets multiples, fondés sur des théories éprouvées de réduction des risques et d’amélioration des facteurs de protection, comprenant à la fois une formation pour inculquer un savoir aux jeunes
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et des interventions propres à modifier leur milieu (Consortium on the School-based Promotion of Social Competence, 1994). Les interventions à court terme axées sur une seule variable dépendante (p. ex. l’estime de soi ou l’alimentation), fondées sur l’acquisition du savoir plutôt que d’aptitudes et séparées du réseau social et du contexte de socialisation primaire du jeune visé obtiennent généralement moins de succès, non seulement pour ce qui est de recruter et de conserver des participants, mais aussi en ce qui concerne l’amorce du changement durable voulu. Bref, étant donné que l’on peut prévoir les problèmes de santé et de comportement des jeunes en analysant les facteurs multiples de risque, on ne peut espérer des résultats probants sans des interventions coordonnées et systématiques. Nous avons retenu ici la définition de la santé mentale de Compas (1993) :
Un processus caractérisé par une évolution vers un fonctionnement optimal, aujourd’hui et demain, de la capacité et de la motivation dont l’individu a besoin pour supporter le stress et pour s’engager dans des activités instrumentales et des relations interpersonnelles marquantes [p. 166].
Compas reconnaît que les attentes et les normes sociales, ethniques, raciales et culturelles varient ; il ajoute donc que le fonctionnement optimal est une notion relative qui dépend des buts et des valeurs des parties intéressées, des normes de développement pertinentes et du groupe socioculturel de la personne (ibid.). Le cadre conceptuel des initiatives de prévention primaire doit tenir compte de deux principaux facteurs : 1) les obstacles au développement et les transitions inhérentes à l’adolescence ; 2) les domaines de fonctionnement au cœur de l’ado lescence. Les obstacles au développement que les adolescents doivent surmonter touchent à l’appartenance, à la compétence et à l’autonomie, tandis que les transitions qu’ils doivent réussir sont d’ordre biologique, développemental et environnemental (maturation sexuelle, changements scolaires, emploi et prise en charge graduelle de responsabilités d’adulte). Quant aux milieux de vie que les adolescents fréquentent, c’est au sein de la famille, de l’école et des groupes de pairs que le jeune peut assumer des rôles sociaux valorisés. Pour bien des adolescents, les organismes communautaires et le travail rémunéré favorisent aussi le développement des valeurs, des engagements et de l’identité. Ce cadre laisse entendre que les interventions préventives doivent encourager la compétence et l’autonomie de même que l’établissement et le maintien de relations réciproques, grâce à des stratégies coordonnées dans la famille, le milieu scolaire, les groupes de pairs et les organismes communautaires. Même si aucune stratégie de développement ne peut à elle seule optimiser la santé mentale et la réussite de la transition vers l’âge adulte et le statut de citoyen à part entière, les interventions propices à de bonnes relations interpersonnelles, à une résolution de problèmes efficace et à l’apprentissage de la prise de décisions (ainsi qu’à la participation à des activités qu’ils jugent personnellement utiles) sont les plus prometteuses pour aider les adolescents à se bâtir une vie constructive et satisfaisante.
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Caractéristiques et situation des adolescents du Canada
Le recensement canadien de 1991 a établi à plus de 1,8 million (7 % de la population totale) le nombre de jeunes âgés de 15 à 19 ans. Le rapport le plus récent de l’Institut canadien de la santé infantile (1994) révèle que ce segment de la population est plus exposé que la moyenne aux risques de mort et de blessures attribuables à des accidents de la route, au suicide, aux grossesses non désirées et aux maladies transmissibles sexuellement. Le suicide se situe au second rang parmi les causes de décès des jeunes des deux sexes, le taux observé pour les adolescents (23 pour 100 000 en 1991) étant six fois plus élevé que pour les adolescentes (Statistique Canada, 1994). Fait à signaler, le nombre de cas d’hospitalisation par suite d’une tentative de suicide est deux fois plus élevé chez les filles que chez les garçons, ce qui révèle qu’elles peuvent aussi sombrer dans le désespoir, mais tendent à ne pas utiliser des moyens radicaux aussi souvent que les garçons. Au pays, le bien-être émotif des adolescents est fragile : moins de 50 % de ceux qui ont été interrogés sur leur perception d’eux-mêmes ont reconnu se sentir très bien dans leur peau (45 % des garçons et 30 % des filles), avoir plusieurs belles qualités (43 % des garçons et 35 % des filles) et avoir confiance en eux (33 % des garçons et 22 % des filles). Plus de filles que de garçons ont la conviction que leur vie est stressante (37 % des garçons ont déclaré qu’elle était « un peu » ou « très » stressante, comparativement à 63 % des filles). Les sentiments d’isolement et de dépression sont extrêmement répandus chez les jeunes du Canada, surtout chez les filles. Plusieurs sondages cités par l’Institut canadien de la santé infantile montrent que de 10 % à 25 % des jeunes déclarent se sentir souvent seuls (23 % des filles et 17 % des garçons), déprimés (28 % des filles et 22 % des garçons) et disent souffrir émotivement (16 % des filles et 11 % des garçons). En raison de leur taux de fertilité élevé et de leur faible espérance de vie, les autochtones comptent une proportion de jeunes beaucoup plus grande que le reste de la population. En effet, les moins de 24 ans représentent 58 % du premier groupe comparativement à 39 % de toute la population canadienne (Assemblée des Premières Nations, 1988). Environ 40 % des autochtones du Canada ont moins de 15 ans. Le chômage est un problème particulièrement aigu chez les adolescents autochtones, tout comme le suicide, d’ailleurs. Seulement 24 % des autochtones de 16 à 24 ans ont un emploi, et leur revenu annuel, qui représente la moitié de celui des jeunes non autochtones, se situe bien en deçà du seuil de pauvreté établi par Statistique Canada. En outre, le système d’enseignement ne semble pas répondre aux besoins des jeunes autochtones, puisque les taux de décrochage sont de deux à trois fois plus élevés chez eux que chez les autres (Warry, 1991). Le taux de suicide des jeunes autochtones est vraiment renversant : les adolescents de 10 à 14 ans se suicident à un taux presque neuf fois plus élevé que la moyenne nationale (chez les 15 à 24 ans, il est de cinq à sept fois plus élevé que cette moyenne). L’incidence des actes de violence et les cas de mort accidentelle attribuables à la toxicomanie et à l’alcoolisme y sont aussi exceptionnellement élevés ; on estime que
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70 % des suicides, 80 % des homicides, 52 % des accidents de la route et 54 % des autres accidents sont imputables à l’alcool. Selon Warry (1991), la seule façon de répondre aux besoins à long terme des jeunes autochtones consiste à leur fournir des programmes éducatifs adaptés à leur culture et à leur offrir des emplois intéressants. Il faut en outre répondre à leurs besoins immédiats en mettant sur pied des programmes qui renforcent leurs aptitudes de base, préviennent le suicide et la toxicomanie et améliorent leurs activités éducatives et récréatives. Warry maintient par-dessus tout que les programmes et les services doivent être planifiés dans une optique communautaire de participation afin de refléter les valeurs, les buts et les priorités des jeunes autochtones et de lutter contre leur sentiment d’impuissance et de futilité. C’est ainsi que fonctionne, par exemple, la Rancho Ehrlo Society, dont les activités sont décrites dans la section sur les organismes communautaires de développement des jeunes.
Stratégies d’amélioration de la santé mentale des adolescents : exemples à suivre
Programmes de résolution de problèmes et d’acquisition de compétence sociale et de compétence de base à l’école
D’après le Consortium on the School-based Promotion of Social Competence (1994), la compétence sociale s’entend de : […] la capacité d’intégrer les éléments cognitifs et affectifs ainsi que les comportements afin d’accomplir des tâches sociales précises et d’obtenir des éléments de développement positifs. Elle comprend une série d’aptitudes, d’attitudes, d’habiletés et de sentiments fondamentaux dont le sens fonctionnel est déterminé par les contextes de la culture, de l’entourage et de la situation [p. 275].
Bref, la compétence sociale peut être considérée comme un ensemble d’aptitudes de base qui sont adaptées à la culture de la personne et qui lui permettent d’assumer diverses tâches instrumentales et socio-émotives dans des contextes variés. Bien entendu, l’orientation des programmes varie, mais les chercheurs s’entendent pour dire qu’un ensemble fondamental de facteurs cognitifs et affectifs sous-tendent la compétence sociale dans des situations et des contextes différents. Ces facteurs sont la capacité de percevoir et d’interpréter correctement les indications sociales pertinentes, de trouver des solutions efficaces pour surmonter les problèmes interpersonnels, d’évaluer de façon réaliste les solutions possibles, de traduire les décisions sociales en comportements efficaces et d’exprimer son efficacité individuelle. En général, les programmes de développement de la compétence sociale sont conçus pour améliorer l’efficacité personnelle et interpersonnelle en inculquant aux apprenants des aptitudes appropriées à leur développement et en favorisant des valeurs prosociales bénéfiques pour la santé (Caplan et al., 1992). Du point
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de vue de la gestion des risques, ces programmes sont conçus afin de prévenir les comportements antisociaux et agressifs, les grossesses indésirées, la toxicomanie et le décrochage scolaire ; du point de vue de la promotion de la santé, ils fournissent aux jeunes les ressources nécessaires pour résister au stress et pour acquérir des comportements adaptatifs. Les trois programmes – américains – que nous allons maintenant décrire aident les adolescents à acquérir des aptitudes d’établissement d’objectifs, de prise de décisions et de résolution de problèmes grâce à des cours structurés fondés sur l’école. Chacun d’entre eux a une orientation et une durée différentes et fait appel à une technologie distincte, mais les trois associent la pratique comportementale des aptitudes à la compétence sociale. Leur évaluation a révélé qu’ils ont été vraiment couronnés de succès, parce que leurs participants ont obtenu des résultats sociaux et psychologiques comparativement favorables. En outre, ils ont tous trois été conçus par des spécialistes universitaires de la recherche appliquée, et ils ont été largement mis en œuvre au palier communautaire. Les modèles originaux ont été financés grâce à une combinaison de subventions des autorités fédérales, d’État et locales, de même que par des fondations. Par exemple, les concepteurs du troisième de ces programmes, qui est axé sur la prévention de la violence chez les jeunes, ont obtenu leur financement initial du ministère fédéral de la Santé et des Services à la personne (Department of Health and Human Services), de la Commission de l’Ohio sur la santé des minorités, du Bureau des services de justice pénale du gouverneur de l’Ohio et de la Fondation de la famille Mathile. Le premier des trois, qui privilégie la solution de problèmes et la prise de décisions sociales (SDM-PS) est un programme de prévention primaire élargi et raffiné ; sa première version a été offerte à de très jeunes enfants dont on voulait développer les aptitudes sociales de résolution de problèmes. Sous sa forme actuelle, il comprend une série de cours structurés dispensés par des enseignants et comporte trois phases. La première, dite « de préparation », comprend deux modules de huit versions chacun où l’on enseigne huit aptitudes de base de résolution de problèmes. Dans le premier des deux, les élèves apprennent des aptitudes de maîtrise de soi comme écouter, se concentrer, suivre des instructions, faire appel à sa mémoire, résister à la provocation ainsi qu’à l’envie de provoquer, et enfin se calmer. Dans le second module, ils acquièrent des aptitudes de sensibilisation collective et sociale telles que donner et recevoir de l’aide et des éloges, faire preuve de compassion, choisir des amis et assumer des rôles. Les aptitudes fondamentales de résolution de problèmes sont présentées dans la phase d’instruction, qui comprend 20 leçons. Les deux premières établissent les règles de la discussion en groupe et expliquent les raisons des décisions sur des problèmes sociaux courants. Les 16 séances suivantes sont concentrées sur l’acquisition des huit aptitudes de base de résolution de problèmes, à savoir : – vérifier s’il y a des indications que les sentiments ont changé ; – se demander quel est le problème ; – fixer des buts ; – trouver différentes solutions ;
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prévoir les conséquences de chaque solution ; choisir la meilleure solution ; planifier son application ; appliquer la solution et vérifier ses effets. Les deux dernières leçons sont axées sur l’intégration de ces huit étapes dans des situations où il existe des problèmes particuliers. La troisième et dernière phase du programme SDM-PS consiste essentiellement à faire appliquer ces aptitudes par les élèves dans leur quotidien. Les enseignants les encouragent à s’en servir chaque fois qu’un problème interpersonnel se présente naturellement, en intégrant l’exercice des aptitudes aux activités de leur classe grâce à des techniques telles que prendre note d’une situation sur le tableau de résolution de problèmes de la classe, pour ensuite en discuter en groupe. Les jeunes se servent aussi de leur journal personnel pour noter comment ils ont appliqué les aptitudes et lesquelles ils ont trouvées particulièrement utiles. Ces techniques de comportement favorisent la généralisation et le transfert des aptitudes dans les situations quotidiennes à l’école et à la maison. Les données empiriques montrent que, comparativement au groupe témoin, les jeunes qui ont suivi le programme SDM-PS ont amélioré leurs aptitudes de prise de décisions sociales, de prise de décisions et de résolution de problèmes, et qu’ils les ont appliquées aussi bien en classe qu’ailleurs. Le programme favorise aussi l’acqui sition d’aptitudes prosociales telles qu’aider, partager et faire preuve d’empathie aussi bien immédiatement après la fin du programme qu’au moment de l’entrée des jeunes au secondaire. Les participants ont eu des comportements moins antisociaux, autodestructeurs ou socialement incompétents que ceux du groupe témoin (Elias et Clabby, 1992). Le programme SDM-PS a été largement mis en œuvre dans le système scolaire du New Jersey et de plusieurs autres États, ainsi qu’en Angleterre. Il s’ensuit que le contexte de sa mise en œuvre et ses modalités de financement varient. Au mieux, les autorités scolaires arrivent à trouver une source de financement permanent. Les concepteurs du programme recommandent de le mettre en œuvre et de le gérer en confiant à un comité de prise de décisions et de résolution des problèmes sociaux la tâche de veiller à ce que toutes les parties soient bien renseignées et de superviser la mise en œuvre, de tenir les consultations nécessaires avec les enseignants ainsi que d’évaluer la réalisation du projet et son incidence sur les enseignants, les admi nistrateurs et les élèves. (Ils ont d’ailleurs conçu à l’intention de ces comités de planification une séance de formation d’une journée comprenant des instructions sur les moyens d’élargir et d’institutionnaliser le programme.) Forts de l’expérience d’avoir instauré le programme dans diverses communautés, Elias et Clabby (1992) ont explicité certains des éléments les plus importants dont il faut tenir compte pour sa mise en œuvre. • Valeurs : La mise en œuvre du programme contribue-t-elle ou nuit-elle à la mission fondamentale de l’organisation ?
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• Information : Comment les écoles partageront-elles leur information sur le programme afin de surmonter les problèmes et de maximiser les chances de réussite ? • Circonstances : Quels facteurs politiques reconnus et cachés influent sur les perspectives de développement du programme ? • Aspect temporel : Existe-t-il des facteurs qui risquent d’influer sur la mise en œuvre du programme, comme des changements imminents de personnel ? • Obligation : La communauté hôte fera-t-elle les changements nécessaires dans l’intérêt du programme ? • Résistance : Existe-t-il une résistance à la mise en œuvre du nouveau programme ? Si oui, quelle est son importance, et d’où émane-t-elle ? • Rendement : Quels sont les avantages du programme ? Le deuxième des trois programmes, dit « de développement de la compétence sociale des jeunes adolescents » (SCPP-YA) a été conçu par l’équipe de Weissberg, qui a perfectionné une approche générique de résolution des problèmes sociaux en lui ajoutant une stratégie généralisée de réflexion. Ce programme a été couronné de succès : il a été mis en œuvre dans les écoles de premier cycle du secondaire de tout le système scolaire de New Haven, au Connecticut, et s’est même ramifié dans 25 autres États ainsi que dans quatre pays, outre les États-Unis. En 1992, la National Mental Health Association lui a décerné le Prix de prévention Lela Rowland en reconnaissance de l’excellence de ses initiatives de promotion de la santé mentale. Le programme SCPP-YA est axé sur l’acquisition d’aptitudes de maîtrise de soi sur les plans émotif et comportemental, de gestion du stress, de résolution de problèmes, de prise de décisions et de communication. Son objectif à long terme est la prévention de la grossesse chez les adolescentes, ainsi que celle des troubles de comportement, de l’agressivité et de la délinquance juvénile. Il y a des variantes, mais le programme de base comprend un module de résolution de problèmes sociaux de 27 leçons faisant appel à une technique intéressante de signaux calqués sur les feux de circulation. Le feu rouge signifie « un instant, du calme, réfléchis avant d’agir » ; le feu jaune signifie « penses-y », ce qui suppose que l’élève s’interroge sur ses sentiments, les exprime, se fixe un objectif positif, trouve des solutions de rechange et en prévoit les conséquences. Enfin, le feu vert signifie « applique la meilleure solution ». Ce noyau est suivi de deux modules de neuf leçons chacun où l’on applique les aptitudes de base pour prévenir la toxicomanie et l’alcoolisme ainsi que les comportements sexuels à risque élevé. Les enseignants appliquent le programme en donnant des cours magistraux, en animant des discussions en classe et en utilisant le jeu de rôle, des journaux personnels quotidiens, des bandes vidéo et des feuilles de travail, ainsi qu’en donnant des devoirs. Ils organisent d’autres activités scolaires et communautaires pour renforcer leur enseignement et s’assurent que les parents les aident en faisant la promotion du programme et en devenant des agents de renforcement. Les services de soutien fournis aux enseignants dans ce contexte comprennent une formation intensive de cinq jours avant le début du programme, des conseils pratiques sur place pendant qu’ils donnent leurs cours, un guide soigneusement structuré contenant des canevas
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des leçons qui précise les concepts clés, et enfin du matériel pédagogique de qualité (y compris des feuilles de travail). La réussite du programme est fonction et du soutien offert aux enseignants et de la conception de matériel qui leur facilite la tâche. Il semble bien, toutefois, que certains enseignants réussissent à appliquer le programme plus efficacement que d’autres et qu’ils sont plus fidèles à son plan d’action. Faut-il s’étonner que ceux qui savent bien gérer leurs classes, qui communiquent bien avec les jeunes adolescents et qui sont très motivés tendent à mieux maîtriser les méthodes et le contenu du programme ? Cela dit, le programme est long et détaillé, de sorte que la motivation est un élément critique, et que les enseignants ont besoin d’un soutien ininterrompu. L’évaluation a révélé que, comparativement au groupe témoin, les 421 jeunes citadins inscrits au programme avaient amélioré leurs aptitudes de résolution de problèmes et acquis des attitudes plus positives pour résoudre des conflits ; ils étaient aussi mieux notés par leurs enseignants pour leur façon de se maîtriser et leur sociabilité, et ils ont déclaré moins de démêlés avec la justice. Dans l’extension et la reproduction du programme, l’équipe de Caplan (1992) a fait état de nettes améliorations de l’adaptation sociale des participants (résolution de conflits, maîtrise de soi et aptitudes cognitives de base) ainsi qu’une réduction de leur consommation d’intoxicants. En outre, comparativement à un groupe témoin, et un échantillon de jeunes Afro-américains du centre-ville et un échantillon de jeunes banlieusards d’ascendance européenne ont permis de confirmer les effets positifs du programme. Le troisième programme, celui de sensibilisation aux choix positifs (PACT), fait acquérir aussi aux jeunes adolescents une compétence et des aptitudes de communication sociale, mais il est davantage axé sur la prévention de la violence, particulièrement chez les jeunes Afro-Américains. La formation cognitive et comportementale collective de ce programme a été conçue pour être compatible avec les caractéristiques culturelles et linguistiques des adolescents afro-américains et pour outiller ces jeunes afin qu’ils puissent résoudre leurs conflits interpersonnels sans danger, de façon constructive. Par exemple, les participants peuvent s’identifier à la tenue vestimentaire, au parler et à la situation des jeunes et des adultes qui figurent dans les vidéos utilisées. Ce programme collectif fondé sur l’école est destiné aux jeunes de 12 à 15 ans qui, d’après les enseignants, risquent particulièrement de commettre des actes de violence interpersonnelle ou d’en être victimes. Les aptitudes sociales visées sont les suivantes : donner une rétroaction positive (remerciements ou éloges) ; apprendre à recevoir une rétroaction négative en écoutant, en comprenant et en réagissant de façon appropriée ; résister à la pression des pairs en refusant, en donnant des raisons personnelles et en proposant d’autres comportements ; et enfin apprendre à faire des compromis, à négocier et à s’engager dans un cycle général de résolution de problèmes. Comme le programme se concentre sur les enfants à risque (une inter-vention tout à fait indiquée), il était particulièrement important qu’on lui donne le nom le plus positif possible et qu’on fasse en sorte que les participants l’accueillent bien. Le programme est mis en œuvre par des animateurs qualifiés passés maîtres dans les interactions de groupes, qui connaissent bien le développement des adolescents
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et qui ont l’expérience des contacts avec les jeunes des groupes minoritaires et défavorisés. Les groupes d’apprenants (jamais plus de dix) se livrent à des activités de jeu de rôle, de pratique de comportements et d’observation de modèles de pairs. De nombreuses aptitudes à acquérir sont présentées dans des vignettes sur vidéo. La vidéo est aussi employée pour orienter et pour perfectionner les aptitudes fraîchement acquises. À cet égard, la mise au point d’un module connexe de formation des parents axé sur la gestion de la colère et sur la provocation est une innovation intéressante ; on l’utilise en groupe. Néanmoins, les concepteurs du programme disent qu’il est très difficile d’obtenir la participation des parents, qui tendent à considérer les institutions de la majorité comme des agents de contrôle social. L’évaluation d’un programme pilote dans le cadre duquel on a comparé 15 jeunes qui avaient reçu la formation et 13 autres qui n’y avaient pas eu accès, mais qui avaient aussi été recommandés pour y participer par des enseignants (parce qu’ils avaient été des agresseurs ou des victimes) a révélé non seulement que les aptitudes visées avaient été correctement acquises (évaluation formative), mais aussi que les participants qui avaient terminé le programme avaient à leur fiche moins d’incidents de violence que les autres (Hammond et Yung, 1991). Une analyse des suspensions à l’école et hors de l’école ainsi que des expulsions a révélé qu’aucun des participants qui avaient terminé le programme n’avait été suspendu ou expulsé de l’école pour des actes de violence, alors que 2 des 13 qui ne l’avaient pas terminé avaient été expulsés et 7 autres suspendus, dont 6 à l’école même et 1 hors de l’école. Dans une étude plus vaste sur les résultats du programme, Hammond et Yung (1993) ont réparti au hasard 169 élèves du premier cycle du secondaire dans leur groupe de traitement ou leur groupe témoin. Ceux du premier groupe ont eu droit à 20 séances d’une heure par semaine du PACT en un semestre. Les données collectées pour la période de trois ans suivant cette formation ont montré que 17,6 % seulement des jeunes qui avaient bénéficié du PACT avaient comparu devant la cour juvénile, comparativement à 48,7 % de ceux du groupe témoin. En outre, ces derniers étaient beaucoup plus susceptibles que les premiers d’avoir été accusés de crimes de violence. Yung et Hammond se sont fondés sur leurs expériences de consultants et de formateurs pour produire récemment un Guide du programme PACT (1995) comprenant des suggestions d’idées et des conseils sur divers aspects stratégiques de sa mise en œuvre. Ils recommandent qu’un groupe consultatif composé de représentants de toutes les parties intéressées soit chargé d’obtenir le soutien de personnalités influentes, joue le rôle de forum de résolution de problèmes, assure l’accès voulu aux ressources nécessaires et « vende » le programme. En outre, s’ils maintiennent qu’un programme comme celui-là devrait être mis en œuvre dans les écoles (où les jeunes peuvent compter sur des adultes capables de renforcer et d’appuyer les gains réalisés grâce au programme, et où l’on peut mesurer les résultats comportementaux liés à l’école), Yung et Hammond estiment néanmoins qu’il faut l’instituer dans les écoles avec circonspection. Ils recommandent particulièrement qu’on explique soigneusement la relation du programme avec l’éducation, qu’on choisisse des animateurs compétents pour diriger les groupes (p. ex. les conseillers en orientation,
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souvent associés à la discipline scolaire, ne sont peut-être pas souhaitables) et qu’on soit très prudent pour éviter de désigner des candidats réticents et de les contraindre à participer aux séances du PACT. Une stratégie de recrutement universelle plutôt que ciblée semblerait en mesure de réduire les obstacles à la participation des jeunes, et c’est d’ailleurs ce que fait le titre accrocheur du programme. Sa publicité devrait être tout aussi efficace, en insistant sur les aptitudes à acquérir plutôt que sur les problèmes à prévenir, et ses brochures devraient décrire des activités sociales et récréatives ainsi que des incitations supplémentaires (unités de crédit scolaires, coupons d’achat et certificats de reconnaissance, p. ex.). Les « diplômés » du programme font des recruteurs efficaces, car ils peuvent témoigner de leur expérience personnelle et démontrer leurs nouvelles aptitudes. En outre, l’attrait du programme pour les jeunes des minorités ethniques ou des minorités visibles peut être accru si l’on accorde une attention particulière à son adaptation culturelle, en choisissant des animateurs issus de milieux compatibles connaissant bien la langue, la culture et les activités des participants. Il est particu lièrement important qu’ils apprennent le langage du conflit et de la violence physique, comme « tu m’écœures », « ne m’emmerde pas », ou « il te charrie ». Dans le programme PACT, ce sont des modèles de rôles afro-américains qui figurent dans les vidéos ; on parle de personnalités médiatiques connues et on discute d’événements d’actualité qui intéressent les élèves. Les animateurs ne sont pas choisis en fonction de leurs diplômes, mais plutôt d’après leurs qualités personnelles. Ils doivent comprendre les adolescents, donner consciemment le bon exemple, être capables de constituer des équipes et de préciser des valeurs et avoir l’expérience de la dynamique de groupe. Ils devraient être déter minés, enthousiastes, confiants, dynamiques, capables de donner du renforcement positif et avoir une bonne capacité d’observation. Ils doivent en outre être conscients de leurs propres valeurs et de leurs propres convictions en ce qui concerne la violence (particulièrement quant à son caractère inévitable dans certains contextes) ainsi que des stéréotypes négatifs qu’ils peuvent entretenir au sujet des jeunes Afro-Américains. Enfin, il leur faut comprendre le matériel pédagogique, la raison d’être et les techniques de jeu de rôle du programme et être convaincus de leur bien-fondé. Les parents peuvent participer au programme de diverses façons, allant de se renseigner sur lui jusqu’à animer un de ses groupes. Ils peuvent, par exemple, y participer comme aides bénévoles ou rémunérés, suivre la formation avec leurs enfants pour acquérir les aptitudes et apprendre comment les renforcer à la maison ou devenir des formateurs adjoints chez eux, en offrant régulièrement des séances de pratique comme celles auxquelles le groupe de formation par les pairs participent. Yung et Hammond reconnaissent qu’il peut être extrêmement difficile d’obtenir la participation des parents ; ils recommandent à cet égard qu’un représentant du programme le leur « vende » à l’occasion d’une réunion parents-enseignants. La stratégie à utiliser dans ce contexte devrait souligner que la participation des parents est volontaire et que, quelle que soit leur décision, leurs enfants auront pleinement accès au programme. Il faudrait aussi garantir aux parents des services de garderie ainsi qu’un transport jusqu’à l’endroit où le programme est dispensé.
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Dans une analyse critique approfondie de la documentation sur ce genre de programme, le Consortium on the School-based Promotion of Social Competence (1994) a précisé les caractéristiques fondamentales des programmes fructueux de développement de la compétence sociale. Participation aux organismes communautaires de développement des jeunes
Les programmes communautaires à l’intention des jeunes sont peut-être la ressource la plus sous-estimée de promotion du développement de cet important segment de la population. Ils offrent aux jeunes des possibilités d’établir des relations saines et stables avec des pairs et des adultes, d’acquérir une capacité de leadership ainsi que des aptitudes de base et de développer un sentiment d’appartenance et de par-ticipation à la communauté de même qu’un sentiment de compétence et d’utilité pour autrui. Il existe de nombreux organismes communautaires au service des enfants du primaire et d’âge préscolaire, mais, bien que les jeunes aient de plus en plus besoin d’activités agréables et valorisées après l’école et qu’ils soient souvent capables de les concevoir et de les animer, il existe trop peu de programmes communautaires à l’intention des adolescents. Il faut donc de la créativité pour planifier et mettre en œuvre des programmes en coopération avec les jeunes. Il va falloir créer toute une gamme de programmes, notamment – mais pas exclusivement – dans les domaines des sports et de la musique, afin d’attirer une clientèle jeune, culturellement variée, de cultiver ses aptitudes et de la préparer par divers moyens pratiques à l’âge adulte. La recherche a permis d’établir le temps que les adolescents passent sans supervision après l’école. La National Education Longitudinal Study (Étude nationale longitudinale sur l’éducation) a signalé que, en 1988, environ 27 % des élèves de 8e année des États-Unis passaient au moins deux heures à la maison seuls après l’école, et que les jeunes du groupe socioéconomique le plus défavorisé étaient les plus susceptibles d’être laissés seuls à la maison durant plus de trois heures (US Department of Education, 1990). Or, c’est pendant ce temps qu’ils risquent le plus d’avoir des relations sexuelles et de verser dans la toxicomanie ou l’alcoolisme. L’équipe de Richardson (1989) a établi que, pour les élèves de 8e année laissés sans surveillance plus de 11 heures par semaine, le risque de toxicomanie et d’alcoolisme est deux fois plus élevé que pour ceux qui bénéficiaient d’une forme quelconque de supervision par des adultes. Néanmoins, les activités en dehors des heures de classe ne sont conçues ni pour éviter que les jeunes se retrouvent en difficulté, ni pour assurer leur supervision par des adultes. Les adolescents ne tendent guère à participer à des programmes d’activités après l’école et la fin de semaine s’ils ne peuvent pas décider comment passer leur temps, s’ils se sentent stigmatisés du seul fait d’y participer ou si ces activités ne sont ni stimulantes, ni adaptées à leur groupe d’âge. Bref, les programmes doivent être conçus pour être vivants et agréables et pour permettre aux jeunes d’exprimer leur créativité et de développer leurs aptitudes, en leur offrant des possibilités de se faire reconnaître, d’obtenir du soutien et d’avoir le sentiment d’être utiles.
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Nous allons maintenant décrire plusieurs exemples d’initiatives populaires bien planifiées. Même si nous n’avons pas de données d’évaluation en bonne et due forme à leur sujet, nous pouvons les considérer comme des réussites parce qu’elles attirent les jeunes, leur donnent un sentiment d’appartenance et leur offrent des associations fiables avec des pairs et avec certains adultes, tout en leur proposant des activités constructives plutôt que dangereuses et en leur inculquant le leadership, l’aptitude à travailler en équipe et les qualités d’organisation nécessaires pour qu’ils réussissent leur transition à l’âge adulte. Le premier exemple est un programme mentionné dans un répertoire produit en 1995 à la suite du Symposium national sur l’action communautaire à l’endroit des enfants qui avait été organisé conjointement par l’Institut canadien des recherches avancées et par le Centre for Studies of Children at Risk. Ce programme, MAD (Making a Difference) for Youth, est un projet de promotion de la santé des adolescents qui a été lancé par trois mères de famille d’Antigonish, en NouvelleÉcosse. Ces femmes étaient au courant des difficultés avec lesquelles les jeunes de leur communauté étaient aux prises, mais elles ont été catapultées dans l’action par le suicide de trois jeunes ; elles ont décidé de créer un comité consultatif composé de 12 à 16 jeunes de 14 à 19 ans de différents milieux. Le comité a mené un sondage auprès de 400 adolescents et contribué à la conception et à la réalisation d’une évaluation de leurs besoins de santé qui a débouché sur la production d’un rapport et d’une vidéo intitulée The Voice of Teens. Trois domaines prioritaires étaient cernés dans ce rapport : l’utilisation et l’abus des intoxicants, le bien-être mental et les questions de relations. Pour trouver des solutions, le comité de jeunes a participé avec les représentants de divers organismes ainsi qu’avec des parents bénévoles à diverses activités (manifestations de promotion de la santé, forums communautaires, ateliers, présentations dans les médias, programme d’éducation en matière de santé par les pairs et plusieurs projets réalisés en collaboration, comme la création d’un comité de sensibilisation à la toxicomanie). Récemment, MAD for Youth a ouvert dans la rue Main, à Antigonish, un centre de dépannage à l’intention des jeunes désireux de promouvoir le bien-être des jeunes de la communauté. Ses responsables comptent aussi ouvrir un café et un centre de santé pour les jeunes et fonder un journal à leur intention. De plus, MAD a conclu des partenariats avec des organismes de services communautaires, des représentants des autorités scolaires et des organismes de santé physique et mentale, de même que des corps policiers, ainsi qu’avec des politiciens, et a, de plus, cherché à mobiliser les entreprises locales et les conseils de ville et de comté. Certains parents qui prétendent que MAD aide les jeunes femmes enceintes à se faire avorter se sont opposés à son action avec hostilité. MAD espère obtenir un meilleur accès au conseil municipal d’Antigonish pour réfuter ces accusations et persuader les membres du conseil de tenir compte des jeunes dans leur processus décisionnel. Au moment d’aller sous presse, nous n’avions pas de données sur le nombre et sur les caractéristiques des participants du MAD. Nous n’avons pas non plus de données quant à l’effet que leur participation a eu sur la décision de ces jeunes en
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ce qui concerne leurs activités sexuelles, leur consommation de drogue ou d’alcool ou leurs résultats scolaires, ni sur leur santé mentale, leur famille et leurs contacts à l’école. Néanmoins, MAD for Youth est bel et bien une tentative populaire durable de mobilisation des jeunes qui les aide à s’accomplir et à faire preuve de leadership. En outre, il s’est lancé dans un cycle enrichissant de recherche et d’établissement de partenariats qui peut être cité en exemple à d’autres communautés désireuses de favoriser le développement des jeunes grâce à une démarche de résolution de problèmes à la fois créative et participative. Un deuxième exemple, qui nous vient lui aussi des Maritimes, est celui du Club des garçons et filles de Summerside, à l’Île-du-Prince-Édouard, qui offre des activités récréatives, éducatives et de leadership aux enfants et aux jeunes de 6 à 18 ans. Dans le cadre de cet organisme, le Club Keystone fait participer des jeunes de 14 ans et plus à des activités de bénévolat et de développement du leadership. Récemment, les membres du Club ont aidé l’organisme local de services de santé à mettre en œuvre certaines des recommandations propices au développement de la jeunesse de la province qui figuraient dans un document de planification provinciale. Par ailleurs, les jeunes qui ont comme sentence d’offrir des services communautaires le font parfois par l’entremise du Club. Consciente de l’importance des établissements conçus et consacrés aux adolescents, la province de Québec a créé environ 180 maisons de jeunes où des 12 à 18 ans peuvent consacrer une partie de leurs loisirs à apprendre à se connaître et à découvrir leur communauté. Dans ce contexte, les jeunes peuvent assumer leur indépendance et acquérir des qualités de leadership ainsi que le sens des responsabilités, en organisant des activités en fonction de leurs intérêts communs et des besoins locaux. Chaque maison est dirigée par un conseil d’administration où les jeunes dominent, et ce sont des jeunes qui dirigent les comités et exploitent la cantine. Une des maisons a récemment revu un projet de document du ministère provincial de la Justice sur les droits des jeunes Québécois et sur la législation qui les concerne pour s’assurer que son libellé et son organisation leur conviennent. La Coalition ontarienne des enfants et des jeunes est un groupe dirigé par des jeunes et composé de jeunes, d’organismes qui leur fournissent des services et de coalitions de jeunes. Elle a parrainé une conférence et un rapport, et elle organise actuellement des groupes centraux et des forums communautaires dans toute la province, pour contribuer à créer un public de jeunes afin d’être en mesure de répondre aux besoins des jeunes ontariens. Il vaut la peine de souligner ici l’initiative originale de la direction d’un centre commercial torontois pour s’attaquer aux problèmes des bandes de jeunes et des jeunes trafiquants de drogues : elle a modifié l’aménagement du centre de façon à empêcher des groupes importants de s’y assembler et a fait appel à des jeunes travailleurs pour surmonter divers problèmes, plutôt que d’appeler la police. Elle a créé un bureau des services à la jeunesse sur place, en mobilisant des jeunes, des parents, les autorités policières, les écoles locales et les organismes au service des jeunes (comme les parcs et loisirs) ainsi que des organismes d’aide sociale. À son comptoir, ce bureau offre des services d’assistance psychosociale, de soutien communautaire et
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d’aiguillage adaptés à la culture des jeunes, ainsi que des programmes d’éducation non traditionnelle à l’intention des 12 à 24 ans. Résultat ? Une réduction de 16 % des arrestations et des condamnations de jeunes pour des infractions commises dans le centre commercial, une nouvelle affluence du public (surtout des personnes âgées) et la signature de nouveaux baux par des détaillants plus prestigieux. En Saskatchewan, la Rancho Ehrlo Society offre aux jeunes autochtones des activités récréatives, sociales et culturelles ainsi que des services de soutien et effectue des travaux de développement communautaire axés sur les jeunes, en collaboration avec plusieurs bandes indiennes de la province. Par exemple, une bande du nord-est de la Saskatchewan qui s’alarmait de l’utilisation de solvants par ces jeunes a reçu l’aide de la Society pour évaluer leurs besoins, après quoi elle a ouvert un camp d’été auquel 150 jeunes ont participé en 1994. Ceux qui avaient recueilli les données du sondage initial ont été engagés comme conseillers, et un membre du personnel de la Rancho Ehrlo Society a dirigé le camp, avec l’aide de plusieurs autres adultes. L’été suivant, le camp a rouvert ses portes sans la participation du directeur venu de Rancho Ehrlo ; il a encore connu un grand succès. La bande en question projette actuellement pour ses sept localités un programme récréatif fonctionnant l’année durant. Un deuxième programme de la Society a attiré énormément d’attention dans les médias : des jeunes autochtones ont recueilli de l’équipement de hockey usagé pour le distribuer à d’autres jeunes autochtones du centre-ville de Regina. Plus de cent jeux d’équipement et 300 paires de patins ont ainsi été ramassés et distribués à partir d’un centre de dépannage autochtone. L’année suivante, la Society a fondé une ligue de hockey qui a attiré de nombreux jeunes autochtones et leurs parents à trois patinoires du centre-ville situées dans des parcs naguère considérés comme dangereux, qui sont désormais des centres sociaux très achalandés bien entretenus par les autorités municipales. Nous n’avons pas de données sur les effets sociaux, psychologiques ni sur l’acquisition d’aptitudes découlant des programmes de la Society, mais le nombre de jeunes autochtones et de familles qui y ont participé atteste de la valeur d’intégration sociale de sa démarche. Notre dernier exemple nous vient des États-Unis. Nous le citons parce qu’il représente un partenariat extrêmement efficace du secteur public et du secteur privé. À Los Angeles, en Californie, la pétrolière UNOCAL a joint ses forces avec le club 4-H local, le conseil municipal de Los Angeles, un groupe de bénévoles connu sous le nom de « Volunteers in Service to America » (VISTA), l’Université de la Californie, l’Office du logement et les autorités scolaires en vue de la création d’un programme d’activités après les heures de classe à l’intention des 7 à 13 ans de cinq complexes de logements subventionnés. Les participants obtiennent de l’aide pour faire leurs devoirs, effectuent des travaux 4-H de jardinage, d’informatique, de cuisine, de photographie ainsi que d’art et d’artisanat et participent à diverses activités sportives et culturelles (Carnegie Council on Adolescent Development, 1992). Le secteur privé peut se montrer particulièrement disposé à financer des programmes communautaires à l’intention des jeunes, en raison du coût relativement modeste de ces programmes et de l’intérêt que les travailleurs portent à la sécurité
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de leurs enfants et à leur bien-être après l’école. Quand les employés ne peuvent pas se concentrer sur leur travail parce qu’ils s’inquiètent des allées et venues de leurs enfants et de leurs activités après l’école, la productivité baisse et l’absentéisme augmente. En outre, les entreprises privées tiennent à être considérées comme des citoyens respectables qui améliorent la qualité de vie de leur communauté et qui engagent des jeunes talentueux. Par conséquent, elles autorisent des congés ou des horaires variables pour ceux de leurs employés qui souhaiteraient donner de leur temps à des organismes au service des jeunes, font bénéficier les organismes de prestation de services aux jeunes de leur aide technique en matière de gestion, de budgétisation ou de planification stratégique et offrent des stages et le soutien d’un mentor à la jeunesse locale. Même si les données d’évaluation sont très incomplètes, il est évident que la participation des jeunes aux activités des organismes communautaires qui leur sont vouées est très bien vue. Par exemple, un sondage effectué en 1987 auprès des anciens membres de groupes de jeunes comme les 4-H a révélé que leur participation à ces activités les avait rendus fiers de leurs réalisations et de leurs capacités de fixer des objectifs et de collaborer avec d’autres, de leur confiance en eux-mêmes et de leurs aptitudes de travail et de leardership. De même, l’évaluation annuelle du programme d’extension auprès des adolescents de l’Association of Junior Leagues (un programme d’acquisition d’aptitudes de base et de services communautaires fondés sur l’école à l’intention des élèves du premier cycle et du deuxième cycle du secondaire) a révélé que les participants risquaient moins que leurs pairs non participants d’avoir une grossesse indésirée, de décrocher ou d’être suspendus par leur école. Il vaut la peine de mentionner ici un tout dernier exemple, celui d’une initiative communautaire de développement des aptitudes extrêmement prometteuse qui a fait l’objet d’une évaluation de qualité et dont ont bénéficié tous les enfants de 5 à 15 ans d’un complexe de logements subventionnés d’Ottawa (Jones et Offord, 1989). En 1980, le programme PALS (Participate and Learn Skills [Participe et apprends]) a lancé 40 projets d’activités sportives et récréatives dans 25 disciplines différentes (divers sports, la natation, le judo, la guitare, le ballet, le maniement du bâton de majorette et le scoutisme). Un personnel de deux personnes travaillant dans un bureau du centre communautaire du complexe a réussi à rejoindre plus de 70 % des jeunes de l’endroit et à les faire participer à un processus comprenant cinq étapes. Il s’agissait d’abord d’obtenir leur participation initiale, puis de favoriser leur persistance grâce à un niveau élevé de contact avec le personnel et de reconnaissance par celui-ci, de les aider à se concentrer sur l’acquisition d’aptitudes afin qu’ils puissent participer à armes égales aux programmes communautaires destinés à la majorité, de les inscrire à un programme récréatif grand public et, enfin, d’incorporer toute la stratégie dans les programmes récréatifs de la majorité. Et la conception du PALS a aussi d’autres caractéristiques dignes de mention, notamment l’absence de tout obstacle financier ou administratif à la participation (p. ex. la procédure et les formules d’inscription), l’évaluation du niveau d’aptitudes de chaque enfant avant et après sa participation à une activité, ainsi que l’imputabilité du programme à ses fondateurs grâce à une
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analyse des coûts, aux registres des présences et aux gains des participants (exprimés en fonction du développement de leurs aptitudes). Le PALS partait du principe que les enfants et les jeunes économiquement défavorisés ne sont pas bien servis – ou pas servis du tout – par les programmes récréatifs grand public, et qu’ils n’ont donc pas les mêmes possibilités que leurs pairs mieux nantis de développer leurs aptitudes et d’obtenir la reconnaissance qu’il leur faut. Par conséquent, il a été conçu de façon à améliorer les aptitudes des jeunes et à les intégrer dans les programmes récréatifs destinés à la majorité. Ses concepteurs ont postulé que l’acquisition de meilleures aptitudes dans ce contexte permettrait aux jeunes d’améliorer aussi leur rendement scolaire et leur estime de soi et réduirait leurs comportements antisociaux. Une évaluation en bonne et due forme comparant les participants au PALS avec un groupe témoin du même âge et avec la même représentation des deux sexes, venant d’un complexe de logements de la même taille, n’a pas révélé de changements significatifs de l’estime de soi, du rendement scolaire ou du comportement familial des participants (Jones et Offord, 1989). Néanmoins, l’observation et les données d’archives ont révélé qu’ils avaient fait l’objet de nettement moins d’accusations par la police au cours des 36 mois de l’intervention que pendant les 24 mois qui l’avaient précédée. Malheureusement, après que le programme eut pris fin, on a constaté des effets de ressac importants, peut-être parce que seul un petit nombre des jeunes participants (essentiellement les joueurs de hockey) avaient réussi à s’intégrer dans les ligues de la majorité. Enfin, le PALS est l’un des rares programmes où l’on ait tenté de calculer les économies de coûts résultant d’une baisse du nombre d’accusations portées contre les jeunes et d’une réduction du nombre de rapports de sécurité les mettant en cause. S’il faut en croire les analyses de la police et de l’Office du logement ainsi que les dépenses de la ville, les économies réalisées ont de loin dépassé les coûts du programme. Dans un rapport de suivi intéressant, Jones et Offord (1991) ont expliqué pourquoi le programme n’avait pas été maintenu dans la communauté à l’expiration de la période de démonstration. Le fait est que, malgré leur succès, de nombreux modèles de démonstration ne sont pas reproduits ni intégrés dans les programmes des établissements d’enseignement, des organismes de santé et d’aide sociale ou des organismes responsables des parcs et des loisirs. De plus, même quand ils le sont, ils sont tellement modifiés qu’ils n’ont plus guère de ressemblances avec le modèle original, souvent parce que le financement a été réduit et que le personnel n’a pas la formation, la motivation ni les ressources voulues. Dans le cas du PALS, Jones et Offord ont souligné que la Ville d’Ottawa avait sabré le budget du programme, refusé de se lancer dans les activités d’extension nécessaires, facturé des frais aux utilisateurs et pour ainsi dire fait fi de l’objectif fondamental de développement des aptitudes, sans non plus tenir les présences et suivre les progrès individuels des enfants. Ces modifications montrent bien comment on peut saper une démonstration pourtant fructueuse en ne conservant qu’un pâle reflet du programme original et en se privant de sa contribution potentielle au développement des jeunes.
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Caractéristiques des organismes efficaces de développement des jeunes
Après avoir analysé de nombreux exemples de programme d’activités après l’école à l’intention des jeunes, le Carnegie Council on Adolescent Development (1992) a rendu public un rapport intitulé A Matter of Time qui contient les recommandations suivantes afin d’assurer l’efficacité de ces programmes. • Les programmes devraient s’inspirer de la recherche sur le développement des adolescents, y compris l’évaluation des effets des programmes de développement des jeunes. • Les programmes devraient privilégier les relations sociales entre pairs et entre les jeunes et des adultes dignes de confiance qui s’occupent d’eux. • Les programmes devraient favoriser la participation des parents en créant des structures et des rôles pour eux. • Les programmes devraient être conçus pour et par les jeunes. • Les programmes devraient être amusants, souples, culturellement adaptés aux besoins des jeunes et liés à des activités qui les intéressent. • Les programmes devraient offrir de la nourriture, pour attirer les jeunes et pour leur donner une occasion de se détendre et de socialiser. • Les programmes devraient prévoir des règles claires pour leurs participants (p. ex. interdiction de l’alcool, de la drogue et des bandes). • Les programmes devraient être sûrs et accessibles. • Les programmes devraient faire le pont avec l’école ainsi qu’avec les services de santé mentale et physique individuels et familiaux. Initiatives de service communautaire à l’intention des grands adolescents
Les programmes qui mobilisent les jeunes dans le service communautaire sont particulièrement utiles pour développer les aptitudes, les qualités de leadership et l’estime de soi des grands adolescents. Comme Schine (1989) l’a observé, le service communautaire donne aux jeunes la possibilité d’assumer des rôles de valeur, de répondre aux besoins sociaux de bénévoles pour fournir les services de santé et les services humains, d’appliquer ce qu’ils apprennent à l’école à des problèmes et à des besoins communautaires réels (ce qui favorise l’acquisition d’expérience en vue d’une carrière), ainsi que la chance d’obtenir le soutien, les conseils et la reconnaissance des adultes. Les jeunes bénévoles font mentir le stéréotype des adolescents oisifs et égoïstes en faisant preuve de compassion et de respect et en se montrant empressés d’assumer une part de la responsabilité du bien-être d’autrui. Le service communautaire – rémunéré ou pas – peut aider les jeunes à devenir des adultes productifs dignes de confiance, à comprendre la société et à se comprendre eux-mêmes, à mériter le respect de la communauté, à apprendre à se respecter ainsi qu’à acquérir des aptitudes professionnelles comme savoir coopérer, prendre des décisions et établir des objectifs.
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Au Canada, le Comité sénatorial spécial sur la jeunesse a publié en 1986 un rapport intitulé Jeunesse : un plan d’action dans lequel il proposait la création d’un programme de services communautaires des jeunes Canadiens inspiré de Katimavik. Des équipes de jeunes sans emploi de 17 à 24 ans qui n’étaient inscrits ni à l’école ni à l’université devaient être recrutées dans toutes les régions du Canada, à tous les niveaux socioéconomiques, dans les communautés anglophones et francophones, rurales et urbaines. Les frais de subsistance des participants devaient être payés par le programme, qui leur aurait versé une rémunération symbolique pour leurs travaux communautaires. À la fin du programme, d’une durée de neuf mois, ils devaient toucher 1 000 $ pour les aider à avoir accès au marché du travail ou 3 000 $ pour entreprendre des études postsecondaires, techniques ou universitaires. On devait aussi prendre des mesures pour que les étudiants participants puissent accumuler des unités de crédit. Outre leurs travaux communautaires, les jeunes devaient faire un apprentissage afin d’acquérir des aptitudes de base dans des domaines comme la foresterie, la menuiserie, l’horticulture et la construction. Les coûts du programme étaient évalués à 9 000 $ à 10 000 $ par participant pour une période de neuf mois, une fois que le nombre de 10 000 participants aurait été atteint. (Cela ne tient toutefois pas compte des économies réalisées au titre des prestations d’assurance-chômage et d’aide sociale que les jeunes auraient pu toucher s’ils n’avaient pas participé au programme.) En avril 1994, le gouvernement fédéral a instauré un corps de service des jeunes et un programme de stages, mais ces mesures ont eu une bien moins grande envergure que ce qui avait été proposé au départ. Les participants recevaient des versements hebdomadaires pouvant totaliser 10 000 $ ainsi qu’une prime de 2 000 $ à la fin du programme (pour les aider à acheter des livres, à s’inscrire à des cours ou à obtenir un prêt de lancement d’entreprise). L’opposition au programme n’a toutefois pas tardé à se faire sentir ; ses critiques ont déclaré qu’il n’avait pas suffisamment d’envergure pour avoir un effet marqué sur le chômage chez les jeunes, qui avait pris des proportions considérables (400 000 chômeurs de 16 à 24 ans à l’époque). Ils avaient d’ailleurs ajouté que, pour surmonter le problème du chômage chez les jeunes, il fallait leur offrir des emplois intéressants, pas de nouveaux programmes gouvernementaux. Dans le discours du Trône de 1996, le gouvernement a annoncé un nouveau programme de création d’emplois pour les jeunes, en s’engageant à doubler le nombre d’emplois d’été qu’il offrait déjà aux étudiants. Il a mis le secteur privé, les provinces et les municipalités au défi d’en faire autant. Sans donner de précisions, le gouvernement s’est engagé à aider les jeunes à trouver un premier emploi et à obtenir de l’expérience professionnelle. Au moment d’aller sous presse, il n’avait pas encore concrétisé ce projet. Les programmes de service communautaire de ce genre devraient favoriser le développement personnel et donner aux jeunes une formation professionnelle et une certaine expérience pratique. Des partenariats solides entre les écoles secondaires et les employeurs s’imposent pour que les jeunes puissent franchir sans heurts le cycle complet de la formation professionnelle, de l’obtention de conseils, de l’acquisition d’expérience pratique et de l’apprentissage.
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Parmi les programmes de service communautaire locaux, citons celui des aides de jeunes adolescents du Center for Advanced Study in Education de la City University de New York. Il consiste à offrir à des élèves du premier cycle du secondaire des stages dans des centres d’accueil locaux pour personnes âgées ainsi que dans des garderies pour les enfants d’âge préscolaire et du primaire. En offrant un programme d’activités structurées après l’école aux jeunes qui, autrement, ne seraient pas supervisés, on les encourage à poursuivre leurs études tout en leur faisant découvrir le monde du travail. Les études des effets de ce programme révèlent une amélioration de la compréhension sociale et de la compréhension de soi des participants, qui y puisent la conviction d’avoir apporté quelque chose de valable à d’autres. La possibilité de travailler dans des centres pour personnes âgées donne aussi aux jeunes une meilleure compréhension des ressemblances des générations et leur souligne l’importance de bonnes aptitudes en communication. À Atlanta, en Géorgie, tous les élèves du secondaire sont tenus de faire 75 heures de service communautaire pour obtenir leur diplôme. Au moins deux organismes communautaires les accueillent à cette fin. À Kansas City, au Missouri, des 14 à 17 ans à risque élevé ont participé à temps plein à des programmes de service communautaire pendant l’été. Les promoteurs de ce programme maintiennent que les avantages de l’expérience peuvent être maximisés par l’inclusion d’un volet de réflexion, surtout pour les élèves du premier cycle du secondaire. Les méthodes utilisées à cette fin sont des discussions avec les membres du personnel, des journaux personnels et comptes rendus, des bandes vidéo et des cérémonies de reconnaissance. Un troisième programme de service communautaire forme des adolescents bénévoles pour qu’ils se lient d’amitié avec des enfants lourdement handicapés et donne à ces enfants des possibilités de participer à des activités communautaires (Cooley et al., 1989). Les enfants visés souffrent de déficience mentale plus ou moins grave et beaucoup ont aussi d’autres handicaps, comme la paralysie cérébrale, l’autisme, le syndrome de Down et des troubles sensoriels. La formation des bénévoles comprend trois heures d’instruction sur les concepts et les techniques de base de gestion des comportements, des conseils pour qu’ils puissent favoriser des interactions agréables et des idées d’activités. Il ne s’agit pas en l’occurrence de « professionnaliser » les bénévoles, mais plutôt de leur inculquer suffisamment de connaissances pour qu’ils soient à l’aise dans leur travail. Après avoir reçu la formation, les bénévoles rencontraient les enfants et leur famille en compagnie d’un membre du personnel du programme. À cette occasion, le bénévole devait poser des questions générales sur les intérêts, les besoins et les capacités de l’enfant, ainsi que sur son équipement spécial et sur les facteurs de sécurité. Chaque bénévole avait aussi la possibilité, s’il le désirait, de rencontrer l’enseignant de l’enfant, pour voir comment il réagissait aux problèmes de compor tement de ce dernier. Enfin, les bénévoles et les enfants commençaient à se rencontrer individuellement (habituellement trois heures par semaine pour un minimum de six mois). Chaque bénévole a bénéficié d’un soutien grâce à des rencontres mensuelles en groupe ainsi qu’au membre du personnel qui l’avait accompagné dans sa première
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sortie avec l’enfant. Les réunions de groupe étaient axées sur la résolution de problèmes, les questions de normalisation et les aptitudes à prendre du recul. Le programme a été évalué à la fois par les parents des enfants et par les bénévoles. Ceux-ci se sont dits très satisfaits de la formation reçue, de leurs rapports avec les familles et du niveau de soutien assuré par le personnel. En fait, tous les bénévoles ont continué à participer au programme bien au-delà de la période minimum de six mois. Les parents, pour leur part, ont déclaré que les bénévoles étaient fiables, bien formés, qu’ils respectaient les idées et les suggestions de leur famille et qu’ils avaient fait preuve d’originalité en trouvant des activités agréables auxquelles leur enfant pouvait participer. Ils avaient un seul regret : comme la rupture était difficile pour l’enfant, ils auraient souhaité que le bénévole se retire graduellement de la relation. Toutefois, même quand une relation s’éteint peu à peu, il est toujours difficile pour une amitié comme celle-là de prendre fin. Le Programme des hôtes adolescents de l’Association for New Canadians de Terre-Neuve est une autre initiative dans laquelle des jeunes offrent un soutien à d’autres : des jeunes Terre-Neuviens se lient d’amitié avec des adolescents récemment immigrés au Canada et les aident à participer à des activités sociales ainsi qu’à acquérir des qualités de leadership. Un programme connexe forme des adolescents récemment arrivés au Canada pour qu’ils puissent sensibiliser, en tant que pairs, d’autres jeunes des minorités ethniques à l’utilisation et à l’abus de substances intoxicantes. Enfin, l’une des activités de service communautaire les plus répandues chez les jeunes consiste à les former pour donner de l’assistance comme pairs et pour offrir du tutorat aux plus jeunes. Bien des écoles de premier et deuxième cycle du secondaire ont recruté et formé des élèves pour qu’ils puissent donner des conseils à leurs pairs sur des questions personnelles et scolaires, et ont chargé des élèves plus âgés d’être les « copains » ou les mentors des nouveaux arrivés dans un milieu tout neuf. On a fréquemment recours aussi à l’assistance par des pairs dans le cadre des programmes de sensibilisation à la toxicomanie et à l’alcoolisme ainsi que d’amélioration des relations entre les adolescents et leurs parents. Les programmes de tutorat offerts par les élèves plus vieux aux plus jeunes dans des écoles de tout le Canada et des ÉtatsUnis consistent à demander aux aînés d’aider les autres à améliorer leurs aptitudes scolaires (ce qui améliore souvent les résultats scolaires du tuteur encore plus que ceux des jeunes qu’il aide). Les programmes d’assistance par les pairs ont plus de chances d’attirer et de garder des adolescents s’ils leur offrent des possibilités d’aide mutuelle plutôt qu’à sens unique et s’ils recrutent les participants en fonction de leurs aptitudes plutôt que de leurs handicaps ou de leurs lacunes. Les stratégies universelles ont plus de chances d’être productives que celles qui sont ciblées. Et la formation et l’assistance devraient être présentées comme des emplois, et les taux de rétention tendent à augmenter si l’on inclut des amis des participants dans l’équation et s’ils sont payés. Néanmoins, si le programme est conçu pour aider le bénévole autant que la clientèle visée, il faut prévoir toutes sortes d’activités d’aide, afin qu’elles puissent être adaptées aux préférences et aux talents de ceux qui sont formés. L’assistance par les pairs n’est d’ailleurs qu’une des nombreuses activités de service communautaire qui
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méritent qu’on les étudie de façon plus systématique, particulièrement sous l’aspect des possibilités de développement résultant du fait d’aider autrui. Interventions de soutien
Le soutien social apporté par un membre de la famille ou un autre adulte important contribue à la résilience des jeunes en les aidant à absorber l’impact des événements douloureux de la vie et du stress chronique. Dans une étude portant sur 18 adolescents des deux sexes, fonctionnels en dépit des troubles affectifs graves de leurs parents, Beardslee et Podorefsky (1988) ont constaté que leurs sujets accordaient une grande importance à des relations étroites avec des gens à qui ils pouvaient se confier. Neuf d’entre eux ont nommé une personne qu’ils contactaient quand leurs parents étaient gravement malades, pour qu’elle leur explique ce qui se passait ou pour qu’elle les réconforte. D’autres facteurs tels qu’une forte constitution, une bonne compréhension et une bonne estime de soi contribuaient à la résilience de ces jeunes, mais ils sont beaucoup plus difficiles à modifier que la qualité et la disponibilité du soutien social. Par conséquent, les interventions dans ce domaine sont les plus prometteuses pour les adolescents. On a parfois ramené le soutien social aux trois A (aide, affection et affirmation). L’aide est une assistance pratique, c’est-à-dire de biens, services et argent. L’affection est un soutien émotif qui comprend les possibilités de se confier à d’autres et d’en recevoir de la compassion, de la compréhension et de la protection. L’affirmation s’entend de la validation de la personne aidée et d’une rétroaction positive sur ses réalisations. Les programmes qui mobilisent, renforcent ou spécialisent les activités non structurées de soutien mutuel des adolescents peuvent revêtir bien des formes. Leur structure et leur contenu varient selon le niveau de développement et les besoins psychosociaux de leur clientèle. En outre, ils existent dans divers contextes, quoique la plupart se situent à l’école et au foyer. Enfin, la majorité sont axés soit sur des changements des caractéristiques structurales du milieu scolaire ou familial, soit sur l’établissement de relations assurant un soutien accru. Presque tous fournissent un soutien supplémentaire aux jeunes en difficulté, pour les stabiliser quand ils vivent des perturbations sociales ou pour les aiguiller vers une stratégie d’adaptation quand leur comportement commence à se détériorer. La documentation sur les programmes de soutien à l’intention des adolescents laissent entendre que la plupart font appel à des dyades (c.-à-d. à des couples) et à des groupes en insistant sur des stratégies conçues afin d’aider les jeunes à établir de nouvelles relations plutôt que de renforcer le soutien déjà assuré par celles qu’ils ont déjà dans leurs réseaux. Soutien individuel : sujets et objets du mentorat
Le programme dyadique le plus connu est celui des Grands Frères et des Grandes Sœurs, qui est le prototype des nombreux programmes de soutien intergénérationnel
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conçus pour améliorer les perspectives des jeunes en difficulté. On désigne les participants adultes sous différents noms (p. ex. grands-parents nourriciers, mentors, encadreurs, visiteurs au foyer et précepteurs), et la fréquence, la durée et l’intensité de leurs contacts de soutien varient. La plupart des programmes dyadiques, y compris celui des Grands Frères et des Grandes Sœurs, offrent un soutien diffus et précisent rarement le contenu, la fréquence ou le point central de l’interaction, sans préciser davantage le contexte dans lequel les contacts devraient avoir lieu. Comme ils sont conçus pour compenser l’absence de liens positifs avec des adultes, ces programmes se concentrent habituellement sur l’établissement des genres de soutien qu’on tire de ces relationslà. Quelques-uns limitent les activités, le contexte et les occasions des rencontres des participants ou exigent des contacts structurés, par exemple la supervision des activités scolaires ou du travail. Dans certains cas, par exemple celui des adolescents qui ont des enfants, ils privilégient l’acquisition d’aptitudes parentales. Comme les participants adultes à ces programmes-là offrent aux jeunes un soutien spécialisé, ils ont habituellement reçu la formation idoine, à moins qu’ils soient embauchés parce qu’ils connaissent bien la situation puisqu’ils ont vécu des expériences semblables à celles des jeunes participants. Néanmoins, dans la plupart des programmes dyadiques, la relation elle-même est une fin plutôt qu’un moyen d’améliorer des mécanismes particuliers d’adaptation. Au mieux, ces relations de mentorat primaires partagent les qualités des liens de parenté, car elles présentent elles aussi des caractéristiques d’attachement, d’intimité, d’importance, de plaisir et de confiance. Dans The Kindness of Strangers (1991), Freedman décrit divers programmes de mentorat – dont beaucoup créés par des entreprises –, allant des initiatives d’envergure nationale (telles que Career Beginnings et le programme des Grands Frères et des Grandes Sœurs) à des démarches locales comme le programme d’amélioration de la santé des jeunes Noirs de Washington, D.C., et le partenariat de soutien de Proctor and Gamble et de l’école secondaire Woodward, de Cincinnati, en Ohio. Ce dernier programme a créé 100 dyades d’élèves d’une école secondaire où les minorités représentent 85 % de la clientèle et d’un nombre égal d’employés de Proctor and Gamble qui jouent un rôle de mentors et auxquels on demande de s’engager à rester en relation avec leur protégé durant au moins cinq ans et de l’aider à acquérir les aptitudes nécessaires pour réussir dans ses études, tout en lui trouvant des avenues de développement personnel et de succès. La philosophie du mentorat trouve peut-être sa meilleure expression dans une des recommandations de Turning Points, le rapport de l’étude des écoles de premier cycle du secondaire fait par le Carnegie Council on Adolescent Development, où l’on a déclaré que chaque élève devrait être bien connu d’au moins un adulte. Dans le même ordre d’idées, la publicité du programme de mentorat Philadelphia Futures affirme « au moins un adolescent de la ville risque de ne pas pouvoir se rendre jusqu’au collège... sans vous ». Bref, le mentorat s’entend d’un soutien personnel direct, offert dans le contexte d’une relation individuelle reconnue par la société. Dans certaines circonstances, il est le complément des services d’éducation et de santé, mais il peut aussi en être un supplément ou un substitut.
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Quand le mentor et son protégé sont bien appariés, surtout si leur distance sociale est minimisée, que le mentor est bien décidé à jouer un rôle, disposé à s’engager dans une relation durable avec son protégé et qu’il a l’appui d’autres mentors et d’un personnel d’expérience, l’exercice peut être extrêmement bénéfique pour les deux parties. Le mentor peut offrir à son protégé des conseils pour l’aider à prendre des décisions cruciales dans des domaines aussi importants que la sexualité, l’éducation et les objectifs de développement personnel, tout en l’aidant à acquérir un sens des valeurs et des qualités qui l’aideront à se développer sainement. Il peut l’aider à établir un lien entre son comportement actuel et ses perspectives de réussite et l’amener à participer à des activités qui accroîtront sa compétence et élargiront ses horizons. Le mentorat encourage les deux parties à établir et à développer des relations ; en outre, comme les écrits sur la résilience le montrent, leur rapport peut devenir une excellente protection, aussi bien en temps de crise qu’en période de stress chronique. Un mentor inscrit à un programme de Washington, D.C., l’a souligné :
Ces jeunes ont vraiment besoin de quelqu’un à qui parler. Ce n’est pas nécessairement quelqu’un qui va les serrer dans ses bras, mais quelqu’un à qui ils peuvent présenter leurs idées en sachant qu’ils ne sont pas les seuls à se sentir découragés, malheureux et pitoyables, et que, si un ami leur a brisé le cœur, ce n’est pas la fin du monde. Ils ne peuvent pas trouver ce genre de rétroaction chez un autre enfant de 15 ans. [Freedman, 1991, p. 46.]
Le mentorat peut être utile dans les programmes de prévention à l’intention des jeunes, par exemple ceux qui sont conçus pour prévenir les grossesses indésirées et le décrochage scolaire, ainsi que dans les programmes de facilitation de la transition de l’école au travail. Hamilton (1994) a décrit un programme britannique exemplaire d’aide aux jeunes chômeurs fondé sur les conseils de mentors travaillant pour des entreprises privées. Ce programme, dit « de transition au travail » (Transition to Working Life, ou TWL) confie des jeunes de 16 à 19 ans qui ont quitté l’école ou songent à le faire à un « encadreur » qui travaille et qui passe de deux à quatre heures par semaine durant six mois avec de petits groupes de huit à dix jeunes en parlant avec eux de leurs études, de leurs projets, d’un mode de vie et d’emploi et qui organise de temps à autre des excursions pour leur donner l’occasion d’explorer les possibilités d’emploi. L’objectif fondamental de l’« encadreur » consiste à motiver les jeunes, à les aider à persévérer dans leur recherche d’un emploi ou dans d’autres activités productives et à leur inculquer une éthique de travail. L’intérêt de cette approche pour les employeurs qui accordent aux « encadreurs » les congés nécessaires, c’est que ceux-ci ont reçu une formation en supervision dispensée par des professionnels qui les rencontrent une fois par semaine pour les aider à résoudre les problèmes et les conseiller sur les décisions qui s’imposent. Les « encadreurs » sont choisis par les gestionnaires et par les dirigeants syndicaux. Le personnel de TWL veut des « encadreurs » qui donnent à leurs collègues des conseils sans façon et du soutien, qui maîtrisent rapidement les nouvelles techniques
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et l’équipement nouveau et qui savent montrer aux autres à en faire autant. Les responsables du programme ont constaté que les gestionnaires et les employés qui avaient déjà de l’expérience comme animateurs de groupes de jeunes ne faisaient pas de bons « encadreurs » : les premiers sont socialement trop distants des jeunes chômeurs et les seconds ont trop d’idées toutes faites sur la façon de se comporter avec des jeunes. Les résultats obtenus ont été impressionnants, particulièrement si l’on tient compte de l’état de l’économie britannique quand le programme a été mis en œuvre. La plupart des jeunes participants ont persévéré jusqu’à la fin du programme ; ils ont trouvé des emplois, sont retournés à l’école, sont entrés dans les forces armées ou se sont tournés vers d’autres activités constructives. Le personnel du programme reconnaît que son impact aurait pu être plus marqué si l’on avait combiné le mentorat et la formation. Pourtant, Hamilton a conclu que TWL n’a rien fait pour surmonter les obstacles systémiques des jeunes pauvres et n’a pas accru la demande de travailleurs. En général, le mentorat revient à guider et à défendre des individus plutôt qu’à créer des changements sociaux pour tous les jeunes (ou pour les jeunes particulièrement exposés à des problèmes d’adaptation, à la discrimination ou à la marginalisation). Le fait est qu’une relation de confiance à long terme ne suffit pas à contrer les effets combinés de problèmes comme la pauvreté, un logement minable, une famille éclatée, des conflits et la malnutrition. Dans une vie de misère chronique, le mentorat n’est pas plus efficace qu’une hachette pour abattre un séquoia. Il s’est fait très peu de recherche d’évaluation sur les effets du mentorat. On sait bien peu de choses sur les facteurs déterminants d’appariements durables et mutuellement enrichissants, et l’on n’a pas non plus établi de critères de mesure de résultats du développement des jeunes. La plus grande partie de la recherche ne produit que des rapports des jeunes et des mentors qui disent ce que l’expérience leur a apporté. Une étude du programme Adop-a-Student mis en œuvre à Atlanta, en Géorgie, a révélé que les élèves qui avaient un mentor tendaient plus que ceux d’un groupe témoin à s’inscrire à des études postsecondaires. (On avait confié à chacun des 40 bénévoles, qui travaillaient pour des entreprises locales, un élève du secondaire qui avait de mauvais résultats scolaires ; mentors et protégés se réunissaient une fois par semaine et assistaient aussi à un atelier mensuel de préparation à l’emploi.) Freedman (1991) fait état d’autres programmes de mentorat qui ont obtenu des résultats mitigés en ce qui concerne les résultats scolaires des protégés et leur pourcentage de décrochage. Il faut donc évaluer l’effet du mentorat compte tenu des autres facteurs de la vie des jeunes et des autres mécanismes de soutien dont ils disposent. L’expérience a prouvé que le mentorat a de grandes chances d’être couronné de succès à condition de respecter certaines pratiques. Freedman (1991) résume ses constatations sur les programmes de mentorat de la façon suivante : • Il faut préparer les jeunes à leur mentor, pour qu’ils sachent à quoi s’attendre. • Seules les personnes capables de s’engager dans une relation à long terme et disposées à surmonter les difficultés éventuelles du processus d’établissement d’une relation devraient être des mentors.
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• L’appariement doit tenir compte de l’origine ethnique et raciale des participants ainsi que de leur classe sociale. • Il faut donner à la relation le temps de se développer, surtout si le mentor remplace un parent (ou s’il en est un supplément). • Il faut axer le contact initial des deux parties sur une tâche ou une activité, pour qu’elles puissent chasser leur nervosité, en leur donnant un sujet de conversation et en masquant l’aspect d’aide de leur relation. • Il faut offrir aux mentors un mécanisme de soutien, grâce à des équipes de mentorat ou à des groupes sociaux. • Le personnel sur le terrain doit pouvoir comprendre et les jeunes et les mentors, savoir expliquer le programme aux parents et aux autorités scolaires et être en mesure de résoudre les problèmes quand les relations tournent mal. Groupes de soutien : création de systèmes de soutien transitionnel
C’est aux groupes de soutien qu’on a le plus souvent recours pour aider les grands adolescents toxicomanes ou alcooliques, ceux qui sont victimes de violence sexuelle dans leur famille et les très jeunes parents. Habituellement, ces groupes sont organisés et animés par des spécialistes qui joignent à des aptitudes en aide mutuelle une grande connaissance des facteurs de stress auxquels leurs membres sont soumis et des façons productives d’y réagir. Les groupes de soutien comptent en moyenne de huit à dix membres ; ils ont un nombre prédéterminé de rencontres une fois par semaine ou tous les 15 jours (Gottlieb, sous presse). Les renseignements les plus détaillés sur leurs méthodes, leur structure et leurs résultats proviennent de rapports sur des groupes formés pour venir en aide à des adolescents dont les parents étaient séparés ou divorcés (Kalter et al., 1988 ; Pedro-Carroll et al., 1986). On a constaté que les groupes de soutien accélèrent le processus d’adaptation, en normalisant les sentiments et le statut familial de leurs membres, en compensant pour leur tendance à s’accuser de la séparation ou du divorce de leurs parents et en leur inculquant des aptitudes pour les aider à supporter leurs interactions avec la famille éprouvantes et leur vécu sur le plan émotif. Par exemple, le modèle de groupe de soutien utilisé dans le contexte du programme d’intervention auprès des enfants du divorce de l’Université de Rochester prévoit 12 à 16 rencontres d’une heure où les enfants jouent à des jeux adaptés à leur âge conçus pour les aider à exprimer leurs sentiments et à canaliser leur colère de façon constructive, en leur montrant à distinguer les problèmes qu’ils peuvent régler des autres, à se désengager des conflits de leurs parents, à reconnaître et à renforcer leurs aptitudes de base et à comprendre quel rôle ils ont réellement joué dans le divorce de leurs parents (Pedro-Carroll et al., 1986). Le fait d’être en groupe atténue leurs sentiments de culpabilité et d’isolement. En outre, le programme offre des séances d’information aux parents et aux enseignants des participants. Pour sa part, le programme des groupes de facilitation du développement, destiné par l’Université de Rochester aux enfants de parents divorcés, a été conçu
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pour intervenir dès les premières étapes d’une séparation pour réduire l’incidence et la gravité des symptômes d’agression et de dépression. Il comporte trois modules, pour les enfants de la 1re à la 3e année, de la 4e à la 6e année et de la 7e à la 9e année. On présente aux participants les facteurs de stress généralement présents dans le contexte d’un divorce, en faisant appel à une technique de transfert dans laquelle on raconte au groupe des histoires sur des enfants imaginaires et en ayant recours aussi aux jeux de rôle, dans les situations de conflits et de tension typiques d’un divorce. On utilise un manuel pour former les animateurs afin qu’ils puissent donner des réponses universelles aux questions des participants et concernant leurs inquiétudes, de façon qu’aucun des enfants ne soit mis dans une situation trop difficile. Les deux programmes que nous venons de décrire ont fait l’objet d’évaluations rigoureuses fondées sur l’utilisation de groupes témoins à traitement différé. Ils ont eu des résultats significatifs à de nombreux égards. Les groupes de facilitation du développement ont atténué les symptômes de dépression et les comportements agressifs, ainsi que l’angoisse et les problèmes de socialisation, et ont, de plus, aidé les participants à parler plus ouvertement de leurs problèmes par rapport au divorce et amélioré leur état d’esprit. Le suivi à long terme – jusqu’à quatre ans après la fin du programme – a révélé que les participants avaient une plus grande estime d’euxmêmes et de meilleures notes, qu’ils avaient moins de problèmes de comportement et aussi qu’ils avaient été moins souvent invités à se prévaloir de services psychologiques que ceux du groupe témoin (Kalter et al., 1988). L’approche de l’Université de Rochester a révélé que, comparativement aux jeunes qui n’avaient pas participé aux programmes, ceux qui en avaient bénéficié étaient considérés par leurs enseignants comme mieux adaptés au milieu scolaire, avec une plus grande tolérance de la frustration, une concentration plus intense sur la tâche et de meilleures relations avec leurs pairs. Les enseignants ont aussi constaté que les participants étaient moins angoissés, secrets ou risquaient moins de perturber la classe que les autres. Les parents, pour leur part, avaient fait état d’une meilleure communication avec leurs enfants, qui avaient un comportement plus typique de leur âge et une capacité accrue de composer avec leurs problèmes. Enfin, et c’est le plus important, les participants se disaient moins angoissés et plus à même d’accepter et de comprendre les changements dans leur famille (Pedro-Carroll et al., 1986). Mobilisation du soutien par des modifications des politiques et du milieu
Il ne suffit pas d’offrir des programmes de soutien individuel et de créer des groupes de soutien, car il est important aussi de modifier les politiques, le procédés et les facteurs du milieu qui font obstacle au soutien social. Par exemple, les hôpitaux favorisent désormais les contacts familiaux, en prolongeant les heures de visite, en autorisant les accouchées à garder leur bébé dans leur chambre (et les parents à dormir dans celle de leur enfant hospitalisé), ainsi qu’en permettant aux membres de la famille immédiate d’assister à l’accouchement et d’y participer.
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L’équipe de Felner (1982) a donné l’exemple d’une intervention de soutien axée sur les systèmes à l’intention des élèves du premier cycle du secondaire qui a été couronnée de succès (Gottlieb, 1988). Pour faciliter la transition de ces jeunes aux premières années du secondaire, les animateurs du programme ont donné aux enseignants des classes d’accueil des responsabilités d’orientation et d’administration, en les chargeant, par exemple, de maintenir le contact avec les familles des élèves. Pour stabiliser les relations entre les enseignants et les élèves, on a autorisé les groupes de participants à suivre ensemble tous les cours des quatre matières de base. (Les élèves qui n’avaient pas été choisis pour participer à la démonstration ont continué, comme d’habitude, à aller séparément d’une classe à l’autre.) Les données empiriques sur la capacité du programme de favoriser le soutien par les pairs et par des adultes ont révélé que, comparativement à un groupe témoin d’élèves d’une autre école du secteur urbain, ceux du groupe de démonstration avaient eu de meilleures notes et une meilleure fiche de présence, et avaient acquis une perception plus favorable d’eux-mêmes. Ils avaient une meilleure opinion du climat social de l’école, percevaient plus clairement ses attentes et sa structure et jugeaient plus favorablement le niveau de soutien que les enseignants leur donnaient (Felner et al., 1982). Mesures préconisées
Les leçons tirées de la mise en œuvre des trois types de programmes de promotion de la santé mentale et de la compétence sociale des jeunes nous permettent de dégager des principes pouvant guider les initiatives de prévention primaire et la politique gouvernementale. Réalisations dans la communauté
• Élaborer un modèle de services clair fondé sur des principes de développement valides. • Faire participer les jeunes à la conception et à la mise en œuvre des programmes en leur proposant un modèle général qui peut être adapté à leurs intérêts, à leur culture et à leurs besoins. • Former le personnel à l’avance, puis enrichir sa formation en lui donnant constamment du soutien et en tenant des consultations durant la mise en œuvre des programmes. • Effectuer des évaluations périodiques (formatives) pour faire en sorte que les programmes ne dévient pas de leur orientation de départ. Même si les pratiques peuvent varier d’une communauté ou d’une population à une autre, les principes de l’intervention ne devraient pas changer. Pour assurer l’uniformité, il faut faire régulièrement des évaluations dans le cadre desquelles le personnel peut parler de ses inquiétudes quant aux aspects des programmes qu’il ne comprend pas ou pour lesquels ils n’a pas reçu une formation suffisante.
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• Pour éviter d’accabler les participants, concevoir les programmes dans une optique d’universalité plutôt qu’avec une approche sélective (en privilégiant un groupe en difficulté) ou indicative (avec une présélection des participants éventuels). De cette façon, on maximise les chances d’arriver à des programmes aussi capables de prévenir les comportements à risque que de les réduire. • Pour présenter les programmes aux organisations et aux institutions communautaires, s’assurer l’appui des administrateurs les plus importants. Dans le système scolaire, il est crucial de pouvoir compter sur les directeurs d’école et sur les responsables de l’éducation spéciale pour qu’ils appuient les programmes et communiquent leur enthousiasme aux enseignants. Ces dirigeants devraient proposer des modifications aux programmes (en autant que leurs principes soient respectés). • Avoir recours à un personnel enthousiaste, motivé et déterminé pour lancer un programme ; leur dynamisme se reflète sur son fonctionnement et sur ses résultats. • Pour les programmes fondés sur l’école, concilier le principe de la planification et de la souplesse des calendriers et des horaires avec celui de la formation optimale des enseignants, qui doivent pouvoir mettre leur créativité à profit afin d’optimiser la matière qu’ils enseignent. • Faire en sorte que la relation entre les programmes et l’école soit explicite. • Veiller à ce que tous les parents de groupes organisés comprennent et approuvent les programmes scolaires, en leur donnant l’occasion d’en observer le fonctionnement et en leur offrant la possibilité de recevoir une formation pour y participer s’ils le désirent. • Veiller à ce que les coûts des programmes (matériel, personnel et administration) soient raisonnables, afin qu’on puisse les institutionnaliser et qu’ils soient, à la longue, adoptés par le secteur privé. • Décrire les buts et les objectifs des programmes de façon positive, pour minimiser la controverse et les craintes. Les concepteurs des programmes devraient aussi : – recruter un groupe d’intervenants aussi différents que déterminés ; – faire participer activement les dirigeants à leur démarche ; – assurer le financement de la formation et du perfectionnement du personnel ; – bâtir un système de soutien capable d’assurer la persistance, la souplesse et le moral du personnel ; – combiner les programmes avec les aspirations des institutions communautaires, et notamment du système scolaire ; – considérer les connaissances, les aptitudes et les attitudes comme un tout ; – appliquer les programmes assez longtemps pour amorcer des changements durables.
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Promotion des programmes auprès des jeunes
Pour que les programmes intéressent les jeunes, il faut respecter les principes suivants : – traiter les participants comme des partenaires et les faire participer aux décisions importantes ; – insister sur les aptitudes de base et sur les autres éléments positifs plutôt que sur la déviance et la maladie ; – répondre aux besoins et aux préoccupations des jeunes ; – s’adapter aux besoins changeants des participants, particulièrement aux styles et aux normes ethniques, culturelles et raciales ; – dans toute la mesure du possible, employer des jeunes comme animateurs et évaluateurs des programmes ; – adapter le matériel utilisé dans les programmes à l’âge des participants et veiller à ce qu’il tienne compte des périodes de transition ; – assurer la continuité et la prédictibilité des programmes et faire en sorte que la composition des groupes de participants reste stable ; – instituer les programmes dans des contextes à la fois familiers et neutres ; – donner aux jeunes l’occasion de démontrer leurs aptitudes et de faire reconnaître leurs réalisations.
Mesures à prendre par le gouvernement et les organismes au service des jeunes
Les décideurs des écoles, des organismes au service des jeunes et des pouvoirs publics devraient s’inspirer des principes et des recommandations que voici. • Réduire le nombre des programmes scolaires conçus expressément dans une optique de santé et de développement social. L’existence d’un trop grand nombre de programmes ayant des objectifs distincts peut avoir des conséquences néfastes. Les écoles n’ont pas la structure organisationnelle ni les ressources nécessaires pour mettre en œuvre, superviser, évaluer et réviser une pléthore de programmes indépendants. Elles obtiennent de meilleurs résultats avec un seul programme pluriannuel coordonné et global d’information sur les questions de santé et de développement de la compétence sociale axé sur la santé physique, mentale, sociale et émotive (Weissberg et Elias, 1993). Évaluer le fonctionnement et les résultats de ce genre d’initiative, en adaptant leur libellé et leur contenu à la communauté. • Collaborer avec les dirigeants du système d’éducation à l’examen et à l’approbation de tous les programmes de cours sur la santé mentale et le développement social mis en œuvre dans les écoles. Établir des normes scientifiques pour faire en sorte que les programmes soient acceptables, efficaces et adaptés à la clientèle visée, sous le double aspect de la culture et du développement. (L’application de normes valides empêche les écoles de perdre du temps et de l’argent avec du matériel vendu à grand renfort de publicité, de présentations accrocheuses et de jargon psychologique, mais incapable de remplir ses promesses.)
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• Offrir des incitatifs aux communautés pour qu’elles créent des organismes de développement pour les jeunes après l’école qui répondent à une demande précise des intéressés et dont les structures de régie mobilisent les parents, les enseignants et les organismes au service des jeunes. Trouver des entreprises soucieuses de la qualité de vie de la communauté et aider leurs employés à faire du bénévolat dans les organismes communautaires, en leur faisant obtenir des congés ou des horaires variables. Établir des principes favorables à la création de coalitions réunissant les organismes au service des jeunes, les parents et les jeunes eux-mêmes qui puissent partager des ressources, avoir leurs propres programmes et en faire la promotion (Children and their Prospects, 1995). • Annoncer un programme de financement par concours d’une durée d’au moins cinq ans en vue de la création de réseaux d’excellence pour créer et mettre à l’essai des programmes de prévention primaire pour les adolescents. Ces réseaux de promotion de la compétence sociale et du bien-être des adolescents réuni raient des jeunes, des parents, des enseignants, des chercheurs et des praticiens du secteur de la santé et des services communautaires qui élaboreraient des modèles de programmes et évalueraient leurs effets dans divers contextes communautaires. Pour annoncer le programme de financement, concevoir un modèle générique pouvant être adapté aux contextes locaux plutôt qu’un ensemble rigide d’exigences. • Demander aux dirigeants du système d’éducation et aux organismes nationaux de service communautaire et du secteur de la santé d’offrir des possibilités de stages de service de ce genre grâce auxquels les participants pourraient no tamment accumuler des unités de crédit scolaires. Offrir diverses possibilités de prestation de services, du tutorat à l’école aux activités pratiques à l’intention des personnes âgées, en passant par des activités de protection de la faune et de conservation de la nature, des activités récréatives et des services de garderie. Créer un répertoire des possibilités de bénévolat communautaire pour les jeunes et permettre à des groupes de jeunes bénévoles de réfléchir sur leurs expériences avec des pairs et avec un facilitateur adulte, d’obtenir une rétroaction à ce sujet et de les partager. Pour les aspects pratiques et le contrôle de la qualité de stages de ce genre, s’inspirer des programmes de baccalauréat en sciences sociales. Faire en sorte que les élèves du premier et du deuxième cycle du secondaire aient accès à des placements de travail coopératifs dans un contexte de service. Initiatives stratégiques gouvernementales
• Demander des subventions au cabinet du Secrétaire d’État (Formation et Jeunesse) et à Développement des ressources humaines Canada pour créer des programmes de mentorat, particulièrement à l’intention des jeunes en difficulté. Ces programmes pourraient être parrainés par des organismes ethniques et culturels tels que la Black Business Professionals Association ou les clubs Kiwanis ou Rotary, toujours dans le cadre d’un partenariat avec les organismes au service des jeunes (p. ex. le YM/YWCA) ou les maisons d’enseignement. Le
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mentorat pourrait se situer dans un contexte d’acquisition de connaissances professionnelles (p. ex. dans le secteur des banques) ou scolaires (p. ex. lecture ou mathématiques), ou encore d’aptitudes récréatives (p. ex. sportives), afin que les adultes et les jeunes aient toutes sortes de possibilités d’interaction. Les mentors s’engageraient à s’occuper de leurs protégés pour une période prédéterminée, en échange de quoi ils obtiendraient un dédommagement, des certificats de reconnaissance et le remboursement de leurs frais. Les principes applicables à la planification et à la mise en œuvre des programmes (p. ex. la présélection et l’appariement des mentors et de leurs protégés) relèveraient d’un comité composé de personnes ayant l’expérience des initiatives de mentorat, de fonctionnaires (p. ex. des administrateurs des subventions pour les stages de jeunes de Développement des ressources humaines Canada), ainsi que de représentants des autorités du système d’éducation, des organismes nationaux au service des jeunes, des parents et des jeunes eux-mêmes. • Le Conference Board du Canada, peut-être par l’intermédiaire de son Conseil du travail et de la famille, et les secteurs intéressés de l’administration fédérale comme Développement des ressources humaines Canada, Santé Canada et le Secrétaire d’État (Formation et Jeunesse) devraient rencontrer des représentants du monde des affaires, des syndicats, du système d’éducation et des organismes au service des jeunes pour discuter avec eux de l’instauration de programmes de mentorat fondés sur l’employeur. Il s’agirait dans ce contexte soit d’enrichir les programmes existants d’enseignement coopératif des écoles secondaires en y faisant participer des mentors, soit d’envoyer des mentors du lieu de travail rencontrer des protégés dans la communauté. La rencontre préliminaire devrait être présidée par un dirigeant d’entreprise influent qui a déjà encouragé ses employés à participer à des activités au service des jeunes. Par exemple, Courtney Pratt, le chef de la direction de Noranda, a fait du service communautaire une partie intégrante du perfectionnement professionnel de tous ses employés et un élément fondamental de leurs évaluations de rendement. Il préside actuellement un programme de mentorat lancé à Toronto par The Learning Partnership. • Les programmes d’éducation coopérative du secondaire sont un endroit rêvé où recruter et déployer des mentors adultes, puisque les élèves qui y participent sont souvent placés dans des entreprises où l’on trouve de nombreux mentors potentiels. L’expérience a révélé qu’il est préférable que les mentors ne soient pas des superviseurs, parce que l’évaluation et le soutien sont souvent incompatibles. Toutefois, les protégés ont besoin à la fois d’un superviseur et d’un mentor. Les enseignants dans le secteur de l’éducation coopérative devraient offrir des séances d’orientation au lieu de travail même à l’intention des travailleurs qui songeraient à devenir des mentors, en négociant des ententes avec leur employeur pour qu’ils puissent rencontrer leurs protégés pendant leurs heures de travail. C’est ainsi que des mentors bénévoles du programme ontarien Reading Partners ont pu passer quatre heures par semaine à lire à leurs protégés, en étant payés par leur employeur pour deux de ces heures.
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• Les employeurs du secteur public et du secteur privé ainsi que les syndicats devraient encourager les retraités à devenir des mentors pour les jeunes. Les mouvements de retraités peuvent cibler des écoles, des groupes de jeunes ou des jeunes en difficulté, puis fournir aux retraités mentors le matériel, les locaux, le soutien constant et la reconnaissance nécessaires. Dans un contexte comme celui-là, les mentors devraient pouvoir choisir le genre de participation qui leur convient et s’engager pour une période assez longue afin que leurs protégés puissent établir des relations de confiance stables et satisfaisantes avec eux. Les initiatives de mentorat intergénérationnel peuvent être importantes pour les retraités âgés, puisqu’elles leur offrent un rôle social utile à jouer, en mettant à profit leurs atouts personnels et leurs aptitudes professionnelles. Pour les protégés, les liens établis dans ces conditions peuvent favoriser la communication et la compréhension intergénérationnelles. • Les chambres de commerce locales et les conseils scolaires devraient être incités à créer des programmes d’adoption ou de commandite par des entreprises dans lesquels les écoles du premier et du deuxième cycle du secondaire seraient le contexte d’un mentorat et d’une expérience professionnelle focalisés. Le cycle de la formation professionnelle, de l’obtention de conseils et de l’acquisition d’expérience pratique, de l’apprentissage, de l’obtention d’un emploi permanent et de l’adaptation au travail pourrait se dérouler de façon plus harmonieuse grâce à de solides partenariats entre les écoles secondaires et les employeurs. • Il faudrait établir par l’intermédiaire des conseils scolaires des répertoires de mentors pour les jeunes, en offrant diverses possibilités de mentorat aux adultes admissibles. Cela suppose qu’on prévoie le recrutement et la présélection des mentors ainsi que le jumelage, qu’on organise des groupes de soutien permanents pour les mentors et qu’on rembourse leurs frais (jusqu’à concurrence d’un maximum préétabli). Par l’intermédiaire des organismes municipaux, des employeurs et des conseils des écoles locales, un dirigeant scolaire se chargerait de promouvoir ce genre de programmes, en vantant leurs avantages et en expliquant les risques et les difficultés à considérer. • Comme tous les programmes de mentorat doivent minimiser les risques pour leurs protégés, leur budget devrait prévoir le coût des vérifications, par la police et d’autres instances, de la fiabilité de tous les participants adultes. Les corps policiers pourraient confier cette tâche indispensable à leur service de relations avec la communauté ou avec la jeunesse. S’il fallait que même un seul protégé soit victime d’un mentor ou que le public craigne une telle éventualité, la démarche tout entière serait compromise.
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Benjamin H. Gottlieb, Ph. D., est professeur au Département de psychologie de l’Université de Guelph. Il a obtenu un double doctorat en psychologie et en assistance sociale à l’Université du Michigan, et il est membre des Sociétés canadienne et américaine de psychologie. Le professeur Gottlieb a écrit et publié plusieurs ouvrages sur la capacité de faire face à des situations stressantes et sur le soutien social, dont son tout récent Coping with Chronic Stress, paru en 1997 chez Plenum.
Remerciements L’auteur remercie les personnes suivantes de la générosité avec laquelle elles lui ont rapidement fourni des renseignements sur les questions et les programmes étudiés dans le présent document : Robert Brown, du Conseil scolaire de Toronto ; Gordon Cressy, de The Learning Partnership, de Toronto ; Steven Danish, de la Virginia Commonwealth University ; Bob Gifford, de l’Institut Vanier de la famille ; Kathleen Guy, de The Healthy Child Development Project ; Colin Maloney, de la Société catholique d’aide à l’enfance de Toronto ; Sandra J. McElhaney, de la National Mental Health Association ; Dan Offord, du Centre for Studies of Children at Risk de l’Université McMaster ; Ruby Takanishi, du Carnegie Council on Adolescent Development ; Jen Tipper, de l’Institut canadien de la santé infantile ; Roger Weissberg, de l’Université de l’Illinois (Chicago Circle) ; et Betty Yung, de la Wright State University.
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Transition entre l’école et le travail Paul Anisef, Ph. D. Professeur de sociologie Université York
Résumé La recherche empirique a produit les données nécessaires à l’identification des prédicteurs du décrochage scolaire, mais ses modèles ne rendent pas compte de toute la complexité du problème. En fait, les modèles actuels, comme celui de la frustration et de la piètre estime de soi, aboutissent fréquemment à dénoncer les responsables et à blâmer les victimes, de sorte qu’ils ne contribuent guère à notre compréhension de la situation de la jeunesse d’aujourd’hui. De toute évidence, le chômage chez les jeunes est élevé et va s’aggravant, mais les écoles ne les préparent pas au marché du travail d’aujourd’hui. La recherche actuelle montre clairement que les jeunes risquant de décrocher comprennent et acceptent l’importance des études ; les taux de décrochage réels sont inférieurs à ce que la recherche antérieure a laissé entendre, et ils continuent à baisser. En outre, bien des décrocheurs se rendent compte que les diplômes qu’ils n’ont pas les pénalisent énormément sur le marché de l’emploi, alors ils retournent aux études. Néanmoins, il est clair que les jeunes autochtones et ceux qui sont issus d’un milieu socioéconomique défavorisé, d’une minorité visible ou d’une région rurale isolée sont particulièrement susceptibles d’être marginalisés durant leur transition à l’âge adulte. Bien que les études sur le terrain n’aient révélé aucun écart sensible des taux de décrochage scolaire selon le sexe, il reste que certains écarts attribuables à ce facteur ne sont pas révélés par les statistiques sur le décrochage. Par exemple, les filles risquent plus que les garçons de quitter l’école parce qu’elles vont avoir un enfant, alors que les garçons tendent plus qu’elles à décrocher parce qu’ils n’aiment pas l’école ou qu’ils ont des problèmes de comportement. En outre, les filles sont moins enclines que les garçons à s’inscrire à des cours généraux ou de base, ceux pour lesquels les taux de décrochage sont les plus élevés. Le facteur sous-jacent qui entraîne le départ prématuré de l’école est souvent la situation socioéconomique de l’élève. Par exemple, un mauvais rendement scolaire, le fait d’habiter une région rurale isolée et le statut d’autochtone – des prédicteurs du décrochage
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déjà lourds individuellement et plus puissants encore lorsqu’ils sont combi-nés – sont très vraisemblablement des indicateurs d’une situation socioéconomique défavorable. Il s’ensuit qu’on peut considérer le « problème du décrochage » comme celui de la perpétuation des inégalités sociales et culturelles du Canada. Les décideurs ont besoin d’un cadre d’analyse exhaustif tenant compte des facteurs interreliés relatifs à l’individu, à la famille, à l’école, à la collectivité et à la politique gouvernementale, facteurs qui influent tous sur la transition de l’école au travail pour ceux qui quittent l’école très jeune et pour les décrocheurs qui y retournent. Les programmes de transition fructueux qui sont disponibles au Canada ne répondent pas à ce besoin. L’examen de la documentation sur la transition de l’école au travail pour la jeunesse canadienne contemporaine révèle des changements d’importance. Les modèles de transition sont plus complexes et moins linéaires aujourd’hui qu’ils ne l’ont jamais été. En dépit de l’incertitude de leur avenir, la plupart des jeunes ont de l’espoir ; une très grande proportion des jeunes Canadiens, et de leurs parents, aspirent aux études postsecondaires et particu lièrement universitaires durant leurs années au secondaire. Malheureusement, la proportion de ces jeunes qui peuvent réaliser leurs aspirations à cet égard va nettement baisser. Il y a eu très peu d’évaluations en bonne et due forme des programmes de transition de l’école au travail, de sorte que nous manquons d’indications pour évaluer l’efficacité des solutions envisagées. Si nous nous fondons sur les évaluations disponibles, nous devons tenir compte des différences entre les types de programmes et les méthodes d’évaluation. Par exemple, à qui a-t-on demandé de juger de l’efficacité d’un programme ? Au personnel ou à la clientèle ? En outre, lorsqu’on compare les résultats, les périodes s’équivalent-elles toutes plus ou moins ? Les jeunes qui vantent les avantages à court terme d’un programme de transition peuvent avoir de grandes difficultés à trouver ou à conserver un emploi, mais ce résultat négatif ne serait révélé que par une évaluation à long terme. Pour mener cette étude, nous avons consulté les spécialistes des programmes actuels de transition de l’école au travail conçus pour favoriser la rétention des élèves, et nous avons décidé de décrire deux programmes ontariens en raison de leur efficacité et de la variété des stratégies qu’ils utilisent : Pour un meilleur avenir et le Programme d’apprentissage pour les jeunes de l’Ontario. En outre, nous avons analysé un programme récent d’une durée de deux ans du ministère de l’Éducation et de la Formation de l’Ontario, connu sous le nom de Lien études-travail. La démarche axée sur la poursuite des études de la fin des années 1980 et du début des années 1990 cède le pas à une nouvelle approche axée sur la transition de l’école au travail qui a d’importantes implications stratégiques, tant pour les éducateurs que pour les employeurs. Cela dit, lorsqu’ils sont mis en œuvre avec le leadership, la collaboration et la détermination de tenir compte des coûts réels, les programmes de transition de l’école au travail pourraient répondre aussi bien aux besoins d’emplois des jeunes qu’aux besoins de travailleurs qualifiés des employeurs.
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Table des matières
Partie 1 – Définition du problème ..............................................297 Énoncé de principe .........................................................................................297 Introduction ...................................................................................................298 Définition du problème ..................................................................................299 Facteurs clés de l’examen de la transition de l’école au travail et de la rétention des élèves ............................................................................301 Sexe.............................................................................................................301 Situation socioéconomique..........................................................................302 Race et origine ethnique..............................................................................303 Principales conclusions de la documentation sur le décrochage quant à la transition de l’école au travail ........................................................304 Questions méthodologiques ...........................................................................305 Principales conclusions . .................................................................................306 Taux de décrochage.....................................................................................306 Importance des facteurs démographiques, familiaux et socioculturels..........306 Incidence des facteurs et des motifs de décrochage liés à l’école....................307 Le décrochage, un processus........................................................................308 Situation des décrocheurs sur le marché du travail.......................................308 Techniques de survie des décrocheurs..........................................................309 Les décrocheurs et le système de valeurs dominant.......................................309 Les décrocheurs en tant que problème social................................................310 Partie 2 – Réalisations . ......................................................................310 Mentorat et aide..........................................................................................311 Programmes de transition de l’école au travail..............................................311 Programmes avec modification des cours.....................................................312 Organisation de l’école................................................................................312
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Critères de succès ............................................................................................313 Pour un meilleur avenir ..................................................................................313 Programme d’apprentissage pour les jeunes de l’Ontario (PAJO) ..................316 Lien études-travail ..........................................................................................321 Partie 3 – Conclusions et mesures préconisées ..................323 Bibliographie....................................................................................................330
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Partie 1 – Définition du problème Énoncé de principe
Pour bien des jeunes au Canada, le passage de l’adolescence à l’âge adulte est long et difficile, en raison d’importants changements économiques, sociaux et culturels. La restructuration de l’économie a durement touché le marché du travail des jeunes ; de plus, les taux de chômage ont nettement augmenté au cours des dernières décennies. Du point de vue des déterminants de la santé, faire fi des besoins de la jeunesse risque d’avoir de sérieuses conséquences, telles qu’une augmentation de la criminalité chez les jeunes, une perte de capital humain et une érosion du principe de la citoyenneté (Looker et Lowe, 1995, p. 3). Le traitement réel moyen des jeunes a chuté. Même si la plupart des gens sont convaincus qu’il faut avoir fait des études postsecondaires pour améliorer ses chances de trouver un emploi, une importante minorité des élèves canadiens du secondaire quittent l’école sans avoir obtenu leur diplôme. Ils le font soit parce qu’ils y sont « poussés » par des facteurs liés au milieu scolaire, à la structure sociale (p. ex. classe sociale, culture, racisme), soit parce qu’ils décident de quitter l’école pour des raisons personnelles. Décrocher n’est plus considéré comme un acte isolé, mais comme une étape d’un long processus graduel de retrait du contexte scolaire. Il est important de traiter le départ prématuré de l’école comme une transition ou un processus interactifs englobant les relations entre les élèves, les familles, les écoles et la collectivité. En définissant cet acte comme une transition ou un stade d’un processus de retrait, je laisse entendre qu’il est réversible, car bien des jeunes qui quittent l’école secondaire sans avoir obtenu leur diplôme y retournent plus tard afin de terminer leurs études. Quoi qu’il en soit, si nous voulons définir les interventions capables de prévenir ce départ prématuré, nous devons apprendre pourquoi les élèves se retirent du milieu scolaire. Ceux qui le font partagent une grande partie des valeurs des diplômés du secondaire, mais ils sont marginalisés dans la société canadienne en raison de leurs handicaps sur le marché du travail concurrentiel et polarisé d’aujourd’hui. En outre, je maintiens que ceux qui quittent l’école prématurément ne consti tuent pas un groupe homogène. Beaucoup d’entre eux pourraient bénéficier des stratégies d’intervention applicables à la transition de l’école au travail qui sont décrites dans ces pages. Il reste qu’une importante minorité des jeunes sont des analphabètes fonctionnels aliénés, à risque élevé de devenir des drogués et des criminels. Les groupes vulnérables sont ceux qui risquent le plus de souffrir des décisions gouvernementales de comprimer les dépenses afin d’équilibrer les budgets. Les besoins et les problèmes des jeunes autochtones, des jeunes défavorisés des minorités visibles, de ceux de la classe ouvrière et de ceux des régions rurales isolées sont particulièrement criants. Il n’y a pas de remède miracle ni de panacée pour les jeunes. Les interventions doivent être adaptées à des besoins et à des problèmes uniques et, de plus, être fon dées sur la bonne volonté et la motivation de la collectivité, des autorités scolaires
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et des autres partenaires. Les décideurs doivent en tenir compte pour élaborer des stratégies afin que les jeunes puissent s’accommoder d’un environnement social et économique incertain et pour réduire l’incidence des transitions fragmentées ou boiteuses. Introduction
Du 25 au 29 avril 1995, les participants au Symposium de recherche stratégique sur la jeunesse en transition vers l’âge adulte, tenu à Kananaskis, en Alberta, ont discuté de la préparation au monde du travail, particulièrement pour les jeunes. Ils ont convenu que les rapports stratégiques récents des organismes gouvernementaux et des organisations non gouvernementales laissaient entendre qu’on repense les moyens de développer le potentiel individuel à l’école et au travail. Cette réflexion est basée sur deux postulats, le premier, que de nombreux diplômés ne trouvent pas d’emplois convenables, et le second, que la recherche révèle un manque de compatibilité entre les produits du système scolaire et les besoins des employeurs (Looker et Lowe, 1995). Les questions de recherche fondamentales soulevées au Symposium portaient sur les facteurs expliquant l’échec du système d’éducation dans le cas des décrocheurs. En plus du fait qu’elle décrit des méthodes propres à faciliter la transition de l’école au travail, la présente étude est une analyse du changement social et culturel et de ses répercussions sur le développement de la jeunesse dans la société canadienne. Nous ne devons pas nous contenter d’insister sur des stratégies conçues pour maximiser la fréquentation de l’école, mais aussi chercher à trouver des moyens efficaces de faciliter la transition de l’école au travail pour la jeunesse canadienne, car cette transition est en effet devenue de plus en plus complexe, et elle comporte souvent des entrées et des retraits multiples. La société canadienne a changé ; de nouvelles stratégies s’imposent. Près de 20 % des jeunes Canadiens n’arrivent pas à trouver un emploi, et ceux qui en trouvent un sont fréquemment cantonnés dans des postes d’entrée, parce qu’ils doivent rivaliser intensément avec des travailleurs plus âgés pour en obtenir de meilleurs (Développement des ressources humaines Canada, 1995). Le taux de participation à la main-d’œuvre des jeunes de l’ensemble du Canada a baissé, passant de 70 % en 1990 à 62,6 % en avril 1995, essentiellement en raison des facteurs de découragement et de la « récupération des chômeurs ». En chiffres réels, il y a environ 400 000 jeunes sans emploi au Canada, et l’aide sociale qu’on leur verse coûte environ 4,5 milliards par année (Développement des ressources humaines Canada, 1995). En outre, les 15 à 24 ans constituent désormais une proportion moins importante de la population – et de la main-d’œuvre – que jamais auparavant. En 1980, ils représentaient 27 % de la population active, alors qu’ils n’en formaient plus que 19 % en 1990 (Kerr, 1992). Une étude récente menée par la Fondation canadienne de la jeunesse a eu recours à des entrevues de groupes témoins pour analyser les expériences d’emploi des jeunes de 15 à 29 ans. L’échantillon était représentatif, avec des répondants de
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la classe moyenne, des autochtones, des immigrants et des jeunes de la rue. Les thèmes communs exprimés par les répondants de tous ces groupes transcendent leurs différences. La plupart des répondants ont dit avoir des difficultés en matière d’emploi, malgré tous leurs efforts pour trouver un bon emploi permanent (Fondation canadienne de la jeunesse, 1995b, p. 1). Tous les participants s’accommodaient de leur mieux du chômage, mais en se disant frustrés, particulièrement parce qu’ils estimaient que certains établissements comme les écoles auraient dû faire davantage pour eux. Par exemple, à leur avis, les écoles n’offrent pas suffisamment de pro grammes d’apprentissage et d’enseignement pratique ; elles ne donnent pas non plus aux jeunes suffisamment d’information et d’assistance pédagogique lorsqu’ils sont assez jeunes pour être bien orientés vers le marché du travail. Cela dit, une réserve s’impose. Comme Levin le précise, un taux de chômage élevé chez les jeunes ne signifie pas nécessairement que le Canada souffre d’une grave pénurie d’emplois. Il semble au contraire que les exigences totales quant au niveau d’aptitudes requis se soient légèrement accrues (Levin, 1995, p. 10). En effet, les études menées au Canada démontrent qu’avoir un diplôme d’études secondaires ne garantit pas nécessairement à son titulaire un emploi à temps plein intéressant. Ceux qui ont récemment obtenu un diplôme du secondaire sans avoir fait d’études postsecondaires obtiennent à peu près les mêmes résultats sur le marché du travail (c.-à-d. le même traitement) que les décrocheurs du secondaire (Levin, 1995, p. 16). Néanmoins, comme il faut absolument avoir un diplôme du secondaire pour avoir accès aux études supérieures et à de meilleures possibilités de carrière, l’écart entre les diplômés du secondaire et les décrocheurs se creuse à long terme.
Définition du problème
L’universitaire australien Allyson Holbrook a fourni des indications utiles sur les transitions de l’école au travail dans une communication présentée en 1993 : Dans le discours contemporain, la « transition de l’adolescence à l’âge adulte » englobe toute une gamme de questions liées à l’expérience de chômage prolongé que vivent actuellement les jeunes. À un autre niveau, cette transition est conceptualisée comme une transformation ou une conversion enrichissante d’un état à un autre. La notion de progression et par conséquent de linéarité est donc implicite. La transition de l’école au travail suppose un changement d’institution, avec le changement correspondant du vécu et des attentes de l’intéressé. Compte tenu de la « désirabilité » d’une relation étroite entre les études et le travail, on a généralement postulé que la transition la meilleure et la plus efficace devait être « harmonieuse », autrement dit que le jeune devait trouver rapidement l’emploi qui lui convenait et le conserver assez longtemps pour satisfaire aux exigences de son employeur et pour assurer tant sa propre stabilité que celle de la société. [Holbrook, p. 3.]
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Même si les passages de la vie ne sont pas plus chaotiques et stressants pour les jeunes des années 1990 que pour ceux des décennies antérieures, on peut avancer sans risque de se tromper que la nature des passages de la vie – et particulièrement de la transition de l’école au travail – a énormément changé ces dernières années. Dans les années 1950, trouver un emploi à temps plein, quitter la résidence familiale, se marier et avoir des enfants étaient pour les jeunes des passages relativement bien reliés. De nos jours, la restructuration de l’économie, la mondialisation des marchés et les autres changements sociaux font que ces passages sont souvent plus longs et plus difficiles. Selon les données sur la population active de Statistique Canada, le nombre des jeunes qui ont des emplois à temps partiel a doublé au cours de la dernière décennie. À l’heure actuelle, 43 % de tous les 15 à 24 ans qui ont un emploi travaillent à temps partiel (Fondation canadienne de la jeunesse, 1995a, p. 15), et 55 % d’entre eux sont du sexe féminin. Cette prolifération des emplois à temps partiel révèle une pénurie d’emplois à temps plein plutôt qu’un changement de mode de vie. Les jeunes d’aujourd’hui font face à des modèles d’emploi plus éphémères et à une transition de l’école au travail plus difficile que leurs aînés. Il est important que la transition de l’école au travail soit considérée comme un processus de plus en plus complexe, non linéaire et incertain (Anisef et Axelrod, 1993). Les systèmes scolaires conçus pour socialiser les jeunes Canadiens afin qu’ils s’intègrent dans une société industrielle doivent désormais s’adapter à une ère de communications technologiques (Anisef, 1994a). Dans son étude de deux cohortes américaines – l’une des années 1960 et l’autre des années 1980 – Buchmann a démontré que la transition de l’école au travail de la seconde cohorte a été plus longue que celle de la première en raison de facteurs du marché du travail tels qu’une baisse des chances de trouver un emploi à temps plein. Buchmann a conclu que, pour la cohorte des années 1980, la transition avait été un processus d’une intégration graduelle plutôt que clairement limitée dans le temps (Buchmann, 1989). Les chercheurs ont constaté que les transitions s’allongeaient au Canada aussi. C’est notamment imputable au fait que, contrairement à la Grande-Bretagne et plus encore à l’Allemagne, le Canada autorise les élèves à quitter le système d’éducation puis à y revenir sans leur imposer de pénalités institutionnelles ni sociales (Krahn et Lowe, 1991). La recherche de Macmillan révèle le coût social d’un passage prolongé à l’âge adulte dont la durée est directement liée aux possibilités d’emploi pour les jeunes (Macmillan, 1995). En effet, ce passage est prolongé sous l’effet de divers changements sociaux, dont l’augmentation du taux de chômage chez les jeunes et le fait que la nouvelle génération contracte un premier mariage et a des enfants plus tard que celle de ses aînés. La combinaison de ces facteurs et de la baisse du traitement moyen réel des jeunes travailleurs tend aussi à empêcher la formation de liens sociaux tant individuellement, entre les citoyens, que collectivement, dans l’ensemble de la société. Or, la criminalité est une conséquence évidente de l’absence de tels liens. Les répercussions des changements de la composition et de la structure des familles, de la culture des jeunes et du marché du travail laissent entendre que le
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Canada a besoin d’une nouvelle politique d’éducation et d’apprentissage adaptée à un modèle dynamique de la santé. Bien que le Forum national sur la santé reconnaisse qu’une vaste gamme de facteurs transcendant les soins de santé influent sur la santé des Canadiens (p. ex. l’environnement physique, les caractéristiques génétiques et les conditions sociales et économiques), il est tout aussi important pour lui d’adopter un modèle de la santé dynamique reflétant les effets des grands changements sociaux, culturels et économiques que vit la société canadienne. En outre, le Forum doit comprendre la nécessité de stratégies capables d’aider les jeunes à passer à l’âge adulte dans un climat social et économique incertain. La ligne qui sépare l’école du travail est de moins en moins claire pour les élèves, et c’est une tendance qui va probablement s’accentuer. On le constate par exemple avec la tendance des élèves du secondaire à travailler à temps partiel (Anisef, 1994a, p. 131 à 154). Dans les sociétés postindustrielles avancées, la famille recule devant la grande entreprise et l’école bureaucratique. Souvent, les intérêts et les buts de l’école et de la famille sont contradictoires, de sorte que le vécu des jeunes tend à être segmenté par des influences qui s’opposent (Anisef, 1994, p. 13). Il s’ensuit que les jeunes sont particulièrement vulnérables aux changements sociaux et économiques rapides. On trouvera dans la conclusion des recommandations de mesures à prendre à l’égard des principes de la politique publique pour que les décideurs puissent fonder sur des bases solides leurs conseils pratiques au sujet de la transition de l’école au travail et de la rétention des élèves. Facteurs clés de l’examen de la transition de l’école au travail et de la rétention des élèves
Lorsqu’on examine la transition de l’école au travail et son incidence sur la rétention des élèves, il faut tenir compte de plusieurs facteurs clés, dont le sexe, la situation socioéconomique, la race, l’origine ethnique et la situation géographique des intéressés. Les jeunes sont issus de familles ayant des antécédents culturels et économiques extrêmement variés, et beaucoup d’entre eux sont allophones. La diversité régionale influe largement sur les expériences et les besoins d’apprentissage de nos jeunes, et les différences entre les sexes contribuent elles aussi à élargir la gamme de leurs besoins. Le système d’éducation n’a pas su évoluer assez rapidement pour s’adapter à la diversité croissante de sa clientèle1. Sexe
Globalement, le passage à l’âge adulte varie selon le sexe, bien que des études aussi récentes que celles du milieu des années 1980 aient porté exclusivement sur 1. La région de résidence (selon que le jeune vit dans un milieu urbain ou rural, ou encore dans une région rurale isolée) est un facteur important à cet égard ; il en sera question dans la section suivante.
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l’expérience vécue par les garçons (Hogan, 1981). Cela dit, les chercheurs ont constaté que les garçons tendent plus que les filles à décrocher (Tanner et al., 1995). En outre, pour les garçons, réussir ce passage semble ce qui est le important pour leur image d’adulte tandis que pour les filles, le mariage semble ce qui les préoccupe le plus quant à leur image de femme (Green et Wheatley, 1992). En théorie, le sexe est à la fois l’expression biologique de ce facteur et la représentation des modes socialisés et institutionnalisés de comportement caracté ristique des hommes et des femmes. Il s’ensuit que les réalisations scolaires des femmes, qui sont liées à leur parcours professionnel, sont fonction non seulement de leurs choix individuels, mais aussi de possibilités sanctionnées et déterminées sous l’influence de facteurs sociaux. Au Canada, les différences des résultats obtenus sur le marché du travail par les diplômés des deux sexes sont imputables à des structures de ce marché, à des modalités d’adhésion à des syndicats et à la participation à des professions ainsi qu’à des conditions d’emploi distinctes selon le sexe (Hughes et Lowe, 1993). D’après Mandell et Crysdale (1993), il existe dans les écoles des programmes d’enseignement implicites qui ont servi à exclure et à représenter de façon trompeuse les expériences vécues par les femmes, et ce, depuis des décennies. Les jeunes hommes partent du principe qu’avoir des enfants va les propulser sur le marché du travail, tandis que les jeunes femmes se disent au contraire que cela va les forcer à se retirer de la population active. L’image traditionnelle de l’homme gagne-pain et de la femme qui tient maison demeure intacte, en dépit des réussites scolaires indéniables des femmes au cours des dernières années (Looker, 1995). Dans l’étude qu’elle a menée en 1994 sur les idées que les jeunes se font des emplois qu’ils auront, Schneider a constaté que les écoles encourageaient la formation d’identités distinctes selon le sexe. Elle souligne que les filles sont dissuadées par leurs enseignants et par leurs amis des deux sexes de s’inscrire à des cours avancés. Malheureusement, les enseignants et les conseillers en orientation influent sur les décisions des jeunes adultes de façons différentes (et parfois néfastes) selon le sexe des intéressés. Les hommes tendent à tirer de plus grands avantages économiques de leurs études que les femmes, et l’écart tend à se creuser avec le niveau de scolarité (Willits, 1988). Des résultats parallèles ont été signalés dans une étude récente sur les jeunes Britanniques et Allemands, où l’on a vu que les hommes et les femmes qui poursuivent leurs études ne sont pas également récompensés (Evans et Heinz, 1994). Situation socioéconomique
La relation entre la situation socioéconomique de la personne et ses perspectives de carrière varie elle aussi selon le sexe. La recherche confirme l’existence d’une relation indirecte entre cette situation, d’une part, et la réussite professionnelle ainsi que les gains qui en découlent, d’autre part, mais cette relation est elle-même mitigée par une autre, étroite celle-là, entre la situation socioéconomique et le succès scolaire (Krahn et Lowe, 1991). En outre, le développement d’aspirations professionnelles est lié à la situation socioéconomique de la famille de la personne, et le rôle de ces
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aspirations est souvent fonction des conditions du marché du travail (EmpsonWarner et Krahn, 1992). Les chercheurs ont aussi constaté que l’influence de l’origine socioéconomique sur la réussite décroît avec l’âge. Néanmoins, ceux qui sont nés avec des avantages sociaux tendent à les conserver. Krahn et Lowe ont en effet découvert :
[…] une désintégration de la distinction traditionnelle entre le rôle de l’étudiant et celui du travailleur. Les changements de la transition de l’école au travail n’ont toutefois pas modifié la structure d’inégalité de la société canadienne […] Les jeunes issus d’un milieu socioéconomique favorisé ont toujours plus de chances que les autres de faire de longues études. L’influence des différences de classe sur la réussite dans les études postsecondaires persiste en dépit de l’augmentation des niveaux de scolarité. Pourtant, les jeunes continuent à accorder une grande valeur aux études supérieures. [Cité dans Levin, 1995, p. 15.]
Dans leur étude sur la jeunesse britannique et allemande, Evans et Heinz signalent que les jeunes de la classe moyenne vivent une période de transition familiale plus longue que celle des jeunes de la classe ouvrière, et que cette prolongation de la période de transition est accompagnée d’une dissociation de ses étapes. Par exemple, il n’est plus nécessaire que le jeune abandonne un statut pour en prendre un autre (p. ex. l’étudiant peut travailler). Evans et Heinz ont aussi constaté que les jeunes de la classe moyenne se tournent vers d’autres formes de stabilisation de leur identité que l’emploi, quand ils n’arrivent pas à trouver du travail (Evans et Heinz, 1994, p. 62).
Race et origine ethnique
Les recherches effectuées au Canada sur la transition de l’école au travail ne com prennent qu’un examen limité des effets de la race et de l’origine ethnique sur la réussite professionnelle ou sur les gains d’un emploi une fois les études terminées. On a toutefois fait des travaux sur les expériences vécues par les jeunes autochtones et les jeunes immigrants dans le système scolaire. Jones (1994) a constaté que les autochtones risquent plus de décrocher que les autres élèves. Cela s’explique notamment en raison des expériences qu’ils vivent dans un système scolaire conçu pour des Blancs de la classe moyenne, et de l’effet négatif qu’elles exercent sur l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. L’étude longitudinale de James (1994) est une analyse de la relation entre la situation sociale et le vécu des jeunes Noirs canadiens, qui se considèrent comme défavorisés et qui cherchent à améliorer leur situation sociale par des stratégies de confiance en soi, de détermination et de travail. Dans un rapport récemment rendu public, George S. Dei et ses collègues ont déclaré que les élèves et les parents afrocanadiens sont très mécontents des procédés structuraux du système scolaire qui tendent à aliéner les jeunes Noirs. L’étude laisse entendre que ce sont les structures
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d’apprentissage, d’enseignement et d’administration de nos écoles qu’il faut blâmer, et non les parents (Dei et al., 1995). Dans son étude sur les expériences vécues par les immigrants dans le système d’éducation canadien, Lam déclare que les jeunes Juifs et Chinois ont de deux à trois fois plus de chances que les autres Canadiens d’obtenir un diplôme universitaire. La plupart des Canadiens originaires d’Europe de l’Ouest et de l’Est se situent dans la moyenne à cet égard, tandis que ceux du sud de l’Europe sont les moins bien placés. L’auteur s’empresse toutefois de souligner que d’excellentes études ne sont pas synonymes de succès sur le marché du travail, car les données du recensement montrent que les Noirs, les Chinois et les Grecs sont les plus exposés à la discrimination dans le contexte du travail, en raison de leur origine ethnique (Lam, 1994, p. 123). Il fait aussi remarquer que, bien que les jeunes immigrants asiatiques soient habituellement très scolarisés, les jeunes d’origine indochinoise – ou si l’on préfère vietnamienne – quittent souvent l’école pour aller travailler afin de contribuer à subvenir aux besoins de leur famille. Hogan (1981) a constaté pour sa part diverses tendances parmi les groupes raciaux et ethniques. Par exemple, les jeunes Noirs hispaniques ayant terminé quatre années d’école secondaire ont un taux d’interruption de leurs études plus élevé que la moyenne, mais ce taux devient moins élevé que la moyenne lorsqu’ils poursuivent des études supérieures, et ils sont aussi plus susceptibles que les autres d’avoir besoin de plus de temps pour terminer leurs études. Par contre, les hommes originaires d’Europe de l’Est et de Russie ont un taux d’interruption de leurs études moins élevé que la moyenne quand ils n’ont pas terminé l’école secondaire, mais ce taux est plus élevé que la moyenne s’ils ont fait quatre années d’études collégiales ou plus. En outre, ils tendent eux aussi à prendre plus de temps que les autres pour terminer leurs études. Selon Hogan, dans le cas des jeunes du sexe masculin, même si les Noirs, les Hispaniques et ceux qui sont originaires d’Europe de l’Est et de Russie terminent leurs études à un âge relativement avancé, leur cheminement respecte la courbe normale lorsqu’on tient compte des ressources de leur famille. Principales conclusions de la documentation sur le décrochage quant à la transition de l’école au travail
L’abondante documentation sur le décrochage est plus une source de confusion que de compréhension. Les travaux récents dans le domaine laissent entendre que le décrochage résulte d’une combinaison complexe de facteurs qui le rendent très difficile à définir lorsqu’on les étudie tous ensemble (Développement des ressources humaines Canada, 1994). On l’exprime souvent en fonction de résultats défavorables sur le plan de l’éducation qui sont attribuables à un choix individuel et qui ont des conséquences néfastes pour le bien-être économique des individus, des collectivités et de la nation. Les décideurs adoptent souvent une approche déficitaire à cet égard, en considérant les écoles et les élèves comme « dysfonctionnels », et la recherche tente d’isoler les éléments défectueux. Cette approche traite le décrochage comme
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un acte isolé ou définitif, sans tenir compte des distinctions entre le décrochage luimême et la cessation subite ou graduelle des études, ce qui revient à définir le fait de quitter l’école comme une sortie plutôt que comme un stade d’un processus de transition (Bellamy et al., 1994). La relation entre les élèves, les familles, les écoles et les collectivités n’est pas bien comprise, et les théories qu’on a proposées (p. ex. frustration-estime de soi, participation-identification et déviance) ne fournissent pas de modèle suffisamment vaste pour qu’on puisse s’en servir afin d’examiner tous les résultats du système d’éducation, dont le fait de quitter l’école prématurément (Andres et Anisef, 1995). Une autre école de pensée, décrite par Kelly (1994, p. 1), définit ceux qui ne terminent pas leurs études comme des gens qui y sont contraints. Les chercheurs qui s’en inspirent considèrent les facteurs mis en évidence par le modèle du décrochage comme des symptômes plutôt que des causes. (Ce modèle est axé sur des structures économiques, politiques et sociales inégales ainsi que sur des pratiques scolaires telles que le dépistage et l’expulsion, qui se combinent pour décourager, stigmatiser et exclure des jeunes.) La notion de « décrocheur » consiste à blâmer la personne, tandis que celle de l’élève « poussé » à quitter l’école blâme les institutions qui éliminent des victimes contre leur gré. Il est de plus en plus évident que le décrochage – tout comme la transition de l’école au travail – est un processus graduel qui varie selon les intéressés. Les travaux récemment effectués sur ceux qui quittent l’école avant d’avoir obtenu leur diplôme insistent davantage sur l’analyse d’un processus mutuel de rejet ou de ce qu’on pourrait qualifier de retrait (Kelly, 1994, p. 2). Ce terme évoque un processus interactif à long terme qui peut être réversible, ce qui encourage les chercheurs à relier des éléments qui se sont succédés dans le vécu des élèves en cherchant à déterminer leurs effets cumulatifs (Kelly, 1994, p. 3). À cet égard, Renihan a souligné que, dans tous les cas, il est important de savoir pourquoi les élèves se retirent de l’école, afin de rendre possibles les interventions les plus susceptibles de substituer des solutions positives à cette démarche (Renihan & Associates, 1994, p. 11).
Questions méthodologiques
Avant de résumer les principales conclusions d’un examen de la documentation sur les décrocheurs, il convient de souligner les problèmes méthodologiques que nous avons constatés dans ce domaine. Premièrement, il semble n’exister aucune définition universelle de la notion de « décrocheur ». Dans certains districts scolaires canadiens, les élèves qui se marient, poursuivent leurs études dans une autre école, sont expulsés, doublent une année ou commencent à travailler sont considérés comme des décrocheurs, alors qu’aucun d’entre eux ne le serait dans d’autres districts (Renihan & Associates, 1994, p. 12). Cette absence d’uniformité est d’autant plus grave que les méthodes statistiques ne sont pas uniformes non plus. Par exemple, les périodes de calcul et de rapport des données diffèrent, les façons de calculer le nombre d’élèves qui décrochent au cours de l’été ne sont pas les mêmes, pas plus d’ailleurs que les populations de référence (p. ex. K-10 et K-12) et la façon de
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dénombrer les élèves aux cours d’éducation spéciale ; en outre, il existe différentes façons d’ajuster le calcul du nombre des élèves quand ils retournent à l’école, et l’on ne compte parfois que ceux qui fréquentent l’école à temps plein. Il va falloir surmonter ces problèmes méthodologiques.
Principales conclusions2
Les principales conclusions tirées de l’examen de la documentation considérable sur les décrocheurs en Amérique du Nord sont résumées sous les huit rubriques suivantes. Taux de décrochage
Contrairement à la croyance populaire, répétée par les journalistes, les politiciens et des éducateurs, que 33 % des jeunes Canadiens décrochent du secondaire avant d’avoir obtenu leur diplôme, des études récentes de Statistique Canada révèlent que le taux de décrochage serait plutôt de l’ordre de 18 %. L’analyse montre d’ailleurs qu’il a lentement baissé depuis plusieurs décennies, et que le marché du travail hostile d’aujourd’hui incite encore plus d’élèves que jamais à rester à l’école. Bien des jeunes qui quittent l’école tôt décident d’y retourner quelques mois, voire quelques années plus tard. L’étude menée en 1991 sur les jeunes qui terminaient l’école a conclu qu’environ 25 % d’entre eux décrochent du secondaire à un moment ou l’autre, mais qu’environ 50 % de ceux-là retournent à l’école – parfois dans un autre type d’établissement – et que beaucoup d’entre eux poursuivent alors leurs études jusqu’à ce qu’ils aient obtenu un diplôme.
Importance des facteurs démographiques, familiaux et socioculturels
En fait, toutes les études reconnaissent l’existence d’un lien étroit entre la situation familiale de l’élève (revenu, statut professionnel et niveau de scolarité des parents) et le départ prématuré du secondaire. Ce facteur a en effet une vaste gamme d’effets tant directs qu’indirects, notamment la stimulation intellectuelle de l’élève à l’âge préscolaire, la communication d’attentes élevées en matière d’éducation, l’intérêt pour les activités liées à l’école, le type de comportement parental et les niveaux d’aspirations des enfants. Comme il est très difficile de trouver un emploi sans avoir fait des études secondaires et postsecondaires, la tendance au décrochage scolaire des membres des groupes défavorisés contribue à perpétuer les facteurs d’inégalité sociale de leurs familles.
2. Ces conclusions sont essentiellement tirées de Tanner et al. (1995), Anisef (1994a), Anisef (1994b), Dei (1995a) et Développement des ressources humaines Canada (1994).
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La structure familiale et son soutien semblent influer nettement sur la réussite scolaire et sur la décision éventuelle de décrocher. Ceux qui sont issus d’une famille monoparentale ou d’une famille nombreuse risquent beaucoup plus que les autres de le faire. Qui plus est, les enseignants sont beaucoup plus enclins à imputer des problèmes de comportement, de personnalité ou d’immaturité aux élèves dont la famille est dirigée par la mère. Les taux de décrochage sont plus élevés dans les régions rurales et dans les petites localités – surtout autochtones – qu’ailleurs. La recherche révèle que les jeunes de la ville tendent plus que les autres à reconnaître l’importance d’un diplôme d’études secondaires. Aux États-Unis, les études ont révélé l’existence d’une relation étroite entre l’origine raciale et ethnique et le décrochage scolaire, mais il y a moins d’indices d’une telle relation au Canada. Plus de garçons (60 %) que de filles (40 %) tendent à décrocher, et la recherche laisse aussi entendre que les garçons sont plus susceptibles que les filles de se retirer de l’école à cause de problèmes de comportement (p. ex. suspension ou expulsion, faute de collaborer avec l’enseignant) ainsi que pour des raisons économiques (p. ex. se faire offrir un emploi ou devoir travailler pour aider la famille à subsister). D’autre part, les filles risquent plus que les garçons de décrocher lorsqu’elles sont enceintes. Des études ont d’ailleurs révélé que la grossesse est souvent un symptôme d’autres problèmes, tels qu’un manque d’estime de soi, de mauvaises notes et des choix très limités.
Incidence des facteurs et des motifs de décrochage liés à l’école
Les facteurs d’ordre scolaire influent nettement sur la décision des jeunes de décrocher. Il s’ensuit que la taille et l’organisation de l’école, ses ressources et son climat social et éducatif particulier contribuent à son taux de décrochage. Le retrait précoce de l’école est fréquemment attribuable non seulement aux élèves à problèmes, mais aussi aux écoles en difficulté. La classe sociale influe d’ailleurs sur certains facteurs structurels, puisque les enfants des familles aisées fréquentent habituellement des écoles bien nanties. De leur point de vue, les décrocheurs quittent l’école parce qu’ils y sont maltraités, ou parce que les programmes scolaires ne répondent pas à leurs besoins d’apprentissage. Ils se considèrent comme forcés, canalisés ou poussés vers la sortie. Les écoles contribuent nettement à leur décision de décrocher, en faisant comprendre aux élèves médiocres et à ceux qui ont des problèmes de discipline qu’ils peuvent partir s’ils le désirent. L’échec scolaire, l’ennui et le décrochage sont fréquemment liés au type de cours ou au manque de suivi des élèves. Les programmes d’ensei-gnement général et de base ne sont apparemment pas suffisamment difficiles ou enrichissants pour garder l’intérêt des élèves. La qualité de l’école est un facteur principal du taux de décrochage. Les attitudes et le comportement des enseignants en classe sont des facteurs déterminants de la perception de succès ou d’échec des élèves. Les enseignants peuvent « étiqueter » les
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jeunes sans y penser, en faisant des remarques sur leur tenue (notamment vestimen taire), et les attitudes que ces étiquettes suscitent peuvent influer sur les résultats scolaires des élèves. La plupart des recherches révèlent que les décrocheurs citent le plus souvent des raisons liées à l’école pour justifier leur décrochage. Ils font fréquemment état de difficultés à faire leurs travaux, de problèmes à s’entendre avec les enseignants, disent s’ennuyer et souffrir d’un sentiment général d’aliénation à l’égard de la culture scolaire et du système d’éducation. Les décrocheurs mentionnent moins souvent des raisons liées à l’emploi, et d’ailleurs, peu d’entre eux quittent l’école pour travailler à temps plein parce que c’est financièrement nécessaire. Ils semblent être attirés par l’emploi à temps plein en raison du statut d’adulte, de la liberté et de l’argent qu’il leur assure, parti-culièrement s’ils se sentent rejetés ou frustrés à l’école. Les raisons personnelles, telles que des difficultés à s’entendre avec sa famille, des difficultés d’ordre émotionnel, une mauvaise santé et la grossesse, sont moins fréquemment citées par les décrocheurs que les deux types de raisons qui précèdent. Celui du troisième type de raisons qui est le plus fréquemment cité – les problèmes familiaux – peut perturber les élèves ou leur faire perdre leur concentration, ce qui fait que leur travail scolaire en souffre, leur estime de soi se détériore et leur intérêt pour l’école diminue. Le décrochage, un processus
Le décrochage ne peut pas être considéré comme un acte isolé. C’est un des stades d’un long processus de retrait graduel du système d’éducation dans lequel inter viennent de nombreux facteurs interreliés concernant l’individu, la famille, l’école, la collectivité, le marché du travail et la politique gouvernementale. Quand on considère le retrait dans ce contexte, certains aspects de sa complexité sautent aux yeux (p. ex. le grand nombre de décrocheurs qui reviennent à l’école) et on peut imaginer des interventions qui pourraient contribuer à accroître les pourcentages de graduation. Situation des décrocheurs sur le marché du travail
Les études menées au cours de la dernière décennie révèlent que les décrocheurs du secondaire ont un revenu inférieur à ceux qui ont obtenu un diplôme et qu’ils sont aussi plus susceptibles que ces derniers d’être en chômage. Les conséquences négatives d’un départ prématuré de l’école sont plus criantes encore sur le marché de l’emploi en évolution rapide d’aujourd’hui qu’elles ne l’étaient il y a 10 ou 20 ans. Comme les taux de chômage demeurent élevés, surtout chez les jeunes, et que l’emploi à temps partiel se répand, le marché du travail se polarise. Les candidats instruits se disputent un nombre limité d’emplois bien payés exigeant une grande compétence, en délogeant leurs rivaux moins instruits d’un nombre décroissant d’emplois de niveau moyen. Les décrocheurs du secondaire, qui sont tout au bas de
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l’échelle des chercheurs d’emplois, doivent accepter du travail aux niveaux les plus bas du marché du travail secondaire. Techniques de survie des décrocheurs3
La plupart des décrocheurs doivent se contenter de mauvais emplois et être fréquemment en chômage. Ils préfèrent travailler, mais ils doivent parfois accepter l’aide de leur famille et de leurs amis pour survivre aux pires effets du chômage et du sous-emploi. Plus de 50 % d’entre eux vivent chez leurs parents ou chez d’autres membres de leur famille ; bien peu sont carrément isolés – ceux qui vivent dans la rue ou dans des refuges –, et ils ne souffrent pas plus que ceux qui sont dans la même situation qu’eux. Les décrocheurs ont plusieurs stratégies psychologiques de survie – par exemple en étant reconnaissants d’avoir même un mauvais emploi (« c’est mieux que pas d’emploi du tout ») ou des relations agréables avec leurs collègues, quand les autres facteurs gratifiants font manifestement défaut. Leur plus importante stratégie de survie est la conviction qu’ils retourneront un jour à l’école pour obtenir le diplôme dont ils ont besoin afin de trouver un meilleur emploi.
Les décrocheurs et le système de valeurs dominant
Lorsqu’on compare les décrocheurs avec les diplômés, la différence la plus marquée est le taux de criminalité et de consommation de drogues plus élevé constaté chez les premiers. Cela dit, bien des décrocheurs considèrent que leur décision de quitter l’école prématurément était mauvaise ; ils continuent à reconnaître la valeur de bonnes études et sont fermement convaincus qu’ils retourneront un jour à l’école. Ils survivent à des emplois marginaux, au chômage ou à ces deux éventualités en s’accrochant à la conviction que retourner à l’école va leur permettre d’échapper au marché du travail secondaire. La recherche révèle que près de 50 % de ceux qui quittent l’école sans diplôme tentent d’y retourner. Le mot « décrocheur » évoque une image de jeunes très aliénés, mécontents et rebelles, mais la recherche a démontré que la plupart sont bien intégrés dans les systèmes de valeurs dominants d’Amérique du Nord. Comme les diplômés du secondaire, ils reconnaissent la valeur des études, veulent des emplois intéressants et bien payés et aimeraient se marier et fonder une famille. Ils peuvent avoir décroché pour des raisons liées à l’école ou pour des raisons personnelles, mais ils ne sont aliénés ni en ce qui concerne l’école, ni par rapport à la société dans son ensemble.
3. Cette section sur la survie est tirée de l’étude sur les décrocheurs d’Edmonton menée en 1995 par Tanner, Krahn et Hartnagel.
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Les décrocheurs en tant que problème social
L’importance qu’on accorde depuis quelques années aux problèmes économiques des décrocheurs tend à faire oublier leurs problèmes sociaux et humains. Le décrochage est un grave problème social, non parce que les décrocheurs constituent un danger pour la société, mais en raison du tort qu’ils se font à eux-mêmes. La recherche a en effet montré qu’ils constituent une sous-classe défavorisée, mais il n’y a guère de preuves qu’ils soient sur le point d’exploser. La plupart des décrocheurs partagent les valeurs et les objectifs des diplômés du secondaire, et l’incidence accrue de comportements déviants chez eux (consommation de drogue, alcoolisme et petits délits) est simplement un reflet de leur marginalisation sociale, en dépit des problèmes qui en résultent pour la société dans son ensemble. Cette marginalisation, imputable au fait qu’ils sont relégués sur le marché du travail secondaire, est le véritable problème social et humain des décrocheurs de notre époque. Avec le marché du travail compétitif et polarisé d’aujourd’hui, les perspectives des jeunes sans diplôme sont très limitées, de sorte que les décrocheurs ont un gros handicap à surmonter. Puisque les enfants des familles défavorisées risquent plus que les autres de décrocher, un taux de décrochage élevé signifie qu’on perpétue une situation familiale d’inégalité sociale. Le problème du décrochage est donc un problème social d’individus défavorisés et d’inégalité de classes. Partie 2 – Réalisations Conformément au mandat du Groupe de travail sur les déterminants de la santé, nous nous sommes efforcés de trouver des méthodes propres à faciliter la transition de l’école au travail pour les jeunes Canadiens, surtout ceux qui risquent de décrocher, avec la documentation nécessaire. Après avoir consulté de nombreux spécialistes4, nous avons décidé de décrire deux programmes d’intervention, tous deux ontariens, le premier étant Pour un meilleur avenir (PMA), et le second, le Programme d’apprentissage pour les jeunes de l’Ontario (PAJO) qui s’inspire du programme coopératif de l’Ontario dans sa façon d’aborder la transition de l’école au travail. Nous avons aussi décidé de résumer dans ces pages un programme récent du ministère de l’Éducation et de la Formation de l’Ontario (MEF), le Lien études-travail (LET), que le MEF a conçu pour coordonner les programmes communautaires de 4. Nous avons communiqué avec des fonctionnaires du ministère de l’Éducation et de la Formation de l’Ontario, dont Aryeh Gitterman, Grant Clark et Margaret Murray. Robert S. Brown, des Services de recherche du Conseil scolaire de Toronto, nous a donné des indications fort utiles, tout comme Tom Tidy, évaluateur sur le terrain des programmes de l’initiative L’école avant tout. Nous avons obtenu d’autres indications ainsi que des renseignements sur les interventions en matière de transition de Lorie Cranson, de l’organisation du secteur des écoles commerciales Learning Partnerships, de Susan Wayne, directrice du Centre d’action professionnelle de Toronto du Conseil scolaire de Toronto, ainsi que de Caroline Aubichon et Joanne Lamothe des Services de la jeunesse de Développement des ressources humaines Canada.
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transition de l’école au travail de la province. Nous analysons aussi les résultats d’un programme d’intervention à cet égard. Un film réalisé par TVOntario sur LET donne des indications utiles sur les stratégies de facilitation de la transition de l’école au travail pour ceux qui quittent l’école prématurément. Nous avons décidé d’expliquer PMA et le PAJO parce que : – les spécialistes les recommandent ; – les deux représentent tout l’éventail des stratégies et des modèles utilisés dans les programmes fondés sur les « pratiques optimales » ; – nous voulions refléter la complexité des transitions que les jeunes Canadiens doivent vivre, surtout ceux qui risquent de décrocher5. Pour commencer, nous allons exposer les stratégies ou les modèles sur lesquels les interventions sont fréquemment basées.
Mentorat et aide
On a fréquemment recours au soutien par un mentor et à l’aide pour exposer les jeunes en difficulté à des modèles de rôle individuels sur des sujets tels que les aspects sociaux et émotifs de l’école, les exigences scolaires et l’orientation professionnelle. Les mentors peuvent être des bénévoles issus du milieu (particulièrement des aînés) qui donnent des conseils aux jeunes et assurent une approche non scolaire, d’autres élèves qui les aident à faire leurs travaux, à résister à la pression des pairs et à s’accommoder des difficultés du quotidien, et enfin des gens d’affaires travaillant dans le contexte de partenariats en bonne et due forme avec l’école pour offrir aux élèves à risque des modèles de rôle positifs, des possibilités d’essai de carrières ainsi que des occasions d’appliquer les connaissances et les aptitudes acquises en classe6. Programmes de transition de l’école au travail
Les programmes de transition de l’école au travail font généralement appel à des partenariats entre le milieu des affaires et celui de l’enseignement ; on peut distinguer ceux qui sont fondés exclusivement sur des activités à l’extérieur de l’école de ceux
5. Aryeh Gitterman m’a fourni une copie d’un rapport inédit d’une étude menée par The ARA Consulting Group, Inc., intitulé School-to-Work and School Retention : Best Practices Research Project, Final Report, préparé à l’intention du ministère de l’Éducation et de la Formation de l’Ontario (mars 1993). Ce rapport m’a aidé à choisir les programmes décrits dans ces pages ; il contient une bonne analyse des modèles ou des stratégies dont ils s’inspirent. 6. Robert S. Brown, des Services de recherche du Conseil scolaire de Toronto, a rédigé un projet de rapport intitulé « Mentoring At-Risk Students : Challenges and Potential », daté d’octobre 1995. C’est un excellent aperçu des programmes de mentorat ; l’auteur souligne que la simplicité apparente de la notion de mentorat des élèves en difficulté peut nous faire oublier l’énorme complexité de cette activité ; il reste encore beaucoup à faire avant que nous puissions savoir exactement de quoi il retourne.
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qui combinent ces activités avec les programmes scolaires. Les premiers comprennent habituellement un stage, l’élève travaillant alors sous la supervision d’un employeur ; les stages sont de longueur variable et l’élève peut être payé. Dans presque tous les programmes de transition de l’école au travail, ces stages permettent à l’élève participant d’accumuler des unités de crédit. Les programmes à l’école même com prennent habituellement un atelier préalable au stage sur l’évaluation des aptitudes, les attentes des employeurs, la gestion du temps et de l’argent, les techniques de recherche d’emploi et l’établissement d’objectifs, ainsi que des séminaires servant à renforcer les concepts applicables en les liant à des situations dans le contexte du travail. Un coordonnateur du programme de transition de l’école au travail appuie habituellement l’élève et s’assure que tout va bien à son travail. Normalement, plus le risque de décrochage est élevé, plus on accorde d’attention à l’élève.
Programmes avec modification des cours
Les programmes de ce genre sont fondés sur le postulat que l’enseignement doit tenir compte du style d’apprentissage individuel des étudiants. Dans la plupart des cas, ce sont des programmes non traditionnels, du genre de ceux qui ont été conçus pour les jeunes autochtones. Ils sont axés sur la sélection du contenu des cours, des méthodes d’enseignement, du matériel pédagogique et des méthodes d’évaluation du rendement les plus en mesure de répondre aux besoins particuliers des élèves. Organisation de l’école
Cette stratégie est essentiellement axée sur des programmes d’enseignement non traditionnels, et elle met l’accent sur les règles propres à améliorer le climat scolaire et à offrir de meilleurs services aux élèves (notamment des services d’assistance par les pairs) ainsi qu’à reconnaître la fréquentation et les réalisations scolaires. Dans ce contexte, on privilégie la facilitation de la communication entre les élèves, les parents, les enseignants et les écoles. Les élèves ayant des besoins spéciaux (p. ex. les surdoués qui ont de la difficulté dans les écoles ordinaires parce qu’ils n’apprennent pas de façon séquentielle) sont généralement confiés à des écoles non traditionnelles. Les programmes de cours hautement spécialisés, les soins particuliers, l’attention individuelle et une puissante dynamique de groupe sont des caractéristiques des programmes efficaces d’organisation de l’école7.
7. Cette liste de stratégies pour les jeunes qui risquent de décrocher n’est pas exhaustive. Les conférences sur les carrières, les programmes de formation des enseignants, le développement des aptitudes pratiques, les programmes de développement personnel ainsi que les mécanismes de soutien au foyer et dans la vie sont aussi très utiles. Il reste que celles que nous avons décrites sont des éléments fondamentaux des programmes de transition de l’école au travail et de rétention des élèves.
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Critères de succès
La recherche associe ces stratégies et d’autres stratégies de programmes au succès. Les constatations à cet égard ne sont pas fondées sur des évaluations structurées des programmes, puisque les évaluations sont rares8. • L’attention individuelle tend à motiver les élèves. Bien des jeunes qui quittent l’école prématurément le font parce qu’ils sont convaincus que personne ne s’intéresse à eux. La simple impression qu’on consacre une attention particulière à leurs besoins peut améliorer leur attitude et leur comportement. • Les élèves deviennent frustrés et découragés quand ils tirent de l’arrière ; les programmes de rattrapage sont souvent utiles. • Plus l’intervention est précoce, plus les chances de succès de l’élève sont grandes. • Les programmes efficaces sont fondés sur les aptitudes scolaires et pratiques des élèves. • Les programmes efficaces font participer l’élève à tous les aspects de la vie de l’école, en lui faisant contribuer utilement à sa société. • Les programmes efficaces comprennent des activités servant à montrer à l’élève ce qu’on attendra de lui dans le milieu de travail. • Les activités et les objectifs propres à accroître la confiance en soi et l’employa bilité de l’élève sont utiles. • La participation des parents et de la collectivité contribue nettement à l’efficacité des programmes. • Quels que soient ses objectifs, le programme donne de bons résultats si les élèves sont convaincus qu’il les appuie dans leurs efforts en vue d’atteindre des objectifs valables (p. ex. obtenir un diplôme et acquérir des aptitudes profes sionnelles).
Pour un meilleur avenir
Nous avons plusieurs raisons de nous intéresser au programme PMA. D’abord, les spécialistes en font souvent état comme d’un programme efficace. Ensuite, PMA fait appel à toute une gamme de stratégies d’intervention (p. ex. un programme à l’école même de transition au travail, un mentorat non structuré et un enseignement spécialisé). Il est mis en œuvre dans sept conseils scolaires ontariens, mais la plus grande partie de nos renseignements à son égard proviennent du Conseil scolaire de Toronto, dont les excellents Services de recherche ont produit des données détaillées à son sujet. Groupe cible – La population ciblée de PMA a toujours été les élèves des minorités visibles, bien qu’on ait utilisé une terminologie variable à cet égard depuis 1991. Le Conseil scolaire de Toronto a constaté que les élèves des minorités visibles 8. Ces constatations quant aux critères de succès des programmes figurent dans le rapport de The ARA Consulting Group, Inc. (1993, p. 18) et dans celui de Renihan & Associates (1994, p. 98).
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(surtout des Noirs) choisis pour le programme étaient manifestement en difficulté, d’après leurs notes et les unités de crédit qu’ils avaient accumulées. Compétence – Le programme PMA est subventionné par le Secrétariat antiracisme du ministère des Affaires civiques de l’Ontario et administré par le ministère de l’Éducation et de la Formation de l’Ontario (MEF). Historique – Le Conseil scolaire de Toronto a lancé sa version de PMA au printemps 1991. C’était un des sept programmes pilotes du genre. PMA est destiné aux élèves des minorités visibles considérés comme risquant de décrocher. L’idée dont il s’inspire vient du rapport Radwanski, dans lequel on avait postulé l’existence d’une relation entre des résultats scolaires médiocres et l’appartenance à une minorité visible. À l’époque, il n’y avait pas de données valides sur les taux de décrochage au Canada. Le projet PMA original comprenait un volet de stage de travail pour les élèves à risque des minorités visibles, ainsi que des séances d’aide sociopédagogique individuelle et en groupe pour aider les intéressés à terminer leurs études. Seuls des élèves capables de terminer leurs études secondaires avaient été choisis pour participer au programme. La durée du programme pilote était censée être d’une année scolaire, mais le financement a été prorogé pour une deuxième année. Presque toutes les écoles et tous les élèves avaient changé de la première année à la seconde, de sorte que les programmes d’intervention des deux années sont considérés comme distincts. Objet du programme – PMA est destiné à des élèves des minorités visibles qui risquent de décrocher, d’après leurs enseignants et leurs conseillers en orientation. On a recours à l’aide sociopédagogique individuelle et en groupe afin de les aider à améliorer leurs notes et d’accroître leur intérêt pour l’école, ainsi que de réduire les taux de décrochage et de transfert. Participants – Le rôle des conseillers est crucial. Chacun est chargé d’une école pour tout ou partie de chaque journée scolaire. La contribution des coordonnateurs – fournis par le MEF, pour les deux dernières années – a aussi une grande importance. En 1995, 12 conseils scolaires avaient adopté PMA, et chacun d’entre eux gère sa version de façon plus ou moins autonome. Caractéristiques du programme – Le mentorat et les cours spéciaux sont fonda mentaux. L’aide sociopédagogique individuelle et en groupe permet aux élèves de parler de leurs problèmes personnels concernant l’école et l’emploi dans un contexte aidant. Même si le programme est axé sur la transition de l’école au travail, une grande partie des élèves qui y participent tirent l’essentiel de ses avantages des séances d’aide sociopédagogique individuelle et en groupe. Ce volet de mentorat rend l’école plus socialement accueillante pour les élèves des minorités visibles. La participation à la plupart des séances hebdomadaires est la principale exigence pour les élèves. Sélection des élèves – Les candidats sont choisis par les enseignants et les conseillers en orientation, même si bien des élèves en difficulté qui avaient été informés du programme de bouche à oreille ont demandé à y participer. La sélection finale est faite par les conseillers en orientation et par le conseiller du programme.
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Nombre de participants – Environ 50 élèves par année sont choisis pour participer à PMA. Financement – Au départ, PMA a été financé grâce à une subvention du Secrétariat antiracisme du ministère des Affaires civiques de l’Ontario, avec l’appui du MEF. Les conseils scolaires ont contribué une partie du financement depuis ; le MEF a fourni le soutien administratif nécessaire. Il a récemment été proposé que les conseils scolaires assurent intégralement le financement du programme. Difficultés – La plus grande difficulté à surmonter est le financement incertain du programme. D’une année à l’autre, personne ne sait s’il pourra être maintenu. La récession a été un autre obstacle de taille. L’objectif préliminaire du programme consistait à trouver des emplois pour les élèves en difficulté, mais, au début des années 1990, il s’est révélé impossible de trouver suffisamment d’employeurs pour y participer. Toutefois, ces dernières années, les employeurs ont commencé à s’intéresser davantage au programme. Le troisième obstacle important est imputable à un conflit de priorités dans les écoles participantes. En effet, le programme oblige les élèves à assister aux séances d’aide sociopédagogique, qui sont structurées de façon à leur faire manquer tout au plus deux classes par mois et par sujet. Certains enseignants semblent penser que les élèves qui participent au programme et qui ont souvent de piètres résultats scolaires ne devraient manquer aucun cours pour assister aux séances. Évaluation – La plupart des conseils scolaires ne font pas d’évaluation structurée du programme, mais le Conseil scolaire de Toronto en fait une chaque année. En 1994, il a rendu publique l’évaluation de deux ans de PMA, intitulée A Two-Year Evaluation of the Change Your Future Program at the Toronto Board of Education (Brown, 1994). Les résultats étaient favorables, mais ils n’ont eu aucune incidence sur le financement du programme. Le MEF a effectué une évaluation interne de PMA, mais il ne l’a pas publiée. Succès du programme – Les commentaires des participants et leurs résultats scolaires laissent entendre que le programme a connu un certain succès, compte tenu des difficultés des interventions auprès des élèves en difficulté des écoles secondaires. Le Conseil scolaire de Toronto a fait état des résultats du programme sur le taux de décrochage pour deux années scolaires (1991-1992 et 1992-1993) :
Si l’on combine les données des deux années, on constate que 9 % des élèves participant à PMA ont décroché pendant l’année scolaire, comparativement à 19 % pour ceux des deux groupes de comparaison. C’est important, parce que, avec un âge moyen de 17 ans, de nombreux élèves étaient rendus à un point où décrocher allait devenir une sérieuse possibilité. Le taux de décrochage annuel de 9 % est un peu plus élevé que le taux annuel de 8 % pour l’ensemble du Conseil scolaire, mais il était probablement inférieur au taux annuel de décrochage des élèves « à risque ». [Brown, 1994, p. 15.]
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Bien que PMA n’ait pas été conçu comme un programme de mentorat, les commentaires de nombreux participants laissent entendre que cette activité – sous forme d’aide sociopédagogique individuelle et de discussions en groupes de pairs – a été considérée comme un critère de succès. Les participants ont signalé plusieurs avantages, dont celui de pouvoir discuter dans le cadre d’un groupe aidant, la possibilité pour les élèves de s’identifier aux conseillers du programme et de parler de leurs problèmes personnels et de leurs relations avec l’école, ainsi que les conseils sur la façon de composer avec l’école et les emplois. Des programmes comme Pour un meilleur avenir montrent toute l’importance de considérer la transition de l’école au travail comme un processus plutôt que de se contenter de trouver des emplois pour les jeunes. Pour eux – et, en l’occurrence, pour des élèves des minorités visibles qui risquaient de décrocher –, cela signifie qu’on doit accorder une grande attention à l’école en tant que milieu social sans négliger non plus la qualité des interactions qui se manifestent dans les écoles et qui incitent les élèves à y rester ou à abandonner. On pourrait probablement reproduire ailleurs des programmes comme celui-là qui font appel à diverses interventions (p. ex. le mentorat et les cours spéciaux). En fait, la plupart des participants des minorités visibles se sont dits convaincus que le programme PMA devrait s’adresser à tous les élèves, en soulignant qu’une grande partie de ce qu’il a à offrir ne vaut pas seulement pour une population cible donnée. Les élèves qui y ont participé estiment qu’ils donneraient de bons résultats pour tous les élèves. Programme d’apprentissage pour les jeunes de l’Ontario (PAJO)
Le PAJO a été retenu pour deux raisons. Premièrement, il s’inspire d’une stratégie de transition de l’école au travail, le Programme de formation coopérative, qui coordonne les stratégies de transition de ce genre avec des stages coopératifs dans des emplois à l’extérieur de l’école. La plupart des conseils scolaires de l’Ontario offrent des services de formation coopérative du genre, et plus de 60 000 élèves participent au programme en question. En outre, le PAJO est une tentative de mise en œuvre des meilleurs éléments des modèles d’apprentissage européen, et particulièrement du « système double » allemand. Le succès de ce système est bien connu, et il est révélateur de voir comment l’Ontario l’a adapté. Groupe cible – Dans les conseils scolaires et les sections où le programme est approuvé, les élèves de 10e année peuvent présenter une demande de participation au PAJO ; ils commencent à y participer en 11e année ou quand ils ont atteint l’âge de 16 ans. La participation au programme ne garantit pas un stage d’apprentissage. Compétence – Le PAJO est administré par le MEF et par le Conseil de formation et d’adaptation de la main-d’œuvre de l’Ontario (CFAM). Historique – Le PAJO a été lancé en 1988 sous le nom de « Programme d’apprentissage au secondaire » (PAET). C’est en 1994 qu’il a pris son nom actuel. Il a été lancé par le ministère de la Formation professionnelle et par le MEF parce que, même si les écoles secondaires de l’Ontario assurent de bons débouchés aux
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40 % des élèves qui se dirigent vers des études universitaires, leur fiche n’est pas aussi reluisante pour les 60 % restants, qui s’en vont directement sur le marché du travail. Un modèle d’enseignement répondant aux besoins de ces élèves-là s’imposait clairement. Après avoir étudié la question, l’Ontario a opté pour le système double allemand. Avant de passer à un profil du PAJO, il vaut la peine de décrire brièvement ce modèle d’apprentissage européen. Comme le dit le vieil adage allemand, Handwerk hat goldenen Boden : « qui sait travailler fera fortune partout ». La théorie et la pratique sont les pierres angulaires du système double ; en 1993, au moins 90 % de tous les jeunes Allemands qui fréquentaient l’école secondaire générale ou supérieure avaient demandé à recevoir une formation professionnelle9. Après avoir terminé l’école secondaire, les jeunes Allemands peuvent choisir l’un des 380 programmes de formation professionnelle reconnus par le gouvernement dans le secteur des métiers spécialisés, des affaires et de l’industrie. Ceux qui reçoivent une formation professionnelle doivent aussi fréquenter une école commerciale une ou deux fois par semaine pour parfaire leur culture générale et pour acquérir les bases théoriques nécessaires au développement et au renforcement de leur formation pratique. La formation professionnelle représente les deux tiers de l’instruction, le tiers restant étant acquis à l’école commerciale. Ce système permet aux élèves de terminer leurs études tout en apprenant un métier sur le tas. L’apprentissage dure habituellement de deux ans à deux ans et demi ; il est assujetti aux codes d’éducation des États. Les entreprises qui emploient des apprentis assument la plus grande partie des coûts du programme ; leur part correspond à environ 2,5 % des traitements et salaires versés en Allemagne. Les écoles commerciales reçoivent d’importantes subventions gouvernementales (environ 8 milliards DM) et les apprentis sont payés. Les maîtres-artisans et les gens d’affaires considèrent les coûts du programme comme un investissement dans l’avenir ; ils sont convaincus que l’apprentissage est le meilleur moyen de répondre à leurs besoins de travailleurs formés. Aucune entreprise n’est tenue d’offrir des apprentissages ; en fait, seules celles qui ont les employés formés et les installations nécessaires sont autorisées à le faire. Une fois qualifiés, les apprentis ne sont pas non plus tenus de travailler pour l’entreprise qui les a formés, et celle-ci n’est pas obligée de les embaucher. Voici certains des avantages du système double : – les stagiaires se servent d’un équipement moderne et apprennent à maîtriser les innovations et perfectionnements technologiques ; – les entreprises sont subventionnées pour former leurs employés ; – les entreprises peuvent compter sur un bassin suffisant de travailleurs qualifiés ; – la main-d’œuvre du pays a une meilleure instruction générale, un statut social plus prestigieux et de plus grandes possibilités d’avancement professionnel.
9. Nous avons obtenu nos renseignements sur le système double au Consulat général de la République fédérale d’Allemagne, à Toronto.
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Objet du programme – En 1988-1989, le gouvernement de l’Ontario a reconnu qu’il lui fallait un programme à l’intention des jeunes qui ne prévoyaient pas faire d’études postsecondaires. Ce programme devait aussi remédier aux pénuries de main-d’œuvre de la province, en attirant des élèves dans les carrières de gens de métier. Le principal objectif du PAJO consiste à donner aux élèves la possibilité de terminer leurs études secondaires tout en apprenant un métier, mais de nombreux conseils scolaires le considèrent aussi comme particulièrement utile pour les jeunes qui risquent de décrocher. À titre de programme d’apprentissage, le PAJO offre en effet des incitatifs financiers aux jeunes qui s’inscrivent comme apprentis. Les élèves sont rémunérés aux taux d’apprentissage pendant qu’ils continuent à satisfaire aux exigences du Diplôme d’études secondaires de l’Ontario (DESO). Cette combinaison structurée de travail rémunéré et d’études supervisées a l’avantage de rendre à la fois l’apprentissage et l’école secondaire plus accessibles et d’un plus grand intérêt pour les jeunes. Le MEF tend à modifier l’orientation du PAJO pour lui faire couvrir une plus vaste gamme d’occupations. Sous sa forme originale, le programme était essentiellement axé sur les métiers industriels pour lesquels l’apprentissage est traditionnel. Néanmoins, la nouvelle technologie de l’information et les nouveaux champs d’activité professionnelle nécessitent une expansion de l’apprentissage. Comme la Commission royale sur l’éducation l’avait recommandé, le MEF veut modifier les programmes de cours pour accroître le prestige de la formation en technologie. Les écoles secondaires s’adaptent pour répondre aux besoins des 60 % d’élèves qui ne veulent pas poursuivre leurs études à l’université, en leur offrant une transition plus efficace de l’école au travail. Le MEF tient aussi à encourager les filles et les autres groupes d’élèves ciblés à envisager des carrières dans les métiers spécialisés. Il convient de souligner à cet égard que, en 1992-1993, il y avait 538 garçons et 96 filles parmi les participants au PAJO. Le MEF voudrait probablement élargir son programme coopératif, parce qu’il permet aux élèves d’acquérir des aptitudes professionnelles. En 1995, de 60 000 à 65 000 élèves de 11e et de 12e année – soit de 20 % à 25 % de tous les élèves de ces deux niveaux en Ontario – participaient à des programmes coopératifs. On estime que ce programme devrait être de plus grande envergure encore, afin de donner à plus de jeunes la possibilité de trouver un emploi dans l’avenir. Participants – Le succès du PAJO est fonction du dévouement, de la motivation et du travail des directeurs et sous-directeurs ainsi que des enseignants qui donnent les cours sur la technologie et les cours de formation coopérative, les plus susceptibles de trouver des postes d’apprentis pour leurs élèves ; le personnel du CFAM trouve aussi de ces postes, et il y a des variations non négligeables selon la région. Les parents jouent un rôle important dans le programme d’apprentissage, parfois en prenant des élèves comme apprentis. Caractéristiques du programme – Les participants au PAJO n’arrivent pas tous à faire un apprentissage structuré. Chacun commence avec un stage où il travaille comme élève inscrit à un programme de formation coopérative, sans être payé. Après 90 jours, l’employeur décide s’il veut le garder comme apprenti payé. L’apprentissage
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est assujetti à la Loi sur la qualification professionnelle et l’apprentissage des gens de métier, qui définit la relation entre l’employeur et l’apprenti. Les 90 jours de travail non rémunéré sont considérés comme le stage probatoire de l’apprenti et lui valent des unités de crédit pour le programme coopératif de son école secondaire. Une fois qu’on lui offre la possibilité de faire son apprentissage, il signe une entente en bonne et due forme avec l’employeur. L’apprenti s’engage à rester de trois à quatre ans au service de l’employeur, qui doit lui donner la formation voulue et le payer. Le PAJO est très étroitement lié au programme de formation coopérative de l’Ontario. Les élèves reçoivent des unités de crédit au titre de ce programme pour le travail accompli dans le cadre du PAJO, conformément aux règles et à la procédure des programmes de formation coopérative des écoles secondaires de l’Ontario de 1989, et les écoles doivent assurer le suivi des activités de formation coopérative offertes dans le milieu de travail. L’élève qui franchit avec succès l’étape du stage de 90 jours peut obtenir des unités de crédit de formation coopérative pour son travail. Les élèves-apprentis qui ont terminé leur 10e année peuvent accumuler en deux ans à deux ans et demi suffisamment d’unités de crédit pour obtenir leur DESO. Ensuite, il peut ne leur rester que deux ans d’apprentissage à faire pour obtenir un certificat de compétence. Les élèves-apprentis doivent être employés avec un ouvrier qualifié et être inscrits comme apprentis au CFAM. Ils peuvent aussi accumuler des heures d’apprentissage supplémentaires en travaillant l’été et pendant les congés scolaires. Les élèves-apprentis doivent satisfaire à toutes les exigences du programme d’apprentissage, ainsi qu’aux parties scolaires et non scolaires du programme de formation coopérative. Il arrive parfois que le programme de cours soit modifié de façon à englober certains des éléments scolaires du programme d’apprentissage, mais ce n’est possible que si l’enseignant est lui aussi un ouvrier qualifié. La formation dispensée à l’apprenti dans le milieu de travail est habituellement contrôlée par des conseillers en formation du CFAM. Le modèle d’apprentissage le plus courant est un stage coopératif à temps plein au deuxième semestre de la 11e année, suivi d’un stage d’apprentissage coopératif à temps plein pour la totalité du deuxième semestre de la 12e année. Pour concevoir un projet dans le cadre du PAJO, il faut : – évaluer le besoin d’apprentissage de la collectivité ; – obtenir l’engagement des employeurs d’accepter des apprentis ; – déterminer si les conseils scolaires peuvent offrir des programmes de cours répondant aux besoins des employeurs ; – tenir des consultations avec les entreprises locales ainsi qu’avec les syndicats et les collèges communautaires locaux ; – s’assurer que les élèves pourront facilement revenir de l’apprentissage au programme d’enseignement normal de leur école ; – établir toutes sortes de calendriers et d’horaires. Sélection des élèves – Les participants au PAJO sont souvent choisis par des enseignants chargés de la formation coopérative en technologie.
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Nombre de participants – Depuis 1992, environ 600 élèves par année ont participé au PAJO (la participation s’est révélée relativement stable). Il convient de souligner que les participants ne constituent qu’une infime fraction des 60 000 élèves inscrits à des programmes coopératifs en Ontario. Le PAJO ne touchait que cinq conseils scolaires en 1989, alors que plus de 50 y participaient en 1995-1996. La participation médiocre est largement attribuable à la terrible récession économique du début des années 1990 ; c’est à cause d’elle qu’il a été difficile pour les employeurs de prendre des apprentis. Financement – Le CFAM finance le PAJO par l’intermédiaire du MEF. Tous les conseils scolaires approuvés sont admissibles à une subvention de démarrage de 25 000 $. Les dépenses engagées correspondent essentiellement au temps que les professeurs de technologie, les dirigeants des conseils scolaires et le personnel du CFAM consacrent à trouver des postes d’apprentissage. Les conseils scolaires ont parfois de la difficulté à obtenir l’aide des représentants du CFAM pour trouver des stages. Difficultés constatées – Les employeurs disposés à prendre un apprenti sont très sélectifs ; ils ont de la réticence à embaucher des élèves en difficulté, préférant ceux qui sont motivés et déterminés. La récession a réduit le nombre de postes d’apprentis disponibles et rendu les employeurs plus sélectifs encore, d’autant qu’ils sont tenus de réembaucher leurs apprentis mis en disponibilité avant d’en prendre de nouveaux, ce qui a limité encore le nombre de postes disponibles. En outre, certaines conventions collectives réservent ces postes aux travailleurs qui ont une certaine ancienneté, et les employeurs préfèrent généralement ne pas accepter des élèves du secondaire comme apprentis, en raison de leur jeunesse, surtout dans les métiers où l’apprentissage est traditionnel. La mise en œuvre du PAJO dans des écoles secondaires présente aussi des incon vénients. Certains enseignants qui enseignent des matières traditionnelles résistent à la promotion de l’enseignement professionnel et les conflits d’horaires découlant des stages sont légion. Évaluation – L’examen de temporarisation a révélé que l’efficacité du PAJO variait nettement d’une région, voire d’une école à l’autre. Malheureusement, ce rapport n’a pas été publié, et le MEF n’a pas non plus rendu publics ses résultats, en raison d’erreurs de procédure. On compile bien des statistiques tous les ans, mais cela n’équivaut pas à un examen en bonne et due forme. Succès du programme – Le PAJO s’avère un succès parce qu’il aide réellement les élèves à acquérir des aptitudes professionnelles dans de véritables emplois, tout en leur permettant de gagner un salaire, d’accumuler des unités de crédit en vue d’obtenir leur diplôme d’études secondaires et d’accumuler aussi des heures d’apprentissage. Il est conçu pour ouvrir des portes, et les élèves qui constatent qu’un métier ne leur convient pas après un semestre d’essai peuvent réintégrer un programme scolaire normal sans pénalité. Ils peuvent se réinscrire au PAJO plus tard, avant la fin de leurs études secondaires ; même s’ils ne le font pas, ce qu’ils ont appris peut se révéler utile à la longue. Les écoles qui participent au programme en profitent elles aussi :
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les enseignants sont exposés aux méthodes de formation de l’industrie, et les écoles peuvent conclure des partenariats avec les collèges communautaires locaux, ainsi que faire l’éloge de l’apprentissage aux élèves qui ne sont pas enclins à poursuivre leurs études au-delà du secondaire. Le PAJO tend à favoriser les départements de technologie des écoles secondaires et à renforcer les programmes coopératifs. La participation des filles est encore faible, mais le PAJO contribue bel et bien à les orienter vers des métiers non traditionnels. Pour les employeurs, le PAJO est une bonne source d’apprentis, surtout qu’ils peuvent évaluer les élèves avant de les accepter. Il établit des liens entre eux et les écoles locales, ce qui leur permet de proposer des idées et des méthodes de formation. Enfin, il réduit nettement leurs coûts de recrutement et de formation. Il existe des programmes analogues au PAJO dans d’autres provinces (p. ex. Youth Strategy Linkages, à Terre-Neuve et au Labrador, le Registered Apprenticeship Program, en Alberta, et Passport to Apprenticeship, en Colombie-Britannique). Ils contribuent tous à améliorer la rétention des élèves et à leur offrir de meilleures perspectives d’emploi. Néanmoins, faute d’évaluations structurées publiées, il nous est impossible de donner des preuves de leur succès. Lien études-travail
Compétence – Lien études-travail (LET) est administré par le MEF. Historique – Dans son rapport, la Commission royale sur l’éducation avait insisté sur l’importance de l’éducation permanente et sur la nécessité de faire en sorte que les passages entre l’école secondaire, le collège, l’université et le monde du travail soient toujours ouverts et praticables. Pour y arriver, des partenariats communautaires efficaces s’imposent. Le programme LET, d’une durée de deux ans, a été conçu pour préparer les élèves à passer à l’âge adulte et au monde du travail et pour les aider à franchir la transition de l’école au travail en connaissance de cause ainsi qu’à se lancer pour le reste de leur vie dans une démarche de développement personnel, d’éducation et de formation. La participation de la collectivité, l’initiative individuelle et les partenariats communautaires contribuent à combiner les études et le travail, à offrir aux élèves de meilleures possibilités d’effectuer la transition de l’école au travail et enfin à améliorer les taux de rétention des élèves. Objet du programme – Bien que de nombreux élèves soient inscrits à des programmes de formation coopérative, le nombre total des participants est encore relativement faible comparativement à l’ensemble de la population scolaire. Tous les élèves doivent prendre des décisions judicieuses pour que leur transition de l’école secondaire au travail se passe bien, et c’est impossible sans l’engagement non seulement des élèves eux-mêmes, mais aussi de leurs parents, des enseignants et de la collectivité, tous devant être convaincus du bien-fondé des programmes. Le programme LET avait pour mandat de trouver des écoles et des collectivités qui collaboraient déjà pour fournir aux élèves des programmes et des activités de transition de l’école au travail. Il part du principe que, si l’école doit être un centre
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efficace de services communautaires pour les enfants et les jeunes, elle doit prendre l’initiative afin de créer des intérêts communs. LET comprend quatre éléments : – huit programmes de démonstration d’une durée de deux ans représentant une gamme variée d’activités dans différentes parties de l’Ontario ; – Perspectives Ontario, un tabloïde sur les carrières distribué aux élèves ; – des séances sur les services, des ateliers et des séances de formation de quatre jours à l’intention des enseignants et des partenaires communautaires de toute la province ; – un groupe de nouvelles de l’Internet conçu pour maintenir la liaison entre les intéressés après la fin du programme, afin qu’ils puissent poursuivre la discussion. Caractéristiques – Le MEF n’a pas créé de programmes dans ce contexte. Ce sont des directeurs d’école et des enseignants, des parents et des employeurs qui l’ont fait, habituellement en y intéressant d’autres personnes. Le MEF a toutefois parrainé ou financé les programmes de démonstration. LET a parrainé des programmes de mentorat et d’aide par les pairs, des programmes communautaires d’acquisition d’expérience professionnelle, des programmes de stages pour les enseignants, des programmes d’activités de carrière et des programmes d’élaboration de cours. Le modèle de programme complet d’études spéciales d’Eastwood est un pro gramme de démonstration LET du Conseil scolaire du comté de Waterloo. Il a été conçu pour mobiliser les services scolaires – orientation, éducation spéciale, bibliothèque, formation coopérative et administration – et pour trouver des moyens d’associer l’école à des partenaires communautaires afin de favoriser l’acquisition du savoir. Il a pour objectif d’amener les étudiants à acquérir les connaissances, les aptitudes et les attitudes dont ils auront besoin pour réussir au XXIe siècle. Les participants doivent combiner leurs études scolaires avec un programme de formation coopérative pour diplômés, en travaillant avec des mentors dont la plupart sont des aînés. Le soutien par un mentor permet aux élèves d’établir des contacts avec des personnes d’expérience compréhensives, qui ne sont pas des enseignants et qui les écoutent attentivement. Le programme comporte aussi des stages coopératifs pour l’année de transition, un programme de mentorat d’entreprise, des activités de tutorat communautaires et un suivi de l’élève au travail. L’objectif consiste à améliorer l’attitude, la connaissance de soi et la compré hension du monde de l’élève. Il a connu un grand succès, car 90 % des participants depuis 1990 ont poursuivi leurs études ou trouvé un emploi à temps plein. Perspectives d’avenir – Même si Lien études-travail a officiellement pris fin, les programmes de démonstration et les autres activités se poursuivent. Dans son rapport, la Commission royale sur l’éducation a validé le partenariat école-collectivité dans le contexte de la transition de l’école au travail. Le MEF compte tirer parti du succès de LET et des observations de la Commission royale sur la collaboration des écoles avec la collectivité, en lançant des initiatives conçues afin de poursuivre dans la foulée de LET.
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Partie 3 – Conclusions et mesures préconisées Le décrochage est un processus plutôt qu’un acte isolé. Pourtant, les chercheurs et les décideurs le reconnaissent rarement, alors qu’ils doivent le faire si nous voulons éviter le piège de considérer le décrochage comme un des extrants des études. Chez bien des jeunes, on constate un retrait dès l’école primaire. Ceux qui quittent l’école prématurément s’en désengagent souvent pour des raisons valables et non parce qu’ils sont de mauvais élèves. D’ailleurs, la plupart des études révèlent que les décrocheurs citent des raisons liées à l’école (p. ex. l’ennui, l’aliénation et le rejet par le système scolaire) pour justifier leur désir de la quitter. Compte tenu du fait que le retrait de l’école est un processus interactif fréquemment constaté dès l’école primaire, il est logique, dans une optique de promotion de la santé, d’encourager les recherches et les interventions propres à faciliter le réengagement de l’élève à l’endroit de l’école quand il est encore très jeune. Les recherches en question pourraient être faites en collaboration avec l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants (ELNE) menée par Développement des ressources humaines Canada. L’objectif premier de l’ELNE consiste à établir une base de données nationale sur les caractéristiques et le vécu des jeunes Canadiens, de la petite enfance à l’âge adulte (Enquête longitudinale nationale sur les enfants, 1995, p. 1). Les renseignements obtenus dans ce contexte seront mis à la disposition des décideurs et des chercheurs désireux d’élaborer des politiques et des stratégies afin d’assurer aux enfants une vie plus saine, plus active et plus enrichissante. Les données seront utiles surtout pour les décideurs, auxquels elles fourniront une base solide pour concevoir des initiatives capables de renforcer l’engagement scolaire des enfants. La conviction des Canadiens que la transition de l’école au travail est désormais caractérisée par un désordre et un gaspillage pires que dans le passé peut surestimer le caractère ordonné du « bon vieux temps », mais le chômage et les emplois à temps partiel augmentent bel et bien chez les jeunes. L’accès indirect à l’emploi rémunéré est certainement plus typique aujourd’hui que la transition directe de l’école au travail. En outre, les employeurs allèguent que les jeunes qui quittent l’école prématurément n’ont pas la compétence et les aptitudes générales nécessaires ; c’est un problème que certains analystes des politiques attribuent au moins en partie au programme d’études secondaires du Canada, qui privilégie l’accès aux études universitaires. Ce facteur est d’ailleurs renforcé par les espoirs que les parents entretiennent pour leurs enfants (King et Peart, 1995). En outre, les cours offerts dans les écoles ne permettent pas aux jeunes d’acquérir les connaissances et les aptitudes dont ils ont besoin pour réussir de multiples transitions au travail, car ils en sont tout bonnement incapables. Alan King (1995) a une vision particulièrement pessimiste de la situation en Ontario :
Dans notre système actuel, les méthodes de tri imprécises des écoles secondaires encouragent certains élèves à conserver l’espoir de fréquenter un établissement d’enseignement postsecondaire longtemps après qu’ils ont
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perdu à peu près toute possibilité d’y être admis. Pour les programmes de cours du secondaire, cela signifie que la vaste majorité (plus de 70 %) des élèves de 10e et de 11e année continuent à prendre des cours conçus pour de futurs étudiants à l’université, de sorte qu’il n’y a guère de possibilités que des programmes viables de transition de l’école secondaire au travail soient conçus, en raison du petit nombre d’élèves qui opteraient pour eux [1994, p. 21.]
Même la formation coopérative, pourtant reconnue et appuyée aussi bien par les enseignants que par les élèves, n’a pas réussi à offrir une vaste gamme de programmes de transition de l’école au travail. L’absence de possibilités d’appren tissage et de stage coopératif dans les ateliers syndiqués est manifeste, et le succès des programmes de transition est directement proportionnel à la bonne volonté qu’ils suscitent chez les enseignants et les directeurs d’école, d’une part, et les entreprises et organisations participantes, d’autre part. Pour que des programmes de transition de l’école au travail d’envergure se concrétisent, il faudra qu’on s’assure de l’appui et de l’engagement des employeurs et des syndicats. La situation est particulièrement difficile pour les jeunes qui risquent de dé crocher. Ce sont eux qui ont le plus besoin d’aide pour réussir une transition sans heurts de l’école au travail. Il est de plus en plus évident que les distinctions entre l’école et l’emploi se sont estompées pour la plupart des élèves du secondaire. Les études révèlent que, au moment où la plupart des élèves d’aujourd’hui quittent l’école secondaire, près des trois quarts d’entre eux ont déjà travaillé à temps partiel (Anisef, 1993, p. 31). Comme je l’ai déjà écrit ailleurs, il est possible de tirer parti de cette réalité :
À l’heure actuelle, sauf dans le cadre limité de la mise en œuvre du modèle de formation coopérative, le lieu des études et celui du travail sont séparés. Les activités scolaires semblent n’avoir guère d’incidence directe sur ce qui se passe dans le milieu de travail, et les aptitudes acquises au travail ne semblent pas être reflétées dans le programme d’études de l’école. La relation entre les deux devrait être clairement expliquée aux élèves du secondaire. À cette fin, on pourrait essayer d’établir des liens entre le milieu de travail à temps partiel et la classe dans un réseau où les parties s’apprécient et s’appuient mutuellement. [Anisef, 1993, p. 35.]
Pour les écoles, il est logique de mobiliser les ressources de la collectivité afin d’aider les élèves. Il est logique aussi que les élèves veuillent comprendre comment appliquer ce qu’ils apprennent à l’école, et ils sont très motivés lorsqu’il existe des rapports évidents entre ce qu’ils apprennent en classe et leur carrière future. Plusieurs façons dignes de mention de renforcer les partenariats entre les éducateurs et les employeurs sont recommandées dans un rapport récent du Conseil scolaire de Toronto :
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Pour accroître l’impact de l’emploi à temps partiel sur le rendement scolaire, la communauté des employeurs peut conclure un partenariat avec l’école afin de concevoir ensemble des programmes de cours et des activités capables de transmettre des aptitudes et des connaissances techniques et commerciales transférables à jour et applicables à une vaste gamme d’occupations. [Cheng, 1995, p. 23.]
En outre, on pourrait montrer aux enseignants comment « intégrer » l’expérience de travail des élèves dans les activités en classe et dans le contenu des cours, pour rendre l’école plus pertinente, et les conseillers en orientation pourraient placer les élèves dans des emplois qui les aideraient à acquérir des aptitudes à la fois utiles et transférables. Les inconvénients du travail à temps partiel peuvent être limités – et ses avantages maximisés – si l’on privilégie la collaboration entre les éducateurs, les employeurs et les enseignants (Cheng, 1995, p. 22 et 23). Les ambitions de ceux qui quittent l’école prématurément peuvent être moins élevées et moins clairement définies que celles des diplômés du secondaire ou des établissements postsecondaires, mais les emplois médiocres qu’ils trouvent n’arrivent quand même pas à les satisfaire. L’écart montre bien que ces jeunes ont appris à avoir de grandes aspirations à l’école. Il est clair que la plupart des jeunes Canadiens ont besoin de poursuivre leurs études ou leur formation pour réaliser les aspirations de leurs années d’école. Or, la recherche montre que la plupart de ceux qui quittent l’école très tôt ne rejettent pas l’éducation, mais qu’ils continuent à respecter les valeurs sociales classiques. Ils décident habituellement de quitter l’école à cause des cours, des enseignants ou des aspects sociaux du milieu scolaire. Leurs expériences négatives l’emportent sur leur conviction – souvent de plus en plus profonde à mesure qu’ils vieillissent – que terminer leurs études les aurait mieux préparés à réaliser efficacement et sans heurts la transition à la vie de travailleur adulte. Les jeunes qui quittent l’école prématurément sont plus susceptibles que ceux qui ont un diplôme d’études secondaires d’avoir une fiche professionnelle chaotique caractérisée par des périodes de chômage et des emplois mal payés. Il n’est pas étonnant non plus qu’ils tendent plus à être dépressifs et à éprouver des sentiments d’échec. Néanmoins, la plupart continuent d’envisager l’avenir avec optimisme et tendent à se blâmer eux-mêmes, en se reprochant de n’avoir pas fait assez d’efforts, de n’avoir pas obtenu les diplômes dont ils ont besoin, et ainsi de suite. Leurs réactions tendent à être plus conventionnelles que politiques : c’est eux-mêmes qu’ils blâ-ment – et non la société – pour leur manque de possibilités et pour les difficultés personnelles qu’ils éprouvent au travail. Ce phénomène est particulièrement manifeste dans le cas des hommes. Ceux qui quittent l’école prématurément forment une sous-classe privée des aptitudes nécessaires pour trouver des emplois intéressants sur le marché du travail très concurrentiel d’aujourd’hui. Il est évident que les écoles secondaires du Canada n’offrent pas l’enseignement nécessaire pour avoir accès à de nombreuses occupations (Anisef, 1993, p. 31). Les décideurs devraient toutefois être conscients que privilégier les programmes de transition de l’école au travail n’est pas sans inconvénient, car
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ces programmes peuvent défavoriser les sous-groupes à risques élevés, à savoir les analphabètes fonctionnels, ceux qui sont coupés de l’école, les jeunes aliénés et ceux qui tendent à verser dans la consommation de drogues et dans la criminalité (Anisef, 1994, p. 103). Les employeurs ne considèrent pas ces jeunes comme des candidats désirables, et les programmes de formation coopérative et d’apprentissage peuvent ne pas leur être d’une grande utilité. Les élèves qui demandent à participer à des programmes comme le PAJO le font parce qu’ils considèrent l’apprentissage comme le meilleur moyen de trouver un bon emploi. Il reste que les apprentis potentiels ne sont pas des jeunes à haut risque. L’Organisation pour la coopération et le développement économiques a récemment publié une étude sur l’enfance en difficulté dont les auteurs ont conclu que les enfants et les jeunes déjà à risque pourraient être les plus durement touchés par les compressions de dépenses des gouvernements qui cherchent à équilibrer leurs budgets (Crane, 1995, B2). En fait, l’expression « en difficulté » elle-même est optimiste, puisqu’elle laisse entendre que des mesures préventives et des interventions à l’enfance, à l’école et au moment de la transition de l’école au travail peuvent accroître la possibilité que les enfants et les jeunes ainsi étiquetés puissent mener une vie saine et productive, alors que les gouvernements sabrent les programmes et les interventions conçus à leur intention. Ces politiques économiques vont finir par marginaliser les jeunes, surtout s’ils sont déjà en difficulté. Les programmes de transition de l’école au travail efficaces sont très importants dans le monde d’aujourd’hui, avec son marché du travail à la fois concurrentiel et polarisé, mais nous devons souligner les aspects sociaux et humains d’un retrait précoce de l’école. Le décrochage doit être situé dans le cadre d’un long processus non linéaire où l’on quitte l’école pour aller travailler, puis pour y revenir, et ainsi de suite. Les programmes de transition de l’école au travail, si désirables soient-ils, ne sauraient être substitués à des mesures conçues pour répondre aux besoins particuliers des élèves (p. ex., environ 75 % des immigrants au Canada qui s’établissent dans les villes sont membres d’une minorité visible). Toutes les études sur le décrochage qui sont mentionnées dans ces pages montrent clairement que le désengagement doit être interprété comme un phénomène lié à la classe sociale ainsi qu’à d’autres facteurs socioculturels. Cela dit, toutefois, une grande partie d’entre elles semblent généraliser, en liant leurs constatations à une catégorie de « décrocheur ». Cette tendance entraîne une certaine désensibilisation à la différence entre les élèves qui quittent l’école très tôt volontairement et ceux qui sont poussés à le faire pour diverses raisons. Même les diplômés du secondaire con sidèrent souvent leur scolarisation comme insuffisante. Quand un élève décroche, qu’il soit poussé à le faire ou qu’il se retire de l’école, il ne faut jamais oublier de tenir compte des facteurs de pouvoir et de statut tels que la classe sociale, l’origine ethnique, la race, le sexe et le type de collectivité (urbaine ou rurale) lorsqu’on analyse le processus du départ prématuré de l’école. Considérer les jeunes simplement comme des décrocheurs, des élèves poussés à quitter l’école ou des « désengageurs » risque de nous faire négliger ces facteurs très importants. Les jeunes autochtones, les jeunes défavorisés appartenant à des minorités visibles, ceux de la classe moyenne et ceux
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des régions rurales isolées ont tous leurs besoins et leurs problèmes particuliers. Par exemple, l’étude des contacts des élèves Noirs avec l’autorité dans les écoles torontoises a inspiré à George S. Dei les réflexions suivantes :
Les élèves décrivent aussi leur lutte pour se forger une identité culturelle individuelle et collective dans un milieu scolaire qui n’accorde pas une importance suffisante à leur présence culturelle, à leurs valeurs patrimoniales et à leur histoire dans le programme de cours officiel et occulte. C’est pour cette raison qu’ils établissent des liens étroits entre l’école, d’une part, et leur identité ainsi que leur représentation, d’autre part. Ils attestent des relations entre la race, le sexe, la classe sociale et la sexualité dans leur vécu à l’école et hors de l’école. [Dei, 1995, p. A-31.]
Les interventions devront être conçues en tenant soigneusement compte des besoins et des problèmes très particuliers des groupes d’élèves à l’école et à l’extérieur de l’école (p. ex. au travail). Notre examen des interventions dans le contexte de la transition de l’école au travail montre qu’il n’existe pas de panacée capable de garantir le succès de tous. Les interventions peuvent être basées sur les principes et les critères de succès, mais leur efficacité dépend de la bonne volonté et de la motivation de la collectivité, des autorités scolaires, des employeurs et des autres partenaires. Comme Benjamin Levin l’a écrit, le contexte dans lequel la question stratégique du décrochage est définie revêt une importance cruciale :
Les considérations d’ordre humain que sont la frustration et le désespoir des élèves qui n’entrevoient aucun avenir pour eux-mêmes dans nos écoles ou sur notre marché du travail jouent un rôle beaucoup moins important dans la discussion. Les questions d’équité comptent beaucoup moins dans les discussions sur la politique gouvernementale à l’endroit des décrocheurs. Il n’est nulle part fait état dans les documents du gouvernement canadien de la relation entre la classe sociale et la réussite scolaire, même si elle est fermement établie dans les recherches effectuées au Canada (Radwanski, 1987). [Levin, 1992, p. 260.]
Les politiques et les programmes qui encouragent le retour à l’école sont logiques, puisque ceux qui l’ont quittée prématurément se rendent compte qu’ils ont besoin de terminer leurs études secondaires pour trouver un meilleur emploi. Le sondage national sur les décrocheurs a prouvé que près de 50 % de ceux qui quittent l’école prématurément tentent d’y retourner pour terminer leurs études (Tanner et al., 1995, p. 157). En outre, la documentation sur les décrocheurs et sur la transition de l’école au travail révèle que ceux qui ont quitté l’école avant d’avoir terminé leurs études ont beaucoup plus de chances d’y retourner pour les terminer lorsqu’on leur offre des programmes d’enseignement non traditionnel appropriés basés sur la collectivité.
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Les publications récentes sur la transition de l’école au travail montrent clairement que les Canadiens passent plusieurs fois de l’une à l’autre au cours du premier tiers de leur vie de jeunes adultes. Même si les jeunes qui quittent l’école prématurément ont dans de nombreux cas un piètre dossier scolaire, beaucoup d’entre eux ont des notes satisfaisantes. Il y a suffisamment d’élèves en difficulté qui ne décrochent pas pour que la population d’élèves à risque totale des écoles secondaires du Canada soit dangereusement élevée (Levin, 1992, p. 262). Il est donc préférable de se pencher sur l’ensemble de l’activité des écoles du Canada que de se concentrer sur les élèves en difficulté. Nous avons besoin d’en savoir davantage sur les activités scolaires et sur leur importance pour les élèves, ainsi que sur leur effet pour eux. Pourtant, nous ne pouvons pas non plus attendre que les écoles surmontent leurs difficultés, étant donné surtout qu’une grande partie d’entre elles font partie intégrante des interactions des élèves, des écoles, des parents, de la collectivité, de la culture et de la société en général. Nous pouvons toutefois faciliter l’entrée et le retour à l’école et les rendre plus acceptables pour les jeunes en facilitant l’établissement de partenariats entre les élèves, les écoles et les autres intervenants en mesure de contribuer à rendre le système utile (p. ex. les employeurs, les syndicats et les établissements de formation). Les écoles peuvent aider les élèves à comprendre le monde du travail, mais elles ne devraient pas être la seule source du savoir. Un examen méticuleux des mesures de réforme de l’éducation qui se sont succédé au Canada au cours des 50 dernières années révèle que certaines initiatives ont été extraordinairement fructueuses alors que d’autres ont été vite oubliées, victimes du mécontentement politique ou de normes d’évaluation inappropriées. Il est relativement facile de formuler des réformes, mais beaucoup plus difficile – bien qu’essentiel – de concevoir un cadre dans lequel elles peuvent s’inscrire afin que les initiatives utiles ne soient ni négligées, ni mal classées (Anisef et Axelrod, 1993, p. 36). Il arrive fréquemment que les évaluations ne conviennent pas à ce qu’elles doivent mesurer, ou qu’il n’y ait pas du tout d’évaluation de l’efficacité des pro-grammes d’intervention. La documentation sur la rétention des élèves et sur la transition de l’école au travail révèle une absence criante d’évaluations structurées fondées sur les méthodes expérimentales et scientifiques. Le Canada a besoin d’évaluations rigoureuses et bien structurées des programmes dans ce domaine, sur des périodes plus longues que jusqu’à présent. L’analyse de la documentation et des programmes que nous avons faite pour rédiger cette étude laisse clairement entendre que l’efficacité des programmes de transition de l’école au travail est fonction non pas de l’existence d’une politique gouvernementale cohérente, mais plutôt de la bonne volonté et de la détermination des enseignants, des employeurs, des parents et des organismes basées sur la collectivité. Il s’ensuit qu’il nous faut une stratégie capable de maintenir et, dans bien des cas, d’améliorer la santé générale de la jeunesse canadienne. Les organismes gouvernementaux devraient préconiser et faciliter des programmes de rétention des élèves conçus pour aplanir les difficultés croissantes du processus de transition de l’école au travail (Développement des ressources humaines Canada, 1994, p. 104). Nous avons besoin de mécanismes tels qu’une page d’accueil sur Internet pour
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améliorer l’accès à une légion de programmes d’intervention et de rapports de recherche sur la rétention des élèves et sur la transition de l’école au travail. À cet égard, la recherche de qualité sur l’évaluation est particulièrement importante. Mon analyse de la documentation et mes discussions avec des spécialistes du domaine m’ont fait constater que les évaluations structurées sont rares. Or, elles sont d’une importance fondamentale si l’on veut arriver à mesurer de façon plus objective la valeur des programmes fondés sur les « pratiques optimales ». Toutes les provinces ont besoin de moyens de faciliter l’accès à des programmes évalués comme il se doit à l’intention des conseils scolaires, des éducateurs, des jeunes et des regroupements d’élèves.
Paul Anisef, Ph. D., est professeur de sociologie au Département de sociologie de l’Université York. Il est titulaire d’un doctorat en sociologie de l’Université Cornell. Il s’intéresse principalement, dans ses recherches, à la transition de l’adolescence à l’âge adulte, de même qu’à diverses questions liées à l’égalité dans l’enseignement. Ses publications les plus récentes comprennent : The Learning and Sociological Profiles of Canadian High School Students (The Edwin Mellen Press, 1994), Transitions : Schooling and Employment in Canada (Thompson Educational Publishing, Inc., 1993), « Post-secondary education and underemployment in a longitudinal study of Ontario baby boomers » (Higher Education Policy, 1996).
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Les jeunes, la toxicomanie et les déterminants de la santé Pamela C. Fralick, B. A., M. A., M. A. P., et Brian Hyndman, B. A., M. H. Sc. Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies Ottawa (Ontario)*
résumé Il n’est pas facile d’étudier l’application des déterminants de la santé en général. En effet, il s’agit d’une toute nouvelle façon de conceptualiser la santé, et il existe par conséquent peu d’écrits sur le sujet. L’étude du tabagisme, de l’alcoolisme et de la toxicomanie chez les jeunes présente encore plus de difficultés, puisque la majorité des travaux effectués à ce jour s’intéressent aux adultes et examinent des déterminants tels que le revenu, le statut social, l’emploi et les conditions de travail. Bien sûr, ces facteurs ont un effet sur les jeunes – par l’intermédiaire de leur foyer, de leurs parents ou de leurs tuteurs. Cependant, les effets à long terme sur la jeunesse diffèrent peut-être de ceux définis dans les études portant sur des populations adultes. Le présent document examine, chez les jeunes, les liens existant entre l’abus de substances intoxicantes et les principaux déterminants de la santé. Nous tenterons en particulier d’appliquer ces déterminants aux jeunes en étudiant l’effet de facteurs tels que la pression des pairs, l’estime de soi, les rapports parents-enfant et les réalisations scolaires. Nous passerons notamment en revue les écrits examinant les liens entre la santé, l’abus de substances intoxicantes, les déterminants de la santé et la résilience. Pour illustrer comment on peut aborder la problématique propre aux jeunes, nous présentons ensuite six programmes canadiens de prévention, à caractère communautaire,
* Avec le concours de l’Alberta Alcohol and Drug Abuse Commission et de la Kaiser Youth Foundation
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qui visent précisément cette population. Ces programmes luttent contre la consommation d’une gamme de substances : alcool, tabac, inhalants, médicaments et drogues. Afin de permettre une meilleure compréhension des facteurs de succès, nous analysons les principes directeurs, les principaux acteurs, les sources de financement et, le cas échéant, le résultat des évaluations effectuées pour chacun des programmes, de même que leur reproductibilité. La majorité des programmes présentés n’incluent malheureusement pas une bonne composante évaluative ou, encore, ils n’existent pas depuis assez longtemps pour nous permettre de tirer des conclusions valables quant à leur efficacité. Il vaut quand même la peine de les étudier, car il y a très peu d’information dans le domaine. La nature et la portée des programmes varient, mais tous reconnaissent que les bonnes habitudes requièrent au préalable un milieu propice à la santé et fondent leurs activités sur ce principe. Ils travaillent à créer un milieu sain, qui aide les jeunes à faire des choix plus judicieux en matière de drogues et d’alcool, en mettant en œuvre une gamme de stratégies (p. ex. formation, réglementation, possibilités d’emploi, développement des réseaux sociaux et planification intersectorielle) ayant pour objet d’influer sur les grands déterminants de la santé. Voici les aspects auxquels il faudrait porter une attention spéciale : 1. Recherches visant les jeunes plutôt que les adultes ; 2. Recherches examinant les interactions des différents déterminants ; 3. Utilisation concomitante de méthodes quantitatives et des méthodes qualitatives ; 4. Évaluation des programmes communautaires ; 5. Conception de questions d’enquête pertinentes et efficaces pour les évaluations ; 6. Participation de la jeunesse à toutes les étapes de la recherche et de la conception des programmes ; 7. Projets de démonstration reposant entièrement sur un modèle des déterminants de la santé. Trois principes fondamentaux devraient en outre guider l’élaboration d’une politique : • Complémentarité des approches « promotion de la santé » et « santé de la population » ; • Augmentation de la collaboration intersectorielle ; • Interventions axées sur les communautés. Nous présentons à la toute fin des recommandations concrètes, fondées sur les principes ci-dessus et sur les conclusions tirées de notre analyse des écrits et des programmes.
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Table des matières
Introduction ...................................................................................................336 Les écrits : quelques éléments de réponse . ......................................................336
L’abus de substances intoxicantes et la santé.................................................337 L’abus de substances intoxicantes et les déterminants de la santé..................339 Résumé des écrits........................................................................................345 Résilience....................................................................................................346 Conséquences théroriques...........................................................................347 Exemples ........................................................................................................349 Introduction................................................................................................349 Les programmes..........................................................................................350 Résumé.......................................................................................................359 Lacunes théoriques .........................................................................................360 Autres problèmes de recherche.....................................................................365 Considérations politiques . .............................................................................366 Principes sous-jacents..................................................................................366 Recommandations ..........................................................................................369 Conclusions ....................................................................................................371 Bibliographie....................................................................................................372
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Introduction
Le Groupe de travail sur les déterminants de la santé du Forum national sur la santé a pour mandat d’amener les Canadiens à discuter des investissements qu’il convient de faire pour améliorer la santé de la population, compte tenu de la diminution des ressources de l’État. À cette fin, le Forum a commandé une série de documents exploratoires, portant sur des sujets et des populations clés. Les documents devraient aider les membres du groupe à préciser ce qui peut être fait pour influer sur les déterminants physiques, psychologiques, sociaux, culturels et économiques de la santé. Le document que voici fait partie de la série commandée. Nous y parlons de la prévention des abus de substances intoxicantes dans le contexte des déterminants de la santé. Un survol des écrits pertinents permet d’abord d’expliquer le lien entre la santé et l’abus de substances intoxicantes (incluant le tabac), puis d’explorer le rapport entre les abus et les déterminants de la santé. Ce deuxième volet inclut une discussion sur l’alcool, qui est à la fois source de bienfaits et de risques. Fait à noter, il est également important de situer l’abus de substances intoxicantes dans le continuum des déterminants de la santé. Et, s’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives, les écrits actuels indiquent néanmoins une direction générale et devraient donner le ton des analyses théoriques à venir. Le troisième volet de notre examen des écrits est consacré à la résilience, qui présente un grand intérêt pour l’étude de la toxicomanie, de l’alcoolisme et du tabagisme chez les jeunes. Suit une brève présentation des déterminants qui, selon les recherches effectuées à ce jour, ont la plus grande incidence pour la population et le problème qui nous intéresse. Après cette mise en contexte, nous analysons une sélection de programmes récents ou en cours, qui appliquent consciemment ou non la théorie des déterminants de la santé. Cette analyse vise à dégager des scénarios d’intervention qui favorisent la santé physique et mentale et pourraient être reproduits ailleurs, au bénéfice du public. Nous concluons en présentant des recommandations de recherche et d’intervention basées sur l’analyse des écrits et des projets. Les écrits : quelques éléments de réponse
On cherche depuis longtemps la politique qui permettrait d’optimiser la santé des Canadiens. Du milieu du siècle jusqu’aux années 1970, la médecine moderne a vécu un grand essor et privilégié les approches biomédicales (c.-à-d. la prestation des meilleurs services de santé possible). Dans les années 1970, les autorités de la santé ont cependant changé d’optique et commencé à porter une attention plus grande aux activités de prévention (Pinder, 1994). Si ce changement de mentalité a eu lieu, c’est surtout parce que l’État devait freiner l’escalade des coûts. De là, on a établi un nombre croissant de corrélations entre l’état de santé et le style de vie (Lalonde, 1974). Les habitudes malsaines résultant de choix personnels, comme le tabagisme et l’usage abusif d’alcool ou de drogues, ont été qualifiées de risques autogènes.
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Cette approche a finalement évolué pour reconnaître le rôle concomitant de l’environnement. Depuis quelques années, les chercheurs étudient plus particu lièrement l’incidence du contexte social, économique et culturel sur la santé de la population (Evans et al., 1994). Les nouvelles recherches délaissent la vision compartimentée, typique du monde médical, et reconnaissent l’importance des déterminants généraux, à l’extérieur du système des soins de santé. Les hauts responsables politiques adhèrent eux aussi au mouvement (Conseil du premier ministre sur la santé, 1991 ; Comité consultatif fédéral-provincial-territorial sur la santé de la population, 1994). Dans l’immédiat, c’est d’ailleurs ce modèle qui guidera l’élaboration de la politique canadienne en matière de santé. Du reste, les travaux sur la santé de la population et les déterminants de la santé effectués à ce jour accordent très peu d’attention au rôle de l’abus de substances intoxicantes. Ce n’est pas surprenant, car il s’agit d’un tout nouveau domaine de recherche. Malgré tout, les décideurs ne devront pas oublier les problèmes de tabagisme, d’alcoolisme et de toxicomanie, qui ont un impact considérable sur la santé des Canadiens. Qu’on le considère ou non comme un « déterminant de la santé » en lui-même, l’abus de substances intoxicantes a un impact décisif sur la santé et influe considérablement sur les autres déterminants. Il peut résulter d’une lacune dans les besoins fondamentaux, par exemple un manque de soins, l’absence de soutien (de la part des parents ou des autres dispensateurs de soin) ou le manque de travail. Inversement, son existence préalable peut restreindre l’accès aux conditions sociales, économiques et environnementales essentielles à la santé et empêcher la personne d’améliorer sa situation. Bref, on ne peut pas ne pas tenir compte de l’importance de ces problèmes de portée générale.
L’abus de substances intoxicantes et la santé
Pour déterminer l’importance de l’abus dans le modèle des déterminants de la santé, il faut d’abord préciser l’effet des diverses substances sur celle-ci. Il est ici question de l’alcool, du tabac et des drogues. Ces substances peuvent toutes être consommées de façon abusive, mais il ne faut pas les traiter sur un pied d’égalité étant donné les différences pharmacologiques et sociales dans leur utilisation et leurs effets. Les coûts du tabagisme sont bien connus, généralement acceptés et, de plus en plus, irréfutables. Au Canada, environ 36 325 décès ont été indirectement causés par l’usage du tabac en 1991. Ce sont principalement des cas de bronchite chronique, d’asthme et d’emphysème, mais on comptait également des néoplasmes, des incidents cérébrovasculaires, des problèmes d’hypertension et des maladies cardiaques (Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies et Fondation de la recherche sur la toxicomanie de l’Ontario, 1995). Selon le même rapport, 25 % des jeunes femmes et 19 % des jeunes hommes âgés de 15 à 19 ans fument occasionnellement ou quotidiennement. Cinquante et un pour cent des fumeurs âgés de 20 à 24 ans ont commencé à fumer avant l’âge de 16 ans et 63 % des personnes qui fument tous les jours ont commencé avant l’âge de 18 ans. Bien que l’usage du tabac n’ait pas nécessairement de conséquences
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immédiates sur la santé de ces personnes, les statistiques sur la mortalité citées plus haut présagent un avenir plutôt sombre. Le nombre de personnes faisant usage de drogues est plus petit, et l’effet de la consommation varie dans une certaine mesure en fonction de la drogue en cause. Au Canada, en tout 510 décès ont été liés à la consommation de drogues en 1991, et les hôpitaux généraux et psychiatriques ont traité 21 746 cas (78,2 pour 100 000). Les jeunes de 15 à 19 ans avaient le taux d’admission le plus élevé pour des problèmes médicaux liés à la consommation de drogues (162,5 pour 100 000). Il est impossible d’avoir des données fiables sur la consommation de drogues par les jeunes de la rue, car cette population transitoire est généralement peu disposée à collaborer aux enquêtes. On estime qu’environ les deux tiers consomment, s’exposant de ce fait à une variété de risques, entre autres : infection au VIH, transmise par le partage des aiguilles ; comportements sexuels dangereux ; manque de ressources et d’hygiène. Ces jeunes risquent également d’être entraînés dans des activités criminelles, telles que le cambriolage, le vol avec violence, le trafic de drogues et la prostitution (Anderson, 1992). Le rapport le plus difficile à éclaircir est sans doute celui entre l’alcool et la santé, car la consommation d’alcool présente à la fois des risques et des bienfaits. Ce problème d’équilibre monopolise aujourd’hui toute l’attention des chercheurs du domaine qui se demandent : Où commence l’excès ? Pour qui y a-t-il des bienfaits et pour qui y a-t-il des risques ? Dans quelles circonstances ? Bref, quel est l’effet net de l’alcool ? Il paraît maintenant raisonnable d’affirmer que la consommation modérée d’alcool peut contribuer à la santé, en particulier à la prévention des maladies du cœur. Les chercheurs s’intéressent aussi à l’action de l’alcool sur le cancer, le poids, les troubles gastro-intestinaux, la réduction du stress et l’interaction sociale, domaines où il semble avoir plus d’effets positifs que négatifs. Il est important de reconnaître que l’alcool peut avoir des effets positifs ; cependant, les chercheurs limitent cette reconnaissance à un grand domaine (les maladies coronariennes) et à des sous-populations précises (les hommes de plus de 45 ans et les femmes ménopausées). Les dangers de l’alcool sont bien mieux connus et documentés. Nous savons en effet que l’alcool cause de nombreux problèmes (English et al., 1995), en accentue d’autres (Rice, 1993), peut influer négativement sur le revenu familial et la stabilité du couple, de même qu’augmenter la violence conjugale et la violence à l’endroit des enfants. Ces facteurs ont un lien étroit avec des déterminants clés de la santé (Edwards et al., 1994). Au Canada, les données les plus récentes sur les problèmes rattachés à la consommation d’alcool proviennent de l’Enquête sociale générale (ESG) effectuée en 1993. Une personne sur dix a alors répondu que l’alcool avait un effet négatif sur sa vie sociale, sa santé physique, son bonheur, sa vie familiale, son travail ou ses finances (Single et al., 1995). Deux sur cinq ont aussi indiqué avoir eu des problèmes à cause de la consommation d’une autre personne.
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Si l’on considère la mort comme l’ultime conséquence de la consommation d’alcool, alors les statistiques sont significatives : en 1993, au moins 3 183 Canadiens sont morts des effets directs de l’alcool et 15 980, de ses effets indirects. Les hôpitaux ont admis 38 261 personnes pour des causes liées à l’alcool (Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies et Fondation de la recherche sur la toxicomanie de l’Ontario, 1995). Ces données peuvent sembler insignifiantes comparées à celles pour le tabac, mais il ne faudrait pas pour autant ne pas en tenir compte. Selon l’enquête sociale de 1993, 57 % des répondants de 15 à 17 ans et 79 % des répondants de 18 et 19 ans consommaient de l’alcool. La situation est encore plus grave pour les jeunes de la rue. Une étude nationale a révélé que 88 % d’entre eux consommaient et 9 % le faisaient tous les jours (Radford, 1989). Il est impossible de nier l’incidence de l’alcool, du tabac et des drogues sur la santé – impact qui est senti dans toutes les couches de la société et frappe un trop grand nombre de gens. Dans la prochaine section nous examinons les liens entre l’abus de ces substances et les déterminants de la santé, cela bien qu’on ignore encore s’il convient de donner à l’abus lui-même le statut de « déterminant » et de l’étudier en conséquence.
L’abus de substances intoxicantes et les déterminants de la santé Revenu et statut social
Le revenu et le statut social sont probablement les déterminants les plus importants de la santé. Les études épidémiologiques montrent systématiquement des variations en fonction du statut socioéconomique : c’est-à-dire que les personnes à l’aise semblent bénéficier d’une meilleure santé et vivre plus longtemps (Conseil national du bien-être social, 1990). Pour ce qui est de l’alcool, sa consommation est plus importante dans les groupes à revenu plus élevé. Le revenu ne permet toutefois pas de prédire avec certitude la fréquence et l’importance de la consommation. Les sondages menés au Canada indiquent que les personnes à revenu élevé boivent plus souvent et consomment plus que celles des autres groupes, mais les personnes à revenu peu élevé tendent à absorber de plus grandes quantités à la fois (Santé et Bien-être social Canada, 1990 ; Adlaf, 1993). L’ESG de 1993 permet toutefois de tracer un portrait-robot de la personne avec un problème d’alcool : c’est généralement un jeune adulte de sexe masculin, célibataire ou divorcé, qui est sans emploi ou dispose d’un revenu relativement peu élevé. Il n’existe pas de lien évident entre la consommation des jeunes et le statut socioéconomique de leur famille. Martin et Pritchard (1991) ont constaté que les jeunes hommes de famille riche ou appartenant aux échelons supérieurs de la classe moyenne boivent généralement plus souvent, mais d’autres études indiquent que ce sont les hommes au bas de l’échelle socioéconomique qui boivent le plus (Sieber, 1979 ; Parker et Parker, 1980).
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Bien que la consommation d’alcool soit généralement plus importante dans les classes supérieures, ce sont principalement les personnes économiquement désa vantagées qui ont des problèmes. Par exemple, les conducteurs en état d’ébriété qui causent des collisions ont généralement un statut socioéconomique inférieur (Macdonald, 1989), même si les personnes gagnant un revenu plus élevé prennent plus souvent le volant après avoir bu (Wilkins, 1988). Il y a un lien marqué entre le statut socioéconomique et le tabagisme. En effet, une bonne majorité des fumeurs gagnent un revenu peu élevé ; cependant, on constate depuis quelques années une diminution de l’écart entre la consommation des classes inférieures et celles des classes supérieures (Wilkins, 1988 ; Pederson, 1993). Les jeunes issus d’un milieu socioéconomique défavorisé fument plus que ceux des milieux aisés (Boyle et Offord, 1986). Burton (1994) avance que le taux de personnes commençant à fumer après le secondaire pourrait effectivement augmenter avec la généralisation du tabagisme dans les classes inférieures :
[…] si le jeune quitte un environnement scolaire relativement hétérogène pour un milieu de travail plus homogène, composé en majorité de personnes de statut socioéconomique peu élevé, l’usage du tabac sera renforcé, voire encouragé par les normes du groupe.
Le désavantage économique mène souvent à la consommation de drogues chez les jeunes. En 1992, Hawkins et ses collaborateurs ont procédé à une méta-analyse des recherches étiologiques portant sur les causes de la toxicomanie chez les jeunes. Ils ont ainsi constaté que les enfants venant de secteurs économiquement défavorisés et manifestant très tôt des troubles de comportement ou d’adaptation risquaient plus que les autres d’abuser subséquemment des drogues. Les jeunes de la rue consomment beaucoup de drogues pour oublier la violence vécue à la maison et affronter les épreuves quotidiennes du milieu, où ils peuvent d’ailleurs se procurer facilement les stupéfiants qu’ils veulent (Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies et Fondation de la recherche sur la toxicomanie de l’Ontario, 1995). Soixante et onze pour cent des jeunes interrogés ont indiqué avoir consommé du cannabis au cours de la dernière année ; 31 %, de la cocaïne (incluant du crack) ; et 44 %, du LSD. Douze pour cent s’étaient injecté des drogues, s’exposant ainsi à des infections graves (p. ex. VIH, hépatite). Résumé : L’insuffisance des revenus va souvent de pair avec le tabagisme, la toxicomanie et les problèmes d’alcool chez les jeunes. Les jeunes sans abri sont particulièrement touchés par les problèmes de consommation et les problèmes connexes.
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Réseaux de soutien social
Le soutien des amis, de la famille et de la communauté a une influence positive sur la santé. Une étude menée en Californie a ainsi montré que les personnes ayant plus de contacts sociaux tendaient à vivre plus longtemps (Berkman et Syme, 1979). La cohésion de la communauté (c.-à-d. le sentiment d’attachement et de responsabilité collective des membres de la communauté par rapport à la santé et au bien-être de leurs concitoyens) est un déterminant connexe, mais distinct. Les secteurs où les résidents n’éprouvent pas un grand sentiment d’appartenance et où il y a peu d’institutions sociales bien établies favorisent l’émergence de problèmes liés à la consommation d’alcool et de drogues (Hawkins et al., 1993). Les interventions sur le plan communautaire peuvent contribuer à renforcer le réseau social des personnes isolées. Les évaluations effectuées révèlent de fait qu’elles ont un certain nombre d’effets positifs sur la santé, incluant une amélioration des capacités des travailleurs sans formation ou des bénévoles, une participation accrue aux activités de santé et l’activation du soutien social (Cohen et Syme, 1985 ; Israel, 1985 ; Gottlieb, 1987 ; Wallerstein, 1993). Les réseaux sociaux peuvent prédisposer les jeunes à un usage abusif de l’alcool et des drogues. Chez les adolescents, le risque de consommation augmente sérieu sement quand les parents ou les pairs ont une attitude favorable envers ces substances (Hawkins et al., 1992 ; Glanz et Pickens, 1992). Certains facteurs sociaux permettent généralement de prédire l’essai et l’usage des drogues, comme plusieurs études longitudinales ont permis de le constater. Ils incluent la consommation des pairs et des parents, la sociopathie parentale et le manque de conformité sociale (Chassin, 1984 ; Kaplan, 1985 ; Jessor, 1986 ; Sadava, 1987). Le milieu social et, plus particulièrement, les réseaux sociaux sont considérés comme les principaux déclencheurs du tabagisme chez les jeunes (Anderson, 1995). Les données canadiennes confirment d’ailleurs cette tendance. Les fumeurs de 12 à 17 ans interrogés dans le cadre de l’Enquête sur la santé en Ontario (1990) vivaient généralement dans une famille comptant au moins un autre fumeur et avaient une proportion plus grande d’amis fumeurs (niveaux significatifs) (Badovinac, 1993). Van Roosmalen et McDaniel (1989), pour leur part, ont constaté que les amis influençaient considérablement les habitudes des jeunes, en particulier les filles. Dans leur étude, les filles qui consommaient du tabac en 8e année comptaient dans leur entourage plus de fumeurs que leurs camarades masculins et la pression indirecte de leurs pairs les incitait davantage à fumer. Les réseaux sociaux peuvent être un facteur de risque, mais peuvent aussi être l’un des principaux facteurs de prévention : en effet, les recherches étiologiques montrent systématiquement que les bonnes habitudes de la famille et des pairs découragent les jeunes de fumer (Flay et al., 1983 ; McNeill et al., 1988 ; Charlton et Blair, 1989 ; Conrad et al., 1992). Par exemple, aux États-Unis, une enquête nationale a montré que les jeunes risquaient trois fois moins de fumer si leur famille ne comptait aucun fumeur ; de plus, les jeunes ne fumaient habituellement pas si leurs amis du même sexe ne fumaient pas non plus (Moss et al., 1992).
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Résumé : La famille et les pairs sont parmi les principaux facteurs permettant de prédire l’usage de l’alcool, du tabac et des drogues. Leur influence peut être aussi bien positive que négative, c’est-à-dire qu’elle peut prévenir l’utilisation ou l’encourager.
Instruction
Comme nous l’avons déjà vu, il existe un lien marqué entre le tabagisme et le niveau de revenu, mais c’est aussi vrai du niveau de scolarité : les personnes moins instruites ont plus tendance à fumer (Enquête sur la santé en Ontario, 1990 ; Pederson, 1993). Plusieurs auteurs rapportent en outre que les adolescents qui fument semblent généralement avoir de mauvais résultats scolaires et éprouver un mécontentement par rapport à l’école (Skinner et al., 1985 ; Krohn et al., 1986 ; Newcomb et al., 1989). Les recherches effectuées par Hill (1989) suggèrent d’ailleurs que le goût de l’excellence scolaire décourage l’essai et l’usage régulier du tabac. Le lien entre les réalisations scolaires et l’utilisation d’alcool ou de drogues est moins clair. Dans le cas de l’alcool, les enquêtes semblent néanmoins indiquer que l’excellence joue un rôle protecteur (Single, 1995). De plus, les recherches étiologiques montrent généralement une consommation plus grande de drogues chez les jeunes qui décrochent très tôt de l’école (Smart et Blair, 1980 ; Mensch et Kandel, 1988 ; Smart et al., 1992). L’instruction contribue énormément à décourager la consommation d’alcool et de drogues chez les jeunes, qui fréquentent toujours l’école pour la plupart. Les écoles sont depuis longtemps la cible principale des campagnes de lutte au tabagisme, à l’alcoolisme et à la toxicomanie, et bien que l’efficacité de ces campagnes de pré vention varie, les programmes présentés en milieu scolaire permettent généralement de mieux faire connaître les effets négatifs de l’abus de substances intoxicantes et, dans une moindre mesure, de promouvoir des habitudes et des comportements sains (Bremberg, 1991 ; Tobler, 1989). Compte tenu des liens entre la réussite scolaire, la stabilité financière et le sentiment d’emprise, on peut conclure que la première est un facteur de protection important, qui décourage les abus ultérieurs. Au reste, il faut se demander si les programmes de prévention remplissent effectivement leur fonction ou si c’est plutôt le milieu qui décourage l’utilisation des drogues. S’appuyant sur une analyse complète des évaluations et des écrits existants, Edwards et ses collègues (1994) concluent que rien ne justifie actuellement les programmes de prévention en milieu scolaire, l’apposition d’avis sur les produits et les restrictions en matière de publicité, ni l’utilisation de ressources considérables pour des programmes scolaires ou des campagnes d’éducation de masse, à moins que ces mesures ne fassent partie d’une stratégie plus vaste d’action communautaire. Étant donné la présence de nombreux autres facteurs environnementaux concurrents, le potentiel des interventions ponctuelles reste maigre ; au mieux peut-on espérer qu’elles auront un effet à long terme. Naturellement, il faudra tenir compte de ces constatations dans l’élaboration des politiques, mais nous discuterons plus tard de cette question.
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Résumé : Le milieu scolaire joue un rôle clé dans la prévention de l’abus d’alcool, de tabac et de drogues. Cette affirmation ne concerne toutefois pas les jeunes qui réagissent mal aux structures traditionnelles et aboutissent dans la rue ou dans un emploi mal rémunéré.
Emplois et conditions de travail
Étant donné le stress psychosocial inhérent au chômage, il n’est pas surprenant que les personnes sans emploi soient plus vulnérables aux problèmes liés à la consom mation d’alcool et de drogues. La Fondation de la recherche sur la toxicomanie a d’ailleurs observé une plus grande consommation de drogues psychotropes et d’alcool, ainsi que de problèmes liés à l’alcool, chez les chômeurs (Smart, 1979 ; Groeneveld, et al., 1990). L’influence de l’emploi et des conditions de travail sur la consommation des jeunes n’a pas encore fait l’objet d’études intenses puisque, dans les pays industrialisés comme le Canada, la majorité des jeunes n’a pas encore été absorbée par le marché du travail. Les jeunes qui décrochent et cherchent un emploi malgré leur compétence et leur expérience limitées s’exposent à un plus grand stress psychosocial qui, en retour, les prédispose à une utilisation abusive de l’alcool et des autres drogues. Une étude menée à Toronto, auprès des jeunes de la rue, confirme d’ailleurs ce rapport entre l’emploi, le stress et la toxicomanie chez les jeunes (Smart et Adlaf, 1991). Comme membres d’une famille, les jeunes voient aussi leur santé psychosociale influencée par l’emploi et les conditions de travail de leurs parents ou de leurs tuteurs. Résumé : L’emploi en lui-même ne semble pas un déterminant crucial pour les jeunes. Cependant, il ne faudrait pas sous-estimer l’importance de la situation des parents, laquelle fixe l’applicabilité des autres déterminants, notamment le revenu.
Milieu
La qualité de l’environnement biophysique (p. ex. l’air, l’eau et le sol) a une influence capitale sur la santé et le bien-être. L’environnement humain (p. ex. le logement, la sécurité en milieu de travail et la conception des routes) comporte aussi des déterminants importants de la santé (Evans et al., 1994). Pour comprendre l’impact de l’environnement biophysique et de l’environnement humain sur la consommation d’alcool et d’autres drogues, il faut tenir compte du rapport entre le milieu de vie, les conditions de travail et le statut socioéconomique. Au Canada, le milieu de vie (le quartier où une personne habite ou sa collectivité) dépend souvent de la situation socioéconomique : les personnes défavorisées vivent généralement dans des habitations de piètre qualité, dans un quartier surpeuplé et pollué. Les mauvaises conditions de vie des jeunes défavorisés sont donc le symptôme du dénuement économique et social qui est leur et qui les prédispose à l’alcoolisme et à la toxicomanie (Hawkins et al., 1992).
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Les jeunes de la rue sont particulièrement désavantagés à cet égard, puisqu’ils doivent souvent se rabattre sur des refuges conçus pour les adultes. Ils subissent aussi l’influence de jeunes plus âgés et d’adultes exploiteurs qui cherchent à les entraîner dans la prostitution et le trafic de drogues. Ils vivent dans un milieu où l’hygiène et la sécurité font défaut, ce qui les rend vulnérables aux maladies et aux blessures corporelles. Ce milieu leur offre aussi de nombreuses occasions d’abus. Résumé : Il y a un lien direct entre le revenu et le milieu qui est, de tous les facteurs, celui qui a le plus grand impact sur les jeunes. Car les jeunes qui vivent dans de mauvaises conditions sont plus souvent en contact avec la toxicomanie.
Hygiène de vie et capacité d’adaptation
Un grand nombre de recherches indiquent que, chez les jeunes, la capacité d’adap tation déficiente (p. ex. le manque d’estime de soi) joue un rôle clé dans l’utilisation du tabac. Burton et ses collègues (1989) ont constaté que les jeunes déterminés à fumer avaient généralement une image positive des fumeurs et une piètre image d’eux-mêmes. Leurs constatations confirment donc l’hypothèse voulant que le tabac séduise les jeunes n’ayant pas une très bonne estime d’eux-mêmes. Un examen des différences entre garçons et filles a révélé que les premiers sont effectivement portés à fumer quand ils ont une piètre estime d’eux-mêmes, mais ce n’est pas le cas des filles (Clayton, 1991). Allen et ses collègues (1994) ont constaté que les garçons qui fument sont plus solitaires et timides que les non-fumeurs, tandis que les filles qui fument sont moins gênées et plus sociables que les non-fumeuses. Il faut donc en conclure que les programmes visant à améliorer les capacités d’adaptation et l’estime de soi ne conviennent peut-être pas aux filles. L’hygiène de vie et la capacité d’adaptation de chacun ont aussi un lien avec la consommation d’alcool et d’autres drogues. On a cité à maintes reprises l’image de soi, le degré d’aliénation, les croyances et attitudes à l’égard des drogues, ainsi que la réaction aux pressions des pairs comme des facteurs clés dans l’essai et la consommation de substances intoxicantes par les jeunes (Flay et al., 1983 ; Glanz et Pickens, 1992 ; Anderson, 1995). La société attache une grande importance à ces attributs personnels comme facteurs de protection, du moins si l’on en croit le nombre impressionnant de programmes de prévention qui insistent sur la capacité d’adaptation et l’hygiène de vie plutôt que sur les grands déterminants sociaux et environnementaux. Ces programmes ont réussi, à des degrés variés, à décourager l’essai de l’alcool et d’autres drogues ; cependant, le modèle des déterminants de la santé, dont il est ici question, fait ressortir la nécessité d’agir simultanément sur les grands facteurs sociaux et environnementaux qui contribuent aux abus de substances intoxicantes chez les jeunes. Il y a de plus en plus de recherches sur la résilience – un trait de caractère qui a un lien étroit avec la capacité d’adaptation. La section qui suit examine plus attentivement ce facteur, qui doit être pris en considération dans toute discussion sur l’abus de substances intoxicantes. Pourquoi est-ce que certains jeunes sont à
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risques alors que d’autres ne semblent pas l’être ? Une partie de la réponse se trouve dans la résilience et dans ses précurseurs. Résumé : L’estime de soi est un thème récurrent des évaluations sur l’abus de substances intoxicantes. Elle joue un rôle clé dans la consommation abusive de tabac, d’alcool et d’autres drogues, ce qui lui confère une grande valeur prévisionnelle. Néanmoins, si la plupart des programmes d’intervention insistent sur les mécanismes d’adaptation, bien peu donnent une attention égale aux raisons du manque d’estime – manque qui semble lié aux grands déterminants de la santé, notamment le revenu et l’instruction.
Enfants en santé
L’une des conséquences les plus graves, mais aussi les plus faciles à prévenir, de l’abus de substances intoxicantes est le syndrome d’alcoolisme fœtal. Ce syndrome est provoqué par une exposition du fœtus à l’éthanol. Il se caractérise par un retard de croissance avant ou après la naissance, des lésions au système nerveux central et des difformités faciales (Sokol et Clarren, 1989). Selon les taux estimés, le syndrome serait l’une des principales causes connues de déficience intellectuelle (Robinson et al., 1987 ; Abel et Sokol, 1991). Les bébés touchés naissent avec des déficiences permanentes et requièrent toute leur vie des services de soutien pour venir à bout des problèmes découlant de leur état (Streissguth et al., 1991). Le syndrome d’alcoolisme fœtal, qui résulte de la consommation abusive d’alcool, a rapport avec divers déterminants comportementaux, sociaux, économiques et environnementaux. Sa prévention requiert de ce fait une gamme étendue d’inter ventions, visant les déterminants fondamentaux de la santé (Loney et al., 1994).
Résumé des écrits
En bout de ligne, cinq grandes conclusions devraient guider l’élaboration des nouvelles recherches et politiques, soit : • L’insuffisance des revenus encourage la consommation de tabac, d’alcool et de drogues, ainsi que l’apparition des problèmes concomitants. • L’influence (positive ou négative) de la famille, des adultes responsables, des amis et des pairs est probablement la plus importante de toutes les influences et a, par conséquent, une grande valeur prévisionnelle. • Le milieu scolaire joue un rôle protecteur, c’est-à-dire qu’il décourage et retarde l’essai des substances intoxicantes. • Le milieu de vie des personnes à faible revenu encourage l’abus de substances intoxicantes. • La capacité d’adaptation (p. ex. l’estime de soi, l’appartenance à un groupe ou à une communauté, les croyances et attitudes à l’endroit des drogues) a une grande importance, mais doit être considérée parallèlement à d’autres facteurs, notamment le revenu et le milieu scolaire.
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Résilience
Le concept de résilience est depuis peu l’objet d’une grande attention. Il n’est pas nouveau, mais il a trouvé une nouvelle application en promotion de la santé et présente un intérêt particulier pour le modèle des déterminants. On peut définir la résilience comme la capacité des individus, des familles, des groupes et des communautés à surmonter l’adversité ou à affronter des risques. Cette capacité, qui varie avec le temps et peut être accentuée par divers facteurs propres à l’individu ou à son milieu, contribue au maintien et à l’amélioration de la santé (Mangham et al., 1995). La théorie de la résilience repose sur trois grandes hypothèses : il est possible d’influer sur la résilience et de l’améliorer ; la résilience est une qualité dynamique, qui évolue dans le temps ; la résilience favorise la santé, car elle va de pair avec un sain fonctionnement et suppose une capacité à utiliser les mécanismes de soutien disponibles. La théorie de la résilience, auparavant restreinte aux individus et aux familles, a récemment étendu son champ d’application aux communautés. Son application dans ce domaine est toutefois plus abstraite. Mangham et ses collègues (1995) ont dégagé plusieurs facteurs contribuant à la résilience des communautés, nommément : l’entraide, les espoirs communs de réussite face aux difficultés, une grande participation des membres et un sentiment de pouvoir à l’égard des politiques et des choix. La théorie de la résilience fait aussi ressortir la nature cyclique de l’effet : les communautés qui sortent grandies de l’adversité ont la force de surmonter les nouvelles difficultés et deviennent plus responsables ; toutefois, celles qui échouent peuvent être affaiblies, éprouver un sentiment croissant d’impuissance et voir une diminution de leur capacité à affronter les nouvelles difficultés. Plusieurs des observations de Mangham et de ses collègues appuient le modèle des déterminants de la santé. Les auteurs avancent qu’il faut viser les groupes plutôt que les populations, que les interventions les plus rentables sont celles qui ont pour objet d’améliorer les facteurs de protection des personnes à risque. Ils mettent l’accent sur le rôle protecteur des compétences, tout en reconnaissant le rôle capital du soutien social. Enfin, ils soulignent que certaines situations se prêtent vraisem blablement mieux à une intervention, par exemple le divorce, la maladie chronique ou le chômage. L’abus de substances intoxicantes peut certainement être qualifié de « situation ». Les auteurs reconnaissent par ailleurs la nécessité d’effectuer des recherches additionnelles pour enrichir la base théorique. Malheureusement, en ce qui concerne l’abus de substances intoxicantes, la considération de la résilience soulève autant de questions qu’elle n’apporte de réponses. Pourquoi certaines personnes et communautés résistent-elles aux effets du milieu et d’autres pas ? Comment promouvoir la résilience chez les personnes qui n’en sont pas naturellement dotées ? La résilience s’enseigne-t-elle ou peut-on seulement l’acquérir par l’expérience ? Bien que les recherches sur le sujet soient limitées, ont distingue trois grandes catégories de facteurs jouant un rôle protecteur : les caractéristiques personnelles, la famille et le soutien. Il vaut la peine de mentionner
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ici les facteurs déterminés par Mangham et ses collègues (1995), car ils peuvent être appliqués aux travaux dans le domaine des déterminants de la santé, cela bien que ces derniers aient généralement une visée plus large (c.-à-d. les populations). Les caractéristiques personnelles incluent : un sentiment de compétence, la capacité d’élaborer des plans et d’apprendre, l’impression que la vie a un sens, une capacité à résoudre les problèmes, une attitude optimiste, une bonne maîtrise de soi, une capacité à supporter le stress et à trouver le soutien nécessaire. Les facteurs familiaux comprennent : la compétence en matière d’éducation des enfants, la chaleur et l’affection, le soutien et la cohésion. Les facteurs de la dernière catégorie incluent la présence de personnes ayant à cœur le bien-être du jeune, par exemple un enseignant, un membre de la famille étendue ou une autre personne à l’extérieur du noyau familial. Il est aussi important d’avoir un milieu offrant un soutien adéquat et encourageant l’autonomie, la responsabilité et la maîtrise de soi. Tous ces indicateurs doivent être pris en considération au moment de l’élaboration d’une politique sur la santé.
Conséquences théoriques
La documentation montre assez clairement les liens entre l’abus de substances intoxicantes et les déterminants de la santé chez les jeunes. Un statut socioéconomique peu élevé, l’absence de réseaux de soutien social, la faible scolarité, le chômage parental, la vie sur la rue et le manque d’estime de soi sont des facteurs clés pouvant tous servir à prédire la consommation d’alcool, de tabac et de drogues. Mais comment traduire ces constatations en une politique ? À l’heure actuelle, il n’existe pas de théorie générale expliquant le rapport entre les déterminants de la santé et l’utilisation abusive de l’alcool, du tabac et des drogues par les jeunes. Les connaissances sont encore trop incomplètes pour permettre l’élaboration d’une telle théorie. Nous pouvons malgré tout proposer certaines idées. En effet, il est possible de jeter un peu de lumière sur le rapport entre ces variables en appliquant deux méthodes d’analyse différentes, et parfois contradictoires, lesquelles font ressortir l’impact des expériences individuelles sur la santé et le bien-être des jeunes. Le modèle de la latence propose que certains événements, tendant à survenir au début de la vie, ont un effet prononcé plus tard, indépendamment des événements subséquents. Par exemple, l’exposition à un agent cancérigène peut aboutir plus tard à un cancer, sans qu’il y ait nécessairement une autre exposition. En ce qui concerne le rapport entre l’abus de substances intoxicantes et les déterminants de la santé, le modèle de la latence suggère que la privation, à un très jeune âge, d’un élément essentiel à la santé augmente possiblement les risques de dépendance plus tard dans la vie. Par exemple, l’enfant qui est mal nourri et qui est privé d’interactions sociales positives risque de développer plus tard divers problèmes de santé et problèmes sociaux, incluant l’utilisation abusive de l’alcool et d’autres substances intoxicantes. La capacité de certains programmes prénatals et de
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programmes d’intervention précoce à changer le cours de la vie des enfants défavorisés vient étayer le modèle de la latence (Weikart, 1989 ; Martin et al., 1990). Le modèle des sentiers, lui, fait plutôt valoir l’effet cumulatif ou additif des événements de la vie sur le développement des jeunes, ainsi que la nécessité de conditions favorables à la santé tout au long de l’existence. Traditionnellement, ce modèle s’appuie sur une gamme complexe de constatations, tirées d’études longitudinales, pour démontrer l’effet persistant d’événements donnés sur la santé et le bien-être d’une personne aux divers stades de sa vie (Hertzman, 1993). Donc, selon ce modèle, l’exposition des jeunes aux déterminants positifs de la santé (p. ex. instruction, revenu et bon réseau social) influe sur le développement futur de leur potentiel de santé et de bien-être. Toute lacune quant aux déterminants expose les jeunes à un risque accru d’abus, lesquels peuvent en retour aggraver le déficit des déterminants (p. ex. limitation des possibilités d’emploi). Thompson (1995) croit que le modèle de la latence et le modèle des sentiers sont complémentaires à un égard. Un événement survenant au début de la vie risque d’avoir un effet latent chez l’adulte ; mais il peut aussi bien être un pas sur un sentier, le premier d’une chaîne d’événements qui auront des conséquences pour la compétence, la santé et le bien-être futurs de la personne. Comme stratégies d’intervention, les deux modèles se traduisent par des politiques et des programmes différents. Si l’on choisit le modèle des sentiers, qui insiste sur l’effet cumulatif des événements, il faudra alors élaborer un contrat social de type « du premier cri au dernier soupir », c’est-à-dire adopter des programmes et des politiques ayant pour but de garantir un accès équitable aux déterminants fondamentaux de la santé tout au long de la vie. Si l’on choisit le modèle de la latence, il faudra plutôt adopter des politiques et des programmes favorisant l’optimisation des conditions de vie durant la tendre enfance. Peut-être les politiques visant les jeunes devraient-elles être articulées autour des grands facteurs cités dans la documentation que nous avons examinée ; les politiques générales de santé et les politiques connexes pourraient, pour leur part, reposer sur le modèle des sentiers. Dans ce contexte, l’analyse des écrits effectuée par Thompson (1995) fournit un résumé des principales interventions à envisager pour réduire les facteurs de risque présents durant l’enfance, susceptibles de conduire à l’abus de substances intoxicantes à l’adolescence : – réduire l’agressivité des jeunes enfants, en particulier des garçons ; – développer la compétence en matière d’éducation des enfants et de gestion familiale ; – réduire les conflits entre parents et enfants, ainsi que les conflits conjugaux ; – susciter un engagement concret dans les relations parents-enfants ; – réduire l’abus de substances intoxicantes, la criminalité et les comportements antisociaux chez les parents. Ces recommandations n’abordent pas le problème de la mise en œuvre, mais elles indiquent toutefois une orientation générale aux décideurs et aux concepteurs de programmes. Seraient particulièrement indiqués les programmes d’éducation parentale, les programmes de garde centrés sur le développement des aptitudes
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sociales, ainsi que les programmes parascolaires offrant des occasions de socialisation positive et permettant de trouver des modèles ou de rencontrer des mentors. Exemples Introduction
Un fait demeure indépendamment du cadre théorique choisi : il faut que les efforts de prévention aillent au-delà de la distribution de matériel éducatif ou de l’amé lioration des capacités d’adaptation. Nous avons déjà fait ressortir la nécessité d’une approche multidimensionnelle, tenant compte des facteurs individuels, familiaux et environnementaux, et favorisant la résilience individuelle et communautaire. Depuis quelques années, on reconnaît de plus en plus le besoin d’interventions étendues dans le domaine de l’alcoolisme, du tabagisme et de la toxicomanie. Ce qui a mené à l’élaboration de programmes novateurs axés sur les communautés, agissant simultanément sur les facteurs sociaux, économiques et environnementaux à la base des problèmes d’abus chez les jeunes. Les concepteurs, sans nécessairement connaître le modèle des déterminants de la santé, ont incorporé plusieurs des concepts aujourd’hui rattachés au modèle. Les programmes décrits dans la présente section montrent comment le modèle des déterminants peut guider la conception d’interventions communautaires, visant les causes profondes des problèmes de consommation chez les jeunes. Nous avons examiné 15 programmes afin de préparer ce rapport, mais en avons retenu six seulement. Nous avons sélectionné ces programmes en fonction de quatre grands critères : 1. Ce sont des programmes communautaires (par opposition à des programmes ou des services institutionnels). 2. Ils mettaient l’accent sur la prévention du tabagisme, de l’alcoolisme ou de la toxicomanie. 3. Ils donnaient la priorité aux jeunes (21 ans ou moins). 4. Ils intégraient des activités visant, directement ou indirectement, les déterminants sociaux, économiques et environnementaux de la santé. Nous avons tenté d’inclure des programmes variés, représentatifs des principales régions du Canada ; cependant, plusieurs initiatives ontariennes cadraient mieux avec le modèle des déterminants de la santé. Puisque ce critère nous semblait plus important que la représentativité géographique, nous avons préféré ces programmes à d’autres. Deux faits limitent l’évaluation des programmes (c.-à-d. la mesure de leur capacité à réduire les facteurs sociaux et environnementaux qui rendent les jeunes vulnérables). Premièrement, la majorité d’entre eux n’a fait l’objet d’aucune évaluation rigoureuse. L’absence de données sur la planification et la mise en œuvre témoigne des capacités limitées des donateurs communautaires et du peu d’importance qu’ils accordent à cette facette.
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Deuxièmement, il faut se rappeler que, même s’ils ont un champ d’intervention assez grand, les programmes n’ont pas été élaborés suivant le modèle des déterminants de la santé. Ils s’adaptent toutefois assez bien au modèle pour permettre d’élucider comment les interventions en milieu communautaire peuvent remédier aux causes profondes d’abus chez les jeunes. Malgré ces deux limitations, les programmes que nous présentons emploient des méthodes uniques et novatrices, agissant sur une multitude de causes et de facteurs de protection afin de lutter contre la consommation d’alcool et d’autres drogues. C’est pourquoi ils méritent une étude plus poussée comme exemples d’intervention communautaire et pratique, équivalente à l’approche dite des déterminants de la santé. Aucun des programmes présentés ne se limite à une seule substance ; ils luttent en même temps contre l’usage abusif de la nicotine, de l’alcool et des drogues. Naturellement, chacune de ces substances a un schéma de consommation et des conséquences propres ; cependant, les causes inhérentes du tabagisme, de l’alcoolisme et de la toxicomanie se ressemblent suffisamment pour permettre l’utilisation d’approches multidimensionnelles. Enfin, il faut dire que nous avons délibérément privilégié les programmes communautaires (par opposition aux approches législatives, p. ex.). Nous expliquons à la dernière section les raisons de ce choix.
Les programmes Le Media Arts Program
C’est un programme continu d’amélioration de la compétence, qui s’adresse aux jeunes habitant Regent Park – communauté à faible revenu dans l’est de Toronto. Le programme est parrainé par la Regent Park Focus Community Coalition, coalition faisant partie des neuf programmes communautaires de lutte aux abus de substances intoxicantes financés par le ministère de la Santé de l’Ontario (Direction de la promotion de la santé). Il offre aux jeunes une gamme d’expériences d’apprentissage dans le domaine des arts médiatiques (p. ex. la photographie). Les participants utilisent les habiletés acquises afin d’élaborer des vidéos et des journaux portant sur l’abus de substances intoxicantes et les problèmes connexes dans le secteur de Regent Park. En 1995, la mairesse de Toronto a reconnu le caractère novateur des méthodes du Media Arts Program en lui décernant un prix spécial (Anti-Drug Task Force Award). Le programme s’est donné pour mission d’utiliser la technologie médiatique afin de stimuler la discussion, de permettre un partage d’information et d’encourager les actions visant à freiner le tabagisme, l’alcoolisme et la toxicomanie. Ses objectifs sont, plus précisément : offrir un forum où les jeunes adultes et les jeunes peuvent, de façon interactive, se renseigner sur l’abus de substances intoxicantes ; montrer aux jeunes à sensibiliser les autres aux problèmes d’abus ; utiliser des imprimés, les médias et des vidéos pour promouvoir la santé et présenter aux individus, aux familles et
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aux communautés des stratégies pratiques de prévention de l’abus (Gouvernement de l’Ontario, 1995). Une évaluation des besoins, effectuée par le centre local de santé communautaire, a guidé la conception du programme. Des entrevues et des échanges amicaux avec les jeunes de Regent Park ont fait ressortir le manque d’informations précises sur la consommation et ses conséquences. Ils ont également permis de confirmer que la majorité des jeunes ne lisaient pas les journaux locaux, mais regardaient tous la télévision et les vidéos. Voilà comment est née l’idée du Media Arts Program comme outil de sensibilisation et de prévention. Le programme s’est également inspiré du travail d’un coordonnateur rattaché au centre de jeunes du secteur. Celui-ci a constaté qu’une bonne partie des jeunes qu’il essayait d’intéresser à ses activités extrascolaires fréquentaient les bars, les jeux d’arcade et les salles de billard – lieux où ils étaient en contact avec la drogue et rencontraient des individus impliqués dans des activités illégales, dont certains se liaient d’amitié avec les jeunes et exerçaient ainsi une influence négative sur eux. Le Media Arts Program a donc été créé pour offrir un substitut attrayant et écarter les jeunes des lieux qui augmentent leur vulnérabilité aux problèmes de drogue et d’alcool. Le programme organise plusieurs activités, dont six en collaboration avec des écoles et des organismes communautaires du secteur, dans le cadre desquelles les jeunes forment de petites équipes de production et entreprennent des recherches, dont ils présentent ensuite le fruit sous forme de vidéo. Le programme offre également chaque été un camp de 13 semaines, à l’intention des jeunes de 14 à 21 ans. Les participants sont sensibilisés aux médias (p. ex. télévision et journaux), apprennent comment ils fonctionnent (c.-à-d. comment produire une vidéo et un journal) et produisent eux-mêmes des vidéos et des journaux. Le programme offre aux jeunes un service d’éducation par des pairs et des possibilités d’emploi après l’école et au cours des fins de semaine ; de plus, il offre régulièrement des activités continues de promotion et d’intervention dans la communauté. Les responsables du programme prévoient collaborer avec Rogers Cablesystems afin de télédiffuser les vidéos produites. Ils souhaitent produire au moins deux vidéos faisant la promotion de bonnes habitudes de vie, ainsi que de la collectivité de Regent Park (diffusées en 1996). Les responsables envisagent aussi la création d’une coopérative de jeunes, qui offrirait des services de production vidéo aux organismes et institutions. Plus de 200 jeunes ont participé au programme depuis sa création en 1991. Les sujets abordés dans les vidéos incluent l’abus de substances par les parents, la pression des pairs, le tabagisme et le racisme. En tout, 23 vidéos ont été créées à ce jour. Le programme publie aussi depuis 1995 un magazine pour la jeunesse, produit par les participants : Catcha Da Flava. À l’heure actuelle, deux vidéos sont utilisées comme outils d’éducation sur les drogues par une gamme d’organismes et de programmes, incluant : des activités et festivals locaux, la Semaine de sensibilisation aux drogues, le conseil scolaire de Toronto, le conseil scolaire de North York, le Service de santé publique de Toronto
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et la station de télévision communautaire du câblodistributeur Rogers. On estime qu’environ 2 000 enfants des écoles publiques et privées de Toronto ont vu les vidéos. Les questionnaires d’évaluation distribués au moment de la présentation des vidéos indiquent que l’information sur l’alcool et les drogues passe bien : la majorité des jeunes interrogés après le visionnement ont indiqué avoir appris quelque chose de nouveau sur l’abus de substances intoxicantes. Dans les écoles participantes, bon nombre d’enseignants ont utilisé les vidéos pour stimuler une discussion sur les pressions exercées par les pairs et d’autres sujets liés à la consommation d’alcool et de drogues. Dans l’ensemble, les enseignants, les élèves, les responsables de santé publique, les parents et les travailleurs communautaires qui ont regardé les vidéos confirment leur efficacité et s’entendent pour dire que, d’un point de vue culturel, le média est bien adapté à l’auditoire visé. Les jeunes qui participent au programme disent savoir maintenant où et comment trouver des ressources éducatives et de l’information sur la toxicomanie. Autre résultat direct du programme : un grand nombre de participants connaissent mieux les conséquences de l’alcoolisme et de la toxicomanie et sont, de ce fait, plus en mesure de faire des bons choix. Le programme offre en outre de saines activités de rechange à la consommation de drogues, et enseigne de plus des habiletés qui pourront servir plus tard dans les études ou sur le marché du travail. En 1994, il en a coûté environ 37 000 $ pour administrer le Media Arts Program, incluant 16 400 $ pour le camp et 14 492 $ pour les activités après l’école. Malgré les dépenses requises, les composantes du programme restent très adaptables et pourraient être reprises par d’autres organismes communautaires, des écoles ou des institutions. Une bonne partie de la technologie utilisée, notamment l’équipement servant au montage des vidéos, a été donnée par des commanditaires de la communauté. Quant aux vidéos, elles pourraient être facilement diffusées dans les collectivités desservies par une station de télévision communautaire. Bref, le Media Arts Program est une initiative à composantes multiples, qui influe directement et indirectement sur une gamme de déterminants non médicaux de la santé. En participant à diverses activés nécessitant coopération et travail d’équipe, les jeunes améliorent leurs réseaux sociaux. L’information sur l’abus de substances intoxicantes et les questions connexes véhiculée à l’intérieur du programme améliore l’hygiène de vie et la capacité d’adaptation des participants, qui peuvent ensuite faire de meilleurs choix en matière d’alcool et de drogues. Enfin, les habiletés pratiques acquises pousseront éventuellement les jeunes à poursuivre leurs études ou à faire carrière, ce qui, à long terme, aura un effet positif sur leur revenu, leur instruction et leur statut social.
L’Alexandra Park Residents’ Association
Cette association de résidents, formée dans un secteur de Toronto, Alexandra Park, montre comment les efforts de développement communautaires peuvent avoir un effet positif sur les grands déterminants de la santé. Grâce au travail de l’association, Alexandra Park s’est complètement transformé : auparavant un centre
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de narcotrafic, marqué par le crime et la violence, le secteur est devenu le berceau d’une communauté vivante et unie, où les résidants de tous les âges participent à la vie communautaire. L’association a vécu une réorganisation en profondeur en 1990 : les résidents en avaient assez de la mauvaise qualité de vie de leur quartier et ont lancé une série d’initiatives visant à le renouveler. Le nouveau comité directeur a renforcé les liens de l’association avec les autres organismes communautaires et a sollicité l’aide de divers groupes et responsables : personnages politiques de la scène locale, écoles, police, services du logement de la ville de Toronto, services municipaux et autres organismes locaux. Avec l’aide des services du logement et de la ville, l’association a éliminé les murs et les arbustes qui cachaient les trafiquants et a amélioré l’éclairage. L’association a également collaboré avec la police et les services du logement pour expulser les locataires qui faisaient le trafic de crack. Elle a aussi obtenu qu’on augmente la fréquence des patrouilles afin de décourager les bandes de trafiquants. En plus, l’association des résidents a collaboré avec les services du logement et le groupe antidrogue créé par la mairesse de Toronto afin d’élaborer un programme de prévention destiné aux jeunes. Dans le cadre de ce programme, un coordonnateur des services à la jeunesse est intervenu auprès de jeunes à risque pour empêcher qu’ils ne deviennent toxicomanes et trafiquants. Quinze jeunes, qui s’étaient déjà vu refuser l’accès aux installations récréatives, ont participé à des programmes récréatifs, organisé une conférence pour les jeunes, rédigé leur curriculum vitae, participé à des ateliers de préparation au travail, cherché et obtenu un emploi. À cause du programme, ces jeunes ont reçu un encadrement positif et bénéficié d’avenues de croissance personnelle et de progrès économique. Le programme pour les jeunes a pris fin en 1992, à l’épuisement des fonds. L’association continue cependant d’organiser des activités visant à prévenir l’abus de substances intoxicantes par les jeunes. Les initiatives en cours incluent un projet de développement économique pour aider les jeunes à créer de petites entreprises et à recevoir une préparation au travail, des programmes récréatifs pour les enfants (p. ex. basket-ball), des danses et d’autres activités sociales pour les jeunes, tenues au centre communautaire. L’association veut responsabiliser les jeunes, et c’est pourquoi elle veille à ce que ceux-ci participent activement à ses activités. Deux jeunes siègent d’ailleurs au conseil d’administration, composé exclusivement de membres de la communauté. Le centre communautaire local, où se déroulent les activités de l’association, a de plus comme politique d’embaucher des jeunes du coin quand il a des postes à combler. Au cours de la dernière année, huit jeunes ont trouvé un emploi saisonnier ou un emploi à temps partiel au centre. Le travail de l’association s’est traduit par des changements concrets dans la communauté. Les résidents sont moins soupçonneux envers les étrangers. Les bandes de trafiquants ne sont plus et la majorité des fumeries de crack ont fermé boutique (Alexandra Park Residents’ Association, 1996). Les résidents négocient actuellement avec les services du logement pour convertir leurs immeubles en coopérative d’habitation. En 1995, le Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme
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et les toxicomanies a décerné son prix de distinction à l’association en reconnaissance des changements positifs qu’elle a apportés dans la communauté. Les programmes sont financés par l’association elle-même, qui amasse environ 30 000 $ en louant des salles de bingo et en organisant diverses activités, comme des ventes de pâtisseries. Un réseau de partenaires communautaires soutient en plus les programmes de l’association. Par exemple, les programmes récréatifs pour les enfants sont organisés en collaboration avec une école du coin, qui prête son gymnase, et avec les services du logement, qui fournissent le personnel et le matériel. Les programmes de l’association pourraient être reproduits dans d’autres communautés défavorisées. Plusieurs de ses qualités pourraient de plus être imitées par les initiatives similaires : le coût peu élevé des programmes, la grande participation des membres de la communauté, l’engagement des partenaires locaux et l’insistance sur la recherche de solutions pratiques pour satisfaire les besoins définis par les membres de la communauté eux-mêmes. Bref, les activités de l’association ont eu un impact positif sur quelques-uns des grands déterminants de la santé. Le milieu s’est grandement amélioré grâce à une présence policière accrue, ainsi qu’à des changements visant à améliorer la sécurité des résidents et à décourager le trafic de drogues (p. ex. amélioration de l’éclairage). Les jeunes bénéficient d’une meilleure formation (préparation au travail) et ils améliorent leurs réseaux sociaux, leur hygiène de vie et leur capacité d’adaptation. Enfin, les possibilités d’emploi et les ateliers de préparation offerts augmentent le revenu et le statut social présents et, possiblement, prochains des jeunes participants.
Le programme Town Youth Participation Strategies
Ce programme de prévention est novateur, à caractère communautaire, et s’adresse aux jeunes des petites collectivités (moins de 25 000 habitants). Parrainé par le TriCounty Addictions Program de Smith Falls (Ontario), le programme permet aux jeunes de cinq petites villes de prendre part à des activités sociales et récréatives saines, qu’ils aident à concevoir et à organiser. Chaque ville met l’accent sur trois objectifs précis : mettre en place un conseil de jeunes, créer un centre de jeunes et produire avec les jeunes une vidéo portant sur des sujets d’intérêt pour eux (Voakes, 1995). Le programme découle d’un programme pilote financé par Santé et Bien-être social Canada, sous les auspices du programme d’action communautaire de la Stratégie canadienne antidrogue. En 1991-1992, un travailleur de rue d’une petite ville de l’est de l’Ontario a été engagé pour définir les problèmes et les besoins des jeunes, particulièrement en ce qui concerne l’abus de substances intoxicantes. Le rapport du travailleur a révélé que les jeunes des petites villes étaient possiblement à risque, surtout à cause du manque d’activités sociales et récréatives, ainsi que de la méconnaissance des services de soutien disponibles. Il ajoutait que cet état de fait provoquait chez certains un sentiment d’aliénation, se manifestant par divers comportements jugés dangereux, comme la consommation d’alcool et de drogues, le départ prématuré de la maison et le décrochage scolaire (Voakes, 1992).
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Par suite du rapport, une série d’activités préventives ont été organisées dans la communauté pilote. Afin d’amener les jeunes à participer activement à la définition des problèmes et à la recherche de solutions relativement à l’abus de substances intoxicantes, on a mis sur pied un conseil consultatif formé de jeunes. Ces jeunes, issus de milieux différents, se réunissaient régulièrement pour discuter des problèmes présentés par le travailleur de rue, qui les encourageait à poser des questions et à proposer des solutions. Quelques adultes, représentant divers organismes locaux au service des jeunes, participaient aussi à ces réunions comme membres d’office. Ils répondaient aux questions concernant leurs services et écoutaient le point de vue des jeunes (Voakes, 1995). Étant donné la courte durée du programme pilote, le conseil n’a pas pu être bien rodé et enraciné dans la collectivité. Le programme actuel prévoit créer un conseil dans chacune des villes participantes. Dans la communauté pilote, on a remédié au manque d’activités récréatives et sociales en créant Midnight Junction, centre pour adolescents où alcool et drogues sont interdits, qui est rapidement devenu un lieu de rassemblement populaire. Les responsables du programme ont par conséquent décidé de suivre cet exemple et d’insister sur la création de centres pour les jeunes dans les collectivités participantes (Voakes, 1995). Le troisième élément de Town Youth Participation Strategies est un projet de vidéo collective sur un sujet choisi et documenté par les jeunes. Dans la communauté pilote, les jeunes n’ont pas eu le temps de terminer la vidéo, mais le projet a suscité un grand intérêt parmi eux ; en effet, ils aimaient l’idée de pouvoir s’exprimer par l’intermédiaire d’un média populaire. On n’a pas encore de données complètes sur l’effet de l’initiative. Cependant, le programme participatif semble un outil prometteur pour la lutte contre l’abus de substances intoxicantes dans les petites et moyennes collectivités. On a élaboré un questionnaire afin d’évaluer l’impact des centres de jeunes dans les collectivités participantes. Les données empiriques indiquent une diminution du vandalisme et une diminution des incidents liés à l’alcool depuis l’ouverture des centres. Les participants de la communauté pilote ont aidé le travailleur de rue à concevoir le questionnaire et la documentation (Voakes, 1995). Le programme dispose d’un budget de 305 500 $ (du 1er janvier 1994 au 31 mars 1997). Malgré tout, certaines portions du programme (p. ex. le conseil consultatif) pourraient facilement être reproduites ailleurs, à condition qu’il y ait un intérêt et un soutien suffisants. On pourrait, par exemple, obtenir des dons en nature de partenaires dans la communauté pour limiter autant que possible les coûts directs. Comme les autres initiatives communautaires du genre, le programme Town Youth Participation Strategies facilite l’accès à une gamme de déterminants non médicaux de la santé. Les jeunes qui participent aux activités des conseils et des centres améliorent leurs réseaux sociaux, ainsi que leur hygiène de vie et leur capacité d’adaptation. De plus, en offrant aux jeunes des activités sociales et récréatives qui réduisent les problèmes d’alcool et de drogues, la communauté entière bénéficie d’un milieu plus sécuritaire.
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Programme de développement communautaire à l’intention des jeunes marginaux
Dans le cadre de la deuxième phase de la Stratégie canadienne antidrogue, la Direction de la promotion de la santé de Santé Canada a entrepris une série de consultations régionales, provinciales et territoriales auprès des jeunes et des adultes qui les servent. Ces consultations, menées à l’automne 1993, visaient à permettre l’élaboration d’un plan d’action pour répondre aux besoins des jeunes. Les consultations ont notamment fait ressortir le manque de collaboration entre les groupes et organismes communautaires au service de la jeunesse – le manque de collaboration est responsable des lacunes constatées dans certains secteurs et des chevauchements existant dans d’autres (Mattar, 1996). Le problème se voyait surtout dans les villes de petite et moyenne taille, éloignées des grands centres urbains (Toronto et Vancouver) et dotées d’une importante population de jeunes vivant dans la rue. L’Unité de l’alcool et des autres drogues de la Direction de la promotion de la santé a donc créé le Programme de développement communautaire à l’intention des jeunes marginaux. Ce programme a trois objectifs : aider les communautés pilotes à mettre en place un processus de développement communautaire autour des jeunes à risque ; grâce aux communautés pilotes, déterminer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas ; concevoir pour le groupe cible des modèles de développement communautaire transférables à d’autres collectivités (Anderson, 1996). Cinq endroits participent actuellement au programme pilote : Halifax, Montréal, la région du Manitoba et de la Saskatchewan, Hay River et High Level (en Alberta), Whitehorse et les collectivités environnantes (au Yukon). Les coordonnateurs ont pour tâche de tisser des liens avec les jeunes et les intervenants locaux pour lancer des activités de développement communautaire. Depuis sa création, en 1994, les responsables du programme ont organisé plusieurs activités en fonction des priorités des collectivités en question. Voici quelques exemples : à Halifax, on a déterminé comment les jeunes de la rue sont décrits dans les médias locaux ; à Montréal, on a coordonné la prestation des services et amélioré l’accès aux services existants ; au Manitoba et en Saskatchewan, on a organisé un atelier sur la pérennité à l’intention des intervenants auprès des jeunes ; à Whitehorse, on a entrepris les démarches nécessaires pour l’ouverture d’un centre pour les jeunes (Mattar, 1996). Le programme est encore au tout début de sa phase de mise en place. Voilà pourquoi bon nombre d’activités sont toujours en planification. Il va sans dire qu’on n’a pas non plus commencé à évaluer les répercussions du programme. Celui-ci paraît néanmoins offrir un cadre prometteur, à l’intérieur duquel les principaux intéressés (dont les jeunes) pourront définir les priorités en matière de lutte contre l’abus de substances intoxicantes et passer à l’action. En mettant l’accent sur la collaboration intersectorielle, il remplit d’ailleurs l’une des conditions essentielles pour influer sur les déterminants de la santé (Conseil du premier ministre sur la santé, 1991).
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Centre YWCA Crabtree Corner pour la prévention du syndrome d’alcoolisme fœtal
Le programme communautaire, conçu par le centre YWCA Crabtree Corner pour prévenir le syndrome d’alcoolisme fœtal, est reconnu dans tout le pays parce qu’il montre comment les communautés à risque peuvent affronter les problèmes de dépendance. Le YWCA Crabtree Corner est un centre de programmes et de ressources communautaires offrant des services de garde à court terme en cas d’urgence et une variété de services de soutien aux femmes et aux familles du secteur Eastside, dans l’est du centre-ville de Vancouver. Le programme de prévention du syndrome d’alcoolisme fœtal a été créé en 1988, en réponse aux préoccupations de la communauté devant le manque de services de soutien pour les futures mamans du secteur. Dix-huit organismes communautaires ont appuyé à fond le programme, qui a reçu en 1990 une subvention de trois ans de la Direction de la promotion de la santé de Santé Canada. Au nombre des partenaires figurent le groupe de travail vancouvérois sur la violence conjugale, la clinique VIH/SIDA pour les femmes et les enfants, la Downtown Eastside-Strathcona Coalition, le comité directeur Nobody’s Perfect de l’est de Vancouver, et le Child Poverty Action Group. Un comité consultatif, formé de représentants d’organismes et de membres de la communauté que la question intéresse, s’occupe de la coordination du programme. Il facilite les partenariats multisectoriels nécessaires à l’élaboration de plans d’action complets pour prévenir les problèmes liés à l’abus de substances intoxicantes. Voici les principales activités organisées à ce jour dans le cadre du projet : – mise en place d’un centre de documentation sur le syndrome (incluant des documents vidéo, audio et imprimés) ; – organisation d’une série d’ateliers et de conférences communautaires sur le syndrome ; – animation d’une gamme de séances de sensibilisation et d’information à l’intention des mères célibataires, des adolescentes, des travailleurs de la santé et d’autres membres de la communauté ; – élaboration d’une série de guides faciles à lire sur la prévention du syndrome ; – production de brochures et de dépliants en langage simple sur le syndrome ; – pressions auprès des décideurs afin de pousser l’adoption de meilleurs règlements (p. ex. législation sur l’étiquetage des bouteilles, avis culturellement appropriés et protocoles pour les femmes enceintes dans les centres de désintoxication). En plus des activités mentionnées ci-dessus, le programme offre des services continus au centre, par exemple : services de garde, programme d’alimentation complémentaire, programme de formation parentale, vêtements et renseignements sur les autres services de soutien. La communauté a bien accueilli le programmre de prévention. En 1994, plus de 600 personnes avaient participé aux séances d’information sur le syndrome d’alcoolisme fœtal. L’une des plus grandes qualités du programme, c’est sa capacité à susciter la collaboration intersectorielle ; il permet ainsi aux professionnels de divers
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domaines de travailler ensemble à une même cause, sans qu’il y ait de chevauchements ni de problèmes de territoire. Parmi les partenaires figurent des professionnels du domaine de l’éducation, de la santé, de la justice criminelle, des services sociaux et des entreprises locales. En 1994, le centre YWCA Crabtree Corner a reçu la médaille de distinction provinciale du Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies, en reconnaissance de son travail novateur pour remédier aux causes du syndrome d’alcoolisme fœtal. Le programme novateur mis en place par le YWCA Crabtree Corner – un « programme dans un programme » – applique une stratégie d’intervention générale qui soutient le sain développement des enfants. Pour atteindre son objectif, il offre une gamme d’activités visant quelques-uns des grands déterminants de la santé, notamment : le revenu et le statut social (programme d’alimentation complémentaire, service de garde et vêtements), les réseaux sociaux (participation aux ateliers, aux conférences et au comité consultatif), la formation (documents d’information faciles à comprendre), ainsi que l’hygiène de vie et la capacité d’adaptation.
Le programme Compliance for Kids
Ce programme communautaire vise à prévenir le tabagisme chez les jeunes. Contrairement à d’autres campagnes de prévention, qui insistent sur les connaissances, les attitudes et les comportements des jeunes, celui-ci prend pour cible un facteur environnemental important : la vente de cigarettes aux mineurs. Conçu à l’origine par l’Edmonton Group Action on Smoking and Health, le programme a été mis en œuvre dans plusieurs collectivités albertaines. Compliance for Kids a une double visée : encourager l’adoption d’un arrêté municipal interdisant la vente de produits du tabac aux mineurs et éduquer les détaillants. En ce qui concerne le volet éducatif, les responsables du programme s’appuient sur l’hypothèse suivante : les détaillants qui connaissent et acceptent le programme modifieront leur comportement. Tous les commerçants qui vendent des produits du tabac dans les collectivités participantes reçoivent des enseignes, des autocollants, une copie de la loi pertinente, une lettre du maire, du matériel de sensibilisation pour leurs employés et d’autres ressources visant à décourager la vente aux mineurs. Abernathy (1994) a évalué la mise en œuvre du programme dans trois collectivités (Grande Prairie, Red Deer et Taber). Son évaluation portait sur trois éléments : le respect de la loi, la connaissance de cette dernière par les détaillants et l’empressement de ces derniers (d’après ce qu’ils en disent eux-mêmes) à vendre des cigarettes aux jeunes présentant une note d’un parent ou d’un autre adulte. Les tests effectués avant et après la mise en œuvre montrent qu’une seule collectivité, Taber, a réduit de façon notable la vente de cigarettes aux mineurs. Peutêtre est-ce parce qu’à Taber les détaillants ont reçu les documents des mains d’un responsable des services de santé, accompagné par un gendarme de la Gendarmerie royale du Canada. Le programme a connu un succès moins grand à Grande Prairie
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et n’a eu presque aucun effet à Red Deer, où le taux de vente aux mineurs était déjà le plus bas des collectivités participantes au début de l’étude (Abernathy, 1994). Les détaillants de Taber ont considérablement accru leur connaissance de la loi (42,8 % avant l’étude et 85,7 % après). On a observé une légère amélioration de la connaissance dans les autres collectivités. Le programme a également permis de réduire considérablement le pourcentage de détaillants prêts à vendre des cigarettes aux mineurs présentant une note d’un parent ou d’un autre adulte. Enfin, le degré de satisfaction à l’égard du programme était très élevé : 85 % des détaillants interrogés l’ont en effet qualifié de « très bon » ou d’« excellent ». Le programme Compliance for Kids montre comment les initiatives communautaires peuvent favoriser l’établissement d’un contexte social et d’un milieu propices au maintien de saines habitudes. En réduisant la disponibilité des cigarettes pour les mineurs, il a influé sur l’un des principaux déterminants socio-environnementaux lié au tabagisme.
Résumé
Ce ne sont là que quelques exemples de l’effet des initiatives à caractère communautaire qui luttent contre la consommation de drogues et d’alcool par les jeunes, dans le contexte des déterminants de la santé. Malheureusement, tous les projets et programmes présentés ont le même défaut : le manque d’évaluation. Nous avons indiqué un succès modéré, mais cette analyse repose sur des données empiriques ou des résultats à court terme. La nouveauté des programmes communautaires et multidimensionnels explique l’absence de résultats à long terme. Edwards et ses collègues (1994) font d’ailleurs la même observation dans leur vaste examen des études sur les politiques en matière d’alcool. Ils constatent néanmoins que l’accep tation ou, encore mieux, l’appui de la communauté est essentiel au succès de toute politique en santé publique ; ce qui les amènent à recommander l’inclusion de cet aspect dans toutes les politiques sur l’alcool. Les initiatives communautaires reconnaissent justement ce fait, et c’est pourquoi elles cherchent à mobiliser les ressources de la communauté et à s’assurer son soutien (Edwards et al., 1994). La nature et la portée des programmes et projets présentés varient, mais tous fondaient leurs activités sur un principe, soit que les bonnes habitudes requièrent un milieu propice à la santé. Grâce à une gamme de stratégies visant inconsciemment à influer sur ce qu’on appelle aujourd’hui les « déterminants de la santé » – incluant l’acquisition d’habiletés (Media Arts Program), la réglementation (Compliance for Kids), l’emploi (Alexandra Park Residents’ Association) et la planification intersectorielle (Programme de développement communautaire à l’intention des jeunes marginaux) –, ils ont contribué à l’assainissement du milieu et ont conséquemment aidé les jeunes à faire des choix plus judicieux en matière d’alcool et de drogues.
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Lacunes théoriques
Les programmes communautaires inspirés du modèle des déterminants de la santé (c.-à-d. qui s’intéressent à la fois aux facteurs sociaux, économiques et environnemen taux influant sur la santé des jeunes) commencent à jouir d’une certaine acceptation dans le milieu de la lutte au tabagisme, à l’alcoolisme et à la toxicomanie. Toutefois, il y a encore beaucoup d’opposition. Les partisans du modèle des déterminants se voient par conséquent contraints d’expliquer pourquoi ils se préoccupent de pauvreté, d’isolement social et de préparation au travail, alors que, traditionnellement, on considère que ces problèmes dépassent le cadre de la lutte aux abus de substances intoxicantes. Il faut prouver l’efficacité et la légitimité du modèle des déterminants de la santé comme pivot des programmes de prévention à l’intention des jeunes. Néan moins, plusieurs questions de recherche et de méthodologie devront être prises en considération avant que l’on ne puisse étayer solidement les conclusions quant à l’efficacité de cette approche. Dans l’actuel contexte d’austérité fiscale, il est urgent de trouver des réponses à ces questions pour garantir le maintien des programmes de prévention tenant compte des grands déterminants de la santé. Heureusement, l’austérité peut aussi encourager la collaboration entre les principaux intervenants dont le travail a un rapport avec les déterminants. Voici une série de mesures et de considérations particulièrement importantes pour l’élaboration de programmes de prévention efficaces à l’intention des jeunes, suivant le modèle des déterminants de la santé : – insister sur les recherches visant les jeunes plutôt que les adultes ; – privilégier les recherches examinant l’interaction des différents déterminants ; – utiliser à la fois des méthodes quantitatives et qualitatives ; – évaluer les programmes communautaires ; – concevoir des questions d’enquête pertinentes et efficaces pour les évaluations ; – faire participer les jeunes à toutes les étapes de la recherche et de la conception des programmes ; – appuyer l’organisation d’un programme de démonstration reposant entièrement sur un modèle des déterminants de la santé.
1. Réorientation des recherches afin de jauger l’effet des déterminants de la santé sur le bien-être et la santé des jeunes
La majorité des enquêtes citées dans la documentation (p. ex. Mustard et Frank, 1991) portent sur des populations adultes. Par conséquent, ces recherches n’ont qu’une utilité limitée pour ce qui est d’éclaircir les liens entre les déterminants et la santé des jeunes. Les facteurs sociaux, économiques et environnementaux influent assurément sur la santé et le bien-être des jeunes (de par leur interaction avec l’école, le quartier, leur réseau social et leur famille), mais leurs effets à court et à long terme diffèrent peut-être de ceux observés chez les adultes. Par exemple, le chômage d’un parent ou d’un tuteur ne touche vraisemblablement pas le jeune de la même façon qu’il touche
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la personne en question, car les normes sociales encouragent l’adulte à s’évaluer en fonction de son travail. Il est nécessaire de mener des recherches portant précisément sur les jeunes pour mieux comprendre l’effet des déterminants sur leur santé et leur bien-être. Ainsi pourra-t-on concevoir des programmes et des services avisés de lutte contre l’abus, englobant tous les facteurs de risque et les facteurs de protection sous-jacents (p. ex. la résilience). 2. Recherches examinant la corrélation entre les grands déterminants de la santé
La justification du modèle des déterminants de la santé comme schéma d’intervention dans les domaines jugés prioritaires (notamment l’abus de substances intoxicantes) repose principalement sur des études socio-épidémiologiques, rattachant l’état de santé (p. ex. le tabagisme) à une mesure approximative d’un déterminant particulier (p. ex. le seuil de faible revenu établi par Statistique Canada). Cependant, on ne peut tirer qu’un nombre limité de conclusions sur la santé des populations à partir de ces recherches, car elles ne tiennent pas compte de la corrélation entre les grands déterminants de la santé. Bref, les déterminants de la santé ne peuvent être étudiés indépendamment les uns des autres. Par exemple, on ne peut comprendre exactement l’effet des programmes d’éducation en milieu scolaire sans prendre en considération d’autres facteurs sociaux et environnementaux, incluant le statut socioéconomique de l’étudiant, l’attitude de la famille et des parents envers les drogues, ainsi que la capacité de l’école à encourager ou à décourager l’établissement de réseaux sociaux. Des recherches additionnelles sur la corrélation entre les déterminants s’imposent afin de mieux comprendre l’effet cumulatif de ces derniers sur les habitudes des jeunes. Ces recherches permettraient aux décideurs d’élaborer des stratégies d’inter vention plus appropriées. Elles faciliteraient en outre l’identification des facteurs atténuant les risques sociaux et environnementaux. 3. Complémentarité des méthodes qualitatives et quantitatives en recherche et en évaluation
Règle générale, les spécialistes en santé publique s’appuient sur des études épidémio logiques quantitatives pour définir les facteurs de risque associés à une maladie et documenter l’efficacité des mesures de prévention (c.-à-d. la baisse de la prévalence des maladies transmissibles et non infectieuses). Les mêmes méthodes sont généralement appliquées aux programmes communautaires. Cependant, les praticiens s’interrogent de plus en plus sur la pertinence de l’épidémiologie sociale et des autres méthodes quantitatives comme outils d’infor mation et d’évaluation dans le contexte des déterminants de la santé (Frank, 1995 ; Labonté, 1995). Les méthodes quantitatives restent valables et nécessaires, mais elles ne permettent pas, à elles seules, de comprendre les liens complexes et
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multidimensionnels comme ceux qui existent entre les déterminants de la santé et l’abus de substances intoxicantes. Il est préférable de combiner les approches quantitative et qualitative, cela pour plusieurs raisons. Premièrement, les intervenants des programmes communautaires, tels ceux que nous avons décrits, doivent souvent prendre des décisions en cours de route, ce qui nécessite l’accès à de l’information la plus récente possible. Les recherches et les évaluations quantitatives – qui supposent généralement l’investissement de temps considérable pour la collecte et l’analyse des données – risquent de retarder indûment les décisions ou de donner en bout de ligne des résultats qui ne sont déjà plus pertinents (Van Sant, 1989). Les méthodes qualitatives se prêtent mieux à la collecte d’informations sur les processus, qui sont nécessaires au rajustement du tir en cours de route. Deuxièmement, l’application des données quantitatives présente certaines limites. Les méthodes qualitatives sont mieux adaptées aux besoins de recherche et d’évaluation des responsables de programme et des membres de la communauté qui y participent (Stewart-Brown et Prothero, 1988). Les responsables de programme s’interrogent en général sur les attitudes et les perceptions des participants, par exemple : dans quelle mesure les activités responsabilisent-elles ces derniers et leurs donnent-elles le sentiment de pouvoir faire valoir leurs intérêts communs en matière de santé ? Parce que ces questions ont un rapport avec la façon dont les gens interprètent l’importance d’actions ou d’événements précis, on y répond mieux à l’aide de méthodes qualitatives. En effet, contrairement aux méthodes quantitatives, qui réduisent les croyances, les opinions et les attitudes à une série de chiffres à analyser, les méthodes qualitatives produisent des données riches et détaillées, qui conservent la perspective des participants (Steckler et al., 1992). Finalement, les méthodes quantitatives peuvent nuire à la responsabilisation, processus ayant pour but d’amener les gens à avoir une emprise sur leur propre environnement, central à bon nombre de programmes communautaires de prévention des abus. L’enquête ou l’évaluation quantitative peut souvent s’avérer une expérience aliénante pour les groupes marginaux, qui sont généralement les premiers visés par les activités de prévention dans le contexte des déterminants de la santé. Par exemple, les personnes qui connaissent mal la langue utilisée ou qui ont de la difficulté à lire pourraient voir en leur incapacité à comprendre les questions une lacune suffisamment sérieuse pour les empêcher de participer au programme. En outre, les personnes économiquement défavorisées voient souvent d’un mauvais œil les questionnaires de ce genre, s’estimant déjà assez étudiés par les fonctionnaires et les organismes gouvernementaux (Labonté, 1993). Les méthodes qualitatives permettent au contraire d’éviter certains des aspects « désemparants » des évaluations. Les participants des programmes communautaires trouvent généralement les évaluations qualitatives moins gênantes que les évaluations quantitatives. Les premières tendent à être plus conviviales, utilisent un vocabulaire plus familier aux gens du programme et tiennent davantage compte de leur culture. Elles considèrent aussi les préoccupations immédiates des participants, plutôt que de se restreindre aux intérêts des commanditaires (Labonté, 1993).
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Pour ces raisons, les recherches visant à analyser le rapport entre l’abus de substances intoxicantes chez les jeunes et les déterminants de la santé devraient utiliser conjointement des méthodes quantitatives et qualitatives. Les données qualitatives révéleront les éléments contextuels à la base de la consommation abusive et aideront ainsi les chercheurs à comprendre le sens véritable des données quantitatives. 4. Évaluation approfondie des programmes communautaires visant les grands déterminants de la santé
Les programmes décrits à la section précédente témoignent de la rareté des évaluations approfondies. Comme Goodstadt (1995) le note, il y a bien peu de données prouvant la valeur des « nouveaux » programmes de prévention (incluant ceux qui visent les grands déterminants de la santé), et les données qui existent sont, pour la plupart, empiriques. La majorité des auteurs qui s’intéressent à la question (Windsor et al., 1984 ; Green et Lewis, 1986 ; Posavac et Carey, 1989) distinguent deux types d’évaluation : l’évaluation des processus, qui examine le déroulement de l’intervention, y compris la planification et la mise en œuvre ; et l’évaluation des résultats, qui examine si l’intervention a permis d’atteindre les objectifs fixés au départ (p. ex. réduire le nombre d’incidents liés à la consommation d’alcool par les jeunes). Les deux types sont utiles quand vient le temps de jauger l’effet des programmes communautaires visant la lutte aux abus de substances intoxicantes d’après le modèle des déterminants de la santé. L’évaluation approfondie des programmes ne vise pas seulement à fournir des données fiables sur leur efficacité. Elle procure une rétroaction constructive aux participants, elle attire parfois l’attention sur les éléments du programme qu’il y aurait lieu de revoir et peut contribuer à faire ressortir la nécessité de priorités et d’objectifs nouveaux. Elle peut aussi aider au dépistage ou à la clarification des problèmes. À long terme, l’évaluation peut aussi servir à faire des pressions auprès des décideurs ou à sensibiliser la population à un problème particulier qu’on souhaite régler. De façon générale, elle devrait éveiller les participants à ce qui se passe, leur faire entrevoir les résultats probables du programme et les sensibiliser aux facteurs servant à juger de son échec ou de sa réussite (van der Eyken, 1991). Il y donc lieu de consacrer plus d’efforts à l’évaluation des processus et du résultat des programmes communautaires de prévention qui s’adressent aux jeunes et qui suivent le modèle des déterminants de la santé. En plus des avantages déjà mentionnés, une évaluation approfondie permet aux praticiens de voir quelles composantes contribuent le plus au maintien et à la promotion de sa santé et du bien-être ; ce qui permet en retour d’investir plus judicieusement les rares fonds publics.
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5. Spécificité des questions de recherche visant à mesurer l’effet des programmes de lutte contre l’utilisation abusive du tabac, de l’alcool et des drogues
Les praticiens et les commanditaires vont souvent à l’essentiel et se posent des questions du genre : Est-ce que les interventions axées sur les communautés fonctionnent ? Est-ce que le modèle des déterminants de la santé prévient vraiment l’abus de substances intoxicantes ? Laquelle, parmi les nombreuses stratégies visant les déterminants de la santé, est la plus efficace ? Qu’est-ce qui fonctionne ? Comme le souligne Goodstadt (1995), il est difficile à répondre à ces questions parce que les données disponibles sont complexes, inconsistantes et, souvent, non convaincantes pour les sceptiques. On attend des praticiens qu’ils démontrent l’efficacité extraordinaire des interventions pour tous les groupes et communautés prioritaires ; ceux-ci doivent toutefois reconnaître que, aussi raisonnables puissent-elles sembler, ces questions ne sont pas les bonnes. Elles sont unidimensionnelles et, par conséquent, empêchent de considérer la mosaïque de facteurs qui influent sur la santé des individus et des communautés. Goodstadt (1995) propose une autre question pour évaluer l’efficacité des programmes. Selon lui, il serait plus approprié de se demander dans quelles cir constances telle stratégie de promotion de la santé fonctionne – pour quel problème, quel objectif et quelle population, suivant quel calendrier, avec quelle méthode et comparativement à quels critères (Goodstadt, 1995). Un tel questionnement produira à long terme plus de renseignements pertinents pour l’élaboration des programmes que la recherche de solutions magiques, utopiques.
6. Recherche-action impliquant les jeunes à risque
Plusieurs des programmes décrits précédemment incorporent les principes de recherche-action participative, approche suggérée à l’origine par le sociopsychologue Kurt Lewin (1946, 1952). En termes simples, la recherche-action participative, c’est la façon dont les groupes peuvent organiser les conditions par lesquelles ils vont apprendre de leur expérience et transmettre cette expérience aux autres (McTaggart, 1993). Cette approche comporte à la fois une dimension individuelle (les chercheurs se changent eux-mêmes) et une dimension collective (les chercheurs collaborent avec des groupes communautaires pour provoquer un changement social). Sa caractéristique distinctive, c’est que les personnes touchées par les résultats (p. ex. les jeunes à risque) décident de la marche à suivre (Kemmis et McTaggart, 1988). Puisque la recherche-action participative s’attarde souvent aux déterminants sociaux et environnementaux en tâchant de résoudre les problèmes de santé de la communauté, les participants risquent moins de se sentir exploités par la recherche. Elle garantit aussi l’utilisation de méthodes appropriées, permettant à la communauté défavorisée de satisfaire aux besoins qu’elle juge prioritaires, ainsi que de valider ses connaissances et son expérience.
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Enfin, il appert que la santé et le bien-être des membres de la communauté s’améliorent souvent grâce à cette participation. Les recherches commencent en effet à montrer que la responsabilisation rehausse la santé. Selon un nombre croissant d’articles en santé communautaire et en sciences sociales, les efforts collectifs visant à faciliter la responsabilisation (par la collaboration avec des groupes communautaires ayant des intérêts communs) peuvent entraîner des avantages tangibles sur le plan de la santé, notamment : une amélioration de l’estime de soi, une plus grande efficacité individuelle et collective, un meilleur soutien social, une amélioration des réseaux sociaux et une plus grande cohésion de la communauté (Wallerstein, 1993). Nous avons déjà discuté de cette question quand nous avons traité des écrits sur la résilience. Pour ce qui est d’examiner l’effet des déterminants de la santé sur la consommation de tabac, d’alcool et de drogues, on devrait conséquemment accorder à la recherche-action participative une attention égale aux méthodes de recherches traditionnelles. Quand c’est possible, les chercheurs, les agents de changement dans la communauté et les jeunes devraient collaborer ensemble à la planification, à la mise en œuvre et à l’analyse des programmes de prévention visant les grands déterminants de la santé.
7. Programmes de recherche portant sur la prévention de l’abus de substances intoxicantes et fondés sur le modèle des déterminants de la santé
Les programmes et projets décrits dans le présent document tâchaient d’influer sur les grands déterminants de la santé, mais ils n’étaient pas, à proprement parler, fondés sur un tel modèle. Par conséquent, nos conclusions ne reposent pas sur des preuves directes, mais découlent plutôt d’« approximations compatibles ». Pour mieux comprendre les implications du modèle relativement à la planification et à la mise en œuvre des efforts de prévention visant les jeunes, il faudrait financer une initiative communautaire conçue spécialement en fonction du modèle.
Autres problèmes de recherche
• Comment garder les jeunes à l’école pour tirer parti de l’effet protecteur de ce milieu ? • Comment promouvoir la résilience, afin d’aider les jeunes à surmonter leurs désavantages dans le contexte général des déterminants de la santé ? • Dans quelle mesure est-ce que l’abus de substances intoxicantes est un déterminant de la santé ? • Dans quelle mesure l’abus influe-t-il sur les autres déterminants de la santé ?
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Considérations politiques Principes sous-jacents
Depuis quelques années, les politiques et les programmes relatifs à la prévention de l’abus de substances intoxicantes deviennent de plus en plus multidimensionnels ; c’est donc dire qu’ils ne se contentent pas de porter attention aux problèmes d’alcoolisme, de tabagisme ou de toxicomanie, mais tiennent en plus compte des facteurs de risque et de protection, tels que la violence familiale, l’estime de soi, l’application des lois et les systèmes de soutien communautaire. L’émergence du modèle des déterminants de la santé comme outil d’intervention dans les domaines prioritaires devrait accentuer cette tendance. Toutefois, avant de pouvoir traduire la théorie en politiques et en programmes visant directement les causes (sociales, économiques et environnementales) d’abus chez les jeunes, il faudra prendre en considération trois principes sous-jacents : 1. Complémentarité des approches « promotion de la santé » et « santé de la population » ; 2. Augmentation de la collaboration intersectorielle ; 3. Interventions axées sur les communautés.
1. Il faut reconnaître la complémentarité de l’approche « promotion de la santé » et de l’approche « santé de la population » relativement à l’amélioration des déterminants de la santé
La promotion de la santé, c’est-à-dire la méthode par laquelle ont permet aux gens d’accroître leur emprise sur leur santé et de l’améliorer (Organisation mondiale de la santé, 1986), reconnaît depuis longtemps l’importance d’un accès équitable aux grands déterminants de la santé pour la santé et le bien-être des individus et des com munautés. Voici, selon la Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé (Organisation mondiale de la santé, 1986), les conditions essentielles à la santé : paix, logement, instruction, nourriture, revenu, écosystème stable, ressources renouvelables, justice sociale et équité. Toujours selon la charte, l’amélioration de la santé requiert au préalable la satisfaction de ces conditions de base. Pour garantir à tous un accès équitable à ces déterminants, la Charte d’Ottawa préconise l’intervention dans cinq domaines clés : élaboration de saines politiques publiques, création de milieux favorables, consolidation des actions communautaires, développement de la compétence personnelle et réorientation des services de santé. Après la publication de la Charte, certaines initiatives de promotion de la santé, en accord avec ces priorités, ont vu le jour au niveau national, provincial et commu nautaire. La promotion de la santé continue d’ailleurs d’être l’une des principales philosophies guidant la planification et la mise en œuvre des politiques et des programmes ayant trait aux grands déterminants de la santé. Cependant, au cours des dernières années, les principes de santé de la population ont gagné en popularité parmi les décideurs et les planificateurs du fédéral et des
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provinces. Il en a résulté plusieurs mesures, notamment : la création du Comité consultatif fédéral-provincial-territorial sur la santé de la population et, subséquemment, l’élaboration d’un plan pour la santé de la population ; l’établissement d’une Direction de la santé et des problèmes de la population à Santé Canada, laquelle s’est substituée à la Direction de la promotion de la santé dans certains domaines ; la création d’un Service de la santé de la population à la Direction de la santé publique du ministère de la Santé de l’Ontario (Rootman, 1995). Il faut aussi mentionner la publication de documents d’envergure qui recommandent cette approche pour garantir l’atteinte des objectifs fixés en santé (p. ex. Evans et al., 1994) et qui ont suscité beaucoup d’attention et d’appuis. Comme la promotion de la santé, les stratégies portant sur la santé de la population s’appuient sur tous les facteurs qui déterminent la santé, dont les réseaux sociaux, l’instruction, l’hygiène de vie et la sécurité en milieu de travail. Mais au contraire de la première, qui suppose à la fois des approches ciblées et générales, la seconde inclut uniquement des stratégies visant l’ensemble de la population (Comité consultatif fédéral-provincial-territorial sur la santé de la population, 1994). Le gain de popularité de l’approche « santé de la population » comme méthode parallèle (mais complémentaire) à la promotion de la santé a provoqué un débat sur le mérite des deux. Dans une critique, Labonté (1995) dit craindre que l’approche « santé de la population », axée sur l’épidémiologie sociale, ne replace la santé dans un continuum de maladie plutôt que de promouvoir une vision holiste de la santé à l’extérieur du modèle médical. De plus, l’importance que l’approche « santé de la population » accorde à la limitation des dépenses associées aux soins de santé pourrait, accidentellement, miner la fragile légitimité de la responsabilisation, du développement communautaire, de la recherche qualitative et de la défense des intérêts, que les intervenants en santé ont mis une vingtaine d’années à faire admettre (Labonté, 1995). Fait intéressant, les principaux documents vantant l’approche « santé de la population » (Comité fédéral-provincial-territorial sur la santé de la population, 1994 ; Frank, 1995) ne font pas mention de la promotion de la santé et ne décrivent pas non plus comment celle-ci pourrait contribuer à la santé de la population. Par exemple, la mobilisation de la communauté (une stratégie cruciale de promotion de la santé) est négligée, bien que ce soit la principale méthode utilisée pour aider les groupes défavorisés à obtenir un accès équitable aux déterminants de la santé. Presque tous les exemples d’intervention donnés à la section précédente appliquent des principes de mobilisation et de développement communautaires. Les partisans de ces approches concurrentes devraient reconnaître les mérites respectifs de l’autre, ainsi que la complémentarité des deux comme méthodes d’action sur les déterminants, afin d’écarter la possibilité de confusion, de chevauchements et de tension. À titre d’exemple, il ne faudrait pas que nos efforts pour garantir à tous un accès équitable aux grands déterminants de la santé excluent le développement communautaire, la défense des intérêts et les efforts de promotion ciblés pour les segments défavorisés de la communauté.
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2. Il faut promouvoir et accroître la collaboration intersectorielle pour influer sur les déterminants de la santé liés aux abus de substances intoxicantes chez les jeunes
L’action sur les déterminants de la santé, pour prévenir l’abus de substances intoxicantes chez les jeunes, requiert l’établissement de partenariats entre divers secteurs, incluant la justice, les forces de l’ordre, les loisirs, l’éducation, la santé, les services sociaux et communautaires, le transport et le travail. Plusieurs documents d’orientation et de planification présentant un grand intérêt soulignent d’ailleurs l’importance de la collaboration intersectorielle pour encourager l’action concertée (Organisation mondiale de la santé, 1986 ; Conseil du premier ministre sur la santé, 1991 ; Comité consultatif fédéral-provincial-territorial sur la santé de la population, 1994). Tous les programmes donnés en exemple dans le présent document reposaient sur des partenariats intersectoriels. Ces partenariats ont décuplé l’effet des pro grammes à l’échelon communautaire, ce qui a donné à leurs interventions auprès du groupe prioritaire une portée qu’elles n’auraient pu atteindre autrement. Fralick (1995) constate que l’établissement de tels partenariats requiert un travail préparatoire : ainsi, les partenaires qui ne font pas partie du milieu de la santé ni de la lutte contre l’abus de substances intoxicantes doivent être instruits des déterminants de la santé, de l’importance des méthodes multidimensionnelles dans la lutte au tabagisme, à l’alcoolisme et à la toxicomanie, ainsi que de l’influence de leur politique et de leurs pratiques sur la santé des jeunes. De surcroît, la réussite des partenariats dépendra de la capacité des partenaires à changer leur vision, c’està-dire à placer leur travail dans le contexte des déterminants de la santé. Les acteurs principaux doivent être mis à contribution dès le départ pour favoriser l’appropriation des idées et de la démarche.
3. Il faut appuyer les initiatives communautaires qui visent les facteurs sociaux, économiques et environnementaux jouant un rôle clé dans le tabagisme, l’alcoolisme et la toxicomanie chez les jeunes
L’application du modèle des déterminants de la santé à la prévention de l’abus de substances intoxicantes se traduit par l’élaboration et la mise en œuvre de politiques et programmes complets, qui s’intéressent à l’éventail des déterminants de la santé. Idéalement, ces politiques et programmes devraient résulter de la collaboration d’une brochette d’acteurs, afin de permettre une intervention intégrée dans les domaines désignés comme prioritaires (p. ex. le logement et le soutien social). À la section précédente, nous avons présenté un échantillon de programmes et projets communautaires influant sur les déterminants de la santé liés à la consommation abusive d’alcool et d’autres drogues par les jeunes. Les interventions de nature communautaire ont plusieurs avantages par rapport aux méthodes plus traditionnelles visant à garantir un accès plus équitable aux déterminants de la santé, comme la réglementation et les campagnes de promotion sociale.
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Premièrement, les problèmes de santé des jeunes (notamment la dépendance) résultent des conditions sociales, économiques et environnementales qui caractérisent leur communauté. Les stratégies de mobilisation communautaire aident à réduire la prévalence des problèmes parce qu’elles s’attaquent directement aux causes (Perry, 1986 ; Bracht, 1990). Deuxièmement, les interventions communautaires contribuent au déve loppement des aptitudes et de la compétence sociale – des déterminants importants de la santé. Contrairement aux campagnes de communication visant le grand public, qu’on a accusées de traiter les jeunes comme des récepteurs d’information passifs, les programmes communautaires de nature participative réussissent mieux à enseigner aux jeunes les habiletés nécessaires au maintien d’une santé optimale. Les programmes communautaires sont aussi des instruments efficaces de responsabilisation – processus par lequel les individus et les communautés prennent en charge leur propre environ nement, et qui semble avoir plusieurs effets bénéfiques sur la santé (Wallerstein, 1992). Troisièmement, les jeunes qui participent aux programmes communautaires améliorent leur capacité à résoudre collectivement des problèmes. Avec la diminution graduelle des subventions gouvernementales, il reviendra de plus en plus aux communautés de s’occuper elles-mêmes des problèmes sociaux, comme l’abus de substances intoxicantes. En améliorant les capacités de direction, de négociation et de communication des participants, les programmes contribuent à rehausser la capacité collective des jeunes à régler leurs problèmes communs. Enfin, les programmes de type communautaire sont assez souples pour répondre aux besoins variés des jeunes et de leurs communautés. Ils peuvent être adaptés aux caractéristiques et aux circonstances particulières du groupe cible et gagnent ainsi en efficacité, au contraire de nombreuses campagnes d’éducation publique qui mettent tout le monde dans le même moule. Voilà comment les initiatives communautaires, en donnant un accès équitable aux déterminants de la santé, réussissent à prévenir l’abus de substances intoxicantes chez les jeunes. Les gouvernements fédéral et provinciaux devraient par conséquent leur donner plus d’importance et leur consentir une proportion plus grande de leurs ressources.
Recommandations
Les écrits et les rapports de cas que nous avons analysés donnent plusieurs indices quant aux secteurs et aux dépenses auxquels il faut accorder la priorité en matière de lutte au tabagisme, à l’alcoolisme et à la toxicomanie, selon la perspective des déterminants de la santé. Nous savons que l’insuffisance des revenus et le manque d’estime de soi augmentent les risques d’abus chez les jeunes. Le milieu scolaire peut cependant jouer un rôle protecteur. Quant à la famille et aux pairs, leur influence peut être positive ou négative, selon la nature des interactions. Nous connaissons aussi quelques-uns des facteurs sur lesquels influer, à cause de leur potentiel protecteur : la compétence des parents en matière d’éducation
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des enfants ; la responsabilisation des personnes ; la diminution de l’agressivité des jeunes garçons ; la réduction des conflits parents-enfant, des conflits conjugaux, ainsi que de l’abus parental de substances intoxicantes ; l’amélioration de la qualité des rapports parents-enfant ; la présence de modèles positifs et de mentors ; l’accès à des programmes de garde de haute qualité, insistant sur le développement des aptitudes sociales. Les études de cas que nous avons présentées illustrent bien comment les principes généraux ci-dessus peuvent être intégrés aux interventions, pour remédier aux lacunes dans les déterminants de la santé. Les recommandations qui suivent offrent des points de repères additionnels pour l’élaboration de politiques ayant pour objet la prévention de l’abus de substances intoxicantes : • Chercher comment promouvoir un milieu familial favorable (p. ex. par l’édu cation parentale). • Travailler à réduire les iniquités socioéconomiques chez les jeunes en donnant à la jeunesse défavorisée l’occasion de gagner des revenus (p. ex. programmes de stages estivaux). • Chercher comment garder les jeunes à l’école et offrir des solutions de rechange adéquates aux jeunes qui sont défavorisés ou qui ont des besoins spéciaux. • Rehausser le sentiment de compétence des jeunes en leur donnant des occasions d’apprentissage et d’interaction sociale qui les aideront à développer les aptitudes générales nécessaires à leur épanouissement. • Mettre en place des programmes exposant les jeunes à des mentors et à des modèles positifs. • Encourager la collaboration intersectorielle entre les grands établissements communautaires (p. ex. les écoles et les centres récréatifs), pour que ceux-ci soient davantage en mesure d’offrir aux jeunes un milieu social sain, propice à leur l’épanouissement. • Encourager les collectivités à adopter des politiques visant à prévenir la con sommation de tabac, d’alcool et de drogues par les jeunes (p. ex. faire respecter la réglementation interdisant la vente de produits du tabac aux mineurs). • Faire en sorte que les jeunes mères et les futures mamans des milieux défavorisés aient la nourriture, les vêtements, le logement et les soins primaires dont elles ont besoin, et un accès équitable aux autres grands déterminants de la santé. • Faire en sorte que les jeunes enfants dont l’environnement n’offre pas la sécurité, l’affection et la stimulation nécessaires aient un accès équitable aux grands déterminants de la santé. • Amener les jeunes à participer à l’élaboration de programmes et de politiques qui encouragent l’adoption de saines habitudes (p. ex. les programmes éducatifs novateurs qui utilisent la vidéo, le théâtre de rue, etc.). • Veiller à offrir aux jeunes des activités de rechange à la consommation d’alcool et de drogues (p. ex. saines activités sportives et récréatives). • Veiller à ce que tous les programmes et services offrent des solutions aux problèmes d’alphabétisation.
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Conclusions
Nous sommes conscients des restrictions budgétaires actuelles et du manque de fonds pour le financement de nouveaux programmes. Un moyen de garantir que les communautés aient les ressources nécessaires pour lutter contre le tabagisme, l’alcoolisme et la toxicomanie chez les jeunes serait de réinvestir une partie des fonds destinés aux campagnes d’éducation visant le grand public. En 1992-1993, Santé Canada a dépensé plus pour la sensibilisation et l’éducation du public (4,7 millions de dollars) que pour toute autre activité de sa Stratégie antidrogue, de la coordination nationale à la recherche (exception faite de l’initiative visant les drogues destinées à augmenter le rendement, dont le ministère assume une partie des frais). Même en investissant seulement une partie de ces ressources dans les pro grammes communautaires, le ministère augmenterait considérablement la capacité des groupes et des organismes locaux à soutenir les déterminants de la santé en rapport avec la consommation d’alcool et de drogues par les jeunes. Dans le présent document, nous ne prétendons pas offrir un plan détaillé pour l’élaboration de stratégies visant à prévenir l’abus de substances intoxicantes et tenant compte des déterminants de la santé ; il faut plutôt le voir comme un préambule à l’élaboration de politiques et de programmes complets, s’attaquant aux causes profondes du tabagisme, de l’alcoolisme et de la toxicomanie chez les jeunes. En portant une attention plus grande aux implications du modèle des déterminants de la santé relativement aux abus de substances intoxicantes, on finira par encourager l’élaboration de stratégies plus efficaces, qui contribueront à influer sur la multitude de facteurs sociaux et environnementaux jouant un rôle dans le tabagisme, l’alcoolisme et la toxicomanie des jeunes. On pourra finalement juger du mérite de ces initiatives en évaluant leur capacité à promouvoir une atmosphère familiale, un milieu scolaire et un environnement sains et favorables qui, en retour, amèneront les jeunes à faire des choix et à adopter des comportements judicieux en matière de drogues.
Pamela C. Fralick, B. A., M. A., M. A. P., travaille depuis vingt ans dans le domaine de la toxicomanie, que ce soit en recherche, en traitement, en éducation, en programmation ou en établissement des orientations. Elle a passé huit ans en Europe dans les forces armées canadiennes, où elle a dirigé un service de traitement de l’alcoolisme, a été chargée de l’établissement des orientations et a coordonné tous les programmes de promotion de la santé. De retour au Canada, elle a passé deux ans auprès de Santé Canada avant d’accepter un poste d’adjointe au directeur général du Canadian Centre on Substance Abuse. En avril 1997, elle créait un service de consultation en recherches et orientations dans le domaine de la santé.
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La prévention des MTS et du sida chez les jeunes Gaston Godin, Ph. D., et Francine Michaud Groupe de recherche sur les aspects psychosociaux de la santé Faculté des sciences infirmières Université Laval
Résumé Le présent document traite de la prévention du sida et des maladies transmissibles sexuellement (MTS) chez les adolescents en milieu scolaire et chez les jeunes en difficulté d’adaptation sociale, placés en centre de réadaptation ou en famille d’accueil. La première section fait état de la problématique des MTS et du sida dans les différents groupes d’âge, tandis que la deuxième décrit le cadre d’intervention ayant inspiré les différents programmes expérimentaux. La troisième section présente un bilan des études examinant les facteurs associés aux comportements à risque dans les deux populations cibles, soit les adolescents en milieu scolaire et les jeunes en difficulté d’adaptation sociale. La quatrième section passe en revue les formes d’activités ainsi que les éléments qui contribuent à la réussite des interventions. La cinquième section présente les trois programmes expérimentaux d’intervention retenus pour la prévention du sida et des MTS. Le premier porte sur une intervention par les pairs en milieu scolaire multiethnique auprès d’élèves du secondaire. Le deuxième est un programme mis en œuvre par les éducateurs du milieu auprès de jeunes en difficulté d’adaptation sociale placés en centre de réadaptation. Le troisième a pour objet la formation de parents d’accueil afin qu’ils interviennent auprès des adolescents en difficulté dont ils ont la charge. Enfin, nous formulons une série de recommandations se dégageant des expériences effectuées et des difficultés rencontrées, afin de faciliter les prochaines interventions de promotion de la santé sexuelle et de permettre d’agir sur les différents milieux de vie des clientèles visées.
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TABLE DES MATIÈRES
La problématique des MTS et du sida . ........................................................ 381 Population en général..................................................................................381 Adolescents en général.................................................................................382 Jeunes en difficulté d’adaptation..................................................................382 Le cadre d’intervention ................................................................................ 382 Les déterminants de la santé........................................................................383 Un modèle de planification des activités de prévention et de promotion de la santé..........................................................................384 Les déterminants du comportement............................................................386 Bilan des études examinant les facteurs associés aux comportements à risque . ....................................................................... 388 Adolescents..................................................................................................388 Jeunes en difficulté d’adaptation..................................................................390 Les stratégies de prévention efficaces ............................................................ 391 Les activités de prévention les plus courantes et les plus efficaces ................392 Les facteurs favorisant l’efficacité des interventions......................................392 Études de cas . .............................................................................................. 395 Programme d’éducation par les pairs dans une école multiethnique . ..........395 Programme d’intervention sur la sexualité et la prévention des MTS et du sida pour les jeunes en CRJDA et CRJMDA......................................400 Parents d’accueil et prévention des MTS et du sida......................................404 Recommandations en matière de prévention des MTS et du sida . ............... 409 Bibliographie....................................................................................................414 Liste des figures
Figure 1 Modèle des déterminants de la santé et du bien-être.......................383 Figure 2 La promotion de la santé................................................................385
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Figure 3 Modèle Precede-Proceed de planification et d’évaluation en promotion de la santé modifié selon l’analyse effectuée par Godin....................................386 Figure 4 Modèle intégrateur des déterminants du comportement.................387 Liste des tableaux
Tableau 1 Les activités de prévention les plus courantes et jugées les plus efficaces ...........................................................................393 Tableau 2 Facteurs favorisant l’efficacité des interventions.............................393
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LA PROBLÉMATIQUE DES MTS ET DU SIDA
Depuis dix ans, le sida et les maladies transmissibles sexuellement (MTS) constituent l’un des plus graves problèmes de santé publique à l’échelle mondiale. En tenant compte du sous-diagnostic et des retards dans la déclaration des cas, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) évalue à environ 4,5 millions le nombre de cas de sida chez les adultes et les enfants depuis le début de la pandémie (OMS, 1995). Au Canada, l’Ontario et le Québec sont les deux provinces les plus touchées par le sida (Bureau du VIH/sida et des MTS, 1995). Qui plus est, les perspectives quant aux possibilités d’enrayer cette maladie ne sont guère encourageantes à court terme. Par ailleurs, les MTS ont atteint une prévalence suffisamment inquiétante dans plusieurs pays du monde pour que, depuis quelques années déjà, l’OMS (1986) attire l’attention de ses pays membres sur la gravité des complications qu’elles peuvent engendrer, tant pour la personne atteinte que pour sa famille et la collectivité. Si l’on ne possède pas de statistiques pour le Canada dans son ensemble, on sait qu’au Québec ces maladies représentent globalement plus de 300 000 cas par an. Même si elles ne sont pas toutes à déclaration obligatoire, le problème demeure de taille, car on estime que 1 Québécois sur 20 est atteint d’une MTS chaque année (Centre québécois de coordination sur le sida, 1992). Il y a tout lieu de croire que ce problème ne pourra être réglé avant longtemps et qu’il nous faudra, comme société, composer avec ces maladies plusieurs années encore, voire plusieurs décennies. La problématique sociale de la prévention des MTS et du sida est trop complexe pour qu’on l’aborde sous toutes ses facettes compte tenu de la diversité des clientèles touchées. Plusieurs groupes, notamment les jeunes et les groupes marginalisés, tels les jeunes en difficulté d’adaptation sociale, les utilisateurs de drogues injectables, les personnes qui se livrent à la prostitution, les délinquants, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, les jeunes mères en difficulté et les membres de groupes ethnoculturels forment des sous-groupes sociaux présentant des caractéristiques qui leur sont propres. Par conséquent, le présent document donnera une vue d’ensemble de la problématique des MTS et du sida, mais l’analyse portera exclusivement sur les jeunes en milieu scolaire ou présentant des difficultés d’adaptation sociale.
Population en général
Au Canada, chez les femmes tout autant que chez les hommes, le groupe des 30 à 39 ans est le groupe d’âge le plus touché par le sida (Bureau du VIH/sida et des MTS, 1995). Cette maladie frappe toutes les couches de la population mais certains groupes sont plus atteints, notamment les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, les utilisateurs de drogues injectables ainsi que les personnes originaires de pays où le sida est à l’état endémique (Bureau du VIH/sida et des MTS, 1995 ; Centre québécois de coordination sur le sida, 1995). Parmi les provinces du Canada, c’est au Québec que l’on observe les taux les plus élevés de transmission hétérosexuelle et périnatale.
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En ce qui a trait aux différentes MTS à déclaration obligatoire, on constate qu’un plus grand nombre de cas sont déclarés chez les femmes. Ces MTS peuvent aussi entraîner chez elles des complications très graves, comme une grossesse ectopique, une salpingite, l’infertilité et un risque accru de cancer du col de l’utérus (Centre québécois de coordination sur le sida, 1992). La chlamydiose est de loin la maladie la plus fréquemment déclarée et les femmes sont plus particulièrement touchées (Parent et Alary, 1995). Adolescents en général
Au Canada, 20 % des cas connus de sida se trouvent dans le groupe d’âge des 20 à 29 ans (Bureau du VIH/sida et des MTS, 1995). Si l’on considère que la période d’incubation du VIH peut s’étendre sur plusieurs années (jusqu’à 13 ans), tout porte à croire que ces jeunes adultes ont été infectés par le VIH pendant leur adolescence (DiClemente, 1992). Des experts affirment en outre que le VIH est maintenant présent chez les jeunes et que sa transmission pourrait prendre beaucoup d’ampleur d’ici la fin des années 1990 (Hein, 1993). En ce qui concerne les MTS, quelques études menées au Québec (Cloutier et al., 1994 ; Otis, 1992, 1994 ; Otis et al., 1994, 1995) auprès d’élèves du secondaire montrent qu’entre 1,3 % et 11 % de ces jeunes déclarent avoir déjà été traités pour une MTS. En fait, pour plusieurs MTS à déclaration obligatoire, les adolescentes de 15 à 19 ans sont le groupe le plus touché (Parent et Alary, 1995).
Jeunes en difficulté d’adaptation
Selon plusieurs études menées aux États-Unis (Alexander-Rodriguez et Vermund, 1987 ; Morris et al., 1992, 1993 ; Oh et al., 1993, 1994 ; Rotheram-Borus et al., 1991 ; Shafer et al., 1993), au Canada (Radford et al., 1989) et plus particulièrement au Québec (Cloutier et al., 1994 ; Godin et al., 1994 ; Otis et al., 1994 ; Poulin et al., 1994), de 12 % à 30 % des jeunes en difficulté d’adaptation disent avoir déjà souffert d’une MTS. Si l’on admet, comme certains auteurs (Mann et al., 1992), que les personnes ayant déjà contracté une MTS sont plus vulnérables à l’infection par le VIH, il y a tout lieu de croire que ces jeunes représentent un groupe à très haut risque pour la transmission du VIH.
LE CADRE D’INTERVENTION
Étant donné l’ampleur de ces problèmes de santé, il est indispensable d’agir rapidement pour les réduire sensiblement, voire les éradiquer. Or, comme l’adoption de comportements sûrs est la seule façon de prévenir le sida et les MTS, les activités de prévention et de promotion de la santé s’avèrent les plus appropriées. Toutefois, pour que ces activités portent fruit, il faut s’assurer qu’elles s’inscrivent dans un cadre d’intervention intégré.
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Les déterminants de la santé
Il y a plus de 40 ans, l’OMS a adopté une définition selon laquelle « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » (Nutbeam, 1988). Plus récemment, certains auteurs ont fait valoir que la santé, non seulement est une notion qui renvoie à l’individu, mais elle revêt de plus un caractère multidimensionnel et varie selon le contexte social et culturel ainsi que selon d’autres caractéristiques personnelles, notamment le niveau socioéconomique et la proximité des services de santé. En fait, pour ces auteurs la santé est multifactorielle, c’est-à-dire qu’elle dépend de plusieurs facteurs déterminants (Pineault et Daveluy, 1986). Ces définitions impliquent qu’une personne en bonne santé peut réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins, tout en ayant la capacité d’évoluer dans son milieu ou de s’y adapter. Vue sous cet angle, la santé apparaît comme une ressource de la vie quotidienne. En somme, ces définitions de la santé font intervenir un ensemble de déter minants qui ne se limitent pas au système de santé. Mentionnons notamment les facteurs biologiques, les habitudes de vie et les comportements liés à la santé, le milieu de vie, l’environnement physique et sociopolitique, les conditions de vie et le système de soins (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 1992). Evans et Stoddart (1994) ont évoqué les liens qui unissent ces différents déterminants (figure 1).
Figure 1 Modèle des déterminants de la santé et du bien-être
Environnement social
Environnement physique
Patrimoine génétique
Santé et fonctionnement
Maladie
Soins de santé
Bien-être
Prospérité
Réaction individuelle – comportement – biologie
Source : G. Godin, 1995.
Source : Evans et Stoddart, 1994.
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Les liens établis entre les différents déterminants de la santé montrent que la personne n’est pas le seul agent qui influe sur sa santé. En effet, la santé est également influencée par des forces sociales qui modèlent le choix et les préférences des personnes et qui peuvent exercer une action contraire au comportement souhaitable (p. ex. le rapport de force inégal entre hommes et femmes quant à l’adoption d’un comportement sexuel sûr) (Syme, 1994). Par ailleurs, s’il peut être éclairant de tenir compte de tous les déterminants de la santé lorsqu’on cherche à caractériser l’état de santé d’un individu ou d’un groupe ou à repérer les groupes à haut risque, il faut aussi reconnaître que tous les facteurs de risque déterminés ne se prêtent pas aussi aisément à l’intervention. C’est pourquoi certains auteurs recommandent que les efforts déployés dans le cadre des programmes de promotion de la santé soient canalisés vers la modification des facteurs de risque comportementaux et environnementaux sur lesquels il est possible d’exercer une maîtrise individuelle ou collective (Green et Kreuter, 1991). Un modèle de planification des activités de prévention et de promotion de la santé
La promotion de la santé est de plus en plus reconnue comme un instrument essentiel à l’amélioration de la santé et du bien-être de la population. Elle s’inscrit dans un processus global visant à améliorer la qualité de vie des personnes et des communautés et, de ce fait, ne se limite pas à l’adoption d’un mode de vie sain (Comité de la promotion de la santé de l’ASPQ, 1993). La promotion de la santé est une stratégie qui permet d’appuyer les activités visant le changement planifié du comportement individuel et de l’environnement sociopolitique dans lequel s’inscrit ce comportement. Cette relation entre la promotion de la santé et les actions préconisées est illustrée à la figure 2. En matière de promotion de la santé, les intervenants ont à leur disposition un ensemble de moyens d’action permettant le changement planifié du comportement individuel et de l’environnement sociopolitique. Les moyens d’action qui agissent principalement sur le comportement individuel sont l’éducation en matière de santé, le marketing social et la communication. Parmi les moyens d’action exerçant une influence marquée sur l’environnement sociopolitique, on dénombre l’action politique, l’action communautaire et le changement organisationnel. Parmi les modèles de planification qui intègrent ces deux grands déterminants de la santé (comportement et environnement sociopolitique) se trouve celui de Green et Kreuter (1991), qui est illustré à la figure 3. Pour ces auteurs, trois catégories de facteurs doivent être considérées à l’étape de la planification des programmes de promotion de la santé ou d’éducation en matière de santé. Dans un premier temps, il y a les facteurs qui prédisposent à l’action. Ils sont liés aux caractéristiques personnelles et à la perception par la personne de sa vulnérabilité face à un problème de santé. Ce sont les croyances, les attitudes, les valeurs, etc., qui déterminent la motivation des personnes à agir. À ces facteurs s’ajoutent les facteurs qui facilitent l’action et les facteurs qui renforcent l’action.
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Figure 2 La promotion de la santé Une philosophie et des pratiques
Des pratiques visant le changement planifié
Comportements individuels
• Éducation en matière de santé • Marketing social • Communication
Environnement sociopolitique
• Action politique • Action communautaire • Changement organisationnel
État de santé et de bien-être
Source : Adaptée de O’Neill et Cardinal, 1994.
Les facteurs qui facilitent l’action, extérieurs à la personne, sont de deux ordres. Ce sont l’ensemble des habiletés techniques nécessaires à l’adoption du comportement souhaité et l’ensemble des conditions que le milieu doit réunir (accessibilité réelle aux services, disponibilité réelle du produit, etc.) pour que le comportement puisse être adopté. Les facteurs qui renforcent l’action concernent surtout l’environnement social. Ils incluent les membres du réseau de soutien, à savoir les amis, la famille, les professionnels de la santé et les autres personnes importantes pour l’individu. Ajoutons que ces deux dernières catégories de facteurs jouent un rôle différent, en ce sens qu’ils appuient la personne dans son passage à l’action, c’est-à-dire qu’ils lui permettent de passer de l’intention à l’adoption du comportement souhaitable. Ils contribuent à la persistance ou à la disparition du comportement lié à la santé. De plus, ces deux catégories de facteurs influent indirectement sur les facteurs qui prédisposent à l’action. Dans le cas qui nous intéresse, la prévention des MTS ou de l’infection par le VIH, notre attention s’est portée sur les facteurs liés à l’environnement sociopolitique, plus précisément le milieu de vie des jeunes pouvant être menacés par ces maladies, ainsi que sur les facteurs liés au comportement, soit les décisions que prennent les
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Figure 3 Modèle Precede-Proceed de planification et d’évaluation en promotion de la santé modifié selon l’analyse effectuée par Godin, 1991
Facteurs de renforcement Programme de promotion de la santé ou d’éducation en matière de santé
Facteurs prédisposants
Comportement
Facteurs facilitants
Santé
Environnement – économique – physique – social
Source : Adaptée de Green et Kreuter, 1991.
jeunes et qui peuvent avoir des répercussions sur leur propre santé (Santé et Bienêtre social Canada, 1992). Or, pour orchestrer une action efficace, il faut bien comprendre les facteurs qui déterminent un comportement de manière à choisir judicieusement la méthode d’intervention. En effet, ce n’est pas parce que l’on désire modifier un comportement qu’il faut opter nécessairement pour une approche orientée directement vers l’individu. Dans certains cas, des méthodes d’intervention indirectes telles que le recours à l’organisation communautaire, la réglementation et l’établissement d’un réseau de soutien social auront une plus grande incidence sur l’adoption du comportement que n’en pourrait avoir un programme d’éducation basé sur une diffusion de l’information. Il reste toutefois des situations où l’intervention éducative est indiquée. Il convient alors de porter une attention spéciale au contenu du message véhiculé (Godin, 1991). Les déterminants du comportement
Il ne fait plus de doute que l’efficacité des interventions choisies repose sur la détermination des facteurs psychosociaux qui influent sur l’adoption d’un comportement dans la population visée (Godin, 1991). Un certain nombre de théories ont été élaborées pour déterminer les facteurs psychosociaux qui influent sur
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le comportement des personnes et pour expliquer ce comportement. Ces théories, issues de la psychologie sociale, abordent le comportement des individus dans une perspective sociale, c’est-à-dire en considérant l’interaction de l’individu avec son environnement social. Dans cette perspective, le comportement lié à la santé est vu comme un comportement social au même titre que tout autre comportement. Au cours des 15 dernières années, une multitude d’études ont appliqué divers cadres théoriques à l’étude du comportement lié à la santé. L’examen détaillé des résultats de la recherche dans ce domaine indique qu’il est possible de construire un modèle synthétique permettant d’expliquer et de prédire le comportement lié à la santé (Godin, 1996). Ce modèle intégrateur qui serait formé de huit facteurs regroupés en trois catégories, est représenté à la figure 4. Figure 4 Modèle intégrateur des déterminants du comportement
Les attitudes : – cognitives – affectives
Les normes : – sociales – comportementales – liées au rôle social – personnelles – morales
Intention
Le contrôle : – barrières perçues – efficacité personnelle perçue
Comportement
Ressources et facteurs facilitants
Source : G. Godin, 1996. Source : G. Godin, 1995.
L’intention représente l’expression de la motivation à adopter un comportement (p. ex. l’intention de proposer d’utiliser un condom). Si cette motivation est essentielle à l’adoption d’un comportement, l’intention seule ne suffit pas toujours. En effet, il y a des situations où la personne exerce une emprise limitée sur le comportement envisagé (p. ex. le refus du partenaire d’utiliser un condom), et l’on doit alors considérer les ressources et les aptitudes nécessaires à l’actualisation de l’intention. La première catégorie de facteurs contribuant à former les intentions a trait à l’attitude des personnes à l’égard du comportement à adopter. Cette attitude comporte deux dimensions : 1) une dimension qui est liée à la décision rationnelle
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ainsi qu’à l’évaluation cognitive des avantages et des inconvénients associés à ce comportement (p. ex. proposer d’utiliser un condom rend le partenaire méfiant, brise la spontanéité) ; 2) une dimension qui est liée à l’aspect affectif, soit le sentiment de plaisir ou de désagrément qui émerge à l’idée d’adopter ce comportement (p. ex. proposer d’utiliser un condom, c’est stressant ou c’est gênant). La deuxième catégorie de facteurs englobe les différentes normes qui influent sur la motivation à agir. En premier lieu, il y a les normes sociales, qui sont le reflet de notre perception des attentes des personnes de notre entourage à l’égard de l’adoption d’un comportement (p. ex. la perception que notre partenaire ou notre médecin souhaitent que l’on propose d’utiliser le condom). Elles sont également le reflet de la norme comportementale qui règne dans notre milieu (p. ex. la proportion de nos amis qui utilisent le condom). Il y a également les rôles sociaux que s’attribue une personne compte tenu de sa position sociale (p. ex. le fait pour un jeune adolescent homosexuel de ne pas utiliser le condom ou pour une femme de proposer d’utiliser le condom). Quant à la norme personnelle et morale, elle concerne les principes personnels qui régissent le comportement ; elle se traduit par l’obligation morale que l’on ressent d’adopter un comportement donné (p. ex. refuser d’avoir des relations sexuelles non protégées). La troisième catégorie représente la capacité d’une personne à adopter le comportement, soit sa perception de son emprise sur l’adoption d’un comportement donné. Cette capacité est fonction des obstacles et de l’efficacité personnelle perçue. Les obstacles perçus, matériels ou psychologiques, représentent les éléments qui empêchent l’adoption d’un comportement (p. ex. le refus du partenaire d’utiliser le condom). Quant à l’efficacité personnelle, elle représente la capacité d’adopter un comportement donné malgré les difficultés qui peuvent surgir (p. ex., pour une femme qui désire faire porter un condom à son partenaire, savoir proposer de l’utiliser et en négocier l’usage).
BILAN DES ÉTUDES EXAMINANT LES FACTEURS ASSOCIÉS AUX COMPORTEMENTS À RISQUE Adolescents
Selon les données issues de près de 30 études menées auprès de jeunes en milieu scolaire (Otis, 1995), il semble que de 12 % à 23 % des élèves au début du secondaire et de 47 % à 69 % des élèves à la fin du secondaire déclarent avoir eu au moins une fois des relations sexuelles avec pénétration vaginale ou anale. Entre 13 % et 38 % de ces jeunes actifs sexuellement disent avoir eu des relations sexuelles avec pénétration anale. Pour ce qui est du nombre de partenaires depuis leurs premières relations sexuelles, de 21 % à 41 % des jeunes affirment n’avoir eu qu’un seul partenaire, de 32 % à 52 % déclarent en avoir eu de deux à cinq et de 12 % à 47 % en ont eu six et plus ; pour les six derniers mois, ces proportions sont respectivement de 48 %, 33 % et 10 %. De 0,3 % à 4 % des jeunes font usage de drogues injectables, et la proportion de jeunes
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ayant eu un partenaire consommant ce genre de drogues oscille entre 2 % et 6,4 %. De 1 % à 8 % des jeunes affirment avoir eu des contacts de nature homosexuelle, 3,1 % se déclarent d’orientation homosexuelle, tandis que 2,6 % ont eu un partenaire sexuel ayant eu lui-même des contacts homosexuels. Environ 1 % des jeunes se sont livrés à la prostitution ou ont eu des partenaires qui s’y sont livrés. Il semble que de 50 % à 76 % des jeunes utilisent le condom au moment de leurs premières relations sexuelles. De 13 % à 48 % des jeunes utilisent le condom de façon constante à partir de leurs premières relations sexuelles. Plus de 20 % des jeunes ont déjà subi un test de dépistage des MTS, 14 %, un test de dépistage du VIH, et entre 2,3 % et 11 % des jeunes déclarent avoir déjà été traités pour une MTS, les proportions étant beaucoup plus élevées chez les filles. Dans l’ensemble, les études permettent de dégager qu’une utilisation supérieure du condom serait liée aux variables sociodémographiques suivantes : âge moins avancé, sexe masculin, appartenance à un groupe linguistique autre que francophone (québécois) et lieu de résidence dans un grand centre urbain. Il ressort également des études que les jeunes qui font un plus grand usage du condom consomment moins fréquemment de l’alcool et des drogues et ont eu moins de partenaires sexuels. Ils sont aussi moins nombreux à avoir subi un test de dépistage des MTS et à avoir utilisé des contraceptifs oraux. En général, les jeunes qui manifestent le plus leur intention d’utiliser le condom au cours de leurs prochaines relations sexuelles sont peu actifs sexuellement (moins de 15 relations), ont utilisé le condom dès leurs premières relations, ont utilisé cette forme de protection seule ou conjointement avec des contraceptifs oraux et ont peu utilisé de contraceptifs oraux par le passé. Par ailleurs, les jeunes cessent d’utiliser le condom quand ils cohabitent avec leur partenaire amoureux. Parmi les variables psychosociales qui influent aussi sur l’utilisation du condom, la perception du pouvoir sur ce comportement semble jouer un rôle fort important, de même que la norme morale, soit les principes personnels ou le sens du devoir. La norme sociale semble aussi jouer un rôle appréciable dans le sens où une intention plus ferme et un usage plus fréquent du condom sont associés à une approbation plus forte des parents à l’égard de la sexualité du jeune, à un accord plus grand des personnes dont l’opinion lui importe, à la perception que les amis utilisent aussi le condom même lorsque la fille prend des contraceptifs oraux, mais avant tout à l’impression que l’utilisation du condom est un comportement approprié pour un jeune de son âge. Ces études indiquent que la télévision constitue la principale source d’information des jeunes sur la prévention des MTS et du sida. Toutefois, la moitié d’entre eux affirment avoir peu entendu parler expressément des comportements à risque à cet égard, de la façon d’utiliser le condom ou des pratiques sexuelles sûres. Parmi les obstacles à l’utilisation du condom, la gêne à l’achat semble le plus courant surtout chez les plus jeunes. Le coût et la connaissance des endroits où l’on peut se procurer des condoms sont des facteurs de moindre importance mais qui jouent aussi un rôle. Par ailleurs, il semble y avoir des facteurs plus circonstanciels, qui peuvent toutefois jouer un rôle crucial dans l’utilisation ou la non-utilisation du
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condom. Ce sont l’oubli dans le feu de l’action, le fait de ne pas avoir de condom sur soi au bon moment et la consommation de drogue ou d’alcool juste avant la relation. Jeunes en difficulté d’adaptation
Selon de nombreuses études menées aux États-Unis (Alexander-Rodriguez et Vermund, 1987 ; Bell et al., 1985 ; Council of Scientific Affairs, 1990 ; DiClemente, 1991 ; DiClemente et al., 1989, 1991 ; DiClemente et Dunah, 1989 ; Farrow et Schroeder, 1984 ; Hein, 1993 ; Lanier et al., 1991 ; Lanier et McMarthy, 1989 ; Melchert et Burnett, 1990 ; Morris et al., 1992 ; Nader et al., 1989 ; Shaffer et al., 1993), au Canada (King et al., 1988 ; Radford et al., 1989) et plus particulièrement au Québec (Caron, 1986 ; Cloutier et al., 1994 ; Dubois et Dulude, 1986 ; Lévy et Dupras, 1989 ; Otis, 1995 ; Otis et al., 1994 ; Poulin et al., 1994 ; Van Gijseghem, 1989), les jeunes en centre de réadaptation présentent à bien des égards plus de comportements à risque que les autres adolescents en ce qui a trait à la transmission du VIH et des MTS. En effet, ces jeunes commencent à avoir des relations sexuelles plus jeunes que les autres adolescents, un plus grand nombre d’entre eux sont actifs sexuellement, ils sont plus actifs sexuellement et ils ont plus de partenaires sexuels. Or, un faible pourcentage de ces jeunes (autour de 20 %) utilisent le condom régulièrement même si leurs pratiques sexuelles sont plus à risque (DiClemente, 1991 ; DiClemente et al., 1991 ; King et al., 1988 ; Lévy et Dupras, 1989 ; Morris et al., 1992 ; Nader et al., 1989 ; Poulin et al., 1994 ; Shafer et al., 1993). Ils sont aussi plus réticents à discuter avec leur partenaire de la nécessité d’employer le condom même s’ils paraissent moins embarrassés que les jeunes en milieu scolaire de s’en procurer (King et al., 1988). En ce qui concerne les activités de prostitution, entre 18 % et 35 % des jeunes Américains en centre de détention déclarent s’y être livrés pendant la dernière année (Huscroft et al., 1990 ; Stricof et al., 1991 ; Temoshok et al., 1989) ; au Québec, la proportion est de 18 % chez les filles et de 10 % chez les garçons (Poulin et al., 1994). La consommation de drogues et d’alcool est très répandue chez les jeunes en difficulté d’adaptation, sans compter qu’un certain nombre d’entre eux ont fait usage de drogues par voie intraveineuse (DiClemente, 1991 ; Radford et al., 1989 ; Rotheram-Borus et Koopman, 1991 ; Roy et al., 1992 ; Poulin et al., 1994 ; Stricof et al., 1991) et que, sur ce nombre, la moitié ont déjà partagé leur matériel à injection (Poulin et al., 1994). En outre, il semble qu’un peu plus du tiers des jeunes admis en centre de réadaptation aient déjà eu des partenaires sexuels présentant un ou plusieurs des facteurs de risque susmentionnés, c’est-à-dire qu’ils ont pris des drogues injectables, se sont livrés à la prostitution ou sont porteurs du VIH (Poulin et al., 1994). Pour ces adolescents actifs sexuellement, l’utilisation du condom dans toutes les relations sexuelles à risque demeure le meilleur moyen de prévenir le VIH et les autres MTS (Goldsmith, 1987 ; Stone et al., 1986). Un certain nombre d’études ont porté sur les facteurs associés à l’utilisation du condom chez les adolescents. La
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plupart d’entre elles se penchaient sur les jeunes en milieu scolaire ou sur les jeunes fréquentant des cliniques pour adolescents (DiClemente, 1992), mais quelques-unes portaient sur les jeunes en centre de réadaptation. Selon une étude menée aux États-Unis auprès de jeunes en centre de réadaptation, la connaissance du VIH ne suffit pas à les motiver à adopter un comportement préventif. L’appartenance ethnique, l’habileté à communiquer avec le partenaire à propos du sida et la perception que les pairs encouragent l’utilisation du condom sont les facteurs associés à une utilisation constante du condom chez ces jeunes (DiClemente et al., 1991). D’après les résultats des quelques études menées au Québec sur les déterminants de l’utilisation du condom chez les jeunes en centre de réadaptation, il semble qu’une intention plus ferme d’utiliser cette forme de protection soit principalement liée à la perception que l’on exerce un plus grand contrôle sur ce comportement, à une norme morale personnelle plus élevée, à une attitude plus favorable, à une norme sociale plus positive ainsi qu’à l’habitude déjà ancrée d’utilisation du condom (Godin et al., 1994 ; Otis et al., 1994). Une étude a tenté de dégager le profil des personnes qui utilisent le condom de façon constante comparativement à celles qui ne l’utilisent pas régulièrement ou pas du tout. Les utilisateurs constants se distinguent à plusieurs égards : perception plus élevée du risque de grossesse, de MTS et de sida ainsi que de leur capacité à utiliser le condom malgré certains obstacles ; manifestation plus marquée de l’accord du partenaire par le passé ; engagement plus récent dans une vie sexuelle active ; et consommation moindre de drogue avant les relations sexuelles. De plus, les utilisateurs constants croient davantage à l’efficacité du condom pour réduire les risques de MTS et éprouvent un sentiment de sécurité à utiliser cette forme de protection (Otis et al., 1995). Les principaux obstacles à l’utilisation du condom anticipés par les jeunes en centre de réadaptation sont la consommation d’alcool ou de drogues avant les relations sexuelles, l’utilisation de contraceptifs oraux par la fille, la conviction que le partenaire n’a pas de MTS et la gêne de lui demander d’utiliser le condom. Le fait de ne pas avoir de condom sur soi au bon moment, l’oubli dans l’excitation du moment, le désaccord du partenaire et le fait de bien connaître son partenaire ont aussi une incidence négative sur l’utilisation du condom (Godin et al., 1994 ; Otis et al., 1994).
LES STRATÉGIES DE PRÉVENTION EFFICACES
Le comportement individuel étant la cause première de la transmission des MTS et du sida, il n’est pas étonnant que la prévention repose principalement sur l’éducation en matière de santé comme stratégie d’intervention privilégiée pour faire échec à ces maladies. En conséquence, il est approprié de se demander quelles activités de prévention sont les plus utilisées et les plus efficaces et quels sont les facteurs associés à leur efficacité ?
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Les activités de prévention les plus courantes et les plus efficaces
Janz et ses collaborateurs (1996) jettent un nouvel éclairage sur ces questions en analysant les activités organisées dans le cadre de 37 programmes de prévention et en évaluant leur efficacité. D’après cette étude, les trois stratégies les plus courantes sont les discussions en petits groupes (15 participants ou moins), les discussions en grands groupes et la formation de bénévoles afin de les rendre aptes à intervenir auprès de leurs pairs (tableau 1). Quant aux activités considérées comme les plus efficaces, ils ont signalé : 1) les discussions en petits groupes ; 2) l’intervention dans le milieu auprès des populations marginalisées présentant un risque élevé d’infection ; et 3) la formation de bénévoles afin de les habiliter à intervenir auprès de leurs pairs. Les discussions en petits groupes offrent aux participants l’occasion de s’engager dans des interventions dynamiques, de parler librement, d’apprendre au contact des autres, d’acquérir un sentiment d’appartenance au groupe, etc. Ce moyen est donc considéré comme un mécanisme puissant pour enseigner, favoriser les appren tissages et appuyer le changement de comportement aux fins de la prévention des MTS et du sida. L’intervention dans le milieu auprès des populations présentant un risque élevé d’infection est particulièrement indiquée dans le cas des populations qui sont difficiles à atteindre et vivent en marge de la société. L’efficacité de cette méthode repose sur la crédibilité de l’animateur communautaire, ou du travailleur de rue, auprès des personnes visées par ses interventions. Les mécanismes qui font intervenir des volontaires auprès de leurs pairs sont efficaces, car ils permettent de présenter des modèles auxquels les personnes visées peuvent s’identifier. Comme modèles, ces volontaires contribuent à établir une norme au sein du groupe de pairs, ce qui renforce l’adoption du comportement désiré. Toutefois, l’efficacité des activités de prévention varie selon la population visée. Certaines activités semblent plus efficaces auprès de tel ou tel segment de la popu lation. Ainsi, les programmes s’adressant aux femmes auraient avantage, entre autres, à privilégier la formation par les pairs et la distribution de matériel présentant les pratiques sexuelles sûres. En revanche, pour les hommes, on privilégie l’intervention par un travailleur du milieu et l’assistance individuelle. Enfin, signalons que la formation par les pairs et la production de vidéos semblent les deux activités les plus efficaces parmi les interventions auprès des jeunes.
Les facteurs favorisant l’efficacité des interventions
Sans décrire les différentes interventions effectuées, Janz et ses collaborateurs (1996) dégagent de leur analyse de 37 programmes de prévention un certain nombre de facteurs favorisant l’efficacité des activités. Ces différents facteurs, succinctement expliqués dans les paragraphes qui suivent, sont présentés au tableau 2.
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Tableau 1 Les activités de prévention les plus courantes et jugées les plus efficaces (N = 37) Activité Nombre Nombre Pourcentage de prévention de répondants de répondants de répondants pratiquant considérant considérant l’activité l’activité comme l’activité comme la plus efficace la plus efficace Discussions en petits groupes Intervention dans le milieu auprès de populations à risque élevé Formation de pairs Distribution de matériel sur les pratiques sexuelles sûres Discussions en grands groupes Groupes de soutien Assistance individuelle
36
22
61
25 30
7 7
28 23
27
6
22
36 19 25
8 4 5
22 21 20
Source : Tiré de Janz et al., 1996.
Tableau 2 Facteurs favorisant l’efficacité des interventions FACTEURS • Respecter la réalité culturelle et utiliser un langage approprié • Présenter l’information sur les MTS et le sida au cours d’une intervention plus globale • Offrir des récompenses • Adopter un programme ayant une structure flexible • Promouvoir le programme dans le milieu et son acceptation par la clientèle visée • Répéter les messages de prévention essentiels • Créer un forum ouvert à la discussion • Solliciter l’engagement des participants Source : Adapté de Janz et al., 1996.
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Élaborer des interventions qui respectent la réalité culturelle du groupe visé et utiliser un langage approprié – Il faut pour ce faire susciter l’engagement des représentants de la clientèle visée dans le processus de planification, de mise en œuvre et d’évaluation du programme. C’est la meilleure façon d’intégrer au programme d’intervention les normes, valeurs et traditions qui règnent dans le groupe visé. Présenter l’information concernant la prévention des MTS et du sida à l’intérieur d’un contexte plus large – Par exemple, on peut diffuser cette information à l’intérieur d’un programme d’éducation sexuelle plus global. Cette façon de faire permet de prendre en considération le contexte dans lequel le comportement préventif devra être adopté. Offrir des récompenses aux participants qui jouent un rôle clé dans le succès des activités – Par exemple, en permettant à un élève d’obtenir des unités de crédit pour un de ses cours, en reconnaissance de sa participation comme volontaire auprès de ses pairs. Ici, on peut utiliser son imagination pour déterminer les récompenses à offrir afin de favoriser le recrutement et le maintien d’une participation active dans le déroulement des activités d’un programme de prévention. Adopter un programme ayant une structure flexible – En fait, le programme doit être modulé en fonction des réalités et des intérêts variés des personnes qu’il a vocation à aider. C’est le programme qui doit être adapté à ces réalités et non l’inverse. Précisons d’emblée qu’un programme trop rigide dans sa structure rencontrera de sérieuses difficultés. Le programme doit être parfaitement adapté au milieu et accepté par la clientèle visée – Il faut travailler avec le groupe que l’on veut atteindre et, dans la mesure du possible, recruter les intervenants parmi les membres de ce groupe. Les approches traditionnelles du haut vers le bas, par exemple, l’élaboration en vase clos par des universitaires ou des professionnels de la santé de programmes de prévention s’adressant à la communauté, sont inacceptables et peu efficaces. Il faut travailler dès le départ en partenariat avec la clientèle à laquelle on s’adresse. Répéter les messages de prévention des MTS et du sida qui sont essentiels – Les interventions ponctuelles où le message est présenté un seule fois sont peu efficaces. Il faut donc veiller à répéter les messages importants. C’est la seule façon d’exercer une influence appréciable sur les attitudes, les valeurs et le comportement des personnes visées par les interventions. Créer un forum ouvert à la discussion – Le programme ne doit pas se limiter à présenter de l’information et des messages de prévention. Il doit également favoriser l’échange et donner aux participants l’occasion de s’exprimer, en l’absence de tout jugement moralisateur, et de discuter ouvertement de leurs idées sur la sexualité et les comportements sûrs. Ce forum peut favoriser l’émergence d’un sentiment d’appar-tenance au groupe de discussion et par le fait même l’élaboration d’une norme appuyant l’adoption d’un comportement sûr dans ce groupe. Solliciter l’engagement des participants – Cet engagement peut prendre plusieurs formes. Les mécanismes qui font intervenir les participants au sein des équipes de décision et auprès de leurs pairs sont les plus fructueux. En fait, il est important de ne pas perdre de vue que l’on ne fait pas les choses pour les gens ; on les fait avec eux.
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ÉTUDES DE CAS
Les études de cas présentées ci-après ont été effectuées suivant la démarche suivante. Nous avons d’abord procédé à une analyse des documents disponibles portant sur ces différents projets, après quoi nous avons rencontré à une ou plusieurs occasions le ou les responsables du programme et le responsable de son application dans le milieu. La combinaison de ces deux méthodes a permis de cerner et d’expliquer les facteurs favorisant le succès de ces interventions dans le milieu où elles ont été mises en œuvre. Programme d’éducation par les pairs dans une école multiethnique
C’est un programme d’éducation sexuelle mis en œuvre dans une école secondaire multiethnique en Montérégie et que les jeunes désignent par le nom de « Life-Savers ». Des agents multiplicateurs de 4e secondaire sont intervenus auprès des élèves de 3e secondaire dans le but de les sensibiliser à la prévention du sida. Ils les ont incités à reporter leurs premières relations sexuelles (abstinence) et à utiliser le condom.
Population cible et situation dans le milieu
Le programme s’adresse à des garçons et filles de 14 ou 15 ans (3e secondaire) fréquentant une école secondaire située dans un milieu urbain en Montérégie. L’école est protestante et compte environ 120 élèves pour chaque année du secondaire. Elle est fréquentée par des jeunes de toutes confessions qui appartiennent à plus de 40 ethnies et viennent de familles de niveau socioéconomique moyen. Plusieurs stratégies de prévention de l’infection par le VIH ont été mises sur pied en milieu scolaire, notamment grâce à l’introduction de cette problématique dans les programmes d’études, à la mise en œuvre de programmes de perfectionnement des enseignants, à la distribution de matériel pédagogique aux membres du personnel non enseignant et à l’élaboration de politiques locales relatives à l’infection par le VIH. Malgré l’ampleur de ces initiatives, les programmes novateurs, fondés sur les facteurs capables d’influer sur les comportements des jeunes, sont encore très rares et jusque-là, aucune école n’avait, semble-t-il, mis en œuvre et évalué un programme expérimental d’éducation par les pairs s’appuyant sur les attitudes, les normes sociales perçues, le contrôle perçu et l’intention des jeunes à l’égard de l’abstinence sexuelle et de l’utilisation du condom. Il s’avérait particulièrement judicieux d’expérimenter une intervention d’éducation par les pairs dans un milieu ethnoculturel où l’on doit tenir compte de l’importance de l’identité ethnique dans la modulation du comportement sociosexuel. Il y avait déjà de nombreuses activités d’éducation sexuelle dans cette école, mais, avec l’apparition du sida, les enseignants et les professionnels non enseignants ont vite ressenti le besoin de se concerter quant aux messages, aux activités et aux cours à privilégier pour intervenir en matière de prévention. De plus, il fallait agir
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sur beaucoup de peurs, de mythes et de préjugés à l’égard du sida et du VIH. Le premier programme, élaboré il y a quatre ans, était axé sur l’utilisation du condom. Comme un certain nombre de jeunes avaient beaucoup apprécié l’information qui leur avait été donnée, les intervenants ont fait appel au cours de la deuxième année à des bénévoles recrutés parmi ceux et celles qui avaient suivi le programme pour le présenter aux plus jeunes. Fait intéressant, selon certaines études, cette école compte le plus faible taux de jeunes actifs sexuellement de la région. Ces résultats donnent à penser que ces jeunes sont capables de parler d’abstinence tout en acceptant que le condom soit proposé comme moyen de prévention des MTS et du sida. Acteurs
Le programme a été instauré par l’infirmière de l’école qui est rattachée au CLSC Longueuil-Ouest. Dès le début du programme, un professeur d’enseignement moral et religieux a également joué un rôle très important et a participé avec l’infirmière à la formation des jeunes agents multiplicateurs. À cette étape, on a eu aussi recours aux services d’un professeur d’art dramatique. La direction de la commission scolaire a été tenue au courant du projet, du début à la fin, et a toujours donné son appro bation à sa réalisation. Le conseiller pédagogique de l’école a diffusé l’information et la documentation sur le projet et a récemment soumis au ministère de l’Éducation du Québec (MEQ) une demande d’accréditation de programme enrichi. Enfin, une chercheuse universitaire a participé de façon ponctuelle au début, puis de façon plus soutenue au cours de la quatrième année du programme en supervisant un mémoire de recherche, ce qui a permis de mieux adapter le contenu du programme, établi selon les déterminants du comportement souhaité, en fonction de l’évaluation qui en avait été faite. Chaque année, de nouveaux enseignants responsables de la formation person nelle et sociale (FPS) et des cours de biologie ainsi que de nouveaux jeunes agents multiplicateurs peuvent être intégrés au programme (selon la mobilité du personnel), mais la coordination a toujours été assurée par l’infirmière en milieu scolaire malgré son statut précaire dans l’école, du fait qu’elle est rattachée au CLSC local. Le fait que les promoteurs du programme appartiennent au milieu a facilité considérablement sa mise sur pied dans la mesure où cela leur a permis de mobiliser des personnes crédibles auprès de la direction de l’école (enseignants, chef de groupe, etc.). Élaboration du programme d’intervention
Ce programme repose sur l’idée que l’influence exercée par les pairs sur le com portement des adolescents a été prouvée dans des domaines comme la consommation d’alcool et l’usage du tabac. L’éducation par les pairs exploite le caractère influençable des jeunes dans un but éducatif et elle favorise une meilleure concordance entre les stratégies d’enseignement utilisées et les caractéristiques des élèves. Le contenu est transmis dans un langage adapté à l’âge des jeunes et dans lequel transparaissent les aspects culturels qui leur sont propres.
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Dans un premier temps, les jeunes de 4e secondaire ont été invités à se porter volontaires pour participer au programme comme agents multiplicateurs. Un comité de sélection, composé de quatre enseignants et de l’infirmière en milieu scolaire, a choisi 16 jeunes, soit 12 filles et 4 garçons, représentant différentes ethnies. Ces jeunes sont perçus par les membres du comité de sélection comme fiables, respon-sables, dynamiques et crédibles auprès de leurs pairs. Ils ont participé à un programme d’éducation sexuelle orienté vers la prévention, d’une durée de 40 heures, offert après les heures de cours à raison d’une rencontre par semaine durant 20 semaines. Après avoir suivi cette formation, ces agents multiplicateurs de 4e secondaire interviennent auprès des jeunes de 3e secondaire dans le cadre des cours de biologie et de FPS. Les activités présentées aux élèves de 3e secondaire sont élaborées par les agents multiplicateurs de 4e secondaire sous la supervision des formateurs et conformément aux objectifs du programme. L’intervenante responsable du programme insiste beaucoup, auprès des agents multiplicateurs, sur le respect du contenu à présenter ainsi que sur la cohérence et l’uniformité dans la mise en œuvre du programme. Toutefois, les jeunes agents multiplicateurs disposent d’une certaine latitude quant à la forme des activités pédagogiques.
Objectifs et forme de l’intervention
On a élaboré le programme en tenant compte des facteurs influant sur le comportement (modèle PRECEDE de Green et Kreuter, 1991), des déterminants du comportement selon la théorie du comportement planifié d’Ajzen (1985), et des résultats d’études portant en particulier sur l’abstinence et l’utilisation du condom chez les jeunes (Otis, 1992, 1993b, 1994). Ce programme vise à diminuer l’incidence des maladies transmissibles sexuellement chez les jeunes en les incitant à reporter leur vie sexuelle active (abstinence) ou à utiliser systématiquement le condom dans toutes leurs relations sexuelles. Il vise aussi à amener les élèves de 3e secondaire à modifier de façon positive leur attitude, le contrôle perçu, la norme sociale perçue et leur intention à l’égard de l’abstinence et de l’utilisation du condom. Rappelons que ce programme fait intervenir auprès des élèves de 3e secondaire les enseignants chargés des cours de biologie et de FPS ainsi que les jeunes agents multiplicateurs de 4e secondaire. Toutes les activités du programme se déroulent la même semaine et incitent à l’action concertée. Les activités visant la promotion de l’abstinence prennent place dans les cours de FPS ; celles qui visent à promouvoir l’utilisation du condom ont lieu dans les cours de biologie. Les deux interventions durent 50 minutes chacune. Les thèmes abordés relativement à l’abstinence sont les avantages de l’abstinence sexuelle, les conditions essentielles à des relations sexuelles enrichissantes, les obstacles à l’abstinence et les éléments permettant de surmonter ces obstacles. Les thèmes concernant la promotion de l’utilisation du condom sont les types de condom, les étapes de la pose du condom, les obstacles à son utilisation et les éléments permettant
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de les surmonter ainsi que les avantages et les inconvénients liés à l’utilisation de cette forme de protection. Ces thèmes sont abordés dans le contexte d’activités telles que des mises en situation suivies d’échanges dirigés visant à préciser les valeurs, de jeux de rôle, de démonstrations et de discussions. Chaque séance se termine par une synthèse du contenu et par un message clé. Les 16 agents multiplicateurs constituent quatre équipes de travail. L’objectif est que deux équipes différentes d’animateurs, soit une équipe pour les activités du cours de biologie (utilisation du condom) et l’autre pour les activités du cours de FPS (abstinence), se rendent dans chaque classe. Financement du programme
Ce programme, dont les coûts atteignent à peine quelques centaines de dollars par an, a bénéficié de financement provenant du fonds de développement pédagogique de la commission scolaire (durant deux ans), du CLSC Longueuil-Ouest et de quelques dons personnels pour l’achat de condoms et de T-shirts arborant le logo des Life-Savers. Lorsque le financement a été plus difficile à obtenir, des activités d’autofinancement ont été organisées. En fait, ce programme est peu coûteux dans la mesure où il peut compter sur les ressources du milieu dont les salaires sont déjà prévus dans les budgets courants. Toutefois, cet avantage est atténué par le fait que la récurrence du programme est tributaire de la disponibilité des ressources humaines (infirmière et enseignants) et de l’investissement réel de temps dans le programme. Résultats et retombées dans le milieu
Cette intervention a fait l’objet d’une étude évaluative. Cette étude visait à examiner le processus de mise en œuvre du programme, en déterminant le degré de concordance entre le programme prévu et le programme réalisé auprès des élèves de 3e secondaire, et le degré d’appréciation du programme par ces derniers, par les agents mutiplicateurs de 4e secondaire et le personnel enseignant. De plus, l’étude évaluative a permis de vérifier l’incidence de l’intervention des agents multiplicateurs de 4e secondaire sur les attitudes, le contrôle perçu, la norme sociale perçue et les intentions des élèves de 3e secondaire à l’égard de l’abstinence et de l’utilisation du condom. Le programme a été suivi par 123 élèves de 3e secondaire. Toutefois, l’évaluation porte sur un échantillon de 70 élèves, soit ceux qui ont rempli les questionnaires d’évaluation des incidences (prétest et post-test) et d’évaluation formative. Les résultats de l’évaluation formative montrent que les éléments de contenu prévus, tant dans les cours de biologie (condom) que dans ceux de FPS (abstinence), ont été dans l’ensemble présentés de façon assez satisfaisante par les agents multiplicateurs puisque le taux de satisfaction varie de 62 % à 89 %. Globalement, le taux de satisfaction des élèves, des agents multiplicateurs et des enseignants à l’égard du programme est très élevé, particulièrement dans les cours de biologie (condom). Le degré de satisfaction envers les agents multiplicateurs est très élevé ou assez élevé ;
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ainsi ils sont perçus par les élèves comme très respectueux, bien préparés, dignes de confiance, sympathiques, convaincants, dynamiques et ayant de l’humour. Les enseignants estiment pour leur part qu’ils ont acquis de la maturité. Les activités présentées par les agents multiplicateurs sont considérées comme éducatives, pas du tout ennuyantes, moyennement amusantes et moyennement réussies. De façon générale, les agents multiplicateurs et les élèves à qui s’adressaient les interventions s’entendent pour dire que leur attention et leur intérêt ont été très élevés dans le cours de biologie et moyennement élevés dans ceux de FPS. Pour les agents multiplicateurs, le programme a eu les effets positifs suivants : il a renforcé la confiance qu’ils avaient en eux-mêmes, a favorisé leur croissance personnelle, leur a permis d’acquérir certaines habiletés en matière d’animation de groupe, leur a donné le sentiment d’avoir relevé un défi personnel important et, tout compte fait, leur a procuré beaucoup de fierté, de joie et de satisfaction. Ces jeunes considèrent que cette expérience a changé des choses dans leur vie et ils se disent plus à l’aise de parler de sexualité avec leurs amis. Dans le milieu, ils sont perçus par leurs pairs comme des jeunes ayant plus de connaissances que les autres, des personnes à qui il est possible de parler si l’on a un problème, et il est devenu prestigieux d’être un « life-saver ». Dans certains cas, leurs parents leur auraient même confié la responsabilité d’intervenir auprès de leur sœur ou de leur frère plus jeune. De surcroît, l’école leur attribue une récompense pour leur participation en qualité d’agent multiplicateur, en l’occurrence une plaque ou un trophée, en plus de deux unités de crédit supplémentaires pour leur cours de FPS. Les résultats de l’évaluation indiquent que le programme a eu un effet positif sur les élèves de 3e secondaire sur le plan de l’abstinence et de l’utilisation du condom, notamment en ce qui a trait à l’aspect cognitif de l’attitude. Il a également renforcé leur intention d’utiliser le condom lorsque la fille prend un contraceptif oral. La perception des obstacles est également plus élevée après l’intervention, chez les jeunes utilisant le condom. En ce qui concerne l’abstinence, la perception de l’approbation par les pairs a diminué, ce qui constitue un résultat positif de distanciation par rapport à l’influence des pairs. L’intérêt du programme de formation pour les agents multiplicateurs a été reconnu par le ministère de l’Éducation du Québec, de sorte que depuis septembre 1996, il est intégré au programme de formation personnelle et sociale en tant que programme enrichi. Les jeunes qui y participent reçoivent dorénavant deux unités de crédit supplémentaires pour leur cours de FPS. Ce programme a été largement diffusé. Il a fait l’objet de présentations officielles (Caron 1993c, 1995 ; Caron et al., 1990 ; Karunananthan, 1995) ou non officielles et de publications (Caron, 1992, 1993a, 1993b, 1996). De plus, la commission scolaire reçoit fréquemment des demandes d’autres organisations qui voudraient implanter le programme. On prévoit des présentations supplémentaires ainsi que des publications portant sur l’évaluation de cette intervention.
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Possibilité de mise en œuvre dans d’autres milieux
La force de cette intervention tient au fait qu’elle met à contribution de jeunes agents multiplicateurs du milieu. Par contre, cette forme d’intervention demeure tributaire de l’appui des enseignants et de la qualité de la communication avec la personne responsable du programme. Pour la bonne marche de l’intervention et la réception des messages de prévention des MTS et du sida, il est indispensable que les stratégies d’enseignement interactives faisant appel aux pairs conviennent aux élèves. Les enseignants sont les mieux placés pour déterminer si tel est le cas. Cette forme d’intervention peut facilement être reproduite à coût minime. Pour ce faire, l’organisation doit confier la responsabilité du programme à une personne qui peut consacrer beaucoup de temps et d’énergie à tisser des liens d’étroite collaboration entre les différents partenaires : le CLSC, la commission scolaire, l’école, les enseignants et les jeunes. En outre, la mise en œuvre serait grandement facilitée si le programme était intégré au programme d’enseignement de la commission scolaire au lieu d’être offert comme une activité parascolaire.
Programme d’intervention sur la sexualité et la prévention des MTS et du sida pour les jeunes en CRJDA et CRJMDA
Ce programme d’éducation sexuelle et de prévention des MTS et du sida s’adresse aux jeunes en difficulté d’adaptation sociale. Ce programme, qui vise à modifier leur comportement à risque a été mis en œuvre dans les centres de réadaptation pour jeunes et pour jeunes mères en difficulté d’adaptation (CRJDA et CRJMDA). Population cible et situation dans le milieu
Ce programme s’adresse à tous les jeunes âgés de 12 à 18 ans placés en centre de réadaptation pour jeunes ou pour jeunes mères en difficulté d’adaptation (CRJDA et CRJMDA), c’est-à-dire une clientèle dont le placement en centre est ordonné par le Tribunal de la jeunesse ou déterminé en vertu de mesures volontaires de placement. La durée du placement est variable, allant d’une journée à six mois, et est exceptionnellement renouvelée pour une période de trois à six mois. Même si un certain nombre de centres de réadaptation du Québec avaient mis en place des activités d’éducation sexuelle dès les années 1980, rares sont les expériences qui ont fait l’objet d’une évaluation systématique. Au chapitre de la prévention du sida et des MTS, aucun programme provenant du Québec n’a pu être répertorié dans les écrits faisant état de la recherche dans le domaine. D’ailleurs, une consultation menée auprès des établissements visés a permis de constater que la majorité des centres de réadaptation engagés dans le programme dont il est question ici ne disposaient d’aucun programme structuré d’éducation sexuelle, même si des interventions non officielles et ponctuelles avaient pu être réalisées sur certains aspects de la sexualité. La prévention des MTS et du sida ne figurait dans aucun programme d’éducation destiné aux jeunes. Qui plus est, les intervenants considéraient qu’ils
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n’avaient pas les outils nécessaires pour mener à bien une intervention éducative efficace sur la question auprès d’un groupe de jeunes. Ils se disaient toutefois très motivés à aborder cette problématique avec leurs jeunes si un soutien adéquat leur était fourni (Carbonneau, 1989). Plusieurs mesures propres à favoriser la mobilisation du milieu avaient cependant été prises auparavant, notamment le soutien à l’élaboration et à la mise en application d’une politique sur le sida dans ces établissements, la sensibilisation de tout le personnel aux principaux aspects du VIH et du sida, la formation des éducateurs en éducation sexuelle. Mais surtout, le programme répondait à un besoin ressenti et un groupe de travail sur la mésadaptation sociale avait même exprimé officiellement le désir qu’on élabore un programme d’éducation sexuelle et de prévention des MTS et du sida à l’intention des jeunes mésadaptés sociaux (Bédard et al., 1991). Acteurs
Ce programme est une initiative de chercheurs universitaires et de la santé publique. Il a été mené en concertation avec tous les centres de réadaptation pour jeunes et pour jeunes mères en difficulté d’adaptation qui accueillent des jeunes de 12 à 18 ans venant de l’est du Québec, soit les régions de Québec, de Chaudière-Appalaches, du Saguenay–Lac-Saint-Jean–Chibougamau, de la Côte-Nord, du Bas-Saint-Laurent et de Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine. Les animateurs du programme sont des éducateurs travaillant auprès des jeunes de chaque unité de vie (ou foyer de groupe) des établissements où il est offert. Ces personnes ont été choisies parce qu’elles s’intéressaient au programme et voulaient aborder la question de la sexualité avec les adolescents et adolescentes dont elles ont la charge. Les responsables du programme ont assuré leur formation au cours des semaines précédant la prestation du programme.
Élaboration du programme d’intervention
L’intervention éducative qui fait l’objet de la présente étude de cas est le fruit d’un programme de recherche. Au départ, l’examen des données épidémiologiques sur l’expérience sexuelle de ces jeunes et leur comportement à risque a fait ressortir que l’utilisation du condom dans les relations sexuelles avec un nouveau partenaire était l’aspect du comportement qui devait faire l’objet d’un examen plus approfondi. On a donc mené une étude pour cerner les déterminants psychosociaux qui permettent de prédire et d’expliquer ce comportement dans le cas des jeunes en CRJDA et CRJMDA, puis on a élaboré le programme en tenant compte de tous les aspects importants mis en lumière par l’étude (Godin et al., 1994). Le programme a été élaboré en partenariat. En effet, chaque milieu a été invité à déléguer un éducateur ayant une bonne connaissance de la clientèle, de la dynamique de ces groupes de jeunes et des contraintes du milieu. Ont également participé le chercheur principal, qui appartient au monde universitaire, et une sexologue représentant le milieu de la santé publique. Le comité a adopté la démarche suivante :
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rencontres favorisant l’échange d’idées, production de documents écrits, réunions de travail, discussions, rétroactions sur les documents, révision des documents et, enfin, consensus sur le produit final à offrir aux jeunes. L’élaboration a nécessité six réunions de travail avec le comité consultatif réparties sur une période de sept mois. Somme toute, le programme est le résultat d’un consensus fondé sur les données de la recherche et celles qui sont issues de la connaissance immédiate des clientèles visées et des contraintes du milieu (Godin et al., 1994). Objectifs et forme de l’intervention
Le programme d’intervention sur la sexualité et la prévention des MTS et du sida a pour but de favoriser l’adoption de pratiques sexuelles sûres par les garçons et les filles en difficulté d’adaptation afin de diminuer leurs risques de contracter une MTS ou d’être infectés par le VIH. C’est un programme novateur et original puisqu’il porte sur les déterminants d’un comportement sûr. En dix rencontres, d’une durée totale de 765 minutes, on aborde les thèmes suivants : la réalité du sida, les connaissances sur le sida et les MTS, la signification des relations sexuelles, les activités sexuelles à risque élevé et celles à faible risque, le condom, les avantages et les inconvénients liés à l’utilisation du condom, les valeurs et la sexualité, la communication sur le plan de la sexualité et le sexe sans risque, la négociation de pratiques sexuelles sûres, l’affirmation de soi, l’initiative de la conversation et l’argumentation face aux obstacles à l’adoption de pratiques sexuelles sûres. Ces thèmes sont abordés dans le cadre de différentes activités : exposé officiel et exposé sans caractère officiel, échange d’idées, discussions, débat, réflexion per sonnelle, travail en équipes, jeu-questionnaire, jeux de rôle, résolution de problèmes, manipulation du condom, jeux d’improvisation et présentation de chansons et de documents audiovisuels. Ce programme a été intégré à la programmation des unités de vie ou des foyers de groupe, au même titre que l’ensemble des autres activités auxquelles doivent participer les jeunes en centre de réadaptation. Il est offert à des groupes de 8 à 12 jeunes, soit le nombre qu’on trouve habituellement dans ces unités (ou foyers).
Financement du programme
La recherche préparatoire visant à cerner les besoins des jeunes et les déterminants de l’adoption d’un comportement sûr a été appuyée par le programme de recherche du chercheur principal dont le financement émanait du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH). Cette recherche a aussi été soutenue par son infrastructure de recherche, laquelle était financée par le Fonds pour la formation de chercheurs et l’aide à la recherche du gouvernement du Québec (FCAR). Quant au programme sur la sexualité et la prévention des MTS et du sida, son élaboration a été financée par le Centre de santé publique de Québec. Enfin, l’évaluation du programme d’intervention est actuellement financée par le Conseil québécois de la recherche sociale (CQRS).
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Les centres de réadaptation ont manifesté un vif intérêt. Toutefois, alors que la qualité de l’élaboration se révèle cruciale pour le succès du programme dans le milieu, c’est la période de sept mois consacrée à cette étape qui a été la plus difficile à financer. En effet, il ne semble exister aucun organisme ni programme qui ait vocation à financer l’élaboration des interventions. Résultats et retombées dans le milieu
Les résultats de l’étude portant sur le comportement et les déterminants du comportement à risque chez ces jeunes ont fait l’objet de publications (Godin et al., 1994 ; Godin et al., sous presse) et de présentations à différents congrès scientifiques (Godin et al., 1994a, 1994b). Le programme a aussi fait l’objet d’une publication (Godin et al., 1994). Ce programme encore au stade expérimental a été présenté à ce jour par 53 édu cateurs auprès de 42 groupes de jeunes, soit 500 garçons et filles qui l’ont suivi en entier ou en partie. L’automne prochain, le programme devrait être offert, toujours à titre expérimental, à 15 nouveaux groupes, soit à près de 200 jeunes, par une vingtaine de nouveaux animateurs. Ainsi, dans chacun des centres de réadaptation visés, à peu près tous les groupes (unités de vie, foyers de groupe, etc.) auront suivi le programme au moins une fois au terme de cette mise en œuvre. Par ailleurs, au moins un animateur de chacun de ces services aura présenté le programme une première fois et sera donc habilité à l’offrir de nouveau à d’autres jeunes. Lorsqu’ils seront connus, les résultats de l’évaluation contribueront à approfondir les connaissances sur le comportement sexuel et préventif de cette clientèle, et surtout à préciser les stratégies ayant une incidence réelle sur l’adoption par ces jeunes d’un comportement visant à prévenir les MTS et le sida. Ils permettront également d’améliorer l’efficacité des interventions. Si les résultats sont favorables, ce type de programme pourra être offert à plus grande échelle à d’autres jeunes en centre de réadaptation dans les autres régions du Québec. On a pu observer jusqu’à présent que le simple fait de présenter ce nouveau programme influe sur les intervenants dans le sens où il a déjà changé leur méthode d’intervention, leur façon d’envisager le problème des MTS et du sida et d’aborder la sexualité avec leur clientèle. Ceux-ci affirment se sentir plus à l’aise d’intervenir dans un plus grand nombre de situations en poursuivant des objectifs en matière d’éducation sexuelle et de prévention des MTS et du sida. Ce programme a suscité des discussions dans les différents milieux et obligé les organisations à prendre clairement position sur l’accessibilité réelle du condom et des tests de dépistage pour leur clientèle. De plus, en faisant appel aux éducateurs travaillant auprès de ces jeunes, les milieux ont montré clairement leur volonté de prendre en charge à moyen et à long terme les activités et les services de prévention qu’ils veulent offrir en permanence à leur clientèle. Le fait d’assurer la formation d’au moins un éducateur de chaque service (unité de vie ou foyer de groupe) a contribué à garantir une mise en œuvre durable dans le milieu.
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Possibilité de mise en œuvre dans un autre milieu
Ce programme suscite déjà un très vif intérêt dans la communauté. Nous devons même freiner l’engouement des centres de réadaptation d’autres régions du Québec à ce stade-ci de la recherche évaluative. Cette intervention pourra certainement être mise en œuvre dans d’autres milieux, puisque l’on a prévu l’utilisation d’outils faciles d’accès et peu coûteux. De plus, elle est adaptée aux réalités de ces milieux. Ainsi, grâce à sa souplesse, le programme permet aux jeunes de s’y intégrer à n’importe quel moment. Il s’agit là d’un précieux atout dans des milieux caractérisés par des admissions et des départs en tout temps de l’année. Parents d’accueil et prévention des MTS et du sida
C’est un programme de formation en matière de prévention des MTS et du sida offert à des parents d’accueil ayant la charge d’adolescents et d’adolescentes. Ce programme vise à les rendre aptes à jouer un rôle d’éducation et de prévention relativement aux MTS et au sida auprès des adolescents et adolescentes qui leur sont confiés par les centres jeunesse de Québec. Population cible et situation dans le milieu
Les centres jeunesse sont des organismes voués à la protection et à la réadaptation des jeunes en difficulté. Ils ont pour mission de protéger les jeunes dont la santé et le bien-être sont compromis et de mettre fin à leurs actes de délinquance. Ils assurent par ailleurs le placement des jeunes qui leur sont confiés et leur offrent des services de réadaptation. Dans la perspective du développement global de la personne, la santé de ces jeunes préoccupe les centres jeunesse. Le 1er janvier 1994, les centres jeunesse de Québec avaient sous leur responsabilité 430 adolescents et adolescentes placés en famille d’accueil. La durée moyenne de placement dans ces familles est d’environ deux ans. Les familles d’accueil sont accréditées par le service des ressources des centres jeunesse. Pour les guider dans leur rôle d’éducation auprès des jeunes qu’elles accueillent, ces familles reçoivent appui et conseils des intervenants sociaux chargés d’en assurer la supervision. Pour la région 03, la plupart des familles sont d’origine québécoise, elles appartiennent à la classe moyenne et habitent dans un milieu mi-urbain en périphérie de la ville de Québec. Par les contacts quotidiens qu’ils entretiennent avec eux, les parents d’accueil jouent auprès des jeunes dont ils ont la charge un rôle de socialisation et d’éducation complémentaire à celui de la famille d’origine. C’est dans le quotidien qu’ils vivent avec les adolescents que les parents d’accueil ressentent le besoin d’être appuyés dans différents domaines, dont les relations amoureuses des jeunes, la contraception et la prévention des MTS et du sida. Ils s’adressent fréquemment aux intervenants des centres jeunesse en ce qui a trait à la sexualité des jeunes qui leur sont confiés, car ils doivent composer avec des adolescents en difficulté dont le comportement
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est parfois très différent de celui de leurs propres enfants. En fait, comme les autres familles québécoises, les familles d’accueil ne sont pas à l’abri des peurs et des tabous liés à la sexualité, aux MTS et au sida. Ces parents ont par conséquent besoin d’aide et demandent à être outillés pour mieux soutenir les jeunes. Ce programme de formation s’adresse aux parents des familles d’accueil des centres jeunesse de Québec. Il a été mis en œuvre à titre expérimental dans la grande région de Québec, Portneuf et Charlevoix, car ces sous-régions relèvent des centres jeunesse de Québec. Des groupes formés de 15 parents au maximum ont été recrutés dans chacune de ces sous-régions, soit 46 personnes au total (deux fois plus de femmes que d’hommes). Pour ce programme d’intervention, on s’est fondé sur un certain nombre de critères afin de recruter comme volontaires des parents motivés et désireux de réaliser des apprentissages en matière de sexualité et de prévention des MTS et du sida. Premièrement, la famille d’accueil devait avoir la responsabilité d’au moins un adolescent ou une adolescente de 12 ans ou plus. Parmi les autres critères figuraient l’intérêt et le questionnement à l’égard de l’éducation sexuelle des jeunes, un bon sens critique (en vue de l’amélioration éventuelle du programme) et la capacité d’aborder le vécu affectif et sexuel des jeunes en groupe. Acteurs
Les centres jeunesse de Québec ont été les promoteurs de ce programme, par l’entremise de leur service des ressources, de concert avec la Direction de la recherche et de l’enseignement et les Services de santé des centres de réadaptation. L’Association régionale des familles d’accueil est un partenaire privilégié. Un professeur de l’École de service social de l’Université Laval a également agi à titre de consultant pour l’évaluation de ce programme. La collaboration inter-établissements était très importante. Elle a été favorisée par le fait que chacun des partenaires était convaincu de l’importance d’intervenir pour la prévention des MTS et du sida et que ces établissements relèvent des centres jeunesse de Québec, ce qui éliminait la concurrence possible en ce qui concerne la reconnaissance des participations et la propriété du programme. Élaboration de l’intervention
Ce programme est né de la prise de conscience d’une lacune dans le système, l’intervenante responsable des familles d’accueil ayant remarqué que les jeunes en famille d’accueil relevant des centres jeunesse ne faisaient l’objet d’aucune démarche particulière en matière de prévention des MTS et du sida. Devant cet état de fait, la représentante des centres jeunesse siégeant au comité régional sur les MTS et le sida et le coordonnateur du service des ressources ont adressé une demande de financement pour élaborer un projet pilote à l’intention des parents d’accueil. Le projet repose sur le postulat que les parents d’accueil peuvent devenir de précieux guides en matière de prévention des MTS et du sida auprès des jeunes dont ils ont la charge. En les sensibilisant, on les aide à mieux aider ces jeunes.
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Cette affirmation s’appuie sur un certain nombre de considérations : 1) les parents d’accueil sont les personnes-ressources adultes qui ont le plus de contacts directs avec les jeunes en placement ; 2) les parents d’accueil sont sélectionnés en fonction de leur aptitude à établir de bonnes relations avec les jeunes et ils sont susceptibles de représenter pour eux des modèles auxquels ils s’identifieront ; 3) dans la plupart des cas, aucun éducateur n’est affecté au suivi des jeunes placés en famille d’accueil ; 4) ces jeunes n’ont pas de contacts quotidiens avec l’intervenant social chargé du suivi de leur cas ; et 5) les cours de formation personnelle et sociale offerts par les écoles secondaires abordent la question de la prévention des MTS et du sida, mais de façon succincte et ils s’adressent à des groupes, de sorte que l’on peut difficilement tenir compte des besoins particuliers des jeunes en familles d’accueil. L’intervention s’appuie sur les principes de l’andragogie et du service social des groupes et l’on privilégie l’interaction des participants à partir de leur expérience comme parents. Les instruments et les activités ont été conçus en misant sur les acquis des parents d’accueil : leur formation et l’accompagnement de leurs propres enfants, leur connaissance de la société actuelle, etc. Ce programme a mobilisé une équipe multidisciplinaire constituée d’une intervenante responsable des familles d’accueil d’enfants du service des ressources, d’une intervenante du service de l’adoption, de deux infirmières et d’une éducatrice travaillant en centre de réadaptation. D’autres personnes ont été consultées : une travailleuse sociale possédant une expertise en service social des groupes et un professeur de l’Université Laval pour l’évaluation du programme. Le travail de conception s’est fait individuellement et en groupe, et en étroite collaboration avec les promoteurs du programme. Quelques modifications ont été apportées au fur et à mesure des séances afin de mieux répondre aux besoins exprimés par les parents participants. Un des éléments favorables à la bonne marche du programme tient au fait que l’équipe multidisciplinaire a participé à toutes les étapes, depuis la conception jusqu’à la présentation du programme aux parents d’accueil. Ces personnes ont été les véritables maîtres d’œuvre du programme et leur contribution était d’autant plus valable qu’elle était directement liée à l’expertise qu’ils avaient acquise en travaillant auprès des parents ou des jeunes. De surcroît, l’enthousiasme suscité par le projet et le vif intérêt des intervenants à l’égard de la problématique des MTS et du sida ont contribué à en faciliter la réalisation.
Objectifs et forme de l’intervention
Ce programme vise à rendre les parents d’accueil aptes à jouer un rôle d’éducation et de prévention relativement aux MTS et au sida auprès des adolescents et adolescentes qui leur sont confiés par les centres jeunesse de Québec. Les thèmes abordés avec les parents d’accueil sont la vie amoureuse et sexuelle à l’adolescence, les connaissances sur les MTS et le sida ainsi que les moyens de prévention. L’approche, de type « groupe structuré », fait appel à des périodes de réflexion, d’écoute et d’échange, à des mises en situation, à des exercices d’autoévaluation des connaissances et des attitudes, à des exposés, à des témoignages, à des
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jeux et à la présentation de matériel audiovisuel. On distribue en outre des documents d’information. Le programme est offert en cinq séances hebdomadaires consécutives, d’une durée de trois heures chacune. Les groupes ne dépassent pas 15 personnes. De façon générale, on offre aux participants de nombreuses possibilités d’échanger tout au long du programme et, à la dernière rencontre, ce sont eux qui prennent la parole. Ils peuvent alors revenir sur les thèmes abordés au cours des rencontres précédentes et exprimer leurs besoins en matière de suivi et de relance. Ils peuvent aussi formuler des commentaires dans le but d’ajuster ou d’améliorer le programme. Financement du programme
La réalisation de ce projet a été rendue possible grâce à une subvention obtenue de la Direction de la santé publique de la Régie régionale de Québec, à la contribution des centres jeunesse de Québec et à celle de l’Université Laval. La subvention reçue a permis de dégager une professionnelle d’une partie de sa charge de travail habituelle pour qu’elle se consacre à la conception, à la promotion et à la coordination des activités du programme. Ce montant a aussi permis de retenir les services d’un consultant en dynamique de groupe et de se procurer le matériel didactique. Le financement assuré par les centres jeunesse correspond, en grande partie, aux coûts liés aux salaires du personnel dégagé pour l’animation des séances, au secrétariat et aux frais de déplacement des intervenants de même qu’aux frais de déplacement et de garde des familles d’accueil. Les centres jeunesse de Québec et l’Université Laval ont aussi contribué au projet en y associant chacun un consultant. Ce projet n’aurait pu se réaliser sans la subvention, puisque les centres jeunesse de Québec n’auraient pu libérer d’intervenant pour élaborer et expérimenter le programme sans que les services à la clientèle en souffrent. Résultats et retombées dans le milieu
L’évaluation du programme a permis de s’assurer de l’atteinte des objectifs. Des données portant sur des indicateurs préalablement établis ont été recueillies à chacune des séances par une personne-ressource qui n’avait pas participé à l’animation. De plus, à la fin de la session, les participants ont répondu à un questionnaire destiné à évaluer leur degré de satisfaction. Au terme du programme, les évaluateurs estiment à la lumière des observations portant sur les indicateurs d’évaluation que les participants ont fait des apprentissages concernant la prévention des MTS et du sida – notamment en ce qui a trait aux connaissances et aux comportements et attitudes favorables – qui leur seront utiles dans leur rôle d’éducateurs. Les parents ont rempli, au début et à la fin du programme, un questionnaire portant sur les connaissances, dont le but était non pas d’évaluer le programme mais bien de donner aux participants l’occasion de faire le point sur l’état de leurs connaissances se rapportant au sida et aux MTS. Pour la majorité des questions, les résultats ont été meilleurs au post-test qu’au prétest.
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L’évaluation formative et sommative du programme a révélé que les parents d’accueil sont intéressés à parler de la vie affective des jeunes et qu’ils sont motivés à jouer un rôle en matière de prévention des MTS et du sida. Après avoir suivi le programme, ils se sentent mieux outillés pour jouer un rôle éducatif à cet égard et ils souhaitent que d’autres parents ou parents d’accueil et même des jeunes reçoivent cette formation. Enfin, ils se disent très satisfaits de la formation, de l’organisation en général, de l’animation, de la durée de la session et des apprentissages faits. Un parent a exprimé sa satisfaction en ces termes : « C’est comme un coffre à outils. Tu n’as pas nécessairement à l’utiliser tous les jours, mais c’est rassurant de savoir que tu peux t’en servir quand tu en as besoin. » Une rencontre de relance organisée un an plus tard à chacun des endroits visés a permis de valider les thèmes sur lesquels avait porté la formation et a confirmé que les parents d’accueil se sentent plus à l’aise d’aborder ces questions. Au cours de l’année, ils ont également pris conscience des limites de leur intervention, dans la mesure où ils ne peuvent adopter le com portement préventif à la place des jeunes. La première retombée de ce programme est sans aucun doute le fait que les parents d’accueil se sentent dorénavant plus à l’aise d’intervenir et qu’ils disent intervenir réellement en matière de sexualité et de prévention des MTS et du sida. Les parents d’accueil ont pu prendre connaissance de la documentation mise à leur disposition et l’utiliser ensuite pour faire de la prévention auprès des jeunes confiés à leurs soins. Nul doute que le programme a contribué à améliorer leur confiance en eux-mêmes et leur a donné le sentiment d’être « mieux outillés » pour intervenir. De plus, à la suite des recommandations formulées par les parents à la fin du programme et à la demande de certains jeunes placés dans ces familles d’accueil, on a présenté une nouvelle demande de financement afin de réaliser une seconde phase du projet. Tout en poursuivant le même objectif, soit la prévention des MTS et du sida chez les adolescents et adolescentes en famille d’accueil, cette deuxième phase donnera lieu à des interventions à la fois auprès des parents d’accueil et des jeunes. Toutefois, ce projet comporte certaines limites qu’il est important de souligner. D’abord, bien que le programme ait connu beaucoup de succès auprès des parents d’accueil, on ne peut en déduire qu’il a eu une incidence réelle sur la prévention des MTS et du sida chez les jeunes dont ils avaient la charge, ce qui était le but visé. Le financement modeste reçu pour l’élaboration et la mise en œuvre de ce projet initial n’a pas permis d’évaluer la portée réelle auprès des jeunes. Une autre limite tient au fait que l’équipe d’animation du programme était constituée uniquement de femmes. Or, les parents d’accueil invités à participer à ce programme étaient aussi bien des hommes que des femmes. Il aurait été intéressant qu’il y ait des animateurs des deux sexes, ce qui aurait permis aux pères de s’identifier à un autre homme et de lui confier les difficultés auxquelles ils se heurtent parfois dans leurs interventions. Ce programme a déjà fait l’objet de publications (Berlinguet et al., 1995 ; Centres jeunesse de Québec, 1996), de présentations officielles et non officielles (Beaupré et al., 1994 ; Berlinguet et al., 1995 ; Brochu et Brousseau, 1994) dans le cadre de colloques, de congrès et de cours en service social à l’Université Laval. D’autres pré sentations portant sur l’évaluation de ce programme sont déjà prévues.
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Possibilité de mise en œuvre dans un autre milieu
Maintenant que le programme est élaboré et qu’il a été modifié à la suite de sa présentation dans les trois endroits pilotes, sa reconduction nécessiterait un inves tissement moindre. D’ailleurs, le guide d’animation qui sera diffusé sous peu (Centres jeunesse de Québec, 1996) permettra aux éventuels formateurs de reprendre facilement le programme dans d’autres régions. De plus, après la réalisation de la deuxième phase, si celle-ci se concrétise, les organisations seront mieux outillées pour intervenir, car elles auront accès à deux programmes s’adressant l’un aux parents et l’autre aux parents et aux jeunes. RECOMMANDATIONS EN MATIÈRE DE PRÉVENTION DES MTS ET DU SIDA
L’examen attentif des écrits sur le sujet et des trois études de cas présentées montre que la plupart des initiatives prennent appui sur la connaissance du milieu de vie tout en mettant l’accent sur le comportement individuel. La description de ces expériences dans le domaine de la prévention amène aussi à reconnaître qu’elles ont posé des difficultés, qui ont paru à certains moments suffisamment graves pour compromettre la mise en œuvre de ces interventions. L’examen des déterminants de la santé ainsi que des facteurs favorisant l’efficité des interventions a donné lieu à quelques observations à partir desquelles nous avons pu formuler des recom-mandations pour les interventions futures en matière de prévention des MTS et du sida. Les MTS et le VIH étant encore principalement transmis par voie sexuelle, dans la foulée des mesures préventives à instaurer ou à amplifier, il faut viser le déve loppement d’une sexualité saine et responsable chez les jeunes. Tout effort d’éducation en ce sens ne sera cependant efficace que si l’on dépasse la simple acquisition de connaissances pour favoriser l’adoption d’attitudes et l’acquisition d’aptitudes, d’habiletés et de valeurs relativement à la sexualité. En outre, l’information sur le sida doit s’inscrire dans le cadre plus global de l’éducation sexuelle. Par ailleurs, il est bien connu que l’école constitue, après le milieu familial, le principal lieu de socialisation et d’éducation des jeunes (Desaulniers, 1990 ; Moore et Rosenthal, 1993). Il faut tirer parti de cette réalité, cesser de remettre constamment en question la pertinence de l’éducation sexuelle en milieu scolaire et en faire bénéficier tous les jeunes. En ce qui concerne la prévention du sida et des MTS, cette éducation devrait commencer le plus tôt possible, soit dès le deuxième cycle du primaire, et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, lorsqu’on examine la tendance des dernières décennies, on constate que les jeunes ont des relations sexuelles plus précoces (Carballo et al., 1991 ; Moore et Rosenthal, 1993 ; Otis, 1995). D’autre part, les jeunes qui s’engagent plus tardivement dans une vie sexuelle active adoptent en général des pratiques sexuelles plus sûres. En outre, les jeunes qui utilisent le condom au moment de leurs premières relations sexuelles sont plus enclins à l’utiliser par la suite (Otis, 1995).
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Certes, les données issues de la recherche indiquent qu’il y a eu chez les jeunes de 15 à 19 ans une réduction appréciable de certaines MTS telles que les infections à chlamydia et la gonorrhée au cours des dix dernières années. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette diminution, notamment les efforts de prévention déployés pendant cette période. Toutefois, il faut insister sur le fait que l’infection par le VIH ne semble pas encore avoir atteint le milieu scolaire et qu’il faut prendre des mesures pour éviter que cela ne se produise. En conséquence, nous recommandons : • Que les efforts de prévention et d’éducation en milieu scolaire soient poursuivis, voire intensifiés ; • Que des cours d’éducation sexuelle soient offerts à tous les jeunes dès le deuxième cycle du primaire pour favoriser chez eux une saine sexualité et leur faire comprendre l’importance de retarder le moment de leurs premières relations sexuelles ; • Que les jeunes aient facilement accès au condom en milieu scolaire. Parmi les variables associées à l’utilisation du condom dans les relations sexuelles chez les adolescents et adolescentes, la consommation d’alcool ou l’usage de drogues ainsi que l’utilisation de contraceptifs oraux méritent une attention particulière. Il est de plus en plus reconnu que la consommation d’alcool ou l’usage de drogues, qui altèrent la capacité de décision, sont associés à des relations sexuelles non protégées chez les jeunes. Par ailleurs, selon plusieurs études ayant abordé l’antagonisme entre « pilule et condom », l’utilisation de contraceptifs oraux par l’adolescente s’avère le meilleur prédicteur d’un usage moindre du condom (Otis, 1995). Cela montre l’importance d’aborder ces questions avant que les jeunes ne s’engagent dans leur vie sexuelle active. Grossesse, MTS et sida, malgré leurs enjeux différents (sur le plan de la signification et des conséquences) doivent être abordés conjointement. Il convient en outre d’associer la santé sexuelle aux valeurs plus générales rattachées à la santé, notamment quand on aborde la toxicomanie. En conséquence, nous recommandons : • Que les programmes portant sur la sexualité, les MTS et le sida établissent des liens avec la prévention de la grossesse chez les adolescentes et la prévention de la toxicomanie. Une des principales difficultés inhérentes à l’élaboration d’interventions de promotion efficaces a trait au temps et à l’investissement exigés. Il faut non seulement bien cerner les besoins de la clientèle visée, mais également élaborer l’intervention avec soin. Or, cette étape cruciale requiert un travail en partenariat. Il faut donc négocier les contenus validés par les résultats de la recherche ainsi que les aspects plus accessoires mais attrayants pour la clientèle visée. Par ailleurs, aucun programme, (même le plus attrayant) ne suffit en soi. Il doit s’inscrire dans un cadre et être soutenu par des personnes-ressources durant suffisamment de temps pour en assurer la permanence, sinon il est voué à l’échec. Il devient donc indispensable de créer une structure de soutien à la mise en œuvre des nouveaux programmes de prévention. Les professionnels de la santé en milieu scolaire (p. ex. l’infirmière) qui jouent un rôle très important dans la poursuite des activités et des objectifs de prévention semblent tout désignés pour être les piliers de cette structure. Grâce au dynamisme de ces intervenants, les organisations peuvent à peu de frais faire de la prévention et,
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de concert avec les enseignants, le personnel non enseignant et les jeunes, assurer la mise en œuvre de programmes dans le milieu. En fait, les professionnels de la santé assurent la liaison entre le monde scolaire et le milieu de la santé. En conséquence, nous recommandons : • Qu’on assure en milieu scolaire la présence d’une personne ayant la responsabilité d’instaurer des activités de prévention dynamiques qui respectent les réalités du milieu. La pertinence de miser sur les intervenants déjà en place dans le milieu, entre autres les éducateurs en centre jeunesse et les parents d’accueil pour jeunes en difficulté d’adaptation sociale, a été démontrée. À notre avis, ce modèle d’intervention est à privilégier avec d’autres clientèles, car les intervenants représentent les personnes les plus importantes pour ces différents groupes. En outre, les intervenants sont capables d’entrer en contact avec un nombre de personnes assez élevé pour qu’il soit rentable de les mettre à contribution. De plus, miser sur eux c’est aussi miser sur l’intégration de l’intervention par le milieu, ce qui constitue un avantage de taille. Enfin, cette démarche permet d’assurer le respect d’un critère de succès des interventions, soit une mise en œuvre prenant appui sur une compréhension réelle du milieu de vie. Pour favoriser la prévention des MTS et du sida auprès des différents groupes cibles, que ce soit en milieu scolaire, dans les centres jeunesse, dans les organismes communautaires, etc., il faut aborder les pratiques sexuelles ainsi que d’autres facettes de la sexualité des personnes. Il est donc important que la formation de base des professionnels (intervenants) travaillant dans ces différents milieux les rende aptes à intervenir dans le cadre de programmes axés sur la prévention des MTS et du sida. En conséquence, nous recommandons : • Qu’une politique de formation continue dans les différents milieux d’intervention prévoie de doter tous les intervenants appelés à travailler directement auprès des groupes cibles des habiletés nécessaires en matière d’éducation sexuelle et de prévention des MTS et du sida ; • Qu’une formation s’adressant aux parents et aux acteurs clés du réseau de soutien naturel (p. ex. les pairs et les parents d’accueil) soit offerte, afin que les interventions de prévention soient élaborées en interaction avec le milieu de vie. Les médias font dorénavant partie de l’univers culturel de la population canadienne. La télévision, en particulier, a acquis avec les années une popularité stupéfiante. Par exemple, les jeunes passent en moyenne 24 heures par semaine devant un poste de télévision (Duquet, 1991). Or, « à titre de véhicule privilégié de la culture d’aujourd’hui, la télévision joue évidemment un rôle clé dans l’émergence, le développement et l’incarnation des valeurs auxquelles se réfèrent les jeunes ; sur l’amour, le travail, le beau et le bien, les loisirs, les relations avec les autres, la famille, la connaissance, la religion […] » (Grégoire, 1982). Par conséquent, le fait que presque toutes les séries télévisées abordent la sexualité et montrent des relations sexuelles sans qu’il soit guère question des risques de MTS ou de grossesses indésirées tend à déresponsabiliser les téléspectateurs face à ces problèmes dans leur propre vie sexuelle. Un avantage important de l’utilisation des médias tient au fait qu’on peut facilement capter l’attention des gens des régions éloignées ainsi que d’autres groupes
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difficiles à atteindre par nos méthodes de travail habituelles. En conséquence, on pourrait miser sur les séries télévisées et les téléromans qui ont déjà de très bonnes cotes d’écoute pour à tout le moins véhiculer des messages de prévention et, au mieux, présenter des modèles de personnes assumant leurs responsabilités en matière de sexualité et de prévention des MTS et du sida lorsqu’elles ont des relations sexuelles avec un nouveau partenaire. Les artistes qui ont acquis une bonne popularité et une grande crédibilité auprès du public devraient être mis à contribution pour véhiculer ces messages. En conséquence, nous recommandons : • Que les télédiffuseurs (en particulier la télévision d’État) et leurs collaborateurs (réalisateurs, scénaristes et artistes) soient sensibilisés à l’importance de présenter aux téléspectateurs des modèles de personnes responsables en matière de sexualité et de prévention des MTS et du sida. On estime qu’il faut consacrer entre cinq et six ans en moyenne à l’élaboration et à la mise en œuvre complète d’un programme d’intervention, y compris son évaluation (Bouchard, 1991). Compte tenu du caractère essentiel de la composante évaluative pour la qualité d’un programme, il est évident qu’un financement à la petite semaine ou encore à la pièce rendra non seulement dès le départ le programme vulnérable et précaire mais risquera aussi de favoriser la démobilisation du milieu où est mis en œuvre le programme de prévention. Par conséquent, pour l’implantation d’un nouveau programme, il faudrait pouvoir compter sur un financement soutenu, à tout le moins suffisant pour mener à bien toutes les phases de sa mise en œuvre, notamment la formation du personnel apte à offrir ce programme et à en assurer la continuité après l’évaluation. Quand le soutien financier est inadéquat, des partenaires abandonnent ; il faut interrompre le programme ou travailler avec une équipe de travail affaiblie. De façon générale, les organismes subventionnaires sont très réceptifs aux demandes de subvention visant l’étude des besoins, mais ils deviennent plus sévères lorsqu’il s’agit de déterminer les protocoles d’évaluation des programmes, et le financement de l’étape intermédiaire, soit la mise en œuvre, ne semble relever d’aucun organisme précis. Cet état de choses peut avoir des conséquences malheureuses sur la mobilisation des partenaires et rendre inutiles tous les efforts investis dans l’étude des besoins. En conséquence, nous recommandons : • Que des fonds soient affectés aux études de besoins pour autant qu’elles s’inscrivent dans le cadre d’un programme de recherche intégré débouchant sur la mise en œuvre probable d’une intervention suivie de son évaluation. Enfin l’intersectorialité est un autre aspect susceptible d’influencer l’efficacité des interventions, c’est-à-dire l’harmonisation des programmes mis en œuvre par différents intervenants issus du monde de la santé, de l’éducation, de la justice, ou autre. Il arrive souvent que les interventions de prévention ciblent des clientèles qui sont sous la responsabilité d’organismes dont la mission première n’est pas liée à la santé physique. Les institutions qui chapeautent ces organismes doivent néanmoins être mises à contribution pour assurer la réalisation d’activités de prévention ainsi que leur financement. En conséquence, nous recommandons : • Que les différents gouvernements facilitent l’intersectorialité et la collaboration lorsque les interventions relèvent de plusieurs ministères.
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Gaston Godin, Ph. D., est professeur titulaire à la Faculté des sciences infirmières de l’Université Laval. Il est diplômé en santé communautaire de l’Université de Toronto et se spécialise dans les sciences du comportement. Il coordonne les activités de recherche des membres de deux équipes : l’une étudie les processus d’adoption et de maintien des comportements liés à la santé, l’autre se penche sur la prévention du sida. Il a publié près d’une centaine d’articles dans des revues scientifiques d’envergure nationale et internationale.
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Améliorer la santé des jeunes de la rue Tullio Caputo, Ph. D., et Katharine Kelly Département de sociologie et d’anthropologie Université Carleton
Résumé Au cours de la dernière décennie, les jeunes ont été le segment de la population des sans-abri qui a connu la croissance la plus rapide ; les fugueurs et les jeunes de la rue en représentent en effet une forte proportion (Children Today, 1989 ; Price, 1989 ; Ward, 1989). La présente étude analyse divers aspects de la situation des jeunes sans foyer, grâce à un examen détaillé de la documentation pertinente et des résultats de deux études de cas. Elle privilégie les fugueurs et les jeunes de la rue, puisque les deux groupes qu’ils représentent constituent la plus grande partie de la population des jeunes sans abri, sans toutefois négliger d’autres jeunes associés à la rue comme les traîneurs et les indécis qui souhaiteraient adopter ce mode de vie. Les estimations du nombre de jeunes sans abri au Canada varient énormément. Par exemple, dans son rapport annuel de 1991, le Bureau d’enregistrement des enfants disparus de la GRC déclarait qu’il y avait, en 1986, 13 enfants disparus sur 100 000. En 1990, les fugueurs comptaient pour 44 800 des 61 248 enfants déclarés disparus au Canada (Fisher, 1992). Les estimations du nombre de jeunes sans abri varient aussi pour une même ville. Par exemple, à Toronto, certains estimaient ce nombre à 5 000 ou 10 000, tandis que d’autres parlaient de 12 000 jeunes de la rue (McCullagh et Greco, 1990, p. 24 ; Appathurai, 1988). Nous proposons une définition plus restrictive de la notion d’enfants fugueurs et disparus, à partir d’un modèle conçu par Brannigan et Caputo (1993) qui catalogue les jeunes itinérants en fonction du temps qu’ils passent dans la rue et de leur degré de participation à son mode de vie. L’application de cette définition réduit énormément les estimations de la taille de la population visée. Dans plusieurs villes canadiennes, les
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estimations du nombre de jeunes itinérants confirmés vont de 200 à 300 l’hiver jusqu’à 500 ou 600 l’été. Cela dit, même si les estimations fondées sur cette définition sont beaucoup moins élevées que celles du nombre des fugueurs et des enfants disparus, elles n’en révèlent pas moins qu’un grand nombre de jeunes vivent dans des conditions margi-nales et précaires et se livrent aux pratiques dangereuses associées à la survie dans la rue. L’âge des jeunes de la rue se situe entre 12 et 24 ans (Municipalité régionale d’OttawaCarleton, 1992). Le sexe masculin est légèrement surreprésenté, particulièrement parmi les plus âgés (Conseil de planification sociale de Winnipeg, 1990 ; Kufeldt et al., 1988 ; Smart et al., 1990 ; Janus et al., 1986). Pour assurer leur bien-être, ces jeunes doivent surmonter toutes sortes de difficultés. Par exemple, on a constaté qu’ils étaient parti culièrement vulnérables à des problèmes de santé mentale et que beaucoup étaient dépressifs ou suicidaires (Stiffman, 1989a ; Yates et al., 1988 ; Denoff, 1987). Dans leur étude de 1990, Molnar et al. ont souligné que les jeunes sans abri subissent des traumatismes physiques, psychologiques et émotifs. Enfin, dans sa communication de 1987, Luna a déclaré qu’ils menaient une existence émotivement néfaste, instable et dangereuse. Qui plus est, les jeunes de la rue sont exposés à un phénomène endémique dans leur mode de vie : la violence. Une évaluation des besoins des jeunes itinérants d’Ottawa a permis de constater que 40 participants sur 64 (62 %) avaient subi des blessures pendant qu’ils vivaient dans la rue (Municipalité régionale d’Ottawa-Carleton, 1992) ; en outre, 72,5 % d’entre eux avaient déclaré avoir été battus ou agressés. De nombreux jeunes de la rue s’adonnent également à des activités sexuelles à risque élevé (McCullagh et Greco, 1990 ; Conseil de planification sociale de Winnipeg, 1990 ; Webber, 1991 ; Michaud, 1988 ; Brannigan et Caputo, 1993). Leur santé est aussi extrêmement menacée par l’ampleur de leur consommation de drogues. Des chercheurs canadiens estiment que la toxicomanie est presque généralisée chez les jeunes de la rue, et qu’elle se manifeste habituellement sous la double forme de l’alcoolisme et de la consommation de drogues (McCullagh et Greco, 1990, p. 34). Enfin, selon Radford et al. (1989, p. 124), les deux tiers des jeunes de la rue consomment de la drogue ou de l’alcool toutes les semaines, sinon tous les jours. Les jeunes itinérants courent aussi un danger en raison de leurs activités délinquantes ou criminelles. De nombreuses études font état de leur participation à diverses activités de ce genre, comme le vol, la prostitution et le trafic de drogues (McCarthy, 1990 ; Powers et al., 1990 ; Janus et al., 1986 et 1987b ; Janus et al., 1987a). McCullagh et Greco (1990, p. 39-45) ont décrit diverses activités de ce genre des jeunes Torontois de la rue (prostitution, vol – p. ex. vol qualifié et vol à l’étalage –, trafic de drogues et mendicité). À Winnipeg, le Conseil de planification sociale a mené une étude (1990, p. 40) dans laquelle il a constaté une importante participation des jeunes de la rue à des activités délinquantes ou criminelles telles que la prostitution, le trafic de drogues, le vol, le vol qualifié, le vol à l’étalage, la balade en voiture volée, la contrefaçon et la fraude. Les facteurs qui incitent les jeunes à fuguer sont bien établis dans les rapports de recherche (Rotheram-Borus, 1991). Ils comprennent les problèmes individuels (Nye et Edelbrock, 1980 ; Stiffman, 1989a ; Yates et al., 1988 ; Denoff, 1987), les problèmes liés à des familles conflictuelles ou dysfonctionnelles (Kufeldt et Nimmo, 1987 ; Shane, 1989 ; Kufeldt et Perry, 1989 ; Price, 1989), des échecs scolaires (Brennan, 1980 ; Windle, 1989),
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la toxicomanie (Radford et al., 1989 ; Smart et al., 1990 ; Conseil de planification sociale de Winnipeg, 1990) ainsi que la participation à des activités délinquantes ou criminelles (Kufeldt et Nimmo, 1987 ; Conseil de planification sociale de Winnipeg, 1990 ; McCullagh et Greco, 1990 ; McCarthy, 1990 ; McCarthy et Hagan, 1991). Ces recherches sur les causes des fugues font ressortir les éléments cruciaux qui influent sur la décision des jeunes de quitter prématurément leur foyer. Elles nous ont permis de déterminer dans quels cas les fournisseurs de services pourraient intervenir pour prévenir la fuite de ces jeunes vers la rue et, partant, pour leur éviter les risques qu’ils y courent. On a par ailleurs mené diverses études sur les besoins de santé des jeunes itinérants, une fois qu’ils se retrouvent dans la rue. Dans ce contexte, il faut non seulement leur fournir les nécessités fondamentales, mais aussi répondre aux besoins suivants : – accès à divers types d’assistance personnelle ; – contact avec des adultes ou des pairs aidants ; – assistance familiale ; – accès à des activités sociales et récréatives appropriées ; – programmes spécialisés d’enseignement ou de formation professionnelles ; – services uniformes bien intégrés ; – accès à des services socialement et culturellement adaptés à leurs besoins ; – prestation des services à des moments et à des endroits adaptés à leurs besoins. De nombreuses communautés canadiennes ont reconnu que le problème des jeunes sans abri est bien plus vaste que celui de répondre à leurs besoins individuels. Il s’inscrit en effet dans le contexte d’un ensemble de comportements complexes qui mettent en danger la santé de bien des jeunes. On reconnaît de plus en plus que les réseaux interorganismes sont le moyen le plus efficace de surmonter des problèmes aussi complexes que ceux des jeunes sans abri, de la délinquance juvénile et de la violence chez les jeunes (Fédération canadienne des municipalités, 1994). Bien des localités ont donc créé des réseaux communautaires entre les organismes, ce qui rend l’approche multidisciplinaire et complète. Nous avons mené deux études de cas pour y puiser des exemples tant des réussites que des échecs de ces réseaux interorganismes. Les deux localités canadiennes étudiées sont Saskatoon et Ottawa. Leurs réseaux interorganismes ont été en partie conçus pour répondre à un large éventail de besoins sociaux, économiques, médicaux et personnel de leur population de jeunes itinérants. Les données tirées des études de cas sont présentées de façon à faire ressortir les opinions des jeunes de la rue des deux localités sur les services qui leur sont offerts. En général, les jeunes de la rue des deux villes ont déclaré avoir recours aux services disponibles, exception faite des refuges peu fréquentés à Saskatoon et des services sociaux que les jeunes autochtones de l’endroit évitent. À ces deux exceptions près, les jeunes des deux villes avaient largement recours aux services de santé ainsi qu’aux services éducatifs et aux services sociaux locaux. En outre, la plupart des jeunes de la rue ont donné une évaluation très favorable des services dont ils profitaient. Les jeunes de la rue n’hésitaient pas à avoir recours aux services socialement et culturellement adaptés qui leur étaient fournis d’une façon judicieuse par un personnel sensible à leurs besoins, et ils les appréciaient. Les difficultés qu’ils ont signalées étaient
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attribuables à l’accès et à la disponibilité limitée des services existants, ainsi qu’à leur nature fragmentée. Dans bien des cas, les jeunes de la rue ne pouvaient pas avoir accès aux services généraux qu’il leur fallait, et, dans d’autres cas, ceux dont ils avaient le plus besoin n’étaient tout simplement pas disponibles. Ces opinions ont été évaluées en fonction des efforts interorganismes déployés dans les deux localités, qui offraient toutes deux de nombreux services aux jeunes et qui avaient adopté des approches interorganismes particulières pour répondre à leurs besoins. À Saskatoon, E’Gadz est une approche interorganismes unique. C’est un service qui a été mis sur pied par un comité d’organismes au service des jeunes, comme point central des services locaux à l’intention des jeunes itinérants. Son équivalent à Ottawa, le Bureau des services de la jeunesse (BSJ), fournit toute une gamme de services à ces jeunes, dont des services élargis, des centres de dépannage et des services d’assistance psychosociale, de logement et d’orientation. Contrairement à E’Gadz, le BSJ n’abrite pas dans ses locaux les services des organismes qu’il représente ; il est plutôt l’intermédiaire des services dont les jeunes de la rue ont besoin. Les jeunes de la rue de Saskatoon ont été élogieux pour E’Gadz, dont ils utilisaient largement les services. Ils avaient confiance en son personnel et maintenaient le contact avec lui. Les difficultés que doit surmonter E’Gadz concernent son emplacement et sa relation avec les organismes membres. Le fait qu’il occupe un gros bâtiment signifie que de nombreux organismes au service des jeunes à risque élevé peuvent y offrir des programmes (c’est le cas des systèmes de soins de santé, d’éducation et de justice pénale). Leur emplacement les empêche toutefois d’attirer les jeunes de la rue qui se rassemblent dans les autres secteurs de la ville. E’Gadz a donc mis sur pied un programme élargi, mais même cette approche est quelque peu contradictoire, puisqu’elle l’amène à rivaliser directement avec des fournisseurs de services qui sont représentés à son conseil d’administration. La coopération interorganismes et les tensions liées au « territoire » de chacun des organismes qui participent aux activités d’E’Gadz représentent, pour l’organisme, un obstacle à surmonter. E’Gadz était censé être au départ un point de rencontre où tous les fournisseurs de services pourraient offrir des programmes, mais quelques-uns seulement le font. Certains ont fait des essais en tant que membre d’E’Gadz, mais sont partis mettre en pratique les meilleures idées à partir de leurs propres locaux. Nous avons constaté des succès et des problèmes analogues à Ottawa. Les efforts du BSJ ont été bien accueillis par les jeunes de la rue, qui font confiance au personnel de l’organisme et le respectent. Le défi à relever à Ottawa est le suivant : de nombreux jeunes de la rue éprouvent de la difficulté à avoir accès aux services généraux dont ils ont besoin. D’ailleurs, certains de ces services ne sont même pas offerts. Le BSJ a une excellente relation de collaboration avec les autres organismes dispensant des services aux jeunes de l’endroit. Dans son rôle d’intermédiaire, il aiguille les jeunes de la rue vers les services dont ils ont besoin. En général, les résultats sont excellents. Néanmoins, de nombreux besoins ne sont pas satisfaits et, à Ottawa comme à Saskatoon, les querelles de « territoire » sont toujours présentes. On a conçu à Ottawa plusieurs stratégies communautaires originales au cours de l’étude de cas. Par exemple, une initiative de création d’emplois pour les jeunes faisant
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appel aux gens d’affaires du centre-ville a aidé des jeunes itinérants à fonder et à exploiter leur propre entreprise. L’Initiative des jeunes de la rue Rideau fournit à ces sans-abri une formation et de l’expérience en matière d’emploi, ainsi que des contacts avec les gens d’affaires. Recommandations
Les conclusions clés tirées de la documentation pertinente et des études de cas soulignent la nécessité de plusieurs mesures stratégiques. 1. Il existe de nombreuses possibilités de mise en œuvre de mesures préventives qui devraient cibler les facteurs incitant les jeunes à fuguer, afin de les empêcher de prime abord de se retrouver dans la rue. 2. Il faudrait qu’une gamme complète de services soit offerte aux jeunes qui se retrouvent dans la rue : services de prévention, d’intervention en cas de crise, d’aide pour la survie, de transition et d’assistance en cas d’incapacité. Tous ces services devraient être socialement et culturellement pertinents, et être, de plus, fournis à des moments et à des lieux adaptés à la population visée. 3. Les initiatives interorganismes sont la façon la plus efficace de résoudre le problème des jeunes sans foyer. Elles permettent de maximiser des ressources limitées grâce à une réduction ou à l’élimination du double emploi, ainsi que d’assurer l’étanchéité du filet des services. 4. Lorsqu’on a recours à des initiatives interorganismes, on devrait s’efforcer de minimiser les querelles de « territoire » entre les participants. Les services doivent être uniformes, et la continuité doit être assurée.
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TABLE DES MATIÈRES
Introduction ...................................................................................................426 Estimation de la taille de la population des jeunes sans abri ..........................427 Qui doit-on comprendre dans la définition des jeunes sans abri ?................428 Typologie des jeunes de la rue......................................................................429 Taille de la population des jeunes itinérants.................................................430 Caractéristiques démographiques des jeunes itinérants convaincus...............431 Nature du problème....................................................................................432 Santé globale des jeunes itinérants...............................................................434 Santé mentale des jeunes itinérants..............................................................434 Violence du vécu des jeunes itinérants.........................................................435 Participation des jeunes itinérants à des activités sexuelles à risque élevé...............................................................................................435 Consommation de drogue par les jeunes itinérants......................................436 Participation des jeunes itinérants à des activités délinquantes ou criminelles.........................................................................436 Facteurs non médicaux influant sur la santé des jeunes itinérants.................437 Facteurs incitant les jeunes à fuguer ...............................................................439 Interventions pour venir en aide aux jeunes sans abri : exemples tirés de deux études de cas . ....................................................................................443
« Besoins » des jeunes itinérants....................................................................445
Étude de cas de Saskatoon...........................................................................447 Étude de cas d’Ottawa.................................................................................452 Mesures préconisées pour améliorer la santé des jeunes itinérants .................455 Facteurs situationnels...................................................................................457 Besoins individuels......................................................................................457 Fluctuations des niveaux de financement.....................................................458 Bibliographie....................................................................................................461
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INTRODUCTION
Au Canada et aux États-Unis, on a accordé une attention croissante au problème des sans-abri au cours de la dernière décennie. Le dossier des jeunes itinérants a fait l’objet de nombreux reportages, livres, films et autres études parrainés par les gouvernements, ainsi que d’une foule de recherches universitaires (Kufeldt et Burrows, 1994 ; Caputo et al., 1994a et 1994b ; Brannigan et Caputo, 1993 ; McDonald et Peressini, 1992 ; Rossi, 1989). Au cours de cette période, les jeunes ont été le segment de la population des sans-abri qui a connu la croissance la plus rapide ; les fugueurs et les jeunes de la rue en représentent en effet une forte proportion (Children Today, 1989 ; Price, 1989 ; Ward, 1989). Le présent rapport est une analyse de divers aspects de l’itinérance des jeunes ; il contient un examen détaillé de la documentation pertinente, particulièrement en ce qui concerne les fugueurs et les jeunes de la rue, puisque ces deux groupes repré sentent la majorité des jeunes sans abri. Néanmoins, nous avons aussi étudié d’autres jeunes qu’on associe au mode de vie de la rue, comme les traîneurs qui se contentent d’observer et les indécis qui sont tentés d’adopter cette façon de vivre. Nous avons décrit la population ciblée, en précisant ce que devrait être la définition des jeunes itinérants. Nous avons ensuite fait état des dangers pour la santé que suppose la vie dans la rue avec ses conditions marginales et précaires. Plus particulièrement, nous avons décrit à quelles conséquences on s’expose en s’adonnant aux activités souvent dangereuses qu’on associe au mode de vie de la rue, par exemple la toxicomanie et l’alcoolisme, les pratiques sexuelles à risque élevé et la participation à des activités illégales pour survivre. De nombreux observateurs ont souligné que les approches communautaires interorganismes multidisciplinaires sont les plus en mesure de résoudre le problème des jeunes itinérants. Nous nous sommes fondés sur deux études de cas pour donner des exemples qui illustrent à la fois les succès et les échecs des réseaux interorganismes dans deux villes canadiennes, Saskatoon et Ottawa. Ces réseaux interorganismes ont été conçus notamment pour répondre à un large éventail de besoins sociaux, économiques, médicaux et personnels des jeunes itinérants des deux villes. Dans ce contexte, nous avons aussi étudié diverses autres questions, dont les antécédents des jeunes qui se retrouvent dans la rue et les conséquences de cette situation. Dans la dernière partie, nous tirons des conclusions clés de la documentation pertinente, en précisant les mesures stratégiques qui s’imposent. Le tout est formulé en fonction des grands déterminants de la santé de la population. Les principes pertinents sont précisés, pour contribuer à guider les interventions des gouvernements, des organismes dispensant des services aux jeunes, de la communauté et des autres intervenants qui fournissent des services aux jeunes sans abri.
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ESTIMATION DE LA TAILLE DE LA POPULATION DES JEUNES SANS ABRI
Les estimations que les rapports de recherche donnent de la taille de la population des jeunes sans abri varient énormément. Par exemple, aux États-Unis, celles du nombre d’enfants disparus vont de 200 000 à plusieurs millions par année (Society, 1988). Ces données sont compatibles avec les statistiques d’autres rapports de recherche aux États-Unis, dont celui de Rotheram-Borus (1991), où l’on peut lire qu’il y avait en 1979 environ 1,5 million de fugueurs et de jeunes sans abri aux États-Unis, et celui de Shane (1989), qui fait état de 2 millions de fugueurs par année au début des années 1980. L’étude menée par Finkelhor et ses collaborateurs en 1990 avançait un taux de 205 fugueurs pour 100 000 jeunes, toujours aux États-Unis. Au Canada, dans son rapport annuel de 1991, le Bureau d’enregistrement des enfants disparus de la GRC a déclaré qu’il y avait eu 13 enfants disparus sur 100 000 en 1986. En 1990, on a déposé 61 248 rapports d’enfants disparus au Canada ; dans 44 800 cas, ces enfants étaient des fugueurs, et la majorité avaient fugué plusieurs fois au cours de la même année (Fisher, 1992). Radford et ses collègues (1989, p. 9) ont produit d’autres estimations, en citant les statistiques de Covenant House, selon lesquelles il y aurait au Canada 150 000 fugueurs par année. (Ces auteurs font aussi état d’une déclaration de la Commission spéciale sur la jeunesse, d’après laquelle le nombre de nos enfants qui fuguent par année est inconnu.) Les estimations sur le nombre des jeunes sans abri qu’on trouve dans diverses villes canadiennes varient elles aussi largement. Par exemple, selon la Coalition of Youth Work Professionals de Toronto, il y aurait environ 5 000 jeunes de la rue dans cette ville, alors que l’Evergreen Drop-In Centre évalue leur nombre à environ 12 000 (McCullagh et Greco, 1990, p. 24). Pour sa part, Appathurai (1988) l’établit à 10 000. Anderson (1993, p. 3) a résumé la difficulté d’estimer l’importance de la population des jeunes sans abri en soulignant que, comme Smart et ses collègues (1990) l’avaient signalé, on ne connaît pas vraiment le nombre de jeunes de la rue à Toronto, et que c’est la même chose pour tous les centres urbains du pays. En fait, nous n’avons même pas d’approximations grossières, comme on a pu le constater dans les reportages des médias torontois, qui ont avancé des estimations allant de 1 500 à 10 000 jeunes. Apparemment, personne n’a même hasardé une hypothèse pour dire à combien pourrait s’élever la population des jeunes traîneurs au coin des rues. Chose certaine, une partie des difficultés inhérentes à l’estimation de la population des jeunes sans abri et à l’interprétation des données statistiques découle des définitions utilisées. En effet, si certaines études contiennent des estimations du nombre d’enfants disparus, d’autres parlent de fugueurs. La méthode utilisée pour dénombrer ces populations contribue aussi à compliquer les estimations. Par exemple, le jeune qui s’enfuit de son foyer plusieurs fois au cours d’une même année devrait-il être considéré comme un enfant disparu ou comme un fugueur ? Faudrait-il dans chaque cas déclarer son départ aux autorités et considérer que c’est chaque fois un enfant disparu, ou devrait-on plutôt considérer ce jeune comme un fugueur récidiviste et ne le compter qu’une fois ?
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Qui doit-on comprendre dans la définition des jeunes sans abri ?
L’un des défis que les chercheurs et les décideurs doivent relever consiste à préciser qui devrait être compris dans la définition des jeunes sans abri. On a utilisé diverses expressions pour décrire les sous-groupes de jeunes de la rue ; ce sont des fugueurs, des traîneurs, des laissés-pour-compte, des rejetés sociétaux, des enfants disparus, des sans-abri, des jeunes de la rue et des jeunes en difficulté (Finkelhor et al., 1990 ; Burgess, 1986 ; Adams et al., 1985). Ces catégories posent des problèmes faute d’être mutuellement exclusives. En outre, elles ne correspondent pas à des groupes distincts. Par exemple, le jeune qui est forcé par ses parents ou ses tuteurs à quitter son foyer prématurément pourrait être qualifié de laissé-pour-compte, mais il pourrait aussi être considéré comme un jeune de la rue, un jeune sans abri ou un jeune en difficulté par les policiers ou les fournisseurs de services, selon la situation dans laquelle il se trouve. S’il est difficile de définir la notion de jeunes sans abri, c’est en partie parce que bien peu des jeunes des rues sont vraiment sans abri au sens strict du terme. La plupart ont un endroit où rester, au moins pour des périodes limitées. Par exemple, certains peuvent aller chez des amis ou d’autres jeunes qu’ils rencontrent dans la rue. Dans certains cas, les jeunes mettent leurs ressources en commun, et l’un d’eux loue une chambre ou un appartement qui devient ensuite l’abri de tout le groupe. D’autres jeunes peuvent trouver un endroit où coucher dans des refuges, des maisons de chambres ou d’autres formes d’abris temporaires ou marginaux. Toutefois, quelques-uns vivent bel et bien dans la rue, c’est-à-dire dans les parcs, sous les ponts, dans les cages d’escalier ou dans les bâtiments abandonnés, selon la saison et les autres solutions qu’ils arrivent à trouver. Il est d’autant plus difficile d’arriver à une définition que le dénombrement d’une population aussi élusive et soupçonneuse pose des problèmes de méthode. Comme McDonald et Peressini (1992, p. 11) l’ont souligné, l’importance de la population des sans-abri a une grande incidence sur la formulation des politiques, le coût des services de logement et de santé ainsi que celui des services sociaux, de même que sur les effectifs nécessaires pour faire face au problème. Plus on estime que la population des jeunes de la rue est importante, plus on réclame de ressources pour s’occuper d’eux. Comme nous venons de le dire, la définition de la notion de sans-abri est importante, parce que, si elle est très large, elle peut aboutir à des estimations plus élevées de la population des jeunes sans abri. En outre, la méthode utilisée pour dénombrer ces jeunes est importante elle aussi, parce qu’elle peut se révéler plus ou moins efficace pour cerner et englober tous les membres de la population ciblée, ce qui peut influer nettement sur les estimations. Comme McDonald et Peressini (1992, p. 3 et 11) l’ont souligné :
[…] les pressions exercées pour qu’on fasse quelque chose ont encouragé la production d’une pléthore d’articles qui exagèrent l’ampleur du problème – et ses caractéristiques – afin d’attirer l’attention et d’obtenir de
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l’argent pour améliorer la situation […] [D]ifférentes parties utilisent des définitions diverses pour modifier l’ampleur du problème en fonction de leurs propres intérêts cachés.
Comme si ce n’était pas déjà assez compliqué, le fait est que les jeunes de la rue ne constituent pas un groupe homogène. Il existe en effet de nombreux sousgroupes dont la nature reflète les raisons pour lesquelles les jeunes en sont arrivés là. Pour certains, la rue est la seule issue viable qu’ils ont trouvée pour échapper à une situation familiale abusive et extrêmement conflictuelle (Caputo et al., 1996). D’autres y trouvent la liberté et la stimulation qu’ils veulent, tout en continuant à habiter à la maison et à fréquenter l’école. Bien des jeunes de la rue vivent une transition dans laquelle ils renoncent à de vieilles identités pour s’en créer de nouvelles (Caputo et al., 1996). Certains d’entre eux s’enracinent de plus en plus dans la rue, tandis que d’autres s’efforcent d’en sortir. Cette fluidité constante fait qu’il est difficile pour les chercheurs et les décideurs de déterminer quels jeunes sont dans la rue, lesquels ont besoin d’aide et quel genre d’aide il leur faut. Divers auteurs ont élaboré une typologie pour tenter de catégoriser les groupes de jeunes de la rue. Voici quelques types. Typologie des jeunes de la rue
McCullagh et Greco (1990, p. 9-18) ont catalogué cinq types de jeunes de la rue : ceux qui fuient des foyers intolérables, les fugueurs en quête d’aventure, les laisséspour-compte rejetés par leurs parents, les évadés qui fuient la Société d’aide à l’enfance ou les résidences pour jeunes délinquants et enfin les jeunes traîneurs qui vivent à la maison, mais passent une grande partie de leur temps dans la rue et participent largement à son mode de vie. Les jeunes de chacun de ces sous-groupes sont dans la rue pour des raisons différentes. Il y arrivent avec toute une gamme d’aptitudes et d’habiletés, et ils ont des besoins variés qui nécessitent différents services. Kufeldt et Nimmo (1987) ont distingué deux groupes de jeunes de la rue, les fugueurs qui ont quitté leur foyer pour de longues périodes et qui n’ont en fait aucune intention d’y retourner, et les autres pour qui se réfugier dans la rue est un mécanisme de survie temporaire à court terme. Kufeldt et Perry (1989) sont passés de ces deux groupes pour en décrire quatre, en y ajoutant les fugueurs comme tels et les laissés-pour-compte. Brannigan et Caputo (1993) ont conçu un modèle pour surmonter ces problèmes de définitions. Ils se sont fondés sur deux critères fondamentaux caractéristiques des jeunes sans abri, à savoir le temps effectivement passé dans la rue et la mesure dans laquelle les jeunes participent à son mode de vie. Les deux sont conceptualisés comme des continuums distincts. La première des deux caractéristiques – le temps passé dans la rue – permet d’établir une distinction entre les jeunes intégrés à la rue et les autres qu’on y trouve. Par exemple, certains jeunes, comme les traîneurs, peuvent passer beaucoup de temps dans la rue, tout en continuant à habiter à la maison et à
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fréquenter l’école, contrairement aux jeunes itinérants proprement dits, qui tendent davantage à être des sans-abri et à vivre constamment dans la rue. La participation aux pratiques associées au mode de vie de la rue est le second continuum que Brannigan et Caputo (1993) ont défini. Elle permet de distinguer les jeunes qui viennent dans la rue pour tâter indirectement son mode de vie de ceux qui y sont enracinés. On peut alors établir une distinction entre les indécis et les traîneurs, d’une part, et les jeunes itinérants convaincus, d’autre part, selon l’ampleur de leur participation aux activités dangereuses associées à ce mode de vie. Par exemple, bien des jeunes itinérants se livrent à la prostitution pour subvenir à leurs besoins de nourriture, d’abri et de drogue. Par contre, peu de jeunes de la rue indécis deviennent largement impliqués dans le commerce du sexe. De même, si de nombreux jeunes de la rue s’adonnent à des activités illégales – comme le vol et le trafic de drogues –, ceux qui y sont enracinés risquent beaucoup plus que les autres de participer systématiquement à ce genre d’activité que les indécis ou les traîneurs. Brannigan et Caputo (1993) ont aussi souligné qu’il y a de nombreux recoupements entre les deux continuums. Par exemple, le jeune qui vit à la maison, mais passe une grande partie de son temps dans la rue (le traîneur), peut quitter son foyer pour aller vivre un certain temps dans la rue. Il devient alors de plus en plus intégré dans ce mode de vie. À ce moment-là, on peut l’aider à quitter la rue, à retourner chez lui et à se réinscrire à l’école. Après une certaine période de stabilité, un crise peut se produire, et le cycle de la fuite vers la rue se répète. Ce phénomène est très répandu chez certains jeunes et peut durer plusieurs années (Caputo et al., 1994a). Comme dans le rapport de l’étude de 1993 de Brannigan et Caputo, nous utilisons indifféremment les expressions « jeunes de la rue », « jeunes sans abri » et « jeunes itinérants » pour désigner les jeunes qui passent une grande partie de leur temps dans la rue, qui vivent dans des conditions marginales ou précaires et qui participent largement aux activités caractéristiques du mode de vie de la rue. Nous préférons toutefois l’expression « jeunes itinérants », parce qu’elle reflète à la fois l’instabilité des conditions d’existence et la participation au mode de vie de la rue de ces jeunes. Ceux que la définition englobe peuvent aller des jeunes itinérants aux traîneurs, en fonction du temps qu’ils passent dans la rue et de leur participation à son mode de vie.
Taille de la population des jeunes itinérants
L’utilisation de notre définition des jeunes itinérants produit des estimations beaucoup moins élevées du nombre de ces jeunes Canadiens que celle du nombre de fugueurs ou d’enfants disparus. Par exemple, les recherches menées dans plusieurs grandes villes canadiennes ont révélé que les ressources des refuges mis à la disposition des jeunes itinérants sont limitées (Municipalité régionale d’Ottawa-Carleton, 1992 ; Brannigan et Caputo, 1993). Même dans les plus grandes villes, le nombre de lits dans les refuges dépassent rarement quelques centaines. C’est dans ce contexte qu’il faut évaluer les allégations qu’il y aurait des milliers de jeunes itinérants dans une ville. Même si certains de ces jeunes ne se prévalent pas des services disponibles,
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ceux qui leur fournissent de la nourriture et un abri sont en mesure de donner des estimations de la population enracinée de jeunes itinérants qu’ils desservent. À Ottawa, par exemple, les estimations que les fournisseurs de services donnent du nombre de jeunes itinérants vont de 200 à 300 l’hiver à 500, voire 600 l’été (Municipalité régionale d’Ottawa-Carleton, 1992 ; Caputo et al., 1994b). Il y a moins de 100 lits dans les refuges de la ville, même si plus de 500 jeunes de la région touchent de l’aide sociale pour étudiants. En outre, le nombre des jeunes de la rue peut fluctuer énormément, puisque Ottawa est avec Montréal et Toronto l’une des trois pointes d’un triangle très fréquenté par ces jeunes : beaucoup d’entre eux vont d’une ville à l’autre pour fuir leurs parents et les autorités ainsi que pour trouver de meilleures conditions et des possibilités plus alléchantes. La situation constatée à Saskatoon est sensiblement la même (Caputo et al., 1994a). Comme les jeunes des petites localités avoisinantes s’y retrouvent, Saskatoon a une population de plusieurs centaines de jeunes de la rue durant l’hiver, et leur nombre peut doubler, voire tripler pendant l’été. Cela dit, la population des jeunes itinérants de Saskatoon diffère sous plusieurs aspects importants de celle d’Ottawa. Premièrement, une grande partie de ces jeunes sont des autochtones dont les types de fugues diffèrent énormément de celles des jeunes itinérants non autochtones. Contrairement à la plupart de ces derniers, bien des jeunes autochtones de la rue de Saskatoon maintiennent des liens étroits avec les membres de leur famille. Ils quittent souvent de petites réserves du Nord pour aller habiter en ville avec des parents. Comme ils ne veulent pas être un fardeau pour eux, bon nombre de ces jeunes passent énormément de temps dans la rue et s’adonnent à de nombreuses activités caractéristiques de son mode de vie pour survivre. Néanmoins, ils ne sont pas à proprement parler sans abri, puisqu’ils habitent de temps à autre avec des membres de leur famille et qu’ils maintiennent le contact avec leurs parents ou leurs tuteurs. Dans l’ouest du Canada, Calgary, Edmonton et Vancouver jouent un rôle analogue à celui d’Ottawa, Toronto et Montréal en ce qui concerne les migrations des jeunes de la rue, qui se déplacent énormément d’une de ces villes aux autres pendant l’année, la plupart préférant se trouver à Vancouver durant l’hiver. Les villes plus petites, comme Saskatoon, sont des éléments de réseaux localisés qui ali mentent les migrations entre les trois grandes villes (Caputo et al., 1994b ; Brannigan et Caputo, 1993).
Caractéristiques démographiques des jeunes itinérants convaincus
Les caractéristiques démographiques des jeunes itinérants sont décrites dans de nombreuses études menées au Canada. Ces jeunes ont habituellement de 12 à 24 ans ; il y a plus de filles que de garçons chez les plus jeunes et plus d’hommes que de femmes chez les plus âgés. Brannigan et Caputo (1993) ont analysé certaines des difficultés à surmonter pour établir avec précision la fourchette d’âges du groupe. Il faut notamment tenir compte des contraintes imposées par la législation applicable à
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cette population, c’est-à-dire notamment par les lois provinciales sur le bien-être de l’enfance ou par une loi fédérale comme la Loi sur les jeunes délinquants. (Dans cette loi, les jeunes sont définis comme les 12 à 17 ans.) Néanmoins, certains four-nisseurs de services ont pour mandat de venir en aide aux jeunes jusqu’à l’âge de 24 ans, voire au-delà. Au début de la fourchette d’âges, la police et les autorités de la protection de l’enfance font de grandes pressions pour qu’on identifie ces enfants lorsqu’ils se retrouvent dans la rue et pour qu’on en prenne soin. Il s’ensuit que ces jeunes-là sont souvent « invisibles » pour les organismes qui leur fournissent des services et pour les autres autorités, car ils fuient les lieux où les jeunes tendent à se réunir et les autres endroits publics. Les filles sont particulièrement susceptibles d’être prises en charge par des garçons plus vieux, voire par des hommes qui com-mencent par se lier d’amitié avec elles et par s’en occuper pour ensuite les contraindre à verser dans la prostitution (Municipalité régionale d’Ottawa-Carleton, 1992). Diverses études ont aussi analysé la représentation des deux sexes chez les jeunes itinérants. Par exemple, sur 127 jeunes interrogés dans le cadre de l’étude du Conseil de planification sociale de Winnipeg (1990, p. 13), 60 % (76) étaient de sexe féminin et 40 % (51) de sexe masculin. Kufeldt et ses collaborateurs (1988) avaient déclaré des résultats analogues dans leur étude préliminaire des jeunes sans abri de Calgary, avec 52 % de filles et 48 % de garçons. Par contre, Smart et ses collègues (1990) sont arrivés à des constatations bien différentes dans leur étude de la consommation de drogue chez les jeunes de la rue de Toronto, car 64 % (93) des répondants étaient des garçons et 36 % (52), des filles. Ces résultats sont tout à fait compatibles avec ceux d’un rapport antérieur de Janus et ses collègues (1986), dont l’échantillon de jeunes de la rue était composé de 63 % de garçons et de 37 % de filles.
Nature du problème
Il est possible de décrire de façon relativement précise la population cible ainsi que la nature et l’étendue du problème, à condition d’utiliser la définition des jeunes itinérants que nous venons d’établir. Il n’y a pas des centaines de milliers de ces jeunes, contrairement à ce que les estimations du nombre des fugueurs ou des enfants disparus pourraient nous faire croire. Néanmoins, leur population n’est pas négligeable, d’autant que la définition que nous préconisons ne s’applique qu’à ceux qui sont enracinés dans le mode de vie de la rue, et qui vivent par conséquent dans des conditions très précaires. Ils doivent surmonter toutes sortes de difficultés pour assurer leur bien-être physique et émotif, comme Kufeldt et Burrows (1994) l’ont dit en citant Krammer et Schmidt : en effet, les adolescents sans abri doivent se débrouiller et fouiller partout pour arriver à subsister, en se demandant toujours où ils vont dormir et ce qu’ils vont manger. Ils doivent souvent composer avec des problèmes de toxicomanie et d’alcoolisme ; souvent, ils sont malades et ont des démêlés avec la justice. Ils risquent énormément d’être victimes de crimes de violence, de subir des mauvais traitements dans la rue et de finir par s’en prendre à autrui, en commettant des vols ou des voies de fait, ou en faisant du trafic de drogue. Pour bien des jeunes, la vie dans la rue est faite de dangers. Elle peut avoir des répercussions sur toute leur existence. Certains d’entre eux restent des sans-abri et
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des marginaux économiques pour le reste de leurs jours. Pour d’autres, la rue devient partie intégrante de leur identité et reste avec eux jusqu’à leur mort (Conseil de planification sociale de Winnipeg, 1990). L’étude des dangers pour la santé auxquels les jeunes itinérants s’exposent fait ressortir plusieurs facteurs indissociables du fait d’être sans abri. Par exemple, l’itinérance n’est pas définie comme un problème « médical » en soi, même si les sansabri souffrent de toutes sortes de troubles liés à leur mode de vie. Les conséquences pour la santé d’un accès inadéquat à des installations sanitaires sont énormes. Les arrangements que ces jeunes prennent pour dormir font qu’ils se trouvent parfois exposés au froid et à l’humidité et qu’ils risquent de se faire voler ou battre. Faute d’argent, les jeunes de la rue ne peuvent pas se payer des médicaments, même lorsqu’ils cherchent à obtenir de l’aide. En outre, comme ils n’ont pas d’endroit où conserver leurs médicaments, ils peuvent être incapables de prendre des médicaments d’ordonnance, même quand on les leur fournit gratuitement. De plus, comme ils n’ont pas d’adresse, ils ne peuvent obtenir une carte d’assurance-maladie, ce qui leur interdit l’accès aux cliniques médicales et aux services de santé. Enfin, comme ils craignent d’être arrêtés par la police ou interpellés par les organismes de services sociaux, ils se méfient des services conçus pour l’ensemble de la population, ce qui les amène à ne pas chercher d’aide. Tous ces facteurs accroissent les risques pour la santé des jeunes de la rue, et il est important de souligner qu’ils vont au-delà de ce que ces jeunes peuvent maîtriser ou choisir, puisqu’ils reflètent plutôt les difficultés inhérentes à la vie dans la rue. La façon des jeunes itinérants de satisfaire à leurs besoins les expose aussi à des risques. Comme ils n’ont pas de relations aidantes ni enrichissantes stables, ils nouent des liens avec d’autres jeunes de la rue. Les « familles de rue » ainsi constituées leur fournissent un soutien émotif, tout en les enracinant plus encore dans la rue. Or, cet enracinement et la participation accrue au mode de vie de la rue qu’il entraîne multiplient les risques pour leur santé. Par exemple, les jeunes de la rue qui ont besoin de « faire des clients » pour survivre ne sont guère susceptibles de refuser de se prêter à des actes sexuels non protégés si cela peut leur faire perdre un client. En pareil cas, le risque de contracter le sida ou d’autres maladies transmissibles sexuellement cède le pas au besoin immédiat d’argent. La décision de se livrer à des actes sexuels non protégés n’est pas simplement fonction des choix des jeunes qui s’adonnent au commerce sexuel, mais aussi de leurs besoins d’argent et des exigences de leurs clients. Certains des dangers pour la santé typiques des jeunes itinérants ont été décrits dans de nombreuses études menées au Canada (Webber, 1991 ; Conseil de planification sociale de Winnipeg, 1990 ; Brannigan et Caputo, 1993 ; Kufeldt et Burrows, 1994). Dans son évaluation des besoins, le groupe d’étude communautaire parrainé par la Municipalité régionale d’Ottawa-Carleton (1992) a précisé les risques pour la santé associés à l’itinérance chez les jeunes. Il a constaté que la vie dans la rue pouvait entraîner de nombreuses conséquences graves pour la santé générale et pour le bien-être physique des intéressés, ainsi que des problèmes psychologiques, dont des tentatives de suicide et des cas d’automutilation. Les autres dangers avérés
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sont l’exposition à la violence caractéristique de la vie dans la rue, la participation des jeunes itinérants à des activités sexuelles à risque élevé, les risques pour la santé associés à l’alcoolisme et à la toxicomanie, surtout lorsque la drogue est injectée par intraveineuse, et enfin les problèmes liés à la participation des jeunes à des activités délinquantes ou criminelles. (On trouvera plus loin un exposé plus détaillé sur chacun de ces dangers.) Santé globale des jeunes itinérants
Les problèmes de santé de jeunes itinérants sont directement liés à l’environnement et au mode de vie de la rue. Ils comprennent les difficultés matérielles inhérentes au fait d’être sans abri, comme celles de trouver un endroit sûr et sain pour vivre, de se procurer suffisamment de nourriture et de vêtements et d’avoir accès à des installations sanitaires. Manquer de ces nécessités fondamentales a de nombreuses conséquences pour la santé. Par exemple, bien des troubles respiratoires et cutanés des jeunes de la rue sont directement imputables à des conditions de vie difficiles, à une mauvaise alimentation et une hygiène personnelle déficiente, attribuable, elle, au manque d’accès à des installations sanitaires (Municipalité régionale d’OttawaCarleton, 1992). Ces constatations sont compatibles avec celles des recherches menées aux États-Unis, dans lesquelles ont a aussi souligné que les fugueurs ne reçoivent pas les soins médicaux dont ils ont besoin (JAMA, 1989). Santé mentale des jeunes itinérants
Divers facteurs psychologiques peuvent largement influer sur la santé des jeunes itinérants. Beaucoup d’entre eux se sentaient marginaux, isolés et rejetés lorsqu’ils vivaient à la maison (Caputo et al., 1996). Ils manquent d’estime de soi et ont une perception négative d’eux-mêmes, ce qui les incite souvent à s’adonner à des activités dangereuses, comme s’injecter de la drogue et se livrer à des actes sexuels à risque élevé. Beaucoup d’entre eux ont une vision extrêmement fataliste de la vie et pensent que personne ne s’intéresse à savoir s’ils sont vivants ou morts. On a constaté que les jeunes itinérants étaient particulièrement vulnérables à des troubles mentaux et que beaucoup sont victimes de dépression ou tentent de se suicider (Stiffman, 1989a ; Yates et al., 1988 ; Denoff, 1987). Dans leur étude de 1990, Molnar et ses collaborateurs ont souligné que les enfants sans abri sont victimes de troubles physiques, psychologiques et émotifs. Pour sa part, Luna (1987) a constaté dans son étude du contenu des graffitis des jeunes sans abri que ces malheureux ont une existence émotivement destructrice, instable et dangereuse. Qui plus est, on a constaté que les fugueurs tendent à avoir une intelligence globale médiocre, à manquer d’autonomie, à faire preuve d’hostilité et à se sentir isolés, et qu’ils risquent de devenir psychotiques (Speck et al., 1988 ; Hier et al., 1990). Les problèmes émotifs que les jeunes amènent avec eux dans la rue contribuent aussi à les contraindre à y rester. Bien des jeunes de la rue se sentent isolés et cherchent à se faire accepter et à obtenir un soutien émotif. Une fois dans la rue,
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ils rencontrent des jeunes qui leur ressemblent et qui les acceptent (Municipalité régionale d’Ottawa-Carleton, 1992 ; Caputo et al., 1994a et 1994b ; Caputo et al., 1996). Ces nouveaux « amis » aident le jeune en lui fournissant de l’information, de la nourriture, un abri et d’autres nécessités en échange de ses faveurs sexuelles et de son appui. Bien des jeunes de la rue considèrent l’acceptation des familles de rue comme un des principaux attraits de ce mode de vie. Selon eux, les membres de leur nouvelle « famille » les comprennent et les acceptent de façons qu’ils n’avaient encore jamais connues (Caputo et al., 1996). Cet attachement a des coûts élevés, comme des actes de violence physique et sexuelle ainsi que des pressions pour amener les « nouveaux » à se livrer à des activités illégales et dangereuses. Paradoxalement, les familles de rue offrent donc aux jeunes le soutien et les soins dont ils ont besoin, tout en les entraînant dans l’engrenage de la rue et de ses pratiques dangereuses.
Violence du vécu des jeunes itinérants
La violence – liée à la drogue, aux conflits « territoriaux » ou à l’identité – est un élément courant de la vie dans la rue. On peut lire dans l’évaluation des besoins effectuée pour la Municipalité régionale d’Ottawa-Carleton (1992) que 40 des 64 jeunes de la rue qui ont participé à l’étude (62 %) ont dit avoir été victimes de violence pendant qu’ils vivaient dans la rue. Des 40, 29 (69 %) ont dit avoir été agressés ou battus, 6 (14 %) avoir été victimes d’agression sexuelle ou de viol et 5 (12 %) avoir été poignardés ou blessés par balle, ou les deux. En réponse à une question connexe, la grande majorité des participants, soit 42 (65 %) ont déclaré avoir été victimes d’un crime pendant qu’ils vivaient dans la rue. Les crimes mentionnés étaient le vol, les voies de fait et l’agression sexuelle ou le viol.
Participation des jeunes itinérants à des activités sexuelles à risque élevé
La participation à des activités sexuelles à risque élevé fait partie intégrante du mode de vie de la rue. Pour bien des jeunes itinérants, les faveurs sexuelles sont une monnaie d’échange, puisqu’ils ont bien peu d’autres ressources. C’est ainsi que l’évaluation des besoins de la Municipalité régionale d’Ottawa-Carleton (1992, p. 10) a révélé que le tiers des jeunes répondants avaient échangé des faveurs sexuelles pour un endroit où dormir depuis qu’ils vivaient dans la rue. En outre, les auteurs de nombreuses études menées au Canada font état de la participation des jeunes itinérants au commerce sexuel (McCullagh et Greco, 1990 ; Conseil de planification sociale de Winnipeg, 1990 ; Webber, 1991 ; Michaud, 1988 ; Brannigan et Caputo, 1993). La recherche laisse aussi entendre que cette population d’itinérants à laquelle il est difficile de fournir les services nécessaires est très exposée au sida (Kaliski et al., 1990 ; Radford et al., 1989 ; Woodruff et al., 1989). Certains chercheurs ont tenté de déterminer combien de fugueurs et de jeunes de la rue sont sensibilisés au sida, et ils ont tenté d’élaborer des programmes d’enseignement à leur intention (Rotheram-Borus et Koopman, 1991a et 1991b ; Luna, 1989).
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Consommation de drogue par les jeunes itinérants
L’ampleur de la consommation de drogue par les fugueurs et les jeunes de la rue est un autre problème extrêmement inquiétant (Smart et al., 1990 ; Windle, 1989). Les auteurs d’une étude menée au Canada ont laissé entendre que la toxicomanie et l’alcoolisme sont quasi généralisés chez les jeunes de la rue, qui consomment habituellement et des drogues, et de l’alcool (McCullagh et Greco, 1990, p. 34). Dans l’étude effectuée pour le compte du Conseil de planification sociale de Winnipeg (1990, p. 34), on a constaté que 22 des 100 répondants s’étaient injecté de la drogue. Pour leur part, Radford et ses collègues (1989, p. 120) ont constaté que 12 % des 712 jeunes de la rue questionnés avaient déclaré s’en être injecté. Ils ont aussi constaté (ibid., p. 124) que les deux tiers consommaient de la drogue, de l’alcool ou les deux au moins une fois par semaine, sinon tous les jours. Enfin, dans l’évaluation des besoins de la Municipalité régionale d’Ottawa-Carleton (1992, p. 15), les répondants ont déclaré que la consommation de drogues et l’alcoolisme constituaient le problème le plus important des jeunes itinérants.
Participation des jeunes itinérants à des activités délinquantes ou criminelles
La participation des jeunes itinérants à des activités délinquantes ou criminelles est un thème très répandu dans la documentation. De nombreux rapports font état de leur participation à divers actes de délinquance, comme le vol, la prostitution et le trafic de drogue (McCarthy, 1990 ; Powers et al., 1990 ; Janus et al., 1986, 1987b ; Janus et al., 1987a). Par exemple, dans une étude portant sur 84 répondants de divers organismes fournissant des services aux fugueurs et aux jeunes de la rue, Whitbeck et Simons (1990) ont constaté l’existence d’une relation directe entre la fugue et la participation à des activités délinquantes. McCullagh et Greco (1990, p. 39-45) ont décrit la participation des jeunes Torontois de la rue à des activités comme la prostitution, le vol, le vol qualifié et le vol à l’étalage, le trafic de drogue et la mendicité. Dans son étude, le Conseil de planification sociale de Winnipeg (1990, p. 40) a constaté une importante participation des jeunes de la rue à des activités délinquantes ou criminelles telles que la prostitution, le trafic de drogue, le vol, le vol qualifié, le vol à l’étalage, les balades en véhicule volé, la contrefaçon et la fraude. McCarthy (1990) a mené l’étude la plus systématique jamais faite au Canada sur la délinquance des jeunes de la rue ; elle a duré un an et elle est fondée sur 390 entrevues de jeunes sans abri de Toronto que le chercheur avait interrogés sur leur participation à des activités délinquantes avant et après leur départ de la maison, pour constater l’existence d’une relation étroite entre les expériences vécues dans la rue et la propension à participer à des comportements délinquants et criminels. Dans un suivi de cette étude, McCarthy et Hagan (1991) l’ont étoffée en comparant les constatations qu’ils en avaient tirées avec celles de l’analyse d’un échantillon de 563 jeunes vivant encore à la maison. Les résultats ont révélé une tendance compatible avec la plus grande partie des constatations de la recherche sur
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les fugueurs et les jeunes itinérants. En effet, les auteurs ont constaté que les jeunes sans abri étaient plus susceptibles que les autres d’être issus de familles instables caractérisées par des situations conflictuelles et des actes de violence. Les difficultés scolaires étaient une autre caractéristique importante des jeunes sans abri, qui avaient vécu plus de conflits avec leurs enseignants et essuyé plus d’échecs scolaires. Enfin, les jeunes itinérants avaient commis plus de crimes et d’infractions mineures contre la propriété que les jeunes qui vivaient encore à la maison. Facteurs non médicaux influant sur la santé des jeunes itinérants
Comme l’analyse qui précède l’a montré, la participation aux activités à risque élevé associées au mode de vie de la rue contribue nettement aux problèmes de santé des jeunes itinérants. Cela dit, ces activités ne coïncident pas avec le modèle médical. En outre, il est peu vraisemblable que les jeunes qui s’y adonnent cesseraient de le faire s’ils étaient invités à mener une vie plus saine ou à faire des choix plus sains. Les jeunes de la rue qui se livrent à de telles activités n’agissent pas simplement par goût du risque. Souvent, ils tentent de s’abrutir pour échapper aux souffrances psychologiques causées par leur situation actuelle et passée (Caputo et al., 1996 ; Caputo et al., 1994a et 1994b). La gratification – si éphémère et transitoire soit-elle – que ces actes leur procure a toutes les chances de l’emporter sur ce que les fournisseurs des services destinés à la majorité pourraient faire pour inviter ces jeunes à adopter un mode de vie plus sain. Et c’est cette gratification même qui les incite à s’adonner à ces activités malsaines. Bref, si notre analyse est fondée, il faut s’attaquer aux causes sous-jacentes de l’itinérance et des traumatismes émotifs avant de pouvoir s’attendre à ce que les jeunes sans abri cessent de s’adonner à des comportements dangereux. Notre analyse a aussi mis en lumière les éléments non médicaux associés à l’itinérance. La documentation établit non seulement les conséquences physiques immédiates du fait de vivre dans la rue, mais précise aussi les besoins psychologiques des jeunes itinérants et définit leurs sentiments d’aliénation et de marginalisation. Nous avons fait état des conséquences d’avoir vécu dans des familles conflictuelles ou dysfonctionnelles pour ces jeunes. Nous avons aussi brièvement mentionné la marginalisation économique des jeunes de la rue, puisqu’elle les incite à se livrer à des activités dangereuses ou délinquantes pour survivre. Or, cette marginalisation économique affecte aussi leur santé de plusieurs autres façons. La recherche a en effet prouvé que, même s’il y a des jeunes issus de toutes les classes sociales dans la rue, la marginalisation économique tend de plus en plus à forcer un nombre croissant de jeunes défavorisés à l’itinérance (Fuchs et Reklis, 1992). En outre, l’impossibilité de trouver un emploi est un obstacle de taille pour les jeunes qui veulent quitter la rue pour trouver ailleurs des conditions de vie stables. De toute évidence, les facteurs non médicaux de ce genre influent directement sur la santé des jeunes itinérants. Par conséquent, nous devons en tenir compte dans toute stratégie pour tenter d’améliorer la santé de ce segment de la population. Le problème de l’itinérance est un problème pour la société dans son ensemble,
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imputable à la structure même de la société. Avec une approche comme celle-là, nous ne pouvons plus considérer l’itinérance en fonction des problèmes particuliers des sans-abri, mais plutôt rechercher des solutions qui transcendent les interventions strictement techniques et médicales. Pour surmonter le problème, il faut élaborer de grandes politiques sociales qui s’attaqueront à la fois aux causes et aux conséquences de l’itinérance et qui répondront aux besoins particuliers des jeunes de la rue. Pour répondre à ces besoins et pour améliorer la santé globale de ces jeunes, il faut bien cerner leurs problèmes (Hill et Piper, 1995). En outre, il faut leur donner accès à une gamme complète de services adaptés à leurs besoins. Il ne s’agit pas simplement de donner le choix aux jeunes de la rue ; au contraire, nous devons repenser la façon de concevoir et de fournir des services dans les régimes de soins de santé et d’aide sociale (Hill et Piper, 1995 ; Kaskutas et al., 1992). Après avoir reconnu que l’itinérance est un problème public, de nombreuses localités canadiennes se sont efforcées de créer des réseaux communautaires inter organismes multidisciplinaires complets pour y remédier. Les deux villes qui ont participé aux études de cas que nous allons maintenant analyser ont pris des mesures en ce sens. On reconnaît de plus en plus que les réseaux interorganismes sont le moyen le plus utile et le plus efficace de surmonter des problèmes aussi complexes que l’itinérance chez les jeunes, la délinquance juvénile et la violence des jeunes (Fédération canadienne des municipalités, 1994). Même si des mesures propres à répondre aux besoins médicaux immédiats des jeunes de la rue constituent un élément fondamental de la plupart des interventions communautaires, les réseaux interorganismes vont habituellement bien au-delà de la simple satisfaction des besoins médicaux proprement dits. Il font souvent participer les jeunes, les familles, les groupes communautaires et les organismes au service de la jeunesse de même que des représentants du monde de l’enseignement, de la santé, des services sociaux et du système de justice pour la jeunesse à l’élaboration et à la prestation d’une vaste gamme de services. Dans ce contexte, la santé est définie au sens très large de façon à englober toute la personne, avec son environnement. Les déterminants de la santé s’entendent de tous les aspects physiques, psychologiques, sociaux, économiques et culturels de la vie. Dans la section qui suit, nous donnons une description plus détaillée des facteurs qui incitent les jeunes à fuguer et à se retrouver dans la rue. Ces renseignements sont d’une importance cruciale pour nous permettre d’élaborer des mesures appropriées afin d’y remédier. Ils nous aident notamment à privilégier les mesures de prévention capables d’empêcher les jeunes de se réfugier dans la rue. Une grande partie de ces mesures sont conçues pour contrer les facteurs non médicaux de la fugue et de l’itinérance. Elles définissent le contexte dans lequel nous nous situerons plus loin pour évaluer l’efficacité des approches interorganismes utilisées afin de surmonter les problèmes des jeunes itinérants par les deux localités qui ont fait l’objet de nos études de cas.
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FACTEURS INCITANT LES JEUNES À FUGUER
Les facteurs qui incitent les jeunes à fuguer sont bien établis dans les rapports de recherche (Rotheram-Borus, 1991). Ils comprennent des problèmes individuels (Nye et Edelbrock, 1980 ; Stiffman, 1989a ; Yates et al., 1988 ; Denoff, 1987), des problèmes relatifs aux familles conflictuelles ou dysfonctionnelles (Kufeldt et Nimmo, 1987 ; Shane, 1989 ; Kufeldt et Perry, 1989 ; Price, 1989), des difficultés liées à l’école (Brennan, 1980 ; Windle, 1989), des problèmes de toxicomanie (Radford et al., 1989 ; Smart et al., 1990 ; Conseil de planification sociale de Winnipeg, 1990) et la participation à des activités délinquantes ou criminelles (Kufeldt et Nimmo, 1987 ; Conseil de planification sociale de Winnipeg, 1990 ; McCullagh et Greco, 1990 ; McCarthy, 1990 ; McCarthy et Hagan, 1991). Ces facteurs ont été analysés de façon détaillée dans une étude récente de Caputo et ses collaborateurs (1996) dont les constatations sont particulièrement importantes pour la présente étude, puisqu’elles définissent des facteurs potentiellement importants pour empêcher certains jeunes de quitter leur foyer prématurément, ce qui pourrait les protéger des conséquences d’une participation à la vie de la rue. Qui plus est, les auteurs ont analysé les expériences vécues par les jeunes fugueurs dans la rue ainsi que le processus qui les a menés à une situation plus stable. À cette fin, ils ont effectué des entrevues en profondeur avec 70 répondants qui avaient été des jeunes de la rue, dans cinq villes du Canada. Les constatations ont révélé quatre types distincts des jeunes de la rue, selon ce qui les y a menés : ceux qui sont issus de familles conflictuelles, ceux qui se rebellaient contre l’autorité de leurs parents ou de leurs tuteurs, ceux qui ont été chassés de leur foyer prématurément (les laissés-pour-compte) et enfin ceux qui se sont retrouvés dans la rue pour ainsi dire par accident, après avoir cherché du travail ou des aventures dans une nouvelle ville. En général, les quatre types coïncident avec les catégories établies par McCullagh et Greco (1990), quoiqu’ils en diffèrent sous certains aspects que nous allons préciser. Les cas les plus fréquemment signalés par Caputo et ses collègues dans ce rapport de 1996 sont ceux de jeunes qui avaient vécu des situations conflictuelles au foyer avant de se retrouver dans la rue. C’étaient, par exemple, des jeunes qui avaient été victimes de violence psychologique, émotive, physique ou sexuelle. Dans bien des cas, le conflit était aggravé par la toxicomanie ou l’alcoolisme des jeunes eux-mêmes, de leurs parents ou des deux. Bien des répondants ont aussi déclaré que leurs parents (ou leurs frères et sœurs) avaient eu des démêlés avec la justice. Dans cette catégorie, les jeunes avaient vécu deux sortes d’expériences très différentes, les premières ayant comporté des incidents conflictuels répétés sur une longue période ; ces incidents avaient habituellement abouti à la fugue de l’intéressé. Après avoir fugué plusieurs fois, ces jeunes avaient acquis la conviction que retourner à la maison n’était plus possible, et que la seule solution viable pour eux était la rue. Certains jeunes qui avaient vécu des situations conflictuelles à la maison avaient eu des expériences différentes. Contrairement aux premiers, ils n’avaient pas fugué à plusieurs reprises, mais s’étaient peu à peu braqués après une longue suite de conflits. Ils avaient décidé de quitter leur foyer parce qu’ils n’étaient plus capables
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de tolérer la situation, ou parce que l’itinérance leur avait semblé une solution plus acceptable. Ces jeunes-là n’étaient pas des fugueurs chroniques, au contraire : ils quittaient habituellement leur foyer pour longtemps, et certains ne sont jamais revenus chez eux. L’importance du milieu familial ne saurait être exagérée dans ce contexte. Dans de nombreuses études, l’instabilité et les conflits familiaux sont étroitement liés à la fugue (Price, 1989 ; Stiffman, 1989a et b ; Comer, 1988 ; Caputo et al., 1996). Bien des jeunes disent avoir été victimes de violence physique, sexuelle et émotive à la maison avant de se réfugier dans la rue, et ces expériences peuvent avoir influé sur leur décision éventuelle de participer à des activités délinquantes ou criminelles en tant qu’itinérants. Par exemple, McCormack et Wolbert-Burgess (1986) ont constaté que les filles qui avaient été victimes d’agression sexuelle étaient nettement plus susceptibles que les autres fugueuses de se livrer à des activités délinquantes. De même, on a constaté qu’être très tôt victime d’agression sexuelle tend à accroître les risques de victimisation et de prostitution (Whitbeck et Simons, 1990 ; Seng, 1989). Les fugueurs du deuxième type décrit par Caputo et ses collègues (1996) vivaient eux aussi dans des situations conflictuelles au foyer. Toutefois, dans leur cas, le conflit était attribuable à leur rébellion contre l’autorité de leurs parents ou de leurs tuteurs. Ces jeunes-là avaient vécu des engueulades et des querelles, mais sans connaître le genre de violence dont ceux du premier type ont fait état. La rébellion est un phé nomène très répandu chez les adolescents. Toutefois, pour les jeunes en question, elle était arrivée à un point extrême où ils avaient décidé de partir de chez eux. À cet égard, il vaut la peine de souligner que les conflits causés par la rébellion des jeunes n’existent pas seulement dans la cellule familiale classique. En effet, on a constaté dans de nombreuses études sur les jeunes de la rue que la majorité d’entre eux avaient fui des foyers nourriciers, des établissements correctionnels pour jeunes délinquants ou d’autres formes de garde institutionnalisée (Brannigan et Caputo, 1993). Les jeunes rebelles ont des conflits avec leurs parents ou leurs tuteurs au sujet des règles, des couvre-feu et des autres décisions qui limitent leur liberté. Les tentatives des parents ou des tuteurs de restreindre leur capacité de « traîner » dans la rue et de participer aux activités de ce mode de vie est une cause fréquente des conflits vécus par ces jeunes. Le couvre-feu est d’ailleurs considéré comme l’une des plus importantes sources de conflit, et de nombreux répondants s’étaient rebellés contre ce genre de restriction au point de fuguer. Les jeunes du troisième groupe défini par Caputo et ses collaborateurs (1996) s’étaient retrouvés dans la rue après avoir été contraints à quitter leur foyer préma turément. Ces jeunes avaient des expériences communes ; certains s’étaient fait demander de quitter leur foyer une fois rendus à un certain âge (p. ex. 16 ou 18 ans). Dans d’autres cas, après l’arrivée d’un nouveau partenaire à la suite de l’échec du mariage de ses parents, le jeune s’était fait demander de partir. Ces jeunes-là correspondent à la catégorie des laissés-pour-compte décrite par McCullagh et Greco (1990). Leur manque de ressources les mène à la rue, où ils apprennent qu’ils doivent participer à un mode de vie particulier pour satisfaire leurs besoins fondamentaux.
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Le quatrième et dernier groupe décrit par Caputo et ses collègues (1996) est composé des jeunes qui se retrouvent dans la rue par accident. Une grande partie d’entre eux quittent une petite localité en quête d’un emploi ou d’une vie plus mou vementée dans la grande ville. Comme le marché du travail offre peu de possibilités et qu’ils n’ont ni expérience, ni aptitudes professionnelles, beaucoup se retrouvent dans la rue. Une fois là, ils n’ont guère de moyens de satisfaire leurs besoins. Ces jeunes ne voulaient pas se retrouver dans la rue, mais ils doivent se livrer à des activités typiques de son mode de vie pour survivre. McCullagh et Greco (1990) ont aussi défini une catégorie de traîneurs composée de jeunes qui passent énormément de temps dans la rue tout en vivant à la maison. Ces jeunes sont souvent qualifiés d« ’enfants du trottoir ». Ils ont des expériences analogues à ceux des catégories conflictuelles et rebelles signalées par Caputo et ses collègues (1996). Pour certains d’entre eux, traîner dans la rue est une façon d’éviter les conflits à la maison. Pour d’autres, passer beaucoup de temps dans la rue est une manifestation de rébellion et la cause de leurs conflits avec leurs parents ou leurs tuteurs. Dans les deux cas, les traîneurs se familiarisent avec la vie dans la rue tout en vivant à la maison. Il leur est plus facile de faire la transition du foyer à la rue, puisqu’ils savent à quoi s’attendre. Ils savent qu’ils peuvent se tirer d’affaire dans la rue, et ils ont des contacts avec des pairs qui y vivent déjà. Si l’on veut éviter qu’ils se retrouvent dans la rue, il faut leur donner du soutien et de l’aide. Ces jeunes sont un important groupe cible pour les décideurs qui tentent de s’attaquer aux problèmes de santé des jeunes sans abri, puisqu’ils ne sont pas encore enracinés dans la rue. Comme ces catégories et ces cheminements le montrent, les jeunes de la rue et leur vécu sont très hétérogènes. L’une des importantes conclusions qu’il faut tirer de ces constatations, c’est que les jeunes qui aboutissent dans la rue y vont pour différentes raisons et avec des ressources différentes. Il y a, par exemple, une grande différence entre un jeune qui fuit une situation familiale intolérable où il est victime de violence depuis longtemps et un autre qui part d’une petite ville en quête d’aventure ou à la recherche d’un emploi dans une grande ville loin de chez lui. Les deux aboutissent dans la rue avec des antécédents très différents, qui peuvent influer sur leur façon d’envisager les possibilités qui s’offrent à eux et sur leurs décisions éventuelles. Leur bagage personnel, c’est-à-dire l’ensemble d’aptitudes et d’habiletés qu’ils possèdent pour composer avec les aléas de la vie, peut être très différent (Caputo et Ryan, 1991). Il est certain que quelqu’un qui a grandi dans une famille conflictuelle et intolérante peut avoir un bagage bien différent de celui d’un jeune qui a quitté volontairement une famille aidante, souvent avec la bénédiction de ses parents. En plus de quatre cheminements différents vers la rue, Caputo et ses collaborateurs (1996) ont constaté de très grandes différences dans les expériences vécues par les jeunes une fois qu’ils se retrouvent dans la rue. Leurs répondants ont déclaré que les deux ou trois premières semaines sont une période cruciale de prise de décision pour les nouveaux venus. Beaucoup ont déclaré s’être d’abord sentis soulagés en trouvant d’autres jeunes qui vivaient dans les mêmes conditions qu’eux, qui partageaient leurs expériences et qui leur manifestaient de la sympathie. Cette première exploration du mode de vie de la rue était excitante et agréable, et elle
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les incitait souvent à s’y intégrer davantage. À ce moment-là, des nouveaux avaient pris peur ou avaient eu des réserves en se demandant s’ils tenaient à participer aux pratiques dangereuses associées à la vie dans la rue. Certains avaient alors décidé que ce mode de vie n’était pas pour eux ; ils avaient commencé à chercher d’autres solutions. Certains étaient rentrés chez eux, tandis que d’autres s’étaient tournés vers des programmes ou des organismes auxquels leur segment de la population des jeunes avait accès. D’autres enfin avaient continué à s’intégrer de plus en plus à la rue. À mesure que leur séjour dans la rue se prolongeait, il devenait de moins en moins facile de la quitter. Certains ne l’ont d’ailleurs jamais fait ; ce sont aujourd’hui des itinérants adultes. D’autres ont vécu dans la rue longtemps, de un an à six ou sept ans, voire plus. D’après les données compilées par Caputo et ses collègues (1996), ces jeunes n’étaient capables de se sortir de la rue qu’après avoir « touché le fond » ou vécu une crise. Par exemple, beaucoup ont déclaré que c’était la mort d’un ami ou le risque d’être arrêté ou emprisonné qui les avaient forcés à faire le point. Dans ces conditions-là, il leur était plus facile de décider de sortir de la rue, particulièrement s’ils avaient accès à l’aide nécessaire. Comme on devrait s’y attendre, les expériences des jeunes de la rue peuvent varier énormément. Certains arrivent à rester en marge de cette existence, en tâtant des activités de la rue sans s’y engager vraiment. Leur participation est largement limitée aux aspects sociaux du mode de vie de la rue, c’est-à-dire à la consommation de drogue et d’alcool, aux parties et à des activités sexuelles à risque élevé. Ces jeunes se livrent souvent à des activités criminelles pour satisfaire leurs besoins immédiats. Par exemple, ils peuvent se prostituer pour se payer de la drogue, de la nourriture et un endroit où dormir. La période durant laquelle ils peuvent rester en marge de la rue dépend des ressources dont ils disposent et de l’absence (ou de la présence) des pressions des souteneurs ou des trafiquants de drogue qui les incitent à s’engager de façon plus systématique dans des activités criminelles organisées telles que la prostitution, le cambriolage ou le trafic de drogue. Plus les jeunes s’intègrent au milieu de la rue, plus il leur est difficile d’en sortir. L’attrait de la rue comprend des éléments comme un sentiment d’appartenance, de faire partie d’un groupe d’amis. Une grande partie des répondants à l’étude de Caputo et ses collègues (1996) ont déclaré qu’ils étaient devenus membres d’une « famille » dans la rue et qu’ils y avaient des amis sur lesquels ils pouvaient compter. Ces jeunes ont aussi décrit la rue comme un endroit où ils pouvaient exercer un certain pouvoir et une certaine emprise sur leur existence ; ils pouvaient aller et venir à leur guise et faire ce qu’ils voulaient. Beaucoup appréciaient la liberté et l’indépendance que la rue leur offrait. À cet égard, il convient de souligner un autre facteur qui attire les jeunes dans la rue : ils savent ce qu’on attend d’eux et savent aussi qu’ils peuvent survivre dans ce milieu. Beaucoup d’entre eux ont déclaré qu’ils étaient mal dans leur peau et se sentaient marginaux avant d’arriver dans la rue. Les expériences que les jeunes avaient vécues dans leurs efforts pour se sortir de la rue étaient fonction à la fois des facteurs qui les avaient incités à s’y réfugier et de ceux qui les avaient gardés là par la suite. Pour certains des répondants, il n’y avait guère que la rue qui leur était accessible. Beaucoup ne pouvaient pas – ou ne voulaient
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pas – rentrer dans leur foyer. Dans certains cas, ils n’avaient tout simplement pas de foyer où rentrer, et retourner dans un centre pour jeunes ou un foyer nourricier n’était pas une solution acceptable pour eux. Les services disponibles pour venir en aide aux jeunes qui quittent la rue étaient un autre facteur important de leur décision de s’en sortir. Il vaut la peine, à cet égard, de souligner que les jeunes voulaient que les fournisseurs de services « restent » avec eux, en étant prêts à intervenir quand ils demanderaient de l’aide. À cet égard, beaucoup ont insisté sur l’importance de services accessibles qui ne les jugent pas. Enfin, l’un des facteurs les plus importants pour les jeunes qui avaient réussi à se sortir de la rue était la possibilité de s’intégrer en se sentant bien dans leur peau. À cette fin, ils avaient besoin de possibilités éducatives, sociales et récréatives appropriées ainsi que d’un emploi. Pour eux, quitter la rue signifiait qu’ils devaient laisser derrière eux un réseau de soutien social. L’intervention des organismes de services était cruciale pour les aider à se refaire un filet de sécurité.
INTERVENTIONS POUR VENIR EN AIDE AUX JEUNES SANS ABRI : EXEMPLES TIRÉS DE DEUX ÉTUDES DE CAS
Les constatations décrites dans la section qui précède font ressortir certaines des prin cipales tendances des expériences des fugueurs qui se retrouvent dans la rue et mettent en évidence les besoins des jeunes itinérants. Dans cette section-ci, nous analysons deux études de cas sur la façon de deux municipalités canadiennes de répondre aux besoins des jeunes de la rue. Les données recueillies sont présentées pour illustrer les perceptions qu’ont les jeunes itinérants des services auxquels ils ont accès. Les études de cas ont été effectuées à Saskatoon, en Saskatchewan, et à Ottawa, en 1993-1994 (Caputo, 1994a et 1994b). Dans les deux cas, nous avons eu recours à des stratégies méthodologiques détaillées à volets multiples, en procédant à des entrevues en profondeur avec des fugueurs et des jeunes de la rue, à des sondages auprès d’un échantillon d’élèves moyens du secondaire ainsi qu’à d’autres entrevues en profondeur, celles-là avec des spécialistes des organismes de la santé, du système de justice pénale ainsi que de celui de l’éducation et des services sociaux à l’intention des jeunes. Nous avons aussi tenu des consultations avec la collectivité des deux villes auxquelles ont participé des représentants des organismes de services pour les jeunes qui avaient participé à l’étude, de même que des représentants de divers segments de la population des jeunes. En tout, nous avons effectué des entrevues en profondeur avec plus de 150 fugueurs et jeunes itinérants et avec un nombre égal de spécialistes qui leur fournissent des services. Cette démarche était la phase II du programme sur les fugueurs et les jeunes de la rue parrainé par un groupe de travail fédéral interministériel. Dans la phase I, nous avions dépouillé la documentation et conçu un plan de recherche, mais la seconde était, comme nous venons de le dire, une étude de cas approfondie des initiatives que deux villes avaient prises pour aider les fugueurs et les jeunes de la rue à surmonter leurs difficultés. Nous avons donc obtenu des renseignements aussi bien des fournisseurs de services que des prestataires (les jeunes de la rue des deux
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villes) sur les services fournis, ainsi que sur ceux dont ces jeunes ont le plus besoin. Cela nous a permis d’évaluer de façon détaillée le système de services à l’intention des jeunes des deux villes et de faire des recommandations pour qu’il soit possible de répondre aux besoins actuels et futurs. Nous avions établi une liste de critères pour faciliter le choix des endroits où mener nos études de cas. Il fallait qu’on y trouve une population de jeunes itinérants suffisamment importante pour que l’étude soit viable, par exemple, et nous voulions aussi tenir compte de la situation géographique des villes retenues. En outre, il fallait qu’il y ait des jeunes itinérants autochtones dans au moins une des deux villes. Nous avions plusieurs possibilités, mais nous avons opté pour les villes de Saskatoon et d’Ottawa, qui satisfaisaient le mieux à nos critères. Après des discussions avec les intervenants clés des deux localités et un peu de négociation, nous avons convaincu les deux de participer à notre expérience. À Saskatoon, on s’inquiétait énormément de la situation des quartiers du centreville et du grand nombre de jeunes autochtones itinérants. Il y avait déjà beaucoup d’activités interorganismes au moment où l’étude de cas de Saskatoon a démarré. L’équipe de recherche a mis cette énergie à profit en organisant une rencontre où les intervenants clés ont été invités à parler de leur participation à l’étude, qui présentait plusieurs avantages potentiels pour la communauté, notamment puisqu’elle pouvait contribuer en un même temps à un examen de tout ce qui se passait dans le système à l’égard de cette population à risque élevé. Cet examen était d’un grand intérêt pour les intervenants clés, puisque plusieurs initiatives d’envergure du gouvernement provincial entraînaient des changements dans l’ensemble du système. Il était donc utile pour eux d’obtenir une information de meilleure qualité sur le fonctionnement global du système de services à l’intention des jeunes, compte tenu des changements globaux déjà introduits ou envisagés. Bien entendu, certains des changements devaient porter sur le système de soins de santé lui-même, mais les modifications plus générales du système de services à l’intention des jeunes auraient pu avoir de grandes répercussions sur les déterminants non médicaux de leur santé. À Ottawa, la collectivité était essentiellement préoccupée par la violence chez les jeunes, et bien entendu par la contribution des jeunes de la rue à ce problème. La collaboration interorganismes est une pratique établie depuis longtemps à Ottawa, comme à Saskatoon. L’équipe de recherche a donc travaillé de concert avec les groupes existants et organisé une rencontre communautaire pour parler avec les intervenants de leur participation éventuelle à l’étude. L’année précédente, on avait effectué une évaluation des besoins des jeunes sans abri de la rue à Ottawa ; il fallait en tenir compte. En outre, on était en train de mettre sur pied une initiative de lutte à la violence chez les jeunes dans l’ensemble de la collectivité. L’équipe a donc discuté avec le comité de direction de ce programme pour déterminer si ses intérêts étaient compatibles avec ceux de l’étude de cas. La discussion a eu lieu à l’occasion d’une rencontre communautaire où les parties se sont engagées à collaborer. L’équipe de recherche a convenu de collecter des données précises sur les questions relatives aux jeunes et à la violence, en échange de quoi ses vis-à-vis lui ont donné accès aux renseignements dont elle avait besoin pour effectuer l’étude de cas.
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« Besoins » des jeunes itinérants
Nous analysons sous cette rubrique certains des besoins les plus urgents des jeunes itinérants qui sont définis dans la documentation. Nous avons tiré nos renseignements de l’évaluation des besoins de la Municipalité régionale d’Ottawa-Carleton (1992) ainsi que des constatations de l’étude déjà mentionnée de Caputo et ses collaborateurs (1996). Nous étudions ensuite les principales constatations des études de cas de Saskatoon et d’Ottawa, pour déterminer dans quelle mesure les deux villes ont satisfait les besoins identifiés. Ni l’une ni l’autre n’ont effectué d’évaluation en bonne et due forme de leurs activités dans ce contexte, mais les fournisseurs de services et les prestataires ont été interrogés sur la disponibilité et la qualité des services à l’intention des jeunes itinérants. La fiabilité des constatations tirées de ces entrevues a été vérifiée à l’occasion d’une rencontre communautaire. Comme nous l’avons souligné dans les constatations de chaque étude de cas, le fonctionnement du système de services à l’intention des jeunes de chaque localité a fait l’objet d’un consensus général des deux parties à cette rencontre. L’étude de la Municipalité régionale d’Ottawa Carleton (1992) a décrit plusieurs besoins des jeunes itinérants. Les 64 jeunes de la rue qui avaient participé à cette démarche s’étaient fait demander de préciser les services dont ils avaient le plus besoin. Les chercheurs ont codé toutes les réponses à cette question ; il y en avait 101. Le besoin le plus souvent mentionné – par 37 répondants – a été celui de refuges et de logement permanent. De plus, 23 des répondants ont réclamé un centre de dépannage, tandis que 11 ont déclaré que ce dont ils avaient le plus besoin, c’est de soutien émotif et d’assistance psychosociale. Les services d’alimentation pour la jeunesse ont été mentionnés par neuf des répondants, et neuf aussi ont dit avoir besoin de ressources financières. Enfin, six ont déclaré qu’il leur fallait des services élargis et de défense, tandis que six autres ont dit ne pas savoir ce dont ils avaient besoin. Ces constatations devraient être interprétées compte tenu de ce que les répon dants ont dit être les problèmes les plus graves des jeunes de la rue. Comme nous l’avons déjà vu, 18 (28,1 %) ont déclaré que la toxicomanie et l’alcoolisme étaient le pire de ces problèmes, tandis que 16 (25 %) d’entre eux ont mentionné les refuges (de jour et de nuit). La sécurité et la survie étaient considérées par 10 (15,6 %) des répondants comme leur plus grave problème, alors que cinq (7,8 %) d’entre eux considéraient que c’étaient l’argent. Enfin, quatre (6,3 %) des participants avaient déclaré que l’assistance psychosociale était leur plus gros problème. Par ailleurs, 12 d’entre eux (18,8 %) avaient plutôt mentionné d’autres services. Dans l’étude de 1996 de Caputo et ses collègues, l’équipe de recherche a effectué 70 entrevues avec d’anciens jeunes de la rue ; elles portaient sur toute une gamme de facteurs liés à l’itinérance, dont la perception de soi, le vécu familial, les problèmes scolaires et la délinquance. La grande majorité (50 sur 70, soit 71 %) des répondants avaient une perception d’eux-mêmes très négative avant de se réfugier dans la rue. Certains disaient qu’ils se détestaient, et d’autres qu’ils avaient songé à se suicider. Beaucoup d’entre eux avaient aussi eu de mauvaises expériences familiales. Pour
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27 des répondants (39 %), il s’agissait en l’occurrence de conflits relatifs aux règles posées par les parents, comme le couvre-feu, qui avaient abouti à des engueulades et à des querelles, sans violence physique toutefois. Des conflits familiaux plus graves ont été signalés par 21 (31 %) des répondants : c’étaient des injures ainsi que des voies de fait et des agressions sexuelles. Une grande partie de ces jeunes ont qualifié leur situation familiale d’intolérable. Les répondants ont été interrogés sur leur association avec des pairs délinquants ainsi que sur leurs propres relations avec la police. Les chercheurs ont constaté que 45 (64 %) d’entre eux avaient eu des contacts avec des pairs délinquants et que 32 (46 %) avaient eu des démêlés personnels avec la police, par suite de crimes contre la propriété tels que le vol à l’étalage ou le cambriolage pour 19 (59 %) d’entre eux, alors que 7 (22 %) avaient été impliqués dans des voies de fait et 6 (19 %) interpellés pour d’autres raisons. Les chercheurs ont demandé aux répondants si une intervention quelconque aurait pu les empêcher de se retrouver dans la rue, et 44 (63 %) des 70 ont dit qu’un peu d’appui leur aurait été utile. (Ils entendaient par là l’accès à des services d’assistance psychosociale appropriés ainsi que le soutien personnel d’un adulte ou d’un pair compatissant.) Plus précisément, 21 (48 %) des 44 ont déclaré qu’ils auraient bénéficié de conseils pour surmonter leurs difficultés personnelles ou leurs problèmes de toxicomanie, ou encore pour maîtriser leur colère ou acquérir des aptitudes fondamentales de survie. Enfin, 19 autres (43 %) ont déclaré que des services d’assistance familiale auraient pu leur être utiles en les empêchant de se réfugier dans la rue. Interrogés sur les facteurs qui les incitaient à rester dans la rue, 27 répondants sur 70 (39 %) ont dit que c’était la liberté, 18 (26 %) leurs amis et 17 (24 %) l’argent qu’ils pouvaient s’y procurer. Ce sont les trois principales catégories de réponses à cette question. Les huit répondants restants (11 %) ont mentionné d’autres facteurs. Les chercheurs ont ensuite demandé aux répondants de préciser ce qui était le plus difficile à faire pour se sortir de la rue, et 43 des 64 qui ont répondu à cette question (67,2 %) ont dit que c’était rompre avec le mode de vie de la rue, tandis que 12 (19 %) ont déclaré que c’était d’avoir l’emprise sur sa propre existence et que 9 (13 %) ont maintenu que le plus difficile était d’obtenir et d’accepter de l’aide. Ces constatations tirées de l’étude des besoins de la Municipalité régionale d’Ottawa-Carleton (1992) que nous avons mentionnée doivent être évaluées, et l’étude de 1996 de Caputo et ses collaborateurs a souligné la nécessité de plusieurs services à l’intention des jeunes itinérants. Il faut notamment satisfaire leurs besoins fondamentaux en matière d’alimentation, de logement, d’habillement et d’accès à des ressources financières. À cela s’ajoutent différents besoins personnels, par exemple de l’aide professionnelle pour les aider à lutter contre la toxicomanie et à corriger leurs problèmes de santé mentale. Les auteurs des deux études ont aussi constaté la nécessité d’offrir aux jeunes itinérants des activités sociales et récréatives, du travail et la possibilité d’étudier. À cet égard, le besoin de se sentir bien dans sa peau a été souligné dans l’étude de 1996 de Caputo et ses collaborateurs. Cela se reflète d’ailleurs dans le rôle important que les familles de rue jouent pour y attirer les jeunes et les
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y garder. Les fournisseurs de services ont un défi énorme à relever pour répondre à ces besoins de façon satisfaisante. En général, la plupart des villes canadiennes d’importance moyenne ont une gamme de services comparable à l’intention des jeunes à risque élevé. Elles offrent habituellement des services de prévention, d’intervention en cas de crise, d’aide à la survie et à la transition ainsi que des services d’intervention en cas d’incapacité des jeunes (Brannigan et Caputo, 1993 ; Kufeldt et Burrows, 1994). Certains services sont axés sur des problèmes immédiats, tandis que d’autres sont conçus pour répondre à des besoins à long terme. Par exemple, les programmes de prévention sont censés dépister les jeunes en difficulté afin qu’il soit possible de les aider à composer avec les circonstances qui les poussent à la rue ou, au contraire, à s’en sortir. Cela peut comprendre les activités de repérage des jeunes dès qu’ils arrivent dans la rue et les interventions rapides pour les en sortir. L’intervention en cas de crise consiste normalement à fournir aux jeunes des soins d’urgence et à réagir immédiatement pour répondre à leurs besoins de soins médicaux, de logement, de nourriture et de vêtements. La plupart des services d’intervention sont conçus pour résoudre des problèmes précis à court terme et comprennent habituellement des services d’aiguillage. Les services d’aide à la survie répondent aux besoins quotidiens de nourriture et de logement des prestataires, et les services de transition sont conçus pour les faire sortir de la rue. Les services offerts en cas d’incapacité protègent la société et les prestataires des dommages que ceux-ci pourraient causer s’ils n’étaient pas placés sous surveillance. Dans la section qui suit, les études de cas de Saskatoon et d’Ottawa sont analysées de façon à déterminer comment ces deux villes ont tenté de satisfaire certains des besoins décrits ci-dessus. Au début, nous commençons par décrire les initiatives interorganismes prises dans chacune pour répondre aux besoins des jeunes itinérants. Ensuite, nous présentons successivement les opinions des jeunes des deux villes sur le système de services qu’elles offrent. Enfin, les succès et les échecs des efforts des deux localités pour satisfaire les besoins de leurs jeunes itinérants sont analysés.
Étude de cas de Saskatoon
L’étude de cas menée à Saskatoon donne un aperçu détaillé du fonctionnement du système de services à l’intention des jeunes de cette ville, du vécu des jeunes de la rue et des moyens employés pour répondre à leurs besoins. Les faits saillants des constatations sont exposés plus loin ; ils sont articulés autour des problèmes liés aux besoins des jeunes et à la façon du système d’y répondre. (Il est particulièrement intéressant de voir comment le système lui-même a contribué aux problèmes des jeunes sans abri, en dépit de toutes les bonnes intentions des intervenants.) Quand l’étude de cas a commencé, il existait déjà à Saskatoon une initiative interorganismes bien établie. Comme la plupart des villes canadiennes de cette taille, Saskatoon offre aux jeunes toute une gamme de services, allant de la prévention et de l’intervention en cas de crise à l’aide à la transition ainsi qu’en cas d’incapacité. Toutefois, l’initiative interorganismes de Saskatoon a quelque chose d’unique : l’organisme
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E’Gadz, créé par les organismes de prestation de services aux jeunes de la collectivité expressément pour répondre aux besoins des jeunes itinérants de la ville. Cet organisme a été conçu pour servir de point central des services offerts aux jeunes de la rue de Saskatoon. Les plupart des services à l’intention des jeunes de la ville participent à E’Gadz, en ayant un représentant à son conseil d’administration. On les encourage aussi à offrir des programmes et des services dans les locaux qu’E’Gadz leur fournit sur place. Autrement dit, outre que le bâtiment d’E’Gadz sert de centre social ou récréatif où les jeunes de la rue de la ville peuvent se présenter n’importe quand, il abrite aussi d’autres services des systèmes médical et éducatif ainsi que du système de justice pénale pour les jeunes. Par exemple, le système d’enseignement offre des cours spécialisés à E’Gadz, une infirmière-hygiéniste y dispense des soins médicaux et le système de justice administre un programme correctionnel communautaire dans ses locaux. En plus d’E’Gadz, la ville de Saskatoon a toute une gamme de services auxquels les jeunes itinérants font largement appel, comme les services élargis offerts par Mobile Crisis, ceux de l’unité sanitaire communautaire qui administre un programme d’échange de seringues, ainsi que des cliniques de traitement des maladies trans missibles sexuellement, ceux de la clinique MacNeill, qui offre de l’assistance pour ce qui est des maladies mentales, ceux du centre d’accueil Hands On et enfin le large éventail de services et de programmes des YMCA et YWCA, de même que les programmes de cours spéciaux du système d’enseignement et tous les programmes du système de services sociaux responsable du bien-être général ainsi que du système de justice pour les jeunes de la province. Comme cette description succincte le montre, Saskatoon dispose d’un ensemble impressionnant de services bien établis à l’intention des jeunes itinérants. L’existence d’E’Gadz reflète toute l’attention et toute l’ampleur des ressources que la ville leur a consacrées. L’étude de cas a révélé que Saskatoon avait remporté de grands succès et essuyé quelques échecs dans ses efforts pour satisfaire les besoins de ces jeunes. Nous y reviendrons plus longuement dans les pages qui suivent, après avoir analysé la perception que les jeunes de la rue ont d’eux-mêmes et leur évaluation des services qui leur sont offerts. Nous avons mené des entrevues en profondeur auprès de 61 jeunes de la rue fréquentant différents lieux de rassemblement de ces jeunes à Saskatoon. Sur 61, 30 étaient des filles et 31 des garçons. Ils avaient de 12 à 20 ans, l’âge moyen étant 16 ans. Quand nous avons demandé à ces jeunes pourquoi ils s’étaient retrouvés dans la rue, 25 % d’entre eux ont d’abord parlé de conflits familiaux et 18 % ont déclaré avoir été victimes de violence sous une forme ou une autre. En outre, 12 % ont dit qu’ils avaient quitté leur foyer parce que leurs parents étaient toxicomanes ou alcooliques, et 3 % ont dit en être partis parce qu’ils étaient eux-mêmes toxicomanes ou alcooliques. Nous avons posé aux répondants une série de questions sur les services qu’ils connaissaient ou auxquels ils avaient eu recours, et nous avons constaté qu’ils con naissaient bien le système des services conçus à leur intention et qu’ils l’avaient largement utilisé. Par exemple, 76 % ont dit avoir reçu de l’assistance psychosociale
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(20 % pour les aider à surmonter leurs problèmes de toxicomanie ou d’alcoolisme, 42 % pour se sentir mieux dans leur peau et 15 % pour d’autres raisons). La majorité (55 %) des répondants avaient eu recours aux services d’alimentation. Néanmoins, quand nous leur avons demandé s’ils s’étaient prévalus des refuges de la ville au cours des 12 derniers mois, deux seulement ont dit l’avoir fait. Cela laisse entendre que ces jeunes habitaient avec des membres de leur famille ou des amis, ou encore qu’ils vivaient bel et bien dans la rue. Même si 33 % des jeunes de la rue de Saskatoon touchaient des prestations d’aide sociale, certains ont déclaré qu’ils n’y avaient pas accès. Nous avons demandé aux participants de quels services sociaux ils avaient besoin, à part la nourriture et un abri. Ils nous ont dit qu’il leur fallait de l’assistance psychosociale (43 %), des vêtements (15 %), des activités récréatives (13 %) et des services éducatifs (6 %). Nous avons codé les réponses multiples à ces questions, de sorte que le nombre total de réponses peut dépasser 61. La question suivante que nous avons posée aux jeunes portait sur la disponibilité et la qualité des services auxquels ils avaient recours. La réaction a été mitigée, car 5 % seulement des répondants estimaient que l’accès aux services sociaux était très facile, alors que 39 % le jugeaient relativement facile. La majorité (56 %) étaient d’avis que l’accès à ces services n’étaient pas très facile, voire impossible. Leurs réponses sur la qualité des services sociaux étaient plus encourageantes, puisque 49 % les ont jugés très bons ou bons et 16 %, passables. Les 35 % restants les ont jugés mauvais, voire très mauvais. Ces jeunes ont dit faire largement appel aux services de soins de santé. Beaucoup d’entre eux n’avaient vu ni leur médecin de famille, ni un médecin d’une clinique ou d’une salle d’urgence au cours des 12 derniers mois. Quand nous leur avons demandé de quels services de soins de santé ils avaient besoin, 37 % ont parlé des cliniques de rue, 33 % de services de limitation des naissances et 37 % de tests de dépistage des MTS. En outre, 57 % d’entre eux ont déclaré avoir besoin d’un accès aux services médicaux sans être forcés de s’identifier. Les répondants ont aussi déclaré qu’il leur fallait des services de réhabilitation pour les toxicomanes, des soins d’urgence et des services médicaux gratuits. Les réponses à notre question sur l’accessibilité des soins de santé ont varié, puisque 55 % des répondants ont déclaré qu’ils étaient très accessibles, voire relativement accessibles, tandis que 45 % ont dit qu’ils l’étaient peu, voire pas du tout. Toutefois, 71 % des jeunes de la rue ont jugé très bons ou bons les services de soins de santé qu’ils avaient reçus. Quand nous leur avons demandé de préciser leurs besoins en matière d’édu cation, 9 % de ces jeunes ont dit qu’il leur fallait obtenir l’équivalent d’un diplôme d’études secondaires ou suivre des programmes de perfectionnement ou des cours par correspondance, alors que 15 % ont dit avoir besoin de formation professionnelle pour acquérir des aptitudes et que 20 % ont parlé de programmes souples adaptés aux besoins individuels. Enfin, 15 % des répondants ont réclamé des programmes d’éducation sexuelle et d’information sur les drogues, et 9 % ont déclaré qu’il fallait qu’on offre des programmes d’enseignement à l’intention des jeunes autochtones.
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Près de la moitié des répondants ont dit être en contact avec le système d’ensei gnement. Leur évaluation des programmes d’enseignement était favorable ; en effet, 50 % les ont jugés de bons à très bons et 32 %, passables. Les 18 % restants les ont déclarés mauvais, voire très mauvais. Néanmoins, l’accès à ces programmes semble nettement insatisfaisant, puisque 74 % des jeunes de la rue ont déclaré qu’il est difficile, voire impossible. Les données recueillies à Saskatoon laissent entendre qu’il est possible de répondre à divers besoins des jeunes itinérants à condition que les services soient accessibles et adaptés à leur situation. On peut y arriver, même dans un contexte de réduction des subventions où les ressources sont rares. Cela dit, la recherche a aussi révélé qu’il ne suffit pas de se concentrer sur les déterminants non médicaux clés de la santé pour offrir des programmes, leur prestation doit aussi être socialement et culturellement adaptée à la population visée. Par exemple, certains organismes de Saskatoon déploient de grands efforts pour adapter leurs services aux besoins des jeunes autochtones. L’école Joe-Duquette, par exemple, répond à de nombreux besoins des jeunes autochtones de la ville – y compris ceux de la rue – en leur offrant des programmes conçus à leur intention dans un cadre adapté à leur culture, ce qui lui a permis de faire participer ces jeunes à une vaste gamme d’activités. Les programmes d’enseignement capables d’attirer des jeunes en difficulté et de continuer à les intéresser ont des effets à long terme bénéfiques pour la santé de la population. Au moment où nous avons effectué l’étude de cas, on était en train d’élaborer à Saskatoon une gamme plus vaste encore de mesures éducatives conçues pour les jeunes à risque élevé. Par exemple, certains programmes mettaient à l’essai des calendriers comprimés grâce auxquels les élèves allaient pouvoir suivre un cours à la fois en travaillant intensément sur une courte période. Avec un système comme celui-là, les élèves ont plus de chances d’obtenir des unités de crédit qu’avec le programme classique, étant donné qu’ils tendent normalement à décrocher, puis à retourner à l’école. De cette façon, ils peuvent progresser en se fondant sur l’acquis. Ce genre d’assouplissement réduit la frustration des élèves et maximise les chances qu’ils reviennent à l’école pour terminer leurs études. C’est un bon exemple de ce qu’on peut accomplir avec des jeunes qui vivent dans des conditions chaotiques et imprévisibles. En dépit de la créativité et de la souplesse de ces programmes d’enseignement, les jeunes de la rue que nous avons interrogés ont dit qu’il serait possible d’en faire plus. Par exemple, près de 75 % estiment que l’accès aux programmes d’enseignement est limité, même si la moitié de tous ceux que nous avons interrogés étaient en contact d’une façon ou d’une autre avec le système d’enseignement. En outre, 50 % des répondants ont qualifié ces services de très bons à bons. Il semble donc que les programmes d’enseignement doivent être adaptés à cette population à risque élevé. Nous avons constaté des résultats analogues dans le cas des services médicaux et sociaux offerts à la population visée. En effet, même s’ils ont largement recours aux services médicaux et qu’ils les considèrent comme d’excellente qualité, plus de la moitié de ceux que nous avons interrogés ont dit que l’accès aux services médicaux dont ils avaient besoin était difficile ; ils se plaignaient aussi de l’accès aux services
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sociaux, par exemple l’aide sociale. Là encore, plus de la moitié des répondants ont dit que les services n’étaient pas disponibles. L’évaluation d’E’Gadz fait ressortir des aspects paradoxaux de l’initiative interorganismes de Saskatoon. E’Gadz fournit une vaste gamme de services dans un cadre adapté aux jeunes où ils se sentent en sécurité. Son succès est attribuable à un personnel compatissant, à un cadre accueillant, à un mode de prestation de services adapté aux jeunes et au fait que ceux-ci peuvent se présenter n’importe quand pour avoir accès aux services. Contrairement à de nombreux autres organismes, E’Gadz a des contacts permanents avec les jeunes, et la crédibilité qui en résulte lui permet de travailler avec une population à risque élevé comme celle-là. Les entrevues que nous avons effectuées auprès des jeunes itinérants prouvent qu’ils se sentaient en sécurité lorsqu’ils se prévalaient des services fournis par E’Gadz, et qu’ils les considéraient comme d’excellente qualité. Même si E’Gadz a très bien su fournir aux jeunes itinérants des services culturellement et socialement adaptés à leurs besoins, sa fiche est moins reluisante sous d’autres aspects. Par exemple, c’est un centre qui était conçu au départ pour que tous les services à l’intention des jeunes de la localité puissent y faire bénéficier la population visée de leurs programmes. Dans bien des cas, les résultats ont été excellents. En effet, les jeunes itinérants étaient pleins d’éloges pour les services médicaux adaptés à leurs besoins dispensés sur place ; ils les utilisaient beaucoup. Par contre, certains des partenaires d’E’Gadz offraient dans leurs propres locaux des services aux jeunes itinérants. Certains avaient même fait des essais de leurs programmes dans le bâtiment d’E’Gadz, puis, après avoir constaté qu’ils donnaient de bons résultats, ils les avaient rapatriés chez eux. Ces activités reflètent les tensions « territoriales » constantes caractéristiques de la plupart des initiatives interorganismes, car elles se sont en partie perpétuées à Saskatoon, même si la ville a réussi à les atténuer dans une très large mesure en créant E’Gadz. D’autre part, E’Gadz a dû surmonter un obstacle attribuable à son emplacement, puisqu’il lui est impossible d’atteindre de grands segments de la population des jeunes de la rue de Saskatoon : son bâtiment est en effet très loin d’une des principales zones de rassemblement de ces jeunes. E’Gadz a donc mis sur pied un programme élargi peu de temps après la fin de l’étude de cas. Tous les soirs, certains de ses intervenants partent en fourgonnette visiter diverses zones de rassemblement des jeunes de la rue auxquels ils fournissent différents services (boissons chaudes, nour-riture et assistance psychosociale). Cette activité a fait d’E’Gadz un concurrent direct d’autres fournisseurs de services qui étaient représentés à son conseil d’administration. Il faut par ailleurs reconnaître que le fait d’occuper un gros bâtiment permettait à E’Gadz de fournir une vaste gamme de services et de programmes, mais que l’accès n’était pas facile pour les jeunes qui ne se trouvaient pas dans le secteur. Bref, l’un des atouts d’E’Gadz était aussi l’une de ses faiblesses. L’un des grands succès que l’initiative interorganismes de Saskatoon a remportés, c’est que les organismes dûment constitués pour venir en aide aux jeunes se sont montrés disposés à collaborer avec des représentants de la communauté. Nous l’avons constaté dans le contexte d’une initiative lancée au cours de l’étude de cas ;
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il s’agissait en l’occurrence de réaffecter des crédits destinés aux services sociaux à l’aménagement d’un refuge dont les filles avaient grand besoin. Ce besoin avait été souligné dans le cadre de l’étude de cas, particulièrement à l’occasion de la rencontre communautaire. Les représentants de la communauté avaient participé dès le début à la conception et à la prestation du service nécessaire. C’était une occasion de renforcer la coopération entre la communauté et le système traditionnel des services sociaux et une tentative pour que ces services soient à la fois plus ouverts, plus accessibles et mieux adaptés à ceux qui s’en prévalaient. Et c’était extrêmement important, car même s’il existe de nombreux services sociaux dans la localité, seulement 33 % des jeunes que nous avons interrogés ont dit qu’ils y avaient recours, et plus de la moitié ont déclaré qu’ils n’étaient absolument pas disponibles.
Étude de cas d’Ottawa
Comme Ottawa est une grande ville, il ne faut pas s’étonner qu’elle dispose d’une gamme impressionnante de services à l’intention des jeunes itinérants. Elle a aussi depuis longtemps des activités interorganismes conçues pour les jeunes à risque élevé. Au fil des années, elle s’est efforcée de remédier à de nombreux problèmes de ce groupe. Au moment où l’étude de cas d’Ottawa a commencé, une initiative interorganismes de lutte à la violence chez les jeunes attirait beaucoup d’attention dans la communauté. Des initiatives interorganismes antérieures avaient mené à la création du Bureau des services de la jeunesse (BSJ), qui était le principal fournisseur de services aux jeunes à risque élevé. Le BSJ administre dans toute la région d’Ottawa des centres de dépannage où il offre divers services (notamment des services élargis et de logement, ainsi que divers types d’assistance, un service de placement et un programme d’échange de seringues). Il joue aussi un rôle focal d’intermédiaire entre les jeunes itinérants et les services régionaux conçus pour la majorité de la population. Au BSJ s’ajoutent plusieurs services dans le cadre d’un réseau interorganismes souple. Par exemple, le groupe d’étude qui avait effectué l’évaluation des besoins pour la MROC avec l’aide de son département des services sociaux avait fait appel à une trentaine d’organismes communautaires. L’initiative de lutte à la violence chez les jeunes avait attiré plus de 450 participants représentant plus de 35 organismes à une conférence d’une journée tenue dans un hôtel du centre-ville d’Ottawa. Par la suite, de nombreux organismes avaient participé à des comités et à des activités résultant de la conférence. Quand nous avons interrogé des jeunes de la rue pour leur demander ce qu’ils pensaient du fonctionnement du système de services à l’intention des jeunes d’Ottawa, nous avons constaté que, s’ils connaissaient très bien les services existants, ils y avaient recours de façon très variable. Par exemple, 89 % d’entre eux ont déclaré avoir obtenu des services d’alimentation, alors que seulement 58 % ont dit s’être prévalus des refuges. En plus de ces deux services, les répondants ont réclamé des activités récréatives (62 %), des vêtements (42 %), de l’aide financière (23 %) et de l’assistance psychosociale (12 %).
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L’accès aux services sociaux a été jugé excellent par 17 % des répondants et passable par 44 % d’entre eux ; du reste, 39 % l’ont jugé médiocre, voire impossible. La qualité de ces services a été jugée élevée par 71 % des répondants, les autres (30 %) les estimant passables, mauvais ou très mauvais. Les jeunes de la rue ont largement recours aux soins de santé, quoique leurs réponses varient lorsqu’on leur demande de quels services de ce genre ou de quels services médicaux ils estiment avoir le plus besoin. Le fait est que pour 53 % d’entre eux il leur fallait des cliniques, 20 % ont réclamé des services d’échange de seringues et 9 % un service de dépistage du sida et des MTS. Leurs perceptions de l’accès aux soins de santé variaient, elles aussi, car 50 % ont dit qu’il était excellent ou passable, et 50 %, qu’il était médiocre, voire inexistant. Ces services sont considérés comme bons et très bons par 71 % des jeunes de la rue. L’évaluation que ces jeunes font du système d’enseignement est mitigée, elle aussi. Leur participation est faible, puisque 58 % de ceux que nous avons interrogés ont déclaré n’avoir aucun contact avec le système, ce qui se reflète dans leurs réponses aux questions sur l’accès aux programmes d’enseignement, car 9 % ont dit qu’il était excellent, 39 %, qu’il était passable, et 58 % l’ont jugé médiocre, voire inexistant. Les jeunes de la rue estiment par ailleurs avoir besoin de plusieurs programmes d’enseignement. C’est ainsi que 46 % d’entre eux ont réclamé un programme de perfectionnement au secondaire, des programmes de cours par correspondance ou un programme de dépannage (toujours au secondaire), 17 % ont réclamé une formation professionnelle pour acquérir des aptitudes et 21 % ont dit vouloir obtenir d’autres genres de formation, notamment des cours d’éducation sexuelle et d’information sur les drogues ou des programmes conçus pour empêcher les gens de se retrouver dans la rue et pour les aider à s’en sortir. La qualité des programmes d’enseignement avec lesquels ils étaient en contact était par ailleurs considérée comme bonne ou très bonne par 90 % des répondants. Quand nous avons demandé aux participants quel était le problème le plus important pour les jeunes de la rue, 15 % ont cité le manque d’argent, 15 % aussi la toxicomanie et l’alcoolisme et 15 % encore la violence. En ce qui concerne les services dont les jeunes de la rue ont le plus besoin, 50 % ont réclamé des centres récréatifs, 42 % des vêtements, 23 % de l’aide financière et 15 % des programmes d’enseignement. La recherche effectuée à Ottawa a révélé que, même si la communauté s’était efforcée de fournir aux jeunes de la rue des services culturellement et socialement adaptés à leurs besoins, ses programmes n’avaient pas réussi à atteindre divers segments de la population visée. On était donc en train de concevoir à Ottawa des programmes et des services originaux au moment où l’étude de cas a commencé. Le système d’enseignement avait élaboré plusieurs programmes afin d’identifier les jeunes en mal de décrochage scolaire, ce qui est souvent un prélude à l’itinérance. Dans ce cas, comme pour tous les programmes de prévention, il est souvent difficile de mesurer le succès, mais le programme qui nous intéresse était censé fournir aux jeunes des activités récréatives conçues pour améliorer leur estime de soi et pour accroître leurs aptitudes de base. Nous avons constaté divers signes encourageants, notamment
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le fait que la majorité des jeunes qui avaient participé au programme étaient restés en relation avec son personnel longtemps après l’avoir terminé. Beaucoup d’entre eux avaient été recrutés comme mentors pour la prochaine génération de jeunes participants. La plupart ont maintenu leurs contacts scolaires et tirent mieux leur épingle du jeu dans le système. Ces succès les ont rendus moins vulnérables aux risques de la vie dans la rue et les ont aidés à s’assurer un avenir meilleur. En dépit de l’approche interorganismes dominante, l’étude de cas a révélé qu’il fallait offrir des services plus intégrés et plus uniformes. Les fournisseurs de services disaient avoir de la difficulté à les articuler de façon à mettre les jeunes en contact avec les bons intervenants. En outre, une fois le contact établi, il est difficile pour l’intervenant de continuer à « suivre » le jeune durant tout le processus de prestation des services, en raison précisément de la façon dont les services sont articulés. En effet, chaque organisme confie le dossier du jeune à son propre intervenant, de sorte que les services manquent souvent d’uniformité, voire sont fragmentés. C’est particulièrement délicat, parce que les écoles, les tribunaux et les autres organismes au service des jeunes se fient souvent à l’existence d’un tel réseau de soutien pour atteindre leurs objectifs. En l’absence de ce réseau, les jeunes de la rue sont forcés à s’en remettre à eux-mêmes, et il est si difficile d’intégrer le système qu’ils en sont souvent incapables. L’échec semble alors imputable à la personne, mais il témoigne aussi, au moins en partie, d’un échec du système de prestation des services. La reconnaissance de cette lacune a mené de nombreux spécialistes de la prestation des services aux jeunes à envisager un système de « défense » dans lequel chaque jeune aurait sa personne-contact et son mot à dire sur l’évaluation des services qu’il recevrait. Cela suppose que quelqu’un rappelle aux jeunes qu’ils ont des rendezvous, les encourage à fréquenter l’école ou à participer à d’autres programmes et les motive pour les aider à atteindre leurs buts. Les préposés au soutien pourraient aussi jouer les défenseurs. La probabilité que les jeunes aient accès aux services nécessaires est beaucoup plus élevée lorsqu’ils ont une relation aidante et stable avec un adulte. (Cette approche aurait aussi l’avantage d’atténuer certains des problèmes résultant de la fragmentation des services.) Les opinions sont quasi unanimes sur un point : le système de prestation des services en vigueur à Ottawa devient de plus en plus rigide. Les répondants ont déclaré qu’on imposait des règles et des règlements plus rigoureux dans un nombre croissant des services destinés à la majorité de la population. Cela serait en partie attribuable à l’inquiétude de plus en plus vive que la violence chez les jeunes inspire au public, mais aussi symptomatique de réserves sociales plus générales sur l’admissibilité et l’accès aux services financés à même les deniers publics. La rigidité croissante du système fait qu’il est plus difficile pour les jeunes de la rue d’avoir accès aux services « grand public ». Leur mode de vie et leur comportement sont souvent incompatibles avec des règles strictes, par exemple quant aux critères de participation et d’admissibilité aux programmes. Ces règles limitent l’accès des jeunes à ces programmes sans s’attaquer aux problèmes sous-jacents. Les résultats de l’étude de cas d’Ottawa laissent entendre que, même si le marché du travail est difficile pour tous les jeunes, ceux de la rue ont des obstacles
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particuliers à surmonter. Leur manque d’aptitudes commercialisables et leur mode de vie limitent encore davantage leurs chances déjà médiocres de trouver un emploi. C’est particulièrement grave en cette période de restrictions économiques où les exigences minimales ont augmenté pour la plupart des emplois. Dans ces conditions, l’instruction devient encore plus cruciale que jamais pour qui veut trouver un emploi. Le manque d’instruction caractéristique de la plupart des jeunes de la rue est un obstacle énorme à cet égard. L’approche ordinaire ne donne rien pour les jeunes de la rue qui cherchent un emploi. En outre, les programmes d’emploi existants ont été conçus pour préparer les jeunes à tirer parti des possibilités d’emploi traditionnelles. Ils ne sont pas vraiment capables d’aider les jeunes de la rue à relever des défis, eux qui ont peu d’aptitudes commercialisables et encore moins de chances de trouver un emploi. On a conçu à Ottawa des approches plus originales pour aider les jeunes à trou ver du travail ; elles sont basées sur la participation des jeunes et des gens d’affaires à un partenariat avec les organismes communautaires. L’Initiative des jeunes de la rue Rideau est l’une de ces approches non traditionnelles, qui a aidé des jeunes de la rue d’Ottawa à créer leur propre entreprise. C’est un programme en partie financé grâce à des dons des marchands locaux ; il procure des locaux, des services de soutien, des matériaux d’artisanat et de l’équipement aux jeunes pour qu’ils puissent fabriquer et vendre des produits d’artisanat, en leur fournissant aussi un point de contact clé avec d’autres organismes. Là encore, l’existence d’un réseau interorganismes souple favorise l’intégration des services, améliore l’accès et accroît les chances de succès. Dans le cas de l’Initiative des jeunes de la rue Rideau, cela suppose que la communauté des gens d’affaires locaux participe au programme en répondant de façon plus intégrée aux besoins d’emplois de la population visée. Comme ces exemples le montrent, on a obtenu d’excellents résultats à Ottawa grâce à un réseau interorganismes relativement peu structuré. Les organismes participants se connaissent et collaborent bien, de façon à intégrer leurs programmes et à éviter le double emploi. Le Bureau des services de la jeunesse, par exemple, a su répondre très efficacement à de nombreux besoins des jeunes itinérants. Néanmoins, comme les constatations de l’étude de cas le prouvent, la disponibilité des services et leur accessibilité restent perfectibles. Même si les programmes d’éducation et d’emploi multiorganismes ont obtenu de grands succès, le système de prestation de services à la jeunesse est encore très fragmenté. Pour surmonter ce problème, les responsables vont devoir s’efforcer d’atténuer le même genre de tensions « territoriales » que celles que nous avons constatées dans l’étude de cas de Saskatoon et qui se manifestent dans la plupart des localités.
MESURES PRÉCONISÉES POUR AMÉLIORER LA SANTÉ DES JEUNES ITINÉRANTS
La recherche sur les jeunes itinérants que nous venons d’analyser démontre que de nombreux facteurs non médicaux contribuent aux difficultés que ces jeunes doivent
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surmonter pour être en santé et assurer leur bien-être. Avant qu’ils aillent vivre dans la rue, ces jeunes ont vécu des expériences à la maison et à l’école. La mesure dans laquelle les conflits familiaux contribuent à pousser tant de jeunes dans la rue laisse entendre que les stratégies d’intervention devraient être axées sur cette question. Elles pourraient comprendre des programmes d’assistance psychosociale, d’information sur les aptitudes parentales et d’aide pour surmonter des problèmes particuliers, tels que la toxicomanie ou l’alcoolisme, à l’intention des jeunes et de leurs parents, ainsi que des mesures conçues pour que les jeunes puissent approcher des adultes disposés à les écouter et à les aider à surmonter leurs problèmes. D’autres idées plus traditionnelles sont axées sur l’amélioration des aptitudes parentales afin de satisfaire le besoin de liberté et d’indépendance des jeunes. Dans bien des cas, les conflits familiaux sont causés par l’imposition d’un couvre-feu ou de règles sur les sorties et la participation à diverses activités sociales ou récréatives. Par conséquent, des programmes conçus pour améliorer les aptitudes parentales pourraient aider certains parents à composer plus efficacement avec les exigences de liberté et d’indépendance de leurs enfants. Parallèlement, on pourrait apaiser l’inquiétude des parents qui craignent que leurs enfants se livrent à des activités moins acceptables et, par conséquent, réduire les conflits familiaux, si l’on offrait aux jeunes des activités sociales et récréatives appropriées. L’école est un autre excellent point d’intervention, puisqu’on peut y déceler des symptômes avant-coureurs et concevoir une approche intégrée pour y remédier. En outre, les programmes d’enseignement offrent une occasion de réintégrer les jeunes qui ont éprouvé des difficultés. Il existe de nombreux programmes d’enseignement non traditionnel, et nous avons décrit certains d’entre eux. L’évaluation favorable donnée aux programmes d’enseignement par les jeunes de la rue que nous avons interrogés dans nos études de cas prouvent que les programmes bien conçus et fournis de façon appropriée ainsi que dans un contexte adapté aux besoins des jeunes peuvent avoir des effets bénéfiques pour eux. Si nous partons de ces constatations, la documentation disponible brosse un tableau remarquablement uniforme de la situation : les conflits familiaux, les difficultés scolaires, la toxicomanie et l’alcoolisme ainsi que les démêlés avec la justice sont autant de facteurs qui contribuent aux décisions de bien des jeunes d’aller vivre dans la rue. Chacun de ces facteurs peut être un point d’intervention. Dans la plupart des cas, les interventions devraient porter sur plus d’un facteur à la fois. Il est possible d’élaborer une approche holistique qui, loin de s’arrêter à un problème donné, porte sur l’ensemble de la situation du jeune. Chacun des secteurs du système de services à l’intention des jeunes devrait avoir un mécanisme de détection des signes avant-coureurs qu’un jeune peut être en difficulté. Cela vaut tout aussi bien pour les organismes de santé publique que pour l’école et le système de justice pénale. Une fois qu’on les a déterminés, on devrait maximiser les ressources consacrées à ces jeunes pour qu’ils reçoivent l’aide dont ils ont besoin dès cette étape, avant que la situation ne se détériore et devienne plus dangereuse. Une approche comme celle-là suppose que les organismes de contact primaire collaborent étroitement.
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Il est important aussi, sur le plan stratégique, de reconnaître la nécessité d’une gamme variée de services bien adaptés. La conception et la prestation des services destinés aux jeunes de la rue doit tenir compte des facteurs situationnels auxquels ils sont exposés, de leurs besoins individuels et de la fluctuation des niveaux de financement. Chacun de ces facteurs est analysé brièvement ci-dessous. En l’occur rence, le principe fondamental est le suivant : pour être utiles, les services doivent être adaptés à leur clientèle. Cela peut supposer qu’on adopte des approches très différentes dans des localités différentes, selon les besoins de services de la population des jeunes de la rue. Il est certain qu’un noyau de services essentiels s’impose dans la plupart des cas (nourriture, abri, vêtements, assistance psychosociale, information sur les aptitudes de survie, éducation et traitement de la toxicomanie). L’ensemble des services offerts doit toutefois refléter les réalités locales, par exemple la présence d’importantes populations de membres des minorités visibles ou d’autochtones parmi les jeunes de la rue.
Facteurs situationnels
Pour les jeunes sans abri, les facteurs situationnels comprennent la réalité de la vie dans la rue et les limites qu’elle impose en ce qui concerne les possibilités, l’utilisation des services et le bien-être des itinérants. La recherche a maintes fois souligné l’importance de l’accessibilité. Les services à l’intention des jeunes de la rue doivent être fournis d’une façon adaptée à leurs besoins, à des moments et à des endroits qui les rendent accessibles pour eux, avec une approche socialement et culturellement adaptée à leurs besoins. Dès qu’on tient compte du facteur du milieu, la nécessité de programmes élargis et de services populaires devient manifeste. Les chances de succès sont accrues lorsqu’on va chercher les jeunes de la rue et qu’on fait en sorte que le programme leur soit accessible et réponde à leurs besoins. Besoins individuels
La population des jeunes sans abri n’est pas homogène. Leurs raisons de vivre dans la rue, leur degré d’intégration à ce mode de vie et leur situation personnelle varient énormément. C’est ainsi, par exemple, que si le système n’est conçu que pour les jeunes profondément ancrés dans l’itinérance, il y aura constamment des jeunes qui se retrouveront dans la rue et qui passeront par là. Par contre, s’il n’est que préventif, les jeunes qui vivent déjà dans la rue devront surmonter des problèmes accrus et de plus grandes difficultés pour s’en sortir. Il s’ensuit que les mesures prises doivent viser différents segments de la population des jeunes de la rue, des traîneurs aux nouveaux itinérants et même ceux qui sont confirmés, en passant par ceux qui cherchent à sortir de la rue. En outre, les problèmes personnels des jeunes ne sont pas tous les mêmes. Il serait donc mauvais d’adopter une approche universelle pour leur fournir des services. Par exemple, il est crucial pour certains jeunes et sans intérêt pour d’autres qu’on les sensibilise aux insidieuses conséquences à long terme d’avoir survécu à une
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violence extrême. Les facteurs culturels sont plus importants pour certains jeunes que pour d’autres, et d’aucuns ont un vaste bagage à utiliser, alors que certains sont dénués des aptitudes de survie les plus fondamentales. Pour que les services soient adaptés aux clients auxquels ils sont destinés, il faut évidemment tenir compte de ces différences individuelles. Fluctuations des niveaux de financement
Nous avons constaté dans les deux études de cas que les réductions de financement des programmes créaient des tensions à l’intérieur du système et limitaient les services offerts aux jeunes de la rue. Cela dit, les compressions budgétaires ont incité les responsables à simplifier le système de prestation des services et à le rendre plus efficace. Les fournisseurs de services des deux localités étudiées accordaient une grande importance à la collaboration interorganismes et à l’élimination du double emploi. Il existait bien sûr des relations entre les organismes dans le passé, mais on leur a accordé une priorité accrue dans la période de pénurie financière et de disparition de services que nous vivons. Les avantages de la collaboration transcendent la simple économie de ressources, car on peut arriver ainsi à une approche de prestation des services plus exhaustive, fondée sur une meilleure compréhension des problèmes complexes associés à la vie dans la rue. Par exemple, chaque organisme tendait traditionnellement à se consacrer à une question ou à un problème donné. Les jeunes qui avaient toutes sortes de problèmes devaient donc s’adresser à de nombreux organismes pour obtenir l’aide dont ils avaient besoin. À Saskatoon, E’Gadz a été conçu pour être un centre de services à l’intention des jeunes itinérants. À Ottawa, le BSJ est responsable de ces jeunes et fait office d’aiguilleur vers les autres services conçus pour l’ensemble de la population. Une grande partie des difficultés que nous avons analysées dans ces pages reflètent à la fois les succès obtenus et les échecs essuyés dans la mise en œuvre d’initiatives interorganismes efficaces. Les études de cas montrent que les jeunes de la rue ont besoin de continuité dans la prestation de services de soutien à long terme uniformes et aidants. Or, on a souvent reproché au système existant d’être fragmenté et de manquer de continuité. En fait, les règlements de nombreux organismes nuisent à l’uniformité de la prestation de leurs services. Par exemple, certains organismes limitent le temps qu’un de leurs préposés peut passer avec un client ; s’il en est ainsi, c’est que les organismes veulent éviter que leur clientèle devienne dépendante de leur personnel. Malheureusement, il faut du temps pour établir une relation de confiance avec des clients comme les jeunes de la rue, qui se méfient du système et ne s’y adressent qu’avec réticence. Dans un premier temps, il est très important pour eux d’établir un contact avec une personne qui fait partie du système et en qui ils peuvent avoir confiance. Ils se sentent frustrés de devoir s’adresser à de nombreuses personnes qui changent constamment, et cela tend à les dissuader de chercher les services dont ils ont besoin. À la longue, beaucoup d’entre eux n’essaient même plus.
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Plusieurs répondants ont déclaré que la meilleure façon d’assurer la continuité serait l’adoption d’une approche davantage axée sur la clientèle pour la prestation des services. On nous a même fait une suggestion utile : charger une seule personne d’être le défenseur ou l’intermédiaire des jeunes de la rue. Cette personne pourrait travailler avec eux, évaluer leurs besoins, déterminer leurs préférences, et ainsi de suite. Le jeune client serait informé des services disponibles et son contact l’aiderait à choisir les services dont il a besoin, puis à y avoir accès. Une approche comme celle-là contribuerait à adapter les services aux besoins de chaque client, ainsi qu’à assurer la continuité de la prestation des services nécessaires. Enfin, il faut insister sur la participation des consommateurs de services à leur conception et à leur prestation. On a dit que l’approche axée sur la clientèle suppose qu’il existe un mécanisme servant à faire en sorte que les types de service offerts et la façon de les offrir soient adaptés aux besoins de la population visée. Il s’ensuit que les services qui ne répondent pas aux besoins de cette population ne seraient pas offerts. Le message serait très clair pour les fournisseurs de services, qui devraient alors repenser ce qu’ils font et leur façon de le faire. Cela nous ramène à la nécessité de faire participer les clients (c.-à-d. les jeunes de la rue) à la conception et à la prestation des services qui leur sont destinés. Soulignons, car c’est intéressant, que les jeunes qui ont participé aux études de cas ont dit avoir besoin de services qui ressemblent beaucoup à ceux qu’on leur offre actuellement. La différence est dans la façon de les présenter et de les fournir. Les études de cas de Saskatoon et d’Ottawa ont par ailleurs montré qu’il est très utile d’amener les groupes communautaires locaux à participer à toute cette démarche. Par exemple, lorsque les entreprises locales offrent des emplois et fournissent de l’argent pour que des jeunes puissent créer leurs propres entreprises, elles contribuent à faire le pont entre ces jeunes et leurs emplois futurs. Cette approche réduit aussi les besoins d’intervention policière, en minimisant les conflits entre les jeunes, les entrepreneurs locaux et d’autres parties. La communauté peut fournir toute une gamme de ressources utiles aux organismes conçus pour aider les jeunes. Par exemple, elle peut leur offrir l’accès à des installations récréatives et de l’information, aider les organismes de services à adapter leur prestation à la culture de leur public et donner aux jeunes de la rue et aux autres membres de la communauté une tribune où ils peuvent se réunir pour échanger sur des questions d’intérêt commun. Les éléments que nous avons analysés montrent bien que des approches interorganismes communautaires s’imposent pour répondre aux besoins variés des jeunes itinérants. La complexité des problèmes que ces jeunes doivent surmonter fait qu’il est impossible d’y remédier grâce à un ou deux organismes seulement. En outre, ces problèmes ne se limitent pas à la maladie ou aux lacunes d’individus donnés, puisqu’ils reflètent des facteurs sociaux d’une bien plus grande envergure : les familles, les écoles et la communauté sont à la fois des causes et des solutions potentielles du problème de l’itinérance. Nous devons de toute évidence nous attaquer aux déterminants non médicaux de la santé des jeunes itinérants si nous voulons pouvoir commencer à répondre aux besoins de ces jeunes très vulnérables.
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Tullio Caputo, Ph. D., est maître de conférences en sociologie à l’Université Carleton. Il a obtenu son doctorat en 1984 à l’Université du Michigan. Depuis, il a enseigné dans diverses universités canadiennes, dont l’Université du Manitoba et l’Université de Calgary. Tullio Caputo poursuit des recherches dans les domaines de la criminologie, de la sociologie du droit, de la justice pour enfants et des jeunes à haut risque.
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Tullio Caputo et Katharine Kelly – Améliorer la santé des jeunes de la rue
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Série La santé au Canada : un héritage à faire fructifier Études commandées par le Forum national sur la santé
Volume 1
Les déterminants de la santé
Les enfants et les adolescents Jane Bertrand Enrichir l’expérience des enfants d’âge préscolaire Paul D. Steinhauer Développer la résilience chez les enfants des milieux défavorisés David A. Wolfe Prévenir la violence et la négligence à l’endroit des enfants Christopher Bagley et Wilfreda E. Thurston Lutter contre l’abus sexuel à l’endroit des enfants Barbara A. Morrongiello Prévenir les blessures accidentelles chez les enfants Benjamin H. Gottlieb Promouvoir le développement optimal des jeunes au Canada Paul Anisef Transition entre l’école et le travail Pamela C. Fralick et Brian Hyndman Les jeunes, la toxicomanie et les déterminants de la santé Gaston Godin et Francine Michaud La prévention des MTS et du sida chez les jeunes Tullio Caputo et Katharine Kelly Améliorer la santé des jeunes de la rue
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Série La santé au Canada : un héritage à faire fructifier Études commandées par le Forum national sur la santé
Volume 2
Les déterminants de la santé
Les adultes et les personnes âgées William R. Avison Les effets du chômage sur la santé Mary J. Breen Promouvoir l’alphabétisation, c’est améliorer la santé Neena L. Chappell Maintenir et renforcer l’autonomie et le bien-être des personnes âgées Sandra O’Brien Cousins Encourager une vie active et une saine alimentation chez les personnes âgées Victor W. Marshall et Philippa J. Clarke Faciliter la transition entre l’emploi et la retraite re D Robyn Tamblyn et Dr Robert Perreault Encourager l’utilisation rationnelle des médicaments d’ordonnance chez les personnes âgées Daphne Nahmiash Prévenir et combattre la violence et la négligence à l’endroit des personnes âgées au Canada
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Série La santé au Canada : un héritage à faire fructifier Études commandées par le Forum national sur la santé
Volume 3
Les déterminants de la santé
Le cadre et les enjeux Susan A. McDaniel Pour la santé des familles Kathryn J. Bennett et David R. Offord Les écoles, la santé mentale et la qualité de vie Michael F.D. Polanyi, John Eakin, John W. Frank, Harry S. Shannon et Terrence Sullivan Créer un milieu de travail favorable à la santé : examen critique de l’incidence sur la santé des changements apportés au milieu de travail Kimberly A. Scott L’équilibre comme méthode de promotion de la santé dans les collectivités autochtones Pierre Hamel Solidarité communautaire et développement local : une nouvelle perspective pour construire des compromis sociopolitiques Joseph Zayed et Luc Lefebvre La santé environnementale : du concept à la réalité Marlies Sudermann et Peter G. Jaffe Prévenir la violence : stratégies en milieux scolaire et communautaire Ronald J. Dyck, Brian L. Mishara et Jennifer White Le suicide chez les enfants, les adolescents et les personnes âgées : constatations clés et mesures préconisées John Lord et Peggy Hutchison Vivre avec une incapacité au Canada : vers l’autonomie et l’intégration Benjamin H. Gottlieb Promouvoir et protéger le bien-être des aidants naturels Peter A. Singer et Douglas K. Martin Améliorer les interventions face à la mort au Canada Terrence Sullivan, Okuri Uneke, John Lavis, Doug Hyatt and John O’Grady Politiques d’adaptation de la main-d’œuvre et santé : réflexions sur un monde en mutation Lars Osberg Les variables de la politique économique et la santé de la population
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Série La santé au Canada : un héritage à faire fructifier Études commandées par le Forum national sur la santé
Volume 4
À la recherche d’un équilibre
Le secteur de la santé au Canada et ailleurs Geoffroy Scott Comparaisons internationales du secteur hospitalier Astrid Brousselle Le contrôle des dépenses de santé : ce qui compte Wendy Kennedy La gestion des dépenses pharmaceutiques au Canada : comparaisons internationales Centre de statistiques internationales Comparaison internationale des dépenses de santé et de l’état de santé Damien Contandriopoulos Comment le système de santé du Canada se compare-t-il avec celui d’autres pays ? Un aperçu Delphine Arweiler Comparaisons internationales des dépenses de santé Marc-André Fournier Incidence des infrastructures et des ressources humaines sur les dépenses de santé Ellen Leibovich, Howard Bergman et François Béland Les dépenses de santé et le vieillissement de la population au Canada Raisa Deber et Bill Swan Le financement des soins de santé : matière à réflexion Terrence Sullivan Commentaires sur les dépenses de santé, les dépenses sociales et l’état de santé Allan M. Maslove Les objectifs nationaux et le rôle du fédéral dans les soins de santé Raiser Deber, Lutchmie Narine, Pat Baranek, et al. Le financement des soins de santé : le partage entre les secteurs public et privé John Marriott et Ann L. Mable Modèles intégrés. Tendances internationales et conséquences pour le Canada Steven G. Morgan La politique pharmaceutique canadienne : les enjeux
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Série La santé au Canada : un héritage à faire fructifier Études commandées par le Forum national sur la santé
Volume 5
La prise de décisions
Données probantes et information Joan E. Tranmer, S. Squires, K. Brazil, J. Gerlach, J. Johnson, D. Muisner, B. Swan et Dr R. Wilson La prise de décisions fondées sur des données probantes : les facteurs favorables et les obstacles Paul Fisher, Marcus J. Hollander, Thomas MacKenzie, Peter Kleinstiver, Irina Sladecek, Gail Peterson Les soins de santé : les outils d’aide à la décision Charlyn Black Bâtir un réseau national d’information en matière de santé Robert Butcher Fondements de la prise de décisions basées sur des données probantes Carol Kushner et Dr Michael Rachlis La participation des consommateurs à l’élaboration de la politique de la santé Les Associés de recherche Ekos Inc. et Earnscliffe Research and Communications Recherche sur les valeurs de la population relativement à la santé et au système de santé Thérèse Leroux, Sonia Le Bris, Bartha Maria Knoppers, avec la collaboration de Louis-Nicolas Fortin et Julie Montreuil Éléments de réflexion sur l’opportunité d’un comité consultatif national d’éthique canadien
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eut-on favoriser la santé des Canadiens de tous âges ? Notre système de santé est-il de bonne qualité ? Quels en sont les coûts, comparativement à ceux des autres pays ? En février 1997, le Forum national sur la santé présentait au gouvernement fédéral ses recommandations quant aux moyens d’améliorer le système de santé du Canada et la santé des Canadiens. Le Forum appuie ses recommandations sur plus d’une quarantaine d’études réalisées par les plus éminents spécialistes du domaine. Ces études sont regroupées dans la série « La santé au Canada : un héritage à faire fructifier », qui comprend cinq volumes :
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Volume 1 – Les enfants et les adolescents Volume 2 – Les adultes et les personnes âgées Volume 3 – Le cadre et les enjeux Volume 4 – le secteur de la santé au Canada et ailleurs Volume 5 – Données probantes et Information Le volume 1 présente les études suivantes : Jane Bertrand – Enrichir l’expérience des enfants d’âge préscolaire Paul D. Steinhauer – Développer la résilience chez les enfants des milieux défavorisés David A. Wolfe – Prévenir la violence et la négligence à l’endroit des enfants Christopher Bagley et Wilfreda E. Thurston – Lutter contre l’abus sexuel à l’endroit des enfants Barbara A. Morrongiello – Prévenir les blessures accidentelles chez les enfants Benjamin H. Gottlieb – Promouvoir le développement optimal des jeunes au Canada Paul Anisef – Transition entre l’école et le travail Pamela C. Fralick et Brian Hyndman – Les jeunes, la toxicomanie et les déterminants de la santé Gaston Godin et Francine Michaud – La prévention des MTS et du sida chez les jeunes
Les déterminants de la santé
LES ENFANTS ET LES ADOLESCENTS
La santé au Canada : un héritage à faire fructifier Études commandées par le Forum national sur la santé
Les déterminants de la santé
LES ENFANTS ET LES ADOLESCENTS
Tullio Caputo et Katharine Kelly – Améliorer la santé des jeunes de la rue isbn 2-921146-44-4
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NATIONAL FORUM ON HEALTH
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