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DROZ
IIlIljouul
TRAVAUX D'HISTOIRE ÉTHICO-POLITIQUE XVI
TRAVAUX D'HISTOIRE ÉTHICO-POLlTlQUE
1~163
1. ANTONI (Carlo), L'historisme. Traduction de l'italien par A. Dufour, 132 p.
1963
2. DEDEREN (Raoul), Un réformateur catholique au XIX' siècle: Eugène A1ichaud. Vieux-catlzolicisme - Œcuménisme, xlv-340 pp.
1964
3. HELBLI"'G (Hanno), Histoire suisse. Traduit de l'allemand par A. Hurst, 112 p. et 16 ill.
1964
4. Echanges entre la Pologne et la Suisse du XIV' ail XIX' siècle. Choses - Hommes - Idées. Etudes de A. GIEYSZTOR, H.C. PEYEI~, S. STELLING-MICHAUD, H. BARYCZ, E. ROSTWOROWSKI et M. VUILLEUMIER, 248 p.
1964
5. ZOUAOUI
(Ahmed),
Socialisme
et
Internationalisme:
Constantin
Pecqueur, 264 p. 1965
6. BURCKHARDT (Jacob), Fragments historiqlles. Traduction de l'allemand par Maurice Chevallier, XXlv-245 p.
1965
7. BURCKHARDT (Jacob), Considérations sur l'histoire universelle. Version française de S. Stelling-Michaud, xxvlI-212 p. avec 1 portrait.
1965
S. SISMONDI (j.C.L.), Reclzerches sllr les constitutions des peuples libres. Texte inédit et introduction par Marco Minerbi, 384 p.
1965
U. CROCE (Benedetto), Galéas Caracciolo, marquis de Vico. Préface d'O. Reverdin, xll-11O p., 10 i11.
1966.
10. MOELLER (Bernd), Villes d'Empire et Réformation. Traduction de l'allemand par A. Chenou, 116 p.
1Y66
II. DUFOUR (Alain), Histoire politique et psychologie historique,· suiVI de deux essais sur Humanisme et Réformation et Le mythe de Genève au temps de Calvin, 132 p., 2 i11.
1966
12. CONLON (P.M.), Jean François Bion et sa Relation des tourments soufferts par les forçats protestants, 120 p.
1966
13. CASTELLION (Sébastien), Conseil à la France désolée. Nouvelle édition avec préface et notes explicatives par M.F. Valkhoff, 80 p.
1965
14. TRIOMPHE (Robert), Joseph de Maistre. Etude sur la vie et slcr la doctrine d'un matérialiste mystique, 654 p.
1968
15. PERRIN (Ch.-Ed.), Un historien français: Ferdinand Lot, 1866-195?, 124 p.
ÉPHRAÏM HARPAZ
L'ÉCOLE LIBÉRALE SOUS LA
RESTAURATION LE « MERCURE» ET LA «MINERVE» 1817-1820
GENÈVE
LIBRAIRIE DROZ Il, RUE MASSOT 1968
Première édition: juin /968
© 1968 by Librairie Droz S.A. II, rue Massot, Genève (Switzerland)
A la mémoire de Gabriel
PRÉFACE
Il est bien difficile d'entrer dans la mentalité des générations passées. Que de contresens risque de commettre celui qui aborde un épisode, une personnalité avec les habitudes de pensée de sa propre époque! Certes, la nature humaine est toujours la même, et quand il s'agit d'un homme comme Benjamin Constant, qui a beaucoup écrit, qui s'est livré en des ouvrages de genres très divers, on croit pouvoir le connaître aussi bien qu'un vieil ami notre contemporain. Et pourtant! Ces écrits - le Journal intime excepté - ne nous livrent que la surface d'une âme, quelque chose d'élaboré et par conséquent déjà éloigné des premières réactions. Restent inaperçus les milliers de petits faits, les contacts humains qui ont provoqué, infléchi, au jour le jour, sa réflexion. D'autre part, une société passée ne se définit pas seulement par ses sommets, c'est tout le paysage que l'on désire reconstituer pour donner leur véritable valeur à ces sommets. Pour une telle connaissance totale et concrète d'une époque révolue, rien ne peut, semble-t-i1, remplacer la lecture attentive, méthodique, critique, exhaustive d'un grand périodique. C'est là que le trivial, le quotidien, l'infime, apportent aux grandes lignes la couleur, le relief, le vêtement, la vie enfin. C'est là que l'on est pour ainsi dire nourri des mêmes aliments que dégustaient et assimilaient ceux dont on cherche à percevoir la mentalité. Quel moyen meilleur d'entrer dans leurs préoccupations, dans leurs préjugés que de lire à son tour ce qui fut chaque jour soumis à leurs réflexions? Monsieur le professeur Ephraïm Harpaz avait déjà démontré la fécondité d'une telle approche dans sa remarquable étude sur le Censeur Européen. Voici qu'il s'attaque à un tout autre seigneur de la Presse: l'éblouissante Minerve française, avec son premier avatar du Mercure de France. Le Censeur, à vrai dire, malgré son puissant intérêt pour l'histoire des idées, représentait une voix relativement isolée; ses rédacteurs, Comte et Dunoyer, étaient trop soucieux de s'élever audessus des passions partisanes de leur époque, trop orientés vers l'avenir de la société industrielle naissante pour que l'on puisse les considérer comme représentatifs d'une section notable de l'opinion. En témoigne, du reste, le caractère éphémère de leur entreprise. La Minerve, par contre, du fait même que son vol est moins élevé, apparaît comme la voix authentique d'un large secteur de la société française des premières années de la Restauration. Son intérêt captivant tient à ce qu'elle est l'œuvre collective d'un groupe d'esprits exceptionnellement brillants, unis dans une même foi politique, dans un combat
x
PRÉFACE
commun et sans merci contre un ordre politique et social qu'ils refusent. Cette unité dans le dessein et la discipline de guerre les aligne derrière un général prestigieux, Benjamin Constant. A lui revient l'honneur d'avoir exploré en tous sens, d'avoir défini d'une façon inégalée la doctrine du libéralisme. De tous ces rayons de lumière projetés au jour le jour, M. Harpaz a réalisé une synthèse qui restera l'exposé le plus dense, le plus convaincant de cette grande création intellectuelle. Tous les éléments y reçoivent leur juste proportion précisément parce qu'ils ont été saisis chacun dans la conjoncture où ils ont pris naissance. Expression d'un parti politique autant que d'une école de pensée, la Minerve fut ce qu'on appelle aujourd'hui un périodique «engagé ». A ce caractère, elle doit sans doute en grande partie l'acuité de sa vision; la passion politique décuplant la pénétration de l'intelligence, c'est une sorte de laser qui fouille profondément les replis d'une société pour y mettre en évidence tous les éléments favorables à ses thèses: il est une manière libérale d'écrire l'histoire lointaine et récente, d'interpréter tel fait divers, de juger telle pièce de théâtre ,d'apprécier tel tableau. Ainsi sont mis en relief des traits qui échapperaient à un œil politiquement indifférent. Mais d'autre part cette obsession polémique met des œillères; on refuse toute attention, l'on minimise, l'on déforme, l'on condamne tout ce qui ne cadre pas avec le but général poursuivi. C'est pourquoi la France de la Restauration vue à travers la Minerve est une France mutilée d'une partie de ce qui fit sa grandeur. Cette France de Benjamin Constant, de Jay et de Jouy fut aussi, ne l'oublions pas, celle de Chateaubriand, de Lamennais, de Bonald; en face de la Minerve, il y eut le Conservateur. Cet autre monde, nous ne le voyons ici qu'à travers un écran déformant. L'ouvrage de M. Harpaz nous fournit, magistralement, un volet du tableau. Espérons que d'autres, inspirés par son exemple, nous donneront de quoi l'équilibrer. En attendant, notre connaissance de la vie d'une société, de cette immense fermentation intellectuelle qui souleva la France après la chute de la dictature impériale, ne saurait trouver de plus suggestive introduction. G. de Bertier de Sauvigny.
INTRODUCTION
L'Ecole libérale sous la Restauration est un essai dt reconstituer la pensée et le climat d'une époque à travers quelques-uns de ses témoins et de ses interprètes de valeur. La grande qualité de la presse sous la Restauration ainsi que l'envergure intellectuelle des rédacteurs du Mercure et de la Minerve semble légitimer une teUe tentative. Benjamin Constant, Jay, Jouy, Lacretelle aîné, Tissot, Etienne, Aignan, Evariste Dumoulin et Pagès ne sont pas novices en matière politique, historique et littéraire lorsqu'ils entreprennent le renouvellement du Mercure ou le lancement de la Minerve. C'est l'écriture journalistique qui leur permet de reprendre, en la corrigeant et cn l'enrichissant, la science de l'homme, telle qu'elle a été définie par les Philosophes et développée par les Idéologues. La confrontation hebdomadaire avec les problèmes aigus de la cité remet toujours en question les vérités proclamées par les recueils. Elaboration doctrinale et application du présent se trouvent ainsi étroitement liées. Projections et transpositions de la politique à travers le temps comme à travers les domaines connexes de l'activité de l'esprit sont candidement avouées ou aisément détectées. Les principes directeurs des rédacteurs, aiguisés par la lutte constante des partis, se révèlent ainsi en politique comme en histoire, en religion comme en peinture, dans la définition des institutions comme de l'esthétique. Projet ambitieux certes que celui de reconstituer toute une philosophie de l'homme dans ses manifestations les plus variées. Cependant, l'étude exhaustive de ces deux recueils a trouvé sa rançon compensatrice dans les dates qui limitent leur existence à trois ans et trois mois. Cette brève période, d'une résonance capitale dans les annales de la Restauration, définit pourtant une doctrine et élucide des problèmes qui engagent tout un siècle.
• •• Les renvois aux recueils se font par les initiales M.d.F. et M., respectivement pour le Mercure de France et la Minerve Française. Les chiffres romains ajoutés à ces initiales désignent le numéro du volume et les chiffres arabes, entre parenthèses, les numéros des cahiers de la Minerve. Ainsi, M. VI (8) ou M. VIII (9 et 13) signifient Minerve, vol. VI, cahier 8 ou Minerve, vol. VIII, cahiers 9 et 13. A moins d'une autre spécification, les renvois à Bénaben, SauquaireSouligné, Saulnier fils, Pagès, Etienne, Aignan et Dumoulin impliquent les rubriques:
XII
INTRODUCTION
Bénaben Sauquaire-Souligné (désigné sous les initiales SS.) Saulnier fils et Pagès Etienne Aignan Dumoulin
Revue des nouvelles pour le Mercure Essais historiques pour la Minerve Mercuriale pour le Mercure Essais historiques pour la Minerve Lettres sur Paris pour la Minerve Galerie j .. .jau lieu de Galerie littéraire et politique pour la Minerve Notes historiques pour la Minerve
Nous n'avons pas estimé nécessaire de donner une bibliographie détaillée pour l'époque traitée. Le lecteur trouvera dans les notes des renvois aux sources que nous avons utilisées et aux ouvrages que nous avons consultés. Le Répertoire des Collaborateurs lui permettra de se faire une idée de l'importance des contributions aux deux recueils. Vu les domaines multiples que cet Essai s'est proposé d'étudier, les renvois d'un chapitre à l'autre ont été de rigueur, et, ici et là, certaines redites n'ont pu être évitées. Le double projet de dégager les principes de l'Ecole libérale tout en conservant la masse de renseignements fournis par le Mercure et la Minerve ont agrandi considérablement les dimensions de notre ouvrage. Il eût fallu opter entre une synthèse facile à brosser et la lourde tâche de ne rien épargner au lecteur des enseignements des deux recueils. Les chercheurs avertis nous sauront peut-être gré d'avoir voulu concilier ces deux méthodes pour les doter d'un instrument de travail que nous croyons de quelque utilité pour la connaissance précise de la pensée libérale. Qu'il nous soit permis de nous acquitter ici de la dette de l'amitié en exprimant notre vive reconnaissance à M. G. de Bertier de Sauvigny, Professeur à l'Institut Catholique de Paris et à l'Université Notre-Dame d'Amérique, et à Mlle S. Balayé, Conservateur à la Bibliothèque Nàfionale de Paris, qui nous ont prodigué conseils et suggestions et qui ont bien voulu lire notre manuscrit; à MM. J. Hass, peintre et connaisseur averti en histoire de l'art, et 1. Adler, Directeur du Département de Musique à la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Jérusalem, pour leur concours précieux; à M. A.-B. Duff, fondateur de la Chaire de Civilisation française à l'Université de Jérusalem, et à MM. H. Gouhier, P. Moreau et R. Pintard, Professeurs à la Sorbonne, qui, de longue date, nous ont encouragé dans nos recherches; à M. P. Josserand, Conservateur-en-chef de la Bibliothèque Nationale de Paris, qui nous a facilité l'accès à la documentation, et au C.N.R.S. pour nous avoir apporté si obligeamment son coucours précieux.
CHAPITRE 1
CADRE ET PROGRAMME Ce n'est qu'après l'ordonnance du 5 septembre 1816 que libéraux et anciens bonapartistes peuvent se remettre de l'effondrement de l'Empire des Cent-Jours et des suites désastreuses de la réaction des ultras. Les écrivains et les hommes politiques, qui, à des titres et à des degrés divers, s'étaient associés à l'Empire libéral et que les listes de Fouché avaient épargnés, cherchaient, après la dissolution de la Chambre Introuvable, à reprendre pied dans la vie politique et intellectuelle de leur pays. En parcourant la presse de la Restauration, on peut se rendre compte à quel point les idées adverses sont tout imprégnées des souvenirs qui ont irrémédiablement opposé les émigrés d'hier et les héritiers de 89 ou de 1804. L'exaspération des adversaires à la libération de la France, après la deuxième guerre mondiale, rappelle par son intensité l'acharnement des camps ennemis lors de la seconde Restauration, avec cependant cette différence que les vainqueurs de 1815 furent les alliés de l'occupant. Le parti libéral est loin d'être organisé en fin 1816. Il lui faudra le coup de barre donné par le ministère Richelieu sur sa droite pour s'affirmer timidement sur le plan doctrinal et matériel. La libération de la France et la libéralisation du régime lui fourniront une bonne occasion pour définir sa philosophie, renforcer ses rangs et infléchir le pouvoir dans le sens de ses vérités bourgeoises. A une époque pauvre en moyens de communication, la presse acquiert une importance capitale. Grâce aux journaux et aux périodiques, la bonne parole agit sur la capitale et la province, elle est également en mesure de marquer le pouvoir. Elle a même des vertus toniques, offrant aux rédacteurs un champ d'activités fébriles et des avantages financiers considérables. Un périodique peu alléchant comme le Censeur aura assuré à ses rédacteurs, Charles Comte et Charles Duvoyer, des gains appréciables 1. En plein désarroi après 1 Malgré les persécutions que le Censeur a values à ses auteurs, l'entreprise s'est révélée une excellente affaire au point d'inspirer l'Industrie et Le Politique de Saint-Simon. « Songe, mon ami, écrit Auguste Comte à Valat, le 15 mai 1818, que le Censeur, dans les trois premières années, a rapporté 200.000 francs net à ses auteurs, et actuellement, quoique l'ouvrage ait beaucoup perdu de son ancien éclat, ils ont encore 10 à 15.000 livres de rentes chacun. » Auguste Comte parle du Censeur et du Censeur Européen, pour les années 1814-1815, 1817, Lettres d'Auguste Comte à M. Fa/at, Paris, 1870,'p. 51, texte cit. par H. Gouhier, Auguste Comte et Saint-Simon, Paris, 1941, p. 408.
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L'ECOLE LIBERALE SOUS LA RESTAURATION
le dé~astre de Waterloo, Benjamin Constant, le Conseiller des Cent-Jours, est toujours à l'assaut d'une place stable et profitable~. Le cas de Benjamin Constant n'est certes pas commun, mais tout de même assez représentatif de tous ceux qui entre la première et la seconde Restauration n'ont pas su ou pu ménager habilement leur avenir. L'adhésion de Benj am in Constant à Bonaparte avait quelque mal à se concilier avec ses articles célèbres, publiés le Il et le 19 mars 1815 dans le journal de Paris et le joumal des débats. Le public bien pensant de la Restauration, à en juger d'après les mémoires de Barante, de Molé, de Pasquier ou de Victor de Broglie, eût bien volontiers excusé des palinodies certes regrettables, mais à condition qu'elles fussent rachetées par une fidélité empressée aux puissances du jour. Le fait que Benj amin Constant ne devait rien aux Bourbons ne semble pas lui avoir beaucoup servi auprès de ce public. Il suffirait de consulter le Dictionnaire des Girouettes pour constater que l'image que ses auteurs tracent de Jay, de Jouy, de Tissot ou de Constant est peu flatteuse 3. Les mémorialistes ne se sont pas demandés si Constant était resté fidèle à ses principes déclarés. C'est pourtant le cas du joueur impénitent que fut Benjamin Constant. Les journalistes de commande ministériels n'ont pas hésité lors de la campagne électorale de 1817 et de 1818 à souligner les origines étrangères de Constant, à citer l'appui qu'i! avait accordé au gouvernement directorial et à rappeler son rôle pendant les CentJours 4. Cependant, à consulter de près l'œuvre de Benjamin Constant, il est aisé de conclure que l'Acte additionnel de 1815 ne dément aucunement les Réflexions sur les constitutions de 1814, ni les Principes politiques, publiés peu après l'Acte additionnel, ni les écrits politiques nombreux qu'il rédigera par la suite. Mieux encore, la pensée constantienne semble avoir été définie dès 1806 sinon avant cette date 5. La prolifération des écrits de Constant à partir de son livre célèbre, De la conquête et de l'usurpation, s'éclaire moins par la hâte d'arriver que par une pensée qui s'est cherchée pendant les nombreuses années d'exil et par une longue opposition à Bonaparte. Non que l'attachement de Benjamin à des causes perdues d'avance, celle d'un Bernadotte ou celle de Napoléon en 1815, ait été nécessairement motivé par un sentiment chevaleresque. Cf. les Journaux Intimes dans l'édition de la Pléiade d'A. Roulin. Inspiré probablement par l'Ordre des girouettes du Nain Jaune qui a eu moins de succès que l'Ordre des chevaliers de l'Eteignoir. C'est Cauchois-Lemaire qui sous la première Re~tauration a acquis la propriété du Journal des Arts de Porthmann et l'a transformé en un recueil satirique célèbre, avec le concours de Jouy, de Bory de Saint-Vincent, de Harel, de Merle, de Dirat, de LefebvreUurutle et d'Etienne. Cf. L. Thiessé, M. Etienne. Essai biographique et littéraire, Paris, 1853, p. XCV-XCIX; Dictionnaire des Girouettes ou Nos contemporains peillts d'après eux-mêmes par une société de girouettes, 3' éd" Paris 1815 (l'auteur d'après Thiessé serait Proisy d'Eppe). 1 Ci. Barante, SOllvenirs, Paris, 1890-1897, 8 vol., vol. Il, p. 309 sq. et Marquis de Noailles, Le comte Molé, 1781-1855, sa vie, ses mémoires, Paris, 19221930,6 vol., vol. Ill, p. 110 sq. r. C'est ce que l'étude des œuvres manuscrites de B. Constant prouverait. Cf. la Préface de O. Pozzo di Borgo aux Ecrits et Discours politiqlles de B. Constant, Paris, 19tH, 2 vol. ~
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CADRE ET PROGRAMME
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Les volte-face constantiennes ne constituent pas certes un titre de gloire. Mais les avanies que l'inexpérience en affaires a values à l'ambitieux Benjamin n'entachent en rien une pensée qui s'élabore et se définit dès son expulsion du Tribunat en 1802 6 • Il a mis du temps, Benjamin Constant, pour aligner les apparences de sa conduite sur une pensée longuement mûrie. Ce n'est qu'à son retour à Paris, le 27 septembre 1816, après un exil «volontaire l> en Angleterre, que Benjamin Constant atteindra ce moment privilégié de sa vie où le publiciste, le rédacteur, le tribun et le penseur auront trouvé un équilibre harmonieux. Même alors, à en croire Barante, l'auteur d'Adolphe aurait conservé, au milieu de ses plus grandes exaltations d'orateur oppositionnel, cet air de détachement et cette inclination à l'introspection qui ont fait la grandeur et le désespoir de son caractère 7. Toutefois, il n'en est pas moins vrai que ta déconfiture du Conseiller officiel des Cent-Jours, après tant d'autres, l'a poussé vers sa véritable vocation, où l'homme de cabinet et le lutteur se sont donné rendez-vous. A peine rentré, il lance déjà un écrit de grand style pour démasquer les développements brillamment fallacieux de Chateaubriand et pour infléchir la Restauration dans le sens de la nouvelle France 8. Il s'emploie aussi activement à trouver un organe qui serve de tribune à sa philosophie politique et qui, sans doute, lui assure également un placement honorable. On ne peut que supposer l'initiative que Benjamin Constant aurait prise d'attacher les destinées du libéralisme au Mercure de France. Les historiens qui soulignent son rôle d'initiateur et d'animateur du recueil ne fournissent aucun indice pour le prouver. Cependant, une lettre de Benjamin à Rosalie, pourrait corroborer cette assertion. «Mais j'étais et je suis encore écrasé de travail et d'affaires. L'entreprise que j'ai faite de relever presque à moi seul un journal tombé, pour m'en servir comme d'un cadre, afin de répandre beaucoup d'idées que je crois utiles, me donne d'autant plus de peine qu'elle a eu plus de succès, et que ce succès m'y attache 9. l> Aux éléments contenus dans cette lettre, on peut ajouter le Prospectus du Mercure qui porte indubitablement la marque de Benjamin Constant. Le choix du Mercure fut· judicieux. Recueil des Philosophes, des Idéologues, et, à partir de 1800, de Fontanes, de Chateaubriand, de 6 Sans refaire ici le procès de B. Constant que Sainte-Beuve avait instruit à sa manière, j'indique comme jugements nuancés et équitables ceux de Pozzo di Borgo, Préface aux Mémoires sur les Cent-Jours de B. Constant, Paris, 1964, et de J. Baelen, Benjamin Constant et Napoléon, Paris, 1965. L'article de G. Rud1er, Benjamin Constant. Son ralliement à l'Empire in Revue de Paris, 1930, t. VI, p. 832-847, garde encore toute sa valeur. 7 Le jugement de Barante n'est pas exempt ni de malveillance ni d'une pointe d'envie. 1\ est rare qu'on pardonne aux «amis l> d'avoir raison contre la raison de « l'ordre l>, Souvenirs, op. cit., p. 312-313. L'appréciation d'Albertine de Broglie sur Benjamin tribun est franchement hostile, in Victor de Broglie, Souvenirs du feu Duc de Broglie, Paris, 1886, 4 vol., vol. Ill, p. 120. 8 De la doctrine qui peut réunir les partis en France. 9 Benjamin et Rosalie de Constant: « Correspondance l> (1786-1830), éd. par Alfred et Suzanne Roulin, Paris, 1955, Lettre CLVIII, 3 mars 1817, p. 223.
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L'ÉCOLE LIBÉRALE SOUS LA RESTAURATION
Bonald et de Fiévée pour fusionner après avec les anciens rédacteurs de la Revue philosophique, il a certes depuis le second et surtout le dernier tiers du dix-huitième siècle une tradition des plus éclairées, quelque peu ternie par le passage à la rédaction des futurs ultras. Toutefois, les noms prestigieux de Marmontel, de Chamfort, de la Harpe et de Mal1et du Pan peuvent servir de caution au recueil ressuscité 10, à condition que leur héritage soit secondé par l'ardeur et le talent des nouveaux rédacteurs. Car un périodique qui a périclité ne se relève pas facilement. Et puis, un journal constitue un investissement. Il faut commencer par acheter aux anciens propriétaires leurs actions. Nous ignorons les termes de l'accord passé entre les deux parties. Nul doute pourtant qu'un tel contrat n'ait existé, du moins à en juger d'après le procès intenté par la Minerve au nouveau Mercure, paru le 17 juillet 1819, probablement avec la bénédiction empressée du pouvoir, différend dont le Conservateur littéraire de décembre se fait l'écho malicieux 11. Sous le régime de contrainte de la presse, il a fallu au nouveau Mercure un privilège d'imprimer et la double censure de la Police générale et du ministère des Affaires Etrangères, surveillance pour les questions intérieures et extérieures qui revêt une lourde signification sous l'occupation 12. Mme Elisabeth de Bon, auteur de quelques nouvelles et traductrice de quelques romans anglais, est titulaire du privilège que les autorités lui ont concédé en sa qualité de propriétaire, à côté d'autres, de l'ancien recueil 13. Ce sera là une aubaine pour le fécond Decazes le jour où il décidera de supprimer le Mercure. Le volume II du Mercure annonce comme rédacteurs, selon l'ordre équitable de l'alphabet, Benjamin de Constant, Dufresne Saint-Léon, Conseiller d'Etat honoraire, Esménard, Jay, Jouy, de l'Académie française, Lacretelle aîné, également de l'Académie, noms qu'un etc. discret couronne. Le volume IV ajoute aux noms des rédacteurs principaux celui de Tissot. La Minerve accordera à ce dernier son plein titre de professeur de poésie latine au Collège royal de France. Si le nom de Saint-Léon ne figure plus parmi les rédacteurs de la Minerve, la liste s'enrichit des noms d'Aignan, de l'Académie, et d'Etienne, qui ont collaboré tous les deux quelque peu au Mercure avant sa disparition. Le nom de Bénaben, col1a10 Cf. l'Avis aux souscripteurs, M.d.F. l, 8 fév. 1817. Pour l'histoire de la presse contemporaine, cf. Des journalistes et des journaux, Paris, 1817; Notice historique et bibliographique des journaux périodiques publiés en 1818, Paris, 1819, dont l'auteur anonyme d'après Barbier serait A.-J. Mahul ; Eugène Hatin, Histoire politique et litteraire de la presse en France, Paris, 1859-1861, 8 vol. ; Ch.-M. Des Granges, La presse littéraire sous la Restauration, Paris, 1907; Ch. Ledré, Histoire de la presse, Paris, 1958 ; Irène Collins, The government and the NelVspaper Press in France, 1814-1881, Oxford, 1959. 11 Cf. Des Granges, op. cit., p. 64-65. Saulnier fils, rappelant le mot de La Bruyère peu respectueux pour le vénérable Mercure, affirme que les nouveaux rédacteurs en ont acheté la propriété à beaux deniers comptants, M. 1 (12), 23 avril 1818. 12 Cf. le Prospectus de la Minerve, en tête du recueil. 13 Cf. Jay, c.r. des Œuvres d'Andrieux, M. 1 (1), début fév. 1818 et Des Granges, op. cit., p. 63.
CADRE ET PROGRAMME
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borateur assidu du Mercure, ne figurera que parmi les auteurs responsables de la Minerve, jusqu'à la date du 19 avril 1818, jour où il se rangera du côté ministériel. Evariste Dumoulin, rédacteur en titre de la Minerve, ne semble pas avoir collaboré au Mercure, à moins que des articles anonymes soient de lui ou que des initiales fantaisistes cachent son identité. Que Benjamin Constant se soit probablement adressé à jay pour l'associer à son entreprise ne devrait guère étonner les lecteurs des Journaux Intimes. Les rapports étroits de Benjamin avec Rousselin, l'un des rédacteurs de l'Indépendant, éclairent ceux qu'il aura entretenu avec jay, autre membre de la rédaction. Supprimé à la suite de l'article anonyme que Benjamin y a publié le 6 août 1815 14 pour sauver la tête de Labédoyère, l'Indépendant reparaîtra sous le titre de l'Echo du soir, de l'Ami du prince, du Courrier, du Constitutionnel, et le 24 juillet 1817, sous le nom du Journal du commerce, de politique et de littérature, pour reprendre celui du Constitutionnel à partir du 2 mai 1819 1G • On conçoit aisément que jay ait amené au Mercure Bénaben, le général Beauvais ainsi que Tissot et que la Minerve ait recueilli parmi ses rédacteurs Evariste Dumoulin, nouvelle recrue offerte par le Constitutionnel. Il est à croire que Benjamin Constant connaissait de longue date Saint-Léon. Commis des Finances sous le ministère Necker, réfugié en Suisse et en Italie sous la Révolution, il regagne la France peu de jours avant le 18 brumaire et mène une vie retirée près d'Etampes. Sur les instances de son ami Talleyrand, il accepte au mois d'août 1815 la charge temporaire de Conseiller d'Etat honoraire et commissionnaire pour la liquidation des étrangers 16. Benjamin Constant est l'un des rares privilégiés qui ait lu Philomèle, tragédie manuscrite de Saint-Léon 17. La modération éclairée en politique de Saint-Léon et ses fonds disponibles auraient sans doute joué un rôle dans la décision de faire appel à lui comme associé du nouveau Mercure. Certes, aucune expérience antérieure ne l'a préparé au journalil?me pas plus que ses goûts littéraires, connus de ses amis seuls, à la confrontation hebdomadaire avec le public. Ce n'est pas le cas de jean-Baptiste Esménard, officier sous l'Empire, emprisonné de 1810 à 1814 à la Force pour quelque complot contre Bonaparte, qui a collaboré, en sa qualité de connaisseur des lettres et de l'histoire espagnoles, à la Gazette de France, à la Quotidienne, au Journal des Débats et au Mercure. Il ne figurera plus parmi les rédacteurs de la Minerve, peut-être parce que son légitimisme se serait mal accordé avec le libéralisme du recueil, ou parce que son talent embrouillé aurait Cf. Journaux Intimes, août 1815. Cf. Des journalistes et des journaux, op. cit. ; Notice historique et bibliographique des journaux, op. cit.; L. Tiessé, M. Etienne. Essai biographique et littéraire, Paris 1853; E. Hatin, Bibliographie historique et critique de la presse périodique française, Paris, 1866. 16 Cf. Jay, Jouy, Norvins, Arnault et d'autres collaborateurs Biographie ' nouvelle des contemporains, Paris, 1820-1825, 20 vol., in-8°. 17 Cf. Journaux Intimes, 28 juin 1814. Le Il août 1815, Benjamin dîne avec Dufresne et Victor de Broglie. 14
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épuisé la patience des abonnés, ou tout simplement pour de banales questions d'argent 18. Avant de fonder l'Indépendant, acquis selon Hatin à Fouché, Jay a cu quelque expérience des journaux par les résumés de la presse anglaise qu'il a faits pour Savary et grâce à sa nomination par Bonaparte à la direction du journal de Paris lU. Jouy s'est fait surtout valoir comme observateur des mœurs contemporaines. La vaste audience que les Hermites lui ont acquise a été de nature à attirer au recueil la faveur du public ~o. Pierre de Lacretelle que Benjamin Constant aurait connu sous l'Empire, a collaboré à l'ancien Mercure. Si la vocation journalistique de Lacretelle ainé - suffixe destiné à le distinguer de son frère Charles - a tardé à se déclarer, elle a eu pour compensation la réputation de légiste et la qualité d'académicien du nouveau rédacteur ~I. Cette qualité n'est pas à dédaigner pour la prospérité d'un recueil sous des régimes qui ont toujours dirigé les énergies bien méritantes vers les institutions officielles. Lacretelle a été académicien dès 1803, Etienne depuis 1810 et de nouveau, après son exclusion en 1816, en 1829; Aignan l'est depuis 1814, Jouy depuis 1815, Jay le deviendra en 1832 et Tissot en 1833 "2. Ce n'est pas faute de l'avoir désiré que Benjamin Constant ne figurera pas parmi les quarante 23. Tissot non plus n'est pas novice en matière de presse, ayant surveillé en 1810, sur la demande du césarien Savary, la rédaction de la Gazette de France 24. Si Aignan n'offre pas d'antécédents de journaliste, il peut assumer non sans talent, avec Jay, Tissot et Jouy, les examens des questions littéraires et les prospections de l'histoire appliquée 25. Evariste Dumoulin s'est initié aux secrets de la presse en 1811, en collaboration avec Maiseau ct Bellemare, par la rédaction du Messager des chambres et du Constitutiollnel 26 • Etienne s'est acquis les titres de noblesse de la presse grâce à la direction du journal de l'Empire et à sa collaboration littéraire assez étendue à la même feuille - le journal des Débats sous la Restauration 27. 18 Cf. Vapereau, Dictionnaire universel des littérateurs. Joseph-Alphonse, lrère aîné et agent légitimiste, est cité par les contemporains comme auteur du poème /u Navigation, d. Las Cases, Le Mémorial de Sainte-Hélène, éd. de la Pléiade, Paris, 1959, 2 vol. 19 Cf. Michaud, Biographie universelle. 20 Cl. ibid. et infra, Ch. VI, Propagande et faits divers; v. également, CI. Pichois, POlir IIne biographie d'Etienne Jou)', in Revue des sciences humaines, 1965, lasc. 118, et Phi/arète Chaste et ta vie littéraire au temps du romantisme, Paris, 1%5, 2 vol., vol. l, p. 135 sq. ~1 Cf. Michaud. ~~ Cl. Ph. Gonnard, Benjamin Constant et le groupe de la Minerve, in Revue bleue, 1913. 23 Pour les candidatures malencontreuses de Benjamin, cf. G. Rudler, U'I clzapitre de la tragi-comédie académique, in Bibliothèque universelle et revue suisse, 1920, t. 9S. ~~ Cf. Michaud. "5 Cf. ibid. !!t1 Cf. ibid. 27 Cf. ibid. et L. Thiessé, op. cit.
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Bénaben peut être considéré comme un collaborateur· actif du Mercure et de la Minerve, y assumant respectivement, la rubrique de la Revue des nouvelles de la semaine et des Essais historiques, et, à l'occasion, des comptes rendus parlementaires. Il faut croire que dès son concours à ces recueils sinon avant, il s'est fait l'agent de la Police, méthode particulièrement affectionnée par Elie Decazes. Les rédacteurs de la Minerve mettront du temps pour s'en apercevoir, mais toujours est-il que le peu scrupuleux Bénaben disparaîtra des colonnes du recueil vers le 19 avril 1818 pour reparaître peu après dans son Modérateur 28. Les manuels biographiques gardent un silence obstiné à l'endroit de Martial Sauquaire-Souligné, autre collaborateur du Mercure. Barbier et Quérard indiquent bon nombre de ses opuscules politiques, d'éclification populaire, dont les Trois règnes de l'histoire d'Angleterre qui lui vaudront une fine analyse de la part de Benjamin Constant. On trouvera Sauquaire-Souligné en 1821 à la Conciergerie pour tentative d'insurrection dans la Sarthe, et durant les années 1826-1827 en Angleterre, où il aurait proposé à Canning une sorte de condominium anglo-français sur l'Algérie. Retenons encore de la maigre leçon des bibliographes son opposition à la tyrannie napoléonienne 2U. Chargé de la Mercuriale du recueil qui a remplacé le Carton du Mercure, Sauquaire s'y fera remarquer comme polémiste incisif, plein d'esprit et de mordant, annonçant à bien des égards les Lettres politiques d'Etienne Sur Paris ainsi que la Galerie littéraire et politique d'Aignan. Ce serait la raison pour laquelle Sauquaire, dès l'admission à la rédaction de la Minerve de ces nouveaux collaborateurs, aurait quitté le périodique. Nous ne le retrouverons qu'en 1819, collaborant à la Renommée et à la Revue encyclopédique 30. La postérité a mieux gardé le souvenir du général Beauvais, qui, démissionnaire en pleine expédition d'Egypte, retenu ensuite pendant dix-huit mois dans les prisons turques, ne reprendra du service auprès du Maître vindicatif qu'en 1809. Le commandement de Bayonne qu'il assuma durant les Cent-Jours lui vaudra à la seconde Restauration la mise à la retraite. Ce sera toutefois une retraite fructueuse; il met en valeur les faits d'armes de la nouvelle France dans la collection volumineuse des Victoires et conquêtes des français, et commentera les ouvrages militaires dans les colonnes du Constitutionnel, du Mercure et de la Tribune 31. La désertion de Bénaben a nécessité son remplacement par un collaborateur susceptible de se charger des Essais historiques de la Minerve. Après une brève période de flottement, la mission sera dévolue à Saulnier 28 Cf. Michaud et Des Journalis/es et des journaux. Avant l'engagement de Bénaben par le Mercure, un certain T.P. devait assumer l'analyse de la politique intérieure, cf. M.d.F. Il, 12 avril 1817. 29 Cf. Quéranl, La France littéraire; Bourqüelot, La littérature française et le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. 30 Le Prospectus de la Renommée charge Sauquaire-Souligné des question;:; de politique générale. 31 Cf. Michaud, op. cit.
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fils, neveu de Lacretelle, qui, fonctionnaire de l'Empire, préfet pendant les C~nt- Jours et plus tard sous la monarchie de Juillet, sera connu par ses travaux politiques et administratifs et notamment par la Revue britannique qu'il fondera en 1825. C'est la politique intérieure et surtout extérieure qui sera son fief dans la Minerve 3~, à côté de Pagès, l'ami de Benjamin Constant, qui de plus en plus rédigera en entier les Essais historiques et les comptes rendus des sessions parlementaires que Constant, promu à sa nouvelle dignité de tribun, lui cédera. Pagès de l'Ariège s'est fait connaître en 1817 par ses Principes généraux du droit politique, en 1818 par De la responsabilité ministérielle et en 1818-1822 par son Nouveau manuel des notaires, concourant, en plus de sa collaboration à la Minerve, à la composition des Annales de la session de 1817 li 1818 de Benjamin Constant. C'est à Pagès également que reviendra le rôle important de rédiger la Renommée. Il se signalera encore comme journaliste dans les colonnes du Courrier français et du Constitufionne/ 33 • Il convient de souligner l'apport important aux Essais historiques de Harel, qui, tout jeune, a fourbi ses premières armes dans le Nain jaune et qui, fonctionnaire de l'Empire et préfet des Landes pendant les Cent-Jours, connaîtra à la seconde Restauration un exil de quatre ans à travers la Belgique, la Hollande et l'Allemagne. Les leUres du Correspondant anonyme de Francfort donneront du fil à retordre aux autorités policières de l'Allemagne et de l'Autriche, soucieuses de dévoiler l'identité du correspondant incommode, trop renseigné sur les différends opposant les Al1iés lors du Congrès d'Aix-la-Chapelle, trop initié à l'ambitieuse politique allemande de la Prusse et de l'Autriche. Dès le retour de Harel à Paris, le correspondant de Francfort disparaîtra pour aménager une nouvelle rubrique à la Minerve - Politique étrangère qui sombrera peu après avec le recueil, dans la tourmente suivant l'assassinat du duc de Berry. La suite de la carrière de Harel appartient davantage à l'histoire du théâtre 3~. Alexandre de Lameth, héros de la Guerre d'Indépendance des EtatsUnis et de la Révolution, auteur en 1828-1829 de l'Histoire de l'assemblée constituante, se fera remarquer par quelques articles d'inspiration libérale dans la Minerve 35 ainsi que Jacques de Norvins, émigré repenti, qui avait dû autrefois la vie à l'intervention de Germaine de Staël et le rétablissement de sa fortune à la faveur du Maître sinon de Joséphine. Admirateur de Napoléon, il se fera historien de la Révolution et de l'Empire 32 Cf. Michaud, op. cit. Certaines parties des Essais sont signées au début par l'initiale S. (le député?) alors que la signature S.F. réfère indubitablement à Saulnier fils. aa Cf. Firmin Didot, Nouvelle biographie générale; L. Lalanne, Dictionnaire historique de la France, Paris, 1872; j. Ageorges, Une famille française au XIX' siècle. Les Pagès et les Bordes-Pagès, Tourcoing, 1920. 3~ C'est la Biographie de jay et de jouy qui dévoile l'identité du correspondant de Francfort, en toute connaissance de cause; cf. également Michaud. 3;; Cf. Vapereau, Dictionnaire universel.
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et dirigera avec Jay, Jouy, Arnault et bien d'autres, la Nouvelle biographie des contemporains 36.
* ** Les rédacteurs et les collaborateurs des deux recueils représentent plusieurs générations. Lacretelle et Saint-Léon ont respectivement 38 et 37 ans lorsque la Révolution éclate. Le premier est juriste pénétré de la toute-puissance des lois, adepte enthousiaste de la réforme de la législation pénale, élève des Economistes et des Philosophes qu'il a fréquentés dans le sillage de Turgot, de Malesherbes et de la Décade philosophique 37, membre de la Législative, courageux défenseur de la royauté constitutionnelle et admirateur des Etats-Unis. Comme la plupart de ses contemporains, il a vu un moment en Bonaparte un nouveau Washington, il a même fait partie du Corps législatif, mais comme plusieurs de sa génération, il est vite désenchanté et trouve sa raison d'être dans l'activité de l'Institut. Le cas de Saint-Léon n'est pas tout à fait semblable. Administrateur, il est acquis aux idées de Necker et la Constitution de 91 semble avoir conquis son adhésion. Sous l'Empire, il vit à l'écart et sauf quelques missions qu'il a remplies sous la Restauration, on ne lui connaît pas de grande activité. Il est davantage marqué par le goût littéraire du dix-huitième siècle, joignant au charme d'un philosophisme libéral le parfum vétuste des choses révolues. Les Essais et les Mélanges de Lacretelle portent aussi la marque du Siècle des Lumières, sans l'esprit ni la facilité des grands prédécesseurs. Tous les deux incarnent la tradition bien déclinante du dix-huitième siècle. Tous les deux ont tant bien que mal et plutôt mal vécu l'expérience révolutionnaire et impériale, mais la veille et le début de la Révolution incarnent pour eux le rêve nostalgique d'un idéal de pensée et de vie que leurs souvenirs dégageront sous la Restauration. Lameth a, en 1789,29 ans, Constant 22, Tissot 21, Jouy 20, Norvins également 20 et Jay 19 ans. La Guerre d'Indépendance américaine que Lameth avait faite avec ses aînés, n'a pas été sans marquer son libéralisme sous la Révolution. Il quitte la France avec La Fayette après le 10 août et connaît avec lui la prison autrichienne. Le Consulat et l'Empire le voient préfet et la Restauration dans l'opposition. C'est le cas aussi de Norvins, autre noble, qui, ayant souffert sous la Révolution, a parcouru le chemin impérial pour aboutir au libéralisme. On connaît le cas de Benjamin Constant. Il ne devait rien aux Bourbons, pas davantage durant son « idylle» avec Germaine de Staël à Bonaparte, et moins encore pour sa nomination de Conseiller des Cent-Jours. Tissot, à l'exemple de Lacretelle, a fait son stage de droit, tout en cultivant les lettres, mais, à l'encontre de son aîné, s'il a souffert sous la Révolution, cela a été pour ses idées républicaines. Somme toute, l'époque révolutionnaire lui a procuré des emplois et l'ère impériale une sinécure appréciable ainsi que la suppléance de Delille comme professeur de poésie 36 37
Cf. Mil:haud. Sur la Décade, cf.
J. Kitchin,
La Décade (/794-1807), Paris, 1965.
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latine au Collège de France et la titularisation de sa chaire en 1813, Le voltairien Jouy a vécu une vie romanesque aux Indes et très agitée, comme militaire, sous la Révolution. La fortune littéraire de Jouy au triple titre de compositeur d'opéras, de dramaturge et de moraliste a été faite sous le Consulat et l'Empire. Jaya eu aussi une expérience captivante de jeunesse, mais aux Etats-Unis d'Amérique où il se lia avec les dirigeants des jeunes républiques, notamment avec Jefferson qu'i! avait connu il Paris. La formation de juriste et de lettré de Jay l'a préparé à adopter l'idéal démocratique du nouveau Monde. Le préceptorat des enfants de Fouché lui ouvre bien des portes sous l'Empire et ses écrits littéraires et historiques comme ses leçons à Athénée doivent leur succès aux Idéologues. Le général Beauvais et Esménard ont 17 ans, Aignan 16, Bénaben 15, DUl1loulin 13 et Etienne 12 ans en 1789. Leur carrière s'est entièrement faite sous les auspices de la nouvelle France. Beauvais et Esménard sont officiers sous l'Empire, Bénaben dans l'administration militaire, Evariste est avocat, Aignan, avocat de formation, est affecté sous le Consulat à l'administration, au Palais et, plus tard, au Protocole, aux côtés de Ségur. La carrière littéraire et dramatique d'Aignan ainsi que son élection à l'Académie en 1814 sont le fait de l'Empire. C'est également le cas d'Etienne dont les débuts grisâtres dans les fournitures militaires seront vite effacés par les succès éclatants du compositeur d'opéras et de pièces de théâtre ainsi que par sa carriére officielle de surveillant de la pres~e et d'académicien. Pagès a 5 ans en 1789, Saulnier fils et Harel sont nés en 1790. Pagès est avocat et procureur sous l'Empire; Saulnier et Harel bénéficieront d'une carrière administrative rapide. Pagès paiera son adhésion aux Cent-Jours par une détention et Harel par un bannissement. La formation des rédacteurs et des collaborateurs des deux recueils a été faite selon les recettes du dix-huitième siècle finissant, avec, comme appoint considérable, une expérience révolutionnaire plus ou moins angoissante et une leçon impériale variée selon leurs fortunes particulières. Tous ont été plus ou moins lésés dans leurs intérêts et dans leurs affections lors de la première Restauration et bien davantage lors de la seconde. Le retour des Bourbons ne peut représenter pour ces hommes dans le meilleur des cas qu'une transaction aléatoire, en attendant que le compromis imposé par la force des choses se prononce dans le sens des prospérités bourgeoises post-révolutionnaires ou s'aligne sur la direction périlleuse des passions réactionnaires de la droite.
*** L'cntcnte entre les rédacteurs est faite de mécontentement et d'attente. Elle a pour idéologie le libéralisme. C'est une doctrine déjà définie dans ses principes par Benjamin Constant et dont l'élaboration et l'application partielle, toujours sous l'inspiration constantienne, se feront durant l'affrontement avec le pouvoir et surtout avec les ultras. Que la Philo-
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sophie et l'Idéologie aient abouti au libéralisme individualiste semble être une conséquence naturelle d'une évolution intellectuelle qui, prenant l'homme pour critère, lui a conféré toutes les finalités matérielles et spirituelles. L'intellectuel bourgeois de 1817 aura vite fait d'identifier sa cause avec celle de la Cité. Ce qui prime pour lui, c'est l'infléchissement du pouvoir vers les libertés et les avantages que la Révolution n'a pas su conserver et que l'Empire a déviés au profit d'une ambition de pouvoir et une soif de conquêtes démesurées. L'accord entre les publicistes du Mercure et de la Minerve est avant tout et surtout politique. C'est là qu'il faudrait chercher le sens de leur credo libéral, de leurs luttes comme de leurs interprétations et transpositions. L'accord des rédacteurs sur le plan politique est trop entier pour que l'isolement du fait littéraire permette de voir clair dans l'évolution intellectuelle de cette génération. Une optique aussi partielle risque de fausser l'esthéti~ue d'une équipe dont l'engagement partisan dans les questions complexes de l'époque affaiblit la portée des faits littéraires et artistiques pris isolément. Dépouillé de ses rapports étroits avec la science du pouvoir et des prolongements de celle-ci, le fait littéraire tel qu'il se définit dans le Mercure et la Minerve est vidé de son sens 38. Non que la littérature occupe une place négligeable dans les recueils et qu'elle soit dépréciée par les rédacteurs. Bien au contraire, elle est mise en valeur par des écrivains dont bon nombre se sont fait estimer par elle. Jouy, Jay, Aignan, Tissot et Etienne sont, sinon des célébrités littéraires, du moins des écrivains réputés. Benjamin Constant s'est fait surtout connaître comme publiciste, mais son adaptation de Wallstein, précédée De quelques réflexions sur le théâtre allemand et bientôt Adolphe le classeront également parmi les littérateurs. Négligeons les Essais pédants de Lacretelle, mais soulignons le succès étonnant qui a accompagné les opéras de Jouy, la Vestale (1807), Fernand Cortès (1809), les Abencérages (1813) ainsi que ses tragédies, Tippoo Saïb (1813) et Bélisaire (1818), interdit par la censure. A côté d'un bagage considérable de nouvelles, d'opéras, de tragédies et de comédies, Jouy s'est fait surtout remarquer par toute une lignée d'Hermites qui ont sillonné les routes de la capitale et de la province pour retracer les mœurs contemporaines. Jouy incarne si l'on veut le prolongement de l'esprit voltairien, plus étroit et plus figé, qui se révèle dans la régularité et la facilité de versification de ses pièces avec, ici et là, un certain sens de la grandeur tragique, un instinct scénique pour le décor, de l'esprit dans ses scènes comiques et de la fantaisie dans ses vaudevilles. C'est une facilité qui se veut supérieure et qui ne laisse pas d'être superficielle, bien qu'elle soit compensée par une plume alerte et ironique. Cet esprit volontiers sec n'a pas empêché, peut-être même a-t-il aidé Jouy à succéder à Parny à 38 C'est là peut-être le reproche qu'on puisse faire au travail de pionnier de Ch. Des Granges, La presse littéraire sous la Res/auration, à l'analyse finI! de Ph. Gonnard, Benjamin Constant et le groupe littéraire de la Minerve, art. cit. et aux thèses sommaires de D. Svetozar Petrie, Benjamin Constant et le groupe de la Minerve, Paris, 1927, et d'E. Shumway, A study of the Minerve française, University of Pennsylvania, 1934.
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l'Académie. Si la netteté et la clarté sont voltairiennes, Jay peut être assimilé à jouy, mais il y joint les qualités solides du critique et une pensée qui va au delà des apparences, sauf lorsqu'il s'agit du mythe américain. Le Tableau littéraire du XVlIJ e siècle que jay a composé pour le concours ouvert en 1806 par la classe de littérature de l'Institut et qu'il publiera en 1810, son Eloge de Corneille (1808) et l'Eloge de Montaigne (1812), son Glaneur, recueil philosophique et humoristique publié la même année, son Histoire du cardinal de Richelieu (1815) comme d'autres études d'histoire et de politique témoignent tous d'une formation littéraire sérieuse et d'un discernement qui fait souvent défaut à jouy. Aignan est peut être moins marqué que ses aînés par l'héritage du dix-huitième siècle, mais la connaissance de l'antiquité et des littératures étrangères lui a donné plus qu'à eux une ouverture d'esprit et une attitude modérée en matière d'esthétique. Fin lettré, il essaie de se faire un nom comme jouy et Etienne au théâtre par des pièces aux thèmes contemporains, la Mort de Louis XVI - composée quelque temps après l'exécution du roi -, antiques, Polyxène (1804) ou moyenâgeux, Brunehaut (1811) et Arthur de Bretagne (1816) dont l'échec s'explique par le manque d'imagination et d'invention. Aignan se signale également par la traduction des romans an gais, des pièces de théâtre et surtout t>ar celle de l'Iliade et de l'Odyssée, activité qui se complète et s'enrichit par des écrits d'ordre juridique et historique. Tissot, par ses études sur Virgile, s'apparente à Aignan pour la connaissance de l'antiquité et à jay et jouy pour la fidélité au dix-huitième siècle. Professeur de poésie latine, rimeur à ses heures, il se fera après 1820 auteur d'ouvrages de littérature et d'histoire. Etienne, enfin, figure au premier rang des littérateurs de cette pléiade, bien que sa collaboration à la Minerve, à la différence de sa collaboration au journal des Débats, soit essentieHement politique. Il s'est fait connaître par des bouffonneries, les Dieux à Tivoli (1800), des pièces de circonstance, Une journée au camp de Bruges (1804), des opéras, Le Rêve (1799) et Le grand Deuil, des folies-vaudevilles, l'Apollon du Belvédère (1800), ou des vaudevilles, Désirée (1801), Bruëis et Palaprat (1807), l'Intrigante (1813). La pauvreté de l'invention, la banalité des thèmes comme de l'intrigue acquièrent plus de consistance dans des œuvres inspirées de Shakespeare, la jeune Femme colère (1804), de Voltaire, jeannot et Colin (1814), de Perrault, Cendrillon (1810). Si sa comédie des Deux Gendres fait preuve d'une tentative de rejoindre le grand comique de Molière, et lui vaut, en 1810, un grand succès au Théâtre-Français et l'accès à l'Institut, eHe suscitera également une des polémiques les plus acharnées de l'Empire, mettant en doute la bonne foi de l'auteur, accusé de plagiat. C'est un débat au cours duquel Lebrun-Tossa, l'ami de l'écrivain, qui a fourni à celui-ci un texte peu connu, inspirant les Deux Gendres, aurait joué un rôle équivoque 39. Dramaturge, Etienne se fait parfois historien du théâtre et publie en 1802, en collaboration avec Martinville - futur journaliste et rédacteur ultra l'Histoire du théâtre français, depuis le commencement de la Révolution 3D
Jay et Jouy ont pris le parti d'Etienne dans cette polémique.
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jusqu'à la réunion générale. Dans l'ensemble, Etienne, dont nous n'avons cité qu'une partie de sa production souvent écrite en collaboration avec d'autres dramaturges et compositeurs, procédé que Jouy a utilisé largement, représente lui aussi cette tradition du dix-huitième siècle finissant qui a encore ses moments de grandeur sous l'Empire. Que bon nombre des rédacteurs principaux soient des littérateurs témoigne de l'esprit des recueils et constitue une promesse pour la place qui sera réservée aux productions autres que politiques et historiques. D'ailleurs, l'appel fait à de nombreux collaborateurs confirme le désir des rédacteurs de reprendre la tradition du Mercure et de faire la part belle aux choses de l'esprit. Parmi les poètes dont la signature orne les colonnes du Mercure et de la Minerve figurent les noms de Béranger, d'Andrieux, de Mlle Desbordes, d'Emile Deschamps, de Gosse, de Mme Dufrénoy, célébrité poétique de l'époque et, fait important, bellemère de Jay 40, et d'Henri de Latouche 41. Les Annales dramatiques jouissent d'un traitement privilégié dans le Mercure,. moins étendu dans la Minerve. Les Annales sont le fruit dans le Mercure d'un certain L. F. et d'un 0. 42 , anonymat qui recouvrirait l'identité de Lefebvre-Duruflé ancien rédacteur du Nain jaune et administrateur du Mercure - ou du journaliste Léon Faucher et de Villemarest, futur collaborateur pour les Spectacles de la Renommée 43 et amateur comme Latouche de sigles mystérieux pour protéger un nom peu connu. Si le O. du Mercure et de la Minerve correspond au nom de Villemarest - probabilité qui reste encore à prouver -, les initiales D. L. apposées sur une partie de la chronique dramatique de la Minerve appartiennent sans doute à Latouche. Nouvelle recrue de la Minerve, à peine revenu de son exil, Arnault aura à peine le temps de remplacer Latouche, Tissot et d'autres collaborateurs de la rubrique dramatique du receuil, à cause de la vague réactionnaire du nouveau ministère Richelieu qui emportera la Minerve 44. Même les énigmes, charades et logogriphes ont leurs approvisionneurs en titre, RemiLabitte et l'aveugle Roques de Montauban, et un défenseur du genre sous le nom de Louis Dubois. Que la romancière Elisabeth de Bon gratifie le Mercure d'une série de lettres insipides sur le roman - sous l'initiale Z. - n'a rien d'étonnant, vu le privilège qu'elle détient. Les Salons de 1817 et de 1819 ont également leurs commentateurs. Si le M,ercure a confié cette mission à un Amateur anonyme - probablement 40 Cf. Aignan, éloge de l'œuvre poétique et des talents pédagogiques de Mme Dufrénoy, Galerie [ ... ]. M. VI (13), fin juillet 1819. 41 Pour plus de détails sur le concours des rédacteurs et des collaborateur" cf. le Répertoire des Collaborateurs. 42 Une note du Mercure avertit les lecteurs que les Annales ne porteront désormais plus de signature, étant donné qu'elles ne sont pas écrites par un seul collaborateur, M.d.F. l, 22 mars 1817. 43 Cf. le Prospectus de la Renommée et Michaud. Signalons que Pierre Lebrun a fourni un c.r. de Germanicus d'Arnault, M.d.F. l, 29 mars 1817, collaboration attestée par Jouy dans un c.r. de la même pièce, M.d.F. Il, 10 mai. 44 Cf. l'annonce de la collaboration d'Arnault, à partir de février, Dumoulin, M. VIII (II), 15 janv. et Arnault, c.r. de Marie Stuart de Lebrun, M. IX (7), 17 mars 1820.
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Juuy -, la Minerve ne fait plus mystère de l'identité de son critique d'art. Avant de disparaître, elle fera appel à Miel, réputé pour ses connaissances en art et en musique, collaborateur dans ce domaine de plusieurs journaux et qui a établi son autorité grâce à l'Essai sur les beaux-arts, publié en 1817 45. L'enseignement mutuel a trouvé dans Montègre, médecin et collaborateur du Dictionnaire des sciences médicales, un chaud partisan dont la carrière sera brutalement arrêtée par la fièvre jaune qu'il étudiait à Port-au-Prince 46. Que le Mercure et la Minerve soient dominés par les préoccupations politiques des rédacteurs est un fait qui se révèle dès la publication du Prospectus du premier recueil. Les rédacteurs se proposent d'offrir au public « un tableau politique et littéraire [ ... ] mais, un tableau suivi, pro!~r~~~i f, régulil'rement ordonné dans toutes ses parties et dans lequel, à dater du 1er janvier 1817, on puisse retrouver quel était à chaque époque l'état des lumières, des doctrines d'organisation sociale, de la législation et de la littérature 47 ». Dès la reprise du Mercure, Jouy tient aussi, entre plusieurs platitudes et la recommandation des gloires impériales, à insister sur l'identification de la civilisation avec l'industrie et le commerce 48. Benj amin Constant, dont le Prospectus porte le cachet, annonce aux lecteurs que le recueil aura deux parties majeures, politique et littérairescientifique. La politique portera sur l'état de l'Europe et de la France, ayant en vue l'évolution institutionnelle des différents pays vers un type de régime parlementaire et la sauvegarde des libertés, définies par la Charte et consacrées par Louis XVIII. Déjà dans le Prospectus, Benjamin Constant indique les élèments prometteurs, â côté des facteurs inquiétants, qui en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas et en Angleterre, engagent une telle évolution. Constant tiendra même à réparer l'erreur commise dans le Prospectus - oubli signalé par un lecteur - et à parler en premier lieu de la Russie dans son Tableau politique de l'Europe, revue sOlllmaire qu'il mcnera de front avec l'analyse des sessions parlementaires 411. Il dit ausi la détermination des rédacteurs quant à la politique intérieure de la France de s'en tenir à la lettre comme à l'esprit de la Charte. La constitutionnalité est la bannière sous laquelle les rédacteurs se rangent dès leur entrée en scène, attachant une importance capitale aux sessions parlementaires et aux ouvrages traitant des questions politiques, financières et administratives. La partie consacrée à la littérature, aux sciences et aux arts, comportera elle aussi une division réservée à la littérature étrangère et une autre aux œuvres nationales. L'allemagne et l'Angleterre fixeront tout particulièrement l'attention des rédacteurs, «l'une parce qu'elle est toute en 4;; 40;
Cf. MichauJ. Cf. Jouy, Notice nécrologique, M. IV (9), 30 déc. 1818 et la Nouvelle
biographie générale. 40 Prospectus, p. 3. 4B Cf. Jouy, AlerC1lrc aux nouveaux rédacteurs de son journal, M.d.F. J,
4 janv. 1817. 4" Cf. Correspondance, M.d.F. l, 4 janv. 1817, p. 38-39 et B. Constant, Tahleau [ ... ], 18 janv., p. ID·!'
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croissance; l'autre, parce qu'arrivée à sa maturité, elle penche vers son déclin 50 ». Toutefois, cette « croissance» de la littérature allemande ne devrait pas faire oublier les dangers que font courrir les adeptes de l'école d'Outre-Rhin - mise en garde discrète contre les exagérations de Schlegel et de Villers - à l'héritage littéraire de la France. «Nous montrerons, dans la poésie les Allemands pleins d'imagination, de verve, quelquefois de sensibilité, mais se prescrivant fréquemment la bizarrerie, s'imposant même le mauvais goût, et se commandant comme une règle, le mépris des règles "1.» Investigateurs tenaces dans leurs recherches sérieuses, les savants allemands pèchent par un manque de discernement flagrant, étouffant l'idée essentielle par une multitude de faits qu'ils mettent en valeur. Au contraire, la littérature anglaise est trop éprise d'applications immédiates et trop dédaigneuse d'idées générales. Il est fort incertain que l'avenir immédiat assiste à l'éGlosion d'ouvrages rappelant ceux de Robertson, de Gibbon et de Hume. Cependant, le Mercure pourra porter ici et là son intérêt aux poèmes descriptifs dont la valeur de certains compense la décadence littéraire qu'ils impliquent par définition. Toute œuvre remarquable sur le plan national arrêtera l'attention des rédacteurs, mais une section entière sera consacrée à l'art dramatique. Benj amin Constant se croit cependant tenu à ménager les susceptibilités des adeptes fervents d'une esthétique figée, tout en les rappelant à l'ordre: «défenseurs des saines doctrines littéraires, admirateurs passionnés des grands modèles, nous ne répéterons cependant pas sans cesse, qu'en tout genre la lice est fermée; qu'il ne faut plus faire de comédie après Molière; qu'on ne peut sans un intolérable orgueil, se hasarder dans la carrière où Corneille, Racine et Voltaire se sont illustrés 52. » La poésie comme les annales dramatiques figurera dans les colonnes du Mercure, mais avec «sobriété », «pour ramener parmi les lecteurs le sentiment de la poésie, qui paraît s'éteindre de jour en jour 53 ». Ces idées constantiennes ont été consignées dans les Réflexions qui précèdent Wallstein 54 et dans les Journaux Intimes. Elles auront encore des résonances dans le recueil à la suite de l'article de Benjamin Constant, Du théâtre français et du théâtre étranger 65, auquel Jay s'empressera de donner la réplique 56. Mais ce qu'il faut souligner d'ores et déjà, c'est que les promesses littéraires du Prospectus, du moins quant à la partie étrangère seront insuffisamment remplies, et que somme toute la politique et les transpositions de celle-ci seront appelées de plus en plus à avoir dans le recueil la part du lion. Le Prospectus de la Minerve permet de mesurer le chemin parcouru par les rédacteurs dans leur projet de renforcer les éléments politiques et sociaux de leur hebdomadaire. 50 51 52
53 54 lm
56
Prospectus, p. 6. Ibid. Ibid., p. 7. Ibid., p. 8. Cf. l'éd. de J.-R. Derré, Paris, 1965. Cf. M.d.F. IV, 13 déc. 1817. Cf. ibid., 20 déc. 1817.
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Un recueil hebdomadaire se doit d'aménager des rubriques attrayantes pour le lecteur d'autant plus que sa périodicité risque d'ouvrir la voie à des dissertations pédantes, danger particulièrement grave à une époque où la presse se distingue encore mal par sa qualité des ouvrages plus volumineux. La voie est tracée d'avance au Mercure ressuscité. Les rédacteurs ont même intérêt à s'inspirer du modèle auquel étaient habitués les anciens abonnés du vénérable recueil. Ainsi, dans les cahiers du MerCllre, en 1816, on trouve des rubriques réservées à la poésie, aux énigmes, charades et logogriphes, à la littérature et aux arts, à des mélanges, aux spectacles, aux nouvelles politiques, intérieures et extérieures. Parfois des mercuriales, des lettres inédites d'auteurs réputés, des dialogues des morts, des nouvelles et des bulletins des sciences et des arts y sont insérés. Après un bref tâtonnement, la nouvelle rédaction déterminera un ordre de répartition, fixe et souple à la fois, débutant par des poésies, des traductions et des adaptations, fournissant à ses lecteurs la dose hebdomadaire d'énigmes, charades et logogriphes, enrichis parfois par des acrostiches, et passant ensuite à des comptes rendus d'ouvrages de tous les domaines, sous le titre de nouvelles littéraires. La rubrique variétés contient des lettres inédites, des nouvelles, des considérations de tout genre. A mi-chemin des nouvelles littéraires et des variétés figurent parfois des pensées détachées. Il est rare que les pérégrinations de l'Ermite de la Guyane n'occupent une place voyante dans les cahiers. Un bachelier de Salamanque - pâle rappel de celui de Prévost ùéveloppera ses inepties espagnoles, probablement sous l'égide d'Esménard 57. Un carton du Mercure, remplacé par la suite par une mercuriale permettra à Sauquaire-Souligné d'avoir les coudées libres pour des appréciations politico-littéraires. A l'occasion des Salons, les Beaux-Arts prennent leur place dans la critique du recueil ainsi que les comptes rendus des séances académiques. Les annales dramatiques occupent toujours un rang honorable dans le Mercure. La politique se c()n~acre d'abord, sous la plume de Constant, à l'activité des Chambres et à la revue de la situation européenne et elle finira par céder la place à Bénaben qui, sous la rubrique revue des nouvelles de la semaine, fournira des renseignements d'ordre politique, économique et anecdotique sur le plan français et européen, doublés des comptes rendus des sessions parlementaires. Des articles nécrologiques lors du décès des personnalités ùe marque s'insèrent avant ou après la rubrique politique. Les annonces et notices des librairies terminent en règle générale la matière des cahiers, à moins que des listes de souscription ne les précèdent. La même répartition est plus ou moins conservée dans la Minerve: poésie, nOl/velles littéraires, galerie littéraire et politique, l'Ermite en province, variétés, lettres sur les spectacles et essais historiques, comprenant la série des lettres du Correspondant de Francfort, inaugurées le 5 août 1818 dans le troisième volume, et, à de rares occasions, celles des correspondants de Russie, d'Italie et d'Espagne. Aux Essais se join-
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Fait que la brochure Des journalistes et des journaux lui reprochera.
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dront les comptes rendus des sessions parlementaires et plus tard les notes historiques de Dumoulin et la politique étrangère, confiée à Harel. Ici et là, la rubrique tribunaux relatera les procès en vue et la correspondance des lecteurs, suivant le succès remarquable du recueil, prendra un développement important. DumouIin se constituera même, pour combattre les ultras et le pouvoir, surtout lors des élections, une rubrique consacrée à la correspondance des départemens. Des annonces et notices figureront irrégulièrement à la fin des cahiers. Les listes pour les souscriptions lancées par les rédacteurs prendront des dimensions importantes au point de nécessiter des suppléments. Cependant, la tonalité de la Minerve accuse certaines différences par rapport au Mercure. La muse poétique se raréfie dans la Minerve et disparaît parfois pour revenir avec Béranger sous une forme politique bien transparente. Les énigmes et leur déchiffrement ne figurent plus dans les colonnes du recueil à partir du 10 juin 1818. Selon la gravité de la situation politique, et c'est notamment le cas des derniers volumes, des articles politiques ouvriront les cahiers. Les Lettres d'Etienne sur Paris figureront dès le deuxième cahier et atteindront le chiffre rond de cent numéros. Les périples de l'Ermite connaîtront quelque éclipse et les derniers volumes bénéficieront de ses Dialogues des vivans et des morts. La collaboration suivie en articles du Dumoulin ne commence que le 16 avril, la correspondance des départemens le 5 juin et les notes historiques pas avant le début de septembre 1819, mais ce fait ne prouve aucunement qu'il n'ait eu un rôle plus actif dans la rédaction comme le laisseront croire les dernières Notes historiques qui, le 27 mars 1820, sonnent la fin du recueil et le notifient aux abonnés. L'élection de Benjamin Constant par la Sarthe à la Chambre, le 25 mars 1819, mettra fin à ses annales parlementaires, fâche qui sera dévolue à Pagès 58, carence que le député compensera par des analyses d'ouvrages politiques, de nombreux articles lors de l'aggravation de la situation politique et surtout par ses Lettres sur les Cent-Jours, inaugurées dans le septième volume. Un receuil périodique sous la Restauration a l'avantage de varier l'emploi de ses rédacteurs. Jouy, Jay, Aignan et Tissot ont une formation d'« honnêtes hommes» qui leur permet de s'occuper de littérature, d'art, d'histoire, de législation et de politique. Toutes les avenues leur sont ouvertes, mais toutes sont imprégnées de l'actualité obsédante. Si Lacretelle voit le salut dans le retour à l'Institut, c'est que l'Institut s'inscrit dans une optique qui identifie le libéralisme avec le progrès et celui-ci avec l'évolution des sciences humaines. Benjamin Constant, Etienne, Pagès et Dumoulin ont dans la Minerve un rôle essentiellement politique, mais ce n'est certes pas faute de pouvoir se prononcer en matière de littérature et, à l'occasion, ils feront des incursions sur des terrains où ils ne s'aventurent pas d'habitude. Ce qui réunit tous les collaborateurs, c'est un credo politique que Benjamin Constant a élaboré avant de fonder le Mercure et qui s'éclaire et s'explicite dans les deux recueils
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Cf. Note des auteurs sur la Minerve, M. V (10), 10 avril 1819.
1:-;
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durant l'affrontement violent avec le~ partis et avec le pouvoir. L'autorité en matière de constitutions et de libertés de Benjamin Constant fait loi. Lor~ des crises aiguës, c'est lui qui semble définir la position du Mercure et de la Millerve et ses collègues ne font qu'abonder dans son sens, selon leur~ moyens. L'hommage qu'ils s'empressent de lui rendre lorsqu'ils commentent ses ouvrages et ses interventions à la Chambre le prouverait abondamment. D'après la lettre à Rosalie à la date du 3 mars 1817 ou, la part qui reviendrait à Benjamin Constant dans la rédaction du Mercure aurait été prépondérante, En est-il de même pour son rôle dans la Millerve? Les occupations fort accaparantcs de Benj amin Constant ne le laisseraient guère croire. 11 mène en marge du Mercure et de la Minerve une ;.!;rande activité de publiciste et procède à la réunion de ses écrits politiques cn un seul grand ouvrage. Les campagnes électorales de Benjamin Constant en 1817, 1818 et 1819 l'occupent et le préoccupent également. Par ailleurs, le renforcement de l'équipe du Mercure a amené nécessairement une répartition plus équitable des tâches. La Minerve, dès le remplacement de Bénaben, peut confier les chroniques politiques il Etienne, Saulnier fils, Pagès, Hard et Dumoulin. Benjamin Constant prend la plume aux grandes occasions. C'est un partage de travail d'autant plus nl'cessaire que Jay, Tissot, Dumoulin et Etienne ont leur Constitutionnel et que Benjamin Constant, Pagés, Jouy et Aignan auront leur Renommée il partir du 15 juin 1819. Faudrait-il voir dans le lancement de la Renommée le signe d'une discorde parmi les rédacteurs? Les publicistes à gages de Decazes n'ont pas manqué de semer de tels bruits. Déjà au début de novembre 1817, Sauquaire-Souligné a démenti les assertions de la Quotidienne quant à des divergences parmi les rédacteurs 60. Le 20 mai 1818, Etienne reproduira les nouvelles de la presse anglaise faisant état des dissensions des rédactcur~ pour les nier catégoriquement. Selon ces insinuations, Constant et Jouy, effrayés par la rigueur des condamnations des journalistes, auraient signifié à leurs collègues leur décision de ne plus écrire d'articles politiques 61. Le 5 juin 1819, Etienne reviendra à la charge pour donner le démenti aux bruits toujours persistants sur la 5éparation imminente des rédacteurs 62. Toujours est-il que Benjamin Constant multipliera ses articles politiques dans la Minerve à la suite de cette propagande malveillante. Il n'est pas sans intérêt de citer l'assertion d'Etienne sur le lI10de de travail des rédacteurs. «Les journaux franco-anglais peuvent-ils d'ailleurs ignorer que chaque article inséré dans la Minerve est avoué et adopté par tous ses auteurs? C'est la première déclaration qu'ils ont faite, et ils y persistent 6a.» Lacretelle, l'éditeur responsable de la Minerve, à la suite de l'instauration du régime
;'11
Cf. supra, n. (9).
" Cf. SS., M.d.F. 61 Cf. Etit:nne, n° 6~ Cf. Etienne, n° G3 Etienne, n° 12,
IV, 1"' nov. 1817. 12, M. II (3),20 mai 1818. 59, M. VI (5),5 juin 1819. p. 144; cf. également le Prospectus de la Minerve.
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libéral de la presse par de Serre, tiendra lui aussi à preciser la solidarité sans ombre de tous les rédacteurs. «Sous le régime précédent [de la presse 1 nous nous étions constitués collectivement et individuellement responsables de tout ce qui paraîtrait dans notre ouvrage. Cela nous avait conduit à établir entre nous une révision, par tous, sur les articles de chacun; ensorte [sic] que tout était examiné et quelquefois refait sous cette censure commune 64. » Aucun indice valable ne contredit les affirmations d'Etienne et de Lacretelle, dont la désignation comme éditeur a été probablement motivée par son âge et sa réputation d'honnêteté. La Minerve poursuivra sa carrière hebdomadaire avec les mêmes rédacteurs qui trouvent un champ d'action supplémentaire et bien rentable dans leurs deux quotidiens. La fondation de la Renommée s'expliquerait par le désir de renforcer les organes libèraux et aussi par l'ambition non moips plausible d'assurer à ses créateurs une source de revenus non négligeables. L'entente des collaborateurs de la Minerve paraît solide et l'on peut imaginer le rayonnement de Benjamin Constant dans leurs réunions fréquentes. Non qu'on ne puisse concevoir de graves dissensions parmi les collaborateurs, mais il faudrait les placer, selon toutes les apparences, à une date tardive, après l'assassinat du duc de Berry, lorsque le camp libéral aura épuisé tous ses moyens de résistance légale. Le Prospectus du Mercure a été vraisemblablement lancé avant le 1er janvier 1817 65 • Le premier numéro porte la date du 4 janvier et le dernier celle du 27 décembre, comprenant en tout 52 cahiers, de 3 feuilles chacun, contenant en moyenne une cinquantaine de pages in-8. Le 1er numéro indique comme directeur du recueil Lefebvre, probablement Lefebvre-Duruflé - et Bouet comme responsable des abonnements. Ces indications Ile figurent pas le 28 juin. Faudrait-il en conclure que Lefebvre et Bouet ne sont plus employés à partir de cette date ou que la rédaction préfère cacher son activité sous l'anonymat? Il n'est pas exclu d'ailleurs que d'autres collaborateurs aient concouru au travail administratif du recueil. Logée d'abord au n" 5 de la rue Ventadour, la rédaction regagne les locaux de l'ancien Mercure, situés au n° 14 de la rue des Poitevins 66. En changeant d'enseigne, le recueil remplace l'imprimeur Dubray par le fils du cé!èbre Panckoucke, pour assurer aux lecteurs une présentation typographique plus soignée. Les bureaux du Mercure sont ouverts tous les jours de 9 heures du matin à fi heures du soir. Les cahiers du recueil paraissent tous les samedis et les conditions de souscription sont semblables à celles des autres périodiques: 14 francs pour trois mois, 27 pour fi Illois et 50 pour l'année. Le succès du Mercure semble selon les dires des rédacteurs, à la date du 8 février, avoir dépassé leurs attentes, ear ils annoncent aux nouveaux abonnés la réimpression des numéros du
64
Lacretelle, L'éditeur responsable de la Minerve. Aux lecteurs de la Minerve,
M. VI (9), 5 juillet 1819, p. 397-398.
65 La réaction d'un lecteur du Prospectus, regrettant l'absence de la Russie dans la revue des états européens, est publiée dès le premier numéro. 66 Cf. l'Avis important, M.d.F. 1,8 fév. 1817.
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mois de janvier 67. La lettre de Benjamin à Rosalie du début de mars 1817, confirme la même impression, bien qu'elle atteste encore de la prudence expectative des rédacteurs qui ont décidé de s'interdire toute distribution gratuite des cahiers. Le témoignage de Saulnier dans la Minerve 68 et celui de Pasquier dans les Mémoires 69 corroborent la même constatation. Des témoignages isolés d'abonnés 70 ou les attaques de la Quotidienne et ses insinuations tendant à mettre en doute la bonne entente des rédacteurs 71 peuvent aussi servir de critère. L'appréciation élogieuse Des journalistes et des journaux, attribuant le succès du Mercure à Benjamin Constant et à Jouy va dans le même sens. Mais un indice plus probant nous est fourni par l'attitude du pouvoir. Trois textes de la Minerve éclairent la suppression du Mercure. Le Prospectus de la Minerve annonce à ses lecteurs que le privilège du Mercure a été enlevé aux rédacteurs, bien qu'ils aient respecté la loi les astreignant à la censure. « Cependant, le dernier numéro du Mercure a été arrêté à la poste. Pour quelle cause? Nous l'ignorons 72.» Rendant compte des œuvres d'Andrieux, au début de février 1818, dans le premier cahier de la Minerve, jay fournit un renseignement précieux. «j'ai annoncé dans l'Ancien Mercure, il y a environ quinze jours, l'édition des œuvres de M. Andrieux; c'est sous les auspices d'une autre divinité que je publie aujourd'hui la suite de mes observations. Après cent quatre-vingtdix-neuf années d'une existence pacifique, le Mercure, encore plein de vie et de santé, est mort subitement [ ... ] il avait résisté à Mme de Genlis, il a succombé sous Mme Elisabeth de Bon 73. » Le passage de jay est des plus clairs. Détentrice du privilège d'imprimer le Mercure, il a été facile à Mme de Bon d'y renoncer et de provoquer par là la mort subite du recueil. Il reste encore à trouver le prétexte du ministère qui lui aurait permis d'user de son influence auprès de la romancière. Saulnier, Saulnier fils ou un autre rédacteur se cachant sous la lettre S., révèle le mystère en rapportant la discussion de la Chambre relative au timbre imposé aux journaux. «Qui croirait que quelques lignes sur le Concordat, extraites d'une brochure qui se vendait publiquement et sous les yeux de l'autorité, aient suffi pour attirer sur le Mercure la foudre ministérielle, et pour détruire une propriété à laquelle plusieurs écrivains [ ... ] avaient dévoué les talens de leurs veilles 74. » 67 Cf. ibid. et les nO' des 1" et 15 mars 1817. Les cahiers 16 à 26 ont égaIement été vite épuisés, cf. Avis, M.d.F. III, 26 juillet. 68 Cf. S., M. 1 (12),23 avril 1818. 60 Cf. vol. l, p. 218. 70 Cf. Correspondance, M.d.F. Il, 12 avril 1817; désir du Mercure grec, imprimé à Vienne, de se mettre en rapport avec le Mercure, M.d.F. Ill, 2 août; demande de nouvelles rubriques, M.d.F. l, le, mars 1817 et M.d.F. Il, 26 avril. 71 POllT les attaques de la Quotidiene, M.d.F. 111,6 sept. 1817. 72 P. 3. 73 M. 1 (1), début fév. 1818, p. 13, cit. également par Des Granges, La presse littéraire SOIIS la Restauration, p. 63. Une note de la Minerve fournit quelques détails sur la romancière. 74 S., M. 1 (12), 23 avril 1818, p. 589.
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Il s'agit d'une brochure publiée par Jubé avec l'autorisation de la censure. On conçoit que Richelieu ait tenu à tout prix à faire aboutir l'accord avec le Saint-Siège, mais on comprend mal que la seule reproduction d'un extrait de l'écrit de Jubé ait suffi pour déterminer une telle réaction du ministère. On peut croire que le renforcement des positions libérales, tel qu'il s'est traduit par la campagne électorale de septembre 1817 et la pression des Alliés n'ont pas été étrangers au désir de Richelieu de voir le Mercure supprimé. Les Mémoires de Pasquier donnent quelques précisions, parfois erronées sur le recueil. «Le privilège ou plutôt la permission de paraître avait été accordée par M. Decazes, au commencement de 1817, à une femme de sa société qui avait associé à la rédaction MM. Etienne, Benjamin Constant, Jay, Tissot et plusieurs autres écrivains de même position [ ... ] 75.» 11 est manifeste que Pasquier confond quelque peu le Mercure et la Minerve en associant Etienne à la première entreprise. Toutefois sa mémoire ne le trompe pas quant au rôle de Mme Elisabeth de Bon. Parlant de la grande vogue du Mercure, Pasquier dit la prudence que les rédacteurs étaient tenus de pratiquer à l'endroit du pouvoir, mais que certains articles de la fin de l'année ont irrité Richelieu, mécontentement dû selon le mémorialiste, à la pression des Alliés. C'est la publication de l'extrait de Jubé qui aurait mis Richelieu au désespoir et c'est alors qu'il aurait signifié à Decazes la nécessité de l'interdiction 76. Richelieu avait tort de croire que la suppression du Mercure suffirait pour empêcher le recueil de reparaître sous un autre égide. Le dernier numéro du Mercure a été saisi à la fin de décembre 1817. Dès le lendemain de la saisie, les rédacteurs s'emploient fébrilement pour fonder la Minerve française. Ils l'annoncent à Decazes, ministre de la Police, à la date du 2 février 1818, au public vraisemblablement quelques jours après, dans le Prospectus joint au premier cahier et qui contient la lettre au ministre. La lettre est signée par Aignan, Evariste Dumoulin, Etienne, Jay, Jouy, Lacretelle et Tissot. Une note ajoute que Benjamin Constant, absent lors de la composition de la lettre, «déclare qu'il adhère à tout son contenu 77 ». Ce qu'il faudrait retenir de la leçon de la lettre et du Prospectus - en plus de la profession de foi qui y figure - c'est la décision des rédacteurs de tourner le régime de la presse par la publication des cahiers de la Minerve à des dates non déterminées d'avance. Il est vrai qu'on a fait planer sur les rédacteurs la menace de faire saisir le périodique à la poste 78. Mais avant la menace, les rédacteurs ont annoncé que 13 livraisons par trimestre, totalisant 52 cahiers par an remplaceront le Mercure 79. En recourant aux entrées du Journal général de la librairie, aux dates des lettres d'Etienne, le cas échéant à celles des listes de souscription 75 76 77 78 79
Vol. l, p. 218. Cf. ibid.
P. 7. Cf. ibid. Cf. ibid.
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pour le Champ cI'Asile ct à celles, enfin, des Notes historiques de Dumoulin, il nous a été possible de déterminer approximativement, à un ou deux jours près, les dates de publication des 113 cahiers de la Minerve 80. La Minerve conserve d'abord ses locaux de la rue des Poitevins et son imprimeur Panckoucke. Celui-ci sera remplacé par Fain au troisième cahier et Plassan succèdera au dernier à la date du 6 février 1820. L'Avis aux lecteurs du 1er cahier du deuxième volume, à la date du 6 mai 1818, indique une nouvelle adresse de la rédaction, au numéro 18 de la rue des Fossés-Saint-Germain-des-Près. Les avis indiquent également les bureaux du libraire de la Minerve, Eymery, situés au numéro 30 de la rue Mazarine, mais après la faillite de celui-ci, à partir du sixième volume, il ne figure plus dans les cahiers du recueil. Le nombre de pages des cahiers de la Minerve reste le même que celui du Mercure, sauf lorsque la campagne de souscription en faveur du Champ d'Asile oblige le recueil à >;()
Année 1818, vol. J : Cahiers 1°', 2, 3, 4 5,6, 7, 8 9, JO, n, 12, 13 Année 1818, vol. li : 14, 15, 16, 17 18, 19, 20, 21 22, 23, 24, 25, 26 Année 1818, vol. III: 27, 28, 29, 30 31, 32, 33, 34 35, 36, 37, 38, 39 Année 18/8-1819, l'al. IV: 40,4/, 42, 43 44, 45, 46, 47, 48 49, 50, 51, 52 Année 1819, vol. V: 53, 54, 55, 56 57, 58, 59, 60 6/, 62, 63, 64, 65 Année 18/9, vol. VI: 66, 67, 68, 69 70, 7/, 72, 73 74, 75, 76, 77, 78 Année 1819, vol. VIl : 79, 80, 81, 82 83, 84, 85, 86 87, 88, 89, 90, 91 Année 1819-1820, vol. VI/I : 92, !i3, 94, 95 96, 97, 98, 99 100, JOI, 102, 103, J04 Année 1820, 1'01. IX: lO5, 106, 107, 108 109, ]JO, Ill, 112, ]]3
Dates
22 et fin fév. 7, 13, 21 et fin mars. début, 12, 19, 23 et fin avril.
-l, Hi,
6, 1-1, 20 et 2·\ mai. dèbut, 10, 15 et 23 juin. début, 12, 15, 21 et fin juillet.
5, 15, 20 et fin août 8, 15, 20 et 27 sept. 3, 10, 15, 21 et 28 oct. 3, 13, 19, 28 nov.
6, 13, 9, 26 et 30 déc. 9, 14, 23 et fin janv. 1819.
5, 14, 19, 25 fév. début, 10, 17, 24 mars. 2, 10, 16, 20 et fin avril. 8, 17, 23 et fin mai. 5, Il, 20 et 27 juin. 5, 12, 18, 24 et fin juillet. 7, 15, 21 et fin août. début, 13, 19 et 25 sept. début, 10, 17, 23 et fin oct.
8, 14, 21 et 27 nov. début, 13, 20 et 27 déc. début, 9, 15,23 et fin janv. 1820. fi 13, 21 et fin fév.
5: 12, 17, 23 et 27 mars.
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ajouter des suppléments 81. Les noms des auteurs responsables figurent à la fin de chaque cahier. Les conditions d'abonnement n'ont pas varié d'un recueil à l'autre. Quel a été le succès de la Minerve? Des plus considérables s'il faut en juger d'après les' Déclarations des Imprimeurs, contenues dans le fichier F 18" des Archives Nationales 82. Ainsi, le tirage du 1er cahier est annoncé à 1.500 exemplaires, celui du 3e à 2.500, du 5" à 3.000, du 9" à 4.000, du 27" à 5.000, du 31° à 6.000, du 32" à 6.600, du 37" à 7.000, du 42" à 7.500, du 46" à 8.000 et du 49' à 10.000. Le tirage du 77" cahier connaît une baisse et ne marque que 9.000 exemplaires, celui du 93" au '113° 8.000 exemplaires. Plusieurs cahiers ont été réimprimés à un tirage de 1.000 exemplaires en moyenne. Il n'y a que le Conservateur qui puisse prétendre à un succès sinon égal du moins aussi impressionnant. Le tirage de la 1r" livraison est annoncé à 6.000 exemplaires, celui de la 18° à 7.000, de la go à 8.000 et de la 24' à 8.500. La 33" marque une baisse, 7.500 exemplaires; la 34' une augmentation et se chiffre par 8.000 contre 8.500 à la 35" livraison, 7.000 à la 42°, 8.000 à la 43", 7.000 de nouveau à la 44·, 7.500 à la 54" et 6.000 à partir de la 56· jusqu'à la 78" livraison. La 44· livraison a été réimprimée à 2.000 exemplaires. L'indication des librairies à Paris et de ceux qui à travers le monde assurent la vente du recueil peut également servir d'indice pour la diffusion de la Minerve 83. Qu'un Lanjuinais et un Caumartin rendent hommage au périodique libéral 8t se conçoit aussi facilement que les anecdotes racontées par la Minerve pour dire sa large diffusion 85. Plus probante à cet effet est la sensation que les révélations du 24° cahier auraient produite à Paris et en province relativement aux conspirations des ultras 86. Qu'un Portugais adresse de Lisbonne une lettre aux rédacteurs 87 ou que l'hospodar de Valachie, réfugié en Suisse, ait démenti l'éloge excessif de la Minerve qu'on lui a attribué 88 témoignent d'une résonance étendue du recueil. Cf. infra, ch. VI, Propagande et faits divers. Nous devons nos vifs remerciements à Mlle Simone Balayé, Conservateur à la Bibliothèque Nationale de Paris, d'avoir bien voulu nous communiquer les données des Déclarations des Imprimeurs. 83 A Paris, les librairies Panckoucke, Bertrand, Dt:launay, Rosa, Pélicier, Ladvocat, Monge aîné, Foulon, Baudoin frères et Eymery. Les noms des libraires sont indiqués pour Anvers, Amsterdam, Aix-la-Chapelle, Arau, Berlin, Berne, Breslau, Bruges, Bruxelles, Florence, Fribourg, Francfort-sur-Mein, Gand, Genève, Lausanne, Leipzig, Liège, Lisbone, Londres, Madrid, Milan, Mons, Moscou, Naples, Neuchâtel, Palerme, Pétersbourg, Tournay, Turin, Varsovie, Vienne ainsi qu'à la Nouvelle-Orléans, la Guadeloupe et l'Ile-de-France. Cf. 81 82
M. IX (9). 8t Cf. Etienne, n° 7, M. 1 (10),2 avril 1818 et la lettre de Caumartin, M. Il (9), début juillet, p. 444-446. 85 Un exemplaire du recueil est lu et commenté par tout un village, Etienne, n° 29, M. III (II), 15 oct. 1818; quelques exemplaires ont été trouvés chez la garde-royale lors d'une inspection, Dumoulin, M. VIII (5), début sept. 1819. 86 Cf. Etienne, n° 21, M. III (1),5 août 1818. 87 Cf. Correspondance, M. IV (4), 28 nov. 1818. 88 Cf. Etienne, n° 42, M. IV (12), 23 janv. 1819 et Correspondance, M. IV (4), 25 fév., p. 205-207.
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En règle générale, les attaques des feuilles ministérielles ou des articles de commande insérés dans la presse anglaise contre la Minerve et plus particulièrement contre Etienne 89, les dénonciations violentes contre Benj amin Constant lors de la campagne électorale de 1818 90 , l'implication du recueil et de Benjamin dans la Note secrète 01, la malveillante position officielle du Moniteur 02, des reproches de républicanisme adressés par Chateaubriand contre Bénaben 93 ou d'autres critiques formées à l'endroit du juriste Bérenger 04, de Tissot u", de Pagés 96, et surtout la campagne violente menèe contre la souscription en faveur du Champ d'Asile 97 ou après le crime de Louvel 98 attestent non seulement l'ardeur de la lutte, mais aussi la vaste audience attribuée par ses adversaires à l'organe libéral. La Minerve suscite plusieurs écrits plus ou moins violents contre elle et surtout contre Benjamin Constant, publiés par Ouvergier de Hauranne 99, Gautier du Var et d'Aureville 100, par des anonymes 101, par Azaïs 102, Mannoury Oectot 103, Loyson 104 et Saint-Roman 103. Des sn Cf. Etienne, nO 7, 15, 19 P.S., 21, 27 et 45, M. 1 (10), M. 11 (8 et 12), M. III (1 et 9), M. V (3),12 avril, 23 juin, 21 juillet, 5 août, 3 oct. 1818 et 19 fév. 11\19. V. aussi Jouy, c.r. dc l'ouvrage de Dupin, IHémoires sur la marine [oo.], M. III (4), fin août 1818 ct Lac'1'etel!e, prenant la défense d'Etienne, Explication sur /li! article de la Quotidienne. M. VII (13), fin oct. 1819. 90 Cf. B. Constant, Lellre à M. Benjamin Constant [oo.], M. III (11), 15 oct. IRI8; Des élections, M. IV (1), 3 nov. et M. IV (2),13 nov., p. 91-92. 91 Cf. Jay, Note secrète, M. III (1), 5 août 1818. 92 Cf. Etienne, n° 72, M. VII (7), 19 sept. 1819. il;: Cf. Bénaben, M. 1 (5), 7 mars 11\18. 91 Cf. Correspondance, M. III (5 et 8), 7 et 27 sept. 1818, p. 239-240 et p. 364-366. "0 Cf. Tissot à propos de son commentaire de l'ouvrage de Georgel, Notes des alltellrs de la l\linerve, M. IV (1), 3 nov. 1818. ,,,; Cf. Pagés, Réponse au journal du Gard, M. V (3), 19 fév. 1819. 97 Cf. Jay, Souscriptions pour les réfugiés français en AmérÎ<jlle, M. IV (6), II juin 11\19. lib Cf. .lay, Sur les calomnies dirigées contre la Minerve, M. IX (3), 21 fév. O
18~(l. On peut considérer comme provocation la proposition de Genest, chevalier de J'llfdre royal, que la Minerve ouvre une souscription en faveur de la garde qui s'tst ~mparé de Louvel, projet que le recueil a eu la prudence de louer, M. IX (4), fin fév. "" Réponse à M. Benjamin Constant, Paris, 1818. 1" Sur le fallx et absurde système de la souveraineté du peuple [oo.], extrait du Conscrvateur, Paris, 1820.
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tentatives éphémères seront même faites pour lancer des recueils contre l'organe redoutable. Le grossier Fureteur ou l'anU-Minerve n'écoulera que quatre numéros pendant les mois de mars et d'avril 1818 et Mettens ne pourra se prévaloir en 1819 que de deux numéros de ses Niaiseries de la Minerve dite française mises au grand jour. Il va sans dire que la véritable machine de guerre forgée par les ultras contre la-Minerve et les libéraux a été le Conservateur. Si la Notice historique et bibliographique des journaux et Thiessé 106, ancien rédacteur des Lettres normandes, sont prévenus en faveur de la Minerve, attribuant le grand succès du recueil à Benjamin Constant, à Etienne et à Jouy, il n'en est pas de même des ministres. Les attaques des Duvergier de Hauranne, des Azaïs et des Loyson, porte-parole voilés ou manifestes du pouvoir, doivent se placer, même lorsqu'elles font la part belle à des personnalités, sur un plan idéologique, recouvrant la motivation réelle par un échafaudage apparent. La correspondance des ministres ainsi que leurs mémoires offrent une vérité moins entortillée. Dans ses lettres à Decazes et à Molé, Richelieu, d'Aixla-Chapelle où il lutte désespérément pour faire aboutir la libération de la France, prêche avec ferveur l'entente avec les ultras, dit sa crainte de la forte audience de la Minerve - opposée à la dynastie des bourbons - et taxe le Constitutionnel de bonapartisme 101. Lui et Mounier 108 qui le seconde à Aix-la-Chapelle, ne se lassent pas de dire l'épouvante que «l'envahissement démocratique» de la France provoque chez les Alliés et le revirement du Tzar consécutif au changement de l'opinion en France. Certes, Richelieu n'est guère tendre pour Benjamin et il dit son contentement à Decazes de l'échec électoral du rédacteur de la Minerve 109. Decazes non plus n'a pas à se considérer heureux du traitement que la Minerve lui réserve et il égrène ses doléances contre le mal accompli par le recueil dans une lettre à Louis XVIII 110. Pasquier avouera la puissance de la Minerve «qui, pendant près de deux ans et demi, a été pour le parti qui l'avait fondé un organe puissant, en même temps qu'un adversaire redoutable pour le gouvernement royal 111 ». Molé confirmera le même jugement, en imputant le succès de la Minerve à Benjamin Constant et davantage à Etienne 112. Il devait en effet être redoutable le périodique qui était aussi bien versé dans les tripotages de la politique intérieure qu'initié aux secrets 106 Cf. Thiessé, op. cit_ ; il fait la part large à Etienne dans le succès de la Minerve. 101 Cf. E. Daudet, Le duc de Richelieu au congrès d'Aix-Ia-Chapelle, in Nou· velle Revue, 1898, t. CXIV, lettres des 7, 8, 12 oct. 1818, 8 et 9 nov. ; Molé, Mémoires cit., vol. IV, p. 48-49. 108 Cf. Barante, Souvenirs cit., vol. Il, Leifres de Mounier, p. 335-344. 109 Cf. E. Daudet, lettre du 1er nov. 1818. uo Cf. E. Daudet, Louis XVIll et le duc de Decazes, Paris, 1899, cit. d'après l'ouvrage de Svetozar Petrie, ch. II. 111 Pasquier, Mémoires cit., vol. l, p. 219. Il2 Cf. Molé, Mémoires cit., vol. IV, p. 49, n.
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Lie la politiLjue Lies Alliés. !J'où le recueil tenait-il ses renseignements? Se .. ail-cc de Benjamin Constant, grâce à ses relations avec les Broglie, dArgcnsoJ1, La Fayette, Laffittc, Périer et Gévaudan? On pourrait multiplier les suppositions à l'endroit des autres rédacteurs et chercher leurs accointances dans les milieux de la Société des Amis de la presse. II ne serait pas non moins plausible que renseignements et appuis aient été fullrnis à la klinerve par les grands financiers libéraux de l'époque. Encore plausible serait le rôle joué par Decazes qui, ayant plus d'un tour Llans sa manche, aurait fait circuler des bruits sur le désir de Richelieu de s'allier avec la droite et sur la pression incessante que Metlernich a exercée sur lui dés qu'il a été nommé président du Consei1 113 • La Minerve était parfaitement au courant de la pratique de Decazes de placer Lies articles, chèrement payés, dans la presse anglaise par l'intermédiaire de ses publicistes de commande 114, et le déroulement des procès du Censeur européen, impliquant la complicité de Mirbel, homme Lie confiance Lie Decazes, était encore présent à tous les esprits 115. Redoutable, la Minerve l'était encore pour l'Allemagne et l'Autriche. On ig,nore les sources de renseignements de Harel, le correspondant de Francfort. Toujours est-il que ses Lettres sur le congrès d'Aix-IaChapelle ont déclenché les recherches actives de la police de Francfort et l'arrestation de Desportes 116. L'Observateur autrichien donne la réplique au corresponLiant effronté qui il osé dévtJiler les dissensions des Alliés quant à la libération de la Francc. Et Etienne et Harel s'empresseront de décocher leurs traits spirituels contre le malencontreux auteur de l'article 117. Que Gentz ait
11:1 Cf. G. Bertier de Sauvigny, Aleltcrnich et Decazes, d'après lellr corresl'ondance inédite, in Etudes d'histoire modeme et contemporaine, 1953, t. V. On :1 du mal à imaginer non une telle intervention de 1'« architecte» de l'Europe
post-napoléonicnnc, mais un tel acquiescement du favori à une telle pression. 1 Il Pasquier, lIIémoires cit., ch. XIII, évoque la correspondance privée de Decazes et de Dessolles dans le Times, le Sun et le Courier, confiée à Mirbel. ,en0taire général du ministre de l'Intérieur, à Lingay, attaché au cabinet parti,'ulier de Decazes, à Lagarde, maitre des requêtes, ayant une grande inlluenc'O sur Dessolles et à un certain Dacby, Anglais soudoyé par la police. Molé. Mémoires cit., vol. IV, p. 241, fait également allusion aux articles publiés paf Decazes dans le Times et le COl/rier. 11;; Cf. notre étude, Le Censeur curopéen. Histoire d'lin joumal industrialiste, II, in Revl/e d'histoire économique ct sociale. 1959, vol. 37, n° 3, p. 3-l1. lit; Cf. !lIard], Lcltres sl/r l'Al/emagne, n" 3, M. III (10), 10 oct. 1818; Desportes a démenti dans le jOl/mal de Francfort sa paternité des Lettres: AI/X autellrs de la Millerve, M. V (3), 19 lév. ISI\!; le jal/mal des Débats a reproduit le démenti; l'identité du Correspondant préocClipe toujours les autorités, n'" 9 et 15, M. V (9), 2 avril 1819 et M. VIII (1),8 nov. On croit Desport,"s et même le général Allix auteurs des Lettres, n° 9. 117 Cf. Nesselrode, Lelfres et papiers, Paris, 1908-1912, 11 vol., vol. VI, lettre dl' Gentz à la date du 14 lév. que M. de Sauvigny a bien voulu nous signaler. Harel se défend contre la Gazette d'Augsbourg et la Gazette de Wisbade. Il" 3 cit. ; il reprend le débat avec l'Observateur autrichien de Pilat quant au cong-rès d'Aix-Ia-Chapelle, n° 9 cit. ; Etienne s'en prend à l'Observateur ct il Pilat, le secrétaire intime de Metternich, au sujet du Congrès, n° 45, M. V (3), 19 !ev. 181~\.
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jugé nécessaire d'en saisir Nesselrode, et de le flatter par la même occasion pour la circulaire qu'il a adressée aux ministres de Russie, à la suite de la nomination de Decazes à la présidence du Conseil, prouve non seulement son désir de faire sa cour à une éminence russe, mais égaIement les vastes résonances provoquées par la Minerve 118. Vincent, ambassadeur d'Autriche à Paris, traite la Minerve, dans une lettre à Metternich, comme une véritable puissance politique, subversive il est vrai. «La Minerve ne se compose plus d'une simple réunion d'écrivains ou de littérateurs polémiques, c'est un corps politique qui se forme, se constitue, se dirige; il a ses ramifications, influence l'opinion publique pour forcer le gouvernement à marcher dans le sens qu'il indique 119. » On conçoit dans ces conditions que les ministères successifs de la France aient envisagé à maintes reprises la suppression de la Minerve, en prétextant la fiction de sa périodicité irrégulière 120. En effet, même la Minerve se fait parfois l'écho des bruits rapportant la suppression éventuelle du recueil pour les nier. Ainsi, le Sun prétend que le ministère attend la prorogation des Chambres pour supprimer la Minerve 121. Corvetto, le ministre des Finances, exaspéré par la campagne violente du recueil contre le recours à la maison Baring et Hope pour l'emprunt de 24 millions, aurait proposé à la fin du mois de juillet 1818, en conseil des ministres, de poursuivre les rédacteurs, mesure à laquelle Molé se serait opposé 1~2. Selon la presse, le soixante-treizième cahier aurait été saisi et la Minerve devait cesser de paraître 123. Ce sont des nouvelles qui rejoignent celles sur les dissensions des rédacteurs, mais qui ne laissent pas d'avoir une part de vérité quant aux tracasseries suscitées au recueil par les autorités. On se rappelle l'appui probable prêté par le Ministère pour faire revivre l'ancien Mercure et l'opposer à la Minerve 1~4. Des moyens plus efficaces pour rendre la vie difficile aux rédacteurs se trouvaient dans une législation peu explicite quant au droit du timbre fort élevé que les publications paraissant régulièrement devaient à la direction de l'enregistrement. La presse ministérielle et ultra manquait rarement l'occasion d'inciter le fisc à obliger la Minerve à payer le 118 Cf. Nesselrode, ibid., lettre du 6 mars 1819, dénonçant également l'examen de Tissot de l'ouvrage de Pradt, où la Russie asiatique préfigure un avenir douteux pour l'Europe, v. infra, ch. VII, Politique mondiale. uu Lettre du 3 mars 1819, Haus-Hof-und Staats Archiv, Staatenabteilungen, Frankreich 336. Vincent y cite la menace proférée par Jouy à Rothschild, «Rouen nous offre au besoin un secours de 30.000 hommes ». Nous devons la connaissance de cette lettre à l'obligeance amicale de M. de Sauvigny. l~O Cf. Pasquier, Mémoires cit., loc. cit. m Cf. Etienne, n" 6, M. 1 (9), début avril 1818. 12~ Cf. Etienne, n" 23, M. III (4), fin avril 1818. Pour la question des emprunts, cf. infra, ch. III, le ministère Richelieu. l~a Cf. Etienne, nO' 54 et 58, Post-Scriptum, M. V (13) et M. VI (4), fin avril et mai 1819 et la Gazelle de France, 28 avril. Les Diables missionnaires de Béranger auraient été à l'origine de cette alerte. 1~4 Cf. supra, n. (11).
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droit 1"5. Il est vrai que la Chambre a rejeté un amendement tendant à imposcr aux recueils à périodicité irrégulière la taxe du timbre 126, mais ceci n'a pas empêché les agents du fisc de dresscr un procès-verbal à la parution de chaque nouvcau cahier et de faire pression sur le recueil1~7, ni la presse malveillante de répandre des bruits sur un procès intenté à cet effet à la Minerve 1"8. La Quotidienne poussera son aménité jusqu'à accuser Benjamin Constant, à la date du 24 octobre 1819, d'une transaction avec le ministère des Finances aux termes de laquelle la Minerve aurait été acquittée dc 150.000 francs qu'elle devait à titre de timbre, et pour laquelle la Société des Amis de la presse aurait exclu le célèbre publiciste de ses rangs 129. En niant l'accusation, Lacretelle affirme que c'cst lui qui mènc des pourparlers avec le ministère, mais ricn ne prouvc qu'ils aient abouti. La lutte avec le pouvoir prendra fin lorsque la Minerve aura arrêté son existence dès l'adoption des lois sur la censure. Encore les rédacteurs ne seront pas quitte et auront à payer une amende pour le droit du timbre qu'ils n'ont pas respecté 130. Désormais, Dumoulin peut aiguiser ses Notes historiques pour écrire à la date du 27 mars 1820 sa lettre d'adieux aux abonnés, en attcndant que le CO/lstitutionnel et la Renommée continucnt la lutte ou que les rédacteurs recourent avec d'autres libéraux aux moyens extra-légaux pour faire face au régime d'exception instauré par la réaction. « La note que je viens de tracer terminera la cent-treizième livraison de la Minerve. Elle contient probablement les derniers accens de liberté qu'il nous sera permis de proférer dans un ouvrage qui fut constamment consacré à la défense de la charte, du trône et des droits de la nation. Cependant, si, entourés des chaînes qu'on nous prépare, il nous reste encore quelque voie pour faire entendre des vérités utiles, on peut se reposer sur notre zèle, et, nous osons le dire, sur notre patriotisme, du soin de la découvrir et d'en profiter 131. » Cette voie sera en effet découverte, mais pour peu de temps, sous l'égide de Lacrctelle, devenu libraire. Considérations politiques et morales, Portefeuille politique, Lettres sur la situation de la France, Galerie, Panorama, auxquels ont concouru les rédacteurs, sont destinés à reprendre le dialogue violcnt de la Minerve avec le pouvoir. Ces écrits disparaîtront à 125 Cf. Etienne, n° 5, M. 1 (7), 21 mars 1818. 126 Cf. Saulnit!r fils, M. 1 (12), 23 avril 1818. 127 Cf. ihid. et Procès du timbre, M. IV (3). 19 nov. 1818; cf. également le Journal des Débats, des 19 août et 24 nov. 1818; Shumway. op. cit., p. IR. 1~8 Cf. Etienne, n° 22. Post-Scriptum, M. III (3),20 août 1818; cf. également le Journal des Débats, 28 avril et Shumway, op. cit., p. 16. 1~9 Cf. Lacretelle, Explication sur un article de la Quotidienne, relatif au timbre des feuilles dites semi-périodiques, M. VII (13), fin oct. 1819. 130 Les rédacteurs ont été condamnés sans appel à 13.000 francs d'amende au début d'avril 1820, cf. Le Censeur Européen. Histoire d'un journal quotidien, in Revue des Sciences humaines, 1964, fase. 114, Notes VII, p. 245, n. 125; le Journal des Débats, cil. par Shamway, p. 19. 131 M. IX (9), 27 mars 1820, p. 428 et Des Granges, op. cit., p. 65-66.
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l'exemple de la Minerve et de maints autres recueils de la Restauration. Encore les lecteurs de la Minerve pouvaient-ils se réjouir de l'envoi par les Lettres normandes du onzième volume pour compléter leur abonnement 132.
132 Pour la saisie des brochures éditées par Lacretelle et sa poursuite en justice, cf. notre étude cit., Le Censeur Européen. Histoire d'un journaL quotidien, Loc. cit., Hatin, Bibliographie historique [ ... ] et le CataLogue de L'Hlsloire de France; pour les Lettres /lormandes, cf. l'Avis du t. XI de ce recueil, Hatin et Svetozar Petrie, op. cit., ch. Il, p. 25, reproduisant l'Avis.
CHAPITRE
Il
CREDO POLITIQUE
LES
INSTITUTIONS POLITIQUES.
La philosophie politique des libéraux remonte sans doute à la pensée des Philosophes et des Idéologues, mais elle la dépasse grâce aux leçons de la Révolution ainsi qu'au choc des intérêts et des passions de la Restauration. A l'instar de leurs prédécesseurs, les libéraux recherchent le bonheur, mais ils ne le conçoivent ni comme l'intérêt bien entendu, ni comme la subordination exclusive à la félicité dévorante de la cité. Il est vrai que leurs concepts des droits naturels et de la justice recouvrent des éléments aussi vagues qu'obscurs, mais ils offrent cependant l'avantage de la durée et du consentement universel. Le critère utilitaire de Bentham, loin de constituer une vérité de rechange éprouvée, menace les valeurs consacrées et substitue au sens moral des corollaires pragmatiques, à la notion des droits imprescriptibles une évaluation arbitraire des actions, bref à une conscience morale diffuse une terminologie spécieuse 1. Le bonheur libéral se définit par rapport à l'individu et consiste « dans l'usage le plus complet possible de ses facultés exercées légitimement [ ... ] »2. Cette liberté forme un élément essentiel dans le concept libéral du bonheur. Elle n'est limitée que par les activités individuelles légitimes et elle ne s'arrête que là où le frottement des félicités particulières impose des concessions et des abdications, où le sens de la justice et la conscience des droits dictent des renonciations ou des accommodements. La doctrine hédoniste rejoint de la sorte l'art de gouverner, la morale et la politique se rencontrent pour accorder le plus d'extension possible à l'activité individuelle 3. Elément essentiel dans la constitution du bonheur, la notion de liberté acquiert toute sa puissance par la distinction ingénieuse que Benjamin Constant a établie entre les temps anciens et modernes et dont 1 Cf. B. Constant, De l'obeissance à la loi, M.d.F. IV, 8 nov. 1817, ainsi que De M. Dunoyer, et de quelques-uns de ses ouvrages, in Melanges de littérature et de politique, Paris, 1829. 2 Aignan, c.r. du Cours de politique constitutionnelle de B. Constant, M. IX (8), 23 mars 1820, p. 356. 3 Cf. ibid.
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L'f::CULE LlHÉRALl:: SUUS LA REST. lURA TION
on rl'trouve Je germe chez Voltaire~. Cette distinction fournit par ailleurs la preuve de la diffusion de l'industrialisme qui définit pour l'homme un éventail étendu de toutes ses activités, matérielles aussi bien qu'immatérielles ". La modernité consiste justement dans la variété d'intérêts et de jouissances de l'individu, activités qui ont changé ses rapports avec la cité et transformé son optique du pouvoir. Eléve assidu de l'antiquité, Benjamin Constant est préocupé de bonne heure par les critères distinctifs de la civilisation moderne. De l'esprit de conquête et de l'usurpation contient les éléments d'une doctrine qui trouvera sa mùre expression dans les nombreux écrits qu'il réunira entre 1818 et 1820, sous le titre de Cours de politique CO/lStitutionnelie. L'humanité est toujours à la recherche des richesses, mais les occupations commerciales et industrielles ont rClùplacé les guerres, sources de revenus essentielles de l'antiquité. Si le but reste le même à travers les âges, les moyens et les modalités pour y parvenir ont subi des transformations décisives. Non que les échanges aient fait défaut à l'antiquité, mais le commerce de Phénicie ou de Carthage même fut imprégné de la guerre. Il appartient désormais il l'industrie moderne, dans son acception la plus large, de procurer il de vastes masses humaines une existence confortable. Cette occupation et cette aisance comportent comme conséquences naturelles la paix et la bonne entente entre les peuples arrivés au même nivau de civilisation. Elles relèguent forcément l'intérêt pour les affaires publiques à un plan bien secondaire et confèrent aux travaux et aux plaisirs individuels une primauté incontestable 6. Lc's rédacteurs du Mercure et de la Minerve traduiront les mêmes idées dans des articles les opposant aux partisans de l'ancien ordre de choses 7. Dans la leçon professée à l'Athénée Royal, probablement au mois de février 1819 8 , et recueillie en 1820 dans son Cours de politique constitutionnelle, Benjamin Constant procède à un parallèle pénétrant entre la liberté ancienne ct la liberté moderne, devenu la clef de voùte de la doctrine libérale. La liberté des anciens, selon cette distinction, est fondée sur l'esclavage et se limite aux confins de la cité antique. Elle consiste dans la participation des citoyens aux affaires publiques. Cet exercice collectif de la souveraineté comporte comme envers la dépendance complète de l'individu à l'égard de l'autorité de tous. «Toutes les actions privées sont soumises à une survcil\ance sévère. Rien n'est accordé à l'in-
Cf. Voltaire. Lettrl's philosophiques, lettre VIII. POlir la définition de l'industrialisme cf. nos études, Le Censeur Européen His/oirr d'un journal industrialiste, l, in Revue d'histoire économique ei sociale, l'i5'I, \'01. XXXVII, n° 2, p. 202 sq. et Le Censeur Européen - Histoire d'IITl j01lrnal {1/lOfidirll, in RCI'lIe des Sciences IlI/maines, 19{H, fasc. 114, ch. II. {; Cf. De l'esprit de conquêie [ ... ], 1'" partie, ch. II ; Pensées détachées, M.Li.!'. Il, 14 illin lR17 ; De la liberté des anciens comparée à celle des modernes in COllrs de politique constitutionnelle, ~' éd. Laboulaye, Paris 1812, vol. II; VI' M. DUllo)'er [ ... ]. art. cil. i Cf. p.éx. l"article anonyme, Jadis ci alljourd'hlli, M.d.F. 11, 19 avril 1817; VI' la célébrité et de la gloire, ibid., 24 mai. S .f.-P. Pagés en rend compte au début de mars 1819, M. V (5). 1
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dépendance individuelle, ni sous le rapport des opinions, ni sous celui de l'industrie, ni surtout sous le rapport de la religion.» 9 La liberté des modernes réside dans une activité et une jouissance individuelles extrêmes. Si la souveraineté des modernes est plus apparente que réelle, si les particuliers participent au pouvoir par procuration ou par représentation, et encore en abdiquant la souveraineté, ce n'est que pour mieux garantir la liberté d'action et de jouissance des citoyens. En somme, la liberté politique des modernes trouverait sa motivation dans les libertés individuelles et leur servirait de caution 10. Aignan, en s'attachant comme Pagès à la leçon de Benjamin Constant, dans le compte rendu qu'il consacre au Cours de politique constitutionnelle, conclut que la liberté politique qui était nécessaire aux anciens «comme moyen personnel d'action, ne nous convient plus que comme garantie générale, mais que l'entière liberté individuelle, protectrice de nos affaiœs et de nos plaisirs, nous est aussi indispensable que l'air même, pour nous mouvoir et pour respirer» 11. C'est le mirage de la cité antique qui a amené les philosophes du elix-huitième siècle, notamment Rousseau et Mably, à dépouiller l'homme moderne de sa liberté et à sacrifier son activité comme ses jouissances à une mythique souveraineté collective. Le même mirage, soutenu par l'immense prestige des Philosophes, se retrouve dans les essais révolutionnaires de fonder la nouvelle société sur le modèle des républiques grecques et romaines 12. Il faut à l'ère moderne des libertés modernes qui correspondent à l'évolution de la civilisation. Aucun doute pour le libéralisme que le progrès de la civilisation ne réponde à des impératifs catégoriques de la raison et de la morale 13. C'est là une idée maîtresse de Benjamin Constant que le groupe dé la Minerve partage et qui détermine le credo libéral dans ses élaborations doctrinales comme dans ses prises de position militantes. Le modernisme de Benj am in Constant consiste justement dans l'effort de réduire le mythe d'une collectivité omnipotente et partant d'un pouvoir écrasant aux dimensions de l'individualité agissante 14. Ce sont ces nouvelles dimensions de l'individu qui permettent de mesurer la distance séparant le libéralisme individualiste de la pensée des Philosophes. Le divorce est de la sorte consommé entre l'individu et l'Etat. Les rapports du citoyen et de la cité sont par là redéfinis. A l'individu moderne sont attribués les droits et les privilèges qui avaient été refusés, en règle générale, au citoyen actif de l'antiquité. A la cité moderne n'est reconnu le Douvoir que la cité antique avait exercé qu'en tant que garantie Citation de la leçon de Constant rapportée par Pagès, ibid., p. 209-211. Cf. ibid. 11 C.r.cit., p. 359. 12 Cf. B. Constant, De la liberté des anciens [ ... ], art. cit., in Laboulaye. 13 Cf. B. Constant, Pensées détachées, M.d.F. Il, 24 mai 1817. Les Pensées ont été recueillies dans les Mélanges. 14 Pour une énumération pathétique des libertés individuelles, cf. B. Constant, De la liberté des anciens [ ... l, art. cit., et Pagès, c.r. cit., p. 2\0, où les propos de Constant sont rapportés. 9 10
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et clllHlition nécessaires pour la possession et la jouissance des seules libertés valables, celles de l'Homme. Le sens conféré de la sorte aux libertés individuelles modifie les termes du problème politique. Les questions de souveraineté comme de régillic ne se trou\'ent plus au premier plan des préoccupations de la doctrine lihérale. La souveraineté réside bien entendu dans le peuple et traduit la volonté générale, mais elle ne signifie plus guère l'abdicatil)J1 c!c l'individu entre les mains de l'ensemble. Pour Benjamin Constant, R'lus~cau est un lliauvais et Hobbes un dangereux théoricien politique. Ni le souverain, ni le pouvoir exécutif, législatif ou judiciaire n'ont le droit d'aliéner les libertés individuelles. L'inaliénation de la souveraineté sous la plu Ille de r~ousseau est un contresens, car la souveraineté se morcelle et se délè,.,;tle dans son application. L'absolutisme envahissant de Hobbes constitue une aberration des plus dangereuses, car il usurpe des droits iJl1pre~criptihles. La tyrannie de la foule ct l'arbitraire de la monarchie ct de l'aristocratie n'ont ricn à voir avec la souveraineté 10. La force ne constitue pas un droit 1 L'idl'e dl' J'opposition ('onstante il tra\'ers toute l'histoire entre la force ct la rai,nn l'st exprimée clans les Pcnsées dt'tacln'es de B. Constant, art. cit. et dans Ti";;,,t, cr. de l'ouvrage cie Bignon, Des proscriptiolls, M. VIII (8),27 déc. l81~1 et M. IX (ti et 9), 1~ et 17 mars 1820. 17 CI. B. C(,nstant, De l'olJéissance cl la loi, art. cit. 18 Cf. Oc la sOlll'crllineté, ch. cit. in Principes de politiqlle; le 3' C.r. de l'ouvrage de Lanjuinais, Constitl/tions de la nation française, M. VI (7), 20 jUill 1819, ainsi que Tis.;ot, c.r. de l'ouvrage de La Serve, De la royal/té selon les lois dit'incs répétées, les lois naturelles et la charte constitutionnelle, M. VII (8), 25 sept. l" Cf. Sl/pra, nos études cit., n. 5.
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limité à sa sphère, n'exerce jamais assez son autorité. « La liberté gagne tout à ce qu'il [le gouvernement] soit sévèrement circonscrit dans l'enceinte légitime, mais elle ne gagne rien, elle perd au contraire, à ce que, dans cette enceinte, il soit faible. Il doit toujours y être tout-puissant. » 20 Seulement le pouvoir ne manque jamais d'empiéter sur les attributions qui ne sont pas les siennes. L'arbitraire et les abus ne changent pas de nature sous des régimes différents. La leçon de la Révolution et de l'Empire est d'une évidence probante pour que les libéraux se méfient autant d'une démocratie républicaine que d'un totalitarisme militaire. L'idée de la monarchie gagne par des retours comparatifs sur un passé tout proche, mais nécessite des correctifs radicaux en regard d'une histoire déjà reculée. Il faut la ramener au niveau de l'individu et la dépouiller de ses caractères d'emprunt. Constant ct ses collaborateurs n'ont jamais admis le mythe d'une royauté de droit divin. Ils ont nié catégoriquement l'ingérence de la Providence dans l'organisation temporelle du pouvoir. La sanctification de la royauté par le symbole de l'onction ne constitucrait qu'une preuve manifeste des aspirations théocratiques de l'Eglise 21. Chaque gouvernement ne peut se légitimer que par les garanties qu'il accorde aux libertés individuelles et le législateur doit penser les rouages des pouvoirs publics de manière à résoudre le problème politique. Benjamin Constant l'a dit en 1814 dans ses Réflexions sur les constitutions et il l'a redit en 1815 dam, l'Acte additionnel et dans scs Principes de politique notamment. Il affirmera les mêmcs vérités, imprégnées de la sérénité du détachement, avant-coureur de la mort, dans sa préface célèbre aux Mélanges de littérature et de politique. Ce qui frappe dans la pensée constantienne, c'est la ferme unité de vues auxquelles ont adhéré les libéraux. Il y a identité de conceptions entre les rédacteurs et les collaborateurs de la Minerve. Le système libéral sera entouré en 1830 du halo de la victoire, prestige que les lendemains éloignés du dix-neuxièmc siècle finissant et l'aube luisante du vingtième consacreront. Cependant, elle n'est pas encore acquise, l'évidence, lors de la seconde Restauration, qu'il faille placer les Bourbons au niveau d'une France prodigieusement transformée et non la France dans la lignée d'une race royale ressuscitée. Il a fallu du courage et de la clairvoyance pour affirmer de bonne heure les droits de l'individu et pour réduire la question de la royauté à celle d'un accommodement, d'une formule qui tire sa justification d'une conjoncture donnée et sa force d'un pacte respecté réciproquement. Jamais la théorie du Contract Social du rêveur genevois n'a été appelée à avoir une meilleure démonstration, ni les abstractions géniales de l'Esprit des Lvis un prolongement plus spectaculaire que la mise en pratique d'un pouvoir constitutionnel nettement national. La monarchie bourbonienne est bien admise, sincèrement et loyalemcnt, mais en tant que monarchie constitutionnelle, aussi soumise à la Charte 20 B. Constant, De GodlVin ct de son ouvrage sur la justice politique, M.d.f. Il,26 avril 1817, p. 167. 21 Cf. ibid. ainsi que Jay, cr. de l'ouvrage anonyme, Histoire de Samuel, inventeur du sacre des rois, M. VII (9), début oct. 1819.
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que le re~te de la nation et comme elle pleinement engagée dans un avenir de prospérités bourgeoises. Non que la Charte soit l'expression idéale de la pensée politique et qu'elle ne soit susceptible de modifications. Si Benj amin Constant revient parfois avec nostalgie à l'Acte additionnel 22 et s'il publie écrits sur écrits pour rendre explicites des dispositions majeures que l'élaboration hâtive de la Charte a laissé trop imprécises, il n'en reste pas moins vrai que lui et ses collaborateurs considèrent la Charte comllle la pierre angulaire de la Restauration. La Charte ne serait pas moins indispensable aux Bourbons qu'à la France. Au plus fort des batailles que les libéraux livreront au ministère de Decazes et plus tard au second ministère de Richelieu, ils invoqueront constamment le pacte mutuel liant les Bourbons et la France et mettront en garde la royauté contre les dangers que le trône risque d'encourir en violant la Chartre. On peut aisément concevoir qu'Aignan, Dumoulin, Etienne, Jay, Jouy, Tissot ct même Lacretelle n'aient pas été particulièrement heureux du retour des Bourbons à la première et a fortiori à la seconde Restauration. Si le cas de Benjamin Constant est différent par sa longue opposition à Bonaparte, son adhésion à l'Empire libéral et la part qu'il a prise à l'élaboration de l'Acte additionnel, après la fameuse philippique du 19 mars 1815, l'ont cependant mis dans une position fort délicate. La lecture attentive du Mercure et de la Minerve pour les années 1817-1820 permet toutefois de conclure à une acceptation loyale de la royauté bourbonienne. Avec Lanjuinais, Benjamin Constant pense que la France n'a jamais connu de gouvernement constitutionnel avant 1789, qu'elle avait été livrée ;;oit à des chefs barbares èlectifs, soit à une féodalité aristocratique pillarde, soit à un absolutisme arbitraire de la royauté ~3. La Charte pourrait offrir les garanties souhaitables aux libertés individuelles si la monarchie adoptait résolument le jeu d'institutions prêché par le libéralisme. C'est le caractère contractuel et positif de la Charte qui permet aux libéraux de caresser l'espoir de voir aboutir leurs principes 24. Le libéralisme individualiste assigne à la royauté un rôle considérable dans le jeu institutionnel des pouvoirs publics. C'est le roi qui nomme et qui révoque les ministres. A lui revient également le droit de conférer la pairie héréditaire et d'augmenter, le cas échéant, selon la cunjoncture politique, le nombre des membres de la Chambre haute. L'ajournement des Chambres, la dissolution de la Chambre des députés et la convocation des électeurs lui appartiennent aussi. Les juges sont nOlllmés par le roi et c'est lui seul qui a.le privilège de gracier les condamnés. Les actes décisifs de déclarer la guerre et la paix relèvent de sa compétence, mais n'engagent guère sa responsabilité. La responsabilité et l'irresponsabilité politiques du chef de l'Etat et Je ses ministres acquièrent dans la pensée libérale une importance capi~~ Cf. B. Constant, le 2" c.r. cit. de l'ouvrage de Lanjuinais, Constitutions de la nation française, M. VI (3),23 mai 1819. 23 Cf. le 1" c.r. cit. des Constitutions de la nation française, M. VI (1),
Il
mai 1819. 2·1 Cf. B. Constant, les 3 c.r. cit. de l'ouvrage de Lanjuinais.
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tale. Benjamin Constant a grandement contribué à la distinction entre le caractère inviolable de la royauté et l'engagement responsable des ministres, bien qu'il en fasse remonter l'idée à l'époque de la Révolution et qu'il en attribue la paternité à Clermont-Tonnerre 25. Nul doute que la leçon anglaise et l'héritage du dix-huitiéme siècle n'aient inspiré la pensée politique de la Restauration 26, fortement nuancée par les optiques des partis. Toujours est-il que la responsabilité des ministres permet à Benjamin Constant et à ses collaborateurs de dégager entièrement celle du roi et d'ériger un système parlementaire, appelé tôt ou tard à avoir une prépondérance marquante ~7. Le libéralisme individualiste entend de la sorte conserver à la royauté son caractère d'institution nationale transcendante, planant au-dessus des intérêts et des engagements passionnels et assurant par le mythe de la neutralité la durée ainsi que la stabilitué de la mMarchie constitutionnelle. Une telle conception appiiquée par la branche aînée des Bourbons eût acheminé la France vers un régime présidentiel atténué, sans les bouleversements qui ont marqué son histoire à chaque tournant décisif. L'historien peut s'amuser à refaire des situations irréversibles, mais il doit rendre cet hommage au libéralisme d'avoir préconisé la seule solution valable pour réconcilier le passé avec le présent et pour ouvrir des perspectives de stabilité à des institutions en mal de pouvoir comme en quête de liberté. Ni Benjamin Constant ni ses adeptes n'ont caressé à aucun moment l'éventualité d'un retour aux assemblées terrorisantes de 93, à l'anarchie oppressive du Directoire ou au césarisme botté de Bonaparte. S'ils admettent la Restauration comme un état de fait, il n'en reste pas moins vrai que leur pragmatisme s'élabore vite en théorie et que leur résignation se contente de maigres encouragements pour se convertir en loyauté. Leurs appels pathétiques à Louis XVIII lors des débats passionnés qui ont agité la Chambre après l'assassinat du duc de Berry le prouve incontestablement. La pensée libérale n'est guère explicite quant aux modalités de la responsabilité politique des ministres. Plusieurs tentatives ont été faites pour distinguer cette responsabilité de celle impliquant les délits ordinaires et pour la définir par rapport au chef de l'Etat et des deux Chambres, en réservant aux pairs le jugement des ministres. Mais il faudrait en retenir surtout la leçon qui la définit implicitement par la confiance
25 Cf. Réflexions sur les constitutions, in Cours de politique constitutionnelle, éd. Laboulaye, ch. 1 ; Principes politiques, éd. la Pléiade, ch. Il, De la nature du pouvoir royal dans une monarchie constitutionnelle; v. également dans la même éd. les Observations de Constant sur le discours prononcé par S.E .• le Ministre de l'Intérieur [Montesquiou] en faveur du projet de loi sur la liberté de la presse, où il définit le rôle de la royauté; Aignan, c.r. de l'ouvrage de J. Rey, Préliminaires du droit [ ... ], in Galerie [ ... ], M. VII (5), début sept. 1819,
p. 205-208.
26 Cf. tauration, ration du 27 Cf.
P. Reboul, Le mythe anglais dans la littérature française sous la ResTravaux et mémoires de l'Université de Lille, 1962, ch. Ill, Elabomythe. les ch. cit. des Principes de politique.
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que le parlement accorde ou retire au ministère. Le roi a toute latitude d'ajourner les Chambres ou de dissoudre celle des députés, mais c'est en dernier lieu l'opinion qui fera retenir ou révoquer les ministres par le roi lors de l'épreuve électorale. Il est vrai que la pensée libérale hésite et tâtonne quant à la nomination des ministres. Elle n'est pas encore fixée sur l'avantage de voir les ministres choisis parmi les députés et dépendre étroitement d'une majorité stable. Toutefois, l'élaboration du principe de la responsabilité ministérielle engage la monarchie constitutionnelle dans la voie du régime parlementaire, faisant pencher la balance du côté des députès et endosser aux ministres la responsabilité de tous les actes èmanant du pouvoir exècutif. Bien mieux, cette responsabilité s'ètendra à tous les èchelons du pouvoir. Aucun acte enfreignant les libertés individuelles ne saurait être mis à l'abri de la justice ~8. Les ministres partagent l'initiative des lois avec les deux Chambres. La Chambre haute, par son caractère héréditaire et l'augmentation éventuelle du nombre de ses membres, assure la continuité de l'élite, d'une sorte de noblesse promue à un rôle positif, et constitue un remède efficace contre toute hégémonie turbulente des éléments représentatifs. Le souvenir des assemblées tyranniques de la Révolution et l'expérience d'OutreManche ont sans doute persuadé Benj amin Constant et ses collaborateurs de la nécessité d'un frein constitutionnel auquel la royauté pourrait faire appel lors des crises graves. Par la durée que confère à la pairie l'hérédité, la Chambre haute est appelée à consolider une constitutionnalité que les passions populaires ont trop souvent mise en pièces. La menace d'une démocratie mal assise semble l'emporter dans la pensée libérale sur l'éventualité d'une alliance entre la royauté, le ministère et la Chambre haute. D'ailleurs, la publicité des discussions que les sessions de la Chambre des pairs devraient comporter, l'obligation constitutionnelle pour le ministère d'avoir la confiance des deux Chambres, l'intérêt, enfin, de la royautè de préserver son caractère national et ménager l'opinion devraient con cou rir à doter la monarchie d'une constitutionnalité à toute épreuve :W. Nul doute que la représentation nationale, incarnée par la Chambre des députés, ne constitue, dans la pensée libérale, la pièce maîtresse du mécanisme constitutionnel. Elle a certes ses limites, dues à une société singulièrement cem;itaire et qui confond volontiers les vertus de la possession avec les droits d'une citoyenneté à parts entières. Si Benjamin Constant se révèle là aussi un précurseur clairvoyant en considérant la 28 Cf. Principes de politique, ch. IX, De la responsabilité des ministres; ch. X, De la déclaration que les ministres sont indignes de la confiance publique: ch. XI, De la responsabilité des agells inférieurs; ch. XIII, Du droit de paix et
de guerre. Cf. également Ti5sot, C.r. de l'ouvrage de J. Ch. Bailleul, Sur les écrits de M. Benjamin Constant relatifs à la liberté de la presse et à la responsabilité des ministres, M.d.F. IV, 15 nov. 1817; le c.r. cit. de l'ouvrage de La Serve, De la royauté 1... ), M. VII (8); B. Constant, De la responsabilité des ministres dans la proposition des lois, M. VIII (6), 13 déc. 1819. 29 Cf. Principes de politique, ch. IV, D'une assemblée héréditaire et de la nécessité de ne pas limiter le nombre de ses membres.
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propriété comme une convention sociale et non comme un droit imprescriptible, il n'en reste pas moins vrai que le libéralisme a puissamment concurru avec l'industrialisme du Censeur Européen et de Saint-Simon à la transformer en droit sacro-saint. Non que les libéraux n'aient envisagé d'étendre le droit de vote et d'agrandir le pays légal. Ils prévoient l'ère où le progrès de l'insdustrie assurera une promotion sociale rapide à des couches sociales de plus en plus importantes. Ils l'affirmeront lors des débats orageux sur le projet électoral restrictif de Decazes. Pagès semble même regretter ces restrictions censitaires par trop rigoureuses et vouloir les compenser par une participation générale à tous les échelons de la vie locale 30. Telle quelle, cette conception limitée de la représentation, assigne une place prépondérante à l'industrie et attribue aux députés non rémunérés un rôle capital dans la vie politique du pays. Porte-parole de l'opinion, c'est à la Chambre des députés de sanctionner les actes budgétaires du gouvernement ainsi que les autres actes législatifs. C'est par là qu'il est donné aux députés de veiller sur les intérêts du pays et de défendre les libertés individuelles contre tout empiètement du pouvoir. Les contacts entretenus entre les électeurs et les élus, les pétitions qu'ils adressent aux Chambres et les réclamations de la presse constituent d'excellents moyens pour confirmer les députés dans leur rôle national. Si la royauté est l'incarnation de l'unanimité nationale, de la durée comme du prestige du pays, la représentation nationale en traduit les forces vives, les divergences d'opinions comme d'intérêts, et surtout, elle s'identifie avec la civilisation en marche. Elle rejoint la royauté par la pondération et la stabilité de la Chambre des pairs. A la conception déjà traditionnelle d'un régime limité par le jeu subtil des contrepoids dont la séparation et l'articulation concourent à lui donner un caractère statique, se substitue une doctrine qui légitime la monarchie par sa constitutionnalité et qui en assure la vitalité par le déplacement du centre de gravité des pouvoirs publics vers la Chambre. Les contrebalancements abstraits des pouvoirs se redressent et s'activent ainsi grâce à la primauté accordée à l'opinion que la représentation nationale est appelée à exprimer 31. L'opinion publique, bien que limitée à la classe des possédants, bénéficie par là même de la solidité attachée aux intérêts des propriétaires. Ceux-ci se trouvent aux avants-postes de la civilisation, car la propriété, rehaussée par l'immense prestige dont l'entoure la bourgeoisie ascendante, est marquée par la mobilité qui caractérise les échanges commerciaux ainsi que les spéculations financières, et tire grandement parti des vastes perspectives ouvertes à l'activité nationale par l'essor industriel. Le sentiment aristocratique de Benjamin Constant se rendra à l'évidence de l'association étroite entre l'industrie et la liberté pour Cf. J-P. Pagès, De l'organisation municipale, M. VII (1), 7 août 1819. Cf. Principes de politique, ch. V, De l'élection des assemblées représentatives ; ch. VII, De la discussion dans les assemblées représentatives; ch. VIII, De l'initiative; Extrait traduit d'un ouvrage d'Edmond Burke, intitulé: Traité ou réflexions sur les partis en Angleterre, M.d.F. 111, 2 août 1817. 30
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prdérer la pr,)priét0 cOlllmerciale et industrielle à la propriété foncière. L'èXpélicncc électorale a vite fait de convaincre les rédacteurs de la Mi/lerl'e que le~ vertus de la possession terrienne étaient peu propices à une cause qui avait partie liée avec l'industrie 3~. N'ent été la Charte qui traduit un état de fait - la transaction entre la vieille lIlonarchie et la nouvelle France - , le libéralisme aurait sans doute préféré que la Chambre se renouvelât intégralement tous les cinq ans, permettant ainsi aux intérêts et aux partis de s'affronter dans un dilllat d'effervesœnce politique universelle. Il ne saurait cependant adniettre que les modifications décisives de quelques-unes des dispositions Illajeures de la Charte permettent au parti ministériel et aux ultras de renf()rcer leurs positions au prix des maigres concessions faites aux principes libéraux. Le sens pragmatique des libéraux peut se contenter des victoires enregistrées annuellement lors des élections pour les cinquièmes sortants, sans que soient introduits des changements qui bouleverseraient la Charte et par là les assises du régime tout entier 33. Par ailleurs, le libéralisme accepte les conditions d'élections et d'éligibilité spécifiés par la Charte et se fait volontiers à l'idée d'un sens électoral extrêmement limitatif. II tient aux élections directes dans les chefs-lieux des départements conllne il s'efforce de mettre à l'abri de l'action du pouvoir la nomination des présidents aux collèges électoraux. Il pense par là réduire les pressions et les manigances électorales et ménager à la bourgeoisie la victoire sur les intérêts et les survivances féodales 34. La séparation du pouvoir judiciaire des autres pouvoirs publics est devenu grâce à Montesquieu un lieu commun. Cependant, l'indépendance du corps judiciaire, à force de subir les contaminations de la corruption temporelle, ga;.;ne à être proclamée de nouveau et mérite par conséquent une place de choix dans les élaborations doctrinales du libéralisme. Si le pouvoir judiciaire ne bénéficie pas dans la Charte d'une formulation clairc 3il, les libéraux n'en persistent pas moins à professer la leçon de Montesquicu, en recourant toutefois à leur expérience comme à l'exemple :l~ CL P,incipes de politique, ch. VI, Des conditions de propriété. B. Constant est revenu sur son attachement aux propriétés foncières et il a remanié sa position dans la 2" éd. de ses Réflexions sur les constitutions, ch. VlI, Des droits politil/ues, in Cours de politiiJue constitutionnelle, éd. de Laboulaye. Cf. également B. Constant, Session des Chambres, M. V (2), début mars 1819, où il dame son //lea culpa en revenant sur la doctrine pl1ysiocratiquc pour élargir l'uptique terrienne ct conférer la primauté à l'indllstrie ; v. de Constant égaIement, Des rapports de ta grande propriété avec nos institutions, M. VI (9), 5 juillet 1HI9 (art. repris dans les Mélanges. De III division des propriétés foncières) et Du développement progressif des idées religieuses, in Mélanges (remaniement de l'art. la Religion, Paris, 1826, extrait de l'Encyclopédie progressive) et la Préface des Mélanges; v. aussi Aignan, De la propriété industrielle, M. V (9), 2 avril 1819. 3;\ CL B. Constant, De l'inviolabilité de la charte, M. VlIl (4), 27 nov. 1819. :H CL Principes politiques, ch. V, cit., De l'étection des assemblées représen-
latives. ;{Ci CL P. Bastid, Les /flstitutions politiques de la monarchie parlementaire franïaise, Paris, 1954, 2" partie, ch. VI, l'organisation constitutionnelle de la justice.
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anglais et américain 86. Une justice équitable implique son indépendance et par là l'inamovibilité des juges. Cette nécessité ne devrait pas étonner sous des régimes où l'inamovibilité était des plus mobiles et où la dépendance de la judicature était aussi étroite que celle de la législature. Toutefois, l'indépendance et l'inamovibilité judiciaires ne suffisent pas. La justice devrait être déterminée par des principes explicites qui fixent son organisation comme sa procédure et qui surtout passent l'éponge sur les législations arbitraires, antérieures à la Restauration. Toute procédure d'exception constitue une négation flagrante des droits individuels. Ni cours prévôtales, ni commissions rogatoires, ni conseils militaires expéditifs 37. Les terreurs révolutionnaires et anti-révolutionnaires ont fourni abondamment de preuves quant à l'arbitraire et à la prévarication des organes préposés à la sauvegarde de la justice. Le Conseil d'Etat que la Restauration a repris à son compte, sans l'inscrire dans son acte fondamental, suscite lui aussi la vive opposition du libéralisme qui tient à séparer les attributions judiciaires des fonctions administratives et à rendre la justice imperméable à la corruption du pouvoir 38. Avec Bérenger, les rédacteurs de la Minerve seraient même disposés à supprimer les tribunaux correctionnels et à ne laisser à la discrétion de la police que de bénignes infractions 39. Que les jugements pour des délits et des crimes soient portés devant un jury et que le juge d'instruction et ses collègues, chargés de décider s'il y a lieu d'instruire le procès, soient remplacés par un jury d'accusation - institution que la Restauration n'a pas renouvelée - , voilà un ensemble d'éléments destinés à faire réaliser une justice équitable et à associer la partie éclairée de la nation à une de ses fonctions essentielles 40. L'instruction d'un procès par le jury d'accusation et la condamnation par le jury de jugement devraient aller de pair avec une procédure qui supprimerait la délation comme l'espionnage, les rigueurs excessives et les détentions arbitraires, et surtout le recours à la torture ou au secret 41. La nomination des jurés devrait être soustraite à l'autorité et aux manigances des fonctionnaires. Les libéraux penchent pour le tirage au sort des candidats, choisis sur les listes des électeurs avec le concours de la population politiquement déshéritée. C'est par la création d'aristocraties de plus en plus nombreuses que le libéralisme espére combattre le spectre de la « démocratie populaire» et le :JO Cf. E. [Etienne?), c.r. de l'ouvrage de Ricard (d'Alauch), De l'instituélon dl! jan' en Franc,' et en Angleterre [ ... ), M.d.F. Ill, 6 sept. 1817; Aignan, Sur un point de jurisprudence de la cour d'assises de Paris, M.d.F. IV, 27 déc., et son le. c.r. de l'ouvra~e de Bérenger, De la justice criminelle en France [ ... j, M. Il (4),24 mai 1818. a7 Cf. Principes de politique, ch. XIX, Des garanties judiciaires et Aignan, c.r. cit. 38 Cf. ibid. et Aignan, c.r. de l'ouvrage anonyme: Dl! conseil d'état envisagé comme conseil et comme juridiction dans notre monarchie constitutionnelle, M. 1 (13), fin avril 1818 et de l'ouvrage de Sirey, DIl conseil d'état selon la charte constitutionnelle, M. VI (12), 24 juillet 1819. 39 Cf. Aignan, c.r. cit. de l'ouvrage de Bérenger. 40 Cf. E. et Aignan, c.r. cit. ainsi que Pagès -- DIl jury -- M. VII (Il et 12), 17 et 23 oct. 1819. 41 Cf. E. et Aignan, c.r. cit.
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cauchemar de la féodalité, Faire concourir les non-électeurs à la désignation des candidats, c'est réduire l'opposition à l'égard des classes riches ct enlever à la noblesse sa clientèle traditionnelle, Faire nommer, le cas échéant, les juges de paix selon le même procédé, c'est renforcer les attaches du pays aux institutions censitaires 42. Par définition, le libéralisme n'affectionne guère les vastes machines de guerre, véritable fléau pour une civilisation que l'essor comlllercial ct industriel destine à la paix et au bien-être 43. Les souvenirs de l'âge héroïque de la Révolution et des fastes napoléoniens comme le spectre de l'Ancien Régime n'ont pas permis au libéralisme, composé d'éléments hétérogènes, de dégager une politique aussi nette à l'endroit de t'armée que celle que l'industrialisme pacifique du Censeur Européen a élaboré dans ses recueils. Considérant la Révolution et t'Empire COlllme parties intégrantes de l'histoire nationale, le libéralisme, s'il réprouve le césarisme napoléonien, cherche à dissocier les gloires militaires du despotisme de Bonaparte et fait la part belle aux impératifs d'une guerre dictée à la France par une Europe réactionnaire 44. Il faut se pénétrer de l'attitude des rédacteurs de la Minerve qui ont vécu à des titres divers la Révolution ou l'Empire pour comprendre leur refus de renier une histoire nationale prodigieuse au nom d'un passé mythique ou d'accepter un culte monarchique douteux qui a partie liée avec les adversaires de la France. C'est pourquoi le libéralisme individualiste ne passe pas condamnation sur les armées permanentes. Il ne va pas aussi loin que d'adopter le plan que Tarayre a conçu pour adapter les forces armées à l'évolution des régimes constitutionnels. D'après la conception de Tarayre, l'armée se fonderait sur la bourgeoisie active dont la garde nationale, divisée en sédentaire et en active, doublée d'une force d'observation et appuyée sur un système de fortifications en profondeur pourrait assumer la défense du pays à l'extérieur et l'ordre à l'intérieur 45. Sans apporter dans ce domaine des vues révolutionnaires, le libéralisme concède la nécessité d'une armée de ligne permanente alors qu'i! confie l'ordre intérieur courant à la gendarmerie et les troubles graves à la garde nationale 46. Avec la représentation nationale censitaire, la garde nationale semble constituer dans la pensée libérale l'épine dorsale du régime, reprenant la tradition révolutionnaire incarnée par La Fayette et sauvegardant les intérêts de la bourgeoisie par ses fils dévoués. La garde nationale confiée aux propriétaires offre un autre avantage, celui d'enlever par là ses
42 Cf. Aignan, 2" cr. de l'ouvrage de Bérenger, M. Il (7), 15 juin 1818, où il examine également les brochures de Cottu et de Berton. V. aussi Pagés, art. cit., n. 30. 4:; Cf. Aignan, cr. de la brochure de Tarayre, De la force des gouvernemClls 1... ], M. V (4), 25 fév. 1819. H On peut s'en faire une idée par la profusion des ouvrages traitant des campagnes militaires de la France entre 1792-1815 et dont le général Th. Beauvais s'est fait le critique dans le Mercure. 4" Cf. Aignan, c.r. cit. -16 Cf. Prillcipes de potitique, ch. XIV, De j'organisation de la force armée
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état collstitutionnel.
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cohortes prolétariennes à la féodalité périmée 47. Par aiIIeurs, la garde nationale devrait répondre à la conception du libéralisme qui cherche dans les détails de son programme à constituer un réseau puissant de barrières contre l'envahissement du pouvoir. Les officiers seraient élus par la même bourgeoisie privilégiée et Paris pourvu d'une organisation considérable 48. Enveloppée et contrebalancée par tout un faisceau de rouages subtils, le pouvoir voit son autorité rognée par des institutions rivales et par les limites apportées à son organisation militaire. La réclamation d'autonomies locales constitue un autre élément latent pour limiter la juridiction du pouvoir. C'est l'un des thèmes obsédants qui reviennent constamment sous la plume des rédacteurs de la Minerve comme sous cel1e des auteurs du Censeur Européen. Augustin Thierry n'est pas le seul à avoir cherché à la servitude féodale et à ses projections sur le présent des compensations retrospectives dans un passé communal glorieux et des prolongements pleins de promesses dans un essor libertaire réservé aux provinces. Le libéralisme peut aisément indiquer les périls d'une concentration gouvernementale et administrative excessive et les dangers d'un Paris immense qui tend à faire confondre, par son activité dévorante, le pays tout entier avec sa capitale. La décentralisation s'impose logiquement non pas à l'exemple du fédéralisme révolutionnaire avorté, ni à celui d'une Al1emagne dangereusement morcelée, ni même selon la confédération réussie des Etats américains. La France devrait se refaire à l'image de son passé et reprendre une tradition des plus riches. En attachant ses citoyens aux intérêts, aux institutions et aux prestiges de ses provinces, el1e assurera une continuité savoureuse et recréera de grands centres d'intérêts aux miIIe activités variées. Là aussi il appartiendra aux électeurs bourgeois d'assumer les rôles des maires, des conseiIIers communaux et des conseiIIers d'arrondissement ou de département, avec un large éventail d'attributions. La conscience des responsabilités sera partagée par les non-électeurs qui apporteront leur concours à la désignation des dépositaires de l'autorité locale. Le pouvoir ne jouira que d'un droit de regard par la présence d'un délégué du roi 49. L'échafaudage politique du système des forces et des contre-forces ne se légitime que par le maintien des droits individuels. Tout le long de sa carrière, la Minerve défendra la liberté individuelle, le droit de ne pas être arrêté arbitrairement en violation des lois et des formes, et s'élèvera contre les rigueurs révoltantes et le mépris de la vie humaine 50. Fidèle à 47 Cf. A. de Lameth, Considérations sur l'organisation de la garde nationale, M. VII (6), 13 sept. 1819. 48 Cf. ibid. 49 Cf. Principes de politique, ch. XII, Du pouvoir municipal, des autorités locales, et d'un nouveau genre de fédéralisme; Pagès, De l'organisation municipale, M. VII (I et 3), 7 et 21 août 1819; Jouy, c.r. des Mémoires de Charles Dupin sur la marine [oo.], M. III (4), fin août 1818. 50 Cf. supra, n. 14; Aignan et E., c.r. cit. des ouvrages de Bérenger et de Ricard ainsi que les Principes de politique de Constant, ch. XVIII, De la liberté individuelle.
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la leçon de Voltaire, elIe ne néglige aucunement la liberté des consciences et l'égalité de tous les cultes devant la loi. L'auteur protestant de De la Religiun et ses collaborateurs ont tenu la tolérance en matière de foi et le respect de toute croyance pour le principe déterminant d'une spiritualité valable 51. L'école constantienne ne néglige pas non plus l'enseignement de l'industrialisme. ElIe ne renoncera jamais à faire figurer parmi ses revendications une grande marge de liberté pour la propriété sous toutes les formes de sa réalisation. Il est vrai que la propriété n'existe légalement qu'avec la société et qu'elle paie son tribut aux garanties en contributions. Elle ne saurait par conséquent être assimilée aux autres droits de l'individu. Elle est cependant en droit de réclamer contre les impôts excessifs et les emprunts vertigineux. Il lui appartient de s'élever contre les manipulations fiscales douteuses, les dévaluations et les déflations, les banqueroutes partielles ou totales. Il est de son droit d'exiger que la cité observe dans ce domaine les règles qui déterminent les rapports commerciaux et industriels des individus 52. Les libertés modernes se réduiraient cependant à peu de chose si la liberté de l'expression n'était pas assurée. Faculté maîtresse de l'homme, occupation et jouissance à la fois, la liberté de se faire imprimer est autant un privilège de l'individu qu'une garantie essentielle pour la sauvegarde de ses prérogatives. C'est à la liberté d'écrire que revient le rôle de surveiller les agissements des autorités à tous les échelons. C'est aux journaux et aux brochures à propager la parole des députés et à soumettre les exigences de l'opinion à l'attention des pouvoirs publics. Le modernisme des rédacteurs de la Minerve se retrouve dans la guerre intransigeante qu'ils mènent, avec le Censeur Européen 53, en faveur d'une liberté qui conditionne l'agencement du régime constitutionnel tout entier. Il faut avoir présents à l'esprit les combats menés par les libéraux en 1820 pour empêcher l'entérinement du projet restrictif de cette liberté pour se rendre compte de la grande importance qu'ils y attachent. Ils ne se lassent pas d'égrener leurs revendications, réclamant une liberté en51 Cf. Principes politiques, ch. XVII, De la liberté religieuse; B. Constant, réponse à une lettre anonyme, M.d.F. I. le, fév. 1817 ; Bénahen, Autre tableau de mœurs, M. 1 (8), fin mars 1818; Jay, c.r. de l'ouvrage d'Aignan, De l'état des protestans en France [ ... 1, M. II (1,4 et 6), 6, 24 mai et 10 juin; B. Constant, Réflexions [ ... ] sur la même brochure, M. 1\ (3), 20 mai; Jay, c.r. de la 4' éd. de l'ouvrage anonyme [Daunou], Essai historique sur la puissance temporelle des papes, et sur l'abus q1l'ils ont fait de leur ministère spirituel, M. III (12), 21 oct. ; Pagès, c.r. de la Chronique religieuse, recueil destiné à propager la tolérance, M. IV (8), 26 déc. 1818, et c.r. du Mémoire historique de Martin Rollin sur l'état ecclésiastique des protestans français depuis François 1" jusq1l'il Louis XVIII, M. IV (11), 1.J. jam'. 1819; Jay, La religion, où est-elle?, M. V (Il), III avril; B. Constani, De la religion et de la morale religieuse, M. V (12), 20 avril; Aignan et Jay, c.r. de J'ouvrage de J'abbé Tamburini, Vraie idée du Saint-Siège. M. VII (3 et 10), 21 août et 9 sept. ; Aignan, c.r. des Annales protestunles, M. VIII (Il), 15 janv. 1820. fi~ Cf.PriTlcipes de politique, ch. XV, De l'inviolabilité des propriétés, la Préfuce cit. des AI élunges ; Aignan, De la propriété industrielle, art. cit. ; B. Constant, Des rapports de la grande propriété avec nos institutions, art. cit. G3 Cf. nos études cit., n. 5.
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tière pour les écrivains et les imprimeurs, demandant qu'on assimile les délits de presse aux infractions ordinaires, quitte même à aggraver les peines pour les calomnies et les appels à la révolte, exigeant la suppression de la censure et des entraves qu'un pouvoir prévaricateur s'ingéniait à multiplier. Le libéralisme se fait l'apôtre d'une politique indulgente qui jugerait l'œuvre des écrivains d'après les intentions manifestes 64. Avec le concours d'une presse libre, le libéralisme individualiste pense avoir érigé un système positif ingénieux de forces actives qui garantissent les libertés en limitant la juridiction du pouvoir. C'est un équilibre dynamique qui vient se substituer aux contrepoids statiques de Montesquieu. Non que les historiens des idées n'arrivent à détecter dans l'échafaudage du libéralisme des failles qui annoncent la ruine et qui remettent en question le système tout entier. Mal définis sont les rapports de la royauté avec le ministère ou avec les deux Chambres. Aussi peu éclairés sont les rapports des pairs avec les députés que leurs rapports à l'égard du gouvernement. Les problèmes judiciaires n'ont pas été mieux clarifiés que les autres questions épineuses de la constitution. Ne voilà-t-il pas de quoi discréditer la philosophie politique d'un libéralisme révolu et de quoi alimenter toutes les déceptions d'un vingtième siècle en quête de stabilité 55? Benjamin Constant, précurseur étonnamment clairvoyant, et les collaborateurs du recueil à sa suite n'ont jamais prétendu régenter l'avenir jusqu'à ses moindres détails et suggérer des solutions adéquates pour tous les âges. Personne mieux que Benjamin Constant n'était conscient des limites de l'humaine condition. Le modernisme constantien peut donner le change aux historiens par des abstractions dont l'universalité semble ignorer le temps comme l'espace. S'il a promu en certitudes les exigences de l'individualité moderne, c'est que tout le système politique du groupe constantien n'est là que pour conférer aux libertés de l'Homme le prestige incomparable de la durée. Cependant, Benjamin Constant ne se lassera pas d'insister sur les transmutations aussi impérieuses que fortuites des régimes et des institutions. L'expérience et la sagesse éclairent une évolution qui, contrainte de faire la part belle aux apparences illusoires d'une collectivité dirigée, tend à sauvegarder tout ce qui rend 54 Cf. Principes de politique, ch. XVI, De la liberté de la presse; également de Constant, De la liberté des brochures, des pamphlets et des journaux considérés sous le rapport de l'intérêt du gouvernement, Paris, 1814, dans l'éd. de la Pléiade, et ses Observations cit. sllr le discours de S.E. le Ministre de l'Intérieur [ ... ] ; Lacretelle c.r. de la 2· éd. de l'ouvrage de B. Constant, Observations sllr la législation de la presse en France, M.d.P. Ill, 19 juillet 1817; Tissat, c.r. cit. de l'ouvrage de Bailleul, Sur les écrits de M. Benjamin Constant relatifs à la liberté de la presse et à la responsabilité des ministres; Robert Townson, extrait reproduit du Voyage en Hongrie, Délibérations des Universités d'Ambaujvar et de Bihar, sur la liberté de presse, M.d.P. IV, 6 déc. 1817 ; Esménard, c.r. de l'ouvrage de Ricard (d'Allauch), Du jury et du régime de la presse sous un gouvernement représentatif, ibid., 20 déc. 55 Cf. D. Bagge, Les idées politiques en France sous la Restauration, Paris, 1952, p. Partie, ch. 1", Les libéraux, surtout p. 87-92 et les ouvrages indiqués dans la bibliographie.
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la vie digne d'être vécue. L'essentiel n'est-il pas de partir d'un état de fail pour l'améliorer, de ce qui est vers ce qui devrait être 56? INDUSTRIALISME ET CLASSES SOCIALES.
L'industrialisme des rédacteurs de la Minerve ne se propose pas de rétlrganiser la société pour mieux assurer la division du travail ou la répartition des richesses. L'économie politique de Say confirme des droits que la Révolution avait consacrés et que la bourgeoisie entend conserver. La participation au pouvoir de la « classe intermédiaire» est le fait de la Révolution, mais ce sont des réalités promues par la bourgeoisie au rang de principes évidents que la Charte contractuelle a naturellement sanctionnés. La féodalité privilégiée devrait céder la place au privilège du mérite. 11 est facile de le reconnaître au signe d'une propriété prodigieusement transformée. Jouissant de l'égalitè juridique, l'homme issu de la Révolution ramène la législation au niveau des mutations sociales. Ce qui fut une faveur ou une concession sous l'Ancien Régime devient grâce à ces modifications la prérogative de la bourgeoisie possédante. A elle revient le droit de faire nommer des élus à la représentation nationale. C'est elle qui retiendra les postes de commande dans la garde nationale et qui lui fournira ses légions fidèles. Officiers et soldats lui sauront gré de la glorification nationale du passé révolutionnaire et impérial 57 ainsi que du principe antiféodal de la conscription et de l'avancement fondé sur l'ancienneté 58. La judicature et le barreau détachés du pouvoir sont à elle et devraient pratiquer une politique qui est la sienne 59. A elle également seront les jurés et les juges de paix. Qui mieux que les bourgeois seraient en mesure cI'assumer la clirection des communes, des conseils d'arrondissement comme de département? Qui mieux que les penseurs et les littérateurs cie cette classe ascendante pourraient donner la mesure d'une civilisation aussi opposée à la féodalité périmée qu'angoissée par le spectre cI'une démocratie envahissante 6O? La clientèle traditionnelle de l'oligarchie terrienne pourrait être placée clans l'orbite des pros"U Cf. B. Constant, les c.r. cit. de l'ouvrage de Lanjuinais, Constitutions de la nation francaise. Evoquant l'Acte additionnel que Lanjuinais loue, Constant dit: "Tel était [ ... ] cet acte additionnel, qu'il serait inutile d'ailleurs de comparer, 50it a\'ec le5 constitutions précédentes parce qu'elles n'existent plus, soit avec la wnstitution actuelle, parce qu'elle existe. Or, comme l'a dit un homme qui a combattu avec courage le despotisme naissant, et qui n'a jamais servi le despotisme consolidé [Daunou], la meilleure constitution est celle qu'on a, pourvu qu'on l'observe. » (M. VI (3), 23 mai 1819, p. 119.) Pour un fin jugement sur la philosophie constantienne, cf. C. Bouglé, La philosophie polItique de Benjamin Constant. Revue de Paris, 1914. 1\. Cf. supra, n. 44. r,8 Cf. Bénaben, M.d.F. Il, 7 juin 1817. Les libéraux accorderonf un appui sans réserve au projet de loi sur le recrutement soumis aux Chambres par Gouvion Saint-Cyr en 1819. :;u Cf. Aignan, De la propriété industrielle, art. cif., où il rend compte de la brochure anonyme, De la propriété considérée dans ses rapports avec les droits poliru/ues. 611 Cf. Pagès, supra, n. 30 et 40.
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pérités mouvantes par la prolifération d'aristocraties bourgeoises et le concours de la population déshéritée à la désignation des autorités locales. L'essentiel, c'est de combattre le mythe comme la réalité d'une propriété foncière conservée intacte entre les mains d'une caste et qui lui confère des droits politiques. A l'affût de tout changement dans la loi électorale qui garantirait aux anciennes et aux nouvelles aristocraties un pouvoir excessif de représentation, Benjamin Constant s'élève contre les substitutions et les majorats, contre la notion d'une propriété héréditaire statique. L'ère moderne tendrait au morcellement et à la mobilité des propriétés. La même liberté que le libéralisme réclame pour ses droits individuels devrait être assurée à la propriété. Il serait insensé de perpétuer des majorats dans un pays où la terre avait été intimement liée à l'oppression. Si la grande propriété a été associée Outre-Manche aux conquêtes libertaires, elle est en France le symbole d'une féodalité révoltante 61. En remontant les sentiers de l'histoire, on peut recueillir l'héritage des Physiocrates et y opérer les correctifs industrialistes nécessaires. Le grand mérite de Turgot est d'avoir démoli l'identification entre les féodaux et la terre, mais l'erreur de l'Ecole fut de rattacher l'impôt exclusivement à la terre et de limiter par là les droits politiques à la possession foncière 62. La doctrine des Physiocrates est bien révolue à l'ère de l'industrialisme. La terre ne saurait à elle seule supporter tous les impôts et pour éviter le paupérisme d'Outre-Manche, il serait préférable d'imposer tous les revenus et d'alléger les charges de la consommation 63. Un économiste de la trempe même de Garnier, s'est laissé prendre au mythe terrien au point de proposer la substitution de nouvelles aristocraties bourgeoises aux aristocraties périmées de l'Ancien Régime 64. Le libéralisme, sans renoncer à la terre comme signe de propriété - le recueil appellera de ses vœux l'achèvement du cadastre pour assurer une répartition plus équitable de l'impôt 65 - , tend de plus en plus à mettre en valeur les facultés toniques de la fortune commerciale et industrielle. Les idées contenues dans la brochure - De la propriété considérée dans ses rapports avec les droits politiques - dont la paternité reviendrait de tout droit à Roederer 66. attestent la large diffusion de l'industrialisme et le rôle considérable que les publicistes se plaisent à réserver dans la vie politique aux professions libérales. Sous l'égide de la propriété industrielle toute-puissante sont également rangés les talents de l'homme qui pense. C'est l'industrie qui aurait aboli l'esclavage en Europe, fondé les républiques en Italie et conquis les libertés en France 67. Propriété industrielle 61 Cf. art. cif. 62 Cf. 63 Cf. 64 Cf. 65 Cf. foncier et 66 Cf. 67 Cf.
B. Constant, Des rapports de la grande propriété avec nos institutions, Agnan, supra, n. 59. Bénaben, M. 1 (II), 19 avril 1818 et B. Constant, supra, n. 32. Bénaben, ibid., M. 1 (II). Aignan, c.r. de la brochure de Lerebours, De la répartition de l'impôt du cadastre, M. 1 (3), 20 fév. 1818 ; Bénaben, M. 1(4), fin fév. ibid.
ibid.
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et progrès sont synonymes. Le législateur ne saurait aménager l'ordre politique sans faire appel aux forces actives de la société. Les rédacteurs de la Minerve se font un plaisir chaque fois que l'occasion se présente de payer leur tribut d'hommages à une propriété « qu'on peut appeler la législatrice et la bienfaitrice du genre humain 68 ». Les mêmes idées sont mises en avant lorsque le libéralisme applique son optique aux faits qui sollicitent son intérêt. L'exposition de l'industrie française dans les salons du Louvre rénové, inaugurée le 25 août 1819, provoque chez les rédacteurs un hymne de victoire. Ils montrent la France triomphant du monopole de l'Angleterre par des prouesses dans la production des tissus de coton, de laine, de chanvre ou de lin et dans la reprise non moins spectaculaire des soieries de Lyon. Que1le occasion rêvée pour s'étendre sur toute la gamme des productions textiles et pour mettre en valeur les manufactures des Ternaux, Perrier, Richard-Lenoir, Oberkamf, Jouy, Koëchlin, Gros, Davilliers, Roman et combien d'autres! Ces manufactures semées un peu partout dans le nord, dans l'est, à Paris, à Lyon et dans le midi témoignent de l'effort immense de la bourgeoisie audacieu~e. A Chaptal, ancien ministre de l'Intérieur sous le Consulat, revient le mérite d'avoir contribué avec d'autres à l'introduction et au perfectionnement des machines de tissage. Les chiffres de l'ancien ministre sur la production manufacturière que le recueil cite, constituent un témoignage probant quant ou rôle efficace de la bourgeoisie dans le relèvement de l'économie 69. La classe bourgeoise mérite également de la reconnaissance pour les efforts qu'elle déploie à assurer la subsistance de Paris par une compagnie de prévoyance. Il est vrai qu'Alexandre de Lameth a des doutes sur le projet de Ternaux, bien qu'il réponde aux principes de la libre circulation des grains et que le grand économiste Say ait été consulté à ce sujet. Le libéralisme répugne à toute forme de monopole et à toute concentration de moyens susceptibles de mettre en danger la liberté du commerce 70 ainsi qu'il flétrit toute velléité suspecte de rétablir à Paris les maîtrises et les jurandes 71. Il déplore la stagnation du commerce français ct recommande vivement son extension par de nouveaux débourhés. C'est un devoir pour lui que de s'associer aux réclamations de Laffitte aîné contre le refus opposé par le ministère de la Marine de concourir au projet d'une expédition commerciale et scientifique dans les Indes, proposé par six sociétés françaises 72. Le colonialisme s'accorde mal, il est vrai. avec les principes industrialistes, mais la France ne saurait supprimer le peu de possessions qui lui restent, ni limiter les crédits
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Aigllan,De la propriété industrielle, M. V (9), 2 avril 1819, in fine.
ou Cf. Tissot, Sur l'exposition des produits de l'industrie française, M. VII (5
et 9), début sept. et oct. 1819, ainsi que Dumoulin, M. VII (5). 70 Cf. A. de Laemth, Economie politique, M. VI (4), fin mai 1819. 71 Cf. Bénaben, M.d.F. III, 27 sept. 1817 et M.d.F. IV, 18 oct. et le. nov. 72 Cf. Bénaben, M. 1 (11), 19 avril et Correspondance, M. Il (5), début juin 1818; le Mercure avait accueilli avec faveur la restitution à la France de la Guyane, Bénaben, M.d.F. III et IV, 27 sept. et 25 oct. 1817; reprise de Chandernagor et de Pondichéry, M.d.F. III, 2 août.
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affectés à la gestion de ses colonies. Au contraire, elle se doit de redoubler d'activité et de dénoncer l'accaparement du commerce par l'Angleterre, en Espagne, au Portugal, dans l'Amérique espagnole et dans les îles 73. Le libéralisme ne badine pas avec la liberté ni avec les intérêts de la finance française. Il combat avec véhémence le recours du gouvernement aux maisons Baring et Hope pour hâter la libération du territoire 74. S'il préconise l'appel à toutes les ressources volontaires du pays, suceptibles d'apporter le concours nécessaire à la libération, il ne laisse pas de protester contre des souscriptions obligatoires aux rentes de l'Etat 75 et contre toute augmentation du nombre des agents de change à Paris 76. Chaque discussion du budget lui servira d'occasion pour s'élever contre les impôts écrasants, contre les pensions inutiles et l'affectation de sommes considérables au maintien des régiments suisses 77. L'essor du commerce et de l'industrie comporte sans doute la plus large mesure de liberté. L'idéal aurait été de supprimer les prohibitions et les taxes sur les matières importées, mais le système universel en vigueur oblige la France à suivre les mêmes voies. Il appartient au pouvoir cependant de réduire les droits sur les produits importés 78. L'obligation des 600 boulangers parisiens d'acheter aux autorités des farines avariées à un prix élevé, celle de 10.000 pharmaciens d'acheter un nouveau codex medicamentarius, ou les chicanes suscitées à des marchands en gros de liqueurs par une régie qui se plaît à les considérer comme marchands en détail trouveront auprès des rédacteurs des apologistes déterminés des droits du commerce 79. Le libéralisme ne badine pas avec le crédit non plus et se fait l'interprète des anciens créanciers bonapartistes pour que le gouvernement intervienne en leur faveur auprès des Alliés. Les obligations particulières devraient être respectées de part et d'autre et si la France s'est engagée par les traités des 30 mai 1814 et 20 novembre 1815 à rembourser des sommes énormes, il faut que le paiment des dettes contractées par l'étranger à titre privé soit aussi scrupuleusement assuré 80. Il va sans dire que le recueil défend le droit des colons des îles de Bourbon et de France de récupérer les sommes qu'ils avaient prêtées à l'Etat ainsi que celui des créanciers juifs alsaciens à l'endroit de l'Alsace. Les rédacteurs s'empressent aussi d'appuyer le sursis demandé par les colons de SaintCf. Saulnier fils et Pagès, M. \II (8), et M. IV (4), 27 sept. et 28 nov. 1818. C'est une critique qui revient souvent sous la plume des rédacteurs, cf. infra, ch. \II, Le Ministère Richelieu. 75 Cf. Pagès, M. II (II), 15 juillet 1818. 76 Cf. Etienne, n° 28, M. III (10), 10 oct. 1818. 77 Cf. Bénaben, Pétition des rouliers et voituriers d'Avignon pour ~tre exemptés d'impôts, Session des chambres, M.d.F. IV, 6 déc. 1817; Aignan, c.r. de la brochure de Lanjuinais, Des dépenses .et des recettes de l'état pour l'an 1818, et du crédit public, M. 1 (3), 22 fév. 1818. 78 Cf. ibid. 79 Cf. Bénaben, M. 1 (7), 21 mars 1818 ; Pagès, M. IV (4), 24 nov. et M. IV (5),6 déc. ; lettre-réponse de la régie, M. IV (7), 19 déc. 80 Cf. Pagès, M. III (8), 27 sept. 1818; Etienne, ilo 28, M. III (10), 10 oct. 73 74
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Domingue alors qu'ils refusent toute prorogation aux dettes des émigrés Ml. Le concept libéral de la liberté est tel que les rédacteurs préféreraient voir l'usure éliminée par le jeu naturel de l'offre et de la demande, grâce au développement du crédit et du système bancaire, que réduite en apparence à force de décrets 82. La même optique suscite chez eux des éloges pour les compagnies d'assurance et un accueil bienveillant à l'emprunt lancé par la ville de Paris afin de faire face à ses obligations S3. La critique de l'action ou de l'inaction du gouvernement en matière d'économie alterne parfois avec des louanges lorsque le pouvoir opère des économies par la fusion malencontreuse des forêts avec celle de l'enregistrement ou par la suppression de plusieurs emplois dans la trésorerie, les ministères de la guerre et de la marine 84. Les recueils réservent un accueil chaleureux aux primes accordées à l'industrie manufacturière 85, aux défrichements de terres que les autorités encouragent 86 ainsi qu'à la construction de barrages sur l'embouchure de la Somme 8,. Non contents de voir le gouvernement condamner vigoureusement l'exploitation honteuse des naufragés par leurs sauveteurs affamés, les rédacteurs demandent que la Bretagne soit secourue par le développement des industries locales 88. Le Mercure et la Millerve - le premier recueil notamment - se font un devoir d'enregistrer les belles perspectives d'une agriculture qui bénéficie du beau temps 89 et qui fait des progrès notables dans la culture de la pomme de terre 90. La baisse comme la hausse des prix du blé sont enregistrés en même temps que les troubles provoqués dans plusieurs provinces par la cherté du pain 91. Les orages et les ravages subis par la culture, notamment celle de la vigne, sont décrits scrupuleusement, parfois poétiquement, à côté des primes et des encouragements distribués aux cultures de rechange D". Dans l'ensemble, le concert d'éloges et de critiques à l'adresse de l'agriculture, du commerce et de l'industrie se plaît à assimiler toutes les '1 Pour les sommes dues aux colons de l'lle-de-France et de l'Ile Bourbon, cf. Bénaben et Pagès, M. 1 (10) et M. Il (12), 12 avril et 21 juillet 1818; pour les créanœs des luifs d'Alsace, Bénaben, M. 1 (.t), fin fév. ; pour le sursis demandé par les colons de Saint-Domingue, ibid. "~ Cf. Bénahen, M.d.F. Il, 31 mai, dit son contentement d'une nouvelle loi qui. apportant un correctif à la législation de la Révolution, sacrifie le droit de la propriété à la liherté individuelle; Pagès, De l'usure, M. III (1), 5 août 1818. '" Cf. Bénahcll, M.d.F. Ill, 23 août 1817. S4 Cf. ibid. et M.d.F. Il, 24 mai 1817 et M.d.F. IV, 22 et 29 nov . .,~, Cf. ibid., et M.d.F. IV, 20 sept. 1817. Hli Cf. Bénaben, M.d.F. III, 6 sept. et M.d.F. IV, 15 oct. 1817; Etienne, n° 6, M. 1 (9), début avril. 1818. " Cf. Bénaben, M.d.F. IV, Il .oct. 1817. " Cf. Bénaben, M. 1 (5),7 mars 1818. H" Cf. Bénaben, M.d.F. Il, 17 mai et 14 juin et M.d.F. IV, 29 nov. 1817. !IO Cf. ibid., M.d.F. IV, Il et 18 oct. 1817. 01 Cf. Bénaben, M.d.F. Il, 31 mai et 14 juin 1817 ; M.d.F. IV, 8 nov. \!2 Cf. ibid., M.d.F. Il,31 mai 1817 et M.d.F. IV, 18 et 25 oct.
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conditions sociales aux catégories privilégiées de la bourgeoisie censitaire. Certes, les publicistes libéraux manquent rarement l'occasion de se pencher sur l'immense misère d'un pays soumis à l'occupation et au remboursement des indemnités de guerre. Mais il ne s'agit là que d'un rappel à l'ordre du gouvernement comme de l'Europe, sans que l'évocation des souffrances du pays détermine la moindre distinction explicite de la condition des classes déshéritées. Les recueils sont hautement conscients des vertus agissantes de la bourgeoisie qu'ils identifient volontiers avec les valeurs morales tout court. L'égalité est en somme une abstraction juridique et les réalités sociales se chiffrent globalement par l'essor et la stabilité d'une France qui gagne à la comparaison avec les pays qui ont renversé l'Empire 93. C'est un tableau comparatif qui est souvent évoqué par les publicistes et qui compose un motif puissant pour chanter les bienfaits de la monarchie constitutionnelle et pour dire les mérites d'un engagement loyal dans les chemins bourgeois de l'avenir. Mais pas plus que l'industrialisme du Censeur Européen et les recueils de Saint-Simon, le libéralisme individualiste ne va pas au delà d'une préfi'guration de la science sociale. Les activités multiformes de la bourgeoisie constituent le premier comme le dernier terme de sa pensée sociale. L'optique sociale du libéralisme individualiste est aussi limitée que le sont les droits politiques qu'il revendique pour ses fidèles. Lors des pérégrinations imaginaires de l'Ermite de la Guyane à travers les provinces pittoresques de la France, Jouy déroulera les mêmes tableaux réalistes et rendra partout le même hommage dithyrambique à une classe qui associe aux virtualités d'une civilisation en marche les vertus patriotiques d'un proche passé glorieux 94.
LA RELIGION.
Pour l'historien futur de De la religion et pour ses collaborateurs, la tolérance en matière de foi constitue une des pierres de touche de la validité du régime constitutionnel. Non que les préoccupations protestantes de Constant et les prolongements doctrinaux du groupe de Coppet se trouvent exclusivement à l'origine d'un enseignement qui tend à séparer l'Eglise de l'Etat. Une étude approfondie de la Religion de Constant éclairerait sans doute un système qui voit partout une évolution libérale possible, une perfectibilité virtuelle tendant à s'affirmer à travers l'histoire tourmentée de l'humanité et dont la religion de par ses racines, ses ramifications et sa portée fournirait la preuve la plus tangible. Il n'entre pas dans notre propos d'accorder aux idées religieuses de Constant des développements étendus qui dépasseraient le cadre de notre étude. Cependant, en matière religieuse comme en matière politique, la leçon constantienne se reconnaît aisément. Les deux domaines se mêlent 93
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Cf. p. ex. Bénaben, M.d.F. II, 14 juin 1817. Cf. infra, ch. VI, Propagande et faits divers.
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d'ailleurs et se pénètrent trop intimement pour que les transpositions ne soient pas manifestes. Le génie du Christianisme s'inscrit malgré la date de sa publication dans un mouvement de recul vers un passé tout proche que la Restauration royaliste pourra reprendre à son compte sans trop de peine. Le sectarisme fougueux de Lamennais rejoint le laxisme de Chateaubriand pour combattre le dix-huitième siècle philosophique et ses prolongements protestants et libéraux. Les positions adverses s'éclairent par l'accent qu'on met respectivement soit sur le terme Monarchie soit sur le qualificatif Constitutionnelle. Les partisans de la royauté nourrissent l'optique d'un passé éblouissant, où trône et autel ont concouru ensemble à la béatification des âmes. Les adeptes de la constitutionnalité professent une liberté qui fait miroiter aux yeux de ses fidèles un avenir où le spirituel sera réduit aux dimensions de l'individu et où le temporel se contentera d'en assurer la jouissance. Les engagements militants du libéralisme individualiste à l'endroit des actes décisifs ou fortuits de l'Eglise ne laissent pas de dégager une philosophie de la religion qui se transforme en histoire pour décrier la renaissance de la temporalité catholique ou pour malmener par la même occasion les alliances suspectes entre les partisans de l'absolutisme et les militants d'une religion dominatrice. Pour faire pièce à l'impérialisme universel du catholicisme, le libéralisme invoque le sentiment intérieur qu'il considère comme immuable tout le long des métamorphoses nombreuses des diverses religions. Non que l'opposition du sentiment religieux aux institutions temporelles de l'Eglise signifie un recours perspicace à un argument utilitaire, dicté par la conjoncture. C'est justement par cette invocation que les positions d'actualité se transforment dans les recueils en une vision philosophique et que la distinction constantienne entre le sentiment et les formes, esquissée dans les Principes de politique 95, trouve ici sa confirmation 96. Il est vrai que la distinction ne sera rendue tout à fait explicite que dans l'ouvrage De la religion 97, mais les articles publiés dans le Mercure et dans la Minerve tendent à glorifier le sentiment intérieur comme élément capital qui précède toute organisation cultuelle et qui se retrouve dans toutes les religions alors que les manifestations matérielles de la spiritualité changent sans cesse. Il est curieux de noter à quel point Constant comme Chateaubriand a du mal à renoncer aux matériaux qu'il avait accumulés au cours de ses longues pérégrinations. Les admirateurs d'Adolphe constateront avec plaisir la récurrence des mêmes périodes lors de la définition du sentiment Cf. ch. XVII, De la liberté religieuse. Cf. B. Constant, réponge à un correspondant, M.d.F. l,1 er fév., ainsi que son C.r. de l'Eloge de Saint Jérôme, M.d.F. Il, 31 mai 1817; Pagès, c.r. de la Chronique religieuse, M. IV (8), 26 déc. 1818; Jay, art. en réponse à Lamennais, La religion où est-elle ?, M. V (11), 16 avril 1819; B. Constant, art. en réponse aux tentatives d'introduire dans la législation pénale relative à la presse les atlt!intcs contre la morale et la religion, De la religion et de la morale religieuse, M. V (12), 20 avril. D7 Cf. les ch. 1 et Il du Livre premier dans l'éd. de la Pléiade. 1J5
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CREDO POL/TIQUE intérieur 98 ainsi que la répétition des mêmes idées et des mêmes phrases pour décrire le déclin de la société antique ou le passage du polythéisme à la pureté de la primitive église 99. C'est par cette évolution que Constant peut démontrer l'écart qui existe entre les institutions périmées et la nécessité d'aménager de nouvelles formes pour un sentiment religieux toujours existant. La même progression prouve la distance qui sépare le pouvoir des institutions révolues et son intérêt à les maintenir. Chateaubriand a eu tort de dresser un parallèle spécieux entre un merveilleux païen qui n'existe plus et un christianisme anachronique. Il eût fallu montrer le polythéisme miné par la philosophie, combattu par l'indifférence, dégradé par la superstition et, d'autre part, la résurrection de l'humanité par une religion d'abnégation et de détachement, de courage et de dévouement. " Cette lutte du théisme, non pas contre le polythéisme, car le polythéisme n'existait plus en réalité, mais contre des formes vieillies qui ne commandaient aucun respect, et que l'autorité, bien qu'elle eût pour but de les maintenir, ne pouvait s'astreindre à ménager; cette lutte, dis-je, serait le sujet d'un ouvrage dont rien encore à ma connaissance, ne donne l'idée. » 100 Le chantre du Génie du Christianisme a faussé l'histoire en opposant la religion de Bossuet au culte plein de vigueur d'Homère. Peutêtre sera-t-il donné à l'historien futur du Polythéisme romain de combler cete grave lacune? L'avenir imprévisible ne s'est pas laissé déchiffrer par Constant. L'auteur passionné de questions religieuses ne s'est jamais douté de l'oubli profond dans lequel tombrerait l'œuvre de sa vie. Il est triste le sort qui apparente la Religion, ne serait-ce qu'à titre de parente pauvre, à la fortune révolue du Génie du Christianisme. Toutefois, soit affinités, soit éloignements, le fait notable à enregistrer est cette vision de la religion qui la replace au cœur même des crises décisives de l'humanité pour montrer la confrontation des valeurs stables aux phénomènes éphémères. A lire attentivement l'article qui relate ici comme ailleurs chez Constant la lutte du théisme contre les vestiges pourris du polythéisme, on dirait que la guerre déclarée par le déisme voltairien aux dogmes et à la superstition se renouvelle tout entière dans l'évocation du polythéisme expirant 101.
98 Cf. supra, II. 95 et Constant, art. cit. dans la n. 96 ainsi que le l or ch. cit. dans son ouvrage, De la religion. Mather, dans son introduction au Polythéisme romain, donnera à la fin une longue citation de Constant relative au sentiment religieux. 09 Cf. B. Constant, c.r.cit. de l'Eloge de Saint Jérôme; son art., Aperçus sur
la morale et les révolutions de la philosophie à Rome (Extrait d'un ouvrage inédit), M. 1 (13) et M. Il (2), fin avril et 14 mai 1I118 (art. recueilli dans les Mélanges); le 2' ch. cit. de l'ouvrage De la religion; Christianisme, Paris, 1825; Religion, Paris, 1826; Du développement progressif des idées religieuses (in Mélanges) ; Des causes humaine qui ont concouTIl à létablissement du christianisme (in Mélanges). 101) C.r.cit. de l'Eloge de Saint Jérôme, p. 406. 101 Cf. ibid. Pour des études détaillées de la religion de B. Consant, cf. les ouvrages de P. Deguise, Benjamin Constant méconnu, Genève, 1966 - ct H. Gouhier, Benjamin Constant, Pari,;, 196n.
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Les collaborateurs de Constant n'ont certes pas eu la même vue grandiose de l'antique spiritualité. Fin lettrés, formés à l'école romaine et grecque, inspirés vivement par l'œuvre voltairienne, ils se font volontiers à un système sommaire qui éclaire le renversement du polythéisme romain par la corruption des institutions religieuses et l'enracinement de l'Evangile par l'accord entre les aspirations profondes de l'humanité et le nouveau message 102. La distance est cependant grande qui sépare le sentiment religieux des rédacteurs des impératifs rationnalisants de Voltaire. Nul doute que Jouy, jay, Aignan ou Etienne, Lacretelle et même Constant n'aient toujours puisé aux riches sources du patriarche de Ferney. La Restauration atteste d'un redoublement considérable du prestige voltairien. Le Mercure comme la Minerve en portent un témoignage enthousiaste. Mais la spiritualité de Constant, et à son exemple, bien qu'à un degré nettement moindre, celle de ses collaborateurs, répugne aux assimilations des principes par trop faciles, axiomes que Voltaire et les Philosophes ses adeptes ont claironnés avec bonheur 103. La spiritualité constantienne prend des accents qu'aucune religiosité mystique et qu'aucun panthéisme poétique ne renieront. « Celui qui regarde comme des erreurs toutes les espérances de la religion, doit être plus profondément ému que tout autre de ce concert universel de tous les êtres souffrans, de ces demandes de la douleur s'élançant vers un ciel d'airain [ ... J.» 104 Source inépuisable de consolations pour le malheur, la religion est de toutes les émotions la plus naturelle. Elle est associée à la perception de l'immensité comme de la solitude, à l'enthousiasme débordant ainsi qu'à la conscience extatique du devoir. « [ ... ] tout ce qui soulève au fond de notre âme les éléments primitifs de notre nature, le mèpris du vice, la haine de la tyrannie, nourrit le sentiment religieux.» 105 Le sentiment religieux est proche parent de toutes les passions élevées: de l'amour, de la soif de gloire, du besoin de dévouement, de la mélancolie. Si toutes ces passions poussent l'homme à renoncer à ses intérêts habituels, à s'écarter des impératifs d'une vie routinière, le sentiment religieux, de par son désintéressement et de par sa durée, se transforme vite en dépassement qu'aucune autre passion ne saurait atteindre. C'est dans la puissance émotive que Constant trouve les virtualités agissantes de l'homme moral et c'est par là qu'il éclaire des mobiles qui restent mystérieux pour l'intelligence, mais qui permettent à l'homme de se réaliser dans le dépassement, dans l'ennoblissement de ses impulsions et de ses actes. On croirait que Constant identifie la religion, réduite à ses éléments primordiaux, avec la morale. Toujours est-il qu'il s'est refusé avec ses collaborateurs à considérer la religion comme un élément pratique, destiné à renforcer les dis-
102
Cf . .Iay, La religion, où est-elle ?, art. cit. et son 3' c.r. de l'ouvrage d'Ai-
{{nan, De l'état des protestans en France depuis le seizième siècle jusqu'à nos
Jours [... ], M. Il (6), ID juin IRI8. C'est à la fin du c.r. que Jay reproduit le plaidoyer d'Aignan en faveur de la religion. 103 Cf. R. Pomeau, La religion de Voltaire, Paris, 1956. 104 De la religion et de la morale religieuse, art. cit., p. 584. 105 Ibid., p. 585.
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positifs légaux des forces de l'ordre 106. Il est vrai que la religiosité se prête mal à une définition satisfaisante. Elle peut à la rigueur se décrire à l'aide de rapprochements et de projections. Comment définir «avec précision cette partie vague et profonde de nos sensations morales qui par sa nature même défie tous les efforts du langage? Comment définiriez-vous l'expression d'une nuit obscure, d'une antique forêt, du vent qui gémit à travers des ruines ou sur les tombeaux, de l'océan qui se prolonge au-delà des regards? Comment définiriez-vous l'émotion que vous cause les chants d'Ossian, l'église de Saint-Pierre, la méditation de la mort, l'harmonie des sons ou celle des formes? Comment définiriez-vous la rêverie, ce frémissement intérieur de l'âme où viennent se rassembler et comme se perdre, dans une confusion mystique, toutes les puissances des sens et de la pensée? » 107. L'indifférence en matière de religion des philosophes ne se nourrit pas d'elle-même, mais traduit davantage une réaction violente contre la corruption extrême du sentiment religieux. L'alliance bâtarde entre la religion et le pouvoir, la matérialisation de la foi en une tyrannie despotique a dressé contre elle de tout temps les hommes rebelles à l'emprise de l'autorité sur les âmes. C'est le manque de liberté qui tue la religion et c'est par la liberté qu'on pourra la raviver. La liberté religieuse devrait s'accorder aux institutions de l'ère moderne qui figurent le nouvel Evangile de l'humanité 108. La solution esquissée par Constant et Jay réside justement dans la séparation entre l'Eglise et l'Etat et dans le devoir qui incomberait aux diverses communautés de subvenir aux besoins de leurs pasteurs 109. Il appartient à la société de préserver la pureté du sentiment religieux pour le bien des individus et de la société. Toute dérogation à ce principe déterminant de la spiritualité ramènerait les maux qui ont affligé l'humanité dès que la primitive église tourna le dos à une doctrine d'amour et de pauvreté pour se vouer aux corruptions de la temporalité. L'ouvrage anonyme de Daunou - L'Essai historique sur la puissance temporelle des papes et sur l'abus qu'ils ont fait de leur ministère spirituel - de même que la traduction de l'ouvrage de Dom Pierre Tamburini de Brescia - Vraie idée du Saint-Siège - répondent tous les deux à la même préoccupation. La réunion des glaives temporel et spirituel, fondée sur toute une série d'usurpations et sur les fausses décrétales, a été aussi funeste au pouvoir laïque qu'à la religion 110. C'est l'organisation temporelle de l'Eglise et les prétentions des papes, notamment celles de Grégoire VII, à une théocratie universelle qui se trouvent à l'origine des guerres qui ont opposé le Saint-Siège à la chrétienté. Les abus exorbitants, la soif de pouvoir et d'argent dont a fait preuve la papauté Cf. B. Constant, réponse cit. à un correspondant. De la religion et de la morale religieuse, art. cit., p. 587. 108 Cf. Pagès, c.r. cit. de la Chronique religieuse; )ay et Constant, La religion, où est-elle? et De la religion et de la morale relIgieuse, art. cit. 109 Cf. B. Constant, réponse cit. à un correspondant et Jay, art. cit. 110 Cf. Pagès, c.r. cil. de la Chronique religieuse. 106
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expliquent l'immense révolution du seizième siècle aux conséquences lointaines que le dix-neuvième à ses débuts n'a pas encore épuisées 111. La réforme marque justement cette révolte inévitable contre les formes qui ont vicié foncièrement les véritables idées de la religion. Le retour au sentiment religieux que Luther avait prêché répondait à l'aspiration infinie de ses contemporains et la victoire qu'i! avait remportée sur des forces en apparence insurmontables témoigne de la portée de cette vérité. Si la réforme schismatique favorisa dès ses débuts le jeu des forces politiques, elle n'en était pas moins un puissant et constant motif de rénovation spirituelle pour l'Eglise catholique 112. La constitutionnalité n'a que faire du pouvoir temporel des papes. Ayant refusé l'absolutisme monarchique au nom de la liberté, elle trahirait sa cause si elle admettait la résurrection des doctrines ultramontaines et leur aboutissement sous la Restauration. Que la papauté se confine dans son rôle strictement spirituel et qu'elle se soumette aux lumières et aux décrets des conciles nationaux 113 1 Le libéralisme individualiste ne se lassera pas de dénoncer une alliance contre nature entre le pouvoir civil et le pouvoir spirituel. Documents en mains et chiffres à l'appui, il dénombrera les ravages perpétrés en Espagne par l'Inquisition et l'impasse dans laquelle s'est engagé un grand pays par l'emprise d'une théocratie sans rémission 114. Si l'opposition des rois et des parlements avait valu à la France les prestiges des libertés gallicanes 115 et la sagesse du chancelier de l'Hospital la tolérance de l'édit de 1561 1l6, il faut imputer à la papauté, à la maison d'Autriche et à leurs adeptes en France la politique néfaste qui avait provoqué les guerres de religion ll7. C'est l'action des Jésuites et des partisans de l'absolutisme qui éclaire la révocation de l'Edit de Nantes. Quel acte de folie que celui qui a dépeuplé la France d'un nombre considérable de ses citoyens les plus actifs et qui a vu ses voisins s'enrichir des rescapés d'un malheureux pays! Que dire de la mauvaise foi, des spoliations et des horreurs qui ont accompagné la Révocation et qui auraient légitimé par anticipation les actes insensés de la Terreur 118 ? 111 Cf. .Iay, C.r. de la 4" éd. de l'ouvrage anonyme de Daunou, M. III (12), ::'1 oct. 181H. 112 Cf. ibid. 113 Cf. Ai~nan, cr. de l'ouvrage de TamburinÎ, M. VII (3), 21 aoùt 1819 ; Jav, Du pouvoir des papes consacré au même ouvrage - , M. VIII (10), fi j;ll1\'. 1820 . . III Cf. Aignan. cr. de l'ouvra!.(e de D. Jean-Antoine L1orente, Histoire critique de l'inquisition d'Espagne [ ... l. trad. en 3 vol., M.d.F. III et IV, 20 sept et 6 déc. 1817. 11" Cf. r,énahen, Autre lab/t'au de mœttrs, M. 1 (8), fin mars 181R. 1!6 Cf. .lay. 1" cr. cit. de l'ouvrage d'Aignan, Dr l'état des protestans 1"1 France llC{JlIis 1" seizièml' siècle jlIsqlI'à nos jours [ ... ], M. VI (1), 6 mai 1818, l i , Tout le développement sur le protestantisme est fondé sur le c.r. cit. de .la::. y ;lÎouter les de~lx autr'èS parties, M. Il (4 et Il), 24 et 10 juin 1818; cf c'ga\enll'nt Aignan, C.r. des Allnales protestanles, M. VIII (11), 15 janv. 1820. 1 h D. Constant a volé au secours de son collègue Aignan que la presse I,)vali~te a malm~né à la suite ùe son parallèle entre les horreurs de la Révo,:!::OI1 et c~lIes de la Convention. Constant insiste sur les misères des protestants
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Il faudra attendre la croisade de Voltaire et de ses élèves contre l'intolérance et à la fin du siècle l'action de Malesherbes, de Turgot, de Rulhière et de La Fayette, pour voir les protestants bénéficier en France d'un régime moins rigoureux. La Révolution à ses débuts a su replacer la religion sur ses véritables bases et accorder à tous les cultes une entière liberté d'exercice. Cependant, le régime concordataire de Bonaparte a enlevé à la réforme française sa liberté de discipline intérieure 110 et la Terreur Blanche a repris à son compte les crimes de la Ligue et des confesseurs de Louis XIV. Ce n'est que par une optique nettement nationale, axée sur les libertés reconnues explicitement par la Charte que les protestants pourraient remplir à part entière leur rôle de citoyens actifs 120. Le caractère contractuel de la Charte peut faire admettre aux libéraux le catholicisme comme religion d'Etat, à condition que la liberté des autres cultes soit préservée. « Si la nature du gouvernement monarchique exigeait une religion d'état, la nature du gouvernement représentatif exigeait une religion tolérante. » 121 La transaction entre les forces opposées du passé et du présent, laisse entière la liberté pour chacun de professer la religion qui est sienne. Cette liberté devrait aller de pair avec le souci d'accorder l'Eglise favorisée avec les institutions de la Restauration et de sauvegarder les mêmes principes dans son organisation temporelle. Le passé n'est pas uniquement celui d'une union rêvée entre le trône et l'autel. Le désir de donner ses libertés à l'Eglise gallicane s'exprime déjà dans la pragmatique de Charles VII et dans la longue résistance des parlements au concordat de 1516. L'indépendance de l'Etat ainsi que la nécessité d'insuffler à la vieille Eglise de France un esprit libéral prescrivent aux deux Chambres une politique d'opposition à toute résurrection de l'ancien COlllme du récent concordat 122. dont plus d'un million auraient émigré (Aignan cite le chiffre de plus d'un demimillion). Il repousse par ailleurs 'Ie reproche de républicanisme dont les ultras taxent les protestants, en montrant les réformés sous tous les régimes comme sujets et citoyens zélés. Cf. Q1Ielques réflexions sur la brochure de M. Aignan, de l'état des Protestans l'n France, et sur des critiques dirigées cOlltre cette brochure, M. II (3), 20 mai 1818. uu Cf. Pagès, c.r. cit. du Mémoire historique, adressé au ministre de l'Intérieur par le pasteur Martin Rollin, sur l'état ecclésiastique des protestans français [ ... ), M. IV (II), 14 janv. 1819. 1~O Pour soustraire les enfants protestants à l'action de l'Eglise, B. Constant soutient la pétition réclamant des écoles séparées, M. V (3), 19 fév. 1819. 1"1 Bénaben, M. 1 (8), fin mars 1818, p. 392. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre l'intérêt que les rédacteurs ont attaché au jugement de la Cour de Cassation dans l'appel interjeté par les protestants de Vaucluse, de la Drôme et de la Lozère que des trihunaux inférieurs ont condamnés pour avoir refusé d'orner et de tapisser les devantures de leurs maisons lors des processions; B. Constant rendra hommage au plaidoyer d'Odilon Barrot et à l'esprit tolérant de la Cour de Cassation dans le jugement en appel du protestans Roman, Tribunaux, M. IV (4), 28 nov. 1818; c'cst dans le même esprit que Constant a défendu la callse de la minorité juive, Tribunaux, M. III (12),21 oct. 122 Cf. ibid. ; quant aux bruits sur la conclusion du concordat, cf. Bénaben, M.d.F. Ill, 23 août 1817 ; Pagès, M. IV (12), 23 janv. 1819; Etienne, n° 71, M. VII (6), 13 sept. ; protestation de Pie VII, devenue déjà tradition, contre l'occupation d'Avignon et du Comtat Venaissin, Pagès, M. li (8), 23 juin 1818.
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Le libéralisme individualiste ne fait pas mystère de ses engagements. L'alliance entre les ultras et les ultramontains incarne les anciennes accointances entre le despotisme et la papauté. Pis encore, le clergé dépossédé préfère l'appui de Rome à la protection de la royauté 123. Les Jésuites qui renaissent partout pour se ressaisir de l'éducation et reprendre leur ancienne politique antinationale ainsi que les sociétés secrètes et les missions qui couvrent le sol de la France concourent tous à la réalisation du même programme: le retour à l'Ancien Régime. C'est aV2C: acharnemcnt que Ics rédacteurs flétrissent les Jésuites, évoquent leu r passé, leu r associent des personnalités de marque et insistent sur leur essor inquiétant, malgré les lois en vigueur 124. Decazes, par souci de rapprochement avec les ultras, semble accorder sa haute protection à une dangereuse restauration de l'Eglise. Partout se multiplient les missions, accompagnées d'un appareil de superstition révoltant, de cantiques chantés sur des airs galants, d'actes d'expiation et de plantations de croix auxquels s'associent en grande pompe les autorités civiles et militaires et la garde nationale 125. Cette recrudescence d'une foi douteuse ne va pas sans troubles et suscite parfois des luttes avec les autorités de l'Eglise 126 ou avec les autorités laïques, comme ce fut le cas à Brest, où ces dernières furent sévèrement rappelées à l'ordre par Decazes 127. Plus inquiétante sans doute est l'attitude des pasteurs de l'Eglise qui tonnent contre la Révolution 128, font pression sur le Roi pour qu'il passe outre à l'opposition des Chambres relativement au Concordat 129 ou se déclarent contre la liberté de la presse 130. Que l'Eglise l23 Cf. Etienne, nO' 52 et 54, M. V (10 et 13), 10 et fin avril 1819. Dans le 52, Etienne annonce l'ouvrage anonyme, De la liberté religieuse. 1~{ Pour une campagne 4' historique» contre les jésuites, cf. Tissot, c.r. de l'tllIvrage de Georgcl, Mémoires pour servir à l'histoire des él'hzcmens de la fin dll dix-huitième sihle depuis /760 jusques l'n /810. M. Il (10) et M. III (6 et 13), 1:'. Îuillet, 15 >iept. et 28 oct. 1818; sur les activités des jésuites, cf. Pagès, .\1. îv (·n, 2H nov., M. IV (8). 26 déc., M. IV (12), 23 janv. 1819; Leftre anonyme sl:r lcs RR. PP. jésuites, M. V (4), 25 fév. ; jouy, Les missionnaires en France, M. V (9 et 13), 2 et fin anil ; Dumoulin, M. VII (5), début sept., M. VII (13), fin oct., M. VIII (3), 21 nov. ; Etienne, n° 79, M. VIII (1), 8 nov. ; Jay, DIl systhne des missions. M. VIII (4), 27 nov. 1819; jouy, Dialogue des vivC/ns L'I des Il''
morts (Sur la frontière des dellx mondes). L'abbé Menll [Lamenais], le père Laine! [LaÎné] ct le père Escobar, M. IX (1), fi janv. 1820. l~C, jouy, l'Ermite de la Guyane, dans ses pérégrinations dans le FranL~, ne se fera pas faute de relever l'activité des mis~;ionnaires,
Midi de la M.d.F. IV, -loct. lHI7 ; M. 1 (10),12 avril 1818, M. Il (3,9 et Il),20 mai, début et 15 juillet, .I\t V (]2), 20 avril 1819 et M. VI (11), 18 juillet. Etienne, nO' 43, 44, 54 et 79, M. V (l, 2 et 13) et M. VIII (l), 5 et 14 fév., fin avril et 8 nov. 1819. l~t; Cf. Etienne, n" 44 cit., M. V (2). l~, Cf. Etienne, n" 79 cit., M. VIII (1). 1"' Cf. Etienne, n" 54 cit., M. V (\3). z~" Cf. Etienne, n" -14 cit., dans lequel il rapporte les nouvelles que le Times fournit à cet effet. I~U Cf. Jay, Réponse à la déc/aralion signée par Alll1. les cardinallx de Péri-
gord ct de la Luzerne, l'ancien évêque de Châlons, et Courtois de Pressigny, SC/int-Malo nommé à révêche de Besançon, membres de la chambre
l;vêqlil' de ,,~S pairs,
M. VI (3), 23 mai 1819.
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cherche à remettre la main sur les registres de l'état civil n'a rien d'étonnant, malgré l'indignation de la Minerve et les intérêts vulgaires qu'Etienne soupçonne aux prêtres 131. Mais plus grave est la guerre que les interprètes de la parole divine ont déclarée à l'enseignement mutuel et les persécutions qu'ils font subir aux parents dont les enfants dédaignent leur instruction 132. Ils ont droit de vie et de mort sur leurs ouailles: refusant les certificats de bonnes mœurs aux candidats pour l'enseignement 133, les baptêmes, les absolutions comme les inhumations 134, multipliant partout les actes de chantage à l'endroit des propriétaires de biens nationaux 135 et les conversions truquées ou forcées 136. Ce fanatisme qui suscite partout des scandales peut paraître modéré à côté des éléments obscurantistes qui, dans l'Eglise, s'opposent aux dignitaires officiels ayant collaboré avec Bonaparte 137 ou qui persécutent les anciens prêtres constitutionnels comme les nouveaux 138. 131 Cf. Bénaben, pétition à la Chambre pour rendre aux prêtres les registres de l'état-civil, M. 1 (6), 13 mars 1818 et M. 1 (7), 21 mars; l'évêque de Limoges s'en prend au mariage civil et flétrit l'ouvrage d'un respectable confrère l'abbé Tabaraud - portant sur le sacrement du mariage, Etienne, n° 7, M. 1 (10), 12 avril 1818. Des paysans dans une commune du Jura se sont convertis au protestantisme pour échapper à des taxes destinées au curé, Etienne, n° 43 cit., M. V (1). 132 Cf. Bénaben, brochure contre la mainmise du clergé sur l'éducation, M.d.F. IV, 13 déc. 1817; mesures contre les parents dont les enfants suivent l'enseignement mutuel, mais attitude généreuse de l'évêque de Metz, Etienne, n" 7 cit., M. 1 (10) ; mandements contre l'enseignement mutuel et refus d'établir des écoles, Etienne n° 54 cit .. M. V (13) ; pétition contre un séminaire et discussion à la Chambre, Pagès, Session des chambres, M. VI (21), 17 mai 1819; Decazes aurait décidé de confier l'éducation au clergé, ce qui expliquerait la démission de Royer-Collard, Etienne, n° 71, M. VII (6), 13 sept.; il accorde son appui au clergé, Dumoulin, M. VII (11 et 13), 17 et fin oct. ; l'enseignement mutuel est défavorisé à Aix et à Marseille par rapport à celui des établissements religieux, l'Ermite de la Guyane [Jouy], M. VI (II et 13), 18 et fin juillet. 133 Cf. B. Constant, Session des chambres, Post-Scriptum, M. V (1), 5 fév. 1819. 134 Cf. Etienne, nO' 43, 44, 54 cit., M. V (1, 2 et 3) ; Dumoulin, Notes historiques et Correspondance des départemens, M. VI (8 et Il), 27 juin et 18 juil· let 1819. 135 Cf. Etienne, n° 43 cit., M. V (1), et lettre d'un correspondant, M. V (12), 20 avril 1819. 136 Conversion d'une jeune fille protestante, fille unique, Jouy, Fanatisme et cruauté, M. V (7), 17 mars 1819 ; conversion des deux filles de Moïse Carcassonne, lettre pathétique du père que Jouy a reproduite en Post-Scriptum à son art., Les missionnaires en France, M. V (13), fin avril; pétition à la Chambre, Pagès, Sessions des chambres, M. VI (7), 20 juin; cf. également Correspondance des départemens, M. VI (11), 18 juillet. A l'occasion, les rédacteurs ne manqueront pas de mettre en relief l'esprit tolérant des pasteurs de l'Eglise, tel l'ancien évêque d'Uzès qui a légué 2.000 francs aux pauvres de son diocèse, sans distinction de cultes, Bénaben, M.d.F. IV, 29 nov. 1817. 137 Les dissidents prêtres français en Angleterre, Pagès, M. IV (12), 23 janv. 1819. 13S Persécution des curés et des dignitaires de l'Eglise pour s'être conformés aux instructions de leurs supérieurs pendant les Cent-Jours ou pour leur attitude modérée pendant la Terreur blanche, Jay, M. le curé de Cosne, in Galerie [oo.], M. ( (5),7 mars; ('Ermite de la Guyane [Jouy], M. Il (9), début juillet 1818 et Jouy, La grande et la petite église, M. VI (6), 11 juin 1819.
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Nul doute que le libéralisme individualiste n'ait fait sienne la longue tradition de résistance gallicane et janséniste aux prétentions ultramontaines pour mieux combattre le projet des ultras et du ministère de 1817 de rétablir le concordat. Il est certain que les rédacteurs soutiennent la cause du protestantisme parce qu'elle répond à leur conception de la liberté et qu'elle s'identifie parfois avec leurs préoccupations personnelles. Il y a partie liée entre le protestantisme de Constant et le voltairianisme de Jouy et de Jay. C'est pourquoi il n'est pas étonnant de constater la part que réserve l'Ermite de la Guyane aux talents des protestants et aux persécutions qu'ils ont subies en 1815. Dans le même ordre d'idées on voit Jay commenter la brochure d'Aignan ainsi que les ouvrages dénonçant la suprématie papale. C'est dans cette jonction des problèmes d'actualité et des projections sur la passé qu'on trouve la motivation qui fait l'intérêt de plusieurs écrits des rédacteurs. L'histoire telle qu'elle se conçoit et telle qu'elle s'annonce dans le Mercure et dans la Minerve tire sa force d'une transposition considérable de l'actualité. Les mobiles dictés par la conjoncture sont clairement exposés et figurent "ans ambages dans les envolées historiques des rédacteurs. Soit souci du présent, soit retour sur le passé, il demeure toujours impératif de sauvegarder les assises du régime constitutionnel. La religion se trouvant au cœur des problèmes de l'humanité, il faut les résoudre au niveau des institutions de l'ère moderne. Tout retour vers le passé risque de remettre en question les conquêtes chèrement acquises. C'est la conscience aiguë de la valeur de la liberté et l'angoisse poignante de la résurrection du passé qui dictent aux rédacteurs leurs positions d'actualité ainsi que leurs visions philosophiques.
ÉDUCATION ET INSTITUTIONS.
Le libéralisme individualiste n'a pas formulé un système complet d'éducation, bien que les questions de formation lui aient tenu à cœur. Les rédacteurs se sont parfaitement rendu compte de la portée de ces questions pour l'avenir de la société 139. Soit qu'il leur ait semblé que Mirabeau, Condorcet, Grégoire, Lakanal, Lavoisier, Daunou et Talleyrand aient apporté pendant l'époque révolutionnaire une moisson d'idées suffisamment riche pour l'aménagement idéal des écoles et de l'instruction élémentaire, soit que leur expérience ne leur ait pas paru en mesure de fournir des programmes détaillés, toujours est-il qu'ils se sont contentés d'une profession générale de principes et d'un appui empressé à l'enseignement laïque. Fidèles à une conception qui cherche à implanter la liberté partout, les rédacteurs ne conçoivent pas un système d'éducation qui déroge à leurs principes. Le développement de la société comporte certes une instruction et une formation qui garantissent la conservation et l'enrichisn9 Cf. Aignan, De l'enseignement mutuel, M. IV (13), fin janv. 1819.
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sement continu du savoir. Il appartient au pouvoir d'en assurer tous les moyens et d'en assumer les frais. Personne mieux que le libéralisme individualiste n'a prévu les perspectives grandioses réservées aux études et aux recherches dans les temps à venir. Mais personne n'a craint plus que les libéraux la mainmise du pouvoir sur les établissements scolaires 140. Constant garde le souvenir de la pensée de l'Empire qui avait voulu régenter par l'instruction et par l'éducation jusqu'aux consciences et préparer par là à l'Etat des réserves en soldats et en fonctionnaires. Il n'a pas oublié non plus les tentatives arbitraires et piteuses du Directoire pour mettre de l'ordre dans le désordre anarchique de l'enseignement. Lui et ses collaborateurs n'ignorent pas ce qu'avait été l'enseignement sous l'Ancien Régime et quels projets sont caressés par les ultras. C'est la raison pour laquelle Constant s'élève énergiquement contre tout monopole que l'Etat s'arrogerait en matière d'éducation. Spécieux sont les arguments que les partisans de la formation étatique invoquent au nom d'une antiquité mal connue ou d'une antiquité qu'on forge et qu'on adapte pour les besoins de la cause. Qui dit monopole dit corps de doctrines et de disciplines qui concourent toutes à soumettre l'individu à des vérités religieuses, morales, philosophiques et politiques favorables au régime établi. Le despotisme d'antan comme celui de l'Empire, le gouvernement sectaire sous le Directoire ainsi que les aspirations partisanes à l'heure actuelle se ressemblent quant à la négation des libertés individuelles. Confier l'éducation au pouvoir, c'est faciliter au despotisme latent la ruine des conquêtes libertaires 141. Constant se révèle un disciple de Condorcet sous plus d'un rapport. Il croit avec lui à la perfectibilité de l'humanité. Avec lui, il mesure la distance qui sépare les temps modernes des anciens. Si Constant a médité tout le long de sa carrière les moyens propices à la limitation du pouvoir et à la sauvegarde des libertés individuelles, ce n'est guère pour aménager à l'arbitraire des retours imprévus par l'éducation. Il accorde au pouvoir un droit de regard, même une surveillance étroite sur les établissements scolaires et la faculté de poursuivre en justice les délinquant~; en matière d'éducation. Il demande au gouvernement de faciliter à tous les niveaux de l'enseignement l'acquisition des connaissances, le développement des recherches et la conservation des monuments de l'esprit humain. Mais, avec Condorcet, il refuse à l'Etat le monopole de l'enseignement et la faculté de favoriser les institutions publiques par ses diplômes et ses emplois. Il répugne même à admettre des dispositions légales pour une scolarité obligatoire. Il croit davantage dans les vertus que comporte pour les classes déshéritées l'amélioration des conditions matérielles que dans l'efficacité des lois 142.
140 A la suite des troubles survenus au lycée Louis-le-Grand, Etienne reven· dique la liberté pour les universités, n° 42, M. IV (12), 21 janv. 1819. 141 Cf. B. Constant, De la juridiction du gouvernement sur /' éducation, M.d.F. IV, 11 oct. 1817 (art. recueilli dans les Mélanges). 142 Cf. ibid.
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Nul doute, et Constant l'atteste lui-même, que l'exemple de l'Angleterre, avec ses écoles privées, ses sociétés, ses universités savantes et le prestige de sa science, n'ait confirmé la leçon de Condorcet et la conception individualiste de l'éducation. L'essentiel pour Constant est d'accorder le domaine de l'éducation à l'échafaudage subtil des institutions constitutionnelles et au rythme accéléré des prospérités bourgeoises. On n'a qu'à recourir au programme détaillé que Condorcet a élaboré dans ses Mémoires 143. Constant peut d'ailleurs confier à l'académicien Lacretelle la tâche de réclamer le retour à l'ancienne organisation de l'Institut et de prévoir pour les quatre Académies un rôle actif dans la restauration de la vie intellectuelle. Lacretelle comme ses collègues n'admet pas de séparation entre la littérature et la politique, divorce qu'un Chateaubriand aurait dénoncé à son tour 144. Il proteste énergiquement et à plusieurs reprises contre l'entérinement de la mesure consulaire abolissant la classe des sciences morales et politiques que la Convention avait créée. A l'ère moderne, où les disciplines philosophiques, politiques et économiques sont appelées à un avenir prodigieux, comment concevoir le retour aux Académies de l'Ancien Régime, séparées les unes des autres autant qu'elles le sont de la vie et subissant pour les nominations de leurs membres la pression du pouvoir 145? Déjà l'ancienne Académie a été rétablie et avec elle on a donné l'éveil au projet poussiéreux de l'éternel Dictionnaire 146. Déjà un certain nombre de membres ont été exclus de l'Académie après les Cent-Jours, pour le retour desquels Lacretelle comme Etienne n'auront cessé de réclamer 147. Il faut revenir à l'Institut selon la vision des Idéologues et le replacer à la tête du mouvement littéraire et scientifique par un travail concerté entre ses différentes sections et des contacts multiples avec les savants et les littérateurs qui se trouvent en dehors de ses rangs. Lacretelle n'ignore pas l'intérêt des questions linguistiques. Il sait qu'un dictionnaire dépasse ses limites apparentes et éclaire autant le processus de la pensée que les moyens de l'exprimer. Mais il craint surtout que l'Académie en reprenant son ancienne formule ne redevienne un corps purement honorifique et ne soit atteinte d'une sclérose sans appel. Cependant, il est facile à l'Académie de s'ouvrir à la vie par le recours à des savants qui mèneront avec son encouragement le Dictionnaire à son bon terme et qui assureront, tâche des plus ·importantes, l'édition critique des textes des grands auteurs français 148. Si les Cf. ibid. Cf. Lacretelle, Sur les [ectllres des premiers mardis de chaque mois à l"académie française, M. 1 (7), 21 mars 1818 ; Chateaubriand, Mémoires d'outretombe, éd. Levai11ant, 2" partie, livre 7", ch. IV, Je suis reçu membre de l'Institut. Affaire de mon discours. H5 Cf. Lacretelle, ibid. et ses art. : Sur [es séances mensllelles de l'Académie française, M. 1 (12), 23 avril, M. Il (10), 12 juillet, M. III (5, 9 et 13), 8 sept., 3 et 28 oct. 1818. HG Cf. Lacretelle, art. cit., M. 1 (7), M. Il (10) et M. III( 13). 147 Cf. Lacretelle, art. cit., M. 1 (12), M. Il (10) et Séances académiques, M. IV (3), 19 nov. 1818; cf. également Pagès, Petit bulletin, M. Il (5), début juin 1818. 148 Cf. surtout Lacretelle, art. cit., M. Il (10). 143 lB
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classes des sciences et des beaux-arts ont largement profité de l'évolution intellectuelle du siècle malgré le régime impérial, les deux autres n'ont fait que végéter. C'est en mettant celIes-ci à l'unisson avec les sciences de l'ère moderne, c'est en les axant sur la philosophie et la science politique qu'elIes seront en mesure de donner une impulsion vigoureuse à la vie intelIectuelIe et de s'y intégrer 149. Fidèles à cette ligne de pensée, Lacretelle et les colIaborateurs des deux recueils font la place large à la rencontre annuelle de l'Institut royal 150 et surtout à l'activité de l'Académie française, dirigée par Raynouard, son nouveau secrétaire 151. Le même souci leur fait suivre de près l'inauguration des cours au Collège de France 152, les manifestations littéraires à la Société philotechnique 153 ou à l'Athénée royal 154. C'est avec empressement qu'ils enregistrent les vœux d'un jeune savant de former une Académie de marine 155. Pour faire pièce à l'éducation dispensée par les «frères ignorantins» qui renaissent partout à une cadence inquiétante, le libéralisme suit attentivement les progrès de l'enseignement mutuel et lui accorde tout son appui. Un de ses collaborateurs trouve même des parrains français aux méthodes de Lancaster et de BelI. Il insiste sur la part qui revient au Ministère de l'Intérieur dans la propagation de la méthode dès 1815, souligne, comllle le fera plus tard Aignan, le rôle actif ct le zèle des Montmorency, Richelieu, Doudeauville, Duras, Choiseul, Gérando et La Rochefoucauld-Liancourt 156. Les deux écrivains attirent l'attention du public sur les écrits publiés en faveur de la nouvelle méthode par des membres éminents de la Société pour l'encouragement de l'enseignement mutuel 157. Ils cherchent à montrer les progrès accomplis à travers la France par cet enseignement et les bienfaits d'une méthode qui arrive à des résultats notables en un temps extrêmement court et avec des
149 Cf. Lacretelle, art. cit.; Bénaben, M. 1 (8), fin mars lR18; Etienne, n° 23. Post-Scriptum, M. III (3), 20 août. 150 Cf. l'art. anonyme [Lacretelle], Institut Royal de France. Séance publique des quatre Académies, M.d.F. 11, 3 mai 1817; Lacretelle, Sur les séances académiques du mois d'avril et du mois de mai, M. II (4),24 mai 1818. 151 Cf. Lacretelle, art. cit.; Institut royal. Académie française, M.d.F. Ill, 9 et 30 août 1817 ; Bénaben, M.d.F. III et IV, 30 août et 8 nov. ; SS., M.d.F. IV, IR oct. et ti déc. Pour plus de détails sur l'activité des académies et des institutions savantes, cf. infra, ch. IX, p. 261-267. 1:;2 Cf. Tissot, Co/lèf!e royal de France. Ouverture du cours d'histoire de M. Daunou, M. V (12), 20 avril IRI9. 153 Cf. SS., M.d.F. IV, le, nov. 1817. 154 Cf. SS., M.d.F. IV, 29 nov. 1817. 15;; Cf. Jouy, c.r. des Mémoires sur la marine ct les ponts et chaussées de France et d'Angleterre, par Charles Dupin, M. III (4), fin août 1818. 156 Cf. A.j. de Montègre, Des nouvelles méthodes d'instruction élémentaire, M.d.F. l, le, fév. 1817, et Aignan, De l'enseignement mutuel, M. IV (13), fin janv. 1819. Etienne fera état de la propagation de cet enseignement à Metz, n° 7, M. 1 (10), 1~ avril 1818. 1;;7 Montègre mentionne les publications de La Rochefoucauld-Liancourt, Lasteyrie, Laborde et le Journal de la Société alors qu'Aignan ne cite que celles de Laborde.
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moyens réduits 1r,~. Ainsi, libérée de l'emprise religieuse, l'instruction élémentaire aurait rempli sa tâche en inculquant aux jeunes filles des notions d'ordre constitutionnel pour remplacer les catéchismes périmés 1G9. Enfin, le libéralisme se penche avec commisération sur le malheur des aveugles et note les progrès réalisés dans leur instruction 160.
1f,S A la date du le. fé\'. 1817, Montègre fait état des progrès de l'enseignement mutuel, de l'importance de la Société et insiste sur les dépenses modiques que cette méthode comporte: 3 à 4 francs par an et par enfant. Aignan dit que la nouvelle école est par rapport à l'ancienne de 1 à 4 quant au nombre des maîtres, de 1 à 4 quant au temps de l'instruction et de 3 à 1 quant à l'étendue des connaissances. Au bout de 2 ans à peine d'existence, la Société compte presque 1.01'0 souscripteurs, des sociétés analogues dans les départements et 300 écoles daI!S les communts. L'enseignement mutuel est suivi - à la date de la publication de l'article d'Aignan - dans deux tiers des départements. Cf. également pour l'importance de la nouvelle méthode, Bénaben, M.d.F. III, 9 août 1817 et M. 1 (6), 13 mars 1818. H,U Cf. SS., M.d.F. IV, 15 nov. 1817. 160 Cf. ibid.
CHAPITRE
III
LE MINISTÈRE RICHELIEU
L'ordonnance du 5 septembre 1816, dissolvant la Chambre Introuvable, permet au ministère Richelieu, notamment à Decazes, ministre de la police, d'envisager avec quelque espoir l'avenir des rapports entre le pouvoir et les nouveaux députés. Le souvenir est encore poignant d'une législation qui a soumis le pays aux arrestations arbitraires, aux mesures draconiennes contre la presse, aux rigueurs des cours prévôtales et aux «douceurs» de la loi d'amnistie du 12 janvier 1816 1 • Certes, c'est moins le souci d'éviter un régime de contrainte à la France occupée, ravagée par la guerre et angoissée par la Terreur blanche, que l'ambition de faire aboutir son jeu politique qui a amené Decazes à imposer à Louis XVIII ainsi qu'à Richelieu la dissolution de la Chambre vindicative des ultra-royalistes. Cependant, les appétits du favori ont largement ouvert la voie à l'expérience libérale de la Restauration et par là à l'élaboration ainsi qu'à la diffusion de la doctrine libérale 2. L'équipe du Mercure doit agir avec précaution et ne pas provoquer dès l'apparition du recueil l'inimitié du ministère. Le plus pressant pour elle est de faire face au spectre de l'Ancien Régime que les ultra-royalistes, encore bien en force, ressuscitent lors des débats dans les Chambres. Bien entendu, le recul de la réaction de 1815 ainsi que la perspective de voir le territoire bientôt libéré modifient sensiblement la tonalité de la presse. Les écrivains deviennent plus hardis et leurs vérités plus acerbes. Pas plus de ménagements pour l'aristocratie féodale que d'égards pour un ministère tergiversant. Et puis, les élections par..:. tie1les de septembre 1817 et d'octobre 1818 assurent aux Indépendants une position de force à la Chambre qui se répercute vite dans leurs recueils. 1 Les arrestations arbitraires ont été commises en vertu de la loi de la sûreté générale du 29 octobre 1815, la presse jugulée en vertu de la loi sur les discours et écrits séditieux du 9 novembre et les cours prévôtales instituées en vertu de la loi du 27 décembre 1815. La loi d'amnistie a transformé en loi l'ordonnance du 24 juillet 1815, en ajoutant à l'exclusion des 29 pairs qui avaient siégé dans la Chambre haute des Cent-Jours le bannissement des régicides qui avaient adhéré à l'Empire libéral. 2 Cf. Duvergier de Hauranne, Histoire du gouvernement parlementaire en France, Paris, 1857-1871, \0 vo!., vo!. IV, ch. XIV; Sertier de Sauvigny, La Restauration, nouv. éd., Paris, 1965, 2" partie, ch. II.
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Chaque inauguration de session par le discours du roi et les adresses des Chambres éclairent autant la politique ministérielle que les tendances divergentes des partis 3. Le ministère Richelieu est jugé non seulement sur ses actes manifestes. Il l'est également sinon davantage sur ses tentatives secrètes de rapprochement avec l'extrême-droite. L'ordonnance du 5 septembre 1816 eût pu être de bon augure et préfigurer l'ère d'une monarchie franchement constitutionnelle. Mais les actes législatifs du ministère - que nous étudierons par la suite - démontrent de plus en plus la faiblesse des dirigeants, mal fixés entre la nouvelle France et le passé révolu. La France constitutionnelle n'a ni liberté individuelle, ni liberté d'expression, ni égalité de droits pour tous les cultes. Les lois, loin de répondre à l'esprit et à la lettre de la Charte, font prévaloir les codes antérieurs de Bonaparte. Le jury est soumis à l'action des autorités et par conséquent n'apporte aucune garantie à l'impartialité des jugements. L'arbitraire de l'administration se double de louches menées policières. L'instruction publique inculque aux jeunes générations les éléments périmés d'une France sacerdotale et féodale. La garde nationale est devenue à son tour la forteresse de la réaction. Une comptabilité peu soucieuse d'exactitude et des pensions prodiguées par faveur s'ajoutent aux maux de l'occupation. Les départements sont livrés à l'entière discrétion des autorités, car aucun conseil général ou municipal n'est nommé par les électeurs et les élections subissent la pression ainsi que les manèges du pouvoir. La responsabilité des gouvernants à tous les échelons se fait attendre indéfiniment 4. Ce sont là des réclamations et des griefs qui reviennent sans cesse sous la plume des rédacteurs. Les collaborateurs de la Minerve, sans passer par les tribulations d'un Comte ou d'un Dunoyer, ont eux aussi payé leur tribut aux servitudes du régime. La suppression du MerCllre leur a appris que la critique des actes du pouvoir - toute modérée qu'elle fût -~ répondait mal à l'attente des ministres. Chaque nounlle épreuve électorale et chaque nouvelle victoire libérale remplissaient d'épouvante les ministériels. Comment maintenir une véritable majorité sans suivre une politique qui soit en harmonie avec les principes avoués de la Charte? Bien au contraire, les publicistes à gages s'évertuent à :1 Pour la session de 1817-1818, cf. Bénaben, Session des Chambres, M.d.F. IV, H, 15 et 22 nov. 1817; pour celle de 1818-1819, cf. B. Constant, Session des Chambres. M. IV (6, 7 et 8), 13, 19 et 20 déc. 1818. 4 Pour les réclamations libérales, cf. Bénaben, Session des Chambres, M.d.F. IV, H nov. 1817; Etienne, nO' 1 et 5, M. 1 (2 et 7),16 fév. et 21 mars 1818; nO' 12 et IH. M. Il (3 et Il),20 mai et 15 juillet; nO' 22, 2-1 et 26, M. III (3, 5 et 8), 20 aoüt, 8 et 2-1 sept. ; le n" 26 proteste entre autres contre les dépenses inutiles que comporte l'én,ction de monuments pour la glorification du passé et insiste sur l'état lamentable des prisons; Etienne rapporte à ce sujet un fait cité par la HibliotllèlfUi' historique: la mort d'une femme dans un cachot; n° 33, M. IV (2), 13 nov. Il arrive parfois au recueil d'ouvrir ses colonnes aux correspondants justi· fiant l'arbitraire des préfets, telle la lettre qui explique la nécessité dans laquelle s'est trouvé l'ancien préfet d'Eure-et-Loir de confier la mairie de plusieurs cantons, faute de candid~ts valables, à un seul titulaire, M. V (7), 17 mars 1819.
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discréditer les dispositions constitutionnelles. En formulant ses revendications, il est aisé à la Minerve de démontrer les inconséquences d'un ministère dont chaque pas en avant est compensé par un recul précipité et pour lequel la haute sagesse politique consiste dans une obéissance aveugle à ses consignes. Le ministère ne conçoit la nécessité d'une opposition - vérité que Benjamin Constant a prêchée avec vigueur - pas plus qu'il ne distingue entre les ultra-royalistes et les ultralibéraux, termes que la presse anglaise a consacrés 5. Le Mercure comme la Minerve s'attachent à dénoncer les écrivains «ultra-ministériels» dont la plume zélée s'accommode aisément de la politique indécise du ministère 6. En réfutant la leçon des écrits de commande et en citant celle d'une satire anonyme - Du ministérialisme - les rédacteurs invitent le gouvernement à déterminer son action dans le sens de l'avenir 7. Benjamin Constant tracera les contours de ce ministérialisme fait sur mesure dans un compte rendu plein de verve de l'ouvrage volumineux du vicomte de Saint-Chamans, où toutes les dispositions arbitraires sont savamment conciliées avec la Justice et adaptées fort utilement aux nécessités du pouvoir 8. C'est un ministérialisme dont l'éloquence de Lainé, la dialectique de Pasquier, la facilité de Courvoisier ou la logique de Siméon ne sauraient cacher le manque de principes ni le caractère éphémère de sa majorité 9. L'occupation ne saurait servir indéfiniment d'argument à tous les maux existants et à tous les projets non réalisés 10. Une critique intermittente formée par les ministériels contre l'extrême-droite ne compense pas les attaques déclenchées contre la gauche pas plus que les promesses de concessions faites aux Indépendants ne rachètent les campagnes électorales virulentes dirigées contre eux 11. Les assurances prodiguées par les ministériels sont démenties par les agissements de l'administration 12 et par les tentatives constantes de rapprochement avec les ultras 13. C'est surtout à la veille des campagnes électorales que le recueil dressera le bilan négatif du ministère. Sans critiquer ouvertement
Cf. Etienne, n° Il, M. Il (2), 14 mai 1818. Cf. SS., contre une brochure électorale du poète Alissan de Chazet, l'impromptu politique adressé au roi par Paccard et contre le transfuge Azaïs qui a émigré vers les sphères ministérielles, M.d.F. IV, 18 oct. 1817. 7 Pour les écrits ministériels, cf. SS., M.d.F. IV, 6 déc. 1817; Etienne, n° 4, M. 1 (6), 13 mars 1818 ; la brochure anonyme, n° 5, M. 1 (7), 21 mars. 8 Revue de la session de 1817, Paris, 1817, M. III (7),20 sept. 1818. 9 Cf. Etienne, n° 3, M. 1 (4), fin fév. 1818. 10 Cf. Etienne, n° 30, M. III (12), 21 oct. 1818. 11 Le ministère serait prêt à faire des concessions, B. Constant, Réponse à M. Benjamin Constant, par M. Duvergier de Hauranne, M. III (11), 15 oct. 1818 et Etienne, n° 33, M. IV (2), 13 nov. ; il cherche à gagner les députés libéraux, Etienne, ibid. ; attitude malveillante des ministériels après les élections, Etienne, n° 34, M. IV (4), 28 nov. 12 Etienne critique souvent l'interprétation inconstitutionnelle de la Charte par l'administration comme par la judicature. 13 Pour les tentatives de rapprochement, cf. Etienne, nO' 2 et 9, M. 1 (3 et 12), 22 fév. et 23 avril 1818. 5
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tiS
Rit:helieu, la Minerve s'en prend à Laîné, en coquetterie avec l'extrêmedroite. C'est parce que Decazes a été à l'origine de l'ordonnance du 5 septembre et qu'il est devenu la bête noire des ultras que le recueil lui accorde au début son appui et fait l'éloge de son mariage avec la fille de Saint-Aulaire, le défenseur des victimes protestantes du Midi 14. C'est à Decazes que la France doit également l'élimination du chancelier Dambray, de Dubouchage, ministre de la Marine, et du maréchal Clarke, ministre de la Guerre, et leur remplacement par Pasquier, Molé et Gouvion Saint-Cyr 15. Mais l'expectative prudente du Mercure en 1817 ne résistera pas longtemps à la démonstration d'une politique de « bascule" dont Decazes fournira les preuves par les articles de commande dans la presse anglaise au cours de l'année 1818. Etrange pratique que celle qui collabore avec la presse d'Outre-Manche, au prix de sommes considérables, pour attaquer les libéraux 16 et poui révéler à Londres une politique qu'eHe entoure du plus grand secret à Paris ou qu'elle réduit à un cOlllmérage d'antichambre 17. Il ne faut pas s'y méprendre. L'enjeu en somme entre la Minerve et le ministère Richelieu comme entre les libéraux et le régime tout entier est l'attitude du pouvoir envers l'extrême-droite. Pas de doute pour les rédacteurs quant aux intentions des ultras. Les propos de Bonald, de La Bourdonnaye et de leurs collègues sur la nécessité de reconstituer la famille et de réformer les mœurs, de distinguer les intérêts matériels de la Révolution de ses intérêts moraux, de constituer des jurys supérieurs, de grands patronats, des coHèges électoraux privilégiés, une garde nationale inféodée à la noblesse, une armée dont le passé révolutionnaire et impérial soit entièrement effacé, concourent à rendre le spectre de l'Ancien Régime un péril imminent. A en croire les affirmations de la presse anglaise pieusement nourrie par les journalistes à l'urdre du ministère, le parti des ultras agirait de concert, sous l'inspiration cie ses chefs, ViHèle et Corbière. A la Chambre, Marcellus et Cornet-d'Incourt seraient chargés des intérêts du clergé, Salaberry, Bonald ct Clausel de Coussergues de ceux de la noblesse. Tout plan d'attaque ou de défense serait d'ailleurs déterminé par un comité central secret, véritable épouvantail pour une époque mal initiée aux ressorts du régime constitutionnel 19. Pour les attaqucs ultras contre le mariage de Decazes, cf. Etienne, M. Il début jl!in 181 S. 1:; Le~ remplaccment-; respectifs des ministres sont effectués en janvier, Îuin et septembre IRI7. Cf. Bertier de Sauvigny, op. cit., 3' partie, ch. III. 16 Cf. infra, P.. :19. l i Cf. ibid. ct Etienne, n" l, M. 1 (2), 16 fév. 1818; n° 14, M. Il (6), 10 juin l': n" 23, M. III 0), fin août 1818. Lors du procès intenté aux conspirateurs du Bord de l'Eau, Canuel citera le chiffre de 100.000 francs versés annuellement par le Ministère pour les articles placés dans la presse anglaise, Etienne, n° 26, M. III (R), 27 sept. Dans sa lettre 14, Etienne a souligné le rôle ministériel de Goldsmith. rédacteur du Brilis/z Monitor, qui avait dirigé à Paris l'Anti-Britannique et depuis J'An/i-Gallican à Londrcs. Pour la campagne contre la France de l'Anti-Gallican, cf. Etienne, n" 5, M. 1 (7), 21 mars 1818. 1~ Cf. Bénaben, M. 1 (3), 22 fév. 1818; Etienne, nO' 3 et 12, M. 1 (4) et M. Il (3), fin fév. et 20 mai. H
(5),
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C'est à Benjamin Constant que revient l'honneur d'avoir livré aux ultras, en décembre 1816, le premier assaut d'envergure par sa brochure, De la doctrine politique qui peut réunir les partis en France et dont le Mercure citera de larges extraits 19. Constant y formule le problème majeur de la Restauration et y apporte une solution qui se trouve aux antipodes de la thèse que Chateaubriand a soutenue, après l'ordonnance du 5 septembre, dans la Monarchie scion la Charte ~o. Dans sa spirituelle réplique, Benjamin Constant laisse entendre que la transaction entre la monarchie et le pays ne saurait se faire que dans le sens d'une France dont le passé révolutionnaire et impérial, les idées comme les intérêts, les hommes comme les choses soient aussi légitimes que la royauté réintégrée. C'est là une idée qui revient toujours sous forme voilée ou explicite dans les articles libéraux. Le royalisme des ultras n'a rien à voir avec la fidélité de la France à la mona'fchie restaurée. Personne ne peut se tromper sur l'intention qui a présidé à la composition des écrits de Chateaubriand, de Fiévée, de Bonald ou de Montlosier : infléchir le nouveau régime en faveur des épigones de l'ancien. On retrouve le royalisme factice des ultras à l'origine de tous les malheurs de la France et de la monarchie. A présent, ce royalisme de parade cherche à se reconstituer en oligarchie féodale 21. Certes les attaques dirigées par Chateaubriand contre le ministère ont plus d'un point de rencontre avec les critiques formulées par Constant. La conversion politique récente de Chateaubriand aux vérités libérales doit probablement plus d'un enseignement à la leçon constantienne. Toutefois, moins significatives pour l'historien sont les similitudes que les divergences. La Révolution sèpare deux optiques irrémédiablement opposées dont l'une se glorifie de procéder directement d'elle et dont l'autre serait disposée dans ses meilleurs moments à passer l'éponge sur elle. Renier les conquêtes légitimes 19 Cf. B. Constant, Ecrits et discours politiques, éd. par O. Pozzo di Borgo, Paris 1964, 2 vol., t. II. Le MerCl/re, en annonçant une 2' éd. de la brochure, en donne des extraits que Benjamin Constant aurait pu désigner lui-même, Il janv. 1817. 20 Cf. pour la Monarchie de Chateaubriand ainsi que pour son écrit suivant, Du système politique suivi par le ministère, publié en fin déc. 1817, E. Beau de Loménie, La carrière politique de Chateaubriand, Paris, 1929, 2 vol., t. le., ch. Il et III. 21 Cf. Benjamin Constant, art. cit. et : D'une assertion de M. Bailleul dans sa brochure contre M. de Chateallbriand, M. 1 (4), fin fév. 1818; c.r. de l'ouvrage d'Azaïs, A M. le vicomte de Chateaubriand [ ... ], M. IV (3), 19 nov. ; A. Jay, Sur les conséquence de l'ordonnance du 5 septembre (réplique à Chateaubriand), M. 1 (2), 16 fév. ; Aignan, c.r. de la brochure de Bailleul, Sur les royalistes de M. le vicomte de Chateaubriand, pair de France, Galerie [ ... ], M. 1 (3), 22 fév. ; Bénaben prend la défense de la Minerve contre Chateaubriand, M. 1 (5), 7 mars. Sur Fiévée : A.D. (probablement A. Jay), c.r. de sa Correspondance politique et administrative, M.d.F. l, 15 fév. 1817 ; railleries de Sauquaire-Souligné à propos de l'Histoire de la session de /8/6, M.d.F. IV, 18 oct. Sur Montlosier: Pagès, Des droits généraux et des privilèges particuliers, M. (4), 28 nov. 1818. Sur Bonald: le même, M. III (2), 15 août; B. Constant, D'un article de M. de Bonald contre M. Camille Jordan, art. véhément contre l'attaque violente de Bonald, M. IV (5), 6 déc.
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de la Révolution revient pour le libéralisme à une abjuration de la France vivante, tournée vers l'avenir, dans un élan d'activité pacifique. Reconnaître les hommes et les choses de la Révolution et reconstruire la France sur les bases d'une telle transaction équivaut pour les ultras à un véritable acte d'apostasie, au sacrifice des idées et des intérêts d'une seule légitimité valable. La Minerve ne met pas en doute le sens patriotique de Chateaubriand. Elle le croit parfaitement sincère lorsqu'il s'élève contre les allègations du Times l'associant aux auteurs de la Note secrète, de même qu'elle ouvre largement ses colonnes à l'indignation du pays contre les calomnies du jeune Lord Stanhope dénonçant l'immoralité de la France 22. Si Chateaubriand accepte la Charte, c'est à condition que tous les postes de commande du régime soient confiés aux hommes de l'ancien. Il ne diffère guère de ce point de vue d'un écrivain ingénieux - Montlosier - qui accorde sa bénédiction à la réconciliation des deux France, pourvu que l'on reconstitue l'ancien ordre de choses avec les nouvelles aristocraties 23. La noblesse n'est guère à plaindre, elle qui occupe les positions les plus importantes dans l'administration. Les rédacteurs se feront un devoir de citer ce grief à la moindre occasion. « La noblesse crie à la persécution, et cependant ouvrez nos almanachs royaux, et vous verrez qu'elle a les sept huitièmes des préfectures et de toutes les mairies importantes; vous la verrez à la tête des divisions militaires, des légions, de la gendarmerie, des tribunaux, des ambassades; vous la trouverez même dans les administrations financières, où elle a du moins le bon esprit de sentir qu'elle ne déroge plus 24. » Tout le long de la Restauration, la thèse des deux France sera invoquée et reprise dans tous les sens. Les ultras citeront allègrement les horreurs de 93 comme les erreurs et les trahisons de 1815. Les libéraux à leur tour instruiront le procès de l'Ancien Régime ainsi que de l'impéritie de la première Restauration et les crimes de la Terreur blanche. Il importe de souligner ici les efforts de la Minerve de persuader l'opinion et le ministère du divorce nécessaire du régime constitutionnel d'avec les partisans d'une France révolue. Les rédacteurs égrèneront avec persévérance ce théme tant que dureront leurs recueils. C'est avec empressement qu'ils reproduiront des extraits de l'article publié dans les Archives philosophiques de Guizot et que le Moniteur, malgré sa prudence légcndaire, a réimprimé dans son numéro du 21 août 1818, pour faire piéce aux violentes récriminations de Chateaubriand 25. La France n'est guère partagée entre révolutionnaires et royalistes, à moins de considérer comme révolutionnaire tout ce qui tient à la Révolution. «C'est pour ellc-même, dit l'auteur de l'article des Archives, que l'aristocratie a "~ 23 24
~;;
Cf. Etienne, n° 3, M. 1 (4), fin fév. 1818. Cf. Etienne, n° 22, M. III (3), 20 août 1818. Etienne, n° 18, M. Il (J 1), 15 juillet 1818, p. 535. La presse n'a pas été autorisée à reproduire l'art., Etienne, n° 23, M. III
(4), fin août HlI 8.
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combattu, c'est pour elle-même qu'elle a souffert. Elle est aujourd'hui, comme en 1789, le parti contre-révolutionnaire et partant, elle est le parti révolutionnaire d'aujourd'hui. On ne saurait trop le répéter, car c'est le fond des choses; la révolution a été le combat de la France nouvelle qui aspirait à se posséder elle-même contre la vieille aristocratie, qui prétendait posséder encore la France. La victoire a prononcé contre l'aristocratie, malgré l'imprudent appui du trône engagé dans sa malheureuse alliance. Le trône renversé par l'aristocratie, rétabli sans elle, ne s'appuie plus sur elle. C'est dans la France telle que la Révolution l'a faite, qu'il pose ses fondemens 26.» Parti contre-révolutionnaire ou faction révolutionnaire -les deux termes se valent - , les ultras se séparent précisément par là de la France. Le caractére antinational de l'extrême-droite se fait remarquer dans l'énoncé de ses théories comme dans le détail de son action. Elle a partie liée avec l'Eglise sur tous les plans de l'activité sacerdotale. On sait à quel point le mythe de l'Ancien Régime s'identifie dans la pensée libérale avec la restauration de l'Eglise 27. Les différents projets de dédommager les émigrés de leurs biens ou de les leur restituer ne donnent-ils pas la mesure des intentions du parti 28? Les projets d'ériger des monuments expiatoires s'insèrent parfaitement dans un système qui refuse le présent et s'accroche au passé 29. La glorification de l'armée de Condé comme le dénigrement des armées impériales 30 s'accordent eux aussi avec une optique imperméable à la modernité. Non content d'attaquer la France à la tribune et de s'en prendre dans ses recueils aux libéraux la Minerve ne manquera pas de relever le défi et d'accueillir les protestations des correspondants al - , le parti envoie ses mots d'ordre en province et inspire les écrits clandestins, tels le Moniteur royaliste et la Lettre d'un royaliste vendéen à un royaliste provençal, où les libéraux sont assimilés aux terroristes de 93 et aux bonapartistes. Ibid., p. 175. Cf. supra, ch. Il, Credo libéral. 28 Cf. Bénaben, M. 1 (3), 22 fév. 1818: proposition de Lainé de Villêveque de créer 3.000.000 francs de rentes en faveur des émigrés; contre la loi de 1814 rendant aux émigrés leurs biens non vendus, Bénaben, M. 1 (6), 13 mars: contre le sursis accordé aux émigrés, M. 1 (9), début avril. 29 Cf. Bénaben, M. 1 (4), fin fév. IRI8. Il n'est guère surprenant de voir Bénaben souligner les propos du duc d'Angoulême en faveur de l'oubli du passé, M.d.F. IV, 15 nov. 1817. 30 Cf. Jouy, c.r. de l'ouvrage d'Ecquevilly, Campagnes du corps sous les ordres de son altesse sérénissime monseigneur le prince de Condé, M. Il (11), 15 oct. 1818; Correspondance au sujet d'une imputation de l'auteur, M. III (12), 21 oct.; lettres adressées par des lecteurs, M.d.F. III, 6 sept. 1817, p. 473 et M. 1 (3), 22 fév. 1818, p. 139-140. 31 Campagne contre les Lettres dauphinoises, Annonces et notices, M.d.F. III, 27 sept. 1817; SS., M.d.F. IV, 15 nov. ; escarmouches avec la Quotidienne, Bénaben, M. 1 (3), 22 fév. 1818 et Correspondance, M. 1 (8), p. 384-389; contre les calomnies, Pagès, M. III (1), 5 août; Jay s'en prend au maire de Châtellerault qui a grossièrement attaqué le Journal du commerce à propos du dîner offert par cette ville au député Le Voyer-d'Argenson, M. Il (Il), 15 juillet; il malmène durement ultras et ministériels pour les injures qu'ils adressent à la Minerve, Note secrète exposant les prétexte el le bul de la dernière conspiration, M. III (l), 5 août. 26
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Les flatteries dont les ultras entourent le peuple éclairent une manœuvre destil.ée à le dresser contre la bourgeoisie 3~. Si la presse des ultras peut parfois se prévaloir de quelques méfaits bonapartistes, réels ou imaginaires, pour leur associer la France issue de la Révolution, les recueils libéraux auront beau jeu pour montrer l'extrême-droite à l'origine des actes qui ont failli empêcher ou retarder la libération. Qu'il s'agisse des événements de Lyon, de l'attentat, bizarre contre Wellington, de la Note secrète, de l'Enlèvement d'Alexandre ou de la COllspiration du bord de l'eau, les présomptions se muent facilement en quasi certitudes et les doutes auront vite fait de prendre de la consistance. Les ultras peuvent mal se défendre contre les révélations largement diffusées des crimes commis dans le Midi après les Cent-Jours et contre les accusations qui en 1818 entacheront gravement leur bonne foi 33. Avec le jeune Guizot de 1818, les libéraux peuvent aisément placer les ultras en dehors de la transaction associant par la Charte la royauté et les héritiers de 89. En regard des ministériels et des ultras, la Minerve définit volontiers les libéraux comme le parti qui ne saurait être assimilé à l'opposition antinationale de l'extrême-droite. C'est le parti du nouvel Ordre. Les Indépendants n'aspirent guère à une liberté absolue comme le prétend le correspondant du Times. Loin d'être des niveleurs ou des mécontents, regrettant leurs anciennes splendeurs impériales, ils sont des partisans résolus de la restauration nationale, telle qu'elle est définie par la Charte. Ils comptent dans leurs rangs des propriétaires et des industriels marquants. La Minerve ne conteste pas les renseignements fournis par les correspondants ministériels de la presse anglaise selon lesquels d'Argenson a été longtemps le chef des Indépendants et que la direction du parti est actuellement partagée entre lui, Chauvelin, Bignon et Dupont de l'Eure. Parmi les membrés influents figureraient également Laffitte, Périer, Bondy, Savoye-RoUin, Martin de Gray, Caumartin et Hernoux, qui se réunissent chez le duc de Broglie, chez Laffitte ou Périer 34. Mais les rédacteurs dénoncent toute insinuation mettant en cause leurs principes et leur bonne foi en regard des tractations ministérielles douteuses. Pitoyables sont les tentatives des correspondants parisiens des feuilles anglaises de représenter les manifestations libérales comme repréhensibles, d'attaquer les publicistes libéraux et les députés, notamment Laffite pour son intervention à la Chambre, à propos de la liquidation des créances étrangères, attitude qui lui vaudra sans doute son remplacement à la tête de la Banque 35. Contre les journaux et les écrits de comCf. Etienne, n° 20, M. Il (13), fin juillet 1818. Cf. infra, ch. VI, Propagande et faits divers. :14 Cf. Etienne, n° 4 et 12, M. ( (4) et M. Il (3), fin fév. 1818 et 20 mai, où il cite les art. du Times et du Sun. a5 Les manifestations libérales: le dîner de ('Arc-en-ciel, Etienne, n°· \0 et Il, M. Il (1 et 2), fi et 14 nov. 1818: dîner offert au début de mai par les électeurs libéraux de Paris aux députés libéraux; thé offert par Manuel à des avocats, des généraux, des députés, des rédacteurs et des anciens administrateurs. Attaques contre les libéraux: Etienne, n° 9, M. ( (12), 23 avril 1818 ; n°· 11, :\~
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mande, les rédacteurs loueront les Lettres normandes, la Revue politique, suivie des Ballots politiques, les Lettres dauphinoises et surtout la Bibliothèque historique 36. C'est une véritable aubaine pour les publicistes et les députés libéraux que le discours libéral tenu par Alexandre au mois de mars 1818 à la Diète de Varsovie 37. Martin de Gray, Chauvelin, d'Argenson, Bignon et Dupont de l'Eure à la Chambre, Broglie et Lanjuinais parmi les pairs, Benjamin Constant et d'autres publicistes recueilleront l'hommage que Pagès leur aura rendu, vers la fin de la session de 1818, pour avoir défendu énergiquement les positions libérales 38. Les libéraux, durant cette année 1818, avant la dislocation du ministère Richelieu, peuvent encore considérer les Doctrinaires comme· acquis à la bonne cause. Le correspondant du Sun ajoute aux chefs désignés par le Times - Beugnot, Royer-Collard et Camille Jordan - de nouvelles recrues, Roy et de Serre à qui la présidence de la Chambre a valu les suffrages de la gauche. A cette date, la Minerve s'empresse de louer les principes et l'attitude des membres de ce petit groupe et interprète la critique acerbe du Sun comme un signe heureux du mécontentement ministériel à leur endroit 39.
* ** La confrontation des partis autour des actes législatifs du ministère Richelieu éclaire leurs divergences et expliquent leurs revirements. La session de 1817-1818 est marquée par l'opposition violente de l'extrêmedroite aux projets ministériels. Le projet de loi électorale soumis par Lainé à la Chambre verra les rédacteurs appuyer le ministère contre les ultras. Dès décembre 1816, Benjamin Constant, dans sa réplique à la Monarchie selon la Charte de Chateaubriand, marque ses distances à l'égard d'un libéralisme douteux auquel les ultras se sont convertis après le 5 septembre 1816. L'extension du droit de vote que l'extrême-droite réclame par une réduction sensible du cens électoral et un système à deux degrés cache mal son désir de s'appuyer sur sa clientèle ignorante. Benjamin Constant et ses collaborateurs ne répugnent pas à l'extension du droit de vote à des couches plus importantes de la bourgeoisie. Mais soucieux de voir le pays libéré de la hantise de la Chambre Introuvable, sans que la Charte subisse des modifications majeures, ils adoptent le système 12 et 14, M. Il (2, 3 et 6), 14 et 20 mai, JO juin; attaque contre Laffitte et le projet de le remplacer à la tête de la Banque par Delessert, Etienne, nO' 6 et 9, M. 1 (9 et 12), début et 23 avril; n° Il, M. Il (2), 14 mai. 36 Pour les Lettres normandes, cf. Annonces et notices, M.d.F. III, 27 sept. 1817; SS., M.d.F. IV, 15 et 22 nov. ; Pagés, M. Il (8), 23 juin 1818; Etienne, n° 30, M. III (12), 21 oct.; la Revue politique et les Ballots politiques, SS. et Pagés, 22 nov. 1817 et 23 juin 1818; les Lettres Dauphinoises, SS. ibid.; la Bibliothèque historique, Aignan, Galerie [... ], M. 1 (1), début fév. 1818. 37 Cf. Etienne, n° 12, M. Il (3), 20 mai 1818. 38 Etienne rend hommage à Saulnier pour son plaidoyer en faveur des provinces de l'est, M. Il (3),20 mai 1818, Pagés aux députés et publicistes libéraux, M. Il (4), 24 mai. . 39 Cf. Etienne, nO' 3 et 12, M. 1 (4), fin fév. 1818 et M. II (3), 20 mai.
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électif lil1Jité de la Charte, à condition que les élections directes dans les chefs-lieux des départements et le cens de 300 francs pour toutes les catégories d'électeurs assurent à la bourgeoisie le gros des sièges à pourvoir lors du renouvellement annuel partiel de la Chambre 40. Le désir de voir l'extrême-droite battue aux élections partielles de septembre 1817 et le ministère rompre avec elle, atténue les protestations du Mercure contre l'ingérence des autorités dans les élections. C'est à peine si Benjamin Constant y fait allusion dans son compte rendu de l'activité des Chambres 41. Les rédacteurs sont sans doute portés à considérer avec indulgence la pression exercée par Decazes en regard des moyens de contrainte déployés par les ultras en 1815 sous les yeux de l'occupant. Mais l'éventualité d'un rapprochement toujours imminent d'une fraction du ministère avec l'extrême-droite, le renforcement des effectifs libéraux et la proche libération du territoire modifient sensiblement l'attitude de la Minerve. Elle se livre aux approches des élections de 1818 à une campagne étendue en faveur des candidats libéraux 4~. C'est une bonne occasion pour énoncer les principes et pour formuler les demandes de réformes 34 comme pour démasquer les mobiles intéressés des ultras et des ministériels ou les abus de l'arbitraire H. C'est le moment favorable pour protester contre la non convocation des collèges électoraux dont la députation est incomplète 45 ou leur réunion à des dates différentes 46,
4" Cf. B. Constant, De la politique qui peut réunir les partis en France, op. cit. ; Des c/zambres, M.d.F. l, -l et Il janv. 1817 ; Considérations sur le projt't de lai relatif aux élections, adapté par la c/Zambre des députés, Paris, 1817. 41 Cf. l'art. cit. du 4 janv. 1817. 4~ Cf. Manuel électoral 1... ], art. anonyme, M.d.F. 11, 5 avril 1817; résultats des élections de 1817, Bénaben, M.d.F. Ill, 27 sept. ; Tissot, Sur les élections proc/zaines, M. III (3), 20 août 1818; du même, Elections, M. III (7), 29 sept. : Correspondance, ibid. ; Pagès, M. III (4 et 8), fin août et 27 sept. ; Tissot, c.r. de la hrochure de Constant, Des élections de 1818, M. 111 (10), 10 oct. ; B. Constant, Le/tre à M. Benjamin Constant 1... ], M. \II (II), 15 oct. ; Correspondance, ibid. ; B. Constant, Pensées diverses sur les élections, M. 111 (12), 21 oct.; du même, Sur les élections, M. III (13), 28 oct. et Des élections, du ministère, de J'esprit public ct du parti libéral en France, M. IV (1), 3 nov. ; Etienne, nO' 12, 13, 16 et El, M. Il (3, 5, 9 et 12),20 mai, début juin, début et 21 juillet.
Il convient également de faire la part dans la campagne électorale de la
i\linen'e aux dîners patriotiques: lettre du député Caumartin, Correspondance, M. Il (9), déhut juillet; Etienne, Sllr les dîners patriotiques des Andelys et de Rouen, M. III (II), 15 oct. ; hommage .rendu par B. Constant à un dîner patrio-
tique de Paris, M. IV (7), 19 déc. 43 Cf. B. Constant, c.r. de la hrochure de ].-B. Maîlhos, Le dernier cri d'lin dépositaire de la C/zarte, M. 11 (7), 15 .iuin 1818; Aignan, Du courage civil, in Galerie 1... ], M. Il (9), début juillet; B. Constant, Des élections, du ministère [ ... ], art. cit. ; Jay, Réponse à lJuellJues calomnies, M. IV (2), 13 nov. ; Etienne, c.r. cit. de la hrochure d'Aignan, Des coups d'état dans la monarc/zie constitutionnelle.
H Cf. Etienne, n'" 25 et 27, M. III (6 et 9), 15 sept. et 3 oct. 1818 (la dernière lettre rend compte de la brochure de B. Constant, Les élections de 1818). Cf. également de Constant, Annales de la session de 1817 à /8/8, Paris, 1818. 4;; Cf.Correspondance, M. III (2), 15 août 1818 et Etienne, n° 23, M. III (4), fin août. 4(; Cf. Etienne, n'" 23 l'l 27 cit., n° 25, M. III (6), 15 sept. 1818.
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contre l'influence prépondérante que le pouvoir se réserve dans les élections, les irrégularités qu'il y pratique 47, le déploiement des forces de l'ordre auquel il procède 48 et le nombre grandissant des députés-fonctionnaires 49. Ne dirait-on pas que les élections seraient remises pour permettre à la libération du territoire d'avoir son plein effet sur les électeurs 46 ? C'est avec un luxe de détails qu'Etienne racontera la mobilisation du ban et de l'arrière-ban des préfets et des écrivains de commande pour travailler les départements par tous les moyens dans le sens ministériel 50. Ils sont symptomatiques des appréhensions du ministère comme de l'attitude des électeurs, les moyens suspects mis en œuvre par le pouvoir pour empêcher l'élection de Benjamin Constant et de La Fayette et pour favoriser contre la candidature du premier celle de Ternaux, parfaitement étranger à ces procédés 51. Les élections partielles de 1818 se révèlent unç victoire pour les libéraux et c'est triomphalement que la Minerve annonce l'élection du général Grenier, de Girod de l'Ain, même de Camille Jordan, de Martin de Gray, de Grammont, beau-frère de La Fayette, de Manuel, de Kératry, de La Fayette, élu par la Sarthe, de Bedoch et de bien d'autres 52. Nul doute que les ultras et les ministériels à leur suite n'aient brandi après les élections le spectre de la Révolution 53, mais nul doute aussi que les libéraux n'aient considéré le vote comme un triomphe national 54. La certitude que les élections partielles assureront à brève échéance la victoire de la bourgeoisie, fait adopter la loi électorale du 5 février 1817 par les libéraux comme un principe sacro-saint. C'est cette conviction qui éclaire les tentatives du ministère de changer la loi et la résistance acharnée de la gauche pour la conserver. Non moins importants aux yeux des libéraux sont les projets de loi relatifs à la liberté individuelle et à celle de la presse. Dans ses articles sur les sessions des Chambres, Benjamin Constant cite les trois projets de loi que Decazes leur a soumis le 47 Cf. Etienne, n° 27 cit. et n. 29, M. III (II), 15 oct. 1818; Correspondance, M. IV (1), 3 nov. 48 Cf. Pagès, De la présence de la force armée dans les élections, M. III (1), 5 août 1818 et Correspondance, M. IV (2), 13 nov. 49 Opposition de principe de B. Constant au cumul, Des chambres. Loi sur les élections, in fine, M.d.F. l, 18 janv. 1817; d'après le Correspondant électoral, il y aurait à la Chambre 124 députés-fonctionnaires sur 253, Etienne, n° 23 cit., in fine. 50 Cf. Etienne, nO' 23, 25, 27 et 29 cil., nOO 30 et 31, M. III (12 et 13), 21 ct 28 oct. 1818. 51 Cf. Etienne, n° 31 cit. et nO' 32 et 33, M. IV (I et 2), 3 et 13 nov. 1818; deux étudiants détenus pour avoir affiché une adresse de B. Constant aux électeurs, M. IV (1), p. 43-44 ; il faudrait l'action intentée par Acarry - entrepreneur d'écritures - contre le rédacteur en chef du Journal des Maires - acquis à Decazes -, pour se faire une idée de l'ampleur de ces tripotages électoraux, Etienne, n° 33 cit. et Correspondance, M. IV (3), 19 nov. 1818. 52 Cf. Etienne, noa 31 et 32 cit. Il souligne la part qui revient à Goyet dans les élections de la Sarthe et la consigne donnée aux ultras de s'abstenir lors des ballotages entre les ministériels et les libéraux, nO' 29 et 30 cit. 53 Cf. Jay, Réponse à quelques calomnies, art. cit. 54 Cf. Etienne, n° 32 cit.
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7 décembre 1816. Le premier de ces projets devait modifier la loi du 29 octobre 1816 portant sur la liberté individuelle 65. Tout en reco.nnaissant les atténuations réelles apportées à la loi du 29 octobre, Benjamin Constant n'en affirme pas moins qu'un régime d'exception va au delà de sa motivation immédiate. On a beau requérir pour l'arrestation des prévenus la signature du président du Conseil et du ministre de la Police ou exiger des procureurs une procédure plus expéditive. «Ces lois de circonstances ont par-là l'inconvénient de prolonger les circonstances; et sous un autre rapport elles les aggravent. Les injustices involontaires, inévitables, quand l'arbitraire s'est introduit dans la loi, nécessitent des injustices moins involontaires; c'est une pente glissante et rapide, sur laquelle l'autorité la mieux intentionnée ne peut s'arrêter 66. » Le MerCllre et la Minerve ne céderont pas sur cet article de foi. C'est aussi la position du jeune duc de Broglie à la Chambre haute, tout entier à cette époque au libéralisme, faisant la leçon à ses aînés, peu initiés aux institutions d'Outre-Manche 57. Avec nombre de collaborateurs, il se mettra bientôt à préparer des projets de loi pour assurer les assises constitutionnelles du pays 68. Si la Minerve n'enregistre pas tous les actes arbitraires, rôle dévolu à Chevalier ct à Reynaud dans la Bibliothèque historique, elle n'en réclame pas moins contre les abus qui changent la liberté et les droits individuels en dérision. Telles sont les exécutions ou les arrestations ordonnées par des officiers de la garde nationale 69 et des maires 60, les perquisitions illégales 61, les mesures contre les réjouissances 62 et les Cf. M.d.F. l, Il et 25 janv. 1817. Ibid., p. 171. 57 Cf. Ex/rait de l'opinion de M. le duc de Broglie, sur le projet de loi relatif à la liberté individuelle, M.d.f. l, 22 fév. 1817. [,8 Cf. Etienne, n° 21, M. III 0),5 août 1818. ,,9 Tel le meurtre d'un vieillard suspect, poursuivi en vertu des lois d'exception par des gardes nationaux et la troupe étrangère, et le vol commis à la même occasion, le 22 mars 1816, Aignan, c.r. du Mémoire pour les enfans du sieur Tabarel [ ... ], in Galerie [ ... ), M. 1 (!J), début avril 1818; telle l'arrestation d'un garde naiional, Aignan, c.r. de la brochure dont l'auteur porterait le nom de Pigeon, Les confidences de l'hôlel de Basancourt, ou un jour de détention, in Galerie [ ... ], M. 1 (1), début fév. ; Correspondance, M. IV (4), 28 nov. 00 Détention d'un cultivateur qui a reiusé d'arrêter les travaux sur sa propriété, bien national, Bénaben, M. 1 (5), 7 mars 1818. Les méfaits de la réaction de 1815-1816 se révèlent au fur et à m(!sure que les victimes gagnent en as~u ranc'e. C'est le cas d'un négociant d'Agde qui, traité en 93 comme aristocrate et en 1815 commè jacobin, s'est adressé en vain aux tribunaux pour récupérer sa fortune pillée en 1815, Jouy, Pétition à Chambre [ ... J, M. VI (4), fin mai 1819. La Bibliothèque historique s'élèvera contre les réclamations du duc de Choiseul, demandant la restitution de ses biens, mais la Minerve rendra publique la lettre du duc où il dit qu'il agit selon la loi et où il fait une profession de foi constitutionnelle, M. VII (10), 10 oct. 1819, p. 480. 61 Cf. Bénaben, M. 1 (9), début avril 1818, des gendarmes ont forcé le bureau d'un prévenu, exilé sur l'ordre du préfet du Cher à 150 lieues de sa province. 6~ Tels l'ordre de disperser un « rassemblement» de danseurs dans une mai· son particulière ou celui signifié à un voyageur de s'établir dans une auberge et non chez un ami, Etienne, n° 9, M. 1 (12), 23 avril 1818. 55
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atteintes portées à la propriété 63. Des aventures passionnelles ne manquent pas qui font pousser le zèle des autorités au point de sévir contre des innocents même au-delà des frontières 64. Si la Conspiration du bord de ['eau a servi le jeu de Decazes et nourri la polémique des libéraux contre les ultras, Etienne n'en protestera pas moins et avec vigueur contre les procédés que la Police a pratiqués à l'égard de Canuel et de ses acolytes 65. On peut se faire une idée de l'arbitraire du pouvoir par l'histoire extravagante d'un jeune soldat qui, de retour dans sa ville natale après 7 ans de service, fut arrêté pour avoir souri au fils du juge d'instruction lors de la messe que celui-ci était en train de célébrer. «Mon Dieu! la drôle de ville que la ville de Melle en Poitou, où les juges d'instruction disent la messe, et où les procureurs du roi mettent en prison ceux qui leur font la grimace 1 De grâce, messieurs nos auteurs comiques, un petit voyage à Melle 66.» Juges et procureurs trouvent parfois de dignes émules dans les préfets, promettant des primes à ceux qui arrêteront les propagateurs de fausses nouvelles ou de feuilles subversives 67. Conséquences du passage des ultras au pouvoir après les Cent-Jours, ces torts devraient être redressés par le ministère qui a mis fin à l'existence de la Chambre Introuvable. En protestant contre les atteintes à la liberté, les recueils reprendront le procès qu'ils ont instruit contre l'extrême-droite et mettront en garde le pouvoir et les électeurs contre toute association avec les adeptes de l'ancienne France. Mais le cas le plus pressant et le plus flagrant est fourni par les rigueurs qui ont frappé les pairs et les régicides qui avaient adhéré à l'Empire libéral. Les condamnés ne jouissent pas toujours des dispositions draconiennes de la loi du 12 janvier 1816, et, au lieu d'être exilés, ils se 63 Ordre de restituer la somme qu'un individu a reçue comme subvention pour sa maison incendiée par les Autrichiens, Etienne, n° 23, M. III (4), fin août 1818; il est vrai que la victime a participé à la défense ùu pont de Châlonssur-Saône; les demandes qu'elle a adressées au ministère de l'Intérieur sont restées sans effet. Le zèle intempestif des maires est parfois puni: c'est le cas d'un maire destitué pour avoir annoncé la restitution des biens nationaux, Etienne, n° 3, M. 1 (4), fin fév. 1818 et celui d'un autre pour avoir détourné à son profit une partie des sommes accordées pour le soulagement de sa commune, Bénaben, M.d.F. IV, 22 nov. 1817. ll4 Le sens de la respectabilité a poussé la Police sur les trousses du commandeur portugais de Sad ré qui a franchi la frontière en compagnie d'une jeune beauté consentante. Grâce aux démarches de Laval-Montmorency - ambassadeur à Madrid - , le couple a été arrêté et la jeune fille rapatriée alors que le commandeur a été privé par son pays de son emploi et de ses biens pour prévention de rapt. Disculpé plus tard de tous les torts qu'on lui a imputés, la victime n'a pas obtenu le droit ni de porter plainte contre l'ambassadeur, ni de publier le verdict de la Justice française, ni de le faire connaître en Espagne et au Portugal, Etienne, n" 10, M. Il (1), 6 mai 1818. 65 Cf. infra, ch. VI, Propagande et faits divers, la Conspiration du Bord de
l'eau. 66 Aignan, C.r. du Mémoire pour le sieur Victor Martin, propriétaire à Melle, contre M. le procureur du roi près le tribunal de première instance, séant à Niort, in Galerie [ ... ), M. 1 (7), 21 mars 1818, p. 301. Moins rigoureux, mais non moins
arbitraire est l'interrogatoire subi par un capitaine demi-solde pour avoir baptisé son cheval cosaque, Etienne, n° 3, M. 1 (4), fin fév. 1818. 67
Cf. ibid.
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71;
voient retenus au fort Pierre-Châtel 68. Philippe Marchand, bientôt collaborateur du Censeur Européen, et dont le frère a figuré parmi les détenus, reprendra sa pétition à la Chambre sous forme d'une Lettre à Laîné, protestation mordante et violente contre le déni de justice 69. Non moins malheureux est le sort des bannis errant sur des terres d'exil, victimes des tracasseries et des persécutions que leur suscitent les polices des pays étrangers. Les pétitions en leur faveur affluent à la Chambre et députés cornille publicistes s'acharnent à défendre le droit de pétition 70. Le rappel des bannis devient sous la plume d'Etienne un refrain que les autres rédacteurs imitent à l'occasion et que nous retrouverons sous le ministère suivant. « Espérons que le jour où il n'y aura plus d'étrangers armés en France, il ny aura plus de Français dans l'étranger 71.» L'Académie française s'est également jointe aux appels, en souscrivant aux Œuvres d'Arnault, traînant une vie de misère en Belgique 72. Le jeune écrivain Merle prend aussi la défense des bannis et plaide la cause du colonel Bory de Saint-Vincent, celle d'Arnault, de Mellinet et d'autres 73. Dès février 1818, Etienne peut annoncer l'acte de clémence dont vont bénéficier Dejean fils, Laurence, Gamon, l'ancien ambassadeur Alquier, DuboisDubais, Poulin de Grandprey 74 et plus tard Cambacérès 75. C'est avec satisfaction que la Minerve fait part à ses abonnés de l'intervention du duc d'Angoulême qui a valu au colonel Boyer de Peyreleau, condamné à mort à la seconde Restauration et dont la peine fut d'abord commuée en vingt ans de prison, sa grâce entière 76. Mais eHe n'aura de cesse avant de voir tous les bannis réintégrer leur pays. D'où la place qu'elle réserve au procès intenté à Brissot-Thivars pour la publication du Rappel des bannis ainsi qu'à la Défense des bannis par l'auteur de la défense des volontaires royaux 71. D'où aussi la publicité qu'eHe assure à la pétition de Regnault de Saint-Jean-d'Angely et au discours pathétique que Saulnier a fait à la tribune pour rappeler le comportelIlent généreux de la France à l'égard des bannis étrangers 78. Le retour en
Cf. Bénaben, M.d.f. IV, 22 nov. 1817. Pour la pétition, cf. Bénaben, Session des chambres, M.d.F. IV, 22 nov. 1817 ; Aignan, c.r. de la brochure in Galerie [ ... ). M. 1 (3), 22 fév. 1818. 10 Maine de Biran, rapporteur de la commission des pétitions, a conclu a j'incompétence de la Chambre, conclusion qui n'a pas été retenue, Bénaben, Session des Chambres, M.d.F. IV, 29 nov. 1817; mais l'ordre du jour a eu raison des pétitions; protestation contre un tel procédé, M. 1 (2), 16 fév. 1818. 71 Etienne, n" l, M. 1 (2), 16 fév. 1818, p. 84. 7~ Cf. ibid. 7a Cf. ibid. et Bénaben, Bulletin de France, M. 1 (4), fin fév. 1818. Jouy fera la publicité à la souscription pour le Plan d'Aix-la-C/zapel/e, Borcette et ses em'irons par le colonel Bory de Saint-Vincent, dira les qualités de l'auteur et plaidera en faveur des bannis, du général Allix et Harel, de David, d'Arnault et de Carnot, M. III (1),5 août 1818. H Cf. Etienne, nU 1, M. 1 (2), 16 fév. 1818. 7:; Cf. Etienne, nU 12, Post-Scriptum, M. li (3), 20 mai 1818. 76 Cf. M. 1 (II), 19 avril 1818, p. 544. 77 Cf. Etienne, nU 10, 6 mai 1818. L'auteur serait le jeune Coulmann, futur biographe de B. Constant. 7" Cf. M. Il (3),20 mai 1818, p. 1.t8. 6" 6\1
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France au mois d'octobre 1818 des généraux Lamarque, Lobau, Dejean fils, du colonel Marbot, de Defermon, de Bouvier, de Dumolard, de Courtin et d'autres encore ne font qu'inciter Etienne à redoubler d'efforts en faveur de ceux que la clémence royale n'a pas graciés. C'est un appel vibrant et une protestation violente à la fois qu'il adresse à Decazes pour qu'Arnault soit autorisé à rentrer en France «Malade, souffrant, il rêve sur un lit de douleur l'ombrage des bois qu'il a plantés, le murmure des eaux limpides de Ville-d'Avray, séjour enchanteur, où il partageait sa vie entre les lettres et l'amitié 79 ».
* ** Les deux autres projets que Decazes a présentés à la Chambre, à la séance du 7 décembre 1816, avec le projet de loi rel~tif à la liberté individuelle, portaient sur les journaux et les écrits. On sait que l'Empire avait imposé aux auteurs, aux éditeurs et aux imprimeurs une servitude complète. La première Restauration semblait inaugurer par l'article 8 de la Charte l'ère libérale de la presse en établissant un régime purement répressif. Le gouvernement de Louis XVIII est cependant vite revenu sur ses engagements. La loi du 21 octobre 1814, quelque peu allégée par l'ordonnance du 21 juillet 1815, soumet chaque imprimé de 20 feuilles et au-dessus à la censure, avec l'obligation d'une déclaration avant l'impression, et d'un dépôt d'exemplaires avant la mise en vente. Les journaux et les recueils périodiques sont également soumis à l'autorisation préalable. De plus, la loi du 9 novembre 1815, relative à la répression des cris séditieux et des provocations à la révolte, a établi un régime draconien. Elle a laissé une grande latitude aux autorités policières et judiciaires pour définir à leur guise les écrits séditieux et infliger des peines sévères aux délinquants. Le ministère Richelieu, au risque de voir les journaux devenir libres au mois de mars ou d'avril 1817, en vertu de la loi du 21 octobre, devait s'empresser de faire passer une nouvelle loi aux termes de laquelle les journaux et les recueils périodiques ne pourraient paraître jusqu'au premier janvier 1818 qu'avec l'autorisation préalable. Il était entendu dans la pensée des auteurs du projet que l'autorisation préalable impliquerait le droit de suspendre et de supprimer les journaux. Par contre, le projet de loi sur les écrits, sans supprimer la saisie préventive, régularisait et atténuait ses effets par l'obligation de faire notifier le procès-verbal dans les vingt-quatre heures à la partie saisie et de statuer sur la saisie dans la huitaine en cas d'opposition. Que les ultras soient devenus les partisans de la liberté de la presse peut aisément s'expliquer après l'ordonnance du 5 septembre 1816, mal79 Etienne, n° 31, M. 1lI (13), 28 oct. 1818, p. 621. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre les tentatives de la baronne Travot de réhabiliter son mari, général banni en vertu des lois de 1815-1816, Réponse à la lettre de M. le général Lamarque [ ... ), M. Il (4), 24 mai 1818, p. 192-196; réponse empressée de Lamarque, M. Il (7), 15 juin, p. 344-345 et Nole de la Minerve, M. Il (8), 13 juin, p. 497-498.
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gré les contradictions qu'une telle position ne laissait pas de comporter sur le plan des principes et de l'application. Si Castelbajac, La Bourdonnaye, Villèle, Corbière, Benoist et Bonald à la Chambre des députés, Chateaubriand, Castellane, La Ferronnays et Fitz-James à la Chambre des pairs ont mauvaise grâce à se poser comme champions de la liberté, leur position à partir de la Charte - leçon que la brochure retentissante de Chateaubriand leur avait inculquée - ne manque ni de logique ni de force. Les partisans effacés du ministère ainsi que les doctrinaires RoyerCollard, Courvoisier et Camille Jordan auront du mal à concilier leur profession de foi constitutionnelle avec une juridiction d'exception ..\1 appartiendra à Savoye-Roll in, Brigode et Broglie dans les deux Chambres de mettre en valeur un libéralisme qui répugne à considérer les libertés essentielles cOlllme matière à compromis ou comme enjeu des luttes politiques 80. Benjamin Constant, en suivant de près ces vifs débats soulignera les principes qu'il a énoncés dans de nombreux écrits et dira sa confiance dans l'aboutissement d'une liberté essentielle à la société moderne. Si les intentions des ultras sont transparentes, les amis de la liberté n'en doivent pas moins concéder aux récents néophytes la justesse de leurs principes et combattre la dangereuse identification établie par les ministériels entre le roi et ses ministres, pour faire passer le projet de loi. Tous les pouvoirs arbitraires n'ont jamais manqué de plaider les impérieuses nécessités des circonstances. Il est vrai que les dispositions du ministère dépassent en modération ses actes législatifs. Le Mercure, par ailleurs, ne se sent pas encore en position de faire étalage d'une attitude hostile à l'égard du pouvoir. S'il n'engage pas le combat avec le ministère Richelieu, c'est que Benj amin Constant reste encore sur une expectative prudente et qu'il préfère pour le moment lui accorder sa confiance. \1 se contente il ces dates, de proclamer son opposition de principe à la loi sur les journaux et d'affirmer qu'aucun adoucissement de la loi sur les écrits ne sallfait être efficace sans l'institution d'un jury indépendant des autori tés 81. Dès l'ouverture de la session suivante de 1817-1818, le ministère Richelieu se trouve de nouveau dans l'obligation de proposer un projet de loi sur la presse pour maintenir les journaux sous sa surveillance. Le projet présenté à la Chambre par le garde des Sceaux Pasquier comportait une répartition des responsabilités et des sanctions entre les auteurs, les éditeurs et les imprimeurs et le maintien de l'autorisation préalable pour les journaux et les recueils périodiques jusqu'au 1er janvier 1821. Il n'est pas étonnant de voir les ultras persévérer dans leur opposition au ministère et combattre son nouveau projet. Les libéraux n'avaient pas non plus à se louer de la politique ministérielle. Les tentatives réitérées cI'une fraction du ministère pour renouer avec le pavillon de Mar~(, Cf. B. Constant, Des Chambres. Projet de loi sllr la liberté de la presse, V", VI" ei VII' art., M.d.F. l, 1"', 8 et 15 fév. 1817; Duvergier ùe Hauranne, op. cil., vol. IV, ch. XIV. ~l Cf. ibid.
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san, les efforts de Richelieu pour faire aboutir le Concordat et l'empressement des ministériels à contrecarrer les candidats libéraux aux élections de septembre 1817 n'étaient pas de nature à ménager au pouvoir l'appui de la gauche. La répression sanglante des troubles à Grenoble et à Lyon et les condamnations en série des publicistes, accompagnées par les procureurs d'une profession de foi singulière, ont fini par raidir l'attitude du camp libéral. La gauche mettra en œuvre tous ses moyens légaux pour forcer la main au ministère et l'engager dans une voie franchement constitutionnelle. La discussion aux Chambres du nouveau projet de loi verra s'établir une alliance provisoire entre les libéraux et les ultras, sauf sur la question du jury. Villèle, La Bourdonnaye, Benoist, Bonald et Corbière à la Chambre des députés, Saint-Roman, Brissac, Mathieu de Montmorency et Chateaubriand à la Chambre des pairs énonceront des principes que leurs col!ègues respectifs - Martin de Gray, Casimir Périer, Hernoux, Chauvelin, Laffitte, Voyer d'Argenson, La Rochefoucauld, Boissyd'Anglas, Broglie et Lanjuinais - ne désavoueront pas. Elle fera piètre figure aux Chambres l'apologie entreprise en faveur du projet par les partisans ministériels. Les Doctrinaires - Camille Jordan et Royer-Collard - ne laisseront pas de critiquer certaines dispositions de la loi et d'exiger l'institution du jury. Jordan s'élèvera à cette occasion contre le cOl1stitutiol1alisme bâtard des ultras ct évoquera dans des termes vibrants les condamnations sommaires de la justice prévôtale à Lyon. Il sera facile à Bénaben, interprète de la pensée de Benjamin Constant, de démontrer à quel point est vaine toute définition de la presse, arbitraire la recherche des provocations indirectes et insensée l'assimilation du dépôt d'un ouvrage à sa publication. Les recueils restent toujours fidèles à la conception constantienne qui refuse toute législation particulière pour les délits des brochures et de la presse et qui considère l'appareil rigoureux du code pénal comme amplement suffisant pour punir les infractions des publicistes. Ils se dresseront invariablement contre toute entorse aux dispositions explicites de la Charte en faveur de la liberté de la presse 82. Si le ministère Richelieu réussit à faire entériner par les Chambres l'article de la loi maintenant l'autorisation préalable pour la presse et dont la durée a été limitée jusqu'au premier janvier 1818, il semble perdre son intérêt pour les dispositions sur les écrits, violemment critiquées et sensiblement améliorées lors des polémiques qui ont eu lieu
82 Cf. Bénaben, Session des Chambres, M.d.F. IV, 13, 20 et 27 déc. 1817. V. également Tissot, c.r. de l'ouvrage de Bailleul, Sur les écrits de M. Benjamin
de Constant, relatifs à la liberté de la presse et à la responsabilité des ministres, ibid., \0 nov. ; ].J.B. [Pagès] reproduira les délibérations des universités hongroises sur la liberté de la presse - extrait des Travels in Hungar)' de Robert Townson, publiés en 1797 - ibid., 6 déc. ; 55., fera l'éloge de la brochure du jurisconsulte Coffinières, Causeries des salons sur la liberté de la presse, relative au projet de loi sur la liberté de la presse, ibid., 29 nov. et 13 déc. Esménard, C.r. de l'écrit de Ricard (d'Allauch), Du jury et du régime de la presse, ibid., 20 déc. 1817.
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à la Chambre du 11 au 24 décembre 1817. Il ne lui restera en présence de l'hostilité de la Chambre haute que de manœuvrer habilement pour faire rejeter cette partie de son projet. Etienne ne manquera pas de stigmatiser avec son ironie mordante un procédé aussi déloyal 83. Débordé par les problèmes des indemnités de guerre et d'une occupation accablante, excédé par les tiraillements et les oppositions dans sa politique intérieure, le ministère Richelieu, soucieux de reconquérir l'opinion, tient à la rassurer par des promesses que les feuilles ministérielles propagent. Etienne n'ajoute pas foi au bruit d'un changement de législation de la presse dans un an, ni d'un adoucissement de la répression pénale 84. Il dit aussi leurs vérités aux récents néophytes du libéralisme qui défendent à la tribune la liberté de la presse et qui se joignent aux ministériels pour repousser la proposition de Dupont de l'Eure demandant un nouveau projet de loi sur la presse ~5. Les affirmations de la presse anglaise sur la préparation d'un projet de loi libéral et de l'envoi de juges pour étudier en Angleterre la législation sur les écrits ainsi que l'institution du jury n'appellent de la part des rédacteurs que des réactions sceptiques. Les juges-voyageurs ne trouveront pas en Angleterre la moindre trace d'une législation spécifiant les modalités de la liberté de la presse. Cette liberté existe en fait en vertu d'une législation criminelle appliquée à tous les délits par un jury élu librement alors que la liberté solennellement déclarée par la Charte est démentie dans son ensemble par des lois d'exception successives et dans le détail par une répression chaque jour plus draconienne. Et Etienne de prouver que le jury en Angleterre, sauf sous le règne de Charles II, avait toujours été libre 86. Si Etienne n'accorde pas au début sa confiance à Cottu, Conseiller à la Cour royale, envoyé en mission d'étude en Angleterre, il finira par reconnaître l'impartialité du Conseiller, pénétré de la supériorité des institutions britanniques. II s'élèvera cependant contre les précautions du Ministère pour cacher les recommandations de Cottu et dénigrera les assertions partiales au Conseil d'Etat du savant protestant Cuvier, contrairement aux idées sensées de Royer-Collard relativement à l'institution du jury. Sous la plume alerte d'Etienne, le libéralisme ne saurait admettre ni un jury de commande, ni un jury dont le ministère de la Justice pourrait récuser les membres dans une proportion inquiétante, ni enfin une presse libre conditionnée par un cautionnement exorbitant 87. La polémique libérale contre le régime de contrainte ne tire pas sa force uniquement de la logique serrée des principes ou de la justesse des arguments. Le ministère Richelieu fournit tout le long de sa carrière maintes occasions pour justifier la position énergique des recueils libéCf. Etienne, n" l, M. 1 (2), 16 fév. 1818. Cf. ibid. -c, Cf. Bénaben, Pétitiuns ct projets, M. 1 (3), 22 fév. 1818; Etienne, n° 3, .\\. 1 (-1), fin fév. 1818. HO. Cf. !I\ Il (·1),2-1 mai 1818, p. 202; Etienne, n" 13, M. Il (5), début juin. S7 Cf. Etienne, ibid., Post-Scriptum et n'" 1-1, 35 et 36, M. Il (6), M. IV (5 et 6), III juin, tl et 13 déc. 1818. H3
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raux. Les sévères condamnations des rédacteurs de la Bibliothèque historique étaient présentes à la mémoire des publicistes 88. Les démêlés de Comte et Dunoyer avec la Justice de leur temps leur ont assuré une juste célébrité. On connaissait le long procès, voire les procès interminables que les autorités avaient suscités à ces adversaires farouches de l'Empire pour la publication dans le troisième volume de leur recueil Le Censeur Européen - du Manuscrit apocryphe venu de l'île SainteHélène 89. Non moins retentissant fut le procès invraisemblable intenté à Comte et à Dunoyer par le juge Béchu auquel Comte réussit à échapper et pour lequel Dunoyer fut traîné par les gendarmes à Rennes 90. D'autres procès furent encore intentés à Brissot-Thivars pour le Rappel des bannis 91, à Crevel pour son Cri du peuple 92 ainsi qu'aux rédac-
88 Cf. Bénaben, condamnation de Chevalier et acquittement de l'imprimeur Dentu, M.d.F. III, 21 juin et 5 juillet 1817 ; appréciation élogieuse de la Biblio .. thèque historique à la suite de sa saisie, Etienne, n° 14, M. Il (6), 10 juin 1818 : Bellart appelle du jugement de la chambre d'accusation de première instance; les prévenus sont renvoyés devant la police correctionnelle, ibid., Post-Scriptum; les éditeurs de la Bibliothèque historique continuent de publier de nouvelles livraisons, n° 16, M. Il (9), début juillet; la défense du recueil - Mauguin est attaquée par le substitut dans des termes inconvenants, n° 18, M. Il (11), 15 juillet; condamnation rigoureuse des auteurs de la Bibliothèque historique. n° 20, M. Il (13), fin juillet; l'ordre des avocats prend la défense de Mauguin qui avait été invité par le tribunal à plus de prudence; transactions et irrégularités à cet effet; protestations d'Etienne, n0 21 et 36, M. III (1) et M. IV (6\, 5 août et 13 déc. ; B. Constant, Question judiciaire, M. III (3), 20 août. 89 Cf. notre étude cit., Le Censeur Européen. Histoire d'un journal industrialiste, Il, p. 338 sq. ; B. Constant, Questions sur la législation actuelle de la presse [oo.], Paris, 1817; Lacretelle, c.r. de cette brochure, M.d.F. III, 19 juillet, 2 et 9 août 1817; Augustin Thierry fait allusion au plaidoyer éloquent de Constant en faveur de Comte et Dunoyer dans son écrit anonyme, Le ministère vengé [oo.] (cf. notre étude, Sur un écrit de jeunesse d'Augustin Thierry, in R.H.L.F., 1959, juillet-sept., n° 3, p. 353). Decazes sera obligé à se défendre à la Chambre des pairs contre l'accusation que maints passages incriminés du 3' vol. du Censeur Européen avaient été confiés à ses directeurs par le ministère de la Police. Il s'agit de Mirbel, rédacteur du Journal des Maires et confident de Decazes, qui fut nommé lors du procès du Censeur Européen secrétaire générai du ministère de la Police (cf. Duvergier de Hauranne, op. cit., vol. IV, p. 276 et notre art. cit. sur Thierry, p. 351-352). Rappels du procès, Bénaben, M.d.F. 111,5 et 19 juillet 1817; 2,9,16,30 août; Brougham a rendu visite aux prévenus, 2Y sept. ; M.d.F. IV, 11 oct. et 22 nov. ou La presse française a annoncé l'arrestation des auteurs avant que Com~e et Dunoyer aient été arrêtés et le Sun anglais a spécifié le chef d'accusation retenu contre eux avant l'instruction, Etienne, n° 9, M. 1 (12), 23 avril 1818: lettre de Dunoyer à la Minerve écrite à la Force, où il s'élève contre son arrestation, Correspondance, M. 1 (13), fin avril; la presse ministérielle attaque les prévenus, Etienne, n" 14, M. Il (6), 10 juin; rappel de l'orage suscité à la dernière session par la condamnation des auteurs du Censeur Européen et de Chevalier, n" 20, M. Il (13), fin juillet; cf. également sur le procès de Rennes. notre art. cit., Le Censeur Européen. Histoire d'un journal industrialiste, Il, p. 342-344. 91 Acquittement de l'auteur et condamnation de son ouvrage, Etienne, n° 7, M. 1 (10), 12 avril 1818. 92 Mocquart a assumé avec beaucoup de talent la défense de Crevel qui fut condamné en appel, Etienne, n° 10, M. Il (1), 6 mai 1818. 8
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teurs de l'Homme gris 93. Ne s'agirait-il d'une véritable conjuration universelle contre la liberté de la presse, interdisant en France le Vrai libéral, le Mercure du Rhin et la Gazette ulliverselle u4, ordonnant à Cau choisLemaire et à Guyet - rédacteurs du Vrai libéral - ainsi qu'à LaHemand - rédacteur du foufIlal de la Flandre orielltale - et à Brissot rédacteur du foufIlal collstitutiollnel d'Anvers - de quitter le royaume des Pays-Bas Un ? Le procureur BeHart s'est évertué à prodiguer des conseils paternels aux avocats pour les dissuader de prendre la défense des publicistes 96. La démonstration a d'ailleurs suivi de près l'exhortation. La défense que l'écrivain Esneaux a entreprise en faveur du jeune Scheffer - ami d'Augustin Thierry - a valu au plaideur malencontreux son arrestation et un traitement révoltant 97. Le ministère de la Justice a fait la preuve de ses préventions, en cherchant à débouter les anciens propriétaires du foufIlal de Paris - Roederer et Bassano - des réclamations qu'ils avaient formulées contre leurs anciens associés 98. La Police n'a pas été moins vigilante, en procédant à la saisie des pamphlets 99, de quelques numéros du foufIlal général 100 et même des mouchoirs de soie figurant les gloires des armées françaises 101. Le Conseil de discipline des avocats de Paris se révéle lui aussi le digne interpète des volontés ministérielles en refusant systématiquement d'admettre Manuel au barreau de la capitale 1U~. ù:l Rédigé par l'avocat Fère!. 11 est cité en justice, Etienne, ibid. ; à peine condamné, l'Homme gris ne laisse pas de reparaître sous l'égide de nouveaux rédacteurs, n° 14, Post-Scriptllm, M. Il (6), 10 juin 1818. U4 Cf. Bénaben, M.d.F. IV, 25 oct. 1817. !J:; Poursuivi par l'ambassadeur d'Espagne pour un article injurieux contre l-'erdinand VII, Cauchois-Lemaire a été condamné à une forte amende, Bénaben, M.d.l-'. li, 24 mai 1817; ordre signifié aux rédacteurs de quitter le pays, ibid., 31 mai. !J6 Cf. 55., M.d.F. IV, 22 nov. 1817; Pagès cite également les discours des procureurs, M. III (6), 15 sept. 1818. !lÎ Cf. Etienne, n" 2, M. 1 (3), 22 mars 1818 : il rappelle la condamnation du jeune Scheffer et la qualité d'étranger que les tribunaux lui ont conférée. Le critique invite Marchangy à méditer sur les procès en chaîne que cette affaire est susceptible de provoquer, car voilà une Défense publiée par Decomberousse en faveur d'Esneaux. Un autre écrivain - Arnault - pouvait se considérer heureux de la condamnation à un jour de prison et 50 francs d'amende, Bénaben, M.d,F. Il, 28 juin 1817, Pour le procès de Scheffer, cf. notre art. cit, sur Augustin Thierry. Tracasseries suscitées à Esneaux en prison, sa maladie, souscription ouverte en sa faveur pour payer l'amende, Etienne, nO' 13, 18, 19 (Post-Scriptum) et 30, M. 11 (5, Il et 12), M. IV (1), début juin 1818, 15 et 21 juillet, 3 nov. U8 L'avocat général Colomb, qui s'était signalé dans la Chambre Introuvable par son opposition aux excès des ultras, fut remplacé dans ce procès par Quequet. Quelle justice peuvent espérer Roederer qui est en disgrâce et Bassano qui est en exil? Etienne, n° 3, 1\\. 1 (4), fin fév, 1818, !lU Cf. Etienne, n" 2, M, 1 (3), 22 mars 1818. 100 Cf. B. Constant, De la nécessité et des moyens de nOllS faire une jllste idée des doctrines dll ministère public, dans les callses relatives aux délits de la presse, M. II (10), 12 juillet 1818, p. 476. 11ll Cf. Etienne, n" 16, M, II (9), début juillet 1818, 10~ Cf. le long développement d'Etienne, n° 7, M, 1 (10), 7 avril 1818,
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Voilà des actes qui s'inscrivent dans une politique de réaction manifestement opposée aux principes qui ont présidé à l'établissement de la Restauration, malgré quelques rares signes de fléchissement du régime de contrainte. Par ailleurs, la politique de bascule fonctionne même dans ce domaine et Fiévée du camp opposé n'échappera pas à un procès retentissant pour le onzième numéro de sa Correspondance administrative où, dans sa réplique contre la diatribe du jeune Lord Stanhope, il a dénoncé la France révolutionnaire. C'est à cette occasion que Benj amin Constant donnera la mesure de son libéralisme en reprochant au Journal général sa satire contre Fiévée. Il dressera un réquisitoire violent, d'une ironie mordante, contre les lois et les mesures d'exception et fera un appel fervent pour la solidarité à cet effet des partis et des publicistes 103. C'est encore Benjamin Constant qui fera le bilan amer des condamnations, en citant les noms des jeunes publicistes Comte, Dunoyer et Chevalier, connus du public depuis 1814 et 1816, ou les noms d'auteurs qui ont gardé le silence sous l'Empire pour les mettre en regard des procureurs Hua, Vatimesnil et Marchangy dont la fidélité au pouvoir a été sans tache durant les années 1808, 1810 ou 1812. «La majorité des auteurs actuels se taisait sous Bonaparte, la majorité des magistrats actuels jugeait alors aussi bien qu'à présent. Nos magistrats ont donc sur nos écrivains l'immense avantage d'une longue tradition, d'une expérience étendue, d'une intelligence façonnée par d'immenses services rendus aux autorités antécédentes 104.» N'eût été l'accident survenu à Benjamin Constant à Meudon, il eût réuni en volume les réquisitoires des tribunaux. «Tous les genres d'éloquence se réunissent aujourd'hui dans certains réquisitoires de notre ministère public. L'oraison funèbre et le poëme en prose, les discours politiques et les descriptions de la nature, l'églogue, l'idylle, l'hommage sonore envers la puissance, tout s'y rencontre et s'y confond 105. » La tâche sera dévolue à Jouslin de la Salle dont Constant annoncera le prospectus de l'ouvrage 106. Ainsi, les rédacteurs ont démontré les contradictions flagrantes existant entre les prescriptions de la Charte et les préceptes des porte-parole de la Justice, et souligné, 10a Cf. B. Constant, Des égards qui, dans les circonstances présentes, les écrÏJ'ains se doivent les lins allx autres, M. 1 (9), début avril 1818. Etienne, tout en dénigrant Fiévée, n'en avait pas moins défendu sa cause, n° 5, M. 1 (7), 21 mars; cf. également, Jay, Du danger des interprétations, ou observations sur le réquisitoire de M. de Marchangy dans l'affaire de M. Fiévée, M. 1 (12), 23 avril; Jay y cite aussi la condamnation sévère de Riouste, prévenu d'avoir attaqué le principe de la légitimité; condamnation de Fiévée, n° 10, M. Il (1), 6 mai; il est autorisé à passer le temps de sa détention à sa maison de campagne, n° 18, Post-Scriptum, M. Il (lI), 15 juillet. 104 De la nécessité et des moyens de nous faire une juste idée des doctrines du ministère public, dans les causes relatives aux délits de la presse, M. Il (10), 12 juillet 1818, p. 476. 105 Ibid., p. 479. 106 Cf. ibid., annonce de la souscription chez L'Huillier. L'ouvrage est intitulé, Petits cours de jurisprudence littéraire. ou répertoire de police correctionnelle à l'usage des gens de lettres, selon MM. Hua, Vatismenil [sic] Marchangy, etc., Paris, 1819-1819. Constant fait de nouveau l'éloge de l'ouvrage, M. IV (5), 6 déc. 1818. L'ouvrage est un guide excellent pour les procédés de la Justice d'alors et les condamnations de quelques publicistes en vue.
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à l'exemple des auteurs du Censeur Européen, que les poursuites n'ont fait que redoubler les sympathies du public pour les écrivains condamnés, renforcer aux Chambres l'opposition au pouvoir et déterminer une véritable floraison de périodiques.
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Les indemnités de guerre, totalisant 700 millions de francs, que la France devait régler tous les quatre mois par tranches de 45, et l'entretien des troupes d'occupation, s'élevant à 150.000 hommes, constituaient pour le pays épuisé ses dépenses extraordinaires. Celles-ci s'ajoutaient à la dette flottante des régimes antérieurs et aux dépenses ordinaires de l'exercice fiscal en cours. En 1817, pour faire face aux obligations envers les Alliés, Corvetto s'est adressé aux banquiers Baring de Londres et Hope d'Amsterdam afin de négocier un emprunt aux termes duquel la France aliénerait un capital nominal de 384 millions en échange d'un capital réel de 187, doublé d'un intérêt annuel de 17. D'autre part, après des négociations pénibles, Wellington a donné son consentement, en février 1817, pour réduire le corps d'occupation à 120.000 hommes. A cette date, la situation de la France peut paraître au ministère Richelieu désespérante 107. La gravité de la situation économique de la France et l'intérêt politique des discussions budgétaires pour l'avenir institutionnel du pays expliquent la sollicitude passionnée de Benjamin Constant et de ses collaborateurs pour ces question. Peu versé dans la partie technique, il a recours à la science de Saint-Aubin, un des premiers collaborateurs de l'Industrie de Saint-Simon 108. Avec cet économiste, Benjamin Constant croit à la vertu des emprunts qui répartissent les charges sur plusieurs générations à venir et qui permettent de résoudre des questions financières en apparence insurmontables. Se méfiant de la «logique» du pouvoir, il met cependant les Chambres en garde contre les abus en matière de crédit d'autant plus que les dettes immenses de l'Angleterre fournissent une leçon toujours présente. Si le crédit et la puissance de l'Angleterre demeurent intacts, ils n'en accusent pas moins des failles qui risquent de se transformer par la misère et les taxes écrasantes en une révolution sociale. Saint-Aubin tiendra à apporter son correctif à cette vue pessimiste, partagée d'ailleurs par les chefs de file libéraux. Toujours est-il que Constant accorde son appui au ministère pour l'emprunt négocié et note avec satisfaction le changement d'opinion à cet égard dans un pays difficile107 Cf. Duvergier de lIauranne, op. cit., vol. IV, ch. XV-XVII; Bertier de Sauvigny, op. ci!., 2" part., ch. III. lOS La première partie du premier tome, publiée en déc. 1816, comporte une étude de Saint-Aubin, Sur les finances; la seconde partie, publiée en janv. 1817, Des nations, est d'Augustin Thierry, et la troisième, publiée en fin fév., est une nouvelle étude de Saint-Aubin sur l'administration des finances. Pour le recours à Saint-Aubin, cf. B. Constant, Des chambres, M.d.F. l, 1"' et 15 mars 1817.
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ment perméable aux modifications d'optique 109. Cet appui se double cependant d'une critique voilée à l'égard du ministère qui a mené secrètement cette opération financière avec des maisons étrangères, fait qui lui a été violemment reproché par Casimir Périer 110. Une autre question étroitement liée à celle de l'emprunt a été celle de la dotation de la caisse d'amortissement d'une somme supplémentaire de 20 milions. La discussion à la Chambre a pris une ampleur qui a largement dépassé ses données techniques. C'est que le ministère a décidé de pourvoir à cette dotation par la vente de 150.000 hectares de bois de l'Etat, constitués en partie par d'anciennes propriétés du clergé. D'où un débat des plus animés dans les deux Chambres. En raillant les notions économiques confuses de l'extrême-droite, Benjamin Constant décochera des traits ironiques à l'adresse de Bonald et surtout de Chateaubriand pour leur apologie du clergé. «En écoutant certains orateurs, on eût dit Ossian parlant d'économie politique; et les subtilités de la théologie et les traditions de l'esprit chevaleresque se sont mêlées d'une manière bizarre à des calculs de finance et à l'examen d'un budget 111.» Doter le clergé de propriétés n'est pas contraire aux conceptions constantiennes, à condition que les pasteurs de toutes les confessions en soient également pourvus par leurs communautés respectives et que l'Eglise dominante ne se reconstitue pas en corps possédant. C'est une bonne occasion pour évoquer le schisme d'Occident et rappeler avec Barante, parlant au nom du ministère, la confiscation des biens des Jésuites que le bon plaisir du pouvoir monarchique a cédés à d'autres ordres 112. Le budget présenté au cours de la session de 1816-1817, a totalisé 1088 millions que la commission de la Chambre a cherché à réduire à 1061, contre 758 millions prévus par les recettes et 303 couverts par 30 millions de rentes. II 'a donné lieu à de vif,s débats sur les économies à pratiquer dans les sommes allouées aux différents ministères. Benjamin Constant se rangera du côté du ministère pour railler l'appétit d'économies des ultras, volontiers disposés à rogner les dépenses des ministères autres que ceux de la Guerre et de la Marine, acquis à la cause de l'extrême-droite. Barante a eu facilement raison de leur opposition en montrant les finances de l'Ancien Régime entachées par une incurie et un arbitraire révoltants. Avec les députés libéraux et ministériels, Benj amin Constant critiquera vertement les ministres de la Guerre et de la Marine, le maréchal Clarke et Dubouchage, pour avoir excédé leurs budgets 113. Il démontrera que seuls ceux-ci sont susceptibles d'être 109 Cf. B. Constant, Des chambres, M.d.F. l, 22 mars 1817 et la Lettre de Saint-Aubin, M.d.F. Il, 5 avril. 110 Cf. B. Constant, ibid. 111 Des chambres, M.d.F. Il, 12 avril 1817, p. 83. Par l'ordonnance du 10 déc., le ministère des Finances sera autorisé à procéder à la vente, M.d.F. IV, 20 déc. 112 Pour la caisse d'amortissement et la question du clergé, cf. B. Constant, Des chamhres, le c.r. cit. du 12 avril et celui du 29 mars 1817. 113 Cf. B. Constant, ibid., c.r. cit. du le. mars et celui du 8 mars 1817.
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réduits et s'élèvera par la même occasion contre les pensions prodiguées à des officiers nobles, tout en exceptant de cette réprobation celles. accordées aux réfugiés espagnols, portugais et égyptiens dont la cause a été défendue à la tribune par LaÎné 114. Le ministère qui a vu discuter son projet de loi budgétaire pendant la session de 1816-1817 et qui l'a entériné le 24 mars 1817, doit de nouveau faire face en 1818 à des obligations financiéres énormes qu'il soumettra aux Chambres durant la session de 1817-1818. A un ordre de dépenses un peu moins élevées que celles de 1817 s'ajoutent plus de 14 millions de rentes pour le règlement définitif des dettes contractées envers les particuliers étrangers et 24 millions de rentes pour compléter le paiement des indemnités de guerre afin de hâter la libération 115. La Minerve se fait l'interprète des députés libéraux pour critiquer ces dépenses accablantes et protester contre le nouvel emprunt négocié avec Baring selon un taux nettement préjudiciable à la France. Etienne et Bénaben, Saulnier fils et Pagés font chorus aux sombres analyses de l'état financier faites par les rapporteurs de la commission, Roy et Beugnot, et aux prévisions sinistres de Laffitte 116. Unanimes à recommander le système créditaire, les rédacteurs n'en protestent pas moins contre un recours abusif aux emprunts, susceptibles de mettre en danger l'économie nationale comme en Angleterre 117. Une comptabilité rigoureuse et des économies sévères s'imposent. L'ordre à introduire dans les contributions directes devrait se doubler de la limitation des contributions indirectes 118. Les gros salaires des ministres et des directeurs généraux devraient être également limités. Les demandes de restrictions vont parfois jusqu'à plaider la suppression du Conseil d'Etat, des cours prévôtales, des sinécures des ministres d'Etat, des sous-secrétaires d'Etat et de bon nombre de fonctionnaires, et bien entendu la suppression de l'entretien des régiments suisses, associés dans la pensée libérale aux pratiques antinationales de l'Ancien Régime. En rapprochant la Restauration de l'Empire, il est aisé à la Minerve de prouver que la masse d'appointements et de divisions ministérielles est restée sensiblement la même 119. Sans s'associer aux attaques virulentes de La Bourdonnaye Cf. B. Constant, ibid., 8 mars 1817. Après réduction par la commission de la Chambre, le budget de 1818 s'é1h'era à U7·!.290.000 francs, Bénaben, M. 1 (9), début avril 1818; pour les emprunts, d. Saulnier fils, M. Il (2), 14 mai. 116 Cf. Bénaben, M. 1 (8), fin mars 1818; recommandation de l'Opinion de Chauvelin sur le budget, Etil!nne, n° 7, M. 1 (ID), 12 avril; pour l'intervention de Laffitte à la Chambre, Bénaben, ibid. 117 Cf. Bénaben, ibid., Pagès, M. Il (4), 24 mai 1818. Ils Cf. Bénaben, M. 1 l8, 9 et 11), fin mars, début et I!) avril 1818. IIU Pour les émoluments des ministres, ministres d'Etat, directeurs généraux ct sous-secrétaires d'Etat, d. Etienne, n'" 4 et 7, M. 1 (6 et 10), 10 mars et 12 avril 181!! (le dernier n" porte sur un écrit ironique de Salve rte, Examen des budgets des directions géllérales), n° 10, M. Il (1),6 mai; Bénaben, M. 1 (11), Saulnier fils, M. 1 (13), fin avril; pour le Conseil d'Etat, Saulnier fils, M. Il (2), 14 mai et pour les cours prévôtales, Bénaben, M. 1 (8), fin mars; pour les Suisses, Bénabcll, c.r. du discours de Casimir Périer, M. 1 (11), 19 avril; pOlir le nombre excessif des fonctionnaires, Saulnier fils, M. Il (2). 1H
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contre Decazes, le recueil blâme la disposition qui fait figurer l'impôt sur la presse comme revenu fixe dans le budget du ministère de la police, et, sur un plan tout à fait différent, celle qui permet l'exploitation immorale de l'impôt sur la loterie. Toutefois, la Minerve s'empresse de mettre en valeur l'intervention de Camille Jordan, accouru à la défense de Decazes, qui a remonté les sentiers du « bon vieux temps» pour illustrer ses méfaits par les lettres de cachet 120. Après avoir marqué ses distances à l'égard de l'extrême-droite, la Minerve peut dénoncer les pensions 121 souvent prodiguées aux privilégiés, s'en prendre aux ministres qui excèdent leurs attributions financières et à la pratique de soumettre le projet de loi budgétaire aux Chambres sans une justification détaillée des dépenses respectives des ministres 122. Enfin, la mauvaise gestion des finances départementales et communales et l'arbitraire caractérisant l'administration locale alimentent les débats de la Chambre aussi bien que les colonnes de la Minerve 123, tout en laissant percer quelquefois des échos sur le progrès constitutionnel dans ce domaine 124. Ces plaintes pèsent sOlllme toute peu en regard de l'appel de Richelieu aux Chambres pour le règlement financier des indemnités des particuliers étrangers et des Alliés 1~5. La rédaction suit passionnément les moindres bruits ayant trait aux négociations en cours pour la libération anticipée du territoire et puise largement ses renseignements dans la presse anglaise 126. Elle dit son indignation devant les réclamations insatiables des créanciers étrangers qui remontent parfois à l'époque d'Henri IV 127 alors que les revendications des Français, garanties par les traités de paix, restent sans réponse 128. Dans l'angoisse de l'attente, 120 Contre le droit de timore, d. Bénaben, M. 1 (9), début avril 1818; la loterie, Saulnier fils, M. Il (3), 20 mai; l'attaque de La Bourdonnaye, le même, M. 1 (13), fin avril. 121 Cf. Bénaben, M. 1 (8), fin mars 1818. 122 Cf. Etienne, n° 10, M. Il (1), 6 mai 1818 et Saulnier fils, M. Il (2 et 3), l-l et 20 mai. 123 Pour Paris et le pouvoir discrétionnaire des préfets, Etienne, n° 5, M. 1 (7),21 mars 1818; Bénaben, M. 1 (9 et II), début et 19 avril. 124 Cf. Pagès, M. Il (4), 24 mai 1818. 12;; Cf. Saulnier fils, M. Il (2), 14 mai 1818. 120 Etienne rend hommage aux efforts des ministres, n° l, M. 1 (2), 16 fév. 1818; Bénaben annonce la iibération pour le 20 nov., M. 1 (4), fin fév.; le Courier et le Times interprètent l'attiude de l'Angleerre quant à la libération et soulignent le rôle d'Alexandre et son intervention auprès de la Prusse. Les injure du Times contre Laffitte four son opposition au recours à Baring, Etienne, n° 5, M. 1 (7), 21 mars; un nouveau congrès doit décider de la libération, Bénaben, M. 1 (8), fin mars; la presse allemande trace l'itinéraire des troupes alliées, Etienne, n° 6, M. 1 (9), déhut avril; bruits toujours persistants sur le départ des Alliés, Etienne, n° 7, M. 1 (10), 12 avril; la libération ne tarderait pas et dépendrait de la liquidation des dettes particulières, Bénaben, M. 1 (II), 19 avril. 127 Cf. Etienne, n° 4, M. 1 (6), 13 mars 1818, les exigences du duc d'AnhaltBernbourg; Saulnier fils, M. 1 (13), fin avril, les exigences des particuliers et les dispositions prises avec l'Espagne et l'Angleterre; Pagès, les conventions condues avec les Alliés, M. Il (8), 25 juin. 128 La main-levée du séquestre établi sur les propriétés françaises en Espagne d'après le traité du 20 juillet 1814 n'a pas été respectée, Bénahen, M. 1 (3), 22 fév. 1818; le dédommagement des particuliers espagnols C.,t conditionné par
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la Mil/t'rve appelle ùe ses vœux l'allègement des charges pesant sur les régions frontalières l~H et pousse sa commisération jusqu'à oublier ses principes ct reconnaître tacitement à l'Alsace le droit au monopole du tabac 130. Dans cette conjoncture émouvante, la Mil/erve ne croit pas devoir insister longuement sur le recours du ministère en 1817 aux maisons Baring et Hope, d'autant plus qu'elle le sait tout disposé en 1818 à faire appel aux ressources du pays. L'empressement enthousiaste du public à souscrire à l'emprunt lancé par Corvetto - souscription qui rapporta onze fois la somme delllandée - témoigne autant des bonnes dispositions de la France que de ses possibilités lal. Négocier un second emprunt avec Baring et Hope, selon un taux de 67 francs, pour fournir les 24 millions de rentes, semble aux banquiers libéraux une trahison, aggravée par les spéculations auxquelles les banques étrangères ne manqueraient pas de se livrer 1;J~. Le refus de Laffitte et d'autres banquiers à sa suite de s'associer il Baring pour une partie de l'emprunt prouve l'incurie du ministère. La bourse enregistre d'ailleurs les faits financiers par une hausse consécutive à la souscription nationale et par une baisse qui suit la divulgation des négociations secrètes avec Baring, fluctuations qu'on attribue volontiers à l'agiotage étranger comme à l'impéritie du ministère. La joie de la bourgeoisie libérale à la veille de la libération sera ainsi gravement
le droit à faire valoir aux réclamations des français, Saulnier fils, M. 1 (13), fin avril; demandes de restituer leurs fonds aux anciens militaires français, sociétaires du Mont de Milan, de Westphalie, de Bayreuth et d'Erfurt et dont des sommes importantes ont été versées au Domaine extraordinaire, Pagès, M. III (9 et 10),3 et 10 oct. ; Pagès fait appel au gouvernement pour qu'il appuie le., demamks des Français auprès des pays étrangers, ibid. ; le chevalier Salel se dévoue à la GlUS,' de ces militaires, ihid. Salel persistera dans sa tâche tout le long de la Rcstauration et bien au delà d'elle . l~n Cf. flénahen, cr. de~ interventi()n~ de Saulnier et de Chauvelin en faveur db départcments de l'E~t, M. 1 (-1 et 9), fin lév. et début avril IHI8. \:;0 Si Bénahen hésite à appuyer les demandes en faveur du commerce de transit en Abacc vers la Suis~e, M. 1 (3 et -1), 22 fév. et 21 mars 1818, Etienne v est favorable, n" 6, M. 1 t9), déhut avril; Saulnier fils ne cache pas son étonnement devant l'opposition du directeur général Saint-Cricq au monopole de tabac alors que Richelieu avait défendu la cause de l'Alsace, M. 1 (12),23 avril. \:Il Cf. Etienne, nO' 1-1 et 15, M. Il (6 et 8), JO et 25 juin 1818; Pagès, M. Il (7), 15 juin. On :1 demandé 14.600.000 francs de rentes et les offre~ sont montées il 168.000.000. 1:;2 Cf. Etienne, n" 15, M. II (8), 25 juin 1818: il y retrace l'histoire de l'emprunt de 2-1 l1lillion~ de francs de rentes et résume la critique de Laffitte comme celle de Ca~il1lir Périer. Il y donne également les noms des maisons Iran,ai~e~ et des particuliers qui sc sont associés pour l'emprunt. Les membres de cette association Qui se sont réunis chez les frères Périer, sous la présidence de Martin d'André, ont décidé de mainknir l'association et de refuser aux banques étrangères leur concours pour réali~er l'emprunt. Quelques tentatives peu heureuses pour défendre à cc sujet le ministère, Etienne, nO' 16 (Post-Scriptllm) et 20, M. Il (9 et 13) début et fin juillet; Correspondance, proposant des moyens suscl'ptibles de faire diminuer les pertes du ministère, M. II (13) ; le ministère aurait demandé de meilleures conditions à Baring, Etienne, n° 27, M. III (9). J oct.
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ternie par les préjudices que ses finances auront subies à cause des opérations malencontreuses de Corvetto 133.
* ** Dès le début de sa publication, le Mercure suit avec un vif intérêt les problèmes religieux. Le projet de loi que le ministère avait soumis aux deux Chambres à la fin de 1816, relativement aux dotations ecclésiastiques, et approuvé par enes, suscita de la part de Benjamin Constant tout un développement. Non qu'il ait craint un retour réel de la féodalité spirituelle à l'ère des institutions parlementaires. Mais toute subordination au pouvoir sous forme de salaire et toute reconstitution des anciens domaines de l'Eglise nuiraient autant à l'Etat qu'à la religion. C'est pourquoi il est en faveur des dispositions qui dotent le clergé de propriétés modiques pour sauvegarder son indépendance. Dans le même ordre d'idées, il préconise l'extension de la même mesure à tous les cultes. C'est par la même occasion que Benj amin Constant énonce sommairement ses idées quant à la nécessité de préserver le sentiment religieux des atteintes de la temporalité 134. Un des grands événements en 1817 sera précisément l'avortement du Concordat. Etienne, Bénaben ou Pagès ne se feront pas faute de rendre compte du refus de la commission de la Chambre d'approuver la dépense de deux millions en faveur des évêques nouvellement institués, de protester, chemin faisant, contre la condition misérable du bas clergé, et de mettre les secours infimes accordés aux curés en regard des sommes considérables allouées aux dignitaires de l'Eglise 135. L'adoucissement des lois d'exception, les concessions électorales et bientôt la promulgation de la loi sur le recrutement n'auraient pas été étrangers au désir de Richelieu et de Lainé de s'assurer par là l'adhésion de l'opinion à l'accord négocié avec Rome. Ce fut là un des premiers soucis de la Restauration, cherchant à abolir le Concordat napoléonien et à faire revivre celui de 1516, tout en l'adaptant aux conditions ecclésiastiques complexes issues de la Révolution et de l'Empire. Ce n'est qu'au mois de juin 1817, après maintes péripéties de part et d'autre que le concordat élaboré par Blacas, ambassadeur du Roi auprès du Saint-Siège, et le cardinal Consalvi, secrétaire d'Etat, fut ratifié par Louis XVIII et Pie VII. Aux termes de cet accord, le Concordat de 1801 cesserait d'avoir son effet, un certain nombre des anciens évêchés seraient rétablis et ceux de
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m Cf. Etienne, n'" 27, 29, 33 et 35, M. III (9 et II), M. IV (2 et 5), 3 et 15 oct., 13 nov. et 6 déc. 1818. 131 Cf. B. Constant, Des Chambres, M.d.F. l, Il janv. 1817. 1:15 Cf. Etienne, n° l, M. 1 (2), 16 fév. 1818; Bénaben, M. 1 (8), fin mars; ordonnance augmentant de 50 francs le traitement des curés ayant moins de 70 ans et de 100 francs celui des desservants ayant atteint 70 ans. Le traitement d'un premier vicaire général par archevêché est porté à 3.000 francs, celui des autres vicaires généraux a 2.000 francs et celui des chanoines à 1.500 francs. La somme de 300.0000 francs est affectée au soulagement des religieuses âgées ou infirmes, Pagès, Petit bulletin, M. Il (5), début juin.
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1801 maintenus grâce à une dotation en bien-fonds ou en rentes sur l'Etat. Dès le 27 juillet, une bulle établissant 42 nouveaux diocèses français a été publiée par le Pape. Le 28 juillet, trois cardinaux français ont été préconisés et trente-quatre nouveaux évêques nommés par le Roi. La publication de la bulle fut le signe en France d'une levée de boucliers gallicans et libéraux ainsi que d'un véritable débordement de pamphlets et d'écrits contre le nouveau concordat. Le ministère Richelieu s'est décidé alors, pour apaiser l'opinion, à soumettre le traité aux Chambres. Laîné a introduit le 22 novembre 1817 cet accord, sous forme de projet de loi, par un discours modéré qui n'a pas laissé cependant de susciter des débats et des protestations passionnés 136. Il n'est guére étonnant de voir le recueil donner la plus large publicité au texte du concordat et du projet de loi ainsi qu'au discours de Laîné, destiné à calmer des susceptibilités gallicanes et protestantes 137. Etienne, se faisant l'écho des bruits persistants quant à la reprise du projet de loi, déplore la longue période d'indécision du ministère. «Puisqu'on tenait à faire adopter dans le dix-neuvième siècle, un acte qui a effrayé le seizième, je m'étonne qu'on ne l'ait pas fait suivre d'une discussion immédiate dans les chambres. Point du tout, on laisse un violent orage éclater de toutes parts; la discorde se met non-seulement entre les publicistes, mais entre les théologiens; on a l'air de céder au cri public; [ ... ] Le bruit se répand, et on ne cherche même pas à le contredire, que le ministère renonce à son projet [ ... ] quand tout à coup, et sans la moindre transition, il rassemble brusquement la commission, et lui demande un prompt rapport sur un acte qu'il ne paraissait même plus vouloir défendre. » 138 C'est moins la crainte de la restauration de l'Eglise que l'appréhension de voir le ministère et l'extrême-droite se réconcilier grâce au concordat qui dicte la vive opposition de la Minerve à cet acte politique et religieux 13U. Dans un article anonyme, elle fera le procès des apologies du Concordat, notamment des écrits de Clausel de Coussergue et de Frayssinous H0. Le contraste entre la primitive Eglise et sa corruption à travers les siècles ainsi que le renouveau catholique à la suite de la Réforme constituent des preuves manifestes quant à l'inutilité du Concordat. Les grandes figures attachantes de l'Eglise ne sont pas le fait 1:16
Nous avon,; suivi sur la qucstion du Concordat, Bertier de Sauvigny,
op. cit., 3' partic, ch. IV ; pour les debals à la Chambre et la polémique en générai, Du\'crgier de Hauranl1e, op. cit., ch. XVI; v. également Ph. Sagnac, Le Concordat de 1817, in Revue d'histoire moderne et contemporaine, 1906, t. VII : E. Le Marchand, Un concordat oublié, in Revue des questions historiques, 1923, n° 3. 1:\7 Cf. supra, ch. Il, Credo politique, n. 122 et l'art. anonyme Du Concordat, M. 1 (8), fin mars 1818. 13S
Etienne, n° 4, M. 1 (6), 13 mars 1818, p. 279. Cf. également, n° 2, M. 1 (3),
22 fév. nu Cf. Etienne, n° 4
cit.
Clausel, Le concordat justifié et frayssinous, Les vrais principes de l'Eglise gallicane, in Du concordat, M. 1 (8), fin mars 1818. HO
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de sa temporalité et les prêtres assermentés pourraient facilement satisfaire les besoins des fidèles. La critique que les apologistes du Concordat formulent à l'endroit de Grégoire et de Lanjuinais et la négation du régime constitutionnel ne tiennent pas contre une optique historique qui montre les résistances nationales des légistes et des parlementaires aux empiètements du spirituel sur la cité 141. Le concordat n'a rien à voir avec la foi ou la religion. La seule raison d'être de cet acte n'est que l'alliance des féodalités et la menace qu'elles font planer sur la France 142. Les amendements que le ministère serait prêt à apporter au concordat et l'agrément de Rome qu'il rechercherait font redouter aux rédacteurs une issue fâcheuse pour la cause de la tolérance. Mais l'intervention malencontreuse de Marcellus a mal servi les intérêts des ultras. li: Se croyant, selon toute apparence, sujet du pape avant d'être sujet du roi, il écrit en cour de Rome, pour savoir à quoi s'en tenir sur les véritables intentions du Saint Père; et S. S. lui expédie en réponse un bref écrit en latin, où elle fulmine contre la loi organique du nouveau concordat, et où elle déclare que, son intention formelle est qu'il n'y soit fait aucun changement.» 143 Etienne peut croire à la fin de la session de 1817-1818 le péril écarté. Il enregistre avec satisfaction, se fondant sur le Courier et le Times, l'opposition farouche que le concordat a soulevée parmi de nombreux prêtres qui l'ont qualifié d'acte révolutionnaire et qui ont stigmatisé la cour de Rome 144. Le départ de Portalis, conseiller d'Etat, pour Rome ravive les inquiétudes de recueil. Ne serait-il pas préférable d'adopter l'Opinion de Martin de Gray ct de se contenter du concordat de 1801 ? Ce concordat a somme toute réconcilié la France avec la religion, les prêtres assermentés avec les réfractaires et les cultes avec la tolérance 145.
* ** L'avortement du concordat de 1817, malgré les efforts persévérants du ministère à le faire aboutir, s'ajoute au bilan négatif du règne de Louis XVlIl et s'inscrit comme l'un des premiers points de divergence entre le libéralisme et le régime. Il en est tout autrement de la loi sur le recrutement qui unit autour d'elle ministériels et indépendants et qui au sein du ministère signifie la victoire de Decazes sur les hésitations de Richelieu et de Lainé auxquelles Etienne fera allusion 146. L'essentiel à retenir de la politique de Decazes en 1817 est son désir de renforcer, suite logique de l'ordonnance du 5 septembre 1816, sa position dans le
Cf. ibid. Cf. Etienne, n" 7, M. 1 (10), 9 avril 1818. Etienne y cite les idées sensées de l'auteur anonyme de l'écrit: De la liberté des cllltes et des cOTlcordats. 14:1 Etienne, nU 6, M. 1 (9), déhut avril 1818, p. 438. 144 Cf. Etienne, n" Il, M. Il (2), 14 mai 1818. Selon le Courier et le Times le nombre des ecclésiastiques français résidant dans le district de Londres s'élèverait à 350. 145 Pour le départ de Portalis, cf. Pagès, M. Il (4), 25 mai 1818; Etienne, n° 13, M. Il (5), début juin. 146 Cf. Etienne, n° l, M. 1 (2), 16 fév. 1818. Hl 14~
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ministère comme dans les Chambres. Le moment semble propice, lors des négociations avec les Alliés, pour procéder à une réorganisation des forces armées. Une loi nationale sur le recrutement n'est pas moins favorable au régime sur le plan intérieur: passer l'éponge sur les événements de 1815, se concilier l'armée et par elle l'opinion. Dès son accession au ministère, Gouvion Saint-Cyr fait remplacer les dix divisions de son ministère par quatre, réduit sensiblement le nombre des inspecteurs aux revues et des commissaires des guerres 147. Des réductions sont également effectuées dans la marine. Le corps des ingénieursgéographes et la régie des subsistances militaires sont réorganisés aussi 148. Dès le 29 novembre 1817, le ministre est en mesure de présenter à la Chambre son projet de loi sur le recrutement portant sur la constitution en temps de paix d'une armée de 240.000 hommes et d'une armée de réserve, déterminant le mode de recrutement comme d'avancement 149. Bénaben et Etienne font l'apologie de la loi et reprennent les arguments opposés des ultras pour les réfuter. La conscription s'ajoutant aux enrôlements volontaires leur paraît un excellent système qui allie les éléments monarchiques aux principes démocratiques et qui remonte par ailleurs à la milice que Louis XIV avait réorganisée. Institution nationale, l'avancement dans l'armée devrait répondre à l'ancienneté. L'armée licenciée de la Loire qui avait fourni à la France des preuves si touchantes de son courage constituerait un excellent corps de réserve 150. L'appui que la Mi/lerve accorde au ministre et l'hommage qu'elle lui rend s'expliquent par J'opposition acharnée de l'extrême-droite à un projet qui semblait supprimer son ascendant sur une institution aussi puissante. Si tous les ultras ne partagent pas les idées de Chateaubriand et hésitent entre les appels périodiques et les enrôlements volontaires, ils sont cependant unanimes à décrier et l'avancement fondé sur l'ancienneté et l'armée de réserve formée par les soldats de l'Empire. On peut aisément concevoir que la Révolution comme l'Empire aient servi de pièces à conviction dans l'argumentation quelque peu contradictoire des partisans zélés de la prérogative royale, malgré la volonté bien manifeste de Louis XVlI\ à cet égard 151. La loi n'est certes pas parfaite. Bénaben y trouve beaucoup à redire et son commentaire en marge du projet lui permettra de consacrer à la question une brochure dont son collègue Aignan s'empressera de louer l'esprit national l52 • Bien entendu, les libéraux condamnent rigoureusement l'emploi des régiments suisses. Une armée nationale devrait exempter du service Cf. Bénahen, M.d.f. III et IV, 27 sept. et 4 oct. 1817. Cf. llénahen, M.d.f. IV, 1"' nov. et 20 déc. 1817. Cf. llénahen, Session des chambres, M.d.F. IV, 6 déc. 1817; Etienne, n" 1 cit. ; Dlivergier de Hallranne, op. cit., ch. XVI. 1,,0 Cf. ibid. et Bénaben, M. 1 (2), 16 fév. 1818. 1.",1 Cf. l3énahcn, M. 1 (1), début fév. 1818; Etienne, nO' 2 et 4, M. 1 (3 et 6), 22 ft'v. et 13 mars; Bénaben, M. 1 (4 et 5), fin fév. et 7 mars; Duvergier de Hallranne, op. cit., ibid. 1:;2 Cf. Aignan, Galeric [ ... J, M. 1 (3), 22 fév. 1818. 147 H~ 149
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les fils uniques, exiger le consentement paternel pour les enrôlements militaires des mineurs ainsi que d'étendre à tous les cultes les prérogatives réservées aux desservants du catholicisme. Le recueil s'élève contre les dispenses accordées aux «frères ignorantins» au détriment des maîtres de l'enseignement mutuel. Que l'accession aux postes élevés échappe à l'avancement régulier s'accorde mal avec le caractère d'une armée nationale. La loi n'a pas suffisamment défini par le tirage au sort le procédé exonérant les conscrits réformés du service militaire 153. Telle quelle, la loi est une victoire que le ministre a remportée sur ses adversaires dans les deux Chambres et même sur certains ministres trop hésitants ou trop versatiles. Etienne se fera même un devoir d'invoquer l'irritation de la presse anglaise à propos de l'opposition des pairs 154 et Pagès dira l'attente du pays de voir la loi aboutir effectivement 155. Par ailleurs, les recueils se font l'écho des ordonnances réintégrant dans l'armée des officiers en non activité 156, annonçant le remplacement des régiments suisses par les légions françaises 157 ou la grâce entière accordée au général Debelle après l'intervention du duc d'Angoulême 158. Les réclamations des anciens serviteurs de l'Empire 159, des membres de la légion d'honneur 160, des demi-soldes 161 et des officiers mis à la retraite 162 ainsi que les protestations contre les condamnations militaires injustes 163 trouvent dans les recueils des interprètes fidèles. Il en va autant des désordres, insultes et blessures provoqués par des soldats français et suisses dans lequel ont été impliqués des civils 164 ainsi que des billets de logement accordés à des officiers et 153
Cf. Bénaben, M. 1 (6), 13 mars 1818; Duvergier de Hauranne, ibid.
1;)4
Cf. n° 5, M. 1 (7), 21 mars 181 H. Cf. M. Il (4, 7 et 8), 2-1 mai, 15 et 23
juin 1818. Cf. Bénaben, M.d.F. Ill, 2 et 16 août 1817. 1:;, Cf. ibid., 23 août 1817. La Minen'e cite la presse belge selon laquelle des négociations auraient eu lieu entre le gouvernement français et espagnol pour la cession des régiments suisses, Etienne, n° 11, M. Il (2), 14 mai 1818. 158 Cf. Bénaben, M.d.F. 111,6 sept. 1817. 1:;9 Pétition de Méchin en faveur des officiers de l'Empire qui avaient été employés au service intérieur du Palais, Bénaben, M. 1 (4 et 5), fin fév. et 7 mars 1818. 160 Cf. la lettre du général Pajol, M. 1 (5),7 mars 1818, p. 228-231 et Saulnier fils, citant 4 mémoires présentés à la Chambre, M. 1 (12), 23 avril. 161 Pour la détresse des demi-soldes, cf. Etienne, n° 4, M. 1 (6), 13 mars 1818 ; l'ordonnance à ce sujet, Pagès, Petit bulletin, M. II (5), début juin et M. Il (10), 12 juillet. l''~ Cf. B. Constant, Letire à M. Benjamin Constant sur l'ordonnance du 20 mai [... ], M. III (11), 15 oct. 1818. IB;j Cf. la lettre d'A. Leblanc, 11\. IV (3), 19 nov. 1818, p. 121-122: condamné pour un fait politique auquel il avait été étranger, acquitté par la suite, A. Leblanc fut débouté de ses demandes par le ministère de la Guerre parce que son père, entièrement innocent, aurait trahi Pichegru. IU4 Cf. Bénaben, M.d.F. IV, 22 nov. 1HI7 et Petit bulletin, M. Il (-1), 24 mai 1818; lettre d'un grenadier, M. IV (7), 19 déc., p. 3-13. Bénaben et Etienne mettront respectivement en valeur la citation devant un conseil de guerre du 15:;
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imposés à l'habitant 165. Les désordres que la loi de recrutement vient de provoquer à Paris ne seraient pas étrangers au désir des ultras de la voir échouer 16U. La garde nationale, fief de Monsieur, préoccupe bien entenùu les esprits alertes du recueil. Dissolution de la garde nationale à Sens et à Nîmes ou suppression ùe ses états-majors sont aussitôt enregistrés 167. La Minerve ne se fait pas faute de transcrire au début d'avril 1818 une nouvelle de la Bibliothèque historique qui remonte au mois d'aoüt 1817 pour décrier les préfets remplissant la garde nationale avec la clientèle de l'extrême-droite lU8. C'est un grief qui revient souvent sous la plume des rédacteu rs 169. En marge des grands actes législatifs qui ont agité la vie parlementaire sous lc ministère Richelicu, il faut citer l'opposition des recueils à la juridiction du Conseil d'Etat qui renforce par des voies détournées l'autorité d'un pouvoir autrement redoutable. Les libéraux ne manifestent guère de prédilection pour une institution mi-administrative et mi-juridique dont la Charte ne fait guère mention. La Minerve s'éléve contre les attributions que le Conseil tient à conserver en invoquant la constitution de l'an 8. C'est à la suite des remarques énoncées à la Chambre par Roy ct d'une brochure publiée par Cormenin, maître des requêtes, que le recueil critique une juridiction fondée sur une constitution antérieure à la Ch:ute ct qui s'arroge le droit d'interrompre les poursuites judiciaires ordonnées contre des fonctionnaires. Voilà une pratique dangereuse pour les libertés individuelles et un moyen infaillible pour perpétuer les abus HO. Toutcs les questions n'impliquent pas cependant les positions adverses des partis ni les oppositions ou les acquiescements à la politique du pouvoir. Telle est la que~tion des discours écrits et improvisés qui a été soulevée à la suite d'une proposition de de Serre portant sur le règlement intérieur de la Chambre IiI. Rien de plus naturel, dans un pays aux traditions oratoires invétérées, que l'acceuil peu chaleureux sinon hostile rései'vé à une motion tendant à limiter les discours écrits. Benjamin Constant s'cst opposé de longue date à l'académisme des débats politiques, alimenté par de longs discours écrits d'avance, et a vivement recommandé la pratique anglaise de l'improvisation, permettant aux chefs de
commandant tlu détachement qui avait commis Lies t!xcès à Saint-Genis [SaintDt!ni,,?] lors de l'exécution du capitaine Oudin, le 18 juillet 1817, M.d.F. lli. 16 ",,,ùt 1817 et la soumi,'sion à la Chambre d'une pétition de la ville d'Arras contre SOIl commandant militaire, n" 6, M. 1 (fi), début avril 1818. 1"" Cf. Correspondance, M. Il (9 et 13), début et fin juillet 1818, p. -1-17--1-10 el Il. (;-U-G-I.!. "'Iili Cf. Etienne. n" 33, M. IV (2), l:i nov. 1818. ,.;, Ct. Bénabcn, Md.F. ll, 1-1 jllin 1817; Etienne, nO' 21 et 28, M. III (1 et IOl. 5 aoùt et 10 oct. 1818. 1'" Cf. Etienne, n° 6, M. 1 (9), début avril 1818. 'I;U Cf. Etienne, M. Il (11), 15 juillet 1818. l,li Cf. Bénabcn, M. 1 (8), fin mars 1818 et Etienne, n° 9, M. 1 (12), 23 avril. j,l Cf. Bénaben, Session des chambres, M.d.F. IV, 22 nov. 1817.
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s'affirmer à la tribune et de s'imposer à leurs partis. Lacretelle, remontant jusqu'à l'antiquité et étendant son enquête à d'autres domaines égaIement, n'adopte que partiellement la thèse de Constant pour préconiser avec Parent Réal, vieille connaissance de Constant et comme lui éliminé du Tribunat, le recours à toutes les méthodes et l'utilisation de toutes les modalités du talent 172. Saulnier fils s'élèvera à son tour contre la manie des députés de faire entendre des discours, péniblement élaborés, sans tenir compte de la teneur des débats en cours 173 •
• •• On a pu le constater. Tout acte du ministère Richelieu donne l'éveil aux réactions des rédacteurs. Qu'il s'agisse de la loi électorale, de la liberté individuelle ou de celle de la presse, que les débats portent sur un budget écrasant ou sur la nécessité de recourir li des emprunts, sur la loi de recrutement comme sur le concordat, que les questions qui sollicitent l'intérêt des députés soient d'un ordre capital au mineur, le Mercure et la Minerve s'empressent de prendre position. Les contingences politiques déterminent de la sorte des élaborations doctrinales et les principes ne laissent pas parfois de se conformer aux dispositions militantes. Le souci majeur du recueil demeure la lutte sans merci que les libéraux livrent à l'extrême-droite. Alerter constamment l'opinion contre les ultras et par elle le pouvoir, empêcher toute entente entre le ministère et les partisans de l'ancienne France, infléchir le pouvoir dans 'Ie sens des libertés individuelles et du régime constitutionnel, tel semble le plan d'action qu'ils se sont tracé et qu'ils ont suivi après la dissolution de la Chambre Introuvable. C'est aux ultras qu'ils en veulent et à un ministère tiraillé entre les forces constitutionnelles de l'ordre et les éléments périmés d'une France qui n'est plus. Avec un ministère aux vues identiques, le pays aurait pu avoir confiance dans l'avenir de ses institutions et espérer que la réalisation de celles-ci coïnciderait avec le départ des Alliés. En attendant, les tergiversations du pouvoir et les bruits persistants quant à un changement de ministère ne font que semer la méfiance. Passe encore pour l'éventualité du renvoi de Lainé ou de celui de Corvetto - auquel la Minerve n'a pas pardonné ses transactions onéreuses avec les maisons de Baring et Hope - et du remplacement de ce dernier par Roy dont la critique serrée de l'administration financière constitue sinon une garantie du moins une promesse 174. Passe encore pour des changements de peu d'envergure 172
Cf. Lacretelle, Sur l'emploi de l'improvisation 1... ], M.d.F. 111, 26 juillet,
23 et 30 août 1817. 173 Cf. M. II (2), 14 mai 1818.
174 Pour des changements éventuels du ministère, cf. Etienne, nO' 10 et 13, M. II (I et 5), 6 mai et début juin 1818, n° 29, M. III (11), 15 oct. ; Pagès, M. IV (5), 6 déc. ; la retraite de Corvetto et les candidats à son poste, Etienne, n° 36, M. IV (6), 13 déc. ; nécessité de la démission du ministère, n° 35, M. IV (5) ; scission dans le ministère, n° 37, M. IV (7), 19 déc. ; il aurait donné sa démission, n° 38, Post-Scriptum, M. IV (8), 26 déc.
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dans l'administration et la judicature 176. Mais c'est la faillite du ministère qui est en jeu, risquant de basculer dans le vide, faute d'un programme d'action conforme à la Charte et aux vœux du pays 176. Si les bruits tout le long de l'année sur la retraite de Richelieu ne semblent pas emporter la conviction du recueil, il n'en sera pas autant des rumeurs qui vers la fin de 1818 font planer la menace des coups d'Etat ou de la modification de la loi électorale. Benjamin Constant, Etienne et Pagès se donneront alors le mot d'ordre pour défendre les conquêtes de la Révolution, prôner l'esprit constitutionnel de Louis XVIII et flétrir les manigances des ultras 177.
17,.
Rappel des juges «épurés» après les Cent-Jours, Etienne, n° 18. M. Il
(11). 15 juillet 1818; bruits sur des changements dans l'administration, n° 35,
M. IV (5). 6 déc. 17'; Cf. B. Constant. Des élections, du ministère, de l'esprit public et du parti libéral en France. M. IV (1), 3 nov. 1818. 177 Cf. Etienne. appréciation de la brochure d'Aignan, Des coups d'état dans la monarchie constitutionnel/e, n° 35, M. IV (5), 6 déc. 1818 et n° 38, M. IV (8), 26 déc. ; Pagès. M. IV (7), 19 déc. ; B. Constant, Session des chambres, M. IV (8).
CHAPITRE
IV
LE MINISTÈRE DESSOLLES-DECAZES
Les dissensions du ministère Richelieu ne sont plus un secret après les élections du mois d'octobre 1818. Les accords définitifs pour la libération du territoire ne font qu'accentuer les divergences entre une partie du ministère qui tient à définir sa politique dans le sens des ultras, et les ministres qui désirent poursuivre l'œuvre amorcée le 5 septembre 1816. La rupture s'achève sur la question-clé de la loi électorale et de la loi de recrutement. Richelieu, Lainé et Molé s'opposent à Decazes, Gouvion Saint-Cyr, Pasquier et Roy. Le public suit avec passion la lutte serrée pour le pouvoir et Etienne retrace les événements d'une plume alerte. La bourse traduit les espérances et les angoisses de l'opinion par la montée ou la baisse des fonds. Ainsi, le mardi 22 décembre confirme la nouvelle de la démission des trois premiers ministres alors que le lendemain l'infirme par la démission des quatre ministres modérés. Jeudi et vendredi nourrissent les bruits sur la formation d'un ministère centriste, axé sur la droite et comp·osé de Richelieu, Villèle, Siméon, Cuvier, Mollien et Lauriston. Ce ministère s'avère cependant incapable de déterminer un programme commun. L'horizon politique s'éclaircit le 28 décembre. Après la courte joie des ultras, c'est au tour des libéraux de Paris d'exulter. Deux listes ministérielles circulent dont l'une a pour président l'éternel Talleyrand et l'autre Decazes. A la date du 29 décembre, Etienne est enfin en mesure d'annoncer le dénouement de ces journées dramatiques par l'ordonnance nommant le lieutenant général Dessoles à la présidence du Conseil et au ministère des Affaires Etrangères, Decazes au ministère de l'Intérieur, de Serre à la Justice, Gouvion Saint-Cyr de nouveau à la Guerre, Louis aux Finances et Portal, sur le refus de Roy, à la Marine. «On sait désormais à qui s'adresser; l'enseigne du pouvoir est connue et la foule s'y porte [ ... J. Le parti qui se flattait hautement du triomphe, et qui menaçait avant de réussir, est foudroyé par ce dénoûment imprévu 1. » La victoire remportée par Decazes sur ses adversaires vaut au nouveau ministère une prudente appréciation. Le président du Conseil est loué pour sa modération et pour son sens de la justice. De Serre récolte des louanges pour la sagesse dont il a fait preuve lors de sa présidence à la Chambre. Le recueil met également en valeur le libéralisme de 1
Etienne, n° 39, M. IV (9), 30 déc. 1818, p. 425.
Il)(}
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Louis et l'expérience administrative de Portal. Il rend hommage à l'œuvre de Gouvioll Saint-Cyr et dit l'espoir que mettent en lui les libéraux. Decazes mérite la reconnaissance du public pour la haine qu'il inspire aux ultras ct surtout pour l'appui qu'il a apporté à l'œuvre de la Charte lors du récent affrontement critique. Les libéraux ne lui accordent pas une confiance sans ombre. Les lois et les mesures d'exception d'un passé réccnt ~ont trop présentes à la mémoire des rédacteurs pour qu'ils ne nuancent pas le jugement qu'ils portent sur le ministre. Bien mieux, c'est rappeler par là au favori de Louis XVIII qu'il doit persévérer dans la seule voie susceptible de lui assurer l'estime de l'opinion 2. Le nouveau miili~tère connaîtra encore une légère alerte au début de 1819 Dessolles aurait été muté au ministère de la Guerre et celui des Affaires r:tran~ères serait revenu au duc de Dalberg, naturalisé français depuis peu - avant de s'installer dans la stabilité a. L'appréciation du ministère entrant comporte bien entendu celle du ministère sortant. Etienne se contente de rendre hommage au patriotisme de Richelieu tout en regrettant qu'il ait peu connu la nouvelle France 4. Benjamin Canstant retient le même grief, en y ajoutant celui de l'entente recherchée avec les ultras. Cependant, à l'encontre de l'extrêmedroite, la gauche ne verrait pas d'inconvénient à lui décerner la récompense nationale que Benj amin Delessert à la Chambre des députés et Lally-Tollendal à la Chambre des pairs ont proposée n'eût été le danger de faire revivre les privilèges et les majorats abolis en 1789 5 • Somme toute, et le sens de la modération aidant, Constant se plaît à rappeler le côté positif du ministère Richelieu, la dissolution de la Chambre Introuvable, la loi électorale et celle relative à l'armée. Que pouvait-on attendre de plus cI'un ministère créé pendant une époque trouble et sujet aux tiraillements opposés de ses membres 6 ? Etienne, au contraire, pour dénoncer le rapprochement de Laîné et de Pasquier avec les ultras ainsi que leur apologie du ministère Richelieu, finira par condamner celui-ci sans appel. Il lui attribuera les mesures d'exception comme les conspirations, le concordat comme les missions. Ne pouvant achever l'œuvre du 5 septembre, il n'aurait vécu que grâce à l'occupation et se serait évanoui avec elle. " Enfin clès qu'il n'eut que la Charte pour appui, il lui fut impossible de sc soutenir; on peut dire qu'il est mort de faiblesse, et qu'il avait vécu de même. Son existence ne fut qu'une agonie prolongée; son administratiun, qu'un jeu de bascule, et son système financier, qu'un jeu de bourse 7. ;. Avec l'espoir éveillé par un ministère homogène en apparence, les rédacteurs, après la brève attente de rigueur pour les passations au
" Cf. ibid. ;\ Cf. Etienne, n° 40, t.,t IV (10),0 janv. 1819. 4 Cf. Etienne, n° 39 cil. ;, Cf. 13. Constant, Sessioll des chambres, M. IV (10 et II), 9 et 14 janv. lK19; M. V (1),5 fév. ; Etienne, n° 44, M. V (2), 14 fév. G Cf. B. Constant, ibid., les nO' des 9 et 14 janv. , Etienne, n" 56, M. VI (2), 17 mai 1819, p. 75-76.
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pouvoir, se remettront à égrener leurs revendications 8. Ils ne se lasseront pas de dénoncer les abus d'une religion obscurantiste Il, la discrimination dans l'enseignement contre les protestants 10, les destitutions 11, les poursuites contre les écrivains 12, la mise au secret des prévenus 18 et le recours à la force contre les désordres les plus bénins au lycée Louis-le-Grand 14 et à l'école de médecine à Montpellier 16. Certes, les réformes seraient de peu de conséquences sans une refonte radicale de l'administration dont les membres sont, dans la plupart des cas, acquis au parti de 1815 ou aux ministres. La Minerve se fait ainsi l'écho des préoccupations libérales tendant à débarrasser la Restauration de tout moyen susceptible d'entraver la franche évolution du régime constitutionnel 16. Dès le mois de février, et avant que la proposition Barthélemy ait donné lieu à une levée de boucliers libéraux, la Minerve, se fondant sur les évaluations de la presse anglaise, estime nécessaire l'augmentation du nombre des pairs et des députés pour mater l'opposi8 Cf. B. Constant, Session des Chambres, M. IV (9),30 déc. 1818 et M. V (l), 15 fév. 1819; Etienne, n° 41, M. IV (11), 14 janv., où il fait l'éloge d'un écrit anonyme sur le régime municipal et départemental; dans le n° 33, M. IV (2), 13 nov. 1818, il a dit la nécessité de réorganiser la garde nationale. 9 Cf. ibid. 10 Cf. B. Constant, Session des chambres, M. V (3), 19 fév. 1819, défend le droit des protestants à assurer à leurs enfants une éducation autonome. 11 Destitution d'un employé du fisc, après 15 ans de service, pour un vote non ministériel en 1817. Le mal a été réparé par Louis, Etienne, n° 41, M. IV (II), 14 janv. 1819; destitution d'un président de tribunal à Rouen, à cause de ses opinions libérales, Pagès, ibid. 12 En exigeant la liberté de la presse, Etienne rappelle la récente condamnation des rédacteurs de la Bibliothèque historique, ibid. 13 Etienne cite quelques extraits du mémoire de l'avocat Claveau contre les procédés de la justice envers Cantillon et Marinet, impliqués dans l'attentat contre Wellington et gardés au secret pendant presque 5 mois. Il rappelle à cette occasion les protestations de la Minerve lors de l'arrestation de Canuel. Son gis et Chappedelaine, impliqués dans la Conspiration du Bord de l'eau, ibid. (Cf. infra, ch. VI, Propagande et faits divers). Il arrive parfOiS à la Minerve de rendre hommage à la justice des tribunaux. C'est le cas de la condamnation à la dégradation civique par la cour d'assises de Metz et à tous les dépens du maire d'une commune pour avoir incarcéré, le 27 juillet 1817, une veuve dans une prison de son choix, traitement qui a provoqué la mort de la détenue, Correspondance, M. V (4), 25 fév. 1819, p. 202-204. 14 Une révolte d'élèves a provoqué l'arrestation de quelques mutins bonne occasion pour demander que le maintien de l'ordre relève de l'Université et pour réclamer l'organisation du système de l'instruction si longtemps promise, Etienne, n° 42, M. IV (12),23 janv. 1819. 15 Le Nouveau seigneur du Village pièce anonyme du préfet, le baron Creuzé-de-Lessert - a été sifflée par les étudiants de l'école de médecine de Montpellier. Ce sacrilège n'a pas manqué de provoquer l'intervention des forces armées qui ont blessé un étudiant et arrêté plusieurs, d'où grand émoi parmi les quelque 900 médecins en herbe, Correspondance, M. V (2 et 3), 14 et 19 fév. 1819, p. 72-73 et p. 150-151. 16 Pour les nouvelles nominations au Conseil d'Etat institution que la Minerve désapprouve - et les mutations dans le système préfectoral, cf. Etienne, nO' 43 et 44, M. V (1 et 2), 5 et 14 fév. 1819.
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tion de la Chambre haute et assurer dans la Chambre élective une majorité stable au gouvernement 17. La demande de réformes et la critique du code pénal comme des lois d'exception sont toutefois loin de revêtir un caractère d'aigreur. La Minerve ne combat pas le ministère à ses débuts. En répétant sa profession de foi, elle ne fait que rappeler son attente et engager vivement le ministère à adopter les voies constitutionnelles. Ne salue-t-elle pas les mesures partielles de clémence en faveur des bannis, les généraux Allix, Radet, Travot, dont la raison s'est aliénée, et Exelmans? N'annoncc-t-elle pas triomphalement les projets de loi que le ministère va soumettre sur la responsabilité des ministres et la liberté de la presse ainsi que les travaux en cours sur le régime communal 18 ? Exiger sans cesse la mise en œuvre de toutes les libertés, mettre le ministère constamment en garde contre les demi-mesures, les avances timorées comme les rcculs retors, c'est creuser davantage l'abîme qui le sépare des ultras et rcndre le divorce entre les deux irrévocable 19. Cette campagne de pression, voire d'intimidation dirigée contre les atermoiements du ministère est assortie d'une lutte déterminée contre les ultras. Pas de répit au parti qui depuis 1817 voit ses forces décliner et ses chances amoindries. Le mythe d'une Vendée royaliste et chevaleresque est réduit à une révolte intéressée des paysans contre les lois de conscription, et les actes de férocité des armées républicaines trouvent leur absolution dans les méfaits des chouans qui les ont précédés. Quelle injure que le monument de Quiberon symbolisant le bien en face de la Révolution incarnant le mal ! ~o Le mal se trouve dans une aristocra17 Etienne cite le correspondant français du Times qui annonce le rappel prochain d'une trentaine de pairs dont les fondions ont été suspendues en 1815, rappel destiné à renforcer la minorité ministérielle à la Chambre Haute. Le Times divise les pairs en 6 catégories: les anciens ducs et pairs de France; les maréchaux et les ~énéraux de l'Empire; les militaires de l'armée de Condé; les anciens membres du Sénat; ceux qui se sont signalés par de grands services à Louis XVIII et, enfin, divers autres membres. Le Courier partage les députés en 4 partis: les libéraux constitutionnels, avec Laffitte à lem tête, qui comptent quelque 40 membres; les libéraux doctrinaires, se réunissant chez Ternaux, qui comptent quelque 50 membres; les députés du centre - se réunissant chez Usquin - qui comptent quclljue 67 membres et dont la plupart sont procureurs, avocats généraux, directeurs et préfets; la droite - sous la direction de Villèle-- comptant quelque 58 membres. Le correspondant du Courier croit que les groupes Lafitte et Ternaux vont s'uniiier ct ljue le ministère finira par avoir une majorité stable, opinion à laquelle Etienne ne se range guèr~, cf. n° 43 cil. B. Constant, en rendant compte de la session lks chambres, insistera lui aussi sur l'utilité et la nécessité d'augmenter le nombre de d'~putés, selon la suggestion du député libéral Chauvelin, ibid. IH Cf. Etienne, n° 42, M. IV (12), 23 janv. 1819; B. Constant, Session des thambres, M. V (1),5 fév. 19 La patience des rédactems vers le début de fév. semble à bout de ressources; Etienne tonne contre l'atonie politique et met en valeur les institutions communales de l'Allemagne, n° 44, M. V (2), 14 fév. 1819; Constant de rappeler à dè Serre que ce sont les institutions et non les déclarations dont la france ressent cruellement le besoin, Session des chambres, M. V (3), 19 fév. ~lI Cf. L.D. [Louis Dubois probablement], Sur la Vendée, M. IV (10), 9 janv. 1819.
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tie déchue qui n'a rien oublié ni rien appris et qui tient à ses prérogatives. Elle croit pouvoir les recouvrer par l'abolition de laJoi électorale et les coups d'Etat, grâce aussi à l'appui de l'Eglise et du corps administratif qui lui sont dévoués. Le Times a démasqué les mobiles d'un parti dénonçant «l'envahissement démocratique» d'un système qui confie la représentation de 30 millions d'habitants à une aristocratie commerciale et industrielle de 110.000 électeurs et de 256 élus 21. Fiévée a rendu un service considérable à la cause libérale, en reprochant aux ultras un échec qu'ils n'ont pas su éviter malgré l'appareil de l'Etat qu'ils avaient à leur disposition et une opposition réduite, sujette à la pression électorale des autorités 22. La presse anglaise et les feuilles d'extrêmedroite ont permis à l'opinion de se rendre compte de la véritable teneur du langage pseudo-constitutionnel des ultras, reprenant les ambitions anti-révolutionnaires de 1815 23 • Toutes les atteintes contre les libertés individuelles et tout le régime d'exception instauré en 1815 s'expliquent par le désir des ultras de se ressaisir du pouvoir et démolir l'œuvre de la Révolution 24. C'est l'ancienne aristocratie qui a perdu la royauté en 89 et c'est elle qui la perdra de nouveau si elle réussit à l'engager dans les voies inconstitutionnelles 26. Camille Jordan et Guizot ont dit leurs vérités aux « oligarques ». Développant les mêmes idées, les rédacteurs montrent une France qui achève l'œuvre des Philosophes et de la Révolution et qui a trouvé son salut dans la monarchie constitutionnelle, après les malheurs de la République et les vains prestiges de l'Empire 26. L'extrême-droite n'entend pas cependant que ses adversaires lui dictent les modalités du combat. Elle réagit habilement par la proposition Barthélemy, soumise à la Chambre des pairs le 20 février, pour demander la modification de la loi électorale. La proposition est conçue dans des termes voilés qui lui confèrent le caractère d'une revendication populaire. Elle est même précédée d'une demande, faite par le comte Castellane, de rapporter la loi du 9 novembre. L'émoi est vif dans le camp libéral. Il ne l'est pas moins parmi les ministres. Constant, Etienne, Jay, Tissot et Jouy ripostent violemment. Cf. Etienne, n° 40, M. IV (10), 9 janv. 1819. Cf. ibid. 23 Cf. Pagès, ibid. et M. IV (13), fin janv. 1819; Etienne, n° 42, M. IV (12), 23 janv. 24 Cf. Jouy, c.r. de la nouvelle éd. de la brochure d'Aignan, Des coups d'état dans la monarchie constitutionnelle, M. IV (13), fin janv. 1819; Tissot, Sur les partis, ibid. 25 Cf. Tissot, ibid. 2G Cf. Tissot, ibid. ; Aignan, c.r. de la brochure d'Alex. Goujon, Manuel des Français sous le régime de la charte, dédié à MM. les auteurs de la Minerve, M. IV (9),30 déc. 1818; le m~me, Philoxène, M. V (2), 14 fév. 1819, où il oppose aux intrigues des ultras avec l'occupant et avec les cabinets étrangers la réhabilitation des gloires nationales, entreprise par le général Beauvais et dont Tissot a écrit l'introduction: Victoires, conquêtes, désastres, revers et guerres civiles des Français, de 1792 à 1815; Jay, Réfutation de quelques sophismes, M. IV (13), fin janv. 21
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Ils :n0llcnt le combat sur deux fronts à la fois, en discréditant les ultras et l'Il cherchant à forcer la main au ministère pour qu'il rompe ttCfinitivement avec le parti de Monsieur. Les rédacteurs rouvriront à cette occasion le dossier de la Révolution pour attribuer la responsabilité de la guerre civile et de la guerre extérieure àla noblesse. Ils rediront la part qui revient à celle-ci dans l'échec de la prell1ière Restauration comme dans les crimes de la seconde. Depuis l'ordonnance du 5 septembre, l'oligarchie ou la ligue - termes qui reviennent souvent dans les colonnes de la Minerve - n'a pas eu de cesse pour démolir la loi électorale. Tous les moyens ont été légitimes à ses yeux - et la Minerve de les énumérer - pour accéder au pouvoir et rétablir l'ancien ordre de choses. Le recueil est même en mesure de fournir à ses lecteurs des détails sur la conspiration « cardinaliste» des ultras, préparée bien avant le 20 février, lors d'une réunion de pairs chez le cardinal de Beausset, et à laquelle les anciens ministres, Laîné et 1\\olé, ainsi que certains ambassadeurs n'auraient pas été étrangers. Il est malheureux que Barthélemy - ancien secrétaire du duc de Choiseul, ministre plénipotentiaire de Louis XVI, ambassadeur de la Convention, ancien membre du Directoire, sénateur et comte sous l'Empire et marquis sous la Restauration - ait terni sa longue carrière d'homme de bien par un acte aussi antinational. A tout prendre, cette tentative des ultras pour briser l'armature de la monarchie constitutionnelle permet à l'opiIlion de faire le procès d'une minorité qui n'a plus rien à démêler avec ies destinées du pays. Les pétitions vont affluer pour faire chorus avec les protestations des chefs de file libéraux. Les villes et les campagnes s'associent à un mouvemcnt de réprobation qui, stigmatisant les ultras et dénonçant leurs visées, les identifie avec la réaction européenne ~7. Pris de court par la 11Ianœuvre de l'extrême-droite, le ministère Ile résiste pas assez énergiquement au gré de la Minerve. Il est vrai qu'il qualifie au début la proposition Barthélemy d'anti-gouvernementale et
:!7 Cf. jay, Sur la situation actuelle des affaires et Entendans-nolls sur les nlOts!, M. V (.t et 6), 25 fév. et ID mars 1819; Etienne, nO' 46,47,48, .tg et 50, M. V (.t, 5, 6, 7 ct 8), 25 fév. ùébut, ID, 17 et 24 mars. Cf. également le n° 52
O\\. V (10), 10 avril), où Etienne cite les tentatives d'assassinat dirigées contre des nfficiers il Grenoble ct le procès pour l'assassinat d'un vieillard par de~ royalistes que la Cour de Cassation a renvoyé devant les tribunaux de Besançon. Dans son n" 54 (M V (13), fin avril), Etienne proteste contre une certaine « armee royale» arhorant le ruban vert et fait état des procès intentés par la justice il cet d Îet à des individus suspects; des bruits circulent sur des troubles à Nîmes, Corr,'spondaTlce, M. V (7), 17 mars, mais les rédacteurs s'empressent d'annoncer que les autorités ont vite pris les mesures nécessaires pour y maintenir l'ordre; B. Constant, Session des chambres, M. V (4), renvoie à la brochure qu'il vient de publier sur la proposition Barthélemy et en reproduit des extraits; Tissot, Considérations générales, M. V (5), revient à la charge et jouy, Fanatisme et cmallté, M. V (7), cite le cas d'un couple qui voit sa fille embrasser les ordres sans qu'il puisse intervenir et celui d'lm soldat de l'armée ùe la Loire qui avait été traîné, au début de 1816, de Clermond-Ferrand à Paris pour un crime imagin.1ire.
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d'antinationale, mais encore attend-il le rejet par les pairs de la loi sur les finances pour se décider à augmenter leur nombre par une fournée de soixante membres. Fidèle à sa politique tâtonnante, le ministère n'a pas procédé à une abrogation pure et simple de l'ordonnance du 24 juillet 1815, mais il s'est contenté de renommer à la pairie un certain nombre des membres de la Chambre haute de 1814-1815. Il n'a pas rendu leurs sièges à Ségur, Praslin, Dedelay-d'Agier ni aux généraux Gassendi et Valence pas plus qu'il n'a rappelé les bannis. C'est là une position bien regrettable, car une attitude ferme et clairvoyante eût déterminé le ministère à révoquer les lois d'exception, à s'assurer d'une majorité stable à la Chambre haute, bien avant les menées des ultras, et à la Chambre des députés par un nouvel appel aux électeurs et par l'augmentation du nombre de ses membres. Les ultras n'ont aucunement le droit de se plaindre de la prérogative royale, eux qui ont vu leurs effectifs à la Chambre haute doublés en 1815 par Talleyrand. Comment concilier les nécessités de la représentation d'un pays aussi peuplé que la France avec le nombre modique de ses élus en regard du nombre considérable de députés dans des principautés allemandes et en Angleterre? C'est raisonner ainsi en prévision de l'avenir alors que le présent est tissé de conjonctures ministérielles qui y sont rebelles. Les piéces à conviction que Constant et Etienne versent dans les dossiers des ministres trouvent ceux-ci imperméables aux vérités à longue échéance. Les rédacteurs de la Minerve voient même des sujets d'alarme dans une politique peu définie. Si l'Opinioll de Kératry, où le credo libéral fait pièce à la proposition de Barthélemy, est publiée par le Moniteur, elle sera suivie de près par le discours de Duvergier de Hauranne, fidèle interpréte de la pensée de Decazes, qui combat, il est vrai, le projet des ultras, mais qui leur donne raison quant au fond de la question. Les attaques des écrivains de commande contre les libéraux et les blâmes qu'ils adressent à Dessolles ne seraient-ils pas symptomatiques de la politique de bascule de Decazes? Les libéraux ont fait opposition à l'initiative des ultras par des réunions, des démarches auprès de Dessolles, des pétitions nombreuses et par la contreproposition LaHitte à la Chambre, engageant les députés à résister à toute atteinte portée à la loi électorale. Le Il mars, Courvoisier, autre fidèle interprète de la pensée de Decazes, s'est élevé contre les pétitions, dénonçant les manœuvres qui tendent à montrer la France en proie à l'inquiétude. Autre signe alarmant, les ministres ont fait preuve d'une attitude modérée quant à l'action subversive des royalistes dans la Sarthe, le Morbihan, le Finistère et à Nîmes. S'ils ont adopté apparemment les principes de la contreproposition Laffitte, ils la feront rejeter par un ordre du jour habilement calculé 28. Ainsi, le bruit se confirme d'une entente amorcée entre les ultras et Decazes. Cette nouvelle est d'autant plus fondée que la droite s'est mise à le louer, tout en critiquant Dessolles et ses collègues. 28 B. Constant, Session des chambres, M. V (6), 10 mars 1819, donne les noms des députés qui ont voté contre le rejet de la contreproposition Laffitte.
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Il reste cependant aux rédacteurs la ressource de combattre les idées énoncées lors de la déposition à la Chambre des pairs de la proposition Barthélemy et de son développement, le 20 et le 26 février, et lors de sa discussion à la Chambre des députés dès le 15 mars. C'est une bonne occasion aussi pour rendre hommage aux défenseurs de la bonne cause, les pairs Lanjuinais, Broglie, La Vauguyon et les députés Dupont de l'Eure, Manuel, Chauvelin, Beugnot, Boin, Bignon, La Fayette et Royer-Collard. Une alerte aussi vive légitime aussi des louanges à l'adresse des doctrinaires et du ministre de Serre comme elle justifie la violence de langage à l'endroit de Lainé. La campagne virulente du recueil contre les ultras, n'empêche pas toutefois les rédacteurs de reconnaître et de louer l'esprit modéré et sensé de Villèle. La Millervl! en sera momentanément quitte pour sa peur. La proposition Barthélemy, retenue par la Chambre des pairs, sera repoussée par celle des députés. Mais le lecteur averti ne saurait ignorer les germes de discorde que cette crise a révélés. On y trouve tous les éléments qui concourront vers la fin de l'année 1819 à la dislocation du ministère Dessolles-Decazes. Etienne ne se trompe pas dans le bilan qu'il dresse des gains et des pertes respectifs des partis en guerre. Attaquant le ministére et la gauche sur le terrain de leurs conquêtes légales, la droite a obligé ses adversaires à se retrancher derriére les positions acquises, sans pouvoir pousser leurs avantages au delà de la loi électorale 29. L'impatience de la gauche de voir les institutions de la Restauration se libérer de l'emprise du pavillon de Marsan et des Alliés pour s'engager dans les voies constitutionnelles peut s'expliquer par une expérience aiguë des maux récents comme par une conscience très sûre de ses forces. Mais la hâte avec laquelle elle a fait le siège du ministère, dès la formation de celui-ci, pour réclamer la mise en œuvre des réforIIlCS et récriminer contrc l'inactivité du gouvernement répond mal, à ces dates du moins, au désir sincére de de Serre et du groupe doctrinaire de consolider les institutions après une mûre préparation. Ainsi, Benjamin Constant est en mesure, au début de février, de rendre compte du projet de loi soumis aux Chambres, relatif à la responsabilité des ministres. \1 voit là, à juste titre, le progrès accompli sous son inspiration, depuis 1814, dans la distinction fondamentale entre le pouvoir royal neutre et le pouvoir exécutif responsable. Ce n'est pas sans fierté qu'il cite ses écrits, où il a développé les conséquences de cette distinction pour le mécanisme gouvernemental. On aime se rendre ce témoignage, après avoir été en butte à des critiques violentes. Autre sujet de contentement pour Constant: les auteurs du projet lui ont encore emprunté l'idée que toute tentative serait vaine pour définir dans leurs détails la concussion et la trahison. "H Pour l'attitude de la Minerve envers le Illlnistere pendant la crise, cf.
Etienne, n'" ·Hi, -t7, -tH, -t9, 51, M. V (.1, 5, 6, 7 et 9),25 fév. ; début, 10 et 17 mars, 2 avril 1HI9 ; B. Constant, Session des chambres, M. V (-t, 5, 6 et 7) ; le c.r. de la SCSSiO/1 du M. V (H), 24 mars, n'est pas signé, mais il est probablement de Iknjamin.
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Par ailleurs, le projet en question comporte des dispositions plus défectueuses que celles contenues dans les projets qui n'ont pas abouti en 1815, 1816 et 1817. Constant reproche au nouveau projet de rejeter la responsabilité des fonctionnaires inférieurs sur les ministres et de la rendre par là illusoire. Il critique également les modalités compliquées comme les précautions excessives prévues pour la mise en accusation des ministres, procédure qui rendrait aussi vaine leurs responsabilité que celle de leurs agents 30. Pagès s'élèvera contre la tentative de la commission de la Chambre de définir la concussion et la trahison en louant cependant l'article qu'elle a ajouté au projet et qui stipule que tout acte de l'exécutif devrait être contre-signé par un ministre 31. Etienne, enfin, critiquera vertement le ministère pour avoir retiré son projet, sous prétexte que la responsabilité des échelons inférieurs de l'administration laissât à désirer 32. Il en sera tout autrement de la loi sur la presse qui constitue le grand apport de de Serre et de ses amis les doctrinaires à l'établissement d'un régime somme toute libéral pour les écrits et les journaux. La liberté de l'expression· passera par de nouvelles tribulations après l'assassinat du duc de Berry, mais il n'en reste pas moins vrai que la législation de Broglie et de Guizot, sous l'égide du ministre, a marqué des dispositions que le pouvoir sera appelé a prendre à cet égard tout le long du dix-neuvième siècle. Les trois projets de loi présentés par de Serre le 22 mars, furent entérinés le 17 et 26 mai et le 9 juin 1819. Ils ont respectivement porté sur les pénalités, les poursuites et la procédure et sur la presse périodique. Tout en assimilant les infractions de la presse aux délits ordinaires, le premier texte a classé les dèlits de la presse en quatre catégories: provocation aux crimes, offenses envers la personne du roi, outrages à la morale, diffamations et injures. Le second texte définira la compétence du jury, en lui attribuant la connaissance de presque tous les délits de la presse, exception faite de ceux relatifs aux particuliers. Le troisième texte a établi une mesure préventive indirecte contre les journaux et les écrits périodiques en exigeant de leurs propriétaires le dépôt d'une somme élevée, 10.000 francs de rente dans les départements de la Seine et de Seine-et-Oise, et 5.000 francs dans les autres 33. La loi sur la presse est celle que les libéraux ont appelée de leurs vœux dès le début de la première Restauration. On sait la place que lui a réservée Benjamin Constant dans l'aménagement du régime constitutionnel. Rien de surprenant à ce qu'Etienne ait exprimé une très vive impatience à voir le pays libéré de la hantise de la loi du 9 novembre et 30 Cf. B. Constant, Session des chambres, M. V (2), 14 fév. 1819, où Il recommande la brochure de Pagès, De la responsabilité des ministres. 31 Cf. Pagès, Session des chambres, M. V (10), JO avril 1819. . 32 Cf. Etienne, n° 53, 15 avril 1819. 33 Cf. B. Bastid, Les institutions politiques de la Monarchie parlementaire, op. cit., 2' part., ch. VII, sect. 4.
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une amertume non moins vive de voir la presse régie sous le nouveau ministère par la même loi draconienne 34. Les rédacteurs sont à l'affût des nouvelles qui circulent sur la préparation de la loi sur la presse et l'annoncent dès le mois de janvier 35. Sans doute auraient-ils préféré qu'aucune loi ne stipulât des pénalités pour les délits facilement assimilables à ceux que le code pénal en vigueur désignait pour le châtiment des tribunaux. Sans doute auraient-ils aimé qu'une loi spécifique sur la presse se montrât plus libérale à l'égard des éditeurs, des imprimeurs et des écrivains, et qu'elle dispensât les premiers d'une responsabilité revenant de droit aux publicistes. Le libéralisme aurait facilement renoncé au dépôt des écrits avant leur publication et à toutes les définitions, nécessairement vagues, ayant trait aux atteintes à la morale, infractions qui relèvent simplement de la diffamation. Mais en tous les cas, les rédacteurs ne sauraient admettre qu'un droit constitutionnel devienne un privilège et que la liberté de l'expression soit réduite par la caution à laquelle sont astreints les propriétaires des organes à une prérogative « capitaliste ». La France pâtit d'une anomalie qui concentre l'activité intellectuelle du pays dans sa capitale. La gauche avait eu à se plaindre des difficultés suscitées à ses feuilles en province face à une presse royaliste florissante 36. La nouvelle loi signifierait l'asphyxie de la presse départementale et les rédacteurs de se dresser avec véhémence contre des dispositions aussi arbitraires que les précédentes. Etienne, Constant, Pagès et Dumoulin instruiront le procès du projet dans son idée d'ensemble comme dans son détaillement. Constant fera dé.sormais entendre sa voix au double titre de rédacteur et de député 37. Toujours est-il que la nouvelle loi a consacré une de ses revendications les plus chères, le recours au jury dans les procès de presse. La discussion à la Chambre du budget fournit toujours un prétexte commode aux partis dp. s'affronter sur les problèmes d'ordre général. L'année 1819 verra se débattre la question de l'éducation, de la religion et de l'armée et assistera bien entendu à l'évocation de la Révolution 38. Pour la gauche ce fut une occasion devenue déjà tradition de 34 Cf. Etienne, n" 41, M. IV (Il), 14 janv. 1819; B. Constant, Session des chambres, M. IV (13), fin janv. 3.'; Cf. B. Constant, Session des chambres, M. IV (12), 23 janv. 1819. 36 Etienne cite le cas de l'Argus libéral de l'Ouest en regard de la Ruche d'AclJuitaine ou du Provincial de Nîmes, n° 42, ibid. D'après la Gazette d'Augsbourg, Le plénipotentiaire de la raison, journal de langue française, aurait été supprimé sur les instances des ambassadeurs de France et d'Espagne, Etienne, n° 50, M. V (8), 24 mars 1819. 37 Pour le jugement de la Minerve sur les trois lois de de Serre, cf. Etienne, n" 50, M. V (8), 2·1 mars 1819, n° 52, M. V (ID), 10 avril; Pagès, Session des chambres, ibid. ; Dumoulin, Sur le projet de loi relatif aux journaux, M. V (11), 16 avril; B. Constant, D'un amendement proposé à la loi sur la liberté de la presse, ihid. et De la religion et de la morale religieuse, M. V (12), 20 avril j Pagès, Session des chambres, M. V (11 et 12) ; Etienne, n° 54, M. V (13), fin avril, où il attaque vivement le procureur Bellart qui a pris parti contre la liberté de la presse; Pagès, Session des chanzbres, ibid. et M. VI (1), 8 mai. 38 Cf. p. ex. Pagès, Session des chambres, M. VI (5 et 6), 5 et Il juin 1819.
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clamer ses revendications habituelles de réformes, d'exiger le rappel des bannis, la réduction des impôts et des dépenses, le dégrèvement des provinces particulièrement touchées par la guerre et l'occupation, la diminution des traitements élevés des officiers de la couronne et des ministres d'Etat 39. Trait caractéristique de la critique formée par les libéraux et dont la Minerve se fait l'écho fidèle, c'est le nombre excessif d'employés peuplant les ministères et notamment celui des finances 40. Les rédacteurs ont beau jeu pour montrer les vices d'un système qui accorde des pensions par faveur et par esprit de parti. Jouy consacrera trois articles pour rendre compte des dix volumes publiés par le ministère et où figurent les noms des bénéficiaires. Une étude sommaire lui permet de rendre manifeste le scandale d'une prodigalité qui rémunère les services de la France émigrée, celle de la Vendée comme de la Gironde 41. Au contraire, les «donataires» qui ont confié leurs maigres ressources au Domaine extraûrdinaire - réuni au domaine ordinaire - ne verront pas leurs demandes réitérées satisfaites 42. C'est condamner par là aussi bien le ministère de 1817-1818 que les ultras. Plus s'esquisse le rapprochement entre l'extrême-droite et les ministres démissionnaires de 1818 et plus s'accentue contre ces derniers la campagne de la gauche. Le débat sur les comptes des années précédentes vient à point nommé pour condamner les emprunts de 18171818 et pour associer Corvetto et ses colègues aux spéculateurs d'une bourse sans scrupules. L'Opinion émise par Benjamin Delessert contre Laffitte pour l'impliquer dans les emprunts amènera ce dernier à une justification qui aggravera les responsabilités de Corvetto 43. Bien entendu, il s'agit d'une méthode de dépréciation que les partis seront appelés à pratiquer sur une échelle qui aurait frappé d'épouvante leurs devanciers. Mais déjà le sens de la lutte et le recours aux moyens d'intimidation sont très prononcés chez les partis fraîchement émolus de leurs classes constitutionnelles. La lecture de la Minerve comme du Conservateur se révèle probante à cet égard. Chaque épreuve électorale éclaire d'une lumière crue les critiques dressées contre un système financier déficient. Il n'én reste pas moins vrai, et les rédacteurs en sont pleinement conscients, que les attaques redoublées de la gauche ont puissamment 39 Cf. Etienne, n° 53, M. V (11),15 avril 1819, n° 56, M. VI (2),17 mai, n° 58, M. VI (4), fin mai; Pagès, c.r. cil. des 5 et 1\ juin, M. VI (9 et 10),5 et 12 juillet. 40 Cf. Pagès, c.r. cit. du Il juin 1819. 41 Les Pensions, M. IV (11), 14 janv. et M. V (J et 4), 5 et 25 fév. 1819. 42 Cf. B. Constant, Session des chambres, où il fait état de la pétition adressée à la Chambre par le colonel Sai el en faveur de 1200 donataires du Mont de Milan, M. V (5), début mars 1819 ; Corcelle reviendra à la charge lors de la discussion du budget, Pagès, Session des chambres, M. VI (7), 20 juin; le chevalier Salel persistera dans ses réclamations tout le long de la Restauration et même sous la Monarchie de Juillet. 43 Cf. Etienne, n° 56, M. VI (2), 17 mai 1819; Pagès, Session des chambre.~, ibid. et M. VI (3), 23 mai; B. Constant, De l'examen des emprunts [ ... l, M. VI (4), fin mai; Pagès, Session des chambres, ibid.; Laffitte, Lettre, M. VI (5), 5 juin.
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conc()uru à assainir les méthodes financières du ministère et à l'engager dans la voie des responsabilités fiscales. Contraint de renoncer à la pratique commode du «provisoire» par la demande renouvelée des crédits, calqués arbitrairement sur les rôles antérieurs, le ministère des finances est amenè, bon gré mal gré, à déposer un bilan aussi exact de ses recettes que de ses dépenses 44. Et puis, sous les formules partisanes se retrouve l'idée maîtresse du libéralisme qu'il faut réduire la toutepuissance de l'Etat à une activité limitée et toujours contrôlable. C'est une idée d'autant plus chère à la Minerve que la seconde Restauration a doublé ses rouages en tout. Sans citer ses régiments mercenaires, elle a une armée sur pied et une autre de demi-solde, une administration en fonction et œlle qui attend son tour. Si l'occupation est terminée selon les apparences, elle se prolonge pourtant indéfiniment de par les effets des contributions de guerre. Le sentiment aigu des souffrances du pays ne relève pas uniquement chez les rédacteurs d'un souci de partisans 45. Une autre idée maîtresse que les réclamations de la gauche recouvrent est celle, on l'a vu, de la primauté de la propriété industrielle sur les biens fonciers. Benjamin Constant clamera son mea cu/pa en revenant sur les principes que les Physiocrates lui ont inculqués 46. C'est cette primauté qui devrait dicter au fisc ses prévisions budgétaires, supprimer tout monopole, bien que les recueils atténuent quelque peu leurs positions en faveur de l'Alsace ravagée, et faire renoncer à la mainmise blâmable de l'Etat sur la loterie, les jeux et sur d'autres ressources mystérieuses. Le système colunial pour lequel la France se saigne à blanc s'accorde aussi mal avec l'ère industrialiste que la traite des nègres avec la morale l,. En rendant hommage à Constant, Manuel, d'Argenson, La Fayette, Martin de Gray, Dupont de l'Eure, Bignon, Chauvelin, Casimir Périer et à bien d'autres, la Minerve croit accomplir une œuvre pie, mettre en valeur ceux qui en épilogant sur les abus ministériels ont rendu des services réels à leur pays. La primauté de la propriété industrielle préoccupe les ultras, mais elle donne aussi du fil à retordre à Decazes, louvoyant entre les partis " Pour la néce,;sité d'une comptabilité rigoureuse, d. B. Constant, Session des elU/TIlhres, Iv\. IV (V d Il), 30 déc. 1818 et 1.1 janv. 1819. Etienne, n° 53, :\\. V (I), 16 avril et n'" 56 et 58, M. VI (2 et 4),17 et fin mai; la contribution de la gauche pour J'ordre dans les finances, Pagès, Session des chambres, M. VI (8), 27 juin.
L'ÉCOLE LIBÉRALE SOUS LA RESTAURATION
tour des stations thermales pour évoquer l'histoire de la Révolution et de l'Empire, celle de la Terreur et pour faire le point des forces adverses en présence. Les allusions aux campagnes électorales, au procès d'Albi et de Rodez, à celui de Wilfrid Regnault, à ('affaire de Stanhope' et aux souscriptions libérales s'intercalent dans la description des monuments, des sites et des routes. Les propos sur les cercles politiques, où la part faite aux constitutionnels est la plus belle, s'ajoutent à l'analyse détaillée des ressources économiques et du rayonnement intellectuel; des touches légères dessinent des portraits ridicules. Des lieux C:)iIllllanS font défiler commodément des portraits-clichés, offrant le contraste de la vertu et du vice, du modernisme et de la régression, recrutant ici et là, surtout dans les stations thermales, des Anglais excentriques 101, des grandeurs espagnoles et russes, coiffées par des galants et galantes fraîchement débarqués de Paris et surmontant l'ennui du traitement hydrominéral par des entretiens insipides ou des fadaises romancées. Le tourisme est fait à la mesure des contemporains: la ;.;astrol1omie le dispute à la mode et le charme des grisettes à l'élégance des dames bien pensantes. Les historiettes abondent, ne seraitce que pour confirmer la verdeur de l'âge déclinant de l'Ermite. Amours entre protestants et catholiques, amours basquais, la vie galante d'Henri IV, intrigues amoureuses dans les villes d'eaux, passion néfaste d'un couple d'aveugles, évocation des troubadours, de Clémence Isaure et des Jeux Floraux, de l'enlèvement de Constance de Balbe par Dom Juan ajoutent ou sont censés ajouter une note gaie aux développements socio-politico-historiques de l'Ermite en diligence. Il ne faudrait pas, certes, exagérer la part d'originalité qui revient il Jouy dans l'analyse de la structure économique et sociale de la France au premier tiers du dix-neuvième siècle. L'Ermite indique ici et là les Descriptions et les Tableaux statistiques qu'il a sans doute cunsultés sinon pillés lf)". Des correspondants à point nommé, une polémique animée avec la presse de la droite, un ermite russe et les répercussions à Pétersbourg des publications antérieures de Jouy 103 renforcent l'apparence d'un succès somme toute réel. Les fades portraits semés un peu partout ont facilement contenté les appétits modestes des cuntemporains, aiguisés par les gauloiseries traditionnelles, charmés par des jeux de mots vulgaires, et attirés par la chronique théâtrale sommaire de la province. Des aspirations plus sérieuses ont trouvé leur nourriture dans la reconstitution des origines romaines et gauloises des villes
101
Sur l'anglophobie de Jouy et
SOI1
rôle dans l'élaboration du mythe anglais,
d. P. Reboul, Le m},the anglais dans la littérature française sous la Restauration, op. cit. lU~ Entre autres, Jouy cite, Lafond de Cujula, Description statistique du Département de Lot-et-Garonne, Boulinière, Annuaire des Hautes-Pyrénée.~,
Tarbes, 1807. 103 Cf. L'Ermite de la Russie à celui de la Gu)'anne, défendant la condition sociale de la femme russe, M.d.F. JI, 26 avril 1817; Post-scriptum des Courses dans les Pyrénées, M.d.F. Ill, 23 août, rappelant l'interdiction en Russie du 5' vol. de l'Ermite de la Chaussée d'Antin.
PROPAGANDE ET FAITS DIVERS
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et des monuments. Le besoin d'exotisme a pu tirer son aliment de la description réaliste des Landes et romanesque des Pyrénées ou des caractéristiques générales des Gascons et particulières des Basques, des Béarnais, des Bohémiens et de bien d'autres. Danses, jeux, saveur des patois, originalité de la langue basquaise, mœurs raffinées et primitives, douceur pyrénéenne et roideur alpine, décrites dans le meilleur style rousseauiste, ressuscitent tout un monde attrayant qui a le privilège de l'étrangeté malgré les clichés et dont le prestige est rehaussé par l'abondance d'épigraphes latines et françaises. Ainsi, délayée et savamment entourée par des amplifications ct des rabâchages, où une fausse bonhomie le dispute à une profondeur trompeuse, les procédés de propagande de l'Ermite se révèlent puissants au niveau du lecteur. Les abonnés-électeurs sont flattés dans leurs intérêts, leurs goûts et leurs préventions. Sous la plume féconde de Jouy, les grandes vérités libérales acquièrent une force d'évidence. L'optique élevée du libéralisme individualiste se fait monnaie courante. Un Homais noble est déjà esquissé.
•
** La chronique ne porte pas nécessairement la marque du libéralisme. /1 n'y a pas a priori de chronique toute de gauche ou toute de droite. Cependant, les faits divers ne laissent pas d'offrir ici et là leur témoignage à celui qui sait les lire. On a beau noter et enregistrer les menus faits sans toujours les commenter, il leur arrive parfOis de rejoindre d'une manière anodine les vérités premières. Non que la chronique joue dans les recueils un rôle d'envergure. Les cahiers hebdomadaires du Mercure et de la Minerve se doivent de limiter la part réservée à la petite histoire. De tous les faits et méfaits, ce sont les infractions, légères ou sérieuses, et surtout les crimes qui captent l'attention du public austère. Les lecteurs semblent mal résister à l'attrait des résonances aussi morales que fétides des crimes. Le sens de la justice est intimement mêlé chez le lecteur bourgeois aux vertus toniques de la propriété. Le lecteur ne sourciIle pas devant la condamnation à huit ans de prison, au carcan et à la flétrissure d'un escroc 104, à la peine capitale d'un bandit 105 et d'un faux-mnnnayeur. Tout au plus saura-t-il gré à la cour de justice d'avoir épargné à la femme de ce dernier l'obligation d'assister à la lecture du verdict. Que la victime ait préféré le suicide à l'exécution capitale ne semble pas avoir ému les abonnés 106. L'ordre bourgeois est aussi aise d'enregistrer l'arrestation d'un malfaiteur qui s'est attaqué à un agent de change au Palais-Royal 107 que celle d'un Tartuffe lyonnais qui a accaparé la fortune d'une famille crédule 108. Aucun signe de révolte contre 104 105 106 107 108
Cf. Cf. Cf. Cf. Cf.
Bénaben, Bénaben, Bénaben, Bénaben, Bénaben,
M.d.F. Il, 24 mai 1817. ibid., 7 juin 1817. ibid. et 14 juin 1817. M.d.F. III, 19 juillet 1817. M.d.F. II, 31 mai 1817.
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L'ÉCOLE LIBÉRALE SOUS LA RESTAURATION
la condamnation de deux compères à 15 ans de travaux forcés et à l'emprisonnement à vie pour avoir volé la caisse d'un régiment du train d'artillerie de la garde royale 109 ni contre la mesure livrant pour vol un enfant de 15 ans à une détention de 20 ans 110. II Y a des reniements de l'ordre que la bourgeoisie pardonne mal à ceux qui sont préposés à sa sauvegarde. II est juste que l'exécuteur des hautes œuvres à Versailles soit condamné pour vol et révoqué. L'empressement de plus de 400 candidats à demander le poste vacant peut, tout au plus, nous étonner 111. Aussi louable est le verdict condamnant un commissaire de police et ses adjoints pour faux et vol 112. C'est trahir l'ordre bourgeois que d'incendier un village pour avoir mal vendu ses allumettes 113, de prêter à un taux illicite 114 et d'entretenir les loteries clandestines 115. Le sens pratique de l'ordre bourgeois n'entame guère le code d'honneur chevaleresque. Ils sont bien sensibles, les bourgeois, à la justice de la mesure condamnant six mariniers à 10 francs d'amende pour avoir manqué de porter secours à un matelot noyé 116 ainsi qu'à l'arrestation d'un personnageescroc fabuleux, le comte de Pontis 117. Dans les eaux troubles de la Restauration, la tentative d'assassinat sur la personne du colonel Dufay peut donner lieu à toutes sortes de conjectures 118. Mais il y a unanimité pour condamner avec les tribunaux les assassinats des femmes par leurs maris 119, des filles par leurs séducteurs 120, d'une femme espagnole riche par son épouseur - un chevalier d'industrie français 121 - et des maris 122, des frères 123 et des enfants 124 par des épouses, des mères et des parents dénaturés. Le lecteur peut parfois donner libre cours à son imagination en apprenant l'assassinat par un chapelier de Mâcon du mari de sa maîtresse 125 ou la découverte dans un sac du corps d'une femme démembrée 126. II lui arrive aussi de se pencher avec angoisse sur le sort du pourvoi en appel d'un père malheureux, condamné à mort pour avoir tué le séducteur de
1"9 Un troisième coupable, saisi de remords, s'est tué, laissant à la police sa part de hutin et des indications utiles, Bénaben, M.d F. IV, Il nct. 1817. 110 Cf. Bénaben, ibid., 13 déc. 1817. 111 Cf. Bénahen, M.d.F. III, 2 août 1817. 112 Cf. Bénahen, M.d.F. IV, 13 déc. 1817. 113 Cf. Bénaben, M.d.F. Il, 31 mai 1817. 114 Cf. Bénahen, M.d.F. IV, Il oct. 1817. Il;' Cf. Bénaben, ibid., 20 déc. 1817. lit; Cf. Pagès, Petit Billie/in, M. Il (5), début juin 1818. 117 Cf. Etienne, n° 1-1, M. Il (fi), 10 juin 1818. I l ' Cf. Etienne, n" 24, Pos/-criptlll/l, M. III (5), 8 sept. 1818. Il!J Cf. Bénaben, M.d.f. Il, 17 mai 1817. 120 Cf. Bénaben, ibid., 31 mai. 121 Cf. Bénahen, M.d.F. IV, 6 déc. 1817. 122 Cf. Pagès, M. Il (7), 15 juin 1818. 12:\ Cf. Bénabcn, M.d.F. III, 1fi août 1817. 124 Cf. Bénahen, i!dd. et M.d.F. IV, 13 déc. 1817. 12;, Cf. Iknahen, M.d.F. III, 19 juillet 1817. 1211 Cf. Bénaben, ibid., 15 nov. 1817. La découverte du squelette d'une jeune icmme de vingt ans et dont la mort remonterait à un demi-siècle a pu exercer I"activité de bien des imaginations, M.d.F. IV, Il oct.
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sa fille 1~7 ou de rire aux éclats devant le courage d'une brave couturiére qui a battu son séducteur de sellier, la garde et le commissaire 12~. Avec Pagés, il verra dans ces crimes, dans les infanticides et les suicides un signe inquiétant du temps, quelque peu compensés par la certitude que des forfaits pareils avaient été commis jadis et par la prescience des crimes probables de l'avenir 129. Aux méfaits des hommes, s'ajoutent ceux de la nature. La misère de l'occupation en 1817 est redoublée par les dévastations des orages, des inondations, des coups de tonnerre et de la sécheresse 130, par des bandes de loups désolant l'Arriège et l'Vonne 131 ou le naufrage des passagers du Pégase 132 et la mort subite d'un promeneur au PalaisRoyal 133. Déjà, elle est de mauvais augure la statistique qui, au début de 1818, indique pour les douze municipalités de Paris, au cours de l'année 1817, 21.382 décès pour une population de 726.988 habitants. Le libéralisme peut du moins expliquer partiellement cette inquiétante mortalité par la résistance de la population à se faire vacciner 134 comme il attribue l'ignorance du siècle au refus de propager l'enseignement mutuel. Ces tableaux statistiques ne laissent pas de semer la panique en indiquant pour l'année étudiée 335 suicides, autrement dit plus de six par semaine dans la capitale, à moins qu'on ne cherche à imputer cette «épidemie spleenique », selon les bonnes recettes voltairiennes, à l'influence de la Tamise sur la Seine 13:). La statistique a cependant des avantages indéniables. Elle est en mesure de signaler les progrès de la chirurgie française, enregistrant pour quinze à dix-huit mille opérations dans les hôpitaux vingt-huit morts seulement 136. Heureusement pour les lecteurs, cette vallée de misère est éclairée ici et là par des actes de générosité et de courage; les habitants miséreux d'un coin de la côte du Pas-de-Calais ont tranquillement aidé au déchargement du blé d'un bâtiment naufragé 137 ; un vieillard de Lons-IeSaulnier, bien que ne sachant pas nager, a sauvé trois enfants de la noyade 1:1~ ; un capitaine a fait preuve sur un bâtiment en feu de courage Cf. Bénaben, ibid., 4 oct. 1817. Cf. Bénaben, ibid., Il oct. 1817. Cf. Pagès, art. cit. Tentative de suicide d'une jeune fille contrariée dans son amour, Bénaben, M.d.F. III, 19 juillet 1817. 130 Cf. Bénaben, ibid., 6 et 20 sept., M.d.F. IV, 4 oct. 1817. La misère se révèle également par la générosité du pacha d'Egypte, distribuant du riz aux pauvres de Marseille, M.d.F. III, 5 juillet. 131 Cf. Bénaben, M.d.F. Ill, 2 août 1817. 132 Cf. Bénaben, M.d.F. II, 28 juin 1817. 133 Cf. Bénaben, M.d.F. IV, 4 oct. 1817. 134 Troi" enfants parisiens furent enlevés par la petite vérole à cause de l'opposition du curé de la famille à la vaccination, Pagès, Petit bulletin, M. Il (5), début juin 1818. 133 Le suicide du général Veaux consterne Dijon, Bénaben, M.d.F. IV, 18 oct. 1817. 136 Cf. pour les Tableaux statistiques, Etienne, n° 5, M. 1 (7), 21 mars 1817. 137 Cf. Bénaben, M.d.F. Ill, 5 juillet 1!l17. 138 Cf. Bénaben, M.d.F. Il,26 juillet 1817. 1~7 128 129
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et de présence d'esprit en jetant à la mer un baril de poudre 139 ; mais le plus curieux, sinon le plus touchant, a été sans doute l'empressement de la population de Valenciennes à demander la grâce des cinq soldats britanniques condamnés pour vol à la peine capitale par le duc de Wellington; l'intervention des vaincus en sauvera trois. La condamna~ tion a presque coûté la vie à un Français qui s'était proposé pour bourreau et qu'on a à grand-peine sauvé du lynchage H0. Les méfaits des humains et des éléments sont aussi éclairés par des notes amusantes. La magnanimité des habitants de Valenciennes n'est pas toujours partagée par tous leurs compatriotes à l'endroit de la perfide Albion. Lord Eskine dont la voiture aurait été coincée par celle d'un roturier et qui aurait menacé celui-ci du fouet se serait vu fouetté, lui comme ses chevaux, par un boulanger patriotique 141. Un officier français, voyageant avec un officier anglais de Dunkerque à Lille, a su opposer au rappel de Waterloo celui d'Hondschoote 142. Cette image peu sympathique de l'Anglais n'est certes pas rehaussée par l'achat de terrain qu'un Britannique aurait effectué pour exhumer les ossements français du sol où la bataille d'Azincourt eut lieu 143. Elle prête même au rire lorsque la cour de Douai, cassant le jugement du tribunal de Boulogne, arbitre d'un litige financier entre deux sujets britanniques, a renvoyé leur différend devant les instances de la mère-patrie 144. Il faut pourtant rendre justice aux rédacteurs qui savent distinguer entre les gouvernements et lcurs nations et rappeler à l'ordre les jeunes Parisiens qui se sont moqués d'un couple anglais 145. Point n'est besoin d'un tel rappel pour susciter la satisfaction des lecteurs à la nouvelle de la blessure d'un jeune ultra à Bordeaux qui a grossièrement provoqué lors d'un mariage le fils du consul américain U6. Les procès ne manquent pas à l'occasion pour provoquer le rire. C'cst sans doute Ic cas pour un maître en corruption qui a vu le jury disculper sa servante de l'accusation de vol qu'il a portée contre elle 147. C'est aussi le cas d'un docteur Gilles qui a eu gain de cause contre les collatéraux qui ont réclamé l'héritage de sa femme, ancienne l1Ialade du médecin perspicace H8. C'est encore le cas d'ull certain Selves, qui, Chicaneau moderne, se multiplie en procès et en plaidoiries 149, de l'auteur des Calamités judiciaires, véritable fléau pour les juges, comme du plaidoyer de la célèbre actrice Mlle Bourgoin contre un marchand qui
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Cf. Cf. Cf. Cf. Cf. Cf. Cf. Cf. Cf. Cf. Cf.
Bénaben, ibid .. 16 août 1817. Bénaben, ibid. Bénaben, M.d.P. Ill, 2:~ aoÎlt 1817. SS., M.d.F. IV, 1" nov. 1817. Etienne, n° 9, M. 1 (12),23 avril 1818. Bénaben, M.d.F. IV, Il oct. 1817. DUl1loulin, M. VII (13), fin oct. 1819. DUl1loulin, Correspondance des départemens, M. VIII (1),7 août 1819. Ménaben, M.d.F. Il, 28 juin 1817. Bénaben, M.d.F. 111, 5 juillet 1817. Bénaben, ibid., 16 août et M.d.F. IV, 22 nov. 1817.
PROPAGANDE ET FAITS DIVERS
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a refusé de reprendre un châle vendu sous condition 150 ou du procès que la duchesse de Feltre serait sur le point d'intenter à Beaupoil de SaintAulaire, auteur de l'oraison funèbre de feu M. le Duc 151. Le rire et la sensiblerie se joignent dans l'histoire insipide de Bénaben, illustrant par la révolte d'un singe apprivoisé le sens de la justice inhérent à tous les êtres 152. Si l'austère bourgeoise s'accorde mal avec les caricatures que ses adversaires dirigent contre la garde nationale 153, elle aime voir bafouer des religieuses qui, à l'exemple de Mme de Krüdener, prophétisent des malheurs, un voyant qui chante les cantiques de David 154, des sorciers qui jettent des sorts 155 ainsi qu'un certain Martin Michel qui, dans le duché de Bade, guérit par l'imposition des mains 156 ou des charlatans qui font des dupes sur les places publiques 157. Les recueils se doivent d'enregistrer les fêtes commémoratives de la Restauration, telle la célébration joyeuse à Paris du. 8 juillet, date du retour de Louis XVIII de Gand, ou la messe commémorative pour MarieAntoinette 158, mais ils marquent leurs distances quant aux réjouissances de la Saint-Louis qui ne rappelle que trop une France qui n'est plus 159. Toute réjouissance populaire est associée dans leur pensée à l'envahissement anarchique de la Révolution. Ni Jouy ni Bénaben ne sauraient admettre que le directeur des spectacles à Nîmes renouvelle les combats de tauraux 160. Plus patriotique est certes l'accueil qu'on devait réserver aux prisonniers français revenus de la Russie via Bruxelles 161. Dans la hâte de reconstituer l'ancienne France par des monuments consacrés à Bossuet, à Henri IV et à Condé, nul doute que les options libérales ne soient marquées par des répugnances discrètes, mais elles acceptent volontiers cependant de faire figurer Henri IV parmi les idoles de la France moderne 16~. Le libéralisme industrialiste n'oublie pas de noter le bon accueil que le Chili a réservé au pavillon français 163. Il est de bon ton, malgré l'anglophobie répandue, de faire état des tentatives de la société bien pensante pour naturaliser le thé en France 164. D'un coin perdu et pauvre de la Méditerranée, devenu prestigieux grâce à BonaCf. Bénaben, ibid., 1" nov. 1817. Cf. Pagès, M. IV (8), 26 déc. 1818. 152 Cf. M.d.F. IV, 6 déc. 1817. 153 Cf. Correspondance, M. III (9), 3 oct. 1818. 154 Cf. Bénaben, M.d.F. Il, 31 mai i817 et M. 1 (2), 16 fév. 1818. 1,,:; Cf. Bénaben, M.d.F. III et IV, 19 juillet et 25 oct. 1817. 156 Cf. Bénaben, M.d.F. Ill, 5 juillet 1817. 157 Cf. Bénaben, M. 1 (5), 7 mars 1818. 158 Cf. Bénaben, M.d.F. Ill, 12 juillet et M.d.F. IV, 18 oct. 1817. 159 Cf. Bénaben, M.d.F. III, 30 août et 6 sept. 1817; Dumoulin, M. VII (5). début sept. 1819. 160 Pour Jouy, cf. l'Ermite en Province; Bénaben, M.d.F. III, 9 août 1817. 161 Cf. Bénaben, M.d.F. IV, 1er nov. 1817. 162 Cf. Bénaben, M.d.F. Ill, 27 sept., M.d.F. IV, II et 25 oct., le, nov. 1817; Pagès, Petit bulletin, début juin 1818. 163 Cf. Bénaben, M.d.F. III, 16 août 181S. 164 Cf. Bénaben, ibid. 150 151
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L'ECOLE LIBERALE SOUS LA RESTAURATION
parte, parvient l'écho de la déception des Corses qui ont cru avoir découvert un minerai ressemblant à l'or 165. Les recueils paient enfin leur tribut de respect au Roi et à la cour. Audiences de Louis XVIII avec ses ambassadeurs et avec des académiciens 16(), vœux pour son anniversaire 167 ou inquiétude à la suite de ses indispositions 168 alternent avec les nouvelles de la grossesse de la duchesse de Berry 16U, la tournée réussie du duc d'Angoulême 170 et le baptême de l'enfant de Decazes 171. Promotions ou maintien des titres dans les rangs nobiliaires 17:!, ministériels 173 et diplomatiques 174, railleries à l'endroit de la duchesse douairière d'Orléans dont les laquais ont cherché à écarter le public lors de l'Exposition au Louvre 175 et à l'endroit de la censure qui a pris les épitaphes sous sa haute surveillance 176 émaillent une maigre chronique, peu soucieuse des gestes de l'ancienne France.
1.,e, Cf. Bénahen, ibid .. 9 août 1817. lU" Cf. pour Caraman ambassadeur à Vienne - : Bénaben, M.d.F. Il, 24 mai et 2H jllin; audience avec Laya et Roger, M.d.F. IV, 13 déc. 1817. ]." Cf. Bénahen, M.d.F. IV, 22 nov. 1817. 1"" Cf. Dumoulin, M. VII (6), 13 sept. 1819. Iii!' Cf. Bénaben, M.dY. Ill, 12 juillet; mort du nouveau-né, 19 juillet. 1,U Cf. Bénabcn, M.dY. IV, 18 et 25 oct. 1817. 17] Cf. Dumoulin, M. VII (5), début sept. IRI9. ],e Cf. Bénaben, M.d.F. III et IV, 23 août, 18 oct. et 1" nov. 1817; ordonnance réglant l'ordre et la valeur des garanties pour qu'on ne puisse pas devenir pair sans majorat, M.d.F. III, 6 sept. ]7:1 Nomination p. ex. de Gouvion Saint-Cyr à la Marine de Dubouchage et celle de ce dernier comme pair et ministre d'Etat, Bénaben, M.d.F. Il, 28 juin; celle du duc de Raguse comme ministre d'Etat, M.d.F. IV, 6 déc. 1817. 17~ Nomination p. ex. de Reinhard comme ministre de France auprès de la confedération germanique, Bénaben, M.d.F. IV, 29 nov. 1817. 17', Cf. Dumoulin, M. VII (6), 13 sept. 1819. 171' Cf. Bénaben, M.d.F. Il,7 juin 1817.
CHAPITRE VII
POLITIQUE MONDIALE
GÉNÉRALITÉS.
Les lendemains de Waterloo, en reprenant l'œuvfe du Congrès de Vienne, ont-ils apporté à l'Europe et au Nouveau Monde la paix et la stabilité tant souhaitées? L'écroulement du système napoléonnien a-t-il été suivi d'un équilibre viable? Ne dirait-on pas que le Continent, à peine remis des secousses de la Révolution et de l'Empire, est de nouveau victime des affrontements des puissances plus que jamais acharnées pour s'assurer la prépondérance politique et économique? Sur les décombres fumants de l'Europe planent déjà le danger d'une vorace hégémonie maritime de l'Angleterre, la menace d'un déferlement barbare des Russes, l'écartèlement de l'Allemagne entre l'Autriche et la Prusse, le scandale d'une Italie asservie ou d'une Pologne partagée, la ruine d'une Espagne pourrissante, empêtrée dans une aventure sans issue OutreAtlantique. Le Mercure et la Minerve suivent avec appréhension et parfois avec passion les évolutions de la diplomatie européenne d'autant plus que le jeu institutionnel des pays respectifs n'est pas sans avoir des répercussions sur la politique concertée et combien déconcertante des puissances. Les rédacteurs sont tout d'abord soucieux de voir se matérialiser la libération de la France, tant essentielle à l'équilibre fragile de l'Europe. Les déplacements de Wellington et d'autres généraux ou diplomates ont de quoi nourrir les attentes 1. Les bruits sur le congrès qui arrêtera la fin de l'occupation commencent à circuler dès octobre 1817. On situe la rencontre à Mannheim 2, à Spa 3 ou à Prague 4. Les nouvelles sur un déclenchement probable d'hostilités entre la Russie et la Turquie, la soumission éventuelle des questions allemandes à une réunion de souverains, le départ d'une escadre russe vers une destination inconnue, les rivalités entre l'Angleterre et les Etats-Unis et la mobilisation des volontaires anglais pour l'Amérique espagnole constituent des éléments inquiétants pour l'avenir de l'Europe et de la France 5. La 1 Cf. Bénaben, M.d.F. Il, 17 et 31 mai 1817, 7 et 14 juin; M.d.F. 1II, 9 août; M.d.F. IV, le. nov. 2 Cf. Bénaben, M.d.F. IV, Il oct. 1817. a Cf. Bénaben, M.d.F. IV, le. nov. 1817. 4 Cf. Bénaben, M.d.F. IV, 13 déc. 1817. fi Cf. sur les hostilités russo-turques éventuelles et les questions allemandes, Bénaben, M.d.F. IV, 18 oct. 1817. Pour le reste, cf. M.d.F. IV, 25 oct.
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L'ÉCOLE LIBÉRALE SOUS LA RESTAURATION
Russie songerait-elle à une confédération européenne 6? Un congrès de monarques dont Bénaben annonce l'éventualité au mois de février 1818 ne risque-t-i1 pas, par l'association de l'Espagne, à fausser l'optique des problèmes européens? Pense-t-on y trouver la solution à l'imbroglio de l'Amérique du Sud? Il n'appartient plus à l'Ancien monde de régler le sort du Nouveau. A moins qu'il ne s'agisse d'un ancien ou nouveau traité contre la France 7? Ce n'est que vers la fin du mois de mai que la Minerve sera en mesure d'annoncer la convocation probable du congrès pour le Illois de septembre 8. Enfin, dès la troisième semaine de septembre, Pagès peut faire état des nouvelles qui parviennent à la Minerve au sujet du congrès d'Aix-Ia-Chapelle. Certaines puissances ont voulu imposer à la France des conditions excessivement dures, mais Richelieu a su recourir à l'amitié d'Alexandre et persuader peut-être Wellington. Le président du Conseil français s'est efforcé de reculer les époques des paiements alors que le roi de Prusse a tenu à faire avancer les dates aux, quelles la France serait tenue de verser aux Alliés les dommages de guerre. Les termes de l'évacuation de la France par les différents corps alliés ont été fixés. Fixé aussi est l'itinéraire d'Alexandre et du souverain pruss;ell cn direction de Paris tandis que l'Empereur autrichien et les ministres allemands vont s'attarder à Aix-la-Chapelle pour traiter de la Diète 9. Ce ne fut qu'une fausse alerte. Bien que plusieurs questions aient été soulevées au Congrès, la seule résolue a été celle de la France. Et, Pagès, en citant le correspondant du Times, soulignera avec lui le maintien de l'ancien traité entre les quatre alliés, quoique la France ait été invitée il établir avec eux un concert diplomatique 10. La libération de la France scelle l'épisode sanglant des Cent-Jours
et rejoint pour l'essentiel l'œuvre du Congrès de Vienne tout en aggra, vant ses conséquences pour les vaincus. C'est une bonne occasion pour Tissot de se pencher sur la situation politique de l'Europe, en marge de l'ouvrage du polygraphe Pradt, auquel il rend hommage malgré des incxactitudes de détails et un art défectueux de la composition 11. Pour Pradt comme pour Tissot l'invasion de la France en 1815 est à imputer aux Alliés. Lorsqu'on met en balance les responsabilités respectives des pays européens, on trouvera que les puissances ont violé davantage le~ traités depuis la seconde lIIoitié du dix-huitiéme siècle que ne l'a fait la France révolutionnaire et impériale. Toujours est-il que le système Cf. Bénaben, M.d.F. IV, 22 oct. 1817. 7 Cf. Bénaben, M. 1 (2), 16 fév. 1818. 8 Cf. Petit bu/Min, M. II (-1), 24 mai 1818. li Cf. Pagès, Congrès d'Aix-la-Chapelle, M. III (12), 21 août 1818; cf. l'galement les Lettres sar l'Allemagne de [Harel] qui donne des détails sur les tentatives de la Prusse et de l'Angleterre à retarder la libération de la France ou à la rendre plus onéreuse, projet que la défection de l'Autriche et son adhésion à la position d'Alexandre a rendu irréalisable, M. IV (9), 30 déc. 181S et M. V (D), 2 avril lR19. Ces révélations ont attiré sur la Minerve les foudres de Metternich, cf. supra, ch. 1"', p. 26-27. ~" u. t'ages, COllgres U Rlx-w-Chapel/e, M. IV (1 et 5), 3 nov. et 6 aec. 11l1~. I l Le titre de l'ouvrage porte, L'Europe après le congrès d'Aix-la-Chapell~, faisant suite au congrès de Vienne. 6
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POLITIQUE MONDIALE
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napoléonien eût mieux valu pour la sécurité de l'Europe que l'édifice fragile mis en œuvre par les Alliés, plaçant la Russie sur l'Oder et livrant les mers et le commerce à l'Angleterre. La Prusse n'a rien gagné par des agrandissements que la réunification de la Pologne pourrait remettre en question. Voisine de la France et de la Russie par ses nouvelles frontières, elle ne saurait s'appuyer sur la première contre une invasion du Nord et une alliance avec l'Autriche n'est pas sans danger pour l'avenir de la Prusse en Allemagne. La confédération napoléonienne du Rhin aurait ouvert d'autres perspectives à la France et à l'Allemagne. pmmensité de son territoire assure il est vrai à l'Autriche de grandes ressources, mais l'asservissement de l'Italie que la France avait quelque peu associée à sa politique entache gravement sa position morale. Du moment que la Turquie ne joue plus de rôle prépondérant en Europe, que iil Suède et le Danemark restent dans l'ombre, que le Poriugal est englouti par le Brésil et que l'Espagne se meurt, l'Europe reste à la merci du colosse russe, implanté en plein continent, et du colosse britannique dont l'ambition effrénée et perfide s'est forgé un empire éphémère sur les océens. Tissot ne partage pas toutes les vues de Pradt. Il est loin de croire avec l.\li que les Pays-Bas résistent aux divergences qui dressent les unes contre les autres des populations hétérogènes. Il ne craint guère qu'un Tamerlan (usse détruise un jour la civilisation, car l'Europe pénètre à son tour les steppes de l'Asie. Mais il est fermement persuadé avec lui qu'il appartient à la France de rétablir l'équilibre en Europe et qu'elle aurait tout avantage à se mettre à la tête d'une ligue maritime antianglaise, en étroite union avec les deux Amériques. Dans l'affrontement des jeunes EtatsUnis et de l'Angleterre, un avenir chargé de promesses victorieuses est r~servé aux premiers dont les ressources et les avantages sont manifestes. L'immense empire britannique représente l'exploitation honteuse du monde au profit de quelques individus et au détriment du peuple anglais, victime d'une grande misère. Nul doute que l'Amérique du Nord ne finisse par s'emparer du Canada, de l'Acadie et de Terre-Neuve 12. En attendant, la politique inquisitoriale et absolutiste de Ferdinand VII lui a valu la perte d~ l'Amérique espagnole, des Florides au profit des Etats-Unis et peut-être son pouvoir aussi par la révolte qui sourd dans le corps expéditionnaire 13. Si l'équilibre du Nouveau Monde est en train de se faire dans le sens de l'avenir, celui de l'Ancien risque de se disloquer par les voies inconstitutionnelles que les souverains s'empressent d'adopter. Le projet caressé par Alexandre de réunifier la Pologne, dresse contre lui l'Autriche et la Prusse, décidées à défendre la Galicie et le duché de Posen. En fin septembre 1819, les bruits persistent d'une guerre imminente et de la 12 Cf. Tissot, c.r., M. V (3), 19 fév. 1819 et Pagès, De la fermentation de l'Europe, M. VII (7), 19 sept. Déjà dans son c.r. de l'ouvrage allemand d" Lamezan, L'Allemagne fédérative considérée dans ses rapports avec l'EI/rope, Pagès a souligné avec l'auteur la nécessité pour l'Allemagne de se rapprocher de la France, nr le véritable danger se trouve du côté russe, et l'a critiqué quant au partage de l'Allemagne entre deux zones d'influence, prussienne et autrichienne, M. Il (7), 15 juin 1818. . 13 Cf. Pagès, De la fermentation de l'Europe, art. cit.
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L'ECOLE LIBERALE SOUS LA RESTAURATION
pression que l'Autriche aura exercée à Paris pour associer la France à une alliance contre la Russie 14. Gouvernants et gouvernés sont unanimes à faire déboucher la politique sur l'enjeu constitutionnel et la liberté semble dicter les positions comme les réactions. Il n'y a que la peste qui échappe parfois aux emprises idéologiques. La fièvre jaune fait des ravages aux Antilles et en Angleterre, le typhus en Suisse, en Sicile et en Italie, en Irlande et en Angleterre, la lèpre en Afrique du Sud et la peste tout court à Alger 15. En quête de stabilité et de paix, l'Europe, après les immenses efforts qu'elle avait fournis dans un élan magnifique pour abattre Napoléon, aspire à la liberté depuis le congrès de Vienne. La liberté eOt dO inspirer une politique commerciale sans entraves ni prohibitions et l'accorder avec les besoins comme les possibilités de l'ère industrielle. Les bonnes récoltes de l'année 1817, les défrichements persévérants, les fermes modèles qu'on multiplie et les canaux qu'on inaugure résistent mal a un système douanier périmé 16. L'indépendance de l'Amérique espagnole ouvrirait de vastes marchés à l'Europe et non seulement à l'Angleterre 17 qui poursuit ses avantages commerciaux du côté de la Sicile et de la Chine 18. Mais le commerce est stagnant à cause des prohibitions en Suède, au Portugal, en Espagne, en Allemagne et ailleurs. Industrie libérale et industrie monopoliste s'opposent. Il est temps qu'on se fasse à l'idée d'une liberté qui motive tout, la politique comme les arts, la pensée comme l'industrie 19. N'est-ce pas le manque de liberté sur le vieux continent et le message libertaire du Nouveau Monde qui expliquent la ruée de l'Europe vers l'Amérique? Que les Etats-Unis le fassent consciemment ou involontairement, le fait n'en del:leurc pas moins vrai qu'ils soutirent à l'Europe ses forces les plus vives. Et ce n'est certes pas par des interdictions qu'on viendra à bout d'une émigration chaque jour plus inquiétante. La patrie n'aura de sens que le jour où l'Europe jouira d'institutions adéquates 20. La tournure grave que les émeutes antijuives ont prise en Allemagne à l'automne 1819 est due aux préjugés obscurantistes de la populace, préventions favorisées par des régimes absolutistes et théocratiques. En prononçant un plaidoyer fervent en faveur des persécutés, Pagès ne fait que défendre la cause de la liberté 21. La question épineuse des Barbaresques qui préoccupe les têtes couronnées de l'Europe ne saurait être résolue sans une franche entente enirc les puissances, assiégées par les réclamations de leurs res14 Cf. Dumoulin, M. VII (8, 9 et 10), 25 sept., ùébut et 10 oct. 1819; il revient à la charge, M. VIII (11), 15 janv. 1820, faisant état ùes hruits sur un traité d'alliance offensive et défensive entre la France, l'Autriche et l'Angleterre. 1., Cf. Bénaben, M.d.F. Il, 17 et 31 mai, M.d.F. III, 19 juillet et 16 août, M.d.F. IV, Il, 18 et 25 oct., 15 nov. 1817. lU
Cf. Bl'naben, M.d.F. III, 16 août 1817.
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Cf. le Bachelier de Salamanque, M.d.F. l, 15 fév. 1817.
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Bénaben, M.d.F. Il, 17 mai Bénaben, M.d.F. Il, 17 mai Bénaben, M.d.F. IV, 4 oct. Pagès, De la fermentation
et M.d.F. IV, 18 oct. 1817. et M.d.F. Ill, 26 juillet 1817. 1817. de l'Europe, M. VII (7), 19 sept. 1819.
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sortissants et davantage intéressées à remonter le courant libéral 22. Le plaidoyer émouvant de Benj amin Constant en faveur de l'abolition de la traite des nègres qu'il étaie par des chiffres tirés du treizième rapport de l'Institution africaine de l'Angleterre, se situe lui aussi dans une optique qui identifie les institutions censitaires avec la dignité humaine 23. C'est surtout le sens de l'évolution politique de l'Europe qui importe aux yeux d'une équipe qui livre en France une guerre sans merci aux partisans de l'ancien ordre de choses et qui à partir du congrès d'Aix-laChapelle pressent que la pesée réactionnaire risque de l'emporter partout sur les aspirations de la bourgeoisie. Le congrès de Carlsbad dont les intentions se précisent au cours de l'été et de l'automne 1819, provoque les réactions violentes de la Minerve. Les rédacteurs sont unanimes à montrer l'Europe partagée entre les forces féodales périmées et les forces constitutionnelles montantes. Ils y voient une nouvelle ligue de privilégiés contre les peuples, à laquelle, et contre leurs intérêts, les souverains se sont malheureusement associés. L'avenir réside du côté des institutions parlementaires en voie de consolidation malgré les apparences trompeuses d'un retour au passé. Plus qu'un bouleversement national, la Révolution française est un mouvement européen, rejoignant la Réforme et à travers celle-ci l'aube du Christianisme. En insistant sur l'universalité et la nécessité de la Révolution selon la pensée de Pradt 24, Tissot, s'inspirant de la ligne politique définie par Beni amin Constant et suivie également par Pagès, Dumoulin, Alexandre de Lameth et Harel, tient à persuader les gouvernants que l'avenir appartient aux monarchies limitées et qu'il est de leur intérêt d'accorder les constitutions tant réclamées au lieu de se les voir imposées. Les annales des Tudors comme des Stuarts, celles des Etats-Unis et de la Révolution ont abouti à des bouleversements significatifs. Les graves persécutions qui sévissent en Allemagne, à la veille et à la suite des décrets de Carlsbad, contre les patriotes de 1813, et la pression exercée sur les Etats allemands réformistes, la question épineuse d'une Pologne partagée et d'une Italie asservie, celle de l'Espagne théocratique et absolutiste se situent toutes sur le plan universel de la lutte entre les partisans des voies constitutionnelles et les adeptes des régimes réactionnaires. L'immobilisme de l'Autriche s'aggrave par les mesures arbitraires qu'elle pratique dans les nouveaux territoires qu'elle a annexés. La Suède même n'échappe pas aux tentatives nobiliaires d'écarter Bernadotte du trône. Enfin l'Angleterre, au mythe libertaire si répandu, risque 22 Pour l'actualité du problème de la piraterie, cf. le Bachelier de Salamanque, M.d.F. l, 15 fév. 1817. Bénaben, M.d.F. 111,26 juillet (résultats douteux de l'expédition anglaise contre Alger) et M.d.F. IV, 18 oct. et 15 nov. ; Pagès, M. III (12), 21 août 1818 (la question a été soulevée au congrès d'Aix-IaChapelle). 23 Cf. B. Constant, c.r. de la brochure, De la traite des nègres au Sénégal, extrait du treizième rapport des directeurs de l'institution africaine, lu à la réunion générale de cette institution le 24 mars 1819, M. Vil (3), 21 août. Négociations au sujet de la traite entre un envoyé du cabinet britannique et le Ministère de la Marine en France, Dumoulin, M. Vil (II), 17 oct. 1819. 24 Congrès de Carlsbad, c.r. par Tissot, M. Vil (11), 17 oct. 1819.
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L'ECOLE LIBERALE SOUS LA RESTAURATION
de voir son opposition respectable joindre les radicaux dans un vaste mouvement de réclamations, étayé par des rassemblements populaires inquiétants. Si les promesses du Congrès de Vienne avaient été tenues et l'attente des peuples remplie, l'Europe ne serait pas devenue un champ d'activités qu'on proclame subversives. Est-il étonnant de voir les « cons:" pirations» de Grenoble et de Lyon suivies à point nommé en Allemagne et en Angleterre par d'autres complots pour justifier une politique de répressions rigoureuses 25? La Minerve ne désespère pas en 1819 de voir sa cause l'emporter sur ce qu'elle croit être la coalition européenne des privilégiés. Déjà les hésitations qui ont marqué la nouvelle réunion des souverains à Vienne, à la fin de 1819, et l'impasse à laquelle elle semble avoir abouti préfigureraient un retour sur la politique réactionnaire 28, Déjà les grondements de la révolution espagnole viennent apporter, au début de 1820, un démenti cinglant aux prétentions des féodaux et une leçon édifiante à l'aberration des souverains et de leurs ministres 27.
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L'ANGLETERRE.
Benjamin Constant, Jouy, Jay, Tissot, Aignan ,Saulnier fils, Pagès ou Dumoulin peuvent différer quant au degré d'admiration et de réprobation qu'ils professent pour les libertés anglaises, mais ils sont unanimes-à reconnaître les bienfaits historiques de l'héritage libertaire des Iles britanniques. Le mythe forgé en partie par Voltaire et Montesquieu n'aveugle pas les rédacteurs au point de leur faire confondre politique intérieure et politique extérieure. Les lendemains de 1814 et, à plus forte raison, ceux de Waterloo ont éclairé d'un jour inquiétant sinon lugubre l'impérialisme commercial et politique de la Grande-Bretagne 28. Tout autant sinon davantage paraît menaçante pour l'ordre européen la crise gigantesque du machinisme qui a remis en question le système politique tout entier de l'Angleterre. C'est Benjamin Constant, avec sa connaissance intime de l'Angleterre et sa lucidité pénétrante, qui fera le point de la crise en Angleterre, l'éclai~ rant par des projections sur le passé et des prévisions d'avenir. La guerre ~:; Cf. B. Constant, De l'état de l'Europe sous le point de vue constitutionnel, M. VI (3), fin juillet ct M. VII (2), 15 août 1819; Pagès, De la fermentation de l'E/lrope, M. VII (5 et 7), début et 19 sept. ; Tissot, c.r. cit. ; Dumoulin, M. VII (II), 17 oct. ; Alexandre de Lameth, Sur la eirculaire attribuée à M. le comte Bernstorf [sic], M. VIII (4),27 nov. IHI9 ; Harel, Politique étrangère, M. IX (7), 17 mars 1820. ~H Cf. Dumoulin, M. VII (13), M. VIII (7 et Il) et M. IX (9), fin oct. et 20 déc. IHI9, 15 janv. et 27 mars 1820. 27 Cf. Harel, Politique étrangère, art. cit. ~8 Symptomatique des craintes des rédacteurs cst l'attitude ambivalente de Pradt, joignant à une admiration d'envoûtement pour la constitution anglaise
une haine tenace à l'endroit de l'impérialisme sans scrupule d'Albion. Cf. Tissot, c.r. des ollvrages de Pradt, l'Europe après le congrès d'Aix-Ia-Chapel/e et l~ Congrès de Carlsbad, M. V (3 et 10), 19 fév. et 10 avril 1819, et M. VII (11), 17 oct.
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tenace que l'Angleterre a menée contre la France, les alliés et les vassaux de celle-ci explique la prospérité contre toute attente d'un pays qui a axé toute son industrie et toute son activité sur la guerre. D'autre part, c'est également la victoire que l'Angleterre a remportée sur Napoléon qui se trouve à l'origine de sa crise économique. L'arrêt des industries d'armements a causé une misère accablante et les impôts de plus en plus écras.ants ont mis les classes aisées dans une position fâcheuse. Evoquant la crise des années 1814-1816, Constant rappelle que « les plus riches particuliers ,écrasés d'impôts, étaient matériellement hors d'état d'y faire face ; le peuple était sans ouvrage; les classes nourries d'ordinaire par les riches, étaient repoussées par eux simultanément, et restaient dénuées de toute ressource. Paysans, agriculteurs, fermiers, domestiques, artisans, ~taient réduits aux extrémités les plus désastreuses 29 lt. L'Angleterre en 1818 semble avoir surmonté la crise, mais il reste à savoir si les effets d'ordre social du marasme économique ne risquent pas de bouleverser le système politique. Des rapprochements sommaires avec l'organisation sociale en vigueur sur le continent et notamment avec la France font oublier le caractère éminemment aristocratique et spécifique de celle de l'Angleterre. « D'immenses propriétés réunies dans les mêmes mains, des richesses colossales accumulées sur les mêmes têtes, une clientèle nombreuse et fidèle, groupée autour de chaque grand propriétaire, et lui consacrant l'usage des droits politiques qu'elle semble n'avoir reçus constitutionnellement que pour en faire le sacrifice; enfin, pour résultat de cette combinaison, une représentation nationale, composée, d'une part, des !!alariés du gouvernement, et, de l'autre, des élus de l'aristocratie: telle .a été l'organisation de l'Angleterre jusqu'à ce jour 80. » Les libertés politiques et religieuses éclairent une longue évolution constitutionnelle au cours de laquelle l'aristocratie anglaise a lié en partie sa cause avec la nation contre la royauté absolutiste. C'est un fait qui ressort de la conquête de la Grande Charte malgré les caractéristiques féodales de celle-ci 31. C'est le fait aussi de la nouvelle aristocratie issue des révolutions de 1649 et 1688. Cromwell ne représente qu'un moment dans une révolution qui alait aboutir à la Restauration et à la constitution d'une monarchie limitée par la suite. Les similitudes avec le déroulement de la Révolution française et de la carrière napoléonienne ne devraient pas en faire oublier les dissemblances. L'aristocratie anglaise a contribué à l'istitution de l'égalité politique et la Révolution française à celle de
B. Constant, De l'Angleterre, M. Il (1), 6 mai 1818, p. 44. Ibid., p. 45. Dans son appréciation des Considérations de Mme de Staël, B. Constant condamnera vigoureusement le pourrissement du système représentatif de l'Angleterre, M. Il (7" 15 juin 1818, p. 323 sq. i cf. également de Constant, De l'état de l'Europe SOIIS le point de vue constitutionnel, M. VI (13), fin juillet 1819. V. aussi les jugements portés par Bénaben et par Saulnier fils qui témoignent à cet effet d'une vue largement partagée par le camp libéral, M. 1 (1) et M. Il (3 et Il), début fév., 20 mai et 15 juillet 1818. 31 Cf. Aignan, De l'établissement des chartes anglaises, M. VIII (11), 15 janv. 1820 et B. Constant, De l'Angleterre, art. cit. 29
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l'égalité sociale 3~. Dès 1688, une partie de l'aristocratie anglaise est associée à l'opposition et se concilie par là l'affection des classes inférieures qu'elle patronne. D'où un contexte de rapports en Angleterre différent de celui qui en France a mis aux prises bourgeoisie et noblesse féodale 33. ,Cependant, le patronage aristocratique s'est vidé de son sens lors de la crise de 1814. Dès que la noblesse n'a plus été en mesure de maintenir ses charges, la clientèle séculaire de celle-ci a changé d'attitude. Fermiers et anciens domestiques ne se croient plus de devoirs envers leurs anciens patrons. L'aristocratie libérale ne ressent plus de ferveur pour la caus~ de l'opposition dès lors que la menace d'un bouleversement social nourrit ses cauchemars. Le changement du climat moral, consécutif à la crise éco.: nomique, a rompu l'équilibre social. L'opposition se déplace du côté whig par un muuvement de réforme radicale, réclamant des parlements annuel!!· et le suffrage universel 34. ' Benjamin Constant n'est pas le seul à souligner la gravité de la situation en Angleterre. Bénaben, Saulnier fils, Pagès et Dumoulin insistent à l'envi sur l'acuité de la crise économique 35. Sur le plan gouvernemental, la crise se traduit par une dette flottante engageant les générations future~ et imposant au pays le paiement d'immenses intérêts 36, d'où la nécessité de recourir constamment à de nouveaux emprunts 37, de songer à des économies 38 et de réduire la dotation des enfants de la famille royale 39. Les taxes pour les pauvres et les impôts font une ascension vertigineuse ~
32 Cf. Jay, c.r. de l'ouvrage de Villemain, Histoire de Cromwell, M. VI (12) et M. VII (3), 24 juillet et 21 août 1819 et B. Constant, c.r. de l'ouvrage de Sauquairc-Souligné, Trois règnes de ['histoire d'Angleterre, M. VI (I2), 24 juillet. 33 Cf. B. Constant, De l'Angleterre, et Saulnier fils, M. Il (11), 15 juillet 1818. :14 Cf. B. Constant, art. cil. 35 Cf. Bénaben, M.d.F. Il, 17 mai et 21 juin 1817 ; Bénaben et Saulnier fils, M. 1 (l, 2), M. 1\ (1), et M. 111 (4), début et 16 fév., 6 mai et fin août 1818: Dumoulin, M. VII (13), fin oct. 1819. M. Il (1) souligne les dimensions inquiétantes de l'émigration des familles riches et pauvres. :16 Cf. Bénaben, M.d.F. IV, 18 oct. 1817, M. 1 (1), début fév. 1818; Saulnie~ fils, M. 1\ (1 et 8), 6 mai et 25 juin; Pagès, M. V (7), 17 mars 1819. 37 Cf. Bénaben, M.d.F. Il, 28 juin 1817 ; Saulnier fils, M. Il (4), 24 mai 1818. 38 L'assurance donnée par Liverpool, président du Conseil, que les troupes d'occupation en France n'impliqueraient pas de dépenses pour le fisc anglais et l'insistance de l'opposition pour réduire les troupes témoigne d'une préoccu. pation commune, bien que pour dcs raisons différentes, Bénaben, M. 1 (5), 7 man; 1818; la déclaration de Castlereagh que les prêts des ressortissants anglais à l'étranger ne seront plus garantis relève du même ordre de préoccu~ pation, Pagès, M. V (7), 17 mars 1819. 3U Cf. Saulnier fils, M. Il (1), 6 mai 1818 . •" La taxe en Angleterre pour les pauvres rapportait en 1776 1 million et dcmi de L.S., elle se chiffre actuellement par 5 millions, Bénaben, M.d.F. lIl, 30 août 1817; ailleurs, il cite le chiffre de 10 millions pour l'année 1816, M.d.F. IV, fi déc:. Au lieu de gonfler les taxes, il vaudrait mieux adopter le plan d'Owe:l en l'améliorant et c:onstituer de petites propriétés à l'intention des pauvres, Bénaben, M. 1 (2), 16 fév. 1818. L'humanité ne peut qu'applaudir au projet de Liverpool de limiter le nombre d'heures de travail des enfants, mais il reste â savoir si la misère y trouvera son compte, Saulnier fils, M. 1\ (3), 20 mai 1818. Les impôts ont doublé depuis 10 ans, Bénaben, M.d.F. III, 27 sept. 1817.
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et les abus aussi 41. Le nombre de mendiants, de vagabonds, de délinquants et surtout de condamnations pour la fabrication de la fausse monnaie accusent également un essor symptomatique 42. La bourse interprète à sa manière la situation en procédant au jeu de bascule des fonds 43. Si l'industrie semble surmonter la crise 44, le commerce maintenir ses positions et même les améliorer 45, l'état des classes ouvrières ne fait qu'empirer. On sait ce que la révolution industrielle en Angleterre a impliqué comme déplacements de masses et comme souffrances. Le Mercure enregistre les motions en faveur des déshérités ainsi que le projet spartiate d'Owen de former des collectivités agricoles 45 bl'. Rien d'étonnant à ce que cette misère ait provoqué sporadiquement d'immenses rassemblements et que bourgeois et prolétaires se soient réunis à l'occasion pour protester contre la détresse universelle. Rien d'étonnant non plus à ce que ce vaste mouvement d'ordre social ait revêtu des formes polit~ques et se soit traduit par une sorte de radicalisme, soucieux de balayer, en apparence légalement, un régime aristocratique en plein pourrissement 45 ter. Qu'une
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42 La délinquance juvénile: en 1813, 62 enfants ont comparu devant les tribunaux; 98 en 1814; 146 en 1815 et 1.613 en 1816, Bénaben, M.d.F. JII, 19 juillet 1817; 50.000 vagabonds parcourent le royaume dans tous les sens, Bénaben, M.d.F. III, 20 sept. ; on compte 20.000 mendiants à Londres, Bénaben, M.d.F. IV, 15 nov. ; les emprisonnements et les condamnations ont augment!'; en 1817 par rapport à 1811 dans la proportion de 5 à 2; depuis le début de 1812 on a présenté à la banque ùe Londres pour 4.253.828 fr. de faux billets et en 1817, on a prononcé 163 jugements contre de faux-monnayeurs, Pagès, Petit bulletin, M. Il (5), début juin 1818. Depuis 1789 jusqu'au 1er janv. 1817, 30.472 personnes ont été traduites devant les tribunaux pour crime de fabrication de fausse monnaie, Pagès, M. V (7), 17 mars 1819; 129 faux-monnayeurs pendant 3 mois, Pagès, Petit bulletin, M. Il (4), 24 mai 1818; des dénonciateurs incitent de pauvres types à la fabrication de faux, Bénaben, M, 1 (6), 13 mars; pour moins de rigueur dans les condamnations pour faux, Bénaben, M,d,F. IV, 20 déc. 1817. 43 Cf. Bénaben, M.d.F. III, 5 et 19 juillet, 2 et 9 août, 6 et 20 sept. 1817; M.d.F. IV, Il, 18 et 25 oct., 15 et 29 nov., 20 déc. ; M. 1 (7), 21 mars 1818. 44 Cf. surtout Bénaben, M.d.F. IV, 25 oct. et 15 nov. 1817. 45 Prospérité du commerce anglais, difficultés en Italie et surtout en Allemagne, Bénaben, M.d.F. IV, 4 et 18 oct.; pertes énormes de Lloyd à la suite de la prise des galions par les Indépendants, Bénaben, M.d.F. III, 6 sept. L'Angleterre revient à la prohibition et opposition à ce système, Bénaben, M.d.F. III, 12 juillet et 30 août; contrebande anglaise dans le port d'Archangel et des soieries françaises en Angleterre, Bénaben, M.d.F. III, 27 sept. et M.d.F. IV, 4 oct. 1817; projet d'un traité de commerce avec la France, Dumoulin, M. VIII (11), 15 janv. 1820. 45 bl • Motion pour régler les pensions et assurer le travail des pauvres, Bénaben, M.d.F. II, 31 mai 1817; les méfaits du machinisme, Bénaben, M.d.F. Il et III, 14 juin et 12 juillet; les grèves, Bénaben, M.d.F. IV, 15 nov. ; Saulnier fils et Pagès, M. III (4), et M. IV (4), fin août et 20 nov. 1818; le projet qu'Owen a présenté au Parlement, Bénaben, M.d.F. III, 23 août 1817. 45ter Rejet de la motion de Burdett en faveur de la réforme parlementaire et projet de Brougham de présenter une semblable le 10 juin, Bénaben, M.d.F. II, 31 mai 1817; rassemblements partout en Angleterre, la bourgeoisie se joint au prolétariat, Bénaben, M.d.F. Il, 21 juin; le mouvemeI)t de réforme bat en retraite, Bénaben, M.d.F. III, 5 juillet; la multitude est calme, ibid., 20 nov. ;
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fraction des Whigs se soit ralliée à la cause des Hunt et des Cobbett, n'est que trop naturel 46, autant que le front commun formé par l'aristocratie tory et l'oligarchie bourgeoise contre les soulèvements populaires, particulièrement lors des élections, réclamant le suffrage universel et une Chambre élue annuellement 47. L'opposition est bien restée fidèle à sa tra~ dition libérale et a milité contre la suppression des libertés individuelles, surtout contre la révocation provisoire de l'Habeas corpus 48, les emprisonnements arbitraires, les condamnations sévères et le recours ignoble Vaudeville en lin acte de Balisson de Rougemont et T. Sauvage, joué ilU Thl'âtre du Vaudeville le 18 oct. lRl7. Cf. SS., M.d.F. IV, 22 nov, 1817. 1:0 La AlaT/il' des f{randellrs, comédie en 5 actes et en vers d'Alexandre Duval. jOllée au Théâtre Français le 21 oct. H!17. Le critique anonyme formule quelq~les réserves quant à l'action et quant au comique déclencbé uniquement par lks portraits satiriques -, mais par ailleurs il loue le sujet et la simplicit.! de J'artin!l comme l'interprétation de Mlle Mars, Dupuis, Baptiste aîné et Dama,,- .\1.d.F. IV, 25 oct. IHl7. Aignan, en revenant sur la pièce, la classe au premier rang des œuvres de Duval et exprime le vœu que son théâtre de caractère réponde aux exigences du style. Œuvre réussie à tous les égards, elle consacre également le lihéralisme de l'auteur, Galerie [ ... ], M. 1 (3), 22 fév. 1818. li est fort naisemblahle qu'Aignan ait écrit également 'la première critique anonyme, 1'-,1 Comédie en trois actes et en vers dont Gosse a changé le titre en la Crainte de l'opinion. Elle fut jouee au Théâtre Français le 15 avril 1818. Si Latouche en IOlle le sujet, il critique par contre le caractère du personnage principal ainsi que l'abondance d'incidents secondaires, Annales dramatiques, M.l (II), 19 avril 1818. 1:," Le Sollicitellr 011 l'art d'obtenir des places comédie-vaudeville en un acte et en prose de Scrihe, Dupin, Imbert, Varner et Delestre-Poirson, jouée au Théâtre des Varil,tés le 7 avril 1817. La pièce fut d'abord annoncée sous le titre de l'Aspirant. Le Mercllre en loue la malice et la vérité, l'art avec lequel l'intrigue est menée ainsi que la vivacité du dialogue, M.d.F. Il, lU avril 1817. Cf. également Latouche, Annales dramatiques, M. 1 (2), 16 fév. 1818.
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un type que tous les régimes connaîtront. Les idées inconstitutionnelles exprimées dans le Luthier de Lubeck provoqueront la verte réplique du Mercure 153 ainsi que l'Esprit de parti gouvernemental 154, méconnaissant à l'opposition son droit à l'existence. Même l'ingérence des femmes du faubourg Saint-Honoré dans la politique trouvera son châtiment dans les Cumices d'Athènes 155. Qu'il prenne le biais de l'histoire ou qu'il transpose l'actualité, le comique, lorsqu'il épouse la politique, n'en débouche pas moins sur des caractères. Déjà sc dessinent les traits d'une société fortement embourgeoisée. Le Parvenu, le Sulliciteur, le fonctionnaire Susceptible ainsi que le Médisant 156 de Gosse ou l'Egoïste par régime 157 de Longchamps et Laloue s'ajoutent au fonds comique du passé et annoncent bel et bien le théâtre de Scribe ou d'Augier. Cette évolution est d'autant plus nécessaire que la vigilance de la censure, les exigences des comités de lecture et d'une critique susceptible laissent une marge des plus étroites à la liberté de la comédie. Tableaux de mœurs et ébauches de caractères se mêlent, se juxtaposent ou se suivent, non sans que des allusions au présent ne percent ici et là. Andrieux dans la Comédienne 1;'8 et Casimir Delavigne dans les Comédiens 159 s'attachent tous les deux aux mœurs du théâtre, tout en combattant les préjugés. D'autres auteurs ont recours au fonds traditionnel de la ruse intéressée des Normands pour mettre aux prises l'avarice et un projet de mariage 160 ou déroulent un complot fomenté pour enfermer un mari berné et mettre la main sur ses biens 161. 153 Comédie en trois actes que Wicks attribue à Barrau, ou à Dieulafoy et à Gersin, jouée et sifflée au Théâtre Français le 27 déc. 1816. Cf. L.F., M.d.F. 1. 5 janv. 1817. 154 Comédie en trois actes et en vers d'Onésyme Leroy et P.-N. Bert, jouée ~. l'Odéon le 22 nov. 1R17. Sifflée en cinq actes, la pièce fut réduite à la 2' représentation à trois. Le MerCllre en critique l'action et les caractères, mais surtout l'esprit de l'Esprit de parti, M.d.F. IV, 29 nov. 1817. Fi5 Les Comices d'Athènes ou les femmes orateurs, comédie-vaudeville en un acte de Scribe et Varner, jouée au Théâtre du Vaudeville le 7 nov. 1817. 55. loue le sujet, mais il formule des réserves quant à l'encombrement de la pièce par les costumes et par le langage grec, M.d.F. IV, 22 nov. 1817. 156 Comédie en trois actes et en vers de Gosse, jouée au Théâtre Français le 23 sept. 1816, L.F., Revue cit. de l'année 1816, qui en loue la force des idées, M.d.F. 1, Il janv. 1817. F,7 Comédie en trois actes et en prose de Longchamps et de Laloue, jouée au Théâtre des Variétés le l,r fév. 1817. L.F., M.d.F. l, 8 fév. 1817, explique l'échec de cette pièce par son comique sérieux, peu adapté aux calembours du boulevard. 158 Comédie en trois actes et en vers, jouée avec succès au Théâtre Français le 23 sept. 1816, L.F., Revue cit. de l'année 1816, M.d.F. 1, 11 janv. 1817. I;;\l Comédie en cinq actes et en vers, jouée avec un très grand succès à l'Odéon le 6 janv. 1820, Dumoulin, M. VIII (II), 15 janv., où il rend un hommage éclatant au génie du jeune poète dont la pièce abonde en heureuses saillies, en traits piquants, en scènes amusantes et dont les vers sont bien frappés et surtout bien pensés. 16" La VendanKe normande ail les dellx voisins, vaudeville en un acte de Gentil, D.-A.-F. et P.-J.-L. Barrière, joué au Théâtre des Variétés le 2/l mars 1817. Le Merc1lre reproche à la pièce son manque de gaieté, M.d.F. l, 22 mars. 161 Le Complot domestique ou le maniaqlle supposé, comédie en trois actes et en vers de Lemercier dont le sujet a été emprunté au Mariage extravagant
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La folie à la mode pour les montagnes russes, aménagées au Bois de Boulogne, se poursuit sur la scène, accompagnée d'un chirurgien et d'un médecin 162. L'habileté de certains établissements parisiens pour attirer chez eux une nombreuse clientèle afin de la dépouiller par les jeux de son argent est spirituellement critiqué dans un à propos 163. Avec plus ou moins de bonheur se dessinent des traits de caractère appelés dans la plupart des cas à une courte survie. Piètre personnage que celui du Faux Bonhomme de Lemercier et dont la chute au ThéâtreFrançais a rapidement fait justice 164. Une verve endiablée et une certaine amoralité avaient assuré aux Deux Philibert de Picard un succès facile 165. Ce ne sera guère le cas de la Suite des Deux Philibert, montrant l'évolution d'un mauvais sujet 166, et guère mieux celui de l'Ami Clermont de Marsollier, couronnant la dissipation d'un jeune homme par le mariage avec une veuve 161, ni celui d'un ivrogne de prince à qui Bacchus fait commettre les pires des folies 168. Une fortune bien différente sera réservée au brave marchand Calicot, pris, après la paix, de passion belliqueuse. Avec esprit et pénétration Scribe et Dupin ont monté en scène ce travers 169, mais la pièce a donné lieu à des rixes homériques et les auteurs ont profité de l'occasion pour défendre brillamment leur thèse 110. La comédie peut toujours se rabattre sur les thèmes intarissables de l'amour et du mariage, bien que le critique de la Minerve pense que les de Désaugiers et Valori comme à d'autres pièces plus anciennes. La pièce de Lemercier se distigue par un gai comique et un caractère original, mais elle contient également des invraisemblances choquantes et s'exprime souvent dans des vers bizarres, M.d.F. lll, 21 juin 1817. 16~ La Folie Beaujon ou une heure avant l'ouverture, scène épisodique en un acte de Delestre-Poirson et Désaugiers, jouée au Théâtre du Vaudeville le 10 juillet 1817. Si la gaieté se fait rare dans ce vaudeville, quelques couplets bien tournés, la jolie voix de Mlle Lucie et un nouveau décor constituent un appoint précieux à la faiblesse de la pièce, M.d.F. III, 26 juillet. 163 Le Bal à la mode, à-propos en un acte et en prose de Fontanes de Saint-Marcellin, joué à l'Odéon le 7 fév. 1818, Latouche, Annales dramatiques, M. J (5), 7 mars. 164 Comédie en trois actes et en vers, jouée le 25 janv. 1817 au Théâtre Français, à l'occasion de la retraite de Mlle Emilie Contat. 165 Comédie en trois actes et en prose, jouée à l'Odéon le 10 août 1816, L.F., Revue cil. de l'année 1816, M.d.F. J, Il janv. 1817. Hi'; Comédie en trois actes et en prose, de j.-c. Moline et Lallemand, jouée à l'Odéon le 4 fév. 1817. 167 Comédie posthume en trois actes et \.'n prose, jouée d'abord à l'Opéra le 2-1 fév. et après son échec, au Théâtre Français le 26 fév. 1818. Thème banal, c'est grâce à quelques détails et à l'interprétation de Mlle Mars, Fleury et Michelot que la pièce n'a pas sombré, Latouche, M. J (5), 7 mars 1818. 16S Le Prince en goguette ou la faute et la leçon, comédie-vaudeville en deux actes de Bouilly et Désaugiers, jouée au Théâtre du vaudeville le 21 avril 1817, M.d.F. Il,3 mai 1817. 169 Le Combat des montagnes ail la folie Beaujon, folie-vaudeville en un acte, jouée au Théâtre des Variétés le 12 juillet 1817, M.d.F. III, 26 juillet .:t 2 août. 170 Le Cl/fé des Variétés, prologue-vaudeville, joué au même Théâtre le 5 août, ibid., 9 août 1817.
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grands ressorts du comique sont épuisés et que des effets nouveaux ne peuvent être produits que par d'ingénieux mélanges 171. La Restauration s'avère aussi avide de virginité que de gauloiseries. Les rosières sont toujours à la mode 172, l'infidélité féminine aussi 173. Les séductions 174, les duels passionnels 175 et les veilles matrimoniales 176 se rencontrent aussi souvent que les gestes chevaleresques des Don Quichotte amoureux 177. Les intrigues passionnelles 178 aiment les quiproquos qui mettent aux prises plusieurs candidats au mariage 179 ou un comique larmoyant qui permet aux jeunes couples de surmonter les obstacles et d'offrir aux spectateurs un bonheur béat ISO. La vertu farouche se métamorphose souvent Cf. O., Lettres sur les spectacles, la Fille d'honneur, M. V (9), 2 avril 1819. Les ci-devant Rosières ou trente ans d'absence, çomédie-vaudeville en un acte de Dumersan et Brazier, jouée au Théâtre des Vanétés le 1"' mars 1817. Le Mercure critique vertement cette farce triviale, L.F., M.d.F. l, 8 mars; le Certificat d'innocence, comédie-vaudeville anonyme en un acte, jouée ail Théâtre du Vaudeville le 10 avril 1817, travestit deux paysannes en dames et une veuve en villageoise. Le Mercure ne ménage pas sa critique sévère à l'endroit de telles niaiseries, M.d.F. Il, 19 avril. 173 Les Femmes infidèles ou l'anneau de la reine Berthe, vaudeville en trois actes de Montperlier, joué à la Porte-Saint-Martin, avec très peu de succès, le 27 sept. 1817. 174 Fidélio ou le petit séducteur, vaudeville en un acte de Revel, joué et sifflé au Théâtre du Vaudeville le 27 oct. 1817, SS., M.d.F. IV, 22 nov. 175 Le Duel par la croisée ou le Français à Milan, comédie-vaudeville de Dieulafoy et Gersin, jouée au Théâtre du Vaudeville le 17 janv. 1818. Les représentations furent interrompues à la suite de la maladie de l'acteur Gonthier, Latouche, Annales dramatiques, M. 1 (2), 16 fév. 176 La Veille du mariage ou encore une folie, comédie de Capelle et Gabriel qu'ils ont remise en scène, après des changements, pour remplacer le Duel, Latouche, ibid. 177 Le Chevalier français ou tout pour l'amour, comédie posthume de Monvp.1 en quatre actes et en vers, jouée à l'Odéon le 5 mai 1817. Si le comique de la pièce ennuie, la partie pathétique, par contre, amuse beaucoup, M.d.F. Il, 10 avril. 178 Le Mercure passe sous un silence dédaigneux les Huit lieues à faire comédie-vaudeville d'un acte, composée par un ancien officier et jouée au Théâtre du Vaudeville le 11 mars 1817, M.d.F. l, 15 mars. Si cette comédie n'est qu'une fade intrigue d'amour, Mademoiselle .. * ou le premier chapitre du roman - vaudeville d'un acte joué au même théâtre le 14 juin - , n'est qu'une imitation de l'Heureuse erreur de Patrat. Par contre, le recueil console Désaugiers, Cogey et Poncy [?, d'après Wicks) de l'échec de Huit jours de sagesse, comédie-\'(>1 Cf. supra, n. \01. 202 C'est le cas des Danaïdes, opéra en cinq actes, paroles de Rollet et Tschudy, musique de Salieri, représenté à l'Opéra le 26 avril 1784; Œuvre absurde dont les divertissements, les chœurs et les ballets traduisent les mêmes défauts fâcheux. Spontini a composé la Bacchante, ajoutée au troisième acte. Le Mercure en citant les noms des auteurs évoque les mutilations que RoUet avait fait subir à l'Iphigénie de Racine ainsi que les violences faites à la langue par le seigneur hongrois Tschudy. Eloge, en revanche, de l'interprétation de Mme Branchu et appréciation et critique du décor, M.d.F. IV, 8 nov. 1817. ~03 Ossian ou les bardes, opéra en cinq actes de J.-M. Deschamps et Dercy, musique de Lesueur, joué à l'Opéra le JO juillet 1804, M.d.F. IV, Il oct. 1817. 1f15
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devrait prendre pour modèle la Vestale de Jouy qui inspire un intérêt touchant et une terreur attendrissante 204. C'est le même auteur qui, en réadaptant son Ferdinand Cortez, par le changement d'ordre des actes et l'invention d'un nouveau personnage, a recréé un autre modèle du genre. Grâce et pureté de style, musique suave, divertissements d'une forte originalité, évolutions merveilleuses des danseurs et de la cavalerie, magnificence enfin du décor, tout a concouru à la réussite de l'œuvre 205. Il est à regretter que la critique attache plus d'importance à la musique qu'au texte littéraire, bien que l'écrivain s'astreigne à adapter son œuvre aux nécessités du compositeur et du chorégraphe. C'est là une fâcheuse habitude que le triomhpe de la musique italienne et allemande a irriplantée en France 206. Les mêmes jugements se retrouvent dans la condamnation de Prospérine de Gardel, où les divinités mythologiques usées sont mal compensées par des morceaux de musique appréciables, des danses bien menées, une excellente interprétation des rôles et un décor de Cicéri des plus fastueux ~07. Dieulafoy et Brifaut n'ont pas plus de chance avec leur Olympie - imitation de Voltaire - auxquels le critique reproche en outre leur inspiration ultra ou ministérielle 208. L'opéra pseudo-historique de Guy - Roger de Sicile - où personnages et événements sont créés de toutes pièces - n'offre d'intérêt ni par les paroles, ni par le style malgré le talent déployé par les acteurs et d'excellents morceaux de musique de Berton 20\). Il faudrait se méfier des simplifications excessives. L'opéra-comique ne serait pas à la comédie ce que l'opéra est par rapport à la tragédie. L'ouverture d'esprit des rédacteurs du Mercure se distingue davantage par la continuité que par la rupture brutale avec une poétique révolue. L'opéra-comique est un genre faux sinon bâtard dont les personnages parlent et chantent alternativement. Il ne faudrait y chercher ni un plan logiquement conçu, ni vraisemblance, ni action forte, ni vérité des caractéres: «un sujet susceptible de mouvements et de contrastes, dont la musique est avide; des scènes filées sans autre art, sans autre but que d'amener quelques tableaux; un dialogue vif et rapide dont tout l'artifice consiste à lier entre eux les divers morceaux de chant, telles sont Cf. la critique cit. du Mercure des Danaïdes. Cf. L.F., M.d.F. Il, 31 mai 1817. La musique est de Spontini alors que Gardel a composé les divertissements. Eloge des danseurs Albert et Paul et des danseuses Bigottini, Fanni Bias et Mme Courtin. 200 Cf. M.d.F. 1II, 13 sept. 1817. Eloge de l'interprétation de Lays, de Lavigne et de Mme Albert. 207 Ballet-pantomime en trois actes, musique de Schneitz-Hoffer qui a imité d'ailleurs Catel - , joué à l'Opéra le 8 fév. 1818; éloge de l'interprétation de Mlles Clothilde, Bigottini et Masrulié, Latouche, Annales dramatiques, M. 1 (5), 7 mars. 208 Opéra en trois actes, musique de Spontini, joué à l'Opéra le 20 déc. 1819, Dumoulin, M. VIII (8), 27 déc. 200 Roger de Sicile ou le roi troubadour, opéra en trois actes et en vers, joué à l'Opéra le 4 mars 1817; éloge de l'interprétation de Mme Branchu, de Lais, Dérivis et Nourit, L.F., M.d.P. l, 8 mars 1817. 204 205
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les conditions, pour ne pas dire les règles de l'opéra-comique ~1O. » Avec ces critères raisonneurs en main, le critique peut procéder efficacement à la prospection des œuvres. Si le théâtre Feydeau, l'OpéraComique, s'est signalé au cours de l'année 1816 par une activité débordante, il n'a enregistré de succès que pour quatre pièces sur quatorze. La prose et les vers de Sewrin auraient condamné la Fête du vil/age vuisin à un échec certain n'eût été l'appoint considérable apporté par la musique de Boïledieu 211. C'est le cas également de la Journée aux aventures dont le sujet est des plus appropriés à l'opéracomique. Mais l'incohérence de l'action, le manque de liaison entre les scènes ct d'art dans le style sont largement compensés par le charme de la musique de Méhul 212. Ouvrage de circonstance, Charles de France de d'Artois et Théaulon a survécu au moment qui l'a inspiré grâce à la pureté du style, à la richesse des tableaux et à une musique de choix 213•. Si la manière d'Etienne dans l'Une pour l'autre n'est pas celle de sa Joconde ou de son Jeannot et Colin, elle réunit cependant toutes les qualités pour assurer à la pièce un succès durable 214. Thèmes champêtres, passionnels et historiques se retrouvent dans la production dramatique du Théâtre Feydeau, doublés parfois d'éléments mélodramatiques ou de motifs littéraires. Le MerCllre semble regretter que ce théâtre n'ait pas préservé la tradition de Sedaine qui a su mélanger les scènes et aménager des contrastes finement nuancés entre l'attendrissement et la gaieté 21". Malgré un redoublement d'efforts pour renouveler son répertoire, le théâtre est abandonné par auteurs et acteurs et éclipsé par l'Opéra. Le départ de Martin pour le Midi, son remplacement par Welch ainsi que l'abondance d'œuvres de circonstance expliquent l'état lamentable du théâtre 216. Le retour de Martin et un changement d'orientation dramatique finissent par faire regagner au Théâtre Feydeau la faveur de ses anciens habitués 217. Le Mercure et la Minerve suivent de près les représentations de l'Opéra-Comique, notant en passant les manifestations à la mémoire de Monsigny 218, l'un de ses fondateurs, ou la retraite de Gaveaux 219. La O., Saitc, cit., de la revue théâtrale, M.d.F. J, 18 janv. IHI7, p. 101. Opéra-èomique en trois actes, représenté le 5 mars 1816, ibid. 212 Opéra-comique en trois actes et cn prose de Capelle et Louis Mézières, représenté le 16 nov. 1816, ibid. 21:: Charles dl' France ou amour ct gloire, opéra-comiquc en deux actes, représenté le 1il juin 1816; Wicks cite un troisième auteur, Rancé; le Afereure rend hommage au jeune compositeur Hérold que Boïeldieu a associé à la partie musicale de cette œuvre. ibid. 214 L'une pOl/r l'ol/tre ou l'i'lllèl'Cml'nt, musique de Nicolo, opéra-comique ,'11 trois actes, rep,.ésellté le II mai 1816, ibid. "15 Cf. le c.r. de Wallace, M.d.F. II, 5 avril IHI7. 21" Cf. M.tI.F. III, 23 août 1817. 217 Cf. M.LlY. IV, II oct. 1817. "1' 011 a joué à cette occasion la pièce de Monsigny, Félix et le déserteur; le 111 erCl/re rappelle la contribution de Monsigny à l'Opéra et surtout à l'OpéraComique, M.d.F. J, 25 janv. 1817. "lU On a représenté à cette occasion, le 10 fév. 1818, la Nuit au bois ou le muet de circonstance (musique de Gaveaux), la Gageure imprévue et la Fêle du l'illage voisill, Latouche, Allnales dramatiques, M. 1 (2), 16 fév. 2111
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reprise de l'ancienne pièce de Chérubini - Lodoïska - dont la partie musicale constitue un véritable chef-d'œuvre -, provoque la critique acerbe du Mercure quant aux éléments mélodramatiques qui y abondent et qui ont fini par lasser le public 220. C'est natemment le cas de Wallace de Fontanes de Saint-Marcellin. Chassé des théâtres de boulevard, le mélodrame s'est réfugié auprès d'un des théâtres nationaux. Wallace a tous les défauts du genre sans avoir les qualités de l'œuvre de Pixérécourt et Caigniez. Reprenant le thème de Richard Cœur-de-Lion, l'auteur n'a su ni nuancer la gradation du pathétique vers le comique ni rendre l'action intéressante. Ces graves défauts sont quelque peu rachetés par la musique originale de Catel dont la partition est remarquablement travaillée. Encore est-elle trop monotone au gré du critique, fait inévitable, paraît-il, dans les excès ossianiques 221. La vertu innocente a sa place aussi au Théâtrê Feydeau, dans les Rosières de Théaulon et Rancé, plate imitation de la Joconde d'Etienne, rehaussée quelque peu par des scènes et des tableaux agréables ainsi que par la musique charmante du jeune Hérold et la bonne exécution des chants et de la danse 222. Le thème de l'amour remplit également les annales de l'Opéra-Comique, étroitement lié aux épaulettes des militaires. C'est le cas des Deux capitaines de hussards - imitation fantaisiste de Beaumarchais -, qui ont connu un échec cuisant après celui du Revenant 223. C'est encore celui du Caprice d'une jolie femme qui finit par opter pour un capitaine de hussard contre son rival, un homme de cour. Les sifflets du parterre ont fait justice du tissu de bêtises et d'inconvenances qui y abondent 224. L'échec est semblable pour tout un régiment de hussards 225 comme pour le Trompeur sans le savoir 226. Si la claque assure le succès de la Clochette lors de la première représentation, il n'en sera pas de même dans la suite et le conte de la lampe merveilleuse sur lequel repose la pièce s'avèrera d'un ennui mortel 2~'. La confrontation de Louis XII et d'un manant dont les fils ont servi le roi - inspirée d'une mauvaise pièce espagnole -, n'a pas 220 Cf. M.d.F. Ill, 7 Juin 1817. Mlle Regnault a mal chanté son rôle alors que Ponchard et Chénard ont bien joué les leurs. 221 Wallace ou le ménestrel écossais, opéra-comique en trois actes, joué le 24 mars 1817; éloge de l'interprétation de Huet, Ponchard et Dancourt, M.d.F. Il, 5 avril. 22~ Opéra-comique en trois actes, joué le 27 janv. 1817, 500 billets auraient été distribués pour assurer le succès de la pièce, O., M.d.F. l, lor fév. 1817. 223 Les deux capitaines de hussards, opéra-comique d'un acte, musique de Nicolo, joué le 17 mars 1817, devait regagner la faveur du public qui avait sifflé le Revenant, opéra-comique en un acte, joué le 15 fév., M.d.F. l, 22 mars. 224 Caprice d'une jolie femme ou la boucle de cheveux, comédie en un acte, jouée le 29 avril 1817, M.d.F. II, 3 mai. 225 Les Hussards en cantonnement, opéra-comique en trois actes de St-Elme, musique de Champein, joué le 28 juin 1817, M.d.F. III, 12 juillet. 226 La leçon de Wicks porte, le Trompeur sans le vouloir, opéra-comique en trois actes, joué le 24 mai 1817 ,M.d.F. II, 31 mai. 227 La clochette ou le diable page, opéra-féerie en trois actes de Théaulon, musique de Hérold, joué le 18 oct. 1817, M.d.F., IV, 25 oct.
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résisté à l'orage que la première représentation a soulevé malgré quelques idées libérales qui l'accompagnent 228. Enfin, une comédie de Regnard, adaptée à la scène de Feydeau et agrémentée par des morceaux de musique entraînante, a connu un succès appréciable 229. Nous avons évoqué l'espoir des amateurs de voir le Théâtre royal italien renforcé par des chanteurs et des cantatrices de Londres ainsi que la critique sévère de la presse à l'endroit de Mme Catalani, la directrice, et la consternation du public à la nouvelle de la clôture du théâtre 230. Peu de commentaires accompagnent dans les colonnes du MerCl/re l'activité musicale du Théâtre italien. La reprise d'Il Matrimonio per raggio de Cimarosa - jugé comme une de ses compositions les plus faibles - donne l'occasion au Mercure de louer le chant de Garcia 231 ou de rendre hommage à celui-ci pour sa tentative de refaire Il Catifo di Bagdad après Boïeldieu 232. Par ailleurs, il loue le chant du couple Boucher 233 et décrit l'enthousiasme de la foule, assiégeant les portes du théâtre lors du retour de Mme Catalani. Tout en rendant hommage au grand talent de la cantatrice, le recueil insinue qu'elle reste fidèle à une interprétation monotone des compositeurs les plus variés 234. Cette revue sommaire, traduisant fidèlement la pauvreté de la musique contemporaine, devrait faire état d'autres soirées musicales 235 et de l'appui accordé par le MerCl/re à Nicolo, collaborateur d'Etienne, candidat au fauteuil académique vacant de Méhul 236. Les prouesses du Cirque olympique figurent rarement dans le recueil, si ce n'est à l'occasion de son déménagement de la rue du Mont-Thabor au faubourg du Temple. Les frères Franconi y excellent dans l'exécution précise d'un spectacle où exercices gymniques, évolutions de chevaux et pantomime comiques amusent les badauds 237. 228 Le Sceptre et la Charrue, opéra-comique en trois actes de Théaulon et d'Artois, musique de Piccini, joué le 14 juillet 1817, M.d.F. Ill, 19 juillet. 229 La Sérénade de Regnard fut adaptée par Mme Gay, musique de Mme Gail et Garcia, jouée le 2 avril 1818, Latouche, Annales dramatiques, M. 1 (lI), 19 avril. 55. avait loué le talent de composition de Mme Gail, M.d.F. [V, 27 déc. 1817. 230 Cf. supra, n. 98. nI La reprise a eu lieu le 15 janv., M.d.F. l, 25 janv. 1817. 232 5i le chant de Garcia est toujours louable, ses compagnes prononcent mal l'italien, M.d.F. Il, 7 juin 1817. 233 Cf. O., Deuxième concert de M. et Mme Boucher, M.d.F. l, 8 fév. 1817. 234 Cf. M.d.F. Ill, 23 août 1817, reprise d'li Fanatico per la musica, à l'occasion de la rentrée de Mme Catalani. 235 Celles de Kaufmann, inventeur de quatre instruments, M.d.F. Ill, 10 mai 1817, ou celle d'une soirée tout à fait différente, organisée par le physicien Comte en faveur des pauvre du 3' arrondissement de Paris, Latouche, Annale~ dramatiques, M. [ (2), 16 fév. 1818. n6 Cf. 55., M.d.F. [V, 1'" nov. 1817. ~37 Cf. M.d.F. [l, 3 mai 1817.
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* ** Il eût été étonnant que le roman accusât une rupture avec la poétique du XVIII" siècle finissant. Au contraire, la critique des recueils reste étroitement liée à une optique qui se veut conservatrice des valeurs libérales d'un passé à peine révolu. La dramaturgie non seulement dépasse les romans par la tradition qu'elle incarne et l'intérêt qu'elle inspire, mais elle semble dicter aux romanciers la conception de leur œuvre. L'aspect moralisant de la littérature n'est jamais perdu de vue, ni la nécessité de graduer l'intérêt, ni celle de pourvoir à la consistance des caractères ou à la vraisemblance des événements, ni surtout le devoir impérieux de soigner la pureté et l'élégance du style 238. L'unité de but et d'intérêt dans le roman n'en comporte pas moins des événements variés et des tableaux contrastés, à condition qu'ils soient sagement conciliés. Un vaste champ s'ouvre au roman par l'analyse des caractères et la description des mœurs. Si le jeu des passions est plutôt épuisé par la littérature dramatique ou mieux adapté à l'économie de la scène, les facilités dont dispose le roman quant aux unités de lieu et de temps laissent aux écrivains une très large latitude pour creuser les personnages et examiner en profondeur les conditions sociales et les modes de vie. C'est par là qu'il sera donné au romancier de réaliser sa mission utilitaire et de compléter l'enseignement de l'histoire par l'abondance des détails 239. L'auteur d'Adolphe, à l'encontre d'Aignan, croit aux virtualités littéraires infinies que les confrontations passionnelles offrent aux écrivains. La littérature ne saurait épuiser les variations d'un thème qui présente toujours des degrés différents de profondeur et de nuance 240. Non que ces divergences prouvent une opposition irréconciliable d'idées, mais elles traduisent plutôt la conscience d'une stagnation ou l'attente d'un renouvellement. L'engagement dans les problèmes de l'actualité amène Elisabeth de Bon à déplorer l'envahissement des domaines intellectuels par la politique 241, attitude qui n'est guère partagée par les rédacteurs. La haute conscience de la supériorité de la France quant aux mœurs, au goût et au style pousse les critiques à réclamer à leurs compatriotes de bons romans, d'autant plus que ceux d'Outre-Manche et d'Outre-Rhin laissent tout à désirer 242. 238 Cf. Z., Correspondance sur les romans avec une amie de province, M.d.F. l, 1" mars 1817. 239 Cf. Aignan, Galerie [ ... ], M. 1 (9), début avril 1818. 240 Cf. B. Constant, c.r. de l'Arrêt du destin d'Auguste Lafontaine, M. III (Il), 15 oct. 1818. 241 Cf. Z., Correspondance sur les romans avec une amie de provillce, M.d.F. l, 22 mars 1817. 242 Cf. Z., Correspondance [ ... ], M.d.F. Il, '+ avril 1817 et M.d.F. III, 9 août. On n'a qu'à lire la traduction de l'ouvrage anglais, Six semaines en hâtel garni à Londres pour s'en rendre compte, ibid.
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Nous avons traité ailleurs des grands écrivains contemporains pour lesquels le Mercure et la Minerve ont témoigné leur admiration 243. L'œuvre de Mme de Genlis suscite les éloges du critique anonyme du Mercure pour le style, la connaissance intime du cœur et le sens de la mesure 244. Mais c'est davantage Esménard qui traduit la pensée du recueil à l'égard d'un auteur dont les sentiments politiques sont loin de répondre à la vision des rédacteurs. On ne saurait méconnaître à Mme de Genlis un grand mérite, attesté par une production de quatre-vingt-dix volumes, étalée sur une quarantaine d'années, et par la faveur dont elle jouit auprès du public. Malgré bien des talents, le critique reproche à l'auteur ses négligences de style et la légèreté avec laquelle elle traite les mœurs, l'histoire et la couleur locale dans une nouvelle indienne, sa préférence pour des féeries chevaleresques, ses galeries politiques qui confondent philosophie, gouvernement et mœurs ou encore des invraisemblances criantes lorsqu'elle traite de la Révolution. La dernière nouvelle, par contre, recueille l'assentiment enthousiaste d'Esménard, car elle décrit les misères de l'occupation et la magnanimité de la France 245. L'édition des œuvres complètes de Mme Riccoboni en six volumes et de Mme Cottin en huit permet à Jay de rendre hommage à ces célébrités de la fin du XVIIIe siècle et de procéder à des rapprochements biographiques entre les deux. La jeunesse misérable et studieuse de Mme Cottin, l'opulence et le veuvage prématuré de Mme Riccoboni ont fait de celle-ci une moraliste ingénieuse et un écrivain naturel et de celle-là une romancière des situations passionnelles. L'époque de Mme Riccoboni est celle de l'Ancien Régime en dissolution, durant lequel la passion n'était qu'une occupation sinon une perfidie. La Révolution a marqué par contre les romans de Mme Cottin. Elle cherche refuge dans l'analyse d'amours brûlants et se complaît dans l'invention de calamités bouleversantes. Le talent de Mme Riccoboni rappelle à maints égards celui de Mme de Sévigné et Mme Cottin se rapprocherait davantage de celui de Jean-Jacques Rousseau. Enfin, Jay s'élève contre l'auteur de la notice sur Mme Riccobini qui a représenté les Philosophes comme novateurs dangereux et il tient rigueur à l'éditeur des œuvres de Mme Cottin d'avoir passé sous silence le protestantisme de celle-ci 246. Il est certain que le Mercure répugne à l'évocation d'un passé chevaleresque susceptible de fausser l'histoire et d'entourer la féodalité barbare de prestiges nobiliaires. Si Jay paie son tribut d'hommages à Elisabeth de Bon, détentrice du privilège du Mercure, il s'étend longuement
Cf. le ch. précédent, Eléments d'une esthétIque libérale. Cf. Z., c.r. in Correspondance sur les romans [ ... ], des Tableaux de M. le comte de Forbin 011 la Mort de Pline l'Ancien et Inès de Castro, M.d.F. Il, 21 juin 1817. 245 Il s'agit de cinq nouvelles, Zuma [ ... l, la Belle Paule, Zénéïde, les Roseaux du Tibère et la Veuve de LIIZi, M.d.F. III, 12 juillet 1817. 246 Cf. M. VII (1), 7 août 1819. 243
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sur les méfaits terribles d'un moyen âge ténébreux 247. Plus touchants et plus instructifs surtout sont les romans marqués par un esprit philosophique qui décrivent les Douceurs de la vie 248 ou qui mettent en opposition le Monde et la retraite 249. Emouvants sont les romans qui mettent en valeur la sensibilité des jeunes filles, les montrant en proie aux agissements coupables de l'amour ou, au contraire, couronnant leurs sentiments par un mariage bourgeois 250. La sensiblerie trouve facilement son compte dans une carrière studieuse et honnête que les chimères d'une cour allemande mettent en valeur 251, dans le mariage d'une Anglaise vertueuse avec un prisonnier français 252 et dans les transpositions de l'occupation de la France ou de ses dénis de justice 253. Les recueils, en citant ces romans, énoncent cependant des jugements qui reprennent la poétique du « bon goût» et du « style pur» et qui condamnent les écarts d'un romanesque trop invraisemblable et d'une expression trop fantaisiste. Le drame bourgeois, s'il trouve le biais du roman pour remuer des âmes sensibles par la douceur des intérieurs modestes et le sens d'une justice compensatrice, ne devrait aucunement manquer à une esthétique éprouvée. Aignan peut encore excuser le manque de moralité dans une prétendue traduction d'un roman au prix d'une évocation pittoresque de la société du Directoire 254, mais le recueil n'aime pas trop s'attarder sur le rappel des horreurs révolutionnaires commises dans les colonies 255. Le Mercure n'admet ni les débordements romanesques qui jurent
247 Cf. Jay, c.r. des nouvelles d'Elisabeth de Bon, Les douze siècles, M.d.F. lI, 19 avril 1817. 248 Les Douceurs de la vie ou les petites félicités qui s'y rencontrent à tout moment [ ... ], d'A. D. [Abel Dufresne, d'après Barbier], l., Correspondance sur les romans [ ... ], M.d.F. l, 1" mars 1817. 249 Du même auteur, le Monde et la retraite ou correspondance de deux jeunes amies, 2 vol. in-12, l., Correspondance [00'], M.d.F. II, 12 avril 1817. L'auteur n'a pas assez montré les avantages de la retraite, ibid. 250 C'es le cas de Louise de Sénancourt de Mme Fanny de T. [Fanny Messageot, dame de Tercy, d'après Barbier] et de ses Nouvelles Françaises, l., Correspondance [ ... ], M.d.F. l, 22 mars et M.d.F. III, 5 juillet 1817. L'amour honnêtement bourgeois caractérise également le dernier roman de Paccard, Edelmore et Loredan [ ... ], SS., M.d.F. IV, le, nov. 251 Auguste et Frédéric, 2 vol., de Mme B*** [Mme Bawr, d'après Barbier], l., Correspondanse [00'], M.d.F. Il, 12 avril 1817. 252 Lydia Sté vil ou le prisonnier français, d'Armande Roland, l., Correspondance [ ... ], M.d.F. Ill, 5 juillet 1817. 233 Zélie reine des braves, de Mme Montpezat de Rodern, Etienne, n° 85. Post-Scriptum, M. VIII (7), 20 déc. 1819; Le Campo santo ou les effets de la calomnie, de Lhomme Saint-Alphonse, dédié à Benjamin Constant, où l'auteur situe le procès célèbre de Wilfrid Regnault en Florence du XIII' siècle, M. IV (5), 5 juin, p. 228. 254 Cf. Aignan, c.r. des ilIalheurs d'un amant heureux, de M**" traduit pour ainsi dire de l'anglais, t. 1e, - , Galerie [oo.l, M. 1 (7), 23 mars 181S. Barbier attribue le roman à S. Gay, mais le catalogue de la B.N. ne mentionne que l'édition de 1823 en 3 vol. 255 Roman de Picquenard, Adonis ou le bon nègre, l., Correspondance [ ... l, M.d.F. Ill, 9 août 1817. La 1" éd. du roman a> paru en 1798, mais il y en a eu probablement une seconde en 1817 que la B.N. ne possède pas.
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trop avec la vraisemblance 256, ni un roman licencieux du fécond PigaultLebrun 257, ni un ouvrage cynique sur les femmes 258. Les femmes-auteurs sont nombreuses et on dirait que les nouvelles comme les romans historiques de par les transpositions faciles leur conviennent parfaitement. C'est d'ailleurs pour prendre leur défense contre la critique que Mme Elisabeth de Bon - l'auteur anonyme au Mercure des articles consacrés aux romans - met en valeur l'œuvre littéraire féminine. Les romancières de l'époque se multiplient et ne dédaignent pas les traductions. Les Bibliothèques d'œuvres étrangères sont considérables sous la Restauration et à ne considérer le roman que du point de vue des éditeurs l'époque en question s'avère des plus productives. Nul doute pour le Mercure et la Minerve que le sens de la mesure et l'art de la composition ne fassent défaut aux écrivains d'Outre-Manche et d'Outre-Rhin. Longueurs, monotonies et recherches stylistiques ridicules caractérisent les romans anglais 259. Ces défauts sont quelque peu compensés par la force d'imagination de Lady Morgan dans l'évocation de la Ligue et du règne d'Henri IV, bien que son premier roman soit sujet à un enthousiasme de jeunesse 260. Les Puritains d'Ecosse de Walter Scott sont le fait d'un très grand romancier qu'Aignan n'hésite pas à assimiler à l'Odyssée, avec les réserves qu'impose l'imperfection du goût en Angleterre. Quelle meilleure tranche de mœurs et d'histoire que l'évcoation puissante d'une époque qui déroule les méfaits du fanatisme et de l'arbitraire sous Charles II et Jacques II et qui finit par déboucher sur Guillaume IIII : Les rapprochements avec l'histoire récente de la France sont manifestes et Louis XVIII pourrait s'inspirer d'une œuvre qui répond on ne peut mieux aux exigences du roman 261. Si le Nain mystérieux de Walter Scott est médiocre 262, son Antiquaire, bien que mal conçu dans l'ensemble et dans les détails, offre des parties où
256 C'est le cas du roman de Brissot de Warville, Le château du mystère [ ... ], [nous n'avons pas retrouvé le roman dont l'auteur serait Félicité Dupont Brissot de Warville], Z., Correspondance [ ... ], M.d.F. l, 22 mars 1817; à un degré moindre celui du roman d'Emilia ou le danger de l'exaltation, [d'Alfred de Maussion, d'après Barbier], inspiré d'une pièce de Dupaty (Félicie ou la fille romanesque), Z., Correspondance [ ... ), M.d.F. III, 9 août: de celui des aventures extraordinaires de l'Invalide, de ]., SS., M.d.F. IV, 1er nov. ; de celui enfin des aventures invraisemblables d'un frère et d'une sœur orphelins dans Albertine de Saint-Albe, de Mme Gay Allart, Aignan, Galerie [ ... ], M. Il (9), début juillet 1818. 257 Garçon sans souci, SS., M.d.F. IV, 18 oct. 1817. 258 Composé par un certain F., SS., M.d.F. IV, 29 nov .1817. 259 Cf. Z., Correspondance [... ], à propos de la traduction des Trois romans ou contes d'aujourd'hui, d'Isaaks [Traduction attribuée à Defauconpret par Barbier), M.d.F. l, 22 mars 1817. 260 Il s'agit de la traduction de la Novice de Saint-Dominique, 4 vol. in-12 [par Mme de Ruolz, d'après Barbier], M.d.F. l,1 er mars 1817. 261 Cf. Z., Correspondance [... ], M.d.F. Il, 21 juin 1817 et Aignan, Galerie [ ... ], M. 1 (9), début avril 1818. [La traduction est attribuée par Barbier à Defauconpret qui a joué un rôle des plus importants dans ce domaine.] 262 Cf. Z., Correspondance [ ... ], ibid.
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l'on retrouve le grand talent de l'auteur, notamment celles qui dessinent les caractères des personnages secondaires 263. Le roman d'Outre-Rhin est synonyme de monotonies infinies, d'un sentimentalisme débordant et d'un romanesque fantaisiste. Non que l'étalage de passions douceâtres et d'histoire d'une vie modeste n'aient eu leur charme pour des esprits trop blasés ou désabusés. Le succès que les romans d'Auguste Lafontaine ont connu en France le prouverait. Mais à en juger d'après la critique du Mercure et de la Minerve, les contemporains se seraient lassés de la manière germanique malgré De l'Allemagne de Mme de Staël. Germanique par le désordre de la conception et de l'expression est la traduction d'Ondine par Mme de Montolieu 264. Invraisemblances, romantisme de mauvais aloi et imbroglio inconcevable distinguent les Aveux au tombeau d'Auguste Lafontaine 265 ainsi que son Presbytère au bord de la mer 266. Il faudrait le germanisme averti et combien prudent de Constant pour trouver dans Rosaure du même auteur l'expression presque idéale des agitations passionnelles et le tableau nuancé des caractères et de la vie intérieure 267. Enfin, le même Constant, probablement, rendant brièvement compte d'une nouvelle de Karamzin, dira le mérite d'une œuvre qui évoque les mœurs de la Russie et montre un peuple sauvage combattant énergiquement pour sa liberté 268. La critique constitue la part majeure de la rubrique littéraire du Mercure et de la Minerve. Les nouvelles que les rédacteurs composent eux-mêmes sont rares et on ne les rencontre que dans le Mercure. C'est à Dufresne de Saint-Léon que revient la paternité de deux nouvelles. La première déroule, en sept chapitres, l'histoire d'un jeune poète qui mène joyeuse vie, à la fin de l'Ancien Régime, avec une jeune maîtresse, et, par la suite, auprès d'un vieux marquis. C'est la société littéraire de l'époque qui est évoquée dans un style badin et suranné pour finir par une autre histoire d'amour et de misére sous la Révolution 269. Aussi fade est la seconde nouvelle racontant la vie d'un général français à la retraite qui avait enlevé et épousé une jeune autrichienne de famille 263 Cf. Aignan, Galerie [... J. La traduction est de Mme Sophie de Maraise. L'indication par Aignan de certains ouvrages de Mme Maraise corrobore la leçon de Barbier quant à la paternité de la traduction anonyme. 264 Cf. SS., M.d.F. IV, 1er nov. 1817. Le roman est de Foqué-Friedrich Heinrich Carl, Baron de la Mothe. La B.N. ne possède qu'une édition de 1822. 265 Les aveux au tombeau de la famille du forestier, roman trad. par Mme Elise V*** [Voïart, d'après le catalogue de la B.N.], Z., Correspondance [ ... ], M.d.F. l,1 er mars 1817. 266 Cf. Z., Correspondance [... ], ibid., 22 mars 1817. La traduction en 4 vol. in-8° est, d'après le catalogue de la B.N., de Guizot et Sauvan. 267 Rosaure ou l'arrêt du destin [trad. en 3 vol. in-12 par Mme de Montholon, d'après le catalogue de la B.N.], B. Constant, c.r., M. III (11), 15 oct. 1818. 268 Marpha ou Novogorod conquise, nouvelle historique, trad. par A. SaintHippolyte, c.r., M. IV (5), 6 déc. 1818. 269 Cf. Histoire d'un jeune poète, M.d.F. IIJ 24 mai; M.d.F. III, 9 et 30 août, 13 sept. ; M.d.F. IV, 11 oct. et 22 nov. 1817.
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illustre 270. Egalement peu intéressante est l'histoire véridique d'un noble français, La Pommeraie, qui s'est converti à la religion des Quakers pour épouser la fille de son hôte généreux, après avoir abusé de leur bonne foi. Au moins, Jay est-il bien placé pour évoquer à la même occasion la Guerre d'Indépendance des Etats-Unis d'Amérique 271. Nous avons constaté l'abondance de la littérature pour enfants où la part du lion revient également aux femmes-auteurs. Le Mercure et la Minerve y font de temps en temps allusion. Un succès également considérable a accueilli le tableau de mœurs de l'Ermite de la Chaussée d'Antin et de la Guyane. Jouy a des imitateurs et à l'aube du siècle Gallais n'hésite guère pour réunir ses anciens articles sous le titre modeste de Mœurs et caractères du dix-neuvième siècle 272. Les mœurs d'Outre-Manche ne sont pas sans intéresser les adversaires de l'Angleterre ~n, mais c'est le Voyage dans le Levant en 1817 et 1818 qui vaut à Forbin - imitateur de Chateaubriand - un long compte rendu de Jay pour corriger les vues erronées de l'auteur quant aux méfaits de la liberté dans l'antique Grèce ou pour évoquer les crimes commis en Palestine par la folie des croisades. L'imagination créatrice de Chateaubriand enchante par les tableaux puissants qu'elle déroule devant le lecteur, celle de Forbin s'attache aux effets extérieurs des objets, mais les amis de la vérité, retiendront la leçon de Volney qui a montré l'Asie heureuse et prospère dans la mesure où ses institutions s'accordaient avec les lois naturelles :!H. Les pensées, maximes, sentences ou aphorismes continuent à faire la joie des abonnés des recueils. Des idées claires, concises et frappantes pilr leur formulation emportent facilement la conviction des lecteurs a\'ides de vérités évidentes. Les droits de la raison, la proscription de la force, le progrès continu de l'esprit humain, le caractère dominant de la civilisation moderne et la nécessité d'accorder le pouvoir avec la liberté reviennent souvent parmi les Pensées détachées de Benjamin Constant, réimprimées plus tard dans les Mélanges 275. Lacretelle étalera tout son pédantisme philosophique, bien démodé des écrits de ses collègues, dans les Pensées Politiques et Pensées moralcs et littéraires ~'6. D'autres articles intitulés littéraires et politiques
a côté
~,() Cf. Consllltation présentée il mes amis le dimanche 15 décembre 1814, M.d.F. Il,21 juin et M.d.F. 111,5 juillet 01817. 201 Cf. .Iay, le Quaker, M.d.F. Il, 28 juin et M.d.F. lII, 19 juillet 1817. 272 Cf. SS., M.d.F. IV, 1er nov. 1817. :m Cf. Z., Correspondance [ ... ], éloge des Six mois à Londres en 1816, faisant suite aux QlIinze jOllrs à Londres à la fin de 1815, M.d.F. l, 22 mars 1817.
C'est le fécond Defauconpret qui en est l'auteur et qui a traduit également un ouvrage anglais que nous n'avons pas retrouvé, Six semaines en hôtel garni à Londres. Z., M.d.F. III, 9 août 1817. m Cf. M. VI (8), 27 juin 1819. ~7:; Cf. M.d.F. II, 24 mai et 14 juin 1817. 276 Cf. M.d.F. III, 6 sept. et M.d.F. IV, Il oct. 1817. Lacretelle serait peutêtre l'auteur des Pensées anonymes, M.d.F. III, 2 août.
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du même auteur méritent à peine mention 277. Enfin, dans le jeu de distinctions lexicologiques fort répandues au XVIII" siècle, l'opposition entre la célébrité et la gloire permet au critique anonyme de fonder désormais celle-ci sur l'œuvre bienfaisante des gouvernants pour les gouvernés 278.
• ••
Les sciences exactes tiennent peu de place dans les colonnes du Mercure et de la Minerve. Les recueils ne les dédaignent pas, mais ils les subordonnent à leur optique morale. Il peut y avoir des nuances dans les attitudes respectives des rédacteurs quant à la place qui devrait rèvenir aux sciences et aux lettres dans l'élaboration d'une philosophie somme toute positive. Lacretelle mettra l'accent sur la corrélation étroite chez les Philosophes de toutes les disciplines 279. Dans sa conférence à l'Athénée royal, le 3 décembre 1825, Benjamin Constant, en étudiant les tendances générales du XIX" siècle, résumera ses idées et insistera sur le rôle dévolu à l'industrialisme dans l'instauration de l'ordre bourgeois, pacifique et libéral 280. Cependant, ni Lacretelle ni Benjamin Constant n'hésitent à considérer le monde matériel comme essentiellement soumis au monde intellectuel. La mission de la bourgeoisie ascendante, telle qu'elle est définie par Benjamin Constant, est couronnée par une ascension d'ordre religieux 281. Plus extrême est la position de Jay pour qui les sciences relèvent d'un monde matériel vulgaire et n'accèdent au droit de cité que dans la mesure où leur langage rejoint une expression littéraire valable. Laplace est moins connu du grand public que Descartes et Fontenelle, bien que la science de ceux-ci ait été dépassée par les découvertes du premier. Raison, imagination et sensibilité assurent à la littérature par leur motivation toujours morale une finalité évidente et une supériorité incontestable sur les disciplines expérimentales 282. En tout état de cause, les rédacteurs sont trop imprégnés de leur formation littéraire pour élaborer une image du monde à prédominance scientifique. Aux confins de la littérature, le mirage de l'antiquité se concrétise et s'impose vivement aux imaginations lorsque des villes entières surgissent du passé. On sait ce que la renaissance de l'hellénisme et la connaissance de l'Orient doivent à la jeune science de l'archéologie 283. «Cependant, ~77 Cf. Sur l'étendue d'un discours à prononcer [ ... ], M.d.F. Ill, 20 sept. 1817; Esquisse d'un système de délibération dans les assemblées politiques [... ], M.d.F. IV, ] 1 avril et ]". nov.; l'Ecrivain littérateur considéré au milieu des autres genres d'écrivains, M. III (2), 15 août 1818. 278 Cf. De la célébrité et la gloire, M.d.F. Il, 24 mai 1817. 279 Cf. Lacretelle, Progression de l'esprit humain depuis les quatorzième et quinzième siècles jusqu'au dix-neuvième, M.d.F. l, 4 janv. 1817. 280 Cf. Coup-d'œil sur la tendance générale des esprits dans le dix-neuvième siècle, in Revue Encyclopédique, 1825, t. XXVIII. ~81 Cf. ibid. 282 Cf. Jay, c.r. des ŒllJlres complètes de Buffon, M.d.F. III et IV, 27 sept.
et 29 nov. 1817. Dans la dernière partie de son c.r., Jay se défend d'avoir déprécié Laplace. 283 Cf. les belles études de R. Canat, L'hellénisme des romantiques, Paris, 1951-1955,3 vol., t. 1"', et R. Schwab, Le renaissance orientale, Paris, 1950.
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après tant de siècles, Thèbes est exhumée, Osiris et Memnon sortent de la poudre où ils étaient ensevelis; et les ruines de la vieille Egypte envahissent l'Egypte barbare et dégénérée 284.» La découverte de deux sarcophages près de Bordeaux, comportant des bas-reliefs et ayant des formes grecques, suscite également l'intérêt du Mercure pour une antiquité qu'on vient de redécouvrir 285. L'épopée napoléonienne n'est pas tissée uniquement de larmes et de sang. L'aventure merveilleuse des guerriers aux bords du Nil se prolonge et fructifie dans les cabinets de travail des savants solitaires. C'est avec des accents de triomphe que le Mercure, rappelant la croisade récente des héros et des savants, saluera la publication de la troisième livraison de la Description de l'Egypte 286. La numismatique est plus qu'une science des médailles. Elle a des aspects positifs qui lui permettent d'établir la valeur des monnaies et le système d'échange chez les Anciens. Littérateur et économiste d'envergure, connu surtout par la traduction du Traité des richesses d'Adam Smith, Garnier, par une étude approfondie de la monnaie ancienne, a réussi à en établir un bilan nouveau qui redresse les erreurs d'autres savants contemporains et corrige les calculs d'un Dubos ou d'un Montesquieu 287. Si l'archéologie est un itinéraire à travers le temps, la gréographie est un voyage à travers l'espace. Les distances ont le pouvoir de conférer aux pays éloignés et inconnus le prestige des civilisations disparues ou la valeur primitive et intacte d'une humanité à l'aube de son histoire. Le .( bon sauvage» n'a pas l'air d'avoir épuisé au début du XIX· siècle toutes les vertus magiques qui ont remué les cordes sensibles des générations précédentes. C'est l'histoire d'un chef polynésien qui, mettant à profit le savoir des Européens, a su organiser la peuplade d'une des îles Sandwich, mettre sur pied une armée et une marine et développer le commerce de son petit royaume. Au nom déjà fabuleux de Cook s'ajoutent ceux d'autres navigateurs et les maigres renseignements fantaisistes des géographes l:e cabinet trouvent leur correctif dans la relation de voyage véridique d'un Archibald Cambell 288 • Le lieutenant russe Otto von Kotzebue, faute d'avoir atteint le détroit de Béring, croit avoir rencontré un chenal le long de la côte d'Amérique qui préfigurerait le passage nord-ouest reliant l'Océan atlantique à l'Océan du pacifique, passa!~e que les Anglais ne désespèrent pas de découvrir 289. Plus près de l'Occident, marqué sous la Restauration par les concepts combien mouvants de /lord et de midi, d'ouest et d'est, c'est la principauté du Monténégro, dépendant du pachalik albanais, qui exerce la plume d'un
Bénaben, M. 1 (4), fin fév. 1818, p. 200. Cf. Carton du MerCllre, M.d.F. l, le, mars 1817. 2"6 Cf. SS., M.d.F. IV, 29 nov. 1817. 2x7 Cf. Dufresne de Saint-Léon, C.r. du Mémoire de la valeur des monnaies de compte chez les peuples de l'antiqllité; par M. le comte Germain Garnier, associé libre de l'Académie royale des inscriptions et belles-lettres, III à l'Académie dans les séances des 21, 28 fév. et 7 mars 1817, M.d.F. III, 5 juillet. ~'" Cf. T.P., Sur les îles de Sandwich, M.d.F. 1,8 fév. 1817. 280 Cf. Bénaben, M.d.F. IV, 6 déc. 1817, p. 430. 2R4
2Rr.
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abonné désireux d'éclaircir l'ignorance de ses contemporains sur le compte des monténégrins. Une esquisse rapide campe ces montagnards pittoresques dans leur mode de vie arriéré et rude, sous le pouvoir d'un évêque orthodoxe que la politique russe inspire, entre les provinces limitrophes de l'Albanie, de la Serbie et de la Bosnie 29(). L'archéologie et la géographie s'avèrent de la sorte des sciences positives, tournées vers la magnificence du passé ou vers la complexité d'une réalité présente. La science de l'écorce terrestre se révèle aussi positive lorsqu'elle recherche les raisons qui ont amené l'éruption du Vésuve en 1813, catastrophe qui a provoqué des tremblements de terre et ravagé une étendue considérable du pays le 25 et le 26 décembre. Le passé et le présent se rejoignent, Herculanum et Pompéi se retrouvent dans les calamités de 1813. Le mémoire de Monticelli, secrétaire de l'Académie royale des sciences de Naples, dont le critique du Mercure n'a pu prendre connaissance qu'à travers un rapport fait à l'Académie royale d'Angleterre, fournit les éléments climatériques des années 18121813, avant-coureurs de l'éruption 291. Plus proche des sciences exactes, d'autres disciplines sont d'une portée immédiate manifeste. La pomme de terre comme le maïs prouvent de plus en plus leurs vertus nutritives sous la Restauration. Le philanthrope François de Neufchâteau, reprenant l'œuvre de Parmentier, travaille dans la même direction 292. Les Leçons de flore de Poiret, enrichies et embellies par une iconographie végétàle de Turpin s'insèrent dans un système de botanique à l'adresse des profanes 293. Un système universel est fourni par Chatel dans son Histoire naturelle et philosophique de l'homme, compilation des idées de Lavater et de Gall, et dont le manque d'originalité est quelque peu racheté par la correction et l'élégance du style 294. Le transformisme de Geoffroi Saint-Hilaire accueille un éloge d'estime à l'occasion de l'édition de son Histoire naturelle des mammifères 295. Système universel encore est la Nosologie naturelle d'Alibert, médecin célèbre de l'hôpital Saint-Louis, où toutes les maladies sont distribuées par familles 296. Des médecins s'affirment par leur science et parfois par leur dévouement, tel le docteur Faure, oculiste de la duchesse de Berry, qui a sauvé la vue à plusieurs aveugles ou le docteur de Montègre, collaborateur du Dictionnaire des sciences médicales, qui est mort pour la science 297. Les mathématiques appliquées trouvent un partisan inlas-
2110 291
Cf. Carton du MerCl/re, M.d.F. III, 16 août 1817.
Cf. T.P., Géologie. Sur l'éruption du Vésuve arrivée en 1813, M.d.F. l, 15 mars 1817. 292 Cf. Jouy, c.r. du Supplément au mémoire de R. Parmentier sur le maïs.
par M. le comte François-de-Neufchâteau, imprimé par ordre du gouvernement,
M.d.F. Il,3 mai 1817. 293 Cf. M. VII (7), 19 sept. 1819. 294 En 2 vol., SS., M.d.F. IV, 15 nov. 1817. 295 Cf. Etienne, n° 54, Post-Scriptum, M. V (13), fin avril 1819. 296 Cf. M.d.F. Il,26 avril 1817. 297 Cf. Jouy, Notice nécrologique, M. IV (9), 30 déc. 1818 et supra, ch. le.,
p.14.
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sable dans Charles Dupin, admirateur de Carnot et élève fidèle de Monge. Dupin recommande le rétablissement de l'Académie de marine qui existait avant la Révolution et dont les tâches seront réparties entre Paris, Toulon et Brest. Jouy se joint à Dupin pour lutter contre l'appauvrissement désolant de la province au bénéfice de la capitale dévorante 298. Il est évident que les recueils paient leur tribut d'hommage à de jeunes savants acquis à la cause libérale et qu'ils s'empressent de rendre justice par la même occasion à Carnot. Dans son compte rendu des Amours à Eléonore de Labouisse, Jaya dit le rang éminent de Laplace et de Cuvier dans les sciences exactes et naturelles 299, mais la préférence de la Minerve va à l'œuvre de Monge, incarnant la Révolution, qui a été injustement expulsé de l'Institut 300 .Pour un libéralisme imprégné d'industrialisme, nul doute que la vie politique ne soit marqué par les travaux scientifiques 3Ul. On peut comprendre par là l'empressement de la Minerve à mettre en valeur la Théorie de l'Univers du général Allix qui, contestant la validité de celle de Newton, réduit à la lumière,au calorique et au carbonne tous les éléments constitutifs de la fusion desquels procéderait la formation des corps naturels. C'est qu'Allix n'est pas seulement un savant distingué. Il s'est signalé par d'éminents services qu'il a rendus à la France en sa qualité de soldat et il traîne actuellement une misérable vie cie banni à travers les villes inhospitalières de l'Allemagne 30~. Les sciences appliquées trouvent leur motivation comme leur finalité dans un ordre positif que la bourgeoisie a instauré. Trêve de cours cie galanterie dans des manuels de physique et de chimie selon le mode de Demoustier dans ses Lettres à Emilie ou d'Aimé Martin dans ses Lettres à Sophie sur la chimie, la physique, etc. 303. Le libéralisme a trop conscience de ses tâches pour dispenser les leçons de science en strophes.
~98
Cf. JOUI'.
C.r.
des Mémoires de Charles Dupin, sur la marine et les ponts
t'I chaussées de France et d'Angleterre, M. III (4), fin août
1818.
Cf. M.d.F. l, 15 mars 1817. Cf. Aignan, C.r. de l'Essai historique de Charles Dupin, sur les services 1'1 les travallx scicntifiques de Gaspard Monge, M. IV (11), 14 janv. 1819. :l(H Cf. [Aignan], c.r. des Annales générales des sciences physiques, par 1\1J',\, Bory de Saint-Vincent, Drapiez et Van Mons, M. VII (7), 19 sept. 1819. :l,,~ Cf. Jouy, C.r. et la lettre d'Alli x relative à son bannissement, M. Il (2), 14 mai 1818; lettre de justification de l'avocat Dupin quant aux reproch!!:; 411'Allix lui avait injustement adressés, M. 1 (12), 23 avril. 303 Cf. SS., M.d.F. IV, 27 déc. 1817. ~!,n 301)
CHAPITRE XI
ÉVOCATIONS PLASTIQUES Le libéralisme ne saurait accepter la gratuité de l'art pas plus que celle de la littérature. L'art doit bien entendu émouvoir, donner l'éveil à des sentiments et à des rêveries 1. Il a plus d'uri point de rencontre avec la poésie et l'épigraphe de Miel - Pictura poesis - le caractérise on ne peut mieux 2. Cependant, l'utilitarisme conditionne les arts plastiques avec autant d'évidence que l'expression littéraire. La bourgeoisie libérale édifie avec trop de sérieux la cité post-révolutionnaire pour accorder à la sensibilité des lecteurs et des spectateurs une finalité autonome. Le plaisir esthétique prend tout naturellement place parmi les moyens destinés à acheminer l'homme vers sa réalisation morale. Le corps de Gustave Vasa a beau avoir été trapu, Dufau eût dû s'inspirer pour retracer sa figure des traits de caractére du héros 3. L'imitation pure et simple de la nature dans les paysages n'est pas de l'art. Pour accéder au rang d'un « genre », il lui faut l'évocation de l'histoire et la résurrection des personnages, condition essentielle pour animer les paysages et pour leur conférer de l'intérêt 4. On n'a qu'à se pencher avec Miel sur les annales des beaux-arts pour constater à quel point la motivation spirituelle et sociale est à l'origine de leur essor. Ainsi, les impressions religieuses sont dues aux monuments et à l'appareil des fêtes consacrés au culte. La morale est également vivifiée par les arts. Les monuments entourent les vertus civiques d'un prestige immense et l'art apporte l'hommage de la postérité aux prédécesseurs glorieux. Non que Miel recommande explicitement le recours à la religion pour inspirer l'œuvre des peintres et des sculpteurs contemporains. Il paie son tribut de respect aux puissances du jour par des généralités qui prennent appui sur l'antiquité païenne. Mais nul doute qu'il n'ait en vue dans son traité l'héritage de la Révolution comme l'ordre politique de la Restauration. C'est par leur concours à la consécration des institutions politiques et sociales que les arts ont droit de 1 Cf. l'Amateur, Salon d,. /8/7. à propos du tableau de Gérard l'Entrée à Paris d'Henri /V - M.d.F. III, 19 juillet 1817, et Jouy, Salon de /8/9, Paysages, marines, portraits, M. VII (12),23 oct. 1819. 2 Cf. Jouy, c.r.de l'ouvrage de Miel, Essai sur les beaux-arts, particulièrement sur le salon de /817, M. Il (12) 21 juillet 1818. 3 Cf. Jouy, Salon de /8/D. M. VII (8), 10 oct. 1819. 4 Cf. Jouy, art. cit., M. VII (12), 23 oct. 1819.
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cité dans l'esthétique bourgeoise. C'est par là que le luxe et la magie de l'art apparemment gratuits sont pleinement justifiés. Le plaisir esthétique sans application utilitaire est d'une stérilité désolante et ne saurait réclamer la protection du pouvoir. L'engagement conscient des arts dans les problèmes d'ordre religieux et moral explique leur apogée chez les Grecs. Dans une mesure moindre, les tombeaux de Turenne et de Vauban aux Invalides et le sépulcre des rois de France à Saint-Denis produisent les effets d'un art patriotiquement engagé. Mais il serait erroné d'identifier la religion avec le nationalisme. Ni le cimetière du PèreLachaise ni l'église de Saint-Germain-des-Prés ne sauraient apporter à Molière et à La Fontaine ou à Descartes et à Boileau la consécration qu'ils méritent. Le Panthéon a rendu à la France un service éminent en ac;:ueillant les célébrités antionales, bien que le choix fût souvent sujet aux passions des partis. C'est un mal aisément réparable par un recul judicieux qui rendra les décisions de la postérité plus équitables. Miel caresse d'ailleurs le rêve d'un Saint-Panthéon qui serait consacré à la liberté des cultes et à la tolérance, susceptible d'abriter sans discrimination tous les génies et d'incarner l'union intime de la religion, de la morale et du nationalisme 5. L'esthétique utilitaire du Mercure et de la Minerve est davantage accusée par leur conception de l'histoire. L'histoire offre de l'intérêt dans la mesure où elle achemine les faits vers les avenues de la cité bourgeoise. Nous l'avons constaté dans le chapitre traitant des Transpositions historiques. Le passé gagne en historicité lorsqu'il rejoint le présent et l'actualité s'affirme comme évidence lorsqu'eHe pénètre les siècles révolus. Cependant l'antiquité se trouve immunisée contre l'action du temps. Les thèmes grecs inspirant la peinture et la sculpture n'impliquent aucun dérogation aux principes de l' « imitation ». Dès le milieu du xv· siècle, nombreux sont les artistes en Italie dont le degré d'illusion qu'ils ont atteint par l'imitation est parfait. Mais entre le primitif Cimabué et Raphaël nombreuses sont également les peintures plus soucieuses du sujet évoqué que de la vérité de l'imitation. Les élèves de RaphaË!l se sont lancés dans la seconde voie en négligeant la première, tel Jules Romain, extrêmement doué, dont l'exécution manque souvent de vérité et l'expression de justesse. C'est grâce aux élèves médiocres que la vérité du dessin n'aurait pas été sacrifiée aux élucubrations thématiques et que les Carrache et les Rubens auraient pu faire souche. La simplification de l'imitation entre les mains d'un grand artiste à l'imagination féconde, menace l'art de décadence chez ses successeurs peu doués. Le talent de Carle Vanloo et de Boucher eût hâté le déclin des arts, en engageant leurs élèves sur de fausses routes, n'eût été la saine réaction de Vien, qui a réformé les études et qui a ramené les peintres vers l'imitation de l'antique. On comprend il Cf. Miel, Beaux-Arts, M. VIII (Il), 15 janv. 1820. Pour l'évolution des arts plastiques sous la Restauration, cf. Louis Réau, L'ère romantique. Les arts plastil/ues, Paris, 1949; Elie Faure, L'Histoire de l'Art. L'Art moderne, livre de poche, 2 vol. ; Louis Hourticq, Histoire générale de l'art. France, Paris, 1911 ; Louis Hautecœur, Littérature et peinture en France du XVII' au XX· siècle, 2" éd. Paris, 1963.
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aisément le point de vue du Mercure. Il s'accommode mal d'un art aristocratique. La création pour privilégiés doit nécessairement signifier décadence. C'est la raison pour laquelle le retour aux abstractions de l'art dit antique, aurait fourni à l'école de David une base sûre et féconde. C'est par là que s'expliquerait l'essor prodigieux de la peinture française depuis la Révolution. Il est vrai que l'école flamande et l'école vénitienne sont supérieures à l'école française pour le coloris, mais personne n'égale celleci pour le dessin 6. Les rédacteurs sont peu sensibles aux implications de l'antinomie entre le recours à l'antiquité et l'engagement foncier de l'école française dans les problèmes de l'actualité. L'Amateur du Mercure ne procède que par allusions et il faut les éclaircissements de Jouy - son collègue sinon l'auteur anonyme des comptes rendus du salon de 1817 - pour mieux comprendre la portée de leur attitude. Que le Mercure et la Minene s'identifient avec l'école de David au point de négliger les divergences comme les virtualités du maître et de ses élèves n'a rien d'étonnant. Le libéralisme aime retrouver la Restauration dans l'œuvre de 89. C'est précisément le fait d'avoir explicitement mis en valeur la contribution du peintre exilé qui vaut à Miel l'éloge excessif de Jouy 1. Et c'est justement la crainte de citer expressément le nom de David dans sa Renaissance des arts - peinte sur le plafond de la salle d'exposition - qui vaut à Pujol le blâme voilé du critique 8. Pour émouvoir, les arts plastiques devraient se pénétrer d'histoire. Mais il y a histoire et histoire. Lorsque l'Amateur déplore l'envahissement de la peinture avec Raphaël par des sujets qui aient mis en danger la vérité de l'imitation, il a en vue les motifs moyenâgeux ou la mise en valeur des puissances temporelles et spirituelles. Le climat politique plus libéral en 1819 permet à Jouy de dévoiler toute sa pensée. Il s'élève énergiquement contre les peintres qui ont consacré le plus clair de leurs efforts à des tableaux religieux. Tous les siècles, sauf le contemporain, sont représentés au Salon de 1819. Les martyrs, le Moyen Age ténébreux, la Ligue hideuse, les puissants du jour ont trouvé des peintres alors que la patrie révolutionnaire et impériale a été négligée. Toutes les grandes compositions, exceptées trois, commandées par Decazes, ont des motifs religieux. Des tableaux lumineux éclairent de la sorte les églises gothiques de la France, privées de lumière 9. Le martyre à la Cymodocée fait rage. «Quand messieurs les romanciers et messieurs les peintres cesseront-ils d'ensanglanter le papier et la toile, au nom de ce qu'il y a de plus sacré et de plus doux au cœur de l'homme, la religion et l'amour? LI: supplice de l'innocence révolte la pensée, et cette image, sans cesse offerte aux yeux, tend à enhardir le crime et à décourager la vertu 10. » Cf. l'Amateur, Salon de 1817, M.d.F. Il, 10 mai 1817. Cf. Jouy, c.r. cit. de l'Essai, de Miel, Sur les beaux-arts [ ... ], M. Il (12), 21 juillet 1818. 8 Cf. Jouy, Salon de 1819, M. VII (6), 13 sept. 1819. 9 Cf. Jouy, ibid. 10 Jouy, Salon de 1819, M. VII (8), 25 sept., p. 361. Il
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Le libéralisme ne badine pas avec l'histoire. Il a pleinement conscience du recul nécessaire aux arts plastiques pour demeurer dans le vrai l l . La vérité pâtit quelque peu de l'envahissement des Salons par les portraits des hommes en place. On dirait que l'histoire s'identifie avec celle de la Restauration et qu'elle passe l'éponge sur les annales du passé récent. Les portraits de femmes vieilles et laides ou d'homm!!s gourmés et couverts de broderies n'ont rien à voir avec la manifestation artistique des sentiments patriotiques. L'Ancien Régime a plus d'un biais pour s'infiltrer en pleine modernité 12. Pleinement engagés dans l'historicité, les rédacteurs affirment l'interdépendance des arts. Les prospérités bourgeoises n'auraient pas été sans marquer l'essor prodigieux des arts plastiques en France. Le mouvement intellectuel aurait atteint depuis la Révolution et dans tous les domaines un niveau de perfection considérable 18. Tout se tient en art comme en littérature ou en politique. La statuaire ne retarde pas par rapport à la peinture et les sculpteurs actuels ne ressemblent pas davantage à Lemoyne que David, Gérard, Girodet, Gros et Guérin à Carle Vanloo ou à Boucher. En bien comme en mal, tous les arts fondés sur le dessin suivent la même direction et témoignent d'une qualité semblable 14. C'est l'école de David qui inspire désormais les tapisseries des Gobelins et de la Savonnerie ou les porcelaines de Sèvres, d'une pureté de dessin et d'une vivacité de coloris admirables. Mosaïque et miniature suivent le même mouvement 15. Les gravures représentant les héros de l'Empire, tels les généraux Lasalle et Colbert, sont inspirés des tableau1Ç de Gérard 16. La peinture n'est pas étrangère non plus aux médaille~ consacrant les réputations littéraires 17 ou à l'iconographie des fleurs ~8. Les meilleurs dessinateurs s'associent aux Engelmann, aux Lasteyrie et aux Jacob 19. Dans l'ensemble, malgré une inspiration douteuse et des engagements réactionnaires, les rédacteurs n'ont qu'à se louer de l'effort de la France tel qu'il se traduit dans les Salons de 1817 et de 1819. Il est consolant pour la France occupée et à peine libérée d'affirmer sa sup~ rÎorité intellectuelle sur les vainqueurs de la veille. Quel concours nom';' breux d'artistes au Salon de 1819. Cinq cent peintres ont participé 'à Cf. l'Amateur, Salon de 1817, art. cit., M.d.F. Il, \0 mai 1817. Cf. Jouy, Salon de 1819, M. VIII (2), 14 nov. 1819. Cf. l'Amateur, Salon de 1817, art. cit., 18 mai 1817. H Cf. l'Amateur, Salon de 1817, M.d.F. Il, 21 juin 1817. 15 Cf. C., Beaux-Arts, Exposition des produits des manufactures royales [ ... l, M.d.F. l, 4 janv. 1817 et Jouy, Salon de 1819, où il fait l'éloge des miniatures de Mlle Inès Esménard, M. VII1 (2), 14 nov. 1819, de la broderie de Mlle SaiQt~ Ange et des portraits en émail de Mme Jacquotot. 16 Cf. Jouy, Sur la gravure d'un lableau représentant le général Lasalle, M. IV (8), 28 nov. 1818 et Notice. Gravure représentant le général Auguste C()lbert, M. VIII (13), fin janv. 1820. ' 17 Cf. Galerie métallique des grands hommes français, M.d.F. Ill, 2 août 181i. 18 Cf. Jouy, M.d.F. III, 5 juillet; SS., M.d.F. IV, 29 nov. 1817 et anonyme, M. IV (Il), 14 janv. 1819. 19 Cf. Jouy, Salon de 1819, M. VII (2), 23 oct. 1819.
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EVOCATIONS PLASTIQUES
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l'Exposition dont quatre-vingt femmes. Il ne déplaît pas à Jouy de s'élever contre les préjugés à l'endroit de celles-ci et de décerner des palmes à Mlle Lescot, à Mme Servières et à Mlle Godefroy. Elles méritent de figurer comme membres de l'Académie de peinture au même titre qui eût dû valoir à Mme de Staël sa place à l'Académie des lettres 20. De jeunes talents se sont fait remarquer dans l'exposition à côté des célébrités acquises 21 et Forbin - le directeur du Muséum - récolte les éloges des recueils pour l'organisation des salons 22. Un art national est celui qui intègre l'épopée du proche passé dans les fastes du pays. C'est ce titre qui vaut à Horace Vernet l'admiration des rédacteurs. Le fécond Horace Vernet a exposé au Salon de 1819 vingt-deux tableaux de chevalet qui se distinguent tous par l'élégance et la facilité, surtout par une composition spirituelle et un patriotisme louable. La Revue du deuxième régiment des grenadiers à cheval de la garde a suscité les hommages de' la foule. La sensibilité des spectateurs a rendu justice aux mérites d'un tableau caractérisé par la correction du dessin, le mouvement entraînant des figures, une excellente distribl.\tion de lumière et la vérité de l'ensemble comme des détails 23. Le même empressement enthousiaste signale le compte rendu d'un autre tableau de Vernet représentant en avant-scène un jeune tambour tué, auprès duquel s'arrêtent son cheval et son chien. Le fond du tableau montre des voltigeurs attaqués et l'un des officiers en position d'observateur 24. Le général Lejeune à son tour a passionné le public par son Attaque d'un convoi, évoquant les épreuves des soldats qui avaient ramené de Madrid, en 1812, des blessés, des prisonniers et des femmes que les guerilleros de Mina avaient attaqués. Les défauts d'une lumière trop crue comme d'un terrain trop bien disposé et d'un trop grand nombre de figures s'effacent devant l'imitation parfaite de la nature, l'harmonieuse distribution de lumière et la beauté d'un site qui renforcent les effets touchants de l'action 25. La gloire nationale se traduit également dans les combats sur mer. Malgré l'usure du thème - des navires couverts de fumée, une mer écumante, un ciel gris, des mâts rompus et des voiles en lambeaux - , Crépin a fait preuve de sentiments louables dans ses tableaux consacrés à la Poursuivante et à la Bayon-
naise 26. Cf. Jouy, Salon de 1819, M. VII (8), 10 oct. 1819. Cf. Jouy, Salon de 1819, M. VIII (2), 14 nov. 1819. 22 Cf. l'Amateur, Salon de 1817, M.d.F. Il, 10 et 24 mai 1817, et Jouy, Salon de 1819, M. VIII (4), 27 nov. 1819. Jouy tient à disculper Forbin en précisant qu'un jury spécial a présidé au choix des tableaux. 2a Cf. Jouy, Salon de 1819, M. VII (10), JO oct. 1819. 24 Cf. Jouy, Salon de 1819, M. VIII (2), 14 nov. 1819. ~5 Cf. Jouy, Salon de 1819, M. Vll (12), 23 oct. 1819. Dumoulin reprochera, à l'occasion de l'exposition du tableau de Lejeune, la pension dont bénéficie Mina en France, M. Vll (6), 13 sept. Le monastère de Ouisando de Lejeune, exposé au Salon de 1817, tableau qui a valu au peintre l'éloge du Mercure pour le paysage et la bataille qui y sont évoqués, fut retiré par la suite de l'Exposition, l'Amateur, Salon de 1817, M.d.F. Il,24 mai 1817. 26 Cf. Jouy, Salon de 1819, M. VII (12), 23 oct. 1819. 2"
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1\ est bon de représenter la valeur française aux prises avec des ennemis acharnés qui la dépassent en nombre. C'est à peine si l'Incendie de Moscou provoque un commentaire critique hâtif 27. Il est vrai que le Mercure rend hommage à Isabey pour son Congrès de Vienne dont l'un des moindres mérites est la ressemblance parfaite des figures, mais il ne consacre à ce tableau qu'un très court développement 28. Par contre, les héros de l'Empire, L.asalle et Colbert, recueillent de véritables notices lors de la reproduction de leurs portraits par des gravures 29. Des portraits des généraux valent à leurs auteurs des mentions élogieuses. Tels les peintres Caminade, Bonnemaison, Dubois 8Q et Mme Chéradame 31 ou Paulin Guérin pour son portrait de Forbin 80. La sculpture aussi a droit à des louanges lorsqu'elle expose les bustes de Lagrange et de Talma, la statue du général Colbert ou la figure allégorique du sculpteur Ruxthiel 32 • En regard des fastes de l'Empire que le recueil défend, les Bourbons restaurés ont du mal à s'affirmer par le pinceau ou le burin. Le départ du Roi pour Gand mérite bien entendu une mention élogieuse, mais il est fort au-dessous du talent de Gros que la Bataille d'Aboukir, les Pestiférés de Jaffa et Charles-Quint à Saint-Denis ont consacré 83. Le portrait de Louis XVIII par Robert Lefebvre excelle par la couleur, mais allonge trop la figure et en affaiblit l'effet 34. Ce n'est pas le cas des Gobelins dont les tapisseries ont dessiné d'une façon admirable les pOrtraits d'Alexandre et de l'Impératrice de Russie ainsi que celui du R()i d'après le portrait de Gérard, excellent par la vérité de la couleur et la pureté du dessin 35. Le portrait du comte d'Artois par Gérard laisse à désirer par rapport à celui que le même peintre a exécuté du duc d'Orléans, à celui de Madame fait par Augustin 36, ou au portrait en pie