Le Temps et les Temps
Supplements to the
Journal for the Study of Judaism Editor
John J. Collins The Divinity Schoo...
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Le Temps et les Temps
Supplements to the
Journal for the Study of Judaism Editor
John J. Collins The Divinity School, Yale University Associate Editor
Florentino García Martínez Qumran Institute, University of Groningen Advisory Board
J. Duhaime – A. Hilhorst – P.W. van der Horst A. Klostergaard Petersen – M.A. Knibb – H. Najman J.T.A.G.M. van Ruiten – J. Sievers – G. Stemberger E.J.C. Tigchelaar – J. Tromp
VOLUME 112
Le Temps et les Temps dans les littératures juives et chrétiennes au tournant de notre ère
Edité par
Christian Grappe et Jean-Claude Ingelaere
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BRILL LEIDEN • BOSTON 2006
This book is printed on acid-free paper. Library of Congress Cataloging-in-Publication data Le temps et les temps dans les littératures juives et chrétiennes au tournant de notre ère / édité par Christian Grappe et Jean-Claude Ingelaere. p. cm. — (Supplements to the Journal for the study of Judaism, ISSN 13842161 ; v. 112) Papers presented at a colloquium. Includes bibliographical references and index. ISBN 90-04-15058-7 (alk. paper) 1. Time—Religious aspects—Judaism—Congresses. 2. Time—Religious aspects— Christianity—Congresses. 3. Dead Sea scrolls—History and criticism—Congresses. 4. Bible. N.T.—Criticism, interpretation, etc.—Congresses. 5. Calendar, Jewish— Congresses. 6. Eschatology, Jewish—Congresses. I. Grappe, Christian. II. Ingelaere, Jean-Claude. III. Series. BM729.T55T46 2006 296.4-dc22 2005058244
ISSN 1384-2161 ISBN 90 04 15058 7 © Copyright 2006 by Koninklijke Brill NV, Leiden, The Netherlands. Koninklijke Brill NV incorporates the imprints Brill Academic Publishers, Martinus Nijhoff Publishers and VSP. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, translated, stored in a retrieval system, or transmitted in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording or otherwise, without prior written permission from the publisher. Authorization to photocopy items for internal or personal use is granted by Brill provided that the appropriate fees are paid directly to The Copyright Clearance Center, 222 Rosewood Drive, Suite 910, Danvers, MA 01923, USA. Fees are subject to change. printed in the netherlands
TABLE DES MATIÈRES
Abréviations .........................................................................
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Présentation .......................................................................... C HRISTIAN GRAPPE , FRANCIS SCHMIDT
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I. LE TEMPS CALENDAIRE ET LITURGIQUE La mesure du temps : questions calendaires L’adoption du calendrier babylonien au moment de l’Exil ..... LUCIEN -JEAN BORD 4Q317 et le rôle de l’observation de la Pleine Lune pour la détermination du temps à Qoumrân................................... JEAN -C LAUDE DUBS Le calendrier liturgique des Prières quotidiennes (4Q503). En Annexe : L’apport du verso (4Q512) à l’édition de 4Q503 .............................................................................. FRANCIS SCHMIDT
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37
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Le temps liturgique et les fêtes Les fêtes du Vin nouveau et de l’Huile fraîche dans le Rouleau du Temple. Fêtes des prémices ou anticipations du repas eschatologique ? ................................................ ALFRED MARX
89
Pâque et sabbat dans les Fragments I et V d’Aristobule ......... JEAN R IAUD
107
Temps de la guerre et respect du sabbat dans Judith .............. CHRISTOPHE B ATSCH
125
vi
TABLE DES MATIÈRES
II. L’ORGANISATION PRÉDÉTERMINÉE DES TEMPS La périodisation et la révélation temps par temps Les répartitions des temps, titre du Livre des Jubilés dans les manuscrits de Qoumrân .................................................... DAVID HAMIDOVIû Temps, Torah et Prophétie à Qoumrân ................................... DEVORAH DIMANT
137
147
Le temps fixé et le recouvrement des temps Jésus, le Temps et les temps. À la lumière de son intervention au Temple ......................................................................... C HRISTIAN GRAPPE
169
Le temps dans l’Évangile de Matthieu ................................... JEAN -C LAUDE INGELAERE
183
Celui qui est, qui était et qui vient (Apocalypse de Jean 1, 4) M ARC PHILONENKO
199
L’attente des temps derniers Josèphe et la fin des temps .................................................... C HRISTOPHE M ÉZANGE
209
Modèles du temps et de la fin des temps dans l’Apocalypse du Pseudo-Méthode .......................................................... JEAN -MARC R OSENSTIEHL
231
Index des textes cités ............................................................
259
Index des auteurs modernes ..................................................
277
Index thématique ..................................................................
283
ABRÉVIATIONS AfO AGJU ANES AoF ArOr ATSAT BHT Bib BJ BJRL CAD CBQ CBQMS CRINT CRRAI CSCO DJD FRLANT EI EncDSS ET GCS HALOT HUCA JANES JAOS JBL JNES JQR
Archiv für Orientforschung Arbeiten zur Geschichte des antiken Judentums und des Urchristentums Ancient Near Eastern Studies Altorientalische Forschungen Archiv Orientalni Arbeiten zu Text und Sprache im Alten Testament Beiträge zur historischen Theologie Biblica Bonner Jahrbücher Bulletin of the John Rylands Library The Assyrian Dictionary of the Oriental Institute of the University of Chicago Catholic Biblical Quarterly Catholic Biblical Quarterly Monograph Series Compendia rerum iudaicarum ad Novum Testamentum Compte Rendu de la Rencontre Assyriologique Internationale Corpus scriptorum christianorum orientalium Discoveries in the Judaean Desert Forschungen zur Religion und Literatur des Alten und Neuen Testaments Eretz Israel Encyclopedia of the Dead Sea Scrolls Expository Times Griechische christliche Schriftsteller The Hebrew and Aramaic Lexicon of the Old Testament (L. Koehler ; W. Baumgartner ; J. J. Stamm) Hebrew Union College Annual Journal for the Ancient Near Eastern Society of Columbia University Journal of the American Oriental Society Journal of Biblical Literature Journal of Near Eastern Studies Jewish Quarterly Review
viii
ABRÉVIATIONS
JSHRZ Jüdische Schriften aus hellenistisch-römischer Zeit JSOT/ASOR Journal for the Study of the Old Testament/American Schools of Oriental Research JSOTSup Journal for the Study of the Old Testament Supplement Series JSP.S Journal for the Study of the Pseudepigrapha Supplement Series JSS Journal of Semitic Studies LAPO Littératures anciennes du Proche-Orient NABU Nouvelles assyriologiques brèves et utilitaires RA Revue d’Assyriologie et d’Archéologie Orientale RB Revue Biblique RHPR Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses RQ Revue de Qumran SBL.MS Society of Biblical Literature Monograph Series SBT Studies in Biblical Theology SJLA Studies in Judaism in Late Antiquity STDJ Studies in the Texts of the Desert of Judah SVTP Studia in Veteris Testamenti Pseudepigrapha TRE Theologische Realenzyklopädie TZ Theologische Zeitschrift VT Vetus Testamentum VT.S Vetus Testamentum Supplements WUNT Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament WZKM Wiener Zeitschrift für die Künde des Morgenlandes ZAW Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft
PRÉSENTATION C HRISTIAN GRAPPE ET FRANCIS SCHMIDT
Le titre de cet ouvrage, Le Temps et les Temps dans les littératures juives et chrétiennes au tournant de notre ère, annonce d’emblée les deux parties entre lesquelles se distribuent les treize essais ici réunis, qui interrogent, chacun à sa manière, deux dimensions du temps : la mesure du temps calendaire et liturgique pour les six premiers, l’organisation prédéterminée des temps pour les sept derniers. Le temps calendaire et liturgique Dans la conception que s’en font les différentes composantes de la société juive de l’époque du second Temple et les premières communautés chrétiennes, la notion de temps – d’un temps mesurable –, loin d’être extérieure à la création, prend naissance avec elle 1. « Le temps, écrit Philon d’Alexandrie, n’existait pas avant le monde, mais est né, soit avec lui, soit après, puisque le temps est l’intervalle du mouvement du monde 2 » (De opificio mundi 26). D’après le premier récit biblique de la création, dès le premier jour, la séparation de la lumière et des ténèbres fait surgir le temps hors de son indifférenciation primordiale en lui assignant une première entité discrète : c’est le « jour un » (Gn 1, 3-4). Quant aux conditions de la mesure du temps, elles n’apparaissent que le quatrième jour, le mercredi de la première semaine, avec la création des deux luminaires, le soleil marquant le cycle des saisons et l’année, la lunaison
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La question de l’existence d’une temporalité antérieure à la création du monde, a été abondamment discutée, tant chez les anciens (voir infra, J. Riaud, p. 117-122) que chez les modernes. Sur le mystère de maaseh bereshit dans la tradition juive, voir S. Stern, Time and Process in Ancient Judaism, Oxford – Portland, Oregon, 2003, p. 34-41, 103-116, pour qui le temps-éternité ou le temps comme continuum demeure un impensé dans le judaïsme ancien. 2 Traduction R. Arnaldez, in Philon d’Alexandrie, De opificio mundi. Introduction, traduction et notes par R. Arnaldez (Les Œuvres de Philon d’Alexandrie 1), Paris, Cerf, 1961, p. 159.
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CHRISTIAN GRAPPE ET FRANCIS SCHMIDT
marquant les mois. Ce premier récit de la création, dû à l’auteur sacerdotal, précise en outre que les luminaires « servent de signes pour les fêtes » (Gn 1, 14). Le texte traduit les préoccupations calendaires et liturgiques des prêtres du Temple. Créés par Dieu, les instruments de la mesure du temps, au même titre que toutes les autres créatures, sont entièrement soumis à la volonté divine et contrôlés par elle : Dieu est Maître du temps. Dans la première partie de l’ouvrage, la section intitulée « la mesure du temps » porte sur des questions calendaires. « Le temps liturgique et les fêtes » traite de l’observance des fêtes, qu’elles soient traditionnelles comme le Sabbat et la Pâque, ou bien nouvelles, comme un certain nombre des fêtes qui apparaissent dans le calendrier liturgique du Rouleau du Temple. L’organisation prédéterminée des temps « Maître du Temps », Dieu est aussi « Maître des temps, Maître de la fin des Temps » (Philonenko, p. 206). Loin de s’en tenir à l’activité d’un Horloger lointain, indifférent à la succession des années et des jours, le Dieu créateur a organisé le temps en une succession de périodes déterminées et orientées en vue de l’accomplissement final. Cette conception du temps divisé en périodes préétablies dans le plan divin est développée dans la tradition sapientielle et apocalyptique juive et tout particulièrement dans les écrits de la Communauté de Qoumrân. Dans la conception essénienne, les secrets de la division des temps sont l’objet d’une révélation progressive : d’abord communiqués à Moïse au Sinaï, puis aux Prophètes, ils sont ensuite complétés dans ces suppléments à la Loi que le livre des Jubilés nomme « Témoignage », dont les esséniens reçoivent l’héritage, ou dont ils sont eux-mêmes les bénéficiaires 3. La deuxième partie de l’ouvrage analyse divers aspects de la succession des temps. La section intitulée « la périodisation et la révélation temps par temps » analyse les représentations linéaires et ordonnées d’une histoire qui s’achemine vers un terme et un tri voulus par Dieu. « Le temps fixé et le recouvrement des temps » étudie le rapport à l’eschatologie, c’est-à-dire aux temps derniers ; plus précisément cette section examine comment la conviction que
————— 3 Voir A. Caquot, « “Loi” et “Témoignage” dans le livre des Jubilés », in Mélanges linguistiques offerts à Maxime Rodinson par ses élèves, ses collègues et ses amis, Ch. Robin, éd., Paris, Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1985, p. 137-145.
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les temps derniers étaient désormais inaugurés a pu conduire à la conviction que les temps se recouvraient, se chevauchaient, voire se télescopaient. Enfin, « l’attente des temps derniers », c’est-à-dire une eschatologie non pas réalisée, ni même partiellement réalisée, mais à venir, illustre la tension longtemps réactualisée d’une histoire périodisée en semaines d’années ou en millénaires. Le lecteur ne manquera pas de constater la pluralité de conceptions du temps et des temps qui ressort de ces analyses, qu’il s’agisse du calendrier et des fêtes ou de la périodisation des temps. Cette pluralité, et parfois ces contradictions, sont caractéristiques tant des divergences internes à la société juive de la fin de l’époque du second Temple que de la transformation des perspectives introduites pour les premières communautés chrétiennes par l’avènement du « temps de Jésus ». En ce qui concerne la succession des périodes, cette diversité se manifeste non seulement à propos de l’appréciation du temps présent et sa position par rapport aux périodes passées ou à venir, mais aussi à propos du déterminisme. Dans la conception essénienne que rapportent certaines traditions apocalyptiques et certains textes de Qoumrân, le passage d’une période à l’autre étant prédéterminé, il dépend du seul décret divin et s’effectue inéluctablement. Pour les pharisiens au contraire ou dans la conception de l’histoire qui sous-tend l’œuvre de Flavius Josèphe, ce passage, loin d’être prévisible et de s’effectuer quasi mathématiquement, résulte autant des aléas du comportement humain laissé libre de ses choix que de l’intervention providentielle. On constatera également que le plan adopté brouille la séparation habituelle entre judaïsme et christianisme. La raison en est que, dans la société et l’époque du tournant de notre ère, ces diverses conceptions sont contemporaines et étroitement intriquées.
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Avant d’entrer en matière en mettant en perspective les différentes contributions qui sont ici rassemblées, il sera utile de rappeler au lecteur que la fixation d’un calendrier, instrument indispensable en vue de la mesure du temps, n’a rien d’une évidence et a été à travers l’histoire, et notamment dans la société juive et les communautés chrétiennes (II e s. avant – IIe s. de notre ère) auxquelles nous nous
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CHRISTIAN GRAPPE ET FRANCIS SCHMIDT
intéresserons ici, l’objet de conflits à la fois politiques, idéologiques et religieux. De fait, l’établissement d’un calendrier s’est avéré, depuis les temps les plus anciens, une entreprise éminemment complexe en raison de la diversité des données astronomiques. Une fois rappelées ces données, il sera plus aisé de comprendre la difficulté d’harmoniser des calendriers concurrents, mais aussi de percevoir les enjeux symboliques et sociaux que suppose toute réforme calendaire ; à plus forte raison de percevoir la volonté de rupture qu’implique toute imposition d’un calendrier nouveau et les polémiques que de telles ruptures entraînent inéluctablement dans les sociétés traditionnelles. On sait aussi l’importance des fêtes et de leur choix pour toute société ou État, ou encore le rôle joué par l’attente de la fin des temps, âprement discutée, dans nombre de conflits et de consciences historiques 4. Trois cycles astronomiques sont fondamentaux : la rotation de la terre sur d’elle-même, qui permet de définir la durée d’un jour ; la rotation de la lune autour de la terre, qui permet de mesurer la durée de la lunaison ; la rotation de la terre autour du soleil, qui détermine la durée de l’année. Si les modernes sont capables de mesurer exactement la durée de ces cycles et d’en prévoir l’évolution, tel n’était pas le cas des anciens qui avaient une représentation géocentrique de l’Univers 5. Aujourd’hui, on constate en outre qu’aucun de ces cycles n’a de durée absolument fixe. C’est ainsi que la durée du jour, dont les 24 heures qui lui sont assignées constituent une valeur approchée, varie en fait de 23 h 59 min 39 sec à 24 h 0 min 30 sec. Quant à la durée d’une année tropique, d’un équinoxe de printemps au suivant, elle est de 365 j 5 h 48 min et un peu moins de 46 sec, mais elle aussi varie très légèrement puisqu’elle décroît de 5 secondes tous les 1000 ans. Le cycle le plus variable est toutefois, et de loin, celui de la lune. De fait, si sa durée moyenne est de 29 j 12 h 44 min 2,9 sec, sa
————— 4 On pourra se reporter notamment ici à Dieux d’hommes. Dictionnaire des Messianismes et Millénarismes de l’Ère chrétienne par Henri Desroche avec la collaboration de M. L. Letendre, M. R . Mayeux, J. Guiart, M. I. Pereira de Queiroz, Paris – La Haye, Mouton, 1969. 5 Toutefois, certains savants firent, dès cette époque, des calculs d’une remarquable précision. C’est ainsi que, dès le deuxième siècle avant notre ère, l’astronome grec Hipparque assigna à l’année solaire une durée de 365 j 5 h 55 min, approchant ainsi sa durée effective de 6 min.
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longueur est sujette à d’importantes variations qui la font osciller entre un peu plus de 29 j 6 h et un peu moins de 29 j 20 h 6. Les données rappelées ci-dessus montrent qu’il n’existe pas de rapport mathématique simple entre les trois grands cycles, ce qui rend extrêmement difficile toute tentative en vue de leur harmonisation. Quand on sait par ailleurs que le cycle lunaire a servi de repère pour l’établissement des plus anciens calendriers, on comprend que l’on ait été amené à procéder avec beaucoup de prudence, en recourant notamment à l’observation, observation elle-même rendue aléatoire par les impondérables de la météorologie. Un bref rappel historique permet de relever un certain nombre de faits qui pourront éclairer, à leur manière, le parcours qui sera proposé. Les premiers calendriers ont été lunaires. Toutefois, dès le troisième millénaire, un calendrier solaire fut établi en Égypte, calendrier d’une remarquable précision puisqu’il faisait suivre trois années de 365 jours d’une année de 366 jours 7. Computs lunaires et solaires ont ensuite coexisté et nombreux ont été les essais en vue de les harmoniser. Une avancée importante fut réalisée, sur le plan théorique, par la découverte du cycle de Méton, vers 433 avant notre ère. Cet astronome athénien aurait posé le premier que 19 années solaires correspondent à peu près exactement à 235 lunaisons, soit (19 × 12) + 7 lunaisons. Il devenait dès lors possible de concilier ou de réconcilier calendrier lunaire et cycle des saisons à long terme par l’adjonction de 7 années embolismiques (contenant un mois lunaire intercalaire) sur un cycle de 19 ans. C’est ce cycle de Méton que le patriarche Hillel II utilisa pour imposer, en l’an 359 de notre ère, une réforme du calendrier qui pût s’appliquer à l’échelle des Juifs de l’ensemble de la diaspora, les années embolismiques étant en l’occurrence celles de rang 3, 6, 8, 11, 14, 17, et 19. Entre temps, les querelles de
————— 6 Les valeurs extrêmes observées et prévues pour la période allant de l’an 1600 à l’an 2400 sont respectivement de 29,27152 jours et de 29,83263 jours. 7 À l’origine de ce calendrier d’une étonnante précision, il y a la concomitance d’une conjonction astronomique et d’un phénomène naturel se reproduisant à intervalle régulier : chaque année, peu de temps avant que ne se produise la crue du Nil, Sirius réapparaissait, après avoir été longtemps invisible sous l’horizon, à l’aplomb du soleil levant. Le phénomène se reproduisait à 365 jours d’intervalle pendant trois ans, mais il fallait attendre un jour de plus l’année suivante.
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calendrier avaient été nombreuses au sein du judaïsme du second Temple, ce que rappellera abondamment ce volume. Une autre date importante dans l’histoire des calendriers est représentée par l’an 46 avant notre ère, soit l’an 708 de la fondation de Rome. C’est alors que fut adopté le calendrier julien, fruit d’une réforme entreprise par Jules César sur les conseils de l’Égyptien Sosigène, qui ne faisait que reprendre en l’occurrence les bases mêmes du calendrier solaire en vigueur depuis fort longtemps au pays des Pharaons. La réforme substitua donc un comput solaire au comput lunaire préexistant. L’année civile romaine comptait désormais 365 jours. Pour rattraper le retard entre ce nouveau calendrier et l’année tropique, une journée était ajoutée tous les 4 ans, qui fut appelée bissextile parce que le 24 février, situé six jours avant le début des calendes de Mars, était redoublé cette année-là. Un léger différentiel subsistait pourtant, qui aboutit à un décalage de 13 jours en l’an 1582, date de la réforme grégorienne, mise en place par le pape Grégoire XIII. Le décalage fut réduit de dix jours par cette réforme qui, en décidant que seules seraient désormais bissextiles, parmi les années multiples de 100, celles qui sont divisibles par 400, limite désormais le décalage supplémentaire à un retard de 25 à 26 secondes par an, soit un jour en plus de 3000 ans. Parmi les calendriers alternatifs qui furent proposés ou imposés, nous en mentionnerons trois. En premier lieu, le calendrier révolutionnaire. Il fut décidé par décret le 5 octobre 1793. Les années devaient commencer le 22 septembre 1792, jour de la proclamation de République mais aussi jour en correspondance avec l’équinoxe vrai d’automne qui, selon les années, se situe entre le 22 et le 24 septembre. Cela permettait d’avoir trois mois par saison (vendémiaire, brumaire, frimaire ; nivôse, pluviôse, ventôse ; germinal, floréal, prairial ; messidor, thermidor, fructidor). Tous les mois avaient désormais la même longueur, 30 jours, cinq ou six jours intercalaires s’ajoutant en fin d’année selon que l’année était ordinaire ou bissextile. La volonté de rupture qu’exprimait ce calendrier ressort surtout de l’abandon de la semaine et du dimanche, le souci étant en l’occurrence d’abandonner toute référence à l’ancien régime et au christianisme. Quant à la volonté de simplification et d’universalisme, elle se traduisait par l’application du système décimal à toutes les unités de temps inférieures au mois. Il y avait ainsi trois décades par mois et dix heures par jour.
PRÉSENTATION
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Le souhait était qu’un tel calendrier puisse s’imposer à l’échelle du monde, comme le système métrique. Il fut cependant abandonné le 1 er janvier 1806 après avoir fait la quasi unanimité contre lui, du fait notamment que le décadi ne parvint jamais à remplacer le dimanche et que le nombre de jours fériés annuels se trouvait sérieusement réduit. En deuxième lieu, le calendrier fixe que proposa Auguste Comte en 1849 et qui a suscité un très important débat en Europe avant d’être jugé trop radical. Comte suggérait de diviser l’année en treize mois égaux de 28 jours pour parvenir à un total de 364 jours. Ces mois auraient commencé chacun un dimanche. Un 365e jour aurait été ajouté au terme du treizième mois. Faisant office de jour de l’an, il aurait été en quelque sorte situé hors du temps, étant à la fois férié et hors semaine. Quant au mois surnuméraire, qu’il proposait d’appeler « sol » (soleil), il aurait été intercalé entre les mois de juin et de juillet, les années bissextiles voyant par ailleurs s’ajouter, au terme du mois de juin, un vingt-neuvième jour, lui aussi férié et hors semaine. Sans qu’il y ait lieu de voir la moindre relation entre le calendrier essénien et le calendrier proposé par Auguste Comte, il est intéressant de noter que, dans son désir de rationaliser la mesure du temps, il a fait une proposition qui n’est pas si éloignée du calendrier en vigueur chez les sectaires des bords de la mer Morte. Dernier projet alternatif, le calendrier universel, promu par Camille Flammarion dès 1884, définitivement arrêté par lui en 1901, est encore bien plus proche du calendrier solaire essénien que celui de Comte. Il s’agissait ici de diviser l’année en quatre trimestres de 91 jours, divisés chacun en mois successifs de 30, 30 et 31 jours, les 31 tombant toujours un dimanche. Le début de l’année était fixé au 21 mars, date correspondant à l’équinoxe de printemps pour les habitants de l’hémisphère nord et à l’équinoxe d’automne pour ceux de l’hémisphère sud. Ce jour de l’an tombait toujours un lundi, mais était précédé, selon les années ordinaires ou bissextiles, d’un ou de deux jours intercalaires demeurant hors semaine. Comme déjà celui que proposait Comte, ce modèle illustre la force du rythme hebdomadaire, qui n’a pourtant pas d’ancrage dans le cycle des astres ou des saisons. Il atteste aussi à sa manière l’attrait que représente sur le plan formel et logique une année de 364 jours répartis en trimestres équilibrés et commençant tous le même jour, schéma que prévoyait déjà le calendrier solaire dont hérita et que défendit la communauté rassemblée à Qoumrân.
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CHRISTIAN GRAPPE ET FRANCIS SCHMIDT
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La mesure du temps : questions calendaires La découverte de la bibliothèque de Qoumrân a confirmé l’importance que les questions de calendrier revêtaient dans le judaïsme à l’époque du second Temple. Les conflits qui s’exacerbèrent alors plongent en fait leurs racines très anciennement dans le temps. C’est vers ces lointaines origines que nous entraîne la contribution de Lucien-Jean Bord. Il rappelle que l’on est parti de computs lunaires qui, d’emblée, ont nécessité des aménagements – et donné lieu à des différences de comptage – du fait de la nécessité d’inclure régulièrement des mois supplémentaires pour harmoniser le cycle de la lune et celui des saisons. D’autres divergences étaient possibles du fait que deux têtes de l’année entraient en concurrence : l’une, apparue le plus anciennement, à l’automne ; l’autre, qui n’allait pas tarder à la concurrencer, au printemps. À la fin de la période royale, s’imposa ainsi un calendrier dont le nouvel an était fixé au printemps et dans lequel les mois étaient désignés par leur quantième, ce qui pourrait traduire une influence néo-assyrienne, que B. voit s’exercer sous le règne de Manassé (1 R 21,2-18). À partir de l’Exil, l’influence du comput babylonien est incontestable, avec l’adoption des noms de mois babyloniens. Toutefois, il faut se garder de privilégier l’influence du seul calendrier standard babylonien. B. relève ainsi l’importance du modèle qu’a pu représenter, dès avant l’Exil, l’exemple d’Emar, cité où coexistaient deux computs parallèles, l’un civil, commençant à l’automne, et l’autre, cultuel, débutant au printemps. Dès lors, il n’y a pas lieu de s’étonner qu’aient pu être en vigueur deux calendriers dans l’Israël post-exilique, l’un lunaire (et, selon B., sacerdotal) et l’autre solaire (et, selon B., civil) qui, en toute hypothèse, allait rallier à sa cause des prêtres, comme l’atteste sa postérité dans les milieux qui se trouvent à l’origine de la littérature hénochique et des écrits qoumrâniens. La Communauté de Qoumrân suivait, en effet, un calendrier solaire. Toutefois, et le fait ne surprendra pas en fonction de la coexistence, à haute époque, de différents computs, elle tenait également compte
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d’un découpage du temps en fonction des phases de la lune. Le calendrier solaire qu’elle utilisait et qui est attesté dès le livre des Jubilés et le traité d’astronomie de I Hénoch (72,2-37 ; 82,10-18) est assez schématique, mais surtout remarquablement équilibré. Quatre trimestres de 91 jours s’y succèdent avec des mois d’une longueur respective de 30, 30 et 31 jours, ce qui permet d’arriver précisément à un total de 13 semaines et de rythmer ainsi l’ensemble de l’année liturgique comme l’illustrent en particulier les Chants pour l’Holocauste du Sabbat. Le décalage qui apparaît avec l’année solaire elle-même, d’une durée de 365 jours et quart, montre le caractère schématique et théorique d’un tel calendrier qui obéit à une logique liturgique plus qu’il ne se fonde sur une observation méticuleuse du mouvement des astres et de la succession des saisons. On en a inféré un peu vite que les documents qui témoignent d’une prise en compte du cycle lunaire étaient eux aussi schématiques et se désintéressaient donc de l’observation elle-même. L’étude de Jean-Claude Dubs montre le caractère réducteur que peut revêtir une telle conclusion. Le document qu’il étudie, 4QPhases de la Lune (4Q317), lui paraît supposer, de fait, « un travail d’astronome, rudimentaire certes, mais appuyé sur l’observation effective de la lune » (p. 40). L’analyse minutieuse que D. conduit, en établissant une comparaison entre les données fournies d’une part par 4Q317 et 4Q209 (= EnAstrar) et les résultats auxquels aboutissent les analyses les plus modernes menées par l’US Naval Observatory, montre que les indications des textes sont loin d’être fantaisistes. C’est là une première donnée d’importance. Mais il y en a une autre qui est fournie par l’analyse attentive de 4Q317, et plus particulièrement des fragments III, IV et V de ce document. L’examen minutieux de l’intervalle entre les lignes permet de déceler dans ces fragments les endroits où, par un espacement plus important, le scribe avait prévu que des corrections puissent être introduites afin de rectifier un calendrier qui réduisait artificiellement le mois lunaire à 28 jours, durée que l’observation ne pouvait que démentir. Dubs peut ainsi proposer que ce document appartienne « à la nécessaire série d’études préalables qui ont contribué à la mise sur pied » d’un « calendrier sacerdotal ‘parfait’ » (p. 47). Il pourrait être attribué, selon lui, « à un stade préparatoire, antérieur à la fixation autoritaire de la coïncidence des deux phases de la lune avec les données imprescriptibles du calendrier solaire aux 364 jours utilisé par les prêtres » (p. 47).
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Peut-être est-il éclairant d’établir ici un rapprochement avec le projet de calendrier fixe d’Auguste Comte 8 ? Treize mois de 28 jours auraient permis de parvenir à un total de 364 jours, tout en rythmant l’année autour du chiffre 13, déjà à l’honneur dans le calendrier solaire de 364 jours où se succèdent quatre semestres de 13 semaines chacun. En toute hypothèse, l’intérêt conjoint pour le soleil et la lune qu’attestent ce document et d’autres qui ont été retrouvés dans les grottes de Qoumrân invite à considérer que, dans la ligne des données de 1 Hénoch et à la différence de celles du livre des Jubilés, le choix résolu de la Communauté en faveur d’un calendrier solaire n’est pas exclusif d’un intérêt pour le cycle lunaire. La contribution de Francis Schmidt invite à poursuivre dans la même direction. Un autre document, les Prières quotidiennes (4Q503), pose en effet la question de l’usage d’un calendrier solaire ou d’un calendrier lunaire à Qoumrân. L’analyse des données du texte permet de conclure que le mois de 4Q503 est un mois de 30 jours, qui « peut être aussi bien un mois lunaire qu’un mois solaire » (p. 64). Il s’agit en fait d’un mois solaire, plus précisément du premier mois de la première année d’un cycle triennal durant lequel les jours du mois lunaire et ceux du mois solaire sont exactement synchronisés. Ce fait conduit S. à se demander si le calendrier de 4Q503 est compatible avec celui des Mishmarot (4Q320-330, 4Q337 ; 4Q394) qui eux aussi synchronisent le cycle des mois lunaires et solaires. La réponse est ici négative. S. en déduit que, dans l’histoire du calendrier, 4Q503 reflète une étape intermédiaire entre I Hénoch et les Mishmarot. S. pose enfin la question de la provenance, communautaire ou non, de ce calendrier liturgique. Constatant, après d’autres, que les bénédictions biquotidiennes de 4Q503 présentent des points communs avec leurs homologues synagogales et sans doute déjà avec la liturgie du Temple, S. en conclut que 4Q503 est un recueil de prières dont l’origine remonte à la liturgie du Sanctuaire. Elles ont été adoptées par la Communauté qui les a inscrites dans son propre calendrier, solaire, et les a ainsi adaptées « en conformité au calcul du temps et à la détermination des fêtes rythmant les temps sacrés du Yaad » (p. 74). En Annexe, S. affine l’édition de 4Q503 en prenant en compte le fait qu’il est conservé sur un papyrus opistographe, c’est-à-dire inscrit
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Voir supra, p. 7.
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au recto et au verso, verso sur lequel figure les fragments d’un Rituel de purification (4Q512). La prise en compte des deux cotés du papyrus permet à S. de proposer une organisation des fragments plus satisfaisante que celle à laquelle parvenait Baillet et, partant, d’améliorer le texte de 4Q503. Le temps liturgique et les fêtes L’étude d’Alfred Marx ouvre une nouvelle section portant sur le temps liturgique et festif. M. commence par souligner la fonction proprement « existentielle » du calendrier, qui constitue « la colonne vertébrale d’une société » (p. 90). Après avoir rappelé que la réforme calendaire effectuée en milieu essénien ne constitue pas le premier essai en la matière, M. analyse trois nouvelles fêtes, toutes trois agricoles, introduites dans le Rouleau du Temple – fêtes du Vin nouveau, de l’Huile fraîche, et de l’Offrande du bois –, et s’interroge sur les préoccupations rituelles et les affirmations théologiques que ces innovations visent à introduire dans le calendrier. Il montre dans un premier temps que ces fêtes doivent être interprétées comme fêtes des prémices, ensemble avec la fête des Semaines, et font, comme elle, intervenir les douze tribus. L’un des apports de cette contribution est de faire valoir que les prémices en question ne sont pas seulement les prémices de la production agricole d’Israël, dans la ligne de textes comme Dt 18,3-4, mais de produits qui ont une fonction essentielle dans le culte sacrificiel, où interviennent galettes, vin de libation, huile et bois servant de combustible pour l’autel. Une étude attentive du rituel de chacune de ces fêtes permet ensuite de mettre en évidence que celles du Vin nouveau et de l’Huile fraîche se distinguent par des traits qui leur sont propres : elles s’ouvrent par l’offrande, sur l’autel, du produit concerné ; elles se concluent par un sacrifice de communion accompagné, comme c’est l’usage, d’offrandes végétales et de libations. Elles mettent ainsi en jeu, par les rites qui les scandent, trois cercles concentriques, de sainteté décroissante mais élargissant progressivement le nombre des participants au repas (Dieu seul ; Dieu et les prêtres ; Dieu, les prêtres, les lévites et les chefs d’Israël). Au cœur de l’ensemble se situent le vin et l’huile. Correspondants végétaux du sang et de la graisse animale, ils représentent la nourriture divine sous sa forme la plus parfaite, dans la ligne, d’une part, de l’utopie végétalienne
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de P, et d’autre part, du festin eschatologique d’huiles « lavées » et de vin « de lie » que décrit Es 25,6-8. Ainsi le peuple se trouve-t-il, par la médiation du rite, associé par anticipation au banquet eschatologique d’immortalité. Dans la perspective envisagée, la célébration des temps festifs permet d’anticiper le Temps eschatologique. En conclusion, M. met en lumière la signification théologique de ces innovations rituelles. Par leur participation au vin et à l’huile, les membres de la communauté essénienne se voient accorder, au même titre que les prêtres, le privilège de recevoir l’huile d’onction et de partager le pain consacré avec Dieu. Célébrant les sabbats et les fêtes selon leur propre calendrier, les esséniens vivent en marge de la société juive, une société présente en Palestine et en diaspora. Les deux contributions suivantes portent sur le temps festif en diaspora et mettent en évidence deux façons opposées de pratiquer et d’interpréter les fêtes sous le regard des Gentils : l’une plus apologétique et universaliste, l’autre plus identitaire et polémique. La forme apologétique dont rend compte Jean Riaud s’est développée dans le judaïsme alexandrin dès le deuxième siècle avant notre ère. Son but était de montrer aux milieux cultivés grecs d’Égypte, en particulier à ceux la capitale du delta du Nil, la signification universelle tant de la Pâque que du sabbat. Pour ce qui est de la Pâque, conçue comme fête des Passages (ta diabatèria) sans que soit utilisé le mot Pâque (pascha), c’est une signification cosmique, et non plus nationale, qui lui est conférée dans le fragment I d’Aristobule, où il est question non de franchissement de frontières mais de passage du soleil et de la lune à l’équinoxe du printemps. Pour ce qui est du sabbat, le fragment V d’Aristobule fait entendre qu’il s’agit d’un jour de fête concernant tous les humains. Les références bibliques à l’esclavage en Égypte ou à l’Exode sont gommées, de même que toute allusion à l’alliance établie entre Dieu et son peuple. Seuls sont retenus les motifs du repos au septième jour de la création du monde, et de la contemplation de la sagesse dont provient toute lumière, repos et contemplation auxquels tous sont appelés. Chemin faisant, Aristobule explique la Bible en faisant appel à des spéculations numériques d’origine pythagoricienne ou à des notions empruntées aux stoïciens. Il s’agit ainsi de faire valoir la signification universelle de temps qui ne prennent plus sens au titre de
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commémoration d’événements fondateurs propres à l’histoire particulière d’un peuple, mais qui sont proposés en partage à une culture à laquelle on emprunte, pour mieux la rallier à l’École de Moïse. Si en certains milieux « l’adhésion à la culture grecque [était] compatible avec la fidélité aux principes du judaïsme » 9, l’étude de Christophe Batsch montre qu’il en était d’autres où prévalait l’affirmation identitaire. Interrogeant l’ensemble des notations chronologiques qui, dans le livre de Judith, organisent le récit du siège de la ville juive de Béthulie par les troupes du général assyrien Holopherne, B. propose d’y reconnaître l’affirmation d’un point de halakha dans le domaine calendaire : celui du respect de la trêve sabbatique en temps de guerre. Il constate que l’intervalle de trentequatre jours (Septante) ou de vingt jours (Vulgate) qui sépare les deux assemblées tenues par la population de la cité n’a de sens que si ces assemblées sont réunies toutes les deux le même jour, en l’occurrence un sabbat. Les événements qui conduisent, après la seconde assemblée, jusqu’à l’issue victorieuse inespérée tiennent dans un intervalle de cinq jours, délai arraché par Ozias à ses concitoyens pourtant résignés et impatients d’en finir. Comme l’établit B., cette durée « doit être comprise comme une illustration de l’interdit de combattre le sabbat » (p. 132). Le récit de la prise de Gazara en 2 M 10, 33-38, qui mentionne le même délai de cinq jours, offre une seconde illustration de ce même interdit. Si, comme le propose B. après d’autres, il convient de situer la rédaction de Judith en milieu juif d’Égypte, on a là une illustration du fait que l’ouverture et l’acculturation qu’atteste la présence d’officiers juifs jusqu’au plus haut niveau de commandement dans l’armée ptolémaïque (et qu’à sa manière, prône également un Aristobule) n’étaient pas sans susciter des réactions polémiques inspirées quant à elles par un souci de fidélité à la Loi et aux traditions ancestrales. La périodisation et la révélation temps par temps Avec les contributions de David Hamidovi et de Devorah Dimant est abordé un autre aspect important du rapport au temps, celui de sa périodisation.
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J. Mélèze Modrzejewski, Les Juifs d’Égypte. De Ramsès II à Hadrien (Civilisations U), Paris, Colin, 1992, p. 50.
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D. Hamidovi s’intéresse au titre du livre des Jubilés dans les manuscrits de Qoumrân : Les répartitions des temps. Une étude philologique le conduit à analyser les harmoniques possibles du terme mahleqôt, « répartitions ». Il rappelle ainsi que, dans l’Ancien Testament, ce terme a le plus souvent le sens de « division », de « classe », et sert à désigner « une partie d’un groupe sacerdotal, militaire ou familial » (p. 138). Il relève que l’on assiste, dans le livre des Jubilés, à un élargissement de son champ sémantique, étendu au domaine du temps. Mais il remarque que les préoccupations pour les classes sacerdotales, pour les préparatifs militaires en vue du combat eschatologique étant attestées à Qoumrân, il n’est pas impossible que « les temps nommés dans le livre des Jubilés intègrent une perspective sacerdotale, militaire, eschatologique ou communautaire » (p. 138). H. étudie ensuite les emplois du mot mahleqôt, « répartitions, divisions », à Qoumrân. Sur douze attestations, quatre désignent les parties d’un groupe, une se réfère à la division des sabbats et les sept autres citent le titre du livre des Jubilés. Une attention plus particulière à ces dernières amène H. à conclure que le livre des Jubilés est utilisé à plusieurs fins : rappeler l’importance du cadre de l’alliance et la gravité de toute forme de transgression ; stigmatiser l’impiété des Israélites contemporains et célébrer, par opposition, la piété dans laquelle vivent, dans le présent, les exilés à Qoumrân. Devorah Dimant, quant à elle, analyse la conception du temps sous jacente à l’exégèse des Prophètes (pesharim) et à celle de la Torah, telles qu’elles sont pratiquées à Qoumrân. Dans la conception qui ressort des textes communautaires, l’histoire se déploie comme une suite finie de périodes précises et bien définies, déterminées par avance par Dieu, tant pour ce qui est de leur succession que de leur nature. Il y a là un point commun avec les apocalypses juives, ce qui ne doit pas cependant occulter une différence importante : alors que, dans les apocalypses, les visions et l’interprétation de ces visions sont présentées comme étant concomitantes, simultanées, à Qoumrân, les deux phénomènes sont dissociés et assignés à des personnages et à des temps distincts. On est ainsi en présence d’un processus de révélation graduelle. L’importance que la Communauté de Qoumrân attribue au Maître de Justice se comprend dans cette perspective. Contemporain de la dernière période de l’histoire, vivant à « l’aube de l’ère eschatologique », « témoin vivant de l’accomplissement de la séquence planifiée
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tout entière » (p. 154), il est en position de dévoiler l’interprétation des mystères révélés aux Prophètes. L’interprétation des Prophètes par le Maître de Justice est elle-même l’objet de révélation, l’interprétation ultime étant réservée pour la Fin des Temps. Il en va de même pour la Torah et son interprétation dans les écrits de la Communauté. En effet, l’interprétation de la Torah – le midrash de la Torah – est, elle aussi, l’objet d’une révélation progressive, dont les membres de la Communauté sont bénéficiaires sous la conduite divine, « temps par temps ». Quant à la pleine compréhension de la révélation faite à Moïse au Sinaï, elle ne doit intervenir qu’avec l’achèvement de la totalité du processus historique. D. insiste, dans cette perspective, sur l’importance attribuée au phénomène de renouvellement de l’Alliance et de ses promesses, renouvellement nécessaire dans un contexte de révélation permanente. Comme elle le souligne, une conception spécifique de l’autorité, directe, divine, se déploie ainsi, à l’opposé que celle que suppose la tradition orale des pharisiens : « Alors que les pharisiens cherchaient l’autorité dans le passé, la Communauté de Qoumrân tirait son autorité du présent et du futur » (p. 166). On mesurera sans peine l’importance de telles conclusions au moment d’aborder, comme nous le ferons à présent, la question du temps fixé et du recouvrement ou du chevauchement des temps. Le temps fixé et le recouvrement des temps Le développement que D. Dimant consacre au Maître de Justice aura confronté une première fois le lecteur à un personnage doté d’une dimension eschatologique et aux conséquences qui en résultent pour la lecture et la compréhension des temps. Le Jésus historique, qui proclame l’irruption du Royaume de Dieu et en pose des signes, est une autre figure qui gagne à être comprise en fonction de représentations relatives à l’accomplissement des temps et des conséquences qui en résultent. Dans sa contribution, Christian Grappe se tourne vers les récits de l’intervention de Jésus au Temple et propose que leur lecture attentive permette de discerner, d’une part, comment le geste de Jésus a été compris au sein de l’Église primitive de Jérusalem et, d’autre part, quelle portée le maître lui-même lui aurait conféré, en fonction à la fois des temps (les fêtes) et du Temps (conçu comme un temps
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eschatologique). De fait, ces récits opèrent une relecture des événements à la lumière de Za 14, texte qui annonce, à l’horizon dernier, la venue du Seigneur à partir du mont des Oliviers jusqu’à Jérusalem, où a vocation à être célébrée la fête des Tentes dans des conditions radicalement nouvelles, la sanctification de la sphère profane rendant la présence de marchands et la médiation sacrificielle désormais inutiles. Les parallèles qui peuvent être effectués entre les récits évangéliques de l’entrée de Jésus à Jérusalem et Za 14 invitent à considérer que l’événement a été compris dans une perspective eschatologique et sous l’angle de l’accomplissement de l’espérance liée à la fête des Tentes. Mais un pas de plus peut être franchi en se demandant si la relecture qu’a opérée la communauté n’a pas été encouragée par le fait que l’événement lui-même aurait eu lieu à la fête des Tentes, hypothèse à laquelle G. se rallie avec d’autres. Il en infère que l’intervention de Jésus au Temple s’inscrit dans le cadre de sa proclamation fondamentale de l’irruption du Royaume, événement eschatologique qui se caractérise par une conquête de la sphère profane par la sainteté. Ainsi, en s’en prenant, à l’occasion de la fête des Tentes, à ceux qui assuraient un office de médiation indispensable en vue de la célébration du culte, Jésus n’aurait-il pas tant voulu protester contre leur présence, qu’« attester une autre présence, celle du Royaume de Dieu dont l’irruption eschatologique rend vaine la médiation sacrificielle » (p. 180). Son geste n’est dès lors pas tant signe de rupture que d’accomplissement. Il illustre l’accomplissement du Temps, « temps où la sainteté est promise à se communiquer à chacun et à imprégner tout lieu, et il le fait à la lumière de l’attente liée à l’un des temps liturgiques les plus chargés d’espérance eschatologique, la fête des Tentes » (p. 181). Avec la contribution de Jean-Claude Ingelaere, on passe de l’échelle d’un micro-récit à celle d’un macro-récit, l’Évangile selon Matthieu envisagé dans sa globalité, pour voir comment, là aussi, autour du temps particulier de Jésus conçu comme tournant eschatologique, se joue une réinterprétation des temps qui tout à la fois se succèdent et se recouvrent. C’est que l’ensemble de l’œuvre est traversé à la fois par une conception linéaire du temps, un temps qui se déroule par phases et par périodes successives, comme l’illustre plus particulièrement la généalogie de Jésus, et par « une conception non linéaire du temps où le passé de Jésus reflète le présent des croyants » (p. 183).
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De fait, au niveau de l’écrit tout entier, trois grandes phases peuvent être distinguées : le temps d’Israël ; le temps de Jésus ; le temps de la mission universelle. Mais ces temps successifs se recouvrent aussi. D’une part, le temps de Jésus s’enracine dans le passé d’Israël et le récapitule dans une perspective d’accomplissement, si bien que les éléments de continuité prévalent sur les éléments de rupture. Mais ce temps de Jésus inaugure aussi le temps eschatologique qui se prolonge avec le temps de la mission universelle, dont l’enseignement du Maître constitue la norme, même si les limites spatiales et temporelles du ministère de Jésus se trouvent à la fois dilatées et transcendées. La continuité s’inscrit ainsi autour de la thématique d’Israël, en ce sens que « l’Israël eschatologique inauguré par le temps de Jésus reste le peuple d’Abraham et de David » mais a vocation à sortir « de ses frontières pour rassembler tous les hommes, juifs et païens » (p. 197). L’étude que propose Marc Philonenko se concentre pour sa part sur la formule tripartite « celui est, qui était et qui vient », formule attestée à plusieurs reprises dans l’Apocalypse de Jean sous diverses formes qui constituent autant de « variations sur le thème de l’Être et du temps » (p. 199). Cette formule est absente de la Bible hébraïque. Il est donc tout indiqué d’en chercher l’origine en partant en quête de formules comparables qui mettent en tension, autour de la thématique de l’Être, passé, présent et futur. Ph. reprend ici un dossier constitué par Otto Weinreich tout en le complétant. Il montre que, si la formule tripartite est attestée dans le monde grec et romain, ce n’est pas là qu’il faut chercher en l’origine. Il convient de se tourner en fait vers l’Iran où la doctrine des « trois temps » est née et d’où elle a influencé le judaïsme comme l’attestent les échos qu’elle trouve chez des auteurs et dans des courants très divers. Ainsi chez Philon, en milieu essénien – que ce soit dans les textes de Qoumrân ou dans des écrits marqués par l’essénisme –, dans la littérature targoumique, la liturgie et la mystique juives, et, au-delà, en milieux samaritain et mandéen. La comparaison avec tous ces textes fait apparaître que l’introduction du motif de « ce qui est à venir » en lieu et place de « ce qui sera » se rencontre déjà en Judith 9,5 et en II Baruch 83,9. L’auteur de l’Apocalypse n’innove donc pas totalement, loin de là. Toutefois, en reprenant à son compte la doctrine des « trois temps » et en transformant, comme il le fait, la formule tripartite en y introduisant la
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mention de Celui qui vient, il lui confère, ainsi que le souligne Ph., une dimension non plus seulement ontologique mais encore eschatologique. En fonction de l’horizon constitué par le Temps fixé et de l’anticipation de ce temps dans la dynamique instaurée par Celui qui vient, les trois temps, même s’ils demeurent distincts, se recouvrent ou se chevauchent à leur manière. L’attente des temps derniers Les contributions de D. Dimant, Ch. Grappe et J.-Cl. Ingelaere ont déjà illustré, chacune à sa manière, combien les temps eschatologiques semblaient proche à beaucoup dans la Palestine au tournant de notre ère. La Guerre juive de Flavius Josèphe atteste elle aussi de la grande diffusion des attentes eschatologiques dans la société juive contemporaine. Le témoignage de Josèphe, notre unique source littéraire sur la première guerre de Judée, doit être décrypté dans la mesure où l’historien, soucieux de ne pas éveiller les soupçons de ses protecteurs romains, s’emploie à gommer autant que faire se peut la dimension eschatologique et messianique du conflit, qu’il laisse entendre à demi-mot en un seul passage (BJ VI, 312), dont l’ambiguïté a suscité une énorme discussion. Christophe Mézange se propose de cerner « les convictions des révolutionnaires touchant la fin des temps et les conséquences de ces croyances sur leur attitude durant la guerre » (p. 211). La relecture de la Guerre Juive, et principalement de BJ VI, 288-315, permet de comprendre que ce furent des prodiges, interprétés comme autant de signes ou d’oracles, qui persuadèrent les révolutionnaires d’engager le combat. Mais ces prodiges, qui signalaient à leurs yeux l’accomplissement de prophéties bibliques, telles l’oracle de Balaam (Nb 24, 17), ou certains textes d’Ésaïe (9, 1-6 ; 34, 5), donnèrent lieu à un conflit d’interprétation. Ceux qui étaient persuadés de l’imminence des temps de la fin voulaient engager le combat contre l’occupant romain sans plus attendre, convaincus que ce combat ne pouvait être que victorieux grâce à l’appui que Dieu viendrait apporter aux insurgés. Les partisans de la paix, quant à eux, s’en tenaient à une logique à la fois réaliste et historique qui les convainquait de ne pas entamer un conflit où les forces en présence étaient, à l’évidence, disproportionnées.
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Comment rendre compte de la « logique de séparation » 10 qui est ici à l’œuvre ? Comment expliquer la division des insurgés, qui, au lieu de s’unir, se divisèrent, le combat contre Rome s’accompagnant d’une guerre civile ? Les analyses de M. en offrent une explication essentielle. Pour ceux qui déclenchèrent les hostilités en ordonnant la cessation du sacrifice pour l’Empereur au Temple de Jérusalem, la guerre contre Rome fut conçue comme « le rendez-vous unique de la fin des temps » (p. 224). Certains qu’ils étaient que Dieu assurerait le triomphe d’Israël, les insurgés s’opposèrent, entre autres motifs de division, sur le prétendant messianique auquel il fallait se rallier ; d’autres, comme les Sicaires repliés à Massada, adoptèrent une attitude non moins surprenante : pourquoi ce retrait à un moment crucial ? M. s’interroge sur leurs activités et propose une explication intéressante : eux aussi considéraient la guerre contre Rome comme étant la guerre eschatologique ; mais quant à eux, c’est par une conduite toute empreinte de piété et de respect de la Torah qu’ils s’efforçaient de hâter l’intervention divine. L’étude de Jean-Marc Rosenstiehl porte sur un texte apocalyptique aujourd’hui méconnu mais qui, jusqu’au XIXe siècle, connut une immense fortune. Émanant de la Syrie du VIIe siècle de notre ère, l’Apocalypse du pseudo-Méthode comprend deux parties. La première, rétrospective, retrace l’histoire du monde depuis les origines ; la seconde, prospective, conduit jusqu’à la fin des temps. C’est la question des sources de cette apocalypse qui intéresse ici au premier chef R. Par une étude attentive de la chronologie et de la composition de l’œuvre, il parvient à montrer que, outre sur la Caverne des Trésors, chronique remontant au Ve-VIe siècle, sur le Roman de Julien l’Apostat (rédigé à la fin du IVe siècle) et sur la Légende syriaque d’Alexandre (composée vers l’an 630), l’œuvre s’appuie sur tout un arrière-plan scripturaire et légendaire. Cet arrière-plan inclut des traditions qui ne sont attestées que dans des écrits appartenant à la littérature intertestamentaire, comme I Hénoch, le Livre des antiquités bibliques, le Rouleau de la Guerre, et aussi et surtout le livre des Jubilés.
————— 10 L’expression est de P. Vidal-Naquet, « Formes d’activité politique dans le monde juif, principalement aux environs du Ier siècle de notre ère », in Les Juifs, la mémoire et le présent, Paris, la Découverte, 1991, p. 43.
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L’essai de R. met ainsi en lumière le fait que certains écrits juifs, qui sont au cœur de l’enquête menée dans cet ouvrage, et qui remontent à l’époque du second Temple, ont continué, par des voies qu’il est impossible de reconstituer de manière précise, d’influencer les mentalités et d’alimenter des spéculations relatives à la venue des temps derniers. Reprenant à son compte la périodisation des temps en une succession de millénaires, l’Apocalypse du pseudoMéthode illustre la postérité que connurent de tels comptages jusqu’à l’époque moderne.
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Le Temps et les Temps. Tel est le thème commun de recherche que se sont donné les trois équipes regroupées au sein du GDR intitulé « Littératures juives et chrétiennes au tournant de notre ère » (GDR 2320) durant la période allant de 2001 à 2004. Il en a résulté un colloque et ce volume, dans lequel sont rassemblées des contributions émanant de chercheurs rattachés à chacune de ces trois équipes. Nous tenons à adresser ici nos vifs remerciements à tous ceux qui nous ont aidés de quelque façon dans la conception et la réalisation de ce volume ainsi qu’à Florentino García Martínez et John J. Collins qui ont accepté de le publier dans la collection dont ils assurent la direction aux éditions Brill.
L’ADOPTION DU CALENDRIER BABYLONIEN AU MOMENT DE L’EXIL LUCIEN -JEAN B ORD
La mesure du temps a toujours été une préoccupation importante des milieux sacerdotaux dans l’ensemble de l’Orient ancien et, loin d’échapper à cette règle, l’Israël biblique s’y inscrit pleinement avec, nous le verrons, une succession d’aménagements et de mutations dans l’échelle de mesure jusqu’à l’Exil babylonien. Le fait que ce soient les milieux sacerdotaux qui aient eu, en quelque sorte, le monopole de l’établissement des calendriers nous renseigne déjà sur les buts poursuivis. Il ne s’agissait pas, en effet, d’une pratique destinée exclusivement – ni même principalement – à réguler et à décompter les activités humaines mais bien d’un « instrument liturgique » utilisé autant pour déterminer les dates exactes des fêtes sacrées et régler les actes du culte tout au long de l’année que pour déterminer les présages et aider à la divination 1. S’il est évident que, dès les temps les plus reculés, l’homme a constaté le retour périodique des saisons et a profité de cet indicateur naturel pour se situer temporellement dans son environnement, la nécessité d’un calcul sur des périodes de temps moins longues mais excédant la seule alternance jour/nuit est vite apparue et, ainsi que le fait pertinemment remarquer Mark Cohen, le cycle lunaire s’est imposé alors comme le seul moyen fiable de reconnaître un même temps écoulé 2. On a cependant vite constaté que le cycle lunaire et le cycle des saisons, loin de coïncider, s’éloignaient et se rapprochaient sur des
————— 1 Sur ce point, qui n’intéresse pas directement notre étude, on se reportera à : F. Rochberg-Halton, Aspects of Babylonian Celestial Divination : The Lunar Eclipses Tablets of Enuma Anu Enlil, (AfO, 22), Horn, 1988. 2 M. E. Cohen, The Cultic Calendars of the Ancient Near East, Bethseda, 1993, p. 3.
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périodicités trop longues pour être corrigées empiriquement 3. Pour éviter ce décalage, on en vint rapidement à ajouter un « mois intercalaire » à la suite des douze mois lunaires de 29,5 jours chacun, ce mois supplémentaire était calculé de manière à ce qu’un même mois lunaire tombe à peu près à la même saison. Tel était le système en usage dans l’Israël biblique. Le mois correspondait à une lunaison entière (Ps 104, 19) ce qui est attesté par le nom même donné à cette unité de temps : ZT[ (lune, cf. Ex 2,2, Si 43, 6 etc.) avec, à la fin de l’époque royale, l’adoption du mot FZ qui signifie primitivement nouvelle lune (1 S 20, 14 ; Ez 46, 1) mais prend alors l’acception de mois (Gn 7, 11 ; 29, 14) car se fixe, à cette époque, l’usage de compter le mois à partir de l’apparition de la nouvelle lune 4. L’année israélite comptait donc douze mois lunaires (1 R 4, 7 ; 1 Ch 27, 1-15) et, à la période ancienne, elle commençait à l’automne (Ex 23, 16 ; 34, 22), soit à l’époque où la plupart des récoltes étaient engrangées 5 et la vendange faite 6, ce qui indique une année dominée par les rythmes agricoles. On sait d’ailleurs, par le « calendrier » de Gézer (X e s. av. E.C.), que le cycle agricole dominait alors totalement la perception du temps 7. Le système fonctionnait également pour les deux royaumes, Juda et Israël, mais le mois intercalaire étant déterminé par l’autorité politique et/ou religieuse, on assista vite à un décalage entre les deux entités territoriales, décalage qui devait aboutir à une différence d’un mois entre l’année judéenne et l’année israélite (1 R 12, 32) 8.
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Rappelons que l’année solaire compte 365,25 jours alors que l’année lunaire n’en compte que 354. 4 Cf. A. Lemaire, « Le sabbat à l’époque royale israélite », RB 80, 1973, p. 161-185, sp. p. 162 s. 5 Cf. D. J. A. Clines, « The Evidence for an Automnal New Year in Pre-Exilic Israel reconsidered », JBL 93, 1974, p. 22-30. 6 Cet usage était d’ailleurs connu en Canaan ainsi que chez la plupart des Sémites occidentaux et à Ugarit, une fête des vendanges intervenait au premier mois qui prenait place à l’automne. Cf. J.C. Reeves, « The Feast of the First fruits of Wine and the Ancient Canaanite Calendar », VT 42, 1992, p. 359. 7 Sur le « calendrier » de Gézer, on consultera principalement : R. A. S. Macalister, Excavations at Gezer, II, Londres, 1912, p. 24 s. ; S. Talmon, « The Gezer Calendar and the seasonal Cycle of Ancient Canaan », JAOS 83, 1963, p. 177-187 ; B. Becking, « The Two Neo-Assyrian Documents from Gezer in their Historical Context », Ex Oriente Lux Jaarboek 27, 1981-82, p. 76-89. 8 S. Talmon, « Divergences in Calendar-Reckoning in Ephraim and Judah », VT 8, 1957, p. 250-307.
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Cet usage, ainsi que nous l’avons indiqué, va perdurer jusqu’à la fin de la période royale et c’est dans le courant du VIIe siècle av. E.C. que l’on s’accorde à fixer l’apparition de mois commençant à la « nouvelle lune » 9, ceux-ci n’étant plus alors désignés par un « nom » mais comme premier, second, troisième mois etc. Par ailleurs, on constate la prépondérance prise par un « nouvel an de printemps » qui tend à s’imposer au détriment de l’antique « nouvel an d’automne », phénomène qui est attesté avant l’Exil babylonien par les ostraca d’Arad 10, entre autres. Mais cela n’exclut pas, ainsi que nous le verrons, la coexistence de deux « têtes de l’année ».
L’Exil et l’influence babylonienne Ainsi que nous venons de le laisser entendre, l’adoption d’un nouveau système de comput date des dernières décennies de la royauté. Ce choix va se confirmer à la période exilique et post-exilique avec, alors, une référence certaine au calendrier babylonien ; il convient de noter dès à présent l’influence de la rédaction sacerdotale sur la généralisation du nouveau système dans les textes bibliques. On assure généralement que le judaïsme exilique et post-exilique a adopté purement et simplement le calendrier standard babylonien, reprenant non seulement les noms des mois à l’identique (annexe 1), mais également l’usage de commencer l’année au septième mois. S’il est exact que l’adoption de noms de mois relève de l’influence babylonienne, nous venons de voir que la date de ce « nouvel an » apparaît avant l’exil et nous aurons à nous interroger sur les sources de cette adoption qui n’est peut être pas aussi évidente qu’il peut paraître à première vue. Avant tout, il faut considérer le calendrier standard babylonien et son influence. C’est sous le règne de Samsu-Iluna de Babylone (1749-1712 av. E.C.) que les noms de mois de l’ancien calendrier amorrite disparaissent au profit d’une désignation faite à partir du
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Cf. W. W. Hallo, « New Moons and Sabbaths ; A Case-study in the Contrastive Approach », HUCA 48, 1977, p. 1-18. 10 Cf. A. Lemaire, Inscriptions hébraïques, I, Les ostraca, (LAPO, 9), Paris, 1977, p. 147-235.
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calendrier sumérien de Basse Mésopotamie 11. Il est vraisemblable que cette adoption dans l’écrit ne faisait qu’entériner un état de fait, les sumérogrammes étant utilisés pour représenter les mois du calendrier babylonien ; malheureusement, de grandes lacunes dans la documentation ne permettent pas d’être catégorique. On peut cependant poser comme terminus a quo la seconde moitié du XVIIIe siècle av. E.C. pour la genèse du calendrier babylonien 12. A partir de cette époque, il va rapidement évoluer vers son standard et va progressivement imposer son influence aux états voisins – avec des hauts et des bas dans sa diffusions correspondants aux avancées ou aux reculées de la puissance babylonienne – sans que les particularités locales disparaissent totalement (annexe 2). Une étude soigneuse des mois du calendrier standard babylonien nous permet d’ailleurs de constater qu’il s’agit d’une création artificielle empruntant des noms aux divers calendriers en vigueur au second millénaire et, sans doute, leur assignant les logogrammes de l’ancien calendrier sumérien de Basse Mésopotamie sans rechercher nécessairement une quelconque adéquation 13. On peut donc poser que la liste des mois du calendrier standard babylonien était définitivement arrêtée avant la fin du XVIe siècle av. E.C. Quant à la durée de l’année établie sur 364 jours, elle n’est pas attestée avec certitude en Babylonie avant le VIIe siècle av. E.C. 14, mais cela n’interdit pas de penser qu’elle ait été connue avant cette époque. Enfin, sans entrer dans une étude qui n’aurait pas sa place dans cette contribution, rappelons l’importance des deux tablettes MUL.APIN, particulièrement de la seconde, pour la connaissance des calendriers et des
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Cela est établi par le dépouillement des datations sur les documents, mais la première attestation bilingue, sumérien et akkadien, du calendrier standard babylonien est la série ÑAR-ra = ñubullu qui date seulement de la fin du second millénaire av. E.C. Cf. S. Greengus, « The Akkadian Calendar at Sippar », JAOS 107, 1987, p. 209-229. 12 M. E. Cohen, The Cultic Calendars, op. cit., p. 297-300. 13 Ainsi, nisânnu trouverait son origine à Mari, ayaru à Emar et à Nuzi, du¼uzu/tammuzu et abu appartiennent au patrimoine commun de la Mésopotamie, ulúlu/elúlu aurait été emprunté à Nuzi tandis que arañsamna/markašan viendrait du vieux persan ; šabæ+u et addaru sont attestés à Suse et à Anšan. Seuls les mois de simænu, kislimu et +ebétu n’ont pas de parallèles dans des calendriers antérieurs à l’établissement du calendrier standard babylonien et appartenaient vraisemblablement à la tradition locale. Cf. M. E. Cohen, The Cultic Calendars, op. cit., p. 303-305. 14 Cf. W. Horowitz, « The 360 and 364 Days Year in Ancient Mesopotamia », JANES 24, 1996, p. 41.
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systèmes de comput astronomiques en usage dans la Babylonie du VIIe siècle av. E.C. 15 Deux points doivent être relevés dès à présent. D’abord la particularité d’Emar qui conservera son double calendrier et n’adoptera certains noms de mois babyloniens qu’à partir du XIIe siècle 16 tout en préservant son comput cultuel. Ensuite les choix de l’Assyrie qui, dans un premier temps, que l’on peut situer au XI e siècle av. E.C. 17, adopte le calendrier babylonien pour l’abandonner au début du VIIe siècle av. E.C., probablement sous le règne de Sennacherib (704-681 av. E.C.) et sous l’influence des tensions politiques croissantes entre les deux puissances 18. On voit donc que l’adoption définitive d’un calendrier « de type babylonien » par les « Hébreux » est particulièrement tardive et n’intervient en fait que sous la pression des événements qui vont entraîner la disparition successive des deux royaumes et l’exil babylonien pour Juda. Le fait de commencer l’année au printemps et les mois à la nouvelle lune n’étant pas nécessairement, ainsi que nous le verrons, le résultat d’une influence babylonienne directe. Le calendrier biblique, ses particularités et ses origines Comme nous l’avons précédemment évoqué, c’est principalement la rédaction sacerdotale qui, dans son constant souci de datation, va utiliser l’avancée de l’astronomie mésopotamienne comme base de ses calculs. Cela ne va pas manquer de provoquer des « conflits » avec les anciens modes de comput, particulièrement pour les fêtes
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Sur les tablettes MUL.APIN, on consultera : O. Neugebauer, Astronomical Cuneiform Texts, London, 1955 ; A. J. Sachs, Astronomical Diaries and related texts from Babylonia, I, Diaries from 625 BC to 262 BC, (Österreichische Akademie des Wissenschaften. Philosophisch-historische Klasse. Denkschriften, 195), H. Hunger, éd., Wien, 1988 ; H. Hunger et D. Pingree, MUL.APIN : An Astronomical Compendium in Cuneiform, (AfO, 24), Graz, 1989. 16 Cf. D. E. Fleming, « The Israelite Festival Calendar and Emar’s Ritual Archives », RB 106, 1999, p. 8-34 et 161-174 ; id., Time at Emar. The Cultic Calendar and the Rituals from the Diviner's Archive, Winona Lake, 2000 17 Certains documents économiques datés du règne de Téglath-phalazar Ier (11141076 av. E.C.) utilisent une double datation mais, sous le règne de Aššur-bél-kala (1073-1056 av. E.C.), il semble bien que les mois babylonien aient prévalu. Cf. J. A. Brinkman, A Political History of Post-Kassite Babylonia, 1158-722 B.C., (Analecta Orientalia, 43), Rome, 1968, p. 383 s. 18 Cf. P. Machinist, « The Assyrians and their Babylonian Problem : Some Reflections », Wissenschaftkolleg zu Berlin Jahrbuch, 1984-85, p. 353-364.
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religieuses originellement liées aux événements agricoles. Le meilleur exemple est celui de la Pâque ; cette fête va en effet devoir conjoindre la tradition du sacrifice d’un agneau du troupeau (Ex 12, 3-6), la fête des Azymes (Ex 12, 1-20) et l’offrande de la première gerbe de la moisson des orges (Lv 23, 10). Fixée à la pleine lune de printemps, la Pâque est indiquée comme intervenant au quatorzième jour du mois d’abib désigné comme « premier mois de l’année » en Ex 12, 2 ; 13, 4 ; 23, 15 ; 34, 18 ; Lv 23, 5 et Dt 16, 1, alors que ce mois est identifié comme nisân en Est 3, 7. Or il n’y a aucune autre attestation, en dehors de la Bible, d’un mois portant le nom d’abib, et il se pourrait fort bien que ce D[D JFZ soit en fait l’appellation de la célébration des épis (D[D a le sens de « épis » en Ex 9, 31 19), soit une fête de la moisson. Si tel est le cas, nous sommes en présence de la survivance d’une ancienne appellation qui se superpose au « nouveau » mois babylonien et l’attestation tardive d’un usage de nisân dans le Livre d’Esther montrerait que l’adoption du nouveau calendrier ne s’est pas faite immédiatement, les deux désignations ayant pu coexister pendant une période assez longue. Il convient de différencier ce type de constatation de l’apparente double formulation qui apparaît en 1 R 6, 37-38 (Dans la quatrième année a été fondé le temple de yhwh, dans le mois de ziv et dans la onzième année, au mois de boul, c’est-à-dire le huitième mois, il a achevé le temple) et en 1 R 8, 2 (au mois d’étanim, dans la fête, c’est-à-dire au septième mois). Nous sommes là en présence d’un cas de figure exemplaire qui se situe à l’époque où l’ancien calendrier avait été abandonné au profit des mois « numérotés » et avant l’adoption des mois babyloniens. Le rédacteur final du livre des Rois écrivait à une époque où les formes anciennes de datation n’étaient plus comprises, mais il se devait de respecter une tradition vénérable 20 tout en la doublant d’indications qui aideraient à comprendre son
————— 19 H. L. Ginsberg (The Israelian Heritage of Judaism, (Texts and studies of the Jewish Theological Seminary of America, 24), New York, 1982, p. 44, n. 60) traduit par « milky grain », ce qui indique bien les jeunes pousses non encore parvenues à maturité et The Interpreter’s Dictionary of the Bible, (G. Buttrick, éd., Nashville, 1962, art. « Calendar », p. 485), propose l’interprétation « green heads of grain appearing this month ». 20 Les mois d’étanim et de boul apparaissent dans l’épigraphie phénicienne et semblent bien appartenir à l’ancien calendrier ouest-sémitique. Cf. R. R. Stieglitz, « The Phoenician-Punic Menology », dans Boundaries of the Ancient Near eastern World. A Tribute to C. C. Gordon, (JSOTSup., 273), M. Lubetski et al., éd., Sheffield, 1998, p. 211-221.
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propos. Cela est nettement attesté par l’emploi alternatif de ZT[ pour le mois « nommé » et de FZ pour le mois « numéroté », soit l’appellation ancienne de la lunaison et l’appellation nouvelle de la néoménie 21. L’utilisation des quantièmes pour désigner les mois n’est pas attestée avant la fin du VIIe siècle et le début du VIe siècle av. E.C. et les occurrences bibliques apparaissent à la fin du Livre des Rois (2 R 25, 1.2-3.8.25.27) dans le Livre de Jérémie (Jr 1, 3 ; 28, 1.17 ; 36, 9.22 ; 39, 1 ; 41, 1 ; 52, 4.5-6.12.31) et surtout dans le Livre d’Ézéchiel (Ez 1, 1.2 ; 8, 1 ; 20, 1 ; 24, 1 ; 26, 1 ; 29, 1.17 ; 30, 20 ; 31, 1 ; 32, 1.17 ; 33, 21 ; 40, 1 ; 45, 18.21.25). André Lemaire 22 fait remarquer que les deux premiers (2 Rois et Jérémie) font précéder le quantième du mois de FZ, alors que le dernier (Ézéchiel) n’utilise que le quantième – à deux exceptions près (Ez 24, 1 et 32, 1) – ce qui ne simplifie guère les problèmes de critique textuelle, certains passages d’Ézéchiel constituant une reprise de la fin de 2 Rois, mais nous permet de comprendre que, à la veille de l’invasion babylonienne et dans les premiers temps de l’Exil, le système de comput de l’année selon la numérotation des mois était encore en vigueur. Se pose alors la question de l’origine de cette manière de désigner les mois par leur quantième. Nous venons de voir qu’elle ne peut, en aucun cas, être d’inspiration babylonienne à la fois parce qu’elle est antérieure à la domination néo-babylonienne et, surtout, parce qu’il n’y a aucun usage babylonien auquel elle peut être rattaché. Elle ne dépend pas plus à d’une tradition ouest-sémitique et nous savons que seuls des calendriers de type nominal étaient en usage aussi bien en Canaan qu’en Phénicie ou à Ras-Shamra/ Ugarit 23. Une hypothèse intéressante a été formulée par André Lemaire 24, selon laquelle la désignation des mois suivant un numéro
————— 21 Cf. E. Auerbach, « Die Feste im Alten Israel », VT 8, 1958, p. 1-18, sp. p. 12 ; A. Lemaire, « Les formules de datation en Palestine au premier millénaire avant J.-C. », dans Proche-Orient ancien. Temps vécu, temps pensé, (Antiquités Sémitiques, 3), F. Briquel-Chatonnet et H. Lozachmeur, éd., Paris, 1998, p. 53-82, sp. p. 56-57. 22 A. Lemaire, « Les formules de datation », art. cit., p. 65-66. 23 Sur les calendriers ouest-sémitiques, on consultera principalement : S. Talmon, « The Gezer Calendar », art. cit. ; J. P. L. Olivier, « Notes on the Ugaritic Months Names », Journal of Northwest Semitic Languages 1-2, 1971-72, p. 39-45 et 55-59 ; J. M. de Tarragon, Le culte à Ugarit, (Cahiers de la Revue biblique, 19), Paris, 1980, p. 17-29. 24 A. Lemaire, « Les formules de datation », art. cit., p. 67-68.
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d’ordre résulterait de l’influence néo-assyrienne. On rencontre en effet plusieurs mentions, dans des documents assyriens du VIIe siècle av. E.C., des noms d’au moins deux mois « araméens » utilisés pour indiquer leur position dans l’année, il s’agit de simanêh sous la forme YRX¾ SMNH (le mois huit) 25 et sous la forme BYRX¾ SMN (au mois huit) 26, ainsi que šebâ, sous la forme YRX¾ ŠB¾ (le mois sept) 27 et sous la forme BŠB¯ (dans le sept) 28. Bien entendu, on ne peut affirmer absolument que le calendrier néo-assyrien ait utilisé uniquement une désignation « numérique » des mois, ni qu’il ait été nécessairement à l’origine de cet usage chez les Hébreux de la fin de l’époque royale, mais on ne voit guère à quel autre peuple ce comput aurait pu être emprunté. Tout en faisant les réserves d’usage, il nous paraît possible d’envisager une adoption d’un calendrier « de type assyrien » sous le règne de Manassé (698-643 av. E.C.), connu comme vassal d’Asarhaddon d’Assyrie (680-669 av. E.C.) et favorable aux influences étrangères (1 R 21, 2-18) 29. Reste le problème du « jour de l’an ». Nous avons vu que, dans l’usage ancien de l’Israël biblique, cette « tête de l’année » prenait place à l’automne. Il paraissait logique d’imputer le changement de cette fête, de l’automne au printemps, à l’influence néo-babylonienne, puisque le calendrier standard babylonien connaissait effectivement un premier de l’an au mois de nisânnu, mois printanier dont le nom dérive probablement du sumérien ne-šag qui désigne l’offrande des premiers fruits 30. Il convient cependant de réviser cette affirmation de l’influence babylonienne, particulièrement à partir des travaux
————— 25 Cf. F. M. Fales, Aramaic Epigraphs on Clay Tablets of the neo-Assyrian Period, (Studi Semitici NS, 2), Rome, 1986, p. 234-235, n° 50, 45 ; W. Röllig, « Aramaica Habursensia II. Zwei datierte aramäische Urkunden aus Tall Šéñ Xamad », AoF 24, 1997, p. 366-374. 26 W. Röllig, « Aramaica Habursensia II », art. cit., p. 147. 27 F. M. Fales, Aramaic Epigraphs, op. cit., p. 236, n° 51, 4. 28 F. M. Fales, Aramaic Epigraphs, op. cit., p. 244-245, n° 54, 4. 29 Cf. J. W. McKay, Religion in Judah under the Assyrian, (SBT, 2-26), Naperville, 1973, p. 67-73 ; M. Cogan, Imperialism and Religion, (SBL.MS, 19), Missoula, 1974, p. 88-96. 30 Nous retenons cette étymologie contre celle propose par J. Lewy (« The Assyrian Calendar », ArOr 11, 1939, qui suggère : « nisænu may be considered as a typically Amorite derivation from a word *nis, which is identical with Aramaic ns¾ and Hebrew ns “banner”, “flag”, “standard” (…) the “month of standard” ».
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récents sur les calendriers d’Emar 31 qui ont mis en évidence l’existence de deux calendriers « parallèles » dans cette cité-état du Proche-Orient ancien à l’époque de la domination Hittite (XIVeXIIIe s. av. E.C.) : un calendrier « civil », commençant probablement à l’équinoxe d’automne et un calendrier « cultuel » commençant de manière certaine au printemps, au début d’un mois indiqué par le sumérogramme SA-MU, littéralement « tête de l’année », mois qui se plaçait au centre des fêtes de zukru, l’une des principales solennités d’Emar, commençant à la pleine lune du douzième et dernier mois de l’année cultuelle et s’achevant au second mois (niqalu) de cette même année 32. Ainsi que le fait remarquer Murray Adamthwaite 33, le précédent des deux calendriers d’Emar, si on l’applique à l’Israël biblique, permet de résoudre un certain nombre de problèmes, particulièrement à propos des contradictions qui apparaissent dans les textes sur les dates du nouvel an. Bien que l’état de la recherche ne permette pas, à l’heure actuelle, d’être absolument affirmatif, on doit prendre en considération le fait que les rituels d’Emar présentent des parentés indéniables avec celles de la Bible et d’Ugarit 34. Nous ajouterons que le _YTM\ de Lv 23, 24, cette assemblée cultuelle mémoriale qui intervient le premier jour du septième mois de l’ancien comput, c’est-à-dire nisân, n’est pas sans rappeler le zukru d’Emar 35, qui était sans doute une festivité non agricole et, plus intéressant encore pour notre propos, s’inscrivait dans un cycle de sept ans au cours duquel les observances spécifiques du zukru (zukram nadænu) variaient d’une année à l’autre 36. Ces points de convergence sont trop importants pour que l’on puisse refuser au moins l’hypothèse d’un double calendrier israélite
————— 31 M. R. Adamthwaite, « A Twin Calendrical System at Emar and its Implications for the Israelite calendar », ANES 37, 2000, p. 164-182. 32 Cf. M. E. Cohen, The Cultic Calendars, op. cit., p. 346-347. 33 M. R. Adamthwaite, « A Twin Calendrical System at Emar », art. cit., p. 179180. 34 Cf. D. E. Fleming, « The Israelite festival Calendar », art. cit., p. 11-14. 35 _YTM\ renvoie à la racine ZKR (mémoire, faire mémoire, se souvenir), tout comme l’akkadien zakæru qui signifie autant invoquer que se rappeler (CAD, Z, 21-22) et duquel on doit rapprocher le zukru d’Emar. 36 Ce cycle apparaît nettement sur une tablette d’Emar ; cf. D. Arnaud, Emar : recherches au pays d'Astata. 6,3 : Textes sumériens et accadiens, (Emar, 6-3 ; Synthèse ; 18), Paris, 1986, n° 373, l. 174-175. Cf. également M. E. Cohen, The Cultic Calendars, op. cit., p. 347-351.
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préexilique, civil et cultuel, avec un double nouvel an : automne en accord avec le calendrier agricole et printemps en accord avec le calendrier cultuel. En tout état de cause, depuis les recherches de David Clines 37, on doit admettre que le nouvel an de printemps était une réalité connue et pratiquée dans l’Israël préexilique, ce qui semble bien confirmé par 2 S 11, 1 : au retour de l’année, au temps où les rois se mettent en campagne, qui fait nettement allusion à la « campagne de printemps » en l’associant avec ce JPJVDYV dont le sens ne peut être qu’un « commencement de l’an » 38. Il convient d’ajouter au dossier l’hypothèse d’Edwin Thiele 39 selon laquelle il y aurait eu une année commençant au mois de nisân dans le royaume du nord et une année commençant à tišri dans le royaume du sud. Cela éclaire d’un jour nouveau l’existence, certaine celle-ci, d’un double calendrier dans l’Israël post-exilique, l’un lunaire et sacerdotal et l’autre solaire et « civil » 40. La coexistence de ces deux calendriers n’étant pas alors forcément due à la pression des événements (domination Perse), mais à l’usage déjà fortement implanté dans la tradition de différencier une année cultuelle devant impérativement respecter le cycle des lunaisons et une année « civile », à l’origine fondée sur les rythmes agricoles mais bien plus souple quant à son comput. Ce dernier point nous amène à nous pencher sur le problème posé par l’harmonisation entre l’année lunaire de 354 jours et l’année solaire de 364 jours. Nous rencontrons là, de nouveau, une différence importante entre le calendrier babylonien standard et le calendrier du second Temple. En effet, sous la domination perse, en 480 av. E.C., les astronomes et mathématiciens babyloniens avaient mis au point un système très fiable d’adéquation automatique entre les
————— 37 D. J. A. Clines, « The Evidence for an Autumnal New Year », art. cit, p. 2240. Clines refuse cependant toute possibilité d’un double nouvel an dans l’Israël biblique préexilique. 38 Cf. A. H. Silver, « The Lunar and Solar Calendars in Ancient Israel », dans Essays in Honor of Solomon B. Freehof Presented by the Rodef Shalom Congregation on the Occasion of His Seventieth Birthday. August 8, 1962, W. Jacobs, F. C. Schwartz et V. W. Kavaler, éd., Pittsburgh, 1964, p. 302. 39 E. R. Thiele, The Mysterious Numbers of the Hebrew Kings, 2 nd revised ed., Grand Rapids, 1983, p. 45-53. 40 Cf. A. Serandour, « À propos des calendriers des Livres d’Esdras et de Néhémie », dans Études sémitiques et samaritaines offertes à Jean Margain, (Histoire du texte biblique, 4), Ch.-B Amphoux, A. Frey et U. Schattner-Rieser, éd., Lausanne, 1998, p. 281-289.
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deux années, en intercalant sept fois un « mois » supplémentaire sur une cycle de 19 ans 41. Or ce système ne fut pas adopté par les responsables du second Temple qui préférèrent s’en tenir à l’ancien système consistant à déterminer le commencement du mois d’après la lunaison et en intercalant chaque année un treizième « mois » plus ou moins long en fonction du nombre de jours estimés manquant. Ce n’est qu’en 359 de notre ère que le judaïsme adoptera le comput automatique mis au point plus de huit siècles auparavant 42. On peut s’interroger sur ce refus et la seule réponse réside dans le fait que le calendrier du second Temple reposait sur une tradition suffisamment ancienne et vénérable pour que le nouveau système babylonien, qui changeait un certain nombre de choses dans la pratique, ne puisse être reçu 43. Cela apporte encore un élément indirect à la théorie d’un calendrier cultuel hébraïque qui a pu être légèrement adapté lors de l’Exil mais qui serait resté, pour l’essentiel, ce qu’il était auparavant. Conclusion Nous voyons donc qu’en l’état actuel de la recherche, on ne peut plus se contenter de l’affirmation « classique » selon laquelle le calendrier juif post-exilique serait une démarque pure et simple du calendrier néo-babylonien, et il semble bien que ce soient les seuls noms des mois qui aient été vraiment adoptés au cours de l’Exil, pour des raisons évidentes d’ordre pratique puisque les Hébreux étaient alors sous la domination babylonienne. Les influences qui sont à l’origine de la formation du calendrier hébraïque post-exilique
————— 41 Cf. H. Hunger et E. Reiner, « A Scheme for Intercalary Months from Babylonia », WZKM 67, 1975, p. 21-28. 42 Cf. M. J. Geller, « The Influence of Ancient Mesopotamia on Hellenistic Judaism », dans Civilizations of the Ancient Near East, I, J. M. Sasson, éd., NewYork, 1995, p. 46-47. 43 Il semble bien, par ailleurs, qu’un conflit d’influences entre judaïsme jérusalémite et judaïsme babylonien soit intervenu dans ce cas particulier. L’affaire de l’année intercalaire qui est rapportée par le Talmud de Jérusalem (Sanhedrin I, 19a) et le Talmud de Babylone (Berakhot 63a-b), même si elle fait allusion à des faits nettement plus tardifs (II e s. E.C.), nous montre bien la solidité et la pérennité des traditions de mesure du temps. Cf. A. Oppenheimer, « The Attemps of Hananiah, Son of Rabbi Josua’s Brother, to Intercalate the Year in Babylonia : a Comparison of the Traditions in the Jerusalem and Babylonian Talmuds », dans The Talmud Yerushalmi and Graeco-Roman Culture, (Texts and Studies in Ancient Judaism, 79), P. Schäfer et C. Hezser, éd., Tübingen, 2000, p. 255-266.
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sont multiples et peuvent remonter, pour certaines, jusqu’à Sumer – par l’intermédiaire du double calendrier d’Emar. Les traditions locales tout autant que l’Assyrie et la Babylonie ont apporté leur contribution à l’élaboration d’un système qui, dans ses grandes lignes, est toujours en vigueur dans le judaïsme et le fait que celuici soit revenu à un premier de l’an automnal (Rosh-ha-shana) n’a en rien modifié l’ordonnancement des fêtes qui continuent de perpétuer l’alternance du vieux cycle agricole et du cycle historico-cultuel lié à la mémoire de l’Exode.
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Annexe 1 Tableau comparé des mois babyloniens du calendrier « standard » et des mois bibliques post-exiliques. Après chaque mois babylonien, nous donnons, entre parenthèses, sa forme logographique MOIS BABYLONIENS
MOIS BIBLIQUES
I
nisânnu (BARA2.ZAG.AR)
nisân
II
ayaru (GUD/GU4.SI.SÁ)
iyyar
III
simænu (SIG4.GA)
sivân
IV
du¼uzu / tammuzu (ŠU.NUMUN.NA)
+ammuz
V
abu (NE.NE.AR)
ab
VI
ulúlu / elúlu (KIN.dINNIN.NA)
elul
VII
tašrítu (DU6-KU3)
tišri
VIII
arañsamna / markašan (APIN.DU8.A)
marñešvân
IX
kislimu / kissilimu (GAN.GAN.E3)
kisleu
X
+ebétu (AB.BA.E3)
tébèt
XI
šabæ+u (ZIZ2.A.AN)
šeba+
XII
addaru (ŠE.KIN.KUD/KU5)
adar
Annexe 2 Tableau comparatif des calendriers mésopotamiens et élamites du XXe au VIe s. av. E.C. SUSE e e XX -XVII
s.
BABYLONIEN e e XVIII -XVI s.
HAFT TEPE e XIV s.
TELL-I-MALYÂN ELAM, XIe s.
ASSYRIE e e VIII -VII s.
šabætu
I
addaru
nisânnu
a-da-ri
BÁR.ZAG.AR
II
šer¼i ebúri
ayaru
še-er-i-EBUR
adari
III
pít bæbi
simænu
pi-it-ba-ba
IV
DINGIR.MAÑ
du¼uzu
adari šer¼i EBUR pít bæbi
V
abu
abu
a-bi
belili
DINGIR.MAÑ
VI
lanlube
ulúlu
la-al-lu-u-bi-e
api / manšarki
abu
VII
A.ŠÁ DINGIR.RA URU4
tašrítu
še-bu-še-bi-i
lalube
lalubû / lallubû
VIII
šer¼i ša eréši
arañsamna
še-er-i-URU4
sibari
sibútu / šebút
IX
tamñíru
kislimu
tam-ñi-ri
šerum / šermam
šer¼i ša eréš
X
sililítu
+ebétu
sí-li-li-ti
gammama
tamñíru
XI
ñultuppú
šabæ+u
ñu-ul-tu-up-pi-e
sililítu
XII
šabæ+u
addaru
šà-a-ba-a-ti
ñultuppú
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Bibliographie Le problème des calendriers dans le Proche-Orient ancien, Israël biblique inclus, a fait couler beaucoup d’encre et une bibliographie exhaustive du sujet pourrait constituer à elle seule l’objet d’une publication. Nous ne donnerons ici que les ouvrages et articles en relation directe avec le sujet traité ou indispensables pour aborder le problème de l’ancienne mesure du temps. Aaboe, A. et Hamilton, N. T., Contributions to the Study of Babylonian Lunar Theory, (Det kongelige Danske Videnskabernes Selskab / Matematisk-fysiske Meddelelser, 40-6), Copenhague, 1979. Adamthwaite, M. R., « A Twin Calendrical System at Emar and its Implications for the Israelite calendar », ANES 37, 2000, p. 164-182. André-Salvini, B., « La conscience du temps en Mésopotamie », dans ProcheOrient ancien. Temps vécu, temps pensé, (Antiquités Sémitiques, 3), F. BriquelChatonnet et H. Lozachmeur, éd., Paris, 1998, p. 29-37. Arnaud, D., Emar : recherches au pays d’Astata. 6,3 : Textes sumériens et accadiens, (Emar, 6-3 ; Synthèse ; 18), Paris, 1986. Auerbach, E., « Die babylonische Datierung im Pentateuch und das Alter des Priesterkodex », VT 2, 1952, p. 334-342. Auerbach, E., « Die Feste im Alten Israel », VT 8, 1958, p. 1-18, sp. p. 1-2. Becking, B., « The Two Neo-Assyrian Documents from Gezer in their Historical Context », Ex Oriente Lux Jaarboek 27, 1981-82, p. 76-89. Berger, P.-R., « Das Neujahrsfest nach den Königinschriften des ausgehenden babylonischen Reiches », CRRAI 17, 1970, p. 155-159. Bordreuil, P., « La mention du mois d’Adaru dans une lettre du roi de Tyr au roi d’Ougarit (RS 18.59 i.14) », Semitica 40, 1991, p. 28-30. Brinkman, J. A., A Political History of Post-Kassite Babylonia, 1158-722 B.C., (Analecta Orientalia, 43), Rome, 1968. Charpin, D., « Mari et le calendrier d’Ebla », RA 76, 1982, p. 1-6. Clines, D. J. A., « Regnal Year Reckonings in the Last Years of the Kingdom of Judah », Australian Journal of biblical Archaeology 2, 1972, p. 9-34. Clines, D. J. A., « The Evidence for an Automnal New Year in Pre-Exilic Israel reconsidered », JBL 93, 1974, p. 22-40. Cogan, M., Imperialism and Religion, (SBL.MS, 19), Missoula, 1974. Cohen, M. E., The Cultic Calendars of the Ancient Near East, Bethseda, 1993. Fales F. M., Aramaic Epigraphs on Clay Tablets of the neo-Assyrian Period, (Studi Semitici NS, 2), Rome, 1986. Fleming, D. E., « The Israelite Festival Calendar and Emar’s Ritual Archives », RB 106, 1999, p. 8-34 et 161-174 . Fleming, D. E., Time at Emar. The Cultic Calendar and the Rituals from the Diviner’s Archive, Winona Lake, 2000. Galil, G., « The Babylonian Calendar and the Chronology of the Last Kings of Judah », Bib 72, 1991, p. 367-378. Geller, M. J., « The Influence of Ancient Mesopotamia on Hellenistic Judaism », dans Civilizations of the Ancient Near East, I, J. M. Sasson éd, New-York, 1995, p. 43-54. Ginsberg, H .L., The Israelian Heritage of Judaism, (Texts and studies of the Jewish Theological Seminary of America, 24), New York, 1982. Greengus, S., « The Akkadian Calendar at Sippar », JAOS 107, 1987, p. 209-229. Hallo, W. W., « New Moons and Sabbaths ; A Case-study in the Contrastive Approach », HUCA 48, 1977, p. 1-18.
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4Q317 ET LE RÔLE DE L’OBSERVATION DE LA PLEINE LUNE POUR LA DÉTERMINATION DU TEMPS À QOUMRÂN JEAN -C LAUDE DUBS École Pratique des Hautes Études – Paris
Les textes calendaires de la Grotte 4 s’expriment régulièrement sur le découpage du temps à partir des degrés d’éclairement de la lune. Elle leur sert de référent, même si de l’avis général, cette référence est plus idéologique que rigoureuse. En 1997 Matthias Albani écrivait : « pas plus dans EnAstr que dans 4Q317 ou dans tout autre document calendaire, le calendrier aux 364 jours ne fait penser à une observation effective du soleil ou de la lune. Le système entier est dominé par un schématisme des nombres sacrés » 1. Pareille certitude, même s’il elle n’est pas sans est fondement, ne doit cependant pas interdire les relectures. Pour les besoins de l’expérimentation, convenons donc de mettre momentanément entre parenthèses ce consensus du tout théorique afin de laisser libre le champ de la recherche expérimentale. En premier lieu, il convient de se départir de l’idée que ce document 4Q317 2 soit nécessairement et uniquement un calendrier. Tel qu’il est, ce texte se présente en effet à la manière d’une éphéméride astronomique. Le discours reste constamment dans le mode prédictif : il annonce, en conjuguant les verbes à l’inaccompli, quels seront tels jours les quantités d’éclairement de la lune. La désignation de ces jours nécessite un calendrier de référence. Dans 4Q317, l’échelle du temps est fournie par ce que les modernes appelleraient le calendrier civil, c’est-à-dire un calendrier reconnu. Eu égard à l’environnement, on ne peut guère songer qu’à un calendrier solaire appartenant à l’un des nombreux systèmes attestés dans la Grotte 4.
————— 1
M. Albani, « Zur Rekonstruktion eines verdrängten Konzepts : Der 364-TAGE Kalender in der gegenwärtigen Forschung » dans Studies in the Book of Jubilees, Mohr Siebeck, 1997, p. 100. 2 Traduction en Annexe 5.
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Ceci posé, venons-en à l’évaluation de ces chiffrages qoumrâniens, réputés théoriques, pour apprécier dans quelle mesure ils divergent de ceux qu’aurait produit une observation effective de la lune. Certes les pages définitives de Neugebauer doivent demeurer présentes à l’esprit. Il y souligne en effet que les descriptions qoumrâniennes des éclairements de la lune sont établies selon une progression linéaire 3, ce qui est indéniable. Ce jugement global passe cependant sous silence le fait que certains documents qoumrâniens manifestent quand même une tendance à rendre compte d’une réalité observable. A preuve les correctifs à base de demiquatorzièmes introduits dans la table de 4Q317, et qui pourraient aller précisément dans le sens d’une meilleure description de la réalité astronomique. Car, il n’existe aucun système calendaire qui ne soit le produit, après parfois de multiples avatars, d’une phase primitive d’authentique observation. R.T. Beckwith note que la mesure du temps par l’observation a toujours précédé sa mesure par calculs, parce que l’observation, bien que fastidieuse, est beaucoup plus facile à utiliser 4. Nous essayons ici de remonter cette piste. Pertinence des chiffres de 4Q209(EnAstrar ) et de 4Q317 ? Le tableau de l’Annexe 1 compare les pourcentages d’éclairement de la lune de l’éphéméride moderne avec les fractions d’éclairement mentionnées dans les textes astronomiques anciens. La parenté bien connue entre 4Q317 et la littérature araméenne énochienne conduisait naturellement à choisir cette dernière comme terme de comparaison. On relève en effet dans 4Q209 un système analogue de fractionnement de l’éclairement du disque lunaire en portions égales d’un quatorzième. Là où 4Q209 additionnait des demi-septièmes, 4Q317 additionne des « parts » (VGS2N$ZCO ) par progressions de quatorzièmes, ce qui au plan de l’arithmétique, revient au même. Pour obtenir un tableau synoptique, toutes les données d’éclairement ont été converties en valeurs positives. L’italique indique les restitutions.
————— 3 O. Neugebauer, « The ‘Astronomical’(sic) Chapters of the Ethiopic Book of Enoch », Appendice A, dans M. Black, The Book of Enoch or I Enoch, Leiden, Brill, 1985, p. 380-381. 4 R. Beckwith, « The Essene Calendar and the Moon : a Reconsideration », dans Revue de Qumran, vol. 15, mars 1992, p. 457-466.
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De 4Q209 on a retenu que les maxima de lumière prêtés à la lune, repérables dans le texte par la formule récurrente waqawwi [K8HSCY « et elle s’accroît ». Dans le mode d’expression propre à cet écrit, cet accroissement de l’éclairement est à entendre comme négatif lorsqu’on est dans le décroît de la lune. Il est touchant de constater qu’avec des prémisses fausses (la progression linéaire par demi-septièmes) on parvient souvent à de bonnes approximations, correctes à 5 % près 5. Ou bien, et c’est très intéressant, l’évaluation serait exacte si l’on décalait d’une journée, comme c’est le cas pour les 64 % dans 4Q317 qui arrivent un jour trop tôt ou trop tard. Toute la difficulté provient en effet de ce que la courbe véritable de l’éclairement de la lune est une sinusoïde tandis que les Qoumrâniens ne savaient construire qu’une dent de scie (courbes de l’annexe 2). Pour y remédier, les intervenants successifs sur 4Q317 se livrèrent aux multiples corrections que l’on sait, en agissant ainsi sur les dates. À la figure 2, nous référençons deux pleines lunes successives PL 1 et PL 2 . La première correspond à la fiction introduite par la compensation ecclésiastique de la date de Pâques, et que reproduisent nos agendas et autres calendriers des Postes 6 ; la seconde, PL2 désigne la pleine lune vraie des astronomes. Le point origine de la courbe, donc le jour 1, se situe au lendemain de cette PL 2 vraie. Nous argumentons cette disposition sous le titre 4, ci-après.
Particulièrement suggestifs sont les perfectionnements opérés par le scribe ajoutant ici et là un demi-quatorzième (sur fond grisé dans le tableau). Ces retouches concernent les sommets de la courbe, là où il est manifeste qu’elle devrait s’arrondir, c’est-à-dire au moment où la courbe décrit PL et NL. Ce manuscrit n’est pas une composition originale. Les chercheurs s’accordent sur l’idée d’être en présence du travail d’un scribe, effectuant une copie, et qui aurait réparé ses erreurs au fil du texte. Mais ici les routes divergent. Les grands devanciers, Wise et Abegg, emboîtent résolument le pas à Milik, qui, dès le dévoilement des fameuses treize lignes de 4Q317 qu’il excipait à titre d’illustration
————— 5 Du fait des variations de la vitesse de la lune, les résultats de tels comparatifs sont plus ou moins bons selon la période de référence choisie dans l’éphéméride moderne. Nous en avons observé de meilleurs dans d’autres simulations. 6 Pour le mode de ces calculs rectificatifs très complexes, cf. « Pâques, Calcul de la date de – », Encyclopedia universalis, Thesaurus, Encyclopedia Universalis France SA, 1996, p. 2725-2724.
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de sa publication des fragments araméens d’Enoch 7, affirmait qu’il s’agissait là d’un calendrier « synchroniste ». La recherche est donc allée à l’époque dans le sens d’une volonté du scribe de 4Q317 de faire coïncider son éphéméride avec le calendrier théorique de la série 4Q321 et consorts. Avec beaucoup de brio, mais au prix toutefois de plusieurs modifications du texte, Wise puis Abegg 8 parviennent à installer 4Q317 dans le cadre strict du calendrier particulier à la communauté de l’Alliance. Ils font ainsi d’un texte a priori profane, un témoin supplémentaire de l’hégémonie calendaire des mishmarot dont la visée, dit-on, concerne l’exactitude dans l’accomplissement du rituel du culte 9. Facteurs d’imprécision concernant l’heure du changement de date Mais si, suivant notre axe de recherche, 4Q317 est un travail d’astronome, rudimentaire certes, mais appuyé sur l’observation effective de la lune, à ce moment nous entrons dans une autre problématique. Il va falloir composer en effet, non plus avec une doctrine abstraite, mais avec les marges d’incertitude que comporte toute expérimentation véritable. Pour illustrer ce fait, nous ferons appel au témoignage du mathématicien grec Geminos de Rhodes, qui œuvre lui aussi au milieu du IIe siècle av. J.-C. Il fait part de ses déboires dans un passage de l’Eisagogè, sa fameuse « Introduction aux Phénomènes ». Décrivant les quatre phases classiques de la lune PC, PQ, G, et PL, il indique l’âge théorique de la lune pour chacune des ces occurrences. Mais il s’empresse d’ajouter que les prévisions sont souvent controuvées en raison de ce qu’il appelle l’anomalie
————— 7
J. T. Milik, « Aramaic Fragments of the Qumran Cave 4 », The Books of Enoch, Oxford, Clarendon Press, 1976, p. 68-69. 8 M. O. Wise ; « Second Thoughts on SYF and the Qumran synchronistic calendars time » dans J. C. Reeves & J. Kampen, Pursuing the Text, JSOT Sup. 184, Sheffield Academic Press, 1994, p. 111-116 ; M. G. Abegg, Jr., « Does anyone really know what Time it is : a Reexamination of 4Q503 in Light of 4Q317 » dans The Provo International Conference on the Dead Sea Scrolls, p. 403-406 (D. Parry & E. Ulrich, éd.), Leiden, Brill, 1999. 9 On recoupe ici la remarque déjà formulée par Geminos : «en faisant aller les années exactement avec le soleil, et les mois avec la lune, les Grecs considèrent qu’ils sacrifient suivant les coutumes ancestrales, c’est-à-dire qu’ils font les mêmes sacrifices aux dieux aux mêmes moments de l’année», Eisagogè VIII, 15 op. cit.
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du mouvement 10. C’est ainsi qu’il s’adjuge une marge d’erreur, pouvant aller de un à trois jours 11. En ce qui concerne 4Q317, et pour apprécier rigoureusement les possibles causes d’incertitude, il faut envisager sérieusement la question de la détermination de la date chez les anciens. Pour tenter de comprendre comment procède notre auteur, il faudrait savoir à quel moment du jour ou de la nuit s’effectue, dans son esprit, le passage d’une date à l’autre. Le patient labeur auquel il s’est livré, en introduisant de multiples retouches au moins dans certaines parties conservées de son texte, serait dénué de sens s’il ne répondait à une préoccupation d’exactitude par rapport à ce qui, dans sa culture, était considéré comme le réel. Se livrer, comme ce texte le fait, à un arbitrage des dates des phases ou plus exactement des degrés d’éclairement de la Lune, suppose que l’on suive une ligne de raison simple et stricte. En matière d’observation et de calendrier, la modernité est familière de la référence au « zéro heure », qui marque avec exactitude le moment où commence une nouvelle date. Mais, pour la période considérée, pareille notion est hors de propos. Il faudrait imaginer chez les anciens tout un système d’observation de l’heure du passage du soleil au méridien, à laquelle on ajouterait, en faisant usage d’anachroniques sabliers ou de légendaires clepsydres 12, le nombre d’unités
————— 10 G. Aujac, op. cit., p. 144, rapproche cette remarque de celles déjà formulées par Hipparque puis par Ptolémée sur le retard du lever de la lune d’un jour au suivant. On reste là dans le processus normal de la construction de l’éphéméride. Ces (IX, 13) ne touchent pas au mouvement mais à son calcul. 11 « … en croissant : au plus tôt le premier du mois, au plus tard le trois […] elle passe au premier quartier au plus tôt vers le six, au plus tard vers le huit ; elle devient gibbeuse au plus tôt vers le dix, au plus tard vers le treize ; elle passe à la pleine lune au plus tôt vers le treize, au plus tard vers le dix-sept… » IX, 14, p. 60. Cf. aussi le témoignage moderne de l’Encyclopedia Universalis (1995), à l’entrée « Pâques, Détermination de la date », qui évoque du fait des irrégularités des mouvements lunaires des écarts de phase ainsi observés, d’un ou parfois deux jours. 12 Cf. H. Michel, Collections du musée international d’horlogerie de la Chaux de Fonds, oct. 1974 : « Période archaïque et antiquités », p. 9 : aucune clepsydre de l’antiquité n’a été retrouvée, même dans les tombes des Pharaons, qui pourtant collectionnent tous les objets du mobilier domestique et terrestre. Également F. ThureauDangin, « La clepsydre » dans la Revue d’Assyriologie et d’Archéologie Orientale, vol. 29, 1932, p. 133-186, une description probable de l’instrument. Et cf. aussi C. Michel, art. « Mesure du temps » dans Dictionnaire de la Civilisation mésopotamienne, Paris, Robert Laffont, 2001, p. 528. À noter également le fait que la linéarité de cette horloge est obérée du fait que l’écoulement d’une colonne d’eau varie en vitesse et donc aussi en volume suivant sa hauteur (principe de Pascal).
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de temps adéquat pour atteindre avec précision le moment de la nuit dont il resterait convenu qu’il coïncide avec le changement de date 13. Or nous n’avons pas trace de pareilles pratiques, et l’usage paraît se situer ailleurs. Les anciens, en effet, contemplent la ceinture de constellations qui constitue le zodiaque 14. De la vieille tradition mésopotamienne, ils ont recueilli l’idée de la répartition de ce cercle entre douze figures animales et humaines qui occuperaient chacune, exactement, un secteur de trente degrés. Le défilé de chacune de ces figures au méridien du lieu s’opérerait en exactement deux heures 15. Or il est bien connu que ce sont non pas douze, mais treize constellations zodiacales, qui défilent chaque nuit devant l’observateur 16, et que la valeur angulaire de ces figures diffère largement, en plus ou en moins, de ces trente degrés théoriques, qui valent deux heures. Ce n’est donc pas là un instrument rigoureux de l’appréciation de l’heure 17. Il en résulte une difficulté pour la consignation exacte de la date des degrés d’éclairement de la Lune. Cela peut expliquer les repentirs, et autres modifications intervenues sur le document 4Q317. Facteurs d’imprécision imputables aux variations de la vitesse Mais il existe un second faisceau de causes qui interfèrent sur la précision dans l’énoncé de l’échéance des phases. On sait en effet, depuis Kepler, que notre satellite parcourt d’une PL à l’autre, une ellipse dont la terre occupe l’un des foyers. À l’apogée comme au périgée, la vitesse de la lune, dont le maximum avoisine 15° par heure, s’amenuise progressivement jusqu’à 12° par heure. On se trouve alors aux moments où la sinusoïde s’attarde à changer de sens. Ces moments correspondent aux inobservables NL, et aux énigmatiques PL. C’est-à-dire aux périodes que notre document 4Q317 arrondit en ajoutant du temps par petites touches, pour corriger la progression linéaire de son schéma initial et la dent de scie inappropriée qu’elle
————— 13 Le coucher du soleil, tout comme son lever varient de jour en jour et ne peuvent servir de repère. 14 La région qui s’étend à huit degrés et demi, de part et d’autre de l’écliptique. 15 On reste proche du béru mésopotamien, unité de temps qui vaut tout justement deux heures. 16 Pour en rester à douze signes on fait impasse sur Ophiucus, dont le temps de défilement est de l’ordre de une heure et demie. 17 Cf. K. Leuck, La Lune la Terre et nous, Pauvert, 1977.
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engendre. À cela s’ajoutent encore d’autres facteurs habituels de complexification. Car l’orbite lunaire est inclinée de 5,8° par rapport à l’écliptique, et cette orbite de la lune décrit elle-même un lacet par rapport au cheminement du soleil, tantôt se rapprochant un peu de la terre, tantôt s’en éloignant. Le mouvement des planètes, des astéroïdes, ainsi que le passage de comètes et ou d’autres gros météorites modifient aussi, de manière ténue, les vitesses des masses en présence. Tout cela retentit évidemment sur les horaires et du même coup les sur la fixation de la date d’entrée dans une nouvelle phase. L’alerte aux 29 jours donnés par l’épigraphie. Le fragment V (Annexe 3). « Pour certains mois la lunaison est de vingt-neuf jours, mais il en est de vingt-huit » : l’ancienne constatation de I Hénoch 78, 9 n’a pas échappé à l’auteur de 4Q317 qui va moduler son texte pour obtenir ces vingt-neuf jours. Déjà Wise en avait pris conscience de ce changement de parti, mais il s’en débarrasse en suggérant que ce soient là les vestiges d’un système archaïque. À quoi il ajoute, dans une phrase trop rapide, une erreur d’addition 18. Quant à Abegg, il valide le discours erroné de Wise en admettant lui aussi que deux fois quatorze jours et demi aboutissent à un total de trente jours 19. Cette réitération de lapsus calami met le doigt sur un aspect inexploré du travail rédactionnel de 4Q317. On le vérifiera en examinant les meilleures photographies (43.375 & 43.376 = Plates 1369 & 1370). Cet intérêt de 4Q317 pour
————— 18
M. O. Wise, « Second Thoughts… », art. cit., p. 116 : « When either process has culminated, fourteen an one half parts of the moon’s light – which only has fourteen parts – are declared visible or invisible, as appropriate. The mathematical impossibility of this latter aspect of the text is clear testimony to the primitiveness of the system, and suggest naïve reworking of an original twenty-eight days lunar cycle for use with twenty-nine and thirty day lunisolar months ». 19 M. G. Abegg, Jr., « Does Anyone… », art. cit., p. 404, lignes 15-16 : « … he (…) fails, however, to note that the text of 4Q317 is detailing a thirty day-month – fourteen parts and a half to the new moon, and fourteen parts plus a half to the full moon ». À la ligne 36 de la même page, on retrouve la même erreur multipliée par deux, puisqu’on y parle de quatorze parts et demie, là où le contexte en attend vingt-neuf, et l’auteur trente.
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ce comptage rectifié à quatorze et demi n’apparaît pas moins de cinq fois au long des cinq premiers fragments. Si le scribe, comme cela reste probable, a pu utiliser à un moment donné un système de réglure pour aligner son texte, il n’en reste aujourd’hui pas trace. On remarque toutefois une étrange particularité dans les quatre fragments du premier lot, ceux que l’usage établi numérote I à IV, mais aussi dans celui dont nous produisons ici un déchiffrement inédit et auquel nous avons attribué le numéro V (Planche 1360) 20. Cette particularité commune aux fragments III, IV et V, est en effet la présence d’une disposition préalable des lignes du texte copié, ménageant un espace supplémentaire d’environ 20 % audessus de certaines lignes que l’on avait l’intention de supplémenter. L’espacement des lignes du Frag. III est sensiblement de 7 mm, mais entre les lignes 7 et 8 cet espace est de 8,5 mm, préparant la place à une adjonction significative : celle d’un jour supplémentaire où l’éclairement de la lune passe à quatorze parts et demie. Phénomène analogue au Frag. IV : les lignes sont espacées de 7,38 mm, mais entre les lignes 8 et 9, en vue de la même modification de la longueur du mois lunaire, on a réservé un espace atteignant 9,5 mm. Dans le Frag. V enfin où l’espacement moyen des lignes est de 5,86 mm tandis que l’espace réservé à cet éclairement des quatorze parts et demie s’élève à 7 mm. Et là aussi le fait se produit à l’endroit où l’auteur ancien va introduire une nouvelle hypothèse. En revanche, pareille modification de l’espacement des lignes n’était pas observable au Frag. II II , ligne 28. Quant à cette même adjonction d’un quatorzième et demi à la ligne 8 du Frag. I I , proposée par Milik et entérinée par la suite, elle se situerait au delà du support cuir subsistant, et non pas, comme le donne à croire la présentation de García-Martínez et Tigchelaar, également en supra linéaire 21.
Ces étranges particularités appellent deux remarques. – D’abord en ce qui concerne l’histoire de ce manuscrit, elles permettent d’affirmer que ce document est le produit de la copie scrupuleuse, ce qui veut dire à l’identique, d’une Vorlage plus ancienne. En effet, la pratique scribale en ce qui concerne les gloses, consiste généralement à les intégrer au fil de la nouvelle copie. Mais ici, on a procédé avec minutie, comme le ferait un orientaliste devant une
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Cf. Annexe 3, où les passages incriminés sont soulignés. Cf. DJD XXVIII, Plate LIV, frg. 4 (317.4QcryptA Lunisolar calendar, IAA 355039 : Mus.Inv.899) Oxford, 2001. 21 Study Edition, Leiden, Brill, 1998.
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stèle à l’écriture encore inconnue, en respectant la disposition des mots dans l’espace. – En second lieu, ces précautions renseignent sur l’état d’esprit de l’auteur. Elles pourraient signifier que l’on se réservait d’apprécier ultérieurement le bien-fondé de ces corrections qui portent la durée du mois lunaire de vingt-huit à vingt neuf jours 22 et qui semblent constituer une préoccupation majeure, au moins dans la partie conservée de ce manuscrit. Quelle est l’origine archaïque de l’estimation de la longueur du mois, ou de la lunaison qui le définit, à vingt-huit jours ? Les Qoumrâniens sont-ils en dépendance de la science babylonienne reflétée par le traité MUL.APIN ? Sont-ils sous l’influence du récit biblique de la création ou de certains aspects marginaux du Livre des Jubilés 23 ou encore du calendrier spécifique du Brontologion 24 ? Toujours est-il que ce système à vingt-huit jours pèche par sa brièveté, et que l’observation de la lune devait montrer à l’évidence qu’il fallait y palier. Une constante astronomique à 29 jours (Annexe 5) Dans une perspective expérimentale, acceptant donc l’idée d’apprécier la justesse de l’éphéméride par l’observation directe, il existe peutêtre une hypothèse explicative. Car cet intérêt du document 4Q317 pour une lunaison de vingt-neuf jours pourrait bien reposer sur un fait d’observation effective. Les auteurs, en effet, depuis Talmon, Knohl et Ben Dov 25, et plus récemment V. Gillet-Didier 26, proposent de faire commencer le mois calendaire au lendemain de la PL. Si l’on procède ainsi, la durée mesurée jusqu’à l’apparition de la PL suivante sera modulée par
————— 22
Les vestiges de ce manuscrit s’arrêtent au vingt-cinquième jour. Cf. J. C. Vanderkam : « A Twenty-Eight Day Month Tradition in the Book of Jubiles », Vetus Testamentum XXXII, 4, 1982, p. 504-506. 24 On se souviendra aussi du calendrier particulier à 4Q318 Brontologion, qui divise le mois lunaire en quatre périodes de 4 × (2+2+3 jours) = 28 jours plus un appendice de 2 jours. Cf. J. C. Greenfield et M. Sokoloff, « An Astrological Text from Qumran (4Q318) : Some Reflexions on Zodiacal Names », Revue de Qumran 64, Tome 16, Fasc. 4, p. 16, deinde DJD XXXVI, p. 259. 25 S. Talmon et J. Ben Dov : DJD XXI, p. 35-36. 26 V. Gillet-Didier, « Calendrier lunaire, calendrier solaire et gardes sacerdotales : recherches sur 4Q321 » Revue de Qumran 78, Tome 20, Fasc. 2, déc. 2001, p. 171-205. 23
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l’appréciation de la disparition de ladite PL. Cette détermination, quoi qu’en pense le commun, n’est pas évidente. Faisant usage de données astronomiques modernes sur les pourcentages d’éclairement successifs au cours des trente-six mois de trois années successives, mais choisies au hasard, nous avons pu relever l’existence d’une constante à 29 jours qui, en trois ans, ne souffre que cinq exceptions. Nous sommes dès lors conduits à formuler l’hypothèse suivante : il se pourrait que 4Q317, dans sa correction méthodique de sa lunaison première de vingt-huit jours en une lunaison de vingt-neuf jours, ait répondu à l’évidence d’observations effectives, conduites pendant une durée significative de cette sorte. Tout ne serait donc pas inventé. La visée calendaire de 4Q317 Conclusions Les caractéristiques du dialogue avec le restant du corpus calendaire restent maintenant à évaluer. Nous savons que ces échanges, s’ils ont existé, ont fait usage d’une écriture ésotérique. Le parfum de confidentialité qu’elle véhicule donne à penser que l’on demeurait prudent sur l’exactitude du discours, et sur l’accueil qui pourrait lui être réservé. Mais aussi, l’usage de cette écriture cryptée, propre aux Qoumrâniens, oblige à situer 4Q317 au cœur du corpus qoumrânien. On sait en effet que l’emploi de cette écriture propre à Qoumrân affecte en particulier un papyrus du Rouleau de la Règle (4Q249 a-i ) et de nombreux autres écrits communautaires 27. Quel pouvait donc être le statut d’une recherche astronomique du type de celle menée par 4Q317 ? Les coïncidences que Wise et Abegg ont essayé d’établir 28 entre le calendrier lunaire en X et duqah de 4Q321, et celui qu’ils ont habilement restauré 29 dans 4Q317, interdisent d’opposer radicalement les deux approches. Si
————— 27
Les initiés au cryptique sont à chercher dans la liste de personnalités établie par R. A. Kugler, « Priesterhood at Qumran », p. 93-116, dans The Dead Sea Scrolls after Fifty Years (P. W. Flint et J. C. Vanderkam), vol. 2, Leiden, Brill, 1999. Pour ces textes cf. S. Pfann dans DJD XXXVI, Oxford, Clarendon Press, 2000, p. 515-574 et 697-700. 28 M. O Wise, « Second Thoughts », art.cit. 29 La discussion n’avait pas sa place dans le cadre limité de la présente intervention. On y verrait que la même procédure expérimentale donnait raison au texte préalable à leurs retouches avec une PL le 22.
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l’une, 4Q317, est plus expérimentale et l’autre, 4Q321, déjà figée dans un dogmatisme, reste-t-il bien raisonnable de les considérer comme concomitantes ? N’aurait-on pas avantage à supposer que la fixation de 4Q321 soit légèrement postérieure à l’élaboration de 4Q317 ? Les critères externes de datation dont on dispose aujourd’hui ne permettent malheureusement pas de trancher 30. Que vient donc faire la lune de 4Q317 dans cette affaire ? Trois pistes s’offrent à nous. Ou bien il s’agirait de corroborer le système dans un but apologétique ; ou bien 4Q317 appartiendrait à une étape préparatoire, et donc préalable à la publication en clair d’éphémérides du type 4Q321 et consorts. Ou bien encore 4Q317 interviendrait, à la manière de 4Q319Otot, dans le réglage du jour « X ». Dans la première hypothèse, celle de l’apologétique, nous serions en présence d’un raisonnement circulaire. S’il était question en effet, de retoucher un calendrier lunaire pour le mettre en conformité avec un écrit idéologique, dans ce cas le rôle de l’observation deviendrait fictif, et la démarche perdrait de son intérêt. Cela commencerait à ressembler à un travail de faussaire peu en accord avec la mentalité rigoriste du milieu concerné. On ne peut se départir d’un certain malaise devant l’idée que la lune soit priée de se conformer aux décrets d’une communauté de sages dont les prémisses n’ont pu être autres que l’observation. On n’expliquerait pas sans cela la réelle pertinence astronomique de la théorie Xduqah de 4Q321. C’est pourquoi nous inclinons vers l’idée que 4Q317 appartient à la nécessaire série d’études préalables qui ont contribué à la mise sur pied de ce calendrier sacerdotal « parfait ». Donc à un stade préparatoire, antérieur à la fixation autoritaire de la coïncidence de deux phases de la lune avec les données imprescriptibles du calendrier solaire aux 364 jours utilisé par les prêtres.
————— 30
Les chronologies comparées publiées par DJD XXXIX (2002) donnent pour 4Q208 Enastr a a, le plus ancien de tous, un midpoint paléographique à -200, mais un C 14 -167 à -53, en précisant bien que dans cette méthode toutes les années contenues dans la fourchette de dates sont probables. 4Q249, qui crypte aussi du calendaire, obtiendrait, selon ce même document un midpoint en -121, mais n’a malheureusement pas été calibré au C 14 ; 4Q319 et 4Q321 : midpoint -37 et C 14 -50 à -25. Quant à 4Q317 le C14 donne -191 à -36 (A. J. T. Jull et al., Atiqot XXVII, 1996 ; G. Doudna, Brill, 1998) mais il n’existe pas encore de datation paléographique de ce manuscrit. De toute manière ces datations concernent des copies et ne préjugent pas des dates des compositions originales.
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Une troisième hypothèse nous a été suggérée par les pages de J. Ben-Dov sur le rôle de 4Q319Otot dans la « maintenance » du calendrier lunaire 31. Certes cette formulation concerne la fonction des processus de complexification développés dans le système des Otot, et dont on peut penser qu’ils sont destinés à conforter les positions acquises des systèmes 4Q321 et suivants. L’idée est intéressante parce que, jusqu’ici, le mal nommé jour X semblait tout justement concerner le point d’arrimage, assurant la solidité de tout le système, tandis que duqah restait une variable indisciplinée qu’il fallait contrôler, ne fût-ce que pour faire taire les esprits conservateurs encore nostalgiques d’un recours calendaire à la lune. Or on le sait, si proche de la réalité soit-il, le système des mishmarot a besoin, comme tout calendrier, d’être, par intervalles, remis à jour. C’est ce que nous entendons en parlant de « réglage de X ». Quelle que soit l’option choisie, donc X rapporté à PL ou, à l’inverse, rapporté à NL, le besoin d’intercalations demeure, mais aussi celui de la cohérence astronomique. Il en va de même pour le recadrage triennal du ciel primordial revendiqué par 4Q319Otot, ou l’aptitude de 4Q317 à apprécier correctement la durée la PL, située dans les faits à faible distance du lieu théorique de l’équinoxe d’automne, tandis que le soleil est exactement, ou selon les années lui aussi à une grande proximité, du point vernal. Jean Meeus, le grand spécialiste moderne de la lune cité par S. Stern 32, postule à ce sujet une notion d’équinoxe moyenne. Il se pourrait que 4Q317, avec son savoir-faire empirique, ait à une certaine époque, été considéré à Qoumrân comme susceptible de fournir des arguments à la rectitude de telles remises à jour 33.
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DJD XXI (2001), p. 209-210. S. Stern, Calendar and Community, Oxford, 2001, p. 199. Cf. aussi la contribution de J. Riaud sur Aristobule et Philon, à ce même sujet, p. 107-123 de ce volume. 33 Nos remerciements vont spécialement à V. Gillet-Didier, à Fr. Schmidt et à M. Chaze, mais aussi à J. Riaud et J.-C. Ingelaere pour leurs remarques avisées et leur aide efficace. 32
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Annexe 1 – Les vrais éclairements de la lune Les vrais éclairements de la lune comparés avec les chiffrages affichés par deux manuscrits astronomiques On a arbitrairement choisi dans l’éphéméride moderne, une séquence de deux mois avec PL le 22 pour le premier d’entre eux, et dont les quantièmes soient identiques à ceux de 4Q317. Est ainsi rendue possible la lecture synoptique de l’éphéméride ancienne de 4Q317 et de celle, moderne, de l’US Naval Observatory. Ces quantièmes ne concernent pas 4Q209 dont les éclairements sont simplement comparés à ceux de 4Q317. Les grisés mettent en évidence les ajustements par demi-septièmes. Les restitutions sont en italiques.
US NAVAL OBSERVATORY éphémérides modernes pour avril - mai 1997 1 date de référence
2 « âge » de la lune
3 % vrai éclairé
22 avril 23 24 25 26 27 28 29 30 1er mai 2 3
PL eccl. PL vraie
99% 100 % 99 % 95 % 90 % 82 % 73 % 63 % 51 % 40 % 29 % 19 %
4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
DQ
NL
PQ
4Q ENASTRB = 209 FRAG. 1,I ET 2,I 4 les maxi* en fractions
5 les maxi en %
11 % 5% 1% 0% 2% 6% 12 % 19 % 27 % 36 % 46 % 55 %
3,5/7
50 %
4Q317 FRAG. 1,II ET 2,II 6 fraction éclairée*
%
7
14/14
100 %
14,5/14
104 %
13/14
93 %
12/14
86 %
11/14
79 %
10/14
71 %
9/14
64 %
8/14
57 %
7/14
50 %
6/14
43 %
5/14
36 %
4/14
29 %
3/14 2/14 1/14 0/14 0,5/14 1/14 2/14 3/14 4/14 5/14 6/14
21 % 14 % 7% 0% 3,5 % 7% 14 % 21 % 29 % 36 % 43 %
7/14
50 %
50
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16 17 18
65 % 73 % 81 %
4/7 4,5/7 5/7
57 % 64 % 71 %
8/14 9/14 10/14
57 % 64 % 71 %
19 20 21 22 23 24
88 % 94 % 98 % 100 % 99 % 97 %
5,5/7 6 /7 6,5/7 7/7 7-0,5/7 7-1/7
78 % 85 % 92 % 100 % 93 % 86 %
11/14 12/14 13/14 14,5/14 13,5/14 12,5/14
79 % 86 % 93 % 104 % 96 % 89 %
PL
Annexe 2
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Annexe 3 – Déchiffrement proposé pour 4Q317, Frag. V
[]Y[N YDV] _ M Y
[…] . […] […] . […] M [?] [?] ND [?] [?] [ ] Y [ N Y D V _ ] M Y T [ ] […] [ 0Y\ODYEWQ ]NYDU[ Z]L[…] [ ] Y [ N Y D ] V _ M Y [ T ] […] [0Y\ODYE ]WQNYD[ U]ZL[…] [ … ] Y [ N Y D ] V _ M Y T […] [... 0Y\ODYE ]WQNYDUZL […] [ ? V […] […] […] \ ? W […] […] […] [ E Z Y J T [ D T ] \[FYKUZL[LEUD] Y J T […] […] […] YKUZL […] […] […] [ ] Y D [V] [??] _ M Y […] [ D]YE [ W] [??] QNY […] V Z ] V S Y N Z O J N I V […] WF]DWTYOFPKOJW […]
QNY
1 1 2 2 3 3 4 4 5 5 6 6 7½ 7½ 7 7 8 8 9 9
Traduction : 1. et ainsi 2. … 3. [on]ze et ain[si elle entre dans le jour] 4. [dou]ze et ainsi elle en[tre dans le jour] 5. [trei]ze et ainsi elle en[tre dans le jour] 6. … 7½. [quator]ze et demi 7. […]ze et … 8. et ainsi [??] [elle e]ntr[e] 9. elle découvre u(ne) part Remarques : À l’araméenne : T (dix) lignes 3, 4, 5, cf. Frag. 4 ligne 9½, mais JT à la ligne 7 de ce même fragment 5. Le contenu des lignes 7 et 8 paraît différent de celui de leurs homologues des fragments I-IV. Un palimpseste ? L’hypothèse n’est pas à écarter.
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Annexe 4 – Une constante astronomique à 29 jours Une constante astronomique à 29 jours vérifiée sur 16 mois d’affilée, de juin 2000 à sept. 2001 La colonne 1 numérote les lignes du tableau. Les colonnes 2 à 4 fournissent les éléments du calendrier lunaire tempéré qui nous est familier. La seconde partie du tableau, colonnes 5 et 6, établit la constante à 29 jours. On lira, colonne 5, les dates de la PL vraie des astronomes, c’est à dire de l’éclairement du disque à 100 %. La colonne 6 établit le nombre de jours écoulés entre le dernier 100 %, et l’apparition de la PL suivante. Ainsi : ligne 1, col. 5, du 17 au 30 juin, il s’écoule 13 jours. Auxquels il faut ajouter les 16 jours indiqués à la ligne 2, col. 2, pour atteindre la PL de juillet. La colonne 6 de la ligne 1 enregistre 13 + 16 = 29 jours. Et ainsi de suite.
1
N°
2
3
DATE ET HEURE DE LA PLEINE LUNE
4 MOIS * mois de 31 j.
5 DATE(S) DE L’ÉCLAIREMENT À 100 % DE LA LUNE (à 0 heure)
1 2 3 4 5 6 7
PL (99 %) le 16 PL le 16 PL le 15 PL (99 %) le 13 PL le 13 PL (99 %) le 11 PL le 11
22 h 27 13 h 55 05 h 13 19 h 37 08 h 53 21 h 15 09 h 03
8 9 10 11 12 13 14 15 16
PL (99 %) le 9 PL le 8 PL (99 %) le 9 PL le 8 PL le 7 PL le 6 PL le 5 PL le 4 PL (99 %) le 2
20 h 24 07 h 12 17 h 23 03 h 22 13 h 52 01 h 39 15 h 04 05 h 56 21 h 43
2000 juin juil.* août* sept. oct.* nov. déc.* 2001 janv.* fév.** mars* avril mai* juin juil.* août* sept.
6 29 JOURS entre le dernier 100 % et la Pleine Lune suivante
100 % le 17 100 % le 16 et le 17 100 % le 15 100 % le 14 100 % le 13 100 % le 12 100 % le 11
13+16=29 14+15=29 16+13=29 16+13=29 18+11=29 18+11=29 20+9=29
100 % le 10 100 % le 8 100 % le 10 100 % le 8 100 % le 7 et le 8 100 % le 6 100 % le 5 et le 6 100 % le 4 100 % le 3
21+8=29 20+9=29 21+8=29 22+7=29 23+6=29 24+5=29 25+4=29 27+2=29 27+2=29
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Annexe 5 – Traduction de 4Q317 En capitales, les dates rectifiées par l’ancien scribe. Pour en rester au mot à mot et au ligne à ligne les plus proches de l’hébreu nous lisons ici les verbes au Futur Qal, donc à l’actif : ticasèh et tigalèh. Les traductions lisent généralement au Niphal : ticcasèh et tiggalèh
Frag. I. I et II. II 2
… le quatre de ce mois / CINQ [(la lune) dissimulera dou-] 3 ze (parts de lumière) [et alors elle entrera dans le jour ; le six] 4 elle (en) dissimulera treize et alors elle entrera dans le jour 5 le six / SEPT elle dissimulera [quatorze (parts) et 6 alors] elle entrera dans le jour, 7 [le sept] / HUIT sa lumière dominera (tout)le jour au milieu 8 de la voûte supérieure [ (de) quatorze (parts) et demie et au coucher du soleil], sa lumière cessera de 9 se dissimuler, [et alors elle commencera à se dévoiler 10 le premier (jour) de la semaine ; [le neuf, elle dévoilera 11 une part (ma·aloqet) et alors elle entrera dans la nuit 12 le dix elle dévoilera deux (parts) et alors elle entrera 13 dans la nuit vacat le onze elle dévoilera trois (parts) 14 et alors elle entrera dans la nuit vacat [vacat] 15 le onze / DOUZE [elle dévoilera quatre (parts) et alors] 16 elle entrera dans la nuit vacat ; le [treize] 17 elle dévoilera cinq (parts) et al[ors elle entrera dans la nuit] vacat 18 le treize / QUATORZE elle dé[voilera six (parts) et alors elle entrera dans la nuit] 19 le quatorze / QUINZE [elle dévoilera sept (parts) et alors elle entrera]
20
dans la nuit vacat le [quinze / SEIZE elle dévoilera] 21 huit parts et alors [elle entrera dans la nuit] vacat ; 22 [le seize] / DIX-SEPT […] |23 Le dix-huit, elle dévoilera dix (parts) et alors elle entrera dans la nuit} Frag. II. II 7 (24)
le dix-huit / DIX-NEUF elle dévoilera onze (parts) et alors elle entrera dans la nuit 8 (25) le dix-neuf / VINGT elle dévoilera douze (parts) et alors elle entrera dans la nuit 9 (26) le vingt / VINGT ET UN [elle dévoilera] treize (parts) [et alors elle entrera dans la nuit] 10 (27) le vingt et u[n / VINGT-DEUX [elle dominera toute la nuit au milieu de la voûte] 11 (28) supérieure (de) quatorze (parts) et demie et au coucher [du soleil sa lumière sera entièrement dévoilée 12 (29) et alors elle commencera à se dissimuler le premier (jour) de la semaine vacat 13 (30) le vingt-deux / VINGT-TR[OIS elle dissimulera une (part) et alors 14 (31) elle entrera] dans le jour vacat [vacat] 15 (32) le vingt-trois / VINGT-QUATRE [elle dissimulera deux (parts) et alors elle entrera dans le jour] 16 (33) le vingt-quatre / VINGT-CINQ elle dissimulera trois (parts) et alors elle entrera dans le jour.
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Frag. III
Frag. IV
3
1
[et alors elle entrera] dans le jour blanc [blanc] […] 4 elle dis[si]mulera do[uz]e (parts) [et] alors elle [entrera dans le jour] 5 […(de ce m]ois) elle dissimulera trei[ze] (parts) et alors elle en[trera dans le jour] 6 […] (de ce mois) elle dissimulera quato[rz]e (parts) et alors elle ent[rera dans le jour] 7 […] {…} [sa lumière] régnera (tout) le jour [au milieu] 8 de la voûte céleste jusqu’à ce que sa lumière soit dissimulée de qua]torze parts et dem[ie] et au coucher du soleil et […] 9
[alors (sa lumière) co]mmencera à se dévoiler le premier jour [de la] semaine 10 […] elle dévoilera une part et alors elle entre[ra] dans la nuit 11 […] (de ce mois) elle dévoilera deux (parts) et al[ors] elle entrera dans la nu[it] 12 […] (de ce mois) elle dévoilera trois parts et alors elle entrera dans la nu[it] 13 […] (de ce mois) elle dévoilera quatre (parts) et alors elle entrera dans la nui[t].
[le quatorze (de ce mois) elle dis]simu[lera huit (parts) et alors elle entrera dans le jour] 2 [le quinze (de ce mois), elle dis]simulera n[euf (parts) et alors elle entrera dans le jour] 3 [le seize (de ce mois), elle dis]simulera di[x (parts) et alors elle entrera dans le jour] 4 [le dix-sept] (de ce mois), elle dissimulera on[ze (parts) et alors elle entrera dans le jour] 5 [le dix-hu]it (de ce mois), elle dissimulera dou[ze (parts) et alors elle entrera dans le jour] 6 [le dix-neuf] (de ce mois), elle dissimulera trei[ze (parts) et alors elle entrera dans le jour] 7 [le ving]t (de ce mois), elle dissimulera qua]torze (parts) et alors elle entrera dans le jour] 8 [le vingt et] un (de ce mois), sa lumière règnera blanc ? (tout) le jour 9 au centre de la voûte céleste (de) quatorze (parts) et demie , et au coucher du soleil…
LE CALENDRIER LITURGIQUE DES PRIÈRES QUOTIDIENNES (4Q503). En Annexe : L’apport du verso (4Q512) à l’édition de 4Q503 FRANCIS SCHMIDT École Pratique des Hautes Études – Paris
Dans l’ensemble du corpus calendaire qoumrânien, l’interprétation des documents faisant référence à la Lune et au calendrier lunaire fait difficulté 1. Déjà les données contradictoires du Premier Livre d’Hénoch et du Livre des Jubilés posaient le problème dans toute son acuité. Tandis que le Premier Hénoch expose successivement les lois régissant le calendrier solaire, puis le calendrier lunaire, et présente le grand et le petit luminaires comme réglant l’un et l’autre les années, les mois et les jours (1 Hénoch LXXII, 1 - LXXV, 3 ; LVIII-LXXIX), les Jubilés au contraire instituent le seul calendrier solaire et dénoncent l’erreur de ceux qui fixent la division des temps par l’observation de la Lune (Jubilés VI, 36-37). Dans son introduction à l’édition princeps de 4Q503, M. Baillet s’interrogeait sur la nature exacte du calendrier dans lequel s’insèrent les Prières quotidiennes rapportées par ce document. Tout en reconnaissant que le mode de calcul des lunaisons est celui exposé dans le Premier Livre d’Hénoch, « on se demande, écrivait-il, si le mois qui sert de cadre à ces prières n’est pas un mois idéal, ou s’il ne combine pas artificiellement les données du calendrier lunaire avec celle de l’ancien calendrier sacerdotal » ; et l’auteur d’ajouter qu’il lui paraissait « plus raisonnable de rester dans le cadre de ce
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Cette recherche a été menée au Gonville & Caius College, à Cambridge, où j’ai été invité en 2002-2003 au titre de S.A. Cook Bye-Fellow. Que le Master, Neil McKendrick, et les Fellows du Collège, que Nicholas de Lange et Jack D. McDonald trouvent ici l’expression de ma vive gratitude pour les conditions de travail incomparables qu’ils m’ont offertes au sein de leur communauté. Je remercie également Jean-Claude Dubs, Jean Riaud, et – last but non least – Devorah Dimant pour leurs critiques et leurs suggestions. Sur 4Q317 (Phases de la Lune), voir ci-dessus, p. 17-34, la contribution de Jean-Claude Dubs.
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dernier », c’est-à-dire dans le cadre du calendrier solaire 2. Reprenant en 1987 l’analyse de ces fragments, J.M. Baumgarten, quant à lui, identifiait ce calendrier comme étant un calendrier lunaire, et concluait que « la Communauté [de Qoumrân], au moins au début de son histoire, ne repoussait pas le calendrier lunaire, comme le faisaient les Jubilés, mais l’utilisait comme cadre de sa liturgie quotidienne » 3. Sur les Prières quotidiennes, trois questions sont actuellement en discussion : la question de l’édition du texte, celle de l’identification du calendrier, celle enfin de l’origine des prières. Ces trois questions sont étroitement liées entre elles et doivent être traitées l’une après l’autre, en commençant bien sûr par les problèmes textuels. En vue de permettre l’utilisation de 4Q503 dans la discussion de l’ensemble des textes calendaires qoumrâniens sur des bases textuelles mieux assurées, je voudrais présenter ici une reconstitution du calendrier dans lequel sont insérées les Prières quotidiennes 4. Après un bref rappel des problèmes posés par la reconstitution du texte – qui sera prolongé, en Annexe, par la question de l’utilisation du verso (4Q512) de ce papyrus opistographe pour l’édition de 4Q503 –, je me propose de préciser l’ordre de succession de quelques fragments importants dont la localisation est encore incertaine, d’identifier les principales caractéristiques de ce calendrier et de conclure sur l’apport de cette analyse du calendrier à la discussion sur la provenance des Prières quotidiennes. La question de l’édition du texte L’édition princeps établie par Maurice Baillet en 1982 reste aujourd’hui encore l’édition de référence. Conservé par quelque 225 fragments
————— 2 M. Baillet, 1982, Qumrân Grotte 4. III (4Q482-4Q520), (Discoveries in the Judaean Desert. VII), Oxford, p. 105-106. 3 J.M. Baumgarten, 1987, « 4Q503 (Daily Prayers) and the Lunar Calendar », RQ 12, p. 407. 4 Les comparaisons de 4Q503 avec d’autres documents calendaires n’ont pas pu aboutir à des conclusions fermes en raison principalement des problèmes textuels posés par l’édition de 4Q503. Voir notamment M.G. Abegg, Jr., 1999, « Does Anyone Really Know What Time It Is : A Reexamination of 4Q503 in Light of 4Q317 », The Provo International Conference on the Dead Sea Scrolls, Leiden, p. 396-406 (4Q503 comparé à 4Q317) ; U. Glessmer, 1999, « Calendars in the Qumran Scrolls », in The Dead Sea Scrolls after Fifty Years. A Comprehensive Assessment (P.W. Flint & J.C. VanderKam, éd.), Leiden – Boston – Köln, II, p. 252-255 (4Q503 comparé à 4Q320).
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sur papyrus, dont une quarantaine seulement ont pu être distribués en colonnes, la copie, d’écriture hasmonéenne, est datée du premier quart du premier siècle avant notre ère. Toutefois l’édition de M. Baillet a été soumise à diverses critiques, à commencer par celles de J.M. Baumgarten qui a montré que les fragments 2 et 3 devaient être déplacés. Dans un livre remarquable, prolongeant et améliorant les analyses de Baumgarten, D.K. Falk propose une nouvelle reconstruction de la même séquence. Déplaçant les fragments 1, 2 et 3 de la colonne III à la colonne VII, il donne une nouvelle édition de ces fragments 5. Sans doute est-il encore possible d’améliorer l’édition de Baillet, tout particulièrement en tenant compte du texte intitulé « Rituel de purification » (4Q512) qui est inscrit au verso de 4Q503. En effet l’analyse du verso (4Q512) est susceptible de permettre la localisation de certains au moins des fragments qui n’ont pas encore trouvé leur place dans le texte des Prières quotidiennes (voir l’Annexe, ci-dessous p. 55-63). Les données de 4Q503 servant à la reconstruction du calendrier liturgique D’autres données, internes à 4Q503, servent de guide au classement des fragments et à la reconstruction du texte. 4Q503 se présente en effet sous la forme d’un recueil de prières biquotidiennes : une prière du soir et une prière du matin pour chaque jour d’un mois indéterminé. Le passage d’une prière à l’autre est clairement signalé dans la marge droite du papyrus par un signe de section. De plus
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J.M. Baumgarten, 1987, p. 400-401 ; D.K. Falk, 1998, Daily, Sabbath, and Festival Prayers in the Dead Sea Scrolls, Leiden p. 29-35, et Planches I - III . Déjà M.O. Wise, dans une étude inédite (signalée par M.G. Abegg, 1999, p. 401-402), avait proposé de déplacer les fragments 1-2-3 avant les fragments 29-32. Voir sa traduction anglaise dans M. Wise, M. Abegg Jr. & E. Cook, 1996, The Dead Sea Scrolls : A New Translation, New York, p. 408-410. L’édition de D.T. Olson, 1997, « Daily Prayers (4Q503=4QPrQuot) », in Pseudepigraphic and Non-Masoretic Psalms and Prayers (The Dead Sea Scrolls Hebrew, Aramaic, and Greek Texts with English Translations, Vol. 4A), J.H. Charlesworth & H.W.L. Rietz, éd., Tübingen, p. 235-285, suit l’ordre des fragments de M. Baillet, 1982. En revanche dans leur édition partielle de 4Q503, F. García Martínez & E.J.C. Tigchelaar, 1998, The Dead Sea Scrolls Study Edition, Leiden – Boston – Köln, vol. II, p. 998-1007 adoptent les corrections de Falk, 1998.
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chaque prière vespérale et matinale est organisée suivant une structure récurrente : Prières du soir Date : Bénédiction introductive : Et cette nuit ... : Bénédiction conclusive : Finale :
Dans le xe du mois au soir ils béniront. Et prenant la parole ils diront : Béni soit (le) Dieu (d’Israël) qui ... Et cette nuit (sont) x parts de lumière / de ténèbres ... Bénis sois(-tu) Dieu (d’Israël), qui [ou : Béni soit ton nom] ... Paix sur toi, Israël.
Prières du matin Date :
Bénédiction introductive : Et ce jour ... : Bénédiction conclusive : Finale :
Et lorsque le soleil se lèvera pour éclairer la terre [ou: sur la terre], prenant la parole, ils diront : Béni soit le Dieu d’Israël qui ... Et ce jour (...) dans la xe porte de lumière ... Bénis sois(-tu) Dieu (d’Israël), qui ... Et que la paix de Dieu soit sur toi, Israël, au lever du soleil [ou : dans toute l’éternité des temps].
Outre le signe de section et la forme récurrente de ces prières biquotidiennes, plusieurs indications chiffrées permettent également de remettre certains fragments à leur place et de reconstituer, au moins partiellement, la succession des colonnes 6. Parmi ces indications chiffrées, il y a tout particulièrement pour chaque prière du soir : 1) La mention du quantième du jour. Ainsi, aux fragments 4-5-6, le soir du sixième jour : N T[>N ?Y@TDYTO> YYPYYMTD[DTDF@YZNJDY « Et le six du mo[is au soir, ils béniront. Prenant la parole] ils [d]iront : “Bé[ni (soit) le Dieu d’]Israël”. »
————— 6 Sur la reconstruction des colonnes, voir les remarques de É. Puech, 1988, « Recension de Qumrân Grotte 4, III (4Q482-4Q520), par Maurice Baillet (Discoveries in the Judaean Desert, VII), Oxford, Clarendon Press, 1982 », Revue Biblique, 95-3, p. 406-407.
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Ou au fragment 30, le soir du 17 e jour : N ?YTDYTO Y@YPYYMTD[DT>DF@YZNTJD>D@ >N T[ « [Le] dix-[s]ept du mo[is au] soir, ils béniront. Prenant la parole, [ils diront : « Béni (soit) le Dieu d’Israël ». 2) La mention des phases de la Lune. Si l’on appelle x le quantième du jour (du 1er au 15 e jour), alors les différentes phases de la Lune croissante peuvent être quantifiées par la formule : x - 1 parts de lumière. Ainsi au fragment 4, au soir du 6e jour, la Lune a : TY VY]N[TYIJ]OZ, « cinq [par]t[s de lumière ...] ». 3) Si l’on appelle x’ le quantième du jour (du 16e au 29e [ou au 30e] jour du calendrier lunaire), les différentes phases de la Lune décroissante peuvent être quantifiées par la formule : x’ - 15 parts de ténèbres. Ainsi au fragment 39, au soir du 28e jour, la Lune a : ?YZ VYNTYI[ T] JYN, « treiz[e] parts de ténèbres » (28-15 = 13). Quant aux prières du matin, elles offrent elles aussi une indication chiffrée remarquable concernant la porte que traverse le Soleil. La numérotation de cette porte est égale au quantième du jour. Autrement dit, le x e jour, le Soleil traverse la xe porte. Ainsi au fragment 9, au matin du 6e jour, le Soleil passe : T]Y [TJD, « dans la sixième porte de lumi[ère ...] » 7. Retenons de ces différentes indications chiffrées qu’il suffit qu’un fragment atteste l’une d’entre elles, pour qu’il devienne possible, du moins théoriquement, de replacer ce fragment à sa place exacte dans la succession des prières quotidiennes, soit celle du soir, soit celle du matin. De plus, outre leur utilité pour l’établissement du texte, l’ensemble de ces données chiffrées est également utile à l’établissement du calendrier qui constitue l’armature de 4Q503. En ce qui concerne l’établissement du calendrier, les fragments mentionnent encore d’autres données de première importance. Dans les prières du soir ou dans celles du matin, certains termes ou certaines expressions font référence au repos sabbatique. Ainsi au fragment 37, au soir du 25e jour : Y]PNZYPOYFYS, « sainteté et repos pour no[us ...] ».
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Littéralement : « dans six portes de lumière ». Sur les portes de lumières, voir ci-dessous, p. 67, et notes 19 et 20.
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Ailleurs il est fait référence à certaines fêtes ou pèlerinages. Ainsi au fragment 2, au matin du 15e jour : [FYD]M[FYOYJZO[IZN, « pour les pèlerinages de joie et les fêtes de g[loire] ». À ces données utiles à l’édition du texte et à l’établissement du calendrier, il faut encore ajouter un terme difficile, NIF. Souvent traduit par « drapeau », parfois par « troupe », plus rarement par « division » 8, le mot est attesté dans différentes expressions : TY [NIF NYM ] « avec toutes les troupes de lumière » (fr. 8-9, 4) ; TY [NIF ] « avec les troupes de lumière » (fr. 10, 2) ; JN[N[NIF « troupes de la nuit » (fr. 29-32, 11 et 19) ; TSDYDT[N[IF « troupes du soir et du matin » (fr. 39, 3). Parfois le mot est accompagné d’une indication chiffrée : [N]IF T [ ] « dix- ... trou[pe(s) de ... » (fr. 1, 4) ; ][P[ONIF[ « ...]huitième troupe » (fr. 67, 2). Ce terme a été interprété, de façon satisfaisante à mon avis, comme désignant les « troupes [angéliques] », auxquelles les Fils de l’Alliance joignent leurs célébrations 9. Ainsi aux fragments 8-9, au matin du 6e jour : TY ][NIFNYM][JMOJ]NNJPJMV[TD[PD[YP Y « [et nous], les fils de Ton alliance, nous célébrerons [Ton nom] avec toutes les troupes de [lumière] ». Ainsi les troupes angéliques « de la nuit » ou « du soir » alternent avec les troupes de « lumière » ou « du matin ». Chaque troupe angélique est identifiée d’une part par la mention « de la nuit » ou « du soir », « de lumière » ou « du matin » précisant si son service est nocturne ou diurne, et d’autre part par une numérotation qui
————— 8 Sur la traduction par « division », voir J.R. Davila, 2000, Liturgical Works, (Eerdmans Commentaries on the Dead Sea Scrolls 6), Grand Rapids, Michigan – Cambridge, U.K., p. 210 et 215. 9 Voir B. Nitzan, 1994, Qumran Prayer and Religious Poetry (translated from the Hebrew by J. Chipman), Leiden – New York – Köln, p. 56, note 29 ; E.G. Chazon, 2000, « The Function of the Qumran Prayer Texts : An Analysis of the Daily Prayers (4Q503) », in The Dead Sea Scrolls Fifty Years after their Discovery. Proceedings of the Jerusalem Congress, July 20-25, 1997 (L.H. Schiffman, E. Tov, J.C. VanderKam, éd.), Jerusalem, p. 223 ; E.G. Chazon, 2000, « Liturgical Communion with the Angels at Qumran », in Sapiential, Liturgical and Poetical Texts from Qumran. Proceedings of the Third Meeting of the International Organization for Qumran Studies Oslo 1998, Published in Memory of Maurice Baillet (D.K. Falk, F. García-Martínez, E.M. Schuller, éd.), Leiden – Boston – Köln, p. 97-98.
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pourrait correspondre au quantième du jour où chaque troupe entre en service 10. Dans cette hypothèse, au matin du 14e jour, lorsque le Soleil franchit la quatorzième porte, il faudrait comprendre : la « [quatorz]ième troupe » (fr. 1, lignes 3-4). Il s’agirait alors de l’entrée en service de la quatorzième troupe (du matin), qui serait relevée, au soir du 15e jour, par la quinzième troupe du soir. Le regroupement de toutes ces indications permet de reconstituer partiellement le calendrier du mois liturgique dont témoignent les fragments conservés de 4Q503 (voir le Tableau 6 en Annexe 2). Identification du mois Les résultats suivants ressortent du Tableau 6 (voir Annexe 2) : 1) Les Sabbats tombent respectivement les 4, 11, 18 et 25 du mois. 2) Le 15 e jour, la Lune a 14 parts de lumière ; c’est donc le jour de la Pleine Lune. En revanche, le premier jour de ce mois, l’éclairement de la Lune est en tout cas inférieur à 1/14e part de lumière. Ou bien la Lune n’a aucune part de lumière : c’est alors la Nouvelle Lune ; ou bien elle n’a aucune part de lumière observable : c’est alors la Plus Jeune Lune. Je reviendrai ci-dessous sur cette question. 3) Le 15 e jour est un jour de fête. S’agit-il alors des fêtes de printemps ou des fêtes d’automne ? S’agit-il du Ier ou du VIIe mois 11 ? La réponse à ces questions doit être fondée sur un texte correctement édité. Je retiendrai l’édition de Falk, dont on verra en Annexe qu’elle est confirmée par le verso (4Q512). Les fragments 1-2-3, que Baillet situait au matin du 4e jour, ont été déplacés par Falk au
————— Plusieurs explications de ces numérotations de NIF ont été proposées. Pour M.G. Abegg Jr., 1999, p. 400, le nombre des « drapeaux de lumière » serait associé à la phase croissante de la Lune, et celui des « drapeaux de nuit » à sa phase décroissante. Pour E.G. Chazon, 2000, « Liturgical Communion with the Angels at Qumran », p. 97, n. 9, NIF associé à un nombre aurait un sens astronomique et indiquerait l’éclaircissement ou l’obscurcissement quotidien de la Lune. 11 Pour M. Baillet, 1982, p. 105, ce mois est « le premier de l’année, celui de la Pâque et des Azymes ». Pour M.G. Abegg Jr., 1999, p. 406, au contraire, il s’agit du VII e mois. 10
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matin du 14e jour. La ligne 5 du fragment 1 permet d’identifier la principale fête mentionnée en 4Q503. Y]VTYDIF[Z[YMD]YZUYRD, « Lorsqu’il passe [par la for]ce de [sa] puissante main. » 12 Le premier mot de la ligne 5, YZUYRD, fait référence au passage de Dieu devant les maisons des Israélites, au soir du 14 e jour de Nisan (Ex 12, 13.27). La mention de la « main » de Dieu se réfère elle aussi à l’action divine libérant le peuple de la servitude en Égypte (Ex 13, 9.14.16 ; Dt 9, 26) 13. De même, au soir du 15e jour, la ligne 8 du fragment 2 invite à prier Dieu : YPVYFR[N ]YN VYFYJNY, « et à lui rendre grâce [pour] notre rachat ». Ce motif du rachat se rapporte également à la libération de l’Égypte (Ex 8, 19 ; 13, 13 ; Dt 9, 26) 14. Ces trois allusions au récit biblique de la sortie d’Égypte – le passage, la main et le rachat – constituent autant d’arguments scripturaires permettant de reconnaître dans « les pèlerinages de joie et les fêtes de g[loire] », cités au matin du 15e jour (fragment 2, ligne 13), les fêtes du premier mois : la Pâque et les Azymes (Matsot). Dès lors il est possible de compléter ainsi les données de ce calendrier : – le 14 au soir : célébration de la veillée pascale ; – le 15 : premier jour de Matsot. Il s’agit donc du premier mois de l’année, et non pas du septième. Un calendrier solaire ou lunaire ? Le cadre calendaire dans lequel sont enchâssées ces prières quotidiennes est-il solaire ou lunaire ? Comme l’a proposé M. Baillet en 1982, certains indices suggèrent qu’il s’agit d’un calendrier solaire. En 4Q503, les Sabbats tombent les 4e, 11 e, 18 e et 25 e du mois : ces
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J.M. Baumgarten (1987, p. 401) déplace les fragments 2-3 au 14e jour, mais laisse le fragment 1 dans la colonne III (matin du 4e jour). Aussi renonce-t-il (p. 402, note 8) à voir dans YZUYRD une référence à Ex 12, « since the fragment belongs to the fourth day of the month ». 13 D.K. Falk, 1998, p. 32 ; repris dans D.K. Falk, 2000, « Reconstructing Prayer Fragments in DJD VII », in The Dead Sea Scrolls Fifty Years after their Discovery. Proceedings of the Jerusalem Congress, July 20-25, 1997 (L.H. Schiffman, E. Tov, J.C. VanderKam, éd.), Jerusalem, p. 252 et note 11. 14 E.G. Chazon, 2000, « An Analysis of the Daily Prayers (4Q503) », p. 219-220.
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dates sont identiques aux quantièmes des jours où sont fixés les Sabbats pour les mois I, IV, VII et X dans le calendrier solaire. De plus le mois de 4Q503 commence un Mercredi, jour de la création des Luminaires, comme c’est le cas pour les mois I, IV, VII et X dans le calendrier solaire. Deuxième indice. En 4Q503, le quantième du jour du mois correspond au quantième de la Porte de lumière que traverse ce jour-là le Soleil. Pourtant d’après d’autres indices, qui ont été retenus par J.M. Baumgarten en 1987, il pourrait s’agir d’un calendrier lunaire : d’une part la mention des phases croissante et décroissante de la Lune, et d’autre part le fait que le premier jour des Azymes correspond à la Pleine Lune. Sur cette correspondance, 4Q503 peut être comparé au Siracide. Louant l’œuvre de la création, le texte commence par décrire l’action du Soleil (43, 1-5) et de la Lune : « La Lune aussi, à sa date, fixe l’indication des époques et le signal du temps. De la Lune vient le signal de la fête » (Si 43, 6-7). Dans 4Q503 comme dans le Siracide, c’est donc la Lune qui donne le signal des fêtes. Cette comparaison suffit-elle à prouver que le calendrier de 4Q503 est en premier lieu un calendrier lunaire ? Il semble que non, car il ressort de certaines versions anciennes du Siracide (B, Masada) que la fonction calendaire n’y est pas l’apanage exclusif de la Lune. Dans ces versions, comme dans 1 Hénoch, la fonction de « signe » des temps est assignée au Soleil et à la Lune 15. Un mois de 29, 30 ou 31 jours ? Combien de jours le mois en question dans 4Q503 compte-t-il exactement ? Est-ce un mois de 29, 30 ou 31 jours ? La difficulté tient au fait que le texte tel qu’il est possible de le reconstituer s’arrête au soir du 28 e jour. La suite est lacunaire. Il s’agit pourtant d’une question essentielle. Car si le dernier jour du mois est le 29 e jour, il ne peut s’agir que d’un mois lunaire. Si au contraire le dernier jour du mois est le 31e jour, il ne peut s’agir que d’un mois solaire. Si enfin le dernier jour du mois est le 30e jour, alors il peut s’agir – au moins théoriquement – d’un mois lunaire aussi bien que d’un mois solaire.
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Voir U. Glessmer, 1999, p. 254-255, qui insiste à juste titre sur la nécessité de prendre en considération l’histoire du texte du Siracide.
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Or il est une règle qui ressort notamment du décroît de la Lune tel qu’il est décrit dans le ch. 78, 6-8 de la section astronomique du Premier Livre d’Hénoch. Cette règle, très souvent reprise, est énoncée en ces termes par R.H. Charles : Le mois lunaire compte alternativement de 30 à 29 jours. Ce mois est divisé en deux parties. Durant la première partie du mois, la lune croît de la nouvelle lune à la pleine lune en 14 jours lorsque le mois est de 29 jours, et croît en 15 jours lorsque le mois est de 30 jours. Durant la seconde partie du mois, elle décroît toujours en 15 jours. 16
Qu’en déduire pour 4Q503 ? Puisque le jour de la Pleine Lune est le quinze du mois, on peut déduire de cette règle – et ceci en dépit du fait que le texte s’interrompe au 28 e jour – qu’il s’agit d’un mois de 30 jours et non de 29 jours. Il en résulte que le mois dont il est question en 4Q503 peut être aussi bien un mois lunaire qu’un mois solaire. Les phases de la Lune aux derniers jours du mois Précisons maintenant ce qu’il en est des lunaisons à la fin et au début de ce mois de 30 jours. Quel est l’éclairage de la Lune aux derniers jours du mois ? À cette question, 4Q503 n’apporte pas de réponse puisque les données relatives aux phases de la Lune décroissante pour les 29 e et 30 e jours sont lacunaires. La description des phases décroissantes de la Lune que donne la section astronomique de 1 Hénoch au ch. 78, 8 est exprimée en parts de lumière décroissante de 14 à zéro. En 4Q503, cette phase décroissante est exprimée en parts de ténèbres de 1 à n+1 à partir du 16e jour du mois. Il suffit donc de reconstituer les données manquantes de 4Q503 en suivant l’ordre inverse adopté par 1 Hénoch. À son décroît, la Lune se réduit le premier jour à quatorze parties de sa lumière ; le lendemain elle se réduit à treize parties de lumière ; le troisième jour elle se réduit à douze ; (...) le treizième elle se réduit à deux ; le quatorzième, elle se réduit à un quatorzième de sa lumière
————— 16 R.H. Charles, 1913 [1968], The Apocrypha and Pseudepigrapha of the Old Testament, vol. II Pseudepigrapha, Oxford, p. 239, note à 1 Hénoch 73, 5-8. Cette règle est également formulée par J.T. Milik, 1976, The Books of Enoch. Aramaic Fragments of Qumrân Cave 4 (with the collaboration of M. Black), Oxford, p. 283, à propos de son analyse de 4QEnastrb (= 4Q209) fragment 7 col. I - III ; et par A. Caquot, in A. Dupont-Sommer & M. Philonenko, 1987, La Bible. Écrits Intertestamentaires (Bibliothèque de la Pléiade), Paris, p. 565, note à 1 Hénoch 78, 8.
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totale, et le quinzième jour, ce qui reste de toute (sa lumière) disparaît. 17
Si l’on transpose ces données de 1 Hénoch aux sections lacunaires de 4Q503, on obtient les résultats suivants : le 28e jour, la Lune a 13 parts de ténèbres ; le 29 e jour, elle a 14 parts de ténèbres ; le 30e jour, elle a 15 parts de ténèbres. Autrement dit, la Nouvelle Lune se situe au 30 e jour du mois (voir Tableau 1). Les phases de la Lune aux premiers jours du mois Voyons maintenant ce qu’il en est des phases de la Lune croissante au tout début du mois. Ici encore les données de 1 Hénoch (ch. 73, 7) relatives à la croissance de la Lune permettent de reconstruire les données manquantes de 4Q503. En effet 1 Hénoch 73, 7 précise explicitement qu’au début des mois de 30 jours l’éclairage de la Lune n’est pas de 1/14e de sa lumière totale (comme c’est le cas pour le début des mois de 29 jours), mais que cette nuit-là : la lune se lève avec le soleil en (ne) prenant (qu’)une demi-part de lumière (...). Cette nuit-là, la lune demeure obscure pour six septièmes et un demi-septième (de quartier).
Autrement dit, le premier jour (ou néoménie) des mois de 30 jours, l’éclairement de la lune n’est donc que « d’une demi-part », c’est-àdire que sa part de lumière n’est que de 1/28 e. Cette nuit-là, la lune est donc inobservable : le Premier Croissant (PC) n’apparaît que le lendemain 18. Dans le cas de la première nuit du mois de 4Q503, la Lune reste invisible : le premier croissant n’apparaît que le lendemain, le 2 du premier mois.
————— 17 1 Hén. 78, 8, que je cite dans la traduction de A. Caquot, in A. Dupont-Sommer & M. Philonenko, 1987, Écrits Intertestamentaires, p. 565. 18 Voir la note de A. Caquot à 1 Hén. 73, 7-8, in Écrits Intertestamentaires, p. 557.
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Date du 1er mois 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30
Phases de la Lune (4Q503) PJL 1L PC 2L 3L 4L 5L 6L 7L 8L 9L 10L 11L 12L 13L 14L PL 1T 2T 3T 4T 5T 6T 7T 8T 9T 10T 11T 12T 13T 14T 15T NL
Phases croissantes (1 Hén.73, 7) 0,25 / 7 0,5 / 7 1/7 1,5 / 7 2/7 2,5 / 7 3/7 3,5 / 7 4/7 4,5 / 7 5/7 5,5 / 7 6/7 6,5 / 7 7/7
Phases décroissantes (1 Hén.78, 8)
15 / 15 14 / 15 13 / 15 12 / 15 11 / 15 10 / 15 9 / 15 8 / 15 7 / 15 6 / 15 5 / 15 4 / 15 3 / 15 2 / 15 1 / 15 0 / 15
Tableau 1 Reconstruction des phases de la Lune en 4Q503 d’après 1 Hénoch 73, 7 et 78, 8 Abréviations : 1L : une part de Lumière ; 1T : une part de Ténèbres. PJL : Plus Jeune Lune ; PC : Premier Croissant ; PL : Pleine Lune ; NL : Nouvelle Lune.
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Les portes de lumière On a vu que les « portes de lumières », dont il est question dans 4Q503 et par lesquelles se lève chaque matin le Soleil, étaient numérotées suivant le quantième du jour. Autrement dit, le matin du xe jour, le Soleil traverse la xe porte (littéralement : traverse x portes). Le mois ayant 30 jours, on peut en déduire que le 30e jour le Soleil achève sa course à travers les 30 portes et se lève par la 30 e porte. Ces « portes de lumière » doivent être distinguées des six portes de l’orient et de l’occident qui signalent les solstices et les équinoxes (1 Hén. 72, 6-35) 19. Mais c’est encore 1 Hénoch qui permet d’expliquer où se situent et quelle est la fonction de ces « portes de lumière » mentionnées dans 4Q503. 6
C’est ainsi que le Soleil sort le premier mois par une grande porte qui est la quatrième des six portes de l’Orient. (...) 8 Quand le soleil se lève dans le ciel, il sort par cette quatrième porte pour trente matins, et c’est par la quatrième porte occidentale qu’il descend, régulièrement (1 Hén. 72, 6-8).
Or un passage des fragments araméens de la section astronomique de 1 Hénoch précise que les (grandes) portes signalant les solstices et les équinoxes sont divisées en « sections » correspondant à des ouvertures que traverse le Soleil chaque matin à l’est et chaque soir à l’ouest 20. Les trente (petites) « portes de lumière » mentionnées en 4Q503 sont donc des ouvertures aménagées pour la course journalière du Soleil à l’intérieur de la (grande) porte qu’il traverse tout au long du premier mois de trente jours. Un mois lunaire et solaire Le mois de 4Q503 est donc un mois de 30 jours, qui est tout à la fois un mois lunaire et un mois solaire. La Plus Jeune Lune (PJL) demeurant invisible la première nuit, le Premier Croissant (PC) ou Néoménie n’apparaît que la 2e nuit ; la Pleine Lune (PL) éclaire la
————— 19 Sur la course du Soleil et son passage à travers les six portes, voir 1 Hén. 72, 6-32 et le commentaire de O. Neugebauer, dans M. Black, 1985, The Book of Enoch or I Enoch, with an Appendix on the ‘Astronomical’ Chapters (72-82) by O. Neugebauer, Leiden, p. 393-396. 20 Sur ces (petites) portes appelées « section », J[VTZ, voir 4Q209, III, 2 (J.T. Milik, 1976, The Books of Enoch, p. 279, 281 et 282, note ad loc.).
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15 e nuit ; la Nouvelle Lune (NL) survenant la 30e nuit signale la fin du mois. Ce mois lunaire coïncide exactement avec un mois solaire, qui commence un mercredi, dont les Sabbats se situent les 4e, 11 e, 18 e et 25e jours, et qui s’achève un jeudi 30 (voir Tableau 2). Dimanche
Lundi
Mardi
Mercredi
7
1 8
PJL PL
Jeudi 2 9
PC
Vendredi 3 10
Sabbats 4 11
5
6
12
13
14 Pâque
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
29
30
NL
Tableau 2 Les données du premier mois lunaire reportées dans le cadre du calendrier solaire d’après 4Q503
Le mois dont témoigne les fragments subsistant de 4Q503 est donc le premier mois de la première année d’un cycle triennal (3 x 364 jours [de l’année solaire] = 3 x 354 jours [de l’année lunaire] + 30 jours) 21, durant lequel les jours du mois lunaire et ceux du mois solaire sont exactement synchronisés. Mise en série Est-il possible de mettre en série le calendrier de 4Q503 avec d’autres calendriers attestés à Qoumrân, à commencer par l’ensemble des documents calendaires dits « Mishmarot » 22 ? On sait que ces documents ont une particularité commune à 4Q503, celle de synchroniser le cycle des mois lunaires avec le cycle des mois solaires. De plus ils harmonisent ces deux calendriers avec le cycle des rotations sacerdotales (Mishmarot) au Temple. Cet ensemble de textes calendaires est actuellement l’objet d’une discussion portant sur l’identification de deux dates servant de repère à la synchronisation : le jour X (qui n’est défini que par sa date) et le jour « Duqah » (qui est défini par sa date et par le nom « Duqah » qui lui est donné). Sur cette question deux théories sont en présence : une théorie ‘majoritaire’ dont les
————— 21
Ce dont M. Baillet avait déjà eu l’intuition (1982, p. 106). 4Q320-330, 337, 394 : voir l’introduction générale aux textes calendaires de S. Talmon et J. Ben-Dov, in S. Talmon, J. Ben-Dov, U. Glessmer, 2001, Calendrical Texts (Discoveries in the Judaean Desert. XXI. Qumran Cave 4. XVI), Oxford, p. 1-36. 22
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principaux arguments ont été présentés récemment par V. Gillet-Didier, et une théorie ‘minoritaire’ représentée par S. Talmon & J. Ben-Dov 23. D’après la théorie majoritaire le jour X se situe au début du mois lunaire et indique la Pleine Lune ; tandis que le jour Duqah se situe au milieu du mois lunaire et correspond au premier éclairement observable de la Lune. D’après la théorie minoritaire de S. Talmon et J. Ben-Dov au contraire, le jour Duqah signale le premier jour de la phase décroissante de la Lune. Quant au phénomène X, il signale la nuit, à la fin du mois lunaire, où la Lune devient totalement invisible : c’est la Nouvelle Lune. Qu’il suffise ici de constater qu’au premier mois de la première année dans le cycle des six années de rotations sacerdotales, dans l’interprétation qu’en donne la théorie majoritaire, la Pleine Lune est placée au début du mois. À s’en tenir à cette interprétation, cet ensemble calendaire est donc totalement incompatible avec le calendrier de 4Q503 qui, lui, place au contraire la Pleine Lune au milieu du mois, le 15 du premier mois (voir Tableau 3). Dimanche
Lundi
Mardi
Gamoul Delayah
5
Maazyah
6
7
Mercredi
Jeudi
Vendredi
Sabbats
1 X : PL
2
3
4
8
9
10
11
12
13
14 Pâque 15
16
17 D
18
Yehoyariv 19
20
21
22
23
24
25
Yedaya
27
28
29
30 X : PL
26
Tableau 3 Le premier mois de la première année dans le cycle des six années de rotations sacerdotales d’après la théorie majoritaire (V. Gillet-Didier, RQ 2001, p. 191)
Le calendrier de 4Q503 serait-il alors compatible avec les calendriers à Mishmarot tels qu’ils sont interprétés dans la théorie minoritaire ? Dans le tableau du premier mois de la première année dans le cycle des six années de rotations sacerdotales, Talmon et BenDov notent un décalage d’un jour entre le mois solaire de 30 jours (qui commence le 1/I) et le mois lunaire de 29 jours (dont le premier jour correspond au 2/I du calendrier solaire). De plus ils situent la Pleine Lune le 16 du premier mois. À en juger par cette seconde
————— 23 Sur ces deux théories, voir V. Gillet Didier, 2001, « Calendrier lunaire, calendrier solaire et gardes sacerdotales : recherches sur 4Q321 », Revue de Qumran 78, t. 20, fasc. 2, p. 179-182 ; S. Talmon & J. Ben-Dov, 2001, Calendrical Texts, p. 14.
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interprétation (voir Tableau 4), cet ensemble calendaire est donc lui aussi incompatible avec le calendrier de 4Q503 qui, lui, place la Pleine Lune le 15 du premier mois, et fait coïncider exactement le mois solaire de 30 jours au mois lunaire de 30 jours. Dimanche
Lundi
Mardi
Mercredi
Jeudi
1 X : NL 2 8 9
Gamoul Delayah
5
6
Maazyah
12
13
14 Pâque 15
16
Yehoyariv 19
20
21
22
23
Yedaya
27
28
29
30 X : NL
26
7
PL
Vendredi
Sabbats
3 10
4 11
17 D
18
24
25
Tableau 4 Le premier mois de la première année dans le cycle des six années de rotations sacerdotales d’après S. Talmon & J. Ben-Dov, DJD XXI, p. 17
Il ressort de cette comparaison sommaire que le calendrier de 4Q503 (Tableau 2) et les calendriers dits « Mishmarot », dans les deux interprétations actuellement en discussion (Tableaux 4 et 5), n’appartiennent pas au même ensemble calendaire, et qu’ils témoignent de deux conceptions et de deux pratiques différentes du calcul des temps et des fêtes. Est-il possible de situer 4Q503 en chronologie relative dans l’histoire du calendrier au second siècle avant notre ère ? Dans 4Q503 le mois solaire et le mois lunaire sont une application liturgique des lois calendaires telles qu’elles sont énoncées dans la section astronomique de 1 Hénoch, dont les fragments araméens les plus anciens découverts à Qoumrân datent du début du deuxième, voire même de la fin du troisième siècle avant notre ère. Quant au premier mois du cycle triennal dont témoigne 4Q503, il n’est en conformité avec aucune des deux interprétations actuellement en discussion du mois équivalent dans l’ensemble calendaire des Mishmarot. Comparé à ces deux témoins de l’histoire du calendrier, 4Q503 se situe en chronologie relative à mi-distance entre 1 Hénoch et les Mishmarot et témoigne sans doute d’une étape ancienne dans l’histoire des conceptions calendaires de la Communauté.
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Conclusion Quelle est en conclusion la provenance de 4Q503 ? Sur cette question des avis très divers ont été formulés. S’agit-il d’un texte non communautaire 24 ? S’agit-il au contraire d’un document d’origine communautaire 25 ? Ou encore d’une composition juive extérieure à la Communauté, mais adoptée par celle-ci 26 ? Cette question très discutée peut être abordée soit en partant des prières quotidiennes, soit en partant du cadre calendaire dans lequel celles-ci sont incluses. En réalité, les deux aspects, liturgique et calendaire, de cette question sont étroitement imbriqués. L’approche liturgique a mis en évidence, par comparaison des Prières quotidiennes avec la liturgie synagogale, un fait d’importance majeure. Les bénédictions biquotidiennes de 4Q503, prononcées au lever et au coucher du Soleil, présentent un certain nombre de thèmes et de formulations qui sont également attestés dans la liturgie synagogale, et tout particulièrement, dans les bénédictions encadrant le Chema du matin et du soir. Ainsi le Yotser Or, la première bénédiction récitée avant le Chema « au Formateur de la lumière et Créateur des ténèbres », et les bénédictions de 4Q503 ont en commun les thèmes de la Lumière et des Ténèbres, du renouvellement quotidien des Luminaires célestes, ou des louanges offertes par les anges et à l’unisson avec eux 27. La mise en évidence de ces thèmes et ces formulaires communs aux prières quotidiennes de 4Q503 et aux prières rabbiniques est de très grande portée. En effet, cette comparaison indique d’une part que les deux rituels remontent à une même tradition liturgique et
————— 24 E.G. Chazon, 1994, « Prayers from Qumran and Their Historical Implications », Dead Sea Discoveries 1, p. 281-282. 25 D.K. Falk, 1998, p. 54-57 ; D.K. Falk, 2000, « Qumran Prayer Texts and the Temple », in Sapiential, Liturgical and Poetical Texts from Qumran. Proceedings of the Third Meeting of the International Organization for Qumran Studies Oslo 1998, Published in Memory of Maurice Baillet (D.K. Falk, F. García-Martínez, E.M. Schuller, éd.), Leiden – Boston – Köln, Brill, p. 112-113. 26 J.R. Davila, 2000, p. 211. 27 Voir E. Chazon, 1994, p. 282-283 ; 2000, « An Analysis of the Daily Prayers (4Q503) », p. 222-224 ; 2000, « Liturgical Communion with the Angels at Qumran », p. 97-98. B. Nitzan, 2003, « The Dead Sea Scrolls and the Jewish Liturgy », in The Dead Sea Scrolls as Background to Postbiblical Judaism and Early Christianity. Papers from an International Conference at St. Andrews in 2001 (J.R. Davila, éd.), Leiden – Boston, p. 215-216.
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d’autre part que, au moins dans leur forme originelle, les Prières quotidiennes n’ont pas été composées au sein de la Communauté. Ainsi pour E. Chazon : Bien qu’il soit impossible de savoir dans quel mesure 4Q503 a été en usage dans la Communauté de Qoumrân ou par les contemporains de cette Communauté, on peut être raisonnablement certain que des prières quotidiennes de ce type furent prononcées par différents groupes juifs à la fin de la période du deuxième Temple, et que ces prières furent considérées comme suffisamment importantes pour qu’elles soient incorporées dans la liturgie institutionnalisée par les rabbins après la destruction du Temple. 28
Appartenant à un fond commun au judaïsme du second Temple, les Prières quotidiennes (4Q503) auraient-elles été adoptées par la Communauté ? Non, d’après E. Chazon, car elles ne comportent aucune des particularités stylistiques ou terminologiques signant de façon certaine les écrits proprement communautaire 29. Pour Falk au contraire, 4Q503 serait une composition propre au Yaad, comme en témoigne la parenté stylistique de ce document avec trois autres collections de prières (4Q502, 4Q414 et 4Q512) dont l’appartenance à la Communauté n’est pas douteuse 30. Toutefois, admet Falk, « il paraît clair que la Communauté de Qoumrân n’a pas composé toutes ces prières, mais qu’elle a également adopté et adapté des prières ayant d’autres milieux d’origine ». Pour lui, le milieu d’origine des prières dont la composition ne peut être attribuée au Yaad se situe, non pas dans les « différents groupes juifs » évoqués par E. Chazon, mais dans le Temple 31. À mon avis, comme l’ont démontré B. Nitzan et E. Chazon, la comparaison avec la liturgie synagogale prouve que les Prières de 4Q503 remontent à une tradition commune à l’ensemble du judaïsme. Quant à l’origine institutionnelle de ces Prières (sur ce point l’argumentation de D.K. Falk me paraît plus pertinente), elle doit être rapportée à la liturgie du Temple 32. Que ces Prières aient ensuite été adoptées par la Communauté de Qoumrân, le témoignage de Flavius Josèphe et la Règle de la Communauté en fournissent sinon la preuve,
————— 28
E.G. Chazon, 2000, « An Analysis of the Daily Prayers (4Q503) », p. 225. E.G. Chazon, 1994, p. 281-282. 30 D.K. Falk, 1998, p. 46-57 ; 2000, « Qumran Prayer Texts and the Temple », p. 111-113. 31 D.K. Falk, 2000, « Qumran Prayer Texts and the Temple », p. 124. 32 D.K. Falk, 2000, « Qumran Prayer Texts and the Temple », p. 120-125. 29
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du moins la forte présomption. Flavius Josèphe rapporte que chaque matin, « avant le lever du Soleil, les Esséniens ne prononcent aucune parole profane, mais récitent certaines prières ancestrales vers le Soleil, comme s’ils le suppliaient de se lever » 33. Surtout la Règle de la Communauté (1QS X, 1-3.10) prescrit de célébrer l’arrivée du jour et de la nuit, des ténèbres et de la lumière comme des temps de louange. On peut donc raisonnablement supposer que les Prières Quotidiennes ont pu être au nombre des « prières ancestrales » dont parle Josèphe et que la Règle prescrit de prononcer matin et soir. L’analyse du calendrier permet-elle d’apporter de nouveaux arguments à cette discussion liturgique ? Si, comme le montre la comparaison avec la liturgie rabbinique, les Prières de 4Q503 remontent à la liturgie du Temple, et si ensuite elles ont été adoptées par la Communauté de Qoumrân, il est peu vraisemblable qu’elles aient été adoptées sans modification. Elles y ont été adaptées aux institutions propres à la Communauté, à commencer par le calendrier dont on sait qu’il était l’une des principales raisons de la rupture avec le Temple. L’une des adaptations, la première et la plus nécessaire sans doute, aura été d’encadrer ces prières héritées du Temple par un calendrier qui soit conforme au calcul et à l’organisation des temps sacrés tels que les conçoive la Communauté de Qoumrân. Récapitulons les principales caractéristiques du mois de 4Q503. C’est un mois de trente jours, dont le premier jour est un mercredi, et dont les Sabbats sont fixés aux 4e, 11e, 18e et 25e jours. C’est donc le premier mois d’une année solaire de 364 jours. De plus ce mois solaire est combiné avec le premier mois d’une année lunaire de 354 jours. Il s’agit du premier mois de la première année d’un cycle triennal durant lequel les jours du mois lunaire et ceux du mois solaire sont exactement synchronisés. Mais après le 30 e jour de ce premier mois, le temps lunaire et le temps solaire étant diversement scandés, les deux calendriers se séparent, pour finalement diverger gravement. Du moins jusqu’à ce qu’au terme de la troisième année, un mois de trente jours soit (théoriquement) intercalé, et que recommence un nouveau cycle triennal. Il reste que, fondamentalement, le calendrier
————— 33 Flavius Josèphe, Guerre, II, 128, . Comme l’a souligné M. Philonenko, 1985, « Prière au Soleil et liturgie angélique », in La Littérature intertestamentaire. Colloque de Strasbourg (17-19 octobre 1983), Avant-propos d’André Caquot, Paris, p. 224-225, Josèphe ne fait ici référence ni à l’adoration ni même à l’invocation du Soleil, mais aux prières que les Esséniens adressaient à Dieu, en se tournant dans la direction du Soleil levant.
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qui encadre les Prières de 4Q503 est un calendrier solaire. Dans ce calendrier, le premier jour des Azymes tombant toujours le mercredi 15/I, la fête des Semaines (Chavouot) est toujours fixée au dimanche 15/III, conformément à l’interprétation qoumrânienne de Lévitique 23, 15 pour le calcul des cinquante jours de la période du Omer, entre la fête de la Première gerbe et la fête des Semaines 34. En définitive, l’analyse du calendrier dans lequel sont enchâssées les Prières de 4Q503, dont l’origine remonte à la liturgie du Temple, montre que non seulement ces Prières ont été adoptées par la Communauté, mais qu’elles ont été adaptées en conformité au calcul du temps et à la détermination des fêtes rythmant les temps sacrés du Yaad.
————— 34 Les Qoumrâniens comptent les cinquante jours du Omer à partir du lendemain du Sabbat suivant la dernière journée de la fête des Azymes, donc à partir du Dimanche 26/I (fête de l’élévation de la gerbe). Sur ce mode de calcul, voir le Rouleau du Temple, XVIII, 10 - XIX, 9.
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Annexe 1 L’apport du verso (4Q512) à l’édition de 4Q503 Le papyrus sur lequel est inscrit 4Q503 est un papyrus « opisthographe » 35, c’est-à-dire inscrit au recto (4Q503) et au verso (4Q512). L’ordre dans lequel M. Baillet a placé les fragments de 4Q512 (verso) lui a été dicté par l’ordre des fragments de 4Q503 (recto), dont on a vu qu’il était déterminé par les différentes données chiffrées relatives au cadre calendaire auquel sont intégrées les Prières quotidiennes. Néanmoins il reste une vingtaine de fragments dont la localisation est incertaine, et quelque 165 fragments que Baillet a dû renoncer à localiser 36. L’examen du verso (512) peut-il en retour permettre de situer ces « fragments errants », et par conséquent d’améliorer l’édition de 4Q503 au recto ? J.R. Davila a commencé de mettre en oeuvre cette méthode qui lui a permis de formuler des hypothèses suggestives 37. Dans cette Annexe, je me propose d’indiquer quelques règles simples en vue de faciliter la localisation de ces fragments ‘errants’, dont la prise en compte devrait permettre par la suite d’aboutir à une meilleure édition de 4Q503. Le geste du scribe et ses conséquences Datée du début du 1er siècle avant notre ère, l’écriture de 4Q512 paraît postérieure à celle de 4Q503. M. Baillet décrit ainsi le geste du scribe : « Le scribe ayant réutilisé le document sans le renverser, les marges supérieure et inférieure correspondent des deux côtés aux mêmes bords, mais le début de 512 se trouvait au dos de la fin de 503 » 38. Loin de « renverser » le rouleau de façon à écrire l’incipit du nouveau texte (4Q512) au verso du papyrus portant l’incipit du texte antérieurement copié (4Q503), le scribe a donc procédé autrement. Après avoir entièrement déroulé le rouleau contenant au recto
————— 35 Voir la liste des manuscrits opistographes hébreux, araméens, grecs, latins et nabatéens trouvés à Qoumrân, Wadi Daliyeh, Nahal Hever et Masada in E. Tov et al., 2002, The Texts from the Judaean Desert. Indices and an Introduction to the Discoveries in the Judaean Desert Series (DJD XXXIX), Oxford, p. 211-213. 36 Sur les fragments 40-59 de localisation incertaine, voir Baillet, 1982, p. 119-124 ; sur les fragments 60 à 225 non localisés, voir Baillet, 1982, p. 124-136. 37 J.R. Davila, 2000, p. 208-238 (4Q503) et p. 267-295 (4Q512 et 4Q414) ; voir en particulier sa proposition de reconstruction de 4Q512 1-3, 13i, 14i, 15i-16, 29-30a, p. 294-295. 38 Baillet, 1982, p. 263.
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4Q503, il l’a retourné en sorte de commencer la copie de 4Q512 sur la partie du rouleau comportant au recto la fin de 4Q503. Les fragments du début de 4Q512 correspondent donc aux fragments de la fin de 4Q503. On a vu que J.M. Baumgarten (1987) et D.K. Falk (1998 et 2000) avaient amélioré l’édition de 4Q503 en démontrant que les fragments 1-2-3 concernaient, non pas les 4e et 5 e jours, mais les 14e et 15 e jour. Falk a donc proposé de déplacer ces fragments 1-2-3, et de les situer immédiatement avant les fragments 29-32, qui témoignent des prières du 16 e, du 17 e, et du soir du 18 e jour. Tout déplacement d’un fragment du recto (4Q503) entraînant ipso facto un déplacement du fragment correspondant du verso (4Q512), voyons quelles sont les conséquences du déplacement de ces fragments 1-2-3 de 4Q503 sur l’organisation des fragments du verso et le plan d’ensemble de 4Q512. Comme en convenait M. Baillet lui-même dans son édition de 1982, le plan de 4Q512 est loin d’être satisfaisant : Il est difficile de fixer avec assurance le plan de ce recueil de rites et de prières. Les colonnes III-VII concernent néanmoins les impuretés sexuelles (Lev 15), qu’on retrouve aux col. IX-XI. À l'intérieur de cette partie, le chapitre commençant à la colonne IV semble traiter de la pureté exigée des ministres du culte (Ex 23 et 34, Lev 23, Deut 16). À la colonne VIII il s’agit du lépreux (Lev 13-14) et au f. 67 de la lèpre des maisons (Lev 14, 33-53). Enfin la colonne XII se rapporte à la purification par l'eau lustrale après le contact d'un mort (Num 19). 39
La principale incohérence de ce plan tient au fait que la séquence sur la purification des impuretés sexuelles est divisée en deux parties (col. III-VII et col. IX-XI), entre lesquelles sont insérées deux autres séquences de purification, celle du lépreux et celle du contact avec un mort. D.K. Falk a montré, par la méthode de l’alignement et de l’espacement des réglures, que les fragments 1-2-3 de 4Q512 appartiennent à la même colonne, mais qu’en revanche « ces fragments 1-2-3 ne peuvent pas appartenir à la même colonne que le fragment 4 » 40. Ces résultats sont confirmés par l’analyse du contenu de ces fragments.
————— 39
Baillet, 1982, p. 263. D.K. Falk, 2000, « Reconstructing Prayer Fragments in DJD VII », p. 252 ; et déjà 1998, p. 29-35. 40
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Tous trois en effet ont en commun de faire référence au même texte biblique, Nb 19 41. Fragments 3+2, ligne 1 : [[NJ ]Y[D « au troisième jour », cf. Nb 19, 12. Fragment 2, ligne 3 : RP fait référence au « cadavre » (Nb 19, 11 et 13) dont le contact entraîne une souillure qui doit être purifiée le « troisième jour » avec « l’eau de purification » mentionnée à la ligne 4, ou « l’eau d’aspersion » (ligne 6). Fragment 2, ligne 4 : [[]MYF [OD « eau de purification » ; la lecture du deuxième terme est incertaine, mais l’expression est attestée en 1QS III, 9. Comparer avec JFP[O « eau lustrale » (Nb 19, 13). Fragment 2, ligne 6 : J[[\]J [O « eau d'aspersion ». J[\J est ajouté au-dessus de la ligne 6. Cette expression, fréquemment attestée dans la Michna pour désigner l'« eau lustrale », est l'exact équivalent du latin aquam aspersionis en Vulgate Nb 19, 9. Quant au fragment 1, l’analyse montre qu’il est lié aux fragments 2-3 par un même sous-texte biblique (Nb 19). Fragment 1, ligne 3 : FYSTR « cendre sainte », fait référence au rite de fabrication de l’eau lustrale à partir des cendres de la vache rousse (Nb 19, 5-9). Fragment 1, ligne 5 : Y[FID « ses vêtements ». Le rituel de purification prescrit en outre un lavage des vêtements de celui qui a été souillé au contact d'un mort. Comparer avec 11QT 50, 14 : la femme enceinte d'un enfant mort est « impure comme un tombeau » ; celui qui aura eu contact avec elle « le troisième jour, se fera asperger, nettoiera ses habits (Y[FID) et se lavera ». Les citations ou allusions à Nb 19 sont autant d’indices qui s’ajoutent aux critères paléographiques analysés par Falk et confirment que les fragments 3-2-1 de 4Q512 sont liés entre eux et constituent un même ensemble textuel 42.
————— 41 Voir les analyses de J.M. Baumgarten, 1992, « The Purification Rituals in DJD 7 », in The Dead Sea Scrolls. Forty Years of Research (D. Dimant & U. Rappaport, éd.), Leiden – New York – Köln – Jerusalem, p. 206-208 ; et de P. Mpungu Muzinga, 1999, Les rites de la Vache rousse et de purification par l’eau lustrale selon Nombres 19 et dans le Judaïsme de l’époque du second Temple, Thèse de doctorat, Paris, École Pratique des Hautes Études, Section des Sciences Religieuses, vol. 2, p. 280-305. 42 Quant aux fragments 4-5-6, Falk les a écartés. En analysant la structure littéraire des fragments 1-6 de l’édition de Baillet, P. Mpungu Muzinga, 1999, Les rites de la Vache rousse, vol. 2, p. 285-289, aboutit aux mêmes conclusions que Falk et montre que les fragments 4-5-6 sont étrangers au rite de purification par l’eau
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De la fin du rituel de purification (col. XII) où l’avait situé Baillet, cet ensemble 3-2-1 relatif à la souillure due au contact avec un cadavre doit être déplacé après les fragments 29-32. Il en résulte une importante modification du plan d’ensemble de 4Q512 tel que l’analysait Baillet. L’organisation générale du « Rituel de purification » devient alors : Fr. 33, 35 : Purification des prêtres (?). Fr. 34, 29-32 : Prières, purifications et sacrifices. Fr. 3-2-1 : Purification par l’eau lustrale (Nb 19). Fr. 21-28, 14i, 15i, 16, 11 : Purification du lépreux (Lv 13-14) 43. Fr. 14ii, 15ii, 10, 7-9 : Purification des impuretés sexuelles (Lv 15). Quelles que soient les nombreuses incertitudes concernant notamment le début et la fin du document 44, cette nouvelle organisation des fragments de 4Q512 paraît plus cohérente et plus satisfaisante que celle proposée par Baillet. En effet d’une part la séquence sur la purification des impuretés sexuelles n’est plus divisée en deux parties (col. III-VII et col. IX-XI de Baillet) entre lesquelles prendraient place deux autres séquences de purification (du lépreux et du contact avec un mort) ; et d’autre part ces trois séquences rituelles classées par ordre décroissant dans la gravité de la souillure, constituent un classement plus satisfaisant parce que plus conforme à la taxinomie biblique et juive. Répartition des fragments non localisés entre les trois principales séquences rituelles de 4Q512 Les lois bibliques prescrivant les rites de purification des trois sources d’impureté que sont le cadavre, la lèpre et les écoulements sexuels
————— lustrale. Ici encore, l’analyse du verso confirme que le groupe 1-2-3 doit être désolidarisé du groupe 4-5-6, que Baillet avait réunis dans la même colonne III. 43 Sur la place du fragment 11, que M. Baillet (1982, p. 270-271) situait dans la séquence de la purification des impuretés sexuelles, voir ci-dessous, p. 81-82. 44 Il n’est pas possible non plus de préciser exactement le début et la fin de chacune des trois principales séquences rituelles, à cause de l’état lacunaire du document, mais aussi en raison de la structure même de 4Q512. En effet chaque séquence comporte d’une part des instructions énoncées à la troisième personne du singulier à l’adresse des prêtres qui conduisent le rite et d’autre part des prières énoncées à la première personne du singulier par la personne qui se purifie (Baumgarten, 1992, p. 200). Les citations du texte biblique ou les allusions à celui-ci sont absentes des prières. Elles ne sont attestées que dans les instructions à ceux qui conduisent le rite. Seuls donc les fragments conservant la trace de ces instructions pourront servir de point de repère pour identifier la séquence rituelle à laquelle ils appartiennent.
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constituent donc l’armature des trois principales séquences de ce Rituel. Nb 19 est le fil conducteur unissant les fragments subsistant de la première séquence sur la purification par l’eau lustrale ; les citations ou allusions à Lv 13-14 signalent les fragments appartenant à la deuxième séquence sur la purification des lépreux ; les références à Lv 15 permettent de regrouper les fragments appartenant à la troisième séquence sur les impuretés d’ordre sexuel. Il devient ainsi possible de répartir les différents fragments encore non localisés entre ces trois séquences en fonction du texte biblique dont ils conservent éventuellement la trace. Tout fragment dont le verso contient une citation ou une allusion à Nb 19 est susceptible d’être localisé dans la première séquence ; tout fragment faisant référence à Lv 13-14 est susceptible de se ranger dans la deuxième séquence ; tout fragment faisant référence à Lv 15 est susceptible de trouver place dans la troisième séquence. Déterminer la position relative des fragments non localisés dans le calendrier de 4Q503 Une fois distribués les fragments ‘errants’ qui se prêtent à un tel classement entre les trois séquences de 4Q512, encore faut-il préciser leur position dans le calendrier liturgique de 4Q503. Ce sont alors les fragments opisthographes dont on connaît tout à la fois la place qu’ils occupent dans ce calendrier et la séquence de 4Q512 à laquelle ils appartiennent, qui serviront de points de repère. On sait en effet que les fragments 7-9 correspondent dans le calendrier de 4Q503 au matin du 6e jour et au soir du 7e jour (recto), et qu’ils appartiennent à la troisième séquence de 4Q512 sur la purification des impureté sexuelles (verso) ; que d’autre part le fragment 11 signale au recto le soir du 12 e jour, et qu’il appartient à la deuxième séquence sur la purification des lépreux (verso) ; enfin que les fragments 1-3 témoignent au recto des prières du matin du 14 e jour à celles du soir 15e jour, et qu’ils correspondent au verso à la première séquence sur la purification des souillures dues au contact avec un cadavre. Ces trois ensembles fragmentaires fournissent trois points de repère par rapport auxquels il est possible de déterminer la position relative qu’occupent dans le calendrier de 4Q503 les fragments ‘errants’ précédemment classés entre les trois séquences de 4Q512. Ainsi un fragment X dont le verso indique qu’il appartient à la troisième séquence, celle des impuretés sexuelles, sera nécessairement
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situé dans le calendrier de 4Q503 avant le fragment 11 ; autrement dit, la prière dont témoigne le recto de ce fragment X se situera nécessairement avant celle du soir du 12e jour attestée par le recto du fragment 11. De même le fragment Y dont le verso indique qu’il appartient à la deuxième séquence, celle de la purification du lépreux, occupera nécessairement dans le calendrier de 4Q503 une position située après les fragments 7-9 et avant les fragments 1-3 ; autrement dit, la prière dont le recto de ce fragment Y conserve les vestiges se situera nécessairement entre le soir du 7 e jour (recto du fragment 8-9) et le matin du 14 e jour (recto des fragments 1-3). Enfin le fragment Z dont on sait par le verso qu’il appartient à la première séquence, celle de la souillure due au cadavre, sera nécessairement situé dans le calendrier de 4Q503 après le fragment 11 ; autrement dit, la prière dont témoigne le recto de ce fragment Z sera nécessairement postérieure à celle du soir du 12e jour (recto du fragment 11). Date
4Q503
[1s] 6m-7s
—————————— ····································· X
12s
····································· Y
14s-15m 30m
Z ····································· ——————————
Fragments
4Q512 e
Fr. 7-9
3 séquence : Purification des impuretés sexuelles (Lv 15)
Fr. 11
2e séquence : Purification du lépreux (Lv 13-14)
Fr. 1-3
1re séquence : Purification par l’eau lustrale (Nb 19)
Tableau 5 Situation des fragments non localisés de 4Q503 par rapport aux trois séquences de 4Q512.
Une fois ce second repérage effectué, il restera à prendre en considération les différentes précisions apportées, le cas échéant, par les rectos des fragments X, Y et Z. Ces précisions peuvent concerner le matin ou le soir d’un jour autrement indéterminé, une donnée lacunaire relative au quantième du jour, ou de la porte que traverse le Soleil ce jour-là, ou encore des parts de lumière ou de ténèbres attribuées à la Lune durant la nuit en question. La prise en compte de ces indications, même tronquées ou lacunaires, obligatoirement suivie de l’analyse des données paléographiques (écriture, marges,
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réglures, espaces interlinéaires, etc.) permettra, de proche en proche, de réduire les incertitudes. Deux illustrations. 1. Les fragments 24-25 M. Baillet avait situé les fragments 24-25 dans la colonne VII de 4Q503, qui « devait contenir les prières pour le 14 et le 15 du mois, c’est-à-dire pour la Pâque et la fête des Azymes ». Pour M. Baillet la « fê[te] de repos et de délices », IYPVY ZYPO[ F]YON (fr. 24-25, ligne 5), mentionnée dans une prière matinale, désignait « sans doute le jour des Azymes, fête joyeuse et chômée » 45. Maintenant que le matin du 14 e jour et les jours suivants sont documentés par les fragments 1-2-3, la place de ces fragments 24-25 doit être reconsidérée. C’est pourquoi E. Chazon a suggéré de reconnaître dans cette fête « de repos et de délices » le deuxième Sabbat situé au 11 e jour du mois 46. Le fait que la prière évoque le choix que Dieu a fait d’Israël « parmi toutes [les] nations » (fr. 24-25, ligne 4) est un indice supplémentaire en faveur de l’attribution des fragments 24-25 à un jour de Sabbat 47. Convient-il alors de déplacer ces fragments 24-25 au soir et au matin du 11e jour ? Dans cette hypothèse les fragments 24-25 devraient être déplacés entre le fragment 10 (que le recto situe vraisemblablement à la hauteur du matin du 9 e jour dans le calendrier de 4Q503) et le fragment 11 (que le recto situe au soir du 12e jour). Voyons maintenant si ce déplacement est compatible avec l’ordre de succession des trois séquences du Rituel de purification telles qu’elles apparaissent au verso (4Q512). Premièrement : en 4Q512, 24-25, ligne 5, la mention des « cheveux », T , fait référence à Lv 14, 8, 9 ; on peut en déduire que ces fragments appartiennent à la séquence de la purification du lépreux. Deuxièmement, le texte conservé au verso du fragment 11 contient deux allusions précises à Lv 14, 8 : ligne 2, YVT]J[O[VD « sept jours de purifi[cation] » ; ligne 3, Y[FIDV UDM[Y « ...et] il nettoiera ses vêtements ».
————— 45
Baillet, 1982, p. 112. E. Chazon, 1994, p. 278 ; 2000, p. 219. 47 Sur la connexion étroite entre le Sabbat et le thème de l’élection, cf. M. Weinfeld, 1992, « Prayer and Liturgical Practice in the Qumran Sect », in The Dead Sea Scrolls. Forty Years of Research (D. Dimant & U. Rappaport, éd.), Leiden – New York – Köln – Jerusalem, p. 244-245 ; Chazon, 1994, p. 278. 46
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Ce fragment 11 appartient donc lui aussi à la séquence du lépreux 48. Troisièmement : le texte du fragment 10, quant à lui, fait allusion à Lv 15, 25.30 ; il appartient donc, comme l’a bien vu M. Baillet, à une autre séquence, celle des impuretés sexuelles. En définitive, à la condition de déplacer le fragment 11 dans la séquence de la purification du lépreux, il est possible de regrouper les fragments 24-25 et le fragment 11 vers la fin de la séquence du lépreux (correspondant à la partie inférieure de la colonne VIII de M. Baillet). Le fragment 10 quant à lui, que Baillet place au début de la colonne IX, se situe vers le début de la séquence sur les impuretés sexuelles. L’hypothèse de E. Chazon concernant les fragments 24-25 étant confirmée par l’analyse du verso, et sauf erreur de ma part les données paléographiques ne s’opposant pas à ce déplacement, on est autorisé à reconnaître dans les fragments 24-25 les vestiges des prières prononcées pour le deuxième Sabbat, au soir et au matin du 11e jour. 2. Les fragments 42-44 Esther Eshel a montré que 4Q512 (fr. 42-44) et 4Q414 (fr. 2) étaient deux versions d’une même composition. Certaines lacunes des fragments 42-44 de 4Q512 peuvent être partiellement complétées grâce au texte parallèle du fragment 2 de 4Q414. Ayant ainsi complété le texte de 4Q512, fr. 42-44, E. Eshel a établi de façon certaine que ce passage faisait partie de la séquence sur la purification des personnes souillées au contact d’un cadavre (Nb 19) 49. Les fragments 42-44 appartiennent donc à la même séquence que les fragments 3-2-1 de 4Q512. En ce qui concerne le recto, il en résulte ipso facto que les fragments 42-44 de 4Q503 doivent eux aussi être rapprochés des fragments 1-2-3 dont on a vu qu’ils rapportent les vestiges des prières pour le matin du 14 e jour et le soir du 15e jour. Comme ces fragments 1-2-3 sont immédiatement suivis, dans le calendrier des
————— 48 Contrairement à M. Baillet, 1982, p. 270-271, qui situe ce fragment 11 dans la séquence des impuretés sexuelle. 49 E. Eshel, 1997, « 4Q414 Fragment 2 : Purification of a Corpse-Contaminated Person », in Legal Texts and Legal Issues. Proceedings of the Second Meeting of the International Organization for Qumran Studies, Cambridge 1995, Published in Honour of Joseph M. Baumgarten (M. Bernstein, F. García Martínez, J. Kampen, éd.), Leiden – New York – Köln, p. 3-10 ; E. Eshel, 1999, « 414. 4QRitual of Purification A », in J. Baumgarten, T. Elgvin, E. Eshel et al., Qumran Cave 4. XXV Halakhic Texts (Discoveries in the Judaean Desert. XXXV), Oxford, p. 135-139 et 141-142.
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Prières quotidiennes, des fragments 29-32 (prières du matin du 15e jour au soir du 18e jour), on peut en déduire que les fragments 42-44 de 4Q503 doivent être placés non pas après, mais avant les fragments 1-2-3. Dans cette hypothèse, les fragments 42-44, qui conservent la fin d’une prière du matin et le début d’une prière du soir, se rapporteraient au matin du 13e jour et à la Veillée pascale, au soir du 14e jour.
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Annexe 2 Tableau 6 : Essai de reconstitution du calendrier de 4Q503 Abréviations : 1s : le soir du premier jour ; 1m : le matin du premier jour ; 1L : une part de Lumière ; 1T : une part de Ténèbres. PJL : Plus Jeune Lune ; PC : Premier Croissant ; PL : Pleine Lune ; NL : Nouvelle Lune. En grisé : séquences entièrement reconstituées, non attestées dans le manuscrit ; entre [ ] : données reconstituées. Jour de la semaine
Fragments
4, 6 4, 5, 6 7-9 8-9
10
24-25
1s 1m 2s 2m 3s 3m 4s 4m 5s 5m 6s 6m 7s 7m 8s 8m 9s 9m? 10s 10m 11s
Porte de Lumière
Mercredi
Parts de Lumière / Lune Ténèbres PJL 1L
Fêtes
PC
2L Sabbat
3L 4L « fêtes de gl[oire] » (?) 5 [L] 6e P 6L 7L 8L 9[e P] 9L
Sabbat
10 L
(Voir Annexe 1) « fête de repos et de délices »
24-25, 11 11m 11 15 16 42-44 42-44
12s 12m 13s 13m 14s
1-3
14m
1-3
15s
Commentaire
[11 L] 12 L 13 L
Pâque
[1]4e [P] 14 [L]
15m
15 P
29-30 30 30
16s 16m 17s
[16e] P
[Matsot 1] « les pèlerinages de joie et les fêtes de g[loire] »
e
1-3, 29
PL
(Voir Annexe 1) (Voir Annexe 1) « lorsqu’il passe [par la for]ce de sa puissante main »
[1 T] [2 T]
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32 31-32
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17m 18s [Sabbat] 18m 19s 19m 20s 20m 21s? 21m 22s 22m 23s 23m 24s 24m
37
25s
38 38
25m 26s 26m 27s 27m 28s 28m 29s 29m 30s 30m
33 I 33 I 33 I, 34 34 33 II 33 II , 35 35 35
39
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[3 T] [4 T] [5 T] [6 T]
[Matsot 7]
[7 T] 2[2e] P [8 T] [9 T]
Sabbat
« sainteté et repos pour nous »
[10 T] 2[5e] P [11 T] [12 T] 13 T [14 T] [15T]
NL
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LES FÊTES DU VIN NOUVEAU ET DE L’HUILE FRAÎCHE DANS LE ROULEAU DU TEMPLE Fêtes des prémices ou anticipations du repas eschatologique ? ALFRED MARX Faculté de Théologie Protestante – Strasbourg
Lorsque l’auteur sacerdotal entreprend de décrire la création de l’univers (Gn 1, 1 - 2, 4a), il ne se contente pas d’en détailler les différentes étapes. Il les inscrit dans le cadre temporel d’une semaine. Et il les rythme d’actes créateurs destinés à permettre la mesure du temps : d’abord création de la lumière, afin de pouvoir mettre en place l’unité de base du temps qu’est le jour ; puis création du soleil, de la lune et des étoiles, le quatrième jour, pour déterminer les temps et les saisons ; enfin mise à part du septième jour, jour réservé à Dieu et qui, indéfiniment, scande le temps. À la différence de l’auteur jahwiste du récit de Gn 2, 4b-25, qui, lui, n’intègre pas cette dimension, la vie de la nature et l’existence de l’ensemble des êtres vivants sont pour ces milieux sacerdotaux de l’époque perse comme consubstantiels au calendrier. Comme si pour ces milieux l’existence même et le bon fonctionnement du monde étaient intimement liés au calendrier. C’est que le calendrier n’est pas simplement un système classificatoire du temps, grâce auquel les événements peuvent être inscrits dans un cadre chronologique précis. Il est, d’abord, lié à l’existence humaine. Il marque les principales articulations de l’année, telles qu’elles sont déterminées à la fois par le rythme solaire des solstices et des équinoxes et celui des phases de la lune, et pointe ainsi ces moments de passage, dont on sait qu’ils ne vont jamais de soi. Il balise l’année agricole et en souligne les principaux temps forts, ceux où l’intervention de la divinité est tout particulièrement sollicitée, parce que d’elle dépend la croissance des récoltes et l’accroissement du troupeau, et donc la nourriture et la richesse. Mais, par-delà les cycles naturels, prédéterminés et universels, il permet aussi à chaque
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société de manifester sa spécificité en y inscrivant les événements fondateurs, historiques ou mythiques, qui lui sont propres, dans lesquels elle s’origine et s’enracine, et dont la commémoration renforce l’identité et la cohésion. Le calendrier constitue ainsi la colonne vertébrale d’une société. Dans des périodes troublées, lorsque tend à dominer un sentiment d’instabilité et d’incertitude, ces temps invariables, indéfiniment répétés depuis les origines, ont fonction de repère. Ils forment l’élément stable qui rassure et apporte la confiance. Car ils permettent, en quelque sorte, d’apprivoiser le temps 1. Cependant, bien que conditionné pour une part par les cycles naturels, le calendrier n’est pas une donnée parfaitement immuable. Parce qu’il procède également de choix liés à la théologie et à l’histoire, il est susceptible d’évoluer, afin de s’adapter aux nouvelles orientations qu’on veut imprimer à la société. L’étude des réformes du calendrier, parce qu’elles reflètent les changements idéologiques, est ainsi toujours d’un intérêt majeur. Israël offre maints exemples de telles réformes, attribuées à Yhwh, ou opérées de sa propre initiative. La première réforme importante du calendrier est celle introduite par le Code sacerdotal. Comme il apparaît des listes de fêtes en Lv 23 et des listes des sacrifices du culte régulier en Nb 28-29, cette réforme a profondément transformé le calendrier traditionnel organisé autour de trois grandes fêtes à pèlerinage, celle des Mazzôt, au printemps, celle de Shavu‘ôt, au terme de la moisson des céréales, celle de Sukkôt, à la fin de l’année agricole (voir Ex 23, 14-17, 34, 18-24 ; Dt 16, 1-17) 2. Les modifications apportées par P visent principalement à transcrire dans le cycle de l’année l’identité propre d’Israël et à faire de ce qui était un calendrier essentiellement agricole un calendrier commémoratif des événements qui fondent la spécificité d’Israël, corrélatifs à l’alliance conclue par Yhwh avec son peuple. Pour ce faire, P a commencé par fixer le début de l’année au printemps, et a ainsi fait du mois de la sortie d’Égypte le premier mois (Ex 12, 2 ; cf. Ex 23, 15 ; 34, 18 ; Dt 16, 1). Parallèlement au rythme néoménique, il a imposé à l’année un rythme septénaire de
————— 1 Pour l’importance du calendrier, voir M. Eliade, Le mythe de l’éternel retour : archétypes et répétition (Paris, 1949) ; A. Brelich, Introduzione allo studio dei calendari festivi (Roma, 1955) ; G. Piccaluga, « Calendars », in M. Eliade, éd., The Encyclopedia of Religion, t. 3 (New York, 1987), p. 7-11. 2 Les désignations des fêtes sont celles données par le Deutéronome.
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cinquante deux semaines de sept jours culminant le jour du sabbat 3, signe distinctif de l’alliance de Yhwh avec Israël (Ex 31, 13-17), qu’il imprime ainsi sur le calendrier. Comme l’avait fait le Deutéronome (Dt 16, 1-8), il a relié la pâque à la fête des Mazzôt (Ex 12, 1-20 ; Lv 23, 5-8 ; Nb 28, 16-25). Il a mis en rapport le troisième pèlerinage avec la sortie d’Égypte (Lv 23, 43). Par ailleurs, P a marqué le début de la moisson, dont il a fait le pendant de la fête de Shavu‘ôt (Lv 23, 10-14). Porté par une conscience aiguë du péché et de l’impureté, il a fait précéder Sukkôt d’un rituel destiné à purifier le pays de tous les péchés et impuretés qui l’avaient souillé au cours de l’année écoulée, le rituel du Yom hakkippûrîm (Lv 16 ; 23, 26-32 ; Nb 29, 7-11). Et, par le jeu des matières et des quantités sacrificielles, il a fait de Sukkôt la récapitulation de l’année (Nb 29, 12-38) 4. Cette réforme du calendrier a été largement adoptée. La réforme proposée par Ez 40-48 est, par contre, restée essentiellement à l’état de projet. S’inscrivant, tout comme le calendrier du Code sacerdotal, sur un rythme à la fois néoménique et septénaire, elle s’en démarque sur deux points. En rupture radicale avec la tradition, Ézéchiel ramène le nombre des fêtes à deux et ne conserve que les deux fêtes équinoxiales du printemps et de l’automne – qui seront célébrées selon un rituel sacrificiel strictement identique –, les détachant ainsi de leurs liens avec la vie agricole pour les accorder aux seules articulations de l’année solaire (Ez 45, 23-25). Et, allant au bout de la logique de P qui avait fait du mois de la pâque le premier de l’année, il accentue le pôle printanier en plaçant au premier, au septième et au quatorzième jour – le jour de la pâque – de ce mois les rites annuels de purification du sanctuaire et du peuple (Ez 45, 18-22), que P avait situés au septième mois. L’une et l’autre de ces deux réformes se réclament de l’autorité de Dieu.
————— 3 La thèse d’une année de 364 jours a été notamment soutenue par A. Jaubert, La date de la Cène. Calendrier biblique et liturgie chrétienne (Paris, 1957), (voir p. 31-59) ; voir aussi J. C. VanderKam, « The Origin, Character, and Early History of the 364-Day Calendar : A Reassessment of Jaubert’s Hypotheses », CBQ 41 (1979), p. 390-411. Mais cf. par ex. J. M. Baumgarten, Studies in Qumran Law (SJLA 24 ; Leiden, 1977), p. 101-14 ; R. T. Beckwith, Calendar and Chronology, Jewish and Christian, Biblical, Intertestamental and Patristic Studies (AGJU 33 ; Leiden, 1996), p. 93-140 (voir p. 104). Pour un autre argument en faveur d’une année de 364 jours, voir A. Marx, Les offrandes végétales dans l’Ancien Testament. Du tribut d’hommage au repas eschatologique (VT.S 57 ; Leiden, 1994), p. 98-99. 4 Marx (1994), p. 98-99.
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D’autres réformes sont de portée plus réduite et se limitent à l’introduction de nouvelles fêtes destinées à commémorer un événement marquant : jour de jeûne le septième jour du cinquième mois et au septième mois, en mémoire de la prise de Jérusalem et de l’assassinat de Gedalia (Za 7, 3.5 ; voir 2 R 25, 8 et 25) ; Purîm, les quatorzième et quinzième jours du douzième mois pour célébrer la victoire des Juifs de l’empire perse sur leurs ennemis (Est 9, 20-32 ; aussi appelé « jour de Mardochée », 2 M 15, 36) ; célébration de la mort de Nikanor le treizième du même mois (1 M 7, 49 ; 2 M 15, 36) ; commémoration pendant huit jours, à partir du vingt-cinquième jour du neuvième mois, de la dédicace du nouvel autel édifié en remplacement de celui qui avait été profané à l’époque d’Antiochus (1 M 4, 59 ; 2 M 1, 9.18 ; 10, 5-8) 5. La réforme du calendrier engagée en milieu essénien est donc loin d’avoir un caractère exceptionnel mais a derrière elle une longue tradition. Comme les réformes précédentes, elle vise à inscrire dans le calendrier les affirmations théologiques fondamentales. De là tout l’intérêt d’un examen des caractéristiques distinctives du calendrier essénien.
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Le calendrier liturgique suivi par les esséniens nous est principalement connu par le Rouleau du Temple (cité RT) 6, 11Q19 XIII, 10XXIX, 10. Dans ses grandes lignes, ce calendrier reprend le canevas
————— 5 Sur ce calendrier des fêtes voir R. de Vaux, Les institutions de l’Ancien Testament, t. 2 (Paris, 1960), p. 363-429 ; E. Otto, « Feste und Feiertage. II. Altes Testament », TRE 11, 1983, p. 96-106 (bibl. !). 6 Editio princeps Y. Yadin, The Temple Scroll (Jerusalem, 1983). Voir aussi J. Maier, The Temple Scroll (JSOT.S 34 ; Sheffield, 1985) (voir en particulier le tableau donné en p. 71-76, avec la date des différentes fêtes) ; id. Die Tempelrolle vom Toten Meer und das“Neue Jerusalem” (UTB für Wissenschaft 829 ; München, Basel, 3e éd., 1997) ; A. Vivian, Rotolo del Tempio (Testi del Vicino Oriente antico 6. Lettiratura giudaica 1 ; Brescia, 1990) (voir p. 240-249, calendrier, et p. 251-292, tableau des sacrifices pour chaque fête de l’année) ; M. O. Wise, A Critical Study of the Temple Scroll from Qumran Cave 11 (Studies in Ancient Oriental Civilization 49 ; Chicago, 1990). Pour les rapports du Rouleau du Temple avec la Bible, voir D. D. Swanson, The Temple Scroll and the Bible. The Methodology of 11 QT (STDJ 14 ; Leiden, 1995) (voir en particulier p. 259-268, le tableau des correspondances). Sur le calendrier du RT voir aussi R.T. Beckwith, « The Temple Scroll and its Calendar : their Character and Purpose », RQ 18, n° 69 (1997), p. 3-19.
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élaboré par le Code sacerdotal, et sa présentation est calquée sur l’ordre des temps sacrés, tel qu’il est donné en Nb 28-29, ce qui témoigne clairement du souci de s’inscrire dans cette tradition. De fait, un premier type de modifications vise uniquement à préciser des points qui, chez P, étaient laissés dans le vague. C’est ainsi que le RT va faire du rituel d’ordination des prêtres, cité par P sans indication de date ni de périodicité (Ex 29, 1-37 Lv 8), un rituel annuel effectué en début d’année, du premier au septième jour du premier mois (RT XV, 3b-XVII, 4) 7, qu’il fixe l’offrande de la première gerbe au vingt-sixième jour du premier mois 8, ou encore, qu’il spécifie que les pains des prémices qu’Israël doit apporter lors la fête des Semaines doivent être faits avec de la farine de blé, ym, (RT XVIII, 14) provenant de la mouture de jeunes épis, bybwt (11Q20 III, 24) et du levain nouveau, m dš, (RT XVIII, 14) 9. Mais par ailleurs, l’auteur du RT semble également avoir voulu intégrer les innovations introduites par le Chroniste et proposées par Ez 40-48. Comme l’avait déjà souligné Yadin 10, il a, à la suite d’Ez 40-48 (Ez 45, 18-19), majoré la néoménie du premier mois (RT XIV, 9 – XV, 3a). Et, à l’instar du Chroniste (2 Ch 30, 1-20 ; 35, 1-19), et avant lui, du Deutéronome (Dt 16, 1-7), il a fait de la pâque – qui chez P était un rite domestique (Ex 12, 2-14) – un rite sacrificiel célébré au Temple (RT XVII, 6-9 ; voir aussi Jubilés 49, 16-21) 11. La réforme la plus importante porte, toutefois, sur l’introduction de nouvelles fêtes. Se fondant vraisemblablement sur les résolutions prises par le peuple, à l’instigation de Néhémie, d’apporter au Temple, en plus des prémices et de la dîme, une offrande de bois, qurban héîm (Ne 10, 35 ; 13, 31) et le prélèvement du blé, du vin nouveau et de l’huile, terûmat haddgn hattîrôš wehayyiehr (Ne 10, 40), l’auteur du RT a voulu à la fois fixer le moment de la remise de ces offrandes et lui donner un caractère particulièrement solennel. Il a donc ajouté à la fête des Semaines
————— 7 Ainsi Yadin, t. 1, p. 91 ; Beckwith (1997), p. 15. Mais cf. par ex. Maier (1985), p. 71 ; (1997), p. 100 ou encore Vivian (1990), p. 240, pour qui cette fête commence le deuxième jour du mois. 8 Ainsi D. Barthélemy, « Notes en marge de publications récentes sur les manuscrits de Qumran », RB 59, 1952, p. 187-218 (voir p. 200-201) suivi notamment par Yadin, t. 1, p. 103 et 117 ; Maier (1985), p. 79 ; (1997), p. 104. 9 Voir Yadin, t. 1, p. 105-8. 10 Yadin, t. 1, p. 90. Sur cette fête, voir aussi Jubilés 7, 1-6. 11 Yadin, t. 1, p. 96-97.
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trois autres fêtes, correspondant aux trois autres produits cités en Ne 10, qu’il a insérées entre la fête des Semaines et la néoménie du neuvième mois. D’abord la fête du Vin nouveau (RT XIX, 11XXI, 10), yyn dš (RT XIX 14 ; XXI, 10), également qualifiée de ywm hbkwrym lt[yrwš] (RT XLIII, 3), de mwd htyrwš (RT XLIII, 8-9 ; cf. Jubilés 7, 1-6 – ici au premier jour du premier mois – Jubilés 7, 36 ; 32, 12 et Testament de Lévi 9, 14). Ensuite la fête de l’Huile fraîche (RT XXI, 12-XXIII, 01), šmn dš (RT XXI, 14), appelée aussi ywm hbkwrym l[yhr] (RT XLIII, 3-4), mwd ywm hqrb šmn dš (RT XLIII, 10), (ywm) mwd hyhr (RT XI, 12, XLIII, 8-9 ; 4Q365 frag. 23, 9), mwd hšmn (4Q327 frag. 1, II 4-5 ; cf. Jubilés 7, 36 ; 32, 12). Enfin, la fête de l’Offrande du bois (RT XXIII, 02-XXV, 1), [ymy h]ym (RT XLIII, 4 ; cf. 4Q327 frag. 1 II 8-9 ; 4Q365 frag. 23, 5 et 9 ; CD-A XI, 19), une fête que connaît aussi Flavius Josèphe (Guerre Juive II XVII 425), mais qu’il fixe à une autre date. Ces trois nouvelles fêtes ne se situent toutefois pas sur le même plan. L’auteur de cette réforme a, en effet, et fort logiquement, rapproché les fêtes du Vin nouveau et de l’Huile fraîche de la fête des Semaines en les associant par un même rythme quinquadécimal, lequel séparait déjà cette dernière du Jour de la remise de la première gerbe. Prolongeant ce rythme il a, en conséquence, fixé la fête du Vin nouveau cinquante jours après la fête des Semaines (RT XIX, 11-14), et celle de l’Huile fraîche, cinquante jours après la fête du Vin nouveau (RT XXI, 12-14). Par contre, il a mis à part la fête de l’Offrande du bois, dont il a fixé la durée à six jours (voir RT XXIV, 16) et qu’il a insérée dans l’espace de temps qui séparait la fête de l’Huile fraîche de la néoménie du septième mois 12. L’introduction de nouvelles fêtes agricoles est plutôt surprenante et, en tout cas, en totale rupture avec les réformes antérieures. Car
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Voir Yadin, t. 1, p. 130-1 ; Beckwith (1996), p. 113. Selon Maier (1985), p. 83, le vingt-troisième jour pourrait aussi être le premier d’un cycle de six offrandes du bois réparties sur l’année. Sur ces différentes fêtes, voir Yadin, t. 1, p. 89-142 ; Marx (1994), p. 156-62 ; Swanson (1995), p. 17-116 ; J. C. VanderKam, « Festivals », EncDSS 1, 2000, p. 290-92. Pour la fête du Vin nouveau, voir G.J. Brooke, « The Feast of New Wine and the Question of Fasting », ET 95 (1984), p. 175-176 ; R. T. Beckwith, « The Feast of New Wine and the Question of Fasting », ET 95 (1984), p. 334-5 ; J. C Reeves, « The Feast of the First Fruits of Wine and the Ancient Canaanite Calendar », VT 42 (1992), p. 350-61. Pour la fête de l’Offrande du bois, voir M. Delcor, « Réflexions sur la fête de Xylophorie dans le Rouleau du Temple et les textes parallèles », RQ 12, n° 48 (1987), p. 561-569 ; J. Milgrom, « Qumran’s Biblical Hermeneutics : The Case of the Wood Offering », RQ 16 n° 63 (1994), p. 449-456.
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celles-là tendaient, à l’inverse, à réinterpréter les anciennes fêtes agricoles de manière à les mettre en relation avec l’histoire d’Israël (ainsi P) 13, ou même, à les détacher entièrement du calendrier agricole (ainsi Ez 40-48). Et les seules fêtes nouvelles introduites jusque là dans le calendrier étaient des fêtes commémoratives. Une telle réforme, à ce point inattendue, n’a de sens que si elle répond à des préoccupations d’intérêt majeur, en étroite relation avec l’idéologie du milieu essénien, et auxquelles le calendrier existant ne répondait pas. L’examen du rituel sacrificiel de ces fêtes nouvelles, tel que les auteurs de cette réforme l’ont librement élaboré, permet de mettre en évidence la spécificité de chacune de ces fêtes et d’en déterminer la fonction. Malheureusement, le manuscrit 11Q19 est, sur ce point, souvent lacunaire et ne peut qu’occasionnellement être complété grâce aux fragments de 11Q20. Et les reconstitutions sur la base des données de Lv 23 et Nb 28-29 sont assez hasardeuses, dans la mesure où, sur de nombreux points, le RT s’écarte de ce système. C’est ainsi que, comme le notait déjà Yadin, le RT, contrairement à P, prescrit d’accompagner tous les at d’offrandes végétales et de libation (en suivant le barème fixé en Nb 15, 1-16), alors que P ne les y associe jamais 14, et qu’il exige pour l’holocauste du jour de la présentation de la première gerbe un bélier, et non, comme en Lv 23, 12, un agneau, cet holocauste devant, en plus, être associé à un at (RT XVIII, 2-10) 15. De l’examen des données sûres du RT on peut néanmoins dégager les observations suivantes. Les fêtes des Semaines, du Vin nouveau, de l’Huile fraîche et de l’Offrande du bois font, toutes, intervenir les douze tribus, chacune des tribus d’Israël devant apporter les matières constitutives de la fête. Si pour la fête des Semaines il est simplement fait mention de douze pains (RT XVIII, 14-15) – du moins si l’on accepte la
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Une tendance qui se poursuit, d’ailleurs, avec le rattachement de la fête des Semaines à l’alliance noachique, en Jubilés 6, 17-22 (et, indirectement, l’alliance avec Abraham, Jubilés 15), à l’alliance du Sinaï, en Livre des Antiquités bibliques 23, 2. Cf. aussi 4Q266 frag. 11, 17-18. 14 Yadin, t. 1, p. 143-46. On notera d’ailleurs que déjà le Chroniste modifiait le système de P en prescrivant l’offrande de plusieurs victimes en at (Esd 6, 17, 8, 35 ; 2 Ch 29, 21.23-24), alors que chez P, comme d’ailleurs aussi chez Ez 40-48, la victime du at est toujours unique. 15 Yadin, t. 1, p. 100-3.
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reconstitution proposée par Yadin 16 –, dans le cas des trois autres fêtes cette intervention est expressément requise : lors de la fête du Vin nouveau et de l’Huile fraîche, chaque tribu devra offrir, respectivement un tiers de hin de vin (RT xix 14-15), un demi hin d’huile (RT XXI, 14-15) ; et à l’occasion de la fête de l’Offrande du bois, les douze tribus devront apporter, à tour de rôle, deux par deux, le bois (RT XXIII, 02-2). Cette référence aux douze tribus est également suggérée par le nombre de victimes offertes en holocauste : douze pièces de bétail, dont la nature, du fait des lacunes du texte, n’est pas indiquée, pour la fête des Semaines (RT XIX, 3), douze béliers, entre autres victimes, pour la fête du Vin nouveau (RT XIX, 16) et peut-être celle de l’Huile fraîche (voir 11Q20 V, 18), douze taurillons, douze béliers et douze agneaux, au total, à la fête de l’Offrande du bois (RT XXIII, 6-7). Cette référence expresse aux douze tribus est spécifique au RT. Elle représente une caractéristique distinctive de ces quatre fêtes. Les trois premières de ces fêtes s’articulent clairement autour de l’offrande de prémices : prémices, bkwrym, du pain (RT XVIII, 14 ; voir ausi XIX, 12), du vin, yyn dš (RT XIX, 14) et de l’huile, šmn dš (RT XXI, 16). Et, de fait, chacune de ces fêtes commence par l’offrande de ces prémices (respectivement RT XVIII, 16 ; RT XIX, 1415 et XXI, 10 ; RT XXI, 14-16). Chacune de ces fêtes est destinée à « faire l’absolution », kpr l – ainsi expressément en 11Q20 V, 11, à propos du vin, et RT XXII, 15-16, à propos de l’huile – sur la nouvelle récolte, et ainsi à la désacraliser afin d’en permettre l’usage profane, et donc de consommer les nouveaux pains faits avec la farine de la nouvelle récolte (RT XIX, 6-7), de boire le vin nouveau et de manger les grappes de raisin (RT XXI, 4-7), de manger les olives et d’en utiliser l’huile (RT XXII, 14-15). Cette « absolution » est réalisée par l’offrande des mêmes types de sacrifices que ceux utilisés aux néoménies et aux fêtes, à savoir, comme chez P, un at, dont la victime est un bouc, suivi – ceci à la différence de P, où le at vient après l’holocauste – d’un holocauste constitué de taurillons, de
————— 16 Yadin, t. 1, p. 105-6 ; t. 2, p. 79. Voir de même A. Caquot, dans A. DupontSommer, M. Philonenko, éd., La Bible. Écrits intertestamentaires (Paris, 1987), p. 79 n. 14 ; L. H. Schiffman, « Shelamin Sacrifices in the Temple Scroll », EI 20 (1989), p. 176*-183* (voir p. 177-178) ; Vivian (1990), p. 166, 275-276 ; Swanson (1995), p. 36-37. Mais cf. J. Milgrom, « Further Studies in the Temple Scroll », JQR 71 (1980, p. 1-17 (voir p. 6-8) ; Maier (1985), p. 25 ; (1997), p. 106 pour qui les pains sont au nombre de deux.
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béliers et d’agneaux, le tout (y compris le at, et ce, contrairement à P) accompagné d’offrandes végétales et de libations (RT XIX, 2-4 ; RT XIX, 15-XX, 1 ; cf. RT XXII, 1). Du fait des lacunes du texte, le nombre exact des victimes ne peut être précisé, mais semble varier selon les fêtes. La fête de l’Offrande du bois, quant à elle, est vraisemblablement destinée à reconstituer le stock de bois nécessaire à l’autel 17. Elle donne lieu aux mêmes types de sacrifices que les fêtes des prémices (RT XXIII, 3-8). À ce stade de l’enquête, et au vu du fait que ces fêtes font appel concurremment aux douze tribus et qu’elles sont centrées sur l’offrande de prémices, il paraît tout à fait naturel de considérer, comme le fait Milgrom, que le motif de l’insertion de ces nouvelles fêtes, et singulièrement des fêtes du Vin nouveau et de l’Huile fraîche, est simplement de compléter le calendrier reçu 18. Car, dans la mesure où la remise des prémices des céréales était traditionnellement marquée par une fête spécifique, en l’occurrence la fête des Semaines, il y avait toute raison de célébrer de la même manière la remise des autres produits dont Dieu réclamait expressément les prémices 19, à savoir, principalement, le vin et l’huile. Ainsi Dt 18, 3-4 : tu donneras au prêtre « les prémices de ton blé, dgn, de ton vin nouveau, tîrôš, et de ton huile, yiehr » (voir aussi Nb 18, 12 P ; cf. Ne 10, 36-40 ; 2 Ch 31, 5). Et ce d’autant plus que le vin et l’huile sont fréquemment associés aux céréales et forment, avec elles, les trois produits représentatifs de l’agriculture d’Israël. Caractéristique à cet égard est Dt 11 14 : « je donnerai à votre pays la pluie en son temps, celle de l’automne et celle du printemps, et tu récolteras ton blé, dgn, ton vin nouveau, tîrôš, et ton huile, yiehr » (voir aussi Dt 7, 13), dont l’écho se retrouve en 11Q Bénédictions : « Que vous
————— 17 De même Milgrom (1980), p. 11-12. Mais cf. Yadin, t. 1, p. 129 et 408, qui considère que le bois constitue lui-même la matière du sacrifice, de même Delcor (1987), p. 564. 18 J. Milgrom, « The Qumran Cult : Its Exegetical Principles », in G.J. Brooke, éd., Temple Scroll Studies. Papers presented at the International Symposium on the Temple Scroll Manchester, December 1987 (JSP.S 7 ; Sheffield, 1989), p. 165-180 (voir p. 172-173), parle à ce propos d’ « homogénéisation » sur la base des exigences formulées en Nb 18, 12 et Ne 13, 30. Voir aussi B. A. Levine, « A Further Look at the Mo’adim of the Temple Scroll » dans L. H. Schiffman, éd., Archaeology and History in the Dead Sea Scrolls (JSP.S 8. JSOT/ASOR Monographs 2 ; Sheffield, 1990), p. 53-66 (voir p. 64) ; Beckwith (1996), p. 112 ; (1997), p. 16-17. 19 Et aussi la dîme, Nb 18, 26-27 (P) ; Dt 12, 17 ; 14, 23 ; Ne 10, 40 ; 13, 5.12. Voir aussi RT LX, 6 ; Jubilés 13, 26.
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bénisse le Dieu Très-Haut, qu’il fasse briller sur vous son visage, qu’il ouvre pour vous son beau trésor qui est dans les cieux en faisant descendre sur votre terre des averses de bénédictions, rosée et pluie, ondée de printemps et d’automne, (chacune) en son temps, et en vous donnant le fruit de récoltes, blé, dgn, vin nouveau, tyrš, huile fraîche, yhr, en abondance » (11Q14 II, 7-10) 20. Il y a plus. Selon l’Ancien Testament, c’est à Moïse que Yhwh enjoint d’exiger des Israélites qu’ils apportent, lors de la fête des Semaines, les prémices des céréales. Selon le livre des Jubilés, par contre, les prémices du vin et de l’huile (et des céréales, Jubilés 6, 2022), sont requises dès l’époque antédiluvienne, et c’est Hénoch qui en a donné l’ordre à son fils – Hénoch que 1 Hénoch présente comme « un homme juste auquel fut révélée une vision (venant) de Dieu (et qui) avait la vision du Saint et du ciel » (1 Hénoch 1, 2) 21 –, cet ordre étant ensuite relayé de génération en génération (Jubilés 7, 3439). En célébrant ces fêtes des prémices, Israël n’accomplit donc pas seulement les instructions divines qui, selon le RT, lui ont été transmises par Moïse au Sinaï, il renoue aussi avec l’ordre originel et apparaît ainsi comme le représentant de l’humanité idéale, avant qu’elle ne fût corrompue par les anges déchus. L’interprétation de ces différentes fêtes comme des fêtes destinées à marquer l’offrande des prémices des principaux produits de l’agriculture semble donc avérée, et est d’ailleurs généralement adoptée. Elle se heurte, pourtant, à un certain nombre de difficultés. On notera, tout d’abord, que toutes les offrandes de prémices dont il est question en Ne 10, 36-38, et notamment le fruit des arbres, ne sont pas associées à une fête. On s’étonnera, par ailleurs, de ce que, dans le rituel de ces fêtes, le RT parle de yyn dš et de šmn dš – deux syntagmes qui semblent être une création de l’auteur du Rouleau du Temple – au lieu de faire usage de la terminologie habituelle, partout utilisée dans l’AT pour désigner les prémices du vin et de l’huile, à savoir tîroš et yiehr, que d’ailleurs le Rouleau du Temple utilise
————— 20 Traduction A. Caquot, « Malédictions et bénédictions qoumraniennes », RHPR 82 (2002), p. 3-14 (traduction p. 8). Voir aussi 4Q508 frag. 13, 3 ; Oracles sibyllins 3, 745. En Testament de Juda ix 8, blé, vin et huile forment la matière d’un tribut. Leur abondance est signe de richesse (1QH a XVIII, 24). En Oracles sibyllins 3, 243, ils constituent les ressources de base que les riches sont supposés mettre à la disposition des indigents. 21 Les citations des écrits intertestamentaires sont faites d’après Dupont-Sommer – Philonenko (1987).
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quasi systématiquement en dehors de la section relative au calendrier festif (voir aussi RT XXXVIII, 4 ; LX, 6 ; mais cf. XLIII, 14-15). Au vu de ces emplois très typés, peut-on considérer purement et simplement que ces différents termes sont équivalents ? On rappellera aussi que, dans l’AT, les prémices ne montent jamais sur l’autel (Lv 2, 12), mais sont expressément attribuées aux prêtres (Nb 18, 1113 ; Dt 18, 3-4 ; Ne 10, 36-38) et que, sauf en Mi 6, 7 et peut-être chez Ez, pour les sacrifices idolâtres (voir Ez 16, 19 ; 23, 41), l’huile n’est jamais utilisée comme offrande indépendante, mais uniquement en conjonction avec la farine ou les pains. Or, dans le cas particulier, le vin nouveau est destiné à la libation, nsk (RT XIX, 14) sur l’autel (RT XXI, 10), et l’huile fraîche y est offerte de même (RT XXI, 14-16 ; cf. aussi Jubilés 7, 36 – qui prévoit, toutefois, un partage entre l’autel et les prêtres – et Testament de Juda 21, 5). La modification de ces règles ne saurait résulter simplement d’une volonté d’harmonisation avec la fête des Semaines dans la mesure où, justement – pour autant que les lacunes du texte permettent de le dire – les pains apportés par les douze tribus semblent destinés à être entièrement consommés par les prêtres (RT XIX, 5-6). Mais la principale objection que l’on peut faire à cette interprétation comme fêtes des prémices résulte de l’examen de leur rituel respectif. Si ces différentes fêtes étaient uniquement destinées à marquer la remise des prémices du pain, du vin et de l’huile il eût été logique que leur rituel soit identique, et que donc l’auteur du Rouleau du Temple se contente de calquer le rituel des trois fêtes nouvelles, ou en tout cas de celles relatives aux prémices de l’agriculture, sur celui de la fête des Semaines. Or, tel n’est pas le cas. Toutes ces considérations conduisent à chercher dans une autre direction. Les produits apportés à l’occasion de ces différentes fêtes ne sont pas seulement les produits représentatifs de la production agricole d’Israël, ce sont aussi des produits qui jouent un rôle essentiel dans le culte. Les galettes, lwt, azymes de la fête des Semaines sont aussi la matière des offrandes végétales (Lv 2, 4) et interviennent dans le rituel de consécration des prêtres (Ex 29, 23 Lv 8, 26 ; cf. RT XV, 9). Le vin est destiné à la libation, laquelle, comme aussi l’offrande végétale, accompagne tous les holocaustes et sacrifices de communion du culte régulier ainsi que les sacrifices voués et spontanés (Nb 15, 1-16). L’huile fait partie intégrante de toute offrande végétale et sert à l’onction des prêtres et de l’autel. Le bois est
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destiné à servir de combustible pour l’autel (Jubilés 21, 12-15 ; 4Q214b, frag. 2-6 I 1-8 ; Testament de Lévi 9, 12). Mais il y a plus. On sait que le pain, le vin et l’huile font l’objet d’une valorisation toute particulière chez les Esséniens et dans des cercles apparentés à l’Essénisme. En Testament de Lévi 8, ces trois matières sont étroitement associées au sacerdoce. Au cours de sa vision, qui est un décalque du rituel biblique de consécration des prêtres, Lévi voit sept hommes en blanc dont le premier l’oint d’huile et dont le deuxième lui sert du pain et du vin, qualifiés d’aliments sacro-saints (Testament de Lévi 8, 4-5). En Joseph et Aséneth, Joseph est décrit comme un « homme pieux qui (…) mange le pain bénit de la vie, et qui boit la coupe bénite d’immortalité, et qui est oint de l’onction bénite d’incorruptiblité » (Joseph et Aséneth 8, 5). De même Aséneth, à qui l’ange annonce : désormais « tu seras renouvelée, reformée et revivifiée, et tu mangeras le pain de vie, et tu boiras la coupe d’immortalité, et tu seras ointe de l’onction d’immortalité » (Joseph et Aséneth 15, 3-4). Pain et vin qui, selon Ps 104, 14-15 constituent la nourriture par excellence des hommes, sont aussi la matière du repas sacré des Esséniens (1QS VI, 4-5 ; 1QSa II, 17-21 ; voir aussi Bel et le dragon 33lxx ; Jubilés 45, 5 ; Joseph et Aséneth 15, 14). L’instauration, à côté de la fête des prémices du pain, des fêtes des prémices du vin et de l’huile est donc certainement aussi à mettre en rapport avec la valorisation de ces produits par les Esséniens. Mais il reste la même objection que celle faite précédemment, à savoir que le rituel de ces trois fêtes n’est pas identique, ce qui indique assez que le RT n’a pas voulu les mettre sur le même plan. La comparaison entre ces différents rituels fait, en effet, clairement apparaître que l’auteur du Rouleau du Temple a voulu associer les deux fêtes du Vin nouveau et de l’Huile fraîche et les distinguer expressément, non seulement de la fête de l’Offrande du bois, mais également de la fête des Semaines. Alors qu’on s’attendrait plutôt, eu égard au couple classique que forment pain et vin, à ce que la fête du Vin nouveau soit associée à la présentation des pains. Cette volonté est d’autant plus inattendue qu’une telle association entre le vin et l’huile, à l’exclusion de tout autre produit, n’est quasiment jamais attestée par ailleurs. Or, l’intention d’établir une corrélation entre ces deux fêtes est tout à fait manifeste et se traduit par l’introduction de deux rites distinctifs. Contrairement aux deux autres fêtes de ce groupe, la fête du Vin nouveau et de l’Huile fraîche s’ouvrent, toutes deux, par l’offrande,
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sur l’autel, de chacun de ces deux produits (RT XXI, 10 et XXI, 1416) 22. Et à la différence des deux autres fêtes, chacune de ces deux fêtes se conclut par l’offrande d’un sacrifice de communion accompagné, comme il est de règle, d’offrandes végétales et de libations (RT XX, 1-XXI, 3 ; XXII, 2-14). Ce sacrifice, apporté par les chefs des milliers, est, dans les deux cas, constitué de quatorze béliers et de quatorze agneaux, et se décompose comme suit : une victime de chaque, pour les prêtres, une de chaque pour les lévites, et une de chaque pour chacune des douze tribus. Chacune de ces deux fêtes se termine ainsi par un repas sacrificiel, dont on souligne expressément le caractère joyeux (RT XXI, 9 ; XXII, 16) et auquel participent, successivement, ces différentes catégories 23. Un tel sacrifice n’est prescrit pour aucun autre temps sacré du calendrier. Plus même, alors que P exige l’offrande d’un sacrifice de communion lors de la fête des Semaines (constitué là de deux agneaux, Lv 23, 19), un tel sacrifice ne semble pas prévu à cette occasion par le Rouleau du Temple 24. Une lecture du rituel sacrificiel des fêtes du Vin et de l’Huile fraîche fait apparaître que ce rituel, par le jeu des sacrifices, décrit une succession de trois cercles excentriques qui vont du plus saint au moins saint et élargissent progressivement le cercle des participants au repas sacrificiel. Comme tout repas, ce repas sacrificiel constitue un code et décrit tout un système de relations 25. Le mets est médiation. Les sacrifices du premier cercle, vin et huile, reviennent exclusivement à Yhwh. Les sacrifices du deuxième cercle, at et holocaustes
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On notera l’utilisation, à propos l’offrande de l’Huile fraîche, du verbe qrb hi. (RT XXI, 14, XLIII, 10), terme technique pour désigner une offrande sacrificielle. Ce même verbe est reconstitué, à propos du vin, en RT XIX, 14, par Swanson (1995), p. 51-52 ; F. García Martínez, E. J. C. Tigchelaar, The Dead Sea Scrolls Study Edition, t. 2 (Leiden, 1998). Mais cf. Yadin qui lit un verbe bw hi. 23 Ainsi que l’a souligné Yadin (t. 1, p. 111), on retrouve ce même ordre dans la Règle de la Communauté II, 19-23, dans l’Écrit de Damas XIV, 3-4 et dans le Règlement de la Guerre II, 1-6. Sur ce sacrifice, voir Schiffman (1989). 24 Voir aussi Swanson (1995), p. 40-1. Plus loin, Swanson note que la présence, dans ces conditions, d’un sacrifice de communion dans le rituel de la fête du Vin nouveau constitue un « unexpected development » (Swanson, 1995, p. 57). 25 Voir notamment les remarques introductives de M. Douglas à son étude « Deciphering a Meal », Daedalus 101 (1972), p. 61-81 : « If food is treated as a code, the messages it encodes will be found in the pattern of social relations being expressed. The message is about different degrees of hierarchy, inclusion and exclusion, boundaries and transactions across the boundaries » (p. 61).
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avec leurs offrandes végétales et libations, sont partagés entre Yhwh et les prêtres : À Yhwh sont attribués le sang et la graisse du at et de l’holocauste, ainsi que la chair de l’holocauste et le vin de la libation, Yhwh et prêtres se partageant l’offrande végétale, les prêtres recevant en propre la chair du at 26. Les sacrifices du troisième cercle, sacrifices de communion, offrandes végétales et libations sont, quant à eux, répartis entre l’ensemble des partenaires, Yhwh, prêtres, lévites et les représentants des douze tribus : À Yhwh reviennent cette fois-ci le sang et la graisse des victimes ainsi que le vin de la libation ; avec les prêtres, il partage, de même, l’offrande végétale ; prêtres, lévites et chefs d’Israël se partagent la chair des victimes, les premiers se voyant attribuer, comme chez P, la cuisse droite et la poitrine, mais aussi le membre antérieur, les joues et la panse (cf. Dt 18, 3), les seconds, l’épaule, le reste de la chair revenant aux chefs (RT XX, 15-XXI, 05 ; XXII, 9-14). Vin et huile se situent ainsi au sommet de ce cône imaginaire. Sacrifices du premier cercle, ils apparaissent comme le correspondant, à un degré plus élevé, du sang et de la graisse animale et constituent la nourriture divine sous sa forme la plus parfaite. Le vin et l’huile se retrouvent dans les autres cercles, le vin, réservé de même à Yhwh, sous la forme d’une libation accompagnant les sacrifices animaux, l’huile, en tant que partie constituante de l’offrande végétale, laquelle est partagée entre Yhwh et les prêtres (voir Lv 6, 7-11). La viande, par contre, n’intervient que dans le deuxième et le troisième cercle et donne, indirectement, lieu à un partage entre Yhwh, prêtres, lévites et chefs du peuple. Ce n’est que par cette médiation que les chefs d’Israël ont part à la nourriture divine. Le vin et l’huile qu’Israël consomme dans la vie quotidienne sont donc davantage qu’un simple produit de son agriculture. Ce vin et cette huile sont, en effet, mystiquement reliés à la nourriture divine qui est offerte à Yhwh à l’occasion des fêtes du Vin nouveau et de l’Huile fraîche, mais également chaque jour, par le biais de l’offande végétale et de la libation de vin qui accompagnent l’holocauste quotidien. Les Israélites forment ainsi comme un quatrième cercle et participent, eux aussi, et tout au long de l’année, au bénéfice de ces repas sacrificiels célébrés à la fête du Vin nouveau et à celle de l’Huile fraîche. D’où vient donc que vin et huile sont ainsi mis en valeur ?
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Ceci, conformément à la règle établie en Lv 10, 16-18.
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Si on cherche dans la Bible des textes où vin et huile se voient accorder une place si singulière, on constate que le seul texte à valoriser de manière aussi exclusive ces deux produits se trouve dans le livre d’Ésaïe, en Es 25, 6-8. Dans le cadre d’une évocation des temps eschatologiques, le prophète dépeint le banquet que Yhwh offrira alors, sur la montagne de Sion, à toutes les nations. Un banquet exclusivement végétal, constitué du meilleur de l’huile et du vin : des huiles lavées, débarrassées de toute impureté, šemnîm memuyim, et du vin « de lie », šemrîm mezuqqqîm, que l’on a laissé en contact avec la lie pour lui donner davantage de force et de bouquet (voir Jr 48, 11) et que l’on clarifie avant de le servir 27. La matière purement végétale de ce festin renoue avec les valeurs de la création telles qu’elles sont impliquées par l’exigence d’une nourriture exclusivement végétalienne (Gn 1, 29-30), et en particulier celles du respect de la vie et de la non-violence 28. Ce festin inaugural du règne de Yhwh fait pendant à l’anéantissement définitif de la mort, annoncé aux v. 7-8. Il en constitue le volet positif et peut ainsi être interprété comme un repas à travers lequel Yhwh confère la vie aux nations. Or, on retrouve dans ce texte quelques-unes des caractéristiques de nos deux fêtes esséniennes. Dans l’un et l’autre cas, vin et huile apparaissent comme couple exclusif : la séquence des fêtes du RT qui place le vin en premier résulte des contingences de la vie
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Sur ce texte, voir notamment H. Wildberger, « Das Freudenmahl auf dem Zion. Erwägungen zu Jes. 25, 6-8 », TZ 33 (1977), p. 373-384 ; M. Delcor, « Le festin d’immortalité sur la montagne de Sion à l’ère eschatologique en Is. 25, 6-9, à la lumière de la littérature ugaritique », in M. Delcor, Études bibliques et orientales de religions comparées (Leiden, 1979), p. 122-131 ; P. Welten, « Die Vernichtung des Todes und die Königsherrschaft Gottes. Eine traditionsgeschichtliche Studie zu Jes 25,6-8 ; 24,21-23 und Ex 24,9-11 », TZ 38 (1982), p. 129-146 ; A. Caquot, « Remarques sur le “banquet des nations” en Ésaïe 25, 6-8 », RHPR 69 (1989), p. 109-119 ; B. Wodecki, « The Religious Universalism of the Pericope Is 25:6-9 », in Kl.-D. Schunck, M. Augustin, éd., Goldene Äpfel in silbernen Schalen. Collected Communications to the XIIIth Congress of the IOSOT, Leuven 1989 (Frankfurt a. M., 1992), p. 35-47 ; S. Ö. Steingrimsson, Gottesmahl und Lebensspende. Eine literaturwissenschaftliche Untersuchung von Jesaja 24,21-23, 25,6-10a (ATSAT 43 ; St. Ottilien, 1994). Sur le caractère exclusivement végétal de ce banquet, voir A. Marx, « Le Dieu qui invite au festin. À propos de quelques métaphores sacrificielles de l’Ancien Testament » in C. Grappe, éd., Le repas de Dieu – Das Mahl Gottes. 4. Symposium Strasbourg, Tübingen, Upsal, Strasbourg 11-15 septembre 2002 (WUNT 169 ; Tübingen, 2004), p. 35-50 (voir p. 43-47). 28 Voir Marx (1994), p. 139-45.
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agricole où les vendanges précèdent la récolte des olives ; et la terminologie différente vient du souci de l’auteur d’Ésaïe 25 d’insister sur la qualité des produits offerts. Et dans l’un et l’autre cas, vin et huile occupent la place éminente. Forme sublimée du sang et des graisses, ils constituent la part spécifique de Yhwh, offerte à Yhwh, dans le RT, offerte par Yhwh aux nations, dans le passage d’Ésaïe. Au vu de l’importance qu’a joué le livre d’Ésaïe pour la communauté essénienne, il est difficile d’imaginer que l’introduction des fêtes du Vin nouveau et de l’Huile fraîche soit sans rapport avec le banquet eschatologique tel qu’il est décrit en Es 25. Pour l’auteur du RT, Israël ne représente pas seulement l’humanité idéale – celle qui, en offrant à Yhwh les prémices de ses céréales, se conforme aux préceptes qu’Hénoch avait donnés à ses descendants. En offrant à Yhwh le Vin nouveau et l’Huile fraîche, et en étant associé, à travers ses prêtres, ses lévites et ses chefs, à ce repas sacrificiel, Israël participe aussi, par anticipation, au banquet eschatologique d’immortalité. Cette perspective du banquet eschatologique a été inscrite dans le calendrier essénien, par la célébration de la fête du Vin nouveau et celle de l’Huile fraîche, mais à un niveau inférieur : ce n’est encore qu’indirectement, à travers une série de médiations, qu’Israël, et seulement Israël, participe à ce banquet. D’autres écrits esséniens ou apparentés à l’Essénisme font écho à cette perspective, mais en l’adaptant à la situation particulière d’un éloignement ou d’une rupture avec le Temple. Avec le pain, vin et huile sont considérés comme matières conférant la vie (cf. Joseph et Aséneth 8, 5.11, 15, 3-4). Mais vin et huile y interviennent dans des contextes rituels différents et de manière plus différenciée. Le vin, remplacé par le moût, tîrôš, forme avec le pain (qui est habituellement partagé entre Yhwh et les prêtres) le repas sacré essénien. L’huile, quant à elle, est ici destinée uniquement à l’onction. Des écrits essénisants plus tardifs valoriseront tout particulièrement l’huile 29. Qualifiée d’« huile de vie » dans la Vie latine d’Adam et d’Ève 36, 1, d’« huile de miséricorde » (Vie latine d’Adam et d’Ève 36, 3 ; 40, 1 ; voir aussi Vie grecque d’Adam et d’Ève 13, 1), provenant de « l’arbre de miséricorde » (Vie latine d’Adam et d’Ève 40, 3 ; 41, 2 ; voir aussi 36, 2) qui se trouve au paradis – selon II Hénoch 8, 4, à côté de l’arbre de vie, mais que la Vie grecque d’Adam et d’Ève 9, 3
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Voir D. C. Harlow, The Greek Apocalypse of Baruch (3 Baruch) in Hellenistic Judaism and Early Christianity (SVTP 12 ; Leiden, 1996), p. 149, n. 128.
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identifie à l’arbre de vie –, elle y est censée guérir la maladie et empêcher la mort. En II Hénoch, elle donne à Hénoch l’apparence d’un des Glorieux et lui permet de demeurer en présence de Dieu (II Hénoch 22, 4-7) et de ne plus avoir besoin de nourriture terrestre (II Hénoch 46, 1-2). En III Baruch 15, l’huile est apportée du ciel aux justes par les anges qui leurs sont préposés, en récompense de leurs mérites. Ainsi que le suggère Riaud, cette huile leur permet d’avoir part à la vie des anges 30. Par leur participation au vin et à l’huile, les sectaires esséniens s’apparentent aux prêtres, qui ont le privilège de partager avec Yhwh le pain consacré et de recevoir l’onction d’huile. Mais, en ayant part aussi au vin, ils se situent un cran au-dessus. Ce privilège d’une relation plus étroite avec Yhwh que celle dont bénéficient les Israélites à l’occasion des fêtes du Vin nouveau et de l’Huile fraîche, est réservé aux élus, membres de la secte essénienne, qui, comme les anges, se qualifient de « saints ».
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Communication personnelle de M. Jean Riaud. Nous remercions le Professeur Riaud pour ses remarques suggestives.
PÂQUE ET SABBAT DANS LES FRAGMENTS I ET V D’ARISTOBULE JEAN R IAUD Université Catholique de l’Ouest – Angers
« Aristobule était, selon Eusèbe de Césarée (Préparation évangélique VII, 13, 7), « un sage parmi les Hébreux, qui fleurit sous la monarchie des Ptolémées » ; il aurait « dédié à Ptolémée lui-même son Interprétation des saintes lois, ». Ce Ptolémée est, selon Clément d’Alexandrie (Stromate I, XXII , 150, 1), Ptolémée VI Philométor (181-145 av. J.-C), et, toujours selon Clément (Stromate V, XIV, 97, 7), Aristobule est l’Aristobule mentionné en II Maccabées 1, 10 où il est présenté comme le « didascale, » (précepteur ou conseiller ?) du roi Ptolémée, et « issu de la race des prêtres consacrés ». Cette indication, qui se trouve dans la seconde lettre aux Juifs d’Égypte (II Maccabées 1, 10 - 2, 18), – un faux de peu postérieur à 60 avant notre ère 1 –, nous apprend que l’ouvrage d’Aristobule était encore bien connu à Alexandrie au milieu du Ier siècle avant notre ère. En Stromate V, XIV, 97, 7, Clément d’Alexandrie précise qu’« Aristobule le Péripatéticien » (cf. Stromate I, XV, 72, 4) « a composé de nombreux ouvrages où il démontre que la philosophie
————— 1 Sur cette lettre considérée comme un faux, voir E. Bickermann, « Ein jüdischer Festbrief vom Jahre 124 v. Chr. (II Macc., I, 1-9) », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft, 32, 1933, p. 233-254 ; N. Walter, Der Thoraausleger Aristobulos. Untersuchungen zu seinen Fragmenten und zu pseudepigraphischen Resten der jüdisch-hellenistischen Literatur, Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur, 86, Berlin, Akademie-Verlag, 1964, p. 17-18 ; Ch. Wolff, Jeremia im Frühjudentum und Urchristentum, Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur, 118, Berlin Akademie-Verlag, 1976, p. 20-26 ; M. Hengel, Judaism and Hellenism (Traduction par J. Bowden), Londres, SCM Press Ltd, 1974, I, p. 100. 110 ; II, p. 69 n. 340 ; Carl R. Holladay, Fragments from Hellenistic Jewish Authors, III, Aristobulus, Texts and Translations 39. Pseudepigrapha Series 13, Atlanta, Scholars Press, 1983, p. 45-46. 77, n. 2. J.-A. Goldstein, II Maccabees. A new Translation with Introduction and Commentary, The Anchor Bible, New York, Doubleday & Company, 1983, p. 157-158, 540-545, défend une date plus ancienne.
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péripatéticienne dépend de la loi de Moïse et des autres prophètes. » De son côté, Eusèbe de Césarée affirme (Préparation évangélique VIII, 9, 38) qu’Aristobule, « outre sa philosophie ancestrale, avait pratiqué celle d’Aristote. » Comment faut-il comprendre cette appartenance d’Aristobule, affirmée par Clément et Eusèbe, au Péripatos ? Se déduit-elle de « quelque détail du texte » 2 ? Ou indique-t-elle un auteur curieux d’histoire littéraire ou de science physique 3 ? Sans identifier Aristobule avec l’auteur du traité pseudo-aristotélicien De Mundo 4, il nous semble que la thèse de Roberto Radice, à savoir qu’Aristobule se serait inspiré du De Mundo, mérite de retenir l’attention 5. En Stromate V, XIV, 97, 7, Clément d’Alexandrie précise qu’Aristobule a composé de « nombreux ouvrages, » (ou un ouvrage important en plusieurs parties), et, en Stromate I, XXII , 150, 1, il cite un passage qu’il a trouvé, écrit-il, dans « un premier volume, » dédié à Philométor 6. Anatole de Laodicée, cité par Eusèbe (Histoire ecclésiastique VII, 32, 16) se réfère aux « livres explicatifs de la loi de Moïse, !"# $ %'
». Eusèbe mentionne, lui aussi, « les narrations (…) d’Aristobule, # (...) * + "/ » (Préparation évangélique VIII, 8, 56), « les explications de l’Écriture de Moïse, !"/ : %' ": » (Chronique, GCS 47, p. 139, 5), « les études d’Aristobule dédiées au roi Ptolémée, * ' » (Préparation évangélique XIII, 12). Tous ces témoignages laissent entendre qu’Aristobule était l’auteur d’une œuvre importante. Ajoutons qu’en plus du De
————— 2 R. Goulet, « Aristoboulos », dans R. Goulet (sous la direction de), Dictionnaire des Philosophes antiques, I, Paris, Éditions du Centre National de la Recherche Scientifique, 1989, p. 379. 3 Cf. N. Walter, op. cit., p. 10-13 ; M. Hengel, op. cit., I, p. 164 ; II, p. 106, n. 375. 4 Ce qu’avait suggéré le Père M.-J. Lagrange, « Les Péripatéticiens jusqu’à l’ère chrétienne », Revue Thomiste, 1927, p. 202-213. Cf. Id., Le Judaïsme avant JésusChrist, Études Bibliques, Paris, Librairie Lecoffre, 1931, p. 501. F. Ravaisson, Essai sur la Métaphysique d’Aristote, II, p. 356 ss., Paris, 1913, était plus affirmatif. 5 Cf. son ouvrage : La filosofia di Aristobulo e i suoi nessi con il « De mundo » attribuito ad Aristotele, Milan, Vita e Pensiero, 1994. Signalons que l’authenticité aristotélienne est défendue par G. Reale et Abraham P. Bos, Il trattato Sul Cosmo per Alessandro attribuito ad Aristotele, Milan, Vita e Pensiero, l995. 6 Sur cette dédicace, voir N. Walter, op. cit., p. 35-40, et, sur les dédicaces d’ouvrages à un roi, fictions littéraires, A.-J. Festugière, La Révélation d’Hermès Trismégiste, I. L’astrologie et les sciences occultes, Études Bibliques, Paris, Librairie Lecoffre, 1944, p. 324-331.
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Mundo, ont été attribués à Aristobule ou à son officine Le Troisième Livre des Oracles Sibyllins 7, le Discours sacré du Pseudo-Orphée 8, la Sagesse de Salomon 9, et, tout récemment, la traduction du Livre des Proverbes 10. Mais il ne s’agit là que d’hypothèses : aucun des arguments avancés pour justifier ces attributions n’emporte véritablement l’adhésion. De l’œuvre d’Aristobule 11, cinq fragments, aux longueurs diverses, ont été conservés par Eusèbe de Césarée, et en partie par Clément d’Alexandrie 12. Deux d’entre eux nous intéressent plus particulièrement : le premier qui a trait à la Pâque, et le cinquième, au sabbat.
————— 7 Cette hypothèse a été formulée par Ch. Alexandre, Oracula Sibyllina, II, Paris, Firmin Didot, 1856, p. 320-322. « À vrai dire, comme le signale V. Nikiprowetzky (La Troisième Sibylle, Études Juives IX, Paris-La Haye, Mouton, 1970, p. 264, n. 3), Alexandre se rallie, non sans quelques réserves, à une vue de Thorlacius, Bleek, Gförer, Klausen, plutôt qu’il ne la propose lui-même. » 8 Sur le Discours sacré du Pseudo-Orphée, ses recensions, son auteur, voir N. Walter, op. cit., p. 202-261 ; Id., « Pseudo-Orpheus », dans Jüdische Schriften aus hellenistisch-römischer Zeit, IV, 3, Gütersloh, Gütersloher Verlagshaus Gerd Mohn, 1983, p. 217-243 ; M. Lafargue, « Orphica », dans James H. Charlesworth, The Old Testament Pseudepigrapha, 2, Londres, Darton, Longmann & Todd, 1985, p. 795-801 ; Clara Kraus Reggiani, « I Frammenti di Aristobulo, esegeta biblico », Bolletino dei Classici, 3, 1982, 87-134 ; Carl R. Holladay, Fragments from Hellenistic Jewish Authors, IV, Orphica, Society of Biblical Literature, Texts and Translations 40. Pseudepigrapha Series 14, Atlanta, Scholars Press, 1996, p. 43-91 ; R. Radice, op. cit., p. 43-63 ; A.-M. Denis, Introduction à la littérature religieuse judéo-hellénistique, II, Turnhout, Brepols, 2000, p. 1086-1106. 9 Voir C. Larcher, Études sur le Livre de la Sagesse, Études Bibliques, Paris, J. Gabalda et Cie Editeurs, 1969, p. 136-137. 10 Cf. La Bible d’Alexandrie. Les Proverbes, Traduction du texte grec de la Septante, Introduction et notes par D.-M. D’Hamonville. Avec la collaboration de Sœur Épiphane Dumouchet pour la patristique, Paris, Éditions du Cerf, 2000, p. 134-141. 11 Clara Kraus Reggiani a tenté (art. cit., p. 90-91) de reconstituer le titre de l’œuvre : « Z !"[ $ %\', op. !"/ : %' ":, op. (rispettivamente secondo Anatolio in Eus. HE VII, 32, 16 e secondo Eus. Chron. a Abr. 1841, PE VII 13, 7). Ma, ajoute-t-elle, è presumibile che mancasse un titolo specifico, in luogo del quale ricorre una dedica a Tolomeo VI Filometore (Eus. PE VIII 9, 38 ; XIII 12, 1). » 12 Ces fragments ont été publiés par A.-M. Denis, Fragmenta pseudepigraphorum quae supersunt Graeca una cum historicorum et auctorum Judaeorum hellenistarum fragmentis, Pseudepigrapha Veteris Testamenti Graece, 3 (ouvrage publié avec M. Black, Apocalypsis Henochi Graece), Leyde, E. J. Brill, 1970, p. 217-228. Il n’apparaît pas nécessaire de donner la liste des éditions et des diverses traductions des fragments. Voir Carl R. Holladay, op. cit., p. 7-16 ; A.-M. Denis, Introduction à la littérature religieuse judéo-hellénistique, II, p. 1007-1008, n. 106.
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Le fragment sur la Pâque se trouve dans l’Histoire ecclésiastique VII, 32, 14-19 d’Eusèbe de Césarée. L’historien énumère les évêques de Laodicée, au troisième siècle. Arrivant, après 280, à Anatole d’Alexandrie (ibid., VII, 32, 6), il le présente comme un homme très érudit qui « avait poussé jusqu’au bout l’étude de l’arithmétique, de la géométrie, de l’astronomie, des sciences soit dialectiques soit physiques et des disciplines rhétoriques. C’est pourquoi, ajoute Eusèbe (ibid., VII, 32, 6), à ce que rapporte la tradition, il fut jugé digne par ses concitoyens d’établir à Alexandrie l’École de la succession d’Aristote » 13. Théotecne de Césarée en Palestine le consacra évêque pour en faire son coadjuteur. Mais, à l’occasion du passage d’Anatole à Laodicée, les chrétiens de ce lieu qui venaient de perdre leur évêque, désignèrent Anatole pour lui succéder. De l’œuvre scientifique d’Anatole, il reste quelques fragments des dix livres de ses Introductiones arithmeticae (PG 10, 232-236), et un extrait de son >[ $ >], que cite Eusèbe comme preuve de l’érudition de l’évêque de Laodicée. C’est dans cet extrait que se trouve le court fragment d’Aristobule sur la Pâque (Histoire ecclésiastique VII, 32, 17-18). Concernant la date de la Pâque chrétienne, Anatole, qui avait adopté le système d’intercalation des mois lunaires – sept mois intercalaires ajoutés sur une période de dix-neuf ans 14 –, défendait,
————— 13 Sur Anatole de Laodicée, voir les notices de G. Bardy, « Anatole (saint) », Catholicisme, I, c. 517-518, et de M. Simonetti, « Anatole de Laodicée », Dictionnaire Encyclopédique du Christianisme ancien, p. 118-119, et celle, plus développée, de M. Andrieu, « Anatole (Saint) », Dictionnaire d’Histoire et de Géographie Ecclésiastiques, t. II, c. 1193-1194. 14 Sur ce système, et sur son origine, voir J. Finegan, Handbook of Biblical Chronology (Rev. ed.), Peabody, Hendrikson Publishers, 1998, p. 25-26, § 53. Selon Carl R. Holladay, op. cit., p. 199, n. 2, Anatole serait « the first Christian author to have adopted the nineteen-year intercalary cycle in which an extra lunar month was added to the regular twelve-month cycle seven times within a nineteen period. ». Le « papyrus pascal », retrouvé dans les archives de la communauté juive d’Éléphantine, en Égypte, et daté de 419-418, constitue, selon A. Sérandour (A. Caquot et A. Sérandour, « La Périodisation : de la Bible à l’Apocalyptique » ; A. Sérandour, « Le système chronologique du livre de Daniel », dans Proche-Orient ancien. Temps vécu, temps pensé. Actes de la Table Ronde du 15 novembre 1997 organisée par l’URA 1062 « Études Sémitiques » édités par Françoise BriquelChatonnet et Hélène Lozachmeur, Antiquités Sémitiques III, Paris, Jean Maisonneuve, Librairie d’Amérique et d’Orient, 1998, p. 93-94), la première attestation extrabiblique
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semble-t-il, la position des chrétiens des communautés d’Asie mineure, les quartodécimans, qui, s’inspirant de la chronologie de la Passion fournie par le quatrième évangile, célébraient Pâques, non pas un dimanche, mais le quatorzième jour (c’est-à-dire la pleine lune) du premier mois lunaire après l’équinoxe de printemps, le 14 de Nisan selon le calendrier hébraïque 15. Pour justifier cette date, à savoir que Pâques doit être impérativement célébrée « après l’équinoxe de printemps, au milieu du premier mois, # ^ /, $ $ _ » (Histoire ecclésiastique VII, 32, 17), Anatole précise qu’il ne s’agit pas là d’une position personnelle, mais que c’était « celle des Juifs depuis longtemps, même avant le Christ, et scrupuleusement observée par eux. Nous pouvons le savoir, ajoute-t-il, par ce qu’en ont dit Philon, Josèphe, Musée, et non seulement par eux, mais aussi par d’autres qui sont encore plus anciens, les deux Agathobules, désignés comme les maîtres de l’illustre Aristobule » 16 (Histoire ecclésiastique VII, 32, 16). « Quand ces auteurs expliquent les questions ————— de ce calendrier religieux daté, supposant l’introduction du cycle de Méton au sein de la Loi religieuse de l’ethnie juive dans tout l’empire perse, dont le grand prêtre de Jérusalem était le chef religieux officiel. » Cf. P. Grelot, Documents araméens d’Égypte, Littératures anciennes du Proche-Orient 5, Paris, Éditions du Cerf, 1972, p. 378-386. Voir également S. Stern, Calendar and Community. A History of the Jewish Calendar 2nd century BCE-10th Century CE, Oxford, Oxford University Press, 2001, p. 50-53. 15 En revanche, en Occident – à Rome en particulier – on célébrait toujours la Pâque un dimanche, le dimanche qui tombait le 14 de Nisan des Juifs (la pleine lune après l’équinoxe de printemps), ou bien le dimanche suivant. Eusèbe a fait le récit de cette controverse pascale de la fin du second siècle dans son Histoire ecclésiastique VII, 23-25. Sur cette querelle pascale, voir, parmi bien d’autres travaux, O. Casel, La Fête de Pâques dans l’Église des Pères (traduit de l’allemand par J. C. Didier), Lex orandi 37, Paris, Éditions du Cerf, 1963, p. 29-38 ; J. Van Goudoever, Fêtes et Calendriers bibliques (traduit de l’anglais par Marie-Luc Keremans), Théologie historique 7, Paris, Beauchesne, 1967, p. 227-239. Il est possible aussi qu’Anatole ait fait allusion à une pratique juive qui se développa après 135 de notre ère, celle de célébrer la Pâque sans se soucier de savoir si le 14 Nisan précédait ou suivait l’équinoxe de printemps si bien que les Juifs pouvaient, selon Eusèbe (Vie de Constantin 3, 18), célébrer la Pâque deux fois dans l’année. 16 À noter qu’Anatole situe Aristobule sous Ptolémée Philadelphe, et qu’il le présente comme « l’un des soixante-dix choisis pour traduire les saintes et divines Écritures des Hébreux » (Histoire ecclésiastique VII, 32, 16). Mais le nom d’Aristobule n’apparaît pas dans la liste des traducteurs de la Lettre d’Aristée à Philocrate V, 47-50, et, en Préparation évangélique XIII, 12, 2, Ptolémée Philadelphe est présenté comme « l’ancêtre » du roi auquel Aristobule s’adresse. Comprenant $ comme une désignation géographique, Rufin a traduit « de la ville de Panée ». Cf. N. Walter, op. cit., p. 21, n. 4 ; Carl R. Holladay, op. cit., p. 202, n. 14.
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concernant l’Exode, poursuit notre auteur (ibid., 17), ils disent que tous doivent offrir également les sacrifices de la Pâque (# / `+) après l’équinoxe de printemps, au milieu du premier mois,
# ^ /, $ $ » Les textes de Philon 17 et de Flavius Josèphe relatifs à la Pâque sont connus et fidèlement résumés par Anatole. En De vita Mosis II, 222, Philon écrit que « Moïse compte le premier mois des années qui se succèdent à partir du début de l’équinoxe de printemps », et il ajoute (ibid., 224) qu’« en ce mois, vers le quatorzième jour, quand le disque de la lune est sur le point d’être plein ( ' $ $ + "` $), est fêté le Passage (# /), festivité publique, appelée en hébreu Pâque, >{] ». Commentant Exode 12, 2 (Quaestiones in Exodum I, 1), l’Alexandrin estime qu’« il est tout à fait convenable de calculer le cycle des mois à partir de l’équinoxe du printemps », car, selon lui, « ce mois est le premier en ordre et en puissance : de même le temps qui procède de l’équinoxe du printemps apparaît aussi (comme) le premier en ordre et en puissance, comme l’est la tête dans une créature vivante. Et les astronomes lui ont donné ce nom, parce que le Bélier est le commencement du zodiaque, car c’est en lui que le soleil apparaît (pour) produire l’équinoxe du printemps… ». Et, à la question de savoir pourquoi Dieu ordonne de garder le sacrifice jusqu’au quatorzième jour du mois (Exode 12, 6b), Philon donne cette réponse (ibid., I, 9) : « (La période) de deux sabbats a dans sa nature un honneur (spécial) par ce qu’en ce temps la lune est parée. Car quand elle est devenue pleine le quatorzième jour, elle devient pleine de lumière, bien en vue du peuple. » Citons encore le paragraphe 155 du De specialibus legibus II dans lequel Philon précise que « le début de la fête se situe au milieu du mois, le quinze, à la pleine lune, précaution prise pour qu’il n’y ait aucune obscurité ce jour-là, que tout, au contraire, soit continuellement baigné de lumière, le soleil brillant du matin au soir, et la lune, du soir au matin … les
————— 17
Comme le fait remarquer David T. Runia, Philo in Early Christian Literature. A Survey, Compendia Rerum Iudaicarum ad Novum Testamentum, 3, Assen, Van Gorcum, 1993, p. 233, qui cite A. Strobel, Ursprung und Geschichte des frühchristlichen Osterkalenders, Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur 121, Berlin, Akademie Verlag, 1977, p. 211, « Anatolius’ description of his sources as ‘these men who resolve the questions pertaining to Exodus’ ( | # } + # ~! + ) is reminiscent of the title of Philo’s Quaestiones in Exodum… ».
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deux astres se cèdent la place l’un après l’autre et leurs rayons ne laissent rien dans l’ombre » 18. Flavius Josèphe situe Pâque à la même date. Dans Les Antiquités juives III, 248, il écrit : « Au mois de Xanthicos 19 que l’on appelle chez nous Nisân et qui commence l’année, le quatorzième jour en comptant d’après la lune, alors que le soleil se trouve au bélier ( # / $ ` ) – c’est en ce mois en effet que nous avons été libérés de l’esclavage des Égyptiens – [Moïse] a établi que l’on offrirait chaque année le sacrifice (`) déjà mentionné, appelé Pâque, que nous avions offert à la sortie d’Égypte. » Mais qui sont Musée et les deux Agathobules qu’Anatole place au rang de Philon et de Flavius Josèphe ? Musée est associé à Orphée dont il est soit le fils soit le disciple. Mais Anatole le présente comme un auteur juif ayant vécu depuis longtemps, « même avant le Christ ». Peut-être avons-nous une allusion à un ouvrage juif placé sous le patronage de Musée 20. Quant à l’identification des deux Agathobules, considérés comme « plus anciens » que Philon, Flavius Josèphe et Musée, et « désignés comme les maîtres de l’illustre Aristobule », elle paraît insoluble 21. Pour désigner Pâques, Anatole emploie la transcription que les LXX préfèrent pour l’hébreu KZCUG3, ] 22 (cf. Histoire ecclésiastique
————— 18 Autres textes philoniens relatifs à la Pâque : De opificio mundi 116 ; De specialibus legibus II, 151-152 ; De Decalogo 161. La traduction des textes cités est celle publiée dans Les Œuvres complètes de Philon d’Alexandrie, Éditions du Cerf. 19 Sur l’utilisation par Flavius Josèphe des noms de mois macédoniens, voir Flavius Josèphe, Les Antiquités juives. Volume I er : Livres I à III. Texte, traduction et notes par E. Nodet, Paris, Éditions du Cerf, 1990, p. 21, n. 1. Autres textes de Flavius Josèphe relatifs à la Pâque : Les Antiquités juives I, 80-81 ; II, 311-314 ; III, 201 ; XI, 109-110. La traduction du texte cité est celle d’E. Nodet. 20 Cf A. Yarbro Collins, « Aristobulus », dans James H. Charlesworth, The Old Testament Pseudepigrapha, 2, Londres, Darton Longman & Todd Ltd, 1985, p. 837, n. b ; Carl R. Holladay, op. cit., p. 201, n. 12. 21 Différentes solutions ont été proposées. Voir N. Walter, op. cit., p. 21, n. 5 ; Carl R. Holladay, op. cit., p. 201-202, n. 13. Il est possible, comme le signale Carl R. Holladay (ibid., p. 202, n. 14) qu’Anatole mentionne trois autorités : les deux Agathobules et Aristobule. Dans ce cas, il conviendrait de traduire : « les deux Agathobules, surnommés “les maîtres”, et l’illustre Aristobule. » 22 En fait, comme le signalent A. Le Boulluec et P. Sandevoir (La Bible d’Alexandrie. L’Exode, Paris, Éditions du Cerf, 1989, p. 48) « le nom ], dans la LXX, n’est pas une hellénisation de l’hébreu pèsa ; il transcrit le terme araméen du calendrier de tradition orale, en vigueur au temps de la traduction grecque. »
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VII, 32, 13 et 15). En revanche, lorsqu’il présente la pensée des auteurs qu’il invoque pour justifier sa position, il garde le terme propre à au moins deux d’entre eux, Aristobule et Philon : # / (cf. Histoire ecclésiastique VII, 32, 17-18). Ce terme ne devait pas être usuel pour désigner la Pâque, car Philon le précise toujours par ]. Ainsi, traitant en De vita Mosis II, 224 de la date du rite pascal, il écrit : « En ce mois (le premier), vers le quatorzième jour, quand le disque de la lune est sur le point d’être plein, est fêté le Passage (# /), festivité publique, appelée en hébreu Pâque (>]) » 23. Il rattache ce Passage, non pas au « passage » de « l’Exterminateur » (Exode 12, 12-13.23-26.29), comme le fait Flavius Josèphe (Les Antiquités juives II, 313 24) qui ne désigne pas la Pâque par le terme en question, mais au franchissement des frontières d’Égypte par Israël. « Cette fête (l’Heureux Passage), explique-t-il en De specialibus legibus II, 146, est une commémoration et une action de grâces pour l’Exode immense qui fit sortir d’Égypte plus de deux millions d’hommes et de femmes… ». Ce qui est le sens de /. # / étaient, en effet, chez les Grecs, des sacrifices offerts, soit pour implorer les dieux avant de traverser un fleuve ou de passer une frontière, soit pour les remercier après l’avoir fait 25. Aristobule est vraisemblablement le premier auteur juif à avoir adopté le terme # / pour désigner la Pâque 26 ; il l’emploie à deux reprises (Histoire ecclésiastique VII, 32, 17-18) dans le court
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Voir encore ibid., II, 226.228.233 ; De specialibus legibus II, 41.145.147.150. Ailleurs, il emploie le mot pour le Passage de la mer Rouge (cf. Legum allegoriae III, 94.154.165 ; De sacrificiis Abelis et Caini 63 ; De migratione Abrahami 25 ; Quis rerum divinarum heres sit 255 ; De congressu eruditionis causa 106). Philon allégorise constamment le passage hors d’Égypte, la traversée de la mer Rouge : « La fête de l’Heureux Passage, écrit-il (De specialibus legibus II, 147), fait allusion à la purification de l’âme. Ils (ceux qui allégorisent) disent, en effet, que l'homme épris de sagesse ne s'efforce à rien d'autre qu'à réaliser le passage ( ) hors du corps et des passions. » 24 Il écrit : « Nous appelons la fête Pascha, ce qui signifie “passer au-delà” ( ), car ce soir-là, Dieu passa au-delà des [Hébreux] lorsqu’il frappa les Égyptiens de la plaie. En effet, la destruction visita cette nuit-là les premiers-nés des Égyptiens, de sorte que beaucoup de ceux qui résidaient autour du palais royal s’attroupèrent chez Pharaon pour le presser de laisser aller les Hébreux. » 25 Voir Thucydide, La Guerre du Péloponnèse V, 54.55 ; Xénophon, Helléniques IV, 7, 2 ; Plutarque, Lucullus 24. Cf. N. Walter, op. cit., p. 85-86 ; Carl R. Holladay, op. cit., p. 203, n. 20. 26 Selon la Concordance grecque des Pseudépigraphes d’Ancien Testament par A.-M. Denis, le terme n’apparaît que trois fois, et dans le fragment d’Aristobule.
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fragment retenu par Anatole, reflet probable d’un débat sur Exode 12, analogue à celui que l’on perçoit dans le fragment II (Préparation évangélique VIII, 9, 38 - 10, 1-17) sur les anthropomorphismes que l’on rencontre dans le livre de l’Exode 27 Mais, contrairement à Philon, il ne le précise pas par le terme ] – la transcription de la LXX –, qu’il n’ignorait certainement pas. S’il s’est abstenu de cette précision et de toute mention, comme le fait Philon, de l’Exode, considéré comme franchissement de frontières de l’Égypte par Israël, c’est parce qu’il entendait signifier que la « Fête des Passages » concerne tous les humains et pas seulement un peuple, Israël. Corrobore ceci la teneur même du fragment. Aristobule qui, comme tous les auteurs que nomme Anatole, estimait que « les sacrifices du Passage doivent être offerts après l’équinoxe du printemps, au milieu du premier mois » (Histoire ecclésiastique VII, 32, 17 28), ajoutait, toujours selon Anatole (ibid.,VII, 32, 17-18), qu’« il serait nécessaire pour la fête des Passages que non seulement le soleil, mais aussi la lune traversent le segment équinoxial », car, précisait-il, « puisqu’il y a deux segments équinoxiaux, celui du printemps et celui de l’automne, que l’un et l’autre sont diamétralement opposés, et que le jour des sacrifices du Passage est fixé au quatorzième jour du mois au soir, la lune se trouvera dans une position diamétralement opposée à celle du soleil, comme on peut le voir au jours de pleine lune ( = / ) ; ils seront, l’un, le soleil, dans le segment de l’équinoxe de printemps, et l’autre, la lune, nécessairement dans l’équinoxe d’automne. » Des auteurs que mentionne Anatole, Aristobule est, selon J. B. Segal 29, le premier, le plus ancien à avoir clairement associé la Pâque, la « Fête des Passages » avec l’équinoxe de printemps 30.
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Cf. N. Walter, op. cit., p. 31. Précision que l’on ne trouve pas dans les textes bibliques concernant la Pâque. Cf. J. B. Segal, « Intercalation and the Hebrew Calendar », Vetus Testamentum VII, 1957, p. 300-301, n. 8 ; Carl R. Holladay, op. cit., p. 203, n. 21. J. B. Segal fait l’observation suivante (ibid., p. 300) : « In the Bible (Dt XVI, 1 ss., Ex XIII, 1-4, XXIII, 15, XXXIV, 18) the date of Passover is never given by its relation to the spring equinox – although the festival is intimately connected with that point in the seasonal year – because it was not possible in those days to fix the equinox with sufficient precision. » 29 Art. cit., p. 300-301, n. 8. 30 J. W. McKay, « The Date of Passover and its Significance », ZAW 84, 1972, p. 435, ne le mentionne pas, mais cite Ézéchiel le Tragique (Préparation évangélique VIII, 29, 12) : « À la pleine lune (] ) du mois dont je parle, quand vous aurez offert à Dieu le sacrifice pascal la nuit précédente… ». À propos de la pleine lune, 28
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Pour qu’il puisse intervenir sur un sujet aussi délicat, ses connaissances en astronomie devaient être reconnues au sein de sa communauté 31. En précisant que la date de Pâque est réglée par la position tant du soleil que de la lune, il entendait montrer que la « Fête des Passages » a une signification cosmique qui a reçu confirmation de la nature elle-même : cette fête n’est pas seulement celle d’une nation, Israël, auquel aucune allusion n’est faite ; elle est celle de tous les humains 32. Une telle présentation était, sans nul doute, destinée à retenir l’attention des non Juifs, comme celle qui est faite du sabbat dans le fragment V.
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Ce fragment sur le sabbat est cité par Eusèbe (Préparation évangélique XIII, 12, 9-16) et par Clément d’Alexandrie (Stromate VI, XVI , 137, 4 - 138, 4 ; XVI , 141, 7b - 142, 1 ; Stromate V, XIV, 107, 1-4 + 108, 1). Dans la Préparation évangélique, il est précédé par le long fragment IV (XIII, 3-8) qui contient le Discours sacré du Pseudo-Orphée, et une citation du prologue des Phainomena d’Aratos (c. 315/305-240/239 av. J.-C. 33). Aristobule précise qu’il a enlevé les noms divins et : des poèmes 34, et qu’il les a remplacés par la formule `' et non par + qu’il connaissait par la LXX. La remarque que fait J. Giblet 35 à propos d’Eupolème qui, lui aussi, évite d’employer le mot + et adopte la formule `' , vaut également pour Aristobule qui avait le souci de se faire comprendre de ses lecteurs non-Juifs, de leur faire accepter le sabbat, ————— on invoque parfois le Psaume 81, 4. Mais ce psaume n’est probablement pas un cantique pascal. La plupart des exégètes modernes estiment que la fête est la « Fête des Tabernacles ». Voir A. Caquot, « Remarques sur la fête de la “néoménie” dans l’ancien Israël », Revue d’Histoire des Religions 158, 1960, p. 1-18. 31 Cf. R. Radice, op. cit., p. 27-28 ; S. Stern, op. cit., p. 51-53. 32 Cf. N. Walter, op. cit., p. 138 ; M. Hengel, op. cit., I, p. 166 ; Clara Kraus Reggiani, art. cit., p. 99 ; Carl R. Holladay, op. cit., p. 203, n. 21. 33 Cf. A. J. Festugière, La Révélation d’Hermès Trismégiste II Le Dieu cosmique, Études Bibliques, Paris, Société d’édition les Belles Lettres, 1981, p. 335-340. 34 En fait ce changement est seulement fait dans le prologue des Phainomena. Voir N. Walter, op. cit., p. 110-115 et 140-141 ; Carl R. Holladay, op. cit., p. 222, n. 112. 35 « Eupolème et l’historiographie du Judaïsme hellénistique », Mélanges Gonzague Ryckmans, Miscellanea orientalia et biblica, Louvain, 1963, p. 552-553.
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le repos du septième jour, si souvent critiqué, et qu’il leur présente dans ce fragment qui comprend, selon la division proposée par Clara Kraus Reggiani 36, quatre parties : la définition du septième jour (Préparation évangélique XIII, 12, 9) ; le rapport « sagesse-lumière » (12, 10-11a) ; le « repos » de Dieu le septième jour (12, 11b-12a) ; l’
" (12, 12b-16). Lisons chacune de ces parties. Le septième jour est un don accordé aux humains par « Dieu qui a organisé le monde entier » (
), ajoute notre auteur qui est probablement le premier écrivain judéo-hellénistique à avoir substitué le mot
à l’expression hébraïque, le mérisme bien connu, « le ciel et la terre ». Sur la base de Genèse 1, 1 - 2, 4a et de Proverbes 8, 22-26, et en faisant appel à des spéculations numériques d’origine pythagoricienne, il met en valeur deux caractéristiques du septième jour. Première caractéristique : au terme du labeur des six jours, le sabbat – « nom qui s’interprète repos », nous précise-ton –, nous est donné pour notre repos, « car la vie est dure pour tous ». On reconnaît sans peine, résumées dans cette brève présentation, les données bibliques concernant le septième jour (cf. Gn 2, 2-3 ; Ex 20, 8-11 ; 23, 12 ; cf. aussi Jubilés 2, 17-23) mais sans aucune allusion à l’esclavage en Égypte et à l’Exode comme c’est le cas en Deutéronome 5, 15, et sans le rappel de la signification particulière que reçoit le sabbat en Exode 31, 16-17, qui représente l’alliance permanente entre Dieu et le peuple d’Israël. En termes très concis, Aristobule signifie que le repos du septième jour ne concerne pas seulement les Juifs, mais tous les humains. Deuxième caractéristique du septième jour : « Il pourrait être appelé le premier, au sens propre, celui de la naissance de la lumière en laquelle toutes choses sont contemplées ensemble. » Aristobule n’ignore pas que, selon Genèse 1, 3-5, la lumière a été créée au premier jour, mais, en s’appuyant sur des spéculations du genre de celle attribuée au pythagoricien Philolaos qui mettait dans le nombre sept « l’intellect, la santé et la lumière () » 37, et surtout en reliant Genèse 1, 3-5 avec les autres textes bibliques sur le repos du septième jour, il établit l’étroite parenté qui existe entre la monade
————— 36
Art. cit., p. 122. Voir Les Présocratiques, Édition établie par J.-P. Dumont avec la collaboration de D. Delattre et de J.-L. Poirier, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1988, p. 492-493. 37
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et l’hebdomade 38 : la lumière a été créée le premier jour, mais c’est le septième jour qui est le premier jour de l’univers, où le monde apparaît dans sa complétude que naît la vraie lumière, c’est-à-dire la parfaite connaissance. Ce jour est en effet celui durant lequel Dieu examinant son œuvre, l’œuvre des six jours, s’aperçoit qu’elle est bonne. Philon d’Alexandrie qui cite également Philolaos 39, écrira un peu plus tard (De specialibus legibus II, 59) que « le nombre sept, absolument sans mélange, est, à dire vrai, la lumière du six ( ! ) : car les choses que le six avait produites, le sept les fit voir dans leur perfection. Aussi a-t-il été proclamé, comme il se devait, le jour de naissance du monde ("'` $
), où l’œuvre du Père se révéla comme un tout parfait, parfait aussi en ses parties. » Aristobule voit dans le don du septième jour une invite à suivre Dieu, qui a limité à six jours son travail de création du monde et a consacré le septième jour à la contemplation de ce qu’il avait créé. De même l’homme est exhorté à limiter son travail à six jours, à consacrer le septième au repos et à s’adonner à une activité de contemplation. Notons, en passant, que c’est ainsi que ces « sabbatisants par excellence » 40 qu’étaient les Thérapeutes dont les liens avec Aristobule ont été parfois évoqués 41, observaient le sabbat. Selon Philon (De vita contemplativa 36), les solitaires de la colline du lac Maréotis, « considérant le septième jour comme un jour très saint et comme un jour de grande fête, le favorisaient d’un honneur insigne : ce jour-là, après les soins de l’âme, c’est le corps qu’ils frottaient d’huile, de la même manière sans doute qu’on laisse les animaux se détendre de leurs travaux continuels. ». Ayant donné « six jours à la philosophie » (ibid., 30), le septième jour, ils faisaient relâche et se rassemblaient pour une réunion commune au cours de laquelle, à l’imitation de Dieu, ils jugeaient l’œuvre qu’ils
————— 38 Sur l’identification de la monade et de l’hebdomade, voir Philon d’Alexandrie, De posteritate Caini 64 ; De Decalogo 102 ; Quod Deus sit immutabilis 11 ; Legum allegoriae I, 15. 39 Voir De opificio mundi 100 ; Legum allegoriae I, 15 ; De specialibus legibus II, 56 ; De vita Mosis II, 210 ; Quis rerum divinarum heres sit 170 et 216. Sur les sources pythagoriciennes de ces textes, voir P. Boyance, « Études philoniennes », Revue des études grecques, 76, 1963, p. 90-95 ; voir également De Decalogo, 102 et notes de V. Nikiprowetzky. 40 V. Nikiprowetzky, « Le De vita contemplativa revisité », Études philoniennes, Patrimoines. Judaïsme, Paris, Éditions du Cerf, 1996, p. 216. 41 Cf. V. Nikiprowetzky, La Troisième Sibylle, Études Juives IX, Paris – La Haye, Mouton, 1970, p. 264.
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avaient accomplie au cours des six jours (cf. De vita contemplativa 30-33). La suite du fragment précise les deux caractéristiques du septième jour, et d’abord, dans sa seconde partie (Prép. év. XIII, 12, 10-11a), l’activité de contemplation. Aristobule transfère à la sagesse ce qu’il vient de dire de la création de la lumière. De la sagesse, préciset-il, « provient toute lumière », car, comme Salomon qu’il considère comme l’un de ses ancêtres 42, l’a affirmé, « elle existait avant le ciel et la terre. » Philon qui cite explicitement Proverbes 8, 22 auquel Aristobule fait allusion, la considère comme « la mère et la nourrice de l’univers » (De ebrietate 31). Cette sagesse fait, selon certains membres de l’école péripatéticienne, « office de flambeau », et « ceux qui la suivent sans relâche demeurent calmes ({] ) durant toute leur vie. ». Aristobule adopte ici un thème fondamental de la philosophie à l’époque hellénistique et romaine : la sagesse ne fait pas seulement connaître, elle est une manière de vivre, d’exister dans le monde, qui apporte la tranquillité de l’âme ({! 43). En adoptant ce thème, Aristobule précise l’activité de contemplation réservée au septième jour. Ce jour-là, on s’adonne, dirait Philon (De specialibus legibus II, 61), « à la philosophie pour le perfectionnement de l’âme et de l’esprit souverain. C’est pourquoi, ajoute-t-il (ibid., 62), fonctionnent dans chaque ville des milliers d’écoles où s’enseignent l’intelligence, la modération, le courage, la justice et les autres vertus. ». L’activité de contemplation, le septième jour, s’inspire de la récapitulation à laquelle Dieu soumit l’œuvre des six jours durant le premier sabbat. À l’imitation de Dieu, l’homme s’adonne à une activité de contemplation et d’examen de lui-même en jugeant l’œuvre qu’il a accomplie durant l’hexade. Dans la troisième partie de notre texte (Prép. év. XIII, 12, 11b-12a), Aristobule revient à la première caractéristique du sabbat, « jour de repos », car l’indication que donne la Loi, à savoir que, selon Genèse 2, 2, Dieu a cessé de travailler en ce jour-là, est interprétée par certains comme signifiant que Dieu ne fait plus rien, qu’il est un deus otiosus. Aristobule s’oppose à cette fallacieuse interprétation
————— 42 En affirmant que Salomon est l’un de ses ancêtres, Aristobule affirme son identité juive. Cf. N. Walter, op. cit., p. 13 ; Carl R. Holladay, op. cit., p. 92, n. 148. 43 Sur ce terme, voir N. Walter, op. cit., p. 11, n. 2 ; Carl R. Holladay, op. cit., p. 227, n. 126 ; P. Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, 2 e édition, Paris, Études augustiniennes, 1987, p. 24. 217-219 ; Id., Qu’est-ce que la philosophie antique ?, Paris, Gallimard, 1995, p. 126.
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en précisant que l’{ de Dieu est tout le contraire de l’oisiveté. Ce repos s’identifie avec une activité atemporelle, éternelle. Car Dieu, après avoir cessé d’ordonner tout, a fixé cet ordre pour tout le temps ; il le maintient ('] 44) et le modifie. Quant à l’indication qu’ « en six jours il a fait le ciel et la terre et tout ce qu’ils contiennent » (cf. Exode 20, 11a), elle signifie que Dieu a établi les divisions du temps, comme le jour et la nuit, déterminé l’ordre des jours, voire les mouvements du soleil et de la lune (cf. Gn 1, 14-15 45). Nous avons ici une tentative qui vise à concilier les données de Genèse 1, 1-2.4a sur la création dans le temps avec la conception grecque de l’éternelle activité de Dieu. Les nombres du récit de la création indiquent le rang dans l’ordre de la dignité existentielle. Plus précis, Philon réfutera « la proposition que l’Univers est né en six jours » (Legum allegoriae I, 20), car, selon lui (ibid., I, 2), « ce n’est pas dans le temps que le monde est né, mais c’est au moyen du monde que le temps s’est constitué ; c’est le mouvement du ciel qui a fait connaître la nature du temps », et « oser déclarer celui-ci plus ancien que le monde, c’est manquer de philosophie » (De opificio mundi 26). L’
" dont traite la dernière partie du fragment (Prép. év. XIII, 12, 12b-16) est l’objet de deux interprétations. « Et il 46 nous a fait voir clairement, déclare Aristobule, qu’il (le septième jour) est légal –
: entendons « conforme à la loi de la nature » 47 – comme signe de la loi de l’hebdomade établie pour nous (ou : signe de la septième faculté placée en nous, la raison) ». Selon la traduction que l’on adopte le septième jour manifeste l’hebdomade, l’ordre septénaire de l’univers ou l’ordre de l’âmepsychè humaine et de ses opérations 48. La première que propose
————— 44 Ce verbe se trouve en Sagesse de Salomon 1, 7. Voir aussi Philon d’Alexandrie, De sacrificiis Abelis et Caini 40 ; Quis rerum divinarum heres sit 23. 45 Cf. Carl R. Holladay, op. cit., p. 229, n. 138. 46 Le sujet du verbe est soit Dieu soit « notre Loi ». Cf. Carl R. Holladay, op. cit., p. 229, n. 140. 47 Cf. Carl R. Holladay, op. cit., p. 185 et 230, n. 141. 48 Aristobule adopterait, selon cette interprétation, la théorie stoïcienne des sept ou huit facultés de l’âme (cf. Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, VII, 110 et 157). Une interpolation de Siracide 17, 5 précise que les hommes reçoivent les cinq opération des sens, en sixième lieu l’intelligence et en septième la parole ( " ), interprète de ses opérations. La huitième faculté est, lorsqu’on en dénombre huit, le pouvoir de reproduction. Philon compte les facultés de l’âme en nombre variable et d’une manière apparemment divergente. Comparer
PAQUE ET SABBAT DANS LES FRAGMENTS D’ARISTOBULE
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N. Walter 49 paraît mieux préparer la suite. L’ordre septénaire, qui régit « l’ensemble du monde des vivants et des végétaux », et qui nous est imposé, nous donne « la connaissance des choses humaines et divines » (" {` [ ` " ), c’est-à-dire la sagesse ainsi définie par les stoïciens 50. Pour convaincre ses lecteurs païens que le sabbat, jour de repos consacré à la contemplation, n’est pas l’apanage des seuls Juifs, mais aussi le leur, Aristobule invoque l’autorité de leurs poètes, Homère et Hésiode qui, précise-t-il, le « tenant de nos livres », affirment que ce jour est « sacré ». Il cite des vers de l’un et de l’autre, et de Linus, le poète épique du Ve siècle avant notre ère, vers forgés par lui ou, plus probablement, puisés dans un florilège déjà existant 51. Des deux vers attribués à Hésiode, seul le premier, tiré des Travaux et les Jours 770, est authentique : « D’abord, le premier, le quatrième et le septième jour sont sacrés ». Mais alors que pour Hésiode, le septième jour est celui du mois, et qu’il est « sacré », car c’est le jour où « Létô enfanta Apollon à l’épée d’or », le dieu solaire, pour Aristobule il est le septième jour de la semaine, celui de la naissance de la lumière. Le second vers, inauthentique : « Le septième jour, de nouveau, était la lumière éclatante du soleil » 52, comme ceux prêtés à Linus : « Le septième jour est propice, et le septième est le jour de la naissance » ; « Le septième jour est parmi les premiers (nombres) ; le septième jour est parfait » reçoivent la même interprétation, conforme à l’idée exprimée dans deux autres vers, attribués, l’un à Homère, l’autre à Linus, et qui reposent sur ————— De Abrahamo 30 ; De opificio mundi 117 ; Quis rerum divinarum sit 232-234. Voir aussi Testament de Ruben II, 3-III, 8. 49 Op. cit., p. 68-81 ; « Aristobulos », Jüdische Schriften aus hellenistisch-römischer Zeit, p. 277, n. 12d. Cf. Carl R. Holladay, op. cit., p. 230-232, n. 142. 50 Selon Aëtius (Placita I, Prooem. 2), « les stoïciens disaient que la sagesse est la science des choses divines et humaines. » Voir les textes cités par Carl R. Holladay, op. cit., p. 232, n. 144. Parmi les textes mentionnés, citons IV Maccabées I, 16 : « La sagesse est la connaissance des choses divines et humaines, et de leurs causes » ; même définition donnée par Philon d’Alexandrie, De congressu eruditionis gratia 79 : « La sagesse est la science des choses divines et humaines et de leurs causes. » Cf. Id., Quaestiones in Genesim I, 6 ; III, 43. 51 Sur ces vers, voir N. Walter, op. cit., p. 150-171 ; Id., « Pseudepigraphische jüdisch-hellenistische Dichtung », Jüdische Schriften aus hellenistisch-römischer Zeit IV, 3, p. 255-256. 271-273. 52 La dernière partie du vers « lumière éclatante du soleil » repose sur Iliade I, 605. Voir aussi Hésiode, Théogonie, 958. Cf. Carl R. Holladay, op. cit., p. 234-235, n. 154.
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JEAN RIAUD
Genèse 2, 2-3. Selon Homère, « C’était le septième jour, où tout était accompli » 53, et selon Linus, « Au septième matin, tout s’est trouvé accompli ». Aristobule retrouve dans ces vers ce qu’il avait affirmé au début du fragment : le septième jour est le premier jour de l’univers, le jour où apparaît l’harmonie cosmique que manifestent, selon le dernier vers attribué à Linus, « Toutes les (sept planètes) créées dans le ciel étoilé, resplendissant en cycle au lever des saisons. ». Pas plus que les sept planètes ne désertent le poste où elles ont été fixées, le sage ne désobéira à la loi de l’hebdomade qu’Aristobule identifie à « la septième aurore » que célèbre le vers suivant, attribué à Homère : « À la septième aurore, nous avons quitté le cours de l’Achéron » 54. Ce qui signifie, selon notre auteur, que, grâce à la loi de l’hebdomade que manifeste le septième jour, l’homme est libéré des maux de l’âme, l’oubli et la malice, et reçoit la connaissance de la vérité.
*
*
*
Dans les deux fragments que nous venons de parcourir, Aristobule présente deux fêtes juives, la Pâque et le sabbat. Pour signifier que la première a une signification universelle, il évite d’employer le mot ], et le remplace par un terme bien connu des Grecs # /. Il ne mentionne pas les prescriptions du Pentateuque concernant sa célébration, et ne fait aucune allusion à l’histoire sainte, mais recourt à l’astronomie pour mettre en valeur sa dimension cosmique. Pour présenter le repos du septième jour, souvent dénigré, il explique les données bibliques, brièvement évoquées, en faisant appel à des spéculations numériques d’origine pythagoricienne et emprunte à la philosophie hellénistique, notamment à l’école stoïcienne, sa cosmologie, des notions comme celle d’{!, et sa définition de la sagesse. Aristobule qui se présentait comme appartenant à l’école de Moïse, ambitionnait, en apologète, de montrer la cohérence de l’Écriture avec la pensée grecque. La lecture de ces deux fragments et des trois autres qui nous sont parvenus permet
————— 53
À vrai dire, ce vers, qui rappelle Genèse 2, 2-3, est basé sur Odyssée V, 262. Cf. Carl R. Holladay, op. cit., p. 236, n. 157. 54 Ce vers que l’on ne trouve pas dans Homère, rappelle Odyssée X, 513 ; XI, 636-640 ; XII, 1-7. Cf. N. Walter, op. cit., p. 75-78. 151-154.
PAQUE ET SABBAT DANS LES FRAGMENTS D’ARISTOBULE
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de se faire une idée des débats qui existaient au IIe siècle avant notre ère sur la Loi de Moïse dans les milieux cultivés d’Égypte et d’Alexandrie.
TEMPS DE LA GUERRE ET RESPECT DU SABBAT DANS JUDITH CHRISTOPHE B ATSCH École Pratique des Hautes Études – Paris
Judith est un roman épique, traitant essentiellement de la guerre. Il pose de nombreux problèmes textuels non résolus. On en possède la version grecque mais pas la version sémitique (hébreu ou araméenne) originale 1. La datation de la composition originale est généralement fixée au IIe siècle avant notre ère et associée aux événements de l’époque maccabéo-asmonéenne ; le milieu d’origine est encore largement débattu 2. La trame du récit est connue : lors du siège de la cité juive de Béthulie (Beth Eloha, « la maison de Dieu ») par l’armée du général assyrien Holopherne, la ville, à bout de forces, est sauvée par l’exploit de Judith, une veuve pieuse qui se rend au camp d’Holopherne, le séduit et lui tranche la tête. Un aspect frappant du récit réside dans l’abondance des notations chronologiques, organisant la narration : dates, durées exprimées en jours, en mois ou en années, indications des saisons et des âges. Le passage le plus dramatique, le séjour de Judith au camp d’Holopherne est, en particulier, structuré par une chronologie minutieuse. On a proposé d’interpréter ces données chronologiques comme une référence ésotérique à la fête de Hanouccah, nouvellement instaurée au temps des Maccabées 3. Cette interprétation peut être partiellement juste, mais elle repose sur des calculs parfois incertains ;
————— 1 L’édition de référence du texte grec est celle de R. Hanhart, Iudith (Septuaginta, VIII/4), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1979. 2 Voir comme introduction à ces problèmes textuels : M. Philonenko, « L’origine essénienne du livre de Judith », Comptes-rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 1996, p. 1139-1156 ; et A.-J. Levine, s.v. « Judith », The Oxford Bible Commentary, (J. Barton et J. Muddiman, éd.), Oxford, University Press, 2001, p. 632-641. 3 J. Van Goudoever, Fêtes et calendriers bibliques, (trad. de l’anglais, 3e édition), Paris, Beauchesne, 1967, p. 133-136 ; et P.-M. Bogaert, « Le calendrier du livre de Judith et la fête de Hanukka », Revue Théologique de Louvain 15/1, Louvain, 1984, p. 67-72.
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CHRISTOPHE BATSCH
et elle ne rend pas compte de l’abondance et de la précision des données, dans le récit mouvementé du siège. Il y a là, de la part de l’auteur, une intention délibérée, et sans doute polémique, d’affirmer un point de vue halakhique dans le domaine du calendrier. Je voudrais établir ici que ce point de halakha a trait au respect de la trêve sabbatique en temps de guerre 4. Je m’en tiendrai au cadre chronologique du récit du siège, à la fois parce qu’il est le plus documenté et parce qu’il est le plus précis : les indications de durée y sont données jour après jour. Le départ de cette chronologie est fixé par la réunion d’une assemblée () de toute la population de Béthulie, convoquée par ses dirigeants, afin d’entendre le récit d’Achior l’Amonite (Jdt 6,16) : , « devant l’assemblée, au milieu de tout le peuple ». Cette première établit le point d’origine à partir duquel se déroule toute la chronologie : – « le lendemain même » (Jdt 7,1), Holopherne ordonne le début du siège ; – « le deuxième jour » (Jdt 7,6), le blocus de la ville est effectivement mis en place et les sources qui l’approvisionnaient, gardées ; – le siège de Béthulie se prolonge ensuite durant « trente-quatre jours » (Jdt 7,20) ; – la population de Béthulie se réunit alors en une seconde assemblée ( ), pour réclamer à ses chefs la reddition de la ville (Jdt 7,23-29) ; lors de cette assemblée, Ozias, l’un des archontes, réclame et obtient un délai de cinq jours : « résistons encore cinq jours », !" # (Jdt 7,30). Arrêtons-nous là : en tenant compte de tous ces éléments, peuton établir quel jour de la semaine se sont tenues les deux assemblées ? Toutes les deux le même jour, ou à un jour de distance, ou n’importe quel jour de la semaine ? La question n’est pas gratuite, dans la mesure où l’auteur de Judith s’est donné la peine de préciser la durée exacte, trente-quatre jours, séparant ces deux assemblées. Cette mention de la durée du siège n’est pas fortuite : elle conduit naturellement à préciser une date, en l’occurrence celle de la
————— 4 Sur la problématique de la guerre durant le sabbat dans la société juive ancienne, voir mon chapitre « La guerre en sabbat », dans Christophe Batsch, La guerre et les rites de guerre dans le judaïsme du deuxième Temple, Leiden, Brill, 2005, p. 247-307.
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TEMPS DE LA GUERRE ET RESPECT DU SABBAT
seconde . Malheureusement nous ignorons à partir de quel moment l’auteur a calculé ces trente-quatre jours. Ne figure ici aucune de ces articulations chronologiques relatives (« le lendemain », « le deuxième jour » etc.), utilisées ailleurs pour préciser la date. En l’état, ceci nous conduit à envisager trois dates possibles, selon le mode de calcul spontanément adopté par l’auteur : la seconde a en effet pu se réunir, soit précisément au trentequatrième jour de siège, soit le lendemain, les trente-quatre jours étant échus ; en outre il est incertain s’il convient de calculer ces trente-quatre jours, à partir de celui où l’ordre du siège a été donné par Holopherne, ou bien à partir du lendemain, quand le blocus a été effectivement mis en place. Le tableau ci-dessous résume la chronologie du récit sous la forme d’un calendrier hebdomadaire dont les jours de la semaine sont arbitrairement désignés par des lettres. Il illustre cette difficulté de datation. 1re SEMAINE
2-3-4es
5e SEMAINE
DU SIÈGE
SEMAINES
DE SIÈGE
Jour A
d’Achior
JOUR B
ordre d’assiéger Béthulie début effectif du blocus
JOUR C JOUR D JOUR E JOUR F JOUR G
6e SEMAINE DE SIÈGE e
34 jour après le début du blocus effectif ou 34 jours échus depuis l’ordre d’assiéger 34 jours échus depuis le début du blocus
34e jour après l’ordre d’assiéger
De ce calendrier, se dégage une première conclusion : la seconde assemblée s’est réunie, soit le même jour que la première (jour A), soit la veille (jour G) ou le lendemain (jour B). Une indication de durée, aussi précise que celle des trente-quatre jours, n’a de sens qu’à venir souligner un élément particulier de la
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CHRISTOPHE BATSCH
chronologie – pas seulement la longueur du siège. L’élément souligné ici ne peut être que la réunion des deux assemblées le même jour de la semaine, c’est-à-dire le jour A de mon tableau. Je suggère en outre que ce « même jour de la semaine », le jour A, est un samedi. Le sabbat est le jour propice aux assemblées et aux délibérations. Les exemples ne manquent pas, dans la littérature juive du deuxième Temple, de ces réunions lors du sabbat de toute la population d’une ville en guerre, pour délibérer : l’un des plus fameux est la réunion de la population de Tibériade à la synagogue, en pleine guerre des Juifs contre Rome 5. Pour l’auteur de Judith, comme pour ses lecteurs, ces réunions de toute une ville devaient se tenir à l’occasion du sabbat. Le calcul de la durée du siège devait par conséquent s’inscrire entre deux sabbats. Cependant, la durée du siège n’est pas la même dans toutes les versions de Judith. Une des faiblesses, à mon sens, de « l’hypothèse de Louvain », réside dans son incapacité à rendre compte de ces variantes 6. La Vulgate, en particulier, « seul témoin, même s’il est parfois sujet à caution, du texte araméen de Judith » 7, ne mentionne pas trente-quatre mais vingt jours (dies viginti). Sauf sur ce point essentiel, la Vulgate présente une chronologie des événements du siège, en tous points identique à celle du texte grec. Cependant, ce calcul de la durée du siège y est présenté de façon légèrement différente. Immédiatement après la suggestion à Holopherne du plan des Moabites (LXX : Jdt 7,16 ; Vg : Jdt 7,10), la Vulgate enchaîne ainsi (Vg : Jdt 7,10-11) : Et constituit per gyrum centenarios per singulos fontes. Cumque ista custodia per dies viginti fuisset expleta etc. « Il (i.e. Holopherne) installa des centuries autour de chaque source. Et quand cette garde eut duré vingt jours… ». Plus précise que la Septante, la Vulgate indique ainsi que la période de vingt jours doit être calculée à partir du début effectif du siège. Reprenons notre calendrier hebdomadaire : la première assemblée se réunit le jour A ; les sources sont surveillées à partir du jour C. Une durée de vingt jours aboutit donc à une seconde
————— 5
Flavius Josèphe, Vita (Autobiographie), 277 sqq. J’appelle ici « hypothèse de Louvain » celle de Jan Van Goudoever, reprise par Pierre-Maurice Bogaert, privilégiant la fête de Hanouccah (voir supra). Les variantes concernant la durée du siège introduisent en effet des modifications du calendrier, d’une ampleur telle que la chronologie du récit ne peut plus se conclure le 25 Kislev. 7 M. Philonenko, art. cit., p. 1141. 6
TEMPS DE LA GUERRE ET RESPECT DU SABBAT
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assemblée se tenant, comme la première, le jour A (cf. tableau cidessous).
JOUR A JOUR B
JOUR C
1re SEMAINE
2-3es
DU SIÈGE
SEMAINES
d’Achior ordre d’assiéger Béthulie début effectif du blocus 1er jour
4e SEMAINE DE SIÈGE
20e jour et 2e
JOUR D JOUR E JOUR F JOUR G
La même conclusion doit être tirée du texte de la Vulgate, comme de celui de la Septante : si les deux assemblées ont lieu le même jour de la semaine, ce jour ne peut être que le samedi (sabbat) 8. Si l’on admet mes hypothèses, que la durée du siège induit la tenue des deux assemblées le même jour et que ce jour doit être le sabbat, le schéma chronologique du récit serait alors le suivant : samedi : cinq (ou trois) d’Achior semaines de siège
samedi : 2e
Le récit se poursuit alors, avec l’intervention de Judith, en manifestant un souci accru de précision chronologique : – durant cette deuxième , l’archonte Ozias obtient de la population un délai de cinq jours avant de rendre la ville (Jdt 7,30) : !" # « tenons bon encore cinq jours » ; – le jour même (Jdt 8,11 : $), Judith tient conférence avec les archontes ; – elle leur annonce qu’elle quittera la ville cette même nuit et agira avant que le délai ne soit écoulé (Jdt 8,33) : % ' *+ (...), % < =’ > @ …
————— 8 D’autres manuscrits (Peshitta, vetus latina, manuscrits dits lucianiques) présentent d’autres variantes encore de la durée du siège. Ces multiples propositions mettent en évidence que cette variable constituait l’élément de base de tous les calculs.
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CHRISTOPHE BATSCH
« cette nuit même, moi je sortirai (...), et durant les jours après lesquels vous avez dit… » ; – après le départ des archontes, Judith commence une prière % Q W Y Z [ \ = = ] ^ , « précisément quand était offert à Jérusalem dans le Temple l’encens de ce soir-là » (Jdt 9,1), c’est-à-dire au crépuscule, littéralement ]K[C%T$HJ_[% « entre deux soirs » (Ex 30,8) ; – « la même nuit », % $ (Jdt 11,3.5), elle rencontre Holopherne pour la première fois ; – elle dort au camp et, le lendemain matin, sort prier (Jdt 12,5) : % _" ` ] Z % w ^"= Y! « Elle dormit jusqu’au milieu de la nuit ; et elle se leva vers la veille du matin » ; – « elle resta dans le camp trois jours » – et trois nuits (Jdt 12,7) % { < ; – « le quatrième jour » $ (Jdt 12,10), Holopherne l’invite à dîner ; – « quand il se fit tard » | }~ * (Jdt 13,1), elle demeure seule avec Holopherne et le tue. Elle rejoint Béthulie cette même nuit (Jdt 13,14) ; – Judith ordonne alors à ses concitoyens de combattre Y$ = % '=$ % *] « quand l’aurore brillera et que le soleil sortira au-dessus de la terre » (Jdt 14,2) ; – la bataille décisive débute donc au matin de ce jour (Jdt 14,11), le cinquième jour du délai obtenu de ses concitoyens par Ozias. Le tableau chronologique ci-dessous résume cette semaine dramatique, en adoptant mon hypothèse que les deux assemblées du peuple de Béthulie se sont réunies un sabbat. SA
Di
LU
MA
ME
JE
sabbat
1
2
3
4
5
Hol. tué au soir du 4e j.
La bataille s’engage au matin du 5e j.
assemblée
Judith passe 3 j. au camp
VE veille du sabbat
L’abondance et le luxe de précision des détails chronologiques, dans ce passage, relèvent certes en partie du procédé littéraire : ils avivent la tension dramatique et contribuent à créer ce que les cinéastes nomment le suspense. Cette dimension narrative n’est cependant
TEMPS DE LA GUERRE ET RESPECT DU SABBAT
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pas la seule qu’on doive noter. Tout concourt ici, y compris la dramatisation, à souligner l’importance de ces cinq jours, arrachés par Ozias à l’impatience de ses concitoyens. Pourquoi précisément cinq jours ? On doit rejeter hypothèse qu’il s’agisse d’une durée quelconque et que, Ozias eut-il proposé trois ou six jours de délai, nous nous interrogerions de même en vain sur le sens de ce chiffre particulier 9. Une telle désinvolture à l’égard des questions de calendrier est infiniment peu probable dans un écrit juif du deuxième Temple. L’insistance de l’auteur à organiser son récit de façon à ce que toute l’action se déroule à l’intérieur de ces cinq jours, montre au contraire toute l’importance que revêt à ses yeux cette durée précise et non une autre. Deux interprétations en ont été données. La première repose sur une approximation : l’addition des trente-quatre jours du siège avec les cinq jours du délai, donne trente-neuf jours, soit un résultat très proche de quarante jours. Selon cette interprétation, le chiffre quarante est en effet associé, à plusieurs reprises, à l’intervention divine dans la Torah 10. L’auteur inscrirait ainsi Judith dans la tradition des récits d’interventions de YHWH dans l’histoire du peuple d’Israël. La seconde interprétation mobilise les mécanismes de l’acculturation. Elle rapproche en effet ce délai de cinq jours d’un délai identique, figurant dans le récit d’un siège de la ville de Lindos. Arnaldo Momigliano a formulé l’hypothèse en ces termes : It has long been recognized 11 that the five days the thirsty Jews who were besieged in Bethula give to themselves before surrending have their exact counterpart in the five days that the thirsty Greeks who were besieged by the Persians in Lindos give to themselves before
————— 9
À l’encontre de cette réflexion de Jacques Cazeaux : « Le grief majeur et quasi unique est alors d’avoir fixé à Dieu ce délai des cinq jours (un chiffre sans force d’ailleurs, ni trois, ni sept, ni douze…) », J. Cazeaux, La guerre sainte n’aura pas lieu, Paris, Cerf, 2001, p. 202. Je ne peux d’ailleurs pas suivre l’auteur dans son analyse mi-théologique, mi-littéraire, focalisée sur « le péché d’assigner un délai au Seigneur Dieu » (ibid., p. 203). 10 Mentionnons, inter al., la durée du Déluge (Gn 7,12) et celle du séjour au désert (Nb 14,33-34). C’est l’analyse de J. Van Goudoever, op. cit., p. 135-136 ; reprise par M. Hellmann, Judit – eine Frau im Spannungsfeld von Autonomie und göttlicher Führung, Francfort, Peter Lang, 1992, p. 39-41. 11 Arnaldo Momigliano fait ici allusion à une publication plus ancienne de Moshe Hadas, que je n’ai pas eue entre les mains.
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CHRISTOPHE BATSCH
surrending. The Greek story is contained in the Chronicles of Lindos, a compilation from previous sources written in 99 B.C. 12
Le rapprochement était évidemment tentant. Mais il suppose que l’auteur de Judith, par ailleurs si attentif aux questions de datation, soit allé emprunter l’élément le plus dramatique de sa chronologie aux chroniques d’une cité rhodienne d’importance moyenne. Il me paraît plus conforme au principe d’économie de chercher d’abord à cet élément narratif une explication conforme à la logique interne du récit. Cette attente de cinq jours avant une bataille figure dans un autre récit juif de ville assiégée, à peu près contemporain : le récit de la prise de Gazara en 2 M 10,33-38. Contrairement à l’histoire de Béthulie, les Juifs occupent ici la position des assiégeants. Cet épisode, dans lequel la durée des cinq jours est utilisée comme un artifice littéraire, pour concilier exploit guerrier et respect du sabbat, éclaire le récit de Judith 13. La durée de cinq jours durant laquelle toute l’action se déroule, y compris la dernière bataille entre les assiégés et l’armée d’Holopherne, doit être comprise comme une illustration de l’interdit de combattre durant le sabbat. Depuis la décision halakhique attribuée à Mattathias Maccabée en cette matière (1 M 2,41) et autorisant la poursuite des combats durant le sabbat, la discussion halakhique entre les différents courants s’est bientôt focalisée sur la question des villes assiégées. En effet, si le respect de la trêve sabbatique demeurait à peu près compatible avec les exigences de la guerre en rase campagne, il s’accordait difficilement avec une guerre de siège. Les sièges pouvaient durer longtemps et devaient être soutenus sans répit jusqu’à l’assaut final : Alexandre est resté sept mois devant Tyr, le Poliorcète un an devant Rhodes, Pompée trois mois devant le Temple de Jérusalem. Même de plus petites villes ou citadelles pouvaient résister au-delà d’une semaine. La question de la poursuite de la guerre durant le sabbat se posait donc avec une acuité particulière au sujet des sièges. Les Juifs disposaient d’ailleurs dans leurs écrits canoniques du récit d’un siège fameux qui s’était poursuivi durant sept jours : celui de Jéricho par les Hébreux de Josué (Jos 6). En dépit de cet
————— 12 A. Momigliano, « Biblical Studies and Classical Studies : Simple Reflections about Historical Method », Biblical Archæologist 45, 1982, (224-228). 13 « Quand à la guerre offensive elle paraît entièrement proscrite le sabbat (…) On n’en trouve aucune trace littéraire ailleurs puisque même l’assaut de Gazara, en 2 M 10,33, ne dure que cinq jours », É. Nodet, Essai sur les origines du Judaïsme. De Josué aux Pharisiens, Paris, Cerf, 1992, p. 64.
TEMPS DE LA GUERRE ET RESPECT DU SABBAT
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exemple biblique, l’exigence de la trêve sabbatique, même lors des sièges, se maintient longtemps : le récit de Judith, comme celui de la prise de Gazara en 2 Maccabées, en offrent deux exemples. L’auteur de Judith va même plus loin : car son récit implique que la guerre fut terminée le jeudi soir (cf. le tableau supra). Il aurait ainsi considéré que le respect du sabbat s’étendait également à la veille du sabbat : à tout le moins ne pouvait-on en ce jour-là (le vendredi) déclencher un assaut ou engager une bataille. Ce souci d’étendre le respect du sabbat à la veille du sabbat est d’ailleurs conforme à la pratique particulière du jeûne par Judith en Jdt 8,6 ; Shmuel Safrai a souligné ce que cette pratique avait de spécifique : « What is important for the history of the Halakha is the emphasis that Judith refrained from fasting not only on Sabbaths and festivals, a custom firmly documented in halakhic tradition, but also on the eves of Sabbaths and festivals. » 14 Cette extension de la trêve sabbatique au jour précédent fait écho à la tournure prise par le débat halakhique, portant sur la durée préalable du siège. Dans un écrit à peu près contemporain, le targoum Pseudo-Jonathan 15, on trouve en effet cette traduction expansive de Dt 20,19a : JN DTS VI N VD[OY[NM VTSN_YRSV]YT VDD DMON « Quand vous aurez assiégé une ville tous les jours de la semaine pour combattre contre elle, pour la conquérir durant le sabbat » 16 Les deux ajouts interprétatifs du targoum concernent donc la durée préalable du siège, VD[OY[NM « tous les jours de la semaine » ; et l’autorisation de poursuivre le siège et même l’assaut de la ville, VDD « durant le sabbat ». Un lien est ainsi établi entre la durée préalable du siège et sa poursuite en sabbat. Cette analyse halakhique, élaborée à partir de l’exemple d’une ville assiégée, ouvrait la voie à toutes formes de combats durant les sabbats. Une halakha michnique,
————— 14 S. Safrai, « Halakha », The Literature of the Sages (Compendia Rerum Iudaicarum ad Novum Testamentum II 3, S. Safrai, éd.), Assen – Maastricht, Van Gorcum et Philadelphie, Fortress Press, 1987, p. 137. 15 En dépit des difficultés nombreuses rencontrées dans la datation des textes targoumiques, il paraît établi que ce passage du targoum Pseudo-Jonathan date du I er siècle av. Voir A. D. York, « The Dating of the Targumic Literature », Journal of Jewish Studies 5, 1974, p. 47-62. 16 En italiques, les ajouts du targoum.
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CHRISTOPHE BATSCH
attribuée à Shammaï l’Ancien et à son école, a repris et confirmé cette tradition 17. Cette halakha autorisait la poursuite d’un siège durant le sabbat, mais interdisait de le commencer ni le jour du sabbat ni les jours précédents (depuis le mercredi) : ainsi le « laxisme » concernant la poursuite des combats était-il compensé par une rigueur accrue concernant l’entrée en guerre. Le mécanisme, s’il fonctionne dans une direction différente, est analogue à celui de Judith, élargissant à la veille des sabbats l’interdit de combattre. L’attribution de cette halakha à Shammaï, l’un des deux maîtres aux origines du Talmud, lui conférait une certaine ancienneté : Shammaï est censé avoir vécu sous le règne d’Hérode, donc avant l’insurrection de 66. Le débat halakhique sur la poursuite ou non de la guerre en sabbat s’est développé, avec une certaine intensité, à la fin de la période du deuxième Temple et il a souvent pris la forme d’une discussion centrée sur la question des villes assiégées. Ceci contribue à établir le caractère polémique du roman de Judith – comme de l’anecdote de la prise de Gazara en 2 Maccabées. En multipliant les indications chronologiques, l’auteur de Judith réaffirmait avec force l’interdit halakhique de combattre durant le sabbat. Cette conclusion conduit aussi à reprendre l’hypothèse, souvent avancée, d’une rédaction de Judith en milieu juif égyptien 18. Compte tenu de la présence, à cette époque, d’officiers juifs dans les armées ptolémaïques jusqu’aux plus hauts niveaux du commandement, il est possible en effet que cette façon romanesque et détournée de réaffirmer l’interdit de combattre en sabbat, ait été une charge polémique contre de nouvelles formes d’acculturation, au sommet de la société égyptienne, dans les milieux liés à l’exil du grand prêtre Onias 19.
————— 17 Voir la baraïta en b.Sabb 19a : « Nos Sages ont enseigné : on n’assiégera pas les villes des nations moins de trois jours avant le sabbat, mais s’ils ont commencé ils ne s’interrompent pas. Et Shammaï dit : “jusqu’à ce qu’elle succombe” (Dt 20,20), même pendant le sabbat » ; et aussi b.Erub 45a ; t.Erub 3(4),7 et j.Sabb 1,4a. À rapprocher de l’intervention du tanna R. Eliézer b. Hyrcan, dit le shammaïte, pour autoriser, contre l’avis majoritaire, un homme à sortir revêtu de ses armes durant le sabbat (M.Sab VI,4). 18 Voir inter al. J.-C. Picard, « Les “clous” d’Esther. L’historiographie juive de l’époque perse et le Rouleau d’Esther », Le Continent apocryphe : essai sur les littératures apocryphes juive et chrétienne (Instrumenta patristica 36), Turnhout, Brepols, 1999, p. 165-193. 19 Voir les exemple de Ananias () et de Chelchias ( `), deux généraux juifs à la tête des armées de Cléopâtre III, dont l’un au moins appartenait à la proche famille du grand prêtre exilé (AJ XIII 285-287 et 349-355). Voir aussi les traces épigraphiques de strategoi et politarches juifs en Égypte, dans « la terre d’Onias » autour de Léontopolis, A. Kasher, The Jews in Hellenistic and Roman Egypt : The Struggle for Equal Rights, Tübingen, Mohr & Siebeck, 1985, p. 125-126.
TEMPS DE LA GUERRE ET RESPECT DU SABBAT
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LES RÉPARTITIONS DES TEMPS, TITRE DU LIVRE DES JUBILÉS, DANS LES MANUSCRITS DE QOUMRÂN DAVID HAMIDOVI Université Catholique de l’Ouest – Angers
Dans la préface de la Phénoménologie de l’Esprit, Hegel a démontré que la vérité (scientifique) ne réside pas dans une proposition comme réponse à une interrogation simple analogue à « quand César est-il né ? » L’acte d’interroger un document, un corpus, – acte de l’historien –, n’est que l’ombre du problème reconstitué et/ou projeté à partir de contingences inéluctablement contemporaines à l’énonciateur du problème et à partir de propositions empiriques. En fait, le problème est que justement le problème ne se laisse réduire à aucune proposition. Envisager de répondre aux conceptions que les Qoumrâniens se font du temps nécessite de s’interroger avant tout examen des sources sur la formulation du problème. Pour donner sens aux documents fragmentaires présentés comme des calendriers, tour à tour solaires, lunaires, luni-solaires, il peut être utile de s’attarder sur les locutions qualifiant le temps dans les manuscrits retrouvés aux alentours de Khirbet Qoumrân. Parmi les expressions mentionnant le temps, celle sur les répartitions des temps livre quelques singularités quant à la perception des Qoumrâniens de la temporalité. Une allusion derrière « les répartitions des temps » ? Le titre du Livre des Jubilés apparaît au sein même de l’œuvre conservée en éthiopien. Il se présente sous une forme complète, les répartitions des temps pour la loi et pour le témoignage, dans le Prologue, Jub 1,4.26, et sous une forme abrégée, les répartitions des temps en Jub 50,13 et dans l’Épilogue du Livre des Jubilés. Les manuscrits retrouvés dans les grottes autour de Khirbet Qoumrân attestent, pour treize d’entre eux, la présence du mot VYSNZO, « les
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répartitions », « les divisions », afin de rendre compte d’un découpage chronologique jubilaire de l’histoire biblique jusqu’à l’entrée en terre de Canaan. Dans l’Ancien Testament, le terme est présent à 42 reprises. Majoritairement, il a le sens de « division », « classe », pour signifier une partie d’un groupe sacerdotal, militaire ou familial. L’usage du mot dans le Livre des Jubilés est donc autre et spécifique. De la description d’une fraction d’un groupe, l’auteur du Livre des Jubilés élargit le sens du terme à la notion du temps. Ainsi le mot désigne les périodes du temps, un cadre général délimité en unités temporelles. Cependant, n’est pas exclue une allusion derrière l’emploi de ce terme dans le corpus qoumrânien. Nous ne pouvons éliminer la possibilité d’un réemploi du mot avec son sens premier désignant les divisions sacerdotales, militaires, familiales appliquées au temps, sous-entendu le temps sacerdotal, militaire ou familial. Des préoccupations relatives aux classes sacerdotales, aux préparatifs militaires en vue de l’eschaton et du jugement final et au bien-fondé de la vie communautaire sont attestées dans le corpus des manuscrits de la mer Morte. Certes, le Livre des Jubilés n’a pas été rédigé à Qoumrân, mais il présente d’incontestables points communs avec les idées esséniennes et le courant des ·asidim. De plus, des manuscrits en hébreu du Livre des Jubilés ont été exhumés de la grotte 4. C’est pourquoi, derrière l’hapax legomenon des « divisions des temps », l’auteur avait comme référence les usages vétérotestamentaires ; il a pu vouloir signifier que les temps nommés dans le Livre des Jubilés intègrent une perspective sacerdotale, militaire, eschatologique ou communautaire. Cette hypothèse n’est en rien contraire aux motivations contemporaines de l’auteur du Livre des Jubilés 1. Dans les manuscrits de Qoumrân, le temps perçu et vécu est à la fois celui du sacerdoce, du combat final et de la vie communautaire. La popularité du Livre des Jubilés à Qoumrân a pu avoir pour raison, parmi d’autres, l’interprétation du terme VYSNZO, « les répartitions », avec un sens nouveau, exprimée pour la première fois dans le Livre des Jubilés.
————— 1 Cf. entre autres, J. C. Vanderkam, Textual and Historical Studies in the Book of Jubilees (Harvard Semitic Monographs 14), Missoula, 1977 ; D. Hamidovi, « Le Livre des Jubilés et ‘Pseudo-Jubilés’ à Qumrân », in Jubilé-Jubilés, sous la direction de L.-J. Bord et D. Hamidovi, Paris, 2001, p. 55-91, réédité sous le même titre in Le Jubilé biblique : Histoire et interprétations, textes réunis par J. Riaud, Angers, 2004 (Théolarge 7), p. 33-77.
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Les citations du mot « divisions/répartitions » à Qoumrân Deux catégories d’usage du terme « divisions » sont attestées dans les rouleaux de Qoumrân, mais le caractère fragmentaire de quelques occurrences invite à nuancer cette répartition. Dans la lignée de l’emploi vétérotestamentaire du terme, cinq références sur douze conservent le sens de « divisions » en tant que partie d’un groupe : l’armée en 1QM II, 10 ; 4Q471 4, 8, le sacerdoce en 1QSa II, 1, les convertis d’Israël en 4Q171 4, 23. Une seule occurrence se réfère à la division des sabbats, en 4Q286 1, II, 11. L’usage du terme « divisions » en référence au temps semble comparable au sens du vocable le Livre des Jubilés. Dans cette dernière référence, il s’agit du temps religieux, le temps des fêtes religieuses. Il est remarquable que des allusions au cycle sabbatique de sept ans, à l’issue duquel est fixé l’affranchissement, sont contenues en 4Q286 1, II, 11-12 : 11
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]et les sabbats de la terre dans leurs divi[sions et les] temps [fixés] d’affranchis[sement] [des af]franchissements perpétuels et[
Le lien avec le titre du Livre des Jubilés semble indirect. Les deux unités chronologiques employées dans le Livre des Jubilés sont le jubilé et les semaines d’années. La dernière mesure du temps, comme le cycle sabbatique, repose sur sept années. On ne peut prétendre à une mention explicite du titre du Livre des Jubilés, tout au plus à un même usage du mot « divisions » en référence à un cycle septennal. Enfin, les sept dernières références au terme « répartitions » semblent explicitement citer le titre du Livre des Jubilés dans sa forme complète ou abrégée. Cinq documents de nature différente contiennent le titre. Le premier texte est une copie en hébreu du Livre des Jubilés retrouvée dans la grotte 4, 4Q216 1, 11-12 2 : les di]visions [des te]mps pour la lo[i et pour le témoignage]
Le passage est la citation de l’éthiopien de Jub 1,4 : Moïse fut sur la montagne quarante jours et quarante nuits et le Seigneur lui montra ce qui (fut au) commencement. Il lui révéla aussi ce qui adviendrait, le récit complet de la répartition légale et certifiée de tout le temps
————— 2
J. C. Vanderkam et J. T. Milik, Qumran Cave 4, VIII, Parabiblical Texts, Part 1 (DJD XIII), Oxford, 1994, p. 5-6.
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Les différences mineures de libellé des deux locutions s’expliquent vraisemblablement par le passage de l’hébreu à l’éthiopien via le grec. Ainsi, avec évidence, le titre éthiopien du Livre des Jubilés est bien similaire au titre originel, comme ce fragment le confirme. Cette citation ne permet pas de statuer sur le rôle du Livre des Jubilés dans la constitution de la pensée qoumrânienne, puisqu’il ne s’agit que de l’édition originale du texte retrouvé en hébreu. En ce sens, la citation ne permet que de confirmer le libellé originel du titre de l’œuvre. Un deuxième usage du titre du Livre des Jubilés est clairement exprimé dans le Document de Damas, CD XVI, 3 3 et ses deux copies de la grotte 4, 4Q270 6, II, 17 et 4Q271 4, II, 4-5 4 : [CD XV, 22 - XVI, 4] 22 ]Il contractera une Alliance [(avec) la maison d’Israël et la maison de Juda.] 23 Et quant à cette Alli[an]ce-[ci, il parla par l’intermédiaire de Moïse] pour dire : « [À cause] de ces pa[roles]-ci, j’ai contracté 1 une Alliance avec vous et avec tout Israël. » C’est pourquoi l’homme a décidé de revenir à 2 la Loi de Moïse, car en elle, tout est minutieusement enseigné. vacat Et l’explication de leurs temps, quand 3 Israël fut aveugle à l’égard de toutes ces choses, voici qu’il est minutieusement enseigné dans le Livre des divisions des temps 4 selon leurs jubilés et leurs semaines (d’années). 5
La fin de la colonne XV est perdue dans le manuscrit retrouvé dans la genizah d’une synagogue du Caire, mais le manuscrit 4Q271 4, II, 2-3 a permis de compléter les deux dernières lignes de la colonne.
————— 3 Cf. S. Schechter, Fragments of a Zadokite Work, Documents of Jewish Sectaries 1, Cambridge, 1910 ; L. Rost, Die Damaskusschrift, Berlin, 1933 (Kleine Texte für Vorlesungen und Übungen 167) ; S. Zeitlin, The Zadokite Fragments : Facsimile of the Manuscripts in the Cairo Genizah Collection in the Possession of the University Library, Cambridge (JQR Monograph Series 1), Philadelphia, 1952 ; C. Rabin, The Zadokite Documents 2 , Oxford, 1958 ; M. Broshi, The Damascus Document Reconsidered, Jerusalem, 1992. 4 J. M. Baumgarten, Qumran Cave 4, XIII (DJD XVIII), Oxford, 1996, p. 156157 et 178-179 pour chaque manuscrit de la grotte 4. 5 Rien ne démontre l’allégation de L. Ginzberg, An Unknown Jewish Sect, New York, 1976 (Moreshet 1), p. 94 et 177, suivi par J. M. Baumgarten et D. R. Schwartz, Damascus Document, in The Dead Sea Scrolls. Hebrew, Aramaic, and Greek Texts with English Translations, J. H. Charlesworth, éd., Tübingen – Louisville, 1995, p. 39 n.132 et C. Hempel, The Laws of the Damascus Document (Studies in the Texts of the Desert of Judah 29), Leiden – Boston – Köln, 1998, p. 86, comprenant les lignes 3 et 4 comme des gloses. Les deux manuscrits de la grotte 4 comportent le même passage sans variante. J. M. Baumgarten, Qumran Cave 4, XIII, op. cit., p. 179, reconnaît à demi-mot la fragilité de son hypothèse.
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La colonne XV traite de l’entrée des impies dans l’Alliance d’Israël selon une procédure minutieuse. Le passage de CD XV, 6 mentionne même un serment de l’Alliance. Après s’être assuré de l’aptitude physique et mentale du postulant, l’inspecteur doit lui enseigner non seulement les lois mosaïques mais aussi les impiétés commises par les Israélites impies. Les commandements divins sont enseignés grâce à la loi de Moïse, c’est-à-dire le Pentateuque 6. Les temps de l’aveuglement sont étudiés à partir du Livre des Jubilés appelé Livre des divisions des temps selon leurs jubilés et leurs semaines (d’années) comme dans le Prologue de l’ouvrage. La construction du passage met donc en parallèle le Pentateuque, écrit de référence des justes, et le Livre des Jubilés, récit des temps d’impiété des Israélites 7. Un troisième document, 11Q13, la légende hébraïque sur le roi mythique Melkisedeq, contient peut-être une mention du titre du Livre des Jubilés. Dans la colonne 3, en lambeaux, la ligne 18 a conservé le terme VYSN[ZO] auquel É. Puech 8 et les éditeurs 9 ont adjoint la restitution de ][VZ. On peut émettre des doutes sur la justification de celle-ci, car la colonne ne conserve qu’un à deux mots par ligne. Après une absence de mots sur les cinq lignes précédentes, les lignes 16, 17 et 18 ont chacune un mot, respectivement « deux cents », « la semaine » et « divisions ». Le nombre pourrait se référer aux anges qui descendent sur terre selon Dn 12,11 et 1Hénoch 6,6. Le mot « semaine » semble indiquer une préoccupation quant à la mesure du temps, la semaine d’années. Dans un contexte où l’auteur utilise des citations scripturaires pour faire passer un message reprenant des idées chères à la communauté de Qoumrân, les termes conservés dans ce passage pourraient s’inscrire dans cette
————— 6 Les grottes de Qoumrân ont livré des manuscrits du Pentateuque contenant des variantes quelquefois significatives et des compositions inédites proches du Pentateuque mais sans en être des copies. Le statut de ces derniers documents et leur rapport avec le Pentateuque restent débattus. 7 Contre D. Dimant, Qumran Cave 4, XXI ; Parabiblical Texts, part 4 ; Pseudoprophetic Texts (DJD XXX), Oxford, 2001, p. 114 n.39, qui nie le lien entre la citation du Document de Damas et le Livre des Jubilés sous prétexte que la locution « divisions des temps » est un terme technique selon 4Q217, 4Q228 et 4Q384. Mais nous expliquerons les citations dans ces manuscrits plus loin et, par là même, invaliderons cette hypothèse. 8 É. Puech, La croyance des Esséniens en la vie future : Immortalité, résurrection, vie éternelle, II (Études bibliques, nouvelle série 22), Paris, 1993, p. 525-6. 9 F. García Martínez, E. J. C. Tigchelaar et A.S. van der Woude, Qumran Cave 11, II (DJD XXIII), Oxford, 1998, p. 234-235.
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perspective. Les éditeurs 10 ont avancé l’hypothèse d’une citation de la fin de Jub 50,5, « et le pays sera désormais purifié pour tous les temps », en lien avec 11Q13 6, 4, très fragmentaire, qui a conservé « te]mps. [Son] interprétation ». Mais aucun argument ne démontre le bien-fondé de l’hypothèse. On soutient la possibilité de l’emploi du mot « divisions » en lien avec la description d’une partie d’un groupe, mais le mot conservé à la ligne précédente, « la semaine », invite à ne pas négliger la possibilité de la citation du titre du Livre des Jubilés qualifié originellement de Livre des divisions des temps selon leurs jubilés et leurs semaines (d’années). En l’état des fragments, nous ne pouvons trancher. Un autre document, 4Q384, pourrait citer le titre du Livre des Jubilés. L’état très fragmentaire du papyrus rend très difficile l’identification du document. L’éditeur M. Smith 11 propose un Apocryphe de Jérémie qualifié de B. Seule la mention de la ville de Taxpanes peut justifier un lien avec le prophète Jérémie. La cité égyptienne est aussi mentionnée, par exemple, en Ez 30,18 mais dans un autre contexte. C’est pourquoi on ne proposera pas de titre à ce document, tant les fragments conservés sont ténus. Le fragment 9 ne contient que quatre lignes dont la première est illisible : 2 3 4
dans le livre des di]visions des tem[ps les transgressions pour l’alliance
Cette traduction, celle de l’editio princeps, lit à la ligne 2 une partie du titre du Livre des Jubilés. On s’empressera de relever que les premiers mots sont restitués. On préfère lire simplement « di]visions des tem[ps ». Il n’en demeure pas moins une allusion explicite au titre du Livre des Jubilés. Nous lierons ce passage avec le fragment 10, ligne 2, qui contient l’expression « divisions » sans contexte. La locution « division des temps » existe uniquement dans les corpora hébraïques pour désigner le Livre des Jubilés. C’est pourquoi il n’y a pas lieu de douter de la citation du titre de l’ouvrage. Dans le fragment 9, il est fait mention de transgressions et d’alliance. Il est vraisemblable que des fautes incombent aux Israélites et l’alliance rappelle celle du peuple élu avec YHWH. Un contexte plus précis est difficile à établir. Néanmoins, on peut mettre en avant la parenté
————— 10
Op. cit., p. 236. M. Smith, Qumran Cave 4, XIV, Parabiblical Texts, Part 2 (DJD XIX), Oxford, 1995, p. 137-52, sp. 144-5. 11
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possible avec Jub 1 qui cite les divisions des temps, au verset 4, et fait état explicitement, au verset 5, de transgressions et implicitement de l’alliance : Il dit : ‘Dispose ton cœur à toutes les paroles que je te dirai sur cette montagne et écris-les dans un livre, afin que leurs générations puissent voir que je ne les ai pas abandonnés, malgré tout le mal qu’ils ont commis en transgressant les ordonnances que j’édicte entre moi et toi aujourd’hui, sur le mont Sinaï pour leurs générations.’
Le manuscrit 4Q384 n’est pas une copie du Livre des Jubilés, mais il cite ce document comme une référence. Les idées de transgression des commandements divins et la mention de l’Alliance sont des lieux communs de la littérature retrouvée à Qoumrân. C’est pourquoi la nature du document ne peut être précisée, pas plus qu’un lien éventuel avec un texte connu. Seules des notions caractéristiques des écrits esséniens et qoumrâniens peuvent être évoquées. Enfin, un autre document mentionne le Livre des Jubilés par son titre. Le manuscrit 4Q228 comporte dans le fragment 1, colonne 1, lignes 2, 4, 7 et 9, le titre du Livre des Jubilés appelé divisions des temps ou divisions. En fin de rouleau et vraisemblablement de document, le texte fait usage des passages du Livre des Jubilés qui énonçaient le titre de l’ouvrage. L’auteur de 4Q228 développe une interprétation du titre conforme à la vision qoumrânienne des temps selon laquelle il existe une division des temps pour chacun et un jugement rendu à l’eschaton : les impies seront châtiés et les justes seront récompensés d’une vie éternelle. Néanmoins, il semble que les premières lignes conservées relisent Jub 1,4-7. C’est pourquoi une proximité textuelle avec le Livre des Jubilés existe. Le passage conservé s’attarde sur un développement typiquement qoumrânien né de l’interprétation du titre du Livre des Jubilés. En ce sens, le texte préservé contient de nombreux termes ou locutions bien connus dans d’autres écrits qoumrâniens. De plus, si la source textuelle principale reste le Livre des Jubilés, des expressions semblent aussi être empruntées à des textes vétérotestamentaires et intertestamentaires. Par l’emploi de ces locutions, l’auteur délivre bien un message original. La colonne II est la fin du rouleau. Les lignes sont fragmentaires, mais elles semblent poursuivre la description d’un temps eschatologique.
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Pourquoi se référer aux « répartitions des temps », titre du Livre des Jubilés, à Qoumrân ?
Cinq documents au genre littéraire bien différent énoncent le titre du Livre des Jubilés. Quelle signification revêt cette citation ? Mis à part le manuscrit 4Q216, qui est une copie fidèle d’un passage du Livre des Jubilés énonçant le titre, les quatre autres manuscrits soulèvent la question du statut du Livre des Jubilés au sein de la communauté de Qoumrân. Nous écartons les documents 11Q13 et 4Q384 dont l’état fragmentaire ne permet pas d’avancer des conclusions. Il reste l’Écrit de Damas et le manuscrit 4Q228 pour déceler le sens des répartitions des temps, la citation du titre du Livre des Jubilés. On a relevé dans le passage CD XVI, 3-4 la mise en parallèle du Livre des Jubilés avec la Torah mosaïque. La Loi est minutieusement enseignée, car elle dispense les enseignements divins, l’Alliance. Le Livre des Jubilés, dont Moïse est aussi le rédacteur allégué, consigne les temps d’impiété pour qu’ils témoignent des fautes passées du peuple élu et donc, par déduction, ce que les contemporains ne doivent pas reproduire. Les lignes conservées en 4Q228 1, I témoignent aussi d’un contexte d’impiété. Même si le texte est fragmentaire, un usage commun de la citation est à souligner. Du Livre des Jubilés n’est retenu à Qoumrân que le caractère édifiant, les fautes passées et le châtiment divin en conséquence, afin de les éviter au temps présent. La nature même du Livre des Jubilés, cet essai politique en réponse à la propagande des Séleucides et des Juifs collaborateurs, n’est pas le motif de la citation de l’ouvrage. Les documents retrouvés ne justifient la citation qu’en mettant en relief l’impiété des Israélites afin de démontrer l’importance du respect de la Loi divine. Tout un pan originel du Livre des Jubilés est ainsi éludé. En ce sens, les Qoumrâniens interprètent l’œuvre en transposant la démonstration des Juifs pieux face aux arguments des Juifs favorables à l’hellénisation en une réponse des justes, les Qoumrâniens, aux impies, les autres Israélites. Le Livre des Jubilés devient dans ce contexte un écrit important pour les membres de la communauté, puisqu’il indique, « enseigne minutieusement » selon CD XVI, 3-4, une datation très précise, – donc, dans l’esprit des lecteurs, incontestable –, des causes, des faits et des conséquences de l’impiété du peuple élu dans le passé. L’interprétation faite à Qoumrân du Livre des Jubilés déplace en quelque sorte le genre littéraire de l’ouvrage.
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La lecture qoumrânienne des répartitions des temps dévoile une perception particulière des temps passés et fait du Livre des Jubilés une leçon édifiante dont le but est d’amener les membres à ne pas répéter les fautes passées. Le Livre des Jubilés dispense aux lecteurs un discours moralisateur et, par conséquent, énonce par antithèse les voies à suivre pour le présent, c’est-à-dire le respect ou plutôt le renouvellement de l’Alliance divine avec Israël. Même sur le manuscrit fragmentaire 4Q384 9, 2, il est fait état de « transgressions », puis le mot « alliance » est conservé. Le Document de Damas cite aussi le titre du Livre des Jubilés dans un contexte de serment d’alliance. La dialectique alliance-justice face à l’impiété, caractéristique de la pensée qoumrânienne, trouve avec les répartitions des temps, titre du Livre des Jubilés, un nouveau document confortant et démontrant cette idée. La lecture faite des événements tragiques de l’histoire reconstruite des Hébreux appuie la démonstration selon laquelle l’impiété ne peut conduire qu’au châtiment divin pour le peuple ; le non-respect des fêtes, du calendrier, de la pureté, des commandements divins mène inexorablement aux ténèbres, à la mort, au malheur. Le contexte originel du Livre des Jubilés, écrit contre les Juifs collaborateurs des Séleucides, se superpose au contexte politique auquel sont confrontés dans le présent les Qoumrâniens, un contexte dans lequel les Israélites violent les commandements et les traditions issues de l’Alliance. Il apparaît donc naturel que le Livre des Jubilés soit cité comme un écrit de référence justifiant la pensée qoumrânienne, vilipendant l’impiété des Israélites contemporains et célébrant par antithèse la piété des exilés à Qoumrân. En ce sens, les « répartitions des temps » décrites dans le Livre des Jubilés sont actualisées à des fins didactiques. On est loin de la perception du temps des patriarches comme un âge d’or pour le peuple juif. Ici, comme dans la majorité des textes intertestamentaires, les erreurs des temps passés rappelées dans les répartitions des temps, titre du Livre des Jubilés, doivent servir de leçon pour le temps présent tel que le perçoivent les Qoumrâniens.
TEMPS, TORAH ET PROPHÉTIE À QOUMRÂN DEVORAH DIMANT Université de Haïfa
L’usage et l’interprétation de la Bible hébraïque dans différents écrits retrouvés à Qoumrân a été, depuis leur découverte, un sujet central dans l’étude des manuscrits de Qoumrân. Comme le Pesher d’Habaquq, bien conservé, fut l’un des premiers rouleaux découverts dans la grotte 1 et fut bientôt complété par les pesharim de la grotte 4, la recherche s’est dans un premier temps focalisée sur le type particulier d’interprétation qu’ils offrent de divers passages prophétiques 1. Écrits dans le langage typique de la communauté de Qoumrân, les pesharim représentent une partie importante de la littérature composée par ce groupe. En conséquence, l’aspect qui prévalut dans l’interprétation des pesharim pendant les premières décennies de recherche fut la mise en évidence de l’exégèse spécifique de cette communauté. La publication du Rouleau du Temple dans les années soixante-dix du siècle dernier, suivie de celle des divers textes de la grotte 4 qui retravaillent la Bible, a déplacé l’intérêt porté aux pesharim vers l’interprétation de l’Écriture par des procédés de réécriture du texte biblique. La plupart de ces textes réécrivant des passages bibliques sont dépourvus des marques caractéristiques de l’idéologie et du style spécifiques de la littérature émanant de la communauté. Ils ont habituellement trait à des problèmes d’interprétation présents dans les textes bibliques qu’ils retravaillent. Tels qu’ils sont,
————— 1
Pour le Pesher d’Habaquq, voir K. Elliger, Studien zum Habakkuk-Kommentar
vom Toten Meer (BHT 15), Tübingen, Mohr Siebeck, 1953 ; G. J. Brooke, Exegesis at Qumran (JSOT Supp 29), Sheffield, Scholars Press, 1985, p. 283-292 ; B. Nitzan, Pesher Habakkuk, Jerusalem, Bialik Institute, 1986, p. 29-103 [en hébreu]. Pour les pesherim en général, voir M. Horgan, Pesharim : Qumran Interpretations of Biblical Books (CBQMS 8), Washington, Catholic Biblical Association of America, 1979, p. 229-259 ; D. Dimant, « Pesharim, Qumran », The Anchor Bible Dictionary, D. N. Freedman, éd., New York, Doubleday, 1992, vol. 5, p. 244-251. Une étude récente, due à la plume de James Charlesworth, envisage les pesharim comme source de connaissance de faits historiques, sujet qui outrepasse le cadre de la présente contribution. Voir J. H. Charlesworth, The Pesharim and Qumran History, Grand Rapids, Eerdmans, 2002.
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ils présentent souvent des liens avec des approches exégétiques et des corpora juifs contemporains non qoumrâniens. Pour cette raison, l’accent de la recherche s’est déplacé de la mise en évidence des facettes particulières de l’exégèse de la communauté à l’établissement de liens entre différents manuscrits de Qoumrân et le judaïsme du second Temple. La publication du Rouleau du Temple a eu un autre effet sur l’intérêt des spécialistes. Elle a tourné leur regard en direction de textes halakhiques trouvés à Qoumrân et de leur exégèse particulière. Cette nouvelle orientation de la recherche a été renforcée par la publication de nouveaux textes halakhiques de la grotte 4, notamment Miqat maae ha-Torah (4QMMT) 2. Malgré le nombre croissant de textes et les perspectives nouvelles qui s’ouvraient au sujet de la bibliothèque de Qoumrân, l’étude de l’exégèse qoumrânienne a continué de se limiter à l’analyse de différentes sections isolées de l’ensemble du corpus. Tandis que certains commentateurs mettaient l’accent sur le point de vue propre à la communauté suivant lequel la révélation prophétique continuait, interprétait et complétait la Torah de Moïse 3, d’autres traitaient l’exégèse des prophéties proposée par les pesharim indépendamment de l’exégèse que proposaient les textes de Qoumrân pour les sections légales de la Torah. Qui plus est, les discussions sur tous ces points ont eu tendance à se concentrer sur des détails et sur des techniques exégétiques plutôt que sur les principes théoriques sous-tendant la démarche exégétique globale 4. De fait, jusqu’à ce jour, aucun effort
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Sur la halakha, voir L. H. Schiffman, The Halakha at Qumran (SJLA 16), Leiden, E. J. Brill, 1975 ; J. M. Baumgarten, Studies in Qumran Law (SJLA 24), Leiden, E. J. Brill, 1977 ; Y. Sussman, « The History of the Halakha and the Dead Sea Scrolls », in Qumran Cave 4.V : Miqat maae ha-Torah, E. Qimron and J. Strugnell, éd. (DJD 10), Oxford, Clarendon Press, 1994, p. 179-200. Pour les études récentes, voir M. Bernstein, « Pentateuch Interpretation at Qumran », in The Dead Sea Scrolls after Fifty Years, P. W. Flint and J. C. VanderKam, éd., Leiden, Brill, 1998, I, p. 128-159 ; H. K. Harrington, « Biblical Law at Qumran », ibid., I, p. 160-185. Voir aussi L. H. Schiffman, Les manuscrits de la mer Morte et le judaïsme. L’apport de l’ancienne bibliothèque de Qumrân à l’histoire du judaïsme, traduit, révisé et mis à jour par J. Duhaime, Québec, Fides, 2003, p. 274-277. Pour l’exégèse du pesher, voir les références de la note 1. 3 Voir les remarques de M. Fishbane, « Use, Authority and Interpretation of Mikra at Qumran », in Mikra, M. J. Mulder, éd. (CRINT II/1), Assen, Van Gorcum, 1988, p. 360-361. 4 Certains aspects de l’exégèse des pesharim ont été traités dans les études mentionnées note 1. Certains aspects de l’exégèse qoumrânienne relative aux textes halakhiques ont été étudiés lors de discussions dont il est fait état à la note 2. Il convient d’y ajouter J. M. Baumgarten, « La loi religieuse de la communauté de Qoumrân », Annales 51, 1996, p. 1005-1025 ; Fishbane, « Use, Authority and Interpretation of Mikra », p. 362-375.
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systématique n’a été entrepris pour découvrir le fondement théorique sur lequel reposaient de telles approches exégétiques. Les travaux pionniers réalisés par la première génération de spécialistes de Qoumrân ont tracé les principaux contours de la pensée religieuse des sectaires qoumrâniens. Mais, dans une large mesure, cette analyse en est restée là où elle avait été laissée quelque vingt années plus tôt 5. Beaucoup d’aspects fondamentaux de l’idéologie sectaire attendent encore une analyse approfondie, et de nouveaux textes publiés récemment doivent être incorporés dans le tableau général de la pensée de la communauté. Parmi eux, il y a la question de la conception globale qui sous-tend l’interprétation de la Bible que l’on rencontre dans la littérature de la communauté et les œuvres apparentées. Une étude de ce type présente des difficultés particulières parce que les textes de Qoumrân ayant pour objet l’interprétation de textes bibliques expliquent rarement les prémisses théoriques de leur démarche exégétique propre. Seule une quantité limitée d’informations sur le sujet peut être tirée de l’exégèse de passages bibliques donnés. Heureusement, des affirmations plus générales sont disponibles, disséminées dans le Pesher d’Habaquq, la Règle de la Communauté et l’Écrit de Damas. Ils peuvent être utilisés, et devraient l’être, pour l’étude de la question. L’un des aspects les plus frappants qui se dégage de ces affirmations est la revendication des membres de la communauté qoumrânienne d’avoir accès à une révélation progressive, sur l’autorité de laquelle ils interprètent la loi de la Torah. Cette conception remarquable a été relevée antérieurement 6. Toutefois, l’analyse de cet aspect de la pensée des Qoumrâniens n’a pas été poussée au-delà de la simple constatation. Ainsi les liens de la conception d’une révélation progressive avec la représentation particulière du temps entretenue par la communauté de Qoumrân, ainsi que son affinité avec la vision du monde de l’apocalyptique, n’ont jamais été explorés. De plus, le fait que, dans les textes de la communauté, la même notion
————— 5 Pour l’état de la question à cette époque, voir l’aperçu que j’en ai proposé dans « Qumran Sectarian Literature », in Jewish Writings of the Second Temple Period, M. E. Stone, éd. (CRINT II/2), Assen, Van Gorcum, 1984, p. 532-542. 6 Cf. N. Wieder, The Judean Scrolls and Karaism, London, Curwen Press, 1962, p. 68 ; J. M. Baumgarten, « The Unwritten Law in the Pre-Rabbinic Period », Studies in Qumran Law (SJLA 24), Leiden, E. J. Brill, 1977, p. 33 ; idem, « La Loi Religieuse », p. 1010 ; L. H. Schiffman, The Halakha at Qumran (SJLA 16), Leiden, E. J. Brill, 1975, p. 25 ; Fishbane, « Use, Authority and Interpretation of Mikra », p. 364-366.
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du temps sous-tend l’exégèse à la fois de la Torah et des Prophètes n’a pas été complètement pris en compte. Contribution à une telle approche, la présente étude examine la conception du temps historique intrinsèque à l’exégèse qoumrânienne de ces deux types de sources bibliques. Les affirmations clés sur ce point se trouvent dans le Pesher d’Habaquq et dans la Règle de la Communauté. Bien que ces deux écrits figurent parmi les premiers qui ont été découverts dans la grotte 1 et qu’ils aient été sujets à des examens répétés, ils n’ont jamais été étudiés, à ma connaissance, à partir de la perspective envisagée ici. C’est pourquoi il n’est pas hors de propos de réexaminer quelquesunes des principales affirmations relatives au sujet. Nous nous tournerons d’abord vers les pesharim. L’un des passages les plus éloquents se trouve dans le Pesher d’Habaquq II, 5-10, sur Habaquq 1:5 : V[TZ N][FI[YDJN]TDFJTR (5) YP[O [ YNT …][O[J(6) [RO_YTZ JTYFJN [VY] DJNYMV ]OYD (7) NYMV TYRN 7J[P[DYDN]DN _VPT _JYMJ (8) V N TRU]F[[DT ]][ [DPJY[FD[TDF (9) …[ N]YYONVY DJNYM (10) (5) … l’interprétation de ceci [concerne les traî]tres pour la suite (6) des jours. …Ils ne croiront pas (7) quand ils entendront tout ce qui va arri[ver à] la dernière génération, de la bouche (8) du prêtre, à qui Dieu a donné en [son cœur le discernem]ent pour interpréter toutes (9) les paroles de Ses serviteurs les prophètes par l’intermédiaire [desquels] Dieu a raconté (10) tout ce qui va arriver à Son peuple et à[ ] 8. Ou le commentaire du Pesher VII, 4-5 sur Habaquq 2:2 : V N Y[FYJT SFEJJTYONYTR … (4) … ][ DPJY[FD[TDF[\TNYM (5)
————— La restitution J[P[D avec Brownlee, plutôt que J[F, de Bilha Nitzan, est justifiée par l’espace de trois lettres disponible dans la lacune, comme cela est évident au vu de la restauration certaine des mots figurant dans la ligne suivante. Cf. W. H. Brownlee, The Midrash Pesher of Habakkuk (SBL Monograph Series 24), Ann Arbor, MI, Society of Biblical Literature, 1979, p. 53, 57. Pour Nitzan, voir son édition dans Pesher Habakkuk, p. 152. 8 Cf. M. Horgan, « Habakkuk Pesher (1QpHab) », in Pesharim, Other Commentaries and Related Texts, The Dead Sea Scrolls, J. Charlesworth, éd., Tübingen, Mohr Siebeck – John Knox Press, 2002, p. 163. 7
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(4)
… son interprétation concerne le Maître de Justice, auquel Dieu a fait connaître (5) tous les mystères des paroles de ses serviteurs les prophètes …
La distinction établie ici entre le message prophétique et son interprétation, l’un et l’autre divinement révélés mais à des personnes différentes et à des moments différents de l’histoire, a souvent été discutée. Une telle distinction investissait la forme explicite, littérale, des textes prophétiques d’une signification profonde, voilée. Aux yeux des membres de la communauté de Qoumrân, le discours prophétique était cryptique et encodé dans un langage symbolique. Il requérait donc d’être décodé pour que pût être saisie sa pleine signification. Les méthodes interprétatives par lesquelles les membres de la communauté accomplissaient cette tâche ressemblaient à celles qui étaient pratiquées dans le monde ancien pour l’interprétation des songes : étymologie, atomisation, explication symbolique et autres procédés semblables 9. Toutefois, alors que l’interprétation des songes était considérée dans l’Antiquité comme une activité professionnelle, et pouvait en conséquence être acquise, la communauté de Qoumrân considérait la prophétie comme étant divulguée par révélation divine. Selon l’affirmation du pesher, une telle révélation avait été accordée au Maître de Justice 10. Les caractéristiques de la
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Pour un état de la question et une bibliographie, voir D. Dimant, « Qumran Sectarian Literature », p. 505-508 ; D. Dimant, « Pesharim, Qumran », p. 250-251 ; G. Brooke, Exegesis at Qumran (JSOT Supplement Series 29), Sheffield, University of Sheffield, 1985, p. 36-44. 10 Frank Cross ne met pas en question la validité historique de cette affirmation. Cependant, le fait que les pesharim sont tous conservés dans des manuscrits relativement tardifs (de la seconde moitié du premier siècle avant notre ère au milieu du premier siècle de notre ère), et sans qu’il y ait de copies, l’a amené à supposer qu’une tradition exégétique plus ancienne s’est développée dans la communauté et a finalement conduit à la rédaction des pesharim plus tardifs. Cf. F. Cross, The Ancient Library of Qumran, Minneapolis, Fortress, 19953 , p. 91-92, qui reproduit la formulation de la première édition de 1958. Toutefois, des morceaux de pesher apparaissent dès les écrits les plus anciens de la communauté, reflétant une terminologie et une technique exégétique pleinement développées (cf. par exemple CD III, 21-IV, 1-6 ; VI, 2-11 ; 1QS VIII, 13-16). De plus, 4QTestimonia (4Q175 21-30), qui contient un pesher de Jos 6:26, a été copié par le scribe qui a écrit 1QS, document qui est désormais daté aux alentours de l’an 100 avant l’ère commune. On sait maintenant que ce pesher est emprunté à une autre œuvre, l’Apocryphon de Josué, et qu’il doit donc être plus ancien que 4QTestimonia. De plus, déjà le livre de Daniel (daté de 164 avant l’ère commune) présente, au chapitre 9, un pesher d’une prophétie de Jérémie. Ces différents exemples montrent que la méthode du pesher n’a pas été inventée par la communauté de Qoumrân, ni limitée à elle, mais que les Qoumrâniens se la sont approprié pour leur propre usage.
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méthode du pesher sont bien connues et ont été énoncées à bien des reprises. Cependant, on n’a pas reconnu que l’importance et les implications de l’écart temporel entre la vision prophétique et son interprète ne prennent leur véritable signification qu’à la lumière d’une croyance fondamentale de la communauté : à savoir que la prophétie biblique révèle les mystères de l’histoire décrétés par avance, et que l’histoire elle-même consiste en une succession de périodes. Faute de prendre en considération cette perspective temporelle, les critiques ont été en peine d’expliquer cet écart temporel. Dans la discussion qui a suivi la publication initiale du Pesher d’Habaquq, la question de savoir si le Pesher considérait que le Maître de Justice était initié au secret de la véritable signification de la prophétie, alors que ce n’était pas le cas des prophètes eux-mêmes, a été soulevée. Beaucoup d’auteurs ont considéré que le Pesher d’Habaquq signifiait précisément cela. Toutefois, placer ainsi les prophètes est difficilement compatible avec l’idée, exprimée par beaucoup d’écrits de la communauté, selon laquelle les prophètes étaient des émissaires divins qui divulguaient la parole de Dieu 11. De fait, nulle part dans les écrits de Qoumrân il n’est affirmé que les prophètes n’étaient pas conscients de la signification profonde de leur propre message. Il est parfaitement concevable qu’ils l’aient connue, mais ne l’aient pas dévoilée. En toute hypothèse, qu’ils en aient eu conscience ou non n’a rien à voir avec la nature du pesher et ses méthodes. Ce qui est significatif, c’est que la révélation des mystères de l’histoire, incorporée dans les prophéties, est distincte de la révélation de leur signification 12. Cette distinction mettait l’accent sur le caractère énigmatique des prophéties et sur le fait qu’elles requéraient une interprétation grâce à une révélation particulière. Significatif pour la compréhension des pesharim est le laps de temps qui sépare la vision prophétique initiale de son interprète, le Maître de Justice. Cet écart représente la clé de compréhension de l’attitude des membres de la communauté à l’endroit de la
————— 11
Cf. par exemple 1QS I, 3 ; VIII, 16 ; 4Q174 1-2 I 15-16 ; 1-3 II 3 ; 4Q292 2 4 ; 4Q381 69 4 ; 4Q390 2 I 5. 12 La même distinction entre la révélation et sa signification prévalait dans la pratique de l’interprétation des songes dans l’Antiquité. Pareille distinction caractérise l’interprétation des songes de Joseph (Gn 40:12, 18 ; 41:16) et de Daniel (cf. par exemple Dn 2:18-28 ; 4:1-5, 16 ; 5:5-17), tout comme l’interprétation de la prophétie de Jérémie proposée par Daniel (Dn 9:2-3, 20-22).
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prophétie. Elle ne devient claire qu’en lien avec la façon dont la communauté comprenait le développement de l’histoire. Centrale pour la pensée qoumrânienne est la notion selon laquelle l’histoire constitue une séquence finie de périodes précises et bien définies, fixées par avance par Dieu tant pour ce qui est de leur ordre que de leur caractère. Ainsi, l’histoire n’est que le déploiement d’une séquence temporelle, gouvernée par des principes prédéterminés et mise en mouvement par l’acte créateur initial. Dans la nomenclature de la communauté, ces périodes sont appelées les « Périodes de Dieu » (N [ES). Le Pesher d’Habaquq fournit la formulation la plus claire de ce concept (VII, 12-14, un commentaire sur Habaquq 2:3) : [M … (12) SSZT M]PYMVNY YD[N [E[SNYM (13) … YVOT[\TD]JN (14) (12) (13) … car toutes les périodes de Dieu viendront selon leur ordre, comme Il l’a décrété (14) pour eux par les mystères de Sa prudence 13. La prééminence de ce concept dans la pensée de la communauté est exprimée par les nombreuses références aux périodes, disséminées dans la plupart des écrits de la communauté 14. Le Pesher des Périodes (4Q180) énumère même quelques-unes de ces périodes historiques 15, et atteste ainsi l’existence à Qoumrân d’un savoir élaboré au sujet des périodes historiques. Comme cela a été relevé dès l’étape initiale de la discussion scientifique, la vision de l’histoire comme une séquence de périodes, se succédant selon un schéma divin fixé par avance, telle qu’elle est attestée par le Pesher d’Habaquq et d’autres écrits sectaires apparentés, est identique à la vision proposée par diverses apocalypses juives, connues longtemps avant la découverte des manuscrits de
————— 13 Pour l’édition et la traduction (avec des modifications), voir Horgan, « Habakkuk Pesher (1QpHab) », p. 172-173. 14 Cf. par exemple 1QS I, 14 ; III, 15 ; IV, 13 ; X, 1 ; 1QS b I, 27 ; V, 18 ; CD II, 9-10 ; VI, 14 ; 1QH I, 24 ; 1QM X, 15. Cf. F. Nötscher, Zur theologischen Terminologie der Qumran-Texte (Bonner Biblische Beiträge 10), Bonn, Peter Hanstein, 1956, p. 167-168 ; D. Dimant, « Election and Laws of History in Apocalyptic Literature », in Chosen People, Elect Nation and Universal Mission, S. Almog and M. Heyd, éd., Jerusalem, Zalman Shazar Center, 1991, p. 59-70 [en hébreu]. 15 Cf. D. Dimant, « The “Pesher to the Periods” (4Q180) and 4Q181 », Israel Oriental Studies 9, 1979, p. 77-102.
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Qoumrân. Parmi les illustrations les plus anciennes et les plus claires de cette idée, il y a les visions que l’on trouve au chapitre 9 du livre de Daniel, l’Apocalypse des Semaines (1 Hénoch 93:1-10 ; 91:11-17), et l’Apocalypse au bestiaire (1 Hénoch 85-90). D’autres exemples sont fournis par des apocalypses plus récentes, comme le Testament de Moïse, 4 Esdras et l’Apocalypse syriaque de Baruch. Il y a cependant une différence significative entre le pesher et ces apocalypses. Alors que les apocalypses présentent les voyants comme bénéficiaires à la fois des visions et de leurs interprétations, les pesharim qoumrâniens dissocient les deux phénomènes et les assignent à des personnes différentes et à des périodes distinctes. De plus, en adoptant un cadre pseudépigraphique, les apocalypses identifiaient les voyants comme d’anciens sages, qui ont vécu lors de l’étape initiale de la séquence historique, ou en tout cas bien antérieurement aux auteurs qui se cachent derrière un tel cadre. Les auteurs anonymes qui utilisaient un tel procédé étaient ainsi en mesure de montrer que les visions des anciens voyants étaient en fait des prévisions de l’histoire ultérieure qui, comme les lecteurs pouvaient s’en rendre compte, s’étaient accomplies. Grâce au cadre pseudépigraphique, les apocalypticiens parvenaient à exprimer l’idée que le plan divin fixé par avance pour l’histoire était exécuté de façon précise depuis les étapes initiales. Aux yeux de ces auteurs, cela garantissait que le plan qu’ils prévoyaient pour les périodes finales de l’histoire se déroulerait avec la même précision. Le Pesher d’Habaquq transmet la même idée par des moyens différents. Selon lui, l’interprétation des mystères de l’histoire a été révélée à une figure historique bien réelle, le Maître de Justice, qui vivait alors qu’approchait la fin de la séquence historique 16. Comme les lecteurs avisés des apocalypses, le Maître avait lui aussi connaissance des développements historiques passés et était ainsi un témoin du plan divin partiellement accompli pour l’histoire. Mais le fait qu’il vivait à l’étape finale du développement historique le transformait en témoin vivant de l’accomplissement de la séquence planifiée tout entière. La promesse de l’accomplissement de l’étape temporelle finale, de l’ère eschatologique, était ainsi garantie par la vie et l’œuvre du Maître de Justice.
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164.
Cf. 1QpHab VII, 10-14. Cf. Elliger, Studien zum Habakuk-Kommentar, p. 150-
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Cependant, malgré leurs différences, les représentations respectives de l’histoire par les apocalypses et par le Pesher d’Habaquq peuvent être comprises comme des interprétations différentes de la même conception fondamentale du temps, enracinée dans l’idée selon laquelle l’histoire se déploie comme succession de périodes. L’exposé le plus suggestif d’une telle conception est peut-être fourni par le songe de Nabuchodonosor en Daniel 2. Dans ce songe, le monarque babylonien voit une immense statue, dont les parties sont faites de différents métaux. Cette statue représente le déroulement de l’histoire. Parmi ses nombreux traits remarquables, il y a le fait qu’elle incarne une succession temporelle de royaumes par la disposition spatiale de ses diverses parties. Ainsi le symbolisme suppose que le temps est une même entité organique, dont les divers segments appartiennent au même ensemble 17. Deux siècles plus tard, l’auteur de l’Apocalypse syriaque de Baruch exprimait encore le même point de vue 18. Considérer la séquence historique comme une entité unique régie par un même principe confère au déroulement de l’histoire une extraordinaire cohésion. Dans une telle séquence, chaque période est étroitement reliée à toutes les autres et l’histoire est conçue comme une même séquence au cours de laquelle s’accomplit un plan directeur unique et déterminé par Dieu. En conséquence, chaque période n’acquiert sa pleine signification que lorsqu’elle est considérée dans la trame de la séquence tout entière. De fait, la véritable signification du déroulement de l’histoire ne devient perceptible que lorsque la séquence entière est complètement déployée et le schéma divin des événements mené à son terme. C’est pourquoi, aux différents moments de la séquence, l’histoire demeure énigmatique. Une réelle compréhension du déploiement de l’histoire ne peut être acquise que sous la conduite divine. Ainsi, à la fois les visionnaires des apocalypses et le Maître de Justice ont été initiés aux mystères du plan divin par un enseignement surnaturel. Les
————— 17 Voir M. Noth, « The Understanding of History in Old Testament Apocalyptic », in The Laws of the Pentateuch, (Philadelphia, Fortress, 1966, p. 206 ; D. Dimant, « The Four Empires of Daniel, Chapter 2, in the Light of Texts from Qumran », Jerusalem Studies in Jewish Thought 12, 1996, p. 34-36 [en hébreu]. 18 Cf. Apocalypse syriaque de Baruch 53:1-2, 56:3 où le temps historique tout entier est représenté par une unique grande nuée. Comparer 4 Esdras 12:10-12 et voir le commentaire de M. E. Stone, Fourth Ezra (Hermeneia), Minneapolis, Fortress Press, 1990, p. 417, 420-421.
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voyants apocalyptiques l’apprennent par des anges, par des songes ou par les tablettes divines, alors que le Maître de Justice a été gratifié d’une révélation directe. Toutefois, parce que les voyants apocalyptiques sont habituellement placés à une étape relativement précoce de l’histoire, les interprétations qui leur sont données quant aux événements ultérieurs demeurent quelque peu énigmatiques 19. La situation du Maître de Justice est différente. Placé comme il était à la dernière période, tout en fin de la séquence de l’histoire, le Maître était en position d’observer et de comprendre comment le déploiement de la plus grande partie du déroulement de l’histoire avait eu lieu et de témoigner effectivement de ses étapes finales. Ainsi, l’initiation du Maître au sens profond des prophéties était due non seulement à sa piété et à sa sagesse, comme c’est le cas, par exemple, du Daniel pseudépigraphe du livre de Daniel, mais aussi au fait qu’il vivait, selon le point de vue des membres de la communauté, à l’aube de l’ère eschatologique. Alors que la représentation du temps comme un processus uniforme et global qui se déploie selon un plan prédéterminé transforme l’histoire en un processus unique et unifié, elle introduit aussi un élément de relativité dans les moments particuliers qui ponctuent la séquence. En effet, si à un point donné de la séquence seule une partie du projet divin est accomplie, la signification du processus tout entier reste partiellement cachée. Selon une telle perspective, le message prophétique lui-même apparaît opaque au moment où il est proféré, puisque, du point de vue du prophète, les événements ultérieurs sont encore cachés dans le futur. Toutefois, c’est précisément cet intervalle qui ménage un espace pour l’activité exégétique destinée à combler la brèche. Ainsi, un processus de révélation graduelle du véritable sens de l’histoire accompagne le déroulement graduel des événements. Le Maître était situé à un point où il pouvait assumer le rôle d’exégète inspiré parce qu’il témoignait de la plus grande partie du processus historique. Toutefois, même le Maître eut à se soumettre à la loi de relativité historique car il ne vécut pas assez longtemps pour voir la fin de l’histoire. La logique du concept d’histoire qui sous-tend la littérature sectaire, et plus particulièrement les pesharim, suppose que la signification véritable et ultime de l’histoire ne sera révélée que lorsque tous les événements historiques se seront produits et quand
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Voir par exemple Dn 8:17 ; 12:8 ; 1 Hénoch 90:42.
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le plan fixé par avance pour l’histoire sera exécuté dans sa totalité. Cette interprétation ultime était, par voie de conséquence, réservée pour la Fin des Temps. Le passage qui illustre bien l’énigme que renferme le temps dernier se trouve dans le commentaire que propose le Pesher d’Habaquq pour Habaquq 2:3. Il exprime le fait que, à ce point final du temps, le sens précis du message prophétique ne pouvait plus être saisi, peut-être parce que le Maître, ou quelqu’un d’autre qui l’aurait remplacé, n’était plus présent : NYMNTV[Y_YTZ JLSJ?YT [T YTR (7) JNRJNN [\T [M][ [DPJYTDFT (8) YNY YD[ YD [MYNJMZJOJOV[] (9) VO J[P NYTRTZ [ (10) VFYDO]J[F[YRT[ YNT JTYVJ[Y (11) [M_YTZ JLSJ]J[N?OJDVO J (12) SSZT M]PYMVNY YD[N [E[SNYM (13) YVOT[\TD]JN (14) (7) Son interprétation : la période finale sera étendue et dépassera tout (8) ce que disaient les prophètes, parce que les mystères de Dieu sont merveilleux. (9) Bien qu’elle puisse tarder, attends-la ; elle viendra assurément et ne (10) connaîtra pas de délai (Ha 2:3b). Son interprétation concerne les hommes de vérité, (11) ceux qui observent la Loi, dont les mains ne déserteront pas le service (12) de la vérité quand la période finale sera étendue pour eux, parce que (13) toutes les périodes de Dieu arriveront selon leur ordre, comme Il l’a établi (14) pour eux dans les mystères de Sa prudence (Pesher d’Habaquq VII, 7-14). Enfin, il faut observer que l’aspect relatif inhérent à l’interprétation de la prophétie ne signifie pas forcément que toute nouvelle interprétation de l’histoire remplace la précédente. Le processus peut être parfaitement bien compris comme une extension et un approfondissement de la compréhension des prophéties et, pour cette raison, du processus historique qu’elles reflètent. Cela signifie que l’interprétation du pesher, interprétation révélée au Maître, ne remplace pas les précédentes, mais les complète et les amplifie. En d’autres termes, les prophètes pouvaient témoigner une compréhension véridique de leurs propres prophéties, selon leur place spécifique au long de la succession temporelle.
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Il est intéressant de noter que, alors que l’élément de relativité inhérent à l’exégèse des textes prophétiques dans les pesharim, telle que la pratiquaient les membres de la communauté, a été reconnu jusqu’à un certain point et discuté de différentes manières, très peu de choses ont été dites quant à un phénomène parallèle relatif à l’interprétation de la Torah qu’ils pratiquaient. Même quand ce phénomène a été relevé, il n’a jamais été mis en relation avec l’exégèse des pesharim et, de ce fait, il n’a jamais été noté que les deux méthodes partagent la même perspective quant à la succession temporelle 20. Cette perspective apparaît clairement dans l’affirmation suivante, faite dans la Règle de la Communauté IX, 12-14 : V_YMVN[ZNYM]]D?NJVJNN[MON][SYZJJN (12) [ Y[ NSONYVY V 21 FYONYVDVNJNIPJNYMMN _YETV VYN (13) V Y][VJ[RN EOPJNMJNYM VJSYZ (14) (12) Voici pour le Makil les prescriptions qui régleront son comportement avec tout vivant, selon l’ordre de chaque temps et le poids de chaque homme, (13) pour faire la volonté de Dieu selon tout ce qui a été révélé temps par temps, et pour mesurer la compréhension qui a été trouvée selon les temps, (14) et la loi du temps.
————— 20
Cf. CD V,21-VI,1 ; VII, 15-18 ; 4Q381 69 14. La forme FYON peut être tenue pour un qal infinitif absolu soit du verbe FON (F2OH N = « étudier, apprendre ») soit du verbe FFO précédé de la proposition lamed en position de préfixe (F2OH N = « pour mesurer ». Voir la même forme en Za 2:6). La plupart des commentateurs ont préféré le sens « apprendre ». Ainsi, par exemple, P. Guilbert, « La Règle de la Communauté », Les Textes de Qumran, Paris, Letouzey et Ané, 1961, I, p. 65 ; J. Licht, The Rule Scroll, Jerusalem, Bialik Institute, 1965, p. 195 [en hébreu] ; J. Charlesworth, « The Rule of the Community », The Dead Sea Scrolls : The Rule of Community and Related Documents, J. H. Charlesworth, éd., Tübingen, Mohr (Siebeck) / Westminster, John Knox Press, 1994, p. 41 ; F. García Martínez et E. J. C. Tigchelaar ont contourné la difficulté par la traduction imprécise : « he should acquire all wisdom ». Cf. idem, The Dead Sea Scrolls Study Edition, I, p. 93. Toutefois, des considérations de style et le contexte recommandent l’adoption de la seconde option, c’est-à-dire le sens de « pour mesurer ». Le thème de la mesure est explicite dans les lignes 12 et 14. De plus, dans un style qui est caractéristique de la Règle, le présent passage est structuré par une série d’infinitifs absolus précédés par la préposition lamed (VYN, ?NJVJN). Enfin, du point de vue stylistique, la forme grammaticale d’un infinitif précédé de la préposition lamed jouant le rôle de préfixe est plus indiquée dans la phrase. Par conséquent, la traduction « et pour mesurer » devrait être adoptée pour le mot FYONY. 21
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Le trait le plus frappant de cette affirmation remarquable est sa perspective temporelle. Le Makil, la personne versée dans l’enseignement de la communauté, reçoit pour instruction d’agir selon l’ordre de chaque temps. Le terme utilisé ici pour définir la loi spécifique donnée pour chaque temps est VJ _YMV. Il est traduit de manière variable par « ordre / norme / règle du temps » 22. Alors que la signification précise du terme _YMV est débattue, le sens du terme V est clair, comme cela se dégage de diverses occurrences dans les écrits de la communauté. Dans le langage biblique, il a en général le sens de « temps, occasion », sens que l’on rencontre aussi dans les manuscrits de Qoumrân 23. Mais les manuscrits de Qoumrân, surtout ceux qui ont un caractère sectaire affirmé, emploient le mot dans une acception plus spécifique, c’est-à-dire comme un terme désignant une période bien définie au sein d’une séquence précise de périodes historiques. Telle est la signification de la locution au pluriel ][VJ VYSNZO (« les Divisions des Temps ») qui désigne la chronologie des jubilés utilisée par beaucoup d’écrits qoumrâniens et d’apocalypses juives contemporaines 24. Ce sens est clairement établi par l’usage de la locution au singulier JV/YV VSNZO (« la division de son temps » – 4Q228 1 I 4, 7 25), qui fait référence à un événement unique se produisant lors d’une unité de temps spécifique. La référence aux « Divisions des temps selon leurs jubilés » en Écrit de Damas XVI, 3 manifeste que les divisions des temps
————— 22 Le parallèle à l’expression VYV_YMVN (« selon l’ordre de chaque temps ») de 1QS IX, 12 se trouve en CD XII, 21, où on lit VY V RON (« pour le précepte de chaque temps »). Voir désormais la discussion détaillée du terme chez M. Kister, « Physical and Metaphysical Measurements Ordained by God in the Literature of the Second Temple Period », à paraître dans les actes d’un symposium international qui s’est tenu à Jérusalem durant l’hiver 2001. 23 Pour l’usage biblique cf. HALOT II, p. 899-901. Pour les documents qoumrâniens, voir notamment CD X, 15 ; 1QM VIII, 3 ; 11Q14 1 II 9. 24 Cf. D. Dimant, « The Seventy Weeks Chronology (Dan 9,24-27) in the Light of New Qumranic Texts », in The Book of Daniel, A. S. van der Woude, éd., Leuven, University Press, 1993, p. 57-76 ; idem, Qumran Cave 4. XXI : Parabiblical Texts, Part 4 : Pseudo-Prophetic Texts (DJD 30), Oxford, Clarendon Press, 2001, p. 113115. Pour un relevé de quelques-uns des textes qoumrâniens pertinents, voir J. C. VanderKam, Calendars in the Dead Sea Scrolls : Measuring Time, London – New York, Routledge, 1998, p. 97-104. 25 Pour davantage de détails, voir mon article « Two “Scientific” Fictions : The so-called Book of Noah and the alleged quotation of Jubilees in CD XVI, 3-4 », in Studies in the Hebrew Bible, Qumran, and the Septuagint. Essays Presented to Eugene Ulrich on the Occasion of his Sixty-Fifth Birthday, P. W. Flint, E. Tov and J. C. VanderKam, éd., Leiden, Brill, 2005 (sous presse).
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concernent une chronologie de jubilés 26. Cela apparaît aussi à la lumière de l’une des copies de la liturgie sectaire Berakhot 27. Le Livre des Jubilés lui-même énumère les premiers événements de l’histoire selon une chronologie détaillée de jubilés. De façon appropriée, son prologue indique que l’ouvrage traite d’événements organisés selon une chronologie de jubilés. L’usage de cette chronologie par les membres de la communauté pour la datation d’événements contemporains est maintenant attesté par plusieurs textes calendaires 28. La série de locutions utilisant le terme « temps » dans le passage cité plus haut de la Règle 29 ne fait sens qu’en référence à la chronologie précise des jubilés. Quand on prend cette signification en considération, le passage cité de la Règle de la Communauté prend un sens bien défini. Les directives adressées au Makil sont doubles : a. une instruction en vue de se conduire soi-même selon la mesure de chaque temps et le poids de chaque personne ; b. une directive en vue de faire la volonté de Dieu selon tout ce qui est révélé en chaque temps et « de mesurer la compréhension qui a été trouvée selon les temps, et la loi du temps ». La clé de cette formulation difficile doit être cherchée dans le terme JNIP (« révélé »), emprunté à Dt 29:28. Déjà dans le Deutéronome, le terme est associé à la pratique des ordonnances de la Torah, et le même sens convient pour le texte de la Règle (1QS IX, 12-14) 30. Ainsi « faire la volonté de Dieu selon tout ce qui a été révélé » pose l’obligation de se conformer aux lois de la Torah, par lesquelles la volonté de Dieu a été révélée. Toutefois, le passage précise cette affirmation générale en formulant les conditions requises pour la compréhension et la pratique correctes de la Torah. Cela doit être fait « selon tout ce qui a été révélé temps par temps et pour mesurer la compréhension qui a
————— 26 C’est à cette chronologie que l’Écrit de Damas XVI, 3-4 fait allusion, plutôt qu’au Livre des Jubilés lui-même. Voir ma discussion « Two “Scientific” fictions ». 27 4Q286 1 II 11 : T]YTF [F[YOY JOVYS]NZOD LT VYVDY[ (« et les sabbats du pays dans [leurs] divis[ions et les te]mps de remi[se »). 28 Voir 4Q331, 4Q332, et 4Q333, édités par Joseph Fitzmyer in Qumran Cave 4. XXVI : Miscellanea, Part 1 (DJD 36), Oxford, Clarendon Press, 2000, p. 275-289. Ces textes contiennent des notices historiques situées en fonction de la liste de service des vingt-quatre classes sacerdotales. Dans d’autres textes calendaires, ces classes sacerdotales sont énumérées suivant la chronologie de Jubilés. Cf. S. Talmon, « Introduction », Qumran Cave 4. XVI : Calendrical Texts (DJD 21), Oxford, Clarendon Press, 2001, p. 3-14. 29 1QS IX, 12-14 : VYV (« chaque temps »), VDVN (« temps par temps »), ][VJ [RN (« selon les temps »), VJSYZ (« la loi du temps »). 30 Voir l’analyse de L. Schiffman, Halakha at Qumran, p. 22-32.
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été trouvée selon les temps, et la loi du temps ». L’ajout « tout ce qui a été révélé temps par temps » (VD VN JNIPJ) précise que la manière correcte de pratiquer les commandements de la Torah dépend de deux choses : la compréhension accessible en un temps donné et la loi particulière régissant ce temps. Ainsi, le véritable discernement en des matières relatives à la pratique de la Torah dépend de la mesure de compréhension accessible en un temps déterminé et de la loi particulière régissant le temps en question. Dans un pesher de Nb 21:17-18, l’Écrit de Damas (CD VI, 2-10) affirme que cela ne pouvait être fait que par les techniques exégétiques particulières révélées aux membres de la communauté 31. La nature de l’activité requise pour atteindre la véritable compréhension de la Torah est expliquée par une autre affirmation de la Règle. Elle est exprimée dans un pesher d’Es 40:3. JNUOJDTDYT[ •••• ?TFYPRTDFODDYVMT M (14) YP[JYN N NYMMVYNJYOF[DJYET [] JTYVJTFO 32J YJ (15) VDVJNIPJ YFYSZYTD][ [DPJYNIT MY (16) (14) … ainsi qu’il est écrit : Dans le désert, préparez un chemin du Seigneur, aplanissez dans la steppe une voie pour notre Dieu (Es 40:3) ; (15) c’est l’étude de la Torah 33 qu’Il a prescrite par la main de Moïse afin qu’on pratique selon tout ce qui a été révélé temps par temps, (16) et selon ce que les prophètes ont dévoilé par Son esprit de sainteté (1QS VIII, 14-16).
————— 31 Sur cette technique, voir les remarques judicieuses de Fishbane, « Use, Interpretation and Authority of Mikra », p. 366-367. 32 La lecture correcte du pronom personnel dans la phrase nominale est J YJ, et non pas J [J. Cela est confirmé par un réexamen du manuscrit 1QS et par la leçon parallèle d’une copie de la grotte 4 ( 4Q259 2a II ,3 6). Les éditeurs de cette copie suggèrent que, en fonction de la leçon de la copie de la grotte 4, telle est aussi la leçon de 1QS. Cf. P. S. Alexander and G. Vermes, Qumran Cave 4. XIX : SEREKH HA-YAHAD and Two Related Texts (DJD 26), Oxford, Clarendon Press, 1998, p. 144. Ainsi le Pesher applique la totalité du verset, et non pas seulement un de ses détails – par exemple, la voie, comme cela est généralement affirmé – à l’activité midrashique. Voir mon analyse dans « Not an Exile in the Desert but an Exile in the Spirit – The Pesher to Isa 40:3 in the Rule of the Community », Megillot 2, M. Bar-Asher and D. Dimant, éd. (sous presse) [en hébreu]. 33 L’ancienne signification biblique de TFN (« chercher ») se retrouve ici, au sens de chercher la signification des Écritures. Cf. Baumgarten, « The Unwritten Law », p. 32 n. 78.
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Selon ce passage, la Torah a été donnée à Israël par Moïse, mais, pour être correctement pratiquée, elle devait être ultérieurement « révélée » (JNIP). Les prophètes étaient les intermédiaires par lesquels une telle révélation avait été donnée 34, mais il en allait de même pour le midrash de la Torah (JTYVJTFO). Ainsi le midrash, c’est-à-dire la recherche de la compréhension correcte de la Torah, est aussi une activité prescrite par et dotée de l’inspiration divine. Puisque, pour le pesher, « le midrash (TFO) de la Torah » est une activité qui prend place tout au long de la séquence des temps, le terme doit être compris comme décrivant une activité exégétique continue. L’étude divinement dirigée de la Torah représentait la directive prioritaire dans la vie de la communauté de Qoumrân, car c’est seulement par elle que la véritable compréhension de la Torah et la pratique correcte de ses commandements pouvaient être atteintes 35. Toutefois, ici aussi, l’importante précision temporelle est apportée : « l’étude (TFO) de la Torah qu’il a ordonné par la main de Moïse de pratiquer selon tout ce qui a été révélé temps par temps ». Dans les mêmes termes (VD V JNIPJ ; comparer 1QS IX, 13), la Règle réaffirme la relativité temporelle de toute interprétation trouvée par l’étude de la Torah à un moment donné. En d’autres termes, l’exégèse de la Torah est sujette à un principe de relativité du processus temporel. Chaque moment du temps offre des possibilités particulières pour comprendre et interpréter la volonté de Dieu, selon la loi de ce temps spécifique. En fonction de cela, à chaque moment du temps une révélation doit être octroyée quant à la manière dont la Torah doit être pratiquée en cet instant. C’est dans cette perspective que doit être compris le rôle du Chercheur de la Torah (JTYVJ TYF) en CD VI, 7 ; VII, 18. La notion selon laquelle la pratique des commandements de la Torah dépend du paramètre temporel est aussi exprimée par la conclusion de la discussion relative aux lois de la Torah dans l’Écrit de Damas :
————— 34 Le point de vue des membres de la communauté, selon lequel les Prophètes complètent et continuent la Torah de Moïse, est exprimé dans les documents de la secte de plusieurs manières. Ainsi 1QS I, 3 ; VIII, 16 ; CD VII, 14-18 ; 4Q504 1-2 a III 13. Voir aussi 4Q167 (4QpHos ) II 4-5 ; 4Q381 69 4-5 ; 4Q390 2 I 5. 35 Cela a été exprimé de manière succincte par Michael Fishbane : « Study of the Torah is thus its correct study and interpretation ; and only on this basis can there be a legitimate and divinely authorized observance of the commandments. » (« Use, Authority and Interpretation of Mikra », p. 345).
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][SZJJN Y … (20) ROMYVYVRON[ZNM]]D?NJVJNN[MON (21) YT Y[ NYN T[T\YMNJV[J\J (22) (20) Et telles sont les prescriptions (21) pour le Makil, pour qu’il marche avec tout vivant, selon le précepte de chaque temps. Et selon ce précepte (22) marchera la lignée d’Israël, de sorte qu’ils ne soient pas maudits (CD XII, 20-22 36). Il est significatif que la formulation soit très proche de celle de 1QS IX, 12-14, passage que nous avons cité plus haut. Ici aussi c’est le Makil, le maître et l’enseignant, qui reçoit l’ordre de se conduire lui-même avec toute créature vivante selon le « précepte de chaque temps ». 1QS IX explicite pourquoi c’est là le rôle du Maître : parce que la connaissance de la loi propre du temps requiert la compréhension de la loi de chaque temps et des règles particulières qu’il impose 37. Quelle est la relation exacte entre la Torah « originelle » et le processus continu de sa révélation ? La réponse à cette question se trouve dans le dicton « en elle tout est spécifié » (SFSYFONMJJD[M), formulé en Écrit de Damas XVI, 2 38. Il exprime la conviction selon laquelle la Torah comprend tout ce qui est nécessaire en vue de la compréhension de la pratique correcte des commandements. Mais le besoin d’une recherche constante, sous la conduite divine, de la manière correcte de les pratiquer et de leur signification précise montre que ses directives ne sont pas toujours transparentes ni
————— 36 Pour le texte, voir E. Qimron, « The Text of CDC », in The Damascus Document Reconsidered, M. Broshi, éd., Jerusalem, Israel Exploration Society, 1992, p. 33. Sur le fait que la phrase soit la conclusion d’une liste de lois, voir C. Rabin, The Zadokite Documents, Oxford, Clarendon Press, 1958 2 , p. 63. 37 Il convient de noter que l’organisation particulière de la communauté dépend elle aussi de la loi du temps, car les lois consignées en CD XII, 12-13 à ce sujet ne sont applicables que pour « la Période du Mal » (JTJ LS) dont les membres de la communauté considéraient qu’elle annonçait l’ère eschatologique. Pour cette ère idéale, différentes règles sont prescrites dans la Règle de la Congrégation (1QSa). Bien que semblable par sa structure à l’ordre régissant la Période du Mal, l’ordre de la Règle de la Congrégation est cependant différent, sur des points importants, des règles contenues dans la Règle de la Communauté et l’Écrit de Damas. Cf. L. H. Schiffman, The Eschatological Community and the Dead Sea Scrolls (SBL Monograph Series 38), Atlanta, Scholars Press, 1989. Cependant, Schiffman tend à atténuer ces différences. Ainsi, par exemple, selon la règle eschatologique, l’assemblée générale de la communauté inclut femmes et enfants (1QSa I, 1-5), détail qui n’est pas mentionné dans la Règle de la Communauté. 38 Comparer le dicton rabbinique similaire en m Avot 5, 22.
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correctement comprises. Cet aspect cryptique de la Torah requiert étude et explication. Elles ne peuvent être menées à bien que par un long processus de recherche de la signification de l’Écriture et par la méthode juste et inspirée connue des membres de la communauté de Qoumrân 39. C’est précisément cette sorte de midrash de la Torah qui est visée par le pesher d’Es 40:3 que nous avons cité plus haut. Une conception similaire est véhiculée par le pesher du Chant du Puits de Nombres 21:18, développé en Écrit de Damas VI, 3-11. Le pesher compare cette activité exégétique au creusement d’un puits. Il est, cependant, significatif que les méthodes midrashiques auxquelles cette symbolique fait référence étaient elles-mêmes révélées à la communauté, suite à une recherche sincère et fervente accompagnée d’une véritable repentance (CD III, 16-18 ; VI, 6-7). De plus, elles étaient révélées en vue d’extraire de la Torah des préceptes « pour marcher en eux durant toute la période du Mal » (CD VI, 10) 40. Une fois de plus, la perspective temporelle est cruciale. La technique midrashique initiée par l’Interprète de la Torah était conçue pour une période particulière. Cependant, ici, l’observation faite au sujet de la compréhension de la prophétie par les pesharim s’applique aussi à l’étude de la Torah. Le caractère relatif, d’un point de vue temporel, de l’exégèse de la Torah n’implique pas nécessairement que la nouvelle compréhension remplace les interprétations anciennes. Elle les complète plutôt et les amplifie. Le processus continu d’interprétation de la Torah peut être compris comme une amplification et un approfondissement du message de la Torah. Une telle approche peut rendre compte du vaste corpus que représente la Bible réécrite à Qoumrân, corpus au sein duquel le Rouleau du Temple est l’écrit le plus caractéristique. À la lumière de la perspective temporelle ici envisagée, le Rouleau du Temple ne remplace pas la Torah canonique ni ne lui fait concurrence. Plutôt, il la complète, l’explique et la met à jour selon ce qui a été révélé à son auteur par une étude minutieuse de la Torah canonique. La même chose peut être dite du travail de réécriture que le Livre des Jubilés opère de la Genèse. Considérer de tels écrits à partir de la perspective temporelle ici décrite signifie aussi que de tels suppléments et de telles réécritures peuvent encore être ajoutés dans le
————— 39 De manière semblable, Fishbane, « Use, Interpretation and Authority of Mikra », p. 346. 40 [TJLSNMDJOD?NJVJN.
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futur s’ils sont divinement inspirés. En effet, la même perspective temporelle s’applique à l’exégèse qoumrânienne des prophètes bibliques. L’analyse qui précède aura montré que l’interprétation des prophéties bibliques et la compréhension précise de la Torah sont toutes deux sujettes à une exégèse particulière, divinement révélée et qui dépend de moments spécifiques dans le déploiement de la séquence historique. Ce caractère relatif est signifié par le terme « période » (LS), ou par le mot « temps » (V) 41. Bien que les écrits majeurs de la communauté de Qoumrân ne parlent que peu souvent de la perspective temporelle inhérente à la compréhension de la Torah et de la Prophétie, le peu qu’ils en disent et la préoccupation constante pour le calendrier et l’ordre correct des temps cosmiques attestent l’importance de ce concept dans leur pensée. Le cours des temps historiques exerçait une fascination particulière sur les membres de la communauté, car le comprendre, c’était détenir la clé de la signification de leur propre histoire et de leur propre destinée. C’est très nettement le point central dans les commentaires des pesharim. Mais l’intérêt pour les lois régissant le déroulement de l’histoire valait plus largement pour divers cercles de l’époque du second Temple, comme cela est attesté par la littérature apocalyptique. Toutefois, pour les membres de la communauté de Qoumrân, il avait une signification plus profonde et, également, pratique : le fait que l’interprétation tant des prophéties que de la Torah demeurait, à leurs yeux, relative intensifiait leur sentiment d’attente de la fin de l’histoire, moment où la signification ultime et plénière de la Torah et des Prophètes serait connue. Cette perspective temporelle les relie ainsi à la compréhension du temps de la littérature apocalyptique juive contemporaine. Du point de vue des membres de la communauté, interpréter la Torah, d’une part, et les prophètes, de l’autre, reposait sur le même fondement conceptuel, celui d’une unique succession de périodes, ponctuée de
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Le fait que les deux termes soient employés en lien avec la séquence historique d’unités temporelles montre qu’ils se réfèrent au même système. On notera que les deux termes sont utilisés dans des contextes similaires à la fois dans la Règle de la Communauté et dans l’Écrit de Damas. On comparera 1QS I, 13-14 ; CD XII, 2123 ; XVI, 2-3. On relèvera tout particulièrement la formulation de 1QS I, 14 : ]J[V ]FSN YNY ]J[ESD N [TDF NYMO FZ NYMD FYEN YNY (« …et afin de ne dévier d’aucune des paroles de Dieu dans leurs périodes, et afin de ne pas devancer leurs temps… »).
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nombreux moments relatifs. Bien que différents de par leur sujet et leur style, la Torah et les Prophètes étaient tous deux traités comme parole de Dieu et considérés comme se rapportant l’un à l’autre. En quoi l’analyse qui précède contribue-t-elle à notre compréhension de l’attitude des membres de la communauté à l’endroit de la Bible ? Bien que je sois d’accord avec Shemaryahu Talmon pour considérer que les membres de la communauté étaient entièrement absorbés par la Bible, je ne suis pas d’accord avec sa thèse selon laquelle ils se voyaient eux-mêmes comme « vivant encore dans la Bible » 42. Au contraire, ils étaient bien conscients du temps qui s’était écoulé depuis que la première Alliance, l’Alliance mosaïque, avait été conclue, et du besoin d’une nouvelle révélation et d’une nouvelle compréhension. Tout cela ne leur était accordé qu’après une longue attente et une patiente recherche. Si l’on peut définir l’attitude des membres de la communauté à l’endroit de la Bible, c’est plutôt en termes de renouvellement de l’Alliance et de ses promesses. De manière assez significative, ce renouvellement s’effectuait à travers ce que je pourrais appeler un « midrash révélé ». La place centrale occupée par le midrash des Écritures à Qoumrân peut, en conséquence, être mieux comprise comme un processus midrashique continu, nourri par l’inspiration et la conduite divines et conditionné par les différentes périodes de l’histoire. Seul un tel contact vivant et constant investissait l’ethos et l’enseignement de la communauté de l’autorité qu’elle recherchait. Je conclurai en observant que cette compréhension doit avoir constitué un des points majeurs de dispute entre la communauté et ses opposants pharisiens. Pour les membres de la communauté, l’autorité provenait d’une révélation divine, directe, en contraste avec l’autorité de la tradition orale, postulée par les pharisiens 43. Alors que les pharisiens cherchaient l’autorité dans le passé, la communauté de Qoumrân tirait son autorité du présent et du futur. Pareille analyse montre, parmi d’autres choses, que, à Qoumrân, le même cadre conceptuel sous-tend l’exégèse des textes bibliques légaux
————— 42 Talmon a présenté cette thèse dans de nombreuses publications. Ainsi, par exemple, sa contribution, « The Community of Renewed Covenant : Between Judaism and Christianity », in The Community of the Renewed Covenant, E. Ulrich and J. VanderKam, éd., Notre Dame, University of Notre Dame, 1993, p. 3-24. 43 Sur ce point, dans une perspective différente, voir Baumgarten, « The Unwritten Law » (cf. n. 6).
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et celle de la prophétie biblique. Elle met ainsi en lien deux types majeurs d’exégèse à Qoumrân, l’interprétation de la prophétie et l’exégèse halakhique. De plus, elle met en lumière la dépendance de ce fondement conceptuel à l’endroit de la pensée apocalyptique. Elle nous permet ainsi de renouveler notre compréhension de l’univers de pensée adopté par les membres de la communauté de Qoumrân.
JÉSUS, LE TEMPS ET LES TEMPS. À LA LUMIÈRE DE SON INTERVENTION AU TEMPLE 1 C HRISTIAN GRAPPE Faculté de Théologie Protestante – Strasbourg
« Le Temps est accompli ; le Royaume de Dieu s’est approché » (Mc 1,15). Cette formule, qui fait office de sommaire annonciateur du contenu de la prédication de Jésus dans l’Évangile selon Marc, illustre d’emblée le caractère eschatologique de son ministère. Avec lui, le temps fixé, le kairos est désormais, ou enfin, de mise. Les temps derniers commencent. Le logion que rapporte Lc 11,20 Mt 12,28 : « Si c’est par le doigt de Dieu (ou l’Esprit de Dieu) que j’expulse les démons, alors le Royaume de Dieu est arrivé jusqu’à vous » – on pourrait traduire aussi « a fondu sur vous » – exprime à son tour le caractère tout à fait particulier du ministère de Jésus. Son activité exorciste marque en quelque sorte la déroute des puissances hostiles et de Satan. Elle signe dès lors l’irruption du Royaume de Dieu 2. Si les passages que nous venons de citer affichent clairement la couleur, il en est d’autres qui, en filigrane, la laissent entrevoir. Parmi eux, les récits de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et de l’expulsion des marchands du Temple pourraient d’être d’un intérêt tout particulier, et ce à plus d’un titre. Ils pourraient nous renseigner, d’une part, sur la façon dont le Jésus de l’histoire s’est servi des temps pour exprimer sa propre représentation du Temps. Ils pourraient illustrer aussi la manière dont ses disciples ont fait
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Dans cette contribution, le Temps désigne le temps fixé, qualifié dans une perspective eschatologique. Les temps, quand sont employés les italiques, représentent les fêtes, comprises au sens de temps venant rythmer l’année liturgique et rappeler à leur manière l’horizon du Temps eschatologique. 2 Nous avons montré ailleurs, Ch. Grappe, Le Royaume de Dieu. Avant, avec et après Jésus (Le Monde de la Bible 42), Genève, Labor et Fides, 2001, p. 171-172, l’intérêt qu’il pouvait y avoir à rapprocher ce logion de passages tels que TMoïse 10,1, TDan 5,10-11 ou encore Règlement de la Guerre (1QM) 6,6 qui tous associent manifestation du Règne ou du Royaume de Dieu et déroute du diable.
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valoir qu’avec lui, de fait, les temps étaient accomplis, ouvrant désormais le temps d’une économie nouvelle.
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Mais commençons par le commencement et, en l’occurrence, par les récits tels qu’ils nous sont parvenus. Eux seuls peuvent nous permettre de remonter jusqu’à un éventuel noyau historique, avec toute la part d’hypothèse inhérente à une telle entreprise bien évidemment. Or ces récits, et tout particulièrement celui de Marc, contiennent une série d’allusions à Za 14 3, chapitre bien connu de l’Ancien Testament 4 qui annonce et décrit l’instauration finale de la royauté de Dieu (v. 9) selon un scénario grandiose qui a pour cadre la fête des Tentes (v. 16 ; 18 ; 19). Après un assaut des nations contre Jérusalem (v. 2), il est prédit que Dieu – régulièrement désigné dans le texte par le tétragramme que la Septante traduit par le Seigneur ( ) – sortira pour les combattre (v. 3) et que c’est au mont des Oliviers que ses pieds se poseront (v. 4). Des bouleversements cosmiques s’ensuivront (v. 4-11) et des fléaux frapperont les peuples ennemis (v. 12-15). Mais la Royauté de Dieu se manifestera sur la terre entière (v. 9) et sera reconnue par les rescapés des nations qui afflueront à Jérusalem à l’occasion de la fête des Tentes (v. 16-18). La ville sainte méritera à jamais ce nom car elle sera tout entière sanctifiée, toute réalité profane, des clochettes des chevaux à la marmite la plus banale, se trouvant désormais consacrée (v. 20-21) : En ce jour-là, il y aura sur les grelots des chevaux : « Consacré au Seigneur » (JH YJ[CN GFQS ) ! Et les marmites, dans la Maison du Seigneur, seront comme les coupes (d’aspersion) devant l’autel, et toute marmite en Jérusalem et en Juda sera consacrée au Seigneur des armées. Tous ceux qui offrent un sacrifice viendront, en prendront, cuisineront dedans, et il n’y aura plus de marchand (littéralement
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Pareil rapprochement est effectué notamment par C. Roth, « The Cleansing of the Temple and Zechariah xiv 21 », Novum Testamentum 4, 1960, p. 174-181. Voir aussi, parmi bien d’autres, J. Roloff, Das Kerygma und der irdische Jesus. Historische Motive in der Jesus-Erzählungen der Evangelien, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1970, p. 96, et B.F. Meyer, The Aims of Jesus, London, SCM Press, 1979, p. 198. 4 Sur les représentations eschatologiques mises en œuvre dans ce chapitre, on se reportera notamment à E. J. C. Tigchelaar, Prophets of Old & The Day of the End. Zechariah, the Book of Watchers and Apocalyptic (Oudtestamentische Studiën 35), Leiden – New York – Köln, 1996, p. 214-241.
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« de Cananéen ») 5 dans la Maison du Seigneur des armées, en ce jour-là.
L’évocation du temps de l’accomplissement eschatologique s’achève avec l’annonce de la fin de tout commerce dans la Maison du Seigneur. L’explication de cette absence ou de cette disparition des marchands paraît obvie : la sanctification de l’espace rendra superflue leur présence 6. Ils avaient rempli jusque-là une fonction d’intermédiaires
————— Le terme hébreu utilisé en l’occurrence est [PPM. Son sens obvie est « Cananéen », mais il peut, par extension, désigner un marchand (ainsi Jb 40,30 ; Pr 31,24 ; És 23,8.11 ; Ez 16,29 ; 17,4 ; Os 12,8 ; So 1,11). C’est ainsi que l’ont compris le Targum du pseudo-Jonathan et la Vulgate. On notera toutefois que la Septante a pour sa part traduit « Cananéen ». Il n’est pas totalement exclu que le terme hébreu apparaisse déjà – et alors certainement dans l’acception de marchand – en Za 11,7.11, mais là encore se pose un problème car il faut lire, comme l’a fait la Septante, un seul mot ([PPMN), là où les massorètes en ont distingué deux ([P_MN). Les auteurs restent partagés quant à la traduction et à la compréhension la meilleure. C. L. Meyers – E. M. Meyers, Zechariah 9-14. A New Translation with Introduction and Commentary (The Anchor Bible 25C), New York, Doubleday, 1993, p. 489-492, plaident vigoureusement en faveur de « Cananéen », mais I. WilliPlein, Prophetie am Ende. Untersuchungen zu Sacharja 9-14 (Bonner Biblische Beiträge 42), Köln, 1974, p. 91.119 ; W. Rudolf, Haggai – Sacharja 1-8 – Sacharja 9-14 – Maleachi (Kommentar zum Alten Testament XIII/4), Gütersloh, Mohn, 1976, n. 33, p. 239-240 ; S. Safrai, Die Wallfahrt im Zeitalter des Zweiten Tempels (Forschungen zum jüdisch-christlichen Dialog 3), Neukirchen-Vluyn, Neukirchener Verlag, 1981, n. 199, p. 187-188 ; K. Paesler, Das Tempelwort Jesu. Die Traditionen von Tempelzerstörung im Neuen Testament (FRLANT 184), Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1999, p. 247, retiennent tous le sens de « marchand ». B. Tidiman, Le livre de Zacharie (Commentaire évangélique de la Bible 18), Vauxsur-Seine, Édifac, 1996, p. 296, pourrait avoir raison de privilégier le sens de « marchand », tout en insistant sur le fait que l’ambivalence du terme hébreu gagne sans doute à être respectée dans l’interprétation du passage. Il n’y aura plus, de fait, ni marchand ni étranger parce que l’avènement du Royaume de Dieu s’accompagne d’une sanctification générale qui abolit toute médiation rituelle et toute frontière entre les peuples (voir notamment C. L. Meyers – E. M. Meyers, op. cit, p. 506-507, et aussi infra). Pareille compréhension du passage, qui va dans le sens de la dynamique du chapitre, n’était toutefois pas obligée. En conservant à [PPM un sens ethnique, on pouvait aussi envisager qu’une exclusion ultime et définitive des étrangers assurerait la pureté du culte à l’horizon dernier. Pareille conception a certainement eu cours, surtout en un temps où le souci de démarcation interculturelle et la quête de pureté étaient vifs (ainsi H. Ulfgard, The Story of Sukkot. The Setting, Shaping, and Sequel of the Biblical Feast of Tabernacles, Tübingen, Mohr Siebeck, 1998, n. 266, p. 151). Il n’en demeure pas moins que l’autre lecture était également possible. Elle paraît sous-tendre notamment le récit johannique de l’intervention de Jésus au Temple (voir infra, note 13) et pourrait contribuer à éclairer sur le plan historique, c’est en tout cas l’hypothèse que nous défendrons ici, le sens et la portée qu’a revêtus cette intervention. 6 Ainsi K. Paesler, op. cit., p. 247. 5
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obligés en vue de la célébration du culte en permettant l’échange d’une monnaie profane contre une monnaie pure ou contre des bêtes rituellement pures 7. Leur présence devient inutile, la totalité de la sphère profane se trouvant désormais imprégnée par la sainteté. Nous étant ainsi remémoré Za 14, revenons aux récits de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et de l’expulsion des marchands du Temple pour prendre la mesure du relief qu’ils acquièrent à la lumière des derniers chapitres du livre de Zacharie. À l’arrière-plan de la narration, deux de ces chapitres revêtent, de fait, une importance toute particulière : Zacharie 9, mais aussi Zacharie 14. La référence à Zacharie 9 se fait à travers la mention de l’ânon dont, nous disent à l’unisson les trois évangiles synoptiques, « le Seigneur a besoin » pour entrer dans Jérusalem. Cet ânon apparaît en filigrane chez Marc et Luc comme la monture qui va être réquisitionnée en vue de permettre l’entrée du messie-roi à Jérusalem, en fonction de Za 9,9 : « Tressaille d’allégresse, fille de Sion ! Pousse des exclamations, fille de Jérusalem ! Voici que ton roi s’avance vers toi ; il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne – sur un ânon, petit d’une aînesse – » 8. La citation quasi complète de ce verset dissipe toute ambiguïté chez Matthieu : c’est bien son roi que s’apprête désormais à accueillir Jérusalem. Des allusions à Zacharie 14 sont pour leur part décelables en au moins trois endroits de la narration 9 : – Dès le début de la séquence narrative, la mention du mont des Oliviers (Mc 11,1 Mt 21,1 et Lc 19,28), d’où Jésus va partir pour entrer dans Jérusalem, peut évoquer le lieu où les pieds du Seigneur ( ) ont vocation à se poser selon Za 14,4 10.
————— 7 Ainsi encore, K. Paesler, ibidem. Le rôle ainsi joué par les changeurs est également souligné par J. Neusner dans une contribution dont il sera question à la note 37. 8 Traduction TOB (en adoptant, pour la fin du verset, la restitution littérale proposée en note). 9 R. M. Grant, « The Coming of the Kingdom », JBL 67, 1948, p. 297-303 (ici, p. 298-300), dressait déjà tout une série de parallèles entre Mc 11 et Za 14 et en inférait que Jésus, en entrant dans Jérusalem et en y expulsant les marchands du Temple, avait conscience d’accomplir les prophéties de Za 9 et 14 (p. 298). 10 Ainsi, déjà, R. M. Grant, art. cit., p. 298, C. W. F. Smith, « No Time for Figs », JBL 79, 1960, p. 315-327 (ici, p. 322), J. van Goudoever, Fêtes et calendriers bibliques. Troisième édition revue et augmentée. Traduit de l’anglais par M.-L. Kerremans (Théologie Historique 7), Paris, Beauchesne, 1967, p. 348, et, plus récemment C. A. Evans, Marc 8:27-16:20 (World Biblical Commentary 34B), Nashville, Thomas Nelson publishers, 2001, p. 141.
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– Jésus se désigne lui-même comme « le Seigneur » ( ) dans le récit (Mc 11,3 Mt 21,3 [voir aussi Lc 19,31]) et c’est là la seule occurrence de ce titre, précédé de l’article et appliqué par lui à sa propre personne, dans les deux premiers évangiles 11. – Enfin l’action que mène Jésus une fois qu’il a pénétré dans l’enceinte du sanctuaire en en expulsant marchands et changeurs peut évoquer la finale de Za 14 (v. 21 : « Il n’y aura plus de marchand dans la Maison du Seigneur des armées, en ce jour-là ») 12, même si les récits évangéliques ne font pas directement mention de ce passage, seul celui de Jean y faisant selon toute vraisemblance allusion 13.
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Les récits de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et de l’expulsion des marchands du Temple ainsi envisagés nous conduisent à la fois vers le Temps et les temps. Ils prennent en effet un singulier relief à la lumière du texte de Za 14 qui décrit le Temps – en l’occurrence le jour du Seigneur – à la lumière des temps – en l’occurrence de la fête des Tentes ou de Sukkot.
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En Mc 5,19, il est également question, dans la bouche de Jésus, de ce qu’a fait « le Seigneur », mais, en l’occurrence, le Seigneur semble désigner d’abord Dieu en personne, comme l’a d’ailleurs compris Luc (Lc 8,39). 12 Ainsi notamment R. M. Grant, JBL 67, 1948, p. 300 ; C. Roth, Novum Testamentum 4, 1960, p. 174-181 ; N. Q. Hamilton, « Temple Cleansing and Temple Bank », Journal of Biblical Literature 83, 1964, p. 365-372 (ici, p. 372) ; C. H. Dodd, Le fondateur du christianisme. Traduit de l’anglais par P.-A. Lesort, Paris, Seuil, 1972 (1970), p. 154 ; Joachim Jeremias, Théologie du Nouveau Testament. I. La prédication de Jésus. Traduit de l’allemand par J. Alzin et A. Liefooghe (Lectio divina 76), Paris, Cerf, 1975, p. 138.185 ; B. Chilton, The Temple of Jesus : His Sacrificial Program within a Cultural History of Sacrifice, University Park, Penn State Press, 1992, p. 135-136. R. M. Grant, art. cit, p. 300, suggérait encore qu’il y ait une dernière référence à Za 14 (v. 4 : le mont des Oliviers se fendra en deux) en Mc 11,23 : Si quelqu’un dit à cette montagne : soulève-toi et jette-toi dans la mer (…), cela lui sera accordé. 13 Jn 2,16 est interprété dans une perspective eschatologique à la lumière de Za 14,21 par de nombreux auteurs et depuis fort longtemps. Voir notamment C. H. Dodd, L’interprétation du quatrième évangile. Traduit de l’anglais par M. Montabrut (Lectio Divina 82), Paris, Cerf, 1975 (1953), p. 385 ; R. E. Brown, The Gospel according to John (i-xii). Introduction, translation and notes (The Anchor Bible29), Garden City, Doubleday, 1966, p. 121-122 ; H. Ulfgard, The Story of Sukkot, p. 260, 262-263 ; J. Ådna, Jesu Stellung zum Tempel. Die Tempelaktion und das Tempelwort als Ausdruck seiner messianischen Sendung (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament. 2. Reihe 119), Tübingen, Mohr Siebeck, 2000, p. 202-207 (avec bibliographie complémentaire, n. 152, p. 206).
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Or ce qui est intriguant, c’est que d’autres détails de ces récits s’éclairent à la lumière de cette fête dont il pourra être utile de rappeler d’abord ici quelques-uns des principaux aspects. Originellement fête des récoltes, Sukkot avait été reliée au souvenir de l’Exode à travers le rite de l’habitation sous des huttes (Lv 23,42) destinées à remémorer les abris que Dieu avait assignés aux fils d’Israël après la sortie d’Égypte (Lv 23,43). Mais elle fut aussi associée au jour où Dieu manifesterait sa toute-puissance, ce qu’illustre Za 14. Ce chapitre, avec son insistance sur la lumière, les eaux vives et la pluie, développe d’ailleurs des thèmes que l’on retrouve dans le rituel qui se répétait quotidiennement à Jérusalem, à l’occasion de la fête, au début de notre ère. La foule, réunie dès le soir au Temple, y attendait, la nuit durant, à la lueur de grands candélabres 14, le chant du coq. Quand il retentissait, les prêtres sonnaient de la trompette 15 et donnaient ainsi le signal de la procession, scandée par les instruments à vent, qui conduisait d’abord le peuple à la fontaine de Siloé où était remplie une cruche d’eau en or 16. De là, on remontait au Temple à l’heure du sacrifice du matin. On gagnait l’autel autour duquel les participants à la cérémonie, munis chacun du bouquet liturgique (lulab) 17 composé d’une branche de palmier pas encore totalement déployée 18, d’un cédrat parfumé (étrog) 19, et de rameaux de myrte et de saule 20, tournaient au cri de Hosanna (Ps 118,25 : Ô Seigneur, sauve-nous ! Ô Seigneur, délivre-nous !) 21. L’exclamation était sans doute elle-même chargée d’espérance messianique comme l’indique le verset qui suit : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur » (Ps 118,26). Auparavant, un prêtre avait effectué la libation de l’eau recueillie à Siloé dans un bassin 22 censé être lié, par des conduites, aux profondeurs
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Mishna Sukka 5,2. Mishna Sukka 5,4. 16 Mishna Sukka 4,9. 17 Mishna Sukka 3,1. On notera que la composition du bouquet liturgique est également détaillée, avec les mêmes composants, en Targum Lévitique 23,40. 18 Mishna Sukka 3,1. 19 Mishna Sukka 3,5-8. 20 Mishna Sukka 3,2-4. 21 Mishna Sukka 3,9. 22 Mishna Sukka 4,1.9. Sur cette libation, voir aussi Targum Nombres 29,31. 15
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insondables 23. Tous ces rites avaient notamment pour fonction d’attirer la pluie 24 à l’occasion d’une fête qui conservait ainsi son caractère agraire tout en étant avant tout « une célébration du Seigneur en reconnaissance de ses dons passés et dans l’attente de ses bénédictions futures » 25. Sur cet arrière-plan, comme nous l’avons signalé déjà, certains traits des divers récits de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, auxquels nous adjoindrons ici la version johannique (Jn 12,12-19), s’éclairent :
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Talmud de Babylone Sukka 49b. Targum Nombres 29,32 ; Mishna Rosh ha-Shanah 1,2 ; Talmud de Babylone Rosh-ha-Shanah 16a. 25 R. Martin-Achard, Essai biblique sur les fêtes d’Israël, Genève, Labor et Fides, 1974, p. 87. Ce dernier trait trouve une confirmation dans un commentaire de Jérôme qui déplore que les juifs voient dans la fête des Tentes, « par une fallacieuse espérance, la figure des choses qui arriveront dans le règne millénaire » (Jérôme, Commentarius in Zachariam prophetam ad Exsuperium tolosanum episcopum III,14,6). Parmi les textes qui paraissent avoir été associés à la fête dès le début de notre ère, il y avait bien entendu, au titre des sedarim, les passages de la Torah relatifs à Sukkot (Nb 29,17ss dont les versets étaient lus successivement du second au huitième jour de la fête ; Lv 23,40ss [mais la lecture pouvait commencer dès 22,26ss] pour le premier jour) ainsi que Dt 14,22ss pour le shabbat (à ce propos, Ch. Perrot, La lecture de la Bible. Les anciennes lectures palestiniennes du Shabbat et des fêtes, Hildesheim, Gerstenberg [Publications de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes. Section biblique et massorétique. Série I. Études Classiques et Textes 1], 1973, p. 282 et 271-272). En ce qui concerne les haphtarot, on notera la présence, pour le premier jour de la fête, de Za 14,1ss (tant en Palestine qu’à Babylone) (Ch. Perrot, op. cit., p. 272). Ce texte, avec son insistance sur les motifs de la lumière, de la royauté divine, des eaux vives et de la pluie, développe d’ailleurs des thèmes caractéristiques de la fête qui sert explicitement de cadre à l’arrivée du Seigneur (v. 16 et 19). Il convient d’ajouter à cela que le Ps 118, dont nous avons vu le rôle alloué à l’un des versets dans le rituel de la fête (v. 25), contient plusieurs autres allusions à cette solennité (v. 15 : les tentes ; v. 24 : la joie ; v. 19 et 26 : la procession ; v. 27a : l’appel à la lumière ; v. 27b : « commencez la procession avec des [choses] serrées [LXX] ou avec des branches [Jérôme] »). Quand on sait par ailleurs que, en 1QM 4,7, les trois premières citées parmi les enseignes que les lévites arborent au moment d’engager le combat eschatologique (Dextre de Dieu, Moment de Dieu, Mêlée de Dieu) portent des expressions qui figurent respectivement en Ps 118,15-16 ; Lv 23,2.4.37.44 et Za 14,13, on peut trouver là une nouvelle attestation du lien existant entre le premier de ces trois chapitres et les deux autres à travers la célébration de Sukkot (dans le même sens, Ch. Perrot, op. cit., p. 277, n. 15, qui fait siennes les conclusions de J. Carmignac, La Règle de la Guerre contre les fils de ténèbres. 1. Texte restauré, traduit et commenté, Paris, Letouzay et Ané (Autour de la Bible), 1958, p. 68). 24
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– L’escorte de Jésus fait retentir, selon les différents récits, tout ou partie des versets 25 et 26 du Ps 118 (Mc 11,9-10 Mt 21,9 et Lc 19,38 ; Jn 12,13), et le premier de ces versets jouait le rôle que l’on sait dans le rituel de la fête de Sukkot, puisque la foule, munie du lulab, exprimait à travers lui une espérance à connotation messianique. – Les accompagnateurs de Jésus sont équipés de feuillages (Mc 11,8) ou de branchages (Mt 21,8), que le quatrième évangiles identifie comme étant des palmes en Jn 12,13 (« Ils prirent des branches de palmier et sortirent à sa rencontre. Ils criaient : “Hosanna ! Béni soit celui qui vient, le roi d’Israël” »). Or la palme entrait, nous l’avons rappelé, dans la composition du bouquet liturgique. Tout cela invite à penser que l’entrée de Jésus à Jérusalem et l’expulsion des marchands du Temple ont été relus, dès le stade le plus ancien de la tradition, non seulement à la lumière de Za 14 mais encore de la fête des Tentes. Cette œuvre de relecture nous paraît avoir été celle de l’Église primitive de Jérusalem qui se serait employée en l’occurrence à faire apparaître comment l’espérance liée à la fête de Sukkot avait trouvé son accomplissement, même de manière paradoxale, à travers la venue de Jésus 26.
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Mais dès lors peuvent se poser de nouvelles questions. Comment une telle relecture a-t-elle été possible et se fonde-t-elle sur un noyau historique qui permettrait d’en rendre compte ? S’appuyant sur la glose que l’on trouve en Mc 11,13, Th. W. Manson est le premier à notre connaissance à avoir proposé que l’événement se soit passé lors du mois de Tishri à l’occasion de la fête des Tentes 27. Il est assez curieux de fait que, au cœur du récit de la malédiction du figuier, l’auteur de l’Évangile selon Marc précise à ses lecteurs que, si Jésus n’a trouvé que des feuilles sur le figuier, c’est parce que ce n’était le temps ( ) des figues. La remarque paraît
————— 26 Sur tout cela, voir Ch. Grappe, D’un Temple à l’autre. Pierre et l’Église primitive de Jérusalem (Études d’Histoire et de Philosophie Religieuses 71), 1992, p. 164-206. 27 T. W. Manson, « The Cleansing of the Temple », BJRL 33, 1950, p. 271-282 (surtout, p. 276-280). Il a bientôt été suivi par Ph. Carrington, The Primitive Christian Calendar. A Study in the Making of the Marcan Gospel, Cambridge, University Press, 1952, p. 23-31.
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d’autant plus étonnante que Jésus ne va pas pour autant trouver de circonstances atténuantes au figuier et va le maudire sans appel. Or la saison des figues bat son plein en Palestine d’août à octobre, les plus précoces ne pouvant parvenir à maturation qu’à la fin mai 28. En fonction de ces données, il est clair que la remarque de Jésus se comprendrait mieux dans le cadre d’un récit situé en automne que localisé au début du printemps. Toutefois, introduite dans un récit dont la place n’était sans doute pas très assurée dans la tradition 29, cette glose pourrait bien avoir d’abord une signification symbolique et suggérer que, alors que, avec la prédication de Jésus, « le temps est accompli », celui du sanctuaire est désormais passé 30. Cela dit, même sans exploiter cette glose, il apparaît logique de situer la scène lors d’une fête de pèlerinage antérieure à la dernière Pâque 31 et, plus précisément, lors de la fête de pèlerinage ayant immédiatement précédé l’arrestation de Jésus et sa condamnation, soit lors de la fête des Tentes. Par son intervention au sanctuaire, Jésus a dû s’attirer, de fait, les foudres de l’aristocratie sacerdotale dont l’intérêt résidait dans la bonne marche du culte et du commerce qui s’organisait autour 32. Et l’on peut se représenter alors que les grandes familles sacerdotales aient résolu de mettre la main sur lui à l’occasion de sa
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Voir notamment sur ce point Th. W. Manson, art. cit., p. 277-278. Chez Matthieu, le récit de l’entrée de Jésus à Jérusalem est suivi immédiatement par celui de son intervention dans le sanctuaire. Ce n’est qu’après qu’est narré l’épisode de la malédiction du figuier, dans lequel le discours de Jésus est amputé des v. 23-26 de Marc. Chez Marc, en revanche, l’épisode de la malédiction du figuier est intercalé entre l’entrée de Jésus dans la ville sainte et son coup de main dans le Temple et raconté en deux parties de part et d’autre de l’expulsion des marchands. Chez Luc, le récit de la malédiction du figuier est absent. 30 En ce sens, C. A. Evans, Mark 8:27-16:20, p. 157. 31 Ainsi, notamment, É. Trocmé, « L’expulsion des marchands du Temple », New Testament Studies 15, 1968-69, p. 1-22 (ici, p. 22) ; id., Jésus de Nazareth vu par les témoins de sa vie (Bibliothèque Théologique), Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1971, p. 129. 32 Joachim Jeremias, Jérusalem au temps de Jésus. Recherches d’histoire économique et sociale pour la période néo-testamentaire. Traduit de l’allemand par J. Le Moyne, Paris, Cerf, 1967, p. 74-76 et, accessoirement, p. 142-145, a fait valoir que le geste de Jésus touchait non seulement les commerçants qui se trouvaient sur l’esplanade du Temple mais affectait leur commerce en général et ceux qui en étaient les principaux bénéficiaires, à savoir les grands prêtres. De son côté, G. Theissen, « Die Tempelweissagung Jesu. Prophetie im Spannungsfeld von Stadt und Land », ThZ 32, 1976, p. 144-158 (= Studien zur Soziologie des Urchristentums, Tübingen, Mohr [WUNT 19], 1979, p. 142-159) estime que Jésus pourrait s’être attiré également l’antipathie d’une large partie de la population jérusalémite dont l’intérêt résidait dans la poursuite des travaux d’embellissement du sanctuaire. 29
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prochaine venue à Jérusalem, lors de la fête de pèlerinage suivante, celle de la Pâque. Les diverses allusions à la fête des Tentes que contiennent les récits s’expliqueraient ainsi non seulement en fonction d’une relecture de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et de son intervention au Temple à la lumière de la fête des Tentes mais aussi en fonction du fait que ces événements avaient eu précisément cette fête pour cadre. L’intervention de Jésus au sanctuaire aurait revêtu de la sorte un caractère résolument eschatologique sur l’arrière-plan principalement de Za 14 et en fonction d’une symbolique particulière qui était attachée à la fois aux lieux et aux temps. Cette symbolique des lieux et des temps trouve, notons-le, une confirmation indirecte grâce au témoignage de Flavius Josèphe. Il nous signale en effet que le prophète égyptien, qui s’était fait fort d’obtenir que les murailles de Jérusalem s’effondrent à son commandement pour livrer accès à ceux qui l’auraient rejoint dans la ville sainte, avait précisément résolu de se rendre avec ses adeptes au mont des Oliviers pour ordonner de là la réédition du miracle de la prise de Jéricho 33. Le rôle eschatologique qui était associé au mont des Oliviers, selon toute vraisemblance à partir de Za 14, trouve ainsi une autre illustration. Par ailleurs, l’histoire de Jésus, fils d’Ananias, représente un parallèle historique intéressant à celle de Jésus de Nazareth, comme l’illustre sa première partie que nous relirons ici : 300 Un certain Jésus, fils d’Ananias, homme des champs de condition modeste, quatre ans avant la guerre, alors que la Ville jouissait d’une paix et d’une prospérité des plus grandes, étant venu à la fête au cours de laquelle il est de coutume que tous dressent des tentes à Dieu, soudain se mit à crier dans le Temple : 301 « Une voix de l’orient, une voix de l’occident, une voix des quatre vents, une voix contre Jérusalem et le sanctuaire, une voix contre les jeunes époux et les jeunes épouses, une voix contre tout le peuple ! » Ce message, jour et nuit, de rues en rues, il le criait. 302 Certains d’entre les citoyens distingués, s’indignant de ce message de mauvais augure, se saisirent de l’homme et lui firent endurer de nombreux coups. Mais lui, sans mot dire pour sa propre défense ou à l’intention de ceux qui le frappaient, persistait à crier les paroles mêmes qu’il
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Flavius Josèphe, AJ XX,169-171 { BJ II,262-263.
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avait proférées antérieurement 303 Les magistrats, ayant estimé – et c’était effectif – que surnaturelle était la cause de l’agitation de cet homme, l’emmenèrent devant le gouverneur romain. 304 Là, lacéré de coups jusqu’aux os, il ne supplia ni ne pleura, mais, infléchissant sa voix de la manière la plus lugubre possible, il répondait à chaque coup : « Malheur à Jérusalem ! ». 34
Les analogies sont nombreuses entre cet épisode et l’expulsion des marchands du Temple avec les conséquences qu’elle eut finalement pour Jésus, surtout si l’on y rattache, comme c’est tout à fait vraisemblable, la prophétie prononcée par Jésus contre le sanctuaire. Les traits communs sont les suivants : une parole menaçante est proférée contre le Temple ; elle est prononcée dans un contexte festif ; elle provoque la réaction de l’aristocratie sacerdotale qui procède à l’arrestation du fauteur de troubles ; ce dernier est remis aux Romains ; il a par ailleurs, comme Jésus, une origine rurale 35. Le parallèle est encore plus surprenant s’il convient bien de replacer la purification du Temple dans le contexte de la fête des Tabernacles.
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Il reste pour conclure à se demander si l’attitude de Jésus par rapport au Temps et aux temps que laissent apparaître ainsi en filigrane les récits de son entrée triomphale à Jérusalem et de l’expulsion des marchands du Temple se trouve en harmonie avec sa proclamation de l’irruption du Royaume. Cette proclamation de l’irruption du Royaume de Dieu se caractérise précisément par le fait que ce Royaume, qui avait traditionnellement pour centre le Temple, conçu comme le Palais du Dieu-Roi, n’a plus d’autre centre que le message, l’action et la personne de celui qui en est le héraut : Jésus de Nazareth. C’est à lui qu’il convient désormais de venir, comme le suggère Mc 10,14 et (« laissez venir à moi les petits enfants […], car c’est à leurs pareils qu’est le Royaume de Dieu ») ou bien encore le logion 82 de l’Évangile selon Thomas (« Celui qui est près de moi est près du feu, et celui qui est loin de moi est loin du Royaume »). Parallèlement, le Temple n’est
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Flavius Josèphe, BJ VI,300-304. Ces analogies sont signalées par G. Theissen, Studien, p. 145. La plupart d’entre elles avaient déjà été remarquées par Rudolf Meyer, Der Prophet aus Galiläa. Studie zum Jesusbild der drei ersten Evangelien, Leipzig, Lunkenbein, 1940, p. 108. 35
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jamais évoqué comme le lieu du pèlerinage eschatologique et c’est le Royaume des cieux (ou de Dieu) qui s’y substitue dans le logion de Mt 8,11 Lc 13,28-29 (« Beaucoup viendront du Levant et du Couchant pour s’attabler avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des cieux »). L’irruption du Royaume de Dieu génère une dynamique nouvelle. Le Doigt ou l’Esprit de Dieu se manifeste et provoque la déroute des puissances hostiles. La sainteté devient contagieuse et englobe même ceux qui étaient réputés impurs, comme les pécheurs et les collecteurs d’impôts, dans la célébration anticipée de la communion du Royaume. Et tout cela s’opère sans préalable, ni rite. C’est ce qu’illustre le logion du jeûne impossible (Mc 2,19) qui manifeste que, durant le temps de la présence de l’Époux, toute médiation est rendue vaine et superflue car tous sont invités au festin de noces. Dans cette dynamique instaurée par l’irruption du Royaume, le Temple perd de quelque manière sa fonction car « Dieu n’est plus exclusivement présent (…) dans le lieu de culte d’Israël, mais partout, là où le Royaume de Dieu est annoncé » 36. La dynamique ainsi à l’œuvre est précisément celle que nous avons rencontrée au début de notre parcours dans le scénario eschatologique envisagé par Za 14,20-21. Cela nous paraît rendre d’autant plus vraisemblable l’hypothèse selon laquelle l’expulsion par Jésus des marchands du Temple est à comprendre sur l’arrière-plan de ce passage scripturaire et a eu, comme lui, pour cadre la fête des Tentes. Jésus, en s’en prenant à ceux qui exerçaient une fonction de médiation indispensable en vue de la célébration du culte, n’aurait pas tant voulu protester contre leur présence qu’attester une autre présence, celle du Royaume de Dieu dont l’irruption eschatologique rend vaine la médiation sacrificielle. Son geste, si la lecture que nous en proposons à la lumière de Za 14 est correcte, n’est donc pas d’abord geste de rupture, mais signe d’accomplissement 37. Il manifeste, de fait, l’accomplissement
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K. Paesler, Das Tempelwort Jesu, p. 248. Tant E. P. Sanders, Jesus and Judaism, London, SCM Press, 1985, p. 61-76, que J. Neusner, « I Cambiavalute nel tempio : la spiegazione della Mishnah », RivistBib 35, 1987, p. 485-489 (= « Money-changers in the Temple : the Mishnah’s Explanation », NTS 35, 1989, p. 287-290), ont voulu quant à eux comprendre ce geste d’abord en termes de rupture, tout en reconnaissant chacun à sa manière sa portée eschatologique. Pour Sanders, il est à interpréter comme une annonce de la destruction du Temple sur fond d’une attente eschatologique imminente qui se concrétiserait par l’instauration du Nouveau Temple par Dieu en personne (op. cit., p. 75). Neusner, tout en 37
JÉSUS, LE TEMPS ET LES TEMPS
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du Temps, temps où la sainteté est promise à se communiquer à chacun et à imprégner tout lieu, et il le fait à la lumière de l’attente liée à l’un des temps liturgiques les plus chargés d’espérance eschatologique, la fête des Tentes. Bibliographie Ådna J., Jesu Stellung zum Tempel. Die Tempelaktion und das Tempelwort als Ausdruck seiner messianischen Sendung (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament. 2. Reihe 119), Tübingen, Mohr Siebeck, 2000. Brown R. E., The Gospel according to John (i-xii). Introduction, translation and notes (The Anchor Bible 29), Garden City, Doubleday, 1966. Carmignac J., La Règle de la Guerre contre les fils de ténèbres. 1. Texte restauré, traduit et commenté, Paris, Letouzay et Ané (Autour de la Bible), 1958. Carrington Ph., The Primitive Christian Calendar. A Study in the Making of the Marcan Gospel, Cambridge, University Press, 1952. Chilton B., The Temple of Jesus : His Sacrificial Program within a Cultural History of Sacrifice, University Park, Penn State Press, 1992. Dodd C. H., L’interprétation du quatrième évangile. Traduit de l’anglais par M. Montabrut (Lectio Divina 82), Paris, Cerf, 1975 (1953). Evans C. A., Mark 8:27-16:20 (World Biblical Commentary 34B), Nashville, Thomas Nelson publishers, 2001. Goudoever J. (van), Fêtes et calendriers bibliques. Troisième édition revue et augmentée. Traduit de l’anglais par M.-L. Kerremans (Théologie Historique 7), Paris, Beauchesne, 1967. Grant R. M., « The Coming of the Kingdom », JBL 67, 1948, p. 297-303. Grappe Ch., D’un Temple à l’autre. Pierre et l’Église primitive de Jérusalem (Études d’Histoire et de Philosophie Religieuses 71), 1992. Grappe Ch., Le Royaume de Dieu. Avant, avec et après Jésus (Le Monde de la Bible 42), Genève, Labor et Fides, 2001.
————— s’appuyant sur le point de vue de Sanders, souhaite le préciser. Il propose de comprendre le geste de Jésus à partir du rôle que jouaient les changeurs, rôle que permettent de préciser Mishna Sheqalim 1,3 et le commentaire que trouve ce passage en Tosefta Sheqalim 1,6. En changeant une monnaie profane en le demi sheqel requis pour acquitter l’impôt du Temple, ils permettaient à tous les Israélites qui étaient astreints à cette taxe non seulement de faire leur devoir mais encore de participer à l’holocauste quotidien auquel on subvenait à partir de cet impôt. Or cet holocauste avait vocation lui-même – c’est ici qu’intervient Tosefta Sheqalim 1,6 – à procurer l’indispensable l’expiation à chaque Israélite et au peuple tout entier. En renversant les tables des changeurs, Jésus aurait dès lors signifié qu’il se situait délibérément en rupture avec le moyen classique d’expiation et qu’il s’apprêtait à lui en substituer un autre, l’eucharistie. Neusner en infère que les deux traditions juives et chrétiennes représentent réellement, quant à l’essentiel, « des peuples différents parlant de choses différentes à des gens différents » (art. cit., p. 290). Il nous semble, quant à nous, que l’horizon que représentent Za 14 et sa finale permet de comprendre l’intervention de Jésus au Temple certes sous l’angle d’une eschatologie radicale, mais d’une eschatologie qui rejoint l’espérance prophétique. Dès lors, le propos du Nazaréen s’inscrit dans la ligne même de la tradition et de l’espérance d’Israël.
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LE TEMPS DANS L’ÉVANGILE DE MATTHIEU JEAN -C LAUDE INGELAERE Faculté de Théologie Protestante – Strasbourg
Le point de départ de cette réflexion est la constatation que le premier évangile laisse entrevoir deux conceptions du temps assez différentes. D’une part, l’on y a souvent discerné une représentation de l’histoire du salut divisée en périodes successives, deux 1 ou trois 2 selon les auteurs, c’est-à-dire une conception linéaire du temps. Globalement cette histoire du salut est comprise comme un passage du temps d’Israël aux temps des nations et elle est le plus souvent interprétée en termes de rupture. D’autre part, de nombreux spécialistes estiment qu’à travers les disciples historiques de Jésus, ce sont les croyants de tous les temps, ou du moins les lecteurs de l’évangile, qui sont mis en scène, ce qui suppose une conception non linéaire du temps où le passé de Jésus reflète le présent des croyants 3.
————— 1
Ainsi J. D. Kingsbury, « The Structure of Matthew’s Gospel and his Concept of Salvation History », Catholic Biblical Quarterly 35, 1973, p. 451-474 ; id., Matthew : Structure, Christology, Kingdom, Philadelphia, 1975, p. 31-37. 2 Cf. en particulier W. Trilling, Das Wahre Israel, 3 e éd., Munich, 1964, p. 20, 95-96 ; G. Strecker, Der Weg der Gerechtigkeit, 3 e éd., Göttingen, 1971, p. 89-93, 117-118, 184-188 ; id., « The Concept of History in Matthew », Journal of The American Academy of Religion 35, 1967, p. 219-230 ; R. Walker, Die Heilsgeschichte im ersten Evangelium, Göttingen, 1964, p. 114-118. 3 J. Zumstein, La condition du croyant dans l’Évangile selon Matthieu, Fribourg, CH – Göttingen, 1977, a bien montré comment les partenaires de Jésus, disciples et adversaires, sont des « catégories ambivalentes », des « éléments qui sont constitutifs de la trame du récit, tout en ayant leur correspondant immédiat dans la réalité vécue par la communauté » matthéenne (p. 81). Cf. U. Luz, « Die Jünger im Matthäusevangelium », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft 62, 1971, p. 141-171. Dans Die Jesusgeschichte des Matthäus, Neukirchen-Vluyn, 1993, U. Luz emploie l’expression « inklusive Geschichte », p. 20, qu’il explicite ainsi p. 79 : « In dieser Jesusgeschichte spiegelt sich die eigene Geschichte der matthäischen Gemeinde ». Cf. D. Howell, Matthew’s Inclusive Story, A Study in the Narrative Rhetoric of the First Gospel, Sheffield, 1990.
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Comment peut-on tenter d’articuler ces deux conceptions du temps et dans quelle mesure cette éventuelle articulation peut-elle permettre d’éclairer la théologie matthéenne ? Matthieu et le cours du temps La critique narrative nous a appris à distinguer le temps du récit, construit par le narrateur, du temps de l’histoire racontée. C’est essentiellement le temps du récit matthéen qui retiendra notre attention, bien que je ne prétende pas me livrer à une analyse narrative au sens technique 4. Matthieu et l’histoire À première lecture, sur quatre points au moins, le récit de Matthieu se distingue de celui de Marc et peut être rapproché, dans une certaine mesure, de celui de Luc. 1. Alors que le récit marcien du ministère de Jésus commence et finit de façon abrupte, de l’entrée en scène un peu étonnante de Jean-Baptiste à l’énigme du tombeau vide, celui de Matthieu, comme celui de Luc, a une allure plus classique, avec un début, les récits de l’enfance du héros, et une fin, l’apparition du Ressuscité et l’envoi des disciples en mission. 2. Matthieu comme Luc inscrivent explicitement leur récit dans le cadre d’une histoire plus vaste. Luc le situe dans l’histoire de l’Empire romain 5, Matthieu dans l’histoire d’Israël par le biais de la première phrase de son œuvre (1,1) et de la généalogie (1,2-17) 6. En
————— 4 En matière d’analyse narrative des évangiles, on consultera avec profit D. Marguerat, « Raconter Dieu. L’évangile comme narration historique », dans P. Bühler et J.-F. Habermacher, éd., La narration. Quand le récit devient communication, Genève, 1988, p. 83-106 ; id., « La construction du lecteur par le texte (Marc et Matthieu) », dans C. Focant, éd., The Synoptic Gospels. Source Criticism and the New Literary Criticism, Leuven, 1993, p. 239-262. 5 Cf. Lc 2,1 ; 3,1. 6 On consultera toujours avec profit M. D. Johnson, The Purpose of the Biblical Genealogies, with Special Reference to the Setting of the Genealogies of Jesus, Cambridge, 2 e éd., 1988 (p. 139-228 pour la généalogie de Matthieu) ; cf. aussi R. E. Brown, The Birth of the Messiah, Garden City – New York, 1977, p. 57-95 ; H. C. Waetjen, « The Genealogy as a Key to the Gospel according to Matthew », Journal of Biblical Literature 95, 1976, p. 205-230.
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guise de cadre historique, Marc se contentait de mentionner deux personnages, Hérode et Pilate 7. 3. En commençant ainsi son évangile par une généalogie, Matthieu pouvait espérer que son lecteur, pour peu qu’il soit familier des Écritures, fasse le rapprochement avec l’histoire d’Abraham (Gn 11,10-32) ou de Noé (Gn 5,1-32), mais plus encore avec le livre des Chroniques (1 Ch 1-9). C’était peut-être une façon de suggérer qu’il concevait son évangile dans la lignée de l’historiographie biblique 8. La généalogie matthéenne pourrait ainsi remplir, entre autres, une fonction assez analogue à celle du prologue de Luc 9. Marc se référait sans doute lui aussi à la tradition biblique, mais de façon moins précise, par le biais des citations et allusions scripturaires. 4. Le passage fréquent chez Marc de l’aoriste au présent dit historique est peut être un simple tic littéraire, il peut aussi suggérer une certaine indifférence à distinguer le passé du présent 10. Sans chercher à éliminer systématiquement les présents historiques 11,
————— 7 Hérode en Mc 6,14-22 ; 8,15 (ainsi que les Hérodiens en Mc 3,6 ; 12,13) ; Pilate en Mc 15. On notera qu’il ne cite pas Caïphe, pourtant connu des trois autres évangiles (Mt 26,3.57 ; Lc 3,2 ; Jn 18,13.14.24.28). 8 Ainsi W. D. Davies – D. C. Allison, A Critical and Exegetical Commentary on the Gospel according to Saint Matthew, 3 vol., Edinburgh, 1988-1997, ici vol. I, p. 187. Si le meurtre de Zacharie en Mt 23,35 fait allusion au récit de 2 Ch 24,2022.25, on peut estimer que l’évangéliste cite dans ce verset les premier et dernier meurtres d’un ‘canon’ se terminant par les Chroniques (cf. W. D. Davies – D. C. Allison, Matthew, vol. III, p. 319 ; U. Luz, Das Evangelium nach Matthäus, 4 vol., Zurich – Neukirchen-Vluyn, 1985-2002, ici vol. III, p. 374). Il serait tentant, mais sans doute excessif, d’en conclure que Matthieu, en commençant son œuvre par une généalogie à la manière du Chroniste, concevait son évangile non seulement dans la ligne de l’histoire biblique, mais aussi comme la suite du ‘canon’. 9 Sur le prologue de Luc, cf. par exemple J. A. Fitzmyer, The Gospel according to Luke (I-IX), New York Londres Toronto, 1970, p. 287ss. 10 Cf. J. H. Moulton, A Grammar of New Testament Greek. Vol. IV. Style by N. Turner, Edinburgh, 1976, p. 20 ; É. Trocmé, L’Évangile selon Saint Marc, Genève, 2000, p. 10. Cependant, l’usage fréquent du présent historique dans la littérature grecque invite à la prudence (cf. J. H. Moulton, A Grammar of New Testament Greek. Vol. III. Syntax by N. Turner, Edinburgh, 1963, p. 60-61). 11 Selon les chiffres donnés par N. Turner dans J. H. Moulton, Grammar IV, p. 35, Matthieu a modifié 78 fois le présent historique de Marc, mais l’a introduit à 23 reprises dans des traditions reçues de cet évangile. Notons néanmoins que l’usage du présent historique est nettement moins diversifié chez Matthieu, puisqu’on compte 68 emplois avec des verbes « dire » sur 93, alors que la proportion n’est que de 72 sur 151 chez Marc ; Luc, pour sa part, évite presque systématiquement le présent historique avec 9 emplois (J. H. Moulton, Grammar III, p. 60).
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Matthieu ne laisse planer aucun doute sur le caractère passé des événements qu’il raconte. Matthieu peut également sembler plus attentif que Marc à marquer la succession des faits par une plus grande fréquence des sutures temporelles, qui restent au demeurant souvent assez vagues. S’il semble éviter le sempiternel de Marc 12, l’auteur du premier évangile emploie volontiers 13, 14, ou des expressions qui peuvent aussi servir à désigner un temps spécifique : 15, 16, 17, 18. De la création à la fin du monde Matthieu inscrit explicitement sa narration dans une histoire qui va d’Abraham (Mt 1,1) à la fin du monde ( !" #$ !, Mt 28,20). En Mt 19,4, la perspective remonte jusqu’aux origines, à l’acte du créateur. Le temps du récit intègre ainsi la totalité de « ce monde-ci » ou, plus exactement, de « ce tempsci » 19. L’évangéliste se réfère en effet au schéma des deux éons 20, qu’il mentionne explicitement en Mt 12,32 : ! %&' !* ! #$ !* ! (cf aussi 19,29 où l’opposition entre l’aoriste %& et les futurs '+ et
/! !' pourrait suffire à l’évoquer 21). Il manifeste un intérêt tout particulier pour le moment où tout basculera, cette (!") #$ (Mt 13,39.40.49 ; 24,3 ; 28,20), ou tout simplement la
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Mt : 5 fois, Mc : 41 fois, Lc : 1 fois. Mt : 90 fois, Mc : 6 fois, Lc : 15 fois. 14 Mt : 13 fois, Mc : 1 fois, Lc : 6 fois. 15 Mt 3,1 ; 24,19.[38] ; Mc : 4 fois, Lc : 5 fois. 16 Mt 7,22 ; 13,1 ; 22,23 ; Mc : 2 fois ; Lc : 4 fois. 17 Mt 11,25 ; 12,1 ; 14,1. 18 Mt 8,12 ; 10,19 ; 18,1 ; 26,55 ; Mc 13,11 ; Lc 7,21. 19 Le sens premier du mot #< est bien temporel : cf. H.G. Liddell – R. Scott, A Greek-English Lexicon, New Supplement added, Oxford, 1996, ad verbum ; W. Bauer – W. F. Arndt – F. W. Gingrich – F. W. Danker, A Greek-English Lexicon of the New Testament and Other Early Christian Literature, 3e édition, Chicago, 2000, ad verbum. 20 Cf. par exemple IV Esdras 7,50.112-114 ; 8,1 ; II Baruch 5,2 ; 15,7-8 ; 48,50. Voir P. Volz, Die Eschatologie der jüdischen Gemeinde, Tübingen, 1934 (reprint Hildesheim, 1966), p. 64-66 ; A. Vögtle, Das Neue Testament und die Zukunft des Kosmos, Düsseldorf, 1977, p. 47-66. 21 Le schéma est présent, à propos de la récompense, dans les parallèles de Mc 10,30 et Lc 18,30 ( ! … #$ =! ). 13
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fin ( !, Mt 10,22 ; 24,6.13.14) 22, qui sera le jour du jugement ( , Mt 10,15 ; 11,22.24 ; 12,36). Ce jour verra la parousie de Jésus ( >!, Mt 24,3) en tant que Fils de l’Homme (Mt 24,27.37.39), pour présider ce jugement. Le monde à venir est un temps éternel de récompense ou de châtiment : soit vie éternelle (Mt 19,16.29 ; 25,46) 23 ou existence astrale (Mt 13,43) dans le Royaume (Mt 13,43, 25,34), soit feu éternel (Mt 18,8 ; 25,41) de la géhenne (Mt 5,22.29.30 ; 10,28 ; 18,9 ; 23,15.33) 24. Le dernier jour sera précédé par « ces jours-là », expression qui chez Matthieu désigne presque exclusivement l’ultime période de tribulation avant la fin (Mt 24,19.22.29), mais aussi l’entrée en scène de Jean-Baptiste (Mt 3,1). En ce qui concerne plus précisément le vocabulaire du temps, Matthieu utilise le substantif = ! (Mt 2,7.16 ; 25,19) 25 et le verbe =! @ (Mt 24,48; 25,5) 26, en particulier pour suggérer la durée de l’absence du maître dans les paraboles du jugement (Mt 24,48, 25,5.19). Il emploie également le mot 27, mais le terme n’a jamais chez lui le sens profilé que Marc lui donne parfois (Mc 1,15, 13,33). La périodisation du temps La façon dont est présentée la généalogie de Jésus en Mt 1 montre l’importance du décompte en 3 fois 14 générations (v. 17) aux yeux de l’évangéliste 28, d’autant que cette récapitulation correspond seulement de façon approximative à l’énumération qui précède 29. Certes, on peut retrouver un tel intérêt pour le nombre de générations dans d’autres textes généalogiques 30. Le chiffre 14 peut refléter des
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Cf. Mc 13,7.13 ; Lc 21,9. Cf. Mc 10,17.30 ; Lc 10,25 ; 18,18.30. 24 Cf. Mc 9.43.45.47 ; Lc 12,5. 25 Cf. Mc 9,21 ; Lc 1,57 ; 4,5 ; 8,27.29 ; 18,4 ; 20,9 ; 23,8. 26 Cf. Lc 1,21 ; 12,45 (Q Mt 24.48). 27 Mt : 10 fois, Mc : 5 fois, Lc : 13 fois. 28 Cf. W. D. Davies – D. C. Allison, Matthew, vol. I, p. 161-165. 29 La troisième période compte en fait 13 générations ; cf. M. D. Johnson, The Purpose of the Biblical Genealogies, p. 222-223 ; W. D. Davies – D. C. Allison, Matthew, vol. I, p. 186. 30 Cf. M. D. Johnson, The Purpose of the Biblical Genealogies, p. 190s ; il cite en particulier 1 Ch 5,27-41 comme exemple de généalogie structurée à l’origine en deux séries de 12 générations marquées par de brèves notices historiques (voir l’analyse aux p. 40-41), mais le texte actuel n’atteste plus cette belle régularité. 23
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spéculations sur la valeur numérique des caractères hébraïques du nom de David, qui est le 14e personnage de la liste 31. La généalogie et sa conclusion montrent surtout un intérêt de notre auteur pour la périodisation du temps, fréquemment attestée dans la littérature apocalyptique 32. Il n’est donc pas surprenant de trouver aussi ce souci de distinguer les temps dans la première partie du discours eschatologique, en Mt 24 : %’ !*> X \ ! (v. 6), >^ _` " %={ |_ (v. 8), X }~ \ ! (v. 14), _` { + $ $ (v. 29). Mais il se manifeste peut-être également dans le corps du récit matthéen. Les deux formules %>\ ~! /!" en Mt 4,21 et 16,17 33 pourraient bien non seulement souligner deux accents différents dans la prédication de Jésus, mais aussi suggérer deux étapes de son ministère dans le temps, et, de façon moins nette, dans l’espace (l’activité de Jésus est focalisée plutôt sur la Galilée dans la première, plutôt sur Jérusalem dans la seconde). Sur le plan de la division du temps, la venue de Jésus marque incontestablement le début d’une nouvelle période. Au terme des 42 générations, elle constitue l’aboutissement de la dynastie davidique. Elle est caractérisée par l’accomplissement des prophéties et de la Loi 34, c’est-à-dire par une nouvelle relation au passé. Mais elle
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Exode Rabba 15 sur Ex 12,2 compte, par référence au mois lunaire, 15 générations d’Abraham à Salomon, ce qui fait 14 jusqu’à David (H. L. Strack – P. Billerbeck, Kommentar zum Neuen Testament aus Talmud und Mdrasch, vol. I, 3e éd., München, 1961, p. 43-44). 32 Citons par exemple Dn 7,17-27 (4 règnes, cf. IV Esdras 11-12 ; II Baruch 39-40) ; Dn 9,24-27 (70 septénaires) ; l’Apocalypse des Semaines en I Hénoch 93,1-10 + 91,11-17 (10 semaines, dont 7 après Abraham) ; II Hénoch 33,1-2, version longue (7 millénaires) ; IV Esdras 14,11-12 et II Baruch 27,1-13 (12 parties) ; II Baruch 53-74 (7 alternances d’eaux noires et d’eaux blanches, soit 14 périodes). 33 L’importance de ces deux versets avait déjà été perçue par E. Lohmeyer – W. Schmauch, Das Evangelium nach Matthäus, 4e éd., Göttingen, 1967, p. 65 et 264. Mais c’est surtout J. D. Kingsbury, Matthew : Structure, Christology, Kingdom, p. 16-25, qui a cherché à mettre en évidence leur importance pour la composition du premier évangile. Son point de vue est critiqué par W. D. Davies – D. C. Allison, Matthew, vol. I, p. 386-387. 34 Le thème de l’accomplissement des prophéties est illustré par les nombreuses citations ‘à formule’ ( [ou > ] >/ \ /` _ !" >!&'! ! ! : Mt 1,22 ; 2,15 ; 4,14 ; 8,17 ; 12,17 ; 13,35 ; 21,4 ; cf. aussi 2,17.23 ; 26,54.56 ; 27,9). L’accomplissement de la Loi n’est mentionné qu’en Mt 5,17, mais la position stratégique de cette affirmation dans la composition du Sermon sur la Montagne révèle son importance dans la pensée matthéenne.
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instaure surtout une nouvelle relation au futur eschatologique 35. Jésus est d’emblée présenté comme Messie (Mt 1,1 ; 2,4). Son temps est celui de l’annonce de la proximité du Royaume (Mt 3,2 ; 4,17 ; 10,7 ; cf. 12,28). Son activité le désigne comme celui qui vient (Mt 11,3-5). Sa mort est suivie d’événements apocalyptiques : la terre tremble, des morts ressuscitent (Mt 27,51-53). Le tableau présenté par Matthieu rend assez vaine la question de savoir où situer exactement le grand tournant eschatologique : lors de la Résurrection, marquée elle aussi par des phénomènes impressionnants (Mt 28,2), de la crucifixion, de l’entrée en scène du Baptiste (Mt 3,1-2), de la naissance de Jésus ? La multiplication des indices permet en fait de caractériser la totalité du temps de Jésus comme un temps eschatologique où le monde à venir, que l’on continue d’attendre, atteint le monde présent. À la fin du récit, la résurrection semble bien introduire également une nouvelle période. Et cette fois, la nouveauté est d’ordre spatial, plus que temporel. L’horizon s’élargit désormais aux dimensions de l’universel. Jésus est investi de « toute autorité dans le ciel et sur la terre » (Mt 28,17). Ses disciples sont envoyés vers toutes les nations, dans une nouvelle relation au Christ qui échappe à toute limitation spatiale et temporelle (28,20). Matthieu se trouve ainsi être à nouveau assez proche de Luc 36, par ce schéma en trois étapes, passé d’Israël, ministère de Jésus, mission universelle des disciples. C’est en quelque sorte une interprétation de l’histoire du salut à partir de la distinction classique du passé, du présent et du futur 37, interprétation dans laquelle la
————— 35 Notons que, en comptant les trois temps et demi de Dn 7,25 et 12,7 comme des années, on obtient 42 mois (cf. Ap 11,2-3). Dans les périodisations citées précédemment, le chiffre 7 et ses multiples sont souvent significatifs. Les événements eschatologiques semblent parfois associés au 7 e temps (après 12 = 6×2 périodes : IV Esdras 14,11-12 et II Baruch 27,1-13 ; au cours de la 7e alternance : II Baruch 53-74). On pourrait également citer les spéculations rabbiniques où la division du temps est fondée sur la semaine (ainsi dans les traités Sanhédrin 97a et Abodah Zarah 9a du Talmud babylonien). Dès lors, notre auteur pourrait, malgré les réserves de M. D. Johnson, The Purpose of the Biblical Genealogies, p. 201, jouer sur l’équation 3×14 = 6×7 et suggérer que la venue de Jésus inaugure le 7 e temps eschatologique (cf. He 4,3-11). 36 Cf. H. Conzelmann, Die Mitte der Zeit, 4 e éd., Tübingen, 1962. 37 Cf. les références données par M. Philonenko, p. 202-204 de ce volume. Citons simplement ici Philon, De Plantatione 114 : « la division tripartite du temps qui comprend naturellement le passé, le présent et le futur ».
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position centrale du présent est désormais occupée par le ministère de Jésus. Chez Matthieu, comme chez Luc, le temps des disciples est conçu dans une perspective qui envisage ce qu’on appelle communément le « retard » de la parousie. Dans les paraboles de jugement, qui permettent d’évoquer la situation future des croyants, le Maître « prend son temps » (=! @, Mt 24,48 Q Lc 12,45 ; Mt 25,5) avant de resurgir inopinément, il s’absente pendant « beaucoup de temps » ( _` >! = ! , Mt 25,19) avant de se faire rendre les comptes 38. Le schéma en trois périodes est probablement aussi une manière de prendre en compte la durée, ou, du moins, il permet de l’assumer plus facilement. Le temps devient ainsi un des aspects de la condition du disciple, qui est invité à le gérer avec intelligence. La différence essentielle entre Matthieu et Luc, c’est que Luc va faire suivre le récit du temps de Jésus par celui des débuts du temps des disciples, dans les Actes des Apôtres. Les deux périodes sont ainsi nettement distinguées sur le plan narratif. Le ministère de Jésus peut être clairement présenté au lecteur de Luc comme un passé fondateur, voire exemplaire, mais doté de caractéristiques propres 39, distinctes de celles du temps de l’Église dans lequel le lecteur va se situer. Matthieu n’a pas raconté la mission post-pascale des disciples. Par contre, il a commencé son récit par une brève esquisse de l’histoire d’Israël, par le biais des engendrements successifs de la généalogie. Cela signale sans doute le fait que le rapport au passé d’Israël est une question primordiale à ses yeux. La périodisation en 3 fois 14 générations a pour fonction, entre autres, de suggérer dès les premières lignes de l’évangile à la fois la continuité et la rupture eschatologique que marque l’engendrement extraordinaire de Jésus.
————— 38 Cf. W. D. Davies – D. C. Allison, Matthew, vol. III, p. 389 (« plain reference ») et 407 (« clearly implies »). Il faut cependant reconnaître avec U. Luz, Matthäus, vol. III, p. 462-463, 475 et 507, que le « retard » de la parousie ne constitue pas un problème majeur aux yeux de l’évangéliste. 39 Cf. en particulier l’absence de Satan entre Lc 5,13 et 22,3.
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L’enjeu : continuité ou rupture ? La thématique de la continuité et de la rupture est un des enjeux essentiels de la conception matthéenne du temps. La périodisation du temps vise-t-elle, chez Matthieu, à une distinction radicale des temps, telle que la nouveauté du temps de Jésus rendrait obsolètes les caractéristiques essentielles de la période précédente ? Ou bien est-elle au service d’une conception évolutive du temps, en marquant les étapes d’un élargissement des perspectives dont le caractère serait au final d’ordre plutôt spatial, où l’horizon d’Israël irait jusqu’à englober l’universel ? Dans la première hypothèse, le temps de Jésus serait une espèce de temps charnière qui marquerait la fin du temps d’Israël et de l’ancienne alliance pour mettre en place la nouvelle alliance du temps des nations. La métaphore de l’accomplissement serait alors celle de l’œuf, précieux jusqu’au moment de l’éclosion, mais dont la coquille n’a ensuite plus guère de valeur. Dans la seconde, le temps de Jésus est le moment clé qui devrait rendre possible l’ouverture d’Israël à une dimension universelle. L’accomplissement correspondrait alors à un événement décisif qui permet d’atteindre la maturité. Les indices de continuité avec le passé d’Israël 1. Si la périodisation de la généalogie peut suggérer un effet de clôture, l’accent reste mis sur la continuité, dans la mesure où Jésus est inclus dans le décompte des générations. La généalogie n’a pas seulement pour fonction de légitimer la messianité de Jésus. Elle a aussi pour effet de l’enraciner dans la descendance d’Abraham. 2. Dès avant sa naissance, Jésus est désigné comme celui qui « sauvera son peuple » de ses péchés (Mt 1,21). Dans le contexte, ce peuple ne peut être que celui d’Abraham, Israël 40. Le fait que le pardon des péchés soit, chez Matthieu, lié en particulier à la Passion (Mt 26,28) 41 et la perspective universelle qu’ouvre la Résurrection (Mt 28,20) impliquent sans doute une relecture du terme dans un
————— 40 Comme le souligne à juste titre U. Luz, Matthäus, I, p. 105. Cf. également A. J. Saldarini, Matthew’s Christian-Jewish Community, Chicago Londres, 1994, p. 29. 41 Rappelons que Matthieu, lorsqu’il évoque l’activité du Baptiste, ne fait aucune référence au pardon des péchés, mais seulement à la repentance (3,2.11, à la différence de Mc 1,4 et de Lc 3,3). Par contre, dans le récit du dernier repas, il est le seul à préciser, à propos du sang, « répandu en vue pardon des péchés » (26,28).
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sens plus englobant, mais certainement pas une réinterprétation susceptible d’induire un déni de la signification première de la parole de l’ange 42. 3. Les récits de l’enfance opposent certes la bienveillance des mages étrangers à l’hostilité des dirigeants juifs, Hérode puis Archelaüs. Ils font surtout écho à certaines traditions juives sur la naissance et l’enfance de Moïse 43. De façon plus générale, les pérégrinations de Jésus enfant rappellent les récits de l’Exode. Le Jésus matthéen récapitule ces événements fondateurs d’Israël 44, ce qui suggère un certain degré d’identification avec son peuple. L’application à Jésus, en Mt 2,15, du texte d’Os 11,1, où « mon fils » désigne de toute évidence Israël, est particulièrement significative à cet égard. 4. La formule « en ces jours-là », qui peut avoir des résonances eschatologiques 45, est appliquée en Mt 3,1 à l’entrée en scène de Jean-Baptiste (et non à celle de Jésus comme en Mc 1,9). Jean annonce la proximité du Royaume dans les mêmes termes que Jésus (Mt 3,2 ; 4,17). Le fait d’intégrer la personne de Jean, qui reste malgré tout un précurseur (cf. Mt 17,10-13 et déjà 11,11-15), parmi les messagers du Royaume tisse un lien de plus entre le temps de Jésus et le temps d’Israël. 5. Dans le corps de l’évangile, l’activité de Jésus et des disciples reste limitée pour l’essentiel à l’espace juif (Mt 10,5) 46 et aux brebis perdues d’Israël (Mt 15,24 ; cf. aussi 9,36).
————— 42 W. D. Davies – D. C. Allison, Matthew, vol. I, p. 210, ont assurément raison d’évoquer ici l’« ecclesia des juifs et des païens », mais en justifiant cette interprétation à partir de Mt 21,43, ils laissent planer une fâcheuse ambiguïté. 43 Cf. par exemple Flavius Josèphe, Antiquités juives, II, IX ,3, § 201-216 ou Livre des Antiquités Bibliques 9. La conception miraculeuse de Jésus peut aussi évoquer les récits de naissance de Noé (I Hénoch 106) et de Melchisédech (II Hénoch 70). 44 Cf. U. Luz, Matthäus, I, p. 129. C’est aussi une des significations possibles de la séquence baptême-tentation de Jésus selon W. D. Davies – D. C. Allison, Matthew, vol. I, p. 352. 45 W. D. Davies – D. C. Allison, Matthew, vol. I, p. 288 ; cet aspect eschatologique est particulièrement souligné par J. D. Kingsbury, Matthew : Structure, Christology, Kingdom, p. 28-31. U. Luz, Matthäus, I, p. 144 est plus réservé, mais admet que l’expression montre à quel point Matthieu associe Jésus et Jean. 46 Certes, Jésus s’est rendu au pays des Gadaréniens (Mt 8,28) et dans (ou vers) les régions de Tyr et Sidon (15,21). Dans le premier cas, Matthieu met à distance les porcs, preuve du caractère païen des lieux ( %>’$ , 8,30). Dans le second, il semble chercher à brouiller les pistes, cf. la perplexité de W. D. Davies – D. C. Allison, Matthew, vol. II, p. 546 et 548.
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6. Le corps du Sermon sur la Montagne commence par une déclaration solennelle du Jésus matthéen : « N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les prophètes ; je ne suis pas venu abroger, mais accomplir » 47, suivie du rappel de la validité permanente de la Loi (Mt 5,17-19). Mais la forme même de cette parole montre que l’évangéliste est conscient que le rapport de Jésus à la Loi est l’objet d’un débat. Or il semble justifier cette mise en question en faisant suivre ces fortes paroles par les « antithèses » de Mt 5,21-48, où le même Jésus matthéen affirme une autorité sans égale face à la révélation accordée aux anciens. Des indices de rupture avec le passé d’Israël ? La difficulté vient donc de la juxtaposition, au sein du premier évangile, d’affirmations qui s’inscrivent dans le droit fil de la tradition juive, et de paroles qui vont bien au-delà de ce cadre ancien et qui, de ce fait, préparent la perspective de la mission universelle. Nous avons essayé de montrer ailleurs que cette coexistence est un procédé herméneutique par lequel l’évangéliste invite ses lecteurs à interpréter l’un par l’autre les deux types d’affirmations 48. Pour Matthieu, la fidélité à la tradition d’Israël est innovante, mais prétendre à une innovation coupée de ses racines serait une erreur funeste. 1. En matière de Loi, la principale innovation est d’ériger le commandement d’amour en principe herméneutique (Mt 22,40) et comme voie par excellence de la perfection (Mt 5,48). L’interprétation de la Loi est ainsi renouvelée à partir d’un critère interne. Le Fils de l’Homme est maître du sabbat, mais l’évangéliste veille à renforcer l’argumentation juridique justifiant les guérisons ce jourlà (Mt 12,1-14). Il prend soin d’écarter toute mise en cause frontale des règles de pureté (Mt 15,1-20), en omettant le commentaire radical de Mc 7,19 et en recentrant in fine la critique sur les observances pharisiennes (v. 20). 2. Le concept de nouvelle alliance (Mt 26,28) trouve son origine dans la tradition biblique de Jr 31 et les documents de Qoumrân
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Traduction Œcuménique de la Bible. J.-Cl. Ingelaere, « Particularisme et universalisme dans l’Évangile de Matthieu », Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses 75, 1995, p. 45-59. 48
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prouvent bien qu’il ne rend pas nécessairement obsolète l’alliance précédente 49. 3. L’hommage à la foi de païens par contraste avec l’incrédulité d’Israël et l’annonce du châtiment qui va de pair (Mt 8,10-12 ; 11,20-24) sont peut-être davantage des menaces prophétiques à visée parénétique que l’énoncé d’un verdict définitif 50. 4. Dans son contexte matthéen, la parole sur le transfert du Royaume (Mt 21,43) vise au premier chef les dirigeants spirituels d’Israël, comme le souligne le v. 45. L’emploi du mot ! au singulier est rare chez Matthieu 51 ; il peut en tout cas désigner, ailleurs, la nation juive 52. Pour ces deux raisons, cette « nation portant du fruit », qui est bien sûr la communauté des disciples de Jésus, pourrait fort bien viser l’Israël fidèle sans impliquer nécessairement une rupture avec le Judaïsme. 5. Du reste, la dénonciation des pharisiens et des autorités juives, quelle qu’en soit la violence, reprend des éléments polémiques traditionnels et doit se comprendre dans le cadre d’un conflit d’écoles interne au Judaïsme 53. Elle s’inscrit d’ailleurs en continuité avec la tradition juive de persécution des prophètes (Mt 5,11, 23,29-36) 54. 6. La dénonciation de Jérusalem (Mt 23,37-39) et l’annonce de la ruine du Temple (Mt 24,2) ne sont pas inconcevables dans un cadre juif 55. Il est fort probable que Matthieu concevait, comme l’auteur de II Baruch, la destruction de Jérusalem en 70 comme le châtiment divin de l’infidélité du peuple, infidélité qui, pour l’évangéliste, culminait dans le rejet du Christ Jésus. En II Baruch, cette punition
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Cf. Commentaire d’Habacuc (1QpHab) II,1-4 ; Écrit de Damas VI,19 ; VIII,21 ; B I,33 ; B II,12. 50 Ainsi W. D. Davies – D. C. Allison, Matthew, vol. II, p. 25-31, alors que U. Luz, Matthäus, II, p. 15, considère ces paroles comme des prédictions de ce qui va se réaliser. 51 Seuls autres emplois en Mt 24,7 ; cf. les parallèles Mc 13,8 ; Lc 21,10. 52 Ainsi, dans les évangiles, Lc 7,5 ; 23,2 ; Jn 11,48-52 ; 18,35. 53 Qui pourrait sérieusement prétendre que l’auteur des colonnes III-IV du Commentaire de Nahum (4QpNah) a rompu avec le Judaïsme ? 54 Cf. par exemple Ne 9,26 ; Jr 2,30 ; Jubilés 1,12 ; Martyre d’Ésaïe 2,12-16. Autres références dans W. D. Davies – D. C. Allison, Matthew, vol. I, p. 465. 55 Voir par exemple II Baruch 1,2-5 ; 4,1 ; 5-8 ou les prédictions de Jésus, fils d’Ananias (Flavius Josèphe, Guerre juive VI,V,3, § 300-305, texte cité par Ch. Grappe, p. 178-179 de ce volume). On peut en particulier rapprocher Mt 23,38 de la voix entendue dans le Temple : « Nous partons d’ici » (Flavius Josèphe, ibid., § 299), et de II Baruch 8,2 : « Car il est parti, celui gardait la maison » (trad. J. Hadot, dans A. Dupont-Sommer – M. Philonenko, La Bible. Écrits intertestamentaires, Paris, 1987, p. 1486).
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est pour « pour un temps » 56. La déclaration de Mt 23,39, adressée du reste à Jérusalem, est trop ambiguë pour qu’on puisse conclure que ce jugement dans l’histoire est, pour Matthieu, le signe irrévocable de la condamnation eschatologique d’Israël. 7. C’est sans doute sur cet arrière-plan du châtiment de Jérusalem qu’il faut comprendre la responsabilité collective revendiquée par « tout le peuple » (> ) en Mt 27,25 57. 8. La mention des « Juifs » dans la remarque rédactionnelle de Mt 28,15 (> !_!) est souvent considérée comme le signe le plus évident que la rupture entre Matthieu et le Judaïsme est désormais consommée. En effet, ce terme n’est guère utilisé par les Juifs pour se désigner eux-mêmes 58 et tous les autres emplois dans l’évangile sont attribués à des païens 59. Mais Saldarini a mis évidence le fait que Flavius Josèphe parle parfois des « Juifs » dans un sens polémique pour désigner des coreligionnaires qu’il désapprouve 60. Il serait naturellement absurde de nier le conflit, voire la rupture avec les pharisiens et les autorités juives, ainsi peut-être qu’avec ceux qui les suivent. Mais cela ne signifie pas encore une rupture entre le Jésus matthéen et le Judaïsme qui rendrait caducs tous les liens de continuité patiemment tissés avec le temps d’Israël. La continuité avec le temps des disciples Les indices de continuité entre le temps de Jésus et celui de la mission universelle prêtent moins à controverse. 1. Ces deux périodes sont marquées d’une connotation eschatologique. La mission universelle est mise en relation avec les prodromes de la fin (Mt 24,14). La double évocation de la persécution des missionnaires, dans ce cadre (Mt 24,9-14) et dans celui du discours d’envoi (Mt 10,17-23), suggère l’extension d’une caractéristique traditionnelle des temps derniers à la totalité du temps de la mission comme au temps de Jésus.
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II Baruch 1,4 ; 4,1 ; 6,9. Ainsi W. D. Davies – D. C. Allison, Matthew, vol. III, p. 591-592 ; U. Luz, Matthäus, IV, p. 277-281 (qui récuse, sans doute à juste titre, toute autre tentative d’atténuer la dureté ou la portée du propos). 58 Cf. néanmoins Ga 2,15 : & !_!. 59 Mt 2,2 ; 27,11.27.39. 60 A. J. Saldarini, Matthew’s Christian-Jewish Community, Chicago – Londres, 1994, p. 34-37 (références p. 230, par exemple dans la Guerre juive II, XVIII,9, § 506 ; II,XIX,2, § 517). En Ga 2,13-14, Paul désigne des juifs chrétiens par ce terme. 57
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2. En Mt 28,20, les disciples sont explicitement renvoyés aux instructions du Jésus terrestre. Ces instructions sont en quelque sorte confirmées par le Ressuscité qui n’a rien d’autre à dire que ce qui a été énoncé par le Jésus du récit matthéen. De ce fait, à travers l’enseignement des disciples à toutes les nations, la portée des discours du Maître transcende les limites temporelles et spatiales du temps de Jésus. 3. De façon plus implicite, la structure thématique des cinq discours matthéens vient en quelque sorte concurrencer le schéma temporel du récit, au grand désespoir des commentateurs qui ont les plus grandes peines à articuler de façon convaincante ces deux principes de composition. 4. Il est largement reconnu, nous l’avons noté plus haut, que les disciples du récit matthéen représentent les croyants de tous les temps qui sont finalement les véritables destinataires de ces discours. Le présent du lecteur de la période de la mission tend, sinon à se confondre, du moins à se superposer au passé de l’enseignement de Jésus, mettant ainsi en cause une conception purement linéaire du temps. 5. Ce phénomène ne se limite pas aux discours et à l’enseignement de Jésus, mais concerne aussi des éléments narratifs. Les miracles de la tempête apaisée ou de la marche sur les eaux mettent probablement aussi en scène la « petite foi » des lecteurs du premier évangile (Mt 8,26, 14,31). 6. L’anachronisme, lui aussi largement reconnu, de la description des opposants, associant Pharisiens et Sadducéens, va également dans le même sens. Dans le récit de Matthieu, le lecteur rencontre le Christ dans le cadre de son propre conflit avec la synagogue pharisienne d’après l’an 70. Conclusion C’est ainsi l’ensemble du récit matthéen qui joue sur une double conception du temps. Il laisse apparaître une périodisation du temps, mais les différentes périodes ne sont nullement autonomes les unes par rapport aux autres. Le temps de Jésus et celui de la mission universelle instaurée par le Ressuscité restent deux périodes successives et distinctes, mais elles sont en quelque sorte toutes deux recouvertes par un temps
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eschatologique qui transcende la règle de la succession des époques et qui fait que, dans le récit matthéen, la période centrale et décisive de l’histoire du salut peut rejoindre le centre du temps du lecteur, son présent. Mais cet effet ne joue pas que dans un sens. Le temps d’Israël est tendu vers son accomplissement eschatologique dans le temps de Jésus. Le Christ matthéen accomplit cette attente en s’identifiant à son peuple et en récapitulant son histoire, ou du moins les événements fondateurs, en sa personne. Cet accomplissement se traduit par un profond renouvellement de la tradition d’Israël, mais l’Israël eschatologique inauguré par le temps de Jésus reste le peuple d’Abraham et de David. C’est ainsi la totalité de l’histoire du salut en ses périodes successives qui se trouve en quelque sorte concentrée dans le temps eschatologique de Jésus. Cette double conception du temps, périodisation et recouvrement des temps, est peut-être le moyen, pour l’évangéliste, d’inscrire la nouveauté de la mission universelle comme la période de maturité d’une histoire qui remonte aux origines et qui reste l’histoire d’Israël. L’histoire d’un Israël qui, en ces temps eschatologiques inaugurés par Jésus, est ainsi invité à remplir sa vocation universelle en compagnie de son Messie. Pour Matthieu, et peut-être aussi, sur d’autres bases théologiques, pour Paul, la périodisation du temps n’est pas un signe de rupture, mais de maturation de l’histoire marquée par un élargissement de l’espace. L’avenir n’est pas un Nouvel Israël qui se substituerait à l’ancien, mais un Israël eschatologique qui sortirait de ses frontières pour rassembler tous les hommes, Juifs et païens. Force est de constater l’échec de cette utopie de Matthieu. Le cours de l’histoire a fait perdre de vue un effort de synthèse qui n’était plus d’actualité. Et le temps du récit matthéen a fini par devenir pour le lecteur celui de la rupture entre l’Église et le Judaïsme.
CELUI QUI EST, QUI ÉTAIT ET QUI VIENT (APOCALYPSE DE JEAN 1, 4) M ARC PHILONENKO Faculté de Théologie Protestante – Strasbourg
Cette formule tripartite se trouve attestée dans l’Apocalypse de Jean en différentes formes qui ne constituent pas des variantes, mais des variations sur le thème de l’Être et du temps. Pour la clarté de la démonstration nous les présentons sous le tableau suivant : La formule tripartite
1, 4
1, 8
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4, 8
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16, 5 $% &, , '! La structure, l’origine et le développement de la formule tripartite ou bipartite ne peuvent vraiment être saisis que par une comparaison des diverses attestations entre elles dans l’Apocalypse de Jean, puis par comparaison avec des formules similaires extérieures au corpus néo-testamentaire. La formule est citée à cinq reprises dans l’Apocalypse, en 1, 4 ; 1, 8 ; 4, 8 ; 11, 17 et 16, 5. Quatre fois sur cinq elle est ouverte par * « celui qui est » ; en 4, 8, elle débute par + « celui qui était » et l’on considèrera que cette exception est, en fait, un contrepoint
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destiné à mettre en valeur la formule « canonique », « Celui qui est, qui était et qui vient ». À deux reprises, en 11, 17 et 16, 5, la formule ne comprend que deux termes / +. D’où la question : la formule bipartite a-t-elle été prolongée en une formule tripartite 1 ou est-ce la formule tripartite qui a été réduite en une formule bipartite ? De très forts arguments, on le verra, militent en faveur de la formule tripartite. C’est dans sa première attestation, en 1, 4, – « de la part de Celui qui est, qui était et qui vient » – que la formule tripartite est la plus surprenante, tant elle accumule les difficultés grammaticales. Loisy, dans son commentaire, écrit tout net : « La formule est aussi incorrecte qu’il est possible de l’imaginer » 2. Un participe présent au nominatif, *, vient en complément de la préposition 3 – qui se construit avec le génitif – ; une forme verbale – * – est précédée de l’article, et Loisy de dénoncer ces solécismes, tout en reconnaissant qu’ils ne peuvent être inconscients. Lohmeyer dit de cette construction : « Sie ist Still, nicht Vulgarismus » 3. < * commande toute la formule. Les commentateurs renvoient à Exode 3, 13-14 « Moïse dit à Elohim : “Voici que moi, j’arriverai vers les fils d’Israël et je leur dirai : le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous ; et ils me diront : Quel est son nom ?” Elohim dit à Moïse : “Je suis qui je suis !”. Puis il dit : “Tu parleras ainsi au fils d’Israël : Je suis m’a envoyé vers vous !” » « Je suis qui je suis » (J[J T J[J ), ce que la version des Septante rend par > *. Cette traduction a connu une extraordinaire fortune. Elle est reprise dans des prières de la version des Septante de Jérémie 1, 6 ; 14, 13 ; 39, 17 4, sous la forme * ; dans la Sagesse de Salomon 13, 1 : B!F! $# G . Philon d’Alexandrie ne manque pas de nommer Dieu *, ainsi dans le De Abrahamo 121 : « Le père de l’univers qui, dans les Saintes Écritures, est appelé en termes propres “Celui qui est” ( *) ».
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Aune, 1997, p. 30. Loisy, 1923, p. 66. 3 Lohmeyer, 1953, p. 10. 4 Selon certains manuscrits. 2
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Dans les papyrus magiques et les intailles magiques, qui portent si souvent et si visiblement la marque d’influences juives, * est naturellement présent. Retenons particulièrement la formule magique W X * 5 ou encore / , 6. Parmi les amulettes, signalons une calcédoine publiée par Delatte-Derchain : YZ () [, / . « Un seul dieu dans les cieux, Celui qui est et qui préexiste » 7. Sans oublier l’amulette de Cærnavon, d’origine juive, reprise par Kotansky : \$ Y ]^ ! !F ^ *, *, / _` ` 8. Ce document est d’un intérêt particulier, puisqu’y figure, en grec, la transcription de la formule hébraïque « Je suis qui je suis » et parce que * s’y trouve trois fois répété. L’enracinement de la formule de l’Apocalypse en Exode 3, 14 est rendu certain par la mention de *. Il faut souligner, toutefois, que la formule tripartite est étrangère à la Bible hébraïque. De plus, la formule qui évoque le présent, le passé et le futur est faite dans un ordre qui peut surprendre. Enfin, le troisième terme 3 est curieux, puisque l’on attendrait !3 « qui sera » 9. Des critiques n’ont pas dissimulé leur surprise devant 3 . Reitzenstein, en 1904, le fait suivre d’un point d’interrogation 10 ; d’autres y voient « une adaptation chrétienne » 11. D’autres encore corrigent, en « Celui qui sera » 12. Nous verrons que le terme 3 est ici à sa place. L’origine de la formule tripartite pose de difficiles problèmes. Certains critiques en ont cherché le point de départ dans les littératures grecque et latine. De nombreux parallèles ont été rassemblés par Windisch 13 et par van Unnik 14, mais le mérite d’avoir constitué
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Preisendanz, 1973, I, 4, 1564-1565. Preisendanz, 1974, II, 71, 3. 7 Delatte-Derchain, 1964, n° 381. 8 Kotansky, 1994, n° 2, 4-5. 9 Kraft, 1974, p. 31. 10 Reitzstein, 1904, p. 286. 11 McNamara, 1966, p. 112 ; Prigent, 2000, p. 87. 12 Clément d’Alexandrie, Stromates, 5, 6. 13 Windisch, 1920, p. 307. 14 Van Unnik, 1962-1963. 6
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le dossier revient à Weinreich 15. On citera avec eux l’Iliade : | }$X ~ 3 ~ !!3 3 ~ 3 16. « Ce qui est, ce qui sera et ce qui était avant », repris par Hésiode 17. Un texte remarquable du De Iside et Osiride de Plutarque doit être rappelé : !3 # $% X F 18 sans oublier Pausanias : +, ! %, !! 19. Il faut enfin alléguer le témoignage de l’Asclepius latin : « Par conséquent, Dieu qui est toujours, Dieu éternel ni ne peut-être engendré ni n’a pu l’être : voilà ce qu’il est, ce qu’il a été, ce qu’il sera toujours » (hoc est, hoc fuit, hoc erit semper) 20. Pour aller plus avant, il faut se reporter aux targoums. Au targoum du pseudo-Jonathan sur Deutéronome 32, 39 : « Voyez maintenant que Je suis celui qui est et qui était et que Je suis Celui qui doit être » 21. On voit comment le « Je suis qui je suis » d’Exode 3, 14 s’est développé en une séquence à trois termes, dont le premier est au présent, rendu dans Apocalypse 1, 4 et comme dans la version des Septante par *. Ce développement en Apocalypse 1, 4 et 1, 8 est parfaitement dans l’esprit de la paraphrase targoumique. Le résultat paraît acquis, mais il ne justifie pas que l’on s’arrête en chemin, car il soulève d’autres questions qui ne peuvent rester en suspens. Quand bien même admettrait-on que la formule ternaire de l’Apocalypse de Jean dépende directement de la tradition targoumique, ce qui reste incertain, – compte tenu de la présence d’3 –, que l’origine de la formule tripartite dans le targoum devrait être expliquée. Certes, on pourrait renvoyer aux formules tripartites grecques ou latines que nous avons citées, qui ne connaissent pas – faut-il le rappeler – l’usage du verbe . Abstraction faite de cette difficulté, une influence hellénique sur la formulation targoumique est-elle bien vraisemblable ? 22
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Weinreich, 1919. Iliade, I, 70. 17 Théogonie, 38. 18 Plutarque, De Iside et Osiride, 9. 19 Pausanias, 10, 12, 10. 20 Asclepius, 14. Voir aussi 29 et 34. 21 Traduction Le Déaut. 22 McNamara, 1966, p. 102. 16
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Une autre voie reste ouverte, celle d’une influence orientale et, plus précisément, iranienne. Dans le Bundahišn, par exemple, il est dit que « la Religion et le Temps d’Ohrmazd étaient, sont et seront toujours ». Ou encore, selon une autre formule, qu’Ohrmazd « est, était et sera » 23. Cette formule des trois temps est attestée dans le Rig Veda 24, dans les Upanishads 25 et dans la Bhagavad-Gita 26 et pourrait se retrouver dans la traduction scandinave, comme le montre A. Hultgård 27. Elle est donc d’origine indo-iranienne 28, voire d’origine indo-européenne. On a souvent relevé l’importance de la doctrine des « trois temps » dans le manichéisme 29 où elle est associée avec la doctrine des « deux principes ». La place de la doctrine des « trois temps » dans la pensée de Philon, elle, n’a pas été, apparemment, reconnue. Ses attestations sont pourtant nombreuses et significatives. Dans le Legum allegoriae 3, 11, l’Alexandrin évoque « le temps tripartite » ( 3) et il mentionne en 2, 42 « les trois temps » ; dans le De somniis 2, 208 et 210 « les trois parties du temps » ( ! 3F
#! et [ ! " 3F #!) ; dans le De sacrificiis 47, il dit expressément : « le temps comporte trois parties, étant formé du passé, du présent et du futur » ; dans le De plantatione 114, il fait appel à « la division tripartite du temps qui comprend naturellement le passé, le présent et le futur », enfin dans le De migratione 125, il va jusqu’à faire d’Abraham, d’Isaac et de Jacob les figures des trois temps. Toutefois, * ne semble pas être mis en rapport, dans l’œuvre philonienne, avec la doctrine des trois temps. Cependant, * est peut-être dans l’esprit de Philon lorsqu’il attribue au présent sa place dans l’ordre des temps : « C’est donc ce monde-ci, le fils cadet de Dieu, de nature sensible qui, par son mouvement, a suscité l’aurore éclatante de la nature temporelle. Aussi n’y a-t-il rien de futur devant Dieu, lui qui règne sur les limites extrêmes du temps ; et de fait, son existence n’a pas la forme du temps, mais celle de l’éternité ( ), archétype et modèle du
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Bundahišn 1, 2. Sur ce texte, voir Hultgård, 1990, p. 179. Rig Veda 10, 90, 2. 25 Kaivalya Upanishad 7-9. 26 Bhagavad-Gîtâ 7, 26. 27 Hultgård, 2002-2003. 28 Widengren, 1984, p. 653, note 83. 29 Puech, 1949, p. 157, note 284. 24
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temps ; or, dans l’ordre du temps ( `), il n’y a ni passé ni futur : il n’y a que le présent. » 30 La doctrine des trois temps avait donc fait son entrée dans le judaïsme. C’est le mérite de G. Widengren que d’avoir attiré l’attention sur un texte de la Règle de la Communauté découverte à Qoumrân : « Du Dieu des Connaissances (provient) tout ce qui est et sera et avant que les êtres ne fussent, Il a établi tout leur plan » 31. Ce qui est ici d’un extrême intérêt, c’est que Dieu est évoqué comme le Maître des trois temps ; le présent – « tout ce qui est » –, le futur – « ce qui sera » –, le passé – « avant que les êtres ne fussent » – 32. Un passage du livre des Hymnes paraît bien spéculer sur Exode 3, 14, lorsqu’il loue la célébration des temps et « le statut promulgué par Celui qui est » 33. La formule tripartite se retrouve dans IV Esdras et II Baruch qui sont liés par tant d’affinités. En IV Esdras 7, 136, Dieu est appelé « Celui qui a grande pitié, parce qu’Il répand sa pitié avec abondance sur les hommes présents, passés et à venir » (qui praesentes sunt et qui praeterierunt et qui futuri sunt). En II Baruch 21, 9, il est dit de Dieu : « Toi seul peux soutenir toux ceux qui sont et qui ont été et ceux qui seront. » Dans les Hékhâlot, la terre proclame : « Le Seigneur était roi, le Seigneur est roi, le Seigneur sera roi à jamais » 34. La formule tripartite est reprise dans le poème mystique El Adon, passé dans la liturgie juive, et dont H. L. Schiffman a souligné les accents qoumrâniens : « Il était, Il est et Il sera » 35. Le Zohar connaît la balance cosmique, sur laquelle « se sont posés et se posent ceux qui n’étaient pas, ceux qui sont et qui seront » 36. Reste à rendre compte de la formule tripartite sous la forme qu’elle prend dans l’Apocalypse de Jean. Est-elle sans parallèle aucun ? Le livre de Judith apporte un élément de réponse, car il fait entrevoir que la formule ternaire est préparée dans la Bible grecque, ce que les commentateurs n’ont pas saisi, et qu’elle se prolonge sous une forme qui annonce celle de l’Apocalypse de Jean : « C’est toi,
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Quod Deus 32. Règle de la Communauté 3, 15. 32 Widengren, 1966, p. 156. 33 Hymnes, 12, 9. 34 Hékhalot § 129. 35 Birnbaum, 1990, p. 339. Voir Schiffman, 1994, p. 300-301. 36 Zohar II, 76a. Voir Scholem, 1985, p. 65. 31
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en effet, qui as fait les choses qui étaient avant celles-ci, qui médites les choses présentes et les choses à venir » ( 3 ) 37. Formule ternaire et qui fait usage, pour le futur, du verbe # . C’est dans un passage désabusé de II Baruch que la formule tripartite a pour troisième terme « venir », comme dans l’Apocalypse de Jean : « Car, en tout ce qui maintenant existe, est passé ou vient, en tout cela, ni le mal n’est entièrement mal, ni le bien non plus n’est entièrement bien » 38. On peut suivre la formule dans d’autres milieux, chez les Samaritains ou les Mandéens, par exemple. Il est dit de Dieu dans le Memar Marqah : « Il connaît ce qui a été, ce qui est maintenant et ce qui sera » 39. Ou encore dans une formule inspirée d’Exode 3, 14 : « Je suis qui je suis, qui était et qui sera, une racine sans commencement » 40. Dans les Liturgies mandéennes, on lit ce beau texte : « Tu es venu, Tu viens et Tu es prêt à te révéler. Tu es immensurable, infini et éternel. Tu es le Père, Tu es le Frère, Tu es le Fils. Tu es la source, Tu es la grande Racine de la Vie. Tu es le Premier, Tu es le dernier. Tu es le futur, car Tu T’es préparé à venir » 41. Texte fondé sur la formule tripartite, mais à partir du verbe ATA(I), « venir », aux trois temps, et sur les trois générations représentées par le Père, le Frère et le Fils. Il était nécessaire de dresser cet inventaire, fût-il incomplet et provisoire. Il est, en effet, déplorable que, depuis le travail exemplaire de Weinreich, paru en 1919, la recherche des matériaux comparatifs loin de s’enrichir se soit appauvrie, pour ne compter, parfois, qu’une seule référence 42, alors que c’est de la comparaison que jaillit le sens.
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Judith 9,5. II Baruch 83, 9. Comparer 21, 8 et 21, 9. 39 Memar Marqah 1, 1. 40 Memar Marqah, 1, 2. 41 Liturgies 75 (éd. Lidzbarski, p. 130-131). 42 Kraft, 1974, p. 31. 38
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La formule tripartite est, certes, attestée dans le monde grec, mais elle ne semble pas avoir eu un grand impact sur la thématique juive. C’est d’Orient et, plus précisément, d’Iran, que la formule tripartite a exercé une influence décisive sur un judaïsme très diversifié, philonien d’abord, puis essénien, – livre de Judith 43, textes de Qoumrân, Quatrième livre d’Esdras et Apocalypse syriaque de Baruch – , puis sur les targoums, la liturgie juive et les spéculations de la Caballe, pour s’étendre en milieu samaritain et dans la gnose mandéenne. La formule tripartite de l’Apocalypse de Jean est à replacer dans les méandres de ce large et puissant courant. Cependant l’auteur lui donne une forme singulière qui n’appartient qu’à lui. La formule tripartite n’est plus simplement ontologique, mais eschatologique. Dieu est, certes, Celui qui est et qui était, mais il est aussi Celui qui vient. Dieu est maître du Temps, Maître des temps, Maître de la fin des Temps.
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Voir Philonenko, 1996.
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JOSÈPHE ET LA FIN DES TEMPS C HRISTOPHE M ÉZANGE Université Catholique de l’Ouest – Angers
Flavius Josèphe fut un acteur et un témoin direct de la guerre des Juifs contre Rome de 66 à 74, et cette guerre, certains de ses compatriotes révoltés la considéraient comme la guerre ultime de la fin des temps historiques, la guerre contre l’empire de tous les maux qui allait précéder l’avènement messianique et établir le royaume de Dieu et le triomphe d’Israël. Josèphe a parfaitement conscience que des convictions eschatologiques guident les révoltés, notamment l’espérance de la venue du Messie lors de cette guerre finale. Dans son ouvrage, la Guerre des Juifs, Josèphe affirme : « Ce qui les poussa le plus à la guerre, ce fut un oracle ambigu, trouvé aussi dans les Écritures Saintes, prédisant que vers ce temps-là quelqu’un venant de leur pays gouvernerait toute la terre » 1.
Cet aveu est clair. Josèphe, dans ce passage, va jusqu’à affirmer la prééminence de l’espérance messianique sur toutes les autres causes de la guerre. Et c’est pourtant le seul passage de l’œuvre immense de Flavius Josèphe qui fait allusion directement au messianisme. Il est stupéfiant de remarquer en effet que Josèphe, dans toute son oeuvre, n’insiste pas, en dehors de ce très court passage, sur le messianisme, qui constituait pourtant un trait marquant du judaïsme et de l’espérance nationale, et qui, de son aveu même, était la motivation première des révoltés dans leur guerre contre Rome, si longuement décrite. Cette étonnante discrétion 2 s’explique dans la mesure où l’attente messianique était à son époque par nature anti-romaine ; l’avènement
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BJ, VI, 312. Ce curieux silence a été depuis longtemps noté : déjà M.-J. Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs (Études Bibliques), Paris, Gabalda, 1909, p. 4 sqq. Seul un passage des Antiquités Juives (Ant, X, 208-210) fait allusion à la pierre qui surgira de la montagne et qui mettra fin au dernier empire, comme l’annonçait Daniel (Dn 2, 36), mais sans donner la moindre explication sur cette prophétie, parce que précisément c’est une prophétie messianique. 2
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du Messie provoquerait la restauration définitive d’Israël et la chute de Rome, Rome qui, depuis 63 av. J-C et la profanation du Temple par Pompée, se métamorphosait dans certains milieux en empire de tous les maux 3 : en témoignent des écrits aussi divers que Les Psaumes de Salomon 4, le troisième livre des Oracles Sibyllins 5 ou le pešher d’Habaquq 6. Josèphe a visiblement conscience des espérances eschatologiques qui animent ses contemporains lors de la révolte, mais il a tout autant conscience du danger que peut représenter la révélation de telles espérances messianiques aux Romains, devenues foncièrement anti-romaines et susceptibles de déboucher sur la guerre contre Rome. En dire trop aboutirait à faire prendre conscience aux Romains que c’est le judaïsme dans son ensemble qui serait l’ennemi de Rome et non plus quelques dizaines de milliers de révoltés ; les conséquences pour Israël seraient encore plus graves. Josèphe veut à tout prix éviter cette assimilation trop dangereuse entre judaïsme et ennemi de Rome. Il est ainsi remarquable que, dans le passage en question, l’oracle annonçant le Messie est déclaré ambigu par Josèphe et celui-ci, sans pendre soin de donner des précisions, s’applique aussitôt à déclarer fausse l’explication qu’en donnaient
————— 3 Cf. M. Hadas-Lebel, Jérusalem contre Rome, Paris, Cerf, 1990, p. 343 : l’image de Rome « glisse aux yeux des Juifs vers les zones ténébreuses du mal absolu ». 4 Les Psaumes de Salomon, écrit pseudépigraphique, ont été rédigés après la mort de Pompée en 48 av. J.-C., vers l’an 30 av. J.-C. si « l’étranger » de Ps. Sal., XVII, 7 désigne bien Hérode (d’origine iduméenne) qui en 30 a fait tuer Hyrcan II, le dernier descendant des Hasmonéens (cf. ibid., v. 7 et 9). Ils seraient rédigés dans les milieux pharisiens (mais voir les réserves de M. Philonenko, La Bible, Écrits intertestamentaires (La Pléiade), Paris, 1987, p. LXXXII - LXXXV ). Ils désignent Pompée de ces seuls noms significatifs : « le Pécheur » (Ps. Sal., II, 1) ; « l’Impie » (Ps. Sal., XVII, 11) ; « le Dragon » (Ps. Sal., II, 2), c’est-à-dire le monstre mythologique qui symbolise l’ennemi de Dieu au même titre que le Léviathan… Là-dessus, cf. M. Delcor, « Mythologie et Apocalyptique » dans : Apocalypses et Théologie de l’Espérance, ACFEB, éd., Paris, 1977, p. 143-179. 5 Le III e livre des Oracles Sibyllins émane de la communauté juive de la Diaspora alexandrine. Il daterait au plus tard de la première moitié du Ier siècle ap. J.-C. V. Nikiprowetzky, La Troisième Sibylle, Paris, 1970, avance la date de 42 ap. J.-C. Dans cet ouvrage l’image foncièrement mauvaise de Pompée ne se limite pas à lui mais s’étend à l’empire romain qui contient les germes capables d’altérer le monde entier : « Cet empire troublerait tout, briserait tout, emplirait tout de maux à cause d’une cupidité dégradante, d’une ignoble soif de richesses » (Or. Sib., III, 187-189). 6 Le pešher d’Habaquq est un écrit de la communauté essénienne de Qoumrân datant du milieu du Ier siècle av. J.-C. Aux yeux des cercles esséniens l’impiété des Romains a atteint un paroxysme presque inimaginable : « Ils sacrifient à leurs étendards et leurs armes de guerre sont l’objet de leur religion » (IQpHab., VI, 4-5).
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les révolutionnaires : « Ils comprirent que cet oracle les touchait, et beaucoup se trompèrent dans leur interprétation, mais en réalité l’oracle prédisait l’empire de Vespasien, qui fut proclamé empereur en Judée » 7. Josèphe transforme de ce fait une croyance nationale considérée comme anti-romaine en un élément de propagande flavienne 8. C’est non seulement un exploit sur le plan de la rhétorique, mais encore c’est une attitude très révélatrice de la façon de travailler de Josèphe, qui doit nous guider dans notre recherche sur les éléments pouvant nous donner des indications sur la fin des temps, telle que la concevaient les révolutionnaires. Nous allons tenter de cerner les convictions des révolutionnaires touchant la fin des temps et les conséquences de ces croyances sur leur attitude durant la guerre. Nous verrons que ces convictions eschatologiques éclairent en grande partie les causes de la guerre civile entre révolutionnaires, guerre civile d’autant plus absurde en apparence que les révoltés avaient plus que jamais besoin d’unir leurs forces pour vaincre Rome. Dans ce contexte trois éléments susceptibles de nous fournir de précieuses indications retiendront plus particulièrement notre attention : l’interprétation des prodiges précédant la guerre contre Rome, la déclaration résolue d’une guerre voulue eschatologique par certains révolutionnaires lors de l’épisode de la cessation des sacrifices pour l’Empereur dans le Temple de Jérusalem, et enfin la longue attente des Sicaires à Massada, s’achevant par un suicide collectif. L’interprétation des prodiges Josèphe, malgré ses réticences, nous fournit parfois, de manière presque accidentelle, d’autres preuves que des révolutionnaires pensaient bien être les acteurs de la dernière guerre de la fin des temps. Dans ces passages il est curieux de voir à la fois avec quelle énergie Josèphe s’empresse souvent de donner sa propre explication des événements et avec quelle application il tait ou laisse systématiquement dans un flou savamment calculé tout ce qui pourrait nous éclairer sur les véritables intentions de ces révoltés. C’est la preuve que l’historien juif avait conscience qu’un lecteur romain averti
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BJ, VI, 313. Voir là-dessus C. Saulnier, « Flavius Josèphe et la propagande flavienne », RB 96, 1989, p. 545-562. 8
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pouvait saisir la pensée dangereuse des révolutionnaires à travers les quelques informations, apparemment anodines, qu’il donnait. Toutes en réalité pouvaient être en effet reliées à la mission eschatologique que certains révolutionnaires s’attribuaient. Josèphe énumère une série de signes envoyés par Dieu, qui, selon lui, auraient dû ouvrir les yeux aux insurgés sur la folie des actions qu’ils poursuivaient, si seulement ils avaient cherché à les comprendre, mais, dit-il, « comme s’ils avaient été frappés par la foudre et se trouvaient privés d’yeux et d’entendement, ils ne tenaient aucun compte des avertissements divins » 9. Dans un autre passage l’historien juif donne incidemment la preuve qu’au contraire l’interprétation de ces signes par les révoltés les confortait dans leurs calculs et leur fournissait autant de raisons supplémentaires de continuer la lutte : « Des prodiges qui paraissaient funestes aux partisans de la paix prenaient un sens favorable pour ceux qui avaient déclenché la guerre » 10. C’est de l’interprétation de ces signes que découlent les convictions des révolutionnaires sur la fin des temps. Et la plupart de ces prodiges ont lieu, on va le voir, précisément au printemps 66, c’est-à-dire quelques semaines avant que ne débute la grande insurrection 11, ce qui laisse déduire que l’interprétation de ces signes a réellement poussé les révoltés à déclencher la guerre contre Rome. Le premier présage décrit par Josèphe fut « une étoile en forme d’épée qui se tint au-dessus de la ville [= Jérusalem] ; la comète continua de briller pendant une année » 12. Face à ce phénomène, c’est l’oracle de Balaam qui nous vient à l’esprit. Celui-ci annonçait en effet : « Je le vois, mais ce n’est pas pour maintenant ; je l’observe, mais non de près : de Jacob monte une étoile ; un sceptre se lève, issu d’Israël » (Nb, 24, 17). Cette prophétie, déjà multiséculaire, qui daterait du temps de David et qui s’était enrichie d’une dimension messianique, pouvait bien enfin s’accomplir maintenant
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BJ, VI, 288. BJ, II, 650. 11 Le 17 Panemos 66 (juin/juillet) débute le siège du palais royal et la forteresse Antonia est prise (BJ, II, 430). Le 6 Loos (juillet/août) la garnison romaine du palais royal tombe (BJ, II, 440). Le 17 Gorpeios (août/septembre) la dernière garnison romaine de Jérusalem est massacrée (Megilat Taanit, VI, 14). Entre le 15 et le 21 Hyperbereteios (septembre/octobre) 66 (cf. BJ, II, 515), la XIIe légion commandée par Cestius Gallus arrive aux portes de Jérusalem. 12 BJ, VI, 289. 10
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en 66. Pour les révolutionnaires l’astre visible à Jérusalem pouvait annoncer la proximité de l’avènement messianique. La suite de l’oracle de Balaam pouvait même laisser entrevoir assez clairement la guerre contre Rome, presque nommément citée, aux yeux d’un révolté du Ier s. ap. J.-C. ; cette guerre contre Rome serait suivie du triomphe d’Israël : « Édom sera un pays conquis ; Séïr sera un pays conquis ; Israël déploie sa puissance, Jacob domine sur ses ennemis, il fait périr les rescapés de la Ville » (Nb 24, 18) 13. C’est évidemment la défaite d’Édom qui est annoncée, mais, à l’époque des révoltés, Édom pouvait servir de pseudonyme pour désigner Rome 14. Par ailleurs, le dernier terme de ce verset est « T[ », ce qui en hébreu signifie « ville » et la ville par excellence pour un Juif est bien sûr Jérusalem 15. Ainsi les Zélotes pouvaient-ils comprendre que les rescapés de la ville qui constituaient les ennemis de Jacob étaient les Édomites (][OYF ), c’est-à-dire les Romains (][OYT), en d’autres termes que les occupants allaient définitivement être chassés de la Ville Sainte. Ce premier signe de l’étoile laissait présager, à n’en pas douter pour les révolutionnaires, non seulement la venue du Messie, mais aussi la victoire d’Israël sur Rome au cours du présent conflit. Le troisième livre des Oracles Sibyllins, composé à Alexandrie dans la première moitié du Ier siècle ap. J.-C., annonce, dans des termes qui ressemblent de façon frappante à la description de Josèphe, l’apparition d’un tel présage dans le ciel, qui précédera l’arrivée de la fin des temps, en reprenant l’image de l’épée. Après avoir parlé
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Séïr étant un terme synonyme d’Édom pour désigner le pays situé au sud de Moab. 14 L’ancien royaume haï des Juifs, Édom (]YF ) – en témoigne la littérature prophétique postérieure à 597 av. J.-C. –, présentait en effet en hébreu une ressemblance orthographique remarquable avec Rome (]YT). La littérature rabbinique, désireuse de voiler ses sentiments hostiles à l’égard de l’Empire, employait ce terme d’Édom tout en sous-entendant Rome. Cet usage était parfaitement établi au II e siècle ap. J.-C. (cf. M. Hadas-Lebel, Jérusalem contre Rome, Paris, Cerf, 1990, p. 465), mais son origine était forcément plus ancienne ; elle devait remonter à Hérode le Grand, mort en 4 av. J.-C. Ce roi d’origine iduméenne était considéré en effet par certains Juifs comme un usurpateur dont le régime tyrannique servait les intérêts de Rome. Par extension, la patrie d’origine du roi, haïssable comme autrefois, finit par s’assimiler, par référence à la politique d’Hérode, à Rome, tout autant détestée. 15 Cf. la TOB, Nb 32, 18, contrairement à ce que pensent certains traducteurs qui rendent ce terme par le nom d’une localité inconnue (cf. par exemple H. Cazelles dans La Bible de Jérusalem, Nb 34, 18).
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de la guerre eschatologique, de l’avènement du Messie et d’une ère de félicité, la Sibylle prophétise : « Je vais t’indiquer un signe tout à fait évident qui te permettra de connaître quand l’accomplissement de toutes ces choses doit se produire sur terre. Lorsque, la nuit, dans le ciel rempli d’étoiles, des épées apparaîtront vers l’Occident et vers l’Orient et que du haut du ciel une pluie de poussière tombera sur la terre » 16. On retrouve la comète en forme d’épée décrite par Josèphe. On pourrait se demander si les révolutionnaires de 66 ap. J.-C. connaissaient les prophéties du troisième livre des Oracles Sibyllins, écrit en milieu alexandrin, et s’en étaient inspirés pour interpréter le prodige, mais il n’est guère probable et pas même nécessaire qu’il en soit ainsi, car la troisième Sibylle s’était visiblement servie dans ce passage d’un fond commun à tous les Juifs, que fournissait l’oracle de Balaam. L’étoile de Bethléem, annonçant de son côté au début de l’ère chrétienne l’avènement messianique, en est une autre illustration. V. Nikiprowetzky 17, lui, avait entrevu la possibilité que les révolutionnaires se soient inspirés du livre d’Isaïe pour interpréter ce présage : « Mon épée, dit Yhwh, dans les cieux est ivre : voici qu’elle s’abat sur Édom » (Is 34, 5). Suit une description du jugement universel. Bien que ne comprenant pas l’image de l’étoile, mais celle de l’épée, ce texte va dans le même sens que les autres : le signe vu dans le ciel de Jérusalem est annonciateur de la fin des temps et de la victoire d’Israël sur Rome-Édom grâce à une intervention divine. On voit mal comment ce présage aurait pu être funeste pour les Juifs ; aussi Josèphe préfère-t-il se taire plutôt que de fournir une quelconque interprétation. Le deuxième prodige, rapporté aussi par Tacite 18, eut lieu avant la révolte, le 8 du mois de Xanthicos, lors de la fête des Azymes 19 : « À la neuvième heure de la nuit, une lumière brilla autour de l’autel et du Temple, si intense que l’on se serait cru en plein jour ; elle se prolongea pendant une demi-heure. Pour les ignorants c’était un bon présage, mais les spécialistes des Écritures l’interprétèrent en
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Or. Sib., III, 796-801. V. Nikiprowetzky, « La mort d’Eléazar fils de Jaïre et les courants apologétiques dans le De Bello Judaico de Flavius Josèphe » dans : Hommages à André Dupont-Sommer, Paris, 1971, p. 475 n. 3. 18 Histoires, V, 13. 19 Ce qui correspond au mois de Nisan, c’est-à-dire à mars/avril 66. 17
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conformité avec les événements futurs » 20. Il est difficile de connaître sur quel présage « les spécialistes des Écritures » s’appuyaient – connaissant l’auteur, ces « spécialistes » désignent ceux qui pensaient comme Josèphe –, mais « les ignorants » – à savoir les révolutionnaires qui n’avaient pas la même interprétation des signes – devaient tout de suite penser à un texte d’Isaïe : Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière, sur les habitants du pays sombre une lumière a resplendi. Tu as multiplié la nation, tu as fait croître sa joie ; ils se réjouissent devant toi comme on se réjouit à la maison, comme on exulte au partage du butin. Car le joug qui pesait sur elle, la barre posée sur ses épaules, le bâton de son oppresseur, tu les as brisés comme au jour de Madiân ; car tout brodequin qui résonne sur le sol, tout manteau roulé dans le sang deviennent bons à brûler, dévorés par le feu. Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné (Is 9, 1-5).
La lumière qui émane de la Shekinah évoque ainsi pour les futurs révoltés à la fois l’anéantissement prochain des ennemis, la restauration d’Israël et l’avènement messianique, autant de réalités qui ne peuvent que renforcer les révolutionnaires dans leurs convictions touchant l’eschatologie, mais que Josèphe a intérêt à taire. Que cet événement se produisît la nuit de la Pâque devait frapper encore plus fortement les esprits, puisque cette nuit-là les Juifs revivaient la veille qui avait précédé la sortie d’Égypte. Il est certain que les futurs révoltés se trouvaient, eux aussi, être à la veille de la libération, tant attendue, et donc que la guerre finale allait commencer. Le troisième signe décrit par Josèphe eut lieu aussi lors de cette fête de la Pâque : « Une vache amenée par quelqu’un pour le sacrifice mit bas un agneau au milieu du Temple » 21. Ce phénomène extraordinaire devait probablement être annonciateur d’événements extraordinaires, qui pouvaient être funestes ou favorables suivant l’état d’esprit où l’on se trouvait, mais là encore les futurs révoltés pouvaient comprendre ce signe comme annonçant l’arrivée prochaine de la libération face à l’occupation romaine. Il a lieu précisément lors de la Pâque et l’agneau pascal, depuis la sortie d’Égypte, était devenu le symbole de la libération face à la servitude 22, ce qui ne pouvait qu’encourager les révoltés à entamer la lutte.
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BJ, VI, 290-291. BJ, VI, 292. 22 L’agneau était devenu un symbole messianique : cf. Testament de Joseph, XIX, 8 et Testament de Benjamin, III, 8, et même celui d’un Messie souffrant : en Is 53, 7. 21
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Puis, autre signe : la porte orientale du Temple, que vingt hommes arrivaient à peine à pousser, s’ouvrit d’elle-même en pleine nuit, alors qu’elle était solidement verrouillée par des barres de fer. Josèphe écrit : Ce prodige aussi parut très favorable aux ignorants ; ils disaient que Dieu leur avait ouvert la porte du bonheur, mais les savants pensaient que c’était la sécurité du Temple qui s’anéantissait d’elle-même, que la porte s’était ouverte pour s’offrir aux ennemis et en eux-mêmes ils estimaient que ce présage annonçait la dévastation. 23
Ce prodige est à rapprocher d’un autre rapporté par Josèphe : À la fête de la Pentecôte, les prêtres, en entrant comme d’habitude dans la cour intérieure du Temple pour le service du culte rapportèrent qu’ils entendirent une secousse et du bruit et ensuite la voix de plusieurs disant : ‘Partons d’ici !’. 24
Ces événements font tout deux référence à la Shekinah. Celle-ci sort du Temple. Mais à partir de là deux interprétations sont possibles : ou bien elle vient en aide, comme le croient les révoltés, et Dieu annonce par ces signes son intervention qui va amener le triomphe d’Israël sur l’ennemi eschatologique et instaurer ainsi l’ère de félicité du Royaume de Dieu – Josèphe dissimule ces espérances sous l’expression vague de « porte du bonheur » – ; ou bien Yhwh quitte le Temple, abandonnant les Juifs à leurs mésaventures, comme l’avait mentionné le prophète Ézéchiel peu de temps avant la ruine du Temple à l’époque de Nabuchodonosor 25 ; c’est ce qui vient à l’esprit des « savants » dont parle Josèphe 26.
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BJ, VI, 292-295. Cet événement est également connu de Tacite, Histoires, V, 13. BJ, VI, 299. La fête de la Pentecôte avait lieu les 6 et 7 Sivan, ce qui correspond à mai/juin. Ces deux phénomènes sont aussi connus de Tacite : Histoires, V, 13. 25 Cf. Ez 10, 18-22. 26 V. Nikiprowetzky s’est intéressé à ce prodige, comme il l’avait fait pour le premier, dans son article : « La mort d’Eléazar fils de Jaïre et les courants apologétiques dans le De Bello Judaico de Flavius Josèphe » dans : Hommages à André Dupont-Sommer, Paris, 1971 : p. 476, n. 1, il remarque que le pluriel « partons d’ici » indiquerait que la source empruntée par Josèphe n’est pas juive mais romaine ; elle témoignerait d’une conception polythéiste. O. Betz, « Miracles in the Writings of Flavius Josephus », in L.H. Feldman et G. Hata (éd.), Josephus, Judaism and Christianity, Leiden, 1987, p. 232, pense au contraire que le pluriel se justifie par les anges censés accompagner la présence divine ; le récit d’Ez, 10, 18-22 va dans ce sens. 24
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Le 21 Artémisios 27, « on vit dans les airs avant le coucher du soleil partout dans le pays des chars et des bataillons armés s’élançant à travers les nuages et encerclant les villes » 28. On retrouve dans le troisième livre des Oracles Sibyllins un signe semblable qui s’avère de bon augure : « Lorsque dans la nuée vous verrez une mêlée de gens de pied et de cavaliers, comme une chasse de bêtes sauvages pareille à des vapeurs de brume, c’est alors que Dieu qui habite le ciel va mettre un terme à la guerre » 29. Ce présage, comme les autres déjà cités que décrit la Troisième Sibylle, résulte d’un fond commun au judaïsme et il n’est pas utile que les révoltés aient eu connaissance du livre alexandrin pour interpréter ce signe dans un sens favorable. À en croire les Écritures, ce prodige est d’ailleurs apparu déjà plusieurs fois dans l’histoire d’Israël et annonçait toujours une intervention surnaturelle qui allait donner la victoire aux Juifs en difficulté. Yhwh n’avait-il pas déjà dit à David : « Quand tu entendras un bruit de pas dans la cime des micocouliers, alors dépêche-toi : c’est que Yhwh sort devant toi pour battre l’armée des Philistins » (2 S 5, 24) ? Par ailleurs, une armée était apparue également dans le ciel peu avant que ne débute l’insurrection des Maccabées contre les Séleucides 30. Ce prodige offre un parallélisme frappant avec celui décrit par Josèphe avant le commencement du soulèvement contre Rome. Nul doute que les
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C’est-à-dire en avril/mai 66. BJ, VI, 298. Cette vision est aussi connue de Tacite (Histoires, V, 13). 29 Or. Sib., III, 805-808. 30 Cf. 2 M 5, 2-4 : « Il arriva que dans toute la ville pendant près de quarante jours apparurent, courant dans les airs, des cavaliers vêtus de robes brodées d’or, des troupes armées disposées en cohortes, des escadrons de cavalerie rangés en ordre de bataille, des attaques et des charges conduites de part et d’autre, des boucliers agités, des forêts de piques, des épées tirées hors du fourreau, des traits volants, un éclat fulgurant d’armures d’or et des cuirasses de tout modèle. » Ce phénomène se reproduisit au milieu du conflit séleucide, ce qui permit à Judas Maccabée de triompher : « Au plus fort du combat, du ciel apparurent aux ennemis, sur des chevaux aux freins d’or, cinq hommes magnifiques qui se mirent à la tête des Juifs et, prenant en même temps Maccabée au milieu d’eux et le couvrant de leurs armures, le gardaient invulnérable. Ils lançaient aussi des traits et la foudre sur les adversaires qui, bouleversés par l’éblouissement, se dispersaient dans le plus grand désordre. Vingt mille cinq cents fantassins et six cents cavaliers furent alors égorgés » (2 M 10, 29-31). Cette intervention céleste n’est d’ailleurs pas sans rappeler la délivrance face aux Araméens, alors qu’ils assiégeaient Samarie ; les oppresseurs avaient abandonné Samarie « car Yhwh avait fait entendre dans le camp des Araméens un bruit de chars et de chevaux, le bruit d’une grande armée » (2 R 7, 6), ce qui avait donné la victoire aux Hébreux (cf. 2 R 6-7). 28
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révolutionnaires ne se souviennent de cet événement, éloigné seulement de deux siècles, qui avait aussi été annonciateur de la délivrance face à l’oppresseur. Pour eux le signe envoyé par Dieu est évidemment destiné à leur indiquer, par l’intermédiaire d’événements passés, à la fois que Dieu va les assister dans le combat et que la victoire est proche, ce qui ne peut que les encourager à se lancer sans crainte dans une guerre contre l’impressionnante puissance romaine. Un dernier signe mentionné par Josèphe ne peut cependant en aucun cas avoir été tenu pour favorable par les révoltés. Un certain Jésus, fils d’Ananias, cria pendant sept ans et cinq mois : « Malheur à Jérusalem ! ». Il commença ainsi quatre ans avant la guerre alors que tout était calme 31. Les révolutionnaires évidemment passèrent outre ces prédictions funestes, ce qui permet à Josèphe d’affirmer : « Les Juifs interprétèrent certains oracles dans le sens qui leur plaisait, ils ne firent aucun cas des autres, jusqu’au moment où ils furent convaincus de leur folie par la conquête de leur patrie et leur propre destruction » 32. À travers l’analyse de ces sept prodiges 33 on peut se rendre compte que les révolutionnaires, tout comme les partisans de la paix, étaient loin d’être indifférents aux présages qu’ils estimaient être envoyés par Dieu. Mais leurs interprétations respectives stigmatisaient leurs divergences et renforçaient leurs convictions spécifiques face à la nature du conflit. Le problème primordial se posait en réalité en ces termes : la guerre contre Rome était-elle la guerre eschatologique ? Auquel cas l’aide divine et donc la victoire étaient assurées pour Israël. Telle était la position des révolutionnaires. La guerre contre Rome était-elle au contraire une des multiples guerres historiques menées par Israël contre ses occupants successifs ? Telle était la position de ceux qui adhéraient à l’interprétation de Josèphe et qui n’entraient pas dans une logique supra-historique. Et dans ce contexte, cette guerre contre Rome devait être à tout prix évitée, car la puissance romaine, dans le cadre des temps historiques, ne manquerait pas de vaincre les faibles forces judéennes. Cette divergence
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Cf. BJ, VI, 300-309. BJ, VI, 315. 33 Eusèbe de Césarée les a décrits en suivant le récit de Josèphe dans son Histoire Ecclésiastique, III, 8, 1-9. 32
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de conception était fondamentale et lourde de répercussions. Elle entraîna inévitablement une guerre civile entre deux camps : les partisans de la paix entrant dans une logique historique et les partisans de la guerre raisonnant, eux, dans un scénario eschatologique. Dans ce cadre, l’interprétation des oracles devenait primordiale. La division entre les Juifs face au bien fondé d’une révolte contre Rome, avant de se transformer en guerre civile, va d’abord prendre l’aspect d’une « guerre d’oracles » 34. C’est sur l’interprétation de ces oracles que se fonde la dimension eschatologique du combat des révoltés. Dans ces sept prodiges, à l’exception du cas de Jésus fils d’Ananias, ils pouvaient voir en effet, en s’appuyant sur les Écritures, des preuves envoyées par Dieu de l’imminence de l’avènement du Messie, d’une victoire assurée d’Israël dans la guerre contre l’empire romain. Ainsi, dans le printemps 66, ils acquirent la certitude que la guerre eschatologique allait commencer et qu’ils en ressortiraient victorieux, grâce à l’aide de Dieu. Ces convictions générèrent chez les révolutionnaires une espérance si forte qu’ils continuèrent toujours à croire à la restauration d’Israël, même dans les circonstances dramatiques des années 68-70, et devant l’évidence de la victoire romaine ! Josèphe, de son côté, lorsqu’il décrit ces prodiges, adopte un ton polémique en insistant sur la folie des révoltés, mais avec habileté il n’entre pas dans le débat de l’interprétation de ces signes. Il ne cherche même pas à expliquer celle qu’en donnaient les partisans de la paix, car ceci l’aurait amené à dévoiler implicitement celle des révolutionnaires qui en prenaient le contre-pied. Il cherche à taire les convictions des révolutionnaires touchant la fin des temps, même si celles-ci sont fondamentales dans leur guerre contre Rome, parce qu’elles présentent le danger d’être engendrées par une certaine interprétation des Écritures : et aux yeux des Romains c’est le judaïsme lui-même qui aurait pu constituer la véritable menace à abattre et non plus seulement les révolutionnaires, ceux-ci étant présentés par Josèphe volontairement sous les traits de groupes marginaux. Il y a là de la part de l’historien juif des silences qui aboutissent à une déformation historique intentionnelle. Même ses procédés littéraires trahissent ses arrière-pensées : la prédiction
————— 34 L’expression a été employée la première fois par V. Nikiprowetzky, « La mort d’Eléazar fils de Jaïre et les courants apologétiques dans le De Bello Judaico de Flavius Josèphe » dans : Hommages à André Dupont-Sommer, Paris, 1971, p. 474.
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funeste de Jésus fils d’Ananias sur la chute de Jérusalem prend dans le texte une place plus grande que la description des six premiers prodiges réunis pouvant inciter à la révolte 35, ce qui est éloquent. S’il devient assuré aux yeux de certains et à la lecture de ces nombreux prodiges qu’une guerre contre Rome constituerait la guerre ultime de la fin des temps contre l’ennemi eschatologique, il peut être souhaitable pour les plus exaltés et les plus impatients d’entre les révolutionnaires de hâter cette guerre pour accélérer la libération et l’avènement définitif du Royaume de Dieu. L’entérinement de la guerre eschatologique L’épisode de la cessation des sacrifices pour les païens dans le Temple de Jérusalem nous indique que les Zélotes raisonnaient dans ce cadre. Cet épisode transforma ce qui n’était qu’une agitation populaire en guerre irrémédiable contre Rome. Parmi les sacrifices offerts par les païens dans le Temple de Jérusalem, il y avait en effet ceux fournis quotidiennement par l’Empereur lui-même pour que les Juifs y sacrifient pour sa protection et pour celle du peuple romain. Ce sacrifice incarnait la marque véritable du loyalisme des Juifs de Judée envers les autorités romaines, à défaut de pouvoir pratiquer le culte impérial, comme dans les autres provinces. Le supprimer était synonyme de rébellion et obligeait les Romains à une riposte militaire de grande ampleur, ce qui ne manqua pas d’ailleurs. Ce rejet fut orchestré par le chef zélote Éléazar fils d’Ananias qui « persuada les officiants du culte de ne plus accepter d’offrande ni de sacrifice d’aucun étranger » 36. Cet acte déroutant, quand on sait qu’il conduisait la toute petite province de Judée à affronter volontairement dans une guerre l’immense puissance romaine, s’explique dans la mesure où les Zélotes étaient convaincus que la guerre contre Rome qu’ils allaient déclencher était bien la guerre eschatologique : les révoltés attendaient avec assurance une intervention divine en leur faveur. L’idéologie du zèle explique par ailleurs l’audace d’un tel défi. Josèphe affirme à plusieurs reprises que les Zélotes s’étaient
————— 35 Les six premiers signes se tiennent en BJ, VI, 289-299, le septième en ibid., 300-309. 36 BJ, II, 409.
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eux-mêmes décernés ce nom 37 et il ne fait pas de doute que ce fut en référence à la tradition multiséculaire du zèle (la J PS), présente dans la Bible. Or, la J PS possède une dimension eschatologique quand elle correspond à une qualité divine. Dans au moins quatorze des passages où le zèle divin est mentionné dans la Bible, celui-ci provoque des événements qui se dérouleront à la fin des temps ; il sert d’initiateur du processus eschatologique 38. Cette composante est dans les Écritures sans correspondant au niveau humain ; elle est évidemment uniquement l’attribut de Dieu. Pourtant il est probable que le zèle humain se soit enrichi d’une dimension eschatologique, inspiré du zèle divin, suite à un terrain propice résultant d’une convergence de facteurs extérieurs à lui, à savoir la fièvre de l’attente messianique qui suit la mort d’Hérode le Grand et l’identification de l’empire de tous les maux à l’occupant romain. C’est parce qu’au Ier siècle ap. J.-C. précisément, étaient réunies les conditions nécessaires à l’éclosion de cette nouvelle dimension qu’a pu apparaître un mouvement aux actions et aux ambitions exceptionnelles dans la tradition du zèle : celui des Zélotes, qui vont s’afficher comme des déclencheurs de la fin des temps. Il reste que les Zélotes ne peuvent cependant pas avoir la prétention de déclencher par leurs propres forces le Jour de Yhwh. Mais les prodiges, énumérés précédemment, indiquent pour certains très clairement que Dieu cherche à faire savoir que la guerre eschatologique est commencée. Il ne reste plus qu’à faire entériner aux yeux du monde cette décision déjà prise par Dieu : la suppression des sacrifices pour l’Empereur dans le Temple en fournit un moyen efficace, en rendant la guerre désormais irréversible. Ceux-là mêmes qui, comme Josèphe, considéraient la révolte contre Rome comme funeste, se retrouvent devant le fait accompli, entraînés dans le combat et, une fois les tentatives de contrecarrer les révoltés avortées, étant donnée la disproportion des forces face à Rome, ils ne peuvent plus espérer leur survie que dans la clémence des Romains et dans une intervention divine, quelle que soit sa nature. Josèphe, un moment à la tête des révoltés en Galilée, se rend aux Romains, prétendant avoir eu la vision de l’avènement de Vespasien. Les révolutionnaires, eux, poursuivent la guerre au-delà des limites de la résistance militaire et humaine, confiants, d’autant
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En BJ, IV, 161 et VII, 269. Is 9, 6 ; 37, 32 (= 2 R 19, 31) ; 42, 13 ; 59, 17 ; 62, 15 ; Ez 38, 19 ; 39, 25 ; Jl 2, 18 ; Na 1, 2 ; So 1, 18 ; 3, 8 ; Za 1, 14 ; 8, 2. 38
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plus que la situation s’aggrave, en l’imminence de l’établissement du Royaume de Dieu, car certains de vivre les affres douloureuses qui déboucheront sur l’avènement messianique, comme la littérature apocalyptique le laisse entendre 39. L’attitude à adopter durant la fin des temps Les convictions divergentes face à la fin des temps ne vont cependant pas seulement pousser les révoltés et les partisans de la paix à s’affronter dans une guerre civile : elles vont profondément diviser les révolutionnaires eux-mêmes. Malgré cette conviction commune qu’arrive la fin des temps historiques et que débute la guerre eschatologique, des divisions irrépressibles entre révoltés vont vite apparaître, au point que différents groupes révolutionnaires vont s’affronter eux aussi dans une guerre civile complexe. L’origine de ces conflits est cette fois à relier à un autre problème : non plus celui de la nature de la guerre contre Rome, mais de l’attitude qu’il faut adopter lors de la guerre eschatologique. Dans cette optique interfère la question de l’avènement messianique. Si la guerre eschatologique est débutée, l’avènement messianique est imminent. Or deux groupes révolutionnaires ont prêté à leur chef une dimension messianique. Celui des Sicaires qui iront se réfugier à Massada, et celui de Simon bar Gioras. Bien sûr Josèphe, toujours aussi prudent, ne se risque pas à affirmer clairement de telles convictions. Celui-ci dissimule les prétentions messianiques sous le terme plus neutre de « royauté ». Mais il ne faut pas se laisser abuser par ce langage destiné à camoufler la vérité aux Romains : en effet toute monarchie en Israël dans le contexte particulier de la fin des temps historiques est nécessairement messianique. C’est ainsi que, parmi les prétendants messianiques, il faut d’abord mentionner Ménahem, le chef du groupe des
————— 39 Là-dessus, cf. F. Schmidt, « Chronologies et périodisations chez Flavius Josèphe et dans l’apocalyptique juive », dans : Atti del congresso tenuto a S. Miniato, 7-10 novembre 1983, Rome, 1987, p. 125-138 et notamment p. 138 : « Les ‘factieux’ de la Guerre Juive puisent leur détermination dans cette conviction que du cœur de l’agonie surgissent les conditions du passage à la septième période, inaugurée par la venue du Messie et suivie de la rénovation du monde : en cela ils font leur la temporalité de l’Apocalyptique. »
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Sicaires 40. Josèphe nous dit que Ménahem « revint à Jérusalem comme un roi et se mit à la tête de la sédition » 41, et un peu plus loin que : « Plein d’insolence, il était monté [au Temple] pour adorer, paré de vêtements royaux, traînant à sa suite les Zélotes en armes » 42. Ménahem pouvait se prévaloir d’avoir très largement contribué à chasser les Romains de Jérusalem dans l’été 66 : et celui qui vaincrait l’ennemi eschatologique ne pouvait-il pas se prétendre être le Messie ? C’est ce que pensait Ménahem. Plus tard, dans l’été 70, après la destruction du Temple, Simon bar Gioras manifesta également au grand jour des prétentions messianiques : il revêtit alors une tunique blanche et un manteau pourpre et se manifesta ainsi paré à l’emplacement précis du Temple détruit. Sa tenue royale abusa un moment les soldats romains, interloqués, puis Simon se rendit à leur chef 43. La mise en scène effectuée par Simon indique clairement qu’il voulait se faire passer pour un roi aux yeux des Romains, c’est-à-dire pour le Messie, dans ces temps jugés eschatologiques 44. Toutefois ces diverses prétentions messianiques semèrent la discorde au sein des groupes révolutionnaires. Le groupe des Zélotes ne voyait pas dans ces compagnons d’armes qu’ils côtoyaient des messies. Les Zélotes attendaient vraisemblablement un messie doté d’une puissance surnaturelle, dont l’arrivée dans ces temps difficiles
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Ceci a été bien mis en évidence par M. Hengel, Die Zeloten, Leiden, 1976, p. 300, et a été souligné également par R.A. Horsley, « Menahem in Jerusalem. A brief episode among the Sicarii – not ‘Zealot messianism’ », NT, XXVII, 4, 1985, p. 345. 41 BJ, II, 434. 42 BJ, II, 444. 43 Cet épisode est narré en BJ, VII, 26-31. 44 Il est certain que les Romains savaient en effet qu’une prophétie juive annonçait la venue d’un roi issu des Juifs qui régnerait sur l’univers (Cf. Tacite, Histoires, V, 13 et Suétone, Vespasien, IV) et certains d’entre eux probablement même y croyaient. Dion Cassius, dans son Histoire Romaine, LXVI, 5, 4, rapporte en effet que des Romains, désespérant de pouvoir prendre Jérusalem étaient passés dans le camp des Juifs et se battaient à leurs côtés. Cette décision était vraisemblablement soutenue par la croyance en la prédiction messianique des Juifs, véhiculée par les soldats romains. Malgré les efforts de Josèphe pour voiler la réalité, les autorités romaines en eurent parfaitement conscience ; la preuve nous en est fournie par Eusèbe de Césarée, dans son Histoire Ecclésiastique, III, 12, qui s’inspire dans le passage en question du témoignage d’Hégesippe : « Après la prise de Jérusalem, Vespasien fit rechercher tous ceux de la race de David, pour supprimer ceux qui pouvaient prétendre à la royauté en Judée ». C’est le Messie, fils de David, qui est visé par ces persécutions.
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bouleverserait tout et permettrait aussitôt le triomphe fulgurant d’Israël. Ces pseudo-messies, Ménahem ou Simon, étaient considérés comme des imposteurs, sacrilèges, qu’il fallait combattre. C’est ainsi que les Zélotes assassinèrent Ménahem dès l’été 66. Ce qui déclencha une guerre entre les Zélotes et les Sicaires, compagnons de Ménahem. Ces derniers furent battus et durent se retirer à Massada, d’où ils ne sortirent plus jusqu’à la fin de la guerre. Les Zélotes vont aussi combattre par les armes Simon bar Gioras, que ses partisans avaient trop tendance à considérer comme le messie, mais Simon était plus puissant que les Zélotes militairement et leur lutte fut vaine. Ces divers conflits entre révolutionnaires vont perdurer tout au long de la guerre contre Rome, alors même que l’union était plus que jamais nécessaire. De telles divisions auraient été des non-sens dans une logique historique. Josèphe, qui dissimule la dimension eschatologique du conflit contre Rome, en est donc réduit à parler de la « folie » des révolutionnaires (Pöñïóýíç) 45, et les apparences lui donnent raison, puisque ceux-ci s’entretuent au lieu de s’unir pour lutter contre un ennemi aussi puissant que Rome. Mais si l’on intègre la dimension eschatologique prêtée par les révolutionnaires à la révolte contre Rome, les guerres civiles entre révoltés deviennent compréhensibles : la guerre contre Rome est le rendez-vous unique de la fin des temps. Ce rendez-vous, il ne fallait surtout pas le manquer par une conduite inadaptée. Le droit à l’erreur n’était pas permis, car l’histoire, s’achevant par cet événement, ne se reproduirait plus. Dans ce contexte, les divergences de vue prenaient des dimensions gigantesques, ce qui explique que tout comportement jugé contraire au bon déroulement du processus eschatologique était considéré comme devant être anéanti, quel qu’en soit le prix, même s’il fallait en arriver à des guerres civiles. Peu importait que les Juifs s’affaiblissent ainsi militairement, puisque de toute façon, dans la guerre eschatologique, c’est Dieu qui permettrait le triomphe d’Israël. Les forces purement humaines n’avaient qu’une importance secondaire. Il importait aux hommes avant tout de permettre et d’accélérer l’intervention divine, en éradiquant tout comportement jugé sacrilège, même si l’assassinat de compatriotes était nécessaire pour en arriver là. Les divergences de vue face à la fin des temps ne sont évidemment pas
————— 45
BJ, II, 651 et passim.
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les seules causes des conflits entre révolutionnaires, mais elles en constituent un élément essentiel, dans la mesure où elles seules peuvent prétendre justifier les guerres civiles, en se situant dans une logique supra-historique. L’attitude surprenante du groupe des Sicaires, se désintéressant du combat contre Rome pendant de longues années, offre un autre exemple d’attitude originale adoptée face à la fin des temps par des révolutionnaires convaincus. De l’assassinat de Ménahem et l’expulsion de ses compagnons de Jérusalem par les Zélotes à la fin de l’été 66, jusqu’à la prise de la forteresse par les Romains lors de la Pâque 73, les Sicaires vont séjourner pendant sept années à Massada. Ce retrait à Massada – alors que la guerre contre Rome battait son plein à Jérusalem et aurait exigé la participation de tous les combattants – est particulièrement étrange. Pourquoi ce long retrait à ce moment crucial ? Les activités des Sicaires à Massada nous offrent quelques indications. C’est d’abord une communauté entière qui y vivait en famille, et pas seulement des anciens belligérants armés 46. Une des préoccupations essentielles des Sicaires à Massada semble avoir été leur approvisionnement en nourriture. Il se faisait par l’intermédiaire de razzias pratiquées au détriment des campagnes environnantes de l’Idumée 47. Pourtant, quand on y regarde de plus près, les Sicaires disposaient déjà à Massada de ressources considérables en vivres 48. Les Sicaires ne cherchaient manifestement pas seulement à subsister à Massada, mais avaient l’intention d’y vivre très longtemps. Les habitants de la citadelle par ailleurs aménageaient leur défense. Des casemates furent construites à cette période tout autour de la
————— 46 D’après Josèphe, lors de la chute de la forteresse « le nombre des victimes fut de neuf cent soixante, en comptant les femmes et les enfants » (BJ, VII, 400), auquel il faut ajouter deux femmes et cinq enfants qui échappèrent au suicide collectif (Cf. BJ, VII, 399). 47 Cf. BJ, IV, 400, 405, 506 et 516. 48 Les stocks de nourriture entreposés autrefois dans la forteresse par le roi Hérode étaient intacts du fait des conditions climatiques exceptionnelles liées au désert : « ils comprenaient d’énormes quantités de blé, très largement suffisantes pour une très longue durée, d’énormes quantités de vin, d’huile, de légumes secs en tout genre et des monceaux de dattes. » (BJ, VII, 296). Les Romains, quand ils prirent la forteresse, y trouvèrent des vivres en abondance (cf. BJ, VII, 297 et 336).
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forteresse 49. Les Sicaires disposaient de l’énorme stock d’armes que possédaient les arsenaux du roi Hérode 50 mais fabriquaient également des armes plus légères : dans les casemates en question furent trouvées deux pièces où étaient forgées des pointes de flèches 51. Ces mesures militaires n’étaient visiblement pas destinées à l’attaque, mais à renforcer la sécurité des Sicaires à Massada. Toutes ces préoccupations matérielles – se nourrir et se défendre – permettaient la sauvegarde d’activités religieuses. Les fouilles archéologiques ont prouvé la dévotion des Sicaires. Des miqve, d’un type utilisé par les Juifs les plus pieux, ont été retrouvés, de même que des manuscrits bibliques ; ils datent avec certitude de la période d’occupation de la forteresse par les Sicaires. Une synagogue construite au temps d’Hérode a été également agrandie et aménagée par ces derniers. Le respect de la Torah, l’étude et l’interprétation des Écritures disposaient manifestement d’une place de choix dans les activités du groupe révolutionnaire à Massada. Il reste étonnant que les Sicaires soient restés passivement à Massada sans chercher à apporter leur contribution au combat contre les armées romaines. S’il faut en croire le récit de Josèphe, les Sicaires ne combattirent même pas les Romains quand Massada fut attaquée, mais préférèrent attendre, puis se suicider au moment de l’assaut ennemi final. Les Romains d’ailleurs ne se trompèrent pas sur les intentions militaires des Sicaires. En n’attaquant la citadelle que trois ou quatre ans après leur victoire définitive à Jérusalem et le triomphe de Titus, ils indiquaient que les occupants de Massada ne s’illustraient pas par des activités militaires gênantes à leur encontre et que la forteresse ne concentrait pas une poche active de résistance armée. Pour expliquer ce comportement stupéfiant des Sicaires, il faut considérer que la révolte contre Rome en 66 était appréciée par eux comme étant la guerre eschatologique ; le messianisme de Ménahem en a été l’illustration. Dans ce cadre, si des hommes devaient participer à cette lutte, peu importait à Dieu qu’ils soient nombreux ou pas. Les quelques centaines d’hommes que représentaient les occupants
————— 49
Cf. Y. Yadin, Masada, Herod’s Fortress and the Zealots’ Last Stand, Londres, 1966, dont nous nous inspirons, en absence d’autres précisions, pour les éléments archéologiques auxquels nous feront allusion par la suite. 50 Cf. BJ, VII, 299. 51 Cf. J. Magness, « Masada : Arms and the Man », Biblical Archaeology Review 18, 4, 1992, p. 58-67.
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de Massada n’avaient aucun pouvoir véritable pour changer par le combat militaire le cours des événements. Ils seraient d’une utilité beaucoup plus grande s’ils s’appliquaient à rendre possible cette intervention divine. Tant que Dieu ne serait pas intervenu, il fallait en effet que des hommes soient en mesure de l’attendre en ne se soumettant qu’aux seuls commandements divins. Après le déclenchement de la guerre eschatologique et suite à leur retrait de Jérusalem, c’était très probablement cette mission que les Sicaires estimaient leur être assignée et qui justifiait leur retrait durable à Massada et toute la logique de leurs activités. Ainsi, il leur fallait bien sûr se donner les moyens d’une attente qui pouvait être relativement longue. Aussi les Sicaires conservaient-ils de substantielles réserves de nourriture, aménageaient-ils la citadelle et préparaient-ils leur armement dans un but défensif. Ils devaient également pour cette raison se garder de combattre les Romains afin de ne pas s’exposer à des représailles et de prolonger ainsi leurs possibilités de survie à Massada. Parallèlement leur soumission à la Loi divine constituait l’essentiel de leurs efforts ; elle permettrait et accélérerait l’intervention divine. Elle passait par la pureté légale – en atteste la fabrication de miqve – mais aussi par l’étude et la recherche spirituelle approfondie. L’étude des Écritures pouvait permettre de préciser le déroulement des événements eschatologiques et le moment de l’intervention divine 52. Les Sicaires attendaient patiemment la fin des temps à Massada et toutes leurs activités, dans cette optique d’attente de la fin des temps, consistaient à rendre possible et à accélérer l’intervention finale de Dieu. Les Romains en 73 mirent un terme à cette attente. Josèphe nous rapporte que les occupants de Massada se suicidèrent collectivement alors que leur citadelle était sur le point de tomber aux mains de l’ennemi. Quel sens donner à ce suicide ? Dans l’esprit des Sicaires, il est certain que l’héroïsme ne résidait pas dans le fait de combattre les Romains jusqu’à la mort. Rappelons que le but de ces révolutionnaires n’était paradoxalement pas d’infliger le plus de pertes
————— 52 Il a été trouvé à Massada de nombreux manuscrits des textes qoumrâniens (cf. Y. Yadin, Masada, op. cit., p. 172-174), probablement apportés dans la citadelle lors de la venue de réfugiés esséniens. Dans ces textes, les spéculations eschatologiques sont éminemment présentes. L’accueil favorable fait par les Sicaires aux Esséniens, attestée par la présence de ces manuscrits, s’explique, pour une part au moins, par l’intérêt que pouvaient représenter pour les Sicaires les ouvrages esséniens traitant du déroulement de la fin des temps.
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possibles à l’ennemi, puisque Dieu seul était capable de vaincre l’adversaire eschatologique. Le suicide de Massada ne doit probablement pas être considéré comme un acte de désespoir, comme Josèphe cherche à le faire croire, mais plutôt comme un acte ultime de sacrifice, permettant de hâter l’intervention divine, en mettant fin aux douleurs provoquées par l’enfantement d’une ère nouvelle, préludant l’instauration du Royaume de Dieu et du triomphe d’Israël. Les événements toutefois en décidèrent autrement. Pour conclure, le problème fondamental en 66-73 était donc de connaître la véritable nature de la guerre contre Rome : était-elle eschatologique ou non ? Cette question était elle-même reliée à une seconde : si oui, quelle conduite fallait-il adopter lors de la guerre eschatologique ? La seconde incertitude divisa les mouvements révolutionnaires qui préférèrent s’affronter dans une guerre civile plutôt que de manquer de répondre à ce qu’ils croyaient être les attentes divines dans cette guerre unique de la fin des temps 53. La réponse à la première interrogation monta les révolutionnaires contre leurs détracteurs, représentés essentiellement par des notables, dont Josèphe constitue la figure la plus illustre. L’histoire donna cependant raison à ces derniers, en refusant de s’achever en 70.
————— 53
Pour approfondir l’idéologie des Zélotes et des Sicaires, notamment au niveau des racines de leurs convictions, de leur sentiment d’être des accélérateurs de l’histoire ou de leurs attentes eschatologiques, nous renvoyons à notre ouvrage : C. Mézange, Les Sicaires et les Zélotes. La révolte juive au tournant de notre ère, Paris, Geuthner, 2003.
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MODÈLES DU TEMPS ET DE LA FIN DES TEMPS DANS L’APOCALYPSE DU PSEUDO-MÉTHODE JEAN -MARC R OSENSTIEHL UMR 7044 CNRS – Strasbourg
L’Apocalypse du Pseudo-Méthode a d’abord été connue dans nos contrées par une version latine, traduite du grec 1, qui a fait l’objet d’une diffusion considérable dans l’Occident des XVIe et XVIIe siècles 2. Plus récemment, dans la seconde moitié du XIXe siècle, on a vu fleurir des travaux consacrés à l’édition et à l’étude de ses versions grecque, latine et slave 3. Puis, en 1930, on entre dans l’époque moderne qui a tiré de l’oubli le texte par un passionnant exposé du savant hongrois Michael Kmosko lors d’un congrès d’orientalistes réuni dans la capitale autrichienne 4, renouvelant la recherche en mettant au premier plan le texte syriaque 5 qui
————— 1 Vers le VIII e siècle, probablement déjà, et peut-être au monastère de SaintHonorat sur l’île de Lérins. On pensait que l’apocalypse avait été composée en Syrie, mais que sa langue originale était le grec. 2 Imprimée à Cologne dès la fin du XVe siècle, elle se répandit dans la vallée du Rhin dans les nombreuses éditions, illustrées pour certaines, que fit paraître à Bâle, à partir de 1496, le strasbourgeois Sébastien Brant. Il semble que son succès fut constant jusqu’au second siège de Vienne (1683). 3 Voir la liste des travaux des savants allemands jusqu’à E. Sackur que donne Kampers, 1899, p. 417-424 ; les spécialistes russes n’ont pas été de reste (N. Tichonravoff, A. Vesselovsky, A. Vassiliev, V. Istrin, N. Piotrovsky, entre autres) ; historique de la recherche dans Alexander, 1985, p. 13-15 et Reinink, 1993 V, p. XX . L’actualité politique de la fin du XIX e siècle explique largement l’intérêt des historiens pour ce qui pouvait constituer des sources de l’idéologie impériale russe et allemande ; notre pays est pratiquement absent de ce domaine, à part un bel article de Nau, 1917. 4 La communication a été publiée quelques années plus tard, Kmosko, 1931. Cet auteur y met à mal l’hypothèse traditionnelle du XIXe siècle d’un original grec (voir déjà Nau, 1917, p. 415-416) ; il affirme que l’apocalypse, originaire de Syrie, a été rédigée non pas en grec, mais en langue syriaque ; le grec serait une traduction du syriaque et aurait à son tour été traduit en latin ; c’est ce qui constitue l’opinion reçue aujourd’hui. 5 Kmosko comptait éditer le texte à partir du Codex Vaticanus Syrus 58 (daté de 1584) avec l’étude dont la communication de 1931 ne donnait que les grandes lignes et les conclusions.
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devait, malheureusement, rester inédit pendant plus d’un demi siècle encore 6. Les travaux récents, notamment les éditions commentées de l’Apocalypse du Pseudo-Méthode relancent l’intérêt qu’il convient d’accorder à ce texte important 7. Le point de départ de notre réflexion sera l’introduction dont le plus récent éditeur du texte syriaque, G. J. Reinink 8, fait précéder sa traduction. En présence d’un texte dont l’extrême complexité est souvent décourageante 9, cette présentation a l’immense mérite de proposer un commencement d’ordre et de clarté. Ce travail marque un nouveau début de l’étude de cette apocalypse. Reinink commence par rappeler l’analyse, devenue classique, de l’ouvrage : celui-ci comporte deux parties bien distinctes, d’abord une « chronique » relatant l’histoire passée du monde, depuis l’expulsion d’Adam du Paradis 10, puis une « apocalypse » prédisant l’avenir jusqu’à la fin des temps 11. Suit une analyse littéraire 12 qui précède
————— 6 Le texte syriaque est resté inédit jusqu’à Suermann, 1985 ; la même année est parue une traduction anglaise dans le travail posthume de Alexander, 1985. 7 Il n’est pas exagéré de dire que cette apocalypse a été le texte fondateur de toute l’apocalyptique byzantine, puis médiévale. 8 Nous utilisons le travail de Reinink, 1993 V (introduction détaillée, état de la question, bibliographie), et pour les versions grecque et latine, Aerts-Kortekaas, 1998 (avec des compléments bibliographiques). 9 Notamment lorsqu’à l’extrême complexité on ajoute comme à plaisir une infinie confusion, voir par exemple Denis, 1970, p. 310. 10 Reinink, 1993 V, p. XXX : Chapitres 1-10 ; le temps est découpé en périodes de mille années et la fin de chacun des quatre premiers millénaires est clairement mentionnée (fin du quatrième et début du cinquième en 5,1). 11 Chapitres 11-14 ; cette partie commence par une indication de temps : « Au dernier millénaire, qui est le septième… ». Comme il n’y a plus de mention de millénaire dans les chapitres 6 à 10, on en est réduit à supposer que les événements relatés dans ces cinq chapitres ont dû avoir lieu au cours des Ve et VI e millénaires. Cette apocalypse a été insérée, en Syrie, par Salomon de Basra dans son Livre de l’Abeille, voir Budge, 1886, p. 124, et, en Arménie, par l’évêque Étienne Orbélian dans son Histoire de la Siounie. Il est intéressant de noter que, dans ce dernier pays, elle semble avoir vécu une existence indépendante comme le montrent, par exemple, les manuscrits Erivan Maténadaran 1487, f° 18v°-26r° et 2644, f° 216r°-220 r°. 12 Il étudie la composition en faisant ressortir deux grands principes : a. D’abord un schéma « chronographique » ; sous ce titre il range le recours à un système mixte de division de l’histoire du monde en millénaires d’une part, d’autre part en semaines d’années. b. Ensuite (p. XXXII-XXXIII) un schéma « typologique » qu’il est possible de présenter en une phrase : certains événements du passé servent de modèle (ou, pour reprendre la terminologie utilisée par Reinink, de type) aux événements de la fin des temps. C’est le cas, tout particulièrement, de l’emprunt à un autre livre biblique, celui des Juges.
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la présentation de quelques-unes des sources qui ont fourni les matériaux de base à l’auteur de l’apocalypse 13. Au nombre des sources principales 14, il met en avant, parce qu’elles sont bien identifiables, trois œuvres syriaques : 1. la Caverne des Trésors, 2. la Légende d’Alexandre le Grand, 3. le Roman de Julien l’Apostat. À ces matériaux reconnus s’ajoutent d’autres sources, moins limpides, dont la fontaine alimentait abondamment le milieu culturel de l’auteur : 4. la Bible et son exégèse en Syrie, 5. les traditions eschatologiques circulant dans la Syrie du VIIe siècle 15, 6. des matériaux divers (présents surtout dans la première partie) dont il est difficile de déterminer l’origine 16. Enfin – et c’est un élément dont il faut tenir compte dans le maniement des sources qu’on vient d’énumérer – il ne faut pas oublier un élément important qui provient du génie littéraire de l’auteur du Pseudo-Méthode qui sait faire preuve d’innovation, ou d’imagination ; certains thèmes sont ainsi traités d’une manière originale : il arrive que le Pseudo-Méthode les prolonge 17 ou les utilise dans un emploi nouveau 18, les transforme, en quelque sorte. Cette présentation repose incontestablement sur des bases solides. Il est cependant possible, voire nécessaire, de les analyser, de les élargir, notamment en franchissant les frontières de la Syrie ; il est probable, en effet, que le Pseudo-Méthode utilise les motifs répandus
————— L’histoire guerrière de Gédéon, au chapitre 5 du Pseudo-Méthode, dans la chronique constitue le type des événements prédits dans l’apocalypse du septième et dernier millénaire (aux chapitres 11-12). 13 Reinink, 1993 V, p. XXIX -XLV : Literarischer Charakter, Hauptquellen, Zielsetzung und früheste Nachwirkung des Pseudo Methodius in der syrischen Literatur. Nous nous intéresserons surtout aux deux premières questions. 14 Voir Ibid., les pages XXXVI-XXXVIII (avec les notes 134 à 139) qui sont fondamentales. L’auteur utilise plusieurs termes : Quelle ou Hauptquelle (‘source’, ‘source principale’ – dans le titre, et p. VIII ), ainsi que Grundlage (‘matériau de base’). 15 Au nombre desquelles il compte le Roman d’Alexandre et le Sermon sur la Fin des Temps du Pseudo-Ephrem. 16 Soit qu’ils proviennent de sources qui nous sont inconnues, soit qu’ils soient à créditer au compte du génie créateur propre à l’auteur. 17 Reinink se sert du verbe weiterführen, voir par exemple p. XXXVII, ou encore p. 5, note 2 sur Pseudo-Méthode 3,2. 18 Le verbe utilisé est neu anwenden, par exemple p. XXXVII et p. 70, note 2 sur Pseudo-Méthode 14,1.
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chez les historiens de même que les schémas de l’apocalyptique hérités d’un passé plus lointain mais encore courants à son époque. Notre enquête voudrait montrer l’utilité de recherches complémentaires, en présentant sommairement deux groupes d’exemples tirés de deux domaines différents. Le premier entrouvre le dossier de la chronologie, la mesure du temps utilisée par l’auteur, le second celui de la composition, de la « typologie 19 » qu’il met en œuvre pour donner un sens au temps. La chronologie La source principale du commencement de l’Apocalypse du PseudoMéthode est sans aucun doute constituée par la Caverne des Trésors 20. Et ce texte, une histoire de l’humanité depuis la Création, amalgame plusieurs sources anciennes sur l’origine desquelles il reste silencieux 21, mais que l’on peut souvent identifier 22. Un travail minutieux d’identification systématique, dépassant de loin le modeste objectif que nous nous sommes fixé ici, reste à faire 23. Ainsi, malgré un titre alléchant 24, Albrecht Götze ne traitait qu’en une dizaine de lignes la question d’une source ancienne de la Caverne :
————— 19 L’expression remonte à Reinink, 1993 V, p. XXXII - XXXIII, qui parle d’un « schéma typologique », voir ci-dessus, note 12. 20 Comme l’avait déjà vu Sackur, 1898, cette chronique du Ve-VIe siècle, composée peut-être à partir d’une Urschatzhöhle du II e -III e siècle, était connue de l’auteur du Pseudo-Méthode (Reinink et Aerts-Kortekaas, ibid.) qui a abondamment puisé à cette source. Les riches notes ajoutées par Reinink à sa traduction allemande du Pseudo-Méthode en apportent la confirmation à chaque page. 21 La Caverne, comme le Pseudo-Méthode, a une visée théologique, et tous les deux passent leurs sources sous silence, contrairement aux auteurs des chroniques grecques, syriaques ou arméniennes qui veulent faire œuvre d’histoire et n’hésitent pas, parfois, à citer leurs sources. 22 Bamberger, 1901 (non vidi, cité par Ri, 2000, p. 132) suggère que l’original hébreu des Jubilés constitue la source à laquelle la Caverne a puisé et y voit la base de l’ensemble de la littérature d’Adam. 23 Voir plus loin, note 26. On rêve de disposer, pour la Caverne, de l’indispensable outil de travail que constituerait un ensemble de notes aussi riche que celui fourni par Reinink pour le Pseudo-Méthode ! 24 Goetze, 1922 : on s’attendrait à une recherche des sources (le titre parle des Quellen) ; l’auteur cherchait des sources « séthiennes » (qui auraient expliqué, croyaitil, la transformation des fils d’Elohim en fils de Seth, dans l’épisode de la chute des anges sur lequel on peut voir plus bas la note 47), et tentait de rapprocher la Caverne de la littérature gnostique (influence du titre malheureux dont Preuschen avait gratifié les livres d’Adam arméniens…) et de la littérature pseudo-clémentine qui transmet aussi des restes de traditions concernant le protoplaste.
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on retombe toujours sur un ouvrage hébreu ou araméen largement répandu, qui contient des renseignements complémentaires sur l’histoire d’Adam et des Patriarches. On trouve la trace d’un tel ouvrage dans le livre des Jubilés et dans la littérature haggadique (Bereschit Rabba, Wajiqra Rabba, Sanhedrin, Pirqê R. Eliezer, Midrasch Tanchuma), et aussi, sans doute aucun, dans le livre d’Adam qui est à la base de la Vita Adae et Evae et de l’Apokalupsis Mosis. Des restes de cet ouvrage sont conservés chez Tabari et sont entrés ainsi dans les chronographies orientales ; par Jules l’Africain et Annien, des détails de cet ouvrage sont aussi parvenus jusqu’à nous par les chronographies occidentales (conservées essentiellement chez le Syncelle). 25
Et le commentateur le plus récent, Andreas Su-Min Ri, tout en fournissant une bibliographie presque exhaustive, n’a, fort malheureusement, pas osé aller plus loin : … nous avons comparé, mais nous n’avons pas évalué de nombreuses sources parallèles de la première partie (chapitres 1-4) avec les livres d’Hénoch et des Jubilés, car malgré leur origine très ancienne, il est difficile de déterminer quelles sont, et de quelle époque sont les versions que l’auteur de la Caverne avait utilisées. 26
Reinink lui-même aborde incidemment la question, dans une note d’explication concernant le système des millénaires : Le Pseudo-Méthode connaissait naturellement le système chronologique de la Caverne des Trésors qui remonte en fin de compte à Jules l’Africain… 27
La chronographie de Jules l’Africain, malheureusement perdue, ne nous est connue que par des allusions ou des citations 28 ; mais son
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Goetze, 1922, p. 61. Ri, 2000, p. 522. Ce travail imposant est en fait une vaste introduction, à la bibliographie presque exhaustive, mais non pas un commentaire, comme pourrait le laisser croire le titre. Un commentaire suivi reste à faire (voir ci-dessus note 23) ; les rares notes que cet auteur a ajoutées à la traduction des premiers chapitres, Ri, 1987, V, nous laissent perplexes : elles ne renvoient pratiquement qu’à la seule Genèse ; or, ce n’est certainement pas là que l’auteur de la Caverne a puisé directement comme le montre le petit exemple suivant : Ri rapproche Caverne 2,12 (« Et Dieu modela Adam avec ses saintes mains, à son image et à sa ressemblance ») de Genèse 2,7, mais ce verset provient bien plutôt de Vie grecque d’Adam et Ève 33,5 (ou 35,2). 27 Reinink, 1993 V, p. 40, note 1 sur Pseudo-Méthode 11,1, où il renvoie fort justement au travail de pionnier de Gelzer, 1880-1898. 28 Il en est de même des chronographies des historiens alexandrins du Ve siècle Panadoros et Annianus : on n’en possède que les citations, allusions ou paraphrases qu’en donnent les chroniques postérieures (pour les traces dans le domaine grec, voir Milik, 1971). 26
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importance est considérable, comme l’a senti le pionnier Heinrich Gelzer, dont l’hypothèse garde encore aujourd’hui toute sa valeur : le travail de cet historien de la fin du IIe – début du IIIe siècle a consisté à réunir les différents récits des origines en circulation à son époque 29 – à les amalgamer, quelquefois, ou à en additionner les détails, ce qui peut inclure jusqu’aux anecdotes ; puis à retravailler ces matériaux pour les placer dans le cadre de plusieurs millénaires successifs en s’appuyant autant que possible sur les données chiffrées de la Septante de la Genèse 30. Si l’on peut ainsi affirmer que le Pseudo-Méthode connaissait indirectement le système chronologique introduit par Jules l’Africain par l’intermédiaire de la Caverne, serait-il possible d’aller plus loin, à la recherche d’indices qui montreraient qu’il en a eu aussi une connaissance directe ? La question reste ouverte. En revanche, il a fort bien pu connaître directement certaines des sources de l’Africain. En effet, on sait aujourd’hui qu’en Syrie ont circulé très longtemps des pseudépigraphes, tel le Livre d’Hénoch ; Michel le Syrien nous donne au XIIIe siècle le texte de I Hénoch 6 31. Et vers la même époque circulait encore le livre des Jubilés 32. Il n’est donc pas du tout irréaliste d’envisager qu’un lettré comme l’auteur du Pseudo-Méthode ait pu avoir à sa disposition, en plus de la Caverne des Trésors, ces sources anciennes auxquelles il a pu puiser directement et qui ont pu nourrir sa réflexion et sa vision du monde. Les deux exemples suivants n’apportent pas de réponse ferme et définitive à cette question ; ils ont pour seule ambition d’ouvrir ce dossier pour attirer l’attention sur ce problème et nourrir la suite de la réflexion.
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Essentiellement – comme l’indiquait Götze, ci-dessus – la Genèse, I Hénoch, les Jubilés et les différents livres d’Adam comme par exemple la Vie d’Adam et Ève. 30 Pour le commencement, il s’agit particulièrement des indications de Genèse 5 (descendants d’Adam à Noé) et Genèse 11 (descendants de Sem à Abraham). L’une des charnières les plus marquantes est constituée par le passage d’un millénaire à l’autre (Ri, 2000, p. 499-520). Pour ce qui concerne la Caverne des Trésors et le Pseudo-Méthode, voir respectivement – Ier /IIe : Caverne 10,16 ; 48,5 et PseudoMéthode 1,5 ; – II e /III e : Caverne 17,22 ; 48,6 et Pseudo-Méthode 3,1 ; – IIIe /IV e : Caverne 24,27 ; 48,6 et Pseudo-Méthode 4,1 ; – IV e /V e : Caverne 34,16 ; 48,6 et Pseudo-Méthode 5,1 (et dans la Caverne, fin du V e millénaire : 42,22 ; 48,7). Le système de l’Africain sera repris diffusé plus largement encore, au V e siècle, par les chronographes alexandrins Panodoros et Annianus d’où il est passé dans presque toutes les chroniques. 31 Voir Brock, 1968. 32 Voir ci-dessous, note 51.
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Le début de la vie d’Adam Le premier exemple concerne le début de la vie d’Adam telle que la relate le Pseudo-Méthode 1,1-2 : 1
… Et trente années après leur sortie du Paradis, Adam connut Ève, sa femme. Elle fut enceinte et enfanta Caïn, le premier-né d’Adam, ensemble avec Qelima, sa sœur. Et après trente autres années, elle fut enceinte (de nouveau) et enfanta Abel et Lebuda, sa sœur, ensemble avec lui. 2 Et dans la cent trentième année de la vie d’Adam, Caïn tua son frère Abel ; et Adam et Ève se lamentèrent sur son meurtre pendant cent années. Et dans la deux cent trentième année de ce premier millénaire naquit Seth le Beau, un homme géant comme Adam 33.
Dans ses notes, Reinink signale que la Caverne des Trésors ne donne aucune de ces quatre dates 34. Ces renseignements sont donc puisés à d’autres sources. a. La naissance de Seth Examinons d’abord la dernière indication : la naissance de Seth en l’an 230 du premier millénaire. Dans une note très complète, Reinink signale fort justement que ce chiffre est en contradiction avec celui de Genèse 5,3 où la version syriaque (à laquelle se conforme la plupart du temps le Pseudo-Méthode) suit l’hébreu et indique 130 ans, alors les 230 ans sont mentionnés par la Septante et Josèphe 35. L’explication qu’il avance avec une certaine prudence est la suivante : l’auteur avait peut-être connaissance des deux traditions… 36 Il est tout à fait certain que le Pseudo-Méthode connaissait ces traditions ; mais le style qu’il emploie pour formuler cette information laisse à penser qu’il ne cite aucun de ces textes. Tous, en effet, sans exception, quel que soit le nombre d’années indiqué (130 ou 230), rapportent le chiffre à telle année de la vie, donc à l’âge d’Adam 37 et non pas à telle année (de tel millénaire), à la date de naissance de Seth. À une exception près, celle du livre des Jubilés qui utilise un
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Traduction d’après Reinink, 1993 V, p. 5. La seule mention chronologique que le Pseudo-Méthode 1,2 partage avec la Caverne des Trésors 6,1 dans ce passage est celle du deuil de cent ans à la mort d’Abel. 35 Genèse LXX 5,3 ; Flavius Josèphe, Antiquités I,2,3 § 67. 36 « Vielleicht kannte Pseudo-Methodius beide Traditionen… » 37 Le style biblique (en Genèse 5 et 11) se caractérise par la datation d’un événement dans l’année X de la vie du patriarche NN ; le Pseudo-Méthode connaît, à l’occasion, cette formule qu’il utilise dans notre séquence, un peu plus haut, pour dater l’assassinat d’Abel par Caïn… 34
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autre système, en abandonnant les références à l’âge des patriarches au profit de la mention des dates de l’histoire. Jubilés 4,7 ne donne pas l’âge d’Adam mais la date de naissance de Seth 38. Le Pseudo-Méthode ne prend donc pas appui ici sur la version hébraïque ou syriaque du texte sacré ; il ne se réfère pas plus à la Septante. Mais il a probablement repris les données d’une autre source qu’il faut chercher du côté des chronographes 39 qui donnent ainsi une date – à l’exemple des Jubilés – tout en l’adaptant au nombre d’années fourni par la Septante. b. Les cent années de deuil En remontant la succession des indications chronologiques, on relève la mention des cent années de deuil consécutives à l’assassinat d’Abel, une précision donnée par les chronographes 40, ainsi que par la Caverne des Trésors 41. Un calcul simple conduit, par soustraction (230 - 100), à la date de l’assassinat d’Abel par Caïn 42, en l’an 130 ; et cette même date se retrouve, mais par des voies différentes, dans les savants calculs des chronographes, comme on va le voir. c. La naissance de Caïn et d’Abel Nous en arrivons aux premières dates données par le PseudoMéthode, à savoir celles de la naissance de Caïn et d’Abel, qui sont singulières : Caïn naît trente ans après l’éviction du Paradis, et Abel trente ans plus tard. Cette mention est rare, elle ne figure pas dans la Caverne des Trésors 43.
————— 38 « Dans la quatrième année de la cinquième semaine [du troisième jubilé (4 + 28 + 98 = 130)], ils se réjouirent : Adam connut de nouveau sa femme et elle lui enfanta un fils. Il lui donna le nom de Seth…. » 39 Chez l’Africain ? 40 Dans leur notice sur Adam, les chroniques rapportent ce chiffre en l’attribuant à Annianus ou aux chronographes qui, à leur tour, se référeraient « au témoignage du livre d’Hénoch ». Mais on sait que cette dénomination de « livre d’Hénoch » peut aussi bien désigner, chez ces auteurs, le livre des Jubilés ; pour ce qui est des informations en question, elles se trouvent, mais en des termes différents, en Jubilés 4,1.2.7. 41 Voir ci-dessus, note 34. 42 Cette soustraction a peut-être pour origine la Caverne des Trésors 6,1 à laquelle le Pseudo-Méthode l’aura empruntée. 43 À part une glose, dans la marge de la Caverne des Trésors 5,18, signalée par Reinink (dans sa note 5 sur Pseudo-Méthode 1,2) : « en effet, on dit qu’Adam connut Ève, trente ans après leur sortie du Paradis ».
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Il faut constater que ces indications ne correspondent pas à celles qu’ont retenues les chronographes : ce n’est que 70 ans après qu’Adam et Ève eurent été jetés hors du Paradis que naquit Caïn, et sept ans plus tard, donc en l’an 77, Abel, des chiffres qui interprètent et complètent les indications de Jubilés 4,1 44. Et ils ajoutent que 53 ans plus tard Caïn tua Abel ; ils arrivent ainsi à une addition (77 + 53) donnant le nombre de 130. Ainsi, par deux méthodes différentes 45, une soustraction d’un côté et une addition de l’autre, on arrive aux données consensuelles que sont d’une part la date du meurtre d’Abel en l’an 130 et d’autre part la date de la naissance de Seth en l’an 230. Ces matériaux, qui n’ont pas été retenus par la Caverne des Trésors, peuvent néanmoins remonter plus haut que celle-ci ; ils devraient être comptés parmi les sources du Pseudo-Méthode. Le récit de la mort d’Adam Le deuxième exemple est plus complexe. Il concerne la mort d’Adam qui est présentée de la manière suivante dans le PseudoMéthode 1,5 : – Et Adam mourut dans la neuf cent trentième année de ce premier millénaire. – Et immédiatement la famille des Séthites et leurs descendants se séparèrent des fils du meurtrier. Et Seth emmena avec lui toutes les générations de ses fils et de ses petits-fils vers les sommets des monts du Paradis. Et Caïn et tous ses descendants restèrent en bas dans la plaine, où il avait tué Abel, son frère. – Et la quarantième année de Yared s’acheva le premier millénaire 46.
a. Le système chronologique La dernière phrase reproduit le système chronologique de Jules l’Africain, repris, comme on l’a vu ci-dessus, dans la Caverne.
————— 44 Caïn naît la troisième semaine du deuxième jubilé, qui couvre les années 64 à 70. Les historiens alexandrins apportent aux Jubilés une précision inédite en fixant cette naissance lors de la dernière année, la septième, de cette troisième semaine. De même pour Abel, né, dans les Jubilés, une semaine d’années plus tard. 45 Les deux méthodes de calcul sont si différentes que les chroniqueurs qui suivent ne les amalgament pas, mais les présentent toutes les deux, à la suite l’une de l’autre, faisant remonter la première (inspirée de Jubilés 4,1) à Hénoch, et la deuxième à Méthode… 46 Les trois éléments de ce paragraphe s’inspirent de la Caverne des Trésors 6,6-7 (cf. 6,17) ; puis 6,21b-24 et enfin, pour ce qui concerne la dernière phrase, 10,16.
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Voici comment on peut représenter la démarche logique du chronographe : en Genèse 5,3.6.9.12 et 15 est indiqué l’âge respectif de chacun des six premiers patriarches au moment de la naissance de leur fils. D’après les données de la Septante, l’addition se présente ainsi : Adam 230 ans, Seth 205, Énoch 190, Cainan 170 ans, Mahaleel 165 ; on arrive à un total de 960 ans depuis la Création jusqu’à la naissance de Yared. La fin du premier millénaire correspond donc au quarantième anniversaire de ce dernier. Tout en ayant pour point de départ les données du texte biblique, la somme obtenue est le résultat d’une simple opération de calcul. Il s’agit d’une méthode que l’on peut considérer, selon les critères de l’époque, comme historique. b. La séparation des enfants de Seth d’avec ceux de Caïn L’épisode central, où est contée la séparation des enfants de Seth d’avec ceux de Caïn, fait partie de la transformation du récit de la chute des Veilleurs séduits par les filles des hommes qui a pour origine I Hénoch 6 47. La Caverne des Trésors 6,23-7,13 ; 11,12 ; 15,1-8 donne une image du désordre créé par ces transformations et c’est fort probablement de là que le Pseudo-Méthode reprend l’information tronquée. c. La mort d’Adam Reprenons la première phrase concernant la mort d’Adam : – Et Adam mourut dans la neuf cent trentième année de ce premier millénaire.
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Cette véritable réécriture a comporté essentiellement deux retouches : – d’abord la transformation des Veilleurs Bene Elohim (Genèse 6,2, Josèphe, Antiquités 1,3,1, § 73) en « fils de Seth » de deux façons possibles : a) Enosh, fils de Seth se sépara de la maison de Caïn, il craignit Dieu et fut appelé « Elohim » et ses fils « bene Elohim » (scholies de Bar Hebraeus, Sprengling–Graham, 1931, p 35 ; chroniques arméniennes de Mekhithar d’Aïrivank et Vartan le Grand). b) Tous les enfants de Seth, dont Enosh, montèrent sur l’Hermon pour y mener une vie angélique, et furent appelés « Bene Elohim » et « Veilleurs » (Caverne des Trésors 7,2 ; chroniques syriennes, par exemple Michel le Syrien, trad. Chabot, 1899, p. 4, voir aussi p. 13). – ensuite la transformation des « banôth haadam » (Genèse 6,2 ; Josèphe, Antiquités I,3,1, § 73) en « filles de Caïn » (cas général des chronographes), sous l’influence de la dénonciation des désordres introduits dans le monde par les fils de Caïn Youbal et Tubalcaïn (Genèse 4,21 ; comparer Josèphe, Antiquités 1,2,2, § 64 [et leur sœur Naomi ajoutée par les chroniques arméniennes]). Les chroniques (par exemple Caverne des Trésors 15,4-8) se donnent la peine de préciser que les auteurs anciens, qui croyaient que les anges descendirent du ciel, ou que les Veilleurs (ou Bene Elohim) appartenaient à la race angélique, étaient dans l’erreur.
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Telle qu’elle se présente à nous avec ces deux éléments, on doit constater qu’il ne s’agit pas d’une citation ; le deuxième élément fait porter le chiffre indiqué sur une date 48. Essayons de refaire le cheminement de ce renseignement, à partir de son origine biblique. La Genèse, en 5,5, met en rapport le nombre d’années avec l’âge d’Adam et non pas avec une date : Tous les jours d’Adam, qu’il vécut, furent de 930 années, puis il mourut.
Le compte des Jubilés est tout autre, pour ce qui est de la forme, du moins. En Jubilés 4,29, l’événement est d’abord indiqué au moyen de la date de la mort d’Adam : À la fin du dix-neuvième jubilé, dans la septième semaine, la sixième année de celle-ci, Adam mourut.
Ce qui se traduit en langage courant : en l’année 930 49. Et l’auteur insiste lourdement, il reprend la même information, sous une forme légèrement remaniée, dans le verset suivant, Jubilés 4,30 : Il s’en fallut de 70 ans qu’il vécût 1000 ans.
En d’autres termes : Adam mourut à 1000 – 70 = 930 ans, ce qui est le même nombre que celui donné par le texte biblique et qui ne nous apprend donc rien. La différence est ailleurs, dans le fait que l’accent n’est plus mis sur l’âge d’Adam, mais sur la date du calendrier 50. Et
————— 48 Le problème est le même que celui que nous avons rencontré ci-dessus, PseudoMéthode 1,2. On est orienté, une fois de plus, vers une idée provenant d’un historien. On note avec intérêt que la Caverne, en 6,6-7 ou 6,17, ne donne pas le renseignement sous la même forme, comme on le verra ci-dessous, fin de la note 50. 49 Voici le détail de l’addition : dix huit jubilés pleins (18 × 49) font 882 ans ; six semaines d’années pleines (6 × 7) font 42, à quoi il faut encore ajouter 6 ans, donc 882 + 42 + 6 = 930 ; le compte est bon… 50 Cette différence est fondamentale ; on pourrait presque schématiser le développement de la discipline historique en trois étapes : 1. pour ce qui concerne les débuts de l’histoire, les chiffres avancés par le texte sacré (Genèse 5 et 11) concernent l’âge des personnes ; 2. le livre des Jubilés reporte ces chiffres sur les dates du calendrier ; 3. cette transformation, désormais considérée comme acquise est utilisée par Jules l’Africain (et ses successeurs) : il conserve le principe de la date, mais remplace le cycle jubilaire (fondé sur 1 – 7 – 49) par un cycle métrique (fondé sur 1 – 10 – 100 – 1000…). La Caverne des Trésors se sert des deux formules : âge (d’Adam) en 6,6-7 et date en 6,17.
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c’est exactement ce que l’on retrouve dans les chroniques, dont on peut admettre qu’elles suivent Jules l’Africain 51. Mais l’auteur des Jubilés ne se contente pas de cela. Il complète la donnée biblique en ajoutant, en 4,30, une interprétation théologique de son cru : Mille ans sont comme un seul jour dans l’ordonnance des cieux. C’est pour lui qu’il avait été écrit, à propos de l’arbre de la connaissance, « le jour où vous en mangerez, vous mourrez » ; c’est pourquoi il n’acheva point les années de ce jour, mais mourut (encore) durant (ce jour).
En introduisant un jour de mille années 52 pour donner une signification à l’âge de la mort d’Adam, l’auteur des Jubilés avait préparé le terrain à un système qui empruntera sa vision en répartissant toute l’histoire du monde dans une succession de millénaires 53, rejoignant ainsi, par la voie de la spéculation théologique 54, le système savant élaboré par les chronographes alexandrins au moyen du seul calcul 55. Et ce système est parfaitement en place dans le paragraphe du Pseudo-Méthode traitant de la mort d’Adam.
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Toutes les chroniques donnent 930 ans. À une exception près, une chronique du XIIe-XIIIe siècle qui, tout en reprenant la division, devenue classique, de l’histoire en millénaires, a conservé, à cet unique endroit concernant la mort d’Adam, comme un extraordinaire fossile, les termes même de la formulation de Jubilés 4,29, comme l’a reconnu Tisserant, 1921, p. 71-72 ; elle donne d’abord la date : « dans le dixneuvième jubilé, la septième semaine », puis, revenant au modèle scripturaire, elle ajoute l’âge : « comme Adam avait vécu 930 années… » Publiée par Rahmani, 1904, et traduite partiellement en français par Nau, 19071908, elle est commodément accessible aujourd’hui dans l’édition de Chabot, 1920, 1927 (la traduction latine a été faite avant 1921, Chabot n’ayant pas encore connaissance de l’article fondamental de Tisserant de 1921…) ; sur l’importance incontournable de cette chronique pour les Jubilés (notamment Jubilés 13,25, 33,9 ou 37,19), voir Berger, 1981, p. 287. 52 Sur la base du Psaume 90 (LXX 89), 4 (cité plus tard en II Pierre 3,8). 53 Certains théologiens donneront un sens à cette histoire et la feront entrer, par de savants calculs incluant les chiffres donnés par Daniel, dans cinq millénaires et demi (c’est le cas, par exemple, de la Caverne des Trésors). D’autres théologiens appliqueront à l’histoire du monde le modèle des sept jours de la Création (le dernier millénaire du Pseudo-Méthode est le septième) et lui fixeront comme cadre une septimana mundi. 54 Voir par exemple l’interprétation de Genèse 1 dans l’Épître de Barnabas 15,4, ou plus tard chez Lactance, Institutions divines 7,25,1-5. 55 Présentation commode du « millénarisme » dans Daniélou (1982), p. 285-312.
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La composition Après ces quelques remarques sur la chronologie, on nous permettra d’évoquer des problèmes concernant la composition de l’Apocalypse du Pseudo-Méthode. On se penchera plus particulièrement, pour commencer, sur le cas de deux personnages. Joniton, le quatrième fils de Noé Le premier est celui du quatrième fils de Noé, Joniton, auquel le Pseudo-Méthode consacre une importante notice en 3,2-6. Tout comme pour les exemples précédents, le Pseudo-Méthode n’a pas trouvé tous les éléments dans sa source principale que constitue la Caverne des Trésors, ce que Reinink a fort bien souligné 56. C’est en l’an 2100, après le Déluge, alors que Noé 57 est âgé de 700 ans, que lui naît un quatrième fils qu’il appelle Joniton. On relève plusieurs traits caractéristiques : a. Le fils de Noé est à la ressemblance de son père, à son image : le trait est emprunté à Seth, le troisième fils d’Adam 58. b. Joniton commença le premier à utiliser les « choses du cours des étoiles 59 » ; nous avons là deux traits intéressants ; d’abord la précision du « premier » qui est passé d’Enosh, le fils de Seth 60, à Joniton, fils de Noé ; ensuite, l’intérêt pour l’astronomie qui, avant de caractériser Joniton, le fils de Noé, dans la Caverne des Trésors, était un des traits typiques d’Hénoch, fils de Yared, dans les Jubilés 61. c. Il est précisé que des hommes sages et des artisans habiles d’entre les fils de Japhet construisirent pour Joniton une belle ville qu’ils appelèrent de son nom « Joniton ». Cet usage d’appeler du nom
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Voir Reinink, 1993 V, p. 5, les notes 1 et 2 sur Pseudo-Méthode 3,2. Les chronographes – probablement dès la fin du IIe siècle déjà (tout comme la Caverne des Trésors qui dépend peut-être d’eux) – ont fixé le cadre de la vie de Noé au tournant du deuxième au troisième millénaire. 58 Pseudo-Méthode 3,2. Reinink note que ce détail, concernant le fils d’Adam, figure en Genèse 5,3 (voir aussi Vie arménienne d’Adam et Ève 23, Stone, 1981). Il a été retenu par les chronographes (Chronique Anonyme, Chabot, 1937, p. 22). Seraientce ces derniers qui l’auraient reporté sur le fils de Noé ? 59 Pseudo-Méthode 3,5. 60 Puis, après celui-ci, à toute une série de personnages, voir Rosenstiehl, 19941995. Il n’est pas sans intérêt de noter, comme le signale Viviane Comerro, que les musulmans ont montré un vif intérêt pour cette problématique des « premiers » jusqu’à en faire, bien plus tard, une véritable science, voir Rosenthal, 1960. 61 Jubilés 4,17 (et 4,25 où la mention – très importante dans le contexte du sacrifice – de premier, absente de l’éthiopien, est conservée par le syriaque), voir aussi I Hénoch 72-82. 57
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d’une personne une nouvelle cité est rapporté, à une période très ancienne, dans la Genèse 4,17 62 ; il est transposé après le Déluge dans les Jubilés 7,14.15.16 63 et se retrouve, sous une forme répétitive presque systématique, dans la Caverne des Trésors 64. La source du Pseudo-Méthode pour cette figure de Joniton nous est inconnue. La Caverne des Trésors n’en connaît qu’une petite fraction, elle n’a donc pas pu être à l’origine de cet épisode ; à moins de supposer l’existence d’une version longue, plus complète 65. Une autre solution est proposée, qui attribue la paternité de la notice au génie propre de l’auteur du Pseudo-Méthode 66. La saveur de l’épisode, cependant, son inspiration évoquent immanquablement le style du livre des Jubilés. Si l’auteur du Pseudo-Méthode a composé cet épisode, il l’aura fait dans l’imitation de ce livre. Nous ne sommes plus alors en présence d’une source à laquelle sont empruntés des renseignements, mais dans le domaine d’une reproduction de motifs inspirés de modèles anciens. Gédéon Le deuxième personnage dont nous essayerons de cerner la place qu’il occupe et le rôle qu’il joue dans le Pseudo-Méthode n’a, lui, rien d’apocryphe. Il s’agit de Gédéon 67. C’est dans la dernière partie 68 du Pseudo-Méthode que Michael Kmosko a repéré une allusion à peine voilée qui oriente vers l’histoire de Gédéon.
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C’est Caïn qui construit une ville à laquelle il donne le nom de son fils Hénoch. La même information dans Josèphe, Antiquités I,2,2, § 62. 63 Chacun des trois fils de Noé construit une ville à laquelle il donne le nom de sa femme. 64 Il semble que les villes bâties par chacun des patriarches, du moins depuis Arpaxad jusqu’à Héber, étaient censées porter leur nom ; mais la situation est confuse, dans le texte, voir Caverne des Trésors 24,3 (Arpaxad), 24,5 (Schélakh), 24,7 (Héber), 24,15 (Péleg), 25,6 (Réou), 25,15 (Seroug), et cf. 26,1 (la ville d’Our, construite par Horôn, fils d’Héber…). 65 Voir Gerö, 1980, p. 327. 66 C’est l’hypothèse qu’avance Reinink, 1993 V, p. 5, note 2 sur PseudoMéthode 3,2. 67 L’intérêt de cette histoire est reconnu depuis le début des recherches : ce sont en effet les événements rattachés à Gédéon qui ont fourni à Michael Kmosko la clef principale de son interprétation de l’apocalypse. 68 Chapitres 11-14. La partie constituant la véritable apocalypse. Voir ci-dessus, note 11.
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Donnons un résumé de la suite de ce récit – pour autant que l’on puisse ramasser en deux phrases un texte touffu et assez confus : – Le récit apocalyptique commence par l’annonce de la fin du royaume des Perses et l’arrivée, depuis le désert de Yathrib, des fils d’Ismaël qui se rassembleront dans une localité portant le nom de Gevath Râmthâ 69. – Ils exercent alors leur domination pendant dix semaines d’années au bout desquelles ils seront à leur tour vaincus par un roi des Grecs. Dans ce nom de lieu, Gevath Râmthâ, Kmosko 70 a reconnu un endroit mentionné dans la Bible, dans l’histoire de Gédéon en Juges 7,1 71 : il s’agit de la colline de Moré – dans la vallée de Yizréel 72 – où s’est rassemblée l’armée de Madian 73, ou, plus précisément, il s’agit du nom donné à ce lieu dans l’interprétation syriaque de la Bible 74. N’était ce nom de lieu, il serait difficile de reconnaître que ce schéma – tracé ci-dessus à grands traits – prend pour modèle l’histoire de Gédéon rapportée dans le livre des Juges, aux chapitres 6 à 8. C’est pourtant bien le cas 75. En effet, l’auteur du Pseudo-Méthode fait appel, à plusieurs reprises 76, à un procédé littéraire fondé sur la
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Pseudo-Méthode 11,1 (syriaque). Kmosko, 1931, p. 286. 71 Juges 7,1b : « Le camp de Madian était au nord, vers la colline de Moré » (TM : gvth hmwrh, traduit habituellement par la colline de Moré ou la colline du voyant ; LXX : , mais codex Vaticanus. : ). 72 La précision est fournie par Juges 6,33 : « Tout Madian, Amalek et les fils de l’Orient se rassemblèrent ; ils passèrent le Jourdain et campèrent dans la vallée de Yizréel ». 73 Madian seul, ou en compagnie d’Amalek (Juges 6,3.33 ; 7,12 – et LXX 7,1) et des fils de l’Orient. Josèphe, Antiquités V,6,1, § 210 ne parle pas de fils de l’Orient, mais d’Arabes (il fait la même transposition pour sa paraphrase de Juges 8,10 en Antiquités V,6,5, § 229). 74 Voir Juges (Peshito) 7,1, ou les Scholies de Bar Hebraeus, sur ce même verset, Sprengling–Graham, 1931, p. 285. 75 La source principale du Pseudo-Méthode, à savoir la Caverne des Trésors 35,2, règle l’histoire de Gédéon en une seule petite phrase (que l’on retrouve dans toutes les Chroniques, depuis Eusèbe) : « les fils d’Israël furent dominés par les Madianites pendant sept ans, mais Dieu les délivra par la main de Gédéon qui les gouverna pendant 40 ans ». Il est probable que ce soit le résultat d’une censure. 76 Voir ci-dessus, note 12. Outre l’histoire de Gédéon, étudiée ici, Reinink, 1993 V, p. XXXIII, signale une autre utilisation du même procédé : dans la première partie, historique, du Pseudo-Méthode, au chapitre 8 apparaît le quatrième empire, celui d’Alexandre, fils de Philippe de Macédoine et de la fille du roi des Qoushites (et il enferme les peuples impurs derrière les portes du Nord) et dans la dernière partie, apocalyptique, après la miraculeuse annihilation des Arabes (Pseudo-Méthode 13,21) c’est ce même roi des Grecs, de la descendance de la fille du roi des Qoushites qui viendra (après le déferlement des nations impures ayant franchi les portes du Nord) pour réaliser la fin de tout empire terrestre en transmettant son pouvoir au Père céleste. 70
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répétition d’un modèle : des événements prédits au futur dans l’« apocalypse » s’inspirent d’événements décrits au passé dans la « chronique ». Pour ce qui est de Gédéon, voici le détail du procédé : – Comme indiqué ci-dessus dans le résumé de présentation, le Pseudo-Méthode prédit pour la fin des temps, le septième millénaire, l’invasion des fils d’Ismaël, leur rassemblement à Gev’ath Râmthâ, et leur domination à laquelle mettra fin le Basileus byzantin 77. – Cette prédiction se réfère à un modèle qui se trouve au commencement du cinquième millénaire 78 où est rappelée justement l’histoire de Gédéon. Voici une traduction du texte syriaque 79 de ce modèle, d’après l’édition de Reinink 80 : 6
Et en ce temps-là, il y avait ces chefs, quatre tyrans fils de l’arabe Mûyâ : Oreb, Seeb, Sebach, Zalmunna. Ceux-ci combattaient contre les fils d’Israël. (a) Mais, de même que, lors de l’esclavage d’Égypte, (b) Dieu avait suscité Moïse et Aaron pour les libérer et les faire entrer dans le pays du repos, (a’) de même aussi, quand ils furent soumis au joug d’une deuxième servitude (du fait de la « correction » des fils d’Ismaël appelés Madianites, quand Dieu vit la lourde oppression que ces derniers leur faisaient subir), (b’) il suscita Gédéon pour les libérer 81. 7 Et celui-ci les anéantit [i.e. les fils d’Ismaël-Madianites] avec leurs chefs, les repoussa et les rejeta hors du monde cultivé, dans le désert de Yathrib.
On notera, certes, que dans l’« apocalypse », le rattachement à l’histoire de Gédéon se fait par la seule mention de la localité de Gevath Râmthâ, alors que, dans la « chronique », les détails abondent : Gédéon lui-même est nommément cité, on produit aussi les noms bibliques des chefs madianites 82. Sur un autre plan, on illustre la théologie de l’histoire au moyen d’une mise en parallèle de la
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Pseudo-Méthode 11-13. Pseudo-Méthode 5. 79 Le texte syriaque a probablement subi quelques dommages, car, tel qu’il est conservé, il n’est pas d’une lecture facile… 80 La traduction est fondée sur celle de Reinink, 1993, p. 13, avec quelques retouches. 81 Littéralement : « il suscita pour eux la libération par l’intermédiaire de Gédéon ». 82 Oreb et Zeeb, cf. Juges 7,25 ; 8,3 ; Zebach et Tsalmunna, cf. Juges 8,5-21. Ces noms reviennent en Psaume 83 (LXX 82), 10-12. Le Pseudo-Méthode complète leur identité en les appelant « les quatre fils de l’arabe Muya ». 78
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délivrance de la servitude des Égyptiens et de la délivrance de la servitude des Madianites 83. Le modèle donné dans la première partie est repris dans la seconde 84. Et toutes deux s’appuient sur l’histoire de Gédéon qui a pour origine Juges 6-8. Passons en revue plusieurs points de ce récit, pour y déceler quelques particularités qui pourraient constituer autant d’indices trahissant leurs sources éventuelles. a. Les fils d’Ismaël et les Madianites. Les oppresseurs d’Israël, des mains desquels un sauveur suscité par Dieu 85 délivre le peuple, sont désignés par des noms différents : – En 5,2, on les appelle « les fils d’Ismaël, fils d’Agar, servante égyptienne de Sarah la femme d’Abraham », définition classique d’Ismaël, tout à fait conforme au texte biblique 86. – En 5,6, il est question des « fils d’Ismaël, appelés Madianites » et l’on a, fort justement, rapproché cette désignation de deux passages bibliques où ces deux noms semblent équivalents 87 : dans l’histoire
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Cf. Juges 6,7-8 – et déjà 2,1 et passim. D’ailleurs, ce même chapitre 5 se termine sur une allusion aux événements futurs prédits au chapitre 11, à savoir une nouvelle domination des fils d’Ismaël qui durera dix semaines d’années au bout desquelles ils seront dominés et assujettis au royaume de Rome (dans lequel il faut voir probablement l’Empire romain d’Orient). 85 À savoir Gédéon en Pseudo-Méthode 5 et le roi des Grecs en 13. 86 Reinink, 1993 V, p. 11, dans sa note sur Pseudo-Méthode 5,2, renvoie fort justement à Genèse 16,1-16 ; 21, 9-21. 87 Kmosko, 1931, p. 285-286 avait relevé l’équivalence. Voir aussi Reinink, 1993 V, p. 11, note sur Pseudo-Méthode 5,2 : « Diese Typologie stützt sich auf die Voraussetzung, dass die Midianiter mit den “Söhnen Ismaels” zu identifizieren sind » (et il renvoie à Genèse 37,27-28 et Juges 8,24). Il ajoute, p. 14, note sur 5,6, que les chroniques syriaques expliquent par Madian, le quatrième fils d’Abraham et de Quetourah (Genèse 25,1), l’étymologie du nom de la ville de Médine (Reinink renvoie à Guidi, 1903, p. 31). En fait, cette étymologie est bien plus ancienne que les chroniques syriaques, elle est déjà signalée par Josèphe, Antiquités 2,11,1, § 257 qui nous apprend que Moïse en fuite, après avoir tué un Égyptien (parallèle à Exode 2,15), s’arrêta dans une localité du nom de Madian, nommée d’après le quatrième fils de Quetourah (et c’est là qu’il va rencontrer le prêtre de Madian, son futur beau-père Jéthro). C’est peut-être de là que la tient Eusèbe qui a retenu cette étymologie dans son Onomasticon, voir Klostermann, 1904, p. 124. On pourrait se demander s’il n’y a pas eu le même genre d’étymologie populaire associant une personne à un nom de ville pour le nom ancien de la même ville de Médine, Yathrib (qu’on aurait pu supposer fondée par le prêtre madianite Yethrô, beau-père de Moïse (Yether le Madianite en Exode 4,18 à rapprocher de Yether l’Ismaélite en I Chroniques 2,17) dont la généalogie, amorcée par la LXX et les chroniques syriaques et arméniennes, est explicitée par Bar Hebraeus : Yethrô est 84
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de Joseph vendu par ses frères, les caravaniers sont appelés tantôt Ismaélites 88, tantôt Madianites 89 et, dans un verset du récit, les mêmes reçoivent les deux noms 90. Il en est de même dans l’histoire de Gédéon 91 où les ennemis sont appelés tout au long du nom de Madian 92, sauf vers la fin du récit où apparaît le nom d’Ismaélites 93. De fait, l’identification des fils d’Ismaël et des fils de Madian n’est pas fortuite. Il ne s’agit pas d’une confusion : il s’agit d’abord d’une forte tendance à englober sous la même appellation des tribus différentes habitant, sous des tentes, dans le désert 94. Ensuite les récits des origines précisent bien la parenté proche existant entre Ismaël – fils d’Abraham et de Hagar 95 – et Madian – fils d’Abraham et de Quetourah 96 : ils sont donc demi-frères 97. Cette parenté n’était pas ignorée, comme le montre la notice suivante de Jubilés 20,11-13, qui apporte aux textes bibliques des précisions complémentaires 98 : 11
Il (Abraham) fit des cadeaux à Ismaël et à ses fils, ainsi qu’aux fils de Quetourah, et les éloigna d’Isaac son fils. Il donna tout à Isaac son fils. 12 Ismaël et ses fils, les fils de Quetourah et leurs fils s’en allèrent
————— fils de Ragouël (ce qui résoud la difficulté soulevée par le changement de nom Exode 2,18 et Exode 3,1 et 4,18), Ragouël, fils de Dedan, fils de Ioqtan, fils d’Abraham et Quetourah. [Josèphe, Antiquités II,12,1, § 264 ne fait pas ce rapprochement mais considère que Ragouël et Iothor sont une même personne]. 88 Genèse 37,25.27 ; 39,1 (Le TM et la LXX parlent d’Ismaélites, la Peshito et le Targoum du pseudo-Jonathan d’Arabes et le Targoum Neofiti de Sarrasins. On constate des transpositions comparables chez l’historien Flavius Josèphe, voir cidessus, note 73). 89 Genèse 37,36. 90 Genèse 37,28. (L’exégèse peut expliquer cette différence de noms par la diversité des sources du Pentateuque, mais cette explication n’apporte aucune solution à notre problème). 91 Juges 6-8. 92 Juges 6,2.2.3.6.7.11.13.14.16.33 ; 7,1.2.7.8.12.13.14.15.23.24.25 ; 8,1.3.5.12. 22.26.28 (voir aussi 9,17). 93 Juges 8,24, devenus Arabes dans la Peshito et le Targoum, cf. ci-dessus, note 87. 94 En Juges 8,11, « ceux qui habitent sous les tentes » – sans que leur nom soit précisé – sont probablement des Madianites (le Targoum les appelle « Arabes »). 95 Genèse 16,15. 96 Genèse 25,1 ; I Chroniques 1,32 ; Jubilés 19,12. Pour l’historien Josèphe, Antiquités I,15 §§ 238-241, les fils de Quetourah sont les fondateurs des pays de l’Arabie heureuse autour de la mer Rouge. 97 Ou même, pour certains, frères ; c’est ce qu’on doit déduire du Targoum du pseudo-Jonathan Genèse 25,1 ou du Midrash Rabbah 61,4 (sur Genèse 25,1) qui laissent entendre que Hagar et Quetourah sont une seule et même personne… 98 Traduction A. Caquot, 1987, p. 716. Les versets 11 et 12 sont une simple paraphrase de Genèse 25,6, contrairement au verset 13 qui est propre aux Jubilés ce qui lui confère un intérêt tout particulier pour notre propos.
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ensemble. Ils s’établirent depuis Paran jusqu’à l’entrée de Babylone, dans tout le pays qui est du côté de l’Orient, en face du désert. 13 Ils se mêlèrent les uns aux autres, et ils furent appelés Arabes et Ismaélites 99.
L’intérêt de cette notice est grand. En effet, dans les textes bibliques, l’identité fils d’Ismaël – fils de Quetourah – arabes était seulement implicite alors qu’elle est tout à fait explicite ici. Et une nouvelle fois, nous sommes renvoyés à une source beaucoup plus ancienne que la Caverne des Trésors, au livre des Jubilés. b. La personne de Gédéon. Le libérateur des enfants d’Israël de l’oppression des Madianites est le juge Gédéon et il est le modèle du sauveur de la fin des temps, le roi des Grecs. L’image est peu commune et plutôt surprenante, étant donné que le récit vétérotestamentaire n’en fait pas un personnage positif : non seulement il finit dans l’idolâtrie, mais son fils poursuit ses méfaits 100. Ce juge n’a donc pas été célébré outre mesure dans la légende. On constate néanmoins une certaine tendance visant à excuser son idolâtrie, en se fondant notamment sur la fin de sa vie, où il a bénéficié d’une heureuse vieillesse 101. La source principale du Pseudo-Méthode, à savoir la Caverne des Trésors 35,2, règle l’histoire de Gédéon en une seule petite phrase (que l’on retrouve dans toutes les chroniques, depuis Eusèbe) : les fils d’Israël furent dominés par les Madianites pendant sept ans, mais Dieu les délivra par la main de Gédéon qui les gouverna pendant 40 ans.
Il est probable que ce soit le résultat d’une censure. Il pourrait s’agir, alors, d’un développement propre à l’auteur du Pseudo-Méthode. L’histoire de Gédéon se place parfaitement dans le
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D’autres tribus du désert sont quelquefois ajoutées au lot, par exemple les fils de Lot (Moabites et Ammonites), ou les fils d’Ésaü (pour une raison d’alliance – Ésaü ayant épousé une fille d’Ismaël, Genèse 28,9 – et de géographie : Ésaü s’est installé de l’autre côté du Jourdain, dans le désert). 100 Juges 8,24-9,57. 101 Juges 8,32. Le livre des Jubilés se termine à l’époque de Moïse et ne connaît donc pas Gédéon. Le Livre des Antiquités Bibliques 36,3-4 va jusqu’à placer dans la bouche de Dieu une certaine forme d’excuse. Josèphe, Antiquités V,6,7 § 232 ne mentionne pas l’idole. En Syrie, les Scholies de Bar Hebraeus (Sprengling–Graham, 1931) sur Juges 8,27 précisent que Gédéon fit une idole avec l’or des Ismaélites, non pas pour qu’elle soit adorée, mais en tant que monument pour rappeler sa victoire.
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système dégagé par Reinink, dans lequel des événements du futur sont une sorte de répétition d’événements passés 102. Ce système est même multiplié dans l’histoire de Gédéon : le personnage historique est présenté comme un nouveau Moïse 103, et il reviendra à la fin des temps dans le personnage du roi des Grecs 104. c. Les Madianites et la fin des temps. Nous avons vu que ces Madianites-Ismaélites étaient amenés dans le Pseudo-Méthode à jouer un rôle à la fin des temps. Ce rôle est calqué sur celui de l’histoire de Gédéon : Dieu se sert de ces étrangers pour punir l’infidélité de son peuple, pendant un laps de temps défini, avant de susciter un libérateur, nouveau Gédéon. On peut être surpris de voir qu’une mission punitive est confiée à un peuple particulièrement marqué par son penchant au péché : ce sont en effet les chefs des Madianites, associés aux chefs de leurs cousins Moabites 105, qui demandent à Balaam de maudire le peuple 106. Dans l’incapacité de maudire le peuple de Dieu, Balaam, d’après la légende 107, cherche et réussit à faire pécher le peuple par l’idolâtrie 108 et la débauche 109. C’est donc à un peuple lui-même mauvais que Dieu donne la mission de châtier son peuple infidèle 110.
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Voir ci-dessus, notes 12 et 76. Ci-dessus, Pseudo-Méthode 5,6 (b) : est-ce pour cette raison que les chroniques précisent que Gédéon a dirigé le peuple pendant 40 ans (à l’image de Moïse conduisant le peuple pendant 40 ans au désert) ? Gédéon est aussi un nouvel Aaron : un parallèle serait-il tracé entre le veau d’or d’Aaron et l’ephod d’or de Gédéon ? 104 Pseudo-Méthode 13. 105 Madian est fils d’Abraham, comme on l’a vu ci-dessus, et Moab est fils de Lot, neveu d’Abraham (Genèse 19,37). Dans le récit parallèle de Josèphe, Antiquités IV,6,6-13, § 126-158 le rôle des Madianites est considérablement renforcé. 106 Nombres 22,7. 107 Voir Josèphe, Antiquités, IV,6,6-13, §§ 126-158 ; Livre des Antiquités Bibliques 18,13. 108 Adoration du Baal de Péor, Nombres 25,2-5. Chez Josèphe, Antiquités IV,6,6, § 130, ce sont les jeunes femmes madianites qui, après avoir séduits les fils d’Israël, les incitent à adorer leurs dieux (voir aussi Antiquités IV, 6,9, § 139). 109 Débauche avec les filles de Moab et de Madian Nombres 31,15-16, interprété par le Livre des Antiquités Bibliques 18,13 et peut-être Testament de Benjamin 10,10 (le Nouveau Testament en a aussi gardé le souvenir en II Pierre 2,13-16 ; Apocalypse 2,14 qui évoque les deux péchés et Jude 11). 110 De même que Dieu met en fuite les adversaires d’Israël non pas à cause de la justice du peuple, mais à cause de la méchanceté des nations (Deutéronome 9,4-6). Un argument proche est utilisé (dans l’histoire de Gédéon) par le Livre des Antiquités Bibliques 35,3-4 et par le Pseudo-Méthode 11 (cf. aussi Lévitique 18,24 et Esdras 9,7). 103
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Balaam ne maudit pas le peuple, mais il annonce à Balaq, représentant des Moabites (et des Madianites), ce qu’Israël fera à son peuple à la fin des jours 111. La paraphrase que donne de ce verset le Targoum du Pseudo-Jonathan n’est pas dénuée d’intérêt : Balaam, en effet, annonce que les enfants d’Israël seront livrés aux mains des Moabites et des Madianites, mais que, par la suite, à la fin des jours, ils les domineront. On notera que c’est précisément dans cet ordre que se déroulent les événements annoncés dans l’apocalypse du Pseudo-Méthode 112. Et l’on sait, par certaines traditions, à quoi doit ressembler le rétablissement de cette domination d’Israël à la fin des temps : il sera à l’image du jour de Madian 113, ce jour fameux 114 où le libérateur envoyé par Dieu 115 extermina les Madianites, qui s’étaient rassemblés sur la colline de Moré, dans la vallée de Yizréel – ce qui rappelle l’épisode des rois cananéens, rassemblés dans cette même vallée de Yizréel, à Thaanac, aux eaux de Meguiddo et qui furent massacrés lors d’une journée mémorable chantée par Déborah 116 . À l’image du trait apocalyptique qui a annoncé le rassemblement des rois dans la mystérieuse localité appelée en hébreu Harmagedon 117 sur le modèle de l’extermination des rois cananéens à Megiddo, il est permis de supposer l’existence probable d’un épisode apocalyptique ayant pour modèle le rassemblement des Madianites à Gevath Râmthâ et racontant l’extermination des oppresseurs de la fin des temps. Dans cette hypothèse, on peut sans doute admettre que l’auteur du Pseudo-Méthode dépend d’un schéma apocalyptique antérieur 118.
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Nombres 24,14. On a compris qu’il s’agissait non seulement de la prophétie sur Jacob qui suit (Nombres 24,17-18), mais d’autres révélations concernant la fin des temps. Ainsi, par exemple Josèphe, Antiquités IV,6,5, § 125, qui rapporte le trait en précisant que les prédictions de Balaam annoncent jusqu’aux événements contemporains. 113 L’expression se trouve dans la prophétie messianique d’Ésaïe 9,1-6. 114 Ésaïe 10,26 rappelle l’événement ; de même, avec beaucoup plus de détails encore, le Psaume 83,10-12. 115 La question de l’idolâtrie de Gédéon, qui obscurcit la fin de sa vie, Juges 8,27, est atténuée, voir ci-dessus, note 101. 116 Juges 5,19. Le cantique de Déborah parle des rois cananéens rassemblés et de Siséra vaincu par les astres des cieux. 117 Apocalypse 16,16. 118 Il n’est pas impossible qu’il ait songé à actualiser ce schéma ancien ; Kmosko avait proposé d’identifier Gev’ath ramtha avec la localité de Garith près de laquelle le conquérant musulman Khalid ben Walid a battu l’empereur Héraclius en 636 ; mais ce n’est pas là une conclusion contraignante. 112
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Le modèle chronologique de la fin des temps Cette dernière hypothèse invite à poursuivre notre enquête à la recherche de modèles dans le récit de la fin des temps, dans la deuxième partie – l’apocalypse proprement dite – du Pseudo-Méthode, aux chapitres 11 à 14, dont voici un rapide résumé : – La dernière période, le 7 e millénaire, s’ouvre sur l’annonce de la fin du règne des Perses, remplacés par les fils d’Ismaël, instruments du châtiment pendant dix semaines d’années. Ces derniers sont anéantis à leur tour par la fureur du roi des Grecs 119. – Puis s’ouvriront les portes du Nord pour laisser sortir les peuples enfermés par Alexandre 120 qui ravageront le monde et seront anéantis par l’un des archistratèges de l’armée divine 121. – Le roi des Grecs s’installe alors à Jérusalem ; au bout de dix ans et demi se révèle le Fils de la Perdition 122. Alors le roi des Grecs, descendant du roi de Qoush, remet la royauté à Dieu 123 et meurt 124. On reconnaît dans la chronologie de ces événements une reprise du schéma des quatre empires de Daniel. Le troisième empire, celui des Perses, est remplacé par une sorte d’interrègne, période d’anarchie sous l’oppression des fils d’Ismaël, à la suite de quoi apparaît le roi des Grecs, représentant le quatrième empire de Daniel. C’est à ce moment-là que se passe le déferlement de Gog et Magog suivi par la mort du roi des Grecs et la fin du quatrième empire suivi de la Légende de l’Antichrist. Ce récit se sert peut-être d’autres modèles anciens. L’un des modèles auxquels on doit penser se trouve dans le Rouleau de la
————— 119 Pseudo-Méthode 13,11 ; le roi des Grecs se réveille comme un homme qui sort de l’ivresse (cf. Psaume 78,65). 120 Pseudo-Méthode 8 énumérait la liste de ces 22 peuples impurs et décrivait leur emprisonnement par le Conquérant. 121 Pseudo-Méthode 13,19-21. 122 Pseudo-Méthode 13,21-14,1. C’est le début de la Légende de l’Antichrist ; il naît à Chorazaïn, est élevé à Bethsaïda et règne à Capernaum (origine possible sinon probable des malédictions de Jésus sur ces villes, Matthieu 11,21 ; Luc 10,13). 123 Pseudo-Méthode 14,2-3 ; interprétation de Psaume 68,32 : l’Éthiopie tend ses mains vers Dieu. 124 L’apocalypse se termine (Pseudo-Méthode 14,6-11) sur un retour à la Légende de l’Antichrist (voir ci-dessus, note 122) : il est de la tribu de Dan ; il multiplie ses miracles (les aveugles voient, les boiteux marchent, les sourds entendent, les possédés sont guéris, le soleil s’obscurcit, la lune devient sang), il trône dans le Temple ; se dispute avec Hénoch et Élie. Enfin, en 14,13, il est tué d’un souffle de la bouche du Fils de l’Homme (cf. Ésaïe 11,4) arrivé sur les nuées.
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Guerre, trouvé dans les grottes de Qoumrân, qui, en 1QM 2,9-14, donne une chronologie de la guerre finale 125 : la guerre est répartie en trois campagnes ; la première, contre les fils de Sem, dure neuf années ; la deuxième, contre les fils de Cham, dix, de même que la troisième, contre les fils de Japhet. Les noms des protagonistes, descendants des trois fils de Noé, semblent provenir du premier chapitre du premier livre des Chroniques 126. Tous les éléments sont mis en situation géographique dans le partage de la terre exposé par les Jubilés, en 8 et 9. On peut comprendre cette campagne du Rouleau de la Guerre comme une sorte de reprise du modèle de la colonisation du monde par les fils de Noé. En Genèse 10, et c’est encore plus net en Jubilés 8-10, les fils de Noé se répandent dans les trois parties du monde. La guerre finale commence au plus proche, d’abord contre les fils de Sem, puis s’étend plus loin, d’abord chez les fils de Cham et ceux de Japhet. Fort malheureusement, 1QM ne donne le détail de la guerre que dans la première campagne, celle contre les fils de Sem 127. Le début de l’apocalypse du Pseudo-Méthode relatant l’invasion puis la domination des fils d’Ismaël 128 peut correspondre à la neuvième et dernière année de cette première campagne qui est dirigée, dans le Rouleau de la Guerre, contre les fils d’Ismaël et de Quetourah 129. Le Pseudo-Méthode prévoit ensuite l’arrivée du roi des Grecs, dont on précise avec insistance qu’il descend de la fille du roi de Qoush ; ce Qoushite 130 pourrait être un rappel du modèle de la
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Yadin, 1962, p. 33-34. I Chroniques reprend la table généalogique de Genèse 10, en continuant la liste jusqu’aux autres fils d’Abraham qui, dans la Genèse, ne seront mentionnés qu’au chapitre 25. 127 1QM 2,10-13a ; aucun détail n’est fourni, en 13b, sur les dix années de campagne contre les fils de Cham, ni en 14, sur les dix dernières années de la guerre, contre les fils de Japhet. 128 Les fils d’Ismaël mettent fin à l’empire des Perses, dans le Pseudo-Méthode. Dans 1QM, la neuvième année de guerre – contre les fils d’Ismaël et de Quetourah – succède à la huitième, contre les fils d’Élam (et à la septième, contre les fils d’Assour, de la Perse et des Orientaux). 129 Il s’agit des habitants du désert ; sur la parenté de ces deux peuples, voir ci-dessus. 130 On sait que, dans le Pseudo-Méthode, ce roi des Grecs descendant de Qoush s’inspire d’Alexandre le Grand dont la généalogie revêt ainsi un caractère tout aussi étrange que dans le Pseudo-Callisthène qui fait du Conquérant macédonien non pas le petit-fils du roi d’Éthiopie (par sa mère), mais le fils du roi d’Égypte (Nectanébo y est son père). Un auteur familier des antiquités juives traduirait les deux traits généalogiques par l’appartenance à la descendance de Cham, dans un cas par le premier, dans l’autre, par le deuxième de ses fils – voir note suivante. 126
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campagne contre les fils de Cham 131 qui a lieu, dans le document qoumrânien, à la suite immédiate de la campagne contre les fils d’Ismaël. Enfin a lieu l’arrivée de Gog et Magog, dans le Pseudo-Méthode, qui sont, dans la généalogie traditionnelle, fils de Japhet 132, et pourraient donc correspondre à la dernière campagne dans la guerre finale du Rouleau de la Guerre. En constatant ainsi la convergence du schéma du déroulement chronologique dans ces deux œuvres, il faut se poser la question de savoir si l’un n’a pas pu servir de modèle à l’autre.
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La recherche des sources d’une apocalypse est toujours ardue. Pour ce qui est du Pseudo-Méthode, deux textes littéraires syriaques ont été mis en valeur par les spécialistes du monde syriaque 133 ; mais il n’est pas possible de négliger tout l’arrière-plan scripturaire et, d’une manière beaucoup plus vaste, tout l’ensemble légendaire dans lequel baignait le milieu d’origine. À cet ensemble culturel auquel a pu se nourrir l’auteur de l’apocalypse appartient non seulement la Caverne des Trésors, mais aussi des recueils légendaires très anciens, comme les Jubilés, dont les idées religieuses et culturelles, voire les précisions concernant
————— 131
Les fils de Cham sont au nombre de quatre : Qoush, Mizraïm, Puth et Canaan (Genèse 10,6 ; I Chroniques 1,8 ; Jubilés 7,13 ; Livre des Antiquités Bibliques 4,6). 132 Fils de Japhet : Gomer, Magog, Madaï, Javan, Tubal, Méschec et Tiras (Genèse 10,2 ; I Chroniques 1,5 ; Jubilés 7,19 ; 9,8-13 ; Livre des Antiquités Bibliques 4,2.4 ; 5,4. On connaît la fortune de Magog et Gog déjà dans Ézéchiel 38-39 (le PseudoMéthode s’y réfère) ; le Targoum pseudo-Jonathan sur Nombres 11,26 précise que Gog et Magog étaient l’objet d’une prophétie des deux prophètes Eldad et Modad, prédiction concernant leur extermination suivie de la résurrection des morts d’Israël à la fin des temps. Dans ce même Targoum, le sceptre qui s’élève d’Israël (Nombres 24,17) est un roi puissant qui « tuera les princes des Moabites, évincera tous les fils de Seth ( ?), les camps de Gog qui sont destinés à engager le combat contre Israël… » 133 Voir ci-dessus les notes 13 à 15 (Reinink, 1993, p. XXXVI et Aerts-Kortekaas, 1998,1, p. 6-7) ; il s’agit du Roman de Julien l’Apostat (fin IV e siècle, Syrie) où figure le trait caractéristique du dépôt, par Jovien, le successeur de l’empereur Julien, de la couronne sur la croix dressée au Golgotha ; et ensuite de la Légende syriaque d’Alexandre (composée vers 630 en Mésopotamie du Nord à l’occasion de la victoire d’Héraclius sur les Perses) où l’on décrit Héraclius rapporter à Jérusalem la Croix que les Perses avaient emportée à Ctésiphon.
MODÈLES DU TEMPS ET DE LA FIN DES TEMPS
255
l’histoire des origines, ont nourri des chaînes de générations entières. Il peut être, dès lors, légitime de s’interroger sur l’utilisation possible de motifs antiques remontant à des ouvrages développés ailleurs 134 à une époque ancienne 135 avant d’être recueillis en Syrie, traduits dans la langue du pays, conservés et maintenus en vie 136. Certains, à l’exemple du Pseudo-Méthode, ont pu revenir, en passant par Byzance, dans le monde grec et jusqu’en Occident. L’étude de ce cheminement à travers le temps et l’espace ne peut être que riche et fructueuse.
————— 134
Par exemple en Palestine, où ils ont disparu en laissant à peine quelques traces. L’âge d’or de l’apocalyptique se situe au tournant de l’ère. 136 Par des cercles éminents comme ceux qui ont produit Ephrem. 135
256
JEAN-MARC ROSENSTIEHL
Bibliographie Aerts-Kortekaas, 1998,1 et 2 : W. J. Aerts – G. A. A. Kortekaas, Die Apokalypse des Pseudo-Methodius. Die ältesten griechischen und lateinischen Übersetzungen (CSCO 569-570, Subsidia 97-98), Louvain, 1998. Alexander, 1985 : P.. J. Alexander, The Byzantine Apocalyptic Tradition, Berkeley – Los Angeles – London, 1985. Bamberger, 1901 : J. Bamberger, Die Literatur der Adambücher und die haggadische Elemente in der syrischen Schatzhöhle, Aschaffenburg, 1901. Berger, 1981 : K. Berger, Das Buch der Jubiläen (JSHRZ II,3), Gütersloh, 1981. Brock, 1968 : S. P. Brock, « A Fragment of Enoch in Syriac », The Journal of Theological Studies N.S. 19 (1968), p. 626-631. Budge, 1886 : E. A. W. Budge, The Book of the Bee (Analecta Oxoniensia, Semitic Series I,2), Oxford, 1886. Caquot, 1987 : A. Caquot, « Jubilés » in A. Dupont-Sommer – Marc Philonenko, éd., Écrits Intertestamentaires (Bibliothèque de la Pléiade 337), Paris, 1987, p. 627-810. Chabot, 1899 : J.-B. Chabot, Chronique de Michel le Syrien, Paris, 1899-1924. Chabot, 1920, 1937 : J.-B. Chabot, Anonymi auctoris Chronicon ad A.C. 1234 pertinens (CSCO 82/Syr. 37), Paris, 1920 et (CSCO 109/Syr. 56), Louvain, 1937. Daniélou, 1982 : J. Daniélou, Le Judéo-Christianisme, les textes, les doctrines et la vie spirituelle (Faculté de Théologie 64-65 « ad modum manuscripti »), Institut Catholique, Paris, 1982. Denis, 1970 : A.-M. Denis, Introduction aux pseudépigraphes grecs d’Ancien Testament (Studia in Veteris Testamenti Pseudepigrapha 1), Leiden, 1970. Gelzer, 1880, 1885, 1898 : H. Gelzer, Sextus Julius Africanus une die byzantinischen Chronographie, vol. I, Leipzig, 1880, II,1, Leipzig, 1885, II,2, Leipzig, 1898. Gerö, 1980 : S. Gerö, « The Legend of the fourth Son of Noah », Harvard Thological Review 73 (1980), p. 321-330. Goetze, 1922 : A. Götze, Die Schatzhöhle – Überlieferung und Quellen (Sitzungsberichte der Heidelberger Akademie der Wissenschaften, Philosophisch-historische Klasse 1922, 4. Abhandlung), Heidelberg, 1922. Grebaut, 1913 : S. Grebaut, « Mélanges I. Noms des femmes et enfants des fils de Jacob », Revue de l’Orient Chrétien 18 (1913), p. 417-419. Guidi, 1903 : I. Guidi, Chronica Minora I (CSCO 1/Syr.1 et CSCO 2/Syr. 2), Paris, 1903. Kampers, 1899 : F. Kampers, « Neuere Literatur zur sibyllinisch-apokalyptischen Forschung », Historisches Jahrbuch des Görresgesellschaft 20 (1899), p. 417-426. Klostermann, 1904 : E. Klostermann, Eusebius, Werke, III,1 : Das Onomastikon (GCS 11,1), Leipzig, 1904. Kmosko, 1931 : M. Kmosko, « Das Rätsel des Pseudo-Methodius… », Byzantion 6 (1931), 273-296. Martinez, 1985 : F. J. Martinez, Eastern Christian Apocalyptic in the Early Muslim Period : Pseudo-Methodius and Pseudo-Athanasius (Dissertation, Catholic University of America), Washington D.C., 1985. Milik, 1971 : J. T. Milik, « Recherches sur la version grecque du livre des Jubilés », Revue Biblique 78 (1971), p. 545-557. Nau, 1907-1908 : F. Nau, « Traduction de la Chronique Syriaque anonyme… » Revue de l’Orient Chrétien 12 (1907), p. 429-440 ; 13 (1908), p. 90-99, 321-328 et 436-443. Nau, 1917 : F. Nau, « Révélations et légendes – Méthodius – Clément – Andronicus. I. Les Révélations de saint Méthode », Journal Asiatique 1917, p. 415-452. Rahmani, 1904 : I. E. Rahmani, Chronicon civile et ecclesiasticum anonymi auctoris (quod ex unico codico edesseno primo edidit), Charfet (Montliban), 1904-1911. Reinink, 1993, T. et 1993, V. : G. J. Reinink, Die syrische Apokalypse des PseudoMethodius (T. : CSCO 540/Syr. 220 et V. : CSCO 541/Syr. 221), Louvain, 1993.
MODÈLES DU TEMPS ET DE LA FIN DES TEMPS
257
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INDEX DES TEXTES CITÉS ANCIEN TESTAMENT Genèse 1 1,1-2,4a 1,3-5 1,3-4 1,14-15 1,14 1,29-30 2,2-3 2,2 2,4b-25 2,7 4,17 4,21 5 5,1-32 5,3 5,3 LXX 5,5 5,6 5,9 5,12 5,15 6,2 7,11 7,12 10 10,2 10,6 11 11,10-32 16,1-16 16,15 19,37 21,9-21 25 25,1 25,6 28,9 29,14 37,25 37,27-28 37,27 37,28
164, 236 242 89, 117, 120 117 1 120 2 103 114, 122 119 89 235 244 240 236-237, 241 185 237, 240, 243 237 241 240 240 240 240 240 22 131 253 254 254 236-237, 241 185 247 248 250 247 253 247-248 248 249 22 248 247 248 248
37,36 39,1 40,12 40,18 41,16
248 248 152 152 152
Exode 2,2 2,15 2,18 3,1 3,13-14 3,14 4,18 8,19 9,31 12 12,1-20 12,2-14 12,2 12,3-6 12,6b 12,12-13 12,13 12,23-26 12,27 12,29 13,4 13,9 13,13 13,14 13,16 20,8-11 20,11a 23 23,12 23,14-17 23,15 23,16 29,1-37 29,23 30,8 31,13-17 31,16-17 34
22 247 248 248 200 201-202, 204-205 247 62 26 62 26, 91 93 26, 90, 112, 188 26 112 114 62 114 62 114 26 62 62 62 62 117 120 76 117 90 26, 90 22 93 99 130 91 117 76
260
INDEX DES TEXTES CITÉS
34,18-24 34,18 34,22
90 26, 90 22
Lévitique 2,4 2,12 6,7-11 8 8,26 10,16-18 13-14 14,8 14,9 14,33-53 15 15,25 15,30 16 18,24 22,26ss 23 23,2 23,4 23,5-8 23,5 23,10-14 23,10 23,12 23,15 23,19 23,24 23,26-32 23,37 23,40ss 23,42 23,43 23,44
99 99 102 93 99 102 76, 78-80 81 81 76 76, 78, 80 82 82 91 250 175 76, 90, 95 175 175 91 26 91 26 95 74 101 29 91 175 175 174 91, 174 175
Nombres 14,33-34 15,1-16 18,11-13 18,12 18,26-27 19 19,5-9 19,9 19,11 19,12 19,13 21,17-18 21,18
131 95, 99 99 97 97 76-80, 82 77 77 77 77 77 161 164
22,7 24,14 24,17-18 24,17 24,18 25,2-5 28-29 28,16-25 29,7-11 29,12-38 29,17ss 31,15-16
250 251 251 18, 212, 254 213 250 90, 93, 95 91 91 91 175 250
Deutéronome 5,15 7,13 9,4-6 9,26 11,14 12,17 14,22ss 14,23 16 16,1-17 16,1-8 16,1-7 16,1 18,3-4 18,3 29,28
117 97 250 62 97 97 175 97 76 90 91 93 26, 90 11, 97, 99 102 160
Josué 6 6,26
132 151
Juges 2,1 5,19 6-8 6,2 6,3 6,6 6,7-8 6,7 6,11 6,13 6,14 6,16 6,33 7,1 7,1b 7,2
232 247 251 245, 247-248 248 245, 248 248 247 248 248 248 248 248 245, 248 245, 248 245 248
261
INDEX DES TEXTES CITÉS
7,7 7,12 7,13 7,14 7,15 7,23 7,24 7,25 8,1 8,3 8,5-21 8,5 8,10 8,11 8,24-9,57 8,24 8,27 8,32 9,17 12,22 12,26 12,28
248 245, 248 248 248 248 248 248 246, 248 248 246, 248 246 248 245 248 249 247-248 249, 251 249 248 248 248 248
1 Samuel 20,14
22
2 Samuel 1,11 5,24
30 217
1 Rois 4,7 6,37-38 8,2 12,32 21,2-18
22 26 26 22 8, 28
2 Rois 6-7 7,6 19,31 25,1 25,2-3 25,8 25,25 25,27
217 217 221 27 27 27, 92 27, 92 27
Ésaïe 9,1-6 9,6 9,15 10,26 11,4
18, 251 221 215 251 252
23,8 23,11 25 25,6-8 25,7-8 34,5 37,32 40,3 42,13 53,7 59,17 62,15
171 171 104 12, 103 103 18, 214 221 161, 164 221 215 221 221
Jérémie 1,3 1,6 (LXX) 2,30 14,13 (LXX) 28,1 28,17 31 36,9 36,22 39,1 39,17 (LXX) 41,1 48,11 52,4 52,5-6 52,12 52,31 53,7
27 200 194 200 27 27 194 27 27 27 200 27 103 27 27 27 27 215
Ézéchiel 1,1 1,2 8,1 10,18-22 16,19 16,29 17,4 20,1 23,41 24,1 26,1 29,1 29,17 30,18 30,20 31,1 32,1 32,17 33,26
27 27 27 216 99 171 171 27 99 27 27 27 27 142 27 27 27 27 27
262
INDEX DES TEXTES CITÉS
38-39 38,19 39,25 40-48 40,1 45,18-22 45,18-19 45,18 45,21 45,23-25 45,25 46,1
254 221 221 91, 93, 95 27 91 93 27 27 91 27 22
Osée 11,1 12,8
192 171
Joël 2,18
221
Michée 6,7
99
Nahoum 1,2
221
Habaquq 1,5 2,2 2,3
150 150 153, 157
Sophonie 1,11 1,18 3,8 Zacharie 1,14 7,3 7,5 8,2 9 9,9 11,7 11,11 14 14,1ss 14,2 14,3 14,4-11 14,4 14,9
171 221 221 221 92 92 221 172 172 171 171 16, 170, 172, 174, 176, 178, 180-181 175 170 170 170 170, 172-173 170
14,12-15 14,13 14,16-18 14,16 14,18 14,19 14,20-21 14,21
160 175 170 170, 175 170 170, 175 170, 180 173
Psaumes 68,32 78,65 81,4 83,10-12 90,4 104,14-15 104,19 118,15-16 118,15 118,19 118,24 118,25 118,26 118,27a 118,27b
252 252 116 246, 251 242 100 22 175 175 175 175 174-176 174-176 175 175
Job 40,30
171
Proverbes 8,22-26 8,22 31,24
117 119 171
Esther 3,7 9,20-32
26 92
Daniel 2 2,18-28 2,36 4,1-5 4,16 5,5-17 7,17-27 7,25 8,17 9 9,2-3 9,20-22 9,24-27 12,7
155 152 209 152 152 152 188 189 156 151, 154 152 152 159 189
263
INDEX DES TEXTES CITÉS
12,8 12,11
156 141
Esdras 6,17 8,35 9,7
95 95 250
Néhémie 9,26 10 10,35 10,36-40 10,36-38 10,40 13,5 13,12 13,30 13,31
194 94 93 97 98-99 93, 97 97 97 97 93
1 Chroniques 1-9 1 1,5 1,8 1,32 2,17 5,27-41 27,1-15
185 253 254 254 248 248 187 22
2 Chroniques 24,20-22 24,25 29,21 29,23-24 30,1-20 31,5 35,1-19
185 185 95 95 93 97 93
APOCRYPHES Bel et le dragon 33 Judith 6,16 7,1 7,6 7,10)11 7,10 7,16 7,20 7,23-29 7,30 8,6 8,11 8,33 9,1 9,5 11,3 11,5 12,5 12,7 12,10 13,1 13,14 14,2
14,11
130
1 Maccabées 2,41 4,59 7,49
132 92 92
2 Maccabées 1,9 1,10-2,18 1,10 1,18 5,2-4 10,5-8 10,29-31 10,33-38 10,33 15,36
92 107 107 92 217 92 217 13, 132-134 132 92
Sagesse 13,1
200
Siracide 17,5 43,1-5 43,6-7 43,6
120 63 63 22
100 13 126 126 126 128 128 128 126 126 126, 128 133 128 128 130 17, 205 130 130 130 130 130 130 130 130
264
INDEX DES TEXTES CITÉS
PSEUDÉPIGRAPHES DE L’ANCIEN TESTAMENT Vie grecque d’Adam et Ève 9,3 104 13,1 104 33,5 235 35,2 235 Vie latine d’Adam et Ève 36,1 104 36,2 104 36,3 104 40,1 104 40,3 104 41,2 104 Vie arménienne d’Adam et Ève 23 243 Lettre d’Aristée à Philocrate V,47-50 111 2 Baruch 1,2-5 1,4 4,1 5-8 5,2 6,9 8,2 15,7-8 21,8 21,9 27,1-13 39-40 48,50 53-74 53,1-2 56,3 83,9
154-155, 194 194 195 194-195 194 186 195 194 186 205 204-205 188-189 188 186 188-189 155 155 17, 205
1 Hénoch 1,2 6 6,6 58-79 72-82 72,1-75,3 72,2-37 72,6-35 72,6-8 73,7-8 73,7 78,6-8 78,8 78,9 82,10-18 85-90 90,42 91,11-17 93,1-10 106
10, 19, 55, 70, 235-236 98 236, 240 141 55 243 55 9 67 67 65 65 64 64 43 9 154 156 154, 188 154, 188 192
2 Hénoch 8,4 22,4-7 33,1-2 46,1-2 70
104 105 188 105 192
Martyre d’Isaïe 2,12-16
194
Joseph et Aséneth 8,5 8,11 15,3-4 15,14
100, 104 104 100, 104 100
Jubilés 3 Baruch 15
105
4 Esdras 7,50 7,112-114 7,136 8,1 11-12 12,10-12 14,11-12
154 186 186 204 186 188 155 188-189
1,4-7 1,4 1,5 1,12 1,26 2,17-23 4,1 4,2
2, 9-10, 14, 19, 45, 55, 137-145, 160, 164, 235236, 238, 243-244, 249, 254 143 137, 139, 143 143 194 137 117 238-239 238
265
INDEX DES TEXTES CITÉS
4,7 4,17 4,25 4,29 4,30 6,17-22 6,20-22 6,36-37 7,1-6 7,13 7,14 7,15 7,16 7,19 7,34-39 7,36 8-10 8 9 9,8-13 11,11 13,25 13,26 15 19,12 20,11-13 20,12 20,13 21,12-15 32,12 33,9 37,19 45,5 49,16-21 50,5 50,13
238 243 243 241-242 242 95 98 55 94 254 244 244 244 254 98 94, 99 253 253 253 254 248 242 97 95 248 248 248 248 100 94 242 242 100 93 142 137
23,2 35,3-4 36,3-4
95 250 249
4 Maccabées 1,16
121
Testament de Moïse 10,1
154 169
Psaumes de Salomon 210 2,1 210 2,2 210 17,7 210 17,9 210 17,11 210 Oracles sibyllins 3,243 3,187-189 3,745 3,805-808
210 98 210 98 217
Testament des douze patriarches Ruben 2,3-3,8 121 Lévi 8 100 8,4-5 100 9,12 100 9,14 94 Juda 9,8 98 21,5 99 Dan 5,10-11 169 Joseph 19,8 215 Benjamin 3,8 215 10,10 250
Livre des Antiquités bibliques 19 4,2 254 4,4 254 4,6 254 5,4 254 9 194 18,13 250
ÉCRITS QOUMRÂNIENS CD (Écrit de Damas) 141, 145, 149, 163 2,9-10 153 3,16-18 164 3,21-4,6 151
5,21-6,1 6,2-11 6,2-10 6,3-11 6,6-7
158 151 161 164 164
266 6,7 6,10 6,14 6,19 7,14-18 7,15-18 7,18 8,21 10,15 11,19 12,12-13 12,20-22 12,21-23 12,21 14,3-4 15,5 16,2-3 16,2 16,3-4 16,3 B 1,33 B 2,12
INDEX DES TEXTES CITÉS
162 164 153 194 162 158 162 194 159 94 163 163 165 159 101 141 165 163 144, 160 140 194 194
1QM (Rouleau de la Guerre) 19, 253 2,1-6 101 2,9-14 253 2,10-13a 253 2,10 139 2,13b 253 2,14 253 4,7 175 6,6 169 8,3 159 10,15 153 1QHa (Hymnes) 1,24 12,9 18,24
153 204 98
1QpHab (Pesher d’Habaquq) 147, 149-150, 152-155, 210 2,1-4 194 2,5-10 150 6,4-5 210 7,4-5 150 7,7-14 157 7,10-14 154 7,12-14 153 1QS (Règle de la Communauté) 72, 149-150, 163
1,3 1,13-14 1,14 2,19-23 3,9 3,15 4,13 6,4-5 8,13-16 8,14-16 8,16 9 9,12-14 9,12 9,13 10,1-3 10,1 10,10 Voir aussi 4Q249
152, 162 165 153, 165 101 77 153, 204 153 100 151 161 152, 162 163 158, 160, 163 159 162 73 153 73
1QSa (Règle annexe de la Communauté) 163 1,1-5 163 2,1 139 2,17-21 100 18QSb (Livre des bénédictions) 1,27 5,18
153 153
4Q167 (4QpOséea) 2,4-5 162 4Q169 (4QpNahum) 3-4 194 4Q171 (4QPsa) 4,23
139
4Q174 (4QFlorilège) fr. 1-2,i,15-16 152 fr. 1-3,ii,3 152 4Q175 (4QTestimonia) 151 21-30 151 4Q180 (Pesher des Périodes) 153 4Q208 47 4Q209 9, 38-39, 49
267
INDEX DES TEXTES CITÉS
4Q214b fr. 2-6,i,1-8
4Q319Otot 100
4Q216 1,11-12
47-48 4Q320-330
144 139
10, 68 4Q320 56
4Q217 141
4Q321 40, 46-48
4Q228 fr. 1,i fr. 1,i,2 fr. 1,i,4 fr. 1,i,7 fr. 1,i, 9
141, 144 144 143 143, 159 143, 159 143
4Q327 fr. 1,ii,4-5
94
fr. 1,ii,8-9
94
4Q331 160
4Q249a-i 46
4Q332 160
4Q259 fr. 2a,ii,3 fr. 2a,ii,6
161 161
4Q266 fr. 11,17-18
95
4Q270 fr. 6,ii,17
140
4Q271 fr. 4,ii,2-3 fr. 4,ii,4-5
140 140
4Q286 fr. 1,ii,11-12 fr. 1,ii,11
139 139, 160
4Q292 2,4
4Q333 160 4Q337
152
10, 68 4Q365 fr. 23,5 fr. 23,9
94 94
4Q381 fr. 69,4-5 fr. 69,4 fr. 69,14
162 152 158
4Q384 fr. 9 fr. 9,2 fr. 10,2
141-144 142 142, 145 142
4Q390 fr. 2,i,5
152, 162
4Q317 fr. I,i fr. I,i,8 fr. II,ii fr. II,ii,28 fr. III fr. IV fr. V
9, 37-56 53 44 53 44 9, 44, 54 9, 44, 54 9, 44, 51
4Q394-399 (4QMMT) 148 4Q394 10, 68 4Q414
4Q318 45, 47
fr. 2
72, 75 82
268 4Q471 4,8
INDEX DES TEXTES CITÉS
139
4Q502 72 4Q503 fr. 1-3 fr. 1 fr. 1,3-4 fr. 1,4 fr. 1,5 fr. 2 fr. 2,13 fr. 3 fr. 4 fr. 5 fr. 6 fr. 7-9 fr. 8-9 fr. 8-9,4 fr. 9 fr. 10 fr. 10,2 fr. 11 fr. 24-25 fr. 24-25,4 fr. 24-25,5 fr. 29-32 fr. 29-32,11 fr. 29-32,19 fr. 30 fr. 37 fr. 39 fr. 39,3 fr. 42-44 fr. 67,2
10-11, 55-87 79-83 57, 61, 76 61 60 62 57, 60-61, 76 62 57, 61, 76 58, 59 58 58 79-80 60, 80 60 59 81-82 60 79-82 81-82 81 81 76, 83 60 60 59 59 59 60 82-83 60
4Q504 fr. 1-2,iii,13
162
4Q508 fr. 13,3
98
4Q512 fr. 1-6 fr. 1-2-3 fr. 1 fr. 1,3 fr. 1,5 fr. 2,3 fr. 2,4
11, 56-57, 72, 75-83 77 76-78, 82 77 77 77 77 77
fr. 2,6 fr. 3+2,1 fr. 4-6 fr. 4 fr. 7-9 fr. 10 fr. 11 fr. 14i fr. 14ii fr. 15i fr. 15ii fr. 16 fr. 21-28 fr. 24-25,5 fr. 29-32 fr. 33 fr. 34 fr. 42-44
77 77 77 76 78 78 78 78 78 78 78 78 78 81 78 78 78 82
11Q13 3,16 3,17 3,18 6,4
144 141 141 141 142
11Q14 fr. 1,ii,7-10 fr. 1,ii,9
97-98 159
11Q19 (Rouleau du Templea) 2, 11, 95, 147-148, 164 11,12 94 13,10-29,10 92 14,3-15,3a 93 15,3b-17,4 93 15,9 99 17,6-9 93 18,2-10 95 18,10-19,9 74 18,14-15 95 18,14 93, 96 18,16 96 19,2-4 97 19,3 96 19,5-6 99 19,6-7 96 19,11-21,10 94 19,11-14 94 19,12 96 19,14-15 96 19,14 94, 96, 99, 101 19,15-20,1 97 19,16 96
269
INDEX DES TEXTES CITÉS
20,1-21,3 20,15-21,05 21,4-7 21,9 21,10 21,12-23,01 21,12-14 21,14-16 21,14-15 21,14 21,16 22,1 22,2-14 22,9-14 22,14-15 22,15-16 22,16 23,02-25,1
101 102 96 101 94, 96, 99, 101 94 94 96, 99, 101 96 94, 101 96 97 101 101 96 96 101 94
23,02-2 23,3-8 23,6-7 24,16 38,4 40,6 43,3 43,8-9 43,10 43,14-15 50,14
96 97 96 94 99 97, 99 94 94 94, 101 99 77
11Q20 (Rouleau du Templeb) 95 3,24 93 5,11 96 5,18 96
LITTÉRATURE JUIVE HELLÉNISTIQUE Aristobule fr. I fr. II fr. IV fr. V
107-123 110-116 115 116 12, 116-122
Flavius Josèphe Antiquités juives I,62 I,64 I,67 I,73 I,80-81 I,238-241 II,201-216 II,208-210 II,257 II,264 II,311-314 II,313 III,201 III,248 IV,125 IV,126-158 IV,130 IV,139 V,210 V,232 XI,109-110 XIII,285-287 XIII,349-355
244 240 237 240 113 248 192 209 247 248 113 114 113 113 251 250 250 250 245 249 113 134 134
XX,169-171 Autobiographie 277ss Guerre juive II,262-263 II,409 II,425 II,430 II,434 II,440 II,444 II,506 II,515 II,517 II,650 II,651 IV,161 IV,400 IV,405 IV,506 IV,516 VI,288-315 VI,288 VI,289 VI,290-291 VI,292-295 VI,292 VI,298-299 VI,298 VI,299 VI,300-309 VI,300-305
178 128 178 220 94 212 223 212 223 195 212 195 212 224 221 225 225 225 225 18 212 212 215 216 215 220 217 194, 216 218 194
270 VI,300-304 VI,312 VI,313 VI,315 VII,26-31 VII,269 VII,296 VII,297 VII,299 VII,336 VII,399 VII,400
INDEX DES TEXTES CITÉS
179 18, 209 211 218 223 221 225 225 226 225 225 225
Quaestiones in Exodum I,1 112 I,9 112 Quaestiones in Genesim I,6 121 III,43 121 Quis rerum divinarum heres sit 23 120 170 118 216 118 232-234 121 255 114 Quod Deus sit immutabilis 11 118 32 204 De sacrificiis Abelis et Caini 40 120 47 203 63 114 De specialibus legibus II,41 114 II,56 118 II,59 118 II,61 119 II,62 119 II,145 114 II,146 114 II,147 114 II,150 114 II,151-152 113 II,155 112 II,208 203 II,210 203 De vita contemplativa 30-33 119 30 118 36 118 De vita Mosis II,110 118 II,222 112 II,224 112, 114 II,226 114 II,228 114 II,233 114
Philon d’Alexandrie De Abrahamo 30 121 De congresssu eruditionis causa 79 121 106 114 De Decalogo 102 118 161 113 De ebrietate 31 119 Legum Allegoriae 1,2 120 I,15 118 I,20 120 II,42 203 III,11 203 III,94 114 III,154 114 III,165 114 De migratione Abrahami 25 114 125 203 De opificio mundi 26 1, 120 100 118 116 113 117 121 De plantatione 114 189, 203 De posteritate Caini 64 118
NOUVEAU TESTAMENT Matthieu 1,1 1,2-17 1,17
16 184, 186, 189 184 187
1,21 1,22 2,2 2,4 2,7
191 188 195 189 187
271
INDEX DES TEXTES CITÉS
2,15 2,16 2,17 2,23 3,1-2 3,1 3,2 3,11 4,14 4,17 4,21 5,11 5,17-19 5,17 5,21-48 5,22 5,29 5,30 5,48 7,22 8,10-12 8,11 8,12 8,17 8,26 8,28 8,30 9,36 10,5 10,7 10,15 10,17-23 10,19 10,28 10,22 11,3-5 11,11-15 11,20-24 11,21 11,22 11,24 11,25 12,1-14 12,1 12,17 12,28 12,32 12,36 13,1 13,35 13,39 13,40 13,43 13,49
188, 192 187 188 188 189 186-187, 192 189, 191-192 191 188 189, 192 188 194 193 188 193 187 187 187 193 186 194 180 186 188 196 192 192 192 192 188 187 195 186 187 187 189 192 194 252 187 187 186 193 186 188 169, 189 186 187 186 188 186 186 187 186
14,1 14,31 15,1-20 15,20 15,21 15,24 16,17 17,10-13 18,1 18,8 18,9 19,4 19,16 19,29 21,1 21,3 21,4 21,8 21,9 21,43 21,45 22,23 22,40 23,15 23,29-36 23,33 23,35 23,37-39 23,38 23,39 24,2 24,3 24,6 24,7 24,8 24,9-14 24,13 24,14 24,19 24,22 24,27 24,29 24,37 24,38 24,39 24,48 25,5 25,19 25,34 25,41 25,46 26,3 26,28 26,54
186 196 193 193 192 192 188 192 186 187 187 186 187 186-187 172 173 188 176 176 192, 194 194 186 193 187 194 187 185 194 194 195 194 186-187 187-188 194 188 195 187 187-188, 195 186-187 187 187 187-188 187 186 187 187, 190 187, 190 187, 190 187 187 187 185 191 188
272
INDEX DES TEXTES CITÉS
26,55 26,56 26,57 27,11 27,25 27,27 27,39 27,51-53 28,2 28,15 28,17 28,20
186 188 185 195 195 195 195 189 189 195 189 186, 189, 191, 196
Marc 1,4 1,9 1,15 2,19 3,6 6,14-22 7,19 8,15 9,21 9,43 9,45 9,47 10,14 10,17 10,30 11,1 11,3 11,8 11,9-10 11,13 11,23-26 11,23 12,13 13,7 13,8 13,11 13,13 13,33 15
191 192 169, 187 180 185 185 193 185 187 187 187 185 179 187 186-187 172 173 176 176 176 177 173 185 187 194 186 187 187 185
Luc 1,21 1,57 2,1 3,1 3,2 3,3 4,5 5,13 7,5
187 187 184 184 185 191 187 190 194
7,21 8,27 8,29 8,39 10,13 10,25 11,20 12,5 12,45 13,28-29 18,4 18,18 18,30 19,28 19,31 19,38 20,9 21,9 21,10 22,3 23,2 23,8
186 187 187 173 252 187 169 187 187, 190 180 187 187 186-187 172 173 176 187 187 194 190 194 187
Jean 11,48-52 12,12-19 12,13 18,13 18,14 18,24 18,28 18,35
194 175 176 185 185 185 185 194
Actes des Apôtres 190 Galates 2,13-14 2,15
195 195
2 Pierre 2,13-16 3,8
250 242
Jude 11
250
Apocalypse 1,4 1,8 2,14 4,8 11,2-3
17 199-206 199-206 250 199 189
273
INDEX DES TEXTES CITÉS
11,17 16,5
199-200 199-200
16,16
251
LITTÉRATURE CHRÉTIENNE ANCIENNE Anatole de Laodicée Introductiones arithmeticae 110 Caverne des Trésors 2,12 5,18 6,1 6,6-7 6,17 6,21b-24 6,23-7,13 7,2 10,16 11,12 15,1-8 15,4-8 17,22 24,3 24,5 24,7 24,15 24,27 25,6 25,15 26,1 34,16 35,2 42,22 48,5 48,6 48,7
19, 233-244, 249, 255 235 238 237-238 239, 241 239, 241 239 240 240 236, 239 240 240 240 236 244 244 244 244 236 244 244 244 236 245, 249 236 236 236 236
Chronique Anonyme 243 Clément d’Alexandrie Stromates 107 I,XV,72,4 107-108 I,XXII,150,1 201 V,VI 107-108 V,XIV,97,7 116 V,XIV,107,1-4 116 V,XIV,108,1 VI,XVI,137,4-138,4 116 VI,XVI,141,7b-142,1 116
Épître de Barnabas 15,4 242 Eusèbe Histoire ecclésiastique III,8,1-9 218 III,12 223 VII,23-25 111 VII,32,6 110 VII,31,13 113-114 VII,32,14-17 110 VII,32,15 114 VII,32,16 108, 111 VII,32,17-18 110, 114-115 VII,32,17 111-112, 115 Préparation évangélique VII,13,7 107 VIII,8,56 108 VIII,9,38-10,17 115 VIII,9,38 108 VIII,29,12 115 XIII,3-8 116 XIII,12 108 XIII,12,2 111 XIII,12,9-16 116 XIII,12,9 117 XIII,12,10-11a 117, 119 XIII,12,11b-12a 117, 119 XIII,12,12b-16 120 Évangile selon Thomas 82 179 Jérôme Commentarius in Zachariam prophetam ad Exsuperium tolosanum episcopum III,14,6 175 Lactance Institutions divines VII,25,1-5 242 Légende de l’Antichrist 252 Légende syriaque d’Alexandre 19, 233, 254
274
INDEX DES TEXTES CITÉS
Orbélian Histoire de la Siounie 232 Pseudo-Callisthène 253 Pseudo-Ephrem Sermon sur la Fin des Temps 233 Pseudo-Méthode Apocalypse 1-10 1-4 1,1-2 1,2 1,5 2,12 3,1 3,2-6 3,2 3,5 4,1 5 5,1
19-20, 231-255 232 235 237 237-238, 241 236 235 236 243 233, 243-244 243 236 233, 246-247 232, 236
5,2 5,6 5,7 6-10 8 11-14 11-13 11 11,1 11,12 13 13,1 13,19-21 13,21-14,1 13,21 14,1 14,2-3 14,6-11 14,13
247 246-247, 250 246 232 245, 252 232, 244, 252 246 247, 250 235, 245 233 247, 250 252 252 252 245 233 252 252 252
Roman de Julien l’Apostat 19, 233, 254 Salomon de Basra Livre de l’Abeille 232
LITTÉRATURE JUIVE Targumim Gn 25,1 Lv 23,40 Nb 11,26 Nb 29,31 Nb 29,32 Dt 20,19 Dt 32,39 Mishna Avot 5,22 Shabbat 6,4 Sheqalim 1,3 Sukka 3,1 3,2-4 3,5-8 3,9 4,1
248 174 254 174 175 133 202
163 134 181 174 174 174 174 174
4,9 5,2 5,4 Rosh-ha-Shanah 1,2
174 174 174 175
Talmud de Jérusalem Shabbat 1,4a 134 Talmud de Babylone Shabbat 19a 134 Erubin 45a 134 Sukka 49b 175 Rosh-ha-Shanah 16a 175 Sanhédrin 97a 189
275
INDEX DES TEXTES CITÉS
Aboda Zara 9a Tosefta Erubin 3(4),7 Sheqalim 1,6 Midrachim Genèse Rabba 61,4
Exode Rabba 15
189
Autres sources Hékhalot 129 Megilat Taanit VI,14 Zohar II,76a
134 181
188
204 212 204
248 AUTEURS PROFANES GRECS ET LATINS
Aëtius Placita I, Prooem. 2
121
Diogène Laërce Vies et doctrines des philosophes illustres VII,110 120 VII,157 120 Dion Cassius Histoire romaine LXVI,5,4 Geminos Eisagogè VIII,15
122 122 122
Pausanias X,12,10
202
223
Plutarque De Iside et Osiride 9 202 Lucullus 24 114
40
Suétone Vie des douze césars Vespasien, IV 223
Hésiode Les travaux et les jours 770 121 Théogonie 38 202 958 121 Homère Iliade I,70 I,605 Odyssée V,262
X,513 XI,636-640 XII,1-7
202 121
Tacite Histoires V,13
214, 216-217, 223
Thucydide Guerre du Péloponnèse V,54 114 V,55 114 Xénophon Helléniques IV,7,2
114
122
DIVERS Textes babyloniens Tablettes MUL.APIN 24-25, 45
Textes iraniens Bhagavad-Gîtâ 7,26
203
276 Bundahišn 1,2 203 Kaivalya Upanishad 7-9 203 Rig Veda 10,90,2 203 Textes hermétiques Asclepius 14 202 29 202
INDEX DES TEXTES CITÉS
34
202
Textes mandéens Liturgies 75
205
Textes samaritains Memar Marqah 1,1 205 1,2 205
INDEX DES AUTEURS MODERNES Aaboe, A. Abegg, M.G., Jr.
34 39-40, 42, 46, 56-57, 61, 86-87 Adamthwaite, M.R. 29, 34 Ådna, J. 173, 181 Aerts W.J. 232, 234, 254, 256 Ailloud, H. 229 Albani, M. 37 Alexander, P.J. 231-232, 256 Alexander, P.S. 161 Alexandre, Ch. 109 Allison, D.C. 185, 187-188, 190, 192, 194-195 Almog, S. 153 Amphoux, Ch.-B. 30, 36 André-Salvini, B. 34 Andrieu, M. 110 Arnaldez, R. 1 Arnaud, D. 29, 34 Arndt, W.F. 186 Auerbach, E. 27, 34 Aujac, G. 41 Aune, D.E. 200, 207 Baillet, M. Bamberger, J. Bar-Asher, M. Bardy, G. Barnett, P.W. Barthélemy, D. Barton, J. Batsch, Ch. Bauer, W. Baumgarten, J.M. Becking, B. Beckwith, R. Ben Dov, J. Berger, K. Berger, P.-R. Bernstein, M. Betz, O. Bickermann, E. Bilde, P. Billerbeck, P.
11, 55-57, 61-62, 68, 75-78, 81-82, 86 234, 256 161 110, 229 229 93 125, 135 13, 126, 135 186 56-57, 62-63, 76-78, 82, 86, 91, 140, 148-149, 161, 166 22, 34 38, 91-94, 97 45, 48, 68-69, 87 242, 256 34 82, 86, 148 216, 229 107 229 188
Birnbaum, Ph. 204, 207 Black, M. 38, 64, 67, 86-87, 109 Blum, L. 229 Bogaert, P.-M. 125, 128, 135 Bord, L.-J. 8, 138 Bordreuil, P. 34 Bos, A.P. 108 Boyance, P. 118 Brelich, A. 90 Brinkman, J.A. 25, 34 Briquel-Chatonnet, F. 27, 34, 35, 110 Brock, S.P. 236, 256 Brooke, G.J. 94, 97, 147, 151 Broshi, M. 140, 163 Brown, R.E. 173, 181 Brownlee, W.H. 150 Budge, E.A.W. 232, 256 Caquot, A.
2, 64-65, 87, 96, 98, 103, 110, 248, 256 Carmignac, J. 175, 181 Carrington, Ph. 176, 181 Cary, E. 229 Cazeaux, J. 131, 135 Cazelles, H. 213 Chabot, J.B. 240, 242, 243, 256 Charles, R.H. 64, 86 Charlesworth, J.H. 57, 87, 140, 147, 150, 158 Charpin, D. 34 Chaze, M. 48 Chazon, E.G. 60-62, 71-72, 81, 86 Chilton, B. 173, 181 Clines, D.J.A. 22, 30, 34 Cogan, M. 28, 34 Cohen, M. E. 21, 24, 29, 34 Cohen, S.J.D. 229 Conzelmann, H. 189 Cook, E. 57, 87 Cotton, H.M. 229 Cross, F.M., 151 Danby, H. Daniélou, J. Danker, F.W. Davies W.D.
229 242, 256 186 185, 187-188, 190, 192, 194-195
278
INDEX DES AUTEURS MODERNES
Davila, J.R. Delatte, A. Delattre, D. Delcor, M. Denis, A.-M. Derchain, Ph. Desroche, H. Dimant, D.
60, 71, 75, 86-87 201, 207 117 94, 97, 103, 210, 229 109, 114, 232, 256 201, 207 4 13-15, 18, 55, 77, 81, 86-87, 141, 147, 149, 151, 153, 155, 159-161 Dodd, C.H. 173, 181 Doudna, G. 47 Douglas, M. 101 Dreyfus, F. 229 Dubs, J.-C. 9-10, 55 Dumont, J.-P. 117 Dumouchet, E. 109 Dupont-Sommer, A. 64-65, 86, 96, 98, 194, 229 Elgvin, T. Eliade, M. Elliger, K. Eshel, E. Evans, C.A.
82, 86 90 147, 154 82, 86 172, 177, 181
Fales, F.M. Falk, D.K.
28, 34 57, 60, 62, 71-72, 7677, 86 229 216, 229-230 108, 116 110 148-149, 161-162, 164 160, 185 25, 29, 34 46, 56, 87, 148, 159 147 30, 36
Farmer, W.R. Feldman, L.H. Festugière, A.-J. Finegan, J. Fishbane, M. Fitzmyer, J. Fleming, D.E. Flint, P.W. Freedman, D.N. Frey, A.
Galil, G. 34 García-Martínez, F. 44, 57, 71, 82, 86, 101, 141, 158 Geiger, J. 229 Geller, M.J. 31, 34 Gelzer,, H. 235-236, 256 Gerö, S. 244, 256 Giblet, J. 116 Gillet-Dider, V. 45, 48, 69, 87 Gingrich, F.W. 186 Ginsberg, H.L. 26, 34 Ginzberg, L. 140 Glessmer, U. 56, 63, 68, 87
Goetze, A. Goezler, H. Goldstein, J.-A. Goodman, M. Goulet, R. Graham, W.C. Grant, R.M. Grappe, Ch. Grebaut, S. Greenfield, J.C. Greengus, S. Grelot, P. Guiart, L. Guidi, I. Guilbert, P.
234-236, 256 229 107 229 108 240, 245, 249, 257 172-173 15-16, 18, 103, 169, 176, 181, 194 256 45 24, 34 111 4 247, 256 158
Hadas, M. 131 Hadas-Lebel, M. 210, 213, 229 Hadot, P. 119, 194 Hallo, H.W. 23, 34 Hamidovi D. 13-14, 138 Hamilton, N.T. 34 Hamilton, N.Q. 173, 182 Hamonville (d’), D.-M. 109 Hanhart, R. 125, 135 Harlow, D.C. 104 Harrington, H.K. 148 Hata, G. 216, 230 Hellmann, M. 131, 135 Hempel, C. 140 Hengel, M. 107-108, 116, 223, 230 Heyd, M. 153 Hezser C. 31, 35 Holladay, C.R. 107, 109, 111, 113-116, 119-122 Horgan, M. 147, 150, 153 Horowitz, W. 24, 35 Horsley, R.A. 223, 230 Howell, D. 183 Huber P.J. 35 Hultgård, A. 203, 207 Hunger, H. 25, 31, 35 Ingelaere, J.-C.
16-18, 193
Jacobs, W. Jaubert, A. Jeremias, Joachim Johnson, M.D. Jull, A.J.T.
30, 36 91 173, 182 184, 187, 189 47
Kampen, J.
40, 82, 86
279
INDEX DES AUTEURS MODERNES
Kampers, F. Kascher, A. Kavaler, V.W. Kingsbury, J.D. Kister, M. Klostermann, E. Kmosko, M.
231, 256 134 30, 36 183, 188, 192 159 247, 256 232, 244-245, 247, 251, 256 Knohl, I. 45 Koenig, J. 35 Kortekaas, G.A.A. 232, 234, 254, 256 Kotansky, R. 201, 207 Kraft, H., 201, 205, 207 Kraus Reggiani, C. 109, 116 Kugler, R.A. 46 Ladouceur, D.J. Lafargue, M. Lagrange, M.-J. Lambert, W.G. Landsberger, B. Langdon, S. Laperrousaz, E.-M. Larcher, C. Larsson, G. Lebeau, M. Le Boulluec A. Le Déaut, R. Lemaire, A. Letendre, M.L. Leuck, K. Levine, A.-J. Levine, B.A. Lewy, J. Licht, J. Liddell, H.G. Lidzbarski, M. Lohmeyer, E. Loisy, A. Lozachmeur, H. Lubetski, M. Luz, M. Luz U.
229 109 108, 209, 230 35 35 35 230 109 35 35 113 202 22-23, 27, 35 4 42 125, 135 97 28, 35 158 186 205, 207 188, 200, 207 200, 207 27, 34, 35, 110 26, 36 230 183, 185, 190-192, 194195
Macalister, R.A.S. Machinist, P. Magness, J. Maier, J. Manson, T.W. Marcus, R. Martin-Achard, R. Martinez, F.J.
22, 35 25, 35 226, 230 92-94, 96 176-177, 182 229 35, 175, 182 256
Marx, A. Mason, S. Mayeux, M.R. McKay, J.W. McLaren, J.S. McNamara M. Melèze Modrzejewski, J. Meyer, B.F. Meyer, Rudolf Meyers, C.L. Meyers, E.M. Mézange, Ch. Michel, C. Michel, H. Milgrom, J. Milik, J.T.
11-12, 91, 94, 103 230 4 28, 35, 115 230 201-202, 207
Nau, F. Netzer, E. Neugebauer, O. Neusner, J. Nikiprowetzky, V. Nitzan, B. Nodet, E. Nötscher, F. Noth, M.
232, 242, 256 230 25, 35, 38, 67, 86 172, 180, 182, 229 109, 118, 210, 214, 216, 230 60, 71-72, 87, 147, 150 113, 132, 135 153 155
Olivier, J.P.L. Olson, D.T. Oppenheimer, A. Otto, E.
27, 35 57, 87 31, 35 92
Paesler, K. Parry, D. Pelletier, A. Pereira de Queiroz M. I. Perrot, Ch. Pettinato, G. Pfann, S. Philonenko, M.
171-172, 180, 182 40 229
13 170, 182 179, 182 171, 182 171, 182 18, 228, 230 41 41 94, 96-97 39-40, 44, 64, 67, 87, 139, 235, 256 Moehring, H.R. 230 Momigliano, A. 131-132, 135 Moulton, J.H. 185 Mpungu Muzinga, P. 77, 87 Muddiman, J. 125, 135 Mulder, M.J. 148
4 175, 182 35 46 17-18, 64-65, 73, 86-87, 96, 98, 125, 128, 135, 189, 194, 206-207, 210, 229
280
INDEX DES AUTEURS MODERNES
Picard, J.-C. Piccaluga, G. Pingree, D. Poirier, J.-L. Preisendanz, K. Price, J.J. Prigent, P. Puech, E. Puech, H.-Ch.
134-135 90 25, 35 117 201, 207 230 207 58, 87, 141 203, 207
Qimron, E.
148, 163
Rabin, C. Radice, R. Rahmani, I.E. Rappaport, U. Ravaisson, F. Reale, G. Reeves, J.C. Reinach, Th. Reiner, E. Reinink G.J.
140, 163 108-109, 116 242, 256 77, 81, 86-87 108 108 22, 35, 40, 94 229 31, 35 231-235, 237-238, 243247, 250, 254, 256 Reitzenstein, R., 201, 207 Rhoads, D.M. 230 Ri, Su-Min 234-236, 257 Riaud, J. 1, 12-13, 48, 55, 105 Rietz, H.W.L. 57, 87 Rochberg-Halton, F. 21, 36 Röllig, W. 28, 36 Roloff, J. 170, 182 Rosenstiehl, J.-M. 19-20, 243, 257 Rosentahl, F. 243, 257 Rost, L. 140 Roth, C. 170, 173, 182 Rudolf, W. 171 Runia, D.T. 112 Sachs, A.J. Sackur, E. Safrai, S. Saldarini, A.J. Sanders, E.P. Sandevoir, P. Sasson, J.M. Saulnier, C. Savinel, P. Schäfer, P. Schattner-Rieser, U. Schechter, S. Schiffman, L.H. Schmauch, W.
25, 36 231, 234, 257 133, 135, 171, 182 191, 195 180-182 113 31, 34, 36 211, 230 229 31, 35 30, 36 140 60, 62, 86, 96-97, 148149, 160, 163, 204, 207 188
Schmidt, F. Scholem, G. Schuller E.M. Schwartz, D.R. Schwartz, F.C. Scott, R. Segal, J.B. Sérandour, A. Shea, W.H. Silver, A.H. Simonetti, M. Smith, C.W.F. Smith, M. Sokoloff, M. Sprengling, M. Steingrimsson, S.Ö. Stern, S. Stieglitz, R.R. Stone, M.E. Strack, H.L. Strecker, G. Strobel, A. Strugnell, J. Suermann Sussman, Y. Swanson, D.D.
10-11, 48, 222, 230 204, 207 60, 71, 86 140 30, 36 186 36, 115 30, 36, 110 36 30, 36 110 172, 182 142 45 240, 245, 249, 257 103 1, 48, 111, 116 26, 36 149, 155, 243, 257 188 183 112 148 232, 257 148 92, 94, 96, 101
Talmon, S.
22, 27, 36, 45, 68-69, 87, 160, 166 Talon, Ph. 35 Tarragon (de), J.M. 27, 36 Thackeray, H.St.J. 229 Theissen, G. 177, 179, 182 Thiele, E.R. 30 Tidiman, B. 171, 182 Tisserant, E. 242, 257 Thureau-Dangin, F. 41 Tigchelaar E.J.C. 44, 57, 86, 101, 141, 158, 170, 182 Tov, E. 60, 62, 75, 86-87, 159 Trilling, W. 183 Trocmé, É. 177, 182, 185 Turner, N. 185 Ulfgard, H. Ulrich, E. VanderKam, J.C.
171, 173 40, 166, 182
45-46, 56, 60, 62, 8687, 91, 94, 138-139, 148, 159, 166, 257 van der Woude, A.S. 141, 159 van Goudoever, J. 36, 111, 125, 128, 131, 135, 172
281
INDEX DES AUTEURS MODERNES
van Unnik, W.C. Vaux (de), R. Vermes, G. Vidal-Naquet, P. Vivian, A. Vögtle, A. Volz, P.
201, 207 92 161 230 92-93, 96 186 186
Waetjen, H.C. Walker, R. Walter, N.
184 183 107-109, 111, 113-116, 119, 121-122 81, 87 202, 207 103
Weinfeld, M. Weinreich, O. Welten, P.
Widengren, G. Wieder, N. Wildberger, H. Willi-Plein, I. Windisch, H. Wirken, A. Wise, M.O. Wodecki, B.
203-204, 207 149 103 171, 182 201, 207 229 39-40, 42, 46, 87, 92 103
Yadin, Y. Yarbro Collins, A. York, A.D.
92-97, 101, 226-227, 230 113 133, 135
Zeitlin, S. Zumstein, J.
140 183
INDEX THÉMATIQUE Aaron 246, 250 – nouvel 250 Abel 237-238 – assassinat 238-239 – naissance 238-239 Abib 26 Abraham 17, 186, 191, 247-248 – descendance 191 Absolution 96 Accomplissement 14, 17, 154, 191 – final 2 – de la Loi 188 – des prophéties 18, 188 – des temps 15 Achior l’Amorite 126 Adam 232, 235, 237-242, 243 – âge 237-238, 241 – mort 239-242 – rejet du Paradis 239 Agar 247-248 Agathobules 111, 113 Agneau(x) 96-97, 101, 215 Alexandre (le Grand) 132, 245, 252-253 Alexandrie 110, 123, 213 Alliance 12, 14, 90-91, 117, 141145, 166 – d’Israël 141 – mosaïque 166 – nouvelle 193 – précédente 194 – première 166 – renouvellement 15, 145, 166 – serment d’145 Amulettes 201 An – Nouvel 23, 28-29, v. Nouvel an Ananius 238 Anatole d’Alexandrie 110-113, 115 Anatole de Laodicée 108 Anges 71, 105, 141, 156 Année(s) 1-2, 10 – agricole 89 – bissextiles 6-7 – début v. Nouvel an – durée 4 – embolismique 5 – intercalaire 31
– israélite – judéenne – liturgique – lunaire – ordinaire – semaine(s) d’– solaire – tête de l’– tropique Antichrist Apocalypses Apocalyptique Arabes Arad Arbre – de miséricorde – de vie Archelaüs Aristobule Aristocratie sacerdotale Aristote Arpaxad Asarhaddon Aséneth Assyrie Astéroïdes Autel Automne Autorité Autorités juives Azymes Baal de Péor Babylonie Balaam Balaq Banquet – eschatologique – de Yhwh Béliers Bethsaïda Béthulie Bible réécrite
22 22 9 30, 73 6-7 3, 139, 141-142, 232 4-5, 9, 30, 73, 91 8, 23, 28-29 4, 6 252-253 14, 154-155 149, 156, 159, 165-166, 188, 234 248 23 104 104-105 192 12-13, 107-109, 111, 114-116, 118-122 179 108 244 28 100 25, 32 43 11, 99-100, 214 7-8, 22, 28 166 194 26, 62, 74, 81, 90-91, 214 250 24-25, 32 18, 212-214, 250-251 251 12, 104 103 97, 101 252 13, 125-127, 130, 132 164
284 Blé Bois – Offrande du Bouc Caïn – naissance Caïn Youbal Cainan Calendrier(s) – agricole – alternatifs – amorrite – assyrien – babylonien – civil – coexistence – commémoratif – concurrents – cultuel – double – d’Emar – essénien – fixation – fixe – de Gezer – histoire des – israélite – juif – julien – liturgique – lunaire
INDEX THÉMATIQUE
93, 97-98 11, 99-100 93, 94-97, 100 96
237-240, 244 238-239 240 240 2-12, 89, 131, 145 90 6-7 23 28 8, 23-25, 28, 30 8, 29-30 8 90 4 8, 29-31 29-30, 32 8, 29, 32 7, 92 3-4 7, 10 22 5-6 29-30 31 6 2, 10 5-6, 8, 10, 46-47, 5556, 62-63, 68-70, 137 – – en X 46 – – en duqah 46 – luni-solaire 137 – néo-assyrien 28 – néo-babylonien 31 – nouveau 4, 6 – parallèles 8 – parfait 9, 47 – premiers 5 – querelles de 5-6 – réforme(s) 4-6, 11, 90-95 – révolutionnaire 6 – sacerdotal 9, 47, 55, 91 – du Second Temple 30 – solaire 5-10, 47, 55-56, 62-63, 68-70, 74, 137 – standard babylonien 8, 23-24, 28, 30 – sumérien 24 – synchroniste 40 – universel 7
Canaan Capernaum Céréales – Prémices des Chema Chorozain Chronographie Chronologie – de jubilés Chronos Clepsydres Code sacerdotal Cohérence astronomique Comète(s) Communauté – de Qoumrân
Comte (Auguste) Constellations – zodiacales Contemplation Création – de la lumière – de la lune – du soleil – de l’univers Culte – impérial – sacrificiel Cycle – des astres – lunaire – de Méton – sabbatique – des saisons – septennal – triennal Daniel – empires de David – dynastie – fils de Déborah Décades Décadi Déluge Déterminisme
22, 27 252 98, 104 71 252 232 234-242 160 187 41 91 48 43, 212, 214 2, 7-8, 10, 14-15, 56, 70-74, 141, 144, 147149, 151-153, 158-162, 164-167 7, 10 42 119, 121 1-2, 12, 120, 186, 234, 240 89 1, 89 1, 89 89, 118 16, 40, 90, 99, 172, 177, 180 220 11 4 4-5, 8-10, 21 5, 111 139 1, 5, 7, 21 139 10, 68, 73 152, 156, 253 252 17, 188, 212, 217 188 223 251 6 7 243-244 3
INDEX THÉMATIQUE
Diabatèria Diaspora Dimanche Division(s) – des sabbats – des temps Dragon Duqah Écritures – interprétation Édom – Rome Édomites Église – primitive de Jérusalem Égypte – esclavage en – libération d’– sortie d’Égyptiens Éléazar, fils d’Ananias Emar Énoch Énosh Éons (deux) Épée Éphéméride – astronomique – moderne Équinoxes – d’automne – de printemps Ère – nouvelle Eschatologie Eschatologique(s) – accomplissement – attentes – banquet – combat – continuité – ennemi – ère – espérance – événements – festin – futur – guerre
114 5, 12 6-7 14, 138-139, 141-142 139 14, 120, 138, 141-143, 159, 188 210 46-48, 68-69
– intervention de Jésus au Temple – Israël – jugement – pèlerinage – processus – rupture – sauveur – scénario – temps
214, 219, 226-227 213-214 213-214 213 197
– tournant Eschaton Esséniens
15, 176 5, 12-13, 123, 134 12, 246 62, 113 62, 91, 174, 215 247 220 25, 29, 32 v. Hénoch 240, 243 186 212-214 49 37 38 67, 89, 112, 115 7, 115 4, 7, 12, 115 228 2-3, 215 171, 180-181 18, 227 12, 104 14, 138, 175 190 216, 220, 223 14, 156 16, 181 16, 227 12 189 19, 211, 214, 218-222, 224, 226-228
Étoile – de Béthléhem Eupolème Ève Exégèse – halakhique – des prophéties – qoumranienne – relativité – de la Torah Exil à Babylone Exode Ézéchiel
285 178 17, 197 138, 143 180 221, 224 190 249 170-171, 180, 219 12, 17-18, 103, 143, 189, 196-197, 223 16 138, 143 2, 11-12, 17, 92, 100, 210, 227 212-214 214 116 237-239 167 148, 150, 158, 165-167 148, 150, 161, 165, 167 158, 162, 164-165 150, 162, 164, 166-167 8, 21, 23, 25, 27, 31 32, 112, 114, 174, 192 216
Farine 99 Festin eschatologique 12 Fête(s) 2-4, 10-12, 15, 60, 74, 90, 145 – agricoles 94-95 – des Azymes v. Azymes – d’automne 61, 91 – calcul 70, 74 – commémoratives 95 – de la Dédicace 92 – équinoxiales 91 – esséniennes 103 – des Expiations v. Yom ha-kipûrim – de Hanouccah v. Hannoucah – de l’Huile fraîche 11, 94-97, 100-102, 104-105 – du Kippur v. Yom ha-kipûrim – nouvelles 2, 11, 93-94 – de l’Offrande du bois 11, 94-97, 100 – de l’Omer v. Gerbe, – première – de la Pâque v. Pâque – des Passages 12, 115-116 – de pèlerinage v. Pèlerinage
286 – des prémices – de printemps – de Purîm – de repos et de délices – des Semaines – des Tentes – du Vin nouveau
INDEX THÉMATIQUE
11, 98-100 61, 91 v. Purîm 81 11, 74, 90-91, 93-101, 216 16, 90-91, 170, 173-181 11, 94-97, 100-102, 104105
Figuier – malédiction Fils de l’Homme Fils d’Ismaël Fils de Noé Fils de la Perdition Fin – du monde – des temps
176-177 187, 193, 252 245-249, 252-253 253-254 252 187 186 2, 4, 15, 18-19, 157, 211-214, 219-220, 222, 224-225, 228, 232, 249254 – prodromes de la - 195 Flammarion (Camille) 7 Futur 15, 17, 166, 189, 201, 203-204 – eschatologique 189 Galettes Galilée Gazara – prise Gedalia Gédéon – nouveau – nouveau Moïse – sauveur Géhenne Geminos de Rhodes Gerbe – Première Gevath Râmthâ Gezer – calendrier Gog Graisse – du at Grecs – roi des Grégoire XIII Guerre – civile – eschatologique
11, 99 188, 221 13, 132-134 92 233, 244-252 250 250 249 187 40 26, 74, 93-94 245-246, 251 22 252, 254 11, 102, 104 102 245 245, 249-250, 252-253 6 219, 224-225 14, 18-19, 211, 214,
– finale – historique – des juifs – d’oracles – contre Rome – temps de– ultime Halakha – michnique Halakhique(s) – exégèse – interdit – textes Hanouccah Haphtarot Harmagedon asidim at Héber Hebdomade – Loi de l’Hébreux Hénoch
218-222, 224, 226-228 209, 215, 253 218 209-228 219 19, 128, 209-228 126 209, 220 126, 132-134 133
167 134 148 125, 128 175 251 138 95-97, 101-102 244 118, 120 120, 122 25, 28, 145 40, 98, 105, 239, 243244, 252 – littérature 38 Hérode le Grand 185, 192, 210, 221, 226 Hésiode 121 Hillel II 5 Hipparque 4 Histoire 151-153 – accélérateurs de l’- 227 – concept d’156 – déroulement 155-156, 165 – de l’Empire romain 184 – énigmatique 155 – fin de l’156, 165 – interprétation 157 – d’Israël 184, 190, 197 – maturation 197 – du monde 19, 232 – mystères de l’152, 154 – plan de l’157 – processus unifié 156 – relativité 156, 165 – représentations 155 – du salut 183, 189, 197 – sens véritable 156 – séquence historique 154-156, 165 – succession de périodes 152-153, 155, 159
287
INDEX THÉMATIQUE
– vision de l’Holocauste Holopherne Homère Huile
153 95-96, 99, 101-102 13, 125-128, 130, 132 121-122 10-12, 93, 97, 99-100, 101-105 – fraîche v. Huile fraîche – lavée 12, 103 – de miséricorde 104 – onction d’12, 100, 105 – prémices de l’97-100 – valorisation de l’- 100 – de vie 104 Huile fraîche 11, 98-99, 104 – fête de l’94-97, 100-102, 104-105 Hyrcan II 210 Idolâtrie Idumée Impies Impiété Intercalation Interprétation – des Écritures – de l’histoire – des mystères de l’histoire – des oracles – des prophéties – relative – des songes – du temps – de la Torah – des visions Iran Isaac Ismaël – fils d’Ismaélites Israël
– ancien – chefs d’– eschatologique – espérance – événements fondateurs – histoire – incrédulité d’– nouvel -
249-250 225 141, 143 144 48, 110 214, 219, 226 157 154 219 15, 151-152, 157, 165, 167 165 151-152 152 15, 58, 164-165 14, 154 17, 203, 206 248 248 245-249, 252-254 248-250 8, 11, 21-22, 28-30, 81, 90-91, 93, 98, 102, 116117, 141, 145, 162, 209210, 218, 222, 247, 251 197 11, 102 17, 197 181 192 217 194 197
– passé d’– restauration (définitive) – temps d’– tradition d’– triomphe – victoire Israélites Jacob Japhet Jean Baptiste Jérémie Jéricho – prise de Jérusalem
17, 189-190 210, 215, 219 17, 183, 191-192, 195, 197 193 19, 209, 213, 224, 228 213-214, 218-219 14, 141-142, 144
213 243 184, 187, 189, 192 142, 151 132 178 16, 169-181, 188, 195, 213, 223, 225-227, 252 – châtiment 195 – chute 220 – destruction 194 – Église primitive 176 – prise de 92, 223 Jésus, fils d’Ananias 178, 194, 218-220 Jésus de Nazareth 169, 172-173, 176-181, 183-184, 189-197 – activité exorciste 169 – autorité 193 – crucifixion 189 – disciples 194 – enfance 192 – enseignement 196 – entrée à Jérusalem 16, 172-173, 175-176, 178-179 – généalogie 184, 187, 191 – de l’histoire 15, 169 – intervention au Temple 15-16, 169-181 – et la Loi 193 – messianité 191 – ministère 17, 184, 188-190 – mort 189 – naissance 189 – parousie 187 – passé de 16, 183 – passion 191 – prédication 188 – représentation du Temps 169 – résurrection 189, 191 – temps de 3, 16-17, 189-192, 195197 – venue 188
288 Jeûne – impossible – jour de Joniton Joseph Josué Jour – de l’an – Duqah – durée – férié – hors semaine – intercalaire – de jeûne – du jugement – de Madian – de Mardochée – premier – quatrième – du Seigneur – septième –X – de Yhwh Jubilé(s) Juda Juda Maccabée Judaïsme – babylonien – jérusalémite Judée Judith Jugement – final Jules l’Africain Jules César
INDEX THÉMATIQUE
180 92 243-244 100, 152, 248 132 120 7 47-48, 68-69 4 7 7 6-7 92 187 251 92 1, 121 1, 89, 121 173 12, 89, 117-122 47-48, 68-69 221 139, 141-142, 159-160, 239 22, 25 217 197 31 31 220 125, 129-130 138, 143 235-236, 239, 242 6
Kairos Kippur
169, 187 v. Yom ha Kippûrim
Laodicée Lebuda Léontopolis Levain Lévi Lévites Libation(s) Lindos Linus Liturgie – juive – quotidienne – rabbinique
110 237 134 93 100 101-102, 104, 175 11, 99, 101-102 131 121-122 17 204 56 73
– synagogale – du Temple Loi
71 10, 72-74 2, 13, 119, 144, 193, 227, v. Torah – Accomplissement 188 – Jésus et la 193 – de Moïse 123, 141 Louange(s) 71 Lulab 174, 176 Lumière 71, 118 – parts de 38-39, 49-50, 59, 61, 64 Luminaires 1-2, 4-5, 55, 63, 71 – création des 1, 63 Lunaire – calendrier 5-6, 8, 10, 46-47, 5556, 62-63, 68-70, 137 – cycle 4-5, 8-10, 21 – mois 5, 10 Lunaison 43, 45-46, 55, 64 – vingt-huit jours 43, 45-46 – vingt-neuf jours 43, 45-46 Lundi 7 Lune 4, 8-9, 10, 12, 47-48, 55, 63, 65, 80, 112-116 – création 89 – croissant 40 – croissante 59, 63, 65 – cycle 4-5, 8-10, 21 – décroissante 59, 63-64, 69 – éclairement 38, 41-42, 44, 49-50, 61, 64, 69 – gibbeuse 41 – jeune (plus) 61, 66-67, 84 – mouvements 120 – nouvelle 22-23, 25, 42, 61, 6566, 68-69, 84 – observation 37-41, 45, 55 – orbite 43 – parts de lumière 38-39, 49-50, 59, 61, 64-66, 80, 84 – parts de ténèbres 65-66, 80, 84 – phases 9, 40, 89 – pleine 39-40, 42, 61, 63-64, 66-67, 69-70, 84, 114 – premier croissant 40, 65-67, 84 – premier quartier 40 – rotation 4 Maccabées Madian – fils de – jour de -
125, 217 245, 247-248, 250-251 248 251
289
INDEX THÉMATIQUE
Madianites – extermination des – fils d’Ismaël – oppression des Mages Magog Mahaleel Maître de Justice Mal (maux) – empire de tous les – période du Manassé Mandéens Manichéisme Mardochée Maréotis (lac) Maskil Massada Mattathias Maccabée Mazzôt Médiation – sacrificielle Médine Meguiddo Melchisedeq Ménahem Mercredi Messianique – attente – avènement – espérance – monarchie – prétendants – prétentions Messie – avènement – fils de David – pseudo – venue Messianisme Météorites Méton – cycle de Michel le Syrien Midrash – des Écritures – révélé – technique – de la Torah Millénaires – dernier
246-251 251 246, 248 247, 249 192 252, 254 240 14-15, 151-152, 154157, 163 210, 221 163-164 8, 28 17, 205 203 92 118 158-160, 163 19, 211, 222, 224-228 132 v. Azymes 16 16, 171, 180 247 251 141 222-226 68 209, 221 209, 213-215, 222 209-210 222 19, 222 222-223 189, 197, 210, 223 209-210, 214, 219 223 224 209, 213 209, 226 43 5 5, 111 236, 240 166 166 164 162, 164 3, 20, 232 242
– premier – septième – succession de Miqve Mission – universelle – temps de la Mishmarot Moabites Mois – babyloniens – égaux – intercalaire – lunaire – numérotés – premier – solaire – supplémentaire – surnuméraire – treizième Moïse – école de – enfance de – Loi de Moisson Monade Monde – ce - ci – présent – à venir Mont des Oliviers Moré Moût MUL.APIN Musée Nabuchodonosor Néhémie Néoménie(s) – du neuvième mois – du premier mois Nisan Nissânu Noé Nourriture – divine – végétalienne Nouvel an – d’automne – double – de printemps
237-242 242, 246, 252 3, 20, 242 226-227 195, 197 195-196 10, 40, 48, 68-70 128, 250-251 6, 8 25-26 7 5, 22, 110 5, 9-10, 22, 45, 63-64, 67-70, 73, 110 26-28 73, 91, 93 10, 63-64, 67-70, 73 8 7 7 2, 15, 98, 108, 112-113, 144, 148, 162, 192, 246 13, 122 192 123, 141 91 117 186 189 187, 189 16, 170, 172, 178 245 104 24-25, 45 111, 113 155, 216 93 90, 93, 96 94 93 26, 30, 111, 113 28 243-244 11, 102 103 8, 23, 28-30, 32 23, 32 30 23, 90
290 Nuit Offrande – du bois – des prémices – végétale Ohrmazd Olives Omer Onction – d’huile – des prêtres Onias Oracle(s) – de Balaam – guerre d’Ozias Pain(s) – consacré – nouveaux – prémices du – valorisation du Pâque – chrétienne – nuit de la – quartodécimane – veillée Pâques Paradis Parousie – de Jésus – retard de la Pascal(e) – controverse – querelle – veillée Parts de lumière Parts de ténèbres Passage(s) – fêtes des – sacrifices du Passé – d’Israël – de Jésus Péleg Pèlerinage(s) – eschatologique Pentecôte
INDEX THÉMATIQUE
120 11, 94-97, 100 97-98 11, 95, 97, 99, 101-102 203 104 74, v. Gerbe, – première 100, 104-105 99 134 18, 219 18, 212-214 219 126, 129-131 99-100, 104 12, 105 96 96, 99-100 100 2, 12, 26, 62, 83, 91, 93, 110-116, 122, 177178, 215 110 215 111 83 39, 41, 111, 113 232, 237-239 187 190 111 111 83 38-39, 49-50, 59, 61, 64-66, 80, 84 65-66, 80, 84 112, 114 12, 115-116 115 15, 17, 166, 188-189, 201, 203-204 17, 189 16, 183 244 60, 62, 91, 177-178 180 v. Fête, – des Semaines
Période(s) – de Dieu – finales – historiques – du Mal – nouvelle – prédéterminées – succession – trois Périodisation – du temps Perses – empire – fin du règne Pesharim Pesher Pharisiens Phénicie Philolaos Pilate Planètes Poliorcète Pompée Porte(s) – du bonheur – de lumière – du Nord – de l’occident – de l’orient – du soleil – du Temple Prémices – du blé – des céréales – fêtes des – de l’huile – offrande des – du pain – du vin Présages Présent – des croyants Prêtres – consécration – onction – ordination Prière(s) – ancestrales – biquotidiennes – du matin
2, 165 153, 157 154 153-154, 166 163-164 188 2, 14 3, 16, 152-155, 159, 165 189 2-3, 13, 191 3, 13, 20, 187-191, 196197 245, 252-253 253 254 147-158, 165 154, 161, 162, 164 3, 15, 166, 193-196 27 117-118 185 43 132 132, 210 216 67 245, 252 67 67 59, 80 216 11, 99 97 98, 104 11, 98-100 97-100 97-98 96, 99-100 96-100 218 15, 17, 166, 189, 201, 203-204 16, 183 2, 8-9, 11-12, 47, 101102, 104-105 99-100 99 93 73 57-58 57-59, 79, 83
INDEX THÉMATIQUE
– quotidiennes – rabbiniques – du soir Printemps Prodiges Prophète(s)
61, 71-72 71 57-59, 80, 83 8, 22, 25, 91 18, 218-220 2, 15, 150, 152, 156157, 162, 165-166 – égyptien 178 Prophétie(s) 15, 18, 147, 151-153, 156, 214, 223 – accomplissement 188 – caractère énigmatique 152 – compréhension 157, 164-165 – cryptique 151, 156 – décodage nécessaire 151 – exégèse 14, 148, 150, 158, 165167 – interprétation 15, 151-152, 157, 165, 167 – sens plénier 152, 165 – sens profond 156 Ptolémée VI Philométor 107-108 Ptolémées 107 Purîm 92 Pureté 193 Qelima Qoumrân – communauté
– exégèse – manuscrits Qoumrâniens Quetourah Récoltes Réou Répartition(s) Repas – sacré – sacrificiel Repos – sabbatique Révélation – continue – directe
237 8, 10, 68, 137-145, 147148, 153, 164, 166, 193 2, 7-8, 10, 14-15, 56, 70-74, 141, 144, 147149, 151-153, 158-162, 164-167 148, 150, 167 3, 8, 14, 17, 138-139, 147-149, 152-154, 159 137, 144-145 247-249, 253-254 22, 89 244 137-145 100 101-102 12 12, 59, 122 15, 151, 160, 162, 193 148 156, 166
291
– graduelle – des mystères – nouvelle – particulière – permanente – progressive – temps par temps – ultérieure Révélé Révolutionnaires Rhodes Roi des Grecs Roi de Qoush Romains
14, 156, 163 152, 154 166 152 15 2, 15, 149 2, 13-15, 160, 162 162 160 18, 211-215, 218-228 132 245, 249-250, 252-253 252-253 18, 179, 209-210, 213, 219, 221-223, 226-227 Rome 6, 128, 209-214, 219222, 224, 226, 228 – chute 210 – Edom 213-214 – guerre contre 19, 209-228 Rosh-ha-Shana 32 Royaume de Dieu 169-170, 179-180, 187, 209, 216 – avènement 220 – communion 180 – établissement 209, 222 – instauration 228 – irruption 15-16, 169, 179-180 – présence 16, 180 – proximité 189, 192 Royaume du Nord 30 Royaume du Sud 30 Rythme – néoménique 90-91 – quinquadécimal 94 – septénaire 90-91 Sabbat(s)
2, 12-14, 59, 61-63, 68, 81-82, 91, 116-123, 128-134, 139, 193 – division des 14, 139 – respect du 2, 13, 132-133 – trêve 13, 126, 132-133 – veille du 133-134 Sacerdoce 138-139 Sacrifice(s) 90, 93, 96-97, 101-102, 114, 215, 228 er 11, 101-102 – du 1 cercle 11, 101-102 – du 2e cercle 11, 102 – du 3e cercle – de communion 99, 101-102 – pour l’Empereur 19, 211, 220-221 – at v. at
292 – Holocauste – du matin – pour les païens – du Passage – spontanés – suicide de Massada – voués Sadducéens Sagesse Sainteté Saints Saisons – cycle – détermination Salomon Salut – histoire du Samarie Samaritains Samsu-Iluna Sanctification – de l’espace Sanctuaire Sang Sarah Sarrasins Satan Schélakh Sedarim Séleucides Semaine(s) – d’années – fête des Sennacherib Sept Septénaire – ordre Septième – aurore Sermon sur la Montagne Seroug Seth – date de naissance Séthites Shammaï l’Ancien Shavu‘ôt Shekinah Sicaires Siège et sabbat Signe Siloé
INDEX THÉMATIQUE
v. Holocauste 174 220 115 99 228 99 196 119 11, 16, 172, 180-181 105 1, 5, 7, 21 89 119 183, 189, 197 217 17, 205 23 16, 171-172, 181 v. Temple 11, 104 247 248 169 244 175 144, 217 6, 141 3, 139, 141-142 v. Fête, – des Semaines 25 118 121 122 188, 193 244 237-240, 243 237-239 239 134 v. Fête des Semaines 215-216 19, 211, 222-227 126-134 18, 214, 218-219 174
Simon bar Gioras Sinaï Sion – montagne de Solaire – année – calendrier – mois Soleil – coucher – création – lever – mouvements – observation Solstices Songes – interprétation Sukkôt Syrie Tapanes Taurillons Temple
222-224 2, 15, 98 103 4-5, 30, 73, 91 5-10, 47, 55-56, 62-63, 68-70, 74, 137 10, 63-64, 67-70, 73 1, 4, 7, 10, 41, 43, 48, 61, 63, 67, 112-113, 115-116, 120 71 89 71, 73, 130 120 37 89 156 151 v. Fête des Tentes 19, 233, 236, 255
142 96 2, 10, 15-16, 19, 72-73, 91, 93, 104, 132, 171174, 176-180, 211, 214216, 220-221, 223, 252 – destruction 194, 216, 223 – profanation 210 Temps 160, 165, 173, 179 – accompli(s) 169-171, 177, 180-181 – accomplissement 15-16 – calendaire 1-2 – ce temps-ci 186 – compréhension 15, 165 – conception(s) 3, 150, 183 – – évolutive 191 – – linéaire 16, 183, 196 – – non linéaire 183 – cours des 165 – dernier(s) 2-3, 18, 20, 157, 195 – détermination 1, 70, 89 – des disciples 190 – distinction 191 – division(s) 2, 120, 138, 141-143, 159, 188 – écart prophétie et interprétation 152 – de l’Église 190 – eschatologique(s) 12, 15-18, 103, 143, 189, 196-197, 223
293
INDEX THÉMATIQUE
– des fêtes – des figues – fin des – fixé – de guerre – historique(s) – d’impiété – d’Israël – de Jésus – du lecteur – liturgique(s) – loi du – lunaire – Maître de la fin des – Maître des – Maître du – mesurable – mesure du – de la mission universelle – des nations – ordre de chaque – organisation prédéterminée – passé(s) – périodisation
137 176 2, 4, 15, 18-19, 157, 211214, 219-220, 222, 224225, 228, 232, 249-254 2, 15, 17, 169 126 150, 209, 218, 222 144 17, 183, 191-192, 195, 197 3, 16-17, 189-192, 195197 197 1-2, 11, 16, 181 158, 160-163 73 206 206 2, 206 1 1-3, 7-11 17, 195-196 183, 191 158-160, 165 1-3 145 2-3, 20, 187-191, 196197 3, 145 149 184, 186 2-3, 15-17, 197 16 137-145
– présent – à Qoumrân – du récit – recouvrement – réinterprétation – répartitions – représentation à Qoumrân 149-150, 155-156 – du sacerdoce 138 – sacré 10 – séquence de périodes 152-153, 162 – du Sanctuaire 177 – solaire 73 – succession 2, 155, 157 – tripartite 203 – trois 17-18, 203-204 Ténèbres 71 Tentes v. Fête des Tentes Théotecne de Césarée 110 Thérapeutes 118
Tibériade Tishri Titus Torah – aspect cryptique – Chercheur de la – commandements – compréhension – étude – exégèse – interprétation – Interprète de la – midrash – pratique – révélation continue – signification plénière Tradition orale Trêve sabbatique Tribus (douze) Trimestres Trois temps – doctrine des – Maître des Troupeau Troupes – angéliques – de lumière – du matin – de la nuit – du soir Tubalcaïn Typologie Tyr
128 30, 176 226 15, 19, 131, 144, 148149, 162-163, 166, 226 164 162 160-162 160-163, 165 162, 164 150, 162, 164, 166-167 15, 158, 164-165 164 15, 62, 164 160-163 163-164 165 15, 166 13, 126, 132-133 11, 97, 99, 101 7, 9 17, 203-204 204 89 60 60 60-61 60 60-61 240 232, 234 132
Ugarit
22, 27, 29
Veillée pascale Veilleurs Vendanges – fête des Vespasien Vie éternelle Vin
83 240 22, 104 22 211, 221, 223 187 11-12, 97, 99-100, 103105 12, 103-104 96-100 100 93, 96-99, 104 11, 94-97, 100-102, 104105 14, 152-155
– de lie – prémices du – valorisation du Vin nouveau – fête du Visions
294
INDEX THÉMATIQUE
Voyants
154, 156
Yotser Or
71
X – réglage du -
46-48, 68-69 48
Yared Yathrib Yizréel Yom hakkipûrim
239-240, 243 245-247 245, 251 91
Zèle – divin – humain Zélotes
221 221 221 213, 220-221, 223-225, 227 42, 112 29
Zodiaque Zukru