2e édition actualisée
Presses de l’Université du Québec Le Delta I, 2875, boulevard Laurier, bureau 450 Québec (Québec) G1V 2M2 Téléphone : (418) 657-4399 • Télécopieur : (418) 657-2096 Courriel :
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HENRI LAMOUREUX • JOCELYNE LAVOIE • ROBERT MAYER • JEAN PANET-RAYMOND
2e édition actualisée
2008 Presses de l’Université du Québec Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bur. 450 Québec (Québec) Canada G1V 2M2
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Vedette principale au titre :
La pratique de l’action communautaire
2e éd. actualisée
Comprend des réf. bibliogr. ISBN 978-2-7605-1523-9 1. Organisation communautaire. 2. Action sociale. 3. Développement communautaire. 4. Service social communautaire. 5. Organisation communautaire - Gestion. 6. Organisation communautaire - Québec (Province). I. Lamoureux, Henri, 1942- . HN49.C6P72 2008
361.8
C2007-942258-6
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIE) pour nos activités d’édition. La publication de cet ouvrage a été rendue possible grâce à l’aide financière de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC).
Mise en pages : Infoscan Collette-Québec Conception graphique : Richard Hodgson
1 2 3 4 5 6 7 8 9 PUQ 2008 9 8 7 6 5 4 3 2 1 Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés © 2008 Presses de l’Université du Québec Dépôt légal – 1er trimestre 2008 Bibliothèque nationale du Québec / Bibliothèque nationale du Canada Imprimé au Canada
REMERCIEMENTS Nous tenons à remercier très chaleureusement les nombreuses personnes qui nous ont soutenus pour la production de ce livre. Ces remerciements s’adressent d’abord à nos proches qui nous ont encouragés à entreprendre ce travail et qui ont accepté que nous y mettions un temps qui aurait pu, autrement, leur être en partie consacré. Ils s’adressent aussi aux dizaines de personnes qui, actives à divers titres dans les organismes communautaires autonomes et les établissements publics avec lesquels nous entretenons des liens, nous ont généreusement fait part de leurs expériences, de leurs conseils et de leurs observations. Il convient enfin de remercier nos étudiantes et nos étudiants qui, souvent sans s’en rendre compte, nous instruisent autant que nous le faisons.
CHOIX DU GENRE Les auteurs sont conscients qu’une nette majorité de femmes sont actives dans les milieux communautaires. Afin de ne pas alourdir le texte et par souci linguistique, ils ont choisi de témoigner de cette réalité en utilisant des termes génériques là où c’est possible et en employant le genre féminin lorsqu’une référence porte spécifiquement sur une pratique qui touche surtout les femmes.
TABLE DES MATIÈRES REMERCIEMENTS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . LISTE DES SIGLES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . PRÉSENTATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . PARTIE 1
vii xiii 1
CONTEXTE HISTORIQUE ET ÉTHIQUE
CHAPITRE 1 L’ÉVOLUTION AU QUÉBEC
DES PRATIQUES COMMUNAUTAIRES
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Les années 1960 : La première génération de groupes communautaires : les comités de citoyens . . . 2. Les années 1970 : La deuxième génération : les groupes populaires ou groupes autonomes de services . 3. Les années 1980 : La troisième génération marquée par la multiplication et la diversité . . . . . . . . . 4. Les années 1990 : La quatrième génération : de la concertation entre les groupes au partenariat avec l’État. . . . En guise de conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Annexe I : Évolution de l’action communautaire . . . . . . . . . . . Annexe II : Tableaux synthèses de l’évolution des pratiques d’action communautaire (1960-2000) . . . . . . . . . . . . . Annexe III : Trois modèles en intervention communautaire . . . . Annexe IV : Les principaux modèles en intervention communautaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
11 13 22 33 47 78 79 81 85 92 94
CHAPITRE 2 LES
FONDEMENTS ÉTHIQUES DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. À propos de l’éthique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Les valeurs portées par l’action communautaire . . . . . . . . . . . . . 3. L’action communautaire et la cohérence sociale . . . . . . . . . . . . . . 4. Éthique, code d’éthique et code de déontologie . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
101 103 112 132 136 145
x
TABLE DES MATIÈRES
PARTIE I1 MÉTHODOLOGIE : LES ÉTAPES DU PROCESSUS D’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE CHAPITRE 3 LES ÉTAPES DU PROCESSUS D’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
151
LA PRÉPARATION DE L’INTERVENTION
1. 2. 3. 4.
L’analyse de la base d’intervention . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’analyse de la situation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le choix d’un projet d’action. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’élaboration d’un plan d’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
152 155 162 163
LA RÉALISATION DE L’INTERVENTION
5. 6. 7. 8.
La La La La
sensibilisation et la mobilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . réalisation de l’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . création d’une organisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . vérification du plan d’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
174 176 177 180
L’ÉVALUATION DE L’INTERVENTION
9. Le bilan de l’intervention. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10. La fin d’un mandat d’intervention . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
181 183 185
PARTIE I1I LES MOYENS, TECHNIQUES ET OUTILS CHAPITRE 4 LA
RECHERCHE
1. Pertinence et fonctions de la recherche sociale. . . . . . . . . . . . . . . 2. Quelques perspectives de recherche. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Les étapes du processus de la recherche sociale . . . . . . . . . . . . . 4. L’analyse d’une communauté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5. Quelques techniques de collecte des données . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
CHAPITRE 5 LA
193 194 204 211 239 251 253
SENSIBILISATION ET LA MOBILISATION
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. La sensibilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. La mobilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Quelques moyens de sensibilisation et de mobilisation . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
257 258 261 268 301
xi
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE 6 LA
COMMUNICATION ET L’UTILISATION DES MÉDIAS
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. La stratégie de communication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Les moyens de communication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Les principales techniques d’utilisation des médias de masse . . Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Webographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
CHAPITRE 7 L’ORGANISATION
305 305 310 335 337 338 339
ET L’ANIMATION D’UNE RENCONTRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. La préparation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Le déroulement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. L’évaluation de fin de réunion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. Le suivi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
345 346 352 374 376 376 377
CHAPITRE 8 L’ORGANISATION
DÉMOCRATIQUE ET LA GESTION DES ORGANISMES COMMUNAUTAIRES
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. L’organisation démocratique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. La gestion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. La participation à des regroupements, tables de concertation et coalitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
CHAPITRE 9 LE
381 382 388 413 422 422
FINANCEMENT
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Comprendre la conjoncture. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Les stratégies de financement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Les sources de financement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. La planification et la préparation des demandes de financement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5. L’autofinancement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6. L’évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Webographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
427 428 433 436 447 450 454 455 457
xii CHAPITRE 10 LE
TABLE DES MATIÈRES
BILAN ET L’ÉVALUATION DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
1. Définitions et pertinence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Les enjeux de l’évaluation des pratiques communautaires . . . . 3. Les principales étapes du bilan et de l’évaluation. . . . . . . . . . . . 4. Quelques exemples de bilans et de recherches évaluatives . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
461 463 465 480 487 487
PARTIE 1V LES ENJEUX, DÉFIS ET PERSPECTIVES CHAPITRE 11 ENJEUX,
DÉFIS ET PERSPECTIVES
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. La lutte contre la pauvreté. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Le front de la consommation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. La lutte du mouvement des femmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. La mondialisation des solidarités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5. L’action dans la sphère de la santé et des services sociaux . . . . 6. Le développement local et l’économie sociale . . . . . . . . . . . . . . . 7. La reconnaissance de l’action communautaire : autonomie ou complémentarité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8. Démocratie dans les organisations et développement de la citoyenneté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . En guise de conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Webographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
493 494 498 501 504 507 512 515 519 525 526 528
LISTE DES SIGLES ACEF ADDS AQDR BAEQ BAIL CACO CAP CBER CCRPS CDC CDEC CEDEST CFP CH CHSLD CISO CJC CLD CLE CLSC COS CRCQ CRD CROP CRSSS CSN CSS DEC DSC DSP FCABQ FCLSC FCLSCQ FCPASQ FFQ
Association coopérative d’économie familiale Association de défense des droits des assistés sociaux Association québécoise pour la défense des droits des personnes retraitées et préretraitées Bureau d’aménagement de l’est du Québec Bureau d’animation et d’information logement du Québec Centre d’animation et culture ouvrière Comité d’action politique Conseil de bien-être régional Centre coopératif de la recherche en politique sociale Corporation de développement communautaire Corporation de développement économique communautaire Corporation de développement communautaire économique de l’est Centre de formation populaire Centre hospitalier Centre d’hébergement pour soins de longue durée Comité international de sécurité ouvrière Compagnie des jeunes Canadiens Centre local de développement Centre local d’emploi Centre local de services communautaires Charity Organization Society Confédération religieuse catholique – Québec Conseil régional de développement Centre de recherches sur l’opinion publique Conseils régionaux de la santé et des services sociaux Confédération des syndicats nationaux Centres de services sociaux Développement économique communautaire Département de santé communautaire Direction de santé publique Fédération des centres d’action bénévole du Québec Fédération des centres locaux de services communautaires Fédération des centres locaux de services communautaires du Québec Front commun des personnes assistées sociales du Québec Fédération des femmes du Québec
xiv
LISTE DES SIGLES
FNAC FRAP FRAPRU FTQ GIRF GRAP GREMF GRT HLM ICEA JOC LOC MAC MAS MRC MSSS NPD OMH OPDS OSBL OVEP PIL PJ PROS PRSU RCM RAJ RESO RIOC RMJQ ROCJ RQIIAC SACA SADC SCHL SEAPAC SOC SPQ SQDM TCSPS TEQ TROC TROVEP TRPOCB UGEC
Fédération nationale des associations de consommateurs Front d’action politique Front d’action populaire en réaménagement urbain Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec Groupe d’intervention et de recherche sur les femmes Groupe de recherche en action populaire Groupe de recherche multidisciplinaire féministe de l’Université Laval Groupes de ressources techniques Habitation à loyer modique Institut canadien d’éducation des adultes Jeunesse ouvrière catholique Ligue ouvrière catholique Mouvement Action-Chômage Ministère des Affaires sociales Municipalité régionale de comté Ministère de la Santé et des Services sociaux Nouveau parti démocratique Office municipal d’habitation Organisation populaire des droits sociaux Organisme sans but lucratif Organisme volontaire d’éducation populaire Projets d’initiatives locales Perspectives-jeunesse Plans régionaux d’organisation de services Projet de réaménagement social et urbain Rassemblement des citoyens de Montréal Regroupement autonome des jeunes Regroupement économique du sud-ouest Regroupement intersectoriel des organismes communautaires Regroupement des maisons de jeunes du Québec Regroupement des organismes communautaires jeunesse Regroupement québécois des intervenants et intervenantes en action communautaire en CLSC et en centre de santé Secrétariat à l’action communautaire autonome Sociétés d’aide au développement des collectivités Société canadienne d’hypothèques et de logement Services éducatifs d’aide personnelle et d’action communautaire Soutien aux organismes communautaires Solidarité populaire Québec Société québécoise de développement de la main-d’œuvre Transfert canadien de soutien aux programmes sociaux Travailleurs étudiants du Québec Table régionale d’organismes communautaires Table régionale des organismes volontaires en éducation populaire Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles Union générale des étudiants du Québec
PRÉSENTATION La pratique de l’action communautaire a beaucoup évolué depuis 1996, année de publication de la première édition. Cette évolution de la pratique se traduit notamment par une reconnaissance plus évidente du rôle social et politique des organismes communautaires autonomes. De nouveaux champs de pratique sont apparus ou se sont réaffirmés, et plus particulièrement la lutte à la mondialisation néolibérale, la dénonciation et les alternatives à l’agriculture et l’alimentation industrielle, la consommation responsable et l’éthique environnementale. On constate aussi une radicalisation des moyens de pression, par exemple la montée des gestes de désobéissance civile pacifique en riposte à la mondialisation néolibérale et à la crise du logement. La nécessité d’une radicalisation des moyens de pression au sein du mouvement des femmes a aussi été clairement évoquée par Françoise David lors du grand rassemblement national de la Marche mondiale des femmes qui s’est tenue à Montréal en octobre 2000. Un nombre important de regroupements nationaux se sont formés dans les années 1990, mais depuis cinq ans on voit apparaître de plus en plus de tables de concertation sectorielles et intersectorielles aux niveaux local et régional. On observe aussi la mise en place de nouvelles tables et de partenariats plus structurés entre des ressources communautaires autonomes et institutionnelles. Plusieurs mouvements sociaux, notamment celui des femmes, sont devenus des acteurs dont le poids politique n’est pas négligeable. Les acteurs sociaux sont d’ailleurs invités à participer activement aux grandes concertations nationales et régionales qui deviennent la pierre d’angle du modèle québécois de développement, tant sur le plan social que culturel et économique. Dans certains cas, notamment en ce qui concerne le mouvement des femmes et la lutte contre les effets pervers de la mondialisation de l’économie, ces mouvements portent leurs revendications sur la scène internationale. Cette mondialisation des solidarités constitue un fait nouveau et particulièrement significatif.
2
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
De nouvelles préoccupations surgissent et les praticiens de l’action communautaire développent une conscience collective plus aiguë des fondements éthiques de leur pratique. Malgré une croissance économique marquée, la pauvreté et l’exclusion sont le lot d’un nombre croissant de personnes, l’emploi se fait de plus en plus précaire, l’endettement des individus persiste et la crise du logement, l’une des pires en 25 ans, rend de plus en plus difficile l’accès à un logement à prix abordable. Depuis 1996, on a vu apparaître divers ouvrages et de plus en plus d’articles de revues scientifiques sur l’histoire du mouvement communautaire et sur la dimension éthique de l’action communautaire. Toute cette littérature est une contribution importante qui témoigne de la maturité du mouvement communautaire et de l’expérience des intervenantes et des intervenants communautaires. C’est dans le but de mettre à jour le livre publié en 1996 que les auteurs ont décidé de produire une nouvelle édition. Ce présent ouvrage demeure néanmoins fidèle à son objectif d’origine : fournir un outil de base pour réaliser des changements sociaux en situant le processus d’intervention et les principes et méthodes dans un contexte en constante évolution. On reconnaîtra l’apport de chacun des auteurs selon ses champs d’intérêt ou de compétence particuliers. Ce livre n’en demeure pas moins une œuvre collective intégrée dans une dynamique d’écriture où l’apport de chacun s’est bonifié de la critique de l’autre, à l’intérieur de débats parfois vifs et de mises en commun d’expériences militantes et professionnelles diversifiées.
Une orientation partagée Les auteurs de cet ouvrage sont engagés dans des activités d’enseignement universitaire et collégial en travail social, et plus spécifiquement en action communautaire. Ils mènent également des projets de recherche qui touchent plusieurs dimensions : condition féminine, droits sociaux, partenariat, éthique sociale, analyse des mouvements sociaux, économie sociale, etc. Ils sont également actifs au sein de plusieurs organismes et regroupements communautaires aux niveaux local, régional, national et international. C’est d’ailleurs cette solidarité qui leur donne la légitimité de la critique, car c’est par un regard critique sur l’action que celle-ci évolue.
PRÉSENTATION
3 La pratique de l’action communautaire n’étant pas neutre, les auteurs se sont réservé le droit de mener une réflexion critique sur les valeurs qui guident l’action communautaire, sur la portée éthique des méthodes et des techniques qui s’y rattachent ainsi que sur les enjeux et les défis actuels. De là l’importance de savoir à quelle enseigne logent les auteurs. Précisons donc que cet ouvrage est orienté selon une conception de l’action communautaire affirmant que cette pratique vise d’abord et avant tout le développement des individus et des collectivités à titre de sujets sociaux autonomes. En ce sens, l’action communautaire se distingue de l’intervention communautaire plus strictement caritative ou philanthropique. Le choix des méthodes, des techniques et des stratégies andragogiques sera, par conséquent, marqué par cet impératif. L’affirmation de ce positionnement idéologique nous semble importante, car elle exprime la limite de notre objectivité et notre volonté de nous démarquer de certains courants plus strictement technicistes et économistes qui verraient dans l’action communautaire, l’un, une démarche de type strictement organisationnel, l’autre, la perspective d’une solution de rechange communautaire peu coûteuse aux services rendus par l’État. Nous sommes aussi parfaitement conscients que l’action communautaire s’est professionnalisée. Nous en enseignons les rudiments dans nos universités respectives et des collègues font de même dans des organismes populaires de formation. Cette professionnalisation s’exprime notamment par l’engagement de centaines de personnes dans des pratiques d’action communautaire réalisées par des institutions de l’État, notamment les CLSC. Donc, si l’action communautaire est d’abord et avant tout celle de personnes qui choisissent librement de s’y engager en se joignant à des milliers de groupes actifs partout au Québec, elle offre aussi une perspective d’emploi. À nos yeux, si les pratiques d’action communautaire conduisent de plus en plus à un emploi, elles ne sauraient, sous peine de se dénaturer, tendre à ne se résumer qu’à cette fonction et qu’à cette perspective. Les personnes engagées en action communautaire ne caressent pas l’espoir d’un élargissement constant du « marché des problèmes sociaux ». Bien au contraire, elles aspirent ou devraient aspirer à une diminution radicale des causes de ces problèmes sociaux. En ce sens, l’action communautaire c’est avant tout un engagement basé sur la conscience de la réalité des inégalités socioéconomiques et de l’exclusion qui conduisent les personnes
4
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
engagées à des modifications profondes de leur façon de vivre. C’est donc dire que les femmes et les hommes qui interviennent dans un milieu sont porteurs d’un projet de société qui s’opposent plus ou moins radicalement à l’organisation sociale existante. Les auteurs de ce livre constatent que les valeurs guidant l’action communautaire sont fondamentales, mais que la société et l’idéologie néolibérale qui la supporte ne les respectent généralement pas. L’injustice, l’inégalité, l’exclusion, l’individualisme, l’absence de respect et la concentration de pouvoir sont donc encore au cœur des rapports sociaux. À ce titre, l’action communautaire devrait être porteuse des intérêts de celles et de ceux qui subissent les effets négatifs du développement de la société. L’action communautaire est une pratique qui doit d’abord être un outil de changement social pour celles et ceux qui veulent collectivement améliorer leurs conditions de vie et leur qualité de vie. Nous misons donc sur la capacité des individus et des communautés à prendre en main leur développement. Prenant appui sur ces balises, nous définissons ainsi donc l’action communautaire : L’action communautaire
A
L’action communautaire désigne toute initiative issue de personnes, de groupes communautaires, d’une communauté (géographique locale, régionale, nationale ; d’intérêts ; d’identités) visant à apporter une solution collective et solidaire à un problème social ou à un besoin commun. L’action communautaire s’actualise par des pratiques multiples et diversifiées (création de ressources et de services, transformations sociales, éducation populaire, etc.) qui poursuivent des objectifs de justice sociale, de solidarité, de démocratie, de répartition plus juste des richesses, d’égalité entre les hommes et les femmes ainsi qu’entre les peuples. Ces actions sont menées avec un souci d’éducation et de fonctionnement démocratique afin de favoriser l’autonomie des personnes et des communautés (empowerment).
Cette définition rejoint celle de plusieurs organismes communautaires et regroupements nationaux et elle est partagée par la plupart des personnes actives dans les milieux communautaires autonomes ou employées d’institutions. Il est important de
5
PRÉSENTATION
distinguer les organismes communautaires autonomes, comme cette définition veut le refléter, des organismes essentiellement liés aux institutions publiques. Cette distinction est devenue l’un des enjeux importants des mouvements communautaires autonomes depuis quelques années.
À qui s’adresse ce livre ? Les auteurs de ce livre occupant tous des fonctions d’enseignants en travail social, il va de soi qu’ils poursuivent des objectifs anagogiques liés à cette activité professionnelle. Par ailleurs, étant aussi actifs dans divers mouvements communautaires, ils ont également voulu que ce livre soit utile non seulement à des étudiantes et des étudiants en intervention communautaire, mais aussi aux personnes, employées, militantes ou bénévoles, qui agissent dans leur collectivité afin que les conditions de vie et la qualité de la vie y soient meilleures. Ainsi, voici comment le terme « intervenant communautaire » se définit dans cet ouvrage : Intervenante ou intervenant communautaire
A
Une intervenante ou un intervenant communautaire désigne toute personne qui apporte un soutien organisationnel et technique à un groupe de personnes ou à une communauté qui entreprend ou mène une action communautaire. Selon le cas, cette personne sera un intervenant professionnel du réseau public (organisateur ou travailleur communautaire, agent de développement), permanent, salarié, militant, activiste ou bénévole d’un organisme communautaire.
L’ensemble des connaissances, des stratégies et des moyens mis en œuvre par cette personne devraient respecter un processus démocratique et éducatif favorisant la mobilisation ainsi que le développement de l’autonomie des personnes, des organismes et des communautés (empowerment individuel, communautaire et collectif).
La structure de l’ouvrage Ce livre comporte quatre parties. Dans un premier temps, nous avons voulu bien situer le contexte historique et éthique de l’action communautaire. En effet, nous croyons que la référence historique et le rappel des a priori éthiques donnent du sens aux pratiques et évitent de les banaliser et d’en faire un concept fourre-tout, essentiellement fondé sur des compétences techniques.
6
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
La deuxième partie, plutôt centrée sur l’aspect méthodologique des pratiques, suggère un processus général d’intervention en dix étapes qui illustrent l’évolution et le développement d’une action communautaire planifiée. La troisième partie de ce livre est consacrée aux divers moyens, techniques et outils rattachés à la pratique de l’action communautaire. Il s’agit là d’un savoir-faire complexe et diversifié qui est aussi marqué par des préoccupations d’ordre éthique et politique. La quatrième partie propose une lecture critique de l’état actuel des pratiques et surtout des défis que doivent relever les mouvements communautaires autonomes. Il nous semble utile et normal que nous portions un jugement sur les enjeux et les perspectives qui animent l’univers de l’action communautaire autonome. Enfin, s’il est un secteur de l’activité humaine où le savoir est le produit de l’action du grand nombre, c’est bien celui de l’action communautaire. Nos rapports avec les milieux communautaires sont le terreau de ce livre. Nous avons appris de celles et de ceux à qui nous adressons cet ouvrage ; il est donc normal que nous le leur dédiions. C’est pour nous une façon de leur exprimer notre solidarité, notre respect et nos remerciements.
PA R T I E
I
CONTEXTE HISTORIQUE ET ÉTHIQUE
CHAPITRE
1
L’ÉVOLUTION DES
PRATIQUES COMMUNAUTAIRES AU QUÉBEC Robert Mayer Henri Lamoureux Jean Panet-Raymond
PLAN DU CHAPITRE 1
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Les années 1960 – La première génération de groupes communautaires : les comités de citoyens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1. Éléments de contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2. Les premiers comités de citoyens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3. Modèles et débats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Les années 1970 – La deuxième génération : les groupes populaires ou groupes autonomes de services . . . . . 2.1. Éléments de contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. Les groupes populaires ou groupes autonomes de services . . 2.3. L’action politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.4. Quelques débats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.5. Quelques modèles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Les années 1980 – La troisième génération : multiplication et diversité des organismes communautaires . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1. Éléments de contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2. Un nouveau départ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3. Extension des champs d’intervention : du politique à l’économique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.4. La transformation du militantisme et la redécouverte du bénévolat. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.5. La pratique sociale en CLSC. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.6. Des pratiques plurielles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.7. Modèles et débats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. Les années 1990 – La quatrième génération : de la concertation entre les groupes au partenariat avec l’État . . . 4.1. Éléments de contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2. Diversité et vitalité de l’intervention communautaire en CLSC et dans les organismes communautaires . . . . . . . . . 4.3. Les politiques sociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.4. Quelques pratiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.5. Débats et enjeux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . En guise de conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Annexe I Évolution de l’action communautaire. . . . . . . . . . . . . . . . Annexe II Tableaux-synthèses de l’évolution des pratiques d’action communautaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Annexe III Trois modèles en intervention communautaire . . . . . . . . Annexe IV Les principaux modèles en intervention communautaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
11 13 13 14 19 22 22 23 24 26 28 33 33 34 36 37 39 41 43 47 47 49 53 60 67 78 79 81 85 92 94
INTRODUCTION D’entrée de jeu, il faut insister sur le fait que l’évolution des organismes communautaires au Québec apparaît comme une partie intégrante de l’histoire québécoise dans des domaines aussi divers que l’éducation des adultes, la santé, les services sociaux, le développement régional et les questions urbaines. Apparus au Québec durant les années 1960, ces organismes fondés sur l’exercice d’une citoyenneté active se sont développés dans toutes les régions, tant dans les milieux ruraux qu’urbains. Bélanger et Lévesque1 insistent sur la grande diversité des organismes communautaires, tout en soulignant la multiplicité de leurs expressions : comités de citoyens, groupes populaires, organismes communautaires autonomes, regroupements urbains et régionaux, pratiques émancipatoires, ressources alternatives, tables sectorielles, etc. Si l’histoire du Québec moderne a été marquée par la présence des ressources communautaires, on peut aussi dire que le développement de ce mouvement a été influencé par l’évolution de la conjoncture sociale, culturelle, politique et économique qui a sous-tendu l’évolution de la société québécoise. Comme nous le faisons nous-mêmes, la plupart des analystes2 évoquent quatre grandes étapes ou générations de groupes communautaires : celle des comités de citoyens (1965-1975) ; celle des groupes populaires (1976-1985) ; celle des groupes centrés sur le partenariat dans une perspective de livraison de services ou de développement économique local (1986-1995). Enfin, l’étape actuelle (1996-2002) concrétise la consolidation du partenariat et de
1.
2.
P.R. Bélanger et B. Lévesque (1992). « Le mouvement populaire et communautaire : de la revendication au partenariat (1963-1992) », dans G. Daigle et G. Rocher, Le Québec en jeu : comprendre les grands défis, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, p. 714. Notamment, M. D’Amours (1997). L’économie sociale au Québec : cadre théorique, histoire, réalités et défis, Montréal, Institut de formation en développement économique communautaire (IFDEC), 79 p. ; J.F. René, D. Fournier et L. Gervais (1997). « Le mouvement communautaire au Québec à l’heure de la fragilisation des liens sociaux », Politiques sociales, nos 3 et 4, p. 85-101.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
la concertation et une relative diminution de son caractère conflictuel. Cela dit, il faut aussi insister sur le fait que, jusqu’à présent, les générations d’organismes communautaires ne s’évincent pas les unes les autres au fur et à mesure qu’elles apparaissent. Elles ont plutôt tendance à se superposer ou à se tailler de nouvelles niches d’intervention, ce qui peut, à la limite, produire des tensions entre différents réseaux communautaires. Les premières générations de comités de citoyens ont été essentiellement des groupes de revendication, dont les demandes de démocratisation des services collectifs ne seront satisfaites qu’en partie par l’accès universel, alors que leur contrôle sera assumé par l’appareil administratif de l’État. Ce compromis fonde l’Étatprovidence ou « providentialisme3 ». Au cours des années 1970, la deuxième génération des groupes communautaires, surtout les groupes de services, remet en question le compromis précédent au nom justement d’une demande de démocratisation et d’autonomie. Ces groupes, à l’instar des cliniques populaires de santé, rendent des services concrets que l’État accepte partiellement de financer. Vers le milieu des années 1980, la troisième génération de groupes communautaires se caractérise essentiellement par une volonté de partenariat avec l’État, l’entreprise privée et les syndicats, mettant en place « un nouveau modèle de développement » sans faire disparaître, bien au contraire, les risques de conflits sociaux. Enfin, nous vivons depuis quelques années une période où il y a une certaine consolidation des expériences de partenariat et une institutionnalisation de la concertation. Dans les pages qui suivent, nous analyserons la dynamique des liens qui se sont tissés, de 1960 à nos jours, entre l’infrastructure sociale québécoise et les pratiques communautaires. Un regard sur l’histoire de l’action communautaire au Québec nous permet d’appréhender son évolution à travers sa réalité complexe et de comprendre qu’elle a été sans cesse largement tributaire du contexte social, politique, culturel et économique des différentes époques considérées. Dans cette perspective, nous préciserons à quel moment apparaissent certains modèles d’analyse et de pratique dans le domaine de l’action communautaire, et ce, sans préjuger de leur développement par la suite. Par exemple, les années 1970 voient s’affirmer l’approche conscientisante ainsi que les modèles féministe et marxiste.
3.
P.R. Bélanger et B. Lévesque (1992). Op. cit., p. 739.
CHAPITRE 1 ◆ L’ÉVOLUTION DES PRATIQUES COMMUNAUTAIRES AU QUÉBEC
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13
LES ANNÉES 1960 LA PREMIÈRE GÉNÉRATION DE GROUPES COMMUNAUTAIRES : LES COMITÉS DE CITOYENS 1.1. ÉLÉMENTS DE CONTEXTE C’est dans un contexte de profonde remise en question des politiques conservatrices antérieures que le Parti libéral prend le pouvoir en 1960, marquant le début de la Révolution tranquille. Les dirigeants nouvellement élus se lancent dans un processus de révision des pratiques sociales traditionnellement soutenues par le clergé, notamment les communautés religieuses, et propulsent par la même occasion le Québec « ancien » dans une nouvelle ère de modernité. S’affirme alors une vision plus progressiste de la société québécoise qui conduit rapidement à une transformation rapide et profonde des mentalités et des institutions. Cette transformation entraînera des changements importants dans la prise en charge des problèmes sociaux. L’État, qui est désormais le moteur du changement, entreprend une série de réformes afin de réduire les inégalités sociale les plus criantes. En 1961, le ministère du Bien-être et de la Famille est créé. Un an plus tard, survient la nationalisation de l’électricité. Faisant l’examen critique de l’assistance publique, le rapport Boucher prône une analyse plus sociale de la pauvreté et incite l’État à accroître son intervention afin d’améliorer les conditions de vie et de travail de la population. Dès lors, on accorde plus d’importance au service social dans la société. À la place du type d’intervention traditionnel, principalement fondé sur l’aide familiale et individuelle, les nouvelles préoccupations sociales des années 1960 favorisent plutôt l’émergence d’interventions de type communautaire, qualifiées d’animation sociale, qui sollicitent la participation collective à la réalisation du développement local. La décennie 1960 est considérée par certains comme l’âge d’or des politiques sociales alors que se mettent en place une série de réformes importantes, notamment la Loi de l’aide sociale votée en 1969. En dépit des actions de l’État, les inégalités persistent entre les différentes classes sociales. De plus en plus conscients du retard
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
qu’accuse leur société sur les plans social et économique, frustrés par une structure fédérale qui dessert leurs intérêts les plus légitimes, les Québécois s’engagent dans un processus d’affirmation identitaire et de changement social permanent. « Maîtres chez nous ! » « On est capables ! » « Égalité ou indépendance ! », affirme-t-on avec une belle unanimité. En 1965, la création de la Caisse de dépôt et placement et l’institution du Régime de rentes du Québec traduisent cette quête légitime d’une nouvelle identité québécoise farouchement revendiquée et une volonté de mettre en place des structures économiques autonomes par rapport au reste du Canada. À partir de 1966, une vaste commission d’enquête analyse de façon détaillée l’organisation des services de santé et des services sociaux. Au terme de sa recherche, elle propose une importante réforme de tout ce secteur, laquelle débutera au début des années 1970. Le milieu des années 1960 est aussi l’époque de l’émergence des premiers comités de citoyens, symbole d’une nouvelle mentalité fondée idéologiquement sur la participation. Cette époque connaît une profonde redéfinition des rapports sociaux au sein de la société québécoise, lesquels seront de plus en plus marqués par l’affirmation de la responsabilité citoyenne comme complément à celle de l’État et des autres acteurs sociaux.
1.2. LES PREMIERS COMITÉS DE CITOYENS La première génération de groupes communautaires est celle des comités de citoyens qui se développent dans les quartiers défavorisés des principales villes du Québec au milieu des années 1960. Ces groupes revendiquent la mise sur pied et la gestion collective de divers services, comme des maisons de quartier, des cliniques de santé, des cliniques juridiques, etc. Certains auteurs4 ont vu dans ces réclamations une certaine forme « de syndicalisation de la consommation collective ». La même mobilisation des citoyens va aussi se manifester en milieu rural afin de contrer la fermeture de paroisses et de villages. Les Opérations Dignité dans le BasSaint-Laurent en sont un bon exemple.
4.
M. Castells (1973). Luttes urbaines, Paris, Maspéro.
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L’action des comités de citoyens se fonde sur le bénévolat et a pour objectif de soulager les plus « démunis » par une action qui emprunte à la fois à l’idéologie caritative et à une certaine solidarité de classe. À cette époque, l’Église exerce un rôle dominant dans la gestion des services de santé et des services sociaux. Son influence s’exprime aussi à l’intérieur des paroisses dans un certain nombre d’activités qui touchent notamment les loisirs, la distribution de nourriture, de meubles et de vêtements usagés. La Révolution tranquille entraîne la laïcisation de plusieurs secteurs d’intérêt public, dont ceux de la santé, des services sociaux et de l’éducation. Elle conduit aussi à une modification de l’identité qui, de paroissiale qu’elle était, se transporte au niveau du quartier. Cette transformation se répercute sur l’organisation de la communauté. La rénovation urbaine, qui vise l’amélioration de la qualité de vie des quartiers, et une recherche bureaucratique de transformation de l’organisation des territoires régionaux suscitent des réactions populaires qui vont de l’incompréhension à l’inquiétude, voire à la colère. Des comités de citoyens, mis sur pied et animés par des animateurs sociaux, réagissent à cette planification sociale et revendiquent le droit de la population à déterminer l’aménagement du territoire. Dans ce contexte de politisation des enjeux sociaux, on assistera à la mise sur pied de nouvelles formes de vie associative, les groupes populaires, qui se développent pour répondre aux besoins des citoyens de se donner des lieux de regroupement et des outils de lutte. Ces groupes sont orientés vers la revendication et la contestation. Au cours des années 1960 et 1970, les comités de citoyens ont été le fer de lance du mouvement populaire québécois. Leur action, tant en milieu urbain que rural, s’est surtout concentrée dans des quartiers ouvriers et dans des régions défavorisées. À travers l’action de ces comités de citoyens commence un mouvement de distanciation des organisations de charité et des organisations de loisir que contrôle plus ou moins le clergé. S’amorce également un mouvement de citoyens qui s’intéressent particulièrement aux conditions de vie et aux services collectifs et qui exigent d’être consultés et d’avoir plus de prise sur les décisions des pouvoirs constitués.
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La Révolution tranquille permet au service social d’élargir un peu plus sa perspective et favorise une vision plus collective des problèmes sociaux. Les objectifs de développement social que poursuivent les élites dirigeantes s’accompagnent d’un discours sur la rationalité et d’un début d’acceptation d’une nécessaire participation des citoyennes à la définition des besoins, au choix des objectifs et à la mise en place de moyens susceptibles d’assurer le développement, c’est-à-dire la satisfaction des besoins et le plein épanouissement de tous. C’est dans ce contexte que s’épanouissent les premières expériences d’animation sociale5. Au Québec, le terme « animateur social » apparaît vers le milieu des années 1960. Malgré plusieurs efforts pour le préciser, cette appellation n’a jamais correspondu à une activité professionnelle déterminée, bien qu’elle ait été le plus souvent associée au travail social. Malgré la diversité des définitions formelles de l’animation on s’est entendu à l’époque pour dire que cette intervention de l’animation vise à rationaliser l’action d’un groupe6. D’ailleurs, c’est précisément au nom de la rationalité que l’État justifiera son attitude plus interventionniste et c’est au nom de l’idéologie de la participation que les populations seront associées aux grands projets de réforme de la société québécoise. C’est dans ce contexte qu’il nous faut situer les premières expériences d’animation sociale tant en milieu rural qu’en milieu urbain.
1.2.1. En milieu rural La nouvelle volonté de l’État se traduit désormais par la multiplication d’expériences d’animation sociale et de planification régionale sans précédent. De la campagne à la ville, tout doit être modernisé à l’image des grandes sociétés industrielles. À cet égard, la création en 1963 du Bureau d’aménagement de l’Est du Québec (BAEQ) constitue une toute première expérience d’intervention planifiée par l’État. Cette expérience a l’originalité de solliciter le concours de la population locale rurale, connue pour son extrême pauvreté. Avec l’appui de l’État fédéral, le gouvernement du
5. 6.
M. Poulin (1982). « Prospective pour la gestion des services sociaux des années quatre-vingt au Québec », Service social, vol. 31, no 1, p. 12. M. Doray (1968). « Méthodes et techniques d’animation », Cahiers de l’Institut canadien d’éducation des adultes (ICEA), vol. 4-5, p. 25-37.
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Québec tente donc d’assurer le développement socioéconomique de cette partie de la province qui accuse un retard notoire. L’expérience du BAEQ illustre ainsi la volonté affirmée de l’État de mettre les ressources nécessaires à la disposition des populations dans une perspective de modernisation. Considérés à l’époque comme des agents de changement, les animateurs sociaux fournissent l’appui technique nécessaire et tentent de convaincre les citoyens habitant de petits villages éloignés d’intégrer les villes, lieux plus propices à un développement fondé sur la rationalisation des services. Toutefois, les réticences des populations touchées feront échouer le projet du BAEQ qui, il faut le souligner, a quand même eu le mérite de renouveler la pratique communautaire même s’il n’a jamais pu s’achever faute d’adhésion de la population7. Par la suite, d’autres comités se forment, en opposition aux plans du Bureau d’aménagement de l’Est du Québec qui prônaient la fermeture de villages ; par leur intermédiaire les citoyens « revendiquent principalement le droit de vivre et de travailler sur leur terre8 ». Ainsi, les revendications des Opérations Dignité, vers 1970, porteront surtout sur les aspects économiques du développement, bien que la demande de services collectifs soit aussi présente.
1.2.2. En milieu urbain C’est en 1963 que naissent à Montréal les premiers comités de citoyens. Ces comités remettent en question la charité sociale catholique, parlant davantage de développement communautaire9. Ils sont en effet créés à l’initiative de travailleurs sociaux et de sociologues en quête de nouvelles pratiques professionnelles devant l’inefficacité qu’ils constatent de l’approche strictement individuelle pratiquée dans les agences sociales. Les comités de citoyens misent sur la participation populaire et demandent à être consultés pour tout ce qui touche le cadre de vie et les services collectifs. Ils
7. 8. 9.
L. Doucet et L. Favreau (dir.) (1991). Théorie et pratiques en organisation communautaire, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, p. 97. P.R. Bélanger et B. Lévesque (1992), Op. cit., p. 718. R. Mayer et L. Groulx (1987). Synthèse critique de la littérature sur l’évolution des services sociaux au Québec depuis 1960 ; Synthèse critique no 42, Commission d’enquête sur les services de santé et les services sociaux, Québec, Les Publications du Québec, p. 22.
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favorisent une approche collective qui suppose que la solution des problèmes du quartier passe par la constitution d’un leadership local et par la revendication de services collectifs. Pour obtenir l’amélioration des services collectifs, les comités de citoyens interpellent les pouvoirs publics. Ils revendiquent alors non seulement la mise en place de services collectifs, mais aussi le contrôle populaire sur ces services. Dans ce contexte, plusieurs auteurs affirment que les comités de citoyens participent en quelque sorte à la construction de l’État-providence10. Symboles de démocratie locale, les comités de citoyens se multiplient assez rapidement entre 1966 et 1970 grâce à l’appui des Conseils des œuvres de Montréal et de Québec. Au départ, ce sont les diverses préoccupations sociales comme l’éducation, l’accès aux soins de santé, la rénovation urbaine et l’aménagement du territoire qui sollicitent la prise de conscience des groupes populaires à qui les animateurs sociaux réussissent à inculquer un véritable sentiment d’appartenance à leur quartier. Les nombreuses expériences d’animation sociale qui vont suivre traduisent la volonté des populations de participer à la construction d’un Québec moderne. C’est dans cette foulée que sont créés entre autres : le Projet de réaménagement social et urbain (PRSU) à Montréal en 1964 et les comités de citoyens à Saint-Roch, à Québec en 1966 et à Hull en 1968. Des organisations de plus grande envergure voient aussi le jour à la même période, notamment l’Union générale des étudiants du Québec (UGEQ) et les Travailleurs étudiants du Québec (TEQ). Très vite, les comités de citoyens s’activent autour de la mise en place de nouvelles ressources communautaires entre 1967 et 1970. C’est ainsi que surgissent garderies, nouveaux comptoirs alimentaires en 1967, cliniques communautaires de santé en 1968, maisons de chômeurs et associations coopératives d’économie familiale (ACEF), ce que Castells11 décrira comme une « forme de syndicalisme de la consommation collective ». Jean-Pierre Deslauriers12 souligne que la naissance des comités de citoyens n’est pas sans ébranler le travail social, alors sous
10. H. Lamoureux (1999). Les dérives de la démocratie, Montréal, VLB éditeur, p. 11-19. 11. M. Castells (1972). La question urbaine, Paris, Maspéro. 12. J.-P. Deslauriers (1985). « De l’animation à la révolution », Service social, vol. 34, nos 2-3, p. 369-389.
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la domination cléricale : l’approche individuelle s’avère insuffisante dans la solution des problèmes sociaux urbains et on est poussé à élargir le champ d’action. Mais ces nouvelles pratiques s’inscrivent aussi dans un courant plus global et universel de réflexion critique sur les méthodes d’intervention en service social, plus particulièrement l’intervention clinique individuelle connue aussi sous le terme anglais de « casework ». Les professionnels du travail social constatent que les efforts concentrés uniquement sur l’adaptation de l’individu à la société conduisent la profession à un cul-de-sac. De plus, il est de plus en plus évident que plusieurs problèmes sociaux trouvent leurs racines dans l’organisation et la structure même de la société. Vers la fin des années 1960, les limites de l’animation sociale et les échecs des luttes des comités de citoyens, notamment dans le champ des luttes urbaines, font apparaître la nécessité de développer de nouvelles pratiques. Deux directions principales seront privilégiées : d’une part, l’action politique, pour les groupes les plus militants et, d’autre part, la prestation de services pour ceux qui sont déjà engagés dans cette voie et soutenus par l’État à cette fin. Dans bien des cas, les groupes s’inscriront dans les deux courants, louvoyant entre les exigences des bailleurs de fonds et la nécessaire harmonie avec ce qui fonde leur existence. Ces deux tendances s’accentuent dans les années 1970. Progressivement, l’action sociale se radicalise : pétitions, manifestations et occupations se succèdent. Par ailleurs, afin de renforcer leur base et d’élargir leur audience, les animateurs sociaux se lancent dans la mise sur pied de services communautaires avec l’assistance financière et professionnelle du clergé, d’organismes de bienfaisance, de fondations privées, du milieu universitaire et de certains syndicats.
1.3. MODÈLES ET DÉBATS 1.3.1. L’animation sociale remise en question L’inspiration idéologique de l’intervention communautaire québécoise, du moins à ses débuts, provient de trois sources principales. D’abord, elle puise dans la tradition américaine, notamment celle de Alinsky : l’organisation des minorités ethniques ; celle de Nader : la défense des consommateurs ; celle de Luther King : la
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pratique de la non-violence active. Ensuite, elle s’abreuve à la tradition européenne qui met l’accent sur la nécessité de transformer les structures économiques et politiques par l’engagement politique13. Elle prend enfin appui sur la tradition chrétienne progressiste de l’Amérique latine, dont l’horizon idéologique est fortement marqué par la théologie de la libération. Malgré cette diversité des référents idéologiques, les citoyens commencent à trouver que les animateurs sociaux prennent trop de place et ils revendiquent un contrôle accru de leurs activités14. L’échec relatif de l’action menée par les animateurs sociaux conduit à une critique vigoureuse des limites de leur action et à une sévère remise en question au terme de laquelle se pose la question de l’engagement politique. Pour certains, les intervenants sociaux de cette période ne sont que « des agents de diversion et de divertissement15 ». Par ailleurs, plusieurs des analyses sur l’animation sociale urbaine concluent à une mise en tutelle des groupes populaires par les animateurs sociaux. Selon ces analystes, l’animation sociale n’est pas un mouvement qui émane des couches défavorisées, mais plutôt le résultat de nouvelles techniques d’intervention mises au point par les « animateurs sociaux » en quête d’un meilleur statut professionnel. Les diagnostics de McGraw16 ainsi que de Godbout et Collin17 vont dans ce sens. Ces derniers estiment que l’apparition des comités de citoyens correspond à la conjonction de deux facteurs principaux : les réactions plus grandes des défavorisés à leurs conditions de vie et les pratiques sociales novatrices, de certains organismes de bien-être, centrées sur l’organisation communautaire.
13. L. Doucet et L. Favreau (1991). Op. cit., p. 7. 14. J.T. Godbout (1983). La participation contre la démocratie, Montréal, Éd. Albert SaintMartin, p. 68. 15. F. Lesemann (1975). « À propos de la formation à l’intervention collective », Revue canadienne d’éducation en service social, vol. 2, no 2, p. 15. 16. D. McGraw (1978). Le développement des groupes populaires à Montréal, Montréal, Éd. Albert Saint-Martin, p. 64. 17. J. Godbout et J.-P. Collin (1977). Les organismes populaires et milieu urbain, Montréal, INRS-Urbanisation, p. 213.
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À cette époque, un autre débat porte sur le rôle des animateurs sociaux et sur celui des militants. Par exemple, pour Meister18, le militant a été traditionnellement associé aux premières luttes ouvrières du siècle dernier, alors que l’animateur a été plutôt associé aux questions d’animation et de participation soulevées depuis le début des années 1960. Ancien curé (comme figure de référence), l’animateur ne viserait qu’à « aménager la cage dans laquelle le peuple vit », alors que le militant, un croyant lui aussi, s’inspire d’évangiles différents afin de renverser l’ordre social. Ce débat en cache un autre, celui de la préférence pour l’approche consensuelle ou pour l’approche conflictuelle. Et cette question est centrale, car elle évoque le degré de changement social désiré.
1.3.2. L’approche consensuelle versus l’approche conflictuelle Au cours des années 1960, deux principales écoles en organisation communautaire s’affrontent : l’école consensuelle et l’école conflictuelle. Cet affrontement trouve écho jusque dans les écoles de travail social. À cette époque, l’organisation communautaire américaine est d’orientation plutôt consensuelle. Dans cette perspective, on peut dire que l’organisation communautaire s’appuie alors sur deux principes fondamentaux : d’une part, la primauté est accordée à la communauté comme terrain d’action ; d’autre part, l’accent est mis sur la participation et l’entraide. Selon cette perspective, la participation ne devait pas déboucher sur la pression et le conflit, considéré comme un gaspillage d’énergie, mais sur la coopération. Toutefois, aux États-Unis, certaines critiques à l’égard de l’approche consensuelle vont se faire entendre, illustrant le changement de cap qui s’amorce dans l’action des comités de citoyens vers la fin des années 1960. Ainsi, Alinsky a reproché aux tenants de l’approche consensuelle leur insistance sur l’intégration sociale et l’adaptation des citoyens à leurs conditions d’existence, de même que le caractère réformiste plutôt conservateur de cette approche19. Ces critiques dirigées à l’endroit d’une théorie qui, tout en refusant le conflit, ne tient pas compte de l’inégalité de la distribution des ressources et du pouvoir entre les groupes sociaux
18. A. Meister (1973). La participation dans les organisations, Paris, Éditions Économie et Humanisme. 19. S. Alinsky (1976). Manuel de l’animateur social. Une action directe non violente, Paris, Seuil, 250 p.
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allaient favoriser l’émergence d’une approche plus conflictuelle. Cette stratégie, effectivement avancée aux États-Unis par Alinsky, sera essentiellement une technique de contestation et d’agitation dans la mesure où sa mise en œuvre repose sur trois concepts fondamentaux : l’idée d’intérêt personnel, l’idée du pouvoir par le nombre et l’organisation et, enfin, l’idée du conflit pour promouvoir et défendre ses idées et ses intérêts. Il ne faut toutefois pas pousser à l’extrême l’opposition entre ces deux stratégies, consensuelle et conflictuelle, car, comme l’ont souligné certains auteurs, la différence a été de degré plutôt que de nature. L’approche conflictuelle demeure en effet dans la tradition pragmatique américaine des groupes de pression et ne repose pas sur la reconnaissance du caractère antagonique des intérêts de classes. C’est là sa limite. Et c’est cette limite qui sera éventuellement l’objet non seulement de la critique d’inspiration marxiste, mais aussi, d’une autre manière, du courant féministe.
2.
LES ANNÉES 1970 LA DEUXIÈME GÉNÉRATION : LES GROUPES POPULAIRES OU GROUPES AUTONOMES DE SERVICES 2.1. ÉLÉMENTS DE CONTEXTE Si les années 1960 ont été particulièrement marquées par la domination d’une idéologie de participation à la vie sociale, la décennie suivante allait être tout autre. Ainsi, les années 1970 correspondent à une période de grande désillusion à la suite des nombreux constats d’échecs et de contradictions de la stratégie d’animation sociale des années 1960. En effet, l’écart entre le discours, les rêves de grande prospérité nationale et la réalité concrète transforme progressivement le discours conciliant des groupes populaires en un discours plus radical. On assiste à la naissance de partis de gauche, notamment, à Montréal, le Front d’action politique (FRAP) animé par des militantes et des militants qui sont aussi, généralement, indépendantistes sur le plan national. Le Parti québécois profitera beaucoup de ce contexte et une large partie de sa base militante, voire de son personnel politique, sera formée à l’école de l’engagement citoyen.
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De l’animation sociale, les comités de citoyens passent à l’action politique et revendiquent des ressources autogérées répondant mieux aux besoins et aux aspirations de la population qui veut à tout prix se prendre en charge et exercer un contrôle sur ces services. Les activités d’animation sociale vont progressivement se transformer par la mise sur pied de services autogérés. C’est la naissance d’une seconde génération de groupes communautaires orientés vers la formation de groupes autonomes de services. C’est aussi la période où une importante réforme des services de santé et des services sociaux se met en place, avec notamment la création des centres locaux de services communautaires (CLSC).
2.2. LES GROUPES POPULAIRES OU GROUPES AUTONOMES DE SERVICES La seconde génération des groupes communautaires est constituée par les groupes populaires qui vont se développer pendant plus d’une décennie, de 1975 à 1985 environ. Apparaissent alors successivement les coopératives d’alimentation, les cliniques communautaires et les centres de santé pour femmes, les groupes de défense des chômeurs et des prestataires de l’aide sociale, les garderies, les comités de logement et les coopératives d’habitation, les groupes d’éducation populaire et d’alphabétisation, etc.20. Au lieu de se lancer dans l’action politique ou encore de faire appel à l’État pour obtenir des services, certains comités de citoyens cherchent à résoudre eux-mêmes des problèmes qui touchent leur quartier. Les groupes populaires de services sont le plus souvent des collectifs autogérés, formés de bénévoles, de permanents et d’usagers, qui expérimentent de nouveaux rapports de travail. Certains se définissent comme des voies alternatives aux services offerts aussi bien par l’État que par le secteur privé. Ainsi, ces groupes veulent offrir des services différents, complémentaires à ceux offerts par le réseau sociosanitaire public. Pour ce faire, ils réclament une aide financière de l’État tout en préservant jalousement leur autonomie de gestion et d’intervention.
20. M. D’Amours (1997). Op. cit., p. 40.
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Ainsi, plutôt que de faire appel à l’État pour la mise en place de ces services, des comités de citoyens « cherchent à résoudre euxmêmes des problèmes qui concernent l’ensemble du quartier21 ». La plupart de ces groupes de services autogérés ont pu voir le jour grâce aux programmes fédéraux de création d’emplois comme Perspectives jeunesse et les Projets d’initiatives locales (PIL). L’exploration de cette nouvelle avenue ne signifie pas pour autant la fin des revendications pour l’élargissement des droits sociaux et pour des services collectifs étatiques. Ainsi, durant cette période, plusieurs associations de défense des droits voient le jour : des associations pour la défense des droits des personnes assistées sociales, des associations de locataires, le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), l’Association québécoise pour la défense des droits des retraités (AQDR), etc.
2.3. L’ACTION POLITIQUE Vers la fin des années 1960, les comités de citoyens connaîtront une scission. Les groupes les plus engagés se déclareront alors ouvertement en faveur d’une action politique et emprunteront, à partir de ce moment, un chemin différent. La critique des pratiques entraînera une transformation progressive des activités d’animation sociale et conduira à la conception d’un projet politique exigeant un changement social majeur, de type socialiste. L’action politique, sur le plan municipal dans un premier temps, devient une voie obligée. La quasi-totalité des animateurs sociaux s’y engagent résolument. Les comités de citoyens donneront naissance aux comités d’action politique de quartier (CAP), regroupés à l’intérieur du Front d’action politique (FRAP)22. Rejoint par des militants syndicaux et étudiants, ce mouvement subira un cuisant revers aux élections municipales de 1970. Son activité, au départ prometteuse,
21. P.R. Bélanger et B. Lévesque (1992). Op. cit., p. 719. 22. Front d’action politique (1970). Les salariés au pouvoir. Manifeste et plate-forme électorale du FRAP, Montréal, Les Presses libres, 138 p. On lira également, sur ce sujet, L. Favreau (1972). Les travailleurs face au pouvoir, Montréal, CFP–Québec-Presse, 174 p. ; H. Lamoureux (1971). « L’action politique du FRAP : une récolte à venir », Bilan d’activité 1970 du Projet d’organisation populaire, d’information et de regroupement (POPIR), Montréal, archives du POPIR, 27 p.
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sera associée à celle du Front de libération du Québec par certains ténors du gouvernement fédéral et saboté au moment de l’occupation du Québec par l’armée canadienne en octobre 1970. Après quelques années de flottement et de remise en question, l’aventure du FRAP conduira à la formation de partis politiques municipaux d’opposition, aussi bien à Montréal, en 1974, avec le Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM), qu’à Québec, en 1979, avec le Rassemblement populaire (RP). À ce propos, plusieurs acteurs sociaux ont analysé ces deux expériences québécoises d’action politique et, au terme de leur analyse, dressent un bilan plutôt positif de ces expériences23. Par ailleurs, certains CAP vont encore beaucoup plus loin et se radicalisent davantage. Ils deviennent alors des groupes qui s’identifient à une extrême gauche fortement imprégnée du courant marxiste-léniniste, présent au Québec comme ailleurs. Ces militants investissent les groupes populaires et, dans certains cas, les détournent de leur mission. Ces groupes deviennent de véritables groupes révolutionnaires pour qui l’État est l’ennemi qui ne privilégie que les intérêts de la classe dominante aux dépens d’un prolétariat dont la composition est plutôt diffuse. S’éloignant de la stratégie de participation, l’accent est plus que jamais mis sur la stratégie d’affrontement. Et le mécontentement des groupes de pression se traduit alors par de nombreuses formes d’action directe et de manifestation considérées comme les meilleurs moyens de lutte. Favorable à l’émergence d’une pensée politique cohérente et à une meilleure structuration nationale de l’action des groupes dans leurs luttes, le FRAP finira par se dissoudre en 1974 à la suite des divergences d’ordre stratégique qui éclateront entre ses dirigeants. Riches du terreau fertilisé par l’animation sociale, par les activistes du FRAP, par certains syndicalistes radicaux et par les associations étudiantes, les groupes marxistes vont se développer, notamment En lutte, né en 1973, et la Ligue communiste (marxisteléniniste) du Canada, en 1975. Ces groupes disparaîtront au début des années 1980, victimes de la dynamique qui conduit à l’éclatement
23. L. Favreau et Y. Hurtubise (1991). « L’action politique locale : une autre forme d’organisation communautaire », dans L. Doucet et L. Favreau (dir.). Op. cit., p. 145.
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du référent idéologique incarné par l’Union soviétique et la Chine. Cependant, ils seront des lieux de formation pour plusieurs activistes qui deviendront les leaders de plusieurs des plus importants mouvements sociaux québécois, notamment le mouvement féministe, le mouvement syndical, les ressources alternatives en santé mentale et le mouvement de lutte contre la pauvreté. Certains de ces militants se recycleront en politique et deviendront qui député, qui ministre, qui haut fonctionnaire. L’arrivée au pouvoir du Parti québécois en 1976, jumelée au dogmatisme de certains intervenants se réclamant du marxismeléninisme, entraîne temporairement une forte baisse des activités du mouvement populaire. Le fait est que, dans un premier temps, un grand nombre d’activistes sociaux à l’œuvre dans les quartiers ont soutenu des candidatures jugées progressistes du Parti québécois. Par ailleurs, le personnel politique des ministères gruge les rangs de plusieurs mouvements sociaux. Officiellement socialdémocrate, le PQ au pouvoir représente l’espoir tant de la réalisation de certains gains sociaux que de l’accession à la souveraineté nationale. Si l’action politique de type traditionnel est rapidement source de désillusion pour plusieurs, il reste que la radicalisation des années 1970 a aussi eu des effets positifs qu’il ne faudrait pas oublier. En plus de contribuer au développement des groupes populaires de services comme les cliniques de santé, les groupes de soutien au mouvement ouvrier, les coopératives alimentaires ou d’éducation et les médias alternatifs, elle favorise une certaine professionnalisation de l’action communautaire, notamment à la suite de la naissance des premiers centres locaux de services communautaires (CLSC).
2.4. QUELQUES DÉBATS 2.4.1. L’intervention communautaire en CLSC À partir de 1972, les CLSC se substituent aux différents services qui avaient été instaurés par la population dans certains milieux urbains. Par la création de ces nouvelles structures, l’État va s’efforcer d’enrayer la tendance à la mise sur pied de services populaires
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contrôlés par les citoyens, pour substituer à ceux-ci des services étatiques, notamment dans les domaines de la santé, de l’éducation, des services sociaux et des services juridiques. Tout se passe comme si l’expérimentation populaire était jugée concluante et qu’il fallait donc offrir les fruits de cette expérimentation à toute la population. Ce qui, paradoxalement, correspond à une revendication populaire. Le cas des garderies est à cet égard éloquent. Encore ici, cette institutionnalisation de l’action communautaire ne se fera pas sans débat ni résistance. Pour plusieurs, la perspective « politique » est alors évincée au profit de services intégrés à l’ensemble du réseau public. Par ailleurs, cette réforme introduit une nouvelle organisation du travail qui a pour effet de reconnaître explicitement la fonction d’organisateur communautaire24. Ainsi, pendant cette période, se développe dans les CLSC une tendance – qui s’accentuera par la suite – qui consiste à associer la pratique d’organisation communautaire à une pratique de développement de services ou encore de « coordination de groupes de bénévoles » plutôt qu’à une pratique d’intervention collective basée sur la participation active des personnes concernées.
2.4.2. Rôle et engagement des intervenants sociaux Cette multiplication des acteurs suscite de nombreux débats sur le statut, le rôle et l’engagement des intervenants sociaux. Ainsi, parallèlement à la radicalisation des luttes sociales, on assiste à l’établissement de nouvelles structures de contrôle social qui exercent leur pouvoir tant sur le plan régional – les centres régionaux de santé et de services sociaux (CRSSS) – que sur le plan local – les CLSC. Les intervenants sociaux ont joué un rôle central dans la mise en œuvre de cette réorganisation administrative, assumant toutefois, malgré leur prétention, beaucoup plus un rôle de soutien que d’agent de changement. Ce qui tend à montrer que « l’intellectuel », même celui qui veut être au service du prolétariat, joue un rôle de domination objective qui ne diffère guère de celui des travailleurs sociaux professionnels. Henri Lamoureux exprime à cet égard une critique qui a notamment le mérite de s’alimenter
24. G. Doré (1992). « L’organisation communautaire et les mutations des services sociaux au Québec, 1961-1991 », Service social, vol. 41, no 2, p. 138.
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à une expérience concrète tant des milieux communautaires qu’institutionnels25. Par ailleurs, les différentes conceptions du rôle des travailleurs communautaires justifient les diverses stratégies qui seront adoptées dans la pratique selon que l’on se déclare de tradition « réformiste », « marxiste-léniniste » ou « autogestionnaire ». Ainsi, dans la tradition marxiste-léniniste c’est l’organisation, c’est-à-dire le parti ou, à la limite, le syndicat qui doit modifier le rapport de pouvoir défavorable aux groupes exploités ou opprimés. Dans la perspective « réformiste », l’organisation devient davantage un moyen de pression utilisable par des politiciens pour obtenir des transformations que ces derniers jugent favorables aux groupes dont ils s’estiment les défenseurs. Finalement, dans l’optique « autogestionnaire », l’organisation est une ressource à partir de laquelle les animateurs travaillent directement avec les groupes pour rechercher avec eux les solutions à leurs problèmes. À chacune de ces perspectives correspond aussi une conception particulière du rôle des intervenants communautaires et de leur place dans ces groupes. Par exemple, dans la tradition marxiste avantgardiste, les intellectuels exercent le rôle de porte-parole des travailleurs et des milieux populaires en général. Pour le courant réformiste, les intellectuels sont les « cadres techniques » capables de rendre les dossiers de revendication utilisables et négociables. Dans la perspective autogestionnaire, les intellectuels mettent leurs analyses et leurs concepts directement à la disposition du groupe avec lequel ils se solidarisent.
2.5. QUELQUES MODÈLES Considérées comme la décennie des grandes causes, les années 1970 ont vu naître et s’affirmer de nouveaux courants comme le mouvement de la conscientisation, le féminisme et le marxisme, qui interpellent à leur tour l’organisation communautaire.
25. H. Lamoureux (1999). Op. cit.
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2.5.1. L’approche concientisante L’approche conscientisante découle principalement, mais non exclusivement, des écrits et de la méthode d’alphabétisation de Paulo Freire26, éducateur catholique brésilien. Cette méthode a pris forme à l’intérieur de l’Institut œcuménique pour le développement des peuples (INODEP), une organisation issue de la gauche catholique française vouée au développement international. Il s’agit d’une approche utile pour les intervenants sociaux dans la mesure où elle favorise « la prise de conscience par une population de ses conditions d’existence et de ses moyens de s’engager dans la voie de son changement27 ». Ce courant de l’intervention sociale a été important au Québec, particulièrement dans les milieux de l’organisation communautaire en service social28. En effet, on le retrouve à des degrés divers dans les cours d’alphabétisation et les activités de conscientisation donnés tant à Montréal et à Québec qu’en région et surtout au Regroupement des organisateurs communautaires du Québec29, lequel s’est transformé en 1983 en un collectif d’intervenants en conscientisation30. Plusieurs auteurs soulignent toutefois que la conscientisation n’est pas une « baguette magique », mais qu’il s’agit d’une méthode d’éducation populaire qui s’inscrit entre la réflexion et l’action, entre la théorie et la pratique31. À cette époque, le Collectif québécois de conscientisation a produit une série d’analyses qui rapportent des réflexions d’ordre plus théorique, sur l’approfondissement de l’approche de
26. P. Freire (1971). Pédagogie des opprimés, Paris, Maspéro, 215 p. 27. C. De Robertis et H. Pascal (1987). L’intervention sociale collective en travail social, Paris, Le Centurion, p. 287. 28. J.-M. Fontan et S. Laflamme (1990). « La méthodologie sociologique », dans J. Lafontant (dir.), Initiation thématique à la sociologie, Saint-Boniface, Éditions des Plaines, p. 469. 29. Regroupement des organisateurs communautaires du Québec – ROCQ (1977). Manifeste, dans P. Hamel, J.-F. Léonard et R. Mayer, Les mobilisations populaires urbaines, Montréal, Nouvelle Optique, 1982, p. 319-341. 30. G. Ampleman et al. (1983). Pratiques de conscientisation, Montréal, Nouvelle Optique, 302 p. 31. C. Humbert (1987). « L’enquête conscientisante », dans J.-P. Deslauriers (dir.), Les méthodes de la recherche qualitative, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, p. 91-107. Lire aussi G. Ampleman et al. (1987). Pratiques de conscientisation 2, Québec, Collectif québécois d’édition populaire.
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la conscientisation comme stratégie d’intervention communautaire32, ou d’ordre plus pratique, présentant des pratiques conscientisantes sur divers terrains de luttes sociales33. Par exemple, Ampleman34 a décrit un processus de formation d’intervenantes des services de santé et des services sociaux qui œuvrent dans les milieux défavorisés. Un des apports intéressants de l’approche fondée sur la conscientisation fut d’avoir renouvelé la « boîte à outils » de l’intervenant social et du chercheur militant. En effet, ce mouvement a suscité la création et la fabrication de divers instruments de travail simples, mais utiles et efficaces. Cet outillage ne vise qu’un seul but : attirer l’attention sur l’importance de la culture populaire dans l’action sociale35. Comme les groupes opprimés développent souvent des mécanismes de dépréciation de soi, tant individuels que collectifs, l’intervention selon le modèle proposé par Freire est autant bénéfique que nécessaire.
2.5.2. L’approche féministe Au cours des années 1970, le modèle féministe s’est élaboré progressivement. Fortement influencé par Simone de Beauvoir36 et certaines intellectuelles américaines37, le questionnement sur l’oppression des femmes s’est d’abord attaqué au domaine de la psychiatrie et au modèle psychoanalytique qui cautionne un modèle patriarcal de rapport homme-femme. « Le féminisme a apporté un autre point de vue en analysant les effets de l’oppression des femmes et du sexisme. Ce mouvement a voulu conscientiser les femmes et les rendre capables de prendre leur vie en main par le développement et la croissance personnelle. Pour les féministes, ce lien entre le personnel et le social est primordial. Les changements sociaux
32. G. Ampleman, G. Doré, L. Gaudreau, C. Larose, L. Lebœuf et D. Ventelou (1994). La conscientisation. Définition et principes d’action, Les cahiers de la conscientisation, no 1, Québec, Collectif québécois d’édition populaire, 21 p. 33. Ibid. 34. G. Ampleman (1987). Op. cit. 35. Y. Hurtubise (1991). « L’action conscientisante », dans L. Doucet et L. Favreau (dir.). Op. cit., p. 155. 36. S. de Beauvoir (1949). Le deuxième sexe, Paris, Gallimard, tome 1, 510 p. ; tome 2, 487 p. 37. G. Greer (1970). La femme eunuque, Paris, J’ai Lu, 437 p.
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doivent venir surtout de changements personnels38. » Dans la pratique quotidienne, le modèle propose une relation égalitaire entre l’intervenante et les femmes auprès desquelles celle-ci intervient. Sur le plan technique, ce modèle apporte peu d’outils et de techniques d’intervention radicalement nouveaux, mais il fait une large place au vécu émotif et à la lecture subjective de la réalité sociale. L’intervention féministe s’appuie sur la conviction que les racines de l’inégalité entre les sexes et de l’infériorisation des femmes sont sociales et non biologiques ou naturelles39. Cette intervention apporte une perspective sociopolitique des problèmes vécus par les femmes et vise le changement social autant que le changement individuel. Les principaux objectifs de l’intervention féministe sont les suivants : 1) bâtir une nouvelle définition des problèmes des femmes à partir de l’analyse sociopolitique de leur vécu ; 2) favoriser la prise de conscience des stéréotypes sexistes qui limitent les femmes aux rôles de service autant à la maison que dans le monde du travail ; 3) favoriser la prise en charge de leur propre vie en développant l’estime de soi, la capacité de s’affirmer, de prendre des décisions (l’autonomie financière ou autre), etc. ; 4) favoriser la réappropriation par les femmes de leur propre corps et de leur santé ; 5) favoriser la solidarité entre les femmes et avec d’autres groupes de femmes ainsi que l’engagement des femmes dans différents milieux communautaires. Au Québec, l’influence de ce modèle a été particulièrement marquée en service social, notamment dans le domaine de l’intervention communautaire en matière de violence conjugale.
2.5.3. L’approche marxiste Pour les adeptes du marxisme, « la compréhension ultime du processus historique doit être recherchée dans la manière dont les hommes s’organisent pour produire leurs moyens matériels d’existence et
38. L. Brissette (1994). Modèles d’intervention et service social auprès des personnes âgées, Québec, Laboratoire de recherche, École de service social, Faculté des sciences sociales, Université Laval, p. 41. 39. C. Corbeil, C. Lazure, G. Legault et A. Pâquet-Deehy (1983). L’intervention féministe. L’alternative des femmes au sexisme en thérapie, Montréal, Éd. Albert Saint-Martin.
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les échanger40 ». De ce mode de production et d’échange naît l’organisation sociale, c’est-à-dire la division sociale du travail entre les individus et groupes d’individus au sein d’une société donnée. L’approche marxiste souligne l’importance de l’aliénation individuelle qui est omniprésente dans la société contemporaine. De plus, le marxisme a apporté au travail social une théorie d’ensemble de la société qui explique notamment la nature et le développement de l’État-providence et, indirectement, la nature et les fonctions de la pratique du travail social dans la société capitaliste41. Toutefois, comme théorie pour construire un état socialiste, elle demeure inadéquate, car elle n’a pas fonctionné dans l’expérience historique du socialisme telle qu’on l’a connue jusqu’à présent42. Au Québec, comme ailleurs dans le monde, le marxisme a suscité un grand intérêt, particulièrement parmi la classe des intellectuels et des formateurs en sciences humaines. C’est sans doute pour cette raison qu’au Québec comme ailleurs « le marxisme est apparu davantage comme un courant intellectuel que comme un courant politique et populaire43 ». De plus, le courant marxiste, inspiré notamment par la gauche française, va particulièrement marquer à la fois les milieux de pratique et les milieux d’enseignement, et ce, jusqu’au début des années 198044. Au cours de cette période, des étudiants, des professeurs et des intervenants sociaux, regroupés au sein de comités d’action politique en travail social, réfléchissent aux diverses fonctions assumées par les services sociaux, notamment en tant qu’agents de contrôle social.
40. K. Marx et F. Engels (1966). L’idéologie allemande, Paris, Éditions sociales, 167 p. 41. P. Corrigan et P. Leonard (1978). Critical Texts in Social Work and the Welfare State. Social Work Practice under Capitalism : A Marxist Approach, Londres, Macmillan Press, 157 p. 42. B. Mullaly (1993). Structural Social Work : Ideology, Theory and Practice (2e éd., 1997), Toronto, Oxford University Press. 43. J.-P. Deslauriers et Y. Hurtubise (1997). « Pensée critique et économie sociale », dans D. Plamondon (dir.), Au-delà de la tourmente… des alliances à bâtir !, Chicoutimi, Regroupement des intervenants et intervenantes en action communautaire en CLSC et en centres de santé (RQIIAC) et Groupe de recherche et d’interventions régionales, p. 262. 44. L. Doucet et L. Favreau (1991). Op. cit., p. 48.
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Il ressort de cet exercice que les institutions sociosanitaires sont perçues comme des organismes de contrôle social et de véritables appareils idéologiques d’État45. Comme beaucoup d’autres, les organisateurs communautaires québécois ont été influencés par le marxisme. Mais plusieurs prennent leurs distances par rapport à ce modèle analytique. D’abord, parce que cette théorie générale de l’évolution du capitalisme s’applique mal au développement de l’État-providence et qu’elle s’intéresse peu aux cas particuliers, surtout à l’échelle locale. Or, c’est précisément sur le plan microsocial qu’intervient l’organisateur communautaire.
3.
LES ANNÉES 1980 LA TROISIÈME GÉNÉRATION : MULTIPLICATION ET DIVERSITÉ DES ORGANISMES COMMUNAUTAIRES 3.1. ÉLÉMENTS DE CONTEXTE Sur le plan politique, les années 1980 ont débuté sous le signe de la défaite d’un référendum portant sur l’accession du Québec à la souveraineté. Le Parti québécois a été reporté au pouvoir en 1981, pour devoir aussitôt faire face à des conflits majeurs avec le mouvement syndical, particulièrement dans le secteur public. Gérant une société déprimée sur le plan identitaire et en crise sur le plan économique, le gouvernement péquiste est remplacé par les libéraux en 1985, tandis qu’à Ottawa les conservateurs accèdent au pouvoir en 1984. La défaite référendaire, associée à de nombreux problèmes sociaux, fait que les années 1980 sont essentiellement marquées au Québec par un climat de morosité et d’incertitude politique et économique. Par ailleurs, la récession qui frappe l’économie mondiale a pour principal effet de remettre en cause les acquis antérieurs du système de protection sociale qui a existé jusque-là. Le secteur privé
45. L. Althusser (1970). « Idéologie et appareil idéologique d’État », La Pensée, Paris, no 151, p. 3-38.
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se développe, encouragé en cela par l’État. L’offensive néolibérale accentue le débat sur le rôle régulateur de l’État-providence, notamment dans la distribution des services sociaux et des services de santé. En lieu et place de l’interventionnisme étatique que le Québec a connu au cours de la décennie précédente, de nouvelles avenues sont suggérées, qui valorisent la responsabilité individuelle, prône le bénévolat et le retour à l’entraide communautaire et familiale. La crise économique suscite un alourdissement des besoins sociaux auxquels l’État n’est plus en mesure de répondre. Ce repli étatique favorise un développement important de l’activité communautaire, tant dans des secteurs établis que dans d’autres qui naissent de l’identification de nouveaux besoins : maisons de jeunes, centres d’action bénévole, centres de femmes, maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence, ressources alternatives en santé mentale, etc.46. Cette dynamique favorise une reconnaissance plus ferme de l’action communautaire par les pouvoirs publics. Cette reconnaissance est particulièrement évidente dans le domaine de la santé mentale avec la parution, en 1987, du rapport Harnois intitulé Pour un partenariat élargi, qui prône une collaboration plus étroite avec les organismes communautaires dans la fourniture des services. D’où le sentiment d’un nouveau départ.
3.2. UN NOUVEAU DÉPART Au milieu des années 1980, la troisième génération de groupes fait son apparition : progressivement, la notion de groupes populaires est remplacée par celle de groupes communautaires qui se qualifient rapidement d’« autonomes » pour se démarquer des activités communautaires encadrées par l’État, notamment en CLSC47. C’est le cas notamment des groupes de femmes, de jeunes, de personnes qui interviennent en santé mentale et dans le secteur de la défense des droits. Dans la plupart de ces groupes, les anciennes stratégies d’affrontement cohabitent avec de nouvelles expériences de partenariat
46. P.R. Bélanger et B. Lévesque (1992). Op. cit., p. 725. 47. H. Lamoureux (1991). L’intervention sociale collective, une éthique de la solidarité, Sutton, Le Pommier, 232 p. Lire aussi H. Lamoureux, R. Mayer et J. Panet-Raymond (1984). L’intervention communautaire, Montréal, Éd. Saint-Martin, 237 p.
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et de concertation « soit avec les institutions publiques (comme dans le cas des groupes en santé mentale), soit avec des partenaires privés (comme dans le cas des corporations de développement économique communautaire)48 ». En raison de la crise de l’emploi, de nombreux groupes qui poursuivent à la fois des objectifs économiques et des objectifs sociaux émergent au cours de cette période : « coopératives de travail, groupes qui soutiennent les jeunes et les femmes dans leurs démarches pour intégrer le marché du travail, corporations de développement communautaire ou de développement économique communautaire, entreprises d’insertion, société d’aide au développement des collectivités, cercles d’emprunt, etc.49 ». Les motivations pour mettre en œuvre de tels programmes sont assez différentes de celles qui avaient cours dans les décennies antérieures. Motivés par un idéal démocratique, certains veulent exercer un meilleur contrôle sur leur milieu de vie ou de travail ; d’autres veulent créer et maintenir des emplois ; d’autres, enfin, cherchent à mettre sur pied ou à consolider des infrastructures sociales. Comme les autres sociétés occidentales, le Québec subit les effets des profonds changements qui bouleversent l’économie mondiale. Les préoccupations pour le chômage accru et la pauvreté dominent. La détérioration des conditions de vie mobilise de nouveaux acteurs engagés dans des actions concertées pour le développement de l’emploi. La problématique du développement économique des quartiers urbains en déclin devient aussi une priorité, ce qui entraîne la mise en place de stratégies de concertation par les principaux acteurs de ces communautés. Les préoccupations pour la défense des droits ou l’affirmation des identités spécifiques – femmes, jeunes, retraités, handicapés, minorités culturelles, homosexuels – prennent plus d’importance en action communautaire. Des enjeux nouveaux ou réactualisés – environnement, paix, rapports interculturels, sort des personnes âgées – mobilisent de plus en plus de citoyens. La croissance accélérée des ressources communautaires entraîne rapidement la naissance de regroupements sectoriels et intersectoriels qui agiront tant sur le plan national que régional. La concertation, de moins en moins conflictuelle,
48. M. D’Amours (1997). Op. cit., p. 40. 49. Ibid.
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sauf lorsqu’il est question du partage des ressources financières, devient la norme. Dans les faits, c’est toute la société civile qui se transforme et se structure autour de différents pôles d’intérêt. Les nouvelles pratiques des organisations populaires sont le résultat de divers facteurs. Sur le plan externe, la crise économique rend les conditions de vie plus difficiles, non seulement pour les salariés, mais surtout pour certains groupes sociaux, notamment les jeunes et les femmes. L’accroissement des besoins sociaux intensifie la pression sur les organisations communautaires qui sont confrontées à une augmentation de la demande, alors qu’elles connaissent déjà d’importantes difficultés de financement. Motivés par des considérations économiques dramatisées par le diktat de l’élimination du déficit des finances publiques, les politiciens et les technocrates vont élaborer un nouveau discours tout orienté vers la concertation et le partenariat avec les organismes, la prise en charge par le milieu, le communautaire, le bénévolat. Les difficultés des groupes sont aussi liées au contexte interne. Le financement accapare beaucoup d’énergie, ce qui entraîne une certaine technocratisation et une professionnalisation des groupes. Cette prise en charge par les permanences n’est pas sans effets négatifs sur la participation des membres. De plus, le phénomène du vieillissement touche maintenant plusieurs intervenants, et certains n’hésitent pas à parler d’usure et de fatigue professionnelle. Par ailleurs, la crainte d’une certaine conscription des groupes communautaires s’exprime et pose les prémisses de débats à venir50.
3.3. EXTENSION DES CHAMPS D’INTERVENTION : DU POLITIQUE À L’ÉCONOMIQUE L’incursion du mouvement communautaire dans le champ économique est sans doute le fait le plus marquant des années 1980. Ainsi, l’incapacité des groupes communautaires à pallier les problèmes causés par la crise économique, notamment dans le
50. H. Lamoureux (1987). « Les groupes populaires, un réseau essentiel : ils doivent refuser de se laisser conscrire dans une stratégie étatique de sous-traitance », Le Devoir, 8 janvier, p. B3.
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domaine de la création d’emplois, donne naissance aux corporations de développement économique communautaire (CDEC), tant à Montréal qu’en région. La croissance de l’intervention communautaire dans le secteur économique est l’un des phénomènes majeurs de cette décennie. La crise économique a provoqué une hausse très forte du taux de chômage. Devant les défis posés par le déclin socioéconomique de leurs communautés locales au bénéfice de la modernisation – développement du centre-ville, gentrification, exode rural –, les groupes à l’œuvre dans la sphère de l’économie sociale proposent une perspective nouvelle, du moins en action communautaire, qui consiste à ne pas séparer les problèmes économiques et les problèmes sociaux51. En fait, cette perspective n’est pas nouvelle, elle est plutôt réactualisée, mieux acceptée par certains acteurs sociaux qui en avaient négligé la pertinence. Selon certains, elle peut aussi traduire une vision plus économiciste des solutions à des problèmes sociaux qui sont le produit d’un système et non pas des dommages collatéraux acceptables52.
3.4. LA TRANSFORMATION DU MILITANTISME ET LA REDÉCOUVERTE DU BÉNÉVOLAT Dans un contexte général caractérisé par la montée du conservatisme ambiant, plusieurs n’ont pas manqué de prophétiser la mort du militantisme. Mais, loin de disparaître, la pratique militante s’est plutôt transformée : au lieu de l’engagement total, plusieurs visent maintenant une meilleure intégration de la vie personnelle et de l’engagement social. Mais, plus fondamentalement, c’est le rapport avec la sphère politique qui est modifié ; il ressort que l’action politique partisane n’est plus le seul lieu où l’intervention politique puisse se réaliser.
51. L. Favreau (1989). Mouvement populaire et intervention communautaire de 1960 à nos jours. Continuité et ruptures, Montréal, Centre de formation populaire et Éditions du Fleuve, p. 51. 52. H. Lamoureux (1999). Op. cit., p. 48-57.
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Par ailleurs, à l’occasion de la crise économique du début des années 1980 on « redécouvre » les mérites du bénévolat53. Il faut dire qu’au cours des années antérieures les organismes bénévoles, quoique très actifs, avaient été moins valorisés54. Il faut insister sur la vitalité et la diversité des organismes bénévoles qui œuvrent dans le champ social. Mais ce retour en force du bénévolat est différemment apprécié dans les milieux intéressés. Surtout préoccupé par la réduction des coûts des services publics, l’État encourage vivement l’utilisation des réseaux informels d’entraide qui, selon lui, ont souvent plus de potentiel que la pratique sociale professionnelle. Mais si l’action volontaire est sollicitée par l’État, dans le milieu syndical, par contre, elle est parfois considérée comme une menace pour les travailleurs qui qualifient les bénévoles de « voleurs de jobs » et qui s’inquiètent de la mise en place d’une « fonction publique parallèle55 ». Progressivement, l’ancienne méfiance des intervenants communautaires à l’égard de l’action volontaire s’atténue. Désormais, le partenariat et la concertation caractérisent toute une nouvelle génération de groupes communautaires actifs dans le développement économique local et les services sociosanitaires56. C’est notamment le cas de ceux qui sont soutenus financièrement par les régies régionales de la santé et des services sociaux dans le cadre du Programme de soutien aux organismes communautaires (SOC). De plus, nous avons assisté à un réel rapprochement entre les anciens groupes populaires, plus portés vers l’action revendicative, et les groupes plus orientés vers l’entraide et les services. Dominée par l’utilitarisme, la pensée moderne, estime Godbout57, a du mal à classifier et à interpréter ces activités non
53. A. Fortin (1994). « La famille, premier et ultime recours », dans F. Dumont, S. Langlois et Y. Martin (dir.), Traité des problèmes sociaux, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, p. 947-962. 54. J. Perron (1986). Administration sociale et services sociaux, Chicoutimi, Gaëtan Morin Éditeur, p. 235. 55. Coalition nationale des centrales syndicales (2000). Mémoire au ministre de la Solidarité sociale portant sur la Politique de reconnaissance à l’action communautaire, document réalisé par Henri Lamoureux et Marie Pelchat, Montréal, CSQ, 40 p. 56. P.R. Bélanger et B. Lévesque (1992). Op. cit., p. 728. 57. J.T. Godbout (1994). « La sphère du don entre étrangers : le bénévolat et l’entraide », dans F. Dumont, S. Langlois et Y. Martin (dir.), Traité des problèmes sociaux, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, p. 981-994.
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marchandes et non salariées que sont le bénévolat et l’entraide, dont la popularité n’a cessé de s’accroître au cours des dernières années. Le bénévole n’attend rien en retour du temps qu’il donne, ni équivalent pécuniaire ni salaire, contrairement à l’employé de l’entreprise privée ou de l’État. Ce qui ne veut pas dire cependant qu’il n’y a aucun retour ; le bénévolat n’est pas un sacrifice, les retours y sont au contraire nombreux ; mais ils ne sont pas pécuniaires, ni attendus comme tels. L’analyse de diverses expériences communautaires montre l’apport spécifique du bénévolat et de l’entraide dans la solution des problèmes sociaux. Par comparaison avec les institutions étatiques, les associations bénévoles, en raison de leur souplesse et de leur forte capacité d’adaptation et d’innovation, permettent une détection beaucoup plus précoce des problèmes sociaux, et ce, à des coûts moindres pour la société. De plus, le réseau bénévole met l’accent sur la qualité du lien avec la personne aidée. Un autre apport essentiel du bénévolat réside dans les gratifications qu’en retirent les bénévoles, qui retrouvent là souvent un sens à leur vie. Toutefois, et malgré ses nombreux avantages, le bénévolat, au cours de cette période, amorce un processus d’institutionnalisation qui va engendrer une nouvelle conception du bénévolat et un fonctionnement plus bureaucratique des organismes : division tayloriste du travail, hiérarchie des fonctions, conditions de travail de la direction de certains organismes58.
3.5. LA PRATIQUE SOCIALE EN CLSC Les changements ministériels fréquents au ministère de la Santé et des Services sociaux ont souvent occasionné des remises en cause du mandat des CLSC. De nombreux changements et réajustements sont survenus à la suite des rapports des commissions d’enquête qui ont été mises en place pour faire une évaluation du système et apporter des solutions. En 1985, le nouveau gouvernement libéral s’interroge, encore une fois, sur l’efficacité des CLSC. Il confie alors
58. B. Redjeb (1992). « Du bénévolat au néobénévolat », Nouvelles pratiques sociales, vol. 4, no 3, automne, p. 65.
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au comité Brunet la tâche de les évaluer. En 1987, le rapport Brunet recommande, d’une part, de recentrer davantage la mission des CLSC en préconisant des programmes moins nombreux mais plus solides et, d’autre part, de parachever le réseau. De plus, le nombre de CLSC devrait atteindre environ cent cinquante, comme à l’origine. Le rapport confirme donc le maintien définitif des CLSC dans le réseau59. Quant à l’action communautaire en CLSC, le rapport Brunet estime qu’elle vit une crise d’identité et il recommande que l’on privilégie dorénavant « les groupes à risques retenus par les CLSC » et qu’elle « ne se substitue pas aux divers agents de développement socioéconomique (création d’emplois, formation de coopérative, radio communautaire…60 ». L’orientation générale du rapport Brunet ne laisse planer aucun doute : l’organisation communautaire ne sera préservée que si elle accepte de mieux s’intégrer dans le cadre des programmes préétablis et de servir au contrôle des populations cibles, ce que certains dénonceront. En somme, l’organisation communautaire est dorénavant envisagée comme un soutien aux programmes en place, orientation que toutes les politiques ultérieures confirmeront61. Les problèmes que l’action communautaire en CLSC doit résoudre feront l’objet d’une analyse de la part de quelques auteurs. Hurtubise62, par exemple, admet que l’action communautaire, importante à l’origine de la création des CLSC, a connu au fil des ans une transformation radicale. L’auteur souligne ainsi que la nature du travail communautaire en CLSC pose des problèmes sur le plan de l’encadrement, du soutien et de l’évaluation. Faisant référence à une recherche menée auprès d’intervenants communautaires, Hurtubise63 décrit les risques d’isolement encourus par ces
59. L. Robert (1989). « Le partenariat entre le réseau institutionnel et la communauté : un paradigme à définir », Nouvelles pratiques sociales, vol. 2, no 1, p. 37-52. 60. Ministère de la Santé et des Services sociaux (1987). Rapport du comité de réflexion et d’analyse des services dispensés par les CLSC (rapport Brunet), Québec, Les Publications du Québec, p. 66. 61. L. Bozzini (1989). « Les Centres locaux de services communautaires (CLSC) : évaluation et perspective », Intervention, no 83, p. 4-16. 62. Y. Hurtubise (1989). « L’action communautaire en CLSC : problèmes et enjeux », Intervention, no 83, p. 51-57. 63. Y. Hurtubise (1991). Op. cit.
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derniers dans des équipes multidisciplinaires au sein desquelles ils ne peuvent pas toujours faire valoir leurs compétences. Il précise également que la formation professionnelle suivie par la plupart des intervenants sociaux ne suffit pas à les rendre aptes à relever les nouveaux défis. Depuis leur création, les CLSC ont donc traversé plusieurs périodes de crise et ils ont fini par trouver leur vocation : « l’animation sociale du début a cédé la place à une approche plus bureaucratique et professionnelle. Les programmes de maintien à domicile sont devenus leur marque de commerce et leur garantie de crédibilité64 ». Quant aux pratiques psychosociales proprement dites, plusieurs auteurs65 notent qu’il s’agit dorénavant d’une « intervention minimale », associée à l’approche à court terme qui s’applique à « des situations de crise ». Toutefois, au cours de cette période la Fédération des CLSC ne ménagera pas ses efforts pour favoriser un consensus à la base et gagner l’appui des gouvernements. La stratégie de la Fédération va viser à recentrer les activités en obtenant du Ministère des mandats précis. Ainsi, les CLSC se feront progressivement confier de nouveaux mandats, notamment dans le champ de la promotion de meilleures habitudes de vie et de la prévention : services à domicile, services de santé maternelle et infantile, services en milieu scolaire, services sociaux courants et services de santé mentale.
3.6. DES PRATIQUES PLURIELLES Les années 1980 sont marquées par une diversification des pratiques communautaires qui touchent plusieurs autres groupes sociaux ou communautés caractérisés par des identités particulières66. Loin
64. M. Renaud (1987). « De l’épidémiologie sociale à la sociologie de la prévention : 15 ans de recherche sur l’étiologie sociale de la maladie », Revue d’épidémiologie et de santé publique, no 35, p. 18. 65. R. Dion (1984). « La pratique sociale dans un CLSC », Intervention, no 68, p. 42-46 ; C. Larivière (1988). « Le discours sur la prise en charge par le milieu », dans J. Alary (dir.), Solidarités, Montréal, Boréal, p. 13-87. 66. R. Mathieu (1983). « Approche communautaire ou intervention communautaire », Revue canadienne de politique sociale, no 18, p. 122-132.
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d’occasionner le ralentissement de l’action communautaire, la crise économique et la montée du conservatisme social contribuent à son élargissement. Le mouvement féministe québécois, amorcé au début des années 1970 avec le Front de libération des femmes, prend son envol et finira par occuper une place de chef de file à l’échelle mondiale. C’est principalement entre les années 1980 et 1990 que se constituent un très grand nombre de groupes de femmes qui rayonnent partout au Québec. Les centres de femmes, les maisons d’hébergement, les centres d’aide et de lutte aux agressions à caractère sexuel (CALACS), les groupes d’intervention concernant le travail non traditionnel des femmes accordent une grande importance au service direct et personnel. C’est sur cette base très concrète qu’ils comptent réaliser la mobilisation des femmes dans des luttes majeures touchant entre autres la pauvreté, la violence conjugale et sociale et l’accès à des services d’interruption de grossesse. Leur dynamisme entraîne plusieurs autres groupes populaires et communautaires. Cette pratique d’organisation communautaire auprès des femmes permet l’identification de nouveaux problèmes et la mise en lumière de certains autres qui ont été occultés, ce qui conduit à de nouveaux projets. Motivé par la transformation des rapports sociaux entre les femmes, les hommes et la famille, le mouvement féministe des années 1980 s’attaque entre autres aux problèmes de violence conjugale, au viol, à la pornographie, à l’équité dans l’accès au travail. Il s’intéresse aussi à l’autonomie et aux questions spécifiques touchant la santé des femmes. De manière générale, on peut dire que la singularité du mouvement féministe a contribué au renouvellement des pratiques communautaires au Québec67. De plus, ce mouvement met en lumière l’importance de la participation des femmes au développement communautaire et suscite, par sa critique, une importante réflexion sur la place faite aux femmes à l’intérieur des mouvements sociaux. Les jeunes sont un autre groupe social particulièrement touché par les effets de la crise économique du début des années 1980. Ils doivent faire face aux problèmes d’insertion socioéconomique, problèmes que les organismes communautaires jeunesse
67. D. Fournier et L. Gagnon (1991). « Avec des femmes », dans L. Doucet et L. Favreau (dir.). Op. cit., p. 293-306.
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tentent de résoudre68. Les maisons des jeunes se multiplient partout au Québec et sont d’importants lieux d’animation et de socialisation pour les adolescents. Les Maisons d’hébergement jeunesse accueillent les jeunes adultes qui sont confrontés à des problèmes de logement, de travail ou d’alimentation. L’intervention dans ce milieu se veut souple, adaptée et proche des besoins des jeunes. Elle privilégie l’approche psychosociale. Il existe au Québec une cinquantaine d’organismes de réinsertion sociale et professionnelle visant les 16-30 ans, qui les aident par la formation et les appuient dans leur recherche d’emploi. À ce titre, la formule « clubs de recherche d’emploi » et l’approche une plus longue démarche de formation sont privilégiées. Le Regroupement autonome des jeunes, créé en 1983, se veut plus militant et revendique la parité de l’aide sociale pour les 1830 ans. À Montréal, la pratique communautaire s’étend aux groupes d’immigrants de diverses origines ethniques. Les nombreux organismes communautaires qui en sont issus visent l’entraide et la défense des droits des immigrants. Sur un autre registre, Parazelli69 souligne l’expérience de la Coalition des organismes communautaires du Québec (COCQ) qui, pendant plusieurs années (1985-1991), s’est avéré un lieu important de solidarité intersectorielle. Il importe également de signaler la croissance, durant les années 1980, des pratiques de coopération internationale, vouées à la justice sociale, à la paix et à la préservation de l’environnement.
3.7. MODÈLES ET DÉBATS Depuis quelques années, au Québec, beaucoup d’intervenantes et d’intervenants sociaux ou d’analystes utilisent, presque indifféremment, toute une série de termes qui, tout en étant apparentés,
68. J.-F. René (1991). « L’organisation communautaire avec des jeunes », dans L. Doucet et L. Favreau (dir.). Op. cit., p. 275-292. 69. M. Parazelli (1994). « La coalition des organismes communautaires du Québec (1985-1991) : d’une pratique démocratique à un mimétisme adhocratique », Nouvelles pratiques sociales, vol. 1, no 5, p. 111-130.
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demeurent bien distincts ; ces termes sont approche communautaire, organisation communautaire, développement communautaire et action communautaire. D’où la nécessité de tenter d’y voir un peu plus clair.
3.7.1. L’approche communautaire Devant le danger de l’effritement des pratiques communautaires en CLSC, où une bonne partie du personnel se confinait dans une pratique individuelle, certains ont préconisé une nouvelle façon de faire, appelée l’approche communautaire. Une formation à cette nouvelle approche a été appuyée tant par la Fédération des CLSC que par le ministère de la Santé et des Services sociaux70. Dans l’esprit des promoteurs de cette approche, l’action communautaire ne serait plus dorénavant la responsabilité exclusive des organisateurs communautaires, « mais ferait partie intégrante de la pratique clinique de tous les intervenants puisque la formation vise à transformer les services individuels, qui ne s’adressent qu’à la personne en difficulté, en services qui font appel aux ressources du réseau social71 ». L’origine du concept d’approche communautaire peut être attribuée au rapport Barclay (Grande-Bretagne) qui constate que les individus ont plus de potentiel, d’habileté et d’intérêt pour s’entraider que d’aucuns ne l’imaginent72. Les politiques sociales doivent alors viser à soutenir les réseaux informels d’entraide. Une telle conception de l’action communautaire se distingue assez nettement des pratiques militantes qui se sont développées dans certains CLSC. Par contre, elle favorise un rapprochement entre les CLSC et les pratiques d’entraide, de soutien communautaire et de bénévolat déjà présentes sur le plan local73. Au Québec, le modèle de
70. Ministère de la Santé et des Services sociaux (1990). Une réforme axée sur le citoyen, Marc-Yvan Côté, ministre, Québec, Les Publications du Québec. 71. J. Guay (2001). « L’intervention de réseau et l’approche milieu », dans F. Dufort (dir.), Agir au cœur des communautés. La psychologie communautaire et le changement social, Québec, Les Presses de l’Université Laval, p. 275. 72. J. Panet-Raymond et D. Bourque (1991). Partenariat ou pater-nariat ?, Montréal, Université de Montréal, École de service social, 175 p. 73. D. Bourque (1985). « L’approche communautaire en centre local de services communautaires : les enjeux en cause et les conditions requises », Service social, nos 2-3, p. 328-340.
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l’approche communautaire a notamment été repris par la Fédération des CLSC du Québec74. Toutefois, Gingras souligne que cette approche ne fait pas l’unanimité : « Pour certains, elle représente un outil privilégié pour remettre aux communautés la responsabilité de la satisfaction des besoins sociaux de leurs membres. D’autres sont d’avis qu’elle ne sert qu’à justifier le désengagement de l’État et, en conséquence, à diminuer les coûts imputés à son budget. D’autres, encore, affirment que les CLSC doivent l’adopter parce qu’elle constitue une proposition valable permettant aux pratiques professionnelles d’échapper au caractère bureaucratique et d’établir une relation de partenariat entre les groupes, les individus et les professionnels75. » Pour sa part, Doré76 va s’interroger pour savoir si désormais l’organisation communautaire ne s’est pas trop intégrée, au point d’en perdre sa spécificité. Par ailleurs, soulignons que l’approche communautaire va progressivement se transformer en approche milieu.
3.7.2. L’intervention en réseau et la prise en charge par le milieu Ce modèle d’intervention qui s’est progressivement élaboré au Québec au début des années 1980 se définit comme une solution de remplacement à l’institutionnalisation en maximisant l’apport du réseau primaire : famille, amis, voisinage. Selon certains, l’intervention en réseau participe à la recherche d’un modèle intégré dans la mesure où ce type d’approche se veut holistique en cherchant à intervenir tant sur le plan individuel que collectif77. L’intervention en réseau vise donc à mettre à contribution le milieu immédiat de la personne souffrante, aussi bien pour la définition des problèmes présentés que pour la recherche de solutions78. Elle réunit donc, en
74. Fédération des CLSC du Québec – FCLSC (1994). Pratiques d’action communautaire en CLSC, Québec. 75. P. Gingras (1991). Le traitement en première ligne des demandes individuelles d’aide en CLSC (selon une approche communautaire), Québec, FCLSCQ et Gouvernement du Québec, p. 187. 76. G. Doré (1992). Op. cit. 77. C. Brodeur et R. Rousseau (1984). L’intervention de réseaux, une pratique nouvelle, Montréal, France-Amérique, 222 p. ; J. Guay (2001). Op. cit. 78. L. Blanchet (1992). « Les pratiques de réseaux dans le domaine de la santé mentale », dans R. Tessier et Y. Tellier (dir.), Méthodes d’intervention du développement organisationnel, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, p. 425-444.
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un même temps et en un même lieu, l’individu et sa famille ainsi que les membres importants de son réseau social79. La collectivisation progressive de la définition du problème entraîne l’émergence d’une solidarité à l’égard de l’individu qui formule une demande d’aide. L’intervention en réseau se situe à la limite du communautaire et de l’institutionnel. Dans cette perspective, l’intervention, qui doit se dérouler le plus possible dans le milieu naturel de la personne, est à la fois de nature curative et préventive80. Il s’agit alors d’aider l’individu à prendre conscience de ses ressources tout en suscitant des rapprochements avec des personnes vivant des situations similaires (p. ex. groupes d’entraide, groupes communautaires). Ce type d’intervention tend à favoriser la prise en compte du rôle des bénévoles et des « aidants naturels » dans l’intervention sociale81. Doucet et Favreau82 ont d’ailleurs reproché aux organisateurs communautaires québécois d’avoir négligé les apports de l’intervention en réseau et des groupes d’entraide.
3.7.3. L’approche structurelle L’approche structurelle, formulée notamment par Maurice Moreau, repose sur la réflexion critique du travail social83 et vise à donner un maximum de services aux usagers, tout en les appuyant dans une démarche de transformation sociale. Cette approche lie les conditions de vie et de travail ainsi que les problèmes personnels et interpersonnels. L’approche structurelle84 prône l’importance de l’analyse critique, la polyvalence dans l’intervention et la nécessité
79. L. Blanchet et al. (1992). « Les pratiques de réseaux dans le domaine de la santé mentale », dans R. Tessier et Y. Tellier (dir.), Méthodes d’intervention du développement organisationnel, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, p. 425-444. 80. J. Beausoleil, M.-C. Guédon, C. Larivière et R. Mayer (sous la dir. de J. Alary) (1988). Solidarités : pratiques de recherche-action et de prise en charge par le milieu, Montréal, Boréal, 245 p. 81. J. Guay (dir.) (1987). Manuel québécois de psychologie communautaire, Montréal, Gaëtan Morin Éditeur ; J. Guay (1992). Thérapie brève et intervention de réseau : une approche intégrée, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal. 82. L. Doucet et L. Favreau (1991). Op. cit., p. 68. 83. P. Léonard (1975). « Towards a Paradigm for Radical Practice », dans R. Bailey et M. Brake, Radical Social Work, Londres, Edward Arnold, p. 46-61. 84. J. Lévesque et J. Panet-Raymond (1994). « L’évolution et la pertinence de l’approche structurelle dans le contexte actuel », Service social, vol. 43, no 3, p. 23-39.
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d’établir un rapport entre les problèmes individuels et collectifs. Dans cette perspective structurelle, il s’agit de favoriser le pouvoir de la personne dans ses divers rapports sociaux ; de contribuer à la matérialisation des problèmes sociaux, c’est-à-dire « faire le lien entre les conditions de vie existantes et le problème vécu » ; de favoriser la collectivisation des problèmes, soit éviter d’isoler et de blâmer les victimes ; et de promouvoir la défense des droits des individus et des collectivités. L’objectif principal visé par l’approche structurelle est de « réduire la distance sociale entre les individus, distance créée par les rapports de domination de classe, de sexe, de race ou d’ethnie, laquelle accentue l’inégalité sociale et engendre la violence85 ». En conséquence, cette approche souligne la nécessité d’établir un rapport d’égalité et d’« alliance stratégique » avec les personnes usagères des services sociaux. Dans une telle perspective, la responsabilité des problèmes sociaux n’appartient plus exclusivement aux individus, d’où l’accent mis sur une intervention qui intègre à la fois les dimensions de l’individu, de la famille, du groupe, de la communauté et des organisations. Pour l’intervenante ou l’intervenant communautaire cette approche intègre plusieurs principes fondamentaux de l’action communautaire et peut permettre de faire des rapprochements nécessaires avec les interventions individuelles qui s’avèrent de plus en plus importantes dans les organismes communautaires de services et de défense des droits.
4.
LES ANNÉES 1990 LA QUATRIÈME GÉNÉRATION : DE LA CONCERTATION ENTRE LES GROUPES AU PARTENARIAT AVEC L’ÉTAT 4.1. ÉLÉMENTS DE CONTEXTE L’intervention communautaire, peut-être plus que les autres modes d’intervention, doit constamment s’adapter à l’évolution de la
85. S. Lamont (1987). « L’approche structurelle en travail social : une action possible pour guider une pratique transformatrice », document miméo, 30 p., Montréal, Département de travail social, Université du Québec à Montréal, p. 3.
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conjoncture socioéconomique d’une société particulière. D’où la nécessité de signaler brièvement quelques éléments conjoncturels qui ont une incidence sur la pratique communautaire. Sans chercher à « réinventer la roue », soulignons que les diverses recherches entourant la publication de rapports gouvernementaux comme le rapport de la Commission d’enquête sur les services de santé et les services sociaux86 ainsi que celui de la Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux87 ont mis en lumière les divers changements, d’ordre démographique, socioéconomique, culturel et social, qui ont particulièrement affecté la pratique du travail social au Québec. Au cours des années 1990, le phénomène de la mondialisation apparaît comme une nouvelle réalité qui n’épargne aucun pays. Au Québec, cette période correspond à la décennie de redéfinition des rapports de l’action communautaire à l’État où se côtoient paradoxalement partenariat conflictuel et concertation. Le désengagement relatif de l’État amorcé précédemment devient effectif et les compressions budgétaires sont plus sévères. La décentralisation et la régionalisation ainsi que la lutte contre la pauvreté sont à l’ordre du jour. Sur le plan local, il apparaît que les problèmes sociaux se sont à la fois multipliés et aggravés, ce qui a affecté les communautés (appauvrissement, extension des quartiers populaires des villes, exode des forces vives des milieux, etc.). Par ailleurs, ces communautés doivent faire face à de nouveaux problèmes sociaux dont le principal élément est une augmentation sensible des problèmes liés au chômage, à l’immigration, à la pauvreté et à la délinquance88. Ainsi, au cours de la dernière décennie, la réalité des communautés locales s’est profondément modifiée, tant sur le plan interne – vieillissement et exode de la population, augmentation de la pauvreté – que sur le plan externe – plus grande influence de l’État,
86. Commission d’enquête sur la santé et les services sociaux (commission Rochon) (1988). Rapport de la Commission d’enquête sur les services de la santé et les services sociaux, Québec, Les Publications du Québec. 87. Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux (commission Clair) (2000). Rapport et recommandations. Les solutions émergentes, ministère de la Santé et des Services sociaux, 408 p. 88. L. Favreau et Y. Hurtubise (1993). Op. cit., p. 25.
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notamment par l’intermédiaire des CLSC, dans l’élaboration des « solutions » aux problèmes sociaux. Sur le plan socioéconomique, quatre phénomènes essentiels caractérisent l’évolution de la société québécoise : une importante récession économique, surtout au début de la période ; les transformations du marché du travail ; l’identification de nouveaux aspects de la pauvreté et d’importants changements démographiques et sociaux. Parmi les tendances socioéconomiques structurant les pratiques communautaires, on remarque plus particulièrement l’appauvrissement de la population qui, malgré un récent développement économique, demeure marquée par un taux de chômage structurel important. Ce problème est amplifié par l’inadéquation de mesures d’employabilité, de formation et de sécurité du revenu qui n’arrivent pas à répondre aux besoins d’une population pauvre plus diversifiée, souvent plus jeune et ne bénéficiant guère de réseaux naturels de soutien. Par ailleurs, le débordement des établissements publics comme les centres hospitaliers et les centres d’accueil fait naître un besoin de solutions nouvelles et plus efficaces. Cela entraîne la remise en question de pratiques institutionnelles en faveur de formules favorisant le maintien à domicile et l’utilisation des ressources communautaires. D’où l’appel des pouvoirs publics pour favoriser l’action des groupes communautaires.
4.2. DIVERSITÉ ET VITALITÉ DE L’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE EN CLSC ET DANS LES ORGANISMES COMMUNAUTAIRES La génération des organismes communautaires des années 1990 se démarque des précédentes par un effort de concertation et de partenariat avec les services publics. Le système de représentation politique dont s’est doté le milieu communautaire (regroupements locaux, régionaux, nationaux, multisectoriels, coalitions, etc.) favorise l’émergence de ce partenariat. Il permet que le milieu communautaire participe activement aux différents processus consultatifs mis en place au rythme des nombreuses réformes qui affectent la sphère de la santé et des services sociaux. La stratégie de front commun dans la prise en charge des problèmes sociaux engendre
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des concertations plus ou moins importantes dans la deuxième moitié des années 1990. Ainsi, certains événements constituent des étapes déterminantes dans l’établissement d’un nouveau rapport de force entre le milieu communautaire et l’État. La Marche des femmes contre la pauvreté, « Du pain et des roses », en 1995, a connu un succès retentissant et elle a rassemblé autour d’une cause commune les forces vives de la majorité des secteurs de l’action communautaire et de plusieurs mouvements sociaux. Ce fut l’occasion pour les femmes venues de tous les coins du Québec d’exposer leurs revendications de mères, d’épouses, de travailleuses et de citoyennes au grand jour. Cette marche a contribué, entre autres, à rendre le mouvement communautaire incontournable dans les grands débats publics. Le Sommet sur l’économie et l’emploi et plus tard le Sommet du Québec et de la jeunesse confirment l’importance d’une reconnaissance qui s’est longtemps fait attendre. La coalition syndicale-communautaire Solidarité populaire Québec (SPQ) a conduit, en 1994, à la publication de La Charte d’un Québec populaire qui définit les termes d’un projet commun de société. D’autres regroupements d’envergure nationale, comme la Coalition Solidarité Santé, mènent une lutte essentielle pour le maintien des services publics dans un secteur névralgique. Par ailleurs, la Table régionale des organismes volontaires d’éducation populaire (TROVEP), la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles (TRPOCB) et celle des organismes communautaires actifs dans les domaines de la santé et des services sociaux sont autant de lieux de concertation entre groupes et de représentation quotidienne auprès de l’État. En 1995, afin de démontrer sa bonne volonté dans le processus de reconnaissance des groupes communautaires, le gouvernement du Québec a créé le Secrétariat à l’action communautaire autonome du Québec (SACA). Le gouvernement a aussi doté ce dernier organisme d’un comité consultatif composé de représentants de différents secteurs d’action communautaire autonome. La création du SACA a été accompagnée de la mise sur pied, en 1995, du Fonds d’aide à l’action communautaire autonome. Toutefois, il faut admettre que la création de ce secrétariat continue de faire l’objet de controverses dans le milieu communautaire même si ce dernier a pour rôle de promouvoir l’action communautaire dont il veut être le porte-parole auprès de l’État.
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Au cours des années 1997 et 1998, le Conseil de la santé et du bien-être a entrepris une vaste consultation sur le développement social : 13 forums régionaux, 70 forums locaux et un forum national de trois jours en avril 1997 à Québec. Cette consultation a permis de constater un certain consensus sur les nombreux problèmes sociaux. De plus, les représentants des régions ont affirmé leur volonté de dépasser les débats théoriques afin de s’engager concrètement dans l’action. À l’aube de l’an 2000, les organismes communautaires sont devenus des acteurs incontournables dans le domaine de la santé et des services sociaux. Ils sont donc reconnus par les régies régionales de la santé et des services sociaux et par les nouveaux mécanismes de concertation89. Sur le plan local, le mouvement communautaire devient aussi un acteur engagé dans le développement des communautés de base, y apportant une vision autre du développement intégrant l’économique et le social. Exerçant de plus en plus des mandats de service public, bénéficiant d’une reconnaissance et d’un financement plus stable, les groupes communautaires doivent par ailleurs relever le défi qui consiste à préserver leur autonomie et leur identité originales, tout en participant à des structures et à des opérations de concertation90. L’organisation communautaire s’exerce désormais dans des lieux très diversifiés. Plusieurs organismes communautaires en favorisent la pratique sous ses diverses formes, aussi bien professionnelles et salariées que bénévoles et militantes. Les problèmes de pauvreté, de perte d’emplois et de sous-développement économique influencent de nombreux organismes communautaires. Ainsi, la pratique communautaire s’étend au dépannage alimentaire, à l’insertion des jeunes et des personnes handicapées sur le marché du travail. De nombreux groupes communautaires se sont aussi orientés vers le développement de l’employabilité. Selon certains analystes, le travail social que l’on réalise dans les organismes communautaires est fondamentalement différent de
89. L. Favreau et Y. Hurtubise (1993). Op. cit., p. 10. 90. J. Guay (1994). L’intervenant professionnel face à l’aide naturelle, Chicoutimi, Gaëtan Morin Éditeur ; H. Lamoureux (1994). Le partenariat à l’épreuve, Montréal, Éd. SaintMartin ; H. Lamoureux (1996). Op. cit. ; H. Lamoureux (1999). Op. cit.
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celui que l’on trouve dans les établissements publics. Ainsi, les tenants du modèle sociocommunautaire favorisent la solidarité dans les communautés de base. C’est effectivement à cette échelle que les gens sont à même de structurer un réseau d’entraide informel basé sur des liens concrets (parenté, voisinage, amitié, loisir, etc.) et sur le sentiment d’appartenance à la même communauté. Les praticiens considèrent que les interventions doivent viser à soutenir et à dynamiser les solidarités locales et les réseaux communautaires d’aide et d’entraide. Très variables en taille sous le mode du groupe d’entraide, du groupe bénévole ou du groupe communautaire, ces organismes associent le service aux personnes, la participation à des instances de concertation et de partenariat ainsi que l’action politique aux revendications. Les intervenants de ces organismes doivent pouvoir y assumer des tâches combinant à des degrés divers l’activité clinique ou le service personnel, la participation à la programmation des activités, l’élaboration de projets et l’action politique. Par ailleurs, on doit retenir que le champ du communautaire est loin d’être homogène ; c’est plutôt un secteur où se retrouvent des groupes variés. Dans l’ensemble des groupes communautaires, on remarque qu’il s’agit très majoritairement d’un milieu féminin. En CLSC le rôle de l’intervenante ou de l’intervenant communautaire comporte toujours « des dimensions de support technique aux groupes et organismes du milieu, d’aide à la mobilisation et à l’organisation au regard de nouveaux problèmes et besoins, parfois de développement de nouvelles ressources. À ce mandat plus spécifique des professionnels de l’organisation communautaire s’ajoute la participation des intervenants médicaux et sociaux à des équipes de projets-milieux, à travers l’approche communautaire91. » Par ailleurs, compte tenu des réformes des années 1990 dans les services de santé, les intervenants doivent de plus en plus assumer des mandats définis par des programmes régionaux de santé publique et des tâches de développement et de coordination de ressources et de tables de concertation. L’action de ces organismes et groupes s’exerce aussi par l’intermédiaire des regroupements locaux et régionaux qui, sur un
91. C. Mercier (2000). « L’organisation communautaire et le travail social », dans J.-P. Deslauriers et Y. Hurtubise (dir.), Introduction au travail social, Québec, Les Presses de l’Université Laval, p. 187.
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plan sectoriel ou intersectoriel, ont pour tâche de soutenir l’action de ces groupes (aide technique au fonctionnement, mise en commun de ressources, développement d’outils d’intervention et de formation), de les représenter auprès des instances gouvernementales. Les fonctions à ce niveau sont plus typiques de l’organisation communautaire classique, soit la coordination de ressources et d’activités, l’élaboration de programmes et la représentation92.
4.3. LES POLITIQUES SOCIALES 4.3.1. À l’échelon fédéral À l’échelon fédéral, les politiques sociales ont été sensiblement réorientées, transformées et revues à la baisse. Par exemple, au cours des années 1990, l’assurance-chômage est devenue l’assuranceemploi, malgré une vive opposition de l’ensemble des milieux syndicaux et communautaires, tant québécois que canadiens. Cette réforme majeure de l’un de nos plus importants programmes de sécurité sociale a rapporté plusieurs dizaines de milliards de dollars au trésor fédéral, au détriment des besoins des citoyens du Québec et du Canada. Elle s’est aussi caractérisée par une approche très punitive, inspirée de la stratégie dite du « workfare ». Cette stratégie pénalise les individus qui éprouvent de la difficulté à se trouver un emploi en les stigmatisant et en réduisant la durée et l’importance de leurs prestations. De plus, elle annonce une conception utilitariste du rôle des organismes communautaires, ceux-ci étant limités à la mise en œuvre de programmes d’employabilité, ce que plusieurs d’entre eux n’ont pas manqué de dénoncer par la suite. Le gouvernement fédéral a également réformé à la baisse le régime d’allocations versées aux personnes âgées et il a accentué son retrait des programmes de logement social. Ce faisant, il a ajouté à l’inquiétude des milieux les plus économiquement vulnérables et il a contribué à une détérioration de leurs conditions de vie. Ce désengagement fédéral unilatéral a sévèrement taxé les ressources des autres gouvernements, contribuant de cette manière à accentuer encore plus les effets de la pauvreté.
92. C. Mercier (2000). Op. cit.
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Le gouvernement fédéral s’est en outre servi abondamment du discours de la lutte contre le déficit pour réduire considérablement les paiements de transferts aux provinces. Concrètement, les compressions dans ce secteur ont entraîné une diminution de quelque 16,1 milliards de dollars, soit près du tiers (32,8 %), en l’espace d’à peine deux ans (1995 à 1997). Pour le Québec, par exemple, ces coupures dans les paiements de transferts ont provoqué un manque à gagner pour la même période d’environ 1,7 milliard, soit une diminution de plus de 48 %93. Le déséquilibre entre les revenus et les dépenses occasionné par ce brutal désinvestissement a également causé des problèmes sérieux sur le plan politique en faisant porter la grogne des citoyennes et des citoyens sur les gouvernements dispensateurs de services, c’est-à-dire le Québec et les autres provinces canadiennes94.
4.3.2. À l’échelon national Comme nous venons de le voir, il importe de souligner que les choix de l’État québécois sont largement influencés par ceux de l’État fédéral. Force nous est à cet égard de constater que le « pelletage » du déficit fédéral dans la cour des provinces vers la fin des années 1990 a entraîné de graves conséquences sur le plan des équilibres budgétaires, se répercutant sur les ministères et les municipalités. Par ailleurs, pour réduire les coûts des services, l’État québécois s’est alors engagé dans un important processus dit de rationalisation et de reconfiguration des services de santé et des services sociaux. Ces bouleversements ont, par la force des choses, eu un impact majeur sur les milieux communautaires. Examinons brièvement quelques-unes de ces réformes.
Les réformes du système sociosanitaire et le « virage communautaire » Ces réformes ont débuté en 1990 par la publication du livre blanc du ministre Côté qui déclare que la recherche d’une plus
93. Y. Vaillancourt (1997). « La reconfiguration des paiements de transferts fédéraux : quelques enjeux pour le Québec », Nouvelles pratiques sociales, vol. 10, no 2, p. 3. 94. J. Fournier (1998). « Santé et services sociaux : le vrai virage tarde à venir », Possibles, vol. 22, nos 3-4, p. 188-202.
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grande efficience du réseau doit être l’objectif de la nouvelle réforme sociosanitaire. Les intentions avouées du ministre laissent entendre que le citoyen sera désormais au centre du système puisqu’il est un consommateur-décideur. Le ministre Côté95 affirme alors que pour réussir il faut « modifier la dynamique même du système » et l’orienter vers la solution des problèmes à résoudre plutôt que vers les services à développer96. Cette réforme, affirme le ministre Côté, devait viser à orienter le système sociosanitaire vers des objectifs de résultats, à le décentraliser et à mieux contrôler les coûts. Dans l’ensemble, trois points ressortent de l’ensemble des propositions ministérielles : on veut d’abord procéder à une importante restructuration institutionnelle ; ensuite, on cherche à décentraliser et à régionaliser le réseau ; et, enfin, le pouvoir politique reconnaît les organismes communautaires comme des partenaires à condition qu’ils s’intègrent dans les priorités gouvernementales. Cette réforme implique un double déplacement des ressources. « D’abord, un déplacement du centre vers les régions et les communautés locales, ce qui appelle une véritable décentralisation et régionalisation ; ensuite, un déplacement des institutions plus lourdes et plus coûteuses vers les ressources plus légères et moins coûteuses comme les CLSC et les organismes communautaires…97 » Malgré ces limites, Vaillancourt estime que cette réforme a permis la reconnaissance des organismes communautaires et que, dans l’ensemble, elle représente un progrès par rapport aux réformes antérieures qui sont demeurées trop portées vers l’hospitalocentrisme et la médicalisation des problèmes sociaux. Cette réforme s’accompagne aussi d’un important discours gouvernemental sur la décentralisation et la régionalisation des services de santé et des services sociaux98. Toutefois, le milieu communautaire reste plutôt sceptique devant ces intentions. Par ailleurs,
95. Ministère de la Santé et des Services sociaux (1990). Op. cit. 96. Ibid., p. 80. 97. Y. Vaillancourt (1995). « Éléments de contextualisation historique du virage ambulatoire au Québec », dans D. Plamondon et al. (dir.), Au-delà de la tourmente, De nouvelles alliances à bâtir, Regroupement québécois des intervenantes et des intervenants en action communautaire (RQIIAC), p. 325-339. 98. J. Panet-Raymond (1994). « Les nouveaux rapports entre l’État et les organismes communautaires à l’ombre de la loi 120 », Nouvelles pratiques sociales, vol. 7, no 1, p. 79-95.
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au cours de cette période, l’action communautaire s’inscrit dans un contexte de transformation des politiques dans les domaines de l’aide sociale et de l’emploi. Ces réformes font largement appel « à la responsabilisation de la communauté99 ». Ainsi, après plusieurs tentatives avortées, la ministre de l’Emploi et de la Solidarité, Louise Harel, dépose finalement en 1997 un projet de loi de l’aide sociale qui favorise l’emploi et la solidarité en privilégiant la réinsertion des prestataires sur le marché du travail et en leur donnant des outils nouveaux pour faciliter leurs démarches de formation et de recherche d’emploi. Toutefois, selon plusieurs auteurs100, cette réforme de la sécurité du revenu s’est plutôt orientée vers l’obligation de travailler en accentuant l’idéologie de la responsabilité et des déficiences individuelles. C’est l’un des traits caractéristiques du discours néolibéral que d’oublier les causes structurelles pour ne s’en prendre qu’à la responsabilité des personnes. La réforme de 1992 a aussi reconnu le rôle des organismes communautaires en leur assurant notamment un financement plus stable et une intégration partielle au sein des régies régionales101. Toutefois, pour bénéficier des largesses de l’État, les organismes communautaires doivent accepter de s’inscrire à l’intérieur des programmes de services étatiques. Tout cela n’est pas sans risque de mettre en péril l’originalité des ressources communautaires. Plusieurs groupes communautaires disent craindre que le partenariat proposé soit forcé et que la complémentarité se transforme en intégration102. Pour plusieurs, cette reconnaissance apparaît plutôt comme une opération de type utilitaire et opportuniste. Ainsi, Claude Larivière souligne l’importance du changement d’attitude du pouvoir politique à l’égard des groupes communautaires : « Parent pauvre et rejeton négligé d’un système d’abord construit
99. M. Parazelli (1995). « L’action communautaire autonome : un projet collectif d’appro99. priation d’actes sociaux », Revue canadienne de service social, vol. 12, no 2, p. 211. 100. M.A. Deniger (1997). « Sept défis pour une réforme annoncée de la sécurité du revenu », Possibles, vol. 20, no 3, p. 107-123. 101. B. Redjeb (1994). « Du communautaire dans la réforme Côté : l’affirmation de la normativité des systèmes », Nouvelles pratiques sociales, Dossier « L’arrimage entre le communautaire et le secteur public », vol. 7, no 1, p. 95-109 ; S. Trottier (1991). « La réforme Côté et les organismes communautaires », Nouvelles pratiques sociales, vol. 4, no 1, p. 147-152. 102. L. Guay (1991). « Le choc des cultures », Nouvelles pratiques sociales, vol. 4, no 2, p. 43-58.
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autour d’une double logique étatique et institutionnelle, le secteur des ressources communautaires, jadis bénéficiaire des miettes qui restaient sur la table à la fin d’un repas, se voit maintenant invité à prendre part au buffet103. » Évidemment, ce changement d’attitude n’est pas l’effet du hasard. Si l’État se dit désireux de reconnaître le secteur communautaire, c’est qu’il s’y voit de plus en plus contraint « en raison de l’incapacité du secteur public de prendre en charge toute la gamme des besoins et des contraintes de coûts qu’engendrent ses interventions dans un contexte professionnalisé et bureaucratisé. Les interventions des ressources communautaires apparaissent comme une alternative moins coûteuse, plus souple, pour rejoindre certaines clientèles et plus appropriée pour répondre à leurs besoins104. » Quoi qu’il en soit, certains porte-parole du communautaire ont précisé que cette réforme « portait en elle une ambiguïté fondamentale en affirmant d’une part l’importance de l’autonomie du communautaire et en lui imposant paradoxalement, d’autre part, des modalités strictes de reconnaissance à travers une forme d’intégration au réseau institutionnel via une forme imposée de complémentarité ». Bref, ces réformes ont suscité une approbation prudente et critique chez les organismes communautaires.
Le virage ambulatoire Toujours motivé par la réduction des coûts du système, le ministère dirigé par Jean Rochon entreprend le virage ambulatoire et met en œuvre les moyens nécessaires pour éviter l’hospitalisation autant que possible105. Parallèlement à la diminution du nombre de lits, on oriente les ressources existantes vers des structures plus légères et moins coûteuses, par exemple les CLSC, les cliniques privées, les lignes d’information téléphonique comme Info-Santé106. Il faut aussi compter sur l’apport indispensable des ressources familiales, en majorité féminines107. Par ailleurs, les fermetures et les fusions de
103. C. Larivière (1996). « Les enjeux de la réforme des services de santé et des services sociaux au Québec », Revue canadienne de politique sociale, no 37, p. 54-62, p. 60. 104. Ibid. 105. R. Mayer et M. Goyette (2000). « Politiques sociales et pratiques sociales au Québec depuis 1960 », dans J.-P. Deslauriers et Y. Hurtubise (dir.), Introduction au travail social, Québec, Les Presses de l’Université Laval, p. 35-66. 106. M.-T. Lacourse (1998). Sociologie de la santé, Montréal, Chenelière–McGraw-Hill, p. 230. 107. Ibid., p. 232.
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plusieurs établissements, souvent réalisées sans véritable consultation par les régies régionales, « ont heurté de plein fouet plusieurs communautés locales qui se sont retrouvées devant le fait accompli108 ». D’où les accusations d’autoritarisme à l’égard des fonctionnaires et des dirigeants politiques formulées par des citoyens exaspérés et inquiets pour la qualité des soins et des services.
La Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux C’est en juin 2000 que la ministre de la Santé et des Services sociaux, Pauline Marois, a annoncé la création de la Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux. Cette commission présidée par l’ancien ministre Michel Clair doit se pencher sur l’avenir du système public de santé au Québec et plus particulièrement sur les enjeux concernant le financement du système et l’organisation des services. Six mois plus tard, le groupe de travail remet son rapport final. Le président de la Commission, Michel Clair, indique que son rapport est un appel à l’action afin de faire face, avec détermination et rapidité, aux nouveaux défis que doivent relever, à l’échelle mondiale, les divers systèmes sociosanitaires modernes. L’une des principales recommandations de la Commission concerne la mise en place d’équipes de médecine familiale composées de médecins et de quelques infirmières pratiquant une médecine de groupe. En ce qui concerne le rôle et la place des services sociaux, le rapport Clair plaide en faveur de la prévention et insiste sur l’importance des services psychosociaux en CLSC. Ce rapport réaffirme aussi l’importance de l’action en CLSC. Cela dit, le rapport ne clarifie pas suffisamment le rôle des organismes communautaires109.
Les réformes du ministre Trudel Peu de temps après sa nomination, en mai 2001, le ministre Rémy Trudel a présenté un projet de loi sur la « gouvernance » dans le réseau de la santé et des services sociaux qui a suscité de
108. M.-T. Lacourse, Op. cit., p. 238. 109. Y. Vaillancourt (2000). « Le rapport Clair… et la mondialisation », Nouvelles pratiques sociales, vol. 13, no 2, p. 1-13.
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nombreuses critiques. Selon plusieurs, ce projet de loi modifiant la Loi sur les services de santé et les services sociaux vient briser un consensus qui existait depuis trente ans à l’égard de l’administration de notre système public de santé et de services sociaux110. En effet, par cette loi, le ministre a voulu maintenir l’élection de représentants de la population aux conseils d’administration des établissements, mais d’autres volets pour l’avenir du réseau public de santé et de services sociaux ont soulevé beaucoup de résistance ; pensons à la transformation des régies régionales en succursales du Ministère et à la politisation de son administration par la nomination des membres des conseils d’administration par le gouvernement. Il y a aussi le fait que les pouvoirs accordés au ministre de procéder à des fusions forcées d’établissements annoncent possiblement la fin du réseau autonome des CLSC.
Impacts des réformes sur les pratiques communautaires Ces transformations ne seront pas sans effets sur les pratiques communautaires. Nous avons déjà souligné que les années 1990 sont caractérisées par une augmentation du chômage, de la pauvreté, par une crise des finances publiques, par la décentralisation de l’État au profit des régions, par la revalorisation du bénévolat et du partenariat. Ces transformations entraînent des conséquences significatives sur la pratique communautaire. Les organismes communautaires doivent faire face à une augmentation importante de la demande de services et à un alourdissement des problématiques. Selon certains, trois tendances majeures caractérisent l’évolution des années 1990 : d’abord une relative baisse d’intérêt à l’égard de certaines formes d’action sociale axées sur la défense des droits sociaux et l’éducation populaire ; ensuite, une intégration plus grande des pratiques des groupes communautaires dans une dynamique de développement de ressources ou de services ; et, enfin, la mise en œuvre d’expériences de partenariat, particulièrement dans le domaine du développement économique local111.
110. Sur ce sujet, la Coalition Solidarité Santé s’est largement exprimée tant lors de conférences de presse que par la publication régulière d’avis et de communiqués par voie de courriels. 111. L. Favreau et Y. Hurtubise (1993). Op. cit., p. 35.
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De plus, l’appel au partenariat avec les ressources communautaires qu’a entraîné la réforme fait en sorte que les organismes communautaires deviennent des acteurs significatifs auprès des régies régionales de la santé et des services sociaux. Ce virage communautaire est devenu une condition structurante de l’ensemble de la pratique sociale, aussi bien institutionnelle que communautaire112.
4.4. QUELQUES PRATIQUES 4.4.1. L’économie sociale et l’empowerment Les organismes communautaires des années 1990 continuent de mettre en avant de nouveaux modes d’intervention. L’organisation communautaire participe, même si c’est souvent de façon critique et avec une certaine méfiance, aux nouvelles pratiques de développement socioéconomique identifiées à l’économie sociale et au développement local, et ce, tant en milieu rural qu’en milieu urbain. La Marche des femmes, en juin 1995, a insufflé un souffle nouveau à l’économie sociale par la formulation de diverses revendications touchant notamment la mise en place d’« infrastructures communautaires » créatrices d’emplois. En réponse à cette demande, le gouvernement québécois a décidé, lors du Sommet sur l’économie et l’emploi d’octobre 1996, de mettre sur pied un groupe de travail sur l’économie sociale qui reçoit un financement assuré pour deux ans. La réflexion de ce groupe de travail se traduit par une définition de l’économie sociale marquée par les caractéristiques suivantes : 1) une finalité de services aux membres ou à la collectivité plutôt que la recherche du profit ; 2) l’autonomie de gestion par rapport à l’État ; 3) un processus de décision démocratique ; 4) la primauté des personnes et du travail sur le capital dans la répartition des bénéfices et 5) un fonctionnement qui fait appel à la participation des membres ainsi qu’à la prise en charge individuelle et collective113.
112. C. Mercier (2000). Op. cit. 113. Groupe de travail sur l’économie sociale (1996), Osons la solidarité ! Rapport du Groupe de travail sur l’économie sociale, Chantier de l’économie et de l’emploi (Sommet sur l’économie et l’emploi), Québec, p. 7.
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Pour plusieurs, l’économie sociale peut se définir comme une pratique de l’activité économique fondée sur des projets d’entreprises qui sont socialement utiles, valorisants pour celles et ceux qui y participent et en harmonie avec les valeurs qui fondent une société juste et démocratique. Concrètement, l’économie sociale peut s’actualiser par l’activité d’organismes communautaires qui rendent des services directs à la population (services et soins à domicile), par l’action économique des syndicats (Fonds de solidarité), par des types d’entreprises alternatifs comme les coopératives de travail ou, encore, par la concertation économique réalisée dans des organismes comme les corporations de développement économique communautaire. Vaillancourt et Ninacs114 soulignent la diversité des organismes dans la mouvance de l’économique sociale au Québec, à savoir : « 1) les ressources communautaires, coopératives, associatives (OSBL, etc.) qui dispensent des services ou qui, plus largement, exercent des activités dans le domaine de la santé et des services sociaux ; 2) les structures de soutien au développement des entreprises d’économie sociale dans les communautés locales ; 3) des organismes communautaires d’intégration ou d’insertion au travail, de formation de la main-d’œuvre, comme la cinquantaine d’organismes faisant partie du Regroupement québécois d’organismes communautaires de développement de l’employabilité115 ». Cet ensemble d’organismes peut sembler disparate, mais il se caractérisait par l’adhésion à la culture organisationnelle de l’économie sociale, laquelle présente les traits suivants : la volonté d’intervenir localement ; une approche fondée sur le territoire plutôt que par programme ou par clientèle ; des projets qui cherchent à concilier des objectifs sociaux et des objectifs économiques ; le partenariat entre les intervenants, la promotion d’un lien de solidarité entre le personnel et la « clientèle » ; la capacité de répondre rapidement à des situations particulières ; l’attrait pour des formes
114. Y. Vaillancourt et B. Lévesque (1996). « Économie sociale et reconfiguration de l’État-providence », Nouvelles pratiques sociales, vol. 19, no 1, p. 1-13 ; W.A. Ninacs (1996). Empowerment et service social : approches et enjeux, Service social, vol. 44, no 1, p. 60-93. 115. Y. Vaillancourt et B. Lévesque (1996). Op. cit, p. 4.
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d’organisation faisant appel à la participation des travailleurs et des citoyens116. Les organismes communautaires s’inscrivent aussi comme agents de développement local, fonction que remplissent notamment les corporations de développement communautaire (CDC) qui se sont multipliées sur l’ensemble du territoire québécois117. Les CDC sont des regroupements locaux formés exclusivement d’organismes communautaires qui partagent des ressources – locaux, photocopieurs, télécopieur, permanence – et qui élaborent des projets communs de développement local. Elles utilisent des approches intégrées combinant les dimensions économiques et sociales et mettent l’accent sur les besoins des personnes marginalisées à l’aide de stratégies de renforcement des milieux et des personnes (empowerment) qui font appel à la formation et à la mobilisation. Les organisateurs communautaires qu’on y retrouve jouent le rôle d’agents de développement communautaire, aidés en cela par l’adoption d’une nouvelle politique de développement régional118. En milieu urbain, les corporations de développement économique communautaire (CDEC) se sont donné plus spécifiquement comme mandat de travailler au développement des milieux appauvris119. Les CDEC sont formées d’organismes communautaires, de syndicats, de gens d’affaires et de représentants politiques (locaux et provinciaux) qui contribuent tous à la création d’emplois, au maintien des emplois et au développement de l’employabilité. Soulignons que ces nouvelles pratiques sociales disent favoriser l’empowerment. Ce terme anglais difficilement traduisible, que Mendel120 nomme « acte-pouvoir », désigne « le processus par lequel on s’approprie le pouvoir et la capacité de l’exercer121 ». On distingue trois formes d’empowerment plus ou moins reliées entre
116. Y. Vaillancourt et B. Lévesque (1996). Op. cit., p. 5. 117. L. Favreau (2000). « Le travail social au Québec (1960-2000) : 40 ans de transformation d’une profession », Nouvelles pratiques sociales, vol. 13, no 1, juin, p. 27-47. 118. Gouvernement du Québec (1998). Politique de soutien au développement local et régional (livre Blanc), Secrétariat au développement des régions, Québec, Les Publications du Québec. 119. C. Mercier (2000). Op. cit. 120. G. Mendel (1969). La crise des générations, Paris, Petite bibliothèque Payot, 264 p. 121. W.A. Ninacs (1996). Op. cit., p. 18.
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elles. Ainsi, le self-empowerment, ou développement de l’autonomie, vise l’élimination des barrières limitant le développement de la personne ; l’empowerment collectif tend à l’élimination des causes structurelles du sous-développement et de l’exclusion ; l’empowerment communautaire, enfin, postule qu’une véritable prise en charge passe par la responsabilité mutuelle et le respect de la dignité humaine122. Abordant ce sujet dans une perspective éthique, Henri Lamoureux propose « une éthique de sujets, fondée sur l’engagement librement consenti de personnes qui comprennent à des degrés divers que l’humanité de l’un est réductible à celle qui est reconnue aux autres ». Dans cette perspective, l’empowerment constitue un processus par lequel des individus et des collectivités développent la capacité d’exercer un réel pouvoir. Or, pour exercer un tel pouvoir, il faut : 1) être capable de choisir ; 2) être outillé pour prendre une décision ; et 3) être en mesure d’agir selon la décision. Toutefois, avant de pouvoir exercer un pouvoir sur le plan collectif, il faut d’abord pouvoir exercer ce pouvoir sur le plan individuel, et ce, en travaillant simultanément sur quatre composantes principales : la participation, la compétence technique, l’estime de soi et la conscience critique123. Ce processus amène les personnes à reprendre du contrôle sur leur vie et sur leur environnement124. Dans ce sens, le processus de l’empowerment est circulaire, c’est-à-dire que plus les individus ont le sentiment de posséder un certain pouvoir, plus leur participation dans la société sera source de changement social.
4.4.2. L’organisation communautaire en milieu rural L’organisation communautaire en milieu rural doit impérativement tenir compte des conséquences de la déstructuration de ces milieux. Ce milieu est loin d’être homogène. Ainsi plusieurs auteurs distinguent-ils divers types de territoires ruraux : milieu
122. H. Lamoureux (1996). Le citoyen responsable, Montréal, VLB éditeur, p. 26. 123. J. Rhéault (2000). Un processus d’éducation populaire dans le renouvellement des pratiques d’aide alimentaire des liens sociaux, Montréal,, Université de Montréal, École de service social. 124. C. Besson et J. Guay (2000). Profession travailleur social. Savoir évaluer, oser s’impliquer, Europe, Gaëtan Morin Éditeur, p. 226.
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productif, milieu sous pression urbaine, espace marginalisé en processus de désertification, espace marginalisé en régénération, etc. À des degrés divers, ces espaces souffrent de problèmes que l’on nomme sous plusieurs vocables : la désintégration, la déstructuration, la dévitalisation, etc. Ces problèmes proviennent, pour l’essentiel, d’un type de modernisation agricole axé sur l’augmentation sensible de la productivité et sur une spécialisation des exploitations et des territoires agricoles ainsi que de la concentration de l’appareil de transformation des produits agricoles souvent dans de grandes coopératives régionales intégrées. Les principaux éléments de cette dévitalisation des milieux ruraux sont connus : la déstructuration des économies traditionnelles régionale et locale et leur non-remplacement par de nouvelles activités engendrent une situation de sous-emploi ; l’exode des jeunes travailleurs et des jeunes diplômés ; l’affaiblissement de la capacité de renouvellement de la population ; la diminution et le vieillissement de la population ; la dégradation de l’environnement naturel et bâti ; le problème de la relève dans les entreprises agricoles, les commerces et les petites industries (abandon des fermes, terres en friche, absence de reboisement) ; la diminution du nombre et de la qualité des services ; la fermeture envisagée des écoles primaires et des autres services publics, par exemple les bureaux de poste ; la perte de confiance en l’économie et en l’avenir de la région ; la sclérose du leadership et de l’entrepreneuriat locaux ; l’instauration d’une mentalité de dépendance ; la démission politique à l’échelle locale et régionale (municipalités, MRC, etc.) ; la perte de combativité, l’abdication, la résignation125. Cette brève description correspond également au jugement porté par l’Union paysanne et montre que la situation rurale au Québec est préoccupante. Ce déclin rural est bien évidemment lié à des tendances lourdes dans nos sociétés. Par exemple, s’il fut un temps où l’agriculture définissait les contours de la ruralité, ce n’est plus le cas maintenant. Les exigences du modèle productiviste ont conduit à la réduction du nombre des exploitations et, par conséquent, à la réduction de la population agricole. De plus, par souci d’efficacité,
125. B. Vachon et F. Coallier (1993). Le développement local : théorie et pratique, Boucherville, Gaëtan Morin Éditeur.
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de performance et d’économie, les services publics (écoles, services de santé) ont été regroupés dans des centres régionaux, ce qui a contribué à l’appauvrissement des petites communautés126. Face à ce déclin, la population rurale n’a pas baissé les bras. Ainsi, en 1991, à l’invitation de l’Union des producteurs agricoles, les organisations rurales se sont réunies dans le cadre des États généraux du monde rural et ont formulé une déclaration dont voici quelques éléments : la valorisation de la personne ; la prise en charge, par le milieu, de son avenir ; le respect et la promotion des valeurs régionales et locales ; la concertation des partenaires locaux et régionaux ; la diversification de la base économique régionale ; la protection et la régénération des ressources ; le rééquilibrage des pouvoirs politiques du haut vers le bas ; la promotion de mesures alternatives pour un développement durable. À la suite de cette rencontre, un vaste mouvement national est né, Solidarité rurale, qui sera très actif tout au long de la décennie127.
4.4.3. L’approche milieu L’approche milieu est relativement récente au Québec. Elle se fonde sur un mode d’intervention « qui survient avant qu’il y ait une demande formelle de services, au moment où les difficultés de la personne n’en sont encore qu’au début et où les proches sont disponibles et capables de collaborer à la prise en charge128 ». À l’origine de ce modèle, il y a le sentiment d’impasse vécu par nombre d’intervenants du réseau public et par le fait que de nombreux organismes publics sont désormais « surchargés et débordés ». Selon les tenants de cette approche : « l’essoufflement du personnel des services publics est principalement dû au caractère réactif de la pratique traditionnelle, par opposition au caractère proactif de l’approche milieu129 ». Le but de cette approche est d’apporter du soutien aux citoyens et aux aidants naturels.
126. L. Doucet (1997). « Les modèles de Rothman : “Blue Chips” de l’organisation communautaire », Intervention, no 104, p. 7-15. 127. Ibid. 128. J. Guay (2001). Op. cit., p. 269. 129. Ibid., p. 268.
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Cette approche a été expérimentée dans certains CLSC, et ce, tant en milieu urbain (CLSC Haute-Ville à Québec) qu’en milieu semi-rural (CLSC des Pays-d’en-Haut dans les Laurentides). Il se dégage quelques caractéristiques essentielles. Dans cette démarche, il y a élargissement de la notion de client ainsi qu’une volonté d’associer le réseau social à la prise en charge des problèmes sociaux : « l’approche proactive consiste en une offre (de services) ouverte, qui n’est pas prédéterminée, faite aux proches plutôt qu’au client identifié. La prise en charge est assumée conjointement au lieu d’être endossée totalement par un professionnel spécialiste dont l’action se pratique en abstraction du milieu130. » Par ailleurs, l’analyse proactive est essentiellement généraliste autant pour la clientèle visée que pour les modes d’intervention proposés : « C’est la communauté, plutôt que les programmes du CLSC, qui détermine la place et l’importance des interventions spécialisées. » Par ailleurs, ce modèle favorise une intervention flexible, précoce et rapide. L’intervention se caractérise aussi par une bonne visibilité et par une grande accessibilité des praticiens, qui offrent leurs services avant même qu’ils soient sollicités. Dans cette perspective, une partie des interventions de services directs est remplacée par des activités de soutien à l’intention des proches et des aidants naturels. La prise en charge qui s’ensuit n’est plus de la seule responsabilité du praticien expert ; elle est partagée par l’ensemble des acteurs. De l’aveu même de ses promoteurs, l’approche milieu tente de se glisser entre diverses tendances : « Le point de départ de l’approche milieu n’est pas la communauté, comme c’est le cas pour l’organisation communautaire, mais la personne en difficulté à partir de laquelle on élargit la perspective en s’ouvrant sur son environnement social. À la différence de l’organisation communautaire, l’approche milieu n’a pas un objectif de développement communautaire, mais plutôt de connaissance des réseaux sociaux afin de pouvoir intervenir auprès des usagers avant qu’ils ne fassent une demande formelle d’aide131. »
130. J. Guay (2001). Op. cit., p. 283. 131. Ibid., p. 275.
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4.5. DÉBATS ET ENJEUX 4.5.1. La conceptualisation des pratiques communautaires Rothman a observé l’existence de trois modèles d’organisation communautaire aux États-Unis. Ces modèles intègrent un ensemble de variables qui affectent l’action : la finalité de l’action, la conception de la communauté et du problème, la stratégie de changement, le rôle de l’organisation communautaire, la nature de la population visée et les rapports entre elle et l’organisation communautaire132. L’action sociale, le planning social et le développement local communautaire résument ces trois modèles. La modélisation de Rothman a fait école et est fréquemment utilisée au Québec par la plupart des analystes. Cette réflexion a permis notamment de définir certaines tendances en matière d’intervention communautaire. Ainsi, les années 1990 ont confirmé les tendances des années précédentes pour des perspectives d’intervention s’appuyant généralement sur la recherche de consensus. En boutade, certains diront même que le consensus est la pierre d’angle du fonctionnement de la société québécoise, laquelle aurait tendance à fuir le conflit trop marqué. Par ailleurs, l’action sociopolitique constitue toujours une option qui s’exprime, tantôt par l’action directe, comme au sommet du G8 à Québec en 2001, tantôt par de grands événements comme la Marche mondiale des femmes. Elle se traduit aussi souvent par des stratégies de démarchage (lobby) auprès des décideurs. C’est le moyen qu’emploient le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté et l’organisme Au bas de l’échelle dans le cadre de sa lutte pour une réforme de la Loi sur les normes du travail. Enfin, l’engagement sociopolitique tend toujours à s’exprimer sous une forme partisane soit par le projet d’un relais politique progressiste qui porterait les revendications communautaires au plan électoral133, soit par la mise en place d’une confédération citoyenne qui réunirait l’ensemble des mouvements sociaux en un puissant regroupement national134.
132. C. Mercier (2000). Op. cit. 133. H. Lamoureux (1991). Op. cit., p. 99-126. 134. H. Lamoureux (2001). « L’aide alimentaire, un outil pour le développement d’une citoyenneté active », L’Action nationale, vol. XC1, no 8, Montréal, p. 35-47.
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Le modèle de développement local est illustré surtout par le développement économique communautaire. Qu’on songe aux corporations de développement économique communautaire (CDEC) ainsi qu’aux corporations de développement communautaire (CDC). Cela dit, la conceptualisation de Rothman ne pas fait l’unanimité. Ainsi, certains135 considèrent qu’elle est trop réductrice par rapport à la diversité et à la richesse des pratiques communautaires québécoises. Quant à nous, nous estimons que les pratiques concrètes d’intervention communautaire ne se réduisent pas à ces seuls modèles. En pratique il existe souvent des chevauchements de modèles.
4.5.2. Caractéristiques de l’action communautaire autonome Les différentes réformes des services sociosanitaires ont maintenu le financement des organismes communautaires, mais à la condition expresse et de plus en plus claire que ces derniers s’intègrent au réseau public des services de santé et des services sociaux. Ce qui a engendré un vif débat, tant parmi les intervenants que chez les chercheurs136, débat qui tourne notamment autour de la spécificité de l’action communautaire autonome137. La définition du communautaire demeure d’ailleurs toujours d’actualité et, comme elle porte toujours un peu à confusion, de nombreux chercheurs ont tenté d’en déterminer les caractéristiques propres. Ainsi, divers auteurs, en particulier certains qui sont directement liés à des réseaux d’organismes communautaires autonomes138, ont cherché à caractériser l’intervention qui se réalise dans le réseau communautaire. Ces auteurs s’entendent pour dire que ce qui différencie la philosophie d’intervention du communautaire de celle du réseau
135. G. Doré (1985). « L’organisation communautaire : définition et paradigme », Service social, vol. 34, nos 2-3, p. 215. 136. D. Lemieux et Y. Vaillancourt (1997). L’économie sociale et la transformation du réseau des services sociaux et de la santé : définitions, état de la situation et enjeux, Montréal, Cahiers du LAREPPS, no 97-03, Université du Québec à Montréal, 30 p. Note : Le Laboratoire de recherche sur les pratiques et les politiques sociales est sans doute l’un des principaux centres de recherche sur ces questions. 137. M. Parazelli (1995). Op. cit., p. 272. 138. Regroupement intersectoriel des organismes communautaires de Montréal (1998). Leur équilibre, notre déséquilibre, Montréal, RIOCM, 157 p.
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public c’est son accent mis sur la prévention, sa lecture de la situation des personnes à partir d’une approche globale qui considère la personne comme un tout au lieu de se centrer uniquement sur la personne que l’on découpe en différents problèmes. Cette approche vise à s’enraciner dans la communauté locale et à favoriser des rapports plus égalitaires, notamment entre intervenants et usagers. L’approche globale s’inspire également d’une analyse structurelle des problèmes vécus par les individus. C’est pourquoi cette approche comprend des interventions liées aux conditions socioéconomiques, aux actions de conscientisation, d’éducation et de mobilisation. Le mouvement communautaire veut ainsi dépasser la simple distribution de services et être un agent concret de développement social. De plus, l’approche communautaire s’oppose à la médicalisation et à la bureaucratisation de l’intervention. En somme, le communautaire ne fait plus peur. Il n’est plus perçu comme le lieu de toutes les contestations et le refuge d’une militance à portée subversive. Il fait désormais partie du paysage québécois et il montre une grande vitalité.
4.5.3. Les débats autour de l’économie sociale Le débat portant sur la nature de l’économie sociale peut se résumer de la façon suivante : « D’un côté, les critiques les plus acerbes : l’économie sociale serait une stratégie diabolique téléguidée depuis la Banque mondiale, un prétexte pour la dévolution des responsabilités de l’État, un bassin d’emplois à bon marché pour pallier les coupures de postes dans le secteur public, une passerelle d’insertion ne menant nulle part. De l’autre, les attentes les plus irréalistes : l’économie sociale serait la solution à la crise de l’emploi, le remède à l’exclusion, le tremplin pour un renouveau démocratique, le moyen de faire mieux avec moins139. » Nous pensons que la réalité se situe quelque part entre ces deux appréciations. Si elle peut être une occasion de réduire la responsabilité de l’État dans certains secteurs, comme le montre le débat portant sur l’aide domestique, dans les faits l’économie sociale est une idée qui n’est pas nouvelle et qui propose une vision démocratique du développement économique selon laquelle l’économie doit servir à hausser la qualité de
139. M. D’Amours (1997). Op. cit., p. 59.
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vie des collectivités et des personnes. L’économie sociale porte sur des activités économiques de production de biens et de services d’intérêt général. La confusion tient peut-être au fait que certaines personnes ont voulu y intégrer un peu n’importe quoi, notamment pour profiter des subsides rattachés à son développement. Plus largement, le développement économique communautaire (DEC) constitue une réponse, parmi d’autres, aux problèmes de pauvreté des communautés locales, tant en milieu rural qu’urbain. Dans ce cadre, l’économie sociale constitue un élément important de la reconfiguration du réseau sociosanitaire, parce qu’elle permet le transfert « de certaines activités autrefois plus ou moins prises en charge par le secteur public140 ». C’est le cas, par exemple, de certains services domestiques s’adressant à des personnes en perte d’autonomie et que les CLSC n’offrent plus, sauf très exceptionnellement. Il y a donc une place pour des projets d’économie dans ce secteur. Là ou le bât blesse, c’est lorsque l’offre de service des entreprises de l’économie sociale recoupe des activités dévolues au réseau public et effectuées par des travailleuses syndiquées. Pour l’État et les tenants du développement d’un tiers secteur qui serait le complément des ressources publiques ou privées, l’économie sociale touche surtout la création et le développement de services dits de proximité : gardiennage, services à domicile, entretien ménager, aide domestique, accompagnement, embellissement de quartiers, etc. Pour certains, l’économie sociale doit être autre chose qu’un projet de légitimation des petits boulots, alors que d’autres insistent sur le fait que l’économie dite sociale doit être un outil de transformation sociale et non un instrument de gestion de la misère humaine141. La plupart des analystes reconnaissent la pertinence de ces mises en garde. Plusieurs croient cependant qu’elles expriment un alarmisme exagéré. L’économie sociale (ou solidaire) est un champ d’intervention remis à la mode. Elle est associée à la réflexion sur la restructuration de l’État-providence ainsi que sur la pluralité des modes de protection sociale et de prise en charge des problèmes sociaux. Le débat autour de cette question est d’autant plus vif qu’il se fait
140. D. Fournier (1998). Op. cit., p. 194. 141. H. Lamoureux (1996). Op. cit.
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sous contraintes démographiques (vieillissement de la population), politiques (crise fiscale et de légitimité), sociales (transformation de la famille) et économiques (chômage et précarisation de l’emploi). Dans la perspective de l’économie sociale la pauvreté et l’exclusion sociale sont des problèmes centraux dans les sociétés modernes. Dans un tel contexte, il est impérieux de repenser les politiques sociales dites providentialistes, car elles ont engendré le plus souvent une solidarité étatique au détriment des rapports de sociabilité. Il faut aussi repenser la place dominante de l’économie marchande et du travail dans nos vies quotidiennes, car cette conception laisse de côté les dimensions, pourtant très présentes, du don, de la gratuité et de la réciprocité. Ainsi, entre l’économie marchande et l’économie étatique, l’économie sociale se présente comme « une troisième voie142 ». Le projet de l’économie sociale n’a pas été sans susciter des débats et des résistances. Par exemple, on craint que l’économie sociale soit l’occasion de remplacer les emplois syndiqués du secteur public par des emplois bénévoles et non syndiqués. On craint aussi qu’elle soit l’occasion de produire « un ghetto d’emplois mal payés, instables et précaires143 ». Mais les tenants de l’économie sociale réfutent ces critiques en disant que celle-ci va réussir à produire des emplois de qualité, durables et convenablement rémunérés. D’autres sont encore plus critiques, car ils estiment que le recours « quasi incantatoire » aux valeurs de proximité et de communauté locale nous ramène aux valeurs anciennes des sociétés traditionnelles144. Plusieurs des praticiens et des analystes admettent cependant que l’économie sociale appartient à un courant idéologique d’inspiration social-démocrate qui redéfinit le dispositif de l’action sociale autour des principes de subsidiarité, de flexibilité et de sélectivité. D’autres, par ailleurs, sont nettement méfiants et dénoncent fermement le discours sur l’économie sociale qui peut être associé
142. L. Groulx (1998). « Sens et usage de la recherche qualitative en travail social », dans J. Poupart, L. Groulx, R. Mayer, J.-P. Deslauriers, A. Laperrière, R. Mayer et A. Pires (dir.), La recherche qualitative : diversité des champs et des pratiques au Québec, Boucherville, Gaëtan Morin Éditeur, p. 21. 143. Ibid., p. 23. 144. Ibid., p. 26.
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à un néolibéralisme n’osant s’avouer. Une certaine critique féministe145, tout en admettant que l’économie sociale peut représenter un certain gain démocratique afin de contrer l’organisation tayloriste et bureaucratique du travail, n’en pense pas moins que l’économie sociale peut représenter certains dangers pour les femmes : la substitution aux services publics, une sous-valorisation du travail fourni par les femmes et un partage de la pauvreté plutôt qu’un partage de la richesse. De la même manière, la reconnaissance de l’économie sociale signifie pour d’autres l’étatisation du communautaire. Plusieurs croient que les projets d’économie ne visent essentiellement que les exclus de la société marchande et que, par conséquent, ils ne constituent pas une proposition générale de démocratisation du travail et de ses finalités. Par la valorisation de la sous-traitance, il y a risque que les emplois créés localement se substituent aux services habituellement livrés par l’État. D’autres, encore, craignent que la reconnaissance de l’économie sociale soit le prétexte recherché par l’État pour accentuer ses politiques de « workfare » et de coupures de l’aide sociale. Un peu dans le même esprit, certains estiment enfin que l’économie sociale constitue une sorte de « mirage démocratique » qu’il faut dénoncer car, dans les faits, il conduit les groupes communautaires à s’insérer dans la programmation étatique. Plutôt que de les voir comme des « mercenaires » de l’État, il vaut mieux favoriser l’autonomie et l’organisation démocratique des groupes communautaires146. À l’opposé, une autre tendance marquée suggère que l’économie sociale favorise une plus grande reconnaissance de l’apport des organismes communautaires. Celle-ci devrait entraîner une transformation des pratiques sociales en permettant le passage d’une perspective curative à une perspective préventive147. Par ailleurs, les tenants de ce courant estiment que l’économie sociale n’est pas synonyme d’économie de misère, qu’elle peut améliorer les rapports hommes-femmes et non pas conduire à des ghettos d’emplois féminins, comme certains le craignent. De plus, dans le contexte de
145. D. Lamoureux (1990). « Les services féministes. De l’autonomie à l’extension de l’État-providence », Nouvelles pratiques sociales, vol. 12, no 2, p. 33-43. 146. M. Parazelli et G. Tardif (1998). « Le mirage démocratique de l’économie sociale », dans L. Boivin et M. Fortier, L’économie sociale. L’avenir d’une illusion, Montréal, Fidès, p. 55-101. 147. Y. Vaillancourt (1996). Op. cit.
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crise de l’État-providence que nous connaissons, l’apport de l’économie sociale peut jouer un rôle non négligeable dans la modification de l’offre de services sociosanitaires. Enfin, l’économie sociale peut être source de création de nouveaux emplois. Toutefois, certains estiment que cette implication dans l’économie sociale ne doit pas se transformer en prosélytisme et que les intervenants communautaires doivent garder leur sens critique148.
Les rapports à l’État : de la concertation au partenariat Au cours des années 1990, les rapports des groupes communautaires à l’État se sont profondément transformés. Le concept de partenariat est au centre des grandes politiques gouvernementales concernant la gestion du système sociosanitaire149. L’État fait maintenant appel aux organismes communautaires, notamment dans les secteurs de la santé, des services sociaux et de la formation professionnelle, en les mettant à contribution à titre de partenaires150. Toutefois, ce nouveau discours suscite un certain scepticisme chez bon nombre de groupes communautaires qui soulignent que la concertation avec l’État exige beaucoup de temps et d’énergie, mais que les gains financiers et politiques sont plutôt minces. Plusieurs chercheurs151 soulèvent le fait que la coopération et la collaboration entre les organismes communautaires et l’État se révèlent très souvent un exercice parsemé d’embûches et d’écueils difficiles à surmonter. En général, leurs recherches indiquent que les organismes communautaires se sentent utilisés, encadrés et, à la limite, dirigés par le réseau public. Dans le secteur des services de santé et des services sociaux, les relations sont généralement davantage perçues comme des rapports de sous-traitance, de récupération et de subordination plutôt que comme des rapports de partenariat. De nombreux groupes communautaires refusent ce
148. 149. 150. 151.
J.-P. Deslauriers et Y. Hurtubise (1997). Op. cit. J. Lamoureux (1994). Le partenariat à l’épreuve, Montréal, Éd. Saint-Martin. P.R. Bélanger et B. Lévesque (1992). Op. cit. A. Dumais (1991). Les CLSC et les groupes communautaires en santé. Un aperçu de leur collaboration, Québec, Université Laval, Centre de recherche sur les services communautaires ; J. Panet-Raymond et Bourque (1991). Op. cit. ; S. Robichaud (1994). « Le bénévolat : un langage de cœur et de raison », Service social, vol. 43, no 2, p. 129-146.
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processus, considéré comme utilitariste et qui leur impose un rapport de subordination. Toutefois, et malgré les difficultés, certaines expériences de collaboration sont jugées positives et l’on peut en dégager certaines conditions de réussite. Selon les auteurs, divers facteurs sont déterminants pour l’établissement d’un réel partenariat. Les principaux facteurs sont les facteurs organisationnels, les facteurs professionnels et les facteurs humains. Par ailleurs, en s’inscrivant dans une démarche de partenariat qui leur permet de recevoir un financement plus stable et en se voyant sollicités pour de nouvelles fonctions, les organismes communautaires doivent nécessairement réfléchir à la délicate question de leurs rapports avec l’État152. Jusqu’où peuvent-ils s’investir dans des pratiques de remplacement ou de sous-traitance liées au désengagement étatique ? Le défi ultime de ces rapports consiste donc à garder un recul critique, à rester autonome et fidèle à une mission de changement social tout en laissant les portes ouvertes à une collaboration qui peut permettre d’avancer des façons alternatives de définir les situations et d’élaborer des solutions dans le respect des principes et des valeurs fondamentales de l’action communautaire153. Pour certains, le mouvement communautaire tend à participer à la communautarisation du social154 devenant plus institutionnel et plus formel. D’autres estiment qu’il contribue à gérer la pauvreté et à maintenir le contrôle social par délégation de l’État155. Malgré tout, de nombreux organismes communautaires se présentent encore comme des lieux privilégiés de médiation entre l’individu et la collectivité, comme des lieux d’apprentissage de la citoyenneté.
152. P. Hamel (1994). « L’action communautaire », dans F. Dumont, S. Langlois et Y. Martin (dir.), Traité des problèmes sociaux, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, p. 963-980. 153. H. Lamoureux (1990). Op. cit. 154. D. White (1994). « La gestion communautaire de l’exclusion », Lien social et politiques – RIAC, no 32, « Les formes de l’informel », p. 37-51. 155. J.-F. René, C. Lefebvre, M. Provost et J. Panet-Raymond (1999). « La difficile intégration des bénéficiaires de l’aide sociale au Québec », Lien social et politiques – RIAC, no 42, p. 109-118.
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4.5.5. Le financement et la démocratie dans les organisations Depuis toujours, le financement des groupes communautaires constitue la base de leur stabilité et de leur autonomie. Actuellement, les groupes sont aux prises avec une multiplication des contraintes liées aux démarches de financement. De plus, un grand nombre de groupes dépendent de subventions temporaires par projets, qui doivent être renouvelées chaque année. Cela augmente la charge de travail des intervenants, qui doivent constamment refaire les demandes de subventions, et engendre une insécurité qui nuit au développement et à la stabilité des organismes. Les conditions liées au financement compromettent aussi parfois la cohérence entre la mission de l’organisme et ses activités réelles156. Paradoxalement, l’aide financière gouvernementale peut susciter la bureaucratisation. L’un des facteurs critiques qui forcent actuellement la réflexion des intervenantes et des intervenants sociaux, tant en milieu communautaire autonome qu’en milieu institutionnel, touche la culture organisationnelle de ces milieux, la qualité de la vie démocratique dans les organisations communautaires. La bureaucratisation des services publics et des conditions de financement a créé des pressions sur la structure interne des organismes et même sur leurs services, sinon sur leur mission157. La lourdeur des appareils publics et des conditions de financement a souvent entraîné les organismes dans un mimétisme bureaucratique. Ainsi, une certaine tendance à la consolidation des permanences peut être observée dans les réseaux communautaires. La dynamique de la « coopération critique » introduit une certaine nécessité de permanence dans la gestion des dossiers, ce qui ne favorise pas, non plus, la rotations des cadres. Pour certains, les pratiques d’intervention communautaire se sont aujourd’hui fonctionnalisées. Ainsi, la démarche critique de l’éducation populaire tend à s’atténuer pour faire place à des pratiques éducatives fondées sur le développement de l’employabilité.
156. J.-F. René, D. Fournier et L. Gervais (1997). « Le mouvement communautaire au Québec à l’heure de la fragilisation des liens sociaux », Politiques sociales : la fin du travail, nos 3-4, p. 85-111. 157. N. Guberman, D. Fournier, J. Beeman et L. Gervais (1995). Regards sur la culture organisationnelle communautaire : deux études de cas, Montréal, Service aux collectivités, Université du Québec à Montréal, 75 p.
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De nombreuses recherches fournissent des informations précieuses sur les pratiques organisationnelles du travail dans les groupes communautaires, notamment ceux qui œuvrent auprès des femmes158. Selon ces recherches, ce qui caractérise les groupes communautaires, c’est le contrôle que les employées régulières exercent sur leur processus de travail. En plus de cette autonomie organisationnelle, « la réalisation de soi, la créativité, la mise en valeur de ses compétences et la reconnaissance professionnelle semblent faire partie intégrante de la vie organisationnelle des groupes étudiés ». Cette structure organisationnelle des groupes de femmes se caractérise par la cogestion et par l’importance de l’équipe de travail dans la prise de décision. Dans ces milieux, la dimension humaine dans le travail quotidien est valorisée. En dépit des conditions objectives difficiles, faible salaire, précarité, etc., cet humanisme vient donner un sens au travail professionnel et il est aussi une source de satisfaction personnelle. Dans cette vie d’équipe, on trouve aussi une valorisation en dehors du travail et des liens affectifs. En somme, tout cela explique la grande satisfaction du travail accompli exprimée par ces intervenantes et leur grande motivation à poursuivre leur action. Toutefois, il faut se garder de propager une vision un peu idyllique des groupes communautaires, car, du moins pour certains d’entre eux, nous savons qu’ils ne sont pas exempts de conflits internes.
4.5.6. Les enjeux éthiques La réflexion éthique concerne la finalité de l’action communautaire159. Il s’agit essentiellement de s’interroger sur le sens des pratiques communautaires, de tenter de mieux cerner les valeurs qui les guident. Une valeur est le point d’ancrage sur lequel s’appuie une intervention160. Dans les écrits sur l’intervention communautaire, les valeurs les plus fréquemment abordées sont les suivantes : la justice sociale, la solidarité, la démocratie, l’autonomie et le respect. Plus concrètement, on peut dire que sur le plan éthique la pratique
158. N. Guberman, D. Fournier, J. Beeman, L. Gervais et J. Lamoureux (1997). Innovations et contraintes des pratiques organisationnelles féministes, Montréal, Centre de formation populaire et Relais-Femmes, 76 p. 159. H. Lamoureux (1999). Op. cit. 160. J. Rhéault (2000). Op. cit.
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de l’organisation communautaire est orientée vers les perspectives suivantes : « la volonté et la capacité d’intervenir sur les problèmes sociaux collectifs vécus par les personnes appauvries économiquement, marginalisées socialement et culturellement ou discriminées politiquement ; l’analyse de ces problèmes en fonction, non pas d’une faiblesse des personnes qui les vivent, mais d’une distribution inégale du pouvoir – social, économique et politique – et dont les solutions passent par le renforcement du pouvoir des communautés, et des individus et finalement un parti pris pour la démocratie et l’autogestion des communautés161 ». Mais, au-delà d’une certaine spécificité dans le choix des valeurs, comme le fait de mettre l’accent sur une lecture critique des problèmes sociaux et de favoriser l’engagement social, on peut dire que les principes éthiques de l’organisation communautaire sont sensiblement les mêmes que ceux de l’ensemble de la profession du travail social162. À ce propos, il importe de rappeler que les pratiques communautaires ont toujours été des lieux importants de questionnement éthique. Par exemple, elles ont forcé certains débats, sur l’avortement, la violence sexuelle, la protection des consommateurs, le sort réservé aux personnes âgées, la responsabilité communautaire163. Certains notent que le modèle de l’État-providence est mis en doute au profit du discours sur la responsabilité individuelle, chacun étant responsable de son sort. Par son insistance sur l’individualisme et la responsabilité individuelle, le courant du libéralisme vient saper le travail de l’organisation communautaire qui, lui, met l’accent sur la participation et sur la prise en charge collective des problèmes sociaux164. Certains croient même que les milieux communautaires sont marqués par une acceptation de plus en plus grande de l’idéologie libérale. Par exemple, il est remarquable de constater que la charité et la compassion sont redevenues
161. C. Mercier (2000). Op. cit., p. 183. 162. Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec (1999). Les états généraux de la profession, document de travail, 13 p. 163. H. Lamoureux (1991). Op. cit. 164. J.-P. Deslauriers et Y. Hurtubise (1997). Op. cit.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
des valeurs refuges avec l’institutionnalisation des banques alimentaires, lesquelles reposent sur l’acceptation de la pauvreté et de la misère humaine comme un fait inéluctable165. Toutefois, et malgré les difficultés, certains groupes communautaires n’ont pas manqué de relever le défi, et ils ont élaboré leur propre code d’éthique en matière d’intervention sociale166. De plus, la perspective communautaire garde toute sa pertinence par l’accent mis sur l’égalité des chances et son opposition « à laisser les lois du marché dominer les relations sociales et les mécanismes de la solidarité ». En privilégiant la marchandisation du social et l’individualisation des problèmes sociaux, le courant néolibéral met l’organisation communautaire devant de nouveaux défis. C’est ce que nous allons explorer dans le chapitre suivant.
EN GUISE DE CONCLUSION Le panorama historique que nous venons de tracer met en évidence la capacité du milieu communautaire à innover afin de faire face aux problématiques sociales et d’expérimenter de nouvelles approches et pratiques d’intervention. Il permet en outre de constater que ce mouvement a suivi un certain cheminement. Les années 1960 s’inscrivent dans une approche de groupes de pression et de luttes d’intérêts, alors que les luttes des années 1970 sont marquées au coin de la lutte des classes et du changement social structurel. Durant les années 1980, on s’intéresse davantage aux pratiques d’action volontaire et de développement socioéconomique. Enfin, avec les années 1990, les pratiques de concertation et de partenariat deviennent de plus en plus présentes. Cela permet de constater que le mouvement communautaire d’aujourd’hui est en continuité avec les différentes générations d’organismes précédentes. Ainsi, les organismes d’entraide, par exemple les clubs sociaux, existent toujours et répondent à des problèmes contemporains.
165. H. Lamoureux (1996). Op. cit. 166. C. Messier (2001). « Soutenir les parents pour le mieux-être des enfants », dans H. Dorvil et R. Mayer (dir.), Problèmes sociaux. Tome 2 : Études de cas et interventions sociales, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, p. 533-560.
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En ce qui regarde les stratégies d’intervention, il est possible de dégager, à la suite de plusieurs auteurs, trois « modèles » principaux. Il s’agit de l’action sociale, du planning social et du développement local ou communautaire. Toutefois, dans une perspective dynamique, il est possible de constater que ces stratégies peuvent être associées à des périodes différentes dans le temps. Par exemple, on constate, dans les années 1960, la prédominance de la stratégie d’action sociale avec l’émergence des comités de citoyens qui ont revendiqué des centres de santé et des centres communautaires dans les quartiers populaires, ce qui a amené par la suite la mise en place des CLSC. Ces mêmes CLSC vont évoluer progressivement, et presque naturellement, vers le planning social. Après les difficultés économiques des années 1980, on va voir que la jonction entre groupes populaires et intervenants de CLSC sera très souvent à l’origine de pratiques de développement local de type communautaire. Par ailleurs, le champ communautaire a pris au cours des dernières années une extension telle qu’on y retrouve aussi bien les groupes et organismes dits de pratiques alternatives que ceux plus classiques de l’action bénévole et de l’entraide. En somme, il ressort que les organismes communautaires ont fourni un apport appréciable à l’évolution de la société québécoise au cours des dernières décennies. Ils ont, en effet, incontestablement contribué à réaliser l’éveil des consciences, à faire évoluer les idées et à remettre en question les institutions qui ne répondaient plus aux besoins de la population. Mais, surtout, ils ont permis à tous ceux qui étaient traditionnellement marginalisés de prendre la parole et de signifier à la classe dirigeante qu’elle devait désormais compter avec eux.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE BÉLANGER, P.R. et B. LÉVESQUE (1992). « Le mouvement populaire et communautaire : de la revendication au partenariat (1963-1992) », dans G. Daigle et G. Rocher, Le Québec en jeu : comprendre les grands défis, Montréal, PUM, p. 713-748. BOIVIN, R. (1988). Histoire de la clinique des citoyens de Saint-Jacques (1968-1988). Des comités de citoyens au CLSC du plateau MontRoyal, Montréal, VLB, 258 p.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
CLAGUE, M. et B. WHARF (dir.) (1997). Community Organization : Canadian Experiences, Toronto, Oxford University Press, 337 p. CÔTÉ, C. et Y. HARNOIS (1978). L’animation sociale au Québec : sources, apports et limites, Montréal, Éd. Saint-Martin, 419 p. DESLAURIERS, J.-P. et H. POULIOT (1982). Les groupes populaires à Sherbrooke : pratique, financement et structure, Sherbrooke, Département de service social, Université de Sherbrooke, 90 p. DESLAURIERS, J.-P. et Y. HURTUBISE (dir.) (2000). Introduction au travail social, Québec, Presses de l’Université Laval, 426 p. DÉSY, M., M. FERLAND, B. LÉVESQUE et Y. VAILLANCOURT (1980). La conjoncture au Québec au début des années 1980 : les enjeux pour le mouvement ouvrier et populaire, Rimouski, La Librairie socialiste de l’Est du Québec, février, 200 p. DORÉ, G. (1985). « L’organisation communautaire : définition et paradigme », Service social, vol. 34, no 2-3, p. 210-231. FAVREAU, L. (1989). Mouvement populaire et intervention communautaire (1960-1988) : continuités et ruptures, Montréal, Éd. du Fleuve/CFP, 314 p. FAVREAU, L. et B. LÉVESQUE (1996). Déveloloppement économique communautaire, économie sociale et intervention, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 230 p. HAMEL, P. et J.-F. LÉONARD (1981). Les organisations populaires, l’État et la démocratie, Montréal, Nouvelle Optique, 210 p. McGRAW, D. (1978). Le développement des groupes populaires à Montréal, Montréal, Éd. Saint-Martin, 185 p. MAYER, R. (1994). « Évolution des pratiques communautaires au Québec », Revue canadienne de service social, vol. 11, no 2, p. 238-260. RENÉ, J.-F., D. FOURNIER, M. DUVAL et S. GARON (2001). Les organismes communautaires au Québec : des pratiques à la croisée des chemins, Montréal, Centre de formation populaire et Relais-femmes, 211 p.
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CHAPITRE 1 ◆ L’ÉVOLUTION DES PRATIQUES COMMUNAUTAIRES AU QUÉBEC
ANNEXE I ÉVOLUTION DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE AVANT
LES ANNÉES
1960
Sans entrer dans une histoire trop détaillée de l’action communautaire au Québec, il nous faut en rappeler brièvement quelques éléments principaux. À ce propos, Médard (1969) a bien montré qu’avec la révolution industrielle et l’urbanisation accélérée les institutions traditionnelles d’assistance à caractère local et bénévole se sont trouvées débordées et on a assisté vers la fin du XIXe siècle à une mise sur pied peu cohérente d’œuvres philanthropiques diverses. Cette période constitue le début du travail social. À ce propos, deux mouvements importants doivent être signalés : d’une part, le mouvement de l’organisation de la charité (« Charity Organization Society » : COS) et, d’autre part, le mouvement des settlements. Globalement, on peut dire que le premier mouvement (COS) est à l’origine du casework (travail social de cas), alors que le mouvement des settlements constitue l’ancêtre de l’organisation communautaire. Pour sa part, Blondin (1965) a tracé à grands traits l’évolution de l’organisation communautaire en milieu urbain aux États-Unis. Il illustre très bien le passage des premiers settlements (1880-1920) aux Community Centers (CC) (1920-1950) pour finalement déboucher sur les Neighbourhood Councils (1950-1960), c’est-à-dire les comités de citoyens. La première étape, c’est la création d’abord en Angleterre et ensuite aux États-Unis, entre 1880 et 1910, de tout un réseau de university settlements. Ce sont des résidences sociales situées en milieu ouvrier où viennent s’installer de jeunes universitaires désireux de soulager la misère. Ils participent à des luttes et exigent certaines réformes. Dans cette perspective, le mouvement des settlements va surtout s’occuper des conditions collectives de l’oppression, et pas seulement des dimensions individuelles et psychologiques de la pauvreté (Castel, 1978, p. 10). C’est la recherche de reconstruction du tissu social qui caractérise le settlement ; son ambition est de reconstruire la communauté détruite par la grande ville. Ainsi, il s’agit de mobiliser les forces de la communauté, d’organiser le quartier de façon à améliorer les standards de vie morale et matérielle et de susciter le self-help. En général, et contrairement
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
aux COS, les settlements n’offraient pas de secours financiers, mais plutôt divers services communautaires susceptibles de favoriser et de faciliter l’intégration sociale. Au Canada, les settlements ont surtout été implantés, vers 1920, dans les quartiers anglophones de Montréal et de Toronto. De plus, une évolution similaire a été vécue en Europe, notamment avec le mouvement des maisons sociales en France. Mais le mouvement des settlements comporte aussi certaines limites, comme l’ont souligné plusieurs auteurs (Médard, 1969 ; Meister, 1969 ; Castel, 1978). Ainsi, même si les services offerts par les settlements sont orientés vers la communauté dans son ensemble, ils s’adressent plus spécifiquement aux minorités sociales (jeunes, femmes, etc.) et aux minorités immigrantes. Concrètement, le mouvement des settlements rejoint peu les ouvriers ainsi que les militants syndicaux ou autres. Par ailleurs, il importe de se rappeler que, à ses débuts tout au moins, une bonne partie de l’action en service social était nettement d’orientation « communautaire » et même, en certains milieux, d’orientation « politique » (ex. : les divers mouvements de réforme). Toutefois, à la fin de la Première Guerre mondiale, nous assistons à une perte d’influence de l’orientation communautaire en service social qui s’est poursuivie jusqu’au début des années 1960. Comment expliquer un tel changement, une telle dominance de l’individuel et du psychologique ? Diverses explications ont été avancées. D’abord la fin de la première grande guerre venait ébranler la philosophie sociale qui prévalait jusqu’alors, de telle sorte que les pressions en faveur de réformes sociales étaient jugées inopportunes et même politiquement dangereuses. Ensuite, avec l’arrivée du « déluge psychiatrique », le travail social était débarrassé pour longtemps « de la tentation d’imputer aux conditions sociales et politiques la responsabilité de la genèse de la misère » (Castel, 1978). La transformation, vers 1920, des settlements en Community Centers marque une deuxième phase du développement des organisations communautaires. Les Community Centers peuvent se définir comme des instruments d’intégration des immigrants, des ruraux et, à un moindre degré, des marginaux à la société ambiante. Les activités offertes couvraient deux champs principaux, à savoir : les loisirs pour les jeunes ; les activités culturelles
CHAPITRE 1 ◆ L’ÉVOLUTION DES PRATIQUES COMMUNAUTAIRES AU QUÉBEC
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et sociales plus ou moins apparentées à l’éducation des adultes. Mais aussi sincère que soit ce désir d’instaurer une démocratie locale, le CC va progressivement devenir une institution psychologiquement extérieure au quartier, dominée essentiellement par les hommes d’affaires et les professionnels (Blondin, 1965). Avec la formation des comités de citoyens nous arrivons à une troisième étape. Il s’agissait de regroupements de citoyens qui visaient à améliorer la situation de leur quartier. C’était une façon de concrétiser ce désir de démocratie locale que l’on a noté plus haut. Aux États-Unis c’est la période américaine de « guerre à la pauvreté » et de grandes campagnes furent lancées contre la discrimination raciale, les taudis qui affligeaient les vieux quartiers des principales villes, le chômage, l’analphabétisme et le manque de formation à l’emploi. Mais Piven et Cloward (1971) ont montré que tous ces efforts visaient essentiellement à l’intégration forcée dans le marché de la main-d’œuvre et au contrôle social de couches sociales marginalisées promptes à manifester leur colère lors de plusieurs émeutes urbaines (Castel, 1978). Au Québec, on doit souligner le rôle particulièrement important, vers le milieu des années 1940, de certains mouvements d’action catholique, comme la Jeunesse ouvrière catholique (JOC) ou encore la Ligue ouvrière catholique (LOC) qui s’adresse surtout aux adultes dans le développement des pratiques communautaires (Doucet et Favreau, 1991, p. 74). Par exemple, Collin (1987, 1993) a montré comment la LOC a contribué à l’organisation des premières coopératives d’habitation, dans les principales villes du Québec à cette époque. De même, Piché (1999) a souligné que le mouvement de la Jeunesse ouvrière catholique féminine (JOCF) a constitué un lieu dynamique de formation à l’action communautaire pour des centaines de jeunes filles des milieux ouvriers québécois. Finalement, Côté et Maurice (1999) ont insisté sur le fait que l’action sociale de l’époque comportait une dimension communautaire importante, et ce, bien avant la Révolution tranquille des années 1960. L’analyse de l’action sociale de trois pionnières est exemplaire à ce propos, il s’agit de Marie Gérin-Lajoie (1880-1971) qui va assumer un rôle de premier plan dans la formation en travail social ; de Thérèse Casgrain (1896-1981) qui va donner ses lettres de noblesse à l’action politique dans le domaine social et, finalement, de Simone Chartrand (1919-1993) qui développa une pratique engagée dans le domaine du bénévolat social.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES BLONDIN, M. (1965). « L’animation sociale en milieu urbain : une solution ». Recherches sociographiques, Québec, vol. 6, no 3, p. 283-304. CASTEL, R. (1978). « La guerre à la pauvreté aux États-Unis : le statut de la misère dans une société d’abondance. » Actes de la recherche en sciences sociales, Paris, no 19, p. 47-60. COLLIN, J.-P. (1987). « Crise du logement et action catholique à Montréal, 1940-1960 », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 41, no 2, p. 179-203. COLLIN, J.-P. (1993). « La Ligue ouvrière catholique et l’organisation communautaire dans le Québec urbain des années 1940 », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 47, no 2, p. 163-191. CÔTÉ, D. et M.-P. MAURICE (1999). « L’organisation communautaire avant la Révolution tranquille : portraits de trois précurseurs », Intervention, no 110, p. 38-52. DOUCET, L. et L. FAVREAU (sous la direction de) (1991). Théorie et pratiques en organisation communautaire, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 486 p. MÉDARD, J.-F. (1969). Communauté locale et organisation communautaire aux États-Unis, Paris, A. Colin, 315 p. MEISTER, A. (1969). Participation, animation et développement à partir d’une étude rurale en Argentine, Paris, Éditions Anthropos, 382 p. PICHÉ, L. (1999). « La jeunesse ouvrière catholique féminine, un lieu de formation sociale et d’action communautaire, 1931-1966 », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 52, p. 481-506. PIVEN, F. et R.A. CLOWARD (1971). Regulating the Poor : The Functions of Public Welfare, New York, Vintage Books, 347 p.
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CHAPITRE 1 ◆ L’ÉVOLUTION DES PRATIQUES COMMUNAUTAIRES AU QUÉBEC
ANNEXE II TABLEAUX-SYNTHÈSES DE L’ÉVOLUTION DES PRATIQUES D’ACTION COMMUNAUTAIRE AVANT LES ANNÉES
19601
Conjoncture
Action communautaire
Intervenantes et intervenants communautaires
A 1900-1929 – Développement
A Naissance de la profession de
A Selon une inspiration
A
A
A A
A A
A
du capitalisme industriel et urbanisation accélérée. 1929-1939 – Période de « crise » du capitalisme et augmentation des problèmes sociaux (pauvreté, chômage, etc.). Mise sur pied des mesures de secours direct. Warfare (Deuxième Guerre mondiale 1939-1945 et Guerre de Corée) et Welfare (Développement de l’Étatprovidence). Au Québec : règne de l’Union nationale et de Duplessis (1944-1960). De 1930 à 1945 – Idéologie de conservation : transmettre l’héritage (religion catholique, la langue française, notre maître le passé). De 1946 à 1960 – Idéologie de rattrapage : nous sommes en retard à cause de notre conservatisme et de notre messianisme, il faut commencer à changer.
A
A
A
A
A A A A
1.
service social (Europe, ÉtatsUnis, Canada anglais). Naissance et développement des settlements (Angleterre, États-Unis, Canada anglais) et des résidences sociales (France). « Un settlement est une institution où des jeunes universitaires de classes aisées (upper) » viennent s’installer dans les quartiers pauvres des grandes villes « afin de connaître par observation directe les conditions de la vie locale et aider la population à s’organiser » (Meister, 1972). Pour ce faire, ils développent divers types de services : loisirs, éducation populaire, entraide, etc. Développement d’un important réseau de services sociaux diocésains à l’intérieur duquel vont naître des pratiques d’organisation communautaire. Coordination des services institutionnels et communautaires via les Conseils d’œuvres et les Caritas. Forte présence des mouvements d’action catholique : Ligue ouvrière catholique (LOC), Jeunesse ouvrière catholique (JOC), Jeunesse étudiante catholique (JEC), etc. Mouvements de jeunes : scouts, guides. Mouvements de loisirs. Mouvements syndical et coopératif. Mouvements d’action culturelle : Refus global, Cité-Libre, Liberté, Institut canadien d’éducation des adultes (ICEA).
A
A
A
A
A
A
humaniste et réformiste, ils veulent vivre parmi les pauvres afin de susciter une prise de conscience et une mobilisation collective. Plutôt que des secours financiers individuels, ils favorisent la réalisation d’études de milieu ainsi que le développement de services communautaires. Le mouvement des settlements est à l’origine du groupwork et de l’organisation communautaire. 1930 à 1945 – Intervenant traditionnaliste : idéologie religieuse et défense des droits acquis. Intervention familiale et communautaire des Sœurs du Bon Conseil (cf. Marie GérinLajoie). Mise au point d’une méthodologie particulière d’intervention des mouvements d’action catholique : voir-juger-agir. 1946 à 1960 – L’intervenant comme agent de changement : idéologie et humaniste
Ce tableau s’appuie sur des synthèses similaires effectuées par divers collègues (J. Panet-Raymond, 1990 ; H. Lamoureux, 1989 ; Vie ouvrière, 1980 ; P. Hamel et J.-F. Léonard, 1978 ; D. Fournier, 1986 ; M. D’Amours, 1997).
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
ANNEXE II (SUITE) LES ANNÉES 1960 Intervenantes et intervenants communautaires
Conjoncture
Action communautaire
A Révolution tranquille. A Syndicalisme étudiant au
A Naissance de l’animation
A Curés de paroisse. A Jeunes universitaires idéalistes
A
A Animateurs avec rôle de
A A A A A A A A A A
A A A
Québec : AGEUM/UGEQ/ AGEUL. Commission Parent (1963). Guerre à la pauvreté aux É.-U. Montée du mouvement des droits civils des Noirs et des étudiants aux É.-U. Expo 1967. Rénovation urbaine à Montréal, Québec et Hull. Création des cégeps (1967). Rapport de la CSN : création du deuxième front (1968). Union nationale au pouvoir, 1966-1970. Essoufflement de la révolution tranquille. Montée du mouvement contre la guerre au Vietnam. Radicalisation du mouvement étudiant au Québec : n occupation des cégeps (1968) ; n grandes manifestations pour un Québec français (1969). Loi sur l’aide sociale (1969). Mise sur pied de la commission CastonguayNepveu. Création d’un mouvement politique municipal, le FRAP (1969), à l’initiative des militants de comités de citoyens et de syndicats.
A A A A
sociale et des comités de citoyens. Action locale et ponctuelle sur les conditions de vie : santé, loisirs, logement (rénovation urbaine). Animation sociale en milieu rural : le BAEQ (Bas-SaintLaurent et Gaspésie). Idéologie de la participation. Début de la professionnalisation de l’action communautaire. Mai 1968 : constat des limites de l’activisme et besoin d’action politique et de services. a) Action politique et revendications A CAP/FRAP ; A CJC ; A Associations de locataires (1970). b) Création de services parallèles A cliniques de santé ; comptoirs alimentaires ; maisons de quartier ; garderies ; cliniques juridiques, ACEF, etc. c) Groupes de soutien A Centre d’animation et culture ouvrière (CACO) (1968) ; A Centre de formation populaire (CFP) (1970) ; A Institut canadien de l’éducation des adultes (ICEA). d) En milieu rural A Opérations Dignité I, II, III, 1968-1973 ; A Mouvements actionchômage (MAC).
masculins.
leadership important.
A Trois types : n animation-adaptation A agent d’intégration ; n animation-pression A agent de transformation ; n animation-contestation A agent de politisation. A Découverte de la pauvreté par A A A
A A A
A
les jeunes universitaires : TEQ/ CJC, Chantiers, Emmaüs. Redéfinition du travail social par l’animation sociale. Influence des É.-U. : stratégie d’action (Alinsky) ; de la France : analyse marxiste. Financement important par le Conseil de développement social du Montréal métropolitain (CDSMM) et la Fédération des œuvres de charité canadiennes-françaises (ancêtre de Centraide). Projets d’initiatives locales (PIL) : permet la permanence dans les organismes. Perspectives-jeunesse (PJ) et Compagnie des jeunes Canadiens (CJC). Arrivée de nouveaux intervenants issus de la génération 1968 et des cégeps : radicalisation de l’analyse politique. Tentative de liens entre militants syndicaux et animateurs sociaux.
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CHAPITRE 1 ◆ L’ÉVOLUTION DES PRATIQUES COMMUNAUTAIRES AU QUÉBEC
ANNEXE II (SUITE) LES ANNÉES 1970 Conjoncture
Action communautaire
Intervenantes et intervenants communautaires
A Bourassa au pouvoir (1970). A 1970 : Crise d’octobre. A 1971 : Radicalisation du
A Échec de l’action politique de
A Efforts soutenus de
A A
A
A A A A A
A A A
discours des centrales syndicales (les manifestes). Disparition du FRAP (1972). Adoption du projet de loi 65 qui réforme le système de santé et de services sociaux au Québec : n création des CLSC et des CSS. Récession économique et crise du pétrole (1973). Diminution du financement fédéral. Création du Rassemblement des citoyens et citoyennes de Montréal (RCM) (1974). PQ au pouvoir (1976) : attentes et incertitudes. Interventions bureaucratiques et récupération du mouvement populaire : n bureaux d’aide juridique (1971) ; n Office de protection du consommateur (1973) ; n Régie des loyers (1976) ; n Conseil du statut de la femme (1976) ; n Commission de la santé et de la sécurité du travail (1976) ; n Office des personnes handicapées (1976) ; n Ministère de l’Environnement (1976) ; n bureaucratisation du financement des groupes (1976) ; n FCLSCQ : « Rôles et fonctions des CLSC » ; approche globale et communautaire (1978). Crise politique Québec/ Canada. Le 1er Mai prend de l’ampleur. Création du Rassemblement populaire à Québec (1978).
A A
A
A A
A
A A A A
1970 et recherche d’options politiques : bilan, débats internes et radicalisation des groupes. Création des groupes M-L : En lutte (1973) et Parti communiste ouvrier (1975). Scission et liquidation de groupes et démobilisation des « gens ordinaires ». De la phase « revendicative » (vis-à-vis de l’État) on passe à une phase d’initiatives autonomes (services lancés par les groupes communautaires). Naissance des groupes culturels (théâtre, vidéo) et médias communautaires (journaux, télé). Naissance des groupes écologiques et mise sur pied du mouvement pacifiste. Mise en place du mouvement de solidarité internationale : Comité international de solidarité ouvrière (CISO), Comité Québec-Chili. Effervescence des groupes de femmes : n comités de condition féminine dans les centrales syndicales ; n Comité de lutte pour l’avortement (1975) ; n Centre d’aide aux victimes du viol (1975) ; n centres de santé des femmes ; n maisons d’hébergement pour femmes violentées. Au bas de l’échelle (1975). Groupes de ressources techniques en habitation. Coopératives d’habitation. Garderies coopératives et populaires.
A A
A
A
A A A
rapprochement entre le mouvement syndical et le mouvement communautaire. Radicalisation de l’intervention sur le plan idéologique. Apparition, avec l’implantation des CLSC, d’un nouveau type de services d’action communautaire (1972). Période fertile en débats et confrontations politicoidéologiques : n les premiers intervenants décrochent ou vont en usine, dans les groupes M-L, comme cadres de l’État ou encore dans l’enseignement. Professionnalisation du militantisme aux prises avec le problème de la compétence par champ d’intervention. Début de polarisation et de division chez les militants. Disparition du Conseil de développement social du Montréal métropolitain (1976). Manifeste du Regroupement des organisateurs communautaires du Québec (1977).
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
ANNEXE II (SUITE) LES ANNÉES 1980 Conjoncture
Action communautaire
Intervenantes et intervenants communautaires
A Référendum (1980). A Réélection du PQ (1981). A Adoption de la Charte des
A Maison de jeunes, maisons
A Présence de nombreux débats
A A A A A A
A A A A A
A A A A A A
droits et libertés (Canada) (1982). Crise économique, réductions budgétaires et de services (1982). Apparition d’un fort courant économiste. Vent néoconservateur (Thatcher et Reagan). Disparition des groupes M-L (1982-1983). Rapport Barclay sur l’approche communautaire (1982). Réaffirmation de l’option communautaire des CLSC et de l’option milieu des CSS (1983). Livre blanc sur la fiscalité des individus (1984). Élection du Parti conservateur fédéral (1984) (Mulroney). Transfert des CSS et DSC vers les CLSC (1984). Élection du Parti libéral provincial (1985). Rapport des trois « sages » : n sur la diminution de l’État (Gobeil) ; n sur la privatisation (Fortier) ; n sur la dérèglementation (Scowen) (1986). Élection du RCM à Montréal (1986). Rapport Brunet sur les CLSC (1987). Rapport Harnois sur la santé mentale (1987). Rapport Rochon sur les services de santé et les services sociaux (1988). Entrée en vigueur du traité sur le libre-échange Canada–É.-U. (1989). Entrée en vigueur de la réforme de la sécurité du revenu (loi 37) (1989).
A A A A
A A A
A A
A A A A A A
d’hébergement jeunesse. Ressources alternatives en santé mentale. Ressources communautaires dans les domaines de la toxicomanie, de l’itinérance. Banques alimentaires, cuisines collectives. Ressources communautaires pour la famille, diverses communautés culturelles, personnes âgées et personnes handicapées. Diversité des luttes : Front écologique ; Front des jeunes ; Front culturel, etc. Retour des préoccupations pacifistes et écologiques dans le mouvement communautaire. Regroupement des organismes communautaires jeunesse (ROCJ) et création du Rassemblement autonome des jeunes (RAJ). Difficultés de financement des groupes communautaires. Création du Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec (MEPACQ) (1985). Création du Regroupement des organismes communautaires du Québec (ROCQ) (1985). Création des Corporations de développement économique communautaire (CDEC). Développement dynamique des centres d’action bénévole. Colloque sur le développement communautaire à Victoriaville (1986). Multiplication des centres de femmes et création de l’R des centres de femmes. Lutte du Front commun des personnes assistées sociales du Québec contre le projet de loi 37 sur l’aide sociale (1988).
A
A A A A A A A
A
sur le rôle de l’État, la démocratie, le financement ; les services vs la mobilisation, la place des femmes. Recherche d’unité avec le mouvement ouvrier : les sommets populaires (19801982). Vieillissement des premières générations d’intervenants (burn-out). Remise en question du rôle des animateurs : professionnel vs militant. Débat sur la syndicalisation dans les groupes communautaires. Augmentation de la place des femmes dans les groupes communautaires. Retour de l’accent sur le processus pédagogique et les compétences techniques. Approfondissement de l’approche communautaire. Redécouverte du bénévolat et rapprochement entre mouvement populaire et organismes communautaires de services et de tradition bénévole (centres d’action bénévole). Création du Regroupement québécois des intervenants et intervenantes en action communautaire en CLSC (RQIIAC) (1988).
CHAPITRE 1 ◆ L’ÉVOLUTION DES PRATIQUES COMMUNAUTAIRES AU QUÉBEC
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ANNEXE II (SUITE) LES ANNÉES 1990 Conjoncture
Action communautaire
Intervenantes et intervenants communautaires
A Mondialisation des marchés et
A Documents de réflexion sur
A Les intervenants deviennent de
A
A
A A
A A A A
A
A A
A
formation de grands blocs économiques (AmériqueEurope-Asie). Signature de l’ALENA (1992). Déroute de l’URSS et éclatement de plusieurs conflits (Moyen-Orient, exYougoslavie, Rwanda). Canada : montée du Bloc québécois (Québec) et du Reform Party (Ouest canadien) ; déroute du Parti conservateur (1991). Discours dominant : lutte contre la dette nationale et les déficits publics. Réforme du réseau des services de santé et des services sociaux et régionalisation (réforme Côté, 1991). Partenariat et intersectorialité : des mots à la mode. Commission BélangerCampeau sur l’avenir du Québec (1991-1992). Le virage ambulatoire (1994). Réforme des politiques sociales : assurance-chômage et pensions de vieillesse (réforme Axworthy). Transferts de responsabilités aux provinces (1994). Québec : victoire du Parti québécois (élection de 1994) et 2e référendum (30 octobre 1995). Les fusions d’établissements (CLSC-CHSLD) (1996). Sommet sur l’économie et l’emploi (1996) : n mise sur pied du Chantier sur l’économie sociale ; n l’économie sociale comme alternative de sortie de crise ; n création du Fonds de lutte contre la pauvreté Rapports Bouchard et Fortin sur la sécurité du revenu (1996).
A
A
A
A A A A
A
A
A
A
l’action communautaire en CLSC par la Fédération des CLSC (1991, 1994). Création de la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles (1991). Création de la Commission populaire itinérante (19911992) par Solidarité populaire Québec (SPQ) qui mène à la Charte d’un Québec populaire (1994). Foisonnement de groupes communautaires dans les secteurs de l’employabilité et du développement économique local : CDEC, CDC, SADC, coopératives de travailleurs. Création du Secrétariat à l’action communautaire autonome (SACA) (1995). Marche des femmes contre la pauvreté (1995). Tenue des États généraux des organismes communautaires autonomes de Montréal (1996). Revendication de l’appauvrissement zéro au sommet sur l’économie et l’emploi (1996). L’action communautaire en CLSC lutte pour demeurer au service des collectivités locales plutôt qu’au service des priorités définies par les programmes-clientèles. Rencontre nationale pour la reconnaissance et le financement de l’action communautaire autonome (1996). Les activités de concertation mobilisent beaucoup d’énergies au sein du mouvement communautaire. La réflexion sur l’éthique gagne du terrain.
plus en plus des représentants à des instances publiques de partenariat. A Le partenariat et l’intersectorialité deviennent des stratégies incontournables. A Les professionnels doivent encadrer de plus en plus de « stagiaires » de programmes d’employabilité. A Le RQIIAC a 10 ans (1998).
90
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
ANNEXE II (SUITE) LES ANNÉES 1990 (SUITE) Conjoncture
Action communautaire
Intervenantes et intervenants communautaires
A Livre blanc sur la sécurité du revenu (1996).
A Intensification de la A
A A A
décentralisation des pouvoirs vers le palier local. Politique de soutien au développement local et régional (1997) : implantation des CRD et des CLD (1998). Création des centres locaux d’emploi (CLE) (1998). Forum sur le développement social (1998). Remplacement de J. Rochon par P. Marois à la tête du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) (1999).
LES ANNÉES 2000 Conjoncture
Action communautaire
Intervenantes et intervenants communautaires
A Remplacement de P. Marois
A Les régies régionales sont de
A Le RQIIAC organise avec
A
A A A A A
par R. Trudel à la tête du MSSS (2001). Rapport de la Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux (Commission Clair) (2001). Politique de reconnaissance et de soutien de l’action communautaire (2001). Orientations et perspectives d’action en matière de lutte contre la pauvreté (2001). Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (2002). Le ministre F. Legault remplace M. Trudel au MSSS (2002). Rapport de la Commission sur le déséquilibre fiscal présidée par Y. Séguin (2002).
A A
A
A
plus en plus présentes dans le financement et la promotion de la santé publique. La Marche mondiale des femmes (2000). Dépôt d’une pétition (216 000 signatures) et un projet de loi par le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté (2000). La résistance non violente s’organise contre la mondialisation avec SALAMI (1998) et au Sommet de Québec (2001) avec une vaste coalition. Élaboration d’un cadre de référence sur l’organisation communautaire en CLSC par le Regroupement québécois des intervenantes et des intervenants communautaires en CLSC et en centres de santé (2002).
l’Institut de développement communautaire de Concordia, le CQDS et le CECI, la Conférence internationale sur l’action communautaire (2000).
CHAPITRE 1 ◆ L’ÉVOLUTION DES PRATIQUES COMMUNAUTAIRES AU QUÉBEC
91
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES D’AMOURS, M. (1997). L’économie sociale au Québec : cadre théorique, histoire, réalités et défis, Montréal, Institut de formation en développement économique communautaire (IFDEC), 79 p. BOURQUE, D. (1997). « Trajectoire de l’organisation communautaire professionnelle », Nouvelles pratiques sociales, vol. 10, no 1. FAVREAU, L. (1989). Mouvement populaire et intervention communautaire, de 1960 à nos jours, Montréal, Les Éditions du Fleuve. HAMEL, P. et J.-F. LÉONARD (1981). Les organisations populaires, l’État et la démocratie, Montréal, Nouvelle Optique, 208 p. LAMOUREUX, H. (1991). L’intervention sociale collective. Une éthique de la solidarité, Glen Sutton (Québec), Les Éditions du Pommier, 232 p. PANET-RAYMOND, J. (1990). Évolution de l’action communautaire au Québec. Document inédit, École de service social, Université de Montréal, 8 p. VIE OUVRIÈRE (1980). « Le développement des organisations populaires à Montréal », vol. 30, no 145, p. 303-306.
92
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
ANNEXE III TROIS MODÈLES EN INTERVENTION COMMUNAUTAIRE Développement communautaire (local et régional)
Planification sociale et économique (local et régional)
1. Objectifs de l’action communautaire
A Développement
A Résoudre des problèmes
2. Type de problèmes
A Apathie et fatalisme. A Manque de relations
de capacité de la communauté à s’autodévelopper. A Intégration de la communauté. A Accent sur le processus.
sociales, de participation et de ressources. 3. Stratégie de base
A Participation et concertation de la population, des organismes communautaires et publics et des leaders économiques dans la solution du problème.
Action sociopolitique (local, régional, national)
A Transformer les relations par campagne de promode pouvoir. tion ou création A Changer les institutions et (amélioration) de les législations. ressources. A Accent sur le résultat et le processus. A Accent sur la tâche, le résultat. A Problèmes sociaux tels la A Injustice et inégalités sociosanté, l’environnement, la violence, le transport.
A Approche scientifique basée sur des faits et guidée par la rationalité (épidémiologie sociale).
économiques et culturelles.
A Oppression et exclusion. A Éducation et conscientisation des participants.
A Cristalliser certains problèmes de fond (politique) et orienter l’action des exclus contre les institutions socioéconomiques et politiques.
4. Moyens et techniques : caractéristique générale
A Consensus et
A Consensus et
A Conflit et confrontation par
concertation. A Amélioration des canaux de communication entre les différents groupes d’intérêts dans la communauté (colloque, bulletin d’information). A Éducation et sensibilisation (réunions de cuisine, sessions de formation).
concertation (information, éducation). A Conflit possible avec certains secteurs de la communauté.
l’action directe (occupations, manifestations, pétitions, actions médiatiques). A Négociation avec les autorités.
5. Structure par laquelle s’effectuent les changements
A Petit groupe de tâche. A Table de concertation. A Conseil communautaire.
A Organisation formelle
A Masses populaires et
6. Orientation vis-à-vis la structure du pouvoir (rapport à l’État)
A Les membres de la
A Le pouvoir et les
structure du pouvoir sont des collaborateurs et des sources d’appui dans un projet collectif.
(table de concertation, conseil régional).
institutions des gouvernements sont les employeurs des planificateurs.
population organisée et regroupée. A Front commun. A Table de concertation.
A Le pouvoir (en tant que législateur et allié des classes dirigeantes) devient l’ennemi qu’il faut faire plier ou renverser.
93
CHAPITRE 1 ◆ L’ÉVOLUTION DES PRATIQUES COMMUNAUTAIRES AU QUÉBEC
ANNEXE III (SUITE) Développement communautaire (local et régional)
Planification sociale et économique (local et régional)
Action sociopolitique (local, régional, national)
7. Type de communautés auxquelles s’adresse l’intervention.
A La communauté
A Communauté
A Une classe ou catégorie
8. Postulat concernant les différents groupes d’intérêt d’une communauté
A Intérêts communs
9. Conception de l’intérêt public
A Idéaliste.
A Rationaliste.
A Réaliste.
10. Conception de la communauté
A Citoyens (égalitarisme).
A Consommateurs
A Victime. A Citoyens potentiels.
11. Conception du rôle de la communauté visée
A Participants.
12. Rôle de l’intervenant
A Éducateur populaire. A Coordonnateur. A Agent de
géographique comme un tout (village, quartier, ville, région). A La communauté d’identité (jeunes, sans travail). A La communauté d’intérêts (locataires, pauvres). ou convergents.
géographique (quartier, MRC, région), sectoriellefonctionnelle telles des populations-cibles (personnes âgées, jeunes, handicapés, une région sous-développée).
A Intérêts réconciliables ou en conflit.
(population-cible).
A Bénéficiaires, clients, consommateurs.
développement.
A Planificateur. A Expert. A Soutien technique et
sociale à l’intérieur d’un secteur géographique (chômeurs, assistés sociaux, locataires, réfugiés) ayant des intérêts communs.
A Intérêts divergents ou opposés.
A Membres, acteurs, employeurs.
A Militant, partisan. A Éducateur populaire.
conseiller.
A Support technique. 13. Organismes où sont développés ces modèles
A Conseil communautaire A A A A A
A A
de quartier. Centre d’action bénévole. Réseau d’entraide. Syndicats locaux. Organisme communautaire de service. Corporation de développement économique communautaire (CDEC). Groupe de ressource technique (GRT) (logement). CLSC.
A Essentiellement des organismes publics : n Conseil de développement social régional ; n USP (unité de santé publique) ; n CLSC ; n Régie régionale ; n MRC ; n Commission d’initiative et de développement économique.
A Syndicats. A Partis ou mouvements politiques.
A Groupes populaires (assistés sociaux, chômeurs).
A Groupes de femmes, personnes âgées, handicapés, locataires. A Regroupements d’organismes (R des centres de femmes, Front commun des personnes assistées sociales, Mouvement actionchômage, FACEF, etc.).
J. Panet-Raymond et R. Mayer (1990, modifié en 1995). Ce tableau est inspiré de J. Rothman, « Three Models of Community of Organization Practice », dans F. Cox et J. Rothman (1987). Strategies of Community Organization, Ithasca, Ill., Peacock Publishers.
94
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
ANNEXE IV LES PRINCIPAUX MODÈLES EN INTERVENTION COMMUNAUTAIRE Le développement local Les années 1990 se caractérisent par l’arrivée et le développement de corporations de développement communautaire (CDC) et de corporations de développement économique communautaire (CDEC). Ces corporations disposent généralement d’un financement étatique (fédéral, provincial et municipal). Elles offrent « un substitut à l’assistance sociale, au chômage de longue durée et à la formation professionnelle de type traditionnel » et elles visent « à rebâtir une économie locale dans des quartiers ou des localités en déclin industriel et démographique » (Doucet et Favreau, 1991, p. 82). Tout en favorisant le développement local, cette stratégie se veut aussi « globale, intersectorielle et participative » (Ibid.). Il s’agit de favoriser la solution des principaux problèmes sociaux des communautés par la création d’entreprises communautaires de services ou de productions de biens, de coopératives et de divers groupes communautaires. Cette stratégie s’appuie également sur la présence d’une certaine volonté d’agir collectivement pour solutionner les problèmes ainsi que sur un fort sentiment d’appartenance à la communauté, particulièrement lorsque des événements menacent sa survie (Doucet et Favreau, 1991, p. 79). Ce modèle favorise la stratégie consensuelle et la collaboration à un projet collectif par l’intervention de petits groupes de tâches. Le rôle de l’intervenant est alors celui de catalyseur (susciter des actions mobilisantes), de coordonnateur et de formateur. Au cours des années 1990, le développement local va investir le champ de l’économie sociale avec la multiplication de projets centrés sur la création d’emplois, la réinsertion sociale de jeunes décrocheurs et la formation professionnelle des chômeurs et des assistés sociaux. D’autres secteurs vont également se développer : c’est le cas de coopératives de ressources techniques avec le support de groupes de ressources techniques (GRT), celui des services de maintien à domicile dans le champ des services de santé et des services sociaux et finalement le cas des cuisines collectives dans le secteur de l’économie domestique (Doucet et Favreau, 1991, p. 81).
CHAPITRE 1 ◆ L’ÉVOLUTION DES PRATIQUES COMMUNAUTAIRES AU QUÉBEC
95
Le modèle de l’action sociale Le modèle de l’action sociale se présente d’abord comme une stratégie centrée sur la défense des droits sociaux. Par exemple. Mayer et Panet-Raymond (1991) ont décrit quelques pratiques qui ont marqué ce modèle d’action au cours des années 1960 et 1970 au Québec et ce, dans divers champs d’action par exemple, la défense des droits des consommateurs, des personnes assistées sociales, des psychiatrisés ainsi que celle des citoyens dans le champ urbain. De ces expériences, il ressort que la tradition de l’action sociale au Québec est très dynamique et qu’elle oscille entre une volonté d’aide et de dénonciation (cf. advocacy). Malgré une visibilité moindre cette tradition va se poursuivre au cours des décennies suivantes. En somme, l’action sociale émane de la mobilisation de personnes – qui se définissent comme exploitées ou opprimées – et qui créent une organisation autour de conditions de vie jugées insatisfaisantes ou d’un problème social. Dans ce modèle, la finalité de l’action porte sur le renforcement du pouvoir d’individus ou de communautés (empowerment) et sur une distribution plus équitable des ressources (Mercier, 2000). Dans ce modèle, on procède à une lecture essentiellement politique de la réalité sociale. D’où la nécessité de recourir à l’action politique. Le modèle de l’action sociale se concrétise également par une forme d’action politique, le plus souvent au niveau municipal. Favreau et Hurtubise (1991) ont décrit la brève mais riche expérience québécoise en cette matière en analysant deux expériences québécoises de politique « partisane » dans lesquelles une partie du mouvement populaire et de l’organisation communautaire a été directement engagée. À Montréal, il y a eu l’expérience du FRAP (1968-1971), fruit d’une rencontre de syndicats et de comités de citoyens pour affronter l’administration municipale du Parti civique et du maire Drapeau et surtout la formation politique du Regroupement des citoyens de Montréal (RCM) qui a réussi, aux élections de 1986 et de 1990, à gagner la direction de l’Hôtel de Ville à Montréal, en partie grâce à des intervenants de groupes populaires, communautaires et syndicaux francophones, allophones et anglophones. À Québec, l’expérience du Regroupement populaire des citoyens de Québec (RPQ) doit être signalée, car cette formation politique est arrivée à la tête de l’Hôtel de Ville en 1989 grâce, elle aussi, à l’appui « consistant d’un certain nombre de leaders et
96
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
d’organisations populaires et communautaires » (Favreau et Hurtubise, 1991, p. 123). Au terme de leur analyse, ces auteurs dressent un bilan plutôt positif de ces expériences (Favreau et Hurtubise, 1991, p. 145).
Le planning social Le planning social est sans doute le modèle qui se rapproche le plus de l’intervention sociale menée dans les milieux institutionnels sociosanitaires. Dans ce contexte de pratique, la tâche consiste à apporter des solutions à des problèmes sociaux importants dans une communauté, dans une démarche de changement planifié. Cette démarche peut venir de la communauté elle-même, ou encore, de l’extérieur, dans le cadre de programmes institutionnels au niveau régional, national ou international. La politique de santé mentale, les programmes de maintien à domicile des personnes âgées et l’action de Centraide sont des exemples de planning social. La stratégie utilisée est généralement de type consensuel, fondée sur une analyse des besoins et des décisions qui se veulent rationnelles, en fonction d’une méthodologie de résolution de problèmes; mais elle peut aussi donner lieu à l’action conflictuelle (Mercier, 2000). Dans le contexte du planning social, les fonctions de l’organisation communautaire seront souvent liées à l’élaboration de programmes et à l’analyse de problèmes. En somme, les rôles des intervenants sociaux sont aussi différents selon les modèles adoptés. Dans la perspective du développement local, l’intervenant assume les rôles de personneressource, de formateur et d’agent de liaison. Au contraire, le rôle de l’intervenant en action sociale est un peu celui du militant. Dans le modèle du développement local, la collectivité est perçue comme un ensemble d’intérêts communs ou de différences conciliables. Pour ce faire, on a recours aux stratégies de consensus en faisant participer de petits groupes de discussion et en encourageant la communication entre les sous-groupes de la collectivité (classe, ethnie). Dans le modèle de l’action sociale, les objectifs comprennent des changements dans le pouvoir, les ressources ainsi que le changement à court terme des politiques gouvernementales. Les tactiques de changement comprennent souvent des techniques de
CHAPITRE 1 ◆ L’ÉVOLUTION DES PRATIQUES COMMUNAUTAIRES AU QUÉBEC
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conflit telles que les confrontations et l’action directe (groupes de pression, marches, rassemblements et boycotts). Le praticien agit comme activiste, agitateur, négociateur, agent et partisan.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES DOUCET, L. et L. FAVREAU (1991). Théorie et pratiques en organisation communautaire, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 390 p. MAYER, R. et J. PANET-RAYMOND (1991). « L’action communautaire de défense des droits sociaux », dans L. Doucet et L. Favreau (dir.). Théorie et pratiques en organisation communautaire, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, p. 97-118. MERCIER, C. (2000). « L’organisation communautaire et le travail social » dans J.-P. Deslauriers et Y. Hurtubise (dir.), Introduction au travail social, Québec, Les Presses de l’Université Laval, p. 177-212. FAVREAU, L. et Y. HURTUBISE (1991). « L’action politique locale : une autre forme d’organisation communautaire », dans L. Doucet et L. Favreau (dir.). Théorie et pratiques en organisation communautaire, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, p. 119-146.
CHAPITRE
2
LES FONDEMENTS
ÉTHIQUES DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE Henri Lamoureux Jocelyne Lavoie
PLAN DU CHAPITRE 2
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. À propos de l’éthique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1. Qu’est-ce que l’éthique ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2. Les valeurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3. Les normes et l’univers normatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.4. Les idéologies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.5. La conscience. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Les valeurs portées par l’action communautaire . . . . . . . . . . . . . . 2.1. La justice sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. La solidarité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3. La démocratie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.4. L’autonomie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.5. Le respect . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. L’action communautaire et la cohérence sociale . . . . . . . . . . . . . . . 3.1. Arbitrages éthiques et cohérence dans les pratiques . . . . . . . 3.2. Prolongement politique à des considérations éthiques . . . . . 4. Éthique, code d’éthique et code de déontologie. . . . . . . . . . . . . . . 4.1. Code d’éthique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2. Pertinence d’un code d’éthique en action communautaire . . 4.3. Code de déontologie en milieu communautaire . . . . . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
101 103 103 105 107 108 111 112 115 117 120 122 128 132 133 135 136 136 138 141 145
INTRODUCTION Les pratiques d’action communautaire sont ancrées dans des réalités sociales, politiques, économiques et culturelles qui commandent des choix éthiques parfois difficiles. Comment notamment concilier les exigences de la justice sociale avec des contraintes économiques parfois sévères ? Comment s’assurer que les valeurs de solidarité, d’équité, de respect des personnes et de vie démocratique puissent s’exprimer dans un contexte où l’on privilégie la productivité, l’efficacité, l’efficience et le rendement ? Quelle utilisation faire des programmes étatiques de création d’emplois, desquels dépendent souvent les groupes communautaires pour assurer leur permanence, en sachant que ces programmes n’assurent pas des conditions normales de travail : salaire décent, sécurité d’emploi, etc. ? Comment, pour satisfaire aux nouvelles règles de financement des organismes communautaires imposées par la réforme du système de santé et des services sociaux, résister au clientélisme que suggère l’approche sectorielle fondant la logique du soutien financier accordé par les Agences de la santé et des services sociaux ? Comment préserver une solidarité réelle avec les groupes que l’on est censé représenter en participant aux diverses instances régionales et nationales mises en place par l’État pour assurer la gestion des réseaux de la santé et des services sociaux ? Comment régler les conflits de loyauté qui peuvent parfois découler des rapports qu’entretiennent les employés de CLSC avec les organismes communautaires ? Inversement, peut-on chercher à influencer un groupe dans ses orientations et ses actions pour harmoniser celles-ci aux priorités institutionnelles de son employeur ? Comment, au plan de la déontologie, préserver la confidentialité des informations quand on est lié par une entente de service à un établissement ? Comment aussi régir les rapports entre salariés et bénévoles sans affaiblir la vie démocratique, ou ceux avec les
102
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
bailleurs de fonds sans brader son autonomie ? Comment mettre en œuvre des modes d’intervention comme les pratiques d’action directe et les stratégies de réduction des méfaits, qui relèvent de l’action communautaire mais peuvent parfois être inconciliables avec une logique institutionnelle ? Comment arbitrer le dilemme d’un financement essentiellement étatique avec la dénonciation de certaines politiques et orientations gouvernementales qui pourraient être préjudiciables aux groupes sociaux dont on défend les intérêts ? Comment enfin certains professionnels membres d’un ordre régi par des codes de déontologie, par exemple les travailleurs sociaux à l’emploi d’un centre de femmes ou d’une maison de jeunes, les avocats rattachés à une association de consommatrices et de consommateurs ou à un groupe de défense des droits des Autochtones, les infirmières actives dans des centre d’aide aux victimes d’agressions sexuelles, les psychologues œuvrant pour une ressource alternative en santé mentale, s’adapteront-ils à des milieux de travail non institutionnels, communautaires et autonomes possédant leurs propres exigences ? À cet égard, l’Ordre professionnel des travailleurs sociaux poursuit une réflexion visant à mieux ancrer la pratique du travail social dans un nouveau contexte où plusieurs de ses membres sont actifs1. Ces quelques exemples illustrent bien la diversité et la complexité des situations auxquelles sont confrontées les personnes actives en action communautaire2. La réponse à ces situations fournit l’occasion d’affirmer ce à quoi nous accordons vraiment de l’importance et nous offre la possibilité d’agir en fonction de ce que nous jugeons essentiel. La référence éthique est l’outil qui servira à étayer notre jugement et à légitimer les choix personnels et sociaux que nous devons faire à titre d’individus, de participants et d’intervenants dans le cadre de différentes initiatives communautaires.
1.
2.
H. Lamoureux (2002). « Responsabilités professionnelles et dilemmes éthiques : l’exigence de la cohérence », Interventions, revue de l’Ordre professionnel des travailleurs sociaux et des travailleuses sociales, p. 15-23. H. Lamoureux (1994). « Intervention communautaire : des pratiques en quête de sens », Nouvelles pratiques sociales, vol. 7, no 1, p. 33-43.
CHAPITRE 2 ◆ LES FONDEMENTS ÉTHIQUES DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
1.
103
À PROPOS DE L’ÉTHIQUE Mais qu’entend-on au juste par « éthique » ? Quelle différence existe-t-il entre éthique et morale ? Quels sont les concepts avec lesquels on doit se familiariser pour mieux saisir à partir de quoi se réalise la réflexion éthique ? Quel rôle jouent les valeurs sur le plan de la cohérence éthique ? Quelle différence existe-t-il entre valeur, normes et idéologie et comment ces trois dimensions de l’éthique sont-elles interreliées ? Quel rôle joue la conscience dans tout cela ? Dans les pages qui suivent nous présentons les différents concepts qui animent l’univers éthique et tentons de voir comment la perspective éthique permet de mieux comprendre la portée des pratiques sociales qui se réalisent en action communautaire.
1.1. QU’EST-CE QUE L’ÉTHIQUE ? Selon Jean-François Malherbe3, l’éthique est l’art de devenir sujet. Le but fondamental de l’éthique, c’est que chaque être humain soit le véritable sujet de sa propre existence, c’est que chacun devienne lui-même, que ce que nous sommes, ce que nous disons, ce que nous faisons, les relations que nous entretenons avec nous-mêmes et avec les autres, que tout cela jaillisse du plus profond de nousmêmes, du plus profond de notre identité humaine. En d’autres termes, la requête éthique est que chacun devienne autonome et assume pleinement tant sa liberté que les responsabilités qui accompagnent le fait de vivre en société. Selon l’auteur, il ne faut surtout pas confondre cette quête d’autonomie avec l’autarcie et l’individualisme, car tout au contraire de l’autarcie qui implique l’enfermement, l’autonomie implique la réciprocité. Cela signifie que la tâche de l’éthique : […] c’est de tirer les conséquences pratiques de cette radicale réciprocité de l’humain, c’est de créer les règles de la convivialité des humains, règles qui, à leur tour, garantiront aux individus leur autonomie.
3.
J.-F. Malherbe (1990). « Les fondements de l’éthique », Ethica, vol. 2, no 2, p. 9-34.
104
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
Pierre Fortin insiste quant à lui sur la différence à établir entre l’éthique et la morale où : […] contrairement à la morale, la réflexion critique propre à l’éthique ne s’appuie pas immédiatement sur ce qu’il est correct ou pas de faire face aux exigences de la règle, de la norme, de la loi : elle valorise plutôt la capacité de responsabilité de celui ou celle qui y réfère. Grosso modo, être responsable signifie que l’on est en mesure de donner une réponse la plus libre et la plus transparente possible à une question précise […]4.
Pour Fortin, la question incisive entre toutes est « Que faistu de l’autre ? ». Relativement à la capacité d’une personne de s’ouvrir à l’éthique, Jean Bédard pousse un peu plus avant la réflexion en se préoccupant de l’attitude de la personne devant une situation qui comporte un enjeu éthique. […] devant un enjeu éthique, il n’y a que trois positions possibles, tout le reste n’étant que faux-fuyant : la soumission, la révolte ou la transformation de soi. La soumission, c’est la tentation de celui qui admet être lâche ; la révolte, c’est la tentation de celui qui ne l’admet pas ; seule la transformation de soi s’avère éthique. Mais on ne décide pas de se transformer, on décide simplement de se lancer dans une confrontation honnête qui nous transforme. […] Alors l’éthique, c’est le contraire de la soumission et de la révolte, c’est le courage de la confrontation en vue de la transformation. Si l’indignation constitue la porte d’entrée de l’éthique, la confrontation constitue son chemin et la transformation, son résultat ; l’action elle, découle de la transformation comme une nécessité de l’accomplir5.
Comment ne pas établir de liens entre ces propos et les fondements éthiques de l’intervention communautaire, puisque l’indignation dont Jean Bédard fait état s’apparente au moteur de l’intervention communautaire, qui s’indigne des rapports d’exclusion
4. 5.
P. Fortin (1989). « L’éthique et la déontologie : un débat ouvert », « L’éthique professionnelle », Cahiers de recherche éthique, no 13, Montréal, Fides, p. 73. J. Bédard (1995). L’inversion éthique, North Hatley, L’Agora, octobre, p. 15-16.
CHAPITRE 2 ◆ LES FONDEMENTS ÉTHIQUES DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
105
et d’oppression sociale et économique produits par la société, et dont la finalité de l’action repose sur une transformation vers une plus grande justice sociale. Ce lien entre l’éthique comme moment où l’être humain libre doit choisir et les fondements éthiques de l’intervention communautaire renvoie à un autre concept essentiel, celui des valeurs.
1.2. LES VALEURS À l’heure des grands bouleversements sociaux, économiques et politiques auxquels notre société doit faire face, à l’heure où plusieurs font état d’une « crise de valeurs », voire d’une absence de valeurs, on comprend aisément l’importance de réfléchir sur le concept de valeur et sur l’effet qu’ont les valeurs sur les comportements. Il existe de nombreuses définitions du concept de « valeur ». Aux fins de cet ouvrage, nous retiendrons d’abord celle du Conseil supérieur de l’éducation : Les valeurs constituent des facteurs puissants de la conduite humaine. Elles en sont à la fois point de référence, mobiles profonds, sources vives de dynamisme, motifs d’engagement et de dépassement, ouverture vers les dimensions les plus universelles de l’âme des personnes comme des sociétés. Implicitement ou explicitement, des valeurs fondent toujours les choix qui président à l’agir personnel ou collectif 6.
Cette définition paraît particulièrement complète. Il peut cependant être utile de voir comment le concept de valeur est compris par les organismes communautaires qui ont pour mandat de recueillir les plaintes des personnes qui fréquentent les réseaux de la santé et des services sociaux : Une valeur est une conception du désirable, explicite ou implicite, distinctive d’un individu ou caractéristique d’un groupe ou d’une organisation qui influence la sélection des fins et des moyens. Lorsque les valeurs sont hiérarchisées les unes par rapport aux autres, intégrées dans un tout cohérent,
6.
Conseil supérieur de l’éducation (1981). L’éducation sexuelle. Recommandations au ministère de l’Éducation.
106
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
on parle de système de valeurs. De ce système se dégagent des normes et des principes d’action propres à une organisation implantée dans un milieu social à un moment déterminé7.
Produits de notre évolution en tant qu’espèce, certaines valeurs sont partagées et universelles et possèdent un caractère de pérennité. Cela ne signifierait pas qu’elles sont éternelles, mais qu’elles ont tendance à durer, à ne s’éroder que très lentement sous l’usure du temps8. Nos parents ou nos grands-parents étaient-ils par exemple moins épris de liberté et de justice que nous ? Étaientils moins capables de solidarité ? Ajoutons cependant que si les valeurs d’une société changent très lentement, l’ordre de priorité qu’on leur accorde, le sens qu’on leur donne et le contexte social, économique et idéologique dans lequel elles évoluent peuvent, eux, se modifier assez rapidement. Ainsi, la charité semble avoir supplanté la justice sociale comme valeur à promouvoir dans une société néolibérale où l’État refuse de jouer son rôle dans la répartition équitable de la richesse collective, et où l’idéologie dominante prône la responsabilité individuelle des personnes. En ce sens, l’organisation communautaire nage radicalement à contre-courant des valeurs privilégiées par la société néolibérale en réaffirmant l’importance de la solidarité et de la justice sociale pour résoudre les problèmes sociaux que nous devons résoudre. De même, l’engagement des individus dans des pratiques sociales et communautaires répond à une volonté de cohérence entre l’adhésion à ces valeurs et le désir de les actualiser. Enfin, les valeurs sont le lieu par excellence où s’établissent les consensus à la base de la solidarité. Points de ralliement entre les individus et les groupes, justificatifs de l’action, elles mesurent la légitimité des actes que nous posons. À cet égard, la Conférence mondiale des femmes qui s’est tenue à Beijing en septembre 1995, sous la responsabilité des Nations unies, illustrait fort bien cette fonction de ralliement des valeurs. Au-delà des différences, des femmes de tous les continents, de toutes les nations, de tous les systèmes idéologiques affirmaient les mêmes valeurs avec force, réclamant, pour chacune d’entre elles et pour toutes, la justice,
7.
8.
N. Adams et al. (1995). Travail de recherche pour l’élaboration d’un code d’éthique, Regroupement provincial des organismes communautaires d’assistance et d’accompagnement aux plaintes, p. 5. G. Mendel (1971). Pour décoloniser l’enfant, Paris, Petite bibliothèque Payot, 261 p.
CHAPITRE 2 ◆ LES FONDEMENTS ÉTHIQUES DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
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l’équité, le respect. Au Québec, la Marche des femmes contre la pauvreté, le Forum pour l’emploi et la coalition Solidarité populaire Québec illustrent bien les solidarités qui peuvent se tisser en prenant appui sur certaines valeurs partagées. Nous reviendrons plus loin sur le concept de valeur en définissant, dans leur contexte, les valeurs portées par l’intervention communautaire et en illustrant comment ces valeurs se traduisent dans la pratique. Mais quelques concepts restent encore à définir pour mieux enrichir la compréhension de ce qu’est l’éthique.
1.3. LES NORMES ET L’UNIVERS NORMATIF Il arrive très souvent que l’on confonde valeur et norme. Alors que le concept de valeur renvoie à une conception relativement abstraite de ce qui est posé comme beau, bien, désirable chez un individu ou une collectivité, la norme tente de traduire ces valeurs dans les lois, des droits et des codes culturels. La norme s’actualise aussi dans un ensemble de règles, de devoirs, de mécanismes de décision, de modes de prestation de services, de production et de consommation. On parlera d’univers normatif lorsqu’il s’agira de faire référence à la somme et à la diversité des normes qui balisent les valeurs partagées par une société, la normalisation des valeurs étant le moyen qu’une société se donne pour les rendre signifiantes. Les droits sociaux constituent l’un des motifs de lutte les plus importants des groupes communautaires autonomes. La notion de droits sociaux correspond soit à des droits reconnus dans les chartes et sanctionnés par des lois, soit à des droits non explicitement reconnus, mais qui découlent de certaines des valeurs qui fondent notre vie collective. Le droit à des logements de qualité pour des personnes à faible revenu, le droit à un environnement sain ou le droit à des services sociosanitaires de qualité sont des exemples de droits qui reflètent les valeurs de justice et d’équité sur lesquelles notre société est fondée, mais dont l’application est liée au développement économique, à l’état des finances publiques et à l’idéologie à laquelle adhèrent les détenteurs du pouvoir. En effet, on ne peut nier que l’univers normatif se réalise dans un cadre délimité par les rapports de force, les rapports de classe et les rapports de pouvoir qui agitent une société. L’adoption de la réforme de la loi sur l’aide sociale en 1990, malgré la vive opposition d’une vaste coalition de groupes communautaires, de
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
groupes religieux, des grandes centrales syndicales, de certaines corporations professionnelles et de dizaines d’autres organismes à vocation socioéconomique, illustre bien la façon qu’a une société de normaliser des valeurs telles que la justice sociale, et la solidarité sociale dépend pour beaucoup de ce qui est accepté et reconnu par la classe sociale dominante. Dans le même esprit, la lutte de la Coalition nationale des femmes contre la pauvreté pour l’adoption d’une loi proactive sur l’équité salariale montre bien la difficulté de faire reconnaître pleinement la valeur d’égalité entre les hommes et les femmes à l’intérieur d’une société patriarcale et capitaliste. Sur ce sujet, le sociologue Fernand Dumont dira : À la surface de la vie collective, il est facile de s’en rendre compte : certains groupes sont mieux organisés que d’autres pour faire valoir leurs idées et leurs intérêts ; des élites influent sur l’opinion publique9.
Malgré cette réalité, il faut reconnaître que les personnes regroupées dans des centaines de comités de citoyens et d’organismes communautaires autonomes ont été les principaux artisans de plusieurs lois et droits sociaux désormais sanctionnés, ainsi que les fondateurs de plusieurs ressources reconnues depuis peu et qui viennent donner un peu plus de sens au droit à la justice et à la santé. Nous reviendrons plus loin dans ce chapitre sur la vigilance qu’exerce le mouvement communautaire pour donner plus de cohérence aux lois et aux droits qui peuplent l’univers normatif.
1.4. LES IDÉOLOGIES Étant donné l’importance des discours idéologiques, il serait souhaitable de clarifier la définition de ce concept. Denis Monière nous en donne une définition assez complète : Une idéologie est un système global plus ou moins rigoureux de concepts, d’images, de mythes, de représentations qui, dans
9.
F. Dumont (1995). Raisons communes, Montréal, Boréal, p. 22-23.
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une société donnée, affirme une hiérarchie des valeurs et vise à modeler les comportements individuels et collectifs. Ce système d’idées est lié sociologiquement à un groupe économique, politique, ethnique ou autre, exprimant et justifiant les intérêts plus ou moins conscients de ce groupe. L’idéologie est enfin une incitation à agir dans telle ou telle direction en fonction d’un jugement de valeur. Elle a principalement quatre fonctions : elle rationalise une vision du monde et la présente comme universelle, elle cherche à éternaliser des valeurs particulières, en ce sens elle est anhistorique. Elle est apologitique en légitimant des structures de classes et la domination d’une classe. Elle est mystificatrice car elle déguise plus ou moins consciemment la nature réelle d’une situation, masque de cette façon les intérêts de classe et cherche à réaliser l’intégration sociale. Elle a une efficience, c’est-à-dire qu’elle mobilise les énergies individuelles et collectives et les oriente vers l’action. Elle intervient dans la réalité et sert de guide à la pratique10.
On pourrait ajouter que l’idéologie « fait appel à une volonté d’action, en proposant des buts à atteindre, en indiquant les moyens d’y parvenir et en élaborant une démarche plus ou moins précise11 ». À la lumière de cette définition on comprend à quel point l’idéologie joue un rôle important en éthique. Elle est cette instance qui contribue à la formation de la norme par l’interprétation de la valeur. Par exemple, dans une société néolibérale comme la nôtre, où le discours économiste sert aujourd’hui de nouvelle religion d’État, la qualité de la citoyenneté sera mesurée à l’aune de la contribution des individus à la production de la richesse. L’idéologie néolibérale met en avant la responsabilité individuelle en niant presque les causes structurelles de la crise de l’emploi, et favorise une attitude coercitive à l’égard des personnes qui en sont privées. Elle préconise aussi une réduction massive du rôle de l’État comme agent régulateur des tensions et des inégalités sociales,
10. D. Monière (1977). Le développement des idéologies au Québec : des origines à nos jours, Montréal, Québec-Amérique, p. 13. 11. G. Rocher (1969). Introduction à la sociologie générale, tome 3, Montréal, HMH, p. 378.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
au profit de l’entreprise privée et de l’action bénévole, où les femmes jouent évidemment un rôle de premier plan. L’idéologie néolibérale légitime les compressions à l’aide sociale et les réformes à l’assurance-chômage en faisant état de la responsabilité qu’a chaque individu de se trouver un emploi ou, à la limite, de s’en créer un. En alimentant les préjugés à l’égard des personnes sans emploi, les néolibéraux justifient les politiques discriminatoires dont elles seront éventuellement l’objet. Réduisant la justice sociale à sa plus simple expression, les tenants du libéralisme sapent les fondements d’une société basée sur la solidarité. Ils s’en remettent à une charité qui préfère l’individu-objet de compassion à l’individu-sujet avec lequel on doit être solidaire au risque d’atténuer sa propre humanité. Puisqu’il est de toute première importance de cerner la nature de l’idéologie dans la production de l’éthique, citons aussi Marx et Engels qui ont explicité la place de l’idéologie de façon éloquente : Chaque nouvelle classe qui prend la place de celle qui dominait avant elle est obligée, ne fût-ce que pour parvenir à ses fins, de représenter son intérêt comme étant l’intérêt commun de tous les membres de la société ou, pour exprimer les choses sur le plan des idées, cette classe est obligée de donner à ses pensées la forme de l’universalité, de les représenter comme étant les seules raisonnables, les seules universellement valables. Les pensées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les pensées dominantes ; autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est aussi la puissance dominante spirituelle. La classe qui dispose des moyens de production matérielle dispose du même coup des moyens de production intellectuelle, si bien que l’un dans l’autre les pensées de ceux à qui sont refusés les moyens de production intellectuelle sont soumises du même coup à cette classe dominante12.
Cependant, si l’idéologie libérale est certes l’idéologie dominante à l’aube du troisième millénaire, elle doit malgré tout
12. K. Marx et F. Engels (1966). L’idéologie allemande, Paris, Éditions sociales.
CHAPITRE 2 ◆ LES FONDEMENTS ÉTHIQUES DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
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composer avec d’autres perspectives idéologiques qui influent sur un nombre considérable de personnes. Le féminisme, le pacifisme, l’écologisme constituent de telles perspectives en offrant des systèmes différents d’interprétation de la réalité auxquels adhèrent particulièrement le mouvement communautaire et autres réseaux porteurs de certaines perspectives progressistes.
1.5. LA CONSCIENCE Dernier concept, et non le moindre, le concept de conscience est de ceux que l’on ne peut ignorer en éthique, puisque l’éthique d’une personne est le produit de sa conscience, c’est-à-dire de ce lieu où se réalisent les délicats arbitrages entre les valeurs qui fondent notre humanité, l’univers normatif qui donne du sens à ces valeurs et les idéologies de référence qui influent sur cette construction normative. En ce sens, l’engagement social et communautaire est le produit d’un acte conscient. C’est un acte de liberté et d’affirmation de son autonomie. Notre conscience se reproduit sans cesse dès l’instant où nous accédons à l’existence à titre de personne. Certains même affirmeront que la conscience apparaît dès la conception. La conscience transcende tous les goulags et peut, à la limite, conduire une personne à mettre sa propre vie en balance pour assumer une liberté que nul dieu et nul maître ne sauraient encadrer. Par ailleurs, les auteurs d’inspiration marxiste affirment que le « phénomène » de la conscience n’est pas que personnel, il découle aussi de notre appartenance à une collectivité. On parle alors de « conscience collective » ou de « conscience sociale ». Dans une même perspective, on parlera aussi de la conscience qu’a une personne d’appartenir à un groupe humain particulier ou d’en partager la « vision du monde » : c’est la conscience de classe. Ce dernier terme renvoie à la connaissance que nous avons de la réalité, du vécu d’une classe sociale particulière. Par extension, les militantes du mouvement des femmes parleront de « conscience féministe » pour qualifier un état qualitatif de compréhension de la problématique issue de l’oppression spécifique des femmes en particulier et de la réalité féminine en général.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
Partant de cette conception de la conscience, on peut donc proposer que la conscience des personnes est plurielle, les différents aspects de cette pluralité étant d’ailleurs liés de façon dialectique. La conscience de l’individu est plurielle en ce que celui-ci est conscient de lui-même, de son appartenance à une espèce, à un peuple, à une nation, à un groupe social, à un groupe d’âge. L’individu est une femme, un homme, une personne handicapée, une personne homosexuelle… Nous pouvons donc parler de conscience individuelle sociale, nationale, de classe, féministe… Paulo Freire a bien montré l’existence d’un mouvement entre ces niveaux de conscience qui suit une logique d’action-réflexionaction. Il suggère aussi la notion de conscience critique qui peut mener jusqu’à une volonté de changement des rapports sociaux13.
2.
LES VALEURS PORTÉES PAR L’ACTION COMMUNAUTAIRE La référence éthique dans le champ de l’action communautaire porte d’abord et avant tout sur des valeurs tenues pour fondamentales par les personnes, les groupes et les institutions qui sont à l’œuvre dans les milieux communautaires. Ainsi, dans le cadre d’une recherche effectuée pour le compte du Regroupement québécois des intervenants et intervenantes en action communautaire en CLSC (RQIIAC), Hurtubise et al.14 ont établi que 57 % des personnes consultées privilégiaient l’autonomie comme valeur de référence, alors que 35 % choisissaient la solidarité et 29 % la justice. Le choix de l’autonomie comme valeur de tête ne surprend guère si on le rapproche des conditions sur lesquelles reposent de véritables rapports d’alliance et de partenariat des intervenantes et intervenants communautaires de CLSC avec le mouvement communautaire. Ces rapports
13. P. Freire (1980). Pédagogie des opprimés, Paris, Maspero (Petite collection no 130), 202 pages. 14. Y. Hurtubise., G. Beauchamp, L. Favreau et D. Fournier (1988-1989). Pratiques d’organisation et de travail communautaire en CLSC, RQIIAC, p. 39.
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sont fondés d’abord et avant tout sur le respect de l’autonomie des groupes quant à leurs orientations et à leurs actions. De son côté, René Lachapelle, organisateur communautaire au CLSC du Havre à Sorel, en dressant un bilan des caractéristiques de l’action communautaire au Québec depuis l’époque de la déconfessionnalisation et de la décléricalisation, conclut ce qui suit : En termes d’éthique communautaire, notre héritage historique nous permet d’identifier quatre valeurs cardinales : l’autonomie, la démocratie, la justice et la solidarité. Ce sont des valeurs de continuité d’une actualité particulièrement percutante. Elles rejoignent les caractéristiques que l’écologie considère comme essentielles à la vie : la compétence en dehors de laquelle il n’y a pas d’autonomie possible ; l’autodétermination dont la démocratie demeure le meilleur véhicule ; l’identité et l’estime de soi dont le corollaire obligé est la justice ; et la relation aux autres et au monde naturel dont l’expression la meilleure est sans doute la solidarité15.
Autre regard fort intéressant sur les valeurs portées par l’intervention communautaire : les valeurs prônées par Solidarité populaire Québec à l’intérieur de La Charte d’un Québec populaire. Fruit d’un travail de réflexion et de concertation d’une coalition nationale d’organismes communautaires, populaires et syndicaux, le projet de société révélé dans cette charte reflète bien les valeurs fondamentales se rattachant à l’éthique communautaire. Ainsi, les changements souhaités par ce projet de société vont dans le sens d’un : […] projet d’une société plus démocratique et plus juste, pour l’ensemble des citoyens et des citoyennes. Ce projet est traversé par des valeurs d’égalité, de coopération, de tolérance, de nonviolence, d’entraide, de respect mutuel. Il recherche le partage des responsabilités, l’équité entre hommes et femmes, jeunes et aînés, majorité et minorité, ainsi que l’égalité et la coexistence pacifique entre les peuples autochtones et les pays […]16.
15. R. Lachapelle (1991). « La question éthique dans le communautaire », Inter-action communautaire, vol. 5, no 3, p. 3. 16. Solidarité populaire Québec (1994). La Charte d’un Québec populaire, p. 1.
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Une autre réflexion fort pertinente est celle de la Table nationale des corporations de développement communautaire (CDC), qui s’est dotée d’un cadre de référence à l’intérieur duquel on retrouve les valeurs ayant fait l’objet d’un consensus parmi ses membres. Les valeurs mises de l’avant par une CDC comme assises de tout processus de développement sont celles regroupées communément dans l’expression « justice sociale » : elles incluent l’autonomie, la démocratie, la dignité de la personne humaine, l’équité, la prise en charge et la solidarité. Une corporation de développement communautaire est habitée d’un projet d’une société nouvelle libérée de la pauvreté, du sexisme, du racisme, des logiques technocratiques et des abus de pouvoir avec un refus d’accepter l’accroissement de la consommation comme moteur de l’économie et critère de la qualité de vie17.
En faisant la synthèse de ces divers documents d’analyse et de réflexion, et en tenant compte aussi de nombreux autres témoignages de militants et de travailleurs communautaires du mouvement communautaire et du secteur public, on peut donc avancer que les valeurs de tête de l’intervention communautaire sont : F la justice sociale, F la solidarité, F la démocratie, F l’autonomie, F le respect.
Ces valeurs ne doivent évidemment pas être vues indépendamment les unes des autres, mais plutôt dans une perspective dialectique où l’autonomie est indissociable de la solidarité dans le contexte d’une vie en société et du respect des personnes, et où la justice sociale n’est possible que s’il y a solidarité sociale.
17. Cadre de référence : Corporation de développement communautaire, texte officiel adopté par la Table nationale des corporations de développement communautaire du Québec, 1993, p. 3.
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115
Dans les pages qui suivent, nous tenterons de définir, en les contextualisant, les valeurs portées par l’intervention communautaire. Non pas pour les orienter dans une définition dogmatique incompatible avec la réflexion éthique, mais pour éviter la référence parfois facile à des valeurs passe-partout qui n’ont pas toujours la signification et la cohérence espérées.
2.1. LA JUSTICE SOCIALE Justice sociale
A
La justice sociale vise à mettre en place des changements sociaux ou à défendre des acquis sociaux favorisant une plus grande égalité et une plus grande équité entre les individus. Le fer de lance de la justice sociale est la lutte contre la pauvreté, mais l’idéal de justice sociale réfère aussi à toute forme d’action ou de lutte visant l’élimination de l’exclusion, de la discrimination, de l’exploitation et de l’oppression.
Selon William Ninacs, coordonnateur pendant six ans de la première Corporation de développement communautaire au Québec, celle des Bois-Francs, et professeur en développement économique communautaire au New Hampshire College : […] le concept de justice sociale distinguerait l’intervention communautaire des autres types d’intervention […] le concept de justice sociale suppose l’élimination de toute exploitation, oppression et discrimination. La justice sociale serait donc, à toutes fins utiles, le fondement sur lequel reposent toutes les autres caractéristiques de l’intervention communautaire : son approche globale, sa vision plus égalitaire des rapports entre intervenants et usagers, son opposition au service vu comme une fin en soi et ses pratiques différentes d’exercice du pouvoir18.
Selon Ninacs, les valeurs tributaires de la justice sociale doivent être à la fois les points de convergence entre les groupes qui composent le mouvement communautaire et les points de
18. W. Ninacs (1994). « Le développement local. Enjeux et défis des corporations de développement communautaire », dans L. Favreau, R. Lachapelle et L. Chagnon, Pratiques d’action communautaire en CLSC, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, p. 145-146.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
démarcation de ses pratiques avec celles des autres. Autrement, souligne-t-il, peut-il prétendre vouloir changer le monde ? La justice sociale peut se définir comme la répartition équitable de la richesse collective entre les membres de la société. La réalisation de ce principe implique en priorité la satisfaction des besoins et le respect des droits des citoyens laissés-pour-compte. La justice sociale se vérifie dans le choix des actions ; c’est un concept éthique dont la portée est éminemment politique. Le néolibéralisme nie le concept de justice sociale : le droit des forts doit seulement être assorti de compassion pour les faibles. La perspective politique inhérente à l’actualisation de la valeur de justice sociale serait, quant à elle, l’aboutissement d’un processus de conscientisation. Car bien qu’elle s’enracine dans le « sens de la justice » qui fait réagir les gens aux situations par trop inégales, elle doit malgré tout vaincre les préjugés véhiculés par l’idéologie dominante qui tendent à faire porter tout le poids de l’exclusion et de l’oppression par les personnes qui en sont victimes. On ne peut non plus parler de justice sociale sans faire référence aux valeurs d’égalité et d’équité. Cette dernière valeur est l’une des grandes préoccupations du mouvement des femmes qui croit que la recherche d’une plus grande équité entre les hommes et les femmes passe notamment par l’équité salariale. La Coalition nationale des femmes contre la pauvreté a d’ailleurs fait de l’équité salariale l’une de ces neuf revendications à l’occasion de la Marche « Du pain et des roses ». Elle exigeait alors une loi proactive en équité salariale au Québec qui reconnaîtrait un salaire égal pour un emploi différent, mais ayant la même valeur. Le mouvement Solidarité populaire Québec a fait, lui aussi, une place importante à l’équité dans le projet de société qu’il soumet dans La Charte d’un Québec populaire. Selon cette coalition nationale d’organismes, la recherche d’une plus grande équité repose sur au moins quatre principes : F le plein emploi et l’équité en emploi ; F la reconnaissance d’autres formes de contributions sociales
que le travail salarié ;
CHAPITRE 2 ◆ LES FONDEMENTS ÉTHIQUES DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
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F la santé comme condition minimale et l’attention particu-
lière aux populations plus vulnérables ; F une fiscalité efficace et redistributrice19.
Cette coalition fait sienne aussi l’importance de l’équité salariale entre les hommes et les femmes et propose l’équité en embauche et en emploi pour les personnes qui sont depuis longtemps confinées dans les secteurs précaires du marché du travail. Cette préoccupation d’équité en emploi rejoint celles de plusieurs autres organismes qui déploient des efforts constants pour favoriser l’insertion de personnes exclues en misant sur la création d’emplois d’utilité sociale. La justice sociale fait enfin appel à la recherche d’une plus grande égalité entre les personnes, puisque, selon l’appartenance de classe, de sexe, de race ou d’orientation sexuelle, les chances ne sont pas les mêmes pour tous. À cet égard, les pratiques d’action sociale qui misent sur la défense collective des droits et la lutte politique jouent, elles aussi, un rôle de premier plan vers une plus grande justice sociale.
2.2. LA SOLIDARITÉ La solidarité
A
En action communautaire, la solidarité signifie trouver les moyens de faire ressortir les liens et mettre en lien des individus touchés par un même problème ou un même besoin. La solidarité suppose que l’on travaille à mettre en évidence la notion de bien commun qui unit les personnes appartenant à une même communauté, la planète étant en quelque sorte notre ultime communauté d’appartenance. Enfin, la solidarité renvoie à l’action de développer la conscience que les libertés individuelles doivent tenir compte des droits collectifs pour s’exercer en toute légitimité. La création de liens de solidarité est donc au cœur des pratiques d’action communautaire car c’est grâce à la cohésion et à la force du nombre que l’on peut effectuer des changements sociaux.
19. Solidarité populaire Québec (1994). Op. cit., p. 13-14.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
Dans son sens le plus général, la solidarité désigne la relation entre plusieurs personnes qui ont conscience d’une communauté d’intérêts, ce qui entraîne l’obligation morale de leur porter assistance. Guy Paiement, agent de recherche et de développement au Centre Saint-Pierre de Montréal, complète cette définition en ajoutant que : La solidarité renvoie ainsi à des personnes qui répondent en commun, l’une pour l’autre, d’une même chose. Cette chose peut être un projet dont on accepte de répondre ou encore des objectifs, comme la promotion de toute une classe appauvrie20.
En organisation communautaire, la solidarité repose sur la capacité de tenir compte des intérêts convergents des personnes et des groupes dans le choix des enjeux d’une action. Sur le plan éthique, la mise en évidence d’intérêts convergents conduira les personnes concernées à agir en fonction des intérêts collectifs plutôt que des intérêts individuels. Sur le plan stratégique, ce principe de cohésion est déterminant, puisque la force des personnes exclues ou opprimées réside pour beaucoup dans leur nombre et dans le soutien qu’elles s’apportent mutuellement. La solidarité amènerait donc à promouvoir la concertation et les actions communes. La solidarité et ses corollaires, l’entraide, la coopération et la concertation, sont ainsi des valeurs indissociables de la justice sociale, puisque c’est par la force des dynamismes collectifs qu’une plus grande justice sociale sera possible. La création de liens de solidarité est donc au cœur du changement social. Ces liens de solidarité se tissent parfois sans éclat, à travers le quotidien des services et activités des groupes communautaires ; le temps venu, ils se rassemblent et surgissent avec éclat au grand jour pour revendiquer, par exemple, « Du pain et des roses » pour les femmes en situation de pauvreté. Pour le travailleur communautaire, la solidarité fait référence à deux choses : un parti pris en faveur des personnes les plus démunies et des pratiques qui favorisent la cohésion des groupes dans l’action sans compétition. En action communautaire, la valeur de solidarité n’est donc pas neutre.
20. G. Paiement (1990). Pour faire le changement, guide d’analyse sociale, Outremont, Novalis, p. 67.
CHAPITRE 2 ◆ LES FONDEMENTS ÉTHIQUES DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
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Avoir un parti pris en faveur des plus démunis suppose un engagement personnel de la part du professionnel qui va bien audelà du simple soutien technique. Cet engagement interpelle directement le travailleur communautaire, non seulement dans sa propre échelle de valeurs, mais dans la façon dont il se situe par rapport à son appartenance de classe, de sexe, de race, de religion et d’orientation sexuelle. À ce sujet, nous aimerions citer le témoignage intéressant d’une organisatrice communautaire du CLSC de la Basse-Ville de Québec21. Selon celle-ci, chaque dossier d’action communautaire est porteur de valeurs. Donc, avant d’« entrer » dans un dossier, elle s’interroge sur les valeurs portées par ce dossier de façon à mesurer si ces valeurs « collent » à ce qu’elle est et à ce qu’elle croit. Par exemple, elle affirme clairement sa solidarité à l’égard des femmes violentées dans son travail auprès d’une table de concertation sur la violence conjugale. L’intérêt personnel d’un groupe, par rapport aux autres groupes de son milieu, est une autre variable qui peut parfois venir ébranler la cohérence éthique au regard de la solidarité. Est-il possible de demeurer solidaire des autres groupes de son milieu lorsque vient le temps, par exemple, de négocier une demande de subvention devant l’Agence de la santé et des services sociaux ? La tentation devient-elle alors trop forte de faire passer ses intérêts personnels ou de groupe avant ceux des autres groupes du milieu, avec lesquels on souhaite en principe établir des rapports de collaboration ? Les enjeux de la régionalisation obligent parfois les groupes communautaires à redéfinir ce qu’implique l’exercice de la solidarité entre eux et à l’égard des personnes avec et pour lesquelles ils existent. Cette volonté de demeurer solidaire, même dans la tourmente, n’est certainement pas étrangère à la création de nombreux regroupements d’organismes communautaires sur une base locale ou régionale. Les corporations de développement communautaire (CDC), notamment, prouvent à leur tour qu’il est possible, et plus que jamais nécessaire, que les organismes communautaires se regroupent afin de représenter les intérêts communs de
21. Y. Hurtubise (1995). Organisation communautaire : le planning social (vidéo), Québec, Service des ressources pédagogiques, École de service social, Université Laval.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
leurs membres auprès d’instances gouvernementales et de favoriser le développement socioéconomique de leur milieu. La multiplication des CDC au Québec montre bien que la valeur de solidarité entre les groupes n’a pas perdu de sa vigueur lorsque la valeur de justice sociale se situe à l’avant-plan. Poursuivons cette réflexion sur un plan plus personnel en rappelant qu’aucun travailleur communautaire ne peut se croire à l’abri des questionnements et des contradictions lorsqu’il s’agit d’être cohérent par rapport à une valeur telle que la solidarité. De cette confrontation entre, d’une part, les valeurs et les intérêts personnels de l’intervenant et, d’autre part, les valeurs et les intérêts collectifs des personnes pour ou avec lesquelles il intervient pourront surgir des choix à faire. Le désir de demeurer cohérent sur le plan éthique pourra susciter chez lui des débats ouverts, des choix de dossiers ou d’actions, voire une remise en question de son engagement professionnel ou militant. En terminant, nous croyons que la valeur de solidarité sociale est probablement celle qui est le plus remise en question par l’actuel courant néolibéral. Car, comme le souligne Van Parijs, si l’histoire de l’État-providence peut être interprétée dans son ensemble comme une progression séculaire vers plus de solidarité, l’apparition de l’État-entreprise retire à l’État son rôle de redistributeur de la richesse collective, remettant ainsi à l’avant-plan les valeurs de charité et de compassion plutôt que les valeurs de justice sociale et de solidarité22. L’action communautaire aura donc beaucoup à faire pour replacer au centre des valeurs portées par notre société la valeur de solidarité sociale.
2.3. LA DÉMOCRATIE En action communautaire, la valeur de démocratie est étroitement liée à l’exercice de la citoyenneté, de manière à ce que les individus,
22. P. Van Parijs (1992). « Au-delà de la solidarité, les fondements éthiques de l’ÉtatProvidence et de son dépassement », Alternatives Walonnes, no 84, p. 26-35.
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les groupes et les collectivités puissent s’informer, réfléchir et participer aux décisions et aux choix de société qui les concernent. La démocratie
A
La valeur de démocratie se traduit par l’action d’encourager et de supporter la participation sociale des personnes dans l’expression de leurs problèmes et de leurs besoins, ainsi que dans le choix des objectifs, des stratégies et des moyens à mettre en œuvre pour y répondre. La valeur de démocratie implique aussi l’action de soutenir ou de créer des espaces de vie démocratiques, particulièrement pour les groupes sociaux qui vivent de l’exclusion et de la discrimination.
Bien que la société dans laquelle nous vivons soit l’une des plus démocratiques, il existe un côté sombre de la démocratie qui limite la participation au pouvoir de décision et, par le fait même, la cohérence démocratique comme mode d’organisation. Pour nommer quelques aspects de cette incohérence, mentionnons la discrimination dont sont victimes certaines catégories sociales de personnes et la difficulté qu’elles éprouvent à faire entendre leur voix relativement aux choix sociaux, économiques et politiques qui les concernent : personnes assistées sociales, sans-abri, personnes vivant des problèmes de santé mentale, travailleuses du sexe, etc. Les pratiques d’action communautaire viennent faire contrepoids à ces limitations ou à ces incohérences sur le plan de l’exercice de la démocratie, en contribuant à la création et au renforcement de nouveaux espaces démocratiques. En se regroupant au sein de groupes communautaires autonomes et autour de comités de citoyens, les personnes laissées-pour-compte trouvent là un lieu où elles peuvent se faire entendre et participer à la vie sociale, économique, politique et culturelle de notre société. Ces nouveaux espaces fournissent notamment l’occasion aux populations plus démunies de faire entendre leurs insatisfactions et leurs critiques à l’égard des programmes, des politiques et des lois. Ces espaces démocratiques favorisent l’expression de réalités de la vie quotidienne ; ils sont habituellement les premiers lieux de prise de parole et d’action liées aux problèmes sociaux. En action communautaire, la valeur de démocratie est donc étroitement liée à la notion de citoyenneté, c’est-à-dire à des pratiques qui favorisent l’exercice d’une citoyenneté active et responsable.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
Des comités de citoyens aux organismes communautaires autonomes, l’histoire du mouvement communautaire témoigne de cette volonté de faire de la démocratie autre chose qu’une « coquille vidée de sa substance », en donnant aux citoyens des lieux où ils peuvent faire contrepoids à ceux que l’on nomme les « décideurs ». La préoccupation de favoriser ou renforcer l’exercice d’une citoyenneté active est donc au cœur de la démarche communautaire qui ne doit jamais perdre de vue que le sens même de son existence est de donner la parole, et les outils pour s’organiser, aux personnes que la pauvreté, l’exclusion ou l’oppression réduit trop souvent au silence ou à l’impuissance. La valeur de démocratie implique, en plus de leur accessibilité, le contrôle des organismes communautaires par les personnes directement touchées par les problèmes sociaux qu’ils cherchent à éliminer. Pour que cela ne reste pas un vœu pieux, les organismes communautaires consacrent beaucoup d’énergie à recruter et à intégrer de nouveaux membres, à bâtir des programmes de formation à l’intention des bénévoles et à mettre en place des structures de fonctionnement qui favorisent l’engagement et la participation de tous. Les organisateurs communautaires à qui l’on confie très souvent la tâche d’animer les diverses rencontres et réunions qui ponctuent la vie du groupe ont une responsabilité importante à l’égard du respect de la démocratie, car l’animation doit non seulement soutenir le groupe vers l’atteinte de ses objectifs, mais le faire de façon à promouvoir un fonctionnement démocratique. L’exercice de la démocratie suppose aussi que l’information est partagée largement et efficacement entre les membres et les travailleurs bénévoles ou rémunérés. Rien de tel qu’une masse d’informations apportées à la dernière minute à une assemblée délibérante pour faire échec à la démocratie. La circulation de l’information, sa vulgarisation au besoin et des communications franches et transparentes sont donc au cœur d’un véritable fonctionnement démocratique.
2.4. L’AUTONOMIE L’autonomie renvoie à une valeur que portent non seulement les intervenantes et les intervenants communautaires, mais l’ensemble
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des intervenantes et intervenants sociaux qui cherchent à accroître le pouvoir personnel et politique des personnes et des collectivités. L’autonomie
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L’autonomie est la possibilité pour une personne, un groupe ou une communauté d’avoir les moyens de contrôler sa destinée. L’autonomie implique donc, pour une personne, une organisation ou une communauté, l’appropriation du pouvoir nécessaire pour réfléchir, décider et agir. Ce contrôle ne peut jamais être total, mais il doit permettre aux individus, aux collectivités et aux peuples de développer leur confiance et leur capacité à faire des choix personnels, sociaux, économiques, culturels et politiques.
L’autonomie repose sur le postulat que les individus, les groupes et les collectivités peuvent agir pour maintenir ou améliorer leurs conditions de vie et leur état de santé. Par conséquent, le rôle de l’action communautaire est de favoriser le cheminement des personnes et des collectivités vers la mise à contribution de leurs capacités à résoudre leurs difficultés et à modifier leurs conditions de vie. L’action communautaire encourage donc le milieu à se prendre en charge et à assurer son propre développement dans un processus d’empowerment. À cet égard, la valeur d’autonomie est l’une des valeurs déterminantes du mouvement des femmes qui, en faisant le choix d’intervenir avec une idéologie féministe, concrétise cette valeur en visant la restauration de l’estime de soi, le développement des capacités d’affirmation et la dévictimisation23. La valeur d’autonomie se retrouve aussi au cœur de la mission que poursuit l’éducation populaire autonome en cherchant à rejoindre des personnes qui contrôlent peu ou pas leurs conditions de vie ou de travail afin de favoriser leur prise en charge dans une perspective de changement social24. Enfin, la valeur d’autonomie rejoint également un grand nombre d’intervenants sociaux du secteur public qui font le choix d’intervenir avec des approches qui visent l’augmentation du
23. G. Larouche (1987). Agir contre la violence, Montréal, Les Éditions de la Pleine Lune, 549 pages. 24. MEPACQ (1990). Document du congrès d’orientation du MEPACQ, dans L’Atout. Manuel de ressources pour l’action communautaire, Sherbrooke, cahier no 10, p. 4.
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pouvoir des individus et des collectivités et le développement de leurs capacités à agir sur leur situation25. La valeur d’autonomie est donc une valeur vers laquelle convergent non seulement les pratiques d’action communautaire, mais également les pratiques en travail social individuel ou de groupe qui placent l’augmentation du pouvoir personnel et politique au cœur de leur intervention. Sur un plan plus politique, la valeur d’autonomie est, sans contredit, l’une des préoccupations majeures des groupes communautaires qui revendiquent à la fois une reconnaissance de leur contribution sociale et un financement adéquat dans le respect de leur autonomie. Depuis la réforme des services de santé et des services sociaux on reconnaît les groupes communautaires comme des partenaires à part entière. Cette reconnaissance par l’État vient cependant compromettre, selon plusieurs personnes du milieu communautaire, l’autonomie des groupes qui refusent d’être perçus comme des « boîtes à services » placées sur la première ligne du secteur public. Certains y voient même la mort du communautaire dans les valeurs qu’ils défendent26. Les groupes communautaires ont, tout au long de leur histoire, défini des orientations, des valeurs, des approches et des pratiques qui leur sont propres. Ils ont été très souvent les premiers à mettre au jour l’existence de problèmes sociaux jusque-là occultés. Ils ont su mettre sur pied des services et des activités pour répondre à des besoins auparavant négligés. Lorsqu’on demande aux organismes communautaires de collaborer à la mise en place de réseaux de services intégrés, l’autonomie devient un enjeu majeur dans les rapports avec les établissements du réseau de la santé et des services sociaux. En effet, on force, notamment, certains groupes à s’inscrire dans une logique qui vise à cibler telle ou telle population présentant telle ou telle problématique. Cette logique institutionnelle est contraire
25. M. Moreau (1987). « L’approche structurelle en travail social. Implications pratiques d’une approche intégrée conflictuelle », Service social, vol. 36, nos 2-3, p. 227-247. 26. Propos tenus par Françoise David lors d’une journée de formation en Montérégie, dans Inter-action communautaire, octobre 1991, p. 10.
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à la vision d’une fraction importante du mouvement communautaire qui croit plutôt à la nécessité d’une approche globale et non compartimentée des problèmes. Cette coexistence entre le réseau public et le mouvement communautaire n’est pas chose facile, le secteur public étant souvent accusé de déverser son trop-plein de demandes dans la cour des organismes communautaires ou, pire encore, de diriger ailleurs les « cas » dont il ne sait que faire. D’autres dénoncent aussi les rapports de collaboration de type « pater-nariat » que les CLSC, notamment, entretiennent avec les organismes communautaires de leur milieu. Ces rapports se caractérisent, selon Panet-Raymond et Bourque27, par un droit de paternité sur l’organisme communautaire et les besoins de soutien professionnel ou technique de celuici, ainsi que par le fait d’imposer ses intérêts et de réduire les organismes à une valeur instrumentale pour mener à bien le programme du CLSC. La pleine reconnaissance de l’autonomie d’un groupe est pourtant contraire à de tels types de rapports et suppose, selon Panet-Raymond et Bourque , ce qui suit. F La connaissance et le respect de ses orientations, de ses
valeurs, de son approche et de ses pratiques. F Une conception des rapports avec les organismes commu-
nautaires où ceux-ci ne sont pas vus comme des ressources au service du secteur public, mais comme des partenaires égaux et autonomes au service de leur clientèle et responsables devant la communauté. Des partenaires que le secteur public a intérêt à voir grandir selon leur dynamique propre. F Des attitudes qui respectent la différence des partenaires
où l’on retrouve la volonté de faire des compromis, la transparence, la capacité d’être à l’écoute et l’ouverture d’esprit. L’empowerment communautaire consiste en une reconnaissance et en un renforcement de la capacité des individus et d’une
27. J. Panet-Raymond et D. Bourque (1991). Partenariat ou pater-nariat, Montréal, Université de Montréal, École de service social, p. 99.
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collectivité à participer aux décisions touchant l’organisation et la distribution des services. Plus largement, ce concept renvoie à la capacité des personnes à être des sujets actifs du développement de leur milieu. Ce concept qui nous vient des États-Unis se traduit difficilement en français. Il suggère l’idée d’une participation démocratique des citoyens au pouvoir. Les individus doivent par conséquent avoir les compétences pour maîtriser parfaitement la prise de décision de leur organisme et, par extension, leur organisme doit être libre d’exercer pleinement son pouvoir sur l’environnement communautaire, notamment dans des relations avec les établissements publics. L’autonomie individuelle et communautaire passe donc par l’acquisition des capacités à choisir, à décider en fonction du choix et à agir en fonction de sa décision. Pour les travailleurs communautaires en CLSC, dont le mandat passe par le soutien aux groupes de la collectivité, la valeur d’autonomie est donc au cœur des relations qu’ils établissent avec les organismes communautaires de leur milieu. Les travailleurs en CLSC doivent constamment rester vigilants s’ils veulent éviter d’entretenir des relations de dépendance ou de contrôle à l’égard des organismes communautaires. Les pièges sont pourtant nombreux, car il peut être tentant pour un travailleur social, par exemple, de « tenir à bout de bras » un organisme communautaire utile au CLSC pour compléter sa mission ou y suppléer ; accepter d’occuper un poste au conseil d’administration d’un groupe au risque d’influer sur ses orientations dans le sens des intérêts du CLSC ; assumer un rôle d’aide technique sans véritablement chercher à transmettre au groupe les outils dont il aurait besoin pour se prendre en main, ou encore conserver un lien de soutien professionnel bien au-delà de ce qui est nécessaire, parce que ce groupe c’est un peu son « bébé » et qu’il se sent mieux là qu’au CLSC. Nous croyons important de mentionner ici que l’autonomie ne relève pas seulement des rapports entre les établissements publics et les groupes communautaires, mais aussi des rapports qu’entretiennent les groupes communautaires entre eux ainsi qu’avec les autres acteurs sociaux de la communauté.
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Entre eux, les organismes communautaires ont à composer avec le respect de leur autonomie, qui se manifeste à deux niveaux : F à l’intérieur d’une communauté locale, où chacun doit
apprendre à connaître et à respecter la spécificité de l’un et de l’autre, dans un esprit de coopération ; F à l’intérieur des regroupements ou fédérations que les
groupes se donnent lorsqu’ils partagent une mission et des valeurs communes, en cherchant à ce que ces structures ne nuisent pas à l’autonomie de leurs membres. Enfin, dans leurs relations avec les autres acteurs sociaux de la communauté, tels que les gens d’affaires, les politiciens, les institutions, les municipalités, les clubs sociaux, les paroisses et même les médias locaux, les organismes communautaires doivent demeurer vigilants et se tenir debout afin de ne pas être récupérés ou utilisés. Emprunté au lexique des activistes sociaux anglo-saxons, notamment américains, le terme « empowerment » est fréquemment utilisé en action communautaire pour définir des activités dont l’objectif est de donner aux personnes et aux collectivités la capacité d’assumer du pouvoir (« to empower »). La traduction française de ce terme est « appropriation de pouvoir28 ». Cette notion s’apparente à celle d’autonomie mais est à notre avis conséquente à celle-ci. En effet, il nous semble que l’autonomie renvoie à la latitude plus ou moins grande dont disposent les personnes pour faire leur propre choix sans égard à la logique des rapports de pouvoir. Sur cette base, on parle d’éducation populaire autonome ou d’organismes communautaires autonomes, pour bien marquer la liberté d’agir des groupes qui s’en réclament. L’autonomie d’une personne sera aussi fonction de la qualité de son indépendance. Ainsi, une femme autonome le sera aux plans économique et juridique et la qualité de cette autonomie diminuera les facteurs qui peuvent entraver la liberté de ses choix. Pour être plus autonome, une personne handicapée doit compter sur des formes de supports qui compensent
28. J. Chamberlin (1997). « A Working Definition of Empowerment », Psychatric Rehabilitation Journal, vol. 20, no 4, printemps. Traduction de Charles Rice sous le tire « Une définition opérationnelle du concept d’appropriation de pouvoir », Le Voilier, Droits et recours Laurentides, vol. 4, no 2.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
son handicap. Les ressources alternatives en santé mentale ont largement été le produit d’une volonté de rendre plus autonomes les personnes affectées par des problèmes de santé mentale, notamment en offrant une option à la psychiatrie traditionnelle, à la surmédicamentation et à l’institutionnalisation des individus. En fait, cette autonomie est la condition préalable au développement de la capacité des personnes d’assumer du pouvoir sur leur vie et sur le développement de leur société. L’empowerment est à la fois un objectif et un processus. Il vise tant les individus que les groupes et les collectivités. La notion d’empowerment renvoie davantage à la capacité qu’ont des personnes et des organismes de s’inscrire dans la dynamique des rapports de pouvoir à armes égales. Ainsi, un prestataire de l’aide sociale qui maîtrise bien les lois qui le concernent est-il mieux en mesure de tirer son épingle du jeu. La qualité du contrôle que peuvent avoir les citoyens sur les institutions qui régissent leur vie relève de l’empowerment. Ce fut notamment le cas dans le cadre des conseils d’administration des défuntes Régies régionales de la santé, qui furent éliminées notamment parce que ce gain de pouvoir pouvait contrecarrer les plans ministériels. Les organismes communautaires qui se qualifient d’autonomes justifient ce qualificatif par le fait qu’ils déterminent eux-mêmes leur mission, leur stratégie d’intervention, leurs objectifs et leur mode de fonctionnement démocratique. Formellement reconnue par l’État québécois, cette autonomie, si elle n’est pas un gage de pouvoir plus grand, en est en quelque sorte la condition préalable. Autonomie et empowerment : deux facettes d’un même objectif de liberté réelle, tant au plan personnel que collectif.
2.5. LE RESPECT Le respect est une valeur autour de laquelle se dégage un véritable consensus social. On peut même avancer que le respect constitue probablement la valeur primordiale dans le champ du social. Tous cependant n’y donnent pas le même sens, ni la même portée, comme nous le constaterons dans les diverses interprétations et applications qui suivent.
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Le respect
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En action communautaire, la valeur de respect englobe à la fois le respect des personnes et des groupes au plan de leur autonomie, de leur rythme et de leur culture, mais aussi la prise en compte de toute forme de différences. La valeur de respect interpelle aussi l’intervenant communautaire afin qu’il ou elle prenne conscience de l’influence de ses propres préjugés et biais dans ses interventions afin de ne pas perpétuer les rapports dominant/dominé.
En action communautaire, la valeur de respect englobe à la fois le respect des personnes et des groupes au plan de leur intégrité, de leur dignité, de leur rythme et de leur autonomie, mais aussi la prise en compte de toutes les formes de différences. Dans son sens le plus large, voyons d’abord la définition du respect que donne le Regroupement provincial des organismes communautaires d’assistance et d’accompagnement aux plaintes, qui a identifié le respect comme principale valeur de référence : Nous entendons le respect de l’individu au niveau de son intégrité, de sa liberté, de ses croyances, de ses valeurs, de son autonomie, de sa dignité, de son rythme et de sa vie privée29.
On constate que cette façon de concevoir le respect englobe aussi d’autres valeurs, comme l’autonomie et la dignité, de même que le droit à la vie privée, qui rejoint le droit à la confidentialité. Le respect peut aussi être défini comme la reconnaissance du statut du sujet, du droit d’agir en personne libre et autonome dans un groupe, une collectivité ou un milieu. Le respect est l’expression dans l’action de la dignité des personnes. Cependant, cette valeur est malheureusement trop souvent réduite à une certaine retenue dans les relations interpersonnelles. Le respect suppose qu’on est conscient de la dynamique d’une communauté et de l’importance de la culture, des croyances et des valeurs des membres de cette communauté. Le respect exige aussi la vérité dans l’analyse des enjeux et le courage de dire ce qui ne va pas, car le respect est le contraire de la complaisance.
29. N. Adams et al. (1995). Op. cit., p. 5.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
Les réflexions que l’on trouve dans l’ouvrage Pratiques de conscientisation30 sur les attitudes à acquérir et les rôles à jouer par les travailleurs sociaux qui utilisent l’approche conscientisante ajoutent à la valeur de respect une dimension à la fois politique et pédagogique. L’une des caractéristiques fondamentales de l’intervention conscientisante est justement d’accorder attention et respect à la culture des gens avec qui l’on intervient. Ce respect de la culture tient compte du langage propre des personnes, de leur perception de la réalité et de leurs habitudes de vie, non pas pour les juger, mais pour entreprendre à partir d’elles et avec elles une démarche d’éducation populaire. Cette connaissance et ce respect de la culture du milieu entraînent une attitude d’écoute à l’égard de ce que les gens disent et vivent, afin d’amorcer un véritable dialogue raccroché au vécu des gens. L’attention portée à la culture conduira les organisateurs communautaires à créer des outils pédagogiques appropriés et adaptés aux caractéristiques des personnes avec qui ils travaillent. Cette préoccupation les conduira à accorder beaucoup d’importance à leur façon d’écrire, au langage qu’ils adoptent, aux contacts verbaux qu’ils établissent et à l’ambiance visuelle dans les réunions ou assemblées. Enfin, on ne peut parler de respect dans un contexte d’action communautaire sans parler de préjugés et de mythes, car les personnes actives en milieu communautaire ne sont à l’abri ni de l’un ni de l’autre. L’idéologie dominante est porteuse de nombreux mythes et préjugés qui soutiennent, maintiennent et légitiment l’ordre social inégal. Par leur appartenance de classe, de sexe, d’âge, de race ou d’orientation sexuelle, les travailleurs communautaires ont été et sont encore influencés par ces mythes, tandis que le discours dominant véhiculé par les médias et dans le réseau de relations sociales se charge de nourrir les préjugés. Utilisant l’approche structurelle, Maurice Moreau31 s’est particulièrement intéressé aux mythes et croyances de base sur lesquels la société actuelle s’appuie, comme le mythe de la famille nécessai-
30. G. Ampleman et al. (1983). Pratiques de conscientisation, Montréal, Nouvelle Optique, p. 157-197 et p. 283-289. 31. M. Moreau (1990). « Approche structurelle en service social », dans L’approche structurelle en travail social : quelques outils d’analyse pratique, Montréal, École de service social, Université de Montréal.
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rement constituée de deux parents hétérosexuels, le mythe de la femme dont le bonheur dépend du mariage et de la maternité, celui voulant que la consommation apporte le bonheur et enfin celui, non moins tenace, selon lequel tous ont une chance égale de réussir dans la société. À cet égard, l’approche structurelle encourage les travailleurs communautaires à reconnaître leurs propres biais et préjugés et à en être conscients afin de renverser la tendance fortement répandue de « blâmer » la personne. Ils doivent plutôt chercher à réinstaurer chez la personne déviante le pouvoir potentiel de négocier les conditions dans lesquelles elle se trouve. De son côté, Marc-André Deniger32 se préoccupe des préjugés qui circulent à l’égard des personnes exclues ou opprimées, de même que de leurs conséquences sur le maintien de leur exclusion ou de leur oppression. Il définit les préjugés comme des expressions d’intolérance qui contribuent à stigmatiser les personnes en les rendant responsables de leur situation de marginalisation et d’exclusion et en occultant les causes structurelles des problèmes sociaux. Selon Deniger les préjugés ont une fonction sociale, celle d’assurer la conformité et l’appartenance à un groupe socialement dominant. Ils permettent à ces mêmes personnes de protéger les privilèges rattachés à leur position sociale et d’interdire aux autres membres de la société d’accéder aux ressources dont elles disposent. Tout comme par rapport aux mythes, les travailleurs communautaires ont aussi intériorisé certains des préjugés qui circulent dans notre société, ne serait-ce que ceux véhiculés sur les personnes assistées sociales. Sans tomber dans l’autoflagellation, nous croyons qu’il est important que chacun soit vigilant par rapport aux manifestations d’agacement, d’intolérance, d’impatience ou d’agressivité qui surgissent parfois à l’égard de certaines personnes, de façon à garantir à ces dernières le respect auquel elles ont droit. En l’absence d’un tel respect, il sera en effet bien difficile de stimuler l’esprit d’autonomie de ces personnes et la pleine reconnaissance de leur droit à de meilleures conditions de vie ou à une plus grande qualité de vie. F
32. M.-A. Deniger (1992). Le B.S. Mythes et réalités, Conseil canadien de développement social et Front commun des personnes assistées sociales, p. 11-12.
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Ce survol des valeurs portées par l’intervention communautaire ne serait pas complet sans une incursion du côté d’un certain nombre d’autres valeurs qui viennent, elles aussi, interpeller l’action communautaire. La confidentialité, si chère à la relation d’aide sur le plan individuel, gagne peu à peu du terrain en intervention communautaire. De plus en plus d’organisateurs communautaires en CLSC, notamment, souhaitent désormais taire l’identité des groupes auxquels ils apportent un soutien technique et professionnel, particulièrement si cet appui est lié à des difficultés concernant la gestion des ressources humaines ou toute autre forme de conflit. De même, les valeurs de productivité et de rentabilité, lorsqu’il y a intervention dans le champ de l’économie communautaire, n’ont pas fini de soulever un questionnement éthique, car plusieurs se demandent encore comment concilier ces valeurs avec celles de solidarité, de respect et de démocratie. Mais quelles que soient les valeurs en cause, les questionnements d’ordre éthique demeurent toujours présents lorsqu’il s’agit de prendre une décision qui affecte les autres. Cependant, les valeurs que nous laisse l’héritage historique de l’éthique communautaire sont là pour nous servir de guides afin de juger du bien-fondé d’une décision. Dans le doute, il ne faut pas hésiter à partager ce questionnement avec son équipe de travail ou avec une personne à qui l’on reconnaît une intégrité sur le plan de la cohérence éthique.
3.
L’ACTION COMMUNAUTAIRE ET LA COHÉRENCE SOCIALE Comme on vient de le constater, et comme le révèlent les pratiques d’action communautaire à ce jour, l’intervention communautaire se fonde sur un éventail de valeurs qui trouvent leur expression dans le discours, les revendications, les actions et les rapports aux membres et à la collectivité. Mais comme nous le mentionnions dans notre réflexion sur le concept de norme, l’intervention communautaire est aussi un puissant générateur de cohérence sociale en dénonçant et en agissant sur les nombreuses incohérences et contradictions inhérentes aux lois, aux droits et aux autres dimensions de l’univers normatif.
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C’est ainsi que les travailleurs communautaires mettront à l’épreuve les prétentions collectives à la rectitude démocratique en revendiquant plus de pouvoir pour les personnes, les communautés, les collectivités locales ou régionales33. Générer de la cohérence sociale, c’est aussi mettre en place des services essentiels, sans lesquels les droits humains, les droits politiques et les droits sociaux ainsi que leurs a priori axiologiques de respect, de dignité, d’équité, de justice et de solidarité ne seraient que des affirmations de principes sans conséquence. En défendant, par exemple, l’utilité des hôpitaux de quartier, les travailleurs sociaux ne cherchent pas à défendre des intérêts corporatistes ou à exprimer un esprit de clocher ; ils veulent plutôt donner du sens au droit à la santé, tout comme le faisait la génération précédente en favorisant l’ouverture de cliniques médicales dans les quartiers populaires urbains. On notera cette continuité éthique qui transcende les différentes formes que peuvent prendre les pratiques.
3.1. ARBITRAGES ÉTHIQUES ET COHÉRENCE DANS LES PRATIQUES L’action communautaire nous invite aussi à arbitrer des conflits de « droits » en établissant clairement la prépondérance des droits humains sur certains autres droits plus relatifs, notamment en ce qui concerne une certaine liberté de commerce que d’aucuns, libéralisme oblige, voudraient absolue. Par exemple, les regroupements qui luttent contre la pornographie opposeront le droit au respect de l’intégrité physique et psychologique des personnes au droit de commercer « librement », ou encore à un droit absolu à la libre expression. Cet arbitrage fera parfois ressortir d’importantes divisions sociales qui opposent de larges secteurs de la population ou d’importants groupes sociaux.
33. Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles (1992). Régionalisation et démocratie : pour une réelle participation des organismes communautaires et bénévoles.
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D’autres problématiques posent aux mouvements communautaires des défis éthiques qu’ils doivent arbitrer de la façon la plus cohérente possible. Mentionnons particulièrement les problèmes posés par la concertation, l’acceptation d’un partenariat inégal, la sous-traitance, la professionnalisation, la bureaucratisation des pratiques et l’acceptation d’un certain niveau d’institutionnalisation. Le débat sur les accommodements raisonnables montre bien, également, que de nouveaux dilemmes peuvent se poser dans un contexte de transformation du tissu social, notamment en milieu urbain. Ainsi, faut-il, au nom d’une certaine rectitude politique ou idéologique, s’adapter à des pratiques contraires aux valeurs qui nous sont chères, par exemple en ce qui concerne la violence envers les femmes et les enfants sous toutes ses formes, l’aménagement du territoire, des pratiques culturelles aliénantes ? Faut-il accepter une interprétation à géométrie variable de la Charte des droits et libertés par crainte d’être soupçonnés d’intolérance ? Enfin, la cohérence dans les pratiques n’exige-t-elle pas de bien comprendre les limites de l’action communautaire, notamment celle qui se qualifie d’autonome, au risque de s’empêtrer dans des contradictions qui pourraient devenir insoutenables ? Sur ce sujet et à titre d’exemple, l’organisateur communautaire Jacques Fournier, parlant des entreprises d’économie sociale dans le domaine des services domestiques (EESAD), note que « l’économie sociale en aide domestique a permis à ces femmes de sortir de la misère, mais pas de la pauvreté. Les EESAD sont devenues avec les années exactement ce que nous ne voulions pas qu’elles soient lors de leur création : un ghetto d’emplois sous-payés34. »
34. J. Fournier (2007). « Le désengorgement des urgences passe par des services d’aide à domicile plus substantiels, Le Devoir, 23 juillet, p. B3.
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3.2. PROLONGEMENT POLITIQUE À DES CONSIDÉRATIONS ÉTHIQUES Dans la mesure où elles remettent en question et influencent nos choix collectifs, les pratiques d’intervention communautaire ont un effet et un prolongement certains sur le plan politique. À cet égard, elles remettent en question certains choix gouvernementaux, déterminés beaucoup plus par une perspective électoraliste ou à partir d’une conception étroite de la rationalisation des services qu’en fonction d’un effort de cohérence éthique. C’est ce qu’exprime avec éloquence la levée de boucliers qu’a provoquée le projet de réforme de la sécurité sociale proposé par le gouvernement fédéral en 1994. Le virage ambulatoire et le redéploiement des ressources dans le secteur des soins hospitaliers ont provoqué une certaine mobilisation des milieux communautaires. Cette très importante réforme touche pourtant aussi bien les milieux autonomes qu’institutionnels. Applaudie par les CLSC, elle a soulevé la grogne des milieux hospitaliers et des syndicats. Cette réforme, qui réinterprète le droit à la santé et entraînera des conséquences significatives en ce qui concerne la responsabilisation des individus, des familles et des communautés locales, pose notamment le problème de la concertation et de la participation formelle des milieux communautaires aux institutions de l’État. Il s’agit là d’une question majeure, lourdement chargée, tant sur le plan éthique que politique. D’une autre manière, il est évident que les pratiques communautaires expriment parfois des enjeux politiques. Se posera alors le problème de l’engagement politique, qu’il soit partisan ou pas. Au Canada, en France ou en Angleterre, les organismes communautaires et les travailleurs sociaux sont plutôt branchés sur des partis politiques identifiés à une certaine gauche : NPD, Parti socialiste, Parti travailliste. Au Québec, l’adhésion partisane est beaucoup plus floue et elle est l’objet de retenue. Elle évolue de façon ponctuelle au gré des conjonctures. Le financement des organismes communautaires par l’État et les pressions qui peuvent alors s’exercer sur les groupes par les partis politiques sont importants. Il arrive, comme nous avons pu le vérifier au moment du référendum d’octobre 1995 portant sur
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l’accession du Québec à la souveraineté, que plusieurs groupes communautaires se réfugient dans le silence, craignant de perdre leurs subventions. Nous ne pouvons que nous interroger sur la signification éthique d’un désengagement légitimé de pareille façon par des milieux où l’autonomie, la liberté et la démocratie sont reconnues comme des valeurs essentielles… Bref, le rapport éthique-politique constitue une zone grise de l’action communautaire. La normalisation de ce rapport dépendra de la coïncidence des programmes politiques partisans avec les revendications portées par les groupes et les intervenants.
4.
ÉTHIQUE, CODE D’ÉTHIQUE ET CODE DE DÉONTOLOGIE Comme nous avons pu le constater dans les pages qui précèdent, la réflexion éthique permet aux intervenantes et intervenants communautaires de mieux déterminer les finalités de leur action. Elle suggère un questionnement radical sur le sens des pratiques et propose des perspectives d’engagement fondées sur la cohérence des actions par rapport aux valeurs en jeu. Pour mener à bien cette réflexion et s’assurer qu’elle fait partie de leurs préoccupations quotidiennes, un nombre grandissant d’organismes communautaires se dotent de codes d’éthique. Le code d’éthique devient ainsi l’expression des valeurs partagées par les membres d’une association. Il sert de guide et propose des balises à l’action. Il impose le souci de la cohérence et constitue un outil indispensable lorsqu’il s’agit d’évaluer le sens et la pertinence des interventions. La pertinence d’un tel outil et la façon dont il prend forme dans les milieux communautaires et institutionnels demeurent à vérifier.
4.1. CODE D’ÉTHIQUE Pour satisfaire aux exigences de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, les établissements publics ont tous achevé ou amorcé au sein de leurs organismes respectifs une démarche d’implantation de code d’éthique. En ce qui concerne plus spécifi-
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quement les CLSC, la Fédération des CLSC a pris l’initiative de formuler des recommandations pour l’adoption d’un code d’éthique dans chacun des établissements qu’elle représente. La FCLSCQ suggère deux bases axiologiques : des valeurs institutionnelles, telles que le maintien en milieu naturel et l’approche globale, multidisciplinaire et préventive, et des valeurs de services, comme celle selon laquelle l’usager doit, dans toute intervention, être traité avec courtoisie, équité et compréhension, dans le respect de sa dignité, de son autonomie et de ses besoins. De plus, la FCLSCQ insiste sur cette référence essentielle qu’est la Charte des droits et libertés de la personne, et elle reconnaît que la normalisation des valeurs affirmées exige de la cohérence avec les droits qu’on y retrouve. Certains établissements comme les centres jeunesse ont poussé la réflexion éthique encore plus loin en suggérant l’idée d’un code d’éthique évolutif. Ils se basent sur le principe que le code d’éthique d’un établissement « n’est qu’un moment dans le processus d’évolution des valeurs d’un établissement et doit émerger d’un processus de confrontation des valeurs et des visions du monde d’au moins quatre instances : le personnel, les usagers, les partenaires ainsi que les lois et leurs principes35 ». Pour appuyer ce principe d’un code d’éthique évolutif, le Centre jeunesse du Bas-Saint-Laurent a mis sur pied un comité d’assistance aux décisions éthiques. Ce comité a notamment pour rôle de : […] se faire le lieu d’une confrontation honnête des valeurs et des visions du monde en conflit dans un dilemme éthique en vue d’évoluer lui-même et de faire évoluer, en accompagnant les acteurs mêmes du problème vers une clarification de leurs décisions, valeurs et visions du monde36.
Nous croyons qu’il s’agit là d’une expérience intéressante qui rejoint l’essence même d’une véritable réflexion éthique, qui est bien plus que l’application des normes rigides d’une culture
35. J. Bédard (1995). « Le Comité d’assistance aux décisions éthiques et le Code d’éthique », dans L’éthique sur le terrain, la santé communautaire et ses dilemmes, Actes du colloque tenu au Cégep de Maisonneuve, Montréal, 29 avril, p. 21-32. 36. J. Bédard (1995). Op. cit., p. 8.
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institutionnelle; c’est une réflexion qui est confrontée perpétuellement à la réalité sociale et aux individus concernés. Les organismes communautaires autonomes sont aussi de plus en plus nombreux à se doter d’un code d’éthique. Par ailleurs, certains regroupements, tel l’R des centres de femmes du Québec, ont opté pour une « base d’unité politique » à laquelle adhèrent les centres de femmes membres de l’R. Cette base d’unité est construite autour des aspirations et des valeurs féministes. On y retrouve une explication de l’orientation féministe des centres de femmes ainsi qu’une description de leur mandat qui s’articule autour des services, des activités d’éducation populaire et de l’action collective37. Quels que soient la formule choisie et le milieu où elle s’implante, l’élaboration d’un code d’éthique doit s’inscrire dans un processus de réflexion et de concertation entre les membres d’un organisme communautaire ou entre les différents travailleurs et groupes professionnels à l’intérieur d’une institution. Il serait en effet pour le moins contradictoire qu’un code d’éthique soit imposé par une minorité à l’ensemble des personnes auxquelles il s’adresse. L’élaboration d’un code d’éthique doit reposer sur la recherche d’un consensus fondé sur la définition de valeurs partagées.
4.2. PERTINENCE D’UN CODE D’ÉTHIQUE EN ACTION COMMUNAUTAIRE Les questionnements d’ordre éthique sont de plus en plus nombreux et diversifiés dans le champ de la pratique d’action communautaire. Pour la plupart, c’est en faisant appel à leur conscience que les travailleurs communautaires trouvent réponse à leurs questions. Cette réflexion les renvoie justement à la dimension fondamentale de l’éthique qui repose sur l’autonomie et sur la capacité de tirer les conséquences pratiques de ses actes en tenant compte des rapports de convivialité entre les humains.
37. L’R des centres de femmes du Québec (1993). Base d’unité politique des centres de femmes du Québec, juin, 8 p.
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Ces choix sont évidemment influencés par un certain nombre de valeurs partagées en intervention communautaire, de même que par un souci de cohérence éthique. Cette responsabilité individuelle pourra aussi être balisée par le code d’éthique du groupe ou de l’établissement auquel les travailleurs sociaux sont rattachés. Cependant, si certains se retrouvent tout à fait dans les valeurs, devoirs et engagements privilégiés par leur employeur, d’autres, par contre, comme c’est le cas de plusieurs organisateurs et travailleurs communautaires de CLSC, peuvent trouver difficile de s’identifier au code d’éthique de leur établissement et vont jusqu’à demander l’ajout d’un chapitre qui traiterait plus spécifiquement des services d’action communautaire. Les codes d’éthique des organismes ou établissements employeurs sont donc, pour l’heure, les seuls guides sur lesquels les intervenants communautaires peuvent s’appuyer pour baliser leur pratique, puisqu’il n’existe actuellement aucun code d’éthique ou code de déontologie propre à la pratique de l’intervention communautaire. De ce fait, on peut aisément envisager la pertinence d’un tel outil pour rendre plus explicites les valeurs partagées par les intervenants communautaires afin d’offrir des balises à la pratique. Une partie de la réponse a été donnée à l’occasion d’une enquête auprès des travailleurs communautaires en CLSC en 1988-1989, alors que 78 % d’entre eux affirmaient la nécessité d’un code d’éthique38. Dans son document de réflexion sur les Pratiques d’action communautaire en CLSC, la Fédération des CLSC soulève justement le fait qu’en raison des éléments conjoncturels ou propres à la dynamique d’une action dans le milieu, le travailleur communautaire peut être au cœur de conflits importants susceptibles de mettre en cause sa crédibilité ou celle du CLSC. Le document soulève aussi la question de la visibilité du rôle de l’intervenant communautaire et de ses conséquences, l’effet politique des interventions et les conflits d’intérêts possibles entre les groupes de la communauté et le CLSC. Les nouvelles règles du jeu quant au financement des organismes communautaires dans le cadre de la réforme du système de santé et des services sociaux font aussi partie des réalités nouvelles
38. Y. Hurtubise et al. (1989). Op. cit., p. 40.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
qui peuvent contribuer à la complexité de l’intervention en action communautaire en modifiant les rapports de concertation entre le CSLC et les organismes communautaires. Pour les travailleurs communautaires engagés dans un tel questionnement éthique, la Fédération des CLSC suggère, pour l’immédiat, de compter sur l’aide des pairs et des gestionnaires pour clarifier les avenues possibles, définir ou préciser les limites d’intervention dans certaines situations et adapter le code d’éthique du CLSC en conséquence. Mais, pour l’avenir, d’autres voies sont envisagées, soit celles : […] d’approfondir certains éléments au niveau local dans le cadre du code d’éthique et, au niveau provincial, par le biais d’un comité de travail qui pourrait inclure la Corporation des travailleurs sociaux, la Fédération des CLSC et le RQIIAC. Les champs suivants pourraient être couverts : F les balises générales en matière de soutien aux groupes du
milieu pour éviter les conflits d’orientation entre groupes du milieu et CLSC (p. ex. : soutenir un groupe contre l’avortement lorsque cette pratique est sanctionnée au CLSC ou, à l’inverse, soutenir un groupe favorable à l’avortement qui interpelle le CLSC alors que celui-ci a pris position contre le développement de ces services ; ou encore l’utilisation abusive des ressources communautaires pour qu’elles rendent des services qui dépassent leur mandat) ; F le soutien au développement d’emplois précaires, notam-
ment dans les champs concurrentiels du secteur public (p. ex. : développement des projets d’emplois temporaires dans le secteur de maintien à domicile où les conditions favorables à la réinsertion sur le marché du travail sont pratiquement inexistantes ou lorsque le type de services offerts relève de la responsabilité publique) ; F les balises quant à l’implication politique dans le cadre de
fonctions professionnelles (p. ex. : impact politique de certaines interventions ou utilisation de son rôle professionnel dans le cadre d’un engagement politique personnel)39.
39. Fédération des CLSC du Québec (1994). Pratiques d’action communautaire en CLSC, document de réflexion, p. 28-29.
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Cependant, s’il est juste que le questionnement éthique soulevé par le document de réflexion de la Fédération des CLSC relève davantage de l’action communautaire en CLSC, d’autres questions parmi celles soulevées dans ce chapitre rejoignent aussi les travailleurs des groupes communautaires autonomes. Donc, sans négliger la pertinence d’une réflexion éthique préalable chez les travailleurs communautaires des CLSC, notamment en ce qui a trait aux balises de soutien aux groupes du milieu, peut-être y aurait-il lieu de jeter par la suite des ponts entre l’action communautaire en CLSC et l’action communautaire en milieu communautaire autonome. Ce rapprochement aurait pour effet de partager et de consolider plus clairement les aspirations et les valeurs communes, dans un esprit de véritable partenariat et de lucidité par rapport aux rôles politiques respectifs de chacun. Les organismes volontaires d’éducation populaire, dont la mission s’oriente davantage dans le sens d’une analyse et d’une réflexion sociales et politiques, de concert avec le Regroupement québécois des intervenants et intervenantes en action communautaire en CLSC (RQIIAC), pourraient, à notre avis, assumer la direction d’une telle démarche. Une collaboration avec les milieux d’enseignement collégial et universitaire en travail social ne serait pas non plus à exclure, puisque ceux-ci sont directement interpellés lorsqu’il s’agit de transmettre à de futurs travailleurs sociaux l’héritage historique de l’éthique communautaire.
4.3. CODE DE DÉONTOLOGIE EN MILIEU COMMUNAUTAIRE Bien qu’ils servent tous deux à normaliser des valeurs, le code de déontologie se distingue du code d’éthique en ce qu’il désigne l’ensemble des exigences, règles et devoirs que comporte le champ plus restreint de la pratique professionnelle. Ainsi, le code de déontologie de l’Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec prône des valeurs d’intégrité et d’objectivité, d’indépendance et de désintéressement dans ses rapports avec les « clients » et accorde à la confidentialité une importance toute particulière dans la hiérarchie des valeurs à respecter.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
Selon Pierre Fortin, les valeurs partagées ne sont pas la seule raison qui incite les associations, ordres ou corporations professionnelles à se doter de codes de déontologie. Il semble y avoir quatre principales raisons qui amènent une corporation ou une association professionnelle à se doter d’un code déontologique. Premièrement, on perçoit le code déontologique comme un moyen d’accréditation de la corporation ou de la profession dans la société ; le code est alors perçu comme un moyen de promotion sociale de l’organisation. Deuxièmement, on considère qu’il permet à une corporation ou à une association d’affirmer un certain nombre de valeurs ; valeurs qui, tout en étant partagées par un grand nombre de personnes dans la société, méritent d’être promues d’une façon particulière en adoptant des attitudes et comportements susceptibles de rejoindre ce que l’on croit être les attentes de la population en général. Troisièmement, on estime que le code déontologique est indispensable à la protection de la clientèle et de l’ensemble de la population. Quatrièmement, on le présente comme un moyen d’uniformiser un peu plus la pratique professionnelle autour d’un certain nombre de devoirs et de responsabilités afin d’assurer un peu plus de cohésion entre les membres ; le code déontologique est alors perçu comme un moyen de renforcer les liens entre les membres d’une corporation ou d’une association40.
Cet auteur approfondit par ailleurs un point de vue assez critique de la déontologie en situant son rôle dans l’apparition des professions modernes au XIXe siècle, comme canal de promotion de la classe bourgeoise qui justifie son statut autonome en montrant qu’elle s’autodiscipline. Fortin s’intéresse aussi à la façon dont l’autre est défini dans le code de déontologie : cette façon lui apparaît très significative quant à la conception des relations que le professionnel désire entretenir avec la personne touchée par sa pratique. À quel modèle de relations humaines et à quelle conception de la personne renvoient des appellations telles que client, usager, bénéficiaire ou patient ?
40. P. Fortin (1989). Op. cit., p. 73.
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À cet égard, le choix délibéré qu’ont fait les centres de femmes d’utiliser les termes « participante » et « animatrice » plutôt « qu’usagère » ou « intervenante » traduit très bien le rapport d’égalité présent dans le projet féministe des centres de femmes. Pour eux : Être participante dans un centre de femmes suppose un rôle beaucoup plus actif qu’une simple usagère. « Animer » plutôt « qu’intervenir » implique des notions de mouvement et de changement, tandis que tout ce qui a trait à l’« intervention » fait plutôt référence à du curatif au réseau41.
Fortin poursuit sa réflexion en dénonçant l’économie d’une véritable réflexion éthique à laquelle conduit la simple observance des règles inhérentes au code de déontologie, empêchant de garder ouverte la question des finalités de la profession. Un ingénieur doit-il se limiter à assurer la solidité d’une structure ou ne doit-il pas également s’interroger sur les conséquences de ses actions sur l’environnement et sur leurs répercussions sur le plan écologique, économique et social ? En somme, l’existence d’un code de déontologie ne devrait pas empêcher le développement de la conscience sociale et l’exercice d’une solidarité entre les professionnels d’autres disciplines, voire d’une solidarité sociale, au lieu de se réfugier dans le statut précaire des droits acquis. Par ailleurs, l’évolution des pratiques en action communautaire, la professionnalisation de cette activité au sens où elle exigerait des compétences particulières et les dilemmes auxquels font face les membres et les salariés des organisations exigent impérativement l’élaboration d’un cadre déontologique général applicable aux pratiques communautaires, et son adaptation éventuelle aux champs et secteurs de pratique particuliers. Un tel cadre déontologique permettrait sans doute de clarifier ce qui distingue les pratiques communautaires qui se veulent émancipatoires et les contraintes éthiques qui leur sont propres.
41. L’R des centres de femmes du Québec (1993). Op. cit., p. 4.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
Ainsi, un tel cadre déontologique devrait, dans un premier temps, rappeler la mission, le mandat, l’orientation et les objectifs d’une organisation pour, sur cette base, baliser les points suivants : a) le rapport entre l’organisme et les usagers ; b) le rapport entre les membres ; c) le cadre d’exercice de la vie démocratique ; d) le rapport entre les salariés, les militants et les bénévoles ; e) le rapport de solidarité de l’organisme avec le milieu ; f) le rapport entre l’organisme et les bailleurs de fonds ; g) les conditions d’exercice des activités de l’organisme, notamment en ce qui concerne le rapport de confiance, la confidentialité, les exigences de loyauté de l’organisme envers ses membres et ses salariés, et de ceux-ci envers lui ; h) l’universalité, la gratuité et l’accessibilité de l’adhésion et des services. Sans doute faut-il aussi, le cas échéant, expliquer certains choix idéologiques qui pourraient constituer des restrictions à l’adhésion et à la participation, tant des individus à un organisme que d’un groupe à un regroupement. Si de telles conditions ne sont pas a priori antidémocratiques, elles peuvent néanmoins poser problème dans le cas d’organismes soutenus financièrement par les deniers publics ou par des fonds provenant de sources religieuses. Ainsi, l’R des centres de femmes et Relais Femme n’ont jamais dissimulé leur parti pris féministe, alors que Greenpeace adopte une position résolument écologiste. D’autres organisations seront ouvertement portées par des courants religieux, voire par des considérations ethniques et culturelles. Tout comme un code d’éthique, l’élaboration d’un cadre déontologique ne peut en aucun cas être une activité réservée à quelques personnes qui, chose faite, l’imposeraient aux autres. Une telle procédure devrait être dénoncée, d’autant plus si elle devenait outil de répression sous couvert de vertu. L’élaboration d’un code de déontologie dans les milieux où l’on s’adonne à l’action communautaire doit à notre avis être l’occasion d’un retour sur les pratiques et sur l’évolution d’un organisme. Ce doit être une activité pédagogique impliquant tant les membres que les salariés. Une
CHAPITRE 2 ◆ LES FONDEMENTS ÉTHIQUES DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
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telle activité doit contribuer à une solidarité plus intense et plus active entre les membres et entre les organismes communautaires d’un milieu. Bref, une telle démarche constitue une excellente occasion d’actualiser et de donner sens aux valeurs que nous défendons.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
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PA R T I E
II
MÉTHODOLOGIE: LES ÉTAPES DU PROCESSUS D’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE
CHAPITRE
3
LES ÉTAPES
DU PROCESSUS D’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE Jocelyne Lavoie Jean Panet-Raymond
PLAN DU CHAPITRE 3 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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LA PRÉPARATION DE L’INTERVENTION 1. L’analyse de la base d’intervention. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1. Connaître l’organisme dans lequel on intervient . . . . . . . . . . 1.2. Préciser son mandat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. L’analyse de la situation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1. L’analyse d’une communauté locale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. L’analyse d’une population. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3. L’analyse d’un problème social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.4. L’analyse d’une situation-problème ou d’un projet déterminé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Le choix d’un projet d’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. L’élaboration d’un plan d’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1. Les objectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2. La stratégie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3. Les moyens d’action. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.4. L’échéancier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.5. Les ressources nécessaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.6. Le mode de fonctionnement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.7. La structure organisationnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
152 152 153 155 156 159 160 161 162 163 165 166 169 170 171 172 173
LA RÉALISATION DE L’INTERVENTION 5. La sensibilisation et la mobilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.1. La sensibilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.2. La mobilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6. La réalisation de l’action. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7. La création d’une organisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8. La vérification du plan d’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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L’ÉVALUATION DE L’INTERVENTION 9. Le bilan de l’intervention . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10. La fin d’un mandat d’intervention . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10.1. Le départ de l’intervenant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10.2. Le retrait graduel de l’intervenant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10.3. Le maintien du soutien au groupe en fonction de nouvelles perspectives d’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
181 183 183 184 185 185
INTRODUCTION La mise en œuvre d’un processus d’intervention communautaire suit une progression logique qui se traduit par un certain nombre d’étapes planifiées. La réalité n’est cependant pas linéaire. L’ordre ainsi que le nombre des étapes pourront varier selon certains facteurs, notamment la connaissance préalable du milieu, la nature même du projet, le degré de mobilisation des personnes au moment où le besoin est formulé, la stratégie d’action choisie et le modèle d’intervention privilégié. Par exemple, une personne active dans un groupe communautaire depuis plusieurs années pourrait posséder une connaissance suffisante des problèmes présents dans la communauté où elle intervient pour être en mesure de commencer directement son action à l’étape du choix d’un projet d’action. Il ne lui serait ainsi pas nécessaire de réaliser les deux étapes précédentes suggérées dans ce processus d’intervention, soit l’analyse de sa base d’intervention et l’analyse de la situation. Ce chapitre vise donc à illustrer l’ensemble d’une démarche, tout en sachant que l’ordre des étapes, leur nombre et même la façon de les actualiser dans la pratique pourront varier selon la réalité en cause. Cependant, quelles que soient les nuances qui s’imposeront, trois grandes phases resteront « incontournables » à l’intérieur du processus d’intervention : F la préparation, F la réalisation, F l’évaluation.
Les étapes du processus qui seront décrites dans ce chapitre s’inscriront à l’intérieur de l’une ou de l’autre de ces trois phases.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
LA PRÉPARATION DE L’INTERVENTION
1.
L’ANALYSE DE LA BASE D’INTERVENTION Qu’il soit au service d’une institution comme un CLSC ou d’un organisme communautaire autonome, l’intervenant communautaire devrait prendre le temps et utiliser les moyens de connaître sa base d’intervention, cette connaissance étant une condition préalable à la mise en œuvre de projets qui relèvent de l’action communautaire. Cette étape permettra aussi de mieux préciser le mandat de l’intervenant communautaire, tout en facilitant l’identification des ressources humaines et physiques présentes dans son milieu de travail.
1.1. CONNAÎTRE L’ORGANISME DANS LEQUEL ON INTERVIENT Connaître l’organisme qui sera sa base d’intervention devrait constituer une toute première préoccupation. Cette connaissance touche plusieurs aspects de la réalité de l’organisme : son origine, sa mission, la population visée et touchée, le territoire desservi, les services ou les activités offerts, les problématiques présentes, le personnel salarié, les militants et les bénévoles concernés, la structure organisationnelle, le pouvoir des membres et des personnes qui fréquentent l’organisme, les politiques et les règlements administratifs, l’existence d’un syndicat ou de contrats de travail, les sources de financement, les réseaux d’information formels et informels, les relations avec la communauté et l’image de l’organisme au sein de la communauté. Cette analyse devrait être complétée par une identification du type d’intervention pratiquée au sein de l’organisme – modes d’intervention, approches ou modèles privilégiés, outils d’intervention utilisés – ainsi que des différents rôles joués par les intervenants. Certains moyens écrits facilement accessibles sont utiles à la connaissance de la base d’intervention : dépliants ou brochures d’information, rapports d’activités annuels, procès-verbaux, demandes de subventions, dossier de presse, bulletin de liaison, etc. Le fait d’assister aux réunions du conseil d’administration, aux assemblées générales, aux tables de concertation et, bien entendu, la participation
CHAPITRE 3 ◆ LES ÉTAPES DU PROCESSUS D’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE
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aux réunions d’équipe permettront de compléter le portrait dynamique de l’organisme. Il faut ajouter à cela les rencontres informelles avec des collègues et des personnes qui fréquentent l’organisme, participent à ses activités ou en utilisent les services. Quelques questions posées à des citoyens qui connaissent bien la communauté locale peuvent donner des renseignements intéressants sur l’influence de l’organisme et la perception qu’en ont les gens du milieu. Cette connaissance sera précieuse au moment de rencontres avec la population, les groupes et organismes du milieu, ou même avec les décideurs. Ainsi, l’intervenant saura quels facteurs peuvent irriter les éventuels interlocuteurs et lesquels peuvent faciliter l’établissement de rapports de collaboration. Dans certaines circonstances, cette connaissance de l’organisme constitue un préalable à toute proposition visant un changement organisationnel. En effet, quand on pose un regard neuf sur une situation, on peut être amené à formuler des propositions qui permettraient notamment à son organisme de mieux rejoindre la population visée par son action ou de faire un choix plus judicieux de services ou d’activités en accord avec sa mission.
1.2. PRÉCISER SON MANDAT Les personnes qui occupent des fonctions de permanence dans des organismes communautaires autonomes ou les organisateurs communautaires de CLSC sont souvent perçus comme des individus polyvalents qui savent tout faire et à qui on impose parfois un fardeau trop lourd. Il est donc important de bien préciser les attentes réciproques de chacun. Même s’il y a fort à parier que dans le cas d’un poste salarié l’organisme a déjà prévu une description de tâches, il peut être nécessaire de mieux préciser certaines attentes, certains mandats ou rôles à exercer dans divers dossiers. Sans être abusivement tatillon, ce « contrat » entre la personne et l’organisme pour lequel elle travaille ou milite doit être le plus clair possible. Dans le cas particulier d’un stage de formation pratique, on doit aussi tenir compte des objectifs d’apprentissage de l’établissement d’enseignement. Il s’agit donc pour la travailleuse ou le travailleur de distinguer clairement de qui elle ou il tient son mandat, ce qui déterminera
154
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
son rôle et précisera la nature de son engagement. L’intervenant pourrait, par exemple, se voir imposer des contraintes et des limites soit par l’organisme-employeur, soit en raison des exigences d’un bailleur de fonds. Parfois, surtout si la base d’intervention est un organisme de type institutionnel comme un CLSC, le travailleur ou l’organisateur communautaire peut être « piégé » par le dilemme que pose sa double allégeance, car les attentes du groupe peuvent aller à l’encontre du mandat qui lui a été confié par son établissement. De telles situations renvoient l’intervenant à un questionnement éthique et aux valeurs qui guident son intervention. Lorsqu’un tel questionnement surgit, l’intervenant a tout avantage à « ouvrir » la situation avec son employeur et à confronter, si nécessaire, les besoins exprimés par la communauté avec le mandat que lui confie son établissement. Le même dilemme se pose aujourd’hui pour les personnes qui représentent des organismes communautaires autonomes locaux à des instances régionales ou nationales. Il arrive parfois que des divergences opposent les groupes locaux à leur regroupement. Dans ce cas particulier, il est bien évident que l’intervenant tient sa légitimité du groupe local et que, par conséquent, c’est le point de vue des membres qu’il représente qui doit prévaloir. À la limite, cette exigence pourrait l’amener à remettre en question sa capacité à défendre une position avec laquelle il est plus ou moins en désaccord. Dans tous les cas, la loyauté envers les personnes avec lesquelles l’intervenant est lié sur le terrain devrait l’emporter sur toute autre considération. D’un point de vue plus général, la marge de manœuvre d’une travailleuse ou d’un travailleur communautaire peut varier énormément selon les conditions rattachées à la réalisation de son mandat. Il est donc important que les parties en cause négocient ces conditions entre les parties concernées. La clarté, à ce chapitre, permettra non seulement d’éviter des sources possibles de conflit, mais elle servira aussi de base pour évaluer la qualité de l’intervention. Il faut bien comprendre à quel point la clarté des mandats est un élément qu’il importe de préciser dès le départ d’un processus d’intervention. Cela dit, il est évident qu’un mandat peut évoluer au fur et à mesure que l’action progresse. Un mandat n’est figé ni dans sa forme ni dans le temps. Il doit être souple et s’adapter aux besoins. Il doit tenir compte des compétences et de la disponibilité de la personne. L’important, c’est qu’il soit toujours le plus clair possible.
CHAPITRE 3 ◆ LES ÉTAPES DU PROCESSUS D’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE
2.
155
L’ANALYSE DE LA SITUATION Avant de s’engager dans un projet d’action communautaire, il est essentiel que le groupe prenne le temps de connaître et d’analyser la situation qu’il souhaite améliorer ou transformer.
L’analyse de la situation
A
Étape d’enquête ou de recherche servant soit à cerner les problèmes et les besoins d’une communauté locale, c’est-à-dire ceux d’une population spécifique, soit à analyser un problème social particulier, soit à faire l’étude d’une situation-problème précise ou encore à vérifier l’existence d’un besoin ou la faisabilité d’un projet.
Cette enquête ou cette recherche peut être faite à la demande de quelques personnes qui sont touchées par un problème que l’on soupçonne être collectif et qui pourrait donner lieu à une intervention communautaire. La demande peut aussi provenir d’un groupe existant qui a déjà une connaissance partielle du milieu, mais qui veut approfondir cette connaissance pour vérifier une hypothèse ou encore la faisabilité d’un projet. Enfin, il est possible qu’aucune demande particulière n’ait été formulée et qu’il s’agisse plutôt d’un établissement public ou d’un organisme communautaire qui désire procéder à une analyse du milieu afin d’orienter ou de réorienter ses priorités d’action. Cette deuxième étape s’inscrit dans un processus de rechercheaction1 qui fait appel à la participation des personnes concernées, non seulement pour définir leur vécu, mais pour découvrir ce qui mériterait d’être amélioré. La recherche-action est donc un outil qui favorise l’action ainsi qu’un moyen qui accroît le pouvoir d’agir. À ce titre : La recherche-action n’a pas pour but d’établir des statistiques ou des mesures uniquement quantitatives, elle repose sur des méthodes dites qualitatives, c’est-à-dire qui décrivent des situations et des milieux, ou qui rendent compte des conditions de vie d’un milieu, ou encore d’un problème vécu2.
1.
2.
Les étapes du processus de recherche-action sont présentées et expliquées au chapitre 4, La recherche. En bref on y retrouve les six étapes suivantes : 1) La formulation du problème ; 2) La collecte des données ; 3) L’analyse et l’interprétation des données ; 4) La présentation des résultats ; 5) L’évaluation ; 6) Le retour à l’action. J. Barnsley et D. Ellis (1995). La recherche en vue de stratégies de changement ; guide de recherche-action pour les groupes communautaires, Vancouver, The Women’s Research Centre, p. 9.
156
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
À cette étape de l’intervention, le groupe devra tout d’abord déterminer l’objet de son enquête ou de sa recherche, c’est-à-dire ce qu’il a besoin de savoir avant de passer à l’action. En action communautaire, on observe que le questionnement des intervenants porte généralement sur l’un ou l’autre des objets suivants : F l’analyse des problèmes ou des besoins d’une commu-
nauté locale, comme un quartier, un village, une municipalité ou une région ; F l’analyse des problèmes ou des besoins d’une population,
par exemple la situation des femmes chefs de famille monoparentale ou celle des locataires ; F l’analyse de l’ampleur et des manifestations d’un pro-
blème social particulier, par exemple l’analyse de la pauvreté ou de l’itinérance ; F l’analyse d’une situation-problème, par exemple l’analyse
de l’ampleur d’une pratique abusive en matière de consommation ; ou la vérification de l’existence d’un besoin ou de la faisabilité d’un projet, par exemple l’étude du besoin et de la faisabilité d’une coopérative d’aide domestique.
2.1. L’ANALYSE D’UNE COMMUNAUTÉ LOCALE A
L’analyse d’une communauté locale renvoie à la notion de communauté géographique définie comme un territoire commun, des intérêts socioéconomiques semblables et une identité partagée. Ce type de communauté a plusieurs volets : […] une dimension démographique et géographique, c’està-dire un territoire délimité physiquement et psychologiquement ; une dimension psychologique proprement dite, soit le sentiment d’appartenance à un lieu donné ; une dimension culturelle, à savoir un certain mode de vie, des croyances […] ; et une dimension institutionnelle, c’est-à-dire un réseau d’organismes qui possèdent un dénominateur commun, soit la participation de la population à l’amélioration de sa communauté3.
3.
E.P. Stewart (1987). « Communities on the Way (Rebuilding Local Economies in the United States and Canada) », New York, University of New York Press, dans L. Doucet et L. Favreau (1991). Théorie et pratiques en organisation communautaire, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, p. 238.
CHAPITRE 3 ◆ LES ÉTAPES DU PROCESSUS D’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE
157
La communauté locale pourra être un quartier en milieu urbain, comme Hochelaga-Maisonneuve à Montréal, un village en milieu rural, comme Saint-Germain de Kamouraska dans la région du Bas-du-Fleuve, ou une municipalité semi-urbaine comme MontLaurier dans la région des Laurentides. Les organismes communautaires et les institutions s’identifient aussi de plus en plus à des régions administratives comme la Montérégie ou à des divisions territoriales fondées sur le regroupement de municipalités que l’on désigne comme étant les municipalités rurales de comté (MRC). À l’occasion, certains organismes se définiront en fonction d’une grande région naturelle, comme la Gaspésie ou l’Outaouais. Et, à la limite, un territoire géographique peut être défini comme un pâté de maisons, un complexe d’habitations à loyer modique (HLM) ou encore quelques rangs bien circonscrits dans un village. Dans ce cas, le terme « milieu » sera plutôt utilisé pour désigner cet ensemble, de préférence à celui de « communauté locale ». L’analyse d’une communauté locale vise à comprendre la vie collective des personnes habitant un milieu géographique déterminé. Il s’agit de découvrir la vie associative de ce milieu ainsi que sa dynamique économique, ses institutions et ses infrastructures. Une telle recherche devrait conduire à l’identification de certains problèmes et besoins évidents. Elle donnera aussi un aperçu des rapports entre les groupes sociaux et permettra d’évaluer le dynamisme communautaire. Elle fournit enfin l’occasion de reconnaître les forces et la volonté de changement ainsi que les obstacles à franchir pour résoudre certains problèmes. Si l’analyse de la communauté locale ou du milieu a déjà été faite par l’organisme employeur, l’intervenant doit en prendre connaissance et se l’approprier. Cependant, il arrive encore fréquemment, tant dans les milieux institutionnels que communautaires, que la recherche sur la réalité d’une communauté ou d’un milieu n’ait pas été effectuée ou soit incomplète. Dans ce cas il est impératif de réaliser cette étape ou, à tout le moins, de la compléter. Donc, en partant de ce que le groupe souhaite entreprendre comme recherche et en tenant compte de l’information qu’il possède déjà, l’analyse de la communauté locale portera sur l’ensemble ou sur une partie des aspects suivants. F Une description territoriale : limites territoriales, géogra-
phie, barrières physiques et psychologiques, etc.
158
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
F Une description de l’aménagement : voies d’accès, zonage,
espaces verts, etc. F Un historique des étapes du développement de la commu-
nauté. F Un portrait de la population : données sociodémogra-
phiques (population totale, âge, types de ménages, nombre d’enfants, etc.), données socioéconomiques (occupation, revenu, scolarité, etc.), données ethnoculturelles (langue, religion, etc.), données sur les caractéristiques sociales et de santé (habitudes de vie et comportements préventifs, état de santé et bien-être, etc.). F Un portrait de l’économie locale (secteurs primaire, secon-
daire et tertiaire) et l’état de son développement. F Un portrait du pouvoir local : politique (élus au fédéral,
provincial et municipal), économique (chefs d’entreprise, gros commerçants, etc.), social (leaders du communautaire) et religieux. F La situation de l’habitation : type d’habitation, prix moyen
des loyers, présence de logements sociaux, etc. F Les établissements locaux : secteur scolaire, secteur de la
santé et des services sociaux, secteur du développement de la main-d’œuvre, secteur du développement économique local, etc. F Le réseau des organismes communautaires dans les secteurs
de la santé et des services sociaux, de la condition féminine, du développement de l’employabilité, de la coopération internationale, de l’éducation populaire, de l’environnement, de la culture, etc. F Le réseau des associations locales : clubs sociaux, clubs de
l’âge d’or, etc. F Les services à la population : sports, loisirs, culture, trans-
port, etc. F L’état de l’environnement. F Les valeurs culturelles propres au milieu. F L’identification des problèmes sociaux propres à cette
communauté.
CHAPITRE 3 ◆ LES ÉTAPES DU PROCESSUS D’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE
159
Pour recueillir l’information dont il a besoin, le groupe consultera diverses données et sources d’information. Ces données peuvent se regrouper en deux grandes catégories : F les données quantitatives, objectives, statistiques et factuelles, par exemple des données sociodémographiques et socioéconomiques d’un territoire précis que l’on trouve dans les recensements de Statistique Canada et dans les études du Conseil national du bien-être social ; des renseignements sur la santé d’une population disponibles dans les agences et dans les CLSC ; des informations sur le développement socioéconomique que l’on trouve dans les CRD, les CDL et les CEDEC ; les informations sur l’habitation dans les MRC et les OMH, etc. ; F les données qualitatives et subjectives couvrant des aspects plus dynamiques de la vie d’une communauté, que l’on peut obtenir notamment par des entrevues avec des leaders et des informateurs clés de la communauté, des questionnaires destinés à un échantillonnage de personnes concernées par une situation, l’observation directe ou l’observation participante, la revue de littérature, la lecture de journaux locaux, etc. L’analyse et l’interprétation des données seront ensuite déterminantes pour cerner les situations-problèmes ou les besoins susceptibles de déboucher sur des projets d’action communautaire. Mentionnons que la connaissance et l’analyse de la communauté locale sont un travail constant, car les groupes communautaires doivent rester sensibles aux changements qui se produisent dans la communauté où ils interviennent.
2.2. L’ANALYSE D’UNE POPULATION
Communauté d’intérêts
L’analyse d’une population fait référence à deux autres notions du concept de communauté4 : A Population ou segment de population locale dont les membres partagent les mêmes conditions socioéconomiques ou sont victimes
4.
L. Doucet et L. Favreau (1991). « Communautés et champs de pratique : les trois moteurs de l’action collective en organisation communautaire », dans L. Doucet et L. Favreau. Op. cit., p. 238-239.
160
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
de la même oppression, exclusion ou injustice. Par exemple des personnes assistées sociales, des travailleuses et travailleurs non syndiqués, des locataires ou des chômeurs, etc. Communauté d’identité
A
Population partageant la même appartenance culturelle et une identité commune dans la société en tant que groupe social. Par exemple les femmes, les jeunes, les personnes âgées, les gais et lesbiennes, les membres d’une communauté ethnique, etc.
Qu’elle porte sur l’une ou l’autre de ces populations, l’analyse visera à dégager un profil de cette population, à définir les problèmes ou les besoins de cette population ainsi que la volonté de participation au changement manifestée par cette population.
2.3. L’ANALYSE D’UN PROBLÈME SOCIAL Le concept de problème social, quoique plus difficile à cerner, peut se définir comme suit : Problème social
A
Il y a problème social lorsqu’un grand nombre de personnes sont affectées par une situation donnée, que cette situation est jugée intolérable et que les gens sont conscients de la nécessité d’une action collective5.
L’étude d’un problème social pourra porter notamment sur l’appauvrissement dans une municipalité, sur la violence faite aux personnes âgées, sur les problèmes environnementaux d’une région, sur l’impact de la pornographie sur le comportement, etc. La recherche sur un problème social permettra de dresser un portrait général de ce problème au sein d’une communauté locale. Elle visera à en décrire les manifestations, les composantes, à déterminer les personnes les plus touchées, les secteurs où le problème se fait le plus sentir, les causes, etc., et à découvrir des pistes de solution possibles.
5.
R. Mayer et M. Laforest (1990). « Problème social : le concept et les principales écoles théoriques », Service social, vol. 39, no 2, p. 16.
CHAPITRE 3 ◆ LES ÉTAPES DU PROCESSUS D’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE
161
2.4. L’ANALYSE D’UNE SITUATION-PROBLÈME OU D’UN PROJET DÉTERMINÉ La réalisation d’une recherche ou d’une enquête n’a pas toujours l’ampleur des trois objets décrits précédemment. Le quotidien des pratiques d’action communautaire des groupes communautaires ou des CLSC est souvent fait d’analyses d’envergure plus restreinte qui visent ce qui suit. F Étudier ou approfondir une situation-problème précise,
par exemple par les enquêtes en consommation qu’effectuent régulièrement les associations coopératives d’économie familiale (ACEF) à la suite de plaintes de consommatrices et de consommateurs : enquête sur les services bancaires, enquête sur les entreprises de réhabilitation de crédit, étude sur les modalités de fonctionnement des groupes de croissance personnelle, etc. Mentionnons aussi l’exemple des enquêtes effectuées par le groupe Info-Secte sur les pratiques des diverses sectes religieuses au Québec. F Vérifier l’existence d’un besoin ou la faisabilité d’un pro-
jet, par exemple un projet de micro-entreprise élaboré par un groupe de participants à un cercle d’emprunt, ou celui d’une coopérative d’aide domestique par quelques personnes assistées sociales soutenues par un organisateur communautaire en CLSC. Ce bref tour d’horizon des différents objets de recherche possibles à cette deuxième étape du processus d’intervention communautaire permet de faire ressortir l’importance de cette étape de planification. Quels que soient l’objectif de la recherche ou de l’enquête effectuée, le temps et les ressources dont le groupe dispose à cette étape, l’essentiel est de rappeler que le succès d’un projet de recherche dépend pour beaucoup de la capacité du groupe à recourir à la participation de la collectivité concernée pour découvrir ce qui mériterait d’être amélioré ou transformé. L’étape de l’analyse de la situation est donc en elle-même un moteur sur le plan de la mobilisation.
162
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
3.
LE CHOIX D’UN PROJET D’ACTION A
L’analyse de la situation ayant permis de cerner un ou des problèmes ou d’identifier un ou des besoins, il s’agit maintenant de déterminer ce qu’il faut faire pour résoudre ces problèmes ou répondre à ces besoins.
Cela se fera en explorant les projets d’action collective possibles, en évaluant le réalisme et la faisabilité de ces projets. L’évaluation de projets déjà réalisés pour résoudre un problème ou un besoin similaire constitue une démarche nécessaire. Inutile de réinventer la roue ! Il faut savoir profiter des réussites ou des erreurs des autres. Une revue de littérature et des entrevues avec des représentants de groupes communautaires ou d’organismes publics ayant déjà entrepris des actions touchant le problème ou le besoin auquel on est confronté sont une façon intelligente de partir du bon pied et de sauver du temps. Le repérage des personnes et groupes qui peuvent contribuer au projet à titre de partenaires ou d’alliés est aussi une dimension essentielle à l’évaluation du potentiel de solidarité active dans la communauté. Par la même occasion il est important d’évaluer les personnes, groupes, institutions ou lois qui pourraient s’opposer au projet ou en empêcher la réalisation. Il peut aussi être nécessaire de déterminer les sources de financement potentielles selon la nature du projet d’intervention et la base organisationnelle sur laquelle s’appuiera l’action. Cette variable peut permettre de mieux évaluer le réalisme d’un projet, surtout s’il s’agit de la mise sur pied d’une ressource ou d’un service qui demande une certaine infrastructure. Dans le contexte d’une réduction radicale du soutien financier d’origine étatique et, par conséquent, des pressions additionnelles que subissent les sources privées de financement, cette précaution devient de plus en plus appropriée. La rareté du financement n’empêchera sans doute pas d’agir, mais elle peut éventuellement influencer la stratégie d’intervention. Il peut exister plusieurs projets ou stratégies possibles. Il faut donc faire des choix que la réalisation de l’étape précédente devrait faciliter. À quel problème faut-il s’attaquer en priorité ? Quel besoin
CHAPITRE 3 ◆ LES ÉTAPES DU PROCESSUS D’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE
163
est-il le plus urgent de satisfaire ? Quel projet semble le mieux indiqué pour changer la situation ? Voilà autant de questions auxquelles le groupe de personnes constitué devra maintenant répondre. Selon les priorités qu’on aura reconnues, le choix se fera en fonction de ce qui est perçu comme réaliste et susceptible de mobiliser les personnes et organismes concernés avec des résultats positifs. En somme, il s’agira de vérifier les éléments de motivation de la population qui feront que celle-ci s’engagera dans une action collective. Il faudra donc évaluer la poussée du malaise (problème ou besoin) et la tirée de l’espoir (perception d’une solution au problème). Le processus de prise de décision qui doit alors être mis en place devrait être démocratique et s’appuyer sur un certain nombre de facteurs, notamment : F la présence d’un groupe ou de leaders en mesure d’assu-
mer la responsabilité du projet ; F les personnes et les forces du milieu que l’on croit possible
de mobiliser pour la réalisation du projet ; F les ressources matérielles nécessaires et accessibles ; F le temps dont le groupe dispose pour réaliser son projet ; F le fruit des négociations anticipées entre les parties con-
cernées ou le rapport de force que le groupe croit possible de construire, selon la stratégie envisagée ; F la conjoncture sociale, économique et politique et l’évalua-
tion du moment opportun (timing).
4.
L’ÉLABORATION D’UN PLAN D’ACTION A
L’élaboration du plan d’action est une étape de planification au cours de laquelle seront définis et précisés : les objectifs, la stratégie, les moyens d’action, l’échéancier, les ressources humaines et matérielles nécessaires, le mode de fonctionnement du groupe et le choix d’une structure organisationnelle.
164
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
La planification d’une action ou la mise en œuvre d’un projet constitue une étape critique qui déterminera dans une bonne mesure leurs chances de succès6. Trop souvent, surtout quand on est pressé d’agir, on considère le temps accordé à la planification comme du temps perdu, dont on ne voit pas l’utilité. La planification est pourtant essentielle à une action réussie. Elle favorise notamment l’atteinte des objectifs suivants : F permettre au groupe de définir ses priorités et s’assurer, par le fait même, qu’on s’entend sur le mandat à réaliser ; F permettre au groupe d’avoir un meilleur contrôle sur son intervention et assurer une plus grande continuité à l’action du groupe ; F permettre aux personnes participantes de travailler de manière plus efficace, en sachant plus précisément où s’inscrit leur engagement dans l’ensemble de l’action ; F favoriser une meilleure évaluation à la fin de l’action pour en tirer des leçons pour l’avenir. Ce plan d’action peut s’élaborer avec le noyau de personnes déjà mobilisé au début du processus d’intervention. C’est ce qui se produit généralement dans les organismes communautaires autonomes. Par ailleurs, certains groupes inscrits dans une démarche de conscientisation viseront la participation du plus grand nombre possible de personnes concernées dès l’étape de la planification. Le plan d’action général sera donc consécutif à certaines activités de mobilisation décrites à l’étape suivante. Dans un tel cas, le plan d’action original, qu’élabore un noyau de personnes, sera nécessairement sommaire. Il sera raffiné quand un groupe plus large aura été constitué. Cela dit, le travail de planification est généralement abordé à l’intérieur d’un comité restreint. Ce comité devra aussi assurer la coordination de l’action, dans le respect des mandats qui lui auront été assignés par le groupe, l’assemblée générale ou la coalition d’organismes regroupant toutes les personnes et parties engagées dans la réalisation de l’action.
6.
F. Marcotte (1986). L’action communautaire : ses méthodes, ses outils, ses rouages et sa gestion, Montréal, Éd. Saint-Martin, p. 66-67.
CHAPITRE 3 ◆ LES ÉTAPES DU PROCESSUS D’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE
165
4.1. LES OBJECTIFS A
Les objectifs sont les résultats que l’on souhaite atteindre au terme de la réalisation du projet d’action.
La définition d’objectifs clairs et partagés par l’ensemble des personnes engagées dans un projet ou une action constitue un élément essentiel d’un processus d’intervention. Voyons quelques-unes des préoccupations dont le groupe doit tenir compte dans la formulation de ses objectifs. F Les objectifs sont ordinairement à court, à moyen ou à
long terme. Par exemple, pour un groupe de parents, la mise en place d’un réseau de gardiennage fondé sur la réciprocité pourrait être un objectif à court terme, alors que l’ouverture d’une garderie pourrait être l’objectif à plus long terme. F Les objectifs doivent être réalistes, accessibles et bien com-
pris. Par exemple, la mise sur pied d’un groupe d’achats pourrait sembler un défi trop grand pour un petit groupe de femmes chefs de famille monoparentale aux prises avec des difficultés à bien nourrir leurs enfants. Le projet d’une cuisine collective semblera plus accessible. F Les objectifs à atteindre doivent se réaliser à un moment
favorable. C’est ce que les anglophones appellent le sens du « timing ». Par exemple, on atteindra certains objectifs plus facilement dans un contexte électoral ou lorsque l’opinion publique est particulièrement sensibilisée à un besoin. F Un objectif doit rejoindre les gens non seulement au
niveau de la raison, mais aussi au niveau du cœur. Par exemple, s’il est raisonnable d’assurer la sécurité des citoyens, les agressions que viennent de subir un certain nombre de femmes dans un milieu donné seront un facteur susceptible d’entraîner une sympathie plus spontanée dans la communauté, et même d’inciter une administration à agir immédiatement. F Un objectif doit reposer sur des éléments d’éthique collec-
tive facilement identifiables. Il doit concrétiser une valeur partagée par la communauté. Ainsi, l’aménagement plus
166
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
sécuritaire d’un milieu repose sur la nécessité de contrer la violence et sur le droit au respect de l’intégrité des femmes. Toute la communauté peut appuyer ces valeurs et soutenir des actions qui visent à leur donner du sens. F Dans le domaine de l’intervention communautaire, l’objectif
éducatif est primordial. Cet objectif sera généralement atteint de différentes manières tout au long de la mise en œuvre d’une stratégie d’intervention. Il doit cependant être clairement défini par les personnes qui assurent la réalisation de la stratégie. Ainsi, des objectifs éducatifs peuvent toucher les membres d’une organisation, les sympathisants ponctuels, voire l’ensemble de la communauté. Malgré cette réflexion collective sur les objectifs visés, il est fréquent en action communautaire que l’on atteigne des objectifs imprévus ou qu’on en perçoive d’autres que ceux déjà reconnus. En cours de route, il faut donc veiller à rajuster les objectifs de départ ou leur ordre de préséance en fonction de la dynamique de l’action.
4.2. LA STRATÉGIE A
La stratégie est l’art de coordonner les actions pour atteindre un objectif. L’élaboration d’une stratégie repose sur un ensemble de décisions prises en fonction d’hypothèses de réactions et de comportements des parties concernées dans une conjoncture déterminée. Ainsi, le choix de la stratégie peut différer selon l’objectif à atteindre, les valeurs des personnes et des organisations concernées ainsi qu’en fonction de l’analyse que le groupe fait de la conjoncture et des enjeux en présence.
La stratégie repose donc sur la capacité à anticiper la réponse des personnes ou des organisations visées par le ou les objectifs que le groupe souhaite atteindre. Le choix d’une stratégie s’effectuera généralement en fonction de trois perspectives que l’on qualifie de : consensuelle, de négociation ou conflictuelle. Stratégie de type consensuel
A
Stratégie supposant l’anticipation d’un accord général entre les parties concernées sur le plan de la légitimité du ou des objectifs visés, des valeurs sous-jacentes ainsi que sur le plan des moyens à prendre pour atteindre ces objectifs.
CHAPITRE 3 ◆ LES ÉTAPES DU PROCESSUS D’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE
167
Ainsi, un comité de citoyennes et de citoyens composé de familles vivant à proximité d’un parc où se trouve une aire de jeux pour les jeunes enfants privilégiera une stratégie de type consensuel dans son rapport avec la municipalité pour faire valoir la désuétude de certaines installations et défendre la nécessité de procéder à des réparations et à l’achat de nouveaux équipements. Dans un tel cas, les parents misent sur le fait que le personnel et les membres du conseil municipal trouveront légitime l’objectif d’assurer la sécurité des enfants. En outre, les parents font aussi l’hypothèse que la municipalité consentira, une fois la démonstration faite et les démarches administratives et de représentations publiques effectuées selon les règlements et politiques établis, à débourser les sommes nécessaires pour réaliser les aménagements requis. Stratégie de négociation
A
Stratégie supposant l’anticipation d’un accord général entre les parties concernées sur le plan de la légitimité de l’objectif général, des valeurs sous-jacentes, mais avec un différend important sur les moyens à prendre pour atteindre l’objectif.
La stratégie de négociation peut être illustrée par l’action d’un regroupement d’étudiantes de cégep qui, pour faire valoir le bien-fondé de ses demandes visant à accroître la sécurité des femmes dans les résidences, sur le campus et aux alentours du collège, opte pour une stratégie de négociation dans son rapport avec les parties concernées. Dans ce cas, les étudiantes font l’hypothèse que les acteurs en cause (la direction du collège, la municipalité et la police) reconnaîtront la légitimité d’assurer aux étudiantes un environnement sécuritaire, mais que des résistances surgiront à la suite des recommandations de celles-ci en raison des coûts et des changements organisationnels que leur mise en application entraîne. En faisant le choix d’une stratégie de négociation, le groupe d’étudiantes anticipe donc la nécessité de démontrer avec rigueur les problèmes que subissent les femmes fréquentant l’établissement ainsi que l’obligation d’avoir recours à des moyens d’action qui inciteront les parties concernées à négocier. Stratégie de type conflictuel
A
Stratégie s’élaborant à partir d’un désaccord important entre les parties pouvant porter tant sur la reconnaissance et l’importance du problème, ses causes et ses conséquences que sur la nécessité de prendre des moyens pour agir afin de résoudre ce problème.
168
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
Ce désaccord peut parfois être extrêmement marqué et porter sur des choix de société divergents et des valeurs opposées. Les exemples illustrant le choix d’une stratégie conflictuelle due à la présence de visions antagonistes sont nombreux. Relevons notamment celui du Sommet sur l’économie et l’emploi en 1996, où les représentantes du mouvement des femmes se sont dissociées des représentants du patronat, des syndicats et de l’État vers la recherche d’un consensus pour l’atteinte du déficit zéro, réclamant plutôt un consensus pour l’appauvrissement zéro afin d’empêcher le gouvernement d’appauvrir davantage les personnes les plus démunies. Depuis lors, le mouvement des femmes du Québec mène un combat sans relâche pour l’élimination de la pauvreté par des moyens de pression comme la Marche mondiale des femmes en l’an 2000 et l’appui au Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté. Les événements qui ont entouré le Sommet des Amériques à Québec en avril 2001 illustrent aussi le choix d’une stratégie conflictuelle, puisque ce sont deux visions radicalement différentes de la mondialisation qui se sont affrontées lors de ce sommet. D’une part, celle des 34 chefs d’États des Amériques qui prônaient une mondialisation avant tout économique et, d’autre part, celle des mouvements sociaux de la société civile qui réclamaient une mondialisation des droits humains et des droits au travail. À l’occasion de ces événements, divers moyens d’action sont venus appuyer le choix d’une stratégie conflictuelle : organisation d’un sommet parallèle, manifestation pacifique lors de la Marche des peuples et gestes de désobéissance civile pour abattre le périmètre de sécurité. Il est important de préciser que le choix d’une stratégie n’est pas exclusif et définitif. Un groupe emprunte l’avenue qui lui semble la plus appropriée à un stade donné de son intervention. Dans les faits, il peut même arriver que les trois types de stratégies soient utilisés en escalade à un moment ou à un autre du projet d’action. Toutefois, en raison de leurs valeurs, de leur histoire ou de la mission de leur organisme, certains établissements, organismes communautaires ou comités de citoyens préféreront une stratégie à une autre.
CHAPITRE 3 ◆ LES ÉTAPES DU PROCESSUS D’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE
169
4.3. LES MOYENS D’ACTION A
Les moyens d’action ou les tactiques, c’est ce qui va permettre au groupe d’atteindre son objectif.
En action communautaire, le choix des moyens d’action est extrêmement diversifié. Il repose autant sur la connaissance et l’analyse d’expériences d’autres groupes, sur les possibilités conjoncturelles qui s’offrent au groupe dans son milieu, sur la mobilisation et les appuis que le groupe croit être capable d’obtenir que sur l’imagination et la créativité des personnes concernées. Mais quels que soient les choix qui seront faits, un principe doit être respecté : les moyens d’action devront être en accord avec le type de stratégie privilégié et les valeurs du groupe. Dans une stratégie de type consensuel, l’occupation du bureau d’un ministre ou d’une administration pourrait s’avérer contre-productive. Il serait mieux avisé de solliciter un rendez-vous et de mettre en valeur la nécessité du partenariat. Certaines activités de lobby pourraient aussi s’accorder avec ce choix stratégique. Par contre, une stratégie conflictuelle mettra en œuvre des moyens inspirés davantage des méthodes d’action directe, comme des manifestations publiques, des occupations, des campagnes de dénonciation utilisant entre autres des ressources médiatiques. Une stratégie de type conflictuel n’exclut pas non plus l’utilisation de moyens dont l’illégalité peut être atténuée par la légitimité des objectifs poursuivis. Mais quelle que soit la stratégie choisie, les différents moyens d’action sont illimités. Ils font appel à l’imagination, à la créativité et à l’audace des personnes. En voici quelques exemples parmi d’autres : F diffusion de résultats d’enquête-terrain ou de recherche ; F organisation d’activités de sensibilisation ou de mobi-
lisation : porte-à-porte, kiosque, rencontre de formation, assemblée publique d’information, forum, colloque, sommet parallèle, théâtre, etc. ; F mise en place d’une stratégie de communication faisant
appel à des moyens autonomes de communication (p. ex. : dépliant, affiche, vidéo) et à l’utilisation des médias de
170
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
masse (p. ex. : communiqué de presse, conférence de presse, entrevue à la radio ou à la télévision) ; F rencontres d’information ou de négociation avec des ins-
tances responsables : administrateurs, fonctionnaires, conseillers municipaux, maires, cadres politiques, députés, ministres ; F prise de parole à la période de questions aux séances de
conseils municipaux ou au moment de la période de parole donnée à l’assemblée dans le cadre de réunions publiques de conseils d’administration ; F mémoires présentés lors d’audiences publiques ou lors de
commissions parlementaires ; F pétitions, lettres d’appui, envoi de cartes postales, tempête
de « fax » ; F utilisation de recours moraux ou judiciaires pour contester
un règlement ou une loi ; F occupation de lieux stratégiques, de locaux administratifs
ou de ministères, piquetage, marche, manifestation, barrage routier ; F actions de désobéissance civile, etc.
4.4. L’ÉCHÉANCIER A
L’échéancier est un instrument qui balise le plan d’action en fixant les étapes de réalisation d’un projet dans le temps.
Il doit être réaliste, le plus précis possible et comporter une marge de manœuvre qui permet les inévitables ajustements consécutifs aux évaluations à faire en cours de route. L’échéancier favorise l’exécution d’un plan d’action de façon systématique et dans des délais raisonnables. Il sera conçu en fonction des exigences de l’action, par exemple le fait que la conjoncture soit favorable à un moment déterminé. L’échéancier devra tenir compte du rythme et de la disponibilité des personnes et prévoir des temps forts de mobilisation ainsi que des périodes de repos et de ressourcement, comme les vacances et des fêtes collectives.
CHAPITRE 3 ◆ LES ÉTAPES DU PROCESSUS D’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE
171
L’échéancier devra enfin respecter le rythme naturel de la vie en société : responsabilités parentales, engagement professionnel des personnes, travail quotidien, rentrée scolaire, caprices des saisons et événements politiques majeurs. Cela dit, l’établissement d’un échéancier permet à toutes les personnes engagées dans l’action de mieux inscrire leur engagement dans la planification générale de leurs activités. L’échéancier, enfin, force chacun à s’acquitter de ses responsabilités dans les délais fixés, sous peine de nuire à la poursuite de l’action.
4.5. LES RESSOURCES NÉCESSAIRES A
Les ressources nécessaires font référence à l’évaluation des ressources humaines et matérielles requises pour la mise en œuvre des moyens d’action nécessaires à l’atteinte des objectifs visés.
Sur le plan des ressources humaines, le groupe évaluera s’il peut se limiter à l’engagement des participantes et participants qui s’impliquent déjà ou s’il doit chercher la collaboration d’autres personnes ou organismes du milieu. Dans l’éventualité où le nombre de participants déjà engagés dans l’action suffirait pour la réalisation du projet, il n’y aurait qu’à passer au partage des tâches. Mais si la collaboration d’autres personnes est requise, le groupe devra s’interroger sur la nature des collaborations souhaitées. Ces personnes devront-elles posséder des connaissances ou des compétences particulières ? Sera-t-il possible de les impliquer bénévolement ou le groupe devra-t-il plutôt envisager l’embauche de personnel salarié ? En ce qui regarde les ressources matérielles, les besoins peuvent être à des niveaux différents et multiples : local, aménagement, communication, matériel de bureau, transport, papeterie, imprimerie, etc. Il est possible que le groupe dispose déjà de certaines de ces ressources. Pour ce qui manque, le groupe pourra faire appel à la collaboration volontaire d’autres partenaires ou trouver le financement nécessaire. Après un inventaire des ressources humaines et matérielles, il s’agira de faire le total des frais engagés et, au besoin, de procéder à une recherche de financement pour payer les dépenses
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
nécessaires. Une fois cet exercice terminé, il est possible que le groupe ait à réévaluer le réalisme de ses objectifs ou de ses moyens d’action s’il n’obtient pas le financement nécessaire. Mieux vaut revoir le plan d’action à l’étape de la planification que d’être forcé d’improviser une solution de rechange à l’étape de la réalisation de l’action !
4.6. LE MODE DE FONCTIONNEMENT A
Le mode de fonctionnement, c’est d’abord la structuration d’un processus démocratique de prise de décision. C’est aussi la façon dont on organise le partage des responsabilités et des tâches à réaliser dans le cadre du projet.
Il y a fort à parier que les personnes déjà engagées dans une action n’auront pas attendu cette étape pour se doter d’un mode de fonctionnement. Cependant, il peut être utile de structurer davantage cet aspect du plan d’action de façon à rendre explicite la manière de prendre les décisions et de partager les tâches et les responsabilités de chacun. On dit souvent que le processus est aussi important que l’objectif. À cet égard le mode de fonctionnement doit s’harmoniser avec les valeurs auxquelles adhère l’organisme. Ainsi, les valeurs de démocratie, de solidarité, de justice, d’équité et d’entraide sont fondamentales en action communautaire et doivent guider le fonctionnement des personnes engagées dans un projet d’action communautaire. De même, la préoccupation éducative est incontournable, car elle est la condition d’une démarche d’autonomie et de prise en charge pour les personnes qui n’ont pas accès au pouvoir et au savoir. Le mode de fonctionnement déterminera en bonne partie la qualité de la participation des personnes et les possibilités réelles de mobilisation. De façon générale, le mode de fonctionnement doit notamment prévoir : F le mode de prise de décision ; F les modalités d’organisation des réunions : fréquence, lieu,
durée , mode de convocation ; F l’animation des réunions et la prise de notes ;
CHAPITRE 3 ◆ LES ÉTAPES DU PROCESSUS D’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE
173
F l’utilité de créer des comités de travail et de mettre en
place une modalité de coordination ; F la mise en place de mécanismes de suivi de la circulation
de l’information entre les participantes et les participants ; F le partage des responsabilités et des tâches dans le respect
des habiletés, des disponibilités et, au besoin, des activités de formation à l’intention des personnes engagées dans l’action ; F et, au besoin, la définition du mandat de l’intervenante ou
de l’intervenant communautaire. Cet aspect du fonctionnement constitue un élément clé, les mandats des personnesressources devant être clairement définis et connus.
4.7. LA STRUCTURE ORGANISATIONNELLE A
La structure organisationnelle est le cadre plus formel que l’on met en place pour réaliser l’action.
Le cadre organisationnel peut être plus ou moins souple ou structuré selon le nombre de personnes participantes, la nature et l’ampleur de l’action à mener. Le type d’organisation privilégié dépendra aussi des personnes qui sont à l’origine de l’action. Si l’intervention est entreprise par un organisme communautaire existant, celui-ci créera sans doute un comité de travail ou une structure légère qui complétera l’organisation et qui ne durera que le temps de l’action. Cependant, il peut aussi arriver qu’un groupe communautaire autonome contribue directement à l’organisation d’un nouvel organisme ou qu’un organisateur communautaire à l’emploi d’un CLSC collabore à la mise sur pied d’une structure associative qui regroupera les personnes qui mènent l’action. La septième étape du processus d’intervention communautaire reprend de façon plus détaillée cet aspect du plan d’action, dans l’éventualité où la création d’une structure organisationnelle légale (OSBL-coopérative) ou formelle (p. ex. : coalition ou front commun) serait nécessaire.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
LA RÉALISATION DE L’INTERVENTION
5.
LA SENSIBILISATION ET LA MOBILISATION 5.1. LA SENSIBILISATION A
La sensibilisation vise à favoriser la réflexion et à susciter une prise de conscience par rapport à une situation problématique ou un besoin commun, et à promouvoir des solutions alternatives ou des idées nouvelles afin de transformer cette situation ou de répondre à ce besoin commun.
S’il est relativement facile de mobiliser des personnes qui reconnaissent qu’une situation est problématique, qui sont prêtes à agir pour changer cette situation, mais qui n’ont pas encore eu l’occasion de se regrouper pour le faire, il en va autrement lorsqu’il s’agit de mobiliser des personnes qui ne sont pas conscientes de l’existence d’une situation problématique et, qui plus est, ignorent le caractère collectif de cette situation. L’évaluation du degré de sensibilisation des personnes que le groupe cherche à engager dans une action ou un projet doit donc constituer une étape préalable à la mobilisation. La sensibilisation peut même, à certaines occasions, constituer le but premier de l’intervention, sans que le groupe cherche à passer à l’étape de la mobilisation, notamment lorsque la sensibilisation vise à introduire des changements individuels sur le plan des comportements, des attitudes, des habitudes de vie ou de consommation. Pensons seulement au travail de sensibilisation mis en place par certains groupes préoccupés à la fois d’écologie et de solidarité internationale pour promouvoir la vente et la consommation de produits de commerce équitable chez les consommateurs des pays du Nord. Les pratiques d’action communautaire sont riches d’exemples de changements sociaux qui n’ont pu s’actualiser sans un patient et parfois long travail de sensibilisation, non seulement auprès des personnes touchées par un problème social, mais aussi auprès des décideurs et de l’opinion publique. Ces actions de sensibilisation ont permis de favoriser une prise de conscience par rapport à un problème social ou à un besoin commun et ont
CHAPITRE 3 ◆ LES ÉTAPES DU PROCESSUS D’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE
175
contribué à promouvoir des solutions alternatives afin de transformer cette situation ou de répondre à ce besoin. Les pratiques d’action communautaire dans le champ de l’environnement sont éloquentes à cet égard. Qu’il s’agisse de l’importance environnementale et économique de la récupération et du recyclage des déchets domestiques, des risques associés à l’utilisation massive des insecticides et des pesticides ou encore de la nécessité d’offrir aux citoyens une eau potable de qualité dans une municipalité, un travail de sensibilisation auprès des citoyens d’une communauté, des décideurs ou encore de l’opinion publique a généralement précédé la mobilisation et l’action. Mentionnons aussi le travail de sensibilisation accompli par les groupes de femmes au cours des dernières années pour sortir du silence des foyers le problème de la violence faite aux femmes. Sans toutes ces campagnes de sensibilisation menées tant auprès des femmes qu’auprès des gouvernements et des institutions telles que la police, la violence conjugale serait probablement encore considérée comme une « chicane de ménage » relevant du domaine du privé.
5.2. LA MOBILISATION La mobilisation vise à susciter l’engagement et à regrouper des personnes touchées par un problème social ou partageant un même besoin autour d’une action visant à résoudre ce problème ou autour d’un projet destiné à satisfaire ce besoin. Une mobilisation réussie est le signe évident que l’objectif poursuivi par le projet d’action correspond bien à un besoin ressenti par les personnes visées, suscite un intérêt partagé et entraîne leur adhésion. En ce sens, on peut donc dire de la mobilisation qu’elle constitue le « moment de vérité » du processus d’intervention. La mobilisation pourra se concrétiser à des degrés divers, allant d’une participation directe à l’ensemble des étapes de l’action ou du projet à un simple appui ponctuel. Le choix des moyens à privilégier pour stimuler la mobilisation pourra varier considérablement selon l’objectif poursuivi, la stratégie d’action envisagée, le nombre de personnes visées, le temps et les ressources dont le groupe dispose. A
Par exemple, pour obtenir des réponses satisfaisantes à leurs revendications, plusieurs groupes de femmes du Québec ont formé
176
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
une Coalition des femmes contre la pauvreté. Chacun des groupes faisant partie de la coalition a effectué un travail de sensibilisation et de mobilisation auprès de ses membres ou participantes, dont l’un des aboutissements fut la Marche des femmes contre la pauvreté qui s’est terminée par un rassemblement d’environ 15 000 manifestantes devant l’Assemblée nationale en juin 1995. Sur un autre plan, un projet de cuisine collective dans un HLM risque peu de se heurter à une opposition et le nombre de personnes à recruter pour que le projet soit viable est très restreint. Le moyen privilégié pour recruter les quatre ou cinq personnes nécessaires pourra se résumer à un porte-à-porte dans les immeubles et à une demande d’appui au comité de locataires pour le prêt de la cuisine de son local une ou deux journées par mois. Entre ces deux exemples, il existe une multitude de niveaux de mobilisation. Mais quels que soient l’action ou le projet envisagés, le noyau de personnes engagées dans la phase de planification aura à déterminer le ou les moyens les plus appropriés pour susciter l’intérêt et favoriser la participation des personnes visées par l’action ou le projet.
6.
LA RÉALISATION DE L’ACTION A
La réalisation de l’action est l’étape de la mise en œuvre du plan d’intervention qui a été élaboré.
C’est le début d’une période plus ou moins longue qui sera traversée par la tenue de réunions de travail et par l’organisation de démarches et d’activités nécessaires à l’atteinte des objectifs que le groupe s’est fixés. La réalisation de l’action, c’est aussi l’apprentissage du travail en équipe et de l’exercice de la démocratie au sein d’un groupe. C’est également un temps fort d’actualisation d’un processus d’éducation populaire qui s’effectuera dans le respect des intérêts et des aptitudes des personnes participantes. Plusieurs tâches et responsabilités jalonnent cette étape de l’action, notamment : F l’organisation et l’animation des réunions ;
CHAPITRE 3 ◆ LES ÉTAPES DU PROCESSUS D’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE
177
F le suivi des décisions et des tâches et responsabilités dévo-
lues aux participantes et participants entre chacune des réunions ; F la mise en œuvre des divers moyens d’action ; F la réalisation des activités de sensibilisation ; F l’élargissement de la mobilisation ; F la conception et la réalisation de la stratégie de commu-
nication et les liens avec les médias ; F la planification, la préparation et le suivi des demandes de
financement et l’organisation d’activités d’autofinancement ; F la formation ou le perfectionnement des personnes enga-
gées dans l’action ; F l’évaluation périodique des résultats et des réajustements
nécessaires. Plusieurs des aspects fondamentaux de la réalisation de l’action seront approfondis dans les chapitres 5, 6, 8 et 9 de la partie III du présent ouvrage. Parmi les défis à relever à cette étape de l’intervention, le maintien de la mobilisation en est un de taille. Car si l’on réussit à susciter l’intérêt et la participation à l’étape de la mobilisation, il peut se révéler plus difficile de maintenir cette mobilisation tout le temps que durera l’intervention. Le groupe doit donc s’attendre à ce que la mobilisation fluctue et être prêt à remettre en question ses objectifs, le choix de ses moyens d’action ou encore son mode de fonctionnement si la mobilisation s’essouffle trop rapidement.
7.
LA CRÉATION D’UNE ORGANISATION A
Comme nous l’avons indiqué à l’étape du plan d’action, l’organisation est le cadre ou la structure plus formelle que le groupe met en place pour réaliser l’action.
178
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
Le choix de sa structure sera largement tributaire des objectifs poursuivis par les personnes qui auront lancé l’action. À cet égard, quatre scénarios peuvent être envisagés. F L’existence préalable d’une organisation. Dans ce premier
scénario, les actions menées par les membres et les personnes salariées de groupes communautaires existants bénéficient de la structure organisationnelle déjà en place. Par exemple, un centre de femmes va soutenir des mères chefs de famille dans la mise sur pied d’une cuisine collective. F La mise sur pied d’un organisme de bonne foi. Les per-
sonnes participantes ne sont rattachées à aucune structure permanente d’action et désirent s’organiser sans cadre légal. C’est la forme que choisissent de nombreux comités de citoyens dont l’organisation ne dure que le temps nécessaire à l’action. Par exemple, un comité de citoyens va se constituer pour empêcher l’installation d’un dépotoir de produits toxiques dans son village et va se dissoudre aussitôt son objectif atteint. F La création d’une organisation légale. Lorsqu’un projet
d’action collective a pour objectif la mise en place d’une ressource pour la communauté ou lorsqu’un groupe a besoin de s’incorporer pour être pleinement reconnu et financé, la création d’une organisation formelle s’impose. Les deux principales formes d’organisation légale à la disposition des groupes sont la corporation sans but lucratif (Loi sur les compagnies) et la coopérative (Loi sur les associations coopératives). Par exemple, des personnes qui souhaitent ouvrir une joujouthèque dans leur quartier formeront une corporation avec un nom reconnu légalement. De même, des locataires à faible revenu qui désirent acheter et rénover l’immeuble qu’ils habitent devront fonder une coopérative d’habitation s’ils veulent avoir accès au financement gouvernemental nécessaire pour réaliser leur projet.
CHAPITRE 3 ◆ LES ÉTAPES DU PROCESSUS D’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE
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La création d’une organisation légale entraînera des démarches de deux ordres : – la mise en place proprement dite de l’organisation : formation d’un conseil d’administration provisoire, demande de réservation de dénomination sociale, requête pour constitution en corporation ou en coopérative, élaboration des règlements généraux, organisation d’une assemblée générale de fondation, etc. ; – le financement et la gestion de l’organisme : élaboration de prévisions budgétaires, recherche des sources de financement, préparation des demandes de financement, choix d’un modèle de gestion, mise en place d’outils de gestion, sélection du ou des permanents, élaboration d’un contrat de travail, etc.7. Les chapitres 8 et 9 de cet ouvrage fourniront aux lecteurs la possibilité d’approfondir certains éléments liés à la gestion et au financement des groupes communautaires. F La mise sur pied d’un regroupement d’organismes. Lors-
que des organismes communautaires ou des établissements publics décident de se regrouper afin de se concerter, d’élaborer des projets communs, d’alerter l’opinion publique, d’influencer les décideurs ou d’exercer des moyens de pression, différents types de regroupements sont possibles : coalition, front commun, ralliement, table de concertation, regroupement d’associations autonomes, etc. Par exemple, une coalition se constituera pour lutter contre les compressions budgétaires affectant les services sociaux comme ce fut le cas pour la Coalition pour le maintien des programmes sociaux. Un regroupement se constituera plus formellement pour coordonner et représenter tous les centres de femmes (L’R des centres de femmes). À la septième étape donc, le groupe aura à choisir la structure organisationnelle qui répond le mieux à ses besoins, en tenant compte de ses objectifs.
7.
Le Centre de formation populaire a aussi publié des petits ouvrages fort utiles en matière de gestion des organisations : Le fonctionnement de nos organisations (1979) ; Les finances de nos organisations (1983) ; Contrat de travail (1992).
180
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
8.
LA VÉRIFICATION DU PLAN D’ACTION A
Cette étape constitue une période d’évaluation du cheminement critique d’un plan d’action. Elle confirmera la pertinence de poursuivre ou non l’action de la manière prévue et permettra les corrections de trajectoire sans lesquelles le groupe pourrait rater sa cible.
Notons que cette étape de l’intervention peut être requise ailleurs dans le processus d’intervention. Selon la situation, il s’agit de s’interroger sur l’un ou l’autre des aspects de l’action ou du projet, et plus spécifiquement sur : F le réalisme de l’objectif ; F la pertinence de la stratégie d’intervention et des moyens
d’action utilisés ; F la cible et l’organisation de la démarche de sensibilisation ; F la qualité de la mobilisation ; F l’efficacité et l’impact de la stratégie de communication ; F le fonctionnement du groupe ; F le réalisme de l’échéancier ; F l’état de la force réelle de l’organisation ; F et, au besoin, l’état de la force réelle ou de la marge de
manœuvre possible de l’adversaire. La progression du plan d’action doit être évaluée par les personnes qui l’ont conçu et qui en assurent la réalisation. Cela signifie que les responsables de comités et, éventuellement, les personnes représentant les groupes alliés engagés dans l’action seront conviés à participer à cette étape du processus. Occasionnellement, et selon les conséquences prévues de l’évaluation, des personnes-ressources peuvent être invitées à faire profiter le groupe de leur expertise et de leur regard extérieur. Par exemple, un spécialiste des communications ou un conseiller juridique peuvent prodiguer des conseils importants qui favoriseront une prise de décision éclairée.
CHAPITRE 3 ◆ LES ÉTAPES DU PROCESSUS D’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE
181
Les rencontres d’évaluation peuvent être autant d’occasions d’accentuer la mobilisation des membres et leur engagement dans l’action. Elles sont aussi un moyen de partager une vision d’ensemble des opérations et de favoriser le fonctionnement démocratique des organisations. Cependant, il ne faut pas sombrer dans l’excès et convoquer les gens inutilement. De plus, il peut parfois être plus opportun de réduire au minimum le nombre de participants pour des motifs qui relèvent notamment du caractère plus ou moins subversif des actions à entreprendre.
L’ÉVALUATION DE L’INTERVENTION
9.
LE BILAN DE L’INTERVENTION A
Le bilan de l’intervention permet d’effectuer un retour critique sur les diverses étapes du projet d’action, de déterminer les forces et les faiblesses de l’action et de cerner aussi bien les éléments de réussite que les éléments qui ont plus ou moins failli. Il permet de mesurer le réalisme et la faisabilité des objectifs, le bien-fondé de la stratégie adoptée, la pertinence et l’efficacité des moyens d’action mis en œuvre, le respect de l’échéancier, la justesse des prévisions sur le plan des ressources humaines et matérielles requises. Le bilan, c’est aussi l’occasion de réfléchir sur les divers aspects du fonctionnement et de la structure organisationnelle que le groupe s’est donnés au cours de l’action. Le bilan, enfin, c’est une occasion de célébrer ou de se réconforter.
Le bilan de l’intervention est une étape essentielle, bien qu’on l’escamote parfois. On doit aux membres et aux sympathisants de l’organisation de laisser une trace de ce qu’ils ont accompli. On le doit aussi à l’ensemble des personnes actives dans les divers mouvements communautaires qui pourront ainsi bénéficier de l’expérience des autres, profiter des réussites et, qui sait, ne pas répéter les mêmes erreurs.
182
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
Le bilan peut donc être utile au mouvement communautaire, permettant aux uns de profiter de l’expérience des autres. Dans certains cas, il pourra même être diffusé sous différentes formes : récit, monographie, vidéo, activité théâtrale, et devenir éventuellement une source de financement. Au terme d’un projet d’action, on peut tracer le bilan de l’intervention en fonction de trois scénarios possibles : F le projet d’action est réalisé et les objectifs sont atteints ; F le projet d’action est partiellement réalisé et les objectifs
ne sont pas tous atteints, mais les membres décident malgré tout de mettre un terme au projet ; F le projet d’action a échoué ou a dû être interrompu.
En raison de son caractère éducatif et pour des motifs élémentaires de démocratie dans les milieux communautaires autonomes, il est souhaitable que le bilan soit l’occasion d’une activité collective. Cependant, le succès de cette étape repose largement sur la qualité de sa préparation. Voici quelques-unes des questions qu’il importe de se poser au moment de la préparation du bilan : F Quels aspects de l’action veut-on évaluer : résultats
atteints par rapport aux objectifs visés, choix de la stratégie, efficacité des moyens d’action, résultats du travail de sensibilisation et de mobilisation, fonctionnement du groupe, impact médiatique des communications, etc. ? F Quelles sont les personnes qui participeront à la réalisa-
tion du bilan ? F Quel fonctionnement serait le plus efficace pour réaliser le
bilan : préparation individuelle, préparation en comités de travail, document préparé par la permanence et soumis aux membres pour discussion en sous-groupes ? F Quels types d’outils (quantitatif et qualitatif) permettraient
de recueillir l’information et de faciliter la réflexion ? F Quel serait le meilleur moment pour procéder au bilan ? F Quel temps sera nécessaire à la réalisation du bilan ? F Quel serait le meilleur endroit ?
CHAPITRE 3 ◆ LES ÉTAPES DU PROCESSUS D’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE
183
Lors d’un bilan, il ne faut pas oublier qu’indépendamment des résultats obtenus les personnes ont fait des apprentissages, acquis des habiletés et des connaissances et développé des réseaux de solidarité. Il s’agit souvent de résultats non prévus qu’il est important de faire ressortir, car même si l’action n’est pas une réussite totale au niveau du projet collectif, elle ne sera jamais un échec complet. Il en va ainsi de l’expérience humaine. Rappelons que l’objectif d’un bilan n’est pas la critique négative sans respect et la distribution mesquine des torts, mais un tremplin pour construire sur les acquis. Rappelons enfin que le bilan peut très bien constituer une occasion de fête. Faites-vous plaisir ! Vous le méritez sûrement.
10.
LA FIN D’UN MANDAT D’INTERVENTION A
La fin d’un projet d’action communautaire coïncide souvent avec une redéfinition du rôle de certaines personnes, particulièrement celui des intervenantes et intervenants communautaires extérieurs au groupe.
Cette redéfinition du rôle de l’intervenant pourra, selon les situations, signifier : F le départ de l’intervenant ; F le retrait graduel de l’intervenant ; F le maintien du soutien au groupe en fonction de nouvelles
perspectives d’action.
10.1. LE DÉPART DE L’INTERVENANT Le départ d’un intervenant est une étape marquante pour le groupe. Il est important que ce départ soit planifié et qu’il s’effectue dans les meilleures conditions. Un départ mal préparé peut causer un tort irréparable au groupe ou à l’organisme.
184
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
Ce départ devra être le résultat d’un travail bien fait qui aura, entre autres, permis la structuration du groupe, le développement de l’autonomie des membres et l’émergence d’un leadership capable d’accomplir les tâches du professionnel de l’intervention8.
10.2. LE RETRAIT GRADUEL DE L’INTERVENANT Une période de transition sera parfois nécessaire avant que le groupe puisse se prendre totalement en charge. Dans ce cas, il appartient à l’intervenant communautaire, conjointement avec les membres du groupe, d’évaluer les modalités de ce retrait progressif à l’aide des questions suivantes : F Quel sera le statut de l’intervenant dans l’avenir : personne-
ressource pour la coordination d’un secteur d’activité ou collaborateur « ad hoc » selon les besoins du groupe ? F Une formation à certains membres du groupe sera-t-elle
nécessaire afin que ceux-ci puissent assumer la responsabilité de certains mandats ? F Combien de temps ce soutien professionnel se poursuivra-
t-il et à quel moment le groupe réévaluera-t-il le mandat de l’intervenant ? Une personne active en milieu communautaire à titre professionnel doit éviter de tomber dans le piège de se croire indispensable ou dans celui de réaliser certaines tâches qui devraient être exécutées par les membres actifs du groupe. Une telle attitude ou de tels comportements seraient en effet contraires à la valeur d’autonomie qui doit guider la pratique de l’action communautaire ainsi qu’au rôle d’éducation populaire de l’intervenante ou de l’intervenant communautaire.
8.
H. Lamoureux, R. Mayer et J. Panet-Raymond (1984). L’intervention communautaire, Montréal, Éd. Saint-Martin, p. 169.
CHAPITRE 3 ◆ LES ÉTAPES DU PROCESSUS D’INTERVENTION COMMUNAUTAIRE
185
10.3. LE MAINTIEN DU SOUTIEN AU GROUPE EN FONCTION DE NOUVELLES PERSPECTIVES D’ACTION Dans certaines situations, particulièrement lorsqu’un intervenant communautaire est salarié de l’organisme communautaire qui a mis en œuvre et réalisé le projet d’action, le lien avec le groupe sera maintenu, mais sur de nouvelles bases. L’expérience et les compétences de la ressource professionnelle peuvent en effet être nécessaires à la réalisation d’un autre projet porté par un autre groupe. La fin d’un projet d’intervention ne signifie donc pas le retrait définitif de l’intervenante ou de l’intervenant communautaire. Cependant, elle entraînera une redéfinition de son mandat et des conditions de sa collaboration à l’intérieur de l’organisme.
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PA R T I E
III
LES MOYENS, TECHNIQUES ET OUTILS
CHAPITRE
4
LA RECHERCHE Robert Mayer Henri Lamoureux Jean Panet-Raymond
PLAN DU CHAPITRE 4
1. Pertinence et fonctions de la recherche sociale . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Quelques perspectives de recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1. La recherche-action et la recherche participative . . . . . . . . . . 2.2. La recherche conscientisante. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3. La recherche féministe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.4. La réflexion dans l’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.5. L’analyse institutionnelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Les étapes du processus de la recherche sociale . . . . . . . . . . . . . . 3.1. La formulation du problème. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2. La collecte des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3. L’analyse et l’interprétation des données . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.4. La présentation des résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.5. L’évaluation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.6. Le retour à l’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. L’analyse d’une communauté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1. Analyse de l’évolution sociodémographique de la population . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2. Analyse des groupes et des réseaux sociaux . . . . . . . . . . . . . . 4.2.1. L’analyse des groupes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2.2. L’analyse des réseaux sociaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3. L’inventaire des ressources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.4. Le portrait du pouvoir local . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.5. L’analyse des valeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.6. L’analyse des problèmes sociaux et des besoins . . . . . . . . . . . 4.6.1. L’analyse des problèmes sociaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.6.2. L’analyse des besoins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5. Quelques techniques de collecte des données. . . . . . . . . . . . . . . . . 5.1. L’observation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.2. L’entrevue et le questionnaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.2.1. L’entrevue. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.2.2. Le questionnaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.3. Les récits de vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6. L’éthique et la recherche sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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1.
PERTINENCE ET FONCTIONS DE LA RECHERCHE SOCIALE La recherche sociale est généralement un préalable essentiel à l’intervention. Elle aide à documenter des problématiques sociales et devient un précieux soutien à l’action ; elle est aussi un élément indispensable de toute évaluation de pratique. Par ailleurs, de nombreux intervenants se retrouvent, un jour ou l’autre, engagés dans la préparation ou la réalisation d’un projet de recherche sociale. Cette activité est utile et nécessaire à bien des égards, notamment pour mieux connaître les problèmes, les besoins et le dynamisme d’une communauté locale : un quartier, une municipalité, une région. Elle permet aussi de définir et d’analyser les problèmes et les besoins d’une population en particulier – communauté d’identité ou communauté d’intérêts – et de mesurer l’ampleur et les manifestations d’un problème social au sein d’une communauté locale. Enfin, la recherche permet de mesurer l’importance d’une problématique bien circonscrite afin d’en cerner l’ampleur, les manifestations et les conséquences. La recherche sociale constitue aussi un atout majeur lorsque vient le temps de soumettre et de négocier une demande de financement, en contribuant à faire la démonstration d’un problème au sein d’une communauté locale, justifiant ainsi le besoin d’une ressource ou d’un projet pour s’y attaquer. La recherche est donc un outil essentiel à la préparation de l’action. Elle permet de recueillir des données quantitatives et qualitatives qui confirment l’existence de situations-problèmes ou de besoins réels. De plus, les résultats obtenus à la suite de l’analyse des données recueillies faciliteront la mobilisation. Avant d’aborder les étapes de la recherche, il n’est sans doute pas inutile de revenir sur les raisons qui poussent une intervenante ou un intervenant à faire de la recherche. Barnsley et Ellis rappellent qu’en intervention sociale il ne s’agit pas de faire de la recherche pour la recherche, mais d’explorer « l’expérience concrète pour
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mettre en lumière les stratégies et les programmes d’action qui aboutiront à des changements1 ». Cette prémisse est d’ailleurs ce qui distingue fondamentalement la recherche traditionnelle de la recherche-action, la première ne visant que la collecte et l’analyse systématique de données sur un sujet précis, alors que la seconde vise la collecte et l’analyse de données sur un sujet précis dans le but de déboucher sur des actions concrètes dans le champ du social. Trop souvent, malheureusement, quand on pense à la recherche, on croit tout de suite qu’il s’agit de vastes enquêtes nécessitant de gros budgets et qui sont réservées aux chercheurs professionnels. Cette conception a pour effet d’éloigner la recherche du processus d’intervention. Nous estimons, au contraire, que la recherche doit être liée à ces trois préoccupations que sont la formation, l’information et surtout l’intervention. Néanmoins, il ne faut pas non plus attendre aveuglément de la recherche des directives immédiatement applicables à l’action ; la connaissance ne donne pas le sens de l’action, elle ne peut que l’éclairer. Dans ce chapitre, nous allons d’abord présenter quelques perspectives de recherche possiblement utiles à l’intervention communautaire. Nous examinerons ensuite les principales étapes du processus de recherche-action. Les principaux éléments de l’analyse de la communauté seront ensuite abordés. Enfin, nous proposons quelques techniques de collecte de données pour l’analyse d’un milieu social : l’observation, le questionnaire, l’entrevue individuelle et de groupe, le récit de vie, l’analyse des problèmes sociaux et l’analyse des besoins.
2.
QUELQUES PERSPECTIVES DE RECHERCHE Plusieurs auteurs ont insisté – à juste titre, croyons-nous – sur les analogies qu’on peut établir, en termes de processus, entre la recherche sociale et l’intervention, même si ces deux processus ne seront jamais réductibles l’un à l’autre. Recherche et intervention
1.
J. Barnsley et D. Ellis (1992). « La recherche en vue de stratégies de changement : guide recherche-action pour les groupes communautaires », The Women’s Research Centre, p. 10.
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CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
sont en effet intimement liées dans la mesure où les étapes servant à l’étude, soit la recherche et la constatation des faits, au diagnostic et au traitement sont proches, sans être complètement identiques. C’est pourquoi les auteurs de ce livre, sans nier l’intérêt des autres méthodes, privilégient celle que propose la recherche-action. Bien que le nombre de recherches qui se réclament de cette approche ait sensiblement diminué au cours des dernières années, les récents travaux de diverses équipes de chercheurs montrent que ce type de recherche garde toute sa pertinence pour les milieux de pratique.
2.1. LA RECHERCHE-ACTION ET LA RECHERCHE PARTICIPATIVE Pour plusieurs auteurs, la recherche-action apparaît comme une démarche qui convient bien aux intérêts et aux besoins de l’action communautaire. D’abord, elle semble ouvrir une possibilité de faire de la recherche de manière moins codifiée et moins ritualisée, en plus d’offrir des méthodes plus aptes à l’analyse des pratiques professionnelles. Enfin, elle invite chercheurs et praticiens à une collaboration plus égalitaire. L’analyse des écrits sur la recherche-action nous permet de constater que celle-ci ne constitue pas tant une nouvelle technique de collecte d’information qu’une nouvelle approche de la recherche : c’est une modalité de recherche fondamentale qui rend l’acteur chercheur, et qui amène l’action vers des considérations de recherche. Elle est différente de la recherche fondamentale, qui ne fonde pas sa dynamique sur l’action, et de la recherche appliquée, qui ne considère encore les acteurs que comme des objets de recherche et non comme des sujets participants. La démarche de la recherche-action valorise donc une connaissance centrée sur le changement social. Elle met l’accent sur la connaissance pratique des individus et des groupes plutôt que sur la connaissance « scientifique », et elle fait sien un principe de l’anthropologie qui veut que les « membres d’un groupe social connaissent mieux leur réalité que les personnes extérieures au groupe ». Par ailleurs, dans la conception classique de la recherche, « le processus de changement s’effectue du haut vers le bas », d’où le peu d’empressement des chercheurs à retourner les résultats de leurs recherches aux individus et aux groupes étudiés. Aux anti-
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podes de cette conception, la recherche-action postule, au contraire, qu’on ne peut dissocier la production des connaissances des efforts faits pour mobiliser les personnes concernées et amener un changement social. Le retour des résultats de la recherche aux individus et aux groupes intéressés est donc fondamental dans la recherche-action. Pour réaliser une recherche-action, le chercheur doit suivre les principales étapes de la recherche sociale, avec quelques spécificités, et il doit tenir divers rôles : animateur, technicien, analyste, « synthétiseur », etc.2. La recherche-action représente un véritable défi pour le chercheur. Premièrement, elle se situe entre la recherche solitaire et la participation complète avec le milieu. Ce type de recherche s’inscrit dans les luttes populaires, y participe, s’y lie, mais sans se laisser absorber par elles. Deuxièmement, tout en tissant ses liens avec le milieu, le chercheur n’en est pas le mercenaire ; sa contribution est un appui, non une soumission. En réalité, le chercheur n’est pas plus à la remorque des groupes communautaires qu’il n’est extérieur à ces derniers : il conserve son identité et sa compétence, mais il se rapproche des luttes par leur orientation, qu’il fait sienne, et par les liens qu’il crée avec les groupes. Finalement, il ne faut pas oublier que la contribution du chercheur se situe bien sur le plan de sa recherche. Proche du modèle précédent, la recherche participative repose sur la participation active de la population visée et sur le retour des résultats aux participants. Il s’agit d’échanges entre les chercheurs et les membres enquêtés. Bien qu’il n’existe pas de modèle uniforme d’enquête-participation, Le Boterf3 souligne que cette forme de recherche doit favoriser au maximum l’expression et l’émergence de la parole des enquêtés. Dans un document publié par Santé-Canada, la recherche participative est définie comme « une enquête systématique, menée en collaboration avec les personnes touchées par la question étudiée, qui vise à éduquer, à intervenir ou à apporter un changement4 ». La recherche participative
2. 3. 4.
P. Troutot (1980). « Sociologie d’intervention et recherche-action sociopolitique », Revue suisse de sociologie, no 6, p. 191-206. G. Le Boterf (1981). L’enquête participation en question, Paris, Ligue française de l’enseignement et de l’éducation permanente. P. Simard, M. O’Neil, C.J. Frankish, A. George et al. (1996). Guide de réflexion sur la recherche participative en promotion de la santé au Canada francophone, Ottawa, Société royale du Canada.
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commence généralement par l’identification d’un problème qui affecte la vie quotidienne des gens d’un milieu donné. Dans cette perspective, la recherche est en même temps une action. En permettant l’expression des opinions et des représentations de la population, elle modifie le milieu dans lequel elle intervient. Ainsi, la plupart des définitions de la recherche participative comprennent les trois éléments suivants : recherche, éducation et action. Par exemple, le domaine particulier de la promotion de la santé a fréquemment recours à ce type de recherche. Par ailleurs, l’enquête de rétroaction (feed-back) est une forme de recherche participative qui s’applique bien à l’analyse d’un milieu organisationnel (une institution) ou encore d’un groupe communautaire5. Au Québec, plusieurs chercheurs ont eu recours à ce type de recherche6.
2.2. LA RECHERCHE CONSCIENTISANTE La recherche conscientisante, qui découle de l’approche conscientisante, s’inspire en grande partie des travaux et de la méthode d’alphabétisation de Freire. Ce type de recherche s’avère particulièrement utile pour les intervenantes et les intervenants communautaires en ce sens qu’elle est très sensible au vécu des gens et qu’elle s’inscrit dans une démarche active de connaissance des valeurs culturelles des milieux défavorisés. Au Québec, la recherche conscientisante a été fréquemment utilisée dans les expériences d’alphabétisation et de conscientisation, tant en milieu urbain qu’en milieu rural, et elle est fortement associée aux interventions communautaires en travail social. Sur le plan méthodologique, les chercheurs deviennent des « personnes-ressources ». Ainsi, l’enquête-conscientisation part de l’action des groupes, action qu’elle a pour but d’éclairer. L’objectif
5. 6.
R. Lescarbeau (1994). L’enquête feed-back, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, p. 168. R. Mayer et F. Ouellet (1998). « La diversité des approches dans la recherche qualitative au Québec depuis 1970 : le cas du champ des services de santé et des services sociaux », dans J. Poupart, J.-P. Deslauriers, L. Groulx, A. Laperrière et A. Pirès, La recherche qualitative : enjeux épistémologiques et méthodologiques au Québec, Montréal, Gaëtan Morin Éditeur, 249 p.
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principal est de déboucher sur des actions collectives de transformation des structures et des mentalités. Il s’agit donc de constituer un collectif populaire représentatif afin d’entreprendre un processus de recherche. Il est important de posséder une bonne connaissance du milieu. Au moyen d’une enquête, il faut circonscrire des thèmes révélateurs de conflits, puis analyser les résultats et retourner le tout à la population. Toutefois, Humbert7 souligne que la recherche conscientisante exige beaucoup de temps et d’investissement de tous les acteurs. Par ailleurs, elle n’est pas une panacée pour amorcer une mobilisation populaire. Malgré ces limites, la recherche conscientisante a suscité beaucoup d’intérêt dans les milieux québécois de l’intervention sociale et de l’éducation populaire. Les deux volumes publiés par le Collectif québécois de conscientisation8 rapportent plusieurs expériences de ce type de recherche auprès des milieux populaires et défavorisés. D’autres recherches de ce type ont aussi été réalisées auprès de personnes souffrant de problèmes de santé mentale.
2.3. LA RECHERCHE FÉMINISTE S’interroger sur la recherche féministe, c’est évidemment reconnaître son lien avec le mouvement des femmes et plus spécifiquement avec l’intervention féministe, les deux étant caractérisés par des principes idéologiques et des valeurs semblables9. En réaction au modèle masculin dominant du développement de connaissances, où priment les valeurs d’objectivité, de neutralité et de rationalité, les féministes ont développé des méthodes qui se rapprochent davantage des valeurs dites féminines, comme la valorisation du vécu, de l’intuition et de la subjectivité. En ce sens, on peut penser
7.
8.
9.
C. Humbert (1987). « L’enquête conscientisante », dans J.-P. Deslauriers (dir.), Les méthodes de la recherche qualitative, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, p. 91-107. G. Ampleman, J. Barnabé et al. (1987). Pratiques de conscientisation 2, Montréal, Collectif québécois d’édition populaire, 366 p. ; G. Ampleman, G. Doré et al. (1983). Pratiques de conscientisation : expériences d’éducation populaire au Québec, Montréal, Nouvelle Optique, 304 p. M. Beattie (1987). « Recherche féministe : recherche novatrice », dans J.-P. Deslauriers (dir.), Les méthodes de la recherche qualitative, op. cit., p. 133-142 ; Groupe de recherche multidisciplinaire féministe (GREMF) (1986). Approches et méthodes de la recherche féministe (sous la direction de H. Dagenais), Québec, Université Laval, 298 p.
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199 que la recherche féministe est plus proche du qualitatif que du quantitatif, bien que certaines féministes affirment l’utilité et la complémentarité de ces deux modes de connaissance. L’origine de la recherche féministe se situe dans le contexte du mouvement de lutte des femmes des années 1970. Ce type de recherche vise à la fois la transformation des rapports sociaux de sexe et une meilleure connaissance de la réalité sociale en tenant mieux compte du point de vue spécifique des femmes. C’est dans les années 1980 que le poids de la recherche féministe se fait sentir au Québec par une production de plus en plus riche et diversifiée. À cet égard, il faut souligner la constitution de groupes de recherche féministes universitaires, tels le Groupe d’intervention et de recherche sur les femmes (GIRF) de l’Université du Québec à Montréal, le Groupe de recherche multidisciplinaire féministe de l’Université Laval (GREMF) ou encore le Groupe de recherche sur les femmes et la normativité de l’Université de Montréal. La naissance en 1988 d’une des seules revues francophones exclusivement consacrées à la réflexion théorique et pratique féministe, Recherches féministes, témoigne de cet essor. Ce tpe de recherche est généralement de caractère multidisciplinaire. Une recension des écrits donne un bon aperçu de ces recherches10. Toutefois, la recherche féministe tient ses caractéristiques moins de sa méthodologie que du questionnement qu’elle provoque sur la réalité sociale. En effet, sur le plan de la méthode, la recherche féministe n’est pas en soi si différente des processus habituels de recherche. C’est le questionnement qui l’oriente et le rapport plus étroit entre les chercheuses et le terrain qui lui donne une certaine spécificité. Cette spécificité consiste notamment à considérer la variable genre ou rapport de sexes comme un a priori fondamental tout au long du processus ; à favoriser des relations égalitaires entre les diverses participantes ainsi qu’à partager le vécu11. La recherche féministe se présente à la fois comme une
10. M. de Koninck, S. Savard, A. Pâquet-Deehy, M. Dennies et J. Turgeon (1994). « Intervention féministe : parcours et perspectives », Nouvelles pratiques sociales, vol. 7, no 2, p. 155-169. 11. F. Ouellet (1991). « La recherche féministe : un nouvel espace pour l’intervenantechercheure », dans Actes du Colloque sur la recherche-intervention, Ottawa, Université d’Ottawa, École de service social.
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solution au rejet de la recherche traditionnelle patriarcale et comme une réponse aux besoins de sensibilisation et d’action du mouvement des femmes. À titre d’exemples de recherches qui ont connu une importante diffusion, mentionnons : celle réalisée par L’R des centres de femmes du Québec et qui a porté sur l’isolement des femmes vu comme un « mal invisible12 » ; celles menées par la Collective Par et Pour Elle13, un groupe de femmes de la région de Cowansville, portant, d’une part, sur l’influence de la pornographie sur la violence sexuelle et, d’autre part, sur la réalité de l’inceste.
2.4. LA RÉFLEXION DANS L’ACTION La pratique dite de la réflexion dans l’action s’impose en action communautaire. Ce processus de recherche vise à mieux connaître l’intervention sociale telle qu’elle est réalisée dans la pratique quotidienne. Il implique que l’intervenant se transforme en praticienchercheur afin de pouvoir réaliser une réflexion sur lui-même, sur sa relation avec le client ainsi que sur la problématique à l’étude14. Ce courant de recherche insiste sur la connaissance des intervenants sociaux et sur la rationalité qui guide leur action. Le concept de « science-action » s’utilise en opposition à la science traditionnelle. St-Arnaud a résumé ainsi cette perspective de recherche : « Le contrôle des variables est remplacé par une réflexion systématique et rigoureuse sur l’intervention. Partant du postulat que toute action est intentionnelle, le praticien qui applique la méthode de science-action peut devenir un praticien chercheur […] il en arrive à pouvoir formuler son propre modèle d’intervention15 ».
12. N. Guberman, J. Leblanc, F. David et J. Belleau (1993). Un mal invisible. L’isolement social des femmes, Montréal, Les Éditions du Remue-ménage, 200 p. 13. Le Collectif d’écriture du Centre de femmes des Cantons (1987). Oser. Quand des femmes passent à l’action, Cowansville, La Collective Par et Pour Elle inc., 121 p. 14. D.A. Schön (1983). The Reflective Practitioner : How Professionals Think in Action, New York, Basic Books. Traduction française par J. Heynemand et D. Gagnon (1994). Le praticien réflexif : à la recherche du savoir caché dans l’agir professionnel, Montréal, Éditions Logiques, p. 163. 15. Y. St-Arnaud (1992). Connaître l’action, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, p. 103.
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201 Cette démarche de recherche ne peut être menée par un chercheur extérieur : elle exige la participation de l’intervenant. Par exemple, P. Racine16 a eu recours à ce modèle pour analyser les pratiques du travail social et il a mis en lumière certaines contradictions du modèle professionnel en travail social, notamment entre « l’idéologie humaniste de l’aide » et la fonction de « contrôle social » inhérente à ce type de pratiques sociales. Dans cette même perspective, d’autres auteurs présentent une démarche de recherche qui accorde une place importante à l’analyse que fait le praticien de sa pratique. Dans cette optique, le praticien social peut créer ses propres connaissances. La praxéologie vise alors à dégager le savoir implicite de l’action afin de rendre l’intervention plus efficace. Dans une perspective proche de la précédente, Jouthe et Desmarais17 proposent le recours à des récits de pratique pour élaborer des modèles de pratique en travail social. Dans une perspective proche mais un peu différente de la précédente, Maheu et Bien-Aimé18 estiment que le travail social se caractérise par le fait qu’il s’agit d’un travail exercé sur l’humain. Dans cette dernière perspective, le travail social serait tout à fait caractéristique d’un travail réflexif en action. Un autre exemple de cette perspective d’analyse se retrouve dans la démarche de G. Racine19, qui présente les résultats d’une étude sur la description du processus d’apprentissage d’intervenantes sociales œuvrant dans des organismes communautaires pour femmes sans abri. Cette étude soutient que les savoirs de ces intervenantes se construisent progressivement, à travers un processus de réflexion sur l’action suscité par des situations problématiques qui surgissent de la pratique. Cette analyse met aussi en relief le rôle central du collectif d’intervenantes dans ce processus. Plutôt que sur un processus individuel, cette recherche
16. P. Racine (1991). « L’usage de théories de l’action dans la formation à l’intervention sociale », Service social, vol. 40, no 2, p. 7-25. 17. E. Jouthe et D. Desmarais (1993). « Un projet intercompréhensif de théorisation des pratiques sociales », Nouvelles pratiques sociales, vol. 6, no 1, p. 131-141. 18. L. Maheu et P.-A. Bien-Aimé (1996). « Et si le travail exercé sur l’humain faisait une différence… », Sociologie et sociétés, vol. 15, no 1, p. 27-54. 19. G. Racine (2000). La production de savoirs d’expérience chez les intervenants sociaux. Le rapport entre l’expérience individuelle et collective, Paris, L’Harmattan, 170 p.
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insiste sur la démarche collective nécessaire dans un processus de production des savoirs. En somme, le courant de réflexion dans l’action, qui trouve de plus en plus d’écho chez les praticiennes en travail social, pose la capacité réflexive au cœur d’une méthode pour augmenter l’efficacité des pratiques professionnelles.
2.5. L’ANALYSE INSTITUTIONNELLE De Robertis et Pascal20 ont insisté sur l’importance pour l’intervenant communautaire de bien connaître le milieu organisationnel dans lequel il agit. D’ailleurs, l’analyse de ce milieu constitue souvent la première étape du processus d’intervention tel que nous le décrivons dans le chapitre 3. Pour mener à bien une analyse stratégique, le chercheur peut utiliser de nombreuses techniques de recueil telles que : l’observation, l’observation participante, les entretiens centrés individuels ou de groupe, le recueil de cas ou encore l’analyse de contenu. Par le traitement des données recueillies on s’efforcera de reconstruire les jeux des acteurs pour en extraire les règles et fournir finalement une analyse fondée sur la lutte pour le pouvoir. Dans l’analyse stratégique les systèmes organisationnels sont appréhendés à partir des stratégies des acteurs et des enjeux en cause. Dans ce cadre, individu n’accepte pas d’être traité comme un simple moyen mis à la disposition d’une organisation. Aussi est-il important que tous les acteurs disposent d’une marge de manœuvre. Enfin, ceux-ci doivent jouir d’une liberté relative et il faut que les stratégies mises en place soient toujours d’une rationalité limitée. Avec leur modèle d’analyse stratégique, Crozier et Friedberg21 mettent en relief la marge de liberté de l’acteur et soulignent avec force que celle-ci est à la base de tout changement social. Ce modèle de recherche s’avère pertinent à l’action communautaire dans la mesure où l’intervention sociale s’opérationalise le plus souvent dans le cadre d’une institution ou d’une organisation,
20. C. De Robertis et H. Pascal (1987). L’intervention sociale collective en travail social, Paris, Le Centurion, chap. 5. 21. M. Crozier et E. Friedberg (1977). L’acteur et le systèeme : les contraintes de l’action collective, Paris, Seuil.
CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
203 qu’elle soit publique ou non. Sur le plan de la méthode, De Robertis et Pascal22 (1987) proposent une grille d’analyse des organisations qui met l’accent sur quatre dimensions principales : l’identification de l’organisation, la description des principes formels de fonctionnement, la description du fonctionnement informel et la caractérisation de l’organisation. Dans l’ensemble, au plan de la connaissance de l’organisme, l’intervenant social doit être capable : d’expliquer le but et les politiques de l’organisme ; d’identifier les services fournis et leurs limites ; de comprendre l’influence des politiques gouvernementales sur son fonctionnement et l’effet de la structure hiérarchique sur le fonctionnement de l’organisme. En ce qui concerne la connaissance de l’organisation en tant que telle, les données pouvant être recueillies peuvent être très nombreuses, mais on peut s’en tenir aux données factuelles et descriptives sur l’établissement, son personnel, sa direction ainsi que sur les conditions de travail, les champs d’activités et le rôle du syndicat. Au niveau du personnel, l’analyse devrait permettre de décrire les catégories d’employés, et surtout, le « climat » organisationnel. Enfin, en ce qui concerne les champs d’activités, le chercheur devra connaître les activités de l’organisation auprès de sa clientèle, les divers types de services offerts, la perception de l’établissement par le milieu, l’impact de l’organisation dans la communauté. Les travaux sur la culture organisationnelle des groupes communautaires23 (Guberman, Fournier et al., 1994 ; René, Fournier et al., 2001) constituent de bons exemples de ce type de recherche et ils en montrent le bien-fondé et l’utilité. Ces travaux soulignent toute l’importance pour les organismes communautaires de se préoccuper notamment des modes de gestion, des rapports aux membres, du travail d’équipe et du rapport à la vie privée chez les divers participants.
22. C. De Robertis et H. Pascal (1987). Op. cit. 23. N. Guberman, D. Fournier, J. Beeman, L Gervais (1995). Regards sur la culture organisationnelle communautaire : deux études de cas, Montréal : Université du Québec à Montréal, Service aux collectivités, 75 p. J.-F. René, D. Fournier, M. Duval et S. Garon (2001). Les organismes communautaires au Québec : des pratiques à la croisée des chemins, Montréal, Centre de formation populaire et Relais-Femmes, 211 p.
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3.
LES ÉTAPES DU PROCESSUS DE LA RECHERCHE SOCIALE Que le processus de recherche soit complexe ou pas, sa structure est toujours sensiblement la même : la formulation du problème, la collecte de données, l’analyse et l’interprétation des données, la présentation des résultats, l’évaluation et le retour à l’action.
3.1. LA FORMULATION DU PROBLÈME Toute recherche sociale doit, dans la mesure du possible, s’appuyer sur une demande concrète formulée à partir des problèmes réels. Cette étape est aussi l’occasion d’une clarification des enjeux de la recherche. À ce stade initial, le groupe se permet de mieux situer les attentes de chacun et les résultats visés. Sur un plan plus concret, l’élaboration d’un projet de recherche sociale dépend habituellement d’une « commande », qu’elle provienne d’une institution ou d’un organisme communautaire. Il arrive aussi fréquemment que cette « commande » ne corresponde pas à un besoin défini par le milieu, mais à un appel d’offres formulé par l’État dans une perspective de planification sociale. Quelle que soit l’origine de la demande, le problème est donc posé habituellement selon la logique de ceux qui l’ont formulée. Après l’étape de l’analyse du problème, vient celle de l’élaboration d’une problématique, c’est-à-dire d’un ensemble d’hypothèses de recherche. Par exemple, la recherche intitulée Survivre et penser à sa santé en situation d’extrême pauvreté24 se présente comme une recherche de type participatif qui fait valoir la vision qu’ont de leur situation des femmes enceintes financièrement démunies. L’objectif poursuivi est d’expliquer le recours aux services de santé des personnes les plus défavorisées. Cette recherche s’intéresse plus particulièrement à la situation de femmes enceintes francophones, d’origine québécoise, vivant en contexte d’extrême pauvreté. Selon les chercheurs, plusieurs études ont mené à l’élaboration du constat
24. C. Colin, F. Ouellet, G. Boyer et C. Martin (1992). Extrême pauvreté, maternité et santé, Montréal, Éd. A. Saint-Martin.
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CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
suivant : « […] les pauvres sont plus malades et meurent plus jeunes que les riches ». Les chercheurs rapportent que différents modèles ont tenté d’expliquer les inégalités de santé. L’un d’entre eux, que l’on qualifie de modèle culturel, trouve ses origines dans la conception de Lewis qui proposait l’existence d’une culture de la pauvreté. Cette culture suppose l’existence de caractéristiques psychologiques propres aux personnes pauvres, ce qui explique la persistance du problème d’une génération à l’autre. Par ailleurs, un autre modèle de type matérialiste-structurel appuie la conception de l’existence d’un mode de vie particulier en milieu défavorisé, mais l’explique en tant qu’adaptation aux conditions objectives de la vie et à l’organisation sociale. Pour leur part, Colin et al. se rallient à une intégration de divers modèles explicatifs en appuyant l’idée qu’un seul ensemble de facteurs ne peut rendre compte de la complexité du lien entre la pauvreté et la santé. Dans cette optique, la relation pauvreté-santé ne peut être comprise que par une explication considérant les facteurs individuels, sociaux et environnementaux. Finalement, soulignons que pour ces auteurs, seule l’approche participative était de nature à révéler la vision du monde des femmes participant à l’étude, favorisant du même coup leur respect et la validité des résultats.
3.2. LA COLLECTE DES DONNÉES L’intervenant communautaire doit s’efforcer de bien préciser la nature des données à recueillir : « Il n’y a pas lieu de se précipiter dans une quête fiévreuse de faits, de chiffres, d’opinions. Mais trois questions judicieuses doivent être posées : En ai-je besoin ? Pourquoi ? À quel moment ? Il faut éviter de collecter des données au point d’en être débordé. La meilleure façon est de se fixer un but immédiat et de ne pas emmagasiner à la manière d’un écureuil, pour le jour hypothétique où elles pourraient servir25 ! »
25. P. Henderson et D.C. Thomas (1992). Savoir-faire en développement social local, traduit et adapté par le Groupe européen de travail sur le développement social local, Paris, Bayard Éditions (traduction de Skills in Neighbourhood Work, 1987), p. 49.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
L’étape de la collecte de données vise donc, selon Barnsley et Ellis26, à choisir les méthodes et techniques appropriées. Ce sont ces techniques qui donneront à la collecte de données son caractère systématique, car seule la collecte systématique de données permet de dégager un matériel analysable. Autrement les informations risquent d’être trop diffuses et impossibles à traiter convenablement. La sélection et le nombre des répondants fait aussi partie de l’étape de la collecte des données. Il s’agit donc de déterminer quelles sont les personnes susceptibles de répondre aux questions dans le cadre d’entrevues individuelles ou de groupe, de questionnaires ou de récits de vie. La sélection des personnes choisies pour rendre compte de leur expérience dépend de deux facteurs : le temps et les ressources dont le groupe dispose et l’information dont il a besoin27. Une fois que les techniques de collecte de données sont choisies et que la sélection des répondants est terminée, il s’agit de procéder à la collecte proprement dite. À ce stade, il est impératif d’expliquer aux répondants les buts de la recherche et, au besoin, les mesures prévues pour préserver l’anonymat des informateurs et protéger la confidentialité des informations recueillies. Dans l’exemple de la recherche de Colin et al.28, les chercheurs visaient à dégager une logique de la problématique telle qu’elle était perçue par les femmes rencontrées. Elles ont opté pour le recrutement plutôt que pour la sélection aléatoire. La collecte des données s’est effectuée par un processus de discussion collective propice à l’interaction entre les participantes et entre les participantes et les chercheures. Les chercheures considéraient comme essentiel que les participantes « sachent qu’elles étaient les expertes de leur vie » et qu’elles désiraient « les écouter et apprendre d’elles ». La technique principale de la collecte de données consistait en des rencontres hebdomadaires échelonnées sur une période de dix semaines. Les réunions étaient animées par deux des chercheures à partir d’outils d’animation concrets afin de susciter l’intérêt et de favoriser la réflexion et la discussion. On a opté pour des techniques de photolangage, des dessins, des sketches, l’écriture de
26. J. Barnsley et D. Ellis (1992). Op. cit., p. 38. 27. Ibid, p. 41. 28. C. Colin et al. (1992). Op. cit.
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lettres et des séances de remue-méninges. Les thèmes furent abordés de façon non directive. En recherche sociale, les méthodes de collecte de données utiles pour l’analyse d’une communauté reposent sur des méthodes tant quantitatives que qualitatives (voir le tableau de la page suivante).
3.3. L’ANALYSE ET L’INTERPRÉTATION DES DONNÉES En recherche-action : L’analyse consiste à mettre les données en ordre, à dégager les tendances, à organiser tout le contenu en catégories et en thèmes descriptifs. L’interprétation consiste à trouver des significations aux tendances, à expliquer les thèmes descriptifs et à dégager des liens ou des relations entre eux. Le défi de l’analyse consiste à rassembler tous les éléments d’information, à les examiner, à en discuter, à y réfléchir et à les organiser en un tout29.
En recherche-action, les données ne sont pas interprétées par le seul chercheur, mais par l’ensemble du collectif de recherche. L’analyse par le groupe fait ressortir les liens entre les données et leur explication. C’est l’analyse qui dégagera des pistes d’action. Dans le cadre de la recherche de Colin et al.30, l’analyse des données a été élaborée à partir d’une retranscription des enregistrements effectués à l’occasion des rencontres. Les chercheures ont procédé à une analyse descriptive des informations recueillies lors des rencontres avec les participantes selon les cinq thèmes suivants : 1) les conditions et préoccupations de vie ; 2) les perceptions de la grossesse et de la maternité ; 3) les attitudes et comportements à l’égard de l’aide informelle ; 4) le rapport au corps, à la santé et aux habitudes de vie ; 5) les attitudes et comportements face aux professionnels et aux services de santé. À la suite de cette analyse, les chercheures ont élaboré un second cadre théorique dans le but de mieux saisir les facteurs conditionnant le recours
29. J. Barnsley et D. Ellis (1992). Op. cit., p. 57. 30. C. Colin et al. (1992). Op. cit.
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SOURCES
ET OUTILS PERMETTANT LA COLLECTE DE DONNÉES
Données quantitatives-objectives
Données qualitatives-subjectives
A informations historiques : paroisses, hôtel de ville, sociétés historiques ; A informations sociodémographiques et socioéconomiques : Statistique Canada, centre Travail-Québec, agence de la santé et des services sociaux, etc. ; A informations sur l’économie locale : corporations de développement économique communautaire (CDEC), chambre de commerce, municipalité régionale de comté (MRC), etc. ; A informations sur la santé : CLSC, DSP, agence, etc. ; A informations sur l’environnement : ministère de l’Environnement, département de la santé publique, groupes écologiques ; A informations géographiques : MRC, Accès-Montréal, bureau de tourisme, etc. ; A informations politiques : bureau des élus à l’échelon fédéral, national, municipal ; A informations sur les organismes communautaires : annuaires de Centraide, annuaire communautaire de ressources, CLSC, fédérations et associations nationales ; A informations sur l’habitation : hôtel de ville, Société centrale d’hypothèques et de logement ; Société d’habitation du Québec, Groupes de ressources techniques, Office municipal d’habitation, Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) ; A informations sur l’ampleur d’un problème social ou d’une situation : questionnaire, sondage, fiche technique, entrevue structurée.
A prise de contact direct avec les lieux : situation géographique, voies d’accès, habitat, industries, espaces verts, infrastructures ; A rencontre avec des informateurs clés ; A lecture des journaux locaux ; A tournée des groupes communautaires ; A observation participante, insertion dans des lieux informels de communication du milieu ; A entrevues individuelles ou de groupe avec des personnes touchées par le problème ou la situation ; A entrevues avec des journalistes locaux et des militants de partis ; A insertion dans des lieux informels de communication du milieu ; A observation de réunions du conseil d’administration d’établissements publics (CLSC) et d’organismes publics (agence, STCUM) ; A observation de réunions du conseil municipal ; A revue de littérature sur des données déjà disponibles sur le problème ou la situation à l’étude : articles, actes de colloque, recherches, etc.
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aux services de santé des femmes enceintes vivant en contexte d’extrême pauvreté. Ils ont conçu un schéma d’analyse rendant compte de la multiplicité des facteurs en jeu et de leurs interrelations. Ce schéma multi-interactionnel permet de dégager une synthèse théorique des informations recueillies lors des rencontres, proposant une conceptualisation de la relation pauvreté-inégalités sur le plan de la santé. Cette recherche a aussi permis de mettre en évidence la différence de valeurs entre ces femmes et les intervenantes des services de santé et des services sociaux. Il ressort finalement que les femmes enceintes vivant en situation d’extrême pauvreté s’emploient à assurer leur survie. Dans ce contexte, la maternité constitue souvent le seul projet qui donne un sens à leur vie et leur permet de s’accomplir.
3.4. LA PRÉSENTATION DES RÉSULTATS Le but de la rédaction et de la diffusion du rapport de recherche est d’en faire partager le contenu à la majorité des acteurs. De même, le rapport doit permettre de faire des recommandations aux acteurs engagés dans le processus de la recherche-action. Ces recommandations doivent être source d’apprentissage pour ces derniers. C’est dans ce sens que la recherche-action peut devenir un outil de mobilisation. Sur le plan du contenu, on doit pouvoir retrouver dans le rapport tous les éléments habituels du processus de la recherche. Pour que chacun ait un accès facile aux résultats de la recherche, le niveau de langage employé doit être à la portée de tous, sans qu’on doive pour autant faire de compromis sur la qualité linguistique du rapport.
3.5. L’ÉVALUATION Le but de l’évaluation est de faire l’analyse de la démarche en cours, de façon à mieux systématiser le processus et d’y apporter les changements nécessaires. On regardera notamment si la recherche a bien fait appel à tous les acteurs importants, si elle a donné une
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
meilleure connaissance de la situation étudiée et si elle a aidé à mieux soutenir l’action. L’évaluation est un retour qui doit être stimulant et constructif sans qu’on porte des jugements sur les personnes en cause.
3.6. LE RETOUR À L’ACTION Le retour à l’action est ce qui distingue la recherche-action des autres modèles de recherche plus traditionnels, car la rechercheaction, ou toute autre perspective de recherche poursuivant les mêmes objectifs et suivant une méthode semblable, doit se réaliser en vue de l’action. Le fait de vérifier sur le terrain aide à confirmer ou à infirmer l’utilité du schéma conceptuel que l’on s’est donné. Cette vérification permet d’apporter des modifications ou de faire des ajustements qui orienteront le processus d’intervention. À cet effet, il est nécessaire de bien décrire les résultats de l’analyse, lesquels sont souvent diffusés et discutés au fur et à mesure qu’ils sont produits. Les intervenants et le groupe qui ont demandé la recherche au départ devraient « tirer les leçons » de la recherche pour réorienter ou modifier leur action. Les résultats ne doivent pas seulement être diffusés dans un rapport écrit ; ils doivent également faire l’objet de rencontres de formation et de planification de l’action à poursuivre. Par exemple, les travaux de Panet-Raymond et de Bourque sur les relations de partenariat ou de « pater-nariat » entre les CLSC et les groupes communautaires ont été discutés, diffusés et utilisés par les groupes demandeurs avant même la publication du rapport final31. Plusieurs rencontres d’information et de formation ont permis l’appropriation des conclusions, c’est-à-dire les leçons tirées des pratiques analysées, pour réorienter les pratiques de groupe. Dans cette recherche, les intervenants du CLSC et les membres des organismes communautaires voulaient modifier ou améliorer leurs rapports de collaboration et de partenariat. La recherche leur a permis de se donner des conditions pour que les relations de partenariat soient
31. J. Panet-Raymond et D. Bourque (1991). Partenariat ou pater-nariat ?, Montréal, Université de Montréal, École de service social, 175 p.
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positives pour tous les acteurs. La recherche a aussi aidé à comprendre les problèmes de collaboration et à les éviter. Évidemment, la diffusion très large et vulgarisée des résultats a servi à plusieurs organismes qui n’étaient pas les demandeurs originaux. Cela était d’ailleurs déjà souhaité par les demandeurs et chercheurs dès le début. On voulait que les expériences analysées servent à tirer des leçons et à les diffuser largement pour qu’elles profitent à d’autres. Les chercheurs sont alors devenus des consultants et des formateurs pour un public plus large d’intervenants, d’organismes communautaires et d’établissements publics.
4.
L’ANALYSE D’UNE COMMUNAUTÉ Les intervenants communautaires bénéficient généralement d’une certaine immersion dans leur milieu d’intervention qui leur donne au départ une connaissance intuitive de la réalité de ce milieu. Toutefois, cette connaissance préalable ne comporte pas que des avantages. Elle a aussi des limites et des désavantages : absence de regard neuf, poids de l’habitude, etc. À cet égard, Lamarche et Beaudry32 insistent sur la nécessité d’intégrer les trois niveaux de la connaissance de la réalité sociale, à savoir : la connaissance sensible, qui permet de constater les problèmes immédiats et qui renvoie à notre vécu quotidien ; la connaissance théorique, qui met en ordre et systématise les données accumulées au stade de la connaissance sensible. C’est aussi celle où l’on s’interroge sur les causes pour leur donner une signification plus large, plus universelle ; et, enfin, la connaissance pratique qui implique une transformation de la réalité sociale à partir d’un problème constaté et expliqué. Dans cette perspective, on peut envisager la recherche comme un outil qui permet d’accéder à une connaissance plus complète de la réalité sociale.
32. F. Lamarche (1981). « La ville et le capital », dans Une ville à vendre (EZOP-Québec), Montréal, Éd. Saint-Martin, p. 3-82 ; J. Beaudry (1975). Guide de recherche à l’intention des militants, Montréal, Centre coopératif de recherches en politique sociale (CCRPS), 46 p.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
L’étude du milieu ou l’analyse de la communauté est de plus en plus une préoccupation importante chez les intervenants sociaux, tant d’ici que d’ailleurs33. Les notions de milieu et de communauté sont donc fondamentales pour tout intervenant social, qu’il soit professionnel ou bénévole34. Cette étude de milieu est indispensable, dans la mesure où elle permet aux intervenants de systématiser la connaissance empirique qu’ils ont de leur terrain d’intervention afin de mieux orienter leur action35. À ce propos, Gingras rappelle que la connaissance de la communauté est essentielle à toute démarche d’intervention communautaire : « Connaître la communauté, c’est connaître les réseaux formels des ressources communautaires, la dynamique des réseaux sociaux informels, les manières de vivre communautaires, l’histoire de la communauté, sa culture. Cette connaissance est à la fois quantitative et qualitative36. » Ainsi, l’intervenant communautaire doit être capable d’expliquer les caractéristiques sociales spécifiques de la communauté où s’insère son intervention. Dans la réalité quotidienne, cependant, l’intervenant communautaire doit souvent pallier des lacunes dans la connaissance de ce milieu37. Pour améliorer cette connaissance du milieu, divers outils ont été élaborés. Par exemple, dans le cadre du mouvement « Vivre Montréal en santé », un regroupement d’organismes communautaires et d’organismes publics a élaboré un Guide pour un portrait de quartier38. Sur le plan des principes, on affirme l’importance des idées suivantes : penser globalement, agir localement ; la place des quartiers au cœur de la ville ; la promotion de la participation dans la communauté.
33. C. De Robertis et H. Pascal (1987). Op. cit., p. 114. 34. Fédération des CLSC du Québec (1994). Pratiques d’action communautaire en CLSC, Québec, p. 7. 35. P. Henderson et D.C. Thomas (1992). Op. cit., 236 p. 36. P. Gingras (1991). Le traitement en première ligne des demandes individuelles d’aide en CLSC (selon une approche communautaire), Québec, FCLSCQ-Gouvernement du Québec, p. 196. 37. C. De Robertis et H. Pascal (1987). « L’étude de milieu », dans L’intervention collective en travail social, Paris, Le Centurion, p. 112-136 ; L. Favreau (1991). « Méthodologie générale d’intervention en organisation communautaire », dans L. Doucet et L. Favreau (dir.) (1991). Op. cit., p. 437-447. 38. Collectif (1993). Guide pour un portrait de quartier, Vivre Montréal en santé, Montréal, 85 p.
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CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
Définitions La « communauté » se définit de façon différente selon les auteurs et la nature du groupe social auquel on se rattache. Pour Doucet et Favreau, la notion de communauté se caractérise par le fait qu’un groupe de personnes partage « des conditions de vie semblables, l’appartenance physique et sociale à un même espace géographique, l’identité de sexe, d’âge et de race. Plus souvent qu’autrement, ce dénominateur commun est fait non seulement de besoins, c’est-à-dire de problèmes sociaux partagés, mais aussi d’intérêts communs et de valeurs communes39. » Cela dit, les intervenants sociaux sont « tiraillés » entre deux conceptions opposées de la communauté : une conception épidémiologique de la communauté et une conception sociale. Il est par ailleurs évident que ces deux perspectives débouchent sur des modes d’intervention différents. D’un côté, il y a la conception que s’en font généralement les milieux politiques et la technostructure : la communauté est définie comme « une population relativement indifférenciée, sinon par groupes cibles identifiés à partir des âges de la vie : enfants, adolescents, adultes, troisième âge40 ». Cette perspective, influencée par l’épidémiologie, vise à comprendre et à décrire la répartition des problèmes de santé de la population et conduit à fractionner cette dernière en sous-groupes aussi spécifiques que possible, que l’on « traite » avec des programmes spécialisés. De plus, cette conception épidémiologique tend à professionnaliser la relation avec la communauté. C’est ce qui fonde le clientélisme, perspective qui devient aussi de plus en plus présente dans les milieux communautaires, notamment ceux dont l’activité essentielle est la prestation de services41. De l’autre côté, il y a la tradition de l’analyse sociale de la communauté. Cette seconde conception nous invite à considérer la totalité d’une communauté, à étudier les regroupements naturels et à agir selon les perceptions de la population plutôt que selon celles des professionnels. Cette conception rejoint celle du secteur communautaire autonome qui conçoit plutôt la communauté
39. L. Doucet et L. Favreau (1991). Op. cit., p. 237. 40. L. Doucet et L. Favreau (1991). Op. cit. p. 236. 41. H. Lamoureux (1999). Membres, usagers, clients, Montréal, RIOC-M, 26 p.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
« comme une collectivité locale dont l’axe majeur renvoie aux classes populaires… et à des groupes identitaires : jeunes, femmes, personnes âgées, communautés ethniques42 ». À propos de cette conception sociale de la communauté, il faut distinguer trois types principaux de communautés, à savoir : la communauté locale, la communauté d’intérêts et la communauté d’identité. La communauté locale
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La communauté locale rejoint l’idée plus courante que l’on se fait de la communauté, soit celle d’une communauté géographique en milieu urbain, semi-urbain ou rural. La communauté géographique correspond souvent à la notion de « community », largement utilisée dans les écrits relatifs à l’organisation communautaire aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Dans ce cadre, la communauté locale se distingue par sa démographie et sa géographie, c’est-à-dire un territoire délimité physiquement et psychologiquement ainsi qu’un fort sentiment d’appartenance à un lieu donné. À ces traits se greffe une dimension culturelle, « à savoir un certain mode de vie, des croyances… ; et une dimension institutionnelle, c’est-à-dire un réseau d’organismes qui possèdent un dénominateur commun, soit la participation de la population à l’amélioration de sa communauté43 ».
Même si elle renvoie d’ordinaire à une dimension restreinte de l’espace géographique – quartier, village, sous-région –, cette conception de la communauté s’applique aussi, de façon plus large, à l’idée de communauté nationale (le Québec), de communauté continentale (la Communauté économique européenne). À l’échelle planétaire, on renvoie à la communauté internationale. Cet élargissement de la notion de communauté géographique prend toute son importance dans le contexte de la mondialisation des échanges économiques et culturels. Ainsi, comme l’exprime l’action dans la sphère de la lutte des femmes, dans celle de la protection de l’environnement et sur le plan de la lutte contre une mondialisation réalisée sans trop d’égard pour les peuples, notamment les plus pauvres, la communauté humaine semble devoir franchir un pas de plus dans la reconnaissance de notre commune humanité. Ce
42. L. Doucet et L. Favreau (1991). Op. cit., p. 236. 43. L. Doucet et L. Favreau (1991). Op. cit., p. 237.
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CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
pas de plus est marqué par l’identification d’une éthique commune et par la nécessité d’un combat commun pour l’affirmer44. La communauté d’intérêts
A
Le concept de communauté d’intérêts renvoie plutôt à l’idée de populations ou de segments d’une population locale partageant sensiblement le même statut social et les mêmes conditions de vie, par exemple les assistés sociaux, les chômeurs ou, encore, les locataires d’un quartier ouvrier. Dans ce cadre, le travail communautaire « prend les allures de la défense des droits sociaux des populations concernées, de la défense d’intérêts communs liés à une condition socioéconomique semblable 45 ».
La communauté d’identité
A
Enfin, la notion de communauté d’identité renvoie à l’idée d’une population qui partage à peu près la même identité culturelle ainsi que le même sentiment d’appartenance. C’est le cas, par exemple, pour les femmes, les jeunes, les personnes âgées ou encore les communautés ethniques. Le travail d’action communautaire avec ces groupes vise « à renforcer leur identité à travers l’organisation d’actions de création de services et d’élaboration de revendications rejoignant leurs besoins en tant que groupes sociaux spécifiques46 ».
Ces trois définitions du concept de communauté ont l’avantage de tenir compte des différentes communautés d’appartenance auxquelles les individus se réfèrent et qui agissent comme moteur de leur mobilisation.
Dimensions à analyser La communauté est un système social composé à la fois de forces internes et externes. Les forces internes sont constituées à partir des rapports entre les membres de la communauté ; les forces externes écoulent de l’intervention d’instances extracommunautaires dans le développement de la communauté à laquelle on appartient. Warren distingue deux modèles principaux de communautés : le modèle vertical, qui reflète la prédominance des relations unissant les unités locales aux systèmes extracommunautaires, et le modèle
44. H. Lamoureux (1996). Le citoyen responsable, Montréal, VLB éditeur, 197 p. 45. L. Doucet et L. Favreau (1991). Op. cit., p. 238. 46. L. Doucet et L. Favreau (1991). Op. cit., p. 239.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
horizontal, qui s’appuie sur la dominance des relations structurelles et fonctionnelles entre les unités locales. Cette distinction, selon Warren, est importante dans la mesure où elle permet de rendre compte d’un phénomène fondamental dans nos sociétés modernes, celui du renforcement du modèle vertical aux dépens du modèle horizontal. Sur le plan méthodologique, Warren et Warren47 ont identifié seize dimensions ou champs d’observation dont les six principales sont : l’arrière-plan historique et les assises sociales de la communauté, la vie économique, l’habitation, l’éducation, les loisirs et les associations. Ces six éléments sont ceux que Poulin retient comme les plus importants pour avoir un portrait global et une compréhension des rapports sociaux et des dynamiques entre les différents acteurs d’un milieu. Ce dernier a souligné « qu’il est souvent peu souhaitable et surtout peu réaliste de tenter de connaître la communauté sous tous ces angles avant de commencer une action communautaire48 ». L’approche microsociale renvoie habituellement aux différents réseaux qui existent dans une communauté. Dans cette perspective, divers thèmes peuvent faire l’objet d’une analyse de communauté. Par exemple, l’analyse peut porter soit sur un espace territorial, soit sur un espace social, selon que l’on décide de prendre pour objet d’étude, par exemple, un quartier ou une collectivité restreinte comme un groupe minoritaire. Elle peut aussi se réaliser en rapport avec l’analyse d’un problème social dans le milieu particulier. Sur le plan de l’analyse d’une communauté, le premier réflexe est de vouloir tout étudier ; mais ce désir est à la fois peu réaliste et pas nécessaire. Il faut plutôt s’efforcer de faire des choix et surtout d’établir des liens entre un certain nombre d’informations sur les plans industriel, urbain, démographique, culturel,
47. R. Warren et D. Warren (1977). « How to Diagnose a Neighbourhood », dans The Neighbourhood Organizer’s Handbook, Notre Dame, University of Notre Dame Press, p. 167-195. 48. M. Poulin (1978). « L’étude monographique des communautés », Service social, vol. 27, no 1, p. 85-100 ; M. Poulin (1978). « Traditions de recherche sur la communauté et concepts de modèles vertical et horizontal de communauté », Service social, vol. 27, no 1, p. 7-21.
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CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
économique. Dans la perspective où l’on souhaite dresser un portrait global d’une communauté locale, une synthèse de plusieurs travaux effectués au Québec49 fait ressortir l’analyse des dimensions suivantes : 1. Description géographique, portrait de l’aménagement de l’espace et analyse de l’évolution historique de la communauté : lieux industriels, commerciaux, résidentiels, loisirs et culture, institutions et services, voies d’accès et transport public, etc. 2. Description de la population : données sociodémographiques (population totale, âge, types de ménages, nombre d’enfants, etc.), données socioéconomiques (occupation, revenu, scolarité, etc.), données ethnoculturelles (langue, religion, etc.), état de santé, etc., et analyse des réseaux sociaux au sein de la population. 3. Portrait de l’économie locale et état de son développement : nombre d’emplois, secteurs d’emploi, genre d’entreprise. 4. Situation de l’habitation : type d’habitation, prix moyen des loyers, présence de logements sociaux, etc. 5. Inventaire et description des ressources institutionnelles (écoles, hôpitaux, etc.) et des organismes communautaires (nombre, mandat, dynamisme, etc.), analyse des rapports de concertation ou de partenariat entre eux. 6. Portrait du pouvoir local : politique (élus locaux), économique (chefs d’entreprise, gros commerçants, etc.), social (clubs sociaux et communautaires, etc.) et analyse des rapports entre eux. 7. Analyse des valeurs culturelles propres au milieu. 8. Analyse des problèmes sociaux ou analyse des besoins. Dans les pages qui suivent, nous reprendrons quelques-unes des dimensions se rattachant à l’analyse d’une communauté locale afin de mieux en expliquer le sens et la portée.
49. G. Paiement (1990). « Pour faire le changement », Guide d’analyse sociale, Outremont, Novalis, 192 p.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
DE RECHERCHES EFFECTUÉES SUR UNE COMMUNAUTÉ LOCALE
CLSC CENTRE-SUD (1984) (1994) Profil de quartier À deux occasions, le CLSC Centre-Sud a réalisé un « Profil de quartier » défini comme un outil d’information indispensable à tous ceux et celles qui interviennent dans le quartier et qui valorisent le développement communautaire. Les données sont basées sur le dernier recensement (1991) et le document aborde plusieurs thèmes qui sont regroupés dans trois chapitres : le profil démographique, le profil socioéconomique et le profil santé. Source : Collectif de promotion communautaire du Centre St-Pierre (1984). Portrait du Centre-Sud. Dossier démographique, Montréal, 25 p.
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CLSC SAINT-HENRI (1999) Portrait de quartier Ce document, produit par le personnel du CLSC Saint-Henri, analyse l’évolution historique de ce territoire qui fut, jusqu’au début des années 1980, un milieu fortement ouvrier. Il ressort que la rénovation urbaine dans ce quartier réalisée par les pouvoirs publics au début des années 1970, n’a pas résolu, ni le problème flagrant du manque d’équipement communautaire, ni celui de l’insuffisance des espaces verts, mais a entraîné une modification des populations dans le quartier. Le désenchantement de la population ne devait que s’accentuer car la défiguration physique du quartier s’est accompagnée d’une lente disparition de la vie de quartier qui prévalait avant l’exode de la population. Aujourd’hui le quartier n’est évidemment plus comme avant, le lieu d’une vie sociale intense. Il constitue encore plus une enclave réunissant un ensemble de groupes sociaux « apparentés » dans la ville. Dans ce cadre, il est plus difficile d’établir des contacts entre les gens qui vivent dans le quartier. Même si les problèmes sociaux demeurent nombreux dans ce milieu (santé, pauvreté, etc.), les organismes communautaires s’ajustent et continuent à y œuvrer très efficacement. Source : CLSC Saint-Henri (1999). Portrait de quartier du territoire desservi par le CLSC, Montréal, 135 p.
CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
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4.1. ANALYSE DE L’ÉVOLUTION SOCIODÉMOGRAPHIQUE DE LA POPULATION Tous les milieux possèdent leur histoire. Les quartiers populaires notamment se caractérisent par leurs traditions, dont celles qui touchent le mouvement communautaire. Ainsi, chaque quartier a sa personnalité propre. Warren a d’ailleurs construit une typologie des quartiers à l’aide de diverses variables. Cette typologie utilisée au Québec par Guay50 définit six types de quartiers : 1) Le quartier intégral est très bien adapté à l’environnement urbain, ses résidants appartiennent souvent aux classes moyenne et supérieure et sont engagés autant dans leur propre quartier que dans des activités extérieures. 2) Le quartier paroissial est un quartier ethnique ou un village rural homogène replié sur lui-même et qui garde une certaine indépendance par rapport à la communauté. 3) Le quartier diffus se retrouve dans des banlieues nouvellement développées où les résidants, même s’ils ont beaucoup en commun, ne s’impliquent pas dans leur quartier ni dans des activités extérieures. 4) Le quartier tremplin se caractérise par son caractère actif. Il est peuplé d’étudiants ou de jeunes couples qui s’entraident beaucoup et qui sont engagés dans des activités politiques ou autres, mais sans être attachés à ce quartier de passage. 5) Le quartier transitoire est un quartier hétérogène où une partie de la population est très changeante. On y trouve souvent des cliques et peu de coopération. 6) Le quartier anomique, comme l’indique le qualificatif, est un milieu privé de vie sociale. L’anonymat y est un style de vie et on n’y constate aucune cohésion ni aucune organisation.
50. J. Guay (1984). L’intervenant professionnel face à l’aide naturelle, Chicoutimi, Gaëtan Morin Éditeur.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
Selon Henderson et Thomas, la dimension historique a été trop souvent sous-estimée dans la littérature sur l’intervention sociale51. Par exemple, le profil sociodémographique doit être replacé dans son contexte historique, d’où l’importance de connaître l’histoire du quartier. À ce propos, on doit signaler que de nombreux groupes sociaux tentent de reconstituer l’histoire de leur milieu ; les intervenants sociaux auraient tort de se priver d’une telle mine d’informations utiles pour alimenter une mobilisation populaire qui puise à la fois dans le passé et dans le présent. La description de la population est avant tout d’ordre sociodémographique et socioéconomique, c’est-à-dire objective, quantitative. Elle porte sur les principales caractéristiques de la population : population totale, âge, taille des ménages, occupation, revenu, langue, religion, etc. Ces données sont l’objet du recensement fait aux cinq ans par le gouvernement du Canada ; on peut les obtenir auprès de Statistique Canada et dans plusieurs centres de documentation. Gingras souligne que ces données statistiques peuvent permettre aux intervenantes d’avoir une vision plus « globale » de leur milieu d’intervention. Ce sont les données concernant : « […] la population en croissance ou en décroissance, la répartition de la population selon les groupes d’âge, la répartition selon le statut civil, le niveau de scolarisation des hommes et de femmes, le nombre de familles monoparentales en fonction de l’âge des enfants et de leur répartition sur le territoire, l’origine ethnique et l’importance numérique des diverses communautés, l’occupation et la répartition par secteurs d’emploi, les taux d’activité et d’inactivité, le nombre de bénéficiaires d’aide sociale et leur répartition sur le territoire, les principales sources d’emplois dans le milieu, le taux de criminalité, les types et la répartition sur le territoire52 ». Plusieurs auteurs s’entendent par ailleurs pour souligner que nous avons assisté à une transformation du tissu social. Ainsi, les diverses opérations de « rénovation urbaine » dans les quartiers populaires des principales villes québécoises ont entraîné la destruction de milliers de logements de familles ouvrières. Les groupes les plus démunis (personnes âgées, chômeurs, assistés sociaux, familles monoparentales, etc.) ont été a placés dans des logements
51. P. Henderson et D.C. Thomas (1992). Op. cit. 52. P. Gingras (1991). Op. cit., p. 41.
CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
221 municipaux. De plus, on a fréquemment assisté à la disparition de nombreuses activités économiques et de toute une panoplie de services traditionnellement offerts dans les quartiers, notamment des lieux de culte, des écoles, des cinémas, des services de loisirs, etc. Ces perturbations modifient l’équilibre fragile entre la vie privée, la vie sociale et la vie de travail. Autrefois intégrés, ces milieux de vie se complétaient pour assurer une solidarité de base. Avec l’éclatement du tissu social traditionnel, l’individu se retrouve souvent seul ou avec son réseau familial. Les communautés locales qui connaissent un fort taux de pauvreté vivent alors un « cycle négatif de changement social » caractérisé par les éléments suivants : problèmes familiaux (taux élevé de divorces, de séparations, de familles prestataires de l’aide sociale) ; de familles monoparentales ; de jeunes familles avec enfants en situation économique difficile ; de familles avec un père de 45 ans et plus en chômage. Dans un tel contexte, faut-il s’étonner que les enfants connaissent des difficultés scolaires sérieuses ? La pauvreté entraîne des problèmes économiques : fermeture des petits commerces, déménagement de certains services publics comme des succursales bancaires et des bureaux de poste. Il faut par ailleurs insister sur la diversité des situations de pauvreté, d’où la distinction nécessaire entre les quartiers de grande pauvreté, les quartiers en difficulté et les quartiers en voie d’appauvrissement. Ces distinctions s’établissent à l’aide de divers indicateurs principaux, dont la situation socioéconomique de la population, la situation de l’économie locale, la force du tissu social et , enfin, la vitalité communautaire. Ainsi, les analyses confirment que dans les communautés désintégrées les phénomènes suivants sont très présents : « augmentation de la criminalité juvénile et adulte, multiplication des problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie, délabrement accéléré des logements provoquée par la spéculation immobilière, appauvrissement d’une part importante de la population et augmentation du nombre de familles éclatées53 ». Par ailleurs, les rapides et nombreux changements sur les plans socioéconomique et démographique finissent par exercer « une influence déterminante sur la qualité du tissu
53. J.-P. Robichaud, L. Guay et al. (1994). Les liens entre la pauverté et la santé mentale, Boucherville, Comité de la santé mentale du Québec, p. 80.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
EXEMPLES LE
DE RECHERCHES EFFECTUÉES AUPRÈS D’UNE POPULATION
VÉCU QUOTIDIEN DES PERSONNES DITES DÉFICIENTES INTELLECTUELLES
Desjardins (2002) a réalisé une étude sur le vécu quotidien d’un petit groupe de personnes souffrant de déficiences intellectuelles et qui vivent, selon le vocable technocratique, dans des appartements supervisés. La préface de G. Bibeau souligne bien toute la richesse de cette analyse effectuée essentiellement par entrevue et par observation participante : « Ces personnes vivent de nos jours à quelques-unes, à côté de chez-vous peut-être, dans des appartements comme tous les autres : en fait des éducateurs chaperonnent ces voisins, examinent leur budget, programment leurs sorties et vérifient la propreté des lieux… Les personnes dites déficientes intellectuelles vivent aujourd’hui au cœur de la cité, à la fois porteuses des marques extérieures de l’appartenance commune (vêtement, habitat, travail, etc.) et des signes d’une différences que l’on s’évertue à camoufler, différence qui les met à part et les marque d’un puissant stigmate » (p. 1). Mais au-delà de ce quotidien banalisé, on trouve chez ces personnes une grande vulnérabilité et une profonde souffrance. Source : M. Desjardins (2002). Le jardin d’ombres. La poétique et la politique de la rééducation sociale, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 235 p.
F
DES
MÈRES SEULES, SEULES, SEULES
Le but de cette recherche était, d’une part, de cerner et d’analyser les problèmes des mères chefs de famille monoparentale et, d’autre part, d’évaluer les services dont celles-ci disposent et ceux qui font défaut. Le sondage auprès de ces femmes, la rencontre d’organismes du quartier ainsi que la consultation de données statistiques et d’études sur le sujet furent les principales sources utilisées. Les principales situations-problèmes relevées tournent autour de trois axes : les difficultés économiques (travail, logement, garderie, loisirs, etc.) ; les difficultés sociales (l’isolement social) ; les problèmes liés au fardeau des reponsabilités parentales. Source : G. Sirard, F. Bélanger, F. Beauregard et al. (1986). Des mères seules, seules, seules, Le Journal La Criée, 153 p.
social, sur le degré d’isolement des individus, sur la nature et la densité des liens sociaux et sur l’existence et le maintien de réseaux d’entraide54 ». On trouve également dans ces milieux « une plus forte propension aux dépressions nerveuses, aux actes de violence familiale et conjugale ainsi qu’aux tentatives de suicide55 ».
54. J.-P. Robichaud, L. Guay et al. (1994). Op. cit. 55. Ibid.
223
CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
4.2. ANALYSE DES GROUPES ET DES RÉSEAUX SOCIAUX 4.2.1. L’analyse des groupes Les groupes constituent les éléments moteurs de l’action communautaire et une bonne compréhension de leur dynamique interne et de leur évolution est une nécessité pour tout intervenant communautaire. On distingue divers types de groupes, dont les groupes d’entraide et de soutien social, qui sont souvent des tremplins pour l’action communautaire, sans constituer des groupes d’action sociale comme telle. Ainsi, le fait de se retrouver en groupe et de travailler à une cause semblable diminue souvent chez les membres la peur du risque individuel et leur donne la force de s’engager plus à fond dans une action collective. Les groupes sont essentiellement composés d’individus engagés dans un processus d’interaction sociale. L’intervenante ou l’intervenant est donc tenu d’étudier les facteurs principaux qui conditionnent les modes de comportements individuels, tels qu’ils se révèlent dans les groupes. Tout groupe peut être décrit et cerné à travers une série de variables, qui sont à mettre en relation, à croiser les unes avec les autres dans le souci de comprendre la vie du groupe analysé. Dans le chapitre 7, les auteurs décrivent plus particulièrement les dynamiques et interactions qui existent lors de réunions et les rôles naturels et formels qui peuvent apparaître. Les variables les plus importantes à saisir pour les fins de l’action communautaire sont : 1) l’histoire et les origines du groupe ; les initiatives, les personnes ainsi que les valeurs qui ont donné naissance au groupe ; 2) les buts et les objectifs du groupe ; 3) ses moyens d’action et ses activités principales ; 4) sa composition (membres et participants, selon l’âge, le genre, la classe sociale ou toute autre caractéristique qui peut expliquer leur présence et leur participation) ; 5) le mode de fonctionnement et de communication ainsi que la répartition formelle et informelle des rôles et du pouvoir décisionnel, les règlements de régie interne si pertinents ; 6) les ressources matérielles et financières disponibles.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
4.2.2. L’analyse des réseaux sociaux L’intervenant communautaire est quotidiennement confronté à l’évolution de la famille et de la communauté locale qui se retrouvent, toutes deux, passablement démunies devant l’aggravation de nombreux problèmes sociaux (désinstitutionnalisation, nouvelles formes de pauvreté, itinérance, etc.). Dans un tel contexte, il faut donc repenser l’activité en milieu communautaire en tenant mieux compte de la réalité concrète des réseaux sociaux56. Ces réseaux sont de divers types : familial, ethnique, de voisinage, de travail, d’amis, d’études, etc. Chacun de ces réseaux comporte ses caractéristiques particulières. Le réseau social est utile à l’intégration sociale des individus, à la socialisation, au loisir, à l’échange de services. Il est donc indispensable de bien connaître ses caractéristiques, sa structure et ses faiblesses afin de pouvoir planifier une intervention qui soit appropriée. Henderson et Thomas57 soulignent justement l’importance des données sur les réseaux sociaux dans la communauté. Ce sont ces réseaux sociaux qui dynamisent le tissu social qu’est la communauté locale ; c’est par eux que se vivent les communications significatives, et notamment la solidarité et le soutien entre pairs58. Par ailleurs, signalons que l’intervention de réseau est une tentative visant à mobiliser le système de soutien du réseau social dans un effort de collaboration pour régler une situation problématique59. Les réseaux sociaux désignent l’ensemble des relations significatives que vit la personne. C’est dans leur cadre que se vivront les moments difficiles comme les moments plus heureux de la vie de chacun. Soulignons la nécessité de bien distinguer les types de réseaux, notamment les réseaux primaires et les réseaux secondaires.
56. M. Blumer (1985). « The Rejuvenation of Community Studies ? Neighbours, Networks and Policy », Sociology Review, vol. 33, no 3, p. 430-448 ; B. Wellman et B. Leighton (1981). « Réseau, quartier et communauté. Préliminaire à l’étude de la question communautaire », Espace et Sociétés, nos 38-39, p. 111-134. 57. P. Henderson et D.C. Thomas (1992). Op. cit. 58. J. Guay (2001). « L’intervention de réseau et l’approche milieu », dans F. Dufort (dir.), Agir au cœur des communautés. La psychologie communautaire et le changement social, Québec, Les Presses de l’Université Laval, p. 249-296. 59. J.-L. Lacroix (1990). L’individu, sa famille et son réseau : les thérapies familiales systémiques, Paris, ESF, 191 p.
CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
225 Nous définissons le réseau primaire comme une entité microsociologique constituée d’un ensemble d’individus qui communiquent entre eux sur une base d’affinités personnelles, en dehors de tout contexte institutionnalisé. On établit généralement la base d’un réseau primaire à partir de la dynamique relationnelle d’une personne – sa parenté, ses amis, les voisins qu’elle fréquente60. À l’opposé, le réseau secondaire est l’ensemble des personnes réunies autour d’une même fonction, dans un cadre institutionnalisé, par exemple un syndicat, une coopérative ou un club social. Sur le plan méthodologique, l’analyse des réseaux sociaux porte sur la description des transactions entre les individus plutôt que sur leur contenu proprement dit. Il importe de bien définir les principales caractéristiques de ces réseaux : leur composition et leur ampleur, le genre de services ou d’échange qu’ils offrent, leur stabilité dans le temps, les liens que ces réseaux entretiennent avec d’autres réseaux sociaux ou organismes. Depuis quelques années, on assiste à un développement impressionnant des études sur les réseaux. Les caractéristiques des réseaux sociaux peuvent ainsi se diviser en deux groupes : les caractéristiques structurales et les caractéristiques interactionnelles61. Parmi les caractéristiques structurales, nous notons la grandeur du réseau, soit le nombre de personnes qui le forment, sa composition, c’est-à-dire le type de personnes qu’on y trouve, et l’intensité des rapports entre les membres du réseau. Les caractéristiques interactionnelles se distinguent quant à elles par la fréquence des contacts, le contenu des relations, l’homogénéité des caractéristiques partagées par ceux qui composent le réseau et la réciprocité des relations. Dans l’ensemble, les études sur les réseaux sociaux montrent que les relations de solidarité sont encore très présentes dans nos milieux, et ce, tant en milieu rural qu’en milieu urbain.
60. C. Besson et J. Guay (2000). Profession travailleur social. Savoir évaluer, oser s’impliquer, Europe, Gaëtan Morin Éditeur, p. 136. 61. C. Besson et J. Guay (2000). Op. cit. ; M. Landry (1987). « Tour d’horizon des types de recherche », dans J. Guay (dir.), Manuel québécois de psuchologie communautaire, Chicoutimi, Gaëtan Morin Éditeur, p. 49-65.
226
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
4.3. L’INVENTAIRE DES RESSOURCES Il est important de bien évaluer les ressources du milieu, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Un inventaire permet donc de compléter l’image que nous avions déjà du milieu d’intervention, d’établir des contacts avec les représentants des différents organismes et établissements et de les préparer à une collaboration efficace62. Dans le champ de l’action communautaire, cette connaissance est nécessaire, car l’intervention collective met en jeu des rapports multiples entre groupes et institutions. La connaissance du fonctionnement de ceux-ci, de leurs organisations, de leurs réseaux de pouvoir et des mécanismes de prise de décision est indispensable pour les intervenants communautaires, car elle permet d’élaborer des stratégies d’action efficaces et réalistes. Nous savons que bon nombre d’organismes sociaux ont déjà dressé des « inventaires des ressources du milieu ». Il ne s’agit donc pas de quelque chose de neuf. Le plus souvent, ces listes, fichiers ou bottins sont publiés et servent d’outils d’information. Malgré le caractère essentiellement descriptif de ces publications, celles-ci n’en demeurent pas moins un excellent moyen de connaissance du milieu dans la mesure où elles conduisent l’intervenant à sortir de son « champ d’expertise » et à élargir son réseau primaire de connaissances, souvent des gens avec lesquels il a des affinités professionnelles et idéologiques. Sur le plan sociopolitque, soulignons que l’inventaire des ressources n’est pas une opération anodine. Elle révèle souvent l’état des rapports sociaux sur le plan spatial. Par exemple, la recherche de Morin (2001) est fort révélatrice à ce propos. Ce dernier a procédé à la recension des ressources d’hébergement pour cinq types de population sur le territoire de la Communauté urbaine de Montréal : personnes psychiatrisées, les personnes présentant des déficiences intellectuelles, les ex-détenus, les sans-abris et les toxicomanes. Les résultats de l’analyse des données, recueillies par secteur de recensement, montre la présence d’un fort mouvement de ghettoïsation des populations marginalisées. Ainsi, dans l’ensemble, 5,5 % des secteurs de recensement totalisent 45,5 % des 6 450 lits du
62. P. Henderson et D.C. Thomas (1992). Op. cit.
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CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
territoire analysé. Il ressort que les politiques gouvernementales de désinstitutionnalisation semblent avoir donné un résultat paradoxal, à savoir l’accentuation de la concentration des populations marginalisées sur le territoire63.
4.4. LE PORTRAIT DU POUVOIR LOCAL Certains activistes communautaires ont souvent véhiculé une représentation plutôt idéalisée de la communauté comme univers homogène et unifié où les individus seraient « naturellement » solidaires. Si l’expérience montre que certains milieux sont « tricotés serrés », on ne peut cependant faire abstraction des rapports sociaux concrets qui structurent toute collectivité. Ces rapports sont souvent des rapports de pouvoir et de propriété. D’où la nécessité non seulement de bien connaître ce que l’on appelle communément la « petite élite locale », c’est-à-dire celle qui domine les institutions, y compris les organismes communautaires, mais aussi d’identifier qui sont les propriétaires des usines, des commerces, des maisons, du sol. Il est également essentiel de bien connaître la structure du pouvoir politique aux différents échelons de gouvernement : fédéral, national, régional et municipal. Nous croyons qu’il est essentiel que l’intervenant communautaire connaisse bien, c’est-à-dire de manière détaillée, les réseaux de pouvoir locaux. L’analyse du pouvoir local permet d’avoir une bonne idée des forces en présence et de prévoir les conflits qui pourront naître du processus d’intervention en déchiffrant les intérêts du pouvoir en place par rapport à certains problèmes qui affectent la communauté64. Dans tout projet communautaire, la connaissance des partenaires, de même que celle des opposants potentiels, est indispensable. Par exemple, le phénomène de la désinstitutionnalisation, particulièrement dans le champ de la santé mentale, a suscité au Québec la mise sur pied d’une multitude de ressources communautaires à
63. P. Morin (2001). « L’espace de la zone », dans H. Dorvil et R. Mayer (dir.), Problèmes sociaux, Théories et méthodologies, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, p. 467-487. 64. P. Henderson et D.C. Thomas (1992). Op. cit., p. 44.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
caractère résidentiel : foyers de groupe, maisons d’accueil, etc. La création de ces ressources dites intermédiaires ou alternatives ne s’est pas réalisée sans problèmes ; et cela a engendré des réactions diverses de la part des communautés, tant en milieu rural qu’en milieu urbain. À ce propos, les travaux de Baillargeon, de Dorvil et de Gendron et Piat65 ont clairement montré que, pour bien comprendre le phénomène de l’intolérance collective à l’égard des ressources intermédiaires, l’étude des types de voisinage, de même que celle du rôle joué par les preneurs de décision locaux, est impérative.
4.5. L’ANALYSE DES VALEURS Pour rejoindre la population d’un milieu donné, il est nécessaire de bien saisir l’importance que celle-ci accorde à un certain nombre de valeurs, tout en étant bien conscient que cette hiérarchie des valeurs n’est pas forcément homogène dans un milieu particulier et qu’elle varie bien souvent selon les classes sociales. Ainsi, au Québec, on privilégie la langue française comme langue commune. Or, si ce sentiment est très largement partagé, une minorité de gens n’y adhèrent pas et, parmi ceux qui y adhèrent, plusieurs ne le font pas avec la même conviction. Par ailleurs, sur le plan social, tout le monde est pour l’universalité dans le domaine de la santé. Les débats en cours montrent cependant que certains ne donnent pas le même sens à cette valeur sociale. Cette connaissance de la population ne va pas de soi. Elle exige à la fois de la patience et l’ouverture aux autres. Cette compréhension de la différence n’est possible « qu’après avoir passé du temps dans le milieu », car elle nécessite des données plus subjectives dont la qualité dépend souvent du lien de confiance établi entre les gens et l’intervenant. Concrètement, la meilleure façon d’y arriver est de vivre le plus possible avec les gens.
65. D. Baillargeon (1991). « Pas dans ma rue : pour une stratégie communautaire devant l’intolérance !, Service social, vol. 40, no 3, p. 127-146 ; H. Dorvil (1988). De L’Annonciation à Montréal : histoire de la folie dans la communauté (1962-1987), Montréal, Émile-Nelligan, 280 p. ; J.-L. Gendron et M. Piat (1991). « La recherche américaine sur l’intolérance des collectivités à l’endroit des ressources intermédiaires », Service social, vol. 40, no 3, p. 147-157.
CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
229 Le problème de la différence dans l’appréciation de certaines valeurs de référence, entre les intervenants communautaires et la population des milieux populaires, est devenu un sujet de préoccupation tant pour les praticiens que pour les chercheurs. De nombreuses études ont été réalisées sur les sous-cultures de divers groupes sociaux. Plusieurs ont fait l’objet de monographies décrivant les valeurs sociales et culturelles propres à ces milieux. Il serait sans doute plus juste de parler de différences normatives. Par exemple, on tentera d’évaluer « la culture de la pauvreté ». On veut ainsi faire ressortir comment la pauvreté peut entraîner des changements culturels affectant des comportements, des valeurs, des attitudes et des façons de faire, changements qui permettent aux familles et aux personnes de s’adapter et de survivre dans des conditions matérielles très précaires. Contrairement à ce qu’une certaine littérature pourrait laisser croire, ces changements ne sont pas a priori négatifs. Ils peuvent conduire à une amélioration de la qualité de vie des individus. Cela dit, il est généralement admis que la pauvreté entraîne des modifications comportementales souvent négatives, notamment sur le plan de la santé et de l’éducation. Par ailleurs, l’expérience des praticiennes et des praticiens semble montrer que la solidarité est plus forte dans les milieux populaires et que la nécessité de compenser les effets de la pauvreté a parfois conduit à l’innovation en matière sociale. À cet égard, Paquet66 explore les attitudes et les représentations liées à la santé de populations vivant en milieu populaire. La chercheure confronte cet univers avec celui des intervenants du système de santé. Dans l’ensemble, elle constate qu’il existe une profonde « distance culturelle » entre ces deux mondes. Ainsi, les gens des milieux populaires accordent généralement une valeur primordiale au quotidien et au présent. Ces gens sont davantage préoccupés par des problèmes liés aux conditions de vie parfois très lourdes et oppressantes, alors que les classes aidées s’intéressent à des questions relatives à leur sécurité et à l’avenir. L’attachement au foyer, à la vie de groupe, la croyance au destin et le
66. G. Paquet (1989). Santé et inégalités sociales : un problème de distance culturelle, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture ; G. Paquet (1994). « Facteurs sociaux de la santé, de la maladie et de la mort », dans F. Dumont, S. Langlois et Y. Martin (dir.), Traité des problèmes sociaux, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, p. 223-244.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
EXEMPLES LES
DE RECHERCHES SUR LES VALEURS
VALEURS DES MILIEUX POPULAIRES ET LA CONCEPTION DE LA SANTÉ
Lacourse (1998) a bien souligné comment les valeurs propres aux milieux populaires induisent une conception particulière de la santé. Dans les milieux populaires, on valorise généralement le présent et le quotidien, car on estime avoir peu de contrôle sur l’avenir. Dans ces milieux, on privilégie habituellement les rapports directs et personnels, d’où l’importance de l’attachement au milieu (quartier, ville, village) ainsi qu’aux membres de son groupe social d’origine. Lorsqu’on prend en considération les conditions de vie et les valeurs fondamentales propres à la culture populaire, on peut percevoir trois genres d’attitudes face à la santé et à la prévention des maladies. Ces attitudes se démarquent des comportements valorisés dans la culture scientifique médicale pour la promotion de la santé. Premièrement, on n’évalue pas de la même façon les bénéfices et les effets négatifs associés aux habitudes de vie dites à risque comme la consommation d’alcool, l’alimentation et le tabagisme qui sont plutôt perçus comme des moyens de rendre la vie un peu plus supportable. Deuxièmement, on observe dans la culture populaire une moins grande préoccupation pour la prévention, car dans un contexte quotidien de privations et de contraintes de toutes sortes, elle prend moins de sens. Troisièmement, les membres des groupes défavorisés utilisent moins les services de santé et y recourent plus tard, au moment de la crise. Ce comportement s’explique en partie par le fait qu’il existe une certaine méfiance à l’égard des professionnels, perçus comme menaçants ou moralisateurs. Les attitudes face à la santé et à la prévention des maladies reposent sur des représentations que l’on se fait du corps, de la santé et de la maladie. Or, ces perceptions varient selon les milieux sociaux. Il ressort, par exemple, que le corps, dans les milieux populaires est un outil de travail et on convient que le corps connaît une période limitée d’utilisation. On a aussi un seuil de tolérance plus élevé face à divers symptômes ou à des problèmes de dysfonctionnement. Cela retarde d’autant la demande d’aide. De plus, dans les milieux populaires, la santé a une fonction utilitaire : elle permet de travailler, de satisfaire des besoins fondamentaux, alors que dans d’autres milieux sociaux, la santé a une fonction plus symbolique, dans la mesure où elle permet de faire valoir son statut social et son succès professionnel ou autre. Source : M.T. Lacourse (1998). Sociologie de la santé, Montréal, Chenelière/McGraw-Hill, p. 147-154.
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PRATIQUE
DE FORMATION ET D’INTERVENTION EN SANTÉ COMMUNAUTAIRE
Dans la même perspective, Gisèle Ampleman analyse une pratique de formation et d’intervention en santé communautaire en milieu défavorisé et elle dénonce « la perception très négative des classes populaires de la part des intervenantes, la ténacité de leurs préjugés et leur manque de confiance dans le potentiel des femmes des classes populaires ». Source : G. Ampleman (1987). « La formation des intervenantes en santé communautaire en milieu populaire », dans G. Ampleman, J. Barnabé et al., Pratiques de conscientisation 2, Montréal, Collectif d’édition populaire.
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CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
conformisme social sont des valeurs qui singularisent les milieux populaires. Du côté de la santé, les conditions de vie en milieu populaire ainsi qu’une conception fataliste de la maladie sont des traits qui vont à l’encontre de la démarche préventive. Des notions comme la « santé totale » ou « la prise en main de sa santé », véhiculées fréquemment dans le réseau de la santé, trouvent peu d’écho en milieu populaire, car ces notions demeurent abstraites et froides. Constatant que les institutions de santé ont peine à rejoindre la clientèle des milieux défavorisés, l’auteure souligne que les valeurs véhiculées dans le réseau de la santé sont plus proches des planificateurs de services que des utilisateurs. Elle insiste sur le fossé existant entre le discours officiel et la réalité et convie les intervenants à transgresser leur propre culture pour entrer en relation avec les milieux populaires.
4.6. L’ANALYSE DES PROBLÈMES SOCIAUX ET DES BESOINS 4.6.1. L’analyse des problèmes sociaux L’analyse des problèmes sociaux est centrale tant en intervention sociale qu’en recherche sociale67. Nous proposons d’abord une définition pour ensuite faire porter notre réflexion sur l’analyse méthodologique des problèmes sociaux. Il est généralement reconnu qu’un problème social « suppose une certaine conception de la réalité sociale et renvoie à un jugement fondé sur l’interprétation normative de valeurs partagées68 ». Le débat sur la pauvreté est un bel exemple de cette dynamique. Plus spécifiquement, un problème social « peut être défini comme une situation donnée ou construite touchant un groupe d’individus qui s’avère incompatible avec les valeurs privilégiées par un nombre important de personnes et qui est reconnue comme
67. H. Dorvil et R. Mayer (dir.) (2001). Problèmes sociaux. Tome 1 – Théories et méthodologies ; Tome 2 – Études de cas et interventions sociales, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 622 p. et 700 p. 68. F. Dumont (1994), dans F. Dumont, S. Langlois et Y. Martin. Op. cit., p. 2.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
nécessitant une intervention en vue de la corriger69 ». Dans cette perspective, il y a quelques dimensions qu’il importe de prendre en compte : la constatation d’une situation-problème, l’élaboration d’un jugement à son endroit et le sentiment de pouvoir améliorer cette situation problématique. Nous devons admettre que la notion de problème social présente un caractère relatif selon la lecture qu’on en fait. Dans une perspective d’intervention, un problème social n’existe pas tant qu’il n’a pas été posé. La violence envers les femmes, par exemple, est un fait de société connu depuis toujours. Or, sa mise en lumière est tributaire de l’activité de certains groupes qui reconnaissent des situations comme étant problématiques et décident d’intervenir. Ces groupes, composés de personnes directement touchées par un problème et de professionnels engagés auprès d’elles, font pression en vue d’un changement70. L’appui donné par un groupe de travailleurs sociaux à la dénonciation de la loi sur l’aide sociale formulée par le Front commun des personnes assistées sociales illustre bien cette possible alliance. Les problèmes sociaux évoluent constamment et, si certaines situations problématiques, comme la violence envers les femmes et les enfants, existent depuis longtemps, il faudra attendre que ces situations soient dénoncées publiquement pour que les choses se mettent à bouger. Par ailleurs, les praticiens de l’action communautaire visent généralement à favoriser la définition des problèmes sociaux à partir de l’opinion de ceux qui les vivent plutôt qu’à partir uniquement des opinions de ceux qui définissent les situationsproblèmes. En conséquence, ils considèrent que les problèmes sociaux sont liés aux valeurs d’une société et sont par essence interactionnels. Cela nous amène à aborder la dimension méthodologique de l’analyse des problèmes sociaux. L’analyse d’un problème social permet habituellement d’en dresser un portrait général au sein d’une communauté. En vue de cette analyse, l’intervenant pourra puiser dans deux types principaux
69. S. Langlois (1994), dans F. Dumont, S. Langlois et Y. Martin. Op. cit., p. 1108. 70. M. Spector et J. Kitsuze (1973). Constructing Social Problems, Menlo Park, Calif., Cummings Publishing Co.
CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
233 de données : d’une part, les données quantitatives et, d’autre part, les données qualitatives71. Dans ce type de recherche, on tente de répondre à un ensemble de questions, telles que : Combien de personnes sont affectées par le problème ? Quelle est la nature du problème social en termes de formes, de fréquence, de durée, de gravité, etc. ? Quelle est l’ampleur du problème et comment se distribue-t-il sur un territoire donné ? Quelles sont les causes ou quels sont les facteurs de risque à la source du problème social ? Quelles sont les conséquences à court, moyen ou long terme du problème sur les personnes affectées ? Quelles sont les caractéristiques sociodémographiques, physiques ou psychologiques des personnes affectées par le problème et de leur milieu de vie ? Quelles sont les solutions proposées par les divers acteurs ? Plusieurs auteurs72 ont relevé diverses étapes dans la prise en charge d’un problème social : la prise de conscience ; la décision d’intervention ; et la prise en charge institutionnelle. Un peu dans la même perspective, Chapdelaine et Gosselin73 ont proposé un schéma, dont nous avons retenu sept étapes principales. Ce schéma a souvent été utilisé en santé communautaire. La première étape est celle de la prise de conscience et de l’émergence d’une définition d’un problème social. La naissance d’un problème social surgit lorsqu’un groupe de personnes perçoivent une ou des situations comme étant problématiques et nécessitant une intervention. Un problème social est défini comme tel après un certain processus de conscientisation. Au début, la situation sociale n’est pas saisie comme problématique, et c’est progressivement qu’une plus grande partie de la population en vient à considérer cette situation comme étant indésirable. Dans cette optique, il est important de s’interroger sur la perception et la définition du problème. Pour qui la situation est-elle
71. J. Delcourt (1991). « Les problèmes sociaux d’une société à risque », Recherches sociologiques, vol. 22, nos 1-2, p. 1-20. 72. P. Ouellet (1998). Matériaux pour une théorie générale des problèmes sociaux, thèse, Sciences humaines appliquées, Université de Montréal, ronéo, 428 p. ; B. Redjeb, R. Mayer et M. Laforest (2001). « Problème social : concept, classification et perspective d’analyse », dans H. Dorvil et R. Mayer (dir)., Problèmes sociaux : théories et méthodologies, tome 1, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, p. 31-56. 73. A. Chapdelaine et P. Gosselin (1984). Pour rendre la santé communautaire, Montréal, Boréal.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
indésirable ? Qui la définit comme étant un problème ? Et pourquoi ? Comment le problème s’est-il manifesté ? Par quoi ? Quand ? Quels sont les conflits qui se sont manifestés en rapport avec ce problème ? Et pourquoi ? Quelles sont les conditions et les situations qui sont jugées « indésirables »74 ? Pour bien analyser un problème social, l’intervenant doit d’abord bien le décrire, de manière claire et compréhensible. Il peut ainsi partir de l’expérience des gens afin de comprendre comment ceux-ci vivent concrètement une situation problématique. Par exemple, un intervenant peut être scandalisé par les conditions de logement dans un HLM et s’étonner que les habitants ne définissent pas leurs conditions comme inacceptables ou qu’ils préfèrent ne pas le faire. La première étape de l’analyse est donc de savoir si les habitants considèrent que leur situation constitue un problème et, si c’est le cas, comment et pourquoi il en est ainsi. Généralement, la définition du problème doit comprendre les points suivants : d’abord relever les différentes perceptions du problème, puis préciser son ampleur ainsi que le territoire où il se manifeste et depuis combien de temps. Il faut aussi indiquer l’intensité du problème, plus précisément le degré d’insatisfaction exprimé par ceux qui le subissent et par ceux qui en sont responsables. Il importe également de vérifier s’il s’agit d’un problème latent ou manifeste. Enfin, des données sur les causes et les origines de la situation-problème doivent être rapportées. La seconde étape porte sur l’importance du problème. Elle comporte deux dimensions : « la gravité du problème, qui est l’aspect qualitatif, et le nombre de personnes exposées ou atteintes, qui est l’aspect quantitatif de ce problème75 ». Outre ces dimensions, d’autres aspects interviennent dans l’appréhension de l’importance d’un problème : « Un problème peut être important parce qu’il concerne une communauté défavorisée et que ses conséquences sont telles qu’on peut parler d’importance sociale du problème. De la même façon, un problème peut être grave par ses
74. A. Chapdelaine et P. Gosselin (1984). Op. cit. ; R. Zuniga (1994). L’évaluation dans l’action, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal. 75. A. Chapdelaine et P. Gosselin (1984). Op. cit., p. 41.
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CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
aspects politiques et économiques76. » L’appréciation de l’importance d’un problème est une question complexe qui fait appel à la fois à la méthodologie et au jugement. D’où la nécessité d’une série de questions : Combien de personnes sont concernées directement ou indirectement ? De quelle façon en souffre-t-on ? Comment le problème influence-t-il et détermine-t-il divers aspects de la vie ? Depuis combien de temps cette situation dure-t-elle et est-elle ressentie comme posant problème ?… Dans quelle partie du quartier rencontre-t-on le problème ? La troisième étape concerne la compréhension du problème. Concrètement, il s’agit de savoir si l’on possède une connaissance suffisante du problème pour amorcer une intervention. Pour Chapdelaine et Gosselin, comprendre un problème, c’est disposer d’une connaissance de ses déterminants, notamment comme facteurs de risque, et connaître son évolution. Toutefois, précisent Henderson et Thomas77, la connaissance des dimensions d’un problème n’est pas seulement le fruit d’une accumulation de données quantitatives ; elle résulte aussi d’une évaluation qualitative de la façon dont les gens vivent ce problème. Ainsi, il faut s’efforcer de remonter aux origines du problème. Les hypothèses que l’intervenant va poser sur l’origine du problème risque d’orienter son action. Analyser un problème social, c’est en déterminer les manifestations, les composantes, les personnes les plus touchées, les secteurs où le problème se fait le plus sentir, les causes, etc. Au terme de ces trois premières étapes, on devrait avoir une idée suffisamment claire du problème pour pouvoir amorcer les diverses étapes relatives à l’intervention elle-même, à savoir la précision des objectifs d’intervention, le choix d’un modèle ou d’une stratégie, l’intervention et l’évaluation de l’action. La quatrième étape correspond donc à la phase de la précision des objectifs d’intervention. Une fois que le « problème » est venu à l’attention d’un certain public, on doit tenter de promouvoir l’idée d’un effort collectif pour y remédier. Cette étape s’amorce lorsque certains groupes d’intérêts commencent à s’organiser et tentent de s’attaquer au problème. Encore ici certaines questions
76. A. Chapdelaine et P. Gosselin (1984). Op. cit., p. 42. 77. P. Henderson et D.C. Thomas (1992). Op. cit.
236
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
EXEMPLES
DE RECHERCHE SUR UN PROBLÈME SOCIAL
L’AUTRE LONGUEUIL : L’APPAUVRISSEMENT La recherche réalisée par la table de concertation de l’appauvrissement à Longueuil a été effectuée à partir des données du recensement ainsi que des entrevues auprès des représentantes de groupes communautaires et des personnes directement touchées par la pauvreté. Elle a permis de mesurer la pauvreté sous ses diverses facettes (ex. : en fonction de l’âge, de la scolarité, de la monoparentalité) et d’illustrer les conséquences de l’appauvrissement au quotidien (ex. : alimentation, itinérance, endettement, santé mentale). Elle se termine par des propositions de solution. Source : Table de l’appauvrissement de Longueuil (1992). L’autre Longueuil : l’appauvrissement, 59 p.
F
RAPPORT
DU
COMITÉ
DE RECHERCHE ET D’ACTION SUR LA PAUVRETÉ DES FEMMES
L’enquête sur la pauvreté des femmes de la région de L’Amiante à Thetford Mines a été réalisée par questionnaire auprès d’une soixantaine de femmes chefs de famille monoparentale. Elle a permis de tracer le portrait type de la femme pauvre : chef de famille, sans emploi ou avec un emploi à bas salaire, locataire, souffrant de solitude, avec peu ou pas de loisirs et un nombre élevé de visites chez le médecin. Les pistes de solution envisagées supposent des changements autour des axes suivants : formation ; garderie ; transport en commun ; logement social. Source : Centre de référence pour les femmes de la région de L’Amiante (1993). Rapport du comité de recherche et d’action sur la pauvreté des femmes.
peuvent être soulevées. Qui ne définit pas la situation comme un problème ? Pourquoi ? Quelles sont les meilleures stratégies ou tactiques pour stimuler le désir d’une amélioration ? Quel est le rôle des médias en ce qui concerne la sensibilisation à certains problèmes sociaux ? Comment utiliser ces moyens ? La cinquième étape vise à déterminer la meilleure stratégie d’intervention afin d’atteindre l’objectif visé. La sixième étape correspond à l’action proprement dite, alors que la septième étape concerne l’évaluation de l’action.
4.6.2. L’analyse des besoins L’analyse des besoins est une dimension majeure du travail social. Vouloir mieux comprendre ce concept central n’est donc pas un simple détour intellectuel. Bien au contraire, il s’agit d’une démarche centrale, dans la mesure où la perception que nous avons des
CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
237 besoins oriente le processus d’intervention78. Le thème de l’analyse des besoins est tout aussi fondamental en recherche sociale. Définie selon Nadeau comme l’analyse d’un « écart entre une situation souhaitée et ce qui existe dans la réalité, l’analyse de besoin suppose l’accès à de l’information concernant ces deux dimensions79 ». Selon Beaudry, le principal objectif d’une analyse de besoins est de fournir aux intervenants et aux gestionnaires des informations valides sur les principaux problèmes vécus dans la communauté et sur les besoins de la population en matière de services80. Il rappelle que les praticiens ou autres professionnels ou « experts » ne peuvent pas, à eux seuls, constituer l’unique source d’information dans une analyse des besoins. Cette analyse doit comprendre et refléter l’ensemble des points de vue81. Sur le plan méthodologique, deux approches principales permettent de connaître les besoins. L’approche déductive conduit à déterminer le lien, ou l’écart, entre des objectifs proposés et une réalité. Les principales techniques propres à cette approche sont le questionnaire classique, de type sondage, l’entrevue de face à face ou par téléphone, et l’approche par indicateurs sociaux. L’approche inductive part de la définition que la population elle-même donne de ses besoins et, par conséquent, rassemble des informations sur une situation donnée. Différentes techniques peuvent être utilisées pour l’analyse inductive des besoins, quoique la tendance majoritaire s’oriente vers les techniques utilisant le petit groupe. Parmi ces techniques nous pouvons mentionner la technique Delphi, la technique du groupe nominal, les groupes de discussion, la technique de l’incident critique et l’approche par informateurs clés82.
78. R. Mayer et F. Ouellet (2000). Op. cit., p. 257. 79. M.-A. Nadeau (1988). « L’analyse des besoins », dans L’évaluation de programme, théorie et pratique, 2e éd., Québec, Les Presses de l’Université Laval. 80. J. Beaudry (1984). « L’évaluation de programme », dans B. Gauthier (dir.), Recherche sociale. De la problématique à la collecte de données, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, p. 389-413. 81. R. Pinault et C. Daveluy (1986). La planification de la santé, Montréal, Agence d’Arc inc. 82. R. Mayer et M.-C. Saint-Jacques (2000). « L’entrevue de recherche », dans R. Mayer, M.-C. Saint-Jacques, D. Turcotte et al., Méthodes de recherche en intervention sociale, Boucherville, Gaëtan Morin Éditeur, 407 p.
238
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
EXEMPLES ENQUÊTE
DE RECHERCHES SUR L’ANALYSE DES BESOINS
SUR LA SÉCURITÉ DES ÉTUDIANTES DU
CÉGEP
DE
SAINT-JÉRÔME
Les objectifs de cette enquête étaient les suivants : A Découvrir le vécu des cégépiennes séjournant dans les résidences en regard de leur sécurité
et leur perception des risques qui menacent leur sécurité ; connaître leur opinion concernant les moyens à prendre pour améliorer leur sécurité. A Déceler si les cégépiennes éprouvent un sentiment d’insécurité lorsqu’elles circulent sur le
campus et dans les alentours du cégep ; s’il en est ainsi, en savoir les raisons et connaître leur opinion concernant les moyens à prendre pour améliorer leur sécurité. Pour le premier objectif, les techniques de collecte de données ont été l’entrevue de groupe menée à l’aide d’un guide d’entrevue, l’observation directe méthodique et la consultation de registres de plaintes. Pour le second objectif, les techniques choisies ont été le questionnaire auto-administré, l’observation directe méthodique et la consultation de rapports de police. Au total, 275 cégépiennes ont été rencontrées et questionnées dans le cadre de cette enquête. Les résultats de l’enquête ont révélé que 68 % des cégépiennes craignaient pour leur sécurité dans les résidences. Ces résultats donnaient également des indications précises sur les causes et les solutions à apporter à ce problème. Quant au campus et à ses alentours, l’enquête a permis de déterminer les lieux et les itinéraires qui étaient perçus comme les moins sécuritaires et de définir les causes et les solutions à mettre en œuvre. À la suite de cette enquête, un groupe de cégépiennes s’est mobilisé pour rencontrer la direction du cégep ainsi que le maire de la municipalité afin d’améliorer leur sécurité. Les résultats ont été concluants, car quelques mois plus tard, plusieurs mesures de sécurité ont été introduites : installation d’un éclairage additionnel et d’une caméra de surveillance ; déboisement de sentiers ; rénovations dans les résidences pour filles ; formation à l’intention du personnel chargé de la surveillance ; mise en place d’une patrouille de surveillance policière pour la sortie des cours à la tombée du jour. Source : J. Lavoie (1998). Enquête sur la sécurité des étudiantes du Cégep de Saint-Jérôme, Département de techniques de travail social, Cégep de Saint-Jérôme.
F
LA
FACE CACHÉE
CLSC Notre-Dame-de-Grâce/Montréal Ouest (1989) Le but de cette étude était de déterminer les besoins sociosanitaires des groupes de personnes plus vulnérables en matière de santé et de bien-être dans le territoire desservi par le CLSC. La méthode utilisée a été une étude qualitative de nature exploratoire basée sur des entrevues avec des informateurs clés. Cette étude a permis d’impliquer plusieurs personnes dans la recherche, ce qui a contribué à une vision plus collective et active du quartier. On a ainsi pu définir des problèmes sociaux (pauvreté, isolement des familles monoparentales, violence à l’égard des personnes âgées, etc.), des pistes de solution individuelles et collectives et même qui étaient les personnes et les groupes intéressés à s’impliquer dans les solutions. Évidemment, l’étude a aussi permis au CLSC de définir ses programmes et ses priorités d’action. Source : C. Daveluy et al. (1989). La face cachée, CLSC Notre-Dame de Grâce/Montréal-Ouest.
239
CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
5.
QUELQUES TECHNIQUES DE COLLECTE DES DONNÉES 5.1. L’OBSERVATION On associe souvent l’analyse d’un milieu à l’observation participante, dans la mesure où l’analyste, au lieu de procéder par des moyens dits objectifs, comme le questionnaire, se mêle plutôt à la vie d’un groupe, participe à ses diverses activités et s’efforce de comprendre de l’intérieur les attitudes et les comportements qu’il juge significatifs. L’observation constitue souvent le seul moyen pour pénétrer dans un milieu culturel donné83. De Robertis et Pascal suggèrent aux intervenants communautaires quatre principales techniques fondées sur l’observation : l’observation directe libre, l’observation directe méthodique, l’observation clinique et l’observation participante84. L’observation directe libre est utile pour explorer et découvrir un nouveau terrain d’intervention. Dans cette perspective, le chercheur pose un regard naïf, non précodé, sur le terrain. L’observation directe méthodique, comme son nom l’indique, suppose le recours à une grille d’observation formalisée. Quant à l’observation clinique, elle s’avère utile pour les intervenants sociaux, puisqu’elle peut s’appliquer pour analyser aussi bien un individu qu’une institution. Enfin, l’observation participante permet de passer d’une vision extérieure à une analyse par l’intérieur du vécu des participants. Cette technique qui peut être utile dans diverses situations oblige l’observateur-acteur à recourir à diverses stratégies d’insertion. En règle générale, le chercheur ne connaît pas le terrain avant d’entreprendre la recherche et les acteurs ne connaissent pas le chercheur, de sorte qu’une phase d’apprivoisement réciproque est encouragée pour favoriser la confiance mutuelle et assurer la faisabilité de l’étude. Fortin85 souligne que le chercheur doit
83. J.-P. Deslauriers et R. Mayer (2000). « L’observation directe », dans R. Mayer, M.-C. Saint-Jacques et al. Op. cit. 84. C. De Robertis et H. Pascal (1987). Op. cit. 85. A. Fortin (1982). « Au sujet de la méthode », dans J.-P. Dupuis et al. (dir.), Les pratiques émancipatoires en milieu populaire, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, p. 79-222.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
EXEMPLES DE RECHERCHES EFFECTUÉES PAR LA TECHNIQUE DE L’OBSERVATION PARTICIPANTE FUITE
ET STRATÉGIES DE SURVIE DES JEUNES DE LA RUE À
MONTRÉAL
Côté a utilisé l’observation participante pour mieux comprendre les jeunes itinérants à Montréal. Son étude dépeint la situation des jeunes qui ont fui le domicile parental ou le foyer de substitution qui les hébergeait. L’auteure suit pas à pas ses sujets dans tous les lieux qu’ils fréquentent : couloirs de métro, arcades, lieux de prostitution, etc. Elle décrit leurs stratégies de survie, leur rapport au temps et à l’espace ainsi que leur vision du monde. Ces jeunes sont nés, pour la plupart, dans une famille où il n’y avait pas de place pour eux. Ils vivent maintenant une seconde exclusion, celle de la société actuelle. Source : M.-M. Côté (1989). « Fuite et stratégies de survie des jeunes de la rue à Montréal », Santé mentale au Québec, vol. 14, no 2, p. 150-158.
F
POUVOIR
HABITER
Pour réaliser une recherche sur la conception de l’habitation en HLM et dans une coopérative d’habitation, les chercheurs ont eu recours à l’observation participante. En plus d’assister aux diverses assemblées de ces groupes, ils soulignent qu’ils sont « allés plusieurs fois marcher autour des bâtiments, à différentes périodes de la journée. Ces observations [leur] ont permis de [se] familiariser avec l’aménagement de l’espace, et de nous laisser pénétrer par les impressions que dégagent les lieux. » Ces chercheurs ont aussi fait appel aux entrevues enregistrées et transcrites, lesquelles leur ont permis de reconnaître l’émergence de faits récurrents, de similitudes et de régularités. Leur méthode d’analyse a fait entrer en ligne de compte l’intuition et les sentiments, non seulement des chercheurs, mais ceux des personnes interrogées, leur cadre de vie, leur vision du monde et leurs aspirations. Source : J.-P. Deslauriers et M.-J. Brossard (1989). Pouvoir habiter, Groupe de recherche et d’intervention régionales, Université du Québec à Chicoutimi, 185 p.
d’abord construire sa crédibilité sur le terrain. Cette première tâche est d’autant plus importante et difficile qu’il arrive, à l’occasion, que le terrain ait été « brûlé » par d’autres chercheurs ou intervenants. Par ailleurs, comme l’ont souligné plusieurs auteurs, il faut noter que la recherche basée sur l’observation exige souvent la présence prolongée du chercheur sur le terrain afin de recueillir des données suffisantes et de pouvoir ainsi élaborer des interprétations valides. De plus, la plupart des auteurs s’entendent pour dire qu’il ne saurait y avoir de recettes magiques pour bien réussir une observation, qu’elle soit de nature participative ou non.
241
CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
La réussite de l’observation participante exige le respect de règles élémentaires et comporte un certain nombre de limites dont les principales sont que : l’observateur doit se faire admettre par le groupe ou le milieu étudié, ce qui limite l’utilisation d’une telle méthode, car certains groupes s’y refusent manifestement ; l’observateur ne doit pas, dans la mesure du possible, modifier la vie du groupe ou du milieu ; l’observation participante s’applique surtout à des petits groupes ou à des communautés de petite taille et produit des informations d’ordre qualitatif ; comme pour d’autres techniques, l’observation participante se complète par l’utilisation de moyens additionnels – analyse historique, documentaire ou de contenu, interview, etc. En pratique, l’intervenant a souvent recours à une méthodologie diversifiée : entrevues, questionnaires, etc. Cependant, toutes les méthodes, aussi intéressantes soient-elles, n’apportent rien de significatif si elles ne sont pas fondées sur une observation compréhensive, c’est-à-dire qui n’isole pas l’observation de son contexte, lequel lui donne un sens.
5.2. L’ENTREVUE ET LE QUESTIONNAIRE Choisir un instrument d’enquête demande réflexion. Gravel86 a ainsi souligné qu’il fallait tenir compte des objectifs de la recherche, du choix et du nombre des variables, des recherches antérieures effectuées dans le domaine, des avis ou des autorisations de personnes concernées par l’enquête projetée et, enfin, des contraintes en temps, en budget et en personnel. Par exemple, si l’on choisit d’utiliser le questionnaire, c’est parce que l’on peut assurer la description et la quantification des observations, la comparaison des observations et la généralisation des résultats.
5.2.1. L’entrevue Selon Barnsley et Ellis87, l’entrevue convient quand l’on souhaite connaître une situation vécue par les gens. L’entrevue est l’occasion
86. R.-J. Gravel (1978). Guide méthodologique de la recherche, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, p. 278. 87. J. Barnsley et L. Ellis (1992). Op. cit.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
d’un contact approfondi et permet d’intéresser les personnes aux activités du groupe. Selon Henderson et Thomas88, l’entrevue dirigée peut être très utile à l’intervenant communautaire en l’aidant à bien comprendre comment les citoyens perçoivent et décrivent leur quartier. L’entrevue, qui constitue l’outil principal d’acquisition d’informations détaillées sur les institutions et les organisations à l’œuvre dans le quartier, peut fournir davantage de renseignements sur les aspects particulièrement complexes de la vie collective (le pouvoir, le leadership et les influences locales). De plus, elle permet d’interroger les citoyens sur des problèmes sociaux complexes et délicats, tels que l’itinérance, le chômage, la solitude. L’entrevue est sûrement la méthode de collecte de données la plus complète. Elle permet d’aller en profondeur dans les réponses afin de les rendre les plus exhaustives possible. Les entrevues peuvent avoir lieu à l’intérieur d’une rencontre ou au téléphone. Une entrevue dure généralement entre une et trois heures. Certains chercheurs conseillent de ne pas recourir au magnétophone, mais plutôt de bien écouter la personne et de prendre des notes. La retranscription exigera à peu près autant de temps que l’entrevue. L’entrevue peut se définir comme un « procédé d’investigation scientifique, utilisant un processus de communication verbale pour recueillir des informations, en relation avec le but fixé89 ». Les principales distinctions entre l’entrevue et une conversation normale tiennent au fait que l’entrevue est asymétrique : seul le chercheur pose les questions, il y a des répétitions pour obtenir précisions et éclaircissements. Enfin, elle n’est pas une discussion libre et se concentre sur un sujet spécifique. C’est une méthode de collecte de données exécutée exclusivement avec des personnes qui sont touchées par l’objet de recherche. Il existe plusieurs types d’entrevues, classés selon le degré de liberté laissé à l’interlocuteur et la profondeur de l’échange. On distingue les entrevues : 1) clinique ; 2) en profondeur ; 3) à réponses libres ; 4) centrée ou à thèmes ; 5) à questions ouvertes ; et 6) à questions fermées90.
88. P. Henderson et D.C. Thomas (1992). Op. cit. 89. R. Pinto et M. Grawitz (1967). Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, p. 591. 90. R. Mayer et M.-C. Saint-Jacques (2000). Op. cit., p. 117.
CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
243 Plusieurs concepts connexes sont rattachés à l’entrevue. Mentionnons d’abord celui de directivité et de non-directivité. Le chercheur a en effet le choix de mener une entrevue dirigée ou non dirigée. Dans ce dernier cas, à partir d’une question, le participant s’exprime librement de façon personnelle. Dans cette entrevue non directive, c’est l’interviewé qui possède le rôle d’explorateur, car il cherche, pense avant d’exprimer son opinion. Le chercheur doit écouter et tout considérer dans le moindre détail, s’il veut comprendre le contenu socioaffectif profond. Cette façon de faire dépend plus des capacités relationnelles du chercheur que de ses capacités techniques. Quant à l’entrevue directive, on constate sa grande flexibilité. Elle permet de motiver le sujet, de l’orienter, de corriger ses écarts, de lui demander des précisions, etc.91. Comme dans le cas du questionnaire, on peut poser des questions directes ou indirectes. Ici encore, les questions peuvent être précises et claires pour n’obtenir qu’une réponse claire. Ou l’on peut être vague, « tourner autour du pot », pour faire ensuite de la déduction. Un autre concept connexe intéressant associé aux entrevues est celui des entrevues extensives ou intensives. On dit que dans l’entrevue intensive le chercheur doit se centrer exclusivement sur son interlocuteur. Il cherche à comprendre la personne. Dans les entrevues extensives, on fait appel à plusieurs personnes ; on a donc besoin de plusieurs entrevues. Ces entrevues servent à établir des quantifications statistiques et à mesurer des taux de fréquence. Plusieurs précautions sont nécessaires à la conduite de l’entrevue. Le chercheur doit pouvoir « 1) inspirer confiance à l’informateur ; 2) susciter et maintenir son intérêt ; 3) écouter et n’intervenir qu’aux moments propices ; 4) réduire les distances que peuvent créer les différences de statut social ou de culture d’origine entre lui et son interlocuteur ; 5) réduire les barrières psychologiques en reconnaissant et en contournant les mécanismes psychologiques utilisés (fuites, rationalisation, refoulement) ; 6) apprécier le champ de connaissances de l’informateur et exploiter les domaines où ce dernier possède des connaissances particulières92 ». Malgré ces précautions, plusieurs biais peuvent se glisser dans les réponses
91. J.-P. Daunais (1992). « L’entretien non directif », dans B. Gauthier (dir). Op. cit., p. 272. 92. R. Mayer et M.-C. Saint-Jacques (2000). Op. cit., p. 116.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
données durant les entrevues. Ceux-ci sont la méfiance a priori, la réaction à la personne même du chercheur et le risque de suggestion et d’induction des réponses. Le premier contact permet au chercheur de susciter l’intérêt du participant et d’établir la première relation. Il faut éclairer l’interrogé sur le sujet et le pourquoi de la recherche sans toutefois aller trop dans les détails. Il faut aussi faire preuve de patience devant les refus et expliquer davantage l’étude aux sujets pour tenter de les rassurer et de les amener à participer. Cela fait, le chercheur doit alors accorder une importance particulière au lieu et au moment de l’entrevue, à sa tenue vestimentaire et à la façon dont il va gagner et conserver la confiance du sujet. Divers auteurs ont mentionné des tâches à assumer par le chercheur, comme : utiliser au mieux les facteurs positifs qui peuvent inciter le participant à répondre ; obtenir des réponses complètes ; remercier le sujet et lui demander de commenter brièvement le sujet de l’enquête, son utilité, la pertinence des questions, etc. Plusieurs petits trucs sont essentiels pour maintenir l’intérêt du sujet, par exemple l’écoute attentive, le partage des expériences communes entre le chercheur et l’interrogé, etc. Le chercheur doit tout de même s’assurer qu’il possède le contrôle de l’entrevue. Le chercheur a le devoir de conclure l’entrevue de façon respectueuse et harmonieuse. Outre les remerciements, il fait un résumé de l’entrevue et s’assure que tout est clair. Une autre façon de procéder est de recourir à l’entrevue de groupe93. Celle-ci permet de recueillir le point de vue de plusieurs personnes en même temps. Les participants peuvent ainsi comparer leur expérience respective et penser à des aspects qui ne leur seraient pas venus à l’esprit. Son utilisation requiert cependant que les personnes en présence n’aient pas de mal à discuter ensemble. Le chercheur devra aussi être habile dans l’animation afin de faire progresser le groupe vers les objectifs proposés.
93. R. Mayer et M.-C. Saint-Jacques (2000). Op. cit., p. 122.
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CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
5.2.2. Le questionnaire On dit souvent du questionnaire que les organismes communautaires l’utilisent peu. Il est pourtant une source rapide d’informations qui maximise la participation des gens à une recherche. L’emploi du questionnaire est indiqué quand l’enquêteur veut recueillir des faits, des jugements subjectifs, que ce soient des attitudes, des opinions ou des motivations et des connaissances. Il est surtout efficace pour l’étude de grands groupes de personnes. Pour les petits groupes, l’entrevue se révèle plus efficace. On utilise le questionnaire quand on a déjà bien cerné un problème ou une situation et qu’on veut voir comment les gens font face à ce problème ou à cette situation sous tel ou tel angle précis. Le questionnaire peut comporter des questions fermées, des questions ouvertes ou encore une combinaison des deux94. Il existe différentes manières d’administrer le questionnaire : on peut l’envoyer par la poste, le faire passer par téléphone, demander aux personnes de le remplir chez elles et venir le reprendre un peu plus tard, ou encore le faire passer en tête à tête. Henderson et Thomas soulignent que chaque manière de faire comporte des avantages et des inconvénients mais que la méthode individuelle directe (« en tête à tête ») semble davantage convenir à l’intervenant communautaire, parce qu’elle met celui-ci en relation avec des gens qui pourront éventuellement former un groupe. Plusieurs étapes sont nécessaires à l’élaboration d’un questionnaire. Premièrement, on doit décider de l’information à rechercher. Cela signifie qu’il faut identifier très précisément le problème à résoudre. Deuxièmement, on doit décider du type de questions à employer. Les questions peuvent être directes allant droit au but ou indirectes pour ne pas embarrasser le sujet (revenu, dossier judiciaire, etc.). Une bonne question doit être claire, contenir une seule idée, neutre sans exprimer un biais et être formulée en termes accessibles pour les personnes interrogées. Troisièmement, on doit rédiger une première ébauche du questionnaire pour déterminer les thèmes que nous voulons aborder dans l’étude et la séquence de traitement. Quatrièmement, il faut réexaminer et réviser les
94. R. Mayer et M.-C. Saint-Jacques (2000). Op. cit., p. 115.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
EXEMPLES
DE RECHERCHES UTILISANT LE QUESTIONNAIRE
BIEN
SE NOURRIR POUR MIEUX VIEILLIR BASSE-VILLE DE QUÉBEC
Un questionnement sur les besoins en alimentation des aînés a conduit quelques organismes du réseau de la santé et des services sociaux à entreprendre une recherche-action, de concert avec la Table de concertation des organismes du troisième âge de la basse-ville de Québec. Puisant dans leur expérience personnelle et leur connaissance du milieu, les représentants de la table de concertation ont participé à l’élaboration d’un questionnaire comprenant 38 questions regroupées en cinq catégories : l’identification des répondants, leurs habitudes alimentaires, leur autonomie physique, l’environnement social lors des repas et les besoins en services alimentaires alternatifs. Les résultats de cette recherche-action s’appuient sur les réponses données par plus de 350 personnes et l’administration des questionnaires a été assurée par des enquêteurs qui se rendaient au domicile des répondants. Répondre au questionnaire demandait un peu moins d’une heure. L’analyse et l’interprétation des données ont été discutées lors d’une journée d’étude rassemblant près de 400 aînés. La corporation chargée du projet y a reçu le mandat de mettre en œuvre trois avenues de solutions : les restaurants accrédités, la livraison de repas par des traiteurs et des informations sur une saine alimentation. Ces solutions ont été réalisées et le projet a obtenu la médaille du Gouverneur général du Canada. Source : J. Damasse (1991). Les besoins en services alimentaires alternatifs chez les aînés de la basse-ville de Québec. Rapport d’enquête.
F
LES
ITINÉRANTS DE
MONTRÉAL
Un intervenant communautaire a eu recours à un questionnaire afin de mieux connaître les conditions de vie des itinérants de Montréal. Ce questionnaire comporte divers thèmes : milieu familial, expériences avec les institutions du réseau sociosanitaire, etc. Il s’attache à cerner à la fois les conditions objectives de vie (la pauvreté, la maladie) et les conditions plus subjectives (la désorganisation psychosociale, la toxicomanie, la folie, etc.) afin de mieux définir le processus d’itinérance. Source : P. Simard (1990). « Les itinérants de Montréal », Service social, vol. 39, no 2, p. 59-75.
questions. Cinquièmement, on doit éprouver le questionnaire une première fois en le testant chez un échantillon réduit possédant les mêmes caractéristiques que notre échantillon. Finalement, la sixième étape consiste à faire la mise au point finale du questionnaire et à définir son mode d’emploi. Pour appliquer un questionnaire on doit nommer d’abord l’organisme qui fait ou supporte la recherche et en préciser les
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CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
raisons et buts. Enfin on doit rassurer les participantes et participants sur le caractère confidentiel des informations. En conclusion, on peut dire que l’utilité de l’entrevue est bien établie pour la phase exploratoire de toute recherche. Il n’en reste pas moins que ces deux méthodes demeurent complémentaires l’une de l’autre et que leur choix dépend surtout des conditions et des circonstances (coût, temps, disponibilité, etc.) dans lesquelles est effectuée la recherche.
5.3. LES RÉCITS DE VIE Au cours des années 1980, le récit de vie a connu une grande popularité, tant auprès des chercheurs que des intervenants sociaux. La réalisation du récit de vie s’effectue en diverses étapes précises et elle permet au chercheur de se représenter un individu par rapport aux événements de sa vie95. De façon générale, ces informations sont recueillies dans le cadre d’entrevues individuelles non dirigées ou semi-dirigées. Le chercheur invite le participant à se raconter librement sans contraintes, ni restrictions. La méthode du récit de vie est donc inductive, car elle part des faits pour aller vers l’élaboration analytique et théorique. En effet, à partir du récit de vie, le chercheur peut élaborer un plan d’entrevue qui lui sert à approfondir une problématique ou à analyser un problème social. Il s’agit donc d’une technique de recherche dans laquelle le chercheur cherche à comprendre un milieu social ou des phénomènes sociaux en se fondant sur l’expérience de vie d’une personne, d’un groupe ou d’une communauté. Au Québec, plusieurs travaux de recherche en travail social ont utilisé la méthode du récit de vie, notamment les travaux de Panet-Raymond et de Poirier96 sur les stratégies de vie des ménages de Québécois salariés en période de crise, ceux de Jacob et de
95. J.-P. Deslauriers et R. Mayer (2000). Op. cit., p. 189. 96. J. Panet-Raymond et C. Poirier (1986). « L’utilisation des récits de vie dans une enquête statistique », dans D. Desmarais et P. Grell (dir.), Les récits de vie, Montréal, Éd. Saint-Martin, p. 103-110.
248
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
Bertot97 sur les difficultés d’intégration de réfugiés au Québec, ceux de Grell98 sur les modes de débrouillardise chez les jeunes chômeurs, de même que les travaux de Piotte99 sur l’histoire de militants de groupes communautaires au Québec.
6.
L’ÉTHIQUE ET LA RECHERCHE SOCIALE Toute recherche qui porte sur des individus ou des groupes sociaux est susceptible de soulever des problèmes éthiques100. On note, depuis quelques années, la mise en œuvre de mesures étatiques de régulation par l’État, comme l’énoncé de politique « Éthique de la recherche avec des êtres humains » par le Conseil de la recherche sociale et humaine en 1998 et les orientations préparées par le Conseil québécois de la recherche sociale en matière d’éthique de la recherche sociale. En outre, il est important de dire que les établissements d’enseignement et, de façon générale, l’ensemble des institutions disposent de règles écrites impératives en ce qui concerne la recherche sociale. Souvent, l’application de ces règles est confiée à un comité d’éthique. C’est notamment le cas dans les agences de la santé et des services sociaux. Il ressort de cette réflexion que plusieurs questions éthiques, par exemple en ce qui concerne le consentement éclairé, le respect des droits individuels et collectifs et la confidentialité, ne peuvent plus être abordées comme avant. Les problèmes d’ordre éthique se posent dès le début du processus de recherche. Le premier problème est la question du consentement éclairé. Pour permettre ce consentement le chercheur doit indiquer clairement le but de la recherche, son affiliation, les bailleurs de fonds, son employeur, la durée prévue de l’étude, les méthodes utilisées et les utilisations possibles. Ces questions peuvent
97. A. Jacob et J. Bertot (1989). Les Salvadoriens à Montréal : leur adaptation, Montréal, 97. Rose Blanche inc., 175 p. 98. P. Grell (1986). « Les récits de vie : une méthodologie pour dépasser les réalités 98. partielles », dans D. Desmarais et P. Grell (dir.). Op. cit, p. 151-176. 99. J.-M. Piotte (1987). La communauté perdue. Petite histoire des militantismes, Montréal, 99. VLB, 140 p. 100. Plan d’action ministériel en éthique de la recherche (1998), p. 8.
CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
249 être déjà clarifiées si la recherche est initiée par un organisme communautaire qui sollicite un chercheur pour l’aider dans sa démarche, mais elles demeurent toujours pertinentes. En vertu de ce consentement les personnes participantes doivent être informées des conséquences possibles des résultats, de leur utilisation et de leur diffusion. Le consentement éclairé est particulièrement délicat lorsque les participants sont atteints de problèmes de santé mentale ou de déficiences intellectuelles : il faut donc s’assurer de ce consentement par des moyens écrits et oraux pour expliquer clairement tous les aspects de la recherche. La deuxième préoccupation éthique est celle de la participation volontaire. Encore une fois la question se pose moins lorsque le groupe initie la recherche, mais les groupes et participants sollicités par des chercheurs doivent être libres de refuser et même de se retirer en tout temps. Les chercheurs doivent donc être particulièrement sensibles au contexte dans lequel se trouve un participant potentiel : par exemple, une personne vivant de prestations de sécurité du revenu ne doit aucunement sentir de pression ou de coercition ou avoir l’impression qu’un refus puisse mettre en péril son droit aux prestations. De même un organisme communautaire ne doit pas sentir de pression ou avoir l’impression qu’une subvention pourrait être liée à la participation à une recherche. La question de la rémunération de la personne ou de l’organisme interviewé peut être délicate dans ces situations, mais ne devrait pas modifier le consentement volontaire. Cet aspect de la participation volontaire est particulièrement testé dans le cadre de recherche en partenariat qui porte certaines exigences éthiques : « un réel volontariat de toutes les personnes engagées dans un processus de recherche ; une pratique axée sur les valeurs démocratiques d’autonomie, de liberté, de respect mutuel ; une foi commune dans une vérité qui se construit dans la coopération et le dialogue101 ». Ces exigences ne vont pas de soi et demande une vigilance constante tant des chercheurs que des participants même en milieu communautaire102.
101. A. Caron (1993). « Les exigences éthiques d’une recherche en partenariat », Revue de l’Association pour la recherche qualitative, vol. 9, p. 69. 102. P. Deslauriers (1991). Recherche qualitative. Guide pratique, Montréal, McGraw-Hill, 142 p.
250
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
La troisième grande préoccupation éthique est la confidentialité et l’anonymat. Selon la nature de la recherche et de l’entente entre les chercheurs et les participants, on doit protéger la confidentialité des propos recueillis et l’anonymat des personnes et parfois même des organismes. Il va de soi qu’une recherche-action avec un groupe ne masquera pas le nom du groupe, mais pourra masquer les sources individuelles pour ne pas nuire aux personnes et à la dynamique du groupe. La liberté d’expression des personnes interviewées est souvent liée à la garantie de confidentialité et à l’anonymat: il faut donc assurer des moyens de protéger le matériel recueilli. Enfin, une dernière préoccupation éthique est celle des résultats et de leur utilisation. Pour certains le retour des résultats auprès des personnes directement concernées est un principe éthique important, dans la mesure où le terrain de recherche est un lieu d’échange103. En action communautaire la tradition de rechercheaction, recherche militante et recherche conscientisante a établi que les résultats appartiennent évidemment aux sujets de la recherche : il va de soi que les fruits de ce processus participatif reviennent aux sujets pour nourrir leur réflexion et l’action. Il y a souvent des ententes avec les chercheurs pour leur donner le droit de publier des textes, ou en faire une diffusion pour des fins d’enseignement, mais avec un droit de regard sur le contenu ou avec d’autres conditions. Les sujets de la recherche devraient donc connaître l’usage que le chercheur entend faire des résultats. En aucun cas ces recherches ne devraient servir à des fins d’exploitation ou d’aliénation des personnes et des groupes sociaux. Cette mise en garde apparaît nécessaire dans la mesure où les chercheurs réalisent souvent des recherches subventionnées par des organismes gouvernementaux, tels des ministères ou des agences, ou même des entreprises privées, qui peuvent influencer des politiques sociales. On ne peut sous-estimer le pressions institutionnelles des bailleurs de fonds des recherches, même lorsqu’elles ne sont pas explicites. Les chercheurs ne sont pas à l’abri de l’autocensure face aux bailleurs de fonds et parfois même face aux organismes
103. C. Bariteau (1985). « De la cueillette à l’échange sur le terrain », dans S. Genest (dir.), La passion de l’échange : terrains d’anthropologues du Québec, Chicoutimi, Gaëtan Morin Éditeur, p. 279.
251
CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
communautaires. C’est donc un défi d’intégrité qui guettent les chercheurs et les organismes communautaires.
CONCLUSION En guise de conclusion, il importe de rappeler quelques idées de base. Soulignons d’abord que la communauté locale a connu des transformations notables. Elle manifeste, en plusieurs milieux, notamment à la suite du « virage communautaire », une vigueur inégalée. Dans le champ des affaires sociales on est en présence de deux conceptions ou de deux approches de la communauté : l’approche épidémiologique, privilégiée notamment par les intervenants dans le domaine de la santé publique, et l’approche sociale ou communautaire. Selon nous, au lieu d’opposer ces approches, il faut plutôt faire en sorte qu’elles soient complémentaires. Il faut également insister sur l’importance du processus dans l’analyse des communautés et sur les transformations du sens d’appartenance. L’enjeu communautaire s’est déplacé. L’identité se construit moins à partir du territoire que de l’appartenance à des groupes sociaux qui partagent les mêmes conditions d’existence et le même vécu. En ce sens, et même s’il faut en adapter les définitions à la réalité actuelle, la question de la différence de classe conserve toujours son acuité. Pour parodier La Fontaine, admettons qu’il est toujours vrai que, « selon que nous sommes riches ou misérables », notre sort sera généralement différent. Il convient également de signaler que le thème des rapports entre les chercheurs et les intervenants a fait l’objet de plusieurs réflexions au cours des dernières années, notamment le grand besoin de rapprocher la recherche et la pratique, y compris celle en milieu communautaire. On pourrait également dire que beaucoup de chercheurs n’ont que très peu de pratique. Il faut donc adapter les méthodes de recherche et s’efforcer de trouver un juste équilibre entre les exigences méthodologiques de la recherche et celles de la pratique. À ce propos, certains104 estiment que, si la recherche
104. J.-M. Van der Maren et S. Mainville (1993). « Pour une recherche pertinente aux pratiques professionnelles », Revue de l’Association pour la recherche qualitative, vol. 8, p. 87-100.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
sociale est essentielle à la formation des intervenants sociaux, elle doit leur être utile dans leur rôle d’acteurs et de praticiens. À cet effet, elle doit non pas s’appuyer sur un questionnement extérieur à la pratique, mais partir des problèmes tels que les praticiens et la population les vivent et les expriment avec leurs mots propres105. On propose donc certains ajustements méthodologiques afin de rapprocher la recherche et la pratique, d’où, à notre avis, l’utilité de la recherche-action pour les intervenants sociaux.
105. H. Lamoureux (1999). « La recherche sociale au service de la collectivité », Conférence prononcée à l’occasion du 20e anniversaire du Conseil québécois de la recherche sociale, Montréal, Musée de la Pointe-à-Callière, 15 p.
253
CHAPITRE 4 ◆ LA RECHERCHE
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE BARBIER, R. (1996). La recherche-action, Paris, Anthropos. BARNSLEY, J. et D. ELLIS (1992). La recherche en vue de stratégie de changement: guide de recherche-action pour les groupes communautaires, Vancouver, The Women’s Research Centre, 102 p. (Diffusion au Québec par Relais-Femmes, Montréal). DE ROBERTIS, C. et H. PASCAL (1987). L’intervention sociale collective en travail social, Paris, Le Centurion, 304 p. DESLAURIERS, J.-P. (1991). Recherche qualitative. Guide pratique, Montréal, McGraw-Hill, 142 p. HENDERSON, P. et D.C. THOMAS (1992). Savoir-faire en développement social local, traduit et adapté par le Groupe européen de travail sur le développement social local, Paris, Bayard Ed. (Traduction Skills in Neighbourhood Work, 1987), 236 p. LAVOIE, L, D. MARQUIS et P. LAURIN (1996), La recherche-action: théorie et pratique. Manuel d’autoformation, Québec, Presses de l’Université du Québec. LESSARD-HÉBERT, M., G. GOYETTE et G. BOUTIN (1995). La recherche qualitative: fondements et pratiques (2e éd.), Montréal, Éditions nouvelles. MAYER, R., F. OUELLET, M.-C. SAINT-JACQUES et D. TURCOTTE (dir.) (2000). Méthodes de recherche en intervention sociale, Boucherville, Gaëtan Morin Éditeur. POUPART, J., J.-P. DESLAURIERS, L. GROULS, A. LAPERRIÈRE, R. MAYER et A. PIRÈS (dir.) (1997). La recherche qualitative. Enjeux épistémologiques et méthodologiques, Boucherville : Gaëtan Morin Éditeur. SAINT-ARNAUD, Y. (1992). Connaître par l’action, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal. STINGER, E. (1996). Action research: A handbook for practionners, Thousand Oaks, Sage Publication.
CHAPITRE
5
LA SENSIBILISATION
ET LA MOBILISATION
Jocelyne Lavoie Jean Panet-Raymond
PLAN DU CHAPITRE 5 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. La sensibilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1. Les objectifs d’une démarche de sensibilisation . . . . . . . . . . . . 1.2. L’ampleur d’une démarche de sensibilisation . . . . . . . . . . . . . 2. La mobilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1. L’importance de la mobilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. La place de la mobilisation dans le processus d’intervention . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3. L’ampleur d’un travail de mobilisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.4. La mobilisation et les modèles d’intervention . . . . . . . . . . . . . 2.5. La force de la mobilisation sur l’imaginaire collectif . . . . . . . 2.6. Les conditions favorisant le maintien de la mobilisation . . . 3. Quelques moyens de sensibilisation et de mobilisation . . . . . . . . 3.1. Les activités et autres moyens d’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1.1. La rencontre d’information . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1.2. La session ou l’atelier de formation . . . . . . . . . . . . . . . 3.1.3. L’assemblée publique d’information . . . . . . . . . . . . . . . 3.1.4. La journée thématique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1.5. Le colloque, le forum et le sommet citoyen . . . . . . . . . 3.1.6. Le théâtre d’intervention, le spectacle populaire et la fête de quartier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1.7. La pétition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1.8. L’envoi massif de cartes postales et de lettres . . . . . . . 3.1.9. Le kiosque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1.10. Le porte-à-porte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1.11. Les représentations auprès de divers paliers de gouvernement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1.12. La manifestation et la marche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1.13. Les actions de non-coopération. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1.14. Les actions de désobéissance civile non violente . . . . . 3.2. Les outils . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.1. Les outils écrits : le tract, l’affiche, le dépliant et autres… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.2. La photo et la vidéo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2.3. Les exercices et les jeux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3. Les outils d’information et de communication et les médias . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3.1. Internet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3.2. Le téléphone . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3.3. Les médias . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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INTRODUCTION Comme nous l’avons vu dans le chapitre consacré aux étapes d’une intervention communautaire, la réussite d’une mobilisation dépend très souvent du travail de sensibilisation qui l’a précédée ou qui y est associé. En ce sens, la sensibilisation pourra constituer une étape en soi qui précédera l’étape de la mobilisation, ou encore s’effectuera parallèlement et conjointement avec celle-ci ; tout dépendra de la nature du projet et de l’évaluation que le groupe fera du degré de sensibilisation des personnes concernées. Mentionnons cependant que, en dépit des liens qui unissent généralement la sensibilisation et la mobilisation à l’intérieur du processus d’intervention, il est possible que la sensibilisation ne vise pas directement la mobilisation, mais strictement des changements plus individuels, sur le plan des attitudes et des comportements. C’est souvent le cas d’activités de sensibilisation qui cherchent à s’attaquer à des préjugés, des peurs, des croyances ou des mythes. Enfin, nous devons aussi préciser qu’une mobilisation peut se concrétiser sans qu’il soit nécessaire d’y associer un travail de sensibilisation, notamment lorsque les personnes concernées sont à la fois pleinement conscientes de l’injustice dont elles sont victimes et décidées à agir, mais qu’il leur manque uniquement une occasion de se regrouper pour s’organiser et passer à l’action. Malgré ce que nous venons de dire sur la façon d’utiliser la sensibilisation et la mobilisation de façon indépendante, les liens étroits qui unissent généralement ces deux volets de l’intervention nous amènent à les traiter l’une et l’autre à l’intérieur d’une même étape du processus d’intervention et d’un même chapitre. De plus, cette complémentarité entre sensibilisation et mobilisation se poursuit lorsque vient le temps de faire le choix des activités et des outils, puisqu’un même moyen peut tout aussi bien servir à sensibiliser une communauté qu’à la mobiliser. Les pages qui suivent illustreront de manière beaucoup plus concrète le caractère à la fois spécifique et complémentaire du
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
travail de sensibilisation et de mobilisation et donneront une vue d’ensemble des principaux moyens dont les groupes disposent pour les aider à réaliser ce travail.
1.
LA SENSIBILISATION La sensibilisation et la conscientisation occupent une très grande place à l’intérieur des pratiques d’action communautaire. Le fondement de toute action collective ne repose-t-il pas sur le fait qu’une situation intolérable affectant un grand nombre de personnes doit être reconnue et jugée comme telle par les personnes concernées ? Une démarche de sensibilisation ou de conscientisation sera donc souvent essentielle pour permettre l’identification d’un problème et favoriser une prise de conscience du caractère collectif de ce problème. La sensibilisation contribuera aussi à faire naître l’espoir qu’en s’y attaquant collectivement on peut atténuer ou résoudre le problème au bénéfice des personnes qu’il affecte ainsi qu’au bénéfice du bien commun. La sensibilisation et la conscientisation s’inscrivent donc dans un processus qui permet non seulement de susciter la réflexion, mais de passer à l’action.
La sensibilisation
A
La sensibilisation est un terme très large utilisé en action communautaire pour désigner une étape d’un processus d’intervention au cours de laquelle un ou plusieurs moyens seront mis à contribution afin d’atteindre les buts suivants : – favoriser la réflexion et susciter une prise de conscience par rapport à un problème social ou à un besoin commun ; – promouvoir des solutions alternatives ou des idées nouvelles afin de transformer une situation jugée problématique ou de répondre à un besoin.
À la lumière de cette définition, on saisit bien en quoi la sensibilisation se distingue de l’information qui, bien qu’elle puisse favoriser la réflexion et susciter une prise de conscience, laisser très souvent les personnes devant un sentiment d’impuissance en ne suggérant pas de solutions pour transformer la situation dénoncée. À ce titre, on peut donc avancer que la sensibilisation poursuit
CHAPITRE 5 ◆ LA SENSIBILISATION ET LA MOBILISATION
259
invariablement un objectif de changement sur le plan individuel ou collectif. Une autre distinction importante lorsqu’on parle de sensibilisation est la nuance à faire entre sensibilisation et conscientisation, car bien que ces termes soient étroitement liés et souvent utilisés comme synonymes, la conscientisation doit être vue non seulement comme une étape de l’intervention, mais comme l’adhésion à un modèle d’intervention. En effet, comme nous l’avons déjà vu à l’intérieur du chapitre sur l’évolution des pratiques communautaires, l’approche conscientisante qui s’est développée au Québec au début des années 1980 a puisé ses fondements idéologiques et pratiques dans le modèle d’éducation populaire mis sur pied par Paulo Freire1, chargé du programme d’alphabétisation au Brésil au début des années 1960. La méthode de conscientisation élaborée par Freire avait ceci de particulier qu’elle prônait une éducation-libération plutôt qu’une éducation-domination afin d’aider la classe paysanne à se politiser et à se libérer de l’oppression dont elle était victime. À ce titre, la conscientisation comporte une dimension pédagogique et politique qui vise à ce que les classes opprimées prennent connaissance de leur oppression, rejettent la définition qu’en donnent leurs oppresseurs et apprennent celle qui correspond à leurs conditions réelles d’existence afin de trouver ensuite des moyens de s’en libérer. Freire a décrit quatre niveaux de conscience pour marquer les étapes de cette démarche : la conscience soumise ou magique ; la conscience révoltée marquée par l’activisme ; la conscience réformiste qui cherche à améliorer le système existant ; et enfin la conscience libératrice qui est un engagement permanent contre toute forme d’exploitation, de domination ou d’aliénation. Donc, sans chercher à exclure mutuellement sensibilisation et conscientisation, il est important de marquer l’engagement politique et l’alliance avec les classes populaires qui viennent colorer une pratique de conscientisation.
1.
P. Freire (1994). Pédagogie des opprimés, Paris, Maspero, 202 p.
260
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
1.1. LES OBJECTIFS D’UNE DÉMARCHE DE SENSIBILISATION Bien que chaque démarche de sensibilisation vise à favoriser la réflexion et à promouvoir des solutions pour transformer une situation, les objectifs spécifiques de la sensibilisation pourront varier selon la nature du problème et du changement souhaité ainsi que selon les personnes visées pour y contribuer. Tenant compte de ces différentes variables, une démarche de sensibilisation vise plus spécifiquement l’un ou l’autre des objectifs suivants. Changements individuels
A
Introduire des changements sur le plan individuel, par exemple inciter des personnes à modifier leurs comportements, leurs attitudes ou leurs habitudes de vie en s’attaquant notamment à des préjugés, des mythes, etc. ; ou encore faire prendre conscience à certaines personnes qu’elles sont victimes d’une injustice et qu’il existe des recours leur permettant de défendre individuellement leurs droits.
Mobilisation des personnes concernées
A
Mobiliser les personnes directement touchées par un problème afin qu’elles se regroupent pour améliorer ou changer leur situation.
Influence sur les décideurs
A
Influencer les décideurs afin de les rendre plus sensibles aux difficultés ou aux besoins d’une population et les inciter à agir.
Appui de l’opinion publique
A
Obtenir la sympathie et l’appui de l’opinion publique, au niveau local, régional ou national, afin de créer un rapport de force favorable au changement souhaité.
1.2. L’AMPLEUR D’UNE DÉMARCHE DE SENSIBILISATION En partant de l’objectif spécifique visé par sa démarche de sensibilisation, et en évaluant le temps et les ressources dont il dispose, le groupe déterminera ensuite l’ampleur qu’il souhaite donner à sa démarche. Les trois exemples qui suivent permettent d’illustrer les différentes variantes qui peuvent exister à cet égard.
CHAPITRE 5 ◆ LA SENSIBILISATION ET LA MOBILISATION
261
Activité de sensibilisation
A
Un groupe pourra opter pour une seule activité de sensibilisation comportant divers moyens s’il estime que cette activité est suffisante pour vérifier l’existence d’un besoin ou d’un intérêt, ou encore pour amorcer une démarche de réflexion visant à changer des comportements et des attitudes. Par exemple, un centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) animera une seule activité de sensibilisation sur les agressions sexuelles, laquelle s’adressera aux élèves de troisième secondaire de la polyvalente afin de s’attaquer à certains préjugés et mythes à ce sujet.
Programme d’activités
A
Un groupe pourra, par contre, juger nécessaire de consacrer plus d’énergie, de moyens et de temps à une démarche de sensibilisation en mettant sur pied un programme d’activités. Par exemple, une maison de jeunes choisira d’organiser une semaine de sensibilisation sur le thème de la paix. À cet effet, les animateurs et les jeunes élaboreront une semaine thématique sur la paix qui comprendra une soirée de théâtre, une journée de jeux coopératifs, un concours de dessins pour illustrer une affiche sur la paix et un souper communautaire regroupant diverses communautés ethniques.
Campagne de sensibilisation
A
Enfin, un groupe ou même une coalition de groupes évaluera plutôt la pertinence d’organiser une campagne de sensibilisation qui fera appel à une diversité d’activités et d’outils et qui pourra s’échelonner sur plusieurs semaines. Dans le cas d’une campagne de sensibilisation, on associera généralement les médias de masse à la démarche. Cela aura pour effet de renforcer le message que le groupe désire transmettre et de rejoindre un plus grand nombre de personnes.
2.
LA MOBILISATION 2.1. L’IMPORTANCE DE LA MOBILISATION A
La mobilisation a pour but de susciter l’engagement et de regrouper des personnes touchées par un problème social, ou partageant un même besoin, pour la mise en œuvre d’une action visant à
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
résoudre ce problème ou pour la réalisation d’un projet destiné à satisfaire ce besoin. À la lumière de cette définition, on saisit bien dans quelle mesure la mobilisation donne tout son sens aux pratiques d’action communautaire, puisqu’elle propose aux personnes d’être les principaux acteurs des choix et des changements sociaux, économiques et politiques les concernant. La mobilisation, c’est donc l’action par laquelle les personnes expriment leur solidarité pour mettre en œuvre des projets et réaliser des actions collectives qui contribueront à améliorer leurs conditions de vie ou la qualité de vie de leur milieu ou, plus largement, participer à la mise en œuvre de changements structurels au bénéfice du bien commun. La mobilisation fournit aussi l’occasion aux personnes qui ne sont pas directement touchées par un problème d’exprimer leur appui à l’égard de celles et ceux qu’elles estiment être victimes d’injustice, d’oppression ou d’exclusion. La mobilisation peut enfin s’exprimer lorsque vient le temps pour les membres d’un organisme de participer aux tâches inhérentes à la vie associative. La mobilisation offre donc la possibilité d’élargir le sens que l’on donne généralement à la vie démocratique en affirmant l’expression d’une citoyenneté active et responsable.
2.2. LA PLACE DE LA MOBILISATION DANS LE PROCESSUS D’INTERVENTION Suggérer que la mobilisation est l’une des étapes de l’intervention communautaire ne signifie aucunement que cette préoccupation doit être absente tout au long des autres étapes du processus. La mobilisation accompagne en fait toutes les étapes d’une intervention communautaire. Dès la phase de préparation de l’intervention, ce sont les personnes concernées qui définiront la nature du problème ou du besoin et qui participeront à l’élaboration du plan d’action. Seulement, il faut bien admettre que, durant les étapes de planification d’un projet, les personnes mobilisées peuvent ne constituer qu’un petit noyau de base. Voilà pourquoi c’est à la phase de la réalisation d’une action collective que s’intensifieront les efforts du groupe, soit pour élargir la mobilisation initiale, soit pour regrouper les personnes qui ont vécu jusque-là leurs difficultés de façon isolée. Cet effort de
CHAPITRE 5 ◆ LA SENSIBILISATION ET LA MOBILISATION
263
mobilisation est encore plus apparent lorsqu’un groupe fait le choix d’une stratégie conflictuelle, où la création d’un rapport de force est nécessaire à l’obtention de gains contre des gouvernements, des institutions ou des entreprises. Rappelons que la mobilisation se poursuit jusqu’à l’étape du bilan, où les personnes ayant participé à l’action seront mises à contribution pour réaliser un retour critique sur les diverses étapes du projet.
2.3. L’AMPLEUR D’UN TRAVAIL DE MOBILISATION Tout comme pour la réalisation d’une démarche de sensibilisation, le travail de mobilisation s’exprime sous différents aspects et à des degrés divers en visant tantôt le recrutement d’un petit groupe de personnes pour le démarrage d’une activité, tantôt la participation de quelques centaines, voire quelques milliers d’individus, pour la création d’un rapport de force dans le but d’influencer des décideurs. L’action de mobiliser fera donc appel à une diversité de moyens plus ou moins nombreux et complexes selon l’objectif poursuivi. Recruter cinq personnes pour mettre sur pied une activité de cuisine collective ne demande pas le même déploiement d’efforts et de moyens que la mobilisation de plusieurs centaines de personnes pour une manifestation. L’objectif poursuivi, le type de projet choisi, la stratégie privilégiée (consensuelle, de négociation ou conflictuelle) et les ressources dont le groupe dispose sont autant de facteurs influant sur la diversité et l’ampleur des moyens à déployer pour mobiliser.
2.4. LA MOBILISATION ET LES MODÈLES D’INTERVENTION La stratégie d’action et l’ampleur de la mobilisation visée ouvre sur le choix de modèles d’intervention (voir le chapitre 1) qui va déterminer les choix de moyens à prendre. Il y a une diversité de moyens qui peuvent s’adapter à diverses stratégies et modèles, mais ce qui doit prévaloir, c’est la cohérence entre les objectifs visés, la stratégie et les moyens. Et une même mobilisation peut
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
faire appel à divers modèles à différentes étapes de l’action. Par exemple on peut s’insérer dans une démarche de développement local d’amélioration des conditions de vie d’un quartier, qui se veut assez inclusive et consensuelle, mais qui est confrontée à la lenteur d’un processus politique municipal. On peut décider à un moment donné de susciter une plus grande visibilité médiatique sur l’inaction du conseil municipal en faisant une manifestation qui place un comité de citoyen dans un rapport plus conflictuel d’action sociopolitique afin de faire pression pour accélérer des prises de décision et des actions. Donc dans une démarche qui se veut consensuelle, on reconnaît un différend qui demande une action différente. Un modèle ne doit pas figer le processus d’intervention et il faut savoir s’adapter constamment en respectant ce que veulent et peuvent les personnes concernées avec les ressources à leur disposition ainsi que les obstacles qui se dressent devant l’objectif à atteindre. La confrontation n’est pas nécessairement souhaitable, mais il faut parfois la considérer. L’important c’est de toujours bien prendre le temps de réévaluer les objectifs à atteindre et les moyens à notre disposition tout en respectant les valeurs, les capacités et la culture d’action des personnes du groupe et des personnes que l’on souhaite mobiliser. Il faut que le modèles « colle » à ce qui est dans l’expérience des personnes et bien se préparer pour développer de nouveaux moyens. Par exemple on ne fera pas une intervention au conseil municipal pour dénoncer son inaction et lui remettre une pétition, ou encore une occupation illégale du bureau d’un ministre sans une bonne analyse des capacités du groupe et une bonne préparation. Enfin le choix de modèles doit permettre d’atteindre les objectifs mais doit aussi être un processus agréable et enrichissant. Depuis quelques années, on voit de plus en plus les modèles de développement local et de planification sociale favoriser la mise sur pied de nombreuses tables de concertation suscités notamment par les centres de santé et de services sociaux (CSSS) et les directions de santé publique (DSP) qui s’associent les organismes communautaires. Il reste néanmoins de nombreuses mobilisations locales, nationales et même internationales qui frappent l’imaginaire et qui sont les expressions vivantes de la participation citoyenne en tentant de trouver un certain contrôle sur le développement des communautés. Un des enjeux de la mobilisation c’est justement de favoriser des moyens qui permettent de rejoindre une
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plus grande partie de la population concernée qui, autrement, ne ce serait pas beaucoup impliquée. Or les tables de concertation formées d’intervenants professionnels des secteurs public, privé et communautaire, ne sont pas les lieux les plus favorables à une large participation citoyenne.
2.5. LA FORCE DE LA MOBILISATION SUR L’IMAGINAIRE COLLECTIF Au cours des dernières années, le Québec a été le théâtre de plusieurs mobilisations populaires qui ont frappé l’imaginaire collectif et démontré la soif de justice sociale et de solidarité du peuple québécois. Un des formes exemplaires de ces vastes mobilisations populaires a été la Marche des femmes contre la pauvreté « Du pain et des roses » organisée par la Fédération des femmes du Québec en 1995. Cette marche a contribué à relancer la vigueur du mouvement des femmes et à démontrer qu’il est encore possible de miser sur l’imagination et l’audace pour faire valoir la légitimité de certaines revendications auprès du gouvernement tout en sensibilisant l’opinion publique au chemin qu’il reste à parcourir vers l’égalité entres les femmes et les hommes. Le mouvement des femmes du Québec a aussi été un acteur important de la mondialisation des solidarités. En effet, la Marche des femmes contre la pauvreté de 1995 a mené à la Marche mondiale des femmes contre la pauvreté et la violence en l’an 2000 ; celle-ci ayant rassemblé 6 000 groupes de femmes dans 161 pays autour de 17 revendications qui ont été acheminées à des représentants de l’ONU à New York. Depuis 1995, plusieurs autres grandes mobilisations populaires se sont succédé, au rythme de la contestation de l’idéologie et de la mondialisation néolibérale, de la protection de l’environnement et de la défense de droits sociaux et humains. Ainsi, en mai 1998, l’Opération SalAMI a marqué l’entrée du Québec dans le mouvement altermondialiste par une action de désobéissance civile de masse contre l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) à Montréal. Quelques années plus tard, en avril 2001, la Marche des peuples au Sommet des Amériques à Québec rassemblait 50 000 personnes venues manifester contre la Zone de libre-
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échange des Amériques (ZLEA). L’année 2003 a aussi été le théâtre d’importantes mobilisations contre la guerre en Irak qui ont mené à la création du « Collectif Échec à la guerre » qui lutte contre la tendance ouverte de la domination militaire des États-Unis sur la planète Certaines de ces manifestations ont mobilisé 150 000 personnes par un froid glacial un certain 15 février 2003 et jusqu’à 250 000 personnes quelques semaines plus tard. Plusieurs autres remarquables mobilisations sont venues proposer une autre vision du Québec : une vision humaniste, soucieuse de l’environnement et du développement durable, de la recherche du bien commun et des droits collectifs. Mentionnons notamment l’opposition populaire au projet de développement de la centrale thermique du Suroît à Beauharnois par Hydro-Québec en 2003, l’opposition de la population de Pointe Saint-Charles au projet de relocalisation du Casino de Montréal dans leur quartier en 2006, de même que l’opposition à la privatisation partielle du Parc national du Mont Orford en 2007. Toutes ces mobilisations ont permis d’inscrire des victoires décisives dans l’imaginaire collectif québécois.
2.6. LES CONDITIONS FAVORISANT LE MAINTIEN DE LA MOBILISATION Il nous semble utile d’insister sur le fait que les efforts de mobilisation doivent se poursuivre tout au long de la réalisation d’un projet d’action, particulièrement lorsque le projet ou la lutte s’échelonne sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois. L’expérience montre en effet qu’il ne suffit pas de susciter la mobilisation, encore faut-il soutenir l’élan initial. Cette constatation pose la question de la mise en place des conditions favorisant non seulement l’engagement initial des personnes, mais le maintien de leur intérêt et de leur participation tout au long de l’action. Au nombre des conditions favorisant le maintien de la mobilisation, mentionnons ce qui suit. F Éprouver un souci constant de valoriser et de reconnaître
le travail accompli par les personnes participantes. Le besoin d’estime est en effet un besoin fondamental chez l’être humain.
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F Se fixer des objectifs réalistes et à court terme qui permettent
des gains et des victoires tangibles et concrètes, malgré l’existence d’objectifs à plus long terme. Rien n’est plus démobilisant que d’éprouver le sentiment de travailler fort et longtemps sans avoir la satisfaction d’obtenir des résultats concrets. F Mettre en place un mode de fonctionnement qui favorise un
engagement à la mesure de l’intérêt, des compétences, des volontés d’apprendre et des disponibilités des personnes. Plusieurs groupes ont compris cette nécessité et ont formé des comités de travail sur divers aspects liés à la réalisation d’un projet collectif. Ces comités relèvent d’un conseil d’administration ou d’un responsable à la coordination, permettant ainsi au plus grand nombre possible de personnes de s’engager selon leurs goûts et de se développer selon leurs champs d’intérêt, tout en respectant le temps qu’elles peuvent consacrer au projet. F Accorder une attention particulière à la qualité de la com-
munication au sein du groupe en étant très sensible aux difficultés qui peuvent surgir et en faisant des efforts constants pour les régler au fur et à mesure. F Favoriser des moments d’apprentissage et de formation,
individuels et collectifs. Cela peut se faire par du « mentorat » ou du « coaching » entre membres, par des échanges avec des personnes de d’autres organisations, ou par des sessions de formation plus structurées. F Enfin, ne pas oublier de faire une place au plaisir en
organisant des activités qui favorisent la cohésion et contribuent à accroître le sentiment d’appartenance au groupe. Organiser un repas collectif pour souligner un événement important, préparer une fête pour se féliciter d’avoir obtenu des gains, monter une activité de plein-air à l’occasion d’un bilan annuel sont autant de moyens de « ventiler », de se découvrir sous un jour nouveau et de resserrer les liens tout en s’amusant.
268
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
3.
QUELQUES MOYENS DE SENSIBILISATION ET DE MOBILISATION Il n’existe malheureusement pas de recette infaillible pour réussir une démarche de sensibilisation ou de mobilisation. Aucun moyen n’est infaillible, quel que soit le soin qu’on apporte à son élaboration. Une sensibilisation ou une mobilisation réussie relève d’un savant dosage de « conditions favorables » et d’un choix de moyens qui conviennent à la population visée par le groupe. Parmi les conditions que l’on peut qualifier de « favorables » à la réussite d’une démarche de sensibilisation ou de mobilisation, mentionnons : F l’intensité du degré d’insatisfaction des personnes tou-
chées par une situation-problème (la « poussée » du malaise) ; F l’espoir suscité par le projet ou le moyen d’action favorisé
pour transformer cette situation (la « tirée » de l’espoir) ; F la conjoncture sociale, politique et économique dans
laquelle ce projet s’inscrit, conjoncture qui peut être favorable ou défavorable, contribuant ainsi à la présence d’une bonne ou d’une mauvaise synchronisation et d’un appui plus large (le « timing »). Quant au choix de moyens appropriés, il devra reposer sur un certain nombre de considérations, notamment : F le type de projet d’action, l’objectif poursuivi et la straté-
gie qui s’y rattache ; F la population visée (son degré de sensibilisation, le
nombre de personnes que l’on souhaite mobiliser, l’âge des personnes, leur culture) ; F le dynamisme de la communauté dans laquelle l’action
s’inscrit ; F les ressources humaines et matérielles ainsi que le temps
dont disposent les membres du groupe. Comme nous le mentionnions précédemment, un groupe peut utiliser un seul moyen s’il juge que c’est suffisant pour
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sensibiliser ou mobiliser les personnes qu’il cherche à rejoindre. Mais si son objectif est plus ambitieux et que le groupe doit mettre au jour une situation que la majorité des membres de sa communauté ignorent, plusieurs moyens devront alors être mis à contribution. Il faudra d’abord sensibiliser la population, pour espérer ensuite la mobiliser autour d’un projet ou d’une revendication. Nous ne prétendons pas que la liste de moyens qui suit est exhaustive. Elle constitue plutôt un guide qui suggère des moyens adaptables selon les besoins du groupe et le contexte dans lequel l’action s’inscrit.
3.1. LES ACTIVITÉS ET AUTRES MOYENS D’ACTION 3.1.1. La rencontre d’information Une rencontre d’information est une activité à caractère éducatif qui s’adresse généralement aux membres d’un groupe. Elle vise la sensibilisation dans une perspective de changement individuel et collectif ou la mobilisation autour d’un projet ou d’une action. Une telle activité peut prendre diverses formes : café rencontre, déjeuner causerie, conférence, présentation formelle suivie d’une période de questions. Il appartient au groupe de déterminer quelle formule sera la plus appropriée. Les centres de femmes par exemple, utilisent fréquemment le café rencontre comme forme de rencontre d’information et d’échange, en raison de sa souplesse et parce que le café rencontre constitue pour plusieurs femmes une porte d’entrée vers les autres activités éducatives et actions collectives des centres. Les cafés rencontres permettent tout d’abord de sensibiliser les femmes à des éléments de leur vécu et d’en faire ressortir les causes sociales et le caractère collectif. Ils sont aussi parfois le point de départ d’actions de transformation dans le milieu. L’engagement des centres de femmes dans des dossiers tels que la lutte contre la pauvreté et la violence faite aux femmes sont des exemples intéressants d’actions qui sont parfois issues de telles rencontres. Pour stimuler les échanges de vues et la participation des femmes, les centres de femmes ont par ailleurs créé ou adapté une multitude d’outils d’animation associés à chacun des thèmes abordés lors de
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cafés rencontres : exercices, jeux et vidéos viennent tour à tour faciliter la prise de parole et l’expression du vécu individuel et collectif des participantes2. Certains organismes communautaires ont aussi développé une pratique d’action communautaire qui fait une place importante à la conférence comme moyen de sensibiliser le citoyen. L’organisme communautaire Équiterre par exemple, offre plus d’une vingtaine de conférences sur divers sujets touchant le commerce équitable, l’agriculture biologique, la consommation responsable, le transport, l’efficacité énergétique et les changements climatiques. Une équipe de conférenciers engagés et expérimentés sillonnent le Québec pour promouvoir des choix écologiques et socialement équitables. Ces conférences peuvent tout autant stimuler le citoyen à adopter des comportements plus responsables au niveau individuel que stimuler le développement de projets à caractère plus collectif, comme la pause café équitable dans les milieux de travail ou la mise sur pied d’un groupe d’achats de produits équitables. Les groupes qui organisent une campagne de sensibilisation ou qui font des efforts particuliers pour mobiliser des populations autour d’actions ou de projets collectifs, ont souvent recours à la rencontre d’information, soit auprès de leurs propres membres, soit auprès de groupes qui s’adressent à la même population. Dans de telles occasions, il n’est pas rare qu’un groupe décide d’entreprendre une série de rencontres d’information au sein de sa communauté dans un temps donné afin de rejoindre le plus grand nombre possible de personnes touchées par un problème ou par une situation particulière. Par exemple, si une association de défense des droits des retraités et des préretraités souhaite mener une campagne de sensibilisation sur la difficile situation des proches aidants, il peut être judicieux d’organiser une série de rencontres d’information au sein des groupes communautaires et autres associations en lien avec les personnes âgées. De cette façon, non seulement les personnes âgées seront informées de la situation et pourront jouer un rôle multiplicateur en transmettant l’information reçue, mais leurs organisations
2.
M. Asselin et N. Burrows (1993). Répertoire d’outils pour l’animation d’activités éducatives, L’R des centres de femmes du Québec.
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pourraient aussi devenir de précieux alliés dans l’éventualité d’une coalition autour de certaines revendications
3.1.2. La session ou l’atelier de formation Bien que la session ou l’atelier de formation soit souvent utilisé comme une occasion d’apprentissage individuel, elle est aussi un moyen de sensibilisation et de mobilisation dans une perspective de changement collectif. Pensons seulement au processus d’éducation populaire réalisée par le Collectif pour un Québec sans pauvreté ayant mené à l’adoption de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en décembre 2002. La seconde étape de cette démarche citoyenne est le développement d’un savoir citoyen permettant d’enclencher un mouvement vers la couverture des besoins essentiels et la sortie de la pauvreté dans les protections sociales au Québec. Grâce à une trousse d’animation que l’on peut télécharger en format PDF sur le site <www.pauvrete.ca> du Collectif pour un Québec sans pauvreté, les Collectif régionaux peuvent initier des ateliers de formation autour de cette démarche citoyenne. La démarche est conçue pour impliquer toutes sortes de personnes et d’organisations et vise autant à recueillir une vision collective du problème qu’à sensibiliser et mobiliser. La session ou l’atelier de formation peut aussi être offerte à des personnes désireuses d’améliorer leurs conditions de vie par l’exploration d’alternatives visant une auto organisation, telle que la cuisine collective pour assurer une plus grande sécurité alimentaire. Ainsi, les sessions de formation organisées par le Regroupement des cuisines collectives ont stimulé, au cours des dernières années, la mise sur pied de centaines de cuisines collectives au Québec. Ces ateliers ou sessions de formation ont en commun de fournir aux participants l’occasion de rencontrer des personnes qui vivent la même situation ou ressentent le même besoin, stimulant dans un premier temps la création de réseaux d’entraide. Les personnes désireuses de s’engager plus avant dans l’action pourront par la suite se joindre à un noyau de participants qui souhaitent mettre un projet en route ou se mobiliser autour d’un moyen d’action pour faire valoir leurs droits ou leurs revendications.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
3.1.3. L’assemblée publique d’information L’assemblée publique d’information est une rencontre ouverte à l’ensemble des citoyens d’une communauté locale désireuse de mieux connaître une situation problématique ou comprendre un enjeu local qui affecte la qualité de vie du milieu. La tenue d’une assemblée publique est généralement un événement publicisé par les médias locaux. Elle peut accueillir des experts ou des élues pour susciter davantage d’intérêt. On peut aussi inviter des personnes ressources ou une troupe de théâtre d’intervention qui, au moyen d’un spectacle, pourra lancer la discussion et l’animer. Par exemple, les « Mémés déchaînées », un groupes de femmes qui ont un réseau partout en Amérique du Nord, possèdent un répertoire de chansons militantes qui visent à ouvrir un débat public. Mentionnons que les assemblées sont souvent très suivies et on y assiste à des débats parfois très animés. Elles sont par ailleurs l’occasion d’évaluer la pertinence d’une action et l’appui des citoyens. Elles permettent aussi d’établir d’importants consensus sur différents aspects du développement local. En somme, l’organisation d’une assemblée publique d’information permet de sensibiliser une communauté locale tout en lui donnant l’occasion de s’organiser pour agir.
3.1.4. La journée thématique L’organisation d’une journée thématique peut être un bon moyen de regrouper ensemble des élus locaux, organismes communautaires, comités de citoyens et commerçants du voisinage autour d’un thème à caractère éducatif. Ces journées, où sont invités les populations locales, permettent aux citoyens de se familiariser avec des pratiques alternatives, de rencontrer les associations locales et comités de citoyens de leur collectivité, de s’informer, voire même de prendre conscience que certains groupes existent et mènent des actions pour le mieux-être de leur communauté. Ainsi, l’organisation de Journée verte est devenue, dans certaines municipalités, l’occasion de sensibiliser les citoyens à tous les gestes qui entourent la protection de l’environnement, la récupération, le recyclage, le compostage, l’alimentation biologique et l’achat local. Depuis que le phénomène de prolifération des algues bleu-vert est devenu un problème environnemental sérieux
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dans certains coins du Québec, la Journée verte est l’occasion, pour les associations de lacs et les comités de citoyens en environnement des municipalités, de faire de l’éducation sur la manière de prévenir l’apparition ou réduire la prolifération d’algues bleu-vert, de stimuler l’implication citoyenne et faire de l’éducation vers l’adoption de comportements plus responsables en matière d’environnement.
3.1.5. Le colloque, le forum et le sommet citoyen Le colloque Bien que le colloque constitue un mode de rassemblement et de réflexion qui appartient davantage à la culture des intervenants professionnels et des intellectuels, ce type d’activité connaît malgré tout de beaux succès comme moyen de sensibiliser et de mobiliser une communauté locale. Le succès dépendra évidemment beaucoup du caractère « brûlant » du thème et du travail de préparation pour rejoindre la population visée. Pour organiser un colloque, il convient d’abord de bien cerner une ou des préoccupations qui touchent une population ou qui affectent le développement d’une communauté. À partir de ces préoccupations, il faut déterminer le thème général du colloque, ce qui orientera par la suite le choix des conférenciers, des thèmes d’ateliers et des personnes-ressources pour chacun des thèmes d’ateliers. L’atelier constitue un lieu privilégié de discussions qui pourront déboucher sur des pistes d’action, alors que le retour en grand groupe peut stimuler la création de comités de travail qui mettront en œuvre la réalisation de ces pistes d’action.
Le forum et le sommet citoyen Contrairement au colloque, le forum et le sommet citoyen sont des activités qui privilégient la prise de parole par les personnes directement touchées par les préoccupations abordées, plutôt que l’opinion d’intervenants professionnels ou d’experts en la matière. Un forum ou un sommet citoyen est habituellement aussi plus axé sur la prise de parole aux membres de la société civile et l’élaboration de pistes d’action concrètes qu’un colloque. Mais il peut y avoir une mixité de citoyens et « experts » sur des enjeux et
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expériences qui sont au cœur du sujet. On voit de plus en plus de forum locaux de quartier et en région et aussi de forum jeunesse qui se veulent des moments privilégiés pour partager des constats sur les conditions de vie, les visions et les objectifs de changement. Canet parle du rôle des forums sociaux comme un espace public critique, participatif et inclusif qui permettent à tous les citoyens, mouvements sociaux et organisations de prendre la parole, débattre, s’exprimer et échanger sur les enjeux sociaux auxquels ils sont confrontés. Sur cette base, les forums sociaux entendent favoriser l’émergence d’une nouvelle culture politique d’engagement citoyen qui suscite la participation de toutes et tous à la vie publique. Dans cette perspective, les forums sociaux ne sont pas simplement des lieux de prise de parole et d’échange, ils se veulent aussi des lieux d’éducation populaire qui permettent de sensibiliser les populations aux multiples enjeux auxquels ils doivent faire face dans le contexte néolibéral actuel3
Le Forum social mondial de Porto Alegre organisé en 2001au Brésil qui a rassemblé près de 20 000 personnes, reste probablement l’exemple le plus emblématique de cette nouvelle forme de participation de d’engagement citoyen. L’organisation de cet événement a permis de passer de l’antimondialisation contestataire à l’altermondialisation créative. Depuis 2001, le Forum social mondial s’est diffusé à travers le monde (Brésil, Inde, Mali, Venezuela, Pakistan, Kenya) permettant chaque année à la mouvance altermondialiste de se renforcer. Dans le but de permettre au plus grand nombre d’expérimenter cette nouvelle culture politique d’engagement, les forums sociaux se sont propagés à différentes échelles, du local au mondial, en passant par le régional et le national. Le Sommet citoyen poursuit sensiblement les mêmes objectifs qu’un forum. À titre d’exemple, le Sommet citoyen de Montréal de 2007 en était à son quatrième événement. En juin 2007, plus de 500 personnes de différents horizons et secteurs d’activités : élus, professionnels, militants et citoyens ont discuté du droit à la ville
3.
R. Canet (2007). « Les forums sociaux : berceau de l’autre monde possible », Le Devoir, 19 juillet, p. A 7.
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en prenant part aux débats sur l’aménagement et le développement comme voies pour rendre la ville juste, inclusive, écologique et démocratique. On doit notamment à l’un de ces sommets citoyens la Charte montréalaise des droits et responsabilités de la Ville de Montréal ainsi que la mise en œuvre d’un budget participatif dans l’arrondissement du Plateau Mont-Royal. La tenue d’un forum ou d’un sommet citoyen suppose donc une mobilisation qui vise à regrouper en priorité les personnes de la société civile touchées au premier chef par des enjeux communs. Faire le choix d’un forum ou d’un sommet citoyen exige aussi la mise en place d’activités diversifiées (conférences, ateliers, tables rondes, groupes d’échange, performances artistiques, kiosques) et une animation qui favorise la prise de parole en ayant : 1) recours à des présentations brèves, stimulantes, visuelles et accessibles ; 2) en laissant le plus de place possible aux échanges de vues et aux discussions entre les participants ; 3) en effectuant des retours d’ateliers qui soient, eux aussi, brefs, visuels et accessibles aux personnes de classe populaire. Bien que les résultats en vaillent la peine, on se doit de mentionner que l’organisation d’un colloque, d’un forum ou d’un sommet citoyen requiert une somme d’énergie considérable. Organiser l’un ou l’autre de ces événements, cela signifie aussi qu’il faut prévoir des services comme l’hébergement, les repas, les services de garde, le covoiturage, ainsi que des activités parallèles favorisant la détente et les rencontres informelles. Enfin, on doit choisir avec soin la date et le lieu de l’événement et acheminer assez longtemps à l’avance la documentation nécessaire à la préparation des personnes inscrites.
3.1.6. Le théâtre d’intervention, le spectacle populaire et la fête de quartier Le théâtre d’intervention Le théâtre d’intervention a la capacité de dire les choses autrement que par la parole. En mettant en scène émotions et imagination, ce théâtre cherche à susciter l’empathie chez le public face à des situations singulières ou injustes de notre monde. Plus les participants et participantes et les spectateurs et spectatrices se
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sentiront interpellés, plus ils se souviendront de leur expérience, se questionneront sur ce qu’ils ont vu et sur ce qu’ils peuvent faire pour modifier les choses individuellement et collectivement. Ainsi, du théâtre d’intervention peut jaillir un élan de solidarité et un catalyseur du changement social. Le théâtre d’intervention crée des pièces ou des scénettes (sketches) qui mettent en scène des problématiques contemporaines, interrogent une façon d’y faire face et donne une voix aux personnes vivant des injustices et de l’exclusion. Ce théâtre incite à la réflexion critique et encourage les gens à devenir des citoyens et des citoyennes actifs à travers une expérience qui fait appel à leur capacité d’analyser la réalité sociale et les mécanismes qui régissent nos sociétés. Intimement associé aux mouvements sociaux, le théâtre d’intervention a fait son apparition au Québec dans les années 1960 et a été inspiré notamment par les techniques de théâtre forum de Augusto Boal qui lui-même se situe dans la perspective de Paulo Freire. Bien que le théâtre d’intervention rassemble une diversité de formes et de manières de faire du théâtre, les compagnies qui se revendiquent de la démarche du théâtre d’intervention se donnent tous comme mission d’être engagés socialement et politiquement. Le théâtre d’intervention peut, soit être une pièce jouée par une troupe de professionnels devant un public cible, ou encore être le fruit d’un travail de création collective réalisé par les membres d’un groupe communautaire ou d’une association, avec ou sans le support d’une compagnie théâtrale. Et quel que soit l’auteur de la pièce, en règle générale, le théâtre d’intervention ne se produit pas dans les théâtres commerciaux. Il privilégie plutôt la rue, les espaces publics, les salles de réunion et les écoles comme lieu d’action. Chaque troupe et collectif développent sa sphère d’intérêt et son champ d’intervention. Au Québec, quelques troupes existent depuis plus de vingt ans, alors que d’autres viennent de naître. Pour en nommer quelques-unes : Comédia de La Ria (Alma), Mise au jeu (Montréal), Théâtre Aphasique (Montréal), Théâtre des Cuisines (Rimouski), Théâtre des Petites Lanternes (Sherbrooke), Théâtre Parminou (Victoriaville), UTIL : Unité théâtrale d’intervention loufoque (Montréal), etc.
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Voici une brève description de différentes formes théâtrales possibles. L’intervention théâtrale
A
Généralement de courte durée, soit de 15 à 45 minutes, l’intervention théâtrale est structurée sur mesure pour un organisme ou un regroupement d’organismes. Elle est principalement utilisée au début d’une activité, par exemple pour l’ouverture d’un forum, afin de mettre les participants « dans le bain » et de provoquer des discussions Ce type d’intervention est généralement réalisé par une troupe professionnelle qui construit le spectacle « sur mesure » en collaboration avec le ou les organismes qui en font la demande.
Le spectacle à caractère social
A
Il s’agit d’un spectacle théâtral qui traite d’une problématique sociale particulière, comme le décrochage scolaire, le suicide chez les jeunes, le harcèlement sexuel, ou qui aborde divers aspects du vécu d’une population. Cette forme d’activité théâtrale peut être montée par une troupe professionnelle ou par les membres d’un groupe avec la collaboration d’une personne-ressource. Dans ce cas, le processus même de la démarche sera une source d’apprentissage pour les membres du groupe.
Le théâtre forum
A
Comme le souligne la compagnie d’animation théâtrale Mise au jeu de Montréal, le théâtre forum est : « […] une méthode dynamique et différente qui, par le biais du jeu théâtral, ouvre la voie à une réflexion collective, amorce une concertation et invite les spectateurs à une recherche de solutions dans l’action… Ce théâtre forum se déroule en deux temps : d’abord une pièce de théâtre, ensuite le forum. La pièce est jouée une première fois. En tant que spectateurs, on la regarde comme n’importe quelle autre pièce de théâtre en essayant d’identifier les endroits où l’on croit qu’il serait possible de changer des choses. Puis c’est le forum. Les spectateurs deviennent alors des participants et viennent prendre la place des acteurs. Après avoir vu la pièce une première fois, ce sera à eux de jouer… à eux d’explorer de nouvelles idées ! Pour les acteurs, la pièce va reprendre exactement de la même façon. Pour les spectateurs-participants, il s’agit maintenant de tenter de changer les situations qui leur
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
semblent injustes en intervenant directement dans la pièce et en improvisant leurs solutions. Qu’auraient-ils fait à la place de personnes qui vivent des situations difficiles ? Par le fait même le public s’engage, non pas seulement en parole, mais en action, dans le processus de changement des habitudes et des attitudes. Ainsi, si elle le veut, chaque personne peut décider de participer au changement. Le but n’est pas d’arriver à trouver la meilleure solution, mais plutôt d’arriver à avoir un éventail de solutions possibles et applicables dans ce genre de situations analogues4 ».
Le théâtre forum peut donc s’avérer un outil de sensibilisation amusant pour modifier des comportements ou des attitudes. Le théâtre invisible
A
Le théâtre invisible constitue une formule originale pour traiter d’événements sociaux et politiques. Le théâtre invisible est, comme l’indique Mise au jeu est : « un type de théâtre qui peut être joué n’importe où, sauf dans les théâtres, car les spectateurs ne sont pas conviés à une représentation et ne savent pas non plus qu’ils assistent à un spectacle… L’action commence sans que personne s’en rende vraiment compte… Au moment où le protagoniste et l’antagoniste entrent en conflit assez fort pour attirer l’attention sur eux, d’autres comédiens, qui partagent des points de vue contradictoires par rapport à la situation, intègrent le jeu. Les échauffeurs ou provocateurs sont ceux qui tentent d’attirer l’attention du public sur ce qui se passe, qui questionnent les gens et qui alimentent le débat. Une fois la discussion bien entamée avec le public, les protagonistes et antagonistes se retirent et laissent les échauffeurs poursuivre la discussion. Le but du théâtre invisible n’est pas de trouver la solution à la situation montrée, mais de voir dans quelle mesure d’autres personnes peuvent vivre ou connaître des situations analogues5 ».
Le théâtre invisible et le théâtre forum s’inspirent tous deux du théâtre de l’opprimé d’Augusto Boal6, expérimenté en Amérique
4. 5. 6.
Mise au jeu Montréal, pochette promotionnelle, 1995. Ibid. A. Boal (1977). Théâtre de l’opprimé, Paris, François Maspero, 209 p.
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latine. Le théâtre de Boal vise à utiliser cette forme d’expression comme moyen de libération ; il fait du spectateur l’acteur principal qui s’entraîne pour l’action et le changement en faisant l’essai de ses propres solutions. Il existe d’autres formes théâtrales. Par exemple le sketch, une courte présentation écrite et mise en scène par les membres d’un groupe, met en lumière certains aspects d’un problème social ou illustre le vécu d’une population cible afin de stimuler une discussion. C’est la formule qu’a notamment privilégiée le Chic Resto-Pop lors de son forum sur l’emploi pour stimuler la discussion avant chacun de ces ateliers. Un groupe peut aussi simplement construire un canevas de base à partir duquel on demandera aux membres d’improviser autour de ce qu’ils ont vécu dans une situation donnée. Bref, les formules sont nombreuses, variées et de plus en plus utilisées par les groupes soucieux d’intégrer la créativité à leurs activités de sensibilisation et de mobilisation.
Le spectacle populaire et la fête de quartier Un spectacle populaire est un spectacle qui vise à faire connaître une organisation ou un enjeu local ou encore célébrer un événement ou un thème. Le spectacle populaire vise généralement à favoriser un rapprochement entre les populations dans une perspective de « cohésion sociale ». Aussi une « Fête des voisins » célèbre le sentiment d’appartenance à une communauté dans un quartier, un village ou une municipalité. À cela s’ajoute parfois divers kiosques qui offrent aux citoyens l’opportunité de découvrir les groupes, organismes, producteurs et artistes qui composent son tissu social. Une fête de quartier favorisera aussi les rapprochements entre voisins, notamment là où il y a des origines culturelles différentes, voire même des tensions. Le spectacle devient alors l’occasion de participer et de valoriser les talents locaux ; ainsi on privilégiera des chanteurs ou danseurs qui représentent les différents groupes que l’on veut rapprocher : jeunes et moins jeunes, groupes culturels différents, etc. Le spectacle peut faire appel à des professionnels et à des bénévoles. Souvent les professionnels du coin qui possèdent de l’expérience dans leur métier, seront fiers de
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contribuer gratuitement à la fête de leur quartier. La musique, le spectacle, la bouffe, voire même la dégustation de plats traditionnels, permettront de découvrir les autres et de se découvrir des intérêts communs dans un climat de convivialité. Dans certains cas, le spectacle peut être l’occasion d’initier une coutume locale qui fera la fierté et l’originalité de la communauté. Ainsi, dans le quartier Saint-Michel à Montréal, une nouvelle tradition annuelle, la falla, réunit depuis 2004 environ 5 000 personnes à la Tohu, un nouveau complexe des arts et du cirque, initié par le Cirque du soleil. Développé dans la région de Valence il y a plusieurs siècles, la falla adaptée à l’environnement montréalais est une immense sculpture de bois et de métal d’une dizaine de mètres de hauteur qui brûle le temps d’un instant magique. L’ossature de la sculpture est conçue de telle sorte que le feu est dirigé pour que la structure brûle d’une manière précise. À cela s’ajoute des éléments pyrotechniques pour donner de la grandeur à l’ensemble. Cet événement a été pensé par ses concepteurs comme un événement rassembleur, qui touche non seulement l’imaginaire collectif mais devient l’occasion d’une rencontre des communautés dans un quartier multiculturel frappé par la violence, la pauvreté et l’exclusion sociale. Dans certains quartiers, le spectacle populaire peut même être une première étape avant de faire du porte-à-porte sur les enjeux locaux. Le spectacle devient alors une référence pour s’identifier lorsqu’on frappe aux portes ou encore le porte à porte peut devenir l’occasion d’inviter les citoyens à assister au spectacle. En somme, le spectacle populaire est une façon de mobiliser les personnes afin de développer le sentiment d’appartenance et stimuler l’engagement.
3.1.7. La pétition À la fois moyen de sensibilisation et moyen de pression, l’organisation d’une pétition consiste à recueillir le plus grand nombre de signatures au bas d’un texte dénonçant une injustice ou décrivant un état de situation, et qui formule une ou des revendications aux autorités compétentes de prendre les décisions qui s’imposent pour corriger l’état de situation ou pour rétablir des droits. Ce texte est remis directement par une délégation du groupe à l’origine de la pétition ou, à défaut, envoyé à celui ou à ceux qui ont le pouvoir de décision concernant la situation donnée.
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Une pétition est d’abord un moyen d’informer et sensibiliser le public, de l’interpeller et de tenter de le mobiliser pour intervenir et pour agir. Le recueil des signatures peut s’effectuer en divers lieux ou événements. Par elle-même, une pétition est rarement un moyen de pression suffisant pour obtenir gain de cause. Cependant, si un nombre impressionnant de signatures peut être recueilli en quelques jours, elle peut attirer l’attention des pouvoirs publics et les amener à prendre conscience de l’importance de l’appui de l’opinion publique aux revendications exprimées. Dès lors, ils peuvent estimer que leur intérêt leur commande d’y apporter le plus rapidement possible une solution appropriée. Il est donc souhaitable de se fixer à l’avance une date butoir et un objectif quant au nombre de signatures à atteindre. Faire signer une pétition peut s’avérer un excellent moyen d’impliquer les membres et les militants d’un comité de citoyens, d’un organisme communautaire autonome ou d’une coalition. Que ce soit en utilisant le porte-à-porte, le kiosque ou tout autre moyen permettant à un groupe de rejoindre une population, la pétition est l’occasion pour les membres de s’approprier et de transmettre les enjeux d’un dossier et, pour les citoyens, d’avoir l’opportunité échanger avec les représentants du groupe. Dans les petites localités, le dépôt d’une pétition au conseil municipal qui a recueilli la signature d’une confortable majorité de citoyens résidant dans cette localité pourra certainement contribuer à sensibiliser et à influencer les élus afin qu’ils se positionnent en faveur de la majorité. Dans certaines occasions, le dépôt d’une pétition pourra même faire renverser une décision dans un dossier en faveur du point de vue des citoyens. Dans des dossiers impliquant un palier de gouvernement provincial ou fédéral, la force du nombre aura un impact non négligeable. Ainsi, en 2007, la pétition SOS Parc Orford a dépassé le cap des 80 000 signatures en appui à sa demande à l’Assemblée nationale de faire respecter la Loi sur les Parcs et, au gouvernement, de renoncer à son projet de vente de terrain et de loi spéciale, tout cela dans le but d’assurer l’intégrité écologique et territoriale du Mont Orford. Phénomène plus récent, la pétition en ligne s’ajoute maintenant à la pétition sur format papier, soit comme principal véhicule pour sensibiliser et obtenir des appuis à une revendication, soit comme complément à la pétition sur format papier. Un B-A BA de
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la pétition en ligne réalisé par Amnistie internationale permet de faire la lumière sur la validité des pétitions en ligne qui circulent sur Internet. Dans ce court texte, on apprend que les pétitions qui demandent de : 1. copier la pétition ; 2. ajouter votre nom à la liste de ceux qui apparaissent déjà en bas de la pétition ; 3. envoyer la pétition par courriel à tous les gens qui figurent dans votre carnet d’adresses ; 4. si vous êtes la 25e (ou 50e) personne à signer la pétition, la retourner sans faute à…, ce qu’on appelle en fait des pétitions en chaîne. Dans tous les cas, recommande Amnistie internationale, jetez-les directement à la poubelle sans les transmettre. Pourquoi ? Car comme toutes les pétitions, celles diffusées sur Internet doivent suivre certaines règles, ce qu’omettent de faire les pétitions en chaîne qui sont en fait inefficaces et même nuisibles selon Amnistie internationale. Les mêmes signatures se retrouvent plusieurs fois dans des dizaines de messages tandis que d’autres se perdent. Certains utilisent même ce moyen pour s’approprier illicitement des milliers d’adresses électroniques afin de leur faire parvenir des publicités. Amnistie internationale invite plutôt la population à signer (avec leur nom complet, adresse, etc.) des pétitions bien conçues en donnant l’URL (l’adresse ) sans en copier le texte. Ces pétitions doivent émaner d’une organisation reconnue ou être clairement soutenue par un ou plusieurs organismes. Des sites existent aussi pour mettre une pétition en ligne, tel que : <www.petitiononline.com>.
3.1.8. L’envoi massif de cartes postales et de lettres L’envoi massif de cartes postales et de lettres est un autre moyen de sensibiliser des citoyens à un problème social, politique ou environnemental et leur offrir l’opportunité de signifier leur appui à une ou des revendications portées par un groupe. À l’instar de la pétition, la force du nombre en fera aussi un moyen de pression non négligeable. Plus coûteuse que la pétition, la carte postale comporte la plupart du temps une image ou une photo qui illustre
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la cause défendue. Les cartes postales, généralement adressées à un ministre ou au premier ministre du Québec ou du Canada, ont l’avantage de se poster sans timbre, ce qui facilite leur envoi. Au plan symbolique, la carte postale représente pour certains un outil de pression plus concret et tangible que la pétition. Pour les groupes et les coalitions, c’est donc une question de choix et de ressources financières. Quant aux lettres, les groupes proposent généralement un modèle qui peut être adapté ou personnalisé par la personne ou le groupe qui l’expédie. Encore là, c’est la force du nombre en un court laps de temps qui fera la différence.
3.1.9. Le kiosque Le kiosque est utilisé par les groupes communautaires ou les organismes publics pour informer et sensibiliser une population. Le kiosque peut même être un moyen de recruter de nouveaux membres, de faire signer une pétition ou diffuser un tract annonçant un événement ou une manifestation, devenant ainsi outil de mobilisation. La construction et l’animation d’un kiosque sont par ailleurs des activités qui favorisent la mise en valeur des talents des membres d’une organisation. L’animation d’un kiosque peut aussi être une excellente façon d’impliquer des nouveaux membres en les jumelant avec des membres qui ont une plus grande expérience de militantisme au sein du groupe. Cela peut être, pour eux, l’occasion de s’approprier la mission de l’organisme, ses activités, ses réalisations, ses luttes et ses projets. Le kiosque peut être installé dans un endroit public, comme un centre commercial ou une école, ou à l’occasion d’un événement public, par exemple lors d’une fête populaire. Son utilisation peut être maximisée si on l’emploie dans le cadre d’une semaine ou d’une journée thématique (p. ex., Journée internationale des femmes, Semaine de l’environnement) où d’autres kiosques et activités s’ajouteront et optimiseront le contact avec la population et les liens entre les groupes. Souvent, la tenue d’un kiosque constitue aussi une possibilité d’autofinancement grâce à la vente d’objets, par exemple un macaron qui sera porté en appui aux revendications du groupe.
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Il est important de savoir que rien n’est gagné d’avance au niveau de l’intérêt des passants lorsque l’on tient un kiosque. Il faut savoir s’avancer, engager la conversation avec courtoisie et chaleur, offrir du matériel que les personnes peuvent consulter sur place ou à la maison, voire même proposer un test ou un questionnaire qui met à contribution les connaissances et la participation des gens.
3.1.10. Le porte-à-porte Le porte-à-porte est un moyen efficace de sensibiliser et de mobiliser les personnes qui habitent un espace géographiquement bien délimité. C’est un moyen que privilégient notamment les groupes œuvrant dans le secteur de l’environnement, du logement et des opérations de revitalisation urbaine intégrée (RUI) qui favorisent la participation citoyenne. On frappera à la porte des personnes habitant un secteur voué à la démolition, on sillonnera un quartier où des cas de discriminations sont signalés ou une localité pour obtenir l’appui des citoyens à une revendication touchant la qualité de vie du milieu, ou même on fera enquête auprès des locataires d’un immeuble pour vérifier leur intérêt pour la formule coopérative. Par exemple, le porte à porte fut un des moyens utilisés par la Coalition montréalaise Action RE-buts à Pointe-aux-Trembles dans le cadre du projet Rue écologique et gestion des déchets. Du mois de mai au mois d’octobre 2001, une équipe a effectué du porte à porte auprès des résidants et des commerçants d’une des plus importantes avenue de cet arrondissement dans le but de les sensibiliser au premier des 3R (réduction, réutilisation, recyclage), soit les divers moyens de réduire la production de déchets. Plus largement, la sensibilisation visait à une meilleure compréhension de la relation entre une gestion écologique des déchets et les changements apportés aux milieux physiques et naturels, de même que sur le développement social et la qualité de vie de la population. Le porte-à-porte a aussi été utilisé dans certains secteurs résidentiels de la Ville de Québec dans le cadre de sa campagne de sensibilisation sur l’herbicyclage, une pratique qui consiste à laisser les résidus de tonte sur le sol plutôt que de les mettre dans des sacs. Peu connue, cette pratique comble une partie des besoins de la pelouse et contribue à la réduction des gaz à effet de serre car
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les résidus verts de gazon ont une très faible valeur calorifique et nuisent grandement à la combustion des déchets. Faire du porte-à-porte n’est cependant pas une tâche facile. C’est au contraire un moyen qui exige beaucoup d’énergie et une certaine préparation. Il faut bien cibler la population que l’on souhaite rejoindre et préciser le message que l’on veut lui transmettre. On dispose de peu de temps pour dire des choses qui doivent être claires et accrocheuses. On doit par ailleurs rapidement rassurer les gens que l’on n’est pas une menace pour leur sécurité, surtout dans le cas des personnes âgées. Il est souhaitable d’effectuer ce travail à deux et d’accorder un soin particulier à la prise de contact en ayant recours à des moyens pour s’identifier : chandail, macaron, carte d’identification. Il est préférable qu’une des deux personnes habite le milieu et soit elle-même directement touchée par ce qui fait l’objet de la démarche. Dans le cas où le groupe décide de fonctionner avec une seule personne, il est plus prudent de ne jamais envoyer une femme seule effectuer ce type de démarche. Il faut enfin que le recours au porte à porte tienne compte de certains facteurs importants comme l’heure de la journée et la crainte que peuvent éprouver certaines personnes à ouvrir leur porte à des inconnus. Dans certains cas, le fait d’annoncer l’événement quelques jours à l’avance dans les médias ou au moyen d’un tract peut contribuer à atténuer la méfiance.
3.1.11. Les représentations auprès de divers paliers de gouvernement Souvent les démarches de mobilisation visent des changements qui relèvent des décisions politiques. Dans ce cas, il est donc incontournable de faire des représentations auprès des élus et des fonctionnaires. Au-delà des campagnes de sensibilisation auprès du grand public, il est utile d’avoir des contacts directs avec ceux et celles qui doivent prendre des décisions sur des dossiers ou initier des politiques. Ainsi ce contact peut se faire de diverses façons, formelles et informelles. Le lobbying se situe dans un contexte de démarches plus informelles et consiste à approcher certains élus pour leur expliquer des préoccupations et le sens des demandes des citoyens. Cela se fait en petite délégation et de façon relativement privée. En
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respectant « les règles de l’art » du lobbying on sollicite un rendezvous, on envoie un court document sur la situation qui nous préoccupe, les solutions visées et les attentes précises à l’égard de la personne rencontrée. Lors de la rencontre, on prépare bien les interventions pour appuyer les documents et on prépare les questions qui risquent d’être posées par l’élu rencontré. Une communication écrite ou électronique suit la rencontre pour nommer les éléments principaux de la rencontre et les attentes et remercier la personne de la rencontre. Tout se fait dans le respect des convenances. Mais on sait qu’il faut souvent maintenir un contact et des pressions pour assurer un suivi. C’est là que les démarches doivent parfois devenir plus publiques et plus « pressantes ». Ce genre de représentations ou « lobbying » peut se poursuivre régulièrement et se compléter par des démarches plus informelles, telles que les rencontres au hasard des évènements publics que fréquentent les élus : annonce de politiques, événements bénéfices, portes ouvertes d’organismes, soirée d’information, forum, fêtes populaires, etc. On peut aussi choisir de faire des représentations plus formelles et publiques par des mémoires en commission parlementaire ou par des questions en conseil municipal ou conseil d’arrondissement. Dans ces cas-là, la préparation est très importante et c’est une occasion d’apprentissage pour des personnes qui n’ont pas l’habitude de parler en public. C’est l’occasion de préparer une stratégie de pression et de visibilité et de mieux comprendre le fonctionnement des institutions politiques. C’est aussi une occasion de mobiliser des membres qui appuient les personnes qui sont les porte parole et leur offrir ainsi l’opportunité d’apprendre de cette expérience. Enfin les représentations publiques peuvent être l’occasion d’un « événement » plus médiatique : on dépose un « arbre de revendication », on présente une photo sur une situation à corriger, on fait un tintamarre au moment de la fin de la réponse des élus, on dépose, dans la salle ou à l’extérieur, des objets qui symbolisent l’enjeu comme les agriculteurs l’on déjà fait de façon spectaculaire devant l’Assemblée nationale.
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3.1.12. La manifestation et la marche La manifestation De tout temps, les citoyens et les citoyennes se sont rassemblés pour manifester et exprimer leur voix. Que ce soit au niveau d’un enjeu local, national ou international, la manifestation est une occasion de rassemblement qui a le pouvoir d’indiquer aux décideurs et aux divers paliers de gouvernement la force de l’adhésion à un mouvement citoyen. Une manifestation, c’est aussi des slogans, des pancartes, des banderoles, du rythme avec musique et percussion, un trajet pas trop long (une heure au plus) et des arrêts devant des lieux symboliques et, au terme du trajet, des discours rassembleurs ou une action médiatique. Encore là, la manifestation peut être une occasion de participation à toutes les étapes de préparation et de réalisation, devenant ainsi une occasion d’apprentissage et de plaisir. Il faut donc respecter les besoins, les intérêts et capacités des personnes que l’on veut attirer à une manifestation (prévoir du transport pour les personnes fatiguées, prévoir des ravitaillements chauds ou froids selon la saison, etc.) On doit par ailleurs planifier les activités de façon sécuritaire si l’on veut attirer un large public et être conscient que c’est un événement qui peut attirer des éléments plus violents. Alors que dans certains pays, les manifestations sont quasi impossibles ou très violemment réprimées, au Québec et au Canada, la manifestation est un droit. Ce qui ne veut pas dire pour autant que certaines manifestations ne fassent pas l’objet de répression ou de provocation de la part des forces policières qui tentent parfois d’infiltrer des groupes pour provoquer de la violence et délégitimer les mouvements de contestation. Outre ces bavures et ces dérives de la démocratie, la manifestation ou la marche, se révèlent être des opportunités pour les citoyens de se mobiliser et agir solidairement et publiquement en appui à une cause.
La marche La marche est souvent utilisée comme un rassemblement qui s’apparente à la manifestation. Par ailleurs, elle peut aussi être véritablement une longue marche. Vu sous cet angle, la marche consiste à parcourir à pied de longues distances de ville/village en ville/village pour sensibiliser les populations des régions traversées
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et pour interpeller l’opinion et les pouvoirs publics. Dans cette optique, il est utile de prendre contact, dans chacune de ces villes ou villages avec les mouvements et les personnalités susceptibles de prendre position en faveur des marcheuses ou des marcheurs et de former un comité de soutien pour préparer leur passage. La longueur et la durée d’une marche sont des facteurs essentiels de son efficacité. Ils sont même plus importants que le nombre de marcheuses et de marcheurs. Les différentes étapes du parcours permettent en effet au temps de travailler en faveur des marcheuses en favorisant une lente mais sûre progression de la sensibilisation de l’opinion publique. Tout au long de la marche, des pancartes et des banderoles renseigneront les populations locales sur les revendications du groupe qui organise la marche. C’est justement cette lente mais sûre progression qui a fait de la marche contre la pauvreté Du Pain et des roses, organisée par la Fédération des femmes du Québec en 1995, une réussite exemplaire. La marche Du pain et des roses a en effet mobilisé trois groupes de marcheuses qui ont, pendant neuf jours, à raison de 20 kilomètres par jour, marché de Montréal, Longueuil et Rivièredu-Loup vers Québec. À chaque jour qui passait, l’appui de l’opinion publique aux revendications du mouvement des femmes grandissait, si bien qu’à l’arrivée des marcheuses à l’Assemblée nationale, environ 15 000 manifestantes les attendaient avec des roses à la main !
3.1.13. Les actions de non-coopération Comme le souligne l’Institut de recherche sur la résolution non violente des conflits (IRNC, <www.irnc.org>), dont l’objectif principal est de mener de façon pluridisciplinaire des recherches sur l’apport de la non-violence dans la résolution des conflits, un des principes essentiels de la stratégie de l’action non violente est celui de la non-coopération. Ce principe repose sur l’analyse suivante : dans une société, ce qui fait la force des injustices, c’est la complicité, c’est-à-dire la coopération volontaire ou passive de la majorité silencieuse des citoyens. La résistance non violente vise à rompre cette complicité par l’organisation d’actions collectives de noncoopération avec les structures sociales, économiques ou politiques qui engendrent et maintiennent ces injustices.
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La grève Bien qu’utilisée principalement dans les conflits au travail, la grève est l’une des actions de non-coopération visant à sensibiliser à la fois l’opinion publique et forcer une entreprise ou un gouvernement à agir. Une entreprise, une administration, un système d’éducation, ne peuvent fonctionner que grâce à la coopération des ouvriers, des employés et des étudiants. Dès lors, si ceux-ci décident de cesser le travail ou les études afin de faire aboutir telle ou telle revendication, ils exercent une réelle force de contrainte économique et sociale sur leurs dirigeants. Ceux-ci ne pourront ainsi ignorer longtemps les requêtes qui leurs sont adressées. Lors d’une grève, la « bataille de l’opinion publique » est souvent décisive. Le rapport de force entre les deux camps s’établit généralement en faveur de celui qui bénéficie de l’appui de l’opinion publique. C’est pourquoi les grévistes doivent entreprendre des campagnes d’information et d’explication auprès du public, afin que celui-ci comprenne clairement les enjeux du conflit en cours. C’est seulement si la justesse de la cause des grévistes est clairement perçue que la population pourra se solidariser avec elle.
La grève de la faim La grève de la faim est une méthode de sensibilisation de l’opinion et des pouvoirs publics qui vise à dénoncer ouvertement une situation d’injustice. Comme le souligne l’IRNC, en s’abstenant de toute nourriture pendant plusieurs jours (entre 3 et 30 jours), les grévistes signifient l’urgence qu’il y a à se mobiliser pour démasquer une injustice. Une grève de la faim, surtout si elle est illimitée, est généralement une action très fortement personnalisée. Les noms des grévistes, leurs visages et leurs personnalités sont un élément essentiel du processus d’interpellation et de conscientisation de l’opinion publique. Les grévistes se font les porte-parole à la fois de ceux qui subissent l’injustice et de ceux qui luttent contre elle. Il importe donc qu’ils soient reconnus par les uns et par les autres. Si ce n’était pas le cas, l’action risquerait d’être vouée à l’échec. Plus encore que dans toute autre action non violente, c’est la réaction de l’opinion publique qui conditionne la réussite ou l’échec de la grève de la faim. L’épreuve de force ne se joue pas
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tant entre les grévistes et les tenants du pouvoir adverse qu’entre ceux-ci et l’opinion publique mobilisée par la grève de la faim. L’intervention publique de personnalités et d’organisations affirmant leur solidarité avec les grévistes sera également un élément important pour donner à la grève l’audience indispensable.
Le boycott Le boycott consiste à appliquer au domaine de la consommation le principe stratégique de non-coopération. Les propriétaires d’une entreprise commerciale ne peuvent réaliser des bénéfices que grâce à la coopération que leurs clients leur apportent en achetant leurs produits ou en recourant à leurs services. En leur retirant cette coopération, on exerce sur eux une pression qui, si elle se prolonge, les oblige à satisfaire les exigences présentées par les organisateurs du boycott. Selon l’IRNC, différents objectifs peuvent être assignés à un boycott : F obtenir l’amélioration de la qualité ou le retrait de la vente
soit d’un produit industriel qui présente de graves malfaçons, soit d’un produit alimentaire qui s’est avéré nuisible à la santé ; F contraindre les dirigeants d’une entreprise à reconnaître
les droits des travailleurs qu’ils emploient ou à modifier certaines pratiques ; F obtenir des responsables d’une usine qu’ils prennent les
mesures nécessaires pour faire cesser des pollutions ayant de graves conséquences écologiques. Un boycott vise à faire baisser les ventes de manière à faire subir à l’entreprise un manque à gagner suffisamment important pour qu’il oblige les dirigeants à céder face à la pression économique qui s’exerce contre eux. Le pouvoir d’achat des consommateurs devient ainsi un véritable pouvoir qui s’oppose à celui des producteurs. Ceux-ci ne sauraient l’ignorer sans nuire à leurs propres intérêts. De plus, un boycott représente pour l’entreprise incriminée une campagne de contre-publicité susceptible de nuire gravement à son image de marque. Il n’est pas nécessaire que le boycott soit total pour qu’il devienne efficace. Au-delà d’un certain pourcentage de la baisse des ventes, l’entreprise perd de l’argent et
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cesse d’être bénéficiaire. Encore faut-il que ce pourcentage soit atteint, ce qui implique une réelle popularisation du boycott. Il ne suffit pas de lancer le mot d’ordre du boycott par un communiqué de presse et quelques affiches. Il est nécessaire aussi de distribuer des tracts et mettre en place des "piquets de boycott" à proximité des principaux points de vente afin d’informer les consommateurs et de les inciter à refuser tout achat de tel ou tel produit précis. Là encore, il est essentiel que l’action puisse s’inscrire dans la durée. Cela devrait être possible lorsque l’objectif est suffisamment clair parce que généralement, la participation à un boycott n’entraîne pas de graves inconvénients pour les consommateurs. Ceux-ci ont moins à redouter que le boycott se prolonge que les producteurs eux-mêmes et cela devrait inciter ces derniers à satisfaire les exigences des organisateurs du boycott.
3.1.14. Les actions de désobéissance civile non violente Comme le souligne avec justesse l’IRNC, lorsque les moyens prévus ou permis par la loi s’avèrent inopérants, il peut devenir nécessaire de passer outre aux obligations et/ou aux interdits de la loi car l’obéissance à la loi ne dégage pas le citoyen de sa responsabilité. Celui ou celle qui se soumet à une loi injuste porte une part de la responsabilité de cette injustice. Ce qui fait l’injustice, ce n’est pas tant la loi injuste que l’obéissance à la loi injuste. Dès lors, pour lutter contre l’injustice, il peut être nécessaire de désobéir à la loi car ce qui doit parfois dicter le comportement du citoyen ce n’est pas ce qui est légal mais ce qui est légitime. L’histoire nous apprend en effet que la démocratie est beaucoup plus souvent menacée par l’obéissance aveugle des citoyens que par leur désobéissance. Si l’obéissance des citoyens fait la force des régimes totalitaires, leur désobéissance peut devenir le fondement de la résistance à ces mêmes régimes. La démocratie exige des citoyens responsables et non pas des citoyens disciplinés. La désobéissance civile apparaît comme l’une des garanties de la démocratie, même si celle-ci, forcément, ne peut pas l’inclure, dans sa propre loi. Mais pour que sa légitimité démocratique puisse apparaître clairement aux yeux de l’opinion publique, il est essentiel que la désobéissance reste civile, c’est-à-dire qu’elle respecte les règles de la « civilité » et soit donc non violente.
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Il ne suffit pas que l’action de désobéissance civile soit justifiée, elle doit être efficace. Elle ne doit pas seulement permettre au citoyen d’agir selon sa conscience, elle doit aussi lui permettre d’agir efficacement contre l’injustice. C’est pourquoi elle ne doit pas rester une protestation individuelle – une simple « objection de conscience » – mais elle doit devenir une action collective et organisée visant à exercer sur les pouvoirs publics une pression qui les oblige à rétablir le droit. Pour cela, il faudra souvent obtenir, non seulement la suppression de la loi injuste, mais la promulgation d’une nouvelle loi ou d’une nouvelle entente qui respecte les principes de la justice. Ce qui donne à une action de désobéissance civile toute sa force, c’est le nombre de ceux et celles qui s’y engagent. La multiplication des arrestations et des procès peut être le meilleur moyen d’embarrasser les pouvoirs publics et les obliger, en fin de compte, à ne pas retenir d’accusations face aux personnes qui ont fait l’objet d’une arrestation et même possiblement satisfaire les revendications du mouvement de résistance. Donc le travail de mobilisation et de sensibilisation médiatisé est fondamental pour que l’action de désobéissance civile ait de l’impact.
3.2. LES OUTILS 3.2.1. Les outils écrits : le tract, l’affiche, le dépliant et autres… Le tract Le tract est un feuillet ou une petite brochure distribué gratuitement à des fins de propagande, par exemple pour lancer un mot d’ordre ou dénoncer une situation. Le tract est aussi utilisé pour annoncer une rencontre ou une activité. Il peut également servir d’outil d’information complémentaire lors d’une manifestation, d’une occupation ou pendant le déroulement d’une activité publique telle qu’une fête populaire. Il sera alors distribué aux personnes participant à l’événement et fournira une information succincte sur les motifs ou le contenu de cet événement. Sur le plan technique, le tract doit être conçu simplement. Le texte doit être court, précis et rédigé dans une langue correcte. Il doit contenir une information factuelle vérifiable, comme : « 300 000
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femmes sont victimes de violence chaque année ». Les titres et soustitres seront dénonciateurs, revendicateurs ou mobilisateurs. Ainsi, un tract produit par une association de personnes assistées sociales dans le but de revendiquer une réforme de la Loi sur la sécurité du revenu portera le titre : « Oui au travail ! Non aux travaux forcés ! ». Le nom du groupe et un numéro de téléphone permettront aux personnes de demander des renseignements supplémentaires. Certains groupes populaires ont fait preuve d’imagination dans l’utilisation de ce moyen comme outil de sensibilisation et de mobilisation. On a vu apparaître entre autres le tract sous forme de carton à accrocher, du style de ceux que l’on trouve dans les chambres d’hôtels. Ce carton à suspendre, accroché à la poignée de porte extérieure du logement, visait à sensibiliser les locataires à la discrimination exercée par certains propriétaires et les invitait à faire appel au Comité logement de leur quartier s’ils désiraient s’informer ou agir. Le tract est aussi très souvent utilisé pour inviter des personnes à assister à une activité particulière, comme une assemblée publique ou une fête de quartier. À cette fin, il est distribué au moyen du porte-à-porte ou de main à main dans un lieu public. Le tract est aussi utilisé pendant une manifestation pour informer la population le long du trajet de la marche ou sur les lieux de la manifestation.
L’affiche Située à mi-chemin entre l’image et l’écrit, l’affiche est un médium efficace pour interpeller les gens. Bien qu’on l’utilise aussi comme outil de communication pour faire connaître l’existence d’un groupe (voir le chapitre 6) l’affiche peut aussi être employée comme outil de sensibilisation ou de mobilisation. Dans une telle optique, l’affiche servira à illustrer une revendication ou encore le thème d’une campagne de sensibilisation ou à faire la publicité d’une activité liée à la mobilisation. Une affiche qui communique un message fort laissera une trace dans la mémoire des gens, trace qui pourra provoquer par la suite une réflexion et une action. Dans un monde où l’image est omniprésente, le message qu’elle contient doit être direct, précis, accrocheur, provocateur même afin de se
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démarquer. Sa création est exigeante et son contenu devra être saisi au premier regard.
Le dépliant Quant au dépliant, bien qu’il soit lui aussi généralement utilisé comme outil de communication pour faire connaître un organisme, on peut également l’employer comme outil de sensibilisation et même de mobilisation dans la mesure où un formulaire d’inscription pour devenir membre de l’organisme est inclus dans le dépliant. Lorsqu’il est bien conçu, attrayant et qu’il utilise judicieusement l’écrit, la couleur et l’image, il devient presque un incontournable dans toute activité ou campagne de sensibilisation. Laissé à des endroits stratégiques ou distribué à un kiosque lors d’un événement public, le dépliant permet aux personnes qui le reçoivent d’en faire une lecture plus approfondie et de mieux connaître les enjeux d’une lutte et la nature de l’organisme ou de la coalition qui en est l’instigateur. Par exemple, dans la région des Laurentides, le Comité régional pour la protection des falaises Prévost, Piedmont et StHippolyte, a conçu un dépliant fort attrayant qui explique à la population les caractéristiques du territoire à protéger, l’état d’avancement du dossier et la nature du comité. Quelques photos du site à protéger, une carte délimitant les contours du projet de parc régional et un formulaire d’inscription pour devenir membre du comité complètent ce dépliant qui vise à sensibiliser et mobiliser les citoyens des trois municipalités concernées. L’affiche, le tract et le dépliant peuvent aussi être diffusés par courrier électronique pour être reproduits par les groupes.
Et autres… Au cours des dernières années, les comités de citoyens et organismes communautaires ont conçu et diffusé une quantité impressionnante d’outils utilisant l’écrit dont le but est de sensibiliser la population en général ou une population cible à diverses problématiques et les inciter à passer à l’action. Ces documents prennent divers formats qui vont du guide d’animation en passant par le conte pour enfant et la bande dessinée. Le choix de l’outil dépend alors de l’objectif poursuivi, de la
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population visée, voire même de la créativité dont les groupes savent faire preuve. Par leur contenu et leur facture, ces outils sont destinés tantôt aux intervenants communautaires qui auront à animer des sessions de formation autour des thèmes touchant des enjeux sociaux, tantôt aux personnes concernées par le problème afin de leur fournir un complément d’information lors d’une activité de sensibilisation, tantôt même aux personnes qui ne sont pas nécessairement conscientes des impacts négatifs collectifs de leur choix individuel. À ce titre, et devant l’urgence faire la lutte aux changements climatiques, les montréalais se souviendront de l’audace des campagnes de sensibilisation initiée par l’Action terroriste socialement acceptable (ATSA) sur la responsabilité des conducteurs de véhicules automobiles à l’émission des GES. À l’été 2005, l’ATSA et son équipe de brigadiers volontaires ont distribué 10 000 contraventions vertes. Les quatre motifs d’infraction visaient les véhicules surdimensionnés à consommation excessive, la marche du moteur à l’arrêt, les démarreurs à distance et le mauvais entretien des véhicules. Par cette action de sensibilisation qui a mobilisé une équipe de 320 brigadiers bénévoles, l’ATSA qui se définit comme un organisme communautaire autonome qui exerce une pratique artistique de sensibilisation socioenvironnementale et patrimoniale, en a surpris plus d’un avec ce premier constat d’infraction citoyenne. Cette initiative a par la suite été reprise dans de nombreuses municipalités et écoles du Québec par divers groupes préoccupés par les actions à mettre en œuvre pour s’attaquer aux causes des changements climatiques
3.2.2. La photo et la vidéo La photo et la vidéo sont des moyens de sensibilisation et de mobilisation couramment utilisés par les groupes dans leur pratique d’action communautaire. Grâce à l’image, il est en effet possible de faire une démonstration beaucoup plus évidente d’une réalité. Les situations sont abordées de manière moins abstraite, car l’image ajoute une touche de réalisme et d’émotion que la parole ou l’écrit ne transmettent pas aussi facilement. Depuis quelques années cette utilisation de l’image a été grandement facilitée, notamment grâce à l’accessibilité croissante
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des technologies numériques de prise de vues, de traitement de l’image et de montage vidéo.
La photo La photo, que ce soit sous la forme d’une exposition photographique, d’un montage diaporama, ou encore comme outil complémentaire lors d’une conférence ou d’un atelier de formation, peut s’avérer un moyen de sensibilisation très efficace. Par exemple, depuis 1996, l’organisme Équiterre qui a comme mission de contribuer à bâtir un mouvement citoyen en prônant des choix individuels et collectifs à la fois écologique et socialement équitable, utilise fréquemment l’exposition photographique et le diaporama pour faire découvrir aux consommateurs des pays du Nord, la portée du commerce équitable sur les conditions de vie des producteurs des pays du Sud. Dans le même esprit, le projet Guat’Équitable, un projet interculturel mené par des étudiants du Cégep Montmorency soucieux de l’environnement et désireux de promouvoir les bienfaits du commerce équitable ont, au cours de l’été 2004, ont participé avec enthousiasme à la vie quotidienne de peuples indigènes du Guatemala, dans une coopérative de veuves artisanes. Ces jeunes ont appris, mais surtout vu, compris et vécu ce que représentait le commerce équitable dans le quotidien de ces femmes. Cette expérience a permis aux étudiants d’ici de développer une conscience qui les pousse à étendre ce mouvement équitable et solidaire. Comment ? Selon eux, rien de mieux que des images pour montrer et expliquer ce qu’ils ont vu durant leur visite. Ces derniers ont donc monté une exposition photographique à partir d’images de femmes au travail, de leurs enfants et d’autres scènes de la vie quotidienne dans leur village.
La vidéo La vidéo permet de passer un message de façon stimulante et aller chercher les dynamiques d’un quartier ou d’un projet ainsi que les témoignages de personnes. La vidéo est aussi un moyen d’impliquer des personnes dans la production avec un minimum de formation. On peut en effet apprendre à manipuler assez facilement la caméra pour filmer, par contre le montage requiert des compétences techniques, du temps et un équipement adéquat. Par
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297
contre, certains coopératives de production et établissements d’enseignement sont accessibles gratuitement pour les organismes communautaires, ou encore on peut faire appel à du financement pour soutenir la création d’une vidéo. Sur le plan de l’utilisation, le visionnement d’un film ou d’un documentaire vidéo est précédé d’une courte présentation et suivi d’une période de discussion. Cette période d’échange de vues sert à établir des liens avec le vécu et la perception des participants, à définir des moyens concrets pour passer à l’action et à vérifier le degré d’intérêt ou d’engagement possible. Le rôle de l’animateur ou de l’animatrice est donc très important, à la fois pour susciter la participation et pour mettre en évidence la nécessité et l’efficacité d’une action collective. Si l’on prévoit que la vidéo sera utilisée par différents groupes ou par différents animateurs, il sera utile de réaliser un guide d’animation qui fournira à l’animateur des thèmes de discussion, des questions s’y rattachant et de l’information complémentaire à fournir aux participants.
3.2.3. Les exercices et les jeux Plusieurs intervenants communautaires ont recours à des outils d’animation pour réaliser une activité de sensibilisation. Ces outils peuvent être écrits, visuels ou audiovisuels, mais ils peuvent être aussi basés sur la participation active des personnes au moyen d’exercices ou de jeux. Le plaisir et l’implication de soi, individuellement et collectivement, sont les forces des jeux, car on apprend mieux en faisant. Le jeu est aussi un excellent brise glace pour permettre à des personnes de se connaître. Enfin les jeux permettent souvent de développer l’esprit d’équipe dans un climat de saine compétition. Souvent inspirés des pratiques d’éducation populaire, ces exercices et ces jeux ont su s’adapter à la culture du milieu populaire en favorisant l’expression du vécu et le cheminement critique. L’outil pédagogique n’est pas seul en cause. Au départ il faut que les intervenants possèdent une conscience des situations d’injustice ou d’exclusion dont sont victimes les personnes avec lesquelles ils travaillent, qu’ils aient un parti pris à leur égard, adoptent des
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
attitudes de respect à l’égard de leur manière d’être ou d’agir et fassent montre de confiance en leur compétnce et leur potentiel. On trouve plusieurs de ces exercices et de ces jeux, de même que le contexte d’intervention et l’approche dans lesquels ils s’inscrivent, dans les ouvrages publiés par le Collectif québécois de conscientisation7 et dans des livres ou guides d’animation publiés par des animatrices œuvrant dans des groupes de femmes8. La réalisation et l’utilisation de tels outils s’étendent à plusieurs champs de pratique en action communautaire. On retrouve des exemples de leur utilisation dans des contextes aussi variés que la lutte contre la pauvreté, la défense des droits des assistés sociaux, la promotion de la paix, et les activités d’animation visant le développement local. Les personnes qui seraient en panne d’inspiration n’ont qu’à consulter les livres et guides d’animation décrivant des pratiques d’éducation populaire. Elles peuvent aussi faire appel aux services de ressources en organisation communautaire qui proposent les services de spécialistes capables de conseiller les groupes dans la réalisation d’outils pédagogiques9.
3.3. LES OUTILS D’INFORMATION ET DE COMMUNICATION ET LES MÉDIAS 3.3.1. Internet Depuis quelques années, Internet est devenu un outil incontournable pour sensibiliser les citoyens à des enjeux sociaux et environnementaux et à mobiliser autour d’actions pour agir collectivement sur ces enjeux. Les liens virtuels se sont en effet multipliés considé-
7.
8. 9.
G. Ampleman, G. Doré, L. Gaudreau et al. (1983). Pratiques de conscientisation : expériences d’éducation populaire au Québec, Montréal, Nouvelle Optique, 304 p. ; G.Ampleman, J. Barnabé, Y. Comeau et al. (1987). Pratiques de conscientisation 2, Québec, Collectif québécois d’édition populaire, 366 p. P. Gingras et C. Lavoie (1986). Femmes de quarante ans et plus : guide d’animation, Centre des femmes de la Basse-Ville de Québec, 237 p. L’équipe du secteur Promotion communautaire du Centre Saint-Pierre à Montréal est l’une de ces ressources.
CHAPITRE 5 ◆ LA SENSIBILISATION ET LA MOBILISATION
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rablement et sont devenus de véritables outils de sensibilisation, de réseautage et de mobilisation. La multiplication des bulletins électroniques, l’apparition d’un journalisme alternatif, de même que l’accès aux pétitions en ligne ne sont que quelques exemples de la manière dont Internet est en train de s’imposer dans l’univers du militantisme. Au Québec, le journal alternatif et électronique « Presse-toi à gauche » () est un exemple de la place que prend Internet au sein des mouvements sociaux. Ce journal alternatif se positionne comme une agora et une tribune pour la gauche en marche du Québec. Provenant d’horizons divers et de différentes régions du Québec, un groupe militant d’auteurs, de journalistes, de caricaturistes, de graphistes et de spécialistes en informatique se sont réunis par leur intérêt porté au journalisme alternatif. « Presse-toi à gauche » renseigne par ailleurs les lecteurs des différents événements, actions et mobilisations initiés par les mouvements sociaux présents au Québec. Un autre exemple de l’impact considérable d’Internet est la campagne de sensibilisation « Aux arbres citoyens ! » initié par des groupes environnementaux au Québec pour mettre à l’ordre du jour la protection de la forêt boréale et l’urgence d’établir un véritable réseau d’aires protégés au Québec. Lancée le 15 février 2006, la pétition « On dort comme une bûche » (<www. ondortcommeunebuche.com>) demandant au gouvernement du Québec de combler le retard important qu’accuse le Québec en matière de superficie d’aires protégées, a recueilli 188 545 signatures dix-sept mois après son lancement ; l’objectif initial étant de susciter un minimum de 10 000 signatures. Toutes les personnes qui ont signé cette pétition reçoivent par la suite le bulletin électronique de cette organisation qui fait régulièrement une mise à jour de tous les événements en matière d’éducation et de protection de l’environnement au Québec. Rappelons aussi le succès de la pétition électronique lancée par le groupe environnemental Héritage Saint-Bernard de la région de Châteauguay pour donner l’occasion aux adversaires de la centrale thermique du Suroît de s’exprimer contre le projet. Autre constat, la facilité pour le simple citoyen de faire des recherches sur Internet pour se documenter sur des problèmes et enjeux sociaux et découvrir, par leur site Web, quantité d’organismes
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
communautaires, de comités de citoyens et de coalitions impliqués dans des actions collectives visant des changements sociaux. Phénomène plus récent, la multiplication des blogues qui sont devenus une façon pour les citoyens de diffuser de l’information, de partager des idées et des analyses. Par le blogue, le citoyen peut se mettre en réseau avec d’autres citoyens qui partagent des préoccupations communes et qui ont le désir de se mobiliser pour agir collectivement. Déjà, en 1998, Naomi Klein avait souligné dans son livre No Logo, l’importance du rôle d’Internet dans la victoire des opposants à l’Accord multilatéral sur l’investissement (l’AMI) qui, cette même année, diffusèrent sur des sites Web les intentions cachées de cet accord. À cette époque, le Financial Times avait même fait remarquer qu’Internet avait joué le rôle d’une arme décisive pour les opposants à cet accord en condamnant l’accord proposé comme une conspiration secrète ayant pour but d’assurer aux multinationales une domination sur la planète.
3.3.2. Le téléphone Bien que le téléphone soit de moins en moins utilisé comme moyen de sensibilisation et de mobilisation au bénéfice du courrier électronique, celui-ci aura toujours sa place, particulièrement dans les groupes qui travaillent avec des personnes qui n’ont pas accès à Internet, soit pour des raisons économiques ou parce qu’elles sont analphabètes. Le téléphone est aussi un moyen de faire participer des membres qui ne peuvent, à cause de leurs obligations familiales ou personnelles, investir beaucoup de temps dans une organisation.
3.3.3. Les médias De nos jours, les groupes populaires et communautaires peuvent difficilement concevoir une campagne de sensibilisation sans le recours aux médias. Malgré les limites de leur utilisation attribuables, notamment, à l’abondance des informations qu’ils diffusent, les médias continuent d’exercer une influence considérable sur la population. Les médias sont aussi de précieux outils de mobilisation. Qu’il s’agisse tout simplement de favoriser le contact entre le besoin d’une personne et le groupe pouvant l’aider, de recruter les
CHAPITRE 5 ◆ LA SENSIBILISATION ET LA MOBILISATION
301
personnes nécessaires au démarrage d’un projet, d’inviter les citoyens d’une communauté locale à une assemblée publique d’information ou même de convier la population d’une région à se joindre à une manifestation, l’utilisation des médias de masse s’avère un atout incontestable. Le chapitre qui suit permettra d’approfondir davantage le rôle et les techniques d’utilisation des médias et de saisir leur utilité, aussi bien à l’étape de la sensibilisation et de la mobilisation qu’aux autres étapes d’une intervention communautaire.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
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CHAPITRE
6
LA COMMUNICATION ET L’UTILISATION DES MÉDIAS Jocelyne Lavoie Jean Panet-Raymond
PLAN DU CHAPITRE 6
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. La stratégie de communication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1. La pertinence de la communication au sein d’un groupe . . . 1.2. La planification d’une stratégie de communication . . . . . . . . 2. Les moyens de communication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1. Les moyens autonomes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.1. Le choix d’un nom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.2. Le logo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.3. L’enseigne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.4. La correspondance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.5. Le dépliant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.6. Le site Web . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.7. L’affiche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.8. Le kiosque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.9. Le bulletin de liaison . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.10. Le périodique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.11. Publications diverses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.12. La vidéo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.13. Moyens complémentaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. Les médias de masse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.1. Le rôle des médias de masse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.2. La presse écrite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.3. La presse électronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3. Les médias communautaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3.1. Les journaux communautaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3.2. La radio communautaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3.3. La télévision communautaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Les principales techniques d’utilisation des médias de masse. . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Webographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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INTRODUCTION La communication joue un rôle très important dans les pratiques d’action communautaire et dans la vie associative des groupes communautaires. Afin d’accroître l’efficacité de leurs divers moyens de communication, la première partie de ce chapitre invite les groupes à réfléchir tout d’abord sur leur stratégie de communication. Cette réflexion et cette analyse préalable visent à accroître l’efficacité et la pertinence des moyens choisis en fonction du message que le groupe souhaite faire passer et des personnes qu’il désire rejoindre. La deuxième partie du chapitre décrit les moyens de communication dont les groupes disposent pour diffuser leur message. Ces moyens sont regroupés en trois grandes catégories : les moyens autonomes, les médias de masse et les médias communautaires. Le chapitre se termine sur quelques-unes des principales techniques à maîtriser pour utiliser efficacement les médias de masse.
1.
LA STRATÉGIE DE COMMUNICATION 1.1. LA PERTINENCE DE LA COMMUNICATION AU SEIN D’UN GROUPE Nous préférons, pour deux motifs, utiliser l’expression « stratégie de communication » plutôt que « stratégie d’information ». D’abord, la stratégie de communication touche à la fois la communication interne, soit entre les membres d’un groupe, et la communication externe, soit celle qui est dirigée vers la communauté. De plus, la stratégie de communication n’est pas à sens unique et ne se limite pas uniquement à informer une communauté. Elle cherche aussi à
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
stimuler la participation et le désir d’agir des personnes qui appartiennent à cette communauté. Stratégie de communication
A
Ensemble des moyens de communication mis en œuvre par un groupe pour soutenir son action, dans le cadre d’une stratégie générale d’intervention.
Les groupes disposent de trois catégories de moyens d’information pour mettre en œuvre leur stratégie de communication : les moyens autonomes, les médias de masse et les médias communautaires. Le choix de ces moyens s’effectuera en fonction du message que le groupe désire passer, de la population à qui ce message s’adresse et des ressources humaines et matérielles dont le groupe dispose. Par la mise en œuvre d’une stratégie de communication, les groupes visent généralement l’un ou l’autre des quatre objectifs suivants. Se faire connaître
A
Le groupe cherche à faire connaître son existence, ses services, ses activités, voire l’importance de son rôle au sein d’une communauté.
Sensibiliser
A
Le groupe cherche à favoriser une prise de conscience par rapport à un problème social ou à un besoin commun et à promouvoir des solutions de rechange ou des idées nouvelles pour transformer cette réalité.
Donner plus de poids aux revendications
A
Plusieurs groupes estiment qu’une stratégie de communication constitue un moyen de pression additionnel non négligeable. L’utilisation des médias leur permet notamment d’alerter l’opinion publique et d’exercer une pression accrue sur les décideurs.
Mobiliser
A
Le groupe cherche à susciter l’engagement des personnes et des organismes visés par une revendication ou un projet d’action élaboré en vue de résoudre un problème social ou de répondre à un besoin commun. Par le choix de son message, le groupe pourra aussi chercher simplement un appui ponctuel à un moyen d’action, par exemple lors d’une manifestation ou d’un envoi de lettres d’appui.
CHAPITRE 6 ◆ LA COMMUNICATION ET L’UTILISATION DES MÉDIAS
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1.2. LA PLANIFICATION D’UNE STRATÉGIE DE COMMUNICATION L’élaboration d’une stratégie de communication suppose un travail de planification. Selon la mission du groupe et le mode de fonctionnement qu’il privilégie, cette planification pourra s’effectuer de différentes façons. Planification annuelle
A
Certains groupes optent pour une planification annuelle.
Dans ce cas, le groupe prendra soin d’inscrire sur un calendrier l’ensemble des activités et des événements prévus durant l’année, en mettant l’accent sur les occasions de contact à l’interne avec les membres et à l’externe avec une population plus large. Par la suite, le groupe élaborera ses propres moyens de communication et, au besoin, déterminera les moments propices pour faire appel aux médias de masse. Certains comités-logement et associations de locataires dont la mission repose sur l’éducation et la défense des droits des locataires optent pour un tel mode de fonctionnement. En se basant sur les différents cycles de la vie d’un bail et sur les problèmes les plus fréquents que rencontrent les locataires – augmentation de loyer, reprise de possession, réparations, chauffage, etc. –, ces groupes sont en mesure d’élaborer leur stratégie de communication sur une base annuelle.
Planification saisonnière
A
D’autres groupes préfèrent planifier leur stratégie de communication sur une plus courte période, souvent à partir d’un programme d’activités qui obéit à un cycle saisonnier.
Plusieurs centres de femmes dont le mandat est d’offrir des services, des activités éducatives et de mener des actions collectives optent pour ce type de planification. C’est surtout le volet des activités éducatives qui fait l’objet d’une telle planification. Pour ces activités, les centres de femmes élaborent un programme d’activités saisonnier qui est transmis aux membres et aux femmes du territoire servi. Planification par objectifs
A
Enfin, certains groupes opteront plutôt pour une planification à partir d’objectifs d’action précis.
Ces objectifs sont le plus souvent rattachés à une revendication d’ordre social, politique ou économique.
308
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
Certaines ACEF (associations coopératives d’économie familiale), dont la mission est la protection des consommateurs, privilégient ce mode de fonctionnement. Les actions de défense et de représentation des ACEF étant généralement issues de recherches ou d’enquêtes-terrain réalisées à la suite de plaintes de consommateurs, il est plus opportun pour ces groupes de planifier leur stratégie de communication en fonction des constats et des revendications rattachés aux résultats de chacune des enquêtes effectuées. Les représentants des ACEF estiment que cette façon de faire leur laisse davantage la marge de manœuvre dont ils ont besoin pour répondre plus efficacement aux plaintes des consommateurs. Cela dit, quelle que soit la méthode choisie pour planifier sa stratégie de communication, le groupe a avantage à y réfléchir à l’aide de trois questions préalables :
1. Quel message veut-on transmettre ? Selon sa mission et les objectifs qu’il vise, un groupe doit tenter de dégager les aspects essentiels et les aspects secondaires de son message. Un tel exercice aidera par la suite le groupe à passer son message simplement, clairement et avec concision.
2. À qui s’adresse ce message ? Avant de procéder au choix des moyens de communication et afin d’ajuster son message, le groupe devra cibler et connaître le mieux possible les gens à qui son message s’adresse. Pour cibler les personnes qu’il cherche à rejoindre le groupe pourra se poser les questions suivantes : veut-il rejoindre la communauté en général ? une population en particulier ? s’adresse-t-il aux citoyens d’un quartier, d’un village, d’une municipalité, d’une région ? cherche-t-il à interpeller les décideurs ? etc. Une fois que le groupe aura ciblé les personnes qu’il veut rejoindre, un autre niveau de questionnement lui permettra de mieux connaître qui sont ces gens (culture, mentalité, niveau de scolarité, niveau de vie, habitudes sur le plan de la communication, etc.) et de chercher à savoir ce qu’ils connaissent déjà du groupe (perception, image, activités connues, prise de position, etc.).
CHAPITRE 6 ◆ LA COMMUNICATION ET L’UTILISATION DES MÉDIAS
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Mentionnons qu’une stratégie de communication pourra cibler plus d’un groupe de personnes à la fois. Par exemple, lorsque l’R des centres de femmes du Québec a réalisé sa campagne de visibilité au début des années 1990, le regroupement a cherché à faire connaître la mission et les activités des centres de femmes du Québec à la population en général et, simultanément, a interpellé les décideurs afin de les convaincre de la nécessité d’un financement triennal pour les centres de femmes. En faisant connaître et reconnaître l’importance du rôle social des centres de femmes auprès de l’opinion publique, l’R contribuait ainsi à légitimer une revendication à l’endroit des décideurs pour un financement triennal de leurs activités.
3. Quels sont les moyens de communication les plus appropriés ? Le choix des moyens de communication employés par le groupe sera déterminé par la population que celui-ci cherche à atteindre, mais aussi en fonction des ressources humaines, matérielles et du temps dont il dispose. Pour informer et agir, les groupes peuvent recourir à trois types de moyens de communication : F les moyens autonomes, c’est-à-dire ceux qui sont conçus
et diffusés par le groupe (ex. : dépliant) ; F les médias de masse, soit la presse écrite et les médias
électroniques ; F les médias communautaires que sont les journaux, la radio
et la télévision communautaires. Les groupes ne doivent pas hésiter à combiner ces différents moyens, car c’est souvent la répétition d’un même message formulé avec des moyens différents qui permet d’atteindre le public visé. Selon le ou les moyens choisis, le groupe pourra trouver au sein de son équipe, ou parmi ses membres, les ressources qui en assureront la réalisation. Mais si le groupe ne trouve personne qui possède l’expertise nécessaire, il pourra se tourner du côté de la formation, en utilisant des guides pratiques conçus à l’intention des groupes communautaires ou encore en suivant l’une des nombreuses
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
sessions de formation offertes par certains groupes autonomes communautaires d’éducation populaire. Le groupe pourra aussi décider de confier un mandat à une ressource extérieure spécialisée en communication (ex. : graphiste, agent d’information). Dans la mesure du possible cette collaboration se fera malgré tout sur une base éducative en faisant de ce contrat une occasion d’apprentissage pour l’équipe de permanence autant que pour les membres.
2.
LES MOYENS DE COMMUNICATION 2.1. LES MOYENS AUTONOMES A
Les moyens autonomes sont des moyens conçus et diffusés par les groupes.
Ils peuvent être utilisés à l’interne, pour rejoindre les membres (ex. : bulletin de liaison, programme d’activités, chaîne téléphonique), ou à l’externe, pour rejoindre une communauté (ex. : dépliant, affiche, kiosque). De façon générale, il est souhaitable que les moyens de communication autonomes soient réalisés par les membres d’un groupe. La conception et la réalisation d’un moyen de communication autonome sont en effet une bonne occasion d’apprentissage, qui permet aux membres de s’approprier la mission et les activités du groupe, d’exercer leur créativité, et ce, dans le respect de leur culture.
2.1.1. Le choix d’un nom Bien que le choix d’un nom ne fasse pas partie intégrante d’une stratégie de communication, puisque le groupe a déjà son nom au moment de l’élaboration de la stratégie, il nous semble malgré tout important de mentionner cet élément. Les citoyens qui songent à créer une nouvelle ressource doivent en effet comprendre à quel point le nom qu’ils choisiront influera sur la perception qu’aura la communauté de leurs mission, services et activités. Il est donc essentiel que le nom reflète la nature du groupe, exprime le mieux possible le champ d’activité qu’il couvre et, si possible, précise la
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communauté qu’il vise. Il faut aussi que ce nom appartienne à la culture d’un milieu afin que les gens puissent s’y identifier. Certains groupes choisissent malheureusement un nom à teneur trop symbolique qui ne laisse rien deviner des activités ou des personnes à qui ils s’adressent. Par exemple, une maison de jeunes située dans la municipalité de Valleyfield qui choisirait le nom de « Not’ baraque », plutôt que celui de « Maison des jeunes de Valleyfield », risque fort de contribuer à mal se faire connaître des jeunes et des parents de son territoire, en plus de donner une image ambiguë de sa mission. Il arrive aussi qu’un groupe choisisse un nom tellement général qu’il laisse croire à une gamme étendue de services, alors que tel n’est pas le cas. Par exemple, une maison d’hébergement pour femmes violentées qui aurait pour nom « Centre d’aide aux femmes » laisserait croire à une mission et à une gamme de services beaucoup plus larges que la réalité. Cette ambiguïté risque de conduire le groupe à devoir fréquemment refuser des demandes d’aide, en plus de lui occasionner du travail supplémentaire pour justifier ses motifs et orienter vers une autre ressource plus appropriée.
2.1.2. Le logo Le logo est la représentation graphique d’un organisme ; il peut illustrer soit le sigle de l’organisme, sa mission, la population qu’il vise ou une combinaison de ces éléments. Si rien n’interdit la fantaisie, le logo devrait cependant permettre une identification rapide de l’organisme. Idéalement, le logo devrait pouvoir être reconnu par n’importe quelle personne, quelle que soit sa langue. Il doit donc être conçu simplement, tant dans sa forme que dans l’utilisation de la couleur, ce qui aura l’avantage de le rendre facilement reproductible. Le logo sera utilisé comme mode d’identification visuelle sur les en-têtes de lettres, les enveloppes, les dépliants, les enseignes extérieures, les affiches, les communiqués de presse, etc. Le logo peut aussi être reproduit sur des chandails, des épinglettes, etc., et contribuer à l’autofinancement du groupe. En bref, les deux qualités importantes du logo sont d’être facilement repérable et reproductible.
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2.1.3. L’enseigne Combien de fois doit-on chercher le local d’un groupe, quelque part dans une rue ou à l’intérieur d’un immeuble commercial. Certains groupes communautaires semblent éprouver une pudeur à s’afficher, car rien ou presque ne permet de savoir qu’à cet endroit loge un groupe communautaire. À moins de vouloir garder une adresse confidentielle pour des raisons de sécurité (ex. : maisons d’hébergement pour femmes violentées) ou pour protéger l’anonymat de personnes fortement marginalisées, une affiche extérieure bien visible est un atout sur le plan de la communication. Cette enseigne « travaille » en quelque sorte jour et nuit pour le groupe. On y retrouve bien en évidence le nom du groupe et son logo. Techniquement, l’enseigne doit être suffisamment grande et visible pour être repérée par les passants.
2.1.4. La correspondance La correspondance est l’ensemble du matériel qui circule à l’extérieur de l’organisme : lettres, enveloppes, cartes professionnelles, etc. Elle sert à faire reconnaître l’organisme et constitue une excellente occasion de parfaire l’image publique du groupe. Dans la mesure du possible, la papeterie doit bien identifier le groupe, c’est-à-dire comprendre son nom, son adresse, son numéro de téléphone et son logo. Il est préférable de conserver une uniformité pour tout le matériel : même couleur, même caractère d’impression, même papier et même mise en page.
2.1.5. Le dépliant Le dépliant est un outil de communication quasi indispensable. Il permet de faire connaître l’organisme, sa mission, la population qu’il vise, le territoire qu’il dessert, ses services ou ses activités, ses heures d’ouverture ainsi que ses coordonnées. Dans certains cas, on y ajoute un formulaire d’adhésion pour devenir membre ou s’impliquer comme bénévole ou, encore, quelques-unes des réalisations marquantes du groupe. Il faut bien distinguer le dépliant général de présentation d’un groupe du dépliant utilisé pour faire connaître des cours et activités. Dans ce dernier cas on parle plutôt du programme
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d’activités. Ce dernier fournit le calendrier des cours, ateliers ou événements spéciaux organisés par un groupe pour une période de temps donnée. Le programme d’activités est systématiquement posté aux membres d’un organisme au début de chaque nouvelle période d’activités. Le respect de quelques règles simples permet de produire un dépliant tout à fait correct. F Le dépliant ne doit pas être surchargé de texte, et il est
nécessaire de l’imprimer en caractère assez gros pour en faciliter la lecture. Idéalement la présentation sera allégée par des espaces, des dessins, des photos ou des éléments graphiques. F Chaque rabat doit contenir un message complet. Il ne faut
jamais faire suivre une phrase sur un autre rabat. Les hauts de page surmontés d’un grand titre sont préférables. Généralement, le rabat intérieur sert à présenter les services et les activités du groupe, alors que le rabat extérieur est utilisé pour faire connaître les coordonnées de l’organisme, les heures d’ouverture, la population visée, le territoire desservi, le formulaire pour devenir membre, etc. F Le texte doit être rédigé dans un français clair et sans fautes.
Il faut des phrases courtes, précises et bien formulées. Si le dépliant est traduit dans une autre langue, les mêmes exigences quant à la qualité de la langue s’appliquent. Si les moyens du groupe sont restreints, on peut essayer de composer un texte à l’aide d’un traitement de texte et effectuer une mise en page comportant un minimum d’éléments graphiques. Une imprimante de qualité fera aussi une différence. Soulignons qu’il existe aujourd’hui des logiciels de conception graphique qui facilitent la tâche et permettent de produire des dépliants de très bonne qualité. Si le budget du groupe l’autorise, les services professionnels d’un graphiste pour la conception et ceux d’un imprimeur pour la photocopie ou l’impression pourront s’avérer utiles. Les coûts pour de tels services sont très variables selon l’utilisation ou non de la couleur, le nombre de couleurs employées et la qualité du papier. Certains départements de cégeps ou d’universités (design, communication, travail social) peuvent par ailleurs se
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montrer intéressés à offrir un coup de main aux groupes qui en font la demande. Les moyens de distribution seront variés et déterminés en fonction des personnes que le groupe désire rejoindre. Le dépliant pourra donc être distribué de main à main, posté aux personnes qui demandent de l’information, placé dans des lieux publics ou dans les locaux d’autres groupes qui s’adressent à une population similaire. Dans de tels cas, il faudra prendre soin de renouveler au besoin les dépliants mis à la disposition du public.
2.1.6. Le site Web Que ce soit par l’utilisation d’un site Web ou par celle d’une liste d’envoi, Internet est en voie de devenir un moyen de communication autonome quasi incontournable. Le site Web tient de plus en plus lieu de dépliant d’information en renseignant les visiteurs sur la mission de l’organisme, ses services et sa clientèle. Outre les informations de base sur l’organisme, le site Web pourra aussi transmettre le bulletin de liaison de l’organisme, ses recherches, ses publications, ses activités présentes et à venir, en donner des comptes rendus, etc. Dans la mesure où un site constitue une carte de visite, son caractère accueillant et convivial est important. Ainsi, sur le plan de sa conception, le site Web pourra proposer diverses façons de transmettre de l’information : texte, image, photo, vidéo, animation et même musique. Tous ces moyens peuvent même être combinés pour créer du dynamisme et susciter l’intérêt des visiteurs. Par ailleurs, le caractère interactif du site Web sera un atout pour alimenter la réflexion et apporter au groupe des commentaires ou des suggestions des visiteurs. Le courriel constitue donc un élément important. Il peut aussi servir à commander des publications, demander des renseignements ou devenir membre. En effet, de plus en plus de personnes naviguent en dehors de heures habituelles d’ouverture et peuvent ainsi laisser un message ou obtenir des informations au moment où cela leur convient. Comme moyen de communication, le site Web doit cependant être alimenté constamment si l’on souhaite que les « surfers » reviennent. Quoi de plus décevant qu’un site qui annonce un
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événement qui a eu lieu il y a six mois. Pour réaliser cette nécessaire mise à jour, l’organisme doit donc prévoir consacrer temps et énergie, soit en embauchant occasionnellement un « webmaster » ou en ayant à même son personnel salarié une personne possédant de telles compétences. Quant à la liste d’envoi, elle constitue un moyen rapide de communication interne avec les membres de l’organisme, qu’il s’agisse de membres individuels ou de groupes membres. Ainsi, les invitations à des activités ou à des réunions, des renseignements utiles aux membres, le bulletin de liaison de l’organisme et quantité d’autres informations peuvent désormais être acheminés par ce moyen. Bien sûr, le degré de pénétration par Internet est encore très variable selon les classes sociales et l’on ne peut présupposer que tous les internautes prennent quotidiennement leurs messages. Enfin, les listes de discussions ou « chats » sont d’autres bons moyens de rejoindre des publics cibles. Une certaine interaction y est possible, mais au vu et au su de tous les abonnés, puisqu’il n’y a ni mot de passe, ni censure par un animateur, ce qui confère d’ailleurs aux « chats » un certain côté anarchique. Les forums de discussion, de leur côté, peuvent être plus circonscrits et posséder un code d’accès limité, l’activité étant gérée par un animateur. L’image de l’araignée qui tisse ses liens entre personnes et organismes pour constituer une toile représente bien ce qui est visé. En somme, un peu comme l’ont fait les médias communautaires il y a vingt-cinq ans en constituant une sorte de troisième voie du système médiatique, auprès des sociétés d’État et des sociétés commerciales, Internet permet aujourd’hui aux mouvements communautaires de diffuser leur propre message et de communiquer autrement leur regard sur le monde.
2.1.7. L’affiche L’affiche est une feuille imprimée de grand format destinée à porter une information à l’attention du public. Elle est ordinairement placardée sur un mur ou à un endroit où circulent un grand nombre de personnes. L’efficacité de ce moyen de communication repose essentiellement sur sa composition graphique. L’affiche doit donc être conçue pour attirer l’attention du passant, condition essentielle à la transmission du message.
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L’affiche peut servir à faire connaître un groupe communautaire en présentant une information sommaire sur sa mission, ses services ou ses activités. Elle viendra alors soutenir le dépliant. L’affiche peut aussi soutenir le thème d’une campagne de sensibilisation ou appuyer une revendication. À ce titre, l’Association québécoise pour la défense des droits des préretraités et retraités (AQDR)1 a même utilisé des affiches réalisées par ses membres pour une exposition-manifeste itinérante servant à illustrer les conditions de vie de la population âgée et à faire valoir ses revendications. Enfin, l’affiche peut être utilisée pour annoncer un événement ou une activité. S’il s’agit d’un événement appelé à se répéter, une bande blanche d’au moins 10 cm laissée au bas de l’affiche permettra d’ajouter la date et le lieu de l’événement. Comme on peut le remarquer, l’affiche étant plutôt utilisée comme moyen fixe d’information, il convient d’apporter le plus de soin possible à sa réalisation. Pour le choix du format, il n’y a pas de règle formelle, cependant la proportion 2 sur 3 est généralement respectée. Afin d’attirer l’attention du passant, l’affiche doit être bien illustrée, avec des couleurs qui accrochent le regard. Sur le plan de la conception, il est préférable de ne détailler qu’un seul message par affiche. Les couleurs, dessins ou photos doivent supporter le message et non le masquer ; il faut donc voir à ne pas surcharger l’affiche. Tout comme pour le dépliant, les coûts d’une affiche varient beaucoup. Par ailleurs, si elles sont d’une belle facture, les affiches sont souvent utilisées comme élément décoratif dans les lieux d’habitation, dans les lieux de réunion ainsi que dans les lieux de travail. Elles témoignent de l’histoire du mouvement communautaire et rappellent à notre mémoire des événements ou des rassemblements marquants.
1.
L. Plamondon (1984). L’exposition d’affiches de l’AQDR : une action collective de formation, Conjoncture politique au Québec, no 5, p. 109-119.
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2.1.8. Le kiosque Les groupes utilisent habituellement le kiosque pour se faire connaître ou sensibiliser une population à une cause ou à un problème. Le kiosque peut aussi servir à la vente d’objets, à la sollicitation de dons dans le cadre d’une campagne d’autofinancement ou encore à la signature d’une pétition pour appuyer une revendication. Selon les moyens et les besoins du groupe, le kiosque peut n’être qu’une table ou un comptoir sur lequel le groupe dispose de la documentation ; il peut aussi avoir été fabriqué dans le but d’en faire une structure permanente qui s’assemble et se transporte facilement. Il existe par ailleurs des entreprises qui louent des structures de kiosque et certains syndicats peuvent sans doute prêter leur équipement. Pour maximiser l’efficacité de ce moyen de communication, il est utile de bien préciser ses objectifs d’information afin d’indiquer clairement le thème du kiosque. Pour être attrayant un kiosque doit contenir surtout des éléments visuels comme des photos ou des affiches. Un support écrit, comme le dépliant, doit cependant être disponible. Un court film vidéo ou un diaporama pourront le rendre encore plus attirant. On peut aussi concevoir une activité interactive, comme un jeu-questionnaire par ordinateur, à laquelle les personnes présentes pourront participer. L’important est de retenir l’attention, sans pour autant intimider les gens. Les personnes responsables qui agissent à titre d’hôtes du kiosque doivent évidemment être accueillantes, bien informées des objectifs et activités du groupe et capables de communiquer aisément avec les personnes qui se présentent. Pour les membres d’un groupe, la participation à un kiosque constitue un lieu privilégié d’engagement, ce qui contribue au resserrement de la solidarité.
2.1.9. Le bulletin de liaison Le bulletin de liaison, aussi appelé bulletin interne, est un petit journal qu’un groupe ou une association publie quelques fois par année, à intervalle régulier. Il s’agit d’une publication généralement destinée aux membres, aux abonnés et aux autres groupes d’un réseau de solidarité. Le bulletin de liaison vise à transmettre de l’information sur la vie d’un groupe particulier, ses activités, ses réunions, ses décisions et ses analyses sur un problème ou un sujet précis.
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Depuis quelques années, on constate une multiplication des bulletins internes dans les organismes communautaires. Ce phénomène pourrait être attribuable à la disparition de nombreux journaux communautaires, principalement dans la région de Montréal, ainsi qu’au désir des groupes de se doter d’un outil d’expression libre qui transmet un point de vue différent sur l’information2. Le bulletin de liaison a aussi l’avantage de favoriser le maintien d’un contact ponctuel entre les membres d’un organisme ou d’un regroupement. À ce titre, il contribue à développer le sentiment d’appartenance et peut aussi servir de moyen de mobilisation. Normalement un bulletin de liaison comporte plusieurs chroniques. Par exemple, un bulletin produit par un regroupement d’organismes informe ses membres des activités de chacun des groupes. Il invite à la participation aux activités locales et régionales. Il propose un point de vue éditorial sur un enjeu majeur pour les groupes communautaires. Il fait aussi état d’événements personnels qui touchent certains membres. Il peut posséder une section « petites annonces » facilitant l’échange de biens et de services. Il arrive qu’il propose une section plus ludique, tout en étant éducative, avec des mots croisés ou cachés ainsi que l’annonce de la parution de certains livres. Le bulletin de liaison peut assez facilement être produit à l’aide d’un ordinateur personnel équipé d’un logiciel de traitement de texte. Un logiciel de mise en page et de traitement graphique, doublé d’une imprimante de qualité satisfaisante, donnera un résultat de très bonne facture. La production du bulletin constitue une importante occasion de faire appel aux membres. Ceux-ci peuvent agir à titre de concepteur graphique, de journaliste, de rédacteur, ou encore effectuer les tâches de secrétariat. La conception d’un bulletin de liaison est une excellente façon de réaliser des activités d’éducation populaire formelles et informelles. Ainsi, le groupe peut soutenir la formation technique de quelques-uns de ses membres en faisant appel aux organismes communautaires ou coopératifs ainsi qu’à certains cégeps et commissions scolaires qui proposent des activités de formation sur l’utilisation d’ordinateurs, et ce, à un coût modique.
2.
M. Viau, en collaboration avec B. Vallée. Revu et augmenté par P. Valois (1993). Les médias et nos organisations, Montréal, Centre de formation populaire, 3e éd., p. 22.
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2.1.10. Le périodique Le périodique est une publication spécialisée dans un domaine donné. Certains groupes utilisent les termes magazine ou revue pour désigner ce type de publication. Par leur facture, les périodiques diffèrent du bulletin de liaison et ils poursuivent des objectifs plus ambitieux. D’apparence soignée, la page couverture d’un périodique est souvent sur papier glacé et en couleurs. On retrouve dans la revue de nombreuses illustrations et des photos et le travail d’impression est généralement exécuté par un imprimeur professionnel. La revue permet d’élaborer un point de vue différent et critique portant sur les problèmes sociaux de l’heure. Elle procure de l’espace à l’approfondissement des idées, ce qui n’est pas l’objectif du bulletin de liaison. Elle offre la possibilité de diffuser des résultats d’enquêtes-terrain, des récits d’expérience, des entrevues, de courts essais écrits par des personnes faisant autorité et une couverture critique des faits d’actualité en matière de politique, d’économie, de culture et de développement communautaire. Ce sont en général des personnes bien informées, capables d’écrire dans un style journalistique, qui sont chargées de la rédaction des textes. Les revues sont généralement publiées par des collectifs militants (ex. : Virtualités), des regroupements et des fédérations d’organismes communautaires (ex. : L’Artère) ou par une association religieuse, comme c’est le cas pour Relations et Vie ouvrière. Plus rarement, un organisme communautaire seul se lancera dans une telle aventure, comme l’ACEF-Centre de Montréal qui publie le magazine d’information et d’action Consommation. La fréquence de publication d’un périodique varie entre deux et douze numéros par année. La distribution des périodiques est généralement gratuite pour les membres du groupe. Certains groupes font aussi des envois gratuits à d’autres groupes communautaires, à des établissements publics, à des élus et même dans certaines succursales de caisses populaires. Les abonnements, les dons, la vente en librairie, les revenus publicitaires et les commandites complètent généralement le soutien financier des périodiques. Le périodique, il va sans dire, est un médium qui requiert plus de ressources humaines et matérielles que le bulletin de liaison et son coût d’impression est très élevé.
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2.1.11. Publications diverses Certains groupes communautaires prennent l’heureuse initiative de faire connaître leurs réalisations, leurs outils et leurs instruments de travail par la publication de documents écrits. Dans le cas des réalisations, les documents prennent la forme de bilan, de reportage ou de récit. Pour faire connaître leurs outils et leurs instruments de travail, les publications prennent plutôt l’allure de répertoire, de catalogue ou de manuel. Mais quelle que soit la forme qu’on leur donne, ces documents constituent de précieux outils de communication, d’abord parce qu’ils permettent aux groupes d’accroître leur visibilité et leur contribution pour une plus grande justice sociale, et ensuite parce que de tels outils favorisent une transmission de leur savoir et de leur savoirfaire. Pourquoi faudrait-il constamment tout réinventer quand d’autres avant soi ont mené des actions ou des luttes qui ont porté des fruits, ou encore ont créé et expérimenté des outils qui ont facilité l’atteinte de leurs objectifs d’action. Ajoutons que la vente de tels documents peut constituer un moyen intéressant d’autofinancement. Pour mieux illustrer la qualité et l’utilité de la production de tels documents, nous vous présentons quelques ouvrages déjà publiés par les groupes populaires et communautaires (voir pages suivantes). Rappelons que la publication et la diffusion de tels documents sont des occasions de renforcer, d’élargir et de consolider la solidarité entre les groupes. Elles permettent aussi au grand public et aux décideurs de saisir l’importance du travail des groupes communautaires. Malheureusement, un grand nombre de ces publications sont encore méconnues.
2.1.12. La vidéo De plus en plus de groupes ont recours à la production d’outils de communication comme la vidéo pour faire connaître leurs objectifs, leurs activités et services, leurs principales réalisations et même certains aspects de leur fonctionnement. La vidéo peut aussi être utilisée comme mémoire collective d’un groupe en fixant sur images des moments importants de la vie d’un groupe, tels que la participation à une manifestation ou à une occupation, l’organisation d’une fête. Ces images pourront par la suite servir à faire connaître le groupe tout en facilitant l’accueil et l’intégration de nouveaux membres et la formation des bénévoles.
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EXEMPLES
DE DOCUMENTS DÉCRIVANT DES ACTIONS ET DES LUTTES
TOUS LES MOYENS DU BORD L’R des centres de femmes du Québec Produit par le Regroupement des centres de femmes du Québec, ce reportage présente les initiatives de 14 centres de femmes dans le secteur de l’action collective. Il convie les lectrices à voir de plus près comment, notamment, la cuisine collective, la halte-garderie, le service de réintégration à l’emploi, la formation professionnelle, l’aide aux travailleuses non syndiquées sont autant de moyens pour les femmes de s’approprier et d’assurer leur autonomie économique. Voir : M. D’Amours (1993). Tous les moyens du bord. Les centres de femmes : des chantiers économiques, L’R des centres de femmes du Québec, 46 p.
F
ON RESTE ICI ! LA LUTTE POUR SAUVER NOS LOGEMENTS ET NOS QUARTIERS Le FRAPRU Réalisée à l’occasion du 10e anniversaire du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), cette brochure est divisée en deux parties : F la première retrace les principales luttes menées par le FRAPRU pour le logement social ; F la seconde souligne le 25e anniversaire des premiers comités de citoyens qui ont lutté contre
la démolition de leurs logements et la transformation de leur quartier. Dix parmi toutes les luttes de ces comités de locataires et comités-logement sont racontées, notamment celles de la rue Saint-Norbert et de l’îlot Overdale à Montréal, celle de Hull contre le gouvernement fédéral et celle du comité des citoyens du quartier Saint-Sauveur à Québec. Un vibrant hommage à toutes ces femmes et à tous ces hommes qui ont pris le parti de lutter… Voir : Le Front d’action populaire en réaménagement urbain (1989). On reste ici ! La lutte pour sauver nos logements et nos quartiers, 58 p.
F
BILAN DU COMITÉ D’ACTION POUR L’EAU POTABLE À VALLEYFIELD Le CAEP Publié par le comité d’action pour l’eau potable, ce bilan présente toutes les étapes de la lutte collective d’un comité de citoyens de Valleyfield déterminés à améliorer la qualité de l’eau potable dans leur municipalité. Abondamment illustré à l’aide de photos et d’images, ce bilan explique les objectifs, la stratégie et les moyens d’action du CAEP en plus de nous faire connaître certains aspects de son organisation et de son fonctionnement. Un soin particulier a été apporté au bilan des éléments ayant contribué à l’atteinte de l’objectif du comité, soit la construction d’une usine de filtration. Un bilan qui date de quelques années, mais qui reste malgré tout un modèle d’inspiration. Voir :
D. Bourque, G. Fortier et J. Hogue (1984). Bilan du comité d’action pour l’eau potable à Valleyfield, 27 p. Disponible au CLSC Seigneurie de Beauharnois.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
EXEMPLES
DE DOCUMENTS SERVANT D’OUTILS D’ANIMATION OU D’INSTRUMENTS DE TRAVAIL
RÉPERTOIRE D’OUTILS POUR L’ANIMATION D’ACTIVITÉS ÉDUCATIVES L’R des centres de femmes du Québec Produit par le Regroupement des centres de femmes du Québec, ce catalogue présente les outils d’animation réalisés et utilisés par les centres de femmes et l’R des centres de femmes pour soutenir leur projet éducatif. Le contenu est conçu de façon à faciliter un repérage rapide des outils dont un groupe pourrait avoir besoin, puisque le document est divisé en quatre sections : F les outils d’animation regroupés par thèmes (ex. : autonomie affective, minorités sociales et
culturelles, travail/économie, violence) ; F les vidéos (produites ou utilisées par les centres) ; F les documents (ex. : outils de sensibilisation, rapport d’enquête) ; F les personnes-ressources.
Les outils d’animation sont présentés sous forme de fiches où l’on résume les renseignements suivants : type d’outil, objectifs, aspects pratiques, description et coordonnées de l’organisme-concepteur. L’R a eu l’heureuse idée de présenter le tout sous forme de feuilles mobiles à insérer dans une reliure. Cela permet une mise à jour régulière, car les centres de femmes sont invités à faire parvenir à l’R toute nouvelle production d’outils. Voir : M. Asselin et N. Burrows (1993). Répertoire d’outils pour l’animation d’activités éducatives, L’R des centres de femmes du Québec.
F
L’ATOUT. MANUEL DE RESSOURCES POUR L’ACTION COMMUNAUTAIRE La TROVEP de l’Estrie Produit par la Table régionale des organismes volontaires en éducation populaire de l’Estrie, ce manuel constitue un outil pratique à l’intention de tous les groupes populaires et communautaires qui sont actifs dans le champ de l’éducation populaire. Ce manuel est divisé en dix sections ou cahiers, chacune des sections couvrant un aspect important de la vie des groupes, qui va de la planification à l’évaluation en passant par la gestion, les relations publiques, le financement et bien d’autres aspects. Chaque cahier comprend une partie explicative et une partie sur l’instrumentation. Un recueil volumineux et un travail gigantesque. Voir :
F. Labrosse, R. Ouellet, S. Charbonneau et al. (1994). L’Atout . Manuel de ressources pour l’action communautaire, La Table ronde des OVEP de l’Estrie, 434 p.
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Quelle que soit la forme choisie – scénarisation originale et recours à des comédiens professionnels ou montage d’épisodes marquants de la vie du groupe –, la vidéo constitue un excellent outil de promotion et d’éducation populaire lors de rencontres d’information, à l’occasion de sessions de formation ou pour animer un kiosque. On oublie souvent de mentionner à quel point la vidéo s’avère aussi un outil pédagogique vivant et fort apprécié des étudiants dans le cadre de leur formation, tant au niveau collégial qu’universitaire, en permettant de mieux faire connaître le rôle des organismes communautaires comme levier de changement social.
EXEMPLES
DE VIDÉOS
LES BELLES INSOUMISES Le Centre-femmes d’aujourd’hui à Québec Cette vidéo vise à faire connaître le « Centre-femmes d’aujourd’hui » à travers le témoignage de cinq femmes actives au centre. On y présente les services et les activités du centre, l’histoire de sa mise sur pied, sa philosophie, quelques aspects de son fonctionnement ainsi que le cheminement de certaines femmes à travers leur participation. Voir : Les belles insoumises (1995). Le Centre-femmes d’aujourd’hui. Réalisation : J. Fournier, Vidéo-Femmes, 26 min.
F
LES CHAUDRONS QUI CHANTENT Le Regroupement des cuisines collectives du Québec Avec cette vidéo, le spectateur se retrouve dans la cuisine d’un logement où cinq participants, femmes et homme, s’affairent à planifier et à cuisiner leur repas. Tour à tour, les participants choisiront leur menu, planifieront et effectueront leurs achats, cuisineront leur repas, échangeront des informations et partageront les plats. D’autres aspects du fonctionnement des cuisines collectives sont aussi abordés, tels que les règles d’hygiène, le gardiennage et le calcul du coût des repas. Les personnes intéressées à participer à une cuisine collective ou encore à en créer une sont invitées à communiquer avec le Regroupement des cuisines collectives du Québec. Voir :
Les chaudrons qui chantent (1992). Le Regroupement des cuisines collectives du Québec et S. Valiani, 15 min.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
Pour sa réalisation, la technologie de la vidéo étant relativement accessible, il est possible à un nombre important de groupes de produire des « documents maison » tout à fait acceptables. Si le groupe souhaite obtenir un document vidéo de facture plus professionnelle, il peut faire appel à des groupes d’éducation populaire qui offrent un service de production audiovisuelle3 ou à des organismes spécialisés ayant déjà à leur actif une histoire de collaboration avec les groupes populaires et communautaires4. Il faut compter entre 1000 $ et 1500 $ la minute pour la production d’une vidéo réalisée par une équipe de professionnels. Signalons que certains de ces organismes peuvent aider le groupe à trouver le financement nécessaire à la production de leur vidéo.
2.1.13. Moyens complémentaires La liste des moyens que nous venons de décrire n’est certes pas exhaustive et les groupes pourront la compléter à leur guise, en tenant compte de leurs objectifs et de leurs ressources et, bien sûr, en faisant appel à leur créativité. Parmi les moyens complémentaires que certains groupes peuvent utiliser pour compléter leur stratégie de communication, mentionnons les journées portes ouvertes, où la population est conviée à visiter les locaux de l’organisme, à rencontrer sa permanence et ses membres et à avoir un aperçu des services et activités offerts par le groupe. S’ajoutent aussi les conférences, exposés et causeries qu’effectuent les groupes dans les clubs sociaux et diverses autres associations. Dans la région métropolitaine, certains groupes communautaires ont déjà utilisé la publicité payée faite au moyen de panneaux publicitaires à l’intérieur ou à l’extérieur des autobus, et même dans le métro. En somme, qu’il s’agisse de moyens oraux, écrits ou audiovisuels, le groupe aura à faire un choix lui permettant d’obtenir le maximum d’efficacité selon le message et le public à qui il s’adresse. L’énergie à y consacrer et le coût de l’outil seront aussi des critères à considérer.
3.
4.
Mentionnons notamment le service de production audiovisuelle du Centre SaintPierre à Montréal qui a réalisé environ une quinzaine de vidéos pour divers groupes communautaires. Le Groupe d’intervention vidéo (GIV) à Montréal et Vidéo-Femmes à Québec sont au nombre de ceux-ci.
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2.2. LES MÉDIAS DE MASSE 2.2.1. Le rôle des médias de masse Les médias de masse sont des moyens de communication contrôlés par des intérêts publics ou privés. Malgré l’accessibilité plus réduite de ces médias, les organismes populaires et communautaires saisissent bien l’importance de les utiliser dans leur stratégie de communication. Certains groupes se plaignent cependant de rapports difficiles et insatisfaisants avec les médias : une conférence de presse non couverte, un traitement insatisfaisant, des questions qui visent à piéger ou à discréditer l’interlocuteur ne sont que quelques-unes des « mésaventures » que vivent les groupes dans leurs rapports avec les médias. En revanche, d’autres groupes qui les utilisent abondamment sont très satisfaits et les jugent essentiels pour accomplir leur mission, rendre leur travail visible et obtenir gain de cause dans leurs revendications. Ils vont même jusqu’à affirmer que les médias remplacent les grands mouvements de masse pour créer un rapport de force avec l’adversaire et donner plus de poids à leurs revendications. Les permanents de ces groupes insistent sur l’attitude positive à adopter à l’égard des journalistes, par exemple ne pas tenir pour acquis dès le départ que ces derniers vont mal interpréter leurs propos ou leurs idées. Cela se traduirait aussi par l’acceptation que les rapports de confiance et de collaboration avec les journalistes ou les recherchistes exigent qu’on réponde volontiers à leurs questions, même si le temps qu’on y consacre ne « rapporte » rien à court terme. Cependant, tout en reconnaissant l’influence considérable des médias de masse sur l’opinion publique et sur les décideurs, on doit dénoncer l’existence de certains pièges qui vont à l’encontre des valeurs fondamentales propres aux pratiques d’action communautaire. L’un de ces pièges consiste à confondre stratégie de communication et stratégie d’action, au sens où l’utilisation des médias de masse se substitue presque entièrement à une action collective qui donne aux personnes concernées le pouvoir de décider d’un plan d’action, de participer à l’élaboration et à la réalisation de moyens d’action et de faire l’évaluation des résultats. Si le sens des pratiques d’action communautaire est justement d’élargir l’espace démocratique favorisant la responsabilisation (empowerment) des personnes à qui échappe la possibilité de se faire entendre, il serait
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paradoxal de voir certains permanents de groupes communautaires s’exprimer au nom et surtout sans la participation des premiers intéressés. Un autre piège dans lequel il est facile de tomber est celui qui consiste à confier de façon exclusive à un représentant la responsabilité des contacts avec les médias. Cette personne, si bonne communicatrice soit-elle, risque malgré elle de devenir la « vedette » du groupe, réduisant du même coup la possibilité de faire entendre la parole des membres du groupe, en dépit d’une mobilisation réelle des personnes concernées. Le même piège peut aussi jouer dans le cas des groupes qui ont recours à un porteparole unique pour faire la promotion de leur organisme. S’il est vrai de dire que les journalistes contribuent à la construction d’un tel phénomène, en préférant s’adresser à une personne « médiatique », de la même classe sociale et de la même culture qu’eux, il appartient aux groupes de favoriser une vision moins étriquée du fonctionnement démocratique. Mais il est bien sûr possible d’utiliser efficacement les médias de masse à l’intérieur d’une stratégie de communication, tout en ayant une véritable stratégie d’action. Pour ce faire, une connaissance minimale de leur fonctionnement et un apprentissage du savoir-faire nécessaire pour les utiliser constituent les ingrédients de base d’une réussite. S’ajoutera progressivement l’établissement de rapports de confiance et de respect mutuel avec les journalistes et les recherchistes.
2.2.2. La presse écrite La presse écrite peut se diviser en trois grandes catégories : les quotidiens ; les journaux hebdomadaires ; les magazines, périodiques et journaux spécialisés. Pour élaborer leur stratégie de communication, les groupes font surtout appel aux quotidiens et aux hebdomadaires.
Les quotidiens En ce qui concerne d’abord les quotidiens, les groupes communautaires doivent être conscients que les questions sociales les intéressent assez peu. Certains quotidiens accordent la priorité au sport et aux faits divers, alors que d’autres vont plutôt privilégier les événements politiques et les questions d’ordre économique.
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Chaque quotidien se dote en fait d’une politique d’information plus ou moins officialisée, à partir de laquelle la direction décide de l’importance qui est accordée à chaque secteur d’information. Tous les quotidiens sont aussi orientés par une conception idéologique qui s’affirmera dans les pages éditoriales. Au Québec, on peut affirmer que la position idéologique dominante est le néolibéralisme5. À l’occasion de certains événements importants, tels que référendums, élections, choix déterminants, cette ligne idéologique se manifestera avec force, étant parfois exprimée directement par le propriétaire du journal. Il existe une tendance actuelle dans les quotidiens les plus importants à critiquer l’action des « groupes de pression » à vocation sociale. Cette tendance est le produit du virage à droite de nos sociétés. Ainsi, les personnes assistées sociales et sans travail sont plus que jamais pointées du doigt, alors que le féminisme continue d’avoir du mal à se faire entendre. Par contre, les banques alimentaires et les différents groupes offrant des services axés sur le dépannage maintiennent leur cote. Malgré ces limites importantes, le travail des groupes populaires et communautaires prouve qu’il est possible d’attirer l’attention des quotidiens à condition d’avoir un fait nouveau à leur offrir (ou une nouvelle manière de le traiter) et de toucher et intéresser un vaste public. La façon de présenter l’information compte aussi pour beaucoup. Les groupes ont intérêt à trouver des moyens originaux de faire passer leur message. Certains disent qu’il faut savoir « jouer le jeu » des médias et créer des événements médiatiques. D’autres affirment que ce sont surtout les résultats d’enquêtesterrain ou des témoignages de personnes ayant vécu une situation d’injustice qui ont du poids auprès des médias.
Les hebdomadaires Pour leur part, les hebdomadaires constituent, pour les groupes qui exercent une action à caractère local ou régional, un partenaire important dans le cadre de leur stratégie de communication. Les
5.
Le libéralisme est l’idéologie qui repose sur l’affirmation de la nécessité de ne pas entraver, contrôler ou réguler la liberté de commerce des entreprises et « les lois du marché ». Dans le domaine social, l’idéologie libérale préconise une réduction massive du rôle de l’État au profit de l’entreprise privée et des ressources communautaires bénévoles. Elle favorise aussi une attitude plus coercitive à l’égard des personnes qui n’occupent pas un emploi.
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hebdos locaux ou régionaux sont en effet beaucoup plus près des réalités sociales, économiques et politiques qui touchent les territoires qu’ils desservent. Ayant une masse d’informations beaucoup moins grande à traiter, étant dotés d’une équipe de journalistes qui résident bien souvent dans la localité et sont connus par les membres actifs de cette communauté, ils sont par conséquent plus faciles d’accès. Comme la majorité des hebdos sont distribués gratuitement, leur pénétration est aussi très grande. Les groupes peuvent donc facilement les utiliser pour se faire connaître, publiciser leurs services et leurs activités, et ce, au moyen de simples communiqués de presse. Les hebdomadaires se révèlent aussi très efficaces quand vient le temps de donner du poids aux revendications des groupes, car les élus et autres décideurs locaux ne souhaitent pas voir leur image ternie auprès des citoyens de leur communauté. Les groupes peuvent même négocier la responsabilité d’une chronique régulière, par exemple la chronique aux aînés ou encore une chronique en consommation. En conservant les articles écrits à leur sujet, les groupes se constituent des dossiers de presse qui pourront être utilisés au moment de négociations avec des décideurs et pour la formulation de demandes de subvention. Les centres de femmes du Québec, par exemple, ont systématiquement fait parvenir leur dossier de presse au cabinet du ministre québécois de la Santé et des Services sociaux durant leur campagne de visibilité en 1991-1992. Les centres de femmes ont ainsi pu démontrer au ministre responsable l’importance de leur rôle social au sein de leur communauté. Cette démonstration était essentielle pour l’obtention d’un plan triennal de financement. Malgré ces atouts, il ne faut quand même pas croire que les hebdos sont au service des groupes communautaires. Dans certaines localités, les élus et autres décideurs savent très bien tirer les ficelles et mettre en évidence leurs « bons coups » et leurs idées. Par ailleurs, les petits potins, les activités de loisir, le sport et surtout la publicité tiennent aussi une place importante dans ce type de média.
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2.2.3. La presse électronique Plus que les médias écrits, la presse électronique, particulièrement la télévision, jouit d’une influence considérable auprès de la population. La plupart des groupes s’entendent en effet pour souligner à quel point la reconnaissance de l’importance de leur travail et du poids de leurs revendications passe très souvent par le traitement qu’en feront la radio et la télévision.
La radio La radio offre aux groupes diverses possibilités d’utilisation. F Le bulletin de nouvelles, où le message aura l’avantage
d’être répété plusieurs fois dans la même journée, à la suite d’une conférence de presse, d’une entrevue ou de l’envoi d’un communiqué de presse. F L’émission d’affaires publiques, où certains groupes sont
invités à venir parler plus longuement des résultats de leurs enquêtes, à réagir à une question d’actualité ou à faire part de leurs revendications et des solutions qu’ils envisagent. Pour participer à de telles émissions, les personnes qui représentent le groupe doivent posséder une excellente connaissance du dossier traité, un esprit de synthèse et des habiletés certaines en communication. La personne qui accepte une telle invitation doit très bien maîtriser son sujet et être prête à affronter des questions sur des sujets controversés. F L’émission de lignes ouvertes, où le représentant d’un
groupe peut intervenir à titre d’invité qui possède une expertise et un point de vue particulier sur un dossier d’actualité. Dans l’éventualité où le groupe connaîtrait suffisamment longtemps à l’avance la date et l’heure d’une émission sur un sujet qui le concerne, les permanents et les membres d’un groupe peuvent aussi appeler en ondes pour donner leur point de vue. Une chaîne téléphonique peut même s’organiser pour donner encore plus de poids au point de vue ou aux revendications du groupe, à condition bien sûr de veiller à ne pas miner la crédibilité du groupe par des propos qui sont trop répétitifs ou qui ont des allures de « clichés ».
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
F La publicité, en utilisant les périodes de services d’annon-
ces gratuites mises à la disposition de la communauté. La radio se prête aussi à certaines initiatives fort intéressantes, par exemple une programmation communautaire négociée avec une radio privée afin de mettre en valeur le travail des organismes communautaires et sensibiliser la population à des questions sociales6, ou encore la mise en ondes d’une émission animée par des membres d’un organisme communautaire. Ainsi, un permanent d’une association de consommateurs peut très bien animer une chronique radiophonique hebdomadaire à l’intérieur d’une émission portant sur la consommation. Il ne fait aucun doute qu’une telle régularité aura un effet plus marqué sur l’opinion publique. En conclusion, rappelons que les avantages de la radio sont la répétition possible du message ainsi que la possibilité pour les groupes de pouvoir réagir rapidement à un événement, en sollicitant par exemple une entrevue par téléphone.
La télévision Si l’affirmation voulant qu’un dossier gagne en importance dès qu’il est traité par les médias est juste, elle l’est d’autant plus lorsqu’il s’agit de la télévision. Le journal télévisé est devenu un moyen privilégié par lequel la population s’informe sur l’actualité et façonne son opinion. Cela dit, il faut reconnaître que la puissance médiatique du petit écran est une arme à double tranchant. Nous découvrons chaque jour que l’effet spectaculaire de la télévision entraîne aussi quelques effets pervers, notamment une certaine banalisation des problèmes. La télévision n’est cependant pas un média facile d’accès. Si l’on se reporte à une étude effectuée par le Centre de formation populaire7, 1,4 % des événements dont on parle au journal télévisé concernent les groupes populaires contre 49 % pour la politique
6. 7.
R. Cadrin (1993). « Une programmation de radio communautaire dans une radio… privée », Intéraction communautaire communautaire, no 28, hiver 1993-1994, p. 33. M. Viau, en collaboration avec B. Vallée. Op. cit., p. 16.
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nationale et fédérale. Cette disproportion s’explique, d’une part, par la politique d’information des différents réseaux de télévision, mais aussi par les exigences particulières de ce type de média. On sait que, pour qu’un événement devienne une nouvelle d’actualité, il doit présenter un fait nouveau et toucher et intéresser un vaste public. Dans le cas de la télévision, il doit aussi contenir un aspect visuel. La télévision aime les images « parlantes » et « accrochantes » qui vont frapper le spectateur. La capacité de créer un événement médiatique ou de trouver une manière originale et visuelle de présenter une information attirera donc plus facilement les équipes de télévision. Les groupes doivent tout de même être prudents à ce jeu de crainte de nuire à leur crédibilité et de perdre la confiance des personnes qu’ils représentent et celle des autres groupes et organismes qui les appuient. De même, lorsqu’il s’agit d’entrevues télévisées, les journalistes préfèrent les personnes qui « passent bien » à l’écran, qui savent dire les choses simplement, clairement et rapidement. Certains groupes acceptent cette « règle du jeu » et confient à un permanent la responsabilité des contacts avec les médias, même si cela conduit parfois à la fabrication d’une personnalité publique qui symbolisera trop fortement et trop exclusivement l’organisme. Car s’il peut être intéressant qu’émergent certains leaders au sein du mouvement communautaire, il serait par contre dommage que ces personnes nuisent à l’idée que l’opinion publique et les décideurs se font de la vie démocratique au sein de l’organisme. Voilà pourquoi d’autres groupes refusent une telle pratique et préfèrent donner le plus souvent possible la parole aux membres de leur organisation en prenant soin de leur transmettre les habiletés de base nécessaires. Cette attitude leur semble plus conforme aux objectifs généraux des groupes communautaires autonomes et plus en accord avec les valeurs portées par l’action communautaire. D’autres facteurs entrent en ligne de compte lorsque les groupes souhaitent utiliser la télévision. Comme dans le cas des autres médias, les liens de confiance déjà établis et les contacts privilégiés avec certains journalistes ou responsables de la salle de nouvelles vont influencer la participation de ces derniers à une conférence de presse. L’endroit où se déroule l’événement est aussi un autre facteur déterminant. Un dossier qui touche une nouvelle urbaine dans la région de Montréal a bien des chances d’intéresser
332
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
le réseau Quatre-Saisons, car un tel événement coïncide avec la politique d’information de ce réseau. Par ailleurs, un campement sur la colline du Parlement à Ottawa organisé par un regroupement d’organismes communautaires peut soulever l’intérêt de la station d’État qu’est Radio-Canada. À l’inverse, un événement qui a une portée strictement locale, dans une région éloignée des grands centres, risque fort de ne faire se déplacer aucun réseau télévisé majeur et de n’être couvert que par les médias régionaux ou locaux.
2.3. LES MÉDIAS COMMUNAUTAIRES Les médias communautaires, parfois qualifiés d’alternatifs ou de parallèles, constituent en quelque sorte la troisième voie du système médiatique, auprès des sociétés d’État ou des sociétés commerciales. Ils sont issus de la mouvance communautaire avec laquelle ils partagent d’ailleurs plusieurs valeurs et objectifs. Les médias communautaires sont nés du désir de démocratiser et de démystifier l’information8. Les médias communautaires portent aussi souvent le projet de s’inscrire à contre-courant de l’idéologie dominante, tant en matière de communication que par le regard qu’ils posent sur la société. Ainsi, la plupart d’entre eux réalisent un type de programmation que les réseaux privés et étatiques présentent rarement. Ils sont innovateurs et atteignent souvent un niveau de compétence que pourraient leur envier leurs collègues des médias de masse. À titre d’exemple, mentionnons l’émission de radio « Les souverains anonymes », réalisée par la station CIBL dans un centre de détention. La présence des réseaux médiatiques communautaires est relativement forte au Québec. Les médias communautaires sont présents dans la presse écrite par l’entremise des journaux communautaires, parmi lesquels on constate par ailleurs une augmentation du nombre de journaux ethniques. Leur présence se fait aussi remarquer dans la presse électronique, où l’on trouve des stations de radio communautaire et des câblodistributeurs qui mettent un canal télévisé à la disposition de la communauté.
8.
Y. Saint-Onge (1986). Pistes d’accès aux médias communautaires, Montréal, Centre Saint-Pierre, p. 9.
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Les médias communautaires sont des ressources utiles, d’une part pour faire connaître l’existence d’un groupe et annoncer des activités ou alerter l’opinion publique et, d’autre part, comme outil de formation à la communication. Certains groupes n’utilisent les médias communautaires que pour l’information et la sensibilisation, au même titre que les médias de masse. Ces groupes sont conscients que leur impact est moindre, mais ils acceptent volontiers de participer à des émissions, envoient des communiqués de presse et convoquent les médias communautaires de leur région à leur conférence de presse. Selon ces groupes, la participation à des émissions de radio ou de télévision communautaires constitue une bonne façon de s’initier au fonctionnement des médias et contribue à l’apprentissage des techniques d’utilisation des médias. Enfin, d’autres groupes vont souhaiter à la fois informer et s’engager dans la réalisation de leur communication. Cette action entraînera les participants dans un processus de changement, de prise de conscience, d’apprentissage du travail en équipe, de développement de la créativité et, bien sûr, de démystification de l’univers des médias. Un autre avantage, et non le moindre, est la possibilité d’obtenir un produit qui pourra demeurer par la suite un instrument d’information et d’animation pour le groupe dans le cadre d’autres actions visant la sensibilisation ou la mobilisation.
2.3.1. Les journaux communautaires Bien que l’on déplore la disparition d’importants journaux communautaires dans la région de Montréal, comme La Criée dans le quartier Centre-Sud, les derniers chiffres de l’Association des médias communautaires écrits du Québec montrent une augmentation du nombre de ces publications. L’impact des journaux communautaires au cours des dernières années a été tel que bien des hebdomadaires de quartier qui auparavant se contentaient de rapporter les faits et gestes des élus, des clubs sociaux et des associations sportives, se sont lancés dans la quête d’une information plus critique et ont ouvert leurs pages aux organismes communautaires. À l’instar des autres médias communautaires, le journal communautaire est davantage l’instrument des groupes locaux qui sont invités à participer à la définition de son orientation, à sa gestion et à sa réalisation. On trouvera dans l’ouvrage Pratiques de conscientisation une analyse intéressante de l’expérience d’engagement
334
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et de formation d’un groupe de militants dans la production et la vie interne du journal Droit de parole, à Québec9.
2.3.2. La radio communautaire La radio communautaire rejoint, selon Saint-Onge10, un auditoire précis, exception faite des radios diffusant dans des régions éloignées, qui jouent un rôle plus important en répondant aux besoins de toute la communauté locale. Le public aurait entre 20 et 35 ans, il serait plus scolarisé et se retrouverait, en plus grande proportion, sans emploi. Tout comme pour les émissions de télévision communautaire, il est possible pour les groupes de monter une émission de radio ou d’y participer.
2.3.3. La télévision communautaire La télévision communautaire est probablement le média communautaire le plus difficile à utiliser, c’est-à-dire le moyen le plus complexe et le plus exigeant pour rejoindre adéquatement un auditoire donné. Elle ne réussit en effet à capter qu’un auditoire restreint en raison des habitudes des gens, qui regardent plus volontiers une des chaînes commerciales ou publiques. Cela dit, la télévision communautaire peut être fort utile comme complément à une démarche éducative et s’avérer un excellent moyen d’apprentissage de la technique télévisuelle pour les membres d’un groupe. Il sera également moins stressant pour les membres d’un organisme de s’initier à des techniques d’utilisation des médias, telles que l’entrevue, en participant à des émissions produites par la télévision communautaire.
9. C. Larose (1983). Prendre le droit de parole, dans G. Ampleman, G. Doré, L. Gendreau et al., Pratiques de conscientisation, Montréal, Nouvelle Optique, p. 131-153. 10. Y. Saint-Onge. Op. cit., p. 16.
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3.
335
LES PRINCIPALES TECHNIQUES D’UTILISATION DES MÉDIAS DE MASSE L’importance de la formation Non seulement l’utilisation des médias de masse se planifie au moyen d’une stratégie de communication, mais c’est aussi quelque chose qui s’apprend par l’apprentissage des techniques d’utilisation des médias de masse. On peut d’abord consulter des guides pratiques et des manuels conçus spécifiquement à l’intention des personnes qui travaillent ou militent dans les organismes communautaires11. Des sessions de formation sont également offertes par certains organismes communautaires, comme le Centre Saint-Pierre à Montréal. Quelques établissements d’enseignement collégial et universitaire proposent aussi des cours dans le domaine des communications à l’intérieur d’une formation en action communautaire. Ces cours se donnent soit dans le cadre d’un certificat en organisation communautaire au niveau universitaire, soit dans le cadre d’une attestation en action communautaire au niveau collégial. Enfin, il ne faut pas hésiter à faire appel à la compétence de personnes-ressources, qui appartiennent tant aux milieux médiatiques qu’à celui des relations publiques. Parmi les nombreuses personnes sympathiques à l’action menée par des groupes communautaires, il serait très étonnant qu’il ne s’en trouve pas une qui soit disposée à aider.
Quelques techniques à apprendre De façon générale, les principales techniques d’utilisation des médias avec lesquelles il est utile de se familiariser sont les suivantes. F L’écriture journalistique et les règles de présentation
d’un communiqué de presse. Ces habiletés sont un atout
11.
Mentionnons le guide écrit par Mireille Viau et Bernard Vallée, revu et augmenté par Pierre Valois, Les médias et nos organisations : guide d’utilisation pour les groupes populaires, Centre de formation populaire, 1993, 63 p. D’autres organismes, tels que les syndicats (la FTQ), et certains organismes journalistiques, comme le Cercle de presse de la Rive-Sud et le Cercle de presse Lefrançois à Sept-Îles, publient aussi de tels guides. On retrouve aussi du côté des maisons d’édition – Saint-Martin, Libre Expression, VLB et les Éditions de l’Homme – des ouvrages portant sur le même sujet.
336
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
majeur pour les groupes qui font parvenir des communiqués de presse pour faire connaître leurs activités, leurs opinions ou leurs revendications. F La lettre d’opinion. Grâce à la fonction de ses signataires
et à la rigueur de son contenu, la lettre d’opinion occupe une place importante dans la presse écrite, souvent près de la page éditoriale. De plus en plus utilisée par les intellectuels et les leaders d’organismes communautaires, elle constitue un moyen privilégié pour les individus et les groupes qui veulent alimenter un débat public et obtenir une certaine visibilité. Les auteurs de lettres d’opinion profitent souvent de la liberté que procure ce moyen pour adopter un style pamphlétaire. F L’entrevue. Chez certains groupes les sollicitations sont
nombreuses, soit à la suite d’une conférence de presse, soit à la demande d’un journaliste pour réagir à un événement. Pour qu’une entrevue soit réussie, il faut non seulement que le porte-parole d’un groupe possède à fond son dossier, mais aussi qu’il soit capable de s’exprimer clairement, simplement et de manière concise. Durant une entrevue, il faut aussi rester soi-même. Un certain charisme et un petit côté passionné ne sont pas pour nuire, mais ce sont là des choses qui ne s’apprennent pas… F Enfin, la planification, l’organisation et la tenue d’une
conférence de presse sont un autre apprentissage non négligeable. Dans cette perspective, les habiletés déjà acquises sur le plan de l’écriture journalistique et de l’entrevue sont essentielles. Mais s’y ajoutent des connaissances et un savoir-faire particuliers en ce qui regarde les contacts avec les médias, l’animation du déroulement de l’événement, la réalisation d’une pochette de presse et l’aménagement de la salle. À ces diverses techniques et à ces moyens de recourir aux médias de masse s’en ajoutent d’autres, moins fréquemment utilisés, notamment la participation à une ligne ouverte à titre de personne invitée et la présence à une émission d’affaires publiques à la télévision. Tout comme pour les autres moyens, chacune de ces techniques d’intervention requiert certaines connaissances, une préparation et une expérience variables selon le moyen choisi.
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337
CONCLUSION Dans ce chapitre, nous avons fait ressortir l’importance d’une stratégie de communication à l’intérieur de la stratégie globale d’action des groupes populaires et communautaires. La communication vient en effet soutenir l’action des groupes à bien des égards, d’abord en leur permettant de mieux se faire connaître ; en informant la communauté et en la sensibilisant aux problèmes sociaux qui la concernent ; en donnant plus de poids aux revendications des groupes et en facilitant leurs efforts sur le plan de la mobilisation. Nous avons aussi voulu insister sur le fait que le choix, et surtout l’utilisation, d’un moyen de communication ne doit pas s’effectuer en dehors d’une réflexion plus globale, soit la réponse aux questions sous-jacentes à l’élaboration d’une stratégie de communication, et plus particulièrement : quel est notre message et à qui s’adresse-t-il ? La réponse à ces deux questions préalables ne pourra qu’accroître l’impact et l’efficacité du ou des moyens choisis. Enfin, l’élaboration d’une stratégie de communication peut rarement négliger l’utilisation des médias de masse. À cet égard, malgré les limites et les contraintes importantes inhérentes au rôle que ceux-ci jouent dans la société (véhicule de transmission de l’idéologie dominante, intérêts économiques et parti pris politique, etc.) et malgré leur difficulté d’utilisation (techniques d’utilisation à maîtriser), nous estimons que les groupes populaires et communautaires ont tout intérêt à mieux comprendre leur fonctionnement et à connaître les techniques d’utilisation qui s’y rattachent. Les avantages à bien s’en servir l’emportent en effet manifestement sur les inconvénients.
338
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE CHARBONNEAU, S. (1994). « Relations publiques », dans L’Atout. Manuel de ressources pour l’action communautaire, TROVEPEstrie, cahier no 3, 49 p. COLLECTIF (1983). Guide d’usage des médias, Jonquière, Les Productions Carouges. COLLECTIF (1983). Guide d’utilisation des médias, Gouvernement du Québec, ministère des Communications, 52 p. COLLECTIF (1989). Guide à la production d’un dépliant-maison, Communication-Québec, 99 p. CONSEIL DU STATUT DE LA FEMME (1980). Les femmes et les médias, 55 p. DUBÉ, D. (1984). L’ABC publicitaire d’un organisme bénévole, Fédération des centres d’action bénévole du Québec, Montréal, 50 p. IFE, J. (1995). Community Development, Sydney, Longman. IFE, J. (2000). « Localized Needs and a Globalized Economy : Bridging the Gap with Social Work Practice », Canadian Social Work, vol. 2, no 1, p. 50-64. La version française est aussi disponible dans les numéros spéciaux de la Revue canadienne de service social, « Le travailleur social » et « Intervention », été. KLECK, V. (1996). L’appopriation technique, enjeu pour une nouvelle citoyenneté. SAINT-ONGE, Y. (1986). Pistes d’accès aux médias communautaires, Montréal, Centre Saint-Pierre, 61 p. SERINET, P.-Y. (1999). « Action sociale et Internet : mariage de raisons ? », entrevue CommInfo, vol. 2, no 1, nov. VIAU, M., en collaboration avec B. VALLÉE. Revu et augmenté par P. VALOIS (1993). Les médias et nos organisations, Montréal, Centre de formation populaire, 3e éd., 63 p.
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WEBOGRAPHIE SÉLECTIVE (Sites consultés le 26 avril 2002) ASSOCIATION FOR COMMUNITY ORGANIZATION AND SOCIAL ADMINISTRATION/ACOSA Cette association américaine d’organisation communautaire s’ouvre de plus en plus à l’international. Le site contient plusieurs documents intéressants sur tous les aspects de l’action communautaire et plusieurs liens donnant accès à des outils pratiques et de formation. CARREFOUR DES ORGANISMES COMMUNAUTAIRES Le Carrefour des organismes communautaires et bénévoles informe sur tout ce qui se passe dans l’univers du communautaire. CENTRE DE FORMATION POPULAIRE Des informations sur les formations, les documents offerts par le CFP et des documents de réflexion utiles tant sur l’intervention que sur la conjoncture. Plusieurs liens vers des sites internationaux. COMITÉ AVISEUR À L’ACTION COMMUNAUTAIRE AUTONOME /CAACA Tout ce que l’on veut savoir sur l’état des travaux de mise en œuvre de la Politique de reconnaissance de l’action communautaire et sur tous les membres du comité. COMMUNAUTIQUE Tout sur l’utilisation des nouvelles technologies d’information et de communication (NTIC). Ce site vise à soutenir l’utilisation de NTIC, de même qu’à informer et à échanger entre organismes communautaires.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
LE CARREFOUR INTERNET DES GROUPES COMMUNAUTAIRES Tout pour aider à concevoir, créer ou héberger des sites. Offre aussi des listes de discussions, un carrefour et un répertoire d’organismes, des dossiers, un calendrier d’événements et des offres d’emploi. CONSEIL CANADIEN DE DÉVELOPPEMENT SOCIAL (CCDS) Tout sur les activités de recherche du Conseil touchant les politiques sociales, les indices de développement et la pauvreté, des rapports et des mémoires et, surtout, une véritable mine d’or de liens vers des banques de données. CONSEIL DE LA SANTÉ ET DU BIEN-ÊTRE (CSBE) Plusieurs documents du Conseil qui portent sur les grands enjeux du développement social et de la santé. FÉDÉRATION DES FEMMES DU QUÉBEC Tout sur la Marche mondiale des femmes LE TOUR D’Y VOIR Bulletin quotidien pour et sur le mouvement populaire et communautaire au Québec. Publie des informations et des textes sur la conjoncture politique et économique, ainsi que sur le développement communautaire. REGROUPEMENT QUÉBÉCOIS DES INTERVENANTES ET INTERVENANTS EN ACTION COMMUNAUTAIRE EN CLSC (RQIIAC) Beaucoup d’informations sur l’action communautaire en CLSC, le bulletin Interaction communautaire, de nombreux textes sur le RQIIAC et sur d’autres sujets intéressant l’action communautaire en général, de nombreux liens vers d’autres sites nationaux et internationaux. SECRÉTARIAT À L’ACTION COMMUNAUTAIRE AUTONOME (SACA) Les documents produits par le SACA qui touchent la Politique de reconnaissance.
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[email protected] La liste <
[email protected]> a été créée pour remplacer <
[email protected]> qui a cessé de fonctionner en février 2001. Cette liste compte environ 200 membres et fonctionne depuis quatre ans. Son rôle spécifique : mettre en lien des gestionnaires et des intervenants de CLSC ainsi que des « amis des CLSC », qui ont à cœur le développement de la mission CLSC. Contenu : offres d’emploi, outils de travail disponibles, vient de paraître, comptes rendus et annonces d’événements, etc. On va sur le site et on suit les consignes. On peut aussi taper <
[email protected]>.
[email protected] La liste réunit environ 130 personnes : des professeurs et des chercheurs en travail social, des « amis du travail social », etc. Contenu : infos sur des nouveautés en travail social notamment. On s’inscrit à <
[email protected]>, et ce, dans le corps du texte (et non dans le sujet ou l’objet) subtravsoc (suivi de votre prénom et de votre nom).
[email protected] La liste réunit surtout des intervenants communautaires de CLSC, mais elle est ouverte à toute personne intéressée à l’action communautaire en CLSC. C’est très convivial. Pour s’inscrire, on va sur et, sous Listes de discussion, on inscrit son adresse de courriel dans le carré.
CHAPITRE
7
L’ORGANISATION
ET L’ANIMATION D’UNE RENCONTRE Jocelyne Lavoie Jean Panet-Raymond
PLAN DU CHAPITRE 7
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. La préparation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1. L’avis de convocation et le projet d’ordre du jour . . . . . . . . . 1.2. Le choix du lieu et l’aménagement du local . . . . . . . . . . . . . . 1.3. Les supports informatifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.4. Les services connexes et les activités de soutien à la vie du groupe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Le déroulement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1. L’accueil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. L’animation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.1. Les étapes d’une réunion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.2. Le rôle de l’animateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.3. Les techniques d’animation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.4. Les styles d’animation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.5. Les procédures d’assemblée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.6. Les rôles naturels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2.7. Quelques difficultés courantes en animation . . . . . . . . . 3. L’évaluation de fin de réunion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. Le suivi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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INTRODUCTION La vie d’un groupe est ponctuée de rencontres, de réunions et d’assemblées de toutes sortes. F Certaines de ces rencontres se rattachent à la vie associa-
tive du groupe et à son fonctionnement, par exemple les réunions d’équipe, les réunions du conseil d’administration ou les assemblées générales. F D’autres sont davantage liées aux activités qu’un groupe
offre à la communauté qu’il sert, par exemple les cafésrencontres, les sessions de formation, les activités spéciales (ex. : le 8 mars), les activités de financement, etc. F Il y a aussi les multiples rencontres et réunions portant
sur la réalisation d’un projet d’action collective. Selon le type de projet et l’étape où le groupe est rendu, les possibilités de rencontres seront nombreuses et variées. L’étape de sensibilisation et de mobilisation pourra, par exemple, nécessiter l’organisation d’une série d’assemblées publiques d’information, alors que l’étape de réalisation du plan d’action exigera plusieurs réunions en comités de travail ou en comités de coordination. F D’autres rencontres sont liées à la tenue d’événements
ponctuels qui visent à rassembler les personnes et les groupes partageant une préoccupation commune. Pensons, par exemple, à un colloque sur la violence chez les jeunes ou à un forum sur le développement social. F Enfin, avec la transformation du rôle de l’État, la régiona-
lisation et son impact sur les communautés locales, les groupes sont de plus en plus fréquemment appelés à se réunir en tables de concertation locale et régionale.
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L’ensemble de ces rencontres ou réunions sont autant d’activités importantes dans la vie d’un groupe ou d’une organisation. Elles sont l’occasion de mettre les idées des membres en commun, de se sensibiliser à une cause, de planifier et d’organiser le travail, d’obtenir des précisions et d’évaluer le travail accompli par chacun, etc. Sur le plan du processus, ces rencontres ou réunions offrent de belles possibilités d’apprentissage, car chaque membre développe son habileté à travailler dans un groupe de tâches, tout en respectant les valeurs de démocratie, d’entraide et de coopération propres à une pratique d’action communautaire. Voilà pourquoi les nombreuses réunions et rencontres qui ponctuent la vie d’un groupe doivent aussi être perçues comme des moyens privilégiés d’éducation populaire. Elles favoriseront une multitude d’apprentissages tant sur le plan technique qu’au niveau du travail en équipe. Dans ce sens, le processus suivi par le groupe est aussi important que l’atteinte des objectifs. De tels postulats permettent de mieux saisir l’importance de planifier et d’organiser avec soin chacune des rencontres et réunions inhérentes à la vie d’un groupe, de façon que les participants en retirent le maximum, tant sur le plan de la tâche à accomplir qu’en ce qui a trait à leur démarche d’éducation populaire. Voici pourquoi, et sans perdre de vue l’importance du processus et de la dynamique interne de la vie d’un groupe, le chapitre qui suit vise à présenter quelques-uns des outils et des moyens dont les groupes populaires et communautaires disposent pour organiser, animer et évaluer une rencontre. Il va de soi que, selon le type de rencontre, les objectifs poursuivis par le groupe et le nombre de personnes attendues, le groupe aura à choisir et à adapter les moyens qui lui semblent les plus appropriés.
1.
LA PRÉPARATION Est-il nécessaire de rappeler qu’une réunion ou une rencontre qui se déroule bien et de manière efficace doit souvent une grande part de sa réussite au soin accordé à sa préparation. Il va de soi que l’énergie et le temps qui y seront consacrés pourront varier considérablement suivant le type de rencontre et les ressources dont le groupe dispose.
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Ainsi, une réunion d’équipe ou de comité de travail, où tous les participants ont à peu près le même niveau de responsabilités et détiennent sensiblement la même part d’information, exigera une préparation relativement simple. Par contre, une assemblée générale, où tout doit être mis en œuvre pour à la fois mobiliser le plus grand nombre possible de membres et fournir tous les éléments d’information leur permettant d’avoir une discussion éclairée sur chacun des dossiers, commandera une préparation beaucoup plus poussée. Mais quelle que soit l’ampleur du travail à accomplir, voici quelques-uns des principaux aspects liés à la préparation d’une rencontre : F l’avis de convocation et le projet d’ordre du jour, F le choix du lieu et l’aménagement du local, F la conception et la préparation de supports informatifs, F l’organisation de services connexes et d’activités de soutien
à la vie du groupe.
1.1. L’AVIS DE CONVOCATION ET LE PROJET D’ORDRE DU JOUR L’avis de convocation et le projet d’ordre du jour L’avis de convocation sert à convoquer les membres d’un groupe à une rencontre où ils seront appelés à recevoir de l’information et à prendre des décisions. L’avis de convocation contient généralement les renseignements suivants : F le nom et les coordonnées du groupe qui convoque la
réunion, F la date, l’heure et le lieu de la réunion, F le type de réunion.
Seront joints à l’avis de convocation, le projet d’ordre du jour et le procès-verbal de la réunion précédente. Une copie de tous les
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documents ou informations qui permettront aux personnes convoquées de mieux participer aux débats et de prendre des décisions éclairées devrait aussi accompagner l’envoi. À cet égard, rappelons que le choix des informations qui sont jointes à l’avis de convocation et au projet d’ordre du jour n’est pas neutre. Il est en effet facile de faire en sorte que, sous des apparences démocratiques, seules quelques personnes soient en mesure de comprendre les enjeux d’un débat et de prendre des décisions. L’information doit donc être la plus complète et accessible possible et distribuée assez longtemps à l’avance, de manière à favoriser la participation de chacun. De façon que les participantes et les participants se préparent encore mieux, il peut aussi être utile de préciser, sur l’ordre du jour, quels points commandent une décision et lesquels relèvent plutôt de l’information. L’avis de convocation doit aussi respecter les règlements de régie interne touchant les délais et les modalités d’envoi. Par ailleurs, dans le cas où un quorum est requis pour ouvrir l’assemblée, il est bon de demander aux personnes de confirmer leur présence sur l’avis de convocation. Enfin, mentionnons qu’il peut être judicieux de procéder à un rappel téléphonique, car celui-ci constitue souvent un facteur décisif quant à la participation ou non de certaines personnes.
L’invitation L’invitation s’adresse à toute personne ou à tout groupe que l’on souhaite mobiliser pour participer à une activité qui les concerne, mais où le statut de membre n’est pas exigé. Dans le cas d’une invitation, on retrouvera à peu près les mêmes informations que celles qui accompagnent un avis de convocation. Cependant, le projet d’ordre du jour sera plutôt remplacé par une description de l’objet de la rencontre ou par un exemplaire du programme d’activités et un formulaire d’inscription. Lors de la tenue d’un événement qui fait appel à une participation populaire locale, le choix de la date doit faire l’objet d’une attention particulière. Ainsi, le groupe qui organise l’événement doit tenir compte du rythme de vie des citoyens de la communauté et de leurs autres occupations. Il doit en outre connaître les activités organisées par les autres groupes du milieu et ne pas négliger
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les réalités culturelles propres à la communauté à qui il s’adresse, comme l’organisation de fêtes populaires, d’événements sportifs, de foires agricoles, d’expositions, etc., qui suscitent l’intérêt de la population locale.
1.2. LE CHOIX DU LIEU ET L’AMÉNAGEMENT DU LOCAL Le choix du lieu Le choix du lieu se fera en fonction du nombre de personnes attendues et de certaines considérations pratiques comme l’accessibilité, le coût de la location, la sécurité et la tranquillité des lieux, le confort, de même qu’en fonction des services et de l’équipement disponibles. Le type de rencontre sera aussi un élément à considérer, puisqu’il est parfois préférable que certaines rencontres se déroulent en dehors du cadre habituel de travail, de manière à diminuer les sollicitations au travail et à offrir un environnement agréable qui facilite l’organisation d’activités de soutien à la vie du groupe.
L’aménagement du local L’aménagement des locaux où se déroulera la rencontre sera aussi soigneusement planifié. Selon la nature de la rencontre (réunion de prise de décision, réunion d’information, rencontre de formation, etc.) et le nombre de personnes attendues, les lieux seront aménagés pour favoriser le type de communication et de participation souhaité. Bien planifier l’aménagement des lieux n’est donc pas une précaution superflue, car un aménagement inadéquat risque d’avoir un effet négatif sur la participation et, par le fait même, sur l’exercice de la démocratie. Par exemple, une disposition en salle de classe pour une rencontre où l’on souhaite stimuler les échanges et la discussion ne convient guère. Par ailleurs, une pareille disposition pourra s’avérer adéquate lors d’une assemblée générale annuelle, du moins pour les points se rapportant à la lecture du rapport d’activités et du rapport financier. Enfin, la décoration devrait aussi faire l’objet d’une attention particulière. L’utilisation d’affiches, de photos ou de banderoles
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contribue notamment à personnaliser les lieux et à créer un sentiment d’appartenance. À cet effet, il peut être intéressant que le groupe se permette d’investir dans la confection d’une grande banderole portant son nom et son logo, celle-ci pouvant par la suite être réinstallée dans n’importe quel lieu où le groupe se réunit.
1.3. LES SUPPORTS INFORMATIFS Les intervenantes et intervenants communautaires savent qu’il est important de varier le choix des outils pédagogiques. Cela contribue à maintenir l’attention des participants et favorise une meilleure compréhension de l’information qui est transmise. Outre l’utilisation du traditionnel bloc-notes géant, plusieurs autres outils peuvent faciliter la transmission d’information et accroître les possibilités d’échange des connaissances entre les membres d’un groupe.
Les supports visuels et audiovisuels Plusieurs types de supports visuels peuvent être utilisés pour varier le contenu d’une présentation ou attirer l’attention sur les éléments importants : acétate, graphique, image, photo ou présentation « PowerPoint ». Une documentation écrite distribuée aux participantes et aux participants permet aussi de gagner du temps tout en offrant la possibilité de conserver l’information à titre de référence. Les supports audiovisuels permettent pour leur part d’alléger ou de rendre moins monotone une présentation orale. L’audiovisuel possède l’avantage de servir de déclencheur à un échange ou à une discussion. Rappelons qu’il est essentiel de visionner un document audiovisuel avant son utilisation. Ce visionnement permet non seulement de s’assurer que le document choisi est bien adapté aux objectifs poursuivis et aux personnes à qui il est destiné, mais aussi de mieux préparer l’animation qui suivra.
Les activités Les activités, particulièrement celles puisées dans les pratiques d’éducation populaire, peuvent favoriser la mise en valeur des expériences et des connaissances, la réflexion, l’échange et l’intégration des apprentissages lors de rencontres, réunions ou assemblées.
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Selon le contexte, il pourra s’agir de jeux, d’exercices, de mises en situation ou de structures coopératives comme façons d’organiser les interactions sociales dans le groupe. L’utilisation de telles activités contribue, en plus de favoriser la transmission d’information ou le développement d’habiletés, à transformer le rapport expert–participant. Les groupes qui interviennent avec une approche conscientisante ou féministe accordent un soin particulier à la conception ou à l’adaptation de telles stratégies et activités pédagogiques dans leur pratique d’éducation populaire.
Quelques autres idées La mise en scène d’une réalité à l’aide du théâtre, la présentation d’un monologue humoristique, le témoignage, la conférence ou le panel s’ajoutent aux supports et stratégies d’éducation populaire déjà présentés. Les groupes les utilisent d’ailleurs couramment pour ouvrir un colloque, un forum ou un congrès, de manière à stimuler la discussion lors du travail en atelier ou tout simplement pour varier la façon traditionnelle de présenter leur contenu.
1.4. LES SERVICES CONNEXES ET LES ACTIVITÉS DE SOUTIEN À LA VIE DU GROUPE Le succès d’une rencontre ne dépend pas uniquement du soin que l’on aura apporté à la planification du contenu et de l’animation. Il faut aussi favoriser l’installation d’un climat de travail chaleureux et faciliter le contact entre les gens. À cet effet, le choix et l’aménagement du local ne sont pas les seuls éléments qui contribuent à améliorer le climat de travail et à faciliter les relations entre les personnes. La mise en place de services connexes et d’activités de soutien à la vie du groupe sont aussi des atouts pour la réussite d’une rencontre.
Les services connexes Offrir un choix de boissons et une petite collation sera généralement la première chose à laquelle le groupe songera au moment d’organiser une rencontre. Dans le cas où un service de pause-café est offert, pourquoi ne pas en profiter pour offrir le café équitable
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et éviter d’utiliser les tasses en styromousse, et poser ainsi un geste de cohérence avec les valeurs de l’action communautaire. Selon le contexte et la durée de la rencontre, divers autres services pourraient s’avérer utiles, comme un service de halte-garderie pour les enfants, un service de covoiturage, le repas et l’hébergement.
Les activités de soutien à la vie du groupe Plus la période de temps passée en réunion sera longue, plus il sera opportun de prévoir une ou plusieurs activités de soutien à la vie du groupe. De telles activités aident à maintenir la cohésion et la qualité de la participation. Elles apportent des moments de détente, de joie, de rire et font vivre des heures agréables qui se transformeront en souvenirs chaleureux. Le choix de telles activités est varié et il se fera en tenant compte de certaines variables, dont l’âge des participantes et participants, leur milieu social, leurs capacités et champs d’intérêt, l’étape de développement du groupe ainsi que les ressources disponibles sur place. Parmi les activités que l’on retrouve le plus souvent, mentionnons les soirées socioculturelles, les sorties-découvertes à caractère historique ou patrimonial, les activités sportives ou de plein air, les jeux coopératifs, l’exposition, les 5 à 7, le petit déjeuner ou dîner-échange, et les spectacles avec des artistes locaux. Lors d’un même événement, le groupe pourra ainsi combiner diverses activités de soutien à la vie du groupe afin d’assurer une qualité de vie aux personnes présentes et harmoniser travail, plaisir et convivialité.
2.
LE DÉROULEMENT Qu’une rencontre soit décisionnelle, formelle et débouchant sur l’action, ou axée davantage sur l’échange informel et sans perspective d’action immédiate, son déroulement se développe toujours sensiblement dans le même ordre : accueil, animation, évaluation et suivi.
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2.1. L’ACCUEIL « Tout ce qui favorise un contact chaleureux au départ facilitera la participation active ensuite1. » Bien que cet énoncé semble relever de l’évidence, l’accueil des participants est malheureusement trop souvent négligé lors d’une rencontre ou d’une assemblée. Accueillir individuellement les personnes, les présenter à d’autres, leur indiquer où elles peuvent s’asseoir, où se trouvent certains services sont autant de façons de diminuer la gêne et de mettre les nouveaux participants à l’aise. Il ne faut pas oublier non plus l’utilité de remettre un porte-nom à chaque participant afin de faciliter les présentations entre les personnes. L’accueil devrait être fait par les membres de l’organisme hôte, non seulement parce qu’il s’agit là d’une politesse élémentaire et d’une marque de solidarité active, mais aussi parce que, de cette manière, cet organisme sera perçu favorablement par les personnes qui le connaissent peu ou pas. À l’occasion d’une activité plus importante, cette responsabilité sera assumée par un comité d’accueil. Ce comité sera chargé de diverses responsabilités, telles que l’inscription, les pochettes d’accueil, le kiosque d’information durant l’événement, l’évaluation, etc. Soit dit en passant, l’accueil, comme d’ailleurs bien d’autres tâches plus « invisibles », n’est pas une responsabilité « de femmes ». Il arrive encore malheureusement que la division du travail en fonction de l’appartenance sexuelle prévale, même dans des organismes communautaires autonomes. Un bon accueil passe aussi par une signalisation claire et bien visible. La personne qui a déjà arpenté corridors et escaliers dans l’espoir de trouver le local où se déroule une réunion comprendra aisément de quoi il s’agit. Il faut donc prévoir un balisage des lieux avec panneaux et flèches, indiquant le chemin à suivre jusqu’à l’endroit précis où se tient la rencontre.
1.
C. De Robertis et H. Pascal (1987). L’intervention collective en travail social : l’action auprès des groupes et des communautés, Paris, Le Centurion, 214 p.
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2.2. L’ANIMATION 2.2.1. Les étapes d’une réunion Afin de mieux introduire le contexte plus global dans lequel se situent le rôle de l’animateur et quelques-unes des compétences se rattachant à l’exercice de sa fonction, il serait d’abord utile de présenter certaines balises du cadre général dans lequel s’insère la démarche du groupe, soit les étapes d’une réunion. Il existe différentes façons de définir et de présenter les étapes d’une réunion. Selon l’objectif et le contenu de la réunion, on parlera tantôt des étapes du processus de résolution de problèmes, tantôt des étapes du processus de prise de décision ou des étapes du processus de résolution de conflits, et même des étapes du processus de créativité. Dans la majeure partie des cas, on se référera simplement à l’ordre du jour de la réunion, sans chercher à vérifier si les sujets discutés s’insèrent dans l’un ou l’autre des processus déjà énumérés. Cependant, l’animateur doit posséder une bonne connaissance de ces divers processus ainsi que de la manière dont ils peuvent aider un groupe à progresser vers l’atteinte de ses objectifs. L’aide au groupe dans la poursuite de ses objectifs fait aussi appel à diverses techniques, notamment les techniques d’animation, les techniques visant à stimuler la créativité, telles que le remueméninges ou le jeu de rôles, et les techniques visant à favoriser la réflexion ou la discussion, comme le tour de table et le travail en sous-groupes. Les étapes d’une réunion que nous présentons ici s’inspirent de celles suggérées par le Centre de formation populaire2. Elles ont l’avantage de renvoyer à un processus général de réunion qui permet de regrouper les divers processus énumérés plus haut en un tout cohérent et intégrateur. Ces étapes permettent aussi de suivre le déroulement d’une réunion qui comporte des sujets devant conduire à une prise de décision.
2.
Centre de formation populaire (1979). Le fonctionnement de nos organisations, Montréal, p. 30-31.
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1re étape : l’ouverture et l’adoption de l’ordre du jour L’ouverture d’une réunion est en quelque sorte le prolongement de l’accueil des participants avant que ne débute formellement la réunion. En effet, lorsque les participants ne se connaissent pas entre eux ou lorsque de nouveaux participants se joignent à un groupe, un soin important doit être apporté à l’ouverture de la réunion de manière à instaurer un climat de travail favorable à l’implication de tous. Selon l’objectif de la réunion, la taille et la composition du groupe, l’animateur pourra faire appel à diverses activités d’ouverture de réunion. Mentionnons notamment le tour de table, la présentation en dyade et l’interview . La clarification des objectifs de la réunion se fait ensuite par l’adoption de l’ordre du jour. C’est à partir du projet d’ordre du jour (qui doit leur être adressé avant la réunion) que les participantes et participants pourront s’approprier les objectifs de la rencontre en apportant les modifications nécessaires. À cet effet, l’animateur ou le président d’assemblée confirmera l’ordre de priorité des sujets auprès du groupe. Il vérifiera s’il y a des imprévus, confirmera le caractère réaliste de la durée de la réunion et du temps prévu pour chacun des sujets à l’ordre du jour et s’assurera que les personnes responsables des différents dossiers sont présentes. L’ordre du jour sera ensuite adopté par les participants qui, à partir de ce moment, auront la responsabilité de le respecter. Il arrive malheureusement que les ordres du jour soient trop chargés ou que l’ordre des sujets soit mal planifié. Cette situation, qui nuit considérablement à la qualité des réunions, traduit généralement un manque de planification ou un manque de réalisme. Il arrive aussi que l’on place un sujet plus litigieux en fin de réunion, ce qui a comme conséquence que les participants en traitent rapidement, sans soulever de véritable débat. Comme on peut le constater, l’adoption de l’ordre du jour est une étape importante en réunion et l’animateur doit, dès cette étape, favoriser un fonctionnement démocratique et efficace. L’adoption du procès-verbal de la réunion précédente, les suivis au procès-verbal ainsi que le choix d’un secrétaire et d’un animateur ou d’un président d’assemblée font aussi partie de cette première étape de la réunion.
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2e étape : l’information et la discussion Chaque sujet à l’ordre du jour doit être présenté de façon que tous les participantes et participants comprennent clairement de quoi il s’agit. Même si cela relève de l’évidence, le groupe doit fournir à cette fin les informations de base nécessaires pour débattre intelligemment des sujets de la réunion. Mentionnons que le fait de remettre ces informations seulement en début de réunion est une pratique qui peut nuire à la démocratie. Au besoin, une période de temps sera allouée aux questions de clarification, de manière à s’assurer que le sujet et les enjeux qui y sont rattachés sont bien compris. Il arrive aussi que certains sujets ne sont apportés à l’ordre du jour que pour information, aucune décision ne devant être prise relativement à ce sujet. Pour les points à l’ordre du jour qui nécessitent une prise de décision, une fois la période d’information terminée, le rôle de l’animateur sera de favoriser la discussion et l’échange de vues, de façon que chacun des participants exprime ses idées, ses propositions et ses opinions. À ce stade, l’animateur pourra avoir recours à des techniques favorisant la créativité, comme le remueméninges, pour stimuler l’émergence d’idées nouvelles, et de méthodes qui donnent la possibilité à tous de s’exprimer : tour de table, période de travail en sous-groupes, etc. L’animateur favorise également l’évolution des débats en établissant des liens entre les interventions, en réalisant des synthèses et en notant les éléments de solution qui se dessinent. Selon le type de réunion, ces éléments de solution pourront prendre la forme de propositions. L’animateur refrénera certaines dérives et la tentation que pourraient avoir certains de monopoliser le débat. Il évitera les dialogues et stimulera la participation, tout en respectant ceux qui ne sentent pas le besoin d’intervenir. Comme on peut le constater, l’animation d’une réunion relève certes de la technique, mais aussi de l’art.
3e étape : la prise de décision Lorsque tous les aspects d’une question semblent avoir été examinés, l’animateur conduit le groupe vers une décision. Il peut être utile de rappeler de nouveau les objectifs recherchés, ou la nature du problème auquel le groupe doit faire face, avant de résumer les diverses positions qui ont été exprimées. Le groupe aura maintenant à se prononcer sur les diverses hypothèses de
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solution qui pourront avoir été amenées sous forme de propositions. Certains compromis seront peut-être nécessaires, et ils pourront être introduits par la formulation d’amendements et de sousamendements à la proposition principale. Même s’il ne faut pas s’enfermer dans cette obligation, il est préférable qu’une décision fasse l’objet d’un consensus. Cela stimule la cohésion dans le groupe et favorise la solidarité et l’engagement des participants. La décision majoritaire demeure cependant le mode de prise de décision normalement accepté. L’animateur veille alors à ce qu’il n’y ait pas d’intimidation de la part de certains membres, et il doit rappeler qu’il s’agit de chercher la meilleure solution pour les intérêts du groupe, et non pour les intérêts de chacun. Au moment de prendre une décision les participants seront invités à se prononcer à main levée ou par vote secret. Lorsqu’une décision est prise par vote majoritaire, chacun doit évidemment être solidaire de la décision prise par le groupe. Certaines décisions commandent cependant un vote largement majoritaire, comme lorsqu’il s’agit de revoir un règlement ou les statuts de l’organisme. L’exercice de la démocratie dans le cadre d’une dynamique communautaire exige que tout soit mis en œuvre pour que personne ne perde la face à la suite d’un débat et que la décision qui aura été prise soit bien plus l’affirmation d’une opinion majoritaire que la victoire des uns sur les autres. Les groupes communautaires véhiculent une éthique fondée sur la solidarité et le respect de la dignité des personnes. Il serait donc paradoxal, pour ne pas dire contradictoire, que cette volonté de respect et de démocratie ne s’exprime pas au moment de la conclusion des débats qui animent la vie d’un groupe ou d’une organisation.
4e étape : l’action Il ne suffit pas de prendre une décision, il faut aussi prévoir comment planifier l’action et comment celle-ci sera mise en application. Quand une décision est prise, il est important que les tâches soient réparties et que des échéanciers soient fixés. Il est aussi préférable de nommer une personne responsable de son application et, si c’est nécessaire, de la coordination du travail à effectuer. Cette étape permet de comprendre l’importance du procèsverbal d’une réunion, lequel constitue la principale source d’infor-
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mation relative aux décisions qui ont été prises. Chaque membre d’un groupe peut s’y référer au besoin, et il s’agit d’un instrument précieux pour effectuer le suivi des mandats. Le procès-verbal constitue en effet une source à laquelle on se reportera pour résoudre les difficultés susceptibles de surgir à un moment donné, particulièrement lorsqu’il s’agit de rappeler tout le monde à ses obligations et d’inviter les uns et les autres à la cohérence. Les procès-verbaux seront éventuellement des documents utiles pour effectuer les évaluations ou les bilans, et ils serviront à l’intégration de nouveaux membres.
2.2.2. Le rôle de l’animateur A
Le rôle de l’animateur consiste à aider le groupe à atteindre ses objectifs en favorisant la participation optimale des participantes et des participants.
La personne qui assume le rôle d’animateur est en quelque sorte l’âme dirigeante du groupe. En ce sens, elle a la responsabilité de promouvoir certaines valeurs au sein du groupe, de façon à orienter la manière dont s’effectue le travail et à stimuler une cohésion entre les membres du groupe. Parmi les valeurs les plus importantes à promouvoir en animation, mentionnons la démocratie, le respect et l’ouverture ainsi que la solidarité. En animation, promouvoir la valeur de démocratie signifie susciter la participation des membres à toutes les étapes de la réunion. L’animateur doit aussi veiller à ce que toutes les personnes soient écoutées et respectées lorsqu’elles émettent leurs idées et opinions. La raillerie, la fermeture, le mépris ou l’indifférence ne sont pas des comportements que l’animateur doit tolérer. Au besoin, l’animateur ramènera le groupe à l’ordre en rappelant l’importance du respect et de l’ouverture durant les échanges et les discussions. Il pourra aussi reformuler les propos qui n’ont pas eu toute l’attention voulue ou objectiver un échange entre participants pour continuer à dépersonnaliser une divergence d’opinions. En ce qui concerne la valeur de solidarité, l’animateur pourra être appelé à favoriser le compromis et la négociation entre les participants de façon que les intérêts individuels de chacun ne prévalent pas sur les buts et objectifs communs poursuivis par le groupe. De plus, lorsque des décisions sont prises à la majorité, il est parfois
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utile de rappeler aux membres que tous doivent être solidaires des décisions prises. La fonction d’animation dépasse donc largement la fonction de l’animateur-simple-passeur-de-parole. Un bon animateur est bien informé des objectifs poursuivis par le groupe, il possède les connaissances et les compétences se rattachant à sa fonction et s’assure de promouvoir des valeurs inhérentes à son rôle. Dans la mesure du possible, l’animateur doit aussi éviter de prendre position dans les discussions et les décisions du groupe. Notons que ce souci d’impartialité peut être difficile à conserver lorsque l’animateur est directement touché par le sujet de la réunion ou lorsque des tensions importantes existent au sein du groupe. Dans ce cas, il est préférable que le groupe fasse appel à une personne qui n’est pas directement concernée, afin de ne pas nuire au fonctionnement démocratique. Plusieurs organismes volontaires d’éducation populaire, de même que divers regroupements ou fédérations d’organismes communautaires, peuvent offrir une ressource en animation si un tel besoin se fait sentir. Certains individus qui connaissent bien les mouvements communautaires peuvent aussi remplir la fonction d’animateur ou de président d’assemblée.
2.2.3. Les techniques d’animation Comme nous le mentionnions préalablement, animer est une tâche qui ne saurait se réduire à un rôle de simple-passeur-de-parole. L’animation d’une rencontre suppose d’abord que l’animateur connaît suffisamment les sujets qui sont abordés et les objectifs visés par l’organisme. Cela suppose aussi qu’il maîtrise une variété de processus, techniques et outils qu’il mettra au service du groupe dans la poursuite de son objectif. Parmi les techniques que l’animateur devrait maîtriser se trouvent – en tout premier lieu – les techniques d’animation. Leur utilisation contribuera à aider le groupe à soutenir la production, à encadrer la procédure et à faciliter les relations entre les participants. Voici une brève description des techniques d’animation se rattachant à ces trois fonctions.
Soutenir la production Définir
A
Le groupe étant réuni en vue d’un objectif commun, il est important dès le départ que l’animateur s’assure que cet objectif
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a été bien défini et compris par les participants. Cela signifie notamment qu’il doit prendre le temps de bien introduire et expliquer la nature des sujets à l’ordre du jour ainsi que le résultat visé par chacun des sujets. Au besoin, il le rappellera au groupe si celui-ci s’éloigne du sujet en cours de discussion. Il voit également à ce que le vocabulaire utilisé par les membres du groupe soit compris de tous, en demandant par exemple à un participant de définir le terme qu’il utilise s’il estime qu’il est équivoque ou hermétique. Questionner
A
L’animateur est souvent la personne qui pose la première question, de façon à faire démarrer la discussion et à l’orienter dans la bonne direction. Cette technique sert aussi à aider un participant à préciser une idée ou une opinion.
Reformuler
A
La reformulation d’une idée ou d’une opinion d’un participant permet une meilleure écoute, une meilleure compréhension et stimule les interactions. L’animateur a donc avantage à utiliser cette technique au moment opportun, en prenant soin de vérifier l’accord du participant pour s’assurer que sa formulation respecte l’essence de son propos.
Effectuer des synthèses
A
À l’occasion, l’animateur résume et organise ce qui a été dit. Les principales situations où il est utile d’effectuer une synthèse sont : après une longue intervention, entre deux ou plusieurs opinions, après un temps suffisant de débat et de discussion au moment où il sent que le groupe est prêt à prendre une décision et à la fin d’un sujet pour résumer les éléments importants avant de proposer de passer au point suivant. L’animateur pourra aussi faire appel au secrétaire pour s’assurer de n’avoir rien oublié ou pour rappeler au groupe les éléments importants du débat.
Faire des liens
A
Au besoin, lorsqu’il effectuera des synthèses, l’animateur soulignera les liens entre les idées et les opinions des participants, cela afin de faire ressortir l’existence d’un fil conducteur et la contribution de chacun à celui-ci. L’utilisation de cette technique aide le groupe à constater qu’une opinion majoritaire, voire un consensus se dégage, facilitant ainsi lla formulation d’une proposition et la prise de décision.
Demander de l’information
A
S’il le juge opportun, l’animateur incite le groupe à ne pas s’engager dans une décision précipitée. Il fera appel au participant
CHAPITRE 7 ◆ L’ORGANISATION ET L’ANIMATION D’UNE RENCONTRE
361
capable de donner des précisions sur le sujet discuté ou, au besoin, il suggérera le report de la décision jusqu’à ce qu’un complément d’information permette de prendre une décision éclairée.
Encadrer la procédure Suggérer
A
Il appartient à l’animateur de suggérer au groupe des façons de procéder et des méthodes de travail. Le groupe souhaite-t-il utiliser certaines procédures d’assemblée ? La méthode du tour de table serait-elle utile pour favoriser la participation ? L’utilisation du tableau est-elle souhaitable pour visualiser les idées suggérées et faciliter la discussion ? Les décisions seront-elles prises par consensus ou de façon majoritaire ? Autant de façons de faire qui doivent correspondre à la culture du groupe et aux impératifs d’un fonctionnement démocratique.
Donner la parole
A
Le groupe s’attend à ce que l’animateur soit celui qui donne la parole aux participants. Pour cela, l’animateur doit constamment balayer le groupe du regard afin de ne pas omettre de main levée. De façon à être juste, l’animateur peut écrire le nom des participants au fur et à mesure que ceux-ci demandent le droit de parole. Une rotation peut aussi être effectuée entre ceux qui ont déjà sollicité le droit de parole et ceux qui en sont à leur première intervention ou une alternance peut s’exercer entre les femmes et les hommes. D’autres groupes fixent une période de temps (ex. : 3 minutes) pour chaque intervention. Il est important que l’animateur s’entende avec le groupe sur la procédure à suivre. L’animateur garde toujours la priorité de parole, et il peut l’utiliser pour rappeler les participants à l’ordre, faire des liens, résumer, refréner ou stimuler.
Modérer ou refréner
A
Tous les groupes comptent des participants qui parlent facilement, longtemps et souvent, parfois même en s’écartant du sujet. La tâche de l’animateur consiste à aider ces personnes à limiter la durée et le nombre de leurs interventions, et à les inciter à ne pas se répéter. Cela demande bien sûr un certain tact, une évaluation juste du moment opportun et parfois un peu d’humour. Pour y arriver, l’animateur pourra inviter la personne à conclure ou résumer l’intervention de la personne et céder ensuite la parole à un autre participant. Il pourra aussi suggérer une limite de temps aux inter-
362
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
ventions ou encore une limite au nombre d’interventions ou même accorder la priorité de parole aux participants qui ne se sont pas encore exprimés sur le sujet. Tout cela en prenant soin de faire accepter cette contrainte au groupe. L’animateur se réserve aussi le droit d’intervenir dans le débat pour ramener tout le groupe dans le sujet s’il constate que celuici s’éloigne de son but. Stimuler ou susciter
A
Chaque groupe est aussi formé de participants qui parlent peu ou pas du tout. Sans insister outre mesure, l’animateur doit favoriser la participation de ceux qu’on appelle « les silencieux ». La méthode du tour de table ou du travail en sous-groupes peut être utile. Une autre façon de faire est de tenter de trouver un moment opportun pour inviter ces personnes à parler. C’est souvent lorsque la discussion est le plus animée que l’animateur doit être attentif aux signaux non verbaux des silencieux et leur donner la priorité de parole. L’animateur peut même, dans certains cas, interpeller directement la personne et lui demander son avis.
Sensibiliser au temps
A
Si le groupe l’oublie, il appartient à l’animateur de lui rappeler la contrainte horaire en fonction de l’ordre du jour et du temps que le groupe s’est alloué pour chaque sujet ou pour la réunion. L’animateur peut aussi demander au groupe de réévaluer l’emploi du temps en fonction de l’importance accordée à un sujet particulier, quitte à modifier l’ordre du jour s’il y a lieu.
Faciliter les relations entre les participants Accueillir
A
L’animateur peut favoriser l’établissement d’un bon climat de travail par son accueil chaleureux. Au besoin, il arrive au lieu de la rencontre avant les participants pour leur souhaiter la bienvenue. Il mettra aussi tout en œuvre pour mettre les nouveaux participants en confiance et pour favoriser la prise de parole au moyen de techniques d’ouverture de réunion.
Favoriser un climat d’échange
A
L’animateur doit chercher à créer un climat favorable à l’échange et à l’ouverture dans le groupe. Cet effort suppose que l’animateur veille à ce que les participants s’écoutent les uns les autres, qu’ils se respectent, critique les idées et non les personnes et fasse preuve d’ouverture d’esprit.
363
CHAPITRE 7 ◆ L’ORGANISATION ET L’ANIMATION D’UNE RENCONTRE
LES
TECHNIQUES D’ANIMATION
Soutenir la production
Encadrer la procédure
A Définir Bien expliquer la nature des sujets à l’ordre du jour et les termes équivoques ou hermétiques.
A Suggérer Suggérer au groupe des façons de procéder.
A Questionner Démarrer la discussion et l’orienter dans la bonne direction. A Reformuler Reformuler une idée ou une opinion. A Effectuer des synthèses Résumer et organiser les interventions ou déterminer les points majeurs du débat. A Faire des liens Faire ressortir les liens entre les idées des participants. Refléter au groupe qu’un consensus se dégage. A Demander de l’information Aller chercher, chez un participant ou à l’extérieur de la réunion, l’information nécessaire à la prise de décision.
A Donner la parole Accorder la parole aux participants au fur et à mesure que ceux-ci la demandent, ou selon un autre mode de fonctionnement.
Faciliter les relations entre les participants A Accueillir Accueillir les participants et voir à briser la glace ou favoriser la mise en train. A Favoriser un climat d’échange Veiller à ce que les participants s’écoutent, se respectent et fassent preuve d’ouverture d’esprit.
A Modérer ou refréner Lorsque c’est opportun, aider certains participants à limiter la durée et le nombre de leurs interventions.
A Encourager Encourager les participants en soulignant leur contribution au regard du travail accompli et de la qualité du climat d’échange.
A Stimuler ou susciter Favoriser la participation des « silencieux ».
A Détendre Utiliser l’humour à bon escient pour détendre le climat et suggérer des pauses au moment opportun.
A Sensibiliser au temps Rappeler au groupe les contraintes horaires ou réévaluer l’emploi du temps.
A Objectiver Reformuler les idées émises par des participants trop émotivement engagés dans une discussion et éviter les dialogues. A Verbaliser Offrir aux participants l’occasion de verbaliser ce qu’ils pensent ou ressentent si les tensions s’expriment indirectement.
364
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
Encourager
A
Favoriser un climat d’échange signifie encourager les participantes et les participants en soulignant le travail accompli, les progrès réalisés, la qualité du climat d’échange, de même que souligner l’importance de l’apport de chacun.
Détendre
A
Plaisir et travail sont tout à fait conciliables, contribuant même à solidariser le groupe. À cet effet, l’animateur utilisera l’humour à bon escient et permettra aux participants de se détendre et de blaguer entre eux à l’occasion. Il proposera des pauses afin de favoriser l’atténuation de certaines tensions causées par la fatigue. Ces arrêts occasionnels permettent aux participants de prendre un recul parfois nécessaire et de discuter de certains éléments du débat dans un contexte moins formel. Tout ce contexte est de nature à faciliter le travail du groupe.
Objectiver
A
Lorsqu’un conflit surgit entre deux personnes émotionnellement engagées l’une par rapport à l’autre, l’animateur peut détendre et objectiver la situation en reformulant les idées émises par ces membres sans la charge émotive qui peut y être associée. Par le fait même, cela rappelle aux participants qu’ils sont là pour discuter du contenu et qu’ils doivent éviter de se laisser emporter par leurs émotions. L’animateur veillera aussi à ce qu’aucun dialogue ne s’engage entre deux participants, de manière à éviter de personnaliser les divergences d’opinion.
Verbaliser
A
Si le climat est tendu et que l’animateur observe que les malaises et les tensions s’expriment de manière indirecte, il peut être approprié d’offrir aux participants la possibilité de s’exprimer sur ce qu’ils pensent ou ressentent afin de les aider à résoudre leurs difficultés et, par la suite, à mieux se centrer sur la tâche.
2.2.4. Les styles d’animation Les écrits qui traitent de l’animation et présentent les diverses théories en cette matière nous permettent de reconnaître trois principaux styles d’animation : autoritaire, démocratique et laisser-faire3.
3.
A. Beauchamp, R. Graveline et C. Quiviger (1976). Comment animer un groupe, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 115 p.
CHAPITRE 7 ◆ L’ORGANISATION ET L’ANIMATION D’UNE RENCONTRE
365
Le style autoritaire
A
L’animateur qui adopte un style autoritaire insiste sur la fidélité aux objectifs du groupe, au respect du plan de travail et de l’échéancier. La procédure et les activités sont déjà prévues et l’animateur ne tolère pas de déviance possible. L’animateur mène tout et cherche à remplir tous les rôles. L’animation de type autoritaire peut aussi avoir tendance à vouloir influencer le groupe dans le sens de ses opinions. Une animation de type autoritaire peut être choisie et acceptée par le groupe qui se sent ainsi rassuré. L’obligation de résultat marque ce type d’animation et le climat est relégué au second plan.
Le style démocratique
A
L’animateur qui adopte un style démocratique demande au groupe de formuler ses objectifs et donne à chacun la chance d’exprimer sa perception. L’animateur propose au groupe un éventail de procédures et d’activités et, une fois le choix fait, maintient le groupe dans ce choix de façon à la fois ferme et souple. L’animateur cherche, provoque, stimule la participation aux discussions et vérifie l’engagement de chacun à l’égard des décisions prises. La charge de travail sera satisfaisante, mais pourra varier selon la dynamique du groupe. L’animateur encourage aussi l’évaluation en fin de réunion. Ce style favorise un bon rendement de travail, une motivation et une satisfaction élevées de la part des participants, de même qu’une cohésion supérieure aux autres styles d’animation.
Le style laisser-faire
A
Chez l’animateur qui adopte le style laisser-faire, il n’est pas rare que le groupe s’éloigne du sujet. L’animateur ne propose généralement pas de procédures et d’activités. S’il le fait, ce sera de façon très vague. L’animateur laisse les leaders prendre les initiatives, ne stimule pas la participation de ceux qui parlent peu ou pas et ne refrène que modérément les participants qui occupent tout l’espace et interviennent à tout propos. Ce style d’animation entraîne généralement un travail peu efficace, puisqu’il dépend de l’initiative de chacun et que le groupe a alors tendance à s’éparpiller.
Parmi ces trois façons d’animer, il est souhaitable que l’animateur soit choisi en fonction de sa capacité à adopter un style qui soit le plus démocratique possible. Cela dit, il peut arriver, par exemple en situation de crise ou lorsque la nécessité d’une décision se fait sentir de manière impérieuse, qu’une animation de type plus autoritaire soit souhaitée et souhaitable, car elle peut effectivement
366
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
être conjoncturellement plus utile. De même, une animation plus souple de type laisser-faire est généralement mieux adaptée à une rencontre d’échange où il n’y a aucune décision à prendre, par exemple lors d’un café-rencontre. Ce type d’animation contribuera alors à créer un climat plus détendu et permettra aux personnes d’avoir du plaisir tout en se sensibilisant à un sujet donné. Il faut donc comprendre qu’il n’y a pas que des vertus du côté de l’animation démocratique et que des défauts dans les façons autoritaire et de laisser-faire car, selon l’objectif de la réunion ou le moment où le groupe est rendu dans le déroulement de la réunion, il pourra être préférable de varier le style d’animation.
2.2.5. Les procédures d’assemblée Les procédures d’assemblée délibérante constituent parfois un complément essentiel aux techniques d’animation et autres méthodes favorisant un fonctionnement qui soit à la fois efficace et démocratique. Le recours aux procédures d’assemblée sera particulièrement utile dans des assemblées réunissant un nombre assez élevé de participants où l’on souhaite prendre des décisions de façon démocratique, tout en évitant les pertes de temps, l’indiscipline et les digressions. La plupart des organismes communautaires qui se sont dotés d’un code de procédure se sont inspirés de codes de procédure existants, comme ceux de Morin, Bourinot ou Filion, ou des codes de procédure de syndicats (CSN). Il revient donc à chacun des groupes d’adapter ces codes de procédure à ses besoins et à sa réalité, puisque la procédure d’une assemblée est celle que se donne cette assemblée, à moins qu’elle n’ait été établie antérieurement dans le règlement de régie interne du groupe. L’utilisation des règles de procédure nécessite cependant que les membres ou les délégués soient adéquatement formés, sinon elle risque fort d’intimider les participants et de contribuer à ce que ce soient les « habitués » qui prennent le contrôle de l’assemblée. Si le groupe souhaite que les procédures soient vraiment utiles, il faut donc non seulement favoriser leur apprentissage, mais fournir aussi aux membres des occasions de les mettre
CHAPITRE 7 ◆ L’ORGANISATION ET L’ANIMATION D’UNE RENCONTRE
LES
367
PRINCIPALES RÈGLES DE PROCÉDURE
A Le droit de parole Toute personne désireuse d’intervenir pendant l’assemblée lève la main. Le président accorde les droits de parole dans l’ordre où ils sont demandés. Le droit de parole équivaut à la technique de « donner la parole » sur le plan du contrôle de la procédure dans les techniques d’animation. A La proposition Une personne soumet à l’assemblée une position à adopter quant au sujet qui est discuté. Un appuyeur est requis. Il est recommandé d’écrire sa proposition avant de la formuler devant l’assemblée. A L’amendement et le sous-amendement L’amendement modifie la proposition, y ajoute ou en retranche une partie sans en changer le sens. Le sous-amendement est une modification à l’amendement. Dans les deux cas, un appuyeur est requis. A Le dépôt d’une proposition Par ce moyen, on vise à repousser provisoirement la discussion et la décision sur une proposition, de façon à pouvoir reprendre le débat lors d’une prochaine assemblée. Un appuyeur est requis. A Le point d’ordre Au cours d’un débat, une personne peut à tout moment soulever un point d’ordre pour rétablir les faits, pour protester contre une injure, un langage grossier, des propos sexistes ou racistes ou pour exiger d’un orateur qu’il retire des paroles blessantes. On peut également soulever un point d’ordre pour réclamer le maintien de l’ordre et du décorum et pour demander que l’on s’en tienne au sujet en discussion. A La question de privilège Une question de privilège peut être invoquée lorsqu’il y a violation ou atteinte aux prérogatives de l’assemblée ou des personnes présentes, particulièrement en ce qui a trait aux conditions matérielles du lieu de la réunion ou de faits analogues. On peut également saisir l’assemblée d’une question de privilège sur tout sujet important qu’il est urgent de discuter. Si elle est accordée par la présidence, la question de privilège peut donner lieu ou non à une proposition. A La question préalable Elle a pour but de faire cesser la discussion et de demander à l’assemblée si elle est prête à procéder au vote immédiatement. Un appuyeur est requis et un vote des deux tiers de l’assemblée est obligatoire. Cette question ne peut généralement être posée que si au moins cinq délégués ont pris part au débat. A L’ajournement d’une assemblée La proposition d’ajournement a pour résultat d’interrompre l’assemblée en cours et de reporter sa poursuite à une date ultérieure. Un appuyeur est requis.
368
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
en pratique. À cet effet, le groupe pourra utiliser4 ou concevoir5 des outils de formation et procéder à des simulations d’assemblée à l’aide de jeux de rôle. Les limites de ce livre ne nous permettent pas de définir et d’expliquer en détail chacune des règles de procédure. Cependant, le tableau synthèse de la page précédente présente les règles de procédure les plus couramment utilisées dans les réunions et assemblées.
2.2.6. Les rôles naturels Contrairement aux rôles formels, c’est-à-dire ceux qui sont choisis ou attribués selon les intérêts ou les compétences de l’individu et qui sont rattachés à une fonction spécifique au sein du groupe (ex. : animateur, secrétaire), les rôles naturels sont attribuables aux comportements caractéristiques d’un individu. Ces rôles sont liés aux traits de personnalité dominants et aux capacités de l’individu. Tout comme les techniques d’animation, qui se regroupent en trois grandes catégories selon les fonctions de l’animateur, les rôles naturels ou psychosociaux correspondent à trois modes de participation : le mode de participation axé sur la tâche ou le contenu, le mode de participation axé sur la procédure et le mode de participation axé sur le climat socioaffectif. Même si la plupart des membres d’un groupe interviennent en passant d’un mode de participation à un autre, il est fréquent que les personnes adoptent plus particulièrement les comportements caractéristiques d’un mode de participation. Ils sont ainsi appelés à jouer un rôle naturel au sein du groupe. Chaque mode de participation comporte divers rôles naturels
4.
5.
Le secteur Promotion communautaire du Centre Saint-Pierre met à la disposition des groupes un outil pédagogique, L’assemblée, un document vidéo d’une durée de 21 minutes. Ce film a été produit conjointement avec la FECHIM en 1986 et il est accompagné d’un guide. Réf. : M. D’Amours, Fédération des coopératives d’habitation de l’île de Montréal (1986). Guide d’accompagnement au vidéo « L’assemblée », 17 p. Le Regroupement des maisons de jeunes du Québec a produit un guide à l’intention des représentants de ces maisons afin qu’ils puissent se familiariser avec les procédures en vigueur lors de leur assemblée générale annuelle. Réf. : D. Papin, Placer son mot, Regroupement des maisons de jeunes du Québec, 1re édition parue en 1986 ; revue, corrigée et mise à jour en 1993, 31 p.
CHAPITRE 7 ◆ L’ORGANISATION ET L’ANIMATION D’UNE RENCONTRE
369
en fonction de ce qui caractérise le plus la contribution du membre. Ainsi, dans le mode de participation axé sur le climat socioaffectif, on retrouvera le leader affectif, le médiateur et l’humoriste. Le concept de rôle naturel n’est pas le seul phénomène propre au processus d’interaction entre les membres d’un groupe qu’il est important de saisir lors de l’animation d’un groupe. Le concept de leadership est, lui aussi, un concept important à comprendre et à reconnaître en animation. Le leadership est l’art de stimuler et d’influencer les autres. Comme le fait remarquer St-Arnaud 6, le leader se distingue par sa force d’attraction plus grande que celle qu’exercent les autres membres du groupe. Il participe au leadership de façon positive si sa personnalité et son comportement au sein du groupe suscitent l’intérêt des autres pour la recherche, la définition et la poursuite collective d’une cible commune, tout en leur permettant de percevoir et d’entretenir des liens de solidarité. Le leadership est généralement partagé au sein d’un groupe, puisqu’il est rare qu’une seule personne cumule toutes les aptitudes dans l’exercice de son leadership. De ce fait, une personne exercera davantage un leadership au niveau de la tâche (ex. : le leader fonctionnel), alors qu’une autre se démarquera plutôt sur le plan des relations humaines (ex. : le leader affectif). Enfin, il est important de mentionner que, tant sur le plan du concept de leadership que sur le plan du concept de rôle naturel, la contribution des membres au sein d’un groupe n’est pas toujours positive. Voilà pourquoi il convient de faire remarquer que le leadership peut s’exercer de manière négative au sein d’un groupe, et de signaler que les rôles naturels peuvent s’exercer de manière individualiste ou dysfonctionnelle. Savoir reconnaître les rôles naturels et l’exercice du leadership au sein d’un groupe est fort utile à l’animateur, qui peut ainsi se servir des forces et des caractéristiques naturelles de chacun pour favoriser le bon déroulement d’une réunion. Par exemple, l’animateur peut provoquer l’humoriste lorsque l’atmosphère devient tendue ou faire appel au leader fonctionnel lorsque le groupe s’enlise.
6.
Y. Saint-Arnaud (1989). Les petits groupes : participation et communication, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, Les Éditions du CIM, 176 p.
370
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
La connaissance des rôles naturels contribue par ailleurs à un choix plus judicieux des techniques d’animation. En effet, la présence d’un ou de deux verbomoteurs ou de dominateurs obligera l’animateur à recourir davantage à certaines techniques d’animation lui permettant d’exercer une fonction d’encadrement de la procédure. Par ailleurs, la présence de leaders fonctionnels et idéologiques l’obligera probablement à faire plus de liens, à résumer, donc à utiliser davantage les techniques d’animation rattachées à la fonction de soutien à la production. Enfin, l’absence de leader affectif ou d’humoriste incitera l’animateur à s’assurer que le climat est suffisamment détendu et agréable, donc à accorder une attention particulière aux techniques liées à la fonction de facilitation des relations. De manière à mieux présenter et expliquer ces notions de rôles et de leadership au sein d’un groupe, nous proposons ici une brève description des principaux rôles naturels que l’animateur peut reconnaître dans les réunions.
Rôles relatifs à la tâche Les rôles relatifs à la tâche sont joués par des participants qui orientent leur contribution principalement vers la production du groupe. Les comportements caractéristiques des rôles relatifs à la tâche visent à faciliter et à coordonner les efforts du groupe pour définir ses objectifs, déterminer les moyens à prendre pour les atteindre et exécuter ou coordonner les tâches identifiées. Parmi ceux-ci on retrouve en particulier : Le leader fonctionnel
A
Ce type de leader est axé sur la tâche. Il se préoccupe de l’action et propose des idées nouvelles, il invite à l’efficacité, rappelle les objectifs, etc. Il exerce une influence importante sur le groupe, occupe beaucoup de place et s’affirme avec force. Il constitue un atout indéniable, mais il aurait tendance à trop en faire, à ne pas facilement partager les responsabilités. Il peut aussi être écrasant et inciter le groupe à l’activisme.
Le leader idéologique
A
Ce type de leader est une personne qui apporte des idées originales, propose de nouvelles perspectives d’analyse et amène le groupe à repenser ses orientations. Il n’est cependant pas toujours facile de compter sur lui pour mettre en œuvre un plan d’action. Cette difficulté à passer à l’action peut avoir un effet
CHAPITRE 7 ◆ L’ORGANISATION ET L’ANIMATION D’UNE RENCONTRE
371
paralysant sur le groupe. De plus, il arrive parfois que les leaders idéologiques versent dans un certain dogmatisme, contribuant ainsi à déstabiliser le groupe. Le silencieux actif
A
Bien que le silencieux actif participe peu aux débats, il n’en demeure pas moins très attentif et observe beaucoup. Ce recul apparent lui permet parfois d’émettre une opinion qui peut être fort utile dans des moments où le groupe fait du surplace. Solidaire du groupe, le silencieux actif accepte volontiers d’assumer des tâches ou des responsabilités au sein du groupe. Par contre, le silencieux actif est quelquefois un peu louvoyant en évitant de prendre position et en penchant du côté qui lui semble le plus fort.
Rôles relatifs à la procédure Les participants jouant des rôles relatifs à la procédure orientent leurs interventions principalement au regard de la structure et de la méthode de travail du groupe. La contribution de ces individus vise à aider le groupe à établir ou maintenir des règles de fonctionnement. Parmi les rôles relatifs à la procédure, mentionnons : L’orienteur
A
L’orienteur est celui qui facilite la progression du groupe en ramenant les membres à la ligne de conduite qu’ils s’étaient donnée. Il aide à faire respecter le plan de travail et les procédures établies et, lorsque c’est nécessaire, il rappelle également aux membres la mission et les objectifs du groupe, ainsi que les politiques ou règles de conduite adoptées par le groupe.
Rôles relatifs au climat socioaffectif Ces rôles visent à maintenir une ambiance harmonieuse au sein du groupe. Les participants qui les adoptent contribuent au progrès du groupe en instaurant, en maintenant et en renforçant de saines relations. Voici quelques-uns des types de participants associés à ce rôle : Le leader affectif
A
Ce type de leader plutôt axé sur le climat à l’intérieur du groupe pourra être successivement stimulateur, médiateur et pacifiste. Ce participant accorde beaucoup d’importance aux relations humaines. Il tente notamment de réduire les tensions et de susciter une harmonie entre les membres du groupe. Il encourage et soutient. Il
372
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
favorise aussi l’expression des frustrations, et ce, de façon positive. Il peut être un contrepoids à l’influence du leader fonctionnel. L’humoriste
A
L’humoriste détend le groupe et contribue à rendre le climat de travail agréable. L’humoriste peut aussi aider le groupe à se sortir de certaines situations tendues en dédramatisant les événements. Il doit cependant prendre garde d’esquiver l’expression des conflits ou des désaccords au sein du groupe.
Les rôles individualistes ou dysfonctionnels Les rôles individualistes sont adoptés par des participants qui cherchent principalement à satisfaire leurs besoins personnels et leurs intérêts propres, sans se préoccuper du bien commun et de l’atteinte des buts et objectifs visés par le groupe. Quant aux rôles dysfonctionnels, ils sont adoptés par des personnes qui n’ont pas nécessairement des intérêts égoïstes, mais à qui il manque des habiletés au plan de la communication ou dont les traits de personnalité irritent les autres membres du groupe. Les rôles dysfonctionnels peuvent aussi être le symptôme d’un dysfonctionnement au sein du groupe ou d’une intolérance du groupe à l’égard d’un participant. Le « verbomoteur »
Le dominateur
Le silencieux passif
L’obstructionniste
Le « verbomoteur » parle constamment sans écouter les autres, se répète souvent et s’écarte parfois du sujet. Il est centré sur ses besoins au détriment de ceux du groupe. Il impatiente souvent les autres qui ne l’écoutent plus après un certain temps, malgré la pertinence de ses propos. Le « verbomoteur » doit être très encadré par l’animateur. A Le dominateur est sûr de lui, il n’écoute pas l’opinion des autres et essaie d’imposer la sienne. Dans certaines situations, il pourra même avoir recours à l’intimidation, à la manipulation et au chantage affectif pour arriver à ses fins. A Contrairement au silencieux actif, le silencieux passif est plutôt distrait, apparemment peu motivé. Il hésitera à s’engager et sa passivité peut être l’indice d’un désintéressement ou d’un malaise ressenti à l’égard du groupe. Parfois cette passivité peut aussi dissimuler un sentiment d’incompétence ou d’impuissance et peut être précurseur d’un désengagement prochain. A L’obstructionniste trouve toujours à redire sur les idées développées par les autres participants. Il prolonge inutilement les A
CHAPITRE 7 ◆ L’ORGANISATION ET L’ANIMATION D’UNE RENCONTRE
Le oui-oui
Le bouc émissaire
373
discussions. Tout pour lui devient objet de critique et ses interventions retardent les travaux du groupe. De plus, l’obstructionniste fait difficilement des compromis et se rallie à grand prix. A Le oui-oui semble n’avoir aucune idée bien à lui. Il donne le plus souvent son appui au participant qui semble le mieux se défendre. Ses valeurs et convictions profondes sont difficiles à saisir puisque ses allégeances se modifient lorsque le vent tourne. La cohérence ne compte pas nécessairement parmi ses comportements caractéristiques. A Le bouc émissaire canalise le mécontentement du groupe et devient une victime facile à cause de sa personnalité faible ou controversée. La présence d’un bouc émissaire au sein d’un groupe est généralement le symptôme d’un malaise plus profond et de la difficulté du groupe à y faire face collectivement.
2.2.7. Quelques difficultés courantes en animation Faut-il le répéter, animer un groupe relève pour beaucoup de l’art. Or, force est d’admettre que l’exercice de cet art ne se fait pas sans péril et qu’il est parfois difficile à l’animateur de susciter un esprit de groupe lorsqu’il doit composer avec des comportements perturbateurs ou lorsque des contraintes extérieures ou imprévues surgissent. Par exemple, comme nous venons de le voir, l’animateur ne doit pas hésiter à faire preuve de fermeté à l’égard de certaines personnes comme les dominateurs, les « verbomoteurs », les éternels retardataires et les « personnes-toujours-très-occupées ». Le fonctionnement démocratique et la cohésion du groupe imposent parfois « une main de fer dans un gant de velours ». Naturellement, l’animateur doit agir dans le respect des personnes et avec l’intention de servir les intérêts du groupe. L’animateur ne doit pas se préoccuper uniquement des comportements perturbateurs ; il doit aussi déceler à maints petits signes (rires gratuits, déplacements de chaises, etc.) l’état de fatigue du groupe ou, encore, son manque d’intérêt. Bien sûr, il peut parfois être plus facile de laisser aller et de poursuivre une réunion malgré tout, mais cela risque de conduire à une dégradation du fonctionnement démocratique, et même à un effritement sur le plan
374
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
de la mobilisation. L’animateur doit donc tout mettre en œuvre pour susciter la participation et l’intérêt, quitte à bousculer un peu l’ordre du jour pour inviter le groupe à une pause ou à une activité de remise en situation. À la limite, un animateur pourrait même suggérer l’ajournement d’une réunion qui ne semble pas pouvoir se dérouler correctement. D’autres difficultés qui affectent davantage l’ensemble du groupe peuvent survenir : une discussion désordonnée, l’éloignement du sujet, une difficulté dans la prise de décision ou encore l’éclatement d’un conflit de nature émotive. Dans de telles situations, l’utilisation des techniques normales d’animation suffit habituellement pour que le groupe poursuive son travail. Cependant, dans certaines circonstances il faut avoir recours à d’autres méthodes ou outils mieux adaptés. Ainsi, l’utilisation des techniques de clarification et de contrôle peut s’avérer efficace pour mettre un terme à un débat désordonné et le ramener à son objet. Cependant, un groupe qui a du mal à prendre une décision urgente obligera peutêtre un animateur à suggérer un mode plus strict de discussion, fondé sur le recours aux règles de procédure et conduisant à une décision par vote majoritaire. Une situation de conflit peut être un autre cas où l’animateur devra utiliser des méthodes plus appropriées, en invitant le groupe, par exemple, à s’engager dans un processus de résolution de conflit. Enfin, il est utile de rappeler quelques « petites contrariétés » ou imprévus avec lesquels l’animateur peut être amené à composer, notamment une salle inadéquate, un projecteur en panne, un sujet urgent et imprévu qui bouscule l’ordre du jour, une personneressource qui ne se présente pas, une tempête de neige, etc. C’est dans ces moments que se confirment les habiletés des bons animateurs et que se révèle l’esprit de créativité.
3.
L’ÉVALUATION DE FIN DE RÉUNION On oublie trop souvent de prendre quelques minutes à la fin d’une rencontre pour en faire l’évaluation. La plupart des rencontres se terminent lorsque tous les points à l’ordre du jour sont réglés, ou encore lorsque le temps dont on disposait est écoulé. En effet, dans plusieurs groupes, l’évaluation est perçue comme un exercice
CHAPITRE 7 ◆ L’ORGANISATION ET L’ANIMATION D’UNE RENCONTRE
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annuel ou très ponctuel qui a lieu à la fin d’une période d’activités ou d’un projet d’envergure. On fait alors le bilan des activités réalisées au cours de l’année ou l’on examine les résultats d’un projet à la lumière des objectifs que l’on s’était fixés. L’évaluation ne devrait cependant pas reposer exclusivement sur le bilan, mais plutôt être intégrée dans le quotidien, permettant ainsi d’améliorer le fonctionnement d’un groupe par un processus de retour continuel. À cet égard, il existe différentes façons d’évaluer une rencontre. Selon les besoins et les champs d’intérêt du groupe, l’évaluation pourra s’effectuer de manière informelle, à la fin de chaque rencontre, en demandant simplement aux participants ce qu’ils ont aimé, ce qu’ils ont moins apprécié et les aspects positifs et négatifs du travail accompli. Elle pourra aussi se faire de manière plus structurée, à l’aide d’un questionnaire d’évaluation qui suggère aux participants des pistes de réflexion portant sur certains aspects importants de la réunion : atteinte des objectifs, qualité de l’animation, climat de travail, etc. Un colloque ou une session de formation se prêtent bien à ce type d’évaluation. Enfin, le groupe pourra plutôt opter pour une évaluation par étapes qui marquera certaines phases de réalisation du projet. Les participants prendront alors un peu plus de temps pour formuler une évaluation critique, au terme d’une phase déterminée. Mais, quelle que soit la méthode choisie, l’évaluation, si elle est menée de façon constructive, permettra au groupe de liquider ses insatisfactions et ses conflits à mesure qu’ils surgissent. De toute manière, si elle ne s’exprime pas au cours des réunions, la critique se fera quand même en d’autres lieux et dans des conditions qui risquent de prêter le flanc à des accusations de dénigrement. L’évaluation, c’est aussi un apprentissage, car plutôt que de blâmer telle ou telle personne, on doit essayer de déceler quel aspect du fonctionnement d’un groupe laisse à désirer et chercher à comprendre pourquoi il en est ainsi. Il faut aussi se rappeler que l’évaluation n’exclut pas les témoignages de reconnaissance et de satisfaction. Vous avez trouvé que l’animateur a su habilement composer avec les imprévus qui ont surgi durant la rencontre ? Pourquoi ne pas l’en féliciter… Vous avez remarqué que tous les participants sont arrivés bien préparés et que chacun y a mis du sien pour que l’on passe à travers un ordre du jour chargé ? Pourquoi ne pas le dire au groupe…
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4.
LE SUIVI Une rencontre, c’est presque toujours un temps fort dans la vie d’un groupe. C’est tantôt le moment où les membres d’un groupe se réunissent pour planifier leur programme d’activités, tantôt l’aboutissement d’un long travail de mobilisation qui permet de réunir en assemblée les personnes vivant le même problème. Le succès de ces rencontres dépend évidemment du travail de chacun pendant le déroulement de la rencontre. Mais ce n’est pas tout : il dépend aussi du suivi des décisions prises et des tâches à effectuer afin que les échéanciers soient respectés et que chacun reçoive le soutien dont il peut avoir besoin. Le succès repose également sur la solidarité dans l’action qu’auront su démontrer les membres du groupe. Voilà pourquoi il est essentiel que le groupe se donne des mécanismes permettant un suivi des tâches qui ont été distribuées. Selon les circonstances on pourra désigner un responsable par dossier, ou encore des responsables pour chacun des comités, avec une personne chargée de coordonner l’ensemble des activités. Cette fonction de coordination sera d’autant plus utile ou nécessaire qu’il y aura plusieurs tâches de nature différente à accomplir, par exemple l’organisation d’une manifestation ou d’un forum qui requiert souvent un étroit travail de collaboration entre plusieurs comités. La mise en place de tels mécanismes pour assurer le suivi des activités est particulièrement importante lorsqu’une action ou un projet s’échelonnent sur une longue période. Certaines luttes de citoyens ou la mise sur pied de certains projets mettent parfois plusieurs mois avant d’aboutir, quand ce n’est pas quelques années. Les personnes responsables du suivi doivent donc non seulement coordonner le travail, mais aussi motiver, encourager et soutenir ceux qui pourraient vivre des moments de fatigue ou de découragement.
CONCLUSION Au terme de ce chapitre, on aura constaté qu’organiser et animer une rencontre est une tâche plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord. Cette tâche requiert certes la maîtrise de compétences techniques et méthodologiques, mais fait aussi appel à des
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qualités humaines essentielles, telles que la sensibilité et le respect à l’égard des personnes, la capacité de s’adapter aux besoins du groupe et de s’ajuster aux imprévus qui peuvent surgir. Organiser et animer une rencontre, c’est aussi ne pas perdre de vue la mission du groupe et conserver une vue d’ensemble du travail à accomplir en fonction des objectifs fixés. Enfin, organiser et animer une rencontre dans un milieu communautaire, c’est accorder autant d’importance au processus qu’aux résultats, puisque le sens du travail à accomplir repose sur une vision du changement social traversé par des valeurs de démocratie, d’entraide et de respect qui sont à promouvoir au quotidien.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE AUBRY, J.-M. et Y. SAINT-ARNAUD (1975). Dynamique des groupes, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 109 p. BEAUCHAMP, A., R. GRAVELINE et C. QUIVIGER (1976). Comment animer une réunion, Montréal, Les Éditions de l’Homme, 115 p. BERGEVIN, J. et L. ST-PIERRE (1985). Animer une réunion : tout un défi ! Ottawa, Fédération des élèves du secondaire francoontarien, 64 p. BOISVERT, D., F. COSSETTE et M. POISSON (1995). Animation de groupes, Cap-Rouge, Presses Inter-Universitaires, 324 p. BOISVERT, D., F. COSSETTE et M. POISSON (1992). Animateur compétent, groupes efficaces, Laval, Éditions Agence d’Arc, 402 p. BOURINOT, J.G. (1972). Bourinot : Règles de procédure, Ottawa, Les Éditions La Presse, 140 p. CENTRE DE FORMATION POPULAIRE (1979). Le fonctionnement de nos organisations, Montréal, Centre de formation populaire, 55 pages. CONFÉDÉRATION DES SYNDICATS NATIONAUX, Code des règles de procédures, rédigé par Gérard Picard, 45 p.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
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CHAPITRE
8
L’ORGANISATION
DÉMOCRATIQUE ET LA GESTION DES ORGANISMES COMMUNAUTAIRES Jean Panet-Raymond Jocelyne Lavoie
PLAN DU CHAPITRE 8 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. L’organisation démocratique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1. La mission et les objectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2. L’assemblée générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3. Le conseil d’administration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.4. Le comité exécutif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.5. Les membres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.6. Les salariés. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.7. Les comités de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. La gestion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1. Les modèles de gestion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.1. Le modèle traditionnel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.2. Le modèle participatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.3. Le collectif de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.4. Le modèle autogestionnaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1.5. Le modèle coopératif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. La gestion des activités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3. La gestion des ressources humaines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3.1. Le personnel salarié . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3.2. Le rôle et la place des membres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3.3. Le recrutement et la structure d’accueil des membres 2.4. La gestion financière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.4.1. Le budget . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.4.2. La tenue des livres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.4.3. Les états financiers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.4.4. La vérification comptable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.5. La coordination . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.5.1. Les tâches politiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.5.2. Les tâches techniques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.5.3. Les relations humaines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.6. Les fonctions et les rôles naturels dans un groupe . . . . . . . . 2.6.1. Les fonctions de l’intervenant communautaire . . . . . . . 2.6.2. Les rôles naturels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.7. Les moments difficiles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. La participation à des regroupements, tables de concertation et coalitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1. La nature et les formes des regroupements . . . . . . . . . . . . . . . 3.2. Les structures des regroupements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3. Les conditions d’existence. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.4. La pertinence des regroupements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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INTRODUCTION Le processus d’intervention et les actions qui seront entreprises pour le mener à terme sont soutenus par un groupe organisé de personnes réunies de façon temporaire ou permanente. Le mode d’organisation prendra différentes formes selon la situation et les circonstances, mais en aucun cas il ne devrait être laissé au hasard. La structure organisationnelle sera créée en début d’action ou juste avant la mobilisation si l’intervention est menée par un organisme déjà existant. La structure organisationnelle mise en place est essentiellement un outil pour l’action. Elle devrait donc être cohérente avec l’éthique qui fonde l’action communautaire : autonomie, démocratie, respect des personnes et solidarité. Compte tenu de l’importance de l’éducation populaire en action communautaire, la structure et la gestion doivent aussi favoriser le développement individuel des membres de l’organisation. Elles doivent enfin posséder la souplesse nécessaire à un fonctionnement efficace. Dans ce chapitre nous aborderons d’abord les questions de structure et, ensuite, celles qui touchent la gestion des organismes communautaires. Les principes et les outils que nous présentons s’appliquent à des structures conçues pour durer. À quelques nuances près, ils sont tout aussi valables pour des formes d’organisation plus ponctuelles et temporaires, comme certains types de comités de citoyens ou de coalitions. Le mode d’organisation peut aussi être déterminé par certaines contraintes financières ou législatives. Par exemple, un organisme subventionnaire comme Centraide peut très bien exiger un certain formalisme structurel incontournable pour être reconnu comme organisme charitable au sens du ministère fédéral du Revenu afin de permettre aux donateurs de bénéficier d’une déduction fiscale. Un projet de coopérative doit répondre aussi à des exigences légales qui ne peuvent être esquivées. Quelle que soit la forme organisationnelle qui sera privilégiée, nous affirmons la nécessité qu’elle soit clairement démocratique et qu’elle favorise la participation et le contrôle des membres à l’ensemble des activités.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
1.
L’ORGANISATION DÉMOCRATIQUE On peut traiter de l’organisation démocratique d’un groupe de différentes façons. À partir de la notion de besoins1, on peut considérer quatre dimensions qui correspondent à autant de questions : F l’orientation ou la mission (pourquoi ?) ; F les objectifs d’action (quoi ?) ; F la population visée ou les membres (qui ?) ; F l’organisation et la structure de fonctionnement (comment ?).
Il faut bien saisir ces différentes variables pour comprendre un groupe et apprécier ses succès ou ses échecs ; elles sont en interaction constante et devraient s’adapter pour répondre aux besoins du groupe. action
orientation
besoins
organisation
membres
La structure de l’organisation sert, entre autres, à réaliser le partage des responsabilités entre les membres agissant à titre volontaire et les salariés. C’est aussi la formalisation légale de la répartition du pouvoir et du processus de prise de décision, qui déterminera des modes de gestion plus précis. Les statuts et règlements d’un
1.
M. Desforges, M. Desilets et L. Desmarais (1983). Des outils pour l’action communautaire, Québec, DGEA, MEQ.
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organisme ne sont pas neutres. lls traduisent les valeurs et l’orientation du groupe. D’une certaine manière, ils illustrent sa cohérence. La structure devrait être claire, transparente, souple, efficace, ouverte, démocratique. Tout n’a pas à être décidé par tous. Il doit y avoir un minimum de confiance entre les instances et les personnes à partir de la compréhension commune de la mission et des objectifs. La structure démocratique traditionnelle des organismes communautaires ressemble à une pyramide inversée. Le pouvoir ultime appartient aux membres qui décident des grandes orientations lors des assemblées générales annuelles et spéciales. L’assemblée générale des membres procède à l’élection d’un conseil d’administration à qui elle délègue certains pouvoirs décisionnels entre les assemblées. Le conseil a également des pouvoirs touchant le contrôle de la gestion régulière des activités, des ressources humaines et des finances. Un comité exécutif peut aussi être créé pour regrouper les administrateurs élus : président, vice-président, secrétaire, trésorier et, la plupart du temps, la direction générale ou la coordination et une personne représentant la permanence. Le nombre et les fonctions de toutes ces instances peuvent varier selon la nature et l’ampleur de l’organisme. Cette structure traditionnelle d’apparence assez hiérarchique correspond en gros aux exigences légales de l’incorporation en vertu de la troisième partie de la Loi sur les compagnies du Québec et de la Loi sur les associations coopératives du Québec. L’incorporation des groupes communautaires n’est pas toujours nécessaire, surtout si ces derniers ont très peu de biens et un petit budget de fonctionnement. De plus, certains groupes peuvent adopter des styles de gestion divers à partir d’une structure légale identique. Ainsi, un comité ou une coalition créés de façon temporaire pour mener une action ponctuelle n’a ni le temps ni le besoin d’une existence légale. Il sera alors préférable de tout simplement constituer une association de bonne foi ou une association enregistrée légalement. Dans ces deux cas, les membres formant ces associations en sont responsables conjointement et solidairement. Par ailleurs tout organisme plus permanent, qui a des biens et qui reçoit des contributions publiques ou des subventions, a avantage à s’incorporer pour protéger ses biens, ceux de ses membres et de ses salariés.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
L’incorporation crée une personne légale distincte de ses membres. La responsabilité des membres est limitée à leur contribution financière en cas de faillite.
1.1. LA MISSION ET LES OBJECTIFS Avant même de se donner une structure, un organisme devrait préciser sa raison d’être et sa finalité. La mission d’un groupe détermine sa finalité et ses orientations. Ainsi, un groupe qui lutte contre le sida et ses conséquences sociales regroupe les victimes de cette maladie afin d’entreprendre collectivement cette lutte. La mission orientera ce groupe en fonction d’un travail d’éducation et vers la prestation de services essentiels aux personnes atteintes. La mission
A
La mission détermine les objectifs d’action, la population visée et le membership du groupe, sa structure de fonctionnement et ses sources de financement.
La mission du groupe doit être claire, simple, transparente et elle doit s’exprimer concrètement. Il arrive parfois que des groupes oublient leur mission et perdent de vue les balises, voire les valeurs sur lesquelles devraient s’appuyer les décisions majeures quant aux actions à entreprendre ou aux alliances à créer. La mission et l’orientation sont les points de référence pour toute décision touchant l’action d’un groupe.
1.2. L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE A
Instance suprême de tout organisme, elle est constituée de tous les membres en règle.
C’est donc une instance souveraine qu’il n’est pas utile de réunir à tout propos. Elle doit normalement être convoquée au moins une fois l’an pour sanctionner l’ensemble des activités, se prononcer sur divers points essentiels au bon fonctionnement d’un organisme et adopter les rapports financiers. L’assemblée générale est aussi le lieu où se débattent les grandes orientations d’un groupe communautaire et où s’articulent les paramètres stratégiques. On peut aussi y discuter de tout autre sujet pertinent,
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comme la modification des règlements internes ou même celle de la mission. L’assemblée générale peut être un lieu privilégié de participation active et critique des membres. C’est enfin l’instance où sont élus les membres du conseil d’administration.
1.3. LE CONSEIL D’ADMINISTRATION A
Les membres du conseil d’administration sont habituellement élus par l’assemblée générale, par un vote secret ou par acclamation s’il n’y a pas de contestation.
L’élection peut toucher des postes précis – présidence, secrétariat, vice-présidence – ou l’ensemble des administrateurs, qui, par la suite, seront nommés à des postes exécutifs par le conseil d’administration. Selon l’importance de l’organisme et la diversité de ses membres sur les plans socioéconomique, géographique et ethnique, on s’assurera généralement d’un équilibre dans la composition du conseil d’administration. Parfois, les variables âge et origine ethnique pourront aussi jouer dans la composition du conseil d’administration. La formation d’un conseil d’administration constitue souvent un enjeu politique important qu’il faut gérer en tenant évidemment compte des principes démocratiques. Ainsi, certains groupes peuvent choisir les membres du conseil en fonction de la représentativité de leur membership ou de la population qu’ils servent. Par exemple, un centre de femmes voudra n’avoir que des femmes à son conseil. Un centre d’action bénévole voudra compter sur une variété de participantes, tant des personnes aidées, devenues bénévoles, que des représentants des milieux publics et privés qui peuvent assurer des liens avec les bailleurs de fonds et des collaborateurs privilégiés. Les critères de sélection des membres d’un conseil d’administration peuvent donc varier selon les orientations du groupe, sa stratégie de développement, son champ d’intervention.
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1.4. LE COMITÉ EXÉCUTIF A
Le comité exécutif est normalement formé de certains membres du conseil d’administration, généralement ceux qui ont été élus à la présidence, à la vice-présidence, au secrétariat et à la trésorerie. Ce nombre peut varier selon la nature et la taille de l’organisme.
Le comité exécutif prépare les réunions du conseil d’administration et prend certaines décisions si le conseil ne peut se réunir : prise de position publique, décision administrative, etc. Les décisions de l’exécutif doivent être ratifiées par le conseil d’administration. Son rôle est important. Un comité exécutif qui fait bien son travail permettra de réaliser d’importantes économies de temps lors des réunions du conseil d’administration. Cela dit, il est impératif de bien circonscrire le mandat du comité exécutif. Il arrive que cette instance prenne une place démesurée et devienne dans les faits source de conflit. Le comité exécutif assume donc un leadership très fort dans un organisme et il doit exercer son autorité avec prudence et transparence.
1.5. LES MEMBRES Un organisme communautaire naît de la volonté des personnes d’être des sujets actifs de leur développement et de celui de leur communauté. La position du membre d’un organisme communautaire autonome ne saurait donc être celle d’un « client2 ». On parle souvent de participants aussi lorsque les membres reçoivent des services de l’organisme. Il ne faut pas négliger la force symbolique des termes utilisés, car une appellation plus valorisante comme « participant » peut contribuer au développement personnel, à l’affirmation et à l’autonomie (empowerment). Les membres sont les antennes du groupe dans le milieu et l’oxygène de l’organisme ; ils apportent des idées, de l’énergie et des ressources financières. Ils sont des agents multiplicateurs. Le
2.
H. Lamoureux (1995). « Éthique et action communautaire : de la cohérence à l’acte », Virtualités, vol. 2, nos 2-3, p. 35-38.
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membership constitue une source de crédibilité par rapport à l’opinion publique. Il offre une garantie de sérieux à la population que l’on souhaite rejoindre et aux bailleurs de fonds. Les membres témoignent de l’enracinement dans le milieu et assurent une sensibilité aux besoins et aux préoccupations de la population.
1.6. LES SALARIÉS Malgré la place importante que l’on peut accorder aux membres, il demeure que les salariés ou « permanents » sont souvent essentiels pour assurer le maintien des services, la formation, la coordination des activités, des membres et des bénévoles. Une personne salariée est une source de compétence et elle assume des tâches qui peuvent être difficilement confiées à des bénévoles ou à des membres dont les disponibilités sont souvent limitées. Avant d’engager une ou des personnes un groupe doit se poser la question du partage des responsabilités, des rôles et des tâches à assumer. Il doit y avoir une bonne dynamique de complémentarité entre les salariés et les membres pour favoriser une interaction productive et assurer le développement de l’autonomie personnelle et organisationnelle. Il y a toujours le danger qu’une « permanence » prenne la place des membres, surtout dans les organismes fortement orientés vers la prestation de services. Tout est dans l’équilibre entre le maintien du contrôle de la destinée du groupe aux mains des membres, d’une part, et l’appui technique et même politique que peut apporter une permanence, d’autre part. On fait parfois la distinction entre les tâches politiques de représentation publique qui sont assurées par les membres et les tâches techniques qui sont assurées par les personnes salariées. Dans les faits les salariés assument aussi des tâches politiques et ils participent à l’élaboration des orientations politiques. Ce qui importe, c’est qu’un partage favorise la participation active des membres. Au-delà du contrôle formel du conseil d’administration, ce sont les membres actifs et les élus qui doivent encadrer les salariés. Il est possible d’envisager un jumelage de permanents et de membres ou de bénévoles dans la réalisation d’activités. Ce jumelage peut aussi se faire par l’entremise de comités de travail créés par l’assemblée ou par le conseil d’administration. Il se développe ainsi une collégialité et un partage de tâches dans un rapport égalitaire
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marqué par la complémentarité des expertises et un souci de formation mutuelle.
1.7. LES COMITÉS DE TRAVAIL Les comités de travail sont le cœur de l’action d’un groupe et constituent un instrument privilégié d’intégration et de formation des membres. Les comités peuvent être soit permanents, chargés de l’information, du financement, de la planification, de la formation, de l’accueil ; soit temporaires, pour encadrer une activité précise, telle que campagne de sensibilisation, évaluation, réaction à un événement imprévu qui demande une position publique ou un mémoire, réorganisation interne, etc. Le mandat des comités temporaires ou ad hoc devrait être le plus clair possible et circonscrit dans le temps afin que ces comités soient efficaces et utiles. Les comités de travail favorisent l’échange d’idées et l’élaboration de méthodes de travail originales. Ce sont aussi des lieux privilégiés de développement de la solidarité. Cette collaboration favorise le contrôle et l’encadrement dans un climat de confiance où peut s’exprimer une critique ouverte et constructive. On évitera ainsi l’isolement des membres et des salariés.
2.
LA GESTION Un mot sur le travail en équipe dans les organisations communautaires. Tout ce qui précède vient soutenir l’une des prémisses les plus importantes de l’action communautaire, soit que l’action devrait être menée collectivement et que, par conséquent, le travail en équipe est au cœur du processus d’intervention. Le fondement du travail en équipe est la valorisation de la mise en commun de forces de personnes qui ont des origines, des perspectives et des talents différents. Les valeurs de démocratie et de solidarité sont aussi sous-jacentes au travail d’équipe. On présume qu’un projet – ou une idée – élaboré en équipe va produire plus facilement un effet d’entraînement que s’il était issu d’un seul cerveau. Enfin, on estime que le travail en équipe est un lieu
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privilégié de formation, car il permet l’expression des talents et des connaissances de chacun tout en favorisant de nouveaux apprentissages par l’interaction entre les différents membres du groupe. Cela ne veut pas dire que le travail d’équipe est toujours facile, loin de là ! La dynamique peut être lourde et stérile à cause de désaccords personnels ou de conflits idéologiques et organisationnels. Comme dans tout groupe, chacun y défend des intérêts, des attentes et des besoins. Chacun y apporte aussi des disponibilités et des compétences différentes. C’est pourquoi il est si important de clarifier les mandats des individus et le mode de fonctionnement des équipes de travail avant de les constituer. Les différents rôles fonctionnels et naturels, le leadership, les processus de prise de décision et de résolution de problèmes, la communication interne et l’animation sont toutes des dimensions du travail en équipe qu’il faut connaître pour en faire des outils efficaces, formateurs, démocratiques et qui favorisent la solidarité. Lorsqu’un organisme est prêt à entrer en action, il faut établir les modes de gestion qui permettront de le gérer de façon convenable et en accord avec les principes de l’action communautaire. Il existe différents modèles de gestion et il s’en crée de nouveaux à mesure que les organismes tentent de s’adapter à une réalité qui change rapidement. La mise en œuvre d’un mode de gestion commande un choix d’outils qui peuvent être plus ou moins pertinents selon les organisations. Avant de préciser les modèles et les outils de gestion, tentons une définition de la gestion. A
3.
La gestion c’est l’ensemble des moyens qu’on utilise pour atteindre nos objectifs, c’est donc un processus. Le but de la gestion est d’identifier et de préciser les moyens à mettre en œuvre, de prévoir les ressources humaines et matérielles nécessaires et l’échéancier requis pour atteindre les objectifs opérationnels d’un organisme. La gestion touche trois domaines particuliers : les activités, les ressources humaines et les ressources financières3.
Centre de formation populaire (1983). Les finances de nos organisations, Montréal, p. 33.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
2.1. LES MODÈLES DE GESTION Cinq modèles généraux de gestion sont couramment utilisés par les organismes communautaires.
2.1.1. Le modèle traditionnel A
Le modèle taylorien ou traditionnel correspond à une structure plutôt hiérarchisée. Le pouvoir est exercé par un conseil d’administration formé de membres peu engagés dans les activités quotidiennes. Le conseil délègue l’essentiel des responsabilités de gestion à une direction générale qui organise le travail des employés et assure leur encadrement directement ou par l’entremise de cadres. La direction est responsable de l’embauche et ne doit rendre compte qu’au conseil d’administration ou au comité exécutif. Les employés n’ont pas de contacts directs avec le conseil d’administration.
La direction est donc assumée individuellement et s’exerce en fonction d’une division précise des responsabilités. Dans un tel contexte, les comités de travail peuvent exister, mais ils sont plutôt rares et n’impliquent qu’exceptionnellement employés et membres. La notion même de membres n’existe pas nécessairement. On parle plutôt de bénévoles qui ne participent pas à la structure décisionnelle, à moins de siéger au conseil d’administration. Ce sont surtout des organismes axés sur les services directs ou l’hébergement qui adoptent une telle structure : centres d’action bénévole, organismes de « développement de l’employabilité » et « d’insertion», maisons d’hébergement de jeunes, ressources pour les itinérants, banques alimentaires, ressources d’accueil pour les immigrants, etc. Le conseil d’administration de ces organismes est habituellement formé de personnes qui y souscrivent financièrement ou qui offrent un soutien politique. Ce mode de gestion, hérité de l’entreprise privée et des sociétés philanthropiques, favorise le développement d’une forte concentration de responsabilités aux mains de la direction générale.
CHAPITRE 8 ◆ L’ORGANISATION DÉMOCRATIQUE ET LA GESTION DES ORGANISMES COMMUNAUTAIRES
391
2.1.2. Le modèle participatif A
Le modèle participatif correspond à une variété de structures qui visent à intégrer les membres ou bénévoles ainsi que les employés dans une gestion plus collective. On associe les membres et les employés aux décisions et à la réalisation des objectifs. On favorise donc des structures plus horizontales où les pouvoirs sont partagés, même dans un cadre légal traditionnel.
Sous-jacente à ce modèle, il y a une volonté de transformer les rapports sociaux afin qu’ils soient plus égalitaires et respectueux des contributions différenciées. Un grand nombre d’organismes communautaires de défense des droits ou de services utilisent ce genre de gestion à des degrés variables.
2.1.3. Le collectif de travail A
Le collectif de travail est un modèle d’inspiration coopérative ou autogestionnaire que l’on associe parfois à de la cogestion des employés et des membres. Valable pour de petits groupes idéologiquement homogènes, ce modèle se caractérise par une intégration de tous les membres, militants et salariés, au processus décisionnel.
Dans ce contexte, les équipes de travail sont formées de personnes qui participent à l’ensemble de la dynamique et qui vivent avec l’ensemble des membres un rapport de solidarité très fort. Dans certains milieux, l’équipe de travail et des personnesressources se rassemblent dans une instance décisionnelle nommée un collectif qui est le lieu ultime de pouvoir dans l’organisme et où toute décision se fait par consensus. L’équipe de travail reste une instance de prise de décision sur le fonctionnement quotidien mais avec un pouvoir réduit par rapport au collectif4.
4.
M. Guberman, D. Fournier, J. Belleau, J. Beeman et L. Gervais (1994). « Des questions sur la culture organisationnelle des organismes communautaires », Nouvelles pratiques sociales, vol. 7, no 1, p. 53.
392
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
Les organismes qui utilisent ce modèle sont surtout des centres de femmes, certains regroupements d’artistes ou des groupes de défense qui ont une tradition forte d’engagement des membres.
2.1.4. Le modèle autogestionnaire A
Le modèle autogestionnaire favorise une direction par les employés ou membres militants seulement, sans la contribution d’une assemblée ni d’un conseil d’administration. Ce sont les salariés qui dirigent seuls l’organisme.
Les organismes qui utilisent ce modèle sont surtout des groupes de services de « deuxième ligne » qui n’ont pas la prétention de représentation publique et qui veulent une structure légère et efficace : groupe de recherche technique, revue socioculturelle, militante ou d’opinion. Dans ce modèle, les salariés sont les membres de l’organisme, celui-ci étant la plupart du temps formé en vertu de la troisième partie de la Loi sur les compagnies qui porte sur les organismes sans but lucratif.
2.1.5. Le modèle coopératif A
Le modèle coopératif est balisé par la Loi sur les associations coopératives. Il comprend donc une assemblée de membres qui ont des pouvoirs très étendus, un conseil d’administration et un gérant à qui l’on confie la gestion quotidienne en lui accordant plus ou moins de marge de manœuvre. On peut lui adjoindre un comité de gérance qui assume ces pouvoirs en reléguant le gérant à un rôle de coordonnateur sans pouvoirs formels importants, mais avec un pouvoir d’influence certain.
Les associations coopératives d’économie familiale (ACEF) pratiquent ce modèle, qu’elles ont adapté au cours des années. Les coopératives de travail et les coopératives d’habitation ressemblent davantage au modèle autogestionnaire en ce sens que les membres qui forment la coopérative et qui doivent minimalement être trois sont essentiellement les sociétaires de l’entreprise. Les coopératives de travail sont encadrées par une loi particulière qui leur fait obligation de privilégier le développement de l’emploi. La formule
393
CHAPITRE 8 ◆ L’ORGANISATION DÉMOCRATIQUE ET LA GESTION DES ORGANISMES COMMUNAUTAIRES
LES
MODÈLES DE GESTION
Structure décisionnelle
Rôles des membres
Place des salariés
A Traditionnel
– hiérarchique – concentration à la direction générale
– décision – notion vague – peu engagés dans l’action – peu de comités
– assurent le – organisme fonctionnement de services quotidien directs
A Participatif
– horizontale – collective
– égale à celle – fortement des membres engagés dans les décisions et l’action avec les salariés
– organisme de défense des droits
A Collectif de travail
– horizontale, collective et informelle
– engagés dans les décisions et l’action
– petit groupe homogène (ex. : centre de femmes)
A Autogestionnaire
– direction par les salariés
– centrale – faible et ponctuel – les salariés sont les membres
– organisme de services et de formation de deuxième ligne
A Coopératif
– hiérarchique selon la loi : • assemblée ; • conseil ; • gérance
– fortement engagés
– coopération de travail et de logement
– importante
– égale à celle des membres
Exemple
coopérative est très marginale comme mode de gestion des organismes communautaires autonomes. Depuis quelques années, il existe aussi des coopératives de solidarité régies par cette même loi, qui prévoit une structure démocratique où se retrouvent les producteurs des services (salariés), les membres usagers des services et les représentants de la communauté où est enracinée la coopérative. La loi consacre par cette structure l’interdépendance des trois catégories de membres. On retrouve cette forme de coopérative surtout dans les nouvelles entreprises d’économie sociale de services à domicile pour personnes en perte d’autonomie.
394
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
2.2. LA GESTION DES ACTIVITÉS La gestion des activités se réalise en fonction de la même logique que le processus de prise de décision ou le processus d’intervention. On fait souvent référence à la « gestion par objectifs », car les bailleurs de fonds exigent de plus en plus la formulation de demandes précises qui énoncent clairement ce qu’on veut faire, comment, en combien de temps et, surtout, pour combien de dollars… Tout cela renvoie à la planification. Le plan de travail est l’outil essentiel à la gestion des activités. Un plan de travail, c’est un instrument collectif qui sert à organiser et à coordonner l’ensemble des activités d’un groupe : c’est un guide qui indique qui va faire quoi, quand et comment. On peut faire un plan de travail global pour l’ensemble des activités d’un groupe, ce qu’on nomme la programmation, ou pour une activité particulière. Le plan de travail contient normalement les éléments suivants : F l’état de la situation et le problème posé ; F les objectifs généraux de l’organisme ou de l’année ; F les objectifs spécifiques ; F les stratégies et tactiques pour y arriver ; F la répartition des responsabilités et des tâches ; F un calendrier ou échéancier.
Ce plan de travail peut être fait sous forme de tableau accroché au mur ou de feuilles que les salariés et membres peuvent consulter facilement. On peut faire des tableaux par activité, par objectif ou par période temporelle en utilisant des calendriers géants. Certains organismes doivent faire une planification sur deux ou trois ans afin de répondre aux exigences de bailleurs de fonds comme Centraide ou le gouvernement québécois. Il est important, dans l’esprit d’un travail collectif qui vise à favoriser l’engagement et à former des personnes avec des compétences variées, que ce tableau soit clair et facile à comprendre par toutes les personnes concernées.
CHAPITRE 8 ◆ L’ORGANISATION DÉMOCRATIQUE ET LA GESTION DES ORGANISMES COMMUNAUTAIRES
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Ce plan doit être revu régulièrement et corrigé s’il y a lieu. Un plan est un guide, non un carcan. Tous les éléments prévus ne se réalisant pas nécessairement, il faut savoir s’ajuster en conséquence. Le suivi peut se faire sous forme de réunion d’équipe avec toutes les personnes participantes ou avec celles qui assument la responsabilité d’équipe de travail et la coordination. C’est l’occasion de faire le point, de s’informer mutuellement et de corriger le tir si cela s’impose. La communication interne de l’organisme est un facteur important qui assure une coordination efficace entre les différents acteurs afin de faciliter une bonne appropriation du plan d’action mis à jour et une unité d’action. L’évaluation régulière, à la fin d’une étape et lors de la conclusion d’une action ou d’une activité, est la clé du succès. Dans le cadre d’une action à plus long terme, il faut savoir se ménager des temps d’arrêt. Ces pauses favorisent l’évaluation des objectifs et la réalisation de bilans d’étape qui permettent de repréciser les priorités ou les stratégies. Un temps d’arrêt peut aussi être l’occasion de fêter. Ces fêtes contribuent au climat de solidarité et laissent libre cours à l’expression des besoins affectifs des membres et des bénévoles. Enfin, ces activités peuvent être autant d’occasions de relancer l’organisme et d’accueillir de nouveaux membres.
2.3. LA GESTION DES RESSOURCES HUMAINES La gestion des ressources humaines s’applique d’habitude essentiellement aux salariés. En ce qui concerne les organismes communautaires, cette gestion touche également les bénévoles et les membres, surtout dans un organisme qui se fonde essentiellement sur leur participation.
2.3.1. Le personnel salarié On ne peut recourir aux mêmes critères d’évaluation pour des salariés travaillant selon des mandats, des personnes engagées sur une base militante, des membres qui offrent une disponibilité ponctuelle et des bénévoles.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
En ce qui concerne le personnel salarié, l’évaluation débute lors de l’opération de sélection qui précède l’engagement des personnes. Cette sélection peut se faire à différents niveaux et par différentes personnes, selon l’importance du poste à combler. Un poste de direction ou de coordination relèvera normalement de la responsabilité directe du conseil d’administration ou du comité exécutif. Ces instances pourront créer un sous-comité et y adjoindre des personnes-ressources de l’extérieur. Dans tous les cas, le comité de sélection précisera d’abord ses critères de sélection en fonction des exigences du poste à combler et des orientations de l’organisme. Pour certains postes de salariés on peut confier la responsabilité de la sélection à la direction ou à la coordination, mais il est préférable de constituer un comité, dans une perspective de décision collective et de gestion participative et démocratique. Les modalités de sélection peuvent prévoir divers types d’entrevues et même des rencontres avec les membres du conseil d’administration et le personnel salarié. La vérification des expériences antérieures est toujours la meilleure manière d’évaluer les compétences professionnelles d’une personne. La définition de tâches est intimement liée à la programmation ; on a donc tout intérêt à ce qu’elle soit claire et bien comprise ; le travail n’en sera que plus efficace. Encore faut-il que les bonnes personnes soient affectées aux bonnes tâches pour qu’elles puissent donner le meilleur d’elles-mêmes. Pour les organisateurs et travailleurs communautaires, la définition des tâches et le mandat posent souvent le problème de la double allégeance entre, d’une part, l’organisme employeur et, d’autre part, le groupe avec lequel ils travaillent. L’employeur définira les limites du mandat en fonction de ses attentes et de ses objectifs. Cependant, le groupe communautaire ou le regroupement ad hoc de citoyennes et citoyens peut exiger de l’intervenant qu’il aille au-delà de ces objectifs institutionnels. Cette situation se présente surtout dans les CLSC qui mandatent des personnes pour travailler auprès des groupes communautaires du milieu ou, à l’occasion, pour s’impliquer directement dans la formation d’une ressource communautaire. Les personnes engagées dans ces projets peuvent entrer en conflit avec l’organisme employeur, réaliser des actions qui contestent des politiques gouvernementales, des entreprises du milieu ou d’autres institutions. Il s’agit de situations où
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un organisateur peut être rappelé à l’ordre par son employeur, d’où ce dilemme entre deux allégeances. Une situation semblable peut aussi se présenter dans un groupe de ressources techniques, un centre d’action bénévole ou dans un organisme de développement économique communautaire. Il est tout à fait exceptionnel que les employés des groupes et organismes communautaires soient syndiqués. Par ailleurs, certains organismes proposent un contrat de travail à leurs employés dans le but de préciser les conditions d’emploi et d’éviter ainsi l’arbitraire. Si, à cause de la nature même des organismes communautaires, les salariés peuvent accepter des conditions de travail moins avantageuses que celles qu’ils auraient à titre d’employés de l’État, ils n’ont pas pour autant à cesser de revendiquer des conditions de travail bonifiées au fur et à mesure que la situation de l’organisme s’améliore5. Les travailleuses et travailleurs syndiqués des garderies ont utilisé cette approche dans leurs négociations avec le gouvernement québécois. L’évaluation des mandats peut se faire à l’occasion du bilan des activités. En équipe ou individuellement avec la personne responsable de la direction ou de la coordination, l’évaluation se fera en fonction des objectifs visés et de la description des tâches. Puisque les pratiques d’action communautaire sont aussi des activités éducatives, l’évaluation peut tenir compte des objectifs de développement personnel : habiletés, comportements, compréhension des problématiques. Quelle que soit l’approche, l’évaluation des ressources humaines devrait se faire dans une perspective formatrice, visant toujours l’amélioration des personnes6. Cela n’empêche pas d’avoir un regard critique sur soi et sur les autres ; on ne vise pas à « démolir », mais plutôt à construire en misant sur les forces de la personne. À l’heure où la pression du financement est particulièrement forte, il importe de faire appel à des mécanismes adaptés aux différentes situations : le roulement de personnel est d’autant plus grand que les modalités de financement par programme créent des emplois à durée fixe et qui demandent en plus des évaluations
5.
6.
S. Dumais et R. Côté (1989). Enquête sur les conditions de salaire et les conditions de travail des travailleuses et travailleurs au sein des groupes populaires, Montréal, Université de Montréal. Centre de formation populaire (1992). Op. cit.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
statutaires, notamment dans les programmes d’employabilité. On a donc à faire une évaluation qui serve les fins, parfois divergentes, de la personne, de l’organisme communautaire et du bailleur de fonds. On devrait être particulièrement sensible au fait que ces salariés sont dans des situations très différentes. Les exigences, les modalités d’évaluation et les conséquences de l’évaluation ne sont pas les mêmes selon que l’on a affaire à de jeunes professionnels qui commencent une carrière par des remplacements ou des contrats ou à des jeunes – ou moins jeunes – qui possèdent une scolarité de niveau secondaire et qui se trouvent dans des parcours d’insertion à l’emploi. On doit aussi considérer la personne « formée sur le tas » qui, dans un cheminement personnel, est passée d’« usager » à participant-bénévole actif et à salarié. La nature des tâches demandées par l’organisme doit alors être encore mieux planifiée pour soutenir un développement personnel parfois fragile. Il ne faut pas « brûler » une personne que l’organisme veut encourager à s’engager dans la vie associative. Si la participation au conseil d’administration est souvent perçue comme la finalité du cheminement d’une personne qui a utilisé les services d’un organisme, on a souvent vu des personnes « de la base » qui se sont épuisées à la tâche en devenant des administrateurs, ou en occupant des fonctions salariées de direction qui dépassaient leurs champs d’intérêt et leurs compétences. Il y a un équilibre à rechercher entre soutenir le développement d’une personne « formée sur le tas » et la mettre dans une situation d’échec potentiel. Donc, l’évaluation des salariés est un moment important qui demande une réflexion sensible et nuancée, mais sans complaisance. L’évaluation d’un salarié devrait être un moment privilégié de prise de conscience des acquis de la personne parallèlement à ceux de l’organisme. La formation et le perfectionnement, tant du personnel salarié que des bénévoles d’ailleurs, sont le prolongement logique de l’évaluation. IIs s’inscrivent dans la mission d’éducation populaire des organismes communautaires. La formation peut prendre l’allure formelle de sessions organisées par et pour le groupe, parfois avec l’aide de personnes-ressources extérieures. Elle peut aussi être permanente et intégrée au plan d’intervention. Peu importe la forme, le souci du perfectionnement doit être une préoccupation constante des groupes en intervention communautaire. Les groupes qui ont développé une culture de formation continue sont plus aptes à s’adapter aux changements conjoncturels et à soutenir un personnel,
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salarié et bénévole, ce qui favorise la confiance et la cohésion à l’intérieur du groupe. La formation, c’est souvent l’oxygène qui permet de lutter contre le burnout et le roulement du personnel. À cet égard, l’engagement d’un nouvel employé, l’adhésion d’un nouveau membre ou l’offre de service d’un bénévole peut être l’occasion d’un jumelage avec un membre ou un employé expérimenté qui transmettra ses connaissances dans le cadre des activités du groupe.
2.3.2. Le rôle et la place des membres La nécessité des membres étant reconnue, un organisme doit élaborer une structure qui permettra le développement des intérêts individuels et collectifs de ceux-ci. Les individus adhèrent à un groupe pour différentes raisons : rompre la solitude, obtenir de l’information ou une aide qui servira à résoudre un problème, profiter de certains avantages matériels ou même exercer du pouvoir. Au-delà de ces besoins que l’on qualifie de primaires, il y a des besoins secondaires comme la satisfaction personnelle, la reconnaissance, l’affection, l’entraide, le sentiment d’appartenance à un groupe ou à un milieu, le sentiment de pouvoir contribuer à un milieu, ce que l’on appelle parfois le sens communautaire. Tous ces besoins convergent vers le développement de l’autonomie personnelle et éventuellement collective. Il faut connaître les membres et leur motivation : ce sont des usagers satisfaits et reconnaissants, qui cherchent un lieu d’appartenance ou d’assurance devant des problèmes récurrents ; ce sont des bénévoles qui souhaitent contribuer socialement et activement à la qualité de vie de leurs concitoyennes et concitoyens ; ce sont des personnes sensibilisées qui veulent appuyer ponctuellement une « cause » ou une « œuvre ». Parfois, selon les types de groupes, les membres seront des militantes et des militants qui décideront de lutter contre une injustice ou une forme particulière d’oppression. Toute personne qui le souhaite et qui accepte les orientations, le mode de fonctionnement et les objectifs d’un groupe devrait y trouver sa place, contribuant ainsi, selon ses talents et sa disponibilité, à la réalisation de la mission du groupe. Au moment de la répartition des responsabilités et des tâches entre la permanence, les membres et les bénévoles, il est important de respecter
400
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
la disponibilité des personnes, leur état de santé, physique et affective, leurs goûts et habiletés. Inutile de placer une personne dans une situation dévalorisante, embarrassante ou de vouer d’avance ses efforts à l’échec. Cela ne signifie cependant pas qu’il faille soustraire des membres à certains défis personnels qui peuvent constituer d’importantes sources d’apprentissage. Il faut cependant respecter les considérations personnelles et les rythmes d’apprentissage de chacun. Tous les membres n’ont pas à être très actifs. Certains apporteront un soutien ponctuel ; d’autres travailleront très fort tant sur le plan du processus décisionnel que de l’action. Chaque personne apporte une contribution différenciée qui peut être tout aussi valorisée et valorisante pour les membres que pour l’organisme. Voilà le défi andragogique des organismes communautaires : réconcilier les objectifs d’action collective, qui nécessitent compétences et efficacité, avec les objectifs de développement personnel qui demandent de la sensibilité et de la persévérance. Un organisme qui réussit à bien intégrer ses membres, à les orienter vers des tâches valorisantes et génératrices de solidarité, assure son développement et prépare constamment sa relève. Cette participation des membres à la réalisation des tâches pose la question des liens avec les salariés et la permanence. S’il faut rechercher la complémentarité entre les uns et les autres, il existe souvent des tensions au niveau du partage des tâches et des attentes mutuelles. Les salariés vont avoir tendance à prendre beaucoup de place dans l’activité quotidienne et ne pensent pas toujours à transmettre aux membres tout ce qui est nécessaire à une intégration harmonieuse des divers niveaux d’intervention. Il peut se produire des frictions parce que la permanence formule des exigences irréalistes à l’endroit des membres. L’inverse n’est pas moins vrai : certains membres vont considérer les permanents comme étant leurs employés et avoir à leur égard des comportements patronaux classiques. Les responsabilités mutuelles doivent être claires et les rôles de chacun doivent être définis sérieusement afin d’éviter les mésententes et les conflits stériles. La transparence et le débat ouvert sont essentiels à la réalisation du partage des tâches dans un esprit de complémentarité et de solidarité. Nous verrons plus loin qu’il existe plusieurs types de structures démocratiques et plusieurs modèles de gestion qui détermineront les modalités du partage des responsabilités et des tâches.
CHAPITRE 8 ◆ L’ORGANISATION DÉMOCRATIQUE ET LA GESTION DES ORGANISMES COMMUNAUTAIRES
401
2.3.3. Le recrutement et la structure d’accueil des membres Un organisme doit définir une politique de membership et profiter des occasions de recrutement qui se présentent. L’utilisation des médias, les événements publics, les campagnes de financement, les fêtes sont autant de façons de faire connaître l’organisme et ses activités et d’y attirer des membres. La légitimité de l’action d’un organisme communautaire demeure cependant l’outil de recrutement par excellence. Le recrutement profitera d’outils simples, clairs et concrets, illustrant des réalisations significatives et exprimant le côté intéressant de l’organisme. Peu de gens s’impliquent pour « une cause » qui ne leur apporte rien personnellement. Ils seront souvent attirés par le côté agréable et valorisant de l’engagement. On est rarement intéressé à travailler avec des gens tristes, exprimant une conscience malheureuse, dans un organisme qui ne propose aucune solution. Il faut donc bien comprendre les facteurs de motivation des personnes qui viennent dans un organisme : il peut y avoir, d’une part, un malaise – pauvreté, solitude, manque d’information sur une situation – et, d’autre part, un espoir de développement personnel, de reconnaissance, de statut, l’intérêt des responsabilités confiées, les chances de promotion et d’avancement, le sentiment d’utilité et de contrôle, le sentiment d’appartenance, le plaisir. C’est la combinaison de la « poussée » du malaise et de la « tirée » de l’espoir qui contribue à l’engagement des personnes. L’accueil est le prolongement du recrutement. Pour favoriser la participation active et diversifiée des membres, il faut bien les accueillir. La « culture d’accueil » est une autre dimension importante qui favorise le développement des groupes : c’est la capacité des groupes à accepter les personnes qui viennent chercher de l’aide et offrir les contributions les plus diverses à leurs objectifs organisationnels7. L’information sur l’organisme est essentielle à l’engagement des nouveaux membres : origine, mission, objectifs, réalisations
7.
J. Beeman, J. Panet-Raymond, S. Racine, J. Rheault et J. Rouffignat (1997). « Les groupes d’aide alimentaire pour les personnes défavorisées : lieux de sociabilité ou de gestion de la pauvreté », Cahiers de recherches sociologiques, no 29, Montréal, Université du Québec à Montréal.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
importantes, plan d’action, structure de fonctionnement, portrait des membres, succès passés, etc. II ne faut cependant pas les étouffer sous une avalanche de données dont ils ne retiendront presque rien. Il faut doser le rythme et la quantité de l’information en fonction des capacités et des besoins de chacun. Le parrainage est une bonne façon de favoriser l’intégration des nouveaux membres. Il peut être complété par une rencontre collective dans un contexte de fête, ce qui permet une intégration agréable et chaleureuse, qui tient compte de la dimension affective de l’engagement. L’intégration par l’action est cependant le meilleur moyen. Un bulletin de liaison favorise la participation des membres. C’est un instrument qui définit les lieux de l’engagement et qui permet de mieux connaître les réalisations du groupe ; il stimule les membres et favorise la cohésion. Information, accueil, formation et partage des tâches dans le respect des différences sont les facteurs clés d’une participation fructueuse des membres et font partie de la gestion des ressources humaines, qui favorise le développement de l’organisation.
2.4. LA GESTION FINANCIÈRE La gestion financière favorise une utilisation maximale des ressources ainsi qu’une lecture rapide, facile et accessible de l’état des finances d’un organisme. On n’insistera jamais assez sur l’importance d’une bonne gestion des ressources financières ; d’autant plus que dans trop de groupes cette préoccupation est reléguée au second plan, tant pour cause d’incompétence que par négligence. Mentionnons qu’il existe une multitude de logiciels et de guides comptables8 pour faciliter la gestion adaptée aux besoins des groupes de toute taille. La gestion financière d’un organisme se fait normalement à l’aide de quatre outils principaux : le budget, la tenue des livres, les états financiers, la vérification comptable.
8.
Centre de formation populaire (1992). Op. cit.
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403
2.4.1. Le budget Le budget porte sur les prévisions de revenus et de dépenses pour une année financière. Il devrait donc traduire les priorités d’action en besoins financiers. Il existe une relation claire et incontournable entre la planification des activités ou de l’action et la planification budgétaire. Sans déterminer les objectifs d’action, qui doivent aussi tenir compte du degré de militantisme des membres et de l’apport en temps bénévole, le budget oblige le groupe à soumettre les activités projetées au test d’un procès de réalité. Il va de soi qu’un groupe communautaire, quelles que soient sa taille et les ressources dont il dispose, doit toujours viser un équilibre entre les revenus et les dépenses. De façon générale, les organismes qui disposent de fonds relativement importants préparent un budget par programme. D’ailleurs, cette méthode devient impérative lorsque les ressources financières proviennent de diverses sources, en vertu de projets précis. De plus, il est très utile, et facile, d’effectuer une mise à jour mensuelle des prévisions budgétaires. Ainsi, les personnes chargées de l’administration d’un organisme connaîtront en tout temps et de façon précise l’état de la situation financière. Cette connaissance contribue de façon significative à la gestion démocratique d’un groupe et correspond à une volonté de transparence. La préparation du budget peut se faire collectivement avec la participation des personnes responsables, ce qui favorise une évaluation plus précise du coût appréhendé des différentes activités. Une budgétisation globale équilibrera le poids relatif de chaque activité en fonction des ressources disponibles. La définition préalable des priorités est, dans ce contexte, extrêmement importante. Le conseil d’administration propose des prévisions budgétaires annuelles pour adoption par l’assemblée générale annuelle. Les ajustements en cours d’année seront effectués par les instances administratives concernées.
2.4.2. La tenue des livres La tenue des livres est l’opération par laquelle chaque dépense et chaque entrée de fonds sont inscrites dans un registre prévu à cette fin. La fonction de comptable est généralement assumée par une personne de la permanence ou par une personne bénévole compétente en cette matière. C’est une tâche technique qui ne peut être
404
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
laissée entre n’importe quelles mains. Elle doit être rigoureusement contrôlée par la personne mandatée à cette fin et par la personne assumant au conseil d’administration la responsabilité de la trésorerie. Il est cependant souhaitable que plus d’une personne soit formée à cette tâche afin d’éviter la dépendance en cas de défaillance de la personne responsable. La comptabilité doit constamment être mise à jour – cela pour éviter notamment les découverts bancaires – et les livres comptables accessibles. Le conseil d’administration doit exiger des états financiers qui l’aident à prendre des décisions éclairées. Enfin, nous ne pouvons ignorer le fait que la gestion financière des groupes et organismes communautaires relève parfois de l’art et de l’acrobatie. Les exigences stratégiques du financement imposent donc une nette habileté à bien comprendre les conventions comptables de manière à pouvoir parfois les interpréter correctement, c’est-à-dire au bénéfice du groupe et de ses membres. Les livres comptables « parlent ». Il est donc important que ce qu’ils révèlent reflète une réalité dont la démonstration est possible. Certaines personnes devenues expertes en la matière peuvent à cet égard être consultées avec profit.
2.4.3. Les états financiers Les états financiers offrent un portrait mensuel ou annuel des revenus et des dépenses ainsi que de l’actif et du passif de l’organisation. Ce portrait permet d’évaluer les tendances et le réalisme des prévisions budgétaires. C’est un outil essentiel grâce auquel on peut apporter les ajustements nécessaires. Les états financiers sont toujours présentés de façon comparative par rapport à une ou à des périodes antérieures afin de voir les progrès ou les retards sur le cheminement anticipé dans la planification.
2.4.4. La vérification comptable La vérification comptable correspond à une confirmation professionnelle de la qualité et de la véracité des états financiers : on parle alors d’états financiers vérifiés. La vérification comptable est réalisée par une personne qualifiée, généralement un comptable reconnu qui est mandaté par l’assemblée générale. Cette personne
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confirme la situation financière et peut faire des suggestions sur les procédures de tenue de livres pour que les outils soient le plus clairs et le plus efficaces possible. Le vérificateur ne se prononce pas officiellement sur la qualité de la gestion. Le recours aux services d’un vérificateur-comptable est impératif lorsqu’un groupe est soutenu financièrement par Centraide ou par l’État. Certaines firmes de comptables sont particulièrement compétentes en matière de vérification des états financiers des organismes communautaires. Il peut être utile de solliciter l’avis d’un autre groupe communautaire ou d’un regroupement national pour les connaître.
2.5. LA COORDINATION Bien que la fonction de coordination soit généralement confiée à un responsable attitré, il arrive que les responsabilités qui y sont rattachées soient partagées entre les membres de la collectivité ou d’un comité de coordination. Certains organismes choisissent aussi de confier ces tâches à une personne ayant le titre de directeur ou directrice général. Ce choix n’est pas neutre puisque, dans cette situation, les responsabilités déléguées par un conseil d’administration seront souvent plus nombreuses et investies d’une plus grande autorité à l’égard du personnel salarié. Le terme de directeur général ou directrice générale porte aussi une valeur symbolique qui n’est pas étrangère au modèle traditionnel de gestion. Par contre, les organismes qui choisissent de partager les tâches de coordination entre les membres d’un collectif ou d’un comité affirment clairement des valeurs d’égalité, de démocratie et d’entraide. Le choix que fera le groupe sera donc fonction de ses valeurs et de la cohérence éthique ainsi que des impératifs concrets, tels que le nombre de personnes salariées et de bénévoles et la diversité des services et activités offerts à la population. L’histoire du groupe, sa mission, la culture des membres et le style de leadership souhaité influencent aussi le type de coordination choisi. Le défi demeure l’équilibre entre l’efficacité et le respect de l’autonomie de chacun dans un esprit de responsabilité collective et de solidarité. Le rôle de la coordination est d’aider le groupe à mieux fonctionner, d’assurer la continuité et le respect des décisions et des mandats attribués par l’assemblée générale et le conseil d’administration.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
La coordination touche trois aspects interreliés de la gestion d’un organisme communautaire : les tâches politiques, les tâches techniques et les relations humaines.
2.5.1. Les tâches politiques Les tâches politiques sont celles qui tiennent à la réalisation des objectifs d’action et au suivi des décisions des instances « politiques» : assemblée générale, conseil d’administration, collectif. La coordination se réalise donc au quotidien dans le respect de la mission et des objectifs du groupe. La coordination assure la répartition des responsabilités parmi les salariés, les membres actifs dans les comités de travail et les bénévoles. La coordination s’assure que l’information circule à l’intérieur de l’organisation, entre les salariés, les membres et les bénévoles, d’une part, et les instances décisionnelles, d’autre part. Dans certains organismes, la personne qui a la responsabilité de la coordination siège au conseil d’administration, la plupart du temps sans droit de vote, mais, concrètement, avec un très grand pouvoir découlant de sa maîtrise de l’ensemble des opérations. La personne chargée de la coordination peut aussi avoir la tâche de représenter l’organisme publiquement et d’assurer la liaison avec les médias. Dans les organismes communautaires et leurs regroupements, c’est une tâche qui, dans la mesure du possible, devrait être réservée à des membres élus qui peuvent avantageusement projeter une image de légitimité et de crédibilité auprès de la population et des bailleurs de fonds. Dans la pratique, particulièrement au niveau des organismes nationaux, cette fonction de représentation est assumée par la coordination ou la direction générale. Les responsabilités politiques incluent enfin les relations avec les bailleurs de fonds : préparation des demandes de financement, négociation, suivi. À notre avis, il est préférable que ces tâches soient aussi partagées ou assurées conjointement avec les membres élus pour ajouter force et crédibilité, et pour rechercher l’équilibre entre la démocratie et l’efficacité à court terme.
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2.5.2. Les tâches techniques Les tâches techniques sont de nature à être partagées entre les salariés, les membres ou des équipes de travail. La préparation des demandes de subvention, la planification de moyens d’action, le suivi, le contrôle, l’évaluation et la formation, le souci de l’efficacité et de la participation collective, la préparation et l’animation de réunions d’équipe ou du conseil d’administration, le travail de secrétariat, l’amélioration du fonctionnement, le fait de répondre à tous les imprévus qui peuvent survenir sont autant de tâches techniques que la coordination ou la direction générale n’a pas à assumer seule. Bien au contraire, la force d’un organisme communautaire s’exprime souvent par la diversité des actrices et des acteurs, par sa capacité à susciter l’engagement des membres et des bénévoles dans la réalisation d’un ensemble de tâches. La coordination devient alors ce lieu où l’on s’assure que tous les efforts vont bien dans la même direction. Certains organismes confient à la coordination la responsabilité des communications internes. Nous suggérons que cette tâche, comme d’ailleurs les tâches liées au secrétariat et à la gestion administrative, soit réalisée en équipes de travail. Il nous semble en effet que c’est plus formateur et plus mobilisateur. Le travail de coordination sera donc centré sur le contrôle de la dynamique générale de l’organisme plutôt que sur des tâches particulières en maintenant les liens entre celles-ci. Il nous paraît aussi essentiel d’insister sur le fait que la personne responsable de la coordination d’un organisme ou d’une activité doit également mettre la main à la pâte, quand bien même ce ne serait que pour pouvoir apprécier concrètement les exigences particulières d’une tâche. Toutes les tâches doivent être valorisées et distribuées équitablement pour favoriser une dynamique de solidarité et d’entraide.
2.5.3. Les relations humaines Les relations entre les personnes sont sans doute les plus délicates, celles pour lesquelles on est souvent le moins bien préparé. Le coordonnateur doit maintenir un esprit d’équipe parmi les salariés, les membres et les bénévoles. Il doit contribuer au maintien de la cohésion et de l’unité nécessaires à la réussite du groupe. La personne responsable de la coordination peut être appelée à régler des
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conflits, à soutenir un collègue qui vit des difficultés personnelles ou connaît des problèmes de travail. La tâche de la coordination est de conseiller, encourager, stimuler et réconcilier tous les membres de l’équipe. Il faut donc gagner leur confiance en faisant preuve de discernement, de discrétion et de respect.
2.6. LES FONCTIONS ET LES RÔLES NATURELS DANS UN GROUPE La description des tâches de la coordination nous amène logiquement à discuter des différentes fonctions dans un groupe. On a vu la diversité et la quantité des tâches, les différentes motivations et habiletés des membres, de même que l’équilibre qu’il faut maintenir entre tous ces éléments. Chacun doit y trouver son compte. La personne responsable de la coordination doit-elle assurer seule cet équilibre ? Nous avons déjà affirmé que non. Plusieurs personnes y contribuent dans le cadre des fonctions qu’elles occupent et des rôles qu’elles sont appelées à jouer9. Il est opportun de souligner qu’il y a des rapprochements à faire entre les principes et théories qui régissent la vie de groupe et la dynamique qui s’exprime au cours d’une réunion ou lors d’un travail en équipe. La réunion est souvent le reflet des rapports qui se jouent quotidiennement dans le groupe. En fait, la réunion est un moment clé dans la vie de groupe, car c’est là que se manifestent les tensions et que se prennent les décisions qui détermineront les actions à prendre. Le chapitre 7 sur l’animation des réunions aborde ce sujet de façon détaillée. Cela dit, le travail d’équipe se manifeste dans la structure formelle démocratique et la dynamique de réunion. Il se vit en réunion et au-delà de la réunion, à travers les fonctions et les rôles naturels, mais il doit relever les mêmes défis que ceux que nous avons abordés dans d’autres sections : l’accueil et l’ouverture, l’oxygénation des membres, l’entraide, la confiance individuelle et collective, l’équilibre entre les intérêts individuels et collectifs,
9.
Y. Saint-Arnaud (1989). Les petits groupes : participation et communication, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal.
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l’enthousiasme et la convivialité, le plaisir, l’authenticité, l’égalité et l’équité entre les membres, la gestion des conflits et l’évaluation continue, la communication entre les membres.
2.6.1. Les fonctions de l’intervenant communautaire Parmi les fonctions propres à ce qui fait l’objet de cet ouvrage, celle d’intervenant communautaire est des plus importantes. Les rôles suivants sont ceux qui seront le plus souvent confiés à l’intervenant communautaire : informateur, consultant, formateur, animateur de réunion, aide technique, évaluateur, agent de développement, médiateur, représentant et délégué. Cette fonction peut se concevoir de deux façons. D’une part, nous définissons, dans la présentation de ce livre, l’intervenant communautaire comme étant une personne qui agit de manière organisée et systématique dans le développement de son milieu. Cette définition, plutôt générale, a le mérite d’élargir la portée de la fonction à des personnes militantes, bénévoles ou salariées qui œuvrent au sein d’un groupe communautaire. Mais cette fonction est liée à l’intervention communautaire plutôt qu’à la gestion administrative au secrétariat, par exemple. D’autre part, il est aussi évident que l’intervention communautaire est devenue un métier, une pratique professionnelle exercée par des organisatrices et des organisateurs communautaires à l’œuvre dans les CLSC, les divers organismes communautaires autonomes, les communautés religieuses, les YMCA, les groupes de soutien technique, les centres d’action bénévole, les regroupements nationaux. Le rôle et le mandat de l’intervenant communautaire varieront donc en fonction des besoins exprimés par l’organisme-employeur. Cette personne-ressource est avant tout au service du groupe ou du noyau d’individus ayant sollicité son aide. Des intervenants communautaires professionnels rattachés à des institutions occupent parfois des postes élus à des conseils d’administration d’organismes qu’ils ont contribué à mettre sur pied. Selon nous, ce rôle outrepasse leur fonction. Pire, certains intervenants communautaires au service d’établissements étatiques accaparent parfois des fonctions représentatives réservées au milieu communautaire dans certaines instances régionales ou nationales comme les agences de santé et de services sociaux ou à des tables
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nationales de concertation. Cette situation nous semble peu souhaitable. Dans tous les cas de figure, l’organisatrice ou l’organisateur communautaire doit éviter de se placer en situation de conflit d’intérêts ou d’ingérence trop marquée dans les affaires des organismes autonomes.
2.6.2. Les rôles naturels Les rôles naturels tiennent plus à la personnalité, à l’expérience, à la compétence et à l’habileté, aux attentes et aux comportements personnels qu’à des fonctions dans un groupe. Ces rôles n’en sont pas moins importants et ils peuvent avoir une influence déterminante sur le développement d’un groupe : ils peuvent paralyser celui-ci dans des conflits stériles ou le faire avancer considérablement. Il s’agit de bien repérer les rôles et d’en tirer parti dans le développement du groupe. Parmi les plus fréquents on peut nommer : le leader fonctionnel qui est concentré sur la tâche, le leader affectif qui s’occupe du climat d’un groupe, l’humoriste qui détend le groupe, le silencieux qui peut observer ou demeurer passif, le « verbomoteur » qui monopolise l’attention et le dominateur qui occupe toute la place au détriment de la participation des autres membres du groupe.
2.7. LES MOMENTS DIFFICILES Un groupe peut vivre des moments difficiles au cours des différentes phases de son évolution : surcharge de travail, planning soumis à des événements conjoncturels, compressions budgétaires, diminution de la participation des membres, absence de visibilité dans les médias, immobilisme ou démobilisation, conflits idéologiques, politiques ou personnels, remise en question de la mission et manque de direction claire, échec des revendications, absence de relève, etc. Les conflits sont de nature organisationnelle ou socioaffective. Ces problèmes peuvent trouver leur solution dans une bonne organisation, une gestion rigoureuse et l’application de quelques principes élémentaires favorisant le développement harmonieux d’un groupe : des orientations claires, des objectifs cohérents et des moyens pour les atteindre, la prévision d’une gestion
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démocratique et transparente soutenue par des mécanismes de communication favorisant la participation de toutes les personnes qui le désirent. Malgré ces principes il n’y a pas de recette magique et des conflits risquent d’éclater autour d’incidents mineurs. En dépit des efforts d’un groupe pour éviter les conflits, certains surgiront de temps à autre et illustreront parfois les luttes de pouvoir à l’intérieur du groupe. La gestion des tensions et des conflits doit tenir compte à la fois des intérêts du groupe et du respect qu’on doit aux personnes. C’est un équilibre souvent difficile à atteindre. Les valeurs portées par l’action communautaire devraient guider les intervenants communautaires dans la recherche de solutions à des conflits internes. Il ne faut cependant pas occulter les conflits ni les ignorer. Une situation conflictuelle doit être considérée comme normale dans la vie d’un groupe et même comme une occasion de clarification et d’apprentissage. Les conflits font partie de la normalité de la vie en société. Les conflits de nature socioaffective sont plus difficiles à aborder. Ils commandent une bonne dose de sensibilité et d’empathie qui, souvent, fait défaut. Ainsi, on comprendra mieux les motivations qui poussent les personnes à adhérer à un groupe : solitude, besoin d’aide matérielle, de soutien affectif ou d’information, besoin de reconnaissance, volonté de croissance personnelle… Ce n’est que dans un deuxième temps que les gens voudront s’associer à une démarche collective de groupe pour contribuer à un projet en y jouant un rôle actif. Il est aussi important de comprendre la situation économique, familiale et culturelle et l’état de santé des personnes pour mieux saisir les motivations de chacun, les attentes, les disponibilités, les attitudes et les causes des tensions d’origine socioaffective. On peut ainsi mieux comprendre les jalousies, les peurs, la timidité, les besoins de valorisation, qui sont autant de facteurs de nature à expliquer l’incapacité d’un groupe à sortir d’une situation conflictuelle. L’un des problèmes les plus fréquents dans les groupes, ce sont les conflits de pouvoir provoqués par des personnes qui jouent au « p’tit boss ». Ces personnes s’octroient des mandats et des pouvoirs qui outrepassent ceux qui leur ont été conférés démocratiquement. Elles prennent beaucoup de place, ne favorisent pas les
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décisions collectives, imposent leurs idées sans écouter celles des autres et prennent des décisions qui peuvent entraîner le groupe dans des positions précaires pour sa survie : engagements financiers, position publique non autorisée ou contraire à la mission, etc. Il arrive qu’un intervenant communautaire connaissant le groupe soit appelé à intervenir dans le règlement des conflits. Il lui faudra être très conscient des situations objectives et des perceptions ou opinions qui s’opposent. De façon générale, les conflits de nature socioaffective peuvent trouver leur solution dans des pratiques fondées sur le respect des personnes, la valorisation de leur engagement et l’établissement d’une nette démarcation entre les intérêts du groupe et ceux de chacun des individus qui le composent. L’intervenant favorisera donc une approche de collaboration et de franche confrontation, respectueuse et non accusatrice, pour réconcilier deux personnes ou deux positions divergentes. On a alors tout à gagner à déterminer le plus rapidement possible les aires de convergence. Dans cet esprit, il faut épouser une stratégie « gagnant-gagnant », qui permet à tout le monde de gagner quelque chose et surtout de ne pas perdre la face. Si une solution de compromis n’est pas possible ou si le groupe n’arrive pas à contenir ces personnes, on jugera peut-être utile de faire appel à une ressource extérieure capable d’apporter une expertise et un regard frais sur une situation difficile. Ces ressources peuvent être des personnes connues pour leur expérience et leur sagesse, des consultants privés ou certains organismes communautaires spécialisés. Une ressource extérieure qualifiée et acceptée par le groupe n’est pas une panacée, mais elle constitue en quelque sorte un filet de sécurité, en réduisant la crainte d’une escalade des hostilités. On fait normalement preuve d’une certaine retenue en présence d’un étranger, ce qui contribue à réduire les tensions. La ressource externe peut aussi se permettre de poser des questions et de soumettre des hypothèses sans restriction et sans préjugé. Un expert-conseil compétent sait reconnaître les forces d’un groupe et il construira sur cette fondation. Parfois, l’appel à une personne extérieure permet tout au plus de laisser le temps faire son œuvre en imposant un moratoire aux hostilités. Mais ce temps
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de répit, avec l’arrivée d’une personne extérieure, est souvent suffisant pour rappeler la mission et les objectifs du groupe, définir les rôles différents dans le groupe et leur légitimité. Cet exercice favorise la recherche de points de convergence, notamment entre les intérêts collectifs et individuels.
3.
LA PARTICIPATION À DES REGROUPEMENTS, TABLES DE CONCERTATION ET COALITIONS Depuis une vingtaine d’années les groupes communautaires ont senti le besoin de se regrouper sous une forme ou une autre, par affinité, afin d’être moins vulnérables et collectivement plus efficaces. Ces regroupements répondent à des besoins dans différents domaines : formation, coordination de l’action au niveau régional, national et fédéral, impact plus marqué lors de la réalisation de certaines actions, soutien mutuel, services communs, communication, etc. On assiste à une véritable explosion de regroupements de toutes sortes, et ce, depuis le milieu des années 1980. Plusieurs coalitions et regroupements sont nés des besoins d’opposer un contre-pouvoir aux politiques des gouvernements provincial et fédéral, et de négocier des participations et responsabilités des organismes communautaires dans ces politiques. Cela a parfois donné naissance à des regroupements communautaires calqués sur les ministères ou sur les programmes gouvernementaux et reproduisant, par mimétisme, le jargon et le style lourd des structures gouvernementales. Il devient alors assez difficile de s’y retrouver dans la panoplie des nombreux regroupements et tables qui veulent représenter les mouvements communautaires autonomes. De temporaires et axés sur une lutte conjoncturelle, certains sont devenus des structures permanentes qui cherchent à préciser leur rôle tout en menant encore des luttes fort pertinentes. Bien que ces regroupements soient nés pour offrir un contre-pouvoir démocratique, ils sont devenus de lourdes bureaucraties peu favorables à une démocratie active et ouverte à sa base. Les regroupements prennent des formes diverses et adoptent différentes structures pour soutenir leurs objectifs : regroupements et fédérations, tables
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de concertation et coalitions sont des formes d’organisation différentes, même si plusieurs10 les confondent.
3.1. LA NATURE ET LES FORMES DES REGROUPEMENTS Regroupement d’associations
Association de groupes autonomes qui décident de mettre en commun une orientation et une action et de se donner les services nécessaires au développement et à la promotion de leur activité spécifique11. Une association a un caractère permanent et elle est structurée en fonction de règles définissant ses orientations, ses objectifs d’action et de services mutuels, les conditions d’appartenance des groupes-membres, les modalités de prise de décision et la cotisation de chacun. Les membres d’un regroupement sont habituellement de taille et de nature comparables. Ils partagent sensiblement les mêmes objectifs et œuvrent dans le même domaine ou secteur. Or, le mot « sectoriel » est objet de confusion : il peut être lié aux formes d’intervention (éducation populaire, défense de droits), à la population (femmes, familles, jeunes) ou à la problématique (immigration, consommation, logement, alphabétisation). Ces regroupements naissent du besoin de mettre en commun une expertise et des services, mais, surtout, ils illustrent le besoin de générer un rapport de force susceptible d’avoir un impact sur l’élaboration des politiques étatiques et de provoquer certains changements de nature sociopolitique. C’est en se regroupant que l’on peut influencer et changer des mentalités, une législation et des décisions d’institutions publiques ou privées. Parmi les regroupements connus au Québec, mentionnons : L’R des centres de femmes, la Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec (FNACQ), l’Association québécoise pour la défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR), le Regroupement des maisons de jeunes du Québec A
10. Centre de formation populaire (1992). « Le travail en coalition », Pop Com, vol. 3, no 1, p. 5-7. 11. L. Brunet (1985). Les centres de femmes ont-ils un avenir ? Montréal, Comité d’étude provincial des centres de femmes, p. 21.
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(RMJQ), la Fédération des centres d’action bénévole du Québec (FCABQ). On voit la diversité des termes pour désigner un même genre de regroupement d’organismes semblables. On retrouve aussi des coalitions ou regroupements vraiment plus vastes, qui sont clairement intersectoriels, tel le Comité aviseur à l’action communautaire autonome (CAACA), créé essentiellement pour conseiller le Secrétariat à l’action communautaire autonome (SACA). Les coalitions
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Une coalition est l’association ponctuelle de groupes autonomes autour d’une action collective de changement social12 ou encore « A group of diverse organizational representatives who join to influence external forces on one or more issues affecting their constituencies while maintaining their own autonomy13 ».
La coalition est centrée sur un objectif plutôt circonscrit habituellement de nature sociopolitique, donc normalement limité dans le temps : l’abolition d’une loi, la revendication d’une réforme, le changement d’une décision politique. Les groupes y sont plus ou moins variés tant par leur taille que par leur nature et leurs objectifs. Les coalitions peuvent même inclure des membres individuels. Il peut donc se former des coalitions à caractère sectoriel ou multisectoriel, selon la nature de l’objectif visé et l’ampleur de la coalition. Par exemple, les luttes sur une problématique précise, comme le prix des loyers dans les HLM, réunira dans un premier temps des groupes d’un même secteur d’activité, dans ce cas-ci le logement. Les coalitions sont multisectorielles lorsqu’elles touchent un sujet plus large, comme le financement des organismes communautaires ou le droit au travail. Elles peuvent aussi être locales, régionales, nationales, fédérales, voire continentales ou internationales (la Marche mondiale des femmes). Les règles de fonctionnement interne d’une coalition sont plus souples que celles d’un regroupement et sont rarement écrites sous forme de règlements internes formels. On peut mentionner les coalitions suivantes : Coalition pour l’emploi, Coalition contre les coupures dans l’éducation des adultes, Coalition pour l’avortement
12. L. Brunet (1985). Op. cit. 13. T. Mizrahi et B. Rosenthal (1983). « Managing Dynamic Tensions in Social Change Coalitions », dans T. Mizrahi et J. Morrison (dir.), Community Organization and Social Administration, New York, Haworth Press, p. 14.
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libre et gratuit, Coalition du Grand Montréal contre la Loi sur la sécurité du revenu, Forum Grande Baleine, Réseau québécois pour le désarmement et la paix, etc. On utilise à l’occasion le mot « front » pour désigner une coalition créée pour mener une lutte dans un rapport conflictuel. Le « front commun » est la coalition formée par les trois grandes centrales syndicales pour négocier un contrat de travail avec le gouvernement du Québec au début des années 1970. Le mot est resté pour désigner certains organismes regroupés qui se définissaient avant tout par une lutte contre des politiques publiques. Cette expression est moins utilisée actuellement, mais il reste des fronts devenus permanents, tels le Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ) et le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), des regroupements sectoriels qui conservent un rôle de lutte et de mobilisation et sont axés sur la défense des droits collectifs. C’est le terme de solidarité qui a pris la relève des fronts dans les années 1990. Il s’agit de coalitions créées pour changer des politiques spécifiques, devenues permanentes. Solidarité populaire Québec est née en 1986 pour protéger les programmes sociaux du couperet gouvernemental et elle regroupe encore des organismes communautaires et des syndicats qui luttent sur plusieurs fronts sociopolitiques. La Coalition Solidarité Santé est née en 1994 pour protéger le système des services sociosanitaires. Solidarité rurale a été créée pour dénoncer les politiques qui contribuent à la disparition des municipalités rurales et de toute l’économie rurale. On utilise aussi le terme de solidarité pour nommer des coalitions régionales (Solidarité populaire Estrie) et locales (Solidarité Villeray) qui tentent de coordonner les organismes communautaires pour favoriser le développement communautaire local. Les tables de concertation
A
Une table de concertation est un processus formel de gestion et de coordination, mais qui n’est pas fortement hiérarchisé ni fortement institutionnalisé. Ce processus repose sur l’adhésion volontaire d’un ensemble d’agents autonomes regroupés (table) en vue de préciser et d’atteindre des objectifs communs touchant l’échange d’information, la formation ou des actions concrètes 14.
14. J. Panet-Raymond (1998). Texte inédit.
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La table de concertation, tout en étant tournée vers l’action, est un lieu d’échange où les membres peuvent se donner des services internes. De caractère essentiellement temporaire, de plus en plus certaines tables s’établissent de façon permanente et se donnent des structures de fonctionnement précises : membres, mode de prise de décision, rythme des réunions, etc. Cette forme de structure se situe entre le regroupement et la coalition. La table de concertation est souvent multisectorielle, réunissant des groupes de nature différente autour d’une même problématique. Depuis quelques années, on assiste à une véritable explosion de tables de toute nature au Québec. Mais plusieurs tables sont créées par des établissements publics. Les CLSC sont particulièrement actifs dans la création de tables de concertation où sont abordées diverses problématiques surtout au niveau local, mais aussi au niveau régional. Ce sont les intervenants communautaires qui ont la responsabilité de mettre sur pied et d’animer ces tables. Plusieurs tables sont nées essentiellement en réaction à des politiques gouvernementales : les tables régionales des organismes volontaires en éducation populaire (TROVEP) en réponse aux politiques d’éducation populaire (1977), la Table de concertation des organismes de Montréal au service des réfugiés contre les coupures de l’aide sociale aux réfugiés (1983), la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles (TRPOCB), qui a été mise sur pied dans le sillon de l’adoption de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, en 1991, afin de discuter des principes et modalités d’évaluation des organismes financés par le ministère de la Santé et des Services sociaux, la Table nationale contre la Loi sur la sécurité du revenu, les tables de concertation (de quartier) contre la pauvreté, les tables de concertation (de quartier) jeunesse, les tables (de quartier) sur le maintien à domicile. La plupart de ces regroupements, tables et coalitions se forment tant aux niveaux local, régional que national et fédéral, à l’exception des regroupements sectoriels au sens strict du terme qui, eux, seront d’envergure nationale avec, parfois, une antenne fédérale. Il faut dire que les termes de regroupement, table et coalition sont souvent utilisés comme synonymes et que les regroupements au sens large évoluent souvent pour s’éloigner de leur mission originale, de sorte que leur nom d’origine ne correspond pas toujours
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à la réalité d’aujourd’hui. Il y a aussi parfois des considérations tactiques qui poussent à utiliser un terme plutôt qu’un autre.
3.2. LES STRUCTURES DES REGROUPEMENTS La nature des regroupements et leurs objectifs déterminent en grande partie leur structure. On distingue deux grandes catégories d’objectifs : le service et l’action. Les services internes aux membres, tels la formation, la recherche, les communications internes et externes, l’échange et le soutien technique, sont offerts pour soutenir l’action au niveau local. Ils sont développés au fil des besoins et des demandes des groupes-membres. Par exemple, L’R des centres de femmes réalisera une étude sur l’impact de l’utilisation des projets d’employabilité dans les centres, afin d’éclairer ces derniers dans leur choix de sources de financement. Un regroupement comme l’Association québécoise pour la défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR) peut aussi soutenir un groupe qui souhaite fonder une organisation locale. L’action se concrétise par des campagnes de sensibilisation, par des tactiques de pression publique sur les décideurs, par la publicisation de cahiers de revendications, par la création de services, par des activités de démarchage mieux connues sous le nom de « lobbying », par des manifestations publiques parfois spectaculaires, comme la Marche mondiale des femmes en 2000. La plupart du temps, les regroupements d’organismes réalisent aussi bien des activités liées à la prestation de services à leurs membres que des actions. Un regroupement sectoriel se verra confier plus de responsabilités par les groupes qui le composent, au risque pour ceux-ci de céder une part de leur autonomie. Les exigences mêmes de l’action imposent ce transfert afin que l’on puisse ajuster les stratégies selon la conjoncture. Dans ces conditions les mandats doivent être très clairs pour éviter les fuites en avant de la permanence nationale ou régionale. Les regroupements, souvent sollicités par les événements et les médias, doivent réagir rapidement. Cela peut mener à des prises de position publiques qui devraient se situer à l’intérieur de grandes orientations adoptées par les membres.
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Il existe donc une tension entre le local et le national, entre la démocratie directe et une délégation assez large d’autorité à l’instance centrale, d’où l’importance de mandats clairs. Même si ces tensions sont normales, elles doivent être prévues dans le développement organisationnel en créant des contre-pouvoirs ou des moyens de contrôle souples mais efficaces. Certains regroupements se donnent aussi des structures régionales qui ont des responsabilités plus spécifiques de décision ou de coordination. Ces structures peuvent constituer un pont qui favorise une meilleure intégration des niveaux de décision et d’action. Les tables de concertation sont généralement plus ouvertes, multisectorielles, moins formalisées et axées sur l’échange, la coordination et l’action. Les structures sont généralement assez souples, mais elles varient énormément selon la nature et les objectifs. La structure de permanence est très légère et souvent assumée par les organisateurs communautaires de CLSC ; cependant, de plus en plus de tables sont devenues des regroupements dans les faits. Les structures des coalitions reposent sur la confiance et sur des décisions claires quant aux objectifs et aux stratégies. En principe, une coalition est ponctuelle, mais dans les faits et dans la mesure où l’objectif n’est pas atteint rapidement, certaines « coalitions » poursuivent leur action pendant plusieurs années : pensons ainsi à Solidarité populaire Québec, à la Coalition Solidarité Santé, à la Coalition contre les coupures dans l’éducation des adultes, à la Coalition du 1 % dans le secteur des arts et de la littérature.
3.3. LES CONDITIONS D’EXISTENCE Les conditions sociales qui stimulent et justifient l’existence des différentes formes de regroupements peuvent être ramenées à quatre15 : la conjoncture, la volonté et l’engagement des groupesmembres, la contribution et la participation des groupes-membres, la disponibilité de personnes compétentes.
15. J. Panet-Raymond et D. Bourque (1991). Partenariat ou « pater-nariat » ? Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal.
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La conjoncture correspond à un contexte social où la détérioration des conditions de vie rend les groupes favorables à une action nécessitant la mise en commun d’énergie et de ressources, en vue de combattre les causes à l’origine des difficultés que connaît une partie importante de la population. Ce sont le caractère d’urgence et la faisabilité qui déterminent l’opportunité d’une coalition ou d’une table de concertation. Ce sont aussi l’expérience passée et le climat de confiance qui détermineront le désir de collaborer. Des groupes échaudés n’adhéreront pas à une concertation ou à une coalition. L’engagement des groupes est une condition essentielle. Il peut être motivé par un intérêt très immédiat ou par des principes et des valeurs. Il est important de vérifier le niveau d’engagement avant de lancer ouvertement l’idée de concertation ou de coalition. La contribution des groupes est un autre élément important. Cette contribution peut être variée. Certains contribuent par leur cohérence idéologique et leur capacité d’analyse, ce qui peut aider utilement à la formulation des objectifs et à l’établissement du mode de fonctionnement. D’autres le font par la possibilité qu’ils offrent de rejoindre et de mobiliser plusieurs groupes et un grand nombre de personnes. D’autres, enfin, contribuent en fournissant des ressources financières, logistiques et humaines. Il faut comprendre que le type et l’ampleur de la contribution et de l’engagement peuvent être variables. Ainsi certains groupes seront au cœur de la démarche et agiront comme « porteurs de dossier » et leaders, alors que d’autres, même s’ils sont très engagés publiquement, n’assumeront pas pour autant un rôle de coordination. Certains apporteront une contribution technique mais non politique : par exemple, un groupe ou même un organisme public comme un CLSC, ne se sentant pas en mesure d’appuyer publiquement un regroupement, peut le soutenir en fournissant des ressources ou en diffusant de l’information. D’autres, enfin, apporteront un appui très ponctuel, comme la signature d’une pétition, la participation à un événement public, la diffusion d’une déclaration. La disponibilité de personnes compétentes est aussi nécessaire à la viabilité d’un regroupement. Cette compétence peut s’exprimer sur le plan de la recherche et de l’analyse, de la planification et de
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la stratégie, des moyens d’action, de la communication, de la gestion et de l’évaluation. La réunion de toutes ces conditions ne permet pas nécessairement d’éviter l’apparition de conflits entre les groupes, d’où l’importance de lieux de discussion et de décision démocratique pour prévenir les crises possibles.
3.4. LA PERTINENCE DES REGROUPEMENTS Les regroupements d’organismes favorisent le perfectionnement des pratiques, la circulation de l’information, la formation des membres, la planification d’actions communes, l’émergence de nouveaux leaders et certaines économies d’échelle par la planification de services communs. Nous pourrions aussi ajouter que les regroupements sont l’expression de la nécessaire solidarité entre les groupes communautaires. Le regroupement représente une force collective parfois non négligeable. Il peut accorder une certaine protection à des organismes qui ne pourraient agir publiquement ou seuls à cause des pressions de bailleurs de fonds. Par ailleurs, il ne faut pas nier l’existence d’intérêts divergents parmi les groupes participants. Cette situation peut contribuer aux difficultés d’en arriver à des consensus et à des actions. Les regroupements peuvent être lourds et source d’une grande perte de temps pour des personnes qui doivent d’abord être au service de leurs membres et de la population qu’ils servent. Ils peuvent aussi, comme nous l’avons déjà noté, contribuer à une perte d’autonomie des groupes de base. À la limite, certains regroupements, particulièrement la multiplication des tables de concertation, deviennent des alibis pour justifier l’inaction. C’est pourquoi plusieurs groupes de base se refusent à toute participation à des tables ou les envisagent avec un regard très critique, malgré des pressions très fortes pour y participer. Ce regard critique sur la participation à une coalition ou à une concertation est un réflexe sain de bonne gestion. Il permet aussi un débat plus démocratique au sein de l’organisme.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
CONCLUSION L’organisation démocratique et la gestion sont des éléments de base dans l’action communautaire. Les conditions de réussite de l’action collective peuvent tenir à des éléments conjoncturels, mais il est impossible d’ignorer les facteurs internes liés à l’organisation même. Malgré tous les principes et outils décrits, l’organisation et la dynamique humaine jouent pour beaucoup et rendent la structure démocratique fragile eu égard aux aléas qui surviennent inévitablement dans la vie d’un groupe.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE ARSENAULT, G. et al. (1997). Votre association (corporation sans but lucratif), Québec, Gouvernement du Québec. BOILY, M. (2000). Rôle, responsabilités et obligations des différentes instances d’un organisme communautaire, Laval, Corporation de développement communautaire. CENTRE DE FORMATION POPULAIRE (1992). « Le travail en coalition », Pop Com, vol. 3, no 1, p. 5-7. CENTRE DE FORMATION POPULAIRE (1983). Les finances de nos organisations, Montréal, CFP. CENTRE DE FORMATION POPULAIRE (1979). Le fonctionnement de nos organisations, Montréal, CFP. DESFORGES M., M. DESILETS et L. DESMARAIS (1983). Des outils pour l’action communautaire, Québec, ministère de l’Éducation du Québec, DGEA. FÉDÉRATION DES CLSC DU QUÉBEC (1993). Pratiques d’action communautaire en CLSC. Document de réflexion. FOURNIER, D., N. GUBERMAN, J. BEEMAN et L. GERVAIS (1995). Regard sur la culture organisationnelle communautaire, Montréal, Université du Québec à Montréal. GUAY, L. (1999). Pour un mouvement communautaire citoyen, SaintJérôme, Regroupement des organismes communautaires des Laurentides (ROCL).
CHAPITRE 8 ◆ L’ORGANISATION DÉMOCRATIQUE ET LA GESTION DES ORGANISMES COMMUNAUTAIRES
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GUBERMAN, N., D. FOURNIER, J. BELLEAU, J. BEEMAN et L. GERVAIS (1994). « Des questions sur la culture organisationnelle des organismes communautaires », Nouvelles pratiques sociales, vol. 7, no 1, p. 45-62. LAMOUREUX, H. (1999). Membres, usagers ou clients ?, Regroupement intersectoriel des organismes communautaires de Montréal (RIOCM), ROC 03, ROC Estrie. MARCOTTE, F. (1986). L’action communautaire, Montréal, Éditions Saint-Martin. MARTEL, P. (1997). Administrateurs de corporations sans but lucratif : le guide de vos droits, devoirs et responsabilités, Montréal, Éditions Wilson et Lafleur. MATHIEU, R. (1993). Agir ensemble démocratiquement. Montréal, Regroupement des groupes populaires en alphabétisation du Québec. PANET-RAYMOND, J. et D. BOURQUE (1991). Partenariat ou paternariat ?, Montréal, Université de Montréal. SAINT-MARTIN, I. (1991). Encadrement juridique des collectives, Montréal, Relais-femmes. TABLE DES REGROUPEMENTS PROVINCIAUX D’ORGANISMES COMMUNAUTAIRES ET BÉNÉVOLES (2002). Compte rendu des journées de réflexion, 27-28 novembre 2001, Montréal. TROTTIER, S. (2001). Trousse de formation sur la gestion féministe, à l’intention des groupes de femmes et autres groupes communautaires, Montréal, L’R des centres de femmes du Québec. TROVEP-ESTRIE (1993). L’Atout. Manuel de ressources pour l’action communautaire, Sherbrooke, TROVEP-Estrie.
CHAPITRE
9
LE FINANCEMENT Jean Panet-Raymond Jocelyne Lavoie
PLAN DU CHAPITRE 9
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. Comprendre la conjoncture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Les stratégies de financement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Les sources de financement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1. Le gouvernement fédéral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2. Le gouvernement du Québec et les institutions publiques . . 3.3. Les municipalités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.4. Les fondations et les Centraide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.5. Les communautés religieuses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.6. Les entreprises. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. La planification et la préparation des demandes de financement. . 4.1. La préparation du dossier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2. La présentation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3. Le suivi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5. L’autofinancement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.1. Pourquoi l’autofinancement ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5.2. La planification de campagnes et d’activités . . . . . . . . . . . . . . 5.3. Les moyens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6. L’évaluation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Webographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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INTRODUCTION L’argent est le nerf de la guerre, a-t-on coutume d’affirmer. Il peut aussi être la cause d’un certain nombre de situations plutôt difficiles. Les organismes consacrent au financement énormément d’énergie et de ressources, souvent au détriment des objectifs qu’ils s’étaient fixés initialement1. La question du financement des organismes communautaires est donc cruciale et complexe. Elle relève de la dynamique politique à l’intérieur de laquelle évoluent les organismes communautaires autonomes, mais aussi les institutions publiques (CLSC, agences, écoles, etc.) qui ont recours à des pratiques communautaires. Le financement des organismes, particulièrement ceux qui sont fondés sur l’action militante et sur la défense des droits collectifs, est en tête des préoccupations d’un grand nombre d’intervenantes et d’intervenants communautaires. En effet, les ressources disponibles pour les organismes communautaires ne sont jamais acquises. Elles changent au gré de la conjoncture politique, de l’état des finances publiques. C’est pourquoi la situation financière des groupes est toujours précaire. Malgré cela certains tirent mieux leur épingle du jeu que d’autres en ayant accès à un financement de base et en utilisant une variété de moyens créatifs, en sollicitant des bailleurs de fonds privés et publics ainsi que la population en général. Après avoir boudé le financement trop contraignant qu’on leur offrait, plusieurs organismes communautaires semblent aujourd’hui résignés à assumer la responsabilité de cette mission de remplacement, particulièrement au niveau des services de première ligne dans le domaine sociosanitaire. Plusieurs font même l’apologie de ce qu’ils nomment « l’avènement d’un tiers-secteur d’utilité sociale » qui marquerait
1.
C. Gagné (1995). « Organismes communautaires : un financement difficile », La Presse, 22 janvier 1995, p. B-2 ; J. Panet-Raymond et D. Bourque (1991). Partenariat ou pater-nariat ?, Montréal, Université de Montréal.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
un gain qualitatif quant à l’organisation des collectivités2. Cette vision de l’État minimal, devenue « acceptable », tout en demeurant critiquée, peut paraître favorable aux organismes communautaires. Ne valorise-t-elle pas le bénévolat, la prise en charge, la décentralisation, la concertation et le partenariat ? Dans ce chapitre, nous n’aborderons pas les détails techniques des activités de financement. Plusieurs guides3 traitent de cette dimension de la question avec compétence. Nous préférons renvoyer le lecteur à ces ouvrages, nous réservant plutôt certains éléments portant sur le lien entre le financement et la vie d’un organisme communautaire, notamment : l’importance de comprendre la conjoncture, la dimension stratégique, les principes qui devraient sous-tendre les demandes de subventions et les différentes sources de financement. Les défis de l’autofinancement seront traités avant de clore ce chapitre par l’évaluation de l’ensemble des activités d’autofinancement. Nous aborderons ces questions en ayant pour constante préoccupation la pertinence, l’utilité et les limites du financement.
1.
COMPRENDRE LA CONJONCTURE Le processus de désengagement de l’État d’un grand nombre de ses responsabilités sociales a des conséquences directes sur les organismes communautaires, particulièrement sur ceux qui offrent des services directs à la population et qui se voient de plus en plus confinés dans des activités orientées vers la complémentarité aux ressources publiques. Les porte-parole de l’État reconnaissent bien volontiers que le communautaire constitue une solution de rechange non seulement valable, mais de plus en plus recherchée.
2.
3.
L. Guay (1994), Entrevue, Pop Com, Montréal, Centre de formation populaire ; J.-L. Laville (1992). Les services de proximité en Europe : pour une économie solidaire, Paris, Syros/Alternative ; Y. Vaillancourt (1994). « Éléments de problématiques concernant l’arrimage entre le communautaire et le public dans le domaine de la santé et des services sociaux », Nouvelles pratiques sociales, vol. 7, no 2, p. 227-248. Centre de formation populaire (1983). Les finances de nos organisations, Montréal ; L’R des centres de femmes (1986). Les centres de femmes parlent d’argent, Montréal ; TROVEP-Estrie (1993). L’Atout. Manuel de ressources pour l’action communautaire, Sherbrooke.
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Depuis le Sommet socioéconomique pour l’emploi en 1996, l’État semble avoir « redécouvert » la rentabilité non seulement sociale mais aussi économique des organismes communautaires4 en misant notamment sur l’économie sociale comme mode d’insertion privilégié des personnes exclues qui sont notamment prestataires de la sécurité du revenu. Depuis 1996, on a donc vu augmenter le financement aux organismes et naître le Fonds d’économie sociale ainsi que le Fonds de lutte contre la pauvreté par l’insertion en emploi, dotés respectivement de 240 et de 250 millions de dollars sur trois ans. Ces deux fonds ont été renouvelés pour une période indéterminée en 2000. De plus, à la suite du Sommet de la jeunesse en 2000, le gouvernement a institué le Fonds jeunesse doté d’un budget de 245 millions sur trois ans. S’ajoutent de nombreux programmes de financement pour la prestation de services en alphabétisation, justice et réhabilitation, hébergement, services à domicile, etc.5. Notons que les programmes de développement de l’employabilité (gérés essentiellement par Emploi-Québec depuis le « rapatriement » des services du ministère fédéral du Développement des ressources humaines en 1999) ont été particulièrement importants dans le financement des organismes communautaires de développement de l’employabilité depuis le début des années 1990. Ces programmes ont aussi servi à plusieurs groupes qui, sans avoir une mission d’employabilité, ont pu utiliser ces fonds pour un ensemble d’activités parce qu’ils engageaient des personnes qui suivaient des mesures d’employabilité. Cependant, cette forme de financement a subi quelques crises budgétaires ministérielles, en 1999 et 2000, ce qui a affecté lourdement certains organismes, en particulier dans la région montréalaise. On remarque donc une tendance lourde qui est de financer des services tout en visant l’insertion socioprofessionnelle de prestataires de la sécurité du revenu, ce qui exige énormément d’encadrement de la part des organismes communautaires en plus d’avoir un impact sur la prestation efficace de services.
4.
5.
Gouvernement du Québec (2001). Document d’orientation du Sommet, 1996 ; R. Mathieu, V. Van Schendel, D.-G. Tremblay, C. Jetté, L. Dumais et P.-Y. Crémieux (2001). L’impact socio-économique des organismes communautaires et du secteur de l’économie sociale dans les arrondissements de la Ville de Montréal, Laboratoire de recherche sur les pratiques et les politiques sociales (LAREPPS), Université du Québec à Montréal. Secrétariat à l’action communautaire autonome – SACA (1997). État de situation de l’intervention gouvernementale auprès des organismes communautaires, Québec, SACA.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
Enfin, la dernière pièce maîtresse du gouvernement québécois est la Politique de reconnaissance et de soutien de l’action communautaire, adoptée à l’été 20016. Cette politique, promise par le Parti québécois en 1995, prévoit une reconnaissance de la mission autonome des organismes de l’action communautaire, le soutien financier des activités liées à cette mission (« financement de base »), le financement d’activités complémentaires aux missions ministérielles par des ententes de service précises ou des projets ponctuels, l’élaboration de moyens de reddition de compte qui soient compatibles avec le respect de l’autonomie des organismes communautaires autonomes. De plus, la Politique envisage de soutenir directement les regroupements nationaux et régionaux et maintient les rôles du Secrétariat à l’action communautaire autonome (SACA) comme conseiller du ministre, coordonnateur de l’application de la Politique et responsable du Fonds d’aide à l’action communautaire. Le Comité aviseur à l’action communautaire autonome (CAACA) devient « un interlocuteur privilégié » des organismes communautaires autonomes. Plusieurs organismes (CAACA, Bulletins de 1999-2000) déchantent et posent un regard très critique sur cette reconnaissance « utilitariste » de l’action communautaire, qui ne garantit ni une augmentation substantielle du financement (la ministre responsable a promis une augmentation de 50 millions de dollars pour les trois premières années d’application de la Politique) ni le respect par chaque ministère et chaque région des grands principes de la Politique. On soulève notamment la question de la définition et de l’intégrité même des organismes communautaires. Les gouvernements, tant québécois que fédéral, reconnaissent en principe la contribution sociale des organismes communautaires7. Cependant ils ne cautionnent pas nécessairement l’intégralité de leur mission, particulièrement leur dimension « subversive » ou critique, ni leur mode de gestion différent. Cette reconnaissance est donc partielle, utilitaire, voire opportuniste. Elle ne vaut que pour
6.
7.
Gouvernement du Québec (2001). L’action communautaire : une contribution essentielle à l’exercice de la citoyenneté et au développement social du Québec, ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, septembre. Loi sur les services de santé et les services sociaux (1991), art. 335 ; Gouvernement du Québec (2001). L’action communautaire : une contribution essentielle à l’exercice de la citoyenneté et au développement social du Québec. Op. cit.
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CHAPITRE 9 ◆ LE FINANCEMENT
les groupes et organismes qui s’inscrivent dans la continuité et la complémentarité des politiques d’État. Ainsi, les gouvernements financeront certains organismes qui effectuent des activités de maintien à domicile auprès des personnes âgées ou handicapées physiquement ou mentalement. Avec des enveloppes budgétaires qui ne progressent pas au rythme des besoins et une tendance au financement par projet, on observe même un resserrement des normes administratives et des critères de financement. Dans le domaine de la santé et des services sociaux les organismes doivent de plus en plus s’intégrer dans des stratégies nationales et régionales définies par les agences de la santé et des services sociaux et souvent appliquées par l’intermédiaire des directions de santé publique et les CLSC, dont les organisatrices et organisateurs communautaires sont des ressources de relais importants. On doit plus particulièrement souligner les nombreux programmes touchant la petite enfance, les jeunes et les jeunes mères (« Naître égaux et grandir en santé », « Y’a pas de parents parfaits–YAPP »), les actions auprès de la jeunesse, qui prennent des noms différents selon les régions (Projet jeunesse montréalais, À toute jeunesse en Montérégie) ainsi que les nombreux programmes de prévention des MTS et du VIHsida et des toxicomanies qui visent beaucoup les jeunes. Tous ces programmes se veulent intégrés à une approche globale de la santé visant les déterminants de la santé et misant sur la promotion et la prévention ; les stratégies partenariales, de concertation et intersectorielles deviennent donc incontournables et constituent un critère important de financement des groupes communautaires autant que des CLSC8. Les gouvernements, les fondations et les entreprises acceptent de subventionner des activités précises et ponctuelles. Dans ce contexte, le financement des infrastructures et du fonctionnement général devient de plus en plus réduit et rare. Il faudra voir dans quelle mesure la nouvelle politique soutiendra réellement la mission globale des organismes. Dans les faits, le financement, et plus particulièrement les conditions liées à son obtention, devient une des sources potentielles de dérive des organismes les plus dangereuses par rapport à leur mission originale. Des groupes mettent
8.
Agence de la santé et des services sociaux de Montréal-Centre (2001). Fonds intégré de mise en œuvre des priorités régionales en santé publique 1997-2001, Montréal.
432
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
de côté les perspectives de changement social et de défense des droits au profit de services individuels et curatifs qui sont l’objet de financement9. La reconnaissance réelle de l’utilité sociale des organismes communautaires autonomes, la nécessité de leur autonomie, le respect de la dynamique de développement qui leur est propre et de la forme de démocratie qu’ils proposent sont donc autant d’enjeux liés au financement. Tout cela s’oppose à la domestication, à la dénaturation, à la dépendance et même à la division entre les groupes eux-mêmes que certains modes de financement actuels favorisent. Cet état de fait rejoint les préoccupations éthiques et politiques d’un nombre important d’intervenantes et d’intervenants communautaires et soulève un questionnement. Il porte sur la substance des choses et, au-delà des opportunismes plus ou moins faciles, il ramène la fonction essentielle du communautaire à l’avant-plan de nos préoccupations. Cette fonction essentielle consiste à offrir aux personnes l’occasion d’affirmer leur volonté d’être des sujets, des citoyennes et des citoyens conscients qui peuvent contribuer de façon décisive à la qualité de la vie en société, en l’absence de toute contrainte autre que celle de la solidarité active (CAACA, Bulletins de 1996 et 1998). Verra-t-on se maintenir la tendance au développement des groupes de service aux dépens des groupes de défense des droits ? La régionalisation des ressources financières de certains ministères contribuera-t-elle au rétrécissement de la marge de manœuvre des groupes ? Les groupes communautaires doivent-ils se transformer en outils de développement de l’employabilité de personnes ? Doivent-ils accepter d’occuper ce créneau parce qu’un financement l’accompagne ? La nouvelle politique de reconnaissance et de soutien de l’action communautaire sera-t-elle un cadre pouvant assurer une amélioration des conditions de financement et surtout une réelle reconnaissance et un financement adéquat de la mission de base des organismes communautaires autonomes ? Toutes ces questions touchent la finalité même des groupes et organisations communautaires autonomes. Ce questionnement
9.
H. Lamoureux (1998). « La santé à deux vitesses : le Québec des vautours », Le Devoir, 8 août, p. B4 ; J.-F. René et J. Panet-Raymond (2001). « Le mouvement communautaire au Québec comme espace de transactions sociales vers une citoyenneté active et un développement social », Forum. Revue de la recherche en travail social, AFORTS, Paris, no 95.
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CHAPITRE 9 ◆ LE FINANCEMENT
devrait inciter les groupes à la concertation, dans une perspective d’affirmation de leur spécificité. Les négociations avec les agences de la santé et des services sociaux, les différents ministères et certaines ressources privées comme Centraide ne doivent pas se dérouler sur un fond de concurrence plus ou moins sourde des groupes entre eux en cherchant à obtenir la plus grosse part du gâteau. Quel que soit le contexte et bien au-delà des conjonctures, les organismes communautaires autonomes sont condamnés à solliciter le soutien de l’État. Leur espace de liberté sera d’autant plus grand qu’ils seront capables de faire la preuve non seulement de leur utilité sociale, mais aussi de leur enracinement dans leur milieu. Cela pose la question du membership et de la qualité du rapport avec la population locale. Ces questions sont traitées ailleurs dans ce livre.
2.
LES STRATÉGIES DE FINANCEMENT Devant les défis actuels et en tenant compte des enjeux liés au financement de leurs activités, les groupes communautaires doivent élaborer des stratégies de financement fondées sur leurs besoins réels. Ils doivent également tenir compte des stratégies définies entre les groupes membres d’un même regroupement et entre ces regroupements aux niveaux régional et national (les regroupements intersectoriels des organismes communautaires – RIOC, ROC, TROC – et la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles – TRPOCB). Le Comité aviseur de l’action communautaire autonome (CAACA) assume depuis 1996 ce rôle de coordination et de représentation de l’ensemble du mouvement communautaire autonome. Il a réussi à mobiliser les nombreux regroupements sectoriels et intersectoriels afin de former un front uni devant le gouvernement, plus particulièrement en ce qui regarde le projet de Politique de reconnaissance et de soutien de l’action communautaire. Si les facteurs externes déjà relevés plus haut constituent autant de variables sur lesquelles il peut être difficile d’exercer un contrôle, les groupes peuvent néanmoins gérer les facteurs internes et mettre en place une administration efficace et créative.
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Une stratégie de financement est essentiellement un plan d’ensemble qui vise à assurer des revenus à un organisme communautaire par divers moyens. Une telle stratégie entraîne donc des choix politiques et éthiques. a) La stratégie doit d’abord être en harmonie avec la mission et les objectifs de l’organisme. On conçoit mal, par exemple, qu’un groupe de défense des consommateurs comme une association coopérative d’économie familiale (ACEF) reçoive de l’argent d’entreprises qu’elle dénonce. b) Cette cohérence veut aussi dire que la stratégie est liée à la stratégie de communication : il faut se faire connaître avant de se faire reconnaître en vue d’être financé. c) La stratégie doit respecter la gestion financière de l’organisme. Un organisme devra avoir une tenue de livres et une gestion transparentes et au-dessus de tout soupçon. d) La stratégie doit tenir compte de l’environnement social, économique, culturel, politique et organisationnel. Il est bon de connaître les tendances et les attentes des bailleurs de fonds. Il peut être utile de consulter des collaborateurs (groupes locaux ou regroupements) et même de s’entendre avec eux, avant de finaliser une stratégie à l’égard d’un gouvernement, d’une agence de la santé et des services sociaux ou de Centraide, qui restreignent les budgets et qui favorisent des partenariats avec tel ou tel genre d’organisme. e) Enfin, la stratégie doit être fondée sur les besoins de l’organisme et sur l’ensemble des sources de revenu potentielles. Trop de groupes ont tendance à définir leur plan d’action en fonction du financement accessible au risque de perdre le sens de leur mission. Certes, on tient toujours compte des ressources en définissant son plan d’action, mais celui-ci ne doit pas être totalement déterminé par les critères des bailleurs de fonds. La stratégie permettra de définir les priorités de financement en fonction de l’énergie disponible, des chances de réussite, des contraintes administratives et des contraintes politiques. La stratégie de financement commande donc un bon débat entre salariés et membres des instances décisionnelles. Elle devrait être discutée et
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435 adoptée à l’assemblée générale. L’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie de financement constituent donc une excellente occasion de mobiliser les membres et de mener des activités d’éducation populaire. Ce débat et l’acceptation démocratique d’une stratégie de financement devraient permettre de résoudre l’éternel dilemme éthique des groupes qui hésitent entre les contrôles liés aux subventions gouvernementales, plus particulièrement les programmes d’employabilité, et l’autonomie relative que procure une bonne base d’autofinancement. La stratégie de financement contribue donc à planifier les démarches auprès des bailleurs de fonds potentiels et à mobiliser les membres dans des activités de représentation et de financement autonome. Elle favorise la distribution des responsabilités quant à la participation à des tables ou regroupements. Elle est enfin une occasion de mesurer la force réelle de l’organisme, c’est-à-dire non seulement le degré de réceptivité qu’il trouve chez les bailleurs de fonds, mais aussi sa capacité réelle à mobiliser ses membres et la communauté d’appartenance. La stratégie de financement sera plus ou moins complexe selon la nature et la taille de l’organisme. Certains organismes de services peuvent être financés presque exclusivement par une seule source, par exemple le ministère de la Santé et des Services sociaux (Programme de soutien aux organismes communautaires) ou EmploiQuébec, alors que d’autres auront une stratégie de financement fondée sur une pluralité de sources de revenu. La condition de l’indépendance d’action et de l’autonomie politique repose toutefois pour beaucoup sur la diversification des sources de financement et, dans la mesure du possible, sur l’accès à un autofinancement : cotisations des membres, activités, etc. La stratégie de financement d’un organisme s’inscrit dans sa stratégie générale d’action. Par conséquent, elle suit le parcours des étapes d’un plan d’intervention telles que nous les avons définies dans le chapitre 3 de cet ouvrage. Il est sans doute utile de noter que certaines activités peuvent combiner des objectifs liés à l’obtention de résultats tant financiers qu’éducatifs et sociaux. Par exemple, une assemblée publique d’information sur un problème environnemental peut aussi être une occasion de solliciter l’appui financier des personnes présentes: vente de t-shirts, tirage d’une œuvre d’art, vente de documents, etc.
436
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
3.
LES SOURCES DE FINANCEMENT Certains annuaires et guides font connaître les nombreuses sources de financement accessibles10. Ce sont des outils précieux, d’autant plus que plusieurs de ces sources potentielles peuvent changer d’une année à l’autre. Certains programmes gouvernementaux et qui émanent des agences de la santé et des services sociaux seront modifiés en fonction des priorités du moment, alors que d’autres disparaîtront. Un organisme comme Centraide suivra l’évolution des politiques de l’État et celle des problématiques sociales, tout en ayant des priorités et des particularités adaptées aux besoins de la région11. Cela rend la tâche des groupes plus difficile, car il leur faut constamment rester au fait des changements. Toutes les sources de financement que nous avons relevées peuvent être ponctuelles ou récurrentes. Elles obéissent aux caprices de l’évolution des politiques sociales et sont liées au caractère impondérable des mesures d’économie décrétées par les différents ordres de gouvernement.
3.1. LE GOUVERNEMENT FÉDÉRAL Plusieurs ministères fédéraux, comme Patrimoine Canada, Développement des ressources humaines Canada (DRHC), Santé Canada, Condition féminine Canada, ont traditionnellement soutenu un grand nombre d’organismes communautaires. On peut même affirmer que l’essor des organismes communautaires autonomes est largement tributaire de ce soutien. De plus, le gouvernement fédéral remet aux provinces la gestion de programmes (santé, éducation, sécurité du revenu, formation professionnelle) par la création du Transfert canadien de soutien aux programmes sociaux (TCSPS) et de l’entente de 1998 entre DRHC et Emploi-Québec. Ce transfert aux provinces ne s’est pas accompagné d’un transfert équivalent de ressources financières. Par conséquent, les gouvernements provinciaux ont dû à leur tour sabrer dans les dépenses sociales. Toute
10. Canadian Centre for Philanthropy (1990). Canadian Directory to Foundations, Toronto. 11. Centraide du Grand Montréal (2000). Bâtir des communautés d’entraide et soutenir leur capacité d’agir, Chantier sur les enjeux sociaux ; Centraide Québec (2000). Une société qui se tire dans le pied, document de réflexion sur la pauvreté ; Centraide Laurentides (2001). Rapport annuel.
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cette dynamique n’était pas de bon augure pour de larges secteurs de l’activité communautaire. Parmi les programmes de financement les plus importants dans les années récentes, on doit signaler le Programme d’action communautaire pour les enfants (PACE), qui permet à plusieurs maisons de la famille et organismes familiaux de mener une variété d’activités éducatives avec les parents et les enfants en milieu économiquement pauvre. Enfin, il ne faut pas oublier que Santé Canada cherche à compléter l’action du MSSS en matière de santé des populations en favorisant des actions novatrices et leur évaluation ; ce sont souvent des projets pilotes pouvant servir de modèles par la suite, toujours dans une approche globale de la santé visant à agir sur les déterminants de la santé et misant sur la promotion et la prévention par des stratégies de concertation intersectorielle12. On doit souligner que le gouvernement fédéral se préoccupe de plus en plus du statut d’organisme charitable et de la transparence de la gestion des organismes bénévoles et communautaires. Il faut dire que « l’industrie » de l’action volontaire – comme on l’appelle au Canada – est en plein développement, notamment grâce à des mesures qui visent à l’encourager : diminution des services publics, reconnaissance accrue de l’action volontaire, fiscalité qui encourage les dons de charité, engagement actif à l’occasion de l’Année internationale de l’action bénévole en 2001 par des fonds de recherche et un soutien organisationnel13.
3.2. LE GOUVERNEMENT DU QUÉBEC ET LES INSTITUTIONS PUBLIQUES Le gouvernement du Québec joue un rôle de plus en plus important à mesure que le fédéral se retire de champs d’intervention qu’il occupait en profitant de son pouvoir de dépenser. La politique québécoise de soutien financier aux organismes communautaires s’oriente depuis les années 1990 vers des projets inscrits dans des programmes qui ciblent des populations et des problématiques de plus en plus
12. Santé Canada (1999). Fonds pour la santé de la population, Ottawa, Santé Canada. 13. On peut en savoir plus long en visitant le site de « L’initiative sur le secteur bénévole et communautaire » (www.vsi-isbc.ca/fr/index.cfm) et celui du Centre canadien de philanthropie (www.ccp.ca) qui joue un rôle important de coordination et de soutien de toutes ces initiatives bénévoles.
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précises. Il est donc de plus en plus contraignant d’avoir un financement pour des activités de défense des droits, d’éducation populaire et de mobilisation vers des transformations sociales. Sans être exhaustif, le portrait qui suit donne des indications sur l’état actuel de la situation, qui, faut-il le préciser, évolue constamment14. En fait, le SACA (www.mess.gouv.qc.ca/francais/saca/index.htm) est, par son mandat, la meilleure source d’information sur l’ensemble des programmes gouvernementaux de financement. Le SACA doit aussi favoriser l’accès et les liens entre les organismes communautaires et les divers programmes de financement. De plus, il gère le Fonds d’aide à l’action communautaire autonome qui finance trois programmes, lesquels visent le soutien à la défense collective des droits, aux cibles prioritaires (jeunes, femmes, populations vulnérables) et au développement du milieu communautaire autonome. Ce fonds, qui a été un enjeu important des négociations, se veut une planche de salut pour plusieurs projets qui ne correspondent pas aux programmes très ciblés des divers ministères et pour les groupes qui ne peuvent ou ne veulent pas devenir des « partenaires » de ces ministères. Enfin, c’est aussi le SACA qui finance le CAACA et qui a piloté la rédaction de la proposition de politique, toujours sous la responsabilité du ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale. On voit donc les rapprochements avec la préoccupation de l’insertion et de l’emploi qui se profile constamment dans le financement de l’action communautaire. La direction du ministère de la Santé et des Services sociaux, qui contribue le plus par le Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) du MSSS, a été régionalisée pour être administrée essentiellement par les agences de la santé et des services sociaux (240 millions de dollars en 2001). Emploi-Québec, par ses nombreux programmes de développement de l’employabilité et d’insertion socioprofessionnelle (96 millions de dollars en 2001),
14. Un tableau du financement de l’action communautaire se trouve en annexe de la Proposition de politique (SACA/Québec, Projet de politique de reconnaissance et de soutien de l’action communautaire, 5 avril 2001). Pour un portrait plus détaillé on peut consulter le document produit par le gouvernement dans le cadre des négociations menant à la proposition de politique (Québec, État de situation de l’intervention gouvernementale auprès des organismes communautaires, juin 1997) qui décrit chacun des programmes, les montants disponibles, les critères d’admission. Ce document est disponible sur le site de la Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles (www.trpocb.cam.org).
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soutient aussi des organismes qui n’ont pas comme mission l’employabilité. Et cela n’inclut pas les 28 millions versés aux carrefours jeunesse emploi (CJE), qui sont considérés par les mouvements d’action communautaire autonomes comme des organismes communautaires pas tout à fait autonomes, en raison de leurs origines de création (souvent une volonté très politique d’un député), de leur financement exclusivement public, d’une structure peu participative et peu démocratique, etc. Enfin, plusieurs organismes communautaires tentent aussi d’utiliser le Fonds de lutte contre la pauvreté par l’insertion au travail et le Fonds d’économie sociale pour financer des services qui peuvent favoriser l’intégration de prestataires de la sécurité du revenu tout en visant une rentabilité financière. On peut donc parler d’une obsession gouvernementale de l’insertion par l’emploi qui colore le soutien financier de l’action communautaire15. Et cela crée des tensions pour les groupes qui ont une priorité éducative et de transformation. Quant au ministère de l’Éducation, qui a « gelé » pendant longtemps le financement de l’éducation populaire et de l’alphabétisation, il semble vouloir poursuivre son soutien à l’alphabétisation et à l’éducation populaire (17 millions de dollars en 2001). Par ailleurs, quelques ministères, comme celui des Relations avec les citoyens et de l’Immigration et celui de la Justice, investissent un peu plus dans les activités de type communautaire. Cependant, ce soutien s’inscrit dans une logique de complémentarité aux organismes publics et n’est accessible que dans la mesure où les groupes acceptent de se soumettre aux impératifs de la planification nationale et surtout régionale. Inutile de dire que cette intégration de certaines ressources communautaires à la stratégie de développement social de l’État n’est pas sans conséquences sur les organismes. Mentionnons les programmes de développement de l’employabilité liés aux mesures de la sécurité du revenu. Ces programmes comportent non seulement des contraintes administratives liées à l’encadrement des personnes engagées (temps de formation, manque de continuité, courte période des stages), mais aussi un problème d’éthique que nous avons déjà soulevé, notamment sur les conditions de travail des participants
15.
J.-F. René, J. Panet-Raymond, M. Provost et C. Lefebvre (2000). L’intégration des personnes assistées sociales et le rôle de l’État, Conseil québécois de développement social.
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(non régies par la Loi sur les normes du travail, rémunération symbolique, aucun statut de travail, peu de perspectives d’emploi, cercle vicieux de la pauvreté, etc.). Le dilemme des groupes n’est pas nouveau : malgré une critique sur le principe et les modalités des programmes, plusieurs groupes en dépendent et les utilisent, tout en revendiquant leur abolition dans les conditions actuelles. L’R des centres de femmes a ainsi mené une étude sur leur utilisation et a poursuivi une réflexion qui a abouti à une résolution adoptée en assemblée générale après deux ans de débats menés localement et régionalement. Le problème était de taille, puisque près des deux tiers des centres recouraient à des programmes d’employabilité. De plus, bon nombre de ces centres ne disposaient pas de source de financement récurrente. La décision adoptée par l’assemblée générale en juin 1995 fait état de l’opposition à l’utilisation « en principe et en pratique des mesures d’employabilité » et prévoit un délai d’un an pour que les centres s’y conforment. La résolution insiste aussi sur l’importance de poursuivre les revendications pour que ces programmes deviennent volontaires, axés sur les besoins des personnes et qu’ils offrent des reconnaissances du travail accompli. Or, les programmes sont maintenant reconnus par la Commission des normes du travail à la suite des pressions exercées par les groupes et, par conséquent, la politique interne du Regroupement des centres de femmes est devenue désuète. Cette résolution ressemble à la position que le Chic RestoPop a adoptée presque au début de son existence, c’est-à-dire que ces programmes peuvent représenter une façon d’aider des personnes appauvries à sortir de leur isolement et leur donner des outils de formation qui seront transférables. Mais les conditions d’ensemble (et pas seulement le non-respect des normes du travail) des programmes y sont dénoncées. Il faudra voir si la nouvelle politique de reconnaissance pourra réellement soutenir de façon stable les activités liées à la mission des organismes. C’est l’enjeu fondamental de l’acceptation de ces missions, même si celles-ci ne correspondent pas aux missions gouvernementales. Un autre enjeu réside dans le maintien de la stabilité par un financement triennal et suffisant pour assurer la survie et l’intégrité des organismes communautaires autonomes. C’est l’acceptation de la différence et de la société civile soutenue par l’État. Ce ne sera pas facile à réconcilier avec « l’instinct de contrôle » de l’État.
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441 Les agences de la santé et des services sociaux sont de plus en plus au cœur du financement des organismes communautaires actifs dans les champs de la santé et des services sociaux. Elles gèrent l’essentiel du Programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC)16. Le principal objectif ici est d’être reconnu à titre d’organisme d’utilité sociale ayant un statut de partenaire des réseaux publics. Chaque région pouvant établir des priorités différentes, les groupes communautaires doivent être en mesure de faire valoir les leurs, d’où l’utilité des tables sectorielles et intersectorielles de concertation dont l’objectif central est l’exercice d’une certaine influence sur les politiques régionales. À l’intérieur des agences, les directions de santé publique (DSP) peuvent fournir le soutien de leur service de recherches sociodémographiques et sanitaires et même de planification. Elles peuvent aussi mener des recherches sur des problèmes particuliers et des problématiques générales, favorisant ainsi la prévention et la promotion de la santé dans son sens le plus large. Certaines directions de santé publique ont aussi mis en œuvre des projets en santé communautaire, en collaboration avec des organismes communautaires. Selon les régions, elles sont très actives dans la lutte contre la pauvreté, surtout celle des très jeunes enfants (Naître et grandir en santé), les MTS et le VIH-sida chez les adolescents et les jeunes adultes, le cancer du sein, la violence, etc. Le mouvement de « Villes et villages en santé » est un exemple d’un programme auquel participent des groupes, des institutions publiques et des municipalités. Mais le même phénomène contraignant se produit de plus en plus en santé publique, où les programmes nationaux sont planifiés selon des priorités régionales et ensuite administrés en concertation locale avec les « partenaires » publics (CLSC, centres jeunesse, écoles, etc.) et communautaires. Cela entraîne des tensions très grandes entre visions différentes : planification technocratique et développement participatif de la population et autonomie des groupes17. Là encore, l’enjeu est le contrôle par l’institution publique
16. Agence de la santé et des services sociaux des Laurentides (1998). Proposition d’un cadre de référence pour la reconnaissance et le financement des organismes communautaires, février, adopté en avril 1998, Saint-Jérôme. 17. R. Lachapelle (2000). « Les programmes de santé publique : des partenariats à réaliser », Interaction communautaire, no 56.
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de l’initiative communautaire. C’est aussi le respect de l’autonomie des groupes qui, considérés comme des « relais » ou des « partenaires » de l’État, sont réduits à un rôle de sous-traitance. Les centres locaux de services communautaires (CLSC) peuvent fournir le soutien professionnel de travailleurs communautaires et d’agents d’information ainsi qu’un soutien technique : prêt de locaux, photocopie, diffusion d’information, etc. En fait, les CLSC, qui prennent l’initiative de nombreuses pratiques communautaires à l’intérieur de leur programmation, devraient constituer une première source de référence pour les groupes, avec leurs quelque 350 organisateurs communautaires. L’accès à ces ressources peut représenter un avantage fort important ou, à tout le moins, non négligeable. Les centres régionaux (CRD) et locaux (CLD) de développement ainsi que les corporations de développement économique communautaire (CDEC) (à la fois issues d’une volonté communautaire et investies de mandats publics) sont aussi des acteurs communautaires de plus en plus présents dans la gestion des fonds destinés à l’économie sociale. Ils le sont aussi dans la planification et la mise en œuvre d’actions communautaires à caractère plutôt économique, tout en touchant des problématiques comme la pauvreté et le développement durable, selon leur priorité. Leur composition devant comporter des représentants des organismes communautaires (de façon minoritaire), ce sont des lieux propices à l’action. Selon les régions, ils peuvent être des interlocuteurs des plus pertinents de l’action communautaire au regard des concertations nécessaires. Enfin, on oublie trop souvent que certaines institutions, comme les universités, les cégeps et les commissions scolaires, peuvent être une source de soutien, notamment par leurs services aux collectivités, là où elles existent. Ces institutions disposent de ressources qui peuvent soutenir la réalisation de recherches et la formation sur mesure. Certaines des personnes travaillant dans ces institutions peuvent être consultées à titre de personnes-ressources. Plusieurs professeurs et étudiants ne demandent pas mieux que de s’engager et de trouver des lieux d’expérimentation. Ils peuvent apporter une expertise et une reconnaissance au travail des groupes, notamment face à des bailleurs de fond. Certaines disciplines, comme le travail social, le droit, l’aménagement, permettent aussi
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aux étudiants d’effectuer des stages à court et à long terme dans les organismes communautaires. Cependant, il faut savoir que ces institutions ont leur propre logique de fonctionnement et leurs priorités. La concertation souhaitée avec celles-ci peut donc exiger des concessions et des compromis de la part des organismes communautaires.
3.3. LES MUNICIPALITÉS Les municipalités et les municipalités régionales de comté (MRC) doivent de plus en plus être considérées comme des sources de financement potentielles. La Loi sur les cités et villes les autorise à financer des organismes communautaires et bénévoles. Alors que l’on parle de plus en plus de décentralisation et de municipalisation de certains services, cette perspective devra être abordée et approfondie. D’ailleurs, plusieurs municipalités se sont déjà dotées de politiques touchant leurs relations avec les organismes communautaires, particulièrement dans le domaine du loisir et de la culture. Plusieurs autres commencent à s’ouvrir à l’idée du développement économique communautaire. À cet effet, le ministère des Affaires municipales et de la Métropole finance les corporations de développement économique communautaire. D’autres municipalités, enfin, s’intéressent et participent à certaines initiatives comme « Villes et villages en santé ».
3.4. LES FONDATIONS ET LES CENTRAIDE Les fondations sont des organismes privés de charité. Certaines sont fondées et dotées par de riches familles (Bronfman et McConnell). D’autres sont la création d’entreprises (fondations Jean-Coutu, Les Ailes de la mode, Laidlaw et Chagnon). Si les fondations s’occupent beaucoup de la promotion des arts, certaines investissent dans le domaine de l’éducation, de la santé et des services sociaux, des enfants et de l’action bénévole. Il en existe un grand nombre qui s’intéressent à des sujets variés. Inutile de dire qu’elles sont de plus en plus sollicitées.
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Certaines recourent à des formes d’engagement « partenariales » qui leur permettent d’inviter des groupes à participer à des campagnes de sollicitation et à en partager les bénéfices (Les Ailes de la mode), voire d’organiser des concours (la maison de rêve) et des jeux de hasard (loterie). Toutes ces formes d’engagement devraient faire l’objet d’une réflexion éthique et stratégique de la part des groupes avant qu’ils s’y engagent. Il faut savoir distinguer entre les différentes fondations pour bien cerner leur vocation et leurs champs d’intérêt, sinon on s’y perd. Un annuaire comme le Canadian Directory to Foundations est essentiel à leur connaissance18. Un organisme communautaire peut également créer sa propre fondation afin de procéder à des collectes de fonds indépendamment de ses autres activités. Ce moyen de créer sa fondation est beaucoup utilisé par les CLSC, les hôpitaux (CH) et les centres jeunesse (CJ). Il présente deux avantages marqués. D’une part, il permet de ne pas mettre en danger des sources de revenu autonomes, en isolant la collecte de fonds des activités peut-être revendicatrices ou plus ou moins subversives de l’organisme. D’autre part, la mise sur pied d’une fondation à des fins charitables permet plus facilement d’obtenir l’autorisation d’émettre des reçus pour déduction fiscale. Ce statut d’organisme charitable est obligatoire si l’on souhaite s’adresser à Centraide et certainement essentiel à l’obtention de fonds importants d’entreprises, de fondations privées ou d’individus. On doit souligner que de plus en plus d’organismes publics et parapublics (devant leurs restrictions budgétaires) sollicitent les fondations, et ce, au détriment des organismes communautaires. Les moyens financiers, les priorités et même les approches de Centraide varient énormément d’une région à l’autre. Ainsi, Centraide Montréal favorise beaucoup le développement local ; donc, une concertation entre les groupes dans un même quartier pour privilégier une approche locale et moins centrée sur des problèmes ou des populations de façon clientéliste (« mes pauvres, dans ma paroisse »). Centraide Québec a aussi une approche plus
18. On peut se procurer ce bottin au Centre canadien de philanthropie ou le parcourir sur le site Web du centre : <www.ccp.ca>. Nous verrons plus loin comment il faut préparer les demandes et établir les contacts.
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proactive pour dénoncer la pauvreté et soutenir le développement. Centraide Laurentides a même des organisateurs communautaires qui lancent et soutiennent des projets de développement qui portent, notamment, sur les options au dépannage alimentaire.
3.5. LES COMMUNAUTÉS RELIGIEUSES Depuis déjà longtemps la plupart des communautés religieuses se sont dotées d’un comité dit de priorités dans les dons de la Conférence religieuse catholique – Québec (CRCQ), qui gère l’allocation des fonds devant une demande de plus en plus forte. Si les communautés religieuses n’ont généralement pas des champs d’intérêt aussi précis que ceux des fondations, elles n’en privilégient pas moins certains, qui peuvent évoluer selon l’apparition de « nouvelles » problématiques. Ainsi, les communautés religieuses ont privilégié les organisations de femmes, de réfugiés, de jeunes qui luttent contre les causes de la pauvreté. Il est donc utile de déterminer les priorités de l’heure pour mieux évaluer la possibilité de financement provenant de cette source et même de tenter de connaître certaines préférences en s’informant auprès du comité des dons de la CRCQ.
3.6. LES ENTREPRISES Longtemps négligées par les organismes communautaires pour des motifs de cohérence éthique, les entreprises privées sont aujourd’hui de plus en plus sollicitées. Les entreprises elles-mêmes et les personnes qui y travaillent disposent souvent d’un fonds destiné à soutenir certaines initiatives sociales. Certains types d’actions qui ne soulèvent pas trop de controverses ont ainsi la possibilité d’accéder à une source de financement ponctuelle qui peut se révéler intéressante. Par exemple, les centres d’action bénévole, les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence, les banques alimentaires, les groupes venant en aide aux enfants, les associations de personnes handicapées et les ressources offertes aux personnes itinérantes (hébergement, soupe populaire) intéresseront particulièrement ces bailleurs de fonds.
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Des comités de priorités gèrent normalement les nombreuses demandes adressées aux entreprises. Il faut donc bien soigner la préparation et la présentation des demandes. Il faut aussi se renseigner sur la culture organisationnelle des entreprises et sur leur domaine d’intérêt. Souvent, l’entreprise accordera la priorité à des demandes provenant d’employés, ou encore de parents d’employés membres ou sympathisants d’un organisme. Enfin, il est fort possible qu’elle souhaite obtenir une certaine visibilité en échange de son don, celui-ci devenant alors un investissement publicitaire. On peut aussi associer une entreprise avec un organisme communautaire en offrant un poste au conseil d’administration à un représentant de l’entreprise. Cela peut permettre de légitimer l’organisme auprès de certains autres bailleurs de fonds et d’obtenir un effet multiplicateur. Certains organismes comme les banques alimentaires dépendent particulièrement des entreprises alimentaires et se sont associés avec elles. Il faut cependant savoir que cela peut aussi nuire à l’organisme qui pourrait être perçu comme opportuniste en s’associant avec une entreprise ou des personnes qui ne partagent pas les mêmes intérêts. Par exemple, une maison d’hébergement pour femmes violentées ou un centre de femmes pourraient se faire reprocher d’avoir des hommes siégeant à leur conseil d’administration à titre de notables (avocat, comptable, notaire, commerçant), alors qu’une entreprise d’insertion pourrait être blâmée d’être gérée par des individus représentant des entreprises polluantes ou ayant des comportements antisyndicaux. Il faut également savoir que certaines entreprises acceptent de s’associer à des causes qui sont compatibles avec leur domaine d’activité et qui contribuent à rehausser leur image de bon citoyen corporatif. On pense notamment à des compagnies pharmaceutiques qui s’associent à des organismes œuvrant auprès des itinérants, des personnes souffrant de toxicomanie ou des personnes âgées. Certaines banques et coopératives financières s’associeront de préférence à des projets de développement économique communautaire ou de développement de l’employabilité chez les jeunes. Enfin, il ne faut jamais oublier que les organismes communautaires autonomes sont des lieux où les individus agissent à titre de sujets. Les organismes communautaires autonomes se caractérisent par leur fonctionnement démocratique, la réalisation d’activités
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d’éducation populaire, la prestation de services, la revendication d’une plus grande cohérence éthique et, à la limite, un projet de transformation sociale. Or, tout cela n’est pas nécessairement compatible avec certains types de financement. C’est sans doute la raison pour laquelle certains groupes, en particulier aux États-Unis et au Canada, s’intéressent de près à l’éthique institutionnelle de leurs partenaires. Les organismes québécois auraient sans doute également intérêt à accorder beaucoup d’importance à cette variable fondamentale.
4.
LA PLANIFICATION ET LA PRÉPARATION DES DEMANDES DE FINANCEMENT Lorsque la stratégie de financement a été arrêtée, il est temps de repérer les bailleurs de fonds susceptibles de soutenir les activités. Un calendrier indiquant les dates d’échéance des différents bailleurs de fonds s’avère un outil essentiel à la planification et à la mise en œuvre de la stratégie de financement. Certains principes peuvent guider la préparation et la présentation de demandes. Il faut d’abord être honnête. S’il n’est pas nécessaire de tout dire, il faut cependant être clair quant à ses objectifs. Il est aussi important de ne pas présenter une image faussée de la réalité d’un organisme : nombre de membres, type de services rendus, prévisions budgétaires, etc. Par ailleurs, il n’est pas plus approprié de faire preuve d’une humilité qui pourrait s’avérer suspecte. Enfin, l’enthousiasme et la créativité sont des éléments importants au moment de la préparation des demandes.
4.1. LA PRÉPARATION DU DOSSIER On sait que tous les bailleurs de fonds reçoivent des quantités de demandes et ne veulent pas s’embarrasser de documents qui ne respectent pas leurs règles. La première étape consiste donc à bien connaître les normes utilisées dans l’évaluation de son dossier. À cet égard, rien n’empêche de s’informer auprès de personnes qui travaillent pour le bailleur de fonds éventuel ou qui connaissent sa grille d’évaluation. On peut aussi profiter de l’expérience d’autres organismes qui ont déjà présenté une demande au bailleur
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de fonds à qui l’on entend s’adresser. Les formulaires prescrits doivent être remplis correctement. Il n’est pas utile d’y ajouter une multitude d’annexes. Normalement un dossier complet se compose du formulaire prescrit, des prévisions budgétaires et d’une photocopie des lettres patentes de l’organisme. Le tout est accompagné d’une lettre de présentation où l’on insistera sur l’arrimage entre les activités de l’organisme et les préoccupations du bailleur de fonds ainsi que d’un dépliant expliquant la nature de l’organisme. Le cas échéant, il peut être utile de greffer au dossier de présentation deux ou trois lettres d’appréciation signées par des personnes connues, des organismes partenaires ou même des usagers.
4.2. LA PRÉSENTATION Le document de présentation accompagnant le dossier soumis au bailleur de fonds doit contenir un certain nombre de renseignements qui lui permettront de rendre une décision favorable. D’abord la présentation de l’organisme : nom, buts, territoire, historique très succinct, membres, structures, nom des responsables politiques et administratifs (ex. : la présidente et le coordonnateur). On peut décrire les principales activités en mettant en relief les réalisations qui correspondent le mieux aux critères du bailleur de fonds. Un rapport annuel d’activités peut se révéler déroutant et soulever des questions sur des activités qui ne sont pas directement pertinentes. Il en est de même du budget global de l’organisme, surtout s’il n’est pas exigé. À l’occasion on pourra inclure des coupures de presse favorables qui illustrent la nature des activités du groupe. Mais il n’est pas souhaitable de fournir plus que ce qui est demandé afin de ne pas attirer l’attention sur des éléments négatifs ni de détourner de l’essentiel. Si l’on veut obtenir un soutien financier pour un projet particulier, il faut répondre clairement aux questions suivantes : pourquoi ? (la problématique), quoi ? (les objectifs), pour qui ou avec qui ? (la population visée), comment ? (les moyens, l’organisation, l’échéancier), combien ? (le coût total et le montant demandé), les résultats escomptés. Ce genre de document ne doit pas dépasser sept ou huit pages et il doit être accompagné d’une lettre de présentation qui résume le tout en une page.
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449 Dans certains cas, il est possible de rencontrer les bailleurs de fonds. Une telle rencontre peut souvent aider à clarifier des éléments de la demande ou à corriger des perceptions erronées sur le groupe. Qu’il s’agisse d’un organisme gouvernemental ou privé, un « lobbying » poli et mené avec diplomatie peut favoriser le traitement positif d’une demande ou à tout le moins en accélérer l’étude. Au moment d’une rencontre avec un bailleur de fonds, il faut prévoir une délégation de deux ou trois personnes dont au moins une qui a un statut de membre bénévole. Il est souhaitable qu’une personne élue soit désignée comme porte-parole de l’organisme. Si c’est nécessaire, cette personne sera soutenue techniquement par la représentante ou le représentant de la permanence, normalement le coordonnateur ou le directeur de l’organisme. Au moins une des personnes doit bien connaître les activités de l’organisme et son évolution depuis quelques années. Une autre peut être associée au projet ou à une activité que l’on souhaite réaliser. De telles rencontres doivent être bien préparées et le rôle de chacun clairement compris. Certaines rencontres particulièrement importantes peuvent même faire l’objet d’une répétition générale où chacun joue le rôle qui lui est assigné et s’entraîne à répondre à des questions que pourraient poser les bailleurs de fonds. Cet exercice se révèle particulièrement utile lorsque des membres n’ont pas l’habitude de ce type de démarche. Certaines rencontres avec des politiciens ou des collaborateurs politiques représentant le gouvernement peuvent commander la présence d’un membre de l’organisation qui jouirait d’un certain crédit auprès du parti politique au pouvoir. Cela n’a rien à voir avec des alliances politiques partisanes. Par ailleurs, il est important de savoir que, si ce n’est heureusement pas toujours le cas, il arrive cependant fréquemment que le soutien financier recherché dépende de politiciens qui ne répugnent pas au « patronage ». Inutile de dire qu’on doit savoir traiter avec ces personnages publics avec beaucoup de circonspection et de prudence. Il faut tenter de démontrer l’utilité sociale de son organisme. Le politicien saura bien juger par lui-même du profit politique qu’il peut tirer d’un appui au projet.
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4.3. LE SUIVI Si l’on ne reçoit pas de réponse après un délai raisonnable, il peut être opportun de procéder à un rappel poli par lettre, téléphone ou télécopie. Après un refus, une demande d’explication est tout à fait légitime. Il faut cependant éviter le ton plaintif et misérabiliste, mais plutôt laisser sentir que la démarche vise essentiellement à mieux comprendre les motifs du refus. Qui sait, l’interlocuteur sera peut-être impressionné par le professionnalisme de la démarche et changera d’idée. La chose s’est déjà vue ! Il faut surtout éviter toutes réactions qui fermeraient la porte à d’éventuels rapports plus féconds avec un bailleur de fonds. Les liens avec les sources de financement peuvent d’ailleurs être entretenus en permanence, notamment par l’envoi d’un bulletin d’information ou de tout autre matériel informatif. On peut aussi demander d’être avisé de tout changement dans les programmes ou critères de financement. Le rapport avec les sources de financement constitue une occupation importante des groupes communautaires. Il est donc utile d’inscrire cette démarche à la planification générale des activités.
5.
L’AUTOFINANCEMENT Depuis toujours les groupes communautaires ont dû faire face aux limites du financement gouvernemental et ont donc envisagé la solution de l’autofinancement. Selon les époques, on a opposé autofinancement et dépendance à l’égard des subventions. Ce débat pose un dilemme entre deux sources de financement qui possèdent leurs contraintes propres, l’une comportant plus de contraintes politiques et l’autre plus de contraintes humaines en temps et en énergie, pour des résultats souvent décevants. En fait, une stratégie « mixte » peut réconcilier les deux. Ce qui importe, c’est beaucoup plus de se débarrasser de la conscience coupable qui accompagne la recherche de fonds, pour favoriser plutôt l’élaboration de stratégies globales de financement fondées sur l’affirmation de l’utilité sociale de son action. Le financement doit devenir une préoccupation intégrée à l’ensemble des activités et mobiliser les énergies des
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451 membres et des bénévoles autant que des salariés. Pour certains groupes cela exige un changement de mentalité. Mais qu’est-ce que l’autofinancement ? Ce terme très galvaudé est utilisé différemment selon les auteurs et les groupes. L’autofinancement, « c’est l’ensemble des moyens pris par les groupes pour recueillir des fonds sur leurs propres bases19 ». C’est avant tout ne pas dépendre ou dépendre le moins possible de subventions et de bailleurs de fonds qui peuvent avoir des objectifs politiques très différents de ceux du groupe. Ainsi, une subvention provenant d’un ministère ou d’une agence de la santé et des services sociaux pourrait limiter la critique d’un groupe à l’endroit de ces bailleurs de fonds. À la limite, un groupe ou un regroupement, craignant d’être réprimé financièrement, pourrait même se censurer et se priver de son droit d’expression pendant une campagne de financement ou en tout temps. Cela serait évidemment extrêmement triste, mais malheureusement la chose est possible. Lors du débat référendaire en février 1995, un regroupement d’organismes féministes s’est privé de son droit d’opinion sur la question de l’accession du Québec à la souveraineté, les porte-parole de ce regroupement faisant état de leurs craintes d’être sanctionnées par l’État fédéral. Certains groupes qui font le choix de la combativité et de la lutte pour le changement social ont intérêt à se financer sur une base autonome. Une même loi s’applique tant aux nations qu’aux groupes et aux individus : l’espace de liberté qui nous est accessible est directement proportionnel à l’autonomie que l’on aura su se donner. S’autofinancer, c’est donc obtenir les revenus qui nous sont nécessaires de personnes ou d’institutions qui partagent les objectifs du groupe. L’autofinancement n’est pas un choix facile, mais il ouvre la perspective d’une plus grande autonomie tant dans la définition des objectifs que dans celle des moyens d’action qui seront mis en œuvre pour les atteindre.
19. Centre de formation populaire (1983). Les finances de nos organisations, Montréal, p. 57.
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5.1. POURQUOI L’AUTOFINANCEMENT ? Dans la mesure où l’on sait que les activités d’autofinancement exigent beaucoup d’énergie par rapport aux bénéfices nets que l’on peut en tirer, pourquoi s’y engager ? D’abord pour assurer une certaine autonomie au groupe par rapport aux bailleurs de fonds institutionnels. Par ailleurs, la cotisation des membres a une valeur importante d’affirmation de leur appartenance. Le but de l’autofinancement n’est donc pas seulement financier. Les avantages de l’autofinancement peuvent en effet être variés. F C’est un baromètre de la reconnaissance et de l’appui du
milieu. F Il favorise la promotion de l’organisme et la sensibilisation
du public à certaines problématiques. F Il favorise l’engagement des salariés et des membres. F Il incite d’autres groupes du milieu à s’impliquer, favori-
sant ainsi l’expression et le développement des solidarités. F C’est un moment privilégié pour clarifier ou réaffirmer la
mission et les objectifs du groupe. F C’est une activité qui peut être stimulante pour les membres
et leur permettre de faire valoir leurs aptitudes et leur créativité. F C’est une très bonne occasion de recrutement.
5.2. LA PLANIFICATION DE CAMPAGNES ET D’ACTIVITÉS Toute stratégie de financement doit s’intégrer dans le plan général d’intervention et tenir compte du mode de gestion de l’organisme. Une stratégie globale permettra d’évaluer les coûts et les bénéfices ainsi que la cohérence entre les activités de financement et les objectifs de l’organisation. Les étapes d’une collecte de fonds ou d’une activité d’autofinancement suivent celles que nous avons déjà énoncées, soit la planification et l’organisation, la réalisation de l’activité et l’évaluation.
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5.3. LES MOYENS S’il ne faut pas oublier la cohérence entre les moyens de financement et les objectifs du groupe, il n’en demeure pas moins que ces moyens ne sont limités que par l’imagination des membres. Le degré d’efficacité, les coûts, l’expérience antérieure, la compétence nécessaire pour la réalisation de certains types d’activités, les retombées à plus long terme sur l’organisme, le degré d’engagement des membres et même le plaisir engendré par l’activité sont tous des facteurs à considérer dans le choix de moyens. Il faut aussi trouver des moyens qui sont compatibles avec la culture organisationnelle du groupe et de ses membres. Plusieurs sont connus et sont souvent utilisés. La publication d’une recherche peut s’avérer relativement lucrative tout en étant très éducative. La production d’une pièce de théâtre peut être à la fois un événement culturel local, une occasion de mobiliser beaucoup de monde et d’avoir du plaisir, de même qu’une source de revenu. La vente de services et de documentation aux personnes qui fréquentent un organisme, ou qui en utilisent les services, est un moyen dont l’utilisation répugne, car la plupart du temps les organismes communautaires offrent des services à une population à faible revenu. Cela n’empêche évidemment pas de mettre en vente divers objets dont l’utilité est précisément d’apporter une base de financement autonome : macarons, t-shirts, affiches, crayons, calendriers, confitures, vidéos, cassettes audio peuvent faire connaître l’organisme tout en générant des bénéfices. Les soirées, les repas, les encans et les activités culturelles au profit d’un organisme sont d’un bon rapport énergies investies – bénéfices. De plus, ils peuvent engendrer des retombées secondaires sur le plan culturel ou au niveau des solidarités locales. La cueillette de nourriture ou de matériaux à recycler, comme le papier journal, les vêtements et les appareils électroménagers, est aussi fort intéressante. Un tirage peut s’avérer un franc succès ou un fiasco complet et coûteux. Le choix de personnes connues (artistes, gens d’affaires, personnages politiques) comme porte-parole, président d’honneur ou marraine peut être efficace pour faire connaître un organisme et attirer l’appui financier du public.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
La sollicitation postale de groupes sociaux ciblés commande beaucoup d’énergie et ne vaut pas nécessairement le coup. Les legs testamentaires sont rares ; la plupart des organismes communautaires ne peuvent pas vraiment compter sur une source de financement aussi aléatoire. Par ailleurs, la formule des prêts communautaires est une initiative des corporations de développement économique communautaire (CDEC) qui est susceptible de se développer. Bien qu’elle ne constitue pas une subvention ou un don, puisqu’il faut éventuellement rembourser la somme empruntée, elle peut s’avérer fort utile dans l’attente d’une subvention qui tarde à rentrer. Enfin, on peut aussi se tourner vers la mise en commun de ressources (local, téléphone, télécopieur, photocopieur, services administratifs) comme moyen de réduire les dépenses.
6.
L’ÉVALUATION On ne soulignera jamais assez l’importance d’évaluer chaque activité et l’ensemble d’une stratégie de financement. On peut tenir un dossier pour chaque activité et un dossier général pour l’ensemble d’une campagne de financement. Cela permet d’évaluer tout le processus. Cette évaluation pourrait se révéler très profitable lors de la prochaine activité de financement ou pour un autre groupe. Il est particulièrement utile de noter les coordonnées des personnes et organismes qui ont pu aider à divers moments. Une liste complète des demandes de subventions et des institutions sollicitées ainsi qu’un calendrier des échéances sont essentiels. L’évaluation est le moment de cerner les failles de sa stratégie et ses éléments positifs. Ce n’est jamais l’occasion de distribuer les blâmes. En ce sens, l’évaluation constitue une excellente occasion de mener une activité d’éducation populaire dont bénéficieront tant la permanence que les membres. Dans tous les cas l’évaluation se fait dans le cadre de la stratégie d’ensemble de l’organisme. Encore une fois, la cohérence entre la stratégie générale d’intervention et la stratégie de financement doit être claire. Les organismes qui cherchent à se financer à toutes les portes, en faisant fi de ce qui justifie leur existence et en
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CHAPITRE 9 ◆ LE FINANCEMENT
se travestissant au gré des priorités institutionnelles, risquent de perdre beaucoup de crédibilité et de nuire à leur propre croissance. Cela peut aussi créer des tensions avec d’autres groupes et nuire considérablement au développement de leur milieu. Ce genre d’opportunisme doit être dénoncé car il ne relève pas de l’éthique communautaire.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE BELLEAU, J. (1993). Programmes d’employabilité : oui ou non ? ? ? ? telle est la question ! ! ! !, Montréal, L’R des centres de femmes du Québec. CANADIAN CENTRE FOR PHILANTHROPY (2000). Canadian Directory to Foundations, Toronto, Canadian Centre for Philanthropy. CENTRAIDE DU GRAND MONTRÉAL (2000). Bâtir des communautés d’entraide et soutenir leur capacité d’agir, Montréal, Chantier sur les enjeux sociaux. CENTRAIDE QUÉBEC (2000). Une société qui se tire dans le pied, document de réflexion sur la pauvreté, Québec. COMITÉ AVISEUR DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE AUTONOME – CAACA. Bulletins de 1999-2000. COMITÉ MINISTÉRIEL SUR L’ÉVALUATION (1997). L’évaluation des organismes communautaires et bénévoles, Québec, Gouvernement du Québec, septembre. GOUVERNEMENT DU QUÉBEC (2001). Document d’orientation du Sommet, 1996, Québec. GOUVERNEMENT DU QUÉBEC (2001). L’action communautaire : une contribution essentielle à l’exercice de la citoyenneté et au développement social du Québec, ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, septembre. HOANG, C. et A. CUSSON (1991). Financement des organismes sans but lucratif, Boucherville, Éditions G. Vermette.
456
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
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457
CHAPITRE 9 ◆ LE FINANCEMENT
WEBOGRAPHIE SÉLECTIVE (Sites consultés le 26 février 2002) Centre canadien de philanthropie : www.ccp.ca Comité aviseur de l’action communautaire autonome (CAACA) : www.comavis-aca.org Initiative sur le secteur bénévole et communautaire : www.vsi-isbc.ca/fr/index.cfm Secrétariat à l’action communautaire autonome (SACA) : www.mess.gouv.qc.ca/francais/saca/index.htm Table des regroupements provinciaux d’organismes communautaires et bénévoles (TRPOCB) : www.trpocb.cam.org
CHAPITRE
10
LE BILAN
ET L’ÉVALUATION DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE Jean Panet-Raymond Jocelyne Lavoie Robert Mayer
PLAN DU CHAPITRE 10
1. Définitions et pertinence. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Les enjeux de l’évaluation des pratiques communautaires . . . . . 3. Les principales étapes du bilan et de l’évaluation . . . . . . . . . . . . . Étape 1 : Le démarrage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Étape 2 : La planification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Étape 3 : La réalisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Étape 4 : La prise de décision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. Quelques exemples de bilans et de recherches évaluatives . . . . . 4.1. Bilan de luttes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2. L’évaluation de l’intervention. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3. Les évaluations de programme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.4. L’évaluation d’implantation et l’évaluation continue . . . . . . . Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
461 463 465 466 473 474 479 480 480 481 483 485 487 487
1. Le bilan
DÉFINITIONS ET PERTINENCE On l’a maintes fois répété dans cet ouvrage, l’évaluation est un élément essentiel de l’intervention. D’entrée de jeu, il convient cependant de distinguer un certain nombre de termes, notamment bilan, évaluation et reddition de comptes. A
Le terme bilan réfère à une tradition militante qui a été très populaire dans les années 1970 et 1980 pour analyser les effets des luttes réalisées par différentes organisations du milieu populaire sur des enjeux politiques. Sans être totalement disparue, la notion de bilan a progressivement été remplacée par le concept d’évaluation. Toutefois, plusieurs organismes communautaires ont encore recours à ce concept pour rendre compte de leurs actions, avec comme préoccupation de les situer dans une conjoncture donnée et d’en faire ressortir les effets politiques. Dans le processus d’intervention, l’étape du bilan survient au terme d’une action ou d’un projet, ou encore au terme d’une période donnée (p. ex. : bilan saisonnier ou annuel). De même, sur le plan de la gestion, le bilan permet, à la fin d’une période d’activités, de préparer le rapport annuel et de synthétiser toutes les étapes de l’action, par exemple celles qui suivent une campagne de sensibilisation ou une campagne de financement. L’étape du bilan permet d’évaluer les résultats de l’action et de tirer des leçons pour l’avenir. Il aide à déterminer la réussite ou l’échec d’une action et à mesurer l’écart entre les objectifs visés et le résultat obtenu. La tradition militante du bilan fera aussi ressortir les résultats plus politiques de l’action, comme l’émergence de nouvelles solidarités, la démarche d’éducation populaire réalisée par les personnes participantes et la sensibilisation accrue de l’opinion publique. Le bilan permet également de tirer des leçons d’une action en tentant de ne pas reproduire les erreurs de parcours. Le bilan vise enfin à faire le point et à relancer l’action.
462
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
L’évaluation
A
Pour ce qui est de l’évaluation, c’est essentiellement un processus qui conduit à la formulation d’une opinion ou d’un jugement sur l’atteinte d’objectifs ou sur la valeur d’une action ou d’une situation1. Cette démarche répond à la double question : « Qu’est-ce que cela a donné ? » (efficacité) et « Comment les moyens pris ont-ils permis d’atteindre les objectifs ? » (efficience). L’évaluation sert donc à mesurer l’efficacité, soit l’atteinte de l’objectif, et l’efficience, c’est-à-dire les ressources ou moyens nécessaires pour atteindre cet objectif. Cette définition de l’évaluation nous renvoie ainsi à un processus continu qui peut se poursuivre à l’une ou l’autre des étapes de l’action. L’évaluation peut, de ce fait, porter sur différentes dimensions de l’action ou sur l’ensemble de l’intervention et elle peut s’effectuer à différents moments (quand ?), impliquer la participation de différentes personnes, membres de l’organisme et personnes-ressources (qui ?) en appliquant différentes méthodes au moyen de divers outils ou grilles (comment ?) et poursuivre divers objectifs (pourquoi ?).
Reddition de comptes ?
A
Quant au processus de reddition de comptes, il consiste surtout en un bilan administratif demandé par les bailleurs de fonds2. Selon le bailleur de fonds, la méthode d’évaluation qui sera utilisée pour rendre compte de la façon dont les groupes ont dépensé l’argent octroyé pourra être négociée, car ceux-ci ne conçoivent pas les procédures d’évaluation de la même façon, certains ayant même fixés des objectifs d’évaluation uniformes pour les projets qu’ils subventionnent. Le mieux est de vérifier dans quelle mesure les besoins et les attentes du bailleur de fonds peuvent s’ajuster à ceux du groupe, le but de la négociation étant de rendre l’évaluation utile et pertinente. Comme le soulignent certains auteurs : « La plupart d’entre eux veulent un rapport sur le travail réalisé avec la subvention qui leur dira si les objectifs ont été atteints. Ils affectionnent souvent les chiffres et les statistiquesnombre d’activités organisées, d’ateliers, volume de clientèle desservie. Pour certains, cela suffit. D’autres réclameront une évaluation
1. 2.
F. Midy, C. Vanier et M. Grant (1998). Guide d’évaluation participative et de négociation, Montréal, Centre de formation populaire. L. Gaudreau et N. Lacelle (1999). Manuel d’évaluation participative et négociée, Montréal, Centre de formation populaire.
CHAPITRE 10 ◆ LE BILAN ET L’ÉVALUATION DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
463
détaillée de tous les aspects du travail du groupe, documentation à l’appui. Leurs exigences sont généralement à la mesure de la subvention accordée »3. Dans ce chapitre, nous traiterons exclusivement du processus de bilan et d’évaluation par et pour les organismes communautaires. Ces processus étant relativement similaires, nous en dégagerons les principes et méthodes afin de fournir aux groupes quelques outils pour en faciliter la réalisation.
2.
LES ENJEUX DE L’ÉVALUATION DES PRATIQUES COMMUNAUTAIRES Nous remarquons aisément que, malgré toute l’importance que les organismes communautaires et les milieux institutionnels accordent à l’évaluation, cette étape est encore souvent escamotée et mal utilisée. Il faut donc répéter à quel point l’évaluation est essentielle dans l’ensemble de l’intervention. Il est aussi important d’insister sur la dimension éducative plutôt que normative de l’évaluation, puisque ses retombées peuvent affecter autant le développement du groupe que celui des personnes. Soulignons que plusieurs bailleurs de fonds peuvent exiger une évaluation basée sur les objectifs d’une politique ou de principes définis à l’extérieur de l’organisme. Nous pensons notamment aux groupes financés dans le cadre des programmes de santé publique, où l’évaluation risque d’être détournée de ses objectifs éducatifs pour devenir une simple formalité. Cette réalité représente un défi pour le mouvement communautaire. Certains se sont demandé pourquoi, depuis plus de quinze ans, les intervenants sociaux se sont peu engagés dans le processus d’évaluation de leur pratique4. Ajoutant aux réponses que l’on a déjà entendues (manque de temps, insuffisance des ressources, etc.), on estime qu’il est logique que les intervenants se soient peu
3. 4.
Ellis, D., G. Reid et J. Barnsley (1990). Maintenir le cap, Guide d’évaluation pour les groupes communautaires, Montréal, Relais-femmes. A. Beaudoin (1986). « L’insertion de l’évaluation sur système unique dans l’intervention », Service social, vol. 35, nos 1-2, p. 53.
464
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
intéressés à l’évaluation étant donné qu’on la leur présente trop souvent comme une démarche formelle très complexe et extérieure à l’intervention sociale. Les intervenants sont aussi réfractaires aux remises en question de leurs pratiques, d’autant plus qu’ils les perçoivent souvent comme des attaques, peu utiles pour améliorer l’efficacité de leurs interventions. L’expérience a aussi démontré que les évaluations ont souvent été utilisées pour justifier a posteriori des décisions administratives5. Dans les circonstances, on comprend la réticence de certains organismes communautaires à se lancer dans une telle aventure. Toutefois, au cours des récentes années, les attitudes des organismes communautaires à l’égard de l’évaluation ont beaucoup changé. Sans prétendre que tous les groupes communautaires acceptent maintenant l’évaluation spontanément et sans méfiance, nous n’en constatons pas moins que cette activité est beaucoup mieux reçue qu’auparavant et qu’elle est davantage vue comme une activité normale et nécessaire dans les groupes, à certaines conditions cependant. Par exemple, en ce qui concerne l’évaluation des programmes mis en œuvre par ces organismes, plusieurs recherches ont montré l’importance d’adapter la stratégie d’évaluation à la réalité de ces derniers. De plus, les réformes du début des années 1990 en matière de services de santé et de services sociaux ont posé de nouveaux défis aux démarches évaluatives, particulièrement pour ce qui est des programmes d’intervention en milieu naturel6. Tout cela a contribué à la diversité des approches évaluatives ainsi qu’au développement de l’approche qualitative en recherche évaluative. À propos de l’évaluation des groupes communautaires, plusieurs auteurs7 ont précisé qu’une telle évaluation doit prendre pleinement en considération les caractéristiques particulières des groupes communautaires. Elle ne peut donc se faire dans l’esprit
5. 6. 7.
A. Beaudoin (1986). Op. cit., p. 54. C. Mercier (1990). « L’évaluation des programmes d’intervention en milieu naturel », The Canadian Journal of Program Evaluation, vol. 5, no 1, p. 1-16. C. Mercier et Perreault (2000). « Évaluation de programme. Notions de base », dans H. Dorvil et R. Mayer (dir.), Problèmes sociaux. Tome 1 : Théories et méthodologies, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, p. 413-430 ; C. Messier (2001). « Soutenir les parents pour le mieux-être des enfants », dans H. Dorvil et R. Mayer (dir.), Problèmes sociaux. Tome 2 : Études de cas et interventions sociales, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, p. 533-560.
CHAPITRE 10 ◆ LE BILAN ET L’ÉVALUATION DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
465
et avec les méthodes qui s’appliqueraient dans le cas d’un service gouvernemental. Cela dit, l’évaluation des groupes communautaires implique une transformation du modèle traditionnel d’évaluation dans la mesure où ce dernier est trop centré sur les objectifs et procède d’un schéma expérimental d’évaluation. Il est clair que les groupes communautaires se prêtent mal à ce type d’évaluation. Bref, les organismes communautaires posent de nombreux défis à la recherche évaluative. Cette dernière exige une collaboration étroite entre les chercheurs et les responsables de l’action. Au cours des dernières années, l’évaluation des pratiques communautaires a été un enjeu important dans les rapports entre les organismes communautaires et l’État. La récente politique de reconnaissance et de soutien de l’action communautaire (2001) a même reconnu que le processus d’évaluation et les indicateurs sur lesquels celui-ci sera fondé doivent être négociés avec les organismes communautaires. À l’occasion des discussions au Comité ministériel sur l’évaluation en 1997, il a été entendu que l’évaluation doit faire l’objet d’une négociation entre l’ensemble des partenaires. De ces discussions ont été dégagés une série de thèmes qui peuvent faire l’objet ou non du processus d’évaluation dans les groupes communautaires. Les récentes réflexions des milieux communautaires en matière d’évaluation s’orientent vers une revendication en vue d’une évaluation participative dans la mesure où « ce sont les personnes liées à l’organisme qui font l’évaluation et fournissent l’information pour la faire8 ».
3.
LES PRINCIPALES ÉTAPES DU BILAN ET DE L’ÉVALUATION Le processus d’évaluation consiste généralement à préciser la question d’évaluation ; à choisir une méthode d’évaluation et à réaliser l’évaluation ; à analyser les résultats ; à rédiger le rapport final et à formuler des propositions. La question d’évaluation est essentielle, puisqu’elle conduit à un examen en profondeur d’une étape ou d’un aspect particulier de l’intervention. Une fois cette question
8.
L. Gaudreau et N. Lacelle (1999). Op. cit., p. 12.
466
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
précisée, il s’agit de déterminer l’objet de l’évaluation. Certains principes doivent être respectés afin de réaliser un bilan ou une démarche évaluative qui soit utile pour faire le point et relancer l’action du groupe. Nous les présentons à partir des quatre étapes principales : le démarrage, la planification, la réalisation et la prise de décision.
ÉTAPE 1 : LE DÉMARRAGE La phase de démarrage consiste d’abord à préciser les objectifs du bilan ou de l’évaluation, puis à décrire une pratique ou une intervention à évaluer. Concrètement, à cette étape du démarrage, on s’efforcera de répondre aux diverses questions de base pour bien définir le cadre de l’évaluation : 1. Pourquoi ? Il est important de savoir d’abord pourquoi on réalise cette évaluation et dans quel but. Quelles sont les raisons qui rendent cette évaluation nécessaire ? Ensuite, il convient de se demander qui fait quoi et avec qui. En somme, avant de se précipiter dans une démarche évaluative, il importe que l’ensemble des partenaires puissent s’entendre, dans un consensus le plus large possible, sur les objectifs de l’évaluation. Si l’on réussit à se mettre d’accord sur le « pourquoi », il sera plus facile par la suite de bien cibler l’objet de l’évaluation (quoi ?). En conséquence, l’évaluation dans un ou plusieurs groupes communautaires peut viser à améliorer la qualité des services à la clientèle ; à optimiser les résultats obtenus en fonction des ressources investies ; à connaître l’impact d’une intervention ou d’une activité donnée ; à documenter les dossiers des organismes communautaires auprès des instances concernées (Conseil du trésor, MSSS, agences de la santé et des services sociaux, etc.)9.
9.
Gouvernement du Québec, Comité ministériel sur l’évaluation (1997). L’évaluation des organismes communautaires et bénévoles, p. 39.
CHAPITRE 10 ◆ LE BILAN ET L’ÉVALUATION DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
467
2. Quoi ? Ensuite, il faut préciser l’objet de l’évaluation ou du bilan. Sur quoi l’évaluation doit-elle porter ? De manière générale, une évaluation peut viser les aspects suivants : est-ce que le projet répond à un besoin (quelle est sa raison d’être) ? ; quels sont les points forts et les points faibles de la mise en œuvre du projet (organisation, ressources humaines, financières et matérielles, activités) ? ; les résultats obtenus sont-ils conformes aux résultats prévus ? ; et quels sont les effets et les retombées de ce projet ? Avonsnous accompli ce que nous avions prévu faire ? Les organismes communautaires définissent déjà, selon leur mission propre, ce qu’ils entendent par qualité des services. Plusieurs organismes communautaires possèdent des mécanismes ou des règles de fonctionnement qui fixent certaines orientations quant à la qualité des services. Ce sont ces critères qui doivent ici servir de base à l’évaluation de la qualité des services offerts aux membres. Par exemple, l’accessibilité rapide, la régularité, la qualité de l’accueil, le temps accordé à la personne, le type de langage utilisé, etc., peuvent constituer ces indicateurs de qualité. On peut également vouloir évaluer l’adéquation entre les services proposés et les besoins des usagers (listes d’attente, profil de la clientèle rejointe). Les organismes communautaires ont mis au point des outils pour tenir compte des besoins ; ces outils pourraient être favorisés comme moyens d’évaluation : sondages auprès des membres ou de la population d’un quartier donné, évaluation des activités, boîte à suggestions, entrevues en profondeur avec des utilisatrices et des utilisateurs dont les connaissances et les expériences en font des interlocuteurs privilégiés, etc. La même démarche peut aussi être employée pour évaluer la satisfaction des utilisateurs. Mais, là encore, « il importe de déterminer des indicateurs de satisfaction. Et les utilisateurs eux-mêmes sont appelés à jouer un rôle fondamental dans la détermination de ces indicateurs10. » Le document du Comité ministériel (1997) a reconnu que l’efficacité, l’efficience, l’impact et les conséquences inattendues d’un projet, d’un programme, d’activités ou d’interventions réalisés
10. Gouvernement du Québec, Comité ministériel (1997). Op. cit., p. 44.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
par un ou des organismes communautaires sont des thèmes importants. Toutefois, ces notions prêtent souvent à discussion, car elles font toutes référence à la « performance » des groupes communautaires. D’où la nécessité qu’elles soient bien définies au départ, notamment par l’ensemble des acteurs. Le plus souvent, nous sommes en présence de divers objectifs. L’évaluation de l’efficacité permet de faire le lien entre les résultats obtenus et les objectifs fixés par l’organisme. Encore faut-il au préalable bien définir la notion de résultats : s’agit-il de résultats quantitatifs ou qualitatifs ? De plus, il faut prendre en considération les facteurs externes qui influencent positivement ou négativement l’atteinte des résultats. L’évaluation de l’efficience permet de mesurer les résultats atteints en fonction des ressources (humaines, matérielles, financières) investies ou, encore, l’utilisation maximale des ressources. Quant à l’évaluation de l’impact, elle permet de saisir les modifications de situation engendrées par l’action de l’organisme communautaire quant au bien-être de la clientèle. On peut également évaluer les conséquences non prévues de l’action d’un organisme communautaire. Par exemple, on peut analyser l’impact sur les relations parents-enfants des activités d’une maison de jeunes, alors que cet organisme ne vise que les jeunes dans son action. Dans plusieurs de ces questionnements on peut trouver des éléments quantitatifs, comme le nombre de membres atteints et mobilisés, les montants amassés durant une campagne de financement, ou encore les résultats d’une revendication à caractère économique. Il peut aussi y avoir des éléments qualitatifs, comme le degré de satisfaction des membres à la suite d’une assemblée ou la qualité de la participation des membres dans l’organisme. Selon les aspects particuliers à évaluer, des critères pertinents seront élaborés. Le tableau 1 illustre la relation qui existe entre l’objectif fixé à l’origine de l’action, les moyens prévus pour l’atteindre et les indicateurs de réussite, l’indicateur étant ce qui permet de savoir ou de vérifier si l’on a atteint l’objectif. Ainsi, le nombre de nouveaux membres sera l’indicateur de réussite ou d’échec d’une campagne de recrutement.
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CHAPITRE 10 ◆ LE BILAN ET L’ÉVALUATION DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
TABLEAU 1 DES CRITÈRES D’ÉVALUATION LORS DU BILAN D’UNE ACTIVITÉ
FORMULATION Objectif
Moyen
Critère/indicateur
Recruter 300 nouveaux membres.
A Organiser une campagne de recrutement.
– Nombre de nouveaux membres.
Amener une meilleure connaissance du groupe auprès de la population.
A Réaliser des activités d’information.
– Nombre de rencontres réalisées. Nombre de participantes aux activités d’information. – Quelle est la satisfaction des participantes vis-à-vis de ces activités ? – Qu’ont-elles appris sur notre groupe ?
A Réaliser des outils de promotion.
– Combien d’outils de promotion ont été créés ? – Lesquels ont été les plus efficaces ? Pourquoi ? – La promotion a-t-elle donné les résultats attendus : davantage d’appels téléphoniques pour obtenir des informations, une plus forte utilisation de nos services, une participation accrue à nos activités ?
A Mettre sur pied des sessions de formation.
– Nombre de sessions réalisées. – Nombre de participantes aux sessions de formation. – Nombre de nouveaux bénévoles impliqués dans le groupe. – Quelle est la motivation des participantes à s’impliquer dans l’un ou l’autre des secteurs du groupe ?
A Développer les structures d’accueil.
– Quels sont les changements apportés pour développer l’accueil de nouvelles personnes bénévoles ? – Quel effet ces changements ont-ils eu sur la participation des bénévoles ?
Impliquer les nouveaux membres au sein du groupe.
Source : TROVEP-Estrie (1994). L’Atout, cahier no 9 : L’évaluation, p. 17-18.
470
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
3. Pour qui ? et Par qui ? L’évaluation reconnaît le savoir et l’expertise des personnes qui coordonnent et exécutent le travail et celle des usagers ou des membres de la clientèlecible. C’est une démarche qui favorise la contribution et la participation du groupe lui-même. Les résultats de l’évaluation peuvent aussi aider d’autres groupes oeuvrant dans le même domaine. Ils peuvent également permettre aux bailleurs de fonds de justifier le financement des activités du groupe, de même que des projets futurs. Un comité d’évaluation pourra assumer concrètement le travail et ce dernier rendra compte de l’évolution de travail à l’ensemble du groupe. Au besoin, le groupe pourra faire appel à une personne-ressource pour coordonner la collecte de données et l’analyse de l’information. Dans la perspective de l’action communautaire, cette activité doit être la plus collective possible, c’est-à-dire réunir tous les participants engagés dans l’action. Toutefois, en pratique, on sait que c’est rarement le cas. Habituellement, la mise en marche d’un processus d’évaluation vient soit de l’intérieur (par exemple de la direction de l’organisme) soit de l’extérieur (par exemple du bailleur de fonds). Il est important de distinguer les personnes qui dressent le bilan de celles qui y contribuent par différents moyens. Les personnes qui y contribuent peuvent être des membres, des bénévoles ou des participants à qui l’on fera appel, notamment par une consultation au moyen d’un questionnaire ou par l’expression d’opinions sur l’objet du bilan, afin d’avoir leur perception de l’impact de l’action ou de l’organisme tant sur le plan collectif qu’individuel. Mais, même si tous les membres ou participants peuvent être consultés lors d’un bilan, il est préférable que la coordination de l’ensemble des étapes de sa réalisation soit assumée par un nombre plus restreint de personnes. Il existe plusieurs façons de faire, mais généralement les groupes mettent sur pied un comité composé d’un nombre limité de salariés et de membres du conseil d’administration. Si les salariés exécutent souvent le gros du travail de réalisation, il demeure toujours important que des membres élus gardent un certain contrôle sur les conclusions et les suites à y donner.
CHAPITRE 10 ◆ LE BILAN ET L’ÉVALUATION DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
471
Tout en y associant plusieurs personnes pour des tâches précises, le noyau plus directement responsable coordonnera le processus d’ensemble, notamment la collecte et la synthèse des données, tout en se chargeant de la rédaction d’un rapport d’étape ou d’un document de consultation. Ce rapport pourra ensuite être soumis à l’ensemble des salariés et des membres élus, ainsi qu’à tous les membres lors d’une assemblée générale. En procédant ainsi, le comité restreint ne soumettra qu’un portrait de situation, afin de laisser à une instance plus large la responsabilité des suites à donner. Cela dit, il peut être pertinent et utile de faire appel à une ressource extérieure pour établir un bilan. Cette ressource peut être un organisme spécialisé dans ce genre d’exercice ou des universitaires (étudiant ou enseignant) par l’intermédiaire des services aux collectivités. Les ressources extérieures ont l’avantage du recul par rapport à l’action et elles possèdent maîtrise des principes et méthodes qui guident la réalisation d’un bilan. La participation de ces personnes pourra varier de la simple consultation à l’élaboration d’outils de collecte des données, jusqu’à l’analyse elle-même, voire à certaines recommandations de suivi. Mais il est important que l’organisme qui utilise de telles ressources ne perde pas le contrôle de l’évaluation ni, surtout, de son utilisation, tout en profitant d’un regard extérieur susceptible de conférer une plus grande objectivité à l’organisme. Dans tout ce processus, il importe de favoriser l’appropriation par les membres de l’organisation du jugement à porter et des décisions qui en découlent. À plusieurs occasions dans ce chapitre, nous avons souligné qu’il peut être intéressant de consulter les membres ou les personnes participantes d’un organisme afin de mieux saisir de quels apprentissages et de quel développement personnel ils ont profité. Le tableau 2 illustre cet aspect. Une telle consultation est une façon privilégiée de mettre en valeur la dimension éducative des groupes par rapport à leurs membres et un moyen de favoriser la démocratie en permettant l’expression des opinions. 4. Quand ? Quand faut-il réaliser le bilan ou l’évaluation ? On peut, en effet, se demander quel est le meilleur moment pour procéder à l’évaluation des activités. Encore ici, divers choix s’offrent aux intervenants. Le bilan peut se faire à la fin d’une action, une fois les objectifs atteints. On peut aussi l’établir au terme d’une étape importante
472
LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
TABLEAU 2 ÉVALUATION DES MEMBRES/ PARTICIPANTS DANS L’ACTION Êtes-vous satisfaite de la façon dont s’est fait (ou faite) :
Beaucoup
Assez
Un peu
Pas du tout
A L’élaboration des objectifs
❑
❑
❑
❑
A Le choix des moyens
❑
❑
❑
❑
A L’organisation du travail
❑
❑
❑
❑
A Le partage des tâches
❑
❑
❑
❑
A L’exécution des tâches
❑
❑
❑
❑
A La participation
❑
❑
❑
❑
A L’évaluation de l’activité
❑
❑
❑
❑
À travers l’action, avez-vous réussi à exprimer vos opinions ?
Les échanges étaient-ils intéressants ?
Indiquez ce que vous avez appris sur : A Le milieu rejoint A Le groupe A L’activité A Votre fonctionnement dans le groupe Source : TROVEP-Estrie (1994). Op. cit., p. 15.
de l’action, à la jonction avec une action à long terme, et il pourra alors servir à réajuster les objectifs d’action. Un groupe peut également dresser un bilan saisonnier ou annuel dans le cadre de la planification régulière de ses activités. Le bilan peut également être fait après une action interrompue à cause d’un échec évident ou d’un changement de conjoncture qui ne justifie plus ou ne permet plus l’activité. Dans l’ensemble, il faut donc déterminer les échéances de l’évaluation en tenant compte de l’urgence des décisions à prendre et des tâches prévues.
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ÉTAPE 2 : LA PLANIFICATION Il s’agit de préciser comment on va réaliser ce bilan ou cette évaluation. À cette étape se posent les questions suivantes : 5. Combien ? Combien cela va-t-il coûter ? Est-ce que le coût est justifiable ou raisonnable (au point de vue des ressources humaines ou financières) ? Les ressources financières acquises sont-elles disponibles ? Si oui, à l’intérieur de quel budget ? Compte tenu des coûts, est-ce que les bénéfices envisagés à la suite de l’évaluation justifient celle-ci ? En somme, cette étape de démarrage est très importante pour assurer le succès tant du bilan que de l’évaluation. 6. Quelles sont les conditions matérielles et psychologiques nécessaires ? Cette réflexion collective devrait être menée dans des conditions matérielles (optimales dans un endroit isolé des activités routinières et des dérangements) et surtout dans un climat qui favorise le calme, le respect et la confiance. Le bilan peut en effet parfois être un moment difficile si l’on doit constater des échecs ou des faiblesses organisationnelles ou personnelles. On ne souhaite pas de tensions, mais on peut en sentir fréquemment dans la recherche des explications d’un échec et il peut y avoir des attaques ou des insinuations à l’égard de certaines personnes. Malgré cela, si le bilan est bien animé, et si toutes les personnes participantes se témoignent mutuellement respect et ouverture, il peut être l’occasion de rapprochements. Enfin, même si le bilan doit être assez bien circonscrit autour de l’objet à évaluer, il peut aussi être une occasion de revoir d’autres aspects de la vie de l’organisation comme la gestion financière, la stratégie d’information, les rapports entre les membres et les salariés. Sans y aller tous azimuts, on peut profiter du bilan pour se pencher sur certaines dimensions que le groupe juge pertinentes. 7. Comment ? Comment va-t-on évaluer ? Il s’agit ici de préciser la méthode selon l’objet à évaluer et selon le degré d’appropriation par le groupe que l’on souhaite obtenir. Par exemple, va-t-on procéder à une analyse documentaire, à une série d’entrevues, utiliser un questionnaire ? Pour
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déterminer la méthode, il faut d’abord repérer les sources d’information accessibles et les techniques de collecte de données, qui sont généralement de deux ordres : les documents et les personnes. Les techniques de collecte d’informations les plus utilisées sont très variées : le questionnaire, l’entrevue (individuelle, de groupe), l’observation participante, l’analyse de contenu, le sondage, etc. Ensuite, il faut définir le plan d’analyse. L’évaluation peut porter sur deux types de données, soit les données quantitatives, qui constituent le courant dominant en recherche dans les institutions publiques, et les données qualitatives. C’est surtout ce dernier courant qui nous intéresse, parce que l’analyse se fait davantage avec les intervenants. L’évaluation du matériel qualitatif consiste à mettre l’accent sur ce qui est particulier dans chaque situation plus que sur un ensemble de caractéristiques générales. Les données qualitatives sont des descriptions détaillées de situations, d’événements, d’interactions ou de comportements observés. On y trouve des récits, des opinions, des points de vue ou des croyances d’individus ou de groupes.
ÉTAPE 3 : LA RÉALISATION L’étape de la réalisation de l’évaluation regroupe deux types d’activités : la collecte de données ainsi que l’analyse et la synthèse des données. Rappelons que c’est à cette étape qu’il peut être le plus utile pour le groupe de confier l’évaluation à un évaluateur, dans la mesure où l’organisme garde le contrôle des paramètres de l’évaluation et des suites. 8. La collecte des données. L’étape de la collecte des données est souvent longue, car il faut réunir les données dont le groupe a besoin. L’ampleur de la collecte des données sera aussi tributaire des ressources financières et humaines de l’organisme. Les données recouvrent généralement les activités exercées par l’organisme, le contexte interne, de même que les éléments de contexte externe qui peuvent influer sur les activités ou sur les
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résultats des activités. Ces deux dimensions peuvent donc être cernées par des instruments de type plus quantitatif (nombre de personnes concernées, montant des coûts, etc.) ou de type plus qualitatif pour recueillir des impressions de satisfaction, des descriptions d’activités et des retombées sur les populations visées. Les données peuvent aussi porter sur la dynamique interne de l’organisme et sur les liens entre les membres, les salariés, les bénévoles, etc. Il est toujours important de comprendre l’impact d’une action sur le fonctionnement de l’organisme qui a mené l’action, et aussi sur le développement personnel des personnes en cause. Les procès-verbaux ou rapports de réunion ne rendent pas toujours très bien compte de ces éléments et le bilan doit être une occasion d’approfondir davantage les faits et les impressions par des entrevues avec les personnes concernées. Le tableau 3 donne un aperçu des données à recueillir selon qu’il s’agit d’instruments quantitatifs, qualitatifs ou liés à la dynamique interne de l’organisme.
TABLEAU 3 OUTILS D’ÉVALUATION Type d’outils
Caractéristiques
Exemples
A Instruments quantitatifs
Ces instruments recueillent une quantité de données objectives.
– Statistiques (nombre d’activités, de participantes, de bénévoles, caractéristiques des personnes rejointes, etc.) ; – nombre de membres ; – questionnaires ; – sondages ; – états financiers, etc.
Ces données doivent être classifiées et systématisées de façon à en faciliter l’interprétation.
A Instruments qualitatifs
Ceux-ci font plutôt appel à un jugement de valeur sur la réalité. Ces documents rassemblent l’évaluation d’une ou de plusieurs activités menées au cours de l’année.
– – – – – –
Rapports d’activités ; rapports de comités ; coupures de presse ; questionnaires ; sondages ; évaluation des participantes aux activités, etc.
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TABLEAU 3 (SUITE) OUTILS D’ÉVALUATION Type d’outils
Caractéristiques
Exemples
A Documents relatifs aux objectifs du groupe
Ces documents sont essentiels au moment de l’évaluation.
A Documents relatifs au fonctionnement de l’organisme
Tout document qui regroupe des propositions importantes quant au fonctionnement.
– Procès-verbaux du C. A. ; – procès-verbaux de l’exécutif ; – rapports de réunions d’équipe ; – rapports du comité des finances ; – rapports de toute autre instance propre à l’organisme, etc.
A Outil synthèse
Cet outil a pour fonction de systématiser les principaux éléments nécessaires à l’évaluation.
– – – –
– Résolutions de la dernière assemblée générale ; – objectifs pour l’année en Sans ces documents, il sera très cours ; difficile de faire l’évaluation, car – programme d’activités ; celle-ci a pour objet de – mission de l’organisme confronter la réalité avec les (charte), etc. buts visés. Si les objectifs n’ont pas été préalablement définis, on ne saura pas trop dans quel sens orienter l’évaluation.
Objectifs spécifiques ; moyens ; échéances ; responsables.
C’est un outil qui permet de visualiser rapidement les objectifs, les activités réalisées, les échéances ainsi que les responsables pour chacune des activités prévues au plan d’action. C’est le genre d’outil essentiel à une bonne préparation. Source : C. Daniel (1992). L’évaluation d’un organisme social et communautaire, Montréal, Centre de formation populaire, p. 8.
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9. L’analyse et la synthèse des données. Cette étape est plus difficile, car elle demande un jugement critique à porter sur une situation qui est parfois complexe. L’analyse vise à expliquer les faits et à comprendre les liens entre les objectifs visés, les moyens, les personnes responsables, les échéanciers et les résultats atteints. Elle exige une bonne connaissance et une perspective d’ensemble des faits, d’où l’importance des tableaux pour faire des liens et des comparaisons et comprendre les degrés de succès ou d’échec. Il peut y avoir d’abord une comparaison de la réalité par rapport aux objectifs originaux, mais aussi par rapport aux attentes et aux besoins des personnes concernées à différents titres. Les données amassées peuvent être présentées sous forme de tableaux visuels qui permettent à des membres ou participants de voir l’ensemble des données et donc d’en faire l’analyse à l’occasion d’une réunion de comité ou d’une assemblée. L’analyse de contenu peut s’avérer un outil utile pour cette étape. Il s’agit alors de passer en revue la documentation écrite pertinente afin de reconstituer brièvement « l’histoire » du projet. Les informations manquantes pourront être recueillies par des entrevues individuelles ou collectives. Quelques questions peuvent aider à mieux préciser cette étape : Qu’est-ce qui a changé à la suite du projet (les connaissances, les attitudes, les compétences, les comportements) ? Qui a changé à la suite du projet (les membres de la population visée, le personnel du projet, les responsables) ? Les activités réalisées dans le cadre du projet ont-elles suscité des changements que l’on n’avait pas prévus ? Lesquels ? Les tableaux 4 et 5 sont des exemples de grilles permettant d’analyser les résultats d’une action-projet en les comparant avec les objectifs de départ.
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TABLEAU 4 GRILLE
POUR UN BILAN
Notre objectif Au départ
Les résultats acquis
Actuellement
Nos échecs/Pourquoi
Notre priorité pour la prochaine étape
Source : V. Thaels et al., Le plein d’idées. Se former et agir ensemble, Bruxelles, Éditions Vie ouvrière, 1980, dans F. Marcotte (1986). L’action communautaire, Montréal, Éd. Saint-Martin, p. 84.
TABLEAU 5 GRILLE POUR UN BILAN Objectifs (pourquoi)
Mobilisation (avec qui)
Moyens (comment)
Source : F. Marcotte (1986). Op. cit., p. 83.
Acquis (forces)
Erreurs (faiblesses)
Perspectives (leçons, suites à donner)
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ÉTAPE 4 : LA PRISE DE DÉCISION L’étape de la prise de décision, c’est d’abord l’étape de la présentation de la synthèse préliminaire. Le comité d’évaluation (ou l’évaluateur) fait une première présentation des résultats de l’évaluation. Il doit ensuite formuler certaines recommandations. 10. La rédaction du rapport final de l’évaluation et la diffusion des résultats. Le rapport final sert à informer les principaux utilisateurs de l’évaluation, et possiblement aussi un public plus large. On a souvent constaté qu’un rapport final volumineux a moins d’impact que les échanges en face à face avec les participants. À propos de la diffusion, il peut être utile de se demander comment on compte utiliser les résultats de l’évaluation pour enrichir la compréhension des pratiques et les améliorer. 11. Les décisions et les suites de l’évaluation. Une fois le jugement posé sur la situation à évaluer, il faut prendre les décisions qui s’imposent. S’il y a déjà des recommandations d’un comité de travail ou d’un évaluateur, l’instance qui représente démocratiquement le groupe (le conseil d’administration ou l’assemblée générale) devra quand même décider du bien-fondé de ces recommandations. C’est l’heure de vérité où l’on doit décider d’ajuster soit les objectifs, soit les méthodes ou approches de travail, soit les moyens. Ainsi il faudra parfois admettre que les objectifs visés étaient trop ambitieux ou que les moyens et ressources disponibles n’étaient pas à la hauteur des objectifs. Il peut même être nécessaire de réviser la mission du groupe ou de modifier le partage de responsabilités parmi les salariés ou membres. Enfin, en dernière instance, un bilan peut amener un groupe à mettre fin à un volet de ses services ou activités, et même à décider de sa dissolution. Mais, en règle générale, l’évaluation sert avant tout à relancer l’action avec enthousiasme. La fin d’un bilan peut aussi être une bonne occasion de célébrer et de faire la fête : bouffe, musique, sortie collective. L’important est de se faire plaisir après un travail accompli et de recharger les batteries ! Enfin, le groupe pourra profiter de sa démarche d’évaluation pour produire un document écrit ou audio-
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visuel, voire une animation théâtrale, et en faire un outil de communication et d’éducation afin de permettre à d’autres de profiter de son expérience. Ce document est aussi un symbole de fierté. De plus en plus de groupes réalisent l’importance de faire des bilans écrits ou audiovisuels pour les diffuser et ainsi faire connaître les facteurs ayant contribué à leur réussite11. Sans devoir être de gros « success stories », les bilans des groupes peuvent servir de modèles d’action et inspirer des organismes dans d’autres régions ou secteurs d’activité et même constituer une source de revenu s’ils sont vendus. Ces documents sont des symboles de dynamisme et de continuité de l’action qui contribuent à maintenir un certain fil conducteur et une cohérence au sein des organismes communautaires.
4.
QUELQUES EXEMPLES DE BILANS ET DE RECHERCHES ÉVALUATIVES 4.1. BILAN DE LUTTES Comme nous l’avons précédemment souligné, la notion de bilan a été très populaire dans les décennies 1970 et 1980 pour être progressivement remplacée par le concept d’évaluation. Malgré cette perte d’influence, plusieurs groupes communautaires qui s’inspirent d’une tradition militante ont encore recours à ce concept pour rendre compte de leurs actions. La grille d’évaluation structurelle développée par Castells12 pour analyser les luttes urbaines a grandement influencé les bilans des nombreuses luttes menées par les groupes populaires au Québec, notamment celles menées dans le secteur du logement, de la sécurité du revenu et de la protection des consommateurs, bilans que l’on retrouve dans les cahiers
11.
J.-F. René et J. Panet-Raymond (1984). « Faut-il brûler les pancartes ? Le mouvement populaire aujourd’hui », Montréal, Journal La Criée et ACEF du Centre-de-Montréal ; D. Bourque, G. Fortin et J. Hogue (1984). Bilan du Comité d’action pour l’eau potable, Service de l’éducation des adultes de la Commission scolaire de Valleyfield ; la vidéo « Au Chic Resto Pop », 1991 ; Collectif d’écriture du Centre des femmes des Cantons et H. Lamoureux (1987). Oser : quand des femmes passent à l’action, Cowansville, Collective Par et Pour Elle ; Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) (1989). On reste ici ! La lutte pour sauver nos logements et nos quartiers, Montréal ; L’R des centres de femmes (1993). Tous les moyens du bord. Les centres de femmes : des chantiers économiques, Montréal, L’R des centres de femmes. 12. M. Castells (1973). Luttes urbaines, Paris, Maspéro.
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publiés par le Groupe de recherche en action populaire (GRAP) dans les années 1980. La grille structurelle développée par Castells propose d’analyser des processus de lutte à l’aide d’un nombre de catégories (ou de notions) : enjeux, base sociale, organisation, force sociale, adversaire, revendications, actions, effets politiques et idéologiques. Il s’agissait, à l’époque, de rendre compte des diverses luttes urbaines en tenant compte à la fois des facteurs externes (contexte, contradictions, etc.) et des facteurs internes (liens entre enjeux, type d’organisation, intensité de la mobilisation et nature des effets produits relatifs aux processus de mobilisation) présents dans les diverses luttes sociales. Ces éléments s’articulaient de la façon suivante. Dans sa dynamique, un mouvement social se définit d’abord par un enjeu ou par l’expression d’une contradiction sociale qui met aux prises des intérêts opposés. Cet enjeu est toujours associé à une conjoncture donnée. Cette caractérisation préalable a ainsi permis d’étudier le contenu des revendications des divers acteurs sociaux. Par la suite, il s’agissait d’établir les caractéristiques de la population touchée par l’enjeu (base sociale), de la différencier de la fraction de la population effectivement mobilisée (force sociale). Il fallait aussi s’efforcer de bien identifier l’adversaire opposé à la force sociale ainsi que le type d’organisation qui prenait en main la mobilisation. Finalement, l’ensemble du processus était censé produire un effet social, portant sur les conditions collectives de vie quotidienne, et un effet politique portant sur les rapports de force entre les groupes sociaux dans une conjoncture donnée. Cette grille d’analyse a influencé plusieurs auteurs qui ont évalué les nombreuses luttes urbaines menées par les groupes communautaires dans les principales villes du Québec dans les années 1970.
4.2. L’ÉVALUATION DE L’INTERVENTION Selon Ouellet et Lampron, l’évaluation de l’intervention « consiste à jeter un regard critique sur un processus, une stratégie, un plan, ainsi que sur son impact sur une clientèle donnée13 ». Par exemple,
13. F. Ouellet et C. Lampron (1987). Bilan des évaluations portant sur les services sociaux, Synthèse critique no 43, Commission d’enquête sur les services de santé et les services sociaux, Québec, Les Publications du Québec, p. 493.
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Rinfret-Raynor et al.14 ont opté pour une double démarche d’évaluation à la fois quantitative et qualitative, afin de mesurer l’efficacité d’un modèle d’intervention auprès d’une clientèle de femmes victimes de violence conjugale.
L’évaluation des pratiques communautaires en contexte de régionalisation Cette recherche porte sur les pratiques communautaires dans le champ de la santé et des services sociaux, à la suite des nombreuses réformes qui ont marqué les secteurs jeunesse et famille au cours des années 1990. Au plan méthodologique, cette recherche évaluative a adopté une stratégie de coopération, c’est-à-dire un type de recherche qualitative qui relève du courant des enquêtes participatives et qui valorise une participation plus directe des sujets dans l’ensemble de la démarche de recherche. Les chercheurs ont organisé, avec les intervenants communautaires d’expérience, plusieurs rencontres de groupe, tout en s’efforçant de respecter la dynamique particulière à chacun des secteurs d’intervention. Ce faisant, les intervenants communautaires sont devenus des cochercheurs. Les discussions ont porté autour de trois postulats : 1) la pratique quotidienne des intervenants des secteurs à l’étude qui est de plus en plus définie par des contraintes extérieures, liées aux demandes étatiques dans un difficile contexte budgétaire ; 2) la reconnaissance du communautaire par l’État et son intégration dans la nouvelle dynamique de partenariat amènent les intervenants des secteurs jeunesse et famille à modifier leurs pratiques (clientèles, services, modes d’intervention) ; 3) les savoirs des intervenants sont de plus en plus teintés des savoirs propres au réseau institutionnel. Au terme de la démarche de recherche, ces postulats ont été sensiblement bonifiées par le résultat des discussions, le tout étant validé par les deux groupes d’intervenants15.
14. M. Rinfret-Raynor et al. (1992). Intervenir auprès des femmes violentées. Évaluation de l’efficacité d’un modèle féministe, Montréal, Éd. Saint-Martin. 15. J.-F. René, D. Fournier et L. Gervais (1997). Transformations en contexte de régionalisation à Montréal, Montréal, Centre de formation populaire, 91 p.
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4.3. LES ÉVALUATIONS DE PROGRAMME Landry16 a souligné que l’on peut définir ce type d’évaluation comme un processus par lequel on recueille des données sur la conceptualisation, le fonctionnement, l’efficacité ou le rendement d’un programme. Dans cette perspective, on peut évaluer plusieurs aspects d’un programme, par exemple sous l’angle de ses objectifs ou encore pour voir si le programme rejoint la clientèle visée. On peut également s’interroger sur l’utilité d’un programme qui n’atteint pas sa population cible. Il en va de même pour l’efficacité du programme. On peut aussi considérer le rendement du programme : l’évaluation du rendement consiste à vérifier si les résultats obtenus par un programme sont suffisants par rapport aux ressources (temps, argent, etc.) qu’on doit investir. Même si un programme est efficace, on peut juger qu’il n’est pas rentable parce qu’il exige un trop grand investissement de ressources par rapport aux bénéfices qu’il génère. Ce type d’évaluation est particulièrement difficile, puisqu’il faut considérer tous les coûts et tous les bénéfices financiers. Dans ce type d’évaluation on peut citer les travaux de Blais17 sur l’évaluation des programmes dans les CLSC, ceux de Béland18 sur l’évaluation des programmes de maintien à domicile, ceux de Dumont et Kiely19 ainsi que ceux de Demers et Maltais20 sur les programmes de santé communautaire. On peut aussi citer un projet d’évaluation d’un projet de prévention de l’infection par le VIH pour les utilisateurs de
16. M. Landry (1987). « Tour d’horizon des types de recherche », dans J. Guay (dir.), Manuel québécois de psychologie communautaire, Chicoutimi, Gaëtan Morin Éditeur, p. 60. 17. R. Blais (1986). « Comment favoriser la collaboration à l’évaluation des programmes dans les centres locaux de services communautaires », Service social, vol. 35, no 1, p. 33-51. 18. F. Béland (1984). « L’évaluation de la politique des services à domicile du ministère des Affaires sociales du Québec : une étude de cas », Revue canadienne du vieillissement, vol. 3, no 4, p. 175-192. 19. M. Dumont et M.C. Kiely (1987). « L’évaluation dans le processus d’intervention communautaire : au-delà de Félicitations pour votre programme ! », dans J. Guay (dir.), Manuel québécois de psychologie communautaire, Montréal, Gaëtan Morin Éditeur, p. 213-242. 20. A. Demers et D. Maltais (1993). « Construction d’un programme en santé communautaire : du projet planifié à l’action implantée », The Canadian Journal of Program Evaluation, vol. 8, no 1, p. 11-32.
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drogues injectables du quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal21 qui a été mis sur pied par l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal. Cette recherche évaluative a eu recours à une double méthodologie, quantitative (questionnaire) et qualitative (observation participante, informateurs clés), dans un certain nombre de piqueries du quartier. Les objectifs visés par l’évaluation des programmes pilotes étaient de mieux décrire l’implantation des activités, de quantifier et qualifier les résultats et de mesurer l’impact des programmes. Cette recherche voulait également évaluer les stratégies de prévention de l’infection parmi les utilisateurs de drogues injectables.
L’évaluation du projet communautaire « 1, 2, 3, Go » Damant et al.22 ont souligné que ce projet se situe dans la longue tradition des interventions communautaires dans le contexte des programmes, surtout américains, de lutte contre la pauvreté. Dans l’ensemble, ces programmes reconnaissent que la famille et l’environnement social peuvent nuire au développement des enfants de milieux défavorisés. Cette initiative communautaire se fonde sur l’empowerment des communautés et de leurs membres et elle s’appuie sur un modèle écologique du développement de l’enfant. Cette intervention vise trois objectifs complémentaires : promouvoir le développement physique, cognitif, social et affectif des enfants, assurer un soutien aux parents et aux intervenants et, enfin, favoriser une prise en charge communautaire afin d’offrir aux familles un environnement stimulant et chaleureux. À cet effet, diverses activités sont offertes aux enfants et aux parents. La démarche évaluative de ce projet a permis de constater la présence d’effets positifs, tant sur le plan des impacts directs (augmentation des facteurs de protection) que des impacts indirects (diminution des facteurs de risque). Globalement, il apparaît que ce projet d’intervention communautaire s’avère bénéfique tant pour les enfants que pour leurs parents.
21. J. Beauchemin, G. Bibeau et C. Morissette (1994). Évaluation de Pic-atouts : un programme pilote de prévention de l’infection par le VIH, Montréal, Direction de la santé publique, 21 p. 22. D. Damant, C. Bouchard, L. Bordeleau, N. Bastien et G. Lessard (1999). « 1, 2, 3, Go ! Modèle théorique et activités d’une initiative communautaire pour les enfants et parents de six voisinages de la grande région de Montréal », Nouvelles pratiques sociales, vol. 12, no 2, p. 133-149.
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Évaluation des «Groupes d’action en santé du coeur» « Les Groupes d’action en santé du cœur » constituent un projet pilote de développement communautaire visant à promouvoir la santé cardiovasculaire en milieu de pauvreté. Deux expérimentations ont été réalisées au cours des années 1990 dans un quartier défavorisé de Montréal. L’évaluation visait à expliquer leur mise en œuvre par l’observation de la communauté cible et de l’intervention. L’analyse a démontré que la stratégie de mobilisation communautaire adoptée par les promoteurs du projet (la Direction de la santé publique de Montréal-Centre) n’a pas donné les résultats escomptés en matière de partenariat avec le milieu communautaire. Toutefois, l’évaluation a permis de constater que la stratégie d’intervention, basée sur la formation de petits groupes, a favorisé une plus grande participation des citoyens, en plus d’offrir du soutien, de réduire l’isolement et d’améliorer le sentiment d’estime de soi chez les participants. Le rapport final de cette évaluation participative a été longuement discuté avec les représentants des organismes communautaires impliqués, tout en demeurant sous la responsabilité des chercheurs23.
4.4. L’ÉVALUATION D’IMPLANTATION ET L’ÉVALUATION CONTINUE L’implantation d’une action concertée présente, comme principal défi, la nécessité de réunir autour d’un projet conjoint un grand nombre d’acteurs et de mettre en œuvre des stratégies d’actions diversifiées s’adressant à de multiples cibles. Dans ce contexte, les analyses d’implantation de programmes deviennent des instruments essentiels pour dégager une connaissance permettant de mieux circonscrire ces expériences de collaboration entre partenaires. L’évaluation d’implantation consiste à analyser les diverses opérations d’une intervention : description du déroulement, identification de la population qu’elle rejoint, mise en œuvre des paramètres de l’intervention et vérification du degré de conformité
23. G. Filion, A. Bilodeau, J. Panet-Raymond, C. Martin et L. Labrie (1999) « Les Groupes d’action en santé du cœur : évaluation d’un projet communautaire de promotion de la santé cardiovasculaire en milieu d’extrême pauvreté », Nouvelles pratiques sociales, vol. 12, no 2, p. 151-164.
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entre l’intervention prévue et sa version implantée. Dans ce cadre d’analyse, l’intervention n’est pas conçue comme un produit stable dans le temps et dans l’espace. Ainsi, toute intervention est susceptible d’être modifiée en cours d’opération en raison de changements de l’environnement. Pour leur part, divers chercheurs (Bertrand et Dupont, 1998 ; Cinq-Mars et Fortin, 1999 ; Lefebvre, 2000) favorisent l’évaluation participative, car elle repose sur trois principes : elle doit être utile aux acteurs impliqués ; elle doit s’appuyer sur un processus continu permettant de repérer des solutions alternatives à partir de révisions ; et finalement, elle doit relever d’une démarche interactive en associant les acteurs à l’interprétation des données. L’évaluation continue illustre un processus de réflexionévaluation-formation qui doit toujours nourrir l’action. Celle-ci permet de réaliser non seulement un ensemble d’activités d’évaluation, mais aussi des activités de formation-action qui à leur tour relancent le processus d’évaluation. Un exemple d’évaluation continue concerne l’expérience de partenariat entre la Fédération des Moissons du Québec et un groupe de chercheurs. Devant l’augmentation fulgurante de la demande d’aide alimentaire au Québec au cours des dernières années, la Fédération des Moissons du Québec s’est associée à une équipe de chercheurs afin de procéder à une évaluation critique de ses actions, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle régionale et locale. Cette expérience a suscité des actions évaluatives et formatives dans plusieurs organismes et tables de concertation, avec la collaboration d’une même équipe de chercheurs et d’intervenants. Cette démarche, qui s’est échelonnée sur plusieurs années, a permis de développer des outils théoriques et pratiques pour les organismes24.
24. J. Beeman, J. Panet-Raymond et J. Rouffignat (1997). Du dépannage alimentaire au développement communautaire : des pratiques alimentaires, Montréal, École de service social, Université de Montréal ; L. Bertrand et M. Dumont (1998). Évaluation du projet régional de développement de la sécurité alimentaire dans la région de MontréalCentre, Montréal, Agence de la santé et des services sociaux de Montréal-Centre, 91 p. ; J. Rhéault, J. Panet-Raymond, S. Racine et J. Rouffignat (2000). Réfléchir, innover, agir. Guide de formation et d’animation, Québec, Moisson Québec, Montréal, Centre de formation populaire. 88 p. ; J. Rouffignat, L. Dubois, J. Panet-Raymond, P. Lamontagne, S. Cameron et M. Girard (2001). De la sécurité alimentaire au développement social. Les effets des pratiques alimentaires dans les régions du Québec, 19992000, Québec, Université Laval, Département de géographie, 301 p.
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CONCLUSION L’évaluation est un champ d’activité qui représente un point de rencontre entre la recherche et l’action. Au modèle expérimental qui préside à la conception traditionnelle de l’évaluation nous avons cherché à substituer un modèle alternatif. Cette conception modifie profondément le rôle du chercheur. Du chercheurobservateur, on passe au chercheur-acteur. Le défi réside dans le fait d’intégrer, au sein d’une même démarche, les objectifs d’évaluation et les objectifs d’action. La recherche se déroule parallèlement à l’action et les résultats permettent, au besoin, de réorienter l’action ou d’améliorer les pratiques. Les organismes communautaires se doivent de poursuivre des évaluations de leur action avec des outils améliorés et des expertises externes au besoin, mais en gardant le souci d’y associer les membres, les salariés et les bénévoles. Cela leur assure l’appropriation du processus d’évaluation, sans quoi ce dernier risque de se transformer en exercice plus ou moins utile. Les organismes communautaires devraient profiter de plus en plus des recherches évaluatives qui peuvent favoriser un regard critique, mais aussi contribuer à légitimer et à mieux faire reconnaître l’action communautaire.
BIBLIOGRAPHIQUE SÉLECTIVE BEAUDOIN, A. (2000). « L’évaluation des programmes et des interventions dans la perspective de développement du travail social », dans J.-P Deslauriers et Y. Hurtubise (dir.), Introduction au travail social, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, p. 313-338. BLAIS, R. (1986). « Comment favoriser la collaboration à l’évaluation des programmes dans les Centres locaux de services communautaires », Service Social, vol. 35, nos 1-2, p. 33-51. DANIEL, C. (1992). L’évaluation d’un organisme social et communautaire. Guide pour la réalisation d’un bilan annuel, Montréal, Centre de Formation populaire. GAUDREAU, L. et N. LACELLE (1999). Manuel d’évaluation participative et négotiée, Montréal, Centre de formation populaire.
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GOUVERNEMENT DU QUÉBEC. COMITÉ MINISTÉRIEL SUR L’ÉVALUATION (1997). L’évaluation des organismes communautaires et bénévoles, Québec, MSSS, 75 p. LÉGARÉ, J. et A. DEMERS (dir.) (1993). L’évaluation sociale : savoirs, éthique, méthodes, Actes du 59e Congrès de l’ACSALF, Montréal, Méridien. MAYER, R., F. OUELLET, M.-C. SAINT-JACQUES et D. TURCOTTE (2000). La recherche évaluative, Méthodologie de recherche pour les intervenants sociaux, Boucherville, Gaëtan Morin Éditeur, 424 p. MIDY, F., C. VANIER et M. GRANT (1998). Guide d’évaluation participative et de négotiation, Montréal, Centre de formation populaire. ROUSSEAU, R., (1994). « L’évaluation des pratiques sociales : les résultats et les défis d’une expérience d’évaluation de programme sur les plans éthique et méthodologique », Nouvelles pratiques sociales, vol. 7, no 2, p.125-140. TARD, C., H. OUELLET et B. BEAUDOIN (1996). L’éaluation de l’action des organismes communautaires dansle cadre du PACE (Programme d’action communautaire pour les enfants). Manuel d’introduction, Québec, Centre de recherche sur les services communautaires, Université Laval. VIVIER, C. (1990). Maintenir le cap, guide d’évaluation pour les groupes communautaires, Montréal, Relais-femmes (ce texte est l’adaptation d’un ouvrage antérieur ; An Evaluation Guide por Women’s Groups, rédigé par J. Barnsley, D. Ellis et H. Jacobson, Vancouver, Women’s Reseach Centre). ZUNIGA, R. (1994). L’évaluation dans l’action, Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal. ZUNIGA, R. (1994), Planifier et évaluer l’action sociale, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal.
PA R T I E
IV
LES ENJEUX, DÉFIS ET PERSPECTIVES
CHAPITRE
11
ENJEUX, DÉFIS ET PERSPECTIVES Jean Panet-Raymond Henri Lamoureux Jocelyne Lavoie Robert Mayer
PLAN DU CHAPITRE 11
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1. La lutte contre la pauvreté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. La protection des consommateurs et la consommation responsable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. La lutte du mouvement des femmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. La mondialisation des solidarités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5. L’action dans la sphère de la santé et des services sociaux . . . . . 6. Le développement local et l’économie sociale . . . . . . . . . . . . . . . . 7. La reconnaissance de l’action communautaire : autonomie ou complémentarité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8. Démocratie dans les organisations et développement de la citoyenneté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . En guise de conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Webographie sélective . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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INTRODUCTION L’action communautaire vise le renforcement de la capacité d’autonomie des individus et des collectivités dans le respect des valeurs de justice, de solidarité et de démocratie. Elle s’ouvre à des pratiques plurielles et diversifiées en touchant plusieurs aspects de la vie des personnes et des communautés et en cherchant à raffermir les liens sociaux entre ces personnes et ces communautés. Il n’existe rien de tel qu’un modèle unique d’intervention en action communautaire et les succès ou les échecs sont généralement le produit d’une bonne ou d’une mauvaise lecture de la conjoncture, locale, nationale ou internationale. Ainsi, dans la conjoncture actuelle, il est important de tenir compte des effets de la mondialisation et de la globalisation des investissements et des marchés. Il est tout aussi important de comprendre les conséquences des attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux États-Unis et les effets de cet événement sur la réorientation des priorités gouvernementales. Les multiples réformes politiques, par exemple la sécurité du revenu, les orientations en matière de développement local et régional, la politique de reconnaissance et de soutien de l’action communautaire autonome et le projet de loi pour lutter contre la pauvreté, influencent les pratiques. La pratique de l’action communautaire se teinte également aux couleurs de la culture d’un peuple. Elle est marquée par son histoire, ses aspirations et la dynamique sociale qui en découle. Ainsi, les pratiques d’action communautaire québécoises sont le fait de mouvements sociaux autonomes, mais capables, lorsque l’occasion et les circonstances s’y prêtent, de tisser des liens de solidarité active avec des organisations représentant d’autres sociétés et d’autres cultures. La Marche mondiale des femmes, qui s’est tenue à l’automne 2000, illustre bien cette réalité. Ce chapitre porte sur les défis et les perspectives qui s’offrent à l’action communautaire à l’aube du troisième millénaire, dans une conjoncture marquée par une profonde instabilité politique et économique, qui affecte l’ensemble des sociétés à des degrés divers.
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LA PRATIQUE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE
Dans ce climat d’incertitude, quelques défis et champs d’intervention prennent de l’importance, sans pour autant que les autres en perdent. Parmi ceux-ci on peut relever : 1) la pauvreté et l’appauvrissement, qui demeurent un problème difficile à résoudre et qui exigent un certain renouvellement des pratiques ; 2) la notion de consommation responsable a remis en question tant les modes de production que les effets de la surconsommation à cause des conséquences à la fois pour les personnes et pour l’environnement ; 3) la pauvreté et la violence qui touchent plus particulièrement les femmes, et ce, dans tous les pays du monde, exigeant des pratiques à l’échelle internationale ; 4) la mondialisation des problèmes, qui commence à susciter des pratiques mondiales de la part des mouvements sociaux et influence les pratiques locales ; 5) les enjeux de la santé et des services sociaux, encore au cœur des débats et qui amènent les mouvements communautaires à se pencher sur leur financement, mais surtout sur leurs rapports à l’État ; 6) le développement local et l’économie sociale remettent en question les rapports critiques à l’État par rapport aux objectifs d’intégration en emploi des populations exclues et marginalisées ; 7) ces rapports à l’État, qui font ressortir l’importance de l’application de la Politique de reconnaissance et de soutien de l’action communautaire ; 8) les rapports internes dans les mouvements communautaires, qui deviennent de plus en plus des objets de préoccupation et posent le défi de la cohérence entre les finalités et les modes de fonctionnement des organismes communautaires se voulant des lieux démocratiques d’exercice de la citoyenneté. Une constante relie ces défis : l’ouverture nécessaire des pratiques communautaires aux dimensions internationales, qui influent tant sur les dynamiques dans les communautés locales que sur les préoccupations des politiques publiques. Tous ces défis évoluent dans des contextes changeant rapidement, mais demeurent pertinents pour le mouvement communautaire, dont l’évolution influence la conjoncture tout en étant influencé par la conjoncture.
1.
LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ L’appauvrissement d’un large secteur de la population affecte d’une façon particulière et plus dramatique d’importants groupes sociaux : les femmes responsables de familles monoparentales et
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leurs enfants, les jeunes adultes, surtout s’ils ont abandonné leurs études trop tôt, les travailleurs mis à pied à cause des changements technologiques et ceux qui, victimes de la mondialisation des marchés, voient leurs usines « s’envoler » vers des destinations où les coûts de production sont moins chers, sans oublier les retraités qui assistent, impuissants, à la réduction dramatique de la valeur de leurs économies et à l’affaiblissement du soutien étatique. Les pauvres, ce sont aussi les personnes que l’on a expulsées des institutions, notamment les hôpitaux psychiatriques, sous prétexte qu’elles sont suffisamment autonomes pour se prendre en charge. Ces personnes constituent une fraction non négligeable de la population plus ou moins itinérante qui fréquente les rues des centresvilles des différentes régions du Québec. Cette pauvreté se fonde non seulement sur l’absence de biens et de services essentiels, mais sur l’incapacité croissante d’un nombre important de personnes à avoir accès au modèle néolibéral du bonheur1. La pauvreté prend corps dans la maladie, dans l’absence de formation scolaire et professionnelle qualifiante, dans la vulnérabilité de l’emploi à cause d’une économie qui se globalise, dans la réduction des politiques sociales et dans la précarité sous toutes ses formes. Ceux et celles que l’on qualifiait de « nouveaux pauvres » il y a quelques années constituent aujourd’hui une fraction importante de la population. Importante en elle-même, cette pauvreté s’accentue sous l’impact d’une responsabilisation accrue des familles et des individus laissés de plus en plus à eux-mêmes par un État qui recentre sa providence en fonction des besoins des entreprises. Là encore, ce sont surtout les femmes qui écopent, puisqu’elles sont souvent les « aidantes naturelles » qui constituent ces « familles-providence2 », et ce sont les femmes seules qui sont les plus démunies financièrement. Enfin, cette pauvreté a tendance à augmenter avec les années, malgré une croissance des produits nationaux bruts : les écarts entre riches et pauvres s’accentuent tant entre les individus qu’entre les pays3.
1. 2. 3.
Collectif (1997). « La pauvreté en mutation », Cahiers de recherche sociologique, no 29, 189 p. F. Lesemann et C. Chaume (1989). Familles-Providence : la part de l’État, Montréal, Éd. Saint-Martin. ONU (1999). Rapport sur le développement humain [www.un.org/publications].
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C’est dans ce contexte que s’est formé le Collectif pour une loi sur l’élimination de la pauvreté dont l’objectif était l’adoption par l’Assemblée nationale d’une loi-cadre visant à éliminer la pauvreté4. Ce collectif, soutenu par des dizaines de mouvements sociaux, a produit un texte de proposition de loi qu’il a déposé à l’Assemblée nationale du Québec en novembre 2000, avec plus de 216 000 signatures, à la suite d’un processus de sensibilisation et d’éducation populaire de deux ans. Ce mouvement a effectivement conduit à l’adoption de la Loi visant à lutter contre la pauvreté à l’exclusion sociale en décembre 2002, et a été suivi d’un plan d’action en 2004 qui est loin de rendre justice aux espoirs de la loi. Cette importante mobilisation constitue malgré tout à n’en pas douter une contribution majeure à la lutte contre la pauvreté et ses effets. Elle illustre aussi l’ampleur du défi qu’ont à relever les mouvements communautaires en se concertant sur des objectifs de société à long terme, de nature à rejoindre un vaste segment de la population et à traduire les principes en engagement réel de la part de l’État. L’importance de la lutte contre la pauvreté a aussi trouvé un écho international dans la Marche mondiale des femmes en 2000. Cette marche a culminé avec la rencontre d’une délégation de femmes, appartenant à des milliers d’organismes de la société civile dans 158 peuples et nations, avec des représentants de la Banque mondiale et des Nations unies le 17 octobre 20005. Cette activité remarquable, qui fut mise en nomination pour le prix Nobel de la paix 2001, constitue l’une des plus grandes mobilisations récentes. Or, les deux principales revendications portées par les femmes du monde touchaient précisément l’élimination de la pauvreté et de la violence envers les femmes. Ces deux formes de mobilisation, l’une à l’échelle nationale, l’autre à l’échelle internationale, illustrent l’importance et le défi de la lutte contre la pauvreté pour les mouvements sociaux progressistes. Importance d’autant plus grande que la pauvreté est le
4.
5.
Pour savoir presque tout sur ce collectif et la « loi-cadre », lire : V. Labrie (2000). « Un Québec sans pauvreté et une loi cadre pour rêver logique », dossier complet dans L’Action nationale, vol. XC, no 2, février, Montréal, p. 77-123 [www.pauvrete.qc.ca]. Pour en savoir plus sur cette vaste mobilisation, voir le site Web de la Fédération des femmes du Québec , <www.ffq.qc.ca>, et ses multiples liens. Il faut aussi voir le film de S. Bissonnette, Femmes en lutte, produit en 2000 par Monique Simard, Montréal, Productions Virages.
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principal déterminant de la santé et aussi un facteur majeur de l’accès à l’éducation supérieure. Nous ne pouvons passer sous silence les gains réalisés par les regroupements de locataires et le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) dans l’important secteur du logement social comme moyen de lutter contre la pauvreté6. L’importance de cette lutte se comprend aisément quand l’on considère le poids du loyer sur le budget des ménages, lequel peut grimper jusqu’à 60 % dans certains cas7. La ténacité des organismes communautaires dans ce domaine semble vouloir porter ses fruits, puisqu’en novembre 2001 le gouvernement fédéral, le gouvernement du Québec et les gouvernements des provinces signaient un accord permettant l’injection de fonds importants dans la construction de logements abordables. En cette matière, et contrairement à ce que souhaitait un gouvernement fédéral qui avait retiré son soutien à la construction de logements à loyer accessible depuis 1994, le Québec semble vouloir suivre les propositions du FRAPRU et investir massivement dans le logement social. On doit souligner les alliances que le FRAPRU a réussi à nouer notamment avec les mouvements de femmes, autour de la campagne pour un « Grand Chantier de logement social » en 1999 et dans son dossier « Logement au Québec : femme et pauvreté » en 20008. Ces démarches constantes ont contribué à la création de certains programmes rendant accessibles et abordables des logements aux ménages à faible et à moyen revenu. Mais ces programmes demeurent loin des besoins documentés pour les ménages à très faible revenu, et les listes d’attente pour les HLM continuent de s’allonger. Enfin, l’action communautaire menée sur le plan de la faim (que l’on nomme l’insécurité alimentaire depuis le Sommet de
6.
7.
8.
Front d’action populaire en réaménagement urbain (2000). Dossier noir. Logement et pauvreté au Québec et Logement au Québec : femme et pauvreté, Montréal, site du FRAPRU [http ://www.frapru.qc.ca/]. P. Campeau (2000). « La place des facteurs structurels dans la production de l’itinérance », dans D. Laberge (dir.), Errance urbaine, Sainte-Foy, Éditions MultiMondes, p. 49-69. Front d’action populaire en réaménagement urbain – FRAPRU (2000). Logement au Québec : femme et pauvreté, Montréal, FRAPRU.
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Rome en 1995 et la Politique canadienne sur la sécurité alimentaire) constitue le cinquième volet d’une action sur le front de la lutte contre la pauvreté. L’action dans le champ de la sécurité alimentaire, qui prend une ampleur considérable et touche des dizaines d’organismes locaux, régionaux et nationaux9, illustre la difficulté d’aborder les réponses à la pauvreté, non pas sous l’angle d’actions de type caritatif, mais dans une perspective de développement social et durable ainsi que d’empowerment des personnes et des communautés. Le développement alimentaire pourrait être bonifié par la vision suggérée récemment par Équiterre, qui plaide pour une vision nourricière plutôt qu’industrielle du développement alimentaire. D’ailleurs, pour ajouter à la globalité de la réflexion sur le sujet, l’organisme Équiterre, dans un mémoire déposé en 2007 à la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois, prône le concept de « souveraineté alimentaire », concept qui englobe l’objectif d’un approvisionnement alimentaire au Québec fourni par le territoire québécois ainsi que la capacité du peuple québécois à décider de ses lois et de ses règlements en agriculture et en alimentation. Dans ce mémoire, Équiterre propose la création d’un indice de sécurité alimentaire national qui mesurerait principalement le degré d’autosuffisance national, la durabilité écologique du système alimentaire, l’accessibilité économique des aliments et le savoir-faire culinaire10. Ces exemples d’actions communautaires illustrent la nécessité non seulement de bâtir de larges consensus autour de ce problème, mais aussi de tisser des liens entre pratiques locales et internationales.
9.
J. Rouffignat, L. Dubois, J. Panet-Raymond, P. Lamontagne, S. Cameron, M. Girard et al. (2001). De la sécurité alimentaire au développement social : les effets des pratiques alternatives dans les régions du Québec, 1999-2000, Rapport de recherche, Université Laval. J. Beeman, F. Racine, J. Rheault, J. Rouffignat et J. Panet-Raymond (1997). « Les groupes d’aide alimentaire pour les personnes défavorisées : lieu de sociabilité ou de gestion de la pauvreté », Cahiers de recherche sociologique, no 29, p. 43. Voir aussi H. Lamoureux (2001). « L’aide alimentaire, un outil pour le développement d’une citoyenneté active », L’Action nationale, vol. XC1, no 8, octobre, p. 35-48. 10. B. Saint-Pierre (2007). « Équiterre plaide pour la révision de la mission du MAMAQ », Le Devoir, 24 juillet.
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2.
499
LA PROTECTION DES CONSOMMATEURS ET LA CONSOMMATION RESPONSABLE Le champ de la consommation est l’un de ceux qui ont mobilisé un grand nombre de personnes et d’organisations depuis la fin des années 1960. Influencée d’abord par l’action de militantes et de militants syndicaux convaincus qu’il fallait lutter pour la qualité des conditions de vie si l’on ne voulait pas perdre à ce niveau ce que l’on gagne sur le plan de la lutte syndicale (« le deuxième front »), l’action communautaire en consommation a véritablement pris son envol avec la naissance en 1965 des associations coopératives d’économie familiale. D’abord axée sur la protection des consommatrices et des consommateurs contre les commerçants malhonnêtes, sur l’éducation au crédit et sur la lutte contre l’endettement, l’intervention communautaire dans le domaine de la consommation s’est professionnalisée et a acquis une expertise significative. Certains organismes issus de la tradition des ACEF ont occupé des créneaux spécifiques tout en conservant généralement les axes d’intervention plus traditionnels, comme celui de la consultation budgétaire. Par exemple, certains organismes de défense des intérêts des consommateurs s’occupent de questions comme la tarification dans le domaine des communications et de l’énergie. D’autres interviennent spécifiquement auprès des jeunes adultes et font un important travail d’éducation populaire autour de la surconsommation et du crédit. Dans ce secteur, on peut donc conclure au développement d’une expertise précieuse que nul autre organisme d’État ou privé ne peut remplacer. Autrement dit, ces organisations de défense des consommateurs sont aujourd’hui d’incontournables ressources communautaires. Mais il y a plus. Le champ de la consommation s’est considérablement élargi et emprunte de nouveaux sentiers. Ainsi, la qualité des aliments devient un enjeu majeur qui touche à la fois la consommation et la préservation de l’environnement. Cet enjeu prend beaucoup d’importance dans le contexte de la mondialisation de l’économie et de la production agricole industrielle11. La
11.
A. Sinaï (2001). « Comment Monsanto vend les OGM », Le Monde diplomatique, no 568, juillet, p. 14-15.
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naissance, à la fin de novembre 2001, de l’Union paysanne12 illustre cette complémentarité d’intérêts à laquelle il faudrait sans doute ajouter les impératifs du développement local, la préservation de la ruralité et l’obligation de susciter une plus grande solidarité internationale. Dans ce cadre, plusieurs organisations, comme Équiterre13, favorisent des projets d’agriculture biologique soutenus par la communauté (ASC). Ces projets permettent d’établir des liens entre la ville et la campagne tout en assurant une meilleure stabilité de revenus aux petits producteurs et en facilitant l’accès à des produits biologiques frais et de qualité aux consommateurs. Équiterre fait aussi la promotion du commerce équitable pour s’assurer qu’un juste prix est payé aux producteurs pour des biens de consommation courante qui sont l’objet du contrôle de consortiums mondiaux, comme le café. La qualité des aliments est un enjeu majeur de l’action communautaire dans ce champ d’intervention. Nul doute que l’intérêt qu’on lui porte est appelé à croître. Le défi des mouvements communautaire consiste donc à lier développement social et économique avec développement durable et solidaire, et ce, dans une perspective internationale. L’action dans le secteur de la consommation touche également les interventions menées dans les secteurs du travail et des droits de la personne, notamment en ce qui a trait au sort réservé aux enfants. Ainsi, une lutte importante se mène et doit se poursuivre contre les compagnies qui recourent au travail de soustraitance dans les pays du Sud14. Cette tyrannie des « griffes », qui se joue sur fond d’esclavage dans les « sweatshops » de plusieurs pays, c’est aussi celle d’une entreprise de mise en marché qui valorise l’image et le style de vie plutôt que le produit lui-même, jouant ainsi un rôle idéologique déterminant dans la construction de la conscience15. « Ce n’est plus le consommateur qui commande le rythme de la production, mais le producteur qui orchestre le désir de consommation. La publicité est une industrie de transformation
12. 13. 14. 15.
. . N. Klein (2001. No Logo. La tyrannie des marques, Montréal, Leméac/Actes Sud. I. Ramonet (2001). « La fabrique des désirs (dossier : La pieuvre publicitaire »), Le Monde diplomatique, no 566, mai, p. 9-14.
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de la conscience sociale », dit Marie Bénilde16. C’est donc sur le terrain de la lutte idéologique que se déplace aussi l’action dans le champ de la consommation. Cette influence idéologique s’est même manifestée au lendemain des attentats terroristes contre le World Trade Center, alors que le président Bush implorait les consommatrices et les consommateurs de dépenser, de consommer autant qu’ils le pouvaient. Le même homme avait déclaré, au lendemain de son assermentation au titre de président des ÉtatsUnis, que son administration renierait la parole donnée par son prédécesseur de signer l’accord de Kyoto portant sur la réduction des gaz à effet de serre. Motif de ce recul : les États-Unis sont une société de consommation. Par conséquent, le problème qui se pose à eux n’en est pas un de conservation, mais d’accès aux ressources. Il ne fait pas de doute que bien des événements actuels peuvent s’expliquer par ce credo dont la conséquence est l’appauvrissement constant du grand nombre pour le « bonheur » d’une minorité. Il apparaît donc évident que l’action dans la sphère de la consommation devra être élargie à un questionnement fondamental sur le modèle de consommation qui nous est proposé comme étant l’expression par excellence du bonheur à la sauce néolibérale. Voilà un autre important défi pour les regroupements de consommatrices et de consommateurs.
3.
LA LUTTE DU MOUVEMENT DES FEMMES La lutte du mouvement des femmes a constitué sans doute l’un des faits marquants du XXe siècle. Cette lutte s’est articulée autour de certains axes majeurs : égalité des droits, réappropriation de son corps et de sa santé, humanisation des naissances, droit à l’avortement, accès aux garderies, lutte contre la violence et accès à des ressources d’aide, partage du pouvoir, accès au travail et diversification des choix professionnels, équité salariale et lutte contre la pauvreté. Au Québec, la Marche mondiale des femmes en l’an 2000 et la Marche des femmes contre la pauvreté de 1995 ont donné un
16. Ibid., p. 10.
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second souffle au mouvement des femmes. Ces deux mobilisations sans précédent dans l’histoire du mouvement des femmes, l’une à l’échelle nationale, l’autre à l’échelle internationale, ont remis le cap sur des revendications essentielles à l’atteinte d’une véritable égalité entre les hommes et les femmes. Si des gains importants ont pu être enregistrés lors de la marche « Du pain et des roses » en 1995, il en a été autrement pour celle de l’an 2000, particulièrement en ce qui a trait aux revendications économiques touchant la lutte contre la pauvreté. Au Québec, le gouvernement a fait la sourde oreille aux revendications touchant l’augmentation du salaire minimum, l’adoption d’un barème plancher à l’aide sociale, l’instauration d’un régime universel d’allocations familiales et d’une allocation supplémentaire pour les familles pauvres, une réforme des normes du travail et, plus largement, l’adoption d’une loi-cadre sur l’élimination de la pauvreté. À l’échelle internationale, plusieurs pays continuent de refuser de signer et d’appliquer les grandes conventions et protocoles internationaux en matière de droits humains touchant les femmes et les enfants. Le 17 octobre 2000 à New York, les femmes se sont aussi heurtées à la résistance des décideurs économiques de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, qui n’ont montré aucune ouverture permettant d’espérer un changement de cap dans leurs orientations et leurs actions. Renouveau et continuité marqueront donc très certainement les pratiques féministes de ce début du XXIe siècle. Continuité sur le plan des luttes inachevées ; pensons seulement aux ratés que connaît l’application de la Loi sur l’équité salariale et à la poursuite du travail auprès du gouvernement du Québec pour faire valoir les revendications touchant la lutte contre la pauvreté. Continuité aussi au regard de la dénonciation des impacts négatifs sur les femmes des réformes en santé et services sociaux, tant pour celles qui travaillent dans le réseau et qui doivent subir des conditions de travail scandaleuses que pour celles que l’on a ironiquement baptisées « aidantes naturelles » pour masquer l’ampleur des responsabilités de soignantes qui leur sont confiées. Continuité aussi dans les difficultés que pose encore l’intégration des femmes au travail, notamment sur le plan de la conciliation travail-famille. Continuité, enfin, au regard de la place des femmes aux postes de décision et en politique. Par exemple, si l’on considère la place des
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femmes en politique municipale, on estime qu’il faudra encore 200 ans avant qu’il y ait autant de femmes que d’hommes occupant la fonction de maire. En effet, il y a dix ans on comptait 8 % de mairesses, alors qu’en 2002 on en compte 10 %. Et les récentes fusions municipales n’ont rien fait pour améliorer la situation. Renouveau, par ailleurs, quant aux solidarités internationales qui se sont tissées entre les groupes de femmes des trente-cinq pays qui participent activement au réseau féministe d’actions mondiales pour faire le suivi des revendications internationales de la Marche mondiale. Renouveau, aussi, devant les résultats de la tournée provinciale organisée par la Fédération des femmes du Québec pour exprimer la position du mouvement des femmes sur le travail du sexe. Une position commune et un plan d’action émergeront sous peu à la suite de cette tournée dans le but de trouver des moyens pour éliminer la discrimination, la stigmatisation et la violence dont ces femmes sont victimes. Le mouvement des femmes du Québec n’a donc pas fini de signaler les incohérences de notre société relativement à la pleine reconnaissance de l’égalité entre les sexes. Il y a fort à parier que les dossiers à caractère économique continueront d’occuper l’avant-scène des luttes du mouvement des femmes au cours des prochaines années et que ces luttes seront étroitement associées aux luttes des femmes des autres continents. Dans un autre ordre d’idées, plusieurs réformes qui affectent la santé et les services sociaux sont porteuses de dérapage, car elles touchent davantage les femmes en risquant de leur faire perdre une autonomie gagnée de haute lutte. À ce propos, le virage ambulatoire en santé soulève des inquiétudes sérieuses. Or, plusieurs études17 ont démontré hors de tout doute que ce sont en très grande majorité les femmes qui font les frais d’une telle réforme. En fait, les femmes sont affectées à double titre, tant sur le plan individuel et familial que dans les organismes communautaires les plus touchés par ce virage. Comment imaginer, dans ces conditions, que les femmes n’en subiront pas les effets, que ce soit
17. D. Côté et al. (1998). Qui donnera les soins ? Les incidences du virage ambulatoire et des mesures d’économie sociale sur les femmes du Québec, Ottawa, Condition féminine Canada [www.swc-cfc.gc.ca].
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dans leur vie professionnelle, leur propre santé et la qualité de leur vie personnelle18 ? Si la mondialisation des solidarités constitue un gain majeur de la lutte des femmes, elle suscite par ailleurs d’énormes attentes. Le défi qui se pose alors est de mieux défendre les droits humains et sociaux des femmes dans le monde par l’entremise d’organisations et de groupes liés au mouvement des femmes.
4.
LA MONDIALISATION DES SOLIDARITÉS Voilà sans doute l’un des défis les plus pressants des pratiques d’action communautaire. Nous venons de le voir, le mouvement des femmes a réalisé des opérations très mobilisatrices à l’échelle planétaire et il a contribué à définir des revendications touchant toutes les femmes du monde. Il s’agit là d’un événement historique majeur dont la portée ne doit pas nous échapper. Le même cheminement s’effectue en réseau dans le monde syndical19 et dans celui du droit du travail, dans le monde de l’agriculture, dans le secteur de l’environnement comme dans celui du développement local et durable. Les dernières années ont vu s’accélérer le rythme d’une mondialisation des investissements et des échanges. Cette mondialisation affecte évidemment le pouvoir des États et accorde aux entreprises transnationales une autorité qui devrait n’être réservée qu’aux gouvernements. La vie démocratique des sociétés s’en trouve gravement affectée. De ce fait, la société civile doit se mobiliser en force pour faire entendre la voix des citoyennes et des citoyens. Cette mobilisation se réalise dans le cadre de larges coalitions démocratiques regroupant l’ensemble des mouvements sociaux, notamment le mouvement syndical, le mouvement des femmes et les diverses organisations qui luttent pour une « autre
18. Conseil du statut de la femme (2000). Pour un virage ambulatoire qui respecte les femmes, Québec, CSF, 58 p. 19. P. Jennings (2001). « La nouvelle dimension de l’action syndicale », Le Monde diplomatique, no 570, septembre, p. IV (Supplément sur le travail).
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mondialisation ». Si l’on admet que la mondialisation est une locomotive en marche qu’il est impossible d’arrêter et que le sort des personnes et des communautés habitant cette planète dépend largement d’une ouverture à une vision planétaire des échanges à tous égards (commerciaux, culturels, scientifiques, etc.), on pourra reconnaître plusieurs enjeux touchant dans un premier temps la manière de réaliser cette mondialisation. En effet, il est assez facile de constater que, pour le moment, cette révolution sert presque exclusivement à l’enrichissement de méga-entreprises transnationales actives dans des champs comme l’informatique et les communications, les transports, les industries agroalimentaires et pharmaceutiques, etc. Les êtres humains sont laissés en plan et seule la voix de la société civile peut être assez forte pour faire changer un tant soit peu la direction qu’a prise cette mondialisation. C’est pourquoi ce thème de mondialisation, lié à la démocratie, aux droits humains et à la répartition de la richesse, est actuellement à l’ordre du jour de presque tous les mouvements sociaux. C’est aussi à cause des dangers d’une mondialisation folle que s’organisent ponctuellement de grandes manifestations comme celles de Seattle, Québec, Davos, Milan et New York. Le mouvement, désigné à tort par l’appellation « antimondialisation », vise donc « une autre mondialisation » fondée sur l’exigence de la justice, de l’égalité entre les personnes et les peuples ainsi que sur le respect des différences, notamment des différences culturelles. Cette mobilisation pose de nombreux défis. D’une part, il importe que les forces progressistes se donnent une vision de ce que pourrait être une société mondiale fondée sur de telles assises. D’autre part, il est important que le mouvement vise à favoriser une mondialisation qui soit source de progrès pour tout le monde, ne connaisse pas de dérapages et ne soit pas l’objet de manipulation. En ce sens, la résistance à la tentation d’une violence injustifiée et gratuite est absolument capitale. La force du mouvement altermondialiste tient dans une éthique de la lutte fondée sur la non-violence et sur la résistance active. À cet égard, la désobéissance civile non violente est aussi une forme de contestation qui a été utilisée et qui demeure pertinente face à ces grandes sources d’iniquité et d’injustice. Le débat sur la stratégie de non-violence a fait l’objet de discussions sérieuses, et parfois tendues, à l’intérieur des grandes concertations de lutte à l’occasion du Sommet de Québec et il demeure toujours pertinent quand l’ampleur des
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injustices amène une radicalisation des mouvements sociaux20. Ainsi, lors du Sommet des peuples qui s’est tenu à Québec du 16 au 21 avril 2001, parallèlement au Sommet des Amériques, des milliers de personnes issues de tous les mouvements sociaux se sont interrogées sur les conséquences d’une mondialisation des rapports économiques essentiellement centrés sur les investissements. Cette manifestation s’est conclue par le rassemblement pacifique de dizaines de milliers de personnes dans les rues de Québec. La journée précédant cette manifestation, des confrontations violentes ont eu lieu entre groupes d’activistes et forces policières devant les barricades dressées par le gouvernement qui a cru nécessaire d’ériger un périmètre de sécurité. Les gestes de désobéissance civile qui ont été posés pour s’attaquer à ce « mur de la honte » ont provoqué un débordement répressif qui a été dénoncé non seulement par les manifestants, mais par les citoyens qui ont eu à subir les effets des gaz sur leur santé. La dynamique des pratiques en action communautaire ne peut qu’être très influencée par de tels événements. Cela dit, la mondialisation des investissements, la globalisation des échanges et le laminage culturel imposé par la puissance de l’appareil de propagande états-unien soulèvent suffisamment d’indignation pour réunir les conditions d’une nécessaire mondialisation des solidarités21. Cet objectif de solidarisation des forces progressistes se heurte cependant à une volonté marquée des sociétés de l’hémisphère nord de vouloir préserver leurs acquis en matière de consommation et, plus généralement, de niveau de vie. La solidarité exigerait de ces sociétés qu’elles réduisent leurs habitudes de consommation de masse. Cette situation est évidemment porteuse d’une contradiction difficile à surmonter. Devant la difficulté des grandes solidarités il devient donc peut-être plus simple de se solidariser en fonction d’échanges menés à une plus petite échelle. Ainsi, des interventions qui ont fait leurs preuves ici ou là peuvent être utilisées par des acteurs sociaux de divers pays. Créées au Québec, les coopératives jeunesse de service pourraient avantageusement être adaptées à la réalité d’autres sociétés tant au
20. ATTAQ : . 21. J. Ife (2000). « Besoins localisés et économie mondialisée : combler le fossé par la pratique du service social », dans « Le travail social et la mondialisation », numéro spécial de la Revue canadienne de service social, vol. 17, no 1, Ottawa, Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux, p. 55-71.
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nord qu’au sud, alors que le modèle expérimenté par La Poudrière en Belgique22 pourrait très bien profiter aux familles pauvres de Montréal. Par ailleurs, dans un cadre Nord-Sud, les cercles d’emprunt mis sur pied au Bengla Desh, les tontines instituées en Afrique centrale, les cuisines collectives créées en Amérique latine et l’expérience de l’école Hoa Sua de Hanoi23 pourraient grandement profiter aux personnes qui interviennent auprès des jeunes de la rue chez nous. De la même manière, il faut se réjouir que le projet Genèse dans le quartier Côte-des-Neiges à Montréal, qui vise la défense des droits et la mobilisation collective auprès de populations multiculturelles, intéresse les intervenants sociaux israéliens, jordaniens et palestiniens24. Et l’on sait que, dans le secteur de l’économie sociale et de l’éducation populaire, le partage des expériences tend à devenir régulier, tant par des échanges multilatéraux systématiques que par la tenue de colloques et autres événements mobilisateurs25.
5.
L’ACTION DANS LA SPHÈRE DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX Vue sous un autre angle, la mondialisation des échanges économiques s’accompagne, notamment dans les sociétés comme le Québec et le Canada, d’une nette tendance à la diminution des services publics au profit des services privés26. Le retrait de l’État se justifie
22. M. Delespesse (1999), La Poudrière : de l’utopie à la réalité, Bruxelles, Éditions Luc Pire. 23. Cette expérience, une initiative d’enseignantes à la retraite, vise à former de jeunes itinérantes et itinérants aux métiers de l’hôtellerie. C’est une expérience très qualifiante, au cours de laquelle ces jeunes se voient offrir non seulement une formation qui les rendra aptes à occuper des postes dans les restaurants et hôtels du Vietnam, mais aussi le gîte et le couvert au cours de leur année de formation. Il faut également souligner l’appui de coopérantes en travail social venues de la Suisse et de la France. Hoa Sua, École d’arts ménagers pour les jeunes défavorisés de Hanoi, document de présentation préparé par la direction de l’école, Hanoi, 1995, 4 p. et un dépliant. 24. . 25. Pensons à la deuxième rencontre sur la globalisation de la solidarité en économie sociale et solidaire tenue à Québec en octobre 2001. 26. J. Torczyner (2000). « La mondialisation, l’inégalité et la consolidation de la paix : la contribution du service social », dans « Le travail social et la mondialisation », numéro spécial de la Revue canadienne de service social, vol. 17(2), Op. cit., p. 138-159.
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par la nécessité de réduire les impôts et de modérer ses interventions afin d’être concurrentiel sur le plan international. Il conduit notamment à un délestage des responsabilités sociales vers des ressources communautaires beaucoup moins chères et vers les familles, vers les aidantes naturelles du réseau social qui sont essentiellement les femmes, à qui l’on demande maintenant d’assumer un fardeau beaucoup plus lourd de soins et de services aux proches27. Si une nette majorité des groupes communautaires autonomes sont actifs dans la sphère de la santé et des services sociaux, l’action dans ce secteur se caractérise aujourd’hui par des préoccupations nouvelles. Ces préocupations ont un caractère transversal en ce sens qu’elles affectent l’ensemble de la sphère d’activité et exigent une stratégie commune d’intervention. Elles constituent autant d’enjeux dans les rapports entre l’État et la société civile : 1) la préservation du caractère public, universel, accessible et gratuit du système de soins et de services ; 2) le maintien et la qualité d’un régime national d’assurance-médicaments ; 3) la préservation du caractère confidentiel des informations contenues dans les dossiers médicaux et sociaux ; 4) l’accessibilité et l’universalité d’un système de services à domicile favorisant la capacité des personnes à vivre dans leur milieu naturel, ce qu’on appelle « le maintien à domicile ». Ces enjeux sont aussi au cœur des débats sur la privatisation et la communautarisation des responsabilités de l’État, présents plus particulièrement dans les mouvements communautaires autonomes et les mouvements de femmes qui résistent à l’instrumentalisation des organismes communautaires au service de l’État. C’est aussi l’autonomie des mouvements communautaires face à l’État qui se joue dans ce champ d’activité. L’action dans le domaine de la santé est d’autant plus urgente que, tant à l’échelle provinciale que fédérale, les gouvernements ne se cachent plus pour affirmer l’urgence d’une réforme de l’organisation du système, laquelle affecterait son caractère universel et public28.
27. F. Lesemann et C. Chaume. Op. cit. 28. Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux (Clair) (décembre 2000). Les solutions émergentes. Rapport et recommandations, Québec, Gouvernement du Québec ; rapport du comité Montmarquette sur le régime d’assurancemédicaments en 2002.
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Soucieuse de sauvegarder le caractère public, universel et accessible des services sociosanitaires, la Coalition Solidarité Santé est le principal porte-parole de la société civile à cet égard29. Formée en 1991, cette coalition regroupe toutes les centrales syndicales, la plupart des regroupements régionaux d’organismes communautaires autonomes et des groupes particuliers comme la Coalition des médecins pour la justice sociale ou la Conférence religieuse canadienne, région du Québec. Cette coalition nationale et autonome, soutenue financièrement par ses membres, entretient des liens de solidarité active avec son équivalent canadien. La Coalition constitue dans les faits un observatoire permanent de l’évolution de la politique gouvernementale dans le secteur de la santé. Son programme tient essentiellement dans l’absolue nécessité d’un système public de qualité qui respecte les valeurs d’universalité, d’accessibilité et de gratuité. Elle lutte donc contre l’ouverture, pour ne pas dire la tendance à une privatisation d’une part de plus en plus grande de la production des soins et des services. Cette tendance est marquée, notamment, dans les secteurs de l’hébergement des personnes âgées et des services à domicile. L’action de la coalition rejoint également celle de certains acteurs de l’économie sociale qui s’opposent à l’élargissement du mandat des entreprises de services à domicile30. Comme nous l’avons déjà souligné, ce secteur touche particulièrement les femmes autant comme aidantes naturelles que comme salariées. La Coalition Solidarité Santé pilote aussi le dossier de l’assurance-médicaments31. Elle a d’ailleurs réussi à en assurer la couverture pour les personnes assistées sociales après que les gouvernements péquiste et libéral eurent coupé cette protection essentielle. Le point de vue syndical et communautaire sur cette question est fondé sur les mêmes valeurs de référence que celles qui ont cours dans le domaine des soins et des services. S’y ajoutent cependant
29. Coalition Solidarité Santé (2000). Dossier du Forum « Égalité et droit à la santé » tenu à Montréal le 15 avril 2000 ; ce dossier comprend notamment le Manifeste de la coalition et le texte des conférences prononcées par Sylvie Paquerot et Paul Lévesque. Lire aussi : H. Lamoureux (1998). « La santé à deux vitesses : le Québec des vautours », Le Devoir, 8 août, p. B4. 30. Jacques Fournier. Op. cit. 31. M. Pelchat (1999). Rapport du groupe de travail sur les médicaments, Montréal, Coalition Solidarité Santé, 66 p.
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d’autres enjeux comme celui des coûts des médicaments, lesquels sont actuellement fixés par les très profitables entreprises pharmaceutiques transnationales. Le débat se fait au sein même de l’État, qui veut d’une part favoriser l’entreprise pharmaceutique, et donc la protection des brevets et des retombées pour les compagnies qui les développent, et d’autre part payer le moins cher possible pour les médicaments couverts par l’assurance-médicaments. Un ministère favorise donc le développement économique et les profits des multinationales, tandis que l’autre tente de réduire les coûts des médicaments ! S’ajoute à cet enjeu celui de la privatisation de certains soins et la possibilité, pour des particuliers, d’avoir accès à des soins privés. Le jugement de la Cour suprême en 2006 dans l’affaire Chaouli relancera le débat sur la privatisation des soins de santé. L’action dans ce domaine est souvent menée localement et nationalement par des militantes et des militants de certains groupes communautaires. À la lumière des déficits du système public québécois et des menaces avouées d’une remise en question de ce régime, ce dossier représente un défi important pour les mouvements communautaires et syndicaux. La protection de la vie privée était déjà source de préoccupation dans les milieux communautaires autonomes. Ainsi, la plupart des groupes, notamment dans les ressources alternatives en santé mentale, ne constituent pas de dossiers sur les individus qui participent à leurs activités. Cependant, leur acceptation d’ententes de financement public pour la prestation de services peut les forcer à adopter une méthode de reddition de comptes fondée sur la vérification de la clientèle participante par la tenue de dossiers. Cette prestation de services pourrait toutefois être conçue comme se situant dans le cadre d’un continuum de services dont la connaissance est essentielle à l’ensemble des professionnels qui ont à traiter une personne. La confidentialité de l’information devient donc impérative et cette exigence pourrait forcer les organismes communautaires à modifier leur pratique de gestion de cas de manière à la rendre conforme à celle qui a cours dans les établissements et dans les cabinets de professionnels. L’avènement de la carte d’identité dite à puce soulève aussi de lourdes interrogations32. La mise en place éventuelle d’un tel système informatisé de renseignements personnels a conduit à la
32. Bulletin de l’Observatoire Éthique et Télésanté (2001) [http ://www.ircm.qc.ca/].
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création d’un observatoire qui est en réseau avec les milieux communautaires autonomes et le mouvement syndical. Cet observatoire publie régulièrement un bulletin qui fait le point non seulement sur le développement des technologies en cette matière, mais aussi sur la progression politique de l’application de ces technologies. Enfin, l’accès aux soins et services à domicile constitue une priorité certaine pour un grand nombre d’organismes communautaires qui s’emploient à soutenir ces femmes qui, pour l’essentiel, sont les aidantes dites naturelles et les bénévoles actives dans les centres d’action bénévole33. Dans un contexte de vieillissement de la population et de restriction des ressources, la Coalition Solidarité Santé en a fait sa priorité pour les prochaines années34. Nous avons déjà évoqué la difficulté particulière que pose aux femmes un élargissement de la responsabilité familiale en matière de soins à domicile. Nous pourrions ajouter à cela le scandale permanent des ressources publiques largement sous-financées, situation qui entraîne une perte de qualité de vie pour les pensionnaires des centres d’hébergement ainsi que des centres hospitaliers et de soins de longue durée (CHSLD). Par ailleurs, le secteur privé, tant celui qui est conventionné que les nombreuses ressources qui ne le sont pas, connaît des problèmes particuliers liés à la recherche d’un maximum de profit par des entrepreneurs que les scrupules n’étouffent pas toujours, et qui pourraient être tentés de couper dans des dépenses touchant l’alimentation et les services de base, comme les soins corporels. Malgré le développement de plus en plus important d’un secteur coopératif et communautaire de l’économie sociale dans ce champ, de sérieux problèmes persistent au regard du financement, de l’accessibilité et de la qualité des services. Les débats qui entourent depuis sa création le Regroupement des entreprises d’économie sociale en aide domestique du Québec (REESADQ) en sont l’illustration35.
33. Regroupement des aidantes et aidants naturels (2001). Mémoire du regroupement présenté à la Commission d’étude sur le financement et l’organisation du système de santé et des services sociaux, 19 septembre 2000, 26 p. 34. J. Paquette et C. Racine (2001). « Services à domicile : rejeter le rationnement », Le Devoir, 6 décembre, p. A7. 35. J. Fournier (2000). « Aide à domicile : pour que l’économie sociale demeure l’économie sociale », Nouvelles pratiques sociales, vol. 13, no 2, p. 193-206.
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Enfin, on ne pourrait terminer cette section sans mentionner l’enjeu que représente la Loi sur les services de santé et les services sociaux et les nombreuses modifications qui y ont été apportées de 2001 à 2004 et qui ont remis en question certaines prémisses de démocratie formelle dans le réseau public. Avec la création des Agences de services de santé et de services sociaux et des Centres de service sociaux et de santé (CSSS) intégrant les CLSC sur de grands territoires, et avec les établissements hospitaliers, on voit plus que jamais la mission sociale mise en veilleuse au cœur de la mission de santé. Ces réorganisations des services intègrent dans un « plan clinique » les services sociosanitaires et consacrent les organismes communautaires comme partenaires dans les réseaux locaux de services (RLS). La place de l’action communautaire demeure problématique dans la mesure où elle est intégrée à la mission de la santé publique par la responsabilité du soutien au « développement des communautés », qui s’apparente au développement local. Donc, malgré la Politique de reconnaissance et de soutien de l’action communautaire qui favorisait le financement selon la mission globale des organismes, la tendance lourde demeure de les financer par le biais d’ententes de services qui cadrent dans la mission de l’État. Ce projet de loi, entre autres, met en tutelle permanente les Régies [sic] régionales, recentralise le pouvoir entre les mains des technocrates de Québec, marque un recul dans le processus de gestion participative, force les fusions inutiles d’établissements, mine le réseau des CLSC, affaiblit la dynamique locale et la première ligne et favorise l’hospitalo-centrisme36.
En tentant d’abolir les conseils d’administration élus dans les établissements et les agences de la santé et des services sociaux, on admet l’absence de transparence et de responsabilité des services publics à l’égard de la population. Si cette démocratie formelle et bureaucratique a souvent été dénoncée37, elle demeure un lieu potentiel d’investissement des éléments actifs – tant des mouvements communautaires que syndicaux – de la société civile. Elle
36. J. Fournier (2001). « Santé et services sociaux : le gouvernement québécois a-t-il démérité de ses alliés ? », Interaction communautaire, no 58, automne, p. 23. 37. J. Godbout (1987). La démocratie des usagers, Montréal, Éditions du Boréal Express ; J. Godbout (1983). La participation contre la démocratie, Montréal, Éd. Albert SaintMartin.
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représente donc un potentiel de transparence et d’ouverture à la critique, qui peut amener des améliorations dans l’intérêt de la population. Voilà un exemple où une mobilisation large devient essentielle, et la Coalition Solidarité Santé a joué un rôle important pour rallier un public assez diversifié pour contrer l’une des mesures de ce projet de loi. Les réformes prônées par la commission Clair se poursuivent néanmoins. La Coalition devra aussi être particulièrement sensible aux iniquités dans la distribution régionale des ressources. Certaines régions comme la Montérégie, les Laurentides et Lanaudière commencent à se mobiliser plus largement contre des manques criants. Le défi des mouvements communautaires demeure celui de bâtir des coalitions assez larges pour constituer un contre-pouvoir face à des réformes qui constituent des pertes quant aux principes d’accessibilité, d’universalité et de démocratie. Voilà donc des enjeux qui se posent comme autant de défis pour les milieux communautaires autonomes. Si l’on tient compte du fait qu’un grand nombre d’organismes œuvrent directement ou indirectement dans ce domaine, on peut présumer que les réponses qui seront proposées pour répondre à ces défis auront un impact direct et majeur sur les pratiques.
6.
LE DÉVELOPPEMENT LOCAL ET L’ÉCONOMIE SOCIALE Les luttes sur le front de la santé et des services sociaux ainsi que celle visant l’élimination de la pauvreté mettent inévitablement l’accent sur le développement local et l’économie sociale comme stratégies d’action. En effet, plusieurs réformes récentes (Politique de soutien au développement local et régional en 1998 ; Orientations et perspectives d’action en matière de lutte contre la pauvreté du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale en 2001), notamment dans le secteur de la santé et des services sociaux, ont tendance à revaloriser le local et l’économique comme moyens privilégiés pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion. En tablant sur les critiques qui sont formulées à l’égard de l’État-providence « mur à mur », on tente de revaloriser la communauté locale et les initiatives qui peuvent en émaner. Dans certains cas, on invoque une vision assez bucolique de la communauté locale qui doit être
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le lieu par excellence de mobilisation et de prise en charge des besoins. Les conférences régionales des élus (CRE) qui, en 2003, ont remplacé les conseils régionaux de développement (CRD) ont piloté les consultations sur les Orientations et perspectives d’action en matière de lutte contre la pauvreté et se veulent des lieux privilégiés de concertation et d’action contre la pauvreté et l’exclusion. Mais leur mandat est aussi lié au développement social, économique et culturel, et c’est pourquoi les liens avec l’économie sociale deviennent incontournables. Devrait-on s’en méfier ? Plusieurs CRD ont été investis par les organismes communautaires, et par des groupes d’intérêts aussi, alors que d’autres sont boudés comme étant des structures au service des élus politiques, surtout municipaux, et des entrepreneurs locaux. La création des CRE consacre la volonté de donner plus de leadership aux structures municipales dans le développement local. La place des organismes communautaires est d’autant précarisée et très variable selon les régions : certains organismes ont réussi à garder une certaine influence, alors que d’autres sont carrément relégués au rôle de fournisseur de services. Le développement local se caractérise par la mise en place de structures de concertation et d’action où se rencontrent ces ressources pour planifier le développement social, économique et culturel d’un milieu38. Devant de telles dynamiques entre acteurs sociaux, économiques et politiques, certains s’interrogent sur une logique étatique de la décentralisation selon laquelle l’État n’exercerait plus de monopole sur la fourniture des équipements collectifs et des services sociaux, ces activités pouvant être réalisées de manière privée, tant par des ressources communautaires que par des entreprises à but lucratif39. Par ailleurs, certains auteurs considèrent comme un gain majeur le fait que l’État s’engage dans une démarche qui emprunte à la fois à une décentralisation administrative et à un déplacement du pouvoir de décision au plus près
38. Voir à cet effet le Carrefour québécois de développement local [www.carrefourqdl.qc.ca/carrefour]. 39. V. Greason (1998). « Décentraliser pour mieux privatiser », Relations, septembre, p. 201-207.
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des personnes, c’est-à-dire dans les collectivités locales40. On voit donc que le débat n’est pas simple, tant autour du projet de loi 28, du projet de loi 17041 sur les fusions municipales de l’île de Montréal et ailleurs (qui prévoit notamment des plans de développement social, économique et culturel ainsi qu’un fonds de développement du logement social dans chaque nouvelle municipalité) que des politiques prônant le développement local et la lutte à la pauvreté. En fait, il y a une certaine contradiction entre la loi sur les fusions et les possibilités de faire du développement local. Le développement local s’inscrit dans une logique selon laquelle les personnes sont aptes à prendre en main leur destin et celui de leur collectivité. Le développement local est une notion plus large que celle de développement communautaire42, celle-ci étant généralement l’attribut des organismes communautaires. Il fait appel à toutes les ressources d’un milieu, qu’elles soient communautaires, privées ou publiques. Les conférences régionales des élus (CRE), les centres locaux de développement (CLD), les corporations de développement économique communautaire (CDEC), les conseils de la culture et les conseils régionaux de l’environnement sont autant d’exemples de lieux consacrés au développement local ou régional. Cette dynamique à laquelle on associe souvent l’économie sociale43 s’est beaucoup développée au cours des quinze dernières années. Elle fournit à n’en pas douter des pistes intéressantes qui devront être explorées par les organismes communautaires. Riche de certaines expériences particulièrement novatrices comme celle de Porto Alegre au Brésil, ville qui a instauré le système de budget participatif et qui est le lieu du Forum social
40. Numéro spécial de L’Action nationale (2001). « Les journées du développement économique local », vol. XCI, no 5, mai, 216 p. (on y trouve notamment des textes de plusieurs des analystes et universitaires qui s’intéressent à la question, dont J.-M. Fontan, J.-L. Klein, D.-G. Tremblay, L. Favreau et P.-A. Tremblay (www.actionnationale.qc.ca). 41. Loi sur la réforme de l’organisation territoriale municipale des régions métropolitaines de Montréal, de Québec et de l’Outaouais. 42. J.-P. Bélanger, R. Sullivan et B. Sévigny (2000). Capital social, développement communautaire et santé publique, Montréal, ASPQ, 224 p. 43. Y. Comeau, L. Favreau, B. Lévesque et M. Mendell (2000). Emploi, économie sociale, développement local, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec.
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mondial en 2002, on pourrait croire que le développement local a un bel avenir devant lui. Un des débats qui émanent des forums est celui de la participation citoyenne directe dans la gestion municipale. Une telle expérience a été tentée dans l’arrondissement montréalais du Plateau Mont-Royal. Plus de 500 personnes ont participé en 2006 à l’élaboration collective d’une partie du budget des aménagements physiques. Si cette première expérience a porté sur une très petite partie du budget, elle s’est avéré un apprentissage de démocratie directe tant pour les citoyennes et les citoyens, les élus que les organismes communautaires. On envisage d’augmenter dans les prochaines années la part du budget participatif qui sera discutée selon cette démarche. D’autant que plusieurs voient dans cette référence l’une des réponses possibles au laminage et aux inégalités engendrés par la mondialisation des échanges commerciaux et par la globalisation du monde. Par contre, la vague récente de fusions municipales, souvent forcées, conduit plusieurs acteurs locaux à s’interroger sur la volonté réelle du gouvernement de confier aux collectivités locales une part plus grande d’autorité en matière de développement. Cela dit, plusieurs intellectuels recommandent la prudence. Si tous sont d’accord pour penser que le développement local peut favoriser l’exercice de la citoyenneté, plusieurs s’interrogent sur une dérive idéologique du développement local faisant en sorte que la responsabilité des États à garantir l’égalité de traitement entre les régions serait minée par une vision trop dogmatique des possibilités réelles de développement sur le plan local. La tendance à favoriser le local est aussi soutenue par un néolibéralisme qui encourage l’affaiblissement de l’État centralisateur : cela peut devenir synonyme d’un abandon à elles-mêmes des communautés les plus pauvres. S’appuyant sur des normes nationales équitables, la souplesse doit donc accompagner le développement local et régional. De la même manière, ce mode de développement doit être l’occasion de la participation d’un plus grand nombre d’acteurs sociaux, à défaut de quoi on risque de reproduire la domination d’une nouvelle élite locale sur le processus de prise de décision. Voilà de beaux défis pour les mouvements communautaires autonomes.
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7.
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LA RECONNAISSANCE DE L’ACTION COMMUNAUTAIRE : AUTONOMIE OU COMPLÉMENTARITÉ Ce n’est pas un hasard si la politique de reconnaissance et de soutien de l’action communautaire s’intitule « L’action communautaire : une contribution essentielle à l’exercice de la citoyenneté et au développement social du Québec », car, pour le gouvernement, cette politique s’inscrit dans le courant de développement et de « communautarisation » qui est au cœur des réformes mentionnées plus haut (lutte à la pauvreté, organisation des services de santé et de services sociaux, développement local et régional). La production d’une politique gouvernementale de reconnaissance de l’action communautaire autonome montre à quel point les milieux qui la pratiquent se sont diversifiés et ont gagné du galon en ce qui concerne leur importance sociale44. Pour certains, cette reconnaissance se traduit par une appréciation utilitariste des milieux communautaires autonomes à titre de ressources alternatives dans le cadre de la reconfiguration du rôle de l’État45. Pour d’autres, elle exprime un changement réel de la perspective étatique et constitue un gain majeur pour les organismes communautaires autonomes qui se voient confirmés dans leur mission46. Dans tous les cas, l’adoption de cette politique est perçue comme un compromis dont l’appréciation dépend de l’interprétation qui en est effectivement faite et les organismes sont certes divisés dans leur lecture empreinte de doute et d’espoir47. L’adoption de la politique de reconnaissance de l’action communautaire autonome, et surtout le débat qu’elle a provoqué, indique clairement jusqu’à quel point la dialectique de l’autonomiecomplémentarité pose un problème majeur aux acteurs sociaux
44. Secrétariat à l’action communautaire autonome (2001). L’action communautaire, une contribution essentielle à l’exercice de la citoyenneté et au développement social du Québec, Québec, Direction des communications, ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, 59 p. [www.mess.gouv.qc.ca]. 45. H. Lamoureux (1999). Dérives de la démocratie, Montréal, VLB éditeur, 187 p. 46. Y. Vaillancourt (1993). « Trois thèses concernant le renouvellement des pratiques sociales dans le secteur public », Nouvelles pratiques sociales, vol. 6, no 1, p. 3-14. 47. Comité aviseur à l’action communautaire : communiqué du 6 juin 2001.
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engagés dans la sphère de l’action communautaire. L’issue de ce débat pourrait modifier considérablement non seulement la prestation des soins et des services de première ligne, mais aussi la dynamique des rapports entre des réseaux d’organismes et des mouvements sociaux de plus en plus fragmentés48. Ainsi, le mouvement syndical, considérant la place de plus en plus grande qu’occupent les ressources communautaires, n’hésite pas à soulever l’hypothèse de la mise en place d’une « fonction publique parallèle » qui exécuterait à rabais certaines des tâches qui sont soustraites à la fonction publique officielle49. De nombreux groupes locaux et plusieurs regroupements nationaux ont cependant manifesté un désaccord relativement profond avec ce compromis. Dans certains cas, la solidarité a été sérieusement ébranlée et est à reconstruire. Par ailleurs, les documents produits par le Comité aviseur de l’action communautaire autonome depuis l’adoption de la politique montrent bien que, malgré la conclusion des négociations, les zones d’ombre et de conflits potentiels restent nombreuses : on pense notamment aux questions sur le soutien financier accordé à la mission globale des organismes et au fonctionnement de base, à la récupération utilitaire, aux mécanismes d’évaluation, au rôle du Secrétariat à l’action communautaire autonome et à l’effet de cette politique sur chacun des ministères. Ce qui fait dire à Pierre Valois du Centre de formation populaire, qui fut l’un des membres du comité de négociation de la politique : Pour la politique de reconnaissance il est trop tôt pour dire si elle sera source de mutation au sein des mouvements populaires, communautaires et féministes. Mais une chose est certaine, sa mise en application n’est pas gagnée d’avance et il reste énormément de boulot avant qu’elle ne soit perçue comme une réelle reconnaissance de l’action communautaire autonome50.
48. P.R. Bélanger (1990), « Les nouveaux mouvements sociaux à l’aube des années 90 », Nouvelles pratiques sociales, vol. 3 no 1, p. 21-28. 49. Coalition syndicale nationale (2000). Mémoire au sujet de la proposition de politique de reconnaissance de l’action communautaire autonome, préparé par H. Lamoureux et M. Pelchat pour le compte de la coalition CSN (FAS/Conseil central de Montréal), CSQ, FTQ, FIIQ, SFPQ, Montréal, CSQ, 42 p. 50. P. Valois (2001). « Clients ou citoyens. Le communautaire en quête d’identité », Recto-Verso, no 293, nov.-déc., Montréal, p. 44-45.
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Les inquiétudes des milieux communautaires autonomes sont bien réelles et sont partagées tant par les opposants à la politique que par les regroupements qui l’ont acceptée. Cette réalité apparaît lors des congrès et assemblées générales des organisations nationales, ainsi qu’on a pu le constater à l’assemblée générale de la Fédération des centres d’action bénévole du Québec (FCABQ) en décembre 2001, alors que Daniel Jean, le directeur général du SACA, répondait aux inquiétudes des membres de la FCABQ : Nous avons besoin de votre vigilance et de votre capacité d’être critiques pour que cette politique ne dérape pas. Le danger est bien réel qu’une certaine interprétation de la politique conduise à une appréciation utilitaire de vos pratiques, malgré le fait que votre autonomie ait été reconnue51.
L’évaluation de la mise œuvre de la politique devrait être complétée en 2008, mais déjà les études préliminaires indiquent relativement peu d’incidence à la modification des tendances lourdes d’un financement plus « utilitaire » au service de l’État pour en arriver à un réel financement prépondérant « à la mission globale » des organismes. Cet aspect représente l’un des acquis les plus importants de la politique. Mais, au-delà des risques possibles de dérapage, l’adoption d’une politique gouvernementale de reconnaissance est sans doute un pas important dans l’affirmation de la spécificité du modèle démocratique québécois, fondé sur la capacité d’agir des citoyennes et des citoyens, la légitimité de leur rôle d’acteurs dans le développement de leur collectivité locale et la consolidation du soutien financier aux organismes communautaires autonomes qui les représentent52. On reconnaît ainsi que les milieux communautaires autonomes expriment la volonté des citoyens de se donner les outils de développement de leur milieu qu’ils jugent nécessaires. On consolide par le fait même le rôle d’une société civile qui prend de plus en plus de place dans le développement local et régional, ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes, notamment en ce qui
51. Fédération des centres d’action bénévole (2001). Intervention de Daniel Jean, directeur général du Secrétariat à l’action communautaire autonome, Longueuil. 52. Secrétariat à l’action communautaire autonome (2001). Sommaire du soutien financier gouvernemental (2000-2001) par ministères et organismes gouvernementaux. Ventilation par programmes et types de soutien financier, document de travail, Québec, SACA [www.saca.gouv.qc.ca].
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concerne l’« élitisation » de la représentation sociale53. Cette préoccupation nous conduit d’ailleurs à nous intéresser à l’un des défis les plus importants des mouvements communautaires, soit leur propre démocratie interne et l’« espace de citoyenneté » qu’ils incarnent.
8.
DÉMOCRATIE DANS LES ORGANISATIONS ET DÉVELOPPEMENT DE LA CITOYENNETÉ L’un des facteurs critiques qui forcent actuellement la réflexion des intervenantes et des intervenants sociaux, tant en milieu communautaire autonome qu’en milieu institutionnel, touche la finalité de l’action. Malgré que nous nous en défendions, sommes-nous des professionnels chargés d’encadrer l’initiative populaire pour qu’elle s’oriente en direction des priorités fixées par l’État ou sommes-nous des intervenants dont le rôle est de soutenir et de favoriser la création de lieux d’expression libre de la citoyenneté54 ? Ce questionnement sur le rôle des intervenantes et intervenants sociaux pose également la question de savoir qui sont ces personnes. S’agit-il de professionnelles qui assurent la permanence d’organismes ou peuvent-elles être des personnes qui agissent strictement sur une base bénévole ou militante ? Ce débat annonce l’existence de conflits et de contradictions dans les pratiques55. Il laisse voir aussi une inquiétude de plus en plus grande quant à l’exercice de la vie démocratique dans des organismes et regroupements dont la légitimité communautaire repose sur l’existence d’un membership. De plus, des études révèlent la présence de motifs d’inquiétude sérieux, notamment en ce qui concerne le fossé
53. H. Lamoureux (1999). Dérives de la démocratie, Montréal, VLB éditeur, 167 p. 54. D. White (2001). « L’État et le secteur communautaire au Québec », ISUMA, Revue canadienne de recherche sur les politiques, vol. 2, no 2, été, p. 34-45 ; D. White (1994). « La gestion communautaire de l’exclusion », RIAC/LSP, n o 32, automne, p. 37-51 ; J.-F. René et J. Panet-Raymond (2001). « Le mouvement communautaire au Québec comme espace de transactions sociales vers une citoyenneté active et un développement social », Forum. Revue de la recherche en travail social, AFORTS, Paris, no 95, mars, p. 31-43. 55. Ces questions sont souvent abordées au cours des rencontres de formation que les auteurs de ce livre tiennent régulièrement en milieu communautaire.
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qui s’élargit entre les membres d’organisations et la permanence. À cet égard, citons ce commentaire, qui pourrait être repris par bon nombre de salariés d’organismes communautaires : Le travail des bénévoles est axé sur des tâches précises et il n’y a pas d’autres lieux d’appartenance. Les travailleuses n’ont ni le temps ni l’énergie à consacrer au développement d’un membership actif. Le membership ainsi que l’assemblée générale ne semblent qu’une imposition légale56.
D’une autre manière, l’intégration plus ou moins subtile et consciente de plusieurs ressources communautaires autonomes à l’appareil d’État, notamment pour des motifs de financement, semble aussi modifier radicalement la nature de ces organismes. Des recherches montrent un certain essoufflement et le repli dans des activités qui ne sont pas nécessairement très mobilisatrices. Dans les faits, les permanentes des groupes qui offrent des services aux jeunes, aux familles et aux femmes passent de plus en plus de temps à faire de l’écoute auprès de personnes qui n’ont que peu de ressources et personne à qui se confier. À la suite de l’adoption de la politique de reconnaissance de l’action communautaire, il peut être tentant pour plusieurs organismes communautaires qui fournissent des services de première ligne à la population de s’inscrire dans la logique de complémentarité des services et de profiter ainsi d’un financement plus grand. Ainsi, il semblerait que plus le budget dont dispose un organisme communautaire est important, moins grande est la recherche d’un engagement des membres – s’il y en a – tant sur le plan de l’action de l’organisme que sur celui de son fonctionnement démocratique57. À cet égard, la recherche sur la réorganisation du réseau de la santé et des services sociaux et sur les transformations dans les pratiques des organismes communautaires soulève des questions inquiétantes : Le travail qui découle de la chasse aux subventions et de la réponse aux exigences d’évaluation a un impact véritable sur les pratiques de fonctionnement, notamment en accentuant
56. N. Guberman et al. (1997). Innovation et contraintes des pratiques organisationnelles féministes, Rapport de recherche, Montréal, Relais-femmes et CFP, p. 28. 57. J.-F. René, D. Fournier, M. Duval, S. Garon (2001). Les organismes communautaires au Québec. Des pratiques à la croisée des chemins, Montréal, CFP/Relais-femmes, 211 p.
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les tendances à la concentration du pouvoir ainsi qu’à la spécialisation et à la professionnalisation du personnel58.
Le débat autour de ces questions est fondamental, car il touche au sens même de l’action communautaire. Il porte aussi sur la culture organisationnelle de ces milieux59, sur la qualité de la vie démocratique dans les organisations, sur la disponibilité de la permanence pour les tâches qui devraient être faites en priorité, notamment la formation des membres et l’animation de l’organisme, ainsi que sur la capacité d’offrir des activités susceptibles de mobiliser les personnes pour mener à terme des luttes collectives. Ce débat est complexe, parce qu’il ne peut trouver sa conclusion que dans le respect de la diversité des pratiques. Il est aussi au cœur du processus de reconnaissance des organismes communautaires autonomes. Il est aussi au cœur du processus de reconnaissance des organismes communautaires autonomes et il affecte le regard que nous posons sur les populations, à savoir si on les considère comme membres, participants, bénévoles, clients ou usagers. Ce questionnement sur la démocratie interne conduit inévitablement à se pencher sur autres défis corollaires : l’ouverture à la différence et à la diversité de la part des organismes communautaires et la capacité de ceux-ci à se renouveler en faisant place à des personnes de cultures, de perspectives et d’âges différents. On pense notamment à la difficulté des organismes à mobiliser et à recruter des jeunes et des personnes d’origines et de langues diverses. Voilà un défi de démocratie qu’il est important de relever pour disposer d’un lieu de transaction et d’un réel tremplin vers la société civile. Or, des recherches révèlent que les organisations qui réussissent à se renouveler tout en respectant leur mission fondamentale sont celles qui misent beaucoup sur la formation, tant à l’égard des personnes participantes (usagères), bénévoles, permanentes salariées qu’administratrices (membres du conseil d’administration). C’est dire que la perspective de formation dans la vie associative est essentielle à la démocratie interne et à l’exercice de la citoyenneté et qu’elle favorise l’ouverture aux collaborations locales, régionales, nationales et internationales60. Ce sont ces pratiques
58. Ibid., p. 190. 59. N. Guberman et al. (1997). Op. cit. 60. J. Panet-Raymond et al. (2002). Op. cit.
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démocratiques et formatives qui, en permettant de dépasser la prestation de services, pourraient mener à des actions sociopolitiques en accord avec la finalité éthique de l’action communautaire61. Se pose aussi la question du lien entre l’action communautaire et l’action politique. Peut-on faire l’économie du politique en action communautaire autonome62 ? Les objectifs de transformation et d’exercice de la citoyenneté sont intimement liés à l’action politique et il est parfois important d’envisager une action politique qui puisse être partisane, bien qu’il soit essentiel d’en tracer les limites. Ici il faut aussi distinguer l’engagement politique des individus et celui des organismes : l’autonomie tant revendiquée des organismes communautaires ne pourrait être compatible avec une affiliation partisane à une formation politique. Cependant, des individus membres d’une organisation communautaire peuvent s’afficher comme membres d’une formation politique sans mettre en péril leur organisation. En somme, l’engagement politique peut être un moyen tout à fait cohérent d’exercer sa citoyenneté. Toutefois, il est important de nuancer dans le cas d’une personne représentant officiellement l’organisme ou le regroupement et qui doit prendre des positions sur des enjeux politiques. Dans cette perspective, plusieurs organismes et regroupements se sont donné des codes d’éthique afin de bien baliser l’engagement partisan.
Une citoyenneté active Il est curieux de constater que la citoyenneté est redécouverte et qu’elle fait l’objet de colloques régionaux et nationaux quarante ans après la naissance des premiers comités de citoyens. La pratique de l’action communautaire n’est-elle pas d’abord et avant tout orientée vers son exercice ? N’est-elle pas l’affirmation du citoyensujet, de son aptitude à assumer son destin et celui de sa collectivité ? À vrai dire, l’intérêt actuel pour la citoyenneté illustre peutêtre ce fait paradoxal que le citoyen, après avoir été l’artisan du développement de son milieu, se voit aujourd’hui trop souvent relégué à un rôle d’observateur au profit d’une catégorie d’inter-
61. Table d’interaction sur la faim de Québec, Des changements à promouvoir… des actions collectives à poser ! Actes du colloque d’octobre 1998, Québec. 62. L. Gaudreau (1994). Parlons politique !, Cahier 5, Québec, Collectif québécois de conscientisation.
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venantes et d’intervenants que l’on peut regrouper sous l’appellation de permanence. Il apparaît difficile de donner de la citoyenneté une définition qui serait finale. Un grand nombre d’auteurs ont ainsi abordé le sujet depuis les débuts de notre civilisation. Sans doute peut-on, avec Aristote, dire que « le citoyen, c’est celui à qui on reconnaît le droit de participer à la délibération qui conduit à la prise de décision ». Dans nos démocraties libérales, le citoyen est aussi le souverain, c’est-à-dire celui de qui les gestionnaires du pouvoir (les élus) tirent leur légitimité. Il est donc à la base de la vie démocratique. Par conséquent, on peut affirmer que la place qu’occupe la citoyenne ou le citoyen dans le jeu des pouvoirs qualifie une société démocratique63. Par la négative, on pourrait dire que plus le rôle du citoyen s’effrite, plus il est réduit à des simulacres conventionnels, et moins la démocratie est réelle. Il ne faut alors pas s’étonner que les sociétés soient placées sous la coupe de personnes élues qui font la loi par la seule vertu d’un suffrage tous les quatre ans. Les pratiques communautaires ont puissamment contribué à faire ressortir la capacité des personnes à exercer leur responsabilité citoyenne. Cette responsabilité s’exerce de deux façons. Tout d’abord, sur le plan du développement local, par la mise en œuvre des ressources nécessaires à la qualité de vie des personnes. C’est ainsi que plusieurs des initiatives sociales les plus significatives ont été le fruit de l’effort collectif de citoyens bien décidés à ne pas attendre la conclusion d’interminables débats pour agir. Ainsi, le réseau de garderies dont sont si fiers les élus politiques est né au début des années 1970 d’une initiative populaire et militante. Les ressources d’hébergement qui s’adressent aux femmes victimes de la violence conjugale et à leurs enfants ont suivi la même voie. Que ce soit dans le domaine de la santé, des services sociaux, de la culture, de l’économie sociale, les exemples sont nombreux de ce que les individus regroupés peuvent réaliser sans demander la permission à qui que ce soit. C’est une forme très concrète d’exercice de la citoyenneté64. Dans la mesure, évidemment, où les citoyennes et les citoyens gardent le contrôle des organisations
63. M. Gaille (1998). Le citoyen, textes choisis et présentés par l’auteure, Paris, Flammarion, 239 p. (une synthèse de la pensée de plusieurs auteurs majeurs sur le sujet). 64. H. Lamoureux (1996). Le citoyen responsable, Montréal, VLB éditeur.
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qu’ils ont mises en place. Parce que le premier lieu de l’exercice de la citoyenneté en action communautaire est à l’intérieur des organisations de la société civile, et c’est cette présence citoyenne qui est garante de l’autonomie des groupes. Dire cela, c’est déjà formuler un enjeu important qui se pose aujourd’hui comme un défi à la cohérence démocratique des milieux communautaires autonomes. La responsabilité citoyenne se manifeste aussi dans la demande de participation civique, laquelle a conduit à une restructuration des lieux où s’exerce la démocratie formelle. Au cours des dernières années, on a donc vu se multiplier les lieux de participation et de concertation. La décentralisation est devenue un leitmotiv et la réponse obligée à l’exigence d’une plus grande participation des citoyennes et des citoyens au développement de leur milieu. La transformation récente des structures municipales et du champ de la santé et des services sociaux bouscule les rapports entre les organismes communautaires et les gouvernements municipaux ainsi que provincial. Les objectifs de transformation sociale des organismes sont confrontés aux appels à la concertation et à une vision consensualiste du développement local, intégrant autant les institutions publiques que les entreprises privées, et de plus en plus les fondations philanthropiques. Toutefois, les réformes structurelles indiquent aussi une tendance à la recentralisation des décisions et à un resserrement des contrôles ministériels sur les lieux intermédiaires de décision65. Les citoyens sont aussi, en principe, appelés à participer à une multitudes de tables locales, régionales, nationales, sectorielles, intersectorielles, etc., sans compter les commissions parlementaires nationales et fédérales ainsi que les commissions d’enquête. Ces nombreuses sollicitations contribuent à un essoufflement des salariés et des bénévoles, constituant même un piège lorsqu’elles sont définies et contrôlées par l’État. De plus, lorsque les groupes y répondent sans une réflexion préalable sérieuse sur leur pertinence et sur la cohérence de leur mission, ils y perdent temps et enthousiasme. C’est donc un défi de taille que de toujours évaluer le bien-fondé d’une présence à ces nombreuses instances partenariales. Dans les faits, plusieurs auteurs notent que la participation citoyenne représente aujourd’hui un défi majeur et
65. Plusieurs de ces instances en santé et services sociaux voient leurs membres nommés par les ministres depuis l’adoption du projet de loi 28.
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sans doute un enjeu fondamental pour les milieux communautaires autonomes. Ce nouveau défi de la participation citoyenne directe questionne même la représentativité des organismes et regroupements communautaires. En effet, plusieurs comités de citoyens de base et sans liens organisationnels se manifestent spontanément devant des instances communautaires, telles des tables de quartier ou des instances municipales, pour revendiquer une place et une vision différente des organismes communautaires « établis ». Les organismes doivent donc accepter une certaine critique provenant tant de l’intérieur de leur vie associative que des quartiers et villages où ils œuvrent pour le « bien commun ». Enfin, les modes de sélection des personnes invitées à représenter la population dans les lieux de planification et de concertation posent également un problème de cohérence. En effet, plusieurs remettent en question le système de nomination corporatiste fondé sur l’appartenance à des collèges électoraux, par opposition à d’autres instances où les représentants sont élus au suffrage universel. On dénonce un certain déficit démocratique. Sur ce sujet, les milieux communautaires sont plutôt silencieux, se satisfaisant souvent d’une participation citoyenne qui, dans les faits, repose sur les épaules des permanences d’organismes de plus en plus essoufflées. Bref, si les pratiques d’action communautaire sont d’abord et avant tout des expériences de citoyenneté active, il faut reconnaître qu’elles connaissent quelques ratés dont la correction constitue l’un des défis qui se posent aux praticiennes et aux praticiens.
EN GUISE DE CONCLUSION Changer le monde ! Transformer la société ! souhaitent les personnes actives dans les mouvements communautaires. Ce même idéal a aussi motivé bon nombre de personnes qui ont fait le choix d’œuvrer en milieu institutionnel, notamment les professionnelles et les professionnels en travail social66. À notre avis, rien n’est plus urgent aujourd’hui que cette perspective de transformation sociale.
66. S. Binhas (2000). « Traiter la misère à coup de dossiers d’aide. La lassitude des travailleurs sociaux », Le Monde diplomatique, juillet, p. 28.
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Et pour que le changement advienne, pour que le progrès social ne cesse d’être un horizon commun, il importe que de temps en temps les personnes qui sont engagées dans les pratiques s’interrogent sur la cohérence de ces pratiques, vérifient si, en cours de route, elles n’ont pas dévié des principes et des objectifs qui fondent l’action communautaire. Les pratiques d’action communautaire visent à changer le monde. C’est surtout en cela qu’elles sont utiles. Malgré l’urgence de répondre aux besoins immédiats des personnes affectées par une multitude de problèmes, elles ne peuvent se satisfaire de n’être que des lieux où l’on gère la misère humaine à la petite semaine, au quotidien, de 9 à 5, moyennant une maigre subvention. Les organismes communautaires autonomes sont essentiels, parce qu’ils permettent aux individus et aux collectivités d’exprimer ce qu’ils ont de meilleur : le refus de l’exclusion sociale et du mépris, le refus de l’arbitraire et de l’arrogance politicienne, la capacité de se solidariser, l’aspiration à une autonomie plus grande et, surtout, surtout, la reconnaissance absolue de l’humanité de l’autre et de son irréductible liberté. Leur présence et leur action sont un acquis précieux pour les collectivités. Les pratiques d’action communautaire doivent être des expériences par lesquelles se féconde l’espoir.
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