Gilles Rotillon
Économie des ressources naturelles
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Gilles Rotillon
Économie des ressources naturelles
Remerciements
Je voudrais tout d’abord remercier chaleureusement Bruno Riotte, Henri et Marie-France Guillaume qui, une semaine de juin 2003, ont su créer les conditions favorables au démarrage de ce travail. Sans eux, je n’aurais sans doute pas entrepris d’écrire ce livre. Mes remerciements vont également à Philippe Michel, Marie Llorente, Olivier Godard, Denis Babusiaux, Vincent Martinet, Pierre-André Jouvet, Katheline Schubert et Nguyen Man Hung qui ont bien voulu donner leur avis sur certaines parties du manuscrit. Je dédie ce livre à la mémoire de Jean-Paul Piriou, qui m’a accueilli chaleureusement dans sa collection, et de Philippe Michel, qui fut mon maître et surtout mon ami.
ISBN 2-7071-4322-7 Le logo qui figure au dos de la couverture de ce livre mérite une explication. Son objet est d’alerter le lecteur sur la menace que représente pour l’avenir de l’écrit, tout particulièrement dans le domaine des sciences humaines et sociales, le développement massif du photocopillage. Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or, cette pratique s’est généralisée dans les établissements d’enseignement supérieur, provoquant une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’hui menacée. Nous rappelons donc qu’en application des articles L. 122-10 à L. 122-12 du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction à usage collectif par photocopie, intégralement ou partiellement, du présent ouvrage est interdite sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC, 20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris). Toute autre forme de reproduction, intégrale ou partielle, est également interdite sans autorisation de l’éditeur.
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i vous désirez être tenu régulièrement informé de nos parutions, il vous suffit d’envoyer vos nom et adresse aux Éditions La Découverte, 9 bis, rue Abel-Hovelacque, 75013 Paris. Vous recevrez gratuitement notre bulletin trimestriel À la Découverte. Vous pouvez également retrouver l’ensemble de notre catalogue et nous contacter sur notre site www.editionsladecouverte.fr.
© Éditions La Découverte, Paris, 2005. Dépôt légal : janvier 2005
Introduction
On peut schématiquement distinguer deux périodes dans l’étude économique des problèmes posés par l’utilisation par l’homme des ressources naturelles. La première est centrée sur la question de l’épuisement des ressources naturelles et de ses conséquences pour la croissance économique. Elle commence dès la constitution de l’économie comme discipline autonome, par exemple avec Ricardo [1821] qui voyait, dans la baisse progressive de la qualité productive des terres mises en culture, la cause de l’arrêt futur de la croissance. Jevons [1865] fait le même diagnostic à partir de l’analyse du rôle du charbon dans l’économie britannique et de son épuisement supposé. Plus près de nous, le célèbre rapport Meadows du Club de Rome [1972] reprend la même antienne en l’étendant à toutes les ressources minérales. Très récemment encore, Lester Brown [2001] actualise le constat et fait le lien avec la seconde période, celle qui correspond à la montée des mouvements écologistes au plan politique et qui met davantage l’accent sur les dégradations environnementales dues à nos modes de consommation et de production. L’Économie de l’environnement [Bontems et Rotillon, 2003] présentait les concepts proposés par les économistes pour analyser les causes de ces dégradations et les méthodes pour y remédier et participer à la décision publique. Cet ouvrage a un objectif similaire concernant l’économie des ressources naturelles, telles qu’elles ont été abordées avant que l’accent ne soit mis sur les problèmes plus spécifiquement environnementaux. Il existe sur le sujet une énorme littérature, principalement anglo-saxonne, et donc difficilement accessible à un large public de langue française. On peut considérer le livre de Dasgupta et
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Heal [1979] comme la synthèse de l’approche théorique de ce champ d’étude. Mais, outre la langue et la longueur de l’ouvrage (500 pages), il est écrit pour un public universitaire au moins au niveau de la licence (bac + 3) et spécialisé en économie. Les quelques rares ouvrages en français abordant ces questions sont également destinés à ce public et ils sont en général nettement moins réussis que leurs homologues anglo-saxons. Notre propos est donc d’abord pédagogique. Nous souhaitons offrir aux lecteurs francophones une introduction à l’économie des ressources naturelles telle qu’on peut la trouver dans le livre de Dasgupta et Heal, les maths en moins, tout en en préservant l’essentiel du contenu. Un certain nombre de questions ont cependant été négligées, comme celles concernant la fluctuation des prix et ses effets sur les pays producteurs, les traités commerciaux, la spéculation ou les marchés à terme, qui concernent plutôt ce que l’on nomme « commodités » que « ressources naturelles ». Elles sont évidemment très importantes et font l’objet du livre de Pierre-Noël Giraud [1989], auquel nous renvoyons le lecteur. Ici, l’accent sera principalement mis sur les problèmes posés par l’utilisation des ressources naturelles dans le long terme. Le premier chapitre présente le concept économique de ressource naturelle et discute la distinction traditionnelle entre les ressources de stock, dites épuisables, et les ressources de flux ou renouvelables. Concernant les premières, il aborde le débat entre l’approche des géologues de la mesure des stocks et l’approche des économistes. La question récurrente du nombre d’années de consommation encore possibles d’une ressource épuisable avant son épuisement est illustrée par l’exemple du pétrole. Enfin, il introduit à la dynamique de l’évolution d’une ressource renouvelable, indépendamment de son utilisation par l’homme. Le chapitre II est consacré à l’exploitation des ressources épuisables. Puisque, par définition, l’utilisation d’une telle ressource réduit irréversiblement le stock disponible restant, à quel rythme doit-on utiliser ces ressources ? La réponse, qui dépend bien évidemment des conditions économiques de l’exploitation de la ressource, peut néanmoins trouver une formulation théorique simple : la règle d’Hotelling, du nom de l’économiste qui l’a mise en évidence le premier en 1931. Le chapitre discute la signification économique d’une telle règle et en évalue la portée
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empirique. La seconde question posée par l’exploitation d’une ressource épuisable est celle d’une mesure de sa rareté. Peut-on trouver un indicateur qui nous renseigne suffisamment sur l’état des stocks encore disponibles ? Nous présentons et discutons les principales réponses apportées à cette question. Le chapitre III s’intéresse, quant à lui, à l’exploitation des ressources renouvelables. La question du rythme d’exploitation est la même que celle concernant les ressources épuisables, avec la contrainte supplémentaire, impliquée par la dynamique propre d’une telle ressource, que ce rythme ne soit pas excessif et ne transforme pas la ressource renouvelable en ressource épuisable. Potentiellement, une ressource renouvelable est inépuisable et le problème posé par son exploitation tient précisément à la sauvegarde de ce potentiel. Là encore, la réponse théorique à cette question prend la forme d’une règle simple qui est, pour les ressources renouvelables, le pendant de la règle d’Hotelling pour les ressources épuisables. Comme dans le chapitre précédent, nous dégageons la signification économique de ce résultat théorique et nous en discutons la portée. La fin du chapitre prend acte des nombreux comportements de surexploitation d’une ressource renouvelable. Il en analyse les causes et discute les différentes solutions qui ont été proposées pour y mettre fin. Le chapitre IV délaisse l’approche principalement normative et théorique du chapitre précédent pour présenter quelques cas concrets d’exploitation de ressources renouvelables. Y sont successivement présentés les ressources halieutiques, la forêt, le climat et l’eau. Enfin, le dernier chapitre fait le lien entre les deux périodes que nous avions schématiquement distinguées au début de cette introduction, concernant l’étude des ressources naturelles. La période de l’utilisation sans frein de ces ressources et celle de la montée des préoccupations induites par les conséquences de cette utilisation immodérée. Cette conjonction des deux côtés de la médaille se décline aujourd’hui sous l’appellation de développement durable. Le succès de cette notion est tel qu’il en devient problématique. Le développement durable semble aujourd’hui inspirer aussi bien les hommes politiques que les chefs d’entreprise. Et pourtant, notre planète n’a sans doute jamais paru aussi menacée à ses habitants. Le développement durable est-il une auberge espagnole ou un concept utile à l’action ? Ce dernier chapitre donne le point de vue d’un économiste sur le sujet.
I / Les ressources naturelles
Chacun d’entre nous peut donner des exemples de ressources naturelles, comme le pétrole, le charbon, le bois, les fruits sauvages…, si bien qu’il ne semble guère nécessaire d’en dire davantage, tellement l’expression paraît parler d’elle-même. « Ressource » renvoie à quelque chose d’utile à l’homme et « naturelle » au milieu dont elle provient, milieu qui est luimême déjà donné et extérieur à l’activité humaine. Nous allons montrer que le concept économique de « ressource naturelle » demande à être mieux précisé. Ceci nous conduira à faire une distinction fondamentale entre deux types de ressources naturelles : les ressources épuisables et les ressources renouvelables.
Le concept économique de ressource naturelle Pour que quelque chose existant dans la nature soit utile à l’homme, encore faut-il que ce dernier puisse, d’une part, en avoir conscience et, d’autre part, avoir les moyens de s’en servir. Le radium, aujourd’hui indispensable en médecine, existait bien évidemment avant sa « découverte » par Marie Curie en 1896. En le mettant en évidence, cette dernière a dévoilé un aspect de la nature qui nous était jusqu’alors inconnu, mais elle n’en a pas fait pour cela une « ressource ». Il a fallu de nombreux progrès en physique nucléaire, en biologie et en technologie pour arriver à le domestiquer et en faire un outil de lutte contre le cancer, alors même qu’il a coûté la vie à Marie Curie. Et si, aujourd’hui, les chercheurs de champignons savent bien qu’ils ne peuvent pas
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consommer n’importe quelle espèce, la cueillette à l’aube de l’humanité a dû causer bien des drames. Ainsi, une « ressource naturelle » n’est pas si naturelle que cela. Elle n’a d’existence que par rapport à une technologie d’utilisation donnée. Au début du XXe siècle, le minerai de cuivre contenant moins de 10 % de métal n’était pas exploité. Quarante ans après, le développement de la demande et une nouvelle technologie permettaient l’exploitation d’un minerai avec une teneur en cuivre de 1 %, et aujourd’hui certains dépôts sont exploités avec 0,4 % de métal. Mais la technologie ne suffit pas, il y faut aussi des conditions économiques favorables. On sait aujourd’hui extraire le pétrole des schistes bitumineux mais à un coût bien supérieur au prix de marché, ce qui rend, actuellement, toute exploitation à des fins productives inutile. En résumé, on parlera donc de ressource naturelle au sens économique quand la ressource sera utilisable avec la technologie existante et exploitable avec les prix actuels. Une dernière distinction doit être faite concernant les ressources naturelles. Étant utiles à l’homme, leur usage peut conduire à leur disparition et elles sont donc souvent des contraintes pour la croissance économique. Les économistes classiques du XIXe siècle, comme Ricardo et Malthus, ont eu une conscience aiguë de cette question au travers de leurs analyses du développement économique et du rôle qu’y tenait la terre comme facteur de production. Le premier prévoyait l’évolution de l’économie vers un état stationnaire à cause de la limitation des terres cultivables et de leur fertilité décroissante, et le second voyait une contradiction indépassable entre la croissance de la population et cette même limitation des terres. En 1865, dans The Coal Question, Jevons annonçait la fin de la révolution industrielle en Angleterre à partir de l’observation des limites physiques des gisements de charbon et du rôle de cette énergie pour la croissance économique. Au XXe siècle, il a fallu attendre la publication du livre de Forrester, World Dynamics [1971], et les travaux du Club de Rome, avec le rapport Meadows [1972], pour voir repris le même discours sur la limitation essentielle des ressources naturelles conduisant à l’arrêt de la croissance. Dans tous ces avertissements, on retrouve le même argument du caractère fini des ressources naturelles essentielles à la croissance et donc la conclusion d’un arrêt de cette dernière. On voit
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que c’est davantage une conception physique de la notion de ressource naturelle qu’une conception économique qui soustend ce raisonnement. La ressource naturelle est avant tout un stock fini de matière, dont l’usage ne peut que conduire à son épuisement final. On parlera dans ce cas de ressource épuisable, comme toutes les ressources minérales, charbon, or, aluminium…, mais aussi comme le gaz ou le pétrole. Notons enfin qu’il existe une différence entre ressources épuisables selon leur caractère durable ou non. Une ressource n’est pas durable si son extraction et sa consommation la rendent inutilisable pour des usages futurs. Certains minéraux, comme l’or ou l’argent, peuvent être recyclés dans certains de leurs usages et sont donc durables, contrairement au pétrole par exemple. Cependant, si ce caractère peut retarder l’épuisement de la ressource, il ne peut pas l’empêcher définitivement. Dans ce sens, les ressources épuisables s’opposent à d’autres ressources naturelles qui ont une capacité propre de régénération et qu’on nomme pour cela des ressources renouvelables. La forêt ou les poissons en sont les exemples les plus classiques. Bien entendu, ces distinctions ne sont pas absolues et il est parfois difficile de caractériser une ressource à l’aide de ces catégories. Une forêt d’un millier d’années est-elle vraiment renouvelable ? On atteint une limite de temps au-delà de laquelle il est difficile de parler de régénération, du moins à une échelle humaine, car sinon, à une échelle de temps géologique, les ressources dites épuisables deviennent aussi renouvelables : il se forme toujours du pétrole dans les bassins sédimentaires de la planète ! L’eau est considérée généralement comme une ressource renouvelable, mais ce n’est sûrement pas le cas pour des aquifères souterrains datant de millions d’années. De même, le sable et le gravier sont des ressources minérales finies, donc épuisables, mais on les produit si facilement que le qualificatif n’est plus pertinent. Toutefois, au moins pour les ressources les plus utilisées dans l’industrie ou les ressources fossiles énergétiques, la distinction est sans ambiguïté. D’un point de vue plus économique, toutes les ressources sont en fait épuisables si on entend par épuisable la possibilité d’une utilisation qui conduise à la disparition de la ressource. Les cris d’alarme de ce début de siècle sur la perte de biodiversité et la disparition de nombreuses espèces animales montrent que cette possibilité n’est pas seulement théorique. Néanmoins, la
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distinction précédente entre ressources épuisables ou renouvelables du fait de l’existence ou non d’une capacité de régénération naturelle est utile en ce qu’elle met l’accent sur les enjeux différents qu’induit leur usage. Du fait de sa régénération naturelle, une ressource renouvelable est potentiellement inépuisable si son usage prend correctement en compte sa dynamique propre, c’est-à-dire si son rythme d’utilisation n’est pas systématiquement supérieur à son rythme de reproduction. La question principale posée par l’utilisation de ces ressources est donc d’éviter leur extinction. Cette question ne se pose pas pour les ressources épuisables au sens physique, puisque leur utilisation conduit nécessairement à leur disparition.
Les ressources épuisables Les ressources naturelles épuisables se présentent dans la nature sous la forme de stocks finis d’un point de vue physique et on a vu que c’est cette caractéristique qui justifie leur dénomination. Quand ces ressources sont essentielles au mode de production, comme le pétrole aujourd’hui, se pose la question de l’avenir de l’économie, une fois cette ressource épuisée. Toutefois, l’estimation de ces stocks est incertaine et cet avenir n’est pas facile à dater. On conçoit que la question de l’aprèspétrole se pose de manière très différente selon que nous puissions encore maintenir notre mode de consommation présent pendant dix ans ou pendant cent ans. Dans le second cas, on peut raisonnablement espérer trouver un substitut sans modifier brutalement nos comportements actuels alors que ce serait sans doute impossible dans le premier cas. On doit constater que, dans le passé, l’humanité s’est trouvée confrontée à cette question. C’était le fond de l’argumentation de Jevons à propos du charbon, pour lequel il ne voyait pas de substitut disponible dans un proche avenir. À cette époque, le pétrole servait surtout à l’éclairage sous forme de pétrole lampant, obtenu à partir de la distillation du charbon. On peut comprendre qu’il n’était pas facile d’y voir un substitut futur de ce même charbon ! C’est pourquoi l’estimation des stocks de ressources naturelles épuisables, pour délicate qu’elle soit, est un élément important de notre appréciation sur le devenir de notre système
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de production. On va voir, cependant, que la mesure des quantités disponibles de ressources se heurte à de nombreuses difficultés. Le problème de la mesure des stocks Jusqu’à la fin des années 1970, une grande confusion régnait dans le vocabulaire désignant les ressources naturelles minérales. Ainsi, par réserves prouvées, on entendait aussi bien les gisements de minerai de fer dont 85 % étaient estimés récupérables, le pétrole qui était estimé récupérable à 100 %, ou le charbon qu’il soit récupérable ou non. Progressivement, deux agences américaines, l’US Bureau of Mines et l’US Geological Survey, ont proposé une normalisation du vocabulaire qui est maintenant adopté par l’industrie et les autres pays, et dont on trouvera en encadré quelques définitions. Comme on peut le constater, la notion de réserve n’est pas purement physique, mais physico-technico-économique. Il s’agit pourtant d’une normalisation qui est loin de régler tous les problèmes. Les réserves Réserves prouvées : Ressources découvertes et récupérables avec une certitude raisonnable, et économiquement exploitables compte tenu des prix courants et de la technologie disponible. Réserves probables : Ressources découvertes mais non exploitées. Il s’agit d’une extrapolation de ressources potentielles, fondée sur la connaissance des formations géologiques et de leur lien avec la ressource. Ainsi, on sait que le pétrole se forme dans les bassins sédimentaires dont 600 sont recensés dans le monde, les deux tiers ayant été explorés. On considère généralement que ces ressources ont au moins 50 % de chances d’être exploitables avec la technologie et les conditions économiques du moment. Réserves : Réserves prouvées + réserves probables. Ressources présumées : Ressources non découvertes mais qu’on suppose pouvoir trouver un jour dans les sites connus et déjà explorés. Ainsi, on ne connaît pas le potentiel de pétrole en mer du Nord. Ressources spéculatives : Ressources non découvertes dans des sites non encore explorés mais où on sait pouvoir trouver la ressource. La plupart des bassins sédimentaires non encore explorés sont dans les fosses profondes du Pacifique que la technologie actuelle ne permet pas de visiter mais dont on sait avec une quasi-certitude qu’ils contiennent du pétrole. Il faut noter que, il y a une cinquantaine d’années, la mer du Nord ne contenait que des ressources spéculatives.
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Le tableau ci-dessous donne une estimation des réserves de quelques ressources dans le monde en milliards de tonnes équivalent pétrole (tep). Ressource Pétrole Gaz Charbon
Réserves prouvées
Réserves probables
140 120 500
250 130 3 000
Source : ADEME.
Toutefois, si le vocabulaire est commun, ni les définitions, ni les pratiques ne le sont. En particulier, les Américains ne tiennent compte que des réserves prouvées quand la plupart des autres pays considèrent les réserves (prouvées + probables) pour évaluer les stocks. En effet, la Security & Exchange Commission (SEC) impose à toutes les compagnies enregistrées à la Bourse américaine de ne déclarer que les réserves prouvées. Le montant des réserves prouvées dépend aussi du coût auquel on considère que la ressource ne sera plus exploitable du point de vue de sa rentabilité économique. Avec un prix du baril de pétrole à 80 dollars, on n’utiliserait plus cette matière première mais des substituts parfaits qui peuvent être produits à partir du charbon à un coût inférieur. Pour le pétrole, les réserves prouvées mondiales sont publiées annuellement par l’Oil and Gas Journal et le World Oil. Le tableau ci-dessous donne leurs estimations pour le 1er janvier 2002 en milliards de barils (1 tep = 7,33 barils). Estimations des réserves prouvées de pétrole en janvier 2002
Amérique du Nord (dont le Mexique) Amérique du Sud Europe de l’Ouest Europe de l’Est Moyen-Orient Afrique Asie et Océanie Monde
Oil and Gas Journal
World Oil
54,2 96 17,3 58,4 685,6 76,7 43,8 1 032,0
50,9 69,1 17,7 67,1 662,5 94,9 56,5 1 018,7
Source : Energy Information Administration/International Energy Annual 2001.
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On constate que ces estimations sont sensiblement différentes, en particulier pour l’Amérique du Sud et l’Afrique, ce qui rend les prévisions et la gestion des stocks délicates. Combien d’années de pétrole ? En faisant le ratio entre les réserves, prouvées ou non, et la production (ou la consommation) de l’année, on obtient le nombre d’années pendant lesquelles il est possible d’utiliser la ressource épuisable au même rythme que l’année de base. C’est ce type de ratio qui donne lieu aux annonces médiatiques sur le nombre d’années pendant lesquelles il nous reste du pétrole. Il dépend donc de la définition retenue pour le choix du numérateur. Le tableau ci-dessous donne des exemples de ces ratios pour plusieurs ressources épuisables. La troisième colonne donne un ratio systématiquement plus élevé que la seconde puisqu’elle prend en compte les réserves alors que seules les réserves prouvées sont considérées dans l’autre. Minéral
Aluminium Cuivre Minerai de fer Plomb Nickel Étain Zinc
Réserves prouvées/production
Réserves/production
207 33 152 23 59 41 20
252 62 233 47 137 59 48
Source : World Resource Institute (1996).
Il faut cependant relativiser de tels indicateurs et ne pas y voir des indicateurs de rareté, comme le montre le tableau suivant où le ratio réserves/consommation pour le pétrole est donné à différentes dates. On constate que le ratio a augmenté de 35 en 1972 à 45 en 1990 alors que la consommation de pétrole a cru de plus de 50 % entre 1971 et 1991. En 2003, ce ratio est évalué à une quarantaine d’années. C’est donc que les réserves ont augmenté de manière encore plus importante pendant toute la fin du XXe siècle.
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Ratio réserves/consommation
1950 1960 1972 1980 1990
22 37 35 27 45
Source : Slade (1987), World Resource Institute (1996).
Compte tenu de la définition des réserves prouvées, leur augmentation ne peut a priori venir que de quatre sources. La première est évidemment la découverte de nouveaux gisements. Toutefois, les découvertes annuelles sont actuellement inférieures à la consommation annuelle et il n’y a pas eu de gisement géant nouveau répertorié depuis 1980 (ceux à plus de 2 milliards de barils, qui peuvent vraiment changer fortement l’évaluation des réserves). La deuxième voie est d’améliorer les technologies de récupération. On considère aujourd’hui qu’un champ est épuisé quand on a récupéré 35 % de son pétrole. Or, une amélioration du taux de récupération de 1 % correspond à une bonne année de consommation. Les compagnies pétrolières estiment que, en trente ans, le taux de récupération est passé de 25 à 35 %, ce qui correspondrait à une augmentation de 50 % des réserves. Toutefois, les compagnies, étant seules à déclarer les réserves, ont intérêt à surestimer ce facteur qui met l’accent sur le progrès technique. La troisième possibilité est un changement des conditions économiques, l’augmentation du prix du brut, conduisant à rendre rentables des gisements dont le coût d’exploitation était jusque-là trop élevé. Depuis le premier choc pétrolier en 1974, le prix du baril de pétrole a nettement augmenté, rendant des pétroles d’autres régions exploitables, comme le montre le tableau suivant (en dollars/baril). Années
Dubaï
Brent
Niger
Texas
1972 1973 1974 1975 1976 2002
1,90 2,83 10,41 10,70 11,63 23,85
– – – – 12,80 25,19
– – – – 12,87 25,04
– – – – 12,23 26,16
Source : BP 2003 Statistical Review of World Energy.
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Cependant, le doublement du prix du pétrole entre 1974 et 2002 ne s’est traduit que par une croissance des réserves prouvées de quelques pour-cent. Il faut toutefois rappeler que, les réserves prouvées faisant référence à la rentabilité économique de la ressource et le passage d’une ressource (spéculative ou présumée) au statut de réserves prouvées étant coûteux, il y a une limite à l’incitation à « prouver » des réserves. Enfin, la dernière source possible d’une augmentation des réserves tient aux comportements stratégiques des acteurs. C’est ainsi que la valeur de l’action des compagnies pétrolières est proportionnelle à la quantité de réserves qu’elles déclarent posséder. L’évaluation des réserves est aussi un enjeu politique important, en particulier pour l’OPEP, dont les quotas de production dépendent des réserves qu’elle annonce (de 1984 à 1990, les réserves du Moyen-Orient et du Vénézuéla ont augmenté de plus de 50 % sans grandes découvertes), ou pour un pays comme le Mexique, qui a intérêt à annoncer de fortes réserves pour obtenir un prêt du FMI. Au total, la notion de réserves prouvées est très ambiguë et introduit beaucoup d’incertitudes dans l’évaluation des ressources. L’approche des économistes Les évaluations fournies par les géologues du niveau des stocks et le calcul du ratio réserves prouvées/production de l’année sont considérés de peu d’intérêt pour les économistes. Ceux-ci comparent plutôt l’évolution de la consommation et celle des prix de la ressource, et constatent que la consommation croît quand les prix diminuent, posant ainsi la question de la réalité de l’épuisement des ressources. Au fur et à mesure que la ressource devient plus rare, son prix augmente, reflétant cette rareté croissante, et son usage diminue, permettant à des substituts de devenir compétitifs et, à terme, de la remplacer. C’est précisément cet enchaînement que Jevons ou le Club de Rome n’ont pas pris en compte et qui ruine leur discours pessimiste. Il est cependant nécessaire d’y regarder de plus près. Pour ce faire, on va examiner les différents éléments composant le coût total d’obtention du pétrole du golfe Persique. On peut le décomposer en quatre parties : exploration, développement, exploitation et transport.
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Les coûts de développement et les coûts d’exploration pour découvrir de nouveaux gisements sont sans doute les plus complexes à estimer. Les travaux d’Adelman [1973] évaluent l’investissement initial pour un nouveau baril à 2,50 dollars. Toutefois, on doit tenir compte du taux d’intérêt, de la prime de risque liée à l’activité pétrolière et d’un taux reflétant l’épuisement progressif de la ressource pour calculer le coût de développement ajusté selon la formule : Coût de développement ajusté = investissement initial × (taux d’intérêt + prime de risque + taux d’épuisement) En prenant les deux premiers taux égaux à 10 % et le dernier à 2 %, Adelman obtient un coût de développement ajusté de 0,55 dollar par baril (2,50 dollars × [0,1 + 0,1 + 0,02]). Quant aux coûts d’exploitation et de transport, pour l’Arabie Saoudite, ils sont respectivement de 0,25 dollar et de 1,50 dollar par baril, ce qui conduit à un coût total de 2,30 dollars par baril (0,55 + 0,25 + 1,50). Un calcul semblable pour un baril de brut provenant de la mer du Nord ou d’Alaska le conduit à un coût total de 15 dollars, la différence étant due à des conditions d’exploitation plus difficiles (localisation géographique, climat), conduisant à utiliser des technologies plus coûteuses. Il n’est donc pas surprenant que les coûts d’obtention d’un baril de brut soient très différents selon la région de production, comme le montre le tableau ci-dessous. Coût technique (hors transport) d’un baril de brut (dollars US)
Russie Mer du Nord Angola Golfe du Mexique Amérique latine Mer Caspienne OPEP - Moyen-Orient
Exploration
Développement
Production
Total
3 2,4 2 1,5 2 1,5 0,4
3,9 3,6 4,5 3 3 2,4 1
5,1 5 3,6 4,5 3,6 4,1 1,6
12 11 10,1 9 8,6 8 3
Source : ENSPM FI, d’après ADL-1999 Long Term Outlook.
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En comparant les coûts d’obtention d’un baril de pétrole et les réserves disponibles, on constate que la production de pétrole a augmenté dans les régions qui ont les coûts d’exploitation les plus élevés et les réserves les plus basses. Simultanément, la production s’est réduite dans le golfe Persique où les réserves sont les plus importantes et les coûts les plus faibles. Par ailleurs, si on regarde l’évolution du prix du brut, on remarque qu’il était entre 15 et 20 dollars le baril pendant dix des onze années entre 1986 et 1998. Comment se fait-il que certains coûts de production soient proches du prix du brut et que ceux du golfe Persique soient si inférieurs ? Nous reviendrons sur cette question dans le prochain chapitre où nous étudierons en détail l’évolution des prix d’une ressource épuisable et de son rapport aux coûts de production.
Les ressources renouvelables Une ressource renouvelable est une ressource qui a une capacité de reproduction propre, indépendamment de l’intervention humaine. C’est pourquoi, pour marquer la différence d’avec les ressources épuisables, on parle généralement de population ou de biomasse pour désigner le stock de ressource. Dans un écosystème donné, une ressource naturelle renouvelable, par exemple une espèce de poissons, croît à un taux égal à la différence entre son taux de natalité et son taux de mortalité. Ce taux n’est, en général, pas constant et dépend notamment de l’importance de la population, elle-même étant fonction de son écosystème. Quand les poissons sont peu nombreux, ils ont suffisamment de nourriture pour se reproduire à un taux élevé, et, à l’inverse, quand la nourriture devient rare du fait d’un trop grand nombre de poissons présents dans l’écosystème, le taux de croissance devient faible et peut même s’annuler quand les taux de natalité et de mortalité s’équilibrent. On retrouve la même dynamique dans l’évolution d’une forêt. Sur une surface donnée, la forêt commence par croître rapidement parce que les arbres ont suffisamment d’espace mais, au fur et à mesure que le nombre d’arbres augmente, chaque arbre nouveau dispose de moins de terre, d’eau, a plus de difficultés à avoir accès au soleil… et la croissance de la forêt se réduit jusqu’à
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atteindre un équilibre où un nouvel arbre ne peut se développer que si un ancien meurt. Schématiquement, la croissance d’une ressource renouvelable est une fonction d’abord croissante puis décroissante de la taille de la population. Elle est nulle quand il n’y a pas de ressource et redevient nulle quand le taux de natalité s’équilibre avec le taux de mortalité. Le niveau de la population correspondant à cette situation est la capacité de charge de la ressource. C’est un équilibre stable, hors de toute intervention humaine, puisque, au-delà de ce seuil, une unité de ressource supplémentaire implique un taux de mortalité supérieur au taux de natalité et donc une réduction de la population qui revient à sa capacité de charge. Inversement, si la capacité de charge n’est pas atteinte, la croissance de la population est positive et sa taille se rapproche de sa capacité de charge jusqu’à la rejoindre finalement. Par ailleurs, la forme de la relation entre la croissance de la population et sa taille implique qu’il existe un niveau de stock Xpme où cette croissance est maximum. On nomme ce niveau de stock le prélèvement maximum équilibré ou prélèvement soutenable maximum. En effet, si l’homme ponctionne cette ressource d’un montant égal à la variation de population correspondante, la taille de la population reste constante et égale à Xpme. Enfin, un autre paramètre est utile pour caractériser une ressource renouvelable, c’est son taux de croissance intrinsèque, qui est la limite de son taux de croissance quand la taille de la population tend vers zéro. Une ressource avec un taux de croissance intrinsèque élevé est une ressource qui se développe très rapidement dès qu’elle compte quelques unités. Il a été estimé pour plusieurs espèces de poissons dont le tableau suivant donne quelques exemples avec la capacité de charge et la production soutenable maximum correspondantes. Ce chapitre a permis de définir les concepts de ressources naturelles épuisables et renouvelables, mais il n’a pas abordé les problèmes économiques liés à leur exploitation. C’est l’objet des deux prochains chapitres.
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NATURELLES
Espèce
Taux de croissance intrinsèque
Capacité de charge
Production soutenable maximum
Baleines de l’Antarctique
0,08
400 000
200 000
Baleines bleues
0,29
136 000
68 000
Flétans du Pacifique 0,71
80,5 millions de tonnes
40,25 millions de tonnes
Homards de Miminegash
1,29
3,26 millions de livres
1,63 million de livres
Homards de Port Maitland
1,80
3,50 millions de livres
1,75 million de livres
Sources : C. Clark, Mathematical Bioeconomics, Wiley (1976) ; T. Tietenberg, Environmental and Natural Resource Economics, HarperCollins College, New York (1996) ; J.-M. Hartwick et N. Olewiler, The Economics of Natural Resource Use, Addison Wesley, Reading (1998).
II / L’exploitation des ressources épuisables
Le débat sur l’épuisement d’une ressource se cristallise autour de la mesure de sa rareté : l’approche géologique, avec ses ratios, s’oppose à l’approche économique, davantage centrée sur l’examen des prix et des coûts de production. C’est cette seconde voie que nous allons explorer dans ce chapitre avec l’examen de la règle d’Hotelling, dont l’objet est précisément de construire un indicateur de rareté économique. Même si Lionel Gray [1914] en avait posé les premières bases, c’est en effet Harold Hotelling qui donne le premier exposé rigoureux de la théorie économique néoclassique des ressources épuisables. Dans son article, « The Economics of Exhaustible Resources », publié dans The Journal of Political Economy [1931], il détermine notamment la valeur d’un stock de ressource épuisable, l’évolution de cette valeur et le rythme d’extraction de la ressource en fonction du régime économique (concurrence, monopole, gestion centralisée) en vigueur. Mais, au lendemain de la grande crise, les temps n’étaient pas mûrs et son article passa plutôt inaperçu, pour n’être redécouvert qu’au début des années 1960, puis surtout avec le premier choc pétrolier. On dispose aujourd’hui d’une énorme littérature sur ce thème, que ce chapitre a pour objectif de présenter.
La règle d’Hotelling Si l’analyse que présente Hotelling de l’exploitation d’une ressource épuisable et des conséquences de cet épuisement sur le prix de la ressource et son rythme d’extraction est formalisée en
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recourant au calcul des variations, l’intuition économique sousjacente n’en est pas moins très simple. Un stock d’une ressource épuisable peut être considéré comme un actif particulier produisant un revenu dans le temps. L’extraction, puis la consommation d’une unité de ressource impliquent l’impossibilité d’extraire et de consommer cette unité plus tard, puisque le stock (supposé ici fini et connu avec exactitude) est réduit suite à cette décision. Extraire aujourd’hui entraîne donc la perte demain du revenu qu’aurait procuré cette unité que l’on vient d’extraire. Une firme qui cherche à maximiser la valeur actuelle de ses profits est alors placée devant un coût d’opportunité, conséquence de l’arbitrage entre extraire et vendre aujourd’hui contre perdre demain le revenu qu’elle aurait tiré de la ressource si elle n’avait pas été extraite. Si la firme décide d’extraire une unité, la valeur de cette unité extraite, sa valeur d’extraction, est égale à son prix de vente diminué du coût d’extraction. Si elle décide de ne pas extraire, c’est que la valeur de la ressource en terre est pour elle plus importante que la valeur d’extraction. Cette « valeur de non-extraction » est le coût d’opportunité d’épuisement de la ressource. À la marge, c’est-à-dire pour la dernière unité extraite, il doit être égal à la valeur d’extraction. En effet, tant que la valeur d’extraction lui est supérieure, la firme a intérêt à extraire et elle s’arrête juste avant que le coût d’opportunité de l’épuisement devienne supérieur à la valeur d’extraction, puisque cela signifierait que cette dernière unité aurait plus de valeur non extraite qu’extraite. Cet arbitrage, impliqué par la décision d’extraire ou non, se posant à chaque instant, le raisonnement précédent implique que cette égalité entre valeur d’extraction et coût d’opportunité d’épuisement doit aussi être vérifiée à chaque instant. Ce coût d’opportunité est connu sous une variété de noms. On parle ainsi de coût d’usage, pour refléter le coût de la moindre disponibilité future de la ressource. On le désigne aussi par valeur in situ, ou valeur en terre, pour indiquer que la ressource non extraite a une valeur en tant que telle. On le désigne enfin comme une rente de rareté, puisqu’on vient de voir qu’il est égal à la valeur d’extraction, c’est-à-dire à la différence entre le prix de marché de la ressource et son coût d’extraction (d’où la rente). En résumé, si la firme veut maximiser son profit actualisé, elle doit tenir compte de la perte future de recette due à l’extraction
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Rente de rareté et rente différentielle [Cet encadré doit beaucoup à Gérard Gaudet, 1982, chez qui on trouvera de plus amples développements.] Dans son livre Des principes de l’économie politique et de l’impôt [1821, 3e éd.], David Ricardo écrivait que, le principe de la rente minière « étant précisément le même que celui que nous avons posé par rapport à la terre, il serait inutile de nous y arrêter davantage ». Le principe en question était celui de la rente dite différentielle ou ricardienne, qui naît des différences naturelles de coût d’exploitation. Si la demande de blé justifie la mise en culture de terres de fertilités différentes, le prix du blé sera égal au coût de production sur la terre la moins fertile, faisant apparaître une rente sur les autres terres, égale à la différence entre le prix du blé et son coût marginal de production. De même, les stocks d’une ressource naturelle ne sont pas homogènes et diffèrent par la profondeur du gisement, la teneur en minerai ou la localisation qui caractérisent ce que l’on désigne de manière synthétique par la qualité de la ressource. Là encore, si la demande justifie l’exploitation de gisements de différentes qualités, les meilleurs gisements bénéficieront d’une rente différentielle par rapport à ceux de qualité inférieure, égale à l’écart entre leurs coûts marginaux d’extraction.
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Ainsi, Ricardo et avec lui tous les économistes classiques du XIXe siècle n’ont pas fait de distinction entre la mine et la terre, entre ressources épuisables ou non. Le mécanisme de rente différentielle expliqué ci-dessus est certes pertinent pour les deux types de ressources naturelles, mais la nature épuisable d’un gisement minier conduit à l’apparition d’une autre forme de rente dont le premier exposé rigoureux a été donné par Hotelling. La base même de cette rente se dissipe au fur et à mesure de l’exploitation, ce qui n’est pas le cas pour la terre, et tient à la nature fondamentalement dynamique du problème de la mine, alors que le concept de rente différentielle est par essence statique. Une unité de ressource extraite aujourd’hui ne peut plus l’être demain et cette irréversibilité dans la décision impose à l’exploitant qui veut maximiser son profit de prendre en compte toute la trajectoire d’extraction jusqu’à l’épuisement et pas seulement la production courante comme dans le cas de la terre. Il ne peut plus être optimal d’égaliser le revenu marginal au coût marginal d’extraction, car on négligerait le fait que la dernière unité exploitée aujourd’hui pourrait procurer un bénéfice net en fin d’horizon que l’on sacrifie si on l’exploite aujourd’hui. Il apparaît alors une rente égale à la différence entre le revenu marginal et le coût marginal d’extraction qui ne provient que du caractère épuisable de la ressource.
présente de la ressource, ce qui la conduit à égaliser à chaque instant la valeur d’extraction de la ressource et sa valeur en terre. Mais puisque la ressource est un actif, en concurrence parfaite il s’oppose aux autres actifs et doit à l’équilibre avoir le même taux de rendement (sinon, tout le monde investirait sur l’actif
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On suppose ici que le coût d’extraction d’une unité de ressource est nul. Soit un actif de rendement r(t) sur l’intervalle de temps [t, t + 1], et soit p(t) le prix de marché unitaire de la ressource en t. Un agent qui possède des actifs d’une valeur de p(t) est assuré d’avoir un revenu de p(t)(1 + r(t)) en t + 1. Alternativement, il peut acheter (extraire) une unité de ressource en t et la revendre en t + 1
où elle vaut p(t + 1). En concurrence parfaite, il doit être indifférent entre ces deux possibilités, d’où p(t + 1) = p(t)(1 + r(t)), ou encore, en convenant de noter x^ le taux de croissance d’une x(t + 1) – x(t) variable, x^ = , p^ = r(t) x(t) ce qui est l’expression de la règle d’Hotelling avec un coût d’extraction nul. On en déduit que dans ce cas très simple, le prix de la ressource croît au taux d’intérêt, évolution représentée sur la figure ci-dessous.
L’autre conséquence importante de la croissance de la valeur en terre (ici égale au prix de marché sous l’hypothèse de coûts d’extraction nuls) est l’épuisement de la ressource. En effet, un stock de ressources en terre n’est un actif dont la valeur est positive que si les flux de demandes
cumulées dans le temps suffisent à l’épuiser. Par ailleurs, la croissance du prix implique la décroissance de la demande et l’évolution des quantités extraites q(t) est représentée sur la figure ci-dessous, le stock total de ressource étant égal à la surface hachurée.
La règle d’Hotelling
présentant le meilleur taux de rendement et l’équilibre ne serait pas atteint). Dans son modèle le plus simple, Hotelling suppose que la ressource est homogène en qualité, en quantité finie et connue, et que le coût d’extraction est indépendant du stock
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restant. Alors, le rendement de la ressource est uniquement dû à sa valeur en terre. Si on note l(t) cette valeur en terre à la date t, ne pas extraire une unité en t implique qu’elle aura une valeur de l(t + 1) à la période suivante, d’où un taux de rendement (c’est-à-dire le rendement par euro investi) de (l(t + 1) – l(t))/l(t), (par exemple 0,2 : un investissement de 100 rapporte un revenu de 20). Le taux de rendement d’un autre actif à l’équilibre est égal au taux d’intérêt r(t) et on doit donc avoir l’égalité à l’équilibre, en concurrence parfaite, entre le taux d’intérêt et le taux de croissance de la valeur en terre, soit (l(t + 1) – l(t))/l(t) = r(t) qui est l’expression la plus simple de la règle d’Hotelling. Comme la valeur en terre de la ressource est égale à sa valeur d’extraction, cette dernière doit aussi croître au taux d’intérêt. Si on note p(t) le prix de la ressource à la date t, c’est-à-dire le prix unitaire auquel elle est vendue sur le marché, et c(t) le coût d’extraction à la même date, on a donc l’égalité p(t) – c(t) = l(t), ou encore : p(t) = c(t) + l(t) qui montre que le prix de marché de la ressource est composé de deux termes, son coût d’extraction et sa valeur en terre. La règle d’Hotelling nous dit que la valeur en terre croît au taux d’intérêt. L’évolution du coût d’extraction est plus complexe car il est soumis à deux effets opposés. D’une part, le progrès technique permet d’abaisser ce coût, mais, d’autre part, la ressource est plus difficile à extraire au fur et à mesure de son épuisement. C’est ainsi qu’en France, par exemple, le charbon restant dans les mines est maintenant trop difficilement accessible pour qu’il soit possible de l’extraire à des coûts compétitifs. Schématiquement, on peut considérer que, au début de l’exploitation d’une ressource épuisable, le coût d’extraction reste faible, mais qu’il augmente fortement quand on se rapproche de l’épuisement, et ce quel que soit le progrès de la technologie. Entre les deux, il peut croître ou décroître selon l’effet qui l’emporte. Par exemple, dans l’industrie pétrolière, les coûts techniques (exploration et exploitation) ont connu une réduction spectaculaire depuis une dizaine d’années grâce à un gros effort technologique, comme le montre le diagramme suivant. Si on regarde maintenant la relation entre les taux de croissance de ces trois variables, on obtient immédiatement à partir de c(t) l(t) l c(t) l(t) l’égalité précédente, lp = . lc + .l= . lc + . r(t). p(t) p(t) p(t) p(t)
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Évolution des coûts techniques
Source : Total Fina Elf.
Ce qui montre que le taux de croissance du prix de marché de la ressource est égal à la moyenne pondérée des taux de croissance du coût d’extraction et du taux d’intérêt, les coefficients de pondération étant les parts respectives du coût et de la valeur en terre dans le prix. Cette égalité montre que le prix de la ressource peut décroître si le progrès technique diminue suffisamment le coût d’extraction et que ce dernier est proche du prix, ce qui est le cas au début de l’exploitation. En effet, ^c est alors négatif et le ratio c(t) proche de 1, le second terme étant négligeable. Cependant, p(t) le coefficient du taux d’intérêt croît avec la valeur en terre et, si le coût d’extraction continue à décroître, le taux de croissance du prix redevient positif. En conséquence, en abaissant les coûts d’extraction, le progrès technique peut conduire à une évolution du prix selon une courbe en U. Une telle courbe a été mise en évidence par Margaret Slade [1982] pour plusieurs minéraux sur la période 1870-1978. Bien sûr, en l’état, ces résultats sont obtenus sous des hypothèses très restrictives et peu réalistes (absence d’incertitude, concurrence parfaite) et nous verrons dans la suite de ce chapitre ce que devient la règle d’Hotelling avec des hypothèses moins contraignantes, mais même dans ce cadre restreint, il faut souligner l’intérêt qualitatif de cette règle. Elle nous dit en effet que le prix d’une ressource épuisable n’est pas sans rapport avec le taux d’intérêt. Cette variable étant
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particulièrement influencée par les politiques macroéconomiques, on conçoit l’importance de cette relation. Considérons, par exemple, une augmentation soudaine du taux d’intérêt à la date t1. Quelle va en être la conséquence pour le prix de la ressource ? La règle d’Hotelling nous indique tout d’abord que la ressource, devenant moins attractive du fait de cette augmentation, doit voir son prix diminuer. Mais d’autre part, ce prix va croître à un taux plus élevé que l’ancien. La figure suivante résume cette évolution.
La règle d’Hotelling est-elle vérifiée ? La plupart des études qui ont tenté de vérifier la validité empirique de la règle d’Hotelling n’ont pas été couronnées de succès. Une exception est le nickel sur les périodes 1946-1949 et 1956-1973 [Stollery, 1983]. Compte tenu des hypothèses sous lesquelles cette règle est obtenue, il n’est pas très surprenant que les données réelles, qui incorporent l’effet de nombreux autres facteurs, supposés inopérants dans le modèle de base, ne permettent pas de la retrouver. Halvorsen et Smith [1991] considèrent qu’au minimum les hypothèses d’absence d’incertitude, de substituts, de nouvelles découvertes et celle d’arbitrage parfait doivent être abandonnées pour trouver une règle en accord avec les données disponibles. Une autre méthode pour tester le modèle d’Hotelling est de chercher à vérifier le principe de valorisation d’Hotelling qui stipule que la valeur moyenne des réserves est égale au prix de la ressource nette du coût d’extraction. Ce principe s’obtient
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aisément à partir de la règle d’Hotelling. En prenant en compte le coût d’extraction, celle-ci nous apprend que le bénéfice marginal croît au taux d’intérêt, soit p(t) – c(t) = l (0)(1 + r)t, où l (0) = p(0) – c (0) est la valeur en terre au début de l’exploitation. En notant q(t) la quantité extraite à la date t, la valeur totale du T p(t) – c(t) T stock est égale à V(0) = S q(t) = l(0) S q(t) = l(0)S(0) = t = 0 (1 + r)t t=0 (p(0) – c(0))S(0), où S(0) représente le niveau initial du stock. Le V(0) principe de valorisation s’en déduit immédiatement, soit , S(0) la valeur moyenne du stock est égale au prix net du coût d’extraction (p(0) – c(0)). Là encore, les tests empiriques sont loin d’être concluants, même si Miller et Upton [1985] trouvent une confirmation du principe pour 39 firmes productrices de pétrole et de gaz aux États-Unis, sur des données de décembre 1979 à août 1981. De toute évidence, la complexité du fonctionnement des marchés de ressources épuisables ne se réduit pas à une règle simple, et le plus étonnant n’est pas le résultat largement négatif des tests du modèle hotellinien, mais que certains aient pu penser que les données le valideraient. C’était sans doute se tromper sur la signification du résultat d’Hotelling, qui n’est pas de proposer une théorie positive de l’exploitation d’une ressource épuisable, mais de conceptualiser, toutes choses égales par ailleurs, l’effet de la nature non renouvelable de la ressource.
Extensions théoriques de la règle d’Hotelling Nous nous proposons d’examiner dans cette section ce que devient la règle d’Hotelling quand on relâche certaines des hypothèses qui nous ont permis de l’obtenir. La littérature sur ce sujet est immense et le lecteur non spécialiste peut en retirer l’impression d’une grande complexité. En réalité, l’idée fondamentale qui est sous-jacente à la règle d’Hotelling, c’est la notion d’arbitrage entre deux actifs, qui implique un rapport entre le prix de la ressource et certains paramètres économiques, dont le taux d’intérêt est le plus évident. Au fur et à mesure que l’on prend en compte d’autres paramètres (incertitude, exploration, différences de qualité dans les gisements…), c’est toujours la même
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règle d’arbitrage qui est en jeu, bien qu’elle prenne des formes différentes dans chaque cas. Ce qui importe, c’est justement qu’on puisse toujours utiliser le même principe (la règle d’Hotelling) donnant ainsi son unité à cette approche. Le monopole Le pouvoir de marché est une caractéristique essentielle de nombreux marchés de ressources épuisables, dont le pétrole est sans doute le meilleur exemple. Le cas le plus extrême est celui du monopole, où ce pouvoir est dévolu à une seule firme. Cela implique que le prix n’est plus indépendant de la quantité extraite comme en concurrence parfaite, puisque la firme doit servir toute la demande. Elle doit donc prendre en compte la réaction de celle-ci à sa décision d’extraction. Plus elle extrait et plus le prix baisse, mais ceci ne change pas le raisonnement d’arbitrage précédent : le revenu tiré de la dernière unité extraite doit égaler le coût d’opportunité d’épuisement de la ressource, c’est-à-dire sa valeur en terre. Dans le cas du monopole, ce revenu marginal, noté m(q(t)), décroît comme le prix avec la quantité extraite q(t) mais ne lui est pas égal [voir Rotillon, 1996, pour plus de développements]. Ainsi, la règle d’Hotelling prend la forme de l’égalité entre le revenu marginal net m(q(t)) – c(t) et la valeur en terre l(t). Il en résulte que le revenu marginal net croît également au taux d’intérêt. On peut d’ailleurs remarquer que, sous cette forme, la règle d’Hotelling est aussi valable en concurrence parfaite, puisque dans cette situation le revenu marginal est égal au prix. Il est intéressant de connaître les conséquences de ces règles sur le rythme d’extraction. En fait, cela dépend essentiellement de l’élasticité-prix de la demande. Dans le cas très simple où il n’y a pas de coût d’extraction et où l’élasticité de la demande est constante (c’est-à-dire que la demande varie du même pourcentage pour une variation de 1 % du prix, quelle que soit la quantité extraite), Joseph Stiglitz [1976] a montré que les trajectoires d’extraction étaient identiques en monopole et en concurrence parfaite. En effet, sous ces hypothèses le revenu marginal est proportionnel au prix et ils ont donc le même taux de croissance que la valeur en terre, soit le taux d’intérêt. C’est par conséquent la même équation qui détermine le rythme d’extraction.
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Prix de monopole et de concurrence On suppose ici que l’élasticité-prix de la demande est élevée, c’est-à-dire qu’un pourcentage donné d’augmentation du prix entraîne une augmentation de la demande proportionnellement plus importante. C’est ce qui se passe, par exemple, sur un marché où les substituts deviennent concurrentiels quand le prix de la ressource augmente. Un monopole rationnel utilisera alors son pouvoir de marché pour éviter de se retrouver dans cette situation et choisira une évolution de prix moins rapide que l’entreprise en concurrence parfaite. Au commencement de l’exploitation, le prix de monopole sera donc plus élevé que celui qu’aurait impliqué un marché concurrentiel et ce sera l’inverse quand on se rapprochera de l’épuisement de la ressource. Dans ce cas, le monopole exploite la ressource plus longtemps que l’entreprise concurrentielle (on dit qu’il est plus conservateur), ce qu’illustrent les figures suivantes, où est respectivement présentée l’évolution des prix de monopole pm et de concurrence pc, et celle des niveaux d’extraction correspondants.
Dans le cas général, l’élasticité-prix de la demande n’est évidemment pas constante, ni même nécessairement monotone et plusieurs cas sont possibles. Mais plutôt que de faire un catalogue qui risquerait de n’intéresser que le lecteur économiste
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(nous renvoyons celui-ci au livre somme de Dasgupta et Heal [1979] et à l’encadré pour un exemple), nous souhaitons mettre l’accent sur la différence fondamentale de comportement du monopole sur le marché d’une ressource épuisable et sur le marché d’un bien « ordinaire ». On sait que, dans ce dernier cas, le monopole vend des quantités plus faibles à des prix plus élevés que l’entreprise concurrentielle. En transposant ce résultat à notre marché de ressource, on s’attendrait à ce que le prix de monopole soit systématiquement plus élevé que le prix de concurrence parfaite à chaque instant. Or c’est précisément le seul cas qui ne se réalise pas. L’explication de ce résultat a priori paradoxal est en fait très simple. Si le monopole avait toujours un prix plus élevé que celui de l’entreprise concurrentielle, il vendrait moins à chaque date, et donc moins au total. Or on a vu que l’évolution du prix en concurrence parfaite conduit à l’épuisement de la ressource. Cette condition ne serait donc pas vérifiée pour un monopole qui resterait avec un stock invendu et ne maximiserait pas son profit. L’encadré précédent illustre la comparaison entre monopole et marché concurrentiel quand l’élasticité-prix de la demande est élevée. Une application à l’analyse des deux chocs pétroliers Pour schématiques qu’ils puissent paraître, les modèles précédents n’en ont pas moins été utilisés avec un certain succès par Jean-Michel Chasseriaux [1982] pour une analyse des deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. Utilisant les données statistiques sur le prix du pétrole, la croissance économique et la consommation énergétique de 1973 à 1981, il est en mesure d’estimer une fonction de demande pour le pétrole sur la période. Le premier choc pétrolier se traduit par une augmentation du prix du baril de pétrole de 2,90 dollars à 11 dollars en 1975. L’auteur voit dans cette augmentation le passage d’une période d’exploitation où le prix du pétrole est approximativement égal à son coût marginal d’extraction, ne prenant pas ainsi en compte le caractère épuisable de la ressource, à sa prise en considération. Si c’est bien le cas, l’écart de prix doit être égal, d’après la règle d’Hotelling, à la valeur en terre de la ressource. Celle-ci est évaluée à 8 dollars à l’aide du modèle théorique présenté plus haut, soit très proche de la différence de 8,10 dollars constatée, validant ainsi l’interprétation proposée. Cette augmentation du prix, ayant été
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décidée par les pays producteurs de l’OPEP, n’est d’ailleurs pas seulement l’intégration de la rente de rareté au prix de marché, mais aussi son appropriation par ces pays, qui à cette époque achèvent de nationaliser leurs champs pétrolifères. À la veille du second choc, ils ont au contraire le contrôle de leurs ressources et on peut interpréter ce choc comme une tentative d’imposition d’un prix de monopole. Comme on l’a vu dans l’encadré, avec une élasticité-prix de la demande élevée, ce qui est le cas de celle estimée par Jean-Michel Chasseriaux, cela doit se traduire par une augmentation du prix par rapport à la situation concurrentielle. C’est bien ce qu’il vérifie en constatant que le prix après le second choc se situe entre les prix théoriques de court terme et de long terme, obtenus en estimant les fonctions de demande correspondantes. De plus, ce pouvoir de monopole, qui a permis d’augmenter le prix du pétrole nettement au-dessus des coûts de production du golfe Persique, a du même coup permis la mise en exploitation de nouveaux champs pétrolifères, qui n’auraient pas été rentables avant l’augmentation du prix. Ceci explique, d’une part, le constat que nous avions fait au chapitre I des différences d’écart entre coûts de production et prix selon les régions de production, et, d’autre part, le soutien des États-Unis à la politique de hausse de prix décidée par l’OPEP, dans la mesure où elle lui permettait de mettre en service de nouveaux gisements sur son propre territoire. La prise en compte de l’incertitude Les formes que peut prendre l’incertitude à propos d’un marché de ressources épuisables sont très diverses [Épaulard et Pommeret, 1998]. Sans vouloir être exhaustif, on peut noter qu’en fait on ne connaît ni l’état réel du stock [Loury, 1978], ce dernier changeant d’ailleurs en fonction de l’activité, ellemême aléatoire, d’exploration [Pindyck, 1980], ni l’évolution de la demande future, qui peut changer suite à une modification des préférences, de la démographie ou de transformations politiques [Long, 1975], ni encore celle du progrès technologique, si important pour l’évolution des coûts d’extraction [Pindyck, 1980]. Plutôt que de nous attacher à préciser les conséquences de chacune de ces diverses formes d’incertitude, renvoyant le
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lecteur intéressé (et déjà bien informé en économie) aux références données ci-dessus, nous nous contenterons ici d’en indiquer l’impact qualitatif sur la règle d’Hotelling. Une manière simple de considérer l’ensemble de ces sources possibles d’incertitude est de considérer que, au moment t de prendre la décision d’extraire la ressource, le prix futur suit la règle d’Hotelling (avec une probabilité (1-a)), ou bien suit une autre évolution (donc avec une probabilité a). Dans le premier cas, on aura p(t + 1) = (1 + r) p(t), et dans le second, p(t + 1) = p˜. Pour mettre l’accent sur l’essentiel, on suppose encore que les coûts d’extraction sont nuls, donc que le prix de marché p(t) est égal à la valeur en terre l(t). L’arbitrage qui nous avait conduits à la règle d’Hotelling reste valable ici. Si l’exploitant possède, à la date t, un actif d’une valeur de p(t), en le plaçant au taux d’intérêt r, il aura un revenu en t + 1 de (1 + r)p(t). La seconde possibilité est d’extraire en t et de vendre en t+1. À l’équilibre, c’est-à-dire pour la dernière unité extraite, il doit être indifférent entre ces deux alternatives. Mais la seconde est incertaine et lui offre une espérance de gain égale à ap˜ + (1 – a)p (t + 1). S’il est neutre envers le risque, on doit donc avoir (1 + r)p(t) = ap˜ + (1 – a)p(t + 1), ce qui peut se réécrire : p(t + 1) – p(t) p(t + 1) – p˜ = ^p = r + a ( ) p(t) p(t) ou encore : p˜ ^p = r + a [1 + r – ] p(t) qui est la nouvelle expression de la règle d’Hotelling. On retrouve cette dernière comme un cas particulier de la précédente, quand il n’y a pas d’incertitude (a = 0) ou quand celle-ci ne modifie pas les prix (p˜ = p(t)). Pour comprendre la signification de cette nouvelle règle, nous allons considérer deux cas particuliers. Supposons dans un premier temps que l’événement qui se produit avec une probabilité a soit la découverte d’un substitut parfait et moins coûteux, ou une nationalisation de la ressource qui exproprie l’exploitant. Dans ces conditions, la ressource ne lui est plus d’aucune utilité, soit parce qu’il ne peut plus la vendre, soit parce qu’il n’y a plus accès. Autrement dit, p˜ = 0 et la règle devient ^p = r + a [1 + r]. Elle signifie que le rendement de l’actif ressource ^p ne doit plus être comparé au taux d’intérêt,
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mais à un taux supérieur à cause de l’incertitude. a [1 + r] est donc une prime de risque d’autant plus élevée que la probabilité de l’événement est elle-même élevée. Comme on l’a vu quand on a discuté de l’impact du taux d’intérêt sur l’évolution du prix, celui-ci va être plus faible initialement que ce qu’il aurait été sans incertitude et il va croître plus rapidement. En conséquence, le stock de ressource sera exploité lui aussi plus rapidement. Supposons maintenant que l’incertitude porte sur la découverte d’un nouveau stock. Si cela se produit, la ressource sera moins rare et son prix baissera, du fait de la baisse de sa valeur en terre. On aura donc p˜ ^ p(t) et r ^ ^p ^ r + a [1 + r]. Le cas précédent apparaît alors comme un cas particulier où le stock découvert est infini, la ressource n’étant plus épuisable. L’interprétation est la même que précédemment en termes de prime de risque, la prime étant d’autant plus élevée que le nouveau stock est important. La figure ci-dessous représente l’évolution du prix correspondant. Sans découverte, le prix aurait suivi la trajectoire pointillée mais l’apparition du nouveau stock le fait baisser pour suivre ensuite la trajectoire en trait plein.
La mesure de la rareté d’une ressource épuisable On a vu au chapitre Ier que la mesure physique des stocks, qu’on utilise pour évaluer les réserves prouvées ou probables, n’était pas une bonne mesure de la rareté de la ressource. Nous présentons dans cette section l’approche économique de ce
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problème. Elle consiste, d’une part, à définir un indicateur théorique de rareté et, d’autre part, à chercher à le quantifier. À la recherche d’un indicateur Les trois variables économiques précédentes (coût d’extraction, prix de marché et valeur en terre) ont été utilisées comme indicateurs de rareté. On a vu que ces trois variables ne sont pas indépendantes, puisque l’exigence d’une utilisation rationnelle de la ressource implique que son prix soit à chaque instant égal à la somme des deux autres. Il y a eu de nombreux débats quant à savoir laquelle de ces variables fournit le meilleur indicateur de rareté, et on s’est même demandé si un indicateur économique pouvait la mesurer. Ainsi, Richard Norgaard [1990] considère que la théorie hotellinienne peut être caractérisée par le syllogisme suivant : si les ressources sont rares et si les usagers le savent, alors un indicateur économique reflétera cette rareté. Selon lui, les analyses empiriques qui ont tenté de vérifier cette théorie ont oublié la seconde condition, rendant les indicateurs économiques logiquement inconsistants. Une conception alternative, défendue notamment par Adelman [1990], consiste à considérer les indicateurs économiques comme une mesure reflétant l’information disponible du moment sur la rareté, mais ne permettant pas d’anticiper les évolutions futures. Cette position n’est d’ailleurs pas en contradiction avec la règle d’Hotelling, comme le montre la figure ci-dessous.
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Jusqu’en t1, le prix croît, reflétant l’épuisement progressif de la ressource, et, ensuite, la découverte du nouveau stock modifie l’information existante et donc l’indicateur-prix qui diminue en fonction de l’ampleur de la découverte. Si le taux d’intérêt reste inchangé, le prix reprend alors sa croissance comme dans la période précédente. Pour Anthony Fisher [1979], un indicateur de rareté doit prendre en compte les coûts directs et indirects de l’obtention d’une unité de ressource, ce qui plaide pour utiliser le prix comme indicateur, puisqu’il intègre à la fois le coût d’extraction et la valeur en terre. Mais on a vu précédemment que le prix pouvait suivre une courbe en U du fait du progrès technique, et donc décroître pendant un certain temps quand la rareté augmente. La décroissance du coût d’extraction indique une plus grande facilité d’accès présente à la ressource, alors même que sa disponibilité future diminue. Par ailleurs, le prix peut augmenter pour de tout autres raisons qu’une rareté croissante. Il peut par exemple refléter une modification de la structure de marché, comme on l’a illustré dans la section précédente avec l’analyse des chocs pétroliers de 1973 et 1979. Il est clair que le coût d’extraction est aussi un indicateur biaisé, puisque le progrès technique peut conduire à ce qu’il baisse bien que la rareté de la ressource augmente. C’est davantage un indicateur statique, traduisant un accès immédiat plus ou moins aisé à la ressource, qu’un indicateur dynamique reflétant l’évolution future de cet accès. De plus, il ne capture éventuellement que l’information sur le côté de l’offre, alors que la rareté peut augmenter du fait d’un accroissement de la demande plus rapide que la décroissance des coûts. Enfin, les coûts d’extraction peuvent croître alors que la rareté diminue du fait du développement de substituts. Il reste la valeur en terre, qui est théoriquement le bon indicateur puisque son évolution est fondamentalement liée à l’épuisement de la ressource [sur ce point, on consultera avec intérêt Gérard Gaudet, 1984]. Son utilisation présente toutefois deux difficultés. D’une part, l’hypothèse d’arbitrage, qui nous a conduits à la règle d’Hotelling, repose sur l’existence de marchés à terme complets, reflétant toutes les possibilités futures (apparition de substituts, découverte de nouveaux stocks, modifications des préférences…). En réalité, l’arbitrage se fait sur la base des prévisions des agents sur ces possibilités et la valeur en terre
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ne fera que refléter ces anticipations, elles-mêmes sujettes à révision en fonction des informations disponibles. Cela ne remet pas en cause la valeur en terre comme indicateur théorique de rareté mais il n’est que conditionnel à l’état des connaissances et non pas absolu. D’autre part, il ne suffit pas d’avoir un indicateur théorique, il est aussi nécessaire de pouvoir le mesurer, or la valeur en terre est rarement directement observable. Une première possibilité est l’observation directe des prix auxquels s’échangent les réserves, mais il y a peu d’échanges de ce type et encore moins de séries chronologiques. Comme la valeur en terre est en théorie égale au profit marginal (prix net du coût marginal d’extraction), si on dispose de séries longues sur les prix de marché et les coûts d’extraction, on peut en déduire la valeur en terre. Enfin, on peut observer le coût de découverte. En effet, l’activité d’exploration n’est menée qu’à condition que le coût de l’unité découverte soit inférieur au bénéfice marginal. En théorie, elle s’arrêtera donc quand le coût marginal d’exploration sera égal au bénéfice marginal, c’est-à-dire à la valeur en terre de la ressource, reflétant ainsi la valeur que le marché accorde à l’unité marginale de ressource en terre. Finalement, en pratique, chacune des trois variables précédentes apporte des informations sur la rareté de la ressource, et une analyse approfondie de son évolution doit toutes les prendre en compte. Mesures empiriques de la rareté des ressources épuisables Les travaux réalisés pour mesurer empiriquement la rareté des ressources naturelles épuisables utilisent d’une manière ou d’une autre les approches théoriques que nous avons présentées ci-dessus. Le coût d’extraction comme indicateur de rareté. — C’est le point de vue adopté par Barnett et Morse [1963] dans ce qui est considéré comme la première tentative d’ampleur de mesurer la rareté de différentes ressources naturelles. Leur étude répondait aux inquiétudes suscitées par les fortes pressions exercées sur les ressources naturelles pendant la Seconde Guerre mondiale, ce qui conduisit à la création en 1952 de Resources for the Future qui parraina leur travail. En construisant un indice de
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coût unitaire d’accès à la ressource reposant sur l’hypothèse de son utilisation dans l’ordre de qualités décroissantes, ils se rattachent à une conception ricardienne de la rente. En réalité, la découverte de nouveaux stocks de qualité supérieure à ceux qui sont exploités réduit le coût d’accès, de même que les progrès technologiques, tandis que l’épuisement de la ressource l’augmente. Barnett et Morse considèrent que leur indicateur synthétise ces différents effets et leur permet de tester l’hypothèse ricardienne. Ils l’évaluent sur des données américaines de 1870 à 1957, pour plusieurs ressources naturelles, tant épuisables que renouvelables. Dans pratiquement tous les cas (la seule exception est le secteur forestier), ils trouvent un indicateur avec une nette tendance à la baisse, qui les conduit à rejeter l’hypothèse d’une rareté croissante des ressources naturelles. Des travaux plus récents ont repris leur méthodologie et confirmé leurs résultats [Johnson et al., 1980]. Si Barnett et Morse ont choisi de calculer un indice fondé sur le coût d’exploitation plutôt que d’utiliser la valeur en terre, c’est qu’ils considèrent que celle-ci, dépendant du taux d’intérêt, de la demande et des anticipations sur la disponibilité future de la ressource, ne peut être un indicateur de rareté objectif. En fait, on peut noter avec Vernon Smith [1980] que cela signifie qu’ils cherchent à mesurer la rareté indépendamment des préférences des consommateurs qui sont précisément reflétées par le taux d’intérêt, la demande pour la ressource et les anticipations sur les stocks. La valeur en terre comme indicateur de rareté. — Le recours à la valeur en terre pour mesurer la rareté pose un problème pratique. En effet, elle n’est généralement pas directement observable et il existe peu de données sur les prix auxquels s’échangent les réserves sur les marchés (et encore moins de longues séries chronologiques). Une autre possibilité est de reconstituer cette valeur en terre, puisque la théorie nous dit qu’elle est égale à la différence entre le prix de marché et le coût d’extraction. Cela nécessite des séries suffisamment longues et homogènes pour ces deux dernières variables. Cette approche a été suivie pour différentes ressources et a permis de conclure soit à une rareté croissante des ressources étudiées sur certaines périodes, comme pour le nickel dans
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l’étude déjà citée de Stollery [1983], où le coût d’usage est légèrement croissant de 1950 à 1971, soit au contraire à une plus grande disponibilité, comme pour le pétrole canadien, avec un coût d’usage décroissant [Lasserre et Oulette, 1991]. Enfin, il reste une dernière possibilité, c’est d’évaluer la valeur en terre indirectement par le coût marginal d’exploration qui lui est égal en théorie. En effet, tant que l’unité découverte coûte moins cher que le bénéfice marginal net qu’elle procure (et donc que sa valeur en terre), l’exploration se poursuit et elle doit s’arrêter au moment où ces deux valeurs sont égales. Devarajan et Fisher [1982] ont ainsi montré que le coût moyen de découverte du pétrole aux États-Unis avait augmenté de façon significative de 1946 à 1971, traduisant une rareté croissante. Il faut toutefois remarquer que cette égalité n’est valable que sous des hypothèses très restrictives (pas d’incertitude, concurrence parfaite) et qu’un coût d’exploration élevé peut davantage refléter un pouvoir de marché qu’une augmentation de la rareté. Grâce à leur pouvoir d’oligopole, la production des pays du golfe Persique est inférieure à ce qu’elle serait en concurrence parfaite. Il en résulte un prix du pétrole plus élevé qui encourage un plus grand effort d’exploration dans les régions du monde où les coûts de découverte sont supérieurs à ceux du golfe Persique, c’est-à-dire partout ailleurs. Finalement, aucun des indicateurs économiques considérés ne permet de conclure sans ambiguïté que les ressources épuisables deviennent plus rares. Ils suggèrent au contraire que l’existence de substituts, les découvertes de nouveaux stocks ou le progrès technique dans les technologies d’extraction ont largement contribué à retarder ce constat. Que cette situation perdure, en particulier avec une population croissante et la poursuite du développement économique, est une question ouverte.
III / L’exploitation des ressources renouvelables
N ous avons caractérisé les ressources renouvelables au chapitre I, en opposition avec les ressources épuisables, comme des ressources qui ont une capacité naturelle de régénération. De ce fait, à l’inverse de ces dernières, elles peuvent être indéfiniment exploitées, à condition de ne pas les utiliser au-delà d’un seuil garantissant l’équilibre entre la ressource et son milieu. Si, pendant la première moitié du XXe siècle, l’abondance des stocks pour la plupart des ressources renouvelables exploitées par l’homme (eau, air, forêts, poissons) a été telle que le risque de leur extinction ne s’est pas posé, l’apparition de plus en plus fréquente de problèmes de surexploitation a conduit les économistes à en analyser les causes et à tenter d’y remédier. Ce sont ces travaux que nous présentons dans ce chapitre.
L’exploitation optimale d’une ressource renouvelable Que les ressources renouvelables soient potentiellement inépuisables ne nous dit pas à quel rythme nous pouvons les utiliser. La capacité de reproduction naturelle de ces ressources se traduit par la production d’un surplus. La totalité de ce surplus peut être prélevée sans que le niveau initial du stock en soit modifié, c’est le prélèvement soutenable. Au-delà, le stock diminue, en deçà il augmente. L’importance de ce surplus dépend essentiellement du niveau initial du stock. On a vu dans le chapitre I que l’on représentait généralement la croissance d’une ressource renouvelable par une fonction d’abord croissante puis décroissante du niveau du stock existant et qu’il y
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avait donc un niveau particulier du stock (noté Xpme) où cette croissance était maximum. Le prélèvement du surplus correspondant est lui aussi maximum, d’où sa dénomination de production maximum équilibrée (PME). Cette PME semble un bon candidat pour notre recherche d’un niveau optimal de prélèvement. Bien entendu, il n’y a aucune raison pour que le niveau de la ressource soit justement égal à celui où sa croissance est maximale au moment où l’on décide de l’exploiter, mais il permet de définir une règle de gestion simple pour cette exploitation : rejoindre au plus vite le niveau du stock où l’on pourra extraire la PME. « Au plus vite » veut dire que, si le stock initial de la ressource est inférieur à Xpme, il ne faut rien prélever pour qu’elle croisse, tandis que, s’il lui est supérieur, il faut exploiter la ressource au maximum des capacités de prélèvement pour qu’elle décroisse jusqu’à l’atteindre. Ensuite, on pourra extraire la PME indéfiniment sans modifier le niveau atteint. Ainsi le niveau du stock correspondant à la PME est à la fois un objectif et un critère qui permet de juger de l’existence ou non d’une surexploitation, tout stock en deçà de ce niveau étant considéré comme surexploité. Toutefois, malgré sa simplicité et son apparence raisonnable, puisqu’elle semble promettre un prélèvement maximum, cette règle ne tient pas compte des conditions économiques de l’exploitation de la ressource. Aujourd’hui, les références à ce seuil de référence sont pourtant encore fréquentes dans la gestion des ressources renouvelables. Ainsi, par exemple, l’article 61 du LOST (Law Of the Sea Treaty) donne pour directive de maintenir le niveau des stocks de poissons à celui correspondant à la PME. La règle fondamentale de gestion d’une ressource renouvelable Cette section est consacrée à la présentation, pour une ressource renouvelable, de l’équivalent de la règle d’Hotelling pour les ressources épuisables. C’est dire que, d’une part, nous adoptons un point de vue normatif et, d’autre part, que la règle obtenue n’est valide que sous un certain nombre d’hypothèses, dont la principale est l’absence d’incertitude sur les stocks. Historiquement, les économistes ayant abordé cette question de la gestion d’une ressource renouvelable l’ont fait en
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considérant les ressources halieutiques et nous suivrons cette tradition en utilisant le vocabulaire qui s’est progressivement imposé dans la littérature. Toutefois, les problèmes de pollution ou de régénération des milieux naturels peuvent être assimilés aux problèmes d’exploitation de ressources renouvelables. Rejeter des effluents dans une rivière, des gaz dans l’atmosphère, des pluies acides sur des forêts ou des nitrates dans une nappe phréatique est une forme d’exploitation d’un actif naturel qui utilise sa capacité d’assimilation. Au prix d’un changement de vocabulaire, les résultats que nous présentons ci-dessous sont parfaitement transposables à ces problèmes. Comme nous allons le voir en détail dans la suite de ce chapitre, la règle fondamentale de gestion d’une ressource renouvelable repose sur la même notion d’arbitrage qui nous a permis d’aboutir à la règle d’Hotelling : le stock d’une ressource renouvelable peut en effet s’assimiler à un stock de capital pour lequel l’exploitant recherche, à l’équilibre, un rendement identique à celui des autres actifs existants, à savoir le taux d’intérêt. Nous présentons tout d’abord le modèle statique classique de Gordon [1954], puis nous prenons explicitement en compte la dynamique de la ressource. L’exploitation économique d’une ressource renouvelable. — Nous supposons ici que cette exploitation se fait dans le cadre d’une concurrence parfaite, c’est-à-dire que, pour les exploitants, le prix p auquel ils peuvent vendre la ressource est une donnée qui ne dépend pas de la quantité capturée. Cette capture dépend évidemment des moyens utilisés (techniques de localisation de la ressource, moyens de transport, matériel de capture…) qu’on résume généralement sous le terme générique d’effort. C’est le niveau de cet effort qui constitue la variable de décision déterminant les conditions de l’exploitation (combien de bateaux, quels types de filets, combien de jours de pêche…). Pour un niveau d’effort E fixé, l’hypothèse la plus simple est de considérer que la quantité totale capturée H (Harvest en anglais), sera proportionnelle à la taille de la population X, soit H = EX (on peut penser qu’il serait plus réaliste de considérer que si la population est peu nombreuse, la quantité capturée pour un niveau d’effort fixé E sera plus faible que pour une population importante, auquel cas on aurait H = H(EX) où H est une fonction croissante de X. C’est sans doute vrai, mais l’hypothèse de proportionnalité ne changeant pas qualitativement les résultats
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obtenus, nous la maintiendrons dans la suite). Ainsi, à un moment donné, si on note F(X) le surplus naturel provenant d’une population de taille X, la croissance de cette population sera égale à la différence entre sa croissance naturelle et la quantité capturée, soit F(X) – EX. La ressource renouvelable pourra continuer à être indéfiniment exploitée au niveau d’effort E si et seulement si elle reste constante à ce niveau de capture, c’est-àdire si et seulement si F(X) – EX = 0. On note X#(E) la solution de cette équation. X#(E) représente la taille de la population compatible avec le niveau d’effort E et autorisant perpétuellement la capture H#(E) = E X#(E). La figure ci-dessous représente cette population d’équilibre pour trois niveaux d’efforts différents, dont celui compatible avec la production maximum équilibrée. On notera que plus le niveau d’effort est important, moins la population stable est nombreuse.
On sait maintenant que si la ressource est exploitée à un niveau d’effort E, on obtiendra une production constante égale à EX#(E), mais cela ne nous dit pas quel effort on doit faire. Répondre à cette question suppose de prendre en considération les aspects strictement économiques liés à l’exploitation de la ressource, à savoir les revenus et les coûts déterminant le
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rendement de l’activité et la nature des droits de propriété sur la ressource. Les revenus et les coûts. — Du côté des revenus, les choses sont simples sous l’hypothèse de concurrence parfaite. Les exploitants sont « preneurs de prix » et la recette totale est égale à la capture H#(E) multipliée par le prix unitaire de la ressource p, soit pH#(E). On peut constater sur la figure précédente que la capture H#(E) est d’abord croissante avec E quand celui-ci croît de 0 à Epme, puis décroissante avec E quand il augmente au-delà de Epme. En résumé, la recette totale est une fonction croissante puis décroissante de l’effort et est maximum quand celui-ci est égal à Epme. Pour ce qui concerne les coûts, ils sont bien sûr fonction de l’effort et, là encore, l’hypothèse la plus simple est de supposer qu’ils lui sont proportionnels, soit C(E) = cE. En fait, une fonction de coût intégrant des économies d’échelle, les coûts diminuant proportionnellement de plus en plus au fur et à mesure que l’effort augmente, ne modifierait pas qualitativement nos résultats. Toutefois, on pourrait penser que les coûts individuels augmentent quand la population diminue, la capture devenant alors plus difficile, la population elle-même diminuant soit à cause d’une augmentation de la capture due à un plus grand nombre N de pêcheurs, soit pour des raisons qui ne dépendent pas directement de l’activité d’exploitation (catastrophe écologique…). Ainsi, la fonction de coût la plus générale serait de la forme C(E, N, X), croissante en E et N et décroissante en X. Retenir ici une fonction de la forme C(E) revient à supposer que les deux autres effets ne sont pas pris en compte par les exploitants, soit parce qu’ils n’en ont pas conscience, soit parce qu’ils ne pensent pas pouvoir agir dessus. Finalement, le profit de l’exploitation peut s’exprimer comme une fonction de l’effort total p(E) = pH#(E) – cE. Ce profit sera maximum pour le niveau d’effort E0 où l’écart entre la recette totale pH#(E) et les coûts cE sera maximum. On peut très facilement déduire ce niveau d’effort optimal de l’examen de la figure ci-contre. On constate que, pour tout niveau d’effort inférieur ou supérieur à E0, le profit correspondant est inférieur à celui obtenu en E0. Le niveau d’effort optimal E0 est caractérisé par le parallélisme entre la tangente à la fonction de recette totale pH # (E) et
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la fonction de coût cE, soit pH#’(E) = c. On retrouve ici la condition bien connue de maximisation du profit en microéconomie définie par l’égalité entre le revenu marginal pH#’(E) et le coût marginal c. Nous terminerons cette section par deux remarques. D’une part, l’effort optimal E0 ne peut être égal à l’effort correspondant à la production maximum équilibrée Epme que si et seulement si le coût de l’effort est nul. On comprend ainsi l’inadéquation pratique de la règle de gestion suggérée plus haut. D’autre part, plus le coût marginal est élevé, plus le niveau optimal d’effort est faible, celui-ci pouvant même devenir nul. L’importance du régime de propriété de la ressource. — L’analyse que nous avons présentée plus haut repose en fait sur une hypothèse importante concernant la nature des droits de propriété sur la ressource renouvelable. L’analyse de Gordon [1954] concernait une ressource renouvelable sous un régime de propriété commune en accès libre. Dans ce cas, la ressource n’appartient en propre à personne (propriété commune) et quiconque en a les moyens peut chercher à l’exploiter sans que les exploitants déjà en place puissent l’en empêcher (accès libre). Dans ces conditions, le résultat précédent ne peut être obtenu à l’équilibre, car le profit obtenu est en fait une rente d’exploitation due à un trop faible nombre d’exploitants. L’existence de cette rente en attire de nouveaux à qui personne ne peut
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interdire l’entrée à cause de l’accès libre à la ressource. L’entrée continuera donc jusqu’à la dissipation complète de la rente obtenue pour un niveau d’effort Eq où le revenu total sera égal au coût total. Par ailleurs, un niveau d’effort supérieur à Eq conduirait à un coût total supérieur au revenu total, induisant, pour une raison symétrique, des exploitants à quitter l’activité réduisant ainsi le niveau d’effort jusqu’à Eq. La maximisation du profit obtenue dans la section précédente ne peut donc durer en situation d’accès libre à une propriété commune. Elle peut en revanche caractériser le cas d’une gestion collective de la ressource ou d’un propriétaire unique qui, du fait de son droit exclusif de propriété sur la ressource, peut en interdire l’entrée aux exploitants potentiels. La figure ci-dessous résume cette discussion.
On constate que l’effort optimal du propriétaire unique est inférieur à l’effort d’équilibre de la ressource exploitée en accès libre. Plus précisément, il est inférieur à l’effort correspondant au niveau de la production maximum équilibrée dans le premier cas (ou égal si le coût total est nul) et supérieur dans le second. Il en résulte que le niveau d’équilibre de la population correspondante est supérieur en situation de propriétaire unique à celui de la propriété commune en accès libre. Toutefois, l’ensemble de ces résultats sont obtenus dans le cadre d’un modèle statique, ne prenant pas en compte l’évolution de la ressource au cours de son exploitation. C’est ce que nous allons examiner maintenant. La prise en compte du temps dans l’exploitation d’une ressource renouvelable. — On se place ici du point de vue de la recherche d’une gestion optimale d’une ressource renouvelable, au sens de
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la maximisation des profits que l’exploitation de cette ressource peut produire. Autrement dit, on considère un propriétaire unique, ou une agence gouvernementale, cherchant à gérer au mieux de ses intérêts la ressource en question qu’on supposera être une ressource halieutique. On note toujours X(t) la taille de la population à la date t et H(t) la quantité capturée à cette même date. Comme pour une ressource épuisable, il s’agit d’arbitrer entre capturer un certain nombre de poissons pour les vendre, ou les laisser se reproduire en vue d’accroître son revenu grâce à leur capture future. En revanche, au contraire d’une ressource épuisable, la capture ne réduit pas obligatoirement le stock et il s’agit même de le maintenir à un niveau constant qui permette justement la production d’un profit constant, c’est-à-dire soutenable. Nous noterons X* ce niveau recherché de la population. Pour une population de taille X et avec un effort E, on peut capturer une quantité de poissons H = EX et obtenir un profit p = pH – cE. Ou encore, en éliminant E entre ces deux relations, p = (p – s(X))H, avec s(X) = c/X = cE/H, le coût de capture d’un poisson, p – s(X), étant le profit net de cette capture. Si l’exploitant cherche un profit soutenable, il doit pêcher de manière à garder la taille de la population constante, ce qui implique que sa capture H(t) soit égale à la reproduction naturelle de la ressource F(X), c’est-à-dire au nombre de poissons nouveaux qui naissent quand la taille de la population est égale à X. Dans ce cas, son profit sera égal à p(X) = (p – s(X))F(X). Ne pas pêcher un poisson de plus entraîne donc un profit supplémentaire à la période suivante égal à la variation marginale dp/dX = p’(X). Cette variation correspond à la valeur d’un poisson supplémentaire qui est laissé dans son milieu naturel et pourra accroître la taille de la population à la prochaine période. Cette « valeur en mer » est l’équivalent de la valeur en terre de la ressource épuisable que l’on renonce à extraire. En revanche, le pêcher rapporte un profit instantané égal à p – s(X) et donc, placé au taux d’intérêt r, un revenu supplémentaire de (p – s(X))r après une période, (ce qui revient à effectuer la comparaison en t + 1, donc sans actualisation ; cela revient au même si le taux d’actualisation est supposé égal au taux d’intérêt alors qu’il ne revient pas au même d’aller du présent vers le futur ou de « revenir » du futur vers le présent). L’équilibre est atteint quand l’exploitant est indifférent entre ces deux alternatives parce
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qu’elles sont d’un rendement équivalent, autrement dit quand p’(X) = (p – s(X))r. Cette équation en X a pour solution X* qui est la taille de la population autorisant un profit soutenable maximum. On peut cette fois-ci énoncer notre règle de gestion : rejoindre le plus vite possible la taille X*. On peut donner une autre interprétation de l’égalité entre le gain marginal de renoncement à la capture et le gain marginal de cette capture en explicitant p’(X). Comme p(X) = (p – s(X))F(X), un calcul simple donne p’(X) = F’(X)(p – s(X)) – s’(X)F(X) et notre condition d’équilibre peut s’écrire F’(X)(p – s(X)) – s’(X)F(X) = (p – s(X))r, ou encore F’(X) – s’(X)F(X)/(p – s(X)) = r. C’est cette expression que l’on désigne comme la règle fondamentale de gestion d’une ressource renouvelable. C’est une autre manière de caractériser la taille X* de la population que l’on cherche à rejoindre le plus rapidement possible et qui est la solution de cette équation en X. On notera d’ailleurs que cette solution est effectivement bien différente de la taille de la population X pme correspondant à la production maximum équilibrée, puisque Xpme est défini par F’(Xpme) = 0, impliquant que F(X) est maximum en Xpme. Pour interpréter cette expression sous cette nouvelle forme, commençons par supposer que l’exploitation de la ressource se fait à coût nul ou que le coût est indépendant de la taille de la population. Dans le premier cas, on a s(X) = s’(X) = 0 et s’(X) = 0 dans le second, l’équation fondamentale s’écrivant alors F’(X) = r. F’(X) est le nombre supplémentaire de poissons que l’on obtient quand la taille X de la population augmente d’une unité. C’est donc la « productivité marginale » de la population de taille X, ou encore le rendement de l’« actif » poisson, produit par la décision de ne pas pêcher ce poisson supplémentaire. Quant à r, il représente le rendement de tout autre actif en situation concurrentielle et notre égalité exprime simplement que l’exploitant est, à l’équilibre, indifférent entre un placement sur l’« actif » poisson ou sur un autre actif, parce que leurs rendements sont égaux. Considérons maintenant l’expression complète. s’(X) est le coût marginal de capture d’un poisson supplémentaire quand la taille de la population est X. s’(X)F(X) est donc le coût de capture des nouveaux poissons qui vont naître si on renonce à pêcher ce
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poisson. Quant à p – s(X), c’est la valeur nette d’un poisson pêché. s’(X)F(X)/(p – s(X)) est donc l’impact marginal sur le rendement qu’implique la décision de ne pas pêcher un poisson de plus, ce qui réduira les coûts de capture futurs et donc augmentera le rendement F’(x) de – s’(X)F(X)/(p – s(X)) qui est positif puisque s’(X) est négatif. Ainsi notre équation fondamentale n’est rien d’autre que l’égalité entre la productivité marginale nette de la ressource et le taux d’intérêt. L’influence du taux d’intérêt sur la taille optimale de la population. — Il est intéressant de regarder l’influence du taux d’intérêt sur la taille optimale de la population, solution de notre équation fondamentale, ce qui va nous permettre de mieux comprendre les résultats obtenus avec le modèle de Gordon [1954]. Nous n’étudierons ici que deux cas particuliers. Supposons tout d’abord que le taux d’intérêt soit nul. Dans ce cas, l’équation s’écrit p’(X) = 0 et implique que le profit soit maximum, ce qui correspond à la solution du propriétaire unique et donne donc une taille de population égale à X0, tel que le profit soit défini par p’(X0) = 0. Le second cas correspond à un taux d’intérêt infini, cas évidemment limite, mais qui signifie que le placement dans la ressource renouvelable est nécessairement moins intéressant que celui dans les actifs alternatifs. Il n’y a donc pas de raison de vouloir conserver un profit soutenable dans ces conditions, ce qui conduit à chercher à atteindre la taille de la population Xq telle que le profit correspondant p(Xq) soit nul. Comme p(X) = (p – s(X))F(X) = (p – c/X)H = (p – c/X)EX, cela implique que la recette totale pEX soit égale au coût total cE, ce qui donne le niveau d’effort Eq correspondant à la situation de propriété commune en accès libre (et explique la notation Eq que nous avions introduite alors et qui a peut-être intrigué le lecteur). En réinterprétant le taux d’intérêt comme un taux de préférence pour le présent, la signification de ces deux cas particuliers est claire. Pour le propriétaire unique, il n’y a pas de préférence pour le présent puisqu’il est libre d’exploiter sa ressource comme il l’entend, sans craindre l’arrivée de nouveaux concurrents. En conséquence, il va chercher à maximiser à chaque instant son profit instantané. Au contraire, si la ressource est en propriété commune d’accès libre, la préférence pour le présent est infinie,
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puisque tout profit futur est impossible du fait de l’entrée de nouveaux exploitants s’il devient positif. On a vu que cela conduisait à la dissipation de ce profit d’exploitation. Retour sur quelques hypothèses. — Les résultats précédents sont obtenus sous des hypothèses restrictives, dont l’absence d’incertitude sur les stocks est sans doute la plus discutable. En effet, ne sachant pas si la taille de la population est inférieure ou supérieure à la taille optimale, la règle de gestion que nous avons explicitée n’est plus applicable. En 2003, le conflit opposant la Commission européenne et les pêcheurs français à propos notamment du cabillaud prenait précisément sa source dans ce débat sur l’état des stocks. La Commission soutenant l’idée d’un faible niveau justifiant la diminution de l’effort de pêche, quand les pêcheurs développaient l’idée opposée, le conflit ne pouvait guère trouver de solution. Les travaux réalisés pour tenir compte de l’incertitude [Clark et Kirkwood, 1986 ; Charles, 1983 ; Clemhout et Wan, 1986] introduisent l’idée d’un choc aléatoire sur la ressource et montrent que la présence d’incertitude conduit à limiter les prélèvements, ce qui peut s’interpréter comme un principe de précaution et conduit à un niveau de stock d’équilibre plus élevé que dans le cas sans incertitude. Il faut toutefois noter que la distribution de probabilité du choc est supposée connue, ce qui ne fait que repousser le débat sur la connaissance de cette distribution. Une autre conséquence de l’incertitude sur le stock est de conduire à l’extinction possible de la ressource du fait d’un prélèvement trop important. Toutefois, l’extinction peut très bien se produire sans aucune incertitude et pose le problème majeur de la gestion des ressources renouvelables que nous traiterons dans la prochaine section. Dans les développements précédents, nous n’avons traité que des situations de propriété commune en accès libre et de propriétaire unique. Il existe pourtant d’autres alternatives, et en particulier les ressources en propriété commune mais en accès restreint, où l’entrée d’un nouvel exploitant est difficile, voire impossible, comme quand deux pays partagent une même nappe phréatique. Dès lors, il n’y a pas nécessairement dissipation de la rente et chaque exploitant doit décider de son prélèvement en tenant compte des décisions des autres exploitants, perceptibles en particulier via l’évolution du stock de la
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ressource. Quand chaque exploitant agit de manière non coopérative en cherchant à maximiser son profit, la ressource atteint un équilibre où la somme des profits individuels est inférieure au profit correspondant à l’exploitation par un propriétaire unique, ce qui peut s’interpréter comme le coût de la non-coopération. Cependant, le relâchement des hypothèses faites plus haut (auxquelles on peut ajouter celle concernant le prix constant de la ressource) ne modifie pas fondamentalement les résultats qualitatifs qui ont été obtenus et que l’on peut résumer ainsi : l’exploitation d’une ressource renouvelable conduit à un équilibre où la quantité prélevée est égale à la reproduction de la ressource. Le niveau de stock d’équilibre le plus élevé correspond à la situation de propriétaire unique, qui produit de plus une rente maximum. Toute autre situation traduit une forme de surexploitation de la ressource. La « culture » des ressources renouvelables La théorie de la gestion d’une ressource renouvelable, telle que nous venons de l’exposer, concerne essentiellement les ressources présentes dans la nature indépendamment de l’action humaine. Mais il en existe aussi d’autres qui sont introduites par l’homme pour ses propres besoins et qui posent des problèmes de gestion très différents. En effet, pour ces ressources « cultivées », le risque d’extinction n’existe pas puisqu’il est toujours possible de reconstituer le stock. Il s’agit donc d’abord d’une activité industrielle, recherchant la rentabilité économique sous la contrainte de la reproduction naturelle de la ressource (cette contrainte est de plus en plus faible avec la croissance de l’industrialisation, comme on peut le voir en agriculture où le cycle de reproduction des animaux est de plus en plus contrôlé, au risque d’une baisse de qualité pouvant aller jusqu’à rendre la consommation dangereuse et posant alors d’autres problèmes). Les deux exemples les plus importants qui ont été étudiés par les économistes sont l’aquaculture, qui s’oppose à la pêche de capture que nous avons considérée dans la section précédente, et la plantation forestière. En 2001, l’aquaculture représentait 28,9 % de la production mondiale contre 22,2 % en 1996, fournissant l’essentiel de son augmentation. Mais si la pêche de capture a été le cas d’application privilégié de la théorie de
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l’exploitation des ressources renouvelables non cultivées, c’est l’exploitation forestière qui a été celui des ressources cultivées. C’est pourquoi nous en présenterons les principaux résultats à partir de l’exemple de la forêt. La gestion optimale d’une forêt de plantation. — La gestion économique des forêts est un des plus vieux problèmes de l’économie des ressources renouvelables. Dès le début du XIXe siècle, un débat public eut lieu en Allemagne sur le choix de la meilleure date d’abattage des arbres, tout en tenant compte de leur nécessaire régénération. C’est Martin Faustmann [1849] qui formula le problème en le considérant comme un problème de maximisation de la valeur forestière se répétant de période en période. La règle de Faustmann. Ce qui distingue fondamentalement une ressource renouvelable non cultivée, comme les ressources marines, des ressources renouvelables cultivées, comme les forêts de plantation, c’est que, pour la pêche de capture, il est impossible de ne prendre que des poissons du même âge, alors que c’est justement ce qui fait l’intérêt de la plantation à la même date de tous les arbres d’une forêt. Dans une forêt de plantation, la seule question qui se pose est donc celle de sa date d’abattage, compte tenu de la croissance de l’espèce qui dépend de la nature de l’arbre. À chaque période, si les conditions économiques le permettent, on replante complètement la forêt et on la coupe quand les arbres sont à maturité, c’est-à-dire quand ils répondent à une demande spécifique sur un marché. Si on s’intéresse à une espèce en particulier, et si le contexte ne change pas (prix, taux d’intérêt, connaissances biotechnologiques) il est intuitivement évident que les arbres seront abattus au même âge, définissant ainsi la période optimale de rotation. Celle-ci est donc définie à la fois par un contexte économique et les caractéristiques naturelles de l’espèce. Ainsi, l’eucalyptus ou l’acacia, vont connaître des rotations entre six et douze ans pour un usage comme bois de chauffe domestique ou industriel ou pour de la pâte à papier, tandis que pour le teck elles seront entre cinquante et soixantedix ans pour des usages décoratifs très valorisants. Les pins ont, pour leur part, des rotations de vingt à trente ans à moins qu’ils ne soient plantés pour leur pulpe, auquel cas les rotations sont plus courtes.
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Pour bien mettre en évidence la spécificité du problème de la rotation optimale, nous allons supposer que l’exploitant cherche à maximiser son profit dans un contexte économique stationnaire (prix du bois, des inputs et taux d’intérêt constants). Comme toujours, cette maximisation sera réalisée quand le revenu marginal tiré de la forêt sur la période sera égal à son coût marginal. Compte tenu des hypothèses faites, son revenu ne dépend que de la date de l’abattage, qui détermine la taille de l’arbre et donc la quantité vendue. Autrement dit, il ne dépend que de la fonction de reproduction naturelle de l’espèce cultivée, et plus précisément de sa croissance. Si on note f(T) la biomasse de la forêt à la date d’abattage T, le supplément de biomasse obtenu en reculant cette date d’une période est égal à la productivité marginale de la forêt, soit f(T + 1) – f(T), d’où un revenu marginal de p(f(T + 1) – f(T)), où p est le prix de vente du bois. Bien entendu, la décision de replanter une forêt qui aura à la date T une valeur de pf(T) est soumise à l’arbitrage classique avec le coût d’opportunité lié aux placements alternatifs que l’on peut faire au taux d’intérêt r. Ce coût d’opportunité est égal à l’intérêt que rapporterait l’équivalent de la valeur de la forêt sur une période, soit rpf(T). Toutefois, le coût marginal d’exploitation ne se réduit pas à ce seul coût d’opportunité, comme c’est le cas pour une ressource épuisable (on notera en effet qu’on retrouverait alors la règle d’Hotelling ((f(T + 1) – f(T))/f(T) = r)) parce que, à l’issue de la période, la même décision de replanter se pose dans les mêmes conditions. Il y a donc un autre coût d’opportunité, correspondant à l’intérêt que rapporterait l’équivalent non plus de la valeur de la forêt sur une période, mais l’équivalent de la valeur de la forêt sur toutes les périodes. Cette valeur est égale à la somme actualisée des revenus de chaque période et est donc une fonction V(T) de la date d’abattage puisque chaque période a la même longueur et fournit un revenu identique p(f(T)). Le coût d’opportunité correspondant est donc égal à rV(T). D’où la règle de Faustmann, qui détermine la date optimale d’abattage d’une forêt comme la date T* solution de l’équation p(f(T + 1) – f(T)) = rpf(T) + rV(T).
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Comment éviter la surexploitation d’une ressource renouvelable ? Les résultats précédents résument bien l’enjeu de toute tentative de gestion des ressources renouvelables : se rapprocher de l’exploitation en situation de monopole, le plus souvent sous l’égide d’une autorité centrale. En réalité, une institution de ce type suppose que les droits de propriété de la ressource soient parfaitement établis et n’offrent pas sujet à contestation, ce qui est loin d’être toujours le cas, comme l’illustre l’encadré à propos des ressources halieutiques maritimes. La source principale des risques d’extinction des ressources renouvelables tient dans la conjonction de deux phénomènes : le libre accès à la ressource et l’existence d’externalités de production. Une ressource renouvelable est en effet intermédiaire entre bien privé et bien public. Elle partage avec le premier son caractère rival qui fait que sa consommation par un agent l’interdit aux autres, et elle possède comme le second la difficulté d’exclusion de son usage. La capture d’un poisson supplémentaire par un pêcheur entraîne une diminution de la taille de la population, donc de sa taille future, et conduit à rendre plus difficiles et donc plus coûteuses les captures ultérieures. On est là en présence d’une externalité de production, où l’activité d’un pêcheur a des conséquences sur l’ensemble des exploitants (on entend ici par externalité l’existence d’une différence entre le coût privé pris en compte par le pêcheur dans sa décision de capture et le coût social supérieur qui sera supporté par la collectivité du fait de cette décision, voir Bontems et Rotillon [2003] pour une présentation plus détaillée du concept d’externalité). La combinaison de ces deux facteurs, externalité d’exploitation et accès libre, conduit à la « tragédie des biens communs » analysée par Hardin [1968]. Peut-on échapper à la « tragédie des biens communs » ? Telle que l’a présentée Hardin, la tragédie des biens communs se produit sur un pré communal partagé par des éleveurs de bétail. Chacun est libre de choisir le nombre d’animaux qu’il met en pâture sur le pré. Ajouter un animal augmente le profit individuel de l’éleveur mais diminue la quantité de fourrage
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L’exploitation des ressources halieutiques maritimes [Cet encadré doit beaucoup au travail de Dominique Lefaudeux, 1998.] Les ressources halieutiques maritimes sont actuellement régies par le droit de la mer, dont l’essentiel a été adopté lors de la troisième Convention sur le droit de la mer de l’ONU en 1982 (UN Convention of the Law Of the Sea). Les eaux maritimes sont divisées en deux parties : les « zones économiques exclusives » (ZEE) qui sont placées sous la juridiction des États côtiers et les eaux internationales au-delà de 200 milles nautiques (370,4 km) qui sont libres d’accès. Les ZEE représentent 35 % des surfaces et une estimation de 90 % des ressources [Eckert, 1979]. Pourtant, de nombreux problèmes subsistent pour mettre en place une gestion satisfaisante des ressources. C’est le cas de l’établissement des limites des zones pour des pays
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voisins. Ainsi, la Cour internationale de Justice a dû intervenir pour fixer les juridictions du Canada et des États-Unis dans le golfe du Maine (12 octobre 1982), et la France et le Canada ont porté leur différend devant la chambre de commerce internationale à propos de la frontière au large de Terre-Neuve, autour des îles françaises de Saint-Pierre et Miquelon (10 juin 1992). Un second problème tient à la nature des ressources elles-mêmes qui ne tiennent pas toujours compte des arrangements entre les hommes. On définit ainsi des stocks migrateurs, dont la localisation est très variable au cours du temps et qui se déplacent entre plusieurs ZEE et zones de haute mer, et des stocks chevauchants, qui concernent des espèces plus sédentaires mais qui sont localisées sur plusieurs zones. Il est clair que le comportement biologique de ces ressources rend largement illusoire la mise en place de politiques de gestion différenciées selon les zones.
disponible pour chaque animal présent. Ainsi, si le coût de l’élevage augmente du fait de la raréfaction du fourrage, ce coût est partagé avec les autres éleveurs. Ce qui incite chacun d’entre eux à ajouter des animaux supplémentaires, puisqu’ils s’approprient le gain privé correspondant sans avoir à supporter l’intégralité du coût de leur décision, conduisant ainsi à la surexploitation du pré, voire à sa disparition totale. Bien sûr, ajouter un animal peut aussi avoir un coût privé pour l’éleveur et limiter le nombre d’animaux qu’il décidera de faire paître, ce que Hardin ne prenait pas en compte. Il n’en reste pas moins que cette logique d’une recherche d’un profit individuel en présence d’une externalité de production implique un stock final de ressource plus faible que celui qui découlerait d’une gestion centralisée où cette externalité serait prise en compte. Cependant, si la présence d’externalités de production et d’accès libre peut conduire à la « tragédie » décrite par Hardin, il
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n’y a aucune nécessité à cet enchaînement fatal. Comme l’écrit Ciriacy-Wantrup [1938], « la propriété commune des ressources naturelles n’est en soi-même pas plus une tragédie en termes de dégradation environnementale que sa propriété privée. Tout dépend des institutions sociales […] qui guident l’usage de ces ressources ». L’institution sociale visant à empêcher la tragédie des biens communs la plus étudiée d’un point de vue théorique prend la forme d’une agence chargée de définir les conditions d’accès à la ressource. La régulation centralisée. — La mise en place d’une telle agence suppose que les droits de propriété de la ressource lui ont été attribués, ce qui est évidemment plus facile dans un cadre national, où les règles juridiques sont appliquées à tous, que dans un cadre international où ces règles doivent émerger d’une négociation préalable. Il reste alors à l’agence à définir les conditions de l’accès à la ressource, ce qui revient à chercher à moduler l’effort des exploitants. Puisque l’effort de pêche, décidé par l’exploitant individuel, dépend de sa perception des conditions économiques sous lesquelles se déroule son activité, la régulation de cet effort va se faire en modifiant ces conditions. L’agence est en fait placée devant un problème classique en économie de l’environnement, qui est l’internalisation d’une externalité, c’est-à-dire l’élimination de l’écart entre le coût privé pour les exploitants et le coût social engendré par leurs décisions non coordonnées. Pour augmenter ses captures, un exploitant doit changer son bateau, acheter un sonar, utiliser des filets plus grands… ce qui augmente le coût de son activité qui, de son point de vue, dépend essentiellement de son niveau individuel de capture h, soit une fonction de coût de la forme C(h), croissante en h. Mais la quantité capturée n’est pas le seul déterminant de ses coûts. D’une part, ceux-ci vont aussi augmenter avec le nombre N de pêcheurs, puisque plus ils sont nombreux, plus la ressource se raréfie et devient plus difficile, donc plus coûteuse, à attraper. D’autre part, ils augmentent également si la taille X de la population elle-même se réduit, que ce soit à cause des captures passées ou d’un déséquilibre de l’écosystème. Une agence qui prendrait en charge la gestion de la ressource devrait tenir compte de ces deux types d’effets sur les coûts, en considérant une fonction de coûts de la forme C(h, N, X).
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L’incitation à la surexploitation La surexploitation d’une ressource en accès libre, du seul fait de la présence de plusieurs agents qui l’exploitent en même temps, est un exemple de dilemme du prisonnier. Supposons pour simplifier que chaque pêcheur ait le choix entre deux options : pratiquer une « pêche responsable » compatible avec la reproduction naturelle de la ressource et la présence des autres pêcheurs (PR) ou pêcher au maximum de ses capacités de production sans s’occuper de rien (PM). Pour deux pêcheurs, la situation peut se résumer dans le tableau ci-dessous.
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PR
PM
PR PM
2; 2 1; 4
4; 1 3; 3
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Les chiffres dans le tableau représentent l’ordre des préférences de chacun des pêcheurs pour chacun des cas possibles. Ainsi, la pire situation (4) pour le pêcheur 1 est représentée par la case (PR, PM) où il pêche peu et où l’autre pêche au maximum. Cette situation est, au contraire, celle qui est la préférée (1) du pêcheur 2 puisqu’il bénéficie des efforts de l’autre pour préserver les stocks, ce qui diminue d’autant ses propres coûts. On constate que le pire pour l’un est le meilleur pour l’autre. Autrement dit, si un pêcheur est responsable, il offre à l’autre la possibilité d’obtenir son meilleur choix tout en ayant soi-même son plus mauvais. La seule solution rationnelle pour chacun pour éviter cette situation est de ne pas être « responsable », c’est-à-dire de pêcher au maximum. Ce faisant, chacun n’obtient que son troisième choix alors qu’ils s’accordaient à trouver la situation responsable meilleure.
Dans les conflits qui opposent les instances de régulation et les pêcheurs, ces derniers ont parfaitement conscience de ces deux effets. Mais en général ils pensent que l’état du stock est suffisamment élevé pour négliger leur influence sur le coût individuel. Quant au nombre de pêcheurs, son augmentation crée au contraire une incitation qui va dans le mauvais sens, poussant chaque exploitant à augmenter aujourd’hui ses captures pour éviter d’être le seul à les limiter et se retrouver demain devant des conditions d’exploitation encore plus difficiles (voir encadré). Les principales solutions d’internalisation sont bien connues et nous renvoyons le lecteur à Bontems et Rotillon [2003] pour leur présentation détaillée. On peut utiliser la réglementation en édictant des normes quantitatives, instaurer des taxes modifiant directement les coûts perçus par les exploitants ou mettre en place un marché de quotas de production échangeables. Au niveau théorique où nous nous situons ici, ces trois options sont équivalentes.
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Concernant la première, cela consiste à contrôler le nombre de bateaux, le nombre de jours de pêche, la taille des filets… bref, tout ce qui constitue l’effort de pêche global, c’est-à-dire les variables H et N. La deuxième implique la création de deux taxes, une sur chaque prise, qui est égale au coût marginal social dû à la diminution d’une unité du stock, et une autre, forfaitaire, c’est-à-dire identique pour tous les pêcheurs, égale au coût marginal social dû à l’entrée d’un pêcheur supplémentaire. Ces deux taxes obligent ainsi chaque pêcheur à intégrer dans ses coûts les conséquences des deux externalités liées à la taille de la population et au nombre total de pêcheurs. Cette solution, par des moyens tout à fait différents, revient aussi à contrôler l’effort de pêche. Enfin, la troisième solution consiste à émettre un nombre de quotas de pêche égal au total de la capture souhaitée (donc théoriquement égal à X0), à les distribuer aux pêcheurs et à permettre leur échange sur un marché spécifique, chaque pêcheur devant avoir un nombre de quotas égal au total de ses prises. L’extinction peut-elle être optimale ? — Nous avons supposé dans les développements précédents qu’il était nécessaire d’éviter l’extinction de la ressource, ce qui justifiait la mise en place d’une instance de régulation. On peut cependant se demander si, pour certaines ressources, l’extinction ne serait pas optimale. Après tout, si on assimile la ressource à un capital rapportant un certain rendement, investir dans la ressource, c’est-à-dire la préserver pour en toucher les dividendes futurs, n’est optimal que si ce rendement est au moins aussi important que les placements alternatifs. Dans le cas le plus simple, avec des coûts de capture indépendants de la taille de la population, on a vu que la règle fondamentale de gestion de la ressource consistait à égaler la productivité marginale de la ressource F’(X) et le taux d’intérêt r. Si r est supérieur à F’(X), même en l’absence d’externalités, la maximisation du profit conduit à l’extinction de la ressource. Ainsi, les taux de croissance des populations de baleines varient, en l’absence de prélèvements, entre 2 % et 5 % par an, soit nettement moins que les taux de retour en vigueur dans les autres secteurs de l’économie. Il semble donc que le raisonnement que nous venons de tenir conduise à décider de leur extinction. Cependant, nous n’avions pas pris en compte les
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Accès libre et extinction Dans le modèle de Gordon [1954], la fonction de reproduction naturelle de la ressource est donnée par F(X) = aX(1 – X/K) qui est égale à l’équilibre à la capture EX. Quant à la dissipation de la rente, conséquence de l’accès libre, elle se traduit par l’égalité entre la recette totale pEX et le coût total cE. En éliminant X entre ces deux équations, on obtient l’expression de l’effort total à l’équilibre de libre accès, soit Eq = a(1 – c/pK). Si le coût marginal c est trop élevé (supérieur à pK), on aurait un effort négatif et il est donc optimal de ne pas exploiter la ressource. À l’opposé, si ce coût est nul, le stock d’équilibre Xq = c/p est également nul et il devient optimal de ne pas conserver la ressource. D’une manière générale et moins schématique, ce que nous indique ce modèle, c’est que plus le coût est inférieur au prix de marché de la ressource (plus le rapport c/p est faible), plus l’accès libre conduit à une faible taille de la population d’équilibre. En particulier, si les prix sont très supérieurs aux coûts quand la taille de la population est très faible, le risque de l’extinction est très grand en accès libre, indépendamment de la nature des droits de propriété sur la ressource.
coûts de capture, dont on a vu qu’ils augmentaient la productivité marginale nette de la ressource, et, pour ce qui concerne les baleines, les coûts de capture des dernières baleines nageant dans l’océan Antarctique (25 millions de kilomètres carrés) sont évidemment exorbitants. Ainsi, si les baleines sont préservées, bien que la faiblesse de leur taux de croissance rende leur conservation peu attractive, c’est parce que l’extermination complète n’est pas rentable. Encore faut-il ajouter que des considérations sur le rôle des baleines dans le système écologique ou l’importance accordée par certains au seul fait de leur existence, que ce soit pour des raisons morales ou esthétiques (ce que l’on nomme valeur d’existence et qui traduit l’existence d’une valeur spécifique liée à la présence du stock, indépendamment de tout usage présent ou futur, voir Bontems et Rotillon [2003]), se traduisent par de nouvelles externalités et impliqueraient de prendre en compte des coûts supplémentaires pour décider du niveau optimal de prélèvement. Théorie de l’agence et gestion des ressources renouvelables Comme on l’a précisé ci-dessus, les différentes solutions d’internalisation sont équivalentes en théorie, du moins si on fait l’hypothèse d’information parfaite. En réalité, l’information est loin d’être parfaite et elle est souvent inégalement partagée
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entre les agents concernés. On parle alors d’asymétries d’information pour caractériser ces situations. Dans la situation qui nous intéresse ici, où une agence cherche à modifier les comportements des utilisateurs de la ressource, la théorie étudie surtout le cas où l’information est possédée par ceux qui sont soumis à la régulation, tandis que l’agence a le pouvoir d’édicter des règles à partir de l’information que les utilisateurs lui communiquent. L’information est ainsi une variable stratégique manipulable, que ceux qui la détiennent ont tout intérêt à utiliser de manière à minimiser leurs coûts privés. Ceci conduit l’agence à une certaine perte d’efficacité, l’obligeant à verser des rentes, dites d’information, incitant ceux qui la possèdent à la révéler. Le but de l’agence est alors, à partir de l’information recueillie, de construire des mécanismes qui empêchent la surexploitation de la ressource, tout en minimisant non seulement le coût du prélèvement, mais aussi les rentes versées aux utilisateurs. De ce fait, les niveaux d’effort qui seront choisis par les utilisateurs seront différents de ceux qu’ils auraient pris en information parfaite. Les rentes informationnelles sont ainsi à la source d’un arbitrage entre l’efficacité et le coût de la régulation [Laffont et Martimort, 2001]. On trouvera dans la thèse de Daniel Fuentes-Castro [2003] une application de cette théorie à la surexploitation de ressources en régime de propriété commune. L’approche institutionnelle de la gestion des ressources renouvelables Cette approche est particulièrement représentée par Elinor Ostrom [1990] qui, bien qu’acceptant la valeur explicative de la « tragédie des biens communs », souligne sa nature métaphorique et la difficulté qu’il y aurait à en induire des prescriptions politiques. Constatant que la disparition de la baleine bleue de l’Antarctique ou de la sardine du Pacifique illustre la capacité prédictive de ce modèle quand les situations empiriques correspondent approximativement aux conditions théoriques, elle souligne néanmoins qu’il ne constitue pas une théorie générale de l’usage des ressources renouvelables. En particulier, s’il est relativement bien adapté aux ressources partagées par de très nombreux utilisateurs potentiels indépendants, il est beaucoup moins bien adapté pour analyser le partage des ressources entre un nombre restreint d’utilisateurs
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qui peuvent fréquemment communiquer. Elle critique également l’idée, qui en découle souvent, que seuls l’État ou le marché sont à même d’empêcher la tragédie de se produire et elle met l’accent sur l’importance de l’expérience acquise et transmise sous forme de coutumes. Dans son ouvrage de 1990, consacré aux ressources concernant un nombre relativement réduit d’utilisateurs potentiels dans un seul pays, elle décrit de nombreux cas de gestion de ressources par des communautés qui ont su éviter la surexploitation. Partant de ces études de cas (voir l’encadré pour quelques exemples), elle propose une théorie de l’organisation humaine qui vise à expliquer le succès de certains régimes de gestion et à identifier les stratégies qui pourraient être mises en œuvre dans les situations d’échec de la gestion d’une ressource commune. Sa démarche s’inscrit dans le cadre général de l’IAD (Institutional Analysis and Development), développé à l’université d’Indiana et qui décrit comment des règles, opérant à différents niveaux d’organisation sociale, influencent les résultats obtenus par des individus qui utilisent des ressources naturelles. Combinant aussi bien des idées en provenance de l’économie classique et néoclassique, de la théorie du choix public, de l’économie des coûts de transaction ou de la théorie des jeux non coopératifs, l’IAD est une grille de lecture des types de règles que les hommes mettent en œuvre dans leurs interactions avec la nature. Le concept central qui est au centre de cette approche est celui de common-pool resource, que l’on pourrait traduire par ressource commune, mais que l’on désignera, en suivant la tradition, par son sigle : CPR. Elle se distingue de la ressource dite en propriété commune en ce que celle-ci désigne le mode de gestion de la ressource (la gestion « en commun »), quand la CPR décrit seulement la nature de la ressource, sans préjuger a priori de son mode de gestion. Plus précisément, une CPR présente deux caractères principaux. D’une part, la difficulté d’exclure des usagers potentiels de son utilisation à cause de ses caractéristiques physiques et, d’autre part, le fait que la consommation d’une partie de la ressource par un utilisateur réduit le montant disponible pour la consommation des autres. C’est ce que les économistes appellent le caractère rival d’un bien. La combinaison de ces deux caractères permet une classification des biens qui est donnée dans le tableau ci-dessous [voir Lévêque, 2004, pour des compléments].
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Quelques exemples de gestion de ressources communes Törbel est un petit village suisse du canton du Valais qui possède des règles locales de gestion de certaines ressources communes (forêts, prés, systèmes d’irrigation…) qui remontent au XIII e siècle. Ainsi, une règle « hivernale », encore en vigueur, stipule qu’aucun citoyen ne doit conduire plus de vaches au pâturage qu’il ne peut en nourrir l’hiver. L’infraction à la règle entraîne de substantielles amendes perçues par un officiel local qui peut en garder pour lui la moitié. Une association, comprenant tous les propriétaires de bétail, et dont les statuts sont votés par tous les citoyens du village, discute annuellement des règles de gestion et de l’élection des officiels chargés de veiller à l’application de la régulation. Ce type de régulation est présent dans de nombreux autres villages suisses, mais on le trouve aussi au Japon où près de 3 millions d’hectares de forêts et de prés de montagne non cultivés sont encore aujourd’hui gérés sur ce mode. En Espagne, on nomme huertas des zones d’irrigation bien délimitées autour ou proches des villes. Ces huertas sont gérées par des institutions qui définissent les droits d’accès à l’eau, les modes d’élection des gérants et les sanctions pour nonrespect des règles. À Valence, par exemple, chaque canal d’irrigation est géré par un syndic, élu par les paysans
Exclusion difficile Exclusion facile
possédant des terres irrigables. Ces syndics participent chaque semaine au tribunal de Las Aguas, qui traite les conflits d’usage et définit les sanctions et dédommagements correspondants, en fonction des règles d’allocation de l’eau du canal concerné. Les règles de base sont fonction des conditions environnementales caractérisant la disponibilité de la ressource : abondance, rareté, sécheresse exceptionnelle. Dans le cas le plus fréquent, celui de la rareté, l’ordre de distribution de l’eau est fixé à l’avance et le fermier dont c’est le tour peut se servir autant qu’il le souhaite. Bien que l’incitation à prendre de l’eau en dehors de son tour puisse paraître forte, les infractions relevées sont faibles (ainsi, pour la huerta de Castellon, le taux d’infractions est estimé inférieur à 3 %), montrant une bonne efficacité du système. Enfin, on trouve aux Philippines des systèmes d’irrigation, les zanjeras, qui comme les huertas donnent un rôle central à de petites communautés de fermiers qui déterminent leurs propres règles, choisissent leurs gérants, surveillent et entretiennent leurs installations. Ces modes de gestion ont tous pour caractéristique d’avoir évité la surexploitation de la ressource concernée sur le long terme. Si l’exemple de Törbel remonte au XIIIe siècle, les huertas datent du XVe et les premières zanjeras du XVIIe siècle, indiquant que la « tragédie des biens communs » n’est pas une fatalité.
Faible rivalité
Forte rivalité
Biens publics Biens de club
CPR Biens privés
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L’approche économique traditionnelle des CPR consiste à considérer que la société développera un régime de libre accès à une ressource abondante (donc bon marché) et/ou ayant des coûts de gestion élevés, tandis que l’appropriation privative et le marché seront les réponses adéquates à l’allocation la plus efficace d’une ressource se raréfiant. Ainsi, les ressources halieutiques, présumées abondantes et perçues comme telles au moins jusqu’aux années 1970, relevaient du régime de libre accès, et la prise de conscience de leur épuisement progressif a vu la mise en place de politiques de régulation s’appuyant sur le marché (voir le chapitre IV). Ostrom (et d’autres) montre que le marché et la propriété privée ne sont pas les seules réponses institutionnelles possibles à cette rareté croissante. Des utilisateurs d’une CPR peuvent se mettre d’accord sur des règles d’usage de la ressource qui soient bénéfiques à tous et limitent le risque de surexploitation qui conduirait à la tragédie des biens communs. En étudiant les nombreux cas de gestion réussie de CPR dans le monde, les chercheurs se rattachant à cette approche soulignent que les institutions mises en place dans ce but doivent permettre que les utilisateurs s’engagent à suivre des règles satisfaisant cinq principes : — définir ceux qui sont autorisés à utiliser la CPR ; — préciser les liens entre les caractéristiques spécifiques de la CPR et la communauté des utilisateurs. Par exemple, une association d’irrigation a des règles qui spécifient comment un fermier peut en devenir membre, quelles qualifications il doit avoir pour être éligible à une responsabilité en son sein, et l’état de la ressource justifiant une régulation (situation de sécheresse par exemple) ; — faire élaborer les règles (au moins en partie) par les utilisateurs eux-mêmes ; — faire mettre les règles en application par des individus responsables devant les utilisateurs ; — définir des sanctions graduées pour ceux qui ne les respecteraient pas. Enfin, il faut noter que les institutions qui obtiennent de bons résultats sont rarement soit uniquement privées, soit uniquement publiques. Tout au contraire, elles sont, le plus souvent, un « mélange » complexe des deux types qui défie la classification dans ces deux catégories extrêmes. Par exemple, en Californie, la gestion d’un réservoir naturel d’eau (Raymond Basin) s’est mise
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en place après des négociations entre les différentes villes utilisatrices (à l’instigation de Pasadena, la plus importante) pour aboutir, en 1984, à un jugement créant un comité de gestion, le Raymond Basin Management Board, composé de représentants des utilisateurs et du Département des ressources en eau de Californie. L’accès à la ressource se fait au moyen de permis négociables, sans que la ressource soit privatisée, et le Département des ressources en eau se voit attribuer un pouvoir de contrôle. Enfin, les coûts de gestion sont partagés entre les utilisateurs et les pouvoirs publics. Ces différentes innovations institutionnelles n’auraient pu avoir lieu sans l’aide du Département des ressources naturelles de Californie et de l’US Geological Survey, qui a fourni des études sur la structure géologique de la Californie du Sud. Il faut aussi souligner l’importance dans le processus de négociations de l’institution judiciaire, sans laquelle la définition des droits d’accès à la ressource n’aurait pas obtenu la légitimité nécessaire pour qu’ils soient acceptés par les utilisateurs.
IV / Les ressources renouvelables en pratique
L
e chapitre précédent était, pour l’essentiel, consacré à présenter les bases de la théorie économique des ressources renouvelables. Le point de vue adopté était donc principalement normatif, visant à donner des règles de gestion en fonction d’objectifs bien définis (maximisation du profit et/ou préservation de la ressource). Ce chapitre adopte au contraire un point de vue positif et s’attache à traiter des problèmes et des solutions qui ont été mises en place (ou qui tentent de l’être) pour réguler l’usage de certaines ressources renouvelables.
Les ressources halieutiques Les ressources halieutiques sont entièrement consacrées à l’alimentation. La production mondiale, qui a dépassé les cent millions de tonnes en 2001, était destinée pour 75 % à la consommation humaine et pour 25 % à la fabrication d’aliments pour les élevages porcins et l’aquaculture. Le secteur emploie près de trente-cinq millions de personnes, mais plus de deux cents millions en dépendent, soit par des liens familiaux, soit par leur emploi dans des industries et activités connexes. C’est un secteur en crise, de nombreuses espèces étant menacées d’extinction à cause d’une surexploitation des stocks. Le problème essentiel posé par ces ressources est celui d’un retour à une exploitation qui ne menace pas leur caractère renouvelable. Une régulation efficace des pêcheries est donc indispensable, ce qui nécessite une bonne connaissance de l’état des stocks et de l’effort de pêche. Des statistiques non fiables impliquent, en
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effet, une baisse de confiance dans la capacité des gestionnaires des pêches à faire leur travail, et ce aussi bien de la part des pêcheurs que du public. État des stocks et effort de pêche L’essentiel du suivi statistique des captures et de l’état des stocks est assuré par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) (deux autres organismes interviennent également dans ce suivi : le Conseil international pour l’exploration de la mer, CIEM, et l’International Commission for the North-West Atlantic Fisheries, ICNAF). Les principaux indicateurs de l’état d’un stock sont la capture et l’effort de pêche [FAO, 2001]. La capture est exprimée en tonnes et s’évalue à partir de l’examen des livres de bord des pêcheurs, des ventes aux principales criées, de campagnes spécifiques de comptage sur des chalutiers spécialement équipés (sonars…) et de modèles théoriques où ces données sont interprétées. L’effort de pêche correspond à l’ensemble des moyens mis en œuvre par les pêcheurs pour la capture d’une quantité donnée durant une période déterminée. Il s’exprime en temps de pêche, longueur de filet, taille des mailles, nombre d’hameçons… Le tableau ci-dessous donne (en millions de tonnes) l’évolution de la production des pêcheries maritimes pour quelques espèces dans le monde. 1950
1960
1970
1980
1990
1 203 212
1 318 726
1 087 951
1 221 409
973 694
Morues, 3 266 851 merlus, églefins
4 766 431 10 482 650 10 690 670 11 589 920
9 224 573
Poissons 1 053 762 côtiers divers
1 752 082
7 055 248
Flets, flétans, soles
450 030
3 297 604
4 385 466
4 829 959
2001
Harengs, 5 001 046 10 065 520 21 341 530 15 464 050 22 228 170 20 460 640 sardines, anchois Source :
LES
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EN
PRATIQUE
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Ce tableau indique bien la pression croissante sur les ressources halieutiques depuis les années 1950, mais comment juger de l’existence ou non d’une surexploitation ? D’un point de vue économique, on a vu qu’on pouvait parler de surexploitation si le niveau de capture à l’équilibre était supérieur à celui que déciderait un propriétaire unique. Toutefois, la FAO se réfère plutôt à la production maximum équilibrée (PME) pour juger de la surexploitation, un stock étant considéré surexploité si la production est supérieure à sa PME. La PME étant supérieure à la production optimale, les statistiques disponibles présentées selon les critères de la FAO tendent à sous-estimer le phénomène de surexploitation. L’état de la surexploitation des stocks. — Les évaluations les plus récentes de l’état des stocks, réalisées par la FAO, datent de fin 1999. On identifiait 590 types de stocks, avec des informations sur 441 d’entre eux. Ces statistiques doivent être prises avec précaution, d’une part, parce qu’elles ne recouvrent pas l’ensemble des stocks et, d’autre part, parce que ceux-ci sont en réalité des conglomérats de stocks (et souvent d’espèces). Elles sont cependant confirmées par des enquêtes conduites à des échelles plus fines et on peut considérer qu’elles donnent une bonne approximation des tendances mondiales. Les stocks sont classés en six catégories selon leur situation, en termes de biomasse et de pression de pêche, par rapport aux niveaux de PME. Les stocks sous-exploités (U) et modérément exploités (M) peuvent produire davantage à condition d’augmenter l’effort de pêche (ce qui ne veut pas dire que c’est souhaitable). Les stocks pleinement exploités (F) sont, par définition, à des niveaux proches de leur PME. Les stocks classés (O) sont surexploités et ceux classés (D) épuisés. Enfin, les stocks classés (R) sont en reprise, c’est-à-dire qu’ils sont très inférieurs à leurs niveaux antérieurs. En principe, l’effort de pêche y a été réduit, mais il est possible qu’ils continuent néanmoins à baisser, par exemple s’ils sont exploités de manière indirecte, en tant que captures accessoires dans une autre pêcherie. La régulation s’impose pour tous les stocks de type F, O, D et R. Le diagramme suivant présente les statistiques disponibles. Compte tenu de son critère de surexploitation, la FAO considère que si 75 % des stocks nécessitent une modification de l’effort de pêche, 72 % sont encore capables de fournir leur PME.
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NATURELLES
État des stocks en 1999
Source : <www.fao.org>
En fait, c’est au moins 75 % des stocks sur lesquels on a des informations qui doivent faire l’objet de mesures rigoureuses de diminution de l’effort de pêche. La surexploitation varie fortement d’une zone d’exploitation à l’autre. Elle concerne 41 % des stocks dans le Pacifique Centre-Est qui est le moins touché et 95 % dans l’Atlantique Centre-Ouest qui l’est le plus. Globalement, dans la plupart des régions, au moins 70 % des stocks sont surexploités. Les tendances d’évolution existantes confirment l’importance de la surexploitation. Depuis 1974, les stocks U et M ont régulièrement diminué, quand ceux de types O, D et R passaient de 10 % au début des années 1970 à près de 30 % à la fin des années 1990. L’ensemble de ces statistiques traduit bien l’importance de la régulation de l’effort de pêche, ce qui suppose d’en avoir une estimation. L’effort de pêche. — On peut d’abord le mesurer par l’évolution du nombre de pêcheurs. L’emploi dans ce secteur a continuellement augmenté dans de nombreux pays au cours des trente dernières années, comme le montre le tableau ci-contre donnant le nombre de pêcheurs dans le monde en milliers. Les pêcheurs asiatiques représentent à eux seuls 85 % du total mondial, suivis des pêcheurs africains (7,5 %). Le taux moyen d’augmentation du nombre de pêcheurs a été de 2,2 % par an depuis 1990 (contre 7 % en aquaculture, principalement en Asie et tout particulièrement en Chine). Cependant, l’emploi a baissé dans les économies développées comme le Japon ou la Norvège, où la pêche est à forte intensité capitalistique.
LES
Afrique Amérique du Nord et centrale Amérique du Sud Asie Europe Océanie Total
RESSOURCES
RENOUVELABLES
EN
PRATIQUE
1970
1980
1990
2000
1 360 408
1 553 547
1 917 767
2 585 751
492 9 301 682 42 12 285
543 13 690 642 62 17 036
769 23 656 654 74 27 837
784 29 509 821 86 34 536
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Source : <www.fao.org>
Cependant, l’effort de pêche ne dépend pas seulement du nombre de pêcheurs, mais aussi des moyens utilisés pour la capture et du temps passé en mer. L’estimation la plus récente de la flotte mondiale de pêche recensait environ 1,3 million de navires pontés et 2,8 millions non pontés, dont 65 % sans moteur. Le tableau ci-dessous donne en pourcentage la répartition de ces navires selon les régions. Pontés
Afrique Amérique du Nord et centrale Amérique du Sud Asie Europe Océanie Total
Non pontés à moteur
Sans moteur
1 4,5
16 21
nd nd
0,8 84,6 8,9 0,2 100
6 51 3 3 100
nd 83 nd nd 100
Source : <www.fao.org> (NdA : non disponible).
La flotte mondiale a augmenté jusqu’à la fin des années 1980 et le nombre de navires pontés est stable autour de 1,2 million depuis 1990. Il n’y a pas d’indications sur les évolutions de la flotte depuis 1998, mais on sait que la flotte de pêche de la Communauté européenne est passée de 100 085 unités en 1985 à près de 96 000 en 2000. Toutefois, 99 % de la flotte mondiale est composée d’embarcations de petite taille, le reste constituant la flotte industrielle qui représente plus de 50 % de la capacité de pêche mondiale.
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Et la baisse du nombre de bateaux, même associée à la limitation des jours de pêche, ne signifie pas nécessairement la baisse des captures. En effet, devant les politiques de régulation mises en place, qui toutes consistent en une tentative de réduction de l’effort de pêche, les pêcheurs investissent dans des technologies plus efficaces pour accroître leur productivité. Les bateaux les plus performants sont de véritables usines flottantes, pouvant atteindre la taille d’un terrain de football et recourant à des moyens électroniques sophistiqués ou à l’hélicoptère pour la localisation des bancs de poissons. Le contrôle de l’effort de pêche est donc très difficile, nécessitant soit la régulation de nombreux paramètres (temps passé en mer, puissance des bateaux, moyens techniques de pêche), soit celle de la prise annuelle. Un bon exemple des problèmes posés par la première voie est donné par la pêche aux homards, par les pêcheurs des îles de la Madeleine, dans l’Atlantique. Au nombre de 325, chacun d’entre eux pêche avec 300 casiers pendant neuf semaines. Pourtant, malgré ces limitations strictes, on s’est aperçu que, à partir de 1975 et jusqu’au début des années 1990, les débarquements de homards augmentaient régulièrement. Face à la régulation qui leur était imposée, les pêcheurs ont joué sur les facteurs qui n’étaient pas réglementés. Ils ont ainsi modifié leurs bateaux (taille, puissance, robustesse) et utilisé des systèmes de navigation électronique et des sondeurs couleur qui les ont rendus plus mobiles, leur permettant de passer d’une pêche d’interception à une pêche de poursuite. Ils ont également modifié leurs casiers (taille, poids, anneau d’entrée, proportions, design) et leur méthode de pêche (place des casiers sur les lignes, positionnement stratégique). L’ensemble de ces transformations a ainsi contribué à l’augmentation des captures, et on conçoit qu’il soit difficile de contrôler la totalité des paramètres impliqués. C’est sans doute la raison pour laquelle le contrôle de la prise annuelle a été la mesure de gestion la plus largement utilisée. Elle n’en présente pas moins ses propres difficultés, liées en particulier aux déclarations délibérément erronées ou aux non-déclarations des pêcheurs opérant légalement et à la présence de pêche illégale, un problème critique dans les pays développés et dans les pêcheries internationales, aux dires de la plupart des gestionnaires.
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Les politiques de régulation Comme toutes les politiques de ce type, elles se composent d’une part de l’édiction de règles définissant la quantité de poissons qui peut être prise, par qui et par quels moyens, où et à quel(s) moment(s), et, d’autre part, de la mise en place de contrôles a priori et/ou a posteriori du respect de ces règles. À l’heure actuelle, ces politiques rencontrent plus de difficultés que de succès, comme le montre d’une manière générale l’état des stocks. La politique commune de pêche (PCP) de la Communauté européenne est une bonne illustration de cette situation. Prévue dès le traité de Rome en 1957, elle repose sur quatre volets dont les bases ont été posées en 1983. Le premier concerne la conservation des ressources et vise à limiter l’effort de pêche. Chaque année sont fixés des totaux admissibles de capture (TAC) pour 120 stocks de poissons en Atlantique, en mer du Nord, dans la Manche, la Baltique et la Méditerranée. Les TAC sont ensuite répartis en quotas nationaux en fonction de références historiques (principe du « grand-parentage ») et complétés par des mesures techniques (réglementation des engins de pêche, établissement de périodes de pêche, fixation de tailles minimales de capture…). Le deuxième volet consiste en programmes d’orientation pluriannuels (POP), prévoyant en particulier des réductions de capacité assorties d’aides financières. Le troisième volet est l’organisation commune des marchés, fixant un régime commun des prix et permettant le retrait d’une partie de la production si les prix chutent en deçà d’un certain seuil. Enfin, le quatrième volet porte sur la négociation des accords de pêche avec des pays tiers. Les résultats de cette politique sont jugés décevants par la Commission de l’Union européenne elle-même. Parmi les raisons invoquées, on trouve au premier rang la difficulté des contrôles de l’effort de pêche et l’amélioration de l’efficacité de leurs bateaux par les pêcheurs. Le fait que ces derniers ne soient pas assez associés à la définition de la PCP la transforme en une contrainte imposée par la technocratie bruxelloise, ce qui ne contribue pas à faciliter leur adhésion aux mesures conservatoires adoptées. Certains pays ont pourtant réussi, comme l’Islande ou la Nouvelle-Zélande, à réformer leur secteur halieutique en
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diminuant leur capacité de pêche et en imposant des quotas stricts. Du même coup, la rentabilité s’améliore et les stocks se reconstituent. En fait, le diagnostic est simple et tient en peu de mots. Il y a trop de pêcheurs pour pas assez de poissons et une mauvaise coordination internationale pour gérer cette ressource commune (voir encadré sur le thon rouge).
Le thon rouge de l’Atlantique Cette espèce est fortement pêchée, principalement en haute mer. Il existe une organisation régionale d’aménagement des pêcheries concernées qui a compétence pour réglementer sa pêche. Toutefois, cette compétence ne s’applique qu’à ses propres membres et elle n’a en réalité aucun moyen de traiter avec des bateaux battant un pavillon d’État non membre. En effet, en haute mer, un État n’a le droit de contrôler que ses propres bateaux. Or, la plupart des bateaux de pays non membres battent pavillon de petits pays qui s’intéressent peu à la pêche et tiennent des registres ouverts. Ainsi, non seulement ils n’exercent aucun contrôle sur les navires inscrits sur leurs registres, mais ils ne déclarent que peu de captures, les bateaux concernés n’étant pas tenus de déclarer et de débarquer leurs captures dans l’État du pavillon. Il en résulte une grande incertitude sur les quantités pêchées, et la régulation de la pêche en est fortement compliquée. Une solution a été trouvée par la Commission internationale pour la
conservation des thonidés de l’Atlantique (CICTA). Tout thon rouge importé dans l’un des pays membres de la CICTA doit être accompagné d’un certificat identifiant le pays d’origine. On a pu ainsi enregistrer les captures des navires des pays non membres et s’apercevoir qu’elles représentaient jusqu’à 30 % de la capture totale. La menace d’une éventuelle interdiction des exportations de thon rouge pour ces pays les a conduits soit à adhérer à la CICTA, soit à exercer un contrôle sur leurs navires. Cependant, comme les propriétaires de navires qui ne voulaient pas respecter ces mesures pouvaient changer de registres ouverts, certains pays comme le Panama, le Honduras ou Belize ont accepté ces navires sur leurs registres. Et ce, bien que la Communauté européenne ait interdit les importations de thons rouges en provenance de ces pays en 2001. L’initiative de la CICTA a ensuite été imitée par d’autres organismes de régulation, comme la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR) ou les membres du Programme international de conservation des dauphins (APICD).
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La forêt Contrairement aux ressources halieutiques, la forêt se caractérise surtout par sa multifonctionnalité : production (bois et produits non ligneux), biodiversité, protection des sols, cycle de l’eau et du carbone, tourisme… Il y a huit mille ans, elle couvrait la moitié de la surface terrestre [Ball, 2001]. Les statistiques de la FAO indiquent que, en l’an 2000, elle ne couvrait plus que 3 869 millions d’hectares, soit 30 % de la surface du globe. Durant la dernière décennie du XX e siècle, la forêt a perdu 9,4 millions d’hectares, se décomposant en 14,6 millions d’hectares de déforestation et 5,2 millions d’hectares de forêts nouvelles. Le tableau ci-dessous donne, en millions d’hectares, la répartition des forêts par grandes régions. Région
Afrique Asie Europe Amérique du Nord et centrale Océanie Amérique du Sud Total
Surface de terre
Forêt Plantations % naturelle de terre
Variation % par an de forêt 1990-2000
2 978 3 085 2 260 2 137
642 432 1 007 532
8 116 32 18
22 18 46 26
5,3 0,4 0,9 0,6
17 14 27 14
849 1 755
194 875
3 10
23 51
0,4 3,7
5 23
13 064
3 682
187
30
9,4
100
Source : <www.fao.org>
Si ce tableau donne une photographie de la situation au début du XXIe siècle, il ne traduit pas les évolutions passées. Historiquement, la déforestation a été beaucoup plus importante dans les pays tempérés que dans les pays tropicaux, alors que c’est l’inverse aujourd’hui. Outre les fluctuations climatiques, le principal facteur en a été le développement de l’agriculture, avec un taux de déforestation moyen de deux cent cinquante mille hectares par an. Actuellement, ce sont surtout les forêts primaires, c’est-à-dire celles qui n’ont jamais été exploitées et qui sont évidemment les plus riches en multifonctionnalité, qui subissent le déboisement.
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Cette déforestation concerne essentiellement les forêts tropicales, comme le montre le tableau ci-dessous, qui fait le bilan de l’évolution des forêts naturelles de 1990 à 2000 (en millions d’hectares). Déforestation
Conversion en plantations
Expansion naturelle
Changement net
14,2 0,4 14,6
1,0 0,5 1,5
+1 + 2,6 + 3,6
14,2 + 1,7 15,9
Forêt tropicale Forêt non tropicale Total Source : <www.fao.org>
Si la culture sur brûlis et la production de bois de feu jouent un rôle dans cette déforestation, la principale cause en est aujourd’hui l’exploitation forestière, souvent illégale. En 1992, la Conférence sur l’environnement et le développement des Nations unies a adopté des principes visant à tenir compte de la multifonctionnalité de la forêt, faisant référence au développement durable tel qu’il avait été défini dans le rapport Bruntland (cette notion est maintenant tellement répandue dans les discours publics que nous nous dispensons ici de la préciser davantage, renvoyant le lecteur au chapitre V pour une discussion approfondie). Une des conséquences principales de cette conférence a été le démarrage de processus de certification, visant à développer des critères et des indicateurs pour évaluer la gestion durable de la forêt, tant aux niveaux local et national qu’international. Fin décembre 2000, il existait neuf initiatives d’élaboration de critères et d’indicateurs concernant 149 pays, participant à au moins une d’entre elles : la Paneuropéenne, Montréal, Tarapoto, Dry Zone Africa, Near East, Lepaterique, Dry Forest Asia, et des actions initiées par l’ITTO (International Tropical Timber Organization) et l’ATO (African Timber Organization). Si ces initiatives ont chacune leurs spécificités, elles ont une approche commune et des objectifs similaires, concernant en particulier la recherche de critères sur l’extension des ressources forestières, la biodiversité biologique ou les bénéfices socio-économiques. Les différences entre les pays concernés sont cependant très importantes, beaucoup d’entre eux étant limités par l’absence de personnel compétent ou de moyens institutionnels pour
LES
RESSOURCES
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recueillir et analyser les informations nécessaires. Le tableau ci-dessous donne le nombre de pays qui participent à ces initiatives. Région
Nombre total de pays
Nombre de pays participants
Initiatives
Afrique
56
46
Near East, Dry Zone Africa, ATO, ITTO
Asie
49
36
Near East, Dry Forest Asia, ITTO, Montréal, Paneuropéenne
Océanie
20
5
Europe
41
40
Near East, Montréal, Paneuropéenne
Amérique du Nord et centrale
34
11
Lepaterique, Montréal, ITTO
14
11
Tarapoto, ITTO, Montréal
213
149
Amérique du Sud Total
Montréal, ITTO
Source : <www.fao.org>
Il faut toutefois relativiser les données de ce tableau. Si 97 pays, dont tous les grands pays industrialisés, participent à ces initiatives et fournissent des informations au niveau national sur leur gestion forestière, c’est encore loin d’être le cas pour de nombreux pays en développement, même si certains en font formellement partie. En Asie, des informations au niveau national sont données par 21 des 49 pays concernés, ce qui représente 30 % de la surface forestière. En Afrique, la situation est encore moins bonne. Seuls sept pays, soit moins de 3 % de la surface forestière, donnent de telles informations. Sur l’ensemble des pays non industrialisés, 123 millions d’hectares, représentant moins de 6 % de leurs forêts, sont concernés par un plan de gestion, approuvé sur une base nationale, pour une période d’au moins cinq ans. Si les critères et les indicateurs sont des moyens, dans un pays ou pour une forêt donnés, sur une certaine période de temps, pour mettre en place et évaluer une gestion forestière durable, la
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certification est un instrument de marketing utilisé par les propriétaires forestiers pour signaler la réussite de leur gestion. Il existe aujourd’hui de nombreuses procédures de certification, tant aux niveaux régional et national qu’international. Celles-ci concernent surtout les forêts exploitées pour la production de bois. Le tableau ci-dessous donne, par grandes régions et en milliers d’hectares, les surfaces de forêt certifiées fin 2000. Région Afrique Asie Océanie Europe Amérique du Nord et centrale Amérique du Sud Total
Surface forestière certifiée 974 158 410 46 708 30 916 1 551 80 717
Source : <www.fao.org>
Ces chiffres sont sans doute décevants, mais il faut souligner, d’une part, que la surface forestière bien gérée n’est pas réduite aux forêts certifiées et, d’autre part, que la situation s’améliore rapidement. Une étude, réalisée par l’ITTO en 1988, n’estimait qu’à un million d’hectares, dans 17 pays, les forêts tropicales bien gérées pour la production de bois [Poore et al., 1989]. Fin 2000, dans ces mêmes pays, 35 millions d’hectares faisaient l’objet d’un plan formel de gestion et 1,7 million étaient certifiés. On peut aussi citer le Forest Stewardship Council (FSC) qui certifie quarante millions d’hectares à la fin 2003, dont plus de dix millions nouveaux pour cette seule année. Ou encore les dix-neuf pays européens pour lesquels une information est disponible sur les forêts closes faisant l’objet d’un plan et dont la proportion était de 64 %, 71 % et 95 %, respectivement en 1980, 1990 et 2000. Il n’en reste pas moins que, malgré les progrès accomplis, la gestion forestière durable reste davantage un vœu qu’une réalité.
LES
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Le Programme européen des forêts certifiées En 1993, la Conférence interministérielle d’Helsinki pour la protection des forêts en Europe définit la gestion forestière durable comme « la gérance et l’utilisation des forêts et des terrains boisés, d’une manière et à une intensité telles qu’elles maintiennent leur diversité biologique, leur productivité, leur capacité de régénération, leur vitalité et leur capacité à satisfaire, actuellement et pour le futur, les fonctions écologiques, économiques et sociales pertinentes, aux niveaux local, national et mondial, et qu’elles ne causent pas de préjudices aux autres écosystèmes ». Cette définition est alors traduite dans les six « critères d’Helsinki » : — conservation et amélioration des ressources forestières et de leur contribution aux cycles mondiaux du carbone ; — maintien de la santé et de la vitalité des écosystèmes forestiers ; — maintien et encouragement des fonctions de production des forêts ;
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— maintien, conservation et amélioration de la diversité biologique dans les écosystèmes forestiers ; — maintien et amélioration des fonctions de protection de la gestion des forêts (notamment vis-à-vis des sols et de l’eau) ; — maintien d’autres bénéfices et fonctions socio-économiques. En juillet 1998, après la Conférence de Lisbonne sur la protection des forêts, à l’initiative de propriétaires forestiers de six pays européens, les industriels de la filière forêt-bois, les associations de protection de la nature, les consommateurs, les pouvoirs publics… réfléchissent à un système de certification de la gestion forestière durable. Le 30 juin 1999, l’association Pan European Forest Certification Council est créée à Paris par douze pays : Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, France, Irlande, Norvège, Portugal, République tchèque, Suède, Suisse. Ils seront ensuite rejoints par la Lettonie, le Danemark et l’Italie. Fin 2002, elle compte seize pays européens membres, plus le Canada et les États-Unis, et attend l’entrée de huit nouveaux pays.
Le climat Le climat n’est pas à proprement parler une ressource renouvelable au sens où nous avons défini ce concept. Il n’existe pas sous la forme d’un stock ayant une capacité naturelle de régénération, mais il est le résultat de processus complexes, dont certains sont naturels, comme les cycles de l’eau et du carbone, et d’autres, comme la pollution, d’origine humaine. S’il peut être très différent d’une région à une autre, la fin du XXe siècle a vu émerger, au niveau de la planète, le problème global dit de l’« effet de serre », qui place l’humanité devant des choix qui peuvent s’analyser dans le cadre de la gestion des ressources renouvelables.
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L’effet de serre Les gaz à effet de serre (gaz carbonique, méthane, protoxyde d’azote, hydrofluorocarbones, hydrocarbures perfluorés et hexafluorure de soufre) retiennent une partie du rayonnement solaire réfléchi par la terre et contribuent à maintenir à sa surface une température suffisante pour permettre le développement de la vie. En leur absence, celle-ci serait aux alentours de moins 20 ºC. Ces gaz à effet de serre (GES) s’accumulent dans l’atmosphère et l’accroissement de cette concentration s’accompagne d’une élévation de la température. En 1988, à l’initiative de l’Organisation météorologique mondiale et du Programme des Nations unies pour l’environnement, est créé le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Celui-ci a pour mission de faire le point sur les connaissances scientifiques concernant les processus d’interaction entre les émissions et les concentrations de GES, les scénarios d’évolution des émissions à long terme, les effets des concentrations sur les phénomènes climatiques, l’incidence de ces phénomènes, les possibilités techniques de prévention et d’adaptation des sociétés humaines, les conséquences socio-économiques et écologiques de politiques caractérisées par une répartition temporelle différente des efforts de maîtrise des émissions. Les conclusions de son troisième rapport [GIEC, 2001] sont claires : les concentrations de GES se sont accrues de façon significative depuis le début de l’ère industrielle, ce phénomène excède la variabilité naturelle et il est attribuable à l’activité humaine ; sur la base de la compréhension théorique du climat (les lois de la physique), la modélisation climatique conclut au diagnostic d’un réchauffement, en moyenne, du climat de la Terre et à la possibilité d’importantes perturbations dues notamment à la rapidité avec laquelle le changement se produit. Selon les simulations climatiques, la température moyenne globale de surface pourrait s’élever de 1,4 à 5,8º C en 2100 par rapport à 1990, principalement du fait des émissions de GES. Fonte des glaces, montée des eaux, progression des déserts, bouleversement du cycle de l’eau et du régime des précipitations, croissance en fréquence et en intensité des événements climatiques extrêmes (cyclones, tempêtes, canicules…) sont quelques-unes des conséquences attendues de ces rejets. Il existe, bien entendu, de nombreuses incertitudes sur les mécanismes à
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l’œuvre et l’ampleur réelle des changements à venir et de leurs impacts, mais elles n’ont pas empêché la communauté internationale, dès 1992 avec la convention-cadre sur le changement climatique de Rio, de mettre en place une coordination planétaire visant à réduire les émissions de GES. Il s’agit en effet du problème inverse de celui de la gestion d’une ressource renouvelable, où l’on cherche à préserver un stock de l’extinction en choisissant un taux de prélèvement adéquat. Ici, le stock (de GES résidant dans l’atmosphère) est au contraire à ne pas trop augmenter, à cause des conséquences nocives qu’il implique, ce qui suppose de réduire de façon importante les flux annuels d’émissions qui contribuent à le faire grossir. Et, de même que le choix d’un taux de prélèvement modifie les coûts d’extraction de la ressource, celui d’un taux de réduction modifie les coûts de production des secteurs où ces réductions sont faites. La mobilisation internationale Le problème posé par l’accentuation de l’effet de serre, suite à la croissance des émissions de GES, n’est donc pas formellement différent de celui de la gestion durable d’une ressource renouvelable. Même s’il existe des différences (l’impact climatique des émissions de GES est indépendant de leur localisation, la variation des flux d’une année sur l’autre est bien moindre, le problème est planétaire), il partage même beaucoup des caractéristiques des ressources halieutiques en haute mer : absence de droits de propriété bien définis, interdépendance des décisions, risques d’irréversibilité, incertitude, asymétries d’information… qui rendent à la fois indispensables et difficiles les négociations entre les parties concernées. Notre propos, dans cette section, n’est pas de faire l’histoire de la mobilisation internationale contre l’effet de serre [le lecteur intéressé par cette question pourra consulter Faucheux et Noël, 1990, et le rapport de Guesnerie, 2003], mais de présenter, dans le cas du climat, les solutions qui sont progressivement mises en place pour tenter de résoudre ce problème. Les engagements ont été pris en deux temps. À Rio en 1992, les pays industrialisés ont pris l’engagement de faire leur possible pour ramener leurs émissions de GES en 2000 à leur niveau de 1990, mais aucun instrument particulier n’a été mis en place pour atteindre cet objectif. Constatant l’échec de cette approche
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« de bonne volonté », les pays signataires ont voulu signer un protocole plus contraignant quant aux moyens à mobiliser par chacun. C’est ainsi que l’on a débouché sur le protocole de Kyoto en 1997. Ce dernier prévoit que les pays industriels identifiés dans l’annexe B du protocole (OCDE, pays d’Europe centrale en transition, Russie, Ukraine) aient réduit en moyenne, sur la période 2008-2012, leurs émissions de GES d’environ 5 % par rapport à leur niveau de 1990. Des objectifs individuels de réduction ont été définis pour chaque pays : les pays membres de l’Union européenne se sont engagés sur – 8 % (avec une nouvelle répartition interne allouant, par exemple, 0 % à la France, – 25 % à l’Allemagne ou + 17 % à l’Espagne), les États-Unis sur – 7 %, le Japon et le Canada sur – 6 %, la Russie sur 0 % et l’Australie sur + 8 %. La solution négociée consiste donc en une restriction quantitative qui est l’équivalent des TAC de la régulation des ressources halieutiques, la grande nouveauté consistant dans la possibilité du commerce des quotas attribués à chaque pays. Un marché de permis négociables. — L’année 2008 devrait donc voir la mise en place du premier marché international de permis négociables. De tels marchés existent déjà sur une base nationale, les plus connus concernant le plomb dans l’essence, le dioxyde de soufre (SO 2 ) et les oxydes d’azote (Nox) aux États-Unis. Pour les GES, un marché fonctionne au Royaume-Uni depuis avril 2002 et le Danemark a créé un marché pour le CO2 en 2000. En 2005, en application d’une directive adoptée en 2003, entrera en vigueur un marché européen des quotas d’émission de CO2 avec les secteurs industriels les plus émetteurs. Ce marché couvrira 46 % des émissions européennes de CO2 et devrait être étendu aux autres gaz en 2008. Les pays qui signent le protocole de Kyoto acceptent donc de limiter leurs émissions de GES. Pour donner de la souplesse au système et permettre d’abaisser les coûts de réduction, quatre mécanismes de flexibilité sont prévus : un échange de quotas entre pays, constituant le marché de permis proprement dit ; deux formes d’échanges de crédits obtenus par la certification de réductions d’émissions liées à des projets dans les pays en transition ou dans les pays en développement ; la possibilité de mettre en réserve pour une période ultérieure les droits d’émission non utilisés en 2008-2012. À cela s’est ajoutée ultérieurement la prise en compte limitée des possibilités de fixer le
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carbone atmosphérique à travers, principalement, le développement de la couverture forestière et de certaines cultures (les « puits de carbone »). Le tableau ci-dessous résume les différents moyens prévus par le protocole. L’annexe I regroupe les pays industrialisés et en transition qui ont pris des engagements quantifiés de réduction lors de la signature de la convention de Rio, tandis que l’annexe B regroupe les pays qui se sont engagés effectivement sur des objectifs précis de réduction d’émissions dans le cadre du protocole de Kyoto. Seuls ces derniers pays avaient des obligations de réduction d’émission, ce qui signifie que les pays en développement n’ont pris aucun engagement de cette sorte. Actif créé
Responsabilité institutionnelle
Acteurs impliqués
Périodes de validité
Unité de réduction d’émission ERU (Emission Reduction Unit)
Émission d’un ERU par conversion d’un AAU du pays hôte
Parties de l’annexe I et autres personnes juridiques (entreprises)
À partir de 2008 pour des réductions 2008-2012
Réduction d’émission certifiée CER (Certified Emission Reduction)
Émission d’un CER par le Conseil exécutif après vérification/ certification
Parties de l’annexe I et autres personnes juridiques (entreprises) et parties hors de l’annexe I
À partir de 2002 pour des réductions 2000-2012
Unité de montant alloué AAU (Assigned Amount Unit)
Émission d’AAU par le pays après agrément par l’équipe de revue d’expert de son inventaire 1990
Parties de l’annexe B et autres personnes juridiques autorisées (entreprises)
À partir de 2008
Unité de suppression RMU (Removal Unit)
Émission de RMU par le pays après agrément par l’équipe de revue d’expert de son inventaire
Parties de l’annexe B et autres personnes juridiques autorisées (entreprises)
À partir de 2009
Source : Cros et Gastaldo [2003].
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Pour que l’accord puisse être appliqué, il doit être ratifié par au moins 55 pays représentant au moins 55 % des émissions de GES. En octobre 2004, plus d’une centaine de pays représentant 44,2 % des émissions avaient ratifié le protocole, qui n’était donc pas encore entré en vigueur. Les difficultés de mise en œuvre du marché des permis. — La première difficulté a concerné l’existence même de ce marché. La condition sur le pourcentage des émissions permettant la mise en application du protocole de Kyoto n’est réalisée que depuis novembre 2004. Avant cette date, les principaux nonsignataires étaient les États-Unis, la Russie et l’Australie, représentant respectivement 36,1 %, 17,4 % et 2,1 % des émissions. L’arrivée au pouvoir du président Bush avait complètement modifié la position du gouvernement américain, qui est passée d’une coopération heurtée au retrait à la conférence de La Haye en 2000. De ce fait, seule la Russie avait un taux d’émission suffisant pour faire atteindre la barre des 55 % édictés par le protocole. La décision américaine la mettait ainsi en situation d’arbitre, et ce n’est que quatre ans plus tard qu’elle s’est finalement décidée à la ratification. Mais, même après cette ratification du protocole par la Russie, conduisant à sa mise en vigueur en février 2005 et au démarrage du marché en 2008, il reste plusieurs obstacles à son bon fonctionnement. Un marché de permis négociables ne peut fonctionner que si, d’une part, il est possible de contrôler les déclarations d’émissions des acteurs pour vérifier qu’elles sont en conformité avec le nombre de permis qu’ils possèdent et, d’autre part, que des sanctions crédibles soient applicables en cas de non-respect des règles. Sur le premier point, des protocoles d’inventaire ont été mis au point, et ont été définies les conditions dans lesquelles chaque pays doit établir des rapports réguliers sur sa politique de l’effet de serre, ses émissions et ses mouvements de transferts internationaux de permis. Le second point a été un point important d’achoppement. Les propositions de pénalités financières ont été rejetées, car elles auraient impliqué une perte de souveraineté jugée inacceptable. Il faut dire que l’effet de serre touche à des secteurs sensibles comme l’énergie et les transports. Les solutions trouvées consistent à prévoir une pénalité « en nature » sur les permis de la période suivante, après 2012, à suspendre la capacité d’un pays à
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participer aux transactions comme vendeur de permis et, enfin, à demander à chaque pays de demeurer en possession d’une réserve de permis correspondant au moins à 90 % de ses émissions annuelles. La faiblesse du dispositif de sanction est d’autant plus gênante que la nature même d’un protocole issu d’une négociation entre États souverains le rend fragile et instable. En effet, non seulement aucun pays ne peut être forcé à signer par les autres, mais il existe une forte incitation pour chaque pays à ne pas participer à l’effort commun et ce d’autant plus que les autres sont plus nombreux à participer. C’est le comportement bien connu du « passager clandestin » dû à l’impossibilité d’exclusion de l’usage d’un bien public une fois que celui-ci est disponible. Le recul de l’effet de serre, du fait des efforts de réduction des pays signataires, profitera de toute façon aux autres pays. Enfin, tel qu’il est prévu, le marché qui doit se mettre en place en 2008 n’est qu’une toute première étape pour commencer à affronter le problème de l’effet de serre. Après le retrait américain, les engagements de réduction des émissions ne concernent qu’une part minoritaire des émissions annuelles mondiales. Ce n’est pas suffisant pour réduire durablement le stock de GES dans l’atmosphère. Aller plus loin suppose d’impliquer les pays en développement dans l’effort de maîtrise des émissions, d’autant que c’est dans ces pays que les émissions seront les plus importantes dans le futur, au fur et à mesure de leur développement. On comprend bien que l’approche adoptée à Kyoto pour définir des engagements quantifiés (réduire les émissions en référence à l’année 1990, règle dite du « grand-parentage »), si elle était concevable dans une logique de limitation des coûts et d’acceptabilité politique du protocole entre pays industriels, ne pourrait pas être acceptée par des pays comme l’Inde ou la Chine qui dépassent le milliard d’habitants et dont les émissions totales doivent pouvoir augmenter en fonction de leur croissance. Ces pays militent d’ailleurs pour une distribution attribuant à chaque pays un quota proportionnel à sa population. C’est la question de l’équité des règles d’allocation des permis qui est posée, question difficile sur laquelle nous renvoyons le lecteur intéressé à Godard [1997 et 1999].
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Kyoto, et après ? La mobilisation d’un certain nombre de pays industriels face au risque de changement climatique peut donner lieu à deux types d’interprétations, selon le modèle de la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine. On peut y voir le début de la prise de conscience collective d’une menace pour les générations futures et la mise en œuvre, certes difficile mais réelle, d’actions pour y faire face. On peut aussi mettre l’accent sur les difficultés et regretter que la poursuite des intérêts particuliers à chaque pays, dont les États-Unis donnent un si bel exemple, conduise à tant d’atermoiements et de faux départs. Mais on peut aussi privilégier une lecture de Kyoto comme le premier pas nécessaire (donc limité si on le veut réel) au début d’un processus dont l’objectif essentiel est l’intégration des pays en développement, pour une coopération à la fois efficace et équitable. Comme pour les ressources halieutiques ou la forêt, les incantations au développement durable sont encore loin de déboucher sur une réduction des atteintes à l’environnement qu’elles dénoncent ; mais c’est en 2013, au moment où le premier bilan des réductions réalisées par les pays de l’annexe B sera fait, qu’on pourra mieux juger, à partir du niveau d’engagement des pays en développement, de la réelle volonté de tous à maîtriser l’effet de serre et de nos chances d’y parvenir.
L’eau Il est difficile de caractériser l’eau en tant que ressource naturelle. Si d’un point de vue écologique son cycle, parfaitement connu (évaporation, condensation, retour à la mer), en fait une ressource renouvelable, l’eau douce, celle dont nous dépendons pour les usages domestiques, industriels et agricoles, est plutôt une ressource épuisable. C’est d’ailleurs ainsi que l’a caractérisée la Conférence internationale sur l’eau et l’environnement qui s’est tenue à Dublin en 1992 dans son principe nº 1 : « L’eau douce — ressource fragile et non renouvelable — est indispensable à la vie, au développement et à l’environnement. » Cependant, son caractère épuisable tient moins à ses caractéristiques physico-chimiques propres qu’à la fragilité de son processus de reproduction naturelle. Cette fragilité est due, d’une
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part, aux conflits d’appropriation et/ou d’usages engendrés par son inégale répartition sur notre globe et, d’autre part, aux conséquences des multiples pollutions qu’elle subit. Les ressources d’eau sont donc renouvelables (sauf certaines eaux souterraines), mais avec des différences de disponibilité très importantes selon les régions du monde et des variations considérables, en termes de précipitations saisonnières et annuelles (par exemple, les précipitations en Inde sont concentrées sur quelques semaines avec la mousson). D’un point de vue économique, l’eau potable est théoriquement un bien public dans les pays riches, puisque le service d’eau est conçu pour être accessible à tous les habitants d’une commune avec un tarif fixé de manière à n’exclure aucun usager et sans rivalité d’usage. Pratiquement, l’exclusion des usagers qui ne paient pas leur facture peut la rapprocher d’un bien de club. Dans les pays en développement, la pratique courante de la connexion illégale au réseau fait de l’eau un bien commun. La majorité de l’eau sur terre est de l’eau de mer, la quantité globale d’eau douce ne représentant que 2,53 % du total. Sur ces 2,53 %, l’eau de surface (lacs et rivières) compte pour 0,3 %, les eaux souterraines pour 29,9 % et les glaciers et les neiges éternelles pour 68 %, le reste correspondant aux mares, zones humides, etc. Le volume global d’eau douce utilisable s’élève ainsi à 12 500 milliards de m3. Ce volume serait suffisant s’il était équitablement réparti, ce qui n’est le cas ni dans l’espace, ni dans le temps. Le tableau ci-dessous donne la disponibilité en eau par grandes zones géographiques par rapport à la population.
Zones Amérique du Nord et centrale Amérique du Sud Europe Afrique Asie Australie et Océanie
Disponibilité en eau 15 26 8 11 36 4
% % % % % %
Population 8 6 13 13 60 1
% % % % % %
Source : site Internet de l’UNESCO/PHI.
Le tableau souligne bien la disparité entre continents et la situation difficile de l’Asie qui ne possède que 36 % des
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ressources alors qu’elle représente 60 % de la population mondiale. Du point de vue des usages, l’agriculture est de loin le secteur le plus consommateur avec 70 % du total, quand les usages industriels en représentent 22 % contre 8 % pour les usages domestiques. Toutefois, les usages industriels augmentent en fonction du revenu des pays et ils représentent 59 % du total dans les pays à revenu élevé et 10 % dans les pays à faible revenu et revenu moyen inférieur. L’augmentation prévue des usages industriels devrait se faire, pour l’essentiel, dans les pays en développement. Sur le plan de la qualité, la pollution affecte de plus en plus les réserves. Environ deux millions de tonnes de déchets (effluents industriels, produits chimiques, engrais, pesticides…) sont déversées chaque jour dans des eaux réceptrices et on estime que la pollution mondiale pourrait atteindre 12 000 km3. Comme trop souvent, ce sont les populations les plus pauvres qui sont les plus touchées, 50 % de la population des pays en développement étant exposée à des sources d’eau polluées. Le développement économique et la croissance démographique devraient accentuer la raréfaction progressive de la ressource et, selon les estimations, c’est 2 à 7 milliards d’individus dans 48 à 60 pays qui devraient souffrir de pénuries d’eau et des maladies qui lui sont liées (paludisme, dengue, infections gastro-intestinales) vers le milieu de ce siècle. C’est pourquoi on parle aujourd’hui de crise mondiale de l’eau et que beaucoup y voient le grand défi de ce début de troisième millénaire. L’enjeu principal : satisfaire la demande La priorité, c’est d’assurer l’accès à l’eau potable pour tous. À l’heure actuelle, 1,1 milliard de personnes n’ont pas d’équipements leur permettant de s’approvisionner en eau et 2,4 milliards n’ont pas accès à des systèmes d’assainissement. Encore faut-il souligner que le taux de raccordement d’une population à un réseau n’est pas synonyme d’accès à l’eau potable car, dans certains cas, l’eau du réseau n’est disponible que quelques heures et avec une pression variable [voir Marie Llorente, 2002, pour le cas de Delhi]. Il est donc nécessaire non seulement de créer des réseaux performants, mais aussi de mettre en place des systèmes
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d’assainissement dans une approche par bassin qui est le niveau adéquat de gestion de la ressource à cause de sa nature de bien collectif. Mais la demande c’est aussi (surtout) celle de demain. Dans les trente prochaines années, on assistera à un doublement de la population urbaine (60 millions supplémentaires par an). Une telle croissance en un laps de temps si court pose des défis nouveaux que n’ont pas eu à relever les pays riches d’aujourd’hui qui ont pu construire et financer leurs réseaux sur des temps beaucoup plus longs et sans explosion démographique. Il y a donc un problème de financement. Ainsi, la Banque mondiale chiffre à 180 milliards de dollars par an jusqu’en 2025 le règlement des problèmes d’eau (tous usages compris : hydroélectricité, eau potable, irrigation…). Toutefois, ces estimations sont obtenues à partir de normes techniques prévalant dans les pays industrialisés et font ainsi l’impasse sur des scénarios ayant recours à d’autres types de technologies, mieux adaptées aux pays en développement. Comme le note Pierre-Noël Giraud [2002], « le modèle des grands réseaux centralisés fournissant 100 % d’eau potable et traitant 100 % des eaux usées sans réutilisation ni réinjection dans les aquifères, qui caractérise les pays riches, en particulier d’Europe, est et restera beaucoup trop cher pour une large partie des populations urbaines du tiers-monde ». Mais s’il est clair que les populations des pays en développement n’ont pas les moyens d’autofinancer les équipements nécessaires, leurs classes moyennes en voie de constitution n’en sont pas complètement dépourvues. Toutefois, devant la mauvaise qualité des services existants, due précisément à leur dégradation par manque d’entretien, elles se réfugient dans des solutions individuelles, pourtant plus coûteuses à la fois pour elles et socialement, pérennisant ainsi la faiblesse du financement dans un cercle vicieux parfait. Il est toutefois vain d’imaginer que les habitants des pays en développement auront une capacité à payer l’eau suffisante pour couvrir les coûts. Ce qui revient à dire que les usages de l’eau dans ces pays seront nécessairement subventionnés, puisqu’il y a subvention dès que le prix payé par l’usager ne couvre pas le coût de fourniture du service, défini comme un coût annuel de fonctionnement et de maintenance auquel il faut ajouter un coût d’amortissement du capital (coût marginal de long terme).
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Généralement, les subventions sont synonymes d’inefficacité, d’une part à cause du gaspillage qu’elles impliquent (l’usager ne reçoit pas le bon signal sur le prix réel de la ressource et a tendance à la consommer excessivement), et, d’autre part, à cause du manque de recouvrement des coûts qui conduit au cercle vicieux dénoncé ci-dessus. Pourtant, les réseaux des pays riches n’existeraient pas sans leur subventionnement par la puissance publique et, si l’OCDE considère que les pays développés recouvrent 100 % de leurs coûts de fonctionnement et de maintenance, ce n’est pas le cas pour les coûts d’amortissement du capital. On voit donc mal comment les pays en développement pourraient s’en passer. Et ce d’autant plus que ces subventions sont sans doute justifiées par l’importance des externalités négatives associées à la mauvaise qualité des réseaux (maladies, décès…). Mais on touche là sans doute au cœur de la crise de l’eau. Quelle(s) solution(s) à la crise de l’eau ? Faire des problèmes (réels) de financement le cœur de la crise de l’eau, c’est mettre l’accent sur la nécessaire intervention des grandes entreprises du secteur et lancer le débat stérile de l’alternative public/privé. Stérile parce que la solution ne peut résider ni dans la seule privatisation, impossible à cause des externalités liées à la ressource, à son caractère de bien public ou commun et à la nécessité des subventions, ni dans la seule gestion publique qui ne peut se passer de la compétence technique des majors de l’eau, qui s’est construite historiquement au sein d’entreprises privées et qu’aucune entreprise publique ne possède actuellement et ne pourrait acquérir rapidement. Cette compétence ne peut s’obtenir qu’au prix « normal » de leurs services et suppose que les pays en développement aient un environnement institutionnel suffisamment stable pour que ces compagnies jugent les contrats qui leur sont proposés d’un risque acceptable. Ainsi, la dévaluation du peso en Argentine en 2001 a coûté à Suez plus de 400 millions d’euros et lui a fait porter l’affaire devant un tribunal arbitral international. Il a par la suite renoncé à plusieurs contrats à l’étranger (Porto Rico, Djakarta, Manille) et la plupart des grands groupes préfèrent investir aujourd’hui en Europe plutôt qu’en Asie ou en Amérique du Sud.
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Il n’y aura pas de solution(s) à la crise de l’eau sans la coopération entre des institutions publiques, crédibles et responsables, qui définissent des règles du jeu claires, et les grands fontainiers apportant leur savoir-faire (optimisation des réseaux, effets d’échelle…). Mais il y faut aussi la participation des usagers dont les modalités d’implication font partie des défis à résoudre. C’est ce dernier volet qui est aujourd’hui largement sous-estimé par les institutions internationales qui ont surtout pensé à une sortie de crise fondée sur le système de la délégation que connaissent les pays développés et qui paraît de moins en moins adapté aux pays en développement. En effet, dans ce système, les collectivités territoriales délèguent la gestion de leurs services d’eau à une entreprise privée ou à un syndicat intercommunal, qui peut lui-même la confier à un délégataire privé. En France, par exemple, les deux tiers des 36 000 communes se sont regroupées au sein d’environ 2 000 syndicats intercommunaux des eaux et plus de 80 % de la population est desservie par une entreprise privée (dont Vivendi – désormais Veolia-Environnement – 43 %, Suez-Lyonnaise 24 % et Saur-Cise – du groupe Bouygues – 10 %). Ce mode de régulation est caractérisé par de nombreuses asymétries d’information qui impliquent des contrôles coûteux qu’un pays en développement peut difficilement mettre en place. Dans cette équation où les trois inconnues sont les rôles de chaque partie (État, collectivités locales comprises, firmes et usagers), il n’existe pas de solution unique, c’est sans doute la seule chose dont on puisse être sûr. Pour le reste, le mieux à faire est d’analyser ce qui se fait et de chercher à en tirer les leçons.
V / Le développement durable
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u’elles soient épuisables ou renouvelables, les ressources naturelles jouent un rôle essentiel dans nos modes de consommation et de production. On a déjà souligné que, dès l’émergence de l’économie comme champ disciplinaire relativement autonome, de grands économistes avaient attiré l’attention sur les limites de la croissance qu’impliquait l’utilisation de ressources naturelles essentielles. Le diagnostic ainsi posé est souvent fondé sur une projection des évolutions passées dans le futur. Un tel exercice repose sur des conditions dont la liste même suffit à ruiner tout espoir de crédibilité de la prévision. Prenons l’exemple du pétrole, ressource stratégique s’il en est en ce début de XXIe siècle, dont on nous annonce l’épuisement avant quelques dizaines d’années. L’épuisement en soi n’est une catastrophe qu’autant qu’aucun substitut ne soit devenu disponible. Ce qui dépend, entre autres, du progrès technique, des prix relatifs d’autres ressources (à 80 dollars le baril, on peut obtenir du pétrole par distillation de charbon et l’épuisement du pétrole ne peut que faire monter son prix), de l’évolution de la demande, d’une évaluation fiable des réserves et des coûts d’extraction, y compris futurs… Une prévision utile, reposant sur une modélisation de l’économie mondiale réaliste, doit donc intégrer la spécification des fonctions de demande et d’offre des principaux biens, des hypothèses sur l’évolution des anticipations des acteurs concernés (présents et futurs), la connaissance des stocks et des coûts d’exploitation, l’estimation des élasticités de substitution entre le pétrole et tous les biens dont l’utilisation a un lien avec lui (par exemple, l’automobile ou le transport aérien), la prise en compte des effets en retour sur l’emploi, donc
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Les mésaventures de la prévision En 1967, Herman Kahn, un des pères de la prospective, et Anthony Wiener publiaient un livre expliquant comment le monde allait se développer d’ici l’an 2000 sur les plans politique, économique, démographique, scientifique et technologique. Ce livre, traduit un an plus tard en français [Kahn et Wiener, 1968], décrivait les scénarios les plus probables auxquels on devait s’attendre dans les trente prochaines années. Mais, au-delà de toutes les précautions oratoires pour prévenir le lecteur des nombreuses erreurs possibles qu’un tel exercice impliquait, deux événements fondamentaux n’avaient absolument pas été prévus, qui rendent caduc l’ensemble du travail. Il s’agit d’une part de la chute du mur de Berlin et de l’éclatement consécutif du bloc soviétique et, d’autre part, de l’avènement de la microinformatique. Il en résulte une vision du monde futur construite sur une logique d’affrontement entre blocs de l’Est et de l’Ouest, renforcée par une informatique hors de portée des individus et nécessitant de plus en plus une gestion centralisée par les États, de par les investissements qu’elle implique.
sur la demande future… tout en priant pour qu’aucune transformation sociétale majeure ne vienne ruiner tout ce travail. On conçoit que, jusqu’à présent, les prévisions de ceux qui se sont risqués à de tels exercices aient toujours été démenties par les faits. À la fin des années 1980, la montée des questions environnementales dites globales (effet de serre, « trou » dans la couche d’ozone, pluies acides…) a contribué à inverser la perspective en remettant en cause l’idée de la nécessité d’une « croissance zéro », pour s’interroger au contraire, de façon plus positive, sur les conditions qui rendraient compatibles croissance et environnement. C’est cette problématique qui a été popularisée sous la dénomination de développement durable que nous allons examiner dans ce chapitre. On peut la dater de 1987, année de la publication du rapport final de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Our Common Future, commission présidée par le Premier ministre norvégien Gro Harlem Brundtland et qui propose de définir le développement durable comme un « développement qui permet la satisfaction des besoins présents, sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs ». Très vite, l’expression a connu un succès extraordinaire, à tel point que, seulement deux ans plus tard, Pezzey [1989] pouvait en dénombrer plus de soixante définitions différentes. Ce succès ne s’est pas démenti par la suite. En 1996, Dobson en
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relève plus de trois cents et il devient difficile depuis de trouver une mesure économique ou politique, qu’elle soit locale, nationale ou internationale, qui ne soit pas justifiée au nom du développement durable. Cet usage intensif de l’expression et l’abondance des définitions qui en sont proposées amènent à se poser la question de l’utilité du concept. Dans ce chapitre, nous allons mettre l’accent sur le développement durable en relation avec l’utilisation de ressources naturelles. Tout d’abord avec les travaux prolongeant ceux d’Hotelling et qui utilisent le cadre formel des modèles de croissance intégrant l’environnement et/ou les ressources naturelles. Cette voie de recherche, dite de la « soutenabilité faible », en francisant directement le terme anglais « sustainable », part du constat que l’idée de développement durable, quelle que soit la définition retenue, suppose toujours que quelque chose doive rester constant dans le temps. Il y a en revanche débat sur la nature précise de ce quelque chose. Ainsi Solow [1993] déclaret-il que, « si la durabilité est un engagement émotionnel et vague de conserver quelque chose dans le long terme, il est très important de comprendre la nature de ce quelque chose ». Nous aborderons ensuite la conception dite de la « soutenabilité forte », où ce sont certains actifs naturels bien définis qui doivent être conservés, en raison de leur caractère irremplaçable. Le développement durable ne se réduit naturellement pas à ces deux approches, même si on les présente souvent comme les deux principaux paradigmes sur ce thème et si des livres entiers sont consacrés à leur présentation, comme celui de Neumayer [2003]. Ainsi, en France, il faut mentionner les travaux d’Olivier Godard qui se réclame d’une « socio-économie qui souligne l’inscription du rapport au milieu naturel et à ses ressources dans des institutions, des cultures, des visions morales […] et leurs modes de coordination » [Godard, 2004]. Dans ce livre consacré aux ressources naturelles, nous en resterons aux deux premières, qui relient directement développement durable et utilisation de ces ressources.
La soutenabilité faible Cette approche du développement durable se caractérise par un haut degré d’abstraction et part d’un critère très général qu’il
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s’agit ensuite de maximiser sous les contraintes qui caractérisent l’économie. Ce sera, par exemple, le niveau de consommation par tête [Pezzey, 1989], le maintien des capacités productives [Solow, 1986], la somme infinie des utilités actualisées [Dasgupta et Heal, 1974] ou encore l’utilité de la génération la « moins bien lotie » [Solow, 1974]. Nous présentons dans la section suivante quelques-uns des modèles les plus représentatifs de cette démarche. L’allocation intertemporelle de ressources épuisables Le point de vue adopté dans tous ces travaux est donc celui dit du «planificateur bienveillant », qui maximise un critère traduisant les préférences d’un consommateur « représentatif », c’est-à-dire ayant les mêmes préférences que tous les autres. Généralement, ces préférences sont représentées par une fonction d’utilité, commune, par hypothèse, à tous les membres de l’économie, et le planificateur bienveillant est censé n’avoir d’autre intérêt que celui de ce consommateur (d’où le qualificatif). La fonction d’utilité est classiquement croissante (plus on consomme, plus on augmente son utilité) mais à un rythme décroissant, ce qui signifie que la consommation d’une unité supplémentaire augmentera moins l’utilité que la consommation de l’unité précédente. Pour utiliser le jargon des économistes, on dira que l’utilité marginale de la consommation est décroissante. Le critère utilitariste. — Il s’agit en fait de la poursuite des travaux d’Hotelling, lequel avait étudié le problème de la maximisation de la somme infinie actualisée des utilités de la consommation quand celle-ci provenait d’une ressource épuisable. L’objectif poursuivi par le planificateur bienveillant est donc la maximisation de l’expression suivante : u(ct) t =+q
S
t=0
(1 + d)t
où u(ct) est l’utilité de la consommation à la date t et d le taux d’actualisation, dont on rappelle la signification ci-après. La question posée par Hotelling était celle du rythme optimal de la consommation, c’est-à-dire du choix de la consommation
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à chaque période qui maximise l’objectif retenu. Sa réponse est de même nature que celle qu’il avait déjà donnée concernant le rythme d’extraction d’une ressource épuisable et qu’on a présentée comme la règle d’Hotelling. Ici, ce n’est pas le prix de la ressource qui doit croître au taux d’intérêt, c’est l’utilité marginale de la consommation qui doit croître au taux d’actualisation. En effet, le consommateur veut bien renoncer à une unité de ressource aujourd’hui à condition d’obtenir 1 + d unités de ressources demain. Le taux d’actualisation d est un taux de préférence pour le présent, puisqu’il mesure la quantité supplémentaire que demande un consommateur pour différer sa consommation. Inversement, si d est nul, cela signifie que le consommateur est indifférent pour la consommation d’une unité aujourd’hui ou demain et donc qu’il n’a pas de préférence pour le présent. L’unité supplémentaire d’aujourd’hui lui procurerait une utilité marginale de u’(ct) et les 1 + d unités de demain, une utilité marginale de u’(ct+1)(1 + d). Si ces deux utilités marginales ne sont pas égales, c’est que le consommateur peut augmenter son utilité en consommant davantage à la période où l’utilité marginale est plus élevée. Il maximise donc son utilité quand elles deviennent égales à chaque instant. On a alors u’(ct+1)(1 + d) = u’(ct), quel que soit t, ce qui se réécrit [u’(ct) – u’(ct+1)]/ u’(ct+1) = d, soit l’égalité entre le taux de croissance de l’utilité marginale et le taux d’actualisation comme annoncé. Mais si l’utilité marginale de la consommation croît, c’est que la consommation elle-même décroît, et ce jusqu’à l’épuisement de la ressource. Dans ce cas, il est clair que rien ne peut rester constant, puisque consommer, même de moins en moins, revient à extraire de la ressource et donc à diminuer le stock restant. Pour introduire la préoccupation du développement durable dans ce cadre, on introduit généralement le stock st de ressource disponible à la date t dans la fonction d’utilité qui s’écrit alors u(ct, st) [Krautkraemer, 1985 ; Heal, 1998]. Cela signifie que le consommateur accorde une valeur à l’existence de la ressource en soi et pas seulement comme bien de consommation. Il apparaît ainsi un problème d’arbitrage entre consommer ou conserver la ressource puisque les deux options procurent de l’utilité. Mis à part cette modification, le modèle reste le même que le précédent : il s’agit de maximiser la somme actualisée des utilités sous la contrainte d’évolution de la ressource. Sous certaines
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hypothèses sur la fonction d’utilité, il est optimal de garder un certain stock de ressource s* strictement positif, la consommation décroissant, puis devenant nulle une fois ce stock atteint. En particulier, l’utilité marginale d’une consommation nulle doit être finie, sinon le consommateur choisirait toujours de consommer un peu, plutôt que de ne pas consommer et de laisser le stock intact. En effet, une unité de ressource consommée lui apporterait une utilité marginale infinie et l’arbitrage entre consommation et conservation se ferait toujours en faveur de la consommation. Cette hypothèse signifie en fait que le consommateur n’est pas « obsédé » par la consommation au point de ne pouvoir s’en passer. On ne peut qu’espérer qu’elle soit vérifiée, sinon le développement durable, quel que soit le sens qu’on lui attribue d’une manière un peu raisonnable, aurait peu de chances d’exister. Dasgupta et Heal [1974] montrent que, en présence d’une ressource épuisable, le critère utilitariste actualisé conduit à une consommation décroissante vers zéro. Ce résultat vient de l’actualisation qui implique d’accorder à l’utilité d’une génération un poids d’autant plus faible dans le critère qu’elle est éloignée dans le temps. Ce caractère inéquitable du critère actualisé, puisqu’il privilégie les premières générations, a conduit un certain nombre d’économistes comme Ramsey ou Kaldor à refuser cette pratique. Est-il alors possible de maintenir la consommation constante sur la trajectoire optimale de l’économie dans ce type d’approche ? C’est évidemment impossible, tant que l’utilité provient directement de la consommation de la ressource. En revanche, si la ressource est un input dans un processus de production, cela devient possible selon la nature de la technologie disponible et du progrès technique (caractérisés par les propriétés de la fonction de production). La règle d’Hartwick [1977] fournit le résultat principal de cette ligne de recherche. La règle d’Hartwick. — Sous sa version la plus simple, la règle d’Hartwick stipule que la consommation peut être constante le long d’une trajectoire d’équilibre de l’économie si et seulement si la valeur de l’investissement total (évaluée aux prix d’équilibre) est nulle à chaque instant. Pour illustrer ce résultat simplement, supposons que l’économie ne possède que deux types de capitaux : un capital physique et un stock de ressource épuisable.
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Comme le stock de ressource ne peut que diminuer si on l’utilise, on est devant un investissement négatif, la valeur du stock diminuant de la valeur du montant prélevé, qui est la rente hotellinienne. Pour que la consommation reste constante, il faut, selon la règle d’Hartwick, que le stock de capital physique s’accroisse d’une valeur égale à cette rente. D’où la formulation normative de la règle d’Hartwick : investir à chaque instant la rente tirée de l’exploitation des ressources naturelles dans le capital physique. Il est clair que cette règle n’est applicable que s’il y a une substituabilité parfaite entre les différents types de capitaux. Il faut en outre supposer que les comportements d’offre et de demande permettront la substitution. En effet, à proximité de l’épuisement, la rente de rareté associée à la ressource sera très élevée et, inversement, le prix du capital physique sera faible puisque la presque totalité de la ressource aura été « transformée » dans ce type de capital. Il n’est donc pas certain que ces prix permettent d’appliquer la règle, le montant nécessaire d’investissement en capital physique pouvant être trop élevé. Enfin, il faut noter que l’application de la règle suppose que l’on connaisse la valeur de l’investissement à chaque instant, une condition bien difficile à vérifier pratiquement et qui fait retomber dans les apories de la prévision. La prise en compte de l’équité intergénérationnelle Le critère utilitariste actualisé n’est pas le seul pris en compte dans l’approche de la soutenabilité faible, en particulier par les auteurs qui considèrent que les questions d’équité intergénérationnelle sont une des dimensions fondamentales du développement durable. Maximin et règle d’or verte. — En s’inspirant de la définition de l’équité de Rawls [1971], on peut définir un critère particulier, dit maximin parce qu’il s’agit de maximiser l’utilité de la génération la moins favorisée (en termes d’utilité). Toutefois, l’extrême rigidité de ce critère, qui interdit toute substitution d’utilité entre le présent et le futur, le rend peu adapté à une définition du développement durable. Avec ce critère, une société pauvre le resterait indéfiniment parce qu’elle ne pourrait pas épargner pour augmenter la consommation future sans diminuer la consommation présente, donc au détriment de la génération actuelle qui serait ainsi défavorisée, en contradiction avec le critère retenu.
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Une autre façon de représenter la notion d’équité intergénérationnelle consiste à chercher quelle est l’utilité maximale que l’on peut atteindre à l’infini [Heal, 1998]. Dans ce cas, le critère revient à chercher la consommation qui maximise la limite de l’utilité quand t tend vers l’infini, soit : maxc limto+q u(ct, st). Cette optique mène à la « règle d’or verte », qui préconise une consommation nulle des ressources épuisables, et donc le maintien du stock initial s0, afin de maximiser l’utilité des générations les plus éloignées. Cette fois-ci, à l’opposé du critère utilitariste actualisé, ce sont les générations présentes qui sont ignorées. Dans tous ces travaux, la démarche est la même : on se donne un critère défini a priori et les contraintes auxquelles est soumise l’économie, dont celle(s) censée(s) traduire l’idée de durabilité (consommation non décroissante, niveau d’utilité non décroissant…), et on caractérise les trajectoires optimales. Celles-ci sont ensuite réinterprétées en fonction de la définition posée a priori de la durabilité, ce qui conduit à des résultats du type : « Pour que l’économie suive une trajectoire “durable”, il faut que l’utilité (respectivement, la fonction de production, le progrès technique, la technologie de dépollution…) soit de la forme… » Bien entendu, ces résultats n’ont que peu de valeur d’un point de vue positif et leur intérêt normatif semble aussi fort restreint, si on prend conscience de la nature de très long terme du problème. Ainsi, on voit mal comment interpréter les contraintes de forme sur la fonction d’utilité de ce point de vue. Le planificateur bienveillant du problème d’optimisation doit-il aller jusqu’à imposer la fonction d’utilité à l’agent représentatif pour obtenir un développement durable ? Nous terminons cette rapide présentation des principales lignes de recherche suivies par les tenants de la soutenabilité faible avec les travaux de Graciela Chichilnisky [1996]. t
Le critère de Chichilnisky. — À première vue, sa démarche est très différente de celle des auteurs que nous venons de passer en revue. Plutôt que de partir d’une définition a priori de ce qu’est le développement durable, elle adopte une réflexion de nature axiomatique, qui impose des contraintes « raisonnables » sur ce qui devrait caractériser des préférences « durables », c’est-à-dire favorables à un développement durable. L’idée essentielle est très simple : aucune génération (c’est-à-dire, ici, aucun agent
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représentatif à une date t quelconque) ne doit pouvoir imposer ses préférences aux autres générations. On a vu ci-dessus que le u(ct) t=+q critère actualisé t = 0 conduit à une consommation de (1 + d)t de plus en plus faible pour les générations futures (et même nulle à l’infini). Il ne représente donc pas des préférences durables, on dit qu’il est une « dictature du présent », puisqu’il accorde davantage de poids aux générations présentes qu’aux générations futures. À l’inverse, le critère qui conduit à la règle d’or verte, maxc limto+q u(ct, st) privilégie ces dernières et est donc une « dictature du futur ». Dès lors, Chichilnisky pose en axiome que des préférences durables ne doivent être ni une dictature du présent, ni une dictature du futur. La question est maintenant de savoir s’il existe un critère dont la maximisation garantit le respect de ces préférences durables. Elle montre que la réponse est positive et que le seul critère satisfaisant ces exigences est une moyenne pondérée des deux critères précédents, c’est-à-dire un t = + q u(c t , s t ) critère de la forme a t = 0 + (1 – a) limto+q u(ct, st), où (1 + d)t a (strictement positif) est le coefficient de pondération. Si la démonstration de ce résultat n’est pas simple, le fait que ce critère satisfasse les axiomes posés l’est beaucoup plus. Du fait de la présence du premier terme, le critère ne peut, en effet, pas être une dictature du futur et celle du second terme lui interdit d’être une dictature du présent. Avec ce critère, Heal [1998] montre qu’une trajectoire optimale d’une économie où l’on cherche à maximiser ce critère, avec comme seule contrainte l’utilisation d’une ressource épuisable comme bien de consommation, est caractérisée par la conservation d’un stock de ressource s*c et par une consommation décroissante puis nulle une fois atteint ce stock. Comme on pouvait s’y attendre, ce stock est supérieur au stock s* qui est conservé avec le seul critère actualisé et inférieur au stock initial s0 de la règle d’or verte. La figure ci-dessous représente l’évolution du stock de ressource dans le temps pour chacun des critères considérés. Toutefois, pour séduisant qu’il soit intellectuellement, le critère obtenu, étant une moyenne pondérée, pose la question du poids qui doit être accordé à chacune de ses composantes. Or, ce poids n’est pas déterminé et peut prendre n’importe quelles valeurs entre zéro et un (sauf les valeurs extrêmes). D’où, en
S
t
S
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réalité, une infinité de critères possibles qui laisse entière l’indétermination de la trajectoire optimale puisque celle-ci dépend du choix (par le planificateur ?) de ce coefficient de pondération. On n’échappe donc pas à une conception a priori du développement durable, comme dans les travaux précédents.
Développement durable et décision publique Les recherches sur le développement durable ne se réduisent pas à celles dont nous venons de rendre compte. On peut aussi l’aborder d’un point de vue plus orienté par la prise de décision publique. Il n’est pas difficile de citer de nombreuses décisions, prises sur la base d’une argumentation économique, et qui ont des conséquences environnementales. Le choix d’une filière énergétique, l’exploitation d’une ressource naturelle, l’augmentation des taxes sur l’essence, l’interdiction des filets dérivants en sont autant d’exemples. Pour prendre des décisions favorables à l’environnement, il faut adopter des « règles du jeu » qui lui soient favorables. Et comme les décisions économiques sont prises sur la base des prix qui déterminent les coûts et/ou le rendement des alternatives possibles, le changement des règles du jeu revient, au moins en partie, à changer les règles de fixation des prix. Toute l’économie de l’environnement s’est construite sur cette idée, le concept d’externalité caractérisant
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justement cette situation où les prix ne reflètent pas toutes les conséquences des décisions qui sont prises. C’est particulièrement important pour les décisions s’appuyant sur une analyse coûts-avantages (ACA, voir Bontems et Rotillon [2003] pour davantage de développements), puisque les prix servent précisément à comparer les différentes conséquences de ces décisions. On conçoit que si ces prix ne tiennent pas compte, par exemple, de la dégradation de certaines ressources naturelles, celle-ci sera sous-estimée et s’aggravera. C’est également central pour l’évaluation de la richesse d’un pays telle qu’elle est mesurée par un indicateur comme le produit intérieur brut (PIB) de la comptabilité nationale. Dans le cadre de la soutenabilité faible, cette évaluation se situe dans la lignée de Hicks [1939] et de sa conception du revenu national. Le revenu national hicksien Cette conception du revenu est attribuée à Hicks [1939], même si on peut déjà la trouver esquissée dans les travaux de Fisher [1906] et Lindahl [1933]. Hicks définit le revenu comme le montant maximum qu’un individu peut consommer au cours d’une période sans s’appauvrir. On retrouve bien ici une idée de durabilité et on paraphrase souvent cette définition en notant que c’est la consommation maximum qui maintient le capital intact. La première formalisation de cette conception du revenu appliquée au développement durable est due à Weitzman dans une série de travaux [Weitzman, 1976, 1997, 2003 ; Asheim et Weitzman, 2001]. Sa démarche consiste tout d’abord à définir la soutenabilité d’une économie par le niveau hypothétique constant de consommation qui produirait le même bien-être total que ce que la trajectoire de consommation de l’économie actuelle peut produire (voir l’encadré). Il opère ensuite un détour par la comptabilité nationale et sa mesure de la richesse au moyen du produit intérieur brut (PIB). Ce dernier est construit à partir d’une nomenclature des biens et des services produits, et représente la valeur disponible pour les emplois finals, essentiellement consommation et investissement. Imaginons qu’on puisse évaluer un PIB « vert », qui prendrait en compte l’ensemble des externalités environnementales. La découverte d’un nouveau stock de ressource augmenterait la richesse, même s’il n’était pas utilisé, et la destruction d’une forêt ou la dégradation de la qualité de l’air la réduirait.
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Une définition formelle de la soutenabilité Soit C(t) une variable dépendant du temps (par exemple la consommation). On note [C] l’équivalent constant annuel de C(t), qui procure la même valeur actuaq
q
t=0
t=0
lisée totale que la série {C(t)}, c’est-à-dire que l’on a S [C](1 + d)–t = S C(t)(1 + d)–t. Supposons, par exemple, que la valeur actualisée au taux d de C(t) soit égale à q 1 (1/21)t. La valeur actualisée totale de la série est alors S ( )t, soit une série t = 0 21 géométrique dont la somme est de 21/20. Par définition, [C] est tel que q 21 S [C](1 + d)–t = 20. Comme [C] est constant par hypothèse, on peut le mettre en t=0 facteur dans le signe somme, ce qui fait apparaître une autre série géométrique q
S (1 + d)–t = 21 pour d = 5 % et montre que [C] = 1/20.
t=0
Ainsi, une économie qui à chaque date t consommerait (1,05/21) t , ce qui correspond, d’après le calcul qui vient d’être fait, à une consommation actualisée totale de 21/20, pourrait, pour un même montant total, avoir une consommation constante à chaque date de 1/20. D’une manière générale, on a d q [C] = S C(t)(1 + d)–t. Avec ces notations, la soutenabilité d’une économie à 1 + d t=0 d q la date t est mesurée par S(t) = S C*(t)(1 + d)s–t, où C*(t) est la consommation 1 + d s=t optimale en t au sens où elle maximise l’objectif de la société compte tenu des contraintes auxquelles est soumise l’économie. On peut alors définir le développement durable comme une trajectoire de consommation où, à chaque date t, S(t) est supérieur ou égal à C*(t), ce qui signifie qu’à partir de t, l’économie peut consommer indéfiniment une consommation constante égale à S(t) qui soit au moins égale à C*(t). Et la soutenabilité de l’économie à l’instant initial est S(0) = [C*].
D’un point de vue théorique, c’est-à-dire si l’on était capable de quantifier l’ensemble des externalités subies par l’économie, Weitzman [1997] montre l’équivalence des deux concepts de PIB vert et de soutenabilité. Ce résultat est fondamental, puisqu’il identifie un niveau hypothétique d’une trajectoire future de consommation (donc inobservable d’un double point de vue) avec l’évaluation actuelle de la richesse produite. Bien entendu, la prise en compte exhaustive de toutes les externalités n’est pas possible en pratique. Le PIB qui est mesuré, même s’il intègre certaines corrections environnementales, n’est pas identique à la soutenabilité telle qu’elle a été définie. En ignorant certains investissements nets qui peuvent être des sources de richesse (ou de pauvreté) future, tout PIB vert réellement mesurable avec des données existantes sera une estimation biaisée de la soutenabilité. Plus
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précisément, quand le système de comptabilité est incomplet, au sens où il omet des investissements nets qui influencent les possibilités de croissance future, la soutenabilité est égale au PIB vert qui inclut un facteur correctif T pour tenir compte de cette omission. Ce facteur correctif est de même nature que le résidu au sens de Solow, qui caractérise les facteurs non pris en compte dans la mesure de la croissance, et peut être positif (cas d’un progrès technique augmentant les possibilités de production) ou négatif (cas du réchauffement climatique ou d’une diminution de la biodiversité). Weitzman peut alors évaluer quelle serait la perte de croissance future due à l’épuisement des ressources naturelles. En effet, avec les notations présentées dans l’encadré précédent, le PIB vert d’une économie utilisant des ressources naturelles est égal à la consommation présente C*(0), (au sens large, donc investissement inclus), moins la valeur des ressources extraites P*(0)E*(0) (où E*(0) est la quantité de ressources et P*(0) leur prix relatif), plus le facteur correctif T*(0). Il est donc égal à C*(0) – P*(0)E*(0) + T*(0) et à la soutenabilité [C*], c’est-à-dire au niveau constant annuel de consommation future. Il faut noter que la valorisation des ressources au prix P*(0) n’est pas nécessairement correcte, la correction éventuelle étant alors prise en compte dans T*(0). Considérons maintenant une économie identique à la précédente, avec les mêmes possibilités de croissance future dues au progrès technique, mais qui chaque année pourrait utiliser la quantité E*(0) de ressources, qui ne seraient donc plus épuisables. Il n’y aurait plus lieu de soustraire la valeur des ressources extraites pour évaluer le PIB et on aurait dans ce cas C**(0) + T*(0) = [C**]. Mais puisque la quantité de ressource utilisée est la même et que les autres contraintes sont identiques, on a C*(0) = C**(0). On en déduit immédiatement que la perte de croissance due à l’épuisabilité des ressources, DC/C = ([C**] – [C*])/[C**], est égale à P*(0)E*(0)/(C*(0) + T*(0)). Les trois termes P*(0), E*(0) et C*(0) apparaissant dans cette expression correspondent à des données de l’année de base. Elles sont donc disponibles et Weitzman évalue, pour les 14 ressources minérales les plus importantes, le ratio P*(0)E*(0)/C*(0) à 1,5 % pour 1994. Par ailleurs, T*(0)/C*(0) a été évalué empiriquement à 40 % pour la période 1950-1995 (Weitzman [1997]). Il en résulte une perte de richesse due à l’épuisement des ressources naturelles DC/C de 1,1 %. Même en tenant compte des grandes incertitudes sur les ordres de grandeur respectifs de ces données, il ne peut
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dépasser 2 %, ce qui relativise les discours catastrophistes sur l’épuisement des ressources. Si on fait l’hypothèse que cette tendance va se poursuivre dans les prochaines décennies, et même en prenant, là aussi, cette hypothèse avec toute la prudence nécessaire, on peut tenir pour certain que le développement durable, du moins la part qui dépend de l’utilisation de ressources épuisables, dépend beaucoup plus crucialement du progrès technique futur que de l’épuisement de ces ressources. La principale leçon que l’on doit tirer de cette analyse est d’abord qualitative, mais elle est justifiée par les évaluations quantitatives que nous avons présentées. On peut la résumer en disant que ce qui compte avant tout pour avoir un développement durable, ce sont les orientations technologiques que nous prenons au présent mais qui n’ont leurs effets que souvent beaucoup plus tard. Il ne faut pas se tromper sur le sens de ce résultat. Il n’implique pas une croyance aveugle dans le progrès technique, et il ne nous en dit pas la nature. Il indique seulement que nos choix technologiques sont fondamentaux pour résoudre nos problèmes actuels liés à l’épuisement de ressources naturelles aujourd’hui essentielles comme le pétrole. Mais rien ne prouve que nous ferons les bons choix, ni que nous les ferons à temps.
La soutenabilité forte On oppose souvent la soutenabilité faible, dont on vient de présenter les principaux aspects, à l’approche de la soutenabilité forte. On la distingue généralement de la précédente par l’hypothèse qu’elle fait sur la substituabilité entre les différentes formes de capitaux. Cette substituabilité serait parfaite pour la soutenabilité faible et incomplète pour la soutenabilité forte. Nous pensons toutefois que, pour importante et réelle que soit cette distinction, l’essentiel n’est pas là. Ce qui différencie fondamentalement ces deux approches du développement durable, c’est leur degré d’abstraction, et donc la démarche qu’elles empruntent pour traiter du développement durable. Dans la soutenabilité forte, on cherche à définir concrètement des biens ou des espèces qui ne doivent pas décroître, sans référence à un critère abstrait comme dans la soutenabilité faible. Cette approche peut déboucher sur une vision très conservatrice du développement durable. Comme la croissance économique
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suppose qu’au moins quelque part quelque chose décroisse, autrement dit, pour reprendre une idée chère aux économistes, qu’il n’y ait pas de repas gratuit (There is no free lunch), on peut penser le développement durable comme une injonction à ce que rien ne décroisse, ce qui est une autre forme de la croissance zéro. Dans sa version la plus extrémiste, on trouve l’écologie profonde, qui accorde une valeur à la nature indépendante des besoins humains et qui conduit nécessairement à un état stationnaire. Cette position est cependant très minoritaire et on ne s’y attardera pas davantage dans la suite de ce chapitre. Beaucoup plus intéressantes et répandues sont les diverses autres conceptions de la soutenabilité forte. Capitaux critiques et indicateurs du développement durable Dans ces conceptions, on distingue des capitaux naturels, baptisés « critiques », et qu’il s’agit de ne pas laisser décroître en dessous d’un certain seuil. Cette approche part de l’idée, a priori tout à fait raisonnable, que toutes les formes de capitaux ne sont pas substituables. On distingue en général trois types de capitaux : le capital physique construit par l’homme (bâtiments, machines…), le capital humain (l’homme lui-même en tant qu’accumulation de connaissances) et le capital naturel, celui qui nous est donné par la nature et que nous n’avons qu’à utiliser (à condition d’avoir la technologie et les conditions économiques adéquates ; voir sur ce point le concept de ressource naturelle discuté dans le chapitre I). Pour définir les seuils, il faut s’accorder sur une mesure des stocks considérés. Certains préconisent une mesure physique (tonnes ou hectares à conserver), d’autres une mesure monétaire, qui a l’avantage de permettre d’agréger des capitaux de nature différente, mais pose des problèmes d’évaluation, d’autres enfin, comme le courant de l’économie écologique, tentent une synthèse entre les deux positions précédentes [voir Faucheux et Noël, 1995 ; Vivien, 1994]. Il faut aussi rattacher à cette approche la construction d’indicateurs du développement durable, démarche le plus souvent pragmatique et qui fait l’objet de très nombreux travaux [EUROSTAT, 2000 ; IFEN, 2001, 2003]. Pour séduisante et raisonnable qu’elle puisse paraître, nous pensons cependant que cette approche pose plus de difficultés qu’elle n’en résout.
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Pour ce qui concerne la construction d’indicateurs, on ne peut que constater que leur nombre a tendance à augmenter très fortement, et ce d’autant plus que les questions d’environnement deviennent un enjeu de société. D’ailleurs, cette construction même n’a de sens que si l’on pense que l’environnement se dégrade : on ne prend pas sa température quand on ne se sent pas malade. Les indicateurs « dans le rouge » tendent donc à être de plus en plus nombreux. Se pose alors la question de la mise en place de politiques environnementales. On est placé devant un problème d’allocation de ressources. Comment hiérarchiser les urgences ? Où faire porter l’effort en priorité ? Bien sûr, ce type de questions ne se poserait pas si les politiques à mettre en place étaient peu coûteuses, mais ce n’est malheureusement pas le cas, et c’est souvent au nom de ces coûts jugés aujourd’hui trop élevés que de nombreux pays refusent des politiques environnementales, comme, par exemple, les États-Unis et les pays en développement face au réchauffement climatique. Plus la liste d’indicateurs dans le rouge s’allonge et plus l’économie de l’environnement revient à un problème de relation « entre des fins et des moyens rares à usages alternatifs », pour reprendre la célèbre définition de Robbins [1947]. Curieuse ruse de l’histoire quand on sait que les tenants de l’approche de la soutenabilité forte sont en général très critiques vis-à-vis de cette conception de l’économie ! L’idée de capital critique se heurte au même écueil. C’est le problème de la liste de ces capitaux et/ou de l’échelle à laquelle on les définit. Va-t-on protéger telle orchidée à Gometzle-Chatel, ou toutes les orchidées de ce type dans le monde entier ? Telle espèce de thon ou tous les poissons ? Il est clair que plus l’échelle se réduit, plus la liste s’allonge et on retrouve le problème d’allocation de ressources posé par les indicateurs. Mais il y a aussi la question du choix de ces capitaux critiques. Qui décide de ce qu’il faut conserver ? L’État, des experts, la population par référendum ? Cette dernière possibilité pourrait paraître la plus légitime, mais comment la mettre en place pour les pollutions globales ? De plus, comme ce choix est par définition un choix de long terme, il engage aussi les générations futures et l’encadré suivant illustre les impasses où cette « solution » nous entraînerait.
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Les plaines du Middle West américain [Cet exemple est emprunté à Weitzman, 2003.] Les grandes plaines du Middle West américain, qu’Hitchcock a immortalisées dans North by Northwest, où Cary Grant tente d’échapper à un avion sulfateur dans d’immenses champs de maïs, et qui sont aujourd’hui les plus grandes plaines cultivées du monde, étaient, au milieu du XIXe siècle, les plus grandes prairies vierges de hautes herbes du monde. Pourtant, ces prairies sont relativement récentes et datent de moins de dix mille ans. Elles doivent leur existence aux nombreux feux allumés par les Américains natifs et qui ont progressivement supprimé la forêt primitive, principalement pour les besoins de la chasse. Actuellement, les feux sont utilisés, de façon concertée, comme un instrument de restauration et de préservation de la prairie sauvage d’il y a un siècle et demi. Ainsi, au nom d’une conception de la soutenabilité forte du développement durable qui aurait inscrit la forêt primitive comme capital critique, il aurait fallu interdire aux habitants d’il y a dix mille ans d’allumer des feux. Et c’est au nom de cette même conception qu’on allume aujourd’hui des feux pour préserver ce qui reste de la prairie de hautes herbes, elle-même résultat de l’action passée de l’homme. Qu’on puisse faire référence au même concept de capital critique pour définir des biens environnementaux qui s’excluent mutuellement à dix mille ans de distance montre le caractère problématique de ce concept.
Lester Brown et le développement durable On peut aussi juger d’une idée en poussant à son terme les conséquences qu’elle implique, en prenant l’exemple d’un livre de Lester Brown [2001] publié en France en 2003. Son message tient en trois points : Tout d’abord, un constat sur l’« état (mauvais) de la planète », qui débouche sur la prédiction d’une catastrophe prochaine. Ensuite, l’appel à redéfinir les rapports entre économie et écologie pour « cesser de détériorer les ressources de la planète ». Enfin, l’ébauche de solutions, curieux mélange entre l’usage renouvelé de la bicyclette et le recours à l’hydrogène comme source d’énergie, où la réforme de la fiscalité tient une place centrale. Malheureusement, ces trois points souffrent de trop d’approximations. Concernant le constat, il est difficilement contestable que nos modes de production et de consommation sont à l’origine des multiples dérèglements des écosystèmes de notre planète. Qu’on puisse en inférer que la catastrophe soit imminente (deux ou trois ans !) l’est beaucoup moins. Et l’accumulation des données ne vaut pas toujours preuve. La première faiblesse de l’argumentation est l’abus du syllogisme fondé sur le raisonnement « toutes choses égales par ailleurs », pourtant un défaut d’économiste !
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Majeure : si X continue (au choix, la fonte des glaces, l’assèchement des fleuves ou des nappes phréatiques, la surexploitation des pêcheries, l’afforestation…) ; Mineure : et si rien ne change ; Conclusion : Y se produira (la réduction des surfaces émergées, la chute de la production agricole, la pénurie de protéines, le dérèglement du cycle de l’eau…). Donc il faut agir pour que ça change, CQFD. Hélas, le rôle pédagogique dévolu aux terribles conséquences futures énoncées pour éveiller nos consciences endormies ne peut exister que sous l’hypothèse de la mineure. On trouve là le second défaut du raisonnement : il n’est pas vrai que rien ne change. Et ce, même si on ne fait rien. Que les prix soient des signaux imparfaits et induisent des décisions aujourd’hui largement défavorables à l’environnement est parfaitement exact, mais, quoique imparfaits, ils restent néanmoins des signaux. Et, en tant que tels, ils suscitent des réactions. Ainsi, l’épuisement des réserves de pétrole entraîne la hausse de son prix, qui implique à son tour la recherche de substituts et celle de nouveaux gisements. Les « réserves », il faut décidément insister sur ce point, ne sont pas indépendantes de l’état de la technologie et des conditions économiques. Lester Brown pense que la production de pétrole baissera dans les vingt prochaines années, comme le Club de Rome le pronostiquait déjà en 1972. C’est prendre ses angoisses pour une analyse. On ne peut vraiment faire un état dépassionné de notre rapport à la nature qu’en ayant à l’esprit les interactions qui le caractérise, ce qui est à l’opposé de la prolongation de tendances. Quant à la différence entre l’« éco-économie », que Brown appelle de ses vœux, et l’économie, elle ne peut que laisser dubitatif quelqu’un qui, comme l’auteur du présent livre, travaille en économie de l’environnement. Des milliers d’articles sont publiés dans les revues économiques sur la surexploitation des pêcheries, l’afforestation, la perte de biodiversité, le changement climatique, l’usage des sols… pour étudier les conditions d’usages non destructifs de ces ressources renouvelables. Il y a très longtemps que les économistes ont pointé les dysfonctionnements découlant de l’écart entre les coûts privés qu’un décideur (individuel ou institutionnel) prend en compte dans sa décision et le coût social que la collectivité supporte réellement (ce qu’ils nomment des externalités). Et qu’ils ont proposé des
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solutions. D’une part, pour mieux mesurer ces coûts sociaux. D’autre part, pour prendre des décisions plus favorables à l’environnement en les intégrant au processus de choix. Parmi ces solutions, il y a sans aucun doute la réforme de la fiscalité, dans le sens préconisé par Lester Brown, consistant à intégrer aux prix les coûts environnementaux. Mais s’il y a une différence entre économie et « éco-économie », c’est que, pour un économiste, cette solution est loin d’être la seule. Entre autres parce que c’est faire un peu trop confiance au seul marché et oublier notamment le rôle des institutions, existantes ou à créer. Mais il reste un dernier point. Qui est le sujet de ces transformations nécessaires, qui n’apparaît jamais que sous la forme de l’article indéfini on ou du pronom personnel nous ? Pourquoi, pour ne prendre qu’un exemple, la réforme de la fiscalité souhaitée par Lester Brown ne se met-elle pas en place ? Ce n’est pas l’« économie » qui la refuse (et encore moins les économistes), c’est la volonté politique qui manque. Non pas celle qui conjugue le « développement durable » à tous les temps, mais celle des actes, des budgets et des traités. Elle manque parce que le temps de l’action politique, scandé par le rythme des élections, est beaucoup trop court face au temps des évolutions environnementales. Mais elle manque aussi parce que les peuples ont d’autres priorités, majoritairement axées sur le court terme et/ou l’arrière de leur jardin. C’est pourquoi les cris d’alarme du type de ceux de Lester Brown ne sont sans doute pas inutiles, mais gagneraient à être mieux argumentés. De notre point de vue, le débat sur le développement durable ne peut pas se réduire à un marchandage sur une liste d’indicateurs ou de capitaux critiques, marchandage d’autant plus périlleux qu’il exclut par nature les générations futures, qui sont pourtant au moins aussi concernées que nous. L’approche du développement durable dite de la soutenabilité faible évite certes cet écueil, mais sans être beaucoup plus convaincante.
Soutenabilité faible versus soutenabilité forte : un premier bilan La principale difficulté de ces approches est qu’elles pensent le développement durable à la fois comme une définition technique (caractérisation d’une trajectoire par rapport à des
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contraintes) et une injonction morale (niveau effectif des contraintes à respecter et optimalité des trajectoires). Pourtant, définir une trajectoire particulière de développement comme techniquement réalisable n’implique aucune force morale pour la suivre. Il en résulte qu’on ne distingue plus entre des propositions positives concernant les menaces impliquées par la poursuite d’une trajectoire donnée et des propositions normatives sur son optimalité éventuelle. Il serait plus raisonnable de définir une trajectoire durable comme une trajectoire pouvant être suivie pendant une période à préciser. Qu’elle doive l’être est une tout autre question. Pour nous, la durabilité est d’abord un concept technique (ce qui ne préjuge pas de la plus ou moins grande facilité qu’il y a pour le construire) tandis que l’optimalité est un concept normatif, qui implique le choix d’un objectif donné a priori (un seuil à ne pas dépasser, un critère). De nombreuses activités économiques peuvent parfaitement être non durables et pourtant optimales (par exemple l’utilisation de ressources épuisables), et, inversement, certaines activités durables ne sont en aucun cas souhaitables (par exemple l’exploitation non rentable de ressources renouvelables).
Pour une définition abstraite du développement durable Pour conclure ce survol des deux principales approches du développement durable, nous voudrions insister sur le principe de différenciation que nous avons mis en avant, à savoir le plus ou moins haut degré d’abstraction de l’approche en question. La pratique de l’enseignement de l’auteur de ce livre lui a appris que la grande majorité des étudiants sont plus favorables à la soutenabilité forte qu’à la soutenabilité faible. Et cela principalement parce que la première leur apparaît de prime abord comme plus concrète, débouchant « naturellement » sur des politiques environnementales de gestion des ressources bien identifiées. La seconde, avec ses critères ésotériques, son planificateur bienveillant et son consommateur représentatif, est à mettre au débit des économistes académiques, coupés des réalités et perdus dans leurs mondes imaginaires. On peut penser que de nombreux lecteurs de ce livre auront le même jugement. Pourtant, le principal point faible de la soutenabilité forte nous semble précisément résider dans son manque d’applicabilité, justement dû à
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une abstraction insuffisante, le « concept » de capital critique n’ayant de sens que défini en extension. L’abstraction n’est évidemment pas ce qui manque à la soutenabilité faible et, si on peut s’interroger sur sa qualité, on ne peut pas lui reprocher son existence. La démarche scientifique est nécessairement fondée sur l’abstraction et c’est précisément ce qui la rend efficace. Pour l’illustrer d’un exemple, on peut remarquer que ce n’est qu’après la découverte du concept d’énergie au XIXe siècle, concept abstrait s’il en fut, puisque l’énergie en tant que telle n’existe pas mais apparaît seulement sous des formes phénoménales particulières (chaleur, électricité, nucléaire…), que l’homme a acquis un pouvoir très concret de transformation de la nature (pour le meilleur et pour le pire). C’est justement au moment où l’on a compris l’équivalence de ses manifestations particulières, culminant dans la célèbre formule d’Einstein, E = mc2, impliquant l’équivalence entre l’énergie et la matière, que notre civilisation industrielle a vraiment commencé (y compris, hélas, avec ses aspects les plus négatifs). Toutes proportions gardées, le concept de développement durable ne peut être vraiment utile que s’il atteint ce niveau d’abstraction permettant ainsi de faire le lien entre des phénomènes que nous percevions jusqu’alors comme indépendants. C’est pourquoi, si nous pensons, comme Solow [1993], que la durabilité est liée à la conservation de quelque chose dans le long terme, ce quelque chose ne peut pas être posé a priori, au contraire de la position de Solow lui-même, qui ajoute : « Je pense que c’est une capacité générale à produire du bien-être. » Nous allons voir qu’il est possible de renverser la démarche et de proposer un test de nos représentations de l’économie quant à leur pertinence vis-à-vis de cette recherche d’invariant associé au développement durable. Que doit-on conserver dans le long terme ? Schématisons au maximum le problème pour n’en garder que l’essentiel (l’abstraction !). D’une part, l’idée de développement durable implique à la fois le développement, donc d’une façon ou d’une autre une certaine forme de croissance, et le maintien des conditions de ce développement. Or, la nécessité d’utiliser des ressources épuisables pour continuer la croissance actuelle est sans doute l’obstacle principal à surmonter pour atteindre le développement souhaité. On peut aussi penser à la
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pollution, c’est-à-dire à la dégradation de l’environnement qui peut, à terme, rendre invivable notre planète, ou du moins interdire tout développement. Néanmoins, d’un point de vue conceptuel, la pollution, qu’elle soit de flux (fumées, particules en suspension…) ou de stock (effet de serre), est très semblable à une ressource renouvelable et est donc moins problématique que l’utilisation d’une ressource épuisable. S’il est possible de contrôler immédiatement la pollution en émettant moins de polluants (c’est tout l’enjeu du protocole de Kyoto, qui montre d’ailleurs que possibilité ne signifie pas facilité), il est impossible de faire voler les avions sans kérosène, du moins pour l’instant. D’autre part, le long terme impliqué par l’adjectif durable est nécessairement en contradiction avec le caractère fini des ressources non renouvelables. Même si la fin du pétrole n’est pas si proche que peuvent le dire certains prophètes, il est certain qu’un jour nous n’en aurons plus. La seule manière de ne pas subir cet événement, c’est de trouver au pétrole des substituts inépuisables (sinon le problème du développement durable n’est que repoussé). D’une manière générale, c’est toute notre dépendance énergétique vis-à-vis des ressources fossiles qui est la plus forte contrainte. Par exemple, il est possible de nourrir dix milliards d’habitants sur terre si l’agriculture devient plus productive dans les pays en développement, mais cela implique une considérable augmentation de la consommation mondiale d’énergie. En fait, cette contrainte énergétique ne peut être dépassée qu’en la supprimant. Si l’on refuse la croissance zéro, ce qui semble bien être le cas de la majorité des habitants de la planète, il ne reste que le progrès technique. Mais lequel ? Résumons donc le point où nous sommes arrivés. Nous considérons une économie qui utilise du capital k et une ressource épuisable e pour produire. La production à la date t, f(kt, et), est utilisée pour la consommation et l’investissement. Cette ressource est la seule contrainte que subit l’économie. Par ailleurs, on suppose que les méthodes de production peuvent évoluer avec le temps grâce au progrès technique z(t) et que la quantité produite est z(t) f(kt, et). Nous ne faisons aucune hypothèse particulière a priori sur les fonctions f et z. Ce squelette d’économie est présent dans la plupart des modèles néoclassiques de croissance avec ressource épuisable, à ceci près que des hypothèses sont faites sur f et/ou z pour rendre la croissance possible malgré la contrainte de la ressource. Ici, nous
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renversons la démarche et nous nous demandons s’il est possible de trouver au moins un invariant dans cette économie et quelles hypothèses cela implique sur les fonctions de production et de progrès technique. Cet invariant peut alors être interprété comme le « quelque chose qui doit rester constant » dans notre recherche abstraite du développement durable. Bien entendu, pour que le modèle soit complet, il faut se fixer un objectif, qui va traduire les préférences de la société. Toutefois, le développement durable ne doit pas lui-même dépendre de ces préférences particulières (ni dictature du présent, ni dictature du futur). La question qui se pose peut alors se formuler de plusieurs manières équivalentes. Est-ce que la représentation ainsi donnée de l’économie est compatible avec un concept de durabilité ? Les préférences traduites par l’objectif donné sont-elles cohérentes avec les contraintes du fonctionnement économique ? Quelles doivent être les caractéristiques des fonctions de production et/ou de progrès technique pour qu’il existe un invariant (ou plusieurs) dans cette économie ? Nous sommes ainsi amenés à étudier les propriétés d’une représentation modélisée de l’économie et tout particulièrement sa capacité à définir au moins un invariant du système. Ce type d’étude est possible à l’aide de méthodes mathématiques (le théorème de Noether) disponibles depuis le début du XXe siècle, mais très peu utilisées en économie. Nous avons appliqué cette démarche [voir Costes, Martinet et Rotillon, 2003] à l’examen de la théorie néoclassique de la croissance intégrant une ressource épuisable. Dans cette théorie standard de la croissance, l’objectif est la maximisation de la somme des utilités actualisées et la fonction d’utilité u(ct, st) reste ellemême inchangée, c’est-à-dire qu’elle ne dépend pas du temps t. Concernant le développement durable, cette hypothèse nous semble très forte et il est plus raisonnable de penser que, sur un horizon très long, les préférences de la société ne seront pas constantes. C’est en tout cas ce que nous montre l’évolution de nos sociétés dans le passé. Une manière simple de prendre en compte ce changement des préférences est de supposer que la fonction d’utilité se modifie et est de la forme ut(…) = x(t) u(…), où x(t) traduit l’évolution de ces préférences dans le temps (plus généralement on peut étudier le cas u(…, t)). On cherche alors sous quelles hypothèses sur les fonctions de production, de progrès technique et d’évolution des préférences il existe un invariant qui pourrait s’interpréter comme le « quelque chose qui doit
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rester constant » du développement durable. Nous montrons que si, effectivement, il existe des invariants dans cette représentation, ce n’est que sous des hypothèses très restrictives. Ainsi, pour le modèle le plus simple, la fonction de progrès technique doit être l’inverse de celle d’évolution des préférences. Même si préférences et progrès technique ne sont pas indépendants, le lien mis ainsi en évidence est sans doute trop mécanique. L’étude de modèles plus complexes conduit à des résultats équivalents et il nous faut en conclure que le cadre standard de la théorie de la croissance n’est sans doute pas adapté pour construire un concept utile de développement durable, même si des recherches plus approfondies doivent être entreprises pour confirmer ou non cette conjecture et pour examiner des modèles de l’économie utilisant d’autres critères que la somme des utilités actualisées. Un résumé, à ce stade, de ce que nous ont appris les différentes conceptions du développement durable ne peut être que succinct. Ni la soutenabilité forte, ni la soutenabilité faible ne semblent en mesure de nous aider à mieux cerner ce concept, au point qu’on pourrait être tenté de l’abandonner. Certains n’hésitent pas à franchir le pas. Du concept aux discours The Sceptical Environmentalist, le livre de Bjørn Lomborg, initialement publié en danois en 1998, est devenu un « best-seller mondial », après sa parution en anglais aux Presses universitaires de Cambridge [2001]. Sa thèse est simple et à l’opposé de celle de Lester Brown : l’état réel de la planète n’a jamais été aussi bon et ne peut que s’améliorer dans l’avenir, si, au lieu de financer de coûteuses politiques environnementales, on investissait dans la croissance. Ainsi, non seulement il n’y a pas de conflit entre la croissance et l’environnement mais, tout au contraire, celle-ci est la condition de l’amélioration de la qualité de celui-là. Dès lors, il n’y a pas de sens à chercher les conditions d’un développement durable puisqu’il est déjà là. Comme il résume lui-même le message de son livre à la dernière page : « Les enfants nés aujourd’hui […] vivront plus longtemps et seront en meilleure santé ; ils seront mieux nourris, plus instruits, auront un niveau de vie plus élevé, plus de loisirs et bien plus de possibilités, sans pour autant que l’environnement de la planète soit détruit. Le monde est vraiment
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magnifique. » Marx disait que l’homme ne se posait que les problèmes qu’il pouvait résoudre, Lomborg ajoute qu’il les résout toujours. Nous renvoyons le lecteur intéressé à Sceptical Questions and Sustainable Answers, rédigé par des spécialistes danois et où il trouvera une réponse argumentée aux thèses de Lomborg (disponible sur www.ecocouncil.dk). Nous nous contenterons ici, en nous appuyant sur l’article d’Hourcade et Journé [2003], de mettre en évidence les procédés rhétoriques grâce auxquels Lomborg peut servir de caution scientifique. Un de ses procédés favoris est l’usage répété de l’adverbe probablement, placé incidemment entre chiffres, notes et références. Il sert selon les cas soit à « justifier » une assertion, soit à discréditer une position non conforme à l’avis de l’auteur. Ainsi, après une critique du GIEC, au motif que les nombreux scénarios qu’il propose pour examiner les conséquences du réchauffement climatique ne sont pas assortis d’une probabilité, il en élit un comme étant probablement le plus vraisemblable, sans comprendre que c’est justement pour éviter de privilégier des scénarios par rapport à d’autres qu’ils n’ont pas été probabilisés, risquant ainsi de clore le débat démocratique autour des options possibles, qui sont loin d’être encore stabilisées. Plus discutable encore est l’usage par l’auteur de textes de statuts très différents : résultats scientifiques, opinions d’experts, articles de presse, qu’ils présentent sur le même plan à l’appui de son argumentation. Il accrédite ainsi l’idée que « toutes les paroles se valent » et que la science n’a, pas davantage que le sens commun, de légitimité à dire le vrai. Un dernier point mérite notre attention. C’est l’utilisation systématique par Lomborg de l’argument d’arbitrage entre alternatives s’excluant mutuellement. Par exemple, quand il explique, page 535 de l’édition française, que « nous aurions tort de vouloir dépenser d’énormes sommes d’argent pour réduire une partie infime de l’élévation thermique totale alors que nous pourrions probablement (nous rajoutons ici cet adverbe qui n’a pas été traduit en français mais qui se trouve dans l’édition anglaise p. 322) utiliser ces fonds de manière bien plus efficace dans les pays en voie de développement ». Un lecteur peu informé pourrait y voir un raisonnement d’économiste, comparant deux décisions possibles sur la base d’une analyse coûtsbénéfices, mais il y manque l’essentiel : l’évaluation, fondée sur
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une méthodologie précise, des coûts et des bénéfices des options en concurrence. S’appuyant sur l’évaluation par la Banque mondiale d’un taux moyen d’intérêt de 16 % dans les pays en développement, Lomborg avance que le coût d’une seule année de stabilisation des émissions de CO2 rapporterait sur soixante ans deux fois le PIB mondial actuel, disqualifiant d’avance toute velléité de prévention. Hélas, ces 16 % ne représentent pas une productivité du capital, mais tout au contraire sont le signe de sa rareté et de l’existence d’une prime de risque, facteurs expliquant justement la faiblesse du développement de ces pays. Faut-il croire aux discours sur le développement durable ? Si nous nous posons la question, en ce début de XXIe siècle, c’est justement parce que nous avons le sentiment que nos choix techniques passés, nos modes de consommation, nos comportements individuels eux-mêmes nous mènent à une impasse. Le recours incessant au développement durable dans nos discours apparaît ainsi davantage comme un symptôme de notre sentiment collectif que notre développement actuel ne l’est justement pas. Encore faut-il relativiser ce « nous ». Il désigne avant tout les habitants des pays industrialisés ou certaines élites de quelques pays en développement. Car, pour la grande majorité de ceux qui vivent sur notre planète, l’objectif reste encore le développement tout court, sur le modèle des pays industrialisés actuels et dont la Chine donne le meilleur exemple. Il suffit d’observer comment les grands pays industrialisés, anticipant surtout la promesse de fabuleux nouveaux marchés, aident ce pays à aller dans cette direction, pour craindre que le développement durable ne soit qu’un slogan ne résistant pas à l’épreuve des faits. La France vient de donner un exemple de cet écart entre les discours et les politiques réellement suivies avec son plan Climat qui ne retient que quelques micromesures de court terme, vraisemblablement insuffisantes pour respecter son engagement de stabilisation de ses émissions de CO2 au niveau de 1990, alors même qu’elle déclare vouloir faire de la qualité de l’environnement un droit constitutionnel. Le XXe siècle a été marqué par l’utopie du communisme, le XXIe le sera-t-il par celle du développement durable ?
Conclusion
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« ien entendu, partout, […] il y a des politiciens et des prêtres, des ayatollahs et des économistes, qui essaieront d’expliquer que la réalité est ce qu’ils disent qu’elle est. Ne les croyez jamais, croyez seulement les romanciers » [Bradbury, 1983, p. 8]. Au contraire de Malcom Bradbury, ce livre a cherché à montrer l’intérêt d’une approche économique de l’utilisation des ressources naturelles dans nos modes de production et de consommation. Certes, l’économie n’est pas la physique et on ne peut parler de lois économiques que de manière contingente dans un contexte suffisamment stable. Il n’y a pas un équivalent de la loi de la gravitation en économie. Toutefois, le monde tel qu’il est depuis la révolution industrielle, au-delà des crises et des retournements de conjoncture, présente un caractère suffisant de stabilité, résumé par la prégnance de formes diverses de capitalismes, pour que l’on tente d’en inférer quelques considérations générales. La première porte sur l’évolution du prix d’une ressource épuisable. À la fin de l’année 2004, on assiste à une flambée du prix du baril de pétrole qui nous ramène aux crises pétrolières des années 1970. Les explications ne manquent pas : la guerre en Irak, la faiblesse des stocks et des capacités de production utilisées au maximum, l’explosion de la demande (la consommation de pétrole a augmenté de 306 % en Corée du Sud depuis vingt ans, de 192 % en Chine ou de 240 % en Inde) ou l’exploration insuffisante de nouveaux gisements sont parmi les plus invoquées. À ces raisons, on doit en ajouter une qui est indépendante des précédentes et qui tient à la nature épuisable de la ressource. C’est celle qui est résumée par la règle d’Hotelling étudiée au chapitre II.
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Elle signifie que tant qu’une telle ressource fera l’objet d’un marché, l’épuisement progressif de la ressource doit se traduire par une augmentation de son prix à long terme. Et ceci n’a rien à voir avec l’OPEP, les grandes compagnies pétrolières, l’instabilité politique du Moyen-Orient ou la politique extérieure des États-Unis. Elle nous apprend également que seule la découverte de substituts rendant le pétrole inutile peut stopper cette tendance à la hausse. Bien entendu, cela ne veut pas dire que l’évolution du prix du pétrole ne dépend que de son caractère épuisable. L’ensemble des facteurs énoncés ci-dessus peuvent y jouer un rôle dans une proportion variable et la règle d’Hotelling est, à elle seule, insuffisante pour décider d’une politique quelconque. Mais il serait tout aussi erroné de ne pas en tenir compte. Notre seconde considération porte sur l’utilisation des ressources renouvelables. Là encore, tant que le marché et la nature de bien commun de beaucoup de ces ressources perdureront, leur surexploitation restera une réalité et le risque de les transformer en ressources épuisables existera. Ce risque n’est la conséquence d’aucun machiavélisme, d’aucune noirceur constitutive de l’homme. Juste la mise en œuvre de comportements en réponse à des incitations inadéquates : institutions inefficaces, règles perverses, gouvernements corrompus… Nous avons vu qu’il est possible d’utiliser des ressources renouvelables sans mettre en cause leur existence. Des solutions existent et l’économie peut nous aider à les concevoir et à les mettre en œuvre. Que nous le voulions n’est plus affaire d’économie mais de politique. Le développement durable, et ce sera notre dernière considération, est exemplaire de ce partage. S’il n’est guère possible de produire sans transformer la nature, cette transformation doit être remise en question quand la survie de l’espèce est en jeu. Au début du XXIe siècle, pour beaucoup, le développement durable résume cette évidence. Le problème vient de la polysémie du concept, renforcée par les divergences entre les discours et les actes. Il y a des conceptions du développement durable et l’économie ne peut pas nous aider à en choisir une rationnellement. De nouveau c’est l’affaire de la politique. Que des peuples et leurs gouvernements fassent aujourd’hui des choix différents, c’est l’évidence. Tout au plus peut-on demander à l’économiste, une fois défini ce que nous voulons, de nous aider à l’atteindre au moindre coût.
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Table des matières
Introduction I
3
Les ressources naturelles Le concept économique de ressource naturelle Les ressources épuisables
6 9
Le problème de la mesure des stocks, 10 _ Encadré : Les réserves, 10 Combien d’années de pétrole ? 12 L’approche des économistes, 14
Les ressources renouvelables II
16
L’exploitation des ressources épuisables La règle d’Hotelling
19
_ Encadré : Rente de rareté et rente différentielle, 21 _ Encadré : La règle d’Hotelling, 22 La règle d’Hotelling est-elle vérifiée ?, 25
Extensions théoriques de la règle d’Hotelling
26
Le monopole, 27 _ Encadré : Prix de monopole et de concurrence, 28 Une application à l’analyse des deux chocs pétroliers, 29 La prise en compte de l’incertitude, 30
La mesure de la rareté d’une ressource épuisable À la recherche d’un indicateur, 33 Mesures empiriques de la rareté des ressources épuisables, 35
32
122 L’ É C O N O M I E
DES
RESSOURCES
NATURELLES
III L’exploitation des ressources renouvelables L’exploitation optimale d’une ressource renouvelable
38
La règle fondamentale de gestion d’une ressource renouvelable, 39 La « culture » des ressources renouvelables, 49
Comment éviter la surexploitation d’une ressource renouvelable ?
52
Peut-on échapper à la « tragédie des biens communs » ? 52 _ Encadré : L’exploitation des ressources halieutiques maritimes, 53
_ Encadré : L’incitation à la surexploitation, 55 _ Encadré : Accès libre et extinction, 57 Théorie de l’agence et gestion des ressources renouvelables, 57 L’approche institutionnelle de la gestion des ressources renouvelables, 58 _ Encadré : Quelques exemples de gestion de ressources communes, 60
IV Les ressources renouvelables en pratique Les ressources halieutiques
63
État des stocks et effort de pêche, 64 Les politiques de régulation, 69 _ Encadré : Le thon rouge de l’Atlantique, 70
La forêt
71
_ Encadré : Le Programme européen des forêts certifiées, 75
Le climat
75
L’effet de serre, 76 La mobilisation internationale, 77 Kyoto, et après ? 81
L’eau
82
L’enjeu principal : satisfaire la demande, 84 Quelle(s) solution(s) à la crise de l’eau ? 86
V
Le développement durable _ Encadré : Les mésaventures de la prévision, 89
La soutenabilité faible
90
L’allocation intertemporelle de ressources épuisables, 91 La prise en compte de l’équité intergénérationnelle, 94
Développement durable et décision publique Le revenu national hicksien, 98 _ Encadré : Une définition formelle de la soutenabilité, 99
97
TABLE
DES MATIÈRES
La soutenabilité forte
123
101
Capitaux critiques et indicateurs du développement durable, 102 _ Encadré : Les plaines du Middle West américain, 104 Lester Brown et le développement durable, 104
Soutenabilité faible versus soutenabilité forte : un premier bilan
106
Pour une définition abstraite du développement durable, 107 Que doit-on conserver dans le long terme ? 108 Du concept aux discours, 111 Faut-il croire aux discours sur le développement durable ? 113
Conclusion
114
Repères bibliographiques
116