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Légende de la photo de couverture : A l’aube… Séisme Algérie – mai 2003 Crédit photo : Camille Chardon ©
* * $4556789* * Secouriste..............................................................................15 Départ....................................................................................19 Quinze ans déjà .....................................................................29 Naïka .....................................................................................37 Silence...................................................................................43 Faux espoirs ..........................................................................47 Humilité ................................................................................53 Courage .................................................................................59 Attente...................................................................................67 Joie ........................................................................................75 Inondations............................................................................83 Reconnaissance .....................................................................91 Chef de mission.....................................................................99 Rires ....................................................................................107 JOURNAL - Inondations 2002 ...........................................113 Retour..................................................................................125 Invisibles .............................................................................129 Glossaire .............................................................................135
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* * '8:;98* Née en 1967, Camille Chardon a débuté une « carrière » de secouriste dès l’âge de 17 ans en passant le Brevet National de Secourisme auprès de la Croix-Rouge Française. Désireuse de mettre en application ses connaissances, elle intègre l’Ecole des conductrices ambulancières de BirHakeim à Suresnes (92), puis rejoint les Cadettes de France à Saint-Germain-en-Laye (92) comme réserviste. Sous-officier au 102ème Régiment de Commandement et de Soutien de Satory (Versailles), elle participe bénévolement aux activités pendant 10 ans. La dissolution de son régiment lui fait quitter l’armée en 1993. Toujours investie dans les activités de secourisme à titre bénévole, elle découvre le Corps Mondial de Secours (CMS), une organisation non gouvernementale spécialisée dans le sauvetage auprès des victimes de catastrophes naturelles. Elle y acquit progressivement une formation spécialisée pour prendre part à diverses missions de secours en France et à l’étranger (inondations de Perthuis en 1993, séisme en Turquie en août 1999, inondations en France en septembre 2000, séisme en Algérie en mai 2003 et tsunami en Thaïlande en décembre 2004). Prenant des responsabilités toujours plus nombreuses au sein du CMS, elle fut chef de mission en 2003 et est présidente de l’association depuis 2005 Parallèlement à ces activités assumées sur son temps libre à titre bénévole, titulaire d’une maîtrise d’histoire de la Sorbonne (Paris IV) ainsi que d’un diplôme de fin d’études d’assistante de direction de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris (1993), Camille Chardon mène une carrière professionnelle à l’international comme Chargée de projets.
Aux sauveteurs bénévoles, Aux victimes de catastrophes naturelles, Au Dévouement, au Courage et à la Joie du don.
Cher Lecteur, Ces pages sont loin, très loin de pouvoir retracer les expériences, les sentiments, les épreuves, les étapes parcourues par tous les sauveteurs qui se sont spécialisés dans le secours humanitaire d’urgence. Bénévoles inconnus dont les visages traversent parfois les écrans de télévisions lors de reportages journalistiques, des hommes et des femmes vivent avant tout leur métier de chaque jour… Plombier ou ingénieur, médecin ou agent de transport, secrétaire ou traducteur, électricien ou routier, infirmière ou comptable, guide de haute montagne ou instituteur, pompier volontaire ou retraité… Ils sont pourtant toujours prêts à tout quitter, travail et famille, à prendre des risques, parfois de vie, pour se rendre en quelques heures aux secours des victimes de catastrophes naturelles. Alors, n’ayant jamais eu la chance de trouver un livre retraçant ces témoignages qui aujourd’hui se transmettent de bouche à oreille d’un secouriste*1 à l’autre, je viens partager avec vous un peu de ce que nous vivons au travers de mon expérience. Peut-être qu’en parcourant ces lignes vous parviendrez à mieux percevoir nos motivations, nos actions, notre joie de donner sans compter au milieu de la détresse et du désespoir. Je pensais cette démarche facile mais en réalité j’ai rencontré bien des difficultés à revenir en arrière pour faire revivre dans mon cœur et ma mémoire des moments de joies profondes mais aussi de tristesse infinie… A faire de nouveau défiler devant mes yeux des images imprimées en moi et qui ne me quitteront plus… 1
Les astérisques renvoient au Glossaire
Je veux enfin rendre hommage à tous ceux qui veillent et se préparent avec humilité et ténacité pour répondre immédiatement à un appel au secours. Nul ne sait quand l’heure arrive, mais peut-être aurez vous aussi, un jour, à ouvrir la porte à ces sauveteurs.
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* * $9?4>87;=9* « La bonne volonté. Désir d’accepter, désir d’aimer, de rendre service, d’aller au-devant de ce qu’on attend de nous.» Michel Herbey
Un cri terrible m’arrache de la table où je suis en train de prendre mon repas. Il est midi. Du balcon du septième étage, j’aperçois dans la rue, allongé, les bras étendus au sol, un corps d’enfant... Et à deux mètres de là, un véhicule à l’arrêt, bloquant la circulation. - « Claire, vite, vite il faut descendre ! Il y a eu un accident ! » Mon esprit n’a pas encore analysé l’étendue du drame mais déjà je suis dans l’ascenseur, un torchon propre à la main et je me précipite dehors, courant le plus rapidement possible, accompagnée de Claire. - « Il est mort, il est mort ! Dieu, Dieu, pardonnez nous, oh mon Dieu ! » Déchirement. Cri de l’âme, cri de la mère qui hurle sa douleur devant le corps de son enfant inanimé et appelle les faveurs du Ciel. Mes yeux ne lâchent plus l’enfant, je l’observe rapidement, je cherche le pouls qui doit me confirmer un signe de vie… Il a été percuté par une voiture et le choc qui s’est porté sur sa tête l’a brutalement projeté deux mètres plus loin. Claire a déjà les mains qui maintiennent sa nuque. Le front du petit est marqué par une blessure profonde. Les cris de la famille ne cessent de marteler mon cerveau et il me faut toute l’énergie du monde pour me concentrer sur ce petit être tombé dans l’inconscience. Les yeux sont vitreux, le visage est pâle, trop pâle pour un bébé d’origine africaine. Je ne trouve pas de pouls. Mon Dieu et s’il était déjà trop tard… Il nous a bien fallu du temps depuis l’accident pour arriver jusqu’à lui. Claire à genoux, calée derrière le visage de Moïse, a toujours ses mains délicatement posées sur les deux côtés de la tête afin d’éviter tout mouvement brusque de la nuque et maintenir ainsi la colonne vertébrale dans son axe naturel. 16
Ma main cherche un signal de vie, et sans grand espoir, je finis par la poser doucement sur le torse de l’enfant. Oh joie, joie intense malgré le slogan de douleur qui ne cesse de crier à tue-tête que la mort est passée par là… Le cœur bat la chamade ! - « Mais non il n’est pas mort ! Claire, il vit, il vit ! » Un regard suffit, nous savons ce qu’il faut faire : le petit ne respire plus… Alors je me penche vers ses petites lèvres si bleues et je lui donne le temps de quelques minutes qui me paraissent des heures, je lui transmets doucement de l’air en l’insufflant dans ses poumons pour relancer sa respiration, pour obliger son corps à s’accrocher à ce qui lui manque tant en ce moment : la vie. Je fais attention à la puissance de mon souffle, ne pouvant m’empêcher en cet instant délicat de penser à mon cher oncle qui, tout bébé, après une insufflation hélas trop importante, est devenu handicapé moteur. - « Oh mon Dieu, faites qu’il respire »… Et soudain l’enfant à force de persévérance prend une immense bolée d’air, comme s’il revenait d’un lointain voyage. Miracle ? Miracle de la vie qui ne veut pas s’en aller, miracle de notre présence sur les lieux à cet instant précis, oui, miracle certainement. L’arrivée des pompiers nous permet de remettre l’enfant entre leurs mains et le médecin est là qui le prend en charge. Notre rôle est terminé, il n’y a plus qu’à s’effacer, discrètement, sans rien ajouter. Je m’aperçois tout à coup que nous sommes entourées d’une foule nombreuse, des membres de la famille, des curieux - voyeuristes sans scrupule à la recherche d’émotions fortes. A quelques pas de là, une femme avec sa petite fille sont figées, accrochées l’une à l’autre avec des regards perdus, comme choqués. Elles se tiennent droites, un peu à l’écart des autres, silencieuses… 17
- « C’est la femme du conducteur » me souffle quelqu’un près de moi. Je m’approche d’elle, je lui souris… Personne n’est venu lui parler depuis l’accident… - « Le petit s’est jeté sous nos roues, nous n’avons rien pu faire… Mon mari sortait juste d’un créneau… C’est terrible. » - « Il respire maintenant, il est vivant », lui dis-je doucement. Alors elle pleure. Son angoisse ressort dans un flot de larmes et nous restons près d’elle car tous la jugent mais nous savons qu’elle a aussi besoin d’un soutien, d’une main qui se tend pour soulager sa souffrance. Il est temps pour nous de nous retirer. Nous avons fait notre devoir, tout simplement. Moïse sauvé des eaux ? Moïse sauvé. Tout court. Nous sommes secouristes.
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* * 0:@68=* « La Vie est un voyage pour tous… Alors autant s’accompagner et partager son pain.» Anonyme
Il fait nuit noire. Je suis exténuée… Mes yeux se plissent de fatigue… Mes oreilles sont assourdies par les cris et le bruit des moteurs qui tournent depuis des heures maintenant. Tous les groupes électrogènes installés pour la nuit ronronnent et me rassurent. Il n’y a plus de temps… Il n’y a plus d’espace. Si, que dis-je ? Il y a celui de l’immeuble qui gît devant moi, tordu, déchiré, macabre, tel un corps écroulé, blessé à mort et dont nous assistons impuissants à l’émiettement. Mon esprit divague, je ne sais plus ce que je pense, tout est brouillé dans ma mémoire… Voilà des heures que je n’ai pas dormi, des heures que l’on recherche des espoirs de vie, des corps potentiels dans ces décombres sordides. 22 mai Il est huit heures et je prends à pied le chemin qui me conduit à mon bureau. Il fait beau et je réfléchis déjà au cours de la journée qui s’annonce : certainement quelques dossiers, un pique-nique dehors et peut-être un cinéma… J’espère que je partirai tôt pour une fois… Etre assistante de direction n’est pas simple, surtout quand on assiste le Président… Courage ma fille, ce sont les imprévus qui donnent du piment à ta journée ! C’est si bon de ne rien programmer ! Pourvu que je n’aie pas à prendre l’avion cette semaine… - « Allo ? »… Ah ! Ce téléphone portable, quelle plaie ! Jamais tranquille ! - « Oui, oui c’est moi… Quoi ? Un tremblement de terre ? Où ça ? Quand ? Cette nuit ? Connaît-on l’amplitude des dégâts ? Quelle échelle ? Est-ce que le Bureau des Opérations est au courant ? Comment l’as tu appris ? » J’assaille Stéphane de questions rapides, je veux les informations les plus détaillées, les plus récentes. Déjà j’évalue le temps que je vais devoir prendre pour me 20
préparer : l’Algérie n’est pas loin, les dégâts sont importants et il y a donc de fortes probabilités que l’on déclenche un départ… - « Oui, oui d’accord, j’appelle Antoine2 et je te tiens au courant… Quoi ? Tout de suite ? Non, impossible, il faut d’abord que j’arrive au bureau pour passer des coups de fil… Oui, promis, je te téléphone – à tout à l’heure. » Il faut presser le pas, j’ai envie de courir, les aiguilles de ma montre semblent soudain s’animer brusquement… Les secondes s’arrachent à une vitesse démesurée et les battements de mon cœur accentuent le rythme du temps impitoyable… Et ces talons qui me gênent ! - « Allo ? C’est toi Diane ? Oui, un séisme… Non, je ne sais pas si on part… Oui je te rappelle avant ce soir ! » J’ai le souffle coupé de marcher si rapidement… Diane, je la connais depuis des lustres. Elle est infirmière et a traîné ses rangers sur les mêmes terrains militaires que moi. D’ailleurs c’est là que je l’ai connue. Elle est baroudeuse, un tantinet aventurière, toujours prête à partir. Avec ses lunettes, ses yeux bruns, sa moue rigolote et ses cheveux en bataille, on a bien du mal à la prendre au sérieux. Mais sur le terrain, attention, c’est une pro… Mon téléphone ne cesse de sonner, tout le monde me contacte… Voilà, voilà j’arrive ! J’entre dans mon bureau, pose mon ordinateur, l’ouvre à peine… - « Vite, vite où est donc ce foutu numéro ? – Allo, Antoine ? Tu as entendu la nouvelle ? Alors, on part ? » - « J’ai contacté le consulat, il faut attendre la réponse… Tu es disponible ? » - « Oui, je pense que je peux partir… Je suis certaine que mon employeur acceptera. »… Et de penser tout bas : « Enfin 2
Antoine est un pseudonyme tout au long de ce livre
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quelqu’un qui comprend mon action et m’appuie… J’ai de la veine. » - « Bon, je te rappelle au plus vite – pour l’instant nous sommes en alerte. Préviens les sauveteurs qui sont sur ta région et dès que tu as la liste des personnes potentiellement prêtes pour un départ immédiat, tu me la transmets. » - « C’est d’accord – à plus tard. » Je raccroche. La course contre la montre est déjà bien entamée… D’un seul coup la tension monte… Toutes ces années de formation, de stages, de manœuvres vont de nouveau me servir… Toutes ces privations, ces virées entre copains, ces vacances refusées vont être payantes… Je croise les doigts, l’alerte n’en est qu’à sa première phase et tout peut encore être annulé… Les lignes sont occupées, zut et re-zut… Tant pis, je me concentre sur mes dossiers, il faut absolument que je clôture ce qui est en cours au plus vite car je dois être prête. Paradoxe, la vie continue : mon cours de tennis est un vrai désastre, les balles vont dans toutes les directions, je cours vers mon téléphone, vérifie les messages, reviens sur le cours… - « Bon on arrête, je vois bien que je n’arriverai à rien avec toi aujourd’hui » me dit mon charmant professeur. Je n’en demande pas plus pour repartir aussi sec au bureau. - « Alors ? Du nouveau ? » me demande Diane à l’heure du déjeuner. - « Non, toujours rien pour l’instant… Oui, je sais c’est dur d’attendre mais c’est comme ça… Tiens bon. Oui promis, je te rappelle. » - « Bon vous partez ? »… Marc a un ton sceptique au bout du fil… 22
- « Je n’en sais rien. On est en pré-alerte. Ne t’inquiète pas, je te préviendrai si c’est le cas. » L’après-midi est déjà bien entamé. Il faut que je songe à prévenir mes collègues, ceux qui vont me remplacer, ceux qui vont être gênés par mon absence si brutale… La vie n’attend pas et il y a sûrement des emmurés. Les informations glanées sur internet défilent sous mes yeux avides de nouvelles… Il devient difficile de me concentrer mais je dois m’attacher aux demandes multiples qui arrivent sur mon bureau. Garder son calme, surtout garder son calme. Inconsciemment j’énumère déjà dans ma tête tout l’équipement que je vais emporter : vêtements, chaussures, lampe frontale, tenues de travail, gants, lessive, chaussettes, etc. - « Hi Smee, did you hear the news ? There has been a huge earthquake in Algeria… I will probably have to leave in a very short time. » 3 Voilà, c’est lancé. La nouvelle va faire son chemin, les messages électroniques et instantanés sont plus rapides que la poudre. Déjà, sur mon écran s’affichent de petits flashs : « Où vas-tu? », « Quand pars-tu ? », « As-tu besoin d’aide ? » Oui ! Encore de la veine d’avoir à mes côtés des collègues qui me soutiennent… Tout le monde s’est gentiment proposé pour prendre mes dossiers en attendant mon retour… Ils ne le savent pas mais ils ont pris pendant quelques secondes l’attitude des sauveteurs, prêts à épauler dès que les circonstances le nécessitent. Je sursaute. Le téléphone vient encore de sonner et mon cœur bat la chamade : - « Pardon, une erreur... » 3
« Bonjour Smee, as-tu entendu les nouvelles ? Il y a eu un séisme en Algérie… Je vais sûrement devoir partir rapidement »
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C’est le pire qui puisse m’arriver ! J’ai les nerfs en pelote et voilà qu’un hurluberlu… Hélas, à ce moment-là je n’ai que cette pensée en tête. Je peste ! Toujours aucune nouvelle d’Antoine. Je sais qu’il ne sert à rien de chercher à le joindre… Sa ligne est sûrement occupée et puis il a besoin d’être joignable à tout instant par les autorités algériennes. Mon instinct n’est pas au mieux de sa forme… Je me demande si nous ne sommes pas en train de vivre de nouveau une fausse alerte… Comme j’en ai déjà connu tant… Et tous ces pauvres gens qui attendent les secours de l’autre côté de la Méditerranée… Allez je rentre. Préparer mon sac apaisera la tension intérieure qui me taraude : duvet, cottes de travail, casquette, casque F2 et gants, lampe frontale et piles, chaussures de sécurité, affaires de toilette, trousse médicale, gamelle et quart, foulard, t-shirts, jeans, tout s’accumule sur mon lit tandis que je raye méthodiquement l’équipement préalablement listé, ce qui m’évite d’oublier le moindre objet… « Zut, pas de pile… », ne puis-je m’empêcher de dire tout haut… La population algérienne est très touchée… Plus de trois mille morts et disparus… Et la radio ne cesse de revenir sur ce drame qui frappe brutalement ce beau pays. Alors mon esprit s’éloigne, sort de cette pièce où je suis assise depuis un moment à écouter les journalistes… Et je me revois en Turquie, quelques années plus tôt. Izmit, quarante mille disparus, une population anéantie en quelques secondes, des familles entières ensevelies, broyées par des tonnes de béton… Et les images défilent, nettes, cruelles et vraies… Les odeurs macabres, la poussière asphyxiante, les regards hébétés, les larmes incontrôlables, des mots jetés ça et là aux croisements des chemins : « Aidez-nous ! »… « On est prêt à la perdre… »… « Je vous jure qu’elle est là-dessous, je viens 24
de l’entendre ! »… « Si vous saviez, il est devenu fou… »… « Merci, oh merci… » Et les secousses sismiques à répétition qui nous menacent sans cesse sur le terrain… Adrénaline à retenir, à contenir pour le sauvetage de mes frères. Oui, il est nécessaire de me préparer psychologiquement à revivre des instants semblables. Vingt-deux heures. Il est trop tard pour un départ immédiat et je n’ai plus de nouvelles d’Antoine. L’expérience des alertes avortées me fait penser que rien n’est encore joué. - « Alberto, tu peux te coucher… Je te rappelle demain matin »… Et de prévenir les secouristes en attente jusqu’au dernier. Le scepticisme est dans tous les esprits… Alberto ? Un vrai gars. Du sang italien pour sûr, un pompier de métier, un grand costaud au large cœur. Cela ne fait pas longtemps qu’il a rejoint notre association mais quelle chance de l’avoir parmi nous. Il est calme, posé, il est rigoureux mais lui aussi toujours prêt, toujours partant. J’admire sa femme qui le laisse partir. Elle comprend sa passion et participe à sa manière à la chaîne de secours qui se met en place. 23 mai Pas une seule sonnerie n’a retenti dans la nuit et pourtant je l’ai attendue… La déception me gagne : « Tout de même, il faut absolument qu’un départ se déclenche… Ils ont vraiment besoin d’aide là-bas… » Peine perdue, je m’habille sans conviction, prends un léger café et retourne sur le chemin de mon bureau… Je m’assieds finalement devant mon écran, peu convaincue de l’efficacité de mon travail aujourd’hui : surtout ne pas penser… L’attente est trop lourde à porter : 25
- « Il y a peut-être une chance… Mais non, c’est fini voyons, tu n’as plus aucune nouvelles, arrête… » - « Allo, c’est Antoine »… Pas nécessaire de te présenter, je connais ta voix entre mille et plus que jamais aujourd’hui ! Ca y est mon cœur de nouveau reprend ses battements fous… - « Vous partez, préviens tout le monde… Je te rappelle pour te préciser l’heure et le lieu du rendez-vous. » Oh non ! Pas ça, pas encore ! Tant pis, je veux y croire, je fonce… Je ferme mon ordinateur, la porte de mon bureau et repars dans l’autre direction … - « On démarre, prépare tes affaires ! »… Et voilà que la chaîne téléphonique se déclenche. Cette fois-ci c’est définitif… Je suis heureuse. Enfin ! Je vais pouvoir aider avec toute mon équipe et tous ceux qui seront sur place. Enfin ! Nous partons au secours de vies dont le temps est compté comme la valeur de diamants inestimables. Toute cette émotion des derniers jours me rappelle un homme de cœur et de métier… Jean-Claude qui pratique le sauvetage depuis longtemps. Il sait tellement bien raconter les missions qu’il a vécues ! Il encourage toujours avec ses yeux bleus profonds et sa voix si remplie de conviction. C’est un ancien comme on aime à le dire entre nous, un modèle, tout comme Antoine d’ailleurs. Ils adorent la jeunesse. Toute leur énergie, ils la donnent aux jeunes, pour leur apporter un idéal mais aussi pour les aider parfois à sortir de leur quotidien difficile. Ils nous ont déjà tant donné… Voilà des heures que nous roulons. Les véhicules chargés jusqu’à la gueule et le B90 débordant de matériel de déblaiement : caisses de froissartage4, de terrassement, 4
Technique d’assemblage de pièces de bois sans clous : installation de camp, étaiement. Les outils de froissartage sont aussi utilisés par les sauveteurs pour le dégagement de routes, d’une zone de travail, etc.
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groupes électrogènes, lampes, marteaux électropneumatiques, scies circulaires et tronçonneuses, matériel d’écoute, câbles d’acier et lots de cordage, brancards, échelles, écarteurs hydrauliques, tentes et nourriture pour dix jours au moins. Au bas mot, deux tonnes et demie d’équipement. On discute le temps d’une pause, on relaie les chauffeurs. La sécurité avant tout pour arriver sains et saufs… Eh bien oui, que pourrait-on faire d’un sauveteur mal en point ? Les secouristes doivent se retrouver sur les dockers de Marseille : Toulouse, la Hague, Paris, Dijon, Romans, Valence et j’en passe… Ils arrivent de toutes les régions de France. Chaque kilomètre me rapproche de cette ville du sud que je ne connais pas. J’aspire ardemment à sentir les odeurs de pins, à entendre le chant des grillons, à me rappeler les romans de la Provence, à revoir les lumineuses toiles de Van Gogh… Pourtant, mes pensées m’entraînent vers un autre horizon : la Bourgogne et son plateau de Langres.
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