Annoncer un cancer Diagnostic, traitements, rémission, rechute, guérison, abstention…
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Annoncer un cancer Diagnostic, traitements, rémission, rechute, guérison, abstention…
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Marie-Frédérique Bacqué
Annoncer un cancer Diagnostic, traitements, rémission, rechute, guérison, abstention…
Marie-Frédérique Bacqué Université de Strasbourg Département de Psychologie 12, rue Gœthe 67000 Strasbourg
ISBN-13 : 978-2-8178-0159-9 Springer Paris Berlin Heidelberg New-York ISSN : 2105-2700
© Springer-Verlag France, Paris, 2011 Imprimé en France Springer-Verlag France est membre du groupe Springer Science + Business Media Cet ouvrage est soumis au copyright. Tous droits réservés, notamment la reproduction et la représentation, la traduction, la réimpression, l’exposé, la reproduction des illustrations et des tableaux, la transmission par voie d’enregistrement sonore ou visuel, la reproduction par microfilm ou tout autre moyen ainsi que la conservation des banques de données. La loi française sur le copyright du 9 septembre 1965 dans la version en vigueur n’autorise une reproduction intégrale ou partielle que dans certains cas, et en principe moyennant le paiement des droits. Toute représentation, reproduction, contrefaçon ou conservation dans une banque de données par quelque procédé que ce soit est sanctionnée par la loi pénale sur le copyright. L’utilisation dans cet ouvrage de désignations, dénominations commerciales, marques de fabrique, etc. même sans spécification ne signifie pas que ces termes soient libres de la législation sur les marques de fabrique et la protection des marques et qu’ils puissent être utilisés par chacun. La maison d’édition décline toute responsabilité quant à l’exactitude des indications de dosage et des modes d’emplois. Dans chaque cas il incombe à l’usager de vérifier les informations données par comparaison à la littérature existante.
Maquette de couverture : Nadia Ouddane Mise en pages : Graficoul’Eure
Liste des auteurs
Françoise Auger Médecin généraliste 24, chemin Dupuis Vert 95000 Cergy Marie-Frédérique Bacqué Psychologue Département de Psychologie Université de Strasbourg 12, rue Goethe 67000 Strasbourg Gérard Benoit Service urologie CHU du Kremlin-Bicêtre 78, rue du Général Leclerc 94275 Le Kremlin-Bicêtre Cedex Faculté de Médecine Paris-Sud Université Paris XI Caroline Besson Hématologue Service d’hématologie CHU du Kremlin-Bicêtre 78, rue du Général Leclerc 94275 Le Kremlin-Bicêtre Cedex Faculté de Médecine Paris-Sud EA 1610 Ethique, Sciences, Santé, Société Université Paris XI
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Annoncer un cancer
Martine Derzelle Psychanalyste Institut Jean-Godinot 1, avenue du Général Koenig 51056 Reims Cedex Livia Edery Psychologue Département de psychologie Université de Strasbourg 12, rue Gœthe 67000 Strasbourg Patrick Festy Association « Connaître et Combattre les Myélodysplasies » 19, rue de l’Estrapade 75005 Paris Gilbert Gsell-Herold Psychologue Département de psychologie Université de Strasbourg 12, rue Gœthe 67000 Strasbourg Nicolas Guirimand Sociologue Institut de Recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux EHESS-UP 13-INSERM-CNRS 96, boulevard Raspail 75006 Paris URSHS de l’Institut de cancérologie Gustave Roussy (Villejuif) Alain Leplège Psychiatre et philosophe des sciences Département d’Histoire et de Philosophie des Sciences Université de Paris-Diderot 10, esplanade Pierre Vidal-Naquet 75205 Paris Cedex 13
Liste des auteurs
Marie-Estelle Pérennec Infirmière assistante de soins en sénologie Service consultation Centre de lutte contre le cancer 28, rue Laennec 69373 Lyon Cedex 08 Sandrine Rannou CHU du Kremlin-Bicêtre 78, rue du Général Leclerc 94275 Le Kremlin-Bicêtre Cedex Alain Ronson Psychiatre Institut Jules Bordet Rue Héger Bordet 1 B-1000 Bruxelles Grigori Stefos Psychiatre Institut Jules Bordet Rue Héger Bordet 1 B-1000 Bruxelles Frédéric Tresvaux du Fraval Département d’Histoire et de Philosophie des Sciences Université de Paris-Diderot 10, esplanade Pierre Vidal-Naquet 75205 Paris Cedex 13
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Sommaire
Une annonce pluridisciplinaire M.-F. Bacqué................................................................................................................................................
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Les principes de l'annonce d'une maladie grave M.-F. Bacqué................................................................................................................................................
1
L'annonce d'une hémopathie maligne, les « syndromes myélodysplasiques ». Du dispositif d'annonce au vécu des patients C. Besson, S. Rannou, F. Tresvaux du Fraval, P. Festy et A. Leplège .................................................
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Le dispositif d'annonce quatre ans plus tard, ce qu'en pensent les patientes M.-E. Pérennec ...........................................................................................................................................
43
Les impacts du dispositif d’annonce du diagnostic de cancer sur l’organisation des services hospitaliers et le travail des soignants N. Guirimand, C. Besson, G. Benoit et A. Leplège ................................................................................
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Facteurs psychologiques impliqués dans l'annonce du diagnostic de cancer L. Edery ........................................................................................................................................................
81
Aspects psychiatriques de la révélation d’un cancer : est-ce toujours un traumatisme ? A. Ronson et G. Stefos ..............................................................................................................................
95
Comment le travail en groupe Balint facilite-t-il l’annonce par le médecin généraliste ? F. Auger.........................................................................................................................................................
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X
Annoncer un cancer
Les blogs : où parler (écrire) de l'angoisse de l'annonce ? G. Gsell-Herold ...........................................................................................................................................
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Annoncer la « fin des traitements » ? M. Derzelle ..................................................................................................................................................
135
Conclusion : l’annonce du cancer comme modèle de la mort dans la vie M.-F. Bacqué................................................................................................................................................
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Une annonce pluridisciplinaire M.-F. Bacqué
« Bon, c’est positif », qu’il me dit. Heureusement que j’ai un diplôme d’interprétariat. Je parle le français usuel mais aussi la langue du Dr. GG. C’est un dialecte à part, que j’ai appris à force de fréquenter Monsieur le crabologue (…). « Vous voulez dire que c’est cancéreux ? » « Ben oui ! » me répond-il au téléphone. Marie-Dominique Arrighi. K, Histoires de crabe. Journal, Paris, 2010, Éditions Bleu autour.
Il aura fallu les avancées de la médecine carcinologique, une augmentation de la fréquence des cancers, mais aussi de leur guérison, un cadre juridique, une revendication publique (les États généraux du Cancer, 1998), un partage des connaissances avec le monde « profane », pour qu’enfin, en France, recule le tabou de l’annonce du cancer. La mesure 40 du plan Cancer en était la promesse. Nous sommes heureux de vous présenter le résultat de ces avancées. Celles-ci ne pouvaient qu’être d’origine pluridisciplinaire. Les médecins ont appris à partager un pouvoir qu’ils ont trop longtemps, en France, cru détenir en exclusivité. Ils ont accepté de le partager très progressivement avec les infirmiers et les autres professionnels paramédicaux. Comme de nombreuses institutions françaises, l’Église, la royauté et même la République, le centralisme culturel avait en effet conduit un corps (celui des médecins) à détenir un pouvoir de vie et de mort sur les patients. L’histoire de l’annonce médicale est mouvementée. Des thaumaturges qui gardaient le nom de la maladie caché ou déguisé derrière une langue inconnue des profanes, aux médecins plus modestes, n’avouant qu’à mi-mot aux patients leurs faibles possibilités thérapeutiques, on passe de Diafoirus à
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Annoncer un cancer
Knock en croisant Raymond Pellegrin interprétant un jeune médecin confronté aux grands patrons d’un hôpital de province (Les Hommes en blanc, 1955). Les derniers héros mondiaux de la médecine comme le Pr. Christian Barnard et sa fameuse greffe cardiaque (4 décembre 1967) nous ont appris à saluer les héroïques médecins et leurs non moins héroïques malades. Les événements se sont suivis, de la naissance de la petite Amandine jusqu’à la spectaculaire et symbolique greffe du visage en juin 2010... Là, se dessine, depuis une trentaine d’années, une lente démythification associée à la montée de l’autonomie du malade. Sur le plan de l’évolution de la médecine, l’accent mis sur la qualité de vie et la satisfaction du malade, les travaux sur les psycho-traumatismes et, pour finir, la place grandissante de la psycho-oncologie auront contribué à ces changements des dernières années. Comme pour toutes les maladies graves, une fois la survie assurée, on peut commencer à s’intéresser aux aspects moins urgents, mais non moins vitaux, que sont la psychologie, la sexualité, le travail, le bien-être.
Les invariants de l’annonce du cancer Les cancers ont bien changé depuis les cinquante dernières années. Et cela inquiète… Entre 1989 et 2005, les nouveaux cas ont augmenté de 89 %. Mais depuis 2005, c’est une augmentation de 10 % qui a eu lieu. En 2009, 350 000 nouveaux cas ont été déclarés, c’est dire qu’une famille sur trois est touchée par le cancer. Si le cancer est devenu la première cause de mortalité en France, le taux de guérison a progressé de 25 % depuis 1995. Ainsi, on rencontre de plus en plus de gens touchés par le cancer, mais aussi une proportion croissante de malades guéris. Un phénomène qui mérite d’être analysé, étant donné sa fréquence, sa gravité et aussi sa durée… Les cancers sont évocateurs de mort. Ils représentent la transformation physique, la souffrance, la peur. La médecine connaît bien la problématique de l’annonce, en général redoublée de l’urgence. Le cas classique de l’accouchement compliqué où le père devait prendre la décision de choisir entre la mère et l’enfant a cependant vécu. Si le paternalisme a pu engendrer une forme de bio-pouvoir, selon Michel Foucault, la réflexion éthique est passée par là, depuis les procès de Nuremberg. Les recherches sur l’annonce d’un diagnostic sont au départ contenues dans l’annonce de la mauvaise nouvelle. Mauvaise nouvelle au sens large : enfant malformé in utero, handicap à court ou long terme, mort prématu-
Une annonce pluridisciplinaire XIII
rée, stérilité. Posséder la mauvaise nouvelle et devoir la divulguer en l’amoindrissant, en la transformant pour la rendre moins abrupte, a toujours été une difficulté complexe pour le médecin. Comment dire sans entraîner le désespoir absolu, comment limiter les risques de passage à l’acte suicidaire, comment éviter de faire plus de mal encore ? Notre monde sécuritaire diminue les risques au maximum, mais nousmêmes n’avons plus la maturité de supporter l’approche d’un futur négatif. La mort est en effet si redoutée que son association avec le diagnostic de cancer produit un effet de bascule existentielle de la vie. Vivre sans projet est insupportable pour la plupart, devoir réorganiser sa vie autour de l’hôpital ou de la maladie est considéré comme une atteinte à notre libre arbitre ou de notre « droit à profiter de la vie »... Or, le cancer commence par un rendez-vous avec la mort. La mort fantasmatique certes, mais la mort rapprochée sans aucun doute. Qui plus est, cette mort n’est pas la mort extérieure, donnée par autrui. C’est une mort lente intériorisée. C’est une mort dont les prémisses sont rapidement dévoilés, paradoxalement, par des traitements qui devraient orienter vers la vie. La question de l’annonce du cancer est en fait celle de notre rêve de toute-puissance, partagé très démocratiquement depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Conjugué au fantasme d’un « progrès continu », rien d’étonnant alors qu’il produise un choc lorsque ce qui nous caractérise s’effondre. La santé est un bien volatile et inconsistant tant qu’on la possède. Elle est imperceptible et définie par son négatif (l’absence de symptôme), elle est manifeste dans l’autonomie, la liberté, la maîtrise. Des qualités qui, très vite, se muent en aptitudes morales et offrent une possibilité d’action sur le monde qui semble inépuisable. La perte de la santé reste cependant souvent une abstraction dans le cas du cancer, du moins dans un premier temps. Il faut donc une forte identification pour se reconnaître dans ce malade qui est décrit par le médecin. Pourtant, une équipe d’hématologie avec Caroline Besson du CHU du Kremlin-Bicêtre, aidée de chercheurs en psychologie et sociologie, d’une association (« Connaître et Combattre les Myélodysplasies ») et d’Alain Leplège, psychiatre et philosophe des sciences, a mis en place une étude de trois ans sur l’évaluation de l’annonce d’une hémopathie maligne. Sur 150 questionnaires adressés aux adhérents de l’association « Connaître et Combattre les Myélodysplasies », 73 ont été analysés et leurs résultats rapportés dans cet ouvrage.
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Annoncer un cancer
Ne pas faire mal avec les mots La moyenne d’âge est de 70 ans, ce qui correspond à l’observation épidémiologique générale du cancer qui atteint plutôt des personnes à partir de cet âge. Les vécus de l’annonce sont assez disparates : réactions relativement contrôlées, sentiment de gravité, parfois de violence, fréquemment d’incompréhension. L’impression de choc est nettement rapportée : c’est un choc physique qui provoque souvent une gestuelle automatique qui n’est pas engrammée, puisque certains patients « ne se souviennent de rien », les sentiments sont complexes, souvent contradictoires. Les hommes ont tendance à présenter un certain optimisme, les femmes témoignent de sentiments négatifs (appréhension, surprise). Mais que souhaitent donc les patients ? Ils évoquent avant tout les mots, le discours tenu par le médecin : « des mots moins difficiles à comprendre… », une singularisation de leur cas, la conservation de l’espoir : « les hématologues devraient être vigilants quant à la rédaction des comptes-rendus de consultation et rayer le mot ‘‘malheureusement’’ de leur vocabulaire. Le mien en contenait trois. Comment garder le moral devant tant de pessimisme ? » La plupart des répondants comparent l’effet du mot technique myélodysplasie à celui du mot cancer. Il semble qu’ils préfèrent que le terme de cancer soit prononcé. En effet, en tant que représentation, il ne doit pas laisser d’ambiguïté, cependant pour certains, le mot « chimio » est un équivalent du mot cancer et s’y substitue. Malgré tout, la place du mot cancer donne une certitude plus rassurante que certains termes plus techniques mais à la signification plus floue. Dans leurs écrits, les patients oscillent entre deux positions, l’une théorique où les informations conduisent logiquement à une action, la mise en place des traitements ; l’autre, plus singulière, s’attache à leur réaction affective et à leur besoin d’empathie. Dans tous les cas, cette étude nous apporte des éléments sur l’évolution des Français face au diagnostic de cancer. La maladie n’est pas dédramatisée, elle déclenche encore cet effet de bascule, mais elle nécessite bien un soutien de la part du médecin qui doit, par ailleurs, réfléchir à son discours écrit comme oral et se garder de produire des effets négatifs.
Une annonce pluridisciplinaire
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Une assistante de soins qui complète le dispositif d’annonce L’étude menée par Marie-Estelle Pérennec, infirmière qui préfère être nommée « assistante de soins », révèle les résultats de 300 questionnaires adressés après l’annonce médicale d’un cancer du sein et un entretien avec elle dans les deux à trois semaines qui suivent sa consultation. « Assistante de soins » semble à cette infirmière plus juste que le terme « infirmière d’annonce » qui peut induire une confusion avec le fait que, seul, le médecin annonce le diagnostic. Sur les 700 questionnaires adressés à des patientes après l’annonce de leur cancer du sein, 300 ont été retournés au centre Léon Bérard. Il s’agissait souvent de « ré-annonce », ce qui signifie que les différents consultants médecins avaient déjà présenté le diagnostic de cancer comme une possibilité. Mais celui-ci n’avait pas encore été confirmé officiellement. Lors de la confirmation, l’effet de choc est relaté, l’angoisse de mort aussi, d’autant que ces femmes sont aussi plus jeunes que l’échantillon précédent. Les émotions sont extrêmement présentes (sans doute parce qu’autorisées), l’écoute de l’infirmière est non seulement reconnue mais jugée fondamentale en termes d’existence renvoyée au malade, d’humanité reconnue et de garantie d’accompagnement.
Une consultation infirmière humanisante Il est clair que la consultation infirmière qui suit la révélation est particulièrement appréciée comme réconfort et pas seulement comme on aurait pu le croire en termes beaucoup plus opérationnels, comme garantie de la bonne compréhension du diagnostic ou comme pourvoyeur d’adhésion au traitement. Pour ces femmes atteintes d’un cancer du sein, à la question « Que vous a apporté cet entretien et qu’avez-vous apprécié ? » – 137 patientes répondent « informations, explications simples, adresses, réponses, orientations » ; – 120 patientes répondent « réconfort, assurance, sérénité, apaisement, calme, sécurité, douceur » ; – 37 insistent sur le mot « écoute » et d’autres mots comme « gentillesse, humanité, accueil, disponibilité, compréhension et courage ».
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Annoncer un cancer
Des demandes plus récentes L’intérêt de cette recherche, mise en place en 2007, est dans son évolution. Les demandes ont vite évolué du côté des femmes atteintes de cancer. Ainsi, la demande de confrontation avec d’autres femmes anciennement atteintes émerge. La demande de psychologue, mais aussi de partager avec sa famille font aussi partie du besoin de sortir de la solitude. Marie-Estelle Pérennec précise également que les médecins ont été frileux au début de l’expérience et communiquaient peu les références de l’infirmière assistante de soins, mais au fur et à mesure des réactions positives des femmes malades, la carte présentant l’infirmière a été de plus en plus largement distribuée. À l’issue de cette expérience particulièrement enrichissante et convaincante, nous attestons (s’il le fallait) de tout l’intérêt de la consultation infirmière. Sa place est sans aucun doute unique, rejoignant la demande féminine (et maternelle) d’entourage et de réconfort, en lien aussi avec les aspects symboliques du cancer du sein. Une analyse anthropologique serait intéressante pour différencier les besoins identificatoires s’inscrivant dans une recherche originale de solidarité féminine et les possibilités régressives autorisées aux femmes par nos sociétés. L’annonce du cancer est vraiment affaire de culture…
L’impact du dispositif d’annonce sur l’organisation hospitalière Dans le même registre, le chapitre du sociologue Nicolas Guirimand et de ses collaborateurs permet de comprendre les effets du dispositif d’annonce sur l’organisation des services hospitaliers. Ils comparent la place de l’infirmière d’annonce attitrée à celle d’une infirmière polyvalente ou encore au psychologue référent. Ils constatent que les infirmières dont le temps de travail est entièrement consacré à l’annonce sont souvent marginalisées par leurs collègues. Elles perdent à leurs yeux leurs compétences infirmières, elles sont isolées par leur réputation négative de personnage de mauvais augure. Bien que les institutions hospitalières n’aient pas vraiment accompagné les personnels soignants dans leur redéploiement pour appliquer le dispositif d’annonce, l’implication des infirmières a été caractéristique. Souvent passionnées par cette nouvelle tâche, elles ont véritablement transformé leur fonction pour donner du temps aux patients, elles ont modifié leur façon de parler du cancer, tenu à utiliser du matériel pédagogique pérenne. Les psychologues ont aussi un rôle clé pour renvoyer, quand cela
Une annonce pluridisciplinaire XVII
est nécessaire à l’équipe, la façon dont les malades ont vécu l’annonce. Celleci est alors considérée par les médecins comme un véritable acte thérapeutique, lorsqu’ils considèrent quels effets elle peut produire sur les malades. Dans les services où la mise en place du dispositif d’annonce a été effectuée, on observe une augmentation de l’intérêt des médecins comme des soignants à l’annonce du diagnostic, alors qu’une certaine standardisation était crainte au début. Le personnel médical et soignant se félicite de cette installation, tandis qu’il constate une amélioration de l’état psychique des patients et une meilleure adhésion aux traitements.
L’hostilité face aux soignants et le refus de traitement Livia Édery, psychologue, a analysé dans sa thèse les différents facteurs de personnalité entrant en compte dans le vécu de l’annonce du cancer et des traitements. En particulier dans le refus de traitement. Ici, les traits de personnalité hostiles prédominent. Les patients opposants, irritables et intolérants présentent souvent une méfiance importante à l’égard des soignants. Ils remettent en question les informations et recherchent des incohérences entre les différents intervenants. Si, cependant, ils perçoivent un cadre contenant et s’ils se sentent impliqués (et donc responsables) dans les prises de décision, ils pourront alors accepter l’enjeu du suivi. Cependant, ce sont souvent les médecins ou les soignants qui éprouvent des difficultés à ne pas céder devant leur impulsivité et leur violence. La place du psychologue ou du psychiatre peut évidemment devenir déterminante dans ce cas pour aider l’équipe soignante à comprendre ces comportements peu amènes.
L’importance de l’anxiété et de la dépression Au contraire, les patients anxieux ont tendance à accepter l’offre médicale parce qu’elle leur permet de pallier pendant un temps leur anticipation négative des effets de la maladie. De même, les patients déprimés sont souvent très inhibés pendant les consultations. Ils ne participent quasiment pas au dialogue initié par l’oncologue et s’expriment très peu. Leur adoption des propositions de traitement ne doit cependant pas leurrer l’équipe soignante. Ils peuvent abandonner très vite et, de ce fait, ont souvent besoin d’être suivis de très près afin de conserver une compliance minimale. La possibilité d’une
XVIII Annoncer un cancer
consultation systématique avec un psychologue ou un psychiatre, dès que le médecin a un doute sur les caractéristiques personnelles des patients, peut apporter beaucoup dans l’aménagement des consultations de suivi des patients.
L’annonce n’est pas toujours traumatique mais parfois… A fortiori lorsqu’un patient se plaint d’un choc persistant, de reviviscences, de réactivation de la peur intense et de stress envahissant, lorsqu’il se met à éviter ce qui pourrait le renvoyer au moment traumatique, lorsqu’il perd le sommeil ou ses capacités cognitives, on peut alors identifier un psychotraumatisme. Alain Ronson et Stefos Grigori se posent la question du cancer qui pourrait être conçu comme un système de traumatisation et de retraumatisation. En effet, certains facteurs impliqués dans une révélation abrupte pourraient être comparés à ceux qui provoquent les effets psychiques d’autres événements traumatiques comme les combats dans la guerre, les actes de torture ou les viols. Les patients qui présentent un état de stress aigu décrivent la consultation d’annonce comme une communication de très mauvaise qualité. Froideur, violence, intrusion, abandon les ont marqués au point de ne plus vouloir parler de ce qui s’était produit, mais de présenter de nombreux signes somatiques caractéristiques. Hélas, ces signes à l’origine de plaintes physiques se transforment en symptômes confondants ne permettant plus de distinguer ce qui peut être attribué aux traitements et ce qui découle des traumatismes. On imagine alors combien la rechute cancéreuse va croiser la réactivation du traumatisme. L’angoisse de séparation en jeu dans l’annonce (indirecte) de la mort pourrait sans doute être discernée à travers le style d’attachement des patients. Pour Alain Ronson et Stefos Grigori, ces dangers pourraient être palliés par une meilleure connaissance des diagnostics psycho-traumatiques de la part des médecins, des psychiatres et psychologues. Les indications psychothérapiques nombreuses impliquent une présence supplémentaire de thérapeutes dans les services d’oncologie. La clinique de l’annonce traumatique, du vécu traumatique de la dégradation de l’image du corps, du deuil de sa santé, de son corps d’autrefois a été déjà abordée dans des numéros spéciaux de Psycho-oncologie, elle mérite clairement un approfondissement pour comprendre des états dépressifs ou délirants, particuliers à l’affection cancer.
Une annonce pluridisciplinaire XIX
La clinique subtile du médecin généraliste Si les travaux précédents nous ont montré la complexité de l’annonce du cancer, la pratique de la médecine de ville y ajoute encore. Comment en effet aborder le cancer chez un patient qui vient consulter depuis l’enfance ? Comment annoncer quand toute la famille se rend dans le cabinet en ville et par ses remarques, ses regards, peut chercher à savoir ou tout simplement exprime une certaine maladresse à vouloir accompagner autrui ? Le médecin généraliste qu’est Françoise Auger montre très bien dans son chapitre les dilemmes, les hésitations, les compromis toujours mis au service du patient. Mais il y a des patients qui se font « famille » et des familles qui deviennent patients… Grande est la finesse nécessaire pour déplacer le cadre de la consultation, l’ajuster à chaque personnalité, garder les émotions pour les élaborer plus tard, être disponible, encore et encore. Grâce à quelques cas cliniques, nous comprenons comment la pratique du médecin généraliste, d’une extrême variété, est souvent faite de surprises, de colères mais aussi de nombreux moments de complicité à savourer avec ses patients. La pratique des groupes Balint permet cette reprise après les moments émotionnels les plus prenants, des ressentis, des représentations inconscientes, des ratés de l’accompagnement. Ainsi grâce à cet accompagnement que le médecin investit pour lui-même et pour ses patients, l’énergie ne se dilue pas en vain dans des actes et des paroles pas toujours thérapeutiques. Pour réserver aux patients le meilleur de soi-même, il faut encore se retrouver entre médecins pour lâcher enfin ce qui a précisément permis de tenir face à un patient. C’est à cette condition que la bonne distance peut encore permettre de rire ou de pleurer avec un patient, mais de rester là dans les moments de vérité.
Les blogs : une nouvelle clinique au temps d’Internet Apparus dès les années 1990, les blogs sont des constructions personnelles destinées à être lues par d’autres. Ces bio-feuilletons permettent aux lecteurs anonymes d’échanger, d’entrer en contact. La lecture des blogs délimite une communauté virtuelle composée de personnes sans aucun lien avec le bloggeur. Parfois les blogs peuvent engendrer de véritables relations, toujours caractérisées par une grande liberté. Gilbert Gsell-Hérold, psychologue, a analysé dans sa thèse une trentaine de blogs de patients cancéreux, tenus pendant des années. L’annonce y tient une place particulière surtout pour les femmes atteintes d’un cancer du sein : la découverte de la tumeur a lieu
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Annoncer un cancer
(avec un certain flou), puis, tout va très vite. Le « jour où les résultats tombent s’inscrit de manière indélébile dans le psychisme des patientes ». Les dates de l’annonce sont mémorables, la planète s’arrête de tourner. « La violence, la réalité insupportable, l’état de sidération » sont bien décrits. Le « verdict », la « condamnation » sont des mots qui qualifient ces annoncescouperet. Le médecin, « qui ne veut pas tourner autour du pot » et qui lâche « c’est un cancer du sein, mademoiselle », nous semble sorti d’un autre âge, celui qui évite et reste agité et angoissé sans rien dire est tout aussi anachronique. En lisant ces textes, on passe de l’autre côté de la barrière : ce n’est plus le patient qui raconte à un autre médecin, un psychologue, une infirmière… C’est celui qui écrit. Il n’a personne à protéger, il n’a pas une institution à respecter du bout des lèvres pour éviter d’éventuelles représailles, il n’a plus à revêtir l’uniforme du patient idéal. Dans ces blogs, les questions vous sautent au visage : « Vais-je mourir ? Pourquoi moi ? Ce crabe en moi, est-ce l’héritage de ma grand-mère ? Pourquoi pas mes cousines ou mes sœurs ? » Les émotions sont fortes et ne connaissent de limites que celles du vocabulaire et du mot adéquat pour une telle intensité.
Une écriture réactionnelle à un traumatisme Après la stupeur, les mots. Pour nous psychologues, psychanalystes, psychiatres, la production de mots est un bon signe. Le sujet se relève du choc, il peut de nouveau mentaliser les événements et les relier aux affects. Mais la déchirure initiale n’est-elle pas susceptible de se reproduire lors de la prochaine annonce ? Si les mots ont cette densité, peuvent-ils vraiment combler le trou sans fond lié à la rencontre avec sa propre mort ? La guérison de ce traumatisme semble suspendue à ce qui l’a précédé et à ce qui va suivre. Les autres traumatismes (identifiés dans les études comme PostTraumatic Stress Disorders selon le DSM IV-R), les traumatismes antérieurs, ceux qui font que 10 à 12 % des femmes ont subi des agressions sexuelles, des abus et négligences pendant l’enfance et que les hommes, pour 5 %, ont connu l’angoisse de la bagarre, le spectacle d’un préjudice, un accident grave, des menaces pour leur vie (Jolly, 2000). Ce passé joue fortement lors de l’annonce du cancer, bien qu’il n’ait rien à voir avec lui, il est cause de fragilité. Quant à ce qui va suivre, re-traumatisation lors d’une rechute, angoisse d’abandon lors de la guérison… Le blog tenu par Marie-Dominique Arrighi (2010) porte en sous-titre « Journal d’une nouvelle aventure cancérologique », mais pour une « aventure » de ce type (qui passe par la mort de l’auteure le 19 mars 2010), combien de peurs et de récupérations ? Chaque nouvel examen, chaque courrier même, transporte sa frayeur, son
Une annonce pluridisciplinaire XXI
angoisse. Cette usure conduit la plupart à l’émoussement affectif, espèce d’indifférence plate qui signifie bien « j’ai déjà connu le pire, que peut-il y avoir de plus grave ? » Le blog est tout de même celui qui va accompagner cette journaliste de Libération jusqu’au bout, grâce à son petit ordinateur portable. Confident sans transfert ? Ou transfert éparpillé dans les milliers de lecteurs imaginés ? Le nouveau médium que forme le blog est une possibilité de co-thérapie non négligeable et cela spécialement après l’annonce du cancer.
Les enjeux d’une consultation rémission Martine Derzelle, psychanalyste, s’est intéressée, dans son chapitre, à la guérison. Quand les patients apprennent que maintenant ils ne sont plus tenus de revenir aussi régulièrement qu’auparavant et que, sauf problème, ils sont dorénavant libres. La perte de « l’effet-cadre » des soins peut alors les renvoyer à une angoisse d’abandon désorganisante. Pour elle, le cancer est une affection chronique, parfois de très longue durée, associée aux peurs récurrentes de la récidive. Le choc de l’annonce a pu faire basculer l’identité au point de faire passer une personne du fantasme d’invulnérabilité à la faillibilité. Mais c’est surtout l’imprédictibilité qui est usante. L’institution soignante propose souvent, selon l’auteure, aux patients une « construction adjuvante et contenante qui donne une identité substitutive de placage, colmatant la fracture du rêve d’intégrité ». Le malade, dépouillé de sa croyance dans son immortalité, a adhéré à la nouvelle identité remise lors de l’annonce de la maladie. Mais cette identité pourrait n’être que partielle, donnée par l’institution, mais déposée à l’extérieur. Or, le malade finit par la conserver lorsque « l’aventure » du cancer se prolonge. Alors, comment « vivre à découvert » ? Voilà la proposition de la consultation rémission : un échange clair au sujet de la fin des traitements, de la fin du lien avec l’équipe soignante, mais peut-être aussi la conservation des entretiens psychologiques pour réapprendre justement à se séparer une fois pour toutes… On le conçoit bien maintenant, la consultation d’annonce est un ensemble polyphonique. Menée, dans un premier temps, par un médecin qui s’engage dans un pacte de soins, elle est poursuivie par une infirmière qui apporte réconfort et informations supplémentaires. Elle peut ensuite donner lieu à des entretiens psychologiques se prolongeant éventuellement par une psychothéra-
XXII Annoncer un cancer
pie. L’annonce, dans le cancer, est souvent un choc la première fois, mais lorsqu’elle se répète, elle devient violence usante, décapante, au point de provoquer l’émoussement ou l’anesthésie affective. Le médecin reste compagnon de route, surtout s’il est le généraliste, le familier, celui qui connaît la maison… Ce médecin, cette équipe, s’ils veulent conserver leur fraîcheur d’âme, leurs compétences thérapeutiques, peuvent prolonger leur mission d’accompagnement des malades par un véritable travail en groupe, sur la relation soignante. Groupes Balint, parfois groupes de parole, supervision individuelle sont nécessaires parce que l’annonce n’est pas une et indivisible, mais adaptation, fluctuation autour des représentations et des cultures. L’éthique, en revanche, est invariable : en premier est le sujet, son originalité, sa singularité. La reconnaissance des transferts, des défenses et de tous les aspects inconscients de la relation sont complémentaires de cette approche qui reste un modèle du lien social d’aujourd’hui.
Bibliographie Arrighi MD (2010) K, Histoires de crabe. Journal. Paris Éditions Bleu autour Jolly A (2000) Événements traumatiques et état de stress post-traumatique. Une revue de la littérature épidémiologique. Ann. Méd.-Psychol. 158 (5): 370-8
Les principes de l’annonce d’une maladie grave M.-F. Bacqué
Du cabinet médical au grand public L’annonce d’une maladie grave n’est pas une nouveauté en médecine. Elle a longtemps été une affaire privée, réservée à la consultation médicale. Pour les affections incurables, le patient majeur était le plus souvent informé pour des raisons religieuses : il lui fallait préparer son âme à Dieu. Pour les mineurs et souvent aussi pour les femmes, les personnes dépendantes, ce sont les tuteurs qui étaient informés. Dans les services de cancérologie, il en a longtemps été de même. La famille savait que son proche avait un cancer et parfois portait le secret jusqu’au bout. Ces secrets transformaient le plus souvent les relations familiales en séries de fuites, dénis, dénégations, au point que l’altération des liens affectifs devenait insupportable. Les changements sont venus tardivement en France avec la démocratisation du pouvoir médical, avec l’augmentation de la culture générale de la population et sa revendication antipaternaliste. La question « de dire le diagnostic » s’est focalisée sur le cancer depuis les années 1980, mais de nombreuses situations médicales exigeaient aussi une réflexion de fond en raison de leur impact psychologique à court et moyen terme. L’annonce d’une démence de type Alzheimer posait la question de l’incurabilité, de l’angoisse de la dépendance, de la dépression et du suicide (1). Le diagnostic prénatal et les enjeux de la réanimation des bébés prématurissimes ont entraîné de nombreuses réflexions ainsi que des ouvrages sur l’annonce d’une pathologie neurodégénérative, d’une maladie génétique… Tous ont, de façon discrète mais ferme, apporté au moins une opposition préalable à une réponse dogmatique. Il apparaissait de plus en plus que le débat sur la révélation diagnostique devait s’ouvrir à une réflexion pluraliste. Ainsi le Comité National d’Éthique s’est interrogé sur les conséquences d’une révélation diagnostique à un malade, à un enfant, à ses proches, à son
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employeur. Cette participation de l’instance éthique à une question, somme toute banale de la pratique médicale, a élevé le niveau d’un problème qui jusqu’alors se résolvait « sur le tas » et est bientôt apparu comme un véritable casse-tête avec des textes parfois contradictoires, entraînant un avis collégial. La démocratisation d’Internet a accéléré le processus devant le nombre de patients (vous, moi) en train de rechercher les noms de leurs symptômes. Les effets parfois dévastateurs de telles prises de connaissances brutes n’ont fait que tirer le signal d’alarme. Bien qu’aujourd’hui les sites acceptés par la certification HON-HAS (Health On the Net-Haute Autorité de Santé) soient les plus fiables, cela ne veut pas dire pour autant que le patient sera accompagné. Le fait de fréquenter les sites Internet permet plutôt de préparer sa consultation avec son médecin. Nous y reviendrons.
Ne pas mentir, garder l’espoir « Ne plus mentir »… Bernard Hoerni a développé dans son historique du mensonge en médecine (2) une chronologie de l’histoire du diagnostic en France. Si, avant les années 1980, les positions sont extrêmement prudentes et les points de vue en faveur de la révélation, anecdotiques, le véritable ébranlement d’une pratique de mensonge « compassionnel » destiné à ne pas affoler le malade a lieu avec la promulgation de la loi Huriet-Serusclat (1988). Bien que dédiée à la protection des personnes participant aux essais cliniques, les fiches d’information et de consentement reposent désormais sur une connaissance bien délicate à mettre en œuvre. B. Hoerni (ancien président de l’ordre des médecins) souligne qu’elle entraîne une protestation de l’instance ordinale quasi générale et véhémente… L’évolution est cependant en marche et se voit consacrée par l’article 35 du code de déontologie médicale de 1995 : « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée. » La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, confirmera que « toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé ». La révélation de la maladie débouche fort heureusement en général sur l’annonce de traitements. Cependant dans certains cas, l’absence de traitement à court terme n’empêche pas d’annoncer la maladie. On observe que, dans ces conditions, la vérité peut s’avérer moins angoissante que des échecs successifs, témoins d’une létalité envahissante. Mais ce paradoxe s’établit lorsque la relation avec le médecin ou l’équipe semble plus puissante que l’arrêt de mort latent. Le malade, devant une relation authentique et fiable, peut être amené à faire le point sur sa vie et à préparer sa mort. Comme pendant des millénaires, ces préparatifs revêtent une importance spirituelle fondamen-
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tale (même chez l’enfant). Le fait que la personne ne se sente pas « vidée » de son identité, de son rôle social ou affectif, la conduit à accepter ce temps qui lui reste, après des passages de révolte ou de refus. Ce qui semble primordial dans tous ces cas est la nécessité de ne pas mentir, tout en respectant les défenses du patient qui a besoin de temps pour s’aménager, pour questionner, pour s’exprimer affectivement et rationnellement. « Ne pas enlever l’espoir » est le deuxième principe. Il a bénéficié de l’expérience des soins palliatifs. En phase terminale, il n’y a clairement plus l’espoir de repousser la mort dans un temps relativement court. Cette fois, la promesse des soignants et des médecins ne porte plus sur les tentatives thérapeutiques, mais sur l’accompagnement : « Vous ne serez pas seul, nous ferons le maximum pour être auprès de vous quand vous en éprouverez le besoin et même sans le formuler, nous ne vous abandonnerons pas. » En trente ans, les soins palliatifs, les services d’anesthésie-réanimation, les coordinateurs de prélèvements d’organes, les services d’oncologie ont propulsé la question de l’annonce au-devant de la scène. Mais là encore, point de réponse toute faite, plutôt des principes et un investissement des protagonistes dans une remise en cause fréquente et stimulante lors d’un travail de groupe.
Préliminaires à la formation du médecin La question de l’annonce est à la fois morale et éthique. Morale car elle fait partie des devoirs du médecin. Ils sont pondérés par le code de déontologie médicale qui souligne que la nécessité de ne pas nuire peut conduire le médecin à différer la révélation complète de la maladie pour éviter une réaction extrême du patient. Éthique, l’annonce l’est du fait qu’elle ne préjuge pas d’autrui comme d’un être fragile qui implique protection absolue au détriment de son autonomie. Il est éthique de ne pas agir de façon systématique et de prendre en compte la personnalité du patient et son histoire pour ensuite divulguer les connaissances sur sa maladie afin de lui donner toutes les chances de se soigner. D’autre part, la possession d’un savoir sur autrui donne un pouvoir dont le médecin doit apprendre à user avec mesure. Ce pouvoir, reconnu par le médecin, devrait légitimement servir à maintenir la confiance et à soulager le patient de l’angoisse liée aux traitements pour se laisser guider plus sereinement. En termes de pratiques professionnelles, le processus de l’annonce peut être préparé dès les études de médecine par un questionnement personnel et en groupe sur la relation médecin-malade et les aspects psychologiques, éthiques et déontologiques du savoir.
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Peut-on former un médecin (un soignant) à la relation ? C’est une question largement débattue sur laquelle, depuis Michael Balint1, les facultés de médecines françaises butent encore, alors que nombre d’autres pays occidentaux intègrent systématiquement des groupes Balint dans leur formation. L’idée de centrer les médecins sur le malade plutôt que sur la maladie est élémentaire. Et pourtant, combien de médecins trouvent plus de satisfaction intellectuelle à la recherche diagnostique et à l’élaboration d’une thérapeutique qu’au difficile et complexe suivi du malade et de ses proches. On observe souvent une corrélation inversement proportionnelle entre technique et relation. Ainsi, plus la pratique médicale est technique, moins elle comporte d’investissement relationnel, au contraire, le médecin généraliste, qui est moins centré sur une technique mais plutôt sur la globalité diachronique du patient, développe une relation dense et complexe avec tous ses malades. L’approche psychanalytique de la médecine a connu ses lettres de noblesse dès les années 1970 en France avec Ginette et Émile Raimbault, mais Françoise Dolto et Jenny Aubry leur avaient ouvert la voie dans le secteur pédiatrique. Lucien Israël l’avait largement souligné : « Le rôle de la psychanalyse est de maintenir un humanisme médical, et peut-être même de sauver une médecine menacée de toute part par un néoscientisme dont on voit poindre partout les signes avant-coureurs. » (3). La médicalisation de la vie pointée par Roland Gori et Marie-Josée Del Volgo (4) a montré que le pouvoir des médecins leur échappait désormais face au diktat du chiffre et de la preuve. La numérisation du corps humain et de ses composantes biologiques prenait le pas sur l’histoire du patient et ses affects. L’approche psychanalytique est en effet la seule qui mette en évidence les éléments cachés derrière les réactions des médecins face au malade atteint de cancer. Ces éléments inconscients varient, bien évidemment, avec chaque malade, chaque maladie. Il est impossible de se former à la rencontre de tous. En revanche, l’habitude de se poser les questions directes : « Qu’est-ce que ce malade déclenche en moi ? À qui me fait-il penser ? Ai-je envie de continuer avec lui ? », constitue la meilleure base pour affronter et continuer de suivre les patients que l’on n’a pas forcément choisis. Ainsi, le souhait de M. Balint (5) d’une reconnaissance de l’impact psychique en médecine et d’une formation psychologique des médecins correspond-il très clairement à la demande formulée aux États généraux du Cancer en 1998 : « Nous voulons plus de psychologie, pas plus de spécialistes, mais plus de psychologie chez nos médecins. »
1. Michael Balint (1896-1970) est un médecin et psychanalyste d’origine hongroise, installé en Angleterre en 1939. Il a créé la méthode dite des « groupes Balint », réunions régulières de médecins (généralistes), animées par des leaders formés à la psychanalyse, destinées à intégrer les éléments inconscients de la relation médecin-malade. Voir le site de la Société Médicale Balint : www.balint-smb-france.org
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La formation à la psychologie est souvent conduite de manière partielle, hélas. Des cours de psychologie n’ont pas grand sens car ils sont forcément insuffisants dans un cursus d’études médicales déjà extrêmement lourd. Des cours de psychopathologie sont trop souvent dédiés au diagnostic et à « l’orientation » vers le bon spécialiste et ne vont pas permettre une remise en cause de l’attitude et de la relation du médecin. Des cours de communication médicale sont trop souvent réduits à une série de recettes et de prises de conscience ponctuelles qui ne modifient pas en profondeur le médecin. La pédagogie la mieux adaptée à la formation à la psychologie de la relation revient à nouveau à travailler sur les cas. Non pas en groupes de pairs (trop centrés sur le bon diagnostic ou le bon traitement) ou en jeux de rôles (intéressants surtout sur le plan du comportement non verbal mais trop superficiels), mais en groupe de type Balint. Pourquoi en groupe ? Parce qu’il est fondamental d’apprendre à écouter ses collègues et de retrouver, dans leur discours ou dans leurs attitudes, ses propres réactions. D’autre part, le travail de groupe facilite les échanges interprofessionnels et augure des relations institutionnelles. La capacité à annoncer une diversité de pathologies à autant de patients singuliers nous semble relever, d’une part de l’intégration des principes de l’annonce, d’autre part d’une formation continue sous forme de participation à un ou plusieurs groupes Balint de travail sur des cas (6).
Et la formation du malade ? Il nous paraît important de ne pas mettre la responsabilité de l’annonce sur l’unique corps médical. Nous estimons que la peur des maladies chroniques, de la souffrance du cancer et de la mort en général relève de notre société tout entière actuelle. La situation serait moins traumatisante si nous pouvions échanger plus fréquemment sur la maladie et la mort. Des recherches sociologiques et anthropologiques nous permettent de comparer les représentations de la maladie et de la mort entre différentes populations. Sur un plan historique, nous pourrions aussi bénéficier des enseignements qui montrent combien la mort et sa préparation ont été, pendant des millénaires, l’objet principal de la vie pour la plupart. Enfin, de façon très pragmatique, il apparaît que si l’on souhaite limiter l’infantilisation des patients, il est judicieux de baliser les grandes rencontres médicales par des points de repère. Le patient peut en effet préparer son entretien par des éléments simples.
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Comment préparer la consultation médicale et le suivi du côté du malade Présentation subjective du malade : – savoir se présenter avec les principaux événements de sa vie. Ici, le subjectif l’emporte largement sur une quelconque objectivité : qu’est-ce qu’il est important de transmettre à mon médecin ? Les événements physiques : maladies, opérations, accouchements, réanimations, mais aussi opérations de « confort » (de plus en plus de chirurgie esthétique), les événements familiaux (divorces, ruptures, deuils), l’environnement familial, le milieu rural ou urbanisé, le travail et son coût en termes d’horaires, d’investissement physique et psychique ; – ce qui est important : principes de vie, identité culturelle, sexualité, descendance, questionnement face à la blessure et à la mort ; – ce qui est inquiétant : les symptômes, les traitements, les évolutions irréversibles ; – les attentes vis-à-vis du médecin et de la médecine.
Relation d’affiliation réciproque Le médecin n’est pas interchangeable. Le malade établit une relation unique avec lui (comme avec tout membre de l’équipe). Cette relation se traduit par une notion de confiance : « Ce médecin est mon médecin. » La confiance est réciproque : « Ce malade est mon malade. » Ces derniers termes ne signifient pas seulement possession, comme on le pense souvent. Il s’agit aussi de confiance, le médecin souhaite savoir si le malade doute de ses traitements, il peut aussi comprendre que le malade sollicite un deuxième avis. On peut élargir cette idée au fait que le médecin aimerait savoir si le malade a besoin de traitements complémentaires (combien de malades font appel aux médecines alternatives sans prévenir leur médecin). Le malade peut s’interroger sur les droits et les devoirs qu’implique cette affiliation réciproque. Il peut aussi verbaliser son désir de parler de sa relation à son médecin. On relève à la lecture de témoignages et de blogs de malades combien les femmes parlent (et écrivent) plus facilement que les hommes sur leur relation avec leur médecin. Elles se sentent parfois naïves ou « demandeuses », mais beaucoup abordent sincèrement leur besoin de soutien affectif de la part de leur médecin (7, 8).
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Comprendre et discuter la façon de travailler des médecins et des équipes soignantes Le contraste entre la symptomatologie angoissante et l’absence de réponse immédiate du médecin provoque souvent l’étonnement. Certains malades sont choqués ou déçus que les infirmières ou les médecins ne soient pas préoccupés ou alarmés par leur état, qu’ils puissent encore rire, répondre au téléphone, être pressés de rentrer chez eux, etc. La médecine est un travail qui a des horaires, des limites, mais qui permet aussi de gagner sa vie, de prendre du plaisir, de rechercher des satisfactions. Reconnaître ces conditions permet moins de décalage entre les protagonistes.
Savoir demander, savoir remercier Beaucoup de malades n’osent pas… Et l’institution hospitalière fait tout pour limiter ces demandes d’un point de vue architectural, mais aussi organisationnel et humain… Une certaine créativité pourrait pourtant permettre des améliorations. Des questionnaires de satisfaction comme dans les hôtels relèveraient sans doute d’importantes revendications au sujet des bruits, de la cuisine inadaptée, des attentes prolongées… La possibilité de critiquer doit être donnée aux malades sans que, pour autant, ils n’aient l’impression de détruire leur propre outil de soins ; cela leur permettrait également de s’orienter vers des réflexions sociales et politiques et de poser la question des investissements dans le système de santé. Les remerciements aux équipes ont un effet considérable. Les boîtes de chocolat sont souvent offertes aux infirmières ou aux médecins généralistes, rarement aux médecins hospitaliers. Cela illustre la distance qui existe avec eux. Cependant, des lettres de remerciements adressées aux chefs de service touchent toute l’équipe lorsqu’elles sont lues en réunions. Une véritable sociologie du remerciement peut être établie comme contre-don. L’étape ultime étant franchie par les malades qui « donnent leur corps à la Médecine » pour remercier un médecin, une équipe de les avoir soignés. Ce sacrifice ultime des rites funéraires pour combler le médecin, par-delà la mort, en dit long sur les liens fantasmatiques que nourrissent certains entre la médecine et la mort. Une anthropologie du don établirait sans doute un parallèle avec les offrandes destinées aux dieux ou à leurs effigies. Religion et médecine ne sont jamais très éloignées, dans le domaine du cancer plus encore, avec un vocabulaire fortement emprunt de croyances (annonce, révélation, rémission)…
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Première étape de la consultation d’annonce : préparer et installer la relation Préparer l’annonce du diagnostic du côté du médecin Lorsqu’on lit la littérature médicale anglo-saxonne sur le sujet de l’annonce, on est frappé par la fréquence de l’expression what concerns … patient/doctor. Ces préoccupations du malade ont une influence sur sa propension à se déprimer ou à s’angoisser. Le médecin, s’il veut établir une bonne relation et une relation de longue durée avec son malade, doit se sentir concerné par ses préoccupations. Selon l’étude de Maguire (9), cette prise en considération augmente la satisfaction et même diminue les souffrances des malades. Malheureusement, moins de la moitié des problèmes sont traités pendant la prise en charge d’un cancer…
La question de l’accompagnateur Les approches psychologiques du groupe humain nous ont appris qu’il était difficile « d’extraire » le sujet de son groupe, spécialement en situation de danger. La question de recevoir le patient seul ou accompagné se pose dans la consultation d’annonce. Il est important qu’un proche accompagne le patient, en particulier pour rentrer avec lui (surtout en voiture, pour éventuellement prendre le volant), en revanche, il n’est pas certain qu’il soit judicieux d’accepter sa présence pendant la révélation. Premièrement, il est souhaitable que le médecin demande au patient s’il désire être accompagné ; deuxièmement, il serait pertinent que le patient puisse rester seul avec son médecin à un moment de la consultation. Il est clair que barrer l’entrée du conjoint ou de l’ami aura un effet désastreux, c’est donc après le début de la consultation que l’on pourra proposer d’aborder « des questions personnelles de santé, qui parfois sont intimes et qui nécessitent que le patient soit seul avec son médecin ». S’il est clair que le patient « n’a rien à cacher à son épouse », le médecin pourra plus tard proposer cette consultation en duo. Les couples d’une certaine génération (jusqu’à la génération d’après-guerre) sont pour la plupart forgés sur un modèle paternaliste, mais dans lequel, à partir de la soixantaine, l’épouse exerce un fort ascendant sur son conjoint. Cette épouse pose souvent les questions à la place du malade et se charge de tous ses soins (de bouche, de toilette, de poche, de trachéotomie, etc.). Elle sera aussi sujette potentiellement à un traumatisme (vicariant, c’est-à-dire en tant que témoin de ce qui
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arrive à son conjoint), ce sera elle qui, le plus souvent, présentera une dépression chronique liée à l’épuisement de l’accompagnement. Cette projection dans l’avenir nous rend vigilant à préserver tant que faire se peut cet espace privilégié entre le malade et son médecin, en dehors du jugement d’autrui.
Établir la toute première relation Emmanuel Lévinas a mis en exergue la place « philosophique » du visage. Ce visage « porte » notre identité, notre histoire, notre désir. Le premier regard du médecin sur le patient est aussi révélateur de l’accueil donné au visage du patient. Or, l’écoute des patients permet d’entendre les limites de ce principe. Nous ne prenons évidemment pas en compte la surcharge de consultations, l’épuisement des médecins, la difficulté d’un nouvel investissement émotionnel lorsque l’on a « une file active » de centaines de patients. Il semble souhaitable que les conditions de travail et la réflexion personnelle du médecin sur ses réactions inconscientes lui permettent de considérer d’un œil neuf ce patient et de s’arrêter pour le regarder. Ce regard n’est ni entomologique ni commercial ; nous forçons le trait, mais le médecin qui juge avant tout du bon état général du patient qui lui permettra de supporter la chimiothérapie agressive n’est certainement pas celui qui offre le regard humanisant, respectueux du patient. Le médecin se lève et va à la rencontre du patient pour lui serrer la main. Détail ? Dans cette démarche, il y a le véritable investissement qui montre l’effort dédié au patient et le caractère de relation qui s’établit d’emblée. Certes, nous reconnaissons que cette relation sera toujours inégalitaire, mais du moins, sur le principe, a-t-elle débuté par le symbole du pacte d’alliance. La position des fauteuils a toute son importance : deux fauteuils à 90 degrés sont placés face au bureau. Même si le médecin a besoin de revenir derrière le bureau pour signer des documents, cette première posture ouverte, mais indirecte, sera agréable au patient. Un face à face absolu serait gênant à notre avis car angoissant pour le patient ; cette posture médiate est recommandée par nos collègues canadiens et anglais qui ont beaucoup d’avance sur nous (10, 11). En tant que psychanalyste, j’emploie également cette disposition lors d’un premier entretien, pour les mêmes raisons « d’engagement sans forçage ». L’entretien est oral bien sûr, mais l’utilisation d’un paper board, voire de l’écran d’ordinateur, peut s’avérer utile, cependant l’intrusion d’un objet technique vient souvent rompre la relation ou sert de parade au médecin. Ces outils seront peut-être souhaitables plus tard, de même que des plaquettes ou des DVD interactifs. Pour les enfants, il est vrai que ces objets peuvent être gratifiants et permettent une mise en retrait (tout en écoutant)
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pendant que les parents s’entretiennent avec le médecin. Signalons dans ce registre le grand intérêt des affichettes et des livrets qui expliquent ou permettent à l’enfant de manipuler les termes difficiles ou qui font peur (association Sparadrap). Si le verbe semble l’outil principal de l’annonce, le médecin apprend également à connaître ses réactions comportementales et à les contrôler. Il risque de confronter le patient à une certaine dissonance, en effet, s’il croit offrir une écoute approfondie et qu’il présente paradoxalement une attitude de lassitude ou d’impatience masquée. Les traits du visage, mais aussi l’agitation des membres, la posture, la distance avec le patient, le contact d’œil à œil ou le toucher direct de son corps sont des éléments permanents de l’entretien. Tous ces éléments non verbaux deviennent primordiaux lorsque le patient, pour des raisons de « décrochage du discours » parce que les mots sont trop anxiogènes, se réfère dorénavant uniquement aux indices comportementaux. Les premières paroles au sujet de la maladie seront plutôt des questions ouvertes. Robert Buckman utilise la formule Ask then tell, nous emploierions plutôt « Ecouter, questionner puis parler ». Seules les questions ouvertes permettent la liberté de pensée. En effet, répondre à une question fermée, enferme, comme son nom l’indique, dans la question. Cela limite toute association de pensée et focalise le patient sur la demande du médecin. Or, c’est bien le malade qui a une demande. Les grandes questions ouvertes du début de la consultation d’annonce sont banales, d’autant plus que le médecin généraliste, le laboratoire d’analyses médicales, le radiologue ont laissé entendre que quelque chose de grave se tramait : « Comment cela a-t-il commencé ? », « Pourquoi avez-vous consulté initialement ? » « Comment vous sentez-vous aujourd’hui ? » « Que comprenez-vous de la situation ? » Laisser la parole au patient va le libérer de l’attente anxieuse de l’annonce couperet. En prenant la parole, le patient déploie son existence tout en abordant progressivement le sujet de sa consultation. Les recherches de Darius Razavi et son équipe (12) ont montré que des groupes de médecins formés à l’annonce de mauvaises nouvelles, les uns à vingt heures, les autres à dix heures, permettaient proportionnellement à leurs patients de parler et d’aborder les sujets anxiogènes. Nous comprenons cependant que poser des questions fermées pour le médecin lui permet de fragmenter les réponses potentiellement angoissantes. Plus le médecin est à l’aise, plus il pose de questions ouvertes et plus les questions sont ouvertes, plus le patient se sent compris globalement et non pas comme « une maladie » ou « une somme d’organes ».
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La pose du cadre Le premier entretien devrait déboucher sur le cadre de la relation. Les entretiens peuvent être délimités : « Nous avons trente minutes au moins et nous pouvons facilement nous revoir la semaine prochaine. » Cette assurance évitera le questionnement à marche forcée produit par un patient qui a noté une liste de questions à poser et qui ne parle plus librement. Le médecin présentera dans ce cadre, sa personne, son appartenance hiérarchique et institutionnelle, ses liens avec le médecin généraliste, son équipe infirmière (spécialement la visite de l’infirmière d’annonce) et paramédicale. À cette occasion, il peut aussi présenter le psychologue du service et les possibilités d’appartenance à un groupe de malades. Ici, nous insistons pour que cette présentation soit sans ambiguïté : un médecin qui dit : « il y a un psychologue dans le service, mais je ne sais pas quand il consulte » ou bien « c’est compliqué de le joindre » délégitime immédiatement ce collaborateur. Même chose pour les groupes, le moindre flou montre le peu d’intérêt porté ou le doute quant à leur efficacité. Nos collègues du Memorial Sloane Kettering Institute de New York aux États-Unis disent dès la première consultation : « Je vous conseille de rencontrer les animateurs de nos groupes de malades, cela fait aussi partie du traitement… » Terminer les présentations par : « si vous en êtes d’accord, je serai dorénavant votre médecin oncologue référent» est extrêmement rassurant pour le patient. Lui donner sa carte de visite, avec le téléphone de la secrétaire et les jours de consultation, confirmera la place du médecin et rassurera le patient pour la suite des opérations.
Deuxième étape de la consultation d’annonce : que sait le patient ? Le truisme de Jay Katz : « Que sait le patient ? Demandez-le-lui ! » a beaucoup dédramatisé la question, mais ce qui frappe est la sous-estimation des médecins quant à la connaissance préconsciente de leur diagnostic par les patients. À l’époque d’Internet, on pourrait craindre une hypocondrie généralisée, mais les autodiagnostics des patients sont plutôt raisonnables. En revanche, la dédramatisation du diagnostic de cancer passe certainement par une démarche heuristique qui vient du patient et non pas du médecin. Ce pas à pas va être obtenu par la narration des événements par le patient lui-même, à partir de la question simple posée par le médecin : « Cela m’aiderait d’en savoir plus sur le déroulement des événements qui vous ont amené ici. Comment tout cela a-t-il commencé ? » C’est ici le patient qui
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organise la suite signifiante des événements. Il n’est plus victime d’une réalité qui le dépasse, il construit progressivement le fil d’une chaîne qui peut conduire à un état inquiétant. C’est à partir des représentations et même des mots du patient que le médecin va pouvoir donner la signification médicale des symptômes perçus : « Cette fatigue incompréhensible, cette boule qui grossissait, ces traces de sang sur votre mouchoir, ces diarrhées alternant avec une constipation, etc. » Ici, l’interprétation médicale ne doit pas venir en compétition avec celle du malade. Ce que M. Balint appelait la fonction apostolique du médecin, qui consiste à vouloir absolument convertir le malade aux théories de la médecine, n’a pas d’action en profondeur et peut même bloquer le malade. Dans de nombreux cas, une théorie personnelle du malade semble aberrante au médecin et ce dernier croît de son devoir de l’en détourner. Or, les représentations personnelles du malade sont respectables. Le médecin peut questionner le patient : « Qu’est-ce qui vous amène à penser cela ? », puis, donner son avis : « Je ne partage pas votre point de vue, mais je comprends que vous ayez fait cette hypothèse… Cependant, mon expérience me permet de dire que… » Pendant longtemps, l’étiologie du cancer est restée extérieure au sujet. Comme de nombreuses maladies, le cancer ne pouvait venir que des conséquences d’une faute commise à l’encontre du groupe. La vengeance de la victime ou des dieux ne se faisait pas attendre : le coupable payait dans sa chair. Cette vision simple est retrouvée dans de nombreuses sociétés, elle a longtemps expliqué les maladies, mais aussi la mort qui venait toujours de l’extérieur (mauvais sort, envoûtement en réponse à une malversation, jalousie). Les interprétations scientifiques des maladies imposent l’abandon de ces théories « primitives », cependant, elles ne donnent plus sens à la maladie. Il y a même absence de sens dans la mutation de l’oncogène, dans la lente transformation des cellules, dans l’envahissement métastatique, etc. Vouloir persuader un malade du fait qu’il n’y est pour rien dans son cancer peut engendrer une surdité psychique liée à son besoin d’attribution causale personnel. Ainsi, en psychologie de la santé, ont été définies les notions de locus of control interne ou externe en fonction de l’attribution de la cause à l’intérieur ou à l’extérieur de soi. Les patients qui ont tendance à se sentir responsable des événements qui leur arrivent (placent leur « lieu de contrôle » à l’intérieur) seront plus autonomes, mais aussi plus difficiles à guider. Les patients qui sont plus fatalistes accepteront mieux la régression, mais abandonneront plus facilement la partie. Cette deuxième étape est souvent cruciale parce que très vite le patient peut conclure à la maladie grave, cependant, une progressivité doit être maintenue, tout simplement parce qu’une fois le diagnostic prononcé, le patient « n’entendra » plus rien. En effet, dans la minute qui suit la révéla-
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tion diagnostique, 50 à 60 % des informations seront perdues. À la question pressante : « C’est un cancer, n’est-ce pas docteur ? », le médecin doit se garder de répondre par une affirmation trop sèche. Il vaut mieux reprendre les éléments déjà énoncés par le patient avec lui.
Troisième étape de la consultation d’annonce : ce que peut entendre le patient La grande crainte des médecins est maintenant de déclencher une situation psycho-traumatique. Or, avec la progressivité, le cadre rassurant porteur d’alliance thérapeutique, les marques de respect qui laissent penser le patient qu’il peut maîtriser au moins la relation avec son médecin, il n’y a aucune raison que la façon d’annoncer le cancer soit traumatisante. En revanche, le fait de se savoir atteint d’un cancer entraîne une proximité nouvelle avec la mort. Et cela est un choc dans un contexte où la mort est chassée à grand renfort de déni d’une société focalisée sur l’immédiateté et la jouissance du temps présent. Un grand principe de la révélation est l’alternance d’information objective et de questionnement subjectif. À chaque nouvelle donnée, le médecin doit pouvoir faire preuve d’empathie, puis vérifier la compréhension en demandant au patient comment il ressent cette information : « Nous avons fait le tour de ce qui vous paraissait bizarre ces derniers temps. Vous vous rappelez ? — Oui, les essoufflements subits, les crachats rougeâtres, les battements de cœur… Et ce rhume dont je n’arrivais pas à me sortir… — Qu’en pensiez-vous à l’époque ? — Je sais pas… Le généraliste m’avait demandé d’arrêter de fumer… — Vous étiez d’accord ? — J’avais tellement de problèmes… Manquait plus que le cancer… — Habituellement, vous faites face aux problèmes ? — J’aime mieux savoir, docteur… — Vous avez quelque chose de sérieux… Êtes-vous le genre de personne qui préfère savoir ? C’est parfois difficile de faire face… » On voit dans ce fragment que c’est le patient qui a prononcé le mot « cancer ». Cependant, le médecin ne s’est pas immédiatement faufilé dans la brèche ouverte car il ne sait pas si le patient est prêt à entendre la mauvaise nouvelle. Il va donc procéder par warning shot (disent les Anglais), c’est-à-dire par un avertissement pour vérifier comment le malade réagit. Si le médecin perçoit une importante détresse émotionnelle, il peut toujours revenir en arrière et reprendre un à un les symptômes décrits par
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le patient. Certains patients signifient clairement : « C’est un cancer, arrêtez, docteur… » Le médecin réagit alors en signifiant qu’il comprend la difficulté et en rappelant l’alliance thérapeutique : « Je comprends que cette nouvelle soit difficile à entendre. Dans notre service, nous accompagnons systématiquement toutes les personnes qui le souhaitent. Comme je suis votre médecin référent, nous pouvons nous voir tel jour, nous pouvons reparler de tout cela ensemble, vous pouvez venir avec un proche… » Des signes de détresse émotionnelle peuvent aussi se manifester. Le silence, qui est une pause dans l’échange, n’est pas forcément mortifère. Au contraire, il permet l’expression d’affects chez le malade. Des larmes peuvent jaillir, parfois un écroulement. C’est un signe de détresse, mais c’est aussi un signe de confiance. Le médecin peut revenir à des questions plus existentielles : « Avez-vous connu d’autres épreuves dans votre vie, auxquelles vous avez déjà fait face ? » La révélation d’un cancer peut réactiver d’autres événements dans lesquels la perte (la mort) est présente. Il ne s’agit pas tant de deuils non résolus que d’épisodes dépressifs latents. Les risques de dépression sont très importants lors de la révélation, du fait de la rupture d’équilibre psychique. Des patients fragiles, ou qui ignorent leurs antécédents dépressifs, peuvent plonger dans une culpabilité, une dévalorisation de soi, une péjoration de l’existence qui les amènent à renoncer à se soigner ou à limiter l’adhésion aux soins. Le patient déprimé aura besoin d’une aide particulière et une psychothérapie de soutien proposée par un psychologue ou un psychiatre permettra au patient d’entamer ses traitements tout en bénéficiant d’un soin psychique approfondi.
Quatrième étape de la consultation d’annonce : partager l’information et révéler le cancer Si le patient a indiqué qu’il souhaite aller plus loin, le médecin va maintenant pouvoir donner un diagnostic. Parfois subsiste un manque de précision lié à l’absence de résultats d’une biopsie, IRM, analyse génétique. Cependant, le mécanisme de la maladie, s’il est connu, peut être expliqué simplement, dans un style narratif, en évitant les mots trop durs ou trop techniques qui ajoutent de l’angoisse et de la distance avec le médecin. Chaque phase d’information, suivie d’un résumé, doit être séparée de la prochaine par un moment d’empathie. Pour Fogarty et al. (13), quarante secondes de compassion permettent de réchauffer l’atmosphère et réduisent l’anxiété du patient. Il ne s’agit évidemment pas de « mesurer » une quelconque marque d’empathie, mais de savoir que le signe de compréhension réitérée est un élément indispensable à cette consultation.
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« Et si le patient sent mauvais ? Et s’il me rappelle une personne très désagréable ? » L’empathie professionnelle fait partie de l’éthique des métiers dans lesquels la relation est omniprésente. Le sujet doit composer avec ses propres projections. La prise de conscience de ces éléments transférentiels (toute relation est comparée inconsciemment aux relations primitives avec ses premiers objets d’amour), permet aux médecins d’exercer une empathie professionnelle relativisée, sans risque de « brûlure » par identification (burn out). L’empathie permet aussi de comprendre le fonctionnement psychique du patient, ses défenses, leur aménagement. Elle permet de véritablement établir le lien qui dessinera par la suite les relations autour du cancer.
Cinquième étape de la consultation d’annonce: permettre l’expression des réactions affectives du patient Il ne s’agit pas à proprement parler d’une étape, puisque ces réactions affectives doivent pouvoir s’exprimer pendant toute la consultation. Cependant, les patients sont souvent tendus vers un but et répriment toute réaction. C’est pourquoi les pauses, les silences, les moments d’empathie où médecin et patient se regardent dans les yeux, sont si importants. Il est parfois possible d’explorer, avec la permission du patient, ses émotions nouvelles. Pour cela, le lien avec ce qui précède est évident : « Nous venons de passer une vingtaine de minutes à faire connaissance et à essayer de comprendre ce qui vous arrive. Comment vous sentez-vous maintenant ? », ou bien : « Pouvez-vous me parler de ce qui vous préoccupe le plus », ou encore : « Qu’est-ce qui vous paraît le plus difficile en ce moment ? » Accueillir les réactions du malade fait partie du rôle du médecin qui se gardera de la « réassurance prématurée » qui a tendance à, de nouveau, bloquer le patient. Nous avons donné (14) un exemple de cette réassurance qui montre un médecin qui n’écoute pas mais essaie uniquement de se rassurer lui-même en répétant les modalités thérapeutiques : « Docteur, j’ai peur, je crois que je vais mourir. Ce sont surtout mes enfants, comment vais-je leur dire ? — Mais vous n’allez pas du tout mourir ! Qu’est-ce que vous me chantez là ! Regardez, nous n’avons pas parcouru la moitié du chemin. La première ligne de chimio n’a pas marché. Heureusement, nous avons encore la radiothérapie, puis nous compléterons par une autre chimio, vous verrez…
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— Je n’en peux plus, mes enfants s’inquiètent, je devrais peut-être arrêter… — Dans votre type de cancer, on voit souvent des non-réponses, mais dans les dernières études, l’ajout du 5-FU a donné de bons résultats. — Ma fille a arrêté de travailler pour moi, ma femme est épuisée. Je me sens vraiment coupable de tout ce qui arrive… — Ne vous inquiétez pas, j’ai déjà prévenu l’hospitalisation à domicile, voulez-vous qu’ils viennent à la maison pour faire l’évaluation du projet de traitement ? » Dans cet extrait, il est clair que l’échange n’existe pas et que, malgré les multiples appels à l’aide du patient, le médecin ne donne que des réponses médicales qui semblent inopérantes par rapport aux demandes du patient. On ne serait donc pas étonné de voir ce patient abandonner ses traitements devant la culpabilité éprouvée face aux effets de sa maladie sur sa famille (15). Il est également possible que le médecin ait peur de mourir et que, contaminé par l’angoisse du patient, il l’empêche littéralement de s’exprimer. La fuite en avant de certains médecins et soignants dans les conseils, les services, les preuves, entraîne la fermeture des patients qui renoncent à donner leur avis ou à questionner. La surprise des soignants ou médecins qui assènent : « Mais pourtant, on lui avait bien dit », ou encore : « Il n’a pas compris ! » montre souvent une absence d’écoute des difficultés du patient. Bien des passages à l’acte des malades pourraient être évités, bien des prescriptions de psychotropes limitées si les échanges affectifs avec les patients étaient tolérés. Certes, ces échanges affectifs sont coûteux en temps et en énergie, cependant, le travail sur soi ou en groupe permet « d’ensemencer » ces investissements pour produire des résultats pérennes. Enfin, la qualité des échanges affectifs avec les malades est souvent le « sel » de la fonction soignante. Bien plus que les traditionnelles anecdotes (parfois qualifiées de façon machiste d’« histoires de chasse »), les relations, toutes exceptionnelles, tissées avec les patients, enrichissent les soignants et les transforment. Le cancer ne restera pas qu’une expérience détestable, mais donnera des qualités uniques au médecin et à la personne tout entière. Car n’oublions jamais que l’éthique professionnelle repose sur l’éthique personnelle. La révélation diagnostique est l’une de ces expériences humanisantes qui singularise et relie les professionnels de la relation clinique (médecins, soignants, psy, mais aussi pédagogues, avocats, travailleurs sociaux)…
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Sixième étape de la consultation d’annonce: résumé de la situation et prémisses du suivi Le médecin est ici attendu comme professionnel. Il connaît la maladie et est recherché pour ses compétences. La compréhension du patient va permettre au médecin d’adapter au mieux les traitements et surtout d’évaluer comment il va supporter les conséquences psychiques et somatiques de ces traitements. Le résumé de la consultation doit s’arrêter sur une question : « Avez-vous de nouvelles interrogations ? » La récente élaboration du discours médical a créé une vision différente de son état par le malade. Le patient revêt maintenant une nouvelle identité et il se perçoit dorénavant comme changé. Avec l’aide du médecin, le malade va apprendre à naviguer dans un autre univers. Il n’est pas seul, par ailleurs, et le médecin n’a pas non plus une aura de toute-puissance. Y perd-on en termes d’effet placebo ? On y gagne au contraire en termes de connaissance de groupe, puisque c’est toute une microsociété qui se fait présenter à lui. L’hospitalisation ne doit plus se solder par une déshumanisation, mais par une rencontre sociale dans laquelle des repères précis ont été pris. C’est l’objet de la consultation d’annonce et du suivi par le médecin référent. Le travail en équipe est très rassurant en effet, mais ne doit pas apparaître comme un substitut de la relation médicale. L’infirmière d’annonce, en particulier, peut être présentée comme une autre relation privilégiée, une personne qui connaît bien les traitements, leurs effets, les méthodes auxiliaires pour les supporter, les éléments pratiques (nutrition, perruques, sites Internet), mais aussi qui donne les petits soins indispensables aux « grands traitements ». Le psychologue est un spécialiste de la relation, mais c’est aussi quelqu’un à qui l’on peut faire part d’une intimité psychique fluctuante, sans jugement et sans incidence sur la nature de ses traitements. L’alliance thérapeutique avec le médecin peut être élargie à une alliance avec le groupe des soignants. Celle-ci peut à son tour être élargie à la famille du malade, lors d’une présentation groupale (malheureusement souvent négligée, cette insertion discrète de la famille dans le service hospitalier est un atout pourtant indispensable en cas d’aggravation du cancer). La prise de connaissance de la famille peut débuter par une dernière phase de la consultation très intéressante. Le médecin va faciliter le retour du patient dans sa famille en lui demandant comment il va, à son tour, annoncer la nouvelle à ses proches. Cette question facilitera le travail d’intégration du malade qui va devoir échafauder une stratégie de révélation. C’est souvent lors de ce dernier échange que le médecin peut montrer la difficulté de l’annonce, permettre un peu d’identification du côté du malade et, pourquoi
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pas, aider le patient s’il le demande. En reformulant à sa famille l’élaboration diagnostique, le patient se soumet à un travail psychique d’intégration de sa maladie. La mentalisation de son diagnostic correspondra progressivement à la combinaison des représentations fantasmatiques et objectives du cancer aux affects déclenchés par cette révélation. Dans ces conditions, le malade aura de son côté les moyens de ne pas vivre ce diagnostic comme un traumatisme, d’être le plus autonome et libre face à la question du soin, de développer de nouvelles relations avec les intervenants soignants, de tirer une forme de sagesse du phénomène-cancer.
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Les six étapes de la révélation diagnostique d’un cancer Avant l’annonce : la préparation Qui est le patient ? Quel a été son parcours avant la consultation ? Vient-il avec des proches ? Comment lui réserver un espace d’intimité psychique ? Comment apparaît la relation médecin-malade? Que ressent le médecin ? Quels éléments latents apparaissent au médecin derrière ce patient ? Poser le cadre de la relation afin de stabiliser la situation et préparer l’alliance thérapeutique. Que sait le patient ? Le patient narre son histoire de la maladie. Grâce à son écoute active, le médecin peut saisir certaines représentations de la maladie, de la santé, des traitements, de la mort… Que sait le patient de façon plus ou moins logique ou intuitive de sa maladie ? Que pense-t-il de sa maladie ? Que peut entendre le patient ? Procéder pas à pas. Faire une tentative, mais ne pas hésiter à différer l’annonce si le patient présente des défenses évidentes. Employer peu de vocabulaire technique et médical, mais reprendre la description du patient pour y mettre du sens. Partager l’information et révéler le nom courant de la maladie Après chaque série informative, résumer. Alterner information objective et relation subjective empathique pour humaniser la révélation. Utiliser un langage de tous les jours, clair et simple. Vérifier que l’information est bien entendue en demandant au patient ce qu’il a compris. Ne pas évacuer les réactions extrêmes, chocs ou réactions dépressives. Les évaluer en demandant comment le patient fait face habituellement. Permettre les réactions affectives du patient Cette préoccupation doit être constante pendant toute la consultation. Identifier les réactions du patient, les verbaliser au besoin et exprimer son empathie professionnelle. Établir l’alliance thérapeutique et l’élargir à l’équipe hospitalière. Bien connaître les autres intervenants du service et les présenter de façon non ambiguë. Signaler les spécialistes de l’aide et leur éthique professionnelle. Résumer la situation et préparer le suivi thérapeutique Le résumé de la consultation débouche sur des questions ouvertes : qu’en pensez-vous ? Que comprenez-vous ? Comment ressentez-vous les choses ? Faciliter l’annonce à la famille : comment allez-vous annoncer les choses à vos proches ? Réitérer l’alliance thérapeutique et le contrat de non abandon.
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Sites internet www.healthonnet.org www.sparadrap.org www.balint-smb-france.org
L’annonce d’une hémopathie maligne, les « syndromes myélodysplasiques ». Du dispositif d’annonce au vécu des patients C. Besson, S. Rannou, F. Tresvaux du Fraval, P. Festy et A. Leplège
Le dispositif d’annonce d’un cancer Le dispositif d’annonce est une réponse institutionnelle face à des revendications de patients et de proches qui protestaient contre des annonces du diagnostic parfois menées sans ménagement, vécues comme un « coup de bambou », faites à la sauvette parfois « dans l’escalier » et pouvant être suivies d‘un sentiment d’isolement. Les patients auraient « aimé converser avec quelqu’un dans les jours qui suivent ». La prise en compte de ces revendications a conduit notamment à l’élaboration du dispositif d’annonce. Le processus de création du dispositif d’annonce s’est déroulé entre 1998 et 2006. En 1998, les premiers États généraux français des malades atteints du cancer et de leurs proches ont souligné l’importance d’une consultation d’ancrage entre le patient et son cancérologue pour établir cette relation dans la confiance, la durée et le respect. En 2000, les seconds États généraux ont insisté sur la nécessité de transmettre le plus clairement et le plus honnêtement les informations essentielles au patient pour la compréhension de sa maladie, les traitements possibles avec leur bénéfice attendu et leurs éventuels effets secondaires, et d’articuler cette consultation avec une possibilité de prise en charge psycho-oncologique, sociale. Par la suite, la loi du 4 mars 2002 a garanti à « toute personne le droit d’être informée sur son état de santé… et d’avoir accès à l’ensemble des informations la concernant ». En mars 2003, le premier Plan Cancer a vu le jour. Il comportait 70 mesures portant sur 6 thématiques : la Prévention, le Dépistage, le Soin, l’Accompagnement social, les Professionnels et la Recherche. En ce qui concerne le Soin, trois, dont la Mesure 40 sur l’annonce, visent à « donner l’accès à l’information pour que les patients qui le souhaitent puissent être acteurs de leur combat contre la maladie ». Fin 2003, le ministère de la Santé, la Mission interministérielle de lutte contre le cancer, la Ligue natio-
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nale contre le cancer et Réseau de malades se sont réunis pour l’établissement d’un « cahier des charges » pour l’annonce d‘un cancer. Les premières expérimentations ont eu lieu en 2004 et 2005. Celles-ci ont inspiré la circulaire de 2006, toujours en vigueur, dans laquelle le dispositif d’annonce prévoit quatre temps : – un premier temps d’annonce dite médicale qui peut se dérouler sur plusieurs consultations. C’est également le moment où une stratégie thérapeutique est proposée au patient afin de lui permettre de participer aux choix importants qui concernent sa santé, – un deuxième temps d’accompagnement soignant afin de le soutenir, d’aider les patients à comprendre leur maladie et les orienter, si besoin est, vers les services de support pouvant leur être utiles (service social, psychologue, association), – un troisième temps d’accès à une équipe impliquée dans les soins de support et présente dans le centre de soin du patient (psychologie, assistance sociale, kinésithérapie…), qui peut découler du second temps, – un quatrième et dernier temps d’articulation avec le médecin de ville permet de tenir informé ce dernier de l’évolution de la maladie de son patient tout au long du traitement. Enfin, ce dispositif précise la nécessité d’une Réunion de Concertation pluridisciplinaire (RCP) afin de déterminer le traitement et de proposer un Programme personnalisé de Soin (PPS) au malade, prévu par la mesure 31. Le dispositif d’annonce représente donc une nouvelle structuration des relations soignants/malade. Cependant, ce dispositif d’annonce conçu initialement pour les patientes atteintes de cancer du sein n’est peut-être pas généralisable à tous les cancers et à la diversité des patients atteints. Pour contribuer à l’évaluation du dispositif d’annonce, un projet de recherche, devant durer 3 ans, soutenu par l’Institut national du cancer (Inca) et la Ligue Contre le Cancer, a été engagé en 2006. Son but est d’évaluer le retentissement du dispositif d’annonce sur la qualité de vie des patients atteints de cancer. Il a comporté une phase d’observation des pratiques, menée par des psychologues enquêtrices et un sociologue. Une deuxième phase est consacrée à l’évaluation de l’impact du dispositif d’annonce sur la qualité de vie. Enfin, un temps de questionnement éthique autour des modalités d’annonce du cancer et de la mise en œuvre de ce dispositif était entrepris au sein d’établissements volontaires. Des études ancillaires sur les enjeux professionnels de la mise en place du dispositif d’annonce et sur les mots utilisés dans le cadre de l’annonce du diagnostic des hémopathies ont également été entreprises. Dans ce chapitre, nous rendons compte de l’étude qui a été réalisée sur les mots utilisés pour annoncer le diagnostic de myélodysplasie.
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L’enquête sur le vécu de l’annonce d’un syndrome myélodysplasique Au cours de la phase descriptive de ce projet de recherche, il est apparu que le mot « cancer » n’était pas systématiquement employé lors de l’annonce du diagnostic de certaines hémopathies malignes chroniques. Pour connaître les conditions et le vécu de l’annonce de la maladie dans le cas d’une hémopathie maligne, nous avons adressé un questionnaire aux adhérents de l’association Connaître et Combattre les Myélodysplasies. L’envoi et le retour d’un questionnaire à réponses ouvertes de quatre pages ont eu lieu entre novembre 2009 et janvier 2010. L’association comptait alors 150 membres. Nous avons recueilli 73 questionnaires exploitables, soit un taux de réponse de l’ordre de la moitié. Cette phase avait été précédée d’un test au cours duquel dix personnes avaient rempli une première version du questionnaire et huit d’entre elles avaient eu un entretien téléphonique avec une psychologue-enquêtrice pour détailler avec elle leurs réponses et proposer des aménagements du questionnaire. Le questionnaire final (en annexe) comporte des questions ouvertes et d’autres à cocher. Enfin, pour préciser le sens de certaines réponses écrites ambiguës, quelques patients qui avaient préalablement donné leur accord dans le questionnaire, ont été interrogés par téléphone. Il peut être utile de dire quelques mots de la maladie pour éclairer ce que peut représenter son annonce au détour d’une consultation médicale. Quand on leur énonce le diagnostic d’une myélodysplasie, les patients entrent tout d’un coup dans un monde inconnu où il y a bien des raisons de se sentir « un peu perdu » : entre autres, le fait que ces maladies n’aient été isolées et définies que récemment et que le nombre de personnes concernées est limité. Les syndromes myélodysplasiques font partie de la classification des hémopathies malignes chroniques. C’est seulement en 1982 que les médecins français, américains et britanniques se sont mis d’accord sur une classification claire des syndromes myélodysplasiques et ont doté ceuxci d’une terminologie spécifique qui remplaçait des formulations comme « état préleucémique » ou « leucémie subaiguë ou atypique », évidemment plus vagues et imprécises mais qui renvoyaient les profanes à des notions possiblement plus familières. Ces syndromes sont caractérisés par la présence d’anomalies qualitatives et parfois quantitatives des précurseurs des éléments du sang. Cette maladie est chronique et son évolution peut être très indolente, ne nécessitant pas ou peu de traitement. Elle peut aussi être marquée par une évolution en leucémie aiguë (caractérisée par une augmentation du pourcentage de cellules « blastiques »), nécessitant des traitements par chimiothérapie, voire une transplantation de moelle osseuse
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ou de cellules souches. Cette maladie est le plus souvent peu visible sur chacun des patients atteints. Le symptôme le plus communément partagé est une fatigue liée le plus souvent à une anémie et, même si cette anémie peut s’accompagner de pâleur, de nombreux patients expriment l’incompréhension dont ils se sentent l’objet de la part des personnes à qui ils parlent de leur état. Sans parler évidemment des complications comme les hémorragies liées au manque de plaquettes (thrombopénie) ou la fragilité face aux infections consécutives à la neutropénie. Les sensations qui accompagnent l’entrée dans le monde inconnu de la maladie sont difficiles à faire partager. L’hermétisme du terme « syndromes myélodysplasiques » se conjugue à la relative rareté de la pathologie. En Europe, on parle de maladie rare quand elle affecte moins de cinq habitants sur dix mille, soit en France moins de 30 000 personnes. Or, on estime qu’environ 11 000 personnes sont atteintes d’un syndrome myélodysplasique, soit à peine 2 pour 10 000 habitants. (Cela signifie qu’il y a une vingtaine de personnes atteintes de la maladie dans une ville de 100 000 habitants, comme Nancy ou Rouen.) Les adhérents de l’association constituent moins de 2 % des patients atteints de myélodysplasie. Ils ne sauraient prétendre en être représentatifs. Cependant, quelques caractéristiques des répondants reproduisent certains traits essentiels de la population des malades. Par exemple, un peu moins de 6 sur 10 sont des hommes, alors que le registre de plus de 2 000 malades du Groupe francophone des myélodysplasies (GFM) compte à ce jour 57 hommes pour 43 femmes. L’âge moyen des répondants est de 70 ans, la plus jeune ayant 37 ans et le plus âgé 92. Ce sont des ordres de grandeur aisément compatibles avec la plupart des observations, où environ la moitié des diagnostiqués ont 70 ans (âge médian). Il existe certes des cas pédiatriques, mais ils sont très peu nombreux (moins de 2 pour un million d’enfants). Dans le vocabulaire courant, qui choque souvent les patients lors de l’annonce, c’est « une maladie de vieux ». En liaison directe avec leur âge, près de 9 répondants sur 10 n’ont pas d’activité professionnelle (essentiellement des retraités) et les trois quarts vivent en couple (essentiellement des gens mariés). L’ancienneté du diagnostic peut aller jusqu’à une quinzaine d’années, ce qui s’accorde bien avec le fait que des patients peuvent vivre un bon nombre d’années avec leur maladie si celle-ci est de risque modéré. Cela implique aussi que l’annonce du diagnostic dont rendent compte les répondants peut être éloignée dans le passé et on peut supposer que le temps (et la survie) en a adouci l’éventuelle acuité.
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Enfin, une enquête en 2008 auprès des adhérents nous avait suggéré que les myélodysplasies de divers degrés de sévérité étaient bien représentées au sein des répondants : le pourcentage de blastes de leur moelle osseuse, que les enquêtés étaient capables de se remémorer et de citer, reproduisait une distribution proche de celle indiquée par le registre du GFM. À défaut de représentativité au sens statistique du terme, on peut sans doute parler de ressemblance des répondants de l’enquête avec l’ensemble des patients atteints de myélodysplasie. On fera néanmoins une réserve : les adhérents de l’association ont fait la démarche de rejoindre celle-ci, sans doute parce qu’ils étaient plus préoccupés que la moyenne par leur état de santé. On doit s’attendre de leur part à une vigilance et un désir de connaissance peut-être plus importants. Le recrutement des patients par l’intermédiaire de l’association peut donc constituer un biais de sélection, nos résultats pourraient être confortés à ceux obtenus auprès d’une population de patients recrutés par exemple à l’hôpital.
L’annonce ressentie par les patients Lorsqu’un médecin (plus de 9 fois sur 10 un hématologue à l’hôpital) leur a annoncé le diagnostic, les patients ont pu réagir différemment, en fonction des circonstances, mais aussi sans doute des personnalités des uns et des autres, patients comme médecins. Dans l’enquête, le déroulement de l’annonce et la façon dont celle-ci a été perçue font l’objet de deux questions ouvertes consécutives : quels mots ont été utilisés pour parler de votre maladie ? Comment avez-vous ressenti les mots utilisés ? Dans des entretiens approfondis que nous avions eus avec huit patients avant l’enquête auprès de l’ensemble des adhérents, il était apparu que la classification la plus convaincante était celle qui se faisait autour du ressenti. Dans l’enquête auprès des adhérents, les propos de chacun sont moins détaillés, mais nous avons davantage de récits et, en fin de compte, des situations dont nous percevons mieux l’étendue de la diversité. Elles sont groupées autour de deux pôles. Les uns font preuve de neutralité et parfois même de sérénité, recevant l’information sur leur état de santé sans grande émotion. D’autres, au contraire, sont bouleversés ou désarçonnés par cette information, deux réactions voisines mais distinctes, la première marquée par la violence subie lors de l’annonce, la seconde par l’incompréhension ressentie. S’y ajoutent des sentiments moins forts mais aussi négatifs, la maladie se caractérisant par sa gravité.
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Un sentiment de neutralité, voire de sérénité Dans l’enquête auprès des adhérents, 22 réponses traduisent un sentiment plutôt positif parmi les 53 qui nous ont fourni suffisamment d’éléments pour caractériser le ressenti de l’enquêté (4 personnes sur 10). Les mots pour exprimer ce sentiment ne sont pas tous porteurs de la même intensité. Pour les uns, l’expression est positive ; pour d’autres, elle adopte un mode neutre et évite d’être négative.
Une terminologie positive Des termes positifs sont utilisés par 15 enquêtés pour décrire leur ressenti. Ce sont généralement des termes qui s’attachent à leur réaction de patient, mais ils qualifient parfois le médecin ou les mots de celui-ci. Par exemple, l’enquêté se dit « rassuré », il parle de sa « confiance », de son « espoir ». Ou simplement, il a ressenti les mots du médecin « bien », voire « très bien ». Quant au médecin, « il a été formidable », il a parlé « dans le calme et la sérénité », il a donné des « explications claires », il a été franc. Le plus souvent, un seul des deux registres est mobilisé, celui du patient ou celui du médecin, mais dans quelques cas, le lien entre les deux est clairement indiqué : « j’ai bien pris la façon franche » ou « les mots utilisés, prononcés par le médecin dans le calme et la sérénité m’ont rassuré et donné confiance immédiatement ».
Une terminologie neutre, recourant parfois à la litote Dans un nombre de questionnaires plus faible que précédemment (7 au lieu de 15), les termes employés pour caractériser le ressenti des enquêtés ne sont plus positifs mais neutres, tout en conservant à la réaction un caractère de sérénité. Cette expression peut passer par l’usage de la litote, qui consiste à écarter une attitude négative éventuellement pour sous-entendre quelque chose de positif. Il s’agit dans tous les cas du patient lui-même, jamais du médecin ni de la relation à celui-ci. Exemples : « je ne me suis pas alarmée », « je ne me suis pas affolée », « je n’ai donc pas été vraiment choqué ou perturbé ». Ou encore plus neutre : « fataliste », « on verra bien ! »
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L’annonce d’une maladie grave, voire fatale Les réactions négatives sont majoritaires (6 cas sur 10) et, bien que l’expression écrite soit concise et inévitablement sobre, la palette des sentiments est large : elle va de l’annonce de la mort à celle d’une maladie grave. Dans des situations intermédiaires, des enquêtés expriment moins les degrés de la violence subie que leur propre sentiment d’incompréhension ou d’incrédulité. Nous y avons joint les cas de sentiments mélangés, où les réactions prennent des directions variées, majoritairement négatives, témoignant parfois d’une confusion des sentiments.
Les degrés de la violence À cinq reprises, les sentiments suscités par l’annonce de la maladie évoquent la mort. Mais dans aucun cas, le mot n’est écrit (il avait été employé dans les entretiens oraux). Les enquêtés préfèrent parler d’une « issue fatale proche », du « commencement de la fin », d’un « avenir très court », d’une « menace grave de la fonction vitale » ou de la phase « finale de ma vie terrestre ». Pour six enquêtés, l’annonce de la maladie est un choc, sans qu’elle évoque la mort pour autant. Un enquêté dit même : « c’est un choc, le moral chancelle mais l’issue ne semble pas fatale », comme un écho aux propos du médecin qui lui avait dit que le pronostic vital n’était pas engagé. Pour les autres, c’est « un choc psychologique et émotionnel », « un coup de masse sur la tête ». Deux patients se disent « abasourdis », dont un explicite : « Aucun souvenir de la façon dont je suis rentrée chez moi. » Dans cinq questionnaires, l’enquêté constate sobrement qu’il est atteint d’une « maladie grave ». Comme précédemment pour la sérénité, l’expression peut prendre la forme d’une litote : « Quand on vous annonce cela, vous ne pouvez pas être bien. »
Incrédulité ou confusion des sentiments Pour dix enquêtés, l’incompréhension est la réaction dominante, qui s’exprime sous forme de méconnaissance ou d’incrédulité, de surprise. Les enquêtés donnent l’impression de regarder la maladie comme une curiosité extérieure à eux-mêmes. L’un dit : « je pensais qu’il s’agissait d’une autre personne dont il était question », un autre : « d’abord incompréhension, puis j’ai essayé d’intégrer cette pathologie ». D’où une réaction qui diffère
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d’un patient à l’autre : neutre « ne sachant pas exactement ce que j’avais comme maladie et étant ignorant de ce que je pouvais avoir, j’étais indifférent », négative : « froid, je n’ai pas compris la maladie », « je connaissais mal cette maladie et en ai eu aussitôt une impression très péjorative », ou décidée : « c’est pourquoi je me suis adressé au docteur X à l’hôpital Y ». Cinq enquêtés font état de réactions diverses pour caractériser leurs sentiments. Pour trois d’entre eux, cette complexité est aussi celle du diagnostic, qui a été donnée par plusieurs médecins, en plusieurs temps. Par exemple : « J’ai pas pris cette maladie très au sérieux, c’est le docteur X (consulté en second) qui a dû me mettre sur le bon chemin et savoir qu’il s’agissait d’une maladie grave. » Dans le cas le plus emblématique, la palette est large : — rassurée : « la maladie avait un nom donc était connue : ce n’était pas une dépression » — désemparée : « maladie grave, je repartais avec un rendez-vous pour dans 6 mois d’où sentiment d’incompréhension, d’abandon » — colère : « on nous rabat les oreilles avec le dépistage du cancer et dans ce cas, il y a une absence de projet thérapeutique » — incrédulité : « inconcevable d’avoir la leucémie aiguë myéloblastique en ligne de mire pour espérer un traitement ».
Facteurs associés aux différences de ressenti L’âge ne fait guère de différence. Il y a des jeunes et des moins jeunes dans des proportions voisines chez ceux qui réagissent positivement ou négativement : un quart des patients ont moins de 65 ans, un quart plus de 75 et l’âge médian est de 70 ans. L’ancienneté du diagnostic est plus discriminante. Les réactions les plus pessimistes, où l’annonce a été vécue comme un choc, correspondent plus fréquemment que les autres à des maladies récentes : une fois sur deux, le diagnostic vient d’être posé en 2008 ou 2009. Ceux qui ont mieux vécu leur annonce n’ont été diagnostiqués aussi récemment qu’une fois sur quatre (deux fois moins souvent). Sans doute l’écoulement du temps estompe-t-il le souvenir des sensations les plus pénibles. Les hommes et les femmes sont inégalement sereins face à l’annonce, choqués ou frappés d’incompréhension. Les hommes sont nettement plus nombreux que les femmes à faire preuve d’optimisme (7 hommes pour 3 femmes). À l’inverse, les femmes sont prépondérantes dans les groupes qui témoignent de sentiments négatifs ou de surprise (6 femmes pour 4 hommes dans chaque). On peut peut-être y voir un effet du genre (hommes-femmes). C’est une constante des enquêtes sur la santé que les femmes ressentent plus négativement leurs maladies ou leurs handicaps que les hommes, bien qu’elles aient une espérance de vie plus favorable qu’eux.
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L’annonce souhaitée par les patients Quand on interroge les patients sur leur conception de l’annonce de la maladie, telle qu’elle devrait être pratiquée par les équipes soignantes, un point fait la quasi-unanimité : la nécessité d’être bien informé. La question était la suivante : « Vous semble-t-il important que le médecin donne à son patient les informations principales concernant son état de santé, même si elles sont pénibles à entendre ? » Les réponses sont positives pour plus de 9 patients sur 10 (9,5/10). Ce désir d’information est d’autant plus remarquable que la question faisait explicitement valoir que la vérité peut être parfois dure à recevoir. D’ailleurs, une autre question suggérait que le médecin doit « s’adapte(r) à ce que son patient est capable d’entendre. » Cette proposition recueille, elle aussi, une majorité d’approbations (les trois quarts des enquêtés), ce qui nuance la réponse précédente. Mais une minorité substantielle (le quart des patients) émet des réserves sur le « devoir d’adaptation » du médecin à la personnalité du malade. Ce que confirme encore la question suivante : convient-il « que le médecin soit d’abord rassurant, même si cela l’amène à ne pas donner certaines informations ? » Les réponses sont, cette fois, également partagées entre approbation (la moitié des cas) et réserves (l’autre moitié). Comme à la première question, l’attention de l’enquêté était attirée sur le fait que l’information donnée par le médecin et la réaction présumée du patient peuvent être liées. Ici, ménager le malade peut conduire à ne pas tout lui dire. Ainsi, les enquêtés dessinent pour le praticien une voie étroite qui combine les nécessités de l’information médicale avec des qualités humaines de compréhension et de communication. À peu près tous les enquêtés demandent à recevoir les informations principales concernant leur état de santé, mais au-delà les avis divergent. Un patient sur deux souhaite aussi une adaptation du propos médical à ce que le patient peut entendre et même certains espèrent de la part du médecin une attitude rassurante, ce qui peut éventuellement contredire le désir d’information. L’autre moitié, plus radicale, souhaite que le médecin s’en tienne à « l’information, rien que l’information », quitte à ce qu’elle soit adaptée à ce que le malade peut entendre. Ceux qui ont vécu l’annonce de leur maladie sereinement n’ont pas de souhaits différents de ceux qui ont eu une expérience plus traumatisante, mais il apparaît parfois d’importantes différences entre le ressenti de l’annonce vécue et les souhaits exprimés par les mêmes répondants.
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Les patients qui ont ressenti l’annonce de leur maladie de façon positive ou neutre jugent l’annonce qu’ils ont vécue conforme à leurs désirs. Alors que ceux qui ont mal ressenti cet épisode estiment que leur médecin a manqué à la fois de leur donner les informations principales sur leur maladie, de s’adapter à ce qu’ils pouvaient entendre et de les rassurer. Le déficit le plus sérieux est celui qu’ils ont ressenti en matière d’information : tous souhaitent la recevoir, mais seulement la moitié d’entre eux estiment l’avoir effectivement reçue. L’écart du souhaité au vécu par les patients lors de l’annonce de leur myélodysplasie, selon leur ressenti de l’annonce : Lorsque les patients ont eu un ressenti positif de l’annonce
Lorsque les patients ont eu un ressenti négatif de l’annonce
Que le médecin…
Ils auraient souhaité
Ils ont vécu
Ils auraient souhaité
Ils ont vécu
… donne les informations
9/10
8/10
10/10
5/10
… s’adapte
8/10
8/10
7/10
5/10
… soit rassurant
5/10
6/10
5/10
4/10
Enquête auprès des adhérents de CCM fin 2009, 73 répondants, dont 4/10 avec un ressenti positif, 6/10 négatif.
Sans négliger leur exigence d’humanité de la part de leur médecin, les patients mettent avant tout l’accent sur leur besoin impérieux de savoir.
Les mots employés et souhaités pour définir leur maladie Comment les patients définissent leur maladie Lorsqu’on les questionne sur la définition qu’ils pourraient donner de leur maladie, les patients offrent des éléments de réponses très variés, tant sur la forme (caractère laconique ou plutôt étayé) que sur le fond. Cette diversité témoigne à notre sens de la nécessaire reprise et élaboration psychique indi-
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viduelle de cet événement qu’est l’irruption de la maladie dans la vie du patient, au regard de son histoire et de sa structuration. Nous pouvons néanmoins tenter d’ordonner ces réponses en différents groupes. Un certain nombre de patients donnent une définition assez générale et descriptive de la maladie, utilisant pour cela un vocabulaire médical : « un syndrome qui affecte la moelle osseuse… » ; « une dégénérescence de la moelle osseuse qui me donne une formule sanguine perturbée voisine de celle des leucémiques » ; « maladie de la moelle osseuse, maladie chronique pouvant prendre des formes diverses selon que l’on soit atteint d’insuffisance de globules rouges, blancs, de plaquettes ou d’une combinaison d’insuffisances ! » D’autres enquêtés donnent une définition plus personnelle de leur maladie, portant l’accent sur les conséquences de celle-ci sur leur forme et leur quotidien. Par exemple, la fatigue et la diminution des capacités sont fréquemment évoquées, dévoilant parfois l’atteinte narcissique de la maladie : « maladie diminuant beaucoup les capacités physiques, limitant considérablement les activités dont certaines doivent être abandonnées » ; « épuisante, énervante » ; « maladie invalidante, fatigante due à l’anémie » ; « un handicap permanent » ; « elle rend vieux avant l’âge par perte d’énergie, de force, par la fatigue ». L’angoisse suscitée par la maladie suinte d’un certain nombre de définitions : « stressante et angoissante… » ; « une épée de Damoclès qui, pour l’instant, ne s’est pas encore abattue sur moi » ; « menace » ; « incurable » ; « la vérité sur cette maladie » ; « la leucémie a toujours été considérée comme grave ». Enfin un dernier petit groupe de patients semble se trouver en peine de définir leur maladie, du fait de son absence de manifestation évidente ou de leur difficulté à la comprendre : « si ce n’étaient les résultats des analyses et les compléments alimentaires que je prends, je ne saurai pas que je suis malade » ; « pour l’instant silencieuse mais je commence à me sentir décliner » ; « les médecins ne savent pas d’où elle vient ».
Les mots qu’ils souhaitent pour annoncer leur maladie Nous avons demandé aux patients quels mots devraient selon eux être prononcés par les médecins pour expliquer la myélodysplasie lors d’une annonce. Là encore, les réponses sont diverses. Des patients évoquent la nécessité du caractère intelligible, compréhensible, de l’annonce : « Des mots moins difficiles à comprendre ». D’autres enquêtés abordent la question du non-dit, d’un savoir du médecin qui
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pourrait être dissimulé au patient : « difficile de répondre… être simple et précis. Ne pas donner l’impression que l’on cache quelque chose » ; « ne pas laisser les gens face à un mystère […] ». D’autres patients tiennent compte du sujet malade comme singulier : « cela dépend beaucoup du malade » ; « cela dépend du tempérament de chacun, anxieux ou pas. L’acceptation d’une évolution défavorable, inévitable, est nécessaire ainsi que de ne pas à me plaindre de cette longue vie sub-normale ». Quelques personnes interrogées mettent plutôt l’accent sur la maladie comme singulière : « Un syndrome qui affecte la moelle osseuse et pour lequel chaque patient est unique ou plus simplement une maladie qui affecte les patients de façons très diverses ». Certains enquêtés insistent sur le caractère curable ou non de la maladie : « ce n’est pas une maladie mortelle, l’on peut mourir tout à fait d’autre chose » ; « maladie que l’on peut guérir » ; « bien expliquer que l’on peut ‘‘vivre’’ avec » ; « pour l’instant l’affection est incurable, mais depuis trois ou quatre ans, on s’efforce de cerner l’affection et de trouver la médication adaptée ». Dans le prolongement de ces idées, des réponses mettent l’accent sur les perspectives, ou sur les conséquences sur la vie quotidienne : « Expliquer l’évolution, le devenir, l’avenir » ; « que le rythme de la vie va être ralenti et même très ralenti ». Il s’agit de préparer les patients à ce qui les attend mais en gardant une certaine sobriété. Une patiente raconte ainsi : « Les hématologues devraient être vigilants quant à la rédaction des comptes rendus de consultation auxquels nous avons accès et rayer le mot ‘‘malheureusement’’ de leur vocabulaire. Le mien en contenait trois. Comment garder le moral devant tant de pessimisme ? Ce compte rendu m’a fait plus de mal que l’annonce verbale de la maladie. » À l’inverse, la banalisation de l’annonce peut constituer une grande violence pour le patient, à l’exemple de cette femme qui a vécu l’annonce comme si on lui diagnostiquait un rhume. Elle a eu le sentiment que le médecin s’était moqué d’elle lorsqu’elle lui a demandé ce qu’elle devrait dorénavant changer dans son rythme de vie. Ces deux derniers témoignages mettent l’accent sur la difficulté de la mission du soignant qui annonce la maladie. Personne n’aime le messager porteur de mauvaises nouvelles, et cela influe certainement sur le discours des patients interrogés. Cela n’est pas pour nous une difficulté insurmontable, puisque nous nous intéressons ici particulièrement à la réalité psychique des personnes auprès de qui l’enquête a été menée.
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Usage du mot « leucémie » Une dizaine de patients utilise les termes « leucémie, pré-leucémique », ou « LAM » (leucémies aiguës myéloblastiques). Cela s’explique pour certains d’entre eux par le fait qu’ils ont entendu l’un de ces termes lors de l’annonce : « Risque de leucémie ». Un des enquêtés retient surtout une partie de l’annonce : « […] La phrase clé : ‘‘Je ne vous cache pas qu’il s’agit d’un état pré-leucémique, mais qui peut durer 15, 20 ou 25 ans.’’ Il tente de faire part de son vécu catastrophique dans sa définition de la maladie, écrivant : ‘‘Pour moi c’est un film : je tombe du 300e étage, je passe devant le 250e et je dis : jusque-là tout va bien’’. » Ce patient explique l’importance de la distinction des termes « myélodysplasie » et « leucémie », qui ont pour lui un impact imaginaire bien différent : « […] bien faire la différence entre myélodysplasie et leucémie. Car comme je le disais, la myélodysplasie, personne ne connaît alors que la leucémie fait très peur ». Quelques patients utilisent l’un des termes dans leur propre définition de la maladie : « la leucémie a toujours été considérée comme grave » ; « préoccupante, car elle a évolué en leucémie aiguë et sans que les divers traitements de chimiothérapie aient pu remédier à la dégradation de mon état de santé, qui reste donc inquiétant ». Un patient qui utilisait le mot « cancer » dans sa définition de la maladie propose comme formulation d’annonce de la myélodysplasie : « Une maladie à développement lent, c’est plutôt rassurant. Dysfonctionnement de la moelle qui peut entraîner une leucémie. C’est un bon ‘‘enrobage’’. » Ce patient considère que l’impact du mot « leucémie » est moins traumatique que celui de « cancer » et qu’il est donc préférable de l’utiliser au moment de l’annonce. Pour deux patients, le terme de leucémie apparaît dans la réponse à la question concernant les mots qui devraient être prononcés pour expliquer la maladie ; il est porteur d’une grande angoisse : « Donner des explications. Myélodysplasie, est-ce une leucémie ? Le mot cancer n’est jamais prononcé ?? » La seconde patiente se dit encore sous le coup de cette annonce : « Je ne suis pas encore sortie de l’effet négatif de cette annonce sur ma vie. » Elle propose pour l’annonce : « Surtout pas le terme leucémie : on se remet difficilement de cette annonce. Bien expliquer avec des mots simples. Et dire que des traitements existent et qu’est-ce qu’ils apportent. Et aussi les côtés positifs. » Une autre patiente fait un lien explicite entre leucémie, traitement des leucémies, puis cancer. Son hématologue lui a expliqué lors de l’annonce qu’il s’agissait d’une maladie grave, sans traitement, pouvant rester stable pendant des années, qui pourrait nécessiter des transfusions, et qui pouvait « évoluer en leucémie avec, à ce moment-là, le traitement des leucémies (la patiente ajoute : « sous-entendu : chimio ») ». Elle évoque ensuite point par
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point et de manière très fine la palette de sentiments qui ont suivi l’annonce. Elle s’est sentie tout d’abord rassurée, car la maladie avait un nom, donc était connue. De son point de vue, une maladie objectivable, médicalement repérable, était préférable car elle se trouvait en butte à l’incompréhension de son entourage qui expliquait son déclin d’énergie par une dépression, ce qu’elle avait elle-même finit par craindre. Puis la patiente s’est sentie désemparée, abandonnée, car on lui annonçait une maladie grave, pour la laisser ensuite repartir avec pour seule perspective un rendez-vous 6 mois plus tard. Ces sentiments ont ensuite fait place à la colère. Cette femme l’exprime ainsi : « On nous rabat les oreilles avec le dépistage du cancer et dans ce cas (il y a une) absence de projet thérapeutique. (Il est) inconcevable d’avoir la leucémie en ligne de mire pour espérer un traitement. » Dans l’esprit du grand public, les traitements par chimiothérapie sont immédiatement associés au cancer. Ce n’est pas le cas des personnes interrogées, ou tout du moins elles ne le laissent pas apparaître de manière explicite. Un patient parle de son « traitement de chimio », pour définir sa maladie, sans pour autant évoquer le cancer ou la leucémie. Un autre l’associe seulement au terme de « leucémie », expliquant que sa maladie est préoccupante car elle a évolué en leucémie aiguë sans que les divers traitements de chimiothérapie aient pu remédier à la dégradation de son état de santé qui reste donc inquiétant. Il peut paraître « curieux » que les termes de « leucémie » ou de « chimiothérapie », par exemple, n’entraînent pas de manière systématique ou évidente l’association au cancer, pourtant très courante dans le grand public. Nous pouvons supposer que les patients se protègent de telles associations anxiogènes en ne les laissant pas accéder à la conscience.
Usage du mot « cancer » Nous avons été surpris de constater que seuls 8 patients, soit une petite proportion en regard du nombre interrogé (11 %), prononcent ou écrivent le mot cancer. Une femme utilise plus précisément le mot pré-cancer. Lors de l’annonce, qu’elle dit avoir vécue de manière positive, son médecin lui a dit qu’elle était atteinte d’un pré-cancer, et c’est un terme qu’elle semble s’être approprié et qu’elle reprend pour définir sa maladie. Alors même qu’ils ne rapportent pas ce terme quand ils évoquent l’annonce de leur maladie par le médecin, quatre autres patients parlent de cancer dans la définition de leur maladie, disant par exemple : « bien que personne n’ait osé prononcer le mot, je pense à une maladie du sang donc cancer. Pas facile d’accepter, il faut faire avec » ; « cancer de la moelle : car myélodysplasie personne ne comprend […]» ; « une atteinte grave de la santé proche du
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cancer ». Un patient, qui rapporte de l’annonce les propos suivants : « Anémie importante. Carence de la moelle » a interprété que ces mots cachaient en réalité les propos suivants : « c’est une forme de cancer de la moelle. » La résonance de ce signifiant avait pour lui un impact tel qu’il a alors pensé : « être en finale de sa vie terrestre ». Trois patients estiment que ce mot devrait être prononcé par les médecins pour expliquer leur maladie à quelqu’un qu’on vient de diagnostiquer. L’un dit ainsi, sous la forme exclamative, qu’il ne faut pas avoir peur d’utiliser le mot cancer. Les deux autres ont des interrogations pour le moins inquiètes : « Donner des explications. Myélodysplasie, est-ce une leucémie ? Myélome, lymphome. Le mot cancer n’est jamais prononcé ?? OUI-NON » ; « Cancer du sang ??… » Ce dernier commentaire est celui d’un patient qui ne mentionne pas ce terme dans le récit de l’annonce qui se trouve au début du questionnaire. Le patient note que le médecin a parlé d’un état « sans guérison », qu’on ne lui donnait rien, et que « tout ce qu’on lui donnerait lui ferait plus de mal que de bien ». Pourtant, au téléphone, cet homme me dira avec dépit et sans détour : « C’est un cancer de la moelle osseuse. Le médecin m’a dit : ‘‘Vous en avez pour 3 ans.’’ La moyenne de cette maladie, c’est 6 à 7 ans. Y’en a qui durent 10 ans. » Lorsque je tente de le questionner plus précisément sur la question du cancer, il me dit que c’est le médecin qui a prononcé ce mot. Que s’est-il passé pour ce patient ? A-t-il refoulé au moment de remplir le formulaire ces éléments de l’annonce ? Ces derniers ont-ils fait retour à la fin du questionnaire dans sa question ? Cela indique la prudence nécessaire à la conduite d’entretien auprès des patients, pour ne pas brusquer les défenses de chacun, respecter la temporalité et l’aménagement singulier pour faire face à sa situation. Ce que disent les patients ayant mentionné le mot cancer révèle une opinion partagée entre l’à-propos de l’utilisation de ce terme et l’angoisse se rattachant à ce mot : « cancer de la moelle : car myélodysplasie personne ne comprend » ; « ne pas avoir peur d’utiliser le mot cancer ! » ; « j’ai pensé être en finale de ma vie terrestre » ; « cancer du sang ??… » ; « […] le mot cancer n’est jamais prononcé ?? » Chez les quelques sujets qui amènent la question du cancer sous une forme manifestement très anxiogène, nous constatons que c’est, non pas l’évocation de ce terme, mais bien plutôt son absence d’énonciation par les médecins qui renforce ce poids anxiogène, qui en fait un sujet interprété comme tabou. Enfin, nous avons pu nous rendre compte qu’il était très délicat d’investiguer ces questions dans un dialogue avec les patients sans risquer d’induire ou de confirmer un savoir, ou de les laisser face à des interrogations dans l’après-coup de l’entretien, interrogations qui ne pourraient nullement être reprises ultérieurement. Cela pose des questions éthiques et déontologiques délicates ; l’enquêteur dans ce cadre n’est pas un observateur passif qui ne
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modifierait en rien la vision du patient de sa maladie. Le questionnaire, quoiqu’il limite l’investigation, permet à chaque patient de dire ce qu’il souhaite sans trop risquer « d’effracter » ses propres défenses ou de créer une inflation imaginaire trop angoissante. Il n’est pas à négliger malgré tout que les items du questionnaire sollicitent en eux-mêmes la réactivation de fantasmes, par ce qu’ils peuvent suggérer sur un plan interprétatif. Chaque patient en fait certainement une utilisation différente et singulière. Nous pensons que pour limiter au maximum les risques précédemment décrits, le dispositif le plus approprié serait celui d’entretiens très peu directifs, permettant au patient d’associer librement.
Discussion : Quelle place pour un dispositif d’annonce du cancer pour les hémopathies malignes ? Cette enquête porte sur l’annonce des hémopathies malignes. Nous n’avons pas trouvé d’autre étude permettant de connaître le ressenti des mots utilisés pour désigner leur maladie et en particulier du terme « cancer » chez les patients atteints d’hémopathie maligne. La terminologie des hémopathies malignes n’évoque pas directement un cancer pour la plupart des patients (leucémies, lymphomes, syndrome myélodysplasique, syndrome myéloprolifératif…). Il semble pouvoir exister, dans le cas particulier de l’hématologie, un malentendu entre le médecin et le patient autour de la signification des termes utilisés. Ne pas préciser le mot cancer peut équivaloir alors pour le malade à un non-dit ou un évitement. Pourtant, nous avons vu en introduction que les récentes approches des droits des malades (États généraux des malades du cancer (1998, 2000, 2004), lois Kouchner de 2002) préconisent la transparence, dans le discours médical. Notre enquête et la littérature confirment que les patients souhaitent que les informations concernant leur santé soient données (1), que ces informations soient les plus claires possible en limitant au maximum le jargon médical (2). Ils veulent également que le niveau d’information soit adapté à leur volonté plus ou moins grande d’explications (2). En dehors du cas particulier de l’hématologie, une étude réalisée sur un échantillon représentatif de patients atteints de cancer a montré que 75 % des patients interrogés préfèrent une utilisation du terme « cancer » lors de l’annonce, assurant ainsi la confiance qu’ils accorderont à leur médecin mais aussi leur facilitant l’appropriation de leur maladie (3). Alors, pourquoi existe-t-il toujours une certaine réticence à l’emploi du terme cancer ou pré-cancer ?
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Tout d’abord, nous avons noté une certaine ambivalence des patients. Beaucoup d’enquêtés donnent des réponses contradictoires ; par exemple, ils disent qu’il leur semble important que le médecin donne à son patient les informations principales concernant son état de santé, même si elles sont pénibles à entendre et, parallèlement, affirment qu’il leur semble important que le médecin soit d’abord rassurant, même si cela l’amène à ne pas donner au patient certaines informations. Comment comprendre cet état de fait ? Nous pensons qu’il est peu probable, vu la fréquence de ce phénomène, qu’il s’explique par une mauvaise compréhension des questions. Peut-on faire le postulat que les patients oscillent entre deux positions ? Une position « théorique », celle d’un individu lambda auprès de qui on effectuerait un sondage et qui répondrait à un cas de figure hypothétique, et leur position de sujet malade et directement concerné. Les patients souhaitent connaître toutes les informations se rattachant à leur état de santé, certes, mais plutôt si elles sont bonnes ou propres à les rassurer. Ils témoignent d’une ambivalence qui laisse entrevoir la complexité d’une telle situation. L’une des explications de cette ambivalence peut être recherchée dans le caractère anxiogène du mot cancer. Il est vrai qu’une annonce trop brutale du terme « cancer » peut provoquer de vives angoisses (4) et c’est pour protéger le patient que l’on utilise des voies détournées pour en parler (5). Il semble cependant dans notre enquête comme dans la littérature que l’utilisation du mot « cancer » génère une angoisse moins profonde que celle provoquée par les non-dits et les aspects flous évoqués lors de l’annonce de la maladie (6). En outre, la rétention d’information n’entraîne pas uniquement une plus grande angoisse chez le patient, mais peut dégrader également la relation médecin/malade. Cette dégradation va d’une part compliquer la tâche du praticien (7) et, d’autre part, risquer d’entraîner une augmentation de l’anxiété et de la dépression (8). De même, les situations de collusion, où le patient est le seul tenu à l’écart d’une mauvaise nouvelle, souvent dans le but de le protéger, amènent fréquemment aux mêmes conséquences (9). Une annonce claire et sans tabou permettra de prendre toutes les décisions nécessaires entraînées par l’apparition d’un tel bouleversement de sa vie : décisions médicales, matérielles, sociales, affectives, spirituelles et, dans certains cas, dispositions de fin de vie (10). Il apparaît également que les évitements lors de l’annonce ne correspondent pas seulement à une volonté de préserver le patient mais sont aussi dus à une approche paternaliste des soins et/ou aux peurs des praticiens (6). Ces peurs, qui semblent dues à une crainte d’être affecté par la souffrance émotionnelle et physique des patients, sont ressenties par le médecin avant, pendant et après l’annonce (11). Une formation des médecins à la relation médecin/patient, et plus particulièrement l’annonce des « mauvaises nouvelles », nous paraît ainsi essentielle pour donner aux patients les
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meilleures conditions d`annonce. Il est conseillé d’utiliser des mots simples, de préférence au jargon médical, cela étant d’autant plus valable que le patient sous le choc de la nouvelle a du mal à se concentrer sur un discours compliqué (12). Un moyen d’évaluer cet impact est d’interroger régulièrement le patient sur son ressenti lors de l’annonce afin de faire preuve d’empathie et de s’assurer de sa compréhension (12).
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QUESTIONNAIRE CONCERNANT L’ANNONCE DE LA MYÉLODYSPLASIE (ou Syndrome Myélodysplasique) ET LES MOTS UTILISÉS POUR LA DÉSIGNER 1) Votre situation actuelle (entourer la réponse la plus appropriée) : a) Votre âge : b) Votre sexe : M F c) Êtes-vous célibataire, marié ou vivant en couple, divorcé, veuf/veuve d) Exercez-vous une activité professionnelle ? Si oui, laquelle ? e) Vivez-vous dans une grande ville, une ville moyenne, une petite ville, en milieu rural ?
2) Dans quelles circonstances votre maladie a-t-elle été diagnostiquée ? (cocher la réponse la plus appropriée) ■ Visite médicale ou prise de sang systématique ■ Lors d’un examen réalisé dans le cadre d’une autre maladie ■ À cause d’un retentissement de la maladie sur votre état de santé ■ Autre :
3) Qui a posé le diagnostic de votre maladie ? (cocher la réponse la plus appropriée) ■ Médecin traitant ■ Hématologue hospitalier ■ Autre médecin hospitalier ■ Spécialiste en ville ■ Radiologue ■ Médecin du laboratoire d’analyses ■ Autre :
4) Quels mots ont été utilisés par cette personne pour diagnostiquer votre maladie ? (répondre en quelques mots) ......................................................................................................................................... ......................................................................................................................................... ......................................................................................................................................... ......................................................................................................................................... .........................................................................................................................................
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5) Comment avez-vous ressenti ces mots utilisés pour diagnostiquer votre maladie ? (répondre en une phrase ou deux) ......................................................................................................................................... ......................................................................................................................................... .........................................................................................................................................
6) Pouvez-vous dire pourquoi vous avez eu un tel ressenti ? (répondre en une phrase ou deux) ......................................................................................................................................... ......................................................................................................................................... .........................................................................................................................................
7) Comment avez-vous vécu cette annonce du diagnostic de votre maladie ? (cocher la case correspondant le mieux à votre vécu) ■ 1 : De manière très positive (en étant, par exemple, très apaisé ou très rassuré) ■ 2 : De manière positive (en étant, par exemple, apaisé ou rassuré) ■ 3 : Sans émotion particulière (ni positive, ni négative) ■ 4 : De manière négative (en étant, par exemple, angoissé ou perturbé) ■ 5 : De manière très négative (en étant, par exemple, très angoissé ou très perturbé)
8) Quand on vous a annoncé le diagnostic de votre maladie, estimez-vous avoir reçu de la part des médecins et de l’équipe soignante une information suffisante sur votre maladie ? (cocher la case correspondant le mieux à votre vécu) ■ 1 : Tout à fait suffisante ■ 2 : Plutôt suffisante ■ 3 : Plutôt insuffisante ■ 4 : Très insuffisante
9) Quand on vous a annoncé le diagnostic de votre maladie, avez-vous eu l’impression : (cocher le chiffre correspondant à votre impression) a) Que le médecin m’a donné les informations principales concernant mon état de santé, même si elles étaient pénibles à entendre : 1■ 2■ 3■ 4■ 5■ Non, pas du tout
Non, pas vraiment
Ni oui, ni non
Oui, plutôt
Oui, tout à fait
L’annonce d’une hémopathie maligne, les « syndromes myélodysplasiques »…
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b) Que le médecin voulait d’abord être rassurant, même si cela l’a amené à ne pas me donner certaines informations : 2■ 3■ 4■ 5■ 1■ Non, pas du tout
Non, pas vraiment
Ni oui, ni non
Oui, plutôt
Oui, tout à fait
c) Que le médecin s’est adapté à ce que vous étiez capable d’entendre : 1■ 2■ 3■ 4■ 5■ Non, pas du tout
Non, pas vraiment
Ni oui, ni non
Oui, plutôt
Oui, tout à fait
10) Quand on annonce le diagnostic d’une maladie comme la vôtre, vous semble-t-il important : (cocher le chiffre correspondant à votre impression) a) Que le médecin donne à son patient les informations principales concernant son état de santé, même si elles sont pénibles à entendre : 1■ 2■ 3■ 4■ 5■ Non, pas du tout
Non, pas vraiment
Ni oui, ni non
Oui, plutôt
Oui, tout à fait
b) Que le médecin soit d’abord rassurant, même si cela l’amène à ne pas lui donner certaines informations 2■ 3■ 4■ 5■ 1■ Non, pas du tout
Non, pas vraiment
Ni oui, ni non
Oui, plutôt
Oui, tout à fait
c) Que le médecin s’adapte à ce que son patient est capable d’entendre : 1■ 2■ 3■ 4■ 5■ Non, pas du tout
Non, pas vraiment
Ni oui, ni non
Oui, plutôt
Oui, tout à fait
11) Dans vos échanges d’informations avec les médecins et l’équipe soignante, avez-vous eu le sentiment que : (cocher la réponse appropriée) Souvent
a) Les médecins ou l’équipe soignante ne prenaient pas répondre à vos questions b) Vous étiez dans l’incapacité de poser des questions c) Les informations médicales étaient trop compliquées d) La quantité d’informations données était trop grande e) Vous ne saviez pas comment poser vos questions
Parfois Jamais
assez de temps ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■ ■
pour ■ ■ ■ ■ ■
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12) Avez-vous cherché à avoir des informations sur votre maladie par d’autres moyens ? (répondre en une phrase ou deux) ......................................................................................................................................... ......................................................................................................................................... .........................................................................................................................................
13) Aujourd’hui, estimez-vous avoir sur votre maladie une information… ■ 1 : Tout à fait suffisante ■ 2 : Plutôt suffisante ■ 3 : Plutôt insuffisante ■ 4 : Très insuffisante
14) Aujourd’hui, par quels mots définiriez-vous votre maladie ? (répondre en une phrase ou deux) ......................................................................................................................................... .........................................................................................................................................
15) Selon vous, quels mots devraient être prononcés par les médecins pour expliquer votre maladie à quelqu’un pour lequel on vient de la diagnostiquer ? (répondre en une phrase ou deux) ......................................................................................................................................... ......................................................................................................................................... .........................................................................................................................................
16) Selon vous, de quelle manière pourrait-on améliorer l’annonce de votre maladie à d’autres patients affectés ? (répondre en quelques phrases) ......................................................................................................................................... ......................................................................................................................................... .........................................................................................................................................
Veuillez vérifier que vous avez répondu à toutes les questions. Nous vous remercions d’avoir répondu à ces questions. Votre participation va nous être précieuse : elle va nous permettre de mieux analyser les conditions d’annonce de votre maladie aux patients et d’en améliorer le dispositif.
Le dispositif d’annonce quatre ans plus tard, ce qu’en pensent les patientes M.-E. Pérennec
Rappel historique Lors des États Généraux de la Ligue contre le Cancer en 1998 et 2000, les malades exprimaient pour la première fois leurs attentes vis-à-vis des professionnels de santé, revendiquant entre autres l’amélioration des conditions d’annonce du diagnostic de cancer. Depuis, ils ont fait de ce thème une de leur demande prioritaire. Cette revendication avait déjà trouvé un écho favorable dans le plan Gillot-Kouchner et était présentée en 2000 sous la forme d’une « consultation d’ancrage » pour tous les patients atteints de cancer. En 2002, la cancérologie a fait l’objet d’une nouvelle réflexion profonde dans notre pays, débouchant sur le plan cancer présenté par le Président de la République, Jacques Chirac, le 24 mars 2003. Dans son discours de présentation du Plan National de lutte contre le cancer 2003-2007, le Président de la République affirme que « les chiffres ne disent rien de la souffrance des patients et du poids du cancer ». Ce plan a déclenché une véritable mobilisation nationale et le fort engagement affiché par le chef de l’État a montré que l’image sociale des malades du cancer avait définitivement changé. Dans ce programme, l’amélioration des conditions de l’annonce apparaît sous le numéro 40 dans la liste des 70 mesures retenues. La Ligue contre le Cancer, et en son sein le réseau de malades, s’est engagée aux côtés du ministère de la Santé, de l’Institut National du Cancer (INCa) et des professionnels de santé, pour définir puis expérimenter un dispositif qui rassemble, dès l’annonce autour du patient, de nouvelles ressources, organisations et compétences.
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Trente-huit sites pilotes, 58 établissements de santé ont ainsi participé à la mise en place du « dispositif d’annonce » de mars 2004 à mars 2005. Ce dispositif peut comprendre plusieurs consultations dont la consultation médicale d’annonce du diagnostic initial, moment essentiel à l’établissement d’une relation de qualité entre patient et soignant. Sont également concernées par ce dispositif l’annonce du programme thérapeutique, et l’annonce de rechute. Cependant, chaque partenaire de la prise en charge du malade peut aussi apporter son expertise au cours d’une consultation intégrée au dispositif d’annonce (consultation avec un infirmier, un psychologue, un travailleur social). Face à un bilan extrêmement positif, la généralisation du dispositif d’annonce a été décidée et des recommandations nationales pour sa mise en œuvre ont été adressées par l’Institut National du Cancer (INCa) aux établissements de santé fin 2005.
Introduction Le Centre Léon Bérard (CLB), Centre Régional de Lutte contre le Cancer de Lyon, a fait partie des établissements de la région Rhône-Alpes participant à l’expérimentation du dispositif d’annonce. Dès novembre 2005, un poste « d’assistante de soins » était créé. La candidature d’une infirmière ayant travaillé dans plusieurs services de l’Établissement (médecine et chirurgie) fut retenue. Une formation à l’École de Formation Européenne en Cancérologie (EFEC) intitulée « pratiques en psycho-oncologie », et une rencontre des différents acteurs de la trajectoire de soins de support, ont constitué les « pré-requis » pour la mise en place du poste. Cependant, en raison de la diversité des pathologies traitées au CLB, et devant le nombre croissant de cancers du sein pris en charge dans l’établissement (plus de 1 000 nouveaux cas par an), il est apparu plus judicieux d’orienter le poste d’assistante de soins sur la prise en charge du cancer du sein, afin d’optimiser la relation soignant-soigné et d’améliorer le vécu des patientes. Nommée en 2005 « assistante de soins », j’ai eu alors toute latitude pour mettre en place une prise en charge respectueuse des recommandations du dispositif d’annonce.
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Réflexions préalables La révélation d’un cancer provoque une situation de crise. Cette crise, épisode de désorganisation majeure faisant suite à l’annonce d’un diagnostic de maladie grave, provoque une hausse du niveau de l’anxiété. Elle déstructure et demande par conséquent une adaptation. Lors de la mise en place du poste, nous nous sommes interrogés : face à cette crise situationnelle, quel est le meilleur moment pour intervenir, et quel pourra être le rôle de l’infirmière ? Quel sens donner à la consultation infirmière ? En quoi et comment l’infirmière peut-elle, après l’annonce d’une maladie grave, favoriser l’adaptation du patient ? Le personnel soignant est souvent démuni, impuissant, dans ce moment de tension et de stress. Il n’est alors pas facile d’être « acteur » auprès des patients. Dans un CLCC, il s’agit souvent de ré-annonce, le diagnostic a été posé antérieurement par un médecin généraliste, un gynécologue ou dans un centre de radiodiagnostic.
L’infirmière doit-elle assister à la consultation d’annonce ? Il n’y a, semble-t-il, pas de réponse formelle. Parfois, le médecin et son patient préfèrent le colloque singulier. Les médecins se sentent parfois « soutenus » par la présence d’une infirmière. Annoncer une mauvaise nouvelle n’est jamais chose simple et peut être une réelle souffrance pour le médecin. On ne redira pas l’importance d’être formé à l’annonce de la mauvaise nouvelle. Quoi qu’il en soit, si l’infirmière n’est pas présente à chacune des consultations d’annonce, il est primordial qu’elle assiste à des consultations d’annonces des divers médecins avec qui elle est amenée à travailler, afin de prendre la pleine mesure des mots employés, des manières d’annoncer de chacun. Les mots « carcinome, tumeur maligne » peuvent être employés plutôt que cancer. Le support de communication entre le médecin et l’infirmière devra être le plus élaboré et complet possible, car il sera utilisé par cette dernière pour mener sa consultation. Plus que ce qu’a dit le médecin, c’est ce qu’a entendu et compris le patient qui est important. Et l’infirmière reprendra les mots employés par le patient pour ne pas le heurter et le laisser cheminer à son rythme. Il faut respecter le temps d’appropriation, les mots usités et le souhait de chacun de savoir ou non.
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Mais dans tous les cas, l’infirmière qui serait présente à la consultation d’annonce n’est pas là pour soutenir le médecin mais bien pour accompagner le patient et sa famille dans un moment difficile et bouleversant. En position d’observvatrice, elle pourra recueillir les réactions du patient et de ses proches.
À quel moment intervenir après l’annonce ? Il est vrai que dans mon fonctionnement, je n’ai jamais attendu que les patientes se manifestent ou prennent un rendez-vous. Je suis toujours allée au-devant d’elles, en me présentant lors de l’entrée en hospitalisation (ou lors de la première chimiothérapie). L’un de mes questionnements était d’ailleurs de savoir, si cette rencontre n’était pas trop tardive par rapport à l’annonce, qui était intervenue antérieurement de 2 à 4 semaines. L’infirmière aura un rôle très différent, me semble-t-il, selon qu’elle interviendra immédiatement après la consultation médicale d’annonce ou quelques jours plus tard. Le cadre du dispositif d’annonce prévoit ces deux hypothèses puisqu’il précise que le temps d’accompagnement soignant peut intervenir « immédiatement ou à distance de la consultation d’annonce ». Dans l’immédiateté, les patients atteints de cancer sont bouleversés, sous le choc et traumatisés par l’annonce de cette maladie grave. Qui n’a pas entendu des témoignages comme : « ce fut un coup de tonnerre dans un ciel bleu », ou encore : « le ciel m’est tombé sur la tête », « la maladie est la pire des choses à vivre ». L’infirmière sera là pour recueillir les émotions que suscite cette mauvaise nouvelle, avec beaucoup d’écoute, d’empathie et de chaleur humaine. Il sera alors difficile de faire autre chose dans ce temps-là (information, par exemple) car les patients savent très bien le dire : « Ils n’entendent plus rien. » Certaines femmes avouent même : « J’ai repris ma voiture et suis rentrée chez moi je ne sais pas comment, je ne me souviens de rien ! » Au moment de l’annonce, quels sont les besoins précis du patient ? – l’écoute, le respect, la disponibilité qui témoigne d’une attention particulière ; – l’expression et la verbalisation de ses émotions (colère, peur, pleurs, sidération, questionnement de type « Pourquoi moi ? ») ; – la chaleur humaine et l’empathie du soignant ; – le besoin de parler des bouleversements engendrés par cette annonce (professionnels, familiaux, sociaux) ; – parfois une histoire familiale à raconter (reviviscence de certains souvenirs, sentiment de culpabilité) ;
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– parfois une crise existentielle avec la verbalisation de la peur de la mort (l’annonce de cancer provoque la conscience de la finitude, le sentiment que l’on est mortel). À ce moment précis, l’infirmière doit être très disponible pour cette écoute, et les paroles ne seront pas forcément une réponse aux besoins immédiats des patients. Certaines femmes l’expriment très justement : « on ne réclame qu’un peu d’humanité », « les paroles libèrent », « quelqu’un qui a du temps à nous accorder, c’est vraiment appréciable, rassurant », « cette création de poste fait chaud au cœur à un moment de notre vie où tout bascule ». L’attitude du soignant, sa disponibilité, l’aide à l’expression des sentiments, seront les premiers pas vers une relation. Le respect de l’autre est le préalable nécessaire à tout acte de soins et donc à la relation. Intervenir quelques jours après la consultation d’annonce donne une autre dimension à la relation. Le patient est alors plus réceptif (il a eu du temps pour intégrer l’annonce) ; l’apport d’informations et d’éléments lui permettant de se réorganiser, diminue l’anxiété et l’agressivité que celle-ci peut générer. Le rôle du soignant est plus diversifié, plus constructif : reformulation, information, présentation des équipes de soins de support, des associations, mais aussi, écoute des craintes et des peurs des patients, des attentes et besoins de ceux-ci. Ce rôle trouvera sa pleine expression lorsque se dessinera le projet thérapeutique annoncé par le médecin. Collaborer à l’élaboration du projet de soins et donner des repères créeront pour le patient le sentiment d’une prise en charge et d’un suivi par une équipe solidaire et centrée sur sa personne. « Cette rencontre m’a rendue moins seule avec ma maladie, une interlocutrice à qui on peut faire part de ses pensées sans hésitation », « poste indispensable et nécessaire qui donne un côté plus humain à la machine hospitalière, son intervention m’a permis de me projeter positivement dans l’avenir ».
Quelle appellation pour ces nouveaux postes d’infirmière d’annonce ? On conçoit aisément que les médecins qui n’étaient pas dans la dynamique de l’expérimentation du dispositif d’annonce aient pu être offensés d’entendre parler « d’infirmière d’annonce » ou « d’infirmière de consultation d’annonce ». Cela continue à surprendre (voire déplaire), et conduit à des réticences, quand encore, il ne s’agit pas de refus, sous divers motifs, de mettre en place ces postes paramédicaux d’accompagnement. La dénomi-
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nation « infirmière d’annonce » laisserait à penser que le rôle d’annonce pourrait être dévolu à l’infirmière, dépossédant ainsi les médecins de leur rôle propre et de leur obligation. Or il n’en est rien, et il est bon de réaffirmer que l’annonce diagnostique et thérapeutique reste et restera toujours un devoir médical. L’infirmière trouvera tout naturellement sa place comme accompagnatrice de ces deux temps médicaux. Cet entretien avec l’infirmière relève bien d’une complémentarité soignante. C’est pourquoi, j’ai toujours jugé préférable, et bien choisi, de parler du « temps d’accompagnement soignant ». Mon Institution l’avait bien compris, et dès le départ n’a pas inscrit ce temps infirmier comme une « consultation d’infirmière d’annonce » mais a préféré me nommer « assistante de soins ». Rappelons cependant que depuis 2005, toute Établissement prenant en charge des patients atteints de cancer doit mettre en place le dispositif d’annonce et ces temps d’accompagnement soignant. C’est une obligation créée dans le plan cancer n° 1 et confortée dans le 2e plan cancer.
L’organisation du poste d’assistante de soins au CLCC de Lyon La fonction d’assistante de soins en sénologie, définie dans le projet d’établissement du CLB, prévoit l’accompagnement de la personne malade après l’annonce, par une optimisation et un renforcement de l’information médicale. Cette information, complémentaire de celle transmise par le médecin au début de la prise en charge, doit permettre à la patiente de mieux comprendre la maladie et, par là même, d’adhérer et de participer activement au projet de soins. L’assistante de soins assure un entretien avec toute nouvelle patiente atteinte d’un cancer du sein, ainsi que lors de tout changement du programme thérapeutique. Il est important de remettre toujours la patiente au centre des décisions. Cela permet de favoriser son implication au projet de soins et de baliser les étapes de sa prise en charge. L’assistante de soins ainsi rencontrée lors des différentes étapes devient une « infirmière référente ». « Je ressens ce poste d’assistante de soins comme un lien nécessaire avec les autres intervenants autour du patient », « dans la multitude du personnel soignant, il est appréciable d’avoir un référent qui peut servir de coordinateur ». Classiquement, le cancer du sein est traité par un temps chirurgical suivi ou non de chimiothérapie et/ou radiothérapie et/ou hormonothérapie +/– immunothérapie.
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Lors de la prise en charge chirurgicale, le moment d’écoute et d’explications effondre l’angoisse de la patiente. Il s’agit au préalable de savoir ce que la patiente a « entendu » lors de la consultation d’annonce et compris de sa maladie, ses représentations, ses peurs, mais aussi ce qu’elle souhaite avoir comme information avant même de reformuler. Informer sur la réunion de concertation pluridisciplinaire qui propose la stratégie thérapeutique, repérer les besoins en psycho-oncologie et besoins sociaux pour orienter vers les soins de support, enfin faire connaître les associations, l’Espace Rencontre Information, l’activité des bénévoles, le groupe de parole interne au CLB. Faciliter les relations entre la structure hospitalière, la patiente et l’extérieur (recours au médecin traitant) très précocement s’impose également. La prise en charge avant traitements adjuvants donne lieu à la délivrance du Programme Personnalisé de Soins prévisionnels qui constitue un calendrier très apprécié des patientes. Il matérialise une suite et leur permet de se réorganiser sur le plan personnel. Les explications détaillées sur les effets secondaires des traitements, la prévention, la chronologie des événements prévisibles durant l’inter-cure sont au cœur de l’entretien. Rappelons que la remise d’outils d’information écrits est une nécessité à chaque étape des soins. L’assistante de soins doit s’assurer que l’information est bien comprise et que la patiente saura prendre des décisions concernant sa santé lors du retour au domicile. Il ne s’agit pas d’éducation thérapeutique mais plutôt d’éducation à la santé. « Quelqu’un qui vient nous offrir ses services, c’est toujours apprécié », « la guérison des malades passe aussi par la qualité des soins et de l’écoute apportée ».
Objectifs de l’entretien paramédical En quoi une prise en charge paramédicale après l’annonce est-elle importante ? Ce temps permet d’écouter les craintes, les peurs et les angoisses de la personne malade. La reformulation, en dehors de l’information du patient, permet d’écouter et de connaître la personne malade et ses proches, d’amorcer un dialogue. Cela permet d’aider le patient à trouver les ressources nécessaires pour faire face à la crise, en activant ses capacités à résoudre les problèmes, en lui permettant de verbaliser son ressenti. L’assistante de soins aide le patient à reprendre pied dans la réalité, en restructurant et réorganisant sa vie personnelle, familiale ou professionnelle, par des réponses adaptées aux préoccupations et aux inquiétudes de chacun. « Le poste humanise le
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contexte médical stressant qui, par manque de temps peut-être, privilégie les soins du corps malade en oubliant l’affectif, le relationnel, le familial, le social de tout individu », « très important pour moi ce poste d’assistante de soins, par sa proximité et la quantité d’informations disponibles ». La consultation infirmière apparaît comme un « sas de décompression émotionnelle ». Il est important pour le patient d’avoir un interlocuteur soignant moins décideur de son traitement et plus accessible, à qui il pourra poser ses questions et s’ouvrira davantage. On est dans le début de la thérapie active. Si la mise en place du poste et les débuts furent un peu difficiles vis-àvis des équipes médicales, peu informées du dispositif et de sa finalité, il n’en fut pas de même auprès des patientes, d’abord surprises d’une telle prise en charge, puis convaincues de cette nécessité. Mais je ne pouvais me contenter de cette évaluation du domaine du ressenti ; encore fallait-il juger, avec le recul, ce que ce « temps d’accompagnement soignant » pouvait apporter aux patientes, et surtout faire une évaluation plus critique qui permette de repérer ce qui, dans le fonctionnement du poste, pouvait être amélioré. Restait à construire, 4 ans après cette création de poste, un questionnaire d’évaluation avec un maximum de questions fermées pour permettre une synthèse plus aisée. Néanmoins, quelques questions ouvertes me paraissaient opportunes pour laisser aux patientes un espace d’expression plus personnel. L’année 2005 avait été une année de création interne du temps d’accompagnement soignant ; 2006 l’année d’une reconnaissance médicale du rôle d’un soignant paramédical dans l’accompagnement personnalisé des femmes atteintes de cancer du sein, avec une montée en charge du poste, en terme d’effectifs de patientes prises en charge. Le questionnaire élaboré fut adressé aux patientes rencontrées au cours de l’année 2007.
Bilan quatre ans plus tard Quels étaient les besoins d’une femme à qui l’on vient d’annoncer un cancer du sein ? Comment améliorer l’accompagnement, tout en restant dans le cadre très précis du dispositif d’annonce ? Et, a posteriori, à quelles attentes ne répondait pas le poste d’assistante de soins ? Sept cents questionnaires (700) furent envoyés par courrier postal avant l’été 2007. Trois cent trois (303) patientes envoyèrent leur réponse, soit un taux de retour important : 40,7 %.
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À la première question : Avez-vous rencontré l’assistante de soins en sénologie pendant votre prise en charge au CLB ? Il est intéressant de noter que si 275 patientes ont répondu par l’affirmative, 25 n’en avaient pas le souvenir. Cependant, elles avaient toutes été rencontrées. L’analyse que je fais de cette situation est que parfois, en raison du stress préopératoire, la patiente ne garde pas le souvenir des soignants rencontrés avant une intervention, la seule référence restant alors leur chirurgien. L’assistante de soins a pu alors être assimilée à une infirmière de l’équipe sans particularisme ni identification particulière. À la deuxième question : À combien de reprises l’avez-vous rencontrée ? Les patientes se souviennent en général s’il s’agit d’une seule rencontre ou de plusieurs, mais restent plus évasives sur le nombre d’entretiens. Pour les patientes annonçant des entretiens répétés au-delà de 3, il est probable que ce soit des patientes ayant participé à plusieurs reprises au « groupe de parole hebdomadaire », coanimé par l’assistante de soins et une psychologue. À la troisième question : Dans quel service ou à quel moment l’avez-vous rencontrée ? 76 % des patientes se souviennent que cette première rencontre a eu lieu en service de chirurgie (certaines citent le nom de leur chirurgien) ; les réponses sont plus floues sur le temps pré ou postopératoire. Ce manque de précision semble confirmer que la situation de stress s’accompagne souvent d’une certaine désorientation et d’un manque de concentration. 23 % des patientes ont ce souvenir sur le temps de chimiothérapie ; à cela, deux hypothèses. Soit il peut s’agir de patientes qui ont eu affaire à l’assistante de soins à plusieurs reprises et en conservent un souvenir plus marqué lorsque l’avancée dans le temps et les traitements ont permis un cheminement dans l’acceptation ; soit il s’agit de patientes commençant le programme thérapeutique par la chimiothérapie néo-adjuvante. Pour rappel, les recommandations lors de la mise en œuvre du dispositif d’annonce prévoyaient le « temps d’accompagnement soignant » immédiatement ou à distance de l’annonce médicale du diagnostic de cancer et lors de l’annonce médicale thérapeutique, mais ne prévoyaient pas le suivi des patientes tout au long de la trajectoire de soins. Aux quatrième et cinquième questions : Avez-vous jugé ce moment bien choisi ? Et pourquoi ? 81,5 % des patientes répondent « oui » contre 7,6 % « non » et 10,9 %, un nombre conséquent, « ne se prononcent pas ». L’accompagnement soignant lors de l’entrée en hospitalisation pour l’intervention est-il un moment plus propice que le temps de la consultation d’annonce ?
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142 patientes évoquent lors de l’hospitalisation, « le besoin de reformulation de l’intervention ou du programme de soins », certaines sont déjà sur l’après-chirurgie et réclament « des explications sur la suite des traitements ». 92 patientes emploient les mots « se sentir rassurée, moins angoissée ou stressée, se sentir écoutée », ou évoquent leur « meilleure disponibilité », au sens émotionnel, à ce moment-là, certaines parlent même du besoin ressenti « d’aide psychologique et aide morale ». Pour les 52 patientes ayant trouvé le moment mal choisi ou qui ne se sont pas prononcées, on note des éléments de réponse avec des justificatifs comme : « rencontre trop tardive », « trop d’émotions », « moment de doute », « pas réceptive pendant la rencontre ». Ce qui incite à penser que pour ces patientes, une intervention de l’assistante de soins précocement, lors du temps d’annonce, aurait peut-être pu leur permettre une adaptation plus rapide à ce nouveau statut de personne malade qu’elles n’ont pas encore assimilé. Ce que confirme en partie la réponse à la sixième question, pour les patientes ayant répondu négativement précédemment. À quel moment auriez-vous souhaité rencontrer l’assistante de soins ? Neuf patientes seulement affirment très clairement « dès l’annonce » et trois « après la consultation médicale ». On peut donc penser que pour la majorité des patientes, ce temps n’était pas si mal choisi. Il n’en reste pas moins que pour les 18,5 % de réponses négatives (ou de non réponse), ce temps n’était pas le leur et que le traumatisme de l’annonce était encore trop présent. Cinq d’entre elles auraient souhaité une rencontre « après la chirurgie » ou « avant la sortie de l’hospitalisation ». On imagine que pour ces patientes le stress préopératoire était trop intense et un frein au dialogue. Il semblerait donc que, dans l’absolu, l’idéal serait de laisser à la patiente choisir le moment de la rencontre avec l’infirmière. Selon ses besoins, ce pourrait être, soit immédiatement après l’annonce, soit un peu en retrait de celle-ci. Toute la difficulté sera dans l’organisation de ce temps qui demandera une planification rigoureuse. La septième question portait plus sur l’aspect qualitatif et la clarté des explications ou de la reformulation. 90,7 % de réponses satisfaisantes avec 70,6 % de très claires et 20,1 % de plutôt claires. La disponibilité des patientes à entendre les informations lorsqu’un peu de temps s’est écoulé après l’annonce semble confirmée par ces chiffres. Les 9,2 % de patientes qui ne se prononcent pas sont sans doute les mêmes qui ont trouvé le moment de la rencontre mal choisi ! L’une des qualités requises pour le soignant sera aussi de savoir « parler simple » et se mettre à la portée de son interlocuteur. Le choix des mots fait réfléchir sur le sens et l’éthique de ces nouvelles fonctions.
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À la huitième question : Que vous a apporté cet entretien et qu’avez-vous apprécié ? 137 patientes répondent « informations, explications simples, adresses, réponses, orientations », 120 : « réconfort, assurance, sérénité, apaisement, calme, sécurité, douceur ». 37 : « écoute » et d’autres mots comme « gentillesse, humanité, accueil, disponibilité, compréhension et courage » sont également choisis. L’analyse d’une question ouverte est toujours délicate, néanmoins il ressort des termes employés par les patientes leur fragilité et leurs questionnements, ainsi que le besoin de compréhension, d’écoute et de réassurance. Ce temps qui leur est consacré leur offre un peu d’apaisement et de sérénité dans un moment de bouleversement émotionnel intense. La question suivante confirme pour 89,1 % leur satisfaction de ce temps qui leur est entièrement consacré.
Attentes des patients Les patients souhaitent une relation authentique. « On se sent soutenu sans être infantilisé », « sincère dans ses propos ». Ils veulent avoir la possibilité d’évoquer des sujets et de poser des questions qu’ils n’osent pas forcément aborder avec le médecin, comme leurs peurs, leurs problèmes d’ordre personnel et matériel. Certaines questions de l’ordre de l’intimité sont soulevées, et de temps en temps la question d’une échéance et de la peur de mourir est évoquée. « Au départ, le mot cancer, pour moi qui n’avait que 35 ans, était synonyme de mort, j’étais effrayée, pour moi, mes enfants, mon époux, à l’idée de ne pas survivre physiquement et psychologiquement à tous les traitements qui s’annonçaient ; après les entretiens avec l’assistante de soins, je me suis sentie un peu plus vivante. » Certains patients ont parfois le souci de ne pas importuner le médecin avec leurs inquiétudes. Discuter du plan de traitement proposé, de ses objectifs, permet une lisibilité sur les étapes à venir. Pour le patient, avoir un projet de vie soutient. C’est pourquoi il paraît important de consacrer ce temps d’accompagnement assez près du temps d’annonce. « Les oncologues ont une approche qui me semble moins pratico-pratique. » À la dixième question : Quelles remarques pourriez-vous formuler pour améliorer cet entretien ? et en croisant les réponses avec celles obtenues à la question n° 36 sur Les remarques positives ou négatives sur ce poste d’assistant de soins, on constate que beaucoup de patientes demandent « plus d’entre-
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tiens », ou « une rencontre avant le départ des services d’hospitalisation », mais également des demandes sur « plus de postes » (en termes de personnel dédié car l’assistante de soins n’est pas remplacée lors de ses absences), « des rencontres plus régulières au cours du traitement », « un suivi en cours d’hospitalisation », « un entretien en début de chaque étape du parcours de soins ». Certaines proposent une « rencontre systématique de ce soignant » ou encore d’être « prévenue à l’avance de la date de l’entretien pour préparer les questions » ou « des entretiens plus longs » dans un « lieu privé ». D’autres aimeraient « plus de renseignements », « que l’on puisse parler après les résultats » mais on se retrouve dans les limites de compétences de l’infirmière qui ne doit en aucun cas annoncer les effets des traitements ou les protocoles avant la consultation du médecin spécialiste, même si la patiente est informée au préalable d’une chimiothérapie adjuvante. Il faudra alors rester sur des informations généralistes. Enfin des femmes expriment le souhait « de disposer de supports écrits, de s’aider de dessins, images, ou d’avoir un feuillet récapitulatif de l’entretien ». Se dessinent donc des pistes possibles d’amélioration. S’exprime aussi le souhait de « traiter les problèmes au cas par cas » et la nécessité pour certaines femmes de cheminer à leur rythme et « avoir l’information au fur et à mesure » ; ce peut être aussi suivant l’interprétation que l’on a des problèmes au cas par cas, l’intervention de l’équipe pluridisciplinaire, où chacun dans sa spécialité accompagnera en fonction des besoins et des problèmes rencontrés (assistante sociale, psychologue, etc.). Mais globalement, toutes les femmes font remarquer de façon positive la nécessité d’un tel accompagnement et de ces entretiens. « Ce poste est un atout majeur dans le parcours difficile d’accompagnement des malades », « le soutien apporté est concret, les réponses pragmatiques ; on n’est pas un patient parmi d’autres, mais un être que l’on écoute et à qui l’on donne toutes les chances de s’en sortir du mieux possible sur le plan moral ». La demande d’échanges avec d’autres patientes revient à plusieurs reprises : « peut-être des réunions de groupe pour partager » ou « une réunion groupe de parole avec cette assistante de soins et d’autres malades où l’on aurait des réponses aux questions que l’on s’est posées ». Les demandes récurrentes de « plus d’entretiens » et « d’entretiens plus longs », « plus de temps, plus souvent » me posent question. « J’aurais aimé la revoir plus souvent lors de mes chimios », « l’aide de l’assistante de soins est trop ponctuelle », « j’ai apprécié ses visites et j’aurai aimé encore en avoir un peu plus ». Je n’ai jamais eu le sentiment de donner un cadre strict à mes entretiens en termes de durée, estimant que la durée des entretiens doit être corrélée au temps d’expression dont a besoin la patiente. Le sentiment que certaines ont manqué de temps m’interroge de même que le besoin de plus d’entretiens !
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Se pose le cadre du dispositif d’annonce qui, lui, ne prévoit pas un suivi des patientes avec des entretiens répétés. Y aurait-il un sentiment de frustration des malades ? Infirmière, j’ai toujours pensé que le cadre restrictif du dispositif d’annonce ne correspondait pas à un accompagnement personnalisé satisfaisant puisqu’il ne s’inscrivait pas dans la durée avec un suivi des patientes. Raison pour laquelle, laisser aux patientes la possibilité de téléphoner ou de prendre rendez-vous à tout moment, lors du déroulement du programme thérapeutique, a fait partie intégrante de ma réflexion lors de la construction du poste d’assistante de soins. Dès la mise en place du poste fut élaboré un document d’information papier remis aux patientes, sur lequel figuraient les coordonnées téléphoniques et heures de disponibilité de l’assistante de soins. Certaines patientes réclament « que l’assistance de cette infirmière soit proposée d’office », « avoir la possibilité de la rencontrer dès le premier entretien avec le chirurgien ou l’annonce de la maladie », « un suivi et un entretien dès la première visite », « une visite avant la prise en charge pour redonner confiance, rassurer et conseiller », « anticiper la rencontre et pouvoir aborder l’aspect émotionnel de cette douloureuse expérience », « des imprimés qui fassent connaître le poste d’assistantes de soins aux médecins extrahospitaliers », « renforcer ce poste et l’intégrer systématiquement pour chaque patient », enfin « que le chirurgien remette les coordonnées de cette infirmière au cours de la consultation ». Pour ce qui est d’intervenir plus tôt dans la prise en charge, je précise qu’en 2007 les médecins lors de leur consultation d’annonce ne remettaient pas mes coordonnées et ne parlaient pas aux patientes de ce temps soignant. Il y avait une certaine frilosité à cette démarche. Depuis, une évolution s’est faite tout naturellement avec le temps. Les médecins, à présent, remettent mes coordonnées dès leur première consultation, allant même jusqu’à expliciter le rôle de l’assistante de soins dans la prise en charge, et inciter les patientes à une rencontre. Les mentalités ont évolué et le temps à fait son œuvre. Il ne faut surtout pas tout vouloir tout de suite. Ce qui s’acquiert lentement s’acquiert durablement. Si l’on reposait la question aujourd’hui, sans doute les réponses seraient-elles différentes. On retrouve cette logique dans la réponse à la question n° 22 : Les coordonnées de l’assistante de soins vous ont-elles été remises en fin de consultation ? – par le médecin seulement 10,6 % ; – par l’assistante de soins 70,6 % ; – parfois sont cités l’Espace Rencontre Information (ERI), des amis ou l’affiche groupe de parole.
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D’où l’importance, me semble-t-il, lors de la mise en œuvre du temps soignant du dispositif, d’en informer un maximum de professionnels de la trajectoire patient, de créer un réseau de soutien qui pourra faire appel au soignant compétent dans la prise en charge, et être ainsi un relais de l’information. On trouve aussi des demandes comme : « qu’il y en ait dans tous les centres de soins pour le cancer ». La onzième question interrogeait les patientes sur la compréhension du poste d’assistante de soins. Pour 86,8 %, cette fonction était très claire, pour 3,6 % non et 9,6 % ne se prononcent pas. Pour les patientes pour qui tout était très clair, on retrouve les notions « d’explication, information, compréhension et acceptation de la maladie et des traitements, accompagnement pendant le parcours de soins, aide morale, soutien, écoute et rassurance » ; plus curieusement, la notion « d’intermédiaire entre les patientes et les médecins » apparaît à 73 reprises et avec elle le sentiment pour moi d’appartenance à un binôme soignant « médecin- infirmière ».
Spécificité de l’entretien L’éthique et le sens donné à cette consultation sont essentiels. Quels en sont les bénéfices attendus ? Les entretiens menés avec un patient ne sont pas des relations de civilité, pas plus que des relations « dominant-dominé ». Le patient est un partenaire, un acteur de soins qui sera toujours au centre des décisions. Il a besoin d’informations précises pour mieux « cerner son adversaire », connaître sa maladie. La consultation infirmière n’est pas faite pour rendre le malade dépendant des soignants, mais au contraire pour le rendre autonome. Au final, ce n’est pas la durée d’une consultation qui en détermine sa qualité. Toute l’importance d’une communication de qualité est alors révélée. Pour le soignant, disponibilité, écoute, capacité d’attention, adaptabilité, précision, clarté et cohérence des propos, ton posé permettent d’établir une relation et de progresser dans le sens d’une prise en charge personnalisée. La libre expression du patient, la possibilité de poser des questions, de permettre des temps de pause pour décompresser sont autant d’éléments qui feront de ce moment un temps privilégié. Il faut beaucoup de souplesse
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lors d’un entretien et de prudence dans le choix des mots. La reformulation, avec l’emploi de mots ou de termes médicaux traduits de manière simple, permet de transmettre une information adaptée à la personne malade. Jugements, préjugés, impatience et familiarité sont, bien sûr, à proscrire. L’analyse des représentations que le patient a de la maladie est un préalable à tout entretien. Il faut évaluer ce que le patient sait déjà, ce qu’il veut savoir et respecter son besoin d’information. Demander si le patient veut être accompagné d’un tiers éclaire déjà sur les fonctionnements de la structure familiale, et permet de repérer des personnes ressources. Les proches sont un soutien et un accompagnement non-soignant important. Ils apporteront le réconfort et l’aide pratique au quotidien. Le soignant doit respecter ce désir d’être ou non accompagné. « Ces rencontres m’ont fait un grand bien et mon mari, qui était présent lors de celle qui a précédé la chimiothérapie, a vraiment apprécié de pouvoir poser des questions et d’avoir des explications claires données calmement et gentiment. Je pense que les malades et leurs proches ont vraiment besoin de cela. » Aux questions n° 13 et 14, de 88,1 % à 88,8 % des patientes estiment que l’entretien avec un soignant est un plus appréciable, et que cela répond à un besoin dans la prise en charge. Lorsqu’on demande aux patientes, question n° 15, « d’exprimer leurs sentiments et besoins après la 1re consultation médicale », 46 parlent de manque d’informations, 88 de leur peur, angoisse, stress, inquiétude, du sentiment d’être perdues, désemparées, « le vide absolu », « une peur paralysante, tétanisante », « un peu de solitude avant que tout ne se mette en marche », alors que 29 seulement sont rassurées et confiantes. Question n° 16 : De quoi auriez-vous aimé parler à l’issue de la consultation médicale et avec qui ? « De la suite des traitements », « de l’avenir », « plus de précisions sur la maladie », et avec qui ? On retrouve une majorité de : « avec le chirurgien, le médecin », et à part égale : « assistante de soins », « des patientes ou anciennes patientes », « des psychologues la famille ou les amis ». La notion qui se fait jour du besoin de parler entre patients est intéressante, cet échange d’expérience, le partage du vécu ici et maintenant ou avec le recul pour les ex-patients sont une valeur ajoutée pour les établissements qui offrent l’opportunité de parler au sein d’un groupe de patients. Tout naturellement à la question n° 17 : Quel professionnel non-médecin est susceptible de répondre le mieux à vos attentes après la consultation médicale ? (et un choix de plusieurs professionnels possible cités) – 54 % une infirmière ; – 42,6 % une psychologue ; – 17,5 % autre professionnel ;
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– 2 % une secrétaire médicale ; – 18 % ne répondent pas à cette question. Pour les autres professionnels cités, on retrouve 29 « assistante de soins » ; les patientes n’auraient-elles pas bien identifié l’assistante de soins comme une infirmière ? Quel particularisme se cache pour elles derrière cette appellation ? Ont-elles identifié des compétences différentes ? Il aurait été intéressant de poser la question : « Pour vous, qu’est-ce qu’une assistante de soins ? », afin d’avoir la réponse à cette question. Autres professionnels : 12 médecins avec des formulations comme spécialistes, psychanalyste, psychiatre, et des réponses plus surprenantes comme esthéticienne, coiffeuse, bénévoles, ostéopathe, prêtre. À noter que 2 % seulement se tourneraient vers la secrétaire médicale alors que le dispositif d’annonce leur laisse une place dans l’accompagnement soignant lors de la consultation d’annonce. Sans doute le rôle de l’assistante médicale est-il plus visible et pertinent dans le cadre de cabinets libéraux où le binôme médecin secrétaire est plus affiché qu’en milieu hospitalier.
Points forts de la consultation infirmière au CLB La patiente a un personnel dédié disponible après l’annonce, mais aussi à chaque étape de son parcours thérapeutique. Cette organisation structurée et formalisée de rencontre avec une infirmière « référente », la cohérence dans les propos des différents acteurs de la prise en charge, l’écoute créent un climat de confiance. L’assistante de soins, interlocutrice privilégiée, ouvre sur d’autres rencontres avec des professionnels paramédicaux et crée un lien avec les unités de soins. Elle permet le développement de relais interprofessionnels autour de la patiente. Ces liens se formalisent à l’issue de chaque entretien par un compte rendu dans le dossier patient informatisé accessible à tous les soignants. Fort logiquement, en réponse à la question n° 24 : Auriez-vous apprécié que le médecin vous propose un entretien avec l’assistante de soins après la consultation médicale ? 42,9 % des patientes répondent par l’affirmative. Et pourquoi ? On retrouve des phrases comme « se sentir moins seule », « parler ou parler de l’avenir », « comprendre, réaliser », « mieux se préparer » ou « la rencontrer avant ! » et la notion de soutien. Une patiente avait un jour fort bien verbalisé ce ressenti en disant : « Même si l’on est bien entouré, on est toujours seule pour faire face à la maladie. » On entend la notion de se
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préparer à combattre la maladie, un adversaire redoutable dans les mots, « mieux se préparer » comme exprimé lors d’un entretien, « il faut se battre ou se laisser abattre ! », expression qui résonne si souvent à l’oreille des soignants et des proches. Si l’on demande ensuite question n° 19 : L’assistante de soins est-elle susceptible de répondre en partie à vos besoins ? 82,8 % pensent que oui. 4 % non, 13, 2 % ne se prononcent pas. Soit 17,2 % qui auraient certainement besoin d’un autre professionnel des soins de support ou d’une nouvelle consultation médicale. La question ouverte n° 20 sur le pourquoi ? Pour les patientes ayant répondu favorablement, on retrouve énumérées majoritairement les notions de connaissances, de compétences, de réponses aux questions, de soutien psychologique avec des phrases comme « elle sait écouter », « elle est disponible », également « elle rassure », « elle est humaine ». Pour le non, « elle n’est pas médecin », « n’est pas habilitée à gérer différentes émotions générées par la maladie » ou « ne fait pas partie de la famille ». Cela souligne aussi la place des proches dans le soutien après l’annonce, mais également l’importance pour le soignant de savoir rester dans son domaine de compétences, afin de garder une crédibilité auprès des patients, mais aussi des équipes de professionnels médicaux ou des soins de support. Je me permets de réaffirmer aussi la nécessité de proposer une équipe pluridisciplinaire au service du patient très précocement dans la prise en charge, et de savoir, pour l’assistante de soins, créer le lien avec ces professionnels en fonction des besoins exprimés par les patientes. Les questions 21 et 25 étaient plus centrées sur les compétences ou qualités nécessaires au soignant, et les besoins des patientes. Les principales qualités sont la bonne connaissance de la maladie (137) et sous-entendu aussi des traitements, puis l’écoute (126) « l’écoute est primordiale » ; viennent ensuite des qualités humaines avec des notions de gentillesse, patience, disponibilité, compréhension, empathie, douceur, discrétion, calme, sincérité, franchise, humanité (mots clés sélectionnés qui reviennent le plus fréquemment). Quant aux besoins, ils ont déjà été énumérés plus haut et l’on retrouve des réponses formulées à la question n° 20.
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Les compétences de l’infirmière L’infirmière doit avoir de bonnes connaissances de la pathologie pour aider le patient et sa famille à comprendre l’histoire médicale. Une bonne pratique professionnelle auprès de patients atteints de maladies graves est donc requise. Les savoirs, savoir être et savoir faire sont nécessaires. Il est essentiel de parler juste et de parler vrai. Le choix des mots est essentiel et doit se faire avec beaucoup de prudence. Intervenir tout au long du parcours de soins permet de donner des repères au patient, mais surtout d’analyser et de formaliser des besoins qui varient dans le temps. Cela permet de réajuster les informations aux différentes étapes des traitements (chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie etc.). C’est pourquoi le choix d’informer et d’éduquer tout au long de la trajectoire du patient s’est imposé tout naturellement au CLB. Les patients sentent beaucoup de choses et doivent se sentir compris ; ils ne sont pas rassurés par des généralités. Le soignant ne peut rester sur des choses trop superficielles. Il faut savoir détecter la détresse du patient, analyser ses besoins et les formaliser. Mais la prise en charge infirmière n’est pas seulement un savoir-faire en technique de communication, c’est aussi l’occasion de présenter les équipes qui accompagneront cette consultation infirmière en fonction des besoins exprimés. Cette consultation va également s’étoffer d’outils d’information écrits, supports choisis, brochures, documentation de la Ligue contre le Cancer, coordonnées téléphoniques, contacts d’associations, programme personnalisé de soins, véritable stratégie thérapeutique. C’est alors l’occasion de remettre des documents adaptés (pour le patient qui le souhaite) qui présentent l’avantage de transmettre l’information sous une forme autre qu’orale.
Difficultés de la consultation infirmière Lors des consultations médicales d’annonce, le pourcentage « d’oubli de l’information » est phénoménal. En psychologie, l’oubli a une fonction, celle de protéger, qui permettra à l’individu de continuer à fonctionner, de garder son identité. Des études ont démontré que dans la minute qui suit l’information, 50 % des informations sont oubliées (limites cognitives). Si l’on ajoute le problème de la compréhension, on se rend compte de la difficulté à informer correctement.
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Nous avons tous une anticipation de l’avenir, c’est un facteur d’équilibre. La perte de cette possibilité d’anticipation provoque la perte de contrôle. L’être humain ne sait pas appréhender l’abstraction, ni gérer l’incertitude. Cette gestion de l’incertitude est une des grandes difficultés des malades, qui amène parfois à de vraies questions existentielles, certaines paroles sont alors difficiles à recevoir. L’infirmière doit aussi savoir ne rien dire et attendre dans ces moments de la consultation. Quelques questions (n° 26 à 30) portaient tout naturellement sur l’intérêt du suivi téléphonique. Était-il rassurant d’avoir un soignant joignable facilement ? Pourquoi ? Les patientes avaient-elles utilisé ce moyen ? À quel propos ? Cela avait-il répondu à leur attente ? – 86,8 % étaient rassurées d’avoir des coordonnées téléphoniques ; – 29,4 % avaient utilisé ce recours pour avoir des conseils, des informations sur les traitements, l’après-traitement, pour des problèmes divers (cicatrice, douleur, prothèses, bilan sanguin, pose voie centrale, etc.). Mais aussi pour « être rassurée », « pour des angoisses », « être écouté », « se sentir en sécurité », « une aide », « se sentir moins seule », ou des questions sur le quotidien, « j’ai trouvé très rassurant d’avoir un numéro de téléphone avec une personne facile à joindre, dont je connaissais le visage, que je n’avais pas peur de déranger et qui pouvait répondre simplement à mes questions », « le numéro de téléphone ne me quittant pas, cela me rassure de savoir que je peux faire appel à son écoute et ses conseils si j’en éprouve le besoin ». Ma réflexion sur le suivi des patientes m’avait conduite à remettre mes coordonnées téléphoniques aux patientes afin de rester un « repère » disponible dans la trajectoire de soins.
Du lien Il est essentiel de se rendre compte que parfois, le simple fait de créer du lien avec la structure hospitalière peut suffire au patient, surtout lorsque ce lien est créé et explicité par le médecin référent. Ainsi revient le souvenir d’une patiente à qui le chirurgien lors de sa consultation d’annonce avait remis les coordonnées de l’assistante de soins, répondant ainsi tout à fait aux recommandations du dispositif d’annonce. Cette patiente, rencontrée plus tard lors de l’hospitalisation, m’avait alors avoué : « Oui, oui, j’avais vos coordonnées, et cela m’a suffi de savoir que je pouvais joindre quelqu’un en cas de besoin ! »
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Cela conforte aussi l’idée qu’il est rassurant pour une personne malade d’avoir les coordonnées téléphoniques d’un soignant joignable pendant les traitements, et donne tout son sens au 4e temps du dispositif d’annonce relatif à l’articulation ville-hôpital, qui prévoit le renforcement du lien et la coordination entre les différents acteurs hospitaliers et extrahospitaliers. Les questions n° 31 et 32 portaient sur la remise de documentation et l’intérêt que cela pouvait présenter. 71,3 % des patientes avaient eu de la documentation et 70,6 % jugeaient cela appréciable. L’important étant, si l’on ne peut fournir soit-même des documents, de renvoyer sur des lieux où le patient trouvera ce qu’il recherche (Espace de rencontre et d’information (ERI), Kiosque Info Cancer, associations) ou avec plus de prudence des sites internet référencés et adaptés. La question n° 33 faisait référence à la proposition des soins de support et des professionnels proposés dans ce cadre. – 42,9 % avaient eu l’information sur le recours possible à d’autres professionnels de la trajectoire patient ; – 29,7 % des personnes n’ont pas répondu ; – 27,4 % n’ont pas eu de proposition. Il est intéressant de noter pour les réponses positives que les soins de support comprennent des professionnels aussi divers et variés que psychologue, psychiatre, sophrologue, diététicienne, esthéticienne, assistante sociale, groupe de paroles, ERI, mais aussi, moins attendu, associations, coiffeuse, perruquier, prothésiste, Centre d’aide aux cancers. Quand au 57,1 % qui n’ont pas répondu ou eu de proposition, peu importe de savoir si cela fait partie des oublis de l’assistante de soins ou de la mémoire « sélective » des patients, l’importance est pointée de ne pas hésiter à redonner cette information à chaque consultation, et par tous les soignants au sein de la structure hospitalière, à différents temps du parcours de soin, car les besoins et les difficultés des patients évoluent aussi dans le temps, et avec eux le recours aux diverses expertises. Enfin le questionnaire se terminait sur des questions ouvertes, plus générales. Quel souvenir marquant ou traumatisant gardez-vous de votre prise en charge au Centre Léon Bérard ? Sur les points positifs vécus comme marquants reviennent très souvent : la gentillesse réconfortante des personnels, leur compréhension, attention et humanité, le ton juste, le professionnalisme des équipes, les soins attentifs, le « climat général paisible, rassurant, accueillant », l’impression de sécurité « d’être au bon endroit », le sentiment de confiance, « se sentir l’objet de soins attentifs du personnel ».
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Pour les points négatifs vécus comme traumatisants : « l’annonce » diagnostique de la maladie, mais aussi l’annonce thérapeutique sont citées une multitude de fois, « le stress inhérent au diagnostic qui ouvre en grand la porte aux angoisses », les effets des traitements (mastectomie, alopécie, chimiothérapie), « l’attente des résultats », des examens, le temps écoulé avant la prise en charge chirurgicale, la décision partagée, les sorties trop rapides de l’hôpital après intervention, la vue des enfants malades, la pose de Voie Veineuse Centrale, « le traumatisme vient plutôt de l’inquiétude que du lieu ou du personnel soignant », « l’angoisse de mort liée à la chimiothérapie et se retrouver seule à domicile ». Pour terminer le questionnaire, j’ai laissé un espace de libre expression sur les possibilités d’amélioration du poste d’assistante de soin, du contenu des entretiens ou du ressenti par rapport à cette nouvelle fonction, afin de pouvoir répondre mieux, dans le futur, aux attentes des patientes. Je pensais que les patientes seraient force de proposition, mais cet espace n’a pas permis de dégager des idées très nouvelles. Pour conclure, les patientes manifestaient une forte demande pour que soit pérennisé ce poste, que d’autres soient créés au sein de l’institution, que l’assistante de soins soit remplacée pendant ses congés, qu’il y ait des entretiens plus fréquents. Une idée nouvelle d’une patiente se faisait jour : « j’aimerais bien avoir un entretien après un an », traduite par une autre : « je souhaiterais que le contact ne soit pas coupé si tôt ». Le Plan Cancer n° 2 répond à cette demande et prévoit d’accompagner l’après cancer par un Programme Personnalisé de l’Après Cancer. Une consultation de fin de traitement se mettra-t-elle en place ?
Ce qu’en pense l’assistante de soins après quatre ans de pratique Analyse de cette rencontre avec les patientes L’annonce s’inscrit dans l’histoire de chacune comme un moment de vie traumatique. Chaque patiente est différente, chaque rencontre est un moment unique. Les émotions sont très présentes ; la peur, formulée ou non, de la mort plane dans chaque entretien. Les patientes ont besoin d’espoir, de savoir qu’elles ont du temps devant elles pour concrétiser leurs projets. Infirmière, il faut savoir rester dans son domaine de compétence. Ne pas donner d’espoir ne veut pas dire légitimer ou annihiler tout espoir !!
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L’écoute suffit souvent. Écouter simplement. S’oublier pour être toute entière à l’autre, totalement disponible à ses soucis. Je permettrais de citer des extraits d’un article en ligne sur la reformulation de T. Tournebise, qui précise « pour être compétent en matière d’écoute, il est impérieux d’accepter de ne pas savoir à la place de celui qu’on écoute. Vous devez vous oublier et vous mettre à écouter vraiment. Nous ne sommes pas habitués à cette attitude de non-savoir. L’habitude culturelle nous invite plutôt à savoir plus pour être plus compétent. » De même il ne suffit pas de se taire, d’arrêter de parler et de rester passive. « Le patient n’est pas une voix qui parle mais un être humain qui s’exprime, c’est un ensemble qu’il faut écouter, parce que les messages implicites sont souvent plus importants que les paroles prononcées. » La position d’écoute totale demande un effort. Il s’agit de diriger toute son attention vers l’interlocuteur, avec une concentration maximale. En écoutant la patiente, en lui faisant verbaliser sa souffrance, ses peurs, ses croyances, on recueille des informations essentielles sur son histoire, son vécu, mais aussi ses savoirs et ses ressources. Cet entretien, empreint d’authenticité et de sincérité, crée une relation très humaine ; la personne malade se sent estimée, considérée. Du sentiment d’existence qui en résulte, l’écouté se sent entendu, reconnu, validé et accompagné. Il sort de son désert pour rencontrer un peu de chaleur humaine. Toujours selon T. Tournebise « Quant à la reformulation, elle ne peut en aucun cas être réduite à une technique ». C’est tout autre chose qu’une répétition de ce qui vient d’être dit. « C’est offrir une présence assez sécurisante afin que le patient puisse se rencontrer lui-même. La qualité de la reformulation se tient au-delà des mots. Même si les mots ont une importance, ce qui les accompagne en a bien plus. Les mots, c’est la sémantique. Ce qui les accompagne, c’est le non-verbal, ce sont l’intonation de la voix, la gestuelle, les mimiques. Le non-verbal représente 90 % du message envoyé. Il s’agit d’entendre ce qui se dit hors des mots. Ce non-verbal n’est que très partiellement contrôlable. » (Les mêmes mots, la même phrase, selon le comportement non-verbal qui les accompagne, peuvent changer le sens au point de signifier le contraire.) Certaines patientes le disent fort bien : « J’ai compris ce que j’avais en voyant la tête du radiologue ! » Par ce colloque singulier, il est permis de penser que le soignant peut favoriser l’adaptation à ce nouveau statut de personne malade et créer un partenariat soignant-soigné qui favorisera l’acceptation et l’adhésion au
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programme thérapeutique. Ce pourrait être un thème de recherche en soins infirmiers intéressant : « compliance et accompagnement soignant personnalisé ». Enfin, il est essentiel de garder à l’esprit la notion d’appartenance à une équipe, garante d’une prise en charge de qualité, en associant très précocement les professionnels des soins de support, mais aussi tous les soignants en charge des patientes au jour le jour. Il me semble, pour conclure, essentiel d’affirmer haut et fort que la relation est un soin. Walter Hesbeen affirme que « la rencontre entre une personne soignante et une personne soignée poursuit un objectif bien précis, celui de réussir cette rencontre en tissant des liens de confiance… Cela équivaut d’une certaine façon à ce que la personne soignée se dise que le professionnel peut l’aider dans la situation qui est la sienne ». Entrer en relation avec le patient, c’est l’accompagner « sur le chemin qui est le sien ». Si l’infirmière acquiert des habiletés techniques au cours de sa vie professionnelle, elle acquiert également des habiletés relationnelles (ou peut en acquérir via les formations). Une prise en charge de qualité des patients ne peut se départir ni de l’une ni de l’autre. Il faut une prise de conscience collective pour réhabiliter le relationnel dans les soins, en faire une pratique quotidienne dévolue à chaque soignant. Démontrer que « s’asseoir pour parler » en faisant du bien au patient fait aussi du bien aux équipes, voire réduit le nombre de consultations ou d’appels téléphoniques et est un nouveau challenge des infirmières de consultation.
Bibliographie Revues : Blaizac C (mars 2006) La consultation infirmière, maillon central de l’organisation des soins de support. Soins n° 703 pp. 49-51 Brédart A, Seigneur E (mars 2005) Quel soutien psychologique autour de l’annonce du cancer ? Soins n° 693 pp. 36-38 Pujol H, Clavier J, Scaramozzino C (mai-juin 2007) Ligue nationale contre le Cancer, améliorer la prise en charge globale des malades. Revue hospitalière de France n° 516 pp. 16-19 Smutek B (juillet-août 2006) La consultation infirmière, dispositif d’annonce de la maladie cancéreuse. Soins n° 707 pp. 52-53 Tournebise T (novembre 2002) La reformulation, article publié en ligne
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Phaneuf M (janvier-avril 1992) La communication et la relation d’aide : éléments de compétence de l’infirmière. Chronique de l’inspection professionnelle Nursing Québec Brian P. Le plan cancer deux ans après. Soins n° 693 Livres : Bataille P (2003) Un cancer et la vie. Paris Éditions Balland Ligue nationale contre le Cancer (1999) Les malades prennent la parole. France Édition Ramsay Ruszniewski M (2004) Face à la maladie grave : patients, familles, soignants. Paris Edition Dunod Buckman R (2002) S’asseoir pour parler. Édition Masson Guex P (1989) Psychologie et cancer. Éditions Payot Lausanne Razavi D, Delvaux N (1994) Psycho-oncologie. Éditions Masson Cheneweiss L. Les soignants face à la psychologie des malades. Objectifs soins Raoult A (2004) Démarche relationnelle. Éditions Vuibert Hesbeen W (1997) Prendre soin à l’höpital, Éditions Masson, Paris Sites : Institut National du Cancer Plan Cancer 2003-2007, Mission interministérielle pour la Lutte contre le Cancer, (en ligne) disponible à partir de URL : < http ://www.e-cancer.fr/v1/fichiers/public/ plancancerbase.pdf > Recommandations nationales pour la mise en œuvre du dispositif d’annonce du cancer dans les établissements de santé, (en ligne) disponible à partir de URL : < http ://www.e-cancer.fr/v1/fichiers/recommandations _nationales_da_nov_05.pdf www.maieusthenie.com
Les impacts du dispositif d’annonce du diagnostic de cancer sur l’organisation des services hospitaliers et le travail des soignants N. Guirimand, C. Besson, G. Benoit et A. Leplège
« Là où l'on ne peut rien savoir de vrai, le mensonge est permis.» Nietzsche, Le Livre du philosophe. Depuis un demi-siècle, l’information médicale fournie aux patients a fait l’objet de nombreuses recherches dans le domaine des sciences humaines et sociales et, en particulier, celui de la psychologie clinique ou de la sociologie de la santé (1-4). La première à faire date est une étude menée par Oken en 1961, révélant l’absence d’informations données par les médecins aux patients atteints de cancer1. Le travail de Oken inspira par la suite plusieurs enquêtes (5-7) pour tenter de déterminer les raisons de cette « conspiration du silence » (8). Centrées sur les justifications données par les médecins interrogés sur leurs motivations, à cacher ou à dévoiler partiellement, aux patients des informations sur le diagnostic de leur cancer, ces études préconisent pour la plupart, de manière engagée, un partage de l’incertitude médicale avec le patient, et pour certaines, un suivi psychologique. Bien souvent, les études sur la transmission des mauvaises nouvelles (bad news) (9, 10) ou les travaux sur les maladies chroniques, dont l’annonce est analysée comme une rupture biographique (biographical disruption) (11) sont compassionnelles (12). Durant ces 40 dernières années, « la place croissante occupée par les questions du corps, de la santé et de la vie, dans les affaires humaines » (13) a contribué à une réévaluation des informations transmises ou non aux patients par les médecins (7, 12) et à des changements dans la façon d’annoncer le diagnostic de cancer.
1. Près de 9 patients sur 10 n’avaient pas été informés par leurs médecins du diagnostic de leur maladie lorsqu’ils étaient atteints d’un cancer.
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Annoncer le cancer différemment Portée dans l’espace public, la définition de la « bonne » pratique de l’annonce a ouvert un débat sur les informations qui doivent être communiquées aux patients par leurs médecins. Les valeurs et les jugements mis en avant par certains médecins pour justifier leur réticence ou leur opposition de principe au partage du diagnostic médical avec leur patient ont fait l’objet de critiques, d’abord de la part des médias puis des associations de malades. Informer les patients du diagnostic de leur cancer et de leur pronostic vital devient l’objet de débats politiques et citoyens : celui d’une démocratie sanitaire (10, 14). À l’information médicale sur l’état de santé d’un patient se trouve assignée une valeur qui fluctue en fonction de la période historique que l’on étudie. Jusqu’à la fin des années 1970, la circulation partielle de l’information médicale concernant le diagnostic de ses patients était valorisée. Progressivement, cette pratique subit une dévaluation qui s’effectua au profit d’une valorisation de la circulation dans le cercle de la relation singulière médecin-patient. De la question récurrente : faut-il ou non informer les patients de leur état de santé lorsqu’ils sont atteints d’une maladie grave ?, nous sommes passés au début des années 1990 par une sorte de glissement thématique à la question : faut-il tout dire aux patients de leur état santé ? si oui, que doit-on dire ou cacher ? et à qui (proche ou patient), de quelle manière, comment les médecins se justifient-ils ? (7, 12, 15). Depuis la concertation nationale sur le cancer, organisée par Jack Ralite, ministre de la Santé en 1982, jusqu’aux États généraux des malades du cancer organisés par la Ligue nationale contre le Cancer en 1998, les plaintes des patients concernant la façon dont leur médecin leur avait appris ou caché l’existence de leur cancer ont été entendues par les membres des gouvernements successifs. Le dispositif d’annonce du diagnostic de cancer (mesure 40 du Plan Cancer 2003) a été détaillé avec une grande précision : ses objectifs (meilleure transmission aux patients des informations relatives à la maladie et aux soins ; amélioration de la coordination entre la médecine de ville et la médecine hospitalière) et ses temps (temps médical, temps d’accompagnement soignant, accès à une équipe impliquée dans les soins de support, temps d’articulation avec la médecine de ville). Malgré cela, on peut noter la grande latitude laissée aux chefs de service et aux responsables du personnel soignant pour intégrer ce dispositif dans l’organisation hospitalière. Cette marge de liberté fait appel aux ressources des différents acteurs impliqués dans la mise en place du dispositif (16) et en résultent différents modèles organisationnels.
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Les modèles organisationnels de la mise en place du dispositif d’annonce du cancer La mise en œuvre du dispositif d’annonce est passée par une phase préliminaire d’expérimentation, en 2004, dans 58 établissements. Les médecins lui préfèrent de façon unanime, pour plus de raisons de clarté sémantique, la dénomination de « processus » d’énonciation du diagnostic (17). Processus qui prend en compte les échanges verbaux et non verbaux2 qui annoncent tacitement au patient que quelque chose de grave va dans un avenir proche lui être annoncé. Mais souvent, en dehors des patients admis en urgence, les patients ont déjà été préparés par leur médecin traitant, ou bien ils ont cherché des informations sur Internet, si bien qu’il est difficile de parler, dans le cadre hospitalier, d’annonce du cancer. Il s’agit souvent de confirmation du diagnostic « pressenti »3. Les données recueillies dans un centre hospitalo-universitaire dans la région parisienne montrent tout d’abord que les médecins interviewés durant notre étude (n = 12) considèrent que le cancer doit s’annoncer comme n’importe quelle autre maladie grave. Ils reconnaissent cependant que le dispositif du Plan Cancer était nécessaire car il leur a permis de faire le point sur leur pratique. Majoritairement, les soignants interrogés durant notre étude insistent sur le tact nécessaire dont il faut faire preuve au moment de l’annonce, tenant compte de la personnalité du malade. Ce type de déclaration sur les « ficelles » du métier a fait l’objet d’une littérature médicale et psychologique abondante (10, 18, 19). Les données recueillies nous ont permis de repérer au moins 4 modèles différents de mise en œuvre du dispositif d’annonce du cancer4 : – le modèle de l’infirmier d’annonce mobile, référent à temps plein, mobile sur plusieurs services ; – le modèle de l’infirmière d’annonce, référente à temps plein attitrée à un service ; – le modèle de l’équipe d’infirmières polyvalentes, alternant soins et accompagnement d’annonce ; – le modèle du psychologue référent des patients après l’annonce de leur cancer. Il faut toutefois insister sur le fait que la pluralité des modèles permet de rompre avec une idée fausse, toutefois communément répandue, selon laquelle la rationalisation des pratiques médicales à laquelle nous assistons depuis 1993 a pour effet l’homogénéisation des pratiques médicales. 2. Une grimace ou un regard fuyant des soignants en disent long. 3. Ce pressentiment permet de relativiser la valeur heuristique du concept de « maladie chronique comme rupture biographique » telle qu’il est analysé par Bury depuis les années 1980 (20, 21). 4. Il est important de souligner qu’à ce stade de l’étude, il n’est pas possible de hiérarchiser ces modèles car se posent des difficultés, ni de dire si l’un est meilleur que l’autre en termes de bénéfices de qualité de vie.
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Montrer que la normalisation des pratiques médicales aide les soignants, qui trouvent dans ces normes des ressources à exploiter plutôt que des limites à leur autonomie, est à contre-courant des idées reçues (22). Dans notre étude, nous montrerons que cela s’avère pertinent concernant l’application de la mesure 40 du Plan Cancer.
Le modèle de l’infirmier d’annonce mobile sur plusieurs services Dans le cadre de la mise en place du dispositif d’annonce, un poste d’infirmier d’annonce a été créé par la polyclinique (consultations de chirurgie digestive, gastro-entérologique et d’hématologie). Cet infirmier est chargé de l’accompagnement des patients atteints de cancer dans deux différents services de l’hôpital (hématologie et gastro-entérologie) dès leur entrée dans leur parcours de soins. Lorsqu’il est sollicité par les médecins, l’infirmier d’annonce mobile joue un rôle essentiellement dans le temps de l’accompagnement soignant. La présence de l’infirmier d’annonce est ainsi requise à son bureau pour recevoir en rendez-vous les patients et leurs proches, dans la consultation d’hématologie ou de chirurgie digestive et gastro-entérologique où il assiste à certaines annonces de cancer et dans les chambres des patients hospitalisés qu’il visite. Si certains médecins hésitent encore à faire appel à cet infirmier au moment où ils annoncent un cancer à leurs patients, ils sont de plus en plus nombreux à le faire. Cet infirmier a dû apporter la preuve de l’efficacité de cette nouvelle fonction hospitalière qui nécessite une connaissance des traitements que recevront les patients dans ces deux services. Cependant, n’étant pas présents lorsque l’infirmier d’annonce prend le relais auprès du patient, nombre de médecins ne cachent pas leur inquiétude sur ce qui sera dit au patient. Ils craignent en particulier que ne soient fournies des informations médicales inexactes ou non encore énoncées par eux.
Le modèle de l’infirmière d’annonce à temps plein et attitrée à un service Sous l’impulsion du chef du service d’ORL et du cadre de soin, un poste d’infirmière d’annonce a été créé en septembre 2006. Ce poste a été confié à une infirmière expérimentée dans le domaine des soins infirmiers de ce service. Avant d’intégrer cette nouvelle fonction, elle a préalablement suivi une formation de l’Assistance publique des Hôpitaux de Paris organisée dans le cadre du Plan Cancer, spécifique à l’annonce infirmière en mai 2007.
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Cela, dit-elle, afin d’en savoir plus sur le principe de la consultation d’annonce, ses objectifs, ses origines et comprendre quelles pouvaient être les différentes organisations dans les services de l’AP-HP. Elle est l’infirmière référente de l’annonce de diagnostic de cancer pour les patients. Les médecins la qualifient de « pivot du service ». C’est-à-dire que les informations concernant les patients sont rassemblées à son niveau, pour ensuite être plus efficacement diffusées auprès des soignants qui les prennent en charge en dehors de ce service. Bien que ce modèle organisationnel présente quelques difficultés, il englobe le plus de temps différents consacrés à l’annonce : 1) le temps d’annonce : elle assiste à toutes les réunions de concertation pluridisciplinaires, elle est présente à toutes les annonces de diagnostic de cancer, 2) le temps d’accompagnement, 3) le temps de la coordination des soins médicaux. Cette infirmière référente organise les examens, avant et après, l’annonce du diagnostic. Elle récupère les résultats des bilans des examens et des traitements effectués à l’extérieur de l’hôpital et fait le lien avec les différents partenaires sociaux du système de soins (assistante sociale en particulier, associations de malades telle que la Ligue contre le Cancer). Enfin, c’est elle qui remet le programme de soins personnalisé (PPS) au patient. En résumé, elle réalise tout un travail de coordination de l’information médicale de chaque patient, planifie son parcours de soins et coordonne l’action des différentes équipes médicales, des différentes institutions le prenant en charge. Pour finir, elle participe à la reformulation des informations médicales et à la mise en confiance du patient avec qui elle communique. Pour cela, elle s’efforce d’adapter son discours aux différents niveaux de compréhension des patients et de leurs proches et de répéter, à plusieurs reprises, les différentes informations fournies par le médecin, ce qui optimise, selon Silverman et Bloor (23), la communication. En s’appuyant sur les témoignages des patients qu’elle suit (interrogés par une enquêtrice psychologue), cet investissement à temps plein apaise les angoisses des patients et facilite la tâche des médecins qui savent à qui s’adresser pour faire le point rapidement sur leur patient. Toutefois, il faut souligner que ce modèle demande une grande implication dans le rôle d’infirmière d’annonce « clinicienne » et, par conséquent, il est susceptible d’être source d’épuisement professionnel (24, 25).
Le modèle de l’équipe des infirmières d’annonce polyvalentes Ce modèle est sans doute le plus répandu dans l’ensemble des services hospitaliers où la mesure 40 est appliquée (cadre infirmier, formateur à l’AP-HP).
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Dans le cadre de notre étude, nous avons observé sa mise en place dans le service d’urologie. Pour les soignants de ce service, la réflexion amorcée lors de la mise en place du dispositif d’annonce a permis d’améliorer la qualité de vie des patients en précisant les conduites de chaque soignant durant l’annonce du diagnostic : – en formalisant les étapes de l’entretien d’accompagnement et en définissant des stratégies d’amorce de la conversation : « ne plus débuter l’entretien n’importe comment » ; – en tenant compte de la « liberté d’expression » du patient : « on ne force plus le patient à parler car soit il parle spontanément, soit il faut lui poser des questions en douceur » ; – en mettant du personnel soignant à disponibilité du patient en dehors de l’hôpital ; – en préparant l’entretien avec le médecin : « on n’arrive plus sans avoir lu le dossier du patient » ; – en préparant le matériel de présentation, brochures, kits et photos avant l’arrivée du patient. Si la question d’introduire des infirmières, au sein du dispositif d’annonce, allait de soi pour ceux qui dirigent ce service, encore fallait-il déterminer quelles étaient celles les plus à même d’apporter leur contribution à l’optimisation de la réorganisation du service. Parmi les 11 infirmières du service, 3 d’entre elles ont été sollicitées pour y participer. Sélectionnées pour leur expérience des pathologies urologiques et leurs traitements, souligne le chef de service, deux infirmières sont chargées d’assurer l’accompagnement des patients au sein d’une consultation infirmière, tandis qu’une troisième s’occupe de l’accueil des familles et des patients hospitalisés. Depuis la mise en œuvre dans le service de la mesure 40, ces infirmières sont investies de nouvelles tâches qui incombaient jusqu’ici aux médecins (la vérification de l’information médicale comprise par le patient, l’analyse des représentations de la maladie et du rapport du patient à sa maladie) même si les précisions d’ordre médical demeurent parmi les prérogatives du médecin. Si la consultation d’annonce est souvent associée à la reformulation de l’information médicale, elle contribue également à l’éducation thérapeutique du patient. Certaines interventions chirurgicales (telle l’ablation de la prostate) occasionnent chez certains sujets des troubles de l’érection. Pour les patients qui souffrent de ces troubles, la consultation d’annonce infirmière permet aussi d’aborder avec eux des problèmes de sexualité et de vie conjugale. Enfin, lorsque ce modèle est appliqué de façon systématique, le dispositif d’annonce semble avoir un effet dynamisant sur l’équipe soignante.
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« Depuis que j’assiste aux annonces du Pr. X […], je me sens plus investie dans l’accompagnement du patient, plus attentive aux questions que pose l’annonce du cancer quand le patient apprend qu’il en est atteint. » (infirmière) Enfin, on peut se demander si la surcharge de travail immédiate permet de réduire le temps d’hospitalisation des patients.
Le modèle du psychologue référent des patients après l’annonce de leur cancer Dans le cadre de la mise en œuvre du Plan Cancer, un poste de psychologue à temps plein a été créé. Dans les services de rhumatologie et d’orthopédie de cet hôpital, le personnel infirmier n’assiste pas aux consultations d’annonce du diagnostic de cancer. C’est la psychologue qui joue un rôle central dans la mise en œuvre du dispositif. Elle visite les patients atteints de cancer et hospitalisés dans le service pour faire le point sur leur vécu de la maladie. Une fois par semaine, elle participe aux réunions de l’équipe pour y exposer les informations recueillies au lit de chaque patient. Les médecins de ce service soulignent l’importance qu’ils accordent aux modalités de l’annonce car la qualité de la relation médecin-patient en dépend durant le suivi thérapeutique. Les médecins disent considérer l’annonce de diagnostic comme un acte thérapeutique au même titre qu’une prescription médicale. Que ce soit dans le service de rhumatologie ou d’orthopédie, chaque médecin ou chirurgien explique à ses patients le traitement qu’il va recevoir. À l’aide de schémas explicatifs au cours de la consultation d’annonce, les chirurgiens orthopédistes décrivent à leurs patients leur pathologie et les étapes des traitements chirurgicaux destinés à l’exérèse de la tumeur. Ces schémas sont remis aux intéressés à l’issu de la consultation préopératoire. Les dossiers des patients hospitalisés sont repris un à un lors de la réunion hebdomadaire de l’équipe médicale à laquelle se joint la psychologue de manière quasiment systématique. Les médecins de ces services jugent que l’annonce du diagnostic de cancer organisée sous cette forme est inadaptée à leur pratique, en particulier pour les patents atteints de pathologies métastatiques. Ces pathologies osseuses font suite à des cancers situés dans d’autres parties du corps (des cancers du sein, des poumons, de la prostate, de la thyroïde ou du tube digestif). Bien souvent, elles surviennent plusieurs mois, voire plusieurs années, après que le patient a appris l’existence d’un premier cancer.
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« La mesure 40 du Plan Cancer pour ce service était inutile car elle ne change rien à la manière d’annoncer le cancer. On peut même dire qu’elle préconise un protocole que nous, médecins de ce service, jugeons moins bien que ce que l’on a l’habitude de faire. Il est moins personnalisé. » (rhumatologue) Les infirmières de ces services sont tenues informées par les médecins de ce qui a été dit aux patients de leur maladie. Il est important de souligner que, car cela ne va pas de soi, si les infirmières n’assistent pas aux annonces, elles ne sont pas pour autant exclues du dispositif d’annonce. Pendant leurs soins, certains patients leur demandent fréquemment des explications sur les informations qui leur ont été données par leur médecin. Habilitées à ne répondre qu’aux questions ayant trait aux soins infirmiers, elles transmettent au médecin référent ces questions pour qu’il y réponde au lit du malade, dans un deuxième temps. Le temps passé par le personnel médical à faire l’annonce du diagnostic est identique à celui évoqué pour les autres services. Il est estimé à environ une 1/2 heure-1 heure, comme nous l’a indiqué le chef de service. De même, si le temps consacré par les infirmières à l’accompagnement des patients (à qui l’on a annoncé un cancer), n’est pas comptabilisable, puisque fondu dans celui des soins infirmiers, il ne semble pas plus court que celui accordé aux patients dans le cadre d’une consultation d’annonce infirmière.
Un vécu de l’accompagnement d’annonce par le personnel infirmier très contrasté Nous avons ainsi pu définir les cas où le service fait appel à un infirmier d’annonce mobile sur plusieurs services, le cas où le service dispose de sa propre infirmière d’annonce, le cas où le service fait appel à une équipe d’infirmières polyvalentes, le cas où le service fait intervenir une psychologue.
Les avancées liées à l’annonce Après les quelques mois de pratique nécessaires à l’adaptation du service aux nouvelles procédures, la reconnaissance des effets de la consultation d’annonce infirmière valorise les compétences techniques de l’infirmière dédiée. Si, en termes d’actes techniques, la charge de travail des infirmières augmente, toutes celles qui ne font pas d’annonce s’accordent pour dire que leurs conditions de travail se sont améliorées, depuis la création de la
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consultation d’annonce car les patients pris en charge sont moins angoissés, « moins stressés » car mieux informés des soins. Les patients font preuve d’une plus grande compliance. Les infirmières qui assistent à l’annonce reconnaissent que leur présence permet une meilleure prise en charge du patient puisqu’elles « savent exactement ce qui a été dit ». En effet, en observant l’annonce faite par le médecin, elles ont connaissance de l’information transmise par le médecin au patient et, par conséquent, sont en mesure de réduire les interprétations ou les quiproquos qui peuvent survenir lors de la consultation d’annonce du diagnostic (27). L’annonce d’un cancer est un choc pour le patient, aussi les infirmières précisent que si leur présence est importante lors de l’annonce, c’est par la suite qu’elles peuvent apporter un soutien au patient, lorsque s’est établie une certaine confiance. L’infirmière d’annonce chargée d’accompagner à temps plein souligne combien sa relation avec les patients est importante pour les hospitalisés. Notamment parce qu’elle utilise les mots du patient durant la consultation d’annonce infirmière, elle permet aux patients de ne pas perdre la maîtrise de leur corps qui, en partie, leur échappe à cause de leur maladie (28-30).
Des difficultés d’ordre relationnel et psychologique Les nouvelles fonctions de l’infirmière d’annonce engendrent cependant un certain nombre de difficultés. Les modèles des infirmières d’annonce « cliniciennes » à temps plein (mobiles et attitrées au service) peuvent poser des difficultés relationnelles entre collègues soignants non-médecins. Tant l’activité du service en cancérologie était importante, l’infirmière d’annonce s’est vue mise à distance de ses collègues : son espace de travail n’est plus le même (elle a son propre bureau pour recevoir les patients et leurs proches) et ses fonctions hospitalières ont changé (elle est pratiquement dispensée de soins infirmiers). La création d’un cadre privilégié pour accueillir et accompagner les patients, l’attribution de nouvelles prérogatives et la redéfinition des tâches attribuées à l’infirmière d’annonce, soupçonnée d’avoir perdu ses aptitudes professionnelles, ont contribué à sa marginalisation au sein de l’équipe soignante. « Disons que mes collègues ne savaient plus où me situer, ne savaient plus comment me définir. Pour eux, je n’étais plus infirmière puisque je ne faisais plus de gestes techniques infirmiers. Autrement dit, je n’étais plus considérée comme infirmière par les autres infirmières. » (infirmière d’annonce)
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Cette spécialisation lui a valu de la part de ses collègues des qualificatifs peu élogieux. « Et puis d’être isolée et ne voir plus que des patients cancéreux, ça m’a valu le surnom de Madame Cancer ou l’infirmière de mauvais augure. Car venir dans mon bureau, c’est le signe que le patient a un cancer. » (infirmière d’annonce) Des propos péjoratifs du type : « Tu es masochiste ou quoi ? », ont été émis par ses pairs qui ne perçoivent pas, dans l’immédiat, la nécessité de ce nouveau poste au sein du service. Ces propos ont généré une souffrance morale chez l’infirmière d’annonce à qui ils étaient adressés. Aujourd’hui, reconnue pour ses compétences techniques, sa relation professionnelle avec le reste de l’équipe soignante est repartie sur de nouvelles bases. Par ailleurs, nous tenons à souligner le fait qu’en apportant sa coopération au travail d’annonce des médecins, le personnel paramédical contribue à la redéfinition de son identité professionnelle. Cette redéfinition identitaire qu’implique le transfert de compétences5, peut être vécue douloureusement par le personnel infirmier d’annonce mobile et le personnel infirmier d’annonce attitré à un service, référent et coordinateur à temps plein. Ce personnel, contrairement à celui qui pratique l’annonce infirmière en alternance avec les soins, est plus exposé au burn-out (24). Il est apparu nécessaire de mettre à disposition du personnel soignant impliqué dans l’annonce à temps plein un soutien psychologique pour faire face à la charge émotionnelle que génère leur implication dans le suivi d’accompagnement des patients atteints de cancer. Une psychologue de l’hôpital assure un groupe de parole et de soutien du personnel soignant chargé de l’annonce à temps plein. À ces difficultés d’ordre relationnel et psychologique s’ajoutent des difficultés d’ordre structurel.
Des difficultés d’ordre structurel L’administration hospitalière ne semble pas avoir suffisamment mesuré la charge de travail supplémentaire supportée par le personnel soignant des services dans lesquels est appliqué le dispositif d’annonce du diagnostic de 5. Le rapport sur la « coopération des professions de santé : le transfert de tâches et de compétences » fut réalisé par le Professeur Yvon Berland, Doyen de la Faculté de Marseille et remis au ministère de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées, le 20 mars 2003. Il y est précisé que « la consultation première ou d’annonce au cours de laquelle sont présentés le diagnostic, la stratégie thérapeutique et le bilan préthérapeutique, n’est pas jugée transférable sauf pour les explications complémentaires pratiques » (26).
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cancer. Si la mise en place du dispositif d’annonce a été facilitée par la création de plusieurs postes d’infirmiers, il semble que peu de moyens matériels aient été fournis pour faciliter sa mise en place. Selon certaines infirmières interrogées, peu de moyens permettraient d’améliorer la qualité de la relation soignants – patients/proches durant la consultation d’annonce. Il suffirait de « financer l’achat de fournitures des clés USB et CD vierges » (cadre infirmier) qui seront utilisés comme des outils pédagogiques et « financer l’achat d’une cafetière et de fauteuils » (cadre infirmier) pour créer un cadre favorable à une relation de confiance entre soignant et soigné. Pour le personnel qui accompagne à temps plein les patients après l’annonce de leur cancer, l’espace pour accueillir les patients et leur famille est inadapté. Le personnel infirmier d’annonce à temps plein dispose d’un bureau de 9 m2 sans fenêtre. Très impliqué dans son rôle, il regrette le manque de moyens mis à sa disposition pour débuter et a fait le nécessaire pour obtenir du mobilier pour donner une dimension « plus humaine et conviviale » et remédier, comme il le dit, à la « froideur du local ». Le personnel infirmier s’entend sur le fait qu’il est nécessaire de libérer du temps en dehors des soins pour optimiser la consultation d’annonce infirmière. Lorsque l’infirmière doit partager son temps entre l’accompagnement d’annonce et les soins, le temps dédié à l’annonce du diagnostic est plus réduit, séquentiel et informel, il est limité par la charge de travail dédiée aux soins infirmiers6. Par manque de personnel supplémentaire recruté les jours de la consultation d’annonce, la part des tâches techniques qui incombent à l’infirmière chargée de l’accompagnement d’annonce est répartie entre les différentes infirmières qui exercent ce jour-là. Cette surcharge de travail pose des problèmes organisationnels que le cadre responsable du personnel soignant tente de régler en faisant appel à son personnel « détaché » à la consultation d’annonce. Les multiples dérangements que subit le personnel soignant durant son travail à la consultation d’annonce nuisent à la qualité du suivi et de l’accompagnement des patients. *** Cette « nouvelle » forme d’organisation du travail ne se traduit pas par un lissage, une homogénéisation, une standardisation de la pratique de l’annonce comme nous aurions pu le penser a priori. Au contraire, la discussion avec les professionnels du soin sur cette question leur a permis de réaliser toute une série de transformations internes dans la mise en place du dispositif, par-delà l’hypothèse de son bénéfice pour les patients. On constate rapidement que la mise en place d’un dispositif d’annonce, quel 6. Notons toutefois que ce laps de temps a l’avantage de laisser de précieuses heures au patient pour préciser ou formuler d’autres questions.
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que soit son modèle, a une incidence sur le fonctionnement du service et génère différents types de réactions. La mise en place de ces différents modèles correspond à une délégation ou à un transfert partiel de tâches médicales aux professions paramédicales pour les explications complémentaires pratiques. Nous notons que dans l’ensemble, le dispositif a apporté des améliorations dans la perception que chaque soignant avait de sa fonction. Si la question du gain de temps médical n’a pas lieu d’être posée comme le font les débats sur les transferts de compétences, puisque les médecins consacrent plus de temps à leurs patients au moment de l’annonce du diagnostic de cancer qu’ils ne le faisaient auparavant, on peut se demander si la surcharge de travail immédiate du personnel soignant ne permet pas de réduire le temps d’hospitalisation des patients.
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Facteurs psychologiques impliqués dans l’annonce du diagnostic de cancer L. Edery
L’annonce du diagnostic est une étape importante dans la rencontre entre un professionnel de santé et un patient atteint de cancer. Associé au diagnostic, un projet thérapeutique est aussi annoncé par l’oncologue. Cependant, un doute, une suspicion, une alternative diagnostique sont souvent plus ou moins consciemment transmises pendant l’annonce. Chez le patient, l’annonce du diagnostic peut réveiller une souffrance psychique bien ancrée dans son passé et plus ou moins liée à sa personnalité. Afin de préserver au mieux son intégrité psychique et physique, le patient met en place, inconsciemment, des stratégies d’adaptation et d’ajustement à la maladie (1). Elles visent à réduire la portée trop brutale du diagnostic délivré généralement sans préparation psychologique. Ces efforts d’adaptation psychique se traduisent par un ensemble de réactions psychologiques, émotionnelles, cognitives et comportementales (2) qui, à chaque phase de la maladie, vont influencer l’intégration complexe entre les expériences passées, la perception des menaces futures et les ressources personnelles ou sociales disponibles (3). Les réactions des patients ne sont pas homogènes, ne serait-ce que parce que les individus réagissent différemment en fonction de leur propre histoire, de leurs caractéristiques sociales, mais aussi de leurs dispositions personnelles.
Anxiété L’anxiété est caractérisée par un sentiment d’appréhension, voire de tension et de terreur face à un danger non déterminé (4).
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Elle est définie par de multiples manifestations (5) : – somatiques (cardiovasculaire, digestive, respiratoire, génito-urinaire, neuromusculaire et sensorielle) ; – émotionnelles (sentiment de honte, d’échec) ; – cognitives (rumination, irritabilité, anticipation négative des événements, sentiment de perte de contrôle) ; – comportementales (agressivité ou inhibition, repli sur soi, conduites d’évitement). L’annonce du diagnostic de cancer ainsi que ses traitements sont une source importante d’anxiété qui pourra être renforcée ou inhibée tout au long du parcours thérapeutique du patient. Nous avons observé que le niveau d’anxiété des patients influence leur implication et leur participation à la prise en charge proposée par les soignants (1).
Traits de personnalité anxieuse La personnalité anxieuse se distingue par un état d’anxiété permanent, un sentiment d’être paralysé par l’inquiétude et une irritabilité importante. Ces personnes présentent une anticipation négative et craintive de l’avenir. La relation à l’autre va ainsi être inhibée, évitée, par crainte d’être jugé et critiqué. La situation anxiogène de l’annonce du diagnostic va amplifier les traits anxieux du patient et renforcer ses manifestations associées (anticipation négative, irritabilité, somatisation, rumination…). L’anticipation de chaque annonce ou examen médicaux va devenir une source d’anxiété exprimée par une sollicitation importante des soignants. Un besoin de justification permanent peut parfois exacerber les soignants. Le patient n’est jamais satisfait des réponses et de l’attention qui lui sont données. Il ressentira ainsi le besoin d’informations ou de nouvelles confirmations diagnostiques demandant l’avis d’autres professionnels de santé ou en se documentant sur Internet. Cette demande répétitive d’informations et d’une réassurance jamais atteinte peuvent engendrer la fuite du patient dans les prises de décisions face à son protocole thérapeutique. Ce manque d’implication est aussi parfois lié aux difficultés de concentration et de mémoire dues à l’anxiété. Prenons les effets secondaires de la chimiothérapie. Lors de l’annonce du protocole thérapeutique, l’oncologue en énumère une liste susceptible d’apparaître pendant le traitement. Cette liste exhaustive et pénible à entendre entraîne une intense inquiétude avec un sentiment de menace chez le patient.
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L’apparition ou non d’un effet secondaire va amplifier l’anxiété du patient et nécessitera un rappel permanent du protocole thérapeutique avec réassurance quant au bon déroulement du traitement. La réponse de l’oncologue va être primordiale dans la prise en charge du patient. Un comportement opérant du soignant consistera à ne pas éviter les sentiments et les préoccupations du patient. Cependant, la banalisation et la rationalisation de l’état émotionnel du patient ont pour effet de protéger les soignants. Ces mécanismes donnent pourtant l’impression d’abandonner les malades à leurs préoccupations. La réassurance consiste à introduire dans un entretien des éléments concrets sur lesquels le patient peut s’appuyer, comme les examens médicaux qui sont des valeurs objectives, mais aussi les bénéfices que peut apporter le traitement. Un travail en équipe avec le psycho-oncologue est indispensable pour évaluer l’anxiété du patient et adapter les attitudes et les informations rassurantes que peuvent apporter les soignants.
Anxiété « normale » ou pathologique ? L’anxiété est une réaction psychologique déclenchée en réponse à un événement traumatique comme l’annonce du diagnostic. Des critères ont été établis dans les nosographies actuelles pour distinguer l’anxiété normale de l’anxiété pathologique : le nombre de symptômes, la durée, l’intensité et la fréquence des manifestations anxieuses. L’anxiété dite « normale » est une expérience commune et fondée, étroitement liée à l’annonce du diagnostic de cancer et de ses traitements. Ses manifestations seront de courte durée (moins de 7 jours), d’intensité et de fréquence modérées avec un nombre faible de symptômes (inférieur à 3). Une anxiété qui n’aura pas de retentissement sur la vie du patient en ne limitant pas ses activités quotidiennes et ses capacités à prendre du plaisir (6). Cette anxiété va, certes, entraîner une gêne dans l’implication (écoute et réflexion) du patient lors de la consultation mais le dialogue avec l’oncologue ne sera pas rompu. L’anxiété pathologique est définie par un état de tension chronique, une attitude de doute et un sentiment d’insécurité permanent (durée de plus de 6 mois). De nombreux symptômes (plus de 4) vont entraîner un caractère disproportionné et inhabituel des réactions émotionnelles du patient (6). L’annonce du diagnostic va être vécue comme une souffrance non maîtrisable par le patient. Le patient va péjorer la moindre information apportée par l’oncologue, qui, associée à une difficulté de concentration, va rendre difficile la communication soignant-soigné (7).
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Les récents travaux tentent de corréler le niveau d’anxiété des patients à leur adhésion au traitement. Une disparité du niveau d’anxiété a été observée selon la prise de décisions de patientes, préalablement soignées d’un cancer du sein, pour un traitement préventif d’une possible rechute (la chimiothérapie adjuvante). Nous avons observé une relation significative entre le niveau d’anxiété des patientes et leur adhésion au traitement. Plus les patientes avaient un niveau d’anxiété élevé, plus elles ont accepté le protocole thérapeutique proposé par l’oncologue (1). Dans le cas particulier du cancer, il ne faut pas négliger l’anxiété iatrogène causée par les traitements anti-cancéreux tels que les corticoïdes.
Dépression La dépression est caractérisée principalement par une humeur triste, une perte de plaisir et d’intérêt. Elle est définie par de multiples manifestations (8) : – somatiques (digestives, cardiovasculaires, sexuelles, neuromusculaires) ; – émotionnelles (perte d’intérêt, de plaisir et d’espoir, sentiment de dévalorisation, anesthésie affective et idées suicidaires récurrentes) ; – cognitives (troubles de la concentration, de l’attention et de la mémoire) ; – comportementales (ralentissement psychomoteur et psychique). Ces signes doivent être différenciés des symptômes confondants liés à l’affection cancéreuse (fatigue, perte de poids).
Humeur dépressive « normale » et pathologique Une humeur dépressive peut être exprimée de diverses façons : tristesse, perte d’espoir, d’intérêt ou de plaisir, sentiment de dévalorisation. Une humeur triste « normale » ne constitue pas un véritable état dépressif mais une réaction temporaire déclenchée en réponse à un événement traumatique comme l’annonce du diagnostic ou des traitements. Une humeur dépressive « pathologique » se caractérise par une perception négative permanente qui engendre un désintérêt pour les activités qui étaient antérieurement investies. Les symptômes précédemment décrits sont permanents, incontrôlables et d’intensité élevée (9).
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L’épisode dépressif majeur Des critères ont été établis pour distinguer l’humeur dépressive de l’épisode dépressif majeur : le nombre de symptômes, la durée, l’intensité et la fréquence. Au mois 5 des symptômes suivants, dont l’humeur dépressive et la perte d’intérêt, doivent avoir été présents pendant une même période d’une durée d’au moins deux semaines, d’intensité élevée et permanente, et avoir représenté un changement par rapport au fonctionnement psychique antérieur du sujet (6). Les principaux symptômes de la dépression [6] : – perte ou gain significatif de poids en l’absence de régime, augmentation ou perte de l’appétit ; – insomnie ou hypersomnie ; – agitation ou ralentissement psychomoteur, fatigue ou perte d’énergie ; – sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée ; – diminution de l’aptitude à se concentrer ; – pensées récurrentes de mort avec risque suicidaire.
Dépression iatrogène Le ralentissement existe dans le cancer, il convient donc pour l’oncologue ou le psychiatre d’avoir fait la preuve qu’il n’y a pas de causes organiques comme les effets propres de la maladie ou secondaires de la chimiothérapie qui expliquent le ralentissement, avant de penser à la dépression (10). L’asthénie et les troubles de la concentration peuvent également être expliqués par un traitement antidépresseur prescrit avant l’annonce du diagnostic. Les patients déprimés sont souvent inhibés pendant la consultation. Ils ne participent pratiquement pas, si ce n’est pas du tout, au dialogue initié par l’oncologue. Le patient est replié sur lui-même et ne va pas chercher à poser de questions. Il acquiesce à tout ce que propose le médecin et parfois même n’exprime pas son avis sur la situation. Souvent, ce sont des consultations de courte durée. La majorité des informations médicales données ne vont pas être discutées, ni comprises ou mémorisées. Notre étude a permis d’observer que l’humeur dépressive de patientes atteintes du cancer du sein a un impact dans l’implication dans leur choix thérapeutique. Dans le cas de la chimiothérapie adjuvante, les patientes déprimées ont majoritairement adopté le choix de l’oncologue (1).
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Les états dépressifs, les états anxieux, l’anxiété et la tristesse États dépressifs Les états dépressifs sont des états transitoires, formés de 4 composantes (11) : – humeur triste accompagnée d’une anticipation négative de l’avenir et une perte d’estime de soi ; – ralentissement ou inhibition psychomotrice et psychique ; – idée suicidaire et/ou comportement suicidaire ; – signes objectifs (insomnie, asthénie, anorexie…).
États anxieux et états dépressifs Un certain nombre de manifestations sont communes aux deux états : l’anxiété, l’insomnie, la tension et les plaintes somatiques. Les signes qui distinguent les états dépressifs des états anxieux sont la perte d’intérêt, le ralentissement ou l’inhibition et le sentiment de dévalorisation (12).
L’anxiété L’anxiété est un des signes fréquemment présents dans les tableaux dépressifs. Elle se définit comme une attente, une anticipation, une menace imprécise de quelque chose qui va survenir. L’anxiété est un sentiment pénible d’attente d’une menace accompagnée d’une peur, alors que la dépression est la constatation de ce drame. La présence de l’anxiété accroît le risque suicidaire chez le déprimé (5).
La tristesse La tristesse est un état affectif pénible fluctuant au cours de la journée ou de la semaine. Elle envahit la conscience et survient le plus souvent après un facteur déclenchant comme l’annonce du diagnostic de cancer et de sa thérapeutique. La tristesse ne rentre pas dans le tableau clinique de la dépression et n’entraîne pas de ralentissement ou d’inhibition (13). La tristesse est exprimée verbalement à travers des plaintes, des discours évoquant des émotions ou des sentiments, alors que la dépression est exprimée principalement par des manifestations visibles de l’extérieur (fatigue, ralentissement, inhibition, repli sur soi) (4).
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Risque suicidaire Chez les patients déprimés, l’annonce du diagnostic et la période thérapeutique peuvent renforcer les signes cliniques de la dépression et augmenter le risque suicidaire. On peut observer chez le patient une présence importante d’idées de mort accompagnées de conduites à risque comme l’inobservance thérapeutique, l’absence du patient aux consultations oncologiques. Les cancers avancés et métastatiques sont une source de désespoir et de projection pessimiste dans l’avenir. Les cancers invasifs limitant les activités quotidiennes comme l’alimentation dans les cancers ORL ou la sexualité dans le cancer de la prostate, et ceux modifiant l’image corporelle tel que le cancer du sein sont extrêmement dépressiogènes (14). La douleur physique qui accompagne la maladie et les traitements sont aussi des facteurs déclencheurs d’idées suicidaires. La prise en charge réclame une approche pluridisciplinaire, incluant une évaluation et une surveillance accrue de l’état psychiatrique et psychologique du patient par le psychiatre et le psycho-oncologue. Une écoute fréquente des manifestations émotionnelles des patients et de leur fragilité psychiatrique est essentielle. Face à cette situation, la plupart des soignants sont désemparés et peuvent présenter une froideur, une neutralité émotionnelle exprimée souvent par le silence, de peur des réactions comportementales du patient. Dans ce cas, prôner le dialogue accompagné d’attitudes de bienveillance et d’empathie envers le patient durant la consultation peut favoriser la communication entre les deux protagonistes.
Traits de personnalité Certaines manifestations émotionnelles, cognitives et comportementales constantes et régulières se repèrent dans les façons d’être, de réagir, de s’adapter aux situations, de traiter les problèmes. Prendre en compte les traits de personnalité du patient permet au soignant d’individualiser la prise en charge et donc l’information diagnostique. Est-ce que le patient veut connaître l’ensemble ou non de l’information diagnostic ? Veut-il y accéder immédiatement ou par étape ? (16) Nous allons aborder ici les traits de personnalité obsessionnelle, histrionique et hostile, souvent rencontrés chez les patients atteints du cancer, lors de l’annonce du diagnostic ou des traitements.
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Traits de personnalité obsessionnelle Une personnalité perfectionniste et rigide se développe au début de l’âge adulte et est caractérisée par (6) : – préoccupation par les détails, les règles, les inventaires, l’ordre ; – perfectionnisme qui entrave l’achèvement des tâches (incapacité à achever un projet parce que des exigences personnelles trop strictes ne sont pas remplies) ; – dévotion excessive pour le travail et la productivité, à l’exclusion des activités de loisir et des relations amicales ; – personne trop consciencieuse, scrupuleuse et rigide sur des questions de morale, d’éthique ou de valeurs (sans que cela soit expliqué par une appartenance religieuse ou culturelle) ; – incapacité à jeter des objets usés ou sans valeur même quand ils n’ont pas de valeur sentimentale ; – réticence à déléguer des tâches ou à travailler avec autrui, à moins que les autres ne se soumettent exactement à sa manière de faire les choses ; – avarice ; – rigidité et entêtement. Pour que le diagnostic soit établi, le patient doit présenter au moins 4 des critères (ci-dessus). L’annonce du diagnostic de cancer provoque d’importantes perturbations psychiques. L’incertitude sur la nature, le cours et le pronostic de la maladie, va venir renforcer la rigidité du patient. Son besoin de maîtrise de son état de santé peut rendre la communication soignant-soigné chaotique. Les patients sont en demande d’une information médicale claire et précise. Un idéal qui ne peut être atteint du fait de l’aspect imprévu de la maladie cancéreuse et de ses traitements. Il est important que les patients soient rassurés quant à leur implication dans leur protocole thérapeutique car cela peut induire un sentiment d’obligation thérapeutique amenant une diminution de l’espace personnel et un sentiment d’absence de maîtrise de leur environnement. Une information détaillée et régulière, tout en posant un cadre limité par les capacités de contrôle du médecin et du patient sur la maladie, va permettre au patient de se sentir protégé par l’univers médical.
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Traits de personnalité histrionique Une façon générale de réagir par des réponses émotionnelles excessives et une quête constante d’attention apparaissent au début de l’âge adulte et sont présentes dans des contextes divers, comme en témoignent au moins 5 des manifestations suivantes : – malaise lorsque le sujet n’est pas au centre de l’attention des autres ; – interactions caractérisées par un comportement de séduction sexuelle inadaptée ou une attitude provocante ; – utilisation de l’aspect physique pour attirer l’attention sur lui ; – manière de parler trop subjective mais pauvre en détail ; – dramatisation, théâtralisme et exagération de l’expression des émotions ; – suggestibilité ; – perception que ses relations sont plus intimes qu’elles ne le sont effectivement.. Ces patients sont en constante recherche d’attention de la part des soignants. La majorité de leurs multiples plaintes somatiques n’ont aucune cause médicale avérée. Ils établissent une relation avec le soignant basée sur la séduction avec des conduites de manipulation. Une quête affective du soignant à travers des consultations de longue durée où les patients ont une liste de symptômes et de plaintes interminable (15).
Traits de personnalité hostile La personnalité hostile s’organise autour de traits tels que l’opposition à l’autre, l’irritabilité et l’intolérance. Ces patients présentent une méfiance importante vis-à-vis du soignant. Leur relation est souvent agressive et conflictuelle. Ils demandent de nombreuses informations qu’ils vont continuellement remettre en question. Lors de la consultation qui peut être très longue mais non fructueuse, le patient cherche à dénigrer les informations apportées par le médecin. Il peut être très revendicatif quant à sa prise en charge. Le patient va rechercher principalement les incohérences justifiant sa méfiance envers le soignant (17). Dans le cadre du cancer du sein, nous avons observé, à l’annonce d’un protocole thérapeutique adjuvant, une prévalence de traits hostiles chez les patientes qui l’ont refusé. Les patientes se sont concentrées sur les aspects négatifs du traitement (effets secondaires) au détriment des bénéfices qu’il peut apporter dans le risque de récidive (1).
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Du fait de l’absence de symptômes visibles ou palpables (absence de tumeur dans le sein ou sous les aisselles, de fatigue, etc.) les patientes ont remis en doute les compétences des médecins. Ces patientes « hostiles » ont le besoin de se sentir impliquées dans les prises de décisions qui les concernent à travers un cadre bien délimité. Malgré leur agressivité et leur intolérance, il est important de garder le dialogue avec les patients tout en ne se laissant pas envahir par leur tentative d’intimidation. Il faut éviter la brutalité dans le discours car cela peut renforcer leur méfiance et accroître leur intolérance et impulsivité envers le monde médical. L’annonce du diagnostic génère chez les patients une anxiété et une souffrance activant des mécanismes adaptatifs ancrés dans leur personnalité. Dans cette situation angoissante, le patient va chercher le soignant dans ce qu’il est et ce qu’il représente (18). Le patient va être en quête d’informations supplémentaires via les indices non verbaux présentés par le médecin (19). Lors de la consultation, les attitudes inconscientes du médecin provoquent chez le patient un niveau plus ou moins élevé d’information-compréhension et de participation à l’égard des traitements et une dimension affective issue de la satisfaction en termes relationnel que retirent les patients lors de leur soin.
L’influence inconsciente du médecin Durant la consultation, plusieurs informations sont communiquées via les comportements non verbaux du médecin. Les études antérieures ont tenté de repérer les comportements non verbaux perçus par le patient et susceptibles d’interagir avec son niveau de satisfaction. La participation active du patient ainsi que sa compréhension du discours médical ont également donné lieu à des études. L’impact des comportements non verbaux du médecin sur le patient a été mis en évidence : – la posture (face au patient, de côté par rapport au patient) ; – le regard (dirigé vers le patient, évitement du regard) ; – l’expression faciale (orientation du visage, sourire, acquiescement de la tête) ; – le buste (orienté vers le patient, incliné vers l’avant ou l’arrière) ; – les membres supérieurs et inférieurs (croisement ou non) ; – les mains (jointes, crispées, gestes fréquents).
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Ces comportements sont étudiés en fonction de leur fréquence, leur durée et leur association.
Satisfaction du patient Très tôt, des études ont montré à quel point la compliance du patient était déterminée par la satisfaction que retiraient ces derniers de leur consultation (20). Une bonne communication soignant-soigné favorise la satisfaction et donc la compliance dans la continuité des soins. Elle contribue ainsi à l’amélioration de l’état de santé, la sollicitation du patient et son engagement accordés aux soins (18). La satisfaction du patient par rapport aux soins permet aussi de déterminer l’efficacité des interventions et des services. La façon qu’ont les médecins de se comporter avec leurs malades déterminerait la satisfaction des malades (21). Le médecin aurait une influence inconsciente sur le niveau de satisfaction du patient. La présence de comportements tels que la proximité dans l’espace et l’orientation du buste du médecin vers le patient, accompagnés d’un regard dirigé vers le patient et la relaxation du menton du médecin augmenterait la satisfaction du patient (22). À l’inverse, un contact physique excessif diminuerait celle-ci (22). Notre étude remet en question le lien entre la satisfaction, l’adhésion au traitement du patient et la communication non verbale du médecin. En effet, en étudiant la prise de décisions de la patiente quant à la proposition d’une chimiothérapie adjuvante, nous n’avons pas clairement observé une association entre le choix des patientes et leur satisfaction induite par les indices non verbaux du médecin (1). Tableau I – La satisfaction du patient en fonction des comportements non verbaux du médecin. Comportements non verbaux La proximité dans l’espace L’orientation du buste vers le patient Le regard dirigé vers le patient La relaxation du menton du médecin Les contacts physiques excessifs
Niveau de satisfaction Augmente
Diminue
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Compréhension du discours médical par le patient L’exposition à l’information ne suffit pas à sa compréhension. L’attitude qu’a l’émetteur durant la conversation et l’attention du récepteur sont donc des facteurs primordiaux (23). L’attention participe à un ensemble complexe du traitement de l’information (24). La compréhension de l’information ne peut se faire sans l’écoute et l’attention du patient des informations médicales données par le médecin. Les comportements non verbaux du médecin vont influencer l’attention du patient au discours médical qui est nécessaire à sa compréhension et son intégration. Les indices non verbaux auraient donc un impact positif ou négatif sur la compréhension du message médical. La proximité dans l’espace, l’orientation du visage et du corps vers le patient, l’inclinaison du buste vers l’avant et de la tête (22), des gestes et des contacts visuels fréquents et le changement d’intonation dans le discours du médecin augmenteraient la capacité de compréhension du patient (25). À l’inverse, les contacts physiques excessifs diminueraient le niveau de compréhension du patient de l’information médicale (22). Tableau II – Le niveau de compréhension du discours médical du patient en fonction des comportements non verbaux du médecin. Comportements non verbaux
Niveau de compréhension du discours médical
La proximité dans l’espace L’orientation du visage et du corps vers le patient L’inclinaison du buste vers l’avant et de la tête Des gestes fréquents Des contacts visuels fréquents Changement d’intonation dans le discours du médecin
Augmente
Les contacts physiques excessifs
Diminue
Conclusion Durant la consultation, les caractéristiques psychologiques peuvent être amplifiées ou inhibées par l’attitude de l’oncologue. L’identification précoce du profil psychologique du patient est primordiale afin de préparer l’annonce du diagnostic, de manière à adapter l’attitude du médecin.
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L’échange d’expérience entre l’oncologue et le psycho-oncologue ne peut qu’être bénéfique pour établir une prise en charge du patient globale et personnalisée. Par exemple, un bref entretien psychologique pourrait faire partie des examens médicaux du patient, préalables à la « consultation d’annonce » du diagnostic. Cette évaluation psychologique serait basée sur les traits psychologiques, l’expérience de la maladie et la relation avec le monde médical du patient. Elle étudierait aussi les comportements non verbaux de chaque médecin afin de les adapter à la problématique du patient. Enfin, et principalement, les aspects évaluatifs seraient « fondus » au sein d’un entretien largement centré sur la personne, permettant de manière fluide d’explorer certains traits et certaines situations vécues de manière à obtenir un tableau psychopathologique précis. Ainsi les aspects traumatisants de la révélation du diagnostic pourraient être largement limités.
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Aspects psychiatriques de la révélation d’un cancer : est-ce toujours un traumatisme ? A. Ronson et G. Stefos
Définir l’adaptation au traumatisme du cancer Cette tâche, d’une extrême complexité, nous confronte à des sources de confusion terminologique et conceptuelle. Sur le plan terminologique, le français ne dispose que du terme « adaptation », alors que les Anglo-Saxons peuvent utiliser adaptation et adjustment. Bien que les deux mots soient souvent employés indifféremment, il conviendrait de concevoir le terme anglais adaptation comme un état psychologique – on pourrait parler, par exemple, de niveau de fonctionnement psychologique – et de réserver adjustment au processus qui sous-tend l’état en question. Cependant, la confusion existe probablement dans les deux langues, en raison de vastes imprécisions d’ordre fondamental. Il convient également de se montrer attentif à la signification précise donnée par chaque auteur à des concepts tels que traits de personnalité, mécanismes de défense, styles de coping, stratégies d’adaptation ou ressources internes. Il apparaît en effet, dans ce domaine également, des chevauchements sémantiques qui traduisent probablement des dissensions profondes entre écoles théoriques. Enfin, c’est la nature même des concepts discutés qui doit être interprétée dans toute réflexion relative à l’adaptation des patients atteints de cancer. En effet, en fonction des auteurs et des écoles théoriques, on peut dégager 4 grandes tendances dans la définition de l’adaptation : – l’absence de psychopathologie ; – le niveau de fonctionnement psychologique (l’état relatif de bien-être ou de mal-être émotionnel) évalué à un moment donné ; – le point final d’une phase de transition entre 2 états séparés dans le temps par la survenue d’une crise existentielle. On trouve dans la présente catégorie les théories faisant appel au concept de coping (1). Au sein même de cette école de pensée, il existe d’importantes oppositions entre un courant
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défendant l’idée d’une palette stable de stratégies d’adaptation – principalement déterminée par le profil de personnalité –, l’autre arguant que les styles d’adaptation sont flexibles et susceptibles de variations intraindividuelles au cours du temps, en fonction du contexte. Le principal point d’accord porte sur le fait que le processus de coping (1) – défini comme l’activité cognitive et comportementale destinée à affronter et à surmonter l’adversité – n’implique pas de modification fondamentale de la « vision du monde » des individus au terme d’une crise existentielle. Une telle position paraît difficilement défendable, dans le contexte de l’expérience de la réalité du cancer, étant donné la rupture du sens de continuité exprimée par la presque totalité des malades. Par ailleurs, si une adaptation « réussie » doit être définie, comme le proposent Spencer et al. (2), par un retour « complet et enthousiaste » aux activités de la vie – approche fonctionnelle s’il en est –, notre expérience clinique quotidienne peut-être biaisée il est vrai, ne nous permet pas de rencontrer beaucoup de patients répondant à ces critères… ; – le processus constant d’autorégulation, ou d’homéostasie, qui permet à l’individu de faire face aux situations qui constituent une contrainte, un défi, voire une menace, pour son intégrité physique et/ou psychique. Dans ce modèle (3), les hypothèses de base consistent, d’une part, dans l’existence de schémas cognitifs qui déterminent les conceptions générales au sujet de la vie et du monde environnant – ces « cartes » cognitives résultent de la totalité de l’information et de l’expérience accumulées au cours de la vie – et, d’autre part, dans des ajustements constants des dits schémas cognitifs en réponse aux événements de la vie. Il est particulièrement notable que ces matrices conceptuelles, qui diffèrent par leurs niveaux de complexité, rejettent systématiquement le contenu émotionnel au rang de « réponse secondaire » aux divers processus cognitifs activés à la suite d’un événement de vie. L’on est frappé, également, par l’apparente simplicité du « noyau explicatif » : si un événement quelconque confirme la vision du monde existante, les schémas cognitifs s’en trouvent renforcés (il y a « assimilation » de l’événement). Si, en revanche, une expérience de vie est incompatible avec les conceptions en place, il devra se produire un phénomène « d’accommodation » des cartes cognitives, destiné à intégrer les informations nouvelles. Un tel processus est supposé expliquer que certains individus « sortent grandis » d’une crise existentielle, bien que les modalités de cette « croissance personnelle post-traumatique » restent très floues. Ce type de modèle se trouve notamment à l’origine de tentatives d’explication du tableau clinique de stress post-traumatique (4). Les manifestations d’évitement ou de déni – concepts inexplicablement « logés à la même enseigne » – tenteraient de protéger l’individu contre les émotions asphyxiantes résultant de la confrontation d’informations incom-
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patibles, alors que tous les phénomènes d’intrusion et de reviviscence viseraient à promouvoir et à accélérer l’accommodation. Quelle que soit sa pertinence, cette formulation nous offre au moins l’opportunité d’affirmer que les processus cognitifs n’ont d’autre objet que de servir le bien-être émotionnel. Brennan (3), pourtant, ne semble pas partager cette proposition lorsqu’il envisage l’objectif premier des interventions psychosociales : rééquilibrer les conceptions fondamentales par la réflexion intime, le dialogue, l’empathie sociale et un coping actif… Il nous restera, pour notre part, à démontrer que des éléments émotionnels déterminent également ces mécanismes cognitifs d’adaptation, ainsi que leur traduction clinique. Les théoriciens de ces courants de pensée nous livrent, dans ce domaine aussi, quelques indications. C’est ainsi, par exemple, que Brewin (5) évoque un phénomène d’interférence émotionnelle au moment de l’événement traumatique pour expliquer la création d’un ensemble incomplet d’informations dans le système de mémoire déclarative. À ce stade de la discussion, nous nous proposons d’adopter une définition opérationnelle de l’adaptation : il s’agit de l’ensemble des processus, mis en œuvre par l’appareil psychique sous la médiation des mécanismes de défense, visant au maintien d’un niveau de bien-être émotionnel individuel optimal. Cette première approche permet de n’exclure a priori aucune formulation théorique relative au contenu de « l’appareil psychique ». Elle implique également qu’un niveau optimal de bien-être puisse ne pas être synonyme d’absence de toute souffrance psychique. En d’autres termes, cette définition n’exige pas qu’un processus d’adaptation efficace conduise à la reprise d’une vie « pleinement enthousiaste et riche de projets », conception pour le moins réductrice pourtant affichée par certains adeptes (2) de ce que nous n’hésiterions pas à qualifier de vision « mécanique » de la vie psychique. En effet, si la présente discussion se concentre principalement sur les exigences adaptatives qui font suite à l’annonce d’un diagnostic de cancer, il importe néanmoins de souligner que, par son évolution naturelle, le cours de la maladie néoplasique constitue une séquence presque ininterrompue d’événements traumatisants susceptibles de réactiver le « traumatisme oncologique inaugural », de l’entretenir, voire de créer les conditions d’une « re-traumatisation » massive. Ainsi, par exemple, avant même que les modifications évoquées plus haut ne soient apportées au système DSM, le diagnostic d’une rechute de cancer avait-il été reconnu comme événement traumatique (6). Plus récemment, la mammographie diagnostique dans le cadre du suivi du cancer du sein a été identifiée comme un facteur déclenchant de réponses aiguës de stress (7), susceptibles de produire un phénomène de sensibilisation et il est probable, de manière plus générale, que toute période de bilan oncologique représente une exigence adaptative aux effets potentiellement délétères.
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Question du « trouble de l’adaptation » L’approche envisagée par Holland (8) illustre bien les difficultés, tant cliniques que conceptuelles, auxquelles se trouvent confrontés les psychooncologues. Sa démarche s’inscrit, il est vrai, dans le cadre de recommandations cliniques pour le traitement des aspects psychologiques associés au diagnostic et aux traitements du cancer. Avec l’objectif principal de « contourner » les écueils du stigmate social encore attaché à toute notion de psychopathologie, elle propose d’utiliser comme référence le concept de « détresse psychologique », définie comme « le champ des sentiments et des émotions exprimés par des individus atteints de cancer et confrontés à des problèmes personnels et associés à la maladie ». Malheureusement, de nombreux obstacles s’élèvent rapidement sur la voie de la clarification. La détresse est dite normale lorsqu’elle se limite à une tristesse, à des peurs, à des préoccupations compréhensibles et attendues. Un premier biais majeur intervient ici sous la forme de la subjectivité qui influence inévitablement l’appréciation de l’évaluateur. La détresse perd son caractère normal lorsqu’elle dérange l’individu et interfère avec son fonctionnement habituel. Trois catégories sont alors établies sur un continuum de sévérité : – quand les symptômes excèdent la détresse « normale », ils sont qualifiés de « subsyndromaux » ; – le stade suivant de sévérité porte l’appellation de symptômes « réactionnels » ou « situationnels » et est apparenté par l’auteur au diagnostic de trouble de l’adaptation selon le DSM IV ; – enfin, le dernier stade comprend les troubles psychopathologiques formant les entités du DSM IV (trouble dépressif majeur, troubles anxieux spécifiques). Deux questions s’imposent ici. 1) D’une part, pourquoi avoir introduit encore une entité clinique, située entre la détresse normale et le trouble de l’adaptation, et dont les critères de différenciation d’avec ce dernier apparaissent extrêmement flous ? À la lecture des recommandations pratiques, il semble que des facteurs économiques interviennent probablement. En effet, seules les deux catégories diagnostiques les plus « sévères » seraient justiciables d’une évaluation spécialisée, réalisée par un professionnel de la santé mentale, les symptômes dits subsyndromaux étant confiés aux soins d’un médecin non-psychiatre, d’une infirmière ou d’un travailleur social. L’indication d’une évaluation spécialisée est posée sur base d’un score de 6 ou supérieur sur une échelle visuelle analogique « mesurant » la détresse émotionnelle entre 0 (absence de détresse) et 10 (détresse extrême). Le « seuil » constitué par ce score de 6 aurait été corrélé aux scores de l’échelle Hospital Anxiety and Depression
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Scale (HADS), indiquant la nécessité d’une évaluation psychosociale et probablement aussi d’une intervention. Si l’on se place dans une perspective de spectre d’intensité symptomatique, il paraît difficilement justifiable de « refuser » à certains patients l’accès à une évaluation approfondie, voire à une intervention aux vertus potentiellement préventives. Il est vrai cependant que l’efficacité d’une telle approche reste à démontrer. Enfin, si l’on accepte d’appliquer cette méthode, et malgré sa simplicité, le fait même qu’un seul score permette de différencier les situations à caractère pathologique de celles qui en seraient dépourvues indique à notre sens la totale inutilité de créer une entité clinique supplémentaire. 2) La deuxième question qui nous paraît mériter un examen relève de la démarche conceptuelle : comment concilier, sur la base d’un continuum de sévérité, la présence de deux entités dont l’une apparaît presque exclusivement fondée sur des critères quantitatifs (la dépression majeure), alors que l’autre repose sur une appréciation beaucoup plus qualitative d’écart à la norme et de perturbation du fonctionnement (le trouble de l’adaptation) ? L’origine de l’ambiguïté doit être portée au passif du DSM IV – encore lui ! – qui, dans la discussion du diagnostic différentiel de l’épisode dépressif majeur propose, si tous les critères de ce dernier ne sont pas rencontrés, de s’en tenir au trouble de l’adaptation avec humeur dépressive. Par ailleurs, il existe un diagnostic possible d’épisode dépressif mineur, lorsque moins de 5 symptômes dépressifs sont présents. Peut-être cette dernière entité est-elle réservée exclusivement aux situations pour lesquelles aucun facteur de stress psychosocial n’est identifiable. Si tel était le cas, il conviendrait d’appliquer la même restriction à la dépression majeure, ce qui nous conduirait à raviver l’antique polémique relative à la dichotomie entre formes endogène et exogène de la dépression. Dans cette confusion, il faut ajouter que le combat fait rage entre les écoles de pensée, pour savoir si les formes « non majeures » de dépression constituent effectivement une position intermédiaire sur un continuum de sévérité ou une entité phénoménologique distincte. Pour notre part, nous proposons, chez les patients atteints de cancer, de ne retenir que 2 entités diagnostiques pour décrire les tableaux de dépression : l’épisode dépressif majeur, tel que formulé par le DSM IV, et la dépression subsyndromale qui comprend une tout autre combinaison de symptômes dépressifs. La distinction entre situation « non pathologique » et dépression subsyndromale reste basée sur des critères quantitatifs : la présence de 2 symptômes dépressifs – dont l’un au moins est une tristesse de l’humeur ou une perte marquée d’intérêt – pendant une période minimale de deux semaines, permet de poser le diagnostic. Le traitement des cas relevant de cette entité clinique devra faire l’objet d’investigations spéci-
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fiques. La validité du concept de dépression majeure, quant à elle, est établie par d’innombrables travaux relatifs à sa physiopathologie et à son traitement.
Spectre post-traumatique L’examen d’un éventuel spectre post-traumatique comme « grille de lecture » des processus d’adaptation en cancérologie impose 3 axes de réflexion (9) : la nature du facteur de stress, l’amplitude du tableau symptomatique et les caractéristiques associées (symptômes associés et comorbidité).
Nature du facteur de stress La nature du facteur de stress est représentée par le diagnostic de cancer, son annonce, ses implications et les traitements comme événements traumatiques. Étant établi que des manifestations de reviviscence, en particulier les flash-back, peuvent être automatiquement déclenchées par des indices internes et externes (5), le cancer en tant qu’événement traumatique se trouve immanquablement à l’origine d’un cercle vicieux potentiel. Le diagnostic de cancer constitue un événement non discret, dont les conséquences ne sont pas limitées dans le temps. Les stimuli déclencheurs sont innombrables, tant internes (sensations somatiques résultant du cancer ou des traitements) que d’origine externe (visites fréquentes à l’hôpital, rencontres avec d’autres malades, procédures diagnostiques et thérapeutiques agressives). Les manifestations de reviviscence, de somatisation et d’hypervigilance pourraient, quant à elles, promouvoir la perpétuation de stimuli internes, générateurs à leur tour d’anxiété et de phénomènes d’intrusion. En fait, l’expérience « cancer » constitue probablement la construction la plus complexe qui soit d’événements responsables de traumatisation et de « re-traumatisation ». À cet égard, l’extraordinaire diversité des facteurs impliqués distingue notamment le cancer d’autres événements traumatiques à composante chronique, prolongée, ou répétée, tels que des abus sexuels à répétition, des situations de guerre (combats, bombardements) ou des tortures répétées de détenus politiques. Indépendamment de variables objectives (caractéristiques de la tumeur susceptibles d’influencer le pronostic vital, prélèvements et injections itératifs, effets secondaires de traitements notamment responsables du développement de réactions d’aversion conditionnée), il faut aussi prendre en
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compte les éléments subjectifs qui modulent de manière déterminante la perception et l’interprétation associées à ces différents événements. C’est ainsi par exemple que la perception par les patientes d’une communication de mauvaise qualité lors de la transmission du diagnostic de cancer a pu être corrélée à une prévalence accrue de l’état de stress aigu (10), un trouble qui prédit le développement ultérieur de syndromes de stress post-traumatique (11). De telles interférences apparaissent d’autant plus significatives que des antécédents traumatiques représentent, de manière générale, un facteur de risque important de réponses post-traumatiques et d’autres difficultés d’adaptation chez des malades atteints de cancer (12). Cette observation, qui n’est nullement limitée au champ de l’oncologie, suggère que l’événement traumatique, en l’occurrence le diagnostic de cancer, pourrait ne représenter qu’un « épiphénomène » (13), dont la survenue contribue principalement à raviver des traumatismes anciens, pour la plupart profondément enfouis. Il n’en reste pas moins vrai, cependant, que la diversité des affections néoplasiques dans leur évolution naturelle ainsi que les divergences apparues dans les progrès thérapeutiques imposent des distinctions fondamentales dans l’appréciation du caractère traumatisant des différentes formes de cancer. Il n’existe pas, à notre connaissance, de données épidémiologiques établissant la distribution de manifestations post-traumatiques en fonction du site tumoral ou de l’histologie de la tumeur.
Tableau clinique subsyndromal Le concept de PTSD partiel ou subsyndromal est issu de la littérature générale relative au syndrome de stress post-traumatique, qui reconnaît l’existence de présentations cliniques ne satisfaisant pas à tous les critères diagnostiques (système DSM ou échelles de mesure basées sur des questionnaires) mais néanmoins responsables de perturbations du fonctionnement social, interpersonnel ou physique (7). Un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique partiel peut ainsi être envisagé selon deux modalités, à savoir un nombre de symptômes inférieur aux exigences du DSM IV (présence des symptômes requis dans deux des trois groupes établis par la classification : tableau I) (14), ou un score inférieur à la limite indicative du diagnostic de syndrome complet sur des échelles diagnostiques validées (15). Sur la base de ces deux approches, Andrykowski et al. (16, 17) ont mis en évidence, dans un groupe de 82 patientes porteuses d’un cancer du sein, une prévalence de syndrome post-traumatique partiel variant de 4 à 13 %. La prévalence la plus faible a été dégagée par l’utilisation d’un questionnaire structuré, établi pour répondre aux exigences du DSM IV, ce qui traduit la plus grande rigueur de ce système diagnostique.
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Les groupes de symptômes du PTSD selon le DSM IV Exposition à un événement traumatique avec : – danger de mort ou menace à l’intégrité physique, réel ou symbolique, pour l’individu ou pour autrui ; – la réaction s’est traduite par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur. L’événement traumatique est constamment revécu (au moins 1 manifestation) : – souvenirs répétitifs et envahissants de l’événement, provoquant un sentiment de détresse et comprenant des images, des pensées ou des perceptions ; – rêves répétitifs de l’événement traumatique ; – impression ou agissements soudains « comme si » l’événement traumatique allait se reproduire (incluant le sentiment de revivre l’événement, des illusions, des hallucinations et des épisodes dissociatifs – flash-back) ; – sentiment intense de détresse psychique lors de l’exposition à des indices internes ou externes évoquant ou ressemblant à un aspect de l’événement traumatique en cause ; – réactivité physiologique augmentée lors de l’exposition à des indices internes ou externes pouvant évoquer ou ressembler à un aspect de l’événement traumatique en cause. Évitement persistant des situations associées au traumatisme et émoussement de la réactivité générale (au moins 3 manifestations) : – efforts pour éviter les pensées, les sentiments ou les conversations associés au traumatisme ; – efforts pour éviter les activités, les endroits ou les gens qui éveillent des souvenirs du traumatisme ; – incapacité de se rappeler un aspect important du traumatisme ; – réduction nette de l’intérêt pour/ou de la participation à des activités importantes ; – sentiment de détachement d’autrui ou de devenir étranger par rapport aux autres ; – restriction des affects ; – sentiment d’avenir « bouché ». Présence de symptômes persistants traduisant une activation neurovégétative (au moins 2 manifestations) : – difficultés d’endormissement ou sommeil interrompu ; – irritabilité ou accès de colère ; – difficultés de concentration ; – hypervigilance ; – réaction de sursaut exagérée.
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PTSD : état de stress post-traumatique ; DSM IV : manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, quatrième édition.
Ensemble des tableaux cliniques Le spectre post-traumatique peut dépendre de l’ensemble des tableaux cliniques observés à la suite de l’événement traumatique, associés ou non au PTSD. Dans une volonté, qui paraît à certains comme obsédante (18), de rejeter toute référence à un quelconque cadre théorique, les concepteurs du système DSM se seront probablement trouvés « contraints » de sous-estimer significativement, voire d’ignorer, des dimensions pourtant importantes du spectre post-traumatique. C’est sans doute pour éviter toute assimilation avec les concepts « antiques » – mais néanmoins maintenus en mémoire par le travail des historiens de la question (19) – de névrose traumatique ou d’hystérie, que les phénomènes de somatisation ont été presque complètement oubliés dans ladite classification. La présence de nombreuses plaintes physiques a pourtant été bien répertoriée, aussi bien chez des vétérans de guerre que dans des populations civiles (9). Des modèles théoriques ont également été formulés pour tenter d’expliquer la genèse de ces manifestations. Ces données recouvrent une importance fondamentale dans le contexte oncologique. En effet, des plaintes somatiques, telles que céphalées, douleurs articulaires, fatigue, insomnie, troubles de la mémoire et difficultés de concentration peuvent poser de grandes difficultés d’interprétation aux chercheurs et aux cliniciens. Comme c’est le cas dans le diagnostic de la dépression majeure chez les patients cancéreux (20), les signes et symptômes somatiques pourraient se trouver, en fonction de la signification qui leur est donnée, à l’origine de sur et de sous-estimations de réponses posttraumatiques. Quoi qu’il en soit, une attention particulière doit leur être accordée dans tout processus d’évaluation psychosociale, de sorte que leur rôle soit au moins pris en compte dans la réflexion, diagnostique ou théorique. Si par ailleurs, comme le proposent certains auteurs (21), le syndrome de stress post-traumatique se caractérise notamment par une difficulté générale d’appréciation de la pertinence de stimuli internes et externes et par une tendance à se focaliser sur (et à interpréter incorrectement) les sensations somatiques, la probabilité apparaît extrêmement élevée que de nombreux patients cancéreux soient concernés. Les stimuli somato-sensoriels sont légion et ouvrent la voie à un autre cercle vicieux d’interprétations erronées, de somatisation et d’anxiété accrue. D’autre part, la mise en évidence de nombreuses manifestations de somatisation, associées à des tableaux complets, partiels ou résiduels, de stress post-traumatique, exige
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un réexamen des conséquences physiques à long terme du cancer et de ses traitements. En particulier, les plaintes de troubles mnésiques, de difficultés de concentration, de fatigue persistante et de troubles du sommeil, attribuées notamment à la chimiothérapie et à l’hormonothérapie (22), pourraient en fait n’être rien d’autre que des caractéristiques post-traumatiques associées. De la même manière, le concept de dissociation, passablement ignoré pendant à peu près un siècle alors qu’il était apparu comme central aux pères fondateurs des théories relatives au traumatisme psychique, refait progressivement surface dans la littérature post-traumatique générale (18). Il nous paraît très probable que ce phénomène occupe une position critique dans la genèse des manifestations émotionnelles observées chez les patients cancéreux. La littérature psycho-oncologique n’y fait pourtant, à ce jour, pas la moindre référence substantielle. Il faut reconnaître que les défis sont de taille, par leur nombre autant que par leur complexité. Ces considérations feront l’objet d’un article ultérieur dont le but consistera à mettre en évidence le caractère dissociatif de nombreuses manifestations psychologiques immédiates, résultant de l’annonce du diagnostic de cancer. Cela permettrait de conceptualiser les symptômes psychiatriques précoces dans le cadre d’un état de stress aigu, entité qui prédit le développement de réponses post-traumatiques chroniques.
La place des processus émotionnels dans l’adaptation au traumatisme du cancer On trouve, jusque dans les théories cognitives les plus complexes, des arguments qui plaident en faveur d’un rôle premier, chronologique et hiérarchique, des processus émotionnels dans l’adaptation. Les théoriciens du coping nous expliquent que tout événement de vie fait l’objet d’un double processus d’évaluation. Une première composante apprécie les caractéristiques de la menace, puis un processus secondaire évalue les ressources disponibles (23). Il nous semble, en dehors même de tout contexte psychopathologique – dont l’impact potentiel sur la cognition est établi – difficile d’affirmer que le contenu émotionnel, associé immédiatement à la survenue d’un événement, ne détermine pas, au moins partiellement, chacune des deux composantes du processus d’évaluation cognitive de la situation. En effet, une telle affirmation impliquerait que la détresse émotionnelle ne peut constituer qu’une réponse « secondaire » aux conclusions négativement chargées des deux étapes de l’évaluation. Or, il existe une contradiction fondamentale inhérente à cette éventualité. La plupart
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des modèles relatifs à l’adaptation se réfèrent à l’évolution des espèces et aux avantages sélectifs que l’être retire de ses capacités à apprendre, à associer, à représenter symboliquement et, surtout peut-être, à prévoir. Dans ce contexte, les « cartes » cognitives qui soutiennent la représentation du monde devraient, pour des raisons phylogénétiques autant que par l’expérience acquise, pleinement intégrer et anticiper la réalité de la mort. Pourtant, la confrontation brutale à cette éventualité représente précisément l’information la plus incompatible avec nos conceptions. Comment, autrement que par une déchirure émotionnelle, expliquer ce dilemme ? On retrouve cette même dialectique dans les modèles « connexionistes » des fonctions cérébrales supérieures. Selon ces approches – fondées sur la théorie de réseaux neuraux générant des « processus parallèles distribués » –, les phénomènes intrusifs caractéristiques de la réponse post-traumatique immédiate seraient à comprendre dans le cadre d’un apprentissage par répétition, destiné à renforcer les connexions synaptiques, permettant ainsi de prendre acte de l’événement (24). À ce stade déjà se pose un problème, puisque ce renforcement synaptique est supposé faciliter l’acquisition d’informations similaires ultérieures. Sachant qu’un événement traumatique constitue un facteur de risque pour le développement de réponses pathologiques ultérieures, le caractère adaptatif de ce mécanisme s’explique mal. L’installation de la détresse émotionnelle résulterait, quant à elle, de l’activation de réseaux neuraux affectifs – en parallèle avec les réseaux cognitifs tentant d’assimiler et de donner du sens à l’expérience traumatique – lors de chaque phénomène intrusif, puis à la mise en place progressive d’une « domination » de ces réseaux affectifs. Comment concilier cette analyse avec l’exigence du DSM IV (critère A2), selon laquelle l’événement traumatique doit s’accompagner immédiatement d’une réaction de peur intense, d’impuissance ou d’horreur ? La réponse à ces questions nous est apportée par une élégante étude de l’activité cérébrale dans des processus mentaux impliqués dans la résolution de dilemmes moraux (25). Les auteurs de ce travail ont examiné l’activation différentielle de diverses régions cérébrales en réponse à des paradigmes faisant appel à trois catégories de jugement, qualifiés respectivement de « non moral » (par exemple, choisir entre deux modes de transport en commun en fonction de contraintes horaires), « moral-impersonnel » (par exemple, quoi faire de l’argent trouvé dans un portefeuille perdu ?) et « moral-personnel » (par exemple, devoir décider de bouter certaines personnes hors d’un canot de sauvetage). Par des techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelle, ils ont pu mettre en évidence que seul l’aspect « personnel » associé au jugement activait des zones cérébrales impliquées dans le traitement émotionnel de l’information. Plus intéressant encore, « l’allumage » des zones émotionnelles à la résonance magnétique fonctionnelle s’accompagnait d’une réduction
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d’activité cérébrale dans des régions impliquées dans la mémoire de travail et les réponses considérées comme émotionnellement non congruentes dans le paradigme « moral-personnel » étaient assorties de temps de réaction plus longs, démontrant l’interférence des processus émotionnels ! Appliquées au contexte du diagnostic de cancer, ces connaissances nous permettent de formuler les hypothèses suivantes. D’une part, tous les éléments d’appréciation de la situation auxquels se trouve confronté l’individu face au diagnostic de cancer sont d’ordre éminemment personnel. Dès lors, il est permis de supposer qu’une inhibition relative de certains processus mnésiques – et probablement d’autres fonctions cognitives – survienne à l’occasion du choc produit par l’annonce du diagnostic. Enfin, l’interférence émotionnelle mise en évidence dans l’étude de Greene et al. doit nous inciter à considérer les processus d’évaluation, tant primaires que secondaires (appréhension de la menace et appréciation des ressources disponibles), comme déterminés par la réponse émotionnelle qui prend cours immédiatement après l’événement, et non l’inverse. Cela doit être le cas au moins chez ceux d’entre les patients qui développent une détresse émotionnelle intense et persistante, ce qui conduit à une probable révision des indications d’approches psychothérapeutiques proposées à ces malades.
Conclusion Nous pensons que les manifestations dépressives, quelle que soit leur intensité, ne surviennent presque jamais isolément, mais en association avec des symptômes post-traumatiques, quelle que soit leur sévérité et quelle que soit leur intensité. Cela demande un réexamen complet et une éventuelle révision de l’épidémiologie des troubles psychiques en oncologie. Si l’existence de manifestations dépressives isolées devait cependant être avérée par un tel réexamen, deux hypothèses s’affronteraient, à savoir d’une part l’éventualité d’un « fondu enchaîné » – transition lente d’un tableau posttraumatique en phase de résolution vers une présentation dépressive résultant de l’impact des facteurs de stress « secondaires » – ou, d’autre part, la possibilité de deux orientations psycho-pathologiques distinctes, dont les déterminants devront être identifiés. Notre hypothèse est au moins soutenue par des données issues de la littérature psychiatrique générale. En effet, dans une revue de données rétrospectives et prospectives provenant d’un registre épidémiologique de jeunes adultes de l’État du Michigan, Breslau et al. (26) ont démontré qu’un risque augmenté de dépression majeure à la suite d’un événement traumatique n’existait que chez les personnes aussi atteintes de PTSD. Si l’on met en perspective ces données avec la démons-
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tration, chez des patients cancéreux déprimés, d’une fréquence accrue de mémoires intrusives et de comportements d’évitement (27), il est permis d’anticiper l’existence d’un cercle vicieux renforçant l’amplitude du spectre post-traumatique au travers d’une intensification de la co-morbidité. Des modèles d’intervention « universalistes », reposant exclusivement sur des formulations cognitives rationnelles, telles que « renforcer les convictions d’efficacité personnelle », « engager à nouveau l’individu dans la réalisation de ses objectifs », tout en l’incitant à « accommoder ses schémas cognitifs antérieurs à la réalité d’une espérance de vie diminuée (!) » (3), nous semblent, dans ce cadre, réducteurs et voués à l’échec dans la majorité des cas. Les données les plus récentes se révèlent d’ailleurs critiques à cet égard. En effet, il convient de reconnaître que, en dépit de certains résultats encourageants, l’efficacité des interventions psychosociales en oncologie reste généralement faible. Il est exemplaire à cet égard de souligner que Moynihan et al. (28) n’ont pas été en mesure de démontrer l’efficacité de la thérapie psychologique adjuvante dans une population de patients atteints de cancer testiculaire. Or, ce modèle de prise en charge, structuré et reproductible, était jusqu’alors considéré comme la référence en termes de thérapie cognitivocomportementale chez le patient cancéreux. Il avait en fait été développé spécifiquement pour tenter de répondre aux besoins psychosociaux des patients cancéreux (29). Si les résultats d’une seule étude ne suffisent pas pour remettre en cause l’impression clinique d’un bénéfice substantiel des interventions psychosociales pour la qualité de vie, une revue de la littérature récente (30) confirme la difficulté d’établir de manière significative l’efficacité de ces interventions, fondées essentiellement sur des approches cognitives. La littérature relative au traitement psychologique du syndrome de stress post-traumatique se trouve, elle aussi, confrontée à d’importantes difficultés dans la démonstration de l’efficacité des modèles actuels. Cette observation ne peut manquer de soulever de multiples questions quant à l’adéquation des concepts fondateurs à l’origine de ces modèles. L’expérience traumatique du cancer est caractérisée par deux spécificités qui lui sont presque uniques, au moins pour la première. En effet, la survenue de l’une des composantes de l’événement traumatique, en l’occurrence l’annonce du diagnostic de cancer, est prévisible. Cette caractéristique implique la possibilité de moduler éventuellement l’impact traumatogène de l’événement par la qualité de la communication lors de l’annonce du diagnostic de cancer. Par ailleurs, le processus d’adaptation post-traumatique fait l’objet d’obstacles multiples, potentiellement intenses et persistants, qui résultent du stigmate social de la maladie, des conséquences des traitements et de l’évolution éventuelle de l’affection néoplasique. Une intervention psychosociale de qualité optimale ne peut donc en aucune manière faire l’économie d’une prise en compte approfondie de tous les
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facteurs susceptibles d’entretenir le processus anxieux ou d’accroître le risque d’une évolution dépressive. Or, il nous semble que, au cours de ces dernières années, le souci apporté à l’effort de compréhension des aspects psychologiques associés au cancer s’est traduit par un relatif détachement des concepts de base qui faisaient appel à des programmes de « réhabilitation » pluridisciplinaires (31). Un retour aux sources est probablement indispensable à cet égard. D’autre part, et contrairement à une affirmation fréquemment avancée dans la littérature (32), nous ne pensons pas que la réalité d’une menace future – l’éventualité d’une rechute néoplasique – doive être considérée comme une caractéristique distinctive, spécifique de l’expérience traumatique du cancer. Il nous semble en effet que, au moins sur le plan symbolique, la confrontation directe au risque de la mort représente le dénominateur commun de toute expérience traumatique. Dès lors, la difficulté, voire l’impossibilité, d’intégrer psychiquement cette réalité nouvelle représente précisément le déterminant principal de tout processus d’adaptation post-traumatique. Cette hypothèse est d’ailleurs rencontrée par Ehlers et Clark (4) qui soulignent une intéressante contradiction. L’état de stress post-traumatique est en effet classé parmi les troubles anxieux. Or, l’anxiété est, selon les théories cognitives, liée à l’évaluation d’une menace actuelle et persistante, alors que l’état de stress post-traumatique relève d’un événement ayant constitué une menace dans le passé ! Les auteurs tentent de résoudre le dilemme en proposant que le PTSD résulte précisément d’un traitement de l’information qui maintient l’événement passé au rang de menace sévère et persistante. La réalité physique ne serait donc pas en cause. Dans le cas du cancer, il nous faudra néanmoins expliquer pourquoi la sévérité des symptômes post-traumatiques a été corrélée au stade d’avancement de la maladie et à la réalité d’une rechute (6), deux facteurs qui accroissent la réalité d’une menace existentielle. Nos hypothèses actuelles sont que la survenue d’une rechute néoplasique induit la réactivation d’un état de stress post-traumatique antérieur – l’intensité des symptômes n’étant pas directement et totalement liée à l’augmentation de la menace – et que les stades avancés de la maladie impliquent des composantes de deuil anticipatoire dans le cadre d’un travail psychique de séparation. Bien que contestés, des éléments post-traumatiques ont été associés à certaines théories du deuil (33). Il faut également se montrer attentif à l’éventualité d’une interférence de processus anxieux « classiques » – une préoccupation, génératrice de détresse émotionnelle, face à un avenir menaçant. Des taux significatifs de comorbidité ont d’ailleurs été rapportés entre syndrome de stress post-traumatique et d’autres troubles anxieux, tels qu’anxiété généralisée, panique, phobies et trouble obsessionnel compulsif (9).
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Plusieurs études (34, 35) ont mis en évidence le caractère prédictif de la détresse émotionnelle au stade initial du cancer sur le fonctionnement psychologique à long terme. Cette observation plaide pour les rôles prépondérants de l’événement « diagnostic de cancer » et de facteurs antérieurs à la maladie néoplasique dans le processus d’adaptation au long cours. L’épuisement ultérieur des ressources ainsi que des contingences relatives à la maladie et à ses traitements – hormis les rechutes néoplasiques, dont le caractère traumatique est également établi (6) – occuperaient, dans cette hypothèse, une place « secondaire ». Dans cette perspective, les relations entre la réaction aiguë de stress et le développement d’un PTSD dans la population générale devront être examinées avec attention. Enfin, il est également établi aujourd’hui que les individus « ne sont pas égaux » devant le risque de développer un état de stress post-traumatique, contrairement aux croyances fondatrices de cette entité pathologique. De la même façon, les malades atteints de cancer « n’arrivent pas égaux » face à l’expérience de la maladie néoplasique. À cet égard, deux paramètres mériteraient de recevoir une attention particulière et devront faire l’objet de pistes de recherches futures : – la qualité du style d’attachement (secure versus insecure) pourrait constituer un facteur important dans la capacité qu’aura ou non le patient d’élaborer l’angoisse de séparation et de mort inéluctablement réactivée de manière majeure par l’annonce du diagnostic ; – la qualité globale (riche, incertaine ou pauvre) du fonctionnement mental (mentalisation) et la capacité éventuelle de le réanimer après la phase initiale de sidération/déni consécutive à l’annonce d’un diagnostic potentiellement létal (elle va déterminer la possibilité d’élaborer les affects d’angoisse et, à un niveau plus général, de déplaisir associés au diagnostic…). À terme, seul un modèle capable de prendre en considération toutes les singularités – biologiques, développementales, expérientielles et environnementales – qui sous-tendent la vie psychique se donnera l’opportunité réelle de remplir son objectif : l’amélioration du bien-être de l’individu et de celui de ses proches dans la vie quotidienne.
Références 1. Lazarus RS (1993) Coping theory and research : past, present, and future. Psychosom Med 55 (3): 234-47 2. Spencer SM, Carver CS, Pice AA (1998) Psychological and social factors in adaptation. In Holland JC, ed. Psycho-oncology 211-22. Oxford University Press, New York 3. Brennan J (2001) Adjustment to cancer - coping or personal transition ? Psychooncology 10 (1): 1-18
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Aspects psychiatriques de la révélation d’un cancer : est-ce toujours un traumatisme ?
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Comment le travail en groupe Balint facilite-t-il l'annonce par le médecin généraliste ? F. Auger
Dans notre pratique quotidienne, l’annonce du diagnostic de cancer revient à annoncer une mauvaise nouvelle. Il est habituel d’entendre, par les patients, les médias, un certain degré d’insatisfaction quant à ce moment particulier et rapportées des maladresses (tel cousin a été informé de façon précipitée dans un couloir, tel autre a reçu « tout de go » le diagnostic et le pronostic, sans la moindre précaution, etc.). De cette insatisfaction rapportée a été élaborée, en avril 2006, une recommandation, un protocole d’annonce, de l’Institut national du Cancer. Les services traitant de ces pathologies ont été invités à ouvrir des « consultations d’annonce ». Celles-ci sont souvent conduites par un médecin et une infirmière formée à cette approche, ils vont plutôt annoncer le protocole de soins. Tous autant que nous sommes, médecins généralistes, spécialistes, chirurgiens, oncologues, sommes confrontés à ce moment particulier de l’annonce du diagnostic auprès des patients. Selon les circonstances, ce sera l’un d’entre nous qui sera en première ligne sans qu’il ait obligatoirement connaissance de ce que sait le patient et/ou de ce qui lui a été dit précédemment. En consultation, cette situation est difficile pour les deux partenaires, le patient certes, mais aussi pour le médecin. Si ce dernier y a réfléchi, voire même a tenté de s’y préparer, la mise en situation laisse souvent la place à l’improvisation, l’adaptation à chaque patient. Les imprévus sont toujours possibles (patient déjà informé, présence d’un tiers inconnu, réactions déroutantes par rapport à ce que l’on connaissait du patient, etc.). La consultation comporte volontiers 4 facettes qui s’intriquent dans ce temps particulier : – l’annonce elle-même ;
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– l’écoute et l’attention portées aux réactions du patient : - ses réactions émotionnelles, - les silences, - ses représentations quant aux propos tenus, aux termes utilisés ; – le soutien immédiat ; – la mise en perspective. Je ne m’étendrai pas sur ces différentes étapes et les représentations de la maladie qui sont détaillées dans d’autres chapitres mais évoquerai plutôt quelques vignettes cliniques et la place particulière du médecin généraliste dans ce contexte. Mme G. a 56 ans, ménopausée. Elle n’a pas de médecin généraliste et n’a pas consulté son gynéco depuis plus de 5 ans. Je la vois pour la seconde fois. Nous décidons de faire le point. En parallèle des frottis que je réalise, je lui prescris une mammographie. Elle revient effondrée, assommée, apeurée, désespérée, ne pouvant pas croire que ces quelques micro-calcifications « inquiétantes » pour le radiologue puissent être un éventuel cancer. J’ai eu les résultats rassurants après biopsie élargie. Elle a laissé un jour un SMS : « Je vous aime, tout est fini. » Quand je l’ai rappelée, elle a ajouté : « Ce qui était important a été que vous soyez là, derrière ce téléphone, c’est ce qui m’a aidée. » Devant un tel désarroi initial, alors que j’étais relativement « sereine et optimiste », dans l’instant, j’ai pris un RDV de consultation pour elle auprès de mon correspondant et, par ailleurs, lui ai dit qu’elle pouvait me joindre quand elle voulait sur mon téléphone portable. Si, comme je le rappelle, je n’étais pas très inquiète pour cette patiente, je l’entendais affirmer : « quand je vous dis qu’il ne faut pas aller voir un médecin, il vous trouve toujours quelque chose alors que vous allez bien ! », et ma pensée perdait, l’espace d’un très bref instant, toute rationalité. L’effondrement de cette patiente l’empêchait de penser ou plutôt bloquait sa pensée à « l’arrêt de mort » qu’induisait le mot cancer. Sa régression m’a amenée à décider pour elle, sans attendre et à prendre une position directive, immédiate. Par ailleurs, même si elle était entourée de son mari lors des démarches, je pensais qu’elle avait besoin de percevoir un soutien médical permanent d’où l’idée du téléphone portable (que je donne exceptionnellement)… Elle ne s’en est servie qu’une seule fois et son commentaire était édifiant, je ne m’étais pas trompée ! En effet, ma disponibilité et ma présence psychique « potentielles » au bout du fil étaient plus importantes que ma présence physique.
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Melle B. a 27 ans. Elle me consulte depuis très peu de temps. Nous sommes en août quand elle se plaint d’une douleur persistante au trapèze droit. L’examen me conduit à palper ses seins. Je suis alertée par une masse fixée dans le territoire du quadrant supérieur du sein droit. Je prescris une mammographie et rapidement le radiologue me contacte. L’image est très nettement suspecte, il me rapporte les mots utilisés pour informer la patiente, « ce n’est pas un kyste, il faudra sans doute faire un prélèvement » et la patiente prend rendez-vous avec moi. Je suis extrêmement inquiète et me demande comment je vais m’y prendre pour annoncer ce qui l’attend. Finalement, c’est Melle B. qui me guidera, je n’aurai qu’à suivre son rythme. « Le radiologue m’a dit que ce n’était pas un kyste. — Oui, en effet il m’en a informé au téléphone. — Alors, qu’est-ce que c’est ? — Allons regarder les clichés ; ça peut être un nodule à analyser. — Cela peut être un cancer ? — En faisant un prélèvement, on pourra faire la part entre 2 solutions : ou il s’agit d’une lésion banale, ou il s’agit de tissus cancéreux. — Est-ce que ça se soigne ? — Oui, bien sûr. — Comment on soigne ? — Le traitement est personnalisé, différent pour chaque personne en fonction de multiples facteurs. On peut être amené à faire un traitement large pour être certain de bien soigner. — Alors je peux recevoir une chimiothérapie ? — Oui, peut-être bien. — Donc je vais perdre mes cheveux. — Cela dépend des produits utilisés. Je pense à une patiente qui a une perruque, je ne m’en suis pas aperçu lorsqu’elle me l’a annoncé. — Et mon travail, est-ce que je vais pouvoir continuer à travailler ? Je dois être titularisée dans 2 mois. — Parfois oui, parfois non, parfois en mi-temps thérapeutique. On doit pouvoir trouver des solutions. Dans le délai très bref entre les premiers mots prononcés par le radiologue et notre rencontre, cette patiente s’était déjà posé toutes les questions et dans le bon ordre ; c’est elle qui m’a guidée. Elle m’a littéralement étonnée, la consultation s’est déroulée tranquillement, je me suis détendue avec elle, qui n’a eu qu’un instant les yeux humides ; elle voulait tout savoir, elle prenait la situation à bras-le-corps dans toutes ses facettes comme si elle souhaitait maîtriser la maladie.
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Les questions étaient entrecoupées de silences. Ces silences nous permettaient de reprendre notre souffle et de façon évidente, en tout cas pour moi, de contenir mes émotions. Nous étions dans le concret de la situation. Je l’ai suivie pas à pas ; tout s’est dit en une seule rencontre. Elle a été ensuite informée de l’ensemble du protocole de soin par : la gynécologue qui l’a opérée, l’infirmière de la consultation d’annonce et l’oncologue. Moi-même, à distance de ses soins pendant 1 an, restais envahie par une profonde inquiétude devant ce pronostic grave dont la patiente ne prend pas trop la mesure (tant mieux, sans doute). La gynéco me dit qu’elle peut avoir 10 ans de rémission. Après cette information, j’ai pu me resituer dans le présent et ne me projeter qu’à court et très moyen terme, pour vivre. À travers ces vignettes, je voulais évoquer le fait que même si l’on se prépare, même si l’on connaît les « pièges », les difficultés de cette consultation, les éléments émotionnels y prennent une place bien particulière. Ils concernent alternativement ou simultanément l’un, le patient et l’autre, le médecin. Le patient va porter un nouveau statut, celui de « malade » et cette maladie qui l’habite, « le cancer », véhicule des signifiants particuliers : – de gravité ; – de rupture dans le déroulement de la vie, temporaire, voire fatale ; – d’agressivité des traitements dont la chimiothérapie ; – d’avenir professionnel et familial compromis ; – bien évidemment de mort. Il en ressortira une mobilisation de l’ensemble de la personnalité psychique du patient et de son entourage, en lien avec chacun son histoire. Le médecin, en fonction de sa personnalité et de ses propres représentations de la maladie et de son propre rapport à la mort, laissera transparaître, insidieusement, à travers son comportement, le ton, le choix des mots, les gestes, des éléments porteurs de vie ou de mort. Le patient et le médecin vont supporter le diagnostic et le pronostic chacun d’une place différente. Autant le patient, devant cette maladie mortelle, peut : – mobiliser ses forces pour combattre la mort ; – s’allier aux forces de la mort ; – voire les valider par le suicide.
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La difficulté du médecin est de tenir les deux positions : – se battre pour que vive le patient ; – se battre pour lui permettre le « bien » mourir ; – en évitant la mort psychique du patient. La spécificité du médecin généraliste est cette proximité, cette relation plus ou moins ancienne avec le patient et le caractère violent lié à ce moment intrusif et ce qu’il véhicule à travers cette annonce. Le médecin généraliste se distingue des autres médecins qui gravitent autour du patient parce qu’il occupe une place très particulière. Il s’occupe et/ou prend en charge le patient dans sa globalité, volontiers depuis longtemps, dans la durée, au fil des années, parfois dès l’enfance. Il a eu le temps de tisser une relation plus ou moins solide à travers une multitude d’événements agréables, douloureux, sans importance majeure ou au contraire sérieux en développant une complicité. Il est témoin d’un contexte socioprofessionnel, familial et affectif. Il est bien un médecin de famille, au sein de l’intimité de celle-ci. Ainsi cette proximité relationnelle est brusquement ébranlée par l’intrusion horrible de l’annonce de cette mauvaise nouvelle. Elle peut induire différentes réactions de l’un ou/et de l’autre. Certains patients peuvent rejeter celui qui a porté cette annonce terrible. Il peut apparaître comme incompétent, insuffisant face aux « grands » spécialistes, professeurs, hospitaliers dotés d’une toute-puissance, d’une magie renforcée par le silence, la froideur, la distance relationnelle, parfois, en connaissant si peu l’histoire du patient. La place de ces médecins hospitaliers est majeure à la phase aiguë du diagnostic et du traitement car les spécialistes vont : – affiner le diagnostic par diverses approches (biopsies, interventions) ; – établir un bilan d’extension de la maladie par certains examens ; – puis traiter par chimiothérapie, voire radiothérapie, etc. Tous ces spécialistes apparaissent hyper-compétents dans leur domaine, impressionnent et sont surtout porteurs de vie malgré leurs gestes volontiers agressifs. Parfois austère, plus ou moins silencieux et vu de façon très fugace, « ledit professeur » est presque un magicien et suscite le respect. À l’opposé, l’annonceur du diagnostic et le médecin généraliste si proche peut être porteur de mort ; à cette phase de la maladie, il n’est pas acteur de soins concrets, n’est pas toujours au fait de tous les traitements en cours et/ou possibles et peut être disqualifié par le patient et entraîner son éloignement.
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Il ne faut pas oublier qu’à cette phase aiguë, le patient est pris dans une accélération et une succession de rendez-vous médicaux, de déplacements, d’hospitalisations de jour ou de courte durée, affaibli à un certain moment par les traitements. Ce contexte ne lui permet pas de souhaiter ajouter de nouvelles rencontres avec celui qu’il connaît et qui ne fera « rien » de plus. Si des progrès relationnels entre spécialistes et médecin traitant sont incontestables, il n’en reste pas moins vrai que le médecin généraliste a souvent le sentiment d’être exclu des décisions, des concertations… lui qui pourtant connaît si bien « son » patient ! Il n’est pas toujours informé des dates des réunions de concertation pluridisciplinaires qui statueront sur les choix thérapeutiques. Il peut nous arriver d’avoir envie de dire « attention fragile » ou de souhaiter mettre en garde vis-à-vis de telle ou telle particularité mais nous arrivons « trop » tard. Il est volontiers nécessaire de « courir » après les comptes rendus alors que nous n’avons pas plus de temps « à perdre » à ce type de démarche fastidieuse et, malgré tout, parfois sans informations particulières, le médecin généraliste sera requis pour remplir la demande de 100 % en ALD1 (bien sûr utile au patient), ce qui est volontiers irritant et dévalorisant d’être le « secrétaire » des services spécialisés. Mais face à cette adversité et cette toute-puissance médicale « professorale » ressentie par le patient, celui-ci peut développer un comportement admiratif qui nous surprend. À l’inverse, par la solidité des liens relationnels tissés antérieurement, le médecin généraliste peut apparaître comme un confident, celui auprès de qui le patient pourra exprimer ses difficultés, ses espoirs et ses doutes. Le professionnalisme et la qualité des liens relationnels entre le patient et le médecin généraliste se trouvent confortés par la complémentarité entre les connaissances médicales régulièrement entretenues et l’appropriation d’un travail personnel portant sur la relation médecin-malade tel que, par exemple, le travail en groupe Balint. Melle D. a 52 ans. Je la connais depuis plus de 20 ans, son père s’est suicidé quand elle était enfant, elle a vécu auprès de sa mère, laquelle est décédée il y a 2 ans. Notre patiente, installée dans sa ménopause, prend 20 kg et vit mal ce deuil et son surpoids. Alors qu’elle commence à renaître à la vie, lors d’un contrôle systématique, une mammographie révèle des micro-calcifications. Leur histologie amène à pratiquer une mammectomie totale (elle a une poitrine opulente). Les ganglions sont tous normaux et, après cette intervention, le pronostic est favorable. Lors d’une de nos consultations suivantes, je me suis entendue dire : « Nous avons eu la chance 1. ALD : Affection longue durée.
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d’avoir pu faire un diagnostic précoce. » Au fil des étapes, je me suis régulièrement rendue disponible, accessible. Puis, quelques mois après la phase aiguë de l’histoire, Melle D. m’a dit : « Je n’ai pas compris et étais horrifiée que vous m’ayez dit que j’avais de la chance, maintenant je le comprends parfaitement, vous aviez raison. » C’est la gynécologue, qui, après la biopsie, avait annoncé le diagnostic. Dans l’instant, la patiente avait souhaité venir m’en parler. Je n’avais pas de créneau horaire pour la recevoir, cependant, j’ai trouvé du temps, cela me paraissait incontournable. Elle ressentait, nous ressentions, le contraste entre ce début de « re-naissance » et le coup d’arrêt porté par ce diagnostic et l’épée de Damoclès qu’il représentait à ses yeux. Puis, quand j’ai utilisé le mot « chance », il avait pour elle et moi une représentation différente. Si je lui ai expliqué le sens qu’il avait pour moi : diagnostic précoce et pronostic favorable, elle associait différemment : chance d’avoir un cancer, et ne pouvait plus m’entendre. Après avoir, ensemble, passé puis dépassé des moments difficiles pour elle, j’ai compris, dans l’après-coup, le formidable espoir que je portais face à sa pathologie mais j’étais trop en avance sur elle pour le partager à ce moment-là. Le poids des mots et leur représentation sont volontiers différents pour le patient et le médecin, et source de malentendus. La solidité de la relation de confiance existant entre nous a permis de maintenir une relation de qualité. L’importance de la participation à une formation portant sur la relation médecin-malade, à travers des éléments psychiques et inconscients qu’ils induisent, trouve toute sa place au sein de l’outil « groupe Balint ». Ce travail, dont le bénéfice apparaît dans la durée comme un « changement limité bien que considérable du médecin » (1), aide particulièrement par : Le fait d’avoir un espace de parole (si l’on appartient à un groupe Balint), sans jugement : – pour partager nos erreurs et les comprendre ; – apporter grâce aux membres du groupe un éclairage sur les situations vécues, aveuglé que l’on peut être quand la bonne distance relationnelle n’est pas trouvée ; – sortir de l’isolement ;
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– oser travailler avec les émotions, celles observées chez le patient, celles ressenties par le médecin telles que les sentiments de « laissé pour compte », de mépris ou d’ignorance du médecin généraliste par les équipes spécialisées, de trouble affectif chez ce patient si proche, voire cet enfant que l’on a vu grandir, tout en restant professionnels. Il s’ensuit : – un repérage plus rapide des affects toujours différents face aux patients et aux situations et comprendre les interactions entre une situation et la suivante, voire notre histoire personnelle ; – par l’expérience de l’écoute dans le groupe une meilleure écoute du patient à travers ses mots et ses silences, et mieux entendre l’expression de ses propres représentations face à la maladie ; – la relation de confiance établie antérieurement sans familiarité ni copinage, ni froideur, permettra de « jouer » avec la distance relationnelle, émotionnelle, laquelle serait profondément troublée s’il existait un autre lien avec le patient. La qualité de la relation antérieure et la connaissance approfondie du patient rendront possibles le fait de pouvoir oser prononcer certains propos. M. Balint (2) parlait de la « compagnie d’investissement mutuel » profondément perçue par le patient. Le parallèle entre le travail en groupe (dans la durée) face à un cas présenté et la rencontre entre le patient et le médecin va permettre à celui-ci de respecter plus facilement le cheminement du patient pour avancer à son rythme ; de mettre en place un dispositif d’accompagnement personnalisé propre à chaque médecin permettant, selon les patients,; de « régresser » pour certains d’entre eux et assurer un certain effet protecteur ; de développer ou amplifier une complicité avec eux ; de faire face au déni ou à la culpabilité, lesquels peuvent se situer de l’un ou l’autre des deux cotés de la relation, enfin de permettre au médecin de mieux comprendre ce qui se joue entre son patient et lui- même, chez son patient et en lui, professionnel et sujet. Autant d’éléments qui lui permettront de ne pas s’épuiser et de rester vivant avec le patient. Je terminerai par une touche positive en citant Winnicott2 : « Ô Dieu, puissé-je être vivant quand je mourrai… »
Références 1. Balint M (1960) Le médecin, son malade et la maladie, Paris, Éditions Payot 2. Moreau Ricaud M, Balint M (2000) Le renouveau de l’École de Budapest, Paris, Éditions Eres 2. Prière de Winnicott que sa femme a fait connaître après sa mort.
Les blogs : où parler (écrire) de l'angoisse de l'annonce ? G. Gsell-Herold
Depuis 1998 et les premiers États généraux des malades du cancer, la question de l’annonce a été l’objet de nombreux travaux de recherche, d’articles et d’ouvrages. L’annonce a été prise en compte dans le Plan Cancer 20032007 et cela a permis la mise en place de dispositifs d’annonce dans la plupart des établissements hospitaliers. Dans ce chapitre, nous souhaitons traiter de la manière dont l’annonce est vécue par des femmes atteintes d’un cancer du sein et qui témoignent de leur expérience à travers l’écriture par la tenue de blogs sur Internet. Une lecture approfondie des blogs permet de mettre en exergue le fait que ces patientes ne parlent pas uniquement de l’annonce de la maladie mais aussi de l’annonce des traitements et de ses conséquences, ainsi que de la permutation des rôles quand il faut annoncer la maladie aux proches. À partir des « mots pour le dire » que ces femmes utilisent, nous en apprenons beaucoup sur les différentes annonces ; sur « qui » annonce et « comment », ainsi que sur l’état psychique de ces femmes meurtries dans leur corps et leur âme par l’intrusion de celle maladie que l’on nomme cancer. Avant d’aborder le cœur du sujet, tentons de définir ce qu’est un blog sur Internet. Les blogs sont apparus à partir de 1990 et se sont fortement développés aux débuts des années 2000. Aujourd’hui, c’est devenu un moyen d’expression très répandu sur Internet et on dénombre plusieurs dizaines de millions de blogs de par le monde. Quand on parle de blog, d’emblée se pose la question de savoir si nous pouvons le qualifier de journal intime. À l’évidence, la réponse est négative car son contenu peut être consulté par un grand nombre de lecteurs. Certains auteurs ont proposé de comparer les blogs au carnet de bord des navigateurs ou à une bouteille à la mer dans la mesure où on ne sait ni
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quand ni par qui, le blog sera lu au moment de son lancement (par la suite, il sera techniquement possible de suivre la fréquence de consultation du blog). Deux sociologues, Cardon et Delaunay-Teterel (1), nous proposent une typologie des blogs qui tient compte de la dimension relationnelle plus ou moins présente en fonction des blogs. Ainsi il y a un monde entre le blog solitaire qui est peu lu et commenté par un public confidentiel et le blog d’une personnalité connue, largement mis en avant par les moteurs de recherche et les médias. Le blog solitaire traite essentiellement de la personne de l’auteur qui montre aux autres des aspects de son identité profonde. Les blogs sur lesquels nous travaillons (une trentaine) se situent essentiellement dans cette configuration. En référence au roman-feuilleton du XVIIIe siècle, nous proposerons, pour notre part, le terme de chroniques quotidiennes pour qualifier le contenu des blogs que nous suivons.
L’annonce L’histoire du cancer de ces femmes débute toujours par la découverte d’une grosseur, d’une boule au niveau d’un sein. À partir de là, nous disent-elles, « tout va très vite ». Les rendez-vous s’enchaînent, du médecin généraliste au gynécologue, en passant par le radiologue. Les résultats des examens sont toujours attendus avec une certaine appréhension, de l’inquiétude, voire de l’angoisse, en fonction du vécu de chacune. Le jour où les résultats tombent est un jour qui s’inscrit de manière indélébile dans le psychisme des patientes. C’est un jour qui fait rupture entre la vie d’avant, celle d’une femme bien portante, et un présent de femme malade. L’annonce ouvre pour ces femmes un temps nouveau, celui de la maladie. L’annonce est un jour qui marque. M., par exemple, écrit : « J’ai appris mon cancer à 3 mois après 30 ans. » Pour L., c’est « le jour où tout bascule ». D. nous dit : « 14 août… une date que je n’oublierai pas. » Pour P., c’est « 16 avril, une date mémorable ». M.O., quant à elle, le formule ainsi : « Le jour de l’annonce faite à M.O…. » I. écrit : « Je pleure. Je suis arrivée sur une nouvelle planète. En deux jours, rien n’est plus comme avant. Mes priorités sont complètement chamboulées. » Pour toutes ces femmes, c’est le ciel qui leur tombe sur la tête, c’est un véritable traumatisme. Cette annonce de la maladie est un événement violent et soudain, une réalité insupportable qui produit le plus souvent un état de sidération. Ce traumatisme est bien décrit dans la majorité des blogs. M., par exemple, écrit : « je n’entends plus rien de ce qu’on me dit » ; P.R.
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écrit qu’au moment de l’annonce, elle ne reconnaît plus sa voix, « comme si elle sortait d’un vieux magnétophone à ruban, au ralenti…. ». Elle dira également : « je ne suis pas Jack Bauer », en référence à la fiction de télé 24 heures chrono où l’action se situe sur 24 heures. Manière de dire par P.R. que le jour de l’annonce aura été le jour le plus long de sa vie. Quand on annonce la maladie, on réalise également une nomination, on donne le nom de la maladie, le cancer en l’occurrence. Isabelle MoleyMassol (2) nous dit que nommer, annoncer, revient à quelque chose d’aussi important que baptiser. Cela renvoie à un acte sacré, fondamental. Cet aspect du sacré est présent en cancérologie, de « l’annonce » à la « rémission ». L’annonce renvoie à la vie, à la mort, à la solennité, à l’irrévocable aussi. Dans l’imaginaire de ces femmes et des patients que l’on rencontre lors d’entretiens, le mot cancer est très souvent associé à la mort. S., par exemple, nous le montre bien. Pour elle, cette annonce est vécue comme « une peine de mort », une « bombe à retardement ». C’est un acte d’une grande violence, la castration d’une vie envisageable. D’autres, comme I., disent « apprendre le verdict ». Verdict, condamnation sont les termes qui reviennent le plus fréquemment. Verdict, condamnation, peine de mort. Ce sont des mots très forts qui illustrent la violence de l’annonce et la manière parfois violente dont l’annonce est faite. N., par exemple, questionne son médecin le jour de l’annonce du diagnostic, lui demandant si elle va guérir. Ce dernier lui répond « qu’il n’est pas devin ». Elle s’effondre. « Les trois jours qui ont suivi ont été les pires de ma vie. J’étais psychologiquement détruite, persuadée de n’avoir plus que quelques jours à vivre, physiquement mon corps me lâchait, mon ventre n’était plus que douleur. » Trois journées presque irréelles pour elle. Avec la certitude de la mort qui s’installe, plus rien n’a d’importance, ni les projets ni les gens, rien. Un véritable ravage. Derrière sa question « vais-je guérir » résidait une deuxième : « est-ce que je vais vivre » et dans la réponse du médecin elle n’a pas entendu le « je n’en sais rien » mais bien « je vais mourir ». Dans son article « Annoncer un diagnostic mortel », M.-F. Bacqué (3) nous dit que le médecin est « au premier plan lorsqu’il s’agit de la mort d’un sujet ». Il est nécessaire dans ce moment particulier de l’annonce de laisser une perspective ouverte, un présent et un futur possible avec la maladie et de ne pas fermer cette perspective avec une mort annoncée ou en suspension. J., elle, nous dit que l’annonce lui a été faite entre deux portes par « une Dolto en jupons ». « On ne va pas tourner autour du pot. C’est un cancer du sein, mademoiselle. » Ici aussi l’annonce est faite brutalement, sans fioriture, sans tenir compte de la personne en face, de son psychisme. Le médecin se libère brutalement, laissant sa patiente seule face à son désarroi.
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Pour I., c’est encore différent. Elle a rendez-vous chez son radiologue. À la fin des examens, ce dernier se montre « agité, angoissé ». Il communique son état d’agitation à I. durant les résultats. I. « pressent que c’est mauvais » mais le mot cancer n’est pas prononcé. Le radiologue téléphone au médecin généraliste qui l’attend dans son cabinet et reçoit immédiatement I. C’est inhabituel et les craintes de I. se confirment. Le médecin lui annonce la maladie mais sans prononcer le mot cancer. Elle rentre en pleurs et fait des recherches sur Internet. ARR5 = cancer du sein. Elle écrira : « J’ai appris le verdict par mon ordinateur. » C’est une stratégie d’évitement de la part des médecins qui ne pouvaient ou ne voulaient pas prononcer le mot de cancer. Peut-être également qu’à ce stade, le diagnostic n’était pas certain. En tous les cas, après une biopsie faite aux urgences, I. a pu rencontrer une gynécologue qui a su lui parler de ce qui lui arrive avec « les bons mots ». Au moment de l’annonce, certains mécanismes de défense se mettent en place. Mécanisme de défense (4) : processus psychiques qui ont pour fonction l’organisation et le maintien des conditions psychiques optimales, pouvant aider le Moi du Sujet à affronter et à éviter l’angoisse et le malaise psychique. Ces mécanismes participent ainsi aux tentatives d’élaboration du conflit psychique. Chaque patient (e) va réagir d’une manière qui lui est propre. Pour K., « le verdict est tombé ce soir. Pour ceux qui me connaissent, ils savent qu’il n’y a pas de problème, un combat de plus que je gagnerai. » Ici, la patiente choisit d’emblée de se positionner dans un combat contre la maladie qu’elle va gagner. C’est une forme de défense positive, tournée vers la vie, vers l’avenir. Je vais gagner le combat contre la maladie, je vais vaincre le cancer. C.E. est une jeune femme de 22 ans. Elle découvre une grosse tumeur dissimulée dans sa poitrine. Sa vie bascule du jour au lendemain. Elle découvre le monde du cancer. À son premier rendez-vous avec l’oncologue, elle se demandait avant tout si elle allait perdre ses cheveux. Elle décide alors de se battre pour conserver ses cheveux, tenir par ce moyen le cancer au loin. C’est une dénégation intrapsychique, il y a un refus du malade d’accepter la maladie avérée par le diagnostic du médecin. C.E. sait mais ne veut pas voir. Elle rejette l’intolérable de la maladie. Plus tard, le jour où elle perd ses cheveux, elle prend brutalement conscience de la réalité de la maladie, de la présence de ce cancer. Pour elle, c’est le moment où tout bascule vraiment parce que le cancer devient visible. Elle se dit qu’elle vient de perdre son premier combat mais en appelant la clinique du cheveu, elle choisit de se battre et de ne pas laisser le cancer gagner à sa place. Elle vient ainsi de
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faire un pas. Elle a modifié son mécanisme de défense en faisant le choix de se battre contre ce crabe qui la mine de l’intérieur. Elle a choisi un mécanisme de défense tourné vers la vie, pour mieux affronter la maladie. Quel que soit le mécanisme de défense adopté par une patiente, il faut le respecter. Il n’est pas figé. Il évolue avec le temps et avec le cours de la maladie. Il permet la mobilisation de l’énergie psychique pour faire face à la maladie. Tous les blogs nous montrent que l’énergie psychique se mobilise vers l’action. Ce qui est certainement, et a minima, l’un des effets positifs de l’écriture. Les mécanismes de défense existent aussi du côté des soignants. C’est ce qui arrive à M. lorsqu’elle rencontre un médecin qui minimise la maladie : « C’est un tout petit cancer » C’est une forme de mise à distance des émotions de la patiente, une infantilisation aussi. Ce genre de réaction peut mener à l’échec car une relation de confiance avec la patiente ne peut s’installer. Un autre aspect de l’annonce est que ces femmes apprennent l’irruption d’un intrus dans leurs corps. Un cancer, un crabe. L’étymologie du mot cancer est très ancienne. Rappelons pour mémoire que le terme carcinoma (en grec) qui signifie justement cancer, crabe, écrevisse ou encore tumeur, a déjà été utilisé par Hippocrate. Le questionnement autour de l’intrus est un questionnement sur le sens de la maladie. Pourquoi un cancer ? Pourquoi moi ? M. écrit : « Un cancer s’est installé en moi sans que je sache pourquoi. Pourquoi moi ? Pas un jour ne se passe sans que je ne pense à cette maladie. Me voila avec un crabe en moi. » Questions qui resteront sans réponse pour M. Pour A., lors de son premier cancer, la réponse est évidente. C’est un cancer génétique, « héritage de ma grand-mère ». Elle s’interroge bien pourquoi elle et pas sa mère, ses sœurs ou ses cousines, mais l’explication est néanmoins suffisante et satisfaisante pour elle. Six ans plus tard, elle a à nouveau un cancer. Ce second cancer suscite un questionnement beaucoup plus fort : « Comment cela s’est il produit ? Pourquoi ? Alors que j’avais une vie saine. Que du bon vin, du sport, peu de cigarettes. Il y avait quelque chose à me faire dire, la première fois, que je n’avais pas trouvé. Mais quoi ? » D.O. se demande, quant à elle, si elle ne devrait pas chercher dans son passé, son enfance, pour déterrer un trauma ancien de son enfance peutêtre, qui viendrait donner du sens à ce qui se passe aujourd’hui. Pour P., la réaction est encore beaucoup plus forte. Cela lui est égal qu’on lui enlève ses deux seins, pourvu qu’on la débarrasse de cette chose sale qui a pris possession de son corps, qui « la dévorait, prenait sa vie ».
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Annoncer un cancer
L’annonce de la maladie pousse ainsi ces femmes à la révolte contre ce qui leur arrive, les amène à se questionner d’une manière toujours douloureuse, les poussant à une quête de sens, à essayer de mettre du sens à ce qui leur arrive, à trouver une explication à un non-sens. On retrouve également ces questionnements chez les patients que l’on peut rencontrer en entretien clinique. C’est un temps où ces femmes sont amenées à revisiter leur histoire, Dans les mots utilisés lors de l’annonce, tels que « verdict », « condamnation », « peine », il y a l’idée d’une condamnation pour une faute. Mais pour quelle faute ? Cela renvoie toujours au sacré, au religieux. Ce travail introspectif est nécessaire à chaque patient pour qu’il puisse trouver un sens qui lui est propre, une réponse unique et qui n’appartient qu’à lui. C’est un passage nécessaire pour se reconstruire psychiquement. Le philosophe Jean-Luc Nancy (5) écrit que « le cancer est comme la figure mâchée, crochue et ravageuse de l’intrusion ». Et plus loin : « le traitement exige une intrusion violente. Il incorpore une quantité d’étrangeté chimiothérapique et radiothérapique ». Jean-Luc Nancy nous rend ici attentif au fait qu’il y a deux sortes d’intrusions. Celle de la maladie, le cancer, le crabe, et celle des traitements, invasifs et lourds. Chaque patient doit accepter une « souffrance qui est le rapport d’une intrusion et de son refus ».
L’annonce des traitements L’annonce des traitements, opération, chimiothérapie, radiothérapie, avec son cortège de conséquences parfois très lourdes comme l’ablation d’un sein, voire des deux, ou encore la perte des cheveux, est souvent vécue de manière encore plus traumatisante que l’annonce de la maladie elle-même. M. écrit, parlant de son rendez-vous avec son cancérologue : « Je me suis assise en face de lui, j’étais terrifiée par ce qu’il allait m’annoncer, en fait inconsciemment ou consciemment, je ne pensais qu’à une seule et unique chose : mes cheveux. Est-ce que j’allais perdre mes cheveux ? Comment vivre un an sans mes cheveux ? » Le mot verdict revient également très souvent : « verdict : 25 séances de chimiothérapie, ablation totale du sein ». Et encore, pour montrer la tonalité traumatisante de la perte des cheveux : « Et le drame arriva. Mes cheveux m’abandonnèrent. » Et elle ajoute : « Mes enfants ne m’auront jamais vue sans cheveux. Toujours avec un foulard. Ma fille avait peur. » L’enfant de M., une petite fille, avait effectivement peur de ne pas reconnaître sa maman.
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M.C. écrit : « Dernier rendez-vous avec le chirurgien. Et là, encore un coup sur la tête. Ablation totale du sein. Ils vont prendre la peau du dos pour la reconstruction. Moi qui ne voulais pas qu’on touche à mon dos. Ce n’est pas la perte du sein qui me fait le plus peur, c’est le dos et l’anesthésie. » Z.A. nous raconte bien ce qui lui arrive lors de l’annonce du traitement : « Il a prononcé le mot chimiothérapie. À l’énoncé de ce terme, une violente réaction traverse mon corps en remontant des pieds à la racine des cheveux. Il me semble évoluer dans un autre monde… La lumière de la pièce est devenue trop éblouissante, j’ai comme une sensation de nausée (serais-je en train de frôler le malaise ?) Non, on ne peut pas associer ce « mot » à mon cas. Pour moi, chimiothérapie est égal à dernière chance, cas désespéré, mort… » Quel que soit le type d’annonce, ce qui revient chaque fois, c’est la question de la perte des cheveux, la peur de l’alopécie. Les cheveux touchent à l’essence même de la féminité au même titre que le sein, à l’identité profonde de la femme. La perte des cheveux est vécue de manière plus traumatisante que celle des seins dans la plupart des cas et a des effets importants sur la qualité de vie. Ce point est développé dans une étude de 2008 (6). Ce traumatisme touche aussi bien les hommes que les femmes. Sur ce dernier point, une étude anglaise nous montre cependant qu’il y a une différence. Chez les femmes, l’effet traumatisant porte sur la chevelure, sur la partie visible sur laquelle porte le regard de l’autre. Chez l’homme, ce sont davantage les poils du corps qui sont concernés, déclenchant un questionnement en rapport avec la virilité (7). D’après les contenus des blogs, les solutions proposées en matière de prothèse capillaire ne sont pas toujours adaptées, mal prises en compte également au niveau de la protection sociale. Ces femmes sont cependant ingénieuses et trouvent des solutions de substitution, comme le port de foulard de différentes couleurs, etc. En tous les cas, c’est toujours une déchirure, un renoncement générateur d’une grande détresse. Comme pour les cheveux, l’atteinte du sein est pour ces femmes un traumatisme réel. Il y a pour ces femmes une altération de l’image de soi dans le miroir et par rapport à l’image projetée par le regard de l’autre. La mère ci-dessus qui nous dit que son enfant a peur de la voir sans cheveux est, à cet égard, très parlante et touchante. L’angoisse de mort est très présente et les mots utilisés pour le dire sont très forts. Entre cette jeune femme qui se voit déjà entre « quatre planches » quand on lui annonce qu’elle a quatre métastases au foie et cette autre qui se voit déjà morte quand on lui parle de chimiothérapie, la palette est large.
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La relation cancer = mort annoncée est toujours très présente et ce, malgré les progrès qui ont été réalisés en médecine et une forte augmentation du taux de guérison.
L’annonce faite aux proches Un aspect de l’annonce auquel on songe peu, mais qui est également délicat, se situe lors de l’annonce de la maladie à la famille et aux proches. M. écrit : « Ensuite, il faudra l’annoncer à la famille, aux amis, aux collègues, etc. ; c’est une dure étape : il faut toujours rabâcher la même chose… Le plus dur a été de l’annoncer à ma grand-mère, je ne voulais pas lui dire au début… Mais je lui rends une petite visite (elle habite à 150 km de chez moi) pour lui dire et rester un peu avec elle. En fait, j’essaie de rassurer les autres. » « Les réactions sont diverses : les pleurs, les sans-voix, les ignorants qui vous disent : “Pas grave, c’est la maladie du siècle et ça se guérit” et que l’on a envie de fusiller, ceux qui s’échappent et qui ne donnent plus de nouvelles et ceux pour qui on ne savait pas à quel point on compte pour eux. » M. nous dit bien les choses. En annonçant la nouvelle de son cancer aux proches, elle doit se mettre en position de les rassurer alors qu’elle vient ellemême de subir le choc de l’annonce. Elle prend de nouveaux coups de la part de ceux qui, pour se défendre inconsciemment, vont minimiser la maladie et il y a ceux dont le regard se détourne. PR. adopte une stratégie un peu différente. Elle fait une distinction entre les proches, les amis et les collègues : « L’annonce aux amis et aux collègues, contrairement à celle aux proches, s’avère très facile. » « Le 17 avril XXXX, je fais part de la nouvelle à tous mes proches. Aucun d’eux ne saisit qu’on vient de me diagnostiquer un cancer… Je leur baragouine une savante mosaïque de mots tournant autour du diagnostic, passant de paraboles en euphémismes, évoquant subtilement le mot tabou, sans l’atteindre ni le nommer… Je ne parviens pas à annoncer cette nouvelle à mes proches en une seule et unique fois. Attristée de l’inquiétude que je vais susciter, culpabilisée à l’idée de jeter de l’ombre sur leur journée, leur semaine, leur été, je retarde la vérité dont j’appréhende l’effet perturbant pour eux. Chaque fois que je décroche le combiné, la mère, la sœur aînée et la fille en moi bâillonnent la patiente terrifiée et servent la version édulcorée. Entre-temps, elle fait des ronds dans l’eau autour de « ma fausse vérité » et sème une inquiétude sourde parce que sans visage. Aurais-je dû faire autrement avec les principaux occupants de mon cœur ? Peu importe, ne compte désormais que la suite des choses. »
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K. nous parle de l’annonce à faire à ses enfants. « Dans un premier temps, je pense qu’on va leur dire que je suis malade et que je dois subir une opération. À leur retour de vacances, une discussion sérieuse sera nécessaire puisque j’aurai sûrement perdu un peu de cheveux. J’espère qu’ils ne seront pas trop mal à la vue de ma nouvelle tête. » M. se pose la même question concernant les enfants. Comment annoncer aux enfants que leur maman a un cancer ? Faut-il tout leur dire ? Comment vont-ils vivre la chose ? « J’ai donc pris la décision de leur annoncer que maman était malade. » Pour M., le problème majeur était la perte des cheveux. Elle a annoncé la nouvelle aux enfants sur un mode dédramatisant en parlant de la coupe à Papé (le grand-père), qui est chauve. Cela a eu pour effet d’amuser les enfants en donnant à la situation un côté « comique ». Z.A. en parle également : « Le lendemain, je retourne travailler et commence à parler de mes soucis à mes proches collègues. Je n’ai rien à cacher, ma maladie n’est pas taboue, je n’ai rien demandé, j’ai besoin d’en parler. Elles essaient de me rassurer, mais je ressens leur inquiétude pour moi. J’ai très souvent discuté avec Nelly. Après deux cancers successifs des seins et deux ablations, elle sait de quoi elle parle et je bois ses paroles. Dès qu’un sujet nous concerne, l’écoute est bien plus attentive et je m’en veux de ne pas avoir imaginé à quel point son parcours à dû être difficile. Elle a toujours eu des paroles et un comportement très optimistes en parlant de sa maladie. Peut-être cache-t-elle ses angoisses sous cette carapace. » Les proches, la famille, les enfants, les amis, les collègues de travail. Autant de monde à qui il faut annoncer la maladie. Le malade se voit ainsi dans une permutation des rôles. Il lui revient d’annoncer sa maladie aux autres. Temps difficile car il faut faire face aux regards des autres, découvrir des faces cachées, faire de la peine aux uns, en faire fuir certains. Comment le dire ? C’est la question que se posent ces femmes et c’est un aspect de l’annonce auquel on ne songe pas suffisamment. Pourtant, chaque malade a besoin des autres. Besoin du soutien des autres, besoin du regard de l’autre, regard au travers duquel il se sent vivre, reconnu comme un être humain à part entière.
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Pourquoi écrire Pourquoi écrire ? Et pourquoi un blog ? N. nous dit qu’elle avait envie d’écrire « sur la vie, sur SA vie », mais également parce que, dans les premiers temps de la maladie, l’entourage est très présent mais ensuite « on se retrouve seul avec son cafard et son angoisse ». Une autre motivation mise en avant par la plupart des femmes qui écrivent est celle de protéger la famille, enfants et mari. L’étude de Cardon et Delaunay-Teterel (1) confirme d’ailleurs ce point. Les blogueurs ne veulent pas être lus par leurs proches. Cela permet clairement une plus grande liberté de ton, renforcée par l’anonymat et l’utilisation de pseudonymes. Pour M. : « J’écris parce qu’il y a des choses que je ne peux pas dire à haute voix. » Pour B.E. : « J’attends de ce blog de pouvoir retranscrire tout ce que j’ai sur le cœur, c’est certainement une façon de m’auto-thérapeutiser. » Pour A.L. « Écrire pour moi c’est me confier, c’est essayer de m’analyser, c’est extirper, tout du moins essayer d’enlever tout ce négatif, toutes ces angoisses et voir plus clair en moi… Ce journal de bord a été une véritable thérapie pour moi. » Ces femmes écrivent ainsi par nécessité, c’est une forme d’écriture réactionnelle à un traumatisme, celui de l’annonce d’une maladie grave, le cancer en l’occurrence. A. Tellier (8) nous dit que « la dimension curative de l’écriture trouve ses limites et sa contradiction dans sa qualité de pharmakon » (En Grèce ancienne, ce mot désigne à la fois un remède et un poison). Écrire le trauma revient ainsi à « taper » par clavier interposé là où ça fait mal. Ainsi, le passage du trauma de la sphère psychique à l’écran numérique réactive le point douloureux. Le choix de l’écriture reviendrait ainsi, d’une certaine manière, à chercher le remède dans le mal. Une autre caractéristique de cette écriture est la spontanéité, une forme de clinique en dehors de la clinique. C’est une écriture au fil de l’eau, au jour le jour, qui fonctionne un peu sur le modèle d’un baromètre nous donnant des indications sur les oscillations du psychisme de ces patientes. C’est une écriture qui a des effets cathartiques (permettant la purgation des effets pathogènes). Par exemple, S. nous dit au bout de quelques semaines d’écriture qu’elle parvient de nouveau à se souvenir de ses rêves. L’écriture sur un blog Internet suit également une temporalité particulière. Dans la majorité des cas, le blog est écrit pendant la maladie. C’est l’annonce de la maladie qui amène à l’écriture. Avant la maladie, on faisait partie du monde des bien-portants, on n’avait pas besoin d’écrire. Après la maladie, on ferme le blog et on passe à autre chose ou alors on ouvre un
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nouveau blog avec une thématique différente. Dans les deux cas, on tourne la page. Le fait de pouvoir tourner la page me fait poser l’hypothèse que ces femmes ont pu, grâce à cette forme d’écriture, surmonter leurs traumatismes. Cette écriture se démarque ainsi de celles de certains journaux intimes qui durent toute une vie, qui n’en finissent pas, où l’écriture est circulaire avec un trauma qui revient sans cesse au-devant de la scène. L’écriture offre ainsi une mentalisation de l’événement-cancer de meilleure qualité. Mentalisation (9) : notion introduite par Pierre Marty en 1970. Notion qui opère au niveau théorico-clinique dans le registre du système représentatif, englobant la représentation affective. Elle est décrite comme la quantité et qualité des représentations psychiques des individus, qualité de leurs articulations, mise en tension et en réseaux. Elle étaie les fantasmes et les éléments des rêves, elle permet les associations et la mise en pensée de l’excitation interne. C’est un processus d’élaboration qui permet de stopper le schéma de répétition par l’élaboration des conflits psychiques. L’écriture permet également de laisser une trace de l’histoire de la maladie, dans une certaine mesure de communiquer avec les autres (ayant une histoire proche) le plus souvent. Elle permet également un renforcement narcissique et aide à la reconstruction d’un psychisme abîmé. Comme nous avons pu le voir, l’intrusion du cancer dans la vie d’une personne confronte cette dernière à de multiples annonces qui sont autant de chocs violents. Annonce du diagnostic, annonce des traitements et de leurs conséquences. Le malade doit également se faire porteur de la mauvaise nouvelle en annonçant sa maladie à ses proches, famille et amis, collègues de travail. Face à cette épreuve de vie, l’écriture, et plus particulièrement l’écriture via des blogs sur Internet, aide à surmonter les traumatismes inhérents à la maladie. L’écriture aide à développer les capacités de mentalisation du patient et participe à l’élaboration du conflit psychique. Elle favorise également la mise en place de mécanismes de défense positifs permettant de dégager des ressources psychiques pour faire face à la maladie.
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Annoncer un cancer
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Annoncer la « fin des traitements » ? M. Derzelle
Introduction Que le temps du sujet ne soit pas superposable au temps médical, le temps de la rémission le dit sans doute suffisamment (1). Si l’annonce de celle-ci est manifestement une « bonne nouvelle » au plan médical, annonce de la suspension thérapeutique et d’un défi relevé et temporairement gagné contre la maladie, la fin des traitements qui s’y associe constitue, régulièrement pour les patients, un stress tout à fait particulier. C’est le temps où ils se disent et se sentent déboussolés, abandonnés, perdant le sentiment de contrôle que procurait l’administration des traitements. Ils sont habités par un sentiment de grande vulnérabilité, de vide, quand bien même diminue la détresse émotionnelle et que s’installe une sorte de démobilisation psychique. Tout se passe comme si, perdant une figure maternelle toutepuissante, qui n’est jamais que l’autre nom de « l’effet cadre » des soins, ils étaient progressivement gagnés par un abandonnisme intolérable, une insécurité de base, liés à la perte d’un lien médical soutenu et qui fonctionnait comme un véritable « surmoi corporel » (2) organisant l’espace, le temps et les fonctions corporelles du sujet. Comme si le savoir généré par la maladie, qui est savoir qu’on est mortel, devenait envahissant et angoissant dès lors que l’alliance thérapeutique avec le corps médical et la structure se distendait. Comme si la perte du grand corps premier s’y trouvait ravivée à l’extrême, obligeant à perdre pied, à perdre tout point de repère, obligeant l’arrachement à l’autre devenu l’arrachement de soi à soi (3). Si cette problématique ne fait qu’extrêmement rarement l’objet d’une véritable demande explicite auprès de l’oncologue et/ou du spécialiste d’organe, elle est par contre fréquemment l’entrée en matière de demandes de travail psychothérapeutique (3, 4) où, l’absence de ressenti positif étant principalement au rendez-vous, celle-ci vient questionner le sujet sur sa
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Annoncer un cancer
« normalité » : « Est-il bien normal de ne pas sauter de joie à l’idée d’être en rémission ? Pourquoi ce manque de résistance désormais et cette grande fatigue ? Pourquoi cette installation, en décalé, dans ce qui ressemble fort à une grande dépression ? » Fond quasi permanent, aux allures de non-dit, des préoccupations d’allure somatique que le généraliste reçoit en abondance (5), cette problématique donne également à voir une sorte de symptôme dont les séquelles diverses sont comme autant de formes : complications à long terme de la maladie et des traitements, inquiétude hypocondriaque s’agissant d’une période pourtant cliniquement muette, persistance de la fatigue, dysfonctionnement hormonal sont en effet autant d’autorisations à maintenir un lien soutenu avec le corps médical et soignant, au temps même où le positif retour à la vie quotidienne vient malencontreusement à se confondre avec la perte de la sécurité de l’hôpital. S’il est désormais banal de dire que le diagnostic de cancer tombe toujours de manière abrupte et surprend le sujet, force est donc de constater que l’annonce de la rémission, même si elle est ardemment souhaitée, n’est pas une évidence pour le patient : un temps semble nécessaire pour cheminer vers un statut qui ne semble pas encore bien défini et qui est surtout propre à chacun en fonction de son histoire et de l’histoire de sa maladie (6). Le constat d’un besoin au plan de la clinique joint au grand étonnement que les pouvoirs publics mettent les projecteurs surtout sur les traitements et maintiennent dans l’ombre le temps qui leur succède, ont présidé, à Reims, à l’idée d’un projet visant à l’ouverture d’une consultation entièrement dédiée au temps de la rémission. Si le plateau actuel dénommé Centre Sein, fusion privé-public d’un cabinet de radio-sénologie ayant rejoint le Centre de Lutte contre le Cancer, est aujourd’hui le lieu d’accueil de cette structure, sans doute faut-il y voir une sorte de rodage d’un travail redoublé d’une interrogation qui devrait, à l’avenir, se faire transversalement : tous les établissements, voire tous les praticiens, devraient effectivement en voir l’intérêt, et, au-delà du sein, c’est bien évidemment les localisations de tout cancer, qui devraient rapidement être toutes convoquées. Témoin que le changement de statut de la maladie cancéreuse – hier affection bien souvent fatale devenue aujourd’hui affection chronique de longue durée associée aux peurs de la récidive – étend sans nul doute le champ d’intervention des professionnels de santé, cette consultation se voudrait aborder la question de la « rémission » dans sa globalité : organisée sur la base d’un binôme médecin généraliste travaillant en cancérologie/psychologuepsychanalyste, elle se différencie ainsi de la première du genre (7) initiée au CLCC de Nantes en 2006 par le Dr François Pein (consultation SALTO-H : Suivi à Long Terme des patients guéris en Oncologie-Hématologie), en se saisissant de l’objectif manifeste de celle-ci, essentiellement axée sur les séquelles, comme outil mis au service de l’élaboration de la « perte de
Annoncer la « fin des traitements » ?
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l’étayage », problématique centrale du temps de la rémission. Car, nous savons à peu près ce que c’est qu’être malade ou non, mais que savons-nous de celui qui « a eu un cancer » ?
D’une bascule identitaire à l’autre Comment mieux dire sans doute la nécessité d’en repasser par la problématique identitaire ouverte par le choc du diagnostic chez la plupart des patients pour que, saisissant au plus juste la fonction de ce qu’il est convenu d’appeler « l’effet cadre » des traitements, la cessation de celui-ci nous apparaisse clairement comme obligeant d’abord le patient à se retrouver « à découvert » (3) ? Comment les choses se passent-elles en effet en général ? Quand le corps ne va plus de soi, s’ouvrant à l’anarchie, au désordre et à la démesure, à l’étrangeté surtout – car le diagnostic de cancer confronte à l’imprévisibilité, à la faillibilité, à la non-prédictibilité, à la possibilité de faire défaut, soit à tout ce dont tout sujet a le plus horreur (8) – s’ouvre alors une véritable rupture d’identité ou rupture de l’illusion d’identité qui est rupture du lien avec soi-même et avec son propre corps. Outre que les identifications imaginaires et symboliques du sujet vacillent, la perte de la conviction possible d’un ancrage de l’identité corporelle dans un socle fiable et persistant s’ouvre sur une impasse de figurabilité où le corps propre en tant que schéma de représentation rend problématique toute projection, toute pensée de l’imaginaire, toute représentation du temps (à venir, en particulier). La confiance n’est plus possible dans un « corps-trahison ». Car c’est bien sur l’impossibilité peut-être de se prêter le même temps que jadis, lorsque le sujet était réputé bien portant, que débouche le diagnostic de maladie grave. S’ensuit la rupture du lien habituel avec le corps sous la forme d’une désorganisation de l’espace et du temps (corporels). S’ensuit également la rupture avec le rêve : le corps désapproprié paraît inscrire la relation au corps dans une spécularité avec ce double narcissique impensable qu’est le cadavre, hors temps, dans une effarante et infinie re-duplication d’un même tout à fait inquiétant. Tout se passe donc comme si le temps des traitements, qui est avant tout le temps post-diagnostic – où, entre déni et début timide de métabolisation, une véritable mise à feu de l’histoire du patient a lieu – parce qu’il est en même temps celui de la plus grande proximité avec les soignants et avec l’institution hospitalière, fonctionnait à la façon d’une construction adjuvante et contenante. Ce temps permettait une identité substitutive de placage colmatant la fracture d’un rêve possible d’intégrité, ouverte par le choc du diagnostic (3). Objet extérieur grâce auquel le sujet tient, sorte de
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grand corps prothétique prêtant et promettant du temps objectif là où le temps subjectif est défaillant – sous la forme de la définition d’un rythme, d’un calendrier : cures toutes les trois semaines, consultations, hospitalisations, examens, etc. –, cette néo-identité évoque étrangement un équivalent de la circulation extracorporelle dans certaines lourdes interventions cardiaques. Comme si, quand le corps ne va plus de soi, conséquence des désorganisations du temps et de l’espace corporel, la proposition et le prêt d’un temps « venu de l’extérieur », soit de la pratique médicale, était la paradoxale condition de possibilité d’un éventuel réinvestissement subjectif « à venir » en même temps qu’une instance de désinvestissement de la réalité subjective. Situation assimilable à l’impasse, la médecine, par ses exigences d’adaptation à la réalité externe et ses attentes de compliance aux traitements, semble ainsi, paradoxalement et pour un temps, rendre un rythme et un cadre tout en les désubjectivant, puisque leur spécificité tient à la fois au retour de sensations de déplaisir (effets secondaires des traitements, inconforts des examens) en même temps qu’à la demande faite au patient de s’exposer au « sadisme » de l’autre pour exister (9)… Parce qu’il est tout entier occupé par des protocoles de soins où le patient est convié à prévoir un avenir qui n’est plus vraiment le sien mais un avenir daté par les soins donnés, répétitifs et qui semblent ne devoir jamais cesser, le temps des traitements colmate donc du coup, à l’aide d’une sorte de figure emblématique de surface, toute émergence d’angoisse de dépersonnalisation. Le patient atteint de cancer apparaît ainsi, au cours du traitement médical, comme régulièrement pris dans une double dynamique contradictoire : d’une part, il est soumis à l’émergence massive d’un imaginaire envahissant, véritable raz-de-marée d’angoisse, de rêves, fantasmes, affects, réaménagements de croyances au sujet de lui-même, de ses relations significatives, de la vie et du monde ; de l’autre, il est soumis à une énorme exigence d’adaptation au monde extérieur, celui de l’espace, du temps et des actes du traitement mais aussi celui provenant d’autres facteurs existentiels annexes : aménagement du temps de travail, modification ou changement du domicile, etc. (4) « Ou la maladie, ou le sujet », en quelque sorte. Soumis à ce double fonctionnement où il fera souvent la navette comme il peut entre les deux pour se figer parfois dans le recours à l’un d’entre eux, le patient ne manquera évidemment pas, on le comprend, à l’occasion de l’insupportable « À dans trois mois ! », en forme de « vide imposé », lors de l’annonce de la rémission, de connaître fréquemment une seconde bascule identitaire : celle-ci est très exactement la chute de l’identité substitutive de surface par laquelle le sujet tenait transitoirement pendant les traitements. Façon de dire que la perte de l’étayage représentée par le programme thérapeutique et la rencontre familière, parfois quotidienne, de l’équipe médicale et soignante, fera partie intégrante de la nécessité pour le patient de se
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restructurer comme sujet, sujet devant se défaire des liens des différentes dépendances créées par la maladie, séparations qui rappellent les expériences premières et douloureuses de l’enfance, puis de l’adolescence et de l’âge adulte (10).
Clinique de la rémission Si ces angoisses de séparation s’accompagnent très exactement des mêmes expériences qui ont traversé la petite enfance – réapprendre à marcher, à manger seul et des nourritures variées, se prendre en charge seul, se déplacer seul, agir seul –, les mêmes culpabilités d’autrefois ne manquent pas de revenir au grand galop : la peur de désobéir aux médecins, aux soignants sous peine de danger ; d’être loin d’eux rappelle l’éloignement de la mère et des dangers auxquels elle nous a initiés (10). Que se passera-t-il si on transgresse les interdits protecteurs ? Sortir d’une chambre stérile pour entrer dans un univers où l’on sait que grouillent des myriades de dangers, accepter de mener une vie sociale quand on est porteur d’une poche de colostomie, évoque des transgressions premières car elles constituent des aventures au-delà de ce qui semblait impossible et non permis il y a peu de temps seulement. Il faut sortir à nouveau d’un monde parental et, cette fois – parce que la seconde bascule identitaire est la chute de l’identité substitutive qui, pendant les traitements, colmatait l’émergence de l’angoisse de dépersonnalisation ouverte par le choc du diagnostic – au risque d’angoisses souvent effroyables assimilables aux « agonies primitives » du nourrisson (11), faire avec le nécessaire « échec du sanctuaire », selon la remarquable formule d’Yves Pélicier (12). Le sanctuaire est un endroit qui jouit d’une sorte d’exterritorialité et en même temps d’un statut de respect. Notre-Dame-deParis, dans le roman de Victor Hugo, est invoquée ainsi par Quasimodo comme le lieu d’une protection totale par rapport aux attaques de la police royale. D’une certaine façon, fonctionnant comme une institution, les traitements de longue durée sont porteurs d’un « effet cadre » vécu par les patients comme un véritable sanctuaire. Or, l’anxiété et les symptômes dysthymiques caractéristiques de la psychopathologie de la rémission le disent : désormais, la certitude est absolue d’une impossibilité de trouver où que ce soit sur terre un refuge, l’illusion d’un refuge, autre nom probable du maternel (13). Dévoilement et anticipation, de la solitude absolue qui est le régime universel de la mort humaine, l’annonce du diagnostic, qui est en même temps confrontation à la question de la « démaîtrise » de toute technique, tant médicale que psychologique, se voit donc inévitablement revisitée et
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réactivée lors de l’annonce de la rémission. Celle-ci ne préjuge en rien d’ailleurs que la maladie grave se soit jamais faite une place psychique, tant la force du mécanisme de défense qu’est le déni est parfois grande. Celle-ci re-confronte néanmoins, dans la plupart des cas, le patient à l’angoisse envahissante de la dimension traumatique profonde que comportent toute annonce et ses suites, un temps occulté par le colmatage opératoire des traitements et qui laisse aujourd’hui la place à la pensée de soi devant soi. Rien d’étonnant en conséquence à ce que la psychopathologie de la rémission dise essentiellement une angoisse dont la qualité de vie de ces patients est très fortement entachée (5). Syndrome de Damoclès et son impression d’être en sursis, anxiété obsédante des séquelles de traitements en lieu et place de la crainte d’une récidive, préoccupations somatiques en tout genre et leur exacerbation par le moindre symptôme physique, symptômes dysthymiques et sensation de fatigue persistante où il est difficile de faire la part entre une origine somatique et une situation de tension de longue durée (14) : la clinique psychologique de la rémission manifeste, à l’évidence, que la durée du processus d’intégration est très mal connue et pourrait, par comparaison avec les conséquences des catastrophes et des guerres, être de l’ordre de plusieurs années. Chez certains patients en rémission prolongée, des irruptions incontrôlées et quelquefois soudaines de pensées et d’affects liés au traumatisme provoqué par la maladie cancéreuse peuvent ainsi apparaître des années après le diagnostic. Preuve, si besoin était, que la fin des traitements et l’entrée dans la phase de rémission au plan médical ne sauraient être que fort rarement concomitantes avec la résolution de la crise ouverte par et liée à la maladie et à ses traitements… C’est précisément sur ce point que, dès la fin de ceux-ci ou à très long terme, paraissent très régulièrement intriquées les deux dimensions somatique et psychique : le rôle iatrogène des traitements, souvent multifactoriel et complexe (7), participe en effet d’une véritable clinique croisée où la psychopathologie de la rémission, faite d’anxiété et de dépression, le dispute aux complications et aux séquelles, dont elle se nourrit et s’étaie. Il s’impose donc de ne jamais faire abstraction de la maladie et du sens que le patient lui attribue afin de comprendre le sens de potentielles séquelles qui restent après la maladie. L’organicité peut induire, voire aggraver, une décompensation de la psychopathologie. La psychopathologie, à son tour, peut renforcer la problématique douloureuse par une potentialisation réciproque. Séquelles post-chirurgicales, séquelles radiques, syndromes douloureux post-chimiothérapiques, fatigue, défaillances de certains organes (cœur, reins, etc.) (5, 7) : les complications à long terme ne manquent pas, qui peuvent rester préoccupantes pour le patient entre rappel de la maladie donc de la vulnérabilité, recrudescence de l’anxiété et peur de la récidive. De ce point de vue, sans doute la douleur a-t-elle une valeur paradigmatique
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puisque, pendant la rémission, elle peut tout aussi bien avoir une fonction d’alarme et de surveillance (« Si j’ai à nouveau mal, je saurai que c’est peutêtre la maladie qui revient ! »), de lien avec le corps médical et soignant (« De toute façon, si j’ai la moindre douleur, je retourne voir mon cancérologue ! »), de signifier la différence d’avoir été malade (« Il ne faut pas croire que la rémission, c’est que du bonheur ! J’ai encore des douleurs ! »), de rappel (« Je ne peux pas oublier par où je suis passée. Il me restera toujours quelque chose de cette période de ma vie… ») (6) Par où l’on voit la possible fonction des douleurs séquellaires, parfois, en ce qu’elles sont protectrices par rapport à une plus grande souffrance encore : celle d’une rupture de continuité dans la vie somatique et psychique, rappel de la coupure, de l’entame, de la faille introduite par le choc du diagnostic.
Les « effets secondaires de la vie »… Réaction tardive et en décalé à une autre crise jusqu’alors déniée – tantôt partiellement, tantôt totalement –, précipitation et renforcement de problèmes datant d’avant le cancer, poursuite d’un travail de deuil obligé pour l’acquisition d’un autre équilibre : la fin des traitements et son au-delà peuvent donc être autant une promesse de vie qu’être à l’origine d’une pathologie. Intégrer la perte d’un de ses organes ou bien d’une fonction, se faire à l’image d’un soi remanié qui implique le deuil du premier, tenter d’élaborer, autant que faire se peut, l’énorme hémorragie du narcissisme nécessitent un long temps, un long cheminement dans lequel les critères esthétiques et pratiques sont loin d’être les seuls en cause et en question. D’autant que, pour beaucoup des patients concernés, le mode d’emploi d’un corps devenu « neuf » manque, marqué et transformé, dans un contexte d’ensemble nullement préparé à les réintégrer comme ils sont devenus. Ainsi, on a bien pu montrer aux stomisés comment gérer leurs poches, leur régime, leur hygiène, mais eux seuls peuvent trouver, dans la situation, comment nouer ou renouer de possibles relations. C’est que tous – les amis, les collègues et même la famille – veulent chercher en ce corps ce qui demeure encore de la personne proche qu’ils ont connue naguère, mais, dans le même temps, déchiffrent sans complaisance et avec une angoisse à peine dissimulée les signes et les stigmates de « ce qui s’est passé » : épaississement ou amaigrissement de la silhouette, décoloration ou dessèchement des cheveux, teint parcheminé, gaucherie des gestes, modification de la voix ou du regard. Il faut au patient se reconnaître, se faire reconnaître, habiter la vie et oser l’affronter avec un « nouveau » corps qui lui semble donné à la place de l’ancien mais sans continuité. C’est là qu’il lui faudra
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vraiment réaliser que si, auparavant, médecins et traitements étaient vécus par lui comme montant la garde, ceux-ci ne lui seront désormais d’aucun secours s’il ne s’approprie pas la conduite de sa vie. Le bien-être, le plaisir désertaient les traitements, c’est même le déplaisir qui y régnait en maître… Au patient maintenant d’oser s’approprier ces dynamismes vitaux et cela quand bien même il a un corps blessé, des douleurs résiduelles, des traces et cicatrices qui l’abîment et le gênent… Mais, sortir à nouveau d’un monde parental, alors qu’il est adulte et se sent menacé par la perte d’un lien, vécue comme un « lâchage » – car souvent décidé unilatéralement par le seul oncologue à la fin des traitements – est sans doute le problème majeur pour le patient. Encore plus important que les séquelles multiples, organiques, psychiques, sociales, professionnelles, qui peuvent survenir à court ou à long terme, mais qui semblent dicibles lors des surveillances ou des consultations chez le généraliste (5, 7), ce non-dit est le fond constant et parasite des demandes formulées de façon explicite. Comment désormais vivre « à découvert » ? Comment renoncer à vivre « sous couvert » ? Interrogations quasi existentielles qui ravivent toujours le deuil du maternel (13), toujours en chemin, jamais vraiment fait, toujours à reprendre, jamais achevé. Rien d’étonnant vraiment, à ce qu’en conséquence, cette problématique de la séparation inspire au premier chef la pensée d’un projet visant à l’ouverture d’une consultation entièrement dédiée au temps de la rémission. S’inspirant du corpus théorico-clinique qui éclaire la façon dont chez le nourrisson s’élabore le sevrage comme séparation (15), elle se veut un espace-objet transitionnel (16) permettant au patient d’élaborer la perte. Proposée comme possible dès la fin des traitements ou des années après la fin de ces derniers, ne se substituant pas au suivi régulier proposé aux patients au titre d’une surveillance (5) et qui a pour objet la détection précoce de toute évolution en forme de récidive, elle est une occasion aux allures de prétexte. À l’occasion de symptômes séquellaires, quelles qu’en soient l’étendue et le domaine, la consultation rémission est le prétexte d’une vérification que la structure de soins témoigne d’une existence toujours bien effective, puisque c’est à la discrétion du patient qu’est laissée la demande d’une rencontre selon ses besoins propres. Le prétexte peut également entraîner un changement de camp de la maîtrise du lien puisqu’en s’appropriant l’initiative du lien, le patient devient maître du « donner congé ». Enfin, à l’occasion de symptômes séquellaires, cette consultation peut aider à se refaire comme sujet vivant par une prise en compte somatique et psychique en lieu du seul primat de l’organicité. Ces trois enjeux majeurs indissociables – car la proposition de la consultation n’a rien d’une injonction ni d’une obligation – laissent venir la demande de qui se l’approprie, permettent de renouer un lien à la structure
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et concourent à travailler la « perte de l’étayage ». Extension des traitements et de leur « effet cadre », la consultation poursuit une continuité réelle et symbolique avec l’institution qui, vécue comme « lâchante », peut devenir « lâchée » lorsque le patient fait l’expérience étonnante de la sollicitude, de la fiabilité d’une figure maternelle qui l’invite à revivre, en reconnaissant même ses aspects iatrogènes. On aura reconnu évidemment ici le recours, pour faire face à la séparation, de son retournement possible en son contraire, par une identification à l’agresseur (16), une fois renoués tous les fils du désordre dans lequel le patient a plongé très longtemps avec son entourage, son histoire, son corps (10). La faisabilité de ce retournement sera rendue possible, dans la consultation, par l’abandon total de toutes les fonctions transformant le médecin en « surmoi corporel » (2) : prescription de soins, définition d’un rythme et d’un calendrier viendront à disparaître au profit de conseils, de recommandations, voire d’orientations, qui seront mis en œuvre par le généraliste, un spécialiste d’organe ou une personneressource. Toute l’organisation de la consultation visera à dénouer une figure parentale vécue comme toute-puissante : – le premier temps clinique, en forme de rencontre, laissera tout l’espace à un temps narratif. L’expertise du binôme devra s’y effacer, oublier son savoir pour entrer dans l’espace où l’éprouvé de l’autre se révèle pleinement, sans interprétation, sans classification ; – l’examen somatique aura ensuite sa place, prise en compte des plaintes portées par le patient en même temps qu’attention à une globalité intégrant les constantes d’une « santé ordinaire » (poids, taille, tension) ; – l’écriture d’une synthèse aux médecins habituels, faisant la part belle au bilan des séquelles en même temps qu’aux relais dans tous les domaines d’aide, validera que la rémission prend tout un temps, n’est pas superposable au temps de son annonce. Elle est un processus, une maturation.
En guise de conclusion Si l’annonce d’un cancer produit indissociablement un double traumatisme, sidération inaugurale relative à l’effet engendré par la réception de l’information autant que mise en branle dans la durée d’une véritable mise à feu de l’histoire du patient, l’installation dans la rémission, sujet quasiment non abordé dans sa globalité en France (7), la réactive inévitablement. On peut donc comprendre pourquoi la phase de rémission n’est pas toujours vécue positivement par le malade. En effet, quitter le statut de malade pour accéder à un statut peu clairement défini n’est pas chose facile, d’autant que la perte de « l’effet cadre » des traitements de longue durée est
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bien à même de générer une formidable détresse émotionnelle, autre nom d’une véritable insécurité de base aux manifestations multiformes. Réaction tardive et en décalé à une autre crise jusque-là déniée, la fin des traitements au plan médical ne saurait donc être que fort rarement synchrone avec la sortie de la crise. Parce qu’elle re-confronte au deuil d’une instance qui prenait en charge l’espace et le temps, les fonctions du corps et ses modes d’emploi, elle dit le besoin de soins de support au-delà de la maladie et de ses traitements. Plus que le généraliste ou le spécialiste d’organe, relativement démunis par rapport aux « clés du problème » (7), plus que l’oncologue, débordé en des consultations surchargées de surveillance et/ou de suivi, une instance tierce paraît s’imposer, qui allie savoir et globalité à une totale disponibilité et qui soit mémoire de la structure. Le deuil du maternel en est l’enjeu central, si tant est qu’appliquant à la santé ce que Warren Buffet dit de l’économie, nous puissions soutenir que : « C’est quand la mer se retire que l’on voit les gens qui nageaient tout nus. »
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14. Derzelle M (2007) Fatigues et métamorphoses de l’image du corps chez les patients atteints de cancer : entre replis du corps et nécessaire travail de la dépression. Revue Francophone de Psycho-Oncologie; 1(1): 13-8 15. Winnicott DW (1969) De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris, Payot 16. Winnicott DW (1971) Jeu et réalité. Paris, Gallimard
Conclusion : l’annonce du cancer comme modèle de la mort dans la vie M.-F. Bacqué
Il aura fallu dix ans, après les premiers États généraux du cancer, pour que les principes tirés des évaluations des consultations d’annonce en France soient suivis d’effets. Bien sûr, les Plans Cancer, l’Institut national du Cancer ont largement abordé le sujet en proposant des consignes et des recommandations. Plusieurs études ont été publiées, des pratiques ont été établies, mais il était encore difficile d’en tirer un enseignement opérant et utilisable dans les institutions hospitalières. Nous avons tenté de présenter ici les résultats les plus récents et d’en rechercher les applications pour les malades que nous côtoyons tous les jours. En effet, le cancer ne pose pas la question de l’annonce une fois, mais de plus en plus fréquemment, la maladie se solde par plusieurs annonces. Qu’il s’agisse de la révélation du cancer, des conséquences irréversibles des traitements, de la guérison ou de l’abstention thérapeutique en fin de vie, tout malade du cancer risque de retrouver les affres de l’angoisse de mort ou d’abandon, à plusieurs moments de sa vie. Cela signifie aussi que la durée de vie est plus longue en moyenne et que les traitements sont plus efficaces. L’annonce du cancer est une question qui intéresse chaque sujet, chaque médecin, chaque malade qui sommeille en nous. Elle dépasse largement le cancer puisqu’elle est posée par toutes les affections graves ou chroniques, du diabète à la schizophrénie ; ou par toutes les situations médicales difficiles comme la stérilité, la dégénérescence cérébrale ou la transmission d’une prédisposition génétique à une maladie. C’est un véritable problème de société et a fortiori de culture.
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Idéalisation de la médecine mais affaiblissement du lien social L’angoisse du cancer est liée aux représentations de la maladie et de la mort, qu’elle met en correspondance avec celles de la médecine. Notre idéalisation de la médecine occidentale nous a conduits à lui confier nos vies au prix d’un abandon du lien social qui, malgré tout, existait dans la relation médecin-malade depuis Hippocrate. La montée des techniques a continué à amenuiser ce lien, au point que la médecine hospitalière, chargée aussi de l’enseignement et de la recherche, a failli renoncer à la relation au profit de la « prestation de services ». Le néo-libéralisme étant passé par là, le service public devait aussi pouvoir s’adapter à l’économie de marché. Fort heureusement, loin de s’auto-exclure, les médecins, et particulièrement les oncologues, ont réagi à temps et convié leurs collaborateurs à participer à ce moment délicat réclamé par des patients militants qui désiraient « plus de psychologie chez les médecins ». Le Plan Cancer suggérait de conjuguer un temps médical à un temps d’accompagnement soignant, puis à un temps de soutien et d’articulation avec la médecine de ville. L’architecture de la prise en charge de la maladie était déjà bâtie, il ne restait plus qu’à déployer les idées et à donner chair à ce modèle.
Réaménager la relation à l’hôpital : la quadrature du cercle ? Les médecins étaient pour la plupart bien conscients des difficultés psychiques des patients atteints de cancer, mais différents obstacles gênaient toute évolution. Des obstacles concrets comme le manque de temps, de personnel, de formation. Nous avons vu que ces aménagements, nécessaires certes, ne constituent que la part émergée de l’iceberg. L’américanisation des pratiques a également permis de tirer le signal d’alarme. Allait-on agir comme aux Etats-Unis, où, par crainte d’un procès, le médecin annonce la maladie sans véritable préparation, en toute transparence, « protégé » par la signature d’une liasse de documents donnant une valeur contractuelle à la relation ? Tout dire, sans négliger aucun effet secondaire, aucune complication potentielle, « tue », à notre avis, la relation, en la transformant avant tout en un challenge pour le médecin, une préparation de bataille d’experts et d’avocats pour le malade.
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La médicalisation de la vie en réponse à la perte des rites de transition Bien plus en profondeur, le peu d’avancées sur le plan psychologique en France témoignait peut-être d’un changement récent de notre société. D’une part, la perte de religiosité, malgré la perpétuation de l’imprégnation judéo-chrétienne de la population française, conduisait à une forme de report de la croyance, du divin vers la science. D’autre part, la mort n’étant plus accompagnée par ces croyances et pratiques religieuses, l’angoisse de mort, la perte d’un espoir dans l’au-delà conduisaient à une recrudescence d’attentes envers les derniers passeurs : les médecins et les soignants. La médicalisation de la vie est un phénomène qui découle de la prévention organisée des pathologies. En conséquence, la perte des rites de transition, accompagnements sociaux des différentes étapes (naissance, puberté, mariage, arrêt du travail, mort) a été compensée par une sorte d’investissement médical de ces moments symboliques (suivi de la grossesse, examen prénuptial, soins palliatifs). La facture de la médicalisation de la vie s’est soldée par le fait que de nombreuses épreuves des patients sont partagées avec le médecin traitant, seule référence sociale, dans un monde déserté par les figures d’antan. L’exemple le plus spectaculaire de ce déplacement aujourd’hui est la souffrance au travail qui, comme cette expression l’indique, a transféré les problèmes politiques et économiques du travail humain sur le plan de la médecine et de la psychopathologie. Le peu de temps désormais consacré à la vie collective, du fait de la montée de l’individualisme et du goût pour le divertissement, plus que pour la culture, conduit la plupart d’entre nous à chasser les problèmes métaphysiques, hors du champ de la pensée. La confrontation à sa propre mort lors de l’annonce d’un cancer se solde donc par un choc proche du traumatisme puisque notre mode de vie a littéralement repoussé hors de soi les pensées au malheur et à la mort. La mort dans la vie fait littéralement horreur à chacun. Cependant, elle est la caractéristique du genre humain. La seule espèce consciente de sa fin a développé son extraordinaire aptitude à la symbolisation pour tenter d’échapper à la mort en la transcendant.
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Préparer l’annonce : impliquer le malade Nous avons donc choisi, pour construire les grands principes de l’annonce d’un diagnostic de cancer, de ne pas nous concentrer uniquement du côté des soignants. Nous pensons que les malades ou « futurs malades » doivent avant tout choisir le principe de réalité. Les risques du cancer sont bien connus, prenons au hasard deux pourcentages pour nous en convaincre : – 30 % des cancers sont liés à l’intoxication alcoolo-tabagique ; – 40 % des morts par cancer sont dus à l’alcoolo-tabagisme S’il n’y a pas de psychogenèse directe du cancer, en revanche, les causes psychologiques de toutes les addictions sont bien connues. Tout le monde n’est pas égal face aux relations précoces tissées avec ses parents, face au stress ou à l’anxiété. Les propositions d’aide au moyen d’une psychothérapie des profondeurs ou comportementale pour se désintoxiquer sont bien connues, leur application pourrait largement diminuer le nombre potentiel de malades du cancer. Mais, quelle que soit la part prise consciemment et inconsciemment dans le développement indirect d’un cancer, lorsque la maladie est là, le patient peut toutefois ne pas se sentir confiné à un rôle passif. C’est pourquoi nous avons insisté sur la préparation de la relation médecin-malade, du côté du malade justement. Se présenter, préparer ses questions, demander un second avis, se faire accompagner par son équipe, respecter et aussi savoir remercier… Autant de points qui permettent au patient de reprendre le dessus et de participer à l’alliance thérapeutique.
Des principes éthiques et psychologiques du côté du médecin Du côté du médecin, les principes fondateurs relèvent autant de l’éthique personnelle que de l’éthique professionnelle. « Écouter, questionner puis parler » nous a semblé une traduction du fameux Ask then tell de Robert Buckman, plus adaptée à la France. Nous avons donné de nombreux exemples de questions ouvertes. Elles seules permettent au patient de cheminer vers le diagnostic. Le cadre doit être posé par le médecin, puis celui-ci pourra avancer pas à pas, dans une langue familière et simple, sans mot hermétique. Le médecin acceptera les pauses dans le discours. Les silences ne sont pas des « trous » mortifères, mais des moments de ressour-
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cement du patient. Il peut alors réfléchir, attendre, comprendre, avant l’étape suivante. Le médecin devrait apprendre à alterner information objective et questionnement sur le vécu affectif du patient. Après chaque progression, il doit pouvoir s’arrêter, demander au patient ce qu’il a compris puis résumer les données. Le médecin pourrait adopter un style narratif proche de celui qui a été employé par le patient pour raconter la façon dont il s’était forgé une interprétation de ses symptômes. Ces interprétations paraissent parfois au médecin des conjectures inutiles ou aberrantes de l’étiologie du cancer. Sans pour autant les approuver ou les réprouver, le médecin peut les entendre, les comprendre et faire son hypothèse. Cependant, un cancer qui « fait sens » pour un patient risque de le laisser démuni, si ses idées sont combattues par le médecin. Ce dernier doit accepter que ces changements soient très progressifs chez le malade. Les réactions affectives ont droit de cité dans la consultation. Le patient peut essuyer une larme, exprimer sa colère ou être effondré. Le médecin doit pouvoir accueillir ces réactions et différer l’annonce du programme de traitement. Plusieurs consultations sont parfois nécessaires avant de donner un diagnostic. Aller à l’encontre des défenses du patient n’a pas d’intérêt et peut même s’avérer contre-productif.
Une collaboration pluridisciplinaire à l’annonce Enfin le médecin hospitalier, et c’est la grande nouveauté du « dispositif d’annonce », peut compter aujourd’hui sur ses collaborateurs soignants pour accompagner l’annonce pas à pas. Infirmières systématiquement, psychologues et psychiatres en cas de nécessité forment la garantie d’une approche différente, complémentaire de l’annonce, tandis qu’ils allègent aussi la charge psychique du médecin. Les infirmières, dans un premier temps, ont créé un véritable poste d’« infirmières d’annonce » intervenant, selon les services, de façon systématique. Au regard de l’analyse des questionnaires remplis par des patientes atteintes de cancer du sein, la demande est claire du côté du réconfort et du lien. Les patientes souhaitent, à la fois, rencontrer un interlocuteur plus « maternant », mais aussi qui aide concrètement au moyen d’adresses, de conseils pratiques, bref qui « fasse du lien » avec le monde du cancer. L’infirmière a aussi cette fonction de confidente qui peut recueillir les premiers mots, les questions médicales et plus domestiques (au sens de domus, la maison). Elle a ses techniques de soins, d’aménagement des effets secondaires des traitements. Cette spécificité de l’infirmière semble un acquis
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Annoncer un cancer
fondamental de la consultation d’annonce, elle nous semble donner le pendant de la consultation médicale, tout en offrant une personnalité, un rôle social parfaitement différent. Nous espérons simplement qu’une coordination médecin-infirmière se mettra en place afin de ne pas rendre factices ces rôles, mais bien au contraire de permettre à chaque profession d’allier vocation soignante et empathie pour autrui. Les psychologues et les psychiatres présents dans les services d’oncologie ont contribué largement à la réflexion sur l’annonce du cancer. Depuis les années 1970, des psychologues précurseurs avaient alerté sur les conséquences néfastes d’un diagnostic mortel délivré sans précaution. Ils comprenaient bien les réticences des médecins qui ne supportaient pas d’abandonner un patient à une absence de traitement. Les psychologues ont accueilli les souffrances des médecins qui n’en pouvaient plus du sentiment d’échec et qui finissaient par renoncer même à pousser la porte de la chambre du malade en fin de vie. La confiance redonnée, grâce aux antalgiques et aux traitements de dernière génération, a permis plus de confort psychique du côté de l’annonceur. La dédramatisation de la cancérologie a aussi été induite par le travail en groupe des soignants et des médecins. Soit en groupes Balint de médecins ou d’infirmières, soit en groupes multi-professionnels (groupes de parole). Ces analyses des pratiques, cette reconnaissance des aspects inconscients, bien présents dans les rapports médecin-malades-soignants ont installé plus de vie, plus d’espoir autour d’un diagnostic qui, non dit, ne pouvait pas permettre jusqu’alors d’intégration. Pour les malades, l’approche psychologique de l’annonce diagnostique a remis en cause la rupture de temporalité, la fuite existentielle vers la mort. Les consultations d’annonce vont sans aucun doute encore se modifier car elles sont inscrites dans les changements sociaux de nos pays. Le multiculturalisme y aura son effet, il ne doit pas induire de ségrégation ethnique à l’américaine. La France peut au contraire trouver un modèle qui lui soit propre, issu de sa tradition d’accueil. La consultation d’annonce est marquée par l’histoire de la médecine, elle-même révélatrice des évolutions de la société française, ni bonnes ni mauvaises. La prise de conscience de ces changements doit nous permettre de rester attentifs à cette relation indispensable lors de l’annonce qui, loin alors de devenir un traumatisme, constituera un passage vers une nouvelle étape de la vie, jusqu’à la mort.