UN UNIVERS D'ARTISTES Autour de Théophile et de Judith Gautier
@ L'Harmattan,
2003
ISBN: 2-7475-5417-1
Agnès de No...
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UN UNIVERS D'ARTISTES Autour de Théophile et de Judith Gautier
@ L'Harmattan,
2003
ISBN: 2-7475-5417-1
Agnès de Noblet
UN UNIVERS D'ARTISTES Autour de Théophile et de Judith Gautier
- dictionnaire -
Préface de Jean-Philippe Bouilloud Postface de Sylvie Camet
L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polyteclmique 75005 Paris France
L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3 1026 Budapest HONGRIE
L'Harmattan Italia Via Bava, 37 10214 Torino ITALIE
Les Introuvables Collection dirigée par Thierry Paquot et Sylvie Carnet La collection Les Introuvables désigne son proj et à travers son titre même. Les grands absents du Catalogue Général de la Librairie retrouvent ici vitalité et existence. Disparus des éventaires depuis des années, bien des ouvrages font défaut au lecteur sans qu'on puisse expliquer touj ours rationnellement leur éclipse. Oeuvres littéraires, historiques, culturelles, qui se désignent par leur solidité théorique, leur qualité stylistique, ou se présentent parfois comme des objets de curiosité pour l'amateur, toutes peuvent susciter une intéressante réédition. L 'Harmattan propose au public un fac-similé de textes anciens réduisant de ce fait l'écart entre le lecteur contemporain et le lecteur d'autrefois comme réunis par une mise en page, une typographie, une approche au caractère désuet et quelque peu nostalgique. Déjà parus GOMEZ CARRILLO E., L'évangile de l'amour, 2003. De GONCOURT Edmont et Jules, Armande, 2003 NEGRI A., Les solitaires, 2002. GORKI M., En Gagnant mon pain. Mémoires autobiographiques, 2002. REINACH S., Orpheus, 2002. NOIR Pascal, Jean Lorrain: La Dame aux Lèvres rouges, 2001. BAKOUNINE, Confession, 2001. LEFEVRE T., Guide pratique du compositeur et de l'imprimeur typographes, 1999. ANDREAE Johann Valentin, Turris Babel, 1999. GAUTIER J., Le second rang du collier, 1999. AGUETT ANT L., La musique de piano des origines à Ravel, 1999. ANDREAE Johann Valentin, Les noces chymiques de Rosecroix Chrétien, 1998. QUINET E., Mes vacances en Espagne, 1998. ROUSSEAU J., Physiologie de la portière, 1998. ROBERT H., Des habitations des classes ouvrières, 1998. DE FOUCAULD Ch., Reconnaissance au Maroc, 1998.
VOLTAIRE, Facéties, 1998.
PRÉFACE
Une histoire de l'intime
C'est un grand plaisir que d'écrire la préface d'un ouvrage dont on a vu et suivi avec attention la patiente gestation. Le livre d'Agnès de Noblet couvre tout le milieu, intellectuel, artistique et social, qui gravite autour de Théophile et, surtout, de sa fille Judith Gautier. Curieusement, initialement
ce livre a failli ne pas exister en tant que livre, car il n'était pas prévu
sous cette forme. En effet, on préparait
déjà la réédition du deuxième livre des Souvenirs
à l'Harmattan
il y a quelques années
de Judith Gautier, Le Second Rang du
collier (le premier volume s'intitule Le Collier des jours). Agnès de Noblet, compte tenu de sa connaissance du milieu artistique et littéraire de l'époque, avait été pressentie pour en rédiger l'appareil critique, notamment les notices concernant les personnalités mentionnées dans l'ouvrage. De fil en aiguille, vu la documentation
considérable
dont disposait l'auteur,
il a été jugé préférable de rédiger un véritable dictionnaire biographique autour de la famille Gautier. Nous avons donc ici un ouvrage qui peut être pris comme le complément des deux premiers dictionnaire
tomes
des Souvenirs
du XIXe siècle. Par l'érudition l'originalité
de Judith
Gautier,
mais aussi
comme
un
autonome des milieux artistiques et littéraires à Paris dans la deuxième moitié de sa forme,
déployée, par l'ampleur
cet ouvrage
des sources utilisées conlme par
est appelé à faire date auprès de tous ceux qui
s'intéressent à l'histoire de la littérature du XIXe siècle. Il se présente comme un dictionnaire dans Le Collier des jours et Le Second
dont les entrées reprennent
les nonlS évoqués
Rang du collier. Mais, au-delà
niveau, de ce "premier cercle" des connaissances
de ce premier
évoquées par Judith dans ses Souvenirs,
ce sont d'autres personnalités du monde des arts et des lettres autour de la famille Gautier qui sont convoquées par Agnès de Noblet: à l'image même du titre des souvenirs de Judith, de multiples
"rangs" supplémentaires
viennent s'enrichir mutuellement
apparaissent
autour du "collier initial",
rangs qui
et créer un entrelacs dense de relations et d'accointances.
Au final, Agnès de Noblet nous propose
une œuvre complexe,
d'une étonnante
modernité
car elle dépeint à travers ces multiples entrées, qui sont autant de points d'ancrage,
tout un
réseau familial, amical, professionnel et relationnel. Ce n'est pas seulement un dictionnaire classique, où on trouverait une notice biographique concernant chaque personnalité évoquée par Judith Gautier, et qui refermerait chaque entrée sur elle-même;
c'est, au-delà,
un thesaurus ouvert où les entrées se renvoient les unes aux autres, au gré des évocations
6 et des rencontres. En ces temps d'internet, un tel travail est à la fois novateur pour la pratique de l'histoire et profondément actuel. Cette approche, par certains de ses aspects, rappelle indirectement les travaux de micro-histoire tels que les développe Carlo Ginzburg. Ce qui est en jeu ici, c'est l'ensemble des relations entre différents acteurs du théâtre artistique parisien, les amitiés, inimitiés, enthousiasmes, déceptions, projets, réalisations, séductions ou abandons, bref tout ce qui ne se laisse pas facilement appréhender à travers l'étude des œuvres, si centrales cependant pour l'histoire de la littérature. Or tout le travail d'Agnès de Noblet s'établit à la marge des réalisations artistiques, évoquées bien entendu sans cependant pouvoir donner assez de matière pour cette histoire, à travers tout ce qui est autour de la création, dans ce qui nous renvoie à l'intimité de Judith et de Théophile Gautier: articles de journaux, souvenirs, lettres personnelles ou témoignages rapportés. La question que nous pose ici Agnès de Noblet est la suivante: comment faire une histoire de l'intime, de ce qui est aux limites du document? On retrouve les mêmes questions que dans toute histoire centrée non sur les œuvres mais sur les idées, les sentiments, les relations, bref tout ce dont il ne reste que des traces ou des signes: comment reconstituer la validité de ce que l'on avance, discussions, sentiments éprouvés ou relations personnelles? C'est par un travail patient, qui rappelle celui des micromosaïques romaines, que l'auteur essaye ici de reconstituer un tableau d'ensemble, nécessairement incomplet, avec ses manques et ses zones d'ombre. Dans ce travail qui tient aussi de l'archéologie l'auteur, bien souvent, s'abstient de trancher, en présentant des hypothèses sur lesquelles les éléments manquent pour aller plus avant. Même les informations les plus factuelles peuvent être prises en défaut: ainsi, certaines dates sont avancées avec prudence, tant les dictionnaires spécialisés, encyclopédies et biographies peuvent être contradictoires. Sans parler de la coquetterie de certaines (dont Judith Gautier) à se rajeunir, ce qui oblige le chercheur à des ruses de détective pour traquer la vérité. C'est dire l'acribie, le soin scrupuleux dont l'auteur a su faire preuve. Un tel travail suppose une vaste érudition. La documentation qu'a rassemblée l'auteur sur le sujet au cours de ces vingt dernières années est considérable et, par certains côtés, unique, car Agnès de Noblet, en dehors d'une longue pratique des bibliothèques, possède des documents inédits de Judith et Théophile. Il y a en toile de fond plusieurs milliers d'ouvrages de référence, ouvrages historiques, livres de souvenirs, journaux de l'époque, œuvres propres des protagonistes, programmes de manifestations ou lettres. On voit ce que cette étude apportera en complément des travaux classiques sur la littérature du XIXe siècle: c'est une mine d'informations pour les universitaires soucieux de se pencher sur ce milieu si riche. Agnès de Noblet est d'ailleurs connue dans le petit monde qui s'intéresse à la littérature du XIXe siècle: plusieurs contributions à des revues, comme les Carnets de l'exotisme ou la Revue Pierre Loti, des préfaces, dont celle de la réédition du
7 Second Rang du collier dans la collection "les Introuvables" de l'Harmattan, ainsi que des conférences ont jalonné les recherches entreprises par l'auteur ces dernières années.
*** Le XIXe siècle français est, du point de vue littéraire et artistique, d'une richesse et d'un foisonnement qui déconcerte. Face au XVIIIe siècle qui se laisse appréhender autour de quelques pôles (la Cour, les Salons, l'Encyclopédie, la Révolution, etc.), le XIXe propose au chercheur une explosion littéraire (du romantisme au symbolisme), musicale (de Boëldieu à Debussy), picturale (de l'académisme à l'impressionnisme) et politique sans égale. La famille Gautier est ici à l'image de cette effervescence: leur table est effectivement le "dernier caravansérail du romantisme" (Goncourt), où se retrouvent à la fois des écrivains du cru, un général persan (Mohsin Khan), et d'une manière plus générale, tout ce que Paris compte d'artistes et d'intellectuels novateurs. Fille d'un des plus grands écrivains de son temps et d'une cantatrice célèbre, Ernesta Grisi, Judith Gautier, elle-même écrivain, va croiser au cours de son existence tout ce que Paris, voire l'Europe, compte d'artistes et de personnalités célèbres: Victor Hugo et Wagner, avec lesquels selon certains biographes elle eut plus que des relations intellectuelles, mais aussi Pierre Loti, Maxime du Camp, dont elle était la filleule, les Goncourt, Gounod, John Singer Sargent, Robert de Montesquiou, Pierre Louys, etc. L'activité même de Judith Gautier est multiforme: écrivain, elle publie des poèmes (Le Livre de jade), des romans issus de ses rêves exotiques (L'Éléphant blanc, Le Dragon impérial, Iskender, etc.), des pièces de théâtre (dont La Fille du ciel, drame chinois écrit avec Pierre Loti) et des articles. Prosélyte de la musique de Wagner en France, elle fait représenter la Tétralogie dans son appartement du 30 rue Washington, dans un théâtre de marionnettes dont elle assure la réalisation.
Créé à partir des deux premiers volumes des Souvenirs, ce Dictionnaire les prolonge, car ceux-ci s'arrêtent avant le mariage de Judith avec Catulle Mendès, et le troisième volume est consacré à Wagner. Nous avons donc ici une sorte de biographie éclatée, vivante, qui continue sous une autre forme ce que les souvenirs de Judith ont commencé. Gageons que les lecteurs auront grand plaisir à s'immerger dans ce dictionnaire, qui constitue aussi un hommage à lafamille Gautier.
Jean-Philippe
Bouilloud
REMERCIEMENTS
Ce m'est un agréable devoir d'exprimer ma reconnaissance à tous ceux et à toutes celles qui ont bien voulu au cours des années apporter, à divers titres, leur précieux concours à la réalisation de cet ouvrage. Quelques-uns d'entre eux, hélas! nous ont quittés avant son achèvement. Qu'ils soient remerciés avec chaleur de leur assistance. Messieurs A. Quella- Villéger, P. Pierre-Loti- Viaud et Madame, F. Laplaud, J.Ph. Bouilloud, J. Chalon, J.-P. Goujon, G. Bourget, C. Dugas de la Boissonny et Madame, D. Hennocque, Dr R. Fleury, G. et I. Devriès, F. Lesure, J.-L. Meunier, Me Lanquest, J.P. Fourneau, Cdt Pillet, G. de Diesbach, R. Greaves, M. Laurent, F. Ghlamallah, J.P. Clément, duc et duchesse de Rohan, P. Georgel, L. Pareydt, R. Baudelaire, H. Cazaumayou, P. Kyriazidès, Th. Bodin, M. d'Esneval, T. Malthète. Mesdames F. Alvarez de Toledo, K. Meyer-Arend, A. Joly-Segalen, P.-H. Schwartz, A. Roquebert, Lieutaud, J. Sarment, Gaveau, L. Lafforgue, Pieri, E. Chirol, Boitard, G. Lacambre, S. Carnet, B. Hodent de Broutelles, D. Brahimi, B. Niogret, C. Mouchard, M.-L. Van der Pol.
... Nous portons en nous, dans le fond de nos âmes, parcelles innombrables, l'âme de bien des morts, illustres ou inconnus, qui nous ont précédés ici-bas, dans la gloire ou dans l'oubli. Edmond Jaloux, L'Esprit des livres.
A ABOUT, Edmond (Dieuze, Meurthe 1828 - Paris 1885). «Le travail de notre vie ne contribue le plus souvent qu'à défaire notre réputation », écrivit un jour d'amertume cet écrivain polygraphe qui connut pourtant tous les succès d'estime et, même, de scandale. Romancier: on trouve encore dans des collections pour la jeunesse le Roi des Montagnes (1857) et l'Homme à l'oreille cassée (1862) ; homme de théâtre: Guillery (1856), Gaetana (1862) conspuée par la jeunesse frondeuse et antibonapartiste des écoles; polémiste politique et "voltairien": la Grèce contemporaine (1854), la Question romaine (1861) ; critique d'art: six volumes de Salons. .. Plus habile que Gautier sans doute, plus sage peutêtre, plus heureux en tout cas dans la vie pratique, il sut conquérir la fortune, mit sa femme et ses huit enfants à l'abri du besoin, et l'Académie l'accueillit en fin de compte dans son giron, de préférence à Coppée, encore que la mort ne lui ait pas laissé le temps de s'asseoir dans le fauteuil libéré par Jules Sandeau. Élève de l'École normale de 1849 à 1851, il s'y lia - pour toute la vie - avec Francisque Sarcey ; à l'École d'Athènes, avec Charles Garnier; en Italie, avec Paul Baudry. Et avec Arsène Houssaye, Aubryet, Saint-Victor, etc. Dans ce milieu "artiste", tout le monde connaissait tout le monde et About semble avoir conquis la sympathie générale. Dans les Souvenirs de jeunesse de Sarcey, portrait de ce garçon attachant, «le plus vif, le plus pétulant, le plus indiscipliné» de ses condisciples de l'École normale: Jeune, hardi, délibéré, galant, joyeux, plaisant; le front haut, la parole vive, le geste prompt, l'esprit éveillé! [...] Rien n'a pu effacer chez moi le souvenir de [sa] conversation étincelante, ailée, de cet esprit toujours en mouvement,de ce pétillement de mots justes, vifs et plaisants, de cette verve abondante en vues nouvelles, en rapprochements inattendus, en récits fantaisistes, en légendes d'atelier où se jouait une imagination libre et gaie... Comme Gautier, About fréquenta le salon de la princesse Mathilde, mais, en ironiste qui ne pouvait résister à la tentation de faire un "mot", il fut banni de chez elle pour insolence, de même qu'il fut congédié par la Païva à laquelle, regardant le célèbre escalier en onyx de son hôtel des Champs-Élysées, il osa dire: «Ainsi que la vertu, le vice a ses degrés », grossièreté que tel chroniqueur attribue à Prosper Mérimée, tel autre à Émile Augier. Autre relation commune de Théo et d'Edmond: Eugénie Fort, la mère de Toto Gautier. En 1852, elle eut des bontés pour un si brillant jeune homme; ils ne se fâchèrent point et se revirent par la suite. Alice Ozy aussi fut séduite par un Don Juan si vif, si gai, si primesautier. « J'ai toujours été prise par l'esprit », dira-t-elle. À ce moment-là, en 1857, Paul de SaintVictor la courtisait de fort près: jaloux, About l'emmena en Italie. Une fille d'Edmond About épousa Pierre Decourcelle - digne fils de son père Adrien - qui fut président de la Société des Gens de lettres, président de la Société des Auteurs dramatiques et collectionneur avisé des toiles des XVIIIeet XIXe siècles. Les mélodrames d'About faisaient pleurer Margot à l'Ambigu comme à la Porte-Saint-Martin (exemples: Gigolette, 1894; les Deux Gosses, 1896) et ses romans à rebondissements (exemples: Fanfan, 1896; les Deux Frangines, 1903; la Buveuse de larmes, 1908) étaient attendus avec fièvre dans les chaumières où l'on découpait, pour les brocher ensuite, les feuilletons au rez-de-chaussée des journaux qui « avaient eu l'idée, nous dit André de Fouquières, pour capter plus sûrement l'attention du public, de lancer le roman-concours. Ainsi l'on trouvait, posées entre les informations politiques et les faits divers, d'étranges énigmes: Combien Zizi aura-t-elle d'amants? - Madame de Barancey arrivera-t-elle à ses fins avec le marquis de Marans ? -
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A
Quelle est, des cinq femmes, celle qui mourra empoisonnée? il ? »
- Adhémar se vengera-t-
Le Collier des jours, p. 268. ACHARD. Ce propriétaire de la petite maison du 32, rue de Longchamp, à Neuilly, pourtant « cinq fois millionnaire », ne consentit, nous révèle Bergerat, aucune diminution de loyer, malgré la guerre et ses désastres, bien que le bon Théo ait beaucoup agrandi et embelli l'immeuble. Il ne semble pas que cette "crème" de Gautier lui en eût gardé rancune, à preuve cette information donnée par lettre, de Versailles, avenue de Saint-Cloud, No 3, où il s'était réfugié chez Eugénie Fort, à sa fille Estelle, le 6 avril 1871 : Les journaux de Genève te mettent sans doute au courant des choses étranges et terribles qui se passent en France. [...] Voilà la guerre civile engagée et nous allons faire le siège de Pari s. Vraiment il y a sur notre malheureux pays un esprit de vertige. Les sages même sont forcés par les fous à des actes extravagants. En attendant, c'est la vie la plus intolérable qu'on puisse imaginer. [...] On s'est battu à Courbevoie et au pont de Neuilly. Une balle a traversé le salon de billard de M. Achard et d'autres projectiles ont coupé des branches dans le jardin. Personne n'a été blessé. À propos de M. Achard, ce brave homme, la perle des propriétaires, est mort dans les derniers jours du siège. Notre maison n'a rien eu. [... ] Voilà, pauvre mignonne, la vie que mène loin de toi ton pauvre père. Toujours retenu au moment de partir, je crève d'envie et de rage. [...] Tu me demandes dans ta dernière lettre le nom de la maladie que j'ai dit dans une lettre que tu n'as probablement pas reçue. C'est une pneumonie aiguë compliquée de famine dont j'ai failli mourir sans trop m'en apercevoir tant j'étais affaibli. Mais je vais bien maintenant. Un peu de chaleur et il n'y paraîtrait plus...
Le Second Rang du collier, p. 35, 51. ALARY,
Jules-Abraham-Eugène
Alari,
dit (Mantoue
1814
-
Paris 1891). Musicien
d'origine italienne. Flûtiste au théâtre de la Scala, à Milan, il enseigna ensuite à Paris le chant et le piano. En 1852, il fut nommé pianiste accompagnateur de la Chapelle et de la Chambre de l'empereur. De 1853 à 1870, il exerça en outre les fonctions de directeur de chant au Théâtre-Italien. Alary composa un certain nombre d'œuvres dramatiques, représentées à Florence, à Paris, à Saint-Pétersbourg. On sait quelles sottes cabales, quels sifflets, quels chahuts accueillirent les représentations de Tannhiiuser à l'Opéra de Paris les 13, 18 et 24 mars 1861, données sur l'ordre de Napoléon III sollicité par la princesse ce Mettemich, femme de l'ambassadeur d'Autriche, et quelle fut la déconvenue de Wagner. «Puisque des membres du Jockey-Club ne veulent pas permettre que le public de Paris puisse entendre mon opéra exécuté sur la scène de l'Académie impériale de musique, faute de ne voir danser un ballet à l'heure ordinaire de leur entrée au théâtre, je retire ma partition... » (Lettre au directeur de l'Opéra, Alphonse Royer.) Consultons Servières, cité dans Wagner et la France, ce magnifique ouvrage édité à l'occasion d'une exposition à la Bibliothèque Nationale en l'honneur du centenaire de la mort du compositeur: «Les costumes, dessinés par Alfred Albert, étaient du XIIIe siècle, mais d'un caractère un peu fantaisiste. Ils avaient coûté plus de 50 000 F. Aussi, après les trois représentations de Tannhiiuser, la direction, pour les utiliser, comn1anda-t-elle à Mélesville un petit opéra en deux actes dont l'action se passait en Allemagne au Moyen Âge et où le principal
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A
personnage est un Landgrave de Thuringe. Cet ouvrage, mis en musique par Giulio Alary, maître de la chapelle de la maison de l'Empereur, fut représenté le 30 décembre 1861 sous ce titre: La Voix Humaine. » La Voix Humaine d'Alary n'a pas été maintenu au répertoire et ce titre a été repris par Jean Cocteau pour le texte d'une tragédie lyrique à un seul personnage féminin, un acte mis en musique par Francis Poulenc et représenté pour la première fois à l'Opéra-Comique le 6 février 1959. Jean Cocteau... Cocteau, notre quasicontemporain qui sut ressusciter, dans ses étincelants Portraits-Souvenir, quelques monstres sacrés d'époques lointaines. Les pages consacrées à Mendès, «poète moins lu que célèbre », et à Jane, sa femme, «grande, peinte comme une idole, pareille, derrière l'aquarium de ses voiles et suivie par les volutes écumantes de manches pagodes et de traînes, à un merveilleux poisson japonais », ces pages ciselées, on voudrait les reproduire toutes pour l'enchantement du lecteur. Cocteau ne parle malheureusement pas de Judith qu'il connut cependant, puisque, le jour de la mi-carême 1913, escortant avec Albert Flament et Lucien Daudet la princesse Lucien Murat, fille de la duchesse de Rohan - travestis qui en Pierrette, qui en jeux de dominos -, il parut rue Washington dans son costume favori de Mercure, un costume à l'épreuve du temps... En 1921, Jean Hugo, qui le rencontra à un bal masqué chez la danseuse Caryathis (Mme Élise Jouhandeau), note dans le Regard de la mémoire: «Cocteau porte, comme chaque fois qu'il doit se déguiser, son costume de Mercure, maillot gris, casque ailé et caducée. » Lucien Daudet considéra son hôtesse d'un œil sarcastique. De Judith Gautier, sa collègue à l'Académie Goncourt, Léon Daudet, le frère aîné de Lucien, écrivait bien des années plus tard: « Je la trouvais comme femme de lettres et roucoulante et finement bavarde, fort agréable, mais trop Chinoise en ses récits pour mon goût. Elle ressemblait étonnamment à son père, ayant le même faciès léonin et une invention verbale amusante. Pesant une centaine de kilos, et d'âge déjà avancé, elle joua chez elle, dans un petit appartement cage à mouches, le rôle de Roméo, en collant de satin noir. Un assistant me racontait qu'il croyait assister à une pêche à la baleine.» (La Femme et l'amour.) La satire contre Judith décocha des traits beaucoup plus méchamment acérés. Quelques années après sa mort, celui qui l'interpellait ainsi, en 1910, dans les Paroles diaprées: « Chère grande Judith, admirée entre toutes, / Amie (et qui vaut mieux), déesse, enfant d'un dieu, / Qui laissez, de vos jours, s'orienter les gouttes / Pour en faire un collier de perles peu à peu... », le perfide Robert de Montesquiou, gentilhomme à la susceptibilité exacerbée qui avait toujours quelque rancune ou quelque brouille avortée à remâcher, ne rougit pas de laisser dans ses papiers ce douzain affligeant qui fut publié en 1925 : Un gros éléphant blanc, sacré, vaincu par l'âge, La dèche, les ennuis, l'orgueil, le maquillage, C'est Édith; elle étonne encore les jobards En faisant manœuvrer un Guignol de poupards Assez ingénieux, en écrivant des Iivres Et surtout en pesant cinq cent quatorze Iivres. Avoir été déesse, en descendant d'un dieu, Avoir connu l'amour des mains d'un prince bleu, Du poète inspiré des Chants du Crépuscule, Avoir été la Muse, Omphale d'un Hercule, Avoir aimé Wagner dans son beau, dans son neuf. . . Et ne plus rappeler que le Baron de Bœuf!
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