St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américain
Du même auteur Rendez-vous manqué avec la révolution amér...
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St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américain
Du même auteur Rendez-vous manqué avec la révolution américaine. Les adresses aux habitants de la province de Québec diffusées à l’occasion de l’invasion américaine de 1775-1776, avec la collaboration de Bernard Andrès et d’une équipe du groupe de recherche ALAQ (Archéologie du littéraire au Québec, UQAM) : Julie Alix, Julie Arsenault, Nancy Desjardins, Nova Doyon, Nathalie Ducharme, Paul A. Lefebvre, essai, Québec Amérique, coll. Dossiers et documents, 2007. Dernier automne, récit, Boréal, 2004. Finaliste, Grand Prix du livre de la ville de Montréal, 2005. Pour en finir avec les intégristes de la culture, essai, Boréal, 1996. L’Immigrant Montréal, essai, Triptyque, 1994. Le Guide du tango, essai, Triptyque/Syros-Alternatives, 1992. Macadam tango, essai, Triptyque, 1991. Ajustements qu’il faut, poèmes, Les Herbes Rouges, 1981. Temps supplémentaire, poèmes, Les Herbes Rouges, 1979. Traduit du jour le jour, poèmes, Les Herbes Rouges, 1978.
Pierre Monette
St. John de Crèvecœur et
les Lettres d'un fermier américain
Lettres d’un fermier américain (1782) et « Description d’une tempête de neige au Canada » (c. 1780) : traductions précédées d’une présentation et suivies d’une étude jetant de
nouvelles lumières sur le séjour de St. John de Crèvecœur en Nouvelle-France
et les échos de cette expérience dans l’ensemble de son œuvre
Les Presses de l’Université Laval
Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du Canada et de la Société d’aide au développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise de son Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.
Mise en pages : Diane Trottier Maquette de couverture : Laurie Patry Documents reproduits en couverture : Portrait de St. John de Crèvecœur (miniature de Vallière, c. 1786) et « Plantation de Pine Hill, dont le premier arbre a été abattu en l’an de grâce 1770. Comté d’Orange, colonie de New York » (miniature) : archives personnelles de M. Hubert Jean Saint-John de Crèvecœur, qui en a aimablement autorisé les reproductions. Lettre de St. John de Crèvecœur à Robert Monckton, « [Québec : Lettres adressées au général Monckton par des prisonniers français après la prise de Québec] », 20 octobre 1759 : Ottawa, Bibliothèque et Archives Canada. Médaillon figurant sur la page titre de la seconde édition des Lettres d’un cultivateur américain addressées à Wm. S…on Esqr. depuis l’Année 1770 jusqu’en 1786, Par M. St John de Crèvecœur, Traduites de l’anglois, À Paris, Chez Cuchet Libraire, rue et Hôtel Serpente, 1787 : Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
© Les Presses de l’Université Laval 2009 Tous droits réservés. Imprimé au Canada Dépôt légal 2e trimestre 2009 ISBN 978-2-7637-8871-5 Les Presses de l’Université Laval Pavillon Pollack, bureau 3103 2305, rue de l’Université Université Laval, Québec Canada, G1V 0A6 www.pulaval.com
Présentation
Une opération de rapatriement
Destin étonnant que celui de St. John de Crèvecœur. Lieutenant au sein du régiment de la Sarre, il est à Québec le 13 septembre 1759, lorsque la bataille des Plaines d’Abraham scelle le sort de la Nouvelle-France. Il a alors vingt-quatre ans : il est né le 31 janvier 1735, dans la région de Caen, en Normandie, où il a été baptisé sous le nom de Michel-Guillaume Jean de Crèvecœur. Dans les jours qui suivent la chute de la ville, il démissionne de l’armée afin d’éviter d’être rapatrié en France avec les autres officiers des troupes de la métropole. Il choisit plutôt de rejoindre les futurs États-Unis où il sera naturalisé citoyen de la colonie de New York en 1765 sous le nom de John Hector St. John. Il se marie en 1769 et achète, la même année, dans le comté d’Orange (État de New York), une ferme à laquelle il donne le nom de Pine Hill. C’est là qu’il vit, auprès de son épouse et des trois enfants qu’elle lui donne, les années les plus heureuses de son existence. Mais il devait bientôt subir les contrecoups des premiers combats de la révolution américaine. Trop loyaliste au goût des patriotes de son voisinage, St. John de Crèvecœur se voit contraint de quitter ses terres en 1779 pour rejoindre la ville de New York occupée par l’armée britannique. Lorsque les autorités anglaises sont mises au fait de ses origines françaises, elles le soupçonnent d’espionnage au profit des rebelles qui bénéficient alors du soutien de sa patrie d’origine : il est arrêté et passe près de trois mois en prison. Lorsqu’on lui permet, à l’automne 1780, de prendre un bateau en direction de l’Europe en compagnie de l’aîné de ses fils afin d’y régler de vagues affaires de famille, c’est pour faire naufrage sur les côtes d’Irlande. Il traverse ensuite l’Angleterre et finit par renouer avec la France en août 1781. Après deux ans de séjour dans son pays natal, c’est à titre de consul de France qu’il
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réintègre les États-Unis qui viennent de signer un traité de paix avec l’Angleterre. De retour à New York en novembre 1783, il a bientôt le bonheur de retrouver sains et saufs la fille et le garçon qu’il a laissés derrière lui lorsqu’il a fui la guerre d’Indépendance, mais il apprend par la même occasion que leur mère est morte pendant son absence. Au total, St. John de Crèvecœur demeurera cinq ans en poste auprès de son ancienne contrée d’adoption : de 1783 à 1785 dans un premier temps, puis de 1787 à 1790. Il est donc en Amérique quand éclate, en 1789, la Révolution française, mais il est de retour en France au moment où commence, en 1792, le règne de la Terreur. Il est alors démis de ses fonctions avec l’ensemble des diplomates nommés sous l’Ancien Régime. C’est seulement avec la disparition de Robespierre qu’il commence enfin, en 1794, à la veille de ses soixante ans, à vivre dans la tranquillité qu’il n’a cessé de chercher tout au long de son existence. Il mourra près de vingt ans plus tard, le 12 novembre 1813, à Sarcelles, dans le Val-d’Oise. * * * Le court séjour de St. John de Crèvecœur en Nouvelle-France n’a laissé que de rares traces dans les documents d’époque. Aucun fait d’armes remarquable n’a ponctué sa carrière militaire et les livres d’histoire du Québec ne consacrent pas la moindre ligne au petit officier qu’était celui qui se faisait alors appeler Michel Jean de Crèvecœur. Cet obscur lieutenant du régiment de la Sarre, ce personnage on ne peut plus secondaire de notre passé, a pourtant été une des célébrités de son temps : l’auteur des Letters from an American Farmer, le livre que les États-Unis considèrent comme l’œuvre fondatrice de leur littérature, « la première expression littéraire d’une conscience nationale américaine1 ». Les Lettres d’un fermier américain sont donc un des classiques de la littérature états-unienne. Un classique mineur, cependant : parce que l’ouvrage présente ce qui peut apparaître comme des défauts de construction mais surtout parce que, son intérêt étant tributaire de nombreux éléments contextuels, il ne peut prétendre à l’« universalité » dont se réclament les classiques « majeurs » de la littérature2. Le livre a tout de même remporté un très grand succès au moment de sa publication. La version originale anglaise de l’ouvrage, publiée à Londres en 1782, a connu quatre éditions au cours de l’année qui a suivi sa parution. En 1783, le livre était traduit en allemand et en néerlandais. St. John de Crèvecœur en préparera lui-même une adaptation française, qui paraîtra sous le titre de Lettres d’un cultivateur américain3, d’abord en deux volumes en 1784, puis augmentée d’un troisième tome en 1787. L’édition française de 1784 connaîtra deux
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contrefaçons et les trois volumes de 1787 seront à l’origine d’une nouvelle traduction allemande publiée en 1788. Le livre a donc connu un total de onze éditions en six ans avant d’en voir paraître une douzième et dernière en 1793, aux États-Unis. Il ne devait cependant pas être réimprimé avant le début du XXe siècle et il subit de nos jours le sort de la plupart des livres auxquels on attribue le statut de classiques : on les lit bien moins souvent qu’on en parle. Publiées un an avant le traité de septembre 1783 qui allait mettre fin à la guerre d’Indépendance des États-Unis et à la veille de la Révolution française (dont on ne souligne pas assez les liens qu’elle entretient avec l’expérience états-unienne), ces Lettres d’un fermier américain ont été, l’espace d’une génération, une des principales sources de renseignements sur ce nouveau pays qu’étaient alors les États-Unis et sur ce qui a reçu depuis l’appellation d’American Dream. Leur représentation plus ou moins idéalisée de la société états-unienne correspondait à la conception que s’en faisait l’Europe des Lumières. L’idée que l’on menait aux États-Unis une vie guidée par les lois de la nature et de la raison, se voyait confirmée par les écrits d’un homme qui y avait effectivement trouvé le bonheur et vécu dans l’abondance en menant une existence proche de l’« état de nature » si cher aux penseurs du temps. L’ouvrage faisait écho à un ensemble d’opinions déjà répandues au sein du public européen « éclairé », cela en adoptant un mode d’expression imprégné par la fascination sentimentale pour les choses de la nature que les auteurs de l’époque (notamment JeanJacques Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre) avaient mis au goût du jour. À ce titre, les Lettres d’un fermier américain sont proprement un produit de l’esprit des Lumières : une œuvre, sinon marquante, du moins profondément marquée par les idées du moment.
Les applaudissements des périodiques de l’époque Les articles qui ont souligné les parutions des premières éditions anglaise et française de l’ouvrage, tous principalement composés de longs extraits du livre, illustrent d’une façon fort éloquente l’accueil que l’époque a fait à l’œuvre de St. John de Crèvecœur. Publié dans The European Magazine and London Review du mois d’avril 1782, le premier compte rendu des Letters from an American Farmer souligne que l’ouvrage présente de nombreuses pages « aussi profondément intéressantes qu’instructives » et proposant une image très attrayante des mœurs et des coutumes des États-Unis d’alors : « Il s’agit d’un portrait efficace, bien dessiné, et présenté sous des couleurs brillantes. » Leur auteur est perçu comme « un homme au cœur bon et sensible », et son livre
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comme un « délassement utile ». Le mois suivant, le Scots Magazine parle de St. John de Crèvecœur comme d’un écrivain qui sait raconter les choses d’une « manière particulièrement vivante4 ». En juin 1782, la Monthly Review entreprend la publication d’un compte rendu qui s’étendra sur trois livraisons. On y affirme que le livre permet d’entendre la voix d’un homme qui : possède une intelligence solide et éclairée, une perception vive et intuitive, et un esprit de réflexion philosophique qui a non seulement meublé sa pensée d’idées nouvelles et originales, mais qui en a possiblement éradiqué tous les préjugés que, souvent, les livres contribuent autant à confirmer qu’à faire disparaître.
L’auteur est présenté comme un « intelligent et divertissant compagnon », et le chroniqueur de conclure sa recension en écrivant : « Nous ne pouvons nous séparer de ce bon M. Hector St. John, l’ingénieux auteur de ces nouvelles Lettres d’un fermier pennsylvanien, sans le remercier du divertissement et des renseignements qu’il nous a offerts. » Évoquant les dernières lignes de l’« Annonce » sur laquelle s’ouvre les Lettres d’un fermier américain et qui évoquent la possibilité d’un second volume de la même teneur, le rédacteur de la Monthly Review ajoute : Si [l’auteur] juge bon de communiquer au public d’autres propos sur les questions américaines, nous ne doutons pas que l’écouteront avec plaisir tous ceux qui admirent les compositions simples et naturelles — où les vérités et la simplicité s’unissent au bon sens pour fournir à l’amateur d’investigations philosophiques un amusement rationnel et des renseignements utiles5.
En septembre et en novembre 1782, le Gentleman’s Magazine consacre lui aussi une série d’articles aux Letters from an American Farmer, dans lesquels on présente le signataire du livre comme un « ingénieux et sentimental fermier américain » qui a su écrire un « touchant récit6 ». La publication originale des Letters from an American Farmer a également été soulignée par la parution d’un article en langue française. Dans son édition du 14 mars 1783, le Courier [sic] de l’Europe (un bihebdomadaire publié à Londres) affirme que la « candeur, l’ingénuité, la simplicité qui regnent dans ces lettres en rendent la lecture attrayante » et qu’elles fourmillent de « détai[l]s sur les différentes Provinces des Etats-Unis [qui] n’intéresseront pas moins le lecteur ». Jacques Pierre Brissot de Warville était un des principaux collaborateurs du Courier de l’Europe et il est vraisemblable que l’article soit de la plume de cet homme qui devait bientôt devenir l’ami de St. John de Crèvecœur. Le ton du texte est, en effet, très proche de celui qu’adoptera Brissot toutes les fois qu’il parlera des Lettres d’un cultivateur américain. C’est d’ailleurs sous la signature de Brissot, et
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toujours en Angleterre, que paraît, dans son Journal du Licée [sic] de Londres, le premier compte rendu de l’édition française de 1784 du livre de St. John de Crèvecœur : Cet ouvrage a eu un grand succès en Angleterre ; la traduction qui vient d’en paroître en France en a un semblable. M. de Crevecœur St. John en est l’Auteur & le Traducteur tout-à-la-fois. Ces lettres donneront une grande idée de son ame ; mais, ce qui vaut mieux encore, elles inspireront ou réveilleront peutêtre dans l’ame blasée des Européens le goût de la vertu & de la simplicité des mœurs ; elles leur inspireront de l’estime pour les mœurs & la vie américaines. Tout est à louer dans ces lettres ; l’amour de l’humanité semble les avoir toutes dictées. […] Je ne citerai rien de cet ouvrage ; je serois trop embarrassé dans le choix, & ne finirois pas. Les ames honnêtes doivent le lire & relire, elles y trouveront l’amusement joint à l’instruction7.
Cette traduction était attendue depuis que Pierre-Louis de Lacretelle avait fait paraître, dans le Mercure de France du 4 janvier 1783, un premier extrait en langue française de l’ouvrage (dont la diffusion a été suivie, en avril, par une petite polémique sur la question de l’esclavage). Le 24 janvier 1784, Lacretelle publiait dans le même périodique « un nouveau morceau de cet Ouvrage, dont l’Edition [lui] est confiée ». L’année suivante, dans les numéros du 22 et du 29 janvier 1785, il y faisait paraître un long compte rendu fort flatteur du livre de son protégé8. Au cours du même mois de janvier 1785, Jacob H. Meister signale lui aussi cette parution dans sa Correspondance littéraire ; il y présente les Lettres d’un cultivateur américain comme un livre : écrit sans méthode et sans art, mais avec beaucoup d’intérêt et de sensibilité, [qui] remplit parfaitement l’objet que l’auteur semble s’être proposé, celui de faire aimer l’Amérique et tous les avantages attachés au sol, à la constitution et aux mœurs des treize Provinces-Unies. […] En attendant que la moitié de l’Europe devienne une province de l’Amérique, comme elle est peut-être destinée à le devenir un jour, il me semble que, si j’étais roi, avec la meilleure intention de rendre mes sujets heureux et de ne jamais contraindre leur liberté, ce serait un des livres dont je serais le plus tenté de défendre la lecture. Il n’en est guère qui puisse être plus propre à encourager des émigrations auxquelles nos Européens ne paraissent déjà que trop disposés […]. Quelques-unes des remarques de l’auteur sur l’état et le caractère des sauvages auraient transporté J.-J. Rousseau ; il y aurait appris avec délices que plusieurs enfants enlevés pendant la guerre par les sauvages, réclamés à la paix par leurs parents, refusèrent absolument de les suivre, et se réfugièrent sous la protection de leurs nouveaux amis, pour se soustraire à l’effusion de l’amour paternel ; que d’autres, depuis leur retour, ne cessent de gémir sur la perte qu’ils ont faite, et n’en parlent jamais sans verser des larmes de douleurs.
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St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américain
Puis refusez encore de croire, si vous l’osez, que l’état naturel de l’homme n’est point la civilisation9.
Le mois suivant, en février 1785, le Journal de Paris consacre au livre une série de trois articles. Le chroniqueur note que l’auteur « répand […] dans ses descriptions le plus vif intérêt ». Il mentionne entre autres la présence, dans l’ouvrage, de « faits relatifs aux Sauvages […] très dignes de l’attention des Philosophes » et face auxquels il lui semble, à la suite de Meister, que « Jean-Jacques Rousseau ne manqueroit pas de se confirmer de plus en plus dans le systême qu’on a tant ridiculisé, & de conclure que l’état naturel de l’homme n’est point la civilisation ». Il souligne également que l’ouvrage de St. John de Crèvecœur : présente une infinité de détails particuliers & d’anecdotes curieuses, qui peignent encore mieux les Amériques que les descriptions de toutes leurs Provinces. Les travaux des Cultivateurs de ce pays & leurs succès progressifs excitent un intérêt que les habitans de nos grandes Capitales seront peut-être surpris d’éprouver à un si haut degré sur un pareil sujet, eux qui n’ont guères coutume de s’attendrir qu’à des représentations de Tragédies ou à des lectures de Romans. Il étoit réservé à l’Amérique septentrionale […] d’offrir, dès la naissance de ses Colonies, la réunion de l’innocence touchante des premiers siècles & des avantages les plus solides de la raison perfectionnée. En jettant les yeux sur ces contrées nouvelles, avant qu’elles fussent troublées par les prétentions de leur Métropole, l’ame ne reçoit que des impressions consolantes et douces10.
Au cours de 1785, Élie Fréron ouvre les pages de son Année littéraire aux Lettres d’un cultivateur américain : « un excellent ouvrage » s’exclamet-il en ouverture de son compte rendu avant de préciser ironiquement : « aussi nous vient-il de l’autre monde » (Fréron et son Année littéraire étaient les pourfendeurs des philosophes parisiens). Il continue en signalant que : Celui qui l’a composé n’est point un auteur, un faiseur de livres, un Philosophe ; c’est un bon citoyen, un bon cultivateur, un homme vertueux, qui ne parle que de ce qu’il connoît, qui ne décrit que ce qu’il a vu, & ne pense que d’après son cœur : sa main accoutumée à conduire la charrue n’a pris la plume qu’avec peine.
Et il conclut sa recension en notant : La philosophie [de notre cultivateur] est dans son cœur plus que dans sa tête ; il sent plus qu’il ne réfléchit ; il peint plus qu’il ne raisonne ; comme il ne suit que son imagination pour guide, il y a du désordre & de la confusion dans les objets qu’il décrit. De même que tous les écrivains solitaires vivement affectés il manque de goût, il est diffus & minutieux, il se répète, il épanche sans choix l’abondance des sentiments qui surchargent son ame ; mais il intéresse, il émeut, il a l’air d’aimer les hommes & de puiser son éloquence
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touchante dans son enthousiasme pour la vertu & pour l’humanité. Une chaleur dramatique anime ses récits ; il tient les cœurs dans sa main ; il y excite à son gré toutes les passions ; & dans sa prose négligée, incorrecte, mais hardie & brûlante, il montre le talent d’un grand Poëte11.
La Harpe parle lui aussi du livre dans sa Correspondance littéraire ; il y souligne que : comme il n’y a pas dans son style pas la plus légère trace d’affectation, de recherche, ni de déclamation, l’air un peu étranger et le goût de terroir qui se fait sentir dans sa manière d’écrire, ne lui nuisent point du tout, et ajoutent même encore à la vérité de son expression. [… I]l communique aux lecteurs toutes les impressions qu’il éprouve, et qui paraissent vraies et profondes. Il ne peint que ce qu’il a vu, il n’exprime que ce qu’il a senti ; il revient trèssouvent sur les mêmes idées ; mais elles sont si attachantes et si importantes, qu’on y revient sans peine avec lui. C’est toujours le sentiment des droits naturels de l’homme, tel qu’il devait être gravé dans l’ame d’un cultivateur américain, l’être le plus libre peut-être qui fût sur la surface du globe, jusqu’au moment où les Anglais ont voulu les asservir. C’est aussi le tableau continuel des travaux, des jouissances et des richesses champêtres, des vertus républicaines et du bonheur domestique. Voilà ce qui donne tant d’intérêt à la description détaillée de chacune des provinces qui composent aujourd’hui ce qu’on appelle les États-Unis. L’auteur les fait connaître parfaitement : culture, commerce, gouvernement, usages, police des villes, mœurs des campagnes, manufactures, navigation, tout est fidèlement représenté12.
Trois ans plus tard, à la suite de la parution de la nouvelle édition française de l’ouvrage en trois volumes, le Journal général de France du 12 mai 1787 signale que : ce qui tire cet ouvrage de la classe ordinaire, ce qui entraine le suffrage de toutes sortes de Lecteurs, ce sont les tableaux pleins de vie, d’intérêt, de sensibilité, qu’on y trouve répandus, & qui font autant l’éloge de l’esprit que du cœur de l’Écrivain.
Pour sa part, le Mercure de France se contente de rappeler : « Nous avons été les premiers à répondre au Public du mérite de cet Ouvrage aussi original qu’intéressant. Son succès a justifié nos éloges. » Le Journal de Paris du 17 août 1787 profite de la parution de cette nouvelle édition pour se pencher sur les raisons du succès du livre : De tous les Ouvrages qui ont paru sur l’Amérique septentrionale, ce sont peutêtre les Lettres d’un Cultivateur Américain qui ont eu le plus de succès. Quelle en est la cause ? Nous croyons qu’il faut l’attribuer sur-tout au talent singulier qu’a cet Ecrivain de faire passer toutes ses affections dans l’ame de ses Lecteurs ; ces affections sont vives, pleines & abondantes : rien ne ressemble moins aux petits sentimens superficiels & secs de nos beaux-esprits à la mode. Et quel en est leur objet ? Un peuple qui nous reporte, pour ainsi dire, au règne de la bonne nature, à l’origine de Sociétés […]13.
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St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américain
La sympathie retenue des États-Uniens C’est donc avec un concert d’éloges que les Européens ont souligné la parution de l’ouvrage de St. John de Crèvecœur. Les premiers lecteurs états-uniens des Letters from an American Farmer ont eux aussi accueilli le livre avec sympathie, mais sans plus, et surtout avec une certaine retenue. Depuis l’époque de sa publication londonienne originale, en 1782, jusqu’aux lendemains de son édition américaine de 1793, les journaux du pays ont consacré une quarantaine d’articles au livre de St. John de Crèvecœur, lesquels se réduisent cependant à la présentation d’extraits de l’ouvrage14. En mars 1783 et en janvier 1784, Benjamin Franklin, l’ÉtatsUnien le plus célèbre et le plus influent de son temps, en recommandait la lecture à deux correspondants en quête de renseignements sur les possibilités d’établissements aux États-Unis : En ce qui concerne les conditions permettant d’acquérir des terres en Amé rique, et la manière de commencer de nouveaux établissements sur ces dernières, je ne peux donner de meilleurs renseignements que ceux qu’il est possible de trouver dans un livre récemment publié à Londres sous un titre du genre Letters from a Pennsylvania Farmer, par Hector St. John. Il existe un livre récemment publié à Londres, écrit par M. Hector St. John sous le titre de Letters from an American Farmer, qui contient une grande quantité de renseignements sur ces sujets ; et comme je sais que l’auteur est un homme intelligent et observateur, je suppose que les renseignements sont à l’avenant et je vous recommande la lecture du livre15.
La formulation de ces dernières lignes laisse cependant entendre que si leur signataire connaît St. John de Crèvecœur, il semble par contre ne pas avoir lu son ouvrage. Quelques années plus tard, Franklin considèrait toujours le livre de St. John de Crèvecœur comme un « excellent travail ». C’est en tout cas ce qu’il affirme à l’auteur lorsqu’il lui écrit en février 1788 pour le remercier de l’exemplaire de l’édition de 1787 des Lettres d’un cultivateur américain que St. John de Crèvecœur lui a récemment fait parvenir : « un cadeau des plus agréables », selon l’illustre États-Unien. Cette fois, Franklin semble avoir parcouru à tout le moins les premières pages de l’ouvrage puisqu’il y a remarqué ce qu’il considère comme une « honorable mention » de son nom. On peut en effet y lire que « Benjamin Franklin a enseigné aux Habitans de cette vaste contrée, le secret d’attirer la foudre au sein des nuages, de la diriger de manière à garantir leurs édifices & leurs vaisseaux de ses ravages16 » : une allusion à son invention du paratonnerre. Et Franklin ajoute enfin : « La lumière favorable sous laquelle vous avez placé notre pays aura, j’en suis persuadé, l’heureux effet d’inciter nombre de valeureuses
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ersonnalités européennes à déménager et à s’établir parmi nous, lesquelles p seront une acquisition des plus avantageuses pour nous17. » Or c’est précisément ce qui a mis mal à l’aise nombre des anciens compatriotes de St. John de Crèvecœur : il leur semblait que les Letters from an American Farmer présentaient les États-Unis sous une lumière trop favorable, trop attrayante, trop attirante. Si, pour certains États-Uniens, la lecture du livre s’avérait un « régal18 », plusieurs se sont empressés de prévenir ceux qui se laissaient séduire par l’ouvrage que la vie au sein de leur nouvelle nation n’était pas aussi idyllique que le faisait croire St. John de Crèvecœur. Ainsi, lorsque George Washington se penche, dans une lettre du 9 juin 1788, sur la valeur des « publications européennes » concernant son pays, c’est pour souligner qu’« elles sont généralement très imparfaites » et que, « parmi les livres présentement existants », les deux meilleurs sont, selon lui, les Notes on the State of Virginia de Thomas Jefferson, et les Letters from an American Farmer. De l’avis du principal héros de la révolution américaine, qui devait devenir quelques mois plus tard le premier président des États-Unis, ces lettres : écrites par M. Crèvecœur (généralement appelé M. St. John), le consul français de New York (lequel a, de fait, résidé pendant 20 ans comme fermier dans cet état), fourniront une grande quantité de renseignements profitables et distrayants à propos de la vie domestique des Américains, ainsi que sur le développement de l’agriculture, des manufactures et des arts dans leur pays.
Mais Washington ajoute aussitôt une mise en garde : « Le portrait qu’il en donne, quoique fondé sur les faits, est peut-être dans certains cas enjolivé de détails par trop flatteurs19. » Thomas Jefferson était de la même opinion. Dans une lettre du 9 août 1788, écrite alors qu’il est en poste à Paris à titre de représentant du Congrès continental, il prévient le comte de Moustier (ministre plénipotentiaire délégué par le roi de France auprès des États-Unis) que « le Cultivateur Américain a été trop enclin à voir le bon côté [de mon pays] qui, comme tous les autres pays, présente deux côtés ». Quelques mois auparavant, Jefferson avait reçu une lettre d’un certain Ferdinand-Marie Bayard de la Vingtrie. Ce dernier avait le projet d’émigrer aux États-Unis et signalait (en français) à l’émissaire états-unien : La Lecture des ouvrages de Messrs. de crevecœur et price20 me font attendre avec l’impatience la plus vive L’heureux moment où je me verrai parmi Des hommes qui se sont fait une forme de gouvernement où la Dignité de L’homme n’est point avilie par de frivoles et abusives distinctions, où Le total n’est point occupé à L’unité.
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Le 12 février 1788, Jefferson entreprend de modérer (en français) l’enthousiasme de son correspondant en utilisant pratiquement les mêmes mots que dans sa lettre au comte de Moustier : peutêtre […] que vous trouverez encore la difficulté de la langue et la difference d’us[ages] plus [rebutantes] que vous ne le croyez. M. de crevecœur vous fait voir notre [beau coté]. Je prends la liberté de vous envoyer une petite brochure de M. Franklin21 où vous verrez que tout n’est pas de [connoître ses egaux]. Enfin qu’aussi bien que les autres nous avons du bon et du mauvais.
Bayard de la Vingtrie prendra plus d’un an et demi pour répondre à cette missive. Dans un pli daté du 9 octobre 1789, rédigé en anglais cette fois, il remercie Jefferson (alors rentré aux États-Unis) de lui avoir fait parvenir sa lettre de février 1788 et la brochure qui y est mentionnée : deux documents que Bayard de la Vingtrie décrit comme de « sages avertissements, propres à calmer l’ardeur d’esprit d’un jeune homme exalté par les portraits enchanteurs de M. Crevecœur22 ». En 1791, Bayard de la Vingtrie finit par faire un séjour aux États-Unis dont il rendra compte, en 1797, dans un récit intitulé Voyage dans l’intérieur des États-Unis. Son expérience des réalités américaines lui permettra d’affirmer que St. John de Crèvecœur « donna plus à la fiction qu’à la vérité », tout en notant que l’auteur a cependant écrit « un roman trèsagréable ». Bayard de la Vingtrie raconte entre autres une soirée au cours de laquelle « on s’occupa des auteurs français qui avaient écrit sur les États-unis ». Le visiteur laisse alors la parole à l’un de ses interlocuteurs américains, lequel considère que St. John de Crèvecœur s’est montré « excessivement adulateur […]. Les faits sont altérés, les anecdotes dénaturées, les espèces ou les instincts des oiseaux sont multipliés. » Et Bayard de la Vingtrie de conclure la discussion en demandant à son informateur d’admettre tout de même avec lui « que l’ouvrage de Crevecœur est bien écrit, qu’il a rempli son cadre avec beaucoup de graces, et que si ce n’est qu’un roman, c’est au moins un très-joli roman23 ». Le fait que d’éminents États-Uniens aient pu se sentir dans l’obligation de tempérer l’enthousiasme que pouvait susciter la lecture des Lettres d’un fermier américain indique qu’ils étaient en position de constater que le public européen accordait énormément de crédibilité à l’ouvrage de St. John de Crèvecœur. Leur réaction signale que le livre et son auteur bénéficiaient d’une grande notoriété, voire d’une notoriété un peu trop grande à leur goût. La célébrité de cette publication allait toutefois être de courte durée car, malgré l’importance des échos qu’elles ont pu recevoir lors de leur parution et au cours de la décennie qui a suivi, les Lettres d’un fermier
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américain devaient sombrer pendant cent ans dans un oubli presque complet, cela tant aux États-Unis qu’en Europe. C’est seulement dans les dernières décennies du XIXe siècle, à la faveur du nouvel intérêt que les États-Uniens commencent alors à montrer pour leur passé, que ces derniers se sont mis à considérer le livre de St. John de Crèvecœur comme un témoignage de première importance sur la vie et la mentalité étatsuniennes au tournant de leur révolution. On assiste depuis lors à un curieux renversement de situation. Les Letters from an American Farmer figurent dorénavant au panthéon de la littérature des États-Unis et l’ouvrage y est régulièrement réédité, tandis qu’après avoir fait de son auteur une des célébrités des salons parisiens de la fin du XVIIIe siècle, le livre est p ratiquement ignoré des lecteurs et des chercheurs francophones d’aujourd’hui.
Le fruit d’un « croisement fortuit » Les Lettres d’un fermier américain sont donc considérées comme une des toutes premières œuvres authentiquement états-uniennes. L’auteur du livre n’est pourtant pas originaire des États-Unis et il n’est pas non plus le premier ni le seul Européen du XVIIIe siècle à avoir écrit sur cette nation. Pour que cette dernière y reconnaisse l’expression de traits fondateurs de sa littérature, le livre doit présenter quelques caractéristiques particulières : quelque chose de suffisamment original pour être perçu comme une des manifestations originelles de l’identité culturelle états-unienne. Contrairement à la plupart des autres ouvrages que des auteurs étrangers ont consacré à la description des contrées qui devaient se donner le nom d’États-Unis d’Amérique, les Lettres d’un fermier américain ne sont pas l’œuvre d’un simple visiteur. St. John de Crèvecœur s’était installé dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord dans le but d’y rester. Il y a séjourné plus de vingt ans, il y était chez lui et c’est contre son gré qu’il dut se résoudre à regagner son pays d’origine. Ses écrits décrivent un monde qu’il avait fait sien. Mais le regard qu’il porte sur les institutions, les coutumes et la nature de son pays d’adoption demeure malgré tout celui d’un étranger : d’un individu qui peut s’étonner et s’émerveiller de ce qui, pour les natifs de l’endroit, relève de l’habituel et du banal. Son point de vue sur les réalités états-uniennes du temps est à la fois celui d’un observateur extérieur et de quelqu’un qui les connaît de l’intérieur. Sa position est proprement celle d’un immigrant : un mot dont l’usage s’est d’ailleurs répandu dans la langue française du vivant de St. John de Crèvecœur. Aussi peut-on considérer son œuvre comme une des toutes premières expressions de ce qu’on appelle aujourd’hui les phénomènes
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St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américain
Figure 1. Ubi panis, et libertas, ibi Patria. Dessin de Claude Bornet, gravure de Pietro Antonio Martini. Page frontispice, Lettres d’un cultivateur américain, 1787. Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
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transculturels, ce qui explique en partie le regain d’intérêt qu’elle suscite depuis les dernières décennies. Lorsqu’il rédige ses Lettres d’un fermier américain, St. John de Crèvecœur n’est plus tout à fait le Français qu’il a été et n’est pas encore l’États-Unien qu’il est en train de devenir : il est à la fois l’un et l’autre, et son œuvre tient toute dans ce « et ». Elle participe de deux mondes : d’une culture française alors parfaitement établie et d’une culture états-unienne en devenir24. Elle est la manifestation de ce qu’on appelle aux États-Unis une hyphenated identity : une identité à trait d’union, qui s’exprime d’ailleurs à même la signature composite de St. John de Crèvecœur, qu’il s’est forgée aux premiers jours de son retour en France en amalgamant le nom anglais sous lequel il a choisi de vivre aux États-Unis à celui qu’il doit à ses origines françaises. St. John de Crèvecœur n’était cependant pas seul à se reconnaître ainsi une nouvelle identité hybride, composite. Au sein de la « collectivité neuve » (pour reprendre l’expression de Gérard Bouchard) dont il faisait partie, beaucoup de gens vivaient la même expérience de métissage identitaire. Un « nouvel homme » était en train de voir le jour aux États-Unis : un être que St. John de Crèvecœur présente, dans ses Lettres d’un fermier américain, comme le fruit d’un « croisement fortuit » similaire à celui qui a donné lieu à sa nouvelle identité. La description des conditions d’apparition et d’existence de ce « nouvel homme » constitue d’ailleurs un des principaux motifs de son livre, et les pages de la Lettre III, intitulée « Qu’est-ce qu’un américain ? », qu’il consacre à ce sujet, figurent parmi les segments les plus célèbres et les plus souvent cités des Lettres d’un fermier américain : Diverses raisons ont amené d’une façon ou d’une autre les pauvres de l’Europe à se rassembler en ce vaste asile américain. Pourquoi chercheraient-ils à y reconnaître ceux qui sont leurs compatriotes ? Les deux tiers des hommes n’ont hélas pas de pays. Le malheureux qui erre à l’aventure, qui travaille et souffre de la faim, dont la vie est un incessant spectacle de douloureuse affliction ou de cinglante pénurie, peut-il donner à l’Angleterre ou à n’importe quel autre royaume le nom de pays ? Un pays qui n’avait pas de pain pour lui, dont les champs ne lui apportaient pas de moissons ; un homme qui ne connaissait rien d’autre que la menace du riche, la rigueur des lois, avec leurs prisons et leurs châtiments, qui ne possédait pas la moindre parcelle de la vaste surface de cette planète ? Non ! Diverses raisons les ont poussés à venir ici. Tout a contribué à leur régénération : de nouvelles lois, un nouveau mode de vie, un nouveau système social. Ici, ils deviennent des hommes ; en Europe, ils étaient des plantes inutiles, manquant de terreau et d’averses rafraîchissantes ; ils se fanaient et étaient fauchés par le besoin, la faim et la guerre ; mais par la transplantation, comme n’importe quelle autre plante, ils ont désormais pris racines et fleuri ! Auparavant, leur pays ne leur accordait aucun autre titre que celui de pauvres ; ici, ils ont le rang de citoyen. […]
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Quel attachement un pauvre émigrant européen peut-il ressentir envers un pays où il ne possédait rien ? La connaissance de la langue et l’affection de quelques parents aussi pauvres que lui étaient les seuls liens qui l’y attachaient ; son pays est désormais celui qui lui donne de la terre, du pain, qui le protège et fait de lui un homme d’une certaine conséquence : Ubi panis, ibi patria, telle est la devise de tous les émigrants. Qu’est-ce donc que l’Américain, ce nouvel homme ? Un Européen, ou le descendant d’un Européen, d’où cet étrange mélange de sangs que vous ne trouverez dans aucun autre pays. […] Est américain celui qui, abandonnant derrière lui toutes ses anciennes opinions et coutumes, en adopte de nouvelles qui se forment au contact du nouveau mode de vie qu’il a embrassé, du nouveau gouvernement auquel il obéit et du nouveau rang qu’il occupe. Il devient américain à partir du moment où il est accueilli au sein de notre vaste alma mater. Ici, des individus de toutes les nations sont fondus en une nouvelle race d’hommes dont les travaux et la postérité seront un jour la cause de grands changements de par le monde. […] L’Américain est un nouvel homme, qui agit selon de nouveaux principes ; il développera par conséquent de nouvelles idées et se formera de nouvelles opinions. Il est passé de l’oisiveté involontaire, de la dépendance servile, de la pénurie et des labeurs inutiles, à des travaux d’une nature très différente, avec une ample subsistance pour récompense. — C’est ça, un Américain.
Pour St. John de Crèvecœur, être américain, c’est devenir quelqu’un : somebody, comme on le dit en anglais, et ne plus être le nobody que des lois injustes et la pauvreté faisaient auparavant de soi. On n’est pas américain parce qu’on vient des États-Unis mais parce qu’on y va ; non parce qu’on est originaire de ce pays mais parce qu’on y sera à l’origine de quelque chose. On s’y fait soi-même (on est un self-made man), on y devient le fondateur d’une famille, d’une entreprise, d’un nouveau système de gouvernement, etc. Aux yeux de St. John de Crèvecœur, l’identité des individus et des nations n’est pas liée à une origine ethnique ou religieuse ; elle tient à une adhésion à un certain projet sociopolitique. En décrivant les États-Unis comme un endroit où « des individus de toutes les nations sont fondus [melted, dans la version originale anglaise] en une nouvelle race d’hommes », il esquisse ce qui deviendra un des concepts fondateurs de l’identité états-unienne moderne : celui du melting pot, d’un creuset où se mêlent et se fondent les cultures du reste de la planète. Au XVIIIe siècle, ces propos sont loin d’être originaux : on en retrouve de semblables sous les plumes de Benjamin Franklin et de Thomas Paine. L’idée d’une Amérique régénératrice du genre humain n’a rien non plus de bien nouveau. Depuis que les pèlerins du Mayflower ont mis le pied à Plymouth, au sud de Boston, en septembre 1620, on n’a cessé de considérer que ce continent était destiné à être le lieu de l’avènement d’une nouvelle Jérusalem et d’un nouvel Éden fondé sur le respect des lois de Dieu et des
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hommes. St. John de Crèvecœur est cependant le premier à exprimer ces idées sur un mode proprement littéraire.
Composer avec la réalité Les Lettres d’un fermier américain prétendent cependant être tout le contraire d’un roman. Tout y est mis en œuvre de façon à faire croire à l’authenticité des anecdotes qui ponctuent le récit et des personnages qu’on y croise. Au moment de sa publication, le livre a été perçu par l’ensemble de ses lecteurs comme un document d’actualité des plus véridiques et on continue souvent à le considérer comme un témoignage historique d’une grande crédibilité. Mais, ainsi qu’on l’a vu, ceux qui étaient familiers avec les réalités américaines dont le livre prétend rendre compte ont tous souligné que St. John de Crèvecœur y montrait uniquement les meilleurs aspects du mode de vie qui avait cours aux États-Unis. Cet embellissement de la réalité en a choqué plus d’un, comme le marquis de Lezay-Marnézia qui notait, en 1801, dans ses Lettres écrites des rives de l’Ohio, que : Ceux qui ont ajouté foi à cet écrivain exagérateur ont été complettement trompés. Comme ces peintres qui ne pouvoient pas peindre Hélène belle, la peignoient riche & fardée, M. de Crevecœur ne sachant pas rendre la Nature telle qu’elle s’offroit à ses yeux, sublime, magnifique & souvent enchanteresse, il en a fait des tableaux gigantesques ; cela étoit plus aisé25.
Plusieurs de ces critiques en ont conclu que l’auteur de l’ouvrage cédait « plus à la fiction qu’à la vérité », ainsi qu’on a précédemment pu le lire sous la plume de Bayard de la Vingtrie. D’autres iront jusqu’à affirmer, comme le fera Antoine Jay en 1812, dans un ouvrage intitulé Le Glaneur, qu’il faut : se méfier des romans de M. de Crevecœur qui ont séduit beaucoup de lecteurs, et qui ne donnent qu’une idée fausse et exagérée de l’Amérique du Nord, de son climat, de ses habitans, de leurs mœurs et du bonheur qui attend les étrangers dans ce pays26.
Mais la plupart de ces commentateurs s’entendent tout de même pour reconnaître que, si les Lettres d’un fermier américain ne sont peut-être rien de plus « qu’un roman, c’est au moins un très joli roman », pour emprunter encore une fois les mots de Bayard de la Vingtrie. Même le plus virulent des détracteurs de l’œuvre de St. John de Crèvecœur était de cet avis. Dans un pamphlet publié anonymement en 1783 sous le titre de Remarks on The Letters from an American Farmer : or, A Detectation of the Errors of Mr. J. Hector St. John ; Pointing out the
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Pernicious Tendency of these Letters to Great Britain, le révérend Samuel Ayscough, bibliothécaire au British Museum, a été le tout premier à remettre en question la véracité documentaire des Lettres d’un fermier américain. Il leur reconnaît toutefois une certaine valeur littéraire, et s’il se dit prêt à accepter qu’on en continue la diffusion, c’est à la condition de les cantonner au statut d’œuvre de fiction : En tant que roman, ce livre fournira quelque amusement aux lecteurs désœuvrés qui sont les seuls soutiens des bibliothèques itinérantes. Je souhaiterais voir les Lettres du fermier américain exclusivement réservées à de tels dépositaires et à de tels lecteurs27.
Ainsi s’est-on très vite accordé pour prévenir les lecteurs des Lettres d’un fermier américain que la valeur du livre tenait davantage à ses qualités expressives qu’à son aspect documentaire : une conclusion qui reconnaît implicitement le caractère spécifiquement littéraire de l’ouvrage. Il s’avère donc, même si la chose n’est pas tout à fait évidente à première vue, que le livre de St. John de Crèvecœur est traversé par un ensemble d’éléments sinon proprement fictifs, de pure invention, à tout le moins présentés sur le mode de la fiction. Globalement, l’ouvrage relève de l’essai dans la mesure où son propos est de présenter des faits et de discuter d’idées. Toutefois, St. John de Crèvecœur ne cesse d’y faire valoir ses vues par l’entremise de personnages et de récits comme on en trouve dans les romans. Ainsi le livre est-il à la frontière de deux genres : un essai-fiction, un docuroman (Howard C. Rice le décrit pour sa part comme un « documentaire romancé28 »), une œuvre hybride, à l’image et de l’identité composite de son auteur et du « nouvel homme » que présente l’ouvrage. Mais la place du livre de St. John de Crèvecœur est malgré tout au rayon de la littérature dans la mesure où la narration y est soumise à des effets de composition qui sont le fruit d’un évident souci esthétique et qui lui donnent un fini nettement plus achevé que celui des ouvrages de ses contemporains. Ce travail d’écriture éminemment créatif permet d’affirmer avec Larzer Ziff que les Lettres d’un fermier américain « sont constitutives d’une réalité plutôt que le reflet d’une réalité dont l’existence leur aurait été indépendante29 ». Ce caractère littéraire des Lettres d’un fermier américain se manifeste également par la présence, au sein de l’ouvrage, d’un ensemble de thématiques et de structures formelles dans lesquelles plusieurs commentateurs voient les embryons de ce qui était destiné à constituer une partie des traits distinctifs de la littérature états-unienne. Certains considèrent la structure du livre (constitué d’un ensemble de lettres, ce qui le lie à la mode des récits épistolaires qui avait cours à l’époque) comme les débuts d’une
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tradition de narration fragmentée typique de la littérature états-unienne, dont les grands livres sont souvent des recueils de nouvelles et dont les romans se caractérisent (avec des auteurs comme Faulkner, Dos Passos, etc.) par des narrations discontinues, morcelées30. Par le passé, cette structure fragmentaire des Lettres d’un fermier américain a conduit plusieurs commentateurs à percevoir l’ouvrage comme un assemblage de segments accolés les uns aux autres sans réelle cohérence et à en faire une lecture pour le moins parcellaire. On tend maintenant à se montrer plus sensible au caractère dialogique et polyphonique des relations entre les différentes parties du texte, lesquelles proposent des variations de perspectives entraînant une relativisation des points de vue exprimés par les diverses instances narratives du récit. Le fait que le livre soit traversé par un questionnement identitaire apparaît comme la première manifestation d’une tendance vouée à devenir une des thématiques dominantes de la littérature étatsunienne. D’autres perçoivent dans le personnage de James, le principal narrateur de l’ouvrage, qui refuse de se considérer comme un écrivain, le prototype de la figure états-unienne de l’écrivain en tant qu’« artiste manqué », pour qui l’action est plus importante que l’écriture, pour qui la littérature n’est pas une fin en soi, qui prétend ne pas être un écrivain de métier, qui se veut aussi peu « artiste » que le sont ses lecteurs.
D’Amérique et de France La littérature états-unienne est donc parfaitement justifiée de considérer les Lettres d’un fermier américain comme une œuvre authentiquement sienne. La sensibilité particulière de leur auteur, qui lui a permis d’être réceptif aux valeurs qui commençaient alors à donner forme à l’identité socioculturelle des États-Unis, est toutefois liée à l’esprit des Lumières françaises. En bon États-Unien qu’il voulait devenir, St. John de Crèvecœur affiche par moments un pragmatisme qui fait écho aux propos du Poor Richard’s Almanack dont Benjamin Franklin avait commencé la publication une génération auparavant. Mais son livre présente de nombreuses pages imprégnées d’un idéalisme préromantique rappelant les exaltations d’un Jean-Jacques Rousseau ou d’un Bernardin de Saint-Pierre. C’est pourquoi Howard C. Rice a raison d’insister sur le fait que les Lettres d’un fermier américain sont « un livre “ des deux mondes ” ; et le considérer étroitement au point de vue d’un seul continent c’est diminuer singulièrement et son intérêt et son importance31 ». Or la culture québécoise participe de ces deux mêmes mondes : nous aussi sommes à la fois d’Amérique et de France. Aussi sommes-nous dans
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une meilleure position que ceux qui les lisent du seul point de vue français ou états-unien pour comprendre l’aspect fondamentalement hybride des Lettres d’un fermier américain. Les États-Unis s’y reconnaissent dans un portrait d’eux-mêmes où il y a un peu de nous-mêmes. À lui seul, le fait a de quoi éveiller la curiosité des lecteurs québécois : la découverte de cette œuvre que les États-Unis identifient comme le texte fondateur de leur littérature nationale nous permettra peut-être d’en apprendre davantage sur notre propre identité culturelle — une découverte qu’on se propose de rendre possible grâce à la traduction française intégrale du texte original des Letters from an American Farmer de 1782 figurant dans la présente publication. Mais pourquoi ne pas plutôt avoir reproduit les éditions françaises de l’ouvrage que St. John de Crèvecœur a publiées en deux temps, en 1784 et 1787, sous le titre de Lettres d’un cultivateur américain ? Parce qu’elles constituent moins une traduction qu’une adaptation du livre original. Le texte anglais de 1782 compte environ 90 000 mots ; on en dénombre 200 000 dans la version française de 1784, et l’édition de 1787 totalise 333 000 mots. De plus, St. John de Crèvecœur n’a pas uniquement ajouté un grand nombre de textes aux douze lettres qui composent le livre de 1782 ; il les a adaptées au goût français de l’époque, cela tant sur les plans du contenu que de la forme. Sans doute sous l’influence des nouveaux amis parisiens de leur auteur, les Lettres d’un cultivateur américain prennent ouvertement le parti des rebelles américains, alors que les Lettres d’un fermier américain adoptent une position nettement plus nuancée. D’autre part, la langue de l’édition originale anglaise se caractérise par des lourdeurs et des maladresses typiques de quelqu’un qui, comme c’était le cas de St. John de Crèvecœur, ne s’exprime pas dans sa langue maternelle. Les Letters from an American Farmer sont rédigées dans un idiome très proche de celui qu’on parlait dans les campagnes états-uniennes de l’époque ; les Lettres d’un cultivateur américain sont écrites dans un français de salon : elles sont au texte original ce qu’un jardin à la française est à la campagne de la Nouvelle-Angleterre. Le ton du livre est entièrement transformé, ce qui altère du même coup l’essentiel de sa teneur et la plus grande partie de sa valeur. Tous les commentateurs de l’œuvre de St. John de Crèvecœur s’accordent d’ailleurs pour reconnaître que la version originale de l’ouvrage est de loin la meilleure. D’où la pertinence d’une traduction la plus fidèle possible au texte original.
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Figure 2. Lettres d’un cultivateur américain, 1784. Page de titre de l’édition originale. Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
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Figure 3. Lettres d’un cultivateur américain, 1787. Page de titre de l’édition originale. Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
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Le « semeur de sentiments » Qu’est-ce donc que ces Lettres d’un fermier américain, ce docuroman de l’American Dream ? Le livre s’ouvre sur une « Annonce » suivie d’une dédicace à l’abbé Raynal dans laquelle le signataire du livre inscrit ce qu’il présente comme ses « pauvres réflexions » et ses « petits travaux » dans la filiation de l’Histoire philosophique et politique du commerce et des établissements des Européens dans les deux Indes : un des ouvrages les plus célèbres et les plus lus de l’époque. Puis, le lecteur plonge dans la première lettre de James, le fermier américain qu’il est invité à considérer comme l’auteur du livre qu’il a entre les mains. Les premières lignes de l’« Annonce » déclarent en effet que les textes inclus dans cet ouvrage sont « le pur produit du fermier américain qui les signe », et le paraphe « J. Hector St. John » apparaissant en couverture ainsi qu’à la fin de la dédicace semble sanctionner cette affirmation. En s’identifiant ainsi sous une signature dans laquelle son premier prénom est réduit à une simple initiale, l’auteur laisse croire à ses lecteurs que ce « J. » pourrait désigner James, le signataire fictif de l’ensemble des lettres réunies dans l’ouvrage (qui s’identifie par ailleurs dans le texte sous les initiales « J. S. », ce qui permet de supposer que son nom de famille pourrait être St. John). Or l’acte de naturalisation du 23 décembre 1765, qui a fait de St. John de Crèvecœur un citoyen de la province de New York, nous apprend que notre auteur a vécu aux États-Unis non pas sous l’appellation de James mais plutôt de John Hector St. John. Intitulée « Introduction », la Lettre I décrit les circonstances qui ont conduit James à entreprendre une correspondance avec un certain F. B. : un interlocuteur britannique qui demande de lui communiquer des informations sur l’Amérique. James inaugure cet échange de lettres en racontant ce qui s’est passé lorsqu’il a montré à son ministre et à son épouse la missive dans laquelle F. B. l’invitait à devenir son correspondant. L’épouse de James a d’abord tenté de dissuader son mari de se lancer dans une entreprise qui risque, selon elle, de nuire au bonheur de leur famille. Elle craint que cette correspondance ne fasse jaser les gens du voisinage et elle ne croit pas qu’il soit possible, en Amérique, de faire comme ces Anglais qui « vivent là-bas de leurs écrits », ce qui, selon elle, signifie : « vivre sans travailler grâce à ce qu’ils appellent des billets de banque ». Aux yeux de l’épouse de James, l’écrit se confond au papier sur lequel il est tracé et elle assimile ce dernier aux billets de banque, au papier-monnaie. Ainsi amalgame-t-elle le fait de deviser par écrit de choses et d’autres à l’établissement de devises auxquelles elle ne fait pas confiance.
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Le ministre, au contraire, encourage James à se lancer dans l’aventure. Il est convaincu qu’en communiquant à son correspondant européen des descriptions de la nature et des nouveaux établissements de l’Amérique, James lui permettra de profiter d’un spectacle beaucoup plus intéressant que peuvent l’être, pour reprendre l’exemple de son pasteur, les ruines de Pompéi qui attirent alors tant de voyageurs en Italie. Après avoir fait part à son interlocuteur de la teneur de cette discussion, James lui annonce qu’il accepte de devenir son correspondant mais à une condition : F. B. devra lui indiquer les sujets sur lesquels il souhaite le voir se pencher. La Lettre II « Sur la situation, les sentiments et les plaisirs d’un fermier américain » propose une description idyllique de l’existence champêtre du fermier américain. Se présentant comme un « semeur de sentiments » (un « farmer of feelings », dans le texte anglais), James dépeint avec attendrissement les menus plaisirs qu’il connaît sur sa ferme ainsi qu’auprès de sa femme et de ses enfants. Été comme hiver, rien ne vient troubler cet univers bucolique, si ce n’est le saccage, par un troglodyte, du nid d’une « pacifique hirondelle » que James compare au « paisible quaker ». Il s’efforce de faire partager à F. B. l’émerveillement que font naître en lui les chants des oiseaux ainsi que les comportements des animaux et des insectes vivant dans les environs de son établissement. Les abeilles l’intéressent plus particulièrement. James raconte entre autres comment, après avoir ouvert la gorge d’un tyran tritri (un oiseau qu’on appelle kingbird en anglais), il en a libéré des dizaines d’abeilles qui « sont joyeusement retournées à la ruche où elles ont probablement fait part à leurs compagnes de cette aventure et de cette évasion comme, j’imagine, on n’en avait jamais connue de mémoire d’abeilles américaines » : une scène dans laquelle plusieurs commentateurs voient, à l’instar de D. H. Lawrence, « une parabole de la résurrection américaine » dans laquelle les abeilles, « comme de vrais yanks, fu[ient] le jabot du roitelet [sic] d’Europe32 » ! Dans cette lettre, James fait état d’expériences personnelles. Dans la suivante, intitulée « Qu’est-ce qu’un Américain ? », le « je » cède la place au « nous » : James parle dorénavant au nom de ses compatriotes et, du simple témoignage, on passe à une esquisse de réflexion sociologique et historique. James ne traite plus du mode de vie d’un Américain parmi tant d’autres ; il est désormais question de l’Américain : un personnage qui acquiert dès lors une dimension mythique. « Qu’est-ce que donc que l’Américain, ce nouvel homme ? » : un mélange d’Européens de souches diverses, répond James. Fuyant la pauvreté et les préjugés qui règnent sur le Vieux Continent, ces émigrants découvrent un monde où l’écart entre pauvres et riches est moins grand qu’il ne l’était dans leurs pays d’origine. Ils ne sont plus soumis aux contraintes imposées par les privilèges aristo-
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cratiques et travaillent désormais à leur propre profit. Ils ne sont plus confrontés aux dangers de l’intolérance religieuse car la grande diversité de confessions qui ont droit de cité en Amérique, et particulièrement en Pennsylvanie, a pour conséquence que les membres de chaque secte particulière ne sont jamais assez nombreux pour être en mesure d’imposer leurs vues à ceux qui ne sont pas de la même foi qu’eux. Ils vivent désormais dans ce qui n’est rien de moins, selon James, qu’une sorte de Paradis terrestre : « la plus parfaite des sociétés existant actuellement de par le monde ». James signale cependant que les conditions d’existence de ces nouveaux hommes ne sont pas les mêmes selon qu’ils vivent dans les villes bordant la mer, à la campagne ou sur la frontière (un mot qu’il faut entendre en conservant à l’esprit la distinction que fait la langue anglaise entre « border », c’est-à-dire la frontière entre deux pays, et « frontier », qui désigne plus précisément, ainsi que l’écrit Howard C. Rice, « la limite avançante entre la région colonisée par les Blancs et la forêt vierge33 »). À l’est, dans les établissements de la côte Atlantique où ne cessent de transiter les bateaux européens, on s’adonne au commerce. À l’ouest, sur la frontière, en contact avec les Indiens, on vit dans un monde qui n’a pas encore été domestiqué par la charrue du cultivateur. Or si James compare souvent le destin du fermier américain à celui d’une plante, les pionniers de l’arrière-pays, parce qu’ils doivent se résoudre à vivre principalement des produits de la chasse, lui « semblent n’être rien de plus que des animaux carnivores d’un rang supérieur ». Mais ces chasseurs sont destinés à être repoussés au fur et à mesure que les cultivateurs pénètrent à l’intérieur du continent. C’est dans les régions agricoles, présentées comme un « espace intermédiaire », que les Américains peuvent goûter, à l’instar de James, aux bonheurs de l’existence idyllique qui a été le sujet de la lettre précédente. Cet « espace intermédiaire » est délimité à l’est par les villes du littoral, ouvertes sur la mer et le commerce avec l’Europe (c’est-à-dire la culture et la civilisation) et, à l’ouest, par des établissements entourés par la forêt et les Indiens (la nature et la wilderness, le monde sauvage). Le domaine du fermier américain se situe entre la forêt sauvage et la « jungle » commerciale des villes : deux frontières dont les tracés flottants n’ont pas la précision de ce que la langue anglaise entend par le mot « border ». Or James laisse entendre que les hommes vivant au sein de ces régions qui déterminent le contour de sa « souriante contrée » connaissent une existence similaire à celle des pauvres Européens, qui ne sont même pas aussi bien traités que des animaux : leur seigneur a, pour eux, « moins d’estime que pour son cheval de chasse favori ou son inutile chien de salon » (James reprendra la même image plus loin, lorsqu’il affirmera que les planteurs
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de la Caroline du Sud n’accordent pas à leurs esclaves « la moitié de la gentillesse et de l’affection qu’ils accordent à leurs chiens et à leurs chevaux »). Les hommes qui vivent en forêt et ceux qui vivent en Europe connaissent donc un semblable destin animal : les premiers sont assimilés à des animaux carnivores, les seconds sont moins appréciés que des animaux de compagnie. Mais il leur est possible d’échapper à ce sort en habitant l’espace intermédiaire des zones agricoles. Ce lieu, ou plus précisément ce milieu, est celui d’un ordre végétal qui ne s’oppose pas au deux mondes de la forêt et de la mer ouvrant sur le commerce et l’Europe, mais à ce qui, dans ces deux mondes, participe d’une même sauvagerie et rabaisse les hommes à un rang proche de celui des animaux. Après avoir ainsi défini la structure sociogéographique de son environnement, James revient de nouveau sur le parcours par lequel les immigrants passent de l’Europe et de la pauvreté à l’Amérique et à un mode de vie qui leur assure aisément leur subsistance. Il illustre ce processus avec l’« Histoire d’Andrew l’Hébridéen », le récit de l’arrivée à Philadelphie d’un immigrant d’origine écossaise qui, au bout de quelques années, devient un nouvel homme : un Américain jouissant pleinement de la liberté et des droits que lui confère son statut de citoyen. Ces pages des Lettres d’un fermier américain ne proposent pas une image idéalisée des réalités socioculturelles et politiques de leur époque : elles affirment que ces réalités sont constitutives d’un mode de vie idéal. James n’embellit pas son existence de fermier américain : il soutient que nul ne saurait mener une plus belle existence que celle qui est la sienne. Le personnage du fermier américain n’est pas l’incarnation d’une Amérique idéale mais d’un idéal dont il est possible de se rapprocher en s’installant en Amérique.
Les laboureurs de la mer On passe alors à la Lettre IV dans laquelle James entreprend la « Description de l’île de Nantucket, des mœurs, des coutumes, du gouvernement et du commerce de ses habitants ». Ce texte inaugure un ensemble de cinq lettres dépeignant la vie des habitants de cette île située au large des côtes du Massachusetts. De prime abord, cette longue séquence, qui occupe près du tiers de l’ouvrage, semble ne pas entretenir de relations directes avec les pages qui la précèdent. Dans la Lettre II, James a témoigné de son existence idyllique de cultivateur vivant au cœur de l’espace intermédiaire des établissements ruraux ; dans la Lettre III, il a fait état des difficultés liées à la vie de chasseur que mènent les pionniers de la frontière. James n’a donc pas encore parlé du mode de vie des habitants de la troisième des zones constitutives de sa géographie sociale de l’Amérique : la
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côte Atlantique, dont les résidants se consacrent au commerce. Il finit par le faire, avec carte à l’appui, en amenant ses lecteurs à Nantucket. James commence par souligner que l’aridité du sol sablonneux de Nantucket empêche les habitants de l’île de miser, comme peuvent le faire ceux des régions agricoles et de l’arrière-pays, sur la fertilité de la terre ou sur l’abondance du gibier afin d’assurer leur subsistance. Les gens de Nantucket — lesquels sont, par ailleurs, en majorité de religion quaker — doivent se tourner vers la mer afin de tirer « leurs richesses de l’élément qui les entoure » en y puisant de quoi alimenter des échanges commerciaux. C’est grâce aux profits générés par leur chasse à la baleine que ces honnêtes quakers peuvent se procurer les biens nécessaires à leur survie. La Lettre V s’ouvre sur un éloge du genre d’instruction dont les quakers de Nantucket font profiter leurs enfants. En plus de leur enseigner les comportements qui font la réputation de modération des membres de la Société des Amis (le nom qu’eux-mêmes préfèrent à celui de quakers), ils leur communiquent un savoir éminemment pratique en les mettant en apprentissage sur les baleiniers qui sillonnent les mers. James retrace alors l’histoire du développement de l’industrie baleinière de Nantucket et décrit le fonctionnement des expéditions qui conduisent les navires des armateurs de l’île aux quatre coins de l’Atlantique. La Lettre VI commence, une fois de plus avec carte à l’appui, sur une description de l’île de Martha’s Vineyard, voisine de Nantucket. Si le sol de Martha’s Vineyard est sensiblement plus fertile que celui de Nantucket, nombre de ses habitants se tournent néanmoins vers la mer pour subvenir à leurs besoins, ce qui conduit James à se pencher sur la principale activité maritime de la région : la chasse à la baleine. Les lecteurs ont alors droit à des pages enlevantes, dans lesquelles James les fait monter à bord d’une chaloupe en compagnie de marins pourchassant une baleine et entraînés dans une Nantucket sleigh ride : la dangereuse randonnée qu’une baleine en fuite fait faire à la petite embarcation d’où a été lancé le harpon qui l’a blessée (des scènes qui annoncent les saisissantes descriptions qu’on retrouvera, au siècle suivant, dans le Moby-Dick d’Herman Melville). James ramène ensuite ses lecteurs à Nantucket pour s’étonner de la remarquable conduite qu’adoptent les marins de l’île lorsqu’ils reviennent à terre après des mois passés en mer. James attribue le fait qu’ils ignorent le comportement dissipé de leurs confrères du continent à la qualité des mœurs des quakers. Les gens de Nantucket, note-t-il, agissent en fin de compte comme des fermiers ! Dans la première des lettres de la séquence de Nantucket, James avait présenté l’océan comme « le terrain qu[e] labourent » les résidants de l’île, faisant littéralement d’eux des laboureurs de la
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mer. Aussi n’est-il pas étonnant que le travail des uns et des autres lui semble fort similaire. Les habitants de Nantucket : vont à la chasse à la baleine avec autant de plaisir et de tranquille indifférence, avec un aussi grand espoir de succès que le propriétaire terrien qui entreprend de nettoyer un coin de marécage. Les premiers sont dans l’obligation de consacrer tout leur temps et leurs efforts afin de puiser de l’huile à la surface de la mer ; le second consacre les mêmes efforts afin d’obtenir de l’herbe de sols qui, auparavant, ne produisaient rien que de la tourbe et des marais.
Les dernières pages du texte renouent dès lors avec le ton des Lettres II et III pour décrire la vie industrieuse et sereine des quakers de Nantucket, une communauté que James assimile par ailleurs à ses chères abeilles : « Jamais ruche ne s’est aussi assidûment employée à récolter la cire, le pollen et le miel de tous les champs avoisinants que le font les membres de cette Société. » La Lettre VII continue la description des mœurs et des coutumes de Nantucket. James parle maintenant en utilisant le « nous », comme s’il s’identifiait désormais aux valeurs et à la conduite de la population de l’île. Il signale entre autres que ses habitants se marient très jeunes et que ces unions connaissent une très grande fécondité, ce qui en contraint plusieurs à s’exiler vers le continent. Cette migration le conduit à comparer une fois de plus cette communauté aux abeilles : « ils ont parfois essaimé comme des abeilles, émigrant par groupes entiers » ; « cette ruche féconde ne cesse de se répandre en essaims tous aussi industrieux qu’elle peut l’être ». La Lettre VIII se penche ensuite sur certaines coutumes particulières de Nantucket. James propose d’abord quelques illustrations de la sereine simplicité du mode de vie des quakers de l’île. Il note cependant que certains de ses résidants, surtout les femmes, s’adonnent à un vice plutôt étonnant : on y consomme régulièrement de l’opium ! James décrit ensuite les occupations des épouses des marins et armateurs de Nantucket qui, en l’absence de leur conjoint, se montrent de fort habiles femmes d’affaires : une qualité qu’elles partagent, signale-t-il, avec les femmes de Montréal ! James se met alors à dépeindre le type de loisirs auxquels se livrent les gens de l’endroit : des rencontres où garçons et filles, voisins et amis, s’amusent en toute simplicité à faire la conversation en s’adonnant à des jeux anodins. Il raconte entre autres qu’il a lui-même accompagné à l’une de ces rencontres une jeune femme de l’île dont il s’attarde à souligner la modestie et la beauté exemplaires. Il note au passage que les habitants de Nantucket sont différents de ceux à qui il a précédemment donné le titre de « nouvel homme » et qui sont nés de ce qu’il a désigné comme un « étrange mélange de sangs ». James constate en effet qu’à Nantucket, « il n’y a pas d’Écossais, d’Irlandais ou de Français, comme c’est le cas dans
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la plupart des autres établissements ; ils sont de race anglaise, sans mélange ». James termine cette suite de lettres en racontant une promenade dans la région de Siasconset, à la pointe sud-est de l’île, où, confronté à la fureur des vagues déferlant sur la plage, il s’abandonne à des « réflexions contemplatives » qui lui font réaliser combien l’« homme se découvre être une bien petite chose » lorsqu’on le compare à la force des éléments naturels. Il en conclut que le genre de spectacle qu’offrent l’île de Nantucket et ses habitants vaut bien, ainsi que l’avait signalé son ministre dans la Lettre I, tout ce que les voyageurs européens peuvent espérer découvrir en contemplant en Italie les vestiges passés de la grandeur de l’Antiquité.
Le paradis perturbé Lorsque commence la Lettre IX, James a déjà quitté Nantucket. On dirait qu’il a pris la même route que les habitants de l’île qui ont « essaimé » en Caroline du Nord pour continuer ensuite son chemin jusqu’à Charleston, en Caroline du Sud. Le monde qu’il découvre dans cette colonie est très différent de l’espace intermédiaire des régions agricoles du Nord ainsi que de la paisible Nantucket des quakers. À la vue des horribles traitements auxquels les planteurs de la Caroline du Sud soumettent leurs esclaves, James s’abandonne aux sombres « réflexions sur l’esclavage » et « sur la domination du mal » qu’annoncent le titre de cette lettre. Certes, les fermiers du Nord (et James ne se cache pas d’être de leur nombre) ont eux aussi des esclaves mais ils en possèdent beaucoup moins que les colons des États du Sud et, surtout, ils les traitent avec plus d’humanité. C’est uniquement dans les colonies du Sud que l’esclavage donne lieu à des scènes vraiment affligeantes. Cherchant à s’expliquer comment les hommes peuvent être conduits à perpétuer de pareilles pratiques, James est amené à s’interroger sur le sens de l’existence et sur la place de l’homme dans l’univers : comment Dieu et la nature (dont il a témoigné de la puissance à Nantucket) peuvent-ils permettre de pareilles horreurs ? Après s’être demandé, dans la Lettre III, ce qu’était un Américain, James élargit maintenant son interrogation à l’humanité entière : « Qu’est-ce donc que l’homme, cet être qui peut se flatter de l’excellence et de la dignité de sa nature, lorsqu’il est entouré de tant de mystères impénétrables et de problèmes insolubles ? » James découvre tout à coup que les colonies américaines, qu’il a auparavant décrites comme un idyllique havre de bonheur et de tranquillité à peine perturbé de temps à autre par les assauts de quelques oiseaux et de quelques insectes, sont le théâtre de scènes accablantes. Lors d’une
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promenade dans la campagne, il se retrouve en face d’un esclave noir enfermé dans une cage et soumis aux attaques des mêmes oiseaux et insectes qui lui offraient auparavant un spectacle si attendrissant. Chose étonnante pour un texte de l’époque, on a alors droit à une remarquable caractérisation de ce que James décrit comme le « grossier dialecte » dans lequel s’exprime le pauvre homme. Lorsque le promeneur lui tend un peu d’eau pour le réconforter, l’esclave lui dit : « Me’ci toi, homme blanc, me’ci toi, mets poison dedans et donne moi. » Malheureusement, pour avoir tiré un coup de feu afin d’effrayer les oiseaux agglutinés sur la cage, James n’a plus de balle dans le fusil qu’il avait emporté avec lui, ce qui l’empêche d’offrir au prisonnier la consolation d’une mort rapide et il doit se résoudre à continuer son chemin en abandonnant l’esclave à sa torture. On passe alors à la Lettre X, « Sur les serpents et sur l’oiseau-mouche », qui renoue avec les descriptions bucoliques des textes précédant le récit du voyage de James à Nantucket. On apprend cependant dès les premières lignes que James n’a guère envie de revenir à ce genre de propos. C’est à la demande de F. B. qu’il se penche sur le sujet des serpents, mais il se rebelle contre la requête de son correspondant. Qu’est-ce qui agace James ? Le fait d’avoir à reprendre, après avoir fait l’expérience des horreurs de l’esclavage, le cours de ses petits écrits pastoraux servant à contenter la curiosité d’un Européen féru de sciences naturelles ? Ou celui d’avoir à parler de ce sujet en particulier, qui le conduit à introduire littéralement un serpent dans ce qui était jusqu’alors son petit Paradis terrestre ? James raconte entre autres choses l’étonnante histoire d’une paire de bottes dans laquelle sont restés fichés les crocs d’un serpent venimeux et qui, après avoir entraîné le décès d’un père de famille, causeront celle de son fils : faut-il voir dans l’évocation de cette malédiction frappant une même famille génération après génération une métaphore du péché originel ? James se penche ensuite sur les dangers du serpent à sonnette. Or cet animal était un des symboles auxquels s’identifiaient les colonies britanniques d’Amérique du Nord. Lorsque Benjamin Franklin a avancé l’idée, dans une livraison de sa Pennsylvania Gazette de mai 1754, qu’afin de continuer à prospérer, ces colonies devaient « [s]’unir ou mourir » (Join, or Die), il a illustré son propos d’un dessin (dont il est coutume de lui attribuer la paternité) représentant un serpent constitué de segments identifiés aux initiales des colonies britanniques d’Amérique du Nord. Vingt ans plus tard, le 27 décembre 1775, dans un autre texte publié dans sa Pennsylvania Gazette, le même Franklin présentait ouvertement (quoique, comme c’est souvent le cas sous la plume de ce dernier, sur un mode plus ou moins ironique) le « serpent à sonnette comme symbole de l’Amérique » et, plus exactement, de l’Amérique rebelle34. Faut-il alors voir l’introduction du
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Figure 4. Join, or Die, 1775. Dessin attribué à Benjamin Franklin.
serpent à sonnette dans le paradis de James comme une métaphore de l’apparition du mouvement de rébellion au sein des colonies britanniques d’Amérique du Nord ? James s’offre ensuite une sorte d’intermède en s’attardant sur la beauté des oiseaux-mouches qui, « comme les abeilles, butinent pour se nourrir ». Mais c’est pour constater aussitôt qu’il arrive à ces jolis oiseaux de faire montre de beaucoup d’agressivité. Le monde d’harmonie végétale des premières lettres est donc de plus en plus troublé par la présence des animaux. Puis James revient au sujet imposé par F. B. pour décrire un combat entre une couleuvre d’eau et un serpent noir qui se battent, sans raison particulière, au beau milieu des paisibles terres de James : le décor même des scènes idylliques de la Lettre II. Stupéfait par ce spectacle, James demeure impuissant devant la tournure des événements. Contrairement à ce qui se passait auparavant, comme lorsqu’il parvenait à sauver ses chères abeilles du jabot du tyran tritri, il n’est plus en mesure de maîtriser les animaux qui l’entourent et la Lettre X s’achève abruptement sur la victoire du serpent noir. Dans le texte suivant, ce n’est plus James qui prend la parole : la Lettre XI est présentée comme une missive de « M. Iw—n Al—z, un gentilhomme russe », dans laquelle ce dernier raconte une visite, faite à la demande de
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James, « à M. John Bartram, le célèbre botaniste pennsylvanien ». On pourrait croire que la présence de cette lettre n’est pas à sa place dans un ouvrage censé être constitué de Lettres d’un fermier américain. Il faut cependant noter que le titre original anglais de l’ouvrage est bien Letters from an American Farmer, et non Letters of an American Farmer. Cette dernière formulation aurait impliqué que ces lettres avaient été écrites par un fermier américain. Des lettres « from » un fermier américain peuvent être des missives écrites par ce dernier mais il peut également s’agir de plis parvenus à quelqu’un par l’intermédiaire de ce fermier américain : des lettres envoyées par lui mais dont il n’est pas nécessairement l’auteur. Le livre peut donc inclure des pages rédigées par quelqu’un d’autre et transmises par James, comme celle de Iw—n Al—z. Le gentilhomme russe fait donc état d’une visite chez John Bartram, le botaniste américain le plus célèbre de son temps. Amicalement accueilli par ce vénérable quaker et sa famille, Iw—n fait une description des mœurs et des coutumes des membres de la Société des Amis qui confirme ce que James a précédemment écrit dans ses lettres de Nantucket, entre autres la grande beauté des quakeresses. Le visiteur découvre sur les terres de Bartram un univers de bucolique sérénité fort semblable à celui que James décrivait dans ses premières lettres mais dont il ne semble plus être en mesure de parler, après les événements qu’il vient de subir, avec le même optimisme naïf qui a été le sien au début de l’ouvrage. Curieusement, le portrait de John Bartram esquissé dans ces pages ressemble beaucoup à celui que James a précédemment fait de lui-même. Ce dernier disait que son père ne lui avait « enseigné rien d’autre que l’art de lire et d’écrire » ; Bartram signale pour sa part : « La seule éducation que j’ai reçue m’a tout juste permis d’apprendre à lire et à écrire. » Lorsqu’il s’est proposé de se lancer dans l’étude de la botanique, son épouse le « découragea vertement de [s]’engager dans ce qu’elle appelait [son] nouveau projet » ; l’épouse de James a, de la même façon, tenté de dissuader ce dernier d’entreprendre sa correspondance. De plus, le parcours qui a conduit Iw—n Al—z jusqu’à l’établissement de Bartram se révèle avoir été semblable à celui que, dans la Lettre I, le ministre de James décrivait comme l’itinéraire de nombre d’érudits européens. Le gentilhomme russe a vu les ruines de Pompéi : « Vos nouveaux édifices, vos rues me rappellent ceux de la ville de Pompéi, où j’ai séjourné il y a de ça quelques années. » Dans la Lettre I, le ministre de James avouait s’être : souvent demandé pourquoi le botaniste avisé ou l’homme de savoir ne préfèrent pas venir ici ; il me semble qu’il y aurait bien plus de satisfactions à tirer de l’observation des embryons et des humbles rudiments de sociétés qui se développent autour de nous, de la récente fondation de nos villes et de
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l’établissement de tant de districts ruraux. Je suis certain que la rapidité de leur croissance doit être plus agréable à observer que les ruines de vieilles tours, d’inutiles aqueducs ou de remparts jadis menaçants.
Or c’est précisément ce à quoi s’intéresse le gentilhomme russe : J’observe toutes vos villes avec une grande attention, j’étudie leur emplacement et leur administration qui ont déjà rendu célèbres plusieurs d’entre elles. Bien que leurs fondations soient très récentes et qu’on en garde encore un souvenir très exact, leur origine deviendra cependant un mystère pour la postérité, de la même façon que nous sommes aujourd’hui devant un mystère lorsque nous tentons de déterminer les origines des villes que le temps a plus ou moins détruites.
En témoignant de ce qu’un Européen « éclairé » peut apprendre en contemplant les accomplissements de Bartram et des fermiers américains en général, la lettre d’Iw—n Al—z fait directement écho à la Lettre I : la boucle est bouclée et quelque chose, dans les Lettres d’un fermier américain, s’achève avec la lettre d’Iw—n Al—z. James terminait plusieurs fois ses lettres avec le mot « adieu » : une salutation habituelle dans les missives d’alors, qui avait une connotation beaucoup moins « définitive » que de nos jours. Iw—n Al—z conclut la sienne sur un « au revoir » (« farewell » en anglais). Si ce changement de salutation accentue le fait que le signataire de ce pli n’est pas le même que celui des autres missives, il laisse également entendre que ce qui s’achève avec ce texte est différent de ce qui pouvait se clôturer avec la fin de chacune des précédentes lettres de James. Le contact avec l’horreur esclavagiste de la Caroline du Sud a altéré la confiance que James pouvait avoir en une certaine bonté toute naturelle et rousseauiste de l’homme. Il écrivait, dans la Lettre II, que « la perfection de l’instinct » dont bénéficient les animaux aurait pu, selon lui, servir d’exemple à l’homme afin de « réprimer la sottise, et réparer les erreurs que [sa raison] lui fait souvent commettre ». Depuis, il a plusieurs fois constaté que ces mêmes animaux pouvaient céder à une violence aussi gratuite que celle qu’il a vu régner chez les hommes. Avec la missive d’Iw—n Al—z sur les réussites de John Bartram, James semble tenter de convaincre ses lecteurs (voire de se convaincre lui-même) que l’Amérique demeure, malgré tout, ce qu’il a précédemment décrit comme « la plus parfaite des sociétés existant actuellement de par le monde ». Mais c’est en vain, car James est bientôt chassé de son petit coin de Paradis terrestre par la révolution américaine.
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Fuite et fin La Lettre XII sur les « Angoisses d’un habitant de la frontière » conclut les Lettres d’un fermier américain sur un ton radicalement différent de celui de l’ensemble des lettres précédentes. Plusieurs commentateurs ont perçu ce changement de perspective comme une incohérence. Ce bouleversement n’est pourtant pas étonnant lorsqu’on tient compte de l’ensemble du texte. Le monde idyllique décrit dans les premières lettres a été progressivement miné par l’introduction du malheur et du mal. Le contraste entre la dernière lettre et les précédentes donne un caractère d’autant plus dramatique à la destruction de l’univers bucolique du fermier américain. Seule une lecture fragmentaire des Lettres d’un fermier américain permet de considérer cet ouvrage comme un simple éloge, certes charmant mais un peu naïf, de la vie rurale dans l’Amérique prérévolutionnaire. La présence de la Lettre XII dans ce docuroman de l’American Dream signale que ce rêve américain n’est effectivement rien d’autre, rien de plus qu’un rêve : une illusion qui ne saurait résister aux affres de la réalité. La conclusion du livre conduit à jeter rétrospectivement un regard critique, voire ironique, sur tout ce qui a été précédemment dit, sans toutefois en renier entièrement la valeur. Bien que F. B. n’y soit pas nommément mentionné, la Lettre XII semble lui être adressée. James apprend à son correspondant que cette missive est la dernière qu’il recevra de lui. Le fermier américain met un terme à sa correspondance parce qu’il vivra bientôt dans des régions reculées d’où il lui sera impossible de communiquer avec l’étranger. Mais peut-être est-ce surtout parce que James vit désormais, à cause de la révolution américaine, dans un monde qui a trop changé, trop différent de celui que F. B. lui demandait de décrire, pour continuer à intéresser encore son correspondant. F. B. désirait mieux connaître le monde de la ferme de James. Or James se propose de quitter cet espace intermédiaire pour rejoindre celui de la frontière, car ce qui était jadis une « souriante contrée » est maintenant au cœur d’un « immense monceau de ruines qui s’étend déjà dans toutes les régions qui sont le théâtre de la guerre ». D’ailleurs, James se considère désormais lui-même comme une ruine : « Je ressemble, je crois, à une pierre tombée d’une arche en ruine, qui conserve toujours la forme originelle qui lui permettait de s’ajuster à la place que j’occupais auparavant, mais le centre s’est effondré. » James paraissait d’accord avec son ministre lorsque ce dernier doutait de l’intérêt que des Européens pouvaient trouver à la visite des ruines de Pompéi : sa situation ne vaut donc plus l’attention de son correspondant britannique.
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« Je souhaite partir », écrit James en ouverture de sa lettre. Tout est transformé autour de lui. L’espace intermédiaire qu’était sa ferme est dorénavant pris entre deux feux. Il est menacé d’une part par les rebelles qui détruisent les établissements de ceux qui refusent de se rallier à leur cause et, d’autre part, par les armées britanniques et leurs alliés Indiens qui brûlent les demeures de ceux dont ils doutent de la loyauté envers la couronne d’Angleterre. Et James ne parvient pas à choisir son camp : Je ne sais quel parti prendre entre le respect que je ressens pour l’ancienne association et la crainte de changements dont je ne peux pas mesurer adéquatement les conséquences et qui sont proposés par mes propres compatriotes. Je sais que j’étais heureux avant cette malencontreuse révolution. Je sens que je ne le suis plus autant ; je regrette donc le changement.
James vivait jusqu’alors dans un univers de grande stabilité, où les hommes et le temps lui-même partageaient l’immobilité des plantes. Ce qu’il craint désormais n’est pas tant l’un ou l’autre des partis qui sèment la dévastation dans les campagnes : ce sont les changements entraînés par la constitution du nouveau contexte sociopolitique dans lequel il est plongé bien malgré lui. En se proposant de fuir les zones de combats, James croit trouver un moyen de ne pas prendre parti pour un camp ou pour l’autre : de rester neutre, c’est-à-dire d’adopter une position intermédiaire, politiquement homologue à celle qui, sur le plan géographique, a été la source de son bonheur. Tout au long de cette ultime lettre, James est pris de panique devant les dangers qui l’entourent. Son affolement s’inscrit à même la composition du texte qui ne cesse de ressasser les impressions d’angoisse qui assaillent son esprit : ses phrases suivent le cours tortueux de ses inquiétudes. Dans la Lettre IX, les horreurs de l’esclavage l’avaient conduit à s’interroger sur la place et le rôle de Dieu et de l’homme dans l’univers. Le chaos politique et moral auquel il est désormais confronté l’amène à formuler une fois de plus diverses interrogations pour le moins essentielles. Les différentes parties des Lettres d’un fermier américain se révèlent alors être reliées entre elles par une chaîne de questions. Dans la Lettre III, James demandait : « Qu’est-ce donc qu’un Américain ? » Dans la Lettre IX sur Charleston et l’esclavage, sa question était : « Qu’est-ce donc que l’homme, cet être qui peut se flatter de l’excellence et de la dignité de sa nature, lorsqu’il est entouré de tant de mystères impénétrables et de problèmes insolubles ? » Dans la Lettre XII, cette question devient : « Qu’est-ce que l’homme lorsqu’il n’est pas lié à une société ou lorsqu’il se retrouve au cœur d’une société en convulsion et à moitié détruite ? » Si la portée de cette interrogation déborde des limites de l’Amérique, les réflexions de James reprennent rapidement par la suite une
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dimension plus personnelle : « Que sommes-nous, pauvres habitants sans défense de la frontière, à l’échelle de ces grands événements ? » James est littéralement dépassé par ces événements. Ce « nous » désignait, dans la Lettre III, la communauté constituée de ces nouveaux hommes que sont les Américains. Ainsi, ce « que sommes-nous » paraît être la reformulation, dans un nouveau contexte, de la question initiale : « Qu’est-ce donc qu’un Américain ? » James a maintes fois comparé ce nouvel homme à une plante. Or cette plante est maintenant condamnée à être fauchée : « Nous sommes comme les mauvaises herbes que détruit la charrue, dont la destruction ne prévient pas une prochaine repousse » et qui sont destinés à être « couchés par ses cruels moissonneurs comme autant d’herbes inutiles ». Et voilà après s’être demandé « qu’est-ce donc qu’un Américain ? » et « qu’est-ce donc que l’homme ? » puis « qu’est-ce que l’homme ? » et « que sommes-nous ? » James conclut cette séquence avec une ultime question : Qu’est-ce donc que la vie ? je me le demande ; est-ce un beau cadeau ? Non, elle a un goût trop amer ; un cadeau est un objet de valeur, tandis que la vie semble être un simple accident et de la pire sorte ; nous sommes nés pour être les victimes des maladies et de la passion, de la malchance et de la mort ; mieux vaut ne pas être que d’être misérable.
Après avoir chanté les vertus de la transplantation, James doit se résoudre à se déraciner, à quitter les terres qui ont jusqu’alors assuré son bonheur et celui des siens. Mais s’il a des raisons de fuir les dangers liés aux incursions des belligérants, il constate du même coup qu’il constitue lui-même un danger aux yeux de certains : « doit-on me fuir comme si j’étais un serpent à sonnette ou me tirer dessus comme si j’étais un ours ? » Ce serpent à sonnette était le symbole de l’Amérique rebelle : James s’identifie malgré tout au parti de la révolution. Et cette comparaison signale que ce nouvel homme n’est plus une plante : il est désormais un animal. Il appartient déjà au monde où il doit se résoudre à fuir : celui de la frontière, de la forêt et de la vie sauvage. Dans la Lettre III, James a raconté comment les pionniers de l’arrièrepays ouvraient la voie aux cultivateurs qui apprivoisent la sauvagerie de la nature au sein de leurs jardins. Confronté à la ruine inévitable et imminente de son établissement, le fermier américain se propose de rejoindre lui-même ces régions sauvages. James n’ignore rien des dangers de la vie des habitants de la frontière qui s’ensauvagent en devenant chasseurs et au contact des Indiens. Il appréhende grandement les conséquences que l’adoption d’un pareil mode de vie pourra avoir sur les membres de sa famille. Il craint particulièrement de voir ses enfants séduits par les mœurs des Sauvages, cela, note-t-il, comme beaucoup d’autres Européens l’ont déjà été auparavant. L’histoire atteste du phénomène : tout au long des
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XVIIe et XVIIIe siècles, un grand nombre de Blancs ont choisi de partager la vie des Indiens alors que pratiquement aucun autochtone n’a librement fait siennes les mœurs et la culture des Blancs. James est d’ailleurs prêt à reconnaître que si le mode de vie des Indiens s’attire ainsi un nombre aussi grand de nouveaux adeptes, c’est sans doute parce qu’il est plus agréable, voire meilleur que celui que s’imposent (et que cherchent à leur imposer) les Blancs. James croit néanmoins avoir trouvé une façon de contrer cette influence : il s’arrangera pour que ses enfants et lui-même se consacrent davantage à l’agriculture qu’à la chasse et il cherchera à convaincre ses hôtes indiens de l’imiter. Ainsi se propose-t-il d’instaurer, au sein de l’espace culturellement, politiquement et socialement instable de la frontière, une aire de tranquillité et d’immobilité similaire à celle qu’il a connue dans l’espace intermédiaire de sa ferme. En fin de compte, James prévoit que son monde idyllique ne sera pas tout à fait détruit : il sera simplement déplacé plus loin, sur une frontière qu’il a l’intention de transformer en un nouvel espace intermédiaire. Les lecteurs ont alors l’impression que la catastrophe n’est pas définitive, qu’elle est même l’occasion d’un retour aux origines du monde idéal décrit dans les premières pages du livre. La « souriante contrée » qui faisait le bonheur de James était le fruit des labeurs de son père, un travail que ce dernier a accompli dans des conditions semblables à celles dans lesquelles son fils se retrouvera bientôt. James pressent que, à la suite du déplacement que lui impose le nouveau contexte sociopolitique, sa famille et lui finiront tout de même par renouer avec le bonheur. Ils devraient donc bénéficier, à plus ou moins long terme, des heureuses conséquences d’un type de transplantation similaire à celui grâce auquel on a vu des Européens devenir de nouveaux hommes en s’enracinant en Amérique. Qu’était-ce donc qu’un Américain ? Le « croisement fortuit » d’Européens transplantés en Amérique. Vivant sur la terre américaine qui l’avait vu naître, James n’était ni Européen ni « transplanté » : aussi ne correspondait-il pas à sa propre définition de ce qu’était un Américain. Mais voilà que son projet de fuite le conduit à marcher sur les pas « que suivent les Européens en direction des parties intérieures de ce continent ». Les Lettres d’un fermier américain s’achèvent alors que James est contraint de s’imposer une transplantation similaire à celle qu’a dû subir le pauvre immigrant européen afin de devenir quelqu’un, somebody, un nouvel homme, un Américain. Même pour James, même pour quelqu’un qui était un fermier américain « de naissance », il ne suffit pas de naître en Amérique pour être un Américain. Pour devenir Américain, il lui faut lui aussi renaître à la suite d’un déplacement, d’une transplantation. Aussi le livre se termine-t-il, ainsi
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que l’écrit Robert P. Winston, au moment où James, cette « incarnation de l’Américain s’apprête à recommencer les Lettres d’un fermier américain depuis le début35 ». Or, comme le constate ironiquement D. H. Lawrence : tout ça, c’est de la blague. Crèvecœur fila en France, vêtu d’un gilet brodé et de souliers à hauts talons, pour poser au littérateur et faire son chemin dans le monde. Alors que nous, il nous oblige à le suivre dans les bois où la vie douce et naturelle sera magnifiée, près du village fait de tentes, de l’aimable Race rouge36.
Comme James, St. John de Crèvecœur a dû lui aussi fuir son établissement de Pine Hill. Mais ce ne fut pas pour recommencer, en se déplaçant vers l’ouest et la frontière, la vie de fermier américain qu’il avait adoptée depuis une dizaine d’années. St. John de Crèvecœur a filé dans la direction opposée à celle que choisit James : c’est vers l’est, vers l’Europe et la France de ses origines qu’il s’est tourné et, pour le dire dans les mots de Pierre Aubéry : « Loin de se faire homme des bois, il se fit homme de lettres37. »
Les post-scriptum du fermier américain Homme de lettres, en effet, et pas seulement celles du Fermier américain. Car St. John de Crèvecœur n’est pas l’homme d’un seul livre. Au début de 1782, à peu près au même moment où ses éditeurs londoniens faisaient paraître les Letters from an American Farmer, il publiait à Caen, sous le pseudonyme de Normano-Americanus, un court Traité de la culture des pommes-de-terre. Constitué de descriptions des différents types de pommes de terre et de présentations de diverses préparations et recettes qu’il est possible de réaliser avec ce légume, cet opuscule rarissime mais d’un intérêt fort secondaire n’a jamais été republié depuis. St. John de Crèvecœur sera également le signataire, en 1801, d’un Voyage dans la Haute Pensylvanie [sic] et dans l’État de New-York. Les textes rassemblés dans les trois volumes de cet ouvrage sont cependant pétris d’informations de seconde main, voire de deuxième ordre, et leur auteur n’a pas su y renouer avec le style et le ton qui ont fait le charme et le succès des Lettres d’un fermier américain. Une génération après la parution du livre qui lui vaut sa place dans l’histoire, celle de ce troisième ouvrage a été accueillie dans un silence presque complet qu’on n’a guère de raisons de perturber deux cents ans plus tard. Le XXe siècle devait voir la publication d’un quatrième et dernier ouvrage portant sa signature38 : Sketches of Eighteenth-Century America, composé d’écrits de St. John de Crèvecœur demeurés inédits jusqu’alors
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Figure 5. Traité de la culture des pommes-de-terre [s.d. : 1782]. Première page de l’édition originale. Collection personnelle de monsieur Hubert-Jean Saint-John de Crèvecœur.
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Figure 6. Voyage dans la Haute Pensylvanie et dans l’État de New-York, 1801. Page de titre de l’édition originale. Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
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(en anglais, à tout le moins : des adaptations de certains de ces textes figurent dans les deux éditions des Lettres d’un cultivateur américain). L’ouvrage révèle entre autres deux textes, intitulés « A Snow-storm as it Affects the American Farmer » et « The English and the French before the Revolution », qui présentent pour nous un intérêt particulier. Il s’avère, lorsqu’on consulte les manuscrits de St. John de Crèvecœur (désormais conservés à la Bibliothèque du Congrès de Washington), que ces deux écrits n’en formait à l’origine qu’un seul, auquel leur auteur avait donné le titre de « Description of a Snow Storm in Canada » : l’unique texte de St. John de Crèvecœur mettant en scène des personnages et des événements explicitement liés aux expériences qu’il a pu vivre en Nouvelle-France. C’est pourquoi il a paru pertinent d’annexer une traduction de cette « Description d’une tempête de neige au Canada » à celle des Lettres d’un fermier américain : afin que la découverte de ces œuvres de St. John de Crèvecœur puisse alimenter la réflexion contemporaine sur la relation que la culture québécoise entretient avec ce qui la lie, tant sur plan de l’histoire que de l’actualité, à l’expérience continentale américaine, et sur ce qui fait que notre identité n’est pas exclusivement fondée, ainsi qu’on le concevait jusqu’à trop récemment, sur ce que nous devons à nos « racines » françaises39. * * * L’américanité de la culture québécoise se fonde sur notre manière particulière d’être des Américains pas tout à fait comme les autres, sur ce qui nous distingue des diverses cultures du continent. Mais elle tient tout autant à ce qui nous lie aux cultures d’Amérique, à ce que nous avons en commun avec elles. Cette américanité de notre culture, faut-il le rappeler, n’a rien à voir avec son éventuelle américanisation40 ou, plus exactement, son « états-unisation ». La confusion entre les notions d’américanité et d’américanisation tient en partie au fait que les États-Unis s’arrogent depuis longtemps l’exclusivité des appellations « America » et « American », tant et si bien que le mot « américain » est généralement entendu comme synonyme d’états-unien : un vocable dont il paraît d’autant plus nécessaire de généraliser l’emploi afin de faire la part des choses entre les réalités propres aux États-Unis et celles de l’ensemble du continent américain. Mais à force de vouloir distinguer l’américanité de notre culture de son américanisation, nous sommes souvent conduits à occulter, voire à nier, ce qui lie malgré tout notre identité à celle des États-Unis. Or, pour d’évidentes raisons de proximité géographique, l’histoire du Québec et du Canada est étroitement associée à celle des États-Unis. On oublie que Cape Cod a été découvert par Champlain ; que l’histoire de la vallée du
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St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américain
Mississippi est un chapitre de celle de la Nouvelle-France ; que le Québec a failli se joindre au Treize Colonies fondatrices des États-Unis ; que la frontière entre les deux pays, qui n’a été définitivement établie qu’aux lendemains de la guerre de 1812, a été jusqu’au début de notre siècle singulièrement perméable aux mouvements de population. Publié dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le grand œuvre de Francis Parkman, France and England in North America, est un ensemble d’ouvrages qui, pour être fondateurs de l’historiographie états-unienne, constituent dans les faits une histoire de la Nouvelle-France41. Jelly Roll Morton, un des pionniers du jazz, s’appelait Ferdinand Joseph Lamenthe ou Lamothe (et sa mère s’appelait Louise Monette…) ; Jack Kerouac, un des plus importants écrivains de la deuxième moitié du XXe siècle, était un « canuck » de la NouvelleAngleterre qui a appris son premier mot d’anglais à l’âge de six ans. L’affirmation de notre américanité implique une pleine reconnaissance des relations que notre expérience culturelle entretient avec celle des États-Unis. Cette démarche passe entre autres, selon nous, par la découverte et l’appropriation d’œuvres qui, d’une façon ou d’une autre, font autant partie de notre patrimoine historique et culturel que de celui des États-Unis. C’est le cas, par exemple, de Henry David Thoreau (dont le grand-père était par ailleurs d’origine française), qui a consacré un de ses ouvrages, A Yankee in Canada, au récit d’un voyage qui l’a mené, en 1850, de la vallée du Richelieu jusqu’à la côte de Beaupré en passant par Montréal et Québec. Victor-Lévy Beaulieu a éloquemment rendu compte, dans Monsieur Melville, de l’intérêt que peut présenter pour nous l’œuvre de l’écrivain qui, après avoir fait son voyage de noces à Québec, s’est souvenu de cette ville dans Moby-Dick pour comparer la chaire du père Mapple à « un petit mais inexpugnable Québec ». On pourrait également se pencher sur les conférences que Ralph Waldo Emerson est venu prononcer à Montréal en 1852 ; sur celle que Mark Twain y présenta en 1881 ; sur les pages de Walt Whitman décrivant l’unique voyage qu’il ait fait en dehors des États-Unis et qui a conduit le poète jusqu’à Tadoussac et dans le Saguenay42. Qu’il soit lointain ou plus récent, le passé des États-Unis est rempli de personnages et d’événements, d’auteurs et d’œuvres qui sont tout autant à leur place dans notre histoire que dans la leur : c’est entre autres le cas de St. John de Crèvecœur. Les Lettres d’un fermier américain sont à l’origine de l’image que les États-Uniens se font de leur identité, de leur type particulier d’américanité. L’ouvrage gravite autour du personnage idéal du fermier américain, dont l’existence est une incarnation de l’American Dream, des rêves de réussite et de bonheur des immigrants européens qui, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, ont afflué sur les rives du Nouveau Monde pour s’y « fond[re]
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en une nouvelle race d’hommes », pour s’ouvrir à un devenir-américain. Contemporain de la révolution américaine, le livre témoigne de l’époque où les États-Unis ont commencé à se doter d’une nouvelle identité continentale : à procéder à la déterritorialisation de leurs « racines » britanniques, à s’identifier à leur devenir-américain. Or, la culture québécoise commence à s’interroger sur son propre devenir-américain, à affirmer la déterritorialisation de ses « racines » françaises, cela principalement grâce à l’apport des collectivités immigrantes43. Le Québec vit aujourd’hui une expérience de métissage identitaire fort semblable à celle dont on retrouve des échos dans Lettres d’un fermier américain. Dans un article consacré à l’étude du « relais américain dans l’émergence des lettres au Québec », Bernard Andrès conclut sa présentation des relations que les hommes de lettres du Québec de la fin du XVIIIe siècle entretenaient avec les États-Unis par quelques lignes consacrées à St. John de Crèvecœur : « Il s’en faut de peu pour que nous puissions le rapatrier dans notre corpus littéraire, tant les hasards de l’histoire et le principe du relais américain s’avèrent déterminants pour l’étude des lettres francoaméricaines de l’époque44. » La présente publication a l’intention de contribuer à combler ce « peu ».
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St. John de Crèvecœur
Lettres d'un fermier américain suivies de
Description d’une tempête de neige au Canada
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Lettres d'un fermier américain
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Notes sur le texte et la traduction
Cette traduction des Letters from an American Farmer reproduit le texte de l’édition originale de l’ouvrage publiée à Londres, en 1782, par les imprimeurs Thomas Davies et Lockyer Davis. La présentation respecte les caractéristiques typographiques (lettrines, mots en italiques et en capitales) de cette première édition. Seuls les « s » longs, caractéristiques de la typographie du XVIIIe siècle, ont été remplacés par les « s » courts actuellement en usage. Les nombres sont présentés en chiffres ou en lettres, selon la forme employée dans le texte d’origine. Les notes provenant de l’édition originale sont appelées par des astérisques et sont reproduites en bas de page. Toutes les autres notes, appelées par des chiffres et regroupées en fin d’ouvrage sont de nous ; elles présentent divers éclaircissements d’ordre géographique, historique, littéraire, ornithologique, religieux, etc., ainsi que certaines des variantes plus significatives figurant dans le manuscrit des Letters from an American Farmer et les éditions françaises de 1784 et 1787 des Lettres d’un cultivateur américain. Le texte original présente plusieurs passages dont la composition est pour le moins malhabile, mais ces maladresses sont cohérentes avec le fait que James, le signataire de la plupart des lettres réunies dans l’ouvrage, est censé être un homme d’une instruction rudimentaire. La traduction tente de reproduire cette tonalité particulière du style de St. John de Crèvecœur et demeure le plus près possible de la structure syntaxique d’origine de chaque phrase. Ces dernières sont souvent très longues, entrecoupées de nombreux points-virgules et de deux-points, et ainsi qu’il arrive souvent dans les écrits du XVIIIe siècle, cela autant en français qu’en anglais, le texte fait un usage erratique de ces deux signes de ponctuation : les deux-points n’introduisent pas toujours le développement d’une idée, tandis que les points-virgules ne relient pas toujours des propositions
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indépendantes et ne servent pas plus régulièrement à enchaîner des propositions incomplètes. La traduction a uniformisé et normalisé l’usage de ces points-virgules et de ces deux-points conformément aux règles contemporaines de la ponctuation française. On remarquera également de nombreuses irrégularités dans la concordance des pronoms : il arrive que plusieurs segments de phrases les séparent de leurs antécédents, et lorsque ces derniers sont des mots désignant des collectivités (« peuple », par exemple), St. John de Crèvecœur accorde sémantiquement ses pronoms au pluriel, conformément à l’usage de l’anglais. Dans la mesure où l’application de la règle française de concordance grammaticale aurait obscurci de nombreux passages, on a choisi de suivre l’usage sylleptique adopté par l’auteur. On n’a pas cependant pas cherché à reproduire le français en usage à l’époque de la rédaction du texte anglais, ce qui aurait eu pour conséquence d’occulter le fait que la découverte des Lettres d’un fermier américain à laquelle espère contribuer le présent ouvrage s’inscrit à même les préoccupations de l’époque de la traduction du texte, et non de sa rédaction1. Un grand nombre des toponymes et patronymes mentionnés tout au long de l’ouvrage sont présentés, dans la version originale, dans une orthographe pour le moins approximative. Nous avons corrigé ces dénominations en les conformant à l’orthographe actuellement en usage. Sauf dans quelques cas signalés par une note, nous avons identifiés par leurs appellations contemporaines les lieux dont les noms ont changé depuis le XVIIIe siècle. Quelques notes reproduisent des passages du manuscrit de l’ouvrage ; les mots ajoutés entre les lignes, au-dessus de ceux qu’ils remplacent ou de l’endroit où ils doivent être insérés dans la phrase, sont insérés entre chevrons () ; les mots raturés figurent tels quels dans le manuscrit. Le titre de Lettres d’un fermier américain s’est imposé afin de distinguer la présente traduction de l’adaptation française de l’ouvrage que St. John de Crèvecœur a fait paraître en 1784 et 1787 sous celui de Lettres d’un cultivateur américain, mais surtout parce que le mot « fermier » reflète plus exactement que « cultivateur » ce que l’anglais du XVIIIe siècle entend par « farmer ». Dans la première édition de son American Dictionary of the English Language (parue en 1828, soit un peu plus de cinquante ans après les Letters from an American Farmer), Noah Webster décrit le farmer comme : « Celui qui cultive une ferme ; un husbandman, qu’il soit locataire ou propriétaire. » Le mot « husbandman », dont cette définition fait un synonyme de « farmer », désigne quant à lui :
Notes sur le texte et la traduction
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Un fermier ; un cultivateur ou un laboureur de la terre ; celui qui travaille aux labours. En Amérique, où les hommes ont généralement la propriété de la terre sur laquelle ils travaillent, le propriétaire d’une ferme est aussi un laboureur ou un husbandman, mais le mot comprend le locataire et le propriétaire.
Ainsi, le mot « husbandman » implique non seulement le travail de la ferme mais également la gestion de ce travail : l’husbandman est un fermier qui, s’il n’est pas toujours propriétaire de son exploitation, a cependant la responsabilité de la bonne marche de son travail. La langue française ne possède malheureusement pas de mots permettant de rendre compte de cette nuance. Dans la mesure où la notion d’husbandry véhicule l’idée d’élevage, il est tout de même possible de faire entendre en français une distinction analogue à celle que fait la langue anglaise en traduisant respectivement husbandman et farmer par les mots « éleveur » et « fermier ». De son côté, le mot « cultivator » désigne, toujours selon Webster : « Quelqu’un qui laboure ou prépare la terre pour les récoltes ; celui qui dirige une ferme ou qui a la responsabilité du travail général d’élevage ; un fermier ; un éleveur ; un agriculturist. » Cet agriculturist est présenté, quant à lui, comme : « Quelqu’un qui montre de l’habileté dans l’art de cultiver le sol ; un éleveur expérimenté », et l’agricultor comme : « Celui dont l’occupation est de labourer le sol ; un fermier ; un éleveur ; quelqu’un qui montre de l’habileté dans l’élevage. » Ces derniers vocables, qui se traduisent en français par le seul mot « agriculteur », sont donc porteurs d’idées d’habileté et de compétence qui ne sont pas nécessairement associées aux mots « farmer » et « husbandman ». Dans la langue française du XVIIIe siècle, le mot « cultivateur » désignait, selon le Dictionnaire historique de la langue française, « une personne qui exploite une terre ». Il était synonyme de « fermier », qui se définissait comme une « personne qui exploite des terres, qu’elle en soit ou non propriétaire » : en d’autres mots, un husbandman. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert définit le fermier comme « celui qui cultive des terres dont un autre est propriétaire », ce qui l’apparente au métayer, mais à la différence de ce dernier : « Ce que le fermier rend au propriétaire, soit en argent, soit en denrées, est indépendant de la variété des récoltes. Le métayer partage la récolte même, bonne ou mauvaise, dans une certaine proportion. » On propose « laboureur » comme synonyme. L’ouvrage ignore par ailleurs le mot « agriculteur », même s’il consacre un important article à l’agriculture. L’article « cultivateur » définit le vocable comme la désignation de « celui qui s’occupe de culture », ce qui en fait un synonyme de fermier. On précise toutefois que les « bons cultivateurs réfléchissent & observent », et la suite de l’article décrit le
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cultivateur comme un individu capable d’analyser et de comprendre le contexte dans lequel s’inscrit son travail. Il apparaît alors que l’Encyclopédie considère le fermier comme un homme de tradition et d’intuition, et le cultivateur comme un homme de connaissance. En ce sens, le cultivateur est un fermier « éclairé » : le fermier des Lumières. On comprend ainsi ce qui aura conduit St. John de Crèvecœur à préférer le mot « cultivateur », qui pouvait sonner sensiblement plus moderne, plus contemporain que « fermier ». D’autant plus qu’un autre usage du vocable le liait alors à un ensemble de principes d’administration publique que nombre des proches de l’auteur estimaient plus ou moins révolus. En effet, il ne faut pas oublier que, sous l’Ancien Régime, le fermier général était, ainsi que le rappelle le Trésor de la langue française informatisé, le représentant de l’État « qui affermait le recouvrement de certains impôts2 ». Aujourd’hui, « fermier » et « cultivateur » sont toujours synonymes, sauf que le mot « cultivateur » est plus étroitement associé à la culture du sol, aux labours, tandis que « fermier », pour être lié à l’ensemble des activités d’une ferme, ne se réfère pas au seul travail de la terre ; il englobe entre autres les activités d’élevage. Dans la mesure où James, le personnage central des Lettres d’un fermier américain, s’adonne certes à des travaux de labour mais aussi à des pratiques d’élevage, il n’est pas exclusivement un cultivateur, mais bien un fermier. En 2002, les Éditions L’Âge d’homme ont fait paraître une première traduction des Letters from an American Farmer signée par Jean Lacroix et Patrick Vallon. Cette parution est parsemée d’un nombre significatif (pour ne pas dire indécent) d’erreurs. En voici quelques exemples. Cette traduction ne respecte pas systématiquement le découpage des paragraphes de l’ouvrage et on y a omis de traduire une phrase (ici présentée en italique dans son contexte) : Où donc ce petit oiseau avait-il appris cet esprit d’injustice ? car il n’était assurément pas doué de ce qu’on appelle la raison ! Voilà donc une preuve que peu de choses séparent ces deux présents l’un de l’autre car nous voyons la perfection de l’un se mêler aux erreurs de l’autre ! La paisible hirondelle, avec autant de passivité qu’un Quaker, alla se percher un peu plus loin sans offrir la moindre résistance3[.]
Une des notes figurant dans la version originale est erronément identifiée comme une note des traducteurs. De plus, cette édition ne reproduit pas les deux cartes de Nantucket et de Martha’s Vineyard et, sans le signaler d’aucune façon, a retiré du texte les passages faisant référence à ces cartes. La traduction du segment donnant des indications erronées sur l’empla-
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cement géographique de Nantucket reproduit six de ces données inexactes mais, sans le mentionner, corrige deux de ces informations4. Lacroix et Vallon font de très nombreuses erreurs dans leurs traductions des noms d’animaux et de plantes. Ainsi traduisent-ils en ces mots une des phrases du célèbre passage sur le combat entre le kingbird et les abeilles : « malheureusement nos gobe-mouches dévorent ces industrieux insectes ; mais d’un autre côté, ces oiseaux préservent nos champs de la déprédation causée par les corbeaux5 ». Or le kingbird n’est pas un gobe-mouche mais un tyran tritri, et il n’y a d’ailleurs pas de gobe-mouches en Amérique. On y trouve par contre des gobemoucherons gris-bleu (Blue-gray Gnatcatcher), un oiseau de la famille de sylviidés, à laquelle appartient le roitelet. Il s’agit cependant d’un oiseau de petite taille, haut de onze centimètres, qui pourrait bien difficilement s’en prendre aux corbeaux grands de soixante centimètres ! Par ailleurs, le corbeau s’appelle raven en anglais, tandis que le texte d’origine parle de crow, qui désigne plutôt la corneille, plus petite que le corbeau et à laquelle le tyran tritri est en mesure de s’attaquer du haut de ses vingt centimètres. Plus loin, les traducteurs utilisent à nouveau le nom de gobe-mouche pour identifier ce que James appelle un « phebe » [sic : phoebe] et qu’on doit plutôt traduire par moucherolle phébi. Et ils nomment roitelet l’oiseau que James appelle un wren, c’est-à-dire un troglodyte6. Sous la plume de Lacroix et Vallon le blue fish devient du thon rouge alors qu’il s’agit de tassergal. Ils omettent de traduire le poisson identifié une première fois sous le nom de tew-tag et qui réapparaît quelques pages plus loin sous la dénomination de « tew-tag, or black fish ». Cette omission s’explique éventuellement par le fait que les traducteurs n’ont pas découvert qu’il s’agissait du tautogue noir. Ils traduisent shadine, c’est-à-dire sardine, par sandre : un poisson d’eau douce qui n’existe qu’en Europe. Ils voient le mot « tortues » (torsoises, en anglais) dans porpoises, alors qu’il s’agit de marsouins. Ils traduisent « horse feet », c’est-à-dire horse show crab, par buccins, une sorte de bigorneau de l’Atlantique, alors qu’il s’agit de limules. Et ils ignorent qu’une killer whale ne s’appelle pas en français une « baleine tueuse », mais un épaulard ou un orque7. Ils traduisent Indian grass et blue bent par « l’herbe des Indiens et la lande bleue », alors que ces noms désignent plutôt le faux-sorgho penché et le pâturin. Dans un premier temps, ils traduisent beach grass par ajoncs avant de lui donner plus loin le nom de genêts, alors qu’il s’agit d’élyme des sables. Ils donnent le nom de mouron à ce que le texte anglais appelle five fingers et qu’on doit plutôt traduire par potentille8. Plusieurs passages dévoilent une mauvaise compréhension des réalités dont les traducteurs ont à rendre compte. Ainsi, lorsque James raconte
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qu’un jour « the whole family of Mr. P. R. went to meeting », les traducteurs rendent ce segment par les mots suivants : « toute la famille de M. P. R. se rendit à une réunion ». Or le mot « meeting » est ici employé au sens que lui donnent les quakers, chez qui il sert à désigner, selon le contexte, soit une communauté quaker particulière, soit le lieu de culte de cette communauté, soit les activités de culte elles-mêmes. La famille de M. P. R. ne se rend donc pas à une simple réunion : elle s’en va assister au culte (ce que permet de confirmer la suite du texte, où James précise qu’à ce meeting, on écoute un sermon)9. Lacroix et Vallon traduisent la phrase : « they erected a mast, provided with a sufficient number of rounds » par les mots suivants : « on érigea un mât, on organisa des rondes ». Mais le mot « rounds » désigne ici des rondins dont on a muni le mât en nombre suffisant : il faut donc traduire cette phrase par : « ils ont érigé un mât muni d’échelons adéquats10 ». Les traducteurs ignorent que l’expression South Sea désigne le Pacifique sud, et non « les mers du sud ». Et contrairement à ce qu’ils laissent croire par leur emploi de l’italique, Josephus n’est pas le titre d’un livre mais le nom de l’auteur, Flavius Josèphe ou Josephus, de l’ouvrage connu sous le titre d’Histoire des Juifs11. Finalement, les traducteurs font à plusieurs reprises des erreurs qu’ils auraient pu éviter en consultant les adaptations que l’auteur a lui-même réalisées des passages concernés. Ainsi, Lacroix et Vallon traduisent par « mousquets » le mot « musketos » qui apparaît dans la phrase suivante : « the power of the crown in conjunction with the musketos has prevented men from settling there ». Mais il s’agit plutôt de moustiques, comme le confirme la traduction que St. John de Crèvecœur a fait de ce passage : « l’influence de la Couronne, & le fleau des Moustiches, ont empêché les hommes de s’y établir ». On peut lire, dans la version originale anglaise de l’« Histoire d’Andrew l’Hébridéen », l’étonnement du nouvel arrivant devant « several large Lancaster six-horse waggons just arrived from the country ». Les traducteurs rendent ce segment de phrase dans les mots suivants : « plusieurs imposants fourgons Lancaster tirés par des attelages de six chevaux qui arrivaient de la campagne ». La traduction que St. John de Crèvecœur a faite de ce passage nous apprend qu’il ne s’agit pas de fourgons de type Lancaster mais arrivant de la ville de Lancaster : « plusieurs chariots à six chevaux, chargés de farine, & venant de Lancaster12 ». Les laborieuses circonvolutions syntaxiques de St. John de Crèvecœur posent parfois d’important problèmes de compréhension. Par exemple, lorsque les premières pages de la version originale anglaise de la Lettre X « Sur les serpents et sur l’oiseau-mouche » nous apprennent que :
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The southern provinces are the countries where nature has formed the greatest variety of alligators, snakes, serpents ; and scorpions, from the smallest size, up to the pine barren, the largest species known here. We have but to, whose stings are mortal, which deserve to be mentioned ; as for the black one, it is remarkable for nothing but its industry, agility, beauty, and the art of inciting birds by the power of its eyes.
Lacroix et Vallon traduisent ainsi ce passage : Les provinces méridionales sont les contrées où la nature a conçu la plus grande variété d’alligators, serpents et autres rampants ainsi que des scorpions de la plus petite taille jusqu’à celui dit « des pinèdes », l’espèce la plus grande que l’on connaisse ici. Nous n’en avons que deux sortes dignes d’être mentionnées dont les piqûres sont mortelles ; s’agissant du scorpion noir il se distingue par son activité industrieuse, son agilité, sa beauté et son habileté à attirer les oiseaux par l’intensité de son regard.
Il est cependant bien difficile de déterminer ce que serait un scorpion des pinèdes, et d’accepter le fait que des scorpions noirs puissent hypnotiser des oiseaux grâce à l’intensité de leur regard. D’autant plus quand on sait que pine barren est le nom anglais du serpent-taureau. En fait, les traducteurs sont tombés dans le piège que constitue l’insertion des mots « and scorpions » au milieu de la première phrase, et qu’ils auraient évité en consultant la traduction de St. John de Crèvecœur (où il n’est même pas question de scorpions !) : C’est dans les états méridionaux qu’il faut aller étudier cette branche de notre histoire naturelle depuis le Pine Barren, des déserts jusqu’à l’Alligator des grands marais. Je n’en connois ici que deux espèces dont la piqûre soit mortelle. Quant au grand Serpent noir, il n’est nullement dangereux, quoiqu’il soit extrêmement vindicatif : j’aime au contraire à observer son adresse, son agilité & cet art merveilleux qu’il possède de fasciner par le pouvoir de ses yeux, les petits Ecureuils & les Oiseaux.
Ce passage des Lettres d’un cultivateur américain présente un appel de note à la suite de la formule « Pine Barren, des déserts », lequel renvoie en bas de page où on apprend que ce pine barren est un « Serpent très-court dont le poison est mortel en peu de minutes, qui ne se trouve que dans les terreins déserts & sabloneux des deux Carolines13 ». À la lumière de ces quelques exemples, nous croyons pouvoir affirmer que la publication de la traduction de Jean Lacroix et Patrick Vallon des Lettres d’un fermier américain est loin de rendre inutile la parution de celle qui figure dans le présent ouvrage.
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Le manuscrit des Letters from an American Farmer Après avoir été conservé en France, où il est demeuré pendant plus de deux siècles dans les archives privées des descendants de St. John de Crèvecœur, le manuscrit autographe des Letters from an American Farmer est, depuis 1987, la propriété de la Bibliothèque du Congrès de Washington14. Il figure dans le premier d’un ensemble de trois volumes reliés de manuscrits, achetés par la même occasion et rassemblant l’ensemble des écrits de St. John de Crèvecœur. Le deuxième et le troisième volumes contiennent les textes rassemblés en 1925 sous le titre de Sketches of Eighteenth-Century America, et ont été publiés intégralement en 1995 par Dennis D. Moore sous celui de More Letters from the American Farmer. Le regretté Everett Emerson, professeur à la Univeristy of North Carolina at Chapel Hill, a réalisé, à partir du manuscrit figurant dans le premier volume, une édition critique des Letters from an American Farmer, mais l’ouvrage n’a malheureusement pas encore été publié à ce jour. Dans l’ensemble, le manuscrit des Letters from an American Farmer présente un texte dont l’état est très proche de celui de l’édition originale de 1782. Les différences tiennent essentiellement à la présence, dans le manuscrit, de corrections et des quelques ajouts qui ressemblent au fruit d’un travail de préparation de copie, ainsi que de courts segments raturés qui, pour cette raison, n’ont pas été reproduits dans la version imprimée. Le manuscrit des Letters from an American Farmer s’ouvre sur une « Table du premier volume » présentant les textes constitutifs de l’édition originale de l’ouvrage : 1. Pensées & Bonheur d’un Fermier Am. 2. Description de l’Île de Nantucket en 7 Lettres 3. L’Habitant de la Frontière. par P Px. 4. Histoire d’Andrew l’Hébridéen 5. Visite à John Bartram le célèbre Botaniste de Pensilvanie J. A. 6. Présentation des Mœurs à Charles Town. une Scène Horrible 7. Qu’est-ce qu’un Américain — 8. sur les Serpents 9. Introduction ou première Lettre W, S
Cette liste est suivie d’une note indiquant que ces textes constituent un total de « 15 Lettres15 ». Mais comment une série de neuf titres peut-elle aboutir à un total de quinze lettres ? Parce que, comme le précise cette table des matières, la « Description de l’Île de Nantucket » est composée d’un ensemble de sept lettres, ce qui ajoute six textes aux neuf documents nommément identifiés par cette liste. Et comment ces quinze lettres
Notes sur le texte et la traduction
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peuvent-elles être les textes d’origine des douze Lettres d’un fermier américain ? Parce que les textes numérotés 4 et 7 dans cette liste, respectivement intitulés « Histoire d’Andrew l’Hébridéen » et « Qu’est-ce qu’un Américain », sont réunis l’un à l’autre dans la version imprimée de l’ouvrage pour y former la Lettre III, « Qu’est-ce qu’un Américain ? ». Et parce que les sept lettres de la « Description de l’Île de Nantucket » ont été transformées, dans le livre publié, en une séquence de cinq lettres. L’ordre des textes identifiés par cette table du premier volume ne correspond donc pas à celui qu’ils occupent dans la version imprimée de l’ouvrage, et ne coïncide pas non plus, sauf dans le cas du premier texte, avec celui dans lequel ils apparaissent dans cette copie autographe des Letters from an American Farmer (dans laquelle figurent de plus divers feuillets intercalés ça et là entre les pages des principaux textes constitutifs de ce volume). Le manuscrit s’ouvre donc sur le texte figurant en tête de la table du volume. Il porte cependant un titre différent de celui qui lui est donné par la liste : il est identifié sous celui de « Les Sentiments & plaisirs d’un Fermier Américain en 4 Lettres à Shv par W. S. », et il s’agit du texte de la Lettre II, « Sur la situation, les sentiments et les plaisirs d’un fermier américain », de la version imprimée de l’ouvrage. Le second texte du manuscrit est celui que la table des matières présente comme le numéro 6. Son titre commence par un mot illisible suivi par « de la Caroline du Sud & Réflexions sur l’Esclavage » ; il correspond à la Lettre IX, « Description de Charleston ; réflexions sur l’esclavage ; sur la domination du mal ; une scène accablante ». Le troisième texte, intitulé « Une Visite à John Bertram le Botaniste », est le numéro 5 de la table du premier volume et correspond à la Lettre XI, « De M. Iw—n Al—z, un gentilhomme russe, décrivant la visite qu’il a faite, à [l]a demande [de James], à M. John Bartram, le célèbre botaniste pennsylvanien ». Le quatrième manuscrit, qui porte le titre de « Réflexions d’un Fermier Américain sur les Serpents », est le numéro 8 de la table des matières et correspond à la Lettre X, « Sur les serpents et sur l’oiseau-mouche ». Portant le numéro 4 sur la liste, le cinquième manuscrit est celui de « L’Histoire d’ l’Hébridéen », dont le contenu est intégré, dans la version imprimée du livre, à la Lettre III, « Qu’est-ce qu’un Américain ? ». Le sixième manuscrit, qui porte le numéro 7 dans la table, est justement celui qui donne son titre à cette Lettre III.
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Lettres d’un fermier américain
Le septième manuscrit, intitulé « L’homme de la Frontière ou l’Histoire du Père affligé », porte le numéro 3 dans la table du premier volume et correspond à la Lettre XII, « Angoisses d’un habitant de la frontière ». À la suite de ce texte, le manuscrit intercale deux copies d’un écrit intitulé « Une Famille Heureuse séparée par l’Esprit de la Guerre Civile », qui ne figure ni dans la table du premier volume, ni dans les Lettres d’un fermier américain. Puis, tel qu’annoncé dans une note accompagnant la table des matières, apparaît, « avant les Lettres sur l’Île de Nantucket », le manuscrit de la dédicace originale à l’abbé Raynal, présentée sous le titre de « Une Épitre à M. Abbé Raynald. F. R. S. ». Cette copie est aussitôt suivie d’une traduction française de cette dédicace. Finalement, le volume se clôt sur un texte intitulé « Nantucket », le numéro 2 de la table, qui rassemble les pages de ce qui constitue la séquence des cinq lettres de Nantucket des Lettres d’un fermier américain. Ainsi, contrairement à ce qui est annoncé par la table des matières, ce recueil ne se termine pas par l’« Introduction ou première Lettre ». Le manuscrit de cette première lettre n’a d’ailleurs jamais été retrouvé. Le titre du manuscrit correspondant à la Lettre II, « Sur la situation, les sentiments et les plaisirs d’un fermier américain », indique que ce texte aurait été écrit par un certain « W. S. ». La présence de ces initiales pose problème : elles correspondent à celles de William Seton, le dédicataire des versions françaises des Lettres d’un cultivateur américain. Rien, pourtant, dans cette lettre, ne laisse croire qu’elle puisse provenir d’une plume autre que celle de James. Le manuscrit de la Lettre X, « Description de Charleston », précise que cette missive aurait été écrite à « Charles Town, le 3 Septbre 1773 ». Celui de la Lettre XI, « De M. Iw—n Al—z, un gentilhomme russe, décrivant la visite qu’il a faite, à [l]a demande [de James], à M. John Bartram », date cette missive de « Phie [Philadelphie], le 4 Jan. — 1770 ». De plus, toutes les occurrences du prénom de Iwan apparaissent entre les lignes du texte, ce qui suppose qu’elles y ont été ajoutées après une première mise au net du texte16. Dans la table des matières, le titre de ce manuscrit est suivi des initiales « J. A. », lesquelles correspondent, en tenant compte de la graphie de l’époque, à celles du nom d’Iw—n Al—z, le signataire de cette lettre. La table du premier volume indique que la lettre identifiée dans cette liste sous le titre de « L’Habitant de la Frontière » aurait été écrite « par P Px. ». Cette identification n’apparaît cependant pas sur le manuscrit de la lettre en question.
L
e t t r
e
s
d’un
fermier américain, d é c r i va n t
certaines localités , mœurs et coutumes provinciales généralement peu connues, et témoignant
des récentes et des présentes conditions de vie à l ’ intérieur des
colonies britanniques de
l ’A mérique du
N ord .
Écrites pour l’information d’un ami en Angleterre,
par
J. Hector St. John,
un fermier de
Pennsylvanie.
L ondr e s I mprimé
T homas D avies , sur R ussel S treet , C ovent G arden , et L ockyer D avis à H olborn M DCC LXXXII
pour
Figure 7. Letters from an American Farmer, 1782. Page de titre de l’édition originale. Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
Annonce1
L
es lettres qui suivent sont le pur produit du fermier américain qui les signe. Elles ont été écrites à des fins privées, dans le but de satisfaire la curiosité d’un ami, et elles sont rendues publiques parce qu’elles renferment beaucoup de renseignements véridiques, peu connus de ce côté de l’Atlantique ; aussi ne manqueront-elles pas d’intéresser grandement la population d’Angleterre en ces temps où tout le monde porte attention aux affaires américaines2. Lorsqu’on se penche sur ce qui caractérise le style et le ton de ces lettres, on en déduit aisément (sans avoir besoin d’autre preuve) qu’elles sont réellement le fruit d’une correspondance privée car écrites avec simplicité et familiarité, et parfois avec expressivité, elles ne sont nullement exemptes du genre de maladresses qui apparaissent inévitablement au sein des effusions précipitées d’un écrivain à l’inexpérience avouée. Notre fermier a été le témoin oculaire d’événements qui ont changé le visage de l’Amérique ; il est de ceux qui craignaient et qui ont sévèrement subi les désolantes conséquences d’une rupture entre la mère patrie et ses colonies car il a été chassé d’un établissement qui lui a fait goûter des plaisirs dont le lecteur trouvera une touchante description dans les premières lettres de ce volume. La triste épreuve est toutefois près de connaître un terme et, maintenant, il ne nous reste plus qu’à espérer que l’évidence des intérêts et des besoins réciproques des deux pays puisse, par bonheur, une fois le moment venu et en dépit de tous les obstacles, les réunir de nouveau. Si les lettres de notre fermier en viennent à être considérées comme un divertissement utile à un public intelligent et ouvert d’esprit, on pourra s’attendre pour bientôt à la publication d’un second volume aussi intéressant que celui-ci.
Annonce
de la deuxième édition3.
D
la publication de ce volume, nous avons appris que M. St. John a accepté une charge publique à New York4. Aussi est-il difficile de savoir s’il aura ou non bientôt le loisir de faire la révision de ses documents et de donner au monde un deuxième recueil des Lettres du fermier américain. epuis
Page laissée blanche intentionnellement
À l’abbé Raynal, membre de la Société royale1
P
ermettez,
Monsieur, qu’un humble planteur américain, un simple cultivateur, s’adresse à vous depuis la lointaine rive de l’Atlantique et qu’il ait la présomption d’apposer votre nom en tête de ses pauvres réflexions2. Je souhaiterais qu’elles soient dignes d’un si grand honneur. Mais pourquoi ne me serait-il pas permis de dévoiler les sentiments que mon cœur m’a si souvent fait ressentir ? Il y a de ça quelques années, j’ai découvert accidentellement votre Histoire politique et philosophique3 et je l’ai lue avec un plaisir infini. Pour la première fois de ma vie, j’ai réfléchi sur ce qui distingue les différentes nations ; j’ai découvert l’étendue des ramifications d’un commerce qui devrait unir le monde mais qui est maintenant la raison de ses convulsions ; j’ai admiré l’universalité de votre bienveillance et la générosité de votre bonté qui ne se confinent pas aux limites étroites de votre propre pays mais qui s’étendent, au contraire, à la race humaine toute entière. Vous vous êtes fait l’éloquent et ferme défenseur de la cause de l’humanité en épousant celle des pauvres Africains ; vous avez vu les provinces de l’Amérique du Nord sous leur vrai jour, comme l’asile de la liberté, comme le berceau de futures nations et le refuge d’Européens en détresse. Pourquoi devrais-je alors me retenir d’aimer et de respecter un homme dont j’admire tant les écrits ? Ces deux sentiments sont inséparables, à tout le moins dans ma poitrine. Je me suis imaginé que la présence de votre génie dirigeait mon étude, que j’accomplissais mes petits travaux sous son invisible et puissante gouverne : permettez-moi aujourd’hui de les sanctifier en les mettant sous les auspices de votre nom. Que la sincérité des raisons qui me poussent vous empêche de penser que cette adresse bien intentionnée puisse être autre chose que la plus pure marque de révérence et d’affection. On ne peut douter qu’il existe, entre les hommes de bien répandus de par le monde, une secrète communion, une affinité d’esprit, un lien qui tient à la similitude des sentiments ; alors pourquoi, quoique Américain, ne me serait-il pas permis de prendre place au sein de cette vaste fraternité intellectuelle ? Oui, je me le permets, et bien que le nom d’un homme ne possédant ni titres ni terres, qui ne s’est jamais élevé au-dessus de l’humble condition de fermier, puisse sembler sans importance, dans la mesure où les sentiments que j’ai
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Lettres d’un fermier américain
exprimés sont l’écho de ceux de mes compatriotes, en leur nom autant qu’au mien, permettez-moi de me déclarer, Monsieur, votre très sincère admirateur, J. Hector St. John4 Carlisle, en Pennsylvanie5.
Lettre I Introduction1
Q
ui aurait pensé que, parce que je vous ai reçu d’une façon hospita-
lière et avec gentillesse, vous deviez m’imaginer capable d’écrire avec précision et perspicacité ? Votre gratitude trompe votre jugement. Les connaissances que j’ai tirées de votre conversation m’ont amplement récompensé pour les cinq semaines pendant lesquelles je me suis occupé de vous. Je ne vous ai rien donné de plus que ce qu’exigent les règles de l’hospitalité ; mais un autre invité aurait-il pu m’instruire comme vous l’avez fait ? Vous m’avez guidé, sur la carte, d’un pays d’Europe à l’autre ; vous m’avez parlé de nombreuses choses extraordinaires qu’on retrouve dans notre célèbre mère patrie, dont je ne savais presque rien : son réseau de navigation intérieure, son agriculture, ses techniques, ses manufactures et son commerce ; vous m’avez guidé au sein d’un vaste labyrinthe et j’ai tiré un grand profit de ce parcours ; la comparaison suffit à prouver que c’est moi qui ai envers vous une dette de gratitude. Pour vous accorder le traitement que vous avez reçu dans ma maison, nous n’avons eu, mon épouse et moi, qu’à puiser au fond de nos cœurs ; ce que vous désirez maintenant doit puiser dans un esprit d’une bien grande faiblesse ; la tâche requiert de la mémoire et divers talents que je ne possède pas. Parce que je n’ai cessé de les étudier, je peux évidemment décrire avec une certaine précision nos méthodes américaines d’agriculture, nos mœurs et nos coutumes particulières, mais mes connaissances ne vont pas plus loin. Ces renseignements aux couleurs bien locales et sans grand éclat suffiront-ils à combler vos attentes et à satisfaire votre curiosité ? Je suis étonné qu’au cours de vos voyages américains vous n’ayez pas trouvé d’interlocuteurs plus éclairés et d’une meilleure éducation que moi ; votre prédilection me surprend plus qu’elle me flatte, ma seule part d’orgueil se réduisant à celle que je tire de la qualité de mes travaux de ferme. Mon père m’a légué quelques livres moisis, que son père avait apportés d’Angleterre avec lui ; mais quel secours puis-je tirer d’une bibliothèque composée pour la plus grande partie d’ouvrages de théologie écossaise, des Voyages de Sir Francis Drake, de l’Histoire de la reine Élisabeth et de quelques volumes dépareillés2 ? Notre ministre vient souvent me voir, quoiqu’il vive à plus de vingt milles de distance. Je lui ai montré votre lettre, lui ai demandé son avis et sollicité son aide ; il me dit qu’il n’avait pas de temps libre car, comme nous tous, il doit cultiver sa ferme et se
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consacrer en plus à l’étude de ce qu’il doit dire à l’occasion du sabbat. Mon épouse (et je ne fais jamais rien sans la consulter) se met à rire et me dit que vous ne pouvez pas être sérieux. Quoi ! dit-elle, prétendrais-tu3, James, envoyer des épîtres à un homme d’importance et d’Europe, qui a passé beaucoup de temps dans cette vaste demeure appelée Cambridge où il se trouve, dit-on, une telle abondance de connaissances que les gens se les approprient rien qu’en respirant l’air de l’endroit ? Ne devrais-tu pas être gêné d’écrire à un homme qui n’a jamais de sa vie accompli une seule journée de travail, ne serait-ce que pour abattre un arbre ; qui a passé Dieu sait combien d’années à étudier les étoiles, la géométrie, les pierres et les mouches, et à lire de gros livres ? Qui a même voyagé, comme il nous l’a raconté, jusqu’à Rome ! Penses-y : un Londonien qui va à Rome ! Jusqu’où est-ce que ces chers Anglais n’iront-ils pas ! Quelqu’un qui a vu les usines de soufre du Vésuve et la ville enterrée de Pompéi ! Prétendrais-tu échanger des lettres avec une personne qui est allée à Paris, dans les Alpes, à Petersbourg et qui a vu tant de jolies choses de part et d’autre des vieux pays ; qui a traversé la grande mer jusqu’à nous et qui a voyagé depuis notre New Hampshire, dans l’est, jusqu’à notre Charleston, dans le sud ; qui a visité toutes nos grandes villes, qui connaît la plupart de nos célèbres avocats et de nos hommes d’esprit ; qui a conversé avec un grand nombre de représentants du roi, de gouverneurs et de conseillers, et qui arrête malgré tout son choix sur toi pour être son correspondant, selon le mot que tu emploies ? Il veut sûrement te taquiner ! Il ne peut pas être vraiment sérieux, j’en suis certaine ! James, tu dois relire une fois de plus cette lettre, paragraphe par paragraphe, et vérifier consciencieusement si tu ne peux pas y deviner quelque raillerie, des mots qui ont plus d’une signification ; et à bien y penser, mon mari, je souhaiterais que tu me laisses voir cette lettre ; même si je ne suis qu’une femme, ainsi que tu pourrais le dire, je connais malgré tout la portée des mots car lorsque j’étais petite fille, mon père nous a envoyées auprès des meilleurs maîtres de la circonscription. — Elle l’a alors lue elle-même très attentivement ; notre ministre était présent, nous l’avons écoutée et avons pesé chaque syllabe ; nous avons unanimement conclu que vos intentions étaient sérieuses, selon les mots de mon épouse, et votre requête nous est apparue sincère et de bonne foi. Mais en nous remémorant ce qui distingue votre sphère d’activité de la mienne, nous avons été de nouveau saisis par l’étonnement. Notre ministre a pris la lettre des mains de mon épouse et l’a lui-même lue ; il a fait porter notre attention sur les deux dernières phrases et nous en avons pesé la teneur au mieux de nos capacités. La conclusion que
Lettre I – Introduction
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nous en avons tirée m’a finalement fait prendre la décision d’écrire. —— Vous dites que vous ne voulez de moi rien de plus que ce qui se situe dans les limites de mon expérience et de mes connaissances, ce que je comprends très bien ; la difficulté est la suivante : comment recueillir, mettre en ordre et en forme ce que je sais ? Ensuite, vous soutenez qu’écrire des lettres n’est rien de plus que parler sur du papier, ce qui, je dois en convenir, m’est apparu comme une idée plutôt nouvelle. — Eh bien, voisin James, fit remarquer notre ministre, étant donné que vous savez bien parler, je suis certain que vous devez également écrire passablement bien ; imaginez alors que monsieur F. B. est encore ici et mettez simplement par écrit ce que vous lui auriez dit. Imaginez que les questions qu’il vous adressera dans ses futures lettres vous seront posées viva voce, comme nous avions l’habitude de dire au collège ; concevez et formulez alors vos réponses dans le même langage que s’il était devant vous. C’est tout ce qu’il vous demande et je suis certain que la tâche n’est pas difficile. Il est votre ami ; qui pourrait être gêné d’écrire à une telle personne ? Bien qu’il soit un homme d’éducation et de goût, je suis cependant certain qu’il lira vos lettres avec plaisir ; si elles ne seront pas élégantes, elles auront l’odeur des bois et seront un peu sauvages ; je connais votre tour d’esprit ; elles traiteront de choses qu’il ignorait jusqu’alors. Certaines personnes sont tellement intéressées par la nouveauté qu’elles laisseront passer bien des fautes de langage afin d’obtenir des renseignements. Nous sommes tous enclins à aimer et à admirer les objets exotiques, bien qu’ils puissent souvent s’avérer inférieurs à ce que nous possédons, et j’imagine que c’est la raison pour laquelle nombre de personnes ne cessent de visiter l’Italie. — Ce pays est la destination commune des voyageurs modernes. James : Ne devrais-je pas connaître ce qu’il y a de si agréable et profitable à voir là-bas pour que tant de gens souhaitent visiter ce pays plus qu’un autre ? Le ministre : Je ne le sais pas très bien. J’imagine que leur but est de retrouver les vestiges d’un peuple jadis florissant mais désormais disparu. Ils s’y divertissent en observant les ruines de temples et d’autres édifices qui ont bien peu de choses à voir avec ceux de l’époque actuelle et les connaissances qu’ils en tirent doivent être aussi vaines qu’inutiles. Je me suis souvent demandé pourquoi le botaniste avisé ou l’homme de savoir ne préfèrent pas venir ici ; il me semble qu’il y aurait bien plus de satisfactions à tirer de l’observation des embryons et des humbles rudiments de sociétés qui se développent autour de nous, de la récente fondation de nos villes et de l’établissement de tant de districts ruraux. Je suis certain
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que la rapidité de leur croissance doit être plus agréable à observer que les ruines de vieilles tours, d’inutiles aqueducs ou de remparts jadis menaçants. James : Ce que vous dites, ministre, me semble être très juste ; continuez, je vous en prie : j’aime toujours vous entendre parler. Le ministre : Ne pensez-vous pas, voisin James, que l’esprit d’un bon Anglais éclairé gagnerait beaucoup à se consacrer, au sein de ces provinces, à l’observation de ce qui y rend tant de gens heureux ? À la définition des moyens par lesquels nous agrandissons insensiblement, jour après jour, l’étendue de nos établissements ? Comment nous transformons d’immenses forêts en beaux champs et ce qui, dans chacune de ces treize provinces, est l’expression de notre singulière aisance à assurer notre subsistance et notre félicité politique ? En Italie, tous les objets de contemplation, toutes les rêveries du voyageur ne peuvent faire autrement qu’évoquer les générations passées et des époques très lointaines, recouvertes par la poussière des ans. — Ici, au contraire, tout est moderne, paisible et agréable. Ici, nous n’avons pas connu de guerre pour semer la désolation dans nos champs*1; notre religion n’opprime pas le cultivateur ; nous sommes étrangers aux institutions féodales qui ont asservi un si grand nombre de personnes. Ici, la nature ouvre son large sein pour accueillir un flot incessant de nouveaux arrivants et leur donner de la nourriture. Je suis certain qu’on ne peut pas m’accuser de partialité américaine lorsque je dis que ce plaisant spectacle doit être plus intéressant et plus philosophique que celui des vieilles ruines romaines. Ici, chaque chose inspirera au voyageur les réflexions les plus philanthropiques ; au lieu de se soumettre à une douloureuse et inutile introspection sur les révolutions, les ravages et les fléaux du passé, son imagination se réjouira d’avance en anticipant le développement et la culture des champs de l’avenir, en prévoyant l’importance des générations futures qui rempliront et embelliront les étendues de ce continent sans limites. Là-bas, les amphithéâtres à moitié en ruines et les fièvres putrides de la Campanie doivent remplir son esprit de réflexions des plus mélancoliques tandis qu’il cherche l’origine et les fins des édifices qui l’entourent, et les raisons d’un si grand délabrement. Ici, il peut contempler les débuts
* Les troubles qui sèment actuellement la confusion dans les colonies américaines n’avaient pas encore éclatés lorsque cette lettre et certaines de celles qui suivent ont été écrites.
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et les premières esquisses de la société humaine, ce qu’on ne peut pas voir ailleurs qu’en cette partie du monde4. Le reste de la Terre, à ce qu’on m’a dit, est par endroits trop rempli et en d’autres à moitié désert. Partout la fausse religion, la tyrannie et les lois absurdes écrasent et affligent l’humanité. Ici, nous avons, dans une certaine mesure, retrouvé l’ancienne dignité de notre espèce ; nos lois sont simples et justes, nous sommes une race de cultivateurs, nous labourons sans contraintes et tout y est par conséquent prospère et florissant. Pour ma part, je préfère admirer la vaste grange d’un de nos riches fermiers, qui a lui-même abattu le premier arbre de sa plantation et qui a été le fondateur de son établissement, plutôt que d’étudier les dimensions du temple de Cérès. Je préfère témoigner de la progression de cet industrieux fermier à chacune des étapes de ses labours et de ses autres travaux plutôt que d’étudier comment on peut entretenir les couvents italiens modernes sans autres moyens que le chant et la prière. Bien que le champ d’étude qu’il trouvera sous nos latitudes se réduise à peu de choses, le voyageur anglais ne perdra pas entièrement son temps. La nouveauté et l’aspect étonnant de nos vastes établissements, de nos jolies rivières, l’importance des travaux que l’on entreprend partout, le nombre de gens qui vivent ensemble dans l’aisance et la paix : tout devrait grandement intéresser les observateurs ; quelles que soient les difficultés qu’ils pourront rencontrer au fil de leurs recherches, l’hospitalité qui règne d’un bout à l’autre de ce continent facilitera partout leurs excursions. Puisque c’est en labourant la surface du sol que nous avons amassé tout le bien que nous possédons, la surface de ce sol est par conséquent la seule chose qui nous est connue jusqu’ici. Il faudra le travail de plusieurs générations, l’énergie des hommes du futur, avant que l’humanité ait ici le loisir et les moyens de pénétrer plus profondément dans les entrailles de ce continent pour chercher les richesses souterraines dont il regorge assurément. — Voisin James, nous avons besoin de l’aide d’hommes ayant le loisir d’approfondir les connaissances, nous avons besoin d’éminents chimistes pour former nos maîtres de forge, pour nous enseigner comment préparer les teintures de nos vêtements. Ici, nous n’avons personne à la hauteur de cette tâche. S’il se fait parmi nous quelques découvertes utiles, elles sont le fruit de la chance ou de l’infatigable esprit d’entreprise qui est la principale caractéristique des habitants de ces colonies. James : Oh ! si je pouvais m’exprimer comme vous le faites, mon ami, je n’hésiterais pas un seul instant : je serais impatient d’entreprendre une correspondance qui me ferait une réputation.
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Le ministre : Vous pouvez écrire autant que vous le désirez et vous vous améliorerez très rapidement ; j’en fais la prophétie : vos lettres auront au moins le mérite de parvenir de la frontière des grandes étendues sauvages, à trois cents milles de la mer, et trois mille milles par-delà cette mer, ce qui ne sera pas à leur désavantage, croyez-en ma parole. Vous destinez un de vos enfants à porter la toge ; qui sait, monsieur F. B. vous aidera peut-être lorsque le garçon aura affaire avec l’évêque5 ; il est bon pour les fermiers américains d’avoir des amis en Angleterre. Ce qu’il vous demande est bien facile — nous donnons le nom de conversation à ce que nous disons entre nous et une lettre n’est qu’une conversation en noir sur blanc. James : Vous réussissez à me persuader — s’il rit de mes maladresses, il sera certainement content de mon entière collaboration. Ce sera en toutes bonnes intentions de ma part, quel que soit le résultat. Je lui écrirai longuement et ce sera à lui d’extraire le bon du mauvais, l’utile du futile ; qu’il choisisse ce dont il peut avoir besoin et rejette ce qui ne répond pas à ses attentes. Après tout, il ne s’agit que de traiter monsieur F. B., maintenant qu’il est à Londres, de la même manière que je l’ai traité en Amérique, alors qu’il était sous mon toit, c’est-à-dire en lui offrant ce que j’ai de meilleur, avec de bonnes intentions et de la meilleure manière qu’il m’est possible. La chose est très différente, James, vraiment très différente, a dit mon épouse ; je n’aime pas ta comparaison ; notre petite maison et notre garde-manger, notre verger et notre jardin lui ont offert ce dont il avait besoin ; la moitié du temps, monsieur F. B., le pauvre homme, n’a vécu que de gâteaux aux fruits ou de pêches et de lait. Ces choses étaient un don de Dieu, la fille de ferme et moi avons fait le reste ; nous n’avons pas inventé ces victuailles, nous n’avons fait que les cuire aussi bien et avec autant de soin que nous le pouvions. Il faut d’abord, James, savoir quel genre d’ingrédients tu es en mesure de puiser en toi-même et, ensuite, si tu sais comment les apprêter. — Eh bien ! eh bien ! cette fois tu es dans l’erreur, mon épouse : si j’étais rempli de vanité, ta réprimande serait opportune, mais tu sais que j’en possède bien peu. Comment pourrais-je savoir de quoi je suis capable avant d’avoir essayé ? Si, dans la demeure de ton père, tu ne t’étais pas toi-même employée à apprendre et à mettre en pratique chacun des arts domestiques qui ont fait la réputation de tes parents, tu aurais été une bien piètre épouse pour un fermier américain : tu n’aurais jamais été la mienne. Je ne t’ai pas mariée pour ce que tu possédais mais pour ce que tu savais faire. N’as-tu pas remarqué ce que monsieur F. B. laisse entendre ? Il me dit que l’art d’écrire n’est pas diffé-
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rent des autres, qu’on l’acquiert avec l’habitude et la persévérance. C’est singulièrement vrai, a dit notre ministre : celui qui écrira une lettre chaque jour de la semaine aura l’impression, le samedi, que la sixième coule de sa plume bien plus aisément que la première. Je me souviens que lorsque j’ai commencé mon ministère et à prêcher la Parole, je me sentais perplexe et vide ; mon esprit était comme un sol desséché sur lequel rien ne poussait, pas même de la mauvaise herbe. Grâce à la bénédiction des cieux et à ma persévérance dans l’étude, je me suis doté de pensées, de phrases et de mots plus riches ; je m’en suis rempli et je peux désormais prêcher d’abondance à partir de n’importe quel texte qui me vient à l’esprit. Ainsi en sera-t-il avec vous, voisin James ; commencez donc sans délai, et les lettres de monsieur F. B. devraient vous être d’une grande utilité ; il vous renseignera certainement sur beaucoup de choses : une correspondance consiste en un échange mutuel. Mettez votre modestie de côté et je ferai de mon mieux pour vous aider toutes les fois que j’en aurai le loisir. Très bien, ai-je dit, je me décide à suivre votre conseil ; je n’enverrai mes lettres ni n’en recevrai aucune sans vous les lire, ainsi qu’à mon épouse ; les femmes sont curieuses, elles aiment connaître les secrets de leurs maris ; ce ne sera pas la première chose que j’aurai soumise à vos deux opinions. Chaque fois que vous viendrez dîner avec nous, elles seront le dernier plat sur notre table. Et ce ne sera pas le moins agréable, répondit le cher homme. La nature vous a fait don d’une bonne part de raison et laissez-moi vous dire qu’il s’agit d’un de ses meilleurs présents. Elle vous a de plus doté d’une certaine perspicacité qui vous permet de faire la part des choses, et d’une imagination vive qui vous permet de penser avec célérité ; vous tirez souvent d’utiles considérations de la contemplation d’objets qui n’offraient rien à mon esprit ; vous avez le cœur tendre et bon, vous aimez les descriptions et votre crayon, rassurez-vous, n’est pas mauvais pour celui d’un fermier ; vous semblez le tenir sans difficulté ; votre esprit est ce qu’on appelait au collège de Yale une tabula rasa6, sur laquelle les impressions fortes et spontanées s’inscrivent avec facilité. Ah, voisin ! auriez-vous reçu seulement la moitié de l’éducation de monsieur F. B. que vous seriez vraiment son digne correspondant. Et peut-être serez-vous, ainsi revêtu de votre simple tunique américaine, un interlocuteur encore plus divertissant que si vous portiez toutes les toges de Cambridge. Vous serez à ses yeux comme une de ces plantes sauvages d’Amérique, aux branches irrégulières et luxuriantes, dont un savant européen ne pourrait probablement pas déterminer la valeur et l’utilité. Si notre sol ne vaut pas encore d’être remarqué pour l’excellence de ses fruits, sa productivité est cependant
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Lettres d’un fermier américain
une solide preuve de fertilité ; il ne lui manque que les connaissances qui s’acquièrent progressivement avec les ans pour s’améliorer et se corriger. Il est plus facile de retrancher que d’ajouter ; mon intention n’est pas de vous flatter, voisin James, l’adulation n’est pas mon genre, vous pouvez donc croire ce que dit votre pasteur. Je serais en Europe que je me fatiguerais de ne voir rien d’autre que des espaliers, des plates-bandes et des arbres réduits à l’état de pygmées. Permettez donc à monsieur F. B. de voir sur papier quelques framboisiers sauvages d’Amérique dans toute la force de leurs branches et de leur ramification foisonnante, tels que les produit par ici une nature dont la vigueur ne connaît pas de retenue — montrez-lui la force des végétaux qui poussent par chez-nous. Après tout, pourquoi ne serait-il pas permis à un fermier de faire usage tout aussi bien que les autres de ses facultés mentales ? Le fait qu’un homme travaille l’empêche-t-il de réfléchir, et s’il réfléchit à des choses utiles, pourquoi ne pourrait-il pas, dans ses loisirs, mettre ses pensées sur papier ? J’ai composé plus d’un bon sermon tandis que j’étais derrière ma charrue. Lorsque les yeux ne sont pas attirés par aucun objet en particulier, l’esprit s’ouvre à de nombreuses idées utiles. Ce n’est pas dans le bruyant atelier d’un forgeron ou d’un charpentier qu’on peut avoir le plaisir de ces moments studieux ; c’est pendant que nous labourons la terre en silence et que nous rêvassons le long des odoriférants sillons de nos basses terres sans être interrompus par les pierres et les souches ; c’est alors que les salubres effluves de la terre pénètrent nos esprits et alimentent notre inspiration ; les autres activités de nos fermes sont de lourds travaux lorsqu’on les compare à cette plaisante occupation ; de toutes les tâches que m’impose la mienne, le labour est la plus agréable parce que je peux penser tandis que je travaille ; mon esprit est au repos ; je laboure avec mon instinct, aidé de celui de mes chevaux ; il n’existe pas la moindre différence entre nos manières de prendre part à cette opération ; l’un suit le sillon, l’autre le contourne ; au bout de mon champ, ils tournent soit à droite soit à gauche, selon ma commande, tandis que je guide sans y penser la charrue à laquelle ils sont attelés. Commencez donc cette correspondance, voisin, et persévérez : les difficultés disparaîtront à mesure que vous vous approcherez d’elles ; vous vous étonnerez de vous-même au fur et à mesure ; lorsque vous y repenserez, vous vous direz, ainsi que je me le suis souvent dis moi-même : si je m’étais montré timide, je ne serais jamais allé aussi loin. Devriez-vous peiner pour labourer vos coteaux rocailleux et négliger la riche vallée qui se trouve à votre porte ? Si vous n’aviez jamais essayé, vous n’auriez jamais appris ni à tracer ni à entretenir
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vos sillons. Ce ne sera pas rien qu’un petit bonheur pour vos enfants de pouvoir dire, un jour, que leur père était non seulement un des fermiers les plus travaillants du pays mais un de ses meilleurs écrivains. Une fois que vous aurez commencé, faites comme lorsque vous reprenez votre jachère de l’été : vous n’envisagez jamais ce qu’il vous reste à faire, vous ne voyez que ce que vous avez déjà labouré. Suivez donc mon conseil, voisin James : les choses iront bien pour vous, j’en suis certain. — Le croyez-vous vraiment, Monsieur ? Vos conseils, que je suis depuis longtemps, ont beaucoup de poids à mes yeux ; je crois que j’enverrai une lettre à monsieur F. B. par le premier vaisseau. — Si tu persistes à vouloir être un homme aussi imprudent, a dit mon épouse, pour l’amour de Dieu, que cela demeure un profond secret entre nous ; si cela venait à se savoir que tu envoies tes écrits à Londres, à un homme riche et d’importance, les gens n’arrêteront pas d’en parler ; certains croiront que tu vas te prendre pour un auteur, d’autres augureront d’importants changements dans le bien-être de ta famille. Certains diront ceci, d’autres diront cela ; qui souhaite devenir l’objet de la rumeur publique ? Pèse bien tes actions avant de commencer, James — considère qu’une bonne part de ton temps et de ta réputation est, si je puis dire, en jeu. Devrais-tu écrire aussi bien que l’ami Edmund7, dont je vois souvent les discours dans nos journaux, que ce serait la même chose ; tu ne serais pas moins accusé de paresse et d’avoir des idées qui ne sont pas de ta condition. Notre colonel de milice sera souvent dans les parages afin de savoir sur quoi est-ce que tu peux tant trouver à écrire. Certains imagineront que tu désires devenir, Dieu nous en garde, un représentant de la Chambre ou un magistrat, et que tu es en train de raconter tout un lot de choses aux représentants du roi. Au lieu d’être respecté comme tu l’es maintenant et de vivre en paix avec tout le monde, nos voisins feront d’étranges suppositions. Je préférerais plutôt demeurer tels que nous sommes, ni meilleurs ni pires que le reste de nos amis. Tu sais ce que je veux dire ; cependant, je serais attristée de te priver de la moindre récréation honnête. Aussi, comme je l’ai dit plus tôt, que cela demeure un aussi grand secret que s’il s’agissait d’un abominable crime ; le ministre, j’en suis certaine, ne le divulguera pas ; quant à moi, bien que je ne sois qu’une femme, je sais cependant ce que c’est qu’être une épouse. — Je ne voudrais pas, James, que tu passes pour ce qu’on appelle un écrivain ; non, pas pour tout l’or du monde, comme le veut l’expression. Ton père avant toi était en toute chose un homme d’une simplicité et d’une honnêteté irréprochables ; il était un homme de peu de mots, qui se contentait de dire oui ou non ; sa ferme et son travail étaient
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tout ce dont il s’occupait. Je me demande d’où t’es venu cet amour de la plume ? S’il avait passé son temps à envoyer ça et là des épîtres, il ne t’aurait pas laissé sa belle plantation libre de dettes. Tout ce que je dis est pour notre bien ; des gens d’importance et d’outre-mer peuvent écrire à nos amis du village parce qu’ils n’ont rien d’autre à faire. Ces Anglais sont de bien étranges personnes ; parce qu’ils peuvent vivre sans travailler grâce à ce qu’ils appellent des billets de banque, ils croient que tout le monde peut faire de même. Tout ce beau pays n’aurait jamais été cultivé et défriché avec ces billets. Je suis certaine que lorsque monsieur F. B. était ici, il t’a vu suer et peiner d’abondance ; il m’a souvent dit combien il trouvait que les Américains travaillaient nettement plus dur que les Anglais de par chez lui : parce que là-bas, nous a-t-il dit, il n’y a pas d’arbre à abattre, pas de clôture à dresser, pas de nègres à acheter et à vêtir ; et tandis que j’y pense, quand lui enverras-tu ces arbres dont il a parlé ? Mais s’ils n’ont pas d’arbres à abattre, ils ont, disent-ils, de l’or en abondance car ils en ratissent et en grattent ici et là. J’ai souvent entendu mon grand-père raconter comment ils vivent là-bas de leurs écrits. C’est par écrit qu’ils nous envoient leur marchandise, comme ils l’envoient aux Antilles ou aux Indes. Mais, James, tu sais que ce n’est pas en écrivant que nous paierons le forgeron, le ministre, le tisserand, le tailleur et la boutique anglaise. Mais puisque tu sais te conduire comme un homme, suis ton inclination ; tu as besoin de distractions, j’en suis certaine, et pourquoi ne t’y adonnerais-tu pas comme tu l’entends. — Que cela reste cependant un grand secret ; comment pourrais-tu accepter qu’à nos assemblées du canton on t’appelle le pousse-crayon ? Si ton entreprise venait à se savoir, les voyageurs de passage diraient, en pointant notre maison du doigt : c’est ici que réside le fermier griffonneur8 ; mieux vaudrait entendre comme observation d’usage : ici vit la belle et bonne famille qui ne refuse jamais une assiette de victuailles ou un plat d’avoine à quiconque y met les pieds. Voyez comme leurs nègres sont gras et bien vêtus. Ainsi, Monsieur, vous ai-je livré la teneur sincère et candide de la conversation qui m’a déterminé à accepter votre invitation. J’ai cru nécessaire de commencer ainsi et de vous mettre dans le secret afin que vous ne puissiez pas me reprocher à l’avenir le moindre degré de présomption. Vous comprendrez bien les raisons qui m’ont poussé à commencer, les craintes que j’ai entretenues et les principes sur lesquels se fonde ma modestie ; je n’ai plus rien d’autre à faire que de me mettre à la tâche. — Souvenez-vous que vous devrez m’indiquer mes sujets et je n’écrirai sur rien d’autre, de façon à ce que vous ne puissiez pas me blâmer de faire un
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choix malavisé. — Mon style vous apparaîtra peut-être fautif ; mes méthodes, malhabiles ; mes observations, futiles ; soyez cependant assuré qu’ils seront l’authentique expression de ma pensée et je souhaite qu’ils soient recevables à ce titre. Souvenez-vous que vous avez établi les fondations de cette correspondance ; vous savez très bien que je ne suis ni philosophe, ni politicien, ni théologien, ni naturaliste, mais un simple fermier. Je me flatte donc que vous accepterez mes lettres telles qu’elles seront conçues, non pas selon les règles de la science, qui me sont parfaitement étrangères, mais conformément aux impressions spontanées que chaque sujet pourra inspirer. C’est la seule ligne de conduite que je sois en mesure de suivre : celle que la nature a elle-même tracée pour moi ; tel était le contrat que j’avais passé avec vous et qui semblait bien faire votre affaire. Auriez-vous voulu le style de l’homme éduqué, les réflexions du patriote, les débats du politicien, les étonnantes observations du naturaliste, le plaisant apparat de l’homme de goût, vous vous seriez certainement adressé à l’un de ces hommes de lettres qui abondent dans nos villes. Mais puisque, au contraire, et pour des raisons que j’ignore, vous voulez correspondre avec un homme qui cultive la terre, avec un simple citoyen, vous devrez accepter mes lettres telles qu’elles sont, pour le meilleur et pour le pire.
Lettre II Sur la situation, les sentiments et les plaisirs d’un fermier américain1
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uisque vous êtes le premier Européen éclairé que j’aie jamais eu le plaisir de connaître, vous ne serez pas étonné que je sois empressé de me conformer à votre désir et à ma promesse, et de vouloir préserver votre amitié et votre correspondance. En me fiant à vos dires, je constate qu’il existe des différences bien concrètes entre vos élevages, vos modes de vie, vos coutumes et les nôtres ; tout est singulier ; si nous pouvions profiter des avantages du fermier anglais, nous serions sans doute plus heureux ; mais ce souhait, comme tant d’autres, est contradictoire car si les fermiers anglais possédaient certains des privilèges qui sont les nôtres, leur condition serait la meilleure au monde. Je constate qu’on trouve du bon et du mauvais dans toutes les sociétés et il est vain de chercher un endroit où l’un ne se mêle pas à l’autre. C’est pourquoi je suis heureux de mon sort
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et remercie Dieu que mon destin soit d’être un fermier américain plutôt qu’un serf de Russie ou un paysan de Hongrie. Je vous remercie sincèrement pour le portrait, si terrible soit-il, que vous m’avez fait de leur sort et de leur condition ; vos observations m’ont confirmé la justesse de mes opinions et je suis maintenant plus heureux que je croyais l’être auparavant. Il est étonnant que la vue de la misère d’autrui doive nous faire un si grand bien ; je suis cependant loin de me réjouir d’apprendre qu’il existe de par le monde des hommes vivant dans un pareil malheur ; ils sont certainement aussi paisibles, industrieux et travaillants que nous le sommes. C’est un bien mauvais sort que d’être ainsi condamné à un esclavage pire que celui de nos nègres. Dire que dans ma jeunesse il m’est arrivé de penser vendre ma ferme ! Je pensais qu’elle ne m’apportait rien de plus que des travaux et des plaisirs ennuyeux et répétitifs. Les premiers me semblaient fastidieux et lourds, et les derniers, rares et insipides ; mais lorsque je me suis imaginé être dépouillé de ma ferme, il m’est apparu que le vaste monde comptait tellement peu d’endroits inoccupés que j’ai commencé à craindre de ne pas y trouver de place pour moi. Mon imagination s’est mise à se faire une opinion passablement nouvelle, bien meilleure qu’auparavant, de ma ferme, de ma maison, de ma grange. Pourquoi ne serais-je pas heureux, me suis-je dit, là où mon père l’a été avant moi ? Il est vrai qu’il ne m’a pas laissé de bons livres, qu’il ne m’a enseigné rien d’autre que l’art de lire et d’écrire ; mais il m’a fait hériter d’une bonne ferme et de son expérience ; il ne m’a pas laissé de dettes, ni aucun problème à résoudre. — Je me suis marié, ce qui m’a parfaitement réconcilié avec ma situation ; la présence de mon épouse a égayé ma maison et l’a rendue plaisante ; elle ne m’apparaissait plus aussi lugubre et solitaire qu’auparavant ; quand je partais travailler dans mes champs, c’était avec plus d’ardeur et de plaisir ; je sentais que je ne travaillais plus pour moi seul et cela m’encourageait beaucoup. Mon épouse venait souvent me rejoindre avec son tricot dans les mains et s’asseyait à l’ombre des arbres, louant mon adresse à tracer mes sillons ainsi que la docilité de mes chevaux, ce qui me donnait du cœur à l’ouvrage ; tout devenait facile et agréable, et je regrettais de ne pas m’être marié plus tôt. Je me sentais heureux de ma nouvelle situation et existe-t-il une occupation qui puisse assurer autant de bonheur que celle de fermier américain, lui qui est libre de ses agissements, libre de ses pensées, sous la tutelle d’un gouvernement qui requiert bien peu de choses de nous ? Je ne dois rien à mon pays si ce n’est quelques radis, un maigre tribut pour mon roi ainsi que la loyauté et le respect qu’on lui doit ; je ne connais d’autre seigneur que le Seigneur, à qui je dois
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la plus sincère des gratitudes. Mon père m’a laissé trois cents soixante et onze acres de terre, dont quarante-sept de bons champs de chaume, un excellent verger et une vaste grange. Je me dois de me rendre compte combien je suis chanceux qu’il ait vécu pour bâtir et défrayer toutes ces installations ; les tâches que je dois accomplir, mes fatigues, sont peu de choses comparées aux siennes, lui qui, du premier arbre à abattre jusqu’à l’achèvement de sa maison, a dû tout faire de ses propres mains. Chaque année, j’abats de 1 500 à 2 000 livres de porc, 1 200 de bœuf, une demidouzaine de bons moutons bien gras ; ma femme a toujours une grande réserve de volailles : que pourrais-je désirer de plus ? Mes nègres sont raisonnablement fidèles et en bonne santé ; grâce à une longue habitude de travail et de commerce honnête, mon père a laissé derrière lui le nom d’un homme de bien ; je n’ai qu’à marcher dans ses pas pour être heureux et un homme de bien comme lui. Je connais assez la loi pour régler mes petits tracas de propriété, cela sans avoir à craindre son pouvoir. Telle est, dans ses grandes lignes, ma situation ; mais ce que je ressens déborde de ce que je suis en mesure d’exprimer et je ne sais trop comment m’y prendre afin d’en rendre compte. Lorsque mon premier fils est né, le cours de mes idées a soudainement changé ; jamais charme n’a pu agir avec autant de rapidité et de force ; j’ai cessé de laisser mon imagination errer de par le vaste monde ; depuis, mes excursions n’ont pas dépassé les bornes de ma ferme et je trouve désormais mes principaux plaisirs à l’intérieur de ces limites réduites ; mais, du même coup, il n’est aucune opération la concernant qui ne me nourrisse de réflexions utiles. C’est, je crois, la raison pour laquelle vous aviez l’habitude, lorsque vous étiez ici, de m’appeler, dans votre style fleuri, le semeur de sentiments. Comme ces sentiments doivent être grossiers chez celui qui manie chaque jour la hache et la charrue ! Comme ils doivent être au contraire raffinés chez un Européen dont l’esprit a bénéficié de l’éducation, de la grammaire, des livres et de tout ce qu’il est possible d’apprendre ! Ce sont malgré tout ces sentiments que je vais décrire aussi bien qu’il m’est possible de le faire, conformément à votre pressante requête. Lorsque je contemple mon épouse assise auprès de mon feu tandis qu’elle file, tricote, raccommode ou donne le sein à notre enfant, je ne peux décrire les divers sentiments d’amour, de gratitude, de fierté bien ressentie qui font tressaillir mon cœur et qui débordent souvent en me faisant pleurer malgré moi. Je ressens la nécessité, le doux plaisir de faire attentivement et adéquatement ma part d’époux et de père de façon à mériter ma bonne fortune. Il est vrai que ces plaisantes images s’envolent avec la fumée de ma pipe, mais bien qu’elles disparaissent de
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mon esprit, l’impression qu’elles laissent dans mon cœur est indélébile. Lorsque je joue avec l’enfant, je me laisse emporter par mon imagination en tentant de prévoir sa constitution et son caractère futurs. J’ouvrirais volontiers le livre du destin afin de savoir sur quelle page son avenir est tracé. Existe-t-il un père qui soit en mesure d’exprimer la moitié des impressions qui lui gonflent la poitrine en ces moments d’extase paternelle ? J’en suis assurément incapable et je me prends à craindre pour la santé de ceux qui me sont devenus si chers ; quand ils sont malades, je paie lourdement les joies que j’ai goûtées alors qu’ils étaient bien portants. Lorsqu’il m’arrive de voyager au loin, c’est toujours contre ma volonté. Jamais je ne reviens à la maison sans ressentir du bonheur, une émotion que je repousse, la jugeant sans utilité et ridicule. À l’instant où je pose le pied sur ma terre, mon esprit s’exalte en évoquant les idées de propriété, de droit exclusif et d’indépendance. Précieux sol, me dis-je, par quelle singulière règle de droit es-tu devenu la source des richesses de celui qui te possède en franc-alleu ? Pourquoi, fermiers américains, ne posséderionsnous pas pleinement ce sol ? Il nous nourrit, il nous habille ; nous en tirons de grandes joies : notre meilleure viande, nos boissons les plus désaltérantes, même le miel de nos abeilles tire son origine de ce lieu privilégié. Aussi n’est-il pas étonnant que nous en chérissions la possession ; il n’est pas étonnant que tant d’Européens, qui n’ont jamais été en mesure de dire d’une pareille part de terre qu’elle était la leur, traversent l’Atlantique pour voir se réaliser ce bonheur. C’est mon père qui a converti cette terre jadis ingrate en une plaisante ferme et, en échange, elle est nous a permis d’acquérir nos droits ; notre rang, notre liberté, notre pouvoir de citoyens, l’importance de notre statut d’habitant s’enracine en elle. Je dois admettre que je contemple toujours ces images avec plaisir et que je leur accorde toute l’attention de mon imagination car telle est ce qu’on peut appeler la véritable et unique philosophie du fermier américain. Veuillez ne pas rire de voir un naïf campagnard se peindre ainsi lui-même en traçant le portrait de ce qui fait sa vie de simplicité ; souvenez-vous que c’est vous qui l’avez demandé : c’est pourquoi je m’efforce, avec candeur et bien modestement, de suivre le fil de mes sentiments, mais je ne peux pas tout vous dire. Souvent, lorsque je laboure mes basses terres, je pose mon petit garçon sur un siège qui se visse à la flèche de la charrue2 — ses mouvements et ceux des chevaux lui plaisent, il est parfaitement heureux et commence à babiller. Tandis que je me penche sur la poignée, mon esprit se remplit de pensées diverses. Je fais aujourd’hui pour lui, me dis-je, ce que mon père a jadis fait pour moi ; puisse Dieu me permettre de vivre afin qu’il puisse
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accomplir un jour la même tâche avec les mêmes fins lorsque je serai fatigué et âgé ! J’épargne des soucis à sa mère tandis qu’il est avec moi ; les sillons odoriférants vivifient ses esprits et paraissent faire un grand bien à l’enfant car il semble mieux se développer depuis que je m’adonne à cette pratique ; existe-t-il quelque chose de plus plaisant et respectable que cette simple occupation ? Le père qui laboure ainsi en compagnie de son enfant afin de nourrir sa famille n’est surpassé que par l’empereur de Chine labourant pour donner l’exemple à son royaume3. Lorsque, dans la soirée, je retourne à la maison en passant par mes basses terres, je suis étonné par la myriade d’insectes que je vois danser dans les rayons du soleil couchant. Auparavant, j’étais à peine conscient de leur existence : ils sont si petits qu’il est difficile de les distinguer ; n’osant pas s’exposer aux feux de notre soleil du midi, c’est par précaution qu’ils embellissent ce court moment de la soirée. Jamais je ne vois un œuf sur ma table sans m’émerveiller du changement qu’il aurait connu n’eût été de ma gourmandise ; il aurait pu être une bonne et belle poule conduisant ses poussins avec un soin et une vigilance qui font honte à nombre de femmes. Ou peut-être un coq, paré des plus majestueuses plumes, tendre pour sa compagne, hardi, courageux, doté d’un instinct étonnant, avec des pensées, une mémoire et toutes les caractéristiques distinctives de la raison humaine. Je ne vois jamais sans émerveillement mes arbres laisser tomber leurs feuilles et leurs fruits à l’automne, et bourgeonner à nouveau au printemps ; je m’étonne de la sagesse des animaux qui sont depuis longtemps les habitants de ma ferme : la mémoire et la sagesse de certains d’entre eux semblent même surpasser celles de l’homme. Je pourrais vous raconter des choses étonnantes à ce propos. Qu’est-ce donc que cet instinct que nous déprécions tellement et à propos duquel on nous conduit à nous faire une si basse opinion ? Plus que tous les autres habitants de ma ferme, mes abeilles méritent mon attention et mon respect ; je suis étonné de voir que rien n’existe qui ne connaisse un ennemi, chaque espèce se développe et vit au détriment d’une autre. Nos tyrans tritris4 sont malheureusement les destructeurs de ces industrieux insectes ; mais d’un autre côté, ces oiseaux préservent nos champs des déprédations des corneilles qu’ils poursuivent en vol avec une grande vigilance et une étonnante habileté. Aussi, tiraillé entre deux intérêts, ai-je longtemps résisté au désir que j’avais de les abattre, cela jusqu’à l’an passé alors que j’ai pensé qu’ils étaient trop nombreux et que mon indulgence était allée trop loin ; c’était au moment où les abeilles essaiment : elles étaient toutes sorties pour se fixer aux arbres avoisinants et les tyrans tritris attrapaient celles qui revenaient des
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champs chargées de leurs provisions. C’est ce qui m’a fait me décider à en tuer autant que je pourrais et j’allais faire feu lorsqu’une masse d’abeilles grosse comme mon poing est sortie d’une des ruches pour se précipiter sur un des oiseaux et elles l’ont probablement piqué car il s’est tout de suite mis à crier et s’est enfui en volant, non plus d’une manière irrégulière comme auparavant, mais en ligne droite. La téméraire phalange l’a suivi sur une distance considérable mais, malheureusement trop sûre de sa victoire, elle abandonna son ordre de bataille et se débanda. Par ce geste inconsidéré, elles perdirent la force du nombre qui avait fait s’envoler l’oiseau. S’apercevant de leur désordre, il revint immédiatement et put en attraper autant qu’il voulait ; il a même eu l’effronterie de se percher sur la même branche d’où les abeilles l’avaient chassé. Je l’ai abattu et lui ai immédiatement ouvert le jabot d’où je retirai 171 abeilles ; je les déposai sur une couverture au soleil et, à ma grande surprise, 54 d’entre elles sont revenues à la vie et, après s’être nettoyées, sont joyeusement retournées à la ruche où elles ont probablement fait part à leurs compagnes de cette aventure et de cette évasion comme, j’imagine, on n’en avait jamais connues de mémoire d’abeilles américaines. Je tire beaucoup de plaisir des cailles qui habitent ma ferme ; elles me récompensent abondamment, avec la variété de leur chant et leur singulière docilité, en retour de l’inviolable hospitalité que je leur accorde chaque hiver. Au lieu de tirer perfidement avantage de leur grande et affligeante détresse lorsque la nature n’offre rien de plus qu’une stérile couverture de neige, lorsque l’irrésistible nécessité les pousse aux portes de ma grange, je leur permets de se nourrir sans être inquiétées et c’est un spectacle des plus agréables que celui que m’offre cette triste saison lorsque je vois ces beaux oiseaux, domestiqués par la faim, se mêler à mon bétail et à mes moutons, cherchant en sécurité un maigre grain qui, si ce n’était d’elles, serait inutile et perdu. Souvent je leur apporte de la paille et du grain dans les angles des clôtures où le souffle du vent empêche la neige de s’accumuler : l’un pour les nourrir, l’autre afin d’empêcher leurs tendres pattes de geler à même la terre ainsi que j’ai pu fréquemment l’observer. Je ne connais pas de moment où la barbarie particulière à l’homme se dévoile aussi clairement que lorsqu’il attrape et assassine ces oiseaux inoffensifs pendant cette cruelle saison de l’année. Monsieur ****5, un des fermiers les plus célèbres et extraordinaires qui ait jamais fait les honneurs de la province du Connecticut, a, lors d’un dur hiver, sauvé l’espèce de la destruction totale grâce à son secours opportun et clément. Elles ont péri dans le reste du pays ; au printemps suivant, on n’entendait plus leur doux pépiement sauf sur la ferme de ce
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gentilhomme ; c’est à son humanité que nous devons d’entendre encore leur musique. Lorsque les rigueurs de cette saison frappent tout mon bétail, aucun fermier ne s’occupe de lui avec autant de plaisir que je le fais ; il s’agit d’un de ces devoirs qui est adouci par la plus raisonnable des satisfactions. Je m’amuse à observer leurs différents caractères, leurs actions et les divers effets de leur instinct alors grandement aiguillonné par la force de la faim. Je constate leurs diverses inclinations et les différents effets de leurs passions, qui sont exactement les mêmes que parmi les hommes ; la loi est pour nous la même chose que ce que je suis pour ma basse-cour : une bride et un frein empêchant celui qui est fort et cupide d’oppresser celui qui est timide et faible. Conscients de leur supériorité, ils tentent constamment d’empiéter sur leurs voisins ; insatisfaits de la part qui leur est échue, ils l’avalent avec avidité de façon à avoir l’occasion, à moins qu’on ne les en empêche, de prendre ce que les autres ont reçu6. J’en réprimande certains ; d’autres, insensibles à mes remontrances, reçoivent quelques coups. Les vivres seraient-il distribués à des hommes n’ayant le secours d’aucun langage, je suis certain qu’ils ne se conduiraient pas mieux les uns envers les autres, pas plus philosophiquement que ne le fait mon bétail. Le même esprit prévaut dans l’écurie mais j’y ai affaire à des animaux plus généreux ; là, ma voix bien connue a une influence immédiate et restaure rapidement la paix et la tranquillité. Ainsi, grâce à mes connaissances supérieures, je gouverne mon bétail de la même manière que les hommes de sagesse sont obligés de gouverner les sots et les ignorants. Diverses autres pensées remplissent mon esprit en cet instant particulier mais, le temps de retourner à la maison, elles ont toutes disparu. Si, par une nuit froide, je traverse la contrée sur mon traîneau qui me conduit à la vitesse de douze milles à l’heure, les circonstances dans lesquelles je me retrouve éveillent de nombreuses réflexions. Je me demande : qu’est-ce donc que cette chose qu’on appelle le gel ? Notre ministre le compare à des aiguilles dont les pointes pénètrent par nos pores. Qu’est-il advenu de la chaleur de l’été ? En quelle partie du monde le vent du nord-ouest conserve-t-il ces grandes réserves de salpêtre ? Lorsque, le matin, je vois une rivière sur laquelle je peux passer et qui, la veille au soir, était liquide, j’ai de quoi être étonné ! Qu’est-il advenu de ces millions d’insectes qui jouaient dans nos champs d’été et, le soir, dans nos prés ? Ils étaient si petits et si délicats, la durée de leur existence a été si brève qu’on ne peut pas s’empêcher de se demander comment ils ont pu apprendre, en si peu de temps, le sublime art de se cacher, ainsi que leur descendance, de manière à combattre parfaitement la rigueur de la
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saison et à préserver ce précieux embryon de vie, cette petite part d’impalpable chaleur qui, si elle vient à se perdre, fait la perte de l’espèce ! D’où vient cette irrésistible propension à s’endormir, commune à tous ceux qui sont sévèrement attaqués par le gel ? Aussi triste cette saison puisse-t-elle être, elle est comme les autres le lieu de miracles ; elle présente à l’homme divers problèmes qu’il ne pourra jamais résoudre ; nous avons entre autres ici un groupe de petits oiseaux qui n’apparaissent jamais avant la tombée de la neige ; contrairement à tous les autres, ils s’en font une résidence et cet élément semble leur être un délice. Ce sont cependant mes abeilles qui font naître en moi les réflexions les plus agréables et les plus profondes ; qu’on me laisse les observer à mon aise et leur gouvernement, leur industrie, leurs querelles, leurs passions se présentent toujours à moi avec quelque chose de nouveau ; c’est la raison pour laquelle, lorsque je suis fatigué par le travail, mon lieu de repos habituel est sous mes acacias, près de la demeure de mes abeilles. Grâce à leurs mouvements, je peux prédire le temps qu’il fera, et je connais le jour de leur essaimage ; mais le plus difficile, lorsqu’elles sont en vol, est de savoir si elles veulent ou non prendre la direction des bois. Si elles ont déjà fait leur campement au creux de quelque arbre, ce ne sont pas les appâts de sel et d’eau, de fenouil, de feuilles de noyer, etc., ni la meilleure des ruches qui les persuaderont de rester ; elles préféreront des habitations grossières et rudimentaires à la mieux finie des ruches d’acajou. Lorsque c’est le cas avec les miennes, je tente rarement de contrecarrer leur inclination : c’est dans la liberté qu’elles travaillent ; devrais-je les confiner qu’elles dépériraient et abandonneraient leurs tâches. Ces excursions ne nous séparent que pour un temps ; je suis généralement assuré de les retrouver à l’automne suivant. Cette migration ne fait qu’ajouter à mes récréations ; je sais comment tromper leur instinct sans pareil ; je ne crains pas non plus de les perdre, même si elles sont à dix-huit milles de ma maison et logées dans le plus haut des arbres, dans la plus impénétrable de nos forêts. Je vous ai amené une fois avec moi dans une de ces excursions et vous insistez pourtant pour me faire répéter le détail de nos opérations, ce qui ramène à ma mémoire plusieurs des utiles et distrayantes réflexions avec lesquelles vous avez joyeusement rempli nos heures d’ennui. Lorsque j’ai fini mes semailles, je trouve un moyen de me récréer en me préparant pour une randonnée d’une semaine dans les bois, non pour y chasser le cerf ou l’ours ainsi que le font mes voisins, mais pour attraper ces plus inoffensives abeilles. Je ne peux pas me vanter du fait que cette
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chasse soit des plus nobles, ni qu’elle soit une activité très courue, mais je la trouve moins fatigante et tout aussi profitable, et cette dernière considération est la seule qui me pousse à m’y adonner. Je prends mon chien avec moi sans autre raison que pour avoir un compagnon car il est inutile à cette chasse, ainsi que mon fusil car, comme vous le savez, aucun homme ne doit pénétrer les bois sans porter d’arme, ma couverture, quelques provisions, de la cire, du vermillon, du miel et une petite boussole de poche. Muni de ces instruments, je me dirige vers les bois, à une distance considérable de tout établissement. Je les examine attentivement afin de savoir s’ils abondent en grands arbres ; si c’est le cas, je fait un petit feu sur une pierre plate, en un endroit approprié ; je mets de la cire dans le feu ; près de ce feu, sur une autre pierre, je répands des gouttes de miel que j’entoure d’une petite quantité de vermillon que j’étends sur la pierre ; je me retire alors doucement afin de surveiller s’il apparaît des abeilles. S’il s’en trouve dans les environs, vous pouvez être assuré que l’odeur de la cire brûlée va inévitablement les attirer ; elles trouveront bientôt le miel, car elles aiment s’approprier celui qui n’est pas le leur, et à l’occasion de leur approche, elles vont nécessairement se teinter de la poussière de vermillon qui adhérera à leur corps. Je pointe ensuite ma boussole afin de suivre leur course, qu’elles tracent invariablement en ligne droite lorsqu’elles retournent chez elles chargées de nourriture. À l’aide de ma montre, je note combien de temps prennent pour revenir celles qui sont marquées de vermillon. Connaissant ainsi la direction et, dans une certaine mesure, la distance que je peux aisément deviner, je suis cette direction et manque rarement de parvenir jusqu’à l’arbre où sont logées ces républiques. Je lui appose alors une marque. De cette façon, avec de la patience, il m’est parfois arrivé de trouver onze essaims en une saison, et il est difficile de concevoir la quantité de miel que ces arbres réussiront parfois à fournir. Cela dépend entièrement de la grosseur du trou, dans la mesure où les abeilles ne cessent de travailler et n’essaiment pas tant qu’il n’est pas rempli ; car comme c’est le cas avec les hommes, seul le manque de place les pousse à abandonner la ruche maternelle. Ensuite je me dirige vers un des établissements les plus proches où je me procure l’aide nécessaire afin d’abattre ces arbres et de me nantir de ma prise pour retourner ensuite chez moi avec mon butin. Les premières abeilles que je me suis procurées ont été ainsi trouvées dans les bois, mais par pur accident car à cette époque je ne connaissais pas le moyen de les trouver. Le corps de l’arbre étant parfaitement sain, elles s’étaient logées dans le creux d’une de ses branches principales que j’ai sciée avec précaution et, avec force efforts et travail, je l’ai apportée chez
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moi où je l’ai replacée dans la même position dans laquelle je l’avais trouvée. C’était en avril ; j’ai eu cinq essaims dans la même année et depuis lors ils ont été très prospères. Cette entreprise occupe généralement une semaine de mon temps chaque automne, ce qui est pour moi une semaine de repos et de détente solitaires. À cette époque de l’année, les semences ont été confiées à la terre ; il n’y a pas grand chose à faire de ses mains à la maison et cette quantité supplémentaire de miel permet de me montrer généreux envers mes abeilles domestiques, et à ma femme de faire une bonne quantité d’hydromel. La raison pour laquelle, Monsieur, vous avez trouvé que le mien était meilleur que celui des autres, est qu’elle met deux gallons de brandy dans chaque baril, ce qui le fait mûrir et lui retire ce goût sucré et liquoreux qu’il a l’habitude de garder pendant longtemps. Si nous trouvons quelque part dans les bois (peu importe le propriétaire de la terre) ce qu’on appelle un arbre-à-abeilles, nous devons le marquer ; à l’automne de l’année où on se propose de l’abattre, il est de notre devoir d’en informer le propriétaire de la terre, qui a droit à la moitié de son contenu ; si nous ne nous y conformons pas, nous nous exposons à une poursuite pour violation de propriété, tout comme celui qui irait abattre un arbre-à-abeilles qu’il n’aurait pas trouvé ni marqué lui-même. Nous avons deux fois par année le plaisir d’attraper des pigeons ; ils sont parfois étonnamment nombreux, assez pour obscurcir le soleil pendant leur vol. Où est-ce qu’ils peuvent bien éclore ? Car une pareille multitude requiert une immense quantité de nourriture. J’imagine qu’ils s’accouplent dans les plaines de l’Ohio et dans celles des environs du lac Michigan, qui abondent en avoine sauvage, bien que jamais je n’en aie abattu qui ait eu de ce grain dans son jabot. Dans l’un d’eux, l’an dernier, j’ai trouvé des grains de riz qui n’avaient pas été digérés. Pourtant, le champ de riz le plus proche de ma demeure doit être à au moins 560 milles ! Soit leur digestion s’arrête tandis qu’ils volent, soit ils volent à la vitesse du vent. Nous les attrapons avec un filet étendu sur le sol dans lequel nous les attirons avec ce que nous appelons des pigeons sauvages domestiqués, rendus aveugles et attachés à une longue ficelle ; leurs soubresauts et leurs appels répétés ne manquent jamais de les amener à se poser. Ma plus importante prise a été de quatre douzaines ; cependant on en a souvent attrapé de bien plus grandes quantités. J’en ai souvent vu au marché à très bas prix : pour un penny, vous pouviez en prendre autant qu’il vous était possible d’en emporter ; mais ce prix extrêmement bas ne doit pas vous faire conclure qu’ils ne sont rien de plus qu’une médiocre nourriture :
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au contraire, je les trouve excellents. Chaque fermier est toute l’année en possession d’un pigeon sauvage domestiqué en cage au pied de sa porte, de façon à être prêt afin d’en attraper quel que soit le moment où commence la saison7. Le plaisir que me procure, au printemps, le gazouillement des oiseaux est bien supérieur à la pauvre description que je suis en mesure de faire de la succession sans cesse renouvelée de leurs notes sonores. Je me tire généralement du lit aux environs de cette heure indistincte qui, à proprement parler, n’est ni le jour ni la nuit, car c’est le moment d’entendre le plus universel des concerts vocaux. Qui peut écouter sans en être ému les jolies histoires d’amour que nos merles se racontent d’arbre en arbre, ou les piaillements du moqueur chat ? Tout là-haut, les sublimes accents de la grive me font chaque fois ralentir mes pas afin d’écouter cette délicieuse musique. Les diaprures des gouttes de rosée suspendues aux différents objets éveilleront, même au sein de la plus rustre des imaginations, les idées les plus voluptueuses. Aussi mal pourvus d’outils appropriés puissent-ils nous sembler être, l’étonnante adresse que montrent tous les oiseaux dans la construction de leurs nids, la belle apparence et la commodité de ces nids me rendent chaque fois honteux du manque de soin que nous apportons à nos maisons ; l’amour qu’ils portent à leur dame, les soins incessants qu’ils lui accordent et les chants particuliers qu’ils lui adressent tandis qu’elle couve patiemment leurs œufs me rappelleraient à mes devoirs, dussé-je jamais les oublier. L’affection qu’ils portent à leurs petits sans défense est un exemple stimulant ; bref, tout ce qui fait la conduite de ce que nous appelons avec hauteur le règne animal est admirable en toutes circonstances ; et l’homme, tout paré qu’il est du don supplémentaire de la raison, pourrait apprendre, au contact de la perfection de l’instinct, comment réprimer la sottise et réparer les erreurs que ce même don lui fait souvent commettre. C’est là un sujet auquel j’ai souvent consacré mes plus sérieuses réflexions ; souvent, j’ai intérieurement rougi et été grandement étonné en comparant la beauté du chemin toujours exact, toujours adéquat, toujours sage et proche de la perfection que suivent tous les animaux, avec les grossiers, les imparfaits systèmes auxquels se soumettent les hommes, non seulement les gouverneurs et les rois, mais aussi les maîtres, les époux, les pères, les citoyens. Mais c’est là un sanctuaire dans lequel un fermier ignorant ne doit pas prétendre entrer. S’il est un lieu où l’homme a la possibilité de se voir accorder des bienfaits qui puissent le soulager des nombreux chagrins auxquels il est exposé, c’est certainement à la campagne, lorsqu’il contemple attentivement le
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ravissant spectacle dont il est de toute part entouré. C’est le seul moment de l’année pendant lequel je suis avare de chaque instant ; je n’en perds aucun qui puisse ajouter à ce simple et inoffensif bonheur. Très tôt, je parcours tous mes champs ; la moindre des tâches que j’accomplis est accompagnée des plus plaisantes observations ; devrais-je donner tous les détails de ce que je fais que je deviendrais ennuyeux ; vous me croiriez coupable d’affectation et peut-être que vous ne tireriez pas la moindre émotion agréable de ma description de ces choses. Mais croyez-moi, tout ce que j’écris est bel et bien vrai. Il y a de ça quelque temps, alors que j’étais assis sur ma véranda en fumant une pipe contemplative, j’ai vu avec stupéfaction un petit oiseau, que j’avais jusque-là respecté pour son caractère inoffensif, donner un remarquable exemple d’égoïsme. Trois nids étaient placés presque l’un contre l’autre sous le toit de ma véranda : celui d’une hirondelle était logé dans un coin contre la maison, celui d’une moucherolle phébi était dans un autre, et un troglodyte occupait une petite boîte que j’avais fabriquée à dessein et qui était suspendue entre les deux. Ne soyez pas surpris de leur docilité : toute ma famille a depuis longtemps appris à les respecter autant que je le fais. Le troglodyte avait déjà montré des signes d’antipathie pour la boîte que je lui avais donnée mais je n’en connaissais pas les raisons ; finalement, il s’est décidé, tout petit qu’il était, à chasser l’hirondelle de son habitation, ce que, à ma grande surprise, il réussit à faire. L’audace l’emporte souvent sur l’honnêteté et cet exploit n’était pas sitôt accompli qu’il retirait tout le contenu du nid pour l’emporter dans sa boîte avec la plus admirable dextérité ; les signes de triomphe étaient bien visibles : il battait des ailes avec une vélocité hors du commun, tous ses mouvements faisaient montre d’une grande joie. Où est-ce que ce petit oiseau a-t-il acquis pareil esprit d’injustice ? Il n’était pas doté de ce qui porte le nom de raison ! Voilà donc une preuve que peu de choses séparent ces deux présents l’un de l’autre car nous voyons la perfection de l’un se mêler aux erreurs de l’autre ! La pacifique hirondelle, comme le paisible quaker8, s’est humblement assise à quelque distance et n’a jamais offert la moindre résistance ; mais aussitôt le pillard parti, l’oiseau humilié s’est mis au travail avec une ardeur infatigable et en quelques jours les déprédations étaient réparées. Afin cependant de prévenir la répétition de pareille violence, j’ai enlevé la boîte du troglodyte pour l’installer dans une autre partie de la maison. Au milieu de mon salon, comme vous pouvez vous en souvenir, je possède une étonnante république d’industrieux frelons9 ; leur nid est
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suspendu au plafond par la branche même sur laquelle il a été si admirablement et ingénieusement construit dans les bois. Leur déplacement ne leur a pas déplu car ils trouvent de la nourriture en abondance dans ma maison et j’ai percé un trou dans un des carreaux de la fenêtre qui répond à tous leurs besoins. Grâce à ces attentions, ils sont devenus passablement inoffensifs ; ils se nourrissent des mouches qui nous sont un réel embarras tout au long de l’été ; ils leur font sans cesse la chasse, jusque sur les paupières de mes enfants. Ils les enduisent à une vitesse surprenante d’une sorte de colle afin de les empêcher de s’enfuir et lorsque cette préparation est terminée, ils les emportent dans leur nid pour les donner en nourriture à leurs petits. Ces nids globuleux sont très ingénieusement divisés en plusieurs étages, tous pourvus de cellules et communiquant adéquatement. Ils se procurent la matière qui leur sert à construire cet édifice à même les herbes cotonneuses dont sont couvertes nos planches de chêne ; mêlée à de la colle, cette substance produit une sorte de carton très solide et qui résiste à toutes les intempéries. Grâce à leur aide, je ne suis pas dérangé par les mouches. Toute ma famille est tellement habituée à leur puissant bourdonnement que plus personne ne leur prête attention ; et quoiqu’ils soient féroces et vindicatifs, ils sont devenus utiles et inoffensifs grâce à la gentillesse et à l’hospitalité. Nous avons une grande variété de guêpes ; la plupart construisent leur nid avec de la boue, qu’elles accrochent aux bardeaux de nos toits, dans le meilleur coin qu’elles peuvent trouver. À première vue, ces agrégats ne sont rien de plus d’une motte grossière et irrégulière, mais si vous les brisez, vous observerez que leur intérieur contient un grand nombre de cellules oblongues dans lesquelles elles déposent leurs œufs et où elles s’enferment elles-mêmes chaque automne que les années amènent. Ainsi cloîtrées, elles traversent en sûreté les rigueurs de cette saison et, au retour du soleil, elles sont en mesure de perforer leurs cellules et d’ouvrir dans ces niches un passage les conduisant au soleil. Les guêpes jaunes, qui se construisent sous la terre de nos prés, sont bien plus à craindre car lorsque le faucheur passe sans le savoir sa faux au-dessus de leurs trous, elles font immédiatement une sortie avec une fureur et une vélocité surpassant celles de l’homme. Elles forment la plus hardie des volées et la seule façon de s’en protéger est de se jeter par terre et de recouvrir nos têtes de foin car ce n’est qu’à la tête qu’elles portent leurs coups ; il n’y a plus moyen de finir le travail tant qu’elles n’ont pas été réduites au silence par le feu et le soufre. Et malgré le fait que j’aie été dans l’obligation d’exécuter cette terrible sentence afin de me défendre, j’ai souvent pensé que c’était une
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grande pitié que de dévaster une si ingénieuse ville souterraine, aménagée avec tous les conforts et construite avec la plus surprenante mécanique, cela au profit d’un peu de foin. Je n’en finirais jamais si je devais présenter les nombreux objets qui frappent involontairement mon imagination tandis que je travaille et qui m’apportent spontanément le plus plaisant des soulagements. Ils apparaîtront peut-être comme d’insignifiantes banalités aux yeux d’une personne qui a voyagé de par l’Europe et l’Amérique, et qui est au fait des livres et de plusieurs sciences ; mais ces simples objets de contemplation me suffisent, moi qui n’ai pas le temps de m’adonner à de plus profondes observations. Fort heureusement, elles ne requièrent aucune étude, elles sont évidentes ; elles enrichissent les moments que je leur consacre et égaient les durs travaux auxquels je m’adonne. À la maison, mon bonheur puise à des sources très différentes ; le développement graduel de la raison de mes enfants et l’étude de leurs caractères naissants occupe toute mon attention paternelle. Je ne dois imposer rien de plus que de petites punitions à leurs bien petites fautes, les encourager à faire de bonnes actions et trouver divers autres expédients selon les situations. Mais ce sont là des propos indignes de votre attention et qui ne doivent pas sortir des murs de ma maison : ce sont des mystères domestiques qui ne concernent rien d’autre que le petit sanctuaire où réside ma famille. Je m’amuse parfois à concevoir et à construire des machines afin de simplifier le travail de mon épouse. Ces façons d’agir m’ont valu de connaître un certain succès et telle est, Monsieur, l’étroite sphère de mes occupations ; que pourrais-je bien souhaiter de plus ? Je remercie Dieu pour tout le bien qu’il m’a donné ; je n’envie la prospérité d’aucun homme et je n’ai d’autre bonheur que celui de vivre afin d’enseigner la même philosophie à mes enfants et de leur donner à chacun d’eux une ferme, de leur apprendre comment la cultiver et à être comme leur père de bons, de fructueux et d’indépendants fermiers américains — une appellation qui demeurera la plus grande fortune dont peut bénéficier un homme de mon rang, cela aussi longtemps que notre gouvernement civil continuera à faire profiter nos cultures de sa protection. Adieu.
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’aimerais bien pouvoir faire l’expérience des sentiments et des pensées qu’un Anglais éclairé ne peut faire autrement qu’éprouver de tout son cœur lorsqu’il débarque pour la première fois sur ce continent. Il doit beaucoup se réjouir à l’idée de vivre à une époque qui lui permet d’assister à la découverte et à la colonisation de ce beau pays ; il doit nécessairement ressentir un peu de fierté nationale lorsqu’il voit la suite d’établissements qui font la beauté de cette longue côte et lorsqu’il se dit : c’est là le travail de mes compatriotes qui, divisés par les factions, diversement affligés par le malheur et le besoin, infatigables et impatients, ont trouvé refuge ici. Ils ont apporté avec eux leur génie national, auquel ils doivent la liberté dont ils jouissent et la subsistance dont ils sont assurés. Ici, il voit l’esprit d’entreprise de son pays natal sous un nouveau jour et il voit dans ses travaux les premiers balbutiements des arts, des sciences et de l’ingéniosité qui fleurissent en Europe. Ici, il voit de jolies villes, des villages prospères, de vastes champs, une immense contrée couverte de demeures décentes, de bonnes routes, de vergers, de prairies et de ponts là où il y a cent ans tout était sauvage, boisé et en friche. Quelle plaisante succession d’idées cet agréable paysage doit-il suggérer ! Il doit inspirer au bon citoyen un plaisir des plus sincères. Il lui est difficile d’embrasser du regard un aussi vaste spectacle. Il est arrivé sur un nouveau continent ; il contemple une société moderne, différente de tout ce qu’il a vu jusqu’alors. Elle n’est pas composée, comme en Europe, de grands seigneurs qui possèdent tout et d’une foule de gens qui ne possèdent rien. Il n’y a pas de familles aristocratiques ici, pas de cours, pas de rois, pas d’évêques, pas d’autorité ecclésiastique, pas de pouvoirs discrétionnaires dont quelques-uns profitent sans discrétion, pas de grandes manufactures employant des multitudes, pas de grands luxes raffinés. Le riche et le pauvre ne sont pas aussi différents l’un de l’autre qu’ils le sont en Europe. Sauf dans quelques rares villes, nous cultivons tous la terre, de la Nouvelle-Écosse jusqu’en Floride occidentale. Nous sommes un peuple de cultivateurs disséminés de par un immense territoire, communiquant les uns avec les autres au moyen de bonnes routes et de rivières navigables, unis par les doux liens d’un gouvernement modéré, tous respectueux des lois et n’en craignant pas les pouvoirs parce qu’elles sont équitables. Nous sommes tous animés par un esprit d’entreprise qui ne connaît ni entrave ni retenue parce que chacun
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travaille pour lui-même. S’il voyage dans nos districts ruraux, il ne voit pas de châteaux hostiles et de grands manoirs dominant des huttes de terre battue et de misérables cabanes où le bétail et les hommes se tiennent l’un l’autre au chaud et vivent dans la pauvreté, la fumée et l’indigence. Nos agréables habitations sont uniformément commodes et bien faites. La plus pauvre de nos maisons de rondins est une demeure confortable et sans humidité. Avocat ou marchand sont les plus nobles titres qu’on peut se voir accordés dans nos villes ; celui de fermier est le seul que portent les habitants des campagnes de notre pays. Cela doit prendre un certain temps avant qu’il se fasse à notre vocabulaire, lequel est loin de manquer de titres de dignité et d’appellations honorables. Le dimanche, il voit une congrégation de fermiers respectables en compagnie de leurs épouses, tous revêtus de belle étoffe du pays, sur de bonnes montures ou se déplaçant dans leur humble charrette. Il ne se trouve parmi eux aucune personne de distinction, sauf le magistrat sans grande instruction. Il voit un pasteur aussi simple que ses ouailles, lui-même fermier, qui ne profite pas du labeur d'autrui. Nous n’avons pas de princes pour qui nous devrions peiner, nous affamer et nous saigner : nous sommes la plus parfaite des sociétés existant actuellement de par le monde. Ici, l’homme est aussi libre qu’il doit l’être et cette heureuse égalité n’est pas transitoire, ainsi qu’elle l’est chez tant d’autres. De nombreux siècles s’écouleront avant que les rives de nos grands lacs soient toutes occupées, ou les frontières inconnues de l’Amérique du Nord entièrement peuplées. Qui peut dire jusqu’où elles s’étendent ? Qui peut dire les millions d’hommes qu’elles contiendront et nourriront ? Car aucun Européen n’a encore traversé la moitié de cet immense continent. Ce voyageur souhaitera-t-il ensuite savoir d’où sont venus tous ces gens ? Ce peuple est un mélange d’Anglais, d’Écossais, d’Irlandais, de Français, de Hollandais, d’Allemands et de Suédois. La race qui porte maintenant le nom d’américaine est née de ce croisement fortuit. Les provinces de l’Est doivent cependant être mises à part dans la mesure où elles sont peuplées de purs descendants d’Anglais. J’en ai entendu plusieurs souhaiter que la population de ces dernières ait été elle aussi plus mêlée ; je ne suis pas du genre à me nourrir de suppositions et je crois que les choses sont fort bien telles qu’elles sont. Leur différence est des plus frappantes au sein de ce portrait bigarré ; elles jouent un rôle important au sein de l’agréable tableau que présentent ces treize colonies. Je sais qu’il est à la mode de philosopher à leur propos ; quant à moi, je les respecte pour ce qu’elles ont accompli : pour la manière avec laquelle elles
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ont colonisé adéquatement et avec sagesse leur territoire ; pour la décence de leurs coutumes ; pour l’amour qu’elles ont très tôt montré pour les lettres ; pour leur vieux collège, le premier de cet hémisphère2 ; pour leur esprit d’entreprise qui, pour moi qui ne suis qu’un simple fermier, est la mesure de toute chose. Aucun peuple dans la position qui était la leur, sur un sol aussi ingrat, n’a jamais réalisé de plus grands accomplissements en aussi peu de temps. Croyez-vous que la monarchie, qui domine au sein des autres gouvernements, aurait pu faire mieux ? Leur histoire prouve le contraire. Diverses raisons ont amené d’une façon ou d’une autre les pauvres de l’Europe à se rassembler en ce vaste asile américain. Pourquoi chercheraient-ils à y reconnaître ceux qui sont leurs compatriotes ? Les deux tiers des hommes n’ont hélas pas de pays. Le malheureux qui erre à l’aventure, qui travaille et souffre de la faim, dont la vie est un incessant spectacle de douloureuse affliction ou de cinglante pénurie, peut-il donner à l’Angleterre ou à n’importe quel autre royaume le nom de pays ? Un pays qui n’avait pas de pain pour lui, dont les champs ne lui apportaient pas de moissons ; un homme qui ne connaissait rien d’autre que la menace du riche, la rigueur des lois, avec leurs prisons et leurs châtiments, qui ne possédait pas la moindre parcelle de la vaste surface de cette planète ? Non ! Diverses raisons les ont poussés à venir ici. Tout a contribué à leur régénération : de nouvelles lois, un nouveau mode de vie, un nouveau système social. Ici, ils deviennent des hommes ; en Europe, ils étaient des plantes inutiles, manquant de terreau et d’averses rafraîchissantes ; ils se fanaient et étaient fauchés par le besoin, la faim et la guerre ; mais par la transplantation, comme n’importe quelle autre plante, ils ont désormais pris racines et fleuri ! Auparavant, leur pays ne leur accordait aucun autre titre que celui de pauvres ; ici, ils ont le rang de citoyen. Quel invisible pouvoir a pu permettre l’accomplissement de cette surprenante méta morphose ? La force des lois et celle de leur caractère industrieux. Les lois, les indulgentes lois les protègent dès leur arrivée en les marquant du sceau de l’adoption ; ils reçoivent d’amples récompenses pour leurs labeurs ; l’accumulation de ces récompenses leur procure des terres ; ces terres leur confèrent le titre de citoyen et à ce titre sont rattachés tous les avantages dont un homme peut profiter. Voilà ce qu’accomplissent quotidiennement nos lois. Quelle est l’origine de ces lois ? Notre gouvernement. Celle de ce gouvernement ? Il est le fruit du génie originel du peuple et de ses aspirations reconnues et soutenues par la couronne. Tel est le lien qui nous unit, tel est le tableau que présente chaque province, sauf la
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ouvelle-Écosse. Là, tout est le fait de la couronne. Ou bien personne N n’y possédait le génie nécessaire, ou bien on ne s’en est pas vraiment occupé, ce qui a eu pour conséquence que la province est vraiment très peu habitée ; le pouvoir de la couronne, conjugué aux moustiques, a empêché les hommes de s’y établir. Cependant, certaines de ces régions ont jadis été florissantes et abritaient une population paisible. Mais par la faute de quelques dirigeants, ils en furent bannis3. La plus grande erreur que la couronne ait jamais commise en Amérique a été de retirer ces hommes d’une contrée qui ne manquait de rien, sauf d’hommes ! Quel attachement un pauvre émigrant européen peut-il ressentir envers un pays où il ne possédait rien ? La connaissance de la langue et l’affection de quelques parents aussi pauvres que lui étaient les seuls liens qui l’y attachaient ; son pays est désormais celui qui lui donne de la terre, du pain, qui le protège et fait de lui un homme d’une certaine conséquence : Ubi panis, ibi patria4, telle est la devise de tous les émigrants. Qu’est-ce donc que l’Américain, ce nouvel homme ? Un Européen, ou le descendant d’un Européen, d’où cet étrange mélange de sangs que vous ne trouverez dans aucun autre pays. Je pourrais vous parler d’une famille dont le grand-père était un Anglais, dont l’épouse était Hollandaise, dont le fils a épousé une Française et dont les quatre fils ont maintenant quatre épouses de différentes nations. Est américain celui qui, abandonnant derrière lui toutes ses anciennes opinions et coutumes, en adopte de nouvelles qui se forment au contact du nouveau mode de vie qu’il a embrassé, du nouveau gouvernement auquel il obéit et du nouveau rang qu’il occupe. Il devient américain à partir du moment où il est accueilli au sein de notre vaste alma mater. Ici, des individus de toutes les nations sont fondus en une nouvelle race d’hommes5 dont les travaux et la postérité seront un jour la cause de grands changements de par le monde. Les Américains sont les pèlerins de l’Occident6 qui emportent avec eux cet imposant bagage d’arts, de sciences, de vigueur et d’esprit d’entreprise dont les lointaines origines se trouvent en Orient : ils boucleront la boucle. Les Américains étaient jadis éparpillés dans toute l’Europe ; ici, ils se voient incorporés au sein de regroupements constitués des meilleures populations qui aient jamais existé, lesquelles, dans l’avenir, se distingueront les unes des autres sous l’influence des divers climats qu’elles habitent. Ainsi l’Américain devrait-il aimer davantage ce pays que celui où il est né, ou que celui de ses ancêtres. Les récompenses que lui apportent ses entreprises suivent pas à pas à la progression de ses travaux ; il exerce son travail en respectant la loi de la nature : l’intérêt personnel7 ; comment
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p ourrait-il avoir besoin d’autre encouragement ? La femme et les enfants qui lui demandaient auparavant en vain un morceau de pain sont désormais joyeux et en bonne santé, heureux d’aider leur père à défricher ces champs d’où jailliront de généreuses récoltes qui les nourriront et les vêtiront tous, et dont aucune part ne sera jamais réclamée par un prince despotique, un riche abbé ou un puissant seigneur. Ici, la religion attend peu de choses de lui : un petit salaire volontaire pour le ministre et de la gratitude envers Dieu ; peut-il s’y refuser ? L’Américain est un nouvel homme, qui agit selon de nouveaux principes ; il développera par conséquent de nouvelles idées et se formera de nouvelles opinions. Il est passé de l’oisiveté involontaire, de la dépendance servile, de la pénurie et des labeurs inutiles, à des travaux d’une nature très différente, avec une ample subsistance pour récompense. — C’est ça, un Américain. L’Amérique britannique est divisée en plusieurs provinces formant une grande association s’étendant le long de 1 500 milles de côtes, sur 200 milles de profondeur. Je voudrais décrire cette société, à tout le moins celle des provinces centrales ; si elle ne présente pas la même diversité de teintes et de nuances que celle qui peut être observée en Europe, nous avons des couleurs qui nous sont particulières. Par exemple, il est naturel de penser que ceux qui vivent près de la mer doivent être très différents de ceux qui vivent dans les bois ; l’espace intermédiaire donnera lieu à une classe autonome et distincte. Les hommes sont comme les plantes8 ; la qualité et la saveur du fruit découle du sol particulier et du soleil qui les ont fait pousser. Nous ne sommes rien si ce n’est ce que nous devons à l’air que nous respirons, au climat que nous habitons, au gouvernement auquel nous obéissons, au système religieux que nous professons et à la nature de notre travail. Vous trouverez ici bien peu de crimes ; ils n’ont pas encore pris racine parmi nous. J’aimerais tellement être en mesure de rendre compte de toutes mes idées ; si mon ignorance m’empêche de les décrire adéquatement, je souhaite malgré tout être en mesure de les esquisser à grands traits : c’est tout ce que je me propose de faire. Ceux qui vivent près de la mer se nourrissent davantage de poisson que de viande et vont souvent à la rencontre de cet élément tumultueux. Cela les rend plus audacieux et entreprenants ; cela les conduit à négliger les occupations de la terre. Ils rencontrent divers peuples, avec lesquels ils se lient ; leur relation avec l’humanité s’élargit. La mer leur inspire un amour du déplacement, un désir de transporter des produits d’un endroit
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à l’autre, et leur fournit diverses sources de revenus qui prennent la place de ceux qu’on doit au travail. Ceux qui habitent les établissements intermédiaires, de loin les plus nombreux, sont nécessairement très différents ; la simplicité des occupations de la terre les purifie tandis que l’indulgence du gouvernement, les tendres remontrances de la religion, le statut de propriétaire indépendant, leur inspirent des sentiments qui doivent nécessairement être fort peu connus en Europe parmi les gens de la même classe. Qu’est-ce à dire ? Il n’y a pas de pareil genre d’homme en Europe ; les connaissances qu’ils acquièrent très tôt dans leur existence, les affaires qu’ils commencent très tôt à brasser, leur donnent un haut degré de sagacité. L’habitude d’être seul maître sous leur toit les rendra litigieux ; la fierté et l’obstination sont souvent les causes des poursuites légales ; la nature de nos lois et de nos gouvernements en est peut-être une autre. Il est facile de s’imaginer que, en tant que citoyens, ils liront attentivement les journaux, participeront à tous les débats politiques, blâmeront et censureront librement gouverneurs et autres. En tant que fermiers, ils seront prudents et soucieux d’augmenter leurs gains car leurs gains leur appartiennent. En tant qu’hommes du Nord, ils aimeront prendre un petit verre. En tant que chrétiens, la religion ne leur impose aucune opinion ; en ce qui a trait aux questions spirituelles, l’indulgence générale laisse à chacun le soin de penser pour lui-même ; la loi passe en revue nos actions mais nos pensées sont laissées au soin de Dieu. L’esprit d’entreprise, le bien-être, l’égoïsme, la tendance à être litigieux, le goût pour la politique, la fierté d’être citoyens et l’indifférence religieuse sont leurs caractéristiques. Si vous vous éloignez encore plus de la mer, vous arriverez dans des établissements plus récents ; ils présentent un même aspect mais leur apparence est plus grossière. La religion semble y avoir encore moins d’influence et les mœurs y sont moins raffinées. Nous arrivons maintenant à proximité des grands bois, près des derniers districts habités ; là, les hommes semblent être hors de portée du gouvernement qui, dans une certaine mesure, les abandonne à eux-mêmes : comment pourrait-il pénétrer dans les moindres recoins ! Ils ont été poussés vers cet endroit par le malheur, les difficultés qu’on rencontre aux premiers temps d’une entreprise, le désir d’acquérir de vastes étendues de terre, l’oisiveté, la fréquente incapacité à faire des économies, de vieilles dettes ; le rassemblement de ce genre de personne n’offre pas un spectacle très plaisant. Lorsque la discorde, le manque d’unité et d’amitié, l’ivrognerie et l’oisiveté prédominent dans des districts aussi éloignés, la dispute, l’inactivité et le malheur s’ensuivent. Les remèdes à ces maux ne peuvent
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être là-bas les mêmes que dans une communauté depuis longtemps établie. Leurs quelques magistrats ne sont généralement pas meilleurs que le reste d’entre eux ; ils sont souvent en état de guerre : celle qui oppose l’homme à l’homme9, qui se résout parfois par les coups, parfois au moyen de la loi ; celle qui oppose l’homme à tous les sauvages habitants de ces vénérables forêts, où ils sont allés pour les en déposséder. Là, les hommes semblent n’être rien de plus que des animaux carnivores d’un rang supérieur, vivant de la chair des animaux sauvages lorsqu’il réussissent à les attraper, et lorsqu’ils en sont incapables, ils tirent leur subsistance de céréales. Celui qui souhaite voir l’Amérique sous son vrai jour, et se faire une idée juste de la faiblesse de ses premières installations et de ses rudiments barbares, doit visiter les vastes étendues de nos frontières où se sont établis les derniers colons et où il pourra voir les premiers travaux d’établissement et la manière de défricher la terre en ces lieux où les hommes sont entièrement soumis au tempérament avec lequel ils sont nés et à l’aiguillon d’entreprises précaires, lesquelles échouent souvent lorsqu’elles ne profitent pas de l’effet béni de quelques règles morales. Là, n’étant pas soumises à la force de l’exemple et au frein de la honte, plusieurs familles exhibent les aspects les plus hideux de notre société. Elles participent à une aventure désespérée, précédant de dix ou douze ans l’armée bien plus respectable de vétérans qui arrive par la suite. Au fil des ans, la prospérité en policera certains tandis que le vice et la loi repousseront les autres qui, s’unissant de nouveau à d’autres comme eux, s’éloigneront encore davantage, laissant place à des gens plus travailleurs qui achèveront leurs établissements, transformeront la cabane de rondins en une solide habitation et, profitant de l’achèvement des lourds travaux d’installation, changeront en quelques années ce qui était jusque-là une contrée barbare en un agréable et fertile district bien ordonné. Tel est le progrès, telle est la marche que suivent les Européens en direction des parties intérieures de ce continent. Dans toute société, il se trouve des gens qui ne sont nulle part à leur place ; ces éléments impurs nous servent de précurseurs ou de pionniers ; mon père était lui-même de cette classe mais il a été en contact avec des principes d’honnêteté et ainsi fut-il un des rares à tenir le coup ; grâce à sa bonne conduite et à sa tempérance, il m’a légué un bel héritage ; parmi ses contemporains, pas plus d’un sur quatorze a connu le même heureux sort. Il y a quarante ans, cette souriante contrée était inhabitée ; elle est maintenant assainie, la décence générale des mœurs prévaut partout et tel a été le destin de nos plus belles régions.
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Mises à part ces caractéristiques générales, chaque province présente les siennes, selon le gouvernement, le climat, les façons de faire l’élevage, les coutumes et les circonstances particulières. Les Européens se soumettent sans le savoir à ces forces et, le temps de quelques générations, deviennent non seulement des Américains mais des Pennsylvaniens, ou des Virginiens, ou quelque autre nom que leur donne celui de leur province. Quiconque traverse le continent observera aisément ces différences qui se feront encore plus importantes avec le temps. Les habitants du Canada, du Massachusetts, des provinces centrales et de celles du Sud seront aussi différents les uns des autres que le sont leurs climats10 ; leurs seuls points communs seront la religion et la langue. Puisque j’ai entrepris de vous montrer comment les Européens deviennent des Américains, il ne serait peut-être pas inopportun de vous montrer comment, de la même façon, s’effacent les différences entres les diverses sectes chrétiennes introduites sur le continent et comment l’indifférence religieuse devient prédominante. Lorsqu’il arrive qu’un nombre quelconque de membres d’une secte particulière s’établissent à proximité les uns des autres, ils érigent immédiatement un temple et y pratiquent le culte de la Divinité selon leur opinion particulière. Personne ne les inquiète. Si une nouvelle secte fait son apparition en Europe, plusieurs de ceux qui en font profession viendront certainement s’établir en Amérique. Amenant leur zèle avec eux, ils sont libres de convertir autant de gens qu’ils peuvent, de construire un temple et de suivre ce que leur dicte leur conscience car ni le gouvernement ni aucun autre pouvoir n’interfèrent11. S’ils sont des sujets pacifiques et s’ils sont travailleurs, en quoi est-ce que les manières qui leur semblent appropriées pour s’adresser à l’Être Suprême concernent-elles leurs voisins ? Mais si ces sectateurs ne sont pas établis les uns près des autres, s’ils sont mélangés à d’autres confessions, leur zèle perdra de sa flamme par manque de combustible et s’éteindra en peu de temps. Ainsi les Américains deviennent-il, en ce qui a trait à la religion, ce qu’ils sont sur le plan de l’appartenance nationale : unis les uns aux autres. Ils abandonnent le nom d’Anglais, de Français et d’Européen, et abandonnent de la même manière la rigueur des pratiques chrétiennes particulières à l’Europe. Les choses iront encore plus loin dans l’avenir et même si cette idée peut vous apparaître bien étrange, il s’agit cependant d’une réelle vérité. La suite me permettra éventuellement d’être en mesure de mieux m’expliquer ; que l’exemple ci-dessous me serve de première justification.
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Supposons que vous et moi sommes en voyage ; nous remarquons que dans cette maison, sur la droite, vit un catholique qui prie Dieu comme on le lui a enseigné et qui croit en la transsubstantiation des espèces ; il travaille et cultive du blé, il a un grande famille d’enfants vigoureux et robustes ; ses croyances, ses prières n’offensent personne. Environ un mille plus loin sur la même route, son plus proche voisin peut bien être un de ces persévérants et braves Allemands luthériens12 qui s’adresse personnellement au même Dieu, le maître de toute chose, selon la manière qu’on lui a enseignée et qui croit en la consubstantiation des espèces ; personne n’est scandalisé de le voir agir ainsi ; lui aussi travaille dans ses champs, enrichit la terre, assèche des marais, etc. En quoi le reste du monde peut-il bien être concerné par ses principes luthériens ? Il ne persécute personne et personne ne le persécute, il fréquente ses voisins et ses voisins le fréquentent. À côté de lui vit un séparatiste13, le plus enthousiaste des sectateurs ; son zèle est ardent et impétueux, mais isolé comme il l’est des autres du même groupe, il ne peut fréquenter sa propre congrégation au sein de laquelle il pourrait cabaler et confondre la fierté religieuse avec l’opiniâtreté qui mène ce bas monde. Il produit lui aussi de bonnes récoltes, sa maison est joliment peinte, son verger est un des plus beaux du voisinage. En quoi les sentiments religieux de cet homme, ou même le fait de savoir s’il en possède ou pas, peuvent-ils bien concerner le bien-être du pays ou celui de l’ensemble de la province ? Il est un bon fermier, il est sobre et paisible, bon citoyen : William Penn14 lui-même n’en demanderait pas plus. Ainsi cette personne se présente-t-elle au grand jour ; on ne peut qu’imaginer sa part d’intériorité et elle n’est des affaires de personne. Ensuite, vit un Hollandais qui croit tacitement aux règles établies par le synode de Dordrecht15. L’idée qu’il se fait d’un ministre du culte est celle d’un homme à gages ; s’il fait bien son travail, il lui paiera la somme convenue ; sinon il le relèvera de ses fonctions, se passera de ses sermons et laissera son église fermée pendant des années. Mais en dépit de cette rudesse d’opinion, vous constaterez que sa maison et sa ferme sont les plus élégantes de la contrée et en voyant sa charrette et ses chevaux bien nourris, vous penserez qu’il songe davantage aux affaires de ce bas monde qu’à celles de l’autre monde. Il est sobre et travailleur, tel qu’il se doit d’être eu égard aux affaires de cette vie ; en ce qui a trait à celles de la vie future, il s’en remet au grand Créateur. Chacune de ces personnes instruit ses enfants aussi bien qu’elle le peut, mais cette instruction est boiteuse lorsqu’on la compare à celle que reçoivent les jeunes des classes les plus pauvres d’Europe. Leurs enfants grandiront donc moins zélés et
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plus indifférents que leurs parents en matière de religion. La vaine prétention ou, plus exactement, l’acharnement à vouloir faire du prosélytisme sont inconnus par ici ; ils n’ont pas le temps, les changements de saisons exigent toute leur attention et de cette façon, dans quelques années, ce voisinage bigarré affichera un étrange mélange de religions qui ne sera ni pur catholicisme ni pur calvinisme. Bien perceptible, l’indifférence deviendra évidente, cela même chez ceux de la première génération, et il pourra arriver que la fille du catholique se marie avec le fils du séparatiste et qu’ils s’établissent à distance de leurs parents. Quelle éducation religieuse donneront-ils à leurs enfants ? Une éducation bien imparfaite. S’il se trouve quelque lieu de culte dans le voisinage, supposons celui d’un groupe quaker, plutôt que de rater une occasion de se faire voir dans leurs plus beaux habits, ils s’y présenteront et quelques-uns d’entre eux se rallieront peut-être à cette Société16. D’autres demeureront dans un parfait état d’indifférence ; les enfants de ces parents zélés ne seront pas en mesure de dire quels sont leurs principes religieux, et encore moins leurs petitsenfants. C’est généralement la proximité d’un lieu de culte qui les y attire et le fait de s’y rendre est le plus fort signe d’attachement qu’ils peuvent montrer envers l’une ou l’autre secte. Les quakers sont les seules personnes qui conservent un attachement pour leur propre culte ; parce qu’ils ne sont jamais vraiment séparés les uns des autres, ils maintiennent une sorte de lien avec la Société et abandonnent rarement ses préceptes, à tout le moins dans cette province. Ainsi les sectes se mêlent-elles autant que les nations ; ainsi l’indifférence religieuse se dissémine-t-elle imperceptiblement d’un bout à l’autre du continent17, ce qui constitue présentement une des principales caractéristiques des Américains. Nul ne peut dire jusqu’où cela ira ; peut-être cela laissera-t-il un vide que combleront d’autres systèmes. La persécution, l’ardeur religieuse, l’amour de la contradiction sont ce dont se nourrit ce que le monde appelle communément la religion. Ces sources de disputes n’existent plus ici ; le zèle est confiné à l’Europe ; ici, il s’évapore dans les grandes distances qu’il a à traverser ; là-bas, ce grain de poudre explose ; ici, il brûle à l’air libre et se consume sans danger. Mais revenons à nos pionniers de l’arrière-pays. Je dois vous dire que la proximité des bois a quelque chose de bien singulier. Il en est de même des hommes, des plantes et des animaux qui poussent et qui vivent dans les forêts : ils sont entièrement différents de ceux qui vivent dans les plaines. Je vais vous faire part en toute franchise de ce que je pense, mais ne vous attendez pas à ce que je vous donne des explications. En vivant
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dans les forêts, ou à leur proximité, leurs actions se mettent à suivre les règles de la sauvagerie qui les entoure. Le chevreuil s’approche souvent pour se nourrir de leurs céréales ; les loups pour ravager leur troupeau de moutons ; les ours pour tuer leurs cochons ; les renards pour attraper leurs volailles. Cette hostilité ambiante leur met immédiatement le fusil à la main ; ils surveillent ces animaux, ils en abattent certains et en se portant ainsi à la défense de leur propriété, ils deviennent rapidement des chasseurs avertis ; tel est le changement : une fois chasseur, adieu la charrue. La chasse les rend féroces, lugubres et farouches ; un chasseur ne veut pas de voisins : au contraire, il les déteste parce qu’il craint la compétition. En peu de temps, les succès qu’ils remportent dans les bois les conduisent à négliger leurs labours. Ils font confiance en la fécondité naturelle de la terre et accomplissent donc peu de choses ; ne se souciant pas d’ériger des clôtures, ils exposent souvent le peu qu’ils possèdent à la destruction ; ils ne sont pas chez eux pour le surveiller ; afin de remplacer ce qu’ils perdent, ils vont encore plus souvent dans les bois. Ce nouveau mode de vie apporte avec lui un nouvel ensemble de coutumes que je ne peux décrire aisément. Ces nouvelles mœurs, en se greffant à l’ancien tronc, produisent une étrange sorte de débauche désordonnée, dont les marques sont indélébiles. Les coutumes des Indiens sont respectables lorsqu’on les compare à celles de ce mélange européen. Leurs épouses et leurs enfants vivent dans la fainéantise et l’inactivité, et ces derniers n’ayant aucune occupation adéquate, vous pouvez imaginer le genre d’éducation qu’ils reçoivent. La sensibilité de leur esprit n’a que l’exemple de leurs parents pour objet de contemplation ; comme eux, ils se développent d’une manière bâtarde, moitié civilisés moitié sauvages, à moins que la nature n’ait imprimé en eux quelque penchant constitutif. Finie la riche, la voluptueuse impression qui les avait si fortement marqués : la possession de leurs propriétés ne remplit plus leur pensée du même plaisir et de la même fierté. Voilà les raisons de leur isolement et vous ne pouvez pas imaginer l’effet que la distance qui les sépare les uns des autres peut avoir sur leurs mœurs ! Qu’est-ce qu’un de ces récents établissements présente au premier coup d’œil ? Qui sont ceux qui le composent ? Des Européens qui n’ont pas assez de connaissances pour prospérer ; des gens qui sont soudainement passés de l’oppression, de la crainte du gouvernement et de la peur des lois à la liberté sans limites des bois. Ce changement soudain ne peut faire autrement qu’avoir un grand effet sur la plupart des hommes et sur ceux de cette classe en particulier. Le fait de manger de la viande sauvage, quoi que vous puissiez en penser, tend à changer leur caractère18, bien que la
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seule preuve que j’en puisse apporter soit le fait que j’ai été témoin de la chose ; ne possédant pas de lieu de culte pour s’y assembler, le peu de société qu’ils pourraient connaître leur est refusé. Les services du dimanche, en plus de leur valeur religieuse, sont le seul lien social qui aurait pu leur inspirer un peu de goût pour l’ordre. Comment peut-on alors s’étonner de voir dégénérer des hommes en pareille situation, absorbés par des travaux aussi imposants et lourds ? Au contraire, c’est merveille de constater que le phénomène n’est pas plus répandu. Les moraves19 et les quakers sont les seuls à faire exception à ce que j’ai dit. Les premiers ne s’établissent jamais seuls ; c’est en groupes qu’émigrent les membres de cette société ; ils apportent avec eux leurs rites, leur culte, leurs règles de décence. Les autres ne connaissent jamais de premières installations aussi difficiles ; ils sont toujours en mesure d’acheter des établissements avantageux, cela à un moment où la contrée s’est remise de sa première barbarie. Ainsi notre mauvais peuple est constitué de ceux qui sont moitié cultivateurs et moitié chasseurs, et les pires d’entre eux sont ceux qui sont complètement retournés à l’état de chasseurs. Étant à la fois d’anciens laboureurs et de nouveaux hommes des bois, à la fois Européens et Indiens depuis peu, ils partagent les vices des uns et des autres ; ils adoptent la morosité et la férocité de l’autochtone, sans sa clémence, ni même le genre de travail qu’il pratique chez lui. Si elle ne dégrossit pas les manières, au moins la culture de la terre les rend-elle simples et inoffensives ; elle comble tous nos besoins, notre temps est partagé entre le travail et le repos et ils ne nous en reste pas assez pour commettre des méfaits. Chez les chasseurs, le temps se partage entre les difficultés de la poursuite, l’oisiveté du repos et la complaisance dans l’ébriété. La chasse n’est rien de plus qu’un licencieuse vie d’oisiveté et si elle ne pervertit pas toujours les bonnes dispositions, lorsqu’elle s’unit à la malchance, elle conduit au désœuvrement ; le désœuvrement stimule cette propension, trop naturelle chez l’homme dans le besoin, à la rapacité et à l’injustice, ce qui est fatal. Après cette explication des effets découlant de la vie dans les bois, devrions-nous continuer à nous flatter de nos vaines tentatives de convertir les Indiens ? Nous devrions plutôt commencer par convertir nos pionniers de l’arrière-pays : là où, si j’osais aujourd’hui mentionner le mot religion, le son de cet agréable vocable se perdrait dans l’immensité des bois. Les hommes vivant en pareille situation ne sont pas en mesure de recevoir ses douces instructions ou de s’en souvenir ; ils manquent de temples et de ministres, et aussitôt que les hommes aban-
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donnent leurs demeures et commencent à mener une vie d’errance, qu’ils soient basanés ou blancs, ils cessent de compter parmi ses disciples. Ainsi ai-je faiblement et imparfaitement tenté de décrire notre société depuis la mer jusqu’à nos bois ; vous ne devez cependant pas croire que tous ceux qui vont en ces lieux reculés agissent selon les mêmes principes ou sombrent dans la même dégénérescence. Plusieurs familles apportent avec elles la décence de leur conduite, leur pureté morale et leur respect de la religion, mais elles sont rares ; la force de l’exemple est parfois irrésistible. Même parmi ces pionniers, la dépravation est plus ou moins grande selon la nation ou la province à laquelle ils appartiennent. Devrais-je présenter des preuves à l’appui de ces dires, il s’en trouverait pour m’accuser de partialité. S’il arrive qu’il y ait en ces districts éloignés quelques riches éclaircies, quelques fertiles plaines, les gens y préféreront le travail de la terre à la chasse et ils s’y attacheront ; mais même sur ces fertiles îlots, vous pourrez clairement voir les habitants développer un très haut degré de rusticité et d’égoïsme. C’est à cause de cet éparpillement, et de l’étonnant pouvoir qu’il exerce sur les mœurs, que les pionniers des deux Carolines, de la Virginie et de plusieurs autres régions ont longtemps été une bande de hors-la-loi ; il était même dangereux de voyager parmi eux. Le gouvernement ne peut rien faire dans une aussi vaste contrée ; il vaut mieux qu’il ferme les yeux sur ces irrégularités plutôt que d’user de moyens en contradiction avec sa clémence habituelle. Le temps effacera ces taches ; à mesure que la plus grande partie de la population approchera d’eux, ils s’amenderont et deviendront civilisés et soumis. Quoi qu’on ait pu dire des quatre provinces de la Nouvelle-Angleterre20, leur annales n’ont jamais été ternies par semblable dégénérescence des mœurs ; leurs pionniers ont conservé le respect des convenances et du gouvernement, cela grâce à la sagesse des lois et à l’influence de la religion. Quelle détestable idée des Européens pareilles gens ont-ils pu donner aux indigènes ! Ils font du commerce avec eux ; les pires personnes ont la permission de faire ce à quoi personne ne devrait être employé à moins de présenter le meilleur des caractères. Ils s’enivrent avec eux et fraudent souvent les Indiens. Loin du regard de leurs supérieurs, leur avarice ne connaît pas de limites et, aidés par la maigre supériorité de leurs connaissances, ces commerçants les trompent et vont même parfois jusqu’aux effusions de sang. D’où ces horribles crimes, ces soudaines dévastations qui ont si souvent ravagé nos frontières, où des centaines de personnes innocentes ont été sacrifiées pour les crimes de quelques-uns. C’est à la suite de pareils comportements que les Indiens
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ont pris les armes contre les Virginiens en 177421. Ainsi s’accomplissent nos premiers pas, ainsi nos premiers arbres sont généralement abattus par les plus méchantes de nos gens ; et ainsi ouvre-t-on la voie à l’arrivée d’une deuxième et meilleure classe : l’honnête propriétaire terrien américain, le groupe de personnes les plus respectables en cette partie du monde : respectables pour leur esprit d’entreprise, pour leur heureuse indépendance, la grande liberté qui est la leur, le bon ordre de leurs familles et pour leur contribution au développement du commerce et de l’empire de notre mère patrie. En Europe, il n’est pratiquement pas d’autres titres que ceux de seigneur et de métayer ; cette belle contrée qui est la nôtre est occupée par des propriétaires, pleins possesseurs du sol qu’ils cultivent, membres du gouvernement auquel ils obéissent, qui définissent leurs propres lois par l’entremise de leurs représentants. Il est une pensée que vous m’avez appris à chérir : la distance qui nous sépare de l’Europe, loin de la diminuer, augmente au contraire notre valeur et notre importance en tant qu’hommes et en tant que sujets. Nos ancêtres y seraient-ils demeurés qu’ils n’auraient rien fait d’autre que contribuer à son encombrement et, peut-être, prolonger les convulsions qui l’ont frappée pendant si longtemps. Chacun des industrieux Européens qui se transporte ici peut-être comparé à une pousse grandissant au pied d’un grand arbre ; il ne jouit et ne profite alors que d’une petite part de sève ; arrachez-le de sa racine maîtresse, transplantez-le, et il deviendra un arbre qui portera lui aussi des fruits. Les colons ont donc droit à la considération qui est due aux objets les plus utiles ; cent familles réussissant à peine à survivre quelque part en Écosse seront ici, au terme de six années, à l’origine d’une exportation annuelle de 10 000 boisseaux de blé ; car si elle cultive de la bonne terre, il n’est pas inhabituel, pour une famille industrieuse, d’avoir 100 boisseaux à vendre. Ainsi est-ce ici que l’oisif peut trouver de l’emploi, que l’inutile se rend utile et que le pauvre devient riche. Mais par richesse, je n’entends pas l’or et l’argent : nous possédons peu de ces métaux ; j’entends un meilleur genre d’opulence : des terres défrichées, du bétail, de bonnes maisons, de bons vêtements et une augmentation du nombre de gens qui en jouissent. Il ne faut pas s’étonner du fait que ce pays exerce autant de charme et que les Européens soient tellement tentés d’y demeurer. En Europe, un voyageur devient un étranger aussitôt qu’il a quitté le royaume auquel il appartient ; il en est autrement ici. Nous ne connaissons pas, à proprement parler, d’étrangers ; c’est ici le pays de tout le monde ; la diversité de
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nos sols, de nos localités, de nos climats, de nos gouvernements et de nos produits a de quoi plaire à tout le monde. Quelle que soit sa condition, un Européen n’est pas sitôt arrivé que son œil découvre d’intéressantes perspectives ; il entend parler sa langue, il retrouve plusieurs des coutumes de son pays, il ne cesse d’entendre des noms de familles et de villes qu’il connaît, il voit le bonheur et la prospérité répandus en tous lieux, partout il est accueilli avec hospitalité, gentillesse et générosité ; il ne voit pratiquement aucun pauvre, il entend rarement parler de châtiments et d’exécutions et il s’émerveille de l’élégance de nos villes, ces miracles de l’esprit d’entreprise et de la liberté. Il n’a de cesse d’admirer nos districts ruraux, nos routes praticables, nos bonnes auberges et nos nombreuses commodités ; il se met malgré lui à aimer un pays où tout est si aimable. Lorsqu’il était en Angleterre, il n’était qu’un simple Anglais ; ici, il a devant lui une bien plus large portion du globe, pas moins du quart de la Terre, et peut y trouver tout ce que le Nord produit en fer et en matériaux pour les navires, les produits de l’Irlande, les céréales de l’Égypte, l’indigo, le riz de Chine. Il ne trouve pas, comme en Europe, une société trop populeuse où chaque place est déjà occupée ; il ne voit pas ces perpétuels affrontements entre clans, ces difficultés à se faire une place, ces disputes qui détruisent tant de gens. Il y a de la place pour tout le monde en Amérique. Possède-t-il quelque talent ou savoir-faire particuliers ? Il les exerce afin de gagner sa vie et c’est un succès. Est-il un marchand ? Les voies du commerce sont infinies. Est-il compétent en quelque domaine ? Il sera employé et respecté. Aime-t-il une vie à la campagne ? D’agréables fermes s’offrent d’elles-mêmes ; il peut acheter ce qu’il désire et devient ainsi un fermier américain. Est-il un laboureur sobre et travailleur ? Il n’a pas besoin d’aller bien loin ni de recevoir beaucoup d’instructions avant d’être engagé, bien nourri à la table de son employeur et payé quatre ou cinq fois plus que ce qu’il pouvait gagner en Europe. Veut-il des terres en friche ? Des milliers d’acres se présentent d’eux-mêmes, qu’il peut acheter à bas prix. Quels que soient ses talents et ses aspirations, si ces dernières sont raisonnables, il peut trouver de quoi les satisfaire. Je ne veux pas dire que chacun de ceux qui viennent s’enrichiront en peu de temps ; non, mais il peut, grâce à son travail, aisément se procurer une subsistance décente. Plutôt que de s’affamer, il sera nourri ; plutôt que d’être oisif, il sera employé : ce sont là de bien grandes richesses pour le genre d’hommes qui viennent ici. Le riche demeure en Europe ; seuls émigrent les gens de peu et les pauvres. Souhaiteriez-vous voyager du nord au sud comme bon vous semble, l’accès vous sera facile et vous trouverez la plus joyeuse des
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réceptions en chaque maison, une sociabilité sans ostentation, des bonnes dispositions sans affectation et tous les décents divertissements qu’offre la campagne, cela à peu de frais. Il ne faut pas s’étonner du fait que l’Européen qui a vécu ici quelques années ait le désir d’y demeurer ; on ne saurait comparer l’Europe et toutes ses pompes à ce continent fait pour les hommes de classe moyenne ou les laboureurs. À son arrivée, l’Européen semble aussi à l’étroit dans ses projets que dans ses vues, mais voilà que les choses changent soudainement d’échelle ; auparavant, deux cents milles lui semblaient être une très grande distance : ce n’est désormais que très peu de choses ; à peine a-t-il respiré notre air qu’il conçoit des projets et s’engage dans des entreprises auxquelles il n’aurait jamais pensé dans son propre pays. Là-bas, l’encombrement de la société empêche le développement de nombreuses idées utiles et élimine de louables projets, lesquels peuvent ici atteindre leur maturité. Ainsi les Européens deviennent des Américains. Mais comment cela peut-il s’accomplir au sein de cette foule d’indigents et de gens de basse extraction qui, chaque année, arrivent ici en masse de toutes les régions de l’Europe ? Je vais vous le dire : à peine sont-ils arrivés qu’ils ressentent immédiatement l’heureux effet de l’abondance de provisions que nous possédons ; ils se nourrissent de nos meilleurs aliments et sont accueillis avec gentillesse ; leurs compétences, leurs talents et leurs tempéraments particuliers sont immédiatement examinés ; quelle que soit la région d’Europe d’où ils viennent, ils trouvent des compatriotes disséminés ça et là. Permettez-moi d’en sélectionner un qui serve d’exemple pour le reste ; il est engagé, il va au travail et travaille modérément ; au lieu d’être employé par un supérieur, il se retrouve devant son égal ; il a une place à la table bien garnie du fermier ou bien à une table inférieure mais tout aussi bonne ; ses gages sont élevés, les draps de son lit ne ressemblent en rien aux mauvais draps dans lesquels il avait l’habitude de se retrouver ; s’il se conduit correctement et s’il est loyal, il a droit à des égards et est traité comme s’il était devenu un membre de la famille. Il commence à ressentir les effets d’une sorte de résurrection ; jusqu’ici, il ne vivait pas : il ne faisait que végéter ; il se sent désormais être un homme parce qu’il est traité comme tel ; parce qu’il était une personne sans importance, les lois de son pays ne tenaient pas compte de lui ; les lois de ce pays-ci le protègent de leur manteau. Jugez de la transformation que doivent connaître l’esprit et les pensées de cet homme ; il commence à oublier sa servitude et sa dépendance passées, son cœur palpite involontairement et s’échauffe ; cette première palpitation lui inspire ces nouvelles
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pensées qui font les Américains. Quel amour peut-il conserver pour un pays où son existence lui était un fardeau ? S’il est un homme de bien et de générosité, l’amour de sa nouvelle famille adoptive s’infiltrera profondément en son cœur. Il regarde autour de lui et voit nombre de personnes prospères qui, il y a à peine quelques années, étaient toutes aussi pauvres que lui. Cela l’encourage beaucoup ; il commence à élaborer quelque petit projet, le premier, hélas, de toute sa vie. S’il est sage, il passe alors deux ou trois ans pendant lesquels il acquiert des connaissances, se familiarise avec l’usage des outils, les façons de travailler la terre, d’abattre des arbres, etc. Cela contribue à l’établissement d’une bonne réputation, la plus utile des acquisitions qui puisse être sienne. Il est encouragé, il s’est fait des amis ; il est conseillé et dirigé, il devient confiant, il achète quelque terre ; il débourse tout l’argent qu’il a emporté avec lui, ainsi que celui qu’il a gagné, et s’en remet au dieu des récoltes pour payer le reste. Sa bonne réputation lui procure du crédit ; il est désormais en possession du document qui lui cède, ainsi qu’à sa postérité, le franc-alleu et la propriété absolue de deux cents acres de terre situés sur telle rivière. Quelle époque dans la vie de cet homme ! Supposons qu’il était un pauvre paysan allemand ; le voilà devenu propriétaire — il est désormais un Américain, un Pennsylvanien, un sujet britannique. Il est naturalisé, son nom figure sur la liste avec les autres citoyens de la province. Au lieu d’être sans aveu, il a un lieu de résidence ; il a droit au titre de citoyen de telle province ou de tel district ; pour la première fois de sa vie il a un certain poids, lui qui jusqu’alors ne valait rien. Je ne fais que répéter ce que j’ai souvent entendu raconter et il n’est pas étonnant que leurs cœurs se mettent à battre et à être agités d’une multitude de sentiments qui ne sont pas faciles à décrire. N’avoir rien eu pour commencer dans la vie, avoir été domestique et occuper désormais le rang de maître ; avoir été l’esclave de quelque prince despotique et devenir un homme libre, investi de la possession de terres auxquelles sont liés tous les avantages municipaux : voilà certes tout un changement ! C’est à la suite de ce changement qu’il devient un Américain. Cette importante métamorphose a un double effet : elle élimine tous ses préjugés européens ; il oublie les mécanismes de la subordination, la disposition à la servilité que la pauvreté lui a enseignée ; parfois il l’oublie trop aisément, passant souvent d’un extrême à l’autre. S’il est un homme de bien, il planifie sa prospérité future, il se propose d’instruire ses enfants mieux qu’il a lui-même été instruit ; il pense à la conduite future de ses affaires, il ressent une ardeur pour le travail qu’il n’avait jamais ressentie auparavant. La fierté s’installe et elle le gouverne en tout ce qui n’est pas
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interdit par les lois ; il les respecte ; c’est avec une sincère gratitude qu’il regarde vers l’Est, vers ce gouvernement insulaire à la sagesse duquel il doit toute sa nouvelle félicité, sous l’aile et la protection duquel il vit maintenant. Ces réflexions font de lui un homme de bien et un bon sujet. Pauvres Européens que vous êtes, qui suez et travaillez pour les grands — vous qui avez l’obligation de donner tant de redevances à l’Église, tant à votre seigneur, tant à votre gouvernement et à qui il ne reste pratiquement rien pour vous-mêmes — vous pour qui on a moins d’estime que pour son cheval de chasse favori ou son inutile chien de salon — vous qui ne respirez l’air de la nature que parce qu’il est impossible de vous le refuser, c’est seulement ici qu’il vous est possible de concevoir le genre de sentiments que je viens de décrire ; c’est seulement ici que les lois de la naturalisation invitent tout le monde à partager nos grands travaux et notre grande félicité, à labourer des champs pour lesquels on ne paie ni loyer ni taxes ! Nombreux sont ceux qui, corrompus de façon telle qu’aucune force ne saurait les redresser, ont amené tous leurs vices avec eux et qui, indifférents aux avantages, ont refusé de s’en débarrasser, ont persisté dans leurs anciennes manières de profiter de l’injustice jusqu’à ce qu’ils soient rattrapés et punis par nos lois. Ce ne sont pas tous les émigrants qui réussissent ; non, seul le sobre, l’honnête, l’industrieux ; heureux ceux à qui cette transition a servi à aiguillonner le goût du travail, l’envie d’être prospères et le désir de bien établir leurs enfants nés en leurs jours de pauvreté et qui, n’eût été leur heureuse émigration, n’auraient pu espérer d’autre héritage que les loques de leurs parents. D’autres, par ailleurs, ont été égarés par ce spectacle enchanteur ; leur nouvelle fierté, au lieu de les conduire aux champs, les a maintenu dans l’oisiveté ; l’idée de posséder des terres suffit à les satisfaire — quoique entouré par la fertilité, ils ont perdu leur temps en s’embourbant dans l’inactivité, les élevages inappropriés et de vaines entreprises. Comme les honnêtes Allemands sont en général bien plus sages que la plupart des autres Européens ! Ils s’engagent au service d’un de leurs opulents propriétaires terriens et apprennent tout ce qui est nécessaire dans le cadre de cet apprentissage. Ils observent attentivement le prospère travail d’autrui, qui imprime dans leur esprit un puissant désir de posséder les mêmes avantages. Cette vigoureuse idée ne les abandonne jamais ; ils vont de l’avant et à force de sobriété, de rigide parcimonie et du travail le plus persévérant, ils réussissent généralement. À leur arrivée d’Allemagne, leur étonnement est très grand — cela leur semble être un rêve ; le contraste doit être en effet très grand ; ils voient leurs compatriotes connaître partout la prospérité ; ils voyagent à travers
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des contrées entières où on n’entend pas un mot d’anglais et ils retrouvent l’Allemagne dans les noms et le langage des gens. Ils se sont avérés une heureuse acquisition pour ce continent, et particulièrement pour la Pennsylvanie ; elle leur doit un certaine part de sa réussite ; elle doit à leurs connaissances des machines et à leur patience les meilleurs moulins de toute l’Amérique, les meilleurs attelages de chevaux et de nombreux autres avantages. Le souvenir de leur ancienne pauvreté et de leur esclavage ne les quitte pas aussi longtemps qu’ils sont en vie. L’Écossais et l’Irlandais vivaient peut-être aussi pauvrement dans leurs pays mais, profitant de plus d’avantages civiques, les effets de leur nouvelle situation ne les frappent pas autant, ni avec un effet aussi durable. Je ne sais à quoi tient la différence mais sur vingt familles émigrant de chacun de ces pays, en général, sept Écossais connaîtront le succès, neuf Allemands et quatre Irlandais22. Les Écossais sont économes et travailleurs mais leurs épouses ne peuvent travailler aussi dur que les femmes d’Allemagne qui, au contraire, rivalisent avec leurs époux et partagent souvent avec eux les plus lourds travaux des champs, qu’elles comprennent mieux qu’eux. Ils n’ont donc à lutter contre rien d’autre que les hasards habituels de la nature. L’Irlandais ne prospère pas autant ; il aime la boisson et les querelles ; il est litigieux et s’en remet vite au fusil, ce qui conduit tout à la ruine ; en plus, il semble montrer, dans le travail, un plus grand degré d’ignorance que les autres en ce qui concerne l’élevage ; peut-être parce que, chez lui, on ne laissait pas assez de place à ses habiletés et ne lui donnait pas assez d’occasions de les exercer. J’en ai entendu plusieurs parler du fait que, dans ce royaume, la terre est morcelée ; la conquête qu’ils ont subie leur a été d’un grand préjudice en leur faisant perdre la propriété foncière. Les terres, devenues la possession de quelques-uns, sont affermées ad infinitum et les occupants paient souvent cinq guinées l’acre. Les pauvres y sont plus mal logés que partout ailleurs en Europe ; leurs patates, qui sont faciles à faire pousser, sont peut-être un encouragement à la paresse ; leurs gages sont trop bas et leur whisky leur coûte trop peu. On ne peut pas faire des observations de ce genre sans tenir compte en même temps du fait qu’il se trouve partout un grand nombre d’exceptions. Les Irlandais sont eux-mêmes bien différents les uns des autres selon les différentes régions de ce royaume. Il est difficile de rendre compte de ces étonnants caractères particuliers ; on pourrait croire que, sur une aussi petite île, tous les Irlandais devraient être les mêmes ; ce n’est pourtant
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pas le cas : ils diffèrent dans leur aptitude au travail, et dans leur amour de la chose. Les Écossais sont, au contraire, tous travailleurs et économes ; ils ne veulent rien d’autre qu’un champ sur lequel ils trouveront à s’employer et ils sont habituellement assurés de réussir. La seule difficulté qu’ils connaissent dans le travail tient aux connaissances des techniques américaines qui ne s’acquièrent qu’au bout d’un certain temps ; il n’est pas facile pour ceux qui ont rarement vu un arbre de concevoir comment on doit s’y prendre pour l’abattre, le couper et y tailler des planches et des poteaux. Puisque que je me plais à voir des familles prospères et à parler d’elles, je me propose de finir cette lettre en vous racontant l’histoire d’un honnête Écossais des îles Hébrides, arrivé ici en 1774, qui vous donnera un exemple de ce que les Écossais peuvent faire lorsqu’ils trouvent l’occasion d’exercer leurs habiletés. Chaque fois que j’entends parler d’un nouvel établissement, je le visite une ou deux fois par année afin d’y observer les différents accomplissements de chaque colon, le développement de leur installation, les différents caractères de chaque famille, desquels dépend en grande mesure leur prospérité, les différentes modifications que connaissent leurs habiletés, leur ingéniosité et leur adaptation ; parce qu’ils sont tous pauvres, leur vie exige de la sagesse et de la prudence. J’aime les entendre dans la soirée me raconter leurs histoires, qui m’alimentent en idées nouvelles ; je m’assois et j’écoute les malheurs de leur passé en remarquant chez nombre d’entre eux un très haut degré de gratitude envers Dieu et le gouvernement. Je me permets quelquefois, en toutes bonnes intentions, d’en sermonner certains lorsque je constate que règnent chez eux la paresse et la négligence, lesquelles peuvent nous empêcher d’être bien disposés envers ces nouveaux compatriotes malgré toutes les fatigues qu’ils ont subies. Qui peut refuser un bon conseil ? Quel heureux changement cela doit être que d’avoir quitté les hautes terres d’Écosse, stériles, exposées à tous les vents, où tout est ingrat et froid, pour se retrouver sur une des fermes fertiles de ces provinces centrales ! Une telle transition doit apporter la plus heureuse des satisfactions. Le dialogue qui suit a été entendu dans un établissement reculé que j’ai récemment visité : Eh bien, l’ami, comment vont les choses maintenant ? J’ai fait une cinquantaine de milles afin de vous voir ; comment vont la nouvelle coupe et les taillis ? Très bien, mon bon monsieur, nous apprenons à manier
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hardiment de la hache, nous devrions nous en tirer ; nous avons chaque jour le ventre rempli de victuailles, nos vaches vont çà et là et nous reviennent pleines de lait, nos cochons s’engraissent d’eux-mêmes dans les bois. Oh, quel bon pays ! Dieu bénisse le roi et William Penn ! Nous serons bientôt très bien si nous conservons la santé. Votre maison de rondins est gracieuse et jolie : où avez-vous trouvé ces bardeaux ? Un de nos voisins est un homme de Nouvelle-Angleterre et il nous a montré comment les fendre de nos marronniers. Et voilà de bons arbres pour construire une grange quand le temps sera venu. Qui la construira, car vous ne savez certainement pas déjà comment faire ? Un de nos compatriotes, qui est en Amérique depuis ces dernières dix années, a offert d’attendre d’être payé jusqu’à ce qu’une deuxième récolte s’y trouve. Qu’avez-vous donné pour votre terre ? Trente-cinq shillings l’acre, payables en sept ans. Combien d’acres avez-vous eu ? Cent cinquante. C’est assez pour commencer ; votre terre n’est-elle pas passablement difficile à défricher ? Oui monsieur, assez difficile, mais ce serait plus difficile si elle était déjà défrichée car nous n’aurions alors pas d’arbres et j’aime beaucoup les bois : la terre n’est rien sans eux. N’avez-vous pas encore trouvé des abeilles ? Non monsieur, et si nous en avions trouvées, nous ne saurions pas quoi faire avec elles. Je pourrai vous l’apprendre. Vous êtes très gentil. Au revoir, honnête homme, que Dieu vous fasse prospérer ; s’il vous arrive de passer par **, demandez J. S.23 : il se fera un plaisir de vous entretenir à condition que vous lui apportiez des bonnes nouvelles de votre famille et de votre ferme. Je leur rends souvent visite de cette façon et j’examine attentivement leurs maisons, leur ingéniosité particulière, leurs différentes manières de faire, et leur fait me raconter tout ce qu’ils savent et me décrire tout ce qu’ils ressentent. Ce sont là des scènes auxquelles vous accepteriez volontiers d’assister avec moi — j’ai bon souvenir de la tournure philan thropique de votre esprit. Ne vaut-il pas bien mieux contempler, sous ces humbles toits, les rudiments d’une richesse et d’une population futures, que d’étudier des liasses de documents juridiques amoncelées dans le cabinet d’un avocat ? Et d’examiner comment le monde est graduellement établi ; comment on convertit le vaste marais en une riante prairie, le coteau raboteux en un beau champ, et d’entendre le joyeux trille et la chanson campagnarde là où aucun son ne se faisait entendre auparavant sauf le cri du sauvage, le hululement de la chouette et le sifflement du serpent ? Ici, un Européen fatigué du luxe, des richesses et des plaisirs pourra trouver un heureux délassement devant une suite d’intéressants spectacles aussi attendrissants que nouveaux. L’Angleterre, qui est aujourd’hui
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couverte de tant de dômes, de tant de châteaux, était jadis elle aussi un espace boisé et marécageux ; les habitants de cette nation désormais chérie des arts et du commerce se peignaient jadis le visage comme le font nos voisins sauvages. Ce pays deviendra à son tour florissant, et on fera à son sujet les mêmes observations que celles que je viens de faire. La postérité sera empressée et heureuse de se retourner vers le passé afin de retrouver si possible le souvenir de tel ou tel établissement particulier. Voulez-vous bien me dire ce qui fait qu’en général les Écossais sont plus pieux, plus loyaux, plus honnêtes et industrieux que les Irlandais ? Il n’est pas dans mon intention, Dieu m’en garde, d’en appeler d’un caractère national : cela ne sied à personne et encore moins à un Américain ; mais dans la mesure où je sais que les hommes ne sont rien d’eux-mêmes et qu’ils doivent tout ce qui les distingue soit au gouvernement, soit à quelque autre circonstance particulière, il doit exister quelque importante raison à la constitution d’une aussi grande différence entre deux nations. Selon le portrait que plusieurs Écossais m’ont fait du nord de l’Angleterre, des îles Orcades et des Hébrides, elles semblent sur plusieurs points ne pas être faites pour être habitées par des hommes ; elles semblent tout juste bonnes pour des grands pâturages de moutons. Qui peut alors blâmer les habitants de ces contrées de s’amener par ici ? Avec le temps, ce vaste continent accueillera les éléments les plus pauvres d’Europe, et cela se fera au fur et à mesure qu’il sera mieux connu et que la guerre, les taxes, l’oppression et la misère augmenteront là-bas. Les Hébrides semblent tout juste bonnes à être la résidence de malfaiteurs et on ferait bien mieux d’envoyer là-bas les criminels, plutôt qu’en Virginie ou au Maryland24. Quels étranges honneurs la mère patrie a-t-elle ainsi rendus à deux des plus belles provinces d’Amérique ! L’Angleterre a entretenu à cet égard des idées bien erronées ; ce qui était conçu comme un châtiment est devenu le bonheur de plusieurs ; beaucoup de ceux qui y ont été conduits en tant que criminels sont maintenant riches et étrangers à l’aiguillon du besoin qui les a poussés à violer les lois ; ils sont devenus des citoyens entreprenants, exemplaires et utiles. Le gouvernement anglais devrait acheter les plus nordiques et ingrates de ces îles ; il devrait nous envoyer les honnêtes et rudes Hébridéens, les établir ici sur de bonnes terres pour récompenser leur vertu et leur ancienne pauvreté, et les remplacer par des colonies de ses mauvais fils. La rigueur du climat, l’inclémence des saisons, la stérilité du sol, les tumultes de la mer les affligeraient et les châtieraient amplement. Existe-t-il un endroit plus propre
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à venger les torts causés par leurs crimes ? Certaines de ces îles peuvent être considérées comme l’enfer de la Grande-Bretagne, où on devrait envoyer tous les mauvais esprits. Cette simple opération atteindrait deux buts essentiels. Les bonnes gens deviendrait plus heureuses grâce à l’émigration ; les mauvaises se retrouveraient là où elles doivent être. En quelques années, la crainte d’être exilé en cette région glaciale aurait un bien plus puissant effet que celle de traverser l’Atlantique. — Ce n’est pas ici un lieu de châtiment ; serais-je un pauvre Anglais sans espoir et sans pain, et libre des contraintes de la honte, je serais très reconnaissant de me voir offrir le passage. Il importe très peu comment et de quelle manière un indigent arrive ici car il lui suffit d’être sobre, honnête et travailleur, et il n’a pas besoin d’en demander plus au ciel. Laissons-le travailler et il aura suffisamment d’occasions de gagner une confortable subsistance, ce qui est le premier souhait de toute personne possédant la santé et des mains pour travailler. J’ai connu un homme qui est venu littéralement nu en ce pays ; je crois qu’il était Français et qu’il était marin à bord d’un vaisseau de guerre anglais. Malheureux de son sort, il s’est dévêtu et a nagé jusqu’à terre où, après avoir trouvé des vêtements et des amis, il s’est par la suite établi à Mamaroneck, comté de Westchester, dans la province de New York ; il s’est marié et a laissé une bonne ferme à chacun de ses fils25. J’ai connu un autre individu qui n’avait que douze ans lorsqu’il a été pris par les Indiens sur la frontière du Canada ; à son arrivée à Albany, il a été acheté par un gentilhomme qui l’a généreusement mis en apprentissage auprès d’un tailleur. Il a vécu jusqu’à l’âge de quatre-vingt-dix ans et a laissé derrière lui une bonne succession, une famille nombreuse et tout ce monde bien établi ; je connais plusieurs d’entre eux. — Imaginez alors l’heureux sort que pourra connaître l’Européen qui s’abandonnait au désespoir ! Après qu’un étranger, quelle que soit la région d’Europe dont il est originaire, soit arrivé ici et devenu un citoyen, laissons-le écouter pieusement la voix de notre grande mère patrie qui lui dit : « Bienvenue sur mes rives, Européen en détresse ; béni soit le moment où tu as vu mes champs verdoyants, mes belles rivières navigables et mes vertes montagnes ! — Si tu as le désir de travailler, j’aurai pour toi du pain ; si tu as le désir d’être honnête, sobre et travailleur, j’aurai d’encore plus grandes récompenses à te remettre — le bien-être et l’indépendance. Je te donnerai des champs pour te nourrir et te vêtir ; un bon feu auprès duquel t’asseoir pour raconter à tes enfants de quelle façon tu as réussi à prospérer, et un lit décent pour t’y reposer. Si tu as le désir d’instruire adéquatement tes
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enfants, enseigne-leur la gratitude envers Dieu et le respect de ce gouvernement, de ce gouvernement philanthrope qui a réuni ici tant d’hommes et les a rendus heureux. Je te donnerai aussi des descendants, ce qui devrait être le plus saint, le plus puissant, le plus fervent des espoirs que tout homme puisse concevoir, de même que la plus consolante des perspectives à l’heure de sa mort. Va, travaille et laboure ; tu prospéreras, à condition d’être juste, reconnaissant et travailleur. »
Histoire d’Andrew l’Hébridéen Laissons aux historiens le soin de présenter nos chartes, nos diverses formes de gouvernement et d’administration, nos luttes politiques et la fondation de nos villes ; laissons les annalistes s’amuser à collectionner les anecdotes sur l’établissement de nos provinces modernes ; les aigles volent dans les hauteurs — moi qui suis un bien plus faible oiseau, je me contente du bonheur de sautiller de buisson en buisson et de vivre d’insectes bien insignifiants. J’ai tellement l’habitude de trouver ma nourriture et mon plaisir à la surface de la terre que je laboure que je ne peux pas, que je n’ai même pas la force de la quitter — c’est pourquoi je vous présente la courte histoire d’un simple Écossais, même si elle ne contient pas un seul événement remarquable qui puisse étonner le lecteur, pas de scène tragique qui puisse faire tressaillir son cœur, pas de récit pathétique qui puisse tirer des larmes d’un œil compatissant. Je ne souhaite rien de plus que décrire la progression d’un pauvre homme passant de l’indigence à l’aisance, de l’oppression à la liberté, de l’obscurité et du mépris à une situation d’une certaine conséquence — cela non pas en vertu du hasard mais des effets graduels de la sobriété, de l’honnêteté et de l’émigration. Ce sont là les seuls champs dans lesquels j’aime à me promener, assuré d’y trouver quelque part le sourire du bonheur qui vient de voir le jour, le cœur content qui inspire un chant joyeux, le rayonnement d’une virile fierté nourrie par la vivacité des espoirs et le développement de l’indépendance. Je reviens toujours extrêmement heureux de mes excursions dans le voisinage parce que j’y vois le bien-être sous presque chaque toit et des entreprises prospères dans presque tous les domaines. Mais peut-être me direz-vous : pourquoi ne décrivez-vous pas quelques-uns des plus anciens et plus riches établissements de notre pays, qui sauraient être admirables aux yeux d’un
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Européen ? Il est vrai que les champs de notre Amérique sont généralement un plaisant spectacle où l’œil s’arrête sur nombre de solides maisons, de vergers fleurissants et de taillis qui sont la fierté de nos fermes, la source de tout le bien que nous possédons. Mais ce que je peux y observer ne présente rien qui soit hors du commun car il est bien facile de concevoir qu’on puisse tirer une confortable subsistance de champs cultivés bien clôturés. Un père meurt et laisse à son fils une demeure décente et une ferme riche ; le fils améliore la première et laboure soigneusement l’autre ; il épouse la fille d’un ami et voisin : tel est le destin le plus commun. Mais cet agréable et plaisant portrait est loin d’être aussi intéressant et instructif que celui que j’ai maintenant l’intention de vous présenter. Le mieux serait de me rendre sur la côte pour accueillir le pauvre Européen lorsqu’il arrive, l’observer dans ses premiers instants d’embarras, faire le portrait de ses premières difficultés, le suivre pas à pas jusqu’à ce qu’il dresse sa tente sur quelque bout de terrain et que s’accomplisse ce souhait qui fut assez puissant pour lui faire quitter sa terre natale et sa parenté, et le pousser à traverser un océan tempétueux. C’est là que je pourrai faire voir ses premières impressions et ses premières émotions, les premières manifestations d’un esprit d’entreprise jusqu’alors réprimé. Je souhaite montrer des hommes en train d’abattre leurs premiers arbres, ériger leurs premières constructions, labourer leurs premiers champs, récolter leurs premières moissons et dire pour la première fois de leur vie : « Ceci est notre grain à nous, que nous avons fait pousser sur de la terre américaine — dont nous tirerons de quoi nous nourrir et nous engraisser avant de convertir le reste en or et en argent. » Je veux montrer les premiers résultats des heureux effets de leur sobriété, de leur honnêteté et de leur travail ; et qui ne prendrait pas plaisir à voir s’établir ces étrangers qui deviennent de nouveaux compatriotes, à les voir lutter contre de pénibles obstacles pour en triompher et devenir heureux. Débarquer sur ce vaste continent, c’est comme prendre la mer : il faut qu’ils aient une boussole, qu’on leur indique amicalement la direction ; sinon ils erreront et déambuleront inutilement pendant longtemps même si leur vent est bon ; nos ancêtres ont navigué dans les mêmes eaux ; de ces combats, ils nous ont laissé pour seul souvenir les fermes que nous possédons. Les réflexions que je me fais sur ces nouveaux colons rappellent à mon esprit ce que mon grand-père a accompli en son temps ; elles me remplissent de gratitude envers sa mémoire ainsi qu’envers ce gouvernement qui l’a invité à venir s’installer et qui l’a aidé à son arrivée ainsi qu’il l’a fait pour de nombreux autres. Puis-je m’adonner à ces réflexions
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sans rappeler ton nom, Ô Penn ! Toi, le meilleur des législateurs, toi qui, par la sagesse de tes lois, as fait en sorte que, dans les limites de ta province, la nature humaine soit revêtue de toute la dignité qui peut être sienne au sein d’un état civilisé et qui as montré, au moyen de cette singulière institution, ce que pourrait être le destin de tous les hommes s’ils voulaient suivre ton exemple ! En 1770, j’ai acheté quelques terres dans le comté de ——, que je destinais à un de mes fils, et j’ai été dans l’obligation de m’y rendre afin de voir à ce que leurs plans soient adéquatement levés et les terrains proprement délimités. Le sol y est bon mais la contrée est d’un aspect très sauvage ; j’ai cependant remarqué avec plaisir que les terres s’y vendaient très vite et je peux espérer que, le temps que le garçon prenne épouse, ce sera une contrée décente et bien établie. Selon nos coutumes, qui nous sont dictées par les lois de la nature, il est de notre devoir d’assurer de notre vivant l’avenir de notre aîné, de façon à ce que notre ferme et ses dépendances puissent revenir aux plus jeunes qui ont moins de ressources. Il en est certains qui considèrent que les parts données aux filles sont autant de perdus pour le reste de la famille, mais cela est égoïste et ne convient pas à ma manière de penser ; elles ne peuvent pas travailler comme le font les hommes ; elles se marient jeunes. J’ai cédé une ferme à un honnête Européen pour qu’il la laboure à son profit, sans aucun loyer, à condition qu’il assèche un acre de marais tous les ans et qu’il l’abandonne au moment du mariage de ma fille. Cela lui assurera un époux à l’aise, un bon fermier — et c’est là toute mon ambition. Tandis que j’étais dans les bois, j’ai rencontré un groupe d’Indiens ; nous nous sommes serrés les mains et j’ai deviné qu’ils avaient abattu quelque petit gibier ; de leur côté, ils ont deviné que j’avais un peu de brandy de pêche ; nous nous sommes donc joints les uns aux autres, nous avons allumé un grand feu et consommé un copieux repas. Je leur ai donné l’occasion d’avoir le cœur content et nous nous sommes tous étendus sur de bons lits de feuilles. Peu après que la nuit fut tombée, j’ai eu la surprise d’entendre de par les bois un prodigieux mugissement ; les Indiens ont ri de bon cœur. L’un d’eux, plus habile que les autres, a tellement bien imité le hibou que l’un de ce oiseaux, qui était très gros, est venu se percher sur un grand arbre au-dessus de notre feu. Nous nous sommes empressés de l’abattre ; il mesurait cinq pieds sept pouces d’une extrémité d’une aile à l’autre. — Je vous ai fait parvenir ses serres par le capitaine ––––––––––, sur lesquelles j’ai fait monter de petits chandeliers. Puissent-elles, sur la table de votre cabinet, me rappeler à votre bon souvenir.
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Contrairement à mes attentes, je me suis retrouvé dans l’obligation d’aller à Philadelphie afin de verser le prix d’achat et d’enregistrer conformément les documents. Je ne m’en faisais pas avec la route, bien qu’elle ait été de plus de deux cents milles, car j’y connaissais plusieurs amis chez qui j’avais l’intention de m’arrêter. Trois nuits après avoir quitté les bois, je me suis présenté chez monsieur ––––––––––26, le plus estimable des citoyens que je connaisse ; il a séjourné chez moi pendant que vous y étiez. — Il m’a gentiment demandé des nouvelles de votre santé et a souhaité que je le rappelle à votre amitié. La qualité de ces bonnes gens n’a rien de phénoménale ; je pense cependant que cette famille surpasse en excellence toutes celles que je connais. Je ne m’étais pas sitôt étendu pour me reposer que je m’imaginai être dans le plus odoriférant berceau de verdure tant les draps sentaient bon le parfum. Le matin suivant, j’ai retrouvé mon hôte dans son verger en train de détruire des chenilles. Je lui ai dit : Je pense, l’ami B., que tu t’es grandement écarté des bonnes règles de la Société ; tu sembles avoir délaissé l’heureuse simplicité qui l’a jusqu’ici rendue si remarquable. Ta réprimande, l’ami James, est bien sévère ; quelle raison as-tu de nous accuser ainsi ? Ton aimable épouse a fait une erreur hier soir, lui ai-je dit : elle m’a mis dans un lit de roses et non dans une couche ordinaire ; je ne suis pas habitué à tant de délicatesses. Et c’est là tout ce que tu as à nous reprocher, l’ami James ? — J’espère que tu ne vas pas appeler ça du luxe ! Tu sais bien que c’est le produit de notre jardin ; et l’ami Pope l’a dit : « Profiter des bienfaits est une forme d’obéissance27. » Voilà une justification bien savante, l’ami B., et sa valeur tient au fait qu’elle se fonde sur la vérité. James, mon épouse n’a rien fait de plus pour ton lit que ce qui est fait toute l’année pour tous les lits de la famille ; elle asperge ses draps d’eau de rose avant de les repasser : tel est son bon plaisir et je n’ai rien à en redire. Et tu ne t’en tireras pas si vite : je vais de ce pas envoyer quelqu’un la chercher : elle et toi devrez résoudre la question tandis que je poursuis mon travail avant que le soleil ne soit trop haut. — Tom, vas-y, toi, et demande maîtresse Philadelphie. Quoi, ai-je dit, est-ce bien là le nom de ton épouse ? Voilà quelque chose que j’ignorais. Je vais te raconter, l’ami James, comment c’est arrivé : sa grandmère a été la première fille à voir le jour après que William Penn eut débarqué avec le reste de nos frères et en hommage à la ville qu’il se proposait de construire, elle a été nommée d’après le nom qu’il avait l’intention de donner à cette ville ; depuis, une des filles de sa famille porte toujours le nom de Philadelphie. Elle arriva bientôt et, après la plus amicale
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des disputes, je lui donnai raison ; je pris mon déjeuner avant de les quitter et en quatre jours j’ai rejoint la ville. Une semaine plus tard, on annonçait l’arrivée d’un vaisseau transportant des émigrants écossais. Monsieur C. et moi sommes allés aux quais afin de les voir débarquer. Ce spectacle m’a inspiré diverses pensées : voilà, ai-je dit à mon ami, une foule de gens poussés par la pauvreté et par des conditions défavorables vers un pays éloigné où ils ne connaissent personne. Au lieu de s’attirer du secours, de l’aide et de la gentillesse, le nom d’un étranger suscite, au contraire, des réactions très différentes. Ils sont aujourd’hui dans la détresse ; leurs esprits sont tourmentés par la crainte, la peur et l’espoir. C’est le dernier de ces puissants sentiments qui les a conduits ici. Si ce sont de bonnes gens, je prie le Ciel de réaliser leurs espoirs. Quelqu’un aurait-il l’occasion de les voir ainsi rassemblés de nouveau dans cinq ou six ans, il serait devant un spectacle bien plus agréable, bien différent de celui-ci. Grâce à leur honnêteté, à la force de leurs bras et à la bienveillance du gouvernement, leur condition se sera grandement améliorée ; ils seront bien vêtus, en bonne santé, ils feront montre de cette confiance virile que procure la situation de propriétaire ; ils deviendront des citoyens productifs. Certains de leurs descendants pourront jouer un rôle important dans la conduite des affaires de notre Amérique de demain. La plupart d’entre eux sont pâles et émaciés à cause de la longueur du voyage et de la médiocrité des provisions qui ont assuré leur survie. Le nombre des enfants semble aussi grand que celui des adultes ; tous ont payé pour être conduits ici. Le capitaine nous a dit que c’étaient des gens calmes, paisibles et sans malice, qui n’ont jamais vécu en ville. C’était là une cargaison de bonne valeur ; à de rares exceptions, ils semblaient tous être dans la force de l’âge. Par une affection spontanée ou par humanité, des citoyens en ont amené plusieurs dans leurs maisons ; la ville, dans sa sagesse et son humanité habituelles, ordonna qu’ils soient tous logés dans des baraquements et qu’on leur donne abondance de provisions. Mon ami en choisit un lui aussi, accompagné de son épouse et d’un fils âgé d’environ quatorze ans, et le conduisit dans sa maison. L’année précédente, la majorité d’entre eux avaient acheté de la terre par l’entremise d’un agent ; le reste s’en remettait entièrement à la chance ; celui qui nous a suivi était de ces derniers. Le pauvre homme ! Il a souri en recevant l’invitation et l’a acceptée avec plaisir en ordonnant, dans un langage que je n’ai pas compris, à son épouse et à son fils de faire de même. Il regardait tout ce qu’il voyait avec une attention soutenue ; les maisons, les habitants, les nègres et les attelages : tout était nouveau à ses yeux et
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nous avons avancé lentement, de façon à lui laisser le temps de se repaître de ce plaisant spectacle. Bon Dieu ! a-t-il dit, est-ce là Philadelphie, cette ville bénie, de pain et de provisions, dont j’ai tellement entendu parler ? On m’a dit qu’elle a été fondée la même année qu’est né mon père ; eh bien ! elle est plus belle que Greenock et Glasgow, qui ont dix fois son âge. En effet, lui a dit mon ami, et lorsque cela fera un mois que tu auras été ici, tu comprendras bientôt qu’elle est la capitale d’une belle province dont tu vas devenir le citoyen ; Greenock ne jouit ni d’un pareil climat ni d’un pareil sol. Ainsi nous déplacions-nous doucement lorsque nous avons croisé plusieurs grands fourgons à six chevaux, tout juste arrivés de Lancaster28, à l’intérieur du pays. À la vue de ce prodige, il s’arrêta de marcher et nous demanda timidement quelle était l’utilité de ces vastes maisons roulantes et d’où venaient ces gros chevaux ? N’en avez-vous pas de pareils chez vous ? lui ai-je demandé. Oh non : ces énormes animaux mangeraient toute l’herbe de notre île ! Nous avons fini par rejoindre la maison de mon ami qui, avec une franche hospitalité, les fit s’asseoir tous les trois devant un bon dîner et leur donna autant de cidre qu’ils pouvaient en boire. Dieu bénisse ce pays et les bonnes gens qui l’habitent, dit-il ; ceci est le meilleur repas de victuailles que j’ai fait depuis longtemps. — Je vous remercie sincèrement. De quelle région d’Écosse viens-tu, l’ami Andrew ? demanda monsieur C. Certains d’entre nous venons de la terre ferme, d’autres de l’île de Barra, répondit-il. — Je suis moi-même un homme de Barra. Je regardai sur la carte et devinai aisément, en voyant sa latitude, que le climat de l’endroit doit être inhospitalier. Quel genre de terre avez-vous là-bas ? lui ai-je demandé. Bien mauvaise, dit-il ; nous n’avons pas autant d’arbres que j’en vois ici, pas de blé, pas de vaches, pas de pommes. J’ai alors fait la remarque que le pauvre doit y vivre bien difficilement. Nous n’avons pas de pauvres, a-t-il répondu, nous sommes tous dans la même situation, sauf notre seigneur, mais il ne peut venir en aide à tout le monde. Quel est, dites-moi, le nom de votre seigneur ? Monsieur Neiel29, dit Andrew ; il n’y en a pas d’autres comme lui sur les autres îles ; ses ancêtres, à ce qu’on dit, vivent là depuis trente générations. Vous pouvez vous imaginer, Messieurs, l’ancienneté des possessions de cette famille ! Mais il fait froid, le sol est mince et nous sommes peu nombreux : ce sont les raisons qui en poussent certains à venir tenter leur chance ici. Eh bien, Andrew, quels moyens comptez-vous prendre afin de devenir riche ? Je ne sais pas, Monsieur ; je suis un homme bien ignorant en plus d’être un étranger — je dois m’en remettre aux conseils de bons chrétiens ; je suis
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certain qu’ils ne me tromperont pas. J’ai apporté avec moi un certificat de bonne conduite de notre ministre de Barra : peut-il m’être de quelque utilité ici ? Oh oui, mais votre réussite future dépendra entièrement de votre propre conduite ; si vous êtes un homme sobre, ainsi que l’atteste le certificat, travailleur et honnête, il n’y a pas à craindre que vous réussissiez. Avez-vous apporté quelque argent avec vous, Andrew ? Oui, Monsieur, onze guinées et demi. Ma foi, c’est une somme considérable pour un homme de Barra ; comment êtes-vous venu à posséder tant d’argent ? Eh bien ! il y a sept ans, j’ai hérité trente-cinq livres d’un oncle qui m’aimait beaucoup ; mon épouse m’a doté, lorsque le seigneur me l’a donnée en mariage, de deux guinées que je n’ai pas touchées depuis. J’ai vendu tout ce que je possédais. J’ai travaillé quelque temps à Glasgow. Je suis heureux de savoir que vous êtes économe et prudent ; continuez de l’être ; vous devez aller vous engager auprès de quelques bonnes gens : que savez-vous faire ? Je sais un peu comment battre le blé et manier la bêche. Savez-vous comment labourer ? Oui, Monsieur, je manie la petite charrue à main que j’ai apportée avec moi. Elle ne fera pas l’affaire ici, Andrew ; vous êtes un homme habile : si vous en avez la volonté, vous apprendrez rapidement. Je vais vous dire ce que j’ai l’intention de faire ; je vais vous envoyer chez moi, où vous pourrez rester deux ou trois semaines et où vous devrez vous exercer au maniement de la hache, qui est le principal outil dont les Américains ont besoin, particulièrement les colons de l’arrière-pays. Est-ce que votre épouse sait filer ? Oui, elle sait. Bien ! Aussitôt que vous saurez manier la hache, vous irez vivre avec monsieur P. R., un de mes proches amis, qui vous donnera quatre dollars par mois pendant les premiers six mois et, par la suite, le prix habituel de cinq dollars tant que vous demeurerez avec lui. Je placerai votre femme dans une autre maison où elle filera et recevra un dollar et demi par semaine, et votre fils conduira l’attelage pour un dollar par mois. Vous aurez en plus de bonnes victuailles pour vous nourrir et de bons lits où vous étendre ; est-ce cela vous convient, Andrew ! Il comprenait à peine ce que je disais ; des larmes de franche gratitude coulaient de ses yeux tandis qu’il me regardait et ses paroles ne parvenaient pas à passer outre le tremblement de ses lèvres. — Ce silence en disait beaucoup ; il était également très émouvant de voir ainsi un homme de six pieds verser des larmes et elles n’ont en rien diminué la bonne opinion que je me faisais de lui. Il réussit finalement à me dire que mes offres étaient plus généreuses que ce qu’il méritait et qu’il commencerait par travailler pour ses victuailles. Non, non, ai-je dit : si vous êtes soigneux et sobre, et si vous faites de votre mieux, vous recevrez ce que
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je vous ai dit après avoir fait un peu d’apprentissage chez moi. Puisse Dieu vous récompenser pour toute votre bonté, dit Andrew ; je vous serai reconnaissant aussi longtemps que je vivrai et je ferai pour vous tout ce qu’il me sera possible de faire. Quelques jours plus tard, je les envoyai tous les trois à ––––––––––30, sur un fourgon de retour, afin qu’il puisse avoir une occasion de découvrir et de se convaincre par lui-même de l’utilité de ces machines qu’il avait tellement admirées la première fois qu’il les a vues. Les descriptions qu’il nous fit par la suite des Hébrides en général, et de son île natale en particulier, des coutumes et des mœurs des habitants, m’ont beaucoup intéressé. La stérilité du sol est-elle la raison pour laquelle il n’y a pas d’arbres là-bas, ou est-ce parce qu’on n’y en a pas plantés ? Que doit-on penser des familles de tous les rois régnant aujourd’hui sur la Terre lorsqu’on compare leur ancienneté à celle de la famille de M. Neiel ? En supposant que chaque génération s’étire sur une quarantaine d’années, cela donne une période de 1 200 ans : qu’importe la famille, il s’agit là d’une durée extraordinaire pour une descendance ininterrompue ! Si on se fie à la description qu’il nous a faite de ces contrées, ils semblent vivre selon les lois de la nature, lesquelles assurent à peine leur subsistance ; leur constitution physique n’a pas été contaminée par les excès et l’indolence parce que leur sol ne le leur permet pas. Leurs rations de nourriture ne sont pas très abondantes : c’est à la tempérance et à l’exercice perpétuels qu’ils doivent leur santé ; ainsi sont-ils amplement récompensés pour leur pauvreté. S’ils avaient seulement pu se procurer la nourriture nécessaire, ils n’auraient pas quitté cette terre ; ce n’est pas parce qu’ils étaient opprimés par leur patriarche ou leur gouvernement qu’ils ont émigré. J’aimerais bien voir s’établir dans notre province une colonie de ces honnêtes gens ; leur morale et leur religion semblent être aussi simples que leurs mœurs. Transférée sur un sol plus riche, cette société offrirait un spectacle intéressant. Mais peut-être qu’elle s’altérerait bien vite au contact de ce sol, car nos opinions, nos vices et nos vertus sont toutes liées au lieu que nous occupons ; nous sommes des machines modelées par les circonstances où nous nous retrouvons. Andrew est arrivé à ma maison une semaine avant moi et j’ai pu voir que, suivant mes instructions, mon épouse lui avait mis la hache à la main et qu’il s’était attelé à ses premières tâches. Pendant quelques temps, il a été très maladroit mais il était tellement docile, rempli de bonne volonté et reconnaissant, et son épouse l’était tout autant, que je ne pouvais douter qu’il réussisse. Tenant ma promesse, je les ai tous placés auprès de
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d ifférentes familles où on les aimait bien et qui ont été satisfaites d’eux. Andrew travaillait fort, vivait bien, prenait du poids et venait me rendre visite tous les dimanches sur un bon cheval que lui prêtait monsieur P. R. Le pauvre homme ! Cela lui en a pris du temps avant de pouvoir se tenir en selle et manier adéquatement les brides ! Je crois qu’il n’avait jamais monté pareille bête auparavant ; j’ai cependant préféré ne pas lui poser la question, de crainte de l’humilier. Après avoir été douze mois chez P. R., et après avoir touché ses gages ainsi que ceux de sa famille, lesquels montaient à quatre-vingt quatre dollars, il est venu me voir un jour de semaine pour me dire qu’il avançait en âge et qu’il aimerait bien posséder sa propre terre, qui lui procurerait une maison où trouver refuge dans sa vieillesse, et que lorsque ce temps serait venu, son fils, à qui il donnerait sa terre, l’y entretiendrait et qu’ils vivraient ainsi tous ensemble ; c’est pourquoi il avait besoin de mon conseil et de mon aide. J’ai pensé que son désir était bien naturel et louable, et je lui ai dit que j’allais y réfléchir mais qu’il devait demeurer un mois de plus avec monsieur P. R., qui avait 3 000 planches à fendre. Il y consentit immédiatement. Le printemps n’était pas encore assez avancé pour qu’Andrew puisse commencer à défricher quelque terre que ce soit, en supposant qu’il en ait acheté, car il est toujours nécessaire que les feuilles soient sorties afin que ce combustible supplémentaire puisse servir à brûler plus efficacement les tas de broussailles. Quelques jours plus tard, il arriva que toute la famille de monsieur P. R. alla assister au culte et laissa Andrew prendre soin de la maison. Alors qu’il était sur le pas de la porte, lisant la Bible avec attention, neuf Indiens tout juste descendus des montagnes ont soudainement fait leur apparition et se sont déchargés de leurs ballots de fourrures sur le plancher de la véranda. Imaginez, si vous le pouvez, la consternation d’Andrew devant ce spectacle extraordinaire ! Lorsque ces gens lui sont apparus, l’honnête Hébridéen les prit pour une bande de criminels venus piller la maison de son maître. Il s’est alors retiré précipitamment et, comme un fidèle gardien, a fermé les portes, mais comme la plupart de nos maisons sont sans serrures, il ne pouvait rien faire de plus que de bloquer le loquet avec son couteau et il a alors grimpé à l’étage à la recherche d’un sabre qu’il avait ramené d’Écosse. Les Indiens, qui étaient de proches amis de monsieur P. R., ont deviné ses soupçons et ses craintes ; ils ont énergiquement défoncé la porte et ont soudainement pris possession de la maison, de tout le pain et toute la viande qu’ils voulaient, et se sont assis près du feu. À cet instant, Andrew
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est entré dans la pièce son sabre en main ; les Indiens le regardaient avec sévérité et surveillaient attentivement ses mouvements. Andrew n’eut pas à réfléchir bien longtemps pour comprendre que son arme était inutile face à neuf tomahawks, mais cela ne diminua pas sa colère ; elle grandit au contraire en constatant la calme impudence avec laquelle ils dévoraient les provisions familiales. Incapable d’offrir de résistance, il les insulta vertement en écossais et leur ordonna de cesser et de partir ; à quoi les Indiens (ainsi qu’ils me l’ont raconté par la suite) ont répondu dans leur non moins rude idiome. Altercation bien inintelligible que celle-là, entre cet honnête homme de Barra et neuf indiens qui se moquaient bien de ce qu’il pouvait dire ! Finalement, il se risqua à poser la main sur l’un d’eux afin de le jeter hors de la maison. La loyauté d’Andrew prenait le dessus sur sa prudence et l’Indien lui fit comprendre avec des gestes qu’il allait le scalper tandis que les autres lançaient des cris de guerre. Ce bruit affreux effraya tellement le pauvre Andrew qu’oubliant son courage, son sabre et ses bonnes intentions, il se précipita dehors en les laissant maîtres de la maison et disparut. J’ai entendu depuis un de ces Indiens raconter qu’il n’avait jamais aussi franchement ri de toute sa vie. Après avoir pris ses distances, Andrew s’est rapidement remis de la peur que lui avait inspirée ce cri infernal et pensa qu’il n’avait d’autre recours que d’aller au lieu de culte, lequel était à environ deux milles de distance. Dans l’emportement de ses honnêtes intentions, le visage encore marqué par les signes de la frayeur, il appela monsieur P. R. pour le faire sortir et lui raconta, dans un style impétueux, que neuf monstres étaient venus dans sa maison — certains tout bleus, certains tout rouges et certains tout noirs ; qu’ils avaient dans leurs mains des petites haches qui leur servaient aussi à fumer et que, comme des Highlanders, ils ne portaient pas de culottes ; qu’ils étaient en train de dévorer toutes ses victuailles et que Dieu seul savait ce qu’ils allaient faire ensuite. Calmezvous, dit monsieur P. R., ma maison est aussi en sûreté avec ces gens que si j’y étais moi-même ; quand aux victuailles, ils sont franchement les bienvenus, honnête Andrew ; ce ne sont pas des gens bien cérémonieux ; ils se servent de la même manière chaque fois qu’ils sont chez leurs amis ; je fais de même sous leurs wigwams chaque fois que je vais dans leur village. Aussi vaut-il mieux que vous entriez entendre le reste du sermon et lorsque le service sera terminé, nous nous en retournerons tous ensemble dans le fourgon. À leur retour, monsieur P. R., qui parle très bien la langue des Indiens, expliqua tout ce qui s’était passé ; les Indiens se sont remis à rire et ont
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serré la main de l’honnête Andrew, à qui ils ont passé leur pipe pour le faire fumer ; ainsi la paix a-t-elle été faite et ratifiée selon la coutume indienne, par le calumet. Peu après cette aventure, le temps arriva de tenir la promesse que j’avais faite à Andrew de l’aider de mon mieux à s’établir ; dans ce but, je suis allé chez monsieur A. V., dans le comté de ––––––––––, qui, selon mes informations, avait acheté une portion de terre contiguë à l’établissement de ––––––––––. Je lui ai fidèlement décrit les progrès qu’Andrew avait accomplis dans le domaine des arts de la terre, son honnêteté, sa sobriété et sa reconnaissance, et je le pressai de lui vendre cent acres. Cela m’est impossible, dit monsieur A. V., mais je vais faire mieux ; tout autant que vous, j’aime encourager d’honnêtes Européens et les voir connaître la prospérité ; vous me dites qu’il n’a qu’un seul fils ; je vais leur louer cent acres pour le nombre d’années que vous désirez et rendre les choses plus profitables à votre Écossais que s’il les possédait en franc-alleu. De cette façon, il pourra, avec le peu d’argent qu’il possède, s’acheter une charrue, un attelage et du bétail ; il ne sera pas encombré de dettes et d’hypothèques ; ce qu’il fera pousser sera à lui ; s’il avait deux ou trois fils aussi habiles que lui, alors il me semblerait être en situation d’acheter en franc-alleu. Je suis de votre opinion et j’amènerai Andrew avec moi dans quelques jours. Eh bien ! honnête Andrew, dit monsieur A. V., en me fiant à votre bonne réputation, je vais vous offrir cent acres de bonne terre arable, le long de laquelle on tracera une nouvelle route ; on a déjà érigé un pont sur le ruisseau qui traverse la terre et il y a aussi un bon marais d’environ vingt acres. Voici mes conditions ; je ne peux vous vendre mais je vous louerai le lot que monsieur James, votre ami, a demandé ; vous ne payerez pas de loyer pendant les sept premières années ; ce que vous sèmerez et moissonnerez, ce que vous planterez et récolterez sera entièrement à vous ; ni le roi, ni le gouvernement, ni l’Église n’auront de droits sur votre future propriété ; par la suite, vous me donnerez douze dollars et demi par année et ce sera tout ce que vous aurez à me payer. Pendant les trois premières années, vous devrez planter cinquante pommiers et vous assécherez sept acres de marais avant la fin de la première moitié de la location ; ce sera à votre avantage : je vous paierai pour tout ce que vous accomplirez pendant cette période, cela au taux qui a cours dans le pays. Le terme de la location sera de trente ans ; qu’est-ce que vous en dites, Andrew ? Oh, c’est très bien, monsieur, mais je crains que le roi ou ses ministres, ou
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le gouverneur, ou des hommes d’autorité viennent me prendre la terre ; votre fils pourrait me dire, à un moment donné : Andrew, ceci est la terre de mon père, vous devez l’abandonner. Non, non, dit monsieur A. V., ce danger n’existe pas ; le roi et ses ministres sont trop intègres pour s’accaparer le travail d’un pauvre colon ; nous n’avons pas d’hommes d’autorité par ici : c’est aux lois que nous nous soumettons ; mais afin de faire disparaître vos craintes, je vous dresserai un bail de façon à ce que vous n’ayez personne à craindre. Si jamais la terre ne vous satisfait pas, un jury constitué de vos propres voisins évaluera toutes les améliorations que vous y aurez apportées et vous serez payé en accord avec leur verdict. Vous pourrez vendre votre location ou, si vous mourez, vous pourrez préalablement en disposer comme si la terre était vôtre. Une expression de grande joie cherchait à s’exprimer sur son visage, où elle se mêlait à des signes d’étonnement et de confusion. Me comprenez-vous bien ? demanda monsieur A. V. Non monsieur, répondit Andrew ; je ne sais rien de ce que vous voulez dire avec les mots loyer, amélioration, testament, jury, etc. C’est compréhensible, nous t’expliquerons ces choses en temps et lieu. Il faut reconnaître que c’étaient là des mots difficiles, qu’il n’avait jamais entendus de sa vie, car selon ce qu’il avait pu raconter, les idées qu’ils évoquaient étaient sans utilité sur l’île de Barra. Aussi n’est-il pas étonnant qu’il ait été embarrassé car comment un homme qui, depuis sa naissance, pouvait à peine agir selon sa volonté, aurait-il pu s’imaginer que ses dernières volontés puissent s’accomplir après sa mort ? Comment une personne qui n’a jamais rien possédé pouvait-elle concevoir que ses droits de possession puissent se perpétuer même après qu’elle ait été mise dans sa tombe ? Je pense pour ma part que la stupéfaction d’Andrew n’impliquait pas un niveau extraordinaire d’ignorance ; il était comme un acteur qu’on aurait introduit dans une nouvelle scène : il fallait lui accorder un peu de temps jusqu’à ce qu’il s’habitue au rôle qu’il avait à jouer. Il fut cependant bien vite éclairé et familiarisé avec ces mystères qui n’en sont plus pour nous qui sommes nés en Amérique. Voilà donc l’honnête Andrew investi de toutes les prérogatives municipales conférées par cette situation : être propriétaire, avoir droit de vote, un lieu de résidence, être un citoyen de la province de Pennsylvanie. Les premiers espoirs d’Andrew, et les lointains projets qu’il avait conçus alors qu’il était sur l’île de Barra, étaient à la veille de se voir réalisés ; aussi peut-on aisément lui permettre quelques exclamations spontanées qu’il serait inutile de répéter ici. Cette petite histoire est facile à raconter ; il
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suffit de peu de mots pour décrire ce soudain changement de situation ; mais c’est graduellement que son esprit s’est accoutumé à la chose et cela lui a pris plus d’une semaine avant de croire qu’il pouvait posséder des terres sans débourser le moindre argent. Peu de temps après, il commença ses préparatifs ; je lui avançai un tonneau de porc et 200 livres de viande, et lui fit acheter en plus tout ce qui lui était nécessaire. Il partit et loua une chambre dans la maison du colon le plus proche de sa terre. Sa première tâche fut d’assécher quelques acres de marais, de façon à avoir l’année suivante des provisions de foin pour ses deux chevaux et ses vaches. Dès le premier jour où il commença à travailler, il fut infatigable ; son honnêteté lui attira des amis, et son industrie l’estime de ses nouveaux voisins. L’un d’eux lui offrit deux acres de terre défrichée afin qu’il puisse y planter du maïs, des citrouilles, des courges et un peu de patates dès sa première saison. Les hommes apprennent à une vitesse étonnante lorsqu’ils travaillent pour eux-mêmes. Deux mois plus tard, je voyais avec plaisir Andrew derrière sa charrue tirée par deux chevaux et traçant fort droit ses sillons ; l’homme qui bêchait l’île de Barra labourait désormais le sol américain. Beau travail, Andrew, ai-je dit, beau travail ; je vois que Dieu vous aide et vous guide dans vos travaux ; je vois que vos sillons et vos tournières sont sur la voie de la prospérité. Faites pousser avec soin et attention cette récolte de maïs et vous deviendrez maître de votre art. Comme il n’avait pas de moissons ni de récoltes à faire en cette année, je lui dit que le temps était venu de construire sa maison et que dans ce but j’allais moi-même inviter le voisinage à une corvée ; de cette façon, en une journée, on érigerait une vaste demeure et on défricherait un peu de ses hautes terres. Le jour convenu, monsieur P. R., son vieil ami, est venu avec toute son équipe et des victuailles en abondance ; j’ai fait de même. Une quarantaine de personnes se sont présentées ; les chansons et les histoires drôles faisaient le tour des bois d’un groupe à l’autre ; de tous les côtés, des arbres tombaient, des broussailles étaient coupées et amoncelées ; et tandis que beaucoup s’employaient ainsi, d’autres tiraient les gros rondins avec leurs attelages jusqu’à l’endroit qu’Andrew avait choisi pour ériger sa nouvelle résidence. Nous avons tous dîné dans les bois ; dans l’après-midi, les rondins ont été glissés en place avec l’équipement usuel ; ainsi se dressa la maison rudimentaire et furent défrichés, éclaircis et nettoyés plus de deux acres de terre.
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Pendant que s’accomplissaient ces différentes opérations, Andrew était absolument incapable de travailler ; c’était à ses yeux la plus solennelle des célébrations ; cela lui aurait été sacrilège de la pervertir par quelque basse occupation. Le pauvre homme l’a sanctifiée avec de la joie, des actions de grâce et d’honnêtes libations — il allait de l’un à l’autre avec la bouteille en main, invitant chacun à y boire et y buvant lui-même pour donner l’exemple. Il passa toute la journée à sourire, à rire et à balbutier quelques mots ; son épouse et son fils y étaient eux aussi mais comme ils ne pouvaient comprendre la langue, ils ne pouvaient participer à ce bonheur que dans leur imagination. Le puissant seigneur et le riche marchand ne peuvent ressentir, à la vue de leurs superbes manoirs, la moitié de la joie et de l’authentique bonheur que ressentait et auxquels prenait plaisir ce jour-là cet honnête Hébridéen malgré le fait que cette nouvelle résidence, érigée au beau milieu des bois, n’était rien de plus qu’un carré constitué de vingt-quatre gros rondins gauchement équarris s’encastrant les uns dans les autres aux extrémités. Lorsque le travail fut fini, la compagnie fit résonner les bois au son de ses trois hourras et des sincères souhaits de prospérité qu’ils adressaient à Andrew. Il ne pouvait rien dire mais il serra la main de tout le monde, les yeux remplis de larmes de reconnaissance. Ainsi, depuis le premier jour de son débarquement, Andrew a-t-il marché en direction de cet important événement ; ce jour mémorable ensoleilla cette terre qu’il allait ensemencer de blé et de céréales. Ce qui n’était qu’un marais avant qu’il l’assèche s’étendait au pas de sa porte ; autour de lui se répandaient les odeurs du pain, du lait et de la viande de demain. Peu de temps après, il engagea un charpentier qui monta un toit et couvrit les planchers ; une semaine de plus et la maison était adéquatement plâtrée, et la cheminée était terminée. Il s’y installa et acheta deux vaches qui ont trouvé toute la nourriture qu’il leur fallait dans les bois — ses cochons ont tout autant profité. La même année, son fils et lui ont semé trois boisseaux de blé qui leur ont rapporté une récolte de quatre-vingt-onze boisseaux et demi ; je lui avais ordonné de tenir exactement le compte de tout ce qu’il pourrait faire pousser. Sa première récolte de maïs aurait été aussi bonne n’eût été des écureuils qui étaient un genre d’ennemis dont on ne pouvait se débarrasser avec un sabre. La quatrième année, j’ai fait l’inventaire, que je vous fais parvenir, du blé en possession de cet homme. Peu de temps après, d’autres se sont établis sur cette route et plutôt que d’être le dernier homme avant les étendues sauvages, Andrew se retrouva en quelques années au milieu d’une société nombreuse. Il en aida d’autres aussi généreusement que d’autres l’avaient aidé et j’ai mangé
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à plusieurs occasions à sa table en compagnie de ses voisins. La deuxième année, il fut nommé inspecteur des routes et servit comme juré dans deux petits procès, accomplissant tous les devoirs que le statut de citoyen demandait de lui. Celui qui se consacre à l’historiographie de quelque grand prince ou grand général ne ressent pas, lorsqu’il conduit son héros au terme d’une brillante campagne victorieuse, la moitié du profond plaisir que j’ai eu à conduire Andrew à la situation qui est désormais la sienne : il est indépendant et à l’aise. Les triomphes et les honneurs militaires n’aboutissent pas toujours sur ces deux bienfaits. Il n’est pas encombré de dettes, de services à rendre, de loyers ou d’aucune autre échéance ; les succès d’une campagne, les lauriers de la guerre se paient au prix le plus cher, qui fait trembler et frémir d’horreur tout citoyen réfléchi et de bon sens. Grâce au relevé ci-joint, vous pourrez facilement prendre connaissance des heureux résultats que, dans ce pays, la sobriété et l’esprit d’entreprise ne cessent de donner lorsqu’ils s’unissent à la qualité de la terre et à la liberté. Le relevé des biens qu’ils a acquis en quatre ans grâce à ses propres mains et à celles de son fils se lit comme suit : La valeur de ses travaux et de la location Six vaches à 13 dollars Deux juments de reproduction Le reste du bétail Soixante-treize boisseaux de blé Argent qu’on lui doit sur billet Porc et bœuf en son garde-manger Laine et lin Charrues autres outils de ferme 240 £. devise de Pennsylvanie — dollars
dollars 225 78 50 100 66 43 28 19 31 ______ 640
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Lettre IV Description de l’île de Nantucket, des mœurs, des coutumes, du gouvernement et du commerce de ses habitants1
L
plus grand compliment que l’on puisse faire au meilleur des rois, au plus sage des ministres ou au plus patriote des dirigeants, est de croire que leur principal objectif est de contribuer à l’abolition des injustices politiques et au bonheur de leur peuple. Mais il semble, hélas, qu’il soit désagréable de s’engager dans ces œuvres de réforme et qu’on craigne d’entreprendre ce travail car nous n’avons vent d’aucun changement ; au contraire, les émigrants Européens qui, chaque année, arrivent ici en grand nombre, nous apprennent que le poids des taxes, l’injustice des lois, la tyrannie du riche et l’oppressante avarice de l’Église sont toujours aussi intolérables. En finira-t-on, un jour, avec ces calamités ? Les grands dirigeants de la Terre n’ont-ils pas peur de perdre graduellement les meilleurs de leurs sujets ? Ce pays, dont le destin providentiel est d’être un asile pour le reste du monde, connaîtra la prospérité grâce à l’oppression de leurs peuples ; jour après jour, ils développeront une meilleure connaissance du bonheur dont nous jouissons et chercheront les moyens de se transporter ici en dépit de tous les obstacles et des lois. Dans quel but les époques qui nous ont précédés nous ont-elles transmis tant de livres utiles et de préceptes divins ? — Sont-ils tous aussi vains et inutiles ? Le droit de vivre selon les lois de la nature humaine doit-il être à jamais réservé au petit nombre, et les nombreuses entorses à ces lois demeurer des blessures ouvertes ? Comme nous sommes heureux, ici, d’avoir eu la chance d’échapper aux misères qu’ont connues nos pères ! Comme nous devrions être reconnaissants d’avoir été élevés par eux sur une terre où la sobriété et l’esprit d’entreprise ne manquent jamais de recevoir les plus grandes récompenses ! Vous avez assurément lu plusieurs histoires de ce continent ; il est cependant mille faits, mille explications qui leur échappent. Leurs auteurs vous feront connaître la géographie de ce pays, l’étendue de plusieurs de ses établissements, l’histoire de la fondation de nos villes, l’esprit de nos différentes chartes, etc. ; cependant, ils ne s’attardent pas suffisamment au génie des gens, à leurs multiples coutumes, à leurs manières de pratiquer l’agriculture, aux innombrables ressources permettant à la personne industrieuse de se faire aisément une situation confortable. Peu de ces écrivains ont résidé ici et ceux qui l’ont fait n’ont pas e
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traversé toutes les régions du pays, ni étudié avec attention la nature et les principes de notre association. Ce serait une tâche digne d’un grand homme d’esprit que de se pénétrer intimement de la condition et du caractère de la population, cela de la Nouvelle-Écosse jusqu’à la Floride occidentale ; l’histoire ne propose assurément pas de spectacle plus agréable. Conscient du fait que je ne suis pas en mesure de vous guider au sein d’un aussi vaste dédale, cherchons plutôt un petit coin de pays qui serait passé inaperçu ; mais dans quelle direction devrions-nous chercher afin de le trouver ? D’innombrables établissements se proposent immédiatement à notre attention, se distinguant les uns des autres par quelque particularité ; ce sont tous des endroits où semble régner le plus grand des bonheurs qu’un homme de bien puisse souhaiter à ceux de sa race. Ici, ils vivent de la pêche sur les côtes les plus poissonneuses du monde ; là, ils abattent des arbres le long de larges rivières pour faire des mâts et du bois de charpente ; ici, d’autres convertissent d’innombrables rondins en bonnes planches ; là, d’autres cultivent la terre, élèvent du bétail et défrichent de vastes champs. Mais j’ai en vue un endroit qui, bien qu’on ne s’y occupe à aucun travail de ce genre, vaudra je l’espère la peine de notre visite ; car l’aridité de son sol, la petitesse de son étendue, l’inconvénient de son emplacement et le fait qu’il soit privé de matériaux de construction font qu’il semble avoir été habité dans le seul but d’être l’illustration de ce que l’humanité peut accomplir lorsqu’elle est bien gouvernée. Je veux porter à votre attention les résultats de la plus fructueuse des industries, des cas de sagesse naturelle développée sans l’aide de la science, les heureuses récoltes d’une persévérance de bon aloi. C’est toujours pour moi un spectacle rafraîchissant lorsque, au fil de mon examen des diverses parties constituantes de cet immense tout, j’observe les travaux accomplis par ses habitants singulièrement récompensés par la nature ; lorsque je les vois vaincre leurs premières difficultés, vivre décemment dans l’aisance et doter leur descendance de l’abondante subsistance que leurs pères ont gagnée avec tant de mérites. Lorsqu’ils doivent leur prospérité à la clémence du climat et à la fertilité du sol, je m’en réjouis certes avec eux mais je ne demeure qu’un court moment en leur compagnie car ils ne font montre que de talents naturels et fort communs. Mais lorsqu’au contraire il leur faut fertiliser un endroit aride, lorsque je vois pousser de l’herbe là où rien ne poussait auparavant, des céréales récoltées dans des champs qui n’avaient jusque-là produits rien de mieux que des ronces, des habitations érigées là où on ne peut trouver aucun matériau de construction, la richesse acquise par les moyens les plus inhabituels, alors je me retrouve devant
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ce qui constitue l’objet préféré de mes réflexions. Je délaisse volontiers l’étude des autres établissements afin de jouir du spectacle de leurs sillons odoriférants ou de leurs riches vallées, et toutes mes inquiétudes disparaissent sur-le-champ lorsque je me retrouve en pareil endroit où tant de problèmes ont été résolus, où des efforts extraordinaires ont abouti à des résultats extraordinaires et où chaque obstacle naturel a été surmonté grâce à travail vigoureux. Je ne me propose pas d’écrire les annales de l’île de Nantucket — ses habitants n’en possèdent pas car ils ne constituent pas une race de guerriers. Je souhaite simplement faire le portrait de leur développement, depuis leur arrivée jusqu’à nos jours, et présenter les moyens par lesquels ils sont passés des plus humbles, des plus simples origines, à l’aisance et à la richesse qu’ils possèdent maintenant, ainsi que vous faire état de leurs coutumes, de leur religion, de leurs mœurs, de leur gouvernement et de leur mode de vie. La fondation de cet heureux établissement n’a pas été le fait, comme dans le cas de tant d’autres, d’une invasion, d’une pénétration accomplie par la force ou les effusions de sang ; son origine est le fruit de la nécessité et de la bonne volonté, et depuis lors cet harmonieux spectacle n’a pas connu d’interruption. — Aucune querelle politique ni religieuse, aucun démêlé avec les indigènes ni dispute d’autre sorte n’ont le moindrement secoué ou troublé cette société isolée. Ses fondateurs ne savaient pourtant rien de Lycurgue ou de Solon2 ; cet établissement n’a pas été le fait d’hommes éminents ou de puissants législateurs dont les connaissances auraient graduellement changé le cours de la nature. Ce singulier établissement s’est développé grâce à l’esprit d’entreprise et à la persévérance dont tous les hommes font naturellement montre lorsqu’ils sont protégés par un gouvernement qui ne demande presque rien en retour de sa protection, lorsqu’il leur est permis de profiter d’un système de lois rationnelles fondées sur une entière liberté. La bienveillance et l’humanité d’un pareil gouvernement conduisent nécessairement à cette forme de confiance en soi qui permet de mener à bien les entreprises les plus ardues et de connaître une réussite définitive. Croiriez-vous qu’un tas de sable d’environ vingt-trois mille acres, qui ne fournit ni pierres ni bois, ni prairie ni terre arable, puisse malgré tout se faire une fierté d’une jolie ville comptant de plus de 500 maisons, posséder au-delà de 200 vaisseaux, employer constamment jusqu’à 2 000 marins, nourrir plus de 15 000 moutons, 500 vaches, 200 chevaux et compter plusieurs citoyens riches de 20 000 livres sterling ! Ce sont pourtant là des faits incontestables. Qui
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aurait imaginé que des gens puissent abandonner un fertile et vaste continent, rempli des richesses de la plus abondante des végétations, couvert de bons sols, de soyeuses prairies, de riches pâturages, de toutes sortes de bois et de tous les autres matériaux nécessaires à une vie heureuse et confortable, pour s’installer en un endroit où pousse à peine un arbuste pour leur annoncer l’arrivée du printemps grâce au bourgeonnement de ses feuilles et pour les avertir de la proximité de l’hiver par leur chute ? Cette île aurait-elle été attenante aux rives de quelque ancienne monarchie, elle n’aurait été occupée que par quelques misérables pêcheurs qui, opprimés par la pauvreté, craignant sans cesse d’être écrasés sous le poids des taxes ou soumis aux armes des soldats, auraient à peine été capables d’acheter ou de construire de petites chaloupes de pêche. Au lieu d’être intrépides en affaires, comme le sont si remarquablement les habitants de cette île, ils se seraient craintivement confinés à des entreprises sans grande envergure ; ne s’engageant que dans de timides excursions, ils ne se seraient jamais sortis de leur première misère. Cette île compte au contraire 5 000 robustes personnes qui tirent avec intrépidité leurs richesses de l’élément qui les entoure et qui ont été poussées par la stérilité du sol à chercher au loin leurs moyens de subsistance. L’énumération de ces faits ne doit pas vous faire croire qu’ils ont joui de quelque privilège exclusif ou de chartes royales, ou qu’ils ont été choyés par quelque exemption particulière dans les premiers temps de leur établissement. Non ; c’est grâce à la liberté, à leur adresse, à leur probité et à leur persévérance que tout a été accompli et qu’ils ont été graduellement conduits à occuper le rang qui est maintenant le leur. J’espère que cette première esquisse saura justifier ma partialité envers cette île. Vous ne saviez sans doute pas qu’il existait quelque chose de semblable dans les environs de Cape Cod. Il s’est passé là la même chose qui s’est passée et qui se passera partout ailleurs. Remettez aux hommes la totalité des récompenses que mérite leur travail, permettez-leur de jouir des fruits de leurs peines à l’ombre paisible de leur vigne et de leur figuier ; laissez-les suivre, libres et sans entraves, le cours naturel de leurs activités comme un beau cours d’eau sans barrage ni autres obstacles : ces récompenses assureront la fertilité de la terre sur laquelle ils marchent ; cette liberté se révélera être une rivière navigable, répandant l’abondance et la joie quel que soit le chemin que lui dicte la déclivité du sol. La réputation de ces gens ne tient pas à leurs façons de tracer d’odoriférants sillons dans la plaine ; le terrain qu’ils labourent est bien plus accidenté : c’est l’océan ; c’est à sa surface, en parcourant d’immenses distances et avec des labeurs
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herculéens, qu’ils récoltent leurs richesses ; ils vont chasser et attraper cet énorme poisson qu’on pourrait croire, à cause de sa force et de sa vélocité, hors de portée de l’homme. Cette île n’a rien qui mérite l’attention si ce n’est ses habitants ; ici, vous ne trouverez aucun ancien monument ni spacieuses salles de réception, ni temple solennel, ni demeure élégante, pas de citadelle ni aucune sorte de fortifications, pas même de batterie de canons pour déchirer l’air de leurs coups sonores en quelque occasion solennelle. Quant à leurs établissements ruraux, ils sont nombreux mais tous de la plus simple et plus utile sorte. L’île de Nantucket, dont je vous envoie ci-joint une carte dessinée par le docteur James Tupper, fils du shérif de l’île3, se situe à 41° 10’, à 100 milles au nord-est de Cape Cod ; 27 milles au nord de Hyannis, ou Barnstable, une ville sur la partie la plus proche de la grande péninsule ; 21 milles à l’ouest, vers le nord, de Cape Poge, sur Martha’s Vineyard ; 50 milles à l’ouest, vers le nord, de Woods Hole, sur l’île Elizabeth ; 80 milles au nord de Boston ; 120 milles du Rhode Island ; 800 milles au sud des Bermudes4. Un tableau indicateur est ci-dessous joint à la carte*.2 Sherburn5 est la seule ville de l’île, laquelle est constituée d’environ 530 maisons dont la structure a été montée sur le continent ; elles sont couvertes de lattes et plâtrées à l’intérieur, joliment peintes et recouvertes de bardeaux ; chacune d’elles possède une cave, construite de pierres elles aussi apportées du continent ; elles sont toutes d’une construction et d’une apparence similaires : simples et entièrement dénuées d’ornements intérieurs ou extérieurs. Je n’en ai vu qu’une seule qui était
* Tableau indicateur de la carte de Nantucket 1. Coatue Point. 17. Le Hummock Pond. 2. Brant Point, sur laquelle se trouve le phare. 18. Quaise, terrain de grande valeur. 3. Eel Point. 19. Pâturage de moutons. 4. Smith Point. 20. Le terrain appelé Polpis. 5. Anses d’anguilles amères. 21. Les maisons de pêche de Siasconset. 6. Terrain de Siasconset. 22. Sesachacha Pound. 7. Great Point. 23. Coskata Pond, regorgeant 8. La ville, les quais et les débarcadères. de canards noirs. 9. Lagune d’eaux peu profondes, où les 24. East Pond, célèbre pour les bernaches habitants s’approvisionnent en huîtres. cravants. 10. Le terrain de Coskata. 25. Le North Pond. 11. Squam. 26. L’île de Tuckernuk. 12. Long Pond. 27. Plage sud. 13. Le Washing Pond. 28. Port de Madaket. 14. Miacomet Pond. 29. Falaise de sable de Capaum. 15. La barre, de neuf pieds d’eau. 30. Les falaises. 16. Les lots Tetawkemmo. 31. Prairie de New Town. 32. Tom Nevers Head, un promontoire.
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Figure 8. Carte de l’île de Nantucket. Attribuée à James Tupper. Letters from an American Farmer, 1782. Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
construite en briques, qui appartient à monsieur ––––––––––, mais comme les autres, elle n’est pas décorée. La ville repose sur une banc de sable s’élevant du côté ouest du havre, lequel est à l’abri de tous les vents. Il y a deux lieux de culte, l’un pour la Société des Amis, l’autre pour les presbytériens, et au milieu de la ville, près du marché, se dresse un édifice tout simple, qui est le siège de la cour du comté. La ville s’élève régulièrement vers la campagne, et il y a, à proximité, plusieurs petits champs et jardins qu’on engraisse année après année avec la bouse des vaches et la terre des rues. On a planté un bon nombre de cerisiers et de pêchers sur les bords des rues et en plusieurs autres endroits ; le pommier ne s’y développant pas bien, on en a donc planté fort peu. L’île ne présente pas de montagnes ; elle est malgré tout très inégale, couverte de nombreux terrains surélevés et de promontoires dominant plusieurs vallées où se sont formés divers marais et où le faux sorgho penché et le pâturin typique à ce genre de sol poussent en assez grande abondance. Certains des marais abondent en tourbe, laquelle remplace le bois de chauffage chez les pauvres. Il y a quatorze étangs sur cette île, tous très utiles ;
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certains d’entre eux, qui s’étendent en travers de l’île sur presque toute sa largeur, servent à diviser les lots à l’usage du bétail ; d’autres abondent en poissons particuliers et en oiseaux de mer. Leurs rues ne sont pas pavées mais cela cause peu d’inconvénients dans la mesure où elles ne sont jamais remplies de voitures de campagne et ils se servent rarement de leurs voitures de ville, sauf au moment de l’arrivée et avant le départ de leurs flottes. La première fois que j’y ai débarqué, j’ai été très surpris de la désagréable odeur que j’ai sentie en plusieurs endroits de la ville ; elle est causée par l’huile de baleine et elle est inévitable : la propreté particulière de ces gens ne peut ni l’éliminer ni la prévenir. Près des débarcadères se trouvent un très grand nombre d’entrepôts où sont conservés leur principale marchandise de même que les innombrables matériaux dont on a sans cesse besoin afin de réparer et d’équiper un si grand nombre de baleiniers. Ils ont trois quais, longs de trois cents pieds chacun et très pratiques, au bout desquels il y a dix pieds d’eau. Ces quais sont, comme ceux de Boston, construits de rondins ramenés du continent, remplis de pierres et couverts de sable. Entre ces quais et la ville, il y a suffisamment d’espace pour le débarquement de leurs produits et le passage de leurs nombreuses charrettes car, ici, presque chaque homme en possède une ; les débarcadères du nord et du sud sont construits des mêmes matériaux et donnent à l’étranger, lors de son premier débarquement, une haute idée de la prospérité de ces gens ; il y a assez d’espace autour de ces trois quais pour 300 vaisseaux. Lorsque leurs flottes ont connu le succès, le remue-ménage et l’empressement des affaires qui, après leur arrivée, agitent pendant plusieurs jours cet endroit, pourraient vous faire croire que Sherburn est la capitale d’une très opulente et vaste province. Un très joli phare se dresse sur la pointe de terre formant le versant ouest du havre ; la péninsule opposée, appelée Coatue, le protège des vents les plus dangereux. Il y a peu de jardins et de champs arables dans le voisinage de la ville car rien ne peut être plus stérile et sablonneux que cette partie de l’île ; cependant, avec une infatigable persévérance, en apportant divers engrais et par l’étalement de fumier, ils ont enrichi plusieurs endroits où ils font pousser du maïs, des patates, des citrouilles, des navets, etc. Sur la plus haute partie de ce promontoire sablonneux, quatre moulins à vent moulent le grain qu’ils font pousser ou qu’ils importent ; près de ces derniers, on peut voir leur corderie où ils fabriquent une bonne moitié de leurs cordages. Entre les rives du havre, les quais et la ville se trouve la meilleure des étendues de prairie, délimitée et fertilisée à un prix et avec des souffrances qui
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démontrent combien l’herbe est nécessaire et précieuse à Nantucket. Vers la pointe de Shimmo, l’île est plus plate et le sol est meilleur ; on y trouve de grands terrains, bien clôturés et richement fertilisés où ils mettent toute leur application à faire pousser leurs récoltes annuelles. Il y a très peu de fermes sur cette île parce qu’il y a peu d’endroits qu’on puisse cultiver sans avoir besoin de bouse ou d’autre engrais qu’il est très coûteux de ramener du continent. Les lettres patentes de l’île ont été accordées en 1671 à vingt-sept propriétaires par la province de New York, laquelle réclamait alors toutes les îles depuis Navesink jusqu’à Cape Cod. Elle leur apparut être si aride et inapte à la culture qu’ils agréèrent de ne pas la diviser entre eux car aucun ne pourrait vivre du lot qui pourrait lui être alloué, ni l’améliorer. Ils ont alors fait porter leurs regards sur la mer et, se retrouvant dans l’obligation de devenir des pêcheurs, ils ont cherché un havre et, après l’avoir trouvé, ils ont décidé de construire une ville dans son voisinage et de s’établir ensemble. À cette fin, ils ont mesuré le sol de façon à attribuer à chacun d’eux ce qui est communément appelé ici un lot domiciliaire. Quarante acres semblaient suffire afin d’atteindre ce double objectif, car pourquoi auraient-ils convoité plus de terre qu’ils pourraient en cultiver ou auraient-ils délimité avec précision l’étendue d’un nouveau domaine qui ne présentait même pas un seul arbre ? Telle était toute la propriété qui leur était allouée ; ils agréèrent de posséder le reste en commun et, constatant que les maigres herbes de l’île pourraient nourrir des moutons, ils agréèrent que chaque propriétaire aurait le droit, s’il le désirait, de nourrir 560 têtes. Selon les termes de cette entente, le troupeau national devait compter 15 120 bêtes, lesquelles pouvaient paître sur toute la partie indivise de l’île ; cette dernière était théoriquement subdivisée en autant de portions ou de quotes-parts qu’on pouvait compter de troupeaux privés, auxquelles on n’allouait cependant aucune superficie précise car ils ne savaient pas quelle était l’étendue de l’île et même le plus habile des arpenteurs n’aurait pu établir ni la qualité ni la superficie de cette petite quotepart. Il agréèrent de plus que, si la culture de l’herbe devait s’améliorer grâce à l’ensemencement, alors quatre moutons représenteraient une vache et deux vaches, un cheval. Tel est le moyen qu’ont pris ces sages personnes afin de jouir en commun de leur nouvel établissement ; tel était leur mode de vie aux premiers temps de leur établissement, un mode de vie auquel on peut proprement donner l’appellation de pastoral. Depuis, ces terrains ont été divisés en plusieurs centaines de titres de pâturages à moutons, lesquels sont maintenant en culture ; au fil des héritages et des mariages,
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le reste des terres a été tellement subdivisé qu’il est très commun pour une fille de ne posséder rien d’autre que son trousseau et quatre pâturages à moutons ou le privilège de nourrir une vache. Ces titres de pâturages à moutons sont cependant théoriques, même s’ils peuvent être un jour ou l’autre convertis en droits concrets sur quelque autre lopin de terre ; vous devez malgré tout vous les représenter comme quelque chose de plus précieux et d’une plus grande valeur que le simple droit de pouvoir faire paître une vache, ce qui les assimilerait à rien de plus qu’un droit de passage. Parce que leur travail rapporte moins et que leurs aventures en mer peuvent être malheureuses, chaque personne possédant un nombre suffisant de ces titres de pâturages à moutons peut, à un moment donné, les échanger contre un terrain particulier que le conseil des propriétaires jugera être représentatif de leur valeur ; c’est la raison pour laquelle ces gens ne cèdent ces petits droits qu’à très grand regret et qu’ils les ont plus en estime que vous pourriez l’imaginer. Ils représentent une future propriété en franc-alleu ; ils nourrissent, dans l’esprit de leur possesseur, un espoir latent, bien que distant : grâce aux succès qu’il connaîtra au cours de sa prochaine saison de chasse à la baleine, il pourra être en mesure d’arrêter son choix sur quelque endroit de prédilection et de s’y bâtir une demeure où il pourra se retirer et y passer en paix les derniers jours de son existence. Il y a toujours eu un conseil de propriétaires sur cette île, lequel résout les disputes territoriales ; leurs titres, de même que tous les transferts de propriétés et les autres ventes, sont enregistrés dans les livres du comté dont cette ville est le chef-lieu. Cette île n’offre guère d’objets dignes de l’attention du naturaliste6 ; elle semble être le sommet inégal d’un montagne sablonneuse sous-marine, couverte ici et là d’oseille, d’herbe, de quelques haies de cèdres et de chênes broussailleux ; la valeur de leurs marais tient bien plus à leur tourbe qu’au peu de pâturage qu’ils offrent ; les terrains dont les pentes conduisent aux rivages de la mer abondent en élyme des sables, un maigre fourrage lorsqu’il est coupé et séché, mais très bon lorsqu’il est vert. Du côté est de l’île, ils ont plusieurs lots de prés salés, bien clôturés, qui produisent une quantité considérable de ce bon fourrage. Certains des nombreux étangs ou lacs qui abondent en cette île doivent leur origine à l’intrusion de la mer, comme le Weweeder, le Long Pond, le Hummock Pond et plusieurs autres, qui sont par conséquent salés, alors que les autres sont d’eau douce. Le Hummock Pond sert à deux choses de grande importance : il leur permet d’abord de diviser aisément leur île et lors de certaines marées hautes, un grand nombre de poissons y pénètrent, s’y nourrissent et grossissent, et
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à un moment précis de l’année, les habitants s’assemblent et démolissent les petites barres de sable que les vagues y jettent toujours ; l’étang se vide alors aisément de ses eaux et tandis que les poissons suivent leur élément naturel pour en sortir, les habitants, munis de filets appropriés, en attrapent aisément autant qu’ils veulent. Les poissons qui y sont les plus communs sont le bar rayé, le tassergal, la morue franche, le maquereau, le tautogue noir, le hareng, la plie, l’anguille, etc. La pêche est une des plus importantes distractions offertes par l’île. À l’extrémité ouest se trouve le havre de Madaket, formé par Smith Point au sud-ouest, par Eel Point au nord, et par l’île de Tuckernuk au nord-ouest, mais ce havre n’est pas aussi sûr et ne constitue pas un aussi bon mouillage que celui près duquel se dresse la ville. Il est percé de trois petites anses où on trouve les anguilles les plus amères que j’aie jamais goûtées. Entre les terrains de Polpis, à l’est, de Barnard Valley et de Miacomet Pond au sud, et le Hummock Pond à l’ouest, non loin de Shimmo Point, se trouve un considérable terrain plat, le moins sablonneux et le meilleur de l’île. Il est divisé en sept champs, dont l’un est ensemencé chaque année par les membres de la communauté qui en possèdent les droits. Cela s’appelle la plantation commune, une simple mais utile façon de faire, car si chacun des détenteurs de ce terrain devait clôturer sa propriété, cela demanderait une prodigieuse quantité de palissades et de poteaux qui, rappelez-vous, doivent être achetés et amenés du continent. Au lieu d’être subdivisés en parts privées, les lopins de terre de tous les hommes sont réunis dans le champ commun, qui est clôturé aux frais des partis, à l’intérieur duquel chacun fait ce qui lui plaît de sa propre portion de sol. Cette mise en commun économise une dépense bien concrète, beaucoup de travail, et fait peut-être naître parmi eux une sorte d’émulation qui pousse chacun à fertiliser sa part avec le plus grand soin et la plus grande attention. De cette façon, tous les sept ans, la totalité de ce terrain est cultivée et enrichie de fumier, et les labours laissent derrière eux un excellent pâturage où les vaches de la ville, au nombre de 500, sont conduites quotidiennement par les gardiens de troupeau de la ville et ramenées en bon ordre dans la soirée. Chaque animal retrouve facilement la maison à laquelle il appartient, où la vache est assurée d’être bien récompensée pour le lait qu’elle donne, les habitants de l’île étant fort conséquents à cet égard, en se faisant offrir du son, des céréales ou quelque préparation à base de farine. Ces terrains sont communément appelés les lots Tetawkemmo. Vous ne devez pas croire que chaque personne sur l’île est un propriétaire terrien ou occupé à des activités rurales ; non, la plus grande partie d’entre eux sont en mer, occupés à leurs
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différentes pêcheries ; les autres sont des étrangers venus s’établir comme artisans, manœuvres, etc., et même les natifs de l’île sont peu nombreux à posséder des portions de terre déterminées ; car, engagés dans les affaires de la mer ou du commerce, ils se contentent de la possession de quelques pâturages à moutons qui leur permettent d’avoir peut-être une ou deux vaches. Plusieurs n’en possèdent qu’un seul car ils ont un grand nombre d’enfants, ce qui a entraîné une telle subdivision des propriétés d’origine qu’il est devenu difficile de les définir ; et plusieurs de ceux qui ont été les plus fortunés en mer ont acheté et converti un grand nombre de ces droits de pâturage originaux. La meilleure terre de cette île est à Polpis, qui n’a rien de remarquable si ce n’est une maison de loisirs. Quaise est un petit terrain mais de grande valeur, acheté il y a longtemps par monsieur Coffin, qui y a érigé la meilleure maison de l’île. Grâce à un travail soutenu, à la proximité de la mer, etc., cet endroit fertile a été bien engraissé et est maintenant le jardin de Nantucket. Le long de sa côte ouest, il y a un petit cour d’eau sur lequel ils ont érigé un moulin à foulon ; sur la côte est, se trouve un lot connu sous le nom de Squam, également arrosé par un petit ruisseau, sur lequel se dresse un autre moulin à foulon. Il y a là de la bonne terre, qui produit de l’excellent trèfle, lequel est moissonné deux fois par année. Ces moulins préparent tout le tissu qui est fabriqué ici ; vous pouvez facilement imaginer qu’ayant un aussi grand troupeau de moutons, ils possèdent beaucoup de laine ; ils en exportent une partie et le reste est filé par leurs industrieuses épouses et transformé en bons vêtements. Vers le sud-ouest se trouve un grand segment de l’île, qui se démarque de luimême, connu sous le nom de Siasconset. C’est un terrain très inégal, où abondent les marais ; c’est là qu’ils engraissent leurs vaches ou les autres animaux qu’ils ont l’intention d’engraisser pour leur provisions d’hiver. C’est sur les rivages de cette partie de l’île, près du courant de Pochick, qu’ils attrapent leurs meilleurs poissons, tels que le bar, le tautogue noir ou matote noire, la morue, l’éperlan, la perche, la sardine, le brochet de mer, etc. Ils ont érigé quelques cabanes à pêche sur ce rivage, ainsi qu’à Sankaty Head et sur la plage de Sesachacha, où les pêcheurs s’installent pendant la saison de la pêche. Il pousse beaucoup de buissons de cèdre rouge et d’élyme des sables sur la péninsule de Coatue ; le sol est léger et sablonneux, et sert de refuge à des lapins. C’est là que leurs moutons s’abritent pendant les tempêtes de neige de l’hiver. Sur la partie nord de Nantucket se trouve une longue pointe de terre, qui s’avance loin dans la mer, appelée Great Point ; rien n’y pousse si ce n’est de l’herbe et c’est en partant de cet endroit qu’ils attrapent des marsouins et des requins par
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un moyen très ingénieux. Ils ont l’habitude de conduire leurs chevaux sur cette pointe au printemps afin qu’ils s’y nourrissent de l’herbe qui s’y trouve, laquelle ne sert plus à rien lorsqu’elle a atteint sa maturité. Entre cette pointe et le corps principal de l’île, se trouve un pré salé de grande valeur, appelée Coskata, et un étang du même nom réputé pour ses canards noirs. De là nous devons retourner à Squam, où abondent le trèfle et l’herbe à pâturage ; les propriétaires de ce terrain ne s’adonnent à aucune occupation maritime et ne négligent donc rien pour le rendre fertile et profitable. Le reste de l’île, qu’on n’a pas décrit, est libre d’accès et sert de pâturage commun pour leurs moutons. À l’ouest se trouve celle de Tuckernuk, où ils conduisent le jeune bétail au printemps pour qu’il s’y nourrisse ; on y trouve quelques chênes broussailleux et deux étangs d’eau douce où abondent les sarcelles, les bernaches cravants et plusieurs autres oiseaux de mer attirés sur cette île par la proximité de ses bancs de sable et de ses hauts-fonds où on en voit des milliers se nourrir à marée basse. Il n’y a ici ni loup ni renard ; les habitants qui vivent en dehors de la ville y élèvent donc en toute sécurité autant de volaille qu’ils le désirent ; leurs dindons sont très gros et excellents. En été, le climat est extrêmement agréable ; ils ne sont pas exposés au soleil brûlant du continent, la chaleur étant tempérée par les vents de la mer qui la rafraîchit sans cesse. En hiver, cependant, ils paient durement le prix de ces avantages ; il fait extrêmement froid ; le vent du nord-ouest, le tyran de cette contrée, après s’être échappé de nos montagnes et de nos forêts, parcourt une courte distance libre de tout obstacle et souffle avec une force redoublée, ce qui rend cette île froide et inconfortable. D’un autre côté, la qualité de leurs maisons, la chaleur de leurs feux et leur bonne humeur compensent amplement la rigueur de la saison, et les neiges n’y sont pas aussi abondantes que sur le continent. La nécessaire et inévitable inactivité de cette saison, associée au repos végétatif de la nature, force les hommes à suspendre leurs travaux ; pendant cette saison, il arrive souvent que plus de la moitié des habitants de l’île soit en mer, en train de pêcher sous de plus clémentes latitudes. Cette île, comme on l’a déjà signalé, semble être le sommet d’une énorme montagne sablonneuse fournissant quelques acres de terre sèche à l’habitation de l’homme ; d’autres montagnes sous-marines reposent vers le sud de cette dernière, à différentes profondeurs et à différentes distances. Cette dangereuse région est bien connue des marins sous le nom de bancs de Nantucket : ces remparts défendent solidement cette île contre la poussée du puissant océan et brisent la force de ses vagues qui, n’était de
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cette suite de barrières, auraient déjà dissout ses fondations et l’auraient mise en pièces. Ces bancs ont fourni aux premiers habitants de Nantucket leur subsistance quotidienne ; ces hauts-fonds ont été la source de la richesse qui est désormais la leur et l’école où ils ont commencé à apprendre comment s’aventurer au-delà de ces bancs lorsque le poisson s’est éloigné de leur côte. Les rivages de cette île abondent en mollusques à coquilles molles et à coquilles dures et en grandes palourdes de mer : des fruits de mer des plus nutritifs. Leurs sables et les hauts-fonds en sont couverts ; elles se multiplient très rapidement, ce qui en fait une ressource inépuisable. Avec les divers poissons qu’ils attrapent, elles constituent la principale nourriture des habitants. Elles étaient également celle des aborigènes que les premiers colons ont trouvés ici, dont la descendance vit encore, regroupée dans des habitations décentes le long des rives de Miacomet Pond, du côté sud de l’île. C’est une race industrieuse et paisible, aussi experte dans les entreprises maritimes que leurs compagnons blancs et les appréciant tout autant. Bien avant l’arrivée des premiers colons, ils se guerroyaient inutilement les uns les autres ; les colons ont apporté la paix avec eux car c’était afin de trouver la paix qu’ils avaient abandonné le continent. Cette île était alors sous la juridiction de New York, de même que les îles Elizabeth, Martha’s Vineyard, etc. ; depuis, elles ont été intégré à la province de Massachusetts Bay. Ce changement de juridiction leur a apporté la paix qu’ils désiraient et que leurs frères leur avaient si longtemps refusée du temps de leur fureur religieuse ; ainsi la persécution et l’enthousiasme ont-ils été, ici comme en Europe, à l’origine des entreprises les plus difficiles et ont indiqué la voie aux établissements qui se sont rapidement développés le long de ces rivages. Cette île, désormais incorporée à la province voisine, est devenue un de ses comtés, connu sous le nom de Nantucket, de même que l’île de Martha’s Vineyard l’est devenue sous celui de comté de Duke. Ils profitent des mêmes institutions municipales qu’on retrouve dans les autres comtés et, donc, de la présence de tous les officiers requis, tels que le shérif, le juge de paix, les superviseurs, assesseurs, constables, responsables des pauvres, etc. Leurs taxes sont similaires à celles de la métropole ; elles sont levées, comme chez nous, selon l’évaluation foncière, votées et établies en accord avec les lois de la province, et selon le taux d’imposition défini par les assesseurs qui sont désignés annuellement par la population et que leur fonction oblige soit à prêter serment, soit à faire une déclaration solennelle. Les deux tiers de leurs magistrats sont de la Société des Amis.
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Avant de continuer la présentation du gouvernement de cette population, de son industrie, de son mode de vie, etc.7, je crois qu’il est nécessaire de vous présenter une courte esquisse de la situation politique des indigènes quelques années avant l’arrivée des Blancs parmi eux. Ils se précipitent vers une annihilation totale et c’est peut-être la dernière fois qu’un voyageur pourra leur faire honneur. Ils n’ont pas été expulsés par la fraude, la violence ou l’injustice, comme cela a été le cas dans tant de provinces ; au contraire, les premiers colons les ont traités comme des frères ; le génie particulier de leur secte leur inspire le même esprit de modération qu’on trouve en Pennsylvanie. Avant l’arrivée des Européens, ils vivaient du poisson de leurs rivages et c’est de la même ressource que les premiers colons ont été contraints de tirer leur première subsistance. Il n’est pas certain que les droits originaux du comte de Sterling, ou ceux du duc de York, aient été fondés sur un achat en bonne et due forme ; en ce qui concerne cette question, quelle que soit l’injustice commise, elle ne peut pas être mise au compte des Amis qui ont acheté l’île à des personnes dont les droits tenaient certainement à un traité avec les Indiens. Si le nombre de ces derniers a aujourd’hui tellement diminué, ce n’est pas à cause de la tyrannie et de la violence, mais de l’une ou l’autre des calamités qui ont toujours eu les mêmes effets d’un bout à l’autre du continent, quel que soit l’endroit où les deux nations ont pu se mêler. Cet endroit sans importance, ainsi que les rivages de la grande péninsule, étaient remplis de ces gens ; la grande abondance de palourdes, d’huîtres et d’autres poissons dont ils se nourrissaient et qu’ils attrapaient aisément, avait prodigieusement augmenté leur nombre. L’histoire ne nous apprend pas de quelle nation les aborigènes de Nantucket tirent leur origine ; il est cependant très probable qu’ils aient anciennement émigré de la côte, peutêtre de Hyannis, qui n’est distante que de vingt-sept milles. Comme ils parlaient alors et parlent encore le natick, on peut raisonnablement supposer qu’ils devaient avoir quelque parenté avec cette nation, ou bien que les Naticks, comme les Hurons dans la partie nord-ouest de ce continent, aient été la nation dominante de cette région. En 1666, monsieur Eliot, un éminent ecclésiastique de la Nouvelle-Angleterre et un des premiers fondateurs de cette vaste colonie, a traduit la Bible dans cette langue, laquelle a été imprimée peu de temps après à Cambridge, près de Boston8 ; il a aussi traduit le catéchisme et plusieurs autres livres utiles qui sont encore très répandus sur cette île et dont font quotidiennement usage les Indiens qui apprennent à lire. Les jeunes Européens apprennent cette langue avec autant de facilité qu’ils apprennent la leur et, par la suite,
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les parlent toutes deux avec la même aisance et la même facilité. Les Indiens d’aujourd’hui sont-ils les descendants des anciens autochtones de l’île, ou les restes de plusieurs nations différentes qui ont jadis habité les régions de Mashpee et de Nobscusset sur la péninsule maintenant connue sous le nom de Cape Cod ? Nul ne saurait l’affirmer, pas même eux. Les personnes les plus sensées de l’île sont généralement de la seconde opinion. L’homme est si souvent dominé par ce qui le conduit à chercher querelle et à verser le sang, il est tellement enclin à semer la division et à prendre parti, que même les anciens indigènes de ce petit endroit étaient séparés en deux communautés et se faisaient la guerre avec acharnement, comme les plus puissantes tribus du continent. Quelle était, vous demanderezvous, la raison de ce conflit national ? Toute la côte de leur île abondait uniformément en poissons et en palourdes ; en pareille situation, il ne peut y avoir de jalousie ni de raisons à la colère ; l’intérieur de leur terre ne fournissait aucun gibier ; on pourrait croire que ce pays aurait dû être celui de l’harmonie et de la paix. Mais c’était sans compter sur le destin bien singulier de la race humaine, dont les instincts sont généralement inférieurs à ceux des animaux, au sein desquels les individus de la même espèce sont toujours amis ; bien qu’ayant grandi sous différents climats, ils comprennent le même langage ; les uns ne répandent pas le sang des autres, les uns ne mangent pas la chair des autres. Les membres de cette population primitive qui vivaient sur la côte est de l’île avaient, depuis des temps immémoriaux, tenté de détruire ceux qui vivaient sur la côte ouest ; ces derniers, inspirés par le même mauvais génie, n’étaient pas en reste de représailles ; ainsi ces gens étaient-ils perpétuellement en guerre, sans autre raison que le lieu accidentel de leur naissance et de leur résidence. Au fil du temps, les deux partis ont tellement diminué, se sont tellement dépeuplés que ceux qui restaient, craignant que leur race ne s’éteigne totalement, ont heureusement trouvé un moyen de se préserver d’une totale annihilation. Quelques années avant que les Européens arrivent, ils ont mutuellement accepté d’établir une ligne de partition divisant l’île du nord au sud ; les gens de l’ouest ont accepté de ne pas tuer ceux de l’est, sauf s’ils traversaient la ligne et pénétraient de leur côté ; ceux de l’est ont pris le même engagement. C’est de cette simple façon que la paix fut établie entre eux et cet événement est le seul qui puisse leur valoir le droit d’être appelés des hommes. Ainsi ont-ils mit fin à leurs déprédations sanguinaires ; personne n’est mort par la suite, sauf quelques individus téméraires et imprudents ; au contraire, ils se sont beaucoup multipliés. Mais un autre malheur les attendait ; lorsque les Européens sont arrivés,
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ils ont attrapé la petite vérole et leur traitement inapproprié de cette infection en emporta un grand nombre ; cette calamité a été suivie de celle entraînée par l’usage du rhum : telles sont les deux principales raisons de l’importante diminution de leur nombre, cela non seulement ici mais sur tout le continent. En certains endroits, des nations entières ont disparu. Il a de cela quelques années, trois canots indiens, à leur retour vers Détroit depuis les chutes du Niagara, ont eu la malchance de commercer avec des Européens qui leur ont transmis la petite vérole. Ils en ont été atteints près de la grande pointe du lac Érié, où ils ont tous péri ; leurs canots et leurs marchandises ont par la suite été retrouvés par des voyageurs se déplaçant sur le même chemin ; leurs chiens étaient encore en vie. En plus de la petite vérole et de l’usage des spiritueux, lesquels constituent les deux plus grandes malédictions qu’ils nous doivent, ils souffrent également d’une sorte d’apathie physique qui les frappe tout aussi durement d’un bout à l’autre du continent. Quel que soit l’endroit où il leur arrive de se mêler aux Européens, ou seulement de vivre dans leur voisinage, ils sont constamment victimes d’accidents et malheurs divers, comme certains types de fièvres qui leur étaient étrangères auparavant, et ils sombrent dans une singulière sorte d’indolence et de paresse. Ils ont partout souffert de la même chose, quel que soit l’endroit où on a retrouvé le même genre de situation, comme à Natick, Mashpee, Succonesset, dans les régions de Falmouth, Nobscusset, Housatonic, Manhasset et à Martha’s Vineyard. Les Mohawks eux-mêmes, qui comptaient jadis une si grande population et des guerriers d’une grande renommée, sont désormais réduits à moins de 200 individus depuis que les établissements européens ont circonscrit les territoires que leurs ancêtres s’étaient réservés. Le long des côtes de Cape Cod, trois ans avant l’arrivée des Européens, une terrible maladie en a emporté un grand nombre, ce qui a grandement facilité le débarquement et la pénétration de nos aïeux, lesquels, autrement, se seraient faits avec bien plus de difficultés. En 1763, plus de la moitié des Indiens de cette île ont péri d’une étrange fièvre9, que les Européens qui les soignaient n’ont jamais attrapée ; leur race semble être condamnée à reculer et à disparaître devant le génie supérieur des Européens. La seule des anciennes coutumes de ces peuples dont on se souvienne est le fait que, dans le cadre de leurs échanges mutuels, les coquilles de quarante palourdes séchées au soleil, enfilées sur un fil, passaient pour avoir la valeur de ce qu’on peut appeler un sou. Ils étaient étrangers à l’usage et à la valeur du wampun, que ceux du continent connaissent si bien. Les quelques familles qui restent sur l’île sont humbles et paisibles ; leur
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ancienne férocité s’en est allée ; ils ont été très tôt christianisés par les missionnaires de la Nouvelle-Angleterre, tout comme ceux de Martha’s Vineyard et de plusieurs régions du Massachusetts, et jusqu’à ce jour, ils continuent à observer strictement les lois et les coutumes de la religion qui leur est enseignée avec soin tandis qu’ils sont jeunes. Leur vie sédentaire les a bien plus rapidement conduits à ce niveau de civilisation que s’ils étaient demeurés des chasseurs. Ils aiment la mer et sont des marins experts. Ils ont appris des quakers l’art d’attraper la morue et la baleine, en conséquence de quoi cinq d’entre eux font toujours partie de l’effectif des hommes requis pour équiper une baleinière. Plusieurs sont venus ici depuis Martha’s Vineyard, ce qui fait qu’ils sont plus nombreux à Nantucket que partout ailleurs. C’est une singulière révolution que celle qu’ils ont connue en moins de deux cents ans ! Que sont devenues ces nombreuses tribus qui habitaient auparavant le long des côtes de la grande baie de Massachusetts ? Celles de Naamkeek (Salem), Saugus (Lynn), Shawmut (Boston), Patuxet, Neponset (Milton), Mattapan (Dorchester), Winnisemit (Chelsea), Pocasset, Pokanoket (New Plymouth), Succonesset (Falmouth), Titicut (Chatham), Nobscusset (Yarmouth), Nausett (Eastham), Hyannis (Barnstable), etc., et tant d’autres qui vivaient sur plus de trois cents milles de rivages, sans mentionner les puissantes tribus qui résidaient jadis entre les rivières Hudson, Connecticut, Piscataqua et Kennebec : les Mèhikaudrets10, Mohegans, Pequots, Narragansetts, Niantics, Massachusetts, Wampanoags, Nipmucs, Tarrantines, etc. — Elles sont parties et il ne reste plus aucun signe de leur présence ; il ne reste aucun vestige de ces peuplades qui habitaient jadis cette contrée et occupaient les deux rives de la grande péninsule de Cape Cod ; même de la lignée du célèbre Masconomo (le sachem de Cape Ann), il ne reste rien ; aucun descendant de Massasoit, père de Metacomet (Philip) et de Wamsutta (Alexander) qui, le premier, céda quelques terres à la Plymouth Company. Ils sont tous disparus dans les guerres que les Européens leur ont faites, ou bien ils ont été refoulés dans l’une ou l’autre de leurs anciennes villes où ils vivent dans le mépris et l’oubli ; il ne reste rien d’eux si ce n’est un seul monument extraordinaire, et même ce dernier, ils le doivent au travail et au zèle religieux des Européens : je pense à la Bible traduite en langue natick. Plusieurs de ces tribus, cédant au pouvoir supérieur des Blancs, se sont retirées en rassemblant les restes épars de leurs nations jadis populeuses dans leurs anciens villages et dans les concessions qu’ils se sont réservées ainsi qu’à leur postérité, dont certaines portions se situent près de ces villages. Là, oubliant leurs
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anciennes coutumes, ils se sont établis en paix ; en quelques années, leurs territoires ont été encerclés par les établissements des Européens ; en conséquence de quoi, ils sont devenus paresseux, inactifs, ne montrant ni la volonté ni la capacité de nous imiter ou de s’engager dans les mêmes commerces que nous, et en quelques générations, ou bien ils ont tous péri, ou bien ils sont venus sur Martha’s Vineyard ou sur cette île afin de s’unir à une société de leurs compatriotes en situation de les y accueillir. Tel a été le destin de plusieurs nations jadis guerrières et indépendantes ; ceux que nous voyons maintenant sur le continent et sur ces îles peuvent légitimement être considérés comme tout ce qui reste de ces anciennes tribus. Qu’on me permette de rendre au moins hommage à ceux qui habitaient la grande péninsule de Namset11, maintenant Cape Cod, dont je connais bien les noms et la condition passée. Cette péninsule était divisée en deux grandes régions ; celle donnant du côté de la baie était connue sous le nom de Nobscusset, d’après celui d’une de ses villes ; la capitale était appelée Nausett (maintenant Eastham), et c’est pourquoi les Indiens de cette région étaient appelés les Nausetts, même s’ils habitaient les villages de Pamet, Nausett, Pochet, Portnomequot, Sauquatucket et Nobscusset (Yarmouth). La région donnant du côté de l’Atlantique était appelée Mashpee, et réunissait les tribus des Hyannis, Cotuits, Waquoits, Skanteens, Succonessets, Mashpees et Namsets. Plusieurs de ces villes indiennes ont été depuis transformées en florissants établissements européens connus sous d’autres noms car dans la mesure où les indigènes savaient très bien juger de la valeur de la terre, qu’ils ont par ailleurs fertilisée avec les écailles de leurs poissons, etc., les Européens ne pouvaient pas faire de meilleur choix, bien qu’en général cette péninsule ne soit rien d’autre qu’un sablonneux alignement de pins, sauf en quelques bons endroits. Elle est divisée en sept municipalités : Barnstable, Yarmouth, Harwich, Chatham, Eastham, Pamet, Namset ou Provincetown, à l’extrémité du cap. Elles sont malgré tout très populeuses, bien que je ne puisse pas concevoir de quoi peuvent y vivre les habitants en dehors des palourdes, des huîtres et du poisson, leurs terres couvertes de pins étant le sol le plus ingrat du monde. Le ministre de Namset, ou Provincetown, reçoit du gouvernement du Massachusetts un salaire de cinquante livres par année ; la pauvreté des habitants de cet endroit est telle que, incapable de lui verser le moindre argent, chaque chef de famille est obligé de lui remettre deux cent crabes-sabot (limules) avec lesquels ce rustique pasteur fertilise la terre de sa glèbe qu’il
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laboure lui-même, car rien ne pousserait sans l’aide de cet extraordinaire engrais sur ces sols affamés où quatorze boisseaux de blé d’Inde sont considérés comme une bonne récolte. Mais il est temps de terminer une digression que, je l’espère, vous me pardonnerez. Nantucket est une grande école de marins, de pilotes, de caboteurs et de pêcheurs de hauts-fonds ; à titre de comté de la province de Massachusetts, on y tient chaque année une cour civile et leurs appels sont logés devant la cour suprême de Boston. J’ai signalé plus haut que les Amis composent les deux tiers de la magistrature de l’île ; ainsi sont-ils les propriétaires du territoire et les principaux dirigeants de ses habitants ; mais, malgré la présence de cet appareil législatif, on a rarement besoin de recourir à ses pouvoirs coercitifs. Rarement y voit-on un individu mis à l’amende ou puni ; leur prison n’éveille par la terreur ; la justice n’a enlevé la vie à aucun homme depuis la fondation de cette ville, qui remonte à plus de cent ans. Les tribunaux solennels, les exécutions publiques, les châtiments humiliants y sont tous inconnus. Je n’ai vu ni gouverneur, ni aucune pompeuse cérémonie d’État, ni magistrat plein d’ostentation, ni aucun individu revêtu d’inutiles couleurs d’apparat ; il ne subsiste ici aucun semblant d’artifice, ni civil ni religieux ; votre regard ne tombe sur aucune potence remplie de citoyens coupables ; aucun soldat n’est engagé pour soumettre servilement ses compatriotes avec la pointe de sa baïonnette. Mais comment maintient-on la paix et la tranquillité au sein d’une société constituée de 5 000 individus ? Comment le faible est-il protégé du plus fort ? — Je vais vous le dire. L’oisiveté et la pauvreté, qui sont les causes de tant de crimes, sont inconnues ici ; chacun trouve, grâce à la conduite légitime de ses affaires, un gain honnête qui comble ses besoins ; leur temps est sans cesse occupé, que ce soit sur la terre ou en mer. La probabilité de profits raisonnables ou d’une aide bienveillante en cas d’échec leur fait ignorer les commerces illégitimes. La simplicité de leurs mœurs réduit la liste de leurs besoins ; jamais bien loin, la loi est toujours prête à s’appliquer afin de protéger ceux qui ont besoin d’aide. La plupart d’entre eux sont constamment en mer, chassant la baleine ou puisant la morue à la surface des bancs ; certains cultivent leurs petites fermes avec une grande application ; certains sont employés dans le commerce, d’autres sont à la recherche des ressources nécessaires afin de radouber leurs vaisseaux ou afin de se prévenir du malheur, à la recherche de nouveaux marchés, etc. Telles sont les différentes occupations qui remplissent leurs journées et leurs vies toutes de santé, d’ardeur et de vigueur. Il est rare de voir se développer le vice sur des sables aussi arides, qui ne produisent rien sans de lourds travaux. Comment la sottise, si
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commune au sein de la société, pourrait-elle prendre racine sur un aussi mauvais sol ? Elle a généralement besoin de sucs plus nutritifs afin de profiter ; ici, il n’y en a pas, sinon ceux qui alimentent l’utile et le nécessaire, les indispensables commodités de la vie. Cette terre doit nécessairement produire de la santé, de la tempérance et une grande égalité de conditions ou la plus abjecte des misères. Les mœurs des pays somptueux devraientelles être importées ici que, comme une maladie épidémique, elles détruiraient tout ; ils ne pourraient pas survivre plus d’un mois, ils seraient obligés d’émigrer. Au sein de toute société, sauf celle des indigènes, il existe nécessairement des différences entre les individus ; il s’en trouve qui s’élèvent au-dessus des autres grâce à leurs richesses ou à leurs talents ; c’est ainsi que se forment les classes de haute, de moyenne et de basse extraction, et ces différences seront d’autant plus remarquables au sein d’une population qui vit d’excursions en mer que parmi ceux qui vivent de la culture de leurs terres. Ces premiers courent de plus grands risques et s’aventurent davantage : les profits et les malheurs qui viennent avec ce mode de vie doivent nécessairement introduire parmi eux de plus grandes disparités que parmi les agriculteurs, chez qui l’égalité de la répartition des terres ne peut conduire aux grandes richesses. Les seules différences qui peuvent voir le jour parmi eux sont celles qu’ils doivent au travail et peut-être à la qualité supérieure du sol ; les différents degrés de conditions que j’ai observés ici sont fondés sur les succès ou les échecs de leurs entreprises maritimes et ne doivent rien à l’éducation ; au sein de toutes les classes, tout est simplicité, utilité et absence d’ornement, comme c’est le cas pour leurs vêtements et leurs maisons. Cette nécessaire différence entre leurs fortunes n’est cependant pas cause de ces emportements de l’âme qui, dans les autres sociétés, conduisent au crime. La mer qui les entoure est ouverte à tous et offre à tous la même possibilité de profiter de la chance et de la bonne fortune. Un percepteur de Boston est le seul officier royal qui vienne sur ces rives afin de toucher les maigres droits que cette communauté doit verser à ceux qui la protègent et qui couvrent de leurs ailes les navigations qu’ils effectuent dans toutes les parties du monde.
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a meilleure façon de se familiariser avec les modes de pensée, les règles de conduite et les mœurs de n’importe quel peuple1 consiste à examiner le genre d’éducation qu’il donne à ses enfants, ses manières de s’occuper d’eux à la maison et ce qu’il leur enseigne dans ses lieux de culte publics. À la maison, leurs tendres esprits doivent être très tôt frappés par la gravité, la sérieuse mais néanmoins sereine conduite de leurs parents ; ils s’y habituent à une règle de soumission qui n’est pas le fruit des passions soudaines et des plaisirs irréfléchis ; ils sont tendrement retenus par un lien soutenu, aussi doux que solide. Il règne, au sein de la plupart de leurs familles, une parfaite tranquillité d’esprit et le mauvais exemple ne sème presque jamais de germe dans leurs cœurs ; ils sont corrigés avec tendresse, soignés avec la plus affectueuse attention, vêtus avec la simplicité dont ils ne voient jamais se départir leurs parents ; bref, ce n’est pas au moyen de préceptes mais par la force de l’exemple, laquelle est supérieure au plus puissant des instincts naturels, qu’ils apprennent à suivre les pas de leurs parents, à mépriser l’ostentation, qu’ils considèrent comme un péché. Ils développent ce goût pour la propreté qui est si frappant chez leurs pères ; ils apprennent à être prudents et économes ; le ton même de la voix qu’on prend toujours pour leur parler imprime en eux une douceur de l’expression qui deviendra chez eux une habitude. Des parents frugaux, sobres et disciplinés, attentifs à leurs affaires, s’adonnant sans cesse à quelque occupation utile, jamais coupables de tumultes, de dissipation ou d’autres troubles, ne peuvent manquer d’élever des enfants qui adopteront une vie et des mœurs tout aussi régulières. S’ils héritent d’une fortune, ils apprennent à ne pas la dilapider et à en jouir décemment, avec modération ; s’ils n’en possèdent pas, ils savent comment se lancer dans les affaires, comment travailler et peiner comme leurs pères l’ont fait avant eux. S’ils ne connaissent pas le succès, il se trouve toujours dans cette île (et partout où cette Société prédomine) des secours établis selon les plus bienveillants principes. À l’occasion de leurs assemblées de culte, on leur enseigne les quelques simples doctrines de leur secte : des doctrines propres à rendre les hommes sobres, entreprenants, justes et indulgents, tout autant que celles qui sont enseignées dans les plus somptueuses des églises et des cathédrales ; on les instruit des devoirs les plus essentiels de la Chrétienté :
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ne pas offenser la Divinité en commettant de mauvaises actions, et craindre sa colère et les châtiments qu’elle a édictés ; on leur enseigne également à avoir confiance en sa miséricorde et à respecter sa loi. Toutes les sectes, à cause des diverses pratiques de leurs cultes et des diverses interprétations qu’elles font de certaines parties des Saintes Écritures, professent nécessairement des opinions et des préceptes tout aussi divers, lesquels contribuent à définir ce qui les caractérise au sein de la société ; on connaît bien ceux des Amis : l’obéissance aux lois auxquelles ils ne résistent jamais, la justice, la tolérance envers tous, la bienveillance à la maison, la sobriété, l’humilité, la propreté, l’amour de l’ordre, le goût pour le commerce. Ces remarquables vertus sont tout aussi répandues ici qu’elles le sont à Philadelphie, leur berceau américain et la fierté de cette Société. Ils vont à l’école jusqu’à l’âge de douze ans, où ils apprennent à lire et à écrire d’une belle main ; en général, ils deviennent par la suite apprentis dans des tonnelleries, lesquelles constituent le deuxième en importance des champs d’activité auxquels on s’adonne ici ; à quatorze ans, ils sont envoyés en mer où, dans leurs heures de loisirs, leurs compagnons leur enseignent l’art de la navigation qu’ils ont l’occasion de mettre en pratique sur-lechamp. Ils apprennent le bon et bel art de manœuvrer un navire selon les diverses circonstances, ainsi que l’exigent la mer et les vents. Et on peut être certain que nulle part ailleurs dans le monde il n’est de meilleure et de plus utile école. Par la suite, ils occupent l’un après l’autre tous les postes : rameur, timonier et harponneur ; ainsi apprennent-ils à attaquer, à poursuivre, à rattraper, à tailler et à préparer leur énorme prise ; et après avoir fait plusieurs de ces équipées et s’être perfectionnés dans cette activité, ils sont fin prêts soit pour le comptoir, soit pour la chasse. Les premiers propriétaires de cette île2, ou plutôt les fondateurs de cette ville, ont commencé leur carrière dans cette industrie avec une simple baleinière, avec laquelle ils allaient pêcher la morue ; le fait qu’ils l’attrapaient à peu de distance de leurs rivages leur a vite permis de développer leurs entreprises et ces premiers succès les ont d’abord amenés à concevoir qu’ils pourraient attraper de la même façon les baleines qui, jusqu’alors, s’amusaient paisiblement sur leurs bancs. Après de nombreuses tentatives et plusieurs échecs, ils ont réussi. Voici comment ils s’y sont pris, étape par étape. Les profits d’une expédition couronnée de succès leur permit d’acheter et de préparer de meilleurs équipements en vue d’une expédition plus importante ; ces expéditions se faisant à peu de frais, leurs profits ont augmenté. Le côté sud de l’île a été divisé d’est en ouest en quatre parties égales et chaque territoire a été assigné à une équipe de six hommes,
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lesquelles travaillaient néanmoins de concert. Au milieu de chacun de ces terrains, ils ont érigé un mât muni d’échelons adéquats, auprès duquel ils ont construit un abri temporaire où vivaient cinq des équipiers tandis que, du haut de son poste, la vigie observait attentivement la mer afin de repérer le souffle des baleines. Aussitôt qu’on en découvrait une, la sentinelle descendait, la baleinière était mise à la mer et l’équipe se lançait à la poursuite de sa prise. Il peut vous sembler étrange qu’une embarcation aussi frêle que l’est la baleinière américaine, avec six bien petites personnes à son bord, puisse avoir l’audace de poursuivre et d’attaquer au sein de son élément naturel le plus gros et le plus puissant des poissons de la création. Et pourtant, grâce à leur admirable habileté, qui s’est développée au fil d’un long apprentissage et qui a permis à ces gens de devenir les meilleurs de tous les chasseurs de baleines, grâce à leur connaissance du caractère de la baleine qu’ils déduisent à la vue de ses premiers mouvements et grâce à plusieurs autres observations utiles, ils manquent rarement de la harponner et de ramener l’énorme Léviathan sur leurs rivages. Ainsi s’y sont-ils pris jusqu’à ce que les profits qu’ils faisaient leur permirent d’acheter de plus gros vaisseaux et de pourchasser encore plus loin les baleines lorsqu’elles abandonnèrent leurs côtes ; ceux qui échouaient dans leurs entreprises revenaient à la pêche à la morue, qui avait été leur première école et leur première ressource. Ils ont même commencé à visiter les bancs du Cap Breton, l’île de Sable et tous les autres territoires de pêche qui abondent sur les côtes de l’Amérique. Graduellement, ils allèrent chasser la baleine à Terre-Neuve, dans le golfe du Saint-Laurent, dans le détroit de Belle-Île, sur la côte du Labrador, dans le détroit de Davis, même jusqu’à Cap Désolation, à 70° de latitude, où les Danois font la pêche malgré les rigueurs soutenues du climat inhospitalier. Au fil du temps, ils ont visité les Açores, la 34e latitude, réputée pour ce poisson, le Brésil et la côte de Guinée. Croyez-le ou non, ils sont déjà allés aux îles Falkland, et j’en ai entendu plusieurs projeter d’aller dans le Pacifique sud ! Leur confiance en eux-mêmes est si grande, et leurs connaissances en ce domaine sont tellement supérieures à celles de tout autre peuple, qu’ils ont acquis le monopole sur cette marchandise. Tels ont été les faibles débuts, les balbutiements et les développements de leurs entreprises maritimes ; tel est maintenant le niveau d’intrépidité et de vigueur qu’ils ont atteint dans leur maturité. Plusieurs compagnies ont tenté de les imiter dans nos capitales, où on trouve toutes les provisions, l’outillage et le bois nécessaires. Mais l’énergie déployée par la population de Nantucket lui a jusqu’ici permis de rivaliser avec tous ses compétiteurs ;
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en conséquence de quoi, cette île est le plus important centre de commerce d’huile, de fanons et de blanc de baleine du continent. Cela n’implique cependant pas qu’ils connaissent toujours le succès : ce serait certes un champ bien extraordinaire que celui qui ne manque jamais de donner des récoltes ; plusieurs voyages ne couvrent pas les frais d’armement ; ils affrontent ce genre d’infortunes en bons marchands et puisque, contrairement à ce que font les joueurs, ils ne misent pas tout d’un seul coup dans leur entreprise, ils peuvent tenter à nouveau leur chance ; le joueur ne compte que sur le hasard pour gagner ; eux comptent sur le travail, une bonne évaluation de la conjoncture, et un peu de chance. J’étais là lorsque monsieur ––––––––––3 a vu un de ses vaisseaux manquer son retour ; tout le monde le tenait pour perdu mais, heureusement, il est arrivé avant que je ne parte, après une absence de treize mois. Le navire avait vu ses espérances déçues à l’endroit où on lui avait ordonné de se stationner et plutôt que de revenir vide, l’équipage a mis le cap sur la côte de Guinée où ils ont eu la chance de tomber sur plusieurs baleines et ils ont rapporté plus de 600 barils d’huile, en plus des fanons. Ces cargaisons sont parfois écoulées dans les villes du continent où elles sont échangées pour les denrées dont on peut avoir besoin, mais elles sont plus souvent envoyées en Angleterre où elles sont toujours vendues contre argent sonnant. Lorsque c’est ce qui est prévu, on arme un vaisseau plus gros que les autres, qui sera chargé d’huile à l’endroit même où on la trouve et où on la fabrique, afin de faire immédiatement voile en direction de Londres. De cette façon, on économise du temps, du fret et des dépenses ; et ce capital leur rapporte tout ce qu’ils veulent. Ils engagent également plusieurs vaisseaux dans le transport du bois vers les îles des Antilles où ils se procurent en retour les différents produits de cette région qu’ils échangent par la suite partout où ils peuvent entendre parler d’occasions de marchés avantageux. Parce qu’ils sont très avisés, ils savent très bien comment profiter de toutes les occasions qui ne cessent de se présenter à la croisée de ces divers domaines d’activités ; le sens du commerce, qui est simplement l’art de combler ses propres besoins en même temps que ceux des autres, est ici chose bien comprise de tout le monde. Ils possèdent, comme la plupart des Américains, une bonne dose de perspicacité, d’énergie et de bon sens naturels qui les conduisent à se consacrer à diverses entreprises secondaires qu’il serait trop fastidieux d’énumérer ; ils sont très au fait des moyens les moins coûteux de se procurer du bois des rivières Kennebec et Penobscot, etc., du bitume et du goudron de la Caroline du Nord, de la farine et des biscuits de Phila-
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delphie, du bœuf et du porc du Connecticut. Ils savent comment échanger leurs morues et les produits des Antilles contre des articles qu’ils ne cessent soit d’importer sur leur île, soit d’envoyer à d’autres endroits où ils sont en demande. Grâce à toutes ces transactions commerciales, ils ont grandement réduit le coût de l’armement de leur flotte de baleiniers et, par conséquent, grandement développé leurs pêcheries. Ils doivent tous ces avantages non seulement à leur génie national mais à la pauvreté de leur sol ; et pour avoir la preuve de ce que j’ai si souvent avancé, regardez Martha’s Vineyard (l’île voisine), qui est habitée par un groupe de personnes aussi zélées et sages qu’eux. Leur sol étant en général extrêmement fertile, ils possèdent moins de navigateurs, bien qu’ils soient aussi bien situés pour les entreprises de pêche. Puisque, sur le chemin de mon retour à Falmouth, sur la terre ferme, j’ai visité cette île sœur, permettez-moi de vous en présenter, avec autant de concision qu’il m’est possible, une courte mais honnête description ; le principal but de ce séjour ne m’oblige pas à me confiner à la seule description de Nantucket.
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île a vingt milles de long1, et sept à huit milles de large, ainsi que vous pouvez le voir sur la carte ci-jointe*32. Elle repose à neuf milles du continent et constitue, avec les îles Elizabeth, un des comtés du Massachusetts connu sous le nom de comté de Duke. Ces dernières, au nombre de six, sont environ à neuf milles de Martha’s Vineyard et sont renommées pour leurs excellents produits laitiers. On a établi un bon ette
* Tableau indicateur de la carte de Martha’s Vineyard 1. Starbuck Point. 2. Maison de Beriah Norton, chef de milice de l’île. 3. La maison de James Athearn4, esq. 4. Maison du docteur Mayhew. 5. Mine de fer, dont le minerai est conduit aux forges de Tanton. 6. Lagoon Pond, renommé pour la perche qu’on y pêche sous la glace. 7. Le meilleur terrain à faucher de l’île, produisant 4 tonneaux de jonc de Gérard par acre. 8. Excellent terrain de plantation. 9. Une mine de bonne terre de pipe.
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Figure 9. Carte de l’île de Martha’s Vineyard. Attribuée à Beriah Norton. Letters from an American Farmer, 1782. Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
système de traversier entre Edgartown et Falmouth, sur la terre ferme, la distance qui les sépare étant de neuf milles. Martha’s Vineyard est divisée en trois municipalités : Edgartown, Chilmark et Tisbury3 ; on estime à environ 4 000 le nombre d’habitants, parmi lesquels on compte 300 Indiens. Edgartown est le meilleur port de mer et le chef-lieu du comté, et puisque son sol est sablonneux et manque d’engrais, plusieurs de ses habitants suivent l’exemple des gens de Nantucket. La ville de Chilmark ne possède pas de bon port mais la terre y est excellente et en rien inférieure à celle du continent ; on y retrouve d’excellents pâturages, des cours d’eau adéquats pour y installer des moulins, de la pierre pour faire des clôtures, etc. La ville de Tisbury est remarquable pour l’excellence de son bois, et possède un port assez profond pour des navires de gros tonnage. Le troupeau de l’île est de 20 000 moutons, 2 000 bonnes vaches, en plus des chevaux et des chèvres ; ils ont aussi des chevreuils et des
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oiseaux de mer en abondance. Elle a été, depuis ses origines jusqu’à ce jour, le principal séminaire des Indiens ; ils vivent sur la partie de l’île appelée Chappaquiddick et ont été vite christianisés par la respectable famille des Mayhew5, les premiers propriétaires de l’endroit. Le premier des colons portant ce nom en légua par testament à une de ses filles chéries une partie sur laquelle poussaient beaucoup de vignes sauvages : c’est pour cette raison que cet endroit a été appelé Martha’s Vineyard6, d’après le nom de cette fille, appellation qui, au fil des ans, a été étendue à l’ensemble de l’île. La descendance des anciens aborigènes demeure encore ici, sur des terres que leurs ancêtres s’étaient réservées et qui sont religieusement protégées de tout empiétement. La population de la Nouvelle-Angleterre est remarquable pour l’honnêteté avec laquelle elle a, partout dans cette province, respecté ces anciennes conventions qui ont été, à la honte de leurs gouvernements, ignorées dans plusieurs autres. Ces Indiens font montre d’une décence de mœurs, d’un goût pour le travail et d’une propreté à l’européenne, et ils ne sont en aucune façon inférieurs à la plupart des habitants. Comme eux, ils sont sobres, travailleurs et religieux, ce qui constitue les principales caractéristiques des habitants des quatre provinces de la Nouvelle-Angleterre. Comme les autres jeunes hommes de Martha’s Vineyard, ils vont souvent à Nantucket où ils s’engagent comme baleiniers ou pêcheurs et il s’avère qu’en tout ce qui concerne les affaires de la mer, leur adresse et leur habileté ne sont en rien inférieures à celles des Blancs. Ces derniers sont divisés en deux groupes ; le premier occupe la terre, qu’il laboure avec une attention et un savoirfaire admirables ; le deuxième, qui n’en possède pas, se tourne vers la mer, la ressource de l’ensemble des hommes de cette partie du monde. Ainsi cette île est-elle devenue, comme Nantucket, une grande école qui fournit en pilotes et en marins les nombreux caboteurs qui abondent en cette vaste étendue de l’Amérique. Où que vous alliez, depuis la NouvelleÉcosse jusqu’au Mississippi, vous trouverez partout quelques personnes originaires de ces deux îles employées à des occupations de navigation. Leur climat est tellement favorable à la population que le mariage est le premier souhait de chaque homme et ces unions sont si aisément bénies qu’un grand nombre d’entre eux sont obligés de quitter leur terre natale pour aller chercher leur subsistance en d’autres contrées. Les habitants sont tous presbytériens, qui est la religion établie du Massachusetts ; et permettez-moi d’évoquer ici avec gratitude le souvenir de l’hospitalité avec laquelle on m’a accueilli chez monsieur B. Norton, le colonel de milice de l’île, ainsi que chez le docteur Mayhew, descendant direct du premier
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propriétaire. C’est ici qu’on trouve les pilotes les plus experts, capables de naviguer dans la grande baie de Massachusetts, les détroits qui séparent ces îles, les hauts-fonds de Nantucket et les divers ports des environs. Pendant les tempêtes, ils sont toujours en mer à la recherche de vaisseaux qu’ils abordent avec une singulière adresse et qu’ils ne manquent presque jamais de ramener en sécurité au port où ils sont attendus. Gay Head, la pointe ouest de cette île, abonde en ocres de différentes couleurs avec lesquels les habitants peignent leurs maisons. Les vaisseaux les plus adéquats pour la chasse à la baleine7 sont des bricks d’environ 150 tonneaux, particulièrement lorsqu’on les destine à de lointaines latitudes ; on les équipe toujours de treize hommes, de façon à pouvoir manœuvrer deux baleinières, lesquelles doivent nécessairement compter six hommes : quatre aux avirons, un qui se tient debout à la proue avec le harpon, et l’autre au gouvernail. Il est aussi nécessaire d’avoir deux de ces chaloupes afin que, si l’une est détruite en attaquant la baleine, l’autre, qui ne s’engage jamais en même temps, puisse être prête à sauver les hommes. Cinq de ces treize hommes sont toujours des Indiens ; le dernier en grade des membres de l’effectif demeure à bord afin de manœuvrer le vaisseau au fil des événements. Ils ne touchent pas de gages ; chacun reçoit une certaine part du bénéfice touché par le propriétaire du vaisseau avec lequel il est associé ; grâce à ce système, ils sont tous également intéressés par le succès de l’entreprise et tous aussi alertes et vigilants. Aucun de ces baleiniers n’a plus de quarante ans : ils considèrent que ceux qui ont passé cet âge ne possèdent pas toute la vigueur et l’agilité que requiert une entreprise aussi aventureuse. En effet, si vous tenez compte de l’énorme disproportion entre l’objet assailli et ses assaillants, si vous pensez à la petitesse et à la fragilité de leur frêles embarcations, si vous songez à la traîtrise de l’élément sur lequel se déroule cette scène, aux soudains et imprévisibles accidents des vents, etc., vous reconnaîtrez aisément qu’il faut la plus grande maîtrise des forces, de l’agilité et du bon jugement dont peuvent faire montre les corps et les esprits des hommes afin de participer à ces combats aventureux. Aussitôt qu’ils arrivent sous les latitudes où ils s’attendent à croiser des baleines, un homme est envoyé en tête de mât ; s’il en voit une, il s’écrie immédiatement awaite pawana : baleine en vue ; ils demeurent alors tous immobiles et silencieux jusqu’à ce qu’il répète pawana : baleine, et en moins de six minutes, les deux embarcations, équipées de tous les outils nécessaires à l’attaque, sont mises à la mer. Ils rament jusqu’à la baleine avec une étonnante vélocité. Dans la mesure où les Indiens sont très tôt devenus
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leurs compagnons dans ces nouveaux combats, vous pouvez facilement comprendre que, sur les baleiniers, on soit devenu familier avec la langue natick. Auparavant, il arrivait souvent que les vaisseaux baleiniers n’aient pour équipage que des Indiens, sauf le commandant ; rappelez-vous aussi que les gens de Nantucket comprennent la langue des Naticks et qu’il se trouve toujours cinq de ces Indiens à bord. Il y a diverses façons d’approcher la baleine, selon les espèces particulières, et ce savoir est de la plus grande conséquence. Lorsque les chaloupes arrivent à une distance convenable, l’une d’elle dépose ses avirons et reste en retrait, témoin de l’engagement qui va commencer ; le harponneur se tient debout, à la proue de l’autre chaloupe, et c’est principalement de lui que dépend le succès de l’entreprise. Il porte une veste étroitement boutonnée et un mouchoir solidement noué autour de sa tête ; il tient dans les mains son arme redoutable, faite du meilleur acier, parfois gravée du nom de sa ville et parfois de celui de son vaisseau, avec une hampe au bout de laquelle est solidement nouée une robuste corde, précautionneusement enroulée au milieu du bateau, dont l’autre bout est attaché au fond de la chaloupe. Ainsi préparés, ils rament en gardant un profond silence, laissant toute la direction de l’entreprise au harponneur et au timonier, suivant attentivement leurs indications. Lorsque le premier se juge assez près de la baleine, c’est-à-dire à une distance d’environ quinze pieds, il leur commande de s’arrêter ; peut-être a-t-elle un petit dont la sécurité occupe toute l’attention de la mère, ce qui est une circonstance favorable ; peut-être appartient-elle à une espèce dangereuse et il est alors plus sûr de se retirer, quoique leur audace ne le leur permette que rarement ; peut-être est-elle endormie : dans ce cas, il élève le harpon et le tient en équilibre, instant crucial où il tente de canaliser toute l’énergie dont il est capable. Il le lance — elle est frappée ; ses premiers mouvements leur permettent de jauger son caractère ainsi que leur possibilité de succès. Parfois, immédiatement poussée par la rage, elle attaquera la chaloupe et la démolira d’un coup de queue ; la frêle embarcation disparaît aussitôt et les assaillants sont immergés par le redoutable élément. Si la baleine était armée des mâchoires du requin et aussi vorace que lui, ils ne retourneraient jamais à leur maison pour distraire leurs épouses avec l’intéressant récit de l’aventure. À d’autres moments, elle plongera et disparaîtra de la vue des hommes et on doit alors la laisser partir à toute vitesse, sinon tout est perdu. Parfois elle s’éloignera en nageant comme si elle n’avait pas été touchée et tirera la corde avec une telle rapidité que la friction enflammera le rebord de la chaloupe. Si elle refait surface avant d’avoir tiré sur toute la longueur de
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la corde, on la considère comme une prise assurée. Le sang qu’elle a perdu au cours de son déplacement l’affaiblit tellement que, si elle plonge à nouveau, ce n’est que pour une courte période ; la chaloupe suit sa course presque à la même vitesse qu’elle. Elle réapparaît bientôt ; enfin fatiguée de remuer les éléments qu’elle rougit de son sang, elle meurt et flotte en surface. À d’autres moments, il peut arriver qu’elle ne soit pas dangereusement blessée, bien que le harpon soit fixé dans sa chair : elle plongera et refera surface plusieurs fois, et continuera à nager sans perdre de vigueur. Elle tire alors rapidement la corde sur toute sa longueur et traîne la chaloupe à sa suite avec une étonnante vélocité ; cette soudaine entrave diminuera parfois sa vitesse ; à d’autres moments, elle servira seulement à augmenter sa colère et elle accélérera son mouvement. Le harponneur se tient prêt, une hache à la main. Lorsqu’il observe que la proue de la chaloupe est tirée par la plongée de la baleine et qu’elle commence à s’enfoncer et à prendre beaucoup d’eau, il met la hache presque en contact avec la corde ; il suspend son geste, dans l’espoir de voir s’arrêter la baleine ; le moment devient critique, le danger devient inévitable ; il arrive que des hommes, plus intéressés par le gain que par la préservation de leur vie, prennent alors de grands risques et il est admirable de voir jusqu’où peut aller le courage et la témérité de ces gens en un aussi terrible moment ! Mais il est inutile d’espérer davantage, leurs vies doivent être sauvées, la corde est coupée et la chaloupe refait surface. Si la baleine réapparaît après s’être ainsi échappée, ils l’attaqueront et la blesseront une deuxième fois. Elle meurt bientôt et une fois morte elle est remorquée le long de leur vaisseau auquel elle est attachée. L’opération suivante consiste à tailler à la hache et à la pelle toutes les parties de son corps qui fournissent de l’huile ; les bouilloires se mettent à chauffer, ils remplissent leur barils au fur et à mesure que l’huile est produite, mais comme cette opération prend beaucoup plus de temps que le dépeçage, ils remplissent la cale de leur navire de morceaux de baleine, à moins que ne se lève une tempête qui les oblige à abandonner leur prise. Certains de ces poissons procurent une étonnante quantité d’huile et de profits à ceux qui ont la chance de les attraper. La baleine du fleuve SaintLaurent, qui est la seule que je connaisse bien, mesure soixante quinze pieds de long, quinze pieds d’épaisseur, présente des fanons longs de douze pieds qui pèsent souvent 3 000 livres, douze pieds à la largeur de sa queue, et produit 180 barils d’huile ; il m’est arrivé de voir 16 barils d’huile extraits de leur seule langue. Après avoir ainsi vaincu ce Léviathan, il est, en plus du vent, deux ennemis à craindre. Le premier d’entre eux est le requin ;
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ce poisson féroce et vorace, que la nature a doté de terribles armes, vient souvent le long de la prise, particulièrement de nuit et, malgré les efforts des hommes, leur enlèvera une part de leur proie. Ils sont très malfaisants mais le deuxième ennemi est bien plus terrible et irrésistible : c’est l’épaulard, parfois appelé orque, une sorte de baleine d’environ trente pieds de long. Ils font montre d’une telle agilité et d’une telle férocité qu’ils attaquent souvent les plus gros des cachalots et il n’est pas rare qu’ils volent leur proie aux pêcheurs ; il n’existe aucun moyen de défense contre un si puissant adversaire. Lorsque tous les barils sont remplis, qu’on a fait tout ce qu’on avait à faire en mer ou lorsque est expiré le peu de temps qu’ils avaient et que leurs réserves sont presque vides, ils retournent chez eux chargés de leur précieuse cargaison à moins qu’ils l’aient mise à bord d’un vaisseau à destination du marché européen. Tels sont, aussi brièvement qu’il m’est possible d’en rendre compte, les diverses branches des entreprises auxquelles s’adonnent ces hardis navigateurs et les moyens qu’ils prennent pour aller à de grandes distances de leur île pour attraper cet énorme gibier. Voici les noms et les principales caractéristiques des différentes espèces de baleines que connaissent ces gens : La baleine du Saint-Laurent, que l’on vient de décrire. La baleine de Disko, ou baleine franche du Groenland. La baleine franche, aux fanons de sept pieds, commune sur les côtes de ce pays, d’environ soixante pieds de long. Le cachalot, qui se trouve partout dans le monde et qui est de toutes les grosseurs ; les plus longs ont soixante pieds et donnent environ 100 barils d’huile. Le rorqual à bosse, sur les côtes de Terre-Neuve, de quarante à soixante-dix pieds de longueur. Le rorqual commun, ou baleine américaine, jamais tué parce que trop rapide. Le rorqual bleu du fleuve Saint-Laurent, quatre-vingt dix pieds de long ; ils sont rarement tués parce que très rapides. Le dauphin gris, trente pieds de long, jamais tué pour les mêmes raisons. L’épaulard, ou orque, environ trente pieds ; il tue souvent les autres baleines, avec lesquelles il est perpétuellement en guerre. L’orque nain, vingt pieds, donne de 8 à 10 barils. Le marsouin, pesant environ 160 livres.
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En 1769, ils ont armé 125 baleiniers ; les 50 premiers ont rapporté à leur retour 11 000 barils d’huile. En 1770, ils ont armé 135 vaisseaux pour la chasse, de treize hommes chacun ; 4 navires de douze hommes pour les Antilles ; 25 vaisseaux à bois, de quatre hommes ; 18 caboteurs de cinq hommes ; 15 navires marchands pour Londres, de onze hommes. Soit un total de 2 158 hommes, employés sur 197 vaisseaux. Quel chemin ils ont parcouru depuis la possession de quelques baleinières à celle d’une pareille flotte ! La conduite morale, les préceptes et les coutumes de gens qui vivent les deux tiers de leur temps en mer8 doivent naturellement être bien différents de ceux de leurs voisins qui vivent de la culture de la terre. On pourrait s’imaginer qu’une fois les premiers de retour à terre, la longue abstinence à laquelle ils sont contraints, la respiration de l’air salin, les fréquentes rencontres avec le danger, la hardiesse qu’ils ont acquise à force de les surmonter, le souffle même des vents auxquels ils sont exposés leur donnent une solide envie de s’enivrer et de se mettre d’autant plus intensément à la recherche des plaisirs dont ils ont si longtemps été privés et auxquels ils devront bientôt renoncer. Il est de nombreux désirs que même le plus pauvre des hommes peut combler sur le rivage et qui, en mer, doivent demeurer insatisfaits. Pourtant, malgré la puissance de toutes ces passions, je n’ai observé ici, au retour de leurs flottes, aucune irrégularité de conduite, aucune assemblée tumultueuse de buveurs ; tandis que dans nos villes continentales le marin irréfléchi s’abandonne aux plaisirs les plus grossiers, s’imagine qu’une vaine semaine de débauche peut compenser des mois d’abstinence et dépense sottement en quelques jours d’intoxication les fruits d’une demi-année de travail. Au contraire, ici, tout est paisible et, généralement, la décence a partout le dessus. Je crois que la raison de cet état de choses tient au fait qu’ici, presque tout le monde est marié, car ils prennent épouse très jeunes, et le plaisir de retrouver leurs familles prend la place de tout autre désir. Les raisons qui les conduisent vers la mer sont très différentes de celles de la plupart des autres marins ; ce n’est pas l’oisiveté ni le dévergondage qui les poussent vers cet élément ; c’est un solide plan de carrière, un espoir bien fondé de gagner sa vie ; c’est parce que leur sol est mauvais qu’ils sont très tôt initiés à cette profession ; que pourraient-ils faire s’ils devaient demeurer chez eux ? Ainsi la mer leur devient-elle une sorte de patrimoine ; ils vont à la chasse à la baleine avec autant de plaisir et de tranquille indifférence, avec un aussi grand espoir de succès que le propriétaire terrien qui entreprend de nettoyer un coin de marécage. Les premiers sont dans l’obligation de
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consacrer tout leur temps et leurs efforts à puiser de l’huile à la surface de la mer ; les seconds consacrent les mêmes efforts afin d’obtenir de l’herbe de sols qui, auparavant, ne produisaient rien que de la tourbe et des marais. J’ai observé que ceux qui ne travaillent pas en mer affichent la même paisible contenance qu’on retrouve parmi les habitants du continent ; j’ai trouvé que la bienséance et la réserve sereines leur étaient tellement naturelles que je me suis cru à Philadelphie. À mon débarquement, j’ai été cordialement accueilli par ceux à qui j’étais recommandé et reçu avec une sincère hospitalité par tous les autres avec qui je suis entré en relations, et je puis vous dire qu’il est impossible à un voyageur de s’installer ici pour un mois sans finir par connaître les chefs des principales familles. Partout où je suis allé, j’ai trouvé un langage et des mœurs simples, sensiblement plus rudimentaires et austères que je ne m’y attendais, et j’ai rapidement compris que cela était dû à leur situation isolée, qui les a empêchés de se mêler à d’autres. Ainsi est-il facile de comprendre comment ils ont pu conserver tous les traits particuliers à leur secte et qui la distinguaient auparavant des autres. Jamais ruche ne s’est aussi assidûment employée à récolter la cire, le pollen et le miel de tous les champs avoisinants que le font les membres de cette Société ; dans la ville, tout le monde s’adonne avec grande diligence à quelque occupation mais sans cette servilité qui, à ce qu’on m’a dit, règne en Europe. L’ouvrier me semblait être d’une aussi bonne lignée, tout aussi bien vêtu et nourri, et tenu en aussi haute estime, que ceux qui l’employaient ; jadis, ils étaient tous parents ; leurs divers niveaux de prospérité est la raison des différences qu’on peut voir au sein de leur communauté. Mais ces différences accidentelles n’y ont pas encore introduit ni l’arrogance ni l’orgueil d’une part, ni la vilenie ni la servilité de l’autre. Toutes leurs maisons sont propres, bien faites et confortables ; certaines d’entre elles hébergent deux familles car lorsque les maris sont en mer, les épouses ont besoin de moins de logement. Elles sont toutes remplies de meubles des plus solides, dont la valeur tient davantage à leur utilité qu’à leur apparence. Partout où je suis allé, j’ai trouvé de la bonne humeur, une ambiance accueillante, et après la deuxième visite je m’y sentais aussi à mon aise que si j’avais été une vieille connaissance de la famille. Ils possèdent de tout en grande abondance, comme si leur île avait fait partie des meilleures terres de la Virginie (des terres de grande valeur sises sur Cape Charles) ; je pouvais difficilement me convaincre que j’avais quitté le continent adjacent, qui abonde en toutes choses, et que j’étais sur un aride banc de sable avec de l’huile de baleine pour seul fertilisant. Étant donné que leurs établissements
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ruraux sont de peu d’importance et réduits à l’essentiel, et que les meilleurs d’entre eux sont à une distance considérable de la ville, je me suis amusé pendant plusieurs jours à converser avec les plus avisés de leurs habitants des deux sexes et à me familiariser avec les différentes branches de leur industrie, les divers objets dont ils font le commerce, la nature de leur sagesse qui, bien qu’ils soient privés de tous les matériaux et produits nécessaires, etc., leur permet de prospérer malgré tout, de bien vivre et d’accumuler parfois des fortunes considérables. L’ensemble constitue une énigme qui peut seulement se résoudre lorsqu’on vient à cet endroit et qu’on observe le génie national que les premiers fondateurs y ont amené avec eux, ainsi que leur patience et leur persévérance infatigables. Ils possèdent tous, qu’ils soient d’une classe élevée ou plus basse, sans être aidés d’aucune lumière académique, une singulière acuité de jugement ; ils sont tous dotés d’un grand bon sens fondé sur l’expérience de leurs pères : le plus sûr et le meilleur des guides qui puisse nous diriger sur les chemins de l’existence, parce qu’il est celui qui s’approche le plus de l’infaillibilité de l’instinct. Les talents qui servent à éblouir la galerie et les savoirs universitaires seraient totalement inutiles ici ; que dis-je : ils seraient dangereux ; ils pervertiraient la simplicité de leur jugement, ils les feraient sortir de leur bonne voie si bien adaptée à leur situation ; ils les rendraient plus aventureux, plus présomptueux, bien moins prudents et, par conséquent, réduiraient leurs chances de succès. Il est agréable de les entendre faire le récit de la route qu’ont suivie leurs pères et de celle qu’ils ont eux même suivie parmi les diverses vicissitudes de la bonne et de la mauvaise fortune. Près de leurs feux, j’ai souvent refait avec eux le chemin qu’a suivi leur carrière depuis leurs premiers pas, depuis leurs premières entreprises commerciales, depuis le temps où ils ne possédaient qu’une seule baleinière, jusqu’au moment où ils se voient en possession d’une douzaine de grands vaisseaux ! Cela n’implique cependant pas que tous ceux qui ont commencé avec une baleinière ont acquis de grandes fortunes ; pas du tout : les mêmes obstacles, le même mélange de bonheur et de malheur qui sont le lot de toutes les entreprises humaines l’emportent ici comme dans toutes les autres parties du globe ; la grande prospérité n’est pas le lot de tous les hommes, elle présente divers niveaux ; s’ils ne deviennent pas tous riches, ils gagnent tous aisément leur subsistance. Après tout, ne vaut-il pas mieux avoir la possession d’une seule baleinière ou de quelques pâturages à moutons, vivre libre et indépendant sous le plus doux des gouvernements, sous un climat sain, sur une terre de charité et de bienveillance, que d’être un misérable, comme ils sont si nombreux à
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l’être en Europe, ne possédant rien d’autre que sa force de travail, sans cesse renversé par les coups durs, accomplissant les travaux les plus serviles pour la plus petite des pitances, ou retenu par les liens de la plus ingrate des dépendances, sans même pouvoir avoir l’espoir de s’en sortir ? La majorité des simples équipiers qui sont employés dans les pêcheries, plusieurs des artisans, comme les tonneliers, forgerons, calfateurs, charpentiers, etc., qui ne sont pas de la Société des Amis, sont des presbytériens et sont originellement venus de la terre ferme. Ceux qui possèdent présentement les plus grandes fortunes font partie de la Société mais ils ont tous commencé comme simples baleiniers ; on considère même qu’il est honorable et nécessaire pour le fils du plus riche des hommes de servir en apprentissage dans la même hardie et aventureuse entreprise qui a enrichi son père ; ils font plusieurs voyages, et ces excursions de jeunesse ne manquent jamais d’améliorer leur constitution et de les introduire à la connaissance de leurs futurs moyens de subsistance.
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omme je l’ai déjà signalé, chaque homme prend femme aussitôt qu’il
le désire1, ce qu’il fait généralement alors qu’il est très jeune ; aucune dot n’est nécessaire, on ne s’attend pas à en avoir ; les avocats ne dressent aucun de ces contrats de mariage qui ne servent qu’à satisfaire l’orgueil des familles ou à semer la confusion parmi les descendants et à les conduire devant le juge. Nous ne dotons pas nos filles ; leur éducation, leur santé et un simple trousseau sont tout ce que peuvent se permettre des pères de familles nombreuses ; la fortune de l’épouse est principalement constituée par la promesse de son sens de l’économie, de sa modestie et de son habileté à gérer les affaires de la maison ; celle de l’époux tient de même à son goût du travail, à sa santé et à son expérience de quelque branche du commerce ou des affaires. Après quelques années de travail assidu, les capacités dont ils font montre manquent rarement d’assurer leur réussite et de leur fournir les moyens d’élever et de subvenir aux besoins de la postérité qui vient avec le lit nuptial. Nés aux bords de la mer, leurs enfants entendent le rugissement des vagues aussitôt qu’ils sont en mesure de leur prêter l’oreille ; c’est le premier bruit qui leur devient familier et en s’y
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plongeant très jeunes, ils acquièrent la hardiesse, la présence d’esprit et les habiletés qui, par la suite, font d’eux des marins de grande réputation. Ils entendent souvent leurs pères raconter les aventures de leur propre jeunesse, leurs combats avec les baleines, et ces récits impriment très tôt dans leurs jeunes esprits l’envie de connaître le même genre d’existence. Ils prennent souvent la mer pour aller sur la terre ferme et si ces traversées sont courtes, elles leur apprennent comment se qualifier pour de plus longs et plus dangereux voyages ; aussi sont-ils, de par tout le continent, très appréciés pour leur connaissance et leur expérience de la mer. Dans la foule, on reconnaîtra à sa démarche l’homme qui est né ici car ils sont remarquables pour la souplesse de leurs articulations et l’agilité particulière qu’ils conservent jusque dans leur vieil âge. J’ai entendu certaines personnes attribuer ce phénomène à l’huile de baleine dont ils s’enduisent copieusement au cours des différentes opérations que celle-ci doit subir avant d’être prête pour le marché européen ou pour la manufacture de chandelle. Mais peut-être vous inquiéterez-vous de ce qu’il advient de la nouvelle population2 que leur tempérance, la salubrité de leur climat et des mariages conclus très jeunes ne peuvent manquer de faire naître ? Vous aurez raison de conclure que leur île et leur ville natales ne peuvent contenir qu’un nombre limité de personnes. L’émigration est chose naturelle et facile pour un peuple maritime, et c’est pourquoi ils sont toujours aussi nombreux, bien que cela puisse paraître contradictoire. Tous les ans, les entreprises maritimes qui les occupent sans cesse les conduisent en divers endroits du continent ; l’augmentation de notre richesse entraîne celle de notre commerce extérieur, lequel requiert conséquemment davantage de navires et d’hommes ; ils ont parfois essaimé comme des abeilles, émigrant par groupes entiers. Certains des Amis (mot avec lequel j’entends toujours ceux qu’on appelle les quakers), appelés par une vie contemplative, visitent tous les ans les multiples congrégations de cette Société qui se sont établies sur l’ensemble du continent. Grâce à eux, ces congrégations entretiennent entre elles une sorte de correspondance ; ce sont généralement de bons prédicateurs et des censeurs bienveillants, qui font échec au vice partout où ils le voient prendre le dessus, qui préviennent toute forme de relâchement au sein de leurs anciennes coutumes et de leur culte. Ils distribuent ça et là leurs exhortations et leurs bons conseils et, au fil de leurs voyages, ils amassent inévitablement les observations les plus utiles sur les conditions particulières à chaque district : leurs sols, leurs productions, les distances qui les séparent des rivières navigables, le prix
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de la terre, etc. C’est après avoir obtenu des renseignements de ce genre, qui sont arrivés à Nantucket en 1766, qu’un grand nombre d’entre eux ont acheté une vaste étendue de territoire dans le comté d’Orange, en Caroline du Nord, située aux sources de la Deep River, qui est l’affluent ouest de la Cape Fear, ou North West Branch. L’avantage de pouvoir s’amener par mer jusqu’à moins de quarante milles de l’endroit, la richesse du sol, etc., leur ont fait quitter sans regarder en arrière une île sur laquelle il n’y avait désormais plus de place pour eux. Ils y ont fondé un superbe établissement, connu sous le nom de New Garden3, attenant aux fameux établissements moraves de Bethabara, Bethania et Salem, sur la rivière Yadkin. Il n’est pas de plus bel endroit sur terre ; on y trouve de jolies collines aux pentes douces, d’excellentes basses terres, et plusieurs cours d’eau traversent l’établissement. Je n’ai jamais vu de sol qui récompensait aussi rapidement les labeurs et les débours des hommes ; c’est généralement le cas, à très peu d’exceptions près, des terres attenantes aux innombrables sources des grandes rivières qui se jettent dans la baie de Chesapeake ou qui traversent les provinces des Carolines du Nord et du Sud, la Géorgie, etc. C’est peut-être la plus agréable, la plus charmante des contrées du continent : parce que, selon les saisons, les communications avec les villes portuaires sont faciles, et qu’elle est parfaitement exempte des contagions qu’apporte souvent l’air qui souffle sur les plaines situées le long de l’Atlantique. Ces terres sont aussi riches que celles qui se trouvent au-delà des Alleghanys ; les gens de New Garden sont à une distance de 200 à 300 milles de Cape Fear ; Cape Fear est au moins à 450 milles de Nantucket ; vous pouvez comprendre qu’ils n’entretiennent que peu de relations avec leur petite métropole, si ce n’est grâce aux Amis itinérants. D’autres se sont établis sur la célèbre rivière Kennebec, dans ce territoire de la province de Massachusetts qui est connu sous le nom de Sagadahoc. Ils y ont compensé les travaux qu’exige le défrichage de ces terres les plus densément boisées d’Amérique grâce aux différents types de commerce auxquels leur belle rivière et la proximité de la mer leur permet de se consacrer. Au lieu de brûler leur bois comme nous sommes obligés de le faire, ils en convertissent une bonne part en produits exportables, comme des douves, des madriers, des planches, des jantes, des perches, etc. C’est dans ce but qu’ils maintiennent une correspondance avec leur île natale et je connais plusieurs des principaux habitants de Sherburn qui, bien que marchands et résidant à Nantucket, possèdent cependant sur cette rivière des fermes de grandes valeurs d’où ils tirent une bonne partie de leur subsistance : de la viande, des céréales, du bois de chauffage, etc. Les
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titres de ces terres appartiennent à la vieille Plymouth Company4, qui a été responsable de la colonisation du Massachusetts, et cette compagnie, établie à Boston, possède encore le droit d’octroyer toutes les terres vacantes à l’intérieur de son territoire. Bien que cette partie de la province soit très féconde et très bien située, elle a cependant été singulièrement délaissée et négligée : il est étonnant que l’excellence du sol qui donne sur cette rivière ne lui ait pas valu d’être rempli d’habitants avant aujourd’hui, car les établissements qui se situent entre cet endroit et la Penobscot sont à peine sortis de leur enfance. Il est vrai que le travail qu’on doit y accomplir afin de faire place à la charrue est immense, mais la richesse et la qualité particulières du sol ne manquent jamais de récompenser amplement le propriétaire entreprenant ; je ne connais pas en ce pays de sol plus riche ou plus fertile. Je ne parle pas de cette sorte de fertilité transitoire qui s’évapore au soleil et disparaît en quelques années ; là, au contraire, même les plus hautes terres sont couvertes du plus riche et humide des terreaux qui fournit l’herbe la plus luxuriante et des récoltes assurées de céréales. Si New Garden est un meilleur établissement que ce dernier à cause de la douceur de son climat, la fécondité de son sol et la plus grande diversité de produits obtenus à moindre travail, il ne produit pas des hommes robustes et en mesure de faire face aux dangers et aux efforts. Il conduit trop à l’oisiveté et à la mollesse, à cause de la grande luxuriance de cette partie de l’Amérique et de la facilité avec laquelle on y cultive la terre. Devrais-je moi aussi refaire ma vie, je préférerais la contrée de Kennebec à l’autre, si charmante soit-elle ; le fait que les navires puissent remonter la rivière sur plus de 200 milles, la grande abondance de poissons qu’elle contient, la constante salubrité du climat, les heureuses rigueurs de l’hiver qui revient sans cesse protéger la terre d’un voluptueux manteau de neige, les tout aussi heureuses nécessités du travail : tout cela l’emporterait grandement sur la douceur des conditions de la Caroline où les hommes moissonnent trop, ne peinent pas assez et sont en situation de jouir trop vite des bienfaits de l’existence. J’en connais beaucoup qui ne seraient pas de mon opinion et qui me croiraient mauvais juge ; qu’ils aillent s’établir sur l’Ohio, la Monogahela, la Redstone Creek, etc. ; qu’ils aillent habiter les vastes étendues des berges de cette rivière parmi les plus belles d’entre toutes : c’est avec autant de joie que, pour ma part, je planterais ma tente sur les rives moins avenantes de la Kennebec ; cette contrée sera toujours bénie par la santé, le travail et le débordement d’activités, lesquels constituent des caractéristiques auxquelles j’accorde
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davantage de valeur qu’à une plus grande opulence et à une vie d’aisance voluptueuse. Bien que cette ruche féconde ne cesse de se répandre en essaims tout aussi industrieux qu’elle peut l’être, c’est ainsi qu’elle demeure toujours aussi habitée, sans qu’on y dénombre aucun membre inutile ; au contraire, on ne cesse d’y entreprendre de nouvelles affaires et de nouveaux projets ; plus un individu devient riche, plus son champ d’action s’élargit ; celui qui est près de finir sa carrière trime autant que celui qui la commence à peine ; personne ne s’arrête. Mais n’est-il pas étonnant qu’après avoir accumulé des richesses, ils ne souhaitent jamais abandonner la stérilité de leur île pour s’établir sur la terre ferme en un endroit mieux protégé et plus agréable ? N’est-il pas étonnant qu’après avoir passé le matin et le midi de leur âge au milieu du tumulte des vagues, fatigués par les peines d’une vie de labeur, ils ne souhaitent pas jouir du crépuscule de ces années de travail au sein d’une société plus nombreuse, en quelque endroit de terra firma où la rigueur des hivers est compensée par diverses scènes plus agréables que celles qu’offre leur île ? La même magie de l’habitude et des coutumes, qui fait que le Lapon, le Sibérien et le Hottentot5 préfèrent leurs climats, leurs occupations et leurs sols à des conditions plus avantageuses, pousse ces bonnes gens à penser qu’il n’est pas d’autre endroit sur terre qui puisse correspondre autant que Nantucket à leurs attentes. C’est là que se trouvent tous ceux avec qui ils ont établi des liens ; que pourraient-ils faire loin d’eux ? Vivre somptueusement, direz-vous, se faire de nouveaux amis, de nouvelles relations grâce à leur bonne table, grâce à une générosité ostentatoire, grâce à une hospitalité affectée. Ce sont là des pensées qui n’ont jamais pénétré leur esprit ; ils seraient saisis d’horreur à la seule idée de souhaiter mener une vie aussi peu en accord avec la règle de simplicité qui modèle leur existence, cela dans la richesse comme dans la pauvreté. Ils abhorrent l’idée de dépenser en vains gaspillages et en luxes inutiles les fruits de leur prospérité ; ils s’emploient à établir leurs fils et à de nombreux autres desseins utiles ; étrangers aux honneurs de la monarchie, ils n’aspirent pas à la possession d’opulentes fortunes avec lesquelles on achète des titres ronflants et des appellations frivoles. Pourtant, on ne trouve pas à Nantucket autant de personnes riches qu’on pourrait se l’imaginer après avoir pris en considération l’importance de leurs succès, de leurs entreprises et de leurs connaissances. Plusieurs meurent dans la pauvreté, sans être en droit d’adresser le moindre reproche à la bonne fortune ; d’autres ne font pas hériter leur descendance de l’opulence que la conduite de leurs affaires et leur prospérité semblaient
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naturellement promettre. La raison en est, je crois, la dépense nécessaire à l’entretien de leurs tables ; car dans la mesure où leur île ne fournit à la ville que peu de choses ou rien, tout le monde (à l’exception de quelques familles) doit se procurer ce qu’il désire sur la terre ferme. Le simple foin que consomment leurs chevaux et les autres articles nécessaires à l’entretien d’une famille, toutes ces denrées, quoique peu coûteuses dans une contrée de grande abondance comme l’est le Massachusetts, deviennent chères à cause des pertes et des dépenses qu’entraîne nécessairement leur transport. Un grand nombre de petits vaisseaux de la terre ferme ou de Martha’s Vineyard ne cessent d’affluer ici comme à un marché. Sherburn est extrêmement bien approvisionnée en toutes choses mais la simple régularité de cet approvisionnement draine nécessairement une grande quantité d’argent. La première chose qu’ils font avec leur huile et leurs fanons est de les échanger contre du pain, de la viande et toutes les autres choses qui leur sont nécessaires ; les besoins d’une grande famille sont très importants et nombreux, aussi économe soit-elle ; ces besoins se renouvellent constamment, tant et si bien qu’ils ne cessent de détourner perpétuellement une part considérable de leurs profits. Si par hasard ils cessent de faire des profits, le capital en souffre et il arrive souvent que la plus grande partie de ce qui leur appartient soit en train de flotter sur les mers. Il n’y a que deux congrégations dans cette ville6. Ils se réunissent chaque dimanche dans des temples aussi simples que les résidences de la population, et il n’y a qu’un seul prêtre pour toute l’île. Qu’est-ce que dirait de cela un bon Portugais ? — Rien qu’un seul prêtre pour instruire une île entière et pour guider leurs consciences ! C’est pourtant le cas ; chaque individu sait comment s’occuper de la sienne et est content de le faire aussi bien qu’il le peut. Cet ecclésiastique solitaire est un ministre presbytérien qui s’occupe d’une très vaste et respectable congrégation ; l’autre congrégation est constituée de quakers qui, vous le savez, n’admettent aucun prêtre qui, du fait d’avoir été ordonné, obtient l’exclusivité du droit de prêcher, de catéchiser et de toucher quelque salaire pour sa peine. Quiconque parmi eux se croit appelé à le faire peut interpréter les Saintes Écritures ; de plus, comme ils n’admettent aucun sacrement, ni baptême ni aucune autre forme de cérémonial que ce soit, ce genre d’homme serait inutile. La plupart de ces gens sont continuellement en mer et, au milieu des tempêtes auxquelles ils font face, ils ont souvent les raisons les plus pressantes d’invoquer le Père de la Nature. Les deux sectes vivent en compagnie l’une de l’autre dans une paix et une harmonie
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parfaites ; le temps des anciennes discordes religieuses est maintenant passé (pour ne jamais revenir, je l’espère), alors que chacun croyait qu’il était méritoire non seulement de damner autrui, ce qui n’aurait guère eu d’importance, mais de se persécuter et de s’assassiner les uns les autres pour la gloire de cet Être qui ne nous demande rien de plus que de vivre en nous aimant les uns les autres ! Tout le monde va au lieu de culte qu’il préfère et ne croit pas que son voisin est dans le tort s’il ne l’y suit pas ; celui qui s’occupe avec zèle de ses affaires temporelles montre moins de véhémence à s’occuper des affaires spirituelles et c’est avec bonheur que vous constaterez qu’il ne se trouve à Nantucket ni désœuvrés, ni dévots excessifs, ni enthousiastes tonitruants, ni démagogues fâcheux. J’aimerais qu’il soit en mon pouvoir d’engager dans la chasse à la baleine le plus persécuteur des bigots que je pourrais trouver à –––––––––– ; en moins de trois ou quatre années, vous le verriez devenir un homme des plus docile et par conséquent un meilleur chrétien. Aussi singulier que cela pourra vous paraître, il ne se trouve que deux médecins sur l’île7 ; à quoi pourrait bien servir la médecine dans une société rustique où les excès d’ébriété sont si rares ? Quel besoin de remèdes galéniques peut-on avoir où il y a si peu de fièvres et d’estomacs alourdis par la perte de leurs pouvoirs digestifs ? La tempérance, le calme des passions, la frugalité et l’exercice continuel les gardent en bonne santé et conservent intacte la constitution qu’ils ont héritée de parents en aussi bonne santé qu’eux-mêmes et qui, dans les pures étreintes du plus précoce et du plus chaste amour, leur ont transmis la plus solide des charpentes corporelles que la nature puisse donner. Mais comme il n’est aucune des régions habitables de ce globe qui soit exempte de quelques maladies dérivant soit du climat, soit des modes de vie, ils sont parfois sujets à des consomptions et à des fièvres. Depuis la fondation de cette ville, ils n’est apparu aucune de ces infections épidémiques qui entraînent la dépopulation de tant d’autres contrées ; plusieurs d’entre eux se sont extrêmement bien familiarisés avec les méthodes avec lesquelles les Indiens soignent les petites infections et ils les mettent en pratique avec succès. Vous trouverez difficilement ailleurs une communauté constituée du même nombre d’individus aussi constamment en bonne santé et au sein de laquelle on peut voir autant d’hommes âgés ayant conservé leur verdeur, dont l’âge avancé se devine plus à la maturité de leur sagesse qu’aux rides sur leurs visages ; c’est bien là une des bénédictions de cette île, qui compense avantageusement leur manque de sols aussi riches que ceux qui se trouvent dans le sud, où les coliques et les fièvres bilieuses se développent de pair
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avec la canne à sucre, les ananas parfumés, etc. L’emplacement de l’île, la pureté de l’air, la nature de leurs occupations maritimes, leur vertu et leur modération sont les raisons de la vigueur et de la santé qui sont les leurs. La pauvreté de leur sol les a, je l’espère, mis hors d’atteinte des risques de conquêtes ou de l’envie de les en bannir sans raison. Devraient-ils être chassés de cet endroit que les conquérants n’en gagneraient que peu d’acres de terres clôturées et cultivées, de rares maisons et quelques meubles. Le génie et l’esprit d’entreprise des habitants, lesquels constituent l’unique richesse de leur île, partiraient avec eux. Elle perdrait la renommée qu’elle connaît présentement et en quelques années elle retournerait à son état primitif de stérilité et de pauvreté ; il leur serait peut-être permis de se transporter dans leurs propres vaisseaux vers quelque autre endroit ou une île qu’ils fertiliseraient bientôt par les mêmes moyens que ceux avec lesquels ils ont fertilisé celle-ci. Un seul avocat a trouvé, depuis quelques années, les moyens de vivre ici8, mais la plus grande partie de sa fortune lui provient plus du fait d’avoir épousé une des plus riches héritières de l’île que des honoraires de son cabinet ; il est cependant quelquefois employé afin de recouvrer de l’argent prêté sur la terre ferme ou afin de prévenir les ennuis auxquels la tendance qu’ont ces habitants d’entreprendre des procès peut parfois les exposer. Il est rarement employé comme voix de la défense et encore plus rarement comme voix de l’accusation, procédure à laquelle ils sont étrangers sauf lorsque la fraude est évidente et le danger imminent. Les avocats sont si nombreux au sein de toutes nos villes populeuses que je suis surpris qu’ils n’aient pas songé à s’établir plus tôt ici ; ce sont des plantes qui pousseront dans n’importe quel sol qui aura été cultivé par autrui et lorsqu’elles ont pris racine, elle font périr tous les autres légumes qui poussent autour d’elles. Dans toutes les provinces, les malheurs de leurs concitoyens leur permettent d’accumuler, jour après jour, des fortunes étonnantes ! Même établi dans la région la plus obscure de cette contrée, la présence du plus ignorant, du plus maladroit des membres de cette profession entraînera le développement du caractère litigieux de ce peuple et il amassera sans travailler plus de richesses que le plus opulent des fermiers pourra en amasser pour ses peines. Ils ont si habilement embrouillé de leurs procédures et de leurs tournures les lois nationales, ils sont devenus un mal tellement nécessaire dans le cadre de nos constitutions actuelles, qu’il semble impossible de leur échapper et de leur trouver un remède. Quelle pitié que nos ancêtres, qui ont heureusement aboli tant de coutumes néfastes et expurgé leur nouveau gouvernement de tant d’erreurs et d’abus,
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cela sur le plan religieux comme sur le plan civil, n’aient pas également paré à l’introduction d’un genre d’homme aussi dangereux ! Dans certaines provinces où chaque habitant est constamment employé aux labours et à la culture de la terre, ils sont les seuls membres de la société à posséder quelques connaissances ; ces provinces témoigneront de l’usage inéquitable qu’ils ont fait de ces connaissances. Ils sont ici ce que le clergé a été pour vous par les siècles passés ; les réformes qui ont fait battre de l’aile au clergé sont la fierté de la présente époque et le plus heureux des événements ; on a besoin d’une réforme toute aussi utile afin de nous soulager des contraintes scandaleuses et du fardeau oppressant sous lequel nous gémissons ; la chose est peut-être impossible, mais si cela ne devait pas rendre les hommes trop heureux, ce serait un événement des plus sincèrement souhaitables. À l’abri de toute oppression civile9, cette société de pêcheurs et de marchands vit ici dans le bonheur, sans aucun établissement militaire, sans gouverneur ni autre maître que les lois, et leur code civil a si peu de poids qu’on ne le ressent jamais. Un homme peut traverser (ainsi que l’ont fait plusieurs de ceux que je connais) toutes les étapes d’une longue vie, lutter contre de multiples revers de fortune, jouir paisiblement de ce qui lui arrive de bien et, pendant cette longue période, ne jamais avoir besoin des recours ni de l’assistance de la loi. Le principal de ces bienfaits est la protection générale des individus et cette protection s’acquiert au prix de taxes des plus modiques, lesquelles sont payées de bonne grâce, et de maigres droits afférents à la conduite d’un commerce honnête (car ils méprisent la contrebande). Bien qu’ils soient semblables à ceux des autres comtés de la même province, rien n’est plus simple que leurs règlements municipaux : parce qu’ils sont isolés des autres, parce que leurs coutumes, ainsi que la nature des affaires qui les occupent sont différentes, et parce qu’ils ont peu de relations avec la populeuse province à laquelle ils appartiennent. La même simplicité imprègne le culte qu’ils rendent à la Divinité ; leurs aînés sont les seuls professeurs de leurs congrégations, les instructeurs de leur jeunesse et souvent l’exemple de leurs ouailles. Ils visitent et réconfortent les malades ; après la mort, la Société les inhume avec leurs pères, sans pompes ni prières ou cérémonies ; on n’érige ni pierre ni monument afin d’indiquer l’endroit où une personne est enterrée ; leur souvenir est préservé par la tradition. Le seul monument qu’on leur érige tient au souvenir que l’on conserve de leurs entreprises passées, de leur gentillesse, de leur charité ou de leurs fautes les plus remarquables.
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Les presbytériens vivent charitablement en leur compagnie et ils vivent de même en la leur ; leur ministre, en véritable propagateur de l’Évangile, leur inculque les doctrines qu’on y trouve, les récompenses qu’il promet, les châtiments qu’il réserve à ceux qui commettent des injustices. Rien ne peut être aussi peu encombré de cérémonies inutiles et de formalités insignifiantes que leur mode de culte ; on pourrait dire de lui, avec une grande justesse, qu’il s’agit d’un culte très authentique si celui des quakers n’avait jamais vu le jour. Partageant la même foi chrétienne, obéissant au même législateur, ils s’aiment et s’assistent mutuellement dans tous leurs besoins ; partageant les mêmes labeurs, ils s’unissent cordialement et sans la moindre rancune dans tous leurs projets en ce bas monde ; il n’existe aucune rivalité entre eux, sinon celle qu’impliquent leurs excursions maritimes, l’art d’armer leurs vaisseaux, celui de la navigation, du harponnage de la baleine et de ramener à bon port de la meilleure récolte. En tant que sujets, ils obéissent de bonne grâce aux mêmes lois et paient les mêmes droits. Mais je ne dois pas oublier une autre caractéristique particulière à cette communauté : je ne crois pas qu’il y ait un seul esclave sur toute l’île, au moins chez les Amis ; tandis que l’esclavage prédomine autour d’eux, cette Société, qui déplore cette scandaleuse insulte à l’humanité, est la seule a avoir donné au monde un étonnant exemple de modération, de désintéressement et de charité chrétienne en émancipant ses nègres. Je vous expliquerai plus loin la vertu et le mérite singuliers qu’il est si juste de leur reconnaître du fait d’avoir accompli une si heureuse et si édifiante réforme avant le reste de leurs compatriotes. Heureux le peuple assujetti à un aussi doux gouvernement ; heureux le gouvernement qui doit diriger des sujets aussi paisibles et aussi entreprenants ! Pendant que nous défrichons les forêts, que nous mettons un sourire sur le visage de la nature, que nous drainons les marais, que nous cultivons le blé et le transformons en farine année après année, ils ratissent la surface de la mer pour y puiser des richesses tout aussi nécessaires. Aurais-je le loisir et les moyens de vous conduire de par tout ce continent, je pourrais vous dévoiler un tableau étonnant, dont on connaît bien peu de choses en Europe : du bonheur s’étendant des rivages de la mer jusqu’au derniers établissements à la limite des étendues sauvages ; un bonheur sans obstacles, n’était-ce de la sottise de quelques-uns, de notre esprit litigieux et des calamités imprévues dont aucune société humaine ne peut être totalement exemptée. Puissent les citoyens de Nantucket vivre longtemps dans une paix perpétuelle, sans être troublés ni par les vagues des éléments qui les entourent ni par l’agitation politique qui secoue parfois notre continent.
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Lettre VIII Coutumes particulières de Nantucket
L
es coutumes des Amis sont entièrement fondées sur la simplicité1, ce
qui fait leur fierté et constitue leur caractéristique la plus distinctive, et ces coutumes ont acquis force de loi. Ici, ils sont fortement attachés à la simplicité de leurs vêtements, de même qu’à celle de leur langage, à tel point que, bien que ce langage soit parfois grammaticalement incorrect, si, après être né et avoir été élevé ici, quelqu’un se mettait à le parler avec plus de correction, on le tiendrait pour un pédant ou pour un innovateur. D’autre part, si un étranger devait venir ici et se mettre à pratiquer leur idiome dans ce qu’ils considèrent être toute sa pureté, il s’assurerait immédiatement, ce faisant, le plus cordial des accueils et ils l’aimeraient comme s’il était un ancien membre de leur Société. Ils se sont si souvent fait berner de cette façon qu’ils commencent enfin maintenant à devenir plus prudents. Ils tiennent tellement à leurs anciennes habitudes de travail et de frugalité que s’il arrivait à l’un d’eux de porter une veste de tissu anglais à un autre moment que le premier jour (le dimanche2), on le ridiculiserait et le blâmerait grandement ; il serait considéré comme une personne négligente et dépensière, à qui il serait dangereux de faire confiance et qui ne mérite aucune assistance. Il y a de ça quelques années, deux cabriolets à un cheval ont été importés de Boston au grand dam de ces prudents citoyens ; rien ne pouvait leur paraître plus coupable que l’usage de ces véhicules peints de couleurs criardes au mépris des chariots à un cheval de leurs pères, plus utiles et plus simples. Cet objet de luxe extravagant et inconnu a presque causé un schisme et fit parler tout le monde ; certains prédirent la ruine prochaine des familles qui les avaient importés ; d’autres craignaient les dangers de l’exemple : depuis la fondation de leur ville, rien n’avait jamais autant inquiété cette rustique communauté. Le propriétaire d’un de ces cabriolets profanes, rempli de remords, le retourna sagement sur le continent ; l’autre, plus obstiné et pervers, défiant toutes les remontrances, continua à faire usage de son cabriolet jusqu’à ce qu’ils finissent graduellement par l’accepter ; j’ai cependant observé que les personnes les plus riches et les plus respectables se rendent encore au culte ou à leur ferme à bord de chariots à un cheval recouverts d’une bâche toute simple ; si vous prenez en considération leur sol sablonneux et le mauvais état de leurs routes, ce sont certes là des véhicules adaptés à cette île.
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L’oisiveté est le plus abominable des péchés qu’on puisse commettre à Nantucket : un oisif serait bientôt montré du doigt comme un objet sur lequel s’apitoyer car on considère l’oisiveté comme synonyme du besoin et de la faim. Ce principe est tellement bien appliqué et tellement répandu, est un précepte tellement dominant, qu’ils ne sont littéralement jamais oisifs. Même lorsqu’ils vont à la place du marché, qui est (si on me permet d’utiliser l’expression) le café de la ville, que ce soit pour faire des affaires ou pour causer avec leurs amis, ils auront toujours un morceau de cèdre dans les mains et, pendant qu’ils parlent, ils s’emploieront, comme si le geste était instinctif3, à les transformer en quelque chose d’utile, en bondes ou en fossets pour leurs barriques d’huile, ou en divers objets utiles. Je dois reconnaître que je n’ai jamais vu de couteau utilisé avec autant d’ingéniosité ; ainsi emploient-ils utilement les moments les plus oisifs de leur existence. Au cours des nombreuses heures de loisirs que leur laissent leurs longues croisières, ils taillent et sculptent dans le bois des boîtes et de jolis jouets de toutes sortes, propres à divers usages, qu’ils rapportent chez eux en témoignage des pensées qu’ils ont consacrées à leurs épouses ou à leurs amies de cœur. Ils m’ont montré divers petits bols et d’autres objets utilitaires, fabriqués à la manière des tonneliers, tous des plus jolis et élégants. Rappelez-vous, s’il-vous-plaît, que quels que soient leurs projets futurs ou leur fortune, ils sont tous familiers avec le métier de tonnelier ; aussi, presque tous les hommes de cette île ont-ils toujours deux couteaux dans leur poche, l’un beaucoup plus gros que l’autre, et bien qu’ils considèrent avec le plus grand des mépris tout ce qui porte le nom de mode, ils sont cependant, en ce qui concerne le choix et l’achat de leurs couteaux, aussi difficiles à satisfaire et aussi dépensiers que peut l’être un jeune élégant de Boston en ce qui à trait à son chapeau, à ses boucles ou à sa veste. Aussitôt que l’un de ces couteaux est abîmé ou déclassé par un autre plus commode, il est soigneusement rangé dans un tiroir. Il m’est arrivé d’en voir plus de cinquante qu’avait ainsi conservés monsieur ––––––––––, un des hommes les plus recommandables de cette île, et dans le lot, il ne s’en trouvait pas un de parfaitement identique à l’autre. Puisque leurs excursions en mer sont parfois très longues, pendant leurs absences, leurs épouses se voient nécessairement dans l’obligation de veiller aux affaires, de tenir les comptes, bref, de prendre des responsabilités et de pourvoir aux besoins de leurs familles. Dans la mesure où les femmes sont fréquemment dans cette situation, elles développent leur capacité et leur intérêt pour cette sorte de surintendance dont elles semblent généralement s’acquitter, grâce à leur prudence et à leur bonne gestion, avec beaucoup de succès. Cette
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occupation développe leur jugement et celles qui s’y adonnent sont considérées, à juste titre, d’un rang supérieur à celui des autres épouses ; c’est la principale raison pourquoi les femmes de Nantucket, ainsi que celles de Montréal*4, apprécient tant la société, sont si affables et si versées dans les affaires du monde. À leur retour, les hommes, épuisés par les fatigues de la mer, remplis de confiance et d’amour, approuvent de bonne grâce toutes les transactions qui ont été faites pendant leur absence, et tout le monde est heureux et a l’esprit tranquille. « Femme, tu as bien fait ça » : ainsi approuve-t-on généralement l’application qu’elles ont mise dans leur travail. Qu’est-ce que pourraient faire les hommes sans l’entremise de ces fidèles compagnes ? En certaines saisons, ils sont si nombreux à être absents que la ville devient passablement déserte et la tristesse de cette situation pousse les femmes à aller les unes chez les autres plus souvent qu’elles le font lorsque leurs époux sont à la maison : d’où l’habitude qu’elles ont toutes prise, même celles dont les époux ne vont pas au large, de se visiter sans cesse. La maison est toujours nettoyée avant qu’elles s’installent et c’est avec une grande attention qu’elles se consacrent à ce qui occupe leur visite, laquelle est l’occasion de faire la conversation, de boire un bol de thé et de manger un copieux souper. Lorsque bonhomme revient à la maison après son travail, il va tranquillement chercher son épouse et la ramène au domicile ; pendant ce temps-là, les jeunes garçons s’empressent d’identifier une maison dans laquelle ils peuvent se rassembler en compagnie des filles du voisinage. Au lieu de s’adonner aux cartes, de faire de la musique ou des chansons, ils racontent les histoires de leurs entreprises baleinières, leurs diverses aventures en mer et parlent des multiples rivages et peuples qu’ils ont visités. « L’île de Santa Catarina, au Brésil, dit l’un d’eux, est une bien drôle d’île : elle n’a que des hommes pour habitants ; on ne permet pas aux femmes de s’en approcher ; sur toute l’île, il n’y a pas une seule femme. Qui, parmi nous, n’est pas heureux que ce ne soit pas le cas ici ? Il n’y a rien de meilleur au monde que les filles et les gars de Nantucket. » Cette innocente boutade répand le sourire, ils se chuchotent les uns aux autres ce qui leur passe par la tête ; on ne manque jamais de préparer des poudings, des tartes et des crèmes pour ces occasions, et je crois qu’il ne s’est jamais trouvé aucun peuple qui, dans les
* La plupart des marchands et des jeunes hommes de Montréal passent la plus grande partie de leur temps à faire du commerce avec les Indiens, cela à d’étonnantes distances du Canada, et il arrive souvent qu’ils soient absents de la maison pendant trois ans.
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conditions qui sont les siennes, vive dans une pareille aisance, voire dans la surabondance. Puisque que l’ébriété y est inconnue, et qu’on y déteste la musique et les chansons tout autant que la danse, ils ne trouveraient jamais comment occuper leurs temps libres s’ils ne se permettaient pas ces plaisirs de la table. Les jeunes gens s’assoient, discutent et se divertissent aussi bien qu’ils le peuvent ; si l’un d’eux est récemment revenu de croisière, il est généralement l’orateur de la soirée ; ils rient et parlent souvent tous ensemble, et ils sont heureux et n’échangeraient pas leurs plaisirs pour ceux des plus brillantes réunions de l’Europe. Cela dure jusqu’au retour du père et de la mère ; lorsqu’ils se retirent dans leurs maisons respectives, les hommes reconduisent celles qui partagent leur affection. Ainsi passent-ils plusieurs des soirées de leur jeunesse ; c’est pourquoi il n’est pas étonnant de les voir se marier bien jeunes. Mais à peine la cérémonie est-elle terminée qu’ils ne paraissent plus être aussi joyeux et gais ; le nouveau rang qu’ils occupent au sein de la Société les pénètre d’idées plus sérieuses que celles qui les occupaient auparavant. Le titre de chef de famille exige nécessairement un comportement et une conduite plus fermes ; la nouvelle épouse se soumet aux contraintes de la coutume, qui sont aussi puissantes que la tyrannie de la mode ; elle prend graduellement de plus en plus de décisions ; le nouvel époux la laisse bientôt pour aller en mer et c’est à elle de découvrir et de mettre en pratique les nouvelles responsabilités qui sont les siennes. Ceux qui restent à la maison leur en cèdent généralement tout autant, au moins en ce qui a trait à l’ordinaire de la famille. Mais vous ne devez pas vous imaginer, après cet exposé, que les épouses de Nantucket sont turbulentes, impérieuses de caractère et qu’elles sont désobéissantes ; au contraire, les épouses de Sherburn ne font rien de plus que se soumettre aux habitudes prédominantes de l’île ; les époux, tout aussi dociles aux anciennes et respectables coutumes de leur contrée, s’y soumettent sans jamais y trouver la moindre inconvenance. S’ils se comportaient autrement, ils craindraient de subvertir les principes de leur Société en changeant ses anciennes règles ; ainsi les deux partis sont parfaitement contents, la concorde règne et tout le monde a l’esprit tranquille. La personne qui est de nos jours la plus riche de l’île doit toute sa prospérité et ses succès actuels à l’ingéniosité de son épouse : le fait est connu et bien établi ; tandis qu’il accomplissait ses premières croisières, elle faisait le commerce des épingles et des aiguilles, et elle s’occupait d’une école. Elle s’est par la suite procuré des objets plus importants, qu’elle a vendus avec un tel jugement qu’elle a jeté les bases d’une entreprise dont
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elle n’a cessé de s’occuper avec habileté et succès. Elle a écrit à Londres, établi des relations et, en bref, est devenue le seul agent avec lequel on fait affaire dans cette maison, cela tant au pays qu’à l’étranger. Y a-t-il quelqu’un dans cette contrée, y a-t-il un citoyen de Nantucket ou de Boston qui ne connaît pas tante Kezia4 ? Je me dois de vous dire qu’elle est l’épouse de M. C –––––––––– n, un homme très respectable qui, parfaitement d’accord avec tous ses projets, s’en remet à son jugement et à sa sagesse avec une confiance si entière qu’il lui laisse la responsabilité de tout ce qui a trait aux intérêts de la famille. Ils possèdent le meilleur manoir de l’île, à Quaise, où ils pratiquent l’hospitalité, et vivent dans une parfaite union. Il semble être le portrait même de l’homme contemplatif. En plus de faire montre de cette habileté à gérer les affaires du mari pendant qu’il est absent, les épouses de Nantucket s’adonnent à de nombreux travaux. Elle filent ou font filer sous leurs toits beaucoup de laine et de lin, et elles seraient à jamais déshonorées et tenues pour oisives si toute la famille n’était pas vêtue de bons et solides tissus maison fabriqués avec soin. Le premier jour est le seul moment où il est permis aux deux sexes de porter des vêtements provenant de manufactures anglaises, mais ces derniers sont d’un prix des plus modiques et d’une couleur des plus sobres ; leurs robes ne se distinguent d’aucune façon les unes des autres ; ils sont tous vêtus de la même façon, comme s’ils étaient les membres d’une même famille. Les femmes pratiquent ici une coutume bien singulière5, qui m’a grandement étonné, et je ne sais vraiment pas comment expliquer ce qui a pu être à l’origine de l’introduction d’une mode aussi remarquable, ou plutôt d’un besoin aussi extraordinaire. Elles ont adopté depuis quelques années la coutume asiatique de prendre chaque matin une dose d’opium6, et cette coutume est si profondément enracinée qu’elles auraient beaucoup de difficultés à vivre sans cette accoutumance ; elles préféreraient être privées du nécessaire plutôt que d’abandonner leur friandise favorite. La chose est plus répandue chez les femmes que chez les hommes, ces derniers étant rares à avoir été atteints par la contagion, bien que le shérif, que je me crois en droit d’appeler la personne la plus importante de l’île, lequel est de plus un éminent médecin, et que j’ai eu le plaisir de bien connaître, se soumet à cette habitude depuis de nombreuses années. Il en prend trois grains chaque jour après le déjeuner ; il m’a souvent dit que, sans l’effet de cette dose, il ne serait pas en mesure de traiter aucune affaire.
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Il est difficile de s’imaginer comment des gens qui ne cessent de respirer le bonheur et la santé grâce aux exercices et aux travaux auxquels ils se soumettent, qui ne sont jamais oppressés par les vapeurs de l’oisiveté, puissent malgré tout avoir besoin des effets trompeurs de l’opium afin de conserver la bonne humeur à laquelle leur donnent droit, à très juste titre, leur tempérance, leur climat et leur heureuse condition. Mais où pourrait-on trouver une société parfaitement à l’abri de l’erreur et de la sottise ? La moins imparfaite est, sans conteste, celle où prédomine le bien et, en accord avec cette règle, je peux sincèrement dire que je n’en ai jamais connue de moins viciée ni de plus paisible. La majorité des habitants actuels sont les descendants des vingt-sept premiers propriétaires qui ont reçu les lettres patentes de l’île ; quant au reste, de nombreux autres sont venus parmi eux, principalement du Massachusetts ; ici, il n’y a pas d’Écossais, d’Irlandais ni de Français, comme c’est le cas dans la plupart des autres établissements ; ils sont de race anglaise, sans mélange. Ils sont, conséquemment, tous plus ou moins parents ; vous ne devrez donc pas être étonné si je vous dis qu’ils s’adressent les uns aux autres en utilisant toujours les appellations de cousin, d’oncle ou de tante, lesquelles sont devenues tellement communes que, dans leurs rapports quotidiens, ils ne font usage d’aucune autre ; on vous accuserait de pédanterie et d’affectation si vous deviez refuser de vous conformer à cette ancienne coutume grâce à laquelle on se croit vraiment au sein d’une grande famille. De nombreuses personnes résident ici sans pouvoir se réclamer du moindre lien de parenté avec quelqu’un de la ville et, pourtant, à cause de la force des coutumes, elles ne font usage d’aucune autre appellation dans leurs conversations. Seriez-vous ici depuis à peine quelques jours que vous devriez adopter les mêmes tournures, ce qui est loin d’être désagréable dans la mesure où elles expriment la familiarité et l’amitié qui les unit et assurent leur tranquillité. Leur goût pour la pêche a été tellement prédominant qu’elle a occupé toute leur attention et les a empêchés de s’intéresser à des moyens de perfectionner leur agriculture. Plusieurs améliorations auraient pu être apportées à leur sol ; il existe plusieurs arbres qui, transplantés ici, se seraient très bien développés, auraient servi d’abri et à agrémenter les endroits privilégiés qu’ils ont engraissés avec tant de soins. Je suis certain
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que le cèdre rouge, le robinier*,5le céphalante ainsi que de nombreux autres arbres, auraient rapidement poussé ici et atteint une grande taille ; mais leurs pensées sont entièrement tournées en direction de la mer. Le blé d’Inde commence à leur donner d’importantes récoltes, et le blé semé parmi leurs tiges devient une céréale très profitable ; le seigle pourrait pousser sans difficulté ; ils pourraient cultiver, s’ils le voulaient, une immense quantité de sarrasin. Une pareille île, peuplée ainsi que je l’ai décrite7, n’est pas le genre d’endroit où le gai voyageur choisira de séjourner s’il désire jouir des divers plaisirs que peuvent offrir les plus belles villes de ce continent. Ce n’est pas qu’elle soit entièrement privée de ce à quoi nous pouvons donner le nom de divertissements, ni de distractions innocentes ; ceux qui y vivent dans l’opulence, et non dans le luxe et la prodigalité, ne s’y font remarquer par rien d’autre qu’une plus grande activité commerciale et une plus grande d’hospitalité, le soin supplémentaire qu’ils apportent à la préparation des plats et de meilleurs vins. Comme je l’ai déjà signalé, ils se promènent et discutent souvent ensemble, et lors d’occasions spéciales, ils se déplaceront jusqu’à Polpis, où se trouve une auberge dans laquelle on s’adonne à des amusements champêtres avec le même esprit de modération que ceux auxquels on s’adonne en ville. Leur simplicité est telle qu’elle est difficile à décrire ; le plaisir de se rendre à Polpis et d’en revenir ensemble, de causer et de marcher dans les environs, de lancer le bâton, de lourdes pierres, etc., sont les seuls divertissements qu’ils connaissent. C’est là tout ce qu’ils font et tout ce qu’ils paraissent vouloir faire. La maison de Polpis est communément le séjour de ceux qui possèdent le luxe d’un cheval et d’un cabriolet, ainsi que de ceux qui, comme c’est le cas pour la majorité, conservent une prédilection pour leurs véhicules rustiques. En séjournant à cet endroit, ils jouissent d’un changement d’air, ils goûtent aux plaisirs de l’exercice ; la consommation d’une coupe vivifiante, ce qui est loin d’être inapproprié en pareilles circonstances, est l’unique gâterie que se permettent ces gens en ces jours de leurs plus grandes réjouissances. Pour ces hommes qui sont souvent en mer, monter un cheval doit être un exercice des plus agréables. Il m’est arrivé d’être invité à cette maison et d’avoir le plaisir d’y conduire une des nombreuses beautés de cette île (car elle abonde en jolies femmes) vêtue de ravissants atours de la plus charmante * Une des espèces de ce qu’on appelle ici l’acacia à deux épines ; il donne le meilleur bois que nous ayons, et son ombre est très profitable à la croissance et à la qualité de l’herbe.
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simplicité ; comme le reste du groupe, elle était joyeuse sans rire aux éclats et souriait sans affectation. Elles faisaient toutes montre de gaieté, mais sans légèreté. Jamais de ma vie je n’avais vu tant de franche allégresse mêlée à tant de modestie. On a joui des plaisirs de la journée avec le plus grand entrain et la plus innocente des libertés ; cette amusante réunion n’était entachée ni de pudibonderie dégoûtante ni d’airs aguichants ; elles se comportaient en suivant leur caractère naturel et les seules règles de bienséance qu’elles connaissent. À quoi est-ce qu’un visiteur européen aurait pu bien s’occuper en un pareil endroit où il n’aurait pu entendre un violon, danser ou jouer aux cartes ? Il aurait dit de cette réunion qu’elle était bien terne et l’aurait classée parmi les jours les plus ennuyants de son existence. Cette excursion champêtre ressemblait beaucoup à celles que nous faisons dans notre province, avec cette seule différence que nous ne nous objectons pas à l’exercice de la danse, bien qu’elle se pratique aux accents grossiers de quelque violoniste africain autodidacte. Le chemin du retour s’est fait dans la même allégresse que celui de l’aller, et la clarté de la lune a eu la gentillesse d’étirer cette journée qui, comme c’est le cas des journées les plus agréables, était passée avec une singulière rapidité. Afin de visiter les régions de cette île les plus distantes de la ville8, je me suis fait conduire jusqu’à sa partie la plus orientale, qui ne présente rien de remarquable si ce n’est le courant de Pochick, où on attrape le meilleur poisson. Je suis passé le long des terrains de Tetawkemmo, qui constituent les champs communautaires ; les clôtures étaient faites de poteaux et de palissades de cèdre, et paraissaient parfaitement droites et soignées ; les différentes cultures qu’elles délimitaient s’y développaient fort bien ; je suis alors descendu dans Barnard Valley, où les pâturins annuels et des prés semblaient être plus abondants que partout ailleurs sur l’île ; de là je suis allé à Gibbs Pond et suis finalement arrivé à Siasconset. Plusieurs habitations ont été érigées sur ces rivages sauvages afin d’abriter les pêcheurs pendant la saison de la pêche ; elles étaient toutes vides, sauf l’une d’entre elles, que l’on m’avait signalée. Elle était comme les autres, construite sur les hauteurs du rivage, face au grand océan ; le sol semblait n’être composé que d’une couche de sable maigrement jonchée d’herbage. Ce qui rendait cette maison encore plus digne de mon attention était le fait qu’elle était construite sur les ruines d’une des anciennes cabanes érigées par les premiers colons afin d’observer l’apparition des baleines. Une seule famille vivait là, sans aucun voisin ; je n’avais jamais vu d’endroit aussi propre au développement de réflexions contemplatives, parfaitement isolé du vaste monde et éloigné de son agitation. La fureur incessante de
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l’océan était la seule chose qui s’offrait à la vue de la famille ; elle attirait irrésistiblement toute mon attention ; je regardais malgré moi en direction de la ligne d’horizon tracée par la surface des eaux sans cesse en mouvement et menaçant sans cesse de détruire ces rivages. Mes oreilles étaient abasourdies par le rugissement de ces vagues roulant les unes sur les autres comme si, poussées par une force supérieure, elles cherchaient à submerger l’endroit où je me tenais. Mes narines inhalaient involontairement les vapeurs salines émanant des particules dispersées par les lames écumantes ou des herbes disséminées sur le rivage. Mon esprit me suggérait mille réflexions imprécises, agréables au moment où elles se présentaient spontanément à moi mais désormais à moitié oubliées et indistinctes ; un homme du continent ne peut contempler sans effroi cet élément si singulier, dont l’impétuosité semble le destiner à être le destructeur de cette pauvre planète et qui, pourtant, en certaines époques particulières, est la raison de l’accumulation des fragments épars à l’origine des îles et des continents propres à l’établissement des hommes ! Qui peut observer sans être émerveillé le va-et-vient régulier de ces eaux qui se gonflent par moments afin de pénétrer chaque fleuve pour y ouvrir et y faciliter la navigation et qui, à d’autres moments, se retirent des rivages afin de permettre à l’homme d’y ramasser les divers coquillages qui sont la subsistance des pauvres ? Qui peut voir les tempêtes de vent, soufflant parfois avec une impétuosité dont la force pourrait déplacer la Terre, sans se sentir lui-même rejeté en dehors de la sphère du sens commun ? Ce vent qui, il y a tout juste quelques jours, répandait de la fraîcheur sur nos champs américains et nous permettait de nous reposer de la chaleur, peut-il être le même élément qui, par moments, agite de toutes ses forces les eaux de la mer, démâte les vaisseaux, est la cause de tant de naufrages et de grandes désolations ? L’homme se découvre être une bien petite chose lorsqu’il se remplit de pareilles pensées en se tenant comme je le faisais en bordure de l’océan ! Cette famille vivait uniquement de la pêche car la charrue ne s’était pas encore permis de retourner la surface desséchée des plaines avoisinantes, ce qui, de toute façon, n’aurait servi à rien ! Existe-t-il un endroit où les hommes ne trouveront pas la sécurité, la paix et l’abondance lorsqu’ils y vivent dans la liberté et le bonheur civils ? Tout ce qui manquait en ce lieu pour en faire la plus philosophique des retraites, c’était quelques vieux arbres afin d’abriter la solitude chérie de la contemplation. J’ai trouvé là une famille nombreuse, avec des enfants de tous les âges — les bénédictions d’un mariage tôt contracté ; ils étaient rougeauds comme des cerises, en aussi bonne santé que le poisson qui les avait nourris, droits comme
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des pins ; les plus âgés étaient déjà en mesure d’affronter le tumulte des vagues et ne tremblaient pas en les approchant, s’étant d’eux-mêmes initiés très tôt aux secrets de la carrière maritime à laquelle ils étaient tous destinés ; sur les bords d’une mare moins agitée, les plus jeunes, encore timides, s’enseignaient, avec des coquilles de noix et des bouts de bois imitant des bateaux, comment ils piloteraient dans le futur de plus grands vaisseaux, ceux de leur père, sur une mer plus méchante et plus profonde. Je suis demeuré là pendant deux jours afin de me familiariser avec les divers aspects de leurs occupations ainsi qu’avec le mode de vie qu’ils menaient dans un endroit aussi isolé. Les palourdes, les huîtres du rivage, ainsi que des boulettes indiennes*6, composaient leur solide nourriture quotidienne. Sur la barre avoisinante, ils attrapaient souvent de gros poissons qui étaient pour eux le plus grand des régals ; ils avaient également beaucoup de lard fumé. Le bruit des rouets signalait la présence d’une mère et de filles industrieuses ; l’une d’elle avait été formée au tissage et, possédant un métier à la maison, fabriquait les vêtements de toute la famille. J’ai trouvé très peu de livres chez ces gens qui n’ont pas beaucoup de temps à consacrer à la lecture9 ; la Bible et quelques brochures scolaires, rédigées en langues natick et anglaise, constituaient leur plus grosse bibliothèque. J’ai également vu quelques exemplaires du Hudibras, et de l’Histoire de Josephus10 ; personne ne sait qui a importé le premier de ces deux ouvrages. Il est extraordinaire de voir ces gens tellement attachés aux choses sérieuses et aucunement versés en littérature s’adonner avec plaisir à la lecture du premier de ces deux ouvrages, ce qui devrait exiger un goût passablement formé et des connaissances historiques. Tout le monde l’a lu et peut en réciter plusieurs passages de mémoire, ce qui ne m’a cependant pas permis de m’assurer qu’ils en comprenaient toutes les beautés. N’est-il pas fort étonnant de voir ces livres dans les mains de pêcheurs qui n’en connaissent pratiquement pas d’autres ? L’Histoire de Josephus est cependant plus facile à comprendre et plus faite pour correspondre à leur éducation et à leurs goûts dans la mesure où elle raconte l’histoire d’un peuple qui nous a transmis les prophéties auxquelles nous croyons et les lois religieuses auxquelles nous obéissons. Les voyageurs instruits qui sont allés à Rome et en Italie voir les peintures et les antiquités qui s’y trouvent et qui en sont revenus imprégnés
* Les boulettes indiennes, bouillies en gros morceaux, sont une préparation particulière d’un mets indien.
Lettre IX – Description de Charleston ; réflexions sur l’esclavage […]
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de l’admiration et de la vénération qu’elles inspirent, pourraient difficilement être persuadés qu’un endroit aussi misérable, qui ne recèle rien de remarquable si ce n’est le génie et l’esprit d’entreprise de ses habitants, puisse s’avérer un objet digne d’attention. Mais moi qui n’ai jamais vu les beautés de l’Europe, je trouve mon contentement et mon plaisir à l’examen attentif de ce qu’on peut voir dans mon pays natal ; si nous ne possédons pas d’antiques amphithéâtres, de palaces dotés ni de hautes tours, nous jouissons dans nos bois d’un réel bonheur dont les merveilles de l’art ne sont pas en mesure de rendre compte. Nul ne souffre parmi nous de l’oppression du gouvernement ou de la religion ; il y a très peu de pauvres, sinon les oisifs et, heureusement, la force de l’exemple et les encouragements ont tôt fait de leur redonner le goût de se livrer à des occupations, un goût qu’ils avaient peut-être perdu quand ils étaient dans leur pays d’origine parce qu’ils n’avaient pas d’occasions d’en tirer profit, ce qui pousse si souvent les Européens honnêtes à venir trouver refuge parmi nous. En Europe, les moyens d’assurer sa subsistance sont limités ; les rangs de l’armée sont remplis, la marine abonde de matelots, la terre n’a peut-être pas besoin de laboureurs supplémentaires, le manufacturier croule sous les surnuméraires : qu’advient-il alors de celui qui n’a pas d’emploi ? Ici, au contraire, l’esprit d’entreprise s’est doté d’un champ illimité où les hommes peuvent trouver à s’employer — un champ qui ne sera pas complètement en culture avant de nombreux siècles !
Lettre IX Description de Charleston ; réflexions sur l’esclavage ; sur la domination du mal ; une scène accablante1
C
est au Nord ce que Lima est au Sud : elles sont toutes deux les capitales des provinces les plus riches de leurs hémisphères respectifs ; vous pouvez donc en déduire que l’aspect des deux villes doit nécessairement être une illustration de leur richesse. L’or abonde au Pérou et Lima est remplie d’habitants qui y jouissent du genre de plaisirs raffinés et luxueux que permet la richesse. La Caroline produit des biens peut-être encore plus précieux que l’or dans la mesure où il faut accomplir plus de travail pour les obtenir ; les produits dont elle fait étalage sur les marchés de notre hémisphère sont certes d’une valeur et d’un luxe inférieurs à ceux harleston
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de l’hémisphère sud mais ils sont de loin supérieurs à ce qu’on peut trouver dans nos villes du nord. Son emplacement est admirable ; elle est construite au confluent de deux larges fleuves alimentés par un grand nombre de petits affluents qui, au printemps, sont tous navigables par bateaux à fonds plats. C’est là que convergent les produits de ce vaste territoire ; c’est donc le point de départ des exportations les plus profitables ; leurs débarcadères, leurs quais et leurs entrepôts sont extrêmement utiles à cette importante entreprise commerciale. Sa population est la plus brillante d’Amérique ; on l’appelle le centre de notre beau monde2 et elle est toujours remplie des plus riches planteurs de la province qui y résident pour des raisons de santé et pour les plaisirs qu’ils y trouvent. On y voit sans cesse un grand nombre de valétudinaires venus des Antilles qui, épuisés par la nature débilitante de leur air, de leur soleil et de leur mode de vie, cherchent à s’y refaire une santé. J’ai vu plusieurs de ces Antillais qui, à trente ans, étaient déjà affligés par les infirmités du grand âge car rien n’est plus commun, dans ces contrées opulentes, que de voir les gens y perdre la capacité de jouir des plaisirs de l’existence à un âge où nous, hommes du nord, commençons tout juste à goûter aux fruits de notre travail et de notre prudence. L’importance des plaisirs et des frais de table de ces citoyens est bien plus grande que vous pouvez l’imaginer, car le développement de cette ville et de cette province a été étonnamment rapide ; dommage que l’étroitesse de la bande de terre sur laquelle elle se dresse l’empêche de s’étendre davantage, ce qui est la raison pour laquelle les maisons y sont si chères. La chaleur du climat, qui est parfois très grande dans les régions intérieures de la contrée, est toujours tempérée à Charleston, bien que le soleil y soit parfois trop puissant lorsqu’elle ne reçoit pas de brises de mer. Le climat y rend très dangereux les excès de toutes sortes, particulièrement ceux de la table, et pourtant, insensibles au danger ou parce qu’ils ne le craignent pas, ils ne s’en privent pas et jouissent d’une joyeuse mais courte existence : les rayons de leur soleil semblent irrésistiblement les pousser à mener une vie de dissipations et de plaisirs ; les femmes, du fait de leur sobriété, vivent cependant plus longtemps et meurent rarement sans avoir eu plusieurs époux. Un Européen qui en est à sa première visite sera grandement étonné de l’élégance de leurs maisons et de leur ameublement somptueux ainsi que de la magnificence de leurs tables, surtout s’il se rappelle que cet établissement est de fondation très récente. Les trois principales classes d’habitants sont les avocats, les planteurs et les marchands. C’est dans cette province que les premiers semblent
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avoir trouvé leur meilleur butin car rien ne peut y dépasser leur richesse, leur pouvoir et leur influence. Ils ont atteint le nec plus ultra des plaisirs de ce bas monde ; aucune plantation n’est achetée, aucun titre n’a de valeur, aucun testament n’est valide s’ils n’en ont pas dicté, arrangé et approuvé les termes. Toutes les propriétés de la province sont désormais dépendantes de cette société, laquelle est bien loin de se satisfaire, à la manière des prêtres et des évêques, de la maigre mosaïque part de profit que permet le dixième commandement. J’en prends pour témoins les nombreux habitants qui, pour avoir fait valoir ce qui était éventuellement leur droit sur quelques centaines d’acres, ont perdu la totalité de leur patrimoine dans le labyrinthe de la loi. À proprement parler, ces hommes font la loi bien plus qu’ils ne l’interprètent et, comme ils l’ont fait dans la plupart des provinces, ceux d’ici sont parvenus à lier le savoir et l’habileté du scribe au pouvoir et à l’ambition du prince : qui peut dire où cela mènera dans le futur ? La nature de nos lois et l’indépendance d’esprit, qui tendent souvent à nous rendre litigieux, font nécessairement en sorte que la plus grande partie des propriétés des colonies se retrouvent dans les mains de ces messieurs. Dans un siècle, les hommes de loi posséderont, dans le nord, autant de biens que l’Église en possède aujourd’hui au Pérou et au Mexique. Tandis qu’à Charleston tout n’est que gaieté, festivités et joie de vivre3, il vous serait difficile d’imaginer les scènes de misère qu’on retrouve partout dans la campagne. L’habitude les a rendus sourds, elle a durci leurs cœurs ; ils ne voient, n’entendent ni ne ressentent le malheur de leurs pauvres esclaves dont les pénibles labeurs sont à la source de toute leur richesse. On y est aveugle aux horreurs de l’esclavage, aux épreuves de l’incessant labeur, et nul ne pense avec compassion aux torrents de sueurs et de larmes que versent les corps des Africains pour arroser quotidiennement le sol qu’ils labourent. Le claquement du fouet qui presse ces pauvres êtres à accomplir des travaux excessifs résonne à une bien trop grande distance de la joyeuse capitale pour y être entendu. La race élue mange, boit et vit dans le bonheur tandis que ceux qui n’ont pas cette chance essouchent les terres, cultivent l’indigo ou décortiquent le riz, sont exposés à un soleil tout aussi brûlant que celui sous lequel ils sont nés, cela sans le soutien d’une bonne nourriture, sans l’effet cordial d’aucune liqueur égayante. Ce grand contraste de conditions a souvent été l’objet de mes plus affligeantes méditations. Voyez, d’un côté, des gens jouissant de tout ce que la vie peut offrir de plus charmant et de plus plaisant, cela sans travailler, sans se fatiguer, et dont les souhaits n’ont pas besoin
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d ’attendre bien longtemps avant d’être exaucés. Grâce à l’or tiré des montagnes du Pérou, ils envoient des vaisseaux sur les côtes de Guinée ; avec cet or, on sème la guerre, le meurtre et la dévastation dans quelque tranquille et paisible région d’Afrique où vivaient des gens innocents, qui ne savaient même pas que tous les hommes n’étaient pas noirs. La fille est séparée de sa mère en larmes, l’enfant est séparé de ses pauvres parents, l’épouse est séparée de son tendre époux : des familles entières sont enlevées et emmenées, à travers les orages et les tempêtes, dans cette riche métropole ! Là, ils sont mis en vente de la même manière qu’on le fait avec les chevaux, ils sont marqués comme du bétail et on les conduits ensuite sur les plantations des citoyens de cette ville où ils laboureront, souffriront de la faim et gémiront pendant quelques années. Et pour qui doivent-ils travailler ? Pour des gens qu’ils ne connaissent pas et qui n’ont d’autre pouvoir sur eux que celui de la violence, qui ont pour seul droit celui que ce métal maudit leur a donné ! Étrange ordre des choses ! Oh, Nature, où es-tu ? — Ces Noirs ne sont-ils pas autant que nous tes enfants ? De l’autre côté, on ne voit rien que la misère et les malheurs les plus grands, qu’on ne peut même pas songer à soulager ! Jour après jour, ils triment sans avoir le moindre espoir de moissonner un jour pour eux-mêmes ; ils sont dans l’obligation de consacrer leurs vies, leurs membres, leur volonté et toutes leurs forces vitales au gonflement des richesses de leurs maîtres qui ne leur accordent pas la moitié de la gentillesse et de l’affection qu’ils accordent à leurs chiens et à leurs chevaux. Ceux qui labourent la terre, portent les fardeaux, transforment les billots en bonnes planches, n’ont pas droit à la gentillesse et à l’affection. Leur accorder ce genre de récompense, aussi simple et naturelle soit-elle, serait faire montre d’humanité, ce dont les planteurs sont incapables ! Si on donne aux nègres la permission de devenir pères, cette fatale indulgence ne fait qu’augmenter leur misère ; les pauvres compagnes de leurs rares plaisirs sont également leurs compagnes de travail et lorsqu’arrive le moment où ils pourraient souhaiter les voir au repos, c’est avec des larmes dans les yeux qu’ils les voient doublement opprimées, obligées de se soumettre au fardeau de la nature — fatale récompense — tout en accomplissant de lourdes tâches. Combien en ai-je entendu maudire cet irrésistible attrait et regretter d’être devenus, pour avoir goûté à ces innocents plaisirs, les responsables de la double misère de leurs épouses. Il ne leur est pas permis d’avoir leur part des ineffables sensations que la nature inspire dans les cœurs des pères et des mères ; ils doivent se les refuser et devenir, comme leurs maîtres, insensibles et indifférents. Cette
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situation contre nature est souvent la raison de leur plus intense et plus poignante tristesse ; ils n’ont pas, comme nous, le temps d’élever tendrement leur faible progéniture, de la bercer sur leurs genoux, de jouir du bonheur d’être parents. Leur tendresse paternelle s’aigrit à l’idée que, si leurs enfants survivent, ce sera pour vivre comme eux en esclaves ; on ne leur laisse pas le temps de se consacrer à leur saint devoir ; les mères doivent les attacher sur leur dos et, malgré ce poids supplémentaire, suivre leurs époux dans les champs où elles n’entendent trop souvent rien d’autre que la voix ou le fouet du surveillant et les sanglots de leurs petits qui brûlent sous le soleil. Ces malheureuses créatures sanglotent et pleurent comme leurs parents, sans qu’aucun soulagement ne soit possible ; l’instinct le plus primaire, tellement louable, tellement irrésistible, entre ici en conflit avec les intérêts du maître et toutes les lois de la nature doivent céder aux ordres de ce dieu. Ainsi le planteur s’enrichit-il ; j’ai tellement peu l’habitude et l’expérience de ce mode de vie que, devrais-je posséder une plantation et mes esclaves devraient-ils être traités ainsi qu’ils le sont généralement par ici, je ne pourrais jamais trouver la paix ; mon sommeil serait perpétuellement troublé à l’idée des fourberies avec lesquelles on les prend au piège en Afrique, des fourberies dont l’énormité surpasse tout ce qu’un esprit ordinaire peut concevoir. Je penserais au traitement barbare qu’ils subissent en montant à bord, à l’angoisse et au désespoir que doit nécessairement leur inspirer leur situation lorsqu’on les arrache à leurs parents et amis, lorsqu’on les remet entre les mains de personnes d’une couleur différente de la leur et qu’ils sont incapables de comprendre, lorsqu’on les emporte dans une étrange machine sur un élément sans cesse agité qu’ils n’ont jamais vu auparavant et lorsqu’ils sont finalement livrés à la sévérité des porteurs de fouet et des travaux excessifs des champs. La force des coutumes pourrait-elle un jour faire taire toutes ces pensées et me rendre aussi insensible à l’injustice de ce commerce et à leurs misères que semblent l’être les riches habitants cette ville ? Qu’est-ce donc que l’homme, cet être qui peut se flatter de l’excellence et de la dignité de sa nature, lorsqu’il est entouré de tant de mystères impénétrables et de problèmes insolubles ? Que l’homme ait été créé dans ce but serait une chose bien surprenante ! Je sais qu’on dit qu’ils sont beaucoup plus heureux ici que dans les Antilles ; parce que la terre est moins chère sur ce continent que sur ces îles, les champs desquels il leur est permis de tirer leur subsistance sont en général plus grands. Leur unique chance de pouvoir connaître le moindre adoucissement de leur condition dépend de l’humeur des planteurs qui, élevés dans l’entourage d’esclaves, apprennent
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à les mépriser à l’exemple de leurs parents et développent rarement, au contact de la religion ou de la philosophie, la moindre idée qui puisse servir à rendre leur destin moins désastreux, à moins qu’une certaine délicatesse naturelle de l’âme, qu’une certaine lueur de philanthropie ne prennent le dessus sur l’endurcissement qu’ils doivent à l’habitude. Je n’ai pas résidé ici assez longtemps pour devenir insensible aux souffrances que j’avais chaque jour sous les yeux. En faisant le choix de mes amis et de mes relations, j’ai toujours cherché à trouver ceux dont les dispositions étaient plus ou moins de la même nature que les miennes. Nous avons également des esclaves dans nos provinces du nord ; j’espère que s’approche le jour où ils seront tous émancipés ; mais leur sort et leur situation sont en toute chose bien différents ! Ils jouissent d’autant de liberté que leurs maîtres, ils sont aussi bien vêtus et aussi bien nourris qu’eux ; qu’ils soient malades ou en bonne santé, on en prend tendrement soin ; ils vivent sous le même toit que nous et, à dire vrai, font partie de nos familles. Plusieurs d’entre eux apprennent à lire et à écrire et sont bien instruits des principes de la religion ; ce sont les compagnons de nos travaux et ils sont traités comme tels ; ils touchent des appointements, profitent de plusieurs congés et ne sont pas obligés de travailler plus que les Blancs. Ils se marient selon leur inclination ; ils visitent leurs épouses chaque semaine ; ils sont aussi décemment vêtus que les gens ordinaires ; ils se consacrent à l’instruction de leurs enfants, ils les chérissent et les punissent, et ces derniers apprennent à se soumettre à ceux qu’ils considèrent comme leurs parents légitimes : bref, ils profitent de la plupart des avantages qu’offre notre société sans être obligés d’en porter aucun des fardeaux. Ils sont gras, en bonne santé et vigoureux, et loin de se plaindre de leur destin ; ils se considèrent plus heureux que nombre de Blancs des classes inférieures ; ils partagent avec leurs maîtres le blé et les provisions de viande qu’ils ont aidé à amasser ; plusieurs de ceux qui ont été émancipés par les bons quakers ont accueilli ce grand bienfait avec des larmes de regret et, bien que libres, n’ont jamais quitté la compagnie de leurs anciens maîtres et bienfaiteurs. Mais a-t-on vraiment raison d’affirmer, ainsi que j’ai pu l’entendre ici, que l’aiguillon de l’émulation et les paroles encourageantes n’ont pas d’effet sur ces Noirs ? Pas du tout. Il existe mille preuves de leur gratitude et de leur fidélité ; si d’aussi nobles dispositions peuvent se développer dans leurs cœurs, c’est parce qu’ils sont comme les nôtres ; il leur est possible d’exprimer des sentiments généreux, de déterminer les bonnes façons de faire ; ils sont capables de recevoir les lumières, de s’imprégner d’idées qui
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pourraient diminuer de beaucoup le poids de leur misère. Mais a-t-on fait quelque chose pour atteindre une fin aussi désirable ? Rien. Le jour de leur arrivée et de leur mise en vente est leur premier jour de peines, des peines qui, à partir de cet instant, ne connaissent aucun répit car bien que la loi oblige de chômer le dimanche, ils sont obligés d’employer ce temps destiné au repos à labourer leurs petites plantations. Que peut-on attendre de ces malheureux dans pareille situation ? Arrachés à leur pays natal, traités avec cruauté quand ils sont à bord et de la même manière sur les plantations où ils sont conduits, comment ce traitement pourrait-il faire autrement qu’allumer toutes les passions, que planter le germe d’un ressentiment acharné et nourrir un désir perpétuel de vengeance ? Ils sont abandonnés aux irrésistibles effets de ces puissants penchants naturels ; les coups qu’ils reçoivent contribueront-ils à les éteindre et à gagner leur affection ? Ils ne sont jamais apaisés par l’espoir de voir un jour leur esclavage prendre fin, si ce n’est avec la fin de leurs jours, ni même encouragés par la qualité de leur nourriture ou la douceur de leur traitement. On ne leur offre même pas les consolations de la religion, ce système si utile au misérable ; on n’emploie aucun moyen moral ou physique afin d’alléger leurs chaînes ; ils sont abandonnés à leur état originel d’ignorance, cet état même au sein duquel se développent rapidement les penchants naturels à la vengeance et aux passions brûlantes. Ils n’ont pas la moindre raison d’être poussés à faire agir leur volonté ou à faire des efforts ; on ne leur offre que des terreurs et des châtiments ; on les condamne à mort s’ils s’enfuient et à d’affreuses lacérations s’ils parlent avec leur liberté naturelle ; ils sont perpétuellement dans la crainte du terrible claquement des fouets ou dans la peur du châtiment capital, bien que ces punitions aient rarement l’effet désiré. Il y a de ça quelques années, un ministre s’est établi à Georgetown et, animé du même sentiment qui est actuellement le mien, recommanda chaudement aux planteurs, du haut de la chaire, de relâcher leur sévérité ; il parla de bonté chrétienne et évoqua pathétiquement les admirables préceptes de ce système afin d’adoucir les cœurs des membres de sa congrégation et qu’ils fassent montre, envers leurs esclaves, d’un plus haut degré de compassion que celui qu’ils avaient coutume de montrer jusqu’alors ; « Monsieur (dit un de ses auditeurs), nous vous payons le salaire convenu afin de nous lire les prières de la liturgie et de nous expliquer les passages de l’Évangile ainsi que le veut la règle de l’Église, mais nous ne voulons pas que vous nous enseigniez quoi faire avec nos Noirs. » Le ministre jugea prudent de se retenir d’aller plus loin dans ses remontrances. D’où nous vient ce droit
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étonnant, ou plutôt cette coutume barbare, car nous n’avons très certainement pas d’autre droit que celui que donne la force ? On nous dit, il est vrai, que l’esclavage ne doit pas être aussi contraire à la nature humaine qu’on se l’imagine en premier lieu puisqu’on l’a pratiqué à toutes les époques et dans toutes les nations ; les Lacédémoniens eux-mêmes, qui se sont si souvent revendiqués de la liberté, ont conquis les Hilotes dans le but de faire d’eux leurs esclaves4 ; les Romains, que nous considérons comme nos maîtres en matière de conduite civile et militaire, ont vécu en exerçant la plus affreuse des oppressions ; ils ont conquis afin de piller et d’asservir. La Terre devait présenter alors un visage bien effroyable ! Des provinces, des villes, des régions entières étaient souvent vidées de leurs populations ; leurs habitants étaient conduits à Rome, le plus grand marché du monde, où on les vendait par milliers ! Les territoires romains étaient labourés par les bras de malheureuses personnes qui avaient jadis été aussi libres et riches que leurs conquérants, qui profitaient de tous les bienfaits que peut apporter la société jusqu’à ce qu’elles soient assujetties par la cruelle loi de la guerre et de la force brute. Le même pouvoir qui règle le fonctionnement physique du monde ne devrait-il pas également présider à la conduite de ses agissements moraux ? Pourquoi la sublime main qui guide avec une si grande précision les planètes autour du Soleil, qui maintient tout en ordre avec autant de sagesse et d’attention paternelle et qui empêche ce vaste système de se désorganiser, abandonne-t-elle les hommes à toutes les erreurs, les déraisons et les misères qui naissent de leurs fureurs les plus frénétiques, ainsi qu’à leurs passions et leurs vices les plus dangereux ? L’histoire de la Terre ! Fait-elle autre chose que le récit des crimes les plus haineux qu’on a pu commettre d’un bout à l’autre du monde ? Nous voyons dominer partout l’avarice, la rapine et le meurtre. L’histoire ne cesse de nous parler de millions de gens abandonnés au caprice des princes les plus fous et de nations entières vouées à l’aveugle furie des tyrans ; de pays détruits et de nations sans cesse réduites à l’état de ruines par d’autres nations ; de parties du monde superbement cultivées ramenées à leur état primitif ; du fruit accumulé par des siècles de travail, du labeur de milliers de personnes détruit en peu de temps par quelques-uns ! S’il est un coin de la planète qui respire en paix pendant quelques années, il est à son tour assujetti, détruit et rasé ; on pourrait presque croire que l’essentiel des principes qui guident les agissements de l’homme, que l’on considère être le principal représentant de la planète, sont empoisonnés. Nous ne sommes certainement pas de cette classe d’êtres à laquelle nous avons la vanité de prétendre appartenir ; l’homme est un animal prédateur qui semble avoir
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la rapine et le goût du sang dans le cœur ; non, on ne peut tenir le fait d’être homme pour la plus honorable occupation qui soit en société ; nous ne parlons jamais d’un héros des mathématiques, d’un héros de la connaissance ni de l’humanité ; non, cet illustre titre qu’est le nom d’homme est réservé aux bouchers. Si la Nature nous a donné un sol fertile à habiter, elle nous a refusé le genre d’inclinations et de penchants qu’il nous faudrait afin d’en jouir pleinement. On n’a pas cultivé, on n’occupe pas la moitié de la vaste surface de cette planète ; elle a créé l’homme, l’a placé dans les bois ou sur les plaines et l’a doté de passions qui doivent à jamais faire obstacle à son bonheur ; toute chose est soumise à la loi du plus fort ; les hommes, comme les éléments, sont sans cesse en guerre ; le plus faible cède au plus puissant ; la force, la ruse et la malice triomphent toujours de l’honnêteté et de la simplicité sans défense. La bienveillance, la modération et la justice sont des vertus qu’on ne trouve que sur les plus humbles sentiers de l’existence ; nous aimons parler de la vertu et admirer ses beautés quand nous sommes dans la solitude et l’isolement, mais lorsque nous prenons part à la vie active, s’il lui arrive d’être en compétition avec nos passions ou nos désirs, est-ce que nous nous en remettons à elle afin de l’emporter ? C’est ainsi que tant d’impostures religieuses ont pu profiter de la crédulité des hommes et qu’au fil des époques leurs supercheries sont devenues les professions de foi des générations suivantes jusqu’à ce que, usées par le temps, elles soient remplacées par de nouvelles. C’est ainsi que la plus injuste des guerres, lorsqu’elle est menée par une force supérieure, connaît toujours le succès ; c’est ainsi que les plus justes, lorsqu’ils n’ont rien d’autre pour eux que la force de la justice, échouent tout aussi souvent. Tel est l’ascendant qu’exerce le pouvoir, l’arbitre suprême de toutes les révolutions que nous pouvons observer sur cette planète ; le pouvoir est tellement irrésistible qu’il fait souvent obstacle aux causes les plus justes et les empêche d’atteindre leurs objectifs salutaires, bien qu’elles soient destinées au bien de l’homme par le Gouverneur de l’univers. Telle est la perversité de la nature humaine, dont personne ne pourrait décrire toute l’étendue. Dans nos moments de philanthropie, nous parlons souvent d’une nature indulgente, d’une tendre mère qui, pour le bénéfice de l’humanité, s’est montrée singulièrement soucieuse de créer une diversité de plantes, de fruits, de céréales et de produits de la terre, et de répandre des bienfaits particuliers au sein de chaque climat. Il s’agit bien évidemment là d’un objet de contemplation propre à éveiller notre plus chaude gratitude car la singulière bienveillance de cette attention maternelle a été telle que, là où l’emporte
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la stérilité du sol ou la rigueur du climat, elle a implanté dans le cœur de l’homme des sentiments qui contrebalancent chaque souffrance et qui permettent de combler chaque besoin. Elle a donné aux habitants de ces régions un attachement pour leurs durs rochers et leurs rivages sauvages qui est inconnu à ceux qui habitent les champs fertiles de la zone tempérée. Pourtant, si nous observons ce globe avec attention, n’apparaîtra-t-il pas comme un lieu de châtiments plutôt que de délices ? Et le malheur veut que ces châtiments soient le lot de l’innocent, et que ce soit les plus indignes qui jouissent de ces rares délices. On retrouve la famine, les maladies, la convulsion des éléments, les querelles humaines, les dissensions, etc., sous tous les climats ; chaque climat produit de plus des vices et des souffrances particulières à ses latitudes. Voyez la stérilité glaciale du nord, dont les habitants faméliques, qui connaissent à peine le soleil, vivent et s’alimentent plus mal que les ours qu’ils chassent, dont seule la faculté de parole les distingue en supériorité. Voyez les régions arctiques et antarctiques, ces vides immenses où rien ne vit : des régions de neiges éternelles où l’hiver s’est fait un trône au sein de toutes ces horreurs et a mis les fers à toutes les forces créatrices de la nature. Donnerez-vous le nom d’homme aux misérables qui sont disséminés dans ces contrées ? Comparez maintenant cette glaciale puissance des pôles nord et sud à celle du soleil ; examinez les terres desséchées de la zone torride, gorgées d’exhalaisons sulfureuses ; voyez ces contrées d’Asie assujetties aux infections pestilentielles qui dévastent la nature ; voyez ce globe souvent convulsé de l’intérieur comme de l’extérieur, déversant par plusieurs bouches des rivières de matière bouillante qui, imperceptiblement, laissent derrière elles d’immenses cimetières souterrains dans lesquels des millions de personnes mourront un jour ! Regardez le sol empoisonné de l’équateur, ces terres putrides et gluantes, foisonnant d’affreux monstres ennemis de la race humaine ; regardez ensuite les étendues continentales de sable, brûlées par ce qui pourrait bien être le passage fatal de quelque ancienne comète, désormais devenues le séjour de la désolation. Examinez les pluies, les tempêtes convulsives de ces climats où les masses de soufre, de goudron et de feu électrique assemblent leurs terribles forces pour planer et éclater sans cesse au-dessus d’un globe menacé par la liquéfaction. Comme ils sont rares, sur cette coquille de noix, les endroits où l’homme peut vivre et prospérer ! Même sous les doux climats qui semblent respirer la paix et le bonheur, le poison de l’esclavage, la fureur du despotisme et la rage de la superstition s’assemblent les uns aux autres pour s’opposer à l’homme ! Quelques-uns y vivent de leur domination tandis que le plus
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grand nombre meurt de faim et se plaint inutilement ; la nature humaine y présente ce qui est peut-être une plus grande dégradation que sous des climats moins favorisés. Les plaines fertiles de l’Asie, les riches basses terres de l’Égypte et de Diyarbakir, les champs féconds qui bordent le Tigre et l’Euphrate, chacun des districts de la vaste région des Indes : toutes ces contrées semblent, d’un point de vue géographique, avoir pour destin d’être des paradis terrestres, mais bien que situées au sein des richesses spontanées de la nature, bien que ses aimables faveurs semblent se répandre sur ces magnifiques régions avec la plus grande générosité, c’est cependant là que nous trouvons en général les gens les plus misérables du monde. Presque partout, la liberté, la condition naturelle des hommes, leur est refusée ou, plutôt, n’est le privilège que de leurs tyrans ; le mot esclave est le titre le plus répandu parmi ces gens qui adorent comme une divinité un être pire qu’eux-mêmes, sujet à tous les caprices et à la rage sans retenue qui viennent avec le pouvoir absolu. On verse des larmes, on entend des gémissements perpétuels là où on ne devrait entendre que des expressions de paix, d’empressement et de gratitude. Le délire de la tyrannie y piétine les plus beaux présents de la nature et s’amuse avec le destin, le bonheur et les vies de millions de personnes ; l’extrême fertilité du sol y est toujours un indicateur du malheur extrême des habitants ! Partout on enseigne à une moitié de l’humanité l’art de verser le sang de l’autre, de mettre le feu à leurs résidences, de raser le fruit de leur travail ; la moitié de l’existence des nations est régulièrement employée à la destruction d’autres nations. Le peu de félicité politique qu’on peut rencontrer ici et là a été acheté au prix de torrents de sang, comme si le bonheur ne devait jamais être le lot de l’homme de bien. Fondés sur la tromperie ou sur les victoires de la violence, des républiques, des royaumes, des monarchies se développent en suivant cette conduite jusqu’à ce qu’ils soient détruits à leur tour, soit par l’effet de leurs propres crimes, soit par des ennemis plus chanceux, mais tout aussi criminels. Si nous laissons cet examen général de la nature humaine pour nous pencher sur ce qu’on appelle la société civilisée, nous y voyons les divers besoins qui nous sont naturels, ainsi que ceux que nous nous inventons, nous faire payer très cher le peu de félicité politique dont nous jouissons. C’est un étrange assemblage hétérogène de vices, de vertus et de divers autres principes, lesquels sont toujours en guerre, toujours en opposition, toujours en train de produire quelque dangereux et angoissant excès. Qu’est-ce qui vous permet alors de croire que la nature voulait que nous soyons heureux ? La situation des hommes qui vivent dans les bois vous
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semblera-t-elle préférable à celle des hommes qui vivent dans le progrès ? Le mal domine dans l’une comme dans l’autre ; dans la première, le manque de nourriture les conduit souvent à se manger les uns les autres et, dans l’autre, le manque d’espace les fait souvent mourir de faim. Pour ma part, je crois que les vices et les souffrances que l’on peut rencontrer dans cette dernière dépassent ceux qu’on retrouve au sein de la première où le mal véritable est plus rare, plus supportable et moins grand. Et nous souhaitons pourtant voir la Terre se peupler afin que les royaumes trouvent le bonheur que l’on dit tenir au nombre de leurs habitants. Mais, bonté divine ! pourquoi doit-on imposer à tant de personnes un mode de vie qui les oblige à avancer à tâtons au sein de tant d’erreurs, à commettre tant de crimes et à faire face à tant de maladies, d’indigence et de souffrances5 ! La scène suivante6 permettra, je l’espère, de comprendre ces réflexions mélancoliques et de pardonner les sombres pensées dont j’ai rempli cette lettre ; depuis que j’en ai été témoin, mon esprit n’a cessé d’en être accablé. Je venais d’être invité à dîner chez un planteur vivant à trois milles de ––––––––––, où je résidais alors. Afin d’éviter la chaleur du soleil, j’avais décidé d’aller à pied par un petit sentier ombragé menant à travers un joli petit bois. Je me déplaçais tranquillement, examinant avec attention quelque plante particulière que j’avais récoltée lorsque j’ai tout à coup senti que l’air était fortement agité, bien que la journée ait été parfaitement calme et accablante. J’ai immédiatement dirigé mon regard vers une petite clairière dont j’étais peu éloigné afin de voir si ce mouvement n’était pas généré par une averse soudaine ; c’est alors que j’ai entendu quelque chose qui ressemblait à une voix basse et rauque clamant ce qui me semblait être quelques monosyllabes inarticulées. Inquiet et surpris, j’ai vite regardé autour de moi et j’ai alors remarqué, à une distance d’environ six perches, quelque chose ressemblant à une cage, suspendue aux branches d’un arbre dont la ramure paraissait être couverte de grands oiseaux de proie qui voltigeaient autour de la cage sur laquelle ils semblaient impatients de se percher. Emporté par un mouvement involontaire de mes mains plus que par un dessein réfléchi, j’ai fait feu sur eux ; ils se sont tous envolés à une petite distance en faisant un bruit des plus horribles et c’est alors que, souvenir affreux et douloureux à évoquer, j’ai vu qu’un nègre était suspendu dans la cage où on l’avait laissé pour mourir ! Je frissonne lorsque je me rappelle que les oiseaux lui avaient déjà arraché les yeux ; les os de ses joues étaient dénudés ; ses bras avaient été attaqués en plusieurs endroits et son corps semblait couvert d’une multitude de
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b lessures. Du rebord des orbites évidées et des lacérations qui le défiguraient, le sang coulait lentement et tachait le sol sous lui. Les oiseaux ne s’étaient pas si tôt envolés que des essaims d’insectes ont couvert tout le corps de ce malheureux, empressés de se nourrir de sa chair déchirée et de boire son sang. Je me suis retrouvé soudainement saisi par l’effroi et la terreur ; mes nerfs se convulsaient ; tremblant, je restais malgré moi immobile à contempler dans toute son atrocité le triste sort de ce nègre. Bien que privé de ses yeux, ce spectre vivant pouvait encore entendre distinctement et il me pria, dans son grossier dialecte, de lui donner un peu d’eau afin d’apaiser sa soif. L’incarnation même du sentiment d’humanité aurait été dégoûtée par cette horreur ; elle aurait hésité entre l’idée d’amoindrir pour un temps cette détresse sans répit et celle d’avoir la miséricorde de mettre fin d’un seul coup à ce terrible spectacle de torture mortelle ! Si j’avais eu une balle dans mon fusil, je l’aurais certainement utilisée, mais dans l’impossibilité de lui faire cette bonté, je cherchai, bien que tremblant, à le soulager aussi bien que je le pouvais. Je vis, attaché à un poteau, un récipient dont quelques nègres avaient fait usage avant moi ; je le remplis d’eau et, les mains tremblantes, le guidai vers les lèvres frémissantes de la malheureuse victime. Poussé par l’irrésistible pouvoir de la soif, il tenta de s’en approcher, devinant instinctivement sa présence au bruit qu’il fit en passant à travers les barreaux de la cage. « Me’ci toi, homme blanc, me’ci toi, mets poison dedans et donne moi. » Depuis combien de temps es-tu suspendu là ? lui demandai-je. « Deux jours et moi pas mourir ; les oiseaux, les oiseaux : aaah moi ! » Oppressé par les pensées que m’inspirait ce révoltant spectacle, je rassemblai suffisamment de forces pour m’éloigner et j’atteignis rapidement la maison où je devais dîner. C’est là que j’ai pu connaître la raison pour laquelle cet esclave avait été ainsi puni : il avait tué le surveillant de la plantation. Ils m’affirmèrent que les règles de sécurité rendaient nécessaires ce genre d’exécution et ils se mirent à défendre les raisons de l’esclavage avec les arguments dont on se sert généralement pour justifier cette pratique, ce que j’éviterai de vous répéter pour le moment. Adieu.
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m’imposez-vous cette tâche ? Vous savez que ce que nous décidons nous-même semble toujours peser moins lourd que ce qui nous est imposé par les autres. Vous insistez pour que je vous dise quelque chose de nos serpents, à propos desquels, n’étaient-ce deux événements, l’un auquel j’ai assisté moi-même et l’autre qui m’a été raconté par un témoin, j’aurais bien peu de choses à vous signaler. Les provinces du sud sont les régions où la nature a produit la plus grande variété d’alligators, de scorpions, de couleuvres et de serpents, du plus petit jusqu’au serpent taureau, l’espèce la plus grosse que l’on connaisse ici. Nous en avons seulement deux dont la piqûre est mortelle et qui valent d’être signalés. En ce qui concerne le serpent noir, il n’a rien de remarquable si ce n’est son adresse, son agilité, sa beauté et son art de séduire les oiseaux grâce au pouvoir de ses yeux. Je l’admire beaucoup et ne le tue jamais, bien que, à la vue de sa longueur et de son apparence formidables, certaines personnes, et particulièrement les Européens, en perdent leur contenance philosophique. Le plus dangereux est le pilote, ou mocassin à tête cuivrée, contre le poison duquel aucun remède n’a été découvert. Il doit le premier nom au fait qu’il arrive toujours avant le serpent à sonnette, c’est-à-dire qu’au printemps il émerge de son état de torpeur une semaine avant ce dernier. Il doit le second au fait que sa tête est ornée de plusieurs taches de couleur cuivrée. Il se cache dans les roches près de l’eau et est extrêmement rapide et dangereux. L’homme doit se garder d’en approcher ! Dans nos régions, je n’ai entendu parler que d’une seule personne qui ait été mordue par un mocassin à tête cuivrée. Le malheureux s’est instantanément mis à enfler de la plus terrible des façons ; une multitude de taches de différentes couleurs apparaissaient et disparaissaient sur diverses parties de son corps ; ses yeux étaient remplis de folie et de rage ; il jetait sur tous ceux qui l’entouraient des regards des plus vindicatifs ; il projetait sa langue ainsi que le font les serpents ; il sifflait entre ses dents avec une force inconcevable et devenait un objet de terreur aux yeux de tous les spectateurs. Il était livide comme un cadavre mais il avait la force désespérée d’un maniaque ; il leur a été difficile de l’attacher afin de se prémunir de ses attaques et, deux heures plus tard, la mort mettait fin à la lutte que menait le malheureux et aux craintes des spectateurs. Le poison du serpent à sonnette n’entraîne pas aussi vite la mort ; on a donc plus de temps pour ourquoi
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trouver du secours ; nous connaissons plusieurs antidotes, dont presque chaque famille est pourvue. Ils sont extrêmement inactifs et, si on ne les touche pas parfaitement inoffensifs. Il m’est arrivé de voir, tandis que je voyageais, un grand escarpement qui en était recouvert ; j’ai en manipulé plusieurs et ils semblaient être morts ; ils étaient tous entrelacés les uns aux autres et sont demeurés ainsi jusqu’au retour du soleil. Je les ai trouvés en suivant la piste de cochons sauvages qui s’en étaient nourris, et même les Indiens s’en régalent souvent. Lorsqu’ils les trouvent endormis, ils leur prennent la tête dans un petit bâton fourchu qu’ils plantent solidement dans le sol ; ils donnent au serpent un morceau de cuir pour qu’il y morde et qu’ils lui retirent avec force de la bouche à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’ils constatent que les deux crochets venimeux sont arrachés. Ils leur coupent alors la tête, retirent la peau qui recouvre le corps et le cuisent ainsi qu’on le fait avec les anguilles ; leur chair est extrêmement douce et blanche. Il m’est arrivé d’en voir un qui était apprivoisé, aussi gentil qu’il vous est possible d’imaginer que puisse l’être un reptile ; il allait à l’eau et nageait comme bon lui semblait et lorsque les garçons auxquels il appartenait le rappelaient, il obéissait à leur appel avec empressement. On lui avait retiré ses crochets de la manière précédemment décrite : ils le flattaient souvent avec une brosse douce et ce frottement semblait provoquer chez lui les sensations les plus plaisantes car il se retournait sur son dos pour en profiter comme le fait un chat au pied du feu. Un serpent de la même espèce a été la cause, il y a quelques années de cela, d’un accident des plus déplorables dont je vais vous faire part, comme je l’ai entendu raconter par la veuve et la mère des victimes2. Un fermier hollandais de Minisink partit faire la moisson avec ses nègres et chaussé de ses bottes, une précaution que l’on prend pour éviter d’être piqué. Par mégarde, il posa le pied sur un serpent qui se jeta immédiatement sur ses jambes ; comme la bête reculait afin de lancer une nouvelle attaque, un de ses nègres la coupa en deux avec sa faux. Ils ont poursuivi leur travail et sont retournés à la maison ; le soir, le fermier retira ses bottes et se mit au lit ; il fut bientôt pris d’étranges maux de ventre ; il se mit à enfler et mourut avant qu’on ait le temps d’aller chercher un docteur. La mort soudaine de cet homme n’inquiéta personne outre mesure ; les voisins ne furent pas plus étonnés qu’on l’est d’ordinaire face à un décès soudain et on enterra le cadavre sans l’examiner. Quelques jours plus tard, le fils enfila les bottes de son père et alla dans les pâturages ; le soir, il les enleva, se mit au lit et, presque au même moment que l’avait été son père, il fut pris des mêmes symptômes ou presque et mourut le lendemain matin. Le docteur est arrivé
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peu de temps avant qu’il n’expire mais il ne fut pas en mesure de déterminer la raison de cette maladie bien singulière ; cependant, plutôt que d’étaler son incompétence devant des campagnards, il décréta que le père et le fils avaient tous deux été victimes de sorcellerie. Quelques semaines plus tard, la veuve mit en vente tous les biens de la maison au profit du plus jeune des enfants et la ferme fut louée. Un des voisins, qui avait acheté les bottes, s’en chaussa aussitôt et fut pris des mêmes maux que les deux autres l’avaient été ; mais sa femme, inquiétée par ce qui était arrivé dans l’autre famille, envoya un de ses nègres chercher un éminent docteur qui, ayant par chance entendu parler de la terrible affaire, devina la cause du mal, appliqua de l’huile, etc., et sauva l’homme. Ces bottes meurtrières furent alors examinées avec attention et il découvrit que les deux crochets du serpent étaient restés dans le cuir après avoir été arrachés de leurs cavités lorsque le serpent avait retiré sa tête avec force. Les glandes contenant le poison et plusieurs des petits nerfs étaient encore en bon état et avaient adhéré à la botte. Le père et le fils infortunés avaient été empoisonnés en retirant ces bottes, en égratignant imperceptiblement leurs jambes avec les pointes de ces crochets dont les canaux contenaient un peu de cet étonnant poison. Vous n’en avez peut-être jamais vu mais vous avez certainement entendu parler de leur sonnette ; je ne souhaite faire qu’une seule observation : lorsqu’ils sont en colères, leur cliquetis est fort et bien clair ; au contraire, lorsqu’ils sont tranquilles, leur son est celui d’un tremblement diffus et ne présente rien de très particulier. Dans les régions densément établies, ils sont désormais devenus très rares car quel que soit l’endroit où on les rencontre, on leur déclare ouvertement la guerre, tant et si bien que, dans quelques années, il n’en restera plus que dans nos montagnes. Le serpent noir, au contraire, est toujours pour moi un plaisant spectacle parce qu’il n’éveille aucune idée de danger. Leur rapidité est étonnante ; il leur arrive parfois de se déplacer à la même vitesse qu’un cheval ; à d’autres moments, ils grimperont dans les arbres à la recherche de nos crapauds, ou s’étendront sur toute leur longueur pour glisser sur le sol. On les voit parfois moitié rampant, moitié dressés ; lorsqu’ils se dressent, on voit mieux leurs yeux et leur tête ; les premiers sont habités d’un feu que j’ai souvent admiré, et c’est avec eux qu’ils sont en mesure de fasciner les oiseaux et les écureuils. Lorsqu’ils ont fixé leurs yeux sur un animal, ils s’immobilisent ; leur tête tourne parfois vers la droite et vers la gauche mais en ne cessant de fixer l’objet de leur attention. Plutôt que de fuir son ennemi, la victime affolée semble être immobilisée par quelque force invisible ; elle crie, s’avance puis recule et, après s’être
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mise à sautiller avec une agitation indescriptible, elle finit par se jeter dans les mâchoires du serpent et elle est avalée aussitôt qu’elle est recouverte d’une bave ou d’une colle qui la fait glisser aisément dans la gorge de celui qui la dévore. Je dois vous faire part d’une anecdote décrivant des événements tout aussi vrais que singuliers. Une des promenades que je fais régulièrement lorsque j’en ai le loisir me conduit sur mes basses terres où je contemple avec plaisir mes vaches, mes chevaux et mes poulains. Mes champs sont couverts d’une herbe luxuriante qui est l’image même de notre richesse ; au milieu de ce terrain, j’ai creusé un fossé de huit pieds de large ; chaque printemps, la nature en orne les rebords de chélidoine et d’autres fleurs sauvages qui, dans ces sols riches, atteignent une grande hauteur. Sur ce fossé, j’ai construit un pont capable de supporter une pleine charrette ; de chaque côté, je prends soin de semer chaque année quelques grains de chanvre, lequel peut atteindre de huit à quinze pieds et présenter une vigueur et une ramure telles que cela lui donne l’aspect d’un jeune arbre ; il m’est arrivé de grimper sur l’un d’eux jusqu’à quatre pieds au-dessus du sol. Ils donnent naissance à des tonnelles naturelles qui deviennent encore plus denses grâce à une plante grimpante annuelle, à laquelle nous donnons le nom de vigne, qui ne manque jamais de s’entrelacer à leurs branches et qui finit toujours par produire une ombre des plus bienvenues. Je me suis amusé des centaines de fois à observer, depuis ce simple bocage, le grand nombre d’oiseaux-mouches qui abondent dans nos régions ; les fleurs sauvages ne cessent d’attirer l’attention de ces oiseaux qui, comme les abeilles, butinent pour se nourrir. Depuis cet abri, je peux observer distinctement leurs différentes attitudes mais leur vol est si rapide que vous ne pouvez pas distinguer le mouvement de leurs ailes. La nature a généreusement recouvert ce petit oiseau de ses plus splendides couleurs ; l’azur le plus parfait, le plus bel or, le rouge le plus éblouissant s’y côtoient pour contribuer à la beauté des plumes de cette superbe tête. La plus riche des palettes du plus exubérant des peintres ne pourrait rien inventer de comparable au chatoiement de couleurs dont est recouvert cet oiseau de la grosseur d’un insecte. Son bec est long et pointu comme une grosse aiguille à coudre ; comme l’abeille, la nature lui a enseigné à trouver dans le calice des fleurs les particules mielleuses qui constituent toute la nourriture dont il a besoin ; il semble cependant à peine les toucher, n’en retirant rien que l’œil puisse distinguer. Lorsqu’il se nourrit, il semble immobile, quoique battant continuellement des ailes ; parfois, pour une raison que je ne connais pas, il déchirera et lacérera les fleurs en centaine
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de morceaux car, chose singulière, ce sont les plus irascibles des bêtes à plumes. Où les passions peuvent-elles bien trouver place dans un corps aussi minuscule ? Ils se battent souvent avec une fureur de lions jusqu’à ce qu’un des combattants soit sacrifié et meure. Il est souvent arrivé que, fatigué, l’un d’eux se perche à quelques pieds de moi et, dans ces occasions favorables, je les ai examinés avec la plus grande attention. Leurs petits yeux ressemblent à des diamants, réfléchissant la lumière de tous les côtés ; avec tous ces détails fignolés de la plus élégante des manières, ils constituent un des chefs-d’œuvre miniatures de mère nature — qui semble avoir voulu faire d’eux le plus petit et, du même coup, le plus joli des animaux ailés. Un jour, tandis que j’étais assis solitaire et pensif sous ma tonnelle rustique, mon attention fut attirée par un étrange bruissement à quelques pas de distance. J’ai regardé autour de moi sans rien distinguer jusqu’à ce que je grimpe sur un de mes chanvres ; c’est alors qu’à mon grand étonnement j’ai vu deux serpents d’une longueur considérable, l’un poursuivant l’autre à grande vitesse parmi les pieds de chanvre coupés. L’agresseur était un serpent noir, de six pieds de long ; le fugitif était une couleuvre d’eau d’à peu près les mêmes dimensions. Ils se sont bientôt rejoints et, dans la fureur de leur premier contact, ils se sont aussitôt enroulés fermement l’un à l’autre ; tandis que leurs queues entremêlées battaient le sol, ils essayaient de se lacérer l’un l’autre à coups de mâchoire. Comme ils avaient l’air redoutables ! Ils comprimaient leurs têtes, qui devenaient très petites, et leurs yeux crachaient du feu. Après environ cinq minutes de cette lutte, le second serpent trouva le moyen de se dégager de la prise du premier et se précipita vers le fossé. Son antagoniste adopta aussitôt une nouvelle posture et, moitié rampant moitié dressé, avec une allure majestueuse, rattrapa et attaqua à nouveau l’autre serpent qui, adoptant la même posture, se prépara à résister. C’était un spectacle aussi inusité que superbe ; les opposants se battaient à coups de mâchoire, se mordant l’un l’autre avec une extrême férocité. Mais malgré le fait que l’un et l’autre faisaient preuve d’un même courage et d’une même fureur, la couleuvre d’eau semblait vouloir battre en retraite en direction du fossé, son élément naturel. Dès que le serpent noir aux yeux perçants remarqua la chose, il enroula sa queue autour d’une tige de chanvre et, saisissant son adversaire par la gorge, non pas au moyen de ses mâchoires mais en enroulant par deux fois son propre cou autour de celui de la couleuvre d’eau, il la retira du fossé. Afin d’éviter la défaite, cette dernière s’accrocha de la même façon à une tige sur le rebord du fossé et, grâce à ce point d’appui, elle
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parvint à égaler les forces de son féroce antagoniste. Étonnant spectacle : deux grands serpents solidement agrippés au sol, noués l’un à l’autre par leurs contorsions réciproques et qui, étirés sur toute leur longueur, tiraient en vain l’un sur l’autre ; dans les moments de plus grands efforts, les parties de leurs corps qui étaient entrelacées semblaient extrêmement petites, tandis que le reste paraissait gonflé et par moments convulsé de puissantes ondulations successives. Leurs yeux semblaient en feu et prêts à jaillir de leur tête ; à un certain moment, le conflit semblait terminé ; la couleuvre d’eau se cambra en se pliant en deux et, de cette façon, obligea l’autre à s’étirer d’une manière extraordinaire ; l’instant suivant, le serpent noir fit d’autres mouvements qui lui donnèrent une supériorité inattendue ; il se replia lui aussi en deux, ce qui, nécessairement, étira le corps de son adversaire proportionnellement aux contractions du sien. Chacun y allait alternativement de tous ses efforts ; la victoire semblait incertaine, penchant par moments d’un côté et par moments de l’autre, jusqu’à ce que, finalement, la tige à laquelle était agrippé le serpent noir se rompe soudainement et que, à la suite de cet accident, ils tombent tous les deux dans le fossé. L’eau n’éteignit pas leur rage vindicative ; l’agitation qu’ils y produisaient me permettait de suivre leurs attaques réciproques mais sans les distinguer. Ils sont bientôt réapparus à la surface, emmêlés l’un à l’autre comme au moment de leur premier assaut, mais le serpent noir semblait avoir le dessus car sa tête dominait toujours celle de l’autre qu’il poussait sans cesse sous l’eau jusqu’à ce qu’il suffoque et qu’il coule. Le vainqueur n’eut pas aussitôt compris que son ennemi n’était plus capable d’offrir de résistance que, l’abandonnant au courant, il retourna sur la rive et disparut.
Lettre XI De M. Iw—n Al—z, un gentilhomme russe, décrivant la visite qu’il a faite, à ma demande, à M. John Bartram, le célèbre botaniste pennsylvanien1
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u’importe
l’angle sous lequel vous lui ferez voir cette florissante province, les yeux et l’esprit du voyageur européen goûteront aux mêmes plaisirs : parce que le bonheur y est partout répandu, un bonheur à la plus vaste des échelles. La sagesse de Lycurgue et de Solon n’a jamais
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valu à l’homme la moitié des bienfaits et de la prospérité dont profitent aujourd’hui les Pennsylvaniens ; le nom de Penn, ce simple mais illustre citoyen, fait davantage honneur à la nation anglaise que celui de plusieurs de ses rois. Afin de vous convaincre que je ne me suis pas répandu en louanges indues dans les lettres que j’ai précédemment consacrées à ce célèbre gouvernement, et que la nature et le climat semblent y être plus favorables aux arts et aux sciences que dans toutes les autres provinces américaines, allons ensemble, puisque vous le désirez, rendre visite à monsieur John Bartram2, le premier botaniste de ce nouvel hémisphère, ce qu’il est devenu grâce à ses dispositions naturelles. L’Amérique doit à cet homme tout simple plusieurs découvertes utiles et la connaissance de nombreuses nouvelles plantes. Sachant qu’il entretenait une vaste correspondance avec les plus éminents botanistes écossais et français, je m’étais déjà fait une haute opinion de lui ; je savais que la reine Ulrica de Suède3 lui avait fait l’honneur d’être elle aussi sa correspondante. Sa demeure est petite mais convenable ; en la voyant, quelque chose de singulier la distinguait des maisons avoisinantes : elle avait une petite tour au milieu, qui servait à la consolider tout en fournissant un espace suffisant pour y loger un escalier4. La disposition des champs, des clôtures et des arbres était d’une régularité et d’un ordre parfaits, ce qui, dans le monde des activités rurales, est toujours indicateur d’une industrie prospère. J’ai été accueilli à la porte par une femme très proprement et très simplement vêtue qui, sans faire de manières ni de cérémonies, me demanda, avec un regard bienveillant, qui je désirais voir. Je lui répondis que je serais heureux de voir monsieur Bartram. Si tu veux entrer et prendre un siège, je vais envoyer quelqu’un le chercher. Non, lui dis-je, je préférerais avoir le plaisir de me promener sur sa ferme ; je le trouverai facilement en suivant vos indications. Après quelque temps, j’aperçus la Schuylkill serpentant au milieu de ravissantes prairies et mes yeux se portèrent bientôt sur une digue nouvellement construite qui contribuait à en contenir le courant. Après avoir marché sur cette digue sur une distance considérable, j’ai fini par atteindre un endroit où dix hommes étaient au travail. J’ai demandé si l’un d’entre eux pouvait me dire où était monsieur Bartram. Un homme d’un âge respectable, qui portait de larges pantalons et un long tablier de cuir, dit en me regardant : « Mon nom est Bartram ; que me veux-tu ? » Monsieur, je suis venu dans le but de
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converser avec vous, si votre travail peut se passer de vous. « Fort aisément (répondit-il). Je dirige et conseille bien plus que je ne travaille. » Nous avons marché vers la maison où il me fit prendre un siège tandis qu’il alla mettre des vêtements propres avant de revenir s’asseoir avec moi. La célébrité de votre connaissance de la botanique américaine, lui dis-je, et votre réputation d’hospitalité m’ont poussé à vous rendre visite, ce qui, je l’espère, ne vous occasionnera pas de dérangement ; je serais heureux de passer quelques heures dans votre jardin. « Le plus grand des avantages (répondit-il) que me vaut ce que tu appelles ma célébrité botanique est le fait qu’elle me procure souvent le plaisir de recevoir la visite d’amis et d’étrangers ; mais pour le moment, notre balade dans le jardin doit être reportée car voilà que sonne la cloche du dîner. » Nous sommes entrés dans une grande salle où se trouvait une longue table couverte de victuailles. Ses nègres étaient assis à l’extrémité de la table, venaient ensuite ses engagés, puis sa famille et moi-même ; le vénérable père et son épouse présidaient à la tête de la table. Chacun inclina la tête pour faire ses prières, cela sans faire montre, comme certains, de fastidieuses cérémonies ou, comme d’autres, de manières ostentatoires. « Après avoir connu les fastes de nos villes (remarqua-t-il), ce simple repas doit t’apparaître comme un jeûne sévère. » Pas du tout, monsieur Bartram ; ce bon dîner de campagne me permet de croire que vous me recevez comme un ami et une vieille connaissance. « J’en suis heureux car tu es sincèrement le bienvenu. Je n’ai jamais su que faire des cérémonies ; ce ne sont pas des signes de sincérité ; d’ailleurs, notre Société ignore totalement ce que, dans le monde, on appelle les expressions polies. Nous traitons autrui comme nous nous traitons nous-mêmes. J’ai reçu hier une lettre de Philadelphie qui me fait comprendre que tu es russe ; quelles raisons peuvent bien t’avoir poussé à quitter ton pays natal pour partir si loin en quête de connaissances ou de plaisirs ? Tu fais vraiment un grand honneur à notre jeune province en pensant qu’elle puisse présenter quoi que ce soit qui vaille la peine de recevoir ton attention. » J’ai été amplement récompensé pour les peines du voyage. Je considère les Américains d’aujourd’hui comme le germe des nations qui, dans le futur, couvriront ce continent aux limites inconnues ; d’une certaine façon, les Russes vous ressemblent ; nous sommes également un nouveau peuple, en ce sens que nous commençons à nous ouvrir aux connaissances, aux arts et au développement. Qui sait les révolutions qu’accompliront un jour la Russie et l’Amérique ; nous sommes peut-être plus proches voisins que nous ne l’imaginons. J’observe toutes vos villes avec une grande attention, j’étudie leur emplacement et leur
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administration qui ont déjà rendu célèbres plusieurs d’entre elles. Bien que leurs fondations soient très récentes et qu’on en garde encore un souvenir très exact, leur origine deviendra cependant un mystère pour la postérité, de la même façon que nous sommes aujourd’hui devant un mystère lorsque nous tentons de déterminer les origines des villes que le temps a plus ou moins détruites. Vos nouveaux édifices, vos rues me rappellent ceux de la ville de Pompéi où j’ai séjourné il y a de ça quelques années ; j’ai attentivement étudié tout ce qu’il y avait là, particulièrement les trottoirs qu’on trouve le long des maisons. Ils paraissent avoir été considérablement usés par le grand nombre de personnes qui s’y sont jadis promenées. Mais comme tout cela est loin maintenant ; on ne sait rien de ceux qui les ont construits, ni de ceux qui y ont vécu ! « Pourquoi un jeune homme de ton âge a-t-il entrepris d’aussi grands voyages ? » La jeunesse, monsieur, permet à n’importe qui de parcourir de vastes étendues de pays, mais il faut avoir déjà de grandes connaissances afin d’en récolter quelque chose. Dites-moi, monsieur Bartram, qu’est-ce que ces digues que vous érigez ; à quelle fin vous adonnez-vous à tant de dépenses et de travail ? « Iwan, mon ami, il n’est pas de branche d’industrie qui fut jamais plus profitable à aucune région et à ses propriétaires ; les nombreux méandres de la Schuylkill couvraient jadis une vaste étendue de terrain bien que ses eaux soient peu profondes, même au moment de nos plus hautes marées ; bien que certaines parties étaient toujours à sec, l’ensemble de cette vaste étendue de terrain n’offrait au regard rien d’autre qu’un sol putride et marécageux où l’on ne pouvait se servir ni de la charrue ni de la faux. Les propriétaires de ces terrains sont désormais incorporés ; nous versons annuellement au trésorier de la compagnie une certaine somme qui, au total, excède généralement les coûts des pertes occasionnées par les inondations ou par les castors. Grâce à cet heureux stratagème, des milliers d’acres de prairies ont été sauvés de la Schuylkill, ce qui enrichit et embellit tout à la fois les environs de notre ville. Nos frères de Salem, dans le New Jersey, ont perfectionné encore plus que nous l’art d’endiguer les cours d’eau. » Il s’agit vraiment d’un admirable stratagème, tout à l’honneur des parties concernées, et qui dévoile un discernement et une persévérance des plus louables ; si les Virginiens voulaient suivre votre exemple, l’état de leurs élevages en serait grandement amélioré. Je n’ai entendu parler d’aucune association de cette sorte dans tout le reste du continent ; la Pennsylvanie semble jusqu’ici être sans conteste la reine de toutes ces belles provinces. Dites-moi, Monsieur, quelle dépense devezvous encourir afin que ces terres soient en mesure d’accueillir la faux ?
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« Les dépenses sont très considérables, particulièrement lorsqu’il nous faut araser la terre et les ruisseaux, et arracher des arbres et des buissons. Mais l’excellence de ces sols est telle, et l’herbe si bonne à engraisser le bétail, que le produit de trois années suffit à rembourser toutes les sommes avancées. » Heureuse région à qui la nature a fait don d’aussi riches trésors, plus grands que ceux qu’on trouverait dans des mines, lui dis-je ; si toute cette belle province est ainsi cultivée, il n’est pas étonnant qu’elle soit réputée pour la prospérité et l’industrie de ses habitants. Le temps passait et ceux de la famille qui devaient aller travailler avaient fini leur dîner et s’étaient retirés avec une bienséance et un silence qui me plurent beaucoup. Peu après, j’ai entendu ce que je croyais être un lointain concert musical. — Votre repas était simple et pastoral, monsieur Bartram, mais voilà un dessert princier ; dites-moi, qu’est-ce donc ce que j’entends ? « Tu ne dois pas t’en faire, ami Iwan, la chose est aussi simple que le reste. » Curieux, je me dirigeai vers la source de ce son et, après avoir monté l’escalier, je découvris qu’il était produit par le vent qui passait dans les cordes d’une harpe éolienne, un instrument que je n’avais jamais vu jusqu’alors. Après le dîner, nous avons fait honneur à une bonne bouteille de vin de Madère sans nous imposer l’ennuyante tâche de porter des toasts, de lever nos verres à notre santé ou d’autres sensibleries du genre ; puis nous nous sommes retirés dans son étude. J’étais à peine entré que je remarquai, dans un cadre doré, des armoiries portant le nom de John Bartram. Je fus frappé par la présence de pareille décoration en pareil endroit ; je ne pus m’empêcher de demander : est-ce que la Société des Amis tire quelque fierté de ce genre d’armoiries qui servent de marques distinctives entres les familles et qui, le plus souvent, nourrissent d’ostentatoires sentiments de fierté ? « Il faut que tu saches (dit-il) que mon père était Français ; il a apporté cette peinture avec lui ; je la conserve à titre de souvenir de famille et afin de commémorer l’exil qui l’a mené ici. » Nous avons quitté son étude pour aller au jardin, lequel contenait une grande variété de plantes et d’arbustes curieux ; au-dessus de la porte de la serre où poussaient certaines de ces plantes, étaient écrits ces vers : Esclave d’aucune secte n’est celui qui, sans prendre de détour, Observe la nature pour y découvrir la nature de Dieu5 ! Il m’apprit qu’il avait souvent accompagné le général Bouquet6 à Pittsburgh dans le but d’herboriser, qu’il avait amassé en Virginie des collections d’une grande utilité, et qu’il avait été mandé par le roi d’Angleterre pour visiter les deux Florides.
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Nos promenades et nos observations botaniques nous absorbèrent tellement que le soleil était presque couché avant que je ne songe à retourner à Philadelphie ; je regrettai que la journée eut été si courte car il y avait bien longtemps que j’avais passé une journée aussi instructive. Je voulais rester mais ne savais trop si ce souhait était déplacé de la part d’un parfait étranger comme moi. Sachant cependant que je séjournais chez les gens les moins cérémonieux du monde, c’est sans détour que je lui fis part du plaisir que j’avais goûté et de mon désir de demeurer quelques jours en sa compagnie. « Tu es tout aussi bienvenu que si j’étais ton père ; tu n’es pas un étranger ; ton désir d’acquérir des connaissances, en plus du fait que tu nous sois venu de loin, te donnent le droit de considérer ma maison comme la tienne aussi longtemps qu’il te plaira ; tu es parfaitement libre d’occuper ton temps comme il te plaira ; j’en ferai tout autant moi-même. » J’acceptai son aimable invitation en le remerciant chaleureusement. Nous sommes allés voir sa digue préférée ; il m’expliqua les principes et les moyens qui avaient été utilisés pour sa construction et nous nous sommes promenés de par les terrains qui avaient déjà été drainés. La nature semblait avoir déversé sur ces magnifiques prairies toutes les réserves de sa bienveillante luxuriance ; il me fit compter le nombre stupéfiant de vaches et de chevaux se nourrissant désormais sur ces terres fermes qui, quelques années auparavant, étaient couvertes d’eau. Nous nous sommes ensuite promenés dans ses champs où les clôtures bien droites, les amoncellements de pierres et l’abondance de trèfle signalaient le meilleur des élevages ainsi que les soins les plus assidus. Ses vaches retournaient alors à la maison ; le ventre plein, courtes sur pattes, les pis gorgés, elles semblaient avoir hâte d’être délivrées de cette abondance de lait ; il me montra ensuite son verger, planté sur ce qui avait été un sol sablonneux et aride mais qui était depuis longtemps devenu un des endroits les plus fertiles du voisinage. « Tout cela (dit-il) est le fruit de mon propre travail ; j’ai acheté, il y a quelques années de cela, les droits sur une petite source située à environ un mille et demi d’ici, que j’ai canalisée à grands frais jusqu’à ce réservoir ; j’y jette de la vieille chaux, des cendres, du crottin de cheval, etc., et deux fois par semaine, je laisse s’écouler ces eaux ainsi engraissées ; tous les automnes, je répands sur la terre du vieux foin, de la paille et tout le fourrage endommagé qui se trouve dans ma grange. Grâce à cette simple méthode, je moissonne année après année cinq mille trois cents livres d’excellent foin par acre, cela sur un sol qui, quelques années auparavant,
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produisait seulement de la potentille (une petite plante ressemblant à la fraise). » Cela, Monsieur, est un miracle de l’élevage ; heureuse région que celle cultivée par un groupe d’hommes poussés tant par assiduité que par goût à entreprendre et à accomplir des travaux utiles. « Je ne suis pas la seule personne à en faire autant (dit-il), partout où on peut trouver de l’eau, elle est toujours ainsi mise à contribution ; chaque fois qu’un fermier est en mesure d’arroser ses prairies, il peut être assuré que ses travaux seront récompensés par d’importantes récoltes du meilleur foin et d’excellentes repousses. Grâce à l’endiguement des fossés de mes prairies, j’ai grandement enrichi les champs de mes hautes terres ; celles que j’entends laisser en jachère pour quelques années, je les ensemence sans cesse de trèfle rouge : il n’y a rien de mieux pour améliorer nos terres. Par la suite, elles fournissent pendant trois ans un abondant pâturage ; quand je veux reprendre mes champs de trèfle, je les recouvre d’une bonne épaisseur de vase préalablement exposée aux rigueurs de trois ou quatre de nos hivers. C’est pour cette raison que je moissonne habituellement de vingt-huit à trente-six boisseaux de blé par acre ; je fais pousser mon lin, mon avoine et mon blé d’Inde dans les mêmes proportions. Pourrais-tu me faire savoir si les habitants de ton pays utilisent les mêmes méthodes d’élevage ? » Non, Monsieur ; il se trouve certes, dans les environs de nos villes, quelques fermiers intelligents qui s’adonnent à leurs activités rurales avec attention ; mais nous serions un peuple trop nombreux, trop heureux et trop puissant s’il était possible de cultiver la totalité de l’empire de Russie de la même manière qu’on cultive la province de Pennsylvanie. Nos terres sont inégalement réparties et le nombre de nos fermiers qui sont propriétaires du sol qu’ils cultivent est tellement réduit qu’il leur est impossible de mettre dans leurs travaux d’élevage autant de vigueur que vous qui avez la libre et entière possession de vos terres comme si vous les teniez directement des mains du Maître de l’univers. Ô, Amérique ! me suis-je exclamé ; tu n’es pas encore consciente de toute la portée de ton bonheur ; dans quelques années, grâce à ton administration civile, ta population et ton pouvoir connaîtront un niveau de développement que l’Europe ne peut pas espérer atteindre ! « Mais (répondit le cher homme) nous mangerons les pissenlits par les racines bien avant que cela ne se réalise ; il est inutile aux mortels de chercher à présumer de ce qui sera ; notre pays est, à n’en pas douter, le berceau d’une vaste population future ; le Vieux Continent perd de plus en plus de ses habitants, ils doivent venir ici afin de fuir la tyrannie des puissants. Mais ne penses-tu pas qu’au fil des ans, les puissants finiront eux aussi par venir ici, car c’est le malheur de toutes les sociétés que d’être
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familières avec la voix des hommes de pouvoir, des dirigeants à la poigne de fer et des grands tyrans. » Mon cher monsieur, répliquai-je, la tyrannie ne pourra jamais s’enraciner solidement dans ce pays : la terre y est trop équitablement redistribuée ; c’est la pauvreté qui, en Europe, engendre les esclaves. « Ami Iwan, comme je ne doute pas que tu comprennes la langue latine, lit cette aimable missive qu’Ulrica, la bonne reine de Suède, m’a fait parvenir il y a quelques années de cela. La chère femme ! Qu’elle puisse, depuis son palais de Stockholm, penser au pauvre John Bartram sur les rives de la Schuylkill, me semble être une chose bien étonnante. » Pas du tout, cher monsieur : en tant que botaniste, vous êtes le premier homme dont le nom ait fait honneur à l’Amérique ; il est tout naturel de penser qu’un aussi vaste continent doit présenter un grand nombre de plantes et d’arbres dignes d’intérêt ; pourquoi devrait-on s’étonner de voir une princesse, dont on connaît le goût pour les connaissances pratiques, descendre parfois de son trône pour se promener dans les jardins de Linné ? « C’est en suivant les conseils de ce savant homme (dit monsieur Bartram) que j’ai développé la méthode qui m’a permis d’acquérir les connaissances que je possède maintenant ; la botanique est une science tellement vaste que, pour s’y retrouver, le débutant a absolument besoin de repères appropriés. » Dites-moi, monsieur Bartram, quand vous êtesvous découvert le désir de cultiver la science botanique ; vous a-t-elle été enseignée en bonne et due forme à Philadelphie ? « La seule éducation que j’ai reçue m’a tout juste permis d’apprendre à lire et à écrire ; cette petite ferme est tout l’héritage que mon père m’a laissé ; quelques dettes et le manque de pâturages ont contribué à ralentir mes premiers pas dans la vie ; ma femme ne m’apporta aucun argent, ses seules richesses étaient son bon caractère et sa grande connaissance des travaux féminins. Il m’est difficile de retracer le chemin qui m’a conduit à la carrière botanique ; il m’apparaît aujourd’hui comme dans un rêve ; mais tu peux te fier à ce que je vais te raconter, même si je sais que certains de nos amis ont pu en rire. » Je ne suis pas, monsieur Bartram, de ces gens qui cherchent à trouver du ridicule dans ce qui est raconté avec sincérité et honnêteté. « Bien ! Alors je vais te le raconter. Un jour que j’étais fort occupé à guider ma charrue (car tu as bien vu que je ne suis qu’un simple laboureur), la fatigue me poussa à aller me reposer un instant à l’ombre d’un arbre. Je jetai les yeux sur une pâquerette ; je la cueillis machinalement et me mis à l’observer avec plus de curiosité que le commun des paysans a coutume de le faire, et j’y remarquai des parties biens distinctes, certaines perpendiculaires, certaines horizontales. Quelle honte, me dis-je en pensée, ou quelque chose m’inspira cette
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pensée, de t’être employé pendant tant d’années à labourer la terre et à détruire tant de fleurs et de plantes sans connaître leur structure et leur utilité ! Ma curiosité fut soudainement éveillée par ce qui semblait bien être une inspiration car ce n’était pas là le genre de réflexions que j’avais l’habitude de me faire. Je suis retourné à mon attelage mais ce nouveau désir ne quitta pas mes pensées ; j’en fis part à mon épouse qui me découragea vertement de m’engager dans ce qu’elle appelait mon nouveau projet ; je n’étais pas assez riche, dit-elle, pour consacrer tant de temps à des études et à des travaux qui pourraient me faire perdre la part de richesse qui revient au fermier américain. Cependant, son prudent avertissement ne me découragea pas ; j’y réfléchissais continuellement pendant le souper, au lit et partout où j’allais. Finalement, je ne pus pas résister à mon envie ; le quatrième jour de la semaine suivante, j’engageai un homme pour labourer à ma place et j’allai à Philadelphie. Bien que je ne savais pas quel livre demander, je fis clairement part de mes attentes au libraire qui me procura ce qu’il y avait de mieux à son avis, ainsi qu’une grammaire latine. J’eus alors recours aux services d’un maître d’école des environs qui, en trois mois, m’enseigna assez de latin pour comprendre Linné, dont j’achetai le livre par la suite. Je me mis alors à herboriser ma ferme de part en part ; en peu de temps, je me familiarisai avec tous les légumes qui poussaient dans mon voisinage, puis je me rendis dans le Maryland en séjournant chez des Amis ; plus j’avançais dans mes connaissances, plus j’étendais mes recherches, et après plusieurs années de constante assiduité j’avais acquis une fort bonne connaissance de chaque plante et de chaque arbre qui se trouvent sur notre continent. Avec le temps, on s’est mis à me consulter depuis les vieux pays, où j’envoie plusieurs collections chaque année. Vivant désormais dans des conditions plus favorables, j’ai cessé de labourer et mon bonheur est de rencontrer des amis pour converser avec eux. Si, parmi le grand nombre de plantes et d’arbrisseaux avec lesquels je suis familier, il s’en trouve que tu désires envoyer dans ton pays natal, je me ferai un plaisir de te les procurer et de te faire part de tous les conseils dont tu pourras avoir besoin. » Ainsi passai-je plusieurs journées aussi paisibles qu’instructives et agréables ; je remarquai, dans toutes les opérations de la ferme et dans les échanges entre le maître et les membres subalternes de sa famille, la plus grande des simplicités et des politesses ; pas un mot de commandement n’était proféré sur un autre ton que celui du simple souhait. Les nègres eux-mêmes semblaient avoir adopté un comportement tout aussi décent et modeste, ce que je n’avais jamais vu auparavant. De quelle façon,
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demandai-je, vous y prenez-vous, monsieur Bartram, pour diriger si bien vos esclaves qu’ils semblent accomplir leur travail avec le même plaisir que peuvent y trouver des hommes blancs ? « Bien que nos opinions et préjugés erronés nous aient jadis conduits à les considérer comme des êtres tout juste bons pour l’esclavage, bien que l’ancienne coutume nous ait malheureusement appris à les maintenir dans la servitude, grâce aux remontrances de plusieurs Amis et aux bons livres qu’ils ont publiés sur la question, notre Société les traite depuis peu d’une manière très différente. Avec nous, ils sont désormais libres. Je donne dix-huit livres par année à ceux que tu as vus à ma table, ainsi que des victuailles et des vêtements, et ils profitent de tous les autres privilèges dont jouissent les hommes blancs. Notre Société les considère désormais comme les compagnons de nos travaux ; en les traitant de cette façon, et grâce à l’éducation que nous leur avons donnée, ils sont pour la plupart devenus des êtres très différents. J’ai découvert que ceux que j’accueillais à ma table étaient des hommes de bien, de confiance et d’une grande moralité ; lorsqu’ils ne font pas ce que nous croyons qu’ils doivent faire, ils sont renvoyés et c’est le seul châtiment que nous leur infligeons. Il est des chrétiens d’autres confessions qui les maintiennent encore dans l’esclavage, sans leur enseigner le moindre rudiment de religion ; comment peuvent-il alors avoir, hormis la peur, quelque raison de bien se comporter ? Je reconnais que dans les premiers établissements de cette province, nous nous en servions comme esclaves, mais lorsque nous avons compris que le bon exemple, les remontrances modérées et les principes religieux pouvaient leur enseigner la subordination et la sobriété, nous avons délaissé ce comportement contraire à la foi chrétienne. Nous leurs avons donné la liberté et pourtant, rares sont ceux qui ont quitté leurs anciens maîtres. Les femmes accouchent au sein de nos familles et nous nous attachons les uns aux autres. J’ai enseigné aux miens à lire et à écrire ; ils aiment Dieu et craignent son jugement. Le plus vieux d’entre eux s’occupe de mes affaires à Philadelphie sans jamais dévier du droit chemin. Ils assistent toujours à nos cultes ; dans la santé comme dans la maladie, dans la jeunesse comme dans le vieil âge, ils profitent des bienfaits offerts par notre Société. Tels sont les moyens que nous avons utilisés afin de les libérer de l’esclavage et de l’ignorance dans lesquels ils étaient maintenus auparavant. Tu as peut-être été étonné de les voir assis à ma table mais en étant élevés au rang d’hommes libres, ils ont nécessairement acquis cette part d’amour-propre sans laquelle nous sombrerions nous-mêmes dans l’avilissement et la débauche. » Monsieur Bartram, je n’ai jamais entendu parler de manière plus philosophique de
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traiter les nègres ; il serait heureux pour l’Amérique que des chrétiens d’autres confessions adoptent les mêmes principes et suivent les mêmes admirables règles. Un grand nombre d’hommes seraient alors libérés des cruelles chaînes dans lesquelles ils gémissent actuellement et cette conviction fait que l’idée de passer plus de temps dans les provinces du sud me devient intolérable. La manière dont ils sont traités là-bas, la pauvreté de leur nourriture et la rigueur des travaux qu’ils doivent accomplir sont des spectacles que je n’ai plus la patience d’endurer. « Je suis heureux de te voir montrer autant de compassion ; y a-t-il des esclaves dans ton pays ? » Oui, malheureusement, mais ils sont plus les esclaves de la société que d’une maison ; ils sont enchaînés au sol sur lequel ils vivent à cause des vestiges d’anciennes coutumes barbares, établies dans les temps de la plus grande ignorance et de la plus grande brutalité de mœurs, et qui ont été préservées malgré les pleurs incessants des hommes, les retentissants appels de l’intérêt public et les commandements de la religion. L’arrogance des hommes de pouvoir et l’avarice des propriétaires terriens leur font considérer cette classe d’hommes comme de simples outils aratoires, comme si des hommes libres ne pouvaient pas cultiver la terre. « Les choses sont vraiment ainsi, ami Iwan ? Être pauvre, être malheureux, être un esclave : voilà certes un triste sort ; on ne peut jouir de l’existence de cette façon. Je crains que ton pays ne puisse jamais prospérer sous un gouvernement aussi peu sensé. » Je partage tout à fait votre avis, monsieur Bartram, mais j’espère que le présent règne, qui s’est illustré par la plus saine des conduites, ne disparaîtra pas sans réaliser cette salutaire et nécessaire émancipation qui inondera l’empire de Russie de larmes de gratitude. « Depuis combien de temps séjournes-tu dans notre pays ? » Quatre ans, monsieur. « Eh bien ! Tu parles anglais presque aussi bien que celui qui l’a appris en venant au monde ; combien de peines un voyageur doit-il encourir avant d’apprendre différentes langues, de renoncer à ses préjugés naturels et de s’habituer aux coutumes de tous ceux au sein desquels il choisit de résider ! » Ainsi ai-je passé mon temps en compagnie de ce botaniste éclairé — de cet estimable citoyen chez qui la simplicité des mœurs rustiques ne faisait qu’un avec les plus utiles des savoirs. Mon séjour a été rempli de multiples et longues conversations. Je l’accompagnai dans ses champs, à sa grange, sur sa digue, dans son jardin, dans son étude et, finalement, le dimanche suivant, au culte de la Société. Il avait lieu dans la ville de Chester7, où toute la famille se rendit à bord de deux charrettes ; monsieur Bartram et moi étions à cheval. Lorsque je suis entré dans l’édifice où
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étaient assemblés environ deux cents hommes et femmes de la Société des Amis, les vieilles habitudes me firent retirer mon chapeau mais, reprenant aussitôt mon geste, je me suis assis au bout d’un banc. Cette maison de culte était un édifice carré, dépourvu de quelque décoration que ce soit ; la blancheur des murs, le confort des sièges, celui d’un large poêle qui, dans la saison froide, tenait l’édifice au chaud, étaient les seules choses que j’aie pu y remarquer. On n’y voyait ni chaire ni pupitre, pas de fonts baptismaux ni d’autel, pas de tabernacle ni d’orgue ; il s’agit simplement d’une vaste pièce dans laquelle ces bonnes gens s’assemblent tous les dimanches. Il se fit un profond silence qui dura environ une heure et demie ; chacun avait la tête inclinée et semblait absorbé dans une profonde méditation lorsqu’une Amie se leva et déclara avec la plus touchante modestie que l’Esprit la poussait à les entretenir du sujet qu’elle avait choisi. Elle en traita très adéquatement au fil d’un discours d’une grande utilité morale qu’elle prononça sans faire étalage de théologie ni de savoir ostentatoire. Ou bien elle avait l’habitude de prendre la parole en public, ou bien elle s’était studieusement préparée, ce qui est difficile à croire car les gens de cette confession se font un devoir de ne rien dire qui ne leur vienne d’une impulsion spontanée, ou bien c’est le grand Esprit de l’univers, dont ils sont tous venus invoquer la protection et l’influence, qui lui a inspiré cette saine morale. Son discours dura trois quarts d’heure. Je n’ai pas vu un seul visage se retourner vers elle ; je n’avais jamais vu une congrégation écouter un sermon avec autant d’attention. Je ne remarquai chez elle aucune contorsion du corps, ni aucune sorte d’affectation sur son visage, dans son style ou sa manière de parler ; tout était naturel et par conséquent agréable, et pour tout vous dire, elle était très jolie, quoique âgée de plus de quarante ans. Aussitôt qu’elle eut fini, tout le monde sembla retourner à sa méditation pendant environ un quart d’heure ; c’est alors qu’ils se sont levés d’un commun accord et qu’ils se sont engagés, avant de partir, dans quelques conversations. Comme leurs préceptes sont simples ! Comme leur système religieux est naturel ! Tout au long de leur vie, ils n’accomplissent que peu de cérémonies ! À leur mort, ils sont mis en terre par leurs frères sans pompes ni prières car ils croient qu’il est alors trop tard pour influer le cours des décrets éternels de Dieu ; et, comme vous le savez, ils n’érigent ni monument ni pierre tombale. Ainsi, après avoir vécu sous le plus conciliant des gouvernements, après avoir été guidés par la moins sévère des doctrines, ils meurent tout aussi paisiblement que ceux qui, éduqués dans une religion plus pompeuse, reçoivent divers sacrements, souscrivent à des professions
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de foi compliquées et profitent des bienfaits d’une église établie. Ces bonnes gens se flattent de suivre la doctrine de Jésus-Christ dans toute la simplicité de sa révélation ; on ne saurait avoir mis sur pied de système plus propre à faire le bonheur de l’humanité. Il semble échapper totalement aux apparats et aux particularismes politiques que chaque pays et chaque gouvernement ont établis d’après leurs propres coutumes. À la porte de ce lieu de culte, j’ai été invité à passer quelques jours dans les demeures de quelques-uns des fermiers les plus respectables du voisinage. L’accueil qu’on m’a réservé en chaque endroit m’a graduellement conduit à passer deux mois parmi ces bonnes gens ; et je dois dire que ces jours constituèrent l’âge d’or de mes jeunes années. Je n’oublierai jamais la gratitude qu’éveillèrent en moi les ineffables gentillesses dont ils me comblèrent ; c’est grâce à la lettre que vous m’avez donnée que je dois le grand nombre de relations qui sont désormais les miennes de par toute la Pennsylvanie. Je dois surseoir à vous remercier comme il se doit jusqu’à ce que nous nous revoyions de nouveau. Avant que ce temps ne vienne, je pourrai peut-être vous faire part d’anecdotes encore plus intéressantes que celles contenues dans cette lettre. Au revoir. I—N AL—Z8
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partir ; l’heure est désormais venue de fuir ma maison et d’abandonner ma ferme ! Mais, encerclé comme je le suis, sur quel chemin pourrais-je mettre le cap ? Le climat qui correspond le mieux à ma condition et à mon humeur actuelles serait celui des régions polaires, où l’année est divisée en six mois de jour et six mois de nuit. Que dis-je ? Une simple aurore boréale me suffirait et reposerait grandement mes yeux fatigués de voir tant de scènes désagréables. La rigueur de ces climats, ces vastes ténèbres qui sont la résidence de la mélancolie seraient parfaitement à l’image de mon état d’esprit. Oh ! si je pouvais déménager ma plantation sur les rives de l’Ob, je m’installerais volontiers sous la hutte d’un Samoyède2 ; c’est avec joie que j’irais me terrer dans la caverne d’un Lapon. Si je pouvais emmener ma famille avec moi, j’hivernerais à Pello ou à Tobolsk afin de jouir de la paix et du calme de ce pays. Mais même si je me retrouvais sous le pôle ou si je rejoignais les antipodes, je ne e souhaite
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pourrais jamais laisser derrière moi le souvenir des terribles scènes dont j’ai été témoin, aussi ne pourrais-je jamais être heureux ! Heureux ! pourquoi prononcerais-je ce doux, ce charmant vocable ? Il fut un temps où le bonheur était notre lot ; nous l’avons désormais perdu et je crains que la présente génération n’en jouisse plus à nouveau ! Quelle que soit la direction dans laquelle je regarde, je ne vois rien d’autre que d’effroyables précipices dans lesquels des centaines de mes amis et de mes relations ont déjà péri ; parmi tous les animaux qui vivent sur la surface de la Terre, qu’est-ce que l’homme lorsqu’il n’est pas lié à une société ou lorsqu’il se retrouve au cœur d’une société en convulsions et à moitié détruite ? Il ne peut vivre dans la solitude, il doit faire partie d’une communauté soudée par quelques liens, aussi imparfaits soient-ils. Les hommes doivent se soutenir mutuellement pour gagner en intrépidité et nourrir leur confiance réciproque ; la faiblesse de chacun est compensée par la force de tous. Je n’avais jamais développé ce genre d’idées avant que n’arrive cette époque désastreuse ; je vivais, je travaillais et prospérais sans avoir jamais cherché à savoir quelles étaient les bases de la sécurité de mon existence et celles de ma prospérité ; j’ai découvert ce qu’elles étaient en les perdant. Jamais personne ne s’est retrouvé dans une situation aussi singulièrement terrible que la mienne, et cela en tout ce qui touche ma condition de membre d’une vaste société, de citoyen d’une classe inférieure de cette même société, d’époux, de père, d’homme aussi sensible à la détresse d’autrui que si elle était la sienne ! Mais hélas ! tout est tellement sens dessus dessous parmi nous que le mot même de détresse, dont nous avions à peine connaissance auparavant, n’exprime plus les mêmes idées ; peut-être parce que, fatigué de compatir à la détresse d’autrui, tout le monde ne compatit désormais qu’à la sienne. Lorsque je considère ce qui me lie à ces individus, ce qui m’unit à eux jusqu’au plus profond de mon cœur, mes pensées s’enfièvrent et je n’ai plus cette tranquillité d’esprit sans laquelle il est impossible d’exprimer nos pensées. Je me sens comme si la raison voulait m’abandonner, comme si elle allait faire éclater la pauvre et faible tête où elle loge ; je tente alors de retrouver mes esprits, de m’apaiser, et craignant de les perdre pour de bon, je m’arrange pour contrôler ce précieux locataire de mon crâne. Vous connaissez l’emplacement de notre établissement : je n’ai donc pas besoin de vous le décrire. Il est délimité à l’ouest par une chaîne de montagnes conduisant jusqu’à –––––––––– ; à l’est, la région n’est encore que faiblement habitée ; nous sommes presque isolés et les maisons sont à une distance considérable les unes des autres. Nous avons toutes les
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raisons de craindre que notre terrible ennemi ne descende des montagnes ; cette étendue sauvage constitue un havre où il est impossible de les retrouver. C’est une porte par laquelle ils peuvent pénétrer dans notre région comme ils l’entendent ; et comme ils semblent déterminés à détruire tout ce qui se trouve sur nos frontières, nous sommes bien près d’être rejoints par notre destin ; jusqu’au lac Champlain, presque tous les établissements ont été la proie des flammes les uns à la suite des autres. Ce qui rend ces incursions encore plus terribles est le fait qu’elles ont habituellement lieu au beau milieu de la nuit ; nous n’allons jamais à nos champs sans être involontairement saisis par la peur, ce qui diminue nos forces et ralentit nos travaux. Nous n’avons d’autres sujets de conversation que les différents récits de dévastations qui se répandent dans la région et qui, une fois introduits dans les foyers, remplissent nos imaginations effrayées d’idées les plus épouvantables ! Nous ne nous asseyons jamais pour dîner ou pour souper sans que le moindre bruit répande une alarme générale et nous empêche de profiter de nos repas. L’appétit lui-même, qui vient avec le travail et la tranquillité d’esprit, n’y est plus ; nous mangeons tout juste assez pour nous maintenir en vie ; notre sommeil est troublé par les rêves les plus effroyables ; parfois, je m’éveille en sursaut, comme si l’heure du danger était arrivée ; à d’autres moments, le grognement de nos chiens semble annoncer l’arrivée de l’ennemi ; nous sautons du lit et courons vers nos armes ; ma pauvre épouse, la poitrine haletante et pleurant en silence, me fait ses adieux comme si nous ne devions plus jamais nous revoir ; elle arrache de leurs lits les plus jeunes enfants qui, soudainement réveillés, ajoutent leurs innocentes questions à l’horreur de ce moment de terreur. Elle tente de les cacher dans la cave, comme si le feu ne pouvait pas atteindre notre cave. Je place tous mes domestiques aux fenêtres et je m’installe à la porte, où je suis déterminé à périr. La peur grossit le moindre bruit ; nous sommes tous à l’écoute ; chacun communique à l’autre ses idées et son avis sur la situation. Nous demeurons ainsi parfois pendant des heures entières, nos cœurs et nos esprits tourmentés par la plus angoissante des attentes ; quelle épouvantable situation, mille fois pire que celle d’un soldat engagé dans la plus dure des batailles ! Il m’arrive parfois d’être rempli malgré moi d’un courage viril qui me fait souhaiter l’arrivée du moment décisif ; l’instant suivant, un message de mon épouse, transmis par un des enfants qui me trouble en plus l’esprit avec ses petites questions, me fait perdre ma vigueur ; mon courage s’en va et me voilà complètement abattu. Réalisant en fin de compte que c’était une fausse alarme, nous retournons à nos lits mais quel bien peuvent nous faire quelques heures
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de sommeil lorsqu’elles sont interrompues par de pareilles scènes ! Quelqu’un qui, comme vous, vit en sûreté, ne peut connaître les émotions qui nous agitent ; quelqu’un aura pu en entendre parler mais aucun récit ne saurait être à la hauteur de ce que nous souffrons et de ce que nous ressentons. Tous les matins, mes plus jeunes enfants ont évidemment d’effroyables rêves à raconter ; c’est en vain que j’en appelle de mon autorité afin de les faire taire, je n’en ai pas le pouvoir, et les images que font naître leurs imaginations troublées, au lieu d’être tenues pour insignifiantes comme au temps de notre bonheur, sont au contraire considérées comme des avertissements et des signes annonciateurs de notre destinée. Je ne suis pas un homme superstitieux mais depuis le début de nos malheurs, je me fais plus craintif et suis moins disposé à mépriser la croyance aux présages. Bien que l’arrivée de ces malheurs ait été graduelle, nous ne nous y sommes cependant pas accoutumés, contrairement à ce qui se passe avec les autres maux ponctuant nos existences. Plus je sens s’approcher cette catastrophe, plus je tremble. Mais pourquoi devrais-je vous déranger avec ces récits décousus ? Les hommes qui vivent en sécurité et hors du danger se lassent rapidement de pareils détails lugubres ; pouvez-vous partager avec moi toutes ces sensations affligeantes ? Êtes-vous prêt à verser une larme sur la ruine prochaine de ce qui fut jadis une famille riche et importante ? Je vous prie de lire ces pages avec les yeux de la sympathie ; chagrinez-vous affectueusement en plaignant le sort de ceux que, jadis, vous appeliez vos amis, qui baignaient jadis dans l’abondance, le bien-être et une parfaite sécurité, mais qui aujourd’hui s’attendent à ce que chaque nuit soit leur dernière et dont le sort est aussi lamentable que s’ils étaient des criminels en attente de leur sentence. En tant que membre d’un grande société qui s’étend sur plusieurs parties du monde, le rapport que j’entretiens avec elle n’est pas aussi étroit que celui qui me lie à la classe inférieure au sein de laquelle je vis. J’ai entendu dire que la grande nation dont nous faisons partie est, à l’intérieur de ses frontières insulaires, plus juste, plus sage et plus libre que toute autre sur Terre, mais elle ne l’est pas autant avec ses conquêtes lointaines ; je ne répéterai pas tout ce que j’ai entendu car je ne peux pas croire à la moitié de ce qu’on m’a dit. Au sein de la petite société dont je suis le citoyen, je constate que la moindre opposition à ce qui y constitue aujourd’hui l’opinion dominante engendre immédiatement des sentiments de haine ; comme il est facile aux hommes de se haïr et de se maudire les uns les autres après s’être aimés ! Moi qui aime la paix, que dois-je faire ?
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Je ne sais quel parti prendre entre le respect que je ressens pour l’ancienne association et la crainte de changements dont je ne peux pas mesurer adéquatement les conséquences et qui sont proposés par mes propres compatriotes. Je sais que j’étais heureux avant cette malencontreuse révolution. Je sens que je ne le suis plus autant ; je regrette donc le changement. C’est là le seul raisonnement que peuvent tenir des personnes dans ma situation. Si je me rallie à la mère patrie, laquelle se trouve à 3 000 milles de moi, je deviens ce qu’on appelle un ennemi de ma propre région ; si je marche dans les pas du reste de mes compatriotes, je m’oppose à nos anciens maîtres : ces deux points de vues opposés m’apparaissent être l’un et l’autre tout aussi dangereux pour une personne ayant aussi peu de poids et de conséquence que moi, dont le travail et l’exemple sont sans effets. Quant à la raison de cette dispute, j’en sais presque rien. On a dit et écrit tant de choses de part et d’autre : existe-t-il quelqu’un dont la faculté de jugement ait assez de portée et de clarté pour être en mesure de choisir ? Les deux partis sont guidés par de grands principes directeurs que l’on cache aux hommes du commun comme moi ; on ne nous soumet rien qui ne soit plausible et probable. La classe des petites gens est toujours la victime de l’élite ; dans tous les pays et à toutes les époques, ils constituent la piétaille de la fureur publique ; ils alimentent la clameur et ce sont eux qui doivent peiner et verser leur sang, et ils sont toujours assurés de subir l’oppression et d’être réprimandés. C’est dans les intérêts des grands dirigeants des deux partis que tout ce sang doit être répandu, que tant de gens doivent être laissés pour compte. Les grands événements ne nous rapportent rien, bien que ce soit principalement grâce à nous qu’ils s’accomplissent, avec nos armes, au prix de nos sueurs et de nos vies. Les livres disent tellement de choses que je n’y comprends plus rien. Le sophisme, ce fléau des hommes libres, se présente avec tous ses atours trompeurs ! Après tout, la plupart des hommes raisonnent avec leur cœur ; comment un individu aussi ignorant que moi pourrait-il alors affirmer que ce parti est le bon, que cet autre est le mauvais ? Les sentiments et les émotions sont les seuls guides que je connaisse. Aussi comment pourrais-je prendre parti dans un débat dans lequel la raison elle-même a cédé le pas à la brutalité et aux bains de sang ! Alors, que dois-je faire ? J’interroge les plus sages avocats, les meilleurs casuistes, les plus ardents patriotes, car mes intentions sont honnêtes ! Ô toi, Source de toute sagesse ! accorde-moi suffisamment de lumières afin de guider mes pas dans les ténèbres et me sortir de ce dédale ! Devrais-je rejeter mes anciens principes, devrais-je renoncer au nom et à la nation pour lesquels j’avais jadis tant
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de respect ? L’attachement que je ressens est puissant ; les sentiments qu’il m’a inspirés se sont développés avec mes premières connaissances, ont été parties intégrantes des premiers rudiments de mon éducation. D’un autre côté, devrais-je prendre les armes contre le pays dans lequel j’ai vu le jour, contre les compagnons de jeu de ma jeunesse, mes amis intimes, mes meilleures connaissances ? — J’en frémis rien que d’y penser ! Dois-je être affublé du titre de parricide, de traître, de scélérat, perdre l’estime de tous ceux que j’aime afin de conserver mon estime de moi-même ; doit-on me fuir comme si j’étais un serpent à sonnette ou me tirer dessus comme si j’étais un ours ? Je ne suis ni assez héroïque ni assez magnanime pour faire un aussi grand sacrifice. De nombreux liens m’attachent à ce que j’ai ici et je ne saurais me plaindre des pressions qu’ils exercent ; bien que je sois ignorant, je peux comprendre toute la portée des calamités qui se sont déjà abattues sur notre pauvre pays affligé. Je peux voir l’immense monceau de ruines qui s’étend déjà dans toutes les régions qui sont le théâtre de la guerre ; j’entends les gémissements de milliers de familles désormais ruinées et ravagées par nos agresseurs. Je ne peux compter la multitude d’orphelins que l’on doit à cette guerre, ni mesurer tout le sang que nous avons perdu. Certains ont demandé si c’était un crime de résister, de contrecarrer l’avancée de ce malheur. D’autres ont soutenu qu’une résistance aussi générale ne peut recevoir aucun pardon, que le repentir est inutile et que le crime a été accompli par tant de mains qu’il n’est plus possible de déterminer la part de chacun. Ce qu’un parti dit être méritoire, l’autre en parle comme d’une traîtrise. Ces opinions changent, disparaissent ou se répandent selon les événements de la guerre qui est à leur origine. Qu’est-ce qu’un homme sans grande importance peut bien faire au milieu de cette confusion de partis opposés, l’un comme l’autre hostiles aux personnes qui sont dans ma situation ? Et quand tout cela sera fini, qui seront les véritables coupables ? — Très certainement ceux qui auront échoué. Ainsi notre destin, le destin de milliers de personnes, est-il nécessairement à la merci des mauvais tours de la chance. Pourquoi s’adonner alors à tant de raisonnements inutiles ? Nous sommes les jouets du destin. Adieu éducation et principes, adieu l’amour de notre pays : tout cela est devenu inutile pour la plupart d’entre nous ; celui qui agit selon ce qu’il appelle ses principes peut se voir châtié autant par un des partis que par l’autre au nom de ces mêmes principes. Celui qui va son chemin sans principes, en se laissant conduire par la chance, la crainte et le désir d’assurer sa survie, ne s’en trouvera peut-être pas mieux mais on le blâmera moins. Que sommes-nous, pauvres habitants sans défense de la frontière,
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à l’échelle de ces grands événements ? Que nous soyons en vie ou morts, le fait suscitera-t-il quelque curiosité ? À quoi servira de faire montre, au sein de nos retraites secrètes, de quelque vertu, de quelque mérite ou désintéressement que ce soit ? Nous sommes comme les mauvaises herbes que détruit la charrue, dont la destruction ne prévient pas une prochaine repousse. L’instinct de conservation, qui est la règle dans la nature, semble être la meilleure règle de conduite ; quel bien cela pourra-t-il nous faire que de résister en vain, de faire des efforts inutiles ? Le calme et lointain spectateur, qui vit en sécurité, m’accusera peut-être d’ingratitude, me sortira peut-être les principes de Solon et de Montesquieu3 ; il considérera peut-être que mes intentions sont coupables, m’affublera peut-être des noms les plus injurieux. À l’abri du danger, il pourra consacrer toutes les ressources d’une imagination qui n’est pas troublée par la moindre agitation de son cœur à discourir librement sur cette importante question et fera remarquer que cette grande affaire présente un double aspect selon qu’on se met du côté des attaquants ou de celui de ceux qui se défendent. À ses yeux, la chose se montre sous un jour abstrait ; la variété des points de vue, la possibilité d’observer les événements depuis une perspective lointaine et diverses opinions qui ne sont pas obscurcies par les sentiments lui permettront de se faire une idée claire. Le voilà qui proclame la culpabilité de l’un et le droit de l’autre ; mais qu’il vienne résider ne serait-ce qu’un mois parmi nous ; qu’il passe en notre compagnie chacune des heures que nous sommes obligés de passer dans la douleur, la terreur et l’effroi ; qu’il nous observe au cours de nos longues nuits sans sommeil, son mousquet dans les mains et son imagination en proie aux assauts de toutes les passions ; qu’il voit son épouse et ses enfants exposés au terrible péril de la mort ; que l’existence de sa propriété dépende d’une seule étincelle crachée par le souffle d’un ennemi ; qu’il tremble avec nous dans nos champs, qu’il frémisse au bruissement de chaque feuille ; que son cœur, le siège des plus touchantes émotions, batte à tout rompre en entendant parler de la triste fin qu’ont connue ses relations et ses amis ; qu’il retrace sur la carte le progrès de ces désolations ; que son imagination inquiète lui fasse prévoir la nuit, la terrible nuit où ce sera son tour de périr comme tant d’autres ont péri auparavant. On verra alors si l’homme n’aura pas le dessus sur le citoyen, si ses grands principes politiques tiendront le coup ! Oui, il cessera de vanter si chaudement la gloire de la métropole ; toute son attention se consacrera à la préservation de sa famille ! Oh ! s’il était à ma place, avec sa maison toujours remplie comme la mienne de pauvres victimes qui viennent tout juste d’échapper aux flammes et au
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scalp, et qui font le récit d’actes de barbarie et de meurtres qui font frémir la nature humaine, sa condition lui ferait cesser toute réflexion politique et bannir toute idée abstraite. J’en ai gros sur le cœur et il s’accroche malgré lui à la moindre idée pouvant lui procurer une tranquillité ou un soulagement imaginaires. On m’a dit que le roi était le père d’une progéniture plus nombreuse et plus belle que celle de tous les autres potentats de la Terre ; il est peut-être un grand roi mais il doit avoir les mêmes sentiments que nous, le commun des mortels, et souhaiter que ses enfants connaissent une existence heureuse et la prospérité. Ses pensées se projettent sans doute souvent vers l’avenir où il nous voit heureusement établis de par le monde. S’il peut être permis à un pauvre habitant des frontières d’imaginer ce que ferait ce grand personnage, le premier des hommes de notre société, s’il était exposé ne serait-ce qu’une heure aux peines qui nous nouent si souvent l’estomac, la préservation de cette nombreuse famille n’occuperait-elle pas alors tous ses esprits ? À l’heure du danger serait-il préoccupé par le respect de son autorité et des autres privilèges qui viennent avec la royauté ? Ses qualités royales, aussi sacrées soientelles, céderaient le pas à des sentiments plus forts parce que plus naturels pour le laisser agir en qualité d’homme et de père. Oh ! s’il savait seulement ce qui se passe dans le contexte de cette affreuse guerre, je suis certain qu’il mettrait fin à ce qui sème depuis longtemps la destruction parmi les familles. Je suis certain que, tout en tendant l’oreille à la question politique, il écouterait tout aussi attentivement la voix de la nature, notre mère à tous, car tout bon roi qu’il est, il souhaite certainement être aussi productif, généreux et protecteur qu’elle peut l’être. Me faut-il alors, afin d’avoir droit au titre de loyal sujet, posément et philosophiquement affirmer qu’il est nécessaire pour le bien de l’Angleterre que les têtes de mes enfants soient fracassées contre les murs de la maison dans laquelle ils ont été élevés, que mon épouse soit poignardée et scalpée devant mes yeux, que je sois ou assassiné ou emprisonné, ou que, pour faire les choses plus vite, nous soyons tous enfermés dans notre maison et réduits en cendres comme l’a été la famille de B –––––––––– n4 ? Me faut-il attendre humblement les derniers assauts de la désolation et subir avec une parfaite résignation le triste sort qui nous est promis par des ruffians qui agissent loin du regard de la moindre autorité, des monstres abandonnés aux plus sauvages pulsions de la plus sauvage nature ? Si on pouvait transporter et lâcher les lions de l’Afrique sur nos terres, ils nous tueraient certainement afin de se repaître de nos cadavres, mais leur appétit ne ferait pas autant de victimes. Dois-je attendre d’être puni par la mort ou bien d’être privé de
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toute nourriture et d’habillement, réduit au désespoir sans possibilité de compensation et d’espoir ? Ceux qui pourront s’enfuir doivent-ils voir la destruction et la disparition de tout ce qui leur a été cher ? Ces quelques survivants, cachés en quelque obscure retraite, doivent-ils déplorer en vain le destin de leurs familles, s’affliger du sort de parents emprisonnés, massacrés ou brûlés, errer de par nos régions sauvages et attendre la mort au pied d’un arbre sans un murmure, sans un soupir, pour le bien de la cause ? Non, c’est impossible ! On ne doit pas demander d’aussi grands sacrifices à la nature humaine ; cela ne doit être réservé qu’à des êtres d’un ordre inférieur ou supérieur, poussés par moins de principes ou par des principes plus grands. Même ces grands personnages dont la valeur dépasse tellement celle des hommes du commun, je veux dire ceux qui jettent tant de foudres sur nous, ceux qui ont lâché contre nous les démons de la guerre, pourraient-ils être transportés ici et métamorphosés en simples planteurs comme nous le sommes, ils cesseraient d’être les arbitres de la destinée humaine et deviendraient de misérables victimes ; ils s’émouvraient et hurleraient autant que nous, et ne sauraient pas plus que nous quelle conduite adopter. Comprenez-vous bien les difficultés de notre situation ? Si nous restons, nous sommes assurés de périr à un moment ou à un autre ; aucune vigilance ne peut nous sauver ; si nous nous en allons, nous ne savons pas où nous en aller ; toutes les maisons sont remplies de réfugiés tous aussi misérables que nous ; et si nous partons, nous devenons des mendiants ; le bien des fermiers n’est pas comme celui des marchands et la pauvreté absolue est pire que la mort. Si nous prenons les armes pour nous défendre, on nous appelle des rebelles ; ne serionsnous pas rebelles à la nature si nous devions rester honteusement passifs ? Devons-nous alors, comme des martyrs, nous glorifier d’une allégeance désormais sans valeur et nous exposer à un genre de désolation qui, tout en nous ruinant entièrement, n’enrichit pourtant pas nos anciens maîtres. C’est à cause de cet attachement inflexible et morbide que nos compatriotes nous mépriseront et que nos anciens amis nous détruiront ; quoi que nous disions, quels que soient nos mérites, cela ne nous protégera pas des frappes aveugles que l’on doit à des bandits payés à cet effet, animés par toutes les passions qui peuvent pousser les hommes à répandre le sang des autres : amère perspective ! À l’inverse, les coups que nous recevons de la part de ceux dont nous attendions la protection font disparaître l’ancien respect et nous poussent à nous défendre — peut-être à nous venger ; telle est la voie indiquée par la nature à celui qui est civilisé comme à celui qui ne l’est pas ; le Créateur a lui-même imprimé ces penchants
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dans nos cœurs lorsqu’il leur a donné forme. Et devons-nous accepter de subir chaque jour pareil traitement de la part d’une puissance jadis tant aimée ? Le renard fuit ou trompe les chiens qui le poursuivent ; l’ours, quand il est cerné, leur résiste et les attaque avec audace ; la poule, la peureuse poule, lutte pour la sauvegarde de ses poussins et elle n’hésite pas à attaquer et à faire face même à l’alerte milan des marais. L’homme, doté tant d’instinct que de raison, doit-il alors rester impassible, indifférent et inactif lorsqu’il voit brûler sa subsistance et qu’on lui enlève ou qu’on assassine sa progéniture ? La raison doit-elle se faire trompeuse et anéantir les infaillibles mouvements de l’instinct ? Non ; le respect et l’attachement qui ont été les miens disparaissent avec ma sécurité ; ce respect et cet attachement étaient donnés en échange de la protection, et nous ne sommes plus protégés. La grande nation à laquelle nous appartenons n’aurait-elle pas pu parvenir à ses fins au moyen de ses nombreuses armées, au moyen de ses flottes qui couvrent l’océan ? Ceux qui sont les maîtres des deux tiers du commerce de la planète, qui ont entre leurs mains le pouvoir qui vient avec la puissance de l’or, qui possèdent un genre de richesse qui croit avec leurs désirs, doivent-ils asseoir leur conquête sur notre pauvre sang innocent ! Dois-je alors dire adieu à l’Angleterre, à ce pays renommé ? Dois-je renoncer à un nom si ancien et si vénérable ? Hélas, celle-là même qui fut jadis une tendre mère me force à prendre les armes contre elle. C’est elle qui a inspiré aux plus malheureux citoyens de nos districts éloignés l’idée de répandre le sang de ceux à qui ils donnaient les noms d’amis et de frères. Pourquoi cette grande nation qui bouleverse désormais le monde entier, qui connaît à peine l’étendue de ses royaumes des Indes, qui tend à devenir la monarchie universelle du commerce, de l’industrie, de la richesse et du pouvoir, doit-elle joncher nos pauvres frontières des cadavres de nos amis, des ruines de nos villages sans importance dans lesquels il ne se trouve pas d’or ? Lorsque, accablé de souvenirs douloureux, mon esprit se penche sur toutes ces idées éparses, lorsque je considère ma situation et les milliers de ruisseaux de malheurs dont je suis entouré, même lorsque je me penche sur le remède que j’ai proposé, je suis bouleversé — parfois bouleversé à un point tel qu’il me prend l’envie de m’exclamer : pourquoi le maître de l’univers accepte-t-il de voir tant de malheurs se répandre aveuglément de par toute cette pauvre planète, à toutes les époques et parmi tous les peuples ? Ce devrait sûrement être un châtiment réservé seulement aux méchants. Je porte à mes lèvres cette coupe à laquelle je dois bientôt boire et son amertume me fait frissonner. Qu’est-ce
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donc que la vie ? je me le demande ; est-ce un beau cadeau ? Non, elle a un goût trop amer ; un cadeau est un objet de valeur, tandis que la vie semble être un simple accident et de la pire sorte ; nous sommes nés pour être les victimes des maladies et de la passion, de la malchance et de la mort ; mieux vaut ne pas être que d’être misérable. — C’est ainsi que j’erre en impie et que je passe d’une mauvaise pensée à l’autre, et mon esprit, irrité par ces réflexions acrimonieuses, est parfois prêt à me pousser jusqu’aux plus dangereux excès de violence. Lorsque je me souviens que je suis un père et un époux, le retour de ces tendres idées fait une impression profonde dans mon cœur. Hélas ! il fut un temps où elles le faisaient rayonner de plaisir et exulter de ravissement mais maintenant elles le remplissent de chagrin. En d’autres temps, mon épouse réussissait à me sortir de ces affreuses méditations et à m’apaiser en me ramenant à la raison ainsi qu’elle sait si bien le faire, mais ses démarches ne servent qu’à me rendre encore plus misérable à l’idée qu’elle doit partager avec moi toutes ces calamités dont la seule évocation suffira, je le crains, à déranger sa raison. Je ne peux pas non plus me résoudre à penser qu’une épouse bien-aimée, la fidèle collaboratrice de toutes mes entreprises agricoles, celle qui m’a le plus aidé à élever ces enfants à qui tout mon cœur appartient et à mettre sur pied la prospère fabrique de tranquillité et d’indépendance que je possédais jusqu’à très récemment, doit être exposée jour et nuit à un destin aussi cruel. La préservation de soi-même passe avant toutes les règles et tous les principes politiques, et elle prédomine même sur les opinions les plus chères à nos esprits ; l’idée de faire du mieux que nous pouvons avec ce que nous impose l’époque dans laquelle nous vivons constitue une règle de conduite de laquelle nul ne peut se détourner. Je dois trouver une manière de remédier à nos malheurs, de façon à y mettre un terme ou à les atténuer ; dans la situation qui est la mienne, que devrais-je faire afin de ne pas blesser ni insulter aucun des partis tout en sauvant du même coup ma famille de la destruction certaine qui l’attend si je demeure ici plus longtemps ? Pourrai-je assurer leur pain, leur sécurité et leur subsistance ? Mais pas un pain qui soit le fruit de l’oisiveté : celui qui se gagne ainsi que nous l’avons fait jusqu’ici, avec ce qu’il se doit de travail. Cela devrait-il se faire au sacrifice de ma vie que je la donnerais volontiers. Je le jure devant Dieu : c’est seulement pour eux que je désire vivre et peiner, pour ceux qui me doivent leur misérable existence. Je ressemble, je crois, à une pierre tombée d’une arche en ruine, qui conserve toujours la forme originelle qui lui permettait de s’ajuster à la place que j’occupais auparavant, mais le centre s’est effondré ; je ne suis rien tant
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qu’on ne m’a pas remis en place, que ce soit dans l’ancien arc de cercle ou dans un autre édifice plus solide. J’en vois justement un, construit à plus petite échelle et situé à une distance considérable, mais je suis en mesure de le rejoindre ; puisque j’ai cessé de me considérer comme un membre de l’ancien État désormais sens dessus dessous, j’accepte volontiers de m’accommoder de conditions inférieures. Je vais retourner à un état plus proche de la nature, où l’on ne s’encombre pas de volumineux ouvrages de lois ni de ces codes contradictoires qui prennent à la gorge ceux-là mêmes qu’ils sont censés protéger ; mais je serai en même temps suffisamment éloigné du désordre brutal de la nature sauvage. Voyez-vous, mon ami, le chemin que j’ai trouvé ? C’est celui qui conduit chez les habitants du grand village de ––––––––––, à ––––––––––, dont les résidants, très éloignés du détestable voisinage des Européens, vivent dans une plus grande tranquillité, mieux et plus paisiblement que vous ne l’imaginez et où, quoique sous la gouverne d’aucune loi, ils ont cependant trouvé, grâce à la pureté de leurs mœurs toutes simples, tout ce que les lois peuvent offrir. Leur système suffit entièrement à répondre aux besoins essentiels de l’homme et à faire de lui un être de bonne compagnie ainsi qu’il devrait l’être dans les grandes forêts de la nature. C’est là que j’ai décidé de me rendre à tout prix avec ma famille. C’est une bien grande excentricité, direz-vous peut-être, que de rompre ainsi avec toutes ses anciennes relations et d’en former de nouvelles avec des gens que la nature a doté de caractéristiques si différentes ! Mais dans la mesure où le bonheur de ma famille est l’unique objet de mes désirs, je me soucie très peu de l’endroit où nous serons ou de celui où nous irons, du moment que nous sommes en sûreté et tous ensemble. En répartissant également le poids de nos nouvelles calamités sur les épaules de chacun de nous, elles seront plus faciles à supporter ; l’affection que nous avons les uns pour les autres sera, dans le cadre de cette grande transmutation, le plus solide des liens au sein de notre nouvelle société ; elle nous donnera toutes les joies qu’il est possible de connaître sur un sol étranger et assurera notre union de la même façon que la gravité et la cohérence de la matière empêchent le monde de tomber en pièces. Ne me blâmez pas : ce serait cruel de votre part et, de plus, ce serait totalement inutile car lorsque vous recevrez ces mots, nous aurons déjà mis les voiles. Quand nous croyons que tous les espoirs sont perdus, devons-nous céder à la pusillanimité des malheureux et mourir dans la détresse ? Non ! Je vois s’offrir à moi quelques possibilités qui ne sont cependant pas sans de nombreux dangers dont je vous ferai part plus loin. Ce ne sont pas, croyez-moi, les revers de l’ambition
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qui me poussent à m’engager dans cette voie ; c’est l’amertume de ma situation, c’est l’impossibilité de trouver de meilleure solution ; mon éducation ne m’a préparé à rien d’autre qu’aux plus simples travaux de l’existence ; je ne suis bon qu’à abattre des arbres, je ne suis qu’un cultivateur, le plus honorable des titres dont un Américain puisse se réclamer. Je ne peux me vanter d’aucun exploit, d’aucune découverte, d’aucune invention ; j’ai défriché environ 370 acres de terre, en partie destinés à la charrue, en partie à la faux, ce à quoi j’ai consacré plusieurs années de mon existence. Je n’ai jamais possédé ni souhaité posséder rien de plus que ce qui pouvait être gagné ou produit grâce au travail commun de ma famille. Je ne voulais rien de plus que vivre chez moi, indépendant et tranquille, et enseigner à mes enfants comment se donner les moyens de s’assurer d’une ample subsistance, cela grâce au travail, comme l’a fait leur père. Telle est la carrière à laquelle je me suis consacré et celle que j’avais prévue pour eux et pour laquelle ils semblaient bien être faits de par leurs penchants et leur constitution. Mais ces agréables projets ont désormais été abandonnés, nous devons laisser derrière nous le fruit accumulé de dix-neuf années de travail, nous devons fuir nous ne savons trop où, en suivant les plus impénétrables des sentiers, et devenir membres d’une communauté nouvelle et étrangère. Ô vertu ! est-ce là la seule récompense que tu as à offrir à tes partisans ? Ou bien tu n’es qu’une chimère, ou bien tu n’es qu’une peureuse et une inutile, vite effrayée lorsque l’ambition, ta grande adversaire, est aux commandes, lorsque se font entendre les terribles échos de la guerre et que de pauvres individus sans défense sont couchés par ses cruels moissonneurs comme autant d’herbes inutiles. J’ai toujours généreusement soulagé le peu de personnes en détresse que j’ai pu croiser ; j’ai encouragé les industrieux ; ma maison a toujours été ouverte aux voyageurs ; depuis que je suis homme, je n’ai pas perdu un mois à faire le malade ; on me doit l’installation de plus de cent vingt familles. J’ai donné un coup de main à plusieurs d’entre elles aux premiers jours de leurs travaux ; éloigné comme je le suis du moindre lieu de culte ou de la moindre école, j’ai été le pasteur de ma famille et le professeur de plusieurs de mes voisins. Je leur ai enseigné aussi bien que je le pouvais leur devoir de gratitude envers Dieu, le père des moissons, ainsi que leurs devoirs envers les hommes ; j’ai été un bon sujet, toujours obéissant aux lois, toujours prêt à voir à ce qu’elles soient respectées et observées. Mon épouse a fidèlement suivi la même voie pour ce qui est de son domaine ; aucune femme n’a jamais été meilleur administrateur ni filé ou tissé de meilleurs
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tissus. Et pourtant nous devons périr, périr comme des bêtes sauvages encerclées par le feu ! Oui, c’est avec joie que je prends cette décision : c’est une inspiration du Ciel. Elle occupe mon esprit jour et nuit. J’ai attentivement réfléchi à ce projet ; j’ai envisagé toutes les conséquences et toutes les implications du nouveau mode de vie qui sera le nôtre, sans sel, sans épices, sans tissus et avec peu de vêtements ; de l’art de la chasse que nous devrons apprendre ; des nouvelles mœurs que nous devrons adopter ; de la nouvelle langue que nous devrons parler ; des dangers auxquels nous devrons faire face en ce qui concerne l’éducation de nos enfants. Ces changements paraissent peut-être plus terrifiants lorsqu’on les voit de loin que lorsque l’expérience les aura rendus familiers. Que nous importe de manger de belles pâtisseries ou de lourds gâteaux, du bœuf bien rôti ou de la venaison fumée, des choux ou des courgettes ? De porter de belles étoffes maison ou du bon castor, de dormir dans des lits de plumes ou sur des peaux d’ours ? La différence est sans intérêt. Les difficultés de la langue, la crainte de voir mes plus jeunes enfants grandement influencés par les Indiens et séduits par ces coutumes particulières, dont l’exemple est tellement dangereux tandis qu’ils sont en bas âge, sont finalement les seules considérations qui m’inquiètent. Quel est ce pouvoir qui empêche les enfants qui, dans leur jeunesse, ont été adoptés par ces gens, de jamais être convaincus de renouer avec des mœurs européennes ? J’ai vu, au cours de la dernière guerre5, de nombreux parents inquiets qui, une fois la paix revenue, sont allés dans les villages indiens où ils savaient que leurs enfants avaient été conduits captifs ; ils ont alors découvert avec une inexprimable tristesse que ces enfants avaient été si parfaitement indianisés que plusieurs d’entre eux ne les reconnaissaient plus, et que ceux qui étaient en âge d’avoir conservé le souvenir de leurs pères et de leurs mères refusaient absolument de les suivre et couraient auprès de leurs parents adoptifs pour se protéger des effusions d’amour que leurs malheureux parents véritables répandaient sur eux ! Aussi incroyable que cela puisse paraître, j’ai eu mille fois l’occasion d’entendre pareil récit de la bouche de personnes dignes de foi. Il y a environ quinze ans, un Anglais et un Suédois ont vécu au village de ––––––––––, où je me propose d’aller ; leur histoire serait touchante si j’avais le temps de la raconter. Ils avaient atteint l’âge d’homme lorsqu’ils ont été pris ; ils ont eu la chance d’échapper au grand châtiment destiné aux prisonniers de guerre et se sont vus dans l’obligation d’épouser les squaws qui avaient sauvé leurs vies en les adoptant. La force de l’habitude a fait que cette vie sauvage leur était finalement devenue tout à fait natu-
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relle. Pendant que j’étais là, leurs amis ont fait parvenir une somme d’argent considérable pour payer leur rançon. Les Indiens, leurs anciens maîtres, leur ont donné le choix et, sans avoir besoin de réfléchir davantage, ils leur ont répondu qu’il y avait longtemps qu’ils étaient aussi libres que les Indiens. Ils ont choisi de rester et les raisons qu’ils m’ont données vous étonneraient grandement ; la parfaite liberté, la douceur de l’existence, l’absence du genre de soucis et de tentations corrosives qui ont si souvent le meilleur sur nous, la qualité particulière du sol qu’ils cultivaient, car ils ne faisaient ni l’un ni l’autre confiance à la chasse : toutes ces raisons et bien d’autres que j’ai oubliées leur faisaient préférer cette vie dont nous avons une si affreuse opinion. Elle ne peut donc pas être aussi mauvaise que nous nous l’imaginons généralement ; leurs relations sociales doivent présenter quelque chose de singulièrement captivant et de loin supérieur à tout ce dont nous pouvons nous vanter, car des milliers d’Européens sont devenus des Indiens et il n’existe aucun exemple d’un seul de ces aborigènes qui aurait choisi de devenir européen ! Il doit s’y trouver quelque chose de plus proche de nos dispositions naturelles que ce qu’on trouve dans le semblant de société dans lequel nous vivons, sinon pourquoi les enfants et même les grandes personnes s’y attacheraient-ils aussi irrésistiblement en très peu de temps ? Leurs mœurs doivent présenter quelque chose de très enchanteur, quelque chose d’indélébile et portant la signature de la nature elle-même. Car prenez un jeune garçon Indien et donnez-lui la meilleure éducation qu’il vous est possible, comblez-le de votre générosité, de présents, que dis-je, de richesses ! Il conservera malgré tout une secrète nostalgie de ses forêts natales qu’il devrait, croirez-vous, avoir depuis longtemps oubliées, et à la première occasion qu’il trouvera, vous le verrez laisser volontairement derrière lui tout ce que vous lui avez donné et retourner avec une joie inexprimable se reposer sur les nattes de ses pères. Il y a quelques années de cela, monsieur –––––––––– s’est fait remettre, par un bon vieil Indien qui était mort dans sa maison, un jeune garçon de neuf ans, le petit-fils de ce dernier. Il a eu la bonté de l’élever en compagnie de ses propres enfants et de lui accorder les mêmes soins et la même attention par respect pour la mémoire de son vénérable grandpère, qui avait été un homme estimable. Il avait l’intention de le faire hériter d’un bon commerce mais au printemps, alors que toute la famille était dans les bois afin de faire son sucre d’érable, il est soudainement disparu et c’est dix-sept mois plus tard que son bienfaiteur entendit dire qu’il avait atteint le village de Bald Eagle, où il réside toujours. On dira ce qu’on voudra à leur sujet, sur l’infériorité de leurs organes, sur le fait
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qu’ils ignorent le pain6, etc., ils sont aussi vigoureux et bien faits que les Européens. Sans temples, sans prêtres, sans rois et sans lois, ils nous sont supérieurs en plusieurs choses ; les preuves de ce que j’avance sont le fait qu’ils vivent sans soucis, qu’ils dorment sans inquiétudes, qu’ils prennent la vie comme elle vient, qu’ils en supportent toutes les difficultés avec une patience sans pareille et qu’ils meurent sans le moindre regret pour ce qu’ils ont fait ou la moindre crainte face à ce qu’ils s’attendent à trouver dans l’au-delà. Quel système philosophique devons-nous adopter pour connaître ainsi tant de choses conduisant au bonheur ? Ils sont certainement beaucoup plus proches de la nature que nous le sommes ; ce sont les purs enfants de la nature ; les habitants des forêts sont sa descendance directe ; ceux des plaines sont ses rejetons dégénérés, qui se sont éloignés, très éloignés de ses lois primitives, de ses intentions originelles. C’est donc décidé. Je mourrai au cours de la tentative ou je réussirai ; mieux vaut périr tous ensemble en un instant fatal que d’endurer jour après jour les souffrances que nous connaissons. Au village de ––––––––––, je ne m’attends pas à jouir d’un bonheur parfait : tel ne peut être notre destin ; laissez-nous vivre où nous le voulons ; ce n’est pas en rêvant à de l’or que j’assurerai ma prospérité future. Mettez les hommes où vous voudrez, ils auront toujours à lutter avec l’adversité de la nature, avec les problèmes, la faiblesse de leur constitution, les saisons et ce vaste complot de malchances qui ne cessent de nous apporter de nouvelles maladies, de nous conduire à la pauvreté, etc. Qui sait si, dans ces nouvelles circonstances, il ne m’arrivera pas quelque imprévu d’où jailliront les sources nouvelles d’une prospérité inattendue ? Qui peut avoir la présomption de prédire tout ce qui peut lui arriver de bien ? Qui peut prévoir tous les malheurs qui jonchent les chemins que suivent nos vies ? Mais je ne peux pas non plus m’empêcher de réaliser le sacrifice que je vais faire, l’amputation dont je vais souffrir, le changement dont je vais faire l’expérience. Excusez mes redites, la futilité et le désordre de mes réflexions : je les dois à l’agitation de mes pensées et à tout ce que j’ai sur le cœur ; le fait de les coucher ainsi sur papier semble alléger mon fardeau et vivifier mes esprits ; par ailleurs, ceci est la dernière lettre que vous recevrez de moi ; j’aimerais pouvoir tout vous dire, bien que je ne sache pas comment le faire. Oh ! si j’étais capable de vous faire intuitivement part des diverses pensées qui remplissent mon esprit aux heures, aux moments de mes plus grandes angoisses, vous auriez raison d’être étonné et de douter de leur existence. Pourrons-nous jamais nous revoir ? Et si oui, où cela sera-t-il ? Dans les sauvages environs de ––––––––––. Si mon funeste destin est de finir mes
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jours là-bas, j’en améliorerai grandement les alentours et ferai peut-être de la place pour quelques autres familles qui choisiront de fuir la fureur d’une tempête qui balaiera de ses lames toute l’étendue de nos côtes pendant encore de nombreuses années. Peut-être pourrai-je reprendre possession de la maison si elle n’a pas été réduite en cendres, mais que restera-t-il de tous mes travaux ? Ils seront à moitié ruinés, profondément marqués par les signes de l’abandon et les ravages de la guerre. À présent, cependant, je les considère perdus d’avance ; je vais dire adieu à tout ce que je laisse derrière moi. Si jamais j’en reprends possession, ce sera comme si je recevais un cadeau en récompense pour ma conduite et mon courage. Ne vous imaginez cependant pas que je sois stoïque — pas du tout ! Au contraire, je dois vous le confesser, je ressens un regret des plus aigus à l’idée d’abandonner une maison que j’ai plus ou moins entièrement construite de mes propres mains. Oui, je ne reverrai peut-être jamais les champs que j’ai défrichés, les arbres que j’ai plantés, les prairies qui, dans ma jeunesse, étaient une étendue sauvage et qui ont désormais été transformées, grâce à mon travail, en riches pâturages et en beaux prés. Si on est très attaché à son patrimoine en Europe, l’attachement qui nous lie au nôtre est encore plus naturel et plus puissant dans la mesure où, si vous me permettez l’expression, nous sommes les fondateurs, les créateurs de nos propres fermes ! Lorsque je vois, autour de ma table, ma jeune descendance unie par les liens de la plus forte affection, cela éveille en mon cœur une diversité de sentiments tumultueux que seul un époux et père dans la même situation que moi peut ressentir ou décrire. Peut-être que, dans la détresse, je verrai souvent mon épouse et mes enfants évoquer involontairement le souvenir de la tranquillité et de l’abondance qu’ils ont connues sous le toit paternel. Peut-être les verrai-je manquer de ce pain que je laisse maintenant derrière moi et être rejoints par les maladies et la disette que le souvenir de l’opulence et des provisions des jours passés rendra encore plus amères. Peut-être serai-je confronté de toutes parts à des accidents que je ne serai pas en mesure de prévenir ou de surmonter. Puis-je me représenter de pareilles images sans ressentir les plus inexprimables des émotions ? Tel sera mon destin, que je n’ai pas choisi, vous pouvez en être sûr, sans avoir eu à lutter douloureusement avec une grande diversité de passions — l’intérêt, l’amour de la tranquillité, des espoirs déçus et des beaux projets voués à l’échec : j’en frémis rien qu’à en faire la liste ! Ah ! s’il eût plu à Dieu que j’eusse été un des paisibles maîtres de la secte magnanime des stoïciens, si j’avais pu profiter des sublimes leçons que l’empereur Antonin a reçues d’Apollonius de Chalcédoine7, je pourrais
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alors tenir beaucoup mieux le gouvernail de ma petite barque sur laquelle je ferai bientôt monter tout ce qui m’est le plus cher sur Terre pour traverser la tempête jusqu’à bon port et, une fois rendu, devenir aux yeux de mes compagnons de voyage un guide plus sûr, un meilleur exemple, un modèle plus digne d’être imité au milieu de tous les nouveaux paysages qu’ils devront voir et au sein de la nouvelle carrière qu’ils devront entreprendre. J’ai tout de même étudié les moyens qu’on a utilisés jusqu’ici afin que les principales nations indiennes prennent les armes contre nos frontières ; ils n’ont pas encore déterré et ne déterreront jamais la hache de guerre contre des gens qui ne leur ont pas fait de torts. On ne peut pas pousser ces gens à la guerre en soulevant leurs passions ; ils ne ressentent pas cette soif de vengeance qui seule peut les forcer à répandre le sang ; leurs raisons d’agir sont en cela de beaucoup supérieures à celles des Européens qui, pour six sous par jour, peuvent être poussés à répandre celui de n’importe qui sur Terre. Ils ne savent rien de la nature de nos disputes, ils n’ont aucune idée de ce genre de révolution ; une guerre civile qui divise un village ou une tribu est un genre d’événement qui n’a jamais fait partie de leurs traditions. Plusieurs d’entre eux savent qu’ils ont trop longtemps été les dupes et les victimes des deux partis en s’armant stupidement à notre avantage, parfois les uns contre les autres, parfois contre nos ennemis de race blanche. Ils considèrent que nous sommes nés sur la même terre qu’eux et, bien qu’ils n’aient pas de raisons de nous aimer, ils semblent cependant faire bien attention d’éviter, pour quelque raison que ce soit, de prendre part à cette querelle. Je parle ici des nations que je connais le mieux et non des quelques centaines d’individus de la pire sorte qui, mêlés à des Blancs encore pires qu’eux, à la solde de la Grande- Bretagne, s’adonnent à ces terribles incursions. Dans ma jeunesse, sous la direction de mon oncle, j’ai fait du commerce avec les –––––––––– et j’ai toujours été juste et équitable ; certains d’entre eux s’en rappellent encore aujourd’hui. Heureusement, leur village est très éloigné du dangereux voisinage des Blancs ; le printemps dernier, j’y ai envoyé un homme qui connaît extrêmement bien les bois et qui parle leur langue ; il vient tout juste de revenir après plusieurs semaines d’absence et m’a rapporté, comme je m’y attendais, un wampun de trente perles pourpres signifiant que leur bon chef partagera avec nous la moitié de son wigwam jusqu’à ce que nous ayons eu le temps de dresser le nôtre. Il me fait dire qu’ils ont des terres en abondance, pour lesquelles ils ne montrent pas autant de convoitise que les Blancs ; que nous pourrons y semer à notre profit et qu’en attendant la récolte, il nous procurera du maïs et de la viande ; que
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les eaux de la –––––––––– abondent de poissons et que le village auquel il a fait part de mes propositions n’a pas d’objection à ce que nous venions résider parmi eux. Je n’ai pas encore communiqué ces bonnes nouvelles à mon épouse et je ne sais comment ou en quels termes le faire ; je tremble de crainte à l’idée qu’elle refuse de me suivre ; je crains que la soudaine annonce de ce départ soit quelque chose de trop fort pour ses esprits. Je m’imagine que je serai capable de lui en faire part de façon à la convaincre ; je redoute seulement l’emprise qu’exerce sur elle son puissant attachement à sa famille. Je vous informerais volontiers des moyens que je compte prendre pour déplacer ma famille sur une aussi grande distance, mais cela vous serait inintelligible parce que vous n’êtes pas familier avec la géographie de cette partie du pays. Il vous suffira de savoir qu’après environ trente-trois milles par voie de terre, je suis en mesure de faire le reste par voie fluviale et qu’une fois sur l’eau, il m’importe peu qu’il reste deux ou trois cents milles à faire. J’ai l’intention d’envoyer tous nos biens, nos meubles et nos vêtements au frère de mon épouse, qui approuve le projet, et de ne rien garder d’autre que quelques couvertures, nous en remettant aux fourrures des animaux que nous chasserons pour constituer nos futurs vêtements. Devrions-nous imprudemment nous encombrer de trop de bagages que nous n’atteindrions jamais les eaux de la ––––––––––, qui constituent la partie la plus dangereuse et la plus difficile de notre itinéraire, bien que la distance y soit pour bien peu de choses. Je me propose de dire à mes nègres — Au nom de Dieu, soyez libres, mes bons garçons ; je vous remercie pour les services que vous m’avez rendus ; allez et travaillez dorénavant pour vous-mêmes ; considérez-moi comme votre vieil ami et un simple laboureur comme vous ; soyez sobres, économes et industrieux, et vous ne manquerez pas de récolter une confortable subsistance. — De crainte que mes compatriotes puissent penser que je suis parti rejoindre ceux qui se font les incendiaires de nos frontières, je me propose d’écrire une lettre à monsieur –––––––––– afin de l’informer de notre retraite et des raisons qui me poussent à m’y rendre. L’homme que j’ai envoyé au village de –––––––––– sera lui aussi du voyage et nous sera à tous égards un compagnon très utile. Vous pouvez donc, si vous faites travailler votre imagination, me voir sous le wigwam ; je suis tellement familier avec les principales coutumes de ces gens que je ne prévois aucune appréhension de leur part. Je fais davantage confiance à leur sens de l’hospitalité qu’aux contrats de bien des Européens signés devant témoin. Aussitôt que possible après mon arrivée, j’ai le projet de me construire un wigwam, du même genre et de
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la même grandeur que les autres, de façon à ce que l’on ne pense pas que je veuille me distinguer et à ne susciter aucune raillerie, bien que ces gens soient rarement coupables de ce genre de caprice européen. Je l’érigerai près des terres qu’ils se proposent de m’attribuer et je ferai en sorte que mon épouse, mes enfants et moi-même puissions être adoptés peu après notre arrivée. Ainsi, en faisant vraiment partie des habitants de leur village, nous occuperons immédiatement au sein de cette société une position qui nous apportera toutes les réparations qu’il nous est possible d’attendre pour les pertes que nous ont causées les convulsions subies par la nôtre. Selon leurs coutumes, nous devrons également nous voir attribuer par eux des noms sous lesquels nous serons désormais connus. Mes plus jeunes enfants apprendront à nager et à tirer à l’arc de façon à pouvoir acquérir des talents qui leur gagneront nécessairement une certaine estime de la part des garçons indiens de leur âge ; le reste d’entre nous devra chasser en compagnie des chasseurs. Je suis depuis plusieurs années un excellent tireur ; je crains cependant de voir mes plus jeunes enfants sous l’imperceptible charme de l’éducation indienne, laquelle développera chez eux un tel penchant pour ce mode de vie qu’il pourra les empêcher de vouloir renouer avec les mœurs et les coutumes de leurs parents. Je n’ai qu’un seul moyen de remédier d’avance à ce grand malheur : il s’agit de les employer autant que possible aux travaux des champs ; je suis même résolu à faire en sorte que leur subsistance quotidienne en dépende directement. Aussi longtemps que nous restons occupés à cultiver la terre, il n’y a pas à craindre qu’aucun d’entre nous ne s’ensauvage ; c’est la chasse et la nourriture qu’elle procure qui ont cet étrange effet. Pardonnez la comparaison — les cochons qu’on laisse errer dans les bois mais à qui on donne du grain une fois par semaine conservent leur ancienne docilité ; par contre, s’ils sont réduits à se nourrir de racines et de ce qu’ils peuvent trouver, ils deviennent vite sauvages et féroces. De mon côté, je peux labourer, semer et chasser selon les circonstances, mais privée de laine et de lin, mon épouse n’aura pas de quoi s’occuper : que fera-t-elle alors ? Comme les autres squaws, elle devra nous préparer du nausaump, du ninchikè8 et d’autres mets à base de maïs comme il est de coutume parmi ces gens. Elle devra apprendre à cuire les courgettes et les citrouilles sous la cendre, à préparer et à cuire la viande de nos prises de façon à les conserver ; elle devra adopter de bonne grâce et en tous points les mœurs et les coutumes de nos voisins, ainsi que leurs vêtements, leur maintien, leurs comportements et leur économie domestique. Si nous avons assez de courage pour abandonner tout ce que nous possédons, pour nous en aller aussi loin et
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nous associer à des gens si différents de nous, la nécessité de nous soumettre à ces changements semblera être bien peu de choses. Lorsque les vêtements qu’elles portent sur elles seront usés, ce changement de costume ne sera pas le moindre des soucis de mon épouse et de ma fille ; j’ai cependant espoir que l’estime d’elles-mêmes leur apportera quelque réparation. Peut-être ne pourrez-vous pas croire qu’il se trouve des miroirs dans les bois et des peintures de toutes les couleurs, et que les habitants se donnent autant de peine pour décorer leurs visages et leurs corps, pour placer leurs bracelets d’argent et tresser leurs cheveux que nos ancêtres les Pictes9 avaient coutume de le faire au temps des Romains. Ce n’est pas que je souhaite voir mon épouse et ma fille adopter des coutumes sauvages ; nous pouvons vivre en grande paix et en harmonie avec eux sans condescendre à tous leurs usages ; l’interruption du commerce a, je l’espère, mis un terme à cette mode vestimentaire. Mon épouse sait parfaitement comment faire des inoculations ; elle a inoculé tous nos enfants l’un après l’autre et elle a accompli l’opération avec succès sur plusieurs dizaines de personnes qui, dispersées ici et là de par nos bois, étaient trop éloignées de toute assistance médicale. Si nous pouvons persuader une seule famille de s’y soumettre et si la chose est une réussite, nous devrions alors connaître tout le bonheur que peut nous permettre notre situation ; ainsi accordera-t-on à ma femme un certain niveau de considération car, dans n’importe quelle société, quelqu’un qui sait se rendre utile sera toujours respecté. Si nous avons la chance d’amener une famille à vaincre cette maladie qui est comme la peste parmi ces gens, la force de l’exemple fera que nous leur deviendrons vraiment nécessaires et nous serons appréciés et aimés ; nous nous devons évidemment de faire profiter de tous nos bons offices ces hommes qui se seront tant empressés de nous protéger en nous accueillant parmi eux et en permettant à toute ma famille de bénéficier de la sécurité de leur village, de la force des liens créés par l’adoption et même de la dignité de leurs noms. Si Dieu nous permet de connaître un bon départ, nous pourrons même alors avoir l’espoir de leur être d’un plus grand service que les missionnaires qui leur ont été envoyés afin de leur prêcher un Évangile qu’ils ne peuvent pas comprendre. En ce qui concerne la religion, l’exercice de notre culte ne souffrira pas beaucoup de cet éloignement des régions cultivées qui nous conduira au milieu des bois car il ne pourra pas montrer plus de simplicité que celui que nous avons exercé ici depuis de nombreuses années et, avec tout le soin qu’il m’est possible, je redoublerai d’attention et, deux fois par semaine, je leur rappellerai les grandes lignes de nos devoirs envers Dieu
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et envers les hommes. Je leur lirai et leur expliquerai quelque extrait du Décalogue, ce qui est la méthode que j’ai suivie depuis mon mariage. Une demi-douzaine d’acres sur les rives de la ––––––––––, dont je connais bien le sol, suffiront abondamment à nous donner tout ce dont nous aurons besoin ; je me ferai un point d’honneur de donner le surplus aux Indiens qui auront eu moins de chance dans leurs chasses ; je les persuaderai, si je le peux, de cultiver un peu plus de terre qu’ils ne le font et de ne pas tant s’en remettre au produit de la chasse. Afin de les encourager encore davantage, je leur fournirai un moulin manuel par six familles ; j’en ai construit plusieurs pour nos pauvres colons de l’arrière-pays dans la mesure où c’est souvent le manque de moulins qui les retient de faire pousser du grain. Comme je suis charpentier, je peux construire ma propre charrue et être d’une grande utilité à nombre d’entre eux ; à lui seul, mon exemple pourra éveiller chez certains le goût du travail et servir à guider les autres dans leurs labours. Les difficultés de la langue seront bientôt résolues ; au cours de mes soirées de conversation, je m’efforcerai de les amener à réglementer le commerce de leur village de façon à ce que le coureur de bois, cette peste du continent, soit tenu à une certaine distance et qu’on les oblige à transiger avec les gens âgés. J’ai espoir que le respect qu’ils ont toujours pour les aînés et que la honte sauront empêcher les jeunes chasseurs d’enfreindre ces règles. Le fils de –––––––––– sera bientôt mis au courant de nos projets et je pense être en droit de croire que le pouvoir de l’amour et le puissant attachement dont il fait montre envers ma fille le feront venir avec nous. Il fera un excellent chasseur ; jeune et vigoureux, sa dextérité égalera celle des plus vaillants hommes du village. N’était-ce de cette heureuse situation, nous aurions été devant un grand danger ; car bien que je respecte les manières simples et inoffensives qui sont celles de ces gens dans leurs villages, de puissants préjugés me font abhorrer l’idée de la moindre alliance par le sang ; la chose n’est assurément pas dans les intentions de la nature qui a si fermement souligné nos différences par de nombreux traits indélébiles de caractère. Lorsque nous serons malades, nous aurons recours à leurs connaissances médicinales, qui sont appropriées aux simples maladies auxquelles ils sont sujets. Ainsi nous métamorphoserons-nous, passant de la condition de simples et braves planteurs vivant dans l’aisance, entourés de toutes les commodités que peuvent nous rapporter nos travaux et notre diligence, à celle, plus rudimentaire encore, de gens dépouillés de toute chose sauf d’espoir, de nourriture et des habillements fournis par la forêt, abandonnant une grande maison en bois pour nous installer sous un wigwam et le lit de
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plume pour nous étendre sur une natte ou une peau d’ours. Nous y dormirons sans être troublés par un foisonnement de rêves et d’appréhensions ; le repos et la tranquillité d’esprit seront pour nous le plus grand des dédommagements que nous puissions recevoir en échange de ce que nous devrons laisser derrière nous. Ces bienfaits ne nous coûteront pas beaucoup ; nous en avons été trop longtemps privés. J’irai même de bonne grâce jusqu’au Mississippi pour trouver ce repos que nous avons connu il y a si longtemps. Mon cœur semble parfois fatigué de battre à tout rompre ; il a besoin de se reposer, comme mes paupières qui s’alourdissent à force d’en avoir trop vu. Telles sont les composantes de mon projet ; il m’apparaît possible d’en mener à terme chacun des aspects, ce qui me permet de croire que l’entreprise pourra probablement être un succès. Reste le danger de l’éducation indienne qui me revient à l’esprit et qui m’inquiète beaucoup, mais lorsque je la compare aux enseignements que prodigue notre époque, les deux me semblent être tout aussi gros de mauvais aspects. La raison oblige à choisir le moins dangereux des deux, ce que je dois considérer comme le meilleur choix qu’il m’est possible de faire ; je me persuade que c’est en travaillant et en mettant du cœur à l’ouvrage que je me préserverai le mieux des dangers de la première ; mais je réalise du même coup que cette part de travail et d’efforts, qui ne nous procurera qu’une maigre subsistance sans produire pratiquement aucun profit, ne peut pas pénétrer nos esprits de la même retenue que lorsque nous cultivions la terre sur une plus grande échelle. Les surplus pouvaient alors être convertis en espèces sonnantes et en même temps que cette conversion récompensait nos travaux passés, elle augmentait et fixait l’attention du laboureur et permettait à sa pensée de caresser l’espoir de richesses futures. Afin de suppléer à la disparition de ces raisons de travailler et afin de leur offrir quelque chose de concret qui prévienne les conséquences fatales de ce genre d’apathie, je tiendrai un compte exact de tout ce qui sera récolté et donnerai à chacun d’eux un crédit au montant de ce qui leur sera payé en parts de propriétés lorsque la paix sera revenue. Ainsi, malgré le fait qu’ils peineront pour une maigre subsistance sur une terre étrangère, ils garderont à l’esprit l’heureuse perspective de voir un jour la somme de leurs travaux convertie en legs ou en cadeaux de valeur égale sinon supérieure. Les frais qui, à la maison, auraient été annuellement consacrés à leurs vêtements et dont ils seront alors privés seront également ajoutés à leur crédit ; je me permets de croire que, de cette façon, ils se vêtiront encore plus volontiers d’une couverture, d’un robe sauvage et de mocassins. Quels
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que soient les succès qu’ils connaîtront à la chasse ou à la pêche, la chose ne devra être considérée que comme un loisir ou un passe-temps ; ainsi pourrai-je les empêcher de considérer leurs talents de chasseurs comme une nécessité et un exploit d’importance. J’ai l’intention de leur dire : « Vous devez chasser et pêcher dans le seul but de montrer à vos nouveaux compagnons que votre sagacité et votre adresse ne sont pas inférieures aux leurs. » Devrais-je les envoyer dans le genre d’écoles qu’on trouve actuellement dans les régions intérieures de nos établissements, que pourraient-ils y apprendre ? Comment pourrais-je tolérer de les voir là-bas ? Qu’adviendrait-il de moi si je devais entreprendre mon voyage et les laisser derrière moi ? À cela, je ne peux accepter de me soumettre. À la place de l’incessant vacarme des disputes qui règnent d’ordinaire parmi nous, à la place des scènes tapageuses auxquelles on assiste fréquemment dans chaque demeure, ils ne trouveront que du silence, à la maison comme dans les environs ; une singulière ambiance de tranquillité et de concorde : telle est la première chose qui étonne au sein des villages de ces gens. Rien ne peut être plus agréable, rien ne peut davantage surprendre un Européen que le silence et l’harmonie qui règnent entre eux et dans chaque famille, sauf lorsqu’ils sont troublés par les maudites eaux-de-vie qui leur sont données par les coureurs de bois en échange de leurs fourrures. Si mes enfants n’apprendront rien des lois de la géométrie, de l’usage de la boussole ou de la langue latine, ils apprendront et mettront en pratique la sobriété, car on ne peut faire parvenir de rhum à ces gens ; ils apprendront l’honnêteté et la modestie qui sont si remarquables chez les jeunes Indiens ; ils considéreront que se qualifier pour faire les labours est la chose la plus essentielle et la chasse viendra en second. Ils se prépareront à marcher sur nos pas dans les petites installations agricoles sur lesquelles nous travaillons au bénéfice de notre petite communauté de façon à les développer davantage lorsque chacun d’eux recevra son héritage. Leurs tendres esprits cesseront d’être troublés par des inquiétudes perpétuelles, d’être poussés à la lâcheté par les terreurs continuelles. S’ils développent, au village de ––––––––––, une gaucherie de comportement et de maintien qui pourra paraître ridicule au sein de nos riantes capitales, ils s’imprégneront fermement, je l’espère, de ce goût de la simplicité qui sied si bien aux hommes qui cultivent la terre. S’il m’est impossible de leur enseigner aucune de ces professions qui peuvent parfois conduire à l’amélioration et au soutien de notre société, je vais leur montrer comment tailler le bois, comment construire leurs propres charrues et comment, avec quelques outils, se doter de tous les instruments nécessaires au travail de la maison
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comme à celui des champs. S’ils sont un jour obligés de confesser qu’ils n’appartiennent à aucune Église particulière, j’aurai la consolation de leur avoir enseigné le plus important, le premier des cultes, celui qui est à la source de tous les autres. Si leur crainte de Dieu ne suit pas la doctrine d’une confession particulière, leur adoration sera à la mesure de l’immensité de la nature. L’Être Suprême ne réside pas au sein d’une Église ou d’une communauté particulière ; on le reconnaît tout autant dans le grand Manitou qui règne sur les forêts et les plaines, et sa justice peut tout aussi bien être entendue dans les ténèbres, dans l’obscurité de ces forêts, que dans les temples les plus somptueux. Chacun des cultes que l’on trouve parmi nous présente, vous le savez, ses préférences politiques particulières ; celui qui se pratique là-bas n’en a pas : il ne cherche qu’à répandre la gratitude et la vérité ; leurs tendres esprits se représenteront seulement l’Être Suprême comme le père de tous les hommes, lequel n’exige de nous rien d’autre que ce qui contribue à nous rendre heureux. Nous dirons avec eux : Soungwanèha, èsa caurounkyawga, nughwonshauza neattèwek, nèsalanga10 — Notre père, que ta volonté soit faite sur la terre comme aux cieux. Peut-être que mon imagination embellit trop ce lointain projet ; il me semble cependant tenir à si peu de choses et sur des principes si simples que le risque de rencontrer des obstacles y est moins grand que dans des projets plus compliqués. Ces pensées divagantes, dont je vous retrace fidèlement le cours dans ces pages, m’amènent parfois très loin ; je me perds à anticiper les diverses circonstances dans lesquelles se réalisera la métamorphose proposée ! Il arrivera certainement plusieurs accidents imprévus. Hélas ! il est plus facile pour moi d’élaborer la théorie de ma conduite future à la lumière de mes angoisses de père, étendu sur mon lit, que de faire de mes projets des réalités. Mais une fois éloigné de la grande société à laquelle nous appartenons actuellement, nous serons plus proches les uns des autres, ce qui laissera moins de place à la jalousie ou à la discorde. Puisque je ne destine pas mes enfants à la robe, celle de la loi ou celle de l’église, mais à la culture de la terre, je ne leur souhaite aucun talent littéraire ; je prie le ciel qu’ils puissent un jour n’être rien d’autre que des docteurs en élevage : telle est la science qui a fait prospérer notre continent plus rapidement qu’aucune autre. Devraient-ils grandir là où je me trouve actuellement, même dans le cas où nous serions en sécurité, deux d’entre eux approchent de cette période de leur vie où ils devront nécessairement prendre le mousquet et rejoindre cette école où on leur enseignera les vices répandus dans les armées ; grand Dieu ! je préférerais fermer mes yeux pour toujours plutôt que de vivre pour assister à ce désastre ! Qu’ils deviennent plutôt des habitants des forêts.
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Lettres d’un fermier américain
Ainsi est-ce au village de ––––––––––, au sein de la paix qui y a régné depuis que je le connais, en relation avec des gens calmes et hospitaliers, étrangers à toutes nos disputes politiques, qui n’en connaissent aucune parmi eux, sur les rives d’une belle rivière entourée de forêts au gibier abondant, en vivant en parfaite harmonie avec la société adoptive que notre petit groupe pourra, je l’espère, se reposer de toutes ses fatigues, de toutes ses craintes, de nos terreurs absolues et de nos longues nuits de garde. Nos conversations ne s’embarrasseront pas du moindre mot de politique ; fatigués par la chasse ou par le travail des champs, nous dormirons sur nos nattes sans nous angoisser du moindre besoin car nous aurons appris à nous passer de tout superflu. Nous n’aurons que deux prières à adresser à l’Être Suprême : qu’il répande sa fertile rosée sur nos petites récoltes et qu’il lui plaise de restaurer la paix dans notre malheureux pays. Ce seront là les seuls objets de nos prières du soir et de nos jaculations diurnes, et si le labeur, le goût du travail, la frugalité, l’entente entre les hommes peuvent s’avérer une offrande qui lui soit agréable, nous ne manquerons pas de profiter de ses paternelles bénédictions. Là, je contemplerai la nature sauvage dans toute l’ampleur de son étendue ; j’étudierai attentivement un genre de société dont je ne me fais à présent qu’une bien imparfaite idée ; je m’efforcerai de m’occuper adéquatement de ce lieu qui me permettra de profiter des maigres mais suffisants bienfaits qu’il recèle. La solitude et l’isolement qui ont caractérisé le mode de vie que j’ai connu dans ma jeunesse me rendront apte à réussir cette entreprise ; je ne suis pas le premier à m’y essayer ; il est vrai que les Européens n’amenaient pas de familles nombreuses dans les bois ; ils y allaient en simples spéculateurs ; moi, j’y vais pour y trouver un refuge loin des désolations de la guerre. Ils y allaient pour étudier les mœurs des aborigènes ; moi, j’y vais pour m’y conformer, quelles qu’elles soient ; certains y sont allés à titre de visiteurs, de voyageurs ; moi, c’est afin de résider parmi eux, en devenant un chasseur et un cultivateur comme eux, déterminé à œuvrer parmi eux avec diligence à l’établissement d’un système assurant le bonheur, qui puisse garantir mon avenir et me payer amplement en retour de toutes les fatigues et les infortunes que j’ai pu supporter. J’ai toujours pu trouver ce bonheur chez moi ; j’espère pouvoir le trouver également sous l’humble toit de mon wigwam. Ô Être Suprême ! Si tu daignes étendre ta paternelle et omnipotente attention à tous les individus qui se trouvent sur les diverses planètes sur lesquelles tu as répandu ton souffle créateur, s’il n’est pas indigne de ton infinie grandeur de faire porter ton regard sur nous, misérables mortels,
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si ma félicité future n’est pas contraire au destin que prévoient les volontés secrètes que tu as répandues sur nous, accueille les suppliques d’un homme à qui, dans toute ta tendresse, tu as fait don d’une épouse et d’une descendance : prodigue-nous tes bienfaits, sanctifie ce dur conflit où se mêlent les regrets, les désirs et diverses passions naturelles ; guide nos pas sur ces sentiers inconnus et bénis notre futur mode de vie. Le bien et les bonnes intentions sont le fruit de ta volonté ; tu sais, Ô Seigneur, que notre entreprise n’est fondée ni sur la fraude, ni sur la malice, ni sur la vengeance. Accorde-moi la force de caractère qui m’est désormais devenue tellement nécessaire afin qu’il soit en mon pouvoir d’aider la famille que tu m’as donnée à passer à travers cette grande épreuve dans la sécurité et sous ta protection. Inspire-moi des intentions et des règles de conduite qui puissent t’être des plus agréables. Préserve, ô Dieu, préserve la compagne de mon cœur, le meilleur présent que tu m’aies fait ; donne-lui tout le courage et la force nécessaires pour accomplir ce périlleux voyage. Bénis les enfants de notre amour, à qui nous tenons comme à nos propres cœurs ; j’implore ta divine assistance : parle à leurs tendres esprits et inspire-leur cet amour de la vertu qui seul peut servir de base à ce qui devra être leur conduite en ce bas monde et à leur bonheur dans le tien. Restaure la paix et la concorde au sein de notre pauvre pays affligé ; calme la féroce tempête qui le saccage depuis si longtemps. Permets, je t’en conjure, ô toi, Père de la nature, que nos anciennes vertus et nos travaux ne soient pas complètement perdus et qu’en récompense pour les grandes peines que nous a coûtées cette nouvelle terre, nous puissions renouer avec notre ancienne tranquillité et que nous soyons en mesure de la remplir de générations futures qui te remercieront sans cesse pour l’ample subsistance que tu leur accorderas. La franchise avec laquelle je vous ai écrit doit être pour vous la preuve convaincante d’une amitié et d’une estime dont je suis certain que vous n’avez jamais eu à douter. En tant que membres de la même société, unis par les liens de l’affection et de l’ancienneté des relations, vous ne pouvez certainement pas éviter de partager ma détresse ; vous ne pouvez éviter de déplorer avec moi le fardeau des malheurs physiques et moraux que nous supportons tous. Il m’arrive d’oublier ce qui constitue ma part particulière de ces infortunes lorsque je considère minutieusement tout ce qu’a enduré notre pays natal. finis
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Description d’une tempête de neige au Canada
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Notes sur le texte et la traduction
« Description d’une tempête de neige au Canada » est le seul écrit de St. John de Crèvecœur mettant en scène des personnages et des événements explicitement liés à l’histoire de la Nouvelle-France. Le récit est constitué de deux segments de teneurs passablement différentes. Les deux premiers tiers du texte correspondent à ce qu’annonce son titre. On y trouve une évocation des premières chutes de neige de l’automne et du mode de vie que la saison froide impose aux hommes et aux bêtes qui en subissent les rigueurs. Cette description des réalités hivernales se fait sur le fond d’un paysage qui est celui du « Pays des Mohawks », c’est-à-dire les régions rurales de l’État de New York où St. John de Crèvecœur a effectivement vécu, sur sa ferme de Pine Hill, l’existence d’un fermier américain. La dernière phrase du segment affirme toutefois que ce portrait des hivers de la vallée de l’Hudson vaut aussi pour ceux de la vallée du Saint-Laurent : « Tels sont les hivers du Pays des Mohawks et ceux du Canada. » Cette première partie est immédiatement suivie (sans la moindre transition : une « maladresse » typique de l’œuvre de St. John de Crèvecœur) par une évocation de la vie des Canadiens à la veille et aux lendemains immédiats de leur conquête. Ces deux segments traitent de thèmes si différents que les premiers éditeurs du texte se sont crus en droit de les faire paraître, dans Sketches of Eighteenth-Century America, sous la forme de deux récits autonomes, respectivement intitulées « A Snow Storm as it affects the American Farmer » et « The English and the French before the Revolution1 ». Cette décision peut être partiellement justifiée par le fait que St. John de Crèvecœur a lui-même publié, dans les deux éditions françaises des Lettres d’un cultivateur américain, une version sensiblement augmentée du premier segment du texte présentée sous le titre de « Description d’une chute de neige, Dans
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Notes sur le texte et la traduction
le Pays des Mohawks, sous le rapport qui intéresse le Cultivateur Américain2 ». Le second segment devait attendre plus de deux siècles avant d’être traduit en français3. La présente traduction a été réalisée d’après la version originale du texte, telle qu’on la retrouve dans les manuscrits de St. John de Crèvecœur conservés à la Bibliothèque du Congrès de Washington4. La ponctuation et les majuscules, dont le manuscrit fait un emploi fort erratique, ont été normalisées. Les mots soulignés sont présentés en italiques. L’orthographe des noms propres et des toponymes a été corrigée. Dans les segments constitués de dialogues, on a systématisé le recours aux tirets qui, dans le manuscrit, servent à démarquer les différentes répliques. « Description d’une tempête de neige au Canada » contient deux références à l’année 1776, ce qui implique que la rédaction du texte date au plus tôt de cette année. Toutefois, ainsi qu’il le fait très souvent dans l’ensemble de son œuvre, St. John de Crèvecœur semble donner ici une date erronée. La première de ces références à l’année 1776 figure dans le passage où le narrateur anonyme constate que la « France a fermé les yeux sur [sa colonie] jusqu’à ce qu’il soit trop tard ». À la suite de quoi il souligne qu’à son avis, les choses auraient été différentes si la France avait porté sur sa colonie ce qu’il définit comme « le regard plus philosophique de l’année 1776 ». Le principal événement datant de 1776 et pouvant être considéré comme la manifestation de la « philosophie » de cette année est la Déclaration d’indépendance des États-Unis. Mais il est difficile de concevoir ce qui aurait pu amener la France à adopter un point de vue s’apparentant à celui des colonies britanniques rebelles, et en quoi le fait de porter sur sa colonie un pareil regard aurait pu contribuer en quoi que ce soit, comme le croit le narrateur, à faire « se développer sur les neiges canadiennes une nation de Francs qui aurait été en mesure de coloniser et de posséder l’Acadie, Louisbourg, le Labrador, les rives des lacs intérieurs, ces immenses mers ». Il y a cependant une année au cours de laquelle la France a adopté une conduite qui aurait certainement grandement influencé le déroulement des événements si elle avait fait montre d’une attitude similaire du temps de la guerre de Sept Ans. C’est en 1778 que la France n’a pas fermé les yeux sur ce qui pouvait se passer dans les colonies d’Amérique. Le 6 février de cette année, elle ratifiait avec les États-Unis une série d’ententes parmi lesquelles figure un traité d’alliance entériné par le Congrès continental le 4 mai 1778. On peut effectivement croire, à l’instar de St. John de Crèvecœur, que si la France avait prêté à sa colonie le même soutien qu’elle a apporté aux États rebelles de l’Amérique britannique, le destin des Canadiens aurait certainement été très différent.
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Une deuxième mention de l’année 1776 apparaît lorsque le narrateur signale que George Washington est devenu cette année-là « l’ami et l’allié de la France ». Or, comme on vient de le voir, c’est en 1778 que la France est devenue l’alliée des États-Unis. Cette seconde erreur concorde donc avec la première, et l’une et l’autre permettent de déduire que « Description d’une tempête de neige au Canada » a été rédigé un certain temps après la signature de l’alliance franco-états-unienne. De plus, le fait que le texte date erronément cet épisode déterminant de la guerre d’Indépendance des États-Unis conduit à postuler qu’il a été écrit après qu’il se soit passé un temps suffisamment long pour que St. John de Crèvecœur puisse avoir oublié l’année exacte de l’événement. Les rapports établis au moment de l’arrestation de St. John de Crèvecœur à New York, en 1779, font état du fait que l’auteur était alors en possession d’un certain nombre de manuscrits. Forts de ces renseignements, la plupart des commentateurs s’entendent pour en déduire que l’ensemble des textes que St. John de Crèvecœur a rédigés en langue anglaise datent d’avant sa fuite des États-Unis au cours du mois de septembre 1779. C’était certainement le cas des textes rassemblés dans le volume qu’il a vendu à son éditeur londonien en date du 20 mai 1781, un an et demi après son arrestation, et qui deviendront les Letters from an American Farmer. Mais il est possible que la rédaction des textes composant les deux autres volumes dont l’auteur nous apprend, dans la lettre qu’il fait paraître dans le Courier de l’Europe du 9 mai 1783, qu’il a « conservé jusqu’ici les originaux Anglois5 » (et parmi lesquels figure « Description d’une tempête de neige au Canada »), ait été terminée entre le moment où il a fui l’Amérique et celui où il dévoile ainsi leur existence. Ces diverses informations permettent d’établir que « Description d’une tempête de neige au Canada » a été écrit après que le Congrès continental ait entériné, au début du mois de mai 1778, son traité d’alliance avec la France, et avant le mois de mai 1783, quand St. John de Crèvecœur a constitué les deux volumes rassemblant les textes qui n’ont pas été inclus dans les Lettres d’un fermier américain. « Description d’une tempête de neige au Canada » date donc des environs de 1780.
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Même l’homme doué du plus faible degré de sensibilité ne peut séjourner pendant un certain nombre d’années sous quelque climat que ce soit sans être souvent conduit à faire malgré lui plusieurs observations utiles sur les différents phénomènes naturels qui l’entourent et sans être involontairement frappé soit par la crainte, soit par l’admiration, face à certains des conflits que connaissent les éléments au sein desquels il vit. Un gros orage électrique, une vaste inondation, la désolation d’un ouragan, une gelée soudaine et intense, une chute de neige abondante, une journée accablante : malgré les dommages dont ils sont la cause, chacun de ces spectacles présente de singulières beautés. Tandis que le cœur pleure les pertes qu’ils causent au citoyen, l’esprit éclairé, à la recherche des causes naturelles et étonné de leurs effets, est souvent surpris et s’émerveille. De toutes les scènes auxquelles donne lieu ce climat, nulle n’a suscité chez moi plus d’admiration que le commencement de nos hivers et la véhémence avec laquelle leurs premières rigueurs saisissent et recouvrent la terre, des rigueurs qui, dès qu’elles s’abattent, deviennent un des principaux bienfaits et une des principales bénédictions dont peut se vanter ce climat. J’ai l’intention de montrer comment elles sont liées à la bonne marche de l’agriculture, comment cette grande inondation d’eau congelée protège l’herbe et les grains de nos champs et recouvre les hommes, les bêtes et les oiseaux vivant sous la protection de l’homme qui, au cours de cette soudaine transformation, doit procurer nourriture et abri aux nombreux animaux dont la survie est nécessaire au bien-être du fermier. Cette seule
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pensée a quelque chose de vraiment formidable : habitués à l’herbe et aux pâturages qui poussent dans nos prairies et dans nos champs, et aux divers autres moyens de subsistance dont les occupants de nos fermes ont vécu jusqu’alors, ces animaux doivent passer soudainement aux fourrages, aux grains, et aux autres provisions que l’homme a rassemblées tandis la surface de la terre abondait de végétation luxuriante. Au cours de cette période, les travaux d’un fermier d’importance deviennent plus lourds et plus difficiles. C’est de ses entrepôts que tous doivent tirer leur subsistance ; il doit savoir s’il aura de quoi passer à travers ses occupations hivernales ; il doit veiller à ce que tous reçoivent quotidiennement une quantité suffisante, à ce que chaque classe d’animal soit proprement séparée l’une de l’autre, s’assurer de leur procurer de l’eau, connaître les maladies et les problèmes qui peuvent survenir. Ce ne sont là que quelques-uns des aspects de l’ensemble des efforts de prévoyance, des connaissances et des activités qui l’occupent durant cinq mois, auxquels vous devez ajouter le soin d’habiller, de chauffer et de nourrir une grande famille. Les habitants de sa maison, comme les animaux de sa ferme, doivent désormais dépendre des réserves de la saison précédente sagement rangées et préparées grâce au travail de son épouse ; c’est là l’aurum potabile1 du fermier américain. Même s’il travaille et récolte les meilleurs fruits de sa ferme, si l’économie féminine n’est pas à la hauteur, il perd le réconfort des bonnes victuailles ; il voit des viandes nourrissantes, d’excellentes farines changées en aliments quelconques pendant que son voisin, plus heureux quoique moins riche, se nourrit de plats bien apprêtés, de tartes réussies. Car tel est notre lot : si nous sommes bénis par la présence d’une bonne épouse, nous pouvons nous vanter de vivre mieux que n’importe quelle personne du même rang qui se puisse trouver sur le globe. À partir de la chute automnale des feuilles, divers signes, connus depuis longtemps, guident ses tâches quotidiennes et ses diverses occupations. S’il est prudent et travailleur, il se prépare à ce que la Nature peut présenter de pire. Les hangars, les étables, les granges, les auges, les mangeoires doivent être soigneusement inspectées et réparées ; les réserves d’épis de maïs, de paille et de foin doivent être mises en sûreté là où ni la pluie ni la neige ne pourront les endommager. De grosses pluies remplissent enfin les ruisseaux et les marais et fécondent la terre. Puis une gelée rigoureuse leur succède, qui prépare la terre à recevoir l’épais manteau de neige qui suit bientôt, bien qu’il soit
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souvent précédé par un courte période de brumes et de temps doux appelé été des Indiens. La règle est généralement invariable : l’hiver n’est pas vraiment commencé avant que ces quelques jours de température modérée et la montée des eaux ne l’aient annoncé à l’homme. Une fois gelées, ces grandes masses liquides deviennent partout des ponts naturels ouvrant des voies de communication impossibles auparavant. L’homme prévoyant ne néglige rien ; il a mis en sûreté tous les objets qui peuvent être endommagés ou perdus. Il est prêt. Le vent, qui est le grand régulateur de la température, tourne au nord-est ; l’air se rafraîchit puis devient intensément froid ; la lumière du soleil s’obscurcit, comme s’il se produisait une éclipse ; une nuit générale semble approcher. Finalement, d’imperceptibles atomes font leur apparition ; ils sont rares et tombent doucement, signe infaillible d’une grande chute de neige. On ressent encore peu, voire pas de vent. Graduellement, le nombre ainsi que la grosseur de ces particules blanches augmentent ; elles tombent en plus gros flocons ; un vent éloigné se fait entendre, le bruit s’accroît et semble s’approcher ; le nouvel élément apparaît enfin et recouvre tout. En peu de temps, les lourds nuages semblent s’approcher de la terre et déversent une inondation de plumes2 en avançant vers le sud-ouest et en hurlant à travers toutes les portes, en rugissant dans toutes les cheminées et en sifflant âprement à travers les branches nues des arbres. Ces notes aiguës annoncent la force de la tempête. La tempête continue à grossir tandis que la nuit approche et que sa grande obscurité ajoute beaucoup de solennité au spectacle. Quelquefois, la neige est précédée de grêle fondante qui, comme une brillant vernis, couvre et enjolive la surface de la terre, les édifices et les arbres : un moment nuisible au bétail qu’elle fait frissonner et oppresse. Tristes et solitaires, les animaux rejoignent les abris qu’ils peuvent trouver et, oubliant de manger, ils attendent avec une patience instinctive que la tempête soit finie. Quel étonnant changement des aspects de la Nature ! Tout ce qui affichait les teintes sombres des couleurs d’automne devient d’un blanc éclatant ; les routes molles et boueuses deviennent tout à coup de solides ponts de glace. Que dirait ou penserait un Africain à la vue de ce phénomène nordique ? Cela n’éveillerait-il pas dans son esprit un plus grand étonnement que celui que lui procurent ses orages électriques et son soleil vertical ? Une inquiétude générale se répand dans toute la ferme. Le maître appelle tous ses gens, ouvre les barrières, appelle et compte tout son bétail tandis qu’il passe. Se souvenant de leurs anciennes expériences, les bœufs et les vaches rejoignent l’endroit où ils ont été affouragés au cours de
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l’hiver précédent ; les poulains, demeurés sauvages tant qu’ils pouvaient gambader sans retenue de par les champs herbeux, soudainement privés de liberté, deviennent soumis et dociles sous la main qui les flatte et les nourrit ; les moutons, plus recouverts de neige que les autres, cheminent lentement et leurs incessants bêlements dévoilent leur crainte instinctive : ils sont généralement les premiers à attirer notre attention et nos soins. Les chevaux sont conduits à leur écurie, les bœufs à leur étable, le reste est confiné dans les hangars et domaines particuliers. Tous sont en sécurité mais on n’a pas encore besoin de leur donner du fourrage : l’aiguillon de la faim doit se faire sentir pour qu’ils soient heureux de manger de l’herbe sèche et oublient l’herbe verte dont ils se sont nourris jusqu’à récemment. Le Ciel soit loué ! Aucun problème n’est survenu, tous sont à l’abri de la tempête inclémente, d’un œil vigilant le fermier a veillé à chacune des opérations, a fait le compte des têtes et, en bon maître, a pourvu au bien-être de chacun. Il revient finalement chez lui, ses rudes mais chauds vêtements couverts de givre et de neige fondante ; son visage a rougi sous les coups répétés du vent. Sa souriante épouse est contente de l’accueillir à la maison avec un gobelet de cidre au gingembre et pendant qu’elle l’aide à se sécher et à revêtir des vêtements plus confortables, elle lui raconte les tâches qu’elle a elle aussi accomplies avec succès au sein de son domaine certes moins étendu mais tout aussi utile, rassemblant ses canards, ses oies et tout le reste de ses nombreuses volailles. Mais à peine a-t-elle fait ce petit récit que la tranquillité de son esprit est assombri par une pensée soudaine : tôt le matin, ses enfants sont partis vers une lointaine école alors que le soleil brillait et qu’on n’avait pas la moindre idée de l’arrivée de cette tempête. Ils ne sont pas revenus : qu’est-il advenu d’eux ? Le maître d’école a-t-il eu assez de gentillesse pour s’attarder un moment avec eux et veiller sur son petit troupeau jusqu’à l’arrivée de quelque secours, ou les a-t-il brusquement abandonnés pour se mettre lui-même en sûreté ? Elle communique bientôt ces pensées alarmantes à son époux qui, emporté par une paternelle inquiétude, ordonne à un de ses serviteurs de se rendre à l’école avec Bonny, la vieille et fidèle jument dont la fécondité, tout comme celle de son épouse, a peuplé sa ferme. La chose est aussitôt faite ; elle est montée à cru et lancée dans la tempête en direction de l’école ; les enfants étaient à la porte, attendant avec impatience le secours paternel. À la vue du bon nègre Tom, leur joie est augmentée à l’idée de retourner à la maison à dos de cheval. L’un est monté devant, et deux derrière. Rachel, la pauvre petite fille d’une veuve, voit avec des larmes dans les yeux ses compagnons de
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jeu qui, un moment auparavant, étaient, pensait-elle, ses égaux, maintenant pourvus d’un cheval et d’une escorte. Triste humiliation : c’est la première fois qu’elle devient sensible à la différence de sa condition. Sa malheureuse mère, non moins inquiète d’aller chercher son enfant, prie le Ciel que quelque voisin charitable la ramène avec lui ; elle aussi doit prendre soin d’une vache, d’une paire de cochons qu’elle nourrit tendrement à sa porte, peut-être de trois ou quatre brebis qui lui demandent un abri dans quelque coin de sa solitaire maison de rondins. Le Ciel entend ses prières. Le bon Tom la lève et, à cause du manque de place, la met sur le cou de Bonny ; la voilà retenue par le plus vieux des garçons. Ainsi difficilement installés, ils se retournent et affrontent vaillamment la tempête battante. Ils crient et craignent de tomber mais s’accrochent finalement les uns aux autres et sont ramenés. De bon cœur et avec une patience instinctive, Bonny va son chemin, sensible à la valeur de son chargement ; elle avance en soulevant haut ses pattes et en secouant de temps à autre ses oreilles à mesure que la neige y pénètre. S’ensuivent de joyeuses retrouvailles. L’idée du danger évité augmente le bonheur de la famille. Le biscuit au lait, le gâteau, la tarte aux pommes qui vient d’être cuite sont immédiatement servis et la joie soudaine qu’apporte leur présentation fait fuir toutes les idées éveillées par le froid et la neige. Il aurait été étonnant que, dans ce pays d’hospitalité et d’abondance, la petite Rachel n’ait pas profité de cette générosité. Elle est nourrie et réchauffée ; elle a oublié les menues réflexions qui l’avaient assaillies à la porte de l’école ; elle est contente et pour compléter cette action généreuse, elle est envoyée à la maison sur la même monture. Les chaleureux remerciements, les sincères bénédictions de la pauvre veuve qui se préparait à partir indemnisent amplement la peine qu’on s’est donnée : heureuse récompense pour cette charitable attention. Le messager revient. Tout est en sûreté, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. À ce moment, le soigneux nègre Jack, qui a été très occupé à transporter du bois dans le hangar de façon à ce qu’il ne lui en manque pas pour allumer le feu du matin, entre dans la salle de son maître en portant sur sa hanche une de ces énormes bûches sans quoi nos feux sont imparfaits et ne donnent pas de chaleur. Tous se lèvent ; le feu s’enflamme ; le foyer est nettoyé et toute la joyeuse famille prend place autour du feu. Le repos, après tant d’opérations laborieuses, conduit à un silence involontaire, même parmi les enfants qui s’endorment les victuailles à la main tandis qu’ils se réchauffent. — Écoute comme elle souffle, dit l’un d’eux. — Mon Dieu, quelle tempête ! dit un
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autre. — Maman, d’où vient toute cette neige ? demande un troisième. — Il me semble que la tempête de l’an dernier n’était rien comparée à celle-ci, remarque l’épouse. J’espère que tout ce qui appartient à la maison est bien attaché ; comme il est heureux pour nous que nous ayons bénéficié de la lumière du jour pour nous préparer à cette tempête. Le père ouvre la porte de temps en temps, pour juger et contempler les progrès de la tempête. Il fait noir, il fait noir comme chez le loup, dit-il : je ne peux pas voir la clôture à quatre perches d’ici. Les acacias à côté de la porte, les seuls objets visibles, plient sous le poids des rafales. Dieu merci, dit le cher homme, tout est en sûreté. Demain matin, j’affouragerai mon pauvre bétail s’il Lui plaît de me laisser vivre pour voir ce jour. Et ce pieux sentiment lui est une récompense pour tout le travail accompli, ainsi que pour la vigilance et les soins dont il a su faire montre. Les nègres, amis du feu, fument et racontent quelques grosses blagues ; bien nourris et bien vêtus, ils sont heureux de fabriquer leurs balais et leurs cuillers à pot sans autre inquiétude dans leur esprit. Tous les membres de l’industrieuse famille sont rassemblés sous un seul toit, mangent leur soutenant souper, boivent leurs gobelets de cidre et, imperceptiblement, parlent de moins en moins et pensent de moins en moins au fur et à mesure qu’ils s’endorment. De temps à autre, quand la fureur de la tempête augmente le bruit de la cheminée, ils semblent se réveiller. Ils regardent encore et encore la porte, mais que faire devant l’œuvre de l’omnipotence ; elle est inévitable. Leurs voisins le ressentent tout comme eux. Finalement, ils vont au lit, non pas dans des lits d’esclavage et de tristesse comme c’est le cas en Europe avec les gens de leur rang, mais dans de généreuses récoltes de bonnes plumes ramassées et fournies par l’industrieuse épouse. Là, étendus entre des draps de flanelle et couverts de chaudes couvertures faites de la laine de leurs propres moutons, ils jouissent du luxe d’un bon et paisible repos qui les indemnise pour les fatigues de la journée qui vient de passer. Le Tout-Puissant n’a nul crime à punir au sein de cette innocente famille. Pourquoi permettrait-il que des rêves terribles et des visions de mauvais augure affligent l’imagination de ces bonnes gens ? Dès que le jour se lève, le fermier américain s’éveille et appelle ses gens. Pendant que certains s’occupent à allumer les feux, le reste se dirige avec inquiétude vers les granges et les hangars. Quel triste spectacle s’offre à leur regard ! On ne voit plus les chemins ni les sentiers ; la neige amoncelée présente des obstacles qu’il faut déplacer à la pelle. Les clôtures et les arbres, ployant sous le poids de la neige qui les recouvre, sont courbés de mille manières différentes et lorsque, par chance, un coup de vent les en décharge, ils
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retrouvent immédiatement leur position naturelle. Le bétail, demeuré immobile, la queue contre le vent, semble étrangement défiguré par l’importante accumulation de neige collée contre le corps. Soudainement ranimés à la vue du maître, ils se secouent lourdement et s’approchent de toutes parts pour recevoir le fourrage que le travail de l’homme leur a assuré, et lorsqu’ils sont en grand nombre et souvent éloignés de leurs lotissements, lesquels sont généralement dans les environs d’un tas de foin, dans ce cas, une fois terminé le travail dans la basse-cour, le fermier monte sur son cheval, suivi par ses hommes équipés de fourches ; il fait de nouveau le compte de chacun et voit à ce que chacun reçoive une quantité suffisante. Les plus forts sont séparés des plus faibles, les bœufs avec les bœufs, les veaux avec les veaux et ainsi de suite selon les sortes d’animaux car le bétail, comme les hommes, conscient de sa force supérieure, en abusera s’il n’est retenu par aucune loi et vit souvent au détriment de la propriété de son voisin. Que de soins et d’assiduité cette vie exiget-elle ! Après avoir contemplé le nombre et l’importance des activités qui, sur une grande ferme, occupent l’année entière, qui peut s’empêcher de louer et d’estimer comme il se doit cette classe d’hommes si utiles et si dignes ? Ce sont eux qui, répandus sur les bords de ce continent, l’ont rendu florissant et qui, sans le secours dangereux des mines, ont produit pour leur pays, à la sueur de leurs honnêtes fronts et avec l’aide de leurs charrues, une moisson de richesses commerciales qui n’ont été souillées ni par la guerre ni par la rapine ; voilà les hommes qui rempliront cet immense continent jusqu’aux confins de ses frontières inconnues et feront que cette nouvelle partie du monde sera de loin la plus heureuse, la plus puissante ainsi que la plus populeuse de toutes. Heureux peuple ! Puissent les pauvres, les malheureux Européens, influencés par notre exemple, invités par nos lois, échapper aux chaînes de leurs pays et venir en masse partager nos peines tout autant que notre bonheur ! La prochaine opération consiste à chercher des endroits adéquats pour abreuver les bêtes ; il faut ouvrir des trous dans la glace avec des haches : la chose est faite. Les vétérans parmi le bétail marchent les premiers à travers la neige et se fraient un sentier ; le reste suit bientôt. Deux jours suffisent à enseigner à tous le chemin qui mène à cet endroit ainsi que la place que chacun doit occuper quand ils s’y rendent ; les plus costauds avancent en premier et les plus faibles ferment la marche. En ce qui concerne la préservation du bétail, les opérations subséquentes dépendent du jugement du fermier ; il sait, selon le temps qu’il fait, quand il vaut mieux leur donner des épis de maïs ou du foin. Au cœur de chaque hiver, ils sont plus affamés et
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c onsomment volontiers un fourrage plus grossier ; le maïs est réservé aux moutons et au jeune bétail ; au dégel, tous reçoivent du foin. Peu après cette grande chute de neige, le vent tourne au nord-ouest avec une grande impétuosité ; il rassemble et soulève l’élément libre, tout semble emporté une deuxième fois dans un tourbillon général de blancs atomes qui n’est cependant pas aussi dangereux que les nuages de sable soulevés dans les déserts de l’Arabie. À bien des égards, cette seconde tempête est pire que la première parce qu’elle rend impraticables certaines parties des chemins. C’est alors que le voisinage se rassemble avec des traîneaux vides et, grâce à un effort commun, rétablit la communication le long de la route. S’il tombe une nouvelle neige, on doit entreprendre de nouveaux travaux afin de se protéger contre les pires des inconvénients, car pour vivre, il est nécessaire d’aller au marché, au moulin, dans les bois. Après tout, ceci est la saison des réjouissances et des visites réciproques. Tous les travaux de la ferme se limitent maintenant à ceux de l’étable, à aller chercher le combustible et à nettoyer son propre lin. Les fatigues de l’été précédent demandent maintenant un peu de récréation et se trouve-t-il quelque chose qui puisse mieux y contribuer que notre grande abondance de nourriture soutenante ? On trouve du cidre dans toutes les maisons. La facilité des déplacements invite toute la contrée au plaisir de socialiser et de se visiter. Comme un essaim d’abeilles, nombre de gens se rendent en traîneaux à la maison de celui qui les invite et là, au cours d’une seule journée, elles lui transportent autant de bois qu’il pourra en avoir besoin pendant toute l’année ; le lendemain, c’est le tour d’un autre homme. Admirable méthode, qui contribue au développement de la bienveillance, de la gentillesse et de l’assistance mutuelle. Grâce à ces associations, des veuves et des orphelins sont souvent secourus. Après deux ou trois chutes de neige, la température devient sereine, quoique froide. De nouveaux moyens de communication sont ouverts sur les lacs et les rivières et à travers les forêts jusqu’alors infranchissables. Le bœuf se repose des labeurs de l’été et le cheval, bien nourri, fait maintenant tout le travail. Sa vitesse est améliorée par les fers dont sont munis ses sabots, qui mordent la neige autant que la glace. Cette saison est d’une immense valeur : les rondins pour la construction des nouveaux édifices sont aisément amenés au moulin ; les pierres qui serviront aux fondations sont tout aussi aisément apportées à l’endroit prévu ; le grain est convoyé vers les divers débarcadères de nos petites rivières d’où, au printemps, de petits vaisseaux l’emporteront aux ports de mer et, de là, de plus grands navires le convoieront en direction
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des divers marchés du monde… La régularité de ce temps serein et froid est une des grandes bénédictions qui manquent rarement de nous être accordées. Plus au sud, les hivers sont souvent interrompus par des dégels et des pluies défavorables au transport autant qu’au bétail. Il s’agit d’une heureuse interruption des travaux et des labours, un heureux repos sans lequel la végétation de nos climats froids serait bientôt épuisée. D’un autre côté, c’est une saison coûteuse en toute chose ; on ne peut rien faire de profitable et il faut que tout le monde soit pourvu de vêtements des plus chauds. Une grande partie des profits de l’été est dépensée pour subvenir aux besoins de la famille tout au long de l’hiver ; mais cette réflexion ne diminue en rien notre bonheur : nous sommes robustes, en bonne santé et forts. Les climats plus doux du sud n’ont rien qui puisse compenser ces avantages. Il est vrai que la classe d’hommes qui travaillent pour les fermiers a moins de travail, mais ils vivent néanmoins dans le confort et au sein d’une abondance à la mesure de leur situation ; tout le monde a du pain et de la viande. Quant à la vraie pauvreté, il ne s’en trouve pas dans cette heureuse contrée ; ceux que l’âge et les infirmités ont rendus inaptes au travail sont soutenus par le canton dont ils relèvent. Tels sont les hivers du Pays des Mohawks et ceux du Canada. Avez-vous jamais remarqué comme ils étaient un peuple heureux avant leur conquête ? Malgré ce que clament les journaux, aucune société humaine ne montrait une plus grande simplicité, plus d’honnêteté, de plus heureuses manières, moins de goût pour les litiges ; nulle part pouviezvous ressentir plus de paix et de tranquillité. Avant la dernière guerre, la personnalité des Canadiens était aussi originale que singulière : ils étaient tout aussi éloignés de la brutalité du sauvage que des inutiles raffinements des sociétés plus brillantes ; ils étaient aussi différents des indigènes que de leurs propres compatriotes. Ils étaient extrêmement sobres, heureux dans leur ignorance ; ils possédaient un haut degré de hardiesse, de vitalité et de courage qui les a menés jusqu’aux parties les plus reculées de ce continent. L’Angleterre a trouvé en eux les meilleurs des sujets. Si l’influence de la religion y était plus visible que dans aucune autre des colonies anglaises, cette influence était salutaire ; elle y a eu un effet qu’on souhaiterait pouvoir observer partout ailleurs. Car que peut-on espérer tirer d’autre des préceptes de la religion si ce ne sont des manières moins féroces et une conduite plus droite ? Mal gouvernés comme ils l’étaient, il est étonnant de remarquer combien ils étaient prospères et heureux. Ils étaient dans un état de parfaite subordination ; leur gouvernement s’immisçait en toute chose et cependant ne pouvait changer leurs opinions.
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Ils étaient aussi libres que les hommes devraient l’être, sans rien qui remette en question leur liberté. Ils étaient téméraires sans être tumultueux ; ils étaient actifs sans être agités ; ils étaient obéissants sans être serviles ; ils étaient vraiment un nouveau peuple, respectable pour ses coutumes, ses manières et ses habitudes. Encore aujourd’hui, les Indiens aiment le nom de Canadien ; ils les considèrent davantage comme leurs compatriotes que les Anglais. Coupés pendant sept mois de la mer par les neiges et la glace, ils ont plongé dans l’immensité du continent. Partout où ils ont vécu, ils se sont librement associés avec les indigènes. Ou bien ils se sont plus aisément imprégnés de leurs manières, ou bien leurs propres manières présentaient une plus grande similitude avec celles de ces aborigènes, ou bien ils étaient plus honnêtes dans leurs affaires, moins hautains que leurs voisins. Les combats de cette colonie alors dans son enfance sont d’une lecture étonnante. Plus d’une douzaine de fois vous voyez le berceau renversé et l’enfant prêt à être dévoré par ses ennemis, et vous le voyez chaque fois se dresser au-dessus du danger. Si la France avait porté sur elle le regard plus philosophique de l’année 1776, vous auriez vu se développer sur les neiges canadiennes une nation de Francs qui aurait été en mesure de coloniser et de posséder l’Acadie, Louisbourg, le Labrador, les rives des lacs intérieurs, ces immenses mers. La France a fermé les yeux sur elle jusqu’à ce qu’il soit trop tard. À lui seul, le combat qu’ils ont mené pendant la dernière guerre montre ce qu’ils auraient pu accomplir s’ils avaient été établis sur des bases plus solides. Maintenant, ce n’est plus le même pays : les manières anglaises sont de plus en plus répandues ; dans quelques générations, ils ne seront plus des Canadiens mais une race mêlée, comme le reste des colonies anglaises. Leurs femmes étaient les plus belles du continent, comme le prouve le fait que plus de vingt officiers anglais aient pris épouse à Montréal peu après la conquête3. Auraient-ils été auparavant des esclaves, ce changement les aurait améliorés, mais ils étaient peut-être plus heureux que les citoyens de Boston, perpétuellement en train de se quereller à propos de la liberté sans savoir ce qu’elle était. Ils étaient également assurés de la possession de leurs terres. Ils aimaient, même s’ils en étaient éloignés, le nom d’un monarque qui pensait rarement à eux. Ils étaient unis ; ils étaient étrangers aux factions et aux rumeurs, et aux maux qui perturbent la société ; ils étaient en bonne santé, robustes, ne souffraient d’aucune maladie sauf de la vieillesse. Ignorants, ils n’enviaient pas le lot de leurs voisins plus instruits et plus paradeurs. Ils labouraient, ils pêchaient, ils chassaient, ils ont découvert de nouveaux peuples. Ils ont formé de nouvelles alliances
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avec les peuples les plus barbares. Ils ne sont pas sortis d’un giron de félons et de banditti ; ils tiraient leur origine d’une race plus pure et ont amélioré leur lignée au contact du nouveau climat sous lequel ils vivaient. C’est ici qu’ils se sont multipliés, ignorés de la France et de l’Europe, jusqu’à ce que le démon de la politique inspire à William Pitt4 des idées de conquête continentale, de pêches exclusives, de commerce exclusif des fourrures, des rêves de gloire qui ont émerveillé le monde. Cette expansion pavera peut-être la voie à de futures révolutions. Car toute chose est en perpétuel mouvement ; plus un État approche de sa maturité, plus proche est son déclin. Les lauriers dont William Pitt a couronné le front de son souverain ont poussé sur un sol qui pourrait produire des bourgeons d’une nature très différente et qui pourrait produire un type de colonies plus philosophiquement gouvernées mais non moins ambitieuses. Qu’est-ce que les Canadiens pouvaient bien posséder pour attiser la cupidité du peuple le plus riche de la Terre ? Quelles mines exploitaient-ils pour rendre ce dernier si empressé d’en profiter ? Ces robustes personnes possédaient tout au plus quelques pêcheries difficiles ; ils récoltaient tout au plus quelques milliers de balles de castor amassées au prix de fatigues et de voyages qu’un Européen ne peut aisément s’imaginer ; un peu de blé, un peu de farine dont abondent leurs autres provinces : telle était toute leur richesse, qui était aussi réduite que leurs besoins. Mais le Massachusetts, New York et la Virginie, en quête de possessions, désirant, comme toutes les autres sociétés, repousser leurs frontières, trouvaient que les frontières du Canada faisaient obstruction aux leurs. Les Anglais supposaient que la plus grande partie de cette colonie se situait vers le Labrador et le lac Témiscamingue, là où personne ne peut vivre. Ces colonies ont poussé une forte clameur ; elles ont commencé à parler des empiétements de leurs voisins. Les nations limitrophes ne sont jamais sans pareilles disputes. Et, après tout, qu’en était-il de ces empiétements une fois dépouillés des mensonges et fausses déclarations des journaux ? Les chasseurs et les commerçants des colonies anglaises ont rencontré ceux du Canada qui parcouraient comme eux ces étendues sauvages infinies : Comment c’ que tu t’es r’trouvé ici, coquin de Français que tu es ? — Au moyen de ce canot qui m’a mené depuis Montréal, sauf pour quelques milles de portage ; et dis-moi donc comment c’ que tu t’es r’trouvé ici, toi aussi, ivrogne d’Anglais que tu es ? — Au moyen de mes jambes qui m’ont permis de gravir les montagnes des Alleghanys et j’ai plus le droit de venir ici par voie de terre que tu en as de venir ici par voie d’eau ;
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et pour t’en convaincre, je porterai plainte au major Washington. — Porte plainte, et moi, à mon retour chez moi, j’informerai notre gouverneur, monsieur Du Quesne5. Évidemment, chacun a raconté son histoire. Les secrétaires les ont mises par écrit et se basant sur ces écrits, d’autres ont pris les armes, sont allés en guerre. — Dis donc, monsieur l’Anglais, tout ne pousse-t-il pas en abondance par chez toi : du riz, de l’indigo, du tabac, de la poix, du goudron, etc. ? Ne fais-tu pas commerce avec le monde entier tout au long de l’année ? Ne possèdes-tu pas quinze mille milles de côtes ? Nous qui sommes privés de tous ces avantages, qui vivons sous un ciel inclément et labourons une terre difficile, pourquoi ne nous donnerais-tu pas la permission de chasser et de voyager dans les environs, ne serait-ce que pour nous sortir de la paresse ? Car, en dehors de cela, nous n’avons guère d’autre commerce ; pendant sept mois de l’année, toute communication avec la mer nous est bloquée. — Chasse et soit le bienvenu au Labrador et au Témiscamingue. — Quoi, dans cette contrée ! Pourquoi ? Il n’y a ni bête ni oiseau qui vive, et si on poussait un peu trop loin dans cette direction, les Têtes-Rondes iraient immédiatement à la baie d’Hudson se plaindre qu’ils ont vu des Français sur leurs sauvages territoires. — Ça ne me concerne pas. Cette rivière, cette terre appartient à notre peuple par la vertu des paroles de Charles le Second, qui a même dit que nous pouvions aller vers le Pacifique, s’il s’avère qu’il existe. — Vers le Pacifique ! Moi qui suis un plus grand voyageur que toi, je n’ai jamais rien vu de tel. Tout ce que je peux te dire est que si je t’attrape ici l’an prochain, on verra alors qui est le plus fort. — Très bien, voisin. L’année suivante, évidemment, le major Washington arrive et tue très civilement le capitaine Jumonville6, bien qu’il ait été revêtu de la sanction d’un drapeau. Chaque parti accuse l’autre de perfidie ; Dieu seul sait qui est à blâmer. Mais voyez les effets du destin et un des caprices de la fortune. Ce même major Washington, le meurtrier du capitaine Jumonville, est l’idole des Français. Le voilà sur les rives de l’Ohio, dans un fortin, dans le rôle de major en 1754 ; et en 1776, il est de retour en généralissime, l’ami et l’allié de la France. Ô Vertu ! Ô Humanité ! et toi, ô Justice ! Doit-on voir en vous rien de plus que de vaines chimères ou existez-vous réellement ? Les individus devraient et doivent être vertueux ; de grands ministres et dirigeants peuvent commettre des crimes sans reproches ni remords. Je suppose que le Français voit avec plaisir jaillir des cendres de Jumonville l’arbrisseau de l’indépendance, qui grandira peut-être pour devenir un grand arbre, peut-être pour demeurer un buisson jusqu’en un temps encore lointain. Dans ce cas, un Français ne pouvait pas mourir
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d’une mort plus profitable pour son pays ; ses mânes sont célébrées par les mains mêmes qui lui ont fait rendre l’âme. Étrange concaténation d’événements ! Insondable système des choses ! Nous n’en connaissons ni les causes ni les effets, ni le début ni la fin. Le succès de la conclusion éclipse toujours l’infamie, la perfidie des origines. Pour ainsi se promener longuement au sein d’une froide tempête canadienne, il faut s’être reposé, il faut du silence et avoir bien dormi. Après un aussi longue excursion, nous avons bien le droit de nous souhaiter l’un l’autre bonne nuit.
Page laissée blanche intentionnellement
Nouvelles lumières sur le séjour de St. John de Crèvecœur en Nouvelle-France et les échos de cette expérience dans l’ensemble de son œuvre
Figure 10. St. John de Crèvecœur. Miniature de Vallière, c. 1786. Collection personnelle de M. Hubert Jean Saint-John de Crèvecœur.
Introduction
St. John de Crèvecœur aurait pu être le premier écrivain québécois. On perdrait son temps à vouloir déterminer ce qui serait advenu de lui et de son œuvre s’il avait choisi, aux lendemains de la Conquête, de demeurer dans la colonie qui allait se voir attribuer, par la Proclamation royale de 1763, le nom de Province of Quebec. On a, par contre, des raisons de chercher à établir les motifs qui ont pu le pousser à rejoindre les futurs États-Unis plutôt que de retourner dans sa France natale. Les biographes de St. John de Crèvecœur s’accordent pour reconnaître que son séjour en Nouvelle-France a été un des principaux tournants de son existence. Les commentateurs s’entendent pour faire figurer les expériences qu’il a vécues dans le contexte de la guerre de Sept Ans parmi les éléments fondateurs de son œuvre. Une meilleure connaissance de cette période de la vie de St. John de Crèvecœur devrait permettre de faire une lecture plus éclairée et plus éclairante de l’ensemble de ses écrits. Et dans la mesure où ces expériences sont liées à un ensemble d’événements fondateurs de l’identité historicoculturelle québécoise, nous devrions découvrir un peu de nous-mêmes dans les écrits de St. John de Crèvecœur. Ne serait-ce qu’à cause de sa présence en Nouvelle-France au moment d’un des événements charnières de notre histoire, la découverte de ce personnage et de son œuvre pourrait apporter un nouvel éclairage sur certains aspects de cette période de notre passé qui en a bien besoin. Car, bien que l’historiographie québécoise se soit souvent penchée sur ce qu’elle ne se décide pas à appeler, à grand renfort de majuscules, la Conquête ou la Défaite, les travaux consacrés aux derniers jours du Régime français cherchent généralement moins à faire la lumière qu’à tourner la page sur ces événements.
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Nous bénéficions au Québec de ressources archivistiques et d’une expertise historique permettant de rendre compte avec précision des événements marquants des derniers moments de la Nouvelle-France et, conséquemment, de jeter un meilleur éclairage sur l’existence qu’a pu mener St. John de Crèvecœur au cours de cette période. Étonnamment, les chercheurs crèvecœuriens se sont rarement penchés sur cette documentation afin d’y trouver de quoi mettre en lumière ce qu’ils considèrent comme une époque décisive dans la vie de notre auteur. Ces archives recèlent pourtant plusieurs témoignages permettant de reconstituer le séjour de St. John de Crèvecœur dans la colonie française avec beaucoup plus d’exactitude que ne l’ont fait jusqu’ici ses biographes. Le dévoilement de nouveaux renseignements sur cette période de l’existence de St. John de Crèvecœur n’a cependant pas pour finalité d’alimenter une éventuelle explication de l’œuvre à la lumière de la biographie de l’auteur. La présente étude se propose même de démontrer tout le contraire : qu’on ne saurait interpréter les propos de James, le narrateur des Lettres d’un fermier américain, comme s’ils étaient directement tributaires des expériences de St. John de Crèvecœur. C’est afin de lire dans cet ouvrage autre chose et, surtout, bien plus que le simple reflet des expériences personnelles de son signataire, qu’une partie significative des prochaines pages est consacrée au dévoilement des aspects de l’existence et de la personnalité de St. John de Crèvecœur qu’il nous a été possible de sortir de l’ombre. En établissant avec plus de précision dans quelle mesure les événements et les personnages figurant dans les Lettres d’un fermier américain et dans l’ensemble de l’œuvre de St. John de Crèvecœur se distinguent ou rappellent certains aspects de l’existence et de la personne de leur auteur, il devient possible de déterminer plus exactement en quoi son œuvre est liée à ces détails anecdotiques, dans quelle mesure et de quelle façon elle leur fait écho et, surtout, en quoi elle s’en éloigne. Les pages qui suivent se proposent donc d’éclairer certains pans de l’existence de St. John de Crèvecœur dans le but de réduire l’importance qu’on a accordée à ces renseignements biographiques presque chaque fois qu’on a entrepris d’étudier ses écrits, cela afin d’établir que son œuvre ne présente que de rares références directes à la vie de son auteur et fort peu de représentations des événements qui ont pu ponctuer cette existence. En relativisant ainsi l’importance de l’arrière-fond biographique des écrits de St. John de Crèvecœur, on constate que les seuls éléments significatifs et utiles à une réelle compréhension de son œuvre sont les textes qui la constituent. Loin d’expliquer l’œuvre à la lumière de l’homme qu’a été son auteur, cette étude veut démontrer dans quelle mesure la lecture de cette œuvre éclaire ses propres conditions d’apparition — un programme
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d’autant plus pertinent que la publication des Lettres d’un fermier américain est l’événement fondateur de l’identité de St. John de Crèvecœur : la parution et le succès de ce livre ont fait de lui l’homme qu’il a été. Ainsi qu’on l’a précédemment souligné, bien que l’œuvre de St. John de Crèvecœur témoigne d’un certain nombre de réalités, elle présente beaucoup plus d’éléments fictifs qu’il n’y paraît à première vue : d’où son caractère hybride de « documentaire romancé », pour reprendre la formule de Howard C. Rice. C’est en cela que les Lettres d’un fermier américain sont à l’image de leur auteur : non pas à cause de la teneur autobiographique du récit mais parce que l’hybridité formelle de l’ouvrage est à l’image de l’identité composite dont s’est dotée son signataire en adoptant le nom de St. John de Crèvecœur ; parce que son œuvre et son nom sont l’un comme l’autre des mélanges de réalité et de fiction. L’existence de St. John de Crèvecœur a été celle d’un homme qui, comme le veut l’expression, s’est fait un nom : qui est devenu « quelqu’un » en publiant ses Lettres d’un fermier américain sous un nom qu’il s’est lui-même donné. C’est pourquoi notre étude s’ouvre sur une reconstitution des conditions qui l’ont conduit à s’inventer ce patronyme : comment et dans quelles circonstances ce self-made man s’est-il doté d’un self-made name. Le jeune homme qui portait le nom de Crèvecœur à l’époque où il faisait partie des troupes françaises détachées en Amérique a choisi, après avoir quitté la Nouvelle-France en direction des colonies britanniques d’Amérique du Nord, de s’identifier sous la dénomination de St. John. Les circonstances l’ont ensuite conduit à rompre bien malgré lui avec la nouvelle identité états-unienne qu’il a endossée de pair avec le nom de St. John et à renouer avec une identité française liée à l’appellation de Crèvecœur. Nos recherches permettent d’établir dans quel contexte notre homme en est venu à s’identifier à l’une et à l’autre de ces dénominations en se forgeant un nom anglo-français : St. John de Crèvecœur, une désignation hybride, composite, constituée d’un mélange de fiction et de réalité. Crèvecœur est son patronyme véritable, authentifiée par son acte de naissance ; St. John est, de fait, un nom fictif, qu’il s’est pratiquement créé de toutes pièces. Dans la mesure où les Lettres d’un fermier américain et le nom de St. John de Crèvecœur paraissent constitués d’un mélange similaire de réalité et de fiction, il devrait être possible de déduire la raison d’être de l’un en postulant qu’elle est semblable à celle de l’autre. Nombre des commentateurs de l’œuvre de St. John de Crèvecœur croient connaître les raisons pour lesquelles l’auteur a changé plusieurs fois de nom tout au long de sa vie : il aurait été hanté par un secret dont il craignait la révélation et
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ce serait afin de brouiller les pistes qu’il aurait changé de patronyme. Nos recherches ne permettent pas d’expliquer les raisons pour lesquelles il a choisi de vivre aux États-Unis sous le nom de St. John plutôt que sous son patronyme natal de Crèvecœur. Nous sommes par contre en mesure de démontrer que c’est un simple concours de circonstances qui l’a conduit à se forger l’appellation St. John de Crèvecœur. Il nous est aussi possible de prouver que, si notre homme a été désigné sous pas moins d’une douzaine de dénominations par les gens avec lesquels il a été en relation à divers moments de son existence, lui-même n’en a utilisé que trois : Crèvecœur, St. John et St. John de Crèvecœur. Nous pouvons également soutenir que, loin d’être déterminée par le hasard ou de tenir des variations qui caractérisaient souvent la graphie des patronymes d’alors, l’apparition de chacune de ces appellations est liée à des contextes particuliers. Rien ne permet donc de croire que St. John de Crèvecœur ait cherché à cacher quelque chose en utilisant divers noms selon les périodes de sa vie. Il reste que les zones d’ombre dans lesquelles il paraît avoir volontairement cherché à maintenir certains moments de son existence, et particulièrement ses années de service au sein des troupes françaises détachées en Amérique du Nord, semblent bien protéger un secret. Pour la plupart des commentateurs, ce secret serait lié aux événements qui ont marqué les derniers jours de St. John de Crèvecœur en Nouvelle-France. Ainsi qu’on le verra, nos recherches permettent de déterminer avec plus de précision qu’on n’a pu le faire à ce jour à quel moment et dans quelles circonstances St. John de Crèvecœur a mis pour la première fois le pied en Amérique. Ces recherches fournissent également diverses informations démontrant que, contrairement à ce qu’avancent la plupart des études qui lui ont été consacrées, St. John de Crèvecœur n’a pas été blessé ni fait prisonnier lors de la bataille des Plaines d’Abraham. De plus, grâce à la découverte de documents dont l’existence a échappé à tous ceux qui se sont penchés sur St. John de Crèvecœur et son œuvre, nous sommes en mesure de préciser les circonstances qui ont entourées la fin de la carrière militaire de l’auteur. Depuis les trente dernières années, la référence au fait que le séjour de St. John de Crèvecœur en Nouvelle-France se serait achevé sur une disgrâce militaire a déterminé le genre de lecture qu’on a fait de l’ensemble de ses écrits. Les pages que nous consacrons à l’étude de cet élément fondamental de la doxa crèvecœurienne se proposent, sinon de le faire disparaître du réseau de renseignements biographiques qui sert de trame de fond aux interprétations qu’on a faites de ses œuvres, à tout le moins de relativiser grandement l’importance qu’on lui accorde.
Introduction
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Cela dit, même en y incluant les écrits que ce travail met au jour pour la première fois, les documents concernant cette période de l’existence de St. John de Crèvecœur demeurent très peu nombreux. De plus, certaines de ces sources sont lacunaires, la plupart très laconiques et bon nombre de ces documents nous informent moins par ce qu’ils disent que par ce qu’ils taisent1. Dans le but de tirer le maximum d’informations de ces rares documents, nous avons dû définir le contexte dans lequel ils ont été produits afin de parvenir à donner un sens tant à ce qu’ils disent qu’à ce qu’ils taisent. C’est parce qu’il attache une grande importance à ce qui s’exprime à même leur structure énonciative que ce travail est parsemé de retranscriptions des textes auxquels il fait référence. Par ailleurs, la plus grande partie des textes ainsi reproduits sont soit rendus publics pour la première fois (dans le cas de ceux qui ont originellement été écrits en français), soit traduits en français pour la première fois (dans le cas des textes puisés au sein de sources de langue anglaise). S’il est un secret dont St. John de Crèvecœur craignait la révélation, nous ne croyons pas qu’il s’agisse des circonstances dans lesquelles s’est terminé son séjour en Nouvelle-France. Il nous semble que ce secret se situe plutôt dans la partie de son œuvre demeurée inédite de son vivant. Plusieurs de ces textes font en effet état de prises de position dont la divulgation aurait pu causer un grand tort à sa réputation et à sa carrière consulaire. Or, un de ces écrits que leur auteur a tenu à garder secrets est le seul texte mettant en scène une figure narrative dont l’identité s’apparente à celle de l’écrivain, et aussi le seul qui contienne autant d’échos de son expérience canadienne. Le fait que ce thème et cette instance narrative figurent de pair au sein de ce texte intitulé « Description d’une tempête de neige au Canada » permet de supposer que l’apparition de l’un est directement liée à celle de l’autre : parler en son propre nom et parler de son expérience canadienne seraient, pour lui, des démarches apparentées. « Description d’une tempête de neige au Canada » contient un passage dans lequel St. John de Crèvecœur trace un intéressant portait des Canadiens qui, sur le plan historique, témoigne des particularités socioculturelles de la population du pays qu’il a découvert à l’occasion de son séjour en Nouvelle-France. Sur le plan littéraire, ainsi que le démontrent les derniers segments du présent ouvrage, ce passage s’articule autour d’un réseau d’images dont on trouve des échos dans l’ensemble de son œuvre. La reconstitution de cette trame de métaphores permet de voir comment les représentations des réalités canadiennes disséminées dans les écrits de notre auteur s’organisent selon un principe de cohérence interne, spécifique à son œuvre. On verra alors que ce réseau de métaphores fait nœud au cœur même des Lettres d’un fermier américain, où ces images s’articulent
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autour d’une figure de la fuite, littéralement d’un point de fuite déterminant la perspective globale de l’œuvre et constituant, selon nous, le véritable point de convergence des expériences canadiennes de St. John de Crèvecœur et de leur expression littéraire. En établissant les relations que les Lettres d’un fermier américain et les autres écrits de St. John de Crèvecœur entretiennent avec leur époque, nous ne nous proposons pas de déterminer ce qui est à l’origine de ces œuvres, mais de les relire à la lumière de ce qu’elles révèlent des divers a priori historiques qui ont été les conditions de leur écriture et de leur réception2. La présente étude n’est donc pas une biographie de St. John de Crèvecœur, ni même une histoire des Lettres d’un fermier américain. Relevant d’une approche archéologique3, cette enquête cherche plutôt, pour le dire dans les mots de Michel Foucault, « à dénouer tous [l]es fils que la patience des historiens [a] tendus4 » — ce qui explique, entre autres, que la présentation des faits n’y suit pas le fil de l’histoire et qu’elle n’y est pas orchestrée selon un ordre strictement chronologique et étroitement linéaire. En mettant en lumière cet agencement particulier d’une partie des motifs propres à l’œuvre de St. John de Crèvecœur, nous croyons avoir mis au jour la motivation, la raison d’être de cet agencement5, et nous retrouver en position de définir ce qui fait des Lettres d’un fermier américain l’œuvre particulière qu’elle est : sinon une œuvre proprement québécoise avant la lettre, à tout le moins une mise en œuvre singulière de certaines des réalités fondatrices de l’identité historicoculturelle québécoise dont l’intérêt ne tient pas tant à ce qu’elle dévoile des réalités auxquelles elle fait écho mais à ce qu’elle nous apprend du genre d’échos littéraires, de constructions imaginaires que pouvait faire naître l’expérience des réalités canadiennes de la dernière moitié du XVIIIe siècle6.
Un self-made man et son self-made name
On ne connaît qu’un seul portrait de St. John de Crèvecœur : une miniature réalisée au cours des premiers mois de 1786 par un certain Vallière. À l’endos du médaillon, on peut lire deux lignes écrites en anglais de la main de celui qui s’y présente comme « St. John de Crèvecœur votre père ». Une troisième ligne, en français, d’une écriture différente, mentionne : « par Valliere ». Suit une date, « 6 avril 1786 », tracée par une troisième main1. Il semble cependant que St. John de Crèvecœur était déjà en possession de ce portrait en date du 3 avril. Une lettre qu’il écrit ce jour-là, en anglais, depuis Paris, à l’attention d’Ally (l’aîné de ses deux fils, âgé de 14 ans, qui réside alors à Caen), annonce au jeune garçon qu’un domestique doit bientôt lui remettre un ensemble de quatre portraits, dont un de son père et un autre « de la bonne comtesse2 » : madame d’Houdetot, la protectrice et amie de St. John de Crèvecœur, auprès de qui Ally venait de séjourner pendant deux ans, de 1783 à 1785, tandis que son père était à New York à titre de consul de France. Ces miniatures sont décrites par Robert de Crèvecœur comme des « dessins au crayon noir rehaussés de gouache3 ». L’arrière-petit-fils de St. John de Crèvecœur précise que ce sont d’après ces portraits de madame d’Houdetot et de St. John de Crèvecœur qu’ont été réalisées les gravures qu’on retrouve dans son ouvrage, lequel constitue la première biographie de son ancêtre. C’est sous la forme de cette gravure, publiée en 1883 en frontispice de Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, que cette miniature représentant St. John de Crèvecœur en buste et de profil a presque toujours été reproduite depuis.
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Figure 11. St. John de Crèvecœur. Gravure de Léopold Massart (1812-1889), d’après la miniature de Vallière. Page frontispice. Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages (1735-1813), 1883. Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
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Il existe tout de même un autre portrait de St. John de Crèvecœur, sous forme écrite cette fois. Aux environs de 1772, une personne s’identifiant comme un « particulier de la Province de Normandie » et se réclamant d’« interets de famille considérables », cherchait à être renseigné du sort de St. John de Crèvecœur. Sachant que ce dernier résidait dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord, l’individu fit parvenir aux autorités une lettre écrite en français dans laquelle il demandait qu’on lui procure « un Certificat de vie ou de mort » attestant officiellement du fait que St. John de Crèvecœur était vivant ou non. C’est par ailleurs tout ce que ce « particulier » veut savoir : rien dans sa lettre ne laisse croire qu’il a l’intention de prendre contact avec l’homme dont il a besoin de retrouver la trace. Le document s’ouvre sur une description constituant l’unique portrait en pied que l’on ait de St. John de Crèvecœur. On y signale que l’homme « dont on s’informe s’appelle Michel Guillaume Jean de Crèvecœur » ; une note inscrite en marge indique cependant qu’« il s’est souvent appelle de St. Jean ou de Jean ». On le présente comme un : Gentil homme originaire de Caen Capitale de la Basse Normandie ; il est age de pres de 38 ans. Sa taille est de 5 pieds 4 p[o]uces — il est tres bien fait de sa personne, bien campe et bien proportionnee. Il est roux de cheveux, et portait autrefois perruque, il a le visage un peu long mais pourtant plein, la peau blanche mais extremement tachee de rousseurs ; Il a les yeux beaux et bruns, les sourcils de meme et bien fournis, le front beau et bien ouvert, le nez un peu long ; Les taches de rousseur qui sont de la petite espece, et Semblables a des brins de Son, s’etendent jusques sur les mains qui en sont remplies ; Il les a asses grandes et plutot maigre qu’autrement4.
Cette description permet de constater que le médaillon de Vallière est un portrait passablement fidèle. Mais cette représentation en buste ne permettait pas de deviner que St. John de Crèvecœur était d’assez grande taille pour son époque. L’ancienne mesure française dite « pied de roi » était légèrement plus longue que le pied « impérial » en usage de nos jours ; les 5 pieds, 4 pouces du XVIIIe siècle font aujourd’hui 5 pieds, 7 pouces, soit environ 1,70 mètre : une dizaine de centimètres de plus que la moyenne des hommes d’alors. Que ses cheveux roux soient masqués par une perruque, la chose est conforme à la mode du temps5. La seule liberté que s’est permise le miniaturiste concerne les taches de rousseurs du visage de son modèle, qu’il a choisi de ne pas représenter. La miniature de Vallière paraît donc donner une image assez juste de la physionomie de St. John de Crèvecœur. Mais quel nom doit-on inscrire sous cet unique portrait ? Saint John de Crèvecœur, ainsi que le fait la gravure de Massart ? J. Hector St. John, comme sur la couverture de l’édition originale des Letters from an American Farmer ? Crèvecœur tout court,
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selon l’appellation employée dans la plupart des études consacrées à l’œuvre et à l’existence de notre auteur ? Le principal concerné y aurait sans doute apposé la dénomination composite, anglo-française, qu’il a fait sienne : St. John de Crèvecœur. * * * C’est sous le nom de Michel-Guillaume Jean de Crèvecœur que notre homme a vu le jour le 31 janvier 1735. Son acte de baptême, établi en la paroisse Saint-Jean de Caen, affirme cependant qu’il « a esté nommé Michel-Jean-Guillaume » : une erreur intercalant entre ses deux prénoms la première partie du nom de sa famille, les Jean de Crèvecœur, qu’il hérite de son père, Guillaume-Augustin. La date de naissance inscrite à ce baptistère est, quant à elle, contredite par deux autres sources. Sur l’acte de 1758 faisant état de la promotion de St. John de Crèvecœur au grade de lieutenant au sein du régiment de la Sarre, il sera indiqué que le nouvel officier aurait vu le jour à Paris le 6 janvier 1738. Lorsqu’en 1793, le même homme entreprendra des démarches auprès du gouvernement français pour obtenir une pension en retour de ses services au sein du corps diplomatique, il affirmera être né à Caen, le 15 décembre 17316. Il ne faut cependant pas accorder beaucoup d’importance à ces incohérences. Tout au long de sa vie, St. John de Crèvecœur s’est trompé à peu près chaque fois qu’il a tenté de dater les événements de son existence. Il semble simplement avoir eu une très mauvaise mémoire des dates. Le fait est confirmé par un acte notarié ratifié à Caen en date du 21 avril 1786 afin d’amender un ensemble de renseignements contenus dans un acte précédent. Le document a été établi en présence de St. John de Crèvecœur et de son père : Lesquels ayant pris communication de l’acte passé entr’eux devant Mr. Benard qui en à minutte et son confrère le trois Septembre mil sept cent quatrevingt un, ont déclaré l’approuver et ratiffier de nouveau, En y ajoutant, nous ont dit que d’après les réenseignements quils se sont procurés, il se trouve quil y à Erreur pour l’année dans la datte des naissances des trois Enfants de mon dit Sieur de saint Jean Consul de Newyork, petits Enfants de mon dit Sieur de Crevecœur, que cette Erreur S’Est glissée d’autant plus facilement que M. de Saint Jean de Crevecœur qui passa la dite declaration, la fit de memoire, n’ayant point alors En main les instructions quil s’Est procuré depuis son dernier voyage à Newyork ; mais qu’au reste les dattes du Jour et du mois sont veritables. Pour quoi procedant à la rectification de la dite Erreur, ils ont declaré que la fille est née le quatorze de decembre mil sept cent soixante dix, et non le quatorze de decembre mil sept cent soixante onze, comme il est porté dans le precedent acte. que le fils ainé, est né le cinq aout mil sept cens soixante douze, et non En mil sept cens soixante treize ; Et enfin que le second fils est
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né le vingt deux octobre mil sept cens soixante quatorze, et non en mil sept cens soixante quinze7.
À peine une décennie après la naissance de ses enfants, St. John de Crèvecœur se trompait lorsqu’il s’agissait de préciser les années au cours desquelles ils avaient vu le jour. Les rectifications ratifiées correspondent aux dates figurant sur leur acte de baptême, dont St. John de Crèvecœur se sera procuré une copie au cours des deux années qu’il venait alors de passer aux États-Unis. Dès les premières semaines de ce séjour, il semble s’être empressé d’obtenir des attestations faisant foi de la condition d’époux et de père qui était devenue la sienne tandis qu’il résidait dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord8. Michel-Guillaume était le premier enfant de Marie-Anne-Thérèse Blouet et de Guillaume-Augustin Jean de Crèvecœur. Le couple ne devait connaître qu’une seule autre naissance, un deuxième fils, Alexandre, dont on sait seulement qu’il a vu le jour en 1738. Même Robert de Crèvecœur, qui avait pourtant accès aux archives de sa famille, n’a pas pu établir la date précise de la disparition de son arrière-grand-oncle. Tout ce qu’il est en mesure de dire du personnage se résume à quelques lignes : « Alexandre, dit le chevalier de Crèvecœur (1738-180…), retraité avec le grade de lieutenant-colonel, et la croix de Saint-Louis, mort sans postérité9. » Personne ne semble avoir écrit un mot de plus à son sujet et St. John de Crèvecœur n’a jamais fait mention de ce frère cadet dans aucun de ses écrits. Il est tout de même possible de voir une allusion à l’existence de ce dernier dans les prénoms du fils aîné de St. John de Crèvecœur : celui que tous ses proches désignaient du surnom d’Ally s’appelait GuillaumeAlexandre. Le premier de ces prénoms perpétue celui que portaient son père et son grand-père ; le second paraît rappeler celui de son oncle. Lorsqu’on retrouve le jeune homme une vingtaine d’années plus tard, en Nouvelle-France, dans les rangs de l’armée française, il ne porte plus tout à fait le même nom que sur son baptistaire. C’est sous la dénomination de Michel-Jean de Crèvecœur qu’il est promu, le 25 juillet 1758, à la lieutenance de la compagnie de Rumigny, et il est inscrit sous celle de « Crèvecœur (Michel-Jean) » au « Contrôle des Lieutenants » du régiment de la Sarre10. Ainsi avait-il alors cessé d’utiliser le nom de Jean comme partie de son patronyme pour le reléguer au statut de prénom. Seul le nom de Crèvecœur apparaît dans La Gazette de France de 1759 lorsqu’elle évoque la présentation à Louis XV de plans de forts de la Nouvelle-France « levés par le sieur de Crèvecœur, officier du régiment de la Sarre employé dans le génie ». On se sert de la même appellation dans un « État des nominations faites dans les troupes de terre depuis le
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15 novembre 1759 » afin de signaler la désignation d’un successeur à la lieutenance laissée « [v]acante par l’abandon du sieur de Crèvecœur11 ». Quand on retrace notre personnage au sein des colonies britanniques d’Amérique du Nord, c’est encore un autre nom qui apparaît sur l’acte de naturalisation du 23 décembre 1765 faisant du dénommé John Hector St. John un citoyen de la province de New York. Lorsque le 20 septembre 1769, il épouse Mehetable Tippet, l’acte de mariage l’identifie comme « Michel-Guillaume Saint-Jean de Crèvecœur, communément appelé M. Saint-John » (selon la traduction que Robert de Crèvecœur affirme faire à partir du document original en langue anglaise retrouvé dans les archives de sa famille et sur lequel, précise-t-il, le nom de Saint-Jean est inscrit en français). Trois mois plus tard, le 12 décembre 1769, notre homme achète sa ferme de Greycourt, à laquelle il donnera le nom de Pine Hill ; le contrat de vente est établi au nom d’Hector St. John. Sur l’acte de baptême de ses trois enfants, dressé en date du 27 décembre 1776, il est identifié sous celui de « Michel-Guillaume Saint-John de Crèvecœur, autrement appelé M. Saint-John12 » — ce qui constitue la première occurrence de la dénomination anglo-française (à une petite variante près, ainsi qu’on le verra) qu’il finira par faire sienne. Le 17 février 1779, aux premiers jours de son incarcération dans les prisons de New York, il signe Hector St. John la lettre qu’il adresse au colonel Roger Morris afin de plaider pour sa libération. Il est identifié sous la même appellation dans les missives que William Seton et David Matthews font parvenir aux autorités britanniques en mars de la même année afin de se porter garants de la loyauté de leur ami13. Puis, en 1782, la couverture de l’édition originale des Letters from an American Farmer l’identifie sous le nom de J. Hector St. John : la dénomination figurant sur son acte de naturalisation new-yorkais, avec les deux prénoms (le premier étant désormais réduit à une simple initiale) dont ce document est le seul à attester de l’emploi. Mais au moment de la publication de son livre, l’auteur est en France. Un acte notarié dressé à Caen le 3 septembre 1781 stipule qu’il est alors « arrivé de l’amérique depuis six semaines », ce qui situe le moment de son retour au cours des derniers jours de juillet 1781. Ce document a été établi à la demande de son père qui désirait reconnaître et légitimer le mariage de son fils, contracté douze ans auparavant. Ce père y est désigné sous l’appellation de « Guillaume augustin Jean de Crevecœur », tandis son fils est identifié comme « Guillaume Michel Jean Sieur de Saint Jean », et son épouse comme « dame de Saint Jean ». Cinq ans plus tard, le 21 avril 1786, les deux hommes font dresser un nouvel acte notarié, dont on a pu lire plus haut un extrait, afin d’amender certaines informations contenues
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dans le document précédent. Le fils est alors identifié sous les appellations de « Sieur de saint Jean » et de « M. de Saint Jean de Crevecœur », et son père est désigné sous la dénomination de « Sieur de Crevecœur14 ». Il apparaît donc que, sur le plan légal, le père et le fils n’utilisaient pas les mêmes noms : le père était identifié sous des dénominations qui avaient en commun de toujours présenter le patronyme Crèvecœur, tandis que son fils l’était sous des appellations ayant comme constante le nom de Saint Jean.
Une amie de la famille et de l’Amérique Au début de l’année suivante, notre auteur est à Paris, auprès d’une amie de sa famille : la « bonne comtesse », madame d’Houdetot. Née en 1730 sous le nom d’Élisabeth Françoise La Live de Bellegarde (mais elle préférera se doter du prénom plus « philosophique » et rousseauiste de Sophie), madame d’Houdetot côtoyait les plus grands noms des lettres et des sciences de son époque, qu’elle recevait régulièrement dans ses résidences de Paris et de Sannois, dans le Val-d’Oise. Comme les Jean de Crèvecœur, les d’Houdetot étaient issus de la noblesse normande et les deux familles entretenaient depuis longtemps des relations amicales. D’ailleurs, si St. John de Crèvecœur a été promu lieutenant en 1758, c’est en partie grâce à une recommandation du marquis d’Houdetot15, le frère aîné de l’époux de la comtesse. Comme le dévoile un ensemble de neuf lettres envoyées à madame d’Houdetot par le père de St. John de Crèvecœur entre les mois de mai 1764 et d’août 176516, les deux familles entretenaient des liens étroits et familiers. (Signalons que ces missives ne contiennent pas la moindre allusion à St. John de Crèvecœur, qui a alors quitté la maison de son père depuis plus de dix ans.) Demeurées inédites jusqu’à ce jour, ces lettres nous apprennent deux choses. D’une part, les familles Jean de Crèvecœur et d’Houdetot étaient liées sur le plan financier, et ce à un point tel que le père de St. John de Crèvecœur ne craint pas de faire état de ses problèmes d’argent à une madame d’Houdetot qui a l’âge d’être sa fille (GuillaumeAugustin Jean de Crèvecœur a vingt-trois ans de plus que la comtesse). Ces lettres indiquent d’autre part que les relations entre les d’Houdetot et Crèvecœur père étaient d’une intimité telle que ce dernier servait d’intermédiaire entre les époux d’Houdetot, dont les relations étaient loin d’être des plus harmonieuses. Bien que ces documents ne constituent qu’une parcelle de la correspondance qu’ont pu entretenir les familles d’Houdetot et Jean de Crèvecœur, ils suffisent à rendre compte de la familiarité et de l’attachement qui unissaient madame d’Houdetot au père de St. John de
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Crèvecœur. L’étroitesse de ces relations explique certainement en grande partie l’accueil chaleureux que la « bonne comtesse » fait à St. John de Crèvecœur lorsque ce dernier renoue avec le pays de ses ancêtres après plus de vingt-cinq années d’absence. Ce que ces quelques lettres laissent deviner des relations entre madame d’Houdetot et son époux est corroboré par les biographies de la protectrice de St. John de Crèvecœur. Les rapports entre cette jeune femme d’esprit et son militaire de mari (qui, au moment de leur union, était déjà l’amant d’une femme mariée avec qui il maintiendra une liaison pendant plus de quarante ans) n’ont jamais été très bons. Avec les années, les époux d’Houdetot parviendront tout de même à développer une certaine amitié, à se côtoyer plus ou moins assidûment sans trop d’anicroches, et à s’accommoder fort civilement de leurs relations extraconjuguales. Car si monsieur d’Houdetot a été assez fidèle à sa maîtresse, madame d’Houdetot n’était pas en reste. Cinq ans après son mariage, elle entamait avec le poète JeanFrançois de Saint-Lambert, un homme de quatorze ans son aîné, une liaison qui devait durer un demi-siècle, de 1753 jusqu’à la mort de son amant, en 1803, à l’âge de quatre-vingt-sept ans17 ! Collaborateur de l’Encyclopédie, le marquis de Saint-Lambert était un homme de lettres des plus influents et un des personnages phares de la société parisienne de l’époque. Il est entre autres le signataire des Saisons, un recueil de vers qui, pour être tout à fait dans le goût d’alors, lui a valu une certaine notoriété, mais dont le charme sensible est désormais bien suranné : Je chante les saisons, et la marche féconde du globe lumineux qui les dispense au monde ; du Dieu qui le conduit j’annonce la bonté ; il prépare au printems les trésors de l’été ; l’automne les enlève aux campagnes fertiles, et l’hiver en tribut les reçoit dans nos villes18.
On retrouve des échos du style de Saint-Lambert dans la version française des Lettres d’un cultivateur américain, ce qui permet de croire qu’il a contribué à la traduction de l’ouvrage. Malheureusement, dans les dernières années de sa vie, Saint-Lambert devait graduellement perdre l’esprit. Le couple qu’il formait avec madame d’Houdetot aura été un des plus illustres du Paris des Lumières, mais parce que cette relation durerait jusqu’au tournant du XIXe siècle, les deux amants allaient finir par être perçus comme des reliques d’une époque révolue. Dans ses Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand se souviendra avoir croisé Saint-Lambert et madame d’Houdetot vers 1802 ; ils représentaient désormais à ses yeux « les opinions et
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les libertés d’autrefois, soigneusement empaillées et conservées : c’était le dix-huitième siècle expiré19 ». La liaison de madame d’Houdetot et Saint-Lambert a toujours été vécue au vu et au su de tous. Cela n’empêcha pas un autre homme de s’enticher de la dame et c’est à cet amoureux éconduit qu’elle doit de figurer parmi les femmes les plus célèbres de son temps. En 1756, madame d’Houdetot a été pendant quelques mois l’objet des assiduités de JeanJacques Rousseau. Ce dernier a cru trouver en elle une incarnation de Julie, le personnage principal de sa Nouvelle Héloïse, le roman à la rédaction duquel il consacrait alors l’essentiel de ses énergies : « Elle vint, je la vis, j’étois ivre d’amour sans objet, cette ivresse fascina mes yeux, cet objet se fixa sur elle, je vis ma Julie en Made d’Houdetot », écrira-t-il dans ses Confessions20. Vers 1760, Rousseau devait remettre à madame d’Houdetot une copie manuscrite du livre, ainsi qu’en témoigne St. John de Crèvecœur dans ses « Souvenirs consacrés à la mémoire de Mme la comtesse de Houdetot » : Avant son départ pour l’Angleterre, le tendre, le passionné, le séduisant J.-J. (voyez ses Confessions) lui envoya les huit volumes de sa Nouvelle Héloïse, écrits de sa main, dont la belle écriture m’a souvent frappé en parcourant ce bel ouvrage dans la bibliothèque de Sannois21.
Rousseau a largement fait état de sa courte idylle avec madame d’Houdetot dans les pages de ses Confessions et la parution de l’ouvrage devait grandement contribuer à la notoriété de la comtesse. Dans une lettre du 30 novembre 1789 adressée à Thomas Jefferson depuis Paris, William Short raconte : Le seul livre qu’on lit depuis un certain moment, sauf ceux qui concernent la révolution, est la suite des confessions de Rousseau. Dans la mesure où elles traitent de personnes qui sont bien connues ici, dont plusieurs sont encore vivantes, il est lu avec une avidité inégalée. L’histoire secrète de madame d’Houdetot et de Saint-Lambert, et la passion de Rousseau pour cette dernière, y sont racontées en entier. Je ne l’ai pas vue depuis sa parution. Il est difficile de dire si elle sera contente de ce qui est dit. Elle est représentée sous des couleurs si flatteuses que la plupart des gens imaginent que peu de femmes de Paris seraient mécontentes d’être traitées de pareille manière. Elle est un modèle de fidélité envers son amant, bien qu’il ait été absent, ce qui, vous le savez, est ici la seule forme de fidélité qu’on apprécie22.
Les Confessions laissent en effet croire que la relation que Rousseau a entretenue avec madame d’Houdetot n’est pas allée aussi loin qu’aurait pu l’espérer Jean-Jacques. Bien qu’elle semble s’être refusée à lui par fidélité envers Saint-Lambert, Rousseau a conservé beaucoup d’estime
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pour madame d’Houdetot. Ses Confessions tracent en tout cas un portrait fort flatteur de la « bonne comtesse » : Made la Comtesse de Houdetot approchoit de la trentaine et n’étoit point belle. Son visage étoit marqué de la petite vérole, son teint manquoit de finesse, elle avoit la vue basse et les yeux un peu ronds : mais elle avoit l’air jeune avec tout cela, et sa physionomie à la fois vive et douce étoit caressante. Elle avoit une forest de grands cheveux noirs naturellement bouclés qui lui tomboient au jarret : sa taille étoit mignonne, et elle mettoit dans tous ses mouvemens de la gaucherie et de la grace tout à la fois. Elle avoit l’esprit très naturel et très agréable ; la gaité, l’étourderie et la naïveté s’y marioient heureusement : elle abondoit en saillies charmantes qu’elle ne recherchoit point, et qui partoient quelquefois malgré elle. Elle avoit plusieurs talens agréables, jouoit du Clavecin, dansoit bien, faisoit d’assez jolis vers. Pour son caractére il étoit angélique ; la douceur d’ame en faisoit le fond, mais hors la prudence et la force ils rassembloit toutes les vertus. Elle étoit surtout d’une telle sureté dans le commerce, d’une telle fidélité dans la société que ses ennemis-mêmes n’avoient pas besoin de se cacher d’elle. J’entends par ses ennemis ceux ou plustot celles qui la haïssoient, car pour elle elle n’avoit pas un cœur qui put haïr, et je crois que cette conformité contribua beaucoup à me passionner pour elle. Dans les confidences de la plus intime amitié je ne lui ai jamais oui parler mal des absens, pas même de sa belle-sœur. Elle ne pouvoit ni déguiser ce qu’elle pensoit à personne, ni même contraindre aucun de ses sentimens, et je suis persuadé qu’elle parloit de son amant à son mari même, comme elle en parloit à ses amis, à ses connoissances et à tout le monde indifféremment. Enfin ce qui prouve sans replique la pureté, la sincérité de son excellent naturel, c’est qu’étant sujette aux plus enormes distractions et aux plus risibles étourderies, il lui en échappoit souvent de très imprudentes pour elle-même, mais jamais d’offensantes pour qui que ce fut23.
En comparant cette description à la gravure reproduite dans les pages de l’ouvrage de Robert de Crèvecœur (lequel y retranscrit également plus d’une trentaine de « Poésies de Mme d’Houdetot24 » constituant ce qui peut effectivement mériter d’être appelé d’« assez jolis vers »), on découvre que Vallière a eu autant de discrétion avec les marques de petite vérole de la comtesse qu’avec les taches de rousseur de St. John de Crèvecœur, qui devait lui aussi nous laisser un portrait écrit de sa chère amie : Enrichie depuis sa naissance des dons de la Nature et de la Fortune, la Comtesse de Houdetot se trouva peu après son mariage (17 ans) introduite dans les grandes société de la Cour et de Paris. La tournure de son esprit, un naturel charmant, les agréments de sa conversation bien plus encore que ceux de sa figure ne tardèrent pas à la faire distinguer parmi les jeunes femmes de son âge. Ce fut aussi vers cette époque que commencèrent ses premières liaisons avec la plupart des savants qui rendirent si célèbre cette partie du règne de Louis XVI : Montesquieu, Buffon, Voltaire, d’Alembert, J.-J. Rousseau, SaintLambert, l’abbé Barthélemy, et plus postérieurement Marmontel, Delille,
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Figure 12. Madame d’Houdetot (Élisabeth Sophie Françoise La Live de Bellegarde). Gravure de Léopold Massart (1812-1889) d’après la miniature de Vallière. Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages (1735-1813), 1883, p. 116. Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
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Thomas La Harpe, Condillac, Rulhières, Grimm, etc. Les voyageurs les plus distingués, tels que le Prince Henry de Prusse, Franklin, Jefferson, le Duc de Bragance, Galiani, le Marquis de Caraccioli, et parmi les femmes, les belles et spirituelles Polonaises Potocka, Lubomirska, etc., venaient souvent dîner chez elle et formaient sa société des jeudis, qui furent longtemps le centre où se réunissait ce que la capitale et l’Europe offraient de plus intéressant et de plus instruit. […] L’esprit et la mémoire de Mme de Houdetot, enrichis de la lecture des meilleurs ouvrages et de ses fréquents entretiens avec quelques-uns de ses savants amis particuliers, tels que Marmontel, d’Alembert, etc., fournissaient à sa conversation une inépuisable fécondité qui la rendait instructive et délicieuse. Aussi, avec quelle infatigable attention n’écoutai-je pas tout ce qu’elle disait ! A ce talent, alors si perfectionné, elle ajoutait une connaissance parfaite de sa langue, un jugement, et surtout un goût qui approchait souvent de l’infaillibilité. […] L’inviolable fidélité de Mme de Houdetot envers ses amis, l’aménité de son caractère, une simplicité naturelle que relevaient encore ses talents, l’égalité constante de son humeur, son indulgence envers tout le monde, l’ont constamment rendue chère à sa nombreuse société et lui ont assuré l’estime de ceux qui ne la connaissaient que de réputation. Également éloignée par goût et par principe de tout ce qui tient à la médisance, à la malignité, elle n’a jamais eu d’ennemis. Je lui ai souvent entendu dire que le seul moyen d’éviter la satire et la médisance était de ne pas les mériter. Son silence envers ceux qui commettaient des actions indiscrètes ou répréhensibles n’était pas moins remarquable que son talent à louer, apprécier et faire valoir les bonnes. Sa philosophie était celle qu’un homme de bien peut avouer, qui sait respecter la religion, l’ordre et les lois. Bonne mère, épouse prudente et sage, quoique souvent au milieu des plus grands dangers, aimant à obliger, à être utile à ses amis (qui plus que moi peut l’affirmer ?) — telle fut pendant plus d’un demisiècle la Comtesse de Houdetot25.
Si St. John de Crèvecœur se fait plus discret que Rousseau sur l’absence de beauté de madame d’Houdetot, les deux hommes s’accordent lorsqu’il s’agit de louer son intelligence, sa discrétion, son dédain de la médisance et la grande fidélité de son amitié, que suffit à confirmer la longévité des relations qu’elle a entretenues avec Saint-Lambert, de même qu’avec St. John de Crèvecœur. Quant aux « savants » que côtoyait la comtesse, Thomas Jefferson en parlera, en date du 21 juin 1785, dans une lettre à Abigail Adams, comme du « cercle de literati dont elle est entourée26 ». La liste qu’en dresse St. John de Crèvecœur permet d’affirmer qu’en fréquentant l’amie de sa famille, il pénétrait dans un milieu qui, pour baigner dans l’esprit des Lumières françaises, devait être très intéressé à fréquenter un homme qui, comme lui, pouvait témoigner de son rayonnement dans les États-Unis d’Amérique.
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Il existe toutefois à ce propos un témoignage discordant : Brissot de Warville ne verra rien de plus qu’une forme d’infatuation mondaine dans l’intérêt que l’entourage de madame d’Houdetot montrera envers St. John de Crèvecœur. Les pages de ses Mémoires qu’il consacre à ce dernier le présentent sous les traits d’un : homme simple [qui] était logé chez la fameuse comtesse de Houdetot, amante de Saint-Lambert, et devenue depuis si célèbre par les Confessions de JeanJacques Rousseau. On se rappelle qu’à l’âge de cinquante ans il s’était épris pour elle de la passion la plus ardente, et qu’il fit Julie à son image. J’ai vu cette dame en 1787 ; elle était vieille, laide, spirituelle, mais remplie de prétentions. En relisant Rousseau, je tombai de mon haut ; je ne pouvais concevoir que ce fût là l’original de Julie. Cette comtesse avait tous les préjugés de sa caste ; et fière de posséder un sauvage américain, elle voulut le former et le jeter dans le grand monde27.
L’enthousiasme de Brissot Né à Chartres en 1754, Jacques Pierre Brissot de Warville28 devait devenir une des principales figures de la Révolution française et une des premières victimes de la Terreur. Député de la Convention nationale en septembre 1792, il sera le chef de file d’une faction dont les partisans se verront attribuer le nom de brissotins. Ces derniers s’associeront à la représentation des départements de la Gironde pour entrer dans l’histoire sous l’appellation de Parti girondin. Opposés aux Montagnards, l’aile radicale du mouvement révolutionnaire, qui se faisait l’écho des opinions de Marat, de Robespierre et de Saint-Just, les Girondins seront accusés de trahison et proscrits de la Convention nationale au début de juin 1793. Brissot devait être arrêté quelques jours plus tard et condamné à mourir sous la guillotine le 31 octobre 1793. À l’époque où il entre en relation avec St. John de Crèvecœur, Brissot n’est encore qu’un simple journaliste. Les aléas de sa carrière l’avaient récemment conduit à faire deux séjours en Angleterre à titre de responsable de la section « Variétés » du Courier de l’Europe, un journal de langue française publié à Londres. À la fin de son second séjour, Brissot mettait sur pied sa propre gazette : le Journal du Licée de Londres, dont la publication devait commencer au début de 1784 pour cesser à la fin de la même année, quelques semaines après que, ainsi qu’on l’a signalé dans la présentation générale, Brissot y eut parlé, en novembre, des Lettres d’un cultivateur américain sur un ton fort élogieux. Lorsque Brissot publie cet article, St. John de Crèvecœur est absent de Paris : il est en poste aux États-Unis depuis novembre 1783. Les deux
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hommes ne se rencontreront qu’après le retour de St. John de Crèvecœur en juin 1785. « Les femmes de qualité étaient alors enthousiasmées des Lettres d’un Cultivateur Américain, de Crèvecœur. Je partageai cet enthousiasme, et je recherchai avec empressement la connaissance de son auteur », se souviendra Brissot. St. John de Crèvecœur semble avoir plus ou moins apprécié la compagnie d’une bonne partie du grand monde qu’il se voyait forcé de côtoyer chez madame d’Houdetot, ce qui aurait contribué à le rapprocher de Brissot, qui s’intéressait grandement aux idéaux démocratiques et aux réalisations de la jeune république états-unienne. De l’avis de ce dernier, le protégé de madame d’Houdetot : eut le bon esprit […] de se borner à quelques sociétés choisies d’hommes de lettres qui se rassemblaient chez elle. En voyant pour la première fois ces grands hommes qui remplissaient la terre de leur nom, Crèvecœur était sur le point de s’agenouiller. Mais comme toute cette réputation s’évanouit quand il les entendit parler, se collauder, se déchirer réciproquement ! Rien ne lui parut plus vain, plus petit, plus misérable. Il revenait toujours avec joie à la solitude où il pouvait s’épancher avec moi. Je l’avouerai, ces premiers épanchements m’attachèrent fortement à lui ; il me semblait l’homme de la nature. J’aimais sa simplicité, son goût pour la solitude, son mépris pour l’orgueil académique, sa haine pour le vice. Mon amitié s’exalta, j’étais à chaque instant avec lui. C’était un bonheur pour moi que de lui rendre de petits services, c’était une jouissance que de le faire connaître à mes amis29.
Il faut sans doute mettre au nombre de ces petits services la parution d’un pamphlet dans lequel Brissot de Warville s’en prend aux Voyages de M. le Marquis de Chastellux dans l’Amérique septentrionale. Choqué par le portrait des quakers proposé par l’ouvrage et par les positions de Chastellux sur la question de l’esclavage, Brissot publie en 1786 un Examen critique des Voyages dans l’Amérique septentrionale de M. le marquis de Chatellux [sic], dans lequel il fait à plusieurs reprises appel au témoignage de St. John de Crèvecœur pour réfuter le point de vue de Chastellux. Brissot considère d’ailleurs que le livre du marquis n’est rien de plus qu’une réplique déguisée à celui de St. John de Crèvecœur : Il me semble que vous méritez ici un reproche bien grave. Quand un Écrivain combat le sentiment d’un autre Écrivain qui l’a précédé, il doit le citer, le nommer, le déférer au tribunal du Public. On ne peut s’exempter de ce devoir que pour un Auteur notoirement méprisable. Or vous avez imprimé précisément le contraire des opinions, des assertions de M. de Crèvecœur ; & nous n’avez pas dit un seul mot de lui, de son Ouvrage, de cet Ouvrage qui a fait tant de sensation ! Et cependant vous l’avez lu, vous savez l’estime dont son Auteur jouit en Amérique, vous-mêmes lui avez donné des témoignages de la vôtre. Puisque vous combattiez non pas simplement ses opinions, mais ses
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récits, & des faits, l’honnêteté, les égards, le respect pour le Public exigeoient & exigent encore que vous décliniez les raisons & de la différence de vos sentimens, & de votre silence.
Brissot nous apprend ainsi au passage que le marquis de Chastellux connaissait personnellement St. John de Crèvecœur. Quelques lignes plus loin, il signale qu’il est lui aussi entré en relation avec l’auteur des Lettres d’un cultivateur américain depuis la publication de son article du Journal du Licée de Londres : Quand bien même je ne connoîtrois pas M. de C., quand je n’aurois pas lu cent fois dans son ame, je prononcerois d’après la simple lecture de vos deux Ouvrages. L’ame seule a dicté le sien ; le vôtre prouve que vous avez beaucoup d’esprit ; mais c’est avec l’ame qu’on doit juger des Républicains, des hommes d’une morale pure […]30.
Une fois en rapport avec St. John de Crèvecœur, Brissot de Warville paraît ne pas avoir tardé à le présenter à ses amis. Deux de ces derniers, Étienne Clavière et Nicolas Bergasse, devaient s’associer à Brissot et à St. John de Crèvecœur pour mettre sur pied la Société Gallo-Américaine : une organisation vouée à la promotion des idéaux et des intérêts étatsuniens et à l’établissement d’un réseau d’échange de renseignements entre la France et les États-Unis, dont les activités ne devaient durer en tout que trois mois, le temps de douze séances, entre le 2 janvier et le 3 avril 178731. L’année suivante, Brissot de Warville se porte une seconde fois à la défense de St. John de Crèvecœur et de ses Lettres d’un cultivateur américain. En 1788, paraît à Paris un ouvrage intitulé Recherches historiques et politiques sur les États-Unis de l’Amérique septentrionale. Signé « Par un citoyen de Virginie », le livre est l’œuvre de Filipo Mazzei. Fort de l’expérience d’un séjour aux États-Unis, ce dernier critique au passage les Lettres d’un cultivateur américain : Je me crois obligé d’avertir ceux qui liront les lettres d’un Cultivateur Américain, de se bien donner de garde d’imaginer que les mœurs décrites dans ce livre soient générales en Amérique. L’auteur n’a peint que les mœurs de ces individus qui vont s’établir sur nos frontières & qui se trouvant, au milieu des bois, environnés par les besoins, sentent le prix des secours qu’ils reçoivent à leur arrivée, & apprennent à se montrer également bienfaisans, lorsque le produit abondant d’une terre vierge les a mis dans l’aisance. […] Il ne faut pas croire que ce qu’on peut dire avec vérité d’une partie des ÉtatsUnis, on le puisse dire de toutes. Un Européen qui s’attendroit à trouver dans la ville de Philadelphie, dans son voisinage, ainsi que dans les autres parties les plus habitées de la Pensylvanie, les mœurs dont le Cultivateur Américain a fait la peinture, se tromperoit singulièrement […].
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J’ai été bien surpris d’apprendre que beaucoup de personnes s’étoient formé les idées les plus chimériques par la lecture de ce livre, quoiqu’il soit facile de s’apercevoir que l’auteur se représente comme un Pensylvain, bon homme qui habite vers les frontières, qui, ayant été quelquefois à Philadelphie, est demeuré stupéfait à la vue de choses médiocres & communes, qui connoît peu les autres parties d’Amérique, nullement celles d’Europe, & qui juge sans objet de comparaison. [… S]ans parler des autres qualités de ce livre, je finirai en disant que toute l’introduction qu’on peut en tirer, se borne à la connoissance des mœurs de ceux qui habitent les frontières […]32.
Les Recherches historiques et politiques ne consacrent pas plus de quatre malheureuses pages à l’œuvre de St. John de Crèvecœur. Dans une lettre à madame d’Houdetot, en date du 29 mars 1789, ce dernier note d’ailleurs qu’après que Mazzei eut : employé deux ou trois volumes à critiquer de la manière la plus indécente et la plus amère les abbés Raynal et de Mably, [il] avait aussi fait l’honneur au cultivateur américain de l’associer à ces deux messieurs, avec cette différence cependant qu’il l’avait traité comme les grands traitent les petits, comme les forts en usent avec les faibles, et que, par conséquent, trois à quatre pages lui avaient suffi33.
Brissot répond à ces quatre pages par un pamphlet qui en compte vingt-sept et dans lequel il entend : repousser les traits odieux […] lancés [par] l’Auteur anonyme d’un Recueil de différens morceaux, intitulé : Recherches sur les États-Unis […]. Puisque tous gardent un profond silence, on me pardonnera sans doute de prendre la plume, pour justifier cet Ecrivain sensible, qui a fait éprouver des jouissances si délicieuses aux ames qui ne sont pas desséchées par le séjour des Villes, ou dévorées par l’envie. Il est mon ami.
Intitulée Réponse à une critique des Lettres d’un Cultivateur Américain, des Quakers, etc., faite par l’Auteur anonyme des Recherches sur les ÉtatsUnis, la brochure de Brissot reprend les mêmes arguments qui sous-tendaient son Examen critique des Voyages dans l’Amérique septentrionale de M. le marquis de Chatellux. C’est « avec l’ame qu’on doit juger des Républicains », écrivait-il alors. La raison seule ne suffit pas lorsqu’il s’agit de comprendre et d’apprécier ce qui se passe aux États-Unis : il faut, comme le fait St. John de Crèvecœur, y mettre du cœur et du sentiment. Brissot est certes prêt à admettre avec Mazzei que les Lettres d’un cultivateur américain présentent quelques défauts : Ne croyez pas, M., qu’en défendant avec chaleur la cause de mon ami, je sois aveugle sur les défauts de son Ouvrage. Il y en a sans doute ; & qui en convenoit plus franchement, plus hautement que son Auteur même ?
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Mais, selon le défenseur de St. John de Crèvecœur : Le plus grand défaut qu’on ait reproché à M. de C. est son enthousiasme qui l’a fait, dit-on, exagérer ses descriptions. Il est difficile de se défendre d’enthousiasme, quand on joint à beaucoup d’imagination une ame sensible & bienveillante ; & ce sont les qualités dominantes de M. de C. Il a donc pu quelquefois prêter aux objets la force de l’impression qu’il en recevoit, le peindre tels qu’il les voyoit, & non pas tout-à-fait tels qu’ils étoient. Mais ce défaut est-il dangeureux, quand le pinceau ne se fixe que sur des objets purs & vertueux ?
Depuis la première fois qu’il a pris sa plume pour parler des Lettres d’un cultivateur américain dans son Licée de Londres, Brissot n’a de cesse de rappeler que la principale qualité de l’ouvrage tient au fait qu’il lui semble avoir été dicté par « l’amour de l’humanité » et qu’il est l’expression même de l’âme de son auteur. Selon Brissot, on ne saurait douter de la valeur du témoignage de St. John de Crèvecœur sans remettre en question non seulement la grandeur d’âme du personnage, mais l’intérêt même de toute opinion qui se fait l’expression d’une âme éclairée par des sentiments d’humanité. Et il justifie sa Réponse aux critiques de Mazzei en se déclarant : plus que jamais convaincu qu’il étoit indécent de critiquer, avec ce ton outrageant, un homme qui, le premier, a guéri les préjugés qu’on avoit en Europe contre les Américains ; qui, le premier, nous adonné des connoissances utiles & exactes sur les Etats-Unis. […] Je me suis convaincu qu’il étoit immoral de traiter de choses médiocres & communes, les tableaux de la vie champêtre & du bonheur domestique, je me suis convaincu enfin que M. de C. comme Américain, comme Ecrivain, comme homme qui avoit rendu de si grands services aux Américains, en la faisant connoître, en les faisant chérir & estimer des Européens, avoit bien mérité de sa Patrie adoptive, de la première Patrie, de l’humanité & de la liberté, & qu’outrager un être aussi respectable à tant d’égards, c’étoit insulter au talent, au genre humain, à la saine morale, à la France, aux Républiques d’Amérique ; c’étoit mériter d’être excommunié de leur sein34.
Lorsqu’il fait paraître ce pamphlet, en avril 1788, Brissot de Warville vient de mettre sur pied la Société des amis des Noirs. Cette organisation vouée à la promotion des opinions anti-esclavagistes comptera parmi ses membres nombre de personnages parmi les plus prestigieux de l’époque : Condorcet, La Fayette, l’abbé Grégoire, Mirabeau, Volney et même Robespierre. La liste inclut également St. John de Crèvecœur, mais dans la mesure où ce dernier n’était alors pas en France, il est vraisemblable que Brissot y ait inscrit d’office le nom de son ami. Les deux hommes devaient bientôt se revoir. Le 3 juin 1788, deux mois après la publication de sa Réponse aux Recherches de Mazzei, Brissot
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s’embarque en direction de l’Amérique où il séjournera jusqu’en décembre de la même année. L’expérience allait donner naissance à un autre livre : le Nouveau Voyage dans les États-Unis de l’Amérique septentrionale, que Brissot fera paraître à Paris en 1791. À la lecture de l’ouvrage, on dirait que son auteur a visité les États-Unis dans le seul but de donner davantage de fondement à sa critique des travaux de Chastellux et de Mazzei. Chaque fois que l’occasion se présente, il ne cesse de relever les erreurs et les imprécisions que contiennent leurs publications. Il en profite tout aussi souvent pour souligner la valeur des écrits de St. John de Crèvecœur. Le Nouveau Voyage dans les États-Unis de l’Amérique septentrionale présente plus d’une vingtaine de références à St. John de Crèvecœur et à ses Lettres d’un cultivateur américain. Presque toutes les fois que Brissot mentionne les descriptions « si séduisante[s] » et les « éloge[s] touchant[s] » que « l’ouvrage plein de sensibilité, du Cultivateur américain » a pu faire des lieux et des personnages qu’il découvre en Amérique, le voyageur en profite pour s’en prendre à nouveau aux détracteurs de St. John de Crèvecœur en affirmant que cet auteur « auquel on a tant reproché de l’exagération, est même au-dessous de la vérité », et qu’il « n’a point exagéré le[s] tableau[x] intéressant[s] » et les « description[s] séduisante[s] » des diverses réalités états-uniennes qu’il a eu « raison » de « si justement vant[er]35 ». Le livre fait également quelques allusions à des renseignements que St. John de Crèvecœur a personnellement transmis à Brissot. Il était prévu que les cofondateurs de la Société Gallo-Américaine devaient se fréquenter aux États-Unis. Madame Brissot a adressé à l’attention de St. John de Crèvecœur les deux lettres qui ont été conservées de la correspondance qu’elle a entretenue avec son mari au cours du voyage en Amérique de ce dernier. Il paraissait donc établi que St. John de Crèvecœur allait être en position de transmettre à Brissot son courrier, voire que le voyageur devait loger chez le consul de France à New York lors de son passage dans cette ville. Du moins était-ce que croyait Brissot : Comptant sur son amitié, sûr de trouver dans son âme quelque reconnoissance des services que je lui avais rendus, de l’attachement que je lui avais témoigné, je vole chez lui ; j’étais étranger, il me devait un asile. A peine m’offrit-il un lit pour une nuit, une seule nuit, et le matin même il m’avertit que mon logement était prêt dans une maison où l’on recevait beaucoup d’étrangers. Depuis, il ne me vit qu’à la dérobée, il ne me présenta chez aucun Américain, et garda la réserve la plus mystérieuse36.
Brissot devait rapidement comprendre les raisons de cette attitude. Les fonctions consulaires de St. John de Crèvecœur faisaient de lui un employé subalterne du corps diplomatique français en poste aux États-Unis. Il était entre autres redevable de l’ambassadeur de France, le comte de Moustier,
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un digne représentant de l’autorité royale française qui ne tenait pas en très haute estime les opinions républicaines de ses hôtes états-uniens. Quelques semaines après son arrivée aux États-Unis, Brissot pouvait déjà noter, ainsi qu’il l’écrit à Étienne Clavière en août 1788, que « l’ambassadeur de France [et] tous ceux qui dépendent de lui […] ne s’attachent qu’à décrier ce pays. Pour juger des républicains, il faut se défier des préjugés qui entourent ceux qui courent la carrière diplomatique. » Il ajoute, en évitant prudemment de nommer St. John de Crèvecœur : « Le pauvre ……. balance entre eux et le républicanisme, il est hors de sa sphère. » Trois ans plus tard, lorsque paraît le Nouveau Voyage dans les États-Unis de l’Amérique septentrionale, St. John de Crèvecœur aura mis un terme à sa carrière diplomatique et Brissot pourra se permettre d’écrire en toutes lettres que « parmi ces consuls, M. Crevecœur est le seul dans lequel je n’ai pas trouvé ces maximes anti-républicaines37 ». Le comte de Moustier devait officiellement reprocher à St. John de Crèvecœur la tiédeur de son allégeance aux valeurs que devaient prôner des représentants de la couronne française. Dans un rapport, il note : Pour avoir vécu trop longtemps en pays étranger et trop peu en France, il a contracté des préjugés en faveur des usages et des lois anglaises, qu’il devrait être de sa prudence de dissimuler. On pourrait lui recommander de ne pas prôner une nation qui n’est déjà que trop admirée en Amérique et d’être français dans ses discours et sa conduite38.
Lorsque Brissot arrive à New York, St. John de Crèvecœur était certainement déjà au courant du mécontentement de son supérieur et le visiteur devinera les raisons de la réserve de son ancien collaborateur de la Société GalloAméricaine : Il était dans la dépendance de l’ambassadeur Demoustier qui haïssait les Américains, les révolutions et les écrivains énergiques ; j’étais du nombre des hommes qu’il proscrivait ; sans cesse il exhalait contre moi sa haine impuissante. Je la bravais ; mais Crèvecœur, qui craignait de perdre sa place s’il n’encensait pas les ressentiments de son petit ministre, Crèvecœur jouait la froideur avec moi pour le tromper.
Mais si Brissot comprend les raisons des agissements de St. John de Crèvecœur, il est néanmoins extrêmement déçu de son attitude : « Pouvais-je estimer plus longtemps un homme qui se dégradait par une si honteuse dissimulation ? Pouvais-je aimer plus longtemps un homme que j’étais forcé de mésestimer ? » Brissot découvre ainsi que l’écrivain auquel il s’est tant attaché, qu’il n’a cessé de louer et de défendre depuis les quatre dernières années, ne faisait pas tout à fait montre dans la vie de la même noblesse de sentiments que dans ses œuvres :
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Il me semblait qu’à l’âme la plus sensible il devait joindre le cœur le plus obligeant, le plus humain, la haine la plus forte pour la tyrannie, et le mépris le plus profond pour les rois et pour les nobles. Je me trompai dans ce jugement, et j’eus l’occasion de me convaincre que leur auteur et l’homme privé étaient ici deux hommes bien différents, et que si Crèvecœur composait d’après son imagination, il agissait toujours d’après son intérêt39.
Brissot constate donc que la personnalité de son ami présentait plusieurs facettes. Lorsqu’il note que « l’auteur » et « l’homme privé » lui ont paru « deux hommes bien différents », il avance une idée qui sera reprise, sur divers registres, par nombre des contemporains de St. John de Crèvecœur : il y a (au moins !) deux hommes dans ce fermier américain. Malgré cette désillusion, Brissot de Warville continuera à faire preuve d’une grande admiration pour les Lettres d’un cultivateur américain. Il semble cependant avoir dès lors cessé d’être en relation avec leur auteur, ce dont ce dernier paraît s’être accommodé avec un certain soulagement. Par la suite, les souvenirs que Brissot conservera de l’amitié qui a pu le lier à St. John de Crèvecœur seront teintés d’une amertume signalant la profondeur de la déception que lui a causée cette rupture. Ces mêmes sentiments expliquent sans doute en bonne partie l’opinion de Brissot quant au genre de relations que madame d’Houdetot pouvait entretenir avec un St. John de Crèvecœur qu’il savait désormais être bien capable d’accepter le rôle de « sauvage de salon » que sa protectrice paraît avoir voulu lui faire jouer.
Un « sauvage » de salon Un personnage comme Brissot de Warville, qui devait contribuer directement, dans la cadre de la Révolution française, à la révocation des privilèges aristocratiques, ne pouvait certainement pas s’empêcher de douter des convictions républicaines d’une comtesse et de la sincérité de son intérêt pour la toute nouvelle expérience politique états-unienne. Il reste que Brissot se montre sans doute un peu trop sévère lorsqu’il accuse madame d’Houdetot de pavaner son « sauvage américain », cela même s’il est arrivé à la comtesse d’utiliser, comme elle le fait dans un lettre adressée à Benjamin Franklin en date du 6 septembre 1783, une formule comme « l’honeste Saint Jean de Crèvecœur, mon Amériquain », pour parler de son protégé. Car les sentiments de la comtesse envers le pays que, dans la même lettre, elle appelle « ma chère Amérique », paraissent avoir été, sinon parfaitement authentiques, à tout le moins des plus fervents. C’est du moins ce que révèle le ton d’un pli que madame d’Houdetot adresse à Thomas Jefferson le 26 août 1788, après avoir appris la nouvelle de
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l’adoption définitive (à la suite de l’ultime ratification de la Virginie, le 25 juin 1788) de la Constitution du nouveau pays : Recevés, Monsieur, mon Compliment bien sincere sur L’Evennement qui decide votre Constitution Et sur L’Esperance qui suit que vous serés Les peuples Les plus heureux Et Les mieux gouvernés Du Globe. C’est une Consolation pour ceux meme qui sont loin D’un pareil Bonheur. Une Lettre D’amerique Viens de M’apprendre Cette heureuse nouvelle Et La joye que L’adhésion de la Virginie a causé a Newyorck. Comme Citoyene de Votre pays j’ay Droit de prendre part à Cette joye, Et Comme particulierement attachée a Votre Bonheur Et a Vos Succès, j’En ay Encore Bien Davantage. Le Respectacle Docteur n’a plus qu’à dire son nunc Dimitis Et termine par Le plus heureux Des Evennemens sa longue Et Illustre Carriere. C’est le Sceau De l’Esprit De Sagesse, De Raison, D’humanité Et de Lumieres qui Caracterise Les principales têtes de Vos nouveaux Etats Et si tout n’Est pas parfait Dans Le Plan Reçu, La Sagesse qui a fait sentir La necessité D’En avoir un, fournira Des Lumieres pour perfectionner Celuy qu’on Viens D’adopter. Si je Revenais au Monde, je ne Connaist que Deux paÿs ou je voulusse a present Recommencer ma Vie, Vous Et La Suisse40.
Si la comtesse se croit en droit de se considérer citoyenne du pays de Jefferson, c’est parce qu’elle accorde une trop grande importance au titre purement honorifique de citoyenne de la ville de New Haven (Connecticut) qui lui a été décerné en mai 1785 et que les autorités de la ville ont attribué par la même occasion à diverses personnalités françaises. En plus du nom de la comtesse d’Houdetot, la liste comprend entre autres ceux du marquis de Condorcet, de Pierre Louis de Lacretelle, du duc de La Rochefoucauld d’Enville et du marquis de Saint-Lambert. Dans la mesure où ces derniers étaient de proches relations de St. John de Crèvecœur, il est vraisemblable que cet honneur leur ait été accordé grâce aux bons offices de leur ami41. Madame d’Houdetot ne sera d’ailleurs pas la seule du groupe à se réclamer de cette citoyenneté plus ou moins factice. En 1788, Condorcet devait publier deux opuscules discutant de la nouvelle structure de gouvernement dont venaient de se doter les États-Unis. L’un de ces textes paraît à Philadelphie sous forme de brochure avec le titre de Lettres d’un citoyen des États-Unis a un Français, sur les affaires présentes ; l’autre est diffusé sous celui de « Lettres d’un bourgeois de New-Heaven à un citoyen de Virginie sur l’unitilité de partager le pouvoir législatif en plusieurs corps » dans les Recherches historiques et politiques sur les États-Unis de l’Amérique septentrionale de Mazzei42. Quant au respectable docteur auquel fait référence madame d’Houdetot, il s’agit de Benjamin Franklin, à qui la comtesse adresse d’ailleurs le même jour une missive d’une teneur similaire à celle qu’elle fait parvenir à Jefferson, et qui se termine sur quelques « assez jolis vers » :
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Je n’ay pû aprendre, Mon Cher Et Venerable Docteur L’heureux évenement qui donne une Constitution a votre paÿs, sans eprouver le sentiment le plus doux dont le Coeur humain soit susceptible, celuy de voir Le Bonheur D’une partie Du Globe assuré par Les progrès de la Raison et Le succés Des Lumieres, La part que vous et L’illustre Wasington avés a cet Evenement y ajoute le plaisir de voir la Vertu heureuse et Recompensée par le plus digne des succés. Si aucune oeuvre humaine n’a Le Sceau de la perfection, s’il y a Encore quelque chose a Reformer dans la Constitution que vous adoptés, Les mêmes Lumieres qui L’ont organisée, la perfectionneront un jour et vous goutés au moins Le Bien le plus necessaire a votre Conservation, celuy D’en avoir une. Je jouis moy Du Spectacle De La Viellesse Contente Du Complément De gloire Et De Bonheur que le Ciel Devait a votre Belle Carriere. Acceptés mes felicitations Mon Cher et Venerable Docteur vous connaissés Le Coeur qui vous Les offre et combien il Est Remply de veneration Et D’attachement pour vous. On m’assure que votre santé Est Bonne. Le Bonheur de votre paÿs prolongera Encore Votre Belle vie qui sera aussi Rare par sa Durée qu’elle L’aura Eté par Les talens et Les vertus qui L’ont Remplie. Permettés moy De serrer contre mon coeur avec une tendresse Religieuse l’homme De mon siecle qui me paraist meriter Le mieux Les Respects Du Genre humain Et De Vous Repeter ce que je vous ay Dit Dans ma petite feste De Sannois : Legislateur D’un Monde Et Bienfaiteur Des Deux L’homme Dans tous Les tems te devra des homages Et je M’acquite Dans ces Lieux De la Dette De tous Les âges
La célébration qu’évoque madame d’Houdetot remonte au mois d’avril 1781. La comtesse avait alors reçu Franklin dans sa maison de campagne de Sannois à l’occasion d’une fête champêtre en l’honneur du célèbre émissaire états-unien. La journée avait été ponctuée par des récitations de poèmes de circonstances, dont celui qu’elle se plaît à citer en conclusion de sa lettre. Le point culminant de l’événement fut une cérémonie au cours de laquelle Franklin planta de ses propres mains un acacia de Virginie dans les jardins de la comtesse43. Il était alors de bon ton de s’intéresser aux États-Unis dans les salons de la capitale française : « On ne sait par quelle transition rapide on passe de l’examen d’une comédie à la discussion des affaires des Insurgents ; comment on parle à la fois d’une mode et de Boston, de Desrues et de Franklin », constate ironiquement Louis Sébastien Mercier dans son Tableau de Paris de 178144. C’est dans cette même ville que sera négocié et conclu le traité de paix du 3 septembre 1783 mettant fin à la guerre entre l’Angleterre et ses anciennes colonies : un événement qui, comme en témoignera St. John de Crèvecœur, ne pouvait manquer de susciter l’intérêt de tous, et particulièrement celui de sa « bonne comtesse » :
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J’attendais avec une extrême impatience l’époque de la paix, lorsque, vers le commencement de mai 1783, on apprit à Paris l’arrivée des commissaires d’Angleterre et d’Amérique pour conclure le traité qui devait rendre la paix à l’Europe et consolider l’indépendance des Colonies anglaises devenues des États unis. Depuis ce moment, on ne s’occupa plus dans toutes les sociétés que de ce grand et important objet. A mon grand étonnement, ma bonne Comtesse, à qui je n’avais jamais entendu parler politique, tout à coup se mit à en raisonner aussi bien que les plus habiles, à disserter sur la gloire et le bonheur dont cette partie du nouvel hémisphère allait jouir, des constitutions plus ou moins sages des différents États qui allaient bientôt former une nouvelle Confédération45.
La France avait ouvertement pris le parti de la nouvelle nation au sein de ce conflit. Aussi n’est-il pas étonnant que les colonies rebelles y aient mandaté, en les personnes de Benjamin Franklin et Thomas Jefferson, des émissaires de toute première importance. Franklin était une des plus grandes célébrités de son temps, ce qu’il devait entre autres à son invention du paratonnerre. Il séjournera neuf ans en France, de 1776 à 1785, et tous les salons parisiens ont tenu à recevoir régulièrement cet illustre personnage déjà âgé de plus de soixante-dix ans. Son successeur, Thomas Jefferson, qui séjournera en France de 1785 à 1789, était le principal rédacteur de la Déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776. Deux ans après la fin de son mandat, Jefferson racontera que le « fait de succéder au Dr. Franklin auprès de la cour de France a été une excellente leçon d’humilité », laquelle a été à l’origine d’une répartie des plus célèbres : Lorsque j’étais présenté à quelqu’un comme le ministre de l’Amérique, la question qui m’était habituellement posée en ces occasions était : « c’est vous, Monsieur, qui remplace le Docteur Franklin ? » […] Je répondais généralement : « personne ne peut le remplacer, Monsieur ; je suis seulement son successeur »46.
Au moment de son rapatriement, Franklin fit en sorte de laisser ouvertes à Jefferson les portes de la plupart des salons parisiens qui s’étaient empressés de l’accueillir, dont celui de madame d’Houdetot, qui a entretenu avec les deux hommes des rapports fort amicaux. La teneur des lettres qu’elle leur adresse laisse tout de même deviner que l’affection que la comtesse d’Houdetot déclarait avoir pour les États-Unis était probablement moins le fruit de sa réflexion politique que de son attachement personnel à ces célébrités du jour dont elle appréciait grandement la compagnie. Il n’est donc pas impossible que madame d’Houdetot se soit empressée d’accueillir St. John de Crèvecœur afin d’avoir constamment auprès d’elle son « amériquain » bien à elle. Si cette infatuation a pu colorer leurs premiers rapports, les relations que la comtesse devait entretenir pendant plus de trente ans avec St. John de Crèvecœur allaient devenir trop étroites
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pour tenir d’un simple caprice de la mode. On peut voir les signes d’une réelle affection dans l’attention qu’elle accorde à l’éducation d’Ally, le fils aîné de St. John de Crèvecœur, lorsque ce dernier se voit forcé de laisser l’enfant aux bons soins de son amie afin de réintégrer ses fonctions de consul de France à New York. Dans un pli qu’elle adresse au garçon le 8 avril 1786, madame d’Houdetot se présente à lui comme « votre bonne maman de Paris ». Quelques années plus tard, Ally l’appelle « ma bonne maman » dans une des lettres qu’il écrit à la protectrice de son père. St. John de Crèvecœur conservera de cette époque le souvenir d’une conversation au cours de laquelle madame d’Houdetot lui aurait dit : Mon ami, vous laissez ici un enfant chéri […]. De ce moment jusques à celui de votre retour, je l’adopte ; de ce jour aussi, je veux qu’il m’aime et me considère comme si j’étais sa mère et qu’il m’en donne le nom […] ; tous les jeudis, je le mènerai dîner chez M. Jefferson ; tous les dimanches, cet ambassadeur et votre enfant dîneront chez moi47.
La ferveur du ton des « Souvenirs consacrés à la mémoire de Mme la comtesse de Houdetot » dont sont extraites ces lignes, et que St. John de Crèvecœur rédigera dans les derniers mois de sa propre vie, quelques semaines après le décès de celle qu’il y présente comme une « incomparable amie », témoigne d’un attachement profond et réciproque.
L’invention d’un nom Quelles que soient les raisons qui l’aient poussé à prendre St. John de Crèvecœur sous son aile, la comtesse d’Houdetot a commencé à parler de son « amériquain » aux personnes de son entourage aussitôt qu’elle eut connaissance de son existence. St. John de Crèvecœur était de retour en France depuis à peine un peu plus de deux semaines (il résidait alors chez son père, à Pierrepont, non loin de Caen) et il n’avait pas encore fait la rencontre de madame d’Houdetot lorsque, le 10 août 1781, la comtesse écrit à Benjamin Franklin pour lui recommander son nouveau protégé qu’elle identifie sous le nom de Crèvecœur et qu’elle présente comme : un Américain qui Vient D’arriver Et qui doit Vous Estre présenté Et Recommandé Deja ; il Est français d’origine mais Etably depuis Long-tems dans Vôtre paÿs sous la protection de vos Loix auquel il Est fidele. Il Est Venû icy Voir Sa famille apres avoir perdu La plus grande partie de son Bien par la guerre présente, il s’appelle Crevecœur Et est le fils d’un amy de plus de vingt ans de mon Mary Et de moy. Je vous demande pour luy toutte la Bonté Et la protection qui Seront En Vôtre pouvoir Et que les Circonstances pourront permettre48.
Deux semaines plus tard, le 27 août 1781, St. John de Crèvecœur écrit à Franklin une lettre en anglais où il se présente comme quelqu’un
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« vena[nt] tout juste d’arriver d’Amérique du Nord, où [il a] résidé pendant 27 ans ». Il s’adresse au représentant du Congrès continental pour lui demander de l’aide afin d’organiser le rapatriement de cinq États-Uniens échappés des prisons d’Angleterre que St. John de Crèvecœur vient de secourir sur les côtes de Normandie et qu’il a conduit « à la demeure de [s]on père, qui [lui] dit qu’il a eu plusieurs fois le plaisir de dîner avec vous chez le comte de Houdetot ». Et il signe cette lettre du nom de St. John49. Le 2 septembre, Franklin écrit à ce St. John pour le remercier de son aide « aux 5 Américains qui ont atterri sur votre côte ». Trois semaines plus tard, le 21 septembre, Franklin adresse à ce même St. John une nouvelle missive qu’il commence en s’excusant de ne pas avoir répondu plus tôt à une lettre que son correspondant lui a fait parvenir le 7 septembre. St. John de Crèvecœur aurait donc entre-temps répondu au pli que Franklin lui a envoyé dans les premiers jours du mois. Dans cette nouvelle lettre, Franklin apprend à son correspondant que « Mme la comtesse de Houdetot m’a chaudement recommandé un M. Crèvecœur qui a longtemps séjourné en Amérique. Je vous prie de me faire savoir si vous êtes la même personne. » Le même jour, Franklin écrit à madame d’Houdetot à ce sujet : Je ne me souviens pas avoir déjà vu ou entendu parler en quoi que ce soit de M. Crèvecœur. Ce sera un plaisir pour moi si, grâce à ce qu’il pourrait être en mon pouvoir de faire pour lui, je pouvais avoir l’occasion de faire part de mes égards pour votre recommandation. J’ai certes récemment reçu deux lettres de Caen, en Normandie, écrites par un gentilhomme français qui m’apprend qu’il a vécu 27 ans en Amérique et qui se présente sous le nom de St. John, lettres dans lesquelles il me réfère à vous en ce qui a trait à son caractère. Je vous prie de me faire savoir s’il s’agit de la même personne que vous mentionnez mais sous un nom différent ; et s’il s’agit d’une autre, je serais heureux de connaître votre opinion sur elle50.
St. John de Crèvecœur s’empresse de répondre à la missive de Franklin dans une lettre rédigée en anglais, datée du 26 septembre 1781, dans laquelle il s’efforce d’expliquer pourquoi il a employé un autre nom que celui sous lequel madame d’Houdetot l’a désigné : Oui monsieur, je suis la même personne dont madame la comtesse de Houdetot a eu le gentillesse de vous faire mention — la raison de cette erreur dérive de la singularité des coutumes des Français, qui font en sorte que leurs noms sont presque arbitraires et qui les conduit à oublier ceux de leur famille ; c’est en conséquence de cela qu’il se trouve ici plus d’alias que dans aucun autre pays d’Europe. Le nom de notre famille est Saint Jean, St. John en anglais, un nom aussi ancien que la conquête de l’Angleterre par Guillaume le bâtard. — Je suis tellement étranger aux mœurs de ce pays, malgré le fait que ce soit mon pays natal (l’ayant quitté très jeune), que je n’ai jamais rêvé porter d’autre nom que mon vieux nom de famille. — J’ai été grandement étonné lorsque,
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au moment de mon récent retour, je me suis vu dans la nécessité d’être appelé du nom de Crèvecœur. — Excusez cette ennuyeuse explication qui, je l’espère, ne vous paraîtra pas inappropriée, dans la mesure où j’ai risqué soit de demeurer inconnu de vous, soit de perdre la bonne impression que souhaitait faire madame la comtesse de Houdetot en me mentionnant à vous — Loin de moi l’intention de vous embarrasser, je n’ai aucune autre ambition que de recevoir l’honneur de votre estime […].
La suite de la lettre présente quelques lignes où St. John de Crèvecœur met Franklin au courant de la suite des événements concernant les cinq rescapés États-Uniens. Puis il termine sa missive en signant : « Votre très humble serviteur St. John de Crèvecœur51. » L’explication fournie par St. John de Crèvecœur est pour le moins étonnante. Il se trompe (ou est-ce qu’il ment ?) lorsqu’il affirme que le nom de sa famille est Saint-Jean. Ses ancêtres n’ont jamais eu d’autre patronyme que celui de Jean, comme le démontrent les recherches généalogiques menées par Robert de Crèvecœur52. Ces dernières ne permettent pas de remonter aussi loin que le fait St. John de Crèvecœur quand il avance que le nom de sa famille est aussi ancien que la conquête de l’Angleterre par Guillaume le bâtard, c’est-à-dire Guillaume 1er, dit le Conquérant (10271087)53. Robert de Crèvecœur n’a pu attester de l’existence de la famille Jean qu’à partir du XVIe siècle. C’est en 1660 que Nicolas Jean a reçu en dot le fief de Crèvecœur et que la famille a commencé à porter le nom de Jean de Crèvecœur. Aussi est-il étrange de voir St. John de Crèvecœur se réclamer d’une méconnaissance des coutumes patronymiques de son pays afin de se justifier de ne pas utiliser un nom que sa famille porte depuis plus de deux siècles. Et il ment carrément lorsqu’il affirme n’avoir « jamais rêvé porter d’autre nom que mon vieux nom de famille », c’est-à-dire la seule appellation de (Saint-) Jean. Tant qu’il a vécu en France, il a porté le nom de Jean de Crèvecœur, et c’est sous celui de Crèvecœur qu’il a fait carrière dans les armées de la Nouvelle-France. Il n’avait d’ailleurs pas oublié ce patronyme lorsqu’on a dressé son certificat de mariage et l’acte de naissance de ses enfants signalés précédemment. Ces deux documents
Figure 13. Signature autographe de St. John de Crèvecœur. Collection de l’auteur.
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spécifient que le Michel-Guillaume Saint-Jean de Crèvecœur ou Saint-John de Crèvecœur dont ils font mention est « communément » ou « autrement appelé M. St. John », ce qui implique qu’on savait que Crèvecœur était son véritable nom de famille. St. John de Crèvecœur ment encore, mais peut-être seulement à moitié cette fois, lorsqu’il écrit : « J’ai été grandement étonné lorsque, au moment de mon récent retour, je me suis vu dans la nécessité d’être appelé du nom de Crèvecœur. » Il ne peut pas être honnêtement surpris du fait d’être identifié sous le nom de Crèvecœur plutôt que sous celui de Jean. Il semble cependant sincèrement étonné de ne pas pouvoir faire autrement : d’être dans la nécessité, comme vient de le lui faire découvrir Franklin, de s’identifier sous le nom de Crèvecœur, dans l’impossibilité de vivre sous le patronyme de St. John qu’il présente comme une simple traduction d’un (Saint-) Jean auquel il semble très attaché. Moins d’un mois auparavant, l’acte notarié du 3 septembre 1781 permettait de constater que le père et le fils utilisaient ouvertement deux dénominations différentes pour s’identifier légalement l’un l’autre. St. John de Crèvecœur semblait avoir effectivement choisi de vivre, comme il le laisse entendre à Franklin, sous le nom de Saint-Jean, et non, comme son père, sous celui de Crèvecœur. Mais il ne pouvait ignorer que le nom de Crèvecœur était bien le sien dans la mesure où c’est celui sous lequel s’identifie son propre père. Il reste qu’au fil de sa lettre, St. John de Crèvecœur cherche moins à excuser qu’à justifier l’emploi de la dénomination qu’il a fait sienne. Comme en fait foi la signature qu’il appose au bas de sa missive, il refuse d’évacuer entièrement le nom de St. John au profit de celui de Crèvecœur. Il semble accepter qu’il ne peut plus, comme il l’était aux États-Unis, être « communément » ou « autrement appelé M. St. John », et que « la singularité » des mœurs françaises le met désormais dans la nécessité de recourir à celui de Crèvecœur. Il résout le dilemme en combinant le nom qu’il considère le sien à celui que les circonstances le forcent à reprendre et il se met dès lors à se présenter sous celui de St. John de Crèvecœur. On a déjà vu cette appellation sur l’acte de naissance de ses enfants (sous la forme de Saint-John de Crèvecœur, c’est-à-dire sans abréviation du mot « Saint ») mais on la devait peut-être alors au signataire du document : le révérend Jean Pierre Têtard, de l’Église française réformée de New York. Lorsque St. John de Crèvecœur s’en sert pour signer la lettre qu’il adresse à Franklin, notre homme endosse lui-même pour la première fois ce qui devient une nouvelle et double identité. Ne pouvant se résoudre à ne plus être le St. John qu’il a été dans un récent passé, et se refusant à redevenir le Crèvecœur qu’il a été en des temps plus lointains, il choisit d’être l’un et l’autre : St. John de Crèvecœur (avec le mot « Saint » abrégé à l’anglaise),
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une signature qu’il utilisera dorénavant sans jamais y inclure aucun des prénoms qu’il a employés jusqu’alors. Benjamin Franklin a-t-il été satisfait des explications de St. John de Crèvecœur ? Une chose est certaine : dans la douzaine de lettres que les deux hommes échangeront au cours des années suivantes (entre décembre 1781 et mars 1788), les correspondants ne reviendront jamais sur cet imbroglio. Dans ses missives, Franklin identifiera son destinataire sous les appellations de « M. St. Jean de Crevecœur » et « M. de St John Crevecœur », tandis que ce dernier signera la plupart de ses envois « St. Jean de Crevecœur » et « St. John de Crevecœur ». Deux de ses lettres seront cependant signées « St. John », et une troisième présentera le paraphe « H. St. John ». Cette signature particulière est sans doute liée à des circonstances évoquées à la fin du pli daté du 3 janvier 1783 sur lequel elle figure. Le signataire de la lettre s’y présente comme : la personne qui, sous le nom de St. Jean de Crèvecœur, a eu l’honneur de dîner avec votre Excellence en mars dernier avec la comtesse de Houdetot et qui en juillet dernier vous a fait parvenir par les mains de M. Target un livre intitulé Letters of an American Farmer.
Or la signature apparaissant en couverture des Letters from an American Farmer est J. Hector St. John. En rappelant cette dénomination dans la signature de sa lettre, l’auteur de la missive aura tenu à s’assurer que Franklin comprenait que l’homme qui lui avait été présenté sous le nom de St. John de Crèvecœur, l’auteur du livre qui lui avait été remis et le signataire de la lettre étaient la même personne54. Il semble en tout cas que madame d’Houdetot ait cru nécessaire de confirmer à Franklin que l’individu qui s’était adressé à lui sous le nom de St. John était bien la personne qu’elle lui avait présentée sous celui de Crèvecœur. Elle le fait à l’occasion d’un envoi daté du 20 octobre 1781, dans lequel la comtesse reprend essentiellement le propos de sa précédente recommandation : Celuy qui s’Est Recommandé De Ma part aupres De Vous Mon Cher Docteur Sous le nom De st. Jean Est Le même que Celuy dont j’ay Eû L’honneur de Vous parler sous Le nom de Crevecœur que porte son pere Dont je suis L’amie depuis plus De Vingt Cinq ans. Comme Le fils n’habitait pas ce paÿs cy je n’ay de luy aucunne Connaissance personnelle mais j’En ay toujours oui dire du Bien a son père Et c’est a Cause de luy mon Cher docteur que je Reclâme Vos Bontés pour son fils je scay qu’il Est tres attaché aux Etats Unis Et qu’il a Eprouvé plus que personne les Calamités attachées a la guerre presente je Vous demande donc mon Cher Docteur De faire pour luy Ce que Vos Circonstances pourront Vous permettre.
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Et quand elle parle à nouveau de son protégé à Franklin, le 9 avril 1782, elle prend soin de l’identifier sous le nom de « Mr. De St. Jean55 ». Huit mois plus tard, le 18 octobre 1782, la comtesse s’adresse de nouveau à Franklin (par l’intermédiaire de son secrétaire : la lettre est rédigée à la troisième personne) pour lui demander de faire passer en Amérique un paquet appartenant à « Mr. St. Jean de Crevecœur ». Mais l’appellation se transforme dès la phrase suivante, lorsqu’elle signale que « Mr. De St. Jean est aussy en peine De scavoir sy Mr. franklin a Recu Et agréés un Livre qu’il a Eû l’honneur De luy Envoyer sur les troubles et Les Desastres De l’Amérique » : vraisemblablement l’exemplaire des Letters from an American Farmer que, comme on l’a vu plus haut, Target devrait lui avoir remis en juillet 1782. La lettre se termine en indiquant l’adresse de celui qui devient « Mr. De Crevecœur De St. Jean56 » sous la plume d’un secrétaire qui semble ne plus trop savoir quel nom donner au personnage. L’année suivante, le 6 septembre 1783, la comtesse parle une fois de plus à Franklin de son « Amériquain », qu’elle appelle alors « l’honêste St. Jean De Crevecœur ». Mais trois ans plus tard, le 1er juin 1786, elle recommence à le nommer « Mr. De Crevecœur ». Et lorsque le 16 février 1788, Franklin adresse à madame d’Houdetot ce qui semble être la dernière lettre qu’il lui ait fait parvenir, il utilise l’appellation « M. St. Jean de Crevecœur » pour identifier le protégé de la comtesse57. Les diverses dénominations qui apparaissent sous la plume de madame d’Houdetot ne cessent de confirmer à l’émissaire états-unien que l’homme qui signait ses lettres du seul nom de St. John aux premiers jours de son retour en France est bien l’individu qu’elle a identifié sous celui de Crèvecœur. Il s’avère d’ailleurs que c’est uniquement lorsqu’elle s’adresse à Franklin que madame d’Houdetot sent la nécessité de désigner son protégé autrement que par la seule appellation de Crèvecœur. C’est sous cette dénomination qu’il est mentionné dans les quelques lettres que madame d’Houdetot échange avec Thomas Jefferson en 1789 et 179058. Contrairement à ce qui est arrivé avec Franklin, la comtesse n’a jamais eu à rappeler à Jefferson que les noms de St. John et de Crèvecœur désignaient une seule et même personne. Dans sa lettre du 20 octobre 1781, madame d’Houdetot signalait qu’elle n’avait « aucunne Connaissance personnelle » de l’homme qu’elle recommandait pour une deuxième fois à Franklin. Si on se fie au témoignage de St. John de Crèvecœur, c’est « six mois après [s]on retour en France », soit en janvier 1782, que le chevalier Étienne François de Turgot a conduit St. John de Crèvecœur à Paris. Et c’est après qu’il eût passé « trois mois à l’hôtel Turgot », donc en mars ou avril 1782, que « la Comtesse de Houdetot,
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qui avait entendu parler de moi dans les lettres que mon père (ancien ami de la famille) écrivait à son mari, m’écrivit aussi pour m’engager à venir la voir59 ». Étienne François Turgot, marquis de Sousmont (1721-1789), dit chevalier de Turgot, était le frère d’Anne Robert Jacques Turgot, baron de L’Eaulne et célèbre contrôleur des Finances de Louis XVI. Les Turgot étaient parents par alliance des Blouet, la famille de la mère de St. John de Crèvecœur, et il semble que le chevalier de Turgot se soit occupé de notre homme aux premiers jours de son retour en Normandie. Naturaliste passionné, ce Turgot s’intéressait entre autres à la grande nouveauté du moment : les pommes de terre. Et ce pourrait bien être lui qui a poussé St. John de Crèvecœur à faire paraître sa toute première publication, son Traité de la culture des pommes-de-terre, imprimé à Caen au début de 1782 par un certain Leroy et signé du pseudonyme de Normano-Americanus. Le 25 septembre 1781, moins de deux mois après que St. John de Crèvecœur eut renoué avec sa famille (et la veille du jour où il envoyait à Benjamin Franklin la lettre dans laquelle il tentait d’expliquer les raisons qui l’avaient poussé à se présenter sous un autre nom que celui sous lequel la comtesse l’avait recommandé), Étienne François de Turgot s’adressait à l’émissaire américain : Un Gentilhomme Normand qui est depuis 27. ans établi a pensilvanie et qui de la permission du congrés est venu voir sa famille, veut bien se charger de me procurer des grainnes de L’amerique Septemtrionnalle pour assurer Le succès de Ses Soins il seroit necessaire d’avoir une recommandation auprés de Monsieur hancock pour qu’il veulle bien permettre qu’on remette Chez lui les differentes caisses ou barils de grainnes ou d’arbres, pour qu’il veulle bien les faire embarquer sur des navires Américains destinés pour Nantes ou Lorient et recommander Expressément aux Capitaines de les placer dans les lieux les moins humides et Les moins chaux du vaisseau, precaution absoluement necessaire pour La conservation des grainnes pendant la traversée. Je ne doute pas Monsieur que L’illustre president du Congrés ne veulle bien avoir la bonté que Je vous prie de demander pour Monsieur de crevecöeur et pour moi, Si vous voulez bien L’instruire que Je suis frere d’un ministre a qui la liberté américainne étoit chere et que Je ne Suis pas moins zêlé que lui pour La cause des états unis. Je vous Suplie de vouloir bien m’adresser ici la lettre par triplicata, la guerre rendant cette précaution indispensable, Je vous prirai de faire Contresigner Le paquet, dans quelque bureau des affaires étrangeres : Je remettrai vos Lettres a Mr. de Crévecöeur qui se chargera de le faire passer en Amerique ; il a été étonne de la belle vegetation de plusieurs arbres de ce païs que Je cultive chez moi60.
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Quelques semaines avant que ne le fasse madame d’Houdetot, cette missive confirmait indirectement à Franklin que St. John et Crèvecœur étaient le même individu.
Un cultivateur trop cultivé C’est donc au début de 1782 que St. John de Crèvecœur se retrouve à Paris auprès de madame d’Houdetot : une année qui allait s’avérer des plus fastes pour notre auteur. La publication, à Londres, de ses Letters from an American Farmer allait faire de lui une célébrité et soulever de nouvelles questions quant à sa véritable identité. Le premier article consacré aux Letters from an American Farmer paraît peu de temps après la publication de l’ouvrage, dans l’édition d’avril 1782 de l’European Magazine, and London Review. Le compte rendu commence en citant l’« Annonce » sur laquelle s’ouvre le livre, et qui affirme que les « lettres qui suivent sont le pur produit du fermier américain qui les signe ». Mais selon l’auteur anonyme de l’article, la facture de l’ouvrage conduit les lecteurs à douter de la véracité de cette information : Quant à savoir s’il existe réellement une personne comme James Hector St. John, un fermier de Pennsylvanie, il s’agit d’une question que nous ne prétendrons pas résoudre ; cependant, plusieurs faits peuvent soulever la question ; mais il y a peu de doutes que ces lettres ont été composées par un personnage très différent de celui sous lequel l’auteur se présente dans la première lettre61.
La couverture du livre identifie son auteur sous l’appellation de J. Hector St. John. Selon l’acte de naturalisation de décembre 1765, le prénom que cette dénomination réduit à un simple « J. » est John. Mais, ainsi qu’on l’a souligné dans la présentation générale, en signant son ouvrage de cette initiale, St. John de Crèvecœur laissait croire à ses lecteurs (comme le suppose d’ailleurs l’auteur de l’article) que ce « J. » valait pour James : le personnage que l’ouvrage présente comme l’auteur des lettres qui y sont rassemblées. L’homme qui a dû expliquer à Benjamin Franklin comment une même personne pouvait porter deux noms semble avoir délibérément signé son livre de façon à ce que les lecteurs soient conduits à confondre deux personnes sous un même nom : lui-même et le personnage qu’il a créé. On a par ailleurs récemment découvert un exemplaire annoté de l’édition originale des Letters from an American Farmer dans lequel St. John de Crèvecœur a rayé toutes les occurrences du prénom James pour inscrire à la place celui de John62, ce qui permet de croire qu’il cherchait consciemment à amener ses lecteurs à l’identifier au personnage principal de son ouvrage.
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Selon le collaborateur de l’European Magazine, and London Review, James est un personnage trop rustique pour avoir écrit les textes qui lui sont attribués. Le chroniqueur voit « une affectation de simplicité » dans l’identité de « simple fermier qui n’a pas l’habitude d’écrire ne serait-ce que des lettres » à laquelle prétend celui que le commentateur identifie comme l’auteur de l’ouvrage. Car cet état de simple cultivateur « coïncide bien mal avec la figure que présente James tout au long de ces lettres, et qui est bien loin de nous faire croire à leur authenticité ». L’auteur de l’article en conclut que « M. St. John n’est pas, comme nous sommes conduits à l’imaginer au commencement de son œuvre, un simple fermier illettré, mais un homme d’un esprit cultivé et même raffiné ». Et il ne se contente pas d’affirmer que l’auteur du livre ne s’y présente pas sous son véritable visage : si nous pouvons hasarder une hypothèse, ces lettres sont le fait de deux écrivains : un qui a effectivement fait des observations sur place, en Amérique, et un autre qui, à partir de ce matériau, a élaboré un volume de lettres63.
Sensible aux distorsions qui, en affectant la focalisation du récit, témoignent du fait que la position et le point de vue de l’auteur ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux de son personnage, le chroniqueur devine que la confusion entraînée par la signature de l’ouvrage est un artifice : l’auteur du livre et le personnage auquel il voudrait que les lecteurs l’identifient sont deux individus distincts. Il a l’intuition que l’écrivain qu’est devenu St. John de Crèvecœur grâce à l’écriture et à la publication de son livre n’est plus tout à fait le simple fermier qu’il a effectivement été quelques années auparavant, quand il consacrait l’essentiel de ses énergies à la bonne marche de son établissement de Pine Hill. Le mois suivant, on retrouve la même interrogation sur l’identité de l’auteur des Letters from an American Farmer dans l’article que le Scots Magazine consacre à l’ouvrage en mai 1782. Selon le signataire de ce texte, la teneur de l’ouvrage témoigne des talents d’un auteur dont la personnalité ne saurait être du genre de celle « que l’on prête généralement à un Américain, [ou à] n’importe quel autre fermier64 » : un homme résidant dans les colonies et, qui plus est, d’aussi basse extraction qu’il prétend l’être, ne saurait avoir écrit pareil ouvrage ! En juin 1782, la Monthly Review entreprend la publication d’un compte rendu des Letters from an American Farmer qui s’étendra sur trois livraisons. À la différence des précédents commentateurs, l’auteur de ces articles ne remet pas en doute l’identité du fermier américain. Faisant apparemment écho à ses prédécesseurs, il affirme : « Serait-il possible d’entretenir les moindres doutes quant à l’authenticité de cette publication,
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elle contient suffisamment de preuves pour les faire disparaître. » Il postule ouvertement que l’auteur et le personnage principal de l’ouvrage sont une seule et même personne lorsqu’il signale que l’« écrivain se déclare être un simple cultivateur de la terre, sans prétendre à d’autres connaissances littéraires que celles qu’il doit à quelques volumes divers, apportés d’Angleterre par son grand-père ». Le commentateur prête ici à l’écrivain un ensemble de caractéristiques que le livre présente comme celles du personnage de James. La formulation employée par le chroniqueur reprend à quelques mots près la phrase que James emploie pour nous apprendre qu’il a reçu en héritage de son père « quelques livres moisis » que son grand-père « avait apportés d’Angleterre avec lui ». Le chroniqueur attribue donc à l’auteur du livre le peu de formation que prétend avoir son personnage tout en le faisant bénéficier des qualités que la nature paraît avoir accordées à James afin de contrebalancer ses déficiences sur le plan de la culture savante : « La nature semble cependant avoir compensé chez lui le défaut d’éducation65. » En septembre et novembre 1782, le Gentleman’s Magazine consacre lui aussi une série d’articles aux Letters from an American Farmer. Ce compte rendu se distingue des précédents dans la mesure où il est le seul à ne pas faire la moindre référence à l’identité problématique de l’auteur du texte66. Ce n’était toutefois que partie remise, car la question devait bientôt revenir à l’ordre du jour, cette fois sur le mode de la polémique. Au début de 1783, on assiste à la publication anonyme d’un pamphlet intitulé Remarks on The Letters from an American Farmer : or, A Detectation of the Errors of Mr. J. Hector St. John ; Pointing out the Pernicious Tendency of these Letters to Great Britain. Cet opuscule du révérend Samuel Ayscough se propose rien de moins que « d’exposer une tentative d’un récent auteur afin de tromper le peuple, et de montrer que cette publication est une fraude habilement déguisée et hostile au bonheur de la nation ». Alors que les autres commentateurs n’avaient fait qu’émettre des doutes quant à l’identité réelle de l’auteur des Letters from an American Farmer, Ayscough prétend être en position de : montrer que cet auteur n’est pas un natif Américain ainsi qu’il le prétend ; qu’il n’y a jamais été un fermier ; que plusieurs des choses dont il fait part sont fausses ; que d’autres, rapportées comme des faits récents, sont anciennes, voire même des histoires de vieilles bonnes femmes délibérément présentées de façon à susciter l’émerveillement et l’étonnement.
Ayscough consacre la première moitié de son pamphlet à relever un certain nombre d’incohérences, d’inexactitudes et d’invraisemblances qu’il a découvertes au fil de l’ouvrage. Il refuse entre autres de croire à la présence, à l’intérieur de la demeure du fermier américain, d’un nid de
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frelons s’y nourrissant des mouches qui pénètrent dans la maison. Il accuse par ailleurs l’auteur de plagiat en signalant qu’une des scènes de la Lettre IX « Sur les serpents et sur l’oiseau-mouche », faisant état des ravages mortels causés par une paire de bottes auxquelles étaient demeurés fixés les crocs d’un serpent venimeux, s’apparente à un récit publié quelques décennies auparavant dans un mémoire de la Société Royale que Ayscough a été en mesure de retrouver parmi les ouvrages de la bibliothèque du British Museum. Puis, il consacre la deuxième moitié de sa brochure à dénoncer le fait que les Letters from an American Farmer proposent un portrait trop flatteur des États-Unis, et cela dans le but de leurrer d’éventuels émigrants : « Si nous tournons notre attention sur l’objectif de ce livre, il apparaîtra clairement qu’il a été conçu pour encourager les étrangers à émigrer et à s’établir en Amérique […]. » Ayscough fonde son argumentation sur ce qui lui apparaît une preuve irréfutable du caractère factice de l’ouvrage. Il est en mesure d’affirmer que l’auteur des Letters from an American Farmer n’est pas, comme le veut la couverture de l’ouvrage, « un fermier de Pennsylvanie », et qu’il n’est pas non plus né en Amérique, comme prétend l’être James, son personnage. C’est même, selon Ayscough, « un fait bien connu qu’il est un Français, né en Normandie ; que sa résidence était principalement à New York ». Ces renseignements sont d’une étonnante exactitude. On savait déjà, à Paris, au début de 1783, dans les milieux qui fréquentaient le salon de madame d’Houdetot, que l’auteur des Letters from an American Farmer était ce St. John de Crèvecœur que la « bonne comtesse » avait déniché en Normandie : l’information a aisément pu parvenir à Londres et aux oreilles du bibliothécaire du British Museum. Fort de ce renseignement, Ayscough est en position de donner encore plus de poids à l’argument avancé par les chroniqueurs des magazines britanniques qui se sont penchés sur les Letters from an American Farmer : un fermier aussi rustre que James n’aurait pas pu écrire l’ouvrage qui lui est attribué. De l’avis d’Ayscough : Un simple cultivateur de la terre aurait raconté une histoire toute simple, sans imagination brillante, et sans l’orner de figures. Mais ces lettres font état de la déclamation caractéristique du Français, des métaphores creuses du rhétoricien, et du verbiage caractéristique du petit philosophe de France67.
Quelques semaines plus tard, la Monthly Review fait écho aux opinions d’Ayscough dans sa livraison de juin 1783. Si le collaborateur du magazine trouve que bon nombre des remontrances du révérend sont outrancières, il est par contre prêt à admettre avec lui que, s’il s’avérait exact que l’auteur des Letters from an American Farmer était effectivement un Français de Normandie ayant vécu dans l’État de New York plutôt qu’en Pennsylvanie, alors « M. St. John [aura] été coupable d’un mensonge manifeste en racon-
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tant qu’il était lui-même un natif Américain de parents écossais ». Quant au chroniqueur qui fait état du pamphlet dans la livraison de décembre 1783 du Gentleman’s Magazine, il montre moins de scrupule que son collègue du Monthly Magazine. Endossant entièrement le point de vue du détracteur de St. John de Crèvecœur, il conclut sa présentation de la brochure d’Ayscough en la décrivant comme le fruit d’une entreprise « hautement louable » visant à « détecter et à déjouer » des propos « insidieusement et dangereusement tendancieux68 ». Il se trouve cependant un journal pour se porter à la défense de St. John de Crèvecœur et de son ouvrage : Dans un avertissement on prévient le public que ces lettres sortent réellement de la plume d’un Fermier Américain. On en a douté en Angleterre, entr’autres l’auteur d’une brochure intitulée : Remarks on the Letters, &c. ou Remarques sur les Lettres d’un Fermier Américain ; dans ce pamphlet virulent on y dit de grosses sottises à M. Hector St. John, aux Américains, aux Français, le tout par patriotisme, parce que le scriblerus qui l’a faite croit que cet ouvrage peut être funeste à l’Angleterre, peut favoriser ou exciter les émigrations. Mais qu’importent toutes ces conséquences à la vérité ? […] Le stile lui paroit […] une preuve contre l’authenticité de ces lettres. D’autres personnes ont également été frappées, de la négligence du stile, & des fréquens gallicismes qu’on y rencontroit. Mais est-il bien difficile de présumer qu’un Fermier de Pennsylvanie n’écrit pas tout-à-fait aussi également que Robertson ou Gibbon ? & parce qu’il n’écrit pas bien, doit on conclure qu’il n’écrit pas vrai ? La candeur, l’ingénuité, la simplicité qui regnent dans ces lettres en rendent la lecture attrayante, & quand ce ne seroit qu’un Roman, ce seroit un Roman agréable à lire. […] Les détails sur les différentes Provinces des Etats-Unis n’intéresseront pas moins le lecteur. On assure que l’auteur de ces lettres M. Hector St. John est occupé à les traduire lui-même en François, & c’est rendre un grand service au public à qui la langue Francoise est en général plus connue que l’Angloise69.
Ces lignes paraissent dans l’édition du 14 mars 1783 du Courier de l’Europe, le bihebdomadaire de langue française publié à Londres dont un des principaux collaborateurs est Brissot de Warville. Le Courier de l’Europe ne voit que des sottises dans les reproches d’Ayscough et le journal postule que la simplicité du style de l’ouvrage est cohérente avec le fait qu’un fermier de Pennsylvanie ne saurait avoir une plume aussi élégante que celle de grands hommes de lettres. Par contre, l’allusion à la présence de nombreux gallicismes admet implicitement que l’auteur du livre pourrait bien être un Français. On reconnaît également qu’il est possible que l’ouvrage ne soit pas le témoignage authentique d’un fermier américain, qu’il se peut bien que « ce ne seroit qu’un Roman ». Mais même dans ce cas, au moins ce roman est-il « agréable à lire ».
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Deux mois plus tard, le 9 mai 1783, St. John de Crèvecœur réplique à cet article par une lettre datée du 14 avril qu’il fait parvenir au Courier de l’Europe depuis Paris : une publication des plus importantes puisqu’il s’agit de l’unique texte dans lequel St. John de Crèvecœur se porte publiquement à la défense de son livre. L’auteur n’a en effet jamais fait d’autre écho aux éloges et aux reproches avec lesquels la presse accueillera ses publications : Monsieur, Lisant l’autre jour dans votre papier public ce que vous disiez des lettres d’un Cultivateur Américain, je vous prie de vouloir bien y insérer ce qui suit. N’est-il pas extraordinaire que vos critiques traitent de roman des choses avérées pour faits, & auxquels un honnête homme a mis son nom ? chacun, il est vrai, a sa façon de les voir. On m’accuse de n’être que Normand & non Américain. Ignore-t-on à Londres que peut être un quart de ceux qui ont contribué à chasser les Anglois des Treize Etats-Unis, n’y étoient pas nés ? ils n’en etoient pas moins attachés à leur patrie adoptive ; si les petites choses peuvent ressembler par analogie aux grandes, je suis autant Américain que le Général Gates. On dit aussi que l’anecdote du globe de frelons suspendu dans un appartement est une f[a]ble : que les incrédules aillent demander au Lord Adam Gordon, si lorsqu’en Compagnie avec la Duchess[e] sa belle sœur, il dîna chez Jacques Graham, Ecuyer, à Morrissiana, près Harlem à 1 1/2 milles de NewYork, il ne vit pas un de ces globes suspendu dans l’appartement où il dînoit à dessein d’en chasser les mouches : que puis je faire si l’histoire de la botte empoisonnee d’un Colon de Menisick, semble être l’imitation d’un fait semblable, inséré il y a quarante ans dans les Transactions Philosophiques. Tout ce que je puis avérer est que plus de 20 temoins de cette circonstance vivent encore : & je n’ai jamais lu un seul volume de ces Transactions. Vos critiques m’accusent de Gallicisme, ils ont autant de raisons que ceux qui ici m’accusent d’Anglicisme. Ce n’est pas un crime, je l’espère, mais simplement une maladresse, voici mon excuse : Keen feelings inspire resistless thoughts. Vous annoncez que l’Auteur alloit donner la traduction d’un volume publié par Mr. Thomas Davis, je sais que non-seulement il a traduit ce volume, mais en outre deux autres dont il a conservé jusqu’ici les originaux Anglois. Crainte d’exciter la bile des critiques Bretons, une singuliere chaine de circonstances vient de lui enlever 320 pages in folio, il espere que ceci servira à prévenir l’éditeur, entre les mains duquel ces feuilles pourroient tomber, que l’auteur est occupé à les retranscrire, & que le fruit de cette escamoterie n’est pas la moitié du tout qui doit paroître incessamment.
Je suis, &c.
(Signé) St. John70.
St. John de Crèvecœur n’apprécie pas que son livre ait été considéré comme un roman par le chroniqueur du Courier de l’Europe. Fort du fait qu’une bonne partie des résidants des États-Unis n’y sont pas nés, il ne voit pas pourquoi ses origines normandes l’empêcheraient de se réclamer de la même identité que tous ceux qui ont récemment montré assez
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’attachement envers leur patrie d’adoption pour en chasser les armées d anglaises. Il va même jusqu’à affirmer qu’il est aussi américain que le général Horatio Gates, un des principaux commandants de l’armée des États-Unis. Mais l’article du Courier de l’Europe ne met pas en doute son identité américaine et ne contient pas non plus la moindre remise en question de l’authenticité de l’anecdote du globe de frelons, ni d’allusion à l’éventuel emprunt de l’histoire de la paire de bottes empoisonnée. Ces deux reproches n’ont jamais été publiés ailleurs que dans le pamphlet d’Ayscough. Leur évocation par St. John de Crèvecœur implique que ce dernier était au courant de la teneur de Remarks on the Letters from an American Farmer. Et la façon dont St. John de Crèvecœur réagit à ces critiques signale que sa principale préoccupation est de défendre la véracité de son ouvrage : il veut convaincre ses détracteurs qu’il n’y traite que de « choses avérées pour faits ». On aura noté qu’il signe sa lettre du nom de St. John, conformément à la dénomination figurant sur la couverture des Letters from an American Farmer. Par ailleurs, dans la mesure où la publication londonienne originale de l’ouvrage a été faite sous le nom de J. Hector St. John, les articles de langue anglaise consacrés à cette parution identifient évidemment son auteur en reprenant le nom figurant sur la couverture du livre. Mais lorsque Lacretelle présente le « morceau » des Lettres d’un cultivateur américain qu’il fait paraître dans le Mercure de France du 4 janvier 1783, il signale que son « Auteur est M. de Crevecœur ». Ce faisant, il est le premier à utiliser ce nom pour désigner l’écrivain que l’Angleterre connaît sous celui de St. John. Et il utilise la même dénomination dans le texte qu’il fait paraître dans le Mercure de France de l’année suivante71. Ces articles de Lacretelle seront reproduits dans les deux éditions françaises de 1784 et 1787 des Lettres d’un cultivateur américain, où ils deviennent des « Lettres servant d’introduction ». La couverture de l’édition de 1784 est anonyme ; on y indique seulement que ces Lettres ont été « Traduites de l’Anglois par * * * ». C’est l’introduction de Lacretelle qui apprend aux lecteurs que le signataire du livre est « M. de Crevecœur ». Lorsque Lacretelle publie dans les Mercure de France du 22 et du 29 janvier 1785 un long compte rendu des plus élogieux de l’ouvrage, il identifie son auteur comme « M. de Crêvecœur » dans la première partie de son article, et « M. Saint-John de Crevecœur » dans la seconde72. En 1787, la seconde édition française du livre porte désormais la mention de « M. St. John de Creve cœur » en page titre et les deux lettres de Lacretelle qui continuent à lui servir d’introduction l’identifient désormais sous le nom de « M. St. Jean de Crevecœur ». Il s’avère par ailleurs que cette correction a été apportée par St. John de Crèvecœur lui-même. Les descendants de l’écrivain sont
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en possession d’un exemplaire du premier volume de l’édition de 1784 des Lettres d’un cultivateur américain dont les pages sont parsemées d’annotations de la main de St. John de Crèvecœur73. L’ensemble des changements ainsi apportés au texte de la première édition ont été reproduits dans celle de 1787 : les imprimeurs se sont vraisemblablement servis de cet exemplaire corrigé par l’auteur afin de réaliser la composition de la seconde édition du livre. Or ce document permet entre autres de constater que St. John de Crèvecœur a systématiquement indiqué, dans les marges du texte des deux lettres d’introduction, qu’il souhaitait ajouter les mots « Saint John » chaque fois qu’apparaissait le nom de Crèvecœur. C’est avec un concert d’éloges que les chroniqueurs français ont accueilli les Lettres d’un cultivateur américain. Tous les comptes rendus de la première édition française de l’ouvrage identifient son auteur sous le nom de « M. de Crèvecœur ». La seule exception se trouve dans l’article que Brissot de Warville fait paraître en Angleterre dans son Journal du Licée de Londres, où l’auteur est présenté dans un premier temps comme « M. de Crevecœur St. John », avant d’être finalement identifié comme « M. de St. John74 ». Les articles traitant de la seconde édition française feront tous référence à l’auteur sous la dénomination de « M. Saint-John de Crèvecœur ». Cela lui aura pris quatre ans, mais l’écrivain finit tout de même par imposer le nom qu’il s’est lui-même choisi. Il faut signaler que la plupart des textes rassemblés dans les deux éditions françaises des Lettres d’un cultivateur américain, notamment la majeure partie de ceux qui constituent des adaptations des écrits figurant dans la version originale anglaise, ne sont plus présentés comme l’œuvre du fermier James : ils sont désormais signés du nom de St. John. Ce changement de dénomination cherche à convaincre une fois pour toutes les lecteurs que le personnage qui prend la parole dans le livre est bien la même personne que celle dont le nom figure sur la couverture de l’ouvrage. La signature apparaissant en page titre des Letters from an American Farmer conduisait les lecteur à attribuer à l’auteur le même prénom que son personnage, c’est-à-dire à croire que la signature J. Hector St. John valait pour James Hector St. John et à assimiler la personne de l’auteur à celle du narrateur qu’il met en scène. La signature apparaissant au fil des pages des Lettres d’un cultivateur américain évacue totalement le personnage de James. En présentant dorénavant ces textes comme l’œuvre d’un dénommé St. John, il n’y a plus de doute possible : le personnage qui prend la parole dans le livre prétend explicitement être la personne dont le nom apparaît, à partir de l’édition de 1787, en couverture de l’ouvrage. La figure fictive de James cède désormais sa place à la personne réelle de l’auteur.
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Ce changement de dénomination transforme complètement l’image que les lecteurs peuvent se faire de l’auteur et de son livre. Dans les Letters from an American Farmer, l’identification de l’auteur à son personnage se faisait en cours de lecture : c’est après avoir réalisé, au fil du texte, que le personnage du fermier américain se prénommait James que les lecteurs pouvaient en déduire que ce dernier était éventuellement l’auteur du livre qu’ils avaient entre leurs mains. Ainsi l’ouvrage était-il perçu comme l’œuvre d’un fermier qui se découvrait, après coup, être un écrivain. Les lecteurs des Lettres d’un cultivateur américain ouvrent leur livre en sachant d’avance que leur auteur se nomme St. John de Crèvecœur. Lorsqu’ils aperçoivent le nom de St. John au fil des pages, ils considèrent cet individu non pas comme un personnage mais comme l’auteur de l’ouvrage. Dès lors, le livre est perçu comme l’œuvre d’un écrivain qui a, pendant un temps, été fermier : la perspective originale de l’ouvrage est inversée. Les Letters from an American Farmer étaient l’œuvre d’un « fermier griffonneur », s’adonnant à l’écriture dans ses moments de loisir ; les Lettres d’un cultivateur américain sont celles d’un homme se consacrant désormais à l’écriture après avoir exercé le métier de fermier dans un passé plus ou moins lointain. Pour le dire dans les mots de D. H. Lawrence, le fermier américain joue désormais « au littérateur, genre doux et pur enfant de la Nature75 ». On a vu, dans le Courier de l’Europe du 9 mai 1783, que l’unique fois où St. John de Crèvecœur prend la plume pour répondre publiquement aux détracteurs anglais de son ouvrage, il signe son texte du nom qu’on retrouve sur l’édition londonienne du livre : St. John. Il se servira souvent de cette appellation lorsqu’il signera sa correspondance personnelle ainsi que les nombreux documents qu’il aura à produire dans le cadre de ses nouvelles fonctions officielles. Car, la célébrité aidant autant que les recommandations de madame d’Houdetot, et grâce à sa grande connaissance des États-Unis qu’il devait aux vingt-cinq et quelques années qu’il y avait vécues, St. John de Crèvecœur allait bientôt être nommé au poste de consul de France à New York. Ces fonctions le conduiront à faire deux nouveaux séjours aux États-Unis : le premier, de novembre 1783 à juin 1785 ; le second, de l’automne 1787 à juin 1790. Les Journals of the Continental Congress font état, le 18 décembre 1783, d’une motion proposant qu’un « mémoire de St. Jean de Croveeceny [Crévecœur] soit lu au Congrès ». Le 11 février 1784, les mêmes procèsverbaux du Congrès continental rendent compte de la proposition d’un comité recommandant d’agréer à l’installation des « nouveaux officiers » diplomatiques mandatés par la France, parmi lesquels on retrouve « le sieur de St. Jean de Crevecœur », qui se voit reconnu le titre de « Consul de
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France pour les États de New York, Connecticut et New Jersey ». C’est donc sous le nom de Saint Jean de Crèvecœur que notre homme est identifié auprès des autorités états-uniennes. Cependant, lorsqu’il décide, vers la fin de son premier séjour consulaire, de se départir de sa ferme de Pine Hill, le nom qui figure sur l’acte de vente dressé en date du 3 mai 1785 est le même que celui qui se trouvait sur l’acte d’achat de la propriété, à la nuance près que l’homme qui le porte est désormais identifié comme « l’honorable Hector St. John Chevalier Consul de sa Majesté très chrétienne ». Mais si le corps du texte utilise la seule appellation d’Hector St. John, une note signalant un amendement au contrat est présentée comme approuvée par « St John de Crevenecury » et le document est signé « St John de Crevecœur ». Enfin, lorsque les notables de Hartford (Connecticut) font de lui un citoyen honoraire de leur ville, c’est également sous la dénomination de St. John de Crèvecœur76. Au fil des décennies, notre personnage a donc été désigné sous une douzaine appellations : Michel-Guillaume Jean de Crèvecœur, Michel-Jean de Crèvecœur, John Hector St. John, Michel Guillaume Saint-Jean de Crèvecœur, Saint-John, Hector St. John, Michel-Guillaume Saint-John de Crèvecœur, J. Hector St. John, Saint Jean, Saint Jean de Crèvecœur, Crèvecœur et St. John de Crèvecœur (sans compter les St. Jean de Croveeceny et St. John de Crevenecury dus à des transcripteurs anglophones saisissant mal la prononciation française du nom). Aussi les commentateurs de l’œuvre de St. John de Crèvecœur semblent-ils avoir raison de s’étonner de l’inconstance de celui qui se sert d’un pareil éventail de signatures. Une observation attentive permet cependant de constater que les apparitions de ces appellations sont loin d’être totalement aléatoires.
Un « simple nom américain » Les sept années d’activités consulaires de St. John de Crèvecœur ont été l’occasion d’une importante production épistolaire et l’étude des documents figurant au sein des correspondances de George Washington et de Thomas Jefferson77 permet de contextualiser les apparitions des appellations dont on se sert pour désigner St. John de Crèvecœur. Lorsqu’on se penche sur l’ensemble des lettres mentionnant notre homme, on constate que tous les correspondants français de Washington et de Jefferson utilisent la dénomination Crèvecœur. Pour sa part, Jefferson ne s’est jamais adressé à aucun de ses correspondants français en utilisant le nom de St. John. Tous les correspondants de Jefferson et de Washington qui emploient cette appellation sont des États-Uniens. Aucun Français ne l’utilise, sauf le marquis de La Fayette, sans doute le plus états-uniens des Français. Le nom
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de St. John n’est donc employé que par des correspondants de langue anglaise, et ce sur deux périodes précises : en 1783 et 1784, puis en 1788. C’est entre ces deux époques qu’on retrouve, sous la plume des correspondants de Jefferson et de Washington, le plus grand nombre d’apparitions de la dénomination St. John de Crèvecœur. L’ensemble de ces documents ne présente qu’une seule occurrence du nom St. Jean de Crèvecœur, dans une lettre adressée à Jefferson en 1786 par un correspondant français. Ainsi a-t-on commencé à employer celui de St. John de Crèvecœur seulement après 1785, et on cessera à peu près de le faire trois années plus tard. St. John de Crèvecœur est donc nommé Crèvecœur par les Français et St. John par les États-Uniens. Mais quelle nom utilise-t-il lui-même ? Les lettres rédigées par St. John de Crèvecœur figurant au sein des correspondances de Washington et de Jefferson permettent de constater qu’il n’a jamais signé la moindre lettre du seul nom de Crèvecœur. Après les avoir d’abord signées du nom de St. John, il emploie celui de St. John de Crèvecœur de 1786 à 1788, puis recommence à utiliser la signature St. John à partir de 1787. La plupart des correspondants états-uniens de Washington et de Jefferson, de même que ces derniers, suivent globalement la même tendance. Il faut cependant souligner que, comme le laissait supposer sa lettre d’explication à Franklin, St. John de Crèvecœur semblait préférer se désigner sous l’appellation de St. John : les deux tiers de ses lettres sont paraphées de ce nom et le tiers d’entre elles sont signées St. John de Crèvecœur. Cette tendance à s’identifier plus souvent sous la dénomination de St. John que sous celle de St. John de Crèvecœur est confirmée par un autre ensemble de documents, constitué celui-là d’une correspondance privée, à savoir les lettres que St. John de Crèvecœur fait parvenir de 1783 à 1787, depuis les États-Unis, à son ami le duc de La Rochefoucauld d’Enville78. Il s’avère donc qu’aucune des lettres de St. John de Crèvecœur qui ont été conservées jusqu’à nos jours n’est signée du seul nom de Crèvecœur. Il est également possible de voir une autre illustration de ce qui semble être une aversion pour le nom de Crèvecœur et une préférence pour celui de St. John dans le fait que, lorsque Ethan Allen lui a offert, en 1785, de nommer une des nouvelles villes du Vermont d’après son nom, St. John de Crèvecœur proposa de donner à cette localité le nom de Saint Johnsbury79. On pourrait peut-être imaginer que ce choix a été dicté par le fait que le nom de Crèvecœur est, pour des anglophones, difficile à prononcer et à écrire correctement (comme on a pu le constater dans les Journals of the Continental Congress et sur l’acte de vente de la ferme de Pine Hill). Pourtant, il existait déjà aux États-Unis, dans l’Illinois, une ville portant le nom
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de Crèvecœur, d’après celui du fort Crèvevœur que les Français ont établi à cet endroit en décembre 1679 (elle fait aujourd’hui partie de l’agglomération de Preoria). On doit cette dénomination à Robert Cavelier de La Salle, qui s’est arrêté en ce lieu à l’occasion de son voyage d’exploration du Mississippi. L’origine de cette appellation semble cependant destinée à rester dans l’ombre. Avant le séjour de St. John de Crèvecœur, près d’un siècle après la fondation de l’établissement, l’histoire de la Nouvelle-France ne conserve le souvenir d’aucun individu ayant porté le nom de Crèvecœur. Aussi, ce fort ne paraît pas avoir été nommé en hommage à quelqu’un en particulier80. St. John de Crèvecœur semble donc n’avoir jamais songé qu’une ville commémorant son nom puisse porter celui de Crèvecœur. Cette préférence pour le nom de St. John s’affiche par ailleurs d’une façon on ne peut plus explicite dans une lettre à William Short. Ce pli du 12 août 1790, signé du nom de St. John, se termine sur un post-scriptum : « Puisqu’on en a fini des noms de seigneurie, je reviens avec plaisir au simple nom américain sous lequel j’ai été connu dans le pays pendant plus de vingt ans81. » Au moment où il écrit cette lettre, St. John de Crèvecœur est de retour en France depuis deux mois ; la référence à l’abolition des titres de noblesse renvoie à un décret de l’Assemblée nationale adopté le 19 juin 1790. Et il est significatif que l’auteur de ces lignes définisse l’appellation St. John comme son « nom américain », dont il oppose la simplicité au titre français de Crèvecœur, qu’il affirme explicitement être heureux de laisser tomber. St. John de Crèvecœur associe la dénomination St. John à sa vie aux États-Unis : il l’utilise exclusivement dans ses échanges en langue anglaise (les lettres qu’il fait parvenir à La Rochefoucauld d’Enville sous le nom de St. John sont toutes en anglais, tandis que celles signées St. Jean de Crèvecœur sont soit en français, soit bilingues). De leur côté, les interlocuteurs états-uniens de St. John de Crèvecœur le désignent sous le nom de St. John lorsqu’ils lui écrivent ou lorsqu’ils parlent de lui à d’autres personnes. C’est uniquement sous la plume de correspondants français qu’apparaît le nom de Crèvecœur. St. John est donc son appellation étatsunienne et de langue anglaise, et Crèvecœur, son nom français : un nom qu’il a cessé d’employer depuis l’époque où il a quitté la Nouvelle-France et que, dès lors, il n’utilisera jamais plus autrement qu’en y accolant celui de St. John. C’est pourquoi on ne devrait pas utiliser, pour désigner notre auteur, d’autres dénominations que celle qu’il s’est lui-même donnée : St. John de Crèvecœur. Et dans la mesure où il ne s’est jamais identifié sous le seul nom de Crèvecœur, on ne se permettra pas de le faire.
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L’invention d’un prénom On aura remarqué qu’aucune des signatures de St. John de Crèvecœur ne présente la moindre trace des prénoms que lui a donnés son père, ni de ceux qu’il s’est donnés sur l’acte qui fait de lui un citoyen de l’État de New York (l’unique exception étant sa lettre à Franklin du 3 janvier 1783). Or les réimpressions des Letters from an American Farmer diffusées de nos jours dans le monde anglophone paraissent le nom de J. Hector St. John de Crèvecœur : une signature que l’auteur n’a jamais utilisée. D’où vient donc ce curieux amalgame réunissant les prénoms figurant sur son acte de naturalisation de 1765 à la dénomination qu’il s’est lui-même forgée dans sa lettre à Franklin du 26 septembre 1781 ? Pour répondre à cette question, il faut retracer le parcours qu’a connu l’œuvre de St. John de Crèvecœur depuis sa publication jusqu’au début du XXe siècle. La chose est aisée car après avoir été un des best-sellers de la fin du XVIIIe siècle, les Letters from an American Farmer sont pratiquement tombées dans l’oubli et ce n’est qu’une centaine d’années après sa publication originale qu’on a redécouvert le livre. Aussi, tout au long du XIXe siècle, retrouve-t-on relativement peu d’allusions à cette œuvre et à son auteur. Le 10 novembre 1805, Charles Lamb (1775-1834), l’essayiste et poète britannique, adresse à son compatriote et confrère William Hazlitt (17781830) une lettre qu’il termine en laissant la parole à son épouse qui s’exclame : « Oh ! dites à Hazlitt de ne pas oublier d’envoyer l’American Farmer. Je me permets de dire qu’il n’est pas aussi bon qu’il se l’imagine, mais un livre est un livre. » La formule laisse entendre que madame Lamb ne tient pas en très haute estime l’ouvrage qu’elle mentionne sans rappeler le nom de son auteur. Il faut attendre jusqu’en 1818 pour lire une autre référence à « M. St. John de Crevecœur » dans un ouvrage de John Bristed intitulé The Resources of the United States of America. Il se passe onze autres années avant que William Hazlitt ne publie, en 1829, un article consacré à la littérature américaine dans lequel il fait une présentation élogieuse de l’ouvrage que, vingt-quatre ans auparavant, madame Lamb demandait de lui retourner. Hazlitt y affirme cependant que le livre qu’il intitule American Farmer’s Letters a été publié sous « un pseudonyme » et que son auteur demeure un « Illustre Inconnu82 ». Six ans plus tard, en 1835, la romancière états-unienne Catharine Sedgwick (1789-1867) publie un récit intitulé « Romance in Real Life » dans lequel elle fait référence aux mésaventures subies au cours de la guerre d’Indépendance par un gentilhomme d’origine française auquel elle donne le nom de « St. Jean Angely de Crève-Cœur ». Puis, St. John de Crèvecœur et son œuvre sombrent dans le silence pendant près de trente
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ans avant d’être évoqués par Henry T. Tuckerman dans un ouvrage de 1864 intitulé America and her Commentators. Ce livre contient une référence au titre original de l’ouvrage et affirme, erronément, qu’on y trouve la signature de « J. H. St. John Crevecœur ». Malgré le fait que cette dénomination ne présente pas encore la particule qu’elle inclut de nos jours, c’est donc à ce Tuckerman que l’on doit d’avoir pour la première fois amalgamé les deux noms sous lesquels s’est indentifié l’auteur : J. Hector St. John et St. John de Crèvecœur. C’est pratiquement la même appellation (à une initiale près) qu’emploie cinq ans plus tard le poète et critique états-unien James Russel Lowell (1819-1891) lorsqu’il retranscrit, dans une lettre du 2 mai 1869, un extrait des Letters from an American Farmer, qu’il désigne comme le « cher livre » de « H. St. John Crèvecœur ». En 1874, Emily Pierpont Delesdernier publie un roman intitulé Fannie St. John. A Romantic Incident of the American Revolution, dans lequel elle raconte la triste histoire des enfants que St. John de Crèvecœur avait laissés derrière lui aux États-Unis et qui ont été sauvés grâce à la bonté de son grand-père, Gustavus Fellowes. Elle attribue trois dénominations différentes à l’ami de son aïeul : « St. John de Crève-cœur », « le célèbre “ Crevecœur ” », et « St. John83 ». En 1875, l’œuvre de St. John de Crèvecœur fait son entrée au sein des institutions culturelles états-uniennes : l’auteur a droit à un article dans la Cyclopedia of American Literature où il est identifié sous le nom de « Hector St. John Crèvecœur ». On le retrouve ensuite dans les Recollections of Samuel Breck, publiés en 1877 à Philadelphie. Breck avait seize ans lorsqu’il a rencontré pour la première fois St. John de Crèvecœur à Paris, en 1787. Une quarantaine d’années après cet événement, il entreprenait de rédiger ses souvenirs en se fondant sur le journal qu’il a tenu pendant pratiquement toute sa vie. C’est donc aux environs de 1830 qu’il écrit ses Recollections, mais l’ouvrage devra attendre près d’un demi-siècle avant d’être rendu public, quinze années après la mort de son signataire, en 1862, à l’âge de 91 ans. Dans ces souvenirs, Breck utilise la dénomination « Hector Saint-John de Crevecœur » pour identifier notre auteur84. Ainsi est-ce sous sa plume qu’apparaît la particule omise par Tuckerman. Dans la mesure où il a rédigé ses Recollections plus de trente ans avant la parution de l’ouvrage de Tuckerman, Breck aura été le premier à faire l’amalgame. Mais puisque son manuscrit est resté inédit jusqu’en 1877, Tuckerman demeure malgré tout le premier à utiliser l’appellation Hector St. John Crèvecœur sur la place publique, et si la parution de Recollections of Samuel Breck y ajoute une particule, il manque toujours l’initiale « J. » pour avoir le nom qu’on utilise de nos jours.
Un self-made man et son self-made name
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Cette initiale n’y est toujours pas, mais la particule semble s’installer pour de bon avec la parution en 1878 du premier article à teneur critique et savante consacré à l’œuvre de St. John de Crèvecœur. Il s’agit de la publication d’un texte inédit, intitulé « Description of the falls of Niagara » et présenté par O. H. Marshall comme l’œuvre de « Hector St. John de Crèvecœur » : une dénomination que le chercheur utilise de nouveau deux ans plus tard, en 1880, dans un autre article consacré au même personnage. En 1888, l’Appleton’s Cyclopedia of American Biography classe notre auteur sous l’appellation de Jean Hector St. John de Crèvecœur : une combinaison de prénoms qui francise celui qu’on trouve sur l’acte de naturalisation de 1765. L’année suivante, en 1889, paraît un article biographique consacré au premier consul de France à New York en poste aux États-Unis, lequel y est identifié sous l’appellation de St. John de Crèvecœur après qu’on lui eût donné comme nom de baptême « Michael William John de Crèvecœur » : une anglicisation plutôt inopportune du MichelGuillaume Jean de Crèvecœur qui constitue l’appellation originelle de l’auteur et qui n’a pas de quoi étonner sous la plume d’un biographe qui donne au livre de son personnage le titre de Letters from an Agriculturist. En 1893, on retrouve le nom d’Hector St. John de Crevecœur dans un article de Selden L. Whitcomb consacré à la nature dans la littérature états-unienne. Quatre ans plus tard, en 1897, Moses Coit Tyler cite correctement le nom de J. Hector St. John qui apparaît sur l’édition originale de Letters from an American Farmer, mais c’est pour identifier par la suite l’auteur sous l’appellation de Crèvecœur. L’année suivante, la National Cyclopaedia of American Biography reproduit l’erreur de l’Appleton’s Cyclopedia en utilisant de nouveau l’appellation Jean Hector St. John de Crèvecœur85. Pendant ce temps, les Letters from an American Farmer n’existent toujours que dans leurs diverses éditions du XVIIIe siècle. Lorsqu’on publie, en 1904, la première réédition de l’ouvrage, cette dernière porte sur sa couverture la mention du nom de J. Hector St. John Crèvecœur (sans la particule). Dans un article paraissant deux ans plus tard, Franklin B. Sanborn rend compte de cette publication dont il nomme l’auteur St. John de Crèvecœur. Dans un article de 1910, le même commentateur le présente comme « Michel Guillaume St. Jean de Crèvecœur » en spécifiant qu’il a été jadis communément appelé « Hector St. John ». Et c’est en 1912, sur la page couverture de la première édition de poche des Letters from an American Farmer, que l’ouvrage est pour la première fois présenté comme l’œuvre de J. Hector St. John de Crèvecœur86. Le nom qu’on retrouve désormais sur les éditions anglaises des Letters from an American Farmer a donc été graduellement forgé à la suite d’une
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série de dénominations imprécises et erronées dont les apparitions se sont succédé sur un peu plus d’un siècle, cela sans que l’homme que l’on affuble de ce nom n’ait jamais contribué à l’élaboration de cette appellation. La postérité de St. John de Crèvecœur est liée à celle de son œuvre. Une des principales caractéristiques de celle-ci tient au fait qu’elle participe à la fois de l’expérience sociopolitique états-unienne et de la philosophie des Lumières françaises. Il paraît alors d’autant plus opportun d’utiliser la dénomination qu’il s’est lui-même forgée en accolant le nom qui témoigne de son expérience états-unienne à celui qui le lie à ses origines françaises. St. John de Crèvecœur est un nom dont le caractère composite est à l’image de ce qui fait l’originalité de l’œuvre de celui qui s’est forgé ce nom. C’est d’ailleurs ce patronyme qu’on trouve (sous sa forme francisée) dans l’acte de décès qui rend compte de la disparition, le 12 novembre 1813, à l’âge de soixante-dix-huit ans, de celui qu’on appelle alors « Michel-Guillaume Saint-Jean de Crèvecœur ». Le nom y est rétrospectivement attribué à son père, lequel est identifié dans ce document sous celui de « Michel-Augustin Saint-Jean de Crèvecœur », alors que son nom était Guillaume-Augustin Jean de Crèvecœur. Et dans l’éloge funèbre publié le 21 novembre 1813 dans le Journal de l’Empire, notre homme est toujours identifié sous le nom de Saint-Jean de Crèvecœur, tandis que son fils Alexandre y porte celui de Saint-John de Crèvecœur87 — nom que continuent à utiliser les descendants de l’auteur.
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De nombreux épisodes de la vie de St. John de Crèvecœur sont difficiles à mettre au clair. Comme l’écrit John Brooks Moore, « sans répéter la formule “ il semble que ”, il est nécessaire de la prononcer mentalement à chacun des tournants du récit de son existence1 ». Une partie du problème tient au fait qu’on peut difficilement se fier aux témoignages du premier concerné, qui se trompe à peu près toutes les fois qu’il tente de préciser une date. Cette mauvaise mémoire des chiffres est par ailleurs quelque chose d’étonnant de la part d’un homme censé avoir exercé les métiers de cartographe et d’arpenteur. Aussi est-on en droit de s’interroger : St. John de Crèvecœur aurait-il volontairement brouillé les pistes permettant de retracer le parcours de son existence ? Cherchait-il à cacher quelque chose ? C’est en tout cas ce que croyait Brissot de Warville : Crèvecœur portait partout un front sombre, un air inquiet ; il semblait craindre qu’on ne le devinât. Jamais il ne se livrait aux épanchements, il paraissait même quelquefois effrayé du succès de son ouvrage, il semblait enfin qu’il eût un secret qui lui pesât sur l’âme, et dont il craignait la révélation2.
* * * De la première moitié de la vie de St. John de Crèvecœur (de sa naissance, en 1735, jusqu’à son retour en France, en 1781), on ne sait presque rien ; de la seconde, par contre, on sait presque tout. À partir du moment où St. John de Crèvecœur devient une célébrité, on trouve de nombreux documents témoignant des événements ponctuant les dernières années de son existence. De 1783 à 1790, le caractère public de sa carrière consulaire est à la source d’une importante documentation permettant de suivre de près la plupart des activités auxquelles il se consacre3. L’aspect professionnel
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de sa charge se caractérise par des préoccupations essentiellement commerciales. St. John de Crèvecœur contribuera à une meilleure pénétration française du marché états-uniens en définissant entre autres le genre de produits que les entreprises de son pays pourraient exporter profitablement vers l’Amérique. De plus, il se consacrera activement à l’établissement de la première ligne régulière de paquebots reliant la France et les ÉtatsUnis. Sur le plan personnel, son retour en Amérique est l’occasion pour St. John de Crèvecœur de retrouver les deux enfants dont il était sans nouvelle depuis son départ. Aussitôt arrivé en France, il avait tenté d’obtenir des renseignements sur le sort de sa famille par l’intermédiaire des évadés états-uniens qu’il avait recueillis sur les côtes de Normandie. Il a lui-même publié, en ouverture du troisième volume des Lettres d’un cultivateur américain de 1787, un récit détaillé de la suite des événements. Les rescapés ont proposé à St. John de Crèvecœur d’adresser ses demandes de renseignements à l’attention d’un certain Gustavus Fellowes, de Boston, parent de l’un d’entre eux, et dès leur retour aux États-Unis, en décembre 1781, ils ont fait parvenir à Fellowes les documents préparés par St. John de Crèvecœur. Touché par l’aide que l’exilé avait apporté à ses compatriotes, l’homme s’empresse de se rendre dans le comté d’Orange, dans l’État de New York, où se trouvait la ferme de St. John de Crèvecœur. Il découvre que l’épouse de St. John de Crèvecœur est décédée, que sa maison de Pine Hill a été incendiée et que Fanny et Louis vivent dans la précarité chez un fermier du voisinage. Fellowes décide alors de ramener les enfants avec lui à Boston.
Figure 14. Lettre de St. John de Crèvecœur au duc de La Rochefoucauld d’Enville, New York, 17 décembre 1783. « Dossier St. John de Crèvecœur ». Archives communales de Mantes-la-Jolie (France), Fonds de l’ancienne collection de manuscrits de la bibliothèque de Mantes, collection Clerc de Landresse, lettre no 1008.
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Le 17 décembre 1781, à peine une quinzaine de jours après le retour des marins rescapés, Fellowes adresse à St. John de Crèvecœur une lettre dans laquelle il l’informe des tragédies qui ont frappé la ferme de Pine Hill, ainsi que de sa décision de s’occuper de Fanny et Louis, respectivement âgés de onze et sept ans, comme s’il s’agissait de ses propres enfants. Mais à cause des aléas de la poste en temps de guerre, la missive parvient à St. John de Crèvecœur deux ans plus tard, après qu’elle a été retrouvée dans le courrier que les armées britanniques venaient d’abandonner derrière elles en quittant New York. Elle lui est remise un peu avant le 17 décembre 1783, soit environ un mois après son retour aux États-Unis, ainsi qu’en fait foi la triste lettre (rédigée en français) que St. John de Crèvecœur adresse ce jour-là, depuis New York, à son ami le duc de La Rochefoucauld d’Enville : un Evenement funeste dont J’avoie en France un fort prèsentiment a eû sur mon âme un si grand effet que Je ne puie prendre sur moy de m’occupe d’autre chose si non de Reflutions mèlancholiques que cette perte m’inspire — Jay retrouvé mes deux Enfants en bonne santé — mais Leur Mer permetté moy de Tirer un Rideau sur ce4
St. John de Crèvecœur n’aura pas la possibilité de rejoindre la ville de Boston avant le printemps suivant. De décembre 1783 jusqu’au 25 mars 1784, il fait parvenir au duc de La Rochefoucauld d’Enville une dizaine de lettres adressées depuis New York, ce qui implique qu’il est resté dans cette ville tout au long de l’hiver. C’est seulement le 14 avril 1784 qu’il lui écrit de Boston (en anglais, cette fois) : après avoir passé un hiver étonnamment rigoureux qui a coupé toutes les communications, j’ai enfin rejoint cette ville où j’ai goûté au singulier bonheur de voir et d’embrasser mes chers enfants. Non, cette guerre, j’en suis certain, n’a été à l’origine d’aucun événement aussi merveilleux que celui-là, le fait qu’ils ait été protégés et conduits sous ce toit hospitalier après la mort de leur mère : ils ont eu la chance de quitter une contrée ravagée par les Indiens pour venir et s’établir dans un paisible refuge avec le meilleur des couples, les meilleurs gens de Boston5.
St. John de Crèvecœur inclura au troisième volume de la seconde édition des Lettres d’un cultivateur américain un récit de ces retrouvailles, où il racontera qu’il s’est rendu à la demeure des Fellowes aussitôt après être arrivé à Boston : Je frappe à la porte, je demande, avec des lèvres tremblantes, si ce n’étoit point la maison de Gustave Fellowes, — & si les enfants de * * * n’y étoient pas —.
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Oui, me répondit-on, il y sont ; — & à l’aspect de mon air agité, j’ai su depuis qu’on devina aisément que j’étois leur père ; — j’entre dans le sallon. — A l’instant je reconnu ma fille, qui travailloit à côté de la maîtresse de la maison ; — à peine eut-elle jeté ses yeux sur moi, qu’elle pâlit, les ferma, & baissa la tête. — « Ma chère Fanny, lui dis-je, en l’embrassant ? — Voici ton père, à qui le ciel a permit de te revoir après quatre ans de séparation, — & qui a [le] bonheur de te retrouver sous ce toit de l’humanité & de la générosité » —. Bientôt après arriva mon cher petit Louis que je reconnus par sa ressemblance avec son grand-père ; — car il avoit à peine trois ans quand je fus obligé de le quitter ; — je l’embrassai, je le serrai dans mes bras paternels, — & le prenant sur mes genoux, — je m’assis à côté de ma fille, qui bientôt après se ranimant, manifesta la joie de son cœur, par les caresses de la tendresse & de l’affection ; — que de questions ne me fit elle pas sur les malheurs que j’avois éprouvés, sur mon séjour en France, sur la commission dont j’avois été honoré, &c. Quant à moi je n’osai lui en faire une, tant je craignois de diminuer quelque chose du sentiment précieux que m’inspiroit la vue de ces chers enfants —6.
Fanny avait découvert que son père était toujours vivant à peu près au même moment où ce dernier avait été informé du sort de sa famille, en apprenant l’arrivée à New York, à titre de consul de France, d’un ancien cultivateur du comté d’Orange qu’elle avait aussitôt reconnu comme étant son père. La suite du récit nous apprend que c’est « le flambeau des Sauvages [qui] avoit réduit en cendres la maison paternelle ». Quant au destin de l’épouse de St. John de Crèvecœur, on saura seulement que la « cruelle mort avoit enlevé [la] mère » de ses enfants7, sans que rien ne permette d’affirmer, ainsi qu’ont pu le faire certains commentateurs, que ce décès soit survenu au cours de l’incendie de la ferme de Pine Hill. Lorsque St. John de Crèvecœur fera dresser l’acte notarié du 21 avril 1786 par lequel il rectifie les informations concernant les années de naissance de ses enfants, on apprendra que : Déclare en outre mon dit sieur de Saint Jean de Crevecœur que la dame de Mehetable Tipet son Epouse Est décédée en mil sept cent quatrevingt-un dans son habitation au comté d’orange où Elle Etait retirée avec ses deux Enfants8.
Si l’épouse de St. John de Crèvecœur est morte dans sa maison, on peut en déduire que c’est après la disparition de Mehetable Tippet que la demeure aura été détruite par des Indiens. Si elle avait succombé au cours de cet événement, le ressentiment aurait certainement poussé St. John de Crèvecœur à désigner explicitement les responsables du décès de son épouse. Le fait qu’il écrive que la mère de ses enfants leur a été enlevée par « la cruelle mort » permet de supposer qu’elle est décédée de causes
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naturelles : qu’elle a été emportée par la maladie ou qu’elle a été victime, comme tant d’autres, de la disette qui régnait au tournant de 1780 dans les régions qui, comme celle du comté d’Orange, avaient le malheur d’être situées en Neutral Ground : le terrain neutre séparant les forces loyalistes et rebelles, qui a été soumis pendant de longs mois aux dévastations d’Indiens et de maraudeurs se réclamant de l’un ou l’autre camp. Le public français a rapidement été mis au courant des mésaventures des enfants de St. John de Crèvecœur. Deux ans avant qu’il en fasse luimême le récit, Lacretelle les dévoilait aux lecteurs du Mercure de France en conclusion d’un article de janvier 1785. L’ami de St. John de Crèvecœur y affirme tenir « ces détails » d’un certain « M. Williams, Citoyen de NewYorck, qui les a reçus lui-même de la bouche du digne M. Fallows ». Lorsque paraît la deuxième édition des Lettres d’un cultivateur américain, un des articles qui en soulignent la publication consacre près de la moitié de ses lignes à un compte rendu de ce récit9. Et un siècle plus tard, en 1874, cette touchante histoire devait être le sujet du petit roman qu’Emily Pierpont Delesdernier a publié sous le titre de Fannie St. John. A Romantic Incident of the American Revolution. Imprégné d’un sentimentalisme sirupeux, le livre est l’œuvre de la petite-fille de Gustavus Fellowes. La romancière propose une adaptation des pages que St. John de Crèvecœur a consacrées à cette histoire, auxquelles elle ajoute des scènes reconstituées à partir des souvenirs que les descendants de la famille Fellowes conservaient de St. John de Crèvecœur et des enfants que leur ancêtre avait secourus. On y retrouve entre autres une courte séquence que l’auteure situe à une époque où les St. John de Crèvecœur vivaient encore à Pine Hill (les italiques sont en français dans le texte) : « “ Ma chere fille Fannie, le souper est-il prêt ? ” “ Oui, mon pere ; il est servi ; ” et elle indiqua la porte de la salle a manger10 ». Ces lignes supposent qu’il arrivait à Fanny et à son père d’échanger quelques mots en français. Il est cependant difficile de croire qu’un homme qui parlera du français comme d’une langue qui, « pendant [s]on long séjour dans l’Amérique septentrionale, [lui] était devenue étrangère et dont [il] avai[t] presque perdu l’usage, mais non la mémoire », ait pu l’utiliser dans ses conversations quotidiennes avec ses enfants. D’autant plus que les lettres qu’il échangera avec ces derniers semblent avoir été généralement rédigées de part et d’autre en anglais11. Lorsque St. John de Crèvecœur s’est attelé à la traduction française de ses Lettres d’un fermier américain peu de temps après la publication de l’édition originale de l’ouvrage, les difficultés qu’il éprouvait alors à s’exprimer en français lui ont tellement compliqué les choses qu’il décrira cette entreprise comme :
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la dure, l’ingrate nécessité de traduire mes Lettres d’un Cultivateur Américain (dont j’avais publié le premier volume à Londres), que m’avaient strictement imposée ma bonne Comtesse et Mme la Maréchale de Beauvau […] — tâche extrêmement pénible, que je n’étais pas capable de remplir ; ouvrage dont je n’ai jamais pu depuis donner une édition plus correcte.
St. John de Crèvecœur raconte par ailleurs que c’est auprès d’une des plus grandes célébrités du temps qu’il a redécouvert les charmes de sa langue maternelle ; c’est : à la table de M. de Buffon, […] dans son beau salon, au milieu des longues soirées d’hiver qu’il consacrait volontiers à son ancienne amitié pour M. Turgot, que, pour la première fois depuis mon retour en France, je redevins tout à coup sensible aux grâces, aux beautés, à la timide pureté de notre langue […].
Évoquant les « consultations littéraires » auxquelles s’adonnait madame d’Houdetot, il s’exclame : « Jugez combien elles durent être inappréciablement utiles à celui qui, pendant un si grand nombre d’années, avait cessé de parler français. » Ce serait d’ailleurs « le désir de mériter l’estime de cette nouvelle amie » qui l’aurait poussé à faire des « progrès rapides dans la connaissance du français, dans celle des usages du monde, etc.12 ». Aussi est-ce grâce aux conseils de madame d’Houdetot et de ses proches, et avec la participation de ces derniers, que St. John de Crèvecœur est malgré tout parvenu à mener à terme l’adaptation française de son ouvrage. Un autre témoignage signale qu’il est à peu près certain que St. John de Crèvecœur ne parlait pas en français avec ses enfants lorsqu’ils vivaient aux États-Unis, et particulièrement avec sa fille Fanny. Quand Barthélemi Tardiveau (un commerçant installé aux États-Unis et qui a correspondu en français avec St. John de Crèvecœur) inscrit quelques lignes à l’attention de Fanny dans une lettre du 20 avril 1789, c’est en anglais qu’il le fait13. Aussi, contrairement à ce que pouvait croire Emily Pierpont Delesdernier, Fanny devait avoir une certaine difficulté à comprendre la langue maternelle de son père. Peu de temps après avoir retrouvé ses enfants, St. John de Crèvecœur décide d’envoyer Louis en France, auprès d’Ally, son autre fils, sous la tutelle de madame d’Houdetot, mais il garde Fanny avec lui à New York. La jeune fille restera par ailleurs aux États-Unis, auprès des Fellowes, à Boston, lorsque son père quittera l’Amérique en juin 1785 pour un séjour de deux ans en France. Ils sont de nouveau réunis quand St. John de Crèvecœur revient à New York à l’automne 1787 pour son ultime séjour en sol américain, lequel devait s’achever trois ans plus tard, au lendemain du mariage de Fanny. Le 13 avril 1790, à New York, elle épousait Louis-
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Guillaume Otto (1754-1817), futur comte de Mosloy, secrétaire de la légation française, auprès de qui elle demeurera lorsque, le mois suivant, le 31 mai 1790, St. John de Crèvecœur quitte les États-Unis sans se douter qu’il ne devait plus jamais remettre les pieds en Amérique. De retour en France à l’été 1790, St. John de Crèvecœur s’installe en Normandie, dans la maison de son père. Deux ans plus tard, en février 1792, le nouveau gouvernement républicain le rappelle à ses activités diplomatiques. Prétextant des raisons de santé, St. John de Crèvecœur refuse de réintégrer le poste qu’il allait de toute façon perdre en décembre avec l’ensemble des représentants de la France nommés sous l’Ancien Régime et révoqués par la même occasion. En mars 1793, il entreprend des démarches afin de recevoir une pension, demande à laquelle on ne donnera aucune suite. Il semble qu’à partir de ce moment, St. John de Crèvecœur n’ait plus bénéficié d’autres ressources que celles qu’il pouvait tirer des propriétés de sa famille. Entre-temps, Otto est rappelé en France où il débarque à la fin de 1792, accompagné de Fanny, qui n’avait jamais encore mis les pieds dans le pays d’origine de son père. Mais ce premier séjour français sera de courte durée puisque son époux devait presque aussitôt être nommé en poste à Londres, en mars 1793. En France, l’heure est à la Terreur. St. John de Crèvecœur verra beaucoup de ceux qui ont été ses protecteurs perdre sinon leur tête, en tout cas une bonne partie de leurs ressources et de leur influence. Son ami le duc de La Rochefoucauld d’Enville est assassiné en septembre 1792. Cependant, la comtesse d’Houdetot paraît avoir vécu ces mois de tourmente dans une certaine tranquillité, sans doute protégée par le souvenir de la tendresse qu’avait eue pour elle un Jean-Jacques Rousseau dont Robespierre et ses acolytes vénéraient la mémoire. À l’inverse, l’intérêt que Brissot de Warville avait accordé aux œuvres de St. John de Crèvecœur ont pu donner à ce dernier des raisons de craindre pour sa sécurité : Brissot et les membres du Parti girondin devaient figurer parmi les premières victimes de la Terreur. Mais, vivant la plupart du temps sur ses terres de Normandie (et bien que la région de Caen ait été le refuge de nombre de Girondins en fuite), il semble que St. John de Crèvecœur n’ait guère été inquiété. Il reste que, fort des relations qu’il continuait à entretenir avec les représentants que le Congrès continental envoyait à Paris, il paraît avoir tenté de rejoindre les États-Unis en compagnie de ses deux fils. Malgré le fait que ces derniers soient nés aux États-Unis et que leur père ait été citoyen de la colonie de New York, le projet n’a pu se concrétiser. Ally se rendra à Hambourg en 1793, où son frère Louis ira le rejoindre par la suite. De là, ce dernier s’arrangera pour embarquer en mai 1794 sur un navire en direction des États-Unis. Pendant cette période, St. John de Crèvecœur entretient avec
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Ally une curieuse correspondance codée, rédigée en anglais, truffée de noms amérindiens et de références aux États-Unis14. On sait que St. John de Crèvecœur était à Paris pendant l’hiver 17931794, sans doute afin de prêter main-forte à sa fille à la suite de l’arrestation d’Otto, en novembre 1793, à cause de son affiliation à Brissot de Warville et au Parti girondin. Au cours de la même période, en réponse à la sollicitation d’un proche de madame d’Houdetot, notre homme subvient à l’alimentation d’un prisonnier dont ne nous est parvenu que le prénom de Thomas et qui pourrait être nul autre que Thomas Paine. Ce dernier avait été arrêté le 23 décembre 1793 et il risquait, pour le dire dans les mots de Gouverneur Morris, alors ambassadeur des États-Unis en France, « de partager le sort des Brissotins15 ». Paine et Otto devaient l’un et l’autre échapper à la guillotine grâce aux événements du 9 thermidor (27 juillet 1794) qui ont mis fin au pouvoir de Robespierre et à la Terreur. À la fin de 1794, St. John de Crèvecœur réside à Caen. En mai 1795, il rejoint Ally qui, depuis les deux dernières années, habite non loin de Hambourg, à Altona, une ville qui a accueilli un grand nombre de Français cherchant à échapper à l’intégrisme révolutionnaire, ce qui permet de supposer que l’aîné de St. John de Crèvecœur aurait eu des raisons de craindre pour sa vie. L’année suivante, en avril 1796, le fils et son père sont de retour en France et, après avoir passé quelque temps à Paris, St. John de Crèvecœur rejoint une fois de plus ses terres de Normandie. Le séjour de Louis aux États-Unis ayant été infructueux, ce dernier revient auprès de son père en septembre 1796. La Terreur révolutionnaire bien finie et tous ses enfants réunis à Paris, St. John de Crèvecœur connaît désormais assez de tranquillité pour commencer la rédaction d’un nouvel ouvrage, qui paraîtra cinq années plus tard. Il mène un existence paisible en compagnie de son propre père, lequel décède en 1799, à l’âge vénérable de quatrevingt-douze ans ; St. John de Crèvecœur est pour sa part âgé de soixantequatre ans. La même année, Fanny rejoint Otto en poste à Berlin. Quant à St. John de Crèvecœur, il séjourne à Lesches, non loin de Paris, dans la demeure d’Otto, auprès d’Ally et de la nouvelle épouse de ce dernier.
Le Voyage dans la Haute Pensylvanie En 1801, paraissent les trois volumes du Voyage dans la Haute Pensylvanie et dans l’état de New York, depuis l’année 1785 jusqu’en 1798, par un membre adoptif de la Nation Oneida. L’ouvrage est loin de recevoir le même accueil que les Lettres d’un fermier américain. Peu d’articles en soulignent la publication et l’intérêt qu’on lui porte est entièrement tributaire du souvenir qu’on conserve du livre précédent :
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Le succès qu’ont obtenu les Lettres d’un cultivateur américain, est d’avance un sûr garant de celui qu’obtiendra le nouvel ouvrage publié par le même auteur. On y reconnaîtra, comme dans le premier, cette chaleur d’imagination, ce style amène, ces descriptions pittoresques, cette indignation contre le vice qui donne quelquefois l’air de la misanthropie, mais qui tient à une sensibilité profonde et à un amour sincere de tout ce qui peut contribuer au bonheur de ses semblables. Qui n’a pas lu les Lettres d’un Cultivateur Américain, par M. Saint-John de Crèvecœur ? […] Qui n’a pas parcouru tant de tableaux si animés, tant de situations si intéressantes qui distinguent ces estimables lettres ? Le Voyage dans la Haute Pensylvanie peut être considéré comme la continuation de cet ouvrage ; c’est le même pinceau, la même marche, la même simplicité dans les situations, la même richesse dans les descriptions16.
L’« Avant-propos du traducteur » présente le Voyage dans la Haute Pensylvanie comme un manuscrit de langue anglaise trouvé en novembre 1798 dans une caisse échouée sur les côtes allemandes au lendemain d’un naufrage. Ces pages sauvées des eaux contiennent le récit d’« un voyage dans les Etats-Unis […], pays devenu bien intéressant depuis son émancipation, et dont le passage de l’état de colonie à l’indépendance est une époque célèbre, et l’un des événemens les plus mémorables de ce siècle ». Le traducteur (que la couverture du livre présente comme « l’auteur des Lettres d’un cultivateur américain » et qui signe de l’acronyme « S. J. D. C. » la dédicace qui place son travail sous les auspices de George Washington), entreprend alors de réaliser une version française des fragments de ce texte qui n’ont pas été détruits par la mer et de « replacer ce qui en est resté, à-peu-près dans son ordre primitif17 ». Le premier chapitre nous plonge dans un texte dont « les premières et les dernières pages […] ont été endommagées », ce qui explique pourquoi il commence abruptement sur ces quelques lignes : « Quel vaste champ, en effet, les anciens et les nouveaux habitans de l’Amérique septentrionale n’offrent-ils pas à la méditation ! » — une phrase qui fait directement écho aux propos du ministre de James qui, dans la lettre d’introduction des Lettres d’un fermier américain, se montrait convaincu que « [b]ien que le champ d’étude qu’il trouvera sous nos latitudes se réduise à peu de chose, le voyageur anglais ne perdra pas entièrement son temps18 ». Le livre contient par ailleurs plusieurs passages dont la teneur rappelle celle des Lettres d’un fermier américain. Les pages les plus célèbres de l’ouvrage sont celles où James s’épanche sur le destin du nouvel homme qui se fait une patrie du pays qui lui procure enfin le pain nécessaire à sa survie et qui se transforme en un « nouvel homme » au contact de cette contrée où « des individus de toutes les nations sont fondues en une nouvelle race d’hommes dont les travaux et la postérité
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seront un jour la cause de grands changements de par le monde ». C’est pratiquement dans les même mots que le narrateur du Voyage dans la Haute Pensylvanie s’émerveille du phénomène : Quel intéressant spectacle que celui de voir journellement arriver sur cette terre adoptive les victimes de la tyrannie, du besoin, ou des discordes civiles ! Et ces hommes, quoique parlant des langues, élevés dans des habitudes et des opinions religieuses si différentes, former un peuple nouveau, dont la postérité est destinée à jouer un rôle important sur la scène du monde ! Cet heureux amalgame est l’ouvrage de la douce influence des loix, fondée sur la liberté, sur la tolérance et sur la justice, celui du sentiment de la propriété territoriale, d’où émanent les plus beaux droits du citoyen : c’est encore l’effet du travail et de l’industrie sur les mœurs et la conduite de ces colons. Telles sont, sans doute, les causes qui les identifient, dans un court espace de temps, à la nouvelle société dont ils sont devenus membres, qui les attachent au sol, ainsi qu’au gouvernement qui les protège et les encourage19.
Vers la fin des Lettres d’un fermier américain, les propos du jeune Iw—n Al—z, à l’occasion de sa visite chez John Bartram, confirment l’intuition du ministre de James, selon lequel les voyageurs européens tireraient « bien plus de satisfactions » en venant contempler en Amérique les « embryons et [l]es humbles rudiments de sociétés qui s[‘y] développent […,] la récente fondation de nos villes et […] l’établissement de tant de districts ruraux » : un spectacle « plus agréable à observer que les ruines de vieilles tours, d’inutiles aqueducs, ou de remparts jadis menaçants » qui sont tout ce qui reste de la glorieuse antiquité romaine et grecque. Les personnages du nouvel ouvrage de St. John de Crèvecœur sont de la même opinion : Mais puisque vous aimez tant l’antiquité, pourquoi n’avez-vous pas dirigé vos pas vers l’Asie mineure, la Grèce ou l’Italie, au lieu de venir voir un pays qui n’a pas encore deux siècles d’existence ? — Je suis jeune, me répondit-il, j’ai voulu d’abord parcourir un continent dont l’émancipation m’a si vivement intéressé ; j’ai voulu voir quelle étoit la marche et l’organisation première de ces petites peuplades qui vont annuellement fonder de nouvelles sociétés dans la profondeur des forêts, observer leur progès et leur industrie, découvrir par quels moyens le crédit et la confiance étendent leur salutaire influence, depuis les villes maritimes jusqu’aux cantons les plus éloignés, et y encouragent le défrichemens et les entreprises ; approfondir, étudier les principes de leur économie civile, le code des loix, les formes de l’administration, qui unit les parties si divisées de ce grand ensemble, et encourage et protège tant de travaux et d’activité20.
L’intérêt du livre se limite à peu près à ces échos des Lettres d’un fermier américain. Le Voyage dans la Haute Pensylvanie est essentiellement constitué de longues et fastidieuses conversations que le narrateur et son compagnon de voyage engagent avec diverses personnes rencontrées au
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hasard de leur route. On y rapporte entre autres de nombreuses discussions avec des Indiens dont les propos sont lourdement caractérisés par l’emploi des divers clichés stylistiques à l’aide desquels les auteurs de l’époque prétendaient témoigner de l’éloquence naturelle des porte-parole des Premières Nations. Il y avait certes des Indiens dans les Lettres d’un fermier américain, mais ils étaient loin d’y occuper autant de place que St. John de Crèvecœur leur en accorde dans le Voyage dans la Haute Pensylvanie. Cette différence s’explique vraisemblablement par le fait qu’au moment de la rédaction de son premier ouvrage, l’auteur était assez peu au fait des attentes des lecteurs européens. Il aura découvert, depuis qu’il résidait en Europe, que les gens du Vieux Continent étaient friands de récits mettant en scène des Indiens. Le principal défaut du Voyage dans la Haute Pensylvanie tient à ces concessions aux goûts littéraires du temps. Le succès des Lettres d’un fermier américain était dû à l’originalité du ton et du point de vue du livre, qui se démarquaient de ceux qu’on adoptait d’ordinaire dans les publications traitant du Nouveau Monde. La crédibilité de l’ouvrage était tributaire de celle du personnage de James. St. John de Crèvecœur réussissait à faire croire à l’existence de son fermier américain typique, et le sujet du livre n’était pas tant le genre de vie que menaient les fermiers américains mais l’image qu’un fermier américain se faisait du genre de vie qu’il menait. Les Lettres d’un fermier américain ne proposaient pas un portrait de l’Amérique mais le portrait que s’en faisait un Américain : c’était une des principales nouveautés de l’ouvrage. Les lecteurs de l’époque avaient l’habitude de lire des textes dans lesquels des voyageurs européens leur parlaient de l’Amérique. Voilà que St. John de Crèvecœur donnait voix à un simple Américain parlant de son Nouveau Monde à des gens « d’importance et d’Europe », pour reprendre la formule de l’épouse de James. Au moment de la rédaction de la version originale de son livre, tout ce que St. John de Crèvecœur pouvait savoir de ses futurs lecteurs était que ce seraient d’abord des Européens de langue anglaise, parce que les imprimeurs américains de l’époque publiaient peu de livres. Les choses ont changé lorsqu’il commence la préparation de la version française de l’ouvrage. Il connaît personnellement bon nombre de ceux qui seront les premiers lecteurs des Lettres d’un cultivateur américain : les familiers des salons parisiens de l’époque et plus particulièrement ceux qui fréquentent celui de madame d’Houdetot, dont certains, comme Lacretelle et SaintLambert, semblent même avoir collaboré à la traduction de l’ouvrage. De plus en plus conscient des attentes de ses nouveaux lecteurs, St. John de Crèvecœur se montre empressé de conformer ses écrits au goût de ses amis et protecteurs parisiens. Ce n’est plus James, le simple fermier
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a méricain, qui parle à des Européens d’une classe plus élevée que la sienne et dont il sait en fin compte assez peu de chose ; c’est désormais St. John qui signe la plupart des textes rassemblés dans les trois volumes de l’ouvrage : un consul de France qui parle de son passé de simple fermier à de nobles Parisiens. Une génération plus tard, lorsqu’il entreprend la rédaction de son nouveau livre, St. John de Crèvecœur a perdu une bonne part de la naïveté dont il a jadis investi le personnage de James. Il n’est plus un écrivain en devenir mais un auteur accompli, au fait des attentes de ses éventuels lecteurs, et il sait qu’ils attendent entre autres de lui un ouvrage qui leur rappellera les Lettres d’un cultivateur américain. La crédibilité du Voyage dans la Haute Pensylvanie ne tient plus à celle du personnage autour duquel gravite le récit. Elle est entièrement tributaire de la norotiété de son signataire : de celui qui se présente, en page de titre, non pas sous le nom de St. John de Crèvecœur mais comme « l’auteur des Lettres d’un cultivateur américain ». Ce dernier s’en remet désormais davantage à sa réputation qu’à son talent : il ne tente pas d’écrire un nouveau livre mais de refaire du St. John de Crèvecœur. Le voyageur anonyme dont il prétend traduire les écrits n’est plus un simple fermier américain s’adressant à des membres de l’élite européenne ; il est de cette dernière et il sait de quelle manière ces lecteurs aiment se faire parler de l’Amérique : celle qui vient d’assurer le succès de Chateaubriand et d’Atala, dont la parution précède de quelques mois celle du Voyage dans la Haute Pensylvanie — un livre que Chateaubriand semble par ailleurs avoir grandement apprécié : le 2 octobre 1801, soit très peu de temps après la publication de l’ouvrage, il proposera à Louis de Fontanes de faire paraître un de ses écrits, qu’il appelle « mes ruines de l’Ohio », sous « un titre qui les présente comme un simple extrait de l’œuvre de M. de Crèvecœur21 ». Au moment de la conception des Lettres d’un fermier américain, St. John de Crèvecœur écrivait en innovateur qui s’ignore. Désormais devenu un écrivain français étali et reconnu, il tente de renouveler son succès en s’imitant lui-même et en se conformant à ce qu’il sait que les lecteurs du tournant des XVIIIe et XIXe siècles attendent d’un livre sur l’Amérique : des descriptions sensibles de paysages grandioses, des réflexions touchantes sur la valeur d’une existence en harmonie avec la nature et des Indiens s’exprimant dans toute leur naïve dignité d’enfants de la forêt — en d’autres mots, du Atala. Tant et si bien que le Voyage dans la Haute Pensylvanie n’est rien de plus que du sous-St. John de Crèvecœur, et du Chateaubriand de deuxième ordre.
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Au cours de l’été 1802, St. John de Crèvecœur séjourne à Londres auprès de sa fille et d’Otto. Il passe par la suite quelques années paisibles sur ses terres normandes jusqu’à ce que, en 1806, son fils Ally meure subitement à l’âge de trente-quatre ans. Très chagriné par l’événement, il rejoint une fois de plus sa fille et son gendre alors en poste à Munich, où pendant les trois années qui suivent, l’écrivain renoue avec la célébrité. On venait de publier en Allemagne une traduction du Voyage dans la Haute Pensylvanie et son auteur s’est vu chaleureusement accueilli par Maximilien Joseph, le roi de Bavière, et par les élites du pays qui se souvenaient des Lettres d’un fermier américain, dont deux versions allemandes avaient connu beaucoup de succès lors de leur publication en 1784 et 1788. Mais St. John de Crèvecœur est une fois de plus rattrapé par l’histoire. En 1809, la guerre avec l’Autriche le force à quitter l’Allemagne en compagnie de Fanny et d’Otto. Le patriarche de soixante-quatorze ans s’installe alors dans la maison de ces derniers, à Sarcelles, non loin de Sannois, ce qui lui donne l’occasion de côtoyer de nouveau sa vieille amie, madame d’Houdetot. Les années passent tranquillement jusqu’en 1812, au moment où des rumeurs lui font craindre la mort de Louis, engagé dans les armées napoléoniennes : il apprendra finalement qu’il est sain et sauf. En janvier 1813, madame d’Houdetot meurt. En mars, St. John de Crèvecœur retourne quelques semaines en Normandie pour revenir à Paris en avril, avant de rejoindre Sarcelles où il meurt le 12 novembre 1813, à l’âge de soixantedix-huit ans. L’acte de son décès lui donne cependant quatre-vingt-un ans22, ultime erreur qui paraît dans l’ordre des choses quand on se rappelle que son acte de naissance présentait une mauvaise transcription de son nom.
La prime jeunesse Il donc assez aisé de retracer le parcours des trente-deux dernières années de la vie de St. John de Crèvecœur ; la chose est fort différente pour les quarante-six premières. Tout ce qu’on sait de son enfance tient aux informations qu’on peut glaner sur sa famille. Les Jean de Crèvecœur étaient de petits nobles de province dont l’existence paraît avoir été plus ou moins aisée. Le grand-père et certains des oncles de St. John de Crèvecœur ont siégé au conseil de bailliage de la ville de Caen, mais pas son père. Ce dernier y possédait une maison sise « au Canu », aujourd’hui rue Demolombe, où la famille séjournait en hiver. L’été, elle rejoignait le domaine de Pierrepont, à une quinzaine de kilomètres de la ville. Il semble que le père de St. John de Crèvecœur faisait régulièrement des séjours à Paris où il entretenait des liens d’amitié avec des membres de
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la cour, notamment le duc de La Rochefoucauld Liancourt et le marquis d’Houdetot. St. John de Crèvecœur a fait ses études à Caen, auprès des Jésuites du Collège royal de Bourbon (qui prendra le nom de collège du Mont après la Révolution). On l’y retrouve, sous le nom de Michel de Crèvecœur, avec quatre élèves de la classe de rhétorique qui, le 20 juillet 1750, participent à un débat organisé par le collège. Comme le soulignent Gay Wilson Allen et Roger Asselineau, à qui l’on doit la découverte du programme de cet événement, l’honneur de participer à ce genre de joute académique était réservé aux meilleurs élèves : le jeune Michel de Crèvecœur, alors âgé de quinze ans, devait donc être du nombre des plus brillants éléments de l’établissement. St. John de Crèvecœur n’a toutefois jamais parlé de l’éducation qu’il a pu y recevoir. On peut cependant noter dans ses écrits, notamment dans sa prédilection pour certains procédés de rhétorique, une influence de l’enseignement des Jésuites. Et dans la mesure où le collège offrait, depuis 1704, les cours d’une chaire de mathématiques et d’hydrologie, il a pu s’y voir introduit aux techniques du métier de cartographe qu’il devait exercer plus tard23. St. John de Crèvecœur n’a témoigné qu’à deux reprises des souvenirs qu’il conservait de cette époque. Dans une lettre écrite en 1785 et adressée à ses enfants, il évoque la situation qui était la sienne lorsqu’il avait leur âge : « Si vous saviez […] dans quelle sordide pension, dans quel obscur et froid galetas j’étais enfermé à votre âge et avec quelle sévérité j’étais traité, comment j’étais nourri et vêtu24 ! » Il ne faut sans doute pas lire dans ces lignes l’évocation de mauvais traitements ; l’atmosphère décrite correspond au souvenir que nombre des contemporains de St. John de Crèvecœur conservaient de l’époque où ils étaient sous la férule de leurs maîtres d’école. On doit plutôt y entendre une remontrance paternelle ayant pour but de faire taire les plaintes de ses enfants. Le second document, en date de 1803, rappelle de biens meilleurs souvenirs. St. John de Crèvecœur évoque un des plaisirs qui ont marqué les temps de sa « première jeunesse » : j’aimais passionnément à considérer tout ce que je rencontrais d’antique… les meubles vermoulus, les tapisseries, les vieux tableaux de famille, les gothiques parchemins des XVe et XVIe siècles, dont j’avais appris a déchiffrer l’écriture, avaient pour moi des charmes indéfinissables. Plus avancé en âge, j’aimais à me promener dans la solitude des cimetières, à examiner les tombes, à en deviner les mousseuses épitaphes… Je connaissais la plupart des églises de notre canton, l’époque de leur fondation, ce qu’elles contenaient de plus intéressant en tableaux et en sculptures… Sur l’entablement du clocher de Caisnet [sic : Cainet] (il m’en souvient bien encore), à la naissance de la flèche croissait un bouleau dont la situation aérienne fut pendant longtemps l’objet
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de mon étonnement et de mes petites observations… quelques-unes, que j’osai rédiger, plurent à ma mère25.
St. John de Crèvecœur utilise des verbes au passé pour décrire son attrait pour ces vieilles choses aux « charmes indéfinissables », et il ne laisse nulle part entendre qu’il aurait conservé ce goût pour les vestiges du passé. Or les Lettres d’un fermier américain contiennent un ensemble de remarques interrogeant la pertinence d’entreprendre un voyage en Italie dans le but « de retrouver les vestiges d’un peuple jadis florissant mais désormais disparu », et d’y contempler « les ruines de temples et d’autres édifices qui ont bien peu de choses à voir avec ceux de l’époque actuelle ». La découverte alors toute récente des ruines de Pompéi venait de mettre les « antiquités » au goût du jour et de donner lieu à une vague de voyages en direction de l’Italie. L’homme qui critique ce phénomène de mode alors qu’il est âgé d’une trentaine d’années semble avoir perdu son intérêt de jeunesse pour les témoignages du passé. Il continue en supposant que la vue des « amphithéâtres à moitié en ruines et [des] fièvres putrides de la Campanie doi[t] remplir [l’]esprit de réflexions les plus mélancoliques tandis qu’[on] cherche l’origine et les fins des édifices qui l’entourent, et les raisons d’un si grand délabrement ». (La Campanie est le nom de la région de Naples où se trouvent les ruines de Pompéi et d’Herculanum.) Et le même homme de conclure ces remarques en affirmant qu’il « préfère admirer la vaste grange d’un de nos riches fermiers, qui a lui-même abattu le premier arbre de sa plantation et qui a été le fondateur de son établissement, plutôt que d’étudier les dimensions du temple de Cérès ». Il faut cependant souligner que ces propos ne sont pas de la bouche de James, chez qui on est tout de même en droit d’entendre plus ou moins directement la voix de St. John de Crèvecœur ; ils sont le fait du ministre de James, ce qui permet éventuellement de croire que leur auteur ne les endosse pas entièrement. On ignore à quel moment St. John de Crèvecœur a quitté le collège de Caen. On a cependant vu qu’il a terminé sa rhétorique en 1750. À moins d’être destiné à une carrière ecclésiastique, c’est généralement avec cette année de rhétorique que les collégiens d’alors achevaient leurs études. On sait par contre que, après ces années de formation, St. John de Crèvecœur a fait un séjour en Angleterre, à Salisbury, auprès, selon ses propres dires, de la sœur de sa « tante de Courseules ». Pour quelle raison a-t-il quitté la Normandie et combien de temps a-t-il séjourné outreManche ? On peut seulement imaginer que ce départ date au plus tôt des semaines qui ont suivi la fin de ses études au collège de Caen, c’est-à-dire du milieu de 1750. Dans un texte de 1803, St. John de Crèvecœur écrit qu’il s’est retrouvé en Angleterre « dès l’âge de seize ans26 », c’est-à-dire
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en 1751. Puisque sa connaissance de la langue anglaise semble dater de cette époque, on peut supposer qu’il a vécu en Angleterre pendant un temps suffisamment long pour se familiariser avec l’idiome du pays. Mais cette période de sa vie demeure très mystérieuse et il faut attendre 1757 avant de retrouver la trace de notre personnage… en Nouvelle-France.
Le séjour en Nouvelle-France
Le plus ancien document témoignant du séjour de St. John de Crèvecœur en Nouvelle-France date du 4 mai 1758 : il s’agit d’une lettre du marquis de Montcalm — qu’aucune des études sur l’auteur des Lettres d’un fermier américain n’avait encore signalée jusqu’à ce jour. La missive est adressée à François-Charles de Bourlamaque, alors en poste au fort de Carillon (aujourd’hui Ticonderoga, dans l’État de New York, au sud du lac Champlain), où les armées françaises s’étaient retranchées après leur victoire du 9 août 1757 au fort William-Henry (également identifié sous le nom de fort George, situé sur l’emplacement de l’actuelle ville de Lake George, État de New York). Cette lettre est constituée d’une série d’ordres et de renseignements concernant les affaires militaires du moment. Au passage, Montcalm signale un détail parmi tant d’autres : J’ai reçu une lettre de M. de Crèvecœur ; je vous prie de lui dire que je ne lui réponds pas, mais que j’aurai attention à ce qu’il m’écrit ; que je lui conseille de ne pas demeurer dans l’inaction, et, au moins, demander à Le Mercier à aller1.
Dans la mesure où il a été impossible de retracer la lettre dont parle Montcalm, on ne saurait préciser en quoi consiste l’inaction à laquelle est réduit son correspondant. L’individu auquel Montcalm le réfère est François-Marc-Antoine Le Mercier, commandant d’artillerie des troupes de la colonie, dont on sait qu’il était à Carillon à l’été 1758 après avoir passé l’hiver à l’intérieur des frontières de la Nouvelle-France. Le fait que Montcalm demande à Bourlamaque de transmettre son message à St. John de Crèvecœur laisse supposer que le maître du fort Carillon était plus ou moins directement en contact avec notre homme, ce qui permet de croire que ce dernier séjournait dans cette place forte. Les troupes réunies à Carillon en mai 1758 étaient constituées d’un groupe de piquets2 ayant eu
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l’ordre de demeurer dans les environs du lac Champlain à la suite des victoires de l’année précédente. On peut en déduire que St. John de Crèvecœur a été du nombre de ceux qui ont participé aux combats qui ont conduit à la prise du fort William-Henry. Aussi peut-on raisonnablement croire que St. John de Crèvecœur était en Nouvelle-France en 1757. Trois mois après cette lettre, l’« État des sujets que le Roi a agréés pour les charges vacantes dans le second bataillon du régiment d’infanterie de la Sarre » signale qu’en date du 25 juillet 1758, Michel-Jean de Crèvecœur a désormais en charge « la lieutenance de la compagnie de Rumigny, vacante par l’abandonnement du sieur de La Naudière ». Le « Contrôle des Lieutenants » du régiment de la Sarre — un autre document qui a échappé à ses biographes — confirme que « Crèvecœur (Michel Jean) » était bel et bien en poste à partir de cette date3. Cette promotion fait suite à un « Mémoire Emplois Vacans » précisant que « La Lieutenance es la Compagnie de Remigny » est alors « vacante par la démission du Sieur es laumondier qui a repassé en france ». On y présente l’homme que l’on propose pour combler ce poste comme « Le Sieur Michel Jean es Crevecœur né à Paris, Paroisse Saint Eustache Le 6. Janvier 1738 », ce qui, comme on l’a déjà signalé, ne coïncide pas avec les renseignements figurant sur l’acte de naissance de St. John de Crèvecœur. Le texte ajoute : Ce Jeune homme est Cadet dans les troupes es la Colonie, Il m’est très recommandé Par Mr. le Baron de Breteuil & Mr. le Marquis D’houdetot, Il a des Connoissances pour L’artillerie & le Génie, Il sert avec distinction dans ces deux quartiers là depuis qu’il est en Canada. J’ai l’agrémens de Mr. le Marquis es Vaudreuil pour le faire passer dans nos Bataillons, ou ce sera une bonne acquisition4.
St. John de Crèvecœur était donc depuis déjà quelques temps en service dans l’artillerie et le génie, cela sous le grade de cadet, et il doit certainement la recommandation du marquis d’Houdetot au fait que le personnage était un ami de son père. Mais quelle est la personne qui fait ainsi état de ces recommandations ? La dernière ligne du document précise que ce mémoire a été « fais au camp es Carrillon Le 23. Juillet 1758 » et il porte la signature de Montcalm. Ce dernier était effectivement à Carillon en juillet 1758 et c’est donc à la suite d’une proposition du commandant en chef des armées stationnées en Nouvelle-France que St. John de Crèvecœur a été promu du grade de cadet à celui de lieutenant. Il faut attendre l’année suivante pour trouver une nouvelle trace du séjour de St. John de Crèvecœur en Nouvelle-France. En novembre 1758, Montcalm dépêche un officier en France afin de solliciter de nouvelles ressources pour les armées stationnées dans la colonie. Cet homme, qui
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Figure 15. « Mémoire Emplois Vacans […] Proposition aux emplois vacans du 25. Juillet 1758 » (montage). Collection personnelle de M. Hubert Jean Saint-John de Crèvecœur.
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Figure 16. Plan du Fort-George appelé par les Anglois William-henri Et de ses Attaques par Mr. le Marquis de Montcalm maréchal des Camps &c. 1757. Paris, Bibliothèque nationale de France. Cliché Bibliothèque nationale de France.
devait par la suite devenir célèbre pour ses voyages d’exploration dans le Pacifique, est alors le principal aide de camp de Montcalm : Louis-Antoine, comte de Bougainville. Le 8 mars 1759, le mandataire de Montcalm est reçu par Louis XIV et, comme le raconte La Gazette de France, Bougainville a alors : rendu compte au Roi de l’état général de la colonie et a eu l’honneur de présenter à Sa Majesté le plan des forts et la carte des lieux qui sont le théâtre de la guerre dans ce pays. Ces plans ont été levés par le sieur de Crèvecœur,
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officier au régiment de la Sarre employé dans le génie et qui s’est fait beaucoup de réputation par sa bravoure et ses talents5.
On doit à Howard C. Rice d’avoir découvert, à la Bibliothèque de l’Arsenal de Paris, la carte à laquelle semble renvoyer ce document. Intitulé Plan du Fort-George appelé par les Anglois William-henri Et de ses Attaques par Mr. le Marquis de Montcalm maréchal des Camps &c, on peut y voir, au bas de la première des deux colonnes décrivant le contenu de la carte, la signature de « J. Crèvecœur6 ». On ne retrouve cependant aucune mention de St. John de Crèvecœur dans les mémoires que Bougainville a présenté aux diverses autorités concernées7, et il n’existe aucun autre document permettant de fonder la réputation de bravoure que lui attribue La Gazette de France. Ses talents de cartographe sont par contre confirmés par un autre document, rédigé huit jours après la publication de cette nouvelle, mais en Nouvelle-France. Il s’agit d’une deuxième lettre de Montcalm — qui a elle aussi échappé aux biographes de St. John de Crèvecœur —, datée du 18 mars 1759 et une fois de plus adressée à Bourlamaque : Je vous envoie un plan de Lydius que je crois exact. Ces trois maisons ou redoutes, je crois, sont liées avec le retranchement, quand il existe. Communiquez-le à vos ingénieurs. Crèvecœur en fera une copie, mais priez-le en particulier. Vous me renverrez ensuite cet original8.
Lydius était le nom donné par les Français au fort Edward, que les Britanniques avaient établi en 1755 sur la rivière Hudson, aux abords du lac Saint-Sacrement (aujourd’hui lac George, État de New York). Comment doit-on interpréter le fait que Montcalm demande à Bourlamaque de prier « en particulier » St. John de Crèvecœur de faire une copie de ce plan ? Peut-être faut-il y lire une marque d’attention de la part du chef des armées, signalant ainsi à son correspondant de l’année précédente qu’il continue à avoir à cœur de le sortir de son « inaction » (ce qu’il a peut-être voulu faire en le promouvant au grade de lieutenant). Encore une fois, le fait que Bourlamaque paraisse en position de communiquer directement avec St. John de Crèvecœur implique que notre homme est en poste auprès de cet officier supérieur. Bourlamaque avait cependant quitté Carillon le 11 septembre 1758 ; il était en convalescence à Québec, à la suite d’une blessure à l’épaule. Il est donc possible de croire que St. John de Crèvecœur s’y trouvait également. Tous ces renseignements permettent de déduire que St. John de Crèvecœur était dans la région du lac Champlain de 1757 à 1758, et qu’il était probablement à Québec au cours de l’hiver 1758-1759. Mais depuis quand séjournait-il en Nouvelle-France ? St. John de Crèvecœur lui-même
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semble n’avoir évoqué qu’à une seule occasion ses années de service au sein de l’armée française, cela dans ce que Robert de Crèvecœur présente comme « une lettre de 1813 », où son ancêtre « parle du séjour qu’il fit à Québec à l’âge de vingt ans, “ utilement et agréablement employé à la levée des grandes cartes du pays ” et d’“ un certain degré de considération et d’importance que lui avaient valu ses petits talents ”9 ».
L’arrivée en Nouvelle-France St. John de Crèvecœur a eu vingt ans en 1755 ; ce serait par conséquent au cours de cette année qu’il serait arrivé en Nouvelle-France. Quand St. John de Crèvecœur s’adresse pour la première fois à Benjamin Franklin, en août 1781, il signale qu’il vient « tout juste d’arriver d’Amérique du Nord, où [il a] résidé pendant 27 ans ». Trente ans plus tard, en 1813, il évoque le même chiffre lorsqu’il signale qu’au moment de son retour en France, il avait « passé vingt-sept ans dans les Colonies anglaises de l’Amérique septentrionale10 ». Vingt-sept ans avant 1781 : St. John de Crèvecœur nous ramène en 1754. La référence aux colonies anglaises de l’Amérique septentrionale, et non à la Nouvelle-France, peut s’expliquer de deux façons : ou bien St. John de Crèvecœur assimile la Nouvelle-France à la colonie anglaise qu’elle est devenue au moment où il écrit ces lignes, ou bien il cherche à passer sous silence son séjour en Nouvelle-France — ce qui a conduit certains de ses biographes à supposer que ce serait là le secret qui, dans les mots de Brissot, « lui pes[ait] sur l’âme, et dont il craignait la révélation ». St. John de Crèvecœur aurait donc séjourné en Amérique à partir de 1754 ou 1755. Mais est-il possible, ainsi qu’il l’écrira lui-même en 1808, qu’il soit passé directement de l’Angleterre « au Canada et aux colonies anglaises11 » ? Rien ne permet de préciser à quel moment St. John de Crèvecœur a séjourné en Grande-Bretagne ; on peut seulement avancer, comme on l’a vu, que ce serait à la suite de ses études au Collège royal de Bourbon, lesquelles se sont vraisemblablement achevées en 1750. Entre le moment de son départ pour l’Angleterre et celui où on retrouve sa trace en Nouvelle-France, aucun document ni témoignage ne permet de déterminer quels ont pu être ses déplacements et ses lieux de séjour. Il se pourrait toutefois, selon Robert de Crèvecœur, que notre homme ait séjourné au Portugal vers la fin de 1755, ce qui repousserait son arrivée en Nouvelle-France en 1756. Le premier biographe de St. John de Crèvecœur fonde cette hypothèse sur deux données : la présence dans les écrits de son arrière-grand-père d’un texte intitulé « Rock of Lisbon », et le fait qu’il a « entendu raconter dans [s]on enfance » que son ancêtre aurait
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visité Lisbonne après le célèbre tremblement de terre du 1er novembre 175512. Cet éventuel séjour au Portugal est également évoqué dans deux notes figurant au sein des manuscrits de St. John de Crèvecœur conservés à la Bibliothèque du Congrès. Insérés à la suite du manuscrit de « Rock of Lisbon », ces textes rédigés en français (le premier portant la mention « Mr de Crèvecœur » au bas du feuillet) ont de toute évidence été composés et ajoutés au manuscrit au cours du XIXe siècle. La première de ces notes porte le titre de « Padre jeronimo », du nom d’un des personnages évoqués dans « Rock of Lisbon ». On s’y penche sur les éléments de datation qu’il est possible d’établir à partir des informations biographiques que présente le portrait du même père Jeronimo apparaissant dans la version de « Rock of Lisbon » que St. John de Crèvecœur a inclus dans son Voyage dans la Haute Pensylvanie13. À la suite d’une série de calculs, l’auteur de la note conclut que « si Crèvecœur passa à Lisbonne en 1755, il ne put voir Jeronimo au roc, attendu qu’il dut au plus tôt y être en 1761 », avant d’ajouter : « Tout cela est [court mot illisible] du roman, sauf un petit peu de vérité dénaturée par beaucoup de broderies. » La seconde note nous apprend que : S’il faut en croire une tradition de famille, il aurait visité Lisbonne peu de temps après le grand tremblement de terre. Ce qui paraît confirmer cette tradition c’est une lettre qui existe dans le manuscrit anglais des lettres d’un Cultivateur et qui est intitulée le roc de Lisbonne. Dans cette lettre qui n’a jamais été publiée Crèvecœur dit avoir fait un séjour à Lisbonne après le tremblement de terre mais sans préciser la date et il donne une description fort longue et fort animée du roc de Lisbonne et de ses environs14.
L’évocation de cette tradition familiale permet de supposer que Robert de Crèvecœur est l’auteur de ces lignes, ainsi que de la première note (les deux textes étant visiblement de la même main).
« Cadet dans les troupes es la Colonie » L’unique piste permettant de déterminer de quelle façon et à quel moment St. John de Crèvecœur est arrivé en Amérique tient aux informations que nous avons sur sa carrière militaire, qui nous indiquent qu’il était en Nouvelle-France en 1757 et qu’avant d’être promu au grade de lieutenant au sein du régiment de la Sarre, il était « Cadet dans les troupes es la Colonie ». Au moment de la guerre de Sept Ans, les forces militaires de la ouvelle-France étaient constituées de trois entités. Les milices étaient des N divisions proprement canadiennes, dont les rangs étaient composés de conscrits issus de la population civile de la Nouvelle-France, soit des
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hommes nés dans la colonie ou qui y résidaient depuis déjà plusieurs années. Ces bataillons de miliciens servaient (de pair avec les bataillons « sauvages ») aux côtés et sous les ordres des armées françaises. Les forces régulières, constituées de militaires professionnels, avec titre et solde de soldats, étaient composées de deux ensembles distincts : les troupes de terre et les troupes de la colonie, également appelées troupes de la Marine. Les troupes de terre désignent les bataillons d’infanterie dépêchés par le ministère français de la Guerre, nommément les régiments de la Reine, de Béarn, de Languedoc et de Guyenne, arrivés en Nouvelle-France au milieu de 1755, et les régiments de Royal Roussillon et de la Sarre, qui y ont débarqué en mai 1756. Les soldats et les officiers de ces troupes de terre étaient tous originaires de France. Les troupes de la colonie désignent, quant à elles, les compagnies franches de la Marine qui, sous le commandement du gouverneur général de la colonie, constituaient depuis plus d’un siècle ce que Guy Frégault présente comme « la garnison habituelle du pays15 ». Les soldats de ces compagnies étaient recrutés en France, mais les unités de ces troupes de la colonie étaient généralement commandées par des officiers canadiens issus de l’élite du pays. Le « Mémoire Emplois Vacans » de Montcalm indique qu’au moment de sa promotion au grade de lieutenant, St. John de Crèvecœur était au service des « troupes es la Colonie ». Cette information invalide l’hypothèse avancée par certains des biographes de St. John de Crèvecœur voulant que notre auteur aurait d’abord immigré en Nouvelle-France comme simple citoyen pour ensuite se joindre à la milice16 : le cadet Crèvecœur n’était pas membre de la milice mais des troupes régulières dépêchées par le ministère français de la Marine. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Montcalm a besoin de « l’agrémens de Mr. le Marquis es Vaudreuil », le gouverneur général de la Nouvelle-France, « pour le faire passer dans [ses] Bataillons », c’est-à-dire pour le transférer des troupes de la colonie aux troupes de terre. Le « Mémoire Emplois Vacans » précise par ailleurs que le cadet Crèvecœur « a des Connoissances pour L’artillerie & le Génie ». Dans sa lettre du 4 mai 1758, Montcalm conseillait à St. John de Crèvecœur d’« au moins, demander à Le Mercier à aller ». Or Le Mercier était commandant de l’unité d’artillerie des troupes de la colonie, laquelle était composée de quatre-vingt-six canonniers sous les ordres de huit officiers (parmi lesquels on dénombrait trois Canadiens), et de dix cadets, dont, vraisemblablement, St. John de Crèvecœur. Le grade de cadet-gentilhomme était réservé aux membres les moins fortunés de la noblesse ; il constituait une porte d’entrée au sein de l’armée pour ceux qui n’étaient pas en mesure d’assumer le coût d’une charge d’officier17. Cependant, dans les troupes de la colonie détachées en
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ouvelle-France, on n’achetait pas les commissions d’officier : elles étaient N accordées selon le mérite et grâce aux influences dont il était possible de se réclamer. Le « Mémoire Emplois Vacans » de Montcalm signale d’ailleurs que St. John de Crèvecœur doit sa promotion au fait qu’il a servi avec distinction et qu’il est « très recommandé Par Mr. le Baron de Breteuil & Mr. le Marquis D’houdetot ». Dans le cas particulier des troupes de la colonie stationnées au Canada, le besoin de combler les rangs de ces compagnies a conduit, en 1728, à abaisser à quinze ans l’âge minimum d’enrôlement des cadets, et ces aspirants officiers devaient servir de nombreuses années avant d’espérer obtenir une commission. Les soldats des troupes de la colonie envoyées en Nouvelle-France étaient donc recrutés en France, tandis que leurs officiers étaient généralement des Canadiens nommés sur une proposition du gouverneur général de la colonie18. Les aspirants officiers qu’étaient les cadets pouvaient quant à eux être recrutés parmi les Canadiens, ce qui pourrait permettre d’imaginer, ainsi que l’ont affirmé plusieurs de ses biographes, que St. John de Crèvecœur pourrait avoir immigré en Nouvelle-France en tant que civil avant de rejoindre sur place les rangs des troupes de la colonie. Mais le « Mémoire Emplois Vacans » de Montcalm nous apprend que notre homme « sert avec distinction […] depuis qu’il est en Canada ». Cette phrase laisse entendre que l’arrivée de St. John de Crèvecœur au Canada coïncide avec le début de son service au sein de l’armée ; il semble donc qu’il figurait déjà dans les rangs des troupes de la colonie à titre de cadet au moment de son arrivée en Nouvelle-France. On est alors en droit supposer que St. John de Crèvecœur s’est engagé dans l’armée alors qu’il résidait en France, ce qui implique deux choses : qu’il serait retourné dans son pays natal après son séjour en Angleterre et qu’il a dû arriver en Nouvelle-France à bord des navires qui y ont transporté les compagnies franches de la Marine composant les troupes de la colonie. Aussi, en suivant les pas de ces bataillons, nous mettons-nous du même coup sur la piste de notre homme. Nous sommes toutefois confrontés à une absence de listes nominatives des hommes envoyés en Nouvelle-France au sein des compagnies franches de la Marine : il est donc impossible de déterminer à quel moment et dans quelles circonstances ces soldats sont arrivés à leur destination. En ce qui concerne les officiers, les répertoires disponibles s’arrêtent en 1750, année au cours de laquelle St. John de Crèvecœur finissait ses études. Il existe quelques documents sur les cadets servant dans les troupes de la colonie, mais ces archives très parcellaires ne contiennent pas la moindre mention d’un dénommé Crèvecœur19. À partir de 1755, avec l’envoi en Nouvelle-France des régiments de la Reine, de Béarn, de Languedoc et de Guyenne, suivis en mai 1756 par
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les régiments de Royal Roussillon et de la Sarre, la France détache désormais dans sa colonie des troupes de terre. L’essentiel des compagnies des troupes de la colonie a donc débarqué en Nouvelle-France avant 1755. Si nous avons raison de croire que St. John de Crèvecœur est arrivé en Nouvelle-France à titre de recrue d’une compagnie franche de la Marine, il apparaît que, pour une rare fois, le témoignage de notre personnage semble être fiable : il est tout à fait possible qu’après avoir terminé ses études en 1750 et fait un séjour en Angleterre, St. John de Crèvecœur ait posé pour la première fois le pied en Amérique à l’âge de vingt ans, c’està-dire en 1755, ou vingt-sept ans avant son retour en France, c’est-à-dire en 1754. Il devient alors très improbable que St. John de Crèvecœur ait séjourné au Portugal avant de se retrouver en Amérique, le tremblement de terre évoqué dans « Rock of Lisbon » ayant eu lieu le 1er novembre 1755. S’il demeure impossible de déterminer précisément à quel moment St. John de Crèvecœur est arrivé en Nouvelle-France, on peut cependant émettre des hypothèses quant aux activités militaires auxquelles il a pu se consacrer au sein de la colonie entre le moment de son arrivée et celui où nous retrouvons sa trace à Carillon au mois de mai 1758. Dans la mesure où St. John de Crèvecœur semble avoir servi dans le bataillon d’artillerie des troupes de la colonie sous le commandement de François-Marc-Antoine Le Mercier, en retraçant les activités de ce dernier entre 1754-1755 et juillet 1758 (jusqu’au moment de la promotion de St. John de Crèvecœur et de son transfert dans les troupes de terre), nous marcherons éventuellement sur les pas de St. John de Crèvecœur. Au cours du printemps 1754, Le Mercier participe aux escarmouches qui surviennent dans la vallée de l’Ohio, que se disputent alors Français et Anglais. Après l’« assassinat » de Jumonville, au mois de mai 1754, par un détachement de Virginiens sous le commandement du jeune George Washington, Le Mercier participe avec succès aux opérations visant à obliger la retraite des forces dirigées par le futur premier président des États-Unis. Le fait que St. John de Crèvecœur fera plus tard référence à cette « affaire Jumonville » dans « Description d’une tempête de neige au Canada » permet de croire qu’il a pu participer à ces opérations. Le 15 octobre, Le Mercier part en direction de la France pour rendre compte aux autorités métropolitaines des récentes actions militaires sur le territoire de la colonie. De retour à Québec au printemps 1755, il prend part aux combats qui ont lieu dans la région du lac George. L’année suivante, au mois d’août 1756, il participe à la première victoire conjointe des troupes de la colonie et des nouvelles troupes de terre arrivées en mai et commandées par Montcalm : la capture du fort Chouaguen, également nommé fort
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Oswego, un poste britannique sis sur la rive sud du lac Ontario (aujourd’hui Oswego, État de New York). Une année plus tard, le 9 août 1757, Le Mercier et ses hommes participent à la prise du fort William-Henry. L’événement est considéré par les historiens québécois comme un des hauts faits de l’armée française au cours de la guerre de Sept Ans. Du côté des États-Unis, on retient surtout ce qui s’est passé le 10 août, le lendemain de la chute du fort, lorsque les Indiens qui venaient de combattre aux côtés des Français ont massacré l’ensemble des hommes, femmes et enfants qui se trouvaient dans l’enceinte de William-Henry sans que leurs compagnons de la veille ne fassent grand-chose pour les en empêcher. En 1826, ces événements devaient être narrés dans le célèbre roman de James Fenimore Cooper, Le dernier des Mohicans. St. John de Crèvecœur aurait donc pu être témoin de ce terrible épisode de la guerre de Sept Ans. Il l’évoquera d’ailleurs dans le Voyage dans la Haute Pensylvanie, dans une note figurant à la fin du premier volume de l’ouvrage. Le texte est principalement constitué d’un dialogue dans lequel un personnage appelé L’Officier français discute fort philosophiquement avec un Indien du nom de Kanna-Satègo des raisons que les indigènes peuvent avoir de manger leurs prisonniers. Or ce texte est précédé d’une courte introduction dans laquelle on décrit cet échange comme : une conversation qui eut lieu au camp devant le fort George, en 1758, entre un chef Pootooatamy et un officier français, servant sous le marquis de Montcalm, quelques jours après que ces féroces indigènes eurent attaqué la garnison anglaise, qui, conformément à la capitulation conclue avec le colonel Monroe, se retiroit sans armes au fort Edward, et eurent enlevé la chevelure d’un grand nombre de soldats, dont quelques-uns furent dépecés et mis dans leurs chaudières. J’ai entendu cet officier raconter tous les détails de cette épouvantable boucherie20.
Comme d’habitude, St. John de Crèvecœur se trompe de date en affirmant que l’attaque du fort George (le nom que les Français donnaient à l’établissement de William-Henry) a eu lieu en 1758. Ces lignes ne disent cependant rien de plus sur cet événement que ce que pouvaient en savoir bon nombre d’Européens. Il reste que St. John de Crèvecœur a un point commun avec celui qu’il présente comme son informateur : le fait d’avoir servi sous les ordres de Montcalm. Et Robert de Crèvecœur signale que, sur un exemplaire annoté du Voyage dans la Haute Pensylvanie qu’il avait en sa possession, St. John de Crèvecœur s’est « substitu[é] à l’officier français témoin du massacre et parle à la première personne21 ». On verra plus loin que ce ne sera pas la seule fois qu’un passage de l’œuvre de St. John de Crèvecœur attribue à un personnage anonyme et d’origine française des mésaventures que pourrait avoir vécues leur auteur.
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À la fin du mois d’août 1757, on regroupe l’ensemble des troupes de la colonie et de terre à Carillon. Le 6 septembre, on décide de laisser en garnison à fort Carillon un piquet de soldats par régiment et le reste des troupes prend la direction de Saint-Jean où elles arrivent le 10 septembre. Le Mercier a passé l’hiver 1757-1758 à l’intérieur de la colonie et c’est à partir de ce moment que les traces de St. John de Crèvecœur commencent à se distinguer de celles de son éventuel supérieur. Le gros des troupes françaises ne devait pas être de retour à Carillon avant le 1er juillet 1758. Or la première lettre de Montcalm que nous avons citée a été adressée à Bourlamaque le 4 mai 1758 et impliquait que son destinataire était à Carillon à cette date. Si Bourlamaque était en position de communiquer directement avec St. John de Crèvecœur, on est en droit de supposer que de dernier était d’un des piquets demeurés à Carillon depuis le 6 septembre 1757 et qu’il aurait donc passé l’hiver de 1757-1758 dans la région du lac Champlain. Le 5 juillet 1758, après le retour de la majorité des forces françaises à Carillon, commence une série de combats. La confrontation tourne cette fois à l’avantage des armées britanniques qui poussent les troupes françaises à se retrancher à Carillon le 8 juillet. La description des affrontements de cette dernière journée nous apprend que les régiments de Languedoc et de la Sarre étaient alors sous le commandement direct de Bourlamaque, qui a été blessé au cours de l’engagement. On nous signale aussi que, après cette bataille : Le reste de la campagne se passa à perfectionner les retranchements et le 6 novembre on partit pour les quartiers d’hiver, après avoir laissé à Carillon des détachements de chaque corps, dont 30 hommes de la Sarre aux ordres du chevalier de Savournin22.
Comme l’année précédente, ces quartiers d’hiver sont établis dans la région de Montréal. Le « Mémoire Emplois Vacans » de Montcalm a été rédigé à Carillon, ce qui permet de croire que notre homme était dans les environs du fort à cette date. Rappelons que l’« État des sujets que le Roi a agréés pour les charges vacantes dans le second bataillon du régiment d’infanterie de la Sarre » et le « Contrôle des Lieutenants » nous apprennent que St. John de Crèvecœur exerce ses nouvelles responsabilités de lieutenant au sein du régiment de la Sarre. Aussi est-ce en suivant dorénavant les déplacements de ce régiment que nous demeurerons sur la piste de St. John de Crèvecœur. La seconde lettre de Montcalm, du 18 mars 1759, impliquait une fois de plus que St. John de Crèvecœur était dans l’entourage immédiat de Bourlamaque. On a vu que ce dernier a quitté Carillon en septembre 1758 pour aller se soigner à Québec, ce qui permet de supposer que St. John
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de Crèvecœur était lui aussi à Québec auprès de son commandant convalescent. Bourlamaque devait cependant quitter cette ville quelques semaines plus tard ; il était de retour à Carillon à la fin du mois de mai 1759. À la suite d’une avancée des forces anglaises, il ordonnera à l’ensemble de ses hommes d’abandonner les retranchements de Carillon dans la nuit du 22 au 23 juillet pour se replier dans un premier temps sur le fort Saint-Frédéric (aujourd’hui Crown Point, État de New York) avant de reculer, au cours des premiers jours du mois d’août, jusqu’au poste de l’île aux Noix, non loin de l’embouchure du Richelieu et du lac Champlain. Après la chute de Québec, Bourlamaque rejoindra le reste des forces françaises qui opéreront à partir de Montréal jusqu’à la capitulation de la ville, le 8 septembre 1760. Le fait que St. John de Crèvecœur sera à Québec au moment de la bataille des Plaines d’Abraham implique qu’il n’a pas suivi Bourlamaque et qu’il est plutôt resté avec le gros du régiment de la Sarre qui a rejoint la capitale de la Nouvelle-France en juin 1759.
« Crèvecœur n’aspire qu’à aller chercher fortune ailleurs » Le 27 mai 1759, le régiment de la Sarre quittait ses quartiers d’hiver montréalais pour rejoindre Québec. La ville était à quelques semaines d’être assiégée par les armées anglaises. Le 10 juin, le régiment campe à Beauport, à quelques kilomètres en aval de la capitale. Le 12 juillet, les troupes britanniques, sous le commandement de James Wolfe, commencent le bombardement de la ville. Le siège est ponctué par une série d’affrontements jusqu’à ce que, à l’aube du 13 septembre, les troupes britanniques attaquent Québec sur ses arrières. C’est la bataille des Plaines d’Abraham. Wolfe et Montcalm y trouvent la mort et les combats conduisent à la capitulation de la ville. En ce qui concerne le régiment de la Sarre, on signale qu’à l’occasion de cette « affaire » (en reprenant le mot dont se servent les documents de l’époque pour parler de cet événement qui devait changer le cours de l’histoire du continent), il « y eut environ cinquante hommes du régiment, tant tués que blessés23 ». Les suites immédiates de cet affrontement détermineront ce qui constitue certainement le tournant le plus important de l’existence de St. John de Crèvecœur. La documentation permettant de comprendre ce qui a pu décider du sort de notre homme est cependant limitée ; elle se réduit à trois lettres de Benoît-François Bernier. Au lendemain de la capitulation, ce dernier a été mandaté par l’armée française, à titre de commissaire ordonnateur des guerres en Nouvelle-France, pour demeurer à Québec en tant qu’agent de liaison auprès des troupes anglaises : une
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charge qu’il doit entre autres à sa connaissance de la langue anglaise. Bernier avait pour mission de veiller au respect de l’acte de capitulation ainsi qu’à l’application du cartel du 16 février 1759 : une entente signée en Flandres par les représentants des armées française et anglaise, établissant le traitement accordé aux soldats faits prisonniers dans le cadre du conflit en cours, cela « dans quelque partie du Monde où les armées belligérantes ou auxiliaires des deux nations se trouvent24 ». Les trois lettres dans lesquelles Bernier mentionne le nom de St. John de Crèvecœur (des documents dont Howard C. Rice a été le premier à dévoiler l’existence25) font partie des multiples missives que le commissaire a adressées aux autorités militaires des deux camps afin de régler les divers problèmes soulevés par l’application des conditions de la capitulation et du cartel. Il y est entre autres souvent question du sort des soldats et officiers séjournant à l’Hôpital Général de Québec. Le cartel de février spécifiait : Que les Malades de part & d’autre ne seront point faits Prisonniers, qu’ils pourront rester en sûreté dans les hôpitaux, où il sera libre à chacune des Parties belligérantes & auxiliaires de leur laisser une garde, laquelle, ainsi que les malades, seront renvoyés sous des passeports respectifs des Généraux, par le plus court chemin, & sans pouvoir être troublés ni arrêtés. Il en sera de même des Commissaires des guerres, Aumôniers, Médecins, Chirurgiens, Apothicaires, Garçons infirmiers, Servans ou autres personnes propres au service des Malades, lesquels ne pourront être fait prisonniers, & seront pareillement renvoyés26.
L’acte de capitulation du 18 septembre 1759 statuait également, à l’article VIII : « Qu’il En sera pour Les Malades, blessés, Commissaire, Aumoniers, Medecins, Chirurgiens, Apoticaires & autres personnes Employés au service des hopitaux comformement au traité d’échange du 6. fevrier 1759. Convenu Entre Leurs M[ajestés] T[rès] C[hrétienne] & B[ritannique]27 ». Mais l’interprétation de cette disposition semble avoir posé des difficultés dans la mesure où seule une partie des hommes qui se trouvaient à l’Hôpital Général avaient été hospitalisés après avoir été blessés lors du combat du 13 septembre. Plusieurs y séjournaient déjà avant la chute de la ville et, de plus, il n’y avait pas que des blessés à cet hôpital. Situé à l’extérieur des murs de la ville de Québec, l’Hôpital Général était hors de portée des canonnades britanniques. Tout au long du siège de la capitale, de nombreuses personnes y ont trouvé refuge auprès des religieuses qui avaient la responsabilité de cette institution : Plusieurs de nos familles et d’autres à qui nous ne pouvions refuser, demandèrent à se retirer chez nous, se trouvant plus à portée de secourir leurs maris et leurs enfants blessés. Il fallut encore trouver place pour eux. Comme notre
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Maison était hors de portée de l’artillerie ennemie, le pauvre peuple de Québec ne manqua pas de s’y réfugier ; toutes les dépendances en furent remplies, maison domestique, étable, grange et tout ce qui s’en suit ; les greniers même, malgré les fréquentes lessives que nous étions obligées de faire continuellement pour les blessés, étaient pleins des grabats de ces pauvres malheureux. […] Plus de six cent personnes dans notre Maison et aux environs partageaient avec nous le peu de vivres qu’on nous faisait passer des magasins du Roi, qui étaient à la veille d’en manquer pour nos troupes28.
Le fait que des soldats aient été du nombre de ces réfugiés est confirmé par un autre récit d’époque évoquant la présence : dans cet étroit espace, [du] ministre sacré [Monseigneur de Pontbriand, évêque de Québec] et ses assistants, plus de cent religieuses, toutes les personnes de leur famille réfugiées ici, et […] nos pauvres invalides, plusieurs militaires et tout le peuple des environs29.
Comme Robert Monckton, le brigadier général de l’armée britannique qui a obtenu le commandement de la ville de Québec au lendemain de sa capitulation, l’écrit lui-même au chevalier de Lévis le 6 octobre 1759, il considérait : comme prisonniers de guerre, les officier et soldats blessés à l’affaire du 13 et qui sont maintenant à l’hôpital. Je ne voudrois en rien m’écarter du sens du cartel ; mais, comme je suis pleinement convaincu que ces officiers et soldats doivent être censés prisonniers, je ne saurois prendre sur moi de les regarder sous un autre point de vue30.
Un « Mémoire Des disputes Survenües Sur le Cartel Entre Les Generaux de S.M.T.C. et S.M.B. en Amérique » nous apprend pour sa part que : Après l’affaire du 13 7bre 1759 La plus Grande partie des officiers Et soldats francois blessés à Cette affaire furent transportés a l’hopital General de Quebec et l’armée francoise en faisant sa retraite les y laissa sur la bonne foy du Cartel. Les anglois ne S’emparèrent de Cet hopital que la nuit suivante, Le Sr de Boiscler [sic : il s’agit plutôt de Bernier] Commissaire des Guerres qui y etoit resté pour les francois demanda quelque tems après au Brigadier General Moncton Commandt les troupes angloises, des passeports pour tous les officiers et Soldats qui etoient en etat de joindre l’armée, Mais Ce General n’en Voulant accorder que pour Ceux entrés dans Cet hopital avant le 13 7bre, Et de Ce jour retint comme Prisonniers tous Ceux qui y etoient entrés le Jour du 13, disant qu’il les regardoit Comme pris Sur le Champ de bataille quoique Cet hopital en fut eloigné d’un quart de Lieuë. Le Chevalier de Levis commandant L’armée Francoise reclama En differentes reprises au General Anglois Ces officiers et Soldats, Et qu’ils fussent renvoyés a l’Armée conformement au Cartel, Il envoya même a Quebec le Sr de Bougainville Colonel pour discuter Cette Cause, Mais Cela fut en vain, le General
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Anglois Ne Voulant pas démordre de son silence, Et en Consequence Il fit embarque dans le Mois d’octobre pour etre envoyés en Angleterre plusieurs officiers dont quelques uns N’étoient pas encore retablis de leurs blessures, Et Laissa les autres dans l’hopital Sous la Garde d’un officier et 30 hommes31.
On avait donc de la difficulté à faire la distinction entre, d’une part, les soldats et officiers qui étaient à l’hôpital à la suite d’une blessure subie lors de « l’affaire du 13 » et, d’autre part, ceux qui s’y trouvaient avant le combat, lesquels, pour cette raison, ne devaient pas être faits prisonniers. Quant au sort des officiers qui n’avaient pas été blessés, il était réglé : l’article I de la capitulation spécifiait que la garnison de la ville devait être « Embarquée le plus Commodement qu’il sera possible, pour être mise en france au premier port32 ». Le 4 octobre 1759, deux jours avant que Monckton ne s’adresse à Lévis, Bernier apprenait à ses supérieurs que : M. le général Monkton m’a dit ce matin que ceux qu’il regarde comme prisonniers de guerre, lesquels, étant guéris, sont à charge à l’hôpital, je n’avois qu’à les lui envoyer en ville, où il leur feroit donner la ration, en attendant qu’il ait décidé de leur sort. Quant aux officiers rétablis, il n’a point encore pris de parti, quoiqu’il m’ait dit qu’il les enverroit à New-York ; cependant il ne leur permet pas encore d’aller en ville, ce qu’il veut bien pour leurs domestiques.
Cette lettre est suivie d’un long post-scriptum qui se termine sur la phrase suivante : « Je ferai passer Crèvecœur en France ; je ne sais si d’autres le voudront33. » À la lumière de ces quelques mots, il est malaisé de déterminer quelle était la situation de St. John de Crèvecœur. Si Bernier pense qu’il lui est possible de faire passer ce dernier en France, cela laisse entendre qu’il ne fait pas partie du groupe des officiers rétablis que Monckton a l’intention d’envoyer à New York. Son sort n’est donc pas lié à celui des autres prisonniers de guerre. Le fait que Bernier soit en position de décider des déplacements de St. John de Crèvecœur implique que son destin est entre les mains du commissaire français et non entre celles des troupes britanniques. St. John de Crèvecœur ne serait donc pas du nombre de ceux que Monckton considère comme des prisonniers de guerre, ce qui permet d’en déduire que notre homme n’est pas entré à l’Hôpital Général le jour de la prise de Québec. Aussi apparaît-il très peu probable que, comme l’affirment plusieurs de ses biographes, St. John de Crèvecœur ait été blessé à la bataille des Plaines d’Abraham. Il se pourrait même qu’il n’ait pas été blessé du tout ; il aurait pu être du nombre de ceux qui, depuis le début du siège de Québec, se protégeaient des canons britanniques derrière les murs de l’Hôpital Général. Peut-être y soignait-il une blessure ancienne
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qui l’aurait empêché de participer à la bataille des Plaines d’Abraham, ou était-il tout simplement malade. Cinq jours plus tard, le 9 octobre, Bernier établit la liste des « Officiers qui passent en Angleterre » et qui, si on se fie au « Mémoire Des disputes Survenües Sur le Cartel », sont ces « officiers dont quelques uns N’étoient pas encore retablis de leurs blessures » et que Monckton considère comme prisonniers de guerre. La liste comporte six noms : La Ferté, Bellecombe, Saint-Alambert, D’Artigues, La Bruyère et Boucherville34. Quatre de ces noms (La Ferté, Bellecombe, Palembert [sic] et d’Artigues) se retrouvent sur une autre liste, celle des dix-huit « Officiers prisonniers du 13 ou pris à l’hôpital de Québec » et identifiés comme tels dans un « État de la perte du 13 septembre ». Or ce dernier document ne mentionne pas le nom de St. John de Crèvecœur35. Il n’était donc pas du nombre de ces blessés, à propos desquels Bernier nous apprend, dans un lettre du lendemain, le 10 octobre, que : « Les officiers destinés à être transportés en Angleterre ont reçu l’ordre de s’embarquer aujourd’hui36. » Il faut attendre le 21 octobre pour connaître précisément quel était le statut de notre homme. Dans la seconde des lettres mentionnant nommément St. John de Crèvecœur, Bernier informe Bougainville que Monckton « a ordonné pour demain l’embarquement de MM. de Tourville, Deschambault, de Léry, La Chevrotière et de MM. de Saint-Félix et de Crèvecœur, non comme prisonniers37 ». C’est écrit en toutes lettres cette fois : St. John de Crèvecœur n’était pas considéré comme un prisonnier de guerre, ce qui implique qu’il n’était pas du nombre des soldats blessés à la bataille des Plaines d’Abraham. La phrase laisse cependant entendre que si SaintFélix et St. John de Crèvecœur ne sont pas considérés comme prisonniers, leurs compagnons, par contre, semblent l’être. Le nom de Tourville figure d’ailleurs parmi la liste des « Officiers prisonniers du 13 ou pris à l’hôpital de Québec » et qui étaient par conséquent considérés comme prisonniers, mais on n’y retrouve pas celui des trois autres. Après avoir glissé quelques mots sur le sort d’autres officiers, Bernier continue la même lettre en notant : C’est un mystère où ces officiers qui seront embarqués, doivent être transportés. J’ai ouï dire que tous les vaisseaux destinés pour l’Europe étoient partis. Comme ce général part dans deux ou trois jours pour New-York, je croirois volontiers que ces officiers iront au même endroit. M. de Saint-Félix accepte toute route qui le conduira en Europe, et Crèvecœur n’aspire qu’à aller chercher fortune ailleurs38.
Monckton, qui avait été blessé à la bataille des Plaines d’Abraham, devait effectivement quitter Québec quelques jours après le 21 octobre. Plus précisément, ainsi qu’on peut le lire dans le Journal of the Siege of Quebec
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du général Murray, c’est le 26 octobre 1759 que le « brigadier Monckton est parti d’ici sur le Fowey, l’Orford, et le Medway, lesquels sont les derniers navires à partir ». Sa destination était bel et bien New York, où il allait débarquer le 16 décembre 175939. Quant aux renseignements que la lettre de Bernier nous donne sur la situation et les intentions de St. John de Crèvecœur, ils manquent une fois de plus de clarté. Bernier note que si Saint-Félix accepte de prendre n’importe quelle route qui le ramènera en Europe, St. John de Crèvecœur, pour sa part « n’aspire qu’à aller chercher fortune ailleurs ». Mais de quel ailleurs s’agit-il ? Bernier veut-il dire que St. John de Crèvecœur désire tenter sa chance ailleurs qu’en Nouvelle-France, qu’il serait donc prêt à prendre n’importe quelle destination lui permettant de quitter la colonie ? Ou que, contrairement à Saint-Félix, qui accepte de prendre la route de New York en n’y voyant qu’un détour sur le chemin qui doit le conduire en Europe, St. John de Crèvecœur aspirerait pour sa part à aller ailleurs qu’en Europe ? — ce qui laisserait éventuellement entendre qu’il compte tenter sa chance dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord. Cinq paragraphes plus loin, Bernier signale à Bougainville qu’il croit qu’il se verra : obligé de demander un petit supplément d’espèces ; il n’est pas possible de laisser embarquer nus et sans le sous tant nos officiers que ceux de la colonie, entre autres Crèvecœur, s’il part, qui abandonne tous ses appointements pour une médiocre somme ; et tout régiment qui expulse un officier lui donne ordinairement sa conduite40.
Ces mots indiquent que St. John de Crèvecœur paraît vouloir démissionner de l’armée. S’il part, c’est en échange de ce qu’on appellerait aujourd’hui une prime de départ, laquelle, pour constituer une « médiocre somme », ne doit pas entièrement compenser ce qu’il est en droit de recevoir. Il faut tenir compte du fait que, lorsque Bernier écrit que « tout régiment qui expulse un officier lui donne ordinairement sa conduite », ce dernier emploie le verbe « expulser » au sens qu’on lui accordait depuis la fin du XVIIe siècle, alors que le dictionnaire de Furetière le définissait comme l’action d’« exclure (qqn) d’une assemblée, d’une compagnie ». Le verbe dérive du latin expellere, signifiant « pousser hors de », « faire sortir », et s’il a toujours laissé entendre une exclusion qui se faisait avec une certaine urgence, c’est uniquement à la veille du XXe siècle qu’il évoquera l’action de « [f]aire sortir (qqn) avec violence, impérativement » et sera dès lors paré de la connotation péjorative qu’on lui connaît de nos jours. Le mot « conduite » est quant à lui employé au sens de « protection, escorte », dont il ne reste trace de nos jours que dans l’expression sauf-conduit41. Ainsi
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ne doit-on pas lire cette phrase comme le signe d’une éventuelle expulsion, au sens moderne, des rangs de l’armée. Bernier ne fait rien de plus que rappeler à ses supérieurs que, lorsque l’armée accepte qu’un soldat retourne à la vie civile, elle lui accorde ordinairement une certaine protection et un certain soutien, ne serait-ce que la « médiocre somme » que Bernier est alors en mesure de remettre à St. John de Crèvecœur. Le montant de cette somme est précisé quelques jours plus tard, le 5 novembre 1759, dans la dernière lettre où Bernier mentionne le nom de St. John de Crèvecœur : J’ai donné à Crèvecœur deux cent quarante livres ; je ne pouvois moins faire pour nous en débarrasser. D’ailleurs, il ne seroit et ne pouvoit partir sans ce secours. Il m’a laissé un état de ses dettes actives et passives42.
Encore une fois, il ne faut pas entendre le verbe « débarrasser » avec la connotation péjorative qu’on lui accorde de nos jours. Depuis le XVIe siècle, il évoque l’idée de se « dégager de ce qui embarrasse », et lorsqu’il est employé sous la forme pronominale, il signifie : « Se libérer de ce qui constitue une gêne43 ». La présence de St. John de Crèvecœur était une gêne, un embarras pour Bernier qui ne cesse de se plaindre du peu de ressources à sa disposition pour subvenir aux besoins des soldats et officiers dont il a la responsabilité. Aussi, le départ de St. John de Crèvecœur diminue-t-il les embarras de Bernier : cela lui fait une bouche de moins à nourrir. D’où l’idée qu’il ne pouvait pas faire moins que lui remettre 240 livres pour être libéré de la responsabilité de subvenir à ses besoins. Le fait que ce passage soit écrit au passé implique que St. John de Crèvecœur ne séjournait plus à Québec au moment où Bernier rédige ces mots. La vacance du poste de St. John de Crèvecœur est par ailleurs confirmée par l’« État des nominations dans les troupes de terre depuis le 15 novembre 1759 ». Le document signale en effet que le « sieur JeanJoseph-Barthélemy Déguisier, sous-lieutenant des grenadiers », a été nommé, le 1er janvier 1760, à « la lieutenance de la compagnie de Remigny » du régiment de la Sarre, place laissée « Vacante par l’abandon du Sieur de Crèvecœur ». Cette information a conduit l’auteur anonyme d’un article sur les « Officiers du régiment de la Sarre » paru en 1945 à supposer erronément que l’officier qu’il identifie sous le nom de « MichelJean de Crèvecœur » a « d[û] retourner en France tard à l’automne de 1759 puisqu’il fut remplacé le 1er janvier 176044 ». St. John de Crèvecœur n’a donc pas été prisonnier de guerre, ce qui signifie qu’il n’a pas été blessé lors de la bataille des Plaines d’Abraham. N’« aspir[ant] qu’à aller chercher fortune ailleurs », il a démissionné de sa charge de lieutenant en échange d’une « médiocre somme » qui lui a permis
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de partir de Québec le 26 octobre 1759, à bord d’un convoi qui devait rejoindre le port de New York le 16 décembre 1759. Mais ces faits soulèvent deux questions qui restent sans réponse : pourquoi St. John de Crèvecœur démissionne-t-il de l’armée et pourquoi ne cherche-t-il pas à retourner en France comme la plupart de ses collègues officiers ? Les deux choses sont intimement liées car si St. John avait conservé son poste de lieutenant, il aurait nécessairement été, selon les conditions du cartel et de la capitulation de Québec, rapatrié tôt ou tard en France. Aussi peut-on croire qu’il a démissionné de l’armée expressément dans le but de ne pas être forcé de retourner en France. Et les deux questions finissent par n’en former qu’une seule : pourquoi St. John de Crèvecœur ne veut-il pas retourner en France ?
La fortune d’une traduction fautive Les trois lettres de Bernier sont aussi riches en éclaircissements qu’en mystères. Avant que Howard C. Rice ne rende compte de leur existence et de leur contenu dans son étude de 1933, les commentateurs de l’œuvre de St. John de Crèvecœur devaient se résoudre à souligner leur ignorance des voies par lesquelles cet obscur lieutenant de l’armée française avait pu devenir le célèbre fermier américain. Quant à Rice, il se contente de noter qu’en se fondant sur ces maigres informations : « On ne peut que spéculer sur les raisons de cet abandon », tout en étant par ailleurs le premier à supposer l’existence d’un lien entre la démission de St. John de Crèvecœur et ce qui semble être sa volonté de ne pas retourner en France45. Mais voilà que quarante ans après le dévoilement des lettres de Bernier, on a commencé à lire, dans les différents articles et ouvrages consacrés à St. John de Crèvecœur et à son œuvre, une série d’affirmations que rien dans ces documents ne permet de justifier. En 1975, Marcus Cunliffe écrivait : « Ses collègues officiers avaient quelque raison d’être impatients de le jeter hors du régiment français dans lequel il servait au Canada en 1759 » ; en 1976, A. M. Plumstead affirmait : « Il abandonna sa charge en octobre dans des circonstances mystérieuses, qui semblent liées à quelque disgrâce. » La même année, Thomas Philbrick notait que St. John de Crèvecœur aurait « été blessé et, apparemment, connu la disgrâce lors de la bataille de Québec », et c’est sous la plume de ce même commentateur qu’apparaissait pour la première fois, en 1970, l’idée selon laquelle la « prometteuse carrière militaire de Crèvecœur connut une fin abrupte et, semble-t-il, ignominieuse ». Philbrick se justifie en affirmant :
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Dans la correspondance officielle traitant du rapatriement des officiers du régiment de la Sarre, on se demande si les « autres » officiers vont accepter que Crèvecœur retourne en France avec eux. […] La nature de sa disgrâce, s’il s’agit bien d’une disgrâce, demeurera probablement un mystère. La seule chose certaine est que ses compagnons officiers exigèrent de lui qu’il démissionne du régiment46.
Mais cette hypothèse se fonde sur une erreur de traduction de la première lettre de Bernier. En effet, rien dans les lettres de ce dernier ne permet de soutenir l’idée que quelqu’un aurait exigé la démission de St. John de Crèvecœur. On y trouve certes une référence à d’autres officiers lorsque Bernier écrit, dans sa lettre du 4 octobre 1759 : « Je ferai passer Crèvecœur en France ; je ne sais si d’autres le voudront. » Or la question que se pose Bernier est la suivante : est-ce que d’autres que St. John de Crèvecœur voudront passer en France, et non pas, comme le croit Philbrick, est-ce que ces autres accepteront d’avoir St. John de Crèvecœur pour compagnon de voyage. Ce qui importe ici n’est pas tant l’erreur de traduction en elle-même mais les échos que nombre de commentateurs se sont empressés de donner à l’hypothèse qui en a découlé. Si St. John de Crèvecœur a simplement démissionné des rangs de l’armée française, on ne peut rien faire de plus que s’interroger sur les motifs de son geste. Mais si notre homme a été expulsé (au sens moderne) de cette armée, les spéculations sur les raisons de son départ donnent aussitôt sur des avenues nettement plus hautes en couleur. Car quelles raisons peut-on avoir d’expulser quelqu’un de l’armée ? Des mots comme lâcheté et trahison se présentent immédiatement à l’esprit, et la curiosité qu’éveille le mystère dont est enveloppé une bonne partie de l’existence de St. John de Crèvecœur s’agrémente dès lors de romanesque. Il reste que, devant le peu de renseignements disponibles, la plupart des biographes se sont contentés d’évoquer la possibilité de cette disgrâce militaire — sauf Gay Wilson Allen et Roger Asselineau, qui se sont lancés sur cette piste en s’adonnant à des extrapolations quelque peu outrancières. Le point de vue d’Allen et d’Asselineau est essentiellement fondé sur la présence du verbe « expulser » dans la lettre de Bernier du 21 octobre 1759. Mais leur lecture ne tient pas compte du fait qu’au XVIIIe siècle ce verbe avait un sens nettement moins péjoratif que de nos jours (erreur moins pardonnable que celle de Philbrick dans la mesure où un des auteurs de l’ouvrage est français). Ils prennent certes la précaution de formuler leur hypothèse sur le mode d’une question, mais la suite de leur argumentation tient pour acquis le fait que St. John de Crèvecœur aurait été « forcé de démissionner ». Selon eux, les « circonstances dans lesquelles se
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r etrouvaient les forces françaises au Canada suggèrent des raisons d’avoir de la rancœur envers Crèvecœur ». Après un récit fort succinct des événements qui ont conduit à la prise de Québec, Allen et Asselineau affirment erronément que selon « les termes de la reddition, tout le personnel militaire français souhaitant retourner en France devait être transporté en Europe sur des navires britanniques ». L’article I de la capitulation ne donnait pas le choix aux officiers français de retourner en France. Et on connaît déjà la réponse à la question que soulèvent alors Allen et Asselineau : « Si Crèvecœur ne souhaitait pas retourner en France, pourquoi n’est-il pas resté au Canada ? » Parce que son statut d’officier le forçait à retourner en France, d’où la nécessité de démissionner de l’armée s’il ne désirait pas être renvoyé en Europe. Ignorant cette donnée, Allen et Asselineau développent une explication saugrenue de la démission de St. John de Crèvecœur : « Il n’est pas impossible que son anglophilie l’ait conduit à avoir des problèmes avec ses camarades officiers. » Notre homme avait séjourné en Angleterre et possédait une assez bonne connaissance de la langue anglaise. Mais de là à supposer que St. John de Crèvecœur aurait montré suffisamment de « sympathie pour les coutumes britanniques » pour que ce sentiment soit « probablement une source majeure de rancœur contre lui », l’extrapolation est pour le moins abusive, surtout lorsqu’elle conduit à postuler qu’il « est probable qu’il fraternisa avec des soldats britanniques après la reddition ». Les spéculations des biographes donnent carrément dans la fiction lorsqu’ils écrivent : Dans les derniers mois de 1759, il a pu sembler à Crèvecœur que la France ne pouvait pas remporter la victoire au Canada, et il n’aurait pas montré le même zèle fanatique que son commandant. Lévis a pu alors considérer l’attitude de Crèvecœur comme déshonorante, et comme une trahison envers ses devoirs patriotiques47.
Cette fabulation ne tient pas compte d’une donnée fondamentale : le chevalier de Lévis n’était pas à Québec lors de la défaite du 13 septembre 1759 ; il avait quitté la capitale le 9 août pour aller assurer la protection de Montréal. Aussi n’était-il pas en situation d’être au courant des éventuelles prises de position de St. John de Crèvecœur, ni d’exiger sa démission pour ces raisons. Rien dans les documents auxquels se réfèrent ces commentateurs ne permet donc de conclure avec certitude que la carrière militaire de St. John de Crèvecœur se serait terminée dans la disgrâce. Or en plus d’être fondée sur une traduction fautive et des extrapolations déduites de données historiques inexactes, leur hypothèse est invalidée par d’autres sources qui ont échappé à ces chercheurs.
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Lorsqu’un officier de l’armée française du XVIIIe siècle était l’objet de ce qu’on appelait un congé diffamant ou infamant, le nom de l’individu était généralement inscrit aux registres des troupes « accompagné de la mention “ chassé ” ou “ congédié ”, avec l’indication d’un délit ». Le genre de crimes qui pouvaient entraîner un semblable congé diffamant étaient le meurtre d’un collègue, l’assassinat d’un civil et le vol48. Or le « Contrôle des Lieutenants » du régiment de la Sarre se contente de rendre compte du fait que le dénommé « Crèvecœur (Michel Jean) » ne fait plus partie des rangs de l’armée en rayant son nom de la liste des officiers en service et en inscrivant la mention « abt. en 176049 ». Ce document permet donc de croire que St. John de Crèvecœur n’a pas été renvoyé de l’armée ni forcé de remettre sa démission. De plus, l’« État des nominations dans les troupes de terre depuis le 15 novembre 1759 » indiquait que Déguisier avait été désigné à la lieutenance de la compagnie de Rumigny parce que cette place était devenue « Vacante par l’abandon du Sieur de Crèvecœur ». Le mot « abandon » désigne depuis le XVIIe siècle « l’action de renoncer à une chose en la mettant au pouvoir de quelqu’un ». De plus, la notion d’abandon implique que cette « action de se mettre à la discrétion (de qqn) » se fait « en renonçant soi-même (à une chose)50 ». Si la lieutenance de la compagnie de Rumigny est devenue vacante à la suite de « l’abandon du Sieur de Crèvecœur », cela implique que notre homme a renoncé de lui-même à son poste, que son départ s’est donc fait sur une base volontaire. Quant à la possibilité que St. John de Crèvecœur ait pu être ne serait-ce que vaguement convaincu de déloyauté et de trahison, le simple fait que notre histoire n’en ait pas conservé le moindre souvenir devrait suffire à la réfuter. La défaite de 1759 est l’événement le plus traumatisant de toute l’histoire québécoise et on a consacré d’importantes énergies à l’identification et à la dénonciation de tous ceux dont les agissements ont pu le
Figure 17. « Contrôle des Lieutenants, 1748-1763 ». Ottawa, Bibliothèque et Archives Canada.
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moindrement tenir de la collusion avec l’ennemi ou de la trahison. Après deux cent cinquante ans passés à rechercher des coupables, s’il y avait eu la moindre possibilité d’inscrire le nom de St. John de Crèvecœur sur la courte liste des « traîtres de 175951 », les historiens de la Conquête se seraient empressés de le faire. Par ailleurs, si les positions et le comportement de St. John de Crèvecœur avaient suscité la rancœur des officiers qu’il côtoyait, la chose aurait nécessairement laissé quelque trace et il existe au moins deux documents qui en auraient certainement rendu compte. Les lettres de Bernier permettent de supposer que St. John de Crèvecœur séjournait à l’Hôpital Général de Québec au moment de la bataille des Plaines d’Abraham. Il est vraisemblable qu’il y soit demeuré jusqu’aux environs du 26 octobre, le jour où il a quitté Québec à bord du convoi conduisant Monckton à New York. Si un officier résidant dans cet établissement avait été l’objet du ressentiment de ses confrères, on en aurait certainement fait mention dans la Relation de ce qui s’est passé au Siége de Québec, document qui présente un portrait détaillé des événements qui ont marqué, au sein de l’Hôpital Général, le cours des jours qui ont suivi la prise de la capitale. Or rien ne permet d’y lire la moindre allusion à la disgrâce militaire d’un des pensionnaires de cette institution. Plus probante encore est l’absence, dans le journal du capitaine John Knox, de toute référence à St. John de Crèvecœur ou à une quelconque velléité de trahison de la part d’un officier français résidant dans cet établissement. Le capitaine Knox était le chef de la garnison d’une trentaine d’hommes que les troupes britanniques ont assigné à la garde de l’Hôpital Général à partir du début du mois d’octobre 1759. On retrouve dès lors dans le journal de campagne de l’officier un ensemble de notes et de commentaires témoignant élogieusement de la qualité des conditions de vie des malades ainsi que de celle des soins que les sœurs hospitalières apportaient aux blessés des deux camps. Knox y décrit également les menus plaisirs d’une petite vie de société quotidiennement ponctuée par la réunion, le soir venu, des officiers français prisonniers et de leurs nouveaux maîtres britanniques échangeant politesses et ustensiles autour de la même table. Si St. John de Crèvecœur a pu être du nombre de ces convives, il n’était pas le seul officier français à fraterniser ainsi avec leurs homologues britanniques. Ces échanges entre officiers français et anglais ont été fort cordiaux mais respectueux du code d’honneur militaire. Selon ses propres dires, Knox comprenait parfaitement le français mais ne le parlait pas « avec une grande facilité ». Aussi, quand il écrit que, « lorsque la température le
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permettait et que je n’étais pas occupé, j’avais l’habitude de me promener dans le jardin avec un ou deux officiers français et, à d’autres moments, de jouer au piquet avec eux », on doit supposer que c’était en compagnie d’officiers ayant une certaine connaissance de la langue anglaise. Au moins deux des officiers que Knox a pu côtoyer à l’Hôpital Général savaient s’exprimer en anglais : Bernier et St. John de Crèvecœur. Il est donc possible que ce soit avec ces deux hommes que Knox se délassait en déambulant dans le jardin de l’institution. Son journal fait état avec régularité et précision de toutes les informations qu’il reçoit de la part de traîtres à la cause des Français. On peut aisément imaginer que si Knox avait eu le moindre vent d’une trahison de la part d’un des officiers français immédiatement sous sa garde, d’autant plus de la part de l’un de ceux avec qui il pouvait converser en anglais, on en aurait nécessairement trouvé trace sous sa plume. Mais depuis les premiers jours de son installation à l’Hôpital Général jusqu’au moment où il note le départ de Monckton52, le témoignage de Knox ne présente pas la moindre trace d’un officier français déloyal.
« Soupconné et accusé par des personnes jalouses » Rien, dans la documentation à laquelle ont eu accès jusqu’à ce jour les biographes de St. John de Crèvecœur et les commentateurs de son œuvre ne permet donc de supposer que notre homme ait pu se rendre coupable d’un acte exigeant son explusion ou sa démission de l’armée française. Mais voilà que la découverte d’un autre document qui a échappé à ces chercheurs nous oblige à reconnaître que, malgré le fait qu’elle soit fondée sur une suite d’erreurs d’interprétation, l’hypothèse qu’ils ont avancée présente tout de même une certaine part de vérité. Le 20 octobre 1759, un officier français écrit à Robert Monckton depuis l’Hôpital Général de Québec :
Monseigneur
Votre Éminence voudratelle bien me permettre de luy répresenter tous les malheurs de ma situation, et la supplier de vouloir bien y apporter quelques remedes. jay servi depuis trois ans, en qualité d’ingénieur volontaire en ce pays, par ordre de monsieur de montcalm ; depuis longtemps m’etant occupé à former un réceuil suivi et assés considerable, de tous les plans les plus interessants de cette partie de l’amérique, et des ouvrages auxquels jetois employé au commencement de cette campagne ; jay fus soupconné et accusé par des personnes jalouses d’en vouloir faire un mauvais usage ; et de chercher l’occasion de trahir la patrie.
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Figure 18. « [Québec : Lettres adressées au général Monckton par des prisonniers français après la prise de Québec] » (montage), 20 octobre 1759. Ottawa, Bibliothèque et Archives Canada.
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sur ces apparences, sans autre éxamen, jay fus mis en prison par ordre de ce general ; tous mes effets et papiers de touttes especes furent saisi. jay ne suis venu à l’hopital General que par la raison d’une maladie qui ma mis hors d’etat de pouvoir profiter des premiers paquébots. J’ose donc supplier très humblement votre éminence de vouloir bien me procurer les moyens de pouvoir passer en angleterre ; rejoindre des parents que jy ay ; ou d’aller à boston s’il ny a plus de vaisseaux qui ils soint d’estiné. Daignés jay vous en conjure maccorder se passage sous telle qualité et telle forme que vous le jugerés à propos. jay me trouvéray toujours trop heureux de pouvoir l’obtenir. Jay n’aurois point importuné aujourdhuy votre Éminence de ce détail s’il m’avoit été possible de marranger avec un capitaine marchand ; mais des officiers à qui tout manque depuis trois ans et qui ont perdu cette campagne ce quil leur restoit sont hors d’etat de pouvoir faire les sortes d’accomodements. d’aignés donc jay vous supplie jetter un coup dœil favorable sur ma situation et m’accorder cette grace. Jay lhonneur detre avec un très profond respect
de votre Éminence
Letres humble et très obeissant serviteur Crèvecœur Lt. 34e.
à lhopital General ce 20 8br 175953
Inédit jusqu’à ce jour54, ce document est d’une très grande importance, ne serait-ce que parce qu’il s’agit du plus ancien écrit de St. John de Crèvecœur qui soit parvenu jusqu’à nous. Le manuscrit des Letters from an American Farmer était, avant cette découverte, le premier écrit de notre auteur qui nous était connu. Outre ce manuscrit, les plus anciens documents issus de sa plume dataient, ainsi qu’on le verra plus loin, de l’époque où, à partir de 1778, il a entrepris les démarches qui devaient le conduire à renouer avec la France et sa famille après plus de vingt-cinq ans en sol américain. On n’avait donc pas encore trouvé de texte de sa main datant d’avant son premier séjour aux États-Unis. Le Plan du Fort-George ne présentait que sa signature, par ailleurs identique au paraphe figurant sur cette lettre. Ainsi cette missive du 20 octobre 1759 est-elle le seul écrit de St. John de Crèvecœur attestant directement de sa présence en NouvelleFrance. Cette lettre permet de confirmer et de préciser une partie des renseignements qu’il a été possible de déduire à la lecture des quelques documents témoignant du séjour de notre auteur de la colonie française. St. John
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de Crèvecœur y affirme qu’il a « servi depuis trois ans, en qualité d’ingénieur Volontaire en ce pays, par ordre de monsieur de Montcalm ». Il était effectivement sous les ordres de Montcalm depuis que le « Mémoire Emplois Vacans » du 23 juillet 1758 l’avait intégré au régiment de la Sarre et aux troupes de terre. Ce mémoire nous a aussi appris qu’il avait « des Connoissances pour L’artillerie & le Génie » et qu’il servait « dans ces deux quartiers là depuis qu’il est en Canada ». Si St. John de Crèvecœur servait depuis trois ans au sein des troupes détachées dans la colonie, cela signifie qu’il séjournait au Canada depuis 1756. Les lettres de Bernier permettaient de déduire que St. John de Crèvecœur était à l’Hôpital Général de Québec au moment de la bataille des Plaines d’Abraham et qu’il n’avait pas participé à ce combat. Sa missive le confirme : elle a été rédigée à cet hôpital où il séjournait « par la raison d’une maladie ». On a conclut que notre homme avait démissionné de l’armée dans les jours qui ont suivi l’« affaire » du 13 septembre, et qu’il l’avait fait dans le but d’éviter d’être rapatrié en France. Il s’adresse au représentant des autorités britanniques pour lui demander de lui « procurer les moyens de pouvoir passer en angleterre ; rejoindre des parents que jy ay ; ou d’aller à boston s’il ny a plus de vaisseaux qui ils soint d’estiné ». S’il est prêt à accepter que ce passage lui soit accordé « sous telle qualité et telle forme » que Monckton le jugera « à propos », cela signifie que ce n’est pas à titre de soldat que St. John de Crèvecœur fait sa demande. Il précise par ailleurs que sa maladie l’a « mis hors d’etat de pouvoir profiter des premiers paquébots », et que si la chose lui avait été possible, il se serait « arrang[é] avec un capitaine marchand » : c’est donc un individu libre de ses déplacements, ce qui implique qu’il n’est plus un militaire, qui serait « trop heureux » de quitter la Nouvelle-France. St. John de Crèvecœur le confirme lui-même : il était prêt à aller à peu près n’importe où, sauf en France. Mais cette missive révèle également quelque chose de tout à fait nouveau : ce document est le premier et le seul à faire la preuve que les derniers jours de St. John de Crèvecœur en Nouvelle-France ont été marqués par des événements que notre auteur avait des raisons de vouloir faire sombrer dans l’oubli. La lettre nous apprend que son signataire a été « soupconné et accusé » par des individus qu’il décrit comme « des personnes jalouses », et que sur ces « apparences, sans autre ex’amen », il a été emprisonné « par ordre » de Montcalm et tous ses « effets et papiers de touttes especes furent saisi ». On aurait prétendu qu’il avait l’intention « de chercher l’occasion de trahir la patrie » en faisant « un mauvais usage » d’un « réceuil suivi et assés considerable, de tous les plans les plus inte-
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ressants de cette partie de l’amérique ; et des ouvrages auxquels jetois employé au commencement de cette Campagne ». Son incarcération a donc été préventive : on ne l’a pas accusé d’avoir trahi, mais d’avoir l’intention de le faire. Mais cet emprisonnement ne semble pas avoir été de longue durée : le fait que St. John de Crèvecœur s’adresse à Monckton depuis l’Hôpital Général signifie que l’auteur de la lettre n’est plus sous les verrous. Or la justice française, tant civile que militaire, ignorait l’habeas corpus (un principe de droit britannique) et maintenait les suspects emprisonnés tant et aussi longtemps que des accusations pesaient sur eux : ils étaient libérés uniquement quand leur innocence était définitivement établie. Aussi est-on en droit d’en conclure que les soupçons qui ont pesé sur St. John de Crèvecœur ont été assez rapidement considérés comme non fondés et que son accusation a été levée sans donner lieu à un procès. L’honneur militaire de St. John de Crèvecœur a donc bel et bien été entaché au cours de ses dernières semaines de service dans les armées françaises. C’est cependant un homme convaincu de son innocence, et qui cherche à en persuader son interlocuteur, qui s’adresse à Monckton sans rien cacher des délits dont on l’a accusé. On ne semble pas avoir eu de preuves concrètes qu’il ait cherché des occasions « de trahir la patrie ». L’unique élément incriminant paraît avoir été le recueil de plans qu’il avait en sa possession et qu’il s’était, selon ses dires, « depuis longtemps […] occupé à former ». On verra plus loin que St. John de Crèvecœur semble avoir eu la manie de collectionner et d’accumuler des papiers divers, et que ce ne sera pas la seule fois où cette habitude lui causera des ennuis : la possession de tels documents lui vaudra d’être de nouveau suspecté de trahison et incarcéré à New York lorsqu’il cherchera à fuir les dévastations de la guerre d’Indépendance des États-Unis. Il reste que ce document soulève autant d’interrogations qu’il apporte de réponses. Par qui et dans quelles circonstances St. John de Crèvecœur a-t-il été soupçonné ? Quand a-t-il été incarcéré et pendant combien de temps ? Aucun des documents d’époque que nous avons consultés ne permet de résoudre ces questions. Nous n’avons pas trouvé la moindre trace d’un ordre de Montcalm attestant de l’emprisonnement du lieutenant Crèvecœur. Nous n’avons pas non plus relevé dans aucun des journaux de campagnes, des récits, des correspondances et des recueils de documents militaires de la guerre de Sept Ans la moindre allusion à un officier français soupçonné de trahison parce qu’il avait en sa possession des copies de cartes géographiques et de plans des « ouvrages », c’est-à-dire des fortifications, de la colonie française. On est alors forcé d’en conclure que
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presque personne n’a été mis au courant de l’incarcération de St. John de Crèvecœur ou n’a estimé que cet événement valait la peine d’être consigné. Cet emprisonnement dont notre auteur a vraisemblablement conservé un très mauvais souvenir, cela au point de ne jamais en faire mention tout au long du reste de son existence, n’a donc pas été considéré comme un incident notable par la plupart des personnes qui ont pu en être témoin. Ainsi, ce qui aura été un événement d’une très grande importance personnelle pour St. John de Crèvecœur, voire un des principaux tournants de son existence, paraît n’avoir guère eu d’importance aux yeux de ses contemporains. On a donc désormais la preuve que St. John de Crèvecœur a effectivement connu une fin de carrière militaire plus ou moins ternie, sauf que cette affaire semble avoir été la conséquence d’accusations non fondées dont il paraît avoir été rapidement innocenté. Au lieu de chercher à rétablir son honneur, St. John de Crèvecœur a plutôt cherché des moyens de fuir ces problèmes : on constatera plus loin que chaque fois que notre homme fera face à de semblables difficultés, il préférera toujours la fuite à la confrontation. C’est d’ailleurs ce que fait James à la fin des Lettres d’un fermier américain : « Je souhaite partir », écrit le personnage au début de sa dernière missive, et la lettre que l’auteur fait parvenir à Monckton exprime exactement le même désir. Il faut par ailleurs se demander ici pourquoi St. John de Crèvecœur ne s’adresse pas en anglais au nouveau commandant britannique de la ville de Québec, puisque tout porte à croire que notre homme avait une certaine maîtrise de cette langue ? Peut-être désirait-il simplement éviter d’éveiller de nouveaux soupçons d’intelligence avec l’ennemi. Mais la même question demeure toujours sans réponse : pourquoi St. John de Crèvecœur souhaite-t-il quitter la Nouvelle-France ? La teneur de sa lettre permet tout au plus de supposer qu’il cherche à laisser derrière lui la mauvaise réputation que lui auront valu les soupçons qui ont pesé sur lui. Au moins retire-t-on un certitude de la lecture de cette missive : St. John de Crèvecœur ne veut pas retourner en France ; c’est en Angleterre ou à Boston qu’il veut aller, et cela par n’importe quel moyen. Mais pourquoi semble-t-il être ainsi prêt à tout pour ne pas retourner en France ? Il est impossible de répondre à cette question pour le moment car, après son embarquement du 26 octobre 1759 à bord du convoi qui ramène Monckton à New York et la dernière lettre de Bernier du 5 novembre 1759, on perd pendant six ans toute trace de celui qui se faisait jusqu’alors appeler Michel-Jean de Crèvecœur. Lorsqu’on le retrouve, le 23 décembre 1765, sur la liste des douze individus qui deviennent ce jour-là citoyens de l’État
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de New York, il s’identifie désormais sous le nom de John Hector St. John — ce qui permet à tout le moins d’en conclure que cet homme ne considérait plus être tout à fait le même que celui qu’il était à l’époque de son séjour en Nouvelle-France.
Le « fermier griffonneur »
Il a longtemps été impossible de prouver avec certitude que le Michel-Jean Crèvecœur qui a quitté Québec en octobre 1759 était la même personne que celle qui, vingt-trois ans plus tard, devait signer ses Letters from an American Farmer du nom de J. Hector St. John. Dans les faits, la lettre sur laquelle on vient de se pencher constitue le premier document permettant d’établir concrètement et factuellement que l’un et l’autre sont un seul individu : il suffit de comparer la graphie de cette missive à celle des manuscrits des Letters from an American Farmer pour constater que les deux écritures sont presque identiques. Il était certes déjà établi que Crèvecœur et St. John étaient la même personne, mais avant la découverte de cette missive, les preuves permettant de s’en convaincre étaient indirectes et circonstancielles. À partir du moment où notre homme s’embarque en direction des colonies britanniques d’Amérique du Nord, on perd entièrement sa trace pendant six ans. Le premier document à faire suite aux lettres de Bernier date du 23 décembre 1765. Le nom de John Hector St. John figure alors en tête d’une liste de douze personnes (dont plusieurs portent des patronymes étrangers : De Graaf, Gerbeaux, Merkwst) apparaissant sur un acte de naturalisation de la colonie de New York présenté comme une réponse aux « diverses pétitions adressées à l’assemblée générale » par ces individus et qui avaient ainsi fait savoir qu’ils « désir[aient] pouvoir être naturalisés, et devenir de loyaux sujets de sa Majesté, et des colons dans cette colonie ». L’existence de cet acte de naturalisation a été dévoilé en 1916 par Julia Post Mitchell dans un ouvrage qui demeure jusqu’à présent la plus exhaustive des biographies consacrées à St. John de Crèvecœur. Mais, forte de sa consultation des sommités de l’historiographie québécoise du temps (dont
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Philéas Gagnon, Narcisse-Eutrope Dionne et Benjamin Sulte) et d’une analyse minutieuse des documents alors disponibles (que, pour la plupart, elle venait elle-même de mettre au jour), Mitchell en arrivait à la conclusion qu’il ne serait « probablement pas possible d’établir ou de réfuter » l’hypothèse selon laquelle le lieutenant Crèvecœur et John Hector St. John étaient bien le même homme. Cela, en tout cas, précisait-elle, tant et aussi longtemps qu’on ne pourrait consulter une certaine lettre mentionnée par Robert de Crèvecœur une trentaine d’années avant les travaux de Mitchell1. On trouve en effet, dans un note en bas de page du livre de l’arrièrepetit-fils de St. John de Crèvecœur, une courte allusion à une lettre du marquis Chartier de Lotbinière rédigée à New York le 7 juin 1790. Ce document, affirme Robert de Crèvecœur, « démontre d’une manière irréfragable […] que le lieutenant du régiment de la Sarre et le consul de New-York sont bien le même personnage 2 ». Mais, curieusement, le biographe ne dévoile pas un mot du contenu de cette missive. On comprendrait pourquoi en 1925, neuf ans après la parution de l’ouvrage de Julia Post Mitchell, à l’occasion de la publication de Sketches of EighteenthCentury America, lorsque Henri L. Bourdin retranscrit enfin une partie de cette fameuse lettre : De New York, le 7 Juin 1790. — M. Otto chargé des affaires du Roi auprès de ces États-Unis est depuis huit à dix jours à Elisabethtown à 18 milles d’ici avec sa nouvelle femme, fille du fameux St. Jean de Crèvecœur, dont vous avez pu entendre parler dans la campagne de Québec, en 1759, qui a été pour lui la dernière à la vive demande des lieutenans et sous lieutenans de la Sarre ce qui l’obligea forcément à se réfugier de suite dans le haut de la rivière d’Albanie où végétant il faisait le métier d’arpenteur. … Le Mis. Chartier de Lotbinière a M. des Méloizes rue Royale No. I à Paris3.
On peut aisément deviner les raisons qui ont poussé Robert de Crèvecœur à passer sous silence le contenu de ce document : il ne pouvait le citer sans ternir la mémoire de son ancêtre, car si cette lettre établit un lien direct entre le fameux auteur et l’officier qui a séjourné en NouvelleFrance, elle postule du même coup que le séjour de St. John de Crèvecœur en Nouvelle-France s’est achevé dans une disgrâce beaucoup plus grande que ne le laisse supposer la lettre à Monckton. Mais de nombreux éléments permettent de remettre en question la valeur des renseignements contenus dans cette missive du marquis Michel Chartier de Lotbinière.
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La lettre de Chartier de Lotbinière Le signataire de cette lettre est né à Québec le 23 avril 1723 ; il devait mourir de la fièvre jaune à New York le 14 octobre 1798. Membre d’une famille établie en Nouvelle-France depuis plusieurs générations, il faisait partie de l’élite seigneuriale locale. À l’aube de la vingtaine, il joint les rangs de l’armée française. Après un séjour d’études en Europe, on le retrouve en Nouvelle-France à partir de 1753 au sein des troupes de la colonie avec le titre d’ingénieur et le grade de lieutenant. En 1755, il se voit confier, par le marquis de Vaudreuil, la responsabilité de la construction du fort Carillon. Cette entreprise amène Chartier de Lotbinière à résider dans la région du lac Champlain de septembre 1755 à juillet 1758. St. John de Crèvecœur a séjourné dans les mêmes environs de l’été 1757 à septembre 1758. De par ses fonctions de cartographe, notre auteur faisait partie des mêmes services que Chartier de Lotbinière : les deux hommes se sont assurément connus. Au moment de la bataille des Plaines d’Abraham, Chartier de Lotbinière est à Québec, sous les ordres du gouverneur Vaudreuil et non de Montcalm, parce que Chartrier de Lotbinière figurait dans les rangs des troupes de la colonie et non des troupes de terre. Comme c’était souvent le cas entre les officiers d’origine canadienne et ceux qui venaient d’arriver de France, les relations entre Montcalm et Chartier de Lotbinière étaient loin d’être harmonieuses. Le conflit qui les opposait s’explique principalement par le soutien que Montcalm accordait à Nicolas Sarrebource de Pontleroy, l’officier français qui a obtenu le poste d’ingénieur en chef de la colonie auquel Chartier de Lotbinière avait cru pouvoir prétendre. Au lendemain de la chute de Québec, Chartier de Lotbinière fait partie des bataillons qui se replient sur Montréal pour continuer les combats jusqu’à la défaite définitive du 8 septembre 1760. Chartier de Lotbinière n’était donc plus à Québec au moment où St. John de Crèvecœur aurait été, selon ses dires, l’objet du mécontentement des autres lieutenants du régiment de la Sarre. Le correspondant de Chartier de Lotbinière est Nicolas Renaud d’Avène des Méloizes, né à Québec le 21 novembre 1729 et mort à Blois en 1803. Les Renaud d’Avène des Méloizes figuraient également depuis plusieurs générations au sein de l’élite seigneuriale de la Nouvelle-France, et cette famille était étroitement liée aux Chartier de Lotbinière. Eustache Chartier de Lotbinière, le père de l’auteur de la lettre, était l’époux de Marie- Françoise Renaud d’Avène des Méloizes, sœur de Nicolas-Marie Renaud d’Avène des Méloizes, le père de l’homme à qui est adressée la lettre, dont la mère s’appelait Angélique Chartier de Lotbinière. Les correspondants étaient donc de très proches cousins ; une génération plus tard, Marie-
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Nicolas, le fils du destinataire de la lettre, écrira d’ailleurs que les Chartier de Lotbinière figurent parmi ses « plus proches parents4 ». Militaire de carrière, Nicolas Renaud d’Avène de Méloizes était des troupes de la colonie qui ont participé aux victoires de l’armée française dans la région de Carillon en juillet 1758. Il a donc dû lui aussi y côtoyer St. John de Crèvecœur. Cependant, au moment de la prise de Québec, le correspondant de Chartier de Lotbinière n’était plus sur place. Comme en témoigne son « Journal militaire », Renaud d’Avène des Méloizes était depuis le 3 juillet 1759 en poste à l’île aux Noix. C’est là qu’il apprendra, huit jours après les événements, la nouvelle de la défaite du 13 septembre5. S’il demeure tout de même possible, comme le croit Chartier de Lotbinière, qu’il ait pu entendre parler des événements ayant conduit au départ de St. John de Crèvecœur, le journal de Renaud d’Avène des Méloizes ne présente aucune référence à ce dernier, ni à une éventuelle disgrâce d’un quelconque officier français. Nicolas Renaud d’Avène de Méloizes aura une fille du nom de Zéphérine-Aimée Renaud d’Avène des Méloizes-Fresnoy. Elle épousera, en 1827, un certain Guillaume-Lionel Alexandre Saint John, marquis de Crèvecœur : le fils de Philippe-Louis St. John de Crèvecœur, petit-fils de St. John de Crèvecœur et père de Robert de Crèvecœur6. Aussi, le premier biographe de notre auteur a-t-il vraisemblablement trouvé la lettre qui nous concerne dans les papiers qu’il aura hérité de la famille de sa mère. Comme Bourdin a eu accès à la documentation de Robert de Crèvecœur, c’est au sein des archives privées des descendants de St. John de Crèvecœur qu’on devrait retrouver l’exemplaire original de cette lettre. Malheureusement, elle n’y figure plus : elle paraît avoir été détruite au cours de la Seconde Guerre mondiale7 et il ne semble en subsister que le passage cité en introduction de l’édition originale des Sketches of Eighteenth-Century America. Nous avons cependant découvert, dans les collections de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, une partie de la correspondance qu’ont entretenue Chartier de Lotbinière et Renaud d’Avène des Méloizes. Elle figure parmi un regroupement de « lettres adressées à M. des Méloizes » dont les envois ont été faits entre 1783 et 1811. Cet ensemble de documents est constitué de transcriptions tapuscrites réalisées « [d]’après une copie faite par M. des Méloizes sur les originaux conservés en son chartrier ». Il s’ouvre sur une lettre d’introduction datée de 1929 dans laquelle le descendant de Renaud d’Avène des Méloizes précise que ces textes sont « tout ce qui subsiste, à [s]a connaissance, de la correspondance de Nicolas Renaud d’Avène des Méloizes […] avec sa famille du Canada et ceux de ses parents canadiens rentrés comme lui en France après la perte de la colonie8 ». Le recueil contient une dizaine des lettres que Renaud d’Avène
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des Méloizes et son cousin se sont échangées entre 1788 et la mort de Chartier de Lotbinière, en 1798 ; plusieurs de ces missives font référence à des plis qui n’ont pas survécu au passage des décennies. On se contentera, afin de donner une idée de la teneur de cette correspondance, de présenter le contenu d’une de ces lettres exemplaire de l’ensemble : J’ai reçu par duplicata, Mon cher Cousin, la lettre que nous m’avez fait l’amitié de m’écrire le 30 janvier dernier, la 2e (par le navire la Marie. — Capitaine Morton) à moi remise le 4 mai suivant, la 1re reçue le 19 dudit mois. Dans chaque expédition étoit 1o un détail de compte dont la recette montoit à 1320# dont 300 pour trente mois de rente de tontine9 du M. le Duc d’Orléans, en faveur d’Alainville10 (y compris 6 premiers mois de 1789)… et je suis fondé à être un peu surpris que même les six premiers mois de 1789 ne soient encore que pour la rente originaire de 40# par action, comme si depuis le 1er janvier 1787 jusqu’au 1er juillet 1789, il n’avoit pas disaparu un seul actionnaire et tontinier, dans le nombre de six mille actions, total des actions sur cette tontine (voyez l’art XII de l’imprimé distribué pour l’emprunt de six millions sur le public par M. le Duc d’Orléans, donnant naissance à cette tontine. — Voyez de même les art. XIVe et plus particulièrement le XVe, de même que le XVIIIe. Il sera bon de consulter en conséquence le tableau originaire du nom et des différens tontiniers, qui a dû, indispensablement être complet (sans la moindre variation ensuite) le 1er janvier 1787, et ensuite celui des extinctions pour chaque année, que l’on a promis de rendre publics par la voie de l’impression. Il me parait que, sans indiscrétion, l’on peut annoncer son désir pour cette communication et vérification, et demander satisfaction pour l’erreur (s’il y en a) comme je suis le plus penché à le croire… plus un détail de frais de 37# 6s qui soustrait de la recette ci-dessus, donnoit un résultat de 1282# 4 sols pour laquelle vous m’avez fait passer également par duplicata une retraite de ladte somme de 1282# 4 sols tournois sur Messrs Riquier et Bereux (dépositaire de cette somme à moi), dont le 1ere, arrivée la dernière, a été acceptée par eux ; et c’est la 2me que j’ai d’abord endossée, l’ayant livrés à Mrs Nicholas, Hoffman et fils, gros marchands ici, entre les mains desquels j’ai desja quelques fonds d’argent et qui doivent me tenir compte de celui de cette traite, du jour que leur correspondant de Londres l’aura touché à Paris. N.B. c’est à ces mêmes Hoffman (gros propriétaires en fond de terres dans cet État particulier) qu’il sera à propos de m’adresser à l’avenir les lettres et autres paquets que l’on voudroit me faire parvenir par la voie de New York (Mr Hamilton étant depuis le printemps grand trésorier des États-Unis, et conséquemment trop occupé dans sa partie pour pouvoir prendre sur lui ce mince détail), lesquels veilleront à me les faire remettre où je serai, de la manière la plus certaine et en même temps la moins couteuse. Je vous ai une vraie obligation, mon cher Cousin, de m’avoir aussi parfaitement bien instruit de tout ce qui s’est passé et se passoit journellement dans notre chère patrie, que je prévoyais devoir être à peu près dans l’état actuel où vous me la dépeignez si bien, et dans le moins de mots possible. Continuez, je
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vous prie, à m’instruire de tout ce qui s’y est passé depuis et s’y passera successivement ; vous savez ne pouvoir me satisfaire davantage, connaissant l’excès de mon patriotisme le plus réel dans tous les tems, qui semble s’armer d’une ardeur au moins double dans celui-ci où je la vois dans une forte crise et la nation entière plus exposée qu’elle ne l’a jamais été, puisqu’elle s’est laissé saisir de vertige, devenu presque universel, qui ne tend pas moins qu’à sa destruction entière, et les uns par les autres. — Mais la sachant en gros capable de raisonnement solide, peu après s’être laissé échauffer dans le premier moment, un peu trop vivement, je ne doute pas que le plus grand nombre à présent ne s’apperçoivent parfaitement que ce n’étoit pas là la liberté à laquelle il aspiroit mais uniquement à celle raisonnable et réglée en tout, qui pouvoit leur sauver quelques rares abus qui ont eu lieu dans ceux munis en sous ordre d’une authorité illimitée, et sans jamais s’écarter des principes fondamentaux de leur bon Roi, et que l’on peut bien dire s’être conduit en père tendre et le plus chéris, vouloit leur assurer à jamais si on l’eût laissé continuer, et qu’il n’en eut pas été détourné dès les premiers instans de son opération par l’orage violent qui s’est déclaré tout à coup et auquel il ne devoit jamais s’attendre, surtout dans un moment pareil et aussi essentiel pour le bonheur éternel de tous ce qui s’appelle françois. C’est ce que j’espère qui est aperçu généralement aussi parfaitement où vous êtes, que je l’aperçois moi même et l’ai toujours aperçu ; d’où je conclus que vous devez desja commencer à jouir de ce retour de raison dans le peuple qui, y apercevant la fin de tous ses maleurs particuliers et la naissance de son bonheur le plus certain et le plus réel, se fortifiera de plus en plus en lui, et rendra le séjour de notre païs aussi parfaitement heureux que son physique de tous les cotés peut le promettre ; tout autant pour l’étranger qui en foule venait y déposer le fruit de son industrie ailleurs (et qui un tems assez long n’a osé en approcher par les risques qu’il y couroit pendant cet orage furieux), que pour tous ceux qui ont eu le bonheur de naître ou de s’habituer depuis un certain tems dans une contrée située pour rendre les hommes les plus heureux sur terre. En repassant vos lettres précédentes, j’ai aperçu dans celle du 10 Septembre 1788 (que je n’ai pas consulté au moment de ma réponse à votre seconde) que vous m’aviez réellement instruit desjà que mes lettres patentes de Marquis, adressée aux trois premières cours souveraines de Paris (avec deux requêtes) vous avoient été remises par le greffier en chef de la Chambre des Comptes. Je vois que vous n’avez pu rien faire pour retirer à Bordeaux ce que j’y avois laissé en dépôt entre les mains de Mr et de Made Durand, par le moyen du correspondant de Mr Riquier ; mais ne croiriez-vous pas que par Merrrs Feigger, frères, négociants aux Chartrons (correspondans anciens du pauvre Repentigny qui m’en a dit tant de bien et s’en trouvait si parfaitement) que nous puissions réussir à faire regorger ce dépôt ; car j’ai peine à digérer ce sacrifice qui est un objet pour moi de au moins six cent livres ; en ce cas, ce serait de le faire passer, ou ce qu’il sera possible d’en tirer, à Messrs Nicholas Hoffman et fils, qui m’en donneront avis (et il vient ici chaque année plusieurs vaisseaux de Bordeaux) et ils aviseroient d’après ma réponse à me le faire passer en Canada.
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Cy-joint une feuille séparée au sujet de livres qui ont été gatés par eau de mer11, dans le cellier de Mr Robert Watts où étoient mes caisses, m’ayant assuré avant que la marée n’en approchoit jamais quelque forte qu’elle eut jamais été. Vous savez, mon cher Cousin, ma passion pour les livres, et il faut que cet accident soit tombé précisément sur les plus précieux et auxquels j’étois le plus attaché. Ce que vous pourrez recevoir de ma, ou de mes pensions, de même que des rentes de tontine d’Allainville [sic], pourra vous remplir de l’argent nécessaire pour cette acquisition en remplacement ; autrement je vous en remplirois le montant par une traite certaine de New York ou du Canada, aussitôt que je saurois que vous n’en avez pas été rempli, espérant que vous voudrez de suite donner vos ordres à Paris pour me satisfaire à ce sujet. Vous aurez vraisemblablement reçu d’autres lettres de mon fils depuis celle du 7 octobre. Ma dernière de lui est des premiers jours de Mars, et en réponse je lui marquois de me les adresser à Albanie (poste-restante), parce qu’alors je croyais pouvoir laisser New York dans tout le cours de Mai au moins, et que les variations fréquentes de froid au chaud et de là subitement au froid réel m’ont empêché de me mettre en route avant que la belle saison fut décidée sans retour. Depuis 10 jours et plus que je la crois décidée tout à fait, la mauvaise foi d’un débiteur pour une somme de six à sept cent piastres placée il y a deux ans et 9 mois chez lui me retient ici, et peut être encore pour 10 à 12 jours, voulant prendre toute précaution avant mon départ pour ne la pas voir trop risquée et même totalement perdue, s’il n’en craignoit pas les suites au haut criminel, pour péculat12 dans lequel il s’est mis vis à vis de moi. Après lequel tems, où très peu après, je gagnerai ma famille, sans arrêter et le plus tôt que je le pourrai. Ma fille et mon gendre ont pris une maison à Vaudreuil, à _ lieue du reste de ma famille, ainsi je serai au centre d’elle toute rassemblée à une foible distance ; ils se portoient tous bien à la date de la dernière lettre de mon fils dont est question ci-dessus, et je juge qu’à mon arrivée à Albanie, j’en trouverai de nouvelles, et peut-être de tous. — Je suis bien charmé de vous savoir tous en parfaite santé, espère que votre gibier, vos bois et colombiers seront plus épargnés sous bien peu de tems que dans cette bourrasque générale qui cependant n’a pas été aussi dure pour vous que pour la plupart des autres seigneurs, parceque sans doute vous n’avez cessé d’accabler de vos bontés en toute occasion vos tenanciers et que nombre d’autres n’ont pas été aussi bons aux leurs. — Faites je vous prie mille tendres amitiés à votre chère femme et autres de la famille, les remerciant le plus particulièrement du souvenir qu’ils veulent bien m’accorder et me croyez tous pour la vie votre serviteur, bon parent et le plus fidèle ami.
le Mis de Chartier de Lotbinière
Je ne sais si le tailleur qui m’a fait mon habit de drap et ceux d’Allainville près de notre départ de Paris vous aura remis dans le temp le modèle dessiné en couleur pour mon galon de livrée formé de mes armes. Il demeuroit dans le tems au palais marchand et je pourrai, étant en Canada, m’adresser à lui tant pour moi que pour Allainville, pour ce qu’il nous faudroit d’habits, etc., ainsi que pour la livrée.
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Cette lettre révèle un Chartier de Lotbinière pointilleusement soucieux de ses rentes et placements, et ses diverses considérations sur les troubles révolutionnaires qui secouent la France dévoilent un fervent royaliste. Si elle donne le ton et la teneur de la correspondance qu’ont entretenue les deux cousins, un petit détail la distingue néanmoins du lot de missives que nous avons retrouvé : elle est datée de « New York, le 7 juin 179013 » — comme celle mentionnée par Robert de Crèvecœur et dont Bourdin a cité un passage. Or le texte que nous avons eu sous les yeux ne présente pas la moindre référence à St. John de Crèvecœur. Le document dont Bourdin a dévoilé le contenu a été expédié « a M. des Méloizes rue Royale No. I à Paris » ; celui que nous avons découvert est adressé à « Monsieur le Comte des Méloizes Chevalier de Saint-Louis, en son Chateau de Fresnoy près Beaumont-sur-Oise ». Chartier de Lotbinière aurait-il écrit à son cousin deux lettres différentes au cours de la même journée ? La chose est possible mais elle soulève une autre interrogation : pourquoi ne les a-t-il alors pas envoyées à la même adresse ? La réponse à cette question permet finalement de résoudre l’ensemble du problème. Le fait qu’une de ces lettres ait été destinée à être acheminée à l’adresse parisienne de son destinataire et l’autre à sa maison de campagne, porte à croire que nous avons affaire à un envoi en duplicata. Chartier de Lotbinière commence d’ailleurs sa lettre en précisant qu’il répond à un pli de Renaud d’Avène des Méloizes qu’il a « reçu par duplicata ». Au XVIIIe siècle, le transport et la livraison du courrier connaissaient d’importantes difficultés et bon nombre de plis ne se rendaient jamais à destination. Le risque de voir se perdre des lettres augmentait davantage lorsque ces missives devaient traverser l’Atlantique. Afin de remédier à cet inconvénient, on avait l’habitude d’envoyer plusieurs copies d’une même lettre, cela par autant de voies différentes. Ces duplicatas n’étaient toutefois pas toujours des copies conformes. Les correspondants ajoutaient ou retranchaient parfois quelques lignes à leur lettre au moment où ils la recopiaient. Ainsi circulait-il plusieurs versions plus ou moins différentes de la même lettre et les fonds d’archives les ont souvent conservées jusqu’à nos jours. Il est donc possible qu’il ait existé deux exemplaires de la lettre que Chartier de Lotbinière a rédigée à New York le 7 juin 1790, et que ces deux copies aient été envoyées à l’une et l’autre des adresses de leur destinataire. Cela pourrait expliquer le fait qu’un des exemplaires puisse contenir un passage qui ne se retrouve pas dans l’autre lettre : Chartier de Lotbinière aura ajouté à la copie destinée à l’adresse parisienne de Renaud d’Avène des Méloizes, ou retranché à celle à destination du château de Fresnoy, les lignes sur St. John de Crèvecœur qui nous intéressent. Le texte
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que nous avons trouvé pourrait donc être la copie Fresnoy de la lettre du 7 juin 1790, tandis que Bourdin citerait pour sa part la copie Paris, désormais perdue, de la même missive. La lettre que nous avons eue sous les yeux présente un passage au cours duquel Chartier de Lotbinière informe son correspondant d’un changement d’adresse qui s’avère nécessaire parce que la personne qui s’occupait jusqu’alors de recevoir son courrier est « depuis le printemps grand trésorier des Etats-Unis ». L’individu en question, qui occupera le poste de secrétaire du trésor des États-Unis de 1789 à 1795 au sein du gouvernement du président George Washington, est nul autre qu’Alexander Hamilton. Principal rédacteur, de pair avec John Jay et James Madison, des célèbres Federalist Papers, sa participation déterminante aux débats entourant l’élaboration de la Constitution états-unienne lui vaut de figurer parmi les hommes politiques considérés comme les founding fathers du pays. L’évocation de ce mouvement de personnel dans l’appareil politique états-unien en poste à New York pourrait fort bien avoir conduit Chartier de Lotbinière à ajouter, dans la copie Paris de sa lettre, quelques propos dans le même ordre d’idées sur le personnel diplomatique français en poste dans la région, dont Otto, qui venait de prendre épouse en avril. Chartier de Lotbinière aura alors été amené à préciser que la « nouvelle femme » de chargé des affaires du Roi était la « fille du fameux St. Jean de Crèvecœur », une formule qui semble faire allusion à la renommée que l’auteur s’était acquise avec la publication des Lettres d’un cultivateur américain. Mais Chartier de Lotbinière laisse entendre que Renaud d’Avène des Méloizes pourrait avoir eu d’autres raisons d’avoir entendu parler de cet homme, à savoir les événements qui se seraient passés au cours de la campagne de Québec. On peut alors croire qu’une fois close cette parenthèse, la copie Paris recommencerait à reproduire plus ou moins intégralement le texte de la copie Fresnoy. On se doit de signaler que l’absence de ces allusions à St. John de Crèvecœur peut également tenir au fait que l’exemplaire du document auquel nous avons eu accès est une transcription réalisée, pour reprendre les mots de l’annotateur : « D’après une copie faite […] sur les originaux. » Dans la mesure où le document est passé par les mains de deux transcripteurs, il est possible que les lignes consacrées à St. John de Crèvecœur aient été omises lorsqu’on a réalisé la première copie des originaux ou lorsqu’on a fait la transcription tapuscrite de cette copie. Mais quelle que soit l’explication, une chose paraît certaine : St. John de Crèvecœur n’était pas le sujet principal de la lettre de Chartier de Lotbinière. Les lignes qui lui sont consacrées semblent ne constituer rien de plus qu’un aparté. Les informations qu’elles contiennent sont dévoilées au passage, sur un ton
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proche de la médisance, comme si Chartier de Lotbinière cherchait à informer son cousin de ragots concernant une célébrité de leur temps. Ce témoignage demeure malgré tout d’une très grande importance. Chartier de Lotbinière s’avère une des très rares personnes sinon la seule à avoir côtoyé St. John de Crèvecœur au cours des deux grandes périodes de son existence : avant et après la parution de l’ouvrage qui l’a rendu célèbre. Ce qu’il reste de la copie Paris de sa lettre constituait, avant notre découverte de la lettre de St. John de Crèvecœur à Monckton, l’unique document d’époque permettant d’établir avec certitude que le lieutenant Crèvecœur ayant séjourné en Nouvelle-France et l’homme qui devait son poste de consul de France à New York à l’intérêt suscité par la publication de ses Lettres d’un cultivateur américain étaient un seul et même individu. Mais Chartier de Lotbinière et Renaud d’Avène des Méloizes étaient tous les deux absents de Québec au moment des événements évoqués. Ils n’ont pas pu être les témoins directs des événements qui ont conduit au départ de notre personnage : les affirmations du signataire de la lettre ne peuvent être fondées que sur des renseignements de seconde main. De plus, comme on l’a vu, hormis la missive de St. John de Crèvecœur que nous avons découverte, il est impossible de confirmer les dires de Chartier de Lotbinière à l’aide d’aucun autre document. On verra par contre qu’au moment de la rédaction de sa lettre, Chartier de Lotbinière pouvait avoir eu des raisons de vouloir ternir la réputation du consul de France à New York. Mais avant d’être en position d’explorer cette hypothèse, il faut tenter de reconstituer les cours des événements reliant l’époque où Chartier de Lotbinière pourrait avoir côtoyé St. John de Crèvecœur en Nouvelle-France et celle où les deux hommes se croisent de nouveau à New York en 1787.
Le propriétaire de Pine Hill Chartier de Lotbinière affirme qu’au lendemain de la prise de Québec, St. John de Crèvecœur se serait retrouvé dans une position l’obligeant « à se réfugier de suite dans le haut de la rivière d’Albanie où végétant il faisait le métier d’arpenteur ». On ne sait rien des conditions dans lesquelles St. John de Crèvecœur a débarqué d’un des navires qui ont ramené le brigadier général Monckton à New York en décembre 1759. Le principal intéressé n’a laissé aucun récit de son arrivée aux États-Unis, à moins de reconnaître un caractère autobiographique à une anecdote évoquée dans les Lettres d’un fermier américain. James y raconte qu’il a
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Nouvelles lumières sur le séjour de St. John de Crèvecœur en Nouvelle-France
connu un homme qui est venu littéralement nu en ce pays ; je crois qu’il était Français et qu’il était marin à bord d’un vaisseau de guerre anglais. Malheureux de son sort, il s’est dévêtu et a nagé jusqu’à terre où, après avoir trouvé des vêtements et des amis, il s’est par la suite établi à Mamaroneck, comté de Westchester, dans la province de New York ; il s’est marié et a laissé une bonne ferme à chacun de ses fils.
La localité de Mamaroneck se situe dans ce qui constitue aujourd’hui le Yonkers, dans la banlieue nord de la ville de New York, sur la côte Atlantique. L’extrémité nord-ouest du comté de Westchester rejoint les limites des comtés de Rockland, de Putnam et d’Orange. Or c’est dans ce dernier qu’était située la ferme de Pine Hill où St. John de Crèvecœur a vécu pendant près d’une décennie. Et St. John de Crèvecœur était Français, et les navires sur lesquels il est parti de Québec en direction de New York étaient des vaisseaux de guerre anglais. Devant autant de coïncidences, il est difficile de se refuser d’évoquer la possibilité que, bien qu’elles soient rédigées à la troisième personne, ces lignes aient une teneur autobiographique (comme cela semblait être le cas, comme on l’a souligné plus haut, de la référence au massacre du fort William-Henry figurant dans le Voyage dans la Haute Pensylvanie). Ce passage permet de croire que St. John de Crèvecœur aurait fui le bateau qui devait le déposer à New York pour rejoindre incognito la côte à la nage. Il est possible qu’il ait par la suite séjourné dans la région d’Albany, c’est-à-dire à l’intérieur des terres baignées par l’Hudson, le fleuve qui traverse l’État de New York. Son expérience de cartographe a pu lui permettre d’exercer le métier d’arpenteur. St. John de Crèvecœur affirme lui-même s’être adonné à cette occupation lorsqu’il écrit au duc de La Rochefoucauld d’Enville le 1er mai 1784 : « Je n’ai jamais été qu’un simple arpenteur, le cultivateur de mes propres terres, ou un voyageur au sein des forêts de cette contrée14. » Mais on ne sait rien de plus des trois premières années de son séjour dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord, et de ce qui se passe ensuite, on ne sait rien de sûr. Selon une lettre au duc d’Harcourt rédigée en 1787, il aurait, en 1764, voyagé dans les forêts de la région qui forme désormais l’État du Vermont. Après être devenu citoyen de la colonie de New York, il aurait, en 1766, parcouru la côte Atlantique depuis le New Hampshire jusqu’en Virginie. En 1767, il aurait séjourné dans la vallée de l’Ohio et, la même année, il aurait éventuellement fait un voyage en Jamaïque ainsi qu’aux Bermudes15. Les choses commencent à se préciser au cours des années suivantes. St. John de Crèvecœur est désormais âgé de trente-quatre ans lorsque, le 20 septembre 1769, il épouse « Mehetable Tippet, du comté de Duchesse, province de New-York ». L’acte de mariage a été dressé à « West-Chester » :
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il existe bien, non loin de Mamaroneck, un endroit du nom de Westchester, dans la banlieue de New York, et qui donne son nom au comté de Westchester. Le document est signé par Jean Pierre Têtard, ministre de l’Église française réformée de New York, ce qui implique un mariage protestant, alors que l’acte de baptême de St. John de Crèvecœur est celui d’un catholique. Trois mois plus tard, le 12 décembre 1769, un contrat établi entre James Nesbit et « Hector St. John du comté de Ulster et de la province de New York gentilhomme » rend compte de l’achat par ce dernier, pour un montant de 350 livres, de la ferme de Greycourt, dans le comté d’Orange16 (adjacent au comté d’Ulster). Le domaine qu’achète alors St. John de Crèvecœur est situé à cinq kilomètres à l’est de la ville de Chester, dans une région aujourd’hui identifiée sous le nom de Craigville. Le nouveau propriétaire rebaptise son établissement pour lui donner le nom de Pine Hill et c’est là que, neuf ans après avoir quitté la Nouvelle-France, l’ancien lieutenant de l’armée française devient finalement un fermier américain. Il est possible de se faire une idée de l’allure que présentait la ferme de Pine Hill grâce à une aquarelle retrouvée par Robert de Crèvecœur dans les archives de sa famille et qui y a été conservée jusqu’à ce jour. On peut lire, à l’endos de cette miniature de moins d’une dizaine de centi mètres de diamètre, quelques lignes qui paraissent être de la main de St. John de Crèvecœur. Elles précisent que ce dessin représente la « Plantation de Pine Hill, dont le premier arbre a été abattu en l’an de grâce 1770. Comté d’Orange, colonie de New York17 ». Selon une lettre de la veuve de Robert de Crèvecœur, cette miniature serait de la main même de St. John de Crèvecœur18, ce que rien ne permet cependant de confirmer. La minutie dont a su faire montre la personne qui a réalisé cette minuscule illustration remplie de détails laisse supposer qu’elle est le fruit du travail d’un miniaturiste chevronné, ce que n’était assurément pas St. John de Crèvecœur. Les manuscrits de l’auteur recèlent un dessin au crayon représentant la façade d’une maison donnant sur un pré bordé d’arbres, dont les effets de perspective sont passablement maladroits19 : si ce croquis est de St. John de Crèvecœur, il témoigne d’un talent sans grande envergure, loin d’être à la hauteur de l’habileté de l’individu qui a dessiné et peint l’aquarelle qui nous concerne. Robert de Crèvecœur a sans doute raison de croire que « [c]e dessin est certainement postérieur de beaucoup à 1770 » dans la mesure où cette aquarelle permet de voir des bâtiments et des champs dont le développement paraît être le fruit de plusieurs années d’exploitation. Selon ce que nous apprend l’acte d’achat, il ne se dressait, sur le terrain dont St. John de Crèvecœur devient propriétaire en décembre 1769, que des « cabanes pour les faucons, la chasse, les oiseaux, la pêche, et des clôtures ». La
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Figure 19. « Plantation de Pine Hill, dont le premier arbre a été abattu en l’an de grâce 1770. Comté d’Orange, colonie de New York ». Collection personnelle de M. Hubert Jean Saint-John de Crèvecœur.
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miniature représente plutôt le genre de « maisons, dépendances, édifices, constructions, vergers, jardins, terrains, prés20 » que St. John de Crèvecœur vendra avec l’ensemble de sa ferme à Thomas Moffat le 17 mars 1779. Sans présenter de justification, Franklin B. Sanborn date le dessin de 1778 ; on peut croire qu’il le fait en se fiant à la veuve de Robert de Crèvecœur qui, lorsqu’elle retranscrit la mention à l’endos de l’aquarelle, indique la date « a. d. 177921 », alors que la date qui apparaît à l’endos de la miniature est plutôt 1770.
Des « interets de famille considérables » Vers 1772, soit trois ans après l’établissement de St. John de Crèvecœur à Pine Hill, apparaît un document qui, tout en éclairant certains aspects de l’existence qu’a menée notre homme depuis la fin de son séjour en Nouvelle-France, ajoute au mystère qui enveloppe cette période. Il s’agit de la lettre adressée au gouvernement britannique par le « particulier de la Province de Normandie » qui nous a précédemment donné l’unique portrait en pied de notre auteur. Dans le but de permettre aux autorités d’identifier et de retracer celui pour lequel il demande « un Certificat de vie ou de mort », l’auteur de la lettre met ses interlocuteurs au fait de ce qu’il sait des déplacements et des activités de l’homme qui est l’objet de sa requête : Expatrie depuis dix huit ans, il habite l’Angleterre depuis dix a onze ; Il s’y etoit d’abord reclame de Mlles. Mutel, vieilles filles de 70 ans au moins, qui habitent la ville de Salisbury. par ces Demoiselles, il a connu des Particuliers qui ont des Etablissemens a Phyladelphia et en Pennsylvanie, et il habite cette Province de la nouvelle Angleterre dans la ville meme de Phyladelphie depuis huit a neuf ans. Il y etoit en qualité d’associe ou de Vice-Gerant d’un Negociant dont on ignore le nom et le genre de Commerce et les dernieres nouvelles que l’on a recues sont de l’annee 1767. Il doit savoir parfaitement l’Anglois, au moins il s’etait annonce pour tel. On ignore s’il est marie, ou s’il l’a ete ; On sait Seulement que peu de tems apres son arrive en Angleterre il a du epouser la fille unique d’un Negociant, qu’elle est morte avont d’etre maries, et que c’est cet evenement qui lui a procurer les interets qu’il a a Phyladelphie22.
En tenant pour acquis que cette demande de renseignements date des environs de 1772, si St. John de Crèvecœur est alors expatrié depuis dixhuit ans, cela implique qu’il aurait quitté la France aux environs de 1754. Quant au fait que notre homme habiterait l’Angleterre depuis un peu plus de dix ans, elle nous ramène aux environs de 1761 et 1762. Mais St. John de Crèvecœur n’était pas en Angleterre en 1761 : il résidait dans les colonies
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britanniques d’Amérique du Nord. Il faut cependant se rappeler que la Grande-Bretagne et ses colonies formaient une seule et même entité administrative : en résidant dans les colonies britanniques, St. John de Crèvecœur habitait malgré tout, sinon en Angleterre comme telle, à tout le moins en territoire anglais. D’ailleurs, lorsque la suite de la lettre affirme que St. John de Crèvecœur habite Philadelphie depuis huit à neuf ans, soit depuis 1763 ou 1764, son établissement en Pennsylvanie est implicitement présenté comme le fruit d’un déplacement à l’intérieur des frontières d’une Angleterre dont le territoire semble donc inclure celui de ses colonies. La lettre confirme le séjour de St. John de Crèvecœur à Salisbury et le fait qu’il devait, sinon « savoir parfaitement l’Anglois », du moins pouvoir s’« annonce[r] pour tel ». Il n’existe aucun autre document permettant de soutenir que St. John de Crèvecœur se serait forgé, auprès des demoiselles Mutel, des relations ayant pu contribuer à son installation à Philadelphie en tant qu’associé d’un commerçant. Rien non plus ne saurait nous en apprendre davantage sur le drame de cœur évoqué par la lettre : le décès d’une fiancée dans lequel certains commentateurs ont cru trouver la raison de son départ d’Angleterre en direction de la Nouvelle-France. Justement, ce document ne fait aucune mention d’un séjour de St. John de Crèvecœur en Nouvelle-France. Selon l’auteur de la lettre, notre homme a quitté la France depuis dix-huit ans et habite l’Angleterre depuis dix à onze ans. Le « particulier de Normandie » laisse ainsi entendre que St. John de Crèvecœur ne s’est pas établi en territoire britannique immédiatement après s’être expatrié de France. Les sept à huit années qui séparent ces deux événements se situent entre 1754 et 1761-1762, ce qui correspond approximativement à la période de son service dans l’armée française. Comme le signale Julia Post Mitchell, à qui on doit la découverte de ce document, il est possible que son auteur ait volontairement évité d’évoquer le fait que l’homme dont il cherche à avoir des nouvelles ait été lié au destin de la colonie française qui, quelques années auparavant, était encore l’ennemie des autorités dont il demande la collaboration. Ou peut-être n’avait-il pas la moindre idée de ce que St. John de Crèvecœur avait pu faire entre le moment où il a quitté sa patrie et celui où on a pu retrouver sa trace dans les colonies britanniques d’Amérique. Il est cependant improbable que sa famille n’ait pas été au courant de son engagement au sein de troupes de l’armée française ; sa promotion au grade de lieutenant lui a été obtenue grâce à la recommandation du marquis d’Houdetot, un ami de son père, ce qui permet de croire que ce dernier était certainement au fait de sa carrière militaire. En fin de compte, le « particulier de Normandie » sait fort peu de choses sur l’homme qu’il recherche. Non seulement ignore-t-il s’il est ou a été
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marié, mais la teneur de sa missive implique qu’il ne sait même pas s’il est mort ou vivant. Ces incertitudes quant au sort de St. John de Crèvecœur laissent supposer que sa famille était sans nouvelles de lui depuis le moment où il s’était expatrié. Par ailleurs, cette expatriation fait peut-être moins référence à son départ en direction de l’Amérique qu’à un précédent séjour en Grande-Bretagne. Lorsque le « particulier de Normandie » écrit que St. John de Crèvecœur habite en Angleterre depuis dix à onze ans, il semble parler d’une forme d’établissement plus ou moins définitif. Quand il ajoute que notre homme « s’y etoit d’abord reclame » d’une recommandation de résidantes de Salisbury, ce « d’abord » fait peut-être référence à un autre séjour, temporaire celui-là, et préalable à son installation définitive en territoire britannique. St. John de Crèvecœur pourrait, dans un premier temps, avoir quitté sa Normandie natale après la fin de ses études pour séjourner quelque temps à Salisbury avant de revenir en France afin de joindre les rangs d’une compagnie franche de la Marine et prendre la direction de la Nouvelle-France en 1754, 1755 ou 1756. Ce serait depuis le moment de son premier départ de Normandie que sa famille n’aurait plus été en contact avec lui, jusqu’à ce qu’elle apprenne qu’il réside en territoire britannique depuis une dizaine d’années, c’est-à-dire depuis 1761 ou 1762, au lendemain de la chute de la Nouvelle-France. Lorsque le « particulier de Normandie » précise que « les dernieres nouvelles que l’on a recues » de l’expatrié « sont de l’annee 1767 », la phrase laisse entendre que ces renseignements ne leur ont pas nécessairement été transmis par St. John de Crèvecœur lui-même. D’ailleurs, dans tout ce qu’on connaît de la correspondance de St. John de Crèvecœur, on ne trouve, sauf la missive à Monckton que nous avons découverte, aucune trace de lettres antérieures à 1778, c’est-à-dire de l’époque où il est retourné en Europe. Aussi est-il possible de penser qu’à partir du moment où il a quitté la Normandie en direction de l’Angleterre, et pendant les quelques vingt-cinq années de son séjour en Amérique, St. John de Crèvecœur n’aurait pas écrit le moindre mot à l’attention de sa famille. L’acte notarié ratifié à Caen en date du 3 septembre 1781 auquel nous nous sommes déjà référé à quelques reprises affirme pourtant le contraire. Ce document a été dressé à la demande du père de St. John de Crèvecœur ; ce dernier désirait, par cette déclaration, reconnaître et légitimer le mariage de son fils, contracté douze ans auparavant : Guillaume augustin Jean de Crevecœur, Ecuyer, demeurant ordinairement En son chateau Paroisse de Pierrepont. Lequel voulant prevenir toutes les difficultés qui pourroient s’Elever après sa mort au Sujet des droits que mlle dame Mehetable tipet Epouse de messire michel Guillaume Jean Sieur de Saint Jean son fils ainé, aurait à reclamer sur
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ses Biens sçis en normandie à titre de douaire, à déclaré que le mariage dudit Sieur son fils ayant Eté solemnisé dans L’amerique Septentrionale le vingt Septembre mil Sept cent Soixante Neuf avec la dite dame tipet dans le comté de Westhester, le Seigneur comparant n’a pû signer ny au contrat de Mariage ny à la célébration dudit Mariage, que cependant la verité est que le dit Mariage n’a point Été contracté Sans Son aprobation et Sans Son consentement, lesquels ont Eté envoyés par Lettres audit Sieur Son fils, que cependant pour ne point donner lieu à des contestations par la Suitte, ce que le Seigneur Comparant croit de Sa Justice et de Sa tendresse de prevenir, il aprouve Entant que Besoin Est où Seroit Le mariage que le Sieur Son fils à Contracté En amerique avec la dite dame Mehetable tipet Ledit Jour vingt Septembre mil Sept cent soixante neuf, pour quoi il Entend que ladite dame de Saint Jean Jouisse Sur tout Ses Biens presents & avenir de toucher droits que la coutume de normandie lui accorde […]23.
Malgré le fait qu’il n’ait pas pu signer ce contrat de mariage ni assister à sa célébration, Crèvecœur père aurait tout de même consenti à cette union par des lettres qu’il aurait fait parvenir à son fils, sauf qu’il n’existe pas la moindre trace de ces missives. Par ailleurs, si Crèvecœur père avait fait parvenir à son fils de pareilles lettres d’approbation, le « particulier de Normandie » n’aurait pas affirmé, trois ans après leur envoi, que la famille de St. John de Crèvecœur « ignor[ait] s’il est marie, ou s’il l’a ete ». La teneur de cet acte permet de le considérer comme un geste de réconciliation de la part d’un père qui vient de renouer avec un fils dont il n’a pas eu de nouvelles pendant plus de vingt-cinq ans et qui lui était revenu d’Amérique depuis à peine six semaines. En déclarant devant notaire que le mariage de son fils s’est fait avec son plein consentement, Crèvecœur père semble reconnaître un fait accompli dont il vient vraisemblablement tout juste d’être informé. Dans les lettres de Crèvecœur père à madame d’Houdetot dont nous avons parlé précédemment, Guillaume-Augustin Jean de Crèvecœur s’était révélé un homme désireux de contribuer à la réconciliation des époux d’Houdetot. Crèvecœur père paraît avoir été un homme disposé à déployer bien des efforts pour mettre un terme aux chicanes de famille : il était certainement prêt à poser tous les gestes nécessaires pour se réconcilier avec un fils aîné qui venait de revenir sous son toit après des décennies d’absence. Ainsi St. John de Crèvecœur n’aurait plus entretenu de contacts directs avec sa famille à partir du moment où il a quitté la Normandie à destination de l’Angleterre. Il est possible que ce fait soit lié à sa ferme volonté de ne pas être rapatrié en France au lendemain de la prise de Québec, de même qu’à son désir de ne plus être identifié sous le nom de Crèvecœur une fois que les événements l’auront forcé à renouer avec le pays de ses ancêtres. Les agissements de St. John de Crèvecœur sont ceux d’un homme
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cherchant à fuir ses proches et à couper les ponts avec un pan de son passé. Il semble par ailleurs que sa famille a, à tout le moins pendant un certain temps, partagé les mêmes sentiments. Le « particulier de Normandie » ne manifeste aucun désir de reprendre contact avec l’homme dont il a besoin de savoir s’il est mort ou vivant. La parenté de St. John de Crèvecœur n’a pas cherché à en savoir plus sur le sort de ce dernier tant et aussi longtemps que des « interets de famille considerables » ne les ont pas forcés à le faire. Tous ces renseignements permettent de croire à l’existence d’un conflit au sein de la famille Jean de Crèvecœur, dont il est peut-être possible de préciser la nature en supposant qu’il est lié aux intérêts de la famille dont se réclame le « particulier de Normandie ». Quel genre d’intérêts familiaux pouvaient nécessiter, aux environs de 1772, l’établissement d’un document attestant que St. John de Crèvecœur était encore en vie ou décédé ? Il est vraisemblable qu’il s’agissait d’une question d’héritage. Crèvecœur père avait deux fils et, en 1772, il avait déjà soixante-cinq ans : un âge où un homme pouvait certainement être préoccupé de régler les problèmes liés à l’établissement de sa succession. On a alors pu avoir besoin de déterminer si l’aîné de la descendance de Crèvecœur père était encore en vie afin d’établir la part d’héritage qu’était en droit de toucher le cadet de la famille. S’il est un « particulier de Normandie » qui, vers 1772, pouvait avoir grand intérêt à déterminer si St. John de Crèvecœur était mort ou vivant, c’est son frère Alexandre. En coupant les ponts le liant à sa famille, St. John de Crèvecœur a peut-être cherché sinon à résoudre des conflits liés à la succession de son père, du moins à les éviter et à les fuir — une hypothèse qui a l’intérêt de résoudre à elle seule une série de mystères et d’expliquer du même coup pourquoi St. John de Crèvecœur a quitté la Normandie, pourquoi il s’est engagé dans l’armée quelques années plus tard et pourquoi il n’a pas voulu revenir dans son pays d’origine après la conquête de la NouvelleFrance. On peut imaginer le scénario suivant. À la fin des études de son aîné, Crèvecœur père était âgé d’une quarantaine d’années. Il pourrait avoir eu l’intention de faire immédiatement profiter St. John de Crèvecœur de la part de biens et de terres qui lui revenait de droit. Cette situation aurait fait naître des tensions, voire un conflit ouvert au sein de la famille. Tout au long de sa vie, St. John de Crèvecœur paraît avoir constamment préféré fuir les problèmes plutôt que de leur faire face. Il pourrait fort bien avoir choisi de quitter la Normandie pour laisser cette querelle de famille derrière lui. C’est alors que la guerre de Sept Ans lui aurait donné la possibilité de se lancer dans une carrière militaire.
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À cette époque, les postes de commandement sont réservés à la noblesse et on obtient son premier grade en fonction des moyens dont on dispose pour acheter sa commission d’officier. Le fait que St. John de Crèvecœur commence sa carrière militaire avec le titre de cadet signale que notre homme n’avait pas suffisamment de ressources pour se payer un poste supérieur. Il est loin d’être certain que Crèvecœur père ait pu avoir les moyens d’acheter à son fils aîné une commission plus importante. La situation financière de Crèvecœur père, comme nous l’a appris sa correspondance avec madame d’Houdetot, paraît avoir été précaire. On peut éventuellement se faire une idée de sa condition de hobereau de province à la lecture des lignes que Lamartine consacre, dans son Histoire des Girondins, à la présentation des conditions de la famille de Charlotte Corday qui, comme celle des Crèvecœur, était elle aussi issue de la petite noblesse de la région de Caen. Lamartine décrit les représentants de ce milieu comme des : gentilshommes de province que la pauvreté confondait presque avec le paysan. Cette noblesse ne conservait de son ancienne élévation qu’un certain respect pour le nom de famille et une espérance vague de retour de la fortune qui l’empêchait à la fois de s’abaisser par les mœurs et de se relever par le travail. La terre que cette noblesse rurale cultivait dans de petits domaines inaliénables la nourrissait seule sans l’humilier de son indigence24.
Le fait que St. John de Crèvecœur soit entré dans l’armée avec le grade de cadet permet de supposer qu’il s’est enrôlé sans solliciter de contribution de la part son père, et peut-être même sans informer ce dernier de sa démarche. Mais s’il commençait ainsi sa carrière au bas des échelons de la hiérarchie militaire, St. John de Crèvecœur pouvait espérer profiter des formes d’avancement qui caractérisaient le fonctionnement de l’armée en temps de guerre. En temps de paix, l’accès à un grade supérieur était tributaire du paiement du prix de la commission concernée, mais en période de guerre, les aléas des combats faisaient en sorte que des charges devenaient vacantes à la suite des décès survenant au cours des batailles ou du rapatriement des officiers trop grièvement blessés. La nécessité de combler rapidement ces vacances imposait des promotions dans la structure de commandement. Un officier pouvait alors accéder à un poste supérieur sans avoir à faire aucun déboursé. Dans pareil contexte, St. John de Crèvecœur pouvait espérer passer graduellement à des grades supérieurs (comme lorsqu’il devient lieutenant en juillet 1758) et, d’une promotion à l’autre, toucher des appointements de plus en plus importants et amasser assez rapidement une fortune personnelle qui aurait pu lui permettre de renoncer à sa part d’héritage. Mais la chute de Québec aura mis un terme à ces projets. St. John de Crèvecœur
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semble avoir démissionné de l’armée pour ne pas être forcé de revenir en France et « aller chercher fortune ailleurs ». Il aurait alors décidé de disparaître définitivement du décor en allant tenter sa chance dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord et en y adoptant un nouveau nom. En vivant désormais sous l’appellation de John Hector St. John, il refuse implicitement d’hériter ne serait-ce que du nom de son père. En brouillant du même coup la principale des pistes permettant de le retracer, il pourrait bien avoir cherché à faire en sorte que son jeune frère devienne l’unique héritier de leur père25. Un ultime élément rend cette hypothèse encore plus plausible : ce n’est sans doute pas dans le but de réclamer sa part d’héritage que St. John de Crèvecœur finit par renouer avec son père. Si on le retrouve en France à partir de 1781, c’est uniquement parce qu’il ne peut pas faire autrement : parce que les événements le contraignent à abandonner derrière lui, et cela pour un temps qu’il devait espérer relativement court, la famille et l’établissement qu’il avait fondés dans sa patrie d’adoption.
Le fermier en fuite On ne saurait dire quand St. John de Crèvecœur a pu découvrir que sa famille cherchait à savoir s’il était mort ou vif. L’essentiel de ce qu’on connaît des événements qui ont ponctué l’existence qu’il a menée à Pine Hill entre 1770 et 1779 tient dans l’acte de baptême de ses trois enfants. Établi par le même Jean Pierre Têtard qui a officié à son mariage, le document fait état de la naissance, le 14 décembre 1770, de sa fille AmericaFrances (qui sera identifiée par la suite sous le nom de Fanny), suivie de celles de ses deux garçons : Guillaume-Alexandre, le 5 août 1772, et Philippe-Louis, le 22 septembre 1774 (que St. John de Crèvecœur appellera Ally et Louis). Ce sont les événements de la vie politique qui détermineront le cours de l’existence de St. John de Crèvecœur à partir du milieu de cette période. Après leur Déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776, les nouveaux États-Unis d’Amérique se voient plongés dans de longues années de guerre civile. Résidant à quelques heures de route de New York, ville occupée par les troupes britanniques à partir de 1776, St. John de Crèvecœur devait nécessairement subir les contrecoups de la révolution américaine : le malheur a voulu que Pine Hill soit situé au cœur du Neutral Ground, du terrain neutre qui séparera les forces britanniques de l’Armée continentale presque tout au long de la guerre d’Indépendance.
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S’il est une population civile qui a souffert des combats qui ont ponctué le cours de la révolution américaine, ce sont les habitants du Neutral Ground. Partout ailleurs, les résidants du pays n’ont été confrontés que sporadiquement aux incursions des armées en conflit. Ils bénéficiaient d’une relative sécurité pendant les périodes où ils se retrouvaient sous la protection des autorités rebelles ou loyalistes qui avaient le contrôle des territoires qu’ils habitaient. Les choses étaient très différentes en terrain neutre. Les fermiers des comtés de sud de l’État de New York et du nord du New Jersey sont demeurés coincés entre deux feux pendant de longues et douloureuses années. Les soldats rebelles et royalistes ne cessaient de patrouiller la région constamment secouée par des escarmouches. Des groupes de partisans tories et whigs (loyalistes et patriotes) parcouraient ces comtés afin de rallier les habitants à leur cause respective. En l’absence de toute forme d’autorité établie, rien ne les empêchait de menacer, de harceler, de maltraiter, voire même de tuer les résidants qu’ils soupçonnaient plus ou moins arbitrairement de soutenir les intérêts du parti opposé au leur. La région était également envahie de maraudeurs se réclamant alternativement de l’un ou l’autre parti pour s’adonner au pillage. Ces hordes de voleurs qui sillonnaient les routes et les bois du Neutral Ground ont reçu le nom de skinners, d’écorcheurs, parce qu’ils étaient prêts à faire la peau à n’importe qui afin de s’accaparer du moindre de ses biens. Le comté d’Orange a été particulièrement exposé à ce genre de déprédations, et plus encore la région dite des Highlands (Hautes Terres), dans les environs de la ville de Goshen, à quelques kilomètres au nord de la ferme de St. John de Crèvecœur. Les établissements de ces territoires étaient passablement développés mais l’endroit était encore sauvage et les habitations relativement isolées les unes des autres : le pillage y était donc à la fois facile et lucratif. Situé le long de l’Hudson, le comté d’Orange s’est rapidement retrouvé confronté aux réalités de la guerre, entre autres à cause de la présence de navires britanniques qui remontaient aisément le fleuve reliant ce coin de campagne à la ville de New York. Dès 1776, le chef-lieu du comté, la ville d’Orangetown (aujourd’hui Tappan), était inondée de réfugiés cherchant à se soustraire aux autorités britanniques. Le comté d’Orange était un des châteaux forts du parti whig, mais cela au sein d’un État de New York globalement acquis aux forces tories. Conséquemment, on y a été plus qu’ailleurs tiraillé entre les allégeances patriotes et loyalistes. Dans les « Angoisses d’un homme de la frontière » dont il rend compte dans la dernière des Lettres d’un fermier américain, St. John de Crèvecœur trace un portrait saisissant des périls que devaient affronter les habitants du Neutral Ground.
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Pour James, la fuite vers l’intérieur des terres est la seule façon d’éviter le pire ; St. John de Crèvecœur cherchera lui aussi à s’éloigner de ces dangers mais en s’engageant dans la direction opposée à celle que se propose de prendre son personnage : en se dirigeant vers les établissements de la côte Atlantique. Au début de 1778, St. John de Crèvecœur réclame et obtient la permission « d’envoyer sa famille sous un pavillon remontant la rivière Hudson26 ». Ainsi que nous l’apprend l’acte notarié du 3 septembre 1781 précédemment cité, dressé quelques semaines après son retour en France, ce déplacement a été rendu nécessaire parce que St. John de Crèvecœur a éprouvé « les funestes Effets » des « ravages Et [du] malheur de la Guerre qui desolent La partie de l’amerique que le dit sieur de Saint Jean habite ». C’est, plus précisément, parce que : Son habitation de la comté de Susex [a] Eté totalement detruite Et Brulée par les Sauvages amis Et aliés des anglais ; qu’en consequence il s’Est retiré avec toute sa famille dans une autre habitation Située dans la Comté d’orange au dela des montagnes27.
Le comté de Sussex se situe dans le New Jersey, à la frontière sud de l’État de New York et du comté d’Orange : un territoire qui se trouvait au cœur du Neutral Ground. Les établissements de cette région étaient plus exposés aux déprédations des maraudeurs que ceux des zones qui, comme le comté d’Orange, étaient à la périphérie du terrain neutre. En déplaçant sa famille vers le nord, St. John de Crèvecœur l’éloignait des secteurs les plus dangereux du terrain neutre. Mais ce changement de résidence ne fut pas suffisant, puisque sa maison du comté d’Orange devait elle aussi être détruite au cours d’un incendie. Dans la mesure où il est possible de passer du comté de Sussex au comté d’Orange en remontant l’Hudson, il apparaît vraisemblable que c’est grâce à la permission obtenue au début de 1778 que St. John de Crèvecœur et sa famille ont rejoint la ferme de Pine Hill. Ce déplacement nous apprend deux choses. Premièrement, que St. John de Crèvecœur était propriétaire, dans le comté de Sussex, d’une autre demeure que celle qu’on lui connaît dans le comté d’Orange. Et le fait de réintégrer l’établissement de Pine Hill implique, deuxièmement, que St. John de Crèvecœur n’a pas vécu exclusivement sur cette ferme entre le moment où il l’a acquise, en 1769, et celui où il y retourne, en 1778. St. John de Crèvecœur paraît avoir rapidement réalisé qu’il ne suffirait pas de se déplacer vers le nord pour assurer sa protection et celle de sa famille. Quelques semaines après avoir obtenu la permission de remonter l’Hudson, il demande l’autorisation de rejoindre la ville de New York. Mais voilà que les représentants du parti de la rébellion cherchent à contrecarrer ce projet. Le 19 février 1778, Henry Wisner s’adresse à George Clinton,
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gouverneur de l’assemblée rebelle de l’État de New York, au nom des habitants du comté d’Orange : Les gens de notre comté s’inquiètent beaucoup du fait qu’il soit permis à St. John d’aller à New York. J’ai demandé à l’un des plus sensés d’entre eux quel tort il pouvait causer ; il remarqua qu’il pouvait conseiller d’incendier les ateliers Sterling afin d’empêcher la fabrication de notre chaîne. Je lui ait dit que je croyais que vous réfléchiriez bien à la chose avant d’accorder cette permission28.
La chaîne en question était un dispositif que les rebelles avaient l’intention d’installer au travers de l’Hudson, au niveau de la ville de West Point, afin d’empêcher les navires britanniques de pénétrer à l’intérieur des terres. Rien ne prouve que St. John de Crèvecœur ait spécifiquement été au courant du projet de fabrication de cette chaîne. La présence, dans le Voyage dans la Haute Pensylvanie, du récit de la visite d’un atelier de métallurgie identifié comme « la fonderie de sterling29 » permet cependant d’affirmer qu’il connaissait l’existence de ces forges. Les rebelles soupçonnent donc St. John de Crèvecœur de sympathie à la cause loyaliste. Il semble d’ailleurs qu’il ait eu à subir à plusieurs occasions les vexations qui étaient le sort de ceux dont les Whigs doutaient des sentiments patriotiques. En février 1779, dans une lettre adressée au colonel Roger Morris (un éminent représentant new-yorkais du parti tory), il évoquera le passage de « quatre années de mépris, d’amendes, d’emprisonnements, etc.30 ». Le fait qu’il n’ait jamais perdu la propriété de ses terres laisse croire qu’il aura prêté serment de loyauté à la couronne britannique. Mais le même fait permet de supposer qu’il a également dû faire serment d’allégeance aux autorités rebelles. Dès le début du conflit, l’ensemble des législatures républicaines ont adopté diverses lois du « test » visant à identifier et à neutraliser les ennemis de la rébellion. D’abord réservée aux membres de la fonction publique, l’obligation de prêter ces serments d’allégeance aux autorités rebelles a rapidement été étendue à l’ensemble de la population. Le refus d’afficher ainsi sa loyauté républicaine avait généralement pour conséquence le désarmement de l’individu concerné, son emprisonnement, l’augmentation de ses taxes et la confiscation de ses propriétés. Selon toute vraisemblance, St. John de Crèvecœur a avant tout cherché à rester neutre en se soumettant docilement aux exigences des tenants des deux partis, ce qui devait finir par le rendre suspect aux yeux des représentants de l’un et l’autre camps. En avril 1778, St. John de Crèvecœur obtient malgré tout, de la part des autorités rebelles, un sauf-conduit lui permettant de se rendre à New York. Il est alors spécifié qu’il entreprend ce voyage dans le but d’aller en France. Pour quelle raison décide-t-il de renouer avec sa patrie d’origine ?
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Rien ne permet de le préciser. Le récit des « Circonstances Dans lesquelles s’est retrouvé l’Auteur pendant son séjour à New-York », qu’il publiera dans la version française des Lettres d’un cultivateur américain, signale qu’il aurait fait part aux autorités de « raisons qui [l]’obligeoient à visiter l’Europe31 ». Bien qu’il ne définisse nulle part le caractère de cette obligation, il est possible qu’elle ait eu quelque chose à voir avec les « intérêts de famille considerables » évoqués dans la lettre du « particulier de Normandie ». Mais la missive de ce dernier date des environs de 1772. Pourquoi St. John de Crèvecœur aurait-il attendu tant d’années avant de chercher à reprendre contact avec sa famille ? St. John de Crèvecœur pourrait avoir tout juste été mis au courant de la demande du « particulier de Normandie ». Mais il est tout aussi vraisemblable qu’il ait décidé, cinq ans après avoir eu vent de la chose, de prendre prétexte de ce document afin d’échapper à la tourmente révolutionnaire. Si son but était de fuir les dangers du Neutral Ground, il aurait pu, comme le faisaient alors nombre de loyalistes (parmi lesquels son propre beaupère), se réfugier au Canada. Mais en se réclamant d’affaires pressantes à régler en dehors de sa patrie d’adoption, St. John de Crèvecœur s’arrangeait pour que son désir de quitter le territoire des affrontements entre rebelles et loyalistes ne soit pas perçu comme la conséquence de son opposition aux visées de l’un ou l’autre parti, ni à sa crainte d’assister à la victoire de l’un ou l’autre camp. Le prétexte de ces affaires européennes lui donnait la possibilité de fuir la guerre tout en continuant à afficher sa neutralité. St. John de Crèvecœur n’aurait donc pas cherché à retourner en France dans le but de toucher la part d’héritage à laquelle il avait implicitement renoncée en coupant les ponts avec sa famille et en s’installant dans la province de New York sous un nouveau nom. Ces intérêts de famille semblent lui avoir servi de prétexte pour s’éloigner des dangers qui menaçaient les habitants du Neutral Ground. Pourquoi entreprend-il alors ce périple en compagnie de son seul fils aîné, en laissant sa femme et ses deux plus jeunes enfants derrière lui ? L’aventure présentait une grande part de risques, qu’il n’aura pas voulu faire courir aux plus faibles des membres de sa famille. Par ailleurs, le fait que St. John de Crèvecœur entreprenne ce voyage en compagnie de son fils aîné peut servir autant à infirmer qu’à soutenir notre hypothèse. Car en amenant son hériter avec lui en France, il donnait plus de poids à une éventuelle réclamation de ce qu’était en droit de toucher la descendance directe de Guillaume-Augustin Jean de Crèvecœur. Mais la présence de l’enfant pouvait tout aussi bien servir à rendre crédible aux yeux des autorités rebelles et loyalistes le fait qu’il se rendait en France avec l’intention de régler des problèmes de famille liés à des questions d’héritage.
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Les raisons qui ont poussé St. John de Crèvecœur à abandonner son établissement de Pine Hill paraissent devoir demeurer tout aussi obscures que celles de son départ de la Nouvelle-France. Dans un cas comme dans l’autre, St. John de Crèvecœur semble avoir fait montre du même genre de précipitation : celle d’un homme impatient de fuir toute forme de situations conflictuelles32. Quelle que soit la cause de sa panique, le fait qu’il ait laissé une partie de sa famille derrière lui permet de croire qu’il entreprenait ce voyage avec l’intention de revenir en Amérique à plus ou moins court terme.
« Une sorte de journal américain » St. John de Crèvecœur aurait quitté sa ferme en compagnie d’Ally le 3 février 1779 ; le 15 du même mois, ils ont rejoint New York33. En juillet de la même année, ils résidaient à Long Island. C’est là qu’on va chercher St. John de Crèvecœur pour l’arrêter sur la base d’informations anonymes l’accusant, comme il le rapportera lui-même, « d’avoir correspondu avec le Général Washington, d’avoir fait le plan du Havre, d’avoir persuadé à une certaine Personne de prendre le serment de fidélité requis par le nouveau Gouvernement de l’Etat de * * *34 ». Après avoir été soupçonné de sympathies royalistes par les rebelles, St. John de Crèvecœur est incarcéré par les loyalistes qui le soupçonnent d’être du parti républicain. Selon le témoignage de William Smith, on aurait cru qu’il était à la solde de représentants de la France et des autorités rebelles35. On connaît les circonstances de son arrestation grâce à une lettre du général James Pattison adressée le 8 juillet 1779, depuis New York, à Henry Clinton, commandant en chef des forces britanniques stationnées en Amérique : Monsieur, J’ai l’honneur de vous informer que conformément aux ordres de votre Excellence qui m’ont été transmis par Lord Catheart, j’ai profité de la première occasion qui se présentait afin de saisir et de mettre en sûreté la personne et les documents de M. Hector St. John. — Il était à Long Island au moment où j’ai reçu la lettre de Lord Catheart, et j’ai envoyé le chercher d’une manière qui n’éveillerait pas de soupçons quant à mes intentions à son égard ; il est immédiatement venu à moi et j’ai instruit le major de la garnison et mon aide de camp, le capitaine Adye, de voir à le conduire à la maison du révérend M. Brown, où il a l’habitude de résider lorsqu’il vient à New York ; sur place, il a ouvert pour leur inspection une large malle, laquelle, selon leur rapport, ne contenait rien de plus que quelques journaux, quelques semences de jardin et d’autres choses sans importance ; il a également remis entre leurs mains un paquet de documents contenant des certificats, etc., concernant le fait qu’il
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a été emprisonné ainsi que maltraité à cause de son attachement au gouvernement ; ils ont également trouvé une petite malle qu’il avait laissée aux soins de M. Brown, qu’ils m’ont apportée ; elle a été ouverte et examinée en ma présence, et elle contenait un grand nombre de manuscrits, dont la teneur semble être globalement celle d’une sorte de journal américain tenu sans régularité, faisant un compte rendu d’événements qui se sont passés il y a de ça quelques années, occasionnellement entremêlé d’observations philosophiques et politiques ; ces dernières tendent à favoriser le camp du gouvernement et à jeter l’opprobre sur les agissements du parti adverse et sur la tyrannie de leur gouvernement populaire. — J’ai par la suite ordonné que la malle soit scellée en ma présence afin qu’on puisse en disposer de la façon que vous jugerez adéquate. — J’ai également envoyé chercher quelques documents qu’il signale avoir laissés entre les mains de M. le juge Ludlow et de M. David Colden, fils de feu le lieutenant-gouverneur de cette province, à Long Island. Selon le témoignage de M. St. John à son propre sujet, il est natif de Caen, en Normandie, mais il est venu dans ce pays il y a de ça plusieurs années et il a été naturalisé ; il s’est d’abord adonné au commerce, mais il a par la suite acheté une ferme dans le comté d’Orange, sur laquelle il s’est établi, mais il a été dans l’obligation de l’abandonner il y a environ six mois et de laisser sa famille et sa propriété derrière lui à cause de la persécution que lui a valu son attachement au gouvernement, et pendant ses heures de loisir, il s’est diverti en faisant, comme elles lui venaient, ce genre d’observations littéraires, dont il est cependant convaincu qu’une lecture attentive lui apportera le crédit de ceux qui sont attachés au gouvernement du Roi ; il ne les a jamais cachés à ceux de sa connaissance qui avaient le même attachement, mais il s’est donné beaucoup de peine et a eu beaucoup de difficulté, tandis qu’il était parmi les rebelles, pour les dissimuler ; il a soumis plusieurs d’entre elles à la lecture du lieutenant-colonel Watson, de la Garde, qui a occasionnellement fait ses propres observations à leur sujet, et qui peut se porter garant de la nature de leur contenu. M. St. John est bien connu de plusieurs des personnes d’importance de cet endroit, et il offre de donner toutes les garanties qui pourront être jugées nécessaires quant à sa bonne conduite et à sa comparution. — J’ai l’honneur d’inclure une lettre de M. Smith à son sujet, et demande à savoir si votre Excellence souhaite qu’il soit relâché du prévôt sous caution36.
Cette lettre de William Smith est reproduite dans les Historical Memoirs de ce dernier : Monsieur, Mes renseignements concernant M. St. John sont les suivants : il est venu d’Angleterre aux environs de 1760 et, selon ce que je comprends, au service de son cousin, feu sir Samuel Fludyer de Londres. Il est demeuré ici depuis, et a été naturalisé.
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Dans ce pays, il n’a cessé de faire montre de l’attitude d’un Tory convaincu, le nom qui est donné à tous les loyalistes ; et j’ai entendu dire que sa fidélité lui a valu d’être emprisonné. Depuis qu’il est arrivé ici l’hiver dernier avec la permission de quitter le pays, j’ai conversé avec lui et n’ai jamais entendu de sa bouche une syllabe qui soit inconsistante avec les attitudes d’un bon sujet ; j’ai même obtenu de lui des renseignements que j’ai cru bons de communiquer au gouvernement […]. Ce sera, je crois, une heureuse nouvelle pour les ennemis du Roi du comté d’Orange, où il résidait, de savoir qu’il souffre ici. M. Cadwallader Colden, qui était son voisin, peut donner toutes les preuves de son constant attachement à la cause du Roi au cours des présents troubles. Vous m’excuserez de mon intervention, à laquelle je suis poussé par de purs motifs de justice et d’humanité37.
La liste des individus dont St. John de Crèvecœur est en position d’obtenir des recommandations regroupe les noms de loyalistes des plus en vue et d’une grande influence. George Duncan Ludlow et William Smith ont l’un et l’autre été juges de la Cour suprême mise en place dans les colonies américaines par l’administration britannique ; David Colden était l’assistant surintendant de la police et le fils de Cadwallader Colden, qui a occupé le poste de lieutenant-gouverneur de la colonie de New York pendant de nombreuses années, jusqu’à ce que la mort l’emporte en 1776. Cet homme d’une grande culture était l’auteur de plusieurs ouvrages de médecine et de sciences naturelles, et était en rapport avec Linné, le grand botaniste suédois. Il était le propriétaire d’une ferme, à laquelle il avait donné le nom de Coldengham, située à Newburgh, dans le comté d’Orange, à une vingtaine de kilomètres de Pine Hill. Aussi est-il vraisemblable que St. John de Crèvecœur ait effectivement été en relation avec Cadwallader Colden, chez qui il aurait pu avoir accès à l’importante bibliothèque du lieutenant-gouverneur. L’évocation des manuscrits que Pattison a trouvé dans les affaires de St. John de Crèvecœur constitue la première trace de l’existence des écrits que l’auteur publiera à Londres quatre ans plus tard. William Smith les décrit comme des « récits de petits événements exemplaires de l’esprit de l’époque », rassemblés en « 24 livres de 4 feuilles chacun afin de témoigner de petites tyrannies » et que leur auteur « a apporté avec lui dans le double fond d’une boîte de terre avec des curiosités naturelles38 ». Ces témoignages indiquent donc que bon nombre des pages des Lettres d’un fermier américain ont été rédigées avant 1779. On ne saurait cependant dire que cet ouvrage exprime l’opinion d’un homme faisant montre, pour reprendre les mots de William Smith, « de l’attitude d’un Tory convaincu ». La version originale anglaise des Letters from an American Farmer préconise plutôt
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le parti de la neutralité et les éditions françaises des Lettres d’un cultivateur américain sont imprégnées de sentiments ouvertement républicains. Il reste que la plupart des textes que l’on retrouvera au XXe siècle dans les manuscrits que St. John de Crèvecœur a préféré laisser inédits tendent effectivement, ainsi que l’écrit Pattison, « à favoriser le camp du gouvernement et à jeter l’opprobre sur les agissements du parti adverse et sur la tyrannie de leur gouvernement populaire ». Découverts par Henri L. Bourdin, ces manuscrits sont constitués d’un ensemble de vingt-deux textes que St. John de Crèvecœur a choisi de ne pas inclure à la version originale anglaise des Letters from an American Farmer. Onze de ces textes ont été rassemblés en 1925 sous le titre de Sketches of Eighteenth-Century America, tandis que quatre autres ont été publiés à la même époque sous forme d’articles dans autant de revues (la totalité de ces écrits a depuis été republiée par Dennis D. Moore dans More Letters from the American Farmer). Ces manuscrits n’avaient jamais été rendus publics dans leur version originale anglaise mais certains avaient été adaptés en français par leur auteur : l’un d’entre eux a servi de base à un des chapitres du Voyage dans la Haute Pensylvanie, tandis qu’on trouve des versions de sept autres de ces textes dans les Lettres d’un cultivateur américain. Les éditeurs de Sketches of Eighteenth-Century America ont vraisemblablement eu l’intention de donner à l’ouvrage une structure rappelant celle des Lettres d’un fermier américain. Le livre s’ouvre sur une série de textes dont le ton et la teneur sont si proches des écrits censés être nés de la plume de James qu’on peut supposer que plusieurs d’entre eux étaient originellement destinés à faire partie des Lettres d’un fermier américain. Ces pages, qui occupent à peu près la première moitié de Sketches of Eighteenth-Century America, font écho à la vision idyllique de l’Amérique qui caractérise la première partie des Lettres d’un fermier américain. Puis le livre plonge ses lecteurs dans des textes qui, les uns à la suite des autres, tracent des portraits de plus en plus sombres de l’existence qu’on menait dans les fermes américaines à l’époque de la révolution. Cette distribution des textes imite la structure des Lettres d’un fermier américain, dans lequel l’univers bucolique des premières segments est graduellement remis en question par l’apparition de diverses calamités. Les deux ouvrages se terminent sur des récits d’expériences malheureuses : les « Angoisses d’un habitant de la frontière » dans Lettres d’un fermier américain, et « Landscapes » dans Sketches of Eighteenth-Century America — un texte que Thomas Philbrick considère non « pas une œuvre d’art[, mais] une œuvre de rage39 ».
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Les Lettres d’un fermier américain se terminent en évoquant les catastrophes dont James et sa famille risquent d’être victimes et qu’ils cherchent à fuir en se réfugiant dans les régions sauvages de la frontière. Dans la deuxième moitié des Sketches of Eighteenth-Century America, les personnages sont confrontés à ces malheurs : les craintes de James sont devenues réalités. Les Lettres d’un fermier américain décrivent un monde de justice et de tranquillité à la veille d’être détruit ; dans Sketches of EighteenthCentury America, cette destruction est commencée. On assiste à des procès iniques, le paysage est parsemé de demeures incendiées, les idéaux démocratiques du fermier américain sont dénaturés par les sympathisants à la cause des rebelles. James pouvait espérer fuir ces malheurs et refaire sa vie en défrichant les forêts de la frontière ; les personnages des Sketches of Eighteenth-Century America n’ont plus cette chance. Cette publication posthume a beau être composée d’écrits de St. John de Crèvecœur, elle est, à proprement parler, l’œuvre de ses éditeurs : nous sommes, ainsi que l’écrit Thomas Philbrick, devant un « livre qui n’en est pas un40 », constitué d’écrits que leur auteur semble n’avoir jamais désiré rendre publics. Il reste que l’ouvrage donne sans doute une idée assez précise du contenu des manuscrits découverts à l’occasion de l’arrestation de St. John de Crèvecœur, dans la mesure où plusieurs des textes qui y sont rassemblés sont très critiques envers les sympathisants à la cause des rebelles. Sur le plan biographique, ce que Pattison nous a appris du « témoignage de M. St. John à son propre sujet » confirme ce qu’on savait déjà de son existence en y ajoutant, comme le faisait le « particulier de Normandie », un intermède d’activités commerciales et en passant une fois de plus sous silence ses années de service au sein des troupes coloniales de la Nouvelle-France. Cette omission ne doit pas étonner : St. John de Crèvecœur s’adresse ici à un représentant des autorités britanniques, cela au moment précis où le gouvernement français commence à soutenir militairement les rebelles américains. À elles seules, ses origines françaises suffisaient à le faire soupçonner d’espionnage ; il n’aurait pas fallu qu’on lui découvre en plus un passé de militaire. Un autre document paraît à peu près à la même époque, rédigé par Peter Dubois, assistant juge de paix. Comme celui de Pattison, ce rapport est adressé à Henry Clinton. Comme le constate Bernard Chevignard (à qui on doit de l’avoir mis au jour), il « présente un portrait pour le moins non orthodoxe41 » de St. John de Crèvecœur :
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Il est né en Normandie et a reçu ses premiers rudiments d’éducation à SaintOmer et terminé ses études dans la célèbre école de Blondel à Paris. Lors de son premier voyage en Amérique, à ce qu’on dit, il a accompagné un noble Français à titre de dessinateur sur un parcours conduisant par voie intérieure de l’embouchure du Mississippi jusqu’au Canada, et de là est allé en France. Il y a environ 12 ou 13 ans, il est à nouveau parti pour ici depuis le Portugal ; c’était à peu près à l’époque de l’agitation qui fut provoquée là-bas à cause des Jésuites. Il apporta avec lui un petit paquet de dentelles et de manchettes ouvragées, et une lettre d’introduction et de crédit à l’adresse de M. Samuel Verplank, qui avait résidé quelques années en Hollande et avait épousé une dame de famille française à La Haye. Il passa sa première année à faire des excursions dans les diverses provinces de la Virginie jusqu’au Massachusetts, et dans chacune il s’est formé des relations. En 1767, ou vers cette même année, il persuada M. Verplank et les autres propriétaires de cette immense étendue de terres à l’ouest d’Esopus appelée la grande concession, d’ouvrir une route dans sa partie intérieure et de lui en confier la direction ; il s’adonna pendant quelque temps à cette tâche, mais les dépenses augmentant au-delà de ce qu’avaient prévu les propriétaires, les travaux furent arrêtés. En 1768 et 1769, il a principalement résidé à New Windsor, faisant fréquemment des excursions à partir de cet endroit ; là, il loua une petite maison et fit savoir qu’il allait mettre sur pied une manufacture de potasse, mais il ne réalisa jamais son projet. Il est demeuré ici sans ressources plus fiables, s’employant à dessiner des cartes du pays, et j’ai entendu qu’il aurait dit en avoir faite une de cette province, et je sais qu’il en avait une du comté d’Orange en particulier, de tout premier ordre et très précise, incluant le comté à l’ouest de la rivière Hudson, depuis Tappan jusqu’à New Windsor ; et pourtant il prétend maintenant ne rien savoir de la géographie du pays dans lequel il réside depuis si longtemps. Depuis cette époque, il a acheté une petite ferme en un endroit appelé Blooming Grove ou Chester dans le comté d’Orange, où il s’est adonné à l’agriculture.
La ville de New Windsor se situe sur le fleuve Hudson, à une cinquantaine de kilomètres au nord de New York. Également sur l’Hudson, Tappan est environ à mi-chemin entre New York et New Windsor. Blooming Grove se trouve, dans les faits, à une dizaine de kilomètres à l’est de Chester. L’auteur du rapport a plus ou moins tort d’y situer la ferme de St. John de Crèvecœur ; cette dernière se trouve plutôt à Craigville, mais l’erreur n’est pas très grande : Craigville et Blooming Grove sont à cinq kilomètres l’une de l’autre et cela sur la même route. En prenant cette dernière à partir de
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Chester, on atteint Craigville après cinq kilomètres, Blooming Grove après cinq autres, et en continuant par la même route, à vingt-cinq kilomètres de Chester, on atteint l’Hudson à New Windsor. Depuis qu’il séjourne dans ce comté, la chose est bien connue, il a entretenu une très importante correspondance avec plusieurs régions d’Europe — il lui est arrivé de recevoir jusqu’à vingt lettres par un paquebot d’Angleterre — et à ma connaissance, il a souvent rendu compte d’événements et de débats ayant lieu en Europe bien avant qu’on en soit informé par la voie des publications britanniques. M. Verplank n’a cessé de lui verser de l’argent sur foi de son billet annuel hollandais, et ce gentilhomme (duquel j’étais particulièrement proche) m’a dit, il a quelques années de cela, qu’il avait reçu une lettre ou des lettres du comte de Guigny, alors ambassadeur à La Haye, lesquelles contenaient des lettres pour M. St. John le remerciant des services qu’il lui rendait. Il semble être un homme de grandes connaissances, ayant une bonne formation en physique, doué en botanique et en mathématiques ; en tout cas, en ce qui concerne les arts et les sciences, rien ne l’étonne. Mais on dit que, de caractère et de tempérament, il est souvent violent, de même que capricieux, et qu’il affectera parfois d’ignorer ce qu’il sait vraiment ; en maintes occasions, lorsqu’on a pu le consulter, il s’est montré un homme pénétrant, habile et rusé. Dans une petite maison qu’il a bâtie sur sa ferme, il a habilement imaginé plusieurs endroits secrets (ainsi qu’il l’a dit à son charpentier) afin de cacher ses effets lorsqu’il partait en voyage, au cas où il aurait, à un moment donné, autour de lui des serviteurs malhonnêtes. Quand il a quitté les régions rebelles pour venir dans cette ville, il a apporté avec lui quelques boîtes dans lesquelles il avait des spécimens botaniques curieux, et au fond de ces boîtes, sous la terre dans laquelle étaient ces plantes, il avait des tiroirs ou des casiers secrets dans lesquels il avait ses documents, mais en les sortant à son arrivée ici, il les trouva très mouillés, presque trempés, à cause de l’humidité de la terre dans les boîtes au-dessus d’eux. Ce qui l’obligea à les sortir et à les sécher devant un feu dans ses logements. Les documents ci-joints fournissent un état de ses positions politiques depuis le début des présents troubles, que j’ai toutes les raisons de croire véri dique. Depuis le premier mai, il a logé chez M. Nicholas Stuyvesandt, où demeure également M. Wm. Smith qui, à ce qu’on dit, a été suffisamment charmé par lui pour lui accorder sa confiance42.
Ce document ressemble aux résultats d’une enquête de police et les informations qui y sont rapportées paraissent toutes être de seconde main. L’auteur de ce rapport semble n’avoir jamais été en relation directe avec St. John de Crèvecœur, ce qui peut expliquer pourquoi la plupart des données que contient sa lettre ne coïncident pas avec ce que nous enseigne
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l’ensemble des autres sources. Dans la mesure où il est fondé sur des renseignements obtenus de tierces personnes, ce document nous en apprend peut-être moins sur le passé de St. John de Crèvecœur que sur ce que ses relations savaient (et ignoraient) de ce passé. Nul ne paraît être au courant des années de services de St. John de Crèvecœur au sein des armées détachées en Nouvelle-France. Il n’a cependant pas caché le fait qu’il a séjourné au Canada avant de s’installer dans les colonies britanniques, laissant croire qu’il aurait remonté le Mississippi à l’époque d’un premier voyage en Amérique effectué avant ce qui est présenté comme un retour datant d’environ une douzaine d’années avant l’époque où Peter Dubois fait enquête sur lui, ce qui ferait remonter le moment de son établissement en Amérique aux environs de 1766 ou 1767. Mais St. John de Crèvecœur résidait déjà dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord en 1765, année de l’obtention de sa citoyenneté de l’État de New York. Quant au fait que son installation définitive aurait eu lieu à la suite d’un second départ vers l’Amérique depuis le Portugal, elle constitue la plus ancienne allusion à un séjour lusitanien, et la seule qui paraît confirmer la tradition de famille évoquée par Robert de Crèvecœur. Dubois signale que St. John de Crèvecœur aurait séjourné au Portugal « à peu près à l’époque de l’agitation qui fut provoquée là-bas à cause des Jésuites ». Puisque ces derniers ont été chassés du Portugal en 1759, le séjour lusitanien de St. John de Crèvecœur aurait donc eu lieu entre 1759 et 1764, c’est-à-dire entre le moment où on perd sa trace lorsqu’il quitte la Nouvelle-France et celui où, selon sa lettre au duc d’Harcourt, il aurait séjourné dans la région du Vermont. On ne possède aucune information vérifiable sur ses activités ainsi que ses allées et venues pendant ces cinq années. Il n’est donc pas impossible qu’il ait fait un voyage au Portugal au cours de la période d’errance qu’il semble avoir vécue entre le moment de son départ de la Nouvelle-France et celui où il acquiert sa citoyenneté new-yorkaise. Les écrits de St. John de Crèvecœur permettent par ailleurs de confirmer cette hypothèse. Le Voyage dans la Haute Pensylvanie fait référence à un séjour au Portugal qui aurait eu lieu en 1763, tandis que dans son récit inachevé de Voyage aux grandes salines tyroliennes de Reichenhall, rédigé en 1808, notre auteur se rappelle d’événements qui auraient eu lieu alors qu’il était « en Portugal en 176043 ». La suite du rapport confirme que St. John de Crèvecœur se serait adonné à de plus ou moins fructueuses activités commerciales avant de s’installer sur sa ferme de Pine Hill et qu’il aurait réalisé quelques travaux cartographiques. Aucun autre document ne permet de soutenir l’existence d’une lettre de crédit hollandaise lui ayant permis de subvenir à ses besoins,
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ni de relations avec un certain Samuel Verplank. Le Voyage dans la Haute Pensylvanie renferme cependant un récit que le narrateur affirme tenir de ce « M. S. Verplank44 ». Dans son History of New York during the Revolutionary War, le juge Thomas Jones (qui a été témoin de l’ensemble des événements qu’il relate dans son ouvrage) parle d’un certain Samuel Verplanck qui aurait été : depuis plusieurs années avant la rébellion, un malheureux lunatique. Il vivait en dehors de la frontière, son domaine fut donc considéré comme une propriété rebelle. La maison aurait pu être louée 300 £ par année. Cet argent aurait dû servir à soutenir l’épouse et les enfants de ce pauvre fou45.
Aussi est-on en droit de questionner la validité des renseignements que Dubois affirme tenir de ce gentilhomme. Il reste qu’il est tout à fait possible que St. John de Crèvecœur ait entretenu une correspondance avec plusieurs européens : les Lettres d’un fermier américain témoignent d’une bonne connaissance des événements se déroulant en Europe au moment de la rédaction de l’ouvrage. Ce qu’on sait de l’éducation de St. John de Crèvecœur permet de croire qu’il était effectivement un homme relativement instruit. Quant à l’idée qu’il ait pu « affecter […] parfois d’ignorer ce qu’il sait vraiment », elle semble pouvoir être confirmée par le fait que l’auteur des Lettres d’un fermier américain a choisi de s’y exprimer par l’entremise d’un narrateur explicitement présenté comme un individu dont le père ne lui a « enseigné rien d’autre que l’art de lire et d’écrire ». Quant à l’évocation des endroits secrets que St. John de Crèvecœur aurait disséminés dans sa demeure et « des tiroirs ou des casiers » dans lesquels il cachait des documents (sans doute les manuscrits dont fait état la lettre de Pattison) au fond de boîtes contenant « des spécimens botaniques curieux », elle laisse deviner un homme au caractère méfiant, s’enveloppant de secret — ce que confirmera Brissot de Warville quelques années plus tard, lorsqu’il écrira que le St. John de Crèvecœur qu’il a côtoyé à Paris et à New York lui est apparu comme une homme qui « semblait craindre qu’on ne le devinât46 » : un trait de caractère qui suffirait à expliquer les difficultés que nous avons à reconstituer précisément les diverses étapes de son existence. Malgré ces témoignages attestant de sa loyauté envers le gouvernement britannique, St. John de Crèvecœur est tout de même arrêté à New York au début de juillet 1779 ; William Smith signale qu’il était déjà incarcéré le 8 juillet47. Il séjournera presque trois mois dans la prison du prévôt avant d’être libéré le 17 septembre sur paiement d’une caution. Cette dernière a été versée par deux de ses amis : William Seton était l’un d’eux. Loyaliste notoire, né en Écosse en 1746, Seton a immigré en Amérique en 1763. Il devait devenir en 1784 un des directeurs de la Banque de New York et
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allait également être un des proches collaborateurs du secrétaire du Trésor, Alexander Hamilton. St. John de Crèvecœur remerciera Seton de ce geste en intégrant les initiales de son bienfaiteur en présentant les deux éditions françaises de ses Lettres d’un cultivateur américain comme des recueils de missives adressées à « W. S. », c’est-à-dire William Seton. L’incarcération de St. John de Crèvecœur semble l’avoir accablé de souffrances morales plus que physiques. Il semble n’avoir été traité ni plus ni moins mal que les autres pensionnaires du prévôt. Il était cependant extrêmement inquiet du sort de son fils Ally, qu’il avait laissé aux bons soins des gens qui les avaient hébergés à Long Island. Ses angoisses paternelles augmentèrent lorsqu’il apprit que l’enfant (qui n’avait que sept ans) était tombé malade. C’est d’ailleurs dans le but de lui porter secours qu’il s’est mis à jouer frénétiquement de toutes les relations qu’il pouvait avoir à New York afin d’obtenir sa libération. Dans un récit rédigé vers 1797, St. John de Crèvecœur raconte qu’il passa au chevet d’Ally ses premières semaines de liberté retrouvée. Puis, tandis que l’enfant se remettait, la médiocrité de leurs conditions de vie et l’arrivée de l’hiver eurent pour conséquence que St. John de Crèvecœur se trouva pris de fièvres dont il dira que : « Les accès en furent d’autant plus longs et violents que, pendant les angoisses et les ennuis mortels de ma longue captivité, j’avais fait beaucoup d’humeurs. » Avec les semaines, ces troubles physiques se transformèrent en troubles nerveux : à la fièvre succéda un autre genre d’infirmité que je n’avais point connu jusques alors : je fus assailli de maux de nerfs tels que n’en avaient jamais vu les plus anciens médecins de la ville et [qui] remplirent, par leur fréquence et leur violence, d’amertume la nouvelle existence que je venais de recevoir. Je devins un nouvel homme ; honteux [de] ne pouvoir plus mêler mes rires à ceux des autres ni partager leur gaieté, j’évitai la compagnie de mes plus intimes amis. Je trouvai dans la solitude des jouissances que je ne connaissais pas auparavant. Je pus méditer longuement sur le même sujet sans distractions. Je pus converser avec moi-même et faire naître par la conversation des idées que la simple méditation ne me donnait pas. Je pus enfin dans les moments de calme me rappeler ces idées et les confier au papier. Mais bientôt les chaleurs de l’été vinrent étouffer ces jouissances nouvelles, éteindre toutes mes facultés pensantes ; alors, les douleurs nerveuses redoublèrent de fureur ; la plus légère action me plongeait dans les sueurs ; la combinaison seule de ces deux idées mettait mon sang en mouvement et me donnait des palpitations incroyables. […] Un jour que le colonel Watson, capitaine aux Gardes, m’avait invité à dîner et qu’au lieu de 3 heures on ne servit qu’à 6, le besoin et l’inanition eurent un si grand effet sur ma frêle machine qu’au milieu du repas, je fus saisi d’un tremblement universel, comme d’une épilepsie48[.]
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Les conditions conduisant à son effondrement physique et nerveux, de même que les symptômes qui en témoignent, permettent d’interpréter l’événement comme une première attaque d’hypoglycémie (qui pourrait être la conséquence de la malnutrition dont il a pu souffrir au cours de son incarcération). Première attaque, en effet, car, selon Robert de Crèvecœur, son arrière-grand-père aurait par la suite été en proie à des « crises fréquentes [qui] durèrent toute sa vie49 ». Peu de temps après cet incident, profitant de l’apaisement de son mal, St. John de Crèvecœur réussit finalement à trouver des places pour lui et Ally à bord d’un convoi de navires qui allaient quitter le port de New York en septembre 1780 en direction de l’Angleterre. Le pauvre homme n’était pourtant pas au bout de ses peines car, ainsi qu’en fait foi un lettre adressée à Ally en 1794, leur arrivée en Europe paraît avoir été plutôt mouvementée : Te rappelles-tu […] notre arrivée en Irlande ? Tu étais sur le rivage, n’ayant qu’une chemise et un pantalon, sans chapeau, sans souliers et sans bas, et ton père n’était pas en meilleur état. Le navire, notre dernier refuge, notre dernier home, venait de se perdre, et nous avions été sauvés par miracle50.
C’est la seule fois que St. John de Crèvecœur fera référence à l’événement, et c’est aussi à peu près tout ce qu’on saura de leur passage en Angleterre. Ce séjour devait pourtant durer plusieurs mois puisque c’est seulement à la fin de juillet ou au début d’août 1781 qu’il remettra les pieds dans sa Normandie natale. Une note inscrite sur la table des matières du premier volume des manuscrits de St. John de Crèvecœur permet d’affirmer qu’il devait être dans les environs de Londres en mai 1781. Ces lignes nous apprennent que c’est le 20 de ce même mois que St. John de Crèvecœur a vendu son ouvrage à ses éditeurs londoniens pour la somme de « 30 guinées, et la promesse d’un cadeau si le public aime le livre51 ».
Une visite « chés Mr. St. Jean dit Crevecœur »
Nous avons vu les événements qui ont marqué le retour en France de St. John de Crèvecœur et comment le succès des Lettres d’un cultivateur américain lui a valu d’être nommé consul et envoyé en poste à New York pour deux ultimes séjours en Amérique. Voilà qu’au début de ce second périple, alors qu’il monte à bord du Courrier de l’Europe, le paquebot qui appareille du Havre pour le ramener une dernière fois en Amérique, St. John de Crèvecœur est soudainement rattrapé par son passé de soldat des troupes coloniales françaises. À bord du navire, il passe un peu plus d’un mois en mer en compagnie d’un groupe de passagers parmi lesquels deux individus retiennent plus particulièrement notre attention. D’abord Samuel Breck, un États-Unien âgé de seize ans qui était le protégé d’un personnage dont le nom ne nous est pas inconnu : le marquis de Vaudreuil, qui lui a offert de parfaire son éducation en France et auprès de qui Breck vient alors de passer les cinq dernières années. Lorsque celui qui a été connu en France comme « le petit Bostonien » atteindra la soixantaine, il entreprendra de compiler les notes contenues dans les journaux personnels qu’il a tenus au cours de sa jeunesse. Ce travail de réécriture donnera naissance à des pages de souvenirs publiées en 1877, quinze ans après la mort de Breck et cinquante ans après leur rédaction, sous le titre de Recollections of Samuel Breck. En 1862, l’année même de sa mort à l’âge de quatre-vingt-onze ans, Breck s’est de nouveau servi de ces journaux pour rédiger une série de portraits des personnalités qu’il a côtoyées tandis qu’il séjournait en France. Ces « esquisses biographiques », publiées en 1948, reprennent et développent
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les descriptions consacrées aux mêmes personnages que ceux qui apparaissent au fil des pages de ses souvenirs. Un de ces portraits complète le récit que font ses Recollections de la rencontre de leur auteur avec St. John de Crèvecœur : Au printemps de l’année 1787, je suis arrivé à Paris alors que j’étais sur le chemin qui me ramenait en Amérique depuis Sorèze, dans le sud de la France, où j’avais passé plus de quatre années au collège royal et militaire. M. Jefferson, qui était alors notre ministre auprès de la cour de Louis XVI, s’étant absenté pour voyager en Italie, je fus gentiment accueilli par son secrétaire, William Short, qui m’introduisit auprès d’un très aimable gentilhomme français, qui connaissait très bien notre langue et notre pays, où il avait résidé pendant quelques années. C’était Hector St. John de Crèvecœur. Il venait récemment de publier deux volumes intitulés Letters from an American Farmer, très amicaux envers nous.
Le jeune homme connaissait déjà l’ouvrage de St. John de Crèvecœur. Le marquis de Valady lui avait offert un exemplaire des Lettres d’un cultivateur américain de 1787 : un ouvrage que Breck décrit en 1862 comme « un singulier et divertissant accomplissement ». Le livre, poursuit le mémorialiste : [a] été bien accueill[i] par le public, et [est] deven[u] un passeport pour leur auteur, cela jusque dans les meilleurs cercles, et les descriptions romantiques avec lesquelles il dépeignait notre pays suscitèrent chez plusieurs des grands seigneurs et des grandes dames le désir de rencontrer un authentique américain, entre autres chez une princesse polonaise qui lui demanda de m’amener avec lui dîner à sa table. […] J’ai dîné chez le marquis de La Fayette et aux tables d’autres hommes de distinction, où régnait la plus élégante des simplicités. M. de Crèvecœur m’amena un autre jour dîner avec monsieur de Beaumanoir, gouverneur de l’Hôtel des Invalides, dont les appartements étaient dans ce splendide édifice. La fille du gouverneur devait faire voile avec nous au Havre à bord du paquebot mensuel en direction de New York, ville dans laquelle elle se rendait dans le but d’épouser M. La Forest, qui était le consul de France de l’endroit. […] St. John était un philanthrope des plus bienveillants. Ses écrits, sa conversation, chacune de ses actions dévoilaient des sentiments d’une humaine bonté ; il était toujours empressé de servir et désireux de plaire. Intelligent, sincère, agréable : nous ne pouvions avoir un plus respectable et aimable passager. Il avait été nommé consul général pour les États-Unis par le gouvernement français. Nous devions quitter Le Havre le 15 mai 1787. […] Avant de quitter Paris pour Le Havre le bon St. John m’amena au Palais Royal, la résidence du duc d’Orléans, dans le but de me présenter auprès de Brissot de Warville, qui avait quelque responsabilité dans cette maison1, et qui avait l’intention de visiter l’Amérique2.
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Le jeune homme qui devait conserver un aussi agréable souvenir de St. John de Crèvecœur a grandement apprécié la compagnie du voyageur à bord du vaisseau qui les ramenait aux États-Unis. Breck se rappelle que leur « traversée estivale de l’Atlantique fut plaisante et sans anicroche ». La version de leur rencontre qui figure dans ses Recollections précise que : St. John était de par sa nature, son éducation, ses écrits et sa réputation, un philanthrope. Le lait de l’humaine bonté coulait dans chacune de ses veines. Modéré, sans prétention, empressé de servir, hésitant à blâmer, extrêmement intelligent, universellement respecté et apprécié, sa société, à bord du navire, était rien de moins qu’un trésor3.
Breck se souviendra également d’avoir côtoyé, à bord du paquebot, d’autres « passagers de distinction » : mademoiselle de Beaumanoir et mademoiselle Victoire, femme de chambre de cette dernière, ainsi qu’un groupe de gentilshommes que Breck présente en suivant un ordre qu’il semble considérer être celui de l’importance de leur rang. Au sommet de sa liste figure le célèbre capitaine John Paul Jones qui, au cours de la guerre d’Indépendance des États-Unis, avait été la terreur de la marine marchande britannique. St. John de Crèvecœur était, selon Breck, le passager « [l]e plus important après lui ». Puis viennent quatre autres gentilshommes et, enfin, au bas de la liste, « un marquis canadien-français dont [Breck a] oublié le nom4 » au moment où il rédige ses souvenirs. Dans la mesure où le mémorialiste a mis en forme ce segment de ses Recollections en se servant du journal qu’il a tenu au cours de ce voyage, cet oubli prouve que le jeune Breck n’a pas pris la peine de noter l’identité de ce marquis canadien-français. Le portrait qu’il trace de l’individu permet par ailleurs de croire que les passagers du Courrier de l’Europe ont plus ou moins apprécié la compagnie de ce dernier. Breck raconte que ce : marquis canadien avait une seigneurie au Canada, et était là-bas un homme d’une certaine importance. Il était très économe et, afin de ménager le papier, il a écrit un récit détaillé de notre voyage sur une demi-feuille couverte d’une écriture trop petite pour être lue sans le recours d’une loupe ; et pour ménager le lavage (étant un priseur excessif de tabac), toutes les nuits, il suspendait aux haubans le dégoûtant drapeau de son exécrable habitude qui, après avoir été bien frotté le lendemain matin, était remis en poche pour son usage quotidien5.
Le Massachusetts Sentinel du 4 juillet 1787 nous apprend, lorsqu’il dresse la liste des passagers du Courrier de l’Europe qui viennent alors d’arriver à Boston, que ce gentilhomme canadien était le marquis Michel Chartier de Lotbinière6.
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Les journaux de Chartier de Lotbinière Après la chute de Montréal et la capitulation générale des armées françaises en 1760, Michel Chartier de Lotbinière a été rapatrié en France. En 1763, on le retrouve à Paris parmi la soixantaine de personnalités accusées à l’occasion de l’« Affaire du Canada ». Ce procès visait à faire la lumière sur un ensemble de transactions malhonnêtes par le biais desquelles plusieurs officiers et administrateurs de la Nouvelle-France, dont l’intendant François Bigot, se sont grandement enrichis en accaparant une partie des ressources devant servir au financement de la guerre de Sept Ans. Si Chartier de Lotbinière fut soupçonné d’avoir profité de la situation, il n’a cependant pas été formellement accusé. Son cousin, Nicolas Renaud d’Avène des Méloizes, a été du nombre des inculpés, mais il allait être blanchi de toute accusation. La liste de ceux qui seront condamnés à la suite de ce procès comprend le nom d’un autre individu que l’on a vu associé à celui de St. John de Crèvecœur alors qu’il séjournait en Nouvelle-France : François-Marc-Antoine Le Mercier, le commandant d’artillerie auquel Montcalm référait St. John de Crèvecœur dans sa lettre du 4 mai 1758. Une fois ce procès conclu, Chartier de Lotbinière n’a cessé de manœuvrer afin de retourner s’installer au Canada et de récupérer ses droits sur ses seigneuries. Un des problèmes auquel il faisait face venait du fait qu’une partie de ses terres, dont sa seigneurie d’Alainville, se retrouvaient désormais dans l’État de New York à cause du nouveau tracé des frontières de la Province of Quebec établies par le traité de Paris et la Proclamation royale de 1763. Chartier de Lotbinière séjournera d’ailleurs aux États-Unis de 1776 à 1777, où il tentera en vain de profiter du chaos politicolégal de la révolution américaine afin de faire reconnaître ses droits seigneuriaux. De retour en France, il parviendra, en 1784, à obtenir deux titres qu’il convoitait depuis l’époque de son service dans les troupes de la NouvelleFrance : ceux de marquis et de chevalier de Saint-Louis. Et c’est toujours afin de se réapproprier ses seigneuries qu’il prend une fois de plus la direction de l’Amérique en 1787. Ce voyage sera son dernier. De 1787 à 1789, Chartier de Lotbinière séjourne dans la région de New York. Il vit alors pratiquement sans aucun revenu, son cousin d’Avène des Méloizes ayant beaucoup de difficultés, ainsi que le signalait sa lettre du 7 juin 1790, à lui faire toucher les pensions que lui valaient ses titres. En 1790, il parvient à réintégrer ses terres canadiennes de Vaudreuil et de Rigaud et à rejoindre ses proches, mais c’est pour se brouiller avec à peu près toutes les personnes qu’il côtoie, y compris ses enfants et sa femme, laquelle finit par demander une séparation de biens
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et de corps. En 1795, Chartier de Lotbinière est de retour à New York où il meurt dans la solitude en octobre 1798, à l’âge de soixante-quinze ans. Aussi s’avère-t-il, comme le signale sa biographe, Sylvette Nicolini, que : Le bilan du séjour de Michel de Lotbinière en Amérique ne semble guère brillant. Revenu pour reprendre possession de ses seigneuries, il dut abandonner tout espoir à leur sujet ; revenu pour se rapprocher de sa famille et de son pays, il ne put supporter la vie avec les siens. Son caractère, difficile en temps normal et devenu impossible avec l’âge, le fit se brouiller avec tout le monde. Très isolé, il se referma de plus en plus sur lui-même, s’imaginant persécuté de tous7.
Les dix dernières années de la vie de Chartier de Lotbinière sont en effet ponctuées de documents où le marquis fait montre d’un caractère de plus en plus arrogant et intraitable au fur et à mesure qu’il croit découvrir des complots visant à le léser de ses biens, de ses droits et de ses privilèges d’aristocrate. Le contenu de certaines des lettres qu’il écrit à cette époque peut même, selon sa biographe, « rend[re] perplexe en ce qui concerne la lucidité d’esprit de [leur] auteur ». D’autres documents « contien[nen]t beaucoup d’assertions incorrectes et parfois fausses [… et] déform[ent] totalement la vérité ». Cet homme qui « se comporta toujours en aristocrate convaincu de ses prérogatives » se réclame parfois de ce qu’il considère être ses droits sur un ton tel qu’il est difficile de déterminer s’il s’exprime « avec un incroyable aplomb, ou une totale inconscience8 ». On est donc en droit de questionner la véracité de nombre des faits mentionnés dans les écrits datant de cette ultime période où son esprit paraît avoir oscillé entre la paranoïa et la mégalomanie — des écrits dont fait partie la lettre dans laquelle Chartier de Lotbinière évoque le destin du « fameux St. Jean de Crèvecœur ». St. John de Crèvecœur aurait été un homme d’un tempérament inquiet ; ainsi qu’en témoignait Brissot de Warville, il paraissait avoir « un secret qui lui pes[ait] sur l’âme, et dont il craignait la révélation9 ». S’il est une chose que St. John de Crèvecœur avait jusqu’alors cherché et réussi à cacher à ses relations états-uniennes, c’était ses années de service en Nouvelle-France. Voilà qu’à partir du milieu du mois de mai 1787, notre homme se voit forcé de côtoyer pendant six semaines (dans le contexte de très grande proximité, voire de promiscuité qu’implique la vie à bord d’un paquebot du XVIIIe siècle) un ancien compagnon d’armes que des années de tractations financières infructueuses ont rendu encore plus arrogant, amer et aigri qu’il avait été du temps où ils ont pu se connaître à Carillon et à Québec : un personnage en position de dévoiler la part de son existence que St. John de Crèvecœur voulait laisser dans l’ombre. Et il s’avère que l’ancien lieutenant du régiment de la Sarre avait raison de
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craindre que Chartier de Lotbinière ne révèle son secret : il le fera dans sa lettre à Renaud d’Avène des Méloizes, mais seulement trois ans plus tard. Rien, dans les Recollections of Samuel Breck, ne permet d’y lire la moindre allusion au fait que le marquis canadien aux manières déplaisantes ait pu, au cours des six semaines passées à bord du Courrier de l’Europe, reconnaître en St. John de Crèvecœur un homme qu’il a précédemment côtoyé en Nouvelle-France. Il serait évidemment très intéressant de découvrir ce que Chartier de Lotbinière a pu écrire à propos de ce compagnon de traversée dans le « récit détaillé de leur voyage » qu’il a couché « sur une demi-feuille couverte d’une écriture trop petite pour être lue sans le recours d’une loupe ». Seuls quelques fragments du journal que Chartier de Lotbinière paraît avoir tenu tout au long de son existence ont été conservés jusqu’à nos jours, et son récit de la traversée du Courrier de l’Europe n’est malheureusement pas du nombre. Il nous a été possible de retracer un peu plus d’une vingtaine de segments du journal de Chartier de Lotbinière10. La plupart de ces documents sont constitués, conformément au témoignage de Samuel Breck, de feuillets demi-folio couverts au recto comme au verso d’une écriture minuscule. Les quatre plus anciens fragments que nous avons retrouvés ne peuvent éclairer en rien les relations que Chartier de Lotbinière et St. John de Crèvecœur ont pu entretenir en Nouvelle-France : ils couvrent une période s’échelonnant de 1746 à 1752, époque où notre cadet des troupes de la colonie n’était pas encore arrivé en Amérique. Le fragment suivant, intitulé « Carillon, 1755 : Copie du journal », contient, en date du 16 mai, une note signalant l’arrivée au fort Carillon d’individus qui apprennent à Chartier de Lotbinière « qu’il était arrivé de France un vaisseau de Ligne portant 9 compagnies des deux nouveaux bataillons qui nous viennent cette année, savoir celui de Royal Roussillon et de La Sarre ». C’est au mois de mai 1756 que ces régiments ont débarqué à Québec ; aussi le titre de ce fragment est-il erroné : ce journal de Carillon date non pas de 1755 mais de l’année suivante. De toute façon, ces pages ne contiennent aucune référence pouvant être liée au séjour de St. John de Crèvecœur en Nouvelle-France. Le sixième fragment, un des plus volumineux segments du journal de Chartier de Lotbinière qu’il nous a été possible de retrouver, couvre une période s’échelonnant du 8 septembre 1758 au 3 septembre 1759, soit pratiquement une année complète, et des plus importante pour nous. Ce fragment s’achève quelques jours avant la bataille des Plaines d’Abraham, c’est-à-dire à la fin de la campagne de Québec qui, selon la lettre que
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Chartier de Lotbinière, aurait été la dernière de St. John de Crèvecœur à la demande de ses collègues officiers. On a vu que St. John de Crèvecœur a vraisemblablement séjourné de la fin de 1757 à septembre 1758 dans les environs du fort Carillon et que, par la suite, il a résidé à Québec jusqu’au moment où les troupes britanniques se sont emparées de la ville. Chartier de Lotbinière était aussi à Carillon en 1757 ; il a quitté le fort peu de jours après les combats du mois de juillet 1758 et on le retrouve à Québec à partir du 20 du même mois. Les annotations inscrites à son journal du 8 septembre 1758 au 3 septembre 1759 rendent compte de sa participation à des opérations militaires le conduisant à faire de multiples allées et venues entre la capitale de la Nouvelle-France et les établissements environnants. Ces activités le mettent en relation avec de nombreux officiers dont les noms émaillent les pages de ce fragment de journal ; on n’y retrouve cependant pas la moindre référence à St. John de Crèvecœur. Ces deux hommes, qui ont vraisemblablement participé à la prise du fort William-Henry de mars 1757, qui se sont assurément côtoyés au cours des premiers mois de 1758 alors qu’ils séjournaient derrière les murailles du fort Carillon, auraient passé presque un an dans la même ville sans se croiser une seule fois ! Peut-être s’évitaient-ils ? Ou est-ce parce que Chartier de Lotbinière était sans cesse dépêché auprès des divers camps installés dans le voisinage de Québec, tandis que St. John de Crèvecœur demeurait avec les arrières des armées, se consacrant à ses travaux de cartographie ? En tout cas, le fait qu’on ne trouve aucune mention de notre homme notre homme dans ce fragment du journal de Chartier de Lotbinière consacré à la description d’opérations militaires permet de supposer que St. John de Crèvecœur s’adonnait à cette époque à des occupations qui le tenaient relativement éloigné des combats que devait affronter son régiment. Les dernières annotations conservées dans ces pages s’arrêtent à peine dix jours avant la bataille des Plaines d’Abraham et les incidents qui devaient pousser St. John de Crèvecœur à mettre un terme à sa carrière militaire. Or elle ne contiennent pas la moindre trace d’événements qui auraient pu conduire les lieutenants du régiment de la Sarre à exiger la démission de St. John de Crèvecœur ou de n’importe quel autre de leurs compagnons. C’est également le cas du huitième fragment du journal de Chartier de Lotbinière, qui fait immédiatement suite à celui dont on vient de parler : les douze feuillets de ce document couvrent la période du 3 au 30 septembre 1759. Ces pages (dont une bonne moitié ont été presque effacées par le temps) font état des opérations militaires qui ont précédé les combats du 13 septembre et contiennent une description de la bataille qui s’est soldée par la prise de Québec. Elles nous apprennent que Chartier
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de Lotbinière était du nombre des soldats qui se sont par la suite repliés dans un premier temps sur les berges de la rivière Jacques-Cartier avant de remonter graduellement le long du Saint-Laurent en direction de Montréal. Le 30 septembre, Chartier de Lotbinière est à Deschambault, où il apprend entre autres choses que les Anglais « Continuent toujours de regarder Les officiers Blessés Entrés a Lhopital général a laffaire du 13 Comme prisonniers ». Une fois de plus, ces pages ne contiennent pas la moindre allusion à la conduite éventuellement répréhensible de St. John de Crèvecœur. Contrairement à St. John de Crèvecœur et au commissaire Bernier, Chartier de Lotbinière ne s’est pas retrouvé derrière les murs de Québec au lendemain de la prise de la ville par les Britanniques. Il a résidé dans les camps français établis dans les environs de la capitale avant de recevoir, le 4 octobre, des instructions l’engageant à fortifier les paroisses de SainteCroix et de Saint-Antoine : deux établissements situés sur la rive sud du Saint-Laurent, à quelques dizaines de kilomètres en amont de Québec, dans une région qui porte aujourd’hui le nom de… Lotbinière ! Il passerait par la suite l’hiver 1759-1760 à Trois-Rivières. La première référence à St. John de Crèvecœur dans la correspondance du commissaire Bernier est apparue dans une lettre du 4 octobre 1759. C’est au cours des trois semaines suivantes, entre cette date et le 26 octobre, jour du départ du convoi de navires en direction de New York à bord duquel St. John de Crèvecœur a pris place, que s’est déroulé l’essentiel des incidents qui ont conduit notre homme à démissionner de l’armée. Or c’est précisément le 4 octobre que Chartier de Lotbinière reçoit des ordres qui l’éloignent de Québec. Conséquemment, il est impossible que Chartier de Lotbinière ait été le témoin direct des derniers jours de St. John de Crèvecœur en Nouvelle-France. Tout au plus a-t-il pu entendre parler de ce qui s’est passé, comme il supposera, dans sa lettre du 7 juin 1790, que c’est également le cas pour Renaud d’Avène des Méloizes. Ces données nous obligent à relativiser la valeur des informations contenues dans cette missive. Et la suite des segments du journal de Chartier de Lotbinière qu’il nous a été possible de retracer nous fournit une autre raison de douter de la véracité de ses affirmations. Nous avons retrouvé quatorze fragments de journal rédigés entre le 30 mai 1772 et le 6 décembre 1786. Ces pages témoignent des années que Chartier de Lotbinière passe alors en France et en Angleterre, tandis que St. John de Crèvecœur réside pour sa part aux États-Unis. Il n’est donc pas étonnant qu’elles ne contiennent aucune référence à ce dernier. Les choses changent toutefois avec l’avant-dernier des fragments du journal de Chartier de Lotbinière parvenus jusqu’à nos jours.
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L’« Enveloppe apparente d’un politique consommé » Le manuscrit de ce document de vingt-trois feuillets — dont l’existence n’est signalée dans aucune des études consacrées à la vie et à l’œuvre de St. John de Crèvecœur — est conservé au Centre d’archives de Québec des Bibliothèque et Archives nationales du Québec11. Rédigé à New York, ce fragment couvre une période s’étalant du 19 novembre au 31 décembre 1787 : un peu moins de six mois après que Chartier de Lotbinière et St. John de Crèvecœur ont traversé l’Atlantique à bord du Courrier de l’Europe. Les trois premières lignes du manuscrit sont constituées des derniers mots d’une entrée vraisemblablement datée du jour précédant celle qui commence à la quatrième ligne du document (les passages en italique sont soulignés dans le texte original) : Le 20. — mardi. — assés beau Et clair dès le matin. — après déjeuner j’ai accompagné mr. auklair chés mr. St. Jean dit Crevecœur qu’il désiroit connoitre d’après la lecture qu’il avoit fait dans sa traversée de ses lettres d’un Cultivateur américain, Et un poliçon anglois qu’il tient pour répondre à sa porte m’a d’abord dit qu’il n’y Etoit pas ; mais voulant m’écrire ainsi que mr. auklair pour l’instruire que nous nous Etions présentés pour lui, Et ce poliçon m’ayant présenté la porte à demi ouverte à gauche Et que je pourrois m’y inscrire, En l’ouvrant j’ai apperçu le sr. de Crevecœur qui nous a reçu avec un certain air ministeriel affecté, sans même je le crois nous offrir de nous asseoir, mais j’ai sû y syppléer de suite En poussant une chaise à mr. auklair Et En prenant de suite une ou je me suis placé sans perte de tems. — il a resté longtems debout Et commençant par lui dire que mr. auklair s’étoit présenté sans moi la veille chés lui demandant En françois si c’étoit sa demeure, Et que par la réponse que lui avoit donné le jeune homme qu’il tenoit à sa porte, il avoit conçu que ce n’étoit pas ici qu’il demeuroit Et l’avoit Ensuite cherché inutilement ailleurs. — à quoi il a répondu et assés brutalement à mon avis Et toujours avec cet air ministériel Et donnant un geste de bras assés indécent « pourquoi ne sait-il pas l’anglois, il auroit été entendu ». — oh ! vous m’avouerés, ai-je répondu, que quelqu’un qui vous sait Consul françois, doit s’attendre à trouver chés vous quelqu’un qui puisse lui répondre lorsqu’il lui demandera en françois si la maison Est celle ou vous demeurés, Et si vous y Etes ; Et je suis surpris, ai-je ajouté, que vous n’ayez pas au moins à vôtre porte quelqu’un qui Entende un peu le françois, vôtre État vous mettant continuellement dans le cas d’avoir affaire aux françois dont le plus grand nombre ne sait pas un mot d’anglois. — à quoi il a répondu (Et toujours du même air brutal Et d’importance) « tant pis pour Eux, C’est à Eux à l’apprendre. Et je n’ai pas besoin de vos leçons, je sais ce que j’ai à faire ». … j’ai Eté dans le 1er instant tenté de lui dire qu’il Etoit un grossier, n’ayant pas les premiers principes d’une Education supportable, Et En me levant Et sortant de suite, de lui ajouter qu’il ne méritoit pas que des gens comme nous se présentassent chés lui. — mais refléchissant de suite à l’Envie qu’avoit mr. auklair de s’Entretenir un certain tems avec lui sur les détails qu’il avoit lû dans ses lettres, je me suis retenu tout à coup Et me suis contenté de lui dire « que j’etois surpris de lui voir prendre la
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Figure 20. « Journaux de Michel Chartier de Lotbinière ». New York, du 19 novembre au 31 décembre 1787. Première page du manuscrit. Québec, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
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chose sur le ton qu’il le prenoit avec moi ; que ce n’étoit point des leçons que je prétendois lui donner, mais seulement comme ami des conseils tels que je me les donnerois à moi même, pour servir la maxime où j’ai toujours Eté de me prêter de tout mon pouvoir au besoin de tous ceux qui avoient pû avoir affaire à moi jusqu’ici ; Et de suite je lui ai annoncé mr. auklair pour françois né En Berry Et y faisant la fonction d’avocat » (Et comme il me montroit son costume, avec un air de doute qu’il fut réellement françois) « j’ai ajouté qu’il se disoit d’origine Romaine, dont lui Et sa famille avoient conservé le costume dans l’habillement, quoiqu’en france depuis Environ un siécle ». — à l’instant, mr. auklair a détaillé sa descendance des anciens Romains, Et de la famille nautia, gardienne du palladium, &c. ; à quoi ce détail à peine commencé que le sr. de Crevecœur (avec un souris de mépris Et de vouloir exprimer le plus amerement le mepris qu’il faisoit de cette prétention) a dit avec un geste des deux bras et s’approchant de la fenêtre « ah ! voici une origine assés ancienne, il ne s’agit plus que de la prouver » ! — Et mr. auklair cherchant dans son portefeuille ses papiers qu’il a du païs (de Berry) qui annonce qu’il Est généralement regardé pour tel à Argenton, Et qu’il avoit d’abord annoncé sa lettre de recommandation de mr. Jefferson au délégué de la Georgie ou il comptoit d’abord devoir s’Établir ; pour lui Épargner de nouveaux sarcasmes Et impertinentes réflexions au dela, de la part du sr. de Crevecœur, j’ai dit à mr. auklair qu’il suffisoit de lui montrer la dte lettre de Recommandation de mon dit sr. Jefferson, qui après la lecture qu’il En a pris a cependant réduit le sr. de Crevecœur, a retrancher un peu de son air moqueur Et d’Écouter avec un peu plus de patience ce qu’il avoit à lui dire. — comme après un certain tems je l’ai vu déterminé à se tenir toujours debout, comme pour nous dire tacitement que nous devions Egalement nous y tenir, j’ai dit à mr. auklair que mr. de Crevecœur avoit vraisemblablement des affaires très pressées dont nous le détournions, Et En me levant je lui ai dit qu’il pourroit le voir pour un tems plus long dans un moment où il seroit moins occupé. le dit sr. Crevecœur m’a dit qu’il n’avoit pas Eté si peu de tems chés moi dans la visite qu’il m’avoit faite il y avoit un tems assés long, Et qu’il ne devoit pas juger que je voulusse le priver à l’instant du plaisir d’Etre un tems plus long avec moi Et avec mr. auklair Et s’Est Enfin déterminé à s’asseoir. — pour ne pas priver mr. auklair de la conversation suivie qu’il vouloit absolument avoir avec lui sur tout les détails de ce païs, j’ai tenu le siége bien malgré moi beaucoup au dela de ce que je l’aurois tenu si j’eusse Eté seul. Et dans plus d’une heure qu’a duré cet Entretien sur ce païs, le sr. de Crevecœur se renfermant dans l’Enveloppe apparente d’un politique consommé qui ne veut pas se laisser pénétrer, (mais au réel pour ne pas se voir percé à jour sur son peu de fonds et de lumière réelle, même sur ce païs dont il parle dans ses lettres En homme instruit de tout jusqu’au plus petit détail), n’a cessé de répondre à toutes les questions que lui a faites mr. auklair « vous verrés le tout par vous mêmes, c’est le seul moyen de bien voir » ; Et du reste ne s’Est monté que sur de grands mots n’exprimant rien, mais qui à tout autre moins Eclairé que nous, auroient pû lui acquerir le nom de genie sublime, de politique du 1er ordre Et d’une prudence sur tous points à l’Epreuve de toute tentation même les plus chatouilleuse. — De là chés le sr. Cutting ou laissé mr. auklair pour venir prendre mon dernier paquet de quinquina […]12.
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Deux jours plus tard, le 22 novembre, Chartier de Lotbinière revient sur cette visite en signalant que : mr. auklair […] s’Etant présenté chés moi vers diner, je lui ai lû mon journal sur nôtre visite à mr. de Crevecôur, Et il n’y à pas trouvé la plus petite chose qui ne fut la vérité la plus Exacte Et non forcée joint à l’Extrait le plus succint de tout ce qui s’y Est passé.
La veille, le 21 novembre, le diariste racontait sa rencontre avec un groupe d’individus cherchant à entrer en relation avec l’homme qu’il avait accompagné chez St. John de Crèvecœur. Il explique que : comme sa ménagère a dit qu[e mr. auklair] devait, sortant d’ici aller chés mr. St Jean (Crevecœur) qu’il voulait voir, Et qu’ils ne cessoient de me demander ou il pouvoit Être Et le pourroit trouver par l’inquiétude qu’ils En avoient, je leur ait dis que de retour chés Eux ils Envoyassent chés mr. otto ou mr. de Crevecœur auroit pu le conduire, dans le cas ou sortant d’ici, il y eut Eté comme l’assuroit sa demoiselle13.
Louis-Guillaume Otto n’était alors pas encore l’époux de Fanny St. John de Crèvecœur. Il venait de se marier huit mois plus tôt, en mars 1787, avec Elizabeth Livingston, la plus jeune des filles de Peter Van Burgh Livingston : une union qui introduisait le chargé d’affaires de la couronne française au sein d’une des deux plus puissantes familles de l’État de New York. Les concurrents des Livingston étaient les De Lancey ; au cours de la révolution, les premiers avaient été du parti patriote, les seconds du parti loyaliste. Le journal de Chartier de Lotbinière nous apprendra, en date du 17 décembre, que « made. otto Etoit accouchée Et morte demie heure après ». Le lendemain, il signale que : made. otto a Eté Enterrée après diner dans le Cimetière de l’Eglise […], Et le pauvre otto qui selon la coutume du païs a Eté obligé de s’y trouver, s’est trouvé tout à fait mal Et En défaillance au moment où on l’a mis En terre.
Le 19 décembre, il écrit « à mr. otto au sujet de la mort de sa femme » et reçoit une réponse de ce dernier le lendemain soir. Le 22 décembre, le marquis apprend que : made. otto Etoit morte d’une perte de sang qui avait précédé son accouchement Et qu’il n’avoit pas Eté possible d’arrêter Enfin ce qui me surprend beaucoup Est qu’elle a donné à son mari une Espèce de testament ou dispositions de dernière volonté faite par Elle deux mois avant, ou tout ce qu’il lui Est arrivé pour son accouchement d’une fille (qui vit Et promet de vivre) suivi de sa mort très peu àprès Est annoncé syllabe pour syllabe ; Elle demande à son mari par cet Ecrit de la suivre jusqu’au cimetiere (ce qu’il lui avoit promis quoiqu’il jugeât avant ne devoir pas s’engager beaucup En lui promettant, Et c’est la raison pour laquelle il s’Est trouvé au convoi)14.
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C’est donc un veuf déjà père d’une fille que Fanny épousera trois ans plus tard, le 13 avril 1790, quelques semaines avant que St. John de Crèvecœur ne quitte l’Amérique pour ne plus y revenir. Difficile d’établir avec précision qui est ce « mr. auklair » que Chartier de Lotbinière a accompagné chez St. John de Crèvecœur. Tout ce qu’on peut savoir sur ce personnage tient à quelques documents conservés dans les archives de Thomas Jefferson. On y retrouve une lettre signée « G. A. Auckler » confirmant que ce dernier se présentait comme « avocat à argenton en berry ». C’est en tout cas l’adresse qu’il donne à Jefferson dans une missive écrite en français qu’il fait parvenir au représentant des États-Unis en date du 11 mai 1787 : Monsieur, Pardonnez si je derobe un moment, aux importantes occupations, dont votre place vous a chargé, par des demandes, que vous trouverez peut-être frivoles, mais qui ne sont cependent pas etrangeres à la gloire de l’humanité. Je soutenois que les nouveaux états de l’amerique Septentrionale, qui viennent de se former, etoient ouverts à tout etranger, qui vouloit s’y établir, et que dès qu’il y avoit acquis quelque possession foncière, il avoit touts droits de cité, et devenoit membre de la republique, et en cette qualité pouvoit exerçer toutes sortes de professions, même les plus nobles, telles que celle d’avocat. C’est ce qui me paroissoit devoir être, du moins, dans un pays nouveau, qui ne demande qu’à se peupler. On me soutenoit le contraire. Je vous supplie, Monsieur, de vouloir bien, si ce n’est pas trop abuser de vos moments, nous decider. Daignez agreer, Monsieur, que je joigne ici mon profond respect à celui que vous obtenéz de tous ceux, qui vous connoissent.
Ce n’est pas avant le 7 juillet que Jefferson est en mesure de répondre (en français) à son interlocuteur : Je voyageais en Italie au moment où vous m’avez fait l’honneur de m’adresser votre lettre de l’11me. Mai. Je profite du premier moment libre depuis mon retour pour y faire réponse. Les etats de l’Amerique ne sont pas touts egalement favorables à l’etranger qui s’y domicile. Il y en a qui ne leur permettent pas d’exercer les premieres charges des corps Executifs ou Judiciaires, ni d’etre du corps legislatifs. Il y en a d’autres, comme la Virginie par exemple, ou l’etranger, faisant declaration qu’il va s’y domicilier, et qu’il sera fidele à l’etat, rentre dans touts les droits de citoyen née, sans aucune exception. Je ne connois pas assez les loix des differents etats pour vous detailler le plus ou le moins de liberté que chacun donne à l’etranger domicilié. J’ai l’honneur d’etre avec les egards les plus distingués Monsieur votre très humble et très obeissant serviteur […].
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Les mêmes archives ont conservé une copie de la « lettre de recommandation de mr. Jefferson au délégué de la Georgie » que Chartier de Lotbinière a vu entre les mains d’Auckler. Le document a été établi à Paris en date du 21 août 1787 : Le porteur de la présente, M. Auckler, se proposant de s’établir dans les régions occidentales de la Géorgie, je prends la liberté de le recommander à votre protection et à votre conseil. Vous verrez, grâce à ses documents, qu’il a été, en ce pays, un avocat de distinction et de bon caractère, et il semble avoir pris la résolution d’aller en Amérique poussé par le désir de vivre en un pays de liberté. Ces attestations de la valeur et du caractère de cet étranger vous recommanderont de l’accueillir et de le guider amicalement, tandis qu’elles m’excusent de la liberté que je prends par la présente avec le motif supplémentaire de profiter de chaque occasion de vous assurer des sentiments de parfait respect avec lesquels j’ai l’honneur de me déclarer, messieurs, votre plus obéissant et plus humble serviteur15.
Les dates de ces communications permettent d’affirmer que ce n’est pas à bord du Courrier de l’Europe qu’Auckler a fait la traversée au cours de laquelle il a lu les Lettres d’un cultivateur américain qui ont fait naître en lui le désir de connaître leur auteur. Le paquebot sur lequel St. John de Crèvecœur a pris place en compagnie de Samuel Breck et de Chartier de Lotbinière a quitté la France à la mi-juin et est arrivé en Amérique au début de juillet 1787. La recommandation de Jefferson aux délégués de Géorgie date du 21 août. Aussi l’avocat berrichon a-t-il dû prendre la route de l’Amérique à bord d’un vaisseau parti de France après cette date. La suite du journal de Chartier de Lotbinière contient par ailleurs des allusions permettant de croire qu’Auckler est arrivé à New York peu de jours avant la rencontre du 20 novembre décrite plus haut. Auckler devait finalement prendre le parti de s’installer dans le nord de l’État de New York plutôt qu’en Géorgie. Chartier de Lotbinière nous apprend que c’est le 1er décembre que ce curieux personnage a quitté la ville de New York pour remonter l’Hudson en direction d’Albany. Auckler s’avère avoir été un homme aux manières suffisamment bizarres pour inquiéter un certain nombre des relations qu’il a pu se faire lors de son court séjour new-yorkais. Son costume étrange, entre autres, semble avoir conduit plusieurs personnes (dont St. John de Crèvecœur) à douter de son identité. Le 24 novembre, Chartier de Lotbinière raconte que des individus sont venus le rencontrer ce jour-là afin de lui demander : si j’avois connu En france mr. auklair Et si je savois au juste ce qu’il Etoit ; arceque l’on disoit ici, Et le peuple le croyoit generalement, qu’il Etoit le Comte p de Cagliostro, d’autres le disoient l’ambassadeur du Roi de maroc ; d’autres un jesuite déguisé qui Etoit Envoyé pour mettre le trouble ici, d’autres Enfin, mais
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du bas peuple, que c’Etoit le grand juif qui depuis la mort de jesus-Christ Erroit dans toutes les parties de la terre pour Etendre la Réligion judaïque, &c.
Le marquis répond alors à ses interlocuteurs qu’il ne « connaissoi[t] nullement mr. auklair dès france, ni même n’en avoi[t] jamais Entendu dire un mot y Etant ». Il précise qu’il l’a rencontré pour la première fois lorsque ce dernier est « par[u] ou [il] étoi[t] logé pour y loger lui même avec un grand nombre des passagers du paquebot françois ». Quant aux identités farfelues que lui donne la rumeur populaire, entre autres celle du Juif errant, Chartier de Lotbinière ne veut pas dire « un mot à ce sujet, sentant bien n’en avoir aucun besoin vis à vis [de ses interlocuteurs] ni vis à vis de tout autre un peu raisonnable pour chercher à détruire ce bruit16 ». Les visiteurs de Chartier de Lotbinière s’inquiètent également d’une « fille qu’[Auckler] avoit amenée avec lui [et] qui faisoit parler ». Le diariste affirme avoir « détruit sans grande peine cet objet qui au réel n’étoit point une chose à occuper des gens raisonnables, quand bien même les choses seroient Entre lui Et Elle différentes de ce que je le croyois très intimement ». On s’interroge aussi à propos : de son costume d’habillement Et de sa longue barbe qu’il avoit laissé croître dans le vaisseau Et conservoit depuis pour se faire mieux remarquer ici. — à quoi j’ai répondu que cette singularité de sa part m’avoit un peu surpris à son arrivée, Et que commençant à le connoître pour homme de bon sens Et Droit, je lui En avois fait l’observation lui disant que dans un païs nouveau comme celui-ci, il ne falloit pas se rendre trop Extraordinaire En s’y montrant Et qu’il m’avoit dit comme il leur avoit dit lui même que sa famille En france avoit constamment gardé ce costume, Et qu’il se croyoit obligé de l’observer à raison de leur ancien Etat chés les Romains, &c.
On fait par la suite état à Chartier de Lotbinière du fait que : quoiqu’[Auckler] nous Eut dit qu’il ne savoit pas un mot d’anglois, l’on savoit positivement qu’il le savoit très bien Et le parlait de même ; qu’il s’Etoit Exprimé à 2 et trois personnes — dont un Etoit officier […] qu’il avoit rencontré dans Broadway, à qui il avoit demandé En très bon Anglois Et comme quelqu’un qui le sait bien ou demeuroit mr. St. Jean qu’il vouloit voir, &c. — à quoi j’ai répliqué que je croyois m’être assuré qu’il ne le savoit réellement pas, quoiqu’il ait pou faire cette simple question parce que je lui avois pu dire à son départ pour s’en informer, ou quelques autres mots au dela qu’il avoit puê Etudier dans sa grammaire avant de partir17.
On s’interroge enfin sur l’authenticité des certificats dont est porteur l’avocat berrichon, entre autres celle de « la lettre de recommandation dont il Etoit muni de la part de mr. Jefferson, qui avoit Eté à même de se bien informer de tout ce qui le regardoit avant de la lui donner ». Selon Chartier de Lotbinière, cette lettre :
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devoit servir de preuves complettes pour tout le reste Et comme ils paraissoient admettre du doute sur cette lettre même, comme s’ils ne l’eussent pas crû de mr. Jefferson, j’ai dis que je connaissois le seing Et l’Ecriture de mr. Jefferson, pour avoir reçu deux ou trois lettre Et billets de lui tandis que j’etois à paris, Et que j’attesterois quand on le voudroit que la lettre qu’il montroit Etoit de l’Ecriture de ce ministre Et que le seing au bas Etoit son véritable seing.
Mais toutes ces justifications ne suffisent pas aux individus venus s’informer auprès de Chartier de Lotbinière : après tous ces Eclaircissements fournis de ma part, ils ont terminé par me dire — nous savons qu’il Est un homme très instruit Et d’Esprit, mais au moins vous m’avouerés que sa tête Est un peu hipotéquée Et même qu’il Est fou de tenir autant qu’il le fait à son costume d’habilement, surtout à sa longue barbe qu’il n’a laissé croître que depuis qu’il Est dans le vaisseau, sachant combien on le trouve Extraodiraire Et mauvais En ce païs. — à quoi j’ai répondu que je ne pouvois absolument l’avouer fou d’après tous ses raisoinnemens qui me parroissoient les plus suivis ; mais que je ne pouvois me dissimuler que cet Entêtement pour son costume, &c, d’après les observations qui lui avoient Eté faites à ce sujet, Etoit un tic En lui semblable à celui de Jean-Jacques Rousseau pour une pauvreté affectée ; lequel cependant nous avoit laissé par Ecrit les raisonnemens les plus certains et les plus complets sur les principaux objets à fixer pour rendre la société d’hommes parfaitement heureuse.
Le jour même, Chartier de Lotbinière trouve l’occasion de parler à Auckler « avec les plus grands ménagemens » des inquiétudes dont lui ont fait part les hommes qu’il a reçus chez lui quelques heures plus tôt. Il entreprend alors de : lui fai[re] sentir qu’il seroit mieux à lui de laisser ce costume ainsi que je lui avois conseillé du 1er. moment pour ainsi dire que je l’avois vû, dès l’instant qu’il Etoit à présent certain que cela déplaisoit En ce païs, au moins sa longue barbe que l’on savoit positivement qu’il ne portoit pas avant son Embarquement ; la vraie philosoiphie ne pouvant jamais fixer ni attacher par principes qui que ce soit à des bagatelles de cette nature. — Il m’a dit qu’il ne pouvoit absolument laisser l’habillement Romain qui Etoit un point de sa Religion ; que quant à sa barbe, il n’y avoit d’obligation à la porter longue qu’a quatante ans, Et que s’En voyant trente cinq, il s’Etait déterminé à la laissetr croitre En Entrant dans le vaisseau pour se moins singulariser ici si on l’y Eut vû Ensuite la laisser croitre à 40 ans : — (cependant il Est convenu peu après que ce point de longue barbe n’etoit point d’obligation dans sa Religion, mais seulement de goût pour ceux qui le vouloient). — il a Enfin terminé par me dire qu’il ne savoit pas rétrograder sur ce qu’il avoit d’abord fait ni se plier à la fantaisie de ceux à qui cela pouvoit déplaire ; qu’il ne demandoit rien à personne Et qu’on le laissât tranquille surtout ce quil feroit pour lui même qui ne pouvoit affecter que les imbéciles Et qui ne l’Empêcheroit nullement de les conduire au mieux, &c. — Enfin voulant Encore lui représenter Et avec les plus grands ménagemens qu’il venoit ici pour s’y fixer, Et que voulant y Etre avec agrément, il Etoit un
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peu nécessaire de se plier à quelque fantaisie de tous ceux que l’on vouloit se donner pour Concitoyens ; il m’a répondu qu’il n’en feroit jamais rien, qu’il Etoit prêt à se présenter au tyran qui voudroit lui faire sauter la tête pour l’amener à sa fantaisie, mais qu’il n’auroit jamais la faiblesse de se rendre à ce qu’il désirreroit de lui, lorsque lui même ne le voudroit pas, Et qu’il suffisoit qu’on le trouvât mauvais Et qu’il apperçut qu’on tendit à l’amener à sa volonté, pour que cela le fortifiât dans la sienne propre.
Après cette discussion, Chartier de Lotbinière retrouve les deux individus qui se sont présentés chez lui afin de lui demander son opinion sur Auckler. Il leur signale : qu’il Etoit unitule de penser à Engager mr. auklair à laisser son costume Et même sa longue barbe, ayant fait inutilement l’impossible pour l’y Engager. — « Eh bien, ont-ils dit l’un Et l’autre, puisqu’il Est absolument fou, qu’il reste comme il Est » !18
On apprendra quelques jours plus tard, le 28 novembre, qu’Auckler acceptera tout de même de régulariser sa relation avec la « fille » avec laquelle il entretenait des rapports discutables : mr. aucklere s’est marié ce soir avec la fille qu’il avoit amené ici, s’apercevant que de la tenir auprès de lui Etoit un objet de scandale pour le peuple de ce païs qui Etoit informé qu’elle n’etoit pas sa femme [… ;] il s’est déterminé à se faire marier par mr. moore, à la tête de l’Eglise Anglicane de la trinité qui a reçu à 7 heurs du soir leur Consentement mutuel, l’a béni suivant son rite Et lui a délivré de suite son certificat, ou acte de mariage, que je juge suffisant sans même le faire réhabiliter (comme il se le propose aussitôt qu’il le pourra) par un prêtre Catholique Romain, pour faire recevoir dans quelque païs que ce soit son mariage — comme très légitime, Et les enfants qui en proviendront de même19.
Ces pages ne permettent pas de déterminer la nature exacte du costume qu’Auckler s’obstine à porter, ni l’étrange religion qui le force à revêtir cet accoutrement et lui suggère de porter la barbe, mais qui le pousse néanmoins à vouloir faire confirmer son mariage anglican par un prêtre catholique. Elles suffisent par contre à faire comprendre que ce G. A. Auckler était un personnage plutôt singulier, et à expliquer en partie le comportement que St. John de Crèvecœur paraît avoir adopté en sa présence.
Un consul inquiet Le récit que Chartier de Lotbinière fait de sa rencontre du 20 novembre 1787 avec St. John de Crèvecœur est évocateur des caractères de ces deux hommes, et permet de deviner que les relations qu’ils ont pu entretenir tandis qu’ils séjournaient à New York n’ont pas été très bonnes. Ils semblent
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toutefois s’être fait la politesse de se fréquenter. En tout cas, leur entretien du 20 novembre n’était pas leur premier puisque St. John de Crèvecœur fait référence à une précédente visite chez le marquis, mais qui datait déjà d’« un tems assés long ». Ces pages dévoilent un Chartier de Lotbinière arrogant et imbu de lui-même, frustré de se voir forcé de se contenir à cause de la position de pouvoir qu’occupe St. John de Crèvecœur. La suite de son journal newyorkais nous montre que l’irascible marquis n’était pas du genre à prendre beaucoup de précautions pour faire savoir ce qu’il pensait d’eux à ceux qu’il considérait comme ses subalternes. Une entrée en date du 26 novembre nous le montre qui ne se gêne pas pour insulter « la Lafargue », l’épouse de son logeur. Cette dernière vient alors de dire à propos d’une tierce personne, et en adoptant un « air de petites gens voulant trancher du bien né », ce que Chartier de Lotbinière estime être des bêtises. Le marquis lui lance alors que : c’est parce que je vous ai Etudié de longue main Et mieux connu ou au moins aussi bien que vous pouvés vous connaître vous-même, que j’ai Evité Et Evite avec tant d’attention de me voir avec [la personne dont elle vient de parler] vis à vis de vous20.
On devine ainsi ce qu’il a dû en coûter à un Chartier de Lotbinière offusqué par la brusquerie des manières du consul pour se retenir de dire à St. John de Crèvecœur que ce dernier lui paraissait être « un grossier, n’ayant pas les premiers principes d’une Education supportable », et qu’il le considère comme un incompétent, dont les propos sont remplis « de grands mots n’exprimant rien » et qui cherche à cacher « son peu de fonds et de lumière réelle, même sur ce païs dont il parle dans ses lettres En homme instruit de tout jusqu’au plus petit détail ». La dernière partie de cette phrase laisse supposer que Chartier de Lotbinière était au courant du contenu des Lettres d’un cultivateur américain. Le marquis indique qu’au cours de sa conversation avec Auckler, St. John de Crèvecœur s’est « renferm[é] dans l’Enveloppe apparente d’un politique consommé qui ne veut pas se laisser pénétrer » et s’est montré « d’une prudence sur tous points à l’Epreuve de toute tentation même les plus chatouilleuse ». Le consul semble avoir été sur ses gardes, comme s’il avait désiré cacher quelque chose : une attitude dans laquelle on peut reconnaître un des traits de caractère de notre auteur. Dans son rapport à Henry Clinton, Peter Dubois présentait St. John de Crèvecœur comme un homme possédant des grandes connaissances mais qui « affectera parfois d’ignorer ce qu’il sait vraiment ». Chartier de Lotbinière écrit que son hôte agit comme quelqu’un « qui ne veut pas se laisser pénétrer » pour dénoncer ce qu’il estime être une forme d’affectation visant à masquer son ignorance.
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Mais contrairement à ce que suppose le diariste, St. John de Crèvecœur ne cherchait sans doute pas à faire croire à ses visiteurs qu’il en savait plus que ce qu’il daignait leur dire. Conformément à ce qui paraît avoir été son habitude, il semble vouloir se retenir de divulguer des informations. C’est en tout cas ce que permet d’en déduire le fait qu’il « n’a cessé de répondre à toutes les questions que lui a faites mr. auklair “ vous verrés le tout par vous mêmes, c’est le seul moyen de bien voir ” ». Les premières lignes du récit laissent entendre que St. John de Crèvecœur a voulu éviter de recevoir ses visiteurs. Quand on sait ce que la suite de ce fragment de journal nous apprend des excentricités d’Auckler, on peut comprendre que le consul de France n’ait guère apprécié l’idée d’avoir à ouvrir sa porte à l’étrange avocat berrichon. Le costume du personnage lui fait douter de ses origines françaises ; il accueille avec un sourire méprisant les explications d’Auckler, qui se réclame d’ascendance romaine. Mais il se peut aussi que St. John de Crèvecœur ait craint de côtoyer Chartier de Lotbinière. Dans un cas comme dans l’autre, il paraît évident que l’« air ministeriel affecté » et l’« air brutal Et d’importance » affichés par St. John de Crèvecœur ne servaient qu’à masquer un profond embarras, à cacher un sentiment d’insécurité. L’inconfort de St. John de Crèvecœur affleure d’ailleurs lorsque Chartier de Lotbinière lui reproche de ne pas avoir à son service un portier en mesure de comprendre le français. La réplique du consul dissimule mal son malaise face à cette critique : « je n’ai pas besoin de vos leçons, je sais ce que j’ai à faire ». Or St. John de Crèvecœur paraît avoir constamment craint de ne pas savoir bien faire ce qu’exigeaient de lui ses charges consulaires. À peine un an après être retourné aux États-Unis pour son premier mandat diplomatique, il écrivait au duc de La Rochefoucauld d’Enville le 15 juillet 1784 : « Je me sens continuellement conscient de mon inexpérience21 ». St. John de Crèvecœur a d’ailleurs commis quelques maladresses dans l’exercice de ses fonctions. Ainsi, le 12 juillet 1784, les Journals of the Continental Congress rendaient compte des conclusions d’un comité constitué la veille : afin d’étudier une annonce publiée dans The Boston Gazette and the Country Journal du 31 mai dernier, signée « St. John, agent des paquebots français » et datée de « Boston, mai 1784 » [et qui] rapporte : Que la dite annonce est l’aveu évident d’une intention de contrevenir directement à une ordonnance du Congrès des États-Unis visant à réglementer le service postal de ces États-Unis, et que les mesures qui y sont mentionnées, et que l’ont dit avoir été prises par ledit St. John, constituent une infraction flagrante à ladite ordonnance, tant de sa part que de celle des autres personnes sensées
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lui être liées ; qu’elles nuiront grandement aux revenus du service postal et, si on ne prévient pas leur mise en application, qu’elles pourront conduire à la destruction de cette utile institution. Qu’en conséquence le directeur du service postal reçoive un exemplaire de l’annonce en question, et qu’il lui soit immédiatement ordonné de faire enquête sur cette affaire, et s’il devait amasser des preuves suffisantes afin d’engager des poursuites contre le contrevenant, s’il découvre que ladite ordonnance a été violée à la suite de la publication de l’annonce ci-haut mentionnée, qu’il fasse en sorte que les contrevenants soient poursuivis conformément aux termes de la loi22.
Il semble, heureusement pour St. John de Crèvecœur, que l’affaire se régla rapidement sans donner lieu à une poursuite. Il faut sans doute voir, dans l’aveu d’inexpérience que contient la lettre au duc de La Rochefoucauld d’Enville écrite trois jours après cette motion du Congrès, une réaction à ce tollé des autorités états-uniennes. Il s’avère donc que, sur le plan diplomatique, St. John de Crèvecœur aura été, pour le dire dans les mots de Howard C. Rice, une personne dont la « compétence n’égala peut-être pas toujours sa bonne volonté23 ». On se rappellera que son deuxième séjour new-yorkais devait être marqué par les critiques de son supérieur, le comte de Moustier. Tous ces éléments permettent de comprendre pourquoi St. John de Crèvecœur a pu réagir aussi vivement au reproche que lui a fait Chartier de Lotbinière : la moindre remise en question de sa compétence professionnelle avait de quoi le mettre sur la défensive. St. John de Crèvecœur a sans doute deviné que Chartier de Lotbinière avait une bien piètre opinion de lui. Le marquis s’est certes retenu de lancer au visage du consul tout ce qu’il a été tenté de lui répondre, mais il est loin d’avoir gardé secrète son opinion : il n’a pas hésité à communiquer à Auckler le contenu des pages de son journal qu’il a consacrées à leur visite chez St. John de Crèvecœur. Il est alors fort étonnant de constater que, décrivant les agissements d’un individu pour lequel il apparaît avoir bien peu de respect, le marquis ne saute pas sur l’occasion pour ajouter à ses remarques méprisantes une évocation de la déchéance militaire du personnage. Pas un mot du récit de la rencontre entre St. John de Crèvecœur et Chartier de Lotbinière ne permet de croire que l’irritable marquis ait alors reconnu, en la personne du consul de France à New York, le lieutenant Crèvecœur qu’il a pu côtoyer vingt-cinq ans auparavant au fort Carillon et à Québec. L’attitude de St. John de Crèvecœur, par contre, pourrait laisser croire qu’il aurait, lui, reconnu dans l’homme en compagnie duquel il a traversé l’Atlantique un individu qu’il aurait tout intérêt à éviter. Rien ne permet cependant de prouver cette hypothèse. St. John de Crèvecœur n’a jamais écrit le moindre mot sur ses relations avec Chartier de Lotbinière et il n’a fait que de rares références à ce qui a pu se passer au cours de la croisière à bord du Courrier de l’Europe. Le 25 juillet 1787, dans la première
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lettre qu’il adresse au duc de La Rochefoucauld d’Enville après avoir réintégré sa demeure new-yorkaise, il se limite à indiquer laconiquement qu’il est arrivé aux États-Unis : « [A]pres 45 Jours de traversèe24 ».
Une révélation tardive Ainsi semble-t-il qu’en novembre et décembre 1787, après avoir été en relation directe avec St. John de Crèvecœur pendant plus de six mois, Chartier de Lotbinière ne s’était toujours pas rendu compte que le consul de France à New York était la même personne que celle dont, comme son cousin Renaud d’Avène des Méloizes, il avait pu entendre parler au cours de la campagne de Québec de 1759. Comment la chose est-elle possible ? Les renseignements que nous avons pu glaner sur les lieux de résidence de Chartier de Lotbinière et de St. John de Crèvecœur au cours des années qu’ils ont passées en Nouvelle-France permettent de croire qu’ils ont plusieurs fois séjourné en même temps et au même endroit pour des périodes s’étirant sur quelques mois. Mais le fragment du journal que Chartier de Lotbinière a tenu à une époque où il allait et venait entre Québec et les établissements des environs, et où St. John de Crèvecœur résidait dans le même voisinage, permet de conclure que, si le marquis connaissait éventuellement le lieutenant Michel de Crèvecœur, les deux officiers ne paraissent pas avoir été souvent en contact l’un avec l’autre. Lorsqu’on les retrouve à New York en 1787, il y a vingt-huit ans qu’ils ne se sont pas vus. Si les deux hommes se sont peu fréquentés à l’époque de la Nouvelle-France, il n’est pas étonnant qu’un quart de siècle plus tard, Chartier de Lotbinière ne reconnaisse pas immédiatement en St. John de Crèvecœur un ancien compagnon d’armes. La lettre dans laquelle Chartier de Lotbinière évoque le souvenir de la carrière militaire de St. John de Crèvecœur date de juin 1790. Le fragment de journal new-yorkais de Chartier de Lotbinière contenant le récit de la rencontre du 20 novembre s’achève avec l’année 1787 et le marquis n’a alors toujours pas reconnu St. John de Crèvecœur (malheureusement, le seul fragment de journal rédigé après 1787 qui soit parvenu jusqu’à nos jours date de 1797). C’est donc entre les mois de janvier 1788 et juin 1790 que Chartier de Lotbinière aura réalisé que St. John de Crèvecœur était cet ancien soldat dont son cousin a pu entendre parler en 1759. Chartier de Lotbinière n’a pas pu être le témoin direct des derniers jours de St. John de Crèvecœur en Nouvelle-France. Les renseignements qu’il transmet à son cousin sur le fait que St. John de Crèvecœur aurait, aux lendemains de la prise de Québec, erré dans la vallée de l’Hudson, lui ont nécessairement été communiqués un certain temps après que ces
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événements aient eu lieu. Il est pratiquement impossible que ces informations soient parvenues à ses oreilles tandis qu’il vivait à Londres ou à Paris. Il est tout aussi douteux qu’il en ait eu vent lors du séjour qu’il a fait aux États-Unis de 1776 à 1777, époque où St. John de Crèvecœur était un simple fermier dont le sort n’avait rien pour intéresser Chartier de Lotbinière. Selon toute vraisemblance, ce n’est pas avant le mois de décembre 1787 que le marquis a été informé du fait que l’ancien lieutenant du régiment de la Sarre avait séjourné pendant quelques mois dans la région d’Albany après avoir quitté les rangs de l’armée française, sinon il en aurait certainement parlé dans les pages de son journal consacrées à la rencontre du 20 novembre 1787. Est-ce que ce renseignement pourrait lui avoir été communiqué par Auckler, qui est allé s’installer dans cette région après son séjour new-yorkais ? Serait-il possible que ce soit par la même occasion que Chartier de Lotbinière ait appris que la campagne de Québec avait été la dernière de St. John de Crèvecœur « à la vive demande des lieutenans et sous lieutenans de la Sarre » ? Dans sa lettre de juin 1790, Chartier de Lotbinière écrit que St. John de Crèvecœur est un « fameux » personnage dont Renaud d’Avène des Méloizes a « pu entendre parler dans la campagne de Québec ». Si cette formulation suppose que son cousin a pu alors avoir eu vent des mésaventures de notre homme, elle n’implique pas nécessairement que Chartier de Lotbinière en a lui-même entendu parler à l’époque de la Conquête. La suite de la phrase contient un lien direct de cause à effet entre l’idée selon laquelle cette campagne aurait été la dernière de St. John de Crèvecœur et le fait que ce dernier se soit retrouvé dans la région d’Albany. C’est, au plus tôt, en 1788 que Chartier de Lotbinière a pu être informé de ce que le fameux auteur a été forcé de faire pour survivre après avoir quitté les rangs de l’armée française. Or il est impossible que Chartier de Lotbinière ait pu concevoir le séjour de St. John de Crèvecœur dans la vallée de l’Hudson comme une conséquence de ce qui a pu se passer au cours de la campagne de Québec avant d’avoir appris que l’homme avait séjourné dans la région d’Albany. Chartier de Lotbinière aurait-il découvert ce qui s’était passé au cours des dernières semaines du séjour de St. John de Crèvecœur en Nouvelle-France en même temps qu’il a été informé de la nature des occupations auxquelles notre homme s’est adonné au lendemain de son départ de Québec ? Cela expliquerait pourquoi Chartier de Lotbinière n’aura pas immédiatement reconnu en St. John de Crèvecœur l’homme qui aurait eu maille à partir avec ses collègues officiers : parce que le marquis ne savait pas encore que le consul de France rencontré à bord du Courrier de l’Europe et qu’il fréquente à New York avait été soldat en Nouvelle-France. Ne
Une visite « chés Mr. St. Jean dit Crevecœur »
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sachant pas que cet homme était un ancien officier, il ignorait forcément que ce dernier avait apparemment eu des problèmes avec ses confrères au cours des derniers jours de sa carrière militaire. Conséquemment, il ne faut sans doute pas lire la lettre de Chartier de Lotbinière à Renaud d’Avène des Méloizes comme une révélation d’événements dont le marquis aurait pu entendre parler en 1759 : Chartier de Lotbinière semble plutôt s’y faire l’écho de renseignements obtenus entre janvier 1788 et juin 1790. La lettre de Chartier de Lotbinière à Renaud d’Avène des Méloizes ne contredit pas ce que nous a appris la lettre de St. John de Crèvecœur à Monkcton : notre homme a bel et bien connu une fin de carrière militaire quelque peu fâcheuse. Mais on se doit cependant de mettre désormais en doute la valeur du témoignage de Charier de Lotbinière sur les dernières années de St. John de Crèvecœur en Nouvelle-France : rien ne permet de confirmer le mécontentement des autres lieutenants du régiment de la Sarre dont parle Chartier de Lotbinière. Par contre, cette lettre nous en apprend peut-être sur la situation de St. John de Crèvecœur à New York lors de son second mandat consulaire de 1787-1790 : elle permet de croire à l’existence de rumeurs malveillantes qui auraient couru au sujet du consul de France. Il faut finalement noter que cette lettre est datée du 7 juin 1790 et que St. John de Crèvecœur n’était alors plus à New York : il avait quitté cette ville tout juste une semaine plus tôt, le 31 mai 1790, pour ne plus jamais revenir en Amérique — comme si Chartier de Lotbinière profitait de l’absence de notre personnage pour se laisser aller à des médisances…
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Lorsque Brissot de Warville a rejoint St. John de Crèvecœur à New York en 1788, il s’est retrouvé en présence d’un homme inquiet, « soupçonneux et défiant », qui « garda la réserve la plus mystérieuse » à son égard. Brissot a rapidement deviné la source des soucis de son ancien associé de la Société Gallo-Américaine : il « était dans la dépendance de l’ambassadeur Demoustier qui haïssait les Américains, les révolutionnaires et les écrivains énergiques », et Brissot se savait être « du nombre des hommes qu[e ce dernier] proscrivait ». C’est pourquoi « Crèvecœur, qui craignait de perdre sa place […] jouait la froideur avec moi pour le tromper1 ». Si St. John de Crèvecœur a pu craindre que Chartier de Lotbinière lui cause certains torts, ce n’est pas nécessairement parce que le marquis était en mesure de dévoiler un pan de son passé que notre homme aurait voulu tenir caché. La vivacité de sa réaction à la remarque du visiteur sur l’opportunité de poster un portier francophone à sa demeure consulaire indique éventuellement la raison des inquiétudes que pouvait lui causer la présence de Chartier de Lotbinière. Ce dernier était en position de mettre en doute les compétences diplomatiques de St. John de Crèvecœur et de miner encore davantage une crédibilité que ce dernier savait déjà remise en question par ses supérieurs du corps diplomatique français (et notre homme a dû deviner que le marquis n’était pas du genre à se gêner de le faire). De plus, si nous avons raison de lire dans la lettre de Chartier de Lotbinière les échos de renseignements sur le compte de St. John de Crèvecœur que le marquis aura obtenus entre 1788 et 1790, le document nous signale peut-être que le consul avait une autre raison de s’inquiéter de sa réputation : que des rumeurs embarrassantes le concernant circulaient à New York à l’époque de son second séjour consulaire.
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Brissot de Warville nous permet peut-être de confirmer cette hypothèse et de deviner la nature des bruits qui pouvaient alors courir. Lorsqu’il a renoué à New York avec son collaborateur de la Société Gallo-Américaine, ce dernier lui paraissait redouter quelque chose d’autre que le seul mécontentement de ses supérieurs du corps diplomatique. Brissot croit même pouvoir trouver dans ces inquiétudes « le nœud de l’étrange comportement de Crèvecœur à [son] égard » et la principale raison pour laquelle ce dernier « ne [le] vit qu’à la dérobée, [et] ne [le] présenta chez aucun Américain ». Selon Brissot, St. John de Crèvecœur appréhendait le dévoilement de certains pans de son passé, mais pas de ceux dont auraient pu témoigner Chartier de Lotbinière : Voici les motifs qui dirigèrent sa conduite. Au milieu des troubles qui avaient déchiré l’Amérique, Crèvecœur avait d’abord gardé la neutralité, puis avait paru la violer en s’attachant plus particulièrement aux royalistes ; et lorsqu’ensuite il les vit près de succomber, il fit quelques pas pour se réconcilier avec les républicains. Cette variation dans sa conduite avait inspiré à ces derniers un profond mépris pour lui ; ils le regardèrent, sinon comme un homme dangereux, au moins comme un homme sans énergie et sans caractère, et plus près de l’esclavage que de la liberté. D’après cette opinion et d’après sa conduite, ils s’étonnaient avec raison que le ministère français eût donné le premier consulat de l’Amérique précisément à un ennemi de la révolution et de l’indépendance américaine. Crèvecœur, confondu lui-même de son prodigieux succès en France, craignait qu’on ne découvrit le mystère et qu’on ne lui enlevât une place à laquelle il était fort attaché. Un jour qu’il me parlait de la légèreté de la cour, et de la crainte de perdre la faveur du maréchal de Castries : Ne vous reste-t-il pas, lui dis-je, une grande ressource ? la terre vous ouvre ses bras. Simple cultivateur, vous serez plus heureux qu’étant esclave des grands. Le mouvement de sa tête et le silence de Crèvecœur me prouvèrent que cette morale, bonne pour les livres, n’était guère de son goût. Sa conduite antérieure à la révolution n’était pas la seule chose que Crèvecœur voulût cacher. Il avait eu des chagrins domestiques qu’il enveloppait d’un voile impénétrable. Cet homme soupçonneux et défiant ne m’éloignait de l’Amérique que pour m’éloigner de toutes ses connaissances ; il craignait apparemment que je n’en profitasse pour lui nuire ! L’ingrat, il connaissait bien peu mon âme ! j’aurais, s’il avait eu quelque confiance en moi, cherché à épaissir encore le voile dont il se couvrait2.
Le mystère que St. John de Crèvecœur craint de voir découvert en 1788 par ses hôtes états-uniens aurait été sa conduite au cours de la guerre d’Indépendance. Le problème n’est pas tant qu’il aurait embrassé pendant un temps le parti loyaliste. Il tiendrait à la « variation dans sa conduite » : à ce qui l’a amené à passer d’un camp à l’autre. Il est possible que St. John de Crèvecœur ait lui-même parlé à Brissot de Warville de cette période de sa vie où il ne s’est pas montré aussi résolument républicain qu’il paraît
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l’être dans ses Lettres d’un cultivateur américain. Les deux hommes semblent avoir été assez proches pour que St. John de Crèvecœur se soit permis ce genre de confidence. En tout cas, si le consul cherche à éviter que Brissot entre en contact avec ses connaissances, cela de façon à ce que son compatriote ne soit pas en situation de lui nuire, cette attitude implique que St. John de Crèvecœur savait que Brissot connaissait certaines choses dont le dévoilement pourrait lui causer suffisamment de tort pour lui faire perdre son poste de consul auquel il est très attaché. Mais si St. John de Crèvecœur craignait de voir ce mystère dévoilé, cela signifie qu’il ne savait pas encore ce dont Brissot paraît pour sa part être informé : que certaines personnes étaient déjà au courant de cette ancienne fluctuation de ses allégeances. Brissot indique en effet qu’il se trouvait aux États-Unis des individus qui avaient développé un profond mépris pour St. John de Crèvecœur, lequel leur avait été inspiré du temps de la révolution par la « variation dans sa conduite ». Ces mêmes personnes se montrent désormais étonnées que la France ait accordé un poste de consul à quelqu’un qu’ils considèrent comme une ennemi de leur révolution. Cette information n’a pas été transmise à Brissot par St. John de Crèvecœur, sinon notre homme ne craindrait plus de voir révélés ces aspects de son passé : il saurait que la chose est déjà faite. Ce fait permet d’en déduire que quelqu’un d’autre que St. John de Crèvecœur a été en position de renseigner Brissot de Warville sur ce dont son ancien associé ne lui aura pas fait partager le secret. La circulation d’un pareil renseignement implique qu’il est fort possible que des rumeurs sur le passé de St. John de Crèvecœur aient alors couru à New York. Et si elles ont pu parvenir aux oreilles de Brissot de Warville, elles ont également pu atteindre celles de Chartier de Lotbinière. Brissot précise cependant que cette « variation dans [l]a conduite » de St. John de Crèvecœur n’était pas la seule chose que notre homme voulait cacher : il y a également la question de ces « chagrins domestiques qu’il enveloppait d’un voile impénétrable ». Le tout fait désormais de St. John de Crèvecœur un homme inquiet, dont les agissements, ainsi que le découvre amèrement Brissot, ne sont pas en concordance avec les belles idées dont l’écrivain s’est fait le porte-parole dans ses ouvrages : comme si, pour le dire dans les mots utilisés plus haut par Brissot, l’« auteur et l’homme privé étaient […] deux hommes bien différents » — deux personnes distinctes, comme l’avaient par ailleurs intuitivement deviné plusieurs des premiers commentateurs britanniques des Letters from an American Farmer.
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Des inédits embarrassants Au moment de la guerre d’Indépendance, St. John de Crèvecœur avait raison de ne pas vouloir dévoiler son passé de soldat en Nouvelle-France. Si les autorités britanniques avaient su qu’il avait été un militaire français, il aurait fait, dans les geôles new-yorkaises, un séjour significativement plus long que les quelques mois qu’il y a passés. Le témoignage de Brissot de Warville signale qu’une fois la guerre terminée et St. John de Crèvecœur installé dans ses fonctions consulaires, c’est non pas son passé de soldat français mais ses agissements au cours des premières années de la révolution américaine qu’il redoute de voir offerts en pâture à l’opinion de ses anciens compatriotes. Mais comment ses anciennes allégeances royalistes auraient-elles pu lui faire perdre sa place de consul de France ? Elles avaient, au contraire, tout pour plaire à l’ambassadeur dont il est dépendant. Le comte de Moustier était un fervent monarchiste qui n’appréciait guère les idées républicaines. Aussi aurait-il été plutôt satisfait de découvrir que son consul avait pu partager, ne serait-ce qu’en un temps déjà lointain, un sentiment similaire. Si St. John de Crèvecœur était sans doute justifié de craindre la réaction de ses hôtes états-uniens, ces derniers n’étaient pas en position de lui faire perdre sa place de consul de France. Le comte de Moustier, qui n’aimait pas les Américains, aurait certainement refusé de se faire dicter par ces derniers la composition de son corps consulaire. Comment la révélation du passé tory de St. John de Crèvecœur auraitelle alors pu nuire à sa carrière consulaire ? La réponse tient peut-être à un détail dont nous n’avons pas encore tenu compte. Brissot note que les inquiétudes du consul semblent directement liées à l’accueil favorable que les lecteurs français ont fait à ses Lettres d’un cultivateur américain : « Crèvecœur, confondu lui-même de son prodigieux succès en France, craignait qu’on ne découvrit le mystère. » Mais en quoi ces lauriers littéraires pourraient-ils conduire à l’éventuel dévoilement d’une « variation dans sa conduite » politique à l’époque de la révolution américaine, révélation qui pourrait lui faire perdre son poste de consul ? Les Lettres d’un cultivateur américain affichent un parti pris nettement plus ouvertement prorépublicain que ne le fait James dans la version originale anglaise de l’ouvrage. Les Lettres d’un fermier américain n’ont cependant rien d’une œuvre ouvertement royaliste. Il existait toutefois d’autres textes de St. John de Crèvecœur qui, comme le constate John Brooks Moore, « (s’ils avaient été divulgués) auraient fait de Crèvecœur un personnage des plus malvenus au sein des nouveaux États-Unis d’Amérique3 ». Il s’agit des manuscrits dont James Pattison a signalé l’existence
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dans son rapport du 8 juillet 1779 à Henry Clinton. Ces écrits, qui finiront par être publiés au XXe siècle sous le titre de Sketches of Eighteenth-Century America, contiennent effectivement des pages dont le contenu est loin d’être compatible avec la ferveur républicaine dont St. John de Crèvecœur fait montre dans ses Lettres d’un cultivateur américain. Le fait que ces textes soient parvenus jusqu’à nos jours, et qu’ils aient été retrouvés dans les archives de leur auteur, implique que ce dernier n’a pas cherché à les détruire, malgré leur teneur fort compromettante. Il leur était suffisamment attaché pour les conserver mais tout en prenant soin de les tenir secrets de son vivant : une précaution signifiant que St. John de Crèvecœur était conscient que ces textes pouvaient lui créer certains problèmes s’ils étaient rendus publics. Le succès des Lettres d’un cultivateur américain a certainement pu faire naître des sentiments de jalousie au sein du milieu littéraire parisien. Le soutien quelque peu tonitruant de Brissot de Warville a sans doute contribué à éveiller l’animosité de certains hommes de lettres, ne serait-ce que celle de Chastellux et de Mazzei, qu’il a ouvertement attaqués. Cet appui de la part d’un républicain notoire aura également attiré à St. John de Crèvecœur l’antipathie de plusieurs monarchistes, comme le comte de Moustier. Parallèlement, l’amitié et la protection de personnages issus de la noblesse, auxquels St. John de Crèvecœur a pu se lier dans les salons de madame d’Houdetot, pouvaient lui valoir d’autres adversaires parmi les représentants du mouvement révolutionnaire en gestation et dont les positions étaient encore plus radicales que celle de Brissot. St. John de Crèvecœur a donc plus d’une raison d’être « confondu », pour utiliser le mot de Brissot, par l’intérêt qu’on accorde à son ouvrage : sa célébrité l’entoure de nombreux nouveaux amis, mais aussi d’ennemis potentiels qui peuvent se mettre à chercher des moyens de saper la réputation qu’il s’est acquise. Si ces individus avaient eu vent de la teneur de ses manuscrits loyalistes, St. John de Crèvecœur aurait certainement pu perdre son poste de consul. Le problème est à peu près le même que celui que pose, aux yeux des États-Uniens, l’ancienne « variation dans sa conduite » ; il ne tient pas au fait que St. John de Crèvecœur ait été pour un temps du parti royaliste mais à ce qui pourrait aisément être interprété comme de la duplicité. Si ses prises de position loyalistes étaient rendues publiques, surtout avec pour preuve à l’appui des écrits dans lesquels il dénonce sans ménagement les excès des partisans rebelles au cours des premiers moments de la révolution américaine, ses Lettres d’un cultivateur américain seraient devenues l’œuvre d’un dissimulateur, d’un hypocrite. Bien qu’étant d’ordre strictement littéraire, cet éventuel scandale aurait nécessairement eu des consé-
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quences dramatiques pour un consul de France aux États-Unis. Ses supérieurs français et ses hôtes états-uniens auraient alors eu les mêmes raisons de lui retirer leur confiance : les uns comme les autres ne sauraient tolérer la présence, au sein du corps diplomatique, d’un individu coupable de pareille fourberie. En somme, comme lorsque sa ferme était prise en étau entre rebelles et loyalistes, St. John de Crèvecœur est une fois de plus entre deux feux. Pis encore : le dévoilement du contenu de certains des écrits que St. John de Crèvecœur a gardé secrets aurait pu être à l’origine d’incidents diplomatiques ayant de graves conséquences. De par ses fonctions consulaires, St. John de Crèvecœur était en relation avec plusieurs dignitaires états-uniens, entre autres George Washington, qui allait devenir, de 1789 à 1797, le premier président des États-Unis. Les deux hommes ont échangé un certain nombre de missives qui font état de relations imprégnées d’une cordialité et d’une politesse toute diplomatique. Le 4 décembre 1783, dans un lettre où il remercie St. John de Crèvecœur de lui avoir fait parvenir un pli de son « ami le marquis de La Fayette », Washington profite de l’occasion pour s’accorder « le plaisir de [le] féliciter de [la] nomination qui fait de [lui] le consul de Sa Majesté très Chrétienne en cet état ». Le 9 juillet 1787, quelques jours après le retour en Amérique de St. John de Crèvecœur pour son second séjour consulaire, Washington lui signale que : La lettre que vous m’avez fait l’honneur de me faire transmettre par le commodore Paul Jones m’est bien parvenue, ainsi que les 3 volumes des Lettres du fermier. Pour l’une et l’autre, et particulièrement le gracieux envoi de ces derniers, je vous prie d’accepter mes sincères remerciements4.
Cette version en trois volumes du livre de St. John de Crèvecœur est l’édition de 1787 des Lettres d’un cultivateur américain, que leur auteur aura fait remettre à George Washington par l’entremise de John Paul Jones, qui venait de traverser l’Atlantique en compagnie de leur signataire. Le troisième volume de l’ouvrage contient d’ailleurs un long chapitre intitulé « Détails de plusieurs circonstances intéressantes qui ont précédé & suivi l’entrée triomphante du Général Washington, dans la ville de New-York5 ». St. John de Crèvecœur y raconte les événements dont il a été témoin peu après son arrivée à New York, en 1783, au début de son premier séjour à titre de consul, lorsqu’il a assisté au départ des derniers contingents britanniques de la ville que ces derniers ont occupée presque tout au long de la guerre d’Indépendance des États-Unis. Il consacre une bonne partie de son récit à l’accueil triomphal que les habitants de New York ont fait à Washington, le 25 novembre 1783, lors du retour du chef des armées rebelles que St. John de Crèvecœur n’a de cesse de présenter comme un « grand Homme ».
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Il s’avère, cependant, que l’auteur de ces pages n’a pas toujours eu une si haute opinion de George Washington : c’est ce que nous révèle sa « Description d’une tempête de neige au Canada ». Si les deux premiers tiers de cet écrit font état de l’arrivée d’une tempête de neige dans la vallée de l’Hudson et des conséquences de l’événement sur les activités hivernales des fermiers, le dernier tiers traite d’un tout autre sujet. Ce segment s’ouvre sur une question adressée aux lecteurs : « Avez-vous jamais remarqué comme [les Canadiens] étaient un peuple heureux avant leur conquête ? » St. John de Crèvecœur entreprend alors de décrire le monde « de paix et de tranquillité » dans lequel ont vécu les habitants de la Nouvelle-France « [a]vant la dernière guerre ». Il note entre autres que : la personnalité des Canadiens était aussi originale que singulière : ils étaient tout aussi éloignés de la brutalité du sauvage que des inutiles raffinements des sociétés plus brillantes ; ils étaient aussi différents des indigènes que de leurs propres compatriotes. [… I]ls étaient vraiment un nouveau peuple, respec tables pour leurs coutumes, leurs manières et leurs habitudes.
St. John de Crèvecœur est tout de même étonné de constater qu’ils aient pu être aussi « prospères et heureux », car ils étaient « [m]al gouvernés ». Il lui semble que « [l]a France a fermé les yeux sur [sa colonie] jusqu’à ce qu’il soit trop tard », et que les Canadiens ont été abandonnés à eux-mêmes par « un monarque qui pensait rarement à eux ». Selon lui, les choses auraient été différentes « [s]i la France avait porté sur » sa colonie ce que St. John de Crèvecœur présente comme « le regard plus philosophique de l’année 1776 ». St. John se trompe ici de date et fait plutôt référence à un événement de 1778 : la ratification du traité par lequel la France devient l’alliée des colonies rebelles américaines. St. John de Crèvecœur se montre peiné de constater que la France n’a pas su se porter au secours de la Nouvelle-France de la même façon qu’elle a soutenu les États rebelles de l’Amérique britannique. Il faut peut-être entendre dans cette prise de position l’écho d’un des motifs qui a pu conduire notre auteur à démissionner de l’armée française. Non seulement cherchait-il un moyen de ne pas être rapatrié en France mais, comme de nombreux autres officiers canadiens et français (parmi lesquels on peut compter Montcalm), il pourrait avoir été déçu que le roi de France n’ait pas accédé aux demandes de renfort qui lui avaient été transmises en personne par Bougainville. À quoi sert de commencer une guerre si on ne se donne pas les moyens nécessaires pour espérer la gagner ? Les événements qui ont marqué les derniers mois de la Nouvelle-France pourraient fort bien avoir conduit St. John de Crèvecœur à se poser la question. En tout cas, le fait que la France n’ait pas porté « un regard plus philosophique » sur sa colonie a contribué, selon lui, à la destruction de ce
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nouveau peuple qu’étaient les Canadiens. Il ne peut que se résoudre à constater que : « Maintenant, ce n’est plus le même pays : les manières anglaises sont de plus en plus répandues ; dans quelques générations, ils ne seront plus des Canadiens mais une race mêlée, comme le reste des colonies anglaises. » St. John de Crèvecœur en profite pour signaler que : « Leurs femmes étaient les plus belles du continent, comme le prouve le fait que plus de vingt officiers anglais ont pris épouses à Montréal peu après la conquête. » Attesté par l’histoire, ces mariages mixtes constituent cependant un phénomène dont St. John de Crèvecœur n’a pas pu être lui-même témoin ; il date des lendemains de la Conquête, une période pendant laquelle il ne séjournait déjà plus dans l’ancienne colonie française. Les habitants de la Nouvelle-France ont donc été « ignorés de la France et de l’Europe », et cela a duré « jusqu’à ce que le démon de la politique inspire à William Pitt les idées de conquête continentale ». William Pitt était le chef du gouvernement britannique au moment du déclenchement de la guerre de Sept Ans. Aux yeux de St. John de Crèvecœur, l’Angleterre, le « peuple le plus riche de la Terre », a fait montre de « cupidité » en cherchant à envahir et à conquérir la Nouvelle-France. Et ses colonies d’Amérique du Nord n’ont pas fait meilleure figure : le Massachusetts, New York et la Virginie, en quête de possessions, désirant, comme toutes les autres sociétés, repousser leurs frontières, trouvaient que les frontières du Canada faisaient obstruction aux leurs. Les Anglais supposaient que la plus grande partie de cette colonie se situait vers le Labrador et le lac Témiscamingue, là où personne ne peut vivre. Ces colonies ont poussé une forte clameur ; elles ont commencé à parler des empiétements de leurs voisins. Les nations limitrophes ne sont jamais sans pareilles disputes.
Le dévoilement de tels propos aurait suffi à embarrasser sérieusement un consul de France en poste aux États-Unis. William Pitt, l’homme que St. John de Crèvecœur présente comme le principal responsable de la catastrophe qui a frappé la Nouvelle-France, était fort respecté aux ÉtatsUnis. Chef de file du parti whig britannique, Pitt siégeait toujours au Parlement de Londres lorsque a commencé la rébellion des colonies britanniques d’Amérique du Nord. Mais les Whigs étaient alors du côté de l’opposition et Pitt a su se montrer sensible aux revendications des colonies. Aussi, les patriotes états-uniens voyaient-ils en lui un de leurs alliés et certains éléments modérés du camp loyaliste considéraient que si Pitt avait été au pouvoir lorsque les colonies ont commencé à s’opposer aux taxes que voulait leur imposer le gouvernement métropolitain, les colonies seraient finalement parvenues à une compromis avec la couronne et n’auraient pas été acculées, à cause de l’intransigeance des Tories britanniques, à revendiquer leur indépendance.
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Après cette évocation du triste destin des habitants de la NouvelleFrance, il se lance dans une ironique théâtralisation des événements déclencheurs de la guerre de Sept Ans : Les chasseurs et les commerçants des colonies anglaises ont rencontré ceux du Canada qui parcouraient comme eux ces étendues sauvages infinies : Comment c’ que tu t’es r’trouvé ici, coquin de Français que tu es ? — Au moyen de ce canot qui m’a mené depuis Montréal, sauf pour quelques milles de portage ; et dis-moi donc comment c’ que tu t’es r’trouvé ici, toi aussi, ivrogne d’Anglais que tu es ? — Au moyen de mes jambes qui m’ont permis de gravir les montagnes des Alleghanys et j’ai plus le droit de venir ici par voie de terre que tu en as de venir ici par voie d’eau ; et pour t’en convaincre, je porterai plainte au major Washington. — Porte plainte, et moi, à mon retour chez moi, j’informerai notre gouverneur, monsieur Du Quesne. Évidemment, chacun a raconté son histoire. Les secrétaires les ont mises par écrit et se basant sur ces écrits, d’autres ont pris les armes, sont allés en guerre.
Par l’emploi de tournures populaires, St. John de Crèvecœur présente ce grand moment de l’histoire du point de vue des petites gens, de ceux qui se retrouvaient malgré eux au premier rang des combats, tandis que leurs maîtres (comme le marquis Ange Du Quesne, gouverneur général de la Nouvelle-France à l’époque des débuts de la guerre de Sept Ans) tiraient les ficelles (ainsi que leur épingle du jeu…) sans trop courir de risques. Mais qu’est-ce que le major Washington vient faire dans cette affaire ? Le 28 mai 1754, dans les environs du fort Duquesne (aujourd’hui Pittsburgh, en Pennsylvanie), des soldats de Virginie accompagnés d’alliés indiens ont ouvert le feu sur un détachement de troupes de la NouvelleFrance. Au cours de l’escarmouche, Joseph Coulon de Villiers de Jumonville, le représentant du gouverneur de la Nouvelle-France, est tué et on impute la responsabilité de sa mort au jeune officier à la tête des Virginiens un certain George Washington. Dans « Description d’une tempête de neige au Canada », l’événement devient prétexte à des commentaires d’une teneur étonnante et, surtout, des plus compromettantes : évidemment, le major Washington arrive et tue très civilement le capitaine Jumonville, bien qu’il ait été revêtu de la sanction d’un drapeau. Chaque parti accuse l’autre de perfidie ; Dieu seul sait qui est à blâmer. Mais voyez les effets du destin et un des caprices de la fortune. Ce même major Washington, le meurtrier du capitaine Jumonville, est l’idole des Français. Le voilà sur les rives de l’Ohio, dans un fortin, dans le rôle de major en 1754 ; et en 1776, il est de retour en généralissime, l’ami et l’allié de la France. Ô Vertu ! Ô Humanité ! et toi, ô Justice ! Doit-on voir en vous rien de plus que de vaines chimères ou existez-vous réellement ? Les individus devraient et doivent être vertueux ; de grands ministres et dirigeants peuvent commettre des crimes sans reproches ni remords. Je suppose que le Français voit avec plaisir jaillir des cendres de
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Jumonville l’arbrisseau de l’indépendance, qui grandira peut-être pour devenir un grand arbre, peut-être pour demeurer un buisson jusqu’en un temps encore lointain. Dans ce cas, un Français ne pouvait pas mourir d’une mort plus profitable pour son pays ; ses mânes sont célébrées par les mains mêmes qui lui ont fait rendre l’âme. Étrange concaténation d’événements ! Insondable système des choses ! Nous n’en connaissons ni les causes ni les effets, ni le début ni la fin. Le succès de la conclusion éclipse toujours l’infamie, la perfidie des origines.
Ces mots constituent la conclusion de « Description d’une tempête de neige au Canada » et le dévoilement de leur contenu aurait pu causer de graves problèmes à St. John de Crèvecœur. Le consul de France à New York y accuse en toutes lettres George Washington de n’être rien de moins qu’un assassin. Il l’assimile ouvertement à des gens qui peuvent commettre des crimes en toute impunité. L’auteur s’étonne amèrement de constater que quelqu’un puisse être aussi aisément passé, et en si peu de temps, du rôle de major qu’il a pu jouer en 1754 dans un petit fort de la région de l’Ohio (pour une rare fois, St. John de Crèvecœur ne se trompe pas de date !) au statut de généralissime. Et il se désole du fait que l’excellente réputation dont Washington jouit en France (de même, par extension, que celle des États-Unis) puisse permettre d’oublier ce qu’elle doit à un acte que St. John de Crèvecœur juge infâme et perfide. Lorsqu’il présente « l’arbrisseau de l’indépendance » comme une plante « jailli[e] des cendres de Jumonville », St. John de Crèvecœur affirme explicitement que les États-Unis sont les fruits de l’assassinat commis par Washington. La suite de la phrase laisse cependant planer des doutes sur le développement futur de cette nation : peut-être grandira-t-elle pour devenir un arbre, mais il est possible qu’elle demeure pendant encore longtemps à l’état de buisson. Ce réseau d’images permet de supposer qu’au moment où St. John de Crèvecœur écrit ces lignes, les États-Unis n’ont pas encore formellement acquis l’indépendance à laquelle ils prétendent depuis le 4 juillet 1776. Il lui semble même qu’ils ne sont pas prêts de l’obtenir avant un temps encore lointain. St. John de Crèvecœur n’est pas tendre non plus avec les Français qui se font une idole de l’assassin de Jumonville. Il suppose même que ces derniers tirent du plaisir à découvrir que les restes du représentant du gouverneur général de la Nouvelle-France sont désormais devenus le terreau de cette nouvelle nation : sa mort a nourri le nouvel allié de la France. Ainsi les Français célèbrent-ils l’âme de Jumonville par l’hommage qu’ils rendent aux États-Unis et à leur chef, qui s’avère le meurtrier de cet homme. Par ailleurs, St. John de Crèvecœur laisse entendre que ce sont des Français qui lui ont fait rendre l’âme. Jumonville est certes mort des
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mains mêmes de Washington mais, aux yeux de St. John de Crèvecœur, la France est coupable de n’avoir rien fait pour l’en empêcher — ce qui peut être lu comme une allusion, ainsi qu’il le fait au début du texte, au peu de soutien que la métropole a accordé aux hommes qui ont combattu en son nom sur les champs de bataille américains de la guerre de Sept Ans. « Description d’une tempête de neige au Canada » présente donc George Washington, le personnage le plus unanimement admiré par les États-Uniens, le futur premier président de leur république, comme un vulgaire meurtrier. Du même souffle, le texte dénonce le fait que les Français voient avec plaisir l’apparition d’une nation dont les racines se nourrissent des cendres de l’un des leurs. De pareils propos avaient de quoi contrarier autant les hôtes américains que les supérieurs d’un consul de France à New York. Aussi est-il possible que St. John de Crèvecœur ait craint que le succès de ses Lettres d’un cultivateur américain conduise d’éventuels ennemis à révéler la teneur de manuscrits qui, comme la « Description d’un tempête de neige au Canada », faisaient état d’opinions fort inconvenantes de la part d’un consul de France et d’un apologue des idéaux démocratiques états-uniens. D’autant plus qu’il a eu l’imprudence, dans la lettre qu’il a fait paraître dans le Courier de l’Europe du 9 mai 1783, de divulguer l’existence de deux volumes de textes qui n’avaient pas été intégrés au « volume publié par Mr. Thomas Davis », c’est-à-dire Letters from an American Farmer, et dont il disait avoir « conservé […] les originaux Anglois6 ». Il est vraisemblable que St. John de Crèvecœur ait laissé ces documents en France lorsqu’il a quitté Le Havre pour son second mandat consulaire : ils étaient beaucoup trop compromettants pour qu’il prenne le risque de les amener avec lui aux États-Unis. Mais en laissant ces écrits derrière lui, ceux-ci n’étaient plus sous la surveillance de cet homme soupçonneux qui, du temps où il vivait à Pine Hill, comme en témoignait Peter Dubois en 1779, avait truffé sa résidence de cachettes. Si St. John de Crèvecœur avait des raisons de craindre le dévoilement de certains pans de l’existence qu’il a pu mener avant de connaître la renommée, ce n’était pas son passé de soldat en Nouvelle-France qu’il redoutait de voir divulgué : c’était la fluctuation de ses allégeances à l’époque de la révolution américaine. Mais il avait tout autant, sinon davantage, de raisons de s’alarmer d’une éventuelle révélation de certains aspects cachés de son œuvre littéraire, d’écrits destinés à rester en marge des publications auxquelles il devait sa célébrité ainsi que son poste de consul. Et si ce dernier secret était peut-être le plus lourd des deux, ils semblent que l’un et l’autre aient néanmoins été intimement liés.
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Échos du Canada « Description d’une tempête de neige au Canada » est le seul texte de St. John de Crèvecœur dont le sujet est explicitement lié à son séjour en Nouvelle-France. Mais il est tout de même possible de trouver, disséminées dans le reste de son œuvre, un certain nombre de références témoignant sinon de son expérience canadienne comme telle, à tout le moins d’une connaissance des réalités canadiennes qu’il a pu acquérir au cours des années qu’il a passées en Nouvelle-France. On en retrace quelques-unes dans les Sketches of Eighteenth-Century America. Ainsi peut-on lire, dans « Thoughts of an American Farmer on Various Rural Subjects », une remarque qui présente une fois de plus les hivers du pays des Mohawks comme des équivalents des hivers canadiens : Si je devais refaire le monde, j’irais planter ma tente soit sous un climat sévère où le froid n’est jamais interrompu par de pernicieux dégels, soit au pied des Alleghanys, où on jouit d’un été presque perpétuel. L’un ou l’autre de ces extrêmes me conviendrait mieux que le climat des colonies [comme la Virginie]. Donnez-moi un hiver canadien ou un hiver mohawk, ou pas d’hiver du tout.
Le même texte évoque plus loin les méthodes de production de sucre d’érable : « Certaines personnes savent comment le raffiner, et on me dit qu’il se trouve à Montréal des gens qui excellent dans ce domaine. » Dans « History of Mrs. B. », une pauvre femme confrontée aux tourmentes de la guerre d’Indépendance raconte dans quelles circonstances son fils aîné a dû se résoudre à prendre la route de Montréal et de Québec pour échapper aux maraudeurs indiens7. Le Voyage dans la Haute Pensylvanie contient lui aussi quelques passages consacrés au Canada. On peut y lire des descriptions du Saguenay, de la vallée du lac Champlain ainsi que des chutes Montmorency et de la Chaudière. Une note sur le mot « Hotchélaga » signale qu’il s’agit de l’« [a] ncien nom indigène de l’île appelée, depuis, Montréal, après avoir été long-temps connue sous celui de Sainte-Marie, que lui avoient donné les prêtre de Saint-Sulpice, qui en avoient obtenu la concession de Louis XIV8 ». St. John de Crèvecœur donne une transcription inhabituelle de l’appellation Hochelaga et se trompe en attribuant le nom de Sainte-Marie à la ville qui a originellement porté celui de Ville Marie. Une autre note parle de la « Rivière Outawa » et des activités commerciales qui se pratiquent dans la région des « pays d’en haut », c’est-à-dire des Grands Lacs. L’auteur profite de l’occasion pour signaler que :
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Ce sont des Canadiens que les Anglais emploient pour ces navigations intérieures : au courage et à la persévérance, ces hommes unissent la patience, l’industrie et l’adresse nécessaire pour surmonter tant d’obstacles, prévoir et réparer les nombreux accidens auxquels ils sont exposés. Leur constante gaîté au milieu de ces sombres forêts du nord, le long de ces âpres rivages, n’est pas moins admirable. Encouragés par de bons procédés, animés par la pipe et quelques chansons, ils pénétreroient jusqu’au cercle polaire9.
Le livre contient également un passage sur les Acadiens et leur déportation, et quelques pages sur les Canadiens où St. John de Crèvecœur affirme que : Ce peuple est peu cultivateur. La jeunesse canadienne étant presque constamment occupée à conduire les canots chargés de marchandises destinées dans les pays d’en-haut, et à en rapporter les pelleteries, connoît peu les détails de l’agriculture, et a, dans cette partie, beaucoup moins d’expérience que les colons américains. Presque tous ceux qui passent leur vie dans ces longs voyages parlent très-bien la langue des indigènes, et se sont habitués à leurs usages. Voilà pourquoi, sous ces rapports ainsi que sous plusieurs autres, de tous les blancs que ces indigènes connoissent, ils aiment et estiment davantage les canadiens. C’est un motif de préférence et de protection que d’être né dans le Canada ; aussi les Anglais n’emploient-ils pas d’autre agens dans leur commerce10.
Ce témoignage contredit la doxa de l’historiographie traditionnelle québécoise selon laquelle les habitants de la Nouvelle-France auraient été de paisibles agriculteurs. Quant au genre de rapports qu’ils entretiennent avec les Indiens, St. John de Crèvecœur a déjà fait part de ses constations dans « Description d’une tempête de neige au Canada », où il écrit que les Canadiens : ont vécu et se sont librement associés avec les indigènes. Ou bien ils se sont plus aisément imprégnés de leurs manières, ou bien leurs propres manières présentaient une plus grande similitude avec celles de ces aborigènes, ou bien ils étaient plus honnêtes dans leurs affaires, moins hautains que leurs voisins.
Selon lui, c’est pour ces raisons que « les Indiens aiment le nom de Canadien [et qu’]ils les considèrent davantage comme leurs compatriotes que les Anglais ». Le Voyage dans la Haute Pensylvanie indique qu’il y a cependant une exception à cette estime des Indiens. Une note sur la « Nation Mohawk » rappelle les alliances que cette tribu a établies avec les colons hollandais et anglais de la province de New York. Et il s’avère que ces traités : contribu[èrent] beaucoup à faciliter les commencemens de cette belle colonie, et fu[rent], au contraire, une des principales causes qui retardèrent pendant
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long-temps les progrès de celle que les Français fondoient à la même époque dans le Canada. Cette jalousie nationale, qui, en Europe, a occasionné des guerres si fréquentes et si longues, fut la cause de tous les malheurs que cette colonie éprouva durant son enfance. Moins nombreuse, plus éloignée de la mer, dont elle étoit séparée par les glaces pendant six mois de l’année, on ne conçoit pas comment elle a pu résister aux invasions et aux attaques de cette puissante ligue. Il faut voir, dans l’histoire, les assauts fréquens que ces braves colons eurent à supporter, leur infatigable persévérance, et leurs ressources. Des hommes moins patiens et moins aguerris auroient succombé, et le Canada seroit devenu une colonie anglaise11.
La plupart de ces phrases font encore une fois écho à des idées exprimées dans « Description d’un tempête de neige au Canada », où St. John de Crèvecœur signale que la Nouvelle-France est « [c]oupé[e] pendant sept mois de la mer par les neiges et la glace ». Il y évoque également le fait qu’elle est parvenue à survivre aux fréquents assauts qu’elle a dû subir tout au long de sa courte histoire : Les combats de cette colonie alors dans son enfance sont d’une lecture étonnante. Plus d’une douzaine de fois vous voyez le berceau renversé et l’enfant prêt à être dévoré par ses ennemis, et vous le voyez chaque fois se dresser au-dessus du danger.
S’il est question, dans le Voyages dans la Haute Pensylvanie, de la « jalousie nationale » qui a été à l’origine de ces affrontements, dans « Description d’un tempête de neige au Canada », St. John de Crèvecœur se demande : « Qu’est-ce que les Canadiens pouvaient bien posséder pour attiser la cupidité du peuple le plus riche de la Terre ? » Immédiatement à la suite de son éloge de la vaillance des Canadiens, la note sur la « Nation Mohawk » se transforme en une dénonciation de l’intolérance religieuse du clergé de la Nouvelle-France : Ah ! si, dès l’origine, on eût donné à ce pays une religion moins exclusive, un gouvernement tel que celui de Massachusets ou de Pensylvanie, par exemple, jamais les escadres anglaises n’auroient remonté le fleuve Saint-Laurent, jamais le général Amherst ne l’auroit descendu depuis Katarakouy jusqu’à Montréal, parce qu’au lieu de 90,000 habitans qu’il y avoit lors de la conquête, il y en auroit eu 400,000. Mais malheureusement, depuis l’origine de cette colonie, on avoit voulu, ainsi que dans l’Arcadie, que pas un arbre ne fut renversé, que pas un enfant ne fût procréé que par des catholiques romains ; comme si le soleil et les rosées n’eussent pas également fécondé des champs défrichés, ensemencés par des bras luthériens ou calvinistes12 !
St. John de Crèvecœur se montre une fois de plus en désaccord avec le genre d’administration qui a eu cours en Nouvelle-France. Il semble cependant avoir changé d’opinion en ce qui concerne la question religieuse. Dans « Description d’une tempête de neige au Canada », il était
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d’avis que : « Si l’influence de la religion y était plus visible que dans aucune autre des colonies anglaises, son influence était salutaire ; elle y a eu un effet qu’on souhaiterait pouvoir voir partout ailleurs. » Il croit désormais que la colonie aurait nettement mieux fait sur le plan démographique si elle avait été ouverte à des arrivants de confession autre que catholique. On trouve certains échos de cette critique du genre de pouvoir qu’a pu exercer le clergé de la Nouvelle-France parmi les références au Canada figurant dans les Lettres d’un cultivateur américain. Cet ouvrage contient une adaptation des deux premiers tiers de « Description d’une tempête de neige au Canada », que St. John de Crèvecœur a ainsi rendue publique sous le titre de « Description d’un chute de neige, Dans le pays des Mohawks, sous le rapport qui intéresse le Cultivateur Américain13 ». On y lit également la version française d’un autre texte figurant parmi les manuscrits que St. John de Crèvecœur n’a pas voulu publier de son vivant dans leur version anglaise : un récit originellement intitulé « Hospitals14 » et qui, dans les Lettres d’un cultivateur américain, est désormais présenté sous le titre de « Pensées Conçues en entrant dans un Hôpital Militaire, Anecdote d’un Soldat reconnoissant ». Ce texte propose un portrait fort élogieux des hôpitaux de Montréal et de Québec, et du travail des religieuses responsables de ces établissements : Prenons pour modèles les Hôpitaux de Québec & de Montréal ; ils sont dirigés par des Religieuses dont j’ai admiré plus d’une fois la douceur & la tendre charité. — Quel zèle que celui qui se consacre à l’assistance des malades ! c’est un emploi digne de la Couronne divine à laquelle elles aspirent. Qu’il est beau de les voir donner leur vie, les beaux jours de leur jeunesse, à l’emploi dégoûtant de panser des corps infectes, des blessures & des ulcères. L’assiduité de ces femmes, leur propreté, le doux son de leurs voix, les grâces de leur figure, répandent autour d’elles la consolation, le bien-être & la santé. Nos Hôpitaux ne sont point si bien tenus, quoiqu’ils soient dirigés avec le plus grand soin & aidés des secours de la charité la plus fervente : je ne connois que celui de Philadelphie qui puisse leur être comparé ; il a été fondé, vous le savez, par les Quakers, & peut être regardé comme le plus propre, le plus commode, le mieux gouverné de tout le Continent. On dit que dans plusieurs Royaumes, les Hôpitaux sont des gouffres qui engloutissent tout ce qui prend refuge dans leur enceinte ; des asyles trompeurs, où la mauvaise administration, le défaut de charité & l’affreuse cupidité poignardent & tuent. — Si j’étois réduit à n’avoir ni feu, ni lieu, & que je tombasse malade, j’irois d’abord à Montréal ; si je ne pouvois y être admis, je m’adresserois aux bons Quakers : on me guériroit, ou je mourrois en paix15.
La teneur de ces lignes permet de croire que leur auteur fonde son opinion sur des événements dont il a lui-même été témoin. On se souviendra que sa lettre du 20 octobre 1759 à Robert Monckton indiquait
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que notre homme a séjourné pendant un certain temps à l’Hôpital Général de Québec « par la raison d’une maladie ». Les Lettres d’un cultivateur américain contiennent aussi des pages faisant directement écho à certains passages de « Description d’une tempête de neige au Canada ». On y retrouve notamment des propos comparant la Nouvelle-France à un enfant risquant souvent d’être tué par ses ennemis après que son berceau ait été renversé mais qui parvient, chaque fois, à affronter le danger. C’est pratiquement dans les mêmes mots que les Lettres d’un cultivateur américain reprennent cette idée, en assimilant cette fois l’ensemble des colonies du Nouveau Monde à cette figure d’enfant herculéen : C[o]mbien de fois […] ne verriez-vous pas en tremblant le berceau à moitié renversé, & l’enfant au moment d’être dévoré ! — Combien de fois ne le verriez-vous pas s’échapper au danger par le moyen des circonstances les plus singulières, & devenir enfin ce que vous le voyez aujourd’hui ! — C’est l’histoire du jeune Hercule, environné d’ennemis sous la figure de serpens16.
Mais c’est dans un texte intitulé « Canada », figurant en ouverture du second volume des Lettres d’un cultivateur américain, qu’apparaît le plus grand nombre de formulations rappelant celles qu’on retrouve dans le dernier segment de « Description d’une tempête de neige au Canada ». « Canada » commence par une longue description des caractéristiques géographiques du territoire cédé à l’Angleterre par le traité de Paris de 1763. Puis le texte fait état de l’aménagement des établissements répartis le long du Saint-Laurent en expliquant qu’il est tributaire du mécanisme d’attribution des terres qui a prévalu du temps du Régime français. Mais si St. John de Crèvecœur considère que ce système a été « une idée françoise bien juste & bien adaptée à la localité de ce nouveau terrein », il n’est pas d’accord avec les prérogatives seigneuriales que certains individus ont acquises grâce à ce mode de concession : Quel beau pays le Canada ne seroit-il pas devenu, si on n’y eût point introduit les Seigneuries, si un quart n’en eût point concédé à un Corps d’Ecclésiastiques, & l’autre quart à la Société des Jésuites, excellens Prédicateurs de l’Evangile, mais mauvais Législateurs. — Ces bons Prêtres, croyant bien faire sans doute, obligeoient les Emigrans qui arrivoient, de souscrire à un grand nombre d’articles de foi, sans quoi, ils ne vouloient pas les admettre, ou les chassoient vers les Colonies Angloises. — Vous avouerez que ce n’étoit pas-là le moyen de peupler un Pays où il ne manquait que des bras. — N’auroient-ils pas dû, au contraire, comme Guillaume Penn, comme Locke, comme Lord Baltimore, y inviter tous les hommes qui auroient voulu souscrire, dans leurs registres, la promesse suivante : — « Nous promettons d’abattre autant d’arbres, de cultiver autant d’acres de terre, & de procréer autant d’enfans qu’il nous sera
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possible ». — Ce pays dur, mais fertile & sain, bien plus étendu que la province de Massachussets auroit produit, comme cette dernière, une population de six cens mille habitans dans le même espace de tems, au lieu de quatre-vingtdix mille que les anglois y trouvèrent à la conquête : à bien des égards, ce fut une Colonie plutôt Ecclésiastique que Royale. Il n’y en a point eu, sur ce Continent, dont les commencemens aient été aussi foibles, aussi pénibles & aussi orageux, parce qu’elle a toujours manqué de bras, parce qu’elle a eu à soutenir contre les Sauvages & contre les Anglois des guerres cruelles, dont les détails font frémir. — Pendant plus de cinquante ans, un Canadien fut plutôt un soldat, qu’un cultivateur ; jamais peuple, aussi nouveau & aussi foible, n’a montré plus de courage & de hardiesse : c’est une histoire bien intéressante à lire17.
On aura reconnu, dans ce passage, des propos bien proches de ceux qu’on a pu relever dans le Voyage dans la Haute Pensylvanie. Entre 1784 et 1801, de la publication originale de « Canada » dans la première édition française des Lettres d’un cultivateur américain jusqu’à la parution du Voyage dans la Haute Pensylvanie, St. John de Crèvecœur demeure du même avis : si on n’est pas parvenu à peupler adéquatement la NouvelleFrance, c’est à cause de l’intransigeance du clergé catholique. On aurait fait bien mieux si on avait appliqué les mêmes principes de tolérance religieuse préconisés par William Penn en Pennsylvanie. « Canada » enchaîne ensuite sur une description des beautés et des dangers des eaux du fleuve Saint-Laurent. Puis, avant de conclure avec quelques mots sur le déficit commercial d’une colonie qui importait davantage de produits qu’elle en exportait, le texte propose un portrait fort évocateur du caractère particulier des Canadiens. Ces lignes présentent plusieurs passages dont l’écriture est par moments tellement proche de celle de « Description d’une tempête de neige au Canada » qu’on est en droit de croire que St. John de Crèvecœur avait le manuscrit de ce texte sous les yeux lorsqu’il a rédigé les pages qu’il allait inclure au second volume des Lettres d’un cultivateur américain. « Canada » ne fait pas que reprendre l’ensemble des idées déjà exprimées dans « Description d’une tempête de neige au Canada » : leurs formulations demeurent similaires malgré le passage de l’anglais au français. L’ordre de présentation des différents thèmes varie certes d’une version à l’autre, mais le portrait du Canadien que tracent ces deux textes demeure essentiellement le même : Les Canadiens, exclus de la mer six mois de l’année par les rigueurs de l’hiver & les glaces de cette saison, donnent carrière à leur industrie dans ce qu’ils appellent les Voyages d’en-haut. Aucune Nation européenne n’a jamais osé pénétrer si loin dans la profondeur illimitée de ce Continent ; c’est d’eux que nous tenons l’idée que nous avons des Lacs de la Pluie, des Assiniboïls, de
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Bourbon, &c. ainsi que la connoissance d’une race de Sauvages douce & civilisée, possédant quelque dégré de connoissance agricole. — J’en ai vu plusieurs qui avoient été trois ans sans revenir chez eux. C’est leur climat & leur situation qui les a si fort naturalisés avec les bois & les navigations intérieures : bien différens de leurs anciens compatriotes, qui se croiroient irrévocablement perdus, s’ils avoient seulement à descendre le fleuve Saint-Laurent. Presque tous les Canadiens sont aisés sans être riches : ils sont patiens dans leurs travaux, rarement oisifs, sans cependant avoir beaucoup d’industrie. Leur objet favori, est l’immensité des Bois ; ils sont contens de leur sort, & connoissent peu cette manie de projets & d’entreprises, si commune parmi nous : ils sont simples & doux dans leurs sociétés ; leurs mœurs sont chastes & pures ; ils sont aussi intrépides & aussi intelligens dans les Bois, que les Sauvages ; ils sont légers sans turbulence, charitables & hospitaliers. A la vérité ils sont ignorans ; l’art d’écrire & de lire est fort rare parmi eux, si cette privation ne fermoit la porte aux connoissances utiles, je l’appellerois une heureuse ignorance. — On leur avoit dit anciennement que les Pommiers ne viendroient pas bien, & à peine en voyoit-on dans tout le Canada. On leur avoit également dit, que le froment d’hiver seroit étouffé sous la neige, & à peine le connoissoient-ils. Les choses ont bien changé depuis la conquête. Il n’y avoit pas une seule Gazette dans tout le Canada, ni un seul Imprimeur ; ils ignoroient par conséquent, Grands & Petits, tout ce qui pouvoit nourrir le génie, exciter la curiosité ou intéresser la Politique. Comme les Sauvages, les Canadiens, quand la Nature leur refuse des enfans, en adoptent par un acte passé devant Notaire. — Comme les Naturels, ils aiment la chasse, les bois, les courses éloignées, les navigations intérieures, &c. — De toutes les Nations Européennes qui se sont établies sur ce Continent, c’est la seule à laquelle les Sauvages ayent plus de confiance. En effet, je crois que les Canadiens les ont moins trompés que les autres, & que la pauvreté, & la simplicité des mœurs Canadiennes, les rapprochent de l’état primitif de ces Naturels, plus que nous, qui sommes plus savans, & plus rusés par conséquent.
S’ensuit une description des rigueurs des hivers canadiens : un climat certes dur, mais sain, ce qui a pour effet que : Le Canadien est sain, robuste & fort, & ne meurt que dans une vieillesse avancée : bien différent des Habitans du Tropique, qui ne deviennent riches qu’au prix du sang & de la vie de leurs Nègres, qui, au sein des jouissances de la volupté, & de toutes les passions, cessent à trente ans d’être hommes, & sont de bonne heure accablés de toutes les infirmités de la vieillesse. — Malgré leur mauvaise administration, les Canadiens étoient heureux, & leur bonheur venoit de ce qu’ils étoient ignorans, sains, & sans ambition : nulle part je n’ai vu une société ayant des mœurs plus simples & plus pures, moins litigieuses & plus tranquilles. — Avant la conquête, le caractère Canadien étoit tout-à-fait original, & différoit autant de l’Européen que du nôtre : — ils étoient également éloignés de la brutalité d’un état Sauvage, & des rafinemens des Nations plus civilisées ; également éloignés de leur original François, comme
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de celui de leurs voisins Sauvages : — tel a été l’effet du climat & de leur nouvelle manière d’exister. Leurs Neiges profondes ne les empêchent pas de voyager, ou avec leurs traîneaux, ou avec leurs raquettes ; leurs maisons sont d’excellens asyles contre le froid, par l’usage de leurs doubles fenêtres, ainsi que par celui de leurs poëles : la culture de cette Province s’est beaucoup bonifiée depuis la conquête, par les lumières & les heureux exemples qu’y ont apporté les Colons Anglois : — c’est le pays des Eaux, aussi tout s’y transporte-t-il sur cet élément — Le sang y est très-pur & très-beau : vingt-trois Officiers Anglois se marièrent à Montréal dans le premier hiver qu’il y passèrent après la conquête18.
Ce passage, comme la version qu’en propose « Description d’une tempête de neige au Canada », est un condensé des diverses références aux réalités canadiennes qu’il est possible de retracer dans toute l’œuvre de St. John de Crèvecœur. Les Canadiens étaient heureux avant la Conquête, bien qu’ils aient été maintenus dans une relative ignorance. L’administration britannique a amélioré certains aspects de leur condition, entre autres grâce à l’établissement d’une gazette et d’une imprimerie. Le nombre de Canadiens qui savent lire et écrire demeure néanmoins réduit, ce qui a l’avantage de leur éviter d’être entraînés dans le genre de vains débats qui passionnent leurs litigieux voisins du sud. Si les Canadiens sont rarement riches, ils vivent malgré tout relativement bien, passablement vieux, et leurs femmes sont fort belles. Ils sont robustes, bénéficiant d’une santé qu’ils doivent à leur sobriété, à leur caractère travailleur et intrépide, de même qu’à la simplicité de leurs mœurs. Ils ne sont jamais coupables d’excès : ils sont légers sans turbulence, actifs sans être agités, obéissants sans être serviles. À cause de l’hiver qui leur bloque l’accès à la mer pendant la moitié de l’année, ils sont devenus les explorateurs de l’intérieur du continent. Ils aiment d’ailleurs vivre dans les bois et savent s’entendre avec les Indiens, avec lesquels ils sont les seuls, en Amérique du Nord, à avoir établi des liens fondés sur le respect et la confiance. Le tout a contribué à doter les Canadiens d’un caractère fort original, lequel était « également éloign[é] de leur original François, comme de celui de leurs voisins Sauvages ». L’idée que le caractère des Canadiens ait été différent de celui des Français ainsi que de celui des résidents des colonies britanniques de l’Amérique n’est pas nouvelle. Quelques décennies auparavant, en 1744, le père François-Xaxier de Charlevoix en faisait état dans son Histoire et Description générale de la Nouvelle-France. Les opinions de St. John de Crèvecœur concordent d’ailleurs sur plus d’un point avec celles de Charlevoix, notamment en ce qui concerne les qualités physiques des Canadiens des deux sexes et le genre de rapports qu’ils entretiennent avec les Indiens19.
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Là où St. John de Crèvecœur fait montre d’une certaine originalité, c’est lorsqu’il affirme que le caractère particulier des Canadiens diffère autant de celui des Français que de celui des Indiens. Et ce n’est pas la seule fois où son œuvre fait ainsi l’apologie d’une identité culturelle se distinguant à la fois des traditions européennes et indiennes. Lorsque, à la fin des Lettres d’un fermier américain, James fait état de son projet de fuir les tourmentes de la guerre d’Indépendance en allant se réfugier dans les bois auprès d’une tribu indienne amie, il signale qu’un des éléments qui rend possible la concrétisation de son plan est le fait que « [d]ans [s]a jeunesse, sous la direction de [s]on oncle, [il a] fait du commerce avec les –––––––––– ». Contrairement à nombre de colons, il a « toujours été juste et équitable » envers eux, ce dont « certains [… se] rappellent encore aujourd’hui ». James a donc entretenu avec les Indiens des relations similaires à celles qui sont à l’origine des rapports de confiance les unissant aux Canadiens. C’est pourquoi il peut espérer vivre « en parfaite harmonie avec [cette] société adoptive », mais cela, précise-t-il, « sans condescendre à tous leurs usages ». Lorsqu’il évoque le risque de voir sa progéniture adopter les mœurs de leurs hôtes, il reconnaît que « le danger de l’éducation indienne [… l]’inquiète beaucoup, mais lorsqu[‘il] la compare aux enseignements que prodigue notre époque, les deux [lui] semblent être toutes aussi grosses de mauvais aspects ». James cherchera à ce que l’éducation de ses enfants ne soit pas exclusivement tributaire ni de mœurs indiennes ni des enseignements de l’époque, c’est-à-dire ce que les affrontements entre Anglais et Américains peuvent leur apprendre du genre de relations typiquement conflictuelles qu’entretiennent les individus de culture européenne. Il espère que, de cette façon, ses enfants ne succomberont pas totalement à l’attrait que peuvent exercer une existence de chasseur et le mode de vie des Indiens, quitte à ce qu’ils ne se consacrent pas non plus entièrement à l’agriculture et qu’ils n’aient pas un mode de vie tout à fait européen. Ainsi James souhaite-t-il, en fin de compte, leur voir développer un caractère qui ne sera ni tout à fait celui d’un Indien ni tout à fait celui d’un Européen : un caractère de Canadien. Lorsque James décrivait, dans la Lettre III, « Qu’est-ce qu’un Américain ? », le genre de population qui résidait sur les frontières de l’arrièrepays, il signalait qu’elle était composée d’individus qui étaient « à la fois d’anciens laboureurs et de nouveaux hommes des bois, à la fois Européens et Indiens depuis peu ». Dans « On the Susquehanna », un des textes recueillis dans Sketches of Eighteenth-Century America, dans lequel St. John de Crèvecœur raconte la visite d’établissements situés à la lisière des zones cultivées et sauvages dont les résidants mènent une existence très proche
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de celle que James se propose d’adopter à la fin des Lettres d’un fermier américain, il nous est précisé que, parce qu’ils sont « nés et éduqués à une telle distance des écoles et des occasions de se développer », les enfants de ces habitants de la frontière « deviennent une nouvelle race de gens ni européens ni tout à fait indigènes20 ». Il y a cependant une autre caractéristique particulière à ce nouveau peuple qu’étaient les Canadiens avant leur conquête. Il s’agit d’une des deux idées que St. John de Crèvecœur omet de reprendre dans « Canada ». Ce texte se distingue en effet par l’absence de deux éléments évoqués dans la « Description d’une tempête de neige au Canada ». D’abord « Canada » n’accuse pas la France d’avoir fermé les yeux sur le sort de sa colonie : une omission qui s’explique certainement par le fait que St. John de Crèvecœur a rédigé ce texte en sachant pertinemment qu’il allait être lu par des lecteurs français qu’il aura voulu éviter de froisser. Et il ne dit rien non plus de ce qu’est devenue l’identité des Canadiens depuis la Conquête. À ce sujet, la « Description d’une tempête de neige au Canada » nous apprend que si les Canadiens « tiraient leur origine d’une race plus pure et ont amélioré leur lignée au contact du nouveau climat sous lequel ils vivaient », il s’avère que : « Maintenant, ce n’est plus le même pays : les manières anglaises sont de plus en plus répandues ; dans quelques générations, ils ne seront plus des Canadiens mais une race mêlée, comme le reste des colonies anglaises. » Le Canadien est donc, comme l’Américain, un nouvel homme. De la même manière que l’Américain vit, comme l’écrit James, en un lieu où « l’homme est aussi libre qu’il doit l’être », les Canadiens « étaient aussi libres que les hommes devraient l’être, sans rien qui remette en question leur liberté ». Mais ce qui fonde la nouveauté du peuple américain est exactement le contraire de ce qui fait l’originalité du peuple canadien. Une des particularités des Canadiens d’avant la Conquête était le fait qu’ils étaient d’une race pure, c’est-à-dire exclusivement française, et non un mélange d’individus d’origines culturelles diverses, comme c’est le cas dans les autres colonies britanniques d’Amérique du Nord. Selon les Lettres d’un fermier américain, c’est justement cette mixité ethnique, cet « étrange mélange de sangs qu’[on ne saurait] trouve[r] dans aucun autre pays », qui fait de l’Américain un « nouvel homme » : une nouveauté rendue possible parce que l’Amérique est un lieu où « des individus de toutes les nations sont fondus en une nouvelle race d’hommes », parce que : « Les Américains étaient jadis éparpillés dans toute l’Europe [avant de se voir] ici […] incorporés au sein de regroupements constitués des meilleures populations qui aient jamais existé. »
Le véritable secret
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Les Canadiens doivent en partie leur nouvelle identité à la pureté culturelle de leur lignée : une identité qu’ils sont condamnés à perdre en devenant désormais « une race mêlée, comme le reste des colonies anglaises », tandis que, selon les Lettres d’un fermier américain, c’est précisément ce mélange de races, cette impureté culturelle qui permet l’affirmation d’une nouvelle identité américaine. Cette question de la nouveauté du peuple canadien nous ramène ainsi au cœur même des Lettres d’un fermier américain. Pourtant, de toutes les œuvres de St. John de Crèvecœur, ce livre est celui qui contient le moins d’allusions au Canada. Il renferme cependant ce qui est peut-être la clé de sa relation à son expérience canadienne.
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Mises à part quelques mentions faisant office de repères géographiques, les Lettres d’un fermier américain ne contiennent que trois références au Canada. La première est une allusion à la déportation des Acadiens lorsque James signale que certaines des régions de la Nouvelle-Écosse : ont jadis été florissantes et abritaient une population paisible. Mais par la faute de quelques dirigeants, ils en furent bannis. La plus grande erreur que la couronne ait jamais faite en Amérique a été de retirer ces hommes d’une contrée qui ne manquait de rien, sauf d’hommes !
James souligne par la suite le fait que les habitants du continent nordaméricain développent graduellement une identité particulière selon la région qu’ils habitent : qu’ils « deviennent non seulement des Américains mais des Pennsylvaniens, ou des Virginiens, ou quelque autre nom que leur donne celui de leur province » ; il se montre alors d’avis qu’avec le temps : « Les habitants du Canada, du Massachusetts, des provinces centrales et de celles du Sud seront aussi différents les uns des autres que le sont leurs climats. » Le livre propose une troisième et dernière référence au Canada lorsque James fait état des talents d’administratrices des femmes de Nantucket et nous apprend qu’elles partagent cette qualité avec les femmes de Montréal. Il précise alors que : Cette occupation développe leur jugement et […] celles qui s’y adonnent sont considérées, à juste titre, d’un rang supérieur à celui des autres épouses ; c’est la principale raison pourquoi les femmes de Nantucket, ainsi que celles de Montréal, apprécient tant la société, sont si affables et si versées dans les affaires du monde.
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Une note appelée par un astérisque à la suite du mot « Montréal » signale que : La plupart des marchands et des jeunes hommes de Montréal passent la plus grande partie de leur temps à faire du commerce avec les Indiens, cela à d’étonnantes distances du Canada, et il arrive souvent qu’ils soient absents de la maison pendant trois ans.
Mais les Canadiens et les quakers de Nantucket s’avèrent avoir plusieurs autres points en commun. Si les femmes de l’île et celles de Montréal sont fort perspicaces en affaires, elles sont aussi les unes et les autres fort belles. Dans « Description d’une tempête de neige au Canada », St. John de Crèvecœur affirme en effet, comme on l’a précédemment signalé, que les Canadiennes sont les plus belles femmes du continent et il en veut pour preuve le fait que plusieurs officiers anglais ont pris épouse à Montréal dans les mois qui ont suivi la Conquête. Dans la Lettre VIII sur les « Coutumes particulières de Nantucket », James constate que l’île « abonde de jolies femmes », et lorsque le gentilhomme russe en visite chez John Bartram décrit une assemblée religieuse quaker, c’est entre autres pour souligner que la femme qui a pris la parole à l’occasion de ce service « était très jolie, quoique âgée de plus de quarante ans ». Dans le Voyage dans la Haute Pensylvanie, St. John de Crèvecœur notait que les Canadiens étaient un « peuple […] peu cultivateur ». C’est également le cas des habitants de Nantucket, ce qui les distingue des fermiers américains auxquels s’identifie James : Pendant que nous défrichons les forêts, que nous mettons un sourire sur le visage de la nature, que nous drainons les marais, que nous cultivons le blé et le transformons en farine année après année, ils ratissent la surface de la mer pour y puiser des richesses tout aussi nécessaires.
L’hiver pousse les Canadiens à se faire voyageurs et explorateurs, et à vivre des profits du commerce qu’ils entretiennent avec les Indiens qu’ils croisent sur les cours d’eau de l’intérieur du continent. L’aridité du sol de Nantucket force pour sa part les habitants de l’île à se tourner vers la mer où ils se procurent, grâce à la chasse à la baleine, des produits qu’ils peuvent échanger contre les denrées et les biens nécessaires à leur survie. Dans un cas comme dans l’autre, les voyages et le commerce conduisent les Canadiens et les quakers de Nantucket à entretenir de bonnes relations avec les Indiens. Si les Canadiens sont familiers avec les mœurs et les coutumes sauvages, de leur côté, les habitants de Nantucket intègrent toujours des autochtones au sein des équipages de leurs vaisseaux baleiniers et ils « comprennent la langue des Naticks », un idiome que les jeunes de l’île
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« apprennent […] avec autant de facilité qu’ils apprennent la leur et, par la suite, les parlent toutes deux avec la même aisance et la même facilité ». Les Canadiens et les quakers de Nantucket ont un autre point en commun, et non le moindre. Les premiers doivent leur originalité à la pureté de leur lignée, au fait qu’ils ne sont pas le fruit d’un mélange de races. Or James nous apprend qu’à Nantucket, « il n’y a pas d’Écossais, d’Irlandais ni de Français, comme c’est le cas dans la plupart des autres établissements », et que les habitants de l’île « sont de race anglaise, sans mélange ». Nous avons donc affaire à deux peuples similaires. Les Canadiens et les quakers de Nantucket présentent un ensemble de qualités comparables, comme St. John de Crèvecœur le laissait entendre lorsqu’il écrivait, dans « Pensées Conçues en entrant dans un Hôpital Militaire », que le seul autre établissement « qui puisse […] être comparé » aux hôpitaux de Québec et de Montréal est « celui de Philadelphie qui […] a été fondé […] par les Quakers », et que, s’il devait tomber malade, « j’irois d’abord à Montréal ; si je ne pouvois y être admis, je m’adresserois aux bons Quakers ». Les Canadiens et les quakers de Nantucket ont en commun de ne pas présenter cet « étrange mélange de sangs » qui fait l’Américain, ce nouvel homme. Cette caractéristique distingue les habitants de Nantucket des résidants des zones cultivées du continent, cet « espace intermédiaire » où fleurissent les établissements des fermiers américains. Cette particularité fait d’eux des individus différents des personnages dont l’existence et le mode de vie constituent le sujet principal des Lettres d’un fermier américain. Conséquemment, les lettres de Nantucket sont consacrées à la présentation d’individus qui ne constituent pas la figure centrale de l’ouvrage. Cela dit, le segment sur Nantucket occupe tout de même plus du tiers du livre et, qui plus est, il est proprement situé au milieu de l’ouvrage. Les pages qui permettent de décrire les Lettres d’un fermier américain comme un portrait idyllique de l’Amérique prérévolutionnaire figurent toutes parmi les lettres précédant celles du segment sur Nantucket ; celles qui leur font suite témoignent de l’effondrement graduel de cet univers ordonné de bonheur et de liberté. Les lettres de Nantucket occupent un espace qui fait d’elles le tournant central des Lettres d’un fermier américain. L’ensemble des fils narratifs et thématiques constituant la trame de l’ouvrage devraient conséquemment converger, se croiser, voire se nouer d’une façon ou d’une autre au cœur de ce segment. Le fait que les deux moitiés du livre tournent autour des lettres de Nantucket paraît vouloir indiquer que le centre de gravité du texte se situe dans ces pages — ce qui implique que quelque chose pèse là plus lourd qu’ailleurs dans le livre : qu’il s’y trouve des éléments d’un poids suffisamment grand pour exercer une force d’attraction
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sur tout ce qui se passe autour de cette séquence. Or cet élément qui pèse ainsi au centre du livre en faisant graviter le reste de l’ouvrage autour de lui pourrait bien être ce que les Canadiens et les quakers de Nantucket ont en commun. Il est peut-être possible de déterminer la nature de ce centre de gravité des Lettres d’un fermier américain en observant les effets de sa force d’attraction sur des thèmes qui traversent l’ensemble de l’ouvrage. Il est établi que les quakers de Nantucket et les Canadiens paraissent aux yeux de St. John de Crèvecœur des peuples sinon semblables, à tout le moins comparables. En déterminant les effets que le poids et la position centrale des quakers au sein des Lettres d’un fermier américain peuvent exercer sur l’ensemble du livre, on devrait être en mesure d’en déduire la place et l’importance comparable qu’occupe l’expérience canadienne de St. John de Crèvecœur dans son œuvre, une place et une importance qui ne relèveraient alors plus de l’anecdote biographique mais du rôle que joue cette expérience dans les diverses règles de formation de son œuvre.
Sur la piste des abeilles S’il est une figure qui traverse les Lettres d’un fermier américain avec un insistance particulière et qui connaît un changement de parcours fort significatif sous la force d’attraction des lettres de Nantucket, c’est celle des chères abeilles de James. Comme on l’a souligné dans la présentation générale, les Lettres d’un fermier américain associent explicitement les quakers de Nantucket à une ruche d’abeilles : « Jamais ruche ne s’est aussi assidûment employée à récolter la cire, le pollen et le miel de tous les champs avoisinants que le font les membres de cette Société. » Lorsqu’il arrive à des gens de Nantucket de quitter leur île pour créer de nouveaux établissements sur le continent, James compare ce mouvement de population à l’essaimage d’une ruche : « ils ont parfois essaimé comme des abeilles, émigrant par groupes entiers » ; « cette ruche féconde ne cesse de se répandre en essaims tous aussi industrieux qu’elle peut l’être ». C’est dans la Lettre II, « Sur la situation, les sentiments et les plaisirs d’un fermier américain », que James fait pour la première fois état de sa fascination pour les abeilles. Il y raconte un combat entre un tyran tritri (kingbird, en anglais) et une « téméraire phalange » d’abeilles qui, après être parvenu à faire fuir l’oiseau : abandonna son ordre de bataille et se débanda. Par ce geste inconsidéré, elles perdirent la force du nombre qui avait fait s’envoler l’oiseau. S’apercevant de leur désordre, il revint immédiatement et put en attraper autant qu’il voulait ; il a même eu l’effronterie de se percher sur la même branche d’où les abeilles
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l’avaient chassé. Je l’ai abattu et lui ai immédiatement ouvert le jabot d’où je retirai 171 abeilles ; je les déposai sur une couverture au soleil et, à ma grande surprise, 54 d’entre elles sont revenues à la vie et, après s’être nettoyées, sont joyeusement retournées à la ruche où elles ont probablement fait part à leurs compagnes de cette aventure et de cette évasion comme, j’imagine, on n’en avait jamais connues de mémoire d’abeilles américaines.
La plupart des commentateurs s’accordent pour interpréter ce récit dans le même esprit que D. H. Lawrence, qui y voit « une parabole de la résurrection américaine » dans laquelle les abeilles sont de « fières démocrates » et de « vrais yanks », c’est-à-dire des yankees, « fuyant le jabot du roitelet [sic] d’Europe » — « escaped from the craw of the king-bird of Europe1 », peut-on lire dans la version originale de l’essai de Lawrence. Dans la version originale anglaise des Letters from an American Farmer, ces abeilles sont libérées de la gorge d’un kingbird, littéralement d’un « oiseau-roi », ce qui justifie l’interprétation de D. H. Lawrence, laquelle est implicitement fondée sur le fait qu’il n’y a pas de monarque en Amérique et que si on y est attaqué par l’un d’eux, ce ne peut être que par un roi venu d’Europe. La formulation originale de l’interprétation de Lawrence ne perd par ailleurs rien à être traduite plus exactement par : « échappées du jabot du tyran d’Europe ». Dans la version française qu’il a lui-même réalisée de ces pages, St. John de Crèvecœur parle d’un « King-Bird2 », ce qui laisse croire qu’il ne connaissait pas le nom français de l’oiseau qu’il a appris, en Amérique, à identifier par ce nom anglais. Le nom français de l’animal était pourtant déjà établi : c’est en 1775 que Buffon a donné le nom de tyrannidés à la famille de gobe-mouches indigènes de l’Amérique à laquelle appartient l’oiseau dont parle St. John de Crèvecœur. Au moins savait-il, ce qu’ignore la traductrice de Lawrence, qu’il ne s’agissait pas d’un roitelet ! Quelques années plus tard, à l’époque de la parution du Voyage dans la Haute Pensylvanie, St. John de Crèvecœur avait appris que le kingbird faisait partie de la famille des tyrannus, ainsi qu’en témoigne une note sur l’« Audacieux king-bird. L’annius tyrannus » : De tous les oiseaux de ce pays, c’est un de ceux qui possèdent l’art du vol au plus haut degré de perfection. Impatient, jaloux, arrogant, sur-tout lorsqu’il a des petits, il vit dans un état de guerre continuelle, non-seulement avec les oiseaux de son voisinage, mais avec ceux que le hasard conduit dans son canton ; il ne redoute ni les faucons, ni les éperviers, au vent desquels il a toujours l’art de se tenir pour les attaquer. Rien n’est plus intéressant à voir, sur-tout lorsque le vent souffle avec violence, que ses longs et sanglans combats avec les corneilles, qu’il oblige à se refugier dans les bois. Heureux le colon qui en a quelques-uns pour gardiens de ses champs de maïs ! Il peut être assuré que leur extrême vigilance, leur infatigable persévérance et leur
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audace, mettront son domaine à l’abri de toute espèce de déprédation : mais d’un autre côté, il détruit les abeilles et chasse les oiseaux, dont le ramage est si intéressant […]3.
Ces lignes sur le tyran tritri constituent une des rares descriptions d’animaux figurant dans le Voyage dans la Haute Pensylvanie dans lesquelles on peut entendre un écho de celles qu’on retrouve dans les Lettres d’un fermier américain : comme si, vingt ans après avoir décrit pour la première fois cet oiseau, St. John de Crèvecœur demeurait toujours aussi fasciné par lui. La Lettre II contient une seconde anecdote apicole, que James introduit en nous apprenant que celles qu’il appelle « mes abeilles » : font naître en moi les réflexions les plus agréables et les plus importantes ; qu’on me laisse les observer à mon aise et leur gouvernement, leur industrie, leurs querelles, leurs passions se présentent toujours à moi avec quelque chose de nouveau ; c’est la raison pour laquelle, lorsque je suis fatigué par le travail, mon lieu de repos habituel est sous mes acacias, près de la demeure de mes abeilles. Grâce à leurs mouvements, je peux prédire le temps qu’il fera, et je connais le jour de leur essaimage ; mais le plus difficile, lorsqu’elles sont en vol, est de savoir si elles veulent ou non prendre la direction des bois. Si elles ont déjà fait leur campement au creux de quelque arbre, ce ne sont pas les appâts de sel et d’eau, de fenouil, de feuilles de noyer, etc., ni la meilleure des ruches qui les persuaderont de rester ; elles préféreront des habitations grossières et rudimentaires à la mieux finie des ruches d’acajou. Lorsque c’est le cas avec les miennes, je tente rarement de contrecarrer leur inclination : c’est dans la liberté qu’elles travaillent ; devrais-je les confiner qu’elles dépériraient et abandonneraient leurs tâches.
Ces insectes ne travaillent que dans la liberté et préfèrent les habitations grossières qu’ils trouvent dans les bois à celles que leur construisent les fermiers. En cela, ils ressemblent aux Indiens décrits par James dans sa dernière lettre sur les « Angoisses d’un habitant de la frontière » lorsqu’il fait part de sa crainte de voir ses enfants succomber aux charmes de la vie sauvage. Inutile de tenter d’amadouer un jeune enfant indien, constatet-il : donnez-lui la meilleure éducation qu’il vous est possible, comblez-le de votre générosité, de présents, que dis-je, de richesses ! Il conservera malgré tout une secrète nostalgie de ses forêts natales qu’il devrait, croirez-vous, avoir depuis longtemps oubliées, et à la première occasion qu’il trouvera, vous le verrez laisser volontairement derrière lui tout ce que vous lui avez donné et retourner avec une joie inexprimable se reposer sur les nattes de ses pères.
L’anecdote du tyran tritri permettait de voir les abeilles comme une métaphore du peuple américain libéré du tyran européen. On découvre maintenant que ces mêmes insectes présentent également des qualités et
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un caractère s’apparentant à ceux des Indiens. Ainsi ces abeilles sont-elles à la fois indiennes et américaines : comme les Canadiens et les habitants des frontières. Les abeilles de James préfèrent la liberté et les demeures qu’elles trouvent dans les bois aux plus belles et aux plus riches des ruches qu’un fermier peut leur offrir. C’est pourquoi le fermier doit apprendre, s’il désire profiter du fruit du travail de ces industrieux insectes, à retrouver leur trace dans la forêt. James entreprend alors de raconter en détail sa méthode de chasse aux abeilles, un récit qu’il conclut en notant qu’après avoir trouvé, dans un arbre, une ruche « logé[e] dans le creux d’une de ses branches principales », il a scié cette dernière « avec précaution et, avec force efforts et travail, [l’a] apportée chez [lui] où [il l’a] replacée dans la même position dans laquelle [il] l’avai[t] trouvée ». Si le fermier désire avoir du miel, il ne doit pas chercher à domestiquer les abeilles des bois : il doit ramener une parcelle de forêt sauvage auprès de sa demeure et replacer la branche qui héberge la ruche dans la même position où il l’a trouvée dans les bois. Ces pages des Lettres d’un fermier américain consacrées à la chasse aux abeilles font de ces dernières la métaphore d’un troisième groupe d’individus. Si ces insectes étaient à la fois américains et indiens, voilà qu’ils se dévoilent être à l’image des immigrants dont James a parlé dans la Lettre III, « Qu’est-ce qu’un Américain ? » Ces gens sont venus en Amérique parce que, s’ils étaient demeurés en Europe, « ils n’auraient rien fait d’autre que contribuer à son encombrement », car « [l]à-bas, l’encombrement de la société empêche le développement de nombreuses idées utiles et élimine de louables projets ». Il apparaît alors que les abeilles ne quittent leur ruche que lorsqu’elles sont confrontées à un encombrement semblable, quand leur demeure est remplie de cire et de miel : « Cela dépend entièrement de la grosseur du trou, dans la mesure où les abeilles ne cessent de travailler et n’essaiment pas tant qu’il n’est pas rempli. » Du même souffle, James assimile explicitement les mouvements des populations immigrantes à l’essaimage des abeilles : « comme c’est le cas avec les hommes, seul le manque de place les pousse à abandonner la ruche maternelle ». On trouve un écho à cette idée que les abeilles seraient semblables aux Européens qui s’installent en Amérique dans le Voyage dans la Haute Pensylvanie : Persuadé que les abeilles sont venues d’Europe, ce qui cependant est trèsdouteux, les indigènes les voient de mauvais œil, et considèrent leurs progrès dans l’intérieur du continent, comme un présage de l’approche des blancs : aussi, dès qu’ils en découvrent, cet événement, en passant rapidement de bouche en bouche, répand la tristesse et la consternation dans tous les esprits.
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Un jour que j’allois au village d’Osséwingo, je rencontrai un Cayuga que je connoissois depuis plusieurs années ; il étoit assis au pied d’un arbre, et les yeux fixés sur la terre, fumoit gravement dans son toméhawk. Comme il paroissoit peu disposé à me parler, je lui dis : — « Ta langue seroitelle desséchée, et ta main paralysée ? — Mon esprit est dans les ténèbres, me répondit-il, et mes yeux voient sans voir, quand je pense à ce mauvais génie qui ne cesse de nous tourner le dos. — Comment cela ? j’ai peine à te comprendre. — Ne sais-tu pas qu’il prit tes gens par la main dès le premier jour de leur arrivée sur cette terre, et que depuis, il a constamment nettoyé leurs sentiers, et couvert les nôtres de ronces, de halliers et de pierres ? Ne voilà-t-il pas leurs mouches qui arrivent parmi nous, pour effrayer notre gibier ? — Eh bien ! sais-tu ce qu’il faut faire ? — Non. — Je vais te le dire. Aye un champ, ayes-en même deux, si cela est possible ; cultive-les bien ; que tes compagnons imitent ton exemple : alors ces mouches, qui t’effrayent tant aujourd’hui, te porteront bonheur ; car elles sont un modèle d’industrie, de bon accord et de bon gouvernement. — Tu dis vrai : mais le mauvais Génie ne veut pas que nous cultivions la terre comme les blancs. — Ton mauvais Génie n’est qu’une ombre, un fantôme, et un fantôme n’est rien. Si tu méprises l’industrie des blancs, imite du moins celle du castor ; que le soleil de la raison éclaire ton village, et alors tu verras ce fantôme, cette ombre, passer comme le bruit que j’entends, et qui n’est déjà plus ; comme le vent qui frise la surface du lac, et est déjà bien loin. — Porte tes paroles au village, que tous nos gens disent : Oui, oui, oui ; alors j’y consens »4.
Aux yeux des Indiens, les abeilles sont le signe de la pénétration des Européens au sein de leurs territoires : de la présence d’Européens plus ou moins familiarisés avec la vie sauvage, c’est-à-dire d’individus qui ressemblent aux Canadiens et aux pionniers de l’arrière-pays. Le Voyage dans la Haute Pensylvanie contient aussi un rappel de la scène de chasse aux abeilles décrite par James. Le narrateur de l’ultime ouvrage de St. John de Crèvecœur commence le récit d’une excursion en forêt en précisant que l’entreprise a commencé « gaîment » lorsque ses compagnons et lui sont partis un matin en se « munis[sant] d’un briquet, d’une pierre à feu, des différens objets nécessaires pour découvrir les arbres à abeilles (bee-tree) ». Une note est alors appelée qui, sous le titre de « Bee-Tree », reprend les mêmes propos qu’on a pu lire sous la plume de James : Le désir de découvrir les arbres dans le creux desquels les abeilles se sont établies, est devenu depuis long-temps l’objet d’une chasse amusante et peu pénible : elle se fait dans l’automne, et n’exige que trois ou quatre jours. Outre les provisions nécessaires, il faut se munir d’un briquet, d’une boussole et d’une montre, et d’une petite quantité de vermillon et de miel. Parvenu dans les endroits couverts d’arbres élevés, on allume du feu auprès d’une pierre plate, sur laquelle on a versé quelques gouttes de miel, qu’il faut environner de vermillon. S’il y a des mouches dans ce voisinage, l’odeur de la
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cire brûlée les amenera promptement ; mais ne pouvant approcher de ce miel sans que quelques particules du vermillon ne s’attachent au duvet dont leurs corps sont couverts, il est facile de les reconnoître à leur retour ; alors on fixe la boussole pour s’assurer de la direction de leur vol, et on observe le temps qu’elles ont mis à leur voyage : à l’aide de ces informations, rien n’est plus facile que de découvrir les arbres dont elles occupent les cimes, et de s’emparer de leurs trésors5.
La reprise de ce récit, comme c’était dans le cas avec l’anecdote du tyran tritri, permet de croire que St. John de Crèvecœur a conservé un souvenir fort vif et agréable des relations qu’il a entretenues avec les abeilles qui habitaient les environs de sa ferme américaine. Le plaisir qu’il a tiré des activités liées à leur présence affleure au détour d’une remarque apparaissant dans « Thoughts of an American Farmer on Various Rural Subjects » : son habileté à dénicher les ruches d’abeilles sauvages est son « talent favori », déclare le narrateur anonyme de ces pages, qui fait montre d’une personnalité et d’une sensibilité s’apparentant à celles de James. Ce texte, qui figure parmi les Sketches of Eighteenth-Century America, contient une autre allusion aux abeilles. Elle apparaît lorsque le narrateur se désole du peu d’attention que nombre de fermiers accordent à l’entretien de leurs ruches : ces derniers hébergent : négligemment [leurs abeilles] sous le plus humble des toits. […] Il me semble impardonnable que des petits êtres aussi industrieux soient aussi mal logés que certains peuvent l’être en cette contrée. À elle seule, la gratitude devrait les pousser à prendre un plus grand soin de ceux qui travaillent pour eux. Mais l’Homme est un être égoïste6.
Dans le même recueil, « History of Mrs. B. » a recours à la figure de l’abeille pour distinguer les effets catastrophiques de la guerre d’Indépendance des menus problèmes qui ont pu ponctuer l’existence des fermiers américains avant l’éclatement de la rébellion : L’affaire du Congrès a commencé, et voilà que nous avons été à nouveau confrontés à des calamités plus angoissantes que tout ce à quoi nous avions déjà eu à faire face. Ce que nous avions souffert jusqu’alors n’était qu’une piqûre d’abeille ; depuis, les blessures que nous avons subies nous ont été causées par des êtres bien plus malveillants7.
Les abeilles semblent avoir dès lors une ultime valeur métaphorique : elles incarnent le caractère bénin du genre de difficultés et d’inconvénients auxquels les fermiers américains avaient à faire face avant que les colonies rebelles ne se rassemblent au sein de leur Congrès continental. Elles sont l’expression de l’aspect paisible de la vie que menaient les habitants des colonies britanniques d’Amérique du Nord avant la révolution : une
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e xistence sereine et heureuse, semblable à celle des Canadiens avant leur Conquête. St. John de Crèvecœur n’assimile jamais explicitement les Canadiens aux abeilles. Par contre, il les compare implicitement à un autre insecte dont le mode de vie et l’organisation sociale s’apparentent à celui des abeilles. Dans « Ant-hill Town », un autre des Sketches of Eighteenth-Century America dont le narrateur pourrait être James, ce dernier décrit les tunnels d’une fourmilière comme des « rues […] séparées les unes des autres par des petits remblais de terre de diverses épaisseurs, comme le sont les rues de Québec en hiver ». Le même texte contient par ailleurs un passage permettant de croire que St. John de Crèvecœur était conscient de la valeur métaphorique que ses lecteurs ne manqueraient pas de reconnaître aux diverses instances de la figure des abeilles qu’il a disséminées dans ses textes : Quoique l’industrie bien connue des abeilles, l’excellence du gouvernement qui règne au sein de leurs habitations, l’incessante industrie qui les anime aient été chantées par tant de poètes, et aient été depuis longtemps porteuses de tant d’allusions, de métaphores, et le thème de tant d’orateurs — elles demeurent un sujet toujours nouveau. Installez-vous sous quelques arbres de votre voisinage ; voyez-les arriver avec les produits des champs ; observez les fruits de leur digestion, la concoction de particules éthérées des fleurs et des boutons qu’elles convertissent en miel. Quand ces industrieux citoyens sont tous à l’extérieur, ouvrez une de leurs ruches et voyez les résultats de ce merveilleux instinct qui les guide de ses règles immuables afin de concevoir et de réaliser avec tant de régularité les diverses cellules conçues pour recevoir leur miel, leurs autres nourritures plus grossières, ainsi que les œufs d’où sortiront de nouveaux essaims8.
St. John de Crèvecœur sait que le recours à la figure de l’abeille constitue proprement un des lieux communs de la littérature de son temps. Il se montre cependant d’avis que ces abeilles de papier ne sauraient susciter le même intérêt, le même étonnement que celui que provoque l’examen du comportement et des activités des abeilles véritables. C’est l’observation de cette réalité qui fait d’elles le sujet de réflexions sans cesse renouvelées. Mais l’expression de ces nouvelles idées nées du spectacle de la nature véhicule les résidus de ce que tant de poètes et d’orateurs ont déjà dit à propos des abeilles et, surtout, de l’emploi métaphorique qu’ils ont fait de la figure de l’abeille. St. John de Crèvecœur révèle ainsi qu’il tient compte du fait que ce qu’il peut espérer dire de nouveau à propos des abeilles, de même que l’emploi renouvelé qu’il escompte faire de la figure de l’abeille dans ses écrits, s’inscrit à même une trame de fond où subsiste tout ce qui a déjà été dit au sujet des abeilles et par l’entremise de la figure métaphorique de l’abeille.
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Mais quelle est cette trame sur le fond de laquelle St. John de Crèvecœur se propose de faire entendre ce qu’il a de nouveau à dire des abeilles et dans l’emploi renouvelé de leur figure métaphorique ? Il est possible d’y trouver des trace de La fable des abeilles, de Bernard Mandeville. D’origine française et huguenote, Mandeville est né à Rotterdam en 1670 et mort à Londres en 1733. La version originale anglaise de son livre a été terminée en 1732 et sa traduction française a paru en 1740. S’inspirant à la fois de Hobbes et de Locke, La fable des abeilles propose, sur le ton de la satire, une critique du rationalisme combinée à une esquisse d’explication sociologique des comportements humains. Après avoir grandement intéressé Hume et Kant, l’ouvrage est désormais presque tombé dans l’oubli. Il est cependant difficile d’assimiler en quoi que ce soit les abeilles de St. John de Crèvecœur à celles dont Mandeville se sert pour mettre en scène ses idées. Mais au moment de la rédaction des Lettres d’un fermier américain, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, La fable des abeilles figurait parmi les ouvrages les plus discutés du temps. Aussi est-il possible que, constatant le succès que les lecteurs de l’époque ont fait aux abeilles de Mandeville, St. John de Crèvecœur ait supposé qu’il était à la mode de se servir de ces insectes pour véhiculer ses idées, et que ses contemporains pouvaient donc être intéressés à lire ce qu’il avait à raconter à propos de ses propres abeilles. Il est certain que les abeilles de St. John de Crèvecœur doivent beaucoup à celles que chante Virgile dans le quatrième livre des Géorgiques. Cependant, comme dans le cas précédent, on ne saurait retracer d’emprunts explicites aux vers de Virgile sous la plume de St. John de Crèvecœur. Mais le caractère idyllique de son portrait de la vie des fermiers américains participe pleinement du goût que les lecteurs de l’époque avaient pour les récits bucoliques et pastoraux plus ou moins directement inspirés des écrits de Virgile. Il est par ailleurs vraisemblable que l’éducation qu’a reçue St. John de Crèvecœur chez les Jésuites du collège de Caen ait été pour lui l’occasion d’acquérir une certaine familiarité avec les œuvres de Virgile. C’est chez un tout autre auteur qu’on trouve une représentation des abeilles éclairant celles qui traversent l’œuvre de St. John de Crèvecœur. Il est possible d’entendre dans les Lettres d’un fermier américain, particulièrement dans les pages consacrées au mode de vie des pionniers de la frontière et aux rapports conflictuels qu’ils entretiennent les uns avec les autres, une référence aux positions développées dans le Léviathan de Thomas Hobbes. La présence, dans « Manners of the American », un des Sketches of Eighteenth-Century America, de la locution latine : « bellum omnium contra omnes9 », signale que St. John de Crèvecœur était familier avec la conception hobbesienne des rapports entre humains. Or, dans le
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chapitre du Léviathan traitant « Des causes, de la génération et de la définition de l’État », Hobbes se sert de la figure de la ruche d’abeilles, de pair avec celle de la fourmilière, pour introduire rien de moins que le concept central de son œuvre, c’est-à-dire l’État en tant qu’incarnation politique du Léviathan, l’immense et invincible monstre marin qui apparaît dans les dernières pages du récit biblique de Job. Il est vrai que certaines créatures vivantes, telles que les abeilles ou les fourmis, vivent socialement les unes avec les autres (et figurent donc, selon Aristote, au nombre des créatures politiques) ; et pourtant, elles ne sont conduites par rien d’autre que leurs jugements et instincts particuliers ; elles ne disposent pas non plus de la parole par laquelle l’une d’elles peut signifier à une autre ce qu’elle estime convenir au bénéfice commun. Il se peut donc que l’on désire savoir pourquoi le genre humain ne peut pas faire la même chose. [… L]’assentiment de ces créatures est naturel, celui des humains résulte seulement d’une convention, ce qui est artificiel : il n’est donc pas étonnant que quelque chose d’autre soit requis (à côté de la convention) afin de rendre leur assentiment constant et durable : ce quelque chose est une puissance commune pour les tenir en respect et diriger leurs actions vers le bénéfice commun. Le seul moyen d’établir pareille puissance commune, capable de défendre les humains contre les invasions des étrangers et les préjudices commis aux uns par les autres et, ainsi, les protéger de telle sorte que, par leur industrie propre et les fruits de la terre, ils puissent se suffire à eux-mêmes et vivre satisfaits, est de rassembler [to conferre] toute leur puissance et toute leur force sur un homme ou sur une assemblée d’hommes qui peut, à la majorité des voix, ramener toutes leurs volontés à une seule volonté ; ce qui revient à dire : désigner un homme, ou une assemblée d’hommes, pour porter leur personne ; et chacun fait sienne et reconnaît être lui-même l’auteur de toute action accomplie ou causée par celui qui porte leur personne, et relevant de ces choses qui concernent la paix commune et la sécurité ; par là même, tous et chacun d’eux soumettent leurs volontés à sa volonté, et leur jugement à son jugement. C’est plus que le consentement ou la concorde ; il s’agit d’une unité réelle de tous en une seule et même personne, faite par convention de chacun avec chacun […]. Cela fait, la multitude, ainsi unie en une personne une, est appelée un état, en latin civitas. Telle est la génération de ce grand léviathan, ou plutôt (pour parler avec plus de déférence) de ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le dieu immortel, notre paix et notre défense10.
Contrairement aux abeilles et aux fourmis, les humains sont incapables de vivre sous un gouvernement fondé sur l’assentiment naturel. C’est pourquoi ils se voient dans l’obligation de développer un moyen de canaliser leurs aspirations et désirs individuels au profit du bien commun en se rassemblant au sein d’une entité représentative qui, au moyen de la majorité des voix, « ramèn[e] toutes leurs volontés à une seule volonté ». Il en découle la création de l’État, une structure permettant de faire
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a rtificiellement des hommes une communauté similaire à celle que les abeilles et les fourmis développent naturellement. Ces insectes entretiennent instinctivement entre eux des relations harmonieuses et cohésives, et c’est afin d’être en mesure de les imiter que les humains doivent instituer le pouvoir collectif de l’État. Ce dernier permet de suppléer aux défauts des humains, qui les empêchent d’associer la recherche de leur bien privé à l’accomplissement du bien commun. Hobbes fait de la ruche et de la fourmilière les incarnations d’un gouvernement naturellement harmonieux, dans lequel rien ne distingue le bien privé du bien commun, et que les hommes cherchent à reproduire par l’établissement de structures étatiques représentatives. Cette représentation hobbesienne de l’abeille pourrait bien être la trame de fond commune aux diverses figures d’abeilles qui traversent l’œuvre de St. John de Crèvecœur. Au fil de ses textes, la figure des abeilles est d’abord apparue comme une image des Américains libérés de la gorge du roi ou du tyran européen. Puis ces abeilles ont été présentées comme des êtres ni tout à fait indiens ni tout à fait européens, chérissant la vie de liberté qu’ils trouvent dans les bois, semblables en cela aux Canadiens d’avant la Conquête et aux habitants des frontières. Par la suite, elles sont devenues la représentation des immigrants qui, après avoir été forcés de quitter une Europe surpeuplée, pénètrent à l’intérieur du continent américain. Elles sont alors apparues, aux yeux des Indiens, comme les signes avant-coureur de l’arrivée d’Européens familiarisés avec le genre d’existence qu’on mène dans les bois : donc, une fois de plus, d’individus semblables aux Canadiens d’avant la Conquête. Enfin, leur piqûre a servi à évoquer le genre de vie heureuse et paisible, ponctuée de difficultés bénignes, que menaient les habitants des colonies britanniques d’Amérique du Nord avant le déclenchement de la révolution : une existence rappelant celle des Canadiens avant la conclusion de la guerre de Sept Ans. La valeur métaphorique de la figure des abeilles ne cesse donc de se déplacer. La signification qu’on peut lui reconnaître à chacune de ses occurrences s’ajoute aux autres et la fonction qu’elles occupent dans l’ensemble de l’œuvre tient moins à leur enchaînement qu’à leur cumul. Une constante apparaît tout de même : les abeilles représentent chaque fois une communauté déjà constituée confrontée aux agissements disruptifs d’une nouvelle entité étatique. C’est à cause de l’affaire du Congrès continental que les petites piqûres d’abeilles d’hier font désormais place à des « blessures […] causées par des êtres bien plus malveillants ». L’apparition des abeilles attriste les Indiens parce que, en effrayant leur gibier, elles détruisent les fondements mêmes de leur société structurée par les activités de la chasse et deviennent « un modèle d’industrie, de bon accord
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et de bon gouvernement » basé sur l’agriculture et destiné à remplacer leur mode de vie traditionnel. C’est parce qu’ils sont opprimés par un gouvernement qui ne leur reconnaît aucune identité, qui ne leur accorde aucun statut, que les pauvres d’Europe sont forcés d’émigrer vers l’Amérique. La liberté que certains trouvent, comme les abeilles, en prenant la direction des bois, s’oppose à la contrainte que tente d’imposer, par le biais de magnifiques ruches d’acajou qui sont comme autant de prisons dorées, une autorité certes bienveillante mais néanmoins extérieure. Et les abeilles américaines parviennent à fuir l’emprise d’un roi, d’un tyran : d’une figure correspondant au souverain que Hobbes présente comme « [c]elui qui est dépositaire de [la] personne » en qui « réside l’essence de l’État », une entité qui peut tout aussi bien être incarnée par « un homme ou […] une assemblée d’hommes » mais qui, dans un cas comme dans l’autre : est (pour le définir) une personne une dont les actions ont pour auteur, à la suite de conventions mutuelles passées entre eux-mêmes, chacun des membres d’une grande multitude, afin que celui qui est cette personne puisse utiliser la force et les moyens de tous comme il l’estimera convenir à leur paix et à leur défense commune11.
Traditionnellement, les commentateurs des Lettres d’un fermier américain voient l’anecdote du tyran tritri et des abeilles américaines comme une métaphore de la guerre d’Indépendance des États-Unis où la figure de l’oiseau représente le roi d’Angleterre, George III, s’en prenant aux habitants des colonies d’Amérique. Si on insère la figure de cet oiseau dans la logique de la représentation crèvecœurienne (et hobbesienne) des abeilles et des fourmis, le tyran tritri n’apparaît plus comme l’image de l’autorité particulière du souverain d’Angleterre : il devient une incarnation de toutes les formes de souveraineté politique. Le tyran tritri n’est pas une représentation du pouvoir d’un État particulier mais de tous les pouvoirs d’État. La note du Voyage dans la Haute Pensylvanie sur le tyran tritri présentait cet oiseau comme un être « [i]mpatient, jaloux, arrogant, […] vi[vant] dans un état de guerre continuelle […] avec les oiseaux de son voisinage ». L’idée que les hommes et les États sont perpétuellement plus ou moins ouvertement en guerre les uns contre les autres est fondamentalement hobbesienne. Quelques lignes plus loin, le même texte signale que le colon devrait être heureux d’avoir quelques-uns de ces oiseaux : pour gardiens de ses champs de maïs ! Il peut être assuré que leur extrême vigilance, leur infatigable persévérance et leur audace, mettront son domaine à l’abri de toute espèce de déprédation : mais d’un autre côté, il détruit les abeilles et chasse les oiseaux, dont le ramage est si intéressant.
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Le tyran tritri est un protecteur : il met le fermier à l’abri de toutes les déprédations possibles de la même façon que l’État doit garantir la sécurité des biens et des possessions de ses citoyens. Il chasse les autres oiseaux comme l’État repousse tout empiétement de la part des autres États sur le territoire dont il doit assurer la protection. C’est au prix d’éventuelles guerres interétatiques que le citoyen bénéficie de l’assistance de l’État qu’il a institué. Mais le tyran tritri détruit aussi les abeilles, ces communautés qui savent instinctivement se doter d’un gouvernement harmonieux, cohésif : un gouvernement « naturel » que, selon Hobbes, l’État tente d’imiter, de reproduire artificiellement par l’intermédiaire de la représentation politique. Et c’est exactement ce qui se passe avec les communautés que St. John de Crèvecœur identifie à la figure des abeilles. Sur un mode moins raisonné et explicite qu’instinctif et intuitif, les Lettres d’un fermier américain sont l’expression d’un constat : l’ordre sociopolitique qui s’est graduellement et plus ou moins informellement établi au sein des colonies britanniques d’Amérique du Nord, cette bucolique harmonie que chantent les premières pages de l’ouvrage, sont sinon détruits, à tout le moins profondément perturbés par la nouvelle structure politique mise en place par les rebelles. Le nouvel État formé par la réunion des colonies au sein du Congrès continental est pourtant censé respecter, reproduire (à la manière de l’État hobbesien tentant d’imiter le gouvernement naturel des abeilles et des fourmis) la forme de gouvernement que les fermiers américains ont « instinctivement » établie afin de protéger leurs intérêts privés et communs. Pour les colonies rebelles, le Congrès n’est rien d’autre qu’une institutionnalisation politique des principes de gouvernement qu’elles ont « naturellement » développés aux cours des précédentes décennies. Cette nouvelle entité politique a pour but d’assurer la pérennité de leur liberté et de leurs droits — une liberté et des droits que ces colonies affirmeront être, dans leur Déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776, des « vérités […] évidentes d’elles-mêmes12 » : que l’on connaît en quelque sorte d’instinct, qui sont le fondement de droits naturels, transcendant toute forme de pouvoir étatique. Les Lettres d’un fermier américain, de même que le reste des œuvres de St. John de Crèvecœur, laissent entendre que la nouvelle affirmation politique de ces droits et libertés se fait au prix de la destruction des réseaux informels de solidarités interindividuelles qui sont à l’origine même de ces droits. Leur étatisation est en train de détruire la communauté dans laquelle ils sont « instinctivement » apparus. Les affiliations partisanes prennent désormais la place des relations amicales, des bons rapports de voisinage ; la raison politique prend le dessus sur l’instinct de la communauté. Signalons que la « Description d’une tempête de neige au Canada » propose
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notamment la représentation d’une scène de coopération communautaire plus moins informelle entre membres du voisinage ; pour décrire le déplacement d’un « grand nombre de gens [qui] se rendent en traîneaux à la maison de celui qui les invite » à participer à une corvée hivernale de coupe de bois, le texte nous dit que cette communauté se déplace alors « [c]omme un essaim d’abeilles ». Les Lettres d’un fermier américain n’ont de cesse de vanter ce que James appelle la « perfection » et « l’infaillibilité de l’instinct ». Le fermier américain regrette de constater que les humains s’en font une bien « basse opinion ». Il s’étonne du « destin bien singulier de la race humaine, dont les instincts sont généralement inférieurs à ceux des animaux, parmi lesquels les individus de la même espèce sont toujours amis ». Il est convaincu que : tout ce qui fait la conduite de ce que nous appelons avec hauteur le règne animal est admirable en toutes circonstances ; et l’homme, tout paré qu’il est du don supplémentaire de la raison, pourrait apprendre, au contact de la perfection de l’instinct, comment réprimer la sottise et réparer les erreurs que ce même don lui fait souvent commettre. C’est là un sujet auquel j’ai souvent consacré mes plus sérieuses réflexions ; souvent, j’ai intérieurement rougi et été grandement étonné en comparant la beauté du chemin toujours exact, toujours adéquat, toujours sage et proche de la perfection que suivent tous les animaux, avec les grossiers, les imparfaits systèmes auxquels se soumettent les hommes, non seulement les gouverneurs et les rois, mais aussi les maîtres, les époux, les pères, les citoyens. Mais c’est là un sanctuaire dans lequel un fermier ignorant ne doit pas prétendre entrer.
Lorsqu’il est assailli par les angoisses que lui inspirent les agissements des partisans des deux camps qui s’affrontent au cours des premiers jours de la guerre d’Indépendance, c’est pour se demander : « La raison doit-elle se faire trompeuse et anéantir les infaillibles mouvements de l’instinct ? » Devant une pareille fascination pour les forces de l’instinct, il ne faut pas s’étonner que ce soit à St. John de Crèvecœur, ainsi qu’on la précédemment signalé, que l’on doive l’introduction du vocable « instinctif » dans la langue française ! La communauté des fermiers américains n’est pas la seule à subir ainsi les attaques d’un pouvoir d’État qui devrait pourtant avoir pour mission de les protéger. Les Canadiens sont dans une situation similaire. Eux aussi sont confrontés à un nouveau pouvoir d’État qui remplace les anciennes solidarités communautaires à la source du bonheur qui, selon St. John de Crèvecœur, était le leur avant la Conquête. Le malheur des Canadiens ne tient pas au fait qu’ils ont été conquis et que leur nouveau maître soit un peuple qui leur est étranger. Le problème est qu’ils sont désormais sous la tutelle d’un pouvoir d’État alors qu’ils étaient auparavant une communauté
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naturelle qui n’entretenait que des relations passablement distantes avec l’administration et le gouvernement français. Le point de vue de St. John de Crèvecœur, qui s’attriste, dans la « Description d’une tempête de neige au Canada », de constater que la France n’a pas fait grand-chose pour assurer la sécurité de sa colonie et l’empêcher de tomber entre les mains des Britanniques, s’inscrit dans la logique des relations interétatiques qui s’exprime dans le passage du Voyage dans la Haute Pensylvanie sur le tyran tritri. Les Canadiens auraient dû pouvoir compter sur la France pour les protéger des Anglais, de la même manière que le colon peut compter sur le tyran tritri pour chasser les autres oiseaux qui peuvent s’en prendre à ses champs de maïs : une protection dont les abeilles sont cependant les premières à payer le prix. Le colon sait qu’il a besoin du tyran tritri, mais sa présence dans les environs de sa plantation est destinée à causer du tort à ses chères abeilles. Cet oiseau est à la fois un mal et une nécessité : un mal nécessaire, en somme, comme le gouvernement, comme l’État. St. John de Crèvecœur n’est pas seul à afficher une telle méfiance envers le pouvoir de l’appareil d’État. Dans Le sens commun, Thomas Paine écrit : La société, quelle qu’en soit la forme, est toujours un bienfait, mais le meilleur gouvernement n’est qu’un mal nécessaire et le plus mauvais un mal intolé rable. Car lorsque nous endurons, sous un gouvernement, les mêmes souffrances que celles auxquelles nous serions exposés dans un pays dénué de gouvernement, notre détresse se trouve renforcée à l’idée que nous fournissons nous-mêmes l’instrument de notre malheur. Le gouvernement, comme le vêtement, est la marque de notre innocence perdue ; les palais des rois ont été bâtis sur les débris des berceaux d’Éden. Car, si l’homme obéissait sans résister aux impulsions claires et égales de sa conscience, il n’aurait pas besoin d’autre législateur ; mais, puisque tel n’est pas le cas, force est pour lui de renoncer à une partie de ce qu’il possède et de concourir ainsi aux moyens qui permettront de protéger le reste. Et en cela il ne fait que suivre cette prudence qui, dans toutes les autres circonstances, l’incite entre deux maux à toujours choisir le moindre. Ainsi donc, la sécurité étant le véritable objet et le véritable but du gouvernement, il s’ensuit irréfutablement que celui qui par sa forme paraît le plus propre à assurer cette sécurité, avec le moins de dépenses et le plus d’avantages, est préférable à tous les autres13.
Paine s’inscrit directement dans la filiation de Hobbes lorsqu’il postule que l’homme doit se résoudre à la création de législations parce qu’il n’est pas en mesure de vivre en obéissant aux impulsions immédiates de sa conscience, de son instinct14. Toute forme de gouvernement est le signe d’une innocence perdue, d’un Éden détruit. Les Lettres d’un fermier américain sont précisément le récit d’un Paradis perdu : de l’irruption, au sein d’une société pastorale idéale, de troubles liés à l’établissement d’un
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appareil d’État. Mais en racontant cette destruction de l’Éden américain prérévolutionnaire, le livre ne se fait pas l’expression d’un parti pris loyaliste et antirépublicain. St. John de Crèvecœur s’en prend plutôt, comme il le fait par ailleurs à plusieurs reprises dans le reste de son œuvre, à toutes les formes d’autorité étatique. Ainsi notre auteur se dévoile-t-il une sorte d’anarchiste avant la lettre15 (mais de bien peu, puisque le mot est entré dans la langue française en 1791). L’anecdote du tyran tritri et des abeilles n’est donc pas une métaphore du combat entre les colons américains et la couronne d’Angleterre, mais de la lutte qui ne cesse d’opposer les citoyens à toute forme d’autorité et de pouvoir d’État : une confrontation présentée sous un jour somme toute relativement optimiste dans la mesure où les abeilles parviennent littéralement à s’en sortir, à échapper à l’emprise du tyran, c’est-à-dire de l’État, cette entité souveraine que Hobbes représente sous la figure du Léviathan. * * * Si les Lettres d’un fermier américain accordent autant d’attention aux quakers en général, et plus particulièrement à ceux de l’île de Nantucket, ce n’est pas, comme l’ont supposé plusieurs commentateurs, parce que St. John de Crèvecœur était sympathique à leurs convictions religieuses. C’est peut-être parce que les quakers se sont opposés, et cela dès les premiers jours de la rébellion, à la constitution du nouvel État américain. Les membres de la Société des Amis ont généralement été du même avis que l’ensemble de leurs compatriotes, et espéraient eux aussi trouver des moyens de se libérer de l’emprise de l’autorité métropolitaine britannique. Mais leurs principes pacifistes les ont conduits à s’opposer à toute forme de confrontation armée avec les forces de la couronne d’Angleterre, ce qui a contribué à les rendre suspects aux yeux des rebelles. Et voilà qu’en plus de faire obstacle à l’établissement d’un pouvoir d’État, les quakers de Nantucket (ce peuple-abeille, cette ruche qui ne cesse d’essaimer…) ont développé un savoir-faire qui fait d’eux les grands maîtres de la chasse à la baleine : de cet animal que la Bible appelle Léviathan — et que St. John de Crèvecœur nomme explicitement ainsi à deux reprises dans le segment des Lettres d’un fermier américain consacré aux quakers de Nantucket. Ainsi retrouve-t-on, au cœur des Lettres d’un fermier américain, ce qui paraît être le centre de gravité de l’ensemble de l’ouvrage : un peupleabeille qui sait combattre et vaincre le Léviathan, ce monstre marin dont Hobbes a fait l’incarnation du pouvoir d’État : une entité dont cette société-ruche a tout de même besoin, dont elle ne saurait entièrement se passer, puisque c’est en échange des produits qu’elle tire de sa chasse au Léviathan qu’elle peut se procurer les aliments et les biens lui permettant d’assurer
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sa survie. Les habitants de l’île de Nantucket sont gouvernés par les seules règles de leur propre communauté, des règles qu’ils transmettent à leur enfants par « la force de l’exemple, laquelle est supérieure au plus puissant des instincts naturels ». Cette collectivité n’a pas besoin de recourir au pouvoir d’État et à ses structures de représentation politique pour que les volontés privées se conjuguent harmonieusement en une volonté commune. Les gens de Nantucket vivent comme les abeilles et les fourmis de Hobbes. Ils échappent, à l’image des abeilles s’évadant du jabot du tyran tritri, à l’emprise de l’État-Léviathan dont ils ne cessent d’ouvrir et de fouiller les entrailles au cours de leurs expéditions de chasse à la baleine. Mais il est une autre et ultime occurrence de la figure des abeilles dans l’œuvre de St. John de Crèvecœur. Elle se trouve dans les tout premiers mots de son Traité de la culture des pommes-de-terre : De même qu’une Abeille, après avoir parcouru les champs lointains, ne rentre jamais dans la rûche, sans y rapporter la portion de miel & de cire que lui demande la république ; de même tout bon Citoyen qui voyage, doit à son retour un tribut de lumières, d’observations & de connoissances, proportionné à son intelligence.
Cette fois, St. John de Crèvecœur s’identifie à cette abeille, qu’il assimile du même souffle à un bon citoyen qui, comme il l’écrit plus loin, espère pouvoir se flatter : de n’avoir pas voyagé en vain, &, […] être mis dans la classe des Citoyens qui cherchent à faire le bien ; == récompense trop étendue peut-être pour un si foible Essai, mais qui cependant appartient à l’Abeille mal-adroite ne rapportant que de la Cire, comme à celle qui plus fortunée retourne à la rûche, chargée du miel le plus doux & le mieux préparé ! — Tels sont mes souhaits16.
St. John de Crèvecœur a certes rapporté de son séjour en Amérique une somme assez importante de connaissances et d’expériences pouvant s’avérer utiles aux compatriotes avec lesquels il renoue en réintégrant le sol français. Mais cette abeille en a aussi, et surtout, rapporté quelque chose qui peut être présenté comme « un tribut de lumières, d’observations & de connoissances, proportionné à son intelligence » : un livre qui s’intitulera Lettres d’un fermier américain.
Conclusion
Comment concilier la figure des quakers de Nantucket se libérant de l’ÉtatLéviathan de la même manière que les abeilles échappent à leur tyran, avec celle des Canadiens d’avant la Conquête ? Malgré le grand nombre de similitudes entre les représentations de ces deux peuples disséminées dans l’ensemble de l’œuvre de St. John de Crèvecœur, on ne saurait évidemment pas affirmer qu’en mettant les quakers de Nantucket au centre des Lettres d’un fermier américain, St. John de Crèvecœur y met du même coup les Canadiens. Mais les divers rapprochements entre le destin des Canadiens d’avant la Conquête et celui des habitants de Nantucket qui parsèment les textes de l’auteur permet à tout le moins de faire un constat. Ce qu’il a été possible de découvrir au fil de notre enquête permet de contredire plusieurs suppositions avancées par nombre des chercheurs qui se sont penchés sur l’œuvre et l’existence de St. John de Crèvecœur. Les événements qui ont ponctué sa carrière militaire, et plus particulièrement les soupçons qui ont pesé sur lui au cours des dernières semaines de son séjour en Nouvelle-France, doivent certes figurer parmi les principaux moments marquants de son existence. Mais ils ne constituent par pour autant une des principales clés de son œuvre. Si St. John de Crèvecœur avait un secret dont il craignait la révélation, il se situe dans les manuscrits qu’il a préféré ne pas publier de son vivant. Ce secret ne tient pas aux prises de positions loyalistes et antirebelles qui s’expriment dans ces textes mais, pour reprendre les mots de Brissot de Warville, à la « variation dans [l]a conduite » de St. John de Crèvecœur à l’époque des premiers jours de la guerre d’Indépendance : aux changements d’allégeances que manifestent ces écrits.
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Le cumul des occurrences de la figure des abeilles dans son œuvre signale que ces changements d’allégeance ne sont pas liés au fait que St. John de Crèvecœur hésitait à se faire le partisan de la forme particulière de gouvernement républicain que les rebelles voulaient mettre en place ou de celle dont les Loyalistes préconisaient le maintien. Ils sont tributaires d’une méfiance envers toute forme de pouvoir d’État. Cette méfiance traverse son œuvre sous la forme d’un ensemble de confrontations et d’oppositions entre deux réseaux d’images : d’une part un État-Léviathantyran tritri et, d’autre part, des abeilles que les Lettres d’un fermier américain assimilent entre autres aux quakers de Nantucket. Ces chasseurs de baleines-Léviathans présentent diverses particularités qui les apparentent aux Canadiens d’avant la Conquête, lesquels font montre d’un caractère singulier : ils sont aussi différents des Indiens que des Français, ce qui leur donne une identité qui n’est ni tout à fait celle d’un Indien ni tout à fait celle d’un Européen. À la fin des Lettres d’un fermier américain, James cherche à fuir les effets désastreux des deux pouvoirs d’État entre lesquels il se retrouve coincé : le nouvel État que veulent imposer les rebelles et un État britannique renouvelé, plus autoritaire qu’auparavant. Ce projet de fuite laisse entrevoir que James et sa famille subiront la même expérience de transplantation que doit connaître l’Européen afin de devenir un « nouvel homme », un authentique américain. Un des éléments qui permettra aux enfants de James de devenir de nouveaux hommes tient au caractère qu’ils développeront en vivant à la limite de la forêt sauvage et des zones agricoles soumises à l’influence des Européens. Cette nouvelle identité, espère James, sera ni tout à fait celle d’un Indien ni tout à fait celle d’un Européen ; elle sera donc très semblable à celle que la « Description d’une tempête de neige au Canada » prête aux Canadiens et qui faisait qu’« ils étaient vraiment un nouveau peuple ». James met un terme à ses Lettres d’un fermier américain en formulant l’espoir de voir chacun de ses enfants devenir un nouvel homme qui ressemble étrangement à ce que St. John de Crèvecœur aurait lui-même pu être n’eût été de la conquête de la Nouvelle-France : un Canadien. Le mot « Canadien » devient ainsi, dans l’œuvre de St. John de Crèvecœur, le nom de ce qu’on devient lorsqu’on est en fuite : il est l’inscription d’un point de fuite déterminant l’ensemble de la perspective de cette œuvre — et apparaît alors le point de convergence entre les expériences qu’il a pu vivre en Nouvelle-France et la position qu’occupent les figures du Canada et des Canadiens dans ses écrits. De tous les écrits de St. John de Crèvecœur, la « Description d’une tempête de neige au Canada » est la plus intimement liée aux expériences
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qu’il a pu vivre en Nouvelle-France. Le récit se présente globalement, pour le dire dans les mots de Thomas Philbrick, comme « une nostalgique évocation de la vie simple et heureuse que menaient les Français du Canada avant la conquête britannique ». Mais voilà que ce texte est également un des rares écrits où, toujours selon Philbrick, notre auteur « se présente à son lecteur sans mettre de masque sur son visage1 ». Il s’agit en effet d’un des seuls textes de St. John de Crèvecœur où ce dernier s’adresse à ses lecteurs sans passer par l’intermédiaire d’un personnage. Dans les Lettres d’un fermier américain, notre homme s’exprime par la voix de James. Contrairement à ce qu’ont fait de nombreux commentateurs, on ne saurait considérer ce narrateur comme une entité totalement transparente, par l’intermédiaire de laquelle l’auteur du livre parlerait à la première personne sous un simple nom d’emprunt. On l’a vu : la vie de St. John de Crèvecœur ne coïncide qu’en de rares occasions avec celle de son personnage. La seule scène de l’ouvrage dont on peut être à peu près certain du caractère autobiographique est celle où James raconte : lorsque je laboure mes basses terres, je pose mon petit garçon sur un siège qui se visse à la flèche de la charrue — ses mouvements et ceux des chevaux lui plaisent, il est parfaitement heureux et commence à babiller.
Le témoignage de Robert de Crèvecœur permet de croire à l’authenticité de cette anecdote dans la mesure où il affirme avoir « entendu plus d’une fois [son] aïeul Louis de Crèvecœur parler de cette promenade en charrue, un des premiers souvenirs de son enfance2 ». Un certain nombre des récits dont les versions anglaises sont demeurées inédites du vivant de St. John de Crèvecœur se caractérisent par un ton et une teneur similaires à ceux des textes que les Lettres d’un fermier américain attribuent à la plume de James. Plusieurs paraissent même être des textes que l’auteur aurait originellement prévu inclure à cet ouvrage : St. John de Crèvecœur s’y exprime donc sous le même masque que dans son livre. D’autres font état d’un point de vue trop ouvertement critique envers les tenants du parti rebelle, qui ne saurait être cohérent avec les prises de position plus nuancées de James. Ces écrits « loyalistes » mettent cependant en scène des entités narratives possédant de caractéristiques qui ne permettent pas d’affirmer que St. John de Crèvecœur y parle en son nom propre. Les choses sont différentes avec la « Description d’une tempête de neige au Canada ». Les deux premiers tiers du texte sont présentés comme un témoignage des hivers du pays des Mohawks et du Canada. L’établissement dont St. John de Crèvecœur a été propriétaire se situait dans la vallée de l’Hudson, à la lisière des régions qu’on identifiait alors comme
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le pays des indiens Mohawks. Le récit met également en scène l’envoi « du bon nègre Tom », un des esclaves de la ferme, à la rescousse des enfants de son maître surpris par la tempête tandis qu’ils étaient à l’école : Tom les retrouve et les ramène sains et saufs à la maison après les avoir fait monter sur son cheval ; on nous précise alors que deux des enfants trouvent place sur la monture derrière leur sauveur et qu’un autre « est monté devant ». Ces enfants sont donc au nombre de trois et St. John de Crèvecœur a bel et bien eu trois enfants à l’époque où il vivait à Pine Hill. Ainsi a-t-on affaire à un texte dont le narrateur est doté d’une identité qui s’apparente à celle de l’auteur. St. John de Crèvecœur a porté dans la « vraie vie » un masque similaire à celui qu’il endosse dans l’ensemble de ses récits : le nom qu’il a fait sien est, à l’image de ses textes, un mélange de réalité et de fiction. St. John de Crèvecœur est le nom d’une identité d’emprunt, que notre auteur s’est inventée afin de désigner le « nouvel homme » qu’il a choisi de devenir en s’installant dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord. Il s’est par ailleurs montré extrêmement attaché à ce nom et à l’identité nouvelle qui lui était liée. Il a toujours refusé de s’identifier autrement qu’en employant ce nom. Cette identité d’emprunt, dont il s’est réclamé dans la réalité, est, comme ses textes, une quasi-fiction. En signant l’édition originale de ses Letters from an American Farmer du nom de J. Hector St. John, l’auteur a fait en sorte que les lecteurs croient que l’initiale figurant sur la couverture du livre désigne James, le personnage fictif mis scène dans l’ouvrage. Dans les versions françaises du livre, la plupart des chapitres traduits et adaptés de la version originale anglaise, de même que plusieurs de ceux que l’auteur ajoute à son ouvrage à l’occasion de la parution des Lettres d’un cultivateur américain, sont signés St. John. Ce nom devient celui d’un personnage de quasi-roman, dont l’existence se confond et se limite au récit au sein duquel il apparaît. St. John est à la fois le nom fictif que s’est donné l’homme né sous celui de Michel-Guillaume Jean de Crèvecœur, et le nom d’un personnage de fiction. St. John est, d’une part, un nom de plume et, d’autre part, le nom d’un être qui n’a d’existence que sur le papier, qui naît d’une plume. Qui est donc, alors, le vrai St. John de Crèvecœur ? Albert E. Stone a peut-être la réponse la plus juste : « Il est, avant toute chose, un homme de noms d’emprunts et de déguisements3 » — un être dont l’identité est difficilement saisissable, qui présente un caractère particulièrement fuyant. Les seuls aspects de l’existence de St. John de Crèvecœur dont on peut être à peu près certain datent de l’époque de sa vie qui commence par son retour en France et la publication de la version originale anglaise des Letters from an American Farmer. Nous sommes forcés de nous satisfaire
Conclusion
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de déductions pour déterminer ce qu’a été son existence avant la publication de son principal ouvrage. C’est uniquement à partir du moment où le succès des Letters from an American Farmer et des Lettres d’un cultivateur américain fait de leur auteur un homme public que nous sommes en mesure de reconstituer avec une certaine facilité les principaux événements de sa vie. Ainsi devons-nous l’essentiel de nos certitudes à la célébrité que lui a valu la parution de son livre. Qui plus est, la vie que St. John de Crèvecœur a menée à la suite de cette parution a été en grande partie tributaire du succès remporté par ce livre. C’est grâce à la renommée des Lettres d’un cultivateur américain qu’il est devenu consul de France et qu’il a pu retourner aux États-Unis. Tous les événements qui marqueront dès lors son existence sont liés à la fortune de son livre. Les Lettres d’un fermier américain ont fait de St. John de Crèvecœur l’individu qu’il a été à partir de 1782. L’homme qui a été ainsi fait par son propre livre était très différent de celui qui a écrit, qui a fait ce livre — ce qu’a notamment compris Brissot de Warville, et plusieurs des premiers commentateurs des Lettres from an American Farmer l’ont intuitivement perçu. Le personnage que la renommée de son livre a fait de lui avait peu de choses en commun avec l’homme qui l’a écrit. Plus précisément, St. John de Crèvecœur n’était rien, n’était personne (était un nobody, dirait-on en anglais) avant la publication de son livre. Il est devenu quelqu’un grâce à son œuvre. Mais cette nouvelle identité n’est pas uniquement le fruit de cet élément circonstanciel que constitue le succès de son livre : elle surgit du livre lui-même. L’individu totalement inconnu du public qui signait ses Letters from an American Farmer du nom de J. Hector St. John n’avait pas d’identité particulière avant que certaines personnes ne commencent la lecture de son livre. C’est dans son livre et par ce livre que les lecteurs sont amenés à identifier le signataire de l’ouvrage au personnage de fermier américain qu’il met en scène. L’auteur se voit donc doté de cette identité par l’entremise de son livre : ce sont les Lettres d’un fermier américain qui font de St. John de Crèvecœur le fermier américain qu’il a voulu être lorsqu’il vivait à Pine Hill sous le nom de John Hector St. John. C’est en devenant un auteur célèbre, en devenant quelqu’un (somedoby), que St. John de Crèvecœur devient le simple fermier américain qu’il voulait être. Non seulement devient-il un fermier américain parmi tant d’autres : il devient le fermier américain, comme on peut le constater sous la plume de plusieurs commentateurs de l’époque, qui identifient souvent l’auteur des Lettres d’un fermier américain en le nommant « le fermier américain » ou « le cultivateur américain ». Il est même parfois difficile de déterminer si ces commentateurs parlent du livre ou de son auteur. Ils
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identifient l’ouvrage à la personne de son auteur en omettant d’écrire Letters from ou Lettres d’un, en réduisant son titre aux formules Le fermier américain ou Le cultivateur américain. Présenté de cette façon, l’ouvrage devient autre chose qu’un simple texte donnant la parole à un fermier américain : ce livre est le fermier américain — comme si cet être n’existait que par et dans ce livre ; comme si le fermier américain était un idéal qui n’existait pas ailleurs que dans un livre, dans cette quasi-fiction. Les Lettres d’un fermier américain sont certes l’œuvre d’un individu qui a effectivement été pendant un certain temps un fermier américain. Cependant, ce temps a été fort court : St. John de Crèvecœur a vécu du travail de sa ferme pendant tout au plus une dizaine d’années. Devenant le fermier américain après la parution de son livre, il devient pleinement ce qu’il a été, mais cela à un moment où il n’est plus et ne sera plus jamais ni fermier ni Américain : il est désormais redevenu français et vit de ses honoraires de consul. C’est à partir du moment où on l’identifie désormais à son livre, où il est l’auteur des Lettres d’un fermier américain, mais n’est plus un fermier américain, que St. John de Crèvecœur devient du même coup le fermier américain et une célébrité. St. John de Crèvecœur est le fermier américain non pas parce qu’il a effectivement vécu des travaux de sa ferme mais parce qu’il est l’auteur d’un ouvrage dans lequel les lecteurs découvrent un personnage leur apparaissant comme l’incarnation typique du fermier américain : un personnage qu’ils sont conduits à assimiler à l’auteur du livre par le truchement d’une stratégie narrative qui leur fait confondre les identités de l’un et de l’autre. St. John de Crèvecœur devient le fermier américain qu’il a décrit grâce à un des aspects de la structure énonciative de son écrit : son identité de fermier américain est purement une création littéraire. Et cette identité qu’on lui reconnaît lui vaut de connaître la célébrité : il devient le fermier américain en devenant quelqu’un de connu. Du temps où il était vraiment un fermier américain parmi tant d’autres, il était encore un inconnu : un nobody ; il devient enfin le fermier américain en autant qu’il devient quelqu’un, somebody — une trajectoire correspondant exactement à ce que James décrit, dans la Lettre III, « Qu’est-ce qu’un Américain ? », comme l’essence du devenir-(fermier) américain. « Qu’est-ce donc que l’Américain, ce nouvel homme ? », demande James. Les Américains sont des individus auxquels leur pays d’origine n’« accordait aucun autre titre que celui de pauvres » et qui, « en Europe, […] étaient des plantes inutiles » : des gens qui n’étaient rien et qui, en devenant des fermiers américains, acquièrent le rang de citoyens et deviennent enfin des hommes : deviennent quelqu’un ! Être américain, ce n’est pas être né, ou même seulement vivre en Amérique : être américain, c’est
Conclusion
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devenir quelqu’un — ce que, paradoxalement, St. John de Crèvecœur est devenu non pas en vivant en Amérique mais en devenant, en Europe, l’illustre auteur des Lettres d’un fermier américain. C’est la célébrité de St. John de Crèvecœur qui fait de lui l’incarnation de ce qu’il définit comme le devenir-américain. Tout ce qu’il est devenu, St. John de Crèvecœur le devait à son œuvre. Brissot de Warville nous a fait voir que l’auteur craignait que cette même œuvre finisse un jour par lui faire perdre ce qu’il lui devait. Comme nous croyons être parvenu à le démontrer, on ne saurait supposer que le secret que St. John de Crèvecœur pouvait redouter de voir dévoilé dans la foulée du succès qu’a connu son livre était lié à son passé. Bien que nous ayons été en mesure de lever partiellement le voile sur plusieurs mystères entourant l’existence qu’a menée St. John de Crèvecœur avant la parution des Lettres d’un fermier américain, et plus particulièrement en Nouvelle-France, il demeure certains segments de ce passé qu’il n’est toujours pas possible de sortir entièrement de l’ombre. Cependant, rien ne permet de croire qu’on pourrait y découvrir beaucoup d’éléments qui seraient liés d’une façon significative aux inquiétudes que lui a causées le succès de son livre. L’essentiel de ce qui a fait cet homme, c’est son œuvre. Aussi peut-on en conclure qu’on ne saurait comprendre l’homme qu’a été St. John de Crèvecœur en cherchant ailleurs que dans son œuvre et dans le rapport qu’il entretient avec elle. La seule fois où, dans sa lettre au Courier de l’Europe, St. John de Crèvecœur s’est porté à la défense de son œuvre, c’était essentiellement pour réfuter les arguments de ceux qui n’y voyaient rien d’autre qu’un roman, que de la fiction, et pour attester de l’authenticité de ce qu’il racontait. L’identité de St. John de Crèvecœur était à l’image de ces écrits : un mélange tout aussi fuyant de réalité et de fiction. Aussi, peut-être ne craignait-il pas tant que son œuvre puisse mettre éventuellement au jour la « variation dans sa conduite » au début de la révolution américaine, mais plutôt ce qu’elle pouvait dévoiler des variations de l’identité de l’homme sans cesse en fuite qu’il paraît avoir été. Ainsi qu’il l’a exprimé sous la plume de James, devenir quelqu’un après n’avoir été personne, devenir somebody après avoir été un nobody, devenir quelqu’un d’autre que celui qu’on était, constitue une expérience de changement, voire de déguisement identitaire intrinsèque au deveniraméricain. Mais St. John de Crèvecœur vivait dans un monde encore dominé par des principes aristocratiques voulant que le simple fait de naître dans certaines familles suffisait à faire quelqu’un de soi. Et ce sont principalement des gens de ce monde qui ont fait de St. John de Crèvecœur l’homme célèbre qu’il est devenu.
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Le point de fuite qui détermine l’ensemble de la perspective de l’œuvre de St. John de Crèvecœur pourrait bien être le fait qu’il n’a jamais été celui que l’on croyait être, ni celui qu’il voulait éventuellement devenir en fuyant la France : un Canadien.
Chronologie
1735
31 janvier : naissance de Michel-Guillaume Jean de Crèvecœur à Caen (Normandie).
c. 1750
Études chez les Jésuites au Collège royal de Bourbon (Caen).
c. 1754
Séjour en Angleterre, à Salisbury, chez des relations de sa famille.
c. 1755/1756 Arrivée en Nouvelle-France, au sein des troupes de la Marine, également dites troupes de la colonie, avec le grade de cadet-gentilhomme, sous le nom de Michel-Jean de Crèvecœur. 1757
Séjour dans la région du lac Champlain au sein de troupes de la colonie ; témoin du massacre du fort William-Henry ; réalisation d’un Plan du Fort-George appelé par les Anglois William-henri […].
1758
4 mai : lettre de Montcalm à François-Charles de Bourlamaque : « J’ai reçu une lettre de M. de Crèvecœur ; je vous prie de lui dire que je ne lui réponds pas, mais que j’aurai attention à ce qu’il m’écrit ; que je lui conseille de ne pas demeurer dans l’inaction, et, au moins, demander à Le Mercier à aller. »
25 juillet : St. John de Crèvecœur est transféré dans les troupes de terre et promu par Montcalm au grade de lieutenant de la compagnie de Rumigny, régiment de la Sarre.
1759
18 mars : lettre de Montcalm à François-Charles de Bourlamaque : « Je vous envoie un plan de Lydius que je crois exact. Ces trois maisons ou redoutes, je crois, sont liées avec le retranchement, quand il existe. Communiquez-le à vos ingénieurs. Crèvecœur en fera une copie, mais priez-le en particulier. Vous me renverrez ensuite cet original. »
La possession de ce que St. John de Crèvecœur décrira, dans sa lettre du 20 octobre, comme « un réceuil suivi et assés considerable, de tous les plans les plus interessants de cette partie de l’amérique ; et des ouvrages auxquels jetois employé au commencement de cette Campagne », conduit « des personnes jalouses » à le soupçonner de « vouloir
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St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américain
faire un mauvais usage » de ces documents « et chercher l’occasion de trahir la patrie » : s’ensuit un emprisonnement qui semble avoir été de courte durée.
13 septembre : St. John de Crèvecœur est à Québec au moment de la bataille des Plaines d’Abraham mais ne participe pas aux combats.
4 octobre : lettre de Benoît-François Bernier à Lévis : « Je ferai passer Crèvecœur en France ; je ne sais si d’autres le voudront. »
Mi-octobre : St. John de Crèvecœur démissionne de l’armée française.
20 octobre : lettre de St. John de Crèvecœur à Robert Monckton : « J’ose […] supplier très humblement votre éminence de vouloir bien me procurer les moyens de pouvoir passer en angleterre ; rejoindre des parents que jy ay ; ou d’aller à boston s’il ny a plus de vaisseaux qui ils soint d’estiné. daignés jay vous en conjure maccorder se passage sous telle qualité et telle forme que vous Le jugerés à propos. »
21 octobre : lettre de Benoît-François Bernier à Bougainville : « [Monckton] a ordonné pour demain l’embarquement de MM. de Tourville, Deschambault, de Léry, La Chevrotière et de MM. de Saint-Félix et de Crèvecœur, non comme prisonniers. […] M. de Saint-Félix accepte toute route qui le conduira en Europe, et Crèvecœur n’aspire qu’à aller chercher fortune ailleurs. [… I]l n’est pas possible de laisser embarquer nus et sans le sous tant nos officiers que ceux de la colonie, entre autres Crèvecœur, s’il part, qui abandonne tous ses appointements pour une médiocre somme ; et tout régiment qui expulse un officier lui donne ordinairement sa conduite. »
26 octobre : embarquement de St. John de Crèvecœur à bord d’un vaisseau de l’armée britannique à destination de New York.
5 novembre : lettre de Benoît-François Bernier à un destinataire inconnu : « J’ai donné à Crèvecœur deux cent quarante livres ; je ne pouvois moins faire pour nous en débarrasser. D’ailleurs, il ne seroit et ne pouvoit partir sans ce secours. Il m’a laissé un état de ses dettes actives et passives. »
16 décembre : arrivée du navire à New York.
1760
1er janvier : un « État des nominations dans les troupes de terre depuis le 15 novembre 1759 » signale que le « sieur Jean-Joseph-Barthélemy Déguisier, sous-lieutenant des grenadiers », a été nommé à « la lieutenance de la compagnie de Remigny » du régiment de la Sarre, place laissée « Vacante par l’abandon du Sieur de Crèvecœur ».
Le « Contrôle des Lieutenants » du régiment de la Sarre rend compte du fait que le dénommé « Crèvecœur (Michel Jean) » ne fait plus partie des rangs de l’armée en rayant son nom de la liste des officiers en service et en inscrivant la mention « abt. en 1760 ».
1760-1765
St. John de Crèvecœur voyage dans l’État de New York et les régions qui deviendront le Vermont, ainsi qu’en Pennsylvanie et peut-être en Jamaïque et aux Bermudes ; possible aller-retour au Portugal ; subvient
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Chronologie
à ses besoins en faisant du commerce et en exerçant ses talents de cartographe et d’arpenteur. 1765
23 décembre : le nom de John Hector St. John apparaît sur une liste d’étrangers naturalisés par l’assemblée de la colonie de New York.
1767
Séjour dans la vallée de l’Ohio.
1769
20 septembre : mariage de St. John de Crèvecœur avec Mehetable Tippet.
12 décembre : St. John de Crèvecœut achète une ferme dans le comté d’Orange (New York), à laquelle il donne le nom de Pine Hill.
1770
14 décembre : naissance de sa fille America-Frances, dite Fanny.
1771
5 août : naissance de son fils Guillaume-Alexandre, dit Ally.
c. 1772
« Un particulier de Normandie » s’adresse aux autorités britanniques afin d’obtenir « un Certificat de vie ou de mort » permettant de déterminer si « Michel Guillaume Jean de Crèvecœur », que l’on précise se dénommer également « de St. Jean ou de Jean », est en vie ou non.
1774
St. John de Crèvecœur séjourne dans la vallée de la Susquehanna.
22 octobre : naissance de son fils Louis.
1775
Premières escarmouches de la guerre d’Indépendance.
1776
Combats dans le comté d’Orange.
Septembre : les troupes britanniques occupent New York.
1778
19 février : les habitants du comté d’Orange s’inquiètent auprès des autorités rebelles « du fait qu’il soit permis à St. John d’aller à New York ».
1779
Début de l’année : St. John de Crèvecœur obtient un sauf-conduit lui permettant de rejoindre New York en compagnie de son fils Ally dans le but de s’embarquer en direction de la France.
Février : St. John de Crèvecœur évoque, dans une lettre, le passage de « quatre années de mépris, d’amendes, d’emprisonnements, etc. ».
Mai : un juge de paix britannique enquête à son sujet.
Début juillet : St. John de Crèvecœur réside à Long Island ; soupçonné d’espionnage au profit des rebelles, il est arrêté ; les autorités signalent la découverte, à cette occasion, d’un ensemble de manuscrits décrits comme « une sorte de journal américain tenu sans régularité, faisant un compte rendu d’événements qui se sont passés il y a de ça quelques années, occasionnellement entremêlé d’observations philosophiques et politiques ; ces dernières tendent à favoriser le camp du gouvernement et à jeter l’opprobre sur les agissements du parti adverse et sur la tyrannie de leur gouvernement populaire ».
Après un séjour en prison, St. John de Crèvecœur est libéré grâce à l’influence d’amis loyalistes.
1780
St. John de Crèvecœur souffre de troubles nerveux.
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St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américaine
Septembre : St. John de Crèvecœur quitte New York par bateau, en compagnie d’Ally ; naufrage sur les côtes d’Irlande.
Mi-octobre : St. John de Crèvecœur est de passage à Dublin.
1781
20 mai : vente, à Londres, de quinze lettres aux éditeurs Thomas Davies et Lockyer Davis pour la somme de « 30 guinées, et la promesse d’un cadeau si le public aime le livre ».
2 août : St. John de Crèvecœur réintègre la demeure ancestrale de Pierrepont, non loin de Caen.
27 août : début d’un échange de lettres avec Benjamin Franklin, alors à Paris.
26 septembre : dans une lettre à Franklin, signe pour la première fois du nom de St. John de Crèvecœur.
1782
Publication, à Caen, du Traité de la culture des pommes-de-terre, sous le pseudonyme de Normano-Americanus.
Publication à Londres des Letters from an American Farmer.
St. John de Crèvecœur réside à Paris ; rencontre madame d’Houdetot, ancienne flamme de Jean-Jacques Rousseau et vieille amie de sa famille, qui l’introduit dans les salons parisiens.
1783
St. John de Crèvecœur est nommé consul de France à New York grâce à l’influence de madame d’Houdetot.
Prépare, avec l’aide d’amis de sa protectrice, une traduction française des Letters from an American Farmer.
19 septembre : retour à New York.
Mi-décembre : sans nouvelles de sa famille depuis son départ des États-Unis, St. John de Crèvecœur apprend que sa ferme a été détruite, que sa femme est morte et qu’après avoir été hébergés par un voisin, Fanny et Louis ont été adoptés par Gustave Fellowes, de Boston.
1784
Début de l’année : St. John de Crèvecœur retrouve ses enfants à Boston.
Se consacre à ses activités consulaires.
Décembre : publication, à Paris, de la première édition, en deux volumes, des Lettres d’un cultivateur américain.
1785
Juin : retour de St. John de Crèvecœur en France pour des raisons de santé.
Entre en relation avec Jacques Pierre Brissot de Warville.
1787
Avril : publication à Paris de la deuxième édition, en trois volumes, des Lettres d’un cultivateur américain.
St. John de Crèvecœur participe, en compagnie de Brissot de Warville, aux activités de la Société Gallo-Américaine.
Juillet : retour à New York ; St. John de Crèvecœur effectue la traversée à bord du paquebot Courrier de l’Europe en compagnie du marquis Michel Chartier de Lotbinière.
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Chronologie
20 novembre : à New York, le marquis Chartier de Lotbinière décrit, dans son journal, une rencontre avec le consul St. John de Crèvecœur : « après déjeuner j’ai accompagné mr. auklair chés mr. St. Jean dit Crevecœur qu’il désiroit connoitre d’après la lecture qu’il avoit fait dans sa traversée de ses lettres d’un Cultivateur américain [… D]ans plus d’une heure qu’a duré cet Entretien sur ce païs, le sr. de Crevecœur se renfermant dans l’Enveloppe apparente d’un politique consommé qui ne veut pas se laisser pénétrer, (mais au réel pour ne pas se voir percé à jour sur son peu de fonds et de lumière réelle, même sur ce païs dont il parle dans ses lettres En homme instruit de tout jusqu’au plus petit détail), n’a cessé de répondre à toutes les questions que lui a faites mr. auklair “ vous verrés le tout par vous mêmes, c’est le seul moyen de bien voir ” ; Et du reste ne s’Est monté que sur de grands mots n’exprimant rien, mais qui à tout autre moins Eclairé que nous, auroient pû lui acquerir le nom de genie sublime, de politique du 1er ordre Et d’une prudence sur tous points à l’Epreuve de toute tentation même les plus chatouilleuse. »
1788
Séjour de Brissot de Warville aux États-Unis ; St. John de Crèvecœur évite de le fréquenter.
1789
Révolution française.
1790
13 avril : Fanny, la fille de St. John de Crèvecœur, épouse LouisGuillaume Otto, diplomate français en poste à New York.
31 mai : St. John de Crèvecœur quitte New York en direction de la France, où il arrive en juin ; il s’établit dans la maison ancestrale de Normandie.
7 juin : de New York, lettre du marquis Michel Chartier de Lotbinière à Renaud d’Avène des Méloises : « M. Otto chargé des affaires du Roi auprès de ces États-Unis est depuis huit à dix jours à Elisabethtown à 18 milles d’ici avec sa nouvelle femme, fille du fameux St. Jean de Crèvecœur, dont vous avez pu entendre parler dans la campagne de Québec, en 1759, qui a été pour lui la dernière à la vive demande des lieutenans et sous lieutenans de la Sarre ce qui l’obligea forcément à se réfugier de suite dans le haut de la rivière d’Albanie où végétant il faisait le métier d’arpenteur. »
1792
Otto est rapatrié en France en compagnie de Fanny qui séjourne pour la première fois dans le pays de son père.
Décembre : révocation de l’ensemble des diplomates nommés sous l’Ancien Régime.
1793-1794
La Terreur ; Brissot de Warville est guillotiné ; Ally se réfugie à Hambourg ; Louis retourne aux États-Unis.
1795
Mai : St. John de Crèvecœur rejoint Ally en Allemagne.
1796
Avril : retour en France.
Septembre : retour de Louis.
1787-1800
St. John de Crèvecœur mène une vie paisible en Normandie.
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St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américain
1801
Publication du Voyage dans la Haute Pensylvanie et dans l’état de New York.
1802
St. John de Crèvecœur visite Fanny et Otto à Londres.
1806
St. John de Crèvecœur réside dans la maison de campagne d’Otto à Lesches (Seine-et-Marne, non loin de Paris).
Juillet : mort de Ally.
St. John de Crèvecœur rejoint Fanny et Otto à Munich.
1807-1808
Séjour en Allemagne.
1809
Avril : retour de St. John de Crèvecœur en France à la suite de l’avancée des armées autrichiennes ; vie paisible dans la demeure d’Otto à Sarcelles (Val-d’Oise, non loin de Paris).
1813
Janvier : décès de madame d’Houdetot.
12 novembre : décès de St. John de Crèvecœur à Sarcelles.
Bibliographie
Documents d’archives « [Brevet de pension de la somme de 3,000 livres en faveur du comte Saint-Pierre] », Ottawa, Bibliothèque et Archives Canada, série B, lettres envoyées, C-4249, 27 mars 1740, fo 299-300. « Cadets, 1730-1746 » ; « Cadets de Rochefort, 1751 » ; « Cadets-gentilhommes, Rochefort et Île de Ré, 1755-1790 », Ottawa, Bibliothèque et Archives Canada, fonds des colonies, MG 1, série D2C, troupes des colonies, vol. XLIII, XLIV, XLV et XLVI. Chartier de Lotbinière, Michel, « Carillon, 1755 [sic : 1756] : Copie du journal » (copie tapuscrite), Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 971.031 C277ca. ––––––––––, « Journal du Marquis de Lotbinière » (copie tapuscrite), Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2 vol. ––––––––––, « Journaux de Michel Chartier de Lotbinière », Ottawa, Bibliothèque et Archives Canada, collection Michel-Eustache-Gaspard Chartier de Lotbinière, MG 18-K3, boîtes nos 3 et 4. ––––––––––, « Journaux de Michel Chartier de Lotbinière », Québec, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, centre d’archives de Québec, fonds Michel Chartier de Lotbinière, P 163. ––––––––––, « Lotbiniere manuscripts », New York, The New York Historical Society, Miscellaneous Manuscripts, microfilm no 26, 2. « Compagnies détachées en Canada, 1756, 1757 et 1758 », Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, centre d’archives de Montréal, France, archives du Ministère de la France d’outre-mer, troupes des colonies, vol. XLVIII. « Contrôle des Lieutenants, 1748-1763 », Ottawa, Bibliothèque et Archives Canada, service historique de l’armée (France), archives administratives, vol. CXXIV, Yb, microfilm F-792.
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Chevignard, Bernard, « II. Bibliographie de Saint-John de Crèvecœur », dans « Saint-John de Crèvecœur, Letters from an American Farmer et Lettres d’un Cultivateur Américain. Genèse d’une œuvre franco-américaine », thèse de doctorat, Bordeaux, Université de Bordeaux III, U.F.R. de langues, littératures et civilisations des pays anglophones, 1989, vol. I, fo 125-180. Cutting, Rose Marie, John and William Bartram, William Byrd II and St. John de Crèvecœur. A Reference Guide, Boston, G. K. Hall & Co., 1976, 174 p. Davis, Robert Beale, « Crevecœur, Hector St. John », dans American Literature Throught Bryant, 1585-1830, New York, Appleton-Century-Crofts, Educational Division, Meredith Corporation, 1969, p. 64-65. Faribeault, Georges-Barthélémi, « 179. Crèvecœur, (Hector St. John de) — Letters from an American Farmer […] ; 180. Lettres d’un cultivateur américain […] », dans Catalogue d’ouvrages sur l’histoire de l’Amérique et en particulier sur celle du Canada, de la Louisiane, de l’Acadie et autres lieux, ci-devant connus sous le nom de NouvelleFrance, avec des notes bibliographiques, critiques et littéraire, s.l. [Québec], s. éd., 1837, p. 86-87. Gagnon, Phileas, « 542. Crèvecœur (St. John de). Lettres d’un cultivateur américain […] », dans Essai de bibliographie canadienne. Tome II. Inventaire d’une bibliothèque comprenant imprimés, manuscrits, estampes, etc. relatifs à l’histoire du Canada et des pays adjacents ajoutés à la collection Gagnon, depuis 1895 à 1910 inclusivement, d’après les notes bibliographiques et le catalogue de l’auteur, Québec, Cité de Montréal, 1913, p. 76. Kerr, Robert, et William Stevenson, « 810. Lettres d’un Cultivateur Americain […] », dans A General History and Collection of Voyage and travels, arranged in Systematic Order Forming a Complete History of the Origin and Progress of Navigation, Discovery and Commerce, by Sea and Land, from the Earliest Ages to the Present Time, Edimbourg et Londres, W. Blackwood, T. Cadell, 1824, p. 622. Leary, Lewis, « Crèvecœur, J. Hector St. John », dans Articles on American Literature, 19001950, Durham, Duke University Press, 1954, p. 64. ––––––––––, et John Auchard, « Crèvecœur, J. Hector St. John », dans Articles on American Literature, 1968-1975, Durham, Duke University Press, 1979, p. 105. ––––––––––, Carolyn Bartholet et Catharine Roth, « Crèvecœur, J. Hector St. John », dans Articles on American Literature, 1950-1967, Durham, Duke University Press, 1970, p. 98-99. National Union Catalog, The, Pre-1956 Inprints, vol. CXXVII, Credner, W (O) — Croonian, NC 0788717 – 0788753, Londres, Mansell Information Publishing Limited, 1971, 608 p. Sabin, Joseph, Dictionary of Books Relating to America from its Discovery to the Present Time, New York, J. Sabin & Sons, 1873, vol. V, 575 p.
Page laissée blanche intentionnellement
Notes Présentation – Une opération de rapatriement 1.
Anonyme, « Library of Congress Acquires Crèvecœur Manuscripts through Gift of the Cafritz Foundation », 1987, p. 44. — Afin de réduire au minimum le nombre de notes, nous nous sommes limité à ne préciser que les références de nos sources primaires. Nous ne donnons donc pas les références de nos emprunts implicites aux diverses sources secondaires (travaux sur la vie et l’œuvre de St. John de Crèvecœur, sur la société et la culture états-uniennes à l’époque de la révolution américaine, etc.) lorsque nous y puisons des renseignements qui participent des connaissances établies du domaine des études crèvecœuriennes et des événements de la période qui nous concerne. Nous indiquons cependant les sources des citations tirées de ces travaux et celles de nos références à des renseignements dont la connaissance est redevable aux travaux particuliers d’un auteur. La quasi-totalité des renvois sont donc constitués de références bibliographiques. On y retrouve tout de même un nombre restreint de « notes » comme telles, constituées de compléments d’information, ainsi que de citations et de références à l’appui d’assertions d’ordre théorique.
2.
On aura compris que cette opposition mineur/majeur renvoie aux travaux de Gilles Deleuze et Félix Guattari : voir, entre autres, Capitalisme et schizophrénie. Mille plateaux, 1980, et Kafka. Pour une littérature mineure, 1989.
3.
Afin de faire la distinction entre les références à l’édition originale de l’ouvrage et celles à ses deux adaptations françaises, on se servira du titre Letters from an American Farmer pour identifier spécifiquement la version anglaise du livre. Lettres d’un cultivateur américain désignera les adaptations françaises publiées en 1784 et 1787 par les soins de St. John de Crèvecœur. Lettres d’un fermier américain renverra pour sa part à la traduction française de l’édition originale publiée dans le présent ouvrage et on se servira de ce titre pour désigner l’œuvre en tant que telle, indépendamment des particularités qu’elle présente dans son édition originale et dans ses adaptations françaises.
4.
Anonyme, « Letters from an American Farmer […] », 1782, p. 272, 273, 276, 278 ; C., « Letters from an American Farmer […] », 1782, p. 263. — À moins d’indication contraire, toutes les traductions de l’anglais contenues dans le présent ouvrage sont de nous. Dans le cas des traductions de documents anciens, nous avons normalisé leur ponctuation et leur emploi des majuscules conformément à l’usage actuel du français.
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St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américaine
5.
Anonyme, « Art. I. Letters from an American Farmer […] », « Art. X. Letters from an American Farmer. Continued […] », « Art. VIII. Letters from an American Farmer, concluded […] », 1782, p. 401, 140, 277.
6.
Anonyme, « 79. Letters from an American Farmer […] », « 96. Letters from an American Farmer […] », 1782, p. 440, 533.
7.
Anonyme [attribuable à Jacques Pierre Brissot de Warville], « Letters from an American Farmer, &c. […] », 1783, p. 168 ; [Jacques Pierre Brissot de Warville], « Letters from an American Farmer, ou Lettres d’un Cultivateur Américain », 1784, p. 286, 278. — Les transcriptions de textes d’époque reproduisent l’orthographe, les particularités typographiques (italiques, majuscules, lettrines, etc.) et la ponctuation originales de ces documents. Seuls les « s » longs, caractéristiques de la typographie du XVIIIe siècle, ont été remplacés par les « s » courts actuellement en usage. Les nombres sont présentés en chiffres ou en lettres, selon la forme employée dans le texte d’origine. Les erreurs qui nous ont semblé n’être rien de plus que des coquilles ne témoignant pas des particularismes ni des fluctuations orthographiques et typographiques de l’époque ont été corrigées et sont signalées par l’emploi de crochets.
8.
[Pierre-Louis de] Lacretelle, « Lettre au Rédacteur du Mercure », 1783 ; Anonyme, « Réponse à la Lettre du Cultivateur Américain adressée à l’Auteur du Mercure le 2 Février 1783 », 1783 ; Anonyme, « Au Rédacteur du Courrier de l’Europe. Sur l’Esclavage des Nègres », 1783 ; Anonyme, « Courte Réponse à la Lettre de M. C… sur l’esclavage des Nègres », 1783 ; [Pierre-Louis de] Lacretelle, « Lettre au Rédacteur du Mercure », 1784, p. 148-149 ; L. C. [Pierre-Louis de Lacretelle], « Lettres d’un Cultivateur Américain, écrites à W. S. Ecuyer […] », « Fin de l’Extrait des Lettres d’un Cultivateur Américain, écrites à W. W. Ecuyer […] », 1785.
9.
[Jakob Henri Meister], « Lettres d’un cultivateur américain, écrites à M. W. S., écuyer […] », dans Correspondance littéraire, philosophique et critique, 1880, vol. XIV, p. 88-89.
10.
Anonyme, « Lettres d’un Cultivateur Américain écrites à W. S., Ecuyer […] (Premier Extrait.) », « Lettres d’un Cultivateur Américain écrites à W. S., Ecuyer […] (Second Extrait.) », « Anecdote tirée des Lettres d’un Cultivateur Américain », 1785, p. 157, 158, 159, 171-172.
11.
[Élie Fréron], « Lettres d’un Cultivateur Américain, écrites à W.— S., Ecuyer […] », « Lettres d’un Cultivateur Américain, écrites à W. S., Ecuyer […] Second extrait », 1785, t. 2, Lettre V, p. 73-74, t. 4, Lettre IV, 106-107.
12.
Jean François Delaharpe, dit de La Harpe, « Lettre CCXIII », dans Correspondance littéraire adressée A Son A. I. Mgr le Grand-Duc, 1968, vol. III, p. 243-244.
13.
Anonyme, « Lettres d’un Cultivateur Américain, adressées à W…m S…on Esqr […] », 1787, p. 226 ; Anonyme, « Lettres d’un Cultivateur Américain adressées à W. P… [sic] […] », 1787, p. 47 ; Anonyme, « Lettres d’un Cultivateur Américain, adressées à Wm S…on Esqr […] », 1787, p. 1003.
14.
« Reprints from Crèvecœur », dans Julia Post Mitchell, St. Jean de Crèvecœur, 1916, p. 346-350.
15.
Benjamin Franklin, « To the Earl of Buchan. Lands and new Settlements in America », 17 mars 1783, dans The Works of Benjamin Franklin, 1844, vol. IX, p. 487 ; « A Good People To Live Among », janvier 1784, dans Writings, 1987, p. 1083.
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Notes
16.
St. John de Crèvecœur, Lettres d’un cultivateur américain, 1787, vol. I, p. 11-12.
17.
Benjamin Franklin, cité dans « Franklin praises Crèvecœur’s “ Letter ” and comments on the use of the steam engine » : Christie’s. Books and Manuscripts, vente no 9806, 29 octobre 2001.
18.
Miers Fisher, « un marchand quaker de Philadelphie », cité dans Howard C. Rice, « Some Notes, by Howard C. Rice, on The American Farmer’s Letters », 1934, s.p. [p. 37-38].
19.
George Washington, « To Richard Henderson », 9 juin 1788, dans Writings, 1997, p. 687-688.
20.
Observations on the Importance of the American Revolution, de Richard Price, paru en 1784.
21.
Avis à ceux qui voudraient s’en aller en Amérique, publié à Paris par Benjamin Franklin en 1784.
22.
« To Moustier », 9 août 1788 ; « From La Vingtrie » ; « To La Vingtrie », 12 février 1788 ; « From Bayard de La Vingtrie », 9 octobre 1789, dans The Papers of Thomas Jefferson, 1952-1971, vol. XIII, p. 492 ; vol. XII, p. 586 : vol. XV, p. 514.
23.
Ferdinand-M[arie] Bayard [de la Vingtrie], Voyage dans l’intérieur des États-Unis, 1797, p. v, 41, 43.
24.
Le « et » comme espace de l’entre-deux est le lieu (ou devrait-on dire le milieu) même du devenir dans la mesure où, comme l’écrivent Deleuze et Guattari : « Tout devenir est un bloc de coexistence », et que ce « et » exprime « la connexion […] qui se produit entre les éléments, entre les ensembles, et qui n’appartient à aucun des deux, qui leur échappe et constitue une ligne de fuite », c’est-à-dire une « ligne de devenir [, laquelle] ne se définit ni par des points qu’elle relie ni par des points qui la composent ; au contraire, elle passe entre les points, elle ne pousse que par le milieu », précisément là où le devenir trouve lieu : « Un devenir est toujours au milieu, on ne peut le prendre qu’au milieu. Un devenir est ni un ni deux, ni rapport des deux, mais entre-deux, frontière ou ligne de fuite » : Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie. Mille plateaux, op. cit., p. 358, 587, 359, 360. Notons aussi que les Letters from an American Farmer participent du romance, un genre littéraire que Northrop Frye décrit comme un « récit du “ et alors ” » (« “ and then ” narrative »), pour l’opposer au roman (novel), qui serait un « récit du “ conséquemment ” » (« “ hence ” narrative ») : Northrop Frye, The Secular Scripture. A Study of the Structure of Romance, 1978, p. 47-49.
25.
Claude François Adrien, marquis de Lezay-Marnézia, Lettres écrites des rives de l’Ohio, 1801, p. 51, note 3.
26.
A[ntoine] Jay, Le Glaneur, ou Essais de Nicolas Freeman, recueillis et publiés par M. A. Jay, 1812, p. 87.
27.
[Samuel Ayscough], Remarks on The Letters from an American Farmer : or, A Detectation of the Errors of Mr. J. Hector St. John ; Pointing out the Pernicious Tendency of these Letters to Great Britain, 1783, p. 25.
28.
Howard C. Rice, Le cultivateur américain, 1933, p. 227.
29.
Larzer Ziff, « The World Disrupted. Writing and Self-Division in Crèvecœur’s Farmer — Literary Embodiement of Revolutionary Conditions », dans Writing in the New Nation. Prose, Print, and Politics in the Early United States, 1991, p. 22.
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30.
« Ce qui est propre à l’Amérique, ce n’est […] pas le fragmentaire, mais la spontanéité du fragmentaire […]. En Amérique, l’écriture est naturellement convulsive […]. Si le fragment est l’inné américain, c’est parce que l’Amérique elle-même est faite d’États fédérés et de peuples divers immigrants (minorités) : partout collection de fragments » : Gilles Deleuze, « Whitman », 1993, p. 75-76.
31.
Howard C. Rice, Le cultivateur américain, op. cit., p. 105.
32.
D. H. Lawrence, « Hector Saint-Jean-de-Crèvecœur », dans Études sur la littérature classique américaine, 1948, traduction de Thérèse Aubry, p. 43 ; voir la version originale anglaise du texte : « Hector St. John de Crèvecœur », dans Studies in Classic American Literature, 1961, p. 27-28. Notons qu’il est erroné de traduire « kingbird » par « roitelet » : voir plus haut, p. xxx, note 3.
33.
Howard C. Rice, Le cultivateur américain, op. cit., p. 47, note 2 ; voir John T. Juricek, « American Usage of the Word “ Frontier ” from Colonial Times to Frederick Jackson Turner », 1966.
34.
Benjamin Franklin, « Join or Die » (1754) ; « The Rattle-Snake as a Symbol of America » (1775), dans Writings, op. cit., p. 375-377, 744-746. Les huits segments dont est constitué ce serpent sont identifiés aux initiales de la Caroline du Sud et de la Caroline du Nord (« S. C. » et « N. C. » : South Carolina et North Carolina), de la Virginie, du Maryland, de la Pennsylvanie (à laquelle était alors rattaché le Delaware), du New Jersey, de la province de New York et de la Nouvelle-Angleterre (« N. E. » : New England), c’est-à-dire le New Hampshire, le Massachusetts, le Rhode Island et le Connecticut.
35.
Robert P. Winston, « “ Strange Order of Things ! ” : The Journey to Chaos in Letters from an American Farmer », art. cit., p. 263.
36.
D. H. Lawrence, « Hector Saint-Jean-de-Crèvecœur », loc. cit., p. 46 ; voir la version originale anglaise : « Hector St. John de Crèvecœur », loc. cit., p. 30. D. H. Lawrence en conclut que « le vrai Crèvecœur n’est en somme ni fermier, ni enfant de la Nature, ni ophiolâtre. Le vrai Crèvecœur retourne en France, fréquente les salons littéraire et devient l’ami de Rousseau et de Mme d’Houdetot. Il est aussi un homme d’affaires avisé et s’occupe de transports maritimes entre la France et l’Amérique. En vérité, tout sombre dans le matérialisme — mais les Lettres ne nous le disent pas » : « Hector Saint-Jean-de-Crèvecœur », loc. cit., p. 46. Notons que St. John de Crèvecœur n’a jamais pu devenir un ami de Rousseau puisque ce dernier est mort en 1778, trois ans avant le retour en France de notre auteur. L’erreur n’est cependant pas de Lawrence mais de sa traductrice ; la version originale de la phrase est la suivante : « a friend of Rousseau’s Madame d’Houdetot » : « Hector St. John de Crèvecœur », loc. cit., p. 29, c’est-à-dire « un ami de cette Madame d’Houdetot chère à Rousseau ».
37.
Pierre Aubéry, « St John ou Crèvecœur ? L’ambiguïté des Lettres d’un cultivateur américain », 1975, p. 186.
38.
Un cinquième ouvrage de St. John de Crèvecœur a été récemment rendu public : le Voyage aux grandes salines tyroliennes de Reichenhall (1808), 2003. Ce texte se distingue de ses autres œuvres dans la mesure où il s’agit d’un ouvrage inachevé.
39.
Dans La nation québécoise au futur et au passé, Gérard Bouchard formule un ensemble de douze « thèmes » de recherche à exploiter « en priorité » afin de renouveler la compréhension de notre histoire, parmi lesquels figurent : « Le rapport culturel avec l’Europe, en particulier avec la France : comment il a été, lui aussi, le
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Notes
lieu d’une dépendance qui a longtemps détourné une partie de la culture de ses appartenances, de ses vocations et de ses responsabilités continentales », et : « La perspective générale des collectivités neuves et des culture fondatrices : analyser la société québécoise comme collectivité neuve dans le Nouveau Monde, en comparaison avec les autres collectivités neuves des Amériques, de l’Australasie, de l’Afrique » : 1999, p. 127-128, 131. 40.
Voir Yvan Lamonde, Ni avec eux ni sans eux. Le Québec et les États-Unis, 1996, p. 11.
41.
Voir notre Rendez-vous manqué avec la révolution américaine. Les adresses aux habitants de la province de Québec diffusées à l’occasion de l’invasion américaine de 1775-1776, 2007 ; Francis, Parkman, France and England in North America [1865-1884], 1983.
42.
Henry David Thoreau, A Yankee in Canada [1853], dans Excursions, 2007 ; Un Yankee au Québec [Un Yankee au Canada, 1962], traduit de l’américain par Adrien Thério, 1996 ; Victor-Lévy Beaulieu, Monsieur Melville, lecture-fiction [1978], 1997 ; Herman Melville, Moby-Dick of The Whale [1851], 1988, p. 39 ; Moby-Dick ou le cachalot [1851], traduction par Philippe Jaworski, dans Moby-Dick. Pierre ou les Ambiguïtés. Œuvres, III, 2006, p. 60 ; sur le séjour d’Emerson à Montréal, voir Robert Hébert, « Penser l’Amérique en Philosophie », dans Québécois et Américains. La culture québécoise aux XIXe et XXe siècles, 1995 ; Mark Twain, « Diner Speech in Montreal » [1881], dans Collected Tales, Sketches, Speeches, & Essays, 1852-1890, 1992 ; Walt Whitman, Specimen Days (Collected Prose [1892]), dans Poetry and Prose, 1982, p. 880-884 ; Comme des baies de genévrier. Feuilles de carnets, 1993, p. 365-372.
43.
Voir les pages que j’ai consacrées à ces questions : L’Immigrant Montréal, 1994, p. 43-47 ; « Série tango, Le milieu du tango à Montréal », 1995, p. 332-333 ; Pour en finir avec les intégristes de la culture, 1996, p. 60-62 ; « Yankees manqués. Esquisse d’un questionnement sur le devenir-américain de la culture québécoises », 1999.
44.
Bernard Andrès, « Le relais américain dans l’émergence des lettres au Québec (1764-1793) », 1993, p. 63.
Lettres d’un fermier américain suivies de « Description d’une tempête de neige au Canada » Lettres d’un fermier américan Notes sur le textes et la traduction 1.
Si le traducteur « teinte son style d’archaïsme, il crée une impression de déjà vu. Le texte étranger est ressenti moins comme un objet importé suspect par définition, que comme un élément du passé de chacun. Il est là “ depuis toujours ” et n’attend que d’être réexploité. C’est en fait un chaînon de la tradition, un moment égaré. Les
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grandes traductions naturalisent l’original étranger en substituant à une encombrante distance géographique et linguistique une autre, plus subtile, intériorisée qui se place dans le temps. Le lecteur allemand de Shakespeare traduit par Wieland, Schlegel et Tieck éprouve l’impression flatteuse de tourner les yeux vers quelque chose qui est bien à lui. L’éloignement est celui de son propre passé historique. Aux accents de “ La Chanson du vieux marin ”, cru 1911, un Français pourrait supposer spontanément que Valéry Larbaud, cet amateur célèbre de curiosités littéraires, a ramené à la vie l’un de ces poèmes popularisés par les Odes et Ballades de Victor Hugo. Ce n’est pas la distance entre français et anglais qui rend le texte étrange, mais les orientations différentes de la sensibilité dans la poésie française contemporaine et le romantisme des premières conventions. Il s’en dégage une illusion de souvenir qui aide à faire entrer l’œuvre dans le répertoire national » : George Steiner, Après Babel. Une poétique du dire et de la traduction, traduction de Lucienne Lotringer, 1978, p. 320. 2.
Notons que c’est dans le Voyage dans la Haute Pensylvanie de St. John de Crèvecœur que le Trésor de la langue française informatisé relève les premières occurrences attestant de l’emploi du mot « cultivateur » sous forme d’adjectif.
3.
St. John de Crèvecœur, Lettres d’un fermier américain, traduit de l’anglais par Jean Lacroix et Patrick Vallon, 2002, p. 41.
4.
Traduction de Lacroix et Vallon, op. cit., p. 147, 92.
5.
Traduction de Lacroix et Vallon, op. cit., p. 34. Le texte d’origine se lit comme suit : « unfortunately our kingbirds are the destroyers of those industrious insects ; but on the other hand, these birds preserve our fields from the depredation of crows » : St. John de Crèvecœur, Letters from an American Farmer, 1782, p. 28.
6.
Traduction de Lacroix et Vallon, op. cit., p. 41 ; Letters from an American Farmer, op. cit., p. 40.
7.
Letters from an American Farmer, op. cit., p. 129, 132, 133, 146, 168, 169 ; traduction de Lacroix et Vallon, op. cit., p. 96, 98, 106, 121.
8.
Letters from an American Farmer, op. cit., p. 123, 128, 256 ; traduction de Lacroix et Vallon, op. cit., p. 92, 97, 98, 177.
9.
Letters from an American Farmer, op. cit., p. 102, 105 ; traduction de Lacroix et Vallon, op. cit., p. 80.
10.
Letters from an American Farmer, op. cit., p. 154 ; traduction de Lacroix et Vallon, op. cit., p. 111.
11.
Letters from an American Farmer, op. cit., p. 155, 211 ; traduction de Lacroix et Vallon, op. cit., p. 112, 147.
12.
Letters from an American Farmer, op. cit., p. 51, 96 ; traduction de Lacroix et Vallon, op. cit., p. 47, 76 ; St. John de Crèvecœur, Lettres d’un cultivateur américain, op. cit., vol. II, p. 284, vol. I, p. 96.
13.
Letters from an American Farmer, op. cit., p. 236 ; traduction de Lacroix et Vallon, op. cit., p. 164 ; Lettres d’un cultivateur américain, op. cit., vol. III, p. 47-48.
14.
Voir Anonyme, « Library of Congress Acquires Crèvecœur Manuscripts […] », art. cit.
15.
St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », Washington, Library of Congress, vol. I, fo 1.
16.
Ibid., fo 23, 37, 41, 45, 50.
527
Notes
Lettres d’un fermier américain Annonce 1.
Ce texte a vraisemblablement été rédigé par les éditeurs de l’ouvrage.
2.
Le 19 octobre 1781, à Yorktown (Virginie), l’armée britannique a été forcée de capituler et de remettre ses armes à l’Armée continentale des États-Unis d’Amérique. Au moment de la publication de l’ouvrage, des représentants des deux gouvernements étaient en train de négocier le traité de paix qui devait, en 1783, mettre fin à la guerre d’Indépendance.
3.
Ce paragraphe a été ajouté à l’occasion de la réimpression de l’ouvrage, en 1783. Deux autres adjonctions distinguent cette réédition de la publication originale. La première apparaît sur la page couverture, où une ligne supplémentaire annonce la présence d’un index ; la seconde est cet index figurant en fin de volume. Dans la mesure où cet index (compilé par les éditeurs et présentant de nombreuses erreurs) ne contribue en rien à la valeur littéraire et à l’intérêt de l’ouvrage, on a choisi de ne pas l’inclure dans la présente traduction.
4.
Au cours de 1783, St. John de Crèvecœur a été nommé consul de France à New York ; il a intégré sa résidence consulaire new-yorkaise en novembre de la même année.
À l’abbé Raynal 1.
Guillaume Thomas Raynal (1713-1796), auteur de l’Histoire philosophique et politique du commerce et des établissements des Européens dans les deux Indes. Dans la version originale, son nom est suivi de l’abréviation « F.R.S. » : Fellow of the Royal Sociey.
2.
Les documents de St. John de Crèvecœur conservés à la Bibliothèque du Congrès contiennent une copie manuscrite de la version anglaise de cette dédicace, accompagnée d’une traduction française réalisée de la main de l’auteur. Inédite jusqu’à ce jour, cette traduction démontre que, contrairement à ce qu’il affirme, St. John de Crèvecœur n’avait pas tout à fait perdu l’usage de sa langue maternelle au cours de son séjour aux États-Unis ; cependant, il s’exprimait désormais dans un français pour le moins laborieux : Voyés Monsieur un fermier Amériquain qui vous addresse dele Lointte Coste de Latlantiche, & presume defixer votre nom alatete deses foible Lucubrations pourquoy neSeraije pas permit dexplique Du Sentiment que Jay Tant defois ressentit dans mon cœur — Jacheté par Hasard votre ouvrage Politique & Philosophique Je LeLu aveque un plaisir Infini pour lapremière fois dema Vie Jay Contemplé Letat actuelle detouttes les nations, Jay Tracé an Suivant Le ramifications etendus dun e ce comerce qui devroît unir lenation ne mais actuellement qui convulse [illisible] ; Jay admiré cette benevolence universelle, & Cette qui non confinée aux Limittes etroittes devotre patrie, au contraire Semble Letendre atoutte Larace humaine comme avocat <en> eloquence & puissant & vous avés plaide La Cause deLhumanité enplaidant celle des pauvres africains — vous avés envisagés
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Ces provinces dans Leur véritable perspective comme Lasile dela liberté comme le bercau de Nations futures comme Le refuge de pau European pauvre — eh moy qui aime aussi mon Pays Tel quil est, pourquoy nemaidéje qui cequi pouroit mempeche daimer & derespecter Celuy dont Jai Tant admiré Lesouvrages Les deux Sentiments S’ont Inséparable, dumoins dans mon cœur — Je fixé votre genie a Latete de ma petitte étude & Jay Suivy mes petits Travaux guidé par Son effet real quoique Invisible, aujourdhuy Jexprime les Sanctifiés Sous les auspice de votre nom. La Sincérité des Motive qui me pressent Jespere vous empecherons depenser que cette addresse depourvüe dornement puisse contenir Rien que Leplus pur Tribut de Reverence de respect & daffections — il yaSans doubt une communionSecrette parmy les Geans de probité, de toutte les nations il ya une comutionSecrette qui Les unit par LaSimilitude des Sentiments, quoiqu’americain quoique un Individuel de cette Race Infortunée, pourquoy ne me Seroit il pas permit de Caisir quelquns des fils de cette Parentaye universelle quoique chaché — oui Je vous Lavoue Je men Saisy Lenom dune personne qui ne posede ny Titres ny dignitee qui atoutte Sa vie preferré [illisible] le plaisir Dont il jouit sur Saferme a tout autre Employement doit vous paroitre Insignificant & Inutille mais comme les Sentiments que Jay exprimé Cydessous Sont Lecho fidelle de Ceux de mes Compatriottes, enLeur nom comme au Mien permettés moy de me Sousscrire un Americain dela Pensilvanie. (St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 151-152, 151 bis-[151 ter]. — Dans les Lettres d’un cultivateur américain, cette dédicace à l’abbé Raynal est remplacée par une « Épitre dédicatoire » : « À monsieur le marquis de La Fayette, major général dans les troupes américaines » : op. cit., vol. I, p. i-v.
3.
Les six volumes de l’Histoire philosophique et politique du commerce et des établissements des Européens dans les deux Indes (rédigés avec la collaboration de plusieurs contemporains de l’abbé Raynal, dont Denis Diderot) ont été publiés pour la première fois en 1772. Réédité à maintes reprises au cours de la décennie qui a suivie, et condamné par les autorités françaises, l’ouvrage a exercé une grande influence, et a beaucoup contribué à la diffusion des idéaux démocratiques des Lumières. Une édition anglaise du livre est parue à Londres, chez Lockyer Davis, quelques années avant que le même éditeur ne publie les Letters from an American Farmer. Les commentateurs s’accordent pour reconnaître que la lecture du livre de Raynal a exercé une grande influence sur St. John de Crèvecœur.
4.
St. John de Crèvecœur a été naturalisé citoyen de la province de New York en 1765 sous le nom de John Hector St. John. En réduisant son premier prénom à la seule lettre « J. », il conduit ses lecteurs à croire que cette abréviation vaut pour James, le personnage que l’ouvrage présente comme l’auteur des lettres qui y sont rassemblées.
5.
Localité située à environ 175 kilomètres à l’ouest de Philadelphie. Dans les faits, St. John de Crèvecœur habitait près de la ville de Chester, dans l’État de New York. Dans l’édition originale, cette dédicace est suivie par une table des matières qu’on a choisi de ne pas inclure à la présente traduction.
Lettre I 1.
Cette lettre ne figure pas dans les manuscrits de St. John de Crèvecœur conservés à la Bibliothèque du Congrès ; sa rédaction semble avoir été plus tardive que celle des autres textes rassemblés dans l’ouvrage. La version française figurant dans les Lettres d’un cultivateur américain est sensiblement remaniée, restructurée et augmentée ;
Notes
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elle est présentée sous la forme de deux missives : « A Williams. S… Esq. Première lettre » et « Seconde lettre », respectivement datées « Carlisle, 18 Août 1770 » et « Carlisle, 22 Novembre 1770 » : op. cit., vol. I, p. 1-13, 14-51. 2.
Si ces livres ont appartenu au grand-père de James, la parution de ces ouvrages remonte au moins deux générations avant la rédaction de ces lignes ; ces publications datent donc au plus tôt du début du XVIIIe siècle. Les « Voyages » de Francis Drake (c. 1540-1595) désignent éventuellement la relation des navigations que le célèbre corsaire a entrepris en 1577 et qui est parue à Londres en 1628 sous le titre de The World Encompassed by Sir Francis Drake. Il existe des dizaines d’« Histoires » du règne de la reine Élisabeth 1ère d’Angleterre (1533-1603). L’ouvrage particulier auquel James fait référence pourrait être celui de William Camden paru à Londres en 1625 en quatre volumes : The true and royall history of the famous empresse Elizabeth, queene of England, France and Ireland &c. Quant aux « ouvrages de théologie écossaise », il s’agirait de publications issues de la Confessio scotica, c’est-àdire l’Église presbytérienne d’Écosse, d’inspiration calviniste, parues à la suite de la réforme instituée dans la seconde moitié du XVIe siècle par John Knox (1514-1572). Pourrait figurer parmi ces ouvrages une des nombreuses éditions du Book of Common Order, un livre de liturgie composé par John Knox et publié pour la première fois à Genève en 1556. — Soulignons que James fera plus loin des références à l’histoire écossaise (notamment aux traditions celtiques des Pictes), qu’il fera également état d’une haute opinion des mœurs et de la valeur de ses compatriotes d’origine écossaise, et que les pratiques religieuses des presbytériens de Nantucket lui paraîtront aussi dignes de respect que celles des quakers de l’île.
3.
St. John de Crèvecœur donne à plusieurs reprises la parole à des personnages qui utilisent les temps de verbes et le tutoiement archaïques (thou, thee) typiques des habitudes langagières des quakers de l’époque. L’idiome de ces derniers se distinguait de la langue du reste de leurs compatriotes par l’utilisation de ces pronoms et conjugaisons qui, après avoir été employés dans les traductions britanniques de la Bible réalisées aux XVIe et XVIIe siècles, n’étaient plus d’usage courant parmi les locuteurs de langue anglaise du XVIIIe siècle. Afin de respecter cette caractérisation linguistique des personnages, et pour faire en sorte qu’elle soit aussi manifeste en français qu’elle peut l’être en anglais, la traduction des phrases qui, dans le texte original, se distinguent par le recours à ce tutoiement biblique utilise la deuxième personne du singulier (mais sans tenter de reproduire en français les conjugaisons archaïques qui vont de pair avec ce particularisme pronominal), tandis que toutes les occurrences du pronom « you » ont été traduites sous la forme d’un voussoiement. Notons que le fait que l’épouse de James s’exprime en utilisant ce tutoiement archaïque permet de déduire qu’elle est de religion quaker.
4.
Il faut peut-être entendre dans cette phrase un écho du célèbre aphorisme de John Locke (1632-1704), figurant dans son Second Traité du gouvernement civil [1698] : « Au commencement, tout le monde était comme une Amérique » : Traité du gouvernement civil, traduction de David Mazel, 1992, p. 180.
5.
Les Lettres d’un fermier américain proposent une image fort flatteuse des quakers et des valeurs auxquelles ils adhèrent. Certains commentateurs en ont conclu que James était lui-même un adepte de ce mouvement religieux, comme semble l’être son épouse. Cette conclusion ne tient pas compte de la présence du personnage du ministre, présenté comme un pasteur auquel James est lié par une communauté de convictions. Ainsi que James le signalera lui-même dans une des lettres sur l’île de
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Nantucket, les quakers ne reconnaissent l’autorité d’aucun pasteur ; le simple fait qu’il accepte d’être sous la tutelle d’un ministre implique qu’il n’adhère pas à ce qui constitue un des principes fondamentaux du mouvement quaker. Ce ministre se présentera plus loin comme un diplômé de Yale, l’université de New Haven (Connecticut), fondée en 1701, dont l’allégeance religieuse la reliait à l’origine à l’assemblée de Westminster et à l’Église presbytérienne, mais qui s’est tournée du côté de l’anglicanisme vers le milieu du XVIIIe siècle. Enfin, lorsque le ministre souligne le fait que F. B. pourrait être en mesure d’aider le fils de James lorsque « le garçon aura affaire avec l’évêque », ces propos impliquent que James reconnaît l’autorité de l’évêque d’Angleterre et qu’il serait donc de religion anglicane. — Notons que cette conclusion n’est pas nécessairement en contradiction avec le fait, signalé précédemment, que le grand-père de James possédait des ouvrages de théologie écossaise, ce qui impliquait que son aïeul était presbytérien. James affirmera à plusieurs reprises que les Américains sont indifférents au sectarisme religieux, cela en soulignant notamment qu’il arrive fréquemment que des individus changent de confession au hasard des circonstances. Il est donc tout à fait possible, selon les principes de tolérance religieuse que vantent les Lettres d’un fermier américain, qu’un individu né dans une famille presbytérienne choisisse par la suite d’adopter les pratiques anglicanes, cela tout en étant marié à une femme qui, selon toute vraisemblance, est de confession quaker. 6.
Référence à l’Essai philosophique concernant l’entendement humain [1689], de John Locke, dans lequel le philosophe postule que « [t]outes les idées viennent par Sensation ou par Réflexion » et « qu’au commencement l’Ame est ce qu’on appelle une Table rase, vuide de tous caractéres, sans aucune idée, quelle qu’elle soit » : traduction de M. Coste, 1998, p. 61. L’expression latine « tabula rasa » n’apparaît cependant que dans une note appelée en marge de la traduction française de l’ouvrage réalisée au tournant du XVIIIe siècle ; elle est totalement absente du texte original en langue anglaise.
7.
Selon Thomas Philbrick, il pourrait s’agir d’Edmund Burke (1729-1797), le grand homme d’État anglais, un des porte-parole du parti Whig, dont certains des discours prononcés devant le Parlement de Londres en 1774 et 1775 (dans lesquels il se montrait, aux premiers jours de la rébellion, favorable à une politique de conciliation entre la couronne britannique et ses colonies d’Amérique du Nord) ont été publiés dans les journaux américains d’alors : St. John de Crèvecœur, 1970, p. 81. Il faut cependant noter que le fait d’identifier cet Edmund comme un « ami » permet de croire que l’épouse de James fait référence aux publications d’un membre de la Société des Amis, c’est-à-dire un quaker, ce que n’était pas Edmund Burke.
8.
Le texte original anglais présente l’expression « scribbling farmer » : St. John de Crèvecœur, Letters form an American Farmer, op. cit., p. 18. Dans une lettre à Thomas Jefferson, rédigée en anglais à New York le 18 mai 1785, St. John de Crèvecœur écrit (les mots « mais Seulement un Ecriveur » sont en français dans le texte) : « je ne suis pas un auteur mais Seulement un Ecriveur, que mon singulier destin a conduit de la culture factuelle de mes champs à l’état de consul, et de la description, pour un ami, de ce que j’ai vu et ressenti, à l’état d’auteur. Après tout, je ne suis qu’un griffonneur [« scribbler », dans le texte anglais], mais si les Européens peuvent se faire une meilleure idée qu’auparavant des Etats-Unis, j’en suis satisfait » : « From St. John de Crèvecœur », dans Thomas Jefferson, The Papers of Thomas Jefferson, op. cit., vol. VIII, p. 156.
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Notes
Lettre II 1.
Le manuscrit des Letters from an American Farmer s’ouvre sur celui de cette seconde lettre : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 3-18. La version française qui figure dans les Lettres d’un cultivateur américain sous le titre de « Pensées d’un cultivateur américain, Sur son Sort & les Plaisirs de la Campagne » (datée « Carlisle, 6 Mai 1771 ») est d’une teneur très proche de la version originale et y est insérée immédiatement à la suite des deux lettres qui adaptent la Lettre I : op. cit., vol. I, p. 52-88.
2.
Robert de Crèvecœur, arrière-petit-fils et premier biographe de notre auteur, signale avoir « entendu plus d’une fois [s]on aïeul Louis de Crèvecœur parler de cette promenade en charrue, un des premiers souvenirs de son enfance » : Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages (1735-1813), 1883, p. 25, note 2. Cette information permet de mettre cette anecdote au rang des rares éléments autobiographiques des Lettres d’un fermier américain.
3.
Dans De l’esprit des lois, Montesquieu signale, dans un chapitre intitulé « Bonne coutume de la Chine », que les « relations de la Chine nous parlent de la cérémonie d’ouvrir les terres, que l’empereur fait tous les ans. On a voulu exciter les peuples au labourage par cet acte public et solennel » : Œuvres complètes, vol. II, 1951, p. 481. Mais c’est peut-être dans l’Histoire philosophique & politique des Indes de l’abbé Raynal que St. John de Crèvecœur aura découvert qu’une des « fonctions publiques [des empereurs de la Chine] est d’ouvrir la terre au printemps avec un appareil de fête et de magnificence qui attire, des environs de la capitale, tous les cultivateurs. [… C’]est le père des peuples qui, la main apesantie sur le soc, montre à ses enfants les véritables trésors de l’État » : Histoire philosophique & politique des Indes, 2001, p. 20-21.
4.
Afin de comprendre l’interprétation que de nombreux commentateurs font du récit du combat entre les abeilles et le tyran tritri, il faut savoir que cet oiseau, dont la désignation scientifique est tyrannus tyrannus, s’appelle en anglais un kingbird : littéralement, un oiseau roi. Ainsi est-ce proprement de la gorge d’un « roi » que James libère un groupe d’abeilles qu’il présente explicitement comme des « abeilles américaines », ce qui justifie D. H. Lawrence de voir dans cette scène « une parabole de la résurrection américaine » : « Hector Saint-Jean-de-Crèvecœur », loc. cit., p. 43.
5.
Les Lettres d’un cultivateur américain précisent que le nom de ce fermier était « Jonathan Seabury », et que les événements évoqués se sont déroulés « dans le grand hiver de 1739 » : op. cit., vol. I, p. 74, 75.
6.
Dans le manuscrit, on trouve, à la suite de ces mots, la phrase suivante : « M. Locke dit que nous sommes nés sans Idées Innées, ce grand Philosophe a sans doute raison mais je suis certain que le Bétail ainsi que les Hommes viennent au monde avec un Caractère et des passions très différentes » : St. John de Crèvecœur, « Papers, 17801782 », op. cit., vol. I, fo 10. Cette remarque a certainement été retirée parce qu’il aurait été fort difficile de justifier la présence d’une pareille référence explicite à John Locke et à un des principaux postulats de son Essai philosophique concernant l’entendement humain sous la plume d’un personnage comme James, qui ne cesse de souligner le fait qu’il a reçu une éducation rudimentaire.
7.
Ces pigeons migrateurs (Ectopistes migratorius dans la classification de Linné ; Passenger Pigeon ou wild pigeon en anglais), également appelés colombes
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v oyageuses ou tourtes (les tourtières québécoises étaient, à l’origine, faites de leur viande), ont peut-être été les oiseaux les plus nombreux de la planète. De nombreux témoignages des XVIIIe et XIXe siècles signalent que les volées de ces pigeons pouvaient s’étirer sur plusieurs kilomètres. L’espèce est désormais extincte ; son dernier représentant, une femelle, est morte en 1914 au zoo de Cincinnati. 8.
Les quakers étaient et demeurent encore des pacifistes convaincus, qui refusent de recourir à la force des armes et toute participation à des entreprises guerrières. Avec l’honnêteté, l’égalité et la simplicité, le pacifisme constitue un des quatre principes fondamentaux de l’éthique quaker. Or, l’hirondelle est, au contraire, plutôt reconnue pour être un oiseau au caractère vindicatif… (d’après une communication personnelle d’Odette Melançon).
9.
Samuel Ayscough intègre cette anecdote du nid de frelons au nombre de ce qu’il juge être les divers faits incohérents et invraisemblables qui ponctuent le récit de St. John de Crèvecœur : Remarks on The Letters from an American Farmer […], op. cit., p. 12. Dans une lettre au Courier de l’Europe, St. John de Crèvecœur s’insurgera contre le fait que quelqu’un puisse laisser entendre « que l’anecdote du globe de frelons suspendu dans un appartement est une f[a]ble : que les incrédules aillent demander au Lord Adam Gordon, si lorsqu’en Compagnie avec la Duchess[e] sa belle sœur, il dîna chez Jacques Graham, Ecuyer, à Morrissiana, près Harlem à 1 1/2 milles de New-York, il ne vit pas un de ces globes suspendu dans l’appartement où il dînoit à dessein d’en chasser les mouches » : St. John de Crèvecœur, « Au Rédacteur du Courier de l’Europe », 1783, p. 296.
Lettre III 1.
Dans le manuscrit, ce texte est constitué de deux lettres, les cinquième et sixième de l’ensemble. Intitulé « Qu’est-ce qu’un Américain » (sans point d’interrogation), le segment qui constitue la première partie de la Lettre III figure à la suite de « L’Histoire de l’Hébridéen », lequel deviendra la seconde partie de cette lettre : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 79-88, 63-77. Les deux parties du texte étaient donc, à l’origine, deux lettres indépendantes l’une de l’autre. Il en est d’ailleurs de même dans les Lettres d’un cultivateur américain. La version française de la première partie du texte figure au second volume de l’ouvrage sous le titre d’« Esquisse » (datée « Baltimore, 10 mais 1771 »), tandis que l’« Histoire d’André l’Hébridéen » (datée « Lancaster, 17 Juillet 1771 ») se trouve dans le premier volume, immédiatement à la suite de la version française de la Lettre II : op. cit., vol. II, p. 276-330, vol. I, p. 89-119.
2.
Référence à l’Université Harvard, de Cambridge (Massachusetts), fondée en 1636.
3.
Évocation, ainsi que le précise par ailleurs la version française de ces mêmes lignes, de la déportation des Acadiens de 1755 : St. John de Crèvecœur, Lettres d’un cultivateur américain, op. cit., vol. II, p. 285.
4.
Sentence pouvant se traduire par « Le pain fait la patrie ». Il semble qu’elle soit issue de la tradition allemande luthérienne.
5.
Le recours au verbe « melted » dans la version originale anglaise de ce segment de phrase constitue la première apparition d’un des concepts fondateurs de l’identité états-unienne moderne : celui du melting pot, d’un creuset où se mêlent et se fondent les cultures de l’ensemble de la planète.
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Notes
6.
Référence au concept de la translatio studii (déplacement du savoir), une idée en vogue depuis l’époque de la découverte de l’Amérique, selon laquelle le progrès des savoirs suivait une course les conduisant à se déplacer graduellement d’est en ouest au fil des siècles. Au XVIIIe siècle, de nombreux Américains considéraient que le Nouveau Monde était le lieu de l’aboutissement de ce processus. En 1725, George Berkeley (1685-1753), auteur du Traité sur les principes du savoir humain, qui a par ailleurs séjourné quelques années en Amérique du Nord, définissait ce concept en lui donnant la forme d’un poème (The Works of George Berkeley, Bishop of Cloyne, 1955, vol. VII, p. 373) :
7.
Vers par l’auteur sur la perspective de l’implantation des arts et des connaissances en Amérique
La Muse, dégoûtée d’un âge et d’un climat Où elle ne trouve pas le moindre thème glorieux, Attend désormais en des terres lointaines des temps meilleurs Qui verront naître des sujets dignes d’être célébrés.
Sous d’heureux climats, ce genre de scène apparaît Grâce au soleil clément et à la terre virginale, Où la force de la nature semble l’emporter sur celle de l’art, Et le vrai sur les beautés imaginaires ;
Sous d’heureux climats où trône de l’innocence, Où la nature est le guide et règne la vertu, Où les hommes ne confondront pas la vérité et la raison Avec la pédanterie des cours et des écoles :
C’est là qu’on chantera un nouvel âge d’or, Le développement de l’empire et des arts, Le bien et la grandeur inspirant un emportement épique, Les esprits les plus sages et les cœurs les plus nobles.
L’Europe déclinante ne peut enfanter ; Ce qui est enfanté comme lorsqu’elle était naissante et jeune, Lorsque le souffle divin donnait vie à sa glaise, Sera chanté par les poètes du futur.
La course de l’empire chemine en direction de l’ouest ; Les quatre premiers actes sont déjà joués, Un cinquième achèvera la pièce à la tombée du jour ; Le dernier des fils du temps est le plus noble d’entre eux.
Les propos de James semblent faire écho à ceux de Claude-Adrien Helvétius qui postule que « [s]i l’univers physique est soumis aux loix du mouvement, l’Univers moral ne l’est pas moins à celles de l’intérêt. L’intérêt est sur la terre le puisant enchanteur qui change aux yeux de toutes les Créatures la forme de tous les objets. […] Ce principe est si conforme à l’expérience, que sans entrer dans un plus long examen, je me crois en droit de conclure que l’intérêt personnel est l’unique et universel appréciateur du mérite des actions des hommes » : De l’esprit [1758], 1988, p. 59, 60. Par ailleurs, le fait que l’ouvrage associe ouvertement la félicité sociale et politique du fermier américain à son statut de propriétaire terrien rappelle les positions développées par John Locke, qui consacre à la question de la propriété
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un chapitre entier de son Second traité du gouvernement civil : op. cit., p. 162-182. 8.
Montesquieu utilise la même image en 1721 dans ses Lettres persanes : « Les hommes sont comme les plantes, qui ne croissent jamais heureusement si elles ne sont pas bien cultivées : chez les peuples misérables, l’Espèce perd et même quelquefois dégénère » : Œuvres complètes, op. cit., vol. I, p. 314. Le réseau de comparaisons et de métaphores qui, tout au long des Lettres d’un fermier américain, assimilent l’homme à une plante, peut également être un écho des positions de Julien Offray de La Mettrie (1709-1751), auteur, en 1748, de L’Homme-plante, et qui écrit, la même année, dans L’Homme-machine, que l’homme « est une Plante ambulante, qui s’est elle-même transplantée ; si le Climat n’est plus le même, il est juste qu’elle dégénère, ou s’améliore » : Œuvres philosophiques, 1987, vol. I, p. 73.
9.
On doit éventuellement entendre dans ces propos un écho des positions de Thomas Hobbes (1588-1769), qui écrit, dans son célèbre Léviathan [1651], que lorsque « les humains vivent sans qu’une puissance commune ne leur impose à tous un respect mêlé d’effroi, leur condition est ce qu’on appelle la guerre ; et celle-ci est telle qu’elle est une guerre de chacun contre chacun ». Hobbes insiste également sur le fait que, comme cela est le cas, selon James, chez les pionniers de l’arrière-pays, « parmi les humains sans maître, il y a une guerre perpétuelle de chacun contre ses voisins » : traduction de Gérard Mairet, 2000, p. 224, 343.
10.
Cette idée selon laquelle le climat influence le développement des sociétés se retrouve chez Montesquieu, dans De l’esprit des lois, dont les livres XIV et XVIII sont consacrés à l’influence « de la nature et du climat » et de « la nature du terrain » sur les législations : op. cit., vol. II, p. 474-489, 531-536.
11.
La Pennsylvanie était reconnue pour ses lois permettant une très grande liberté de conscience.
12.
Membres de l’Église luthérienne, héritière directe de la réforme de Martin Luther (1483-1546), qui étaient et demeurent encore très présents en Allemagne.
13.
Seceder, en anglais ; membres du synode des séparatistes unis (Associated Synod of the Secession Church) : un groupe dissident de l’église presbytérienne d’Écosse.
14.
William Penn (1644-1718), fondateur de la Pennsylvanie, un des plus influents adeptes du mouvement religieux quaker.
15.
Assemblée qui s’est tenue en 1618-1619 dans cette ville des Pays-Bas (également appelée Dort, ainsi qu’on peut le lire dans le texte original) et qui a été le lieu de l’établissement du canon de l’Église réformée, d’obédience calviniste, dont s’inspirera entre autres Jonathan Edwards (1703-1758), le principal instigateur du Great Awakening : mouvement de « Grand Éveil » qui, au milieu du XVIIIe siècle, a profondément marqué la vie religieuse des colonies britanniques d’Amérique du Nord.
16.
James désigne régulièrement la communauté quaker sous le nom de Société des Amis : l’appellation officielle de ce mouvement, que ses adeptes préfèrent à celle de quakers, dont se servent ceux qui ne sont pas membres du groupe. Quaker signifie littéralement « trembleur » ; il s’agirait d’une allusion aux convulsions dont étaient pris certains des membres de la Société à l’occasion de leurs assemblées de culte ; d’autres y voient plutôt une évocation du fait que les membres de cette secte sont des gens qui tremblent à l’idée de provoquer la colère divine.
Notes
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17.
Cette idée voulant que le pluralisme religieux contribue au développement de la tolérance s’apparente à des propos qu’on retrouve sous la plume de Voltaire, qui écrit, dans ses Lettres philosophiques : « S’il n’y avait en Angleterre qu’une religion, le despotisme serait à craindre ; s’il y en avait deux, elles se couperaient la gorge ; mais il y en a trente, et elles vivent en paix heureuses » : dans Mélanges, 1995, p. 18.
18.
La Mettrie écrit : « La viande crüe rend les animaux féroces ; les hommes le deviendroient par la même nourriture » : L’Homme-machine, op. cit., p. 7.
19.
Membres de l’Église des Frères, généralement appelés Frères moraves, tenants d’une forme de piétisme instaurée au début du XVIIIe siècle par un comte saxon du nom de Nicolas-Louis de Zinzendorf et dont un certain nombre des disciples se sont installés dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord à partir de 1735.
20.
Les États du Connecticut, du Massachussetts, du New Hampshire et du Rhode Island.
21.
Allusion aux combats dont l’histoire de souvient sous l’appellation de Dunmore’s War, du nom de gouverneur virginien impliqué dans ces escarmouches.
22.
Un très grand nombre d’immigrants d’origine allemande, écossaise et irlandaise se sont installés en Pennsylvanie au cours du XVIIIe siècle. Aux environs de 1760, les Pennsylvaniens d’origine britannique ne comptaient que pour 30 % de la population de leur province ; on y dénombrait à peu près le même nombre de germanophones (Allemands et Néerlandais) ; les Irlandais et les Écossais composaient environ 20 % de l’ensemble.
23.
En identifiant son personnage à l’aide de ces initiales, St. John de Crèvecœur laisse entendre que le nom de famille de James pourrait être St. John, c’est-à-dire le nom qui apparaît sur la couverture de l’ouvrage, ce qui contribue à faire croire aux lecteurs que le signataire fictif de ces lettres et le signataire « réel » du livre sont une seule et même personne.
24.
De 1718 à 1776, l’Angleterre a exilé près de 50 000 criminels dans ses colonies d’Amérique du Nord, lesquels ont constitué près du quart des immigrants d’origine anglaise pour cette période.
25.
St. John de Crèvecœur n’a laissé aucun récit de son arrivée aux États-Unis. On verra cependant plus loin que le navire à bord duquel il est parti de Québec en direction de New York faisait partie d’une flotte de vaisseaux de guerre anglais. Or Mamoraneck est situé dans le Yonkers (la banlieue nord de New York), sur la côte Atlantique, à une vingtaine de kilomètres de l’embouchure de la rivière Harlem qui sépare l’île de Manhattan du continent. De plus, l’extrémité nord-ouest du comté de Westchester rejoint les limites des comtés de Rockland, de Putnam et d’Orange, et c’est dans ce dernier comté qu’était située la ferme de Pine Hill où St. John de Crèvecœur a vécu pendant près d’une décennie. Face à autant de coïncidences, il est difficile de se refuser d’évoquer la possibilité que, bien qu’elles soient rédigées à la troisième personne, ces quelques lignes aient une teneur autobiographique.
26.
Les Lettres d’un cultivateur américain précisent que le nom de cet Ami est « John Pemberton » : op. cit., vol. I, p. 93.
27.
Vers d’Alexander Pope (1688-1744), qui conclut la cinquième strophe d’un poème intitulé « La Prière Universelle », rédigé vers 1715 et publié en 1738 (The Poems of Alexander Pope, 1963, p. 247) :
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Quels que soient les Bienfaits que répandent tes gracieuses Bontés, Ne me les fait pas refuser ; Car Dieu est payé en retour lorsque les Hommes sont comblés, Profiter des bienfaits est une forme d’obéissance. Pope n’était cependant pas un Ami, c’est-à-dire membre de la Société des Amis : des quakers.
28.
Localité de Pennsylvanie, située à peu près à mi-chemin entre Philadelphie et Carlisle.
29.
Dans le manuscrit, on lit plutôt « Mc Neil » : St. John de Crèvecœur, « Papers, 17801782 », op. cit., vol. I, fo 70, 71.
30.
Les Lettres d’un cultivateur américain précisent cette destination : « je l’envoyai chez moi par le retour d’un des chariots de mes voisins » : op. cit., vol. I, p. 100.
Lettre IV 1.
Dans le manuscrit, les cinq prochaines lettres se présentent comme un texte continu, intitulé « Nantucket », et qui constitue le dernier texte de l’ensemble : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 153-212. Le texte est entrecoupé d’annotations proposant un découpage correspondant plus ou moins à celui figurant dans les Lettres d’un fermier américain. On y trouve de plus un ensemble d’intertitres dont les apparitions coïncident globalement avec le découpage de la version française de ce texte qui, dans les Lettres d’un cultivateur américain, est composé d’un total de seize lettres : op. cit., vol. II, p. 92-217. La première de ces lettres s’intitule « Description de l’isle de Nantucket » et est datée « Sherburn, 30 Août 1772 » : ibid., p. 92-108.
2.
Lycurgue (fin du IXe, début du Xe siècles av. J.-C.), législateur, est l’auteur mythique de la constitution de la cité de Sparte ; Solon (c. 640-c. 558 av. J.-C.), homme d’état et législateur, considéré comme un des Sept Sages de la Grèce antique, est l’auteur de la constitution qui a établi les bases de la démocratie athénienne. Une « Vie de Lycurgue » et une « Vie de Solon » figurent parmi Les vies des hommes illustres de Plutarque.
3.
Les Tupper étaient une des plus importantes familles du Massachusetts ; elle était entre autres liée au Mayhew, propriétaires de l’île de Martha’s Vineyard. Dans le manuscrit, une note indique que St. John de Crèvecœur aurait transmis deux cartes de Nantucket à ses éditeurs : « Ci-jointes, Je vous envoie Deux Cartes de l’Île de Nantucket, celle Identifiée No. 1, dessinée par Dr. James Tuppen Tupper Fils d’un Sheriff de l’Île l’autre Identifiée No. 2, Dessinée par un Indien très intelligent » : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 212. Cependant, nul n’a jamais retrouvé trace de cette seconde carte, qui n’a pas été reproduite dans le livre.
4.
Ces indications présentent d’importantes inexactitudes. La latitude de Nantucket est de 41° 17’ nord, et l’île est sise (en indiquant en italiques les données qui diffèrent de celles figurant dans le texte) à 55 milles (environ 90 kilomètres) au sud de Cape Cod ; à 23 milles (un peu plus de 35 kilomètres) au sud-est de Hyannis ; à 21 milles (un peu plus de 30 kilomètres) au sud-est de Cape Poge ; à environ 35 milles (55 kilomètres) au sud-est de Woods Hole ; à 90 milles (145 kilomètres) au sud de Boston ;
537
Notes
à 75 milles (120 kilomètres) des rives du Rhode Island et à environ 800 milles (1 300 kilomètres) au nord-ouest des Bermudes. Ces imprécisions sont pour le moins surprenantes de la part d’un homme qui, comme St. John de Crèvecœur, semble avoir exercé pendant plusieurs années les métiers de cartographe et d’arpenteur. Elles permettent de supposer que l’auteur utilise des renseignements obtenus de seconde main, ce qui contribue à soutenir l’idée, défendue par la plupart des commentateurs de son œuvre et des historiens de Nantucket, selon laquelle St. John de Crèvecœur n’aurait jamais lui-même mis les pieds sur cette île. 5.
Cette dénomination a été, jusqu’en 1795, celle de la principale ville de l’île de Nantucket, identifiée depuis sous l’appellation de Town of Nantucket. Nous avons conservé cette première dénomination afin de maintenir les distinctions que fait le texte dans ses références à l’île de Nantucket et celles à la ville désormais du même nom.
6.
Dans le manuscrit, ce paragraphe est précédé d’un intertitre rayé et illisible : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 161. Dans les Lettres d’un cultivateur américain, cette phrase constitue le début de la « Deuxième Lettre. L’isle de Nantucket », datée « Nantucket, 5 Septembre 1772 » : op. cit., vol. II, p. 108.
7.
Dans les Lettres d’un cultivateur américain, cette phrase constitue le début de la « Troisième Lettre. Sauvages », datée « Nantucket, 10 Septembre 1772 » : op. cit., vol. II, p. 120.
8.
John Eliot (1604-1690) a effectivement publié une traduction de la Bible en natick. Cet ouvrage, qui n’est pas paru « peu de temps » 1666 mais entre 1661 et 1663, constitue la première Bible complète imprimée dans les colonies britanniques d’Amérique du Nord.
9.
Attestée par l’histoire, cette épidémie, décrite à l’époque comme un accès de fièvre jaune, a fait 222 victimes parmi les 358 indiens résidant alors à Nantucket.
10.
Il a été impossible de retracer une nation indienne du nom de Mèhikaudret.
11.
Il a été impossible de corroborer le fait que ce nom aurait été l’appellation d’origine de la péninsule aujourd’hui connue sous le nom de Cape Cod, ni, comme James le signalera plus loin, celle de la ville de Provincetown. Il s’agit sans doute d’une erreur de transcription et cette dénomination devrait plutôt être Nausett. Mais dans la mesure où James fait une distinction entre Namset, qui aurait selon lui désigné l’ensemble de la péninsule, et Nausett, la désignation d’origine de la ville aujourd’hui appelée Eastham, la traduction utilise les deux dénominations conformément à cette distinction.
Lettre V 1.
Dans les Lettres d’un cultivateur américain, cette phrase constitue le début de la « Quatrième Lettre. Éducation », datée « Nantucket, 23 Septembre 1772 » : op. cit., vol. II, p. 136.
2.
Dans les Lettres d’un cultivateur américain, cette phrase constitue le début de la « Cinquième Lettre. Progressive Industrie des premiers Colons », datée « Nantucket, 4 Octobre 1772 » : op. cit., vol. II, p. 141.
3.
Les Lettres d’un cultivateur américain précisent que le nom de cet homme est « M. C. ….. » : op. cit., vol. II, p. 144.
538
St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américaine
Lettre VI 1.
Dans le manuscrit, ce paragraphe est précédé de deux notes et d’un intertitre. La première note, située à la suite de la dernière phrase du paragraphe précédent, indique « Fin de la première Lettre » ; la seconde, accolée à l’intertitre « Martha’s Vineyard », indique « Début de la 2e Lettre » : St. John de Crèvecœur, « Papers, 17801782 », op. cit., vol. I, fo 179. Dans les Lettres d’un cultivateur américain, cette phrase constitue le début de la « Sixième Lettre. L’Isle de la Vigne de Martre », datée « Nantucket, 12 Octobre 1772 » : op. cit., vol. II, p. 147.
2.
Le manuscrit indique que cette carte a été « [d]essinée par le Coll Beriah Norton, de la Dite Île » : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 212. Beriah Norton a vécu de 1733 à 1820, et a bel et bien été le colonel de milice de l’île de Martha’s Vineyard.
3.
Ce nom désigne la municipalité que l’on identifie de nos jours sous l’appellation de Vineyard Haven, laquelle est, dans les faits, réservée à la partie de l’agglomération de Tisbury qui s’est développée autour des quais de la ville. Tisbury demeure donc la dénomination officielle de la ville qui inclut la municipalité de Vineyard Haven.
4.
James Athearn (1725-1814), avocat et l’un des plus éminents citoyens de Tisbury.
5.
L’île de Martha’s Vineyard a été achetée en 1641 par Thomas Mayhew, dont les descendants ont toujours été des membres influents de cette communauté.
6.
Le nom de l’île signifie littéralement « le vignoble de Martha ».
7.
Dans le manuscrit, ce paragraphe est précédé d’un intertitre rayé : « Chasse à la baleine » : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 180. Dans les Lettres d’un cultivateur américain, cette phrase constitue le début de la « Septième Lettre. Pêche de la Baleine », datée « Nantucket, 17 Octobre 1772 » : op. cit., vol. II, p. 153.
8.
Dans le manuscrit, ce paragraphe est précédé d’un intertitre : « Mœurs » : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 186. Dans les Lettres d’un cultivateur américain, cette phrase constitue le début de la « Huitième Lettre. Mœurs », datée « Nantucket, 28 Octobre 1772 » : op. cit., vol. II, p. 164.
Lettre VII 1.
Dans le manuscrit, ce paragraphe est précédé d’une note, située à la suite de la dernière phrase du paragraphe précédent, indiquant « Fin de la Deuxième Lettre », et d’un intertitre : « Mariage » : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 190. Dans les Lettres d’un cultivateur américain, cette phrase constitue le début de la « Neuvième Lettre. Mariages », datée « Nantucket, 7 Novembre 1772 » : op. cit., vol. II, p. 170.
2.
Dans le manuscrit, ce paragraphe est précédé d’un intertitre : « Émigration » : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 191. Dans les Lettres d’un cultivateur américain, cette phrase constitue le début de la « Dixième Lettre. Émigration », datée « Nantucket, 8 Novembre 1772 » : op. cit., vol. II, p. 173.
3.
Cette ville porte aujourd’hui le nom de Guilford ; on a cependant choisi de conserver ici son ancien nom, signifiant littéralement « nouveau jardin ».
539
Notes
4.
L’association de marchands qui a reçu en 1606 l’autorisation de coloniser les régions correspondant aujourd’hui aux États du Massachusetts et du Maine, région qui, au moment de la rédaction de l’ouvrage, faisait partie du territoire de la province de Massachusetts.
5.
Les Lapons sont un peuple d’éleveurs de rennes dont le mode de vie est basée sur la transhumance ; leur territoire, la Laponie, se situe au nord de la péninsule scandinave et couvre des zones situées à l’intérieur des frontières de la Norvège, de la Suède, de la Finlande et de la Russie. Les premiers habitants de la Sibérie étaient des nomades d’origine altaïque qui ont été forcés de se soumettre aux forces russes au cours du XVIIe siècle. Les Hottentots sont, avec les Bochimans, des aborigènes de l’Afrique du Sud. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert consacre des articles à la Laponie, à la Sibérie et aux Hottentots.
6.
Dans le manuscrit, ce paragraphe est précédé d’un intertitre : « Relligion » [sic] : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 196. Dans les Lettres d’un cultivateur américain, cette phrase constitue le début de la « Onzième Lettre. La religion de l’Isle », datée « Nantucket, 10 Novembre 1772 » : op. cit., vol. II, p. 183.
7.
Dans le manuscrit, ce paragraphe est précédé d’une note, située à la suite de la dernière phrase du paragraphe précédent, indiquant « Fin de la 3e Lettre », et d’un intertitre : « Docteurs » : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 197.
8.
Dans le manuscrit, ce paragraphe est précédé d’un intertitre : « Avocats » : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 198.
9.
Dans le manuscrit, ce paragraphe est précédé d’un intertitre : « Coutumes privées » : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 199. Dans les Lettres d’un cultivateur américain, cette phrase constitue le début de la « Douzième Lettre. Coutumes Particulières », datée « Nantucket, 19 Novembre 1772 » : op. cit., vol. II, p. 187.
Lettre VIII 1.
Dans le manuscrit, ce paragraphe est précédé d’une note indiquant « Fin de la 4e Lettre » et précédant un intertitre : « Coutumes particulières » : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 201.
2.
Les quakers utilisaient les formules « premier jour », « deuxième jour », « troisième jour », etc., de préférence à dimanche, lundi, mardi, etc.
3.
Selon le Trésor de la langue française informatisé, ce mot a été introduit pour la première fois dans notre langue en 1801 par St. John de Crèvecœur, dans son Voyage dans la Haute Pensylvanie. Aussi se permet-on de l’employer afin de traduire le mot « instinctively », bien que le mot n’existait pas encore en français au moment de la rédaction de l’ouvrage.
4.
Les succès commerciaux de Kezia Coffin (Miriam de son véritable prénom) ont laissé une marque importante dans l’histoire de Nantucket. Elle et son époux possédaient ce qui pouvait être effectivement considéré comme « le meilleur manoir de l’île, à Quaise », ainsi que James le décrit plus loin. Or la construction de cette
540
St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américaine
demeure a été achevée en 1777, ce qui permet d’en déduire que la rédaction des lettres de Nantucket a été terminée après cette date. 5.
Dans le manuscrit, ce paragraphe est précédé d’un intertitre : « Fin de la 5e Lettre » : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 206. Dans les Lettres d’un cultivateur américain, cette phrase constitue le début de la « Treizième Lettre. Singulière Coutume », datée « Nantucket, 25 Novembre 1772 » : op. cit., vol. II, p. 202.
6.
L’existence de cette pratique n’a jamais été corroborée par aucun autre témoignage et sa véracité est contestée par les historiens de l’île de Nantucket.
7.
Dans les Lettres d’un cultivateur américain, cette phrase constitue le début de la « Quatorzième Lettre. Plaisirs Champêtres », datée « Nantucket, 27 Novembre 1772 » : op. cit., vol. II, p. 205.
8.
Dans les Lettres d’un cultivateur américain, cette phrase constitue le début de la « Quinzième Lettre. Excursion vers la partie orientale de l’Isle », datée « Nantucket, 3 Décembre 1772 » : op. cit., vol. II, p. 209.
9.
Dans les Lettres d’un cultivateur américain, cette phrase constitue le début de la « Seizième Lettre. Livres & Réflexions finales », datée « Nantucket, 10 Décembre 1772 » : op. cit., vol. II, p. 215.
10.
Hudibras, de Samuel Butler (1612-1680), est un long poème satyrique anticromwellien et antipresbytérien publié en trois étapes, en 1662, 1663 et 1678. L’Histoire de Josephus, ou Flavius Josèphe, un historien juif de culture latine ayant vécu au premier siècle de notre ère, est connue en français sous les titres d’Histoire des Juifs ou d’Antiquités judaïques. L’ouvrage contient entre autres le seul témoignage historique direct et non chrétien de l’existence de Jésus-Christ. Une traduction anglaise des œuvres complètes de Josephus, signée William Whiston, est parue en 1737.
Lettre IX 1.
Dans le manuscrit, ce texte constitue le second de l’ensemble, inséré immédiatement à la suite du manuscrit de la Lettre II : St. John de Crèvecœur, « Papers, 17801782 », op. cit., vol. I, fo 79-88, 23-34. La version française parue dans la première édition, de 1784, des Lettres d’un cultivateur américain sous le titre de « Lettre D’un Voyageur Européen, sur la situation de Charles-Town, sur son Commerce & les Mœurs de ses Habitans, & de ceux des Campagnes ; Pensées sur l’Esclavage, sur le mal Physique ; barbarie des Planteurs » (Lettres d’un cultivateur américain, 1784, vol. II, p. 361-380), est sensiblement plus fidèle au texte d’origine que celle qui paraîtra, trois ans plus tard, en 1787, sous le titre de « Pensées sur l’esclavage et sur les nègres » dans la seconde édition de l’ouvrage : Lettres d’un cultivateur américain, 1787, vol. II, p. 372-384. St. John de Crèvecœur a en effet retranché de cette seconde version les premières quatre pages et demi et les quatre dernières pages de la précédente : Lettres d’un cultivateur américain, 1784, vol. II, p. 361-365, 376-380. Ainsi qu’on le verra plus loin, certains lecteurs se sont interrogé sur les raisons de ces coupures.
2.
« Beau monde » : en français dans le texte d’origine.
3.
La version française de 1787 de cette lettre commence sur ces lignes ; les deux paragraphes précédents, qui figurent dans la version de 1784, en sont donc absents.
541
Notes
4.
La république de Lacédémone désigne l’état de la Grèce antique qui s’est constitué à partir du Xe siècle av. J.-C. et qui avait Sparte pour capitale ; les Hilotes étaient un peuple qui a été réduit à l’esclavage par les Lacédémoniens. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert consacre des articles à Lacédémone (où on retrouve un long passage consacré à Lycurgue) et aux « Hélotes » [sic].
5.
La version française de 1787 de cette lettre se termine sur cette phrase ; le paragraphe suivant, qui figure dans la version de 1784, en est donc absent.
6.
Dans ses Recherches historiques et politiques sur les États-Unis de l’Amérique septentrionale, Filipo Mazzei estime que la « simplicité » de l’auteur des Lettres d’un cultivateur américain « lui a fait croire, peut-être trop facilement, l’anecdote horrible du nègre de la Caroline, puisqu’après avoir fait à ce sujet toutes les recherches possibles, on n’a pu trouver dans la Caroline un seul habitant qui ne la regardât comme une invention gratuite ». Le commentateur concluait sur une note reproduisant un extrait du récit concerné en signalant que cette « fable n’a point reparu dans la nouvelle édition » de 1787 de l’ouvrage : 1788, p. 101. St. John de Crèvecœur a réagi à cette critique dans une lettre à madame d’Houdetot, datée du 20 mars 1789, dans laquelle il écrit : « Quant à ce que M. Mazzei dit de l’histoire du nègre de la Caroline, qu’il assure avoir été soustraite de la seconde édition, crainte que l’imposture ne fût découverte, il se trompe grossièrement, très grossièrement même. Je l’ai ôtée non parce qu’elle n’a jamais existé, mais parce que, depuis la Révolution, les chaînes de l’esclavage sont un peu allégées » : lettre retranscrite dans Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 380. Remarquons que, contrairement à ce qui est affirmé dans cette missive, Mazzei ne dit pas un mot des éventuels motifs pour lesquels cette histoire aurait été retirée de l’édition de 1787 des Lettres d’un cultivateur américain. Et la raison que donne St. John de Crèvecœur pour expliquer son omission est loin d’être convaincante.
Lettre X 1.
Dans le manuscrit, ce texte constitue le quatrième de l’ensemble, inséré immédiatement à la suite du manuscrit de la Lettre XI : St. John de Crèvecœur, « Papers, 17801782 », op. cit., vol. I, fo 55-61. La traduction française qui figure dans les Lettres d’un cultivateur américain sous le titre de « Combat de deux serpens » (datée « Albany, 26 janvier 1784. ») figure dans le troisième volume de l’ouvrage : op. cit., vol. III, p. 47-56. Il s’agit de l’unique texte issu des Letters from an American Farmer à ne pas avoir été traduit dans la première édition de 1784 des Lettres d’un cultivateur américain.
2.
Selon Samuel Ayscough, cette anecdote présenterait une grande similitude avec un récit « qui a été envoyé par le capitaine Walduck, et lu devant la Société Royale, 7 janvier 1713-4, et qui se trouve dans les manuscrits Sloane, no 3339, au British Museum » : Remarks on the Letters from an American Farmer […], op. cit., p. 15. St. John de Crèvecœur s’insurgera contre cette accusation : « que puis je faire si l’histoire de la botte empoisonnee d’un Colon de Menisick, semble être l’imitation d’un fait semblable, inséré il y a quarante ans dans les Transactions Philosophiques. Tout ce que je puis avérer est que plus de 20 temoins de cette circonstance vivent encore : & je n’ai jamais lu un seul volume de ces Transactions » : St. John de Crèvecœur, « Au Rédacteur du Courier de l’Europe », art. cit.
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St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américaine
Lettre XI 1.
Dans le manuscrit, ce texte constitue le troisième de l’ensemble, inséré immédiatement à la suite du manuscrit de la Lettre IX et avant celui de la Lettre X : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 37-53. La traduction française qui figure dans les Lettres d’un cultivateur américain sous le titre de « Letter écrite par Ivan Al – Z, gentilhomme russe, A un de ses Amis en Europe, Dans laquelle il décrit la visite qu’il fit en 1769 à Jean Bertram, Botaniste de Pensilvanie, & Pensionnaire du Roi d’Angleterre », est daté « Philadelphie, 12 Octobre 1769 », ce qui en fait la plus ancienne et la toute première en date des Lettres d’un cultivateur américain : op. cit., vol. I, p. 150-186 (les autres lettres rassemblées dans les trois volumes datent, au plus tôt, de l’année 1770, et la dernière, intitulée « Légère esquisse de ce que les Américains on fait de plus intéressant depuis la paix », est datée de « NewYork, 28 Décembre 1786 » : ibid., vol. III, p. 495-570). Dans les Lettres d’un fermier américain, la lettre est adressée à James, tandis que dans les Lettres d’un cultivateur américain, elle est adressée à des « Amis en Europe ».
2.
John Bartram (1699-1777), le plus célèbre botaniste américain de son temps. Dans le texte d’origine, son nom est orthographié « Bertram ».
3.
Louise Ulrica de Prusse (1710-1782), protectrice du botaniste Linné.
4.
Il existe deux représentations de la maison de John Bartram (reproduites dans John Bartram, The Correspondence of John Bartram, 1992, p. 69, 464). La plus ancienne est un dessin de 1759 représentant l’arrière de la demeure et les jardins sur lesquels elle donnait. L’autre est une gravure publiée en 1849 et représentant la façade de l’immeuble. Dans les deux cas, on ne distingue pas la moindre « petite tour » se dressant au milieu de la maison.
5.
Vers extraits de l’Essai sur l’Homme, de Alexander Pope, rédigé entre 1730 et 1732, et publié en 1733 et 1734 : The Poems of Alexander Pope, op. cit., p. 546.
6.
Sans doute Henry Bouquet (1719-1765), mercenaire britannique d’origine suisse, responsable de la reconstruction du fort Duquesne, pris au français au cours de la guerre de Sept Ans, auquel il donna le nom de fort Pitt, et qui est à l’origine de la ville de Pittsburgh.
7.
Localité sise à environ vingt-cinq kilomètres au sud de Philadelphie, dans ce qui est désormais la banlieue de la capitale de la Pennsylvanie, et qu’il ne faut donc pas confondre avec la ville du même nom qui se trouve dans l’État de New York et non loin de laquelle a vécu St. John de Crèvecœur.
8.
Dans le manuscrit, la lettre est signée du paraphe « Iw. Alexist » : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 53.
Lettre XII 1.
Dans le manuscrit, ce texte constitue le septième et avant-dernier de l’ensemble, inséré immédiatement à la suite du manuscrit de la Lettre III « Qu’est-ce qu’un Américain ? » et avant celui des lettres de Nantucket : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 99-125. La traduction française qui figure dans les Lettres d’un cultivateur américain se présente sous la forme de deux lettres différentes. La première, intitulée « L’homme des frontières », est datée « Comté d’Orange,
543
Notes
15 Septembre 1779 » et signée St. John ; la seconde, intitulée « Lettre Écrite par Francis - H - Ur, irlandois, Colon de l’Établissement de Cherry Valley », est datée « Cherry-Valley, 17 Septembre 1780 » : op. cit., vol. II, p. 249-276, 331-371. Ces lettres y sont donc présentées comme le fait des deux auteurs différents. Ces traductions présentent d’importantes variantes par rapport à la lettre d’origine. 2.
On désigne sous le nom de Samoyède un ensemble de peuples semi-nomades de la Sibérie. Notons que, dans la version originale anglaise des Letters from an American Farmer, les noms de la rivière Ob et de la ville de Tobolsk sont orthographiés « Oby » et « Tobolsky ». Or l’article « Samoyèdes » de l’Encyclopédie utilise également l’orthographe « Oby » ; elle utilise la même graphie dans l’article « Sibérie », lequel fait de plus mention de la ville de « Tobolski ».
3.
Dans le manuscrit, cette phrase s’achève sur les mots suivants : « me sortira peut-être les principes de Monteskiew Machiavel » : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 105. Le fait que St. John de Crèvecœur écrive le nom de Montesquieu d’une façon qui pourrait correspondre à une prononciation anglaise de cette appellation permet d’en déduire qu’il aurait découvert ce nom de la bouche d’un anglophone. Et si le nom de Machiavel a été raturé, c’est peut-être parce que cette référence littéraire aurait été malvenue sous la plume de James, un personnage sensé bénéficier d’une culture plutôt rudimentaire.
4.
Les Lettres d’un cultivateur américain précisent que le nom de cette famille était « Benjamin » : op. cit., vol. II, p. 268.
5.
Référence à la guerre de Sept Ans.
6.
La traduction que St. John de Crèvecœur a lui-même faite de cette phrase est la suivante : « Disons ce que nous voudrons de ces gens-là, de leurs organes inférieurs, ou de leur manque de barbe » : Lettres d’un cultivateur américain, op. cit., vol. II, p. 344, ce qui rend le passage nettement plus cohérent. D’ailleurs, c’est bien le mot « beard » (« barbe ») et non « bread » (pain) qui figure dans le manuscrit : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 113.
7.
L’empereur Antonin le Pieux (né en 86), fils adoptif d’Hadrien, a régné de 138 jusqu’à sa mort en 161. Il adopta Marc Aurèle (né en 121), qui devait lui succéder de 161 jusqu’à sa mort en 180. Appolinius de Chalcédoine, stoïcien, fut le maître de philosopohie des deux hommes. L’Encyclopédie consacre un important article au stoïcisme.
8.
Dans la langue des Wampanoag, le nausaump désigne une préparation de maïs grillé cuite dans l’eau. Il apparaît vraisemblable que le mot orthographié « ninchickè » dans l’édition originale soit, dans les faits, un autre mot wampanoag : nokehick, qui désigne également un type de préparation de maïs grillé.
9.
Les Pictes étaient le peuple gallo-britannique qui occupait les Highlands de l’Écosse avant l’arrivée des Romains ; ils semblent s’être installés dans la région environ mille ans avant notre ère. L’Encyclopédie leur consacre un article. Rappelons que James a précédemment fait une référence similaire au fait que « les habitants de [l’Angleterre,] cette nation désormais chérie des arts et du commerce se peignaient jadis le visage comme le font nos voisins sauvages ».
10.
Cette traduction des premiers vers du Notre Père reproduit des mots figurant dans la version oneida (une des Six Nations iroquoises) de la prière réalisée au milieu du XVIIIe siècle par un pasteur du nom de Spencer : voir Francis Withing Halsey, The
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St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américaine
Old New York Frontier, 1901, Part 2, Chapter 2. Le premier tiers de la traduction se présente ainsi : « Soungwauneha, caurounkyawga, tehseetaroan, sauhsoneyousta, esa, sawaneyou, okettaunhsela, ehneauwoung, na, caurounkyawga, nughwonshauga, neattewehnesalauga. » Dans la mesure où, ainsi que l’indique une note du manuscrit, le mot « caurounkyawga » signifie « ciel » (St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 125), les trois premiers mots reproduits par St. John de Crèvecœur semblent correspondre au premier vers de la prière (« Notre Père qui es au cieux »), tandis que la suite paraît coïncider avec la fin du quatrième et le cinquième vers : « sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien. »
Description d'une tempête de neige au Canada Notes sur le texte et la traduction 1.
St. John de Crèvecœur, Sketches of Eighteenth-Century America. More « Letters form an American Farmer », 1925, p. 231-240, 337-341.
2.
St. John de Crèvecœur, Lettres d’un cultivateur américain, op. cit., vol. I, p. 289-314.
3.
Nous avons fait paraître une première traduction de ce texte dans La conquête des lettres au Québec (1759-1799), 2006, p. 29-43. Cette traduction se distingue de la présente dans la mesure où on y reproduit la version française du premier segment que St. John de Crèvecœur a lui-même publiée sous le titre de « Description d’une chute de neige […] » et où la traduction de la seconde partie reproduit de plus près que la présente les caractéristiques typographiques du manuscrit.
4.
Les manuscrits de St. John de Crèvecœur contiennent deux états de ce texte : une copie au propre sous le titre de « A Snow Storm as it affects the American Farmer » et une copie brouillon sous celui de « Description of a Snow Storm in Canada » : St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. II, fo 195-199, 175-193. Voir également St. John de Crèvecœur, « A Snow Storm as it affects the American Farmer », dans More Letters from the American Farmer. An Edition of the Essays in English Left Unpublished by Crèvecœur, 1995, p. 142-152.
5.
St. John de Crèvecœur, « Au Rédacteur du Courier de l’Europe », art. cit., p. 296.
Description d’une tempête de neige au Canada 1.
L’aurum potabile, c’est-à-dire « or potable », était un remède galénique à base d’or préparé par les alchimistes. Paracelse (1493-1541) en fait mention dans ses écrits.
2.
Cette métaphore assimilant les flocons de neige à des plumes est éventuellement le souvenir d’une lecture d’Hérodote : voir L’Enquête, dans Hérodote, Thucydide, Œuvres complètes, 1998, p. 290, 298.
545
Notes
3.
Le fait est attesté par l’histoire : plusieurs Canadiennes ont épousé des soldats britanniques au cours des mois qui ont suivi la défaite.
4.
William Pitt (1708-1778) était à la tête du gouvernement britannique au moment de la guerre de Sept Ans.
5.
Marquis Ange Duquesne de Mennevile (c. 1700-1778), gouverneur général de la Nouvelle-France à l’époque des débuts de la guerre de Sept Ans.
6.
Rappel de l’événement généralement considéré comme le début de la guerre de Sept Ans en Amérique du Nord : l’« assassinat », dans des conditions mystérieuses, qui le demeurent encore de nos jours, le 28 mai 1754, dans les environs du fort Duquesne (aujourd’hui Pittsburgh, en Pennsylvanie), de Joseph Coulon de Villiers de Jumonville.
Nouvelles lumières sur le séjour de St. John de Crèvecœur en Nouvelle-France Introduction 1.
Les archives sont « un type particulier de récit qui, selon ceux qui ont l’habitude de les consulter, tient autant à ce qu’on n’y a pas trouvé qu’à ce qu’on y a trouvé » ; « si nous ne trouvons rien, ce rien se situe à un certain endroit […] : le vide indique comment il fut jadis rempli et occupé » ; « l’histoire […] concerne des événements qui ne sont jamais survenus exactement de la même façon qu’ils ont fini par être représentés (le seul événement auquel on a accès est le récit qu’en fait le texte), et elle est constitué de matériaux qui ne sont pas là, ni dans l’archive ni ailleurs. […D] ans les faits, il n’y a rien là : [l’historien] ne trouve rien : que du silence, un vide dont le contour est déterminé par ce qui fut jadis et qui, maintenant, n’est plus » : Carolyn Steedman, Dust. The Archive and Cultural History, 2002, p. xi, 11, 154.
2.
« L’histoire du savoir ne peut être faite qu’à partir de ce qui lui a été contemporain, et non pas certes en termes d’influence réciproque, mais en termes de conditions et d’a priori constitués dans le temps » ; le « niveau archéologique […] découvre l’a priori historique et général de chacun des savoirs » ; « quand on […] interroge [quelque chose] au niveau archéologique, [on] révèle toujours la configuration épistémologique qui l’a rendue possible » : Michel Foucault, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, 1966, p. 221, 329, 376.
3.
L’archéologie « n’est rien de plus et rien d’autre qu’une réécriture : c’est-à-dire dans la forme maintenue de l’extériorité, une transformation réglée de ce qui a été déjà écrit. Ce n’est pas le retour au secret même de l’origine ; c’est la description systématique d’un discours-objet » : Michel Foucault, L’archéologie du savoir, 1969, p. 182-183 ; elle est synonyme de « description de l’archive [, c’est-à-dire] l’ensemble des discours effectivement prononcés » : « Michel Foucault explique son dernier livre », dans Dits et écrits, 1954-1988, vol. I, 1954-1969, 1994, p. 772.
4.
Michel Foucault, L’archéologie du savoir, op. cit., p. 221.
546
St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américaine
5.
« Ce n’est pas parce qu’il est fréquent dans les structures observées qu’un caractère est important ; c’est parce qu’il est fonctionnellement important qu’on le rencontre souvent » : Michel Foucault, Les mots et les choses […], op. cit., p. 240-241 ; « Il est absolument vain de recenser un thème chez un écrivain si l’on ne se demande pas quelle est son importance exacte dans l’œuvre, c’est-à-dire exactement comment il fonctionne (et non pas son “ sens ”) » : Gilles Deleuze et Félix Guattari, Kafka. Pour une littérature mineure, op. cit., p. 83 ; « Il n’est pas sûr que la question qu’est-ce que ? soit une bonne question pour découvrir l’essence ou l’Idée. Il se peut que des questions du type qui ?, combien ?, comment ?, où ?, quand ?, soient meilleures — tant pour découvrir l’essence que pour déterminer quelque chose de plus important concernant l’Idée » : Gilles Deleuze, « La méthode de dramatisation », dans L’île déserte et autres textes. Textes et entretiens, 1953-1974, 2002, p. 131.
6.
Signalons que nous avons construit notre livre de façon à ce qu’il constitue à la fois une introduction générale à l’œuvre de St. John de Crèvecœur et une contribution spécialisée aux études crèvecœuriennes. Du seul fait d’être publié au Québec, notre ouvrage aura pour premiers lecteurs des gens qui, en très grande majorité, ignorent à peu près tout de St. John de Crèvecœur et de son œuvre. D’où la pertinence, et même la nécessité, d’insérer notre étude à la suite de notre traduction des Letters from an American Farmer, afin que ces lecteurs puissent suivre plus aisément notre enquête grâce à une connaissance de base des écrits qui en sont les objets. D’où, également, la présence, tout au long de notre travail, de diverses informations d’ordre général, implicitement empruntées à la doxa crèvecœurienne et présentées sur un mode synthétique, sans les accompagner de renvois aux sources (dans la mesure où il nous a semblé, pour le dire dans les mots de Mikhaïl Bakhtine, que « le lecteur érudit n’en a pas besoin, et pour celui qui ne l’est pas, elles sont vaines » : Esthétique et théorie du roman, 1978, p. 23). Ces lecteurs comprendront dès lors que les segments de notre étude présentant des renvois explicites à des sources premières (et souvent inédites) sont ceux qui révèlent les fruits particuliers de nos recherches. Aussi est-ce dans ces pages que les spécialistes de l’œuvre de St. John de Crèvecœur trouveront les apports propres à la présente publication, qui la distinguent des travaux qui ont été jusqu’à ce jour consacrés à notre auteur.
Un self-made man et son self-made name 1
Archives privées de M. Hubert Jean Saint-John de Crèvecœur. Le descendant de l’écrivain a eu la grande gentillesse de nous remettre une copie de ce médaillon, propriété de sa famille, et d’en autoriser la reproduction.
2.
Document cité et traduit de l’anglais par Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 355.
3.
Ibid., p. 355, n. 3.
4.
Document retranscrit dans Julia Post Mitchell, St. Jean de Crèvecœur, op. cit., p. 313.
5.
Les descendants de St. John de Crèvecœur ont conservé un portrait, que la tradition de la famille attribue à John Trumbull, un des plus célèbres peintres états-uniens de la fin du XVIIIe siècle, représentant Fanny, la fille de St. John de Crèvecœur, à une époque où elle était devenue une jeune femme, et permettant de constater qu’elle avait hérité des cheveux roux de son père.
547
Notes
6.
« Extrait des registres des actes de baptêmes de la paroisse Saint-Jean de Caen de l’an 1735 », dans Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 284 ; Service historique de l’Armée de Terre (Vincennes), Travail du Roi, carton no 128, fo 23, ibid., p. 12, n. 2 ; Archives du ministère des Affaires étrangères, Personnel (1re série), dans Bernard Chevignard, « St. John de Crèvecœur à New York en 1779-1780 », 1983, p. 163.
7.
« Par devant les conseillers du Roy à Caen Soussignés, / Levingt un aout mil sept cent quatre vingt Six », archives privées de M. Hubert Jean Saint-John de Crèvecœur.
8.
Le 23 novembre 1783, quatre jours après être débarqué à New York, St. John de Crèvecœur faisait dresser un document confirmant l’authenticité de son certificat de mariage : voir « Burr, Aaron (1756-1836), Vice President. Manuscript document signed (“ Aaron Burr ”) », dans Christie’s. Books and Manuscripts, loc. cit.
9.
Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 288.
10.
« Contrôle des Lieutenants, 1748-1763 », Ottawa, Bibliothèque et Archives nationales.
11.
La Gazette de France, citée dans Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 14 ; voir également L. Dussieux, « M. de Bougainville à Versailles », dans Le Canada sous la domination française d’après les archives de la marine et de la guerre, 1862, p. 210 ; « État des nominations faites dans les troupes de terre depuis le 15 novembre 1759 », dans Collection des manuscrits du Maréchal de Lévis, vol. II, Lettres du chevalier de Lévis concernant la guerre du Canada (17561760), 1889, p. 400.
12.
Julia Post Mitchell, St. Jean de Crèvecœur, op. cit., p. 307-309, 310-311 ; Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 285, n. 3, 285-286.
13.
Julia Post Mitchell, St. Jean de Crèvecœur, op. cit., p. 315-317.
14.
« Par devant les Notaires à Caen soussignés. / L’an mil sept cent quatrevingt-un Le trois septembre avant midy », archives privées de M. Hubert Jean Saint-John de Crèvecœur ; « Par devant les conseillers du Roy à Caen Soussignés, / Levingt un aout mil sept cent quatre vingt Six », op. cit.
15.
Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 13, n. 1.
16.
Élisabeth-Sophie-Françoise La Live de Bellegarde, madame d’Houdetot, « Neuf lettres de St. John de Crèvecœur [sic : de son père] à Madame d’Houdetot, et un “ Épitre ” », dans « Papiers d’Houdetot », Paris, Bibliothèque nationale de France, site Richelieu.
17.
Voir Hippolyte Buffenoir, Les grandes dames du XVIIIe siècle. La comtesse d’Houdetot, une amie de J.-J. Rousseau, 1901, p. 13-19 ; du même auteur, La comtesse d’Houdetot. Sa famille — ses amis, 1905, p. 255-286 ; Claude-Anne Lopez, « La Comtesse d’Houdetot », dans Le sceptre et la foudre. Benjamin Franklin à Paris, 1776-1785, 1990, p. 134-137.
18.
Jean-François de Saint-Lambert, Les Saisons [1769], 1961, p. 3.
19.
François de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, 1992, vol. II, p. 64.
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20.
Jean-Jacques Rousseau, Les confessions, dans Œuvres complètes, 1959, vol. I, p. 440.
21.
St. John de Crèvecœur, « Souvenirs consacrés à la mémoire de Mme la comtesse de Houdetot », dans Bernard Chevignard, « Les souvenirs de Saint-John de Crèvecœur sur Mme d’Houdetot », 1982, p. 251.
22.
« From William Short », dans Thomas Jefferson, The Papers of Thomas Jefferson, op. cit., vol. XV, p. 568 ; document également reproduit, avec quelques variantes et erronément daté du 23 novembre, dans Gilbert Chinard, Les amitiés américaines de madame d’Houdetot, 1924, p. 51.
23.
Jean-Jacques Rousseau, Les confessions, op. cit., p. 439.
24.
Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 332-348.
25.
St. John de Crèvecœur, « Souvenirs consacrés à la mémoire de Mme la comtesse de Houdetot », loc. cit., p. 249-251.
26.
« To Abigail Adams », dans Thomas Jefferson, The Papers of Thomas Jefferson, op. cit., vol. VIII, p. 241 ; document également retranscrit dans Gilbert Chinard, Les amitiés américaines de madame d’Houdetot, op. cit., p. 30-31.
27.
Jacques Pierre Brissot de Warville, Mémoires de Brissot, 1877, p. 398.
28.
Le surnom de Warville doit être prononcé Ouarville, d’après l’appellation d’un village où sa famille possédait quelques terres et que Brissot a ajouté à son patronyme afin, selon une coutume de sa Beauce natale, de se distinguer des autres hommes de sa parenté (un de ses frères, par exemple, était désigné Brissot de Thivars). C’est sans doute afin d’afficher son intérêt pour les penseurs britanniques que Brissot a choisi d’écrire ce surnom à l’anglaise, avec un « W » : voir Suzanne d’Huart, Brissot. La Gironde au pouvoir, 1986, p. 22. Selon Alphonse de Lamartine, « l’excellent angliciste qu’il était et le grand homme qu’il voulait être crurent judicieux de transformer le Ouarville beauceron en un Warville infiniment plus romantique » : Histoire des Girondins [1847], 1984, vol. I, p. 157, n. 85.
29.
Jacques Pierre Brissot de Warville, Mémoires de Brissot, op. cit., p. 397, 398.
30.
Jacques Pierre Brissot de Warville, Examen critique des Voyages dans l’Amérique septentrionale de M. le marquis de Chatellux, 1786, p. 20, 21.
31.
[Société Gallo-Américaine], « Procès-Verbaux de la Société Gallo-Américaine », dans Jacques Pierre Brissot de Warville, Correspondance et papiers, 1912, p. 105-136.
32.
[Filipo Mazzei], Recherches historiques et politiques sur les États-Unis de l’Amérique septentrionale, op. cit., p. 98-102.
33.
St. John de Crèvecœur, lettre du 20 mars 1789, retranscrite dans Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 380.
34.
Jacques Pierre Brissot de Warville, Réponse à une critique des Lettres d’un Cultivateur Américain, des Quakers, etc., faite par l’Auteur anonyme des Recherches sur les États-Unis, 1788, p. 1, 20, 19-20.
35.
Jacques Pierre Brissot de Warville, Nouveau Voyage dans les États-Unis de l’Amérique septentrionale, fait en 1788, 1791, vol. I, p. xi, 35, 112, 180, 206, 222, 223,
549
Notes
232, 250, 252, 265, 275, 278, 305 ; vol. II, p. 78, 171, 194, 244, 294, 303, 309, 375, n. 1, 411, 423. 36.
Jaques Pierre Brissot de Warville, Correspondance et papiers, op. cit., p. 193, 204 ; Mémoires de Brissot, op. cit., p. 399.
37.
Jacques Pierre Brissot de Warville, Correspondance et papiers, op. cit., p. 200 ; Nouveau Voyage dans les États-Unis de l’Amérique septentrionale, op. cit., vol. I, p. xi, n. 1.
38.
Document cité dans Howard C. Rice, Le cultivateur américain, op. cit., p. 35.
39.
Jacques Pierre Brissot de Warville, Mémoires de Brissot, op. cit., p. 400-401, 397-398.
40.
« From Madame d’Houdetot », dans Thomas Jefferson, The Papers of Thomas Jefferson, op. cit., vol. XIII, p. 546 ; document cité dans Gilbert Chinard, Les amitiés américaines de madame d’Houdetot, op. cit., p. 22.
41.
The Literary Diary of Ezra Stiles cité dans Gilbert Chinard, Les amitiés américaines de madame d’Houdetot, op. cit., p. 41-42 ; Franklin B. Sanborn, « St. John de Crèvecœur, the “ American Farmer ” (1735-1813) », 1906, p. 63 ; Anonyme, « Crevecœur’s Hartford Diploma », 1961, p. 42. — La duchesse d’Anville, mère du duc de La Rochefoucauld d’Enville, se souviendra qu’« [e]n 1785, le duc de La Rochefoucauld et le duc d’Estissac se virent conférer le titre de citoyens de New York [sic : New Haven] en même temps que le duc d’Harcourt, la maréchal de Beauveau, gouverneur de Provence, M. d’Houdetot, M. de Jarnac et notre cher ami Condorcet » : Marie-Louise, duchesse D’Anville, « Duchesse d’Anville (1716-1797) », dans Solange Fasquelle, Les La Rochefoucauld. Une famille dans l’Histoire de France, 1992, p. 250. Le duc de La Rochefoucauld Liancourt était le cousin du duc de La Rochefoucauld d’Enville, et il est à l’origine d’une des plus célèbres anecdotes de l’histoire de la Révolution française ; la duchesse d’Anville rappelle que « [c]e fut le duc de Liancourt qui apprit au roi la prise de la Bastille, l’assassinat du gouverneur Launay et du prévôt des marchands Flesselles dont on avait promené les têtes au bout d’une pique. Il réveilla le roi pour lui apprendre les événements de la capitale. “ C’est une grande révolte ”, lui dit Louis XVI. “ Non, sire, c’est une révolution ”, répondit mon neveu qui avait tout de suite compris ce qui se passait réellement » : ibid., p. 260.
42.
Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet, Lettres d’un citoyen des États-Unis a un Français, sur les affaires présentes, 1788 ; « Lettres d’un bourgeois de New-Heaven à un citoyen de Virginie sur l’unitilité de partager le pouvoir législatif en plusieurs corps », dans Sur les élections et autres textes, 1986, p. 203-272.
43.
« From the Comtesse d’Houdetot », 26 août 1788, dans Benjamin Franklin, The Papers of Benjamin Franklin, Digital Edition ; document reproduit dans Gilbert Chinard, Les amitiés américaines de madame d’Houdetot, op. cit., p. 43-44. Pour une description de l’événement et des retranscriptions des poèmes récités au cours de la fête, voir Hippolyte Buffenoir, La comtesse d’Houdetot, une amie de J.-J. Rousseau, op. cit., p. 75-77 ; Claude-Anne Lopez, « La Comtesse d’Houdetot », loc. cit., p. 134-137 ; voir également Claude Fohlen, Benjamin Franklin, l’Américain des Lumières, 2000, p. 311-313 ; « Account of a Fête Champêtre in Franklin’s Honor », dans Benjamin Franklin, The Papers of Benjamin Franklin, 1998, vol. XXXIV, p. 539-545.
550
St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américaine
44.
Louis Sébastien Mercier, Tableau de Paris, dans Paris le jour, Paris la nuit, 1990, p. 39. — Desrues était un empoisonneur qui avait récemment été exécuté.
45.
St. John de Crèvecœur, « Souvenirs consacrés à la mémoire de Mme la comtesse de Houdetot », loc. cit., p. 257.
46.
Thomas Jefferson, « Memories of Franklin, To the Rev. William Smith » (Philadelphie, 19 février 1791), dans Writings, 1984, p. 975. Les italiques sont en français dans le texte.
47.
« Paris, 8 avril 1786 — La comtesse d’Houdetot à Ally », dans Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 355 ; « Lettre d’Ally de Crèvecœur », dans Hippolyte Buffenoir, La comtesse d’Houdetot. Sa famille, ses amis, op. cit., p. 66 ; St. John de Crèvecœur, « Souvenirs consacrés à la mémoire de Mme la comtesse de Houdetot », loc. cit., p. 261. Il semble que les fils de St. John de Crèvecœur aient régulièrement cotoyées les filles de Jefferson : voir Willard Sterne Randall, Thomas Jefferson. A Life, 1993, p. 475, ainsi que Dumas Malone, Jefferson and his Time. Volume Two. Jefferson and the Rights of Man, 1951, p. 16, 143. Le 8 mars 1789, lors d’un dîner « en famille » (en français dans le texte) en compagnie de Thomas Jefferson, Gouverneur Morris signale la présence auprès d’eux des filles de Jefferson, ainsi que du « fils de Crève Cœur » : A Diary of the French Revolution, 1789-93, 1939, vol. I, p. 8.
48.
« From the Comtesse d’Houdetot », dans Benjamin Franklin, The Papers of Benjamin Franklin, op. cit., vol. XXXV, p. 350. — Le document est retranscrit dans Gilbert Chinard, Les amitiés américaines de madame d’Houdetot, op. cit., p. 17. Chinard date cependant cette lettre du 10 août 1782, ce qui est une erreur, car qu’est-ce qui aurait pu pousser la comtesse d’Houdetot à adresser à Franklin ce que Chinard présente comme « une nouvelle lettre d’introduction en faveur de son “ Americain ” » (ibid., p. 16) dans laquelle, près d’un an après l’imbroglio que nous verrons plus loin, elle présenterait une fois de plus sous le nom de Crèvecœur la personne à propos de laquelle elle se sera vue obligée d’écrire à Franklin, le 20 octobre 1781 : « Celui qui s’est recommandé de ma part aurprès de vous, mon cher docteur, sous le nom de Saint Jean, et le même que celuy dont j’ai eu l’honneur de vous parler sous le nom de Crèvecœur » : ibid., p. 14.
49.
« From Michel-Guillaume St. John de Crèvecœur », dans Benjamin Franklin, The Papers of Benjamin Franklin, op. cit., vol. XXXV, p. 415.
50.
« To St. John de Crèvecœur » ; « To the Comtesse d’Houdetot », ibid., p. 511, 513.
51.
« From St. John de Crèvecœur », ibid., p. 527-528.
52.
Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 87-289.
53.
En évoquant pareille filiation, St. John de Crèvecœur tente peut-être de signaler à son interlocuteur sa familiarité avec une référence historique qu’on retrouve à plusieurs reprises dans les écrits révolutionnaires états-uniens de l’époque (notamment sous les plumes de Thomas Jefferson, dans A Summary View of the Rights of British America, publié en 1774, et de Thomas Paine, dans son Common Sense de 1776) : la légitimité que l’histoire reconnaît aux luttes qui ont conduit à la fin à l’occupation séculaire de l’Angleterre par les souverains normands y est présentée comme un précédent à l’appui du droit des colonies d’Amérique de mettre un terme à la tutelle de la couronne britannique.
551
Notes
54.
« From Michel-Guillaume St. John de Crèvecœur », 5 décembre 1781, dans Benjamin Franklin, The Papers of Benjamin Franklin, op. cit., vol. XXXVI, p. 195-196 ; « To Michel-Guillaume St. John de Crèvecœur », 2 avril 1783, 17 avril 1787, 16 février 1788 ; « From Michel-Guillaume St. John de Crèvecœur », 30 mars 1782, 3 janvier 1783, mars 1783, 1er juillet 1786, juin 1787, 30 janvier 1788, 12 mars 1788, dans Benjamin Franklin, The Papers of Benjamin Franklin, Digital Edition, op. cit.
55.
« From the Comtesse d’Houdetot », 20 octobre 1781, dans Benjamin Franklin, The Papers of Benjamin Franklin, op. cit., vol. XXXV, p. 615-616 ; 9 avril 1982, dans Benjamin Franklin, The Papers of Benjamin Franklin, Digital Edition, op. cit. ; documents retranscrits dans Gilbert Chinard, Les amitiés américaines de madame d’Houdetot, op. cit., p. 14, 16.
56.
« From the Comtesse d’Houdetot », 18 octobre 1982, dans Benjamin Franklin, The Papers of Benjamin Franklin, Digital Edition, op. cit. ; document retranscrit, et erronément daté du 18 novembre, dans Gilbert Chinard, Les amitiés américaines de madame d’Houdetot, op. cit., p. 17-18.
57.
« From the Comtesse d’Houdetot », 6 septembre 1783, 1er juin 1786 ; « To the Comtesse d’Houdetot », 16 février 1788, dans Benjamin Franklin, The Papers of Benjamin Franklin, Digital Edition, op. cit. ; documents retranscrits dans Gilbert Chinard, Les amitiés américaines de madame d’Houdetot, op. cit., p. 21-22, 34-35, 40.
58.
« From Madame d’Houdetot », 16 septembre 1789, 3 septembre 1790 ; « To Madame d’Houdetot », 2 avril 1790, dans Thomas Jefferson, The Papers of Thomas Jefferson, op. cit., vol. XV, p. 431-432, vol. XVII, p. 485-486, vol. XVI, p. 292.
59.
St. John de Crèvecœur, « Souvenirs consacrés à la mémoire de Mme la comtesse de Houdetot », loc. cit., p. 252.
60.
« From Turgot », dans Benjamin Franklin, The Papers of Benjamin Franklin, op. cit., vol. XXXV, p. 525-526.
61.
Anonyme, « Letters from an American Farmer […] », art. cit., p. 272.
62.
« Crèvecœur, Michel-Guillaume St. Jean (1735-1813), Letters from an American Farmer […] Contemporary calf, gilt-ruled spine, red morocco lettering-piece (rubbed, hinges a bit weak) », dans Christie’s. Books and Manuscripts, loc. cit.
63.
Anonyme, « Letters from an American Farmer […] », art. cit., p. 272.
64.
C. « Letters from an American Farmer […] », art. cit., p. 263.
65.
Anonyme, « Art. I. Letters from an American Farmer […] », art. cit., p. 401.
66.
Anonyme, « 79. Letters from an American Farmer […] » ; « 96. Letters from an American Farmer […] », art. cit., p. 533-535.
67.
[Samuel Ayscough], Remarks on The Letters from an American Farmer […], op. cit., p. 3, 7, 12, 13-16, 17, 8, 9-10.
68.
Anonyme, « Art. 19. Remarks on the Letters from an American Farmer […] », 1783, p. 537 ; Anonyme, « 156. Remarks on the Letters from an American Farmer […] », 1783, p. 1036.
69.
Anonyme [attribuable à Jacques Pierre Brissot de Warville], « Letters from an American Farmer, &c. ou Lettres d’un Fermier Américain […] », art. cit., p. 168.
552
St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américaine
70.
St. John de Crèvecœur, « Au Rédacteur du Courier de l’Europe », art. cit., p. 296.
71.
[Pierre-Louis de] Lacretelle, « Lettre au Rédacteur du Mercure », art. cit., p. 4-12 ; « Lettre au Rédacteur du Mercure », art. cit., p. 148-153.
72.
L. C. [Pierre-Louis de Lacretelle], « Lettres d’un Cultivateur Américain, écrites à W. S. Ecuyer […] » ; « Fin de l’Extrait des Lettres d’un Cultivateur Américain, écrites à W. S. Ecuyer […] », art. cit., p. 164, 203.
73.
Archives privées de M. Hubert Jean Saint-John de Crèvecœur.
74.
[Jacques Pierre Brissot de Warville], « Letters from an American Farmer, ou Lettres d’un Cultivateur Américain », art. cit., p. 286, 288.
75.
D. H. Lawrence, « Hector St John de Crècevœur », loc. cit., p. 28 ; « Hector SaintJean-de-Crèvecœur », loc. cit., p. 38.
76.
Journals of the Continental Congress, 1774-1789, vol. XXV, p. 815-816, vol. XXVI, p. 77-78 ; Julia Post Mitchell, St. Jean de Crèvecœur, op. cit., p. 317-321 ; Anonyme, « Crevecœur’s Hartford Diploma », art. cit., p. 40-44.
77.
George Washington, The Papers of George Washington. Confederation Series, vol. I, II, V, VI, 1992-1997 ; The Papers of George Washington. Presidential Series, vol. I, II, 1987 ; George Washington Papers at the Library of Congress ; Thomas Jefferson, The Papers of Thomas Jefferson, op. cit., vol. VI à XVII ; The Thomas Jefferson Papers from the Manuscript Division at the Library of Congress.
78.
St. John de Crèvecœur, « Dossier St. John de Crèvecœur », Mantes-la-Jolie (France), Archives Communales de Mantes-la-Jolie.
79.
Julia Post Mitchell, St. Jean de Crèvecœur, op. cit., p. 144-146. — Fondée en 1786, Saint Johnsbury est le chef-lieu du comté de Caledonia, dans l’État du Vermont. Deux autres villes de cet État doivent leur nom à des suggestions de St. John de Crèvecœur : Vergennes, en l’honneur du ministre français des Affaires étrangères, et Danville, pour son ami le duc de La Rochefoucauld d’Enville : Howard C. Rice, Le cultivateur américain, op. cit., p. 33, n. 2. Le Voyage dans la Haute Pensylvanie contient une note sur l’histoire du Vermont, où il est entre autres question des Green Mountain Boys, la milice dont Ethan Allen était le chef : Voyage dans la Haute Pensylvanie et dans l’état de New-York, 1801, vol. I, p. 391-384.
80.
Agnes Maule Machar avance l’hypothèse que Cavelier de La Salle aurait donné le nom de Crèvecœur à cet endroit parce qu’il y aurait eu le cœur brisé par la défection de six des membres de son expédition : Stories from Canadian History ; based upon « Stories of New France », 1893, p. 41 ! Il existe tout de même un document, constitué du témoignage d’un individu qui aurait possiblement été un des compagnons de Cavelier de La Salle, dans lequel on retrouve un personnage identifié sous le nom de Crèvecœur. Rédigée en 1700, la Relation des avantures de Mathieu Sagean, Canadien fait état d’une ambassade hollandaise auprès des Iroquois de la région d’Albany, dans l’actuel État de New York, afin de négocier la libération d’un groupe de prisonniers européens : « Ledit Sagean fit, en vain, tout son possible, tant par luy que par lesdits Hollandois, pour obtenir encore une femme nommée Mlle de Crevecœur, mariée à un gentilhomme françois, capitaine au régiment de Carignan et habitüé à la coste de Boucherville en Canada, qu’il avait apperçuë & reconnuë au nombre de ces malheureux prisonniers, couverte, seulement, d’une méchante pagne » : Mathieu Sagean, Relation des avantures de Mathieu Sagean, Canadien, 1999, p. 103. Il est cependant impossible d’authentifier l’existence de cette demoi-
Notes
553
selle, et pas plus celle de son époux. La Relation des avantures de Mathieu Sagean étant truffée de demi-vérités et de pures inventions (l’essentiel du texte est un récit de voyage au pays des Acaaniba, une tribu indienne qui n’a jamais existé), on est en droit de se demander, comme le faisait déjà dès 1902 un correspondant du Bulletin des recherches historiques : « Y a-t-il du vrai là dedans ? » : Tr. R., « Questions. 881 », 1902, p. 224. Trois document conservés par Bibliothèque et Archives Canada et datant de 1720, 1730 et 1740 attestent l’existence d’un certain « Sieur de Crèvecœur », fils d’un comte de Saint-Pierre, qui aurait possédé un concession sur l’île Saint-Jean (aujourd’hui île du Prince-Édouard) : « [Délibération du Conseil de Marine sur une requête du comte de Saint-Pierre] », 13 janvier 1720, fo 43-44 ; « [Mémoire sur la concession de l’île Saint-Jean et autres îles voisines] », 1730, fo 299-300 ; « [Brevet de pension de la somme de 3,000 livres en faveur du comte Saint-Pierre] », 27 mars 1740, fo 299-300, Ottawa, Bibliothèque et Archives Canada. 81.
Cité dans Thomas Jefferson, The Papers of Thomas Jefferson, op. cit., vol. XVII, p. 413.
82.
Charles Lamb, « To William Hazlitt, Letter CXXXIX », dans The Letters of Charles Lamb, vol. I, 1904, p. 271 ; John Bristed, The Resources of the United States of America, 1818, p. 4 ; William Hazlitt, « American Literature — Dr. Channing (October 1829) » : Contributions to the Edinburg Review, dans The Complete Works of William Hazlitt, vol. XVI, 1933, p. 322, 323.
83.
Catharine Sedgwick, « Romance in Real Life », dans Tales and Sketches, 1835, p. 245 ; Henry T. Tuckerman, « French Travelers and Writers », dans America and her Commentators, 1961, p. 89 ; James Russel Lowell, « To E. L. Godkin. Elmwood, May 2, 1869 » : Letters of James Russel Lowell in three volumes, vol. II, dans The Complete Writings of James Russel Lowell in sixteen volumes, vol. XV, 1966, p. 207 ; Emily Pierpont Delesdernier, Fannie St. John. A Romantic Incident of the American Revolution, 1874, p. 19, 6.
84.
Evert A. et George L. Duyckinck, « Hector St. John Crèvecœur », dans Cyclopedia of American Literature, vol. I, 1965, p. 183 ; H. E. Scudder, « Preface », dans Samuel Breck, Recollections of Samuel Breck with Passages from his Note-Books (17711862), 1877, p. 6 ; Samuel Breck, ibid., p. 80.
85.
O. H. Marshall, « Preliminary Notes », dans St. John de Crèvecœur, « Description of the Falls of Niagara, 1785 », 1878, p. 604 ; « Hector St. John de Crèvecœur — Supplementary Notice », 1880, p. 453 ; James Grant Wilson et John Fiske, « Crèvecœur, Jean Hector St. John de », dans Appleton’s Cyclopedia of American Biography, 1968, vol. II, p. 9 ; William Seton, « St. John de Crèvecœur, First French Consul to New York after the Revolution », 1889, p. 234 ; Selden L. Whitcomb, « Nature in Early American Literature », 1893-1894, p. 169 ; Moses Coit Tyler, [« Crèvecœur »], dans The Literary History of the American Revolution : 1763-1783, 1897, vol. II, p. 347 ; Anonyme, « Crèvecœur, Jean Hector St. John de », dans The National Cyclopaedia of American Biography, 1898, vol. VIII, p. 253.
86.
St. John de Crèvecœur, Letters from an American Farmer, 1904 ; Franklin B. Sanborn, « The “ American Farmer ” St. John de Crèvecœur and his Famous “ Letters ” (17351813) », 1906, p. 257 ; « Mr. Sandborn read the following communication on the present state of information concerning Michel Guillaume St. Jean de Crècevœur, once commonly called “ Hector St. John ” », 1910, p. 687 ; St. John de Crèvecœur, Letters from an American Farmer, 1912.
554
87.
St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américaine
Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 286-287 ; Anonyme, « La mort vient d’enlever à la patrie, à sa famille, à l’amitié, aux lettres et aux arts utiles, M. Saint-Jean de Crevecœur […] », 1813, p. 2, 3.
Les années européennes 1.
John Brooks Moore, « Crèvecœur and Thoreau », 1925, p. 310.
2.
Jacques Pierre Brissot de Warville, Mémoires de Brissot, op. cit., p. 399.
3.
L’abondance de cette documentation a conduit Julia Post Mitchell à consacrer près de la moitié de son ouvrage à la carrière diplomatique de St. John de Crèvecœur : Saint-Jean de Crèvecœur, op. cit., p. 89-282 ; voir également Léon Rey, « Saint Jean de Crèvecœur, consul de France à New-York, et la première ligne de paquebots entre la France et les États-Unis d’Amérique », 194.
4.
« New York 17. Decbre. 1783 », dans St. John de Crèvecœur, « Dossier St. John de Crèvecœur », op. cit. ; document retranscrit dans Julia Post Mitchell, St. Jean de Crèvecœur, op. cit., p. 38, n. 30.
5.
« Boston 14. April 1784 », dans St. John de Crèvecœur, « Dossier St. John de Crèvecœur », op. cit.
6.
St. John de Crèvecœur, Lettres d’un cultivateur américain, op. cit., vol. III, p. 8-9.
7.
Ibid., p. 11.
8.
« Par devant les conseillers du Roy à Caen Soussignés, / Levingt un aout mil sept cent quatre vingt Six », op. cit.
9.
L. C. [Pierre-Louis de Lacretelle], « Fin de l’Extrait des Lettres d’un Cultivateur Américain, écrites à W. W. Ecuyer […] », art. cit., p. 220 ; Anonyme, « Lettres d’un Cultivateur Américain, adressées à Wm S…on Esqr […] », art. cit., p. 1004-1005.
10.
Emily Pierpont Delesdernier, Fannie St. John […], op. cit., p. 11.
11.
St. John de Crèvecœur, « Souvenirs consacrés à la mémoire de Mme la comtesse de Houdetot », loc. cit., p. 253 ; voir Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 355, 420.
12.
St. John de Crèvecœur, « Souvenirs consacrés à la mémoire de Mme la comtesse de Houdetot », loc. cit., p. 256, 253, 250, 254.
13.
Voir Howard C. Rice, Barthélemi Tardiveau, A French Trader in the West, 1938, p. 67 ; Barthélemi Tardiveau, « Letters from Barthelemi Tardiveau to St. John de Crevecoeur », American Memory. First American West : The Ohio River Valley, 17501820, Library of Congress. — Ce Barthélemi Tardiveau est entré en relation avec St. John de Crèvecœur au mois de février 1788, en faisant parvenir, à l’adresse newyorkaise du consul de France, une lettre accompagnée d’un morceau en vers :
En vous adressant les vers qui accompagnent cette lettre, je n’ai point prétendu rendre justice au mérite de votre ouvrage ; cela est au dessus de ses forces : je n’ai voulu que tracer l’impression que la lecture m’en a faite. Vous voudrez donc bien recevoir avec indulgence une faible composition de huit heures, qui doit sa naissance aux mouvements que la chaleur de vos écrits a réveillés dans une âme naturellement sensible.
555
Notes
Dans l’étude qu’il a consacrée à Tardiveau, Howard C. Rice signale que cette prise de contact fut suivie par plusieurs rencontres entre les deux hommes et par l’envoi, entre les mois de décembre 1788 et octobre 1789, d’une douzaine de lettres à St. John de Crèvecœur. Mais, à l’époque de la parution de l’ouvrage de Rice, les vers de Tardiveau qui avaient accompagné cette lettre d’introduction avaient été perdus. Nous les avons retrouvés dans les « Papiers » de madame d’Houdetot conservés à Paris, à la Bibliothèque nationale de France (Élisabeth-Sophie-Françoise La Live de Bellegarde, madame d’Houdetot, « Neuf lettres de St. John de Crèvecœur [sic : de son père] à Madame d’Houdetot, et un “ Épitre ” », op. cit.) : Epitre à M. St. Jean de Crevecœur à l’occasion de son Livre intitulé Lettres d’un fermier Américain Jadis, aux bords de la Loire arrosés, Quand de l’amour la premiere étincelle dans tout mon cœur, dans mes sens embrasés, porta l’éclair d’une flamme nouvelle ; Dans mon yvresse en proie aux doux désirs, de la Beauté j’osai chanter les charmes ; à l’adorer je bornais mes plaisirs ; J’en trouvois même à répandre des larmes. Sensible alors, & chéri des neuf Sœurs, sous des Berceaux de Myrthe & de lavande, J’allois en cueillir mille naissantes fleurs, et pour Zélis tresser une guirlande. De l’univers, à mes yeux enchantés, Se déployait sa brillante magie, Je devorais toutes les voluptés ; mon ami, alors, s’abreuvoit de la vie. Ce temps n’est plus ; mes beaux jours sont flétris ; les noirs chagrins ont abrégé ma course, Du sentiment les canaux sont taris ; Et l’infortune en a séché la source St. John ! que dis-je ? ah dans mon cœur émû, non, la chaleur n’est pas éteinte encore ; au Sentiment, je me trouve rendû ; C’est vous ; C’est vous qui l’avés fait réclore. Peintre animé ! dans vos heureux tableaux quelle touchante et sublime ébergie ! l’humanité dirigea vos pinceaux : la Vertû même est par vous embellie. Homme sensible ! au milieu des tourmens, livré vous même à la peine, aux allarmes pour les malheurs de vos freres souffrans Vous pouvés donc trouver encore des larmes ! ah ! qu’ils sont doux ces pleurs de la pitié que verse une ame & genéreuse & tendre ! qu’avec délices, après vous entraîné, vos sons plaintifs m’ont forcé d’en répandre ! Que je me plais à retrouver mon cœur
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St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américaine
dans mille traits où votre ame énergique, Noble sans faste, & simple en sa grandeur, peint les vertûs, sous le charme rustique ! Votre Luth doux, fléxible, harmonieux, sur tous les tons sait chanter la nature ; errant tantôt dans ses déserts affreux ; tantôt rêvant au bord d’une onde pûre, l’heureuse muse, amante des bergers, s’unit aux jeux des Nymphes, des montagnes ; va parcourant les bosquets, les vergers, les prés, les bois, les ruisseaux, les campagnes. Elle se plait à peindre l’homme heureux ; à contempler sa paisible innocence ; à le voir bon, sensible, vertueux à faire en tous germer la bienfaisance. Mais quand le Crime au bras ensanglanté, à l’air hideux, à l’œil sombre & farouche, de son poignard, par l’enfer aiguisé, de deux époux vient déchirer la couche ; Quand cet Anglois, moins guérier qu’assassin, Cette furie en soldat déguisée, Sous l’humble toit entre le fer à la main, à la lueur de la hûte embrasée. Quand il saisit les enfans au berceau, et les étend sur la pierre brûlante ; quand dans leur cœur il plonge son couteau, et de leur sang teint leur mère expirante ; avec quel feu ! quelles touches d’airains ! quels traits hardis, comme le temps durable ! Vos cris vengeurs, votre immortel bûrin, gravent l’effroi dans le sein des coupables ! ah ! le crayon qui trace tant d’horreur fut animé par une aime profonde. St. John ! helas ! les crimes les douleurs regnent donc seuls sur la machine ronde ? Non ; les humains ne sont pas tous méchans. ah ! gardons-nous d’outrager la nature ; et détournons nos regards languissans de ces objets de cette scène impure. Doux enchanteur ! votre main me conduit sous des berceaux que caresse Zéphire : Je vous y suis, mon cœur vous obéit, quel doux parfum ! quel air pur j’y respire. Mais, qui sont donc ces deux dignes mortels, que de ses mains l’humanité couronne ? Pour quoi ces jeux ? pour qui sont ces autels ? Je vois, je vois la vertû qui les donne. Tendre Mifflin ! Sensible Bénézet !
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Notes
dans tous les cœurs vos noms trouvent un temple. Mais la vertû dans l’ombre se complaît C’est l’honorer, que suivre son exemple. St. John ! ma muse, elevée au hameau, à peu d’essor ; humble et simple bergère. elle ne sait qu’enfler un chalumeau ; et n’a jamais foulé que la fougère. Que d’Apollon, les fils chéris des dieux, de vos écrits célèbrent l’élégance, le nerf brillant, le stile vigoureux, la verve mâle, & la noble éloquence ; pour moi, qui sens que j’approche de vous, plus par mon cœur, que les dons du génie ; qui crois l’esprit, les talens, au dessous de la vertû, de la Philanthropie ; C’est au bon Pere, au voisin genéreux, à l’époux tendre, au Citoyen paisible, au sage simple, à l’homme vertueux aux maux d’autrui compatissant sensible : C’est à l’ami des malheureux humains, qui les chérit qui les console en frere, que, leur tenant par les plus doux liens, J’offre ces vers sans parure étrangère. Par Mr. Tardivaux habitant de Louisville. 14.
Le 8 décembre 1791, Gouverneur Morris note dans son journal qu’il a donné à St. John de Crèvecœur « un certificat attestant que son fils est citoyen américain » : Gouverneur Morris, A Diary of the French Revolution, 1789-93, op. cit., vol. 2, p. 322 ; voir Robert de Crèvecœur, Saint John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 179-180 ; Julia Post Mitchell, Saint-Jean de Crèvecœur, op. cit., p. 285-286.
15.
Robert de Crèveceœur, Saint John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 190-191 ; lettre de Gouverneur Morris à Thomas Jefferson, 6 mars 1794, dans Jean-Jacques Flechter, Un diplomate américain sous la Terreur, 1983, p. 313 ; voir également Yvon Bizardel, Les Américains à Paris pendant la Révolution, 1972, p. 221-253.
16.
Charles-Joseph Trouvé, « Voyage dans la Haute-Pensylvanie […] Premiere extrait », 1801, p. 863 ; Selector, « Voyage dans la Haute-Pensylvanie […] », 1801, p. 34-35.
17.
St. John de Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie, op. cit., vol. I, p. vii, xvii, vii.
18.
Ibid., p. 1.
19.
Ibid., p. 87-88.
20.
Ibid., p. 206-207.
21.
François de Chateaubriand, « [2 octobre 1801.] A Fontanes », dans Correspondance générale de Chateaubriand, 1912, vol. I, p. 57. — Ces pages seront finalement rendues publiques sous le titre de « Discussion historique sur les ruines trouvées sur
558
St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américaine
les bords de l’Ohio » et signées Un Canadien, dans le Mercure de France du 8 octobre 1801, avant d’être reprises en 1803 dans une des notes du Génie du christianisme : dans Essai sur les révolutions. Génie du christianisme, 1978, p. 11301132. 22.
Robert de Crèvecœur, Saint John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 286-287.
23.
Gay Wilson Allen et Robert Asselineau, St. John Crèvecœur. The Life of an American Farmer, 1987, p. 233, n. 3, 234, n. 6, 7-9, 10-11.
24.
Document reproduit dans Robert de Crèvecœur, Saint John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 5.
25.
Ibid.
26.
Ibid., p. 6, n. 1 ; St. John de Crèvecœur, Voyage aux grandes salines tyroliennes de Reichenhall, op. cit., p. 31.
Le séjour en Nouvelle-France 1.
[Louis-Joseph de Saint-Véran, marquis de Montcalm], « Lettres du marquis de Montcalm à M. de Bourlamaque », dans Collection des manuscrits du Maréchal de Lévis, vol. V, Lettres de M. de Bourlamaque au chevalier de Lévis, 1891, p. 237.
2.
Le mot « piquet » désigne un « [g]roupe de cavaliers désignés pour monter à cheval au premier signal, les chevaux étant tenus au piquet, prêts à être détachés) » et sert, par extension, à identifier un « [d]étachement, [une] petite troupe de soldats qui doivent se tenir prêts » : Le Grand Robert de la langue française, 2001.
3.
« État des sujets que le Roi a agréés pour les charges vacantes dans le second bataillon du régiment d’infanterie de la Sarre », dans Collection des manuscrits du Maréchal de Lévis, vol. III, Lettres de la cour de Versailles au baron de Dieskau, au marquis de Montcalm et au chevalier de Lévis, p. 148 ; « Contrôle des Lieutenants, 1748-1763 », op. cit.
4.
« Mémoire Emplois Vacans […] Proposition aux emplois vacans du 25. Juillet 1758 », archives privées de M. Hubert Jean Saint-John de Crèvecœur. Le même document est mentionné sour le titre de « Travail du roi, 25 juillet 1758, Dépôt de la guerre », dans Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 12-13.
5.
Cité dans Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 14 ; voir également L. Dussieux, « M. de Bougainville à Versailles », dans Le Canada sous la domination française […], op. cit., p. 210.
6.
Howard C. Rice, Le cultivateur américain, op. cit., p. 10-11, n. 4 ; Plan du fort George appellé Par les Anglois William-henri Et de ses Attaques par Mr. le Marquis de Montcalm maréchal des Camps &c, Paris, Bibliothèque nationale de France, site de l’Arsenal.
7.
[Louis-Antoine, comte de Bougainville], [« Mémoires remis par M. de Bougainville à MM. de Belle-Isle, Crémille, Berryer, de Choiseul, d’Estrées et à madame de Pompadour — 1758-1759 »], dans Rapport de l’archiviste de la province de Québec pour 1923-1924, 1924, p. 8-70.
559
Notes
8.
« Lettres du marquis de Montcalm à M. de Bourlamaque », loc. cit., p. 298.
9.
Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 8-9.
10.
St. John de Crèvecœur, « Souvenirs consacrés à la mémoire de Mme la comtesse de Houdetot », loc. cit., p. 250.
11.
St. John de Crèvecœur, Voyage aux grandes salines tyroliennes de Reichenhall, op. cit., p. 31.
12.
Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 6, n. 6.
13.
St. John de Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie, op. cit., vol. III, p. 1-35.
14.
St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. II, feuillet inséré entre les fo 80 et 81.
15.
Guy Frégault, La guerre de la conquête, 1754-1760, 1975, p. 95. Sur l’organisation militaire de la Nouvelle-France à la fin du régime français, voir Louise Dechêne, Le Peuple, l’État et la Guerre au Canada sous le Régime français, 2008 ; W. J. Eccles, « Les forces armées françaises en Amérique du Nord pendant la guerre de Sept Ans », dans Dictionnaire biographique du Canada, 1974, vol. III, p. xv-xxiv ; Gérard Malchelosse, « Milice et troupes de la Marine en Nouvelle-France, 1669-1760 », 1949 ; Martin L. Nicolai, « A Different Kind of Courage : The French Military and the Canadian Irregular Soldier during the Seven Year’s War », 1998 ; George F. G. Stanley, Canada’s Soldiers. The Military History of an Unmilitary People, 1960, p. 25-30.
16.
Thomas Philbrick, St. John Crèvecœur, op. cit., p. 17 ; A. M. Plumstead, « Crèvecœur : a “ Man of Sorrows ” and the American Revolution », 1976, p. 286.
17.
André Corvisier, L’armée française de la fin du XVIIe siècle au ministère de Choiseul. Le soldat, 1964, p. 480-483 ; « Dans l’armée française les cadets sont des fils de famille qui ont rang de soldat sans avoir contracté d’engagement et sans recevoir de paye, ce qui leur permet de se retirer quand bon leur semble. Ceux des troupes de la Marine jouissent du même avantage avec la solde en plus » : Louise Dechêne, Le Peuple, l’État et la Guerre au Canada sous le Régime français, op. cit., p. 141.
18.
On ne trouve nulle part le nom de St. John de Crèvecœur sur les diverses listes d’individus que le marquis de Vaudreuil a proposés pour occuper les charges de lieutenance vacantes entre le 8 novembre 1756 et le 8 novembre 1758 : « Compagnies détachées en Canada, 1756, 1757 et 1758 », Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Lorsque Bougainvaille est envoyé en France, il emporte avec lui une liste de noms présentant les individus proposés par Vaudreuil afin de combler seize places de lieutenant vacantes à la fin de 1758 ; le nom de St. John de Crèvecœur n’y figure pas : [Louis-Antoine, comte de Bougainville], « Remplacement d’officiers de guerre […] lieutenances », dans [« Mémoires remis par M. de Bougainville à MM. de Belle-Isle, Crémille, Berryer, de Choiseul, d’Estrées et à madame de Pompadour — 1758-1759 »], loc. cit., p. 37-38.
19.
« Liste alphabétique des officiers militaires, 1680-1750 » ; « Liste des officiers militaires classés par ordre des grades, 1680-1750 » ; « Liste alphabétique des officiers militaires classés par ordre des grades, 1680-1750 » ; « Liste alphabétique des officiers militaires, 1400-1750 » ; « Cadets, 1730-1746 » ; « Cadets de Rochefort, 1751 » ; « Cadets-gentilhommes, Rochefort et Île de Ré, 1755-1790 », Ottawa, Bibliothèque et Archives Canada.
560
St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américaine
20.
St. John de Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie, op. cit., vol. I, p. 337.
21.
Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 11, n. 1.
22.
Louis-Auguste-Alexandre Prévôt de Montaubert de Merleval, « Campagne du Canada », dans Pierre Héliot, « La campagne du régiment de la Sarre au Canada (1756-1760) », 1950, p. 523.
23.
Ibid., p. 525.
24.
« The Cartel Regarding Exchange of Prisoners », dans [John Knox], An Historical Journal of the Campains in North America for the Years 1757, 1758, 1759, and 1760, 1915, vol. III, p. 258.
25.
Howard C. Rice, Le cultivateur américain, op. cit., p. 12.
26.
« The Cartel Regarding Exchange of Prisoners », loc. cit., p. 272.
27.
« Articles de la capitulation de Québec », dans Documents relatifs à l’histoire constitutionnelle du Canada (1759-1791), 1921, p. 3.
28.
[Marie-Joseph Legardeur de Repentigny], Relation de ce qui s’est passé au Siége de Québec, et de la prise du Canada ; par une Religieuse de l’Hôpital Général de Québec, dans Le Siège de Québec en 1759 par trois témoins, 1972, p. 14, 16. — On doit à Julie Roy l’établissement de l’identité de la rédactrice de ce document : « Marie-Joseph Legardeur : La Relation du Siége de Québec en 1759 ou le récit de la formation d’un imaginaire », 1998.
29.
Anonyme, Monseigneur de Saint-Vallier et l’Hôpital Général de Québec, 1883, p. 352.
30.
« M. Robert Monckton au chevalier de Lévis », dans Collection des manuscrits du Maréchal de Lévis, vol. IV, Lettres et pièces militaires, Instructions, ordres, mémoires, plans de campagne et de défence, 1756-1760, 1891, p. 263.
31.
« Mémoire Des disputes Survenües Sur le Cartel Entre Les Generaux de S.M.T.C. et S.M.B. en Amérique », dans [John Knox], An Historical Journal of the Campains in North America […], op. cit., vol. III, p. 289-290.
32.
« Articles de la capitulation de Québec », loc. cit., p. 2.
33.
[Benoît-François Bernier], « Lettres de M. Bernier, commissaire des guerres », dans Collection des manuscrits du Maréchal de Lévis, vol. X, Lettres de divers particuliers au Chevalier de Lévis, 1895, p. 10, 11.
34.
Ibid., p. 13.
35.
« État de la perte du 13 septembre », dans Collection des manuscrits du Maréchal de Lévis, vol. I, Journal des campagnes du Chevalier de Lévis en Canada De 1757 à 1760, 1889, p. 218-219.
36.
« Lettres de M. Bernier », loc. cit., p. 15.
37.
Ibid., p. 23.
38.
Ibid., p. 23-24.
39.
[James Murray], Manuscript Relating to the Early History of Canada, Journal of the Siege of Quebec, 1760, by General Jas. Murray, 1871, p. 6 ; Henri L. Bourdin, « The Crèvecœur Manuscripts », dans St. John de Crèvecœur, Sketches of Eighteenth- Century America […], op. cit., p. 14, note *.
561
Notes
40.
« Lettres de M. Bernier », loc. cit., p. 24-25.
41.
Dictionnaire historique de la langue française, 1994 ; voir également Le Grand Robert de la langue française, op. cit. ; Trésor de la langue française informatisé, op. cit.
42.
« Lettres de M. Bernier », loc. cit., p. 37.
43.
Dictionnaire historique de la langue française, op. cit. ; voir également Le Grand Robert de la langue française, op. cit. ; Trésor de la langue française informatisé, op. cit.
44.
« État des nominations dans les troupes de terre depuis le 15 novembre 1759 », loc. cit., p. 400 ; Anonyme, « Officiers du régiment de la Sarre (1) », 1945, p. 253.
45.
Howard C. Rice, Le cultivateur américain, op. cit., p. 12-13 ; « Introduction », dans St. John de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Qu’est-ce qu’un Américain ?, 1943, p. 3.
46.
Marcus Cunliffe, « Crèvecœur Revisited », 1975, p. 140 ; A. M. Plumstead, « Crèvecœur : a “ Man of Sorrows ” and the American Revolution », art. cit., p. 286 ; Thomas Philbrick, « Crèvecœur as New Yorker », 1976, p. 22 ; St. John de Crèvecœur, op. cit., p. 17.
47.
Gay Wilson Allen et Roger Asselineau, St. John de Crèvecœur. The Life of an American Farmer, op. cit., p. xviii, 22, 22-23.
48.
André Corvisier, L’armée française de la fin du XVIIe siècle au ministère de Choiseul. Le soldat, op. cit., p. 592, 894-895.
49.
« Contrôle des Lieutenants, 1748-1763 », op. cit. Il nous a été impossible de déterminer la signification de l’abréviation « abt », cela tant en français qu’en latin. L’unique usage dont il est possible d’attester provient du domaine de la généalogie, où on a coutume d’utiliser cette abréviation d’origine anglaise du mot « about » pour signaler qu’une date est approximative.
50.
Dictionnaire historique de la langue française, op. cit. ; voir également Le Grand Robert de la langue française, op. cit. ; Trésor de la langue française informatisé, op. cit.
51.
Pierre-Georges Roy, « Les traîtres de 1759 », 1936.
52.
[John Knox], An Historical Journal of the Campains in North America […], op. cit., vol. II, p. 228, 231, 235, 237, 243.
53.
« [Québec : Lettres adressées au général Monckton par des prisonnies français après la prise de Québec] », 20 octobre 1759, Ottawa, Bibliothèque et Archives Canada.
54.
Au moment d’envoyer le présent ouvrage à l’impression, nous avons découvert que D. Peter MacLeod venait de signaler l’existence de cette lettre dans La vérité sur la bataille des plaines d’Abraham. Les huits minutes de tirs d’artillerie qui ont façonné un continent, 2008, p. 111. Dans la mesure où il ne cite pas le moindre extrait du document, nous avons raison de continuer à le considérer comme inédit. De plus, McLeod ne souligne pas la valeur et l’importance de cette lettre sur le plan des études crèvecœuriennes, et la lecture qu’il en fait est entachée par les inexactitudes qu’il a empruntées à sa principale source de renseignements : le St. John de Crèvecœur. The Life of an American Farmer, de Gay Wilson Allen et Roger Asse lineau.
562
St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américaine
Le « fermier griffonneur » 1.
Julia Post Mitchell, St. Jean de Crèvecœur, op. cit., p. 307, xiii, 20.
2.
Robert de Crèvecœur, Saint John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 12, n. 2.
3.
Document retranscrit dans Henri L. Bourdin, « The Crèvecœur Manuscripts », loc. cit., p. 15, note t.
4.
Pierre-Georges Roy, « La famille Renaud d’Avène des Méloizes », 1907, p. 202.
5.
Nicolas Renaud d’Avène de Méloizes, « Journal militaire tenu par Nicolas Renaud d’Avène des Méloizes », dans Rapport de l’Archiviste de la province de Québec pour 1928-1929, 1929, p. 55, 74.
6.
Pierre-Georges Roy, « La famille Renaud d’Avène des Méloizes », loc. cit., p. 199-202, 206 ; Robert de Crèvecœur, Saint John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 288. Dans la note où il fait référence à la lettre de Chartier de Lotbinière, Robert de Crèvecœur signale que « M. de Méloizes (Nicolas Renaud d’Avène) était l’aïeul paternel de la mère de celui qui écrit ces lignes » : ibid., p. 12, n. 2.
7.
Monsieur Hubert Jean Saint-John de Crèvecœur nous a appris que les documents actuellement en sa possession constituent tout ce qu’il reste des archives de son grand-père Robert de Crèvecœur. Il les a récupérés à la fin de de la Seconde Guerre mondiale, dans les cendres d’un amoncellement de papiers auquel les armées d’occupation avaient mis le feu, détruisant ainsi une grande partie de la documentation qu’avait pu amasser son aïeul.
8.
Nicolas Renaud d’Avène des Méloizes, « Lettres à M. des Méloizes, 23 août 1783sept. 1811. Cahier de lettres adressées à M. des Méloizes par Antoine Jucherau Duchesnay, Marie-Eustache Juchereau, le Marquis Michel Chartier de Lotbinière, M. de Lotbinière fils », Québec, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
9.
Selon le Trésor de la langue française informatisé, une tontine est un « [g]roupe d’épargnants d’âges différents au sein duquel les parts des associés qui meurent sont réparties entre les survivants, soit qu’ils se partagent le capital accumulé, soit qu’ils bénéficient d’une rente viagère constituée à partir de ce capital » ; tontinier désigne pour sa part une « [p]ersonne qui fait partie d’une tontine » et, sous forme adjective, ce « [q]ui a rapport à une tontine ou à un tontinier ».
10.
Alainville était le nom d’une des seigneuries de Chartier de Lotbinière, située au sud-ouest du lac Champlain ; le signataire de la lettre se sert de cette appellation pour désigner son fils, Michel-Eustache-Gaspard-Alain Chartier de Lotbinière (17481822), héritier de l’établissement.
11.
La transcription de la lettre est accompagnée de la liste de ces ouvrages.
12.
Le Trésor de la langue française informatisé définit le péculat comme la « [s]oustraction ou détournement des fonds publics ou des biens de l’État par un dépositaire ou comptable public ».
13.
« Michel Chartier, Marquis de Lotbinière à Monsieur le Comte des Méloizes Chevalier de Saint-Louis, en son Chateau de Fresnoy près Beaumont-sur-Oise. New York, le 7 juin 1790 », dans Nicolas Renaud d’Avène des Méloizes, « Lettres à M. des Méloizes, 23 août 1783-sept. 1811 […] », op. cit., fo 173-179.
563
Notes
14.
St. John de Crèvecœur, « Dossier St. John de Crèvecœur », op. cit. ; document retranscrit dans Howard C. Rice, Le cultivateur américain, op. cit., p. 13.
15.
Robert de Crèvecœur, Saint John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 39, 42-43 ; Howard C. Rice, Le cultivateur américain, op. cit., p. 14 ; « Voyage A la Jamaïque & aux Isles Bermudes », dans St. John de Crèvecœur, Lettres d’un cultivateur américain, op. cit., vol. I, p. 255-266.
16.
Robert de Crèvecœur, Saint John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 285 ; « The Purchase of Greycourt », document reproduit dans Julia Post Mitchell, St. Jean de Crèvecœur, op. cit., p. 310.
17.
Robert de Crèvecœur, Saint John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 24. Il nous a été possible de vérifier l’exactitude de cette transcription en la comparant aux lignes figurant à l’endos du dessin original conservé dans les archives privées de M. Hubert Jean Saint-John de Crèvecœur.
18.
Elle parle d’une « peinture réalisée par le Fermier » : Franklin B. Sanborn, « Mr. Franklin B. Sanborn presented a photograph of the farmhouse and grounds of St. John de Crèvecœur, the “ American Farmer, ” near Cornwall, on the Hudson, from an aquarelle by himslef drawn about 1778 », 1906, p. 21.
19.
St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. II, p. 148. Ce dessin a été reproduit dans Anonyme, « Library of Congress Acquires Crèvecœur Manuscripts […] », art. cit., p. 41.
20.
Robert de Crèvecœur, Saint John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 25 ; « The Purchase of Greycourt » ; « Sale of Greycourt », documents reproduits dans Julia Post Mitchell, St. Jean de Crèvecœur, op. cit., p. 311, 318.
21.
Franklin B. Sanborn, « Mr. Franklin B. Sanborn presented a photograph of the farmhouse and grounds of St. John de Crèvecœur […] », art. cit., p. 20, 21.
22.
Document retranscrit dans Julia Post Mitchell, St. Jean de Crèvecœur, op. cit., p. 314.
23.
« Par devant les Notaires à Caen soussignés. / L’an mil sept cent quatrevingt-un Le trois septembre avant midy », op. cit.
24.
Alphonse de Lamartine, Histoire des Girondins, op. cit., vol. II, p. 392.
25.
Les Lettres d’un fermier américain nous apprenent que James n’approuve pas les lois de succession européenne, d’après lesquelles le fils aîné est le seul légataire des possessions de son père. Il souligne en effet que, selon les coutumes américaines, qu’il estime être « dictées par les lois de la nature, il est de notre devoir d’assurer de notre vivant l’avenir de notre aîné, de façon à ce que notre ferme et ses dépendances puissent revenir aux plus jeunes qui ont moins de ressources » : Peut-être doit-on entendre dans ces mots une allusion aux éventuels problèmes de partage d’héritage que St. John de Crèvecœur aura désiré remédier en renonçant à ses droits de fils aîné.
26.
Julia Post Mitchell, St. Jean de Crèvecœur, op. cit., p. 47.
27.
« Par devant les Notaires à Caen soussignés. / L’an mil sept cent quatrevingt-un Le trois septembre avant midy », op. cit.
28.
Cité dans Julia Post Mitchell, St. Jean de Crèvecœur, op. cit., p. 47.
564
St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américaine
29.
St. John de Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie, op. cit., vol. I, p. 74, 282-287, 576.
30.
Document cité dans Julia Post Mitchell, St. Jean de Crèvecœur, op. cit., p. 315.
31.
Ibid., p. 48 ; St. John de Crèvecœur, Lettres d’un cultivateur américain, op. cit., vol. I, p. 427.
32.
Thomas Philbrick, St. John de Crèvecœur, op. cit., p. 25.
33.
William Smith, Historical Memoirs, 1971, p. 74.
34.
St. John de Crèvecœur, Lettres d’un cultivateur américain, op. cit., vol. I, p. 434.
35.
William Smith, Historical Memoirs, op. cit., p. 127.
36.
Document retranscrit dans Julia Mitchell Post, St. Jean de Crèvecœur, op. cit., p. 54-55, n. 21.
37.
William Smith, Historical Memoirs, op. cit., p. 128-129 ; document partiellement retranscrit dans Bernard Chevignard, « St. John de Crèvecœur in the Looking Glass : Letters from an American Farmer and the Making of a Man of Letters », 1984, p. 176.
38.
William Smith, Historical Memoirs, op. cit., p. 75.
39.
Thomas Philbrick, « Crèvecœur as New Yorker », art. cit., p. 29.
40.
Thomas Philbrick, St. John de Crèvecœur, op. cit., p. 109.
41.
Bernard Chevignard, « St. John de Crèvecœur in the Looking Glass […] », art. cit., p. 174.
42.
Document retranscrit dans ibid., p. 174-176.
43.
St. John de Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie, op. cit., vol. II, p. 275 ; Voyage aux grandes salines tyroliennes de Reichenhall, op. cit., p. 103.
44.
St. John de Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie, op. cit., vol. I, p. 419-421.
45.
Thomas Jones, History of New York during the Revolutionary War and the Leading Events in the Other Colonies at that Period [1879], 1968, vol. II, p. 67-68.
46.
Jacques Pierre Brissot de Warville, Mémoires de Brissot, op. cit., p. 399.
47.
William Smith, Historical Memoirs, op. cit., p. 126.
48.
St. John de Crèvecœur, « Esquisse de ma vie depuis ma sortie de prison à New York le 17 septembre jusqu’à mon retour dans la même ville comme consul de France le 17 novembre 1783 », dans Bernard Chevignard, « St. John de Crèvecœur à New York en 1779-1780 », art. cit., p. 169, 170.
49.
Robert de Crèvecœur, Saint John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 61.
50.
Cité dans ibid., p. 63.
51.
St. John de Crèvecœur, « Papers, 1780-1782 », op. cit., vol. I, fo 1.
565
Notes
Une visite « chés Mr. St. Jean dit Crevecœur » 1.
De février 1786 au mois d’août 1787, Brissot de Warville a été le secrétaire du marquis de Ducrest, chancelier du duc d’Orléans.
2.
Samuel Breck, « Hector St. John De Crèvecœur », dans « Samuel Breck’s “ Recollections ” », 1948, p. 112, 112-114.
3.
Samuel Breck, Recollections of Samuel Breck, op. cit., p. 81-82.
4.
Ibid., p. 85, 86-87, 85.
5.
Ibid., p. 85.
6.
Sylvette Nicolini, « Michel Chartier de Lotbinière : l’action et la pensée d’un canadien du XVIIIe siècle », 1978, fo 193-194, 195.
7.
Ibid., fo 226.
8.
Ibid., fo 204, 195, 223, 196.
9.
Jacques Pierre Brissot de Warville, Mémoires de Brissot, op. cit., p. 399.
10.
Marquis Michel Chartier de Lotbinière, « Journaux de Michel Chartier de Lotbinière », Ottawa, Bibliothèque et Archives Canada (BAC) ; « Journaux de Michel Chartier de Lotbinière », « Carillon, 1755 [sic : 1756] : Copie du journal », « Journal du Marquis de Lotbinière », Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) ; « Lotbiniere manuscripts », New York, The New York Historical Society (NYHS) : fragment non daté, antérieur à juin 1746 ; du 4 juin au 16 novembre 1746 : « Journal de la Campagne De lAcadie Commencée du 4 juin 1746 » ; du 1er février au 24 juin 1747, du 19 juin au 17 août 1749 : « Journal De mon voïage De michilimakinac fait en 1749 par ordre de M. le Ms De Lagalissoniere » ; du 27 février au 26 mars 1749 ; du 19 mai 1752 jusqu’à une date indéterminée : « Remarques faites Dans le séjour que j’ay fait en 1752 dans le paÿs Messin [région de Metz], Et autres tournées que le séjour m’a occasionné », BAC ; du 8 mai au 2 juillet 1756 » « Carillon 1755 [sic], Copie du Journal », BAC et BAnQ ; du 8 septembre 1758 au 3 septembre 1759, BAC ; « July 1759 » [sic : du 3 au 30 septembre 1759 : la mention figurant sur la première page de ce fragment de journal s’avère une erreur puisque le contenu du document fait de toute évidence référence à des événements se déroulant au cours du mois de septembre 1759, parmi lesquelles l’« affaire du 13 »], NYHS ; du 30 mai 1772 au 7 août 1772 ; du 24 août au 27 octobre 1773 ; du 6 novembre au 18 décembre 1775 ; du 24 décembre 1776 au 28 janvier 1777 ; du 22 août au 11 octobre 1777 ; du 4 février au 1er mai 1778 ; du 3 septembre 1778 au 4 janvier 1779, BAC ; du 14 août au 2 décembre 1779, BAC et BAnQ ; du 12 avril au 21 mai 1780, BAC ; du 14 octobre au 20 décembre 1780, BAC et BAnQ ; du 12 avril 1780 au mois de mars 1781, BAC ; du 6 avril au 2 juillet 1784 ; 10 février 1786 : « Extrait du journal relatif à l’affaire LeRoux — de Léry ; du 2 octobre au 6 décembre 1786 ; du 19 novembre au 31 décembre 1787, BAC et BAnQ ; du 10 et 11 juillet 1797, « Extraits de mon journal, au sujet du genal. Schuyler », BAC. — Ces documents couvrent environ 225 semaines (4 ans et 3 mois) sur une période s’étirant de 1746 à 1797 (51 ans), ce qui permet d’estimer que cet ensemble constitue approximativement 8,5 % des pages de journal que Chartier de Lotbinière a pu écrire au cours de son existence. Sylvette Nicolini signale l’existence d’un autre fragment qu’il nous a été impossible de retracer : du 30 août 1758 au 12 février 1759.
566
St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américaine
11.
Il existe deux transcriptions tapuscrites de ce segment du journal de Chartier de Lotbinière ; « Journaux de Michel Chartier de Lotbinière », op. cit. ; « Journal du Marquis de Lotbinière », op. cit., vol. 2, p. 290-363.
12.
« Journaux de Michel Chartier de Lotbinière », op. cit., fo 1-2.
13.
Ibid., fo 3-4, 3.
14.
Ibid., fo 18, 20, 21-22.
15.
« From G. A. Auckler » ; « To G. A. Auckler » ; « To the Georgia Delegates in Congress », dans Thomas Jefferson, The Papers of Thomas Jefferson, op. cit., vol. XI, p. 360, 559, vol. XII, p. 49. Voir les manuscrits : « G. A. Auckler to Thomas Jefferson, May 11, 1787, in French » ; « Thomas Jefferson to G. A. Auckler, July 1, 1787, in French » ; « Thomas Jefferson to Georgia Delegates in Congress, August 21, 1787 » : « Thomas Jefferson Papers Series 1, General Correspondence, 1651-1827 », dans Thomas Jefferson, The Thomas Jefferson Papers from the Manuscript Division at the Library of Congress, op. cit., p. 375-376, 629, 1018.
16.
« Journaux de Michel Chartier de Lotbinière », op. cit., fo 5.
17.
Ibid., fo 6.
18.
Ibid., fo 7.
19.
Ibid., fo 11.
20.
Ibid., fo 9.
21.
St. John de Crèvecœur, « New York, 15 juillet 1784 », dans « Dossier St. John de Crèvecœur », op. cit. ; document retranscrit dans Howard C. Rice, Le cultivateur américain, op. cit., p. 34.
22.
Journals of the Continental Congress, op. cit., vol. XXVII, p. 584-585.
23.
Howard C. Rice, « Introduction », loc. cit., p. 8.
24.
St. John de Crèvecœur, « New York le 25 Juillet 1787 », dans « Dossier St. John de Crèvecœur », op. cit.
Le véritable secret 1.
Jacques Pierre Brissot de Warville, Mémoires de Brissot, op. cit., p. 400, 399, 400, 401-402.
2.
Ibid., p. 399, 399-401.
3.
John Brooks Moore, « The Rehabilitation of Crèvecœur », 1927, p. 222.
4.
« George Washington to St. John de Crevecœur, December 4, 1783 » : « The Writings of George Washington from the Original Manuscript Sources, 1745-1799, John C. Fitzpatrick, Editor, vol. 27 », Letterbook 5, p. 64, dans The George Washington Papers at the Library of Congress, op. cit. ; « To Crèvecœur », dans The Papers of George Washington. Confederation Series, op. cit., vol. V, p. 251.
5.
St. John de Crèvecœur, Lettres d’un cultivateur américain, op. cit., vol. III, p. 250-302.
6.
St. John de Crèvecœur, « Au Rédacteur du Courier de l’Europe », art. cit.
567
Notes
7.
Dans St. John de Crèvecœur, Sketches of Eighteenth-Century America […], op. cit., p. 269, 279, 396.
8.
St. John de Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie, op. cit., vol. I, p. 384.
9.
Ibid., vol. II, p. 405.
10.
Ibid., vol. III, p. 340-342, 342-343.
11.
Ibid., vol. I, p. 326-327.
12.
Ibid., vol. I, p. 327.
13.
St. John de Crèvecœur, Lettres d’un cultivateur américain, op. cit., vol. I, p, 289-314.
14.
St. John de Crèvecœur, « Hospitals », dans More Letters from the American Farmer, op. cit., p. 121-127.
15.
St. John de Crèvecœur, Lettres d’un cultivateur américain, op. cit., vol. I, p. 281-282.
16.
Ibid., p. 29-30.
17.
Ibid., vol. II, p. 5, 6-7.
18.
Ibid., p. 10-12, 13-14.
19.
François-Xavier de Charlevoix, Journal d’un voyage fait par ordre du roi dans l’Amérique septentrionnale ; Adresssé à Madame la Duchesse de Lesdiguieres, 1744, vol. V, p. 117-118, 253-257.
20.
St. John de Crèvecœur, « On the Susquehanna », dans Sketches of Eighteenth- Century America […], op. cit., p. 372.
Les abeilles et le tyran 1.
D. H. Lawrence, « Hector Saint-Jean-de-Crèvecœur », loc. cit., p. 43 ; « Hector St. John de Crèvecœur », loc. cit., p. 28.
2.
St. John de Crèvecœur, Lettres d’un cultivateur américain, op. cit., vol. I, p. 66-68.
3.
St. John de Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie, op. cit., vol. II, p. 421.
4.
St. John de Crèvecœur, Voyage dans la Haute Pensylvanie, op. cit., vol. I, p. 342-344.
5.
Ibid., vol. II, p. 46, 388-389.
6.
St. John de Crèvecœur, « Thoughts of an American Farmer on Various Rural Subjects », dans Sketches of Eighteenth-Century America […], op. cit., p. 295, 315.
7.
St. John de Crèvecœur, « History of Mrs. B. », ibid., p. 395.
8.
St. John de Crèvecœur, « Ant-hill Town », ibid., p. 246, 244.
9.
St. John de Crèvecœur, « Manners of the American », ibid., p. 262.
10.
Thomas Hobbes, Léviathan, op. cit., p. 285-288.
11.
Ibid., p. 289, 288, 287, 288-289.
12.
« The Declaration of Independence », dans The American Revolution. Writings from the War of Independence, 2001, p. 128.
568
St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américaine
13.
Thomas Paine, Le sens commun, traduction de Bernard Vincent, 1995, p. 51-52.
14.
Les positions et les propos de St. John de Crèvecœur s’apparentent et s’approchent en plusieurs autres occasions de ceux de Thomas Paine. Dans la Lettre III, « Qu’est-ce qu’un Américain ? », James explique comment l’Américain n’est pas tout à fait un Britannique, mais le fruit du « croisement fortuit » de représentants de diverses nations européennes ayant fui la détresse et les malheurs. Dans Le sens commun, publié six ans avant les Lettres d’un fermier américain, Thomas Paine écrit pour sa part que : L’Europe, et non l’Angleterre, est la mère patrie de l’Amérique. Le Nouveau Monde a été, pour les persécutés de toute l’Europe, le refuge des amis de la liberté civique et religieuse. Ils ont fui vers ces climats, non pour se dérober aux tendres embrassements d’une mère, mais pour échapper aux cruautés d’un monstre ; et c’est à ce point vrai de l’Angleterre que la même tyrannie qui poussa les premiers colons à quitter leur pays y poursuit encore leurs descendants. Dans cette immense partie du globe, nous oublions les limites étroites de l’Angleterre et les trois cent soixante milles qui représentent son étendue : nos amitiés se situent sur une plus grande échelle, nous entendons être frères de tous les chrétiens d’Europe et nous nous glorifions de la générosité de ce sentiment : ibid., p. 80. James résume sa théorie de la constitution de l’identité américaine en écrivant : « Les Américains étaient jadis éparpillés dans toute l’Europe. » Toujours dans Le sens commun, Paine constate de son côté que « tous les Européens qui se rencontrent en Amérique ou dans quelque autre partie du globe […] sont “ compatriotes ” » : ibid., p. 81. James écrit également que : Les deux tiers des hommes n’ont hélas pas de pays. Le malheureux qui erre à l’aventure, qui travaille et souffre de la faim, dont la vie est un incessant spectacle de douloureuse affliction ou de cinglante pénurie, peut-il donner à l’Angleterre ou à n’importe quel autre royaume le nom de pays ? En Amérique, ces malheureux se découvrent un pays, s’y trouvent une identité parce qu’ils y trouvent enfin leur pain, ce que James résume par la formule « Ubi panis, ibi patria », qu’il présente comme « la devise de tous les émigrants ». Il affirme du même souffle que cette nouvelle identité américaine est liée à une adhésion à un certain projet socioculturel : Est américain celui qui, abandonnant derrière lui toutes ses anciennes opinions et coutumes, en adopte de nouvelles qui se forment au contact du nouveau mode de vie qu’il a embrassé, du nouveau gouvernement auquel il obéit, et du nouveau rang qu’il occupe. En avril 1776, dans la seconde de ses « Lettres du forestier », Thomas Paine écrit pratiquement la même chose lorsqu’il affirme que « la fraternité n’est pas le fruit du lieu ou du hasard, mais celui des principes et du sentiment. Un homme libre […] est nulle part un étranger ; un esclave l’est partout. » (Le fait que Paine ait été originaire d’Angleterre et qu’il était donc, comme St. John de Crèvecœur, un immigrant récemment arrivé aux États-Unis, explique peut-être en partie la concordance de vues des deux hommes sur l’aspect transculturel de l’identité américaine alors émergeante.) Au cours du même mois, la troisième de ses « Lettres du forestier » décrit l’Amérique comme un territoire « limité par l’océan et adossé aux étendues sauvages » : une représentation du territoire américain identique à celle proposée par James, qui situe l’espace intermédiaire, le domaine des authentiques fermiers américains, entre
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Notes
le monde des villes côtières et celui des frontières sauvages de l’arrière-pays. Deux ans plus tard, en 1778, dans un de ses articles consacrés à « La crise américaine », Paine utilise une comparaison qu’on retrouve souvent sous la plume de James ; l’un et l’autre assimilent le caractère industrieux de leurs compatriotes à celui des abeilles : « Les natifs [de l’Amérique], ou leurs ancêtres, ont fui les vieilles oppressions de l’Angleterre et, avec l’industrie des abeilles, ont transformé les étendues sauvages en un monde habitable. » Paine revient sur cette image en 1780 pour décrire le comportement de la couronne britannique face aux succès de ses colonies : « Elle a vu la ruche et, sans tenir compte du travail qui fut nécessaire à sa prospérité, devint assoiffée de son miel. » Et si James se présente comme un « semeur de sentiments », Thomas Paine écrit pour sa part, en 1778 : « je ne suis ni un fermier, ni un manufacturier, ni un ouvrier, ni un marchand, ni un boutiquier. Je crois, cependant, être du nombre des premiers. Je suis un récolteur de pensées » : « The Forester’s Letter II » (10 avril 1776) ; « The Forester’s Letter III » (22 avril 1776) ; « The American Crisis V » (21 mars 1778) ; « The Crisis Extraordinary » (4 octobre 1780) ; « Portion of a Letter to Henry Laurens » (1778 ?), dans Collected Writings, 1995, p. 69, 83, 165, 235, 211. 15.
Voir à ce sujet Myra Jehlen, « J. Hector St. John Crèvecœur : A Monarcho-Anarchist in Revolutionary America », 1979.
16.
[Normano-Americanus], Traité de la culture des pommes-de-terre, [1782], p. 5, 34.
Conclusion 1.
Thomas Philbrick, St. John de Crèvecœur, op. cit., p. 114.
2.
Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages, op. cit., p. 25, n. 2.
3.
Albert E. Stone, « Introduction », dans St. John de Crèvecœur, Letters from an American Farmer and Sketches of Eighteenth-Century America, 1963, p. 9.
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Index
A Abeilles, 22, 26, 29, 51, 76, 77-78, 80-82, 107, 160, 195, 250, 441-456, 457, 458, 531, 569 Alainville, Michel-Eustache-Gaspard-Alain Chartier de Lotbinière, dit, 362, 364, 562 Alainville, (seigneurie), 396, 562 Albany (New York), 109, 368, 406, 414, 541, 552 Alleghanys, 161, 253, 424, 427 Allen, Ethan, 305, 552 Allen, Gay Wilson, 324, 347-348. Al—z, Iw—n, 29, 30, 31, 55, 56, 197, 200, 201, 204, 207, 320, 542 Andrès, Bernard, 41 Andrew l’Hébridéen, 24, 52, 54, 55, 110, 115-124, 532 Asselineau, Roger, 324, 347-348 Aubéry, Pierre, 36 Auckler [Auklair], G. A., 401, 403, 403, 405-409, 411, 469 Ayscough, Samuel, 16, 297-299, 301, 532, 541
B Baleines, 25, 26, 51, 131, 141, 143, 146-149, 151, 152-155, 156, 157, 160, 165, 168, 176, 439, 455, 456, 458, 538 Barnard Valley (Nantucket), 134, 176 Barnstable (Massachusetts), 129, 141, 142
Barra, île de, 15, 116, 119, 121, 122 Bartram, John, 30, 31, 54, 55, 56, 197, 198-207. 320, 439, 542 Beaulieu, Victor-Lévy, 40 Belle-Île, détroit de, 147 Berkeley, George, 533 Bermudes, 129, 368, 466, 537 Bernardin de Saint-Pierre, Jacques Henri, 3, 17 Bernier, Benoît-François, 339, 340, 341, 342, 343, 344, 345, 346, 347, 350, 351, 354, 357, 358, 400, 466, Bethabara (Caroline du Nord), 161 Bethania (Caroline du Nord), 161 Bible, 118, 138, 141, 178, 455, 537 Blooming Grove (New York), 387, 388 Blouet, Marie-Anne-Thérèse, 269, 294 Bornet, Claude (dessinateur), 12 Boston, 14, 129, 131, 138, 141, 143, 144, 162, 169, 170, 173, 252, 286, 312, 313, 316, 353, 354, 357, 395, 411, 466, 468, 536 Bouchard, Gérard, 13, 525 Bougainville, Louis-Antoine, comte de, 330, 331, 343, 344, 422, 466, 559 Bouquet, général (Henry Bouquet ?), 201 Bourdin, Henri L., 359, 361, 365, 366, 385 Bourlamaque, François-Charles de, 327, 331, 338, 339, 465 Breck, Samuel, 308, 393-395, 398, 406
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St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américain
Brissot de Warville, Jacques Pierre, 4, 277-284, 299, 302, 311, 317, 318, 332, 390, 394, 397, 416-418, 419, 420, 457, 461, 463, 468, 469, 528 Brissotins, 277 Bristed, John, 307 Buffon, Georges-Louis Leclerc, comte de, 274, 316, 442 Burke, Edmund, 530 Butler, Samuel, 540 ; Hudibras, 178, 540
C Caen, 1, 36, 265, 267, 268, 270, 288, 289, 294, 317, 318, 323, 324, 325, 373, 376, 383, 448, 465, 468 Cainet (Normandie), 324 Calvinisme, calvinistes, 96, 429, 529, 534 Cambridge (Angleterre), 64, 69, Cambridge (Massachusetts), 138, 532 Campanie, 66, 325 Cap Breton, 147 Cap Désolation, 147 Cape Ann (Massachusetts), 141 Cape Charles (Virginie), 157 Cape Cod (Massachusetts), 39, 128, 129, 132, 139, 140, 141, 142, 536, 537 Cape Fear (Caroline du Nord), 161 Cape Fear, rivière, 161 Cape Poge (Martha’s Vineyard), 129, 536 Carillon, fort, 327, 328, 331, 336, 338, 339, 360, 361, 397, 398, 399, 412 Carlisle (Pennsylvanie), 62, 529, 531, 536 Caroline du Nord, 27, 53, 99, 148, 161, 524 Caroline du Sud, 24, 27, 31, 53, 55, 99, 161, 162, 179, 524, 541 Catholicisme, catholiques, 95, 96, 369, 409, 429, 430, 432, 497 Cavelier de La Salle, Robert, 306, 552 Champlain, lac, 211, 328, 331, 338, 339, 360, 427, 465, 562 Champlain, Samuel de, 39
Chappaquiddick, île de (Martha’s Vineyard), 151 Charleston (Caroline du Nord), 27, 33, 55, 56, 64, 179, 180, 181, 183, 185, 187, 189, 191 Charlevoix, François-Xavier de, 424 Chartier de Lotbinière, Angélique, 360 Chartier de Lotbinière, Eustache, 360 Chartier de Lotbinière, marquis Michel, 359, 360-367, 395-415, 416, 417, 418, 468, 469, 562 Chartier de Lotbinière, Michel-EustacheGaspard-Alain, dit Alainville : voir Alainville. Chastellux, François Jean de Beauvoir, marquis de, 278-279, 280, 282, 420 Chateaubriand, François-René, vicomte de, 272, 322, 557 Chatham (Massachusetts), 141, 142 Chaudière, rivière, 427 Chelsea (Massachusetts), 141 Chesapeake, baie de, 161 Chester (New York), 369, 387, 388, 528 Chester (Pennsylvanie), 207, 528 Chevignard, Bernard, 386 Chilmark (Martha’s Vineyard), 150 Chine, 77, 101, 531 Chouaguen, fort, 336 Clinton, George, 379 Clinton, Henry, 382, 386, 410, 410 Coatue (Nantucket), 129, 131, 135 Colden, Cadwallader, 384 Colden, David, 383, 384 Collège du Mont, 324 Collège royal de Bourbon, 324, 332, 465 Condorcet, Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de, 281, 285, 549 Connecticut, État, 78, 149, 285, 304, 524, 535 Connecticut, rivière, 141 Congrès continental, 9, 240, 241, 289, 303, 317, 411, 412, 446, 450, 452
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Index
Conquête, 105, 239, 251, 252, 259, 350, 375, 414, 422, 423, 429, 432, 433, 434, 436, 439, 447, 450, 453, 457, 458, 459 « Contrôle des Lieutenants », 269, 328, 338, 349, 466 Coskata (Nantucket), 129, 136 Cotuit (nation indienne), 142 Courrier de l’Europe, paquebot, 393, 395, 398, 401, 406, 412, 414, 468 Craigville (New York), 369, 387, 388 Crèvecoeur (Preoria, Illinois), 305-306 Crèvecoeur, Alexandre, dit chevalier de, 269, 375 Crèvecoeur, fort, 306, 552 Crèvecoeur, Guillaume-Augustin Jean de, 268, 269, 270, 271, 310, 373, 374, 381 Crèvecoeur, Robert de, 265, 269, 270, 274, 290, 332, 337, 359, 361, 365, 369, 371, 459, 531, 562 Crown Point (New York), 339 Cunliffe, Marcus, 346
D Danville (Vermont), 552 Davies, Thomas, imprimeur, 47, 468 Davis, détroit de, 147 Davis, Lockyer, imprimeur, 47, 468 Déclaration d’indépendance, 287, 377, 452 Deep River, rivière, 161 De Lancey, famille, 404 Delesdernier, Emily Pierpont, 308, 315, 316 Deleuze, Gilles, 521, 523, 524, 546 Dionne, Narcisse-Eutrope, 359 Diyarbakir (Turquie), 189 Dorchester (Massachusetts), 141 Dordrecht (Dort, Pays-Bas), 95, 534 Dubois, Peter, 386, 389, 390, 410, 426 Duke, comté (Massachusetts), 137, 149 Duquesne, fort, 424, 542, 545 Du Quesne, marquis Ange, 254, 424, 545
E Eastham (Massachusetts), 141, 142, 537 Edgartown (Martha’s Vineyard), 150 Edward, fort, 331, 337 Eel Point (Nantucket), 129, 134 Eliot, John, 138, 537 Elisabethtown (New Jersey), 359, 469 Elizabeth, îles (Massachusetts), 129, 137, 149 Emerson, Ralph Waldo, 40 Épouse de James, 21, 26, 30, 63, 64, 68, 69, 71, 74, 75, 86, 117, 211, 216, 219, 221, 225, 227, 228, 229 Évangile, 168, 185, 229
F Falkland, îles, 147 Falmouth (Massachusetts), 140, 141, 149, 150 F. B., 21, 22, 28, 29, 32, 65, 68, 69, 70, 71, 72, 530 Fellowes, Gustavus, 308, 312, 313, 315, 316, 468 Floride, 87, 126, 201 Foucault, Michel, 264, 545, 546 Franklin, Benjamin, 8, 10, 14, 17, 28, 29, 276, 284, 285, 286, 287, 288-295, 307, 307, 309, 332, 371, 468 Frères Moraves, 98, 161, 535 Fréron, Élie, 6 Fresnoy (France), 365, 366
G Gagnon, Philéas, 359 Gates, Horatio, 300, 301 Gay Head (Martha’s Vineyard), 152 George III, 451 George, fort, 327, 337 George, lac, 331, 336 Georgetown (Caroline du Nord), 185 Géorgie, 161, 406
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St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américain
Gibbs Pond (Nantucket), 176 Girondin, parti, 277, 317, 318, 376 Goshen (New York), 378 Great Point (Nantucket), 129, 135 Greycourt, 270, 369 Guerre de Sept Ans, 240, 259, 333, 337, 356, 375, 396, 423, 424, 450, 542, 543, 545 Guerre d’Indépendance, 2, 3, 241, 355, 377, 419, 421, 427, 435, 446, 451, 453, 457, 467, 527 Guinée, 147, 148, 182
Hyannis (Massachusetts), 129, 138, 141, 142, 536
I Île aux Noix, 339, 361 Illinois, 305 Indiens, 23, 33, 34, 35, 51, 97, 98, 99, 109, 112, 118, 119, 138, 139, 140, 142, 150, 151, 152, 153, 165, 171, 193, 222, 223, 228, 230, 232, 245, 252, 313, 314, 318, 321, 322, 337, 424, 427, 428, 434, 435, 439, 443, 444, 445, 450, 458, 460
H
J
Hamilton, Alexander, 366, 391 Hartford (Connecticut), 304 Harwich (Massachusetts), 141 Hazlitt, William, 307 Hébrides, îles, 106, 108, 117 ; Hébridéens, 108 Helvétius, Claude-Adrien, 533 Hérodote, 544 Hilotes, 186, 541 Histoire de la reine Élisabeth, 63, 529 Hobbes, Thomas, 448-451, 452, 454, 455, 456, 534 Hôpital Général de Québec, 340, 342, 350, 351, 354, 355, 431 Hottentot, 163, 539 Houdetot, Élisabeth Françoise La Live de Bellegarde, comtesse d’, 265, 271-277, 278, 280, 284-288, 289, 290, 292, 293, 295, 298, 303, 316, 317, 318, 321, 323, 374, 376, 420, 468 Houdetot, marquis d’, 271, 272, 289, 324, 328, 335, 372, 374, 549
James, 17, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 47, 50, 51, 52, 55, 56, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 72, 113, 120, 129, 130, 149, 260, 295, 296, 297, 298, 302, 303, 308, 319, 320, 321, 322, 325, 327, 356, 367, 379, 385, 386, 419, 435, 436, 438, 439, 440, 441, 443, 444, 445, 446, 447, 453, 458, 459, 460, 462, 463, 528, 529, 530, 531, 533, 534, 535, 537, 539, 542, 543, 563, 568, 569 Jay, Antoine, 15 Jefferson, Thomas, 9, 10, 273, 276, 284, 285, 287, 288, 293, 304, 305, 403, 405, 406, 407, 408, 530, 550 Jones, John Paul, 395, 421 Jones, Thomas, 390 Josephus (Flavius Josèphe), 52, 178, 540 J. S., 21, 107 Jumonville, Joseph Coulon de Villiers de, 254, 336, 424, 425, 545
Housatonic (Massachusetts), 140 Hudson, baie d’, 254 Hudson, rivière, 141, 239, 331, 368, 378, 379, 380, 387, 388, 406, 413, 414, 422, 459 Hummock Pond (Nantucket), 129, 133, 134 Hurons (nation indienne), 138
K Kennebec, rivière, 141, 148, 161, 162 Kerouac, Jack, 40 Kezia, tante (Miriam « Kezia » Coffin), 173, 539 Kingbird : voir Tyran tritri. Knox, John, 350-351
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Index
L Labrador, 147, 240, 252, 253, 254 Lacretelle, Pierre Louis de, 5, 285, 301, 315, 321 La Fayette, Marie-Joseph Paul Yves Roch Gilbert du Motier, marquis de la, 281, 304, 3944, 421, 528 La Harpe, Jean François Delaharpe, dit de, 7, 276 Lake George, 327 Lamartine, Alphonse de, 376, 548 Lamb, Charles, 307 La Mettrie, Julien Offray de, 534, 535 Lancaster (Pennsylvanie), 52, 15, 532 La Rochefoucauld d’Enville, LouisAlexandre, duc de, 285, 305, 306, 312, 313, 317, 368, 411, 412, 413, 549, 552 La Rochefoucauld Liancourt, François Alexandre Frédéric, duc de, 324, 549 Lawrence, D. H., 22, 36, 303, 442, 524, 531 Le Mercier, François-Marc-Antoine, 327, 334, 336, 337, 338, 396, 465 Leroy, imprimeur (Caen), 294 Léviathan, 147, 154, 449, 455, 456, 457, 458 Lévis, Francois, duc de, 341, 342, 348, 466 Lezay-Marnézia, Claude François Adrien, marquis de, 15 Lima, 179 Linné, Carl von, 204, 205, 384, 531, 542 Lisbonne, 332, 333, 336 Livingston, Elizabeth, 404 Livingston, Peter Van Burgh, 404 Locke, John, 431, 448, 529, 530, 531, 533 Londres, 2, 4, 5, 8, 47, 68, 71, 148, 156, 173, 277, 279, 281, 295, 298, 299, 300, 302, 316, 317, 323, 362, 383, 384, 414, 423, 448, 468, 470, 528, 529, 530 Long Island (New York), 382, 391, 467 Long Pond (Nantucket), 129, 133 Louis XIV, 330 Louis XV, 269
Louis XVI, 274, 294, 394, 549 Louisbourg, 240, 252 Lowell, James Russel, 308 Ludlow, George Duncan, 383, 384 Luthériens, 95, 429, 532, 534 Lycurgue, 127, 197, 536, 541 Lydius, fort, 331, 465 Lynn (Massachusetts), 141
M Madaket (Nantucket), 129, 134 Mamaroneck (New York), 109, 368, 369 Mandeville, Bernard, 448 Manhasset (Massachusetts), 140 Martha’s Vineyard, île de (Massachusetts), 25, 50, 129, 137, 140, 141, 142, 149-151, 153, 157, 164, 536, 538 Maryland, 108, 205, 524 Martini, Pietro Antonio (graveur), 12 Masconomo, 141 Mashpee (Massachusetts), 139, 140, 142 Mashpee (nation indienne), 142 Massachusetts, État, 24, 94, 137, 141, 143, 149, 151, 152, 161, 162, 164, 174, 253, 387, 395, 423, 429, 432, 438, 532, 535, 536, 539 Massachusetts (nation indienne), 141 Massart, Léopold (graveur), 266, 267, 275 Massasoit, 141 Mattapan (Dorchester, Massachusetts), 141 Matthews, David, 270 Maximilien Joseph, roi de Bavière, 323 Mayhew, famille, 149, 151, 536, 538 Mazzei, Filipo, 279, 280, 281, 282, 285, 420, 541 Mèhikaudrets (nation indienne), 141, 537 Meister, Jacob H., 5, 6 Melville, Herman, 25, 40 Mercier, Louis Sébatien, 286 Metacomet (Philip), 141
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St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américain
Miacomet Pond (Nantucket), 129, 134, 137 Michigan, lac, 82 Milton (Massachusetts), 141 Ministre, Le, 21, 22, 27, 30, 32, 63, 64, 65, 66, 68, 69, 71, 72, 79, 319, 320, 325, 529, 530 Mississippi, 40, 151, 231, 306, 387, 389 Mitchell, Julia Post, 358, 359, 372 Moffat, Thomas, 371 Mohawks (nation indienne), 140, 239, 240, 251, 427, 428, 429, 430, 459, 460 Mohegan (nation indienne), 141 Monckton, Robert, 341, 342, 343, 344, 350, 351, 352, 354, 355, 356, 357, 359, 367, 373, 430, 466 Monogahela, rivière, 162 Montcalm, Louis-Joseph de Saint-Véran, marquis de, 327, 328, 330, 331, 334, 335, 336, 337, 338, 339, 353, 354, 355, 356, 360, 396, 422, 465 Montesquieu, Charles de Secondat, baron de la Brède et de, 215, 274, 531, 534, 543 Montréal, 26, 40, 171, 252, 253, 338, 339, 348, 360, 396, 400, 423, 424, 427, 429, 430, 434, 438, 439, 440 Moore, John Brooks, 311, 419 Moraves : voir Frères Moraves. Morris, Gouverneur, 318, 550, 557 Morris, Roger, 270, 380 Moustier, Éléonore François Elie, comte de, 9, 10, 282, 283, 412, 416, 419, 420 Munich, 323, 470
N Naamkeek (Salem, Massachusetts), 141 Namset, 142, 537 Namsets (nation indienne), 142 Nantucket, île de (Massachusetts), 24-27, 28, 30, 50, 51, 54, 55, 56, 125, 127-149, 150, 151, 152, 153, 159-178, 438-441, 455, 456, 457, 458, 529, 530, 536, 537, 538, 539, 540, 542
Narragansetts (nation indienne), 141 Naticks (nation indienne), 138, 140, 141, 153, 178, 439, 537 Nausett (Eastham, Massachusetts), 141, 142, 537 Nausetts (nation indienne), 142 Navesink (New York), 132 Neponset (Milton, Massachusetts), 141 Nesbit, James, 369 New Garden (Guilford, Caroline du Nord), 161, 162, 538 New Hampshire, 64, 328, 524, 535 New Haven (Connecticut), 285, 530, 549 New Jersey, 200, 304, 378, 379, 524 New Plymouth, 141 New Windsor (New York), 387, 388 New York, État, 1, 21, 137, 239, 253, 270, 298, 304, 307, 312, 317, 318, 327, 331, 337, 339, 358, 368, 369, 370, 378, 380, 381, 384, 389, 396, 404, 406, 423, 428, 466, 467, 524, 528, 542, 552 New York, ville, 1, 2, 9, 59, 241, 265, 270, 282, 283, 288, 291, 298, 303, 309, 313, 314, 316, 342, 344, 346, 350, 355, 356, 357, 359, 360, 362, 364, 365, 366, 367, 368, 369, 377, 378, 380, 382, 387, 390, 391, 392, 393, 394, 397, 400, 401, 406, 409, 412, 413, 414, 415, 416, 417, 418, 421, 426, 466, 468, 469, 530, 535, 547 Niantics (nation indienne), 141 Nipmucs (nation indienne), 141 Nobscusset (Yarmouth, Massachusetts), 139, 140, 141, 142 North West Branch, rivière, 161 Norton, Beriah, 149, 150, 151, 538 Nouvelle-Angleterre, 18, 99, 107, 138, 141, 151, 524 Nouvelle-Écosse, 87, 90, 126, 438
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Index
Nouvelle-France, 1, 2, 39, 40, 239, 259, 260, 261, 262, 263, 269, 290, 306, 326, 327, 328, 331, 332, 333, 334, 335, 336, 339, 344, 354, 356, 357, 359, 360, 367, 369, 371, 372, 373, 382, 386, 389, 396, 397, 398, 399, 400, 413, 414, 415, 419, 422, 423, 424, 425, 426, 427, 428, 429, 430, 431, 434, 457, 458, 459, 463, 465, 545
O Ob, rivière (Sibérie), 209, 543 Ohio, 82, 322, 368, 425 Orange, comté (Caroline du Nord), 161 Orange, comté (New York), 1, 312, 314, 315, 368, 369, 378, 379, 380, 383, 384, 387, 467, 535, 542 Orangetown (New York), 378, Orcades, îles, 108 Oswego (New York), 337 Oswego, fort, 336-337 Otto, Louis-Guillaume, comte de Mosloy, 317, 318, 359, 366, 404, 469, 470
P Paine, Thomas, 14, 318, 454, 550, 568-569 Pamet (Massachusetts), 142 Paris, 9, 64, 265, 268, 271, 272, 273, 274, 277, 279, 282, 287, 288, 293, 295, 298, 300, 308, 317, 318, 323, 328, 331, 359, 362, 363, 364, 365, 366, 367, 387, 390, 394, 396, 406, 408, 414, 431, 468, 470 Parkman, Francis, 40 Particulier de la Province de Normandie, Un, 267, 371, 372, 373, 375, 381, 386, 467 Pattison, James, 382, 384, 385, 386, 390, 419 Patuxet (Massachusetts), 141 Pello (Finlande), 209 Penn, William, 95, 107, 112, 113, 198, , 431, 432, 534 Pennsylvanie, 23, 62, 121, 124, 138, 200, 203, 209, 295, 298, 299, 371, 372, 424, 432, 466, 524, 534, 535, 536, 542, 545 Penobsot, rivière, 148, 162
Pequots (nation indienne), 141 Philadelphie, 24, 56, 113, 115, 157, 199, 202, 204, 205, 206, 279, 280, 285, 308, 372, 430, 440, 523, 528, 536, 542 Philbrick, Thomas, 346, 347, 385, 386, 459 Pierrepont (Normandie), 288, 323, 373, 468 Pine Hill, 1, 36, 239, 270, 296, 305, 312, 314, 315, 367, 369, 371, 377, 379, 382, 384, 389, 426, 460, 461, 535 Piscataqua, rivière, 141 Pitt, William, 1er comte de Chatham, 253, 423, 545 Pittsburgh, 201, 424, 542, 545 Plaines d’Abraham, 1, 262, 339, 342, 343, 345, 350, 354, 360, 398, 399, 466 Plantes, 13, 23, 33, 34, 51, 69, 89, 91, 96, 166, 187, 190, 195, 198, 201, 203, 204, 205, 425, 462, 534 Plumstead, Arthur William, 346 Plymouth (Massachusetts), 14, 141 Plymouth Company, 141, 162 Pocasset (Massachusetts), 141 Pochet (Massachusetts), 142 Pochick, courant de (Nantucket), 135, 176 Pokanoket (New Plymouth, Massachusetts), 141 Polpis (Nantucket), 129, 134, 135, 175 Pompéi, 22, 30, 32, 200, 325 Pope, Alexander, 113, 535-536, 542 Portnomequot (Massachusetts), 142 Presbytériens, 130, 151, 159, 164, 168, 529, 530, 534, 540 Proclamation royale (1763), 259, 396 Provincetown (Massachusetts), 142, 537
Q Quaise (Nantucket), 129, 135, 173, 539 Quaker, 22, 25, 26, 27, 30, 50, 52, 84, 96, 98, 141, 160, 164, 168, 184, 278, 280, 430, 439, 440, 441, 455, 457, 458, 529, 530, 532, 534, 536, 539
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St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américain
Québec, province, 2, 39, 40, 41, 260 Québec, ville, 1, 40, 331, 332, 338, 339, 340, 341, 342, 343, 345, 346, 348, 350, 351, 353, 354, 356, 358, 359, 360, 361, 366, 367, 368, 374, 376, 397, 398, 399, 400, 401, 412, 413, 414, 427, 430, 431, 440, 447, 466, 469
R Raynal, abbé Guillaume Thomas, 21, 56, 61, 280, 527, 528, 531 Redstone Creek, rivière, 162 Régime français, 259, 431 Régiment de Béarn, 334, 335 Régiment de Guyenne, 334, 335 Régiment de Languedoc, 334, 335, 338 Régiment de la Reine, 334, 335 Régiment de la Sarre, 1, 2, 268, 269, 328, 331, 333, 334, 336, 338, 339, 345, 347, 349, 354, 359, 360, 397, 398, 399, 414, 415, 465, 466, 469 Régiment de Royal Roussillon, 334, 336, 338 Renaud d’Avène des Méloizes, MarieFrançoise, 360 Renaud d’Avène des Méloizes, Nicolas, 360, 361, 365, 366, 396, 398, 400, 413, 414, 415, 469 Renaud d’Avène des Méloizes, NicolasMarie, 360 Renaud d’Avène des Méloizes-Fresnoy, Zéphérine-Aimée, 361 Révolution américaine, 1, 9, 11, 31, 32, 33, 34, 41, 377, 378, 396, 417, 418, 419, 426, 463 Révolution française, 2, 3, 277, 284, 469 Rhode Island, 129, 524, 537 Rice, Howard C., 16, 17, 23, 261, 331, 340, 346, 412, 555 Richelieu, rivière, 40, 339 Robespierre, Maximilien, 2, 277, 317, 318 Rousseau, Jean-Jacques, 3, 5, 6, 17, 273-274, 276, 277, 317, 408, 468, 524 Rumigny, compagnie de, 269, 328, 349, 465
S Sable, île de, 147 Sagadahoc (Maine), 161 Saint-Frédéric, fort, 339 Saint-Jean, paroisse (Caen), 268 Saint-John de Crèvecoeur, Hubert Jean, 562 Saint Johnsbury (Vermont), 305, 552 Saint-Lambert, Jean-François, marquis de, 272, 273, 276, 277, 285 Saint-Laurent, fleuve, 147, 155, 239, 400, 429, 431, 432, 433 Saint-Petersbourg, 64 Saint-Sacrement, lac, 331 Salem (Caroline du Nord), 161 Salem (Massachusetts), 141 Salem (New Jersey), 200 Salisbury (Angleterre), 325, 371, 372, 373, 465 Samoyède, 209, 543 Sanborn, Franklin B., 309, 371 Sankaty Head (Nantucket), 135 Sannois (Val-d’Oise), 271, 273, 286, 323 Santa Catarina, île de, 171 Sarcelles (Val d’Oise), 2, 136, 323, 470 Sarrebource de Pontleroy, Nicolas, 360 Saugus (Lynn, Massachusetts), 141 Sauquatucket (Massachusetts), 142 Sauvages, 5, 6, 34, 251, 277, 284, 314, 334, 379, 432, 433, 434 Schuylkill, rivière, 198, 200, 204 Sedgwick, Catharine Maria, 307 Serpent, 28, 29, 34, 52, 53, 54, 55, 107, 192-195, 196-197, 214, 298, 524 Sesachacha (Nantucket), 129, 135 Seton, William, 56, 270, 390, 391 Shawmut (Boston, Massachusetts), 141 Sherburn (Nantucket), 129, 131, 161, 164, 172, 536
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Index
Shimmo Point (Nantucket), 132, 134 Short, William, 273, 306, 394 Siasconset (Nantucket), 27, 129, 135, 176 Skanteens (nation indienne), 142 Smith, William, 382, 383, 384, 388, 390 Smith Point (Nantucket), 129, 134 Société des Amis, 25, 30, 130, 137, 138, 143, 146, 159, 160, 161, 168, 201, 205, 206, 208, 455, 530, 534, 536 Société des amis des Noirs, 281 Société Gallo-Américaine, 279, 282, 283, 416, 417, 468 Société Royale, 61, 298, 541 Solon, 127, 197, 215, 536, 543 Squam (Nantucket), 129, 135, 136 St. John de Crèvecoeur, America-Frances, dite Fanny, 312, 313, 314, 315, 316, 317, 318, 323, 377, 404, 405, 467, 468, 469, 470, 546 St. John de Crèvecoeur, GuillaumeAlexandre, dit Ally, 265, 269, 288, 310, 316, 317, 318, 323, 377, 382, 391, 392, 467, 468, 469, 470 St. John de Crèvecoeur, Philippe-Louis, dit Louis, 312, 313, 314, 316, 317, 318, 323, 377, 459, 467, 468, 469 Succonesset (Falmouth, Massachusetts), 140, 141 Succonessets (nation indienne), 142 Sulte, Benjamin, 359 Sussex, comté (New Jersey), 379 Synode de Dordrecht, 95 Synode des séparatistes unis, 95, 96, 534
T Tappan (New York), 378, 387 Tardiveau, Barthélemi, 316, 554-557 Target, Guy Jean Baptiste, 292, 293 Tarrantines (nation indienne), 141 Témiscamingue, lac, 253, 254, 423 Terre-Neuve, 147, 155
Terreur, 2, 277, 317, 318, 469 Têtard, Jean Pierre, 291, 369, 377 Tetawkemmo, lots (Nantucket), 129, 134, 176 Têtes-Rondes (nation indienne), 254 Thoreau, Henry David, 40 Ticonderoga, 327 Tippet, Mehetable, 270, 314, 368, 467 Tisbury (Martha’s Vineyard), 150, 538 Titicut (Chatham, Massachusetts), 141 Tobolsk (Sibérie), 209, 543 Tory ; tories, 378, 380, 384, 419, 423 Tuckerman, Henry T., 308 Tuckernuk, île de (Nantucket), 129, 134, 136 Tupper, James, 129, 130, 536 Turgot, Anne Robert Jacques, baron de L’Eaulne, 294 Turgot, Étienne François, marquis de Sousmont, dit chevalier de, 293, 294, 316 Twain, Mark, 40 Tyran tritri, 22, 29, 51, 77, 441-442, 443, 446, 451-452, 454, 455, 456, 458, 531
U Ulrica de Suède (Louise Ulrica de Prusse), 198, 204, 542
V Vallière, miniaturiste, 265, 267, 274 Vaudreuil, Pierre de Rigaud de Vaudreuil de Cavagnial, marquis de, 328, 334, 360, 393, 559 Vermont, 305, 368, 389, 466, 552 Verplank, Samuel, 387, 388, 390 Vineyard Haven (Martha’s Vineyard), 538 Vingtrie, Ferdinand-Marie Bayard de la, 9, 10, 15 Virgile, 448 Virginie, 99, 105, 157, 201, 253, 279, 285, 286, 368, 387, 405, 423, 424 Voyages de Sir Francis Drake, 63, 529
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W Wampanoags (nation indienne), 141, 543 Wamsutta (Alexander), 141 Waquoits (nation indienne), 143 Washington, George, 9, 241, 254, 304, 305, 319, 336, 366, 382, 421, 422, 424, 425, 426 Webster, Noah, 48, 49 Westchester (New York), 368 Westchester, comté (New York), 109, 368, 369, 374 West Point (New York), 380 Weweeder (Nantucket), 133 Whig, 378, 380, 423, 530 Whitman, Walt, 40 William-Henry, fort, 327, 328, 330, 331, 337, 368, 399, 465 Winnisemit (Chelsea, Massachusetts), 141 Winston, Robert Paul, 36 Wisner, Henry, 379 Wolfe, James, 339 Woods Hole (Massachusetts), 129
Y Yadkin, rivière, 161 Yale, collège, 69, 530 Yarmouth (Massachusetts), 142
Z Ziff, Larzer, 16
Remerciements
Il est impossible de mener à terme le genre d’entreprise que constitue la présente publication sans la collaboration et la coopération d’un grand nombre de personnes et d’institutions. La moindre des choses que je puisse faire pour les en remercier est de souligner la nature de leurs apports à mes travaux. Merci à : — Bertrand Gervais, professeur au Département d’études littéraires de l’UQAM, pour avoir assuré la direction de la thèse de doctorat à l’origine de cet ouvrage avec autant de patience que de disponibilité ; — M. Hubert Jean Saint-John de Crèvecœur, pour sa généreuse et précieuse collaboration, et pour m’avoir donné accès aux documents conservés au sein des archives de sa famille et accordé la permission d’en reproduire plusieurs dans le cadre de cette parution ; — Bernard Chevignard, professeur à la Faculté des langues de l’Université de Bourgogne à Dijon, pour une correspondance des plus enrichissantes et pour la chaleur avec laquelle il m’a reçu à Dijon ; — Bernard Andrès, professeur au Département d’études littéraires de l’UQAM, pour l’enthousiasme avec lequel il a ouvert le champ de recherches de son équipe de l’ALAQ (Archéologie du littéraire au Québec) à mes travaux sur les liens entre les littératures états-unienne et québécoise des XVIIIe et XIXe siècles ; aux collaboratrices et collaborateurs et l’ALAQ, pour l’intérêt avec lequel ils ont suivi le développement de mes recherches et pour m’avoir fourni des occasions de discussions toujours stimulantes, et plus particulièrement à Nancy Desjardins, pour la numérisation d’une partie des illustrations figurant dans le présent travail ; à Nathalie Ducharme, pour m’avoir mis sur la piste de l’origine crèvecœurienne du mot « instinctif » ; à Paul A. Lefebvre, pour sa relecture de la transcription des
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St. John de Crèvecœur et les Lettres d'un fermier américain
Lettres d’un cultivateur américain, et à Nova Doyon pour sa vigilante participation à la révision du manuscrit du présent ouvrage ; — Marc-André Bernier, professeur au Département de français de l’Université du Québec à Trois-Rivières, pour ses renseignements sur l’enseignement dispensé dans les collèges du XVIIIe siècle ; le regretté Everett H. Emerson (1925-2002), professeur à la Univeristy of North Carolina at Chapel Hill, pour ses renseignements sur son édition critique (à paraître) des Letters from an American Farmer ; Dennis D. Moore, professeur à la Florida State University, pour son intérêt pour mes découvertes sur le séjour de St. John de Crèvecœur en Nouvelle-France ; — Odette Melançon, pour ses renseignements sur la traduction des noms d’oiseaux et sur le comportement des hirondelles ; Frances Karttunen et Elizabeth Oldham, de la Nantucket Historical Association, pour leurs renseignements sur la toponymie de l’île de Nantucket ; Ann Roche, de la Goshen Historical Society, et Loretta Winkler, de la Chester Historical Society, pour leurs renseignements sur le séjour de St. John de Crèvecœur dans le comté d’Orange ; — Frédéric Pavy, responsable des Archives municipales de Mantesla-Jolie, pour sa collaboration à mes recherches dans le « Dossier St. John de Crèvecœur » du fonds Clerc de Landresse ; Henry Philip Lauer, de la New York Historical Society, pour avoir retrouvé le fragment du journal du marquis Michel Chartier de Lotbinière de septembre 1759 ; — le personnel des sites de l’Arsenal et Richelieu de la Bibliothèque nationale de France, le personnel de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, le personnel de Bibliothèque et Archives Canada, et plus particulièrement le personnel du service de prêt entre bibliothèques de la Bibliothèque de l’UQAM ; — Yvan Lamonde, Normand de Bellefeuille, Marcel Labine et Andrée A. Michaud pour leur lecture du manuscrit de cet ouvrage et leurs précieux commentaires ; — et Diane Payette, pour avoir tenu le volant qui nous a conduits à Chester et à Pierrepont, pour cinq années de patience au cours de la préparation de ma thèse de doctorat, et quinze années de vie commune auxquelles le cancer a coupé court le 30 novembre 2002.
Liste des illustrations
Figure 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 Ubi panis, et libertas, ibi Patria. Dessin de Claude Bornet, gravure de Pietro Antonio Martini. Page frontispice, Lettres d’un cultivateur américain, 1787. Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Figure 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 Lettres d’un cultivateur américain, 1784. Page de titre de l’édition originale. Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Figure 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 Lettres d’un cultivateur américain, 1787. Page de titre de l’édition originale. Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Figure 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 Join, or Die, 1775. Dessin attribué à Benjamin Franklin. Figure 5 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 Traité de la culture des pommes-de-terre [s.d. : 1782]. Première page de l’édition originale. Collection personnelle de monsieur Hubert-Jean Saint-John de Crèvecœur. Figure 6 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 Voyage dans la Haute Pensylvanie et dans l’État de New-York, 1801. Page de titre de l’édition originale. Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Figure 7 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58 Letters from an American Farmer, 1782. Page de titre de l’édition originale. Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Figure 8 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130 Carte de l’île de Nantucket. Attribuée à James Tupper. Letters from an American Farmer, 1782. Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Figure 9 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150 Carte de l’île de Martha’s Vineyard. Attribuée à Beriah Norton. Letters from an American Farmer, 1782. Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Figure 10 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 258 St. John de Crèvecœur. Miniature de Vallière, c. 1786. Collection personnelle de M. Hubert Jean Saint-John de Crèvecœur.
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Figure 11 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 266 St. John de Crèvecœur. Gravure de Léopold Massart (1812-1889), d’après la miniature de Vallière. Page frontispice. Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages (1735-1813), 1883. Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Figure 12 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 275 Madame d’Houdetot (Élisabeth Sophie Françoise La Live de Bellegarde). Gravure de Léopold Massart (1812-1889) d’après la miniature de Vallière. Robert de Crèvecœur, Saint-John de Crèvecœur. Sa vie et ses ouvrages (1735-1813), 1883, p. 116. Montréal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Figure 13 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 290 Signature autographe de St. John de Crèvecœur. Collection de l’auteur. Figure 14 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 312 Lettre de St. John de Crèvecœur au duc de La Rochefoucauld d’Enville, New York, 17 décembre 1783. « Dossier St. John de Crèvecœur ». Archives communales de Mantes-la-Jolie (France), Fonds de l’ancienne collection de manuscrits de la bibliothèque de Mantes, collection Clerc de Landresse, lettre no 1008. Figure 15 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 329 « Mémoire Emplois Vacans […] Proposition aux emplois vacans du 25. Juillet 1758 » (montage). Collection personnelle de M. Hubert Jean Saint-John de Crèvecœur. Figure 16 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 330 Plan du Fort-George appelé par les Anglois William-henri Et de ses Attaques par Mr. le Marquis de Montcalm maréchal des Camps &c. 1757. Paris, Bibliothèque nationale de France. Cliché Bibliothèque nationale de France. Figure 17 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 349 « Contrôle des Lieutenants, 1748-1763 ». Ottawa, Bibliothèque et Archives Canada. Figure 18 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 352 « [Québec : Lettres adressées au général Monckton par des prisonniers français après la prise de Québec] » (montage), 20 octobre 1759. Ottawa, Bibliothèque et Archives Canada. Figure 19 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 370 « Plantation de Pine Hill, dont le premier arbre a été abattu en l’an de grâce 1770. Comté d’Orange, colonie de New York ». Collection personnelle de M. Hubert Jean Saint-John de Crèvecœur. Figure 20 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 402 « Journaux de Michel Chartier de Lotbinière ». New York, du 19 novembre au 31 décembre 1787. Première page du manuscrit. Québec, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.
Table des matières
Présentation – Une opération de rapatriement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 Les applaudissements des périodiques de l’époque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 La sympathie retenue des États-Uniens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 Le fruit d’un « croisement fortuit » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Composer avec la réalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 D’Amérique et de France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 Le « semeur de sentiments » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 Les laboureurs de la mer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 Le paradis perturbé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 Fuite et fin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 Les post-scriptum du fermier américain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
St. John de Crèvecœur Lettres d’un fermier américain suivies de « Description d’une tempête de neige au Canada » Lettres d’un fermier américain Notes sur le textes et la traduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 Lettres d’un fermier américain Annonce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 À l’abbé Raynal, membre de la Société royale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61 Lettres d’un fermier américain Lettre I
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
Lettre II
Sur la situation, les sentiments et les plaisirs d’un fermier américain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
Lettre III Qu’est-ce qu’un américain ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 Lettre IV Description de l’île de nantucket, des mœurs, des coutumes, du gouvernement et du commerce de ses habitants . . . . . . . . . 125
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St. John de Crèvecœur et Les lettres d'un fermier américain
Lettre V
Éducation et occupations coutumières des habitants de Nantucket . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
Lettre VI Description de l’île de Martha’s Vineyard et de la chasse à la baleine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149 Lettre VII Mœurs et coutumes de Nantucket . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159 Lettre VIII Coutumes particulières de Nantucket . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169 Lettre IX Description de Charleston ; réflexions sur l’esclavage ; sur la domination du mal ; une scène accablante . . . . . . . . . . . 179 Lettre X
Sur les serpents et sur l’oiseau-mouche . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192
Lettre XI De M. Iw—n Al—z, un gentilhomme russe, décrivant la visite qu’il a faite, à ma demande, à M. John Bartram, le célèbre botaniste pennsylvanien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 197 Lettre XII Angoisses d’un habitant de la frontière . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209
Description d'une tempête de neige au Canada Notes sur le texte et la traduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 239 Description d’une tempête de neige au Canada . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243 Nouvelles lumières sur le séjour de St. John de Crèvecœur en Nouvelle-France et les échos de cette expérience dans l’ensemble de son œuvre . . . . . . 257 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259 Un self-made man et son self-made name . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265
Une amie de la famille et de l’Amérique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’enthousiasme de Brissot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un « sauvage » de salon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’invention d’un nom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un cultivateur trop cultivé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un « simple nom américain » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’invention d’un prénom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
271 277 284 288 295 304 307
Les années européennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311
Le Voyage dans la Haute Pensylvanie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 318 La prime jeunesse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 323 Le séjour en Nouvelle-France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 327
L’arrivée en Nouvelle-France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 332 « Cadet dans les troupes es la Colonie » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 333 « Crèvecœur n’aspire qu’à aller chercher fortune ailleurs » . . . . . . . . . . 339
Table des matières
587
La fortune d’une traduction fautive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 346 « Soupconné et accusé par des personnes jalouses » . . . . . . . . . . . . . . 351 Le « fermier griffonneur » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 358
La lettre de Chartier de Lotbinière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le propriétaire de Pine Hill . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Des « interets de famille considérables » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le fermier en fuite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Une sorte de journal américain » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
360 367 371 377 382
Une visite « chés Mr. St. Jean dit Crevecœur » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 393
Les journaux de Chartier de Lotbinière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’« Enveloppe apparente d’un politique consommé » . . . . . . . . . . . . . . Un consul inquiet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Une révélation tardive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
396 401 409 413
Le véritable secret . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 416
Des inédits embarrassants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 419 Échos du Canada . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 427 Les abeilles et le tyran . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 438
Sur la piste des abeilles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 441 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 457
Chronologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 465 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 471 Notes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 521 Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 571 Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 581 Liste des illustrations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 583