« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Paul Gouin et la conservation de l’héritage culturel du Québec
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Paul Gouin et la conservation de l’héritage culturel du Québec
La collection Chaire Fernand-Dumont sur la culture Sous la direction de Fernand Harvey La collection se propose de publier des ouvrages individuels ou collectifs autour des grandes questions culturelles de notre temps liées à la transmission et à l’innovation en matière culturelle, au rôle des institutions et des politiques culturelles et à l’avenir des petites sociétés dans un contexte de mondialisation.
Nathalie Hamel
« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Paul Gouin et la conservation de l’héritage culturel du Québec
Les Éditions de l’IQRC
Les Presses de l’Université Laval reçoivent chaque année du Conseil des Arts du Canada et de la Société d’aide au développement des entreprises culturelles du Québec une aide financière pour l’ensemble de leur programme de publication. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise de son Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.
Illustration de la couverture : Georges Delfosse, La maison de Gédéon de Catalogne, 1911. Huile sur toile. Musée national des beaux-arts du Québec, 57.160. Cette œuvre de Georges Delfosse faisait partie de la collection de Paul Gouin. Elle a été acquise par le Musée de la province de Québec en 1957. La maison représentée se trouvait sur la rue Saint-Vincent, au coin de la rue Notre-Dame, dans le Vieux-Montréal. Paul Gouin habitait sur la rue Saint-Vincent à la fin de ses jours, et il y est décédé en 1976. Il y a tenu une galerie-restaurant appelée le Saint-Vincent, entre 1969 et 1971. La maison représentée sur cette peinture a été démolie en 1920 pour laisser place à la construction du nouveau Palais de justice (Édifice Esnest-Cormier). Cette œuvre témoigne des enjeux de la conservation des quartiers anciens versus leur modernisation, problématique qui intéressait particulièrement Paul Gouin. Maquette de couverture et mise en pages : Mariette Montambault © LES PRESSES DE L’UNIVERSITÉ LAVAL, 2008 Tous droits réservés. Imprimé au Canada Dépôt légal 1er trimestre 2008 ISBN 978-2-89224-365-9 Les Presses de l’Université Laval Pavillon Pollack, bureau 3103 2305, rue de l’Université Université Laval, Québec Canada, G1V 0A6 www.pulaval.com
Méconnu, inconnu, oublié dans un pays sans mémoire alors qu’il était venu à lui par la mémoire de son histoire. Philippe Ferland, Paul Gouin, 1991, p. 581.
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Table des matières Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
11
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
13
Cadre de l’analyse et méthode . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
16
1.
Prolégomènes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
21
Un héritage familial : la vie politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
21
L’aventure de l’Action libérale nationale . . . . . . . . . . . . . . . . .
25
La restauration économique par la colonisation et l’industrie complémentaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
30
Diffuser le programme du parti . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
39
La fin d’une carrière politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
40
2.
Notre maître le passé : la conservation de l’héritage culturel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
45
Conserver les signes tangibles de la patrie . . . . . . . . . . . . . . .
46
Devenir conservateur du patrimoine . . . . . . . . . . . . . . . . Paul Gouin, conseiller technique . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un héritage à conserver au Québec . . . . . . . . . . . . . . . .
52 59 64
La croisade des traditions populaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
67
67 81
L’artisanat et les arts domestiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le folklore . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Des villages historiques pour mettre en valeur l’héritage culturel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
88
« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Une influence déterminante à la Commission des monuments historiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La création des arrondissements historiques . . . . . . . . . .
93 101
Conserver la langue française : la campagne de refrancisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 Retourner vers le passé pour préparer l’avenir . . . . . . . . . . . . 120
3.
Notre maître l’avenir : La promotion de la culture . . . . 123
Le tourisme et la mise en valeur du « visage français » du Québec . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124
Les hôtels comme lieu de mise en représentation de l’identité canadienne-française . . . . . . . . . . . . . . . . . . 127
Des hôtels modèles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132
Des traditions artistiques modernisées . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
Construire la modernité architecturale sur les fondements de la tradition . . . . . . . . . . . . . . . . .
141
L’art religieux contemporain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146
Fêtes populaires et spectacles de folklore . . . . . . . . . . . . 155
Vers la mise en place d’une politique culturelle . . . . . . . . . . . . 159
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171 Le patrimoine : de l’héritage du père à l’héritage culturel . . . . 173 L’héritage culturel et la mise en valeur des identités nationales .
176
« Le fils récolte ce que le père a semé » . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181 Annexe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
10
Remerciements
C
ette recherche a été rendue possible grâce à l’appui du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, dans le cadre de son programme de bourse postdoctorale. Les fonds accordés ont permis, entre autres, d’embaucher pour de courtes périodes deux assistantes, Marie-Christine Sergerie et Géraldine Laurendeau, afin de rassembler l’essentiel de la documentation bibliographique. Je remercie la Chaire Fernand-Dumont sur la culture qui m’a accueillie en ses murs au cours des deux années qu’a duré cette recherche. En acceptant de superviser ce projet, le premier titulaire de la Chaire, le professeur Fernand Harvey, m’a permis de m’insérer dans un espace de réflexion propice à la poursuite de mes travaux. Je l’en remercie, ainsi que l’actuel titulaire de la Chaire, M. Pierre Lucier, pour leur appui indéfectible. Enfin, je veux souligner ma reconnaissance envers M. Pierre ercier-Gouin et sa famille pour l’intérêt soutenu qu’ils ont montré M pour cette recherche.
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Introduction
L
e 18 novembre 1951, Paul Gouin amorce, sur les ondes de Radio-Canada, une série de causeries radiophoniques portant sur le thème de l’héritage culturel. Il suggère alors des moyens à mettre en œuvre pour assurer la conservation de cet héritage tout « en l’adaptant aux modalités de notre vie moderne ». Lors de la première de cette série de causeries radiophoniques, il précise ce qu’il entend par cette expression : Le Petit Larousse définit le mot « héritage » de la façon que voici ; au figuré, un héritage est « ce qu’on tient de ses parents, des générations précédentes, ce qu’on a d’eux ou comme eux ». Et le mot « culturel », toujours d’après le dictionnaire, signifie « tout ce qui touche aux arts, aux sciences et aux productions de l’esprit ». Notre héritage culturel, c’est donc l’ensemble des productions de notre esprit français, productions que nous devons à nos ancêtres français et à nos pères canadiens-français, productions qui forment la civilisation canadienne-française. […] Ainsi envisagé, notre héritage culturel ne se limite pas aux arts, à la langue, à la littérature. Il embrasse aussi nos traditions et coutumes, notre folklore, notre façon de penser, de vivre, notre façon d’humaniser nos paysages, notre façon de bâtir, de décorer et de meubler nos églises et nos maisons. Notre héritage culturel, c’est en somme nos caractéristiques, notre génie français1.
Cette définition réfère au concept de culture dans son sens le plus large. La notion d’héritage culturel englobe tout autant les témoins 1.
Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Montréal (BAnQ-M), Fonds Paul Gouin (FPG) (P190), 1983-03-038/13, Causerie radiophonique à CBF, 18 novembre 1951.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » matériels du passé que les paysages, tout autant la langue française que le folklore ou les techniques artisanales. Tout au cours de sa vie, Paul Gouin consacre de nombreuses conférences, articles et causeries radiophoniques à ces sujets. On pourra s’étonner de trouver le nom de Paul Gouin associé aux questions patrimoniales. Connu principalement pour son rôle de fondateur du parti l’Action libérale nationale, en 1934, il doit pourtant être considéré comme un acteur majeur dans l’histoire culturelle du Québec entre les années 1930 et 1960. Un acteur certes un peu oublié aujourd’hui, mais dont le nom apparaît à tous les détours lorsqu’on s’intéresse à l’histoire du patrimoine québécois. Homme de culture avant tout, Paul Gouin s’est fait le défenseur de la conservation et de la valorisation de l’héritage culturel. C’est là un aspect méconnu de la biographie de ce personnage dont le nom est passé à l’histoire surtout pour son implication en politique active, bien que celle-ci ne concerne qu’une brève période de sa vie. Ce passage politique ayant été analysé entre autres par Pierre Van Der Donckt et Patricia Dirks, il ne sera retracé ici qu’en référence à son parcours biographique et intellectuel2. Ces deux aspects de sa carrière, le politique et le culturel, ne sont d’ailleurs pas si divergents qu’ils peuvent le paraître au premier abord. Nous voulons dans cet ouvrage analyser la conception de l’héritage culturel de Paul Gouin et ses diverses interventions en faveur de la préservation des témoins du passé afin de les situer dans l’évolution de la conservation patrimoniale au Québec. Le sujet est d’autant plus intéressant à analyser qu’on peut mettre cette question en relation avec les orientations politiques de Paul Gouin et ses positions face au développement économique de la province. Ses convictions nationalistes forcent par ailleurs à considérer le rôle politique qu’il attribue à la conservation du patrimoine, ainsi que la place centrale qu’il lui réserve dans les enjeux identitaires. En fait, dans la pensée de Paul Gouin, la conservation du patrimoine n’est qu’un aspect d’une question bien plus fondamentale : la survie de l’identité canadienne-française.
2.
Patricia Grace Dirks (1991), The Failure of l’Action libérale nationale, Montréal, McGill-Queen’s University Press ; Pierre Van Der Donckt (1966), « L’action libérale nationale 1934-1936 », mémoire de maîtrise, Montréal, Université de Montréal.
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Introduction
Étudier le rôle d’un acteur de l’institutionnalisation du patrimoine soulève la problématique sous-jacente des valeurs qui sont accordées à l’héritage du passé et qui viennent justifier sa conservation. Ce sont là des questionnements qui sont au cœur des réflexions les plus actuelles. La sélection des objets à conserver, ainsi que le recours à la tradition et au folklore, relèvent en effet d’enjeux sociaux et politiques et jouent un rôle majeur dans la création des identités nationales. De nombreux chercheurs se sont penchés sur le sujet et ont analysé les stratégies et processus à l’œuvre dans la construction de références collectives et leur incarnation dans des objets matériels3. Les travaux sur l’histoire du patrimoine et sur l’invention des traditions à des fins nationalistes se sont multipliés au cours des trois dernières décennies, dans la foulée des travaux d’Eric Hobsbawm et de Terence Ranger4. Mais l’épistémologie du patrimoine, dans le sens le plus large du terme, reste à approfondir, particulièrement en contexte nord-américain, où l’ancrage historique diffère du contexte européen, davantage étudié5. Bien que quelques études nous permettent de poser les grandes lignes du développement du souci patrimonial au Québec, beaucoup reste à faire pour sortir des généralités, approfondir les premières synthèses qui ont été
3.
4.
5.
Jessica Evans et David Boswell (1999), Representing the Nation : A Reader : Histories, Heritage and Museums, London / New York, Routledge in association with the Open University ; J. M. Fladmark (dir.) (2000), Heritage and Museums : Shaping National Identity, Shaftesbury, Donhead ; Flora E.S. Kaplan (dir.) (1994), Museums and the Making of « Ourselves ». The Role of Objects in National Identities, Leicester, Leicester University Press ; Anne-Marie Thiesse (2001), La création des identités nationales : Europe, XVIIIe-XXe siècle, Paris, Seuil. E. J. Hobsbawm et T. O. Ranger (dir.) (1983), The Invention of Tradition, Cambridge, Cambridge University Press, (coll. Past and present publications) ; Ian McKay (1994), The Quest of the Folk : Antimodernism and Cultural Selection in Twentieth-Century Nova Scotia, Montréal, McGill-Queen’s University Press ; Dejan Dimitrijevic et Jean-Luc Alber (2004), Fabrication de traditions, invention de modernité, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme. Françoise Choay (1992), L’allégorie du patrimoine, Paris, Seuil ; André Desvallées (1995), « Émergence et cheminement du mot patrimoine », Musées et collections publiques de France, no 208 (septembre), p. 6-29 ; Marc Guillaume (1980), La politique du patrimoine, Paris, Éditions Galilée ; Dominique Poulot (2001), Patrimoine et musées : l’institution de la culture, Paris, Hachette ; Dominique Poulot (2006), Une histoire du patrimoine en Occident, XVIIIe-XXe siècle : du monument aux valeurs, Paris, Presses universitaires de France.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » tracées6, et pour développer la problématique dans une perspective qui va au-delà de la conservation architecturale. Nos propres travaux participent à cette exploration7. C’est dans cette lignée, dans une continuité et un approfondissement de notre réflexion, que s’inscrit cette étude de l’œuvre de Paul Gouin, personnage dont le rôle dans l’institutionnalisation du patrimoine au Québec apparaît fondamental. Nous voulons ainsi poser de nouveaux jalons dans l’histoire des actions et politiques patrimoniales au Québec au xxe siècle. Cadre de l’analyse et méthode À l’origine de cette recherche, nous souhaitions analyser l’œuvre de collectionneur de Paul Gouin afin de la mettre en rapport avec celle de William H. Coverdale, collectionneur actif à la même époque, que nous avions déjà étudiée8. Nous espérions cerner les similitudes et 6.
7.
8.
Fernand Harvey (2000), « La production du patrimoine », dans Andrée Fortin (dir.), Produire la culture, produire l’identité ?, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval ; Fernand Harvey (2003), « La politique culturelle d’Athanase David, 1919-1936 », Les Cahiers des dix, no 57, p. 31-83 ; Paul-Louis Martin (1986), « Évolution de la vision collective du patrimoine au Québec, 1922-1985 », dans Jacques Mathieu (dir.), Étude de la construction de la mémoire collective des Québécois au XXe siècle : approches multidisciplinaires, Québec, Célat ; PaulLouis Martin (1990), « La conservation du patrimoine culturel : Origines et évolution », dans Commission des biens culturels du Québec (dir.), Les chemins de la mémoire : Monuments et sites historiques du Québec, Québec, Les publications du Québec ; Cyril Simard, et autres (1992), Patrimoine muséologique au Québec : repères chronologiques, Québec, Direction des communications, ministère des Affaires culturelles. Nathalie Hamel (2002), « La collection du ministère de l’Agriculture : Un témoignage du renouveau artisanal au Québec », dans Jocelyne Mathieu et Christine Turgeon (dir.), Collections-Collectionneurs : Textiles d’Amérique et de France, Québec, Presses de l’Université Laval ; Nathalie Hamel (2005a), « La construction d’un patrimoine national : biographie culturelle de la collection Coverdale », Thèse de doctorat, Université Laval, Québec, 396 p. ; Nathalie Hamel (2005b), « Collectionner les « monuments » du passé : la pratique antiquaire de Jacques Viger », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 59, nos 1-2, été-automne, p. 73-94. Les deux hommes se connaissaient et Paul Gouin a vendu des objets à Coverdale pour ses collections. Sur la collection Coverdale voir Hamel (2005a), « La construction d’un patrimoine national : biographie culturelle de la collection Coverdale ». La méthode de travail choisie ici n’est pas sans lien avec notre étude du parcours biographique de la collection Coverdale, dans laquelle nous avons retracé en détails les trajectoires de cette collection, afin de cerner les
16
Introduction
les différences dans les représentations de la société canadienne-française offertes par deux importants collectionneurs de la période 19301950. Toutefois, les données disponibles étaient très différentes dans les deux cas. Les documents donnant des clés d’interprétation de la vision de Paul Gouin relative à la société canadienne-française sont nombreux et vont bien au-delà de ses activités de collectionneur9. Le défi devient donc bien plus large : comprendre la pensée de ce personnage relativement aux questions patrimoniales, dans toute sa richesse et sa complexité. C’est donc la cohérence des positions et des actions de Paul Gouin en faveur de la conservation de l’héritage culturel, de même que les motivations qui l’animent, que nous souhaitons saisir. Comme il arrive souvent lors d’une recherche, les données recueillies ont conduit à explorer des pistes imprévues, à suivre des indications qui nous amenaient à découvrir les intérêts d’un homme et sa compréhension des choses, et nous rapproche, d’une certaine façon, d’une étude biographique. Néanmoins, cet ouvrage ne vise nullement à offrir une biographie de Paul Gouin, bien que les informations qu’on y trouve révèlent des pans peu connus de sa carrière. Se pencher sur l’œuvre d’une vie conduit forcément à une certaine part de réhabilitation de la mémoire du personnage, bien que ce ne soit pas là notre objectif. Notre intention est avant tout d’approfondir l’histoire de la conservation patrimoniale au Québec, en jetant un nouvel éclairage sur le rôle qu’y a tenu Paul Gouin. Il ne s’agit donc pas d’une histoire de vie, mais bien d’une étude historique visant à cerner l’évolution des préoccupations patrimoniales en se fondant principalement sur les actions d’un acteur du domaine, en les mettant en relation avec les contextes historiques et culturels dans lesquels il évolue.
9.
enjeux ayant conduit à sa nationalisation et les processus ayant permis de lui attribuer un statut de représentativité de l’identité canadienne-française. L’étude de ces contextes permet de dégager l’évolution des valeurs de la société relativement à la conservation patrimoniale et rejoint ainsi l’histoire des idées. Cette étude repose principalement sur l’analyse des archives de Paul Gouin déposées aux Archives nationales du Québec à Montréal et aux Archives nationales du Canada. La recherche est complétée par les archives de la Commissions des monuments historiques et quelques autres fonds. Diverses publications donnent des informations biographiques sur Paul Gouin et ses activités politiques. Il s’agit principalement des mémoires d’hommes politiques qui ont côtoyé Paul Gouin ou d’ouvrages historiques retraçant le contexte de la période duplessiste.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Dans son ouvrage analysant les transformations des approches de la biographie, François Dosse mentionne la « vieuvre » comme façon d’analyser le sens d’une œuvre littéraire à partir des péripéties de la vie de l’auteur10. Nous aimerions considérer ce concept comme une façon d’analyser l’œuvre d’une vie, un moyen de cerner les causes qui donnent sens aux interventions d’un personnage. Notre projet se rapproche d’une certaine façon de celui de Nina Gorgus qui a étudié l’œuvre du muséologue Georges-Henri Rivière : il s’agit de tracer une biographie intellectuelle qui montre l’homme « en fonction11 ». Dans le cas de Paul Gouin, l’œuvre au cœur de sa vie, qui traverse tout autant sa pensée politique que son action culturelle, est la conservation de l’héritage culturel canadien-français. Notre analyse utilise comme point de départ la conception englobante de la notion d’héritage culturel adoptée par Gouin, de façon à mettre en évidence les valeurs accordées à la conservation patrimoniale et à la promotion de la culture dans les différents contextes étudiés. Cette notion d’héritage culturel nous est apparue comme le noyau dur autour duquel gravitent les divers éléments qui retiennent l’attention de Paul Gouin. Elle sera analysée comme un système composé de multiples éléments interdépendants, dont les interactions dynamiques reposent sur des arguments identitaires et économiques. L’analyse des diverses facettes de la pensée d’un homme comme Paul Gouin offre un nouvel angle d’observation sur les idéologies de la période. En effet, à travers ses écrits se dégage l’évolution des valeurs sociales attribuées au patrimoine, des années 1930 jusqu’à la fin des années 1960, intervalle au cours duquel plusieurs acteurs travaillent à la délimitation des contours d’un patrimoine représentatif de la collectivité canadiennefrançaise et participent ainsi à la construction d’une référence culturelle qui marque encore nos perceptions actuelles de l’identité collective. Nous présenterons d’abord, à titre de prolégomènes, quelques données biographiques sur Paul Gouin en nous concentrant sur son passage dans la vie politique. Il s’agit ici de mettre en évidence certaines idées qu’il défendait lors de la création de l’Action libérale nationale et 10. 11.
François Dosse (2005), Le pari biographique : Écrire une vie, Paris, La Découverte, p. 85. Nina Gorgus (2003), Le magicien des vitrines : le muséologue Georges Henri Rivière, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme.
18
Introduction
qui resteront présentes ultérieurement. Bien que cette partie puisse parfois paraître éloignée des questions patrimoniales, elle s’avère essentielle à la compréhension de l’œuvre de Gouin, puisqu’on y trouvera les fondements qui orientent ses actions ultérieures. Par exemple, la promotion de l’artisanat rejoint tout autant des questions économiques (industries complémentaires, coopération) que le souci de conservation de la culture. Par la suite, les différents champs d’interventions dans lesquels agit Paul Gouin seront analysés, ceux-ci s’inscrivant dans une vaste campagne d’éducation nationale visant la conservation et la promotion de la culture canadienne-française. Pour les besoins de la démonstration, les divers axes ont été regroupés de manière thématique en deux secteurs principaux : la conservation de l’héritage culturel et la promotion de la culture canadienne-française. Il va sans dire, cependant, que tous ces thèmes se recoupent dans ses discours, ses écrits et ses actions et qu’il les considère comme interdépendants, intimement interreliés, et que les aspects économiques y occupent une place presque aussi importante que les aspects culturels, ceux-ci venant justifier ceux-là. Tous ces axes d’intervention, comme nous le verrons, répondent en écho aux idées politiques défendues par Paul Gouin au cours des années 1930.
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1 Prolégomènes
Un héritage familial : la vie politique
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aul Gouin naît à Montréal le 20 mai 1898 et y décède le 4 décembre 1976. Il est le fils de Lomer Gouin, député de Montréal, ministre de la Colonisation et des Travaux publics, puis premier ministre du Québec et président du Conseil exécutif de 1905 à 19201. Paul Gouin grandit donc, de l’âge de 7 ans jusqu’à ses 22 ans, en tant que fils du premier ministre du Québec. La vie politique imprègne les différentes générations de sa famille, puisque sa mère, Élisa Mercier, est la fille d’Honoré Mercier, ancien premier ministre de la province de Québec de 1887 à 1891. Paul Gouin est donc le descendant de deux lignées d’hommes politiques québécois célèbres, ce qui lui fera dire : « Nous avons été élevés, mon frère et moi, dans un contexte […] où l’on ne peut guère s’évader du souci de la chose publique, du souci de servir et du souci de rendre ce qu’on a reçu2 ».
1.
2.
Lomer Gouin poursuit ensuite sa carrière politique jusqu’en 1925, en tant que député et ministre. Au moment de son décès en 1929, il est lieutenant-gouverneur de la province de Québec depuis quelques mois. Assemblée nationale du Québec (2004), « Lomer GOUIN (1861-1929) », Les parlementaires depuis 1792, http :// www.assnat.qc.ca/fra/membres/notices/g-i/gouil.htm. Site consulté le 31 janvier 2007. Selon Philippe Ferland, Lomer Gouin, millionnaire, aurait été foudroyé par une crise cardiaque à la suite du crash de la Bourse de New York. Philippe Ferland (1991), Paul Gouin, Montréal, Guérin, p. 52. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/11, Conférence au Congrès de l’Association canado-américaine, 9 septembre 1964.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Paul Gouin fait ses études primaires au Jardin de l’enfance à Montréal, puis poursuit ses études classiques au Séminaire de Québec. Pendant quinze ans, il habite rue des Remparts à Québec, dans la maison occupée par Montcalm en 1759. Il s’inscrit ensuite en droit aux universités de Montréal et Laval et est admis au barreau en 1920. Au cours de la Première Guerre mondiale, il est lieutenant d’un régiment de chars d’assaut dans le « 1st Canadian Tank Battallion », lequel était à l’entraînement en Angleterre au moment de l’Armistice. Après la guerre, il exerce le droit pendant quelques années (de 1922 à 1929 environ) dans le cabinet Beaulieu, Gouin, Marin & Mercier3. N’aimant pas particulièrement cette profession, il se joint à la maison d’édition Louis Carrier4, et en est président directeur-gérant en 1929. Cette carrière sera brève, l’éditeur cessant ses activités au début de 1930. Cette maison publiait des ouvrages à contenu historique et des récits canadiens, en anglais et en français, sous le nom des Éditions du Mercure. Poète à ses heures, Gouin y publie en 1927 un recueil intitulé « Médailles anciennes », ouvrage présentant des personnages historiques à l’aide de courts extraits de textes d’historiens, suivis d’un poème de Paul Gouin et d’une illustration de Jean Palardy5. Ce recueil qui regroupe vingt-trois textes de Gouin est le seul ouvrage du genre qu’il publie, bien qu’il avait semble3.
4.
5.
Il est associé du cabinet Beaulieu, Gouin, Marin & Mercier de 1922 jusqu’en 1927 ; en 1929, le cabinet porte le nom Beaulieu, Gouin, Mercier & Tellier. D’après des publicités dans Collège Sainte-Marie : 14e souvenir annuel (1929), Montréal, Imprimerie du Messager ; Collège Sainte-Marie : septième souvenir annuel (1922), Montréal, Imprimerie du Messager. Consulté sur www.nosracines. ca. Louis Carrier (1898-1962) collectionnait l’orfèvrerie ancienne. Sa collection comprenant plus de 741 pièces a été acquise par le Musée du Québec en 1959. Gilles Corbeil (1954), « Louis Carrier », Arts et pensée (mars-avril), p. 115-118 ; Hôtel des encans de Montréal, et autres (1991), Art canadien, art international ; Antiquités, canadiana, objets d’art, bijoux, souvenirs historiques, Montréal, Hôtel des encans de Montréal. Paul Gouin (1927), Médailles anciennes : poèmes historiques, Montréal, Éditions du Mercure, 172 p. L’ouvrage incarne l’idéologie de la période : « […] les exploits militaires sont autant d’exhortations à poursuivre un combat historique pour sauver la foi, la patrie et les droits d’un peuple ». De l’avis de Gaëtan Dostie, il s’agit d’un « petit bijou à nul autre pareil », non pour la valeur de la poésie de Gouin en elle-même, mais pour la qualité exceptionnelle du travail d’édition, où « rarement l’art typographique n’a été porté à une telle perfection ». Gaëtan Dostie (1978), « Médailles anciennes, recueil de poésies de Paul Gouin », dans Maurice Lemire, et autres (dir.), Dictionnaire des œuvres littéraires du Québec, Montréal, Fides, p. 682-683.
22
1. Prolégomènes
t-il d’autres projets, dont la publication d’« une série de tableaux canadiens ». Il rêvait aussi d’écrire, un jour, une histoire politique de la province de Québec6. Au moment où il dirige les Éditions Louis Carrier, Gouin part pour quelques mois avec sa famille en Europe, où il prévoit visiter les principaux pays7. Outre les Médailles anciennes, le plus ancien témoignage de l’intérêt de Paul Gouin pour l’histoire canadienne se trouve dans une causerie organisée par la Société des conférences de l’École des hautes études commerciales de Montréal, le 28 janvier 1925. Il présente de nouveau cette conférence lors d’un dîner causerie tenu par l’Association de la Jeunesse Libérale le 3 mars 1925. Paul Lavoie, ami et collègue d’études de Paul Gouin au Séminaire de Québec, est invité à introduire le conférencier lors de la première présentation. Il affirme que la causerie prouvera « l’intérêt éclairé que son auteur porte à l’histoire du Canada, et elle lui fournira l’occasion de manifester la profondeur et la sincérité de l’amour qu’il éprouve pour son pays 8 ». Sous le titre « Sabretaches et Ceintures fléchées », Paul Gouin a raconté « les aventures de l’officier anglais Frederick Tolfrey et nous a fait visiter la ville de Québec, vers l’époque de 18169 ». Cette passion pour l’histoire le pousse à brièvement envisager, en 1931, la possibilité de rédiger une thèse en histoire :
6. 7. 8.
9.
Albert Duc (1935), « Paul Gouin, intime, famille et maison », La Province (26 décembre), p. 4-5. Bibliothèque et Archives Canada (BAC), Fonds Paul Gouin (FPG), MG27 III D1 vol. 6, « Correspondance générale Lettre R », Paul Gouin à C.J. Simard, 5 octobre 1929. Archives de l’Université Laval (AUL), Fonds Paul Lavoie (FPL) (P416). BAC, FPG, MG27 III D1 vol. 15, « (15) discours - commentaires, 1922-1934 », Paul Lavoie à Théodore Monty, 27 janvier 1925. Paul Lavoie est né à Québec, le 16 février 1895. Admis au barreau en janvier 1921, il exerce sa profession à Québec pendant quelques années, jusqu’à son départ pour l’Europe en 1926. Il est diplômé de la faculté de droit de l’Université de France et de l’Académie de droit international de La Haye. En 1926, Paul Lavoie est en poste à la Cour internationale de La Haye lorsque des problèmes de santé le détournent momentanément de sa carrière. La date de son décès n’a pas été retrouvée. En 1936, il vivait à Québec. Pierre-Georges Roy (1936), Les avocats de la région de Québec, Lévis, Le Quotidien, p. 259. « Des jeunes qui feront leur marque » (1925), La Presse (4 mars), p. 2 ; Léon Noël (1925), « “Sabretaches et ceintures fléchées”. Conférence de M. Paul Gouin, avocat. », Le Quartier latin ([28] janvier)
23
« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Il n’est plus question que j’entre au [journal] Canada. Léon m’a dissuadé de la chose pour des raisons qui me semblent excellentes. Je ne renonce pas évidemment pour toujours à la carrière de journaliste. Ce n’est que partie remise. En attendant, je vais probablement m’occuper plus activement et plus sérieusement d’histoire. C’est dans ce but que je suis allé, hier après-midi, rendre visite à M. Aegidius Fauteux. Je lui ai demandé ce qu’il pensait de l’idée de préparer une thèse d’histoire. Il a trouvé l’idée excellente mais m’a averti charitablement, que pour faire une thèse véritablement digne de ce nom, il me faudrait travailler pendant sept ou huit ans. Je t’avoue que cet avertissement m’a quelque peu refroidi sur le moment. Aujourd’hui cependant, je sens renaître mon enthousiasme et je vais très probablement commencer mon travail sans plus tarder. Comme sujet j’ai à choisir entre Lasalle, Iberville, Papineau et Lafontaine10.
Gouin hésite entre les deux derniers personnages, mais tend vers Papineau « qui est certainement le plus dramatique des deux ». Il affirmera plus tard qu’il préférait aborder l’histoire « en restant dans l’angle des petits faits, des coutumes, de la vie courante, qui révèlent mieux la vie d’un peuple, son caractère et sa mentalité, qu’une longue suite de guerres et de traités11 ». Physiquement, Paul Gouin est un homme costaud : d’une taille de près de six pieds, il pèse environ 180 livres (90 kilos). Selon Wheeler Dupont, il possède une « mâchoire à la Goliath12 ». Robert Charbonneau précise : « Au premier abord, Paul Gouin faisait penser à un docker dont il avait les épaules larges et puissantes, le corps bien tassé, surmonté d’une grosse tête bienveillante, plantée directement dans le torse. On pensait aussitôt à une force de la nature ; il était de ces hommes dont on dit spontanément qu’ils sont nés pour vivre cent ans. […] Paul Gouin parlait lentement d’une voix chaude, un peu rauque, et il retenait l’attention par une sorte de magnétisme animal13. »
10. 11. 12. 13.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/5 « Lavoie, Paul, dossier no 1 », Paul Gouin à Paul Lavoie, 4 mars 1931. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/61, « S – Divers », A-J Sarrazin, [notice biographique de Paul Gouin], 7 octobre 1949. Wheeler Dupont (2005), « Histoire de l’Action libérale nationale », L’Action nationale, vol. 95, no 1 (janvier), p. 93. Robert Charbonneau (1967), Chronique de l’âge amer : roman, Ottawa, Éditions du Sablier, p. 142.
24
1. Prolégomènes
L’aventure de l’Action libérale nationale Au début des années 1930, la crise économique ébranle le Québec autant que le reste du continent. Paul Gouin, comme bien d’autres, est préoccupé par la situation économique et sociale de la province et se lance à la recherche d’un « plan d’ensemble » visant l’amélioration des conditions de vie de ses concitoyens14. Depuis le début des années 1920, ces préoccupations sont au cœur des réflexions de la Ligue d’action française, lieu de débats et de réflexion d’un groupe d’intellectuels canadiens-français15. Plusieurs des questions discutées dans le journal L’Action française trouveront un écho dans les actions et les discours de Paul Gouin. En 1930, la résidence de Paul Gouin à Montréal devient un lieu de rencontre où des penseurs se réunissent pour rechercher des solutions à la crise. Avec Paul Lavoie, Gouin met en place un groupe de réflexion qu’ils nomment, entre eux, « les Frères anonymes ». Ils projettent d’établir un « Institut de la Nouvelle-France », aussi appelé « Groupe de l’érable », qui aurait pour but l’ « action intellectuelle, économique, sociale et politique ». Ils préconisent la réalisation d’une enquête scientifique sur « les besoins de notre vie nationale, d’une part, et, d’autre part, sur les principes et les programmes d’action des têtes dirigeantes préposées à l’orientation intellectuelle et morale et à la solution pratique de nos grands problèmes éducatifs, politiques, économiques et sociaux16 ». Lavoie, qui habite Québec, profite des contacts établis lors de son séjour en Europe pour procurer au groupe de la documentation sur l’organisation des conseils économiques dans différents pays (Allemagne, Belgique, Danemark, Dantzig, États-Unis, France, Grèce, Hongrie, Italie, Pologne, Portugal, Tchécoslovaquie et Suisse). Les rencontres hebdomadaires chez Gouin se poursuivent pendant quelques années. S’y retrouvent plusieurs des intellectuels associés à la Ligue d’action française.
14. 15.
16.
« Des chefs se sont levés... » (1935), La Province (3 mai), p. 1-2. Sur la Ligue d’action française, qui devient plus tard la Ligue d’action nationale, voir Yvan Lamonde (2000), Histoire sociale des idées au Québec, vol. 2 : 18961929, Saint-Laurent, Québec, Fides, chapitre 7 ; Pascale Ryan (2006), Penser la nation : la Ligue d’action nationale, 1917-1960, Montréal, Leméac. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/5 « Lavoie, Paul, dossier no 1 », Paul Lavoie à Paul Gouin, 3 février 1930.
25
« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Nous avons eu samedi soir, une très belle rencontre. [Esdras] Minville n’y était pas mais malgré cela tout a très bien marché. Tous ceux qui étaient présents dont Jean Bruchési, Jean-Marie Gauvreau et Guénette ont déclaré que nous avons eu une de nos séances les plus intéressantes. Paul Riou, professeur de chimie à l’École des hautes études commerciales, nous a parlé d’un projet de création d’un office central pour la petite industrie rurale17.
Wheeler Dupont, qui deviendra secrétaire politique de Gouin, évoque l’une de ces soirées d’octobre 1933 : [...] à la demande d’Esdras Minville, directeur de l’École des Hautes Études Commerciales, je me rends à Westmount, chez Paul Gouin, afin de me joindre à un groupe d’étude formé évidemment de Gouin, dont je suis l’hôte, des jésuites Dugré et frère, du Père Papin-Archambault, fondateur des Semaines sociales, et de quelques autres. À ce moment, l’École sociale populaire a longuement préparé un programme économique et social assez étendu. À la fin de nos travaux, il est généralement établi qu’il faudrait maintenant donner des causeries à la radio exposant ce programme, afin d’informer tous les publics qu’il y avait moyen de sortir de la crise économique, ou au moins d’y pallier dans une certaine mesure18.
La possibilité de donner « une autre forme » au mouvement émergent, c’est-à-dire, une forme politique, se fait sentir en 1933 et le nom d’Édouard Montpetit est alors mentionné comme éventuel directeur19. En fait, Paul Gouin envisageait dès 1932 de se lancer en politique. Dans une lettre adressée à Paul Lavoie, en février 1932, il écrit : « J’ai le plaisir de t’annoncer que j’ai repris ma profession d’avocat non pas, cependant, surtout pour faire du droit, mais plutôt de la politique et probablement du journalisme. » C’est à ce moment qu’il décide d’ouvrir un bureau d’avocat à l’Assomption, dans l’objectif de se faire connaître de ses futurs électeurs20. À cette époque, Paul Gouin participait aux journées d’études de l’École sociale populaire. Il aurait d’ailleurs collaboré à l’élaboration du 17. 18. 19. 20.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/5 « Lavoie, Paul, dossier no 3 », Paul Gouin à Paul Lavoie, 26 avril 1933. Wheeler Dupont (2005), « Histoire de l’Action libérale nationale », p. 95-96. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/5 « Lavoie, Paul, dossier no 3 », Paul Lavoie à Paul Gouin, 18 avril 1933. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/5 « Lavoie, Paul, dossier no 1 », Paul Gouin à Paul Lavoie, 9 février 1932 ; 24 août 1932.
26
1. Prolégomènes
Programme de restauration sociale21. Ce programme se résume en treize points. Sans condamner la propriété privée, il prône une plus juste répartition des richesses, la nationalisation de certaines ressources collectives, l’institution d’un conseil économique national, l’organisation corporative des différentes professions, l’accessibilité des services médicaux pour les plus démunis, l’établissement rural et la colonisation. Ce plan repose largement sur les recommandations faites dans les encycliques Rerum novarum et Quadregessimo Anno. L’étude méthodique des problèmes des Canadiens français vise à proposer des solutions conformes à la doctrine de l’Église et aux valeurs traditionnelles canadiennes-françaises. Paul Gouin se fait le porte-parole de ces idées et utilise abondamment la formule des causeries, devant public ou à la radio, pour les diffuser. Lors de l’une de ces conférences, présentée sous l’égide de l’Association de la Jeunesse libérale de Montréal, le 23 avril 1934, Gouin résume les problèmes en cours et soumet des propositions pour les résoudre : mise en place d’un plan de colonisation, électrification des milieux ruraux, développement de l’industrie complémentaire, création de missions culturelles pour inventorier les ressources naturelles et humaines de la province, réforme de l’enseignement et enfin, formation d’un conseil économique22. Gouin affirme alors ne pas croire à la nécessité de créer un troisième parti, mais considère que c’est au Parti libéral « relibéralisé » de mettre en place ces réformes. Il faudra peu de temps pour qu’un groupe de jeunes libéraux dissidents –certains de ceux qui se réunissaient chez Paul Gouin depuis quelques années – crée l’Action libérale nationale, parce qu’ils se sentaient frustrés par les politiques du gouvernement d’Alexandre Taschereau. Ils réagissent ainsi à ce qu’ils considèrent comme un manque d’ouverture des libéraux face à ces propositions. Paul Gouin est choisi comme chef de la nouvelle
21.
22.
Paul Gouin n’aurait cependant pas signé le document, sous prétexte qu’il prévoyait déjà lancer son propre programme. Le document porte les signatures des personnes suivantes : Esdras Minville, Philippe Hamel, Albert Rioux, Arthur Laurendeau, Alfred Charpentier, Wilfrid Guérin, Eugène l’Heureux et René Chaloult. Sept des dix signataires sont membres de la Ligue d’action nationale. Robert Rumilly (1967), Histoire de la province de Québec, vol. 34, Montréal, p. 212 ; Pierre Van Der Donckt (1966), « L’action libérale nationale 1934-1936 », p. 7. Paul Gouin, (1934c), « L’avenir de la jeunesse, libérale ou non », Causerie à la salle Saint-Sulpice.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » formation fondée officiellement le 27 juillet 1934, sans doute en partie à cause du prestige de ses origines familiales, que ses opposants l’accuseront de renier. Le parti propose un programme largement inspiré du programme de restauration sociale : Nous avons pris comme base d’étude et de discussions, pour préparer notre manifeste, le programme de restauration sociale, publié sous les auspices de l’E.S.P. Nous avons jugé à propos de suivre les grandes lignes du programme de restauration sociale. Nous y avons fait cependant plusieurs changements. Il fallait tenir compte de certains commentaires judicieux provoqués par la publication de ce premier plan d’ensemble et de la marche des idées. Il fallait surtout transposer ces doctrines dans le domaine de l’action politique et pratique, en y incorporant nos idées personnelles23.
Le document constitue le « premier programme politique, au sens réel du terme, imaginé et lancé au Québec24 ». Paul Gouin l’affirme lors de l’édition d’une version révisée du programme en 1938 : « C’était la première fois, dans l’histoire de la province et du pays, qu’un parti politique formulait, en termes écrits et non équivoques, sa doctrine et ses engagements envers l’électorat25. » Dans son programme, qui comporte neuf points principaux, l’ALN place les réformes agraires à la base de la restauration économique de la province. Le parti réclame que plus d’importance soit donnée à l’agriculture et à la colonisation, qu’une lutte soutenue contre les trusts étrangers soit mise de l’avant, en particulier contre celui de l’électricité. L’ALN prône le retour à la terre, le corporatisme, l’accès au crédit rural, l’électrification rurale, la nationalisation de l’électricité et le développement de la petite et moyenne industrie. Le parti demande que le gouvernement améliore ses politiques sociales et que le Conseil législatif soit remplacé par un Conseil d’orientation économique et sociale. D’inspiration corporatiste, cet organisme serait formé d’experts chargés de suggérer des solutions concrètes à la crise. Enfin, l’ALN souhaite l’assainissement des mœurs électorales et politiques.
23. 24. 25.
Philippe Ferland (1937a), « Questions d’actualité », La Province (18 juillet). Paul-André Comeau (1982), Le bloc populaire : 1942-1948, Montréal, Québec/ Amérique, p. 38. Action libérale nationale et Paul Gouin (1938), Manifeste de l’Action libérale nationale, [Québec (Province)], [s.n.].
28
1. Prolégomènes
Paul Gouin affirme que c’est dans l’étude du passé qu’il a trouvé des solutions aux problèmes économiques et sociaux du présent. J’étais amoureux de l’histoire. Mais en feuilletant ces bouquins écrits sur les débuts de la colonie, tant sous la domination française que sous la domination anglaise, je fus frappé de la place qu’y tenait le problème économique. […] De là à l’étude des problèmes de l’heure, il n’y avait qu’un pas. Avec un intérêt prodigieux, je m’y consacrai de toutes mes forces. Bientôt se réunirent chez-moi l’élite de nos hommes de pensée et d’action attachés depuis longtemps déjà à l’étude et à la solution de notre problème national. Que vous dirais-je ? Nous étions en 1932 ou 1933, et nous voyions avec angoisse les nôtres se débattre dans une misère de plus en plus grande, au milieu de difficultés économiques sortit le programme que vous connaissez26.
Au-delà de l’inspiration que lui aurait fournie l’histoire, l’idéologie ambiante oriente clairement les plans de l’Action libérale nationale. L’influence de l’ESP et des encycliques est évidente et clairement affirmée. Les réflexions d’Esdras Minville sur les problèmes économiques de la province alimentent aussi le programme de l’Action libérale nationale27. Par ailleurs, la position franchement nationaliste du parti s’inspire de la doctrine de l’abbé Groulx, c’est-à-dire que le parti veut avant tout défendre les intérêts des Canadien français. Nous appartenons au groupe des pro-canadiens-français. Nous voulons tenir ce que nous croyons être le juste milieu entre le séparatisme et le « bonne-ententisme ». En d’autres termes, plutôt que de nous poser en ennemis irréductibles des Anglais ou de nous aplatir devant eux à propos de tout et à propos de rien, avant de nous prononcer pour ou contre le maintien de la Confédération, nous croyons plus sage de continuer à élaborer une politique canadienne-française aussi complète que possible ; une politique non pas négative mais positive, non pas destructive mais constructive, une politique non pas anti-n’importe quoi ou n’importe qui, mais, je le répète, pro-canadienne-française28.
Afin de mettre en place cette politique nationaliste, l’Action libérale nationale se fixe un double objectif : « adapter la politique provinciale 26. 27.
28.
Albert Duc (1935), « Paul Gouin, intime, famille et maison », p. 4. Esdras Minville (1932), La Politique qu’il nous faut, Montréal, l’Association catholique de la jeunesse canadienne. Sur Minville, voir Dominique Foisy-Geoffroy (2004), Esdras Minville : nationalisme économique et catholicisme social au Québec durant l’entre-deux-guerres, Sillery, Septentrion. Paul Gouin (1937c), « Notre doctrine nationale », La Province (21 août).
29
« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » aux problèmes économiques », et doter la province d’une « politique nationale […] conforme aux besoins et aux aptitudes de la masse de sa population, qui est canadienne-française ». Pour Paul Gouin, « une doctrine nationale doit inspirer et marquer la vie des Canadiens français29 ». Pour y arriver, il faut miser non seulement sur une campagne politique, mais aussi sur une campagne d’éducation nationale, qui vise la formation au patriotisme. Cette campagne éducative a été lancée en 1934 par la revue L’Action nationale, dont les rédacteurs se disent convaincus qu’une éducation « plus nationale » aidera à résoudre les problèmes économiques de la province. Lionel Groulx défend aussi cette orientation. Il a lui-même suggéré à Paul Gouin d’aborder la question dans ses causeries : « Dans votre conférence de samedi prochain, parmi les moyens de nous refaire un courage, n’indiqueriez-vous point une éducation plus nationale ? Vous avez de l’autorité et je ne vous cacherai point que votre appui me ferait grand plaisir et m’aiderait beaucoup dans la campagne que j’ai entreprise30. » Gouin va plus loin, en rattachant la question de l’éducation nationale à sa doctrine politique. Il ira jusqu’à reprocher à Godbout et à Duplessis de ne pas avoir osé adopter la doctrine de l’abbé Groulx « qui, seule, peut assurer la survivance nationale et économique des nôtres31 ». La restauration économique par la colonisation et l’industrie complémentaire Pour mettre en place une politique économique conforme aux besoins de la population canadienne-française, il faut, de l’avis de Paul Gouin, développer de manière plus structurée l’agriculture et les petites et moyennes entreprises, domaines considérés comme le champ de compétences des Canadiens français. « Gouin […] a montré à notre nationalité sa voie, il lui a indiqué dans quel sens elle doit diriger son présent afin que son avenir s’accorde avec son passé. Il nous a fait voir notre place, à nous Canadiens français : l’agriculture, la colonisation et
29. 30. 31.
Philippe Ferland (1935), « Une doctrine nationale : telle est la doctrine de Paul Gouin », La Province (22 août), p. 8. Centre de recherche Lionel-Groulx, Fonds Lionel Groulx, P1/A, 1608, Lionel Groulx à Paul Gouin, 9 novembre 1934. « M. Paul Gouin répudie son ancien collègue M. Grégoire » (1936), Le Canada (10 août), p. 8.
30
1. Prolégomènes
la petite et moyenne industrie32. » En fait, l’idée de se battre sur le terrain des grandes industries contrôlées par les capitaux étrangers semble difficile à envisager. La restauration économique de la province doit passer par « une œuvre de restauration rurale, basée sur l’agriculture familiale et la coopération », qui assurera un avenir plus prometteur aux jeunes. D’où l’importance donnée aux réformes agraires, placées à la base du programme de l’ALN. Ces réformes impliquent l’élaboration d’un plan de colonisation, l’électrification rurale, et enfin, l’organisation de l’industrie complémentaire. Les questions restent cependant nombreuses quant à la disponibilité réelle des terres agricoles et des modes d’appui à l’agriculture qui doivent être privilégiés. Paul Gouin propose la création d’une commission d’études gouvernementale pour répondre à ces questions. Cette commission « […] pourrait non seulement établir un plan de colonisation mais aussi étudier et résoudre, au moyen de sous-comités, les questions connexes comme celles du redressement de notre agriculture par la conquête des marchés locaux et l’électrification des campagnes, et comme celle de l’industrie complémentaire. Ce sont là trois articles du programme de restauration rurale qui doivent être réalisés simultanément33 ». Lors de l’une de ses conférences, Paul Gouin insiste sur l’importance de la colonisation pour la conservation de l’esprit national : Souvenons-nous, messieurs, que si nous ne voulons pas mourir, que si nous voulons enfin devenir un peuple, il faut coloniser. Il faut coloniser la terre ; il faut coloniser aussi les âmes et les cœurs. Il faut défricher les âmes, les cœurs et les esprits, les débarrasser des préjugés qui les encombrent comme des ronces stériles, pour y semer à pleines mains la confiance, pour y semer à pleines mains l’esprit national qui nous sauvera34.
La colonisation restera au cœur des préoccupations de certains groupes nationalistes jusqu’à la fin des années 1940. À l’automne 1933, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal crée un comité de colonisation 32. 33.
34.
[Philippe Ferland] (n.d.), « L’œuvre de M. Paul Gouin. Extrait d’une allocution prononcé le 12 juillet par M. Philippe Ferland, avocat, sous les auspices de l’Action Libérale Nationale », n.i., p. 5. Paul Gouin (1938), Servir, Montréal, Éditions du Zodiaque, p. 128. Voir aussi « Des chefs se sont levés... » (1935), Paul Gouin (1934d), « À la hache ! », L’Action nationale, vol. III, p. 21-24 ; « La colonisation d’après Paul Gouin » (1935), La Province (12 décembre). Paul Gouin (1938), Servir, p. 132.
31
« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » et en confie la présidence à Paul Gouin, cet « apôtre de la prise de possession du sol canadien par les gens de chez nous35 ». Présenté comme une suite logique du Programme de restauration sociale, ce comité vise à rassembler des dons de toute nature et à en faire la distribution aux colons de l’Abitibi et du Témiscamingue. Avec l’aide de son épouse, Gouin organise alors un « sous-comité de tricoteuses » rassemblant des femmes volontaires pour la fabrication de vêtements destinés aux colons36. À l’automne 1934, le gouvernement provincial organise un congrès consacré à la question de la colonisation. Invité à y participer, Gouin refuse d’y assister, à cause, affirme-t-il, de « l’attitude et l’état d’esprit » de certains ministres. En fait, il semble que sa conception des solutions à apporter diffère de celle du gouvernement. Gouin croit qu’il faut planifier davantage que le simple établissement des colons : « Si nous voulons vraiment préparer le terrain pour la Colonisation, si nous voulons vraiment rétablir l’équilibre social, économique et politique dans cette province, il ne faudra pas se contenter d’abattre des arbres37. » Reprenant l’argument d’Esdras Minville, il affirme que la restauration économique de la province repose sur trois éléments de solution : la décentralisation de la population, la décentralisation de l’industrie, et enfin, la décentralisation de la richesse38. Pour décentraliser la population, la solution réside dans la mise en place d’un plan de colonisation structurée, qui permettrait non seulement de développer de nouvelles régions, mais verrait à subdiviser et à drainer certaines terres anciennes afin d’en accroître le rendement. De plus, Gouin constate qu’une partie de la population n’a pas nécessairement d’aptitudes pour l’agriculture. En conséquence, il suggère la création de petits et moyens centres industriels un peu partout à travers la province. En plus de constituer un moyen de décentraliser l’industrie par la création de petites et moyennes
35.
36. 37. 38.
BAC, FPG, MG27 III D1 vol. 14. J.-E. Laforce, « Colonisation et agriculture. Ce comité de colonisation ». CKAC, 21 octobre 1933. Parmi les membres du comité, on trouve Albert Rioux, président de l’Union catholique des cultivateurs et Esdras Minville, de l’École des hautes études commerciales. BAC, FPG, MG27 III D1 vol. 6, « Correspondance générale, Lettre R », Paul Gouin à L.-A. Richardson, 15 janvier 1934. « Réponse de Paul Gouin au ministre Vautrin » (1934), Le Devoir (13 octobre), p. 3. Paul Gouin (1937b), « Notre doctrine économique et sociale », La Province (14 août).
32
1. Prolégomènes
entreprises, ces centres industriels permettraient aux jeunes de trouver un emploi dans leur région. D’autre part, l’établissement de ces petits centres industriels dans les différentes régions du Québec rend nécessaire l’électrification rurale, autre élément important du programme de l’Action libérale nationale. Enfin, pour décentraliser les richesses, cause de la concentration de l’industrie et de la population, une réforme du système bancaire s’impose. En 1944, le père Papin Archambault relance la question de la colonisation dans les Semaines sociales du Canada et organise à son tour un congrès sur le sujet. Réunis à Montréal en avril 1944, les congressistes mettent sur pied L’Aide à la colonisation, regroupement de toutes les associations préoccupées par la question39. Son objectif est d’« agir sur la masse, y déterminer un courant irrésistible en faveur d’une colonisation rationnelle et intensive, soutenir et organiser ce courant40 ». Un nouveau congrès national est organisé par L’Aide à la colonisation, en novembre 1946, sous la présidence de Paul Gouin. Il prononce alors une conférence qu’il intitule « La colonisation, notre salut ». Il y suggère que « c’est la colonisation qui nous permettra d’accomplir sur cette terre d’Amérique ce que l’on est convenu d’appeler notre mission providentielle », orientation qui correspond à la position du père Archambault41. Cette conférence surprend quelque peu par un conservatisme que l’on trouve rarement de manière aussi affirmée dans les textes de Gouin. Il souligne alors que le mouvement de la population vers les villes rend la vie difficile aux familles qui ont quitté les régions pour s’établir en milieu urbain, où elles connaissent la pauvreté et logent dans des taudis. Ces conditions de vie pénibles favorisent le communisme. Gouin reprend alors les arguments qu’il défendait dès 1936 : 39.
40. 41.
« Cette association, sous le haut patronage de l’épiscopat et quelques figures populaires –Félix-Antoine Savard, Lionel Groulx, Thomas Chapais, Pamphile du Tremblay– canalise toutes les forces de la société traditionnelle : la Société SaintJean-Baptiste de Montréal, la Fédération des sociétés diocésaines de colonisation, le Comité de la survivance française en Amérique, la Société nationale des Acadiens, l’Union catholique des cultivateurs, l’École sociale populaire, la Confédération des travailleurs catholiques canadiens, l’Association professionnelle catholique des voyageurs de commerce, la Corporation des agronomes. » Nive Voisine, et autres (1984b), Histoire du catholicisme québécois : Le xxe siècle, vol. II : 1940 à nos jours, Montréal, Boréal Express, p. 34. Ibid., p. 34. Nive Voisine, et autres (1984a), Histoire du catholicisme québécois : Le xxe siècle, vol. I : 1898-1940, Montréal, Boréal Express.
33
« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » plus que la colonisation elle-même, il faut encourager « l’établissement rural », c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas seulement de développer de nouvelles régions de colonisation, mais aussi de réoccuper les anciennes régions. S’il faut retenir sur la terre ceux qui y sont établis, il faut aussi s’assurer que les jeunes qui sont moins portés vers l’agriculture trouvent une occupation en milieu rural. L’exploitation des ressources naturelles (forêt, mer), le développement de l’artisanat et des petites et moyennes industries locales et régionales permettraient l’établissement de petits centres industriels partout dans la province. Pour retenir les jeunes en région, il faut aussi leur offrir un milieu de vie agréable, en installant des salles communautaires pour la danse et les réunions sociales, ainsi que des terrains de jeux42. Tout comme la question de la colonisation, celle de l’industrie complémentaire retient l’attention de Paul Gouin depuis le début des années 1930. En 1933, il participe à la création et accepte la présidence du Comité de l’Industrie Complémentaire de l’Association catholique de la jeunesse canadienne-française (ACJC). Le comité lance une campagne en vue de revitaliser l’artisanat et d’organiser la petite industrie dans la province. Une exposition d’artisanat est présentée à la Palestre nationale, accompagnée d’un programme de conférences visant, d’une part, à sensibiliser le public et, d’autre part, à inciter le gouvernement à appuyer davantage ce domaine43. Poursuivant ses actions dans le domaine de la petite industrie, Gouin fonde en 1934, avec René Duguay, avocat, et Paul Dubuc, de l’ACJC, la Société Jean-Talon, une corporation qui se donne comme objectifs de « Travailler, sans intention de faire un gain pécuniaire, au développement économique de la province de Québec et spécialement de promouvoir, répandre et faire progresser le mouvement en faveur de la Petite Industrie44 ». Le développement systématique de petites et moyennes industries qui exploiteraient les ressources agricoles constitue, selon Paul Gouin,
42.
43. 44.
Paul Gouin (1947), « La colonisation, notre salut », dans Rimouski, Semaines sociales du Canada. XXIVe session (dir.), La vie rurale : compte rendu des cours et conférences, Montréal, Secrétariat des Semaines sociales du Canada : École sociale populaire. Paul Riou et Jean-Marie Gauvreau (1947), « Les formes de l’activité artisanale », Mémoires de la Société royale du Canada, p. 72-73. BAC, FPG, MG27 III D1 vol. 28, « (69) Société Jean-Talon 1933-1934 », Loi des compagnies de Québec, 5 mars 1934.
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1. Prolégomènes
la solution aux problèmes des Canadiens français. Ces entreprises pourraient devenir « la véritable ossature économique du Canada français ». Il y voit un moyen de contrer les effets de la crise économique et de reprendre un certain contrôle sur les ressources du Québec, alors largement sous l’emprise de capitalistes étrangers. Selon son point de vue, « il vaut mieux être les maîtres de la petite industrie que les serviteurs ou plutôt les chômeurs de la grande45 ». Puisque ces petites entreprises offrent un complément idéal à l’agriculture, Gouin préfère l’expression « industries complémentaires », qu’il emprunte au géographe Raoul Blanchard, en changeant légèrement le sens qu’il lui donne. Alors que Raoul Blanchard définit l’industrie domestique comme étant celle qui répond aux besoins immédiats de la famille et l’industrie complémentaire comme étant celle des produits faits pour la vente, en complément de l’activité principale de l’ouvrier, Gouin regroupe bien davantage dans ce concept : La petite industrie telle que nous l’entendons dans notre province comprend, a) les arts domestiques qui complètent l’entreprise agricole en permettant à l’agriculture d’utiliser avec profit ses loisirs forcés et les ressources secondaires de la ferme et dont les produits, « catalognes », tapis crochetés, étoffe du pays, bois sculptés, etc., ont pour débouchés la famille même de l’agriculteur et le touriste ; b) l’industrie, petite ou moyenne, locale ou régionale, complément indispensable de l’agriculture dont elle utilise directement ou indirectement les produits, ou dont elle absorbe le surplus de main-d’œuvre. Dans cette catégorie, nous pouvons ranger les fromageries, les fabriques de conserves de légumes, les filatures, les cordonneries, les ganteries, les scieries, les fabriques de portes et de châssis, les fabriques de meubles, les fonderies, disséminées à travers la campagne, dans les petites villes et villages ; c) l’artisanat rural qui comprend entre autres, les forgerons, les tanneurs et les charrons et qui, lui aussi, vient se greffer sur l’organisme agricole46. 45. 46.
Paul Gouin (1934c), « L’avenir de la jeunesse, libérale ou non ». Paul Gouin (1938), Servir, p. 91-92. Raoul Blanchard définit ainsi ces concepts : « Par rapport à l’industrie domestique, [l’industrie complémentaire] tire son originalité de la spécialisation des ouvriers, et surtout de la forme commerciale qu’elle prend : elle travaille pour la vente, pour un marché extérieur à la famille, à la cellule sociale. Mais ces traits sont aussi ceux de l’industrie autonome. Par rapport à celle-ci, elle se distingue avant tout par son caractère complémentaire ; elle n’est pas l’unique occupation de l’ouvrier, bien qu’elle puisse réclamer soit très peu, soit beaucoup de son temps ; elle est donc avant tout intermittente. » Raoul Blanchard, et autres (1934), La Géographie de l’industrie, Montréal, Éditions Beauchemin, p. 49.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Selon cette conception, l’industrie complémentaire offre un supplément idéal à l’agriculture, puisqu’elle permet une meilleure utilisation des ressources financières et du capital humain. Pour organiser ce secteur de manière efficace, il faut d’abord connaître le potentiel des ressources humaines et naturelles. Cette nécessité a été identifiée par Paul Riou, professeur de technologie à l’École des hautes études commerciales de Montréal. Riou préconise la création d’un « office provincial de l’industrie complémentaire », qui viendrait compléter le travail de l’École des hautes études commerciales, de l’École des arts domestiques, de l’École des arts et métiers, des écoles des beaux-arts et des écoles techniques. Il propose aussi la mise sur pied d’un comité chargé de réaliser des inventaires exhaustifs des matières premières exploitables et de leurs sous-produits et enfin, une analyse des compétences de la main-d’œuvre47. Ces idées sont celles des économistes nationalistes associés à l’École des hautes études commerciales de Montréal, dont Esdras Minville et François-Albert Angers, qui réclament la création d’un conseil économique national ayant pour tâche de planifier le développement économique du Québec de façon plus ordonné. Minville, qui agit à titre de conseiller au sein du ministère du Commerce et de l’Industrie sous le gouvernement Duplessis, mettra notamment sur pied l’Office de recherches scientifiques de la province48. Ces réflexions sur les réformes agricoles, économiques, sociales et ouvrières font partie du programme de l’ALN et sont largement discutées en 1934 et en 1935. Plus de deux cent mille exemplaires du programme du parti ont été distribués et près de 200 assemblées publiques ont permis de l’expliquer partout dans la province. Malgré le succès populaire obtenu, le parti est conscient de la difficulté de vaincre les libéraux à l’élection de novembre 1935. Une alliance stratégique est donc conclue avec les conservateurs de Maurice Duplessis, faisant de la défaite du gouvernement Taschereau le principal objectif de la campagne. L’alliance Duplessis-Gouin adopte le programme de l’Action libérale nationale. Afin de ne pas diviser le vote, un seul candidat (soit conservateur, soit actionniste) fera face au candidat libéral dans chacun des comtés.
47. 48.
Paul Gouin (1934b), « L’avenir de notre jeunesse : La petite industrie », Les ffaires (juin-juillet), p. 112-114. A Jonathan Fournier (2005), « Les économistes canadiens-français pendant l’entredeux-guerres : entre la science et l’engagement », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 58, no 3 (hiver), p. 389-414.
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1. Prolégomènes
Monsieur Paul Gouin Air : La Java Chanté par : Lola Desrochers I L’gouvern’ment Provincial Est très libéral, J’me suis laissée dire. Mais y a des changements Une fois de temps en temps Y en a qui conspirent ! Ainsi monsieur Parent Par Gouin tragiqu’ment Un jour s’fit occire Son fils Paul veut r’commencer bientôt Le même coup sur monsieur Taschereau.
II Mais dans cette SCISSION-ci Si Gouin réussit Faut bien qu’on le sache, On oubliera bientôt Ce p’tit coup dans l’dos Qui n’est pas une tache, Car les politiciens Chacun le sait bien Rien ne les attache Le pouvoir est au plus fin d’entre-eux Faut pas prendre ces choses-là au sérieux.
REFRAIN Monsieur Paul Gouin Avec soins A tout préparé. Les libéraux Très bientôt Seront divisés. Comme son papa Ce p’tit coup d’tabac F’ra-t-il son effet ? C’est ce qu’on s’demande Ce qu’on appréhende. Et ce qu’on ne sait Peut-être qu’un jour À son tour Paul va gouverner Et m’sieu Tasch’reau Dira : ho ! ho !... Il m’a étranglé ! En politique C’est souvent tragique Mais pour arriver Il faut faire foin, N’est-ce pas monsieur Gouin, D’tous les préjugés.
REFRAIN Ma p’tite chanson A un son D’actualité. Mais pour une femme, J’le proclame, Elle manque de clarté. L’auteur eût dû M’donner une chose sue Plutôt qu’cette chose-là ! Le texte vrai Est bien plus complet Jugez-en l’voilà ! Tout contre toi Serre-moi Bien fort dans tes bras. Je te suivrai Je ferai Ce que tu voudras Quand tu me prends Dans mon cœur je sens Comme un vertige. Pour une femme Ça parle à l’âme, Mieux qu’Gouin ou Taschereau.
Source : Variétés professionnelles : Théâtre Impérial, Montréal, 29 avril 1936, [Québec (Province), s.n.], p. 17.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » L’entente prévoit que Maurice Duplessis sera le premier ministre, alors que Gouin aura la responsabilité de choisir la majorité des ministres parmi les membres de l’Action libérale nationale. Lors de l’élection du 25 novembre, l’ALN réussit à faire élire vingt-six députés, dont Paul Gouin, élu par une faible majorité (62 voix) dans le comté de l’Assomption, alors que quinze députés conservateurs son élus. Les libéraux gardent le pouvoir, avec une majorité de six députés seulement. Le manque de leadership de Paul Gouin auprès de ses députés se fait rapidement sentir, et quelques-uns se rallient à Duplessis. Lorsqu’en juin 1936 le gouvernement Taschereau démissionne, la rupture de l’alliance Duplessis-Gouin est rapidement annoncée. Gouin se retire, et annonce que l’Action libérale nationale ne présentera aucun candidat à l’élection du 17 août 1936. L’Union nationale est officiellement créée et des tractations en coulisse tentent de faire revenir Gouin : Il accepta finalement de se présenter à condition de rester libre des deux partis et d’être élu par acclamation dans le comté de l’Assomption. Reed et Raynault, candidats déjà en liste (sic) acceptèrent de se désister en sa faveur avec l’approbation de leur parti respectif. Comme il fallait faire vite, il fut décidé d’inscrire le nom de Gouin à l’Assemblée de l’appel nominal sous condition quitte à retirer la candidature dans l’éventualité d’un refus de la part de Godbout ou de Duplessis. Mais la nomination était close depuis une heure lorsqu’on se présenta chez l’officierrapporteur. Gouin resterait donc hors du combat49.
Publiquement, Paul Gouin justifie son retrait par la nécessité de poursuivre d’abord la campagne d’éducation nationale de façon à pourvoir ensuite appliquer les réformes50.
49.
50.
Pierre Van Der Donckt (1966), « L’action libérale nationale 1934-1936 », p. 110. Pierre-Mercier Gouin précise que ce retard de Paul Gouin sera attribuable au fait qu’en 1936, seules quelques villes adoptaient l’heure avancée en été, et que l’Assomption conservait l’heure normale. D’où le retard de Paul Gouin. PierreMercier Gouin à Nathalie Hamel, 29 novembre 2007. L’histoire de la législation sur le temps légal au Québec confirme cette possibilité. Voir « L’histoire de la législation sur le temps légal au Québec de 1880 à 1986 », Québec, ministère de la Justice, http ://www.justice.gouv.qc.ca/francais/publications/generale/tempshistoire.htm. Site consulté le 30 novembre 2007. Paul Gouin (1935b), « Paul Gouin continue de prouver qu’il est, avant tout, patriote », La Province (18 juillet).
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Diffuser le programme du parti L’Action libérale nationale a abondamment diffusé son programme par des assemblées publiques, des conférences et des émissions radiophoniques, média que le parti est le premier à utiliser systématiquement51. Le moyen privilégié sera toutefois un hebdomadaire, La Province, organe officiel du parti lancé en avril 1935 et dirigé par Séraphin Vachon, un autre libéral déçu, pionnier de l’Action libérale nationale. Le journal se donne comme objectif de dénoncer « les mensonges quotidiens de la presse ministérielle » et de renseigner ses lecteurs sur les actions de ceux qui tentent de résister à « la montée constante du terrorisme politique exercé avec la plus cynique constance par les politicards en place ». De plus, La Province compte stimuler la fierté nationale chez ses lecteurs : Elle entend tirer des événements actuels, à la lumière de notre gloire historique et des principes de fierté nationale et religieuse qui animaient nos pères, les leçons qui doivent rester comme des mots d’ordre pour la masse ; […] Elle entend encore faire connaître à ses lecteurs, en les mettant tour à tour sous l’horizon particulier à chacune des classes de notre société, les principes essentiels à notre survivance ethnique et à l’accomplissement de notre mission providentielle sur cette terre d’Amérique ; Bref, elle entend faire de l’action politique canadienne-française (sans que cela ait rien de désobligeant pour nos compatriotes d’une autre origine). C’est-à-dire qu’elle propose d’exalter la fierté nationale et de secouer l’apathie naturelle à notre race de terriens, afin de la porter à secouer le joug qui l’oppresse52.
Le tirage du journal, en 1936, était de 10 500 exemplaires, dont 7000 abonnements53. L’hebdomadaire change de format et de présentation en 1937, au moment où Paul Gouin prend lui-même la direction. Il tente de lui donner un nouveau souffle en accordant une plus large place à la culture, tout en continuant à discuter des questions nationales. Le sous-titre du journal passe d’ « Organe de l’Action Libérale Nationale » à « Hebdomadaire d’action canadienne-française », témoi51. 52. 53.
Philippe Ferland (1991), Paul Gouin, p. 62. « Pour la restauration économique et sociale du Canada-français » (1935), La Province (5 avril), p. 1, 8. Philippe Ferland (1991), Paul Gouin, p. 73. À titre de comparaison, le tirage du Devoir, en 1930 était de 13 504 et de 20 112 en 1940. André Beaulieu et Jean Hamelin (1973), La presse québécoise : des origines à nos jours, Tome septième, 1935-1944, (Québec), Presses de l’Université Laval.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » gnant ainsi d’une certaine distanciation de la politique. Comportant désormais douze pages, le journal se donne un objectif d’éducation populaire. Il présente fréquemment un contenu à caractère historique et comporte de nombreuses illustrations : représentations de costumes canadiens dans les pages pour enfants, propositions de vêtements ou objets artisanaux présentant des caractéristiques canadiennes, paroles et musique de chansons folkloriques, photographies de bâtiments anciens. En octobre 1937, Paul Gouin inaugure les déjeuners-causeries de La Province. Ouvertes aux conférenciers et aux auditeurs de toutes les allégeances politiques, ces causeries se tiennent chaque mercredi midi à l’Hôtel Pennsylvanie. Divers objectifs sont poursuivis : constituer un conseil économique « officieux », permettre à de jeunes conférenciers de développer leur talent oratoire, offrir un lieu de rencontres et de coopération entre diverses associations54. Bien que La Province semble susciter l’intérêt d’un certain lectorat, les abonnements sont insuffisants pour assurer la rentabilité de la publication. Les rédacteurs doivent constamment faire appel à la générosité et à la fidélité des abonnés et lancer des campagnes de souscriptions. Après avoir englouti des sommes considérables, La Province cesse de paraître le 5 février 1938. La fin d’une carrière politique Malgré tout, Paul Gouin espère toujours la renaissance de son parti et il rassemble sous le titre Servir. I : La cause nationale des articles publiés et des discours prononcés entre 1932 et 193855. L’Action libérale nationale tente une nouvelle percée lors de l’élection provinciale de 1939. Le parti présente 56 candidats, qui sont tous défaits. Il ne recueille alors que 4,5 % des voix. Gouin lui-même est battu dans le comté de Montréal-Mercier. Il n’abandonne pourtant pas encore ses ambitions politiques. En 1942, il participe à la fondation du Bloc populaire canadien, parti dirigé par Maxime Raymond. Ce nouveau parti 54. 55.
BAC, FPG, MG27-III D1, vol. 18, « (24) Discours et conférence 1936-1937 », 20 octobre 1937. La liste de ces déjeuners-causeries se trouve dans Philippe Ferland (1991), Paul Gouin, p. 406-407. Paul Gouin (1938), Servir. Cette compilation témoigne bien de ses préoccupations et des thèmes qu’il continuera de traiter jusqu’au cours des années 1950.
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1. Prolégomènes
rassemble quelques pionniers de l’Action libérale nationale (Philippe Hamel, René Chaloult, Paul Gouin). Ses revendications se situent dans le sillage des positions nationalistes de l’ALN, et le parti se positionne contre la conscription. Des divergences apparaissent au sein du parti et Gouin, Hamel et Chaloult quittent en 1944. Selon Comeau, Gouin souhaitait diriger le Bloc et n’aurait jamais caché son ambition de devenir premier ministre du Québec56. Il fait une ultime tentative politique en se présentant comme candidat indépendant à l’élection provinciale de 1944 dans le comté de L’Assomption. Il est une fois de plus défait. Ce fut sa dernière apparition sur la scène politique. Son implication dans la politique active couvre donc une dizaine d’années au total, de 1934 à 1944. Sa carrière comme député élu se limite quant à elle à quelques mois seulement, soit de novembre 1935 à août 1936. Plusieurs contemporains se sont interrogés sur le potentiel de Paul Gouin comme politicien. Lors de son décès, en décembre 1976, le journaliste Michel Roy écrit dans Le Devoir que c’est « moins à cause [de ses] réalisations politiques qu’en raison de son projet politique, des espoirs qu’il fit naître, de l’idéal qu’il inspira57 » que l’histoire a retenu le nom de Paul Gouin. En fait, il semble avoir laissé une image plutôt négative comme leader politique. Sa lenteur à répondre aux questions, ses silences, lui ont été reprochés par ses partisans et proches collaborateurs, qui ont remis en question ses aptitudes de chef. Son tempérament d’intellectuel calme, pondéré, n’était pas conciliable avec les goûts d’une époque qui exigeait des chefs vigoureux et agressifs58. Paul Gouin, c’était un nom. Était-ce un chef ? Verrait-on dans le petit-fils, ainsi que la chose se produit parfois en histoire, la réincarnation du grand-père ? Paul Gouin avait quelque peu le profil de Mercier le Grand : la ligne d’ensemble, le port, le front têtu, la forte mâchoire ; il lui manquait la forte moustache, l’air vivant, décidé, combatif, de son ascendant. […] Paul Gouin avait le débit plutôt lent, une prononciation quelque peu laborieuse, une voix forte, sans relief particulier, sans aucun de ses accents qui saisissent, émeuvent une foule. Était-il un homme d’action ? Son maintien, sa démarche ne le disaient guère. Bâti en force, la nuque légè-
56. 57. 58.
Paul-André Comeau (1982), Le bloc populaire : 1942-1948, p. 238. Michel Roy (1976a), « La mort de Paul Gouin », Le Devoir (7 décembre), p. 3. Adhémar Raynault (1970), Témoin d’une époque, Montréal, Éditions du Jour, p. 87.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » rement courbée, il marchait lentement, traînant des pieds qu’on eût dits trop lourds59. Paul Gouin n’était pas né pour être un homme politique... Paul Gouin est à l’extrême opposé de Duplessis. Gouin, c’est la lenteur aristocratique, c’est l’homme paisible dans ses pensées, dans ses silences de Colonel Bramble, dans ses actions. [...] Il n’aime pas se colleter avec l’opinion des autres. Il veut que tout soit pensé, pesé, soupesé ; jamais spontané, jamais chaleureux. Gouin est toujours en perpétuelle réflexion, sa grande volupté. Gouin c’est l’intellectuel, l’homme des livres, poète, auteur, Gouin c’est l’amoureux de la terre ancestrale, du ruisseau qui chante, de la vieille maison de pierre, des vieux meubles canadiens. Il a l’âme très vieille France... Il a la lente germination des personnes silencieuses. Une passivité épongeante... Féru d’études historiques et de mémoires d’hommes illustres, Gouin, c’est le gentilhomme. C’est le lève-tard, c’est l’introverti c’est le gars seul, c’est l’homme d’un petit cercle d’amis. Il vit sans secousse. Ennemi du tutoiement, de la familiarité, de la tape sur l’épaule. C’est un monsieur sérieux, lointain, c’est l’homme tranquille d’une totale tranquillité, fuyant le désaccord, la discorde, la tricherie. Ami de la franchise, de la vérité, du respect intégral de la parole donnée, du respect de la personne d’autrui... Gouin, c’est l’homme du silence, parfois l’homme qui revient du froid60.
De nombreux partisans ont été déçus de l’absorption de l’Action libérale nationale par l’Union nationale de Duplessis. En 1934-1935, les attentes étaient grandes envers un chef qui osait des positions nationalistes pro-canadiennes-françaises. Arthur Laurendeau écrivait dans L’Action nationale : « En tout cas et quel que soit l’avenir, M. Paul Gouin gardera l’honneur d’être le premier chef de parti qui ait chez nous prononcé des paroles aussi fières, aussi positives, aussi gonflées d’espérance61. » A posteriori, Wheeler Dupont conclut pour sa part à une erreur des partisans lors du choix de leur chef : Faut-il porter jugement ? S’il y a eu faute, c’est nous qui l’avons commise, presqu’un péché contre l’esprit. À dix, nous avons convaincu Paul Gouin... à cause de son nom, de sa filiation de fils de Premier ministre libéral Lomer Gouin et petit-fils de Premier ministre libéral national Honoré Mercier, il se devait de lever l’étendard de la rébellion contre le 59. 60. 61.
Lionel Groulx (1970), Mes mémoires, vol. 3, Montréal, Fides, p. 302. Wheeler Dupont (2005), « Histoire de l’Action libérale nationale », p. 105. Arthur Laurendeau (1935a), « [Présentation de Paul Gouin] », L’Action nationale, vol. V, p. 31.
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1. Prolégomènes
parti libéral fatigué de gloire et d’usure. Nous avons tout joué sur son nom seulement et oublié la texture même de la personnalité propre de Gouin. Nous avons perdu... et Lui, il a retrouvé sa paix intérieure et sa magnifique vocation culturelle dont Paul Gouin et la Province ont lieu d’être fiers62.
C’est cette vocation culturelle, aujourd’hui oubliée, que nous allons maintenant étudier.
62.
Wheeler Dupont (2005), « Histoire de l’Action libérale nationale », p. 114.
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Page laissée blanche intentionnellement
2 Notre maître le passé : La conservation de l’héritage culturel
[...] il est important, à mon avis, de retourner ainsi vers le passé pour ensuite examiner le présent et préparer l’avenir. Cette formule nous permet de dresser l’inventaire de notre patrimoine, de nous rendre compte de ce que nous en avons fait et enfin d’étudier les moyens que nous devons prendre pour le conserver, le développer et, dans certains cas, le restaurer. Paul Gouin, CKAC, 5 février 1950
A
u moment où il se retire temporairement de la vie politique en 1939, Paul Gouin souhaite poursuivre une campagne d’éducation nationale qui vise l’accroissement du patriotisme chez les Canadiens français. Cette campagne sera le moteur de ses actions pendant pratiquement tout le reste de sa vie. Pour arriver à instaurer un sentiment national plus fort parmi la population, il croit qu’il faut avant tout prêcher par l’exemple et intégrer l’héritage culturel dans la vie quotidienne. Les arts, la langue, la littérature, les traditions et coutumes, le folklore doivent s’infiltrer dans le quotidien. Les possibilités sont multiples et Paul Gouin souhaite agir sur plusieurs plans : « […] la question touche à l’artisanat, l’architecture, l’urbanisme, les beaux-arts, la propagande, le théâtre, l’histoire, la géographie, la littérature, l’enseignement, l’hôtellerie, la voirie, la chasse et la pêche, les terres et forêts, l’agriculture, les travaux publics, les musées, les églises, maisons et monuments historiques ! » C’est donc un vaste programme qu’il souhaite mettre en place : « La conservation et le développement de notre patrimoine artistique et culturel doivent être envisagés à un double point de vue : le 45
« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » point de vue patriotique ou spirituel et le point de vue économique1. » Conserver les signes tangibles de la patrie Après avoir analysé la situation socioéconomique de ses concitoyens, Paul Gouin conclut que celle-ci ne serait pas ce qu’elle est si la population était davantage consciente de ses « innéités françaises », de sa « dignité historique et culturelle » et de sa « mission au Canada2 ». L’absence, depuis de trop longues années, d’une « atmosphère nationale » dans les maisons du Québec expliquerait en partie que le « sens national » des Canadiens français ne soit pas ce qu’il devrait être3. C’est donc à l’éducation des jeunes qu’il faut s’attaquer en priorité, car le manque d’éducation patriotique chez la jeunesse est perçu comme étant la cause de ce sentiment national que Gouin qualifie de « si flottant ». Cette interprétation des causes de la crise comme relevant d’un problème moral se retrouve dans le Programme de restauration sociale en 1933, programme qui a inspiré celui de l’Action libérale nationale. Pour corriger la situation, il faut donc favoriser l’éducation au patriotisme en mettant l’enfant en contact, dès son plus jeune âge, avec des signes concrets de la patrie, non seulement à l’école, mais surtout dans l’intérieur domestique. « Au lieu de l’entourer d’objets qui ne font appel ni à son cœur ni à son intelligence, ou qui font de lui un déraciné ou un émigré par la pensée, il faut donc de toute nécessité constituer autour de l’enfant une atmosphère ambiante qui permettra à son
1. 2. 3.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/53, « tourisme », Paul Gouin à [Maurice Duplessis], 4 décembre 1949. Paul Gouin (1935c), « Politique nationale et éducation nationale », L’Action nationale (septembre), p. 81-84 ; Paul Gouin (1935d), « Politique nationale et éducation nationale », La Province (20 juin), p. 1. La notion de « sens national » connaît une certaine popularité au cours des années 1930. Dans un texte de 1935, Gouin cite en exemple l’Italie de Mussolini : « L’Italie depuis Mussolini nous offre un éclatant exemple de régénérescence par une éducation nationale poursuivie sur tous les fronts en même temps. Et l’on conviendra qu’en ce pays on a depuis lors accompli des merveilles. » Paul Gouin (1935a), « En marge du féminisme », L’Action nationale, vol. V, p. 32. Il s’agit là d’une des seules références au modèle italien. Une version très similaire de ce texte, mais révisée de façon à enlever les références au régime mussolinien, est incluse dans Paul Gouin (1938), Servir, p. 133-148.
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2. Notre maître le passé : la conservation de l’héritage culturel
âme et à son cœur de se développer nationalement4. » Meubles, tapis, bibelots, gravures, jouets, livres de récompense ou de contes constituent ces signes tangibles de la patrie, qui incarnent, en quelque sorte l’identité canadienne-française. D’où l’importance de choisir ces objets avec soin parmi un corpus qui reflète la culture des ancêtres. « L’esprit national, par définition, doit s’étendre à tous les domaines. Il est donc essentiel que la mère de famille l’inculque à ses enfants en les élevant dans un milieu qui dégage des idées de chez nous. On verra par ces illustrations, qu’il faut peu de choses pour créer une atmosphère vraiment canadienne française, agréable et gaie. On retrouve dans tous nos villages des meubles anciens, des bibelots du terroir, des objets d’art domestique dont il faudrait orner l’intérieur de nos maisons. C’est à la chaleur d’un foyer agréable que les enfants priseront les idées d’un nationalisme à toute épreuve. » La Province, 29 février 1936.
L’homme politique a lui-même grandi dans cette ambiance : M. Gouin attribue sa formation personnelle à l’atmosphère qui l’a entouré dès son plus jeune âge. Son goût s’est formé au contact des choses du terroir, et il a appris à les aimer parce qu’il vivait pour ainsi dire dans leur intimité. Il est grand connaisseur des styles campagnards de meubles dont il a rempli sa maison de Saint-Sulpice. Comment ? Sir Lomer Gouin tenait, d’un oncle qui l’avait élevé, des meubles datant de l’époque où Sorel s’appelait encore William-Henry5.
La résidence qu’il fait construire à Saint-Sulpice en 1934 se veut une « copie conforme » d’une maison de la fin du xviiie siècle. Avec l’aide de Jean Palardy6, Paul Gouin accumule de la documentation sur 4. 5. 6.
Paul Gouin (1937a), « Au foyer », La Province (3 juillet), p. 1. Albert Duc (1935), « Paul Gouin, intime, famille et maison », p. 5. Jean Palardy (1905-1991) fait ses études à Montréal et entre à l’École des beauxarts en 1920. Il exerce son métier de peintre dans le comté de Charlevoix. En 1932, Palardy fait la connaissance de l’ethnologue Marius Barbeau avec qui il travaille à la collecte de chansons et de contes anciens, à des enquêtes sur les arts et les métiers, l’architecture et les méthodes de construction. Il participe à la fondation de la Société d’art contemporain dont il est le premier vice-président. En 1939, il travaille à l’aménagement intérieur de l’hôtel Chantecler à Sainte-
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » les maisons anciennes de la région de Charlevoix, qu’il utilise lors de la préparation des plans de sa résidence7. Il est l’un des premiers collectionneurs canadiens-français à s’intéresser à la conservation des objets témoignant de l’héritage ancien du Québec. « Les meubles canadiens ? C’est ma passion. Depuis une bonne quarantaine d’années… Je me rappelle fort bien, mon premier meuble ancien, je l’avais acheté de Jean Palardy, en ‘34. Une chaise, que j’avais payée $3.50… J’ai commencé par m’intéresser à la littérature canadienne […], puis je suis passé à la peinture et aux vieux meubles…8. » Palardy recueillera par la suite plusieurs objets pour la collection de Gouin, qui rassemble des meubles, des céramiques, des sculptures sur bois, des estampes, de l’orfèvrerie9. Dès 1933, les intérêts du collectionneur sont mis en évidence par une illustration d’Arthur Lemay, qui le représente entouré de ses livres et tableaux canadiens (figure 1).
7. 8. 9.
Adèle et du Mont-Tremblant Lodge. Il en dessine les meubles et surveille l’exécution. En 1941, il se consacre au cinéma et devient caméraman et réalisateur à l’Office national du film où il est un des fondateurs de l’équipe française. En 1960, il obtient une bourse du Conseil des arts du Canada pour la rédaction de l’ouvrage Les meubles anciens du Canada français, publié en 1963. Pour la fondation MacDonald-Stewart, il travaillera à la reconstruction du navire de Jacques Cartier, La Grande Hermine. En 1975, il participe à la restauration, à l’acquisition du mobilier ainsi qu’à la décoration intérieure du Manoir de Jacques Cartier à Limoëlou en France. En 1964, il est chargé par le gouvernement canadien de la reconstitution intérieure de l’Habitation de Port-Royal en NouvelleÉcosse pour laquelle il fait l’acquisition d’une importante collection d’objets français du début du xviie siècle. À la même époque, le gouvernement canadien fait appel à ses services pour la décoration intérieure de la forteresse de Louisbourg, Palardy sera aussi responsable de la restauration et du réaménagement de nombreux musées, sites et monuments historiques dont : le Musée national de l’Homme, le Musée de l’île Sainte-Hélène, la Société historique du Lac SaintLouis, Sainte-Marie-des-Hurons, le Musée McCord, la Maison Saint-Gabriel et le Château Ramezay. Il siège à plusieurs commissions du patrimoine dont : la Commission des biens culturels du Québec, la Commission Jacques-Viger et la Commission du Vieux-Port de Montréal. Extrait de « Fonds Jean Palardy », BAC. BAC, FPG, MG27 III D1 vol. 5, « Correspondance générale, Lettre P », Paul Gouin à Jean Palardy, 15 septembre 1933. Roch Poisson (1965), « Paul Gouin et le Vieux Montréal : à 67 ans, il a une autre lutte à mener », Photo-Journal (27 octobre), p. 2. BAC, FPG, MG27 III D1 vol. 5, « Correspondance générale, Lettre P », correspondance entre Jean Palardy et Paul Gouin, 1929-1940.
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2. Notre maître le passé : la conservation de l’héritage culturel
Figure 1 Paul Gouin, par Arthur Lemay, août 1933. Source : Musée McCord.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Sa demeure témoigne de l’attachement qu’il éprouve personnellement pour les maisons anciennes et de sa volonté de transmettre à son fils les valeurs qui lui tiennent à cœur, en meublant son intérieur d’objets du passé : Les principales pièces de sa demeure sont exclusivement ornées de tableaux et d’esquisses sur des sujets canadiens. Et dans la chambre du bambin, il a tapissé les murs d’illustrations de l’histoire du Canada, de la flore et de la faune du pays. Et il souhaiterait qu’on entourât de la même atmosphère tous les enfants de la province, à l’école au moins, par les livres et l’image, si ce n’est à la maison10.
Afin de permettre à d’autres jeunes d’être en contact avec l’héritage de leurs ancêtres, Paul Gouin offre des objets d’arts domestiques canadiens pour décorer l’Auberge de jeunesse du Lac Mercier11. Il montre ainsi une avenue à envisager pour intégrer ces signes tangibles de la patrie dans les lieux publics, comme dans les intérieurs domestiques. Gouin insiste : « Si vous avez le bonheur de posséder de beaux meubles d’autrefois, gardez-les précieusement, mettez-les à la place d’honneur dans vos demeures car ces meubles ne sont pas des objets inanimés, fabriqués en série par des mains anonymes, ils sont les manifestations extérieures, palpables et vivantes de notre patrie12. » Les possibilités d’utiliser ces objets sont multiples. On se préoccupe bien sûr de conserver des sculptures ou des pièces de mobilier dans leur quasi-intégrité. Ces objets peuvent alors prendre place à côté de pièces contemporaines, le plus souvent après avoir été décapés pour retrouver leur supposée apparence originelle. Il peut cependant être tout aussi acceptable de modifier certains éléments anciens pour en faire de nouveaux objets, bricolés de façon à répondre aux besoins modernes. « J’ai moi-même transformé en bar un poêle à trois ponts que je possède dans ma maison de campagne et je peux vous assurer que tous mes invités trouvent cette idée très ingénieuse et très décorative13. » De même, il est tout à fait correct de convertir une pièce de sculpture ancienne 10. 11. 12. 13.
Thérèse Vaillancourt (1968), « Une « maison-musée-maison » pour les petitsenfants de Paul Gouin », La Presse (13 avril), p. 60. BAC, FPG, MG27 III D1 vol. 7, « Correspondance générale, Lettre T », B.B. Tremblay à Paul Gouin, 27 juin 1938. Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ), « Gouin, Paul, 1898-1976 » causerie radiophonique à CKAC, 22 janvier 1950. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/91, « Demandes de conseils », Paul Gouin à Annette Bouchard, 22 octobre 1956.
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en base de lampe, par exemple, pour lui donner une utilité et l’intégrer dans un intérieur contemporain14. C’est là une façon « moderne » d’inclure l’héritage culturel dans la vie quotidienne. Malgré ces diverses possibilités, il semble qu’à cette époque les objets anciens du Canada français sont surtout convoités par les amateurs étrangers, phénomène que dénonçait la Commission des monuments historiques dès sa création au début des années 1920 : « […] nos vieux meubles et nos vieux « souvenirs » de toutes sortes disparaissent rapidement, enlevés par les touristes américains. Si cet engouement pour les choses de l’ancien temps se continue encore quelques années, il nous faudra nous rendre aux États-Unis pour voir les horloges de bois, les rouets, les « bers », les lits, les chaises, etc., etc., fabriqués par nos ancêtres15. » Cette question de la vente des trésors patrimoniaux à des amateurs américains ou ontariens revient ponctuellement dans les discours des défenseurs de la conservation patrimoniale16. Gouin pour sa part, écrit :
14.
15.
16.
Ainsi, Gouin écrit à Antonio Talbot : « […] si vous ne trouvez pas de lustre d’ici à mon retour, je pourrai à ce moment là vous en faire fabriquer un très joli avec de vieilles sculptures et qui vous coûterait, tout électrifié, aux environs de $185.00. » BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/61, « T – divers », Paul Gouin à Antonio Talbot, 31 juillet 1950. Commission des monuments historiques de la province de Québec (1925), Deuxième rapport de la Commission des monuments historiques de la province de Québec, 1923-1925, [Québec], Commission des monuments historiques de la province de Québec, p. XVII. Ainsi, Albert Tessier écrivait en 1939 : « Les pertes sont plus rapides, plus lourdes, plus alarmantes encore, dans le domaine des souvenirs mobiliers, des reliques transportables. Argenterie, vases sacrés, sculptures religieuses ou profanes, meubles anciens, articles de ménage, ustensiles variés sortis des mains de nos anciens artisans... tout cet ensemble de choses, auxquelles s’accrochent des parcelles de la vie ancienne et qui forment partie intégrante de notre patrimoine national, constituait, il y a un quart de siècle une collection touchante d’une valeur sentimentale qu’on ne peut calculer en dollars. Par surcroît, cette valeur historique se doublait d’une valeur matérielle que les trafiquants juifs ou autres ont découverte avant nous pour notre malheur. À pleins camions, nos reliques émouvante (sic) sont partis (sic) pour les États-Unis, l’Ontario et la Nouvelle-Angleterre. Des étrangers se sont enrichis, alors que ce commerce quasi sacrilège ne laissait que quelques maigres dollars dans les goussets de ceux qui laissaient partir ainsi d’inestimables trésors de famille... ou de fabrique. » Albert Tessier (1939), Rapport sur le tourisme, [Québec], Québec, ministère des Affaires municipales, de l’industrie et du commerce, p. 13.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » L’étranger, non content de nous enlever et de défigurer les manifestations extérieures et palpables de la patrie, coffres, huches, rouets, bers, catalognes, maisons et églises, nous laissa en échange ses mœurs et coutumes, sa langue et sa mentalité, dans ce qu’elles avaient de moins bon. En même temps que le mur de nos vielles demeures, se désagrégea notre vie familiale. Et par cette blessure, l’âme de nos campagnes, charriée par les routes nouvelles, coula vers les grandes villes. Et voilà pourquoi [...] il faut maintenant parler de renaissance des arts domestiques, de refrancisation et de retour à la terre17.
Devenir conservateur du patrimoine Cette passion pour les trésors du passé pousse Paul Gouin à solliciter l’emploi de conservateur au Musée de la province de Québec à son retour d’Europe, en 1930. Bien que créé officiellement en 1922, l’édifice du musée est alors en construction et l’établissement n’ouvrira ses portes au public qu’en 1933. Le poste de conservateur est attribué à Charles-Joseph Simard, sous-secrétaire de la province. Le premier ministre Taschereau aurait refusé cet emploi à Paul Gouin, sous deux prétextes : « J’ai trop de fortune pour occuper une situation semblable qui n’est pas digne d’un fils de Sir Lomer et qui appartient à un quebecquois » [c’est-à-dire un résident de la ville de Québec]. Puisque diverses rumeurs circulent quant à la nomination d’un assistantconservateur pour appuyer Simard en vue de l’ouverture du musée, Gouin souhaite tenter sa chance pour ce poste. Son oncle Honoré Mercier, ministre des Terres et Forêts, l’encourage en ce sens18. Le secrétaire de la province, Athanase David, a lui-même affirmé à Paul Gouin qu’un assistant serait nommé. Paul Gouin et son ami Paul Lavoie convoitent tous deux cette position. Paul Lavoie s’est lié d’amitié avec le peintre Horatio Walker et compte sur l’appui et l’influence de celui-ci pour obtenir le poste. Lavoie pense néanmoins que la candidature de Gouin « pourra être difficilement écartée d’emblée » puisque son ami « a de la culture, [et] beaucoup de talent19 ». Les tractations entre Paul Gouin, Paul Lavoie et 17. 18. 19.
Paul Gouin (1938), Servir, p. 52-57. BAC, FPG, MG27 III D1 vol. 5, « Correspondance générale, Lettre M », Paul Gouin à Honoré Mercier, 10 septembre 1930 ; Honoré Mercier à Paul Gouin, 12 septembre 1930. AUL, FPL (P416), « Correspondance Horatio Walker 1926-1931 », Paul Lavoie à Hoffmann, 5 juin 1931.
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Walker sont nombreuses en 1931, et les protagonistes souhaitent, à un moment, que Paul Gouin soit nommé assistant-conservateur alors que Paul Lavoie deviendrait assistant à la Direction générale des beaux-arts, ce qui, selon Lavoie, consiste à diriger l’enseignement artistique dans la province. Malgré l’amitié qui lie les deux Paul, leur volonté de se sortir de cette situation sans nuire à leur relation, ainsi que les confidences qu’ils se font à ce sujet, chacun poursuit de son côté ses tractations en vue d’obtenir le poste. Paul Lavoie discute constamment de l’évolution du dossier avec Walker. Paul Gouin, pour sa part, écrit au premier ministre Taschereau pour solliciter le poste d’assistant-conservateur du Musée. Il fait cette requête, bien qu’il ait écrit à son ami Lavoie quelque temps auparavant qu’il considérait que cette démarche serait « un manque de dignité de ma part20 », à la suite du refus de Taschereau de le nommer conservateur. Gouin considère pourtant que cette tâche lui est destinée, ainsi qu’en témoigne la lettre qu’il fait parvenir à Taschereau le 13 juillet 1931. Comme vous le savez sans doute, malgré les promesses de M. Bennett, je chôme depuis près d’un an. Ne pouvant, pour des raisons de santé et de dispositions naturelles, retourner à la pratique du droit, j’ai tenté de me caser là où m’entraînait mon inclination, dans un musée et dans un journal. Vous connaissez le résultat de mes démarches pour ce qui a trait au premier. Étant humblement convaincu que j’ai été créé et mis au monde pour m’occuper de l’aménagement du Musée de la Province, je reviens donc à la charge, avec l’espoir que cette fois ma ténacité sera récompensée. […] Mon entraînement et mes modestes talents m’assurant une certaine connaissance des beaux-arts, je viens donc avec confiance vous offrir de nouveau mes services. Me permettrez-vous de faire honneur au nom que je porte et d’accomplir, dans ma sphère, quelque chose pour notre race ? Je l’espère ardemment. Je sais d’avance que certaines personnes vous diront que je suis trop à l’aise, que je suis à Montréal, qu’un fils de Sir Lomer doit voir plus haut, que je n’ai rien fait pour le parti. Ce sont là des arguments d’une telle étroitesse d’esprit, que je dédaigne d’y répondre, sachant qu’ils ne sauraient non plus faire impression sur vous.
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AUL, FPL (P416), « Correspondance Horatio Walker 1926-1931 », Paul Gouin à Paul Lavoie, 5 juin 1931.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Je ne voudrais pas cependant que vous vous imaginiez que je cherche à me caser par manque d’ambition. Si je me suis décidé à venir vous importuner de nouveau avec cette affaire, c’est parce que je crois qu’il est de mon devoir de le faire et pour moi, et pour ma famille et pour notre race. Ce sont là de bien grands mots, sans doute, et qui peuvent sembler détonner dans une lettre comme celle-ci. Si je les emploie c’est tout simplement parce que je veux faire mieux comprendre toute l’importance que j’attache, dans mon cas, à cette situation que je sollicite pour la seconde fois. […] Si je pouvais créer, moi-même, un musée, vous pouvez être assuré que j’aurais l’orgueil de le faire. Comme je ne saurais, malgré l’excellente opinion que j’ai de moi-même, accomplir cette tâche inhumaine, il me faut donc m’adresser à vous21.
Taschereau répond qu’il n’aurait jamais songé offrir à Paul Gouin ce poste qu’il considère « des plus modestes ». Pourtant, Gouin affirme qu’il s’en serait « peut-être contenté », car : « Toute modeste que soit cette situation à certains points de vue, elle est par ailleurs, à mon avis, très importante, surtout dans le moment actuel où M. Simard est forcé, par la maladie, de se fier presque entièrement à son collaborateur. » Ce sera finalement Paul Rainville, beau-frère d’Athanase David, qui obtiendra le poste. Taschereau propose à Gouin une position à la cour juvénile, qu’il refuse. L’intérêt de Paul Gouin pour les musées ne se dément pas au fil des ans. Il affirme être en faveur des musées de tout genre et se dit convaincu qu’il n’y en aura jamais trop dans la province22. Au moment où certains souhaitent commémorer le centenaire des événements de 1837, il suggère d’organiser « une espèce de musée temporaire des souvenirs de la Rébellion » où seraient exposés des objets rappelant cette période. Il propose que cette exposition soit installée à l’hôtel Viger à Montréal, qui est alors vacant, et que des salles y soient aménagées selon le style de l’époque. Une bibliothèque pourrait y rassembler tous les volumes, mémoires et ouvrages ayant trait à la Rébellion et offrirait ainsi un lieu de recherche aux historiens. Ce projet contribuerait de plus « à relever le niveau général de nos quartiers de l’est ». 21. 22.
« M. Paul Gouin, ancien candidat... » ; BAC, FPG, MG27 III D1 vol. 7, « Cor respondance générale, Lettre T », correspondance entre Paul Gouin et L.A. Taschereau, 1930-1931. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/39, « C divers », Paul Gouin à Raoul Fontaine, 29 novembre 1949.
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Davantage qu’une exposition temporaire, ce que souhaite Gouin est l’achat de l’hôtel Viger par le gouvernement pour y établir un musée permanent consacré à la « petite histoire », où l’on trouverait des collections de meubles, des vêtements et des objets du quotidien. On ne peut s’empêcher ici de faire le lien avec le Musée des arts et traditions populaires créé à Paris en 193723. Puisqu’il souhaite toujours accomplir quelque chose pour « sa race », Gouin va jusqu’à offrir gratuitement ses services pour l’organisation de l’exposition temporaire et du musée permanent. Il tient cependant à préciser qu’il n’abandonne pas pour autant la vie politique : « Je dis que je suis prêt à m’occuper de l’organisation de ce musée, je ne veux nullement en devenir le conservateur ! En dépit de ce que certaines gens peuvent en penser, je n’ai pas dit adieu à la politique24 ! » Au cours des années 1930, la collection personnelle de Paul Gouin semble s’accroître considérablement. Devant l’ampleur que prend l’ensemble et malgré la multiplication des lieux d’entreposage et d’exposition (résidence, bureau de Montréal, entrepôts, et consignation chez l’antiquaire Samuel Breitman), le collectionneur manque d’espaces. En octobre 1941, une entente avec la Société d’archéologie et de numismatique de Montréal lui permet de mettre en dépôt « une collection intéressante de meubles du terroir canadien » au Château Ramezay. Ces objets seront exposés pendant quelques semaines dans la Galerie des portraits de ce musée, avant d’être répartis dans les différentes salles ou mis en entreposage25. Selon Marius Barbeau, anthropologue au Musée de l’Homme à Ottawa, qui est en relation avec de nombreux collectionneurs de l’époque, Gouin planifiait d’ouvrir son propre musée. En 1942, il se voit forcé de vendre une partie de sa collection, puisque, affirme-t-il, il n’arrive pas à trouver de locaux où la loger26. Peut-être est-ce aussi pour des raisons financières. Bref, la guerre et des difficultés liées à l’entreposage l’incitent à se départir d’une portion de sa collection. Une exposition-vente des objets est organisée en juillet et août
23. 24. 25. 26.
Nina Gorgus (2003), Le magicien des vitrines. Paul Gouin (1937d), « Trois anniversaires : 1642, 1837, 1935 », La Province (23 janvier), p. 1, 4. BAC, FPG, MG27 III D1 vol. 5, « Correspondance générale, Lettre M », Victor Morin à Paul Gouin, 3 octobre 1941. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/34, « RE : Antiquités Paul Gouin », Marius Barbeau à Lorne Pierce, 18 juillet 1942.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » 1942 au théâtre Morgan à Montréal, une salle située au 1461 de la rue Union appartenant à la compagnie Henry Morgan & Co27. Néanmoins, le projet de créer un musée habite toujours Paul Gouin. Ainsi, en septembre 1942, sans doute à la suite d’une demande de la part du collectionneur, la ville de Montréal refuse de lui « accorder l’hospitalité » de la maison de la Montagne pour y installer sa collection28. Il obtient plus de succès auprès de Jean-Marie Gauvreau et de l’École du meuble, qui mettent à sa disposition une salle de l’établissement. Cet espace transformé en musée vise à « sensibiliser les étudiants à leur héritage artistique, leur offrir un cadre propre à la réalisation d’études de construction et contribuer à la protection des traditions du Québec29 ». Le musée doit être inauguré à l’automne 1943 et il est toujours en place en mars 194530. La conservation des objets anciens et des œuvres les plus remarquables produites par les artisans de l’époque de la Nouvelle-France est alors perçue comme essentielle, puisque ceux-ci doivent constituer des modèles pour les artisans contemporains. L’achat de ces objets par les collectionneurs étrangers ferait perdre au pays « un inestimable patrimoine artistique, cause de la disparition des traditions et de la désorientation des artisans31 » (figures 2 et 3).
27.
28. 29.
30. 31.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/34, « RE : Antiquités Paul Gouin », Paul Gouin à Marius Barbeau, 2 juillet 1942. Le premier choix est alors offert à William H. Coverdale, président de Canada Steamship Lines, qui recherche à ce moment des antiquités pour le nouvel Hôtel Tadoussac qui vient tout juste d’ouvrir ses portes. “The collection is exhibited in the Morgan Theatre and Mr. Gouin will not sell anything until a list is made of the pieces you are interested in ; then he will consider the sale.” Marine Museum of the Great Lakes at Kingston, Canada Steamship Lines Fonds, Secretary-Treasurer Series B, Secretary Subseries II, 1993.2.18, dossier « Hotel Tadoussac 1943 », [A. Love ?] à William H. Coverdale, 10 juillet 1942. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/34, « RE : Antiquités Paul Gouin », L.-A. Lapointe à Paul Gouin, 16 septembre 1942. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/34, « RE : Antiquités Paul Gouin », Paul Gouin à L.-A. Lapointe, 24 septembre 1942. Gloria Lesser (1989), École du Meuble 1930 1950 : La décoration intérieure et les arts décoratifs à Montréal, Montréal, Le Château Dufresne, Musée des arts décoratifs de Montréal, p. 88. BAC, FPG, MG27 III D1 vol. 6, « Correspondance générale, Lettre R (1) », Paul Gouin à Paul Rainville, 25 mars 1943 ; vol. 5, « Correspondance générale, Lettre P », René Paré à Paul Gouin, 15 mars 1945. Paul Riou et Jean-Marie Gauvreau (1947), « Les formes de l’activité artisanale », p. 71.
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Figures 2 et 3 Objets de la collection de Paul Gouin, photographiés par Lida Moser, 1950. BAnQ-Q, Fonds Lida Moser (P728, S1, DM23, P12 et P80).
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » La collection de Paul Gouin continue par la suite de croître et occupe de multiples espaces, rendant l’ensemble de plus en plus difficile à gérer : « Je dois vous avouer, en effet, que je commence à perdre trace de mes nombreuses antiquités qui sont toujours éparpillées à droite et à gauche32. » Connue des collectionneurs et experts, la collection Gouin devient un incontournable dans le domaine des arts anciens du Canada français. Ainsi, lorsque le Detroit Institute of Arts organise l’exposition « The Arts of French Canada » en 1946, Paul Grigaut, assistant-directeur de cette établissement, souhaite emprunter des objets à Gouin, puisqu’il considère que sa collection est « presque nécessaire à notre exposition ». Le musée de Detroit se montre d’ailleurs intéressé à acquérir quelques objets, offre que décline Paul Gouin, sous prétexte qu’existe une possibilité qu’un musée soit construit à Québec pour abriter sa collection33. Quel est ce projet de musée auquel fait référence Gouin ? Peut-être s’agit-il déjà d’une possibilité de confier la collection au Musée de la province de Québec ? Paul Gouin aura une nouvelle occasion d’obtenir le poste de conservateur du Musée en 1952, à la suite du décès de Paul Rainville. Maurice Duplessis lui offre alors cette responsabilité, qu’il cumulerait avec sa tâche de conseiller technique. Quelques semaines auparavant, Gérard Morisset, directeur de l’Inventaire des œuvres d’art, avait demandé une lettre d’appui à Gouin alors qu’il souhaitait se porter candidat à ce poste. Morisset précise : « Si vous avez l’intention de poser votre candidature, il est entendu que je vous laisse le champ libre, que je reste dans mon coin34. » Mais Gouin a alors d’autres ambitions : il espère être nommé président d’un Conseil des beaux-arts qu’il demande au premier ministre de créer. Il recommande donc de confier le poste de conservateur à Gérard Morisset, bien qu’il assure ses arrières en affirmant : « Si vous croyez que ce projet de Conseil des beaux-arts
32. 33.
34.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/34, « RE : Antiquités Paul Gouin », Paul Gouin à Marius Barbeau, 28 mars 1944. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/34, « Antiquités - Detroit Institute of Art », Paul Gouin à William M. Milliken, 17 février 1947. Le Detroit Art Institute acquiert tout de même vingt-sept objets de Gouin entre 1946 et 1949. Huit objets font toujours partie de la collection de cet établissement, alors que dix-neuf autres ont été remis sur le marché lors d’une vente par Sotheby’s à Toronto en 1992. Courriel de Jim Tottis à Nathalie Hamel, 24 août 2006. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/68, « M – divers », Gérard Morisset à Paul Gouin, 1er août 1952.
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n’a pas de chance d’être réalisé au cours de la prochaine session, je préférerais évidemment être nommé conservateur du Musée35. » Morisset dirige le Musée à compter de 1953. Paul Gouin se réjouit de cette nomination, qu’il « considère comme le point de départ de notre futur Conseil des Arts ». Il assure Morisset de sa collaboration : « Nous continuerons à former un « team » pas mal dépareillé36 ! » Gouin, pour sa part, n’occupera jamais d’emploi au Musée de la Province. Quant au Conseil des beaux-arts qu’il suggérait, projet sur lequel nous reviendrons plus loin, il ne verra jamais le jour sous la forme proposée. Paul Gouin, conseiller technique Cette activité de collectionnement et de vente d’objets anciens semble la principale occupation de Paul Gouin entre 1944 et 1948, ainsi qu’une source essentielle de revenus pour lui. En 1946, il ouvre, rue Sherbrooke à Montréal, une boutique appelée Beaumanoir, où il vend des antiquités et de l’artisanat. Son approvisionnement est facilité par Paul Rainville, conservateur du Musée de la province de Québec, qui lui signale les pièces qu’il ne souhaite pas acquérir37. Selon Robert Rumilly, la situation financière de Gouin est néanmoins difficile à la fin des années 1940, et son ami Philippe Ferland aurait demandé à Robert Grant, beau-frère de Maurice Duplessis, d’intervenir auprès du premier ministre : « Paul Gouin est en danger de faillite. Ne pouvez-vous pas engager M. Duplessis à faire quelque chose ? » Rumilly poursuit : Robert Grant provoque une entrevue, dans la salle de restaurant du Ritz. Duplessis et Gouin vident leurs malentendus. Leur réconciliation est très cordiale […] Paul Gouin est nommé conseiller technique, relevant du Conseil exécutif de la Province de Québec – échappant, en somme, à la juridiction de tout ministre autre que Duplessis. Il s’occupera de la préservation du patrimoine artistique et culturel, organisera des programmes de refrancisation. Gouin aurait préféré le titre de conseiller culturel, correspondant mieux à ses fonctions –et qu’il trouve mieux sonnant38. 35. 36. 37. 38.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/91, « D- Spécial », Paul Gouin à Maurice Duplessis, 5 septembre 1952. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/68, « M – divers », Paul Gouin à Gérard Morisset, 9 avril 1953. BAC, FPG, MG27-IIID1, vol. 6, « correspondance générale, Lettre R (1) », correspondance entre Paul Gouin et Paul Rainville. Robert Rumilly (1973b), Maurice Duplessis et son temps, vol. 2 : 1944-1959, Montréal, Fides, p. 232-233.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Duplessis lui confie donc le poste de « conseiller technique » auprès du Conseil exécutif, emploi qui constituait à l’époque, selon Conrad Black, le poste le plus élevé dans la fonction publique et qui était généralement réservé à un statisticien39. Des observateurs de la période y voient en tout cas une façon pour Duplessis de mettre Gouin sous sa direction personnelle. Dans ses Mémoires, Lionel Groulx écrit : [...] il devait finir par une triste reddition entre les mains de l’homme qu’il avait tant combattu. Il s’en alla solliciter un emploi de haut fonctionnaire auprès de Duplessis. Celui-ci se garda bien de refuser. Il nomma Paul Gouin conseiller artistique du gouvernement, mais en tenant à préciser, et publiquement, que M. Gouin serait rattaché immédiatement au cabinet du premier ministre. Reddition qui rappelait, hélas, celle des anciens rois vaincus traînés vers le Capitole derrière le char du triomphateur romain40.
Pierre Laporte confirme : Pour Monsieur Duplessis c’était une grande satisfaction de voir à ses pieds quelqu’un qui l’avait combattu. […] Un jour, monsieur Gouin accepta un poste dans le fonctionnarisme provincial. Entre sa rupture avec monsieur Duplessis en 1939 et son entrée au service de la province, il avait livré d’autres escarmouches à l’Union nationale. Il était considéré comme un des grands adversaires du régime. Les journalistes n’oublieront jamais l’air de triomphe qu’avait monsieur Duplessis pour leur annoncer que monsieur Gouin devenait « conseiller technique près du Conseil exécutif de la province ». Il avait ajouté : « Il relèvera directement de moi ! » Pour monsieur Duplessis, c’était une heure délicieuse41.
À la suite de cette nomination, Gouin doit fermer Beaumanoir en avril 1949. Espace de vente d’antiquités québécoises, la boutique est aussi un lieu de diffusion pour la production des artisans contemporains. Au moment de la fermeture, un court article nous informe de l’orientation donnée au commerce. Avec la nomination de Me Paul Gouin au poste de conseiller technique auprès du Conseil exécutif de la province de Québec, nous voyons la fermeture de Beaumanoir où ce collectionneur avait réuni le fruit de
39. 40. 41.
Conrad Black (1977b), Duplessis, vol. 2 : Le pouvoir, Montréal, Éditions de l’Homme, p. 562-563. Lionel Groulx (1970), Mes mémoires, tome 3, p. 131. Pierre Laporte (1960), Le vrai visage de Duplessis, Montréal, Éditions de l’Homme, p. 29-30.
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quinze années de recherches [c1933-1948]. M. Gouin commença par une collection de livres canadiens. Puis, il s’intéressa aux gravures. Et, finalement, réunit cet ensemble de meubles, de faïences et d’argenteries qui dépasse en importance celle de maints musées canadiens. Il tint de nombreuses expositions dans son magasin d’art : celles d’Irène Auger, artiste en tissage ; des sculpteurs sur bois, Chiodini et Bourgault ; des céramistes, Bessette, Beaudin, Jolivet et la famille Hutchison. Personne ne peut remplir mieux que lui ses futures fonctions qui sont d’aider au développement de l’art paysan et à la conservation des vieilles maisons et musées historiques de la province de Québec42.
Malgré la fermeture de Beaumanoir, il semble que Paul Gouin poursuive quelques activités commerciales à Saint-Sulpice43. En tant que conseiller technique auprès du Conseil exécutif de la province de Québec, Paul Gouin est responsable de la conservation et du développement du patrimoine culturel et artistique de la province : « Ses fonctions consisteront à mettre en valeur nos arts paysans, à fournir aux talents naturels l’appui dont ils ont besoin et à s’occuper de la conservation de nos richesses historiques et artistiques44. » On peut penser qu’il trouve un certain plaisir à cette fonction, qui lui permet de se consacrer à une cause qui lui tient à cœur, et qu’il y voit l’espoir d’agir concrètement dans des domaines dont il traite dans ses conférences depuis une quinzaine d’années. « Paul Gouin va pouvoir désormais collectionner, pour le compte du pays, les plus beaux souvenirs historiques : sauvegarder les églises. Sauver de la destruction des demeures des premiers colons45. » Gouin multiplie les conférences et les conseils auprès de ceux qui font appel à ses services, hôteliers ou artisans. Il distribue abondamment 42. 43.
44. 45.
Lucette Robert (1949), « Ce dont on parle », La Revue populaire, vol. 42, no 5, (mai), p. 8-9. « I am opening an Antique Shop to carry on Beaumanoir at Saint-Sulpice. » BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/34, « Antiquités - Detroit Institute of art », Paul Gouin à E. P. Richardson, 10 juin 1949. Des photographies prises par la photographe Lida Moser en 1950 montrent un hangar où Gouin entreposait des objets et un espace où sont entassés des éléments sculptés anciens (figures 2-3). En juillet 1950, il vend des antiquités à Antonio Talbot, ministre de la voirie. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/61, « T – divers », Paul Gouin à Antonio Talbot, 31 juillet 1950. « Poste confié à Me Paul Gouin » (1948), La Presse (27 novembre). BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/61, « S – Divers », A.-J. Sarrazin, [notice biographique de Paul Gouin], 7 octobre 1949.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » les copies de ses causeries radiophoniques auprès de personnalités bien connues pour leurs actions dans la revitalisation des arts domestiques, telle que Françoise Gaudet-Smet, ou aux directeurs des journaux en région, par exemple Le Progrès du Saguenay, Le Mégantic (ThetfordMines) Le Lingot (Arvida). Il espère ainsi qu’ils prendront le relais pour diffuser les idées qu’il défend, soit en reproduisant des extraits de ses conférences, soit en intégrant les idées présentées dans leurs propres chroniques. Ce faisant, les journalistes deviennent les propagandistes de la campagne d’éducation nationale partout dans la province. Paul Gouin occupera le poste de conseiller technique jusqu’en 196846. Si l’on peut croire à une volonté de Duplessis de dominer un adversaire, on peut aussi penser qu’il s’agit, d’une certaine façon, d’une reconnaissance des compétences de Gouin dans le domaine culturel. Néanmoins, les responsabilités du conseiller technique semblent mal définies et son pouvoir d’action limité : Comme je te l’ai dit lors de notre dernière entrevue, je ne sais vraiment plus sur quel pied danser. Au point que je ne sais plus quoi répondre aux personnes qui, à la suite de mes causeries, viennent m’offrir leur collaboration ou me demander des conseils et des directives. Tant que mes fonctions ne seront pas mieux définies et que je ne jouirai pas d’une certaine autorité et d’une certaine latitude, il me sera impossible de donner mon plein rendement. […] Bref, je me sens comme un orphelin et même comme un indésirable. Vous êtes tous très gentils pour moi mais j’ai parfois l’impression que je vous importune avec mes suggestions et demandes. C’est là, tu l’admettras une sensation peu agréable pour un homme comme moi.
46.
Paul Gouin est transféré au ministère des Affaires culturelles à compter du 1er avril 1964. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/10, Raymond Douville à Paul Gouin, 27 avril 1964. En 1967, la classification de son poste est révisée et il a dès lors le titre d’agent culturel. Sa mise à la retraite est en vigueur à partir du 2 octobre 1968. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de Québec (BAnQ-Q), Fonds ministère des Affaires culturelles (FMAC), (E6), 197600-066/125, dossier « Membre de la Commission : Paul Gouin », Note de Robert Giroux à Paul Gouin, 3 octobre 1967 ; Paul-Marc Aurèle à Paul Gouin, 24 janvier 1969.
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2. Notre maître le passé : la conservation de l’héritage culturel
Je suis sûr que je pourrais rendre de réels services à la province. J’ai par ailleurs l’ambition légitime d’attacher mon nom à une œuvre. Je te serais très reconnaissant si tu pouvais m’aider à atteindre ce but47.
Il s’avère difficile d’évaluer le pouvoir réel du conseiller technique dans les domaines qui lui sont confiés. En 1953, Gouin affirme qu’il espère constituer une équipe de collaborateurs (architecte, décorateur, linguiste, folkloriste) qui iraient sur le terrain pour diriger les travaux. Il souhaite que son bureau publie des bulletins et des brochures sur l’architecture, la décoration intérieure, les enseignes, le folklore. Il ne semble avoir jamais obtenu assez d’appui du gouvernement pour réaliser ses ambitions48 (figure 4).
Figure 4 Paul Gouin. Lida Moser, 1950. BAnQ-Q, Fonds Lida Moser (P728, S1, DM11, P1) 47. 48.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/63, « R – divers », Paul Gouin à Antoine Rivard, 28 juin 1950. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/11, Causerie du Bon parler français, CKAC, 24 mai 1953.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Un héritage à conserver au Québec En 1951, Paul Gouin propose au secrétaire de la province, Omer Côté, de vendre sa collection d’antiquités québécoises au gouvernement. Il donne des détails sur le contenu de l’ensemble, en soulignant l’importance qu’il accorde à la conservation de ces biens au Québec : Cette collection qui consiste surtout en sculptures, meubles et argenteries, est, de l’avis des experts et des artistes canadiens et étrangers qui l’ont vue, unique en Amérique. Commencée il y a environ vingt ans, elle dépasse aujourd’hui les cadres d’une collection particulière et j’ai décidé pour cette raison de m’en départir. Plusieurs musées étrangers et des collectionneurs m’ont fait des offres fort intéressantes mais comme j’estime que cette collection doit rester dans la province, j’ai pensé qu’il était de mon devoir de donner le premier choix au gouvernement de Québec. […] Ceux qui ont vu ces pièces ont exprimé l’avis qu’elles devraient appartenir non pas à un particulier mais bien au gouvernement de la province. Ces experts estiment que ces pièces devraient être réunies dans un endroit approprié sous forme d’exposition permanente, exposition qui servirait d’inspiration à nos artistes, constituerait pour notre population une précieuse leçon de choses et permettrait aux étrangers de se rendre compte du raffinement et de la diversité de notre culture artistique. C’est à la suite de ces témoignages et parce que je suis moi-même d’opinion que ces pièces doivent rester dans la province que j’ai pensé, ainsi que je l’ai écrit plus haut, qu’il était de mon devoir de donner le premier choix au gouvernement de Québec et cela à des conditions spéciales. Connaissant votre patriotisme et l’intérêt que vous portez aux vieilles choses de chez nous, je sais que vous saurez prendre ma proposition en très sérieuse considération…49.
La réponse de Côté tarderait-elle trop au goût de Gouin ? Auraitil un urgent besoin d’argent ? Quoi qu’il en soit, le 31 mai 1951, il se tourne vers le Detroit Institute of Arts pour aviser le directeur de cet établissement du fait qu’il souhaite se départir de sa collection. Par la même occasion, il demande si des musées américains pourraient s’y intéresser50. Cette proposition apparaît pour le moins étonnante : un 49. 50.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/34, « Collection », Paul Gouin à Omer Côté, 12 avril 1951. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/34, « Antiquités - Detroit Institute of Art », Paul Gouin à E. P. Richardson, 31 mai 1951.
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2. Notre maître le passé : la conservation de l’héritage culturel
ardent défenseur de la conservation du patrimoine du Québec envisage de vendre à des musées américains les trésors qu’il a accumulés. Le patriotisme d’un homme comme Paul Gouin pourrait-il être dépassé par les contraintes financières ? Il s’agit en tout cas pour lui d’« une chose très urgente51 ». En juillet 1951, le responsable de l’inventaire des œuvres d’art, Gérard Morisset, et le directeur de l’École du meuble, Jean-Marie Gauvreau, sont mandatés par Omer Côté pour évaluer la collection. Après une inspection de l’ensemble, ils écrivent : Nous avons donc examiné, dans les divers entrepôts où se trouve actuellement cette collection, tous les morceaux de mobilier, de sculpture, de ferronnerie et de céramique, qui marquent la haute tenue de nos arts appliqués d’autrefois. […] Après de nombreux échanges de vues, notre choix s’est porté sur les quelque six cent seize (616) pièces qui figurent à l’inventaire annexé à la présente, et qui constituent en somme l’une des collections les plus remarquables et les plus variées que nous ayons vues depuis de longues années. À notre avis, certains morceaux de cette collection – statues, armoires, bahuts, bas-reliefs, coq de clocher, sculpture décorative, etc. – figureraient avec avantage dans des musées parisiens –par exemple les musées de Cluny et Carnavalet. C’est dire que l’acquisition de ces morceaux serait un enrichissement notable pour l’un quelconque de nos musées. Les autres pièces dont nous avons fait le choix sont également des pièces de musée ; leur acquisition permettrait aux visiteurs qui peuvent difficilement se déplacer d’avoir une vue d’ensemble des arts du bois et du fer dans le Québec d’autrefois. Parmi les pièces de cette collection, il y en a quelques-unes qui constitueraient d’admirables modèles de dessin dans nos écoles spécialisées ; nous voulons parler des meubles, des consoles, des feuilles d’acanthe, des frises et des rinceaux qui, par la largeur et l’élégance de leurs formes et par leur perfection technique, seraient de précieux modèles d’étude et de dessin pour les élèves de nos écoles des Beaux-Arts, de l’École du Meuble et de l’École des Arts graphiques. […] Enfin, nous croyons que les pièces d’orfèvrerie de la collection de M. Paul Gouin complèteraient singulièrement la belle collection que M. Antoine
51.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/63, « R – divers », Paul Gouin à Antoine Rivard, 23 juillet 1951.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Roy, archiviste de la Province, a formée dans la rotonde des Archives et qui attire tant de visiteurs52.
Gouin estime la valeur de ces objets à 43 249,50 $, mais accepterait de céder l’ensemble pour 38 000 $, puisqu’il affirme souhaiter « faire un don à la province ». Faute des ressources budgétaires requises, la proposition est d’abord refusée par Omer Côté. Cependant, le premier ministre Duplessis, voulant sans doute aider Paul Gouin, demande à Gérard Morisset de faire une sélection plus restreinte, d’une valeur de 29 526 $. Morisset souligne qu’« il s’agit évidemment d’un choix arbitraire. Car les pièces que nous avions choisies, M. Gauvreau et moi, forment un tout, un ensemble d’une valeur remarquable, qu’il serait déplorable de dissocier. C’est pourquoi, je me permets de recommander avec instance que la Province fasse l’acquisition des autres pièces que nous avions également choisies… » Le gouvernement paie finalement 25 000 $ pour une sélection d’objets. Faute d’espace au Musée de la Province, la collection est livrée à l’établissement entre 1952 et 195553. Quelques années plus tard, soit en 1955, Gouin sacrifie une autre partie de sa collection lors d’une vente confiée à l’antiquaire Samuel Breitman, au Collège de Montréal, sur la rue Sherbrooke. Le commerçant affirmera vingt-cinq ans plus tard que c’était la première vente d’une telle ampleur54. Il ne s’agit toutefois pas d’une liquidation de l’ensemble de la collection Gouin, puisqu’une partie de celle-ci a été transmise à ses héritiers55. 52. 53.
54. 55.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/34, « Collection », Gérard Morisset et JeanMarie Gauvreau à Omer Côté, 21 juillet 1951. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/34, « Collection », Paul Gouin à Omer Côté, 23 juillet 1951 ; Omer Côté à Paul Gouin, 13 septembre 1951 ; Gérard Morisset à Omer Côté, 27 septembre 1951. Une copie de la liste des objets acquis se trouve dans les archives du Musée national des beaux-arts du Québec, Archives institutionnelles, dossier « Gouin, Paul, 1898-1976 ». Certaines sculptures ont été décapées au Musée en 1954. Ina Paton (1979), « Antiquer’s haven going, going... The incurable collector », The Montreal Star (26 avril). Le Musée de la Province acquiert alors quelques objets pour ajouter à sa collection. En 1991, l’Hôtel des encans de Montréal annonce la mise en vente d’objets de la collection Paul Gouin. Toutefois, selon Pierre Mercier-Gouin, ces objets ne proviennent pas de la succession et « le catalogue de la vente ne comporte que de rares pièces qui puissent à la rigueur être reliées à la collection. » Hôtel des encans de Montréal, et autres (1991), Art canadien, art international ; Antiqui-
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EXHIBITION AND SALE of the COLLECTION of MR. PAUL GOUIN CULTURAL ADVISOR TO THE PROVINCE OF QUEBEC We proudly invite you to see and buy one of the most extensive and outstanding collections of CANADIANA ever shown. This collection includes a magnificent array of wood carvings, which can be used for making : coffee tables, book ends, headboards, sconces, wall brackets, ceiling fixtures, drawer pulls, tie backs, console tables, mirrors, candlesticks, wall and ceiling motifs, and many other uses. In Pine, you will see : commodes, chests of drawers, break-fronts, secretary desks, corner cupboards, wash stands, cobblers benches, dough boxes, dry sinks, hutch tables, stools, bucket benches, slant top desks, refectory tables, drop leaf tables, gate leg tables, arm chairs, side chairs, blanket chests…. BAnQ-M, Fonds Paul Gouin (P190), 1983-03-038/94, dossier « famille ».
La croisade des traditions populaires La tâche de conseiller technique confiée à Paul Gouin vise à assurer la conservation et le développement du patrimoine culturel et artistique de la province. Cela va bien au-delà de la préservation des objets témoins du passé : Gouin a la responsabilité de « fournir aux talents naturels l’appui dont ils ont besoin56 », tâche à laquelle il se consacre dans le domaine des arts, des traditions et du folklore. L’artisanat et les arts domestiques Bien avant sa nomination au poste de conseiller technique, Paul Gouin s’était fait « l’apôtre infatigable et le champion notoire » des arts domestiques57. Il accorde une grande importance à l’artisanat pour le maintien des « signes tangibles » de la patrie et lui donne un rôle économique non négligeable. Dans l’une de ses conférences, Paul Gouin
56. 57.
tés, canadiana, objets d’art, bijoux, souvenirs historiques. Pierre Mercier-Gouin à Nathalie Hamel, 29 novembre 2007. « Poste confié à Me Paul Gouin », (1948). Paul Daignault (1937b), « Un foyer canadien-français », La Province (16 octobre), p. 1.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » retrace l’évolution de la production artisanale au Canada français et souligne la relation intime qu’il voit entre la conservation des objets du quotidien et le maintien de l’identité canadienne-française. Nos ancêtres, isolés dans leurs villages et même dans leurs maisons par suite des difficultés de communications, étaient forcés d’imaginer et d’exécuter eux-mêmes les divers objets dont ils avaient besoin pour leur vie courante. Ils pratiquèrent donc les arts domestiques. Ils construisirent leurs belles et solides maisons, fabriquèrent des armoires, des chaises, des tables aux lignes harmonieuses et charmantes. Ils dessinèrent de magnifiques couvre-pieds pour le lit ancestral et des tapis aux couleurs vives pour leur rude plancher. Ils tissèrent pour leur famille l’inusable étoffe du pays et les brillantes ceintures fléchées. Plusieurs des forgerons d’autrefois furent de remarquables artistes ; leurs lampes, leurs fanaux, leurs pentures, leurs clenches de portes sont encore là pour nous le prouver. Les potiers étaient aussi à l’honneur dans chaque village. Dans leur boutique, l’on tournait des pots à l’eau, des assiettes, des tasses, des soupières décorées de naïfs dessins. Même les ferblantiers s’exerçaient aux arts domestiques ; quelques-unes des tabatières qu’ils ont ciselées sont de véritables pièces de musée. Mais les communications modernes et les méthodes modernes de production changèrent tout cela. Vers la fin du 19e siècle, le bon goût de l’artisan rural fut corrompu par l’arrivée de la machine. Les catalogues de toute sorte inondèrent le Canada français et en peu de temps les vieilles et lentes méthodes de production d’autrefois furent délaissées. Les meubles et les vêtements manufacturés en série submergèrent la province. Pour une chanson, nos gens consentirent malheureusement à se départir des trésors du passé, meubles, bibelots et souvenirs que leur avaient légués leurs ancêtres et qui étaient les manifestations extérieures et palpables de la patrie. Le grand malheur de tout ceci c’est que les artisans d’autrefois étaient en même temps les artisans de notre attachement au sol de chez-nous, les artisans de notre patriotisme. En les perdant, l’on peut dire que nous perdions en quelque sorte un peu de nousmêmes58.
La question de la revitalisation de l’artisanat a suscité de multiples initiatives depuis 1915, les plus remarquables étant la création des Cercles de fermières et l’établissement d’écoles spécialisées, dont l’École des arts domestiques (1930), l’École du meuble (1935) et les écoles de
58.
Paul Gouin (1951), « Au pays de Québec rien ne doit mourir et rien ne doit changer », Culture, vol. XII, p. 45-46.
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beaux-arts de Montréal et Québec (1922), cette dernière participant largement à la modernisation des arts domestiques. Tout comme certains experts du domaine, Paul Gouin se montre très critique relativement à la production des arts domestiques de l’époque. Évoquant une exposition tenue à Montréal, en 1932, il mentionne la présence d’un mobilier de salle à manger créé par Jean-Marie Gauvreau et présenté comme un « essai d’art paysan canadien-français ». Bien qu’il note l’intérêt de cette tentative et souligne que ce type d’initiative mérite d’être encouragé, Gouin considère que l’œuvre de Gauvreau ne reflète pas « une juste expression de notre terroir59 ». Cette exposition d’arts domestiques l’amène par ailleurs à constater l’importance donnée aux arts paysans des pays étrangers dans les collections de l’École des arts domestiques, et la faible place donnée aux créations canadiennes-françaises dans l’exposition. Quelques temps après cette exposition, Paul Gouin et Jean-Marie Gauvreau entreprennent une enquête sur l’artisanat dans la région de La Malbaie. Ils en reviennent « convaincus que les petites industries locales, qui peuvent paraître insignifiantes en elles-mêmes, pourraient devenir, si elles étaient dirigées, organisées et coordonnées, la véritable ossature économique de notre province60 ». Cette argumentation en faveur du développement des petites industries occupe une place importante dans les discours de l’Action libérale nationale et fera partie des intérêts de Paul Gouin pendant de nombreuses années. Une anecdote rapportée par Philippe Ferland témoigne d’ailleurs de l’importance que le chef de l’ALN accordait à la question : huit jours avant l’élection de 1935, le chef du parti consacrait ses énergies à prononcer une conférence sur les industries complémentaires à la Palestre nationale61.
59. 60.
61.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/5 « Lavoie, Paul, dossier no 1 », Paul Gouin à Paul Lavoie, 25 avril 1932. Paul Gouin et Jean-Marie Gauvreau (1933), « Un patriarcat d’artisans ruraux », la Revue moderne, (novembre), p. 114. Cette première enquête alimente le rapport déposé par Gauvreau en 1939. Jean-Marie Gauvreau (1939b), Rapport général sur l’artisanat, Québec, ministère des Affaires municipales, de l’Industrie et du Commerce, p. 23 ; BAC, FPG, MG27-IIID1, vol. 22, « (41) Industrie locale et artisanat, 1933 », notes de voyages dans Charlevoix, juillet 1933. Philippe Ferland (1991), Paul Gouin, p. 166.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » En 1933, Paul Gouin est nommé président du comité créé par l’Association catholique de la jeunesse canadienne-française (ACJC) pour planifier une exposition d’artisanat à la Palestre nationale l’année suivante. Ce comité lance une campagne en vue d’organiser et de revitaliser l’artisanat et la petite industrie dans la province. Il souhaite sensibiliser le public à la question grâce à la tenue d’un mois d’activités sur le sujet, incluant des cours, des visites et des conférences. Chaque jeudi soir du mois de juin 1933, des cours sont offert par des spécialistes : « Nécessité des arts domestiques », par Oscar Bériau ; « Le pourquoi de la petite industrie » par Esdras Minville ; « Intérieurs canadiens » par Jean-Marie Gauvreau ; « Comment organiser la petite industrie », par Paul Riou ; et enfin « Le rôle de la petite industrie dans le Québec », par Paul Gouin. Une exposition d’artisanat et de produits de la petite industrie présentée à la Palestre nationale clôt l’événement. Par ce programme, les organisateurs souhaitent favoriser l’étude des matières premières et analyser les possibilités d’accroître le rendement des ressources naturelles. Objectif ultime, ils espèrent inciter le gouvernement à appuyer davantage l’artisanat et la petite industrie62. La production et la mise en vente d’objets d’arts domestiques restent cependant des activités relativement marginales. Paul Gouin explique ce peu de succès par deux éléments principaux : le manque d’organisation des artisans et les lacunes de la mise en marché. Dès le début des années 1930, lors des rencontres hebdomadaires tenues à sa résidence, la question de l’organisation de l’artisanat et de la petite industrie fait partie des sujets de discussions. Des modèles sont recherchés du côté de l’Europe, grâce au réseau de relations de Paul Lavoie, qui adresse des demandes d’informations aux collègues qu’il a fréquentés à La Haye en 1927. Des lettres sont expédiées dans plusieurs pays : Suisse, Hollande, France, Dantzig, Tchécoslovaquie, Espagne, Roumanie, Allemagne, Hongrie, Belgique, Italie, Pologne, Danemark, Portugal, Norvège et Grèce. Les efforts de Lavoie, qui prétend vouloir faire une étude comparée de la pratique des arts domestiques en Europe, donnent peu de résultats, bien qu’ils aient permis d’obtenir des ouvrages traitant
62.
BAC, FPG, MG27-III D1, vol. 22, « (41) Industrie locale et artisanat, 1933 » ; Paul Riou et Jean-Marie Gauvreau (1947), « Les formes de l’activité artisanale », p. 72-73 ; Jean-Marie Gauvreau (1933), « La petite industrie », Technique, (juin), p. 289-290.
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des arts domestiques dans divers pays63. Les lettres de Lavoie formulent ses attentes de façon très large : demande de références bibliographiques, informations sur les techniques utilisées, lieux de production, état du marché, etc. La préparation d’une réponse satisfaisante exigerait donc un important travail de synthèse de la part de ses correspondants. En fait, il semble que les connaissances précises sur la valeur économique et les différentes formes d’organisation des artisans n’étaient pas nécessairement connues de ceux-ci. De plus, les synthèses traitant du sujet paraissent rares à l’époque, en Europe comme au Canada. Le mode d’organisation corporatiste, inspiré entre autres des exemples de l’Italie et du Portugal, apparaît comme une solution prometteuse pour l’organisation des petites industries, et ce modèle devrait selon Gouin être d’abord expérimenté chez les artisans. Lors d’une conférence à la Société Saint-Jean-Baptiste en 1933, il suggère que cette société prenne en charge l’organisation corporative des artisans et la mise en place de comptoirs de vente d’artisanat. Il recommande de faire d’abord une expérience avec les artisans des milieux urbains, puisqu’il est plus facile pour eux de se rencontrer et de trouver des débouchés à leurs travaux. La corporation des artisans devrait orienter ses membres vers une production d’articles variés qui pourraient intéresser les consommateurs locaux et les touristes. Un directeur commercial serait responsable de la distribution des produits dans les magasins et les hôtels, et verrait à établir des comptoirs de vente. Popularisé par l’École sociale populaire et défendu par plusieurs penseurs des années 1930, dont les économistes de l’École des hautes études commerciales64, 63.
64.
BAC, FPG, MG27-III D1, vol. 23, « (42) Industrie locale et artisanat, 1933 ». On trouve dans les archives de Paul Gouin divers ouvrages européens sur les industries domestiques ainsi que quelques numéros des « Feuilles d’informations corporatives » publiées par le ministère des Corporations du royaume d’Italie, datant de 1937 et de 1938. BAnQ-M, FPG (P190), boîte 1983-03-038/24. L’École des HEC est un foyer de diffusion du corporatisme social dans la seconde moitié des années 1930. La revue L’Actualité économique publie de 1934 à 1939 huit articles sur le corporatisme. Cinq professeurs de cette institution font la promotion de cette idée, dont François-Albert Angers et Esdras Minville, qui sera le principal représentant de ce mouvement au Canada français. « Il écrit plusieurs articles sur le sujet, notamment pour l’École sociale populaire, où il insiste sur le fait que “nous voulons précisément par le moyen de cette réforme sociale [corporatisme social], améliorer notre situation dans le commerce et dans l’industrie, du moins petite et moyenne pour commencer” ». Le corporatisme est vu comme un levier permettant aux Canadiens français de sortir de leur
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » le corporatisme est perçu pendant près d’une décennie comme un modèle idéal pour contrer les problèmes économiques de la société canadienne-française. Selon Paul Gouin il s’agit de « la formule qui assurera le plus rapidement possible notre relèvement économique et social ». Cette sympathie affichée pour le modèle corporatiste le forcera à quelques reprises à affirmer ses distances du fascisme, dont certains l’accusent65. Les défaillances de la mise en marché sont considérées comme le second obstacle au succès des arts domestiques. Ainsi, pour faciliter l’achat des produits de « chez nous » par toutes les classes sociales, ils doivent être davantage disponibles chez les marchands. Il s’agit non seulement d’une question sentimentale ou morale, mais d’une nécessité économique66. Convaincu du succès qu’obtiendrait un comptoir situé dans un endroit stratégique, Paul Gouin en installe un appelé « Le Vieux Moulin » à la pharmacie Sarrazin et Choquette à Montréal, à l’automne 1937. L’aménagement de la boutique est réalisé avec la collaboration de l’artiste Maurice Raymond. Divers articles utilitaires que Gouin s’est procuré auprès des artisans y sont mis en vente : boîtes à cigarettes, cendriers, cabarets, assiettes, appuis-livres, bonbonnières, vases à fleurs, bracelets, bouteilles, etc. Cette expérience le conforte dans ses convictions. Tout d’abord, quant à son opinion qu’un comptoir d’arts domestiques doit nécessairement fonctionner selon une formule coopérative. Puis quant à l’importance de poursuivre une campagne d’éducation nationale. Selon lui, si ces objets d’arts domestiques ont peu attiré les Canadiens français, qui ont visité le comptoir « en somme comme on va dans un musée », c’est qu’il faut avant tout les éduquer : « On ne semblait pas très bien se rendre compte que les bibelots que nous exposions pouvaient très bien orner les murs d’une maison, pouvaient très bien servir sur la table de travail ou même sur la table fami-
65. 66.
infériorité économique. Paul-André Comeau (1982), Le bloc populaire : 19421948, p. 176 ; Jonathan Fournier (2005), « Les économistes canadiens-français pendant l’entre-deux-guerres ». BAC, FPG, MG27-III D1, vol. 18, « (24) Discours et conférence 1936-1937 », 20 octobre 1937 ; vol. 15, « (16) discours - projets, 1923-1941 », 9 mars 1939. “We feel that the revival of our handicrafts is not only a sentimental, a moral but also an economic necessity”. “French Canadian Handicrafts”, conférence de Paul Gouin lors d’un séminaire de la série French Canadian Life and Letters, Faculty of Arts, Science and Commerce, Sir George Williams College, Montréal, 14 avril 1939. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/18.
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liale. Il y a donc ici, ainsi que je l’ai dit à maintes reprises, une question d’éducation, éducation qui devrait commencer chez l’enfant, au foyer et à l’école67. » Une expérience similaire est tentée à Trois-Rivières, avec l’ouverture du magasin « À l’araignée d’or » par Albert Olivier. Le comptoir ouvre ses portes le 20 mai 1937 et obtient, selon Albert Tessier, un franc succès : « Magnifique succès du début. La foule se pressait dans la rue comme pour les ventes syriennes les plus courues ! Tous les Anglais de la ville ont passé là… aussi quelques Canadiens français. Le succès de curiosité et de sympathie se continue. Monsieur Olivier a bien fait les choses. Son comptoir tient plus du musée que du magasin… beaucoup de variété et de distinction. » Les ventes sont d’environ 400 $ par mois, avec une pointe en décembre atteignant les 700 $. Ce chiffre d’affaires est assez semblable à celui obtenu au « Vieux Moulin », ce qui amène Gouin à conclure que « la vente de nos produits domestiques marche assez bien, [mais] pas assez pour être une affaire payante68 ». Depuis le tournant des années 1930, les expositions consacrées à l’artisanat prolifèrent, multipliant par le fait même les possibilités de sensibiliser la population aux arts domestiques. À l’occasion de certains de ces événements, le public peut rencontrer les artisans, qui offrent des démonstrations de leur savoir-faire, comme c’est le cas au Château Frontenac, à Québec, en 1927, 1928 et 1930 ; au Manoir Richelieu à Pointe-au-Pic, en 1929 et 1930 et en 1937 à l’exposition organisée par l’Office d’initiative économique de Montréal. En 1939, Léon Trépanier, directeur général du comité formé pour planifier les fêtes du tricentenaire de Montréal, propose de réunir les efforts de la Société Saint-JeanBaptiste de Montréal et de la Canadian Handicraft Guild pour présenter une exposition d’envergure dans les Casernes de l’île SainteHélène nouvellement restaurées. La ville de Montréal et le gouvernement du Québec seront finalement les partenaires de la Canadian Handicraft Guild dans ce projet. Un comité consultatif est composé de E. de B. Panet, de Paul Gouin, d’Esdras Minville, de Marius Barbeau, de 67. 68.
Paul Gouin (1938), Servir, p. 190-191. De la correspondance avec des artisans à l’occasion de l’installation de ce comptoir se trouve dans le Fonds Paul Gouin à Bibliothèque et Archives Canada, MG27 III D1, vol. 4, 6 et 7. BAC, FPG, MG27-IIID1, vol. 7, « correspondance générale, Lettre T », Albert Tessier à Paul Gouin, 10 juin 1937 ; 26 janvier 1938 ; Paul Gouin à Albert Tessier, 27 janvier 1938.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Mme James Peck, de Mme W. D. Lighthall et de E. A. Corbett. L’exposition vise à encourager la renaissance de l’art paysan, à créer un marché pour les objets d’arts domestiques fabriqués dans la province et à favoriser la création d’articles souvenirs pour les fêtes de 1942. Cette « splendide manifestation artisanale, la première, en qualité et en importance, de toute l’histoire de notre province », accueille plus de cinquante mille visiteurs en moins de quinze jours. Sur place, ceux-ci peuvent observer une trentaine d’artisans à l’œuvre : filage du lin et de la laine, tissage d’étoffes de vêtements et d’ameublement, crochetage de tapis et de tentures murales, fabrication de « tissus exigés par les goûts les plus capricieux de la mode féminine », tricot d’articles utilitaires ou de robes somptueuses, confection de vêtements de sport par de nouvelles techniques. Sans oublier le travail de l’étain, du cuir, de la céramique. « Quelle belle leçon d’orientation ce fut pour la jeunesse de nos écoles ! Orientation dans le sens des aptitudes et des goûts de chacun69. » Deux restaurants sont aménagés sur place : « À la Vieille Marmite » offre exclusivement des plats canadiens de haute cuisine, alors qu’« À la bonne franquette », les visiteurs peuvent se restaurer à bon compte. Des spectacles sont présentés en plein air. Fort du succès obtenu, le comité directeur de l’exposition souhaite répéter l’expérience en 1940 et espère ainsi favoriser la production « de toute une série d’articles de bon goût, originaux et spécifiquement canadiens » qui pourront servir d’articles souvenirs lors des fêtes du tricentenaire de Montréal en 1942. L’organisme envisage de plus la présentation d’une exposition internationale d’artisanat à l’occasion de ces fêtes. Outre ces multiples expositions, l’intérêt porté à la question de l’artisanat au cours des années 1930 conduit à la réalisation d’une enquête provinciale en 1939, confiée à Jean-Marie Gauvreau par le ministère de l’Industrie et du Commerce, dans le cadre de l’inventaire des ressources naturelles. Cet inventaire était réclamé par Paul Gouin, JeanMarie Gauvreau et Paul Riou, qui était professeur aux HEC, dès 193370. 69.
70.
Jean-Marie Gauvreau (1940), Artisans du Québec, Trois-Rivières, Éditions du Bien public, p. 37-39. Voir aussi BAC, FPG, MG27-III D1, vol. 7, « Correspondance générale, Lettre T », correspondance entre Paul Gouin et Léon Trépanier, 1939. Jean-Marie Gauvreau (1939), Rapport général sur l’artisanat ; Paul Gouin (1934b), « L’avenir de notre jeunesse » ; Paul Gouin et Jean-Marie Gauvreau (1933), « Un patriarcat d’artisans ruraux ».
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2. Notre maître le passé : la conservation de l’héritage culturel
Fidèle à ses convictions et à sa volonté de prêcher par l’exemple, Paul Gouin conserve dans son bureau des échantillons de textiles artisanaux qu’il offre à la consultation. Puisqu’il souhaite promouvoir les ventes de produits domestiques et qu’il défend les principes de « l’achat chez nous », il porte lui-même fièrement des complets faits d’étoffe artisanale. Au moment où il s’installe à L’Assomption en 1932, il cherche un endroit où se « procurer de la bonne étoffe du pays » afin de se faire fabriquer un complet « pour suivre l’exemple de MM. David, Asselin, [et] Rinfret71 ». Le domaine vestimentaire lui apparaît d’ailleurs comme un bon moyen de favoriser le développement de la petite industrie, ainsi que l’indique un article dans La Province : – Nous voulons lutter contre l’industrie étrangère ? Organisons, développons et encourageons la petite industrie, les artisans de chez nous. Prenons celle du vêtement, par exemple. Avec une direction intelligente, elle pourrait prendre chez nous un prodigieux essor. On méprise l’étoffe du pays ? Snobisme. Nous possédons une variété de couleurs et de tissus qui pourraient rivaliser avec ceux de Londres ou de Paris. Il faudrait du temps et des améliorations ? Peut-être, mais quelle splendide opportunité ! Et M. Gouin nous annonce avec simplicité que l’impeccable complet qu’il porte est en étoffe du pays. – Ma femme possède des costumes en étoffe du pays, ajoute-t-il, et, autour de nous, nous avons réussi à faire adopter ces tissus de chez-nous par beaucoup de gens qui s’en trouvent tout aussi bien72.
Selon sa perception, il ne s’agit pas d’être tourné vers le passé et de porter « comme autrefois la tuque bleue, rouge ou blanche, les mitaines de laine, la ceinture fléchée et les souliers de bœuf73 », mais bien de développer un marché pour la production locale, en intégrant les textiles artisanaux dans la mode. À titre d’exemple, il affirme que les ceintures fléchées ont été adaptées aux besoins modernes : elles sont de plus petit format, faites de soie au lieu de laine, et les femmes les
71. 72. 73.
BAC, FPG, MG27 III D1, vol. 6, « Correspondance générale, Lettre R (1) », Paul Gouin à L.-A. Richard, 4 novembre 1932. Albert Duc (1935), « Paul Gouin, intime, famille et maison », p. 5. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/13, Causerie radiophonique à CBF, 18 novembre 1951.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » portent soit avec leurs costumes de ski, soit avec leurs robes estivales74. En plus de s’insérer dans le domaine de la mode vestimentaire, les arts domestiques doivent être pensés de façon à s’intégrer dans les intérieurs contemporains. Cette idée avait déjà été proposée par Athanase David lors de la clôture de l’exposition tenue à l’École technique de Montréal en 1932 : « Il faut qu’un jour ou l’autre se forme et s’organise la société ou le club des amis des arts domestiques dont les membres se feront un devoir de se procurer les tissus, les étoffes, les meubles et les poteries de chez nous75 ». Pour encourager ce mouvement, Gouin recommande de choisir des cadeaux de Noël ou de mariage fabriqués par des artisans québécois (figure 5). La question de la mise en marché de la production reste pourtant problématique et continue de préoccuper Gouin, qui défend l’idée d’installer des comptoirs d’artisanat dans des bâtiments anciens un peu partout au Québec afin de répondre à la demande croissante du marché touristique (figures 6 et 7). Ainsi, en 1950, il recommande au secrétaire de la province, Omer Côté, d’acquérir le blockhaus de Lacolle qu’une Américaine envisage alors d’acheter, et de l’utiliser comme comptoir d’artisanat et bureau d’informations touristiques76. Ces années d’efforts et de promotion de l’artisanat seront couronnées par la création de l’Office provincial de l’artisanat et de la petite industrie par le gouvernement provincial en 1945. C’est la consécration d’une décade (sic) d’efforts et d’action soutenue par de précieuses et indispensables collaborations. L’un des objets de cet organisme est de donner un regain d’activité dans ce domaine, de régénérer les techniques et le sentiment artistique en mettant en relation plus étroite les artistes et les artisans, en initiant ces derniers au mouvement artistique moderne77.
74. 75. 76.
77.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/80, « G – Divers », Paul Gouin à John M. Gibson, 1er juin 1950. Jean-Marie Gauvreau (1932), « L’exposition des arts domestiques à Montréal », Technique, vol. 7, (juin), p. 27-28. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/39, « C divers », Paul Gouin à Omer Côté, 18 avril 1950. Les rapports de la Commission des monuments historiques, que Gouin préside, de 1955 à 1968, dévoilent plusieurs propositions visant l’utilisation de bâtiments anciens pour en faire des lieux de vente d’artisanat. Paul Riou et Jean-Marie Gauvreau (1947), « Les formes de l’activité artisanale », p. 73.
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2. Notre maître le passé : la conservation de l’héritage culturel
Figure 5 Paul Gouin et des dignitaires, dont Jean-Marie Gauvreau et le maire de Montréal, Camilien Houde, admirant le travail d’un céramiste. Ouverture officielle du Salon de l’agriculture. Paul Boucher, 1953, BAnQ-M, Fonds Office du film du Québec (E6, S7, SS1, P201068).
Rappelons que la création d’un office de la petite industrie était réclamée dès 1934 par Paul Gouin, dans le sillage des propositions de Paul Riou. Présidé par Jean-Marie Gauvreau, l’Office de l’artisanat et de la petite industrie se veut un intermédiaire entre les services gouvernementaux, les artisans et les consommateurs. Il a le mandat de participer à la mise en marché des produits et d’aider les artisans dans l’achat des matières premières78. Plusieurs expositions sont organisées par 78.
Le comité de direction se compose de : Louis Coderre, Paul Riou, Émile Gauthier, Gérard Delâge, C.E. Smith, Paul Gouin, André Giroux, Jacques Melançon et Paul l’Écuyer. Henri-Paul Garceau (1956), « L’affermissement de notre caractère français par l’artisanat », L’Hôtellerie, (juin) ; Sophie-Laurence Lamontagne et Fernand Harvey (1997), La production textile domestique au Québec, 1827-
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » l’Office, dans l’objectif de faire connaître les diverses techniques artisanales du Québec, de « promouvoir le goût et le sens des valeurs quant à la qualité et à l’originalité des pièces décoratives ou utilitaires dont tous sont appelés à se servir dans la vie courante » et d’éduquer le public à exercer son jugement face à la production artisanale79. Une exposition d’envergure, présentée par l’Office en 1950 au Château Laurier à Ottawa, connaît semble-t-il un franc succès, alors que quelques 20 000 visiteurs la visitent en quatre jours. « Tous les journaux anglais et français, de l’Ontario et du Québec, ont été unanimes à louanger, en termes dithyrambiques, cette exposition qu’ils ont qualifiée de “Véritable révélation de nos métiers d’art”, de “Triomphe de l’artisanat canadien français80” ». Dans le même ordre d’idée, l’ouverture de la Centrale d’artisanat du Québec sur la rue Sherbrooke à Montréal, en 1950, ne peut que réjouir le conseiller technique. L’organisme offre un lieu permanent pour l’exposition des œuvres des artisans qui sont désormais regroupés en « Corporation professionnelle des Artisans du Québec » selon les principes proposés depuis près de vingt ans81. La Centrale achète les œuvres ou les garde en consignation et organise des expositions dans toute la province82. Posant un regard sur l’évolution des arts domestiques entre les années 1930 et 1950, Paul Gouin considère, avec une certaine satisfaction, qu’ils ont désormais cédé la place aux arts décoratifs. [...] nos écoles spécialisées ont donné naissance à une nouvelle génération de sculpteurs sur bois, d’orfèvres, de tisserands, de ferronniers et de potiers qui sont les dignes successeurs des artisans d’autrefois. Évidemment, et cela nous permet, d’enregistrer une évolution, une adaptation aux exigences de la vie moderne, nos artisans d’aujourd’hui
79. 80. 81. 82.
1941 : une approche quantitative et régionale, Ottawa, Musée national des sciences et de la technologie, p. 71. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/93, Programme « Les festivals de Montréal, 1952 », p. 11. Paul Gouin (1950b), « Artisanat et folklore québécois », La Presse (24 juin), p. 37, 39 ; BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/93, Programme « Les festivals de Montréal, 1952 », p. 11. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/80, dossier « G – Divers », Paul Gouin à John M. Gibson, 1 juin 1950. Suzanne Lamy et Laurent Lamy (1967), La renaissance des métiers d’art au Canada français, Québec, ministère des Affaires culturelles.
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2. Notre maître le passé : la conservation de l’héritage culturel
ne pratiquent plus les arts domestiques tels qu’on les entendait autrefois. […]. Nos arts domestiques ont donc évolué ; ils sont devenus des arts décoratifs, ils se sont modernisés.
Le développement d’un enseignement spécialisé et la présence de quelques « esprits éclairés [qui] lancèrent une campagne en faveur de la renaissance de notre artisanat » seraient à la source de cette évolution83. La revalorisation des traditions populaires et du folklore au cours des années 1930 et 1940 est un phénomène présent dans plusieurs pays. Un peu partout, la crise économique incite les gouvernements à considérer la relance de la production artisanale comme une solution aux difficultés économiques individuelles. Les initiatives visant à créer de l’emploi se multiplient, et dans ce contexte plusieurs pays développent des programmes dans les domaines artistiques et culturels. En fait, ces initiatives nourrissent, en même temps, les nationalismes. Aux ÉtatsUnis, l’« Index of American Design », l’un des projets soutenus par le gouvernement américain dans le cadre du New Deal, visait à répertorier et à documenter les objets témoignant d’une créativité et d’un sens du design bien américain. Le programme a permis d’embaucher plus de 500 artistes pendant la crise économique des années 1930. Au total, plus de 18 000 illustrations utilisant les techniques de relevés des égyptologues renseignent sur les arts décoratifs américains, de la période coloniale au xixe siècle. Cette documentation a été rassemblée afin de servir de référence et d’inspirer les artistes et designers dans la création d’une production moderne intégrant des caractères propres à la culture américaine84. En France, sous l’occupation allemande, sont lancés des « chantiers intellectuels » portant sur différents sujets, dont l’architecture régionale, le mobilier traditionnel, l’artisanat. Ces enquêtes permettent d’établir des inventaires détaillés de la culture rurale et offrent un lieu de formation pour une relève scientifique. Là encore, la documentation « doit fournir des modèles aux artisans pour fabriquer de nouveaux meubles régionaux et lutter contre le “mauvais goût85” ».
83. 84. 85.
Paul Gouin (1951), « Au pays de Québec rien ne doit mourir et rien ne doit changer », p. 46. Virginia Tuttle Clayton, et autres (2002), Drawing on America’s Past : Folk Art, Modernism, and the Index of American Design, Washington D.C., National Gallery of Art. Nina Gorgus (2003), Le magicien des vitrines, p. 129.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Figure 6 Paul Gouin dans une boutique d’artisanat, sans doute à SaintJean-Port-Joli. Lida Moser, 1950. BAnQ-Q, Fonds Lida Moser (P728, S1, DQ17, P70).
Figure 7 Paul Gouin et Médard Bourgault. Lida Moser, 1950. BAnQQ, Fonds Lida Moser (P728, S1, DQ18, P47).
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Bien qu’aucune allusion à ces projets n’ait été retracée dans les archives de Paul Gouin, des parallèles peuvent être établis entre ces initiatives et les propositions destinées au Canada français. La recherche de modèles à l’étranger pour la mise sur pied d’un conseil économique provincial et pour l’organisation des arts domestiques témoigne de l’ouverture à s’inspirer de ces exemples en les adaptant au contexte québécois. Ainsi, le modèle des missions culturelles mexicaines est examiné attentivement. Ces missions sont constituées d’équipes d’experts : un chef de mission, une travailleuse sociale, un « professeur de petites industries », un agronome, et enfin des professeurs d’arts plastiques, de musique et d’éducation physique. Les missions séjournent quelques jours dans chacune des régions, étudient les besoins et les possibilités, orientent les activités sociales et économiques, avant de se diriger vers une autre région. Sans développer des équipes aussi importantes, Gouin envisage les missions culturelles comme un moyen d’inventorier les possibilités de chaque région et d’orienter les activités86. Cette idée, défendue par Esdras Minville depuis 1927, trouvera un certain aboutissement lors de la mise sur pied de l’Office des recherches économiques et de l’Office de recherches scientifiques, et par la mise sur pied de l’inventaire des ressources naturelles à la fin des années 1930. C’est dans ce contexte qu’est réalisé un inventaire de l’artisanat par Jean-Marie Gauvreau. Le folklore Au Canada français comme à l’étranger, la mise en valeur des arts traditionnels est indissociable du folklore. Comme l’écrivent Jean-Marie Gauvreau et Paul Riou en 1953, « [L’artisanat] est, avec le folklore, le seul moyen d’expression de l’âme du peuple87 ». Tous deux jouent un rôle perçu comme essentiel dans la conservation des traditions nationales et la survie de la culture. La nomination de Paul Gouin au poste de conseiller technique réjouit les spécialistes du folklore que sont Luc Lacourcière et FélixAntoine Savard, qui développent alors un enseignement dans ce domaine à l’Université Laval, ainsi que Marius Barbeau, anthropologue et folkloriste rattaché au Musée de l’Homme à Ottawa. 86. 87.
Paul Gouin (1934c), « L’avenir de la jeunesse, libérale ou non ». Paul Riou et Jean-Marie Gauvreau (1953), « Le rôle économique, social et culturel de l’artisanat », Mémoires de la Société royale du Canada, p. 53.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Je suis heureux d’apprendre la bonne nouvelle de votre nomination à un poste gouvernemental important qui m’intéresse vivement, ainsi qu’il intéresse mes collègues en folklore à l’université […]. Il semble que vous avez le pouvoir de donner de l’expansion aux arts traditionnels, à la conservation de ce qui est périssable et devrait être sauvegardé, et que vous pouvez aider à une floraison culturelle qui repose sur la tradition, mais qui a besoin de l’appui d’une grande institution – comme le [gouvernement ?] pour prendre son essor. Vous avez l’imagination, l’enthousiasme et les connaissances voulues pour faire des merveilles. Nous vous donnerons tout l’appui et l’aide dont vous aurez besoin de notre part88.
Dès les années 1930, l’importance qu’accorde Gouin aux coutumes et traditions du Canada français se remarque dans ses discours politiques, alors qu’il soutient qu’il faut conserver et mettre en valeur le visage français de la province. Les allusions aux coutumes et traditions sont fréquentes. Ainsi, en 1935, il écrit dans L’Action nationale : « Nous avons, ou tout au moins nous avions, une architecture, des arts paysans, des us et coutumes, un costume national, des traditions, des mœurs et des expressions de langage pleines de saveur qui sont ou étaient la juste expression “des particularités de la race canadienne-française89” ». Néanmoins, ce n’est qu’à la suite de sa nomination comme conseiller technique en 1948 que le folklore prendra clairement place dans son discours. Nul doute que la France sert encore une fois d’inspiration. La tenue en 1937 du premier Congrès international de folklore à Paris (auquel le Canada ne participe pas), la création du Musée des arts et traditions populaires, la création d’une chaire d’histoire des arts et traditions populaires à l’École du Louvre en 1941, confiée à GeorgesHenri Rivière, sont quelques-uns des événements qui révèlent la croissance de l’intérêt pour le domaine en France 90 . Au Québec, l’Université Laval crée une chaire de folklore en 1944, ainsi que des Archives de folklore, ce qui témoigne du développement d’une attention scientifique pour le sujet. Gouin qualifie d’ailleurs la création de la chaire de folklore de l’Université Laval « d’acte providentiel » et répète
88. 89. 90.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/94, « famille », Marius Barbeau à Paul Gouin, 2 novembre 1948. Paul Gouin (1935c), « Politique nationale et éducation nationale », p. 83. Nina Gorgus (2003), Le magicien des vitrines.
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dans ses conférences que le folklore devrait être enseigné « dans toutes les écoles spécialisées, dans tous les couvents et collèges91 ». Au début des années 1950, les Archives de folklore vivent toutefois des difficultés financières. Dans un « Avertissement au lecteur » rédigé par Luc Lacourcière dans le quatrième volume de la collection du même nom, le directeur affirme : « […] le public canadien-français nous a profondément et inexplicablement déçus. […] les encouragements que nous avons reçus ont été tout platoniques et passagers. […] Nous avons donc hésité devant l’indifférence de tant des nôtres, et aussi devant le déficit financier et les déboursés cumulatifs dont nous avions, nous personnellement avec les Éditions Fides, assumé la lourde tâche92 ». Dans ces circonstances, la direction des Archives demande le soutien du gouvernement, par l’intermédiaire du conseiller technique. Paul Gouin intervient auprès du secrétaire de la province de façon à obtenir un appui financier pour assurer la poursuite de la publication des « Archives de folklore ». Il insiste sur la qualité et l’intérêt de ces ouvrages : Ces cahiers, extrêmement intéressants et superbement illustrés, pourraient être donnés comme prix aux élèves des cours supérieurs ou distribués dans les bibliothèques de collèges, couvents, écoles normales, écoles d’arts et métiers, etc. […] La publication de ces cahiers est indispensable pour assurer la conservation et le développement de notre patrimoine artistique et culturel93.
Dans une lettre adressée cette fois à Antoine Rivard, solliciteur général de la province, Gouin utilise un argument supplémentaire, celui de l’ingérence potentielle du gouvernement fédéral dans le domaine culturel au Québec, référence qu’il utilise fréquemment à la suite du rapport de la Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, lettres et sciences au Canada94. 91. 92. 93. 94.
« Le folklore devrait être enseigné partout » (1951), L’Action catholique (2 avril), p. 3, 17. Luc Lacourcière (1949), « Avertissement au lecteur », Les Archives de folklore, p. 7. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/80, « F – divers », Paul Gouin à Omer Côté, 18 mars 1950. Cette commission, connue sous le nom de Massey (ou Massey-Lévesque au Québec), est créée sous les motifs suivants : « Il importe que les Canadiens connaissent, le plus possible, leur propre pays, qu’ils soient renseignés sur son histoire et ses traditions, et qu’ils soient éclairés sur la vie et sur les réalisations
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » En plus des sommes que leur a versées le Premier Ministre, les Archives de Folklore ont également bénéficié, de façon intermittente aussi, de certains octrois du Musée National d’Ottawa. J’aime assez peu ces subventions fédérales que l’on semble actuellement vouloir ériger en système et qui, si nous ne voyons pas à les remplacer immédiatement par des subventions provinciales, pourraient devenir à la longue, dans l’esprit de certaines gens, un argument puissant en faveur de la centralisation dans certains domaines du moins95.
La démarche porte ses fruits et le gouvernement québécois achète finalement quelque 300 exemplaires de chacun des quatre premiers volumes des Archives de folklore auprès de l’éditeur Fides. Une collaboration suivie semble se développer à ce moment entre le conseiller technique et le personnel des Archives de folklore de l’Université Laval. Ainsi, c’est en compagnie de Paul Gouin, de Luc Lacourcière et de Félix-Antoine Savard que la photographe américaine Lida Moser parcourt la province à l’été 1950 pour capter des images de la vie québécoise96 (figure 8). Par ailleurs, Luc Lacourcière et Paul
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collectives de leur propre nation. Il est dans l’intérêt national d’encourager les institutions qui expriment le sentiment de la collectivité, favorisent la bonne entente, et apportent de la variété et de l’abondance à la vie canadienne, tant dans les régions rurales que dans les centres urbains ». La Commission a le mandat d’enquêter sur la radiodiffusion et la télévision ; les organismes et les domaines d’activité du gouvernement canadien (l’Office national du film, la Galerie nationale, le Musée national, le Musée national de guerre, les Archives publiques, la Bibliothèque du Parlement, la Bibliothèque nationale) ; les méthodes visant à faciliter la recherche ; ainsi que « les méthodes à employer concernant les relations entre le Canada et l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, et les autres organisations analogues ; les relations du gouvernement canadien et de l’un ou l’autre de ses organismes avec les divers groupements bénévoles d’envergure nationale qui intéressent la présente enquête ». Le gouvernement du Québec refusera de participer aux travaux de la commission lorsque celle-ci sera de passage à Montréal, le 26 novembre 1949. Cependant, de nombreux organismes et associations du Québec y déposeront des mémoires. Canada. Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, lettres et sciences (1951), Rapport de la Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, lettres et sciences au Canada, 1949-1951, Ottawa, Edmond Cloutier, Imprimeur du Roi, p. xv-xvi, 3. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/63, « R – divers », Paul Gouin à Antoine Rivard, 29 mai 1950. Envoyée au Canada par le magazine Vogue pour y faire un reportage photographique, Lida Moser rencontre par hasard Paul Gouin dès son arrivée à la gare Windsor à Montréal. Celui-ci la convainc de transformer sa tournée canadienne
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Gouin envisagent la publication d’une série de volumes de vulgarisation sur le folklore, projet qui serait appuyé par le Comité de la Survivance française. Une liste de thèmes est établie : les légendes, les fêtes et coutumes, le mobilier domestique, l’architecture paysanne, les jeux traditionnels, les costumes régionaux, les danses populaires et la langue populaire97. Ce projet ne semble pas s’être réalisé.
Figure 8 Paul Gouin et Luc Lacourcière admirant les éléments décoratifs d’une maison. Lida Moser, 1950. BAnQ-Q, Fonds Lida Moser (P728, S1, DQ17, P7).
Gouin participe à des jurys de concours de danses folkloriques au Salon national de l’agriculture à Montréal en 1957 et 1958. Ces concours, commandités par la Farine Purity, sont organisés en collabo-
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en une virée québécoise : l’île d’Orléans, Charlevoix, le Bas-Saint-Laurent, la Gaspésie, et bien sûr Québec et Montréal, lui offrent une abondance de sujets. Ces photographies de la vie quotidienne dans les régions du Québec sont ensuite publiées dans les magazines américains Vogue et Look. En plus de poser un regard unique sur le Québec de 1950, Lida Moser nous a laissé d’intéressants portraits de Paul Gouin et quelques images de sa collection. Le fonds Lida Moser a été acquis par les Archives nationales du Québec en 1994. Voir Lida Moser et Roch Carrier (1982), Québec à l’été 1950, Montréal, Libre expression. AUL, Fonds Luc Lacourcière (P718), P178/CS/2.56, Luc Lacourcière à Paul Gouin, 14 juillet 1951 ; Paul Gouin à Luc Lacourcière, 29 juin 1951.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » ration avec les Cercles de fermières « pour promouvoir les danses saines ». Il préside le comité organisateur en 1958. Le jury se compose entre autres de Mgr Félix-Antoine Savard et Simonne Voyer, grande spécialiste des danses traditionnelles, tous deux associés à la chaire de folklore de l’Université Laval98. Le thème du folklore est inclus dans la série de causeries sur l’héritage culturel que Paul Gouin prononce à Radio-Canada en 1951, alors qu’il traite de certaines coutumes, comme la guignolée ou le mardi-gras. Il consacre trois causeries exclusivement à la question. La première cite largement un texte de Savard et Lacourcière intitulé « L’Histoire et le Folklore ». Gouin y définit le folklore comme « l’histoire du peuple, une histoire qui nous enseigne comment le peuple vivait, s’habillait, travaillait, s’amusait, construisait ses maisons et les meublait99 ». Il précise cependant que le folklore, c’est aussi la science qui étudie les coutumes et les traditions. Il retrace ensuite l’évolution de cette science au Canada, ainsi que les rôles joués par Marius Barbeau et Luc Lacourcière, entre autres. La seconde causerie affirme que « notre folklore était en voie de se perdre, qu’il a été sauvé de l’oubli grâce à la fondation de la chaire et des archives de folklore et que c’est en nous inspirant des recherches, des travaux et des études de nos folkloristes que nous assurerons le plein épanouissement de notre culture canadienne-française100 ». Loin d’être une simple question de sauvegarde, le folklore est pour Paul Gouin une source de richesses à exploiter et à adapter dans la production artistique contemporaine, à la radio, à la télévision et sur les scènes de spectacles (danses, théâtres, concerts). La troisième causerie propose de généraliser l’enseignement du folklore dans les écoles de tous les niveaux puisqu’il s’agit d’un aspect fondamental de l’éducation au patriotisme réclamée par Gouin depuis les années 1930. Cette série de conférences lui vaudra les félicitations de Marius Barbeau, qui le qualifie de « vrai Croisé de nos traditions
98.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/9, « Concours de folklore », J. A. Lafortune aux secrétaires des Cercles de fermières, 27 novembre 1957 ; « Nos danses de folklore » (1956), n.i. (16 octobre). 99. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/1, causerie radiophonique à CBF, 28 janvier 1951. 100. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/1, causerie radiophonique à CBF, 4 février 1951.
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populaires101 ». Le conseiller technique répétera ces arguments en faveur de l’enseignement du folklore dans diverses conférences et articles en 1950 et 1951102. Paul Gouin propose parfois de réactiver des traditions disparues, justifiant cette renaissance par l’intérêt que ces pratiques ou fêtes traditionnelles créeraient chez les touristes. Ainsi, en 1949, il propose de relancer la tradition de la plantation du mai en la mettant au goût du jour, approche qui n’est pas sans évoquer le phénomène d’ « invention de traditions103 ». « Pourquoi ne pas profiter de l’occasion pour faire renaître, en la modifiant pour les fins de la cause, une charmante coutume du passé ». La « fête des arbres » qu’il propose de tenir en mai 1950 serait une grande manifestation populaire, « une fête vraiment nationale, une fête qui en plus de redonner à notre province sa verdure, servira à attirer le tourisme et à retremper notre patrimoine » (sic). L’hiver précédent la fête laissera à chacun le temps d’organiser l’événement : les folkloristes dessineront des costumes, choisiront des danses et des chansons, pendant que les directeurs de pépinières et de fermes expérimentales sélectionneront les arbres et arbustes à planter104. Les fêtes paroissiales offrent d’ailleurs des occasions privilégiées de rappeler les traditions et la culture canadienne-française. Ainsi, Paul Gouin suggère à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal d’organiser le défilé de la fête nationale de 1951 sous un thème mettant en valeur les traditions. Sa proposition se résume ainsi : [...] les divertissements au temps de nos ancêtres (carnaval, épluchette de blé d’inde, charivari, etc.) thème qui pourrait s’intituler « Dans le bon vieux temps ». Mon autre suggestion, qui cadre peut-être mieux encore avec votre projet, d’avoir un grand nombre de petits chars allégoriques, a trait aux métiers d’autrefois. Sous le thème : « Sur le pont d’Avignon, tout le monde y passe », vous pourriez représenter le bedeau, les ménagères de presbytères, l’organiste, le maître de chant, la maîtresse d’école, 101. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/59, Marius Barbeau à Paul Gouin, 4 février 1951. 102. « Le folklore devrait être enseigné partout » (1951) ; Paul Gouin (1950b), « Artisanat et folklore québécois ». 103. Eric Hobsbawm et Terence Ranger (dir.) (1983), The Invention of Tradition. 104. MNBAQ, « Gouin, Paul, 1898-1976 » causerie radiophonique à CKAC, 16 octobre 1949. La Société Provancher d’histoire naturelle avait organisé une Fête des arbres en 1926, dans le but d’aménager un jardin pour l’orphelinat de Giffard. Le Terroir, vol. VII, no 11, mai 1927, p. 438-439.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » les enfants de chœur, le médecin de campagne, le conducteur de tramway ouvert, l’encanteur, la modiste, le marchand général, le capitaine de goélette, le draveur, le joueur d’orgue de Barbarie, le maquignon, etc. Il y aurait moyen de tirer de ces différents métiers des chars allégorique extrêmement amusants tant au point de vue [des] décors qu’au point de vue [des] personnages105.
Ce type de thèmes faisant référence à la culture traditionnelle connaîtra une certaine popularité pour les chars allégoriques des fêtes de la Saint-Jean-Baptiste dans les régions du Québec, et ce, jusque dans les années 1970. Des villages historiques pour mettre en valeur l’héritage culturel Ces fêtes patriotiques sont depuis longtemps perçues comme des occasions de mettre en valeur l’héritage culturel canadien-français. Dès la fin des années 1930, Paul Gouin voyait les célébrations prochaines du tricentenaire de la fondation de Montréal, prévues pour 1942, comme une occasion offrant « de grandes possibilités » de développement économique et touristique106. Il souhaite alors que cet anniversaire soit souligné par la tenue d’une exposition universelle à Montréal. À cette occasion, il propose la restauration d’une partie du Vieux-Montréal, de la place d’Armes, par exemple, sous son apparence du début du xixe siècle. Il suggère aussi la construction d’un village canadien-français de la même époque. Il cite en exemple le modèle suédois de Skansen « où l’on a reconstitué, pour aider à la renaissance de l’art national sous toutes ses formes, des villages d’autrefois ». Le modèle scandinave est une référence dans le domaine muséal à l’époque et il influence entre autres la création du Musée des arts et traditions populaires en France107. Les pays scandinaves ont en effet été les premiers à créer des musées de plein air consacrés aux traditions populaires. Le projet le plus connu est sans doute celui d’Arthur Hazelius qui, dès 1873, collectionne les 105. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/80, « G – Divers », Paul Gouin à J.-Léopold Gagner, 17 juillet 1950. 106. Paul Gouin (1937d), « Trois anniversaires : 1642, 1837, 1935 ». Paul Gouin fait parvenir une copie de cet article au président des fêtes du tricentenaire, Léon Trépanier, qui le considère comme très intéressant. BAC, FPG, MG27-III D1, vol. 7, « correspondance générale, Lettre T », correspondance entre Paul Gouin et Léon Trépanier, 1939. 107. Jean Cuisenier (2006), L’héritage de nos pères : un patrimoine pour demain ? , Paris, La Martinière ; Nina Gorgus (2003), Le magicien des vitrines.
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traces des cultures scandinaves afin de les installer dans des intérieurs animés de personnages représentant des scènes de la vie domestique. Hazelius met ensuite sur pied un « musée de plein air », Skansen, en reconstituant un établissement rural composé de plusieurs bâtiments provenant de différentes parties de la Suède, regroupés sur un même site, aménagés avec des meubles anciens et animés par des guides et des musiciens en costumes d’époque. La proposition de Paul Gouin est de transformer le quartier ancien de Montréal en musée de plein air, qui illustrerait concrètement le rôle important de l’architecture d’autrefois dans la campagne de refrancisation en cours. Ce type de projet de construction de villages historiques se multiplie depuis le début des années 1930, que l’on pense au projet d’Albert Tessier à Trois-Rivières ou à celui du jardin zoologique de Charlesbourg108. L’idée de créer un musée en plein air connaît une certaine popularité à l’époque, mais deux visions semblent alors s’opposer autour du projet pour Montréal109. Gouin envisage la restauration d’un quartier ancien (le Vieux-Montréal), alors qu’un autre projet, proposé par Clarence Gagnon, suggère plutôt de créer de toutes pièces un villagemusée sur le Mont-Royal. Selon Gagnon : « S’évertuer à conserver un monument historique isolé quand le cadre dans lequel il est situé a changé, semble peu satisfaisant. Ce n’est que rétabli dans ce qui lui convient qu’on peut lui conserver sa beauté, son charme et sa signification historique. » Le projet consiste dans ce cas-ci à installer une série de bâtiments où serait présentée une variété d’activités : démonstrations artisanales, soirée de folklore ou de théâtre, concours de danses, spectacles, etc. Gagnon semble cependant douter de la possibilité d’appliquer rigoureusement le modèle de Skansen. 108. Lucie K. Morisset (2000), « Voyage au pays de l’identité. De la définition d’un paysage touristique à la création de la spécificité culturelle canadienne-française », dans Gérard Beaudet, et autres (dir.), L’espace touristique, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec ; L.-A. Richard (1932), « Le jardin zoologique de Québec », Le Terroir, (décembre), p. 12-13. 109. C’est peut-être à Paul Gouin que fait allusion Léon Trépanier lorsqu’il écrit : « Il est regrettable que certaines gens à qui nous avons l’habitude de reconnaître plus d’esprit de réflexion et de discernement, se soient inquiétés de la forme, du caractère et de l’emplacement de ce village-musée. » Clarence Gagnon (1940), « Le Village-Musée », dans Commission du IIIe Centenaire de Montréal et Léon Trépanier (dir.), Les préparatifs pour la célébration du troisième centenaire de Montréal en 1942, avec un aperçu du programme des fêtes : Rapport du directeur général, Montréal, Commission du IIIe Centenaire de Montréal, p. 52.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Au cas où l’on se trouverait dans l’impossibilité d’adopter le principe du musée en plein air de Skansen, qui exige que tout exhibit (sic) permanent soit strictement authentique, on devra recourir à la méthode adoptée dans la restauration de Williamsburg, en Virginie, i.e. faire des répliques exactes d’édifices disparus et dont on aura une documentation suffisante pour les reproduire, ou d’autres édifices qui sont destinés à disparaître ou à tomber en ruines. Il est encore possible d’obtenir certains beaux spécimens, soit par l’entremise de la générosité des amis de « veilles belles choses » (sic) ou par d’autres moyens qu’il ne serait pas bon de mettre à la portée de brocanteurs amateurs […] Celles-ci pourraient être transportées et reconstruites et ornées de tout ce qu’elles contenaient. Afin de donner à ces répliques un caractère d’ancienneté on pourrait les reconstituer avec des matériaux sains, rescapés, provenant de la démolition d’anciens édifices sans valeur artistique ou historique110.
Loin de considérer Williamsburg comme un modèle à suivre, Gouin voit pour sa part cette reconstruction comme une solution de dernier recours, adoptée par une population qui n’a pas su conserver l’héritage de ses ancêtres. Nous pourrions dans ce domaine, à bon escient, cette fois, nous inspirer de l’exemple que nous fournissent les États-Unis, pays que nous imitons si souvent de façon malencontreuse. Ce pays qui n’avait pas eu la prévoyance de conserver ses monuments historiques, a dû, depuis quelques années, reconstruire à grand frais, des villes, des villages d’autrefois tel (sic) que Williamsburg, Dearborn et Old Sturbridge. Allons-nous suivre cet exemple, allons-nous attendre pour nous mettre à l’œuvre que tout soit à reconstruire et à rebâtir ? Ne serait-il pas plus sage de conserver les beaux ensembles qui nous restent dans la ville de Québec et dans certaines villes et villages, de conserver aussi les autres monuments que l’on voit ici et là à travers la province111 ?
Ni l’un ni l’autre de ces projets de village-musée ne seront réalisés, mais l’idée de transformer certains quartiers anciens en village historique refait ponctuellement surface dans les écrits de Paul Gouin. En 1949, il souhaite organiser une grande exposition d’artisanat et de folklore
110. Ibid., p. 69. 111. Paul Gouin (1959b), « L’architecture », dans Congrès de la refrancisation, Le Congrès de la refrancisation, Québec, Ferland, vol. 5, p. 31. Il cite alors sa causerie du 19 novembre 1950, diffusée sur les ondes de Radio-Canada.
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destinée à attirer le tourisme international et à fournir aux artistes et artisans l’occasion de faire valoir leurs talents. Il développe alors une proposition semblable : Au milieu d’un paysage soigneusement choisi pour sa beauté et sa commodité, on érigerait un village canadien-français. Dans les maisons, on installerait les boutiques des artisans, dans la chapelle de procession, une exposition d’art religieux. L’auberge, le restaurant seraient typiquement canadien-français (sic), la salle paroissiale, une espèce de théâtre où l’on danserait des danses carrées avec violonneux et « calleux ». En plein air, on donnerait des spectacles inspirés de notre folklore, de nos légendes, de nos chansons, et dont l’intrigue, la musique, les costumes, les décors et la mise en scène, seraient choisis à la suite de concours qui constitueraient un stimulant pour nos artistes et une magnifique leçon de choses pour notre population. Ce village deviendrait ensuite un musée permanent qui attirerait chaque année des milliers et des milliers de touristes et démontrerait à nos gens, mieux que les plus beaux discours et les plus belles causeries radiophoniques, ce que représente notre patrimoine artistique et culturel. Outre leurs avantages intrinsèques, ces deux réalisations auraient l’immense avantage de préparer ou de faciliter la coordination des différents ministères et groupements intéressés à la conservation et au développement de notre patrimoine112.
La suggestion d’utiliser des bâtiments historiques pour y installer de petits musées et des comptoirs d’artisanat revient constamment dans les propositions faites par le conseiller technique de la province. Nous l’avons vu précédemment, il avait suggéré cette avenue dans le cas du blockhaus de Lacolle, alors qu’il recommandait « que le moulin soit utilisé comme comptoir d’artisanat et bureau d’informations touristiques et que l’organisation de ce comptoir soit confiée à l’Association Professionnelle des artisans de la province de Québec113 ». Installer un musée et un comptoir d’artisanat est aussi l’option qu’il retient pour les casernes de l’île Sainte-Hélène en 1950 : « [...] j’ai suggéré d’en faire un centre touristique de grande classe. L’on installerait dans les casernes un musée militaire et un comptoir d’artisanat qui serait confié à l’Asso-
112. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/53, « Tourisme », Paul Gouin à [Maurice Duplessis], 4 décembre 1949. 113. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/39, « C divers », Paul Gouin à Omer Côté, 18 avril 1950.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » ciation professionnelle des artisans de la province de Québec et l’on donnerait dans l’enceinte, une fois par semaine, le soir, des spectacles en plein air de folklore, danses, chansons, etc.114 ». Ces propositions de conservation et de restauration de bâtiments anciens visent à joindre les fonctions touristiques à la promotion de l’artisanat et au développement des petites industries, tout en assurant la conservation des bâtiments. Paul Gouin lance de nouveau une proposition en ce sens pour le Vieux-Montréal en 1950, projet où il conjugue la conservation des bâtiments anciens aux besoins touristiques : Comme à Paris, à New York, à la Nouvelle-Orléans, nous devons créer, pour le bénéfice du touriste, un quartier où il pourra flâner, admirer les œuvres de nos artistes et de nos artisans, se procurer des bibelots-souvenirs dignes de notre culture, où il pourra séjourner, se nourrir, se divertir dans des établissements qui lui permettront de nous connaître tels que nous sommes et tels qu’il nous imagine. Je viens d’employer le mot créer ; à vrai dire, il s’agit simplement, pour nous, d’utiliser, en le complètant, un coin du vieux Montréal. Il existe, à deux pas de notre Hôtel de Ville, un quartier qui a conservé, presque malgré nous, un caractère bien français, un caractère particulièrement attrayant. […] C’est le plus bel ensemble qui subsiste du vieux Montréal. C’est un quartier que nous devons conserver, un quartier où nous pouvons créer une remarquable attraction touristique qui contribuera à redonner à notre métropole son caractère français.
Gouin précise : on trouve dans le secteur le Château Ramezay, l’église Notre-Dame, le port et quelques vieilles maisons qui pourraient être restaurées et où l’on pourrait loger : [...] des ateliers d’artistes et d’artisans, des boutiques qui seraient véritablement des musées d’arts décoratifs, anciens et modernes, du Québec, des restaurants dont la cuisine, les menus et la décoration seraient vraiment dans la note canadienne-française. Quelques cabarets présenteraient en spectacle des artistes de folklore en costumes d’autrefois, des comédiens, des chanteurs, des diseurs de chez nous ; quelques maisons de pension bien tenues, dont les affiches, la publicité, les chambres seraient
114. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/39, « C divers », Paul Gouin à Lionel Chevrier, 25 avril 1950.
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encore une fois typiquement canadiennes-françaises, complèteraient ce coin charmant115.
Du même coup, on pourrait développer un autre secteur touris tique sur l’île Sainte-Hélène, en y installant une exposition d’artisanat dans les vieilles casernes et un restaurant canadien-français. Le site serait propice à la présentation de spectacles de folklore, de théâtre, ou de danse en plein air. La ville de Québec n’est pas en reste, car Marcel Trudel y défend un projet de village-musée dans le secteur ancien : L’aurons-nous cette ville-musée ? On en parle depuis quelques temps, mais si l’on ne fait qu’en parler pendant encore cinquante ans, ce sera un musée du vingtième siècle. Malgré le sombre tableau que j’ai tracé tantôt (et j’espère que j’ai commis beaucoup d’exagérations), nous avons encore la matière nécessaire pour constituer une ville-musée : le peu qui subsiste du dix-septième et du dix-huitième siècle (sic) en ressortira davantage et nous pourrons sauver, à l’intérieur des murs, l’architecture de la première moitié du dix-neuvième siècle qui y est très abondante et fort belle et c’est précisément cette architecture qui donne à Québec son caractère ancien. Cette ville-musée serait d’autant plus facile à établir qu’elle a déjà des limites naturelles : la haute-ville bornée par les fortifications et la basse-ville. […] Certes, cette ville pourrait paraître un peu figée, réfractaire au progrès, mais si c’est l’unique moyen pour préserver un héritage précieux, il faut le prendre et, en retour, le touriste nous restera fidèle : Québec a une réputation d’antiquité qui est encore bien établie, mais on peut se demander si ça durera encore longtemps ; lorsque Québec sera devenue une ville-musée (et ce sera, je crois, la seule en Amérique), la poule aux œufs d’or se mettra à pondre avec une fécondité prodigieuse116.
Une influence déterminante à la Commission des monuments historiques Ces divers projets de village-musée témoignent non seulement de l’émergence d’une volonté de préserver des monuments isolés, mais également d’un souci croissant pour la conservation des secteurs anciens. 115. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/13, causerie radiophonique à CBF, 10 décembre 1950. 116. Marcel Trudel (1951), « Conservons notre héritage français », Notre héritage historique, Québec, Société historique de Québec, p. 15-16.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Depuis 1922, la province de Québec dispose d’une loi visant la conservation de ses monuments historiques, loi qui a mis en place la Commission des monuments historiques (CMH). Les ressources financières de la Commission sont limitées et son pouvoir d’action est restreint par le fait que la loi ne permet pas de classer des immeubles sans le consentement du propriétaire. Entre sa création et l’année 1952, l’organisme n’a classé que trois bâtiments. Entre 1944 et 1955, soit pendant une dizaine d’années, la Commission n’a pas de président officiel et ses activités semblent limitées117. Au tournant des années 1950, plusieurs jugent la loi de 1922 inadéquate pour assurer la conservation des richesses culturelles du Québec (figure 9). La revue Arts et pensée118, entre autres, et quelques sociétés historiques déplorent le peu d’efficacité de la CMH. Ils considèrent que la loi « s’est révélée incapable d’empêcher la vente des richesses culturelles à l’étranger et de préserver ces richesses de l’indifférence de la population » et réclament sa mise à jour119. Paul Gouin se fait le porte-parole de ce courant d’opinions et fait pression auprès du secrétaire de la province, Omer Côté, pour en demander la révision. Le contexte politique est favorable. Le dépôt du rapport de la Commission Massey et la volonté du gouvernement fédéral de s’impliquer dans le domaine de la culture incitent le gouvernement du Québec à passer à l’action en donnant un nouveau souffle à sa Commission des monuments historiques et en modernisant sa législation. Le projet de loi soumis par le secrétaire de la province en 1951 s’inspire de la loi française en vigueur depuis 1943. Le document considère désormais les « monuments préhistoriques » et les sites présentant un intérêt scientifique, artistique ou historique parmi les éléments susceptibles d’être classés. Cette préoccupation pour la conservation des sites émergeait à la fin des années 1940, et la loi de 1922 ne contenait aucune disposition à cet effet. Le projet de loi de 1951 prévoit la possibilité d’acquérir des immeubles lorsque leur possession est considérée comme nécessaire pour « isoler, dégager ou autrement mettre en valeur un monument ou un site classé ». Le secrétaire de la province refuse 117. Alain Gelly, et autres (1995), La passion du patrimoine : la Commission des biens culturels du Québec, 1922-1994, [Sillery], Septentrion, p. 56. 118. La revue Arts et pensée a été fondée par André Lecoutey en 1951. Elle deviendra plus tard Vie des Arts. 119. Alain Gelly et autres (1995), La passion du patrimoine, p. 65.
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Figure 9 « Ça finit comme ça commence… heureusement ! ». Raoul Hunter, 1958. Fonds Raoul Hunter, BAnQ-Q (P716,P60-03-24).
cependant d’appliquer le principe du classement obligatoire, préférant adopter le principe du consentement explicite du propriétaire comme condition préalable à tout classement120. Cette inspiration des lois françaises confirme l’influence de Gouin dans la révision de la loi. En mai 1951, Édouard Fiset, alors rattaché au Service d’aménagement de la Capitale nationale du ministère des Travaux publics du Canada, fait parvenir à Gouin une copie des « lois françaises ayant trait à l’urbanisme ainsi qu’une copie des lois complémentaires de 1927 et de 1943 sur les monuments historiques ». Paul Gouin le remercie en précisant que ces documents lui seront très utiles121. On peut croire qu’il les a utilisés comme références lors de ses démarches auprès d’Omer Côté. 120. Ibid., p. 67. 121. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/80, « F – divers », Paul Gouin à Édouard Fiset, 4 mai 1951.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Le premier ministre Duplessis reconnaît d’ailleurs que Paul Gouin est l’un de ceux qui ont attiré son attention sur les menaces pesant sur les richesses culturelles de la province122. La loi révisée en 1952 introduit les notions de « site historique » et d’« aire de protection » et donne à la Commission la possibilité d’acquérir des immeubles pour isoler, dégager ou mettre en valeur un monument ou un site classé. Malgré l’adoption de cette nouvelle loi, et pour des raisons qui restent difficiles à expliquer, il faudra trois ans avant que ne soit mise en place une nouvelle Commission des monuments historiques. Paul Gouin fait pression auprès du premier ministre Duplessis à l’automne 1952, en insistant pour qu’il nomme les commissaires, mais sans succès. Au moment où la Commission reprend vie en 1955, la présidence est confiée à Paul Gouin, qui jouait officieusement ce rôle depuis 1952. Quelques mois plus tard, le président publie un article retraçant sommairement les interventions de la Commission depuis ses origines, en insistant particulièrement sur les restaurations réalisées. La Commission, écrit-il, « a conscience que (sic) ce n’est qu’un début ; qu’une lourde tâche lui incombe pour les années à venir ; qu’enfin elle doit faire appel à toutes les bonnes volontés pour que le règne de l’entrepreneur en démolition soit terminé123 ». La Commission ne tarde pas à utiliser les nouveaux pouvoirs que lui donne la loi révisée. Rapidement, elle s’intéresse au sort de quelques maisons de la place Royale à Québec, allant jusqu’à acheter certains de ces bâtiments. Dans plusieurs des cas, le projet de restauration du bâtiment vise à y installer un musée et un comptoir d’artisanat, option proposée par Paul Gouin depuis des années déjà. Cette façon de faire paraît apte à concilier conservation du bâtiment, mise en valeur de l’héritage artisanal canadien-français et développement touristique. Ainsi, l’achat de la maison Chevalier lance les projets de restauration du secteur de la place Royale à Québec. Le 10 juin 1955, la Commission « recommande fortement l’acquisition de cette propriété, sa restauration et sa transformation en musée d’artisanat et de petite industrie124 ». 122. « Une commission provinciale d’urbanisme protégera nos monuments historiques » (1951), Le Devoir (15 décembre) ; « Une nouvelle loi assurera la conservation des monuments historiques » (1951), Le Soleil (15 décembre), p. 3, 9. 123. Paul Gouin (1956), « Nos monuments historiques », Vie des Arts, vol. [1], no 1, (janvier /février), p. 13. 124. Alain Gelly et autres (1995), La passion du patrimoine, p. 80.
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L’objectif est d’y exposer des objets des collections du Musée de la province alors en entreposage (y compris, sans doute, la collection Gouin). Selon les précisions données dans les procès-verbaux de la CMH, les différentes salles de ce musée seraient désignées selon les noms de personnages liés à l’histoire du bâtiment : Au rez-de-chaussée, en entrant par le préau, salle Soulard, à gauche, salle Chevalier. À l’étage, au-dessus de la salle Soulard, salle Renaud ; à gauche, salle Frémont. Soulard a été le premier propriétaire de fonds ; Renaud a été l’architecte du monument ; Frémont, grand-père du conquérant de la Californie, s’est porté acquéreur de l’édifice en 1763125.
Chacune des salles présenterait des objets de périodes historiques distinctes : la salle Soulard serait consacrée au xviie siècle ; la salle Chevalier, à la première partie du xviiie siècle ; la salle Renaud, à l’époque 1763-1850 ; la salle Frémont, à l’époque 1850-1959. Quelques mois plus tard, les procès-verbaux de la CMH mentionnent le projet de consacrer une partie de l’une des salles à l’art huron126. En 1959, la Commission des monuments historiques achète et classe la maison Fargues qui était menacée de démolition. Elle en confie la restauration à l’architecte André Robitaille. Dès 1946, un projet de musée était envisagé pour la maison Fargues (aujourd’hui connue sous le nom de maison Estèbe). Devant les rumeurs d’enlèvement des boiseries anciennes qui décorent l’intérieur de cette maison du xviiie siècle, le commissaire industriel de la ville de Québec, Armand Viau propose plutôt de transformer le bâtiment en musée grâce à l’aide de mécènes comme William H. Coverdale, président de Canada Steamship Lines, ou Paul Gouin127. Cette suggestion n’aura pas de suite et les boiseries sont alors vendues à Canada Steamship Lines, qui les redonnera au gouvernement du Québec en 1951. Les préoccupations pour la conservation du Vieux-Québec étant croissantes, le conservateur du Musée de la province de Québec, Paul Rainville, relance l’idée de « l’aménagement
125. BAnQ-Q, FCBC (E52), 1993-12-005/31, Procès-verbal de la 34e réunion de la CMSHA, le 29 décembre 1958. 126. BAnQ-Q, FCBC (E52), 1993-12-005/31, Procès-verbal de la 42e réunion de la CMSHA, le 26 novembre 1959, p. 166. 127. Nathalie Hamel (2006), « Controverses autour d’un objet : Les boiseries de la maison Estèbe à Québec », dans Martin Drouin (dir.), Patrimoine et patrimonialisation du Québec et d’ailleurs, Québec, Éditions MultiMondes, p. 155172.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » d’une maison-musée qui représenterait le plus fidèlement possible, une vieille maison canadienne du régime français. La maison Fargues, située à 92 rue Saint-Pierre, se trouve justement disponible128 ». L’acquisition par le Musée de la province de Québec, quelques mois plus tôt, d’une part importante de la collection Gouin, et le don des boiseries par Canada Steamship Lines, permet d’envisager ce projet : [...] nous avons la chance de posséder tous les lambris de cette même maison, qui nous ont été donnés par la Canada Steamship Lines, l’an dernier. Monsieur Coverdale en avait fait l’acquisition il y a quelques années, mais en défaisant les lambris, il a eu l’intelligence et la prévoyance de faire tirer des bleus, des devis et des photographies indiquant l’endroit où chaque pièce de boiserie doit aller, chaque pièce portant son numéro. Donc la collection Gouin est toute désignée pour aller, en grande partie, dans cette maison qui fait face à la rue Saint-Pierre129.
Le premier travail que la CMH souhaite accomplir dans la maison est la réinstallation des boiseries, travail qui ne sera cependant pas réalisé. Outre ces projets de restauration de bâtiments pour y aménager des musées ou des comptoirs d’artisanat, les procès-verbaux de la Commission révèlent la volonté de Paul Gouin de commémorer ses ancêtres. La CMH étudie la possibilité d’ériger un cairn à la mémoire de Lomer Gouin sur le lieu de sa naissance à Grondines (figure 10). En 1958, elle se penche sur la possibilité d’acquérir la maison d’Honoré Mercier à Sainte-Anne-de-Sabrevois pour la somme de trois mille dollars. Le projet
Figure 10 Ex-libris représentant la maison natale de Lomer Gouin à Grondines. BAnQ-M, Fonds Paul Gouin, 1983-03-038/21.
128. AUL, Fonds Jacques Mathieu (P418), boîte 2, « Documentation/ Maison Fargues dossier provenant du Musée », Paul Rainville à Jean Bruchési, 16 novembre 1951. 129. Ibid.
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est d’y installer soit un « poste de tourisme », soit un comptoir d’artisanat. En 1959, la maison est classée, empêchant dès lors sa démolition. Elle est ensuite achetée par la Société Saint-Jean-Baptiste d’Iberville qui, dès 1946, menait une campagne de souscription dans cet objectif130. On note une nouvelle fois l’importance que prennent les préoccupations personnelles des commissaires, et sans doute l’influence de Paul Gouin, dans le cas du classement de l’église de Saint-Sulpice, village où réside le président : La Commission accepte unanimement la demande de classement comme monuments historiques de l’église paroissiale de Saint-Sulpice, son autel, ses candélabres, sa croix ; de la sacristie attenante à l’église avec son baptistère, ses armoires, ses confessionnaux ; de la petite chapelle de procession située à quelque deux cents pieds en arrière de la sacristie et de toutes les œuvres d’art qui font partie du mobilier desdits édifices131.
L’attitude des commissaires témoigne par ailleurs d’un souci de sauvetage plutôt que d’une volonté absolue de conserver les objets dans leur intégrité ou leur contexte d’origine. Ainsi, ils font preuve d’une certaine ouverture face à la transformation ou au déplacement des objets. Cette façon de faire est courante chez certains collectionneurs
130. BAnQ-Q, FCBC (E52), 1993-12-005/31, Procès-verbal de la 27e réunion de la CMSHA, le 18 décembre 1957. « En 1959, la maison natale Honoré-Mercier est classée, ce qui empêche sa démolition. Plus tard cette année-là, dans le cadre des fêtes du centenaire d’Iberville, la Société Saint-Jean-Baptiste en fait l’acquisition à l’initiative du notaire Rodolphe Fournier (1907-1989), un passionné d’histoire. En 1962, la Société historique de la Vallée-du-Richelieu y ouvre un musée dédié à la mémoire de l’ancien premier ministre, qui demeure, dans le souvenir collectif, un promoteur important de l’autonomie de la province de Québec au sein de la Confédération. En 1964, la maison est cédée à la Commission des lieux et monuments historiques du Québec. Elle est restaurée en 1976 et 1977 par le ministère des Affaires culturelles. Depuis 1995, elle appartient à la municipalité de Sainte-Anne-de-Sabrevois. » Ministère de la Culture et des Communications Québec (2006), « Maison natale Honoré-Mercier », Répertoire du patrimoine culturel du Québec, http ://www.patrimoine-culturel.gouv.qc. ca/RPCQ/. Site consulté le 24 novembre 2006 ; BAC, FPG, MG27 III D1 vol. 5, « Correspondance générale, Lettre M », Comité de la maison natale d’Honoré Mercier. 131. BAnQ-Q, FCBC (E52), 1993-12-005/31, Procès-verbal de la 37e réunion de la CMSHA, le 17 juin 1959, p. 143.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » de l’époque, et chez Paul Gouin lui-même, comme nous l’avons vu précédemment. Ainsi, en mai 1955, les membres de la CMH envisagent l’acquisition de l’ancien maître-autel de l’église de Batiscan qui est alors à vendre. La Commission a trouvé une nouvelle destination à cette œuvre sculptée par les Levasseur en 1741 : « Le secrétaire [Gérard Morisset] voit là une bonne occasion de remplacer l’autel actuel de Saint-François, dans l’île D’Orléans, qui date de 1901 et qui, par la lourdeur de son architecture et ses dimensions, alourdit le sanctuaire et cache le tableau de Saint-François de Sales, de François Baillairgé. L’assemblée est unanime dans la participation financière de la Commission dans cette affaire132. » Bref, l’important est de conserver cet objet témoin des arts en Nouvelle-France, peu importe que ce soit dans son lieu d’origine ou non. Du même coup, le transfert de cet autel permettra de redonner à l’église une apparence plus conforme aux critères des membres de la Commission133. Autre exemple, des boiseries provenant d’une maison de l’Assomption sont acquises en vue de les utiliser, éventuellement, dans une reconstitution d’intérieur ancien, dans l’un des musées qui appartiennent au gouvernement134. Quelques années plus tard, en 1959, la Commission souhaite que les statues de Louis Jobin qui doivent orner les niches du retable de l’église Notre-Damedes-Victoires soient décapées et dorées à la feuille135. Il ne s’agit pas ici de critiquer ces pratiques avec notre œil actuel, mais bien de mettre en évidence les attitudes et les conceptions de la période face à la conservation patrimoniale. Il semble alors plus important de garder une fonction à ces objets, en les modifiant, en les installant dans un nouvel espace où ils continueront d’être utiles, plutôt que de les entreposer en réserve ou de simplement constater leur disparition.
132. BAnQ-Q, FCBC (E52), 1993-12-005/31, Procès-verbal de la première réunion de la CMSHA, le 10 mai 1955, p. 1. 133. André Laberge (1981), « Gérard Morisset : restaurateur », dans Musée du Québec et Groupe de recherche en histoire socio-culturelle du Québec (dir.), À la découverte du patrimoine avec Gérard Morisset, Québec, ministère des Affaires culturelles/ Musée du Québec. 134. BAnQ-Q, FCBC (E52), 1993-12-005/31, Procès-verbal de la 7e réunion de la CMH, 31 janvier 1956, p. 24. 135. BAnQ-Q, FCBC (E52), 1993-12-005/31, Procès-verbal de la 36e réunion de la CMSHA, le 16 avril 1959, p. 136.
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La création des arrondissements historiques Au-delà des cas de bâtiments et de sites isolés, la conservation des centres anciens préoccupe de plus en plus les membres de la Commission. Les débats entourant la conservation du Vieux-Québec depuis les années 1940 amènent cependant la réflexion sur un plan plus englobant. Bien que la révision de la Loi relative à la conservation des monuments et des objets d’art ayant un intérêt historique et artistique en 1952 permette désormais le classement de sites, on sent néanmoins poindre peu à peu une volonté d’élargir la protection à des secteurs entiers. Dès 1949, Paul Gouin réclamait la création d’une commission d’urbanisme qui aurait « le pouvoir de déclarer monuments historiques, certaines villes comme le Vieux-Québec, certaines régions comme l’Île d’Orléans et le comté de Lotbinière le long du fleuve, et nos vieux manoirs, églises et maisons, afin d’empêcher qu’on les défigure, les démolisse ou les dépouille de leurs trésors artistiques136 ». Une proposition similaire est présentée par Eugène L’Heureux en mars 1952, dans un article cité par Paul Gouin. Rapportant l’opinion des urbanistes, L’Heureux suggère de considérer une partie des quartiers anciens de Québec (le secteur fortifié de la Haute-Ville, les champs de batailles et leurs abords) comme un « sanctuaire ». Ce sanctuaire serait l’objet d’une réglementation spéciale qui toucherait la construction, la transformation et la démolition des immeubles afin d’assurer le maintien de l’apparence du secteur137. Le modèle français sert une fois de plus de source d’inspiration. En janvier 1956, le secrétaire de la CMH, Gérard Morisset, fait part aux commissaires d’une lettre reçue du directeur de l’Institut d’urbanisme de Paris, Pierre Lavedan, « précisant qu’en France même tous les monuments classés sont sous la juridiction unique de la Commission des Monuments historiques de France et que nulle commission municipale ne peut se substituer à la Commission des Monuments Historiques ». Lavedan joint à sa lettre un tiré à part d’une conférence qu’il a présentée au Congrès d’histoire de l’art de La Haye, en juillet 1955. Il y discute de l’évolution de la protection, en précisant que les principales difficultés éprouvées dans un premier temps étaient celles de la 136. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/53, « tourisme », Paul Gouin à [Maurice Duplessis], 4 décembre 1949. 137. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/13, causerie à Radio-Canada, 18 mai 1952.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » s élection des monuments à conserver. Par la suite, l’approche française en est venue à considérer l’environnement immédiat du monument, grâce à l’introduction de la notion de site dans la loi de 1930. Enfin, Lavedan estime que l’on peut aller plus loin, en conservant l’aspect ancien de certains quartiers ou de petites villes, bref, en créant des « quartiers-musées » ou des « villes-musées138 ». Cette proposition n’est pas sans rappeler le projet suggéré par Paul Gouin pour le VieuxMontréal, en 1937… L’intérêt que suscite le texte de Lavedan chez les membres de la Commission les incite à demander l’autorisation de le reproduire dans la nouvelle revue Vie des Arts en l’illustrant de photographies de monuments québécois. Mille tirés à part de l’article sont imprimés en vue d’être distribués dans la province139. Depuis le début de la présidence de Gouin à la CMH, celle-ci s’active dans le secteur de la place Royale, par l’acquisition et la restauration de maisons. Au-delà de ces interventions sur des bâtiments isolés, la situation du Vieux-Québec préoccupe : l’automobile y prend de plus en plus de place, les espaces de stationnement se multiplient, des édifices sont détruits140. Gouin, qui a pendant plusieurs années habité rue des Remparts et étudié au Séminaire de Québec, était l’un des défenseurs assidus de la conservation de la partie ancienne de la ville. En 1952, il appuie les Amis du Vieux-Québec141, un groupe de pression créé face au projet d’agrandissement de l’Hôtel-Dieu de Québec, dossier qui sera au centre de maintes péripéties entre 1948 et 1954. Paul Gouin voit ce
138. Pierre Lavedan (1956), « Monuments historiques et urbanisme », Vie des Arts, vol. II, (mars/avril), p. 9-14. 139. BAnQ-Q, FCBC (E52), 1993-12-005/31, Procès-verbal de la 7e réunion de la CMH, 31 janvier 1956, p. 27 et procès-verbal de la 8e réunion de la CMH, 13 mars 1956, p. 28). La revue Vie des Arts est dirigée par Gérard Morisset. Paul Gouin est un « membre fondateur » de la revue. Andrée Paradis (1977), « Pour qu’ils continuent d’exister : Hommage à Paul Gouin et Marius Plamondon », Vie des Arts, vol. XXI, no 86 (printemps), p. 82. 140. Jean Cimon (1959), « Autopsie du vieux Québec », Cités et villes, vol. II, no 6, (avril), p. 24-26. 141. Parmi les signataires du manifeste des Amis du Vieux-Québec, on trouve les noms suivants : Jean-Paul Lemieux et son épouse Madeleine, Gérard Morisset, Marcel Trudel, Fernand Grenier, Marius Barbeau, Roger Lemelin, Gabrielle Roy, Jean Lesage, Adrien Pouliot et Félix-Antoine Savard. Fernand Grenier (2005), « À l’origine de Vieux-Québec », Québecensia, vol. 24, no 2, (décembre), p. 8-9.
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projet comme « une grave erreur au point de vue patriotique et une véritable catastrophe au point de vue économique et national142 ». En novembre 1955, Paul Gouin organise une réunion des diverses associations intéressées par la conservation du Vieux-Québec. S’y trouvent des représentants des organismes suivants : la Commission municipale d’urbanisme, la Commission des monuments et sites historiques du Canada, la Société historique de Québec, la Chambre de Commerce de Québec et l’Association des propriétaires de la Cité de Québec143. Les résultats de cette réunion sont inconnus. Cependant, il semble qu’un avant-projet visant la conservation du Vieux-Québec avait été acheminé au maire Wilfrid Hamel pour approbation. La proposition visait à dresser un plan de la ville indiquant les monuments à conserver, à préparer une réglementation particulière pour la restauration des immeubles et le contrôle des nouvelles constructions, à déterminer un mode de compensation pour les propriétaires affectés, et enfin, à confier la mise en œuvre et l’application de ces normes à la Commission des monuments historiques. Comme l’a souligné avec justesse Paul-Louis Martin, ces propositions venaient dix ans trop tôt144. Elles sont reprises, pour l’essentiel, dans le rapport Gréber, déposé en 1956. La protection des vues et des percées visuelles, la réglementation de l’affichage publicitaire, l’enfouissement des fils électriques et l’aménagement paysager sont aussi discutés dans ce dernier document. Une fois encore, Williamsburg est cité comme un exemple à ne pas suivre : « […] il s’agit bien ici de protéger un ensemble urbain et non pas de tenter de recréer artifi-
142. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/13, causerie à Radio-Canada, 2 mars 1952. 143. Parmi les personnes présentes, on note entre autres : le maire de Québec, Wilfrid Hamel ; le secrétaire du Conseil de la vie française en Amérique, Mgr PaulÉmile Gosselin ; A.R. Decary, président de la Commission municipale d’urbanisme et de Conservation de la ville de Québec ; Alphonse Proteau, président de la Chambre de Commerce de Québec ; F.-G. Rouleau, président de l’Association des propriétaires de la Cité de Québec ; Me Armand Maltais, président de la Société St-Jean-Baptiste de Québec ; Gérard Morisset ; l’abbé Honorius Provost et Sylvio Dumas, de la Société historique de Québec. Fernand Grenier (2005), « À l’origine de Vieux-Québec » ; « On recherche les moyens d’assurer la conservation du Vieux-Québec » (1955), Le Soleil (22 novembre), p. 3. 144. Paul-Louis Martin (1987), « La conservation des biens culturels. 65 ans d’action officielle », dans Commission des biens culturels du Québec (dir.), Rapport annuel 1986-1987, [Québec], Éditeur officiel du Québec.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » ciellement un autre Williamsburg par des reconstitutions artificielles et non justifiées145 ». En 1959, Paul Gouin propose de nouveau de conserver des ensembles urbains avant qu’il ne soit trop tard et que l’on ne doive en arriver à la solution américaine qui a consisté à reconstruire des villages anciens146. L’idée fait peu à peu son chemin et au moment où le projet d’agrandissement de l’Hôtel-Dieu de Québec est finalement complété, en 1959, l’unanimité s’est créée autour de l’avenir du secteur : « […] on ne construira plus de bâtiment de la hauteur du nouveau pavillon dans le Vieux-Québec147 ». En avril 1961, le Comité international pour la restauration des Sites et Monuments Historiques est créé. Présidé par Georges-Henri Lévesque, ce comité rassemble de nombreuses personnalités publiques : gouverneur général, premiers ministres, doyens de faculté d’architecture et d’histoire et présidents d’organismes. Paul Gouin est invité à participer à ce comité en tant que président de la CMH. Le Comité a préparé un manifeste où il précise ses intentions : on souhaite la mise sur pied d’une équipe pour inventorier les ressources du Vieux-Québec, avec l’aide d’archivistes, d’historiens et d’archéologues. Il réclame une analyse produite par des sociologues, des économistes et des urbanistes afin de déterminer les fonctions les mieux adaptées au secteur. Les solutions envisagées sont de donner au secteur des fins culturelles, récréatives, touristiques, et de permettre l’établissement de commerces spécialisés ainsi que d’un nombre limité de résidences. [...] toutes ces études seront commandées par une orientation d’esprit qui exigera un programme de conservation basée sur une rénovation d’ensemble positive, dynamique et qui tendra vers une saine rentabilité, seule solution possible pour sauver les valeurs traditionnelles par un contexte vivant où le passé et le présent s’harmonisent et se prêtent main
145. Jacques Gréber, et autres (1956), Projet d’aménagement de Québec et de sa région : rapport, [Québec], Ville de Québec, p. 53. 146. Paul Gouin (1959), « L’architecture », p. 30-31. 147. Jean-Marie Lebel, et autres. (2000), Québec, 1900-2000 : le siècle d’une capitale, Sainte-Foy, Québec, Éditions MultiMondes, p. 72-73. Sur l’impact du projet d’agrandissement de l’Hôtel-Dieu sur la conservation du Vieux-Québec, voir Alain Roy (1995), « Le Vieux-Québec, 1945-1963 : construction et fonctions sociales d’un lieu de mémoire nationale », M.A. (Histoire), Université Laval, 196 p.
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forte. Il est définitivement impensable de vouloir convertir le VieuxQuébec en boutique d’antiquaire et d’en faire un second Williamsburg.
L’objectif du comité était de restaurer le Vieux-Québec sur une période de 15 ans. Les travaux envisagés visent à « “toiletter” [les édifices anciens] à neuf à la mode de leur temps, de les dégager en retrouvant les espaces verts d’autrefois ou de les mettre en relief par le contraste harmonieux d’édifices nouveaux et d’expression contemporaine, bref, de revitaliser de fond en comble le cher vieux quartier ». Le principal défi, aux yeux du comité, sera d’harmoniser des structures modernes au cadre ancien « afin d’obtenir la richesse des contrastes et la continuité d’un dialogue architectural vivant, dans une unité d’esprit qui respecte le caractère et la sensibilité propre du VieuxQuébec148 ». Cette préoccupation pour la conservation des secteurs historiques trouvera son aboutissement lors de la révision de la Loi relative aux monuments, sites et objets historiques ou artistiques, en 1963, alors que la notion d’arrondissement historique est intégrée dans la nouvelle législation. L’influence de Paul Gouin y est encore une fois déterminante, celui-ci affirmant qu’il a lutté pendant 25 ans pour obtenir cette loi. Malgré tout, il reconnaît qu’elle comporte encore des lacunes, en particulier quant à la protection des sites archéologiques, qu’il a tenté de faire inclure dans la loi, mais sans succès puisque les législateurs n’en voyaient pas la nécessité (figure 11). Rappelons que l’archéologie en était encore à ses premiers pas au Québec à ce moment, et que, comme le déclare Paul Gouin : « Pour la recherche archéologique… il y a tout à faire…149. » Quelques mois après l’adoption de la nouvelle loi, le 10 juillet 1963, le Vieux-Québec est décrété arrondissement historique. À son tour, le Vieux-Montréal est décrété arrondissement historique, en 1964. Là aussi, l’utilisation généralisée de l’automobile a amené une importante transformation du secteur par la multiplication des espaces de stationnements. Le projet de construire une « autostrade », annoncée depuis la fin des années 1940, favorise le mouvement en faveur de la 148. « Appel aux Québécois » (1962), Le Soleil, p. 3, 5 ; « Le Vieux Québec revivra... si l’on canalise toutes nos ressources » (1962), Le Soleil, p. 3 ; Procès-verbal de la soixantième réunion de la CMSHA (28 avril 1961), 24 mai 1961, p. 278. 149. André Luchaire (1965), « La loi protège les monuments historiques mais ne favorise pas la recherche archéologique », La Presse (26 juin), p. 3,6.
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Figure 11 Paul Gouin et Thomas E. Lee. L’archéologue tente de retracer les vestiges du combat du Long-Sault à Hawkesbury. Adrien Hubert, 1961, BAnQ-M, Fonds Office du film du Québec (E6, S7, SS1, P611907).
préservation du quartier ancien. Il faudra cependant attendre le début des années 1960 pour que quelques projets privés de restauration voient le jour dans le quartier et dynamisent la relance du secteur150. 150. La maison Papineau est restaurée par Eric McLean (1961) ; une maison est acquise par la créatrice de mode Marie-Paule Nolin ; la maison du Calvet est achetée par la firme Ogilvy (1963) ; une autre maison est restaurée par la compagnie d’Assurance La Sauvegarde ; la maison Del Vecchio est restaurée par la compagnie CIL. Gilles Lesage (1965), « Une compagnie d’assurance participe à la « sauvegarde » du Vieux-Montréal », Le Devoir (18 mai), p. 3 ; Jacques des Rochers et Alain Roy (2004), « Le Vieux-Montréal : le lieu et le temps retrouvés de 1950 au XXIe siècle », dans Gilles Lauzon, et autres (dir.), L’histoire du VieuxMontréal à travers son patrimoine, Sainte-Foy, Publications du Québec, p. 249251.
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Là encore, le rôle de Paul Gouin est sans doute loin d’être négligeable, puisqu’il présidait, depuis sa création en août 1962, la Commission Jacques-Viger créée par la ville de Montréal dans le but d’assurer la conservation du Vieux-Montréal. Le mandat de la commission est d’étudier « toute question ayant trait à la préservation, dans le VieuxMontréal, de la physionomie historique du quartier151 ». Le secteur couvert comprend le territoire borné à l’est par la rue Berri, au sud par les rues des Commissaires et de la Commune, à l’ouest par la rue McGill, et au nord par la rue Notre-Dame. La Commission peut cependant être appelée à se prononcer, selon les circonstances, dans toute autre partie de la ville. Elle a un rôle consultatif et ses recommandations sont transmises au service d’urbanisme qui les rapporte au Comité exécutif. Les membres sont nommés par le Conseil, sur rapport du Comité exécutif. Ils sont choisis pour leur culture générale ou leur expérience administrative. Enfin, le règlement créant la Commission prévoit que celle-ci « peut recueillir des fonds au moyen de souscriptions publiques ou privées ; recevoir des dons mobiliers ou immobiliers, par voie de subventions, de donations entre vifs ou testamentaires, et par voie de fiducie ou autrement. Les fonds et les biens ci-dessus appartiendront à la Cité et seront administrés par elle. » Paul Gouin est choisi comme président lors de la première réunion de la Commission, alors que le vice-président est David Stewart, directeur du musée militaire de Montréal et vice-président du Château Ramezay. Gouin conserve le siège de président au moins jusqu’à 1971. Dès le 28 janvier 1963, soit environ six mois après sa création, la Commission Jacques-Viger propose à l’unanimité que « le service d’urbanisme procède au zonage du Vieux Montréal de manière à protéger la physionomie historique de l’ensemble du secteur. » La protection officielle viendra par le décret d’arrondissement du gouvernement du Québec, en août 1964, à la suite d’une demande de la Commission Jacques-Viger et des autorités municipales152. Le territoire protégé correspond alors exactement à celui confié à la surveillance de la Commission Jacques-Viger. Les limites de l’arrondis-
151. Archives de la ville de Montréal (2006), « Fonds de la Commission Jacques-Viger » http ://ville.montreal.qc.ca/. Site consulté le 19 juin 2006. 152. Jean-Claude Marsan (1990), « Arrondissement historique de Montréal », dans Commission des biens culturels du Québec (dir.), Les chemins de la mémoire : Monuments et sites historiques du Québec, Québec, Les Publications du Québec, vol. II, p. 15.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » sement seront élargies en 1995 afin d’englober les anciennes fortifications. Au milieu des années 1960, la restauration du Vieux-Montréal est fortement stimulée par la préparation de l’exposition universelle qui se tiendra à Montréal en 1967. Des espaces publics sont rénovés, de même que des édifices publics, tel que le Marché Bonsecours. Ainsi, les propositions que faisait Paul Gouin pour 1942, soit de tenir une exposition universelle à Montréal et de créer un quartier historique, se réaliseront vingt-cinq ans plus tard. Le Vieux-Montréal restauré deviendra alors, selon Gouin, « une source inépuisable d’émerveillement pour les touristes américains153 ». Conserver la langue française : la campagne de refrancisation L’un des premiers combats pour la conservation de l’héritage culturel canadien-français, et celui qui se distingue sans doute le plus par sa permanence, est celui de la survie de la langue française. Le thème est à la mode au début des années 1930 et l’affichage en français constitue un élément primordial. Cette langue, distincte de celle qui prédomine sur le reste du continent, est ce qui donne son visage français à la province. Isolés dans ce vaste territoire majoritairement anglophone, les Canadiens français ont intégré de multiples termes anglais dans leur vocabulaire et recourent le plus souvent à l’anglais dans l’affichage commercial. Dès le début des années 1920, L’Action française publie des articles qui scrutent ces contaminations de la langue française par l’anglais dans les enseignes, les raisons sociales, l’étiquetage, les discours, etc. Ces chroniques sont l’œuvre de Pierre Homier, pseudonyme de Joseph-Papin Archambault154. La question de l’affichage devient une question d’importance majeure au début des années 1930, alors que la Société des Arts, Sciences et Lettres de Québec lance une campagne de refrancisation dans sa revue Le Terroir. L’objectif est de redonner à la province de Québec non seulement « une physionomie française mais encore une véritable atmosphère française155 ». La campagne de refrancisation touche dans 153. Roch Poisson (1965), « Paul Gouin et le Vieux Montréal ». 154. Yvan Lamonde (2000), Histoire sociale des idées au Québec, chapitre 7. 155. Camille Roy (1933), « Un témoignage », Le Terroir, vol. XIV, no 12, (mai), p. 1112, 15.
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Figure 12 « Est-ce bien Québec, ville française ». Raoul Hunter, 1958. BAnQ-Q, Fonds Raoul Hunter (P716, P58-07-31).
un premier temps les commerces, particulièrement les établissements hôteliers et les restaurants. En fait, ce que la Société des Arts Sciences et Lettres de Québec réclame est le bilinguisme des enseignes sur les principales rues commerçantes de la ville, soit les rues Saint-Jean et Saint-Joseph. Cette demande révèle à quel point l’affichage en anglais domine dans la ville à ce moment (figure 12). L’abbé Albert Tessier, membre de cette société, lance l’idée d’un concours d’enseignes pour les commerces. Pour trouver un nom français original, les commerçants devraient selon lui s’inspirer de l’histoire ou du folklore, des caractéristiques particulières du site où se trouve l’établissement ou encore du nom du propriétaire. L’Association des hôteliers de campagne de la province de Québec, qui avait lancé quelques années auparavant l’idée de franciser les noms d’hôtels, adhère à la proposition : « C’est une erreur de baptiser de noms anglais nos industries, de couvrir d’enseignes anglaises les devantures de nos magasins, même dans les grandes villes. Laissons aux grecs, aux américains, aux anglais, aux 109
« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » italiens, aux syriens, aux chinois, les noms révélateurs de leurs aspirations ou de leur nationalité. Aux canadiens, il faut des noms canadiens156 » (sic). La revue Le Terroir suggère d’ailleurs des listes de noms français pour les hôtelleries, inspirés « du voisinage, de l’histoire, de la faune et de la flore locales, de l’ornementation, etc.157 ». L’Industrie Hôtelière fera de même en 1950 (figure 13). Paul Gouin donne son appui à ce mouvement dans un article publié dans L’Action nationale en avril 1933 et repris dans Le Terroir en juin de la même année. Cette physionomie canadienne-française de la province, comment la conserver, la reconstituer, l’accentuer ? Des suggestions très intéressantes ont été faites : lutte conte le « jargon du Palais », épuration de la langue judiciaire, enseignes françaises, mets du pays et ameublements du terroir pour les hôtelleries, formation
Figure 13 Extrait de la revue L’Industrie Hôtelière, mai 1950.
156. « Le magnifique travail de M. Paul Gouin » (1950), La revue hôtelière, (mai), p. 1-2. Dans cette conférence, Gouin cite l’appel lancé par l’Association des hôteliers en 1930. 157. « Noms d’hôtelleries » (1933), Le Terroir, vol. XIV, no 10, (mars), p. 4.
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de syndicats d’initiative, création d’un Conseil du Tourisme, exercices de vocabulaire et de diction dans les écoles, les couvents et les collèges, « grand ménage national » dans nos campagnes à l’occasion de la SaintJean-Baptiste, refrancisation de la carte géographique, institution d’une École provinciale de Tourisme pour la formation de guides historiques, fondation d’une École de Cours d’hôtellerie, concours pour arrêter un type d’architecture canadienne-française adapté aux besoins d’aujourd’hui et aux différents genre d’édifice, particuliers et publics, ruraux et urbains, concours locaux, régionaux et provinciaux pour améliorer l’esthétique de l’habitation, de l’architecture et de l’ordonnance des bâtiments de fermes, etc. Des mouvements excellents ont été amorcés : campagne de l’Association des hôteliers, campagne de la Société des Arts, Lettres et Sciences de Québec, semaines de bon parler français dans les collèges, projet de reconstitution d’un village canadien-français du XVIIIe siècle pour célébrer le IIIe centenaire de la ville des Trois-Rivières, création de l’École des Arts domestiques, etc.158
Paul Gouin compare ensuite la refrancisation à un casse-tête dont les pièces sont difficiles à assembler : « […] il faudrait recueillir toutes ces suggestions, en provoquer d’autres, les trier et les mettre à exécution ; il faudrait coordonner le travail de ces mouvements de propagande, le stimuler et l’orienter […] C’est à ce prix seul que le casse-tête deviendra une belle image où apparaîtra, dans tous sa pureté, le véritable visage, le visage canadien-français de la province de Québec159 ». Effectivement, les associations se multiplient. L’Association catholique de la jeunesse canadienne-française crée le Comité de refrancisation de Montréal. À Québec, Horace Philippon, qui a lancé le mouvement en tant que président de la Société des Arts, Sciences et Lettres, fonde la Commission de refrancisation, avec l’appui des autorités religieuses et laïques160. Pour favoriser l’affichage en français, la Société des écrivains canadiens, fondée en 1936 par Jean Bruchési et Victor Barbeau, crée en novembre 1937 un comité qui s’occupera de répondre aux questions linguistiques des publicistes et des entreprises. Cet office de linguistique ne compte pas offrir de services de traduction, mais souhaite se pro-
158. Paul Gouin (1933a), « Refrancisation de la province », Le Terroir, vol. XV, no 1, (juin), p. 14-15. 159. Ibid. 160. BAC, Fonds Paul Gouin, MG27-IIID1, vol. 1, « Correspondance générale, Lettre A », Maurice Soulard à Paul Gouin, 26 février 1935 ; Raphaël Ouimet (1937), « Horace Philippon », Biographies canadiennes-françaises, Montréal.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » noncer sur la valeur des expressions, en suggérant au besoin des termes ou des expressions plus adéquats161. L’idée de créer un « Office de la langue française au Canada pour l’examen et la correction des enseignes, des affiches ou des circulaires » a été lancée lors du Deuxième Congrès de la langue française, quelques mois auparavant. On envisage alors la possibilité de confier la mise sur pied de cet office au Comité permanent des Congrès de la langue française en Amérique, organisme qui devient, en 1939, le Comité permanent de la Survivance française en Amérique (CSF)162. Cet office de linguistique sera de nouveau réclamé lors des congrès de 1952 et de 1957. Le Comité permanent de la Survivance française en Amérique a été créé à la suite du Deuxième Congrès de la langue française en 1937. Rappelons que se tenait quelques semaines plus tard le premier Congrès international de folklore à Paris163. Le Comité, dont la devise est « Conservons notre héritage français », a pour mission « de soutenir les intérêts matériels et spirituels de la race française au Canada et aux États-Unis, de défendre les droits de sa langue, de conserver avec fidélité, selon la devise du Congrès, l’héritage des ancêtres, particulièrement celui des traditions de l’esprit français164 ». Toutes ces préoccupations rejoignent celles de Paul Gouin. Ce n’est toutefois qu’en novembre 1950, lors de la réunion du Comité de la Survivance française, qu’Henri Boisvert propose Paul Gouin comme nouveau membre. Le recrutement du conseiller technique du gouvernement ne peut tomber plus à point, et le président du comité, Adrien Verrette estime que celui-ci « sera en mesure de rendre de grands services, principalement en vue du congrès de 1952165 ». Lors de la même réunion, le Comité traite de l’organisation 161. Gabriel Langlais (1937), « Un office de linguistique », La Province (20 novembre), p. 6. 162. Marcel Martel (1997), Le deuil d’un pays imaginé : rêves, luttes et déroute du Canada français : les rapports entre le Québec et la francophonie canadienne, 1867-1975, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, p. 39-42. 163. Catherine Velay-Vallantin (1997), « Usages de la tradition et du folklore en France et au Québec (1937-1950) : l’investiture du politique », dans Gérard Bouchard et Martine Segalen (dir.), Une langue, deux cultures : rites et symboles en France et au Québec, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval. 164. Archives de la Ville de Québec (AVQ), Fonds Conseil de la vie française en Amérique (FCVFA) (P52), « Le Conseil de la vie française en Amérique. Le point sur les préoccupations en 1937 ». 165. AVQ, FCVFA (P52), P52-02B/1516-02, procès-verbal de la 124e réunion du Comité de la Survivance française, 13 décembre 1950.
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de ce congrès que l’on prévoit tenir sous le thème « L’éducation nationale à tous les degrés ». Après discussion, le titre choisi est « Notre héritage culturel » mais « le sujet demeure en réalité le même166 ». Ce choix pourrait difficilement rejoindre davantage les intérêts de Paul Gouin, qui utilisera la formule comme élément structurant de sa série de causeries radiophonique l’année suivante. Le Comité demande à Gouin d’organiser « comme un écho du Congrès », des journées de refrancisation dans le but de développer une campagne à long terme, visant à redonner son « vrai visage » français à la province de Québec. Reconnaissant le rôle de Paul Gouin dans le domaine de la refrancisation, l’Université Laval profite de la tenue du Troisième Congrès de la langue française pour lui remettre un doctorat honorifique. En fait, il semble étonnant que le conseiller technique n’ait pas été associé plus tôt avec cette organisation, puisque leurs champs d’interventions sont très similaires et vont bien au-delà des questions linguistiques. En septembre 1955, Paul Gouin est élu président du Conseil de la vie française en Amérique (CVFA), nouveau nom choisi pour le Comité de la Survivance lors du Congrès de 1952, alors que le terme « survivance » est de plus en plus perçu négativement. Se disant honoré, il rappelle à ses collègues que le titre de l’un de ses volumes est Servir, et qu’il en fera sa devise en tant que président du Conseil de la vie française167. Rapidement, l’idée d’organiser un nouveau congrès qui soulignerait le vingtième anniversaire du Conseil en 1957 est envisagée. Ce sera le « Congrès de la refrancisation », terme qui, comme celui de « survivance », suscite des discussions chez les membres : M. Robert notamment craint que le terme refrancisation ne produise un fâcheux effet dans les groupes français hors du Québec. Lui-même pose la question : « En sommes-nous à refranciser le Québec ? » D’autres membres sont d’un avis contraire. Tous sont d’accord cependant pour admettre qu’il y a un gros travail à faire en faveur de l’usage de la langue française dans la province de Québec. Un membre propose une solution de compromis pour ce qui est du nom à donner à ces assises. Il suggère qu’on prenne un nom absolument positif comme congrès de la race ou de la langue ou de la culture française, qu’on se serve de ce nom pour la propagande générale dans Québec et à l’extérieur, quitte à présenter 166. AVQ, FCVFA (P52), P52-02B/1516-02, procès-verbal de la 123e réunion du Comité de la Survivance française, 15 novembre 1950. 167. AVQ, FCVFA (P52), P52-02B/1518-01, procès-verbal de la 19e session du Conseil de la vie française, 30 septembre 1955.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » le thème de la refrancisation d’une façon discrète dans le choix des travaux168.
Les objectifs du congrès sont : « étudier les différents aspects de notre vie canadienne-française, dresser le bilan de la campagne de refrancisation qui dure depuis un quart de siècle, déterminer des moyens de refranciser les secteurs qui continuent à s’américaniser malgré cette campagne, établir un programme de refrancisation suivant les besoins et les possibilités de chaque région169 ». Paul Gouin voit ce congrès comme le moment de « dresser un plan méthodique de refrancisation pour sauver notre patrimoine française (sic), menacé, par notre propre insouciance. » Le bilan du congrès sera mitigé. Le programme se divisait en trois parties. Avant le congrès, des concours littéraires ont lieu dans les écoles. Entre février et mai 1957, « des milliers d’étudiants y ont pris part. Après une première sélection sur le plan régional, près de mille travaux ont été envoyés au secrétariat de la Vie française à Québec pour l’attribution des grands prix. […] Il est permis de penser que cette partie du congrès a été un succès ». Plusieurs compétitions se déroulent dans les écoles spécialisées : un concours d’architecture se tient à l’École des beaux-arts de Montréal, de même qu’un concours d’art religieux contemporain ; les élèves de l’École des arts graphiques conçoivent des couvertures de menus et des pochettes de disques ; l’École des beaux-arts de Québec se concentre sur un projet de tapisserie, des maquettes de décors et de costumes de théâtre, ainsi qu’un programme pour une pièce canadienne ; l’École du meuble propose pour sa part des maquettes de décoration d’hôtels et de restaurants170. Ensuite, des séances d’études sont tenues pendant le congrès luimême, du 21 au 23 juin, à la faculté de commerce de l’Université Laval. Le comité organisateur n’a jamais songé à réunir les foules pour ces séances d’étude. Cependant l’assistance aurait pu être plus nombreuse : une moyenne en fait de trente participants environ. La date choisie, la température, l’éloignement du centre de la ville ont contribué à clairsemer
168. AVQ, FCVFA (P52), P52-02B/1518-01, procès-verbal de la 20e session du Comité de la Survivance française, 4 octobre 1956. 169. Paul Gouin (1959a), « [discours d’ouverture] », dans Congrès de la refrancisation, Le Congrès de la refrancisation Québec, Ferland, vol. 1, p. 28-29. 170. Paul Gouin (1957), « Traduction et refrancisation », Journal des traducteurs / Translators’ journal, vol. II, no 3 (juillet-septembre), p. 80-84.
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l’auditoire. Celui-ci par contre, a été fort attentif aux exposés. Des discussions animées ont suivi les conférences. Certains journaux ont assuré aux travaus (sic) une large audience. Cette partie du congrès n’est donc pas l’insuccès clamé par deux ou trois pessimistes du grand Montréal.
Enfin, un programme artistique composé d’une exposition et d’un spectacle illustrant le thème du congrès, soit la culture canadiennefrançaise d’hier et d’aujourd’hui, a été présenté. Sans oublier les défilés organisés à Montréal et à Québec le 24 juin à l’occasion de la fête de la Saint-Jean-Baptiste. Le spectacle présenté au Colisée de Québec a semble-t-il attiré trois mille personnes, alors que l’exposition présentée au Café du Parlement, entre le 20 juin et le 20 juillet, a accueilli « des milliers de visiteurs171 ». Paul Gouin trouve au CVFA un lieu où il peut, une fois de plus, mettre en application les principes qu’il défend puisque leurs champs d’interventions convergent sur plusieurs plans. À titre d’exemple, mentionnons que lors du Deuxième Congrès de la langue française en 1952, l’assemblée générale encourageait la création d’écoles d’arts domestiques et la vente de produits « fabriqués à la maison » pour permettre aux gens « de gagner leur vie à la campagne172 ». On pourrait tout aussi bien lire ceci dans un discours de Paul Gouin. D’ailleurs, quelques mois après son adhésion, le Comité de la Survivance française souhaite demander au gouvernement de publier un volume regroupant les causeries radiophoniques prononcées par le conseiller technique sur le thème de la refrancisation173. Comme autre option, le Comité envisage de publier ces conférences dans la revue Vie française, proposition qui restera sans suite. Gouin soumettra aussi au CSF son projet de publier une série d’ouvrages sur le folklore, en collaboration avec les Archives de folklore. Enfin, en septembre 1960, le président invite le bureau de direction du Conseil à un « dîner historique » à la chandelle, dans les murs de la maison Chevalier que la Commission des monuments historiques vient tout juste de restaurer174.
171. AVQ, FCVFA (P52), P52-02B/1518-02, procès-verbal de la 185e réunion des administrateurs, 11 septembre 1957. 172. Marcel Martel (1997), Le deuil d’un pays imaginé, p. 40. 173. AVQ, FCVFA (P52), P52-02B/1516-02, procès-verbal de la 126e réunion du Comité de la Survivance française, 11 avril 1951. 174. AVQ, FCVFA (P52), P52-02B/1519-1, procès-verbal de la 24e session du Conseil de la vie française, 23 septembre 1960.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Pour promouvoir ses activités, le Conseil publie chaque année un « calendrier patriotique ». Paul Gouin prend la responsabilité de sa réalisation pendant quelques années, mariant ainsi ses intérêts artistiques à ses activités auprès du CVFA. Les thèmes sont choisis par les membres du Conseil, et le président s’occupe de la sélection des illustrations. Ainsi, pour 1958, année du 350e anniversaire de fondation de la ville de Québec, le Conseil organise la Semaine de la vie française sous le thème « Québec, berceau de la race française en Amérique » et choisit d’illustrer son calendrier de photographies du Vieux-Québec175. En 1960, le thème retenu pour le calendrier et la Semaine de la vie française est « Les arts au Canada français », sujet qui, comme on le sait, intéresse particulièrement Paul Gouin. Le président accepte de s’occuper de la préparation de ce calendrier, puisqu’il est d’avis « que la matière ne fera pas défaut176 ». Le choix de thèmes axés sur le passé est cependant remis en question pour 1961, certains membres souhaitant se tourner vers des sujets « d’une plus grande actualité177 ». Paul Gouin propose « Le Québec moderne », sujet accepté par le Conseil. Il rassemble des photographies qui « constituent un panorama du Québec en 1960 » et présentent une province industrialisée, en pleine expansion économique. Ces photographies « trancheront sur les récents calendriers et donneront une idée des progrès accomplis par le Québec dans divers domaines178 ». Les illustrations choisies étant plus petites que celles des années précédentes, l’espace disponible est utilisé pour donner quelques chiffres sur la vie économique du Québec. La vente de ce calendrier connaît alors un déclin considérable, qui ne serait pas nécessairement attribuable à ce tournant vers la modernité, mais plutôt au fait que le gouvernement du Québec, qui achetait plus de la moitié des exemplaires au cours des années précédentes, n’en a acheté aucun en 1961, alors que le tirage était de dix milles copies cette année-là179.
175. AVQ, FCVFA (P52), P52-02B/1518-02, procès-verbal de la 181e réunion des administrateurs, 20 mars 1957, p. 1821. 176. AVQ, FCVFA (P52), P52-02B/1519-1, procès-verbal de la 23e session du Conseil de la vie française, 18 septembre 1959, p. 2065. 177. AVQ, FCVFA (P52), P52-2B/1519-1, procès-verbal de la 208e réunion des directeurs du Conseil de la vie française en Amérique, 22 février 1960, p. 2109. 178. AVQ, FCVFA (P52), P52-2B/1519-1, procès-verbal de la 209e réunion des directeurs du Conseil de la vie française en Amérique, 23 mars 1960, p. 2117-2118. 179. AVQ, FCVFA (P52), P52-2B/1519-1, procès-verbal de la 226e réunion des directeurs du Conseil de la vie française en Amérique, 10 janvier 1962, p. 2291.
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L’organisation d’une exposition des œuvres d’artistes et d’artisans du Québec au Café du Parlement, lors du Congrès de la refrancisation, illustre clairement comment les responsabilités du conseiller technique rejoignent celles du Conseil. La mise en valeur du visage français de la province continue de se matérialiser, pour Paul Gouin, dans les objets produits par les artistes et les artisans du Québec. En organisant cette exposition dans le cadre du Congrès de la Refrancisation, nous avons voulu démontrer de façon concrète comment nous pouvons refranciser nos foyers, notre art religieux, notre architecture, notre hôtellerie en utilisant à bon escient nos ressources culturelles et artistiques. Cette exposition est l’œuvre de nos écoles spécialisées, du Musée de la Province, de la Centrale d’artisanat, du service de l’Inventaire des œuvres d’art, de l’École des arts domestiques et de la Commission des monuments historiques. Comme vous pourrez le constater, les directeurs de ces écoles et de ces divers services gouvernementaux accomplissent une œuvre admirable ; ils puisent leur inspiration aux sources mêmes de nos traditions canadiennes-françaises qu’ils devront adapter aux exigences de la vie moderne180.
Pour donner une suite concrète à l’exposition, le CVFA souhaite publier un dépliant illustré, qui permettrait de faire mieux connaître les travaux et les artistes canadiens-français181. Outre cette exposition au Café du Parlement, un autre projet du conseiller technique est appuyé par le CVFA en 1958 : l’exposition des décorateurs-ensembliers, qui serait présentée tour à tour à Montréal et à Québec182. La volonté du président de promouvoir les arts se manifeste aussi dans la proposition de commander une statue représentant Saint-Jean-Baptiste à l’artiste Marius Plamondon, fabriquée dans un « bois du Québec » pour orner le vestibule de l’immeuble du Conseil de la vie française. « Les membres sont d’avis que le Conseil est en mesure de faire cette dépense à la fois somptuaire et patriotique183. » Gouin se charge aussi d’organiser un concours auprès d’artistes pour faire fabriquer une médaille soulignant
180. Paul Gouin (1959c), « L’exposition au Café du Parlement », dans Congrès de la refrancisation, Le Congrès de la refrancisation, Québec, Ferland, vol. 1, p. 37. 181. AVQ, FCVFA (P52), P52-02B/1519-1, procès-verbal de la 21e session du Conseil de la vie française, 24 octobre 1957, p. 1873. 182. AVQ, FCVFA (P52), P52-2B/1519-1, procès-verbal de la 197e réunion des directeurs du Conseil de la vie française en Amérique, 29 octobre 1958. 183. AVQ, FCVFA (P52), P52-2B/1519-1, procès-verbal de la 198e réunion des directeurs du Conseil de la vie française en Amérique, 26 novembre 1958, p. 2001.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » le vingt-cinquième anniversaire du Conseil. Il fait aussi concevoir des épinglettes en argent, en forme de fleur de lys, qui sont remises aux anciens présidents du Conseil184. La question de l’affichage constitue un autre point de convergence des intérêts du CVFA et de Paul Gouin. Le Conseil demande à René Chaloult (partenaire de Gouin lors de l’aventure de l’Action libérale nationale) d’étudier la loi de l’affichage adoptée par le parlement provincial en 1925. « Il ressort que la loi est complexe, qu’elle pourrait peut-être recevoir des améliorations, en tout cas qu’elle est plus ou moins observée, au grand détriment de l’aspect esthétique et français du Québec185. » Cette question de l’affichage amène le Conseil à envisager la publication d’un « fascicule contenant des indications sur le choix de noms français pour restaurants, motels et hôtels, ainsi qu’une liste de noms à titre de suggestions186 ». Gouin organise alors un concours pour refranciser les noms de lieux et les raisons sociales. Il obtient le soutien financier du premier ministre Duplessis, qui accepte de le subventionner à condition qu’il soit placé sous le patronage du Conseil187. Le président du CVFA reprend ainsi une formule répétée à de multiples reprises depuis le concours organisé par la Société des Arts, Sciences et Lettres de Québec en 1933. Le Syndicat d’Initiative des Trois-Rivières avait aussi organisé un concours d’enseignes en 1937. Paul Gouin a fait de même sur les ondes de Radio-Canada en 1950-1951, en collaboration avec le Service d’éducation hôtelière. Dans ce cas, il s’agissait d’un concours visant à proposer des mots français pour remplacer des termes anglais qui ont été intégrés dans le langage courant et dans l’affichage : snack-bar, curb service, cocktail lounge, gril. Un jury composé de PaulÉmile Gosselin, secrétaire du Comité permanent de la Survivance française en Amérique, de Luc Lacourcière, directeur des Archives de folklore et de Gaston Dulong, vice-président de la Société du Parler
184. AVQ, FCVFA (P52), P52-02B/1519-1, procès-verbal de la 224e réunion des directeurs du Conseil de la vie française en Amérique, 18 octobre 1961 ; procès-verbal de la 23e session du Conseil de la vie française, 18 septembre 1959, p. 2065. 185. AVQ, FCVFA (P52), P52-2B/1519-1, procès-verbal de la 198e réunion des directeurs du Conseil de la vie française en Amérique, 26 novembre 1958. 186. AVQ, FCVFA (P52), P52-2B/1519-1, procès-verbal de la 201e réunion des directeurs du Conseil de la vie française en Amérique, 15 avril 1959, p. 2033. 187. AVQ, FCVFA (P52), P52-2B/1519-1, procès-verbal de la 202e réunion des directeurs du Conseil de la vie française en Amérique, 27 mai 1959.
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français, est alors chargé de sélectionner les meilleurs propositions188. Un nouveau concours est proposé par Gouin l’année suivante. Il s’agit cette fois d’encourager les restaurateurs à placer des « enseignes attrayantes en français » à la façade de leur établissement. Les règles du concours précisent que les propriétaires doivent traduire en français les expressions empruntées à l’anglais : « Cocktail-lounge, grill et cabins par Foyer-Bar, Café dansant ou café et cabines ou chalets » ; « Curb Service, Milk bar et Barbecue par Auto-Buffet, Bar-laitier ou crèmerie et rôtisserie » ; « Snack-Bar, Quick Lunch et Light Lunch par CasseCroûte, Buffet-Eclair189 ». Des récompenses sont attribuées aux propriétaires des commerces, ainsi qu’aux dessinateurs des enseignes. Ce concours marie ainsi la refrancisation à la promotion des arts et de l’artisanat. La toponymie est un autre champ d’intérêt commun au CVFA et à Paul Gouin. Dès 1933, il proposait à la Commission de géographie une liste de noms à consonance française pour désigner les nouveaux cantons190. S’il se préoccupe de ces appellations, c’est que la carte géographique constitue aux yeux du conseiller technique « l’enseigne de la province ». Selon lui, les ancêtres français ont su, grâce à leur bon goût, choisir des noms évocateurs pour leurs villages : « Bellechasse, St-JeanPort-Joli, Trois-Pistoles, Rougemont, les Éboulements, Château-Richer, des noms puisés dans le sol même de chez nous, des noms simples et gracieux comme les toits à bâtière et les clochers d’autrefois... » Les choses se seraient ensuite gâtées : « [...] notre carte géographique se transforma en litanies : Ste-Apolline-de-Patton, Ste-Hyppolyte-deKilkenny, St-Hedwidge-de-Clifton, St-Samuel-de-Gayhurst, Ste-Cécile-deNasnam, St-Valère-de-Buistrode, St-Jean-Baptiste-de-Cahoon, etc. », avant de prendre « la tournure d’un compte-rendu de campagne électorale : Fitzpatrick, Lemieux, Taschereau, Kelly, Kaine, Gouin, Parent, Chapais, Belly, Flynn... On tomba ensuite dans les Daveluyville, Plessisville, Proulxville, Arthurville, Ryanville, Val-Morin, Val-Barette... » Dès lors, 188. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/9, « Concours de folklore », Paul-Émile Gosselin, Luc Lacourcière et Gaston Dulong à Paul Gouin, 31 mars 1951. Le CVFA adopte alors un vote de félicitations à Paul Gouin pour ce concours. AVQ, FCVFA (P52), P52-02B/1516-02, procès-verbal de la 126e réunion du Comité de la Survivance française, 11 avril 1951. 189. « Concours pour refranciser les enseignes » ([c.1951]), L’hôtellerie magazine. 190. BAC, FPG, MG27 III D1 vol. 1, « Correspondance générale, Lettre A », Paul Gouin à Arthur Amos, 13 mai 1933.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » « comment reprocher à un aubergiste de ne pas donner à son établissement un nom harmonieux quand il habite St-Hedwidge-de-Clifton, Proulxville ou même Gouin ?191 » Un comité de toponymie, créé conjointement par le Conseil de la vie française et la Fédération des Sociétés Saint-Jean-Baptiste du Québec, dépose en 1960 un rapport suggérant des noms de municipalités qui donneraient un caractère plus français à la carte géographique192.
Retourner vers le passé pour préparer l’avenir La conservation de l’héritage culturel du Canada français occupe les pensées et motive les actions de Paul Gouin depuis les années 1930. Antiquités, objets d’art, artisanat, folklore, monuments historiques et bien sûr, langue française, constituent les principales pièces du casse-tête qu’est la campagne de refrancisation et d’éducation nationale. Ces différentes pièces peuvent sembler disparates. Pourtant, aux yeux des promoteurs de la refrancisation, elles s’imbriquent les unes dans les autres afin de dessiner le « visage français » de la province. En 1950, après presque une vingtaine d’années à promouvoir la refrancisation du Québec, Paul Gouin trace un bilan de cette campagne de « redressement national ». À notre crédit, nous avons la renaissance de nos arts domestiques, réussite magnifique dont nous avons droit d’être fiers. Et après, que pouvonsnous porter à notre crédit ? Une dizaine d’églises, chapelles et monastères dont l’architecture et la décoration intérieure sont vraiment le reflet de notre culture et de nos traditions françaises, une cinquantaine de nouvelles appellations de bon goût, une vingtaine d’hôtels construits et aménagés à la canadienne par nos compatriotes de langue anglaise. Voilà tout notre actif ; il n’est guère impressionnant. Entrouvrons maintenant la page du débit, du passif ; elle est longue, interminable. Elle contient la liste des pertes très lourdes que nous avons subies, chaque année, depuis vingt ans, dans le « champ mal défendu » de notre patrimoine artistique et culturel. [...] Chaque année, le pic des démolisseurs ouvre des brèches dans la petite armée mourante des quelques édifices ou monuments d’autrefois qui maintiennent péniblement chez
191. « D’après M. Paul Gouin : Le Canada français n’est plus français » (1956), Le Bien public (13 juillet), p. 4. 192. AVQ, FCVFA (P52), P52-2B/1519-1, procès-verbal de la 207e réunion des directeurs du Conseil de la vie française en Amérique, 20 janvier 1960.
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nous le souvenir matériel des hommes qui ont bâti notre pays... Les pertes sont plus rapides, plus lourdes, plus alarmantes encore, dans le domaine des souvenirs mobiliers, des reliques transportables... À pleins camions, ces reliques émouvantes, argenterie, vases sacrés, sculptures religieuses ou profanes, meubles anciens, articles de ménage, ustensiles variés sortis des mains de nos anciens artisans, sont parties pour les États-Unis, l’Ontario et l’Angleterre193...
Gouin revient une fois encore sur le sujet en 1956, en insistant sur la nécessité de poursuivre la campagne de refrancisation : « Il est inutile, a-t-il dit, il serait même dangereux de continuer à nous bercer d’illusions : le visage du Canada français n’est plus français. » Depuis sa nomination au poste de conseiller technique, en 1948, Gouin constate que « le visage du Canada français n’est plus le reflet, le miroir de notre culture, de notre esprit français. Il s’américanise de plus en plus dans le mauvais sens du mot194 ». Paul Gouin ne semble pas pour autant perdre espoir face au potentiel de modernisation de la culture canadienne-française. S’il faut conserver les témoignages du passé, c’est avant tout pour connaître ses racines, pour assurer un fondement sur lequel construire l’avenir de la culture canadienne-française, afin qu’elle puisse prendre son envol.
193. « Patrie, notre héritage. Bilan de la campagne de refrancisation, chez nous » (1950), Le Devoir (5 mai), p. 7. 194. « Le Canada français n’est plus français », (1956).
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3 Notre maître l’avenir : La promotion de la culture
Au pays de Québec où « rien ne doit mourir et rien ne doit changer », de grands changements se sont produits depuis quelques années mais rien ne mourra si nous savons confier à notre « maître l’avenir », c’està-dire au progrès, le soin d’assurer la survivance et l’évolution de la culture, des traditions et des coutumes que nous a léguées notre « maître le passé ».
P
Paul Gouin, 1951
romouvoir la conservation de l’héritage culturel, c’est, pour Paul Gouin, une façon d’assurer la survie de l’identité canadienne-française. Adapter cet héritage « aux modalités de notre vie moderne1 » constitue à son avis un moyen efficace pour le garder vivant. On l’a vu jusqu’ici, Paul Gouin veut favoriser l’intégration des traditions artistiques et des témoins matériels du passé dans la vie contemporaine, non seulement dans une approche traditionaliste, mais aussi en les utilisant comme source d’inspiration pour les créateurs. « Il ne s’agit donc pas de lutter contre le progrès, mais bien au contraire de nous en faire un allié, de nous servir des inventions modernes pour assurer la survivance de nos traditions2. » Voilà résumé l’essentiel de sa conception des relations entre passé et avenir. Pour faire du progrès un allié, il importe de trouver les moyens d’intégrer la tradition dans la modernité. Aux yeux du conseiller 1. 2.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/13, Causerie radiophonique à CBF, 18 novembre 1951. Paul Gouin (1951), « Au pays de Québec rien ne doit mourir et rien ne doit changer », p. 48.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » technique, le tourisme est l’un de ces phénomènes de la modernité qui doit jouer un rôle dans le développement culturel, puisqu’il offre de multiples possibilités en ce sens : il attire des visiteurs en quête d’exotisme, qui se matérialise bien souvent dans les traces de l’histoire locale ; il contribue à l’élargissement du marché pour la production des artisans ; il offre un argument en faveur de l’organisation d’événements culturels. Par ailleurs, les besoins des touristes en hébergement favorisent la multiplication des établissements hôteliers qui, selon les recommandations du conseiller technique, devraient opter pour un style reflétant la culture du Canada français. La modernisation des traditions trouve aussi à s’exprimer dans les domaines de l’architecture, de l’art religieux et des arts d’expression (théâtre, musique, danse). Pour organiser de manière structurée la promotion de ces diverses facettes de la culture du Canada français, Paul Gouin réclame la création d’un organisme qui aurait la responsabilité de planifier de façon plus cohérente ces actions dispersées. Il en vient à proposer une ébauche de politique culturelle qui offre, d’une certaine façon, une synthèse de sa conception de la promotion de la culture. Le tourisme et la mise en valeur du « visage français » du Québec Pendant la crise des années 1930, le tourisme est considéré comme étant l’un des facteurs susceptibles d’améliorer la situation économique de la province, car il occupe, depuis les premières décennies du xxe siècle, une place grandissante dans l’économie du Québec. Les statistiques démontrent une croissance rapide des revenus touristiques entre 1915 et 19293. L’organisation du tourisme relève alors d’un Office du tourisme, fondé en 1927 au Bureau de la Voirie, et d’un Conseil du tourisme, créé en 1933. L’Office du tourisme « s’intéresse de très près aux arts domestiques, à l’embellissement rural et urbain, à l’amélioration de l’hôtellerie campagnarde, à la conservation des vieilles églises et maisons, à l’architecture rurale canadienne-française, et à
3.
Alain Roy a compilé les données de l’Annuaire statistique de la province de Québec, qui, bien que fragmentaires, montrent que les revenus passent de 340 000 à 61 millions de dollars au cours de cette période. Alain Roy, (inédit), « Tourisme et identité au Québec : La refrancisation et l’environnement, 19121946 ».
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3. Notre maître l’avenir : la promotion de la culture
nombre d’autres domaines rattachés de près ou de loin au tourisme4 ». Paul Gouin est nommé membre associé du Conseil du tourisme en août 1933, en tant que représentant de l’Association des auteurs canadiens. Il démissionne de ce comité en décembre 1934, alors qu’il se lance dans la politique active. La question touristique reste cependant l’une de ses priorités et continuera d’occuper une place importante dans ses discours. En plus d’être un argument économique majeur, le tourisme favorise la conservation de l’héritage culturel, puisque c’est là ce qui permet d’offrir quelque chose de différents aux visiteurs. Chargé de la conservation et du développement de notre patrimoine artistique et culturel, j’ai constaté que cette question était intimement liée au tourisme. En effet, notre patrimoine renferme le neuf, le différent, le pittoresque que recherche le touriste. C’est dire que le tourisme constitue le moyen le plus facile, le plus logique et le plus rémunérateur d’assurer la conservation et le développement de notre patrimoine artistique et culturel5.
Paul Gouin insiste sur les avantages commerciaux de greffer la petite industrie sur le tourisme, c’est-à-dire de développer une production venant répondre à la demande des visiteurs de passage. Il cite en exemple les cas d’Eugène Leclerc et de Médard Bourgault à Saint-JeanPort-Joli, deux artisans qui ont su attirer l’attention des voyageurs6. Ce développement touristique offre aux artisans la possibilité d’accroître leurs ventes. Dès sa nomination comme conseiller technique, Paul Gouin place la question touristique parmi ses priorités. Avec un certain humour, il attribue à deux éléments le développement touristique de la province : « notre visage français et notre Commission des liqueurs », attraction certaine à une époque où les boissons alcoolisées étaient prohibées dans plusieurs provinces canadiennes et aux États-Unis. La Deuxième Guerre mondiale empêche ensuite les touristes de voyager en Europe 4. 5. 6.
Damase Potvin (1942), Aux fenêtres du Parlement de Québec : histoire, traditions, coutumes, usages, procédures, souvenirs, anecdotes, commissions et autres organismes, Québec, Éditions de la Tour de pierre, p. 308. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/39, « C divers », Paul Gouin à Roland Charlebois, 24 juillet 1950. Paul Gouin (1934a), « Il était un petit navire... », La Revue moderne, vol. 15, no 5, (mars), p. 7.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » et favorise les destinations québécoises auprès des voyageurs nord-américains. Cependant, au tournant des années 1950, les visiteurs déplorent semble-t-il de plus en plus la perte du visage français de la province, concept désormais vu comme un « truc publicitaire », ce visage français devenant difficile à percevoir7. En fait, dans les discours des propagandistes, ce visage français devient de plus en plus canadien-français. Dès la fin des années 1930 émerge une prise de conscience face aux différences culturelles entre le Canada français et la France, qui reste un modèle de référence. « Il n’est personne qui conteste la nécessité de donner à notre province de Québec un cachet, français d’abord, mais bien canadien ensuite. Il faut que le touriste qui nous visite voie dans la province de Québec un coin différent des autres pays, même de la France, malgré les similitudes de langue, de mœurs, de religion8 », affirme Albert Tessier. Paul Gouin va dans le même sens : « [...] nous croyons que ce caractère est canadienfrançais, plutôt que français, dans son ensemble9 ». Pour répondre aux attentes des visiteurs, il faut leur offrir ce que la publicité leur présente et qu’ils espèrent trouver : une province pittoresque, se distinguant par sa langue française et ses références aux traditions. Dans son Rapport sur le tourisme, en 1939, Albert Tessier affirme qu’il faut « mettre la réalité en accord avec notre littérature publicitaire !10 » Paul Gouin insiste pour sa part sur la nécessité de conserver les éléments distinctifs du Québec : « N’imitons pas les Américains dans leurs mœurs, leur mode de bâtir, d’orner leurs demeures, si nous tenons à ce qu’ils nous visitent. Pourquoi iraient-ils si loin, s’ils doivent retrouver ici les mêmes lignes d’horizon, les mêmes angles de construction, les mêmes meubles et les mêmes chansons11 ? » Gérard Filion plaidera dans le même sens dans Le Devoir en 1956 : On fait la publicité de la province de Québec en parlant de la « quaint old Province », du « French Canada » et tout le tralala, et l’on reçoit les étrangers avec des mets préparés par des cuisiniers grecs dans les hôtels décorés à l’américaine. C’est de la fausse représentation. [...]
7. 8. 9. 10. 11.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/53, « Tourisme », [texte de Paul Gouin], 17 juin 1950. Albert Tessier (1939), Rapport sur le tourisme, p. 6. Paul Gouin (1938), Servir, p. 26 Albert Tessier (1939), Rapport sur le tourisme, p. 6. « Le magnifique travail de M. Paul Gouin », (1950).
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Si j’étais hôtelier et restaurateur dans la province de Québec, toutes mes inscriptions seraient en français avec traduction anglaise pour la commodité des touristes. La décoration de la salle à manger, des salons et des chambres s’inspirerait de motifs proprement canadiens, tirés principalement de la faune et de la flore québécoises. Je ferais aussi appel à l’histoire, l’histoire proprement québécoise, qu’elle ait été écrite par les pionniers venus de France ou les immigrés britanniques arrivés après 1760. Je connais un petit nombre d’hôteliers qui ont exploité la formule avec un succès prodigieux12.
Afin d’améliorer les performances économiques du secteur du tourisme, le conseiller technique propose en 1950 la mise en œuvre de « mesures énergiques et immédiates » qui devraient être confiées à un nouveau ministère à créer, celui du tourisme. Malgré les efforts faits depuis la création de l’Office du tourisme, en 1927, le conseiller technique est inquiet du peu de résultats obtenus : « À vrai dire, il y a actuellement un tel déséquilibre entre les résultats de notre prédication et les moyens d’action dont nous disposons, qu’il est permis de se demander s’il n’est pas inutile et même dangereux de continuer à faire l’éducation du public tant et aussi longtemps que nous n’aurons pas un ministère ou un commissariat du tourisme13. » Gouin propose la mise en place de trois mesures principales, qui relèveraient du ministère à créer : la préparation d’un programme d’attractions touristiques annuelles, incluant divers festivals ; l’élaboration et la mise en application d’un plan méthodique de refrancisation ; et enfin, la réorganisation du service d’hôtellerie. Les hôtels comme lieu de mise en représentation de l’identité canadienne-française Le secteur de l’hôtellerie est l’un des principaux champs d’intervention du conseiller technique puisqu’il considère que c’est là le premier point de contact du touriste avec le pays visité. L’hôtellerie est donc à la base du tourisme et les hôteliers sont des « ambassadeurs » auprès
12. 13.
Gérard Filion (1956), « Seule l’originalité peut faire du Canada un pays à visiter », Le Devoir (22 septembre), p. 16. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/53, « tourisme », [texte de Paul Gouin], 17 juin 1950.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » des visiteurs14. Les restaurants, auberges et hôtels offrent par ailleurs un lieu où mettre en application la campagne de refrancisation puisque l’on y fait face aux questions de l’affichage en français, de l’architecture canadienne et de l’artisanat, sans oublier le choix de menus offrant des mets canadiens. D’ailleurs, la campagne de refrancisation entreprise en 1930 était une initiative de l’Association des hôteliers de campagne, qui avait pris conscience de l’importance d’afficher ce « visage français ». Pour créer un lieu offrant un caractère canadien-français, quatre éléments doivent être particulièrement pris en considération : l’apparence extérieure (nom, enseigne et architecture), le choix et l’aménagement du site, l’apparence intérieure et la cuisine. Les premiers gestes en faveur de la refrancisation concernaient l’attribution de noms français aux établissements et la réalisation d’enseignes originales par des artisans. Paul Gouin va plus loin : cette identité française donnée par le nom doit être plus qu’une façade. Il faut que l’architecture et l’intérieur de l’établissement reflètent la culture du Canada français. Dans cet esprit, le journal La Province publie en 1937 une série d’articles traitant de la création d’une architecture contemporaine propre au Canada français, qui trouverait ses particularités grâce à l’intégration des traditions architecturales. La Province profite de la publication de ces articles pour éduquer les jeunes esprits, grâce à un concours de maquettes : l’artiste Maurice Raymond a dessiné l’« Auberge du Galion » en s’inspirant du manoir de Jacques Cartier à Limoilou, en France, illustration destinée à être découpée et coloriée par les enfants (figure 14). Outre l’affichage et l’architecture, l’intérieur des établissements doit refléter la culture régionale. L’utilisation de produits d’artisanat locaux offre à cet égard des possibilités infinies : Au lieu de l’article banal et fabriqué, le plus souvent, à l’étranger, les hôteliers n’ont qu’à acheter les produits de notre art rustique : meubles, toiles, étoffes, tapis, bibelots, etc… Ils donneront aussi aux touristes « le neuf, le différent », que ces derniers recherchent ; ils donneront ainsi à leurs hôtels un cachet canadien-français non seulement de nom mais aussi de fait. […] cet achat des jolies choses de chez nous serait, en même temps, – ce qui n’est pas à dédaigner – une œuvre patriotique éminemment salutaire. En effet, cette transformation ou aménagement, de nos 14.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/39, « C divers », Paul Gouin à Roland Charlebois, 24 juillet 1950 ; MNBAQ, « Gouin, Paul, 1898-1976 », causerie radio phonique à CKAC, 6 novembre 1949.
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Figure 14 Maquette de l’Auberge du Galion, à découper, à colorier et à assembler. Modèle inspiré du manoir de Jacques Cartier à Limoilou, France. Journal La Province, 3 juillet 1937, p. 7.
hôtels et auberges, assurerait un débouché nouveau à notre industrie domestique et ferait, de chaque hôtellerie, un lieu d’exposition permanente et pratique de notre art paysan15.
Bien que les avantages d’offrir ce cachet distinctif aux établissements hôteliers soient prêchés inlassablement depuis le début des années 1930, les propriétaires semblent désemparés lorsqu’ils tentent de mettre ces principes en application. « On leur dit, par exemple : « Meublez vos auberges à la canadienne ». Très bien. Mais, ils ne savent pas, parce qu’ils n’en ont jamais vu d’exemple, ce qu’il faut entendre par là ; ils ne savent pas non plus, à qui s’adresser pour obtenir des meubles et des objets du terroir16. » Les exemples d’intérieur décorés « à la canadienne » 15. 16.
Paul Gouin (1938), Servir, p. 12-13. Ibid., p. 151.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » correspondant aux exigences des promoteurs de ce courant semblent donc plutôt rares. Là comme dans d’autres domaines, les solutions viendront, croit Paul Gouin, par l’éducation et par l’orientation du travail grâce aux conseils des experts. Dès 1936, il réclamait, dans un article publié dans La Province, la mise sur pied d’une école-auberge où les étudiants apprendraient tous les rudiments nécessaires pour donner un visage canadien-français à leur établissement. Au cours des années 1930, l’École du meuble participe à l’éducation des hôteliers en organisant des expositions hôtelières et culinaires, avec l’appui du ministère du Commerce et de l’Industrie. La cinquième de ces expositions, tenue en 1939, présente un exemple de mobilier « de facture tout à fait canadienne-française, fabriqué à l’École du Meuble elle-même et vendu au Syndicat d’Initiative des Trois-Rivières. [...] Il est construit en cerisier sauvage de la province de Québec et garni de catalogne du pays ». Le ministre Louis Coderre insiste sur la valeur de cet exemple : « Dois-je ajouter que des meubles tirés de nos bois, conçus et construits par nos gens, ne servent pas seulement à plaire aux touristes et à nos compatriotes, mais encore ont une valeur économique nationale incontestable17 ? » Paul Gouin reprendra constamment les mêmes arguments : les hôteliers doivent proposer de l’hébergement offrant un caractère différent, grâce à une architecture caractéristique, à un décor aménagé avec du mobilier inspiré des meubles traditionnels, à des textiles et à des œuvres d’artisans québécois, à des mets typiques, sans oublier de mettre en vente des produits artisanaux dans les boutiques. Bref, tous les aspects doivent être pris en considération pour offrir un lieu original aux touristes. Les discours de Gouin reviennent constamment sur ces sujets, quand ils ne reprennent pas carrément des extraits de conférences prononcées parfois vingt ans auparavant, afin de démontrer le parcours accompli. Paradoxalement, cette redondance démontre aussi le peu de succès obtenu par ses arguments. Ainsi, en 1950, Gouin affirme que malgré les progrès réalisés en termes de confort et d’hygiène : [...] ces établissements manquent encore totalement d’atmosphère, de pittoresque. Leurs noms, leurs enseignes, leur architecture et leur décoration intérieure sont, de façon générale, d’une banalité ou d’un mauvais goût qui ne correspondent nullement aux progrès que nous avons 17.
Jean-Marie Gauvreau (1939a), « L’aménagement de nos hôtelleries », Technique, vol. 14, (février 1939), p. 127-130.
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a ccomplis dans le domaine artistique et donnent ainsi au voyageur une fausse et peu flatteuse idée de notre degré de culture18.
Cette volonté d’améliorer la situation par l’éducation des hôteliers pousse Paul Gouin à organiser le Salon de l’Hôtellerie en janvier 1951. Dès 1949, le conseiller technique planifie cette exposition présentée à la Caserne des Fusiliers Mont-Royal. Le Salon doit permettre aux hôteliers d’« enfin voir ce que l’on entend par des enseignes originales et artistiques, ce que l’on entend par une auberge, un hôtel, un restaurant meublés et décorés à la canadienne avec les produits de notre artisanat d’autrefois et d’aujourd’hui ; ils pourraient aussi, grâce à des plans et des maquettes, voir enfin quels beaux édifices ils pourraient construire, en s’inspirant d’un style d’architecture typiquement canadien-français19 ». Organisé avec la collaboration du ministère du Commerce et de l’Industrie, de l’Association professionnelle des artisans du Québec, de la Centrale d’artisanat et des écoles du meuble et des beaux-arts de Montréal, le Salon de l’hôtellerie offre des exemples de ce que devraient être les hôtelleries québécoises. Les références françaises restent omniprésentes. « Aux murs de la salle, on avait suspendu des paysages des Provinces de France, des plans et des reproductions d’auberges françaises, des suggestions de décorations pour menus et des illustrations de chansons populaires. » Dans le but d’indiquer clairement aux aubergistes et restaurateurs les moyens de donner à leurs établissements un caractère canadien-français, des pièces sont aménagées, en collaboration avec des artisans, selon des orientations thématiques. Par exemple, l’auberge « Au Fusil d’Argent », dont le thème a été inspiré à Gouin par la chanson « En roulant ma boule roulant », présentait : […] une double pièce à la fois, salon et salle à manger, et une chambre à coucher avec lits jumeaux. Le tout était de style canadien : meubles très simples en bois clair, chenêts en fer forgé rappelant le souvenir des malheureux canards, cibles des chasseurs, poteries genre paysan et, bien entendu, catalognes et rideaux tissés. Un original jeu d’échecs dont les pions étaient de minuscules canons étaient disposés (sic) sur une table en fer forgé avec dessus de marqueterie. Quant au chasseur et à son chien, on les retrouvait juchés sur la girouette de l’auberge20. 18. 19. 20.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/39, « C divers », Paul Gouin à Roland Charlebois, 24 juillet 1950. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/53, « tourisme », Paul Gouin à [Maurice Duplessis], 4 décembre 1949. « Du caractère et de l’originalité : En vue du tourisme » (1951), Le Samedi (21 avril), p. 7, 28.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » L’objectif est ici de démontrer comment le folklore peut être une source d’inspiration féconde pour le développement de thèmes unifiant décor intérieur, menu et objets souvenirs. De son côté, l’Hôtel de la Reine exploite une approche plus moderne, en développant son concept autour du jeu de cartes et de ses figures. Des maquettes de motels montrent comment cette invention étatsunienne peut être adaptée « au goût de notre terroir21 » (figures 15-18). Autre élément essentiel à l’originalité des établissements : la cuisine, qui offre un vaste potentiel à l’invention de traditions nationales. Il faut proposer des plats canadiens, tout en les mettant au goût du jour : Ce qui importe, en matière de cuisine comme dans tous les autres domaines, ce n’est pas de chercher à conserver intégralement et arbitrairement toutes les coutumes que nous ont léguées nos ancêtres mais bien, ce qui est possible et essentiel, de conserver l’esprit, les qualités françaises qui constituaient la base même de ces traditions. Ainsi en matière de recettes, nous devons d’abord adapter, interpréter celles qui nous viennent de nos grand’mères. Nous devons ensuite créer, à notre tour, des plats nationaux conformes aux exigences modernes22.
Des hôtels modèles Quelques exemples d’hôtelleries pouvant être considérées comme des modèles à imiter apparaissent à la toute fin des années 1930 et au début des années 1940. Ainsi, l’Hôtel Chanteclerc « est d’un style simple, bien canadien. Les décorations intérieures ont étés confiées à un jeune artiste de talent, M. Jean Palardy, qui connaît bien nos métiers du terroir. L’ensemble est ravissant, et les tapis crochetés, les catalognes de Charlevoix, les pièces de fer forgé ne détruisent pas, loin de là, l’effet des peintures murales exécutées par M. et Mme Palardy23 ». Le mobilier a aussi été dessiné par Palardy. Quelques années plus tard, le nouvel Hôtel Tadoussac optera pour une approche semblable, en aménageant les espaces publics avec des meubles et objets anciens – dont certains achetés de Paul Gouin– et des textiles artisanaux de la région de Charlevoix24. 21. 22. 23. 24.
Ibid. MNBAQ, « Gouin, Paul, 1898-1976 », causerie radiophonique à CKAC, 15 janvier 1950. Jean-Marie Gauvreau (1939a), « L’aménagement de nos hôtelleries ». Nathalie Hamel (2005a), « La construction d’un patrimoine national », chapitre 2.
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Figures 15 à 18 Salon de l’Hôtellerie, janvier 1951. Au centre, maquette de motel ; en bas, exemples d’enseignes inspirées du folklore. Claude Décarie, 1951. BAnQ-M, Fonds Office du film du Québec (P051518 ; P051517 ; P051520 et P051522).
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Les occasions de passer de la théorie à la pratique restent cependant trop rares aux yeux de Paul Gouin. Le conseiller technique trouve une occasion de mettre ses idées en application au moment où le gouvernement prévoit construire un hôtel sur le boulevard Talbot. Il en fait part au ministre de la Voirie, Antonio Talbot : [...] je serais enchanté d’avoir une occasion de passer à l’action, une occasion de mettre en pratique quelques uns des sages conseils que je donne à nos hôteliers dans mes causeries radiophoniques au sujet de l’architecture et de la décoration de nos auberges. Nous avons là une chance exceptionnelle de donner à nos gens une salutaire leçon de choses et j’aimerais beaucoup pouvoir apporter à cette œuvre, mon modeste concours25.
Paul Gouin collabore au concept de l’hôtellerie de l’Étape, dans le parc des Laurentides. Il se réjouit que le style « typiquement canadienfrançais » retenu pour cet hôtel appartenant au gouvernement soit tout à fait dans l’esprit de ce qu’il prône26. Il s’agit à son avis d’un précieux appui à la campagne de refrancisation et l’hôtel offrira un modèle à suivre aux hôteliers27. Parmi les suggestions d’accessoires faites par Paul Gouin pour cet hôtel, on note : « des cendriers en forme de canot d’écorce qui seraient exécutés en poterie ou en fer forgé ; des napperons en lin de couleur pour les tables, ce qui aurait l’avantage de ne pas cacher la frise qui ceinture ces tables ; des mesures à grain en guise de panier à papiers » et des patères faites de « trois perches de lignes réunies par un cordage et qui pourraient être joliment exécutées en fer forgé28 ».
25. 26.
27. 28.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/61, « T – divers », Paul Gouin à Antonio Talbot, 13 février 1950. L’idée d’établir des auberges de qualité dont le gouvernement serait propriétaire, bien que peu appliquée au Québec, est soutenue par Georges-Émile Lapalme dans l’ébauche de programme qu’il rédige pour le Parti libéral en 1959 : « Aux points stratégiques, là où l’entreprise privée n’offre que déception, je favoriserais la construction, par la province elle-même, d’auberges de bon ton à la cuisine excellente, comme on a fait, par exemple, avec les paradors, en Espagne. » Georges-Émile Lapalme (1988), Pour une politique : le programme de la Révolution tranquille, Montréal, VLB, p. 147. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/80, « G – Divers », Paul Gouin à L.P. Gagnon, 5 avril 1951. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/80, « G – Divers », Paul Gouin à L.P. Gagnon, 30 mai 1950.
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Au cours de sa carrière, Gouin participe à l’aménagement de quelques hôtels et y met en application ses recommandations. En 1949, il aménage une suite canadienne à l’Hôtel Ritz-Carlton de Montréal29 (figures 19-21). Des panneaux d’armoires à pointe de diamants ou à losanges sont intégrés à la porte d’entrée, aux portes de garde-robes et au manteau de cheminée. Une armoire, une encoignure, un coffre, un lit bateau (ou lit carriole selon l’appellation canadienne), une berçante, des tabourets, un rouet, un tapis en catalogne au sol et quelques bibelots donnent un cachet traditionnel canadien à la pièce. Tout en prônant ce recours à la tradition, Gouin estime néanmoins : qu’il ne faut pas donner au touriste l’impression que nos arts décoratifs sont demeurés stationnaires, qu’ils se limitent à la catalogne, au tapis crocheté, aux statuettes de bois sculpté et à l’usage souvent intempestif de la feuille d’érable. Il faut que le voyageur puisse se rendre compte de l’évolution de notre artisanat, de notre peinture, de notre sculpture, de nos arts décoratifs ; il faut qu’il ait l’occasion de contempler côte-à-côte, formules anciennes et créations nouvelles30.
Dans cette optique, le cas du Queen Elizabeth Hotel est des plus intéressants. Au moment où le Canadian National Railway décide de construire un nouvel hôtel moderne à Montréal, en 1955, ses administrateurs sont bien au fait du potentiel d’attraction de la culture canadienne-française pour la clientèle américaine et canadienne-anglaise. Bien qu’ils choisissent d’aménager l’hôtel dans un style moderne et refusent d’utiliser des antiquités pour la décoration, ils souhaitent que l’hôtel offre un cachet particulier reflétant la culture locale. C’est dans cet objectif qu’un comité consultatif est créé afin de travailler en collaboration avec le designer newyorkais Joseph Huston. Paul Gouin et Jean-Marie Gauvreau, directeur de l’École du meuble, font partie du comité qui a pour mandat de trouver une façon originale d’intégrer la culture et l’héritage québécois. Le défi est bien résumé dans un article du critique d’art Robert Ayre, lui aussi membre du comité : « In planning the Queen Elizabeth, the problem was how to make Americans feel at home and at the same time enjoy being in a strange land, how to achieve a French character without compromising the accepted standards
29. 30.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/6, « P.G. personnel », Jean G. Contat à Paul Gouin, 22 juillet 1949. MNBAQ, « Gouin, Paul, 1898-1976 », causerie radiophonique à CKAC, 6 novembre 1949.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir »
Figures 19 à 21 Suite canadienne aménagée par Paul Gouin en 1949, Hôtel Ritz-Carlton, Montréal. Lida Moser, 1950. BAnQ-Q, Fonds Lida Moser (P728, S1, DQ17, P4 ; P5 et P8).
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of a metropolitan hotel in comfort and convenience. The question was, what is the Quebec character and how can it be made manifest in a modern hotel building31. » Le président du CN, Donald Gordon, rappelle que son hôtel est une entreprise commerciale et qu’il n’est pas question d’en faire un monument national. The objective of the group was to develop, through decoration of the public spaces, a hotel that would be distinctively representative of the Province of Quebec and the City of Montreal. This he believed could be achieved by borrowing from Quebec history, the feelings of the people, their arts and their culture. He emphasized however, that the hotel was not a national monument but a commercial enterprise and therefore the desired decorative effects must be achieved without impairing the hotel functionnally and within reasonable cost limitations32.
Le comité s’entend sur le fait qu’il ne devra pas utiliser trop de matériel historique « that would give the hotel the atmosphere of a museum33 », comme c’est le cas par exemple à l’Hôtel Tadoussac. En fait, on ne trouve pratiquement aucune pièce ancienne dans l’hôtel, davantage orienté vers la création contemporaine. Pendant que le comité s’active pour élaborer un concept novateur pour la décoration, un débat fait rage quant à la dénomination de l’hôtel. La revue L’Action nationale engage un combat pour que l’hôtel porte le nom de Château Maisonneuve plutôt que celui de Queen Elizabeth. Relayée par Le Devoir, L’Action nationale mène une campagne auprès des députés fédéraux et organise une pétition qui recueille l’appui de 200 000 personnes, 500 conseils municipaux et 40 organismes divers34. La pétition obtient l’adhésion du Conseil de la vie française en Amérique, présidé par Paul Gouin. Le 30 septembre 1955, le CVFA « est d’avis que le nom doit être Château Maisonneuve, non Queen Elizabeth Hotel et que la décoration doit être confiée à des experts
31. 32. 33. 34.
Robert Ayre (1958), « Arts and Crafts in the Queen Elizabeth Hotel », Journal - Royal Architectural Institute of Canada, vol. 35, no 6 (juin), p. 199-202. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/80, « Hotel Elizabeth II » (Queen Elizabeth Hotel - Decoration Advisory Committee, 12 juillet 1955. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/80, « Hotel Elizabeth II » (Queen Elizabeth Hotel - Decoration Advisory Committee, 18 août 1955. Michel Plourde, et autres (2000), Le Français au Québec 400 ans d’histoire et de vie, Saint-Laurent, Québec, Fides/ Les Publications du Québec, p. 255-256.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » canadiens-français35 ». Un an plus tard, en novembre 1956, Pierre Laporte, de la Ligue d’action nationale, demande au CVFA de protester auprès des Chemins de fer nationaux contre le nom de Queen Elizabeth et de boycotter la compagnie. Paul Gouin « fait observer que le Conseil a déjà protesté et qu’il demeure sympathique à la campagne de L’Action nationale36 ». Le premier ministre Duplessis refuse de se prononcer dans ce dossier sous prétexte que le CN relève de la juridiction fédérale et que « le gouvernement de la province de Québec, engagé dans une longue et dure bataille pour arrêter les empiètements fédéraux sur son terrain, ne peut absolument pas donner le mauvais exemple en empiétant sur le terrain fédéral. Il perdrait tous ses arguments, il affaiblirait toute sa position, il justifierait toutes les représailles37 ». L’hôtel gardera son nom, qui est aujourd’hui utilisé tour à tour en français ou en anglais. Lors de l’ouverture de l’établissement en 1958, le résultat obtenu par le comité de décoration correspond sans doute aux plus grandes ambitions de Paul Gouin et de Jean-Marie Gauvreau : une architecture contemporaine et des chambres modernes où s’intègrent des créations des artistes et artisans ayant puisé aux traditions du Canada français. Un exemple des plus intéressants de cette fusion est une tapisserie illustrant l’histoire de Montréal, dessinée par l’artiste Jean Dallaire et tissée à l’atelier de Georges-Édouard Tremblay à Pointe-au-Pic, lieu bien connu pour sa production de textiles d’inspiration traditionnelle. Les références à l’histoire et la culture du Québec sont subtiles : des salons désignés par le nom de personnages historiques ou de rivières du Québec ; des tapisseries s’inspirant de la technique de la catalogne ; des tapis crochetés selon les techniques traditionnelles tout en présentant des motifs modernes ; des vitraux illustrant des scènes de l’histoire canadienne. Bref, « l’artisanat québécois, mis au service de l’industrie du tourisme38 ». Selon l’historienne d’art Gloria Lesser :
35. 36. 37. 38.
AVQ, FCVFA (P52), P52-2B/1518-01, procès-verbal de la 19e session du Conseil de la vie française, 30 septembre 1955, p. 1671. AVQ, FCVFA (P52), P52-2B/1518-01, procès-verbal de la 177e réunion des administrateurs du Conseil de la vie française en Amérique, 7 novembre 1956, p. 1785. Robert Rumilly (1956), Quinze années de réalisations : les faits parlent, Montréal, Imprimerie Saint-Joseph, p. 220. Gloria Lesser (1989), École du Meuble 1930-1950, p. 88.
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Cette vaste opération a marqué la fin d’une ère, celle d’un romantisme conceptuel qui s’exprime par la dévotion de l’artisan à son art, à l’ornementation et à la décoration, et le dernier effort de préservation des liens symboliques avec la tradition « paysanne ». Elle aura été sans doute l’entreprise la plus ambitieuse de l’histoire de l’artisanat et de la décoration intérieure au Québec dans le domaine commercial, depuis l’établissement de la colonie française39.
D’autres initiatives privées profiteront des conseils de Paul Gouin, dont le restaurant Le Gobelet, installé dans une grange déplacée pièce par pièce au cœur de Montréal, sur la rue Saint-Laurent. Le propriétaire, Bernard Janelle, bénéficie des connaissances du conseiller technique et de Victor Depocas, l’architecte de la CMH, alors qu’il aménage son établissement au début des années 1960. Les murs déjà s’habillent de vieilles reliques du temps. Plats et casseroles en cuivre, pelle à braise à manche de fer, pichets en fer et étain, vieux fléaux servant à battre le grain, bouvets à clefs, vieux rabots, mille souvenirs d’une époque déjà révolue mais combien regrettée… Le grand art moderne viendra bientôt jeter une note harmonieuse dans cet établissement. En effet, Robert Roussil, sculpteur canadien-français établi en France et très avantageusement connu, est à préparer trois magnifiques pièces de sculptures en fer et bronze, qui deviendront l’honneur et la fierté de la vieille grange. Cette dualité du moderne et de l’ancien fera les délices de tous les amateurs d’art et de beauté40.
Le commerce est cité en exemple et ses efforts sont récompensés par le Comité de fierté française de la Société Saint-Jean-Baptiste41. Le mariage du moderne et de l’ancien que l’on trouve au restaurant Le Gobelet, et sous une forme différente à l’Hôtel Reine-Elizabeth, ne doit cependant pas se limiter aux établissements touristiques. [...] il y a d’autres débouchés extrêmement intéressants qui pourront être développés le jour où nous comprendrons que nos arts domestiques ne se limitent pas à la fabrication du bibelot-souvenir destiné aux touristes, à la statuette de bois sculpté, au tapis crocheté et à la catalogne destinés à décorer les maisons de campagne. Poursuivant leur évolution naturelle, ce dont il faut se réjouir, nos arts domestiques sont devenus des arts
39. 40. 41.
Ibid. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/107, Bernard Janelle à Paul Gouin, historique du restaurant « Le Gobelet », 24 avril 1963. Ibid.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » décoratifs. Étain et cuir, bois et céramique, fer et cuivre, laine et toile, se transforment sous les doigts habiles de nos artisans, en une variété d’articles qui conviennent à toutes les occasions, toutes les bourses et tous les goûts. Et tout celà dans une note ancienne ou moderne, très moderne même suivant le cas, pouvant servir de cadeaux de Noël, du Nouvel An, d’anniversaire, de mariage, de première communion, pouvant servir non seulement à la décoration d’une église, d’une chapelle, d’un monastère, mais aussi à la décoration d’une maison de campagne ou de ville, d’un bureau industriel, de commerçant ou de professionnel, d’un hôtel, d’une auberge, d’un restaurant de ville ou de campagne42.
Des traditions artistiques modernisées Mettre la tradition au goût du jour, voilà le mot d’ordre de Paul Gouin : « [...] quand je parle de tradition, ma pensée ne se porte pas vers la reproduction intégrale, mais plutôt vers une évolution préoccupée des mêmes principes de composition et de technique qui ont fait le charme des styles du passé43 ». Paul Gouin ne rejette donc qu’une part de la production moderne : l’objet manufacturé en série, qui ferait disparaître l’ « ambiance nationale » des intérieurs canadiens. En contrepartie, il encourage l’intégration d’objets contemporains inspirés des œuvres les plus remarquables des artisans d’autrefois. Il vante la production qui reflète « un modernisme de bon aloi » et qui démontre que les métiers anciens peuvent s’adapter aux exigences de la vie moderne, qui témoigne « que l’artisanat est tout le contraire d’un ramassis de traditions vieillottes qui ne serviraient qu’à faire revivre inutilement un passé suranné44 ». Paul Gouin est d’ailleurs un admirateur des artistes contemporains que sont les peintres Pellan, Cosgrove et Borduas, ainsi que des sculpteurs Louis Archambault et Roussil. La nouvelle galerie boutique qu’il ouvre en 1967 dans le Vieux-Montréal pour y exposer le travail des artistes et artisans veut aussi participer à la relance du quartier. Lors de l’ouverture, la galerie dirigée par Loreen Martin et Paul Gouin présente des tapisseries de Georges-Édouard Tremblay. « Outre cette exposition il y a évidemment les meubles anciens, les articles de cana42. 43. 44.
Paul Gouin (1950b), « Artisanat et folklore québécois ». MNBAQ, « Gouin, Paul, 1898-1976 », causerie radiophonique à CBF, 13 janvier 1952. MNBAQ, « Gouin, Paul, 1898-1976 », causerie radiophonique à CKAC, 26 mars 1950.
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diana et autres objets dont regorgent les trois étages du Pigeonnier45. » Deux ans plus tard, on retrouve Paul Gouin au Saint-Vincent, un autre commerce qu’il a ouvert dans le Vieux-Montréal, toujours avec Loreen Martin. « Cette fois, c’est une exposition de peintures, gravures et sculptures, groupant les œuvres de plus de vingt artistes québécois, qu’il présente dans le Vieux Montréal. […] cette exposition se tient sur le thème « Pour une véritable démocratisation des arts46. » Cette volonté de mise au goût du jour se manifeste dans tous les domaines : architecture, arts décoratifs, arts d’interprétation. « Nous avons maintenant dans toutes les sphères culturelles et artistiques, des spécialistes, des compétences. Grâce à eux, nous sommes maintenant en état d’assimiler les méthodes étrangères, de les adapter à notre mentalité pour nous enrichir sans danger. [...] Nous sommes en voie de nous retrouver, de redevenir nous-mêmes ; nous avons compris que nous pouvons, sans crainte, confier à « notre maître l’avenir » c’est-à-dire au progrès, le soin d’assurer la survivance de la culture, des traditions et des coutumes que nous a léguées « notre maître le passé47 ». Construire la modernité architecturale sur les fondements de la tradition La recherche d’un style architectural propre au Québec émerge des travaux des professeurs de l’Université McGill, Percy Nobbs et Ramsay Traquair, qui influencent fortement les réflexions sur l’architecture régionale au Québec. Au tournant des années 1940, on en vient à considérer la maison traditionnelle du Canada français comme « la preuve et même le garant, au même titre que la langue, de l’identité culturelle canadienne-française ainsi que le symbole de sa légitimité historique48. » L’idée de développer une architecture davantage « intégrée à la région », faisant « corps avec le pays et recherchant toujours ce qui 45. 46. 47. 48.
« Au Pigeonnier » (1967), Montréal-Matin (1 décembre 1967), p. 38. Voir aussi Al Palmer (1967), « The Old City », The Gazette (11 décembre 1967), p. 2. « Pour une véritable démocratisation des arts » (1969), Petit Journal MAG (20 juillet 1969), p. 27. Paul Gouin habite au dessus de ce restaurant-galerie. Paul Gouin (1951), « Au pays de Québec rien ne doit mourir et rien ne doit changer », p. 45. France Vanlaethem (1995), « Modernité et régionalisme dans l’architecture au Québec : Du nationalisme canadien de Percy E. Nobbs au nationalisme canadienfrançais des années 1940 », dans Luc Noppen (dir.), Architecture, forme urbaine et identité collective, Sillery, Septentrion, p. 174.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » lui est spécifique et la meilleure façon de l’exprimer » vise à résister à ce qui est perçu comme une tendance à l’uniformisation49. Plusieurs articles du journal La Province traitent de l’architecture canadiennefrançaise et sont accompagnés de photographies de maisons anciennes. René Chicoine dénonce la laideur des escaliers extérieurs en fer forgé ; Émile Rinfret souligne l’importance de restaurer les maisons centenaires au lieu de les détruire, afin de perpétuer la mémoire des ancêtres ; Jean Thibodeau réclame une architecture « qui réponde à nos besoins, qui soit le reflet de nos coutumes, de notre goût et de notre idéal50 ». Selon ses termes, « la seule source réelle [d’inspiration] pour nous, est l’architecture du Canada français, du temps de Frontenac à 1850. Nos pères ont créé une architecture qui n’était pas de l’architecture française d’alors, parce que celle-ci était dégénérée ; mais ils ont trouvé dans leur propre sein tous les éléments nécessaires à un nouveau langage architectural51. » Thibodeau aborde l’importance de l’éducation de la population pour favoriser une réappropriation de l’architecture canadienne-française. Cette réappropriation ne pourra se réaliser que par l’utilisation des modèles anciens comme source d’inspiration pour les nouvelles constructions et elle permettra la diffusion de l’architecture canadienne à l’étranger. Paul Gouin, pour sa part, dénonce la déchéance de l’architecture canadienne-française. L’architecture campagnarde – pour ne mentionner que celle-là, pour l’instant– est en pleine décadence. Autrefois toutes les demeures rurales, depuis celle du Bon Dieu jusqu’à celle du fermier, en passant par celles du prêtre et du meunier, empruntaient à la nature qui les environnait la grâce de leur style et la solidité de leurs matériaux. […] tout cela avait de la ligne, de l’allure, du cachet ; tout cela avait un air de parenté, un air de simplicité rustique. Église, presbytère, maisons et moulins sortaient vraiment du sol qu’ils étaient chargés de bénir, de protéger et de faire fructifier. 49.
50.
51.
Victor Depocas (1956), « Vers une architecture régionale », Architecture, bâtiment, construction (avril), p. 39-41. Voir aussi Eugène Stucker (1940), « L’architecture nationale de la province de Québec », Technique, vol. XVI, no 7, (septembre 1940), p. 445-450. René Chicoine (1937), « Escaliers, galeries, laideur », La Province (30 janvier), p. 4 ; Émile Rinfret (1937), « Vieilles maisons », La Province (31 juillet), p. 4, 6 ; Jean Thibodeau (1937a), « L’architecture canadienne-française à l’étranger », La Province (7 août) ; Jean Thibodeau (1937b), « Pour une architecture nationale », La Province (3 juillet), p. 6. Jean Thibodeau (1937b), « Pour une architecture nationale ».
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Figure 22 « Le visage du Canada français... » Raoul Hunter, 1959. BAnQ-Q, Fonds Raoul Hunter (P716, P59-12-17).
Le remplacement des techniques et des formes traditionnelles, ainsi que l’arrivée des matériaux modernes, ont complètement bouleversé le paysage : Tuiles d’amiante, briques rouges ou jaunes, papier goudronné, tôle galvanisée, « beaver-board », planches en lattes fabriquées en série, papierimitation-de-briques, béton, pierre artificielle, tôle imitation-de-pierres, surgirent de la valise du commis voyageur comme d’une boîte à surprise. Des styles nouveaux pour nous, colonial hollandais, colonial américain, espagnol, arabe, turc, etc… apparurent aux pages des revues et des journaux. Notre architecture campagnarde, fatiguée de son régime séculaire de pierres des champs, de bardeaux et de lignes à la française, avala pêle-mêle ces primeurs aux violentes vitamines. Elle ne les a pas encore assimilées et il est à craindre qu’elle ne meure d’indigestion si les architectes et les artistes ne s’emploient, sans tarder, à lui prescrire un régime sévère et à lui enseigner la façon d’apprêter ces aliments modernes52.
52.
Paul Gouin (1959), « L’architecture », p. 28.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Parmi les solutions à apporter pour ériger autre chose que ces « constructions [aux] allures fort harmonieuses de boîtes d’allumettes ou de tinettes de beurre53 », il faut développer la sensibilité des nouveaux architectes aux traditions canadiennes-françaises (figure 22). C’est dans cet esprit que le gouvernement du Québec avait organisé un inventaire des maisons canadiennes-françaises et des concours d’architecture au début des années 1940. La publication Une belle maison dans une belle province proposait ensuite des modèles d’habitation inspirés de l’architecture ancienne, mais répondant aux besoins modernes54. En juillet 1950, Paul Gouin propose au directeur de l’École des beaux-arts de Montréal, Roland Charlebois, d’imposer aux étudiants en architecture le dessin d’établissements hôteliers ou de restaurants, qui pourraient ensuite être diffusés auprès des hôteliers. Dans la perspective de Gouin, « il serait sage de permettre aux élèves de choisir leur sujet qui pourrait être traité dans la note ancienne ou moderne mais dans un style caractéristique du Québec55 ». En 1956, un concours d’architecture est organisé par Victor Depocas, professeur de composition architecturale à l’École des beaux-arts de Montréal et architecte associé à la CMH. L’exercice proposé aux étudiants consiste à s’inspirer d’une maison ancienne et à en faire une interprétation contemporaine. Selon Depocas, il s’agit d’un nouveau pas « en vue de créer une architecture régionale pour le Québec ». Le jury appelé à évaluer les projets se compose de Paul Gouin, de Gérard Morisset et des professeurs de l’École. Le projet gagnant, celui de Jean Gareau, a le mérite, affirmet‑on, de s’être libéré de la forme de l’ancienne maison tout en utilisant des matériaux de même nature56. L’objectif de ces concours est de proposer des solutions novatrices répondant aux besoins modernes, tout en se situant dans le respect de la tradition. La question prend une nouvelle actualité dans le contexte des réflexions sur la conservation des secteurs anciens des villes, dont le
53. 54. 55. 56.
MNBAQ, « Gouin, Paul, 1898-1976 », causerie radiophonique à CKAC, 23 octobre 1949. Québec (Province). Office du tourisme et de la publicité (1944), Une belle maison dans une belle province = A beautiful home in a beautiful province, Québec, l’Office. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/39, « C divers », Paul Gouin à Roland Charlebois, 24 juillet 1950. Victor Depocas (1956), « Vers une architecture régionale ».
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Vieux-Québec. La Commission des monuments historiques, sans doute influencée par la pensée de son secrétaire, Gérard Morisset, avait un parti pris « préservationniste », surtout orienté vers l’architecture issue du Régime français57. Paul Gouin se montre pour sa part ouvert à l’introduction de « certains éléments d’architecture moderne dans la ville de Québec […] à condition que ces éléments s’harmonisent avec l’architecture ancienne environnante ». Cette architecture doit selon lui « évoluer mais dans le sens de l’esthétique, dans le sens de la beauté, […] dans l’esprit des traditions que nous ont léguées nos ancêtres58 ». Quelques années plus tard, Gouin défend l’idée, devant les membres de la Chambre de commerce de Québec, d’intégrer de nouvelles constructions dans la trame urbaine du Vieux-Québec. Il voit là un moyen de contribuer à l’embellissement de la ville. De nouveau, en 1957, il organise un concours d’architecture à l’occasion du Congrès de la refrancisation. Les étudiants de l’École des beaux-arts de Montréal doivent alors proposer un « projet d’hôtel moderne s’harmonisant avec des constructions de style ancien dans une rue donnée du VieuxQuébec59 ». Cette question d’intégration architecturale relève, en fait, d’une réflexion plus large sur les choix de conservation des secteurs anciens. Pour Paul Gouin, le Vieux-Québec « ne doit pas devenir un simple musée d’antiquités, mais rester toujours une partie vivante de la ville, avec une échelle différente60 ». Ces principes visant à recourir à l’architecture ou aux façons de faire du passé trouvent de multiples lieux de mise en application : les édifices érigés dans les parcs nationaux du Québec par le ministère de la Chasse et des Pêcheries s’inspirent de l’ancienne architecture québécoise ; le Service de l’hôtellerie du ministère de l’Industrie et du Commerce souhaite orienter les constructeurs d’établissements hôteliers vers
57.
58. 59. 60.
Alain Gelly et autres (1995), La passion du patrimoine, p. 97. Musée du Québec et Groupe de recherche en histoire socio-culturelle du Québec (dir.) (1981), À la découverte du patrimoine avec Gérard Morisset, Québec, ministère des Affaires culturelles/ Musée du Québec. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/13, Causerie radiophonique à CBF, 19 novembre 1950. Conférence prononcée devant la Chambre de Commerce de Québec, le 7 novembre 1957, citée dans Alain Gelly et autres (1995), La passion du patrimoine, p. 97 ; Paul Gouin (1957), « Traduction et refrancisation ». « Le Vieux-Québec mourra si personne ne corrige la situation actuelle » (1965), Le Soleil (15 février), p. 17.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » un type d’architecture typiquement québécoise61 ; les nouvelles écoles ont « un cachet canadien-français » qui réjouit Paul Gouin puisque « c’est à l’école que se forme le goût de nos enfants. » Enfin, l’architecture des nouvelles églises s’inspire des mêmes tendances : « Certaines églises construites récemment rappellent, dans la note moderne, nos belles traditions architecturales d’autrefois et dans la décoration intérieure de plusieurs de ces temples, l’on a fort heureusement, eu recours au talent de nos artistes et artisans62 ». La construction de nouveaux édifices religieux offre d’ailleurs un lieu propice à la création contemporaine inspirée de la tradition. L’art religieux contemporain L’Église catholique a pendant longtemps été l’un des principaux mécènes au Québec. En conséquence, de nombreuses églises conservent les œuvres les plus remarquables de l’héritage artistique. Dans un article, Paul Gouin s’inspire des travaux de Gérard Morisset pour retracer l’évolution de l’art sacré au Canada français. Il affirme que le xviiie siècle et le début du xixe siècle ont été un « âge d’or », qui a ensuite été suivi d’une « période de décadence ». Aussi longtemps que nous avons été isolés, n’ayant à notre disposition que les matériaux que nous pouvions puiser dans notre sol, aussi longtemps que nous avons été nous-mêmes, c’est-à-dire fidèles aux traditions que nous ont léguées nos ancêtres, nous avons bâti de belles églises et créé pour leur ornementation des œuvres vraiment artistiques qui font l’admiration des experts, des œuvres dont Traquair a pu dire, en parlant de la sculpture sur bois, qu’elle est l’une des plus brillantes manifestations artistiques qu’ait connues l’Amérique du Nord.
Puis, l’ouverture sur le monde qu’offre les voyages à l’étranger à compter du milieu du xviiie siècle contribue à introduire « le pastiche des grands styles du passé et les bon-dieuseries imaginées par les marchands de la Place Saint-Sulpice à Paris ». La décadence s’accélère par l’importation, la fabrication en série et l’intégration des matériaux modernes. Enfin, Gouin blâme « le vandalisme dont nous nous sommes rendus coupables. Nous avons démoli des églises qui étaient des chefs-
61. 62.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/80, « H-8 Hôtellerie », Lauréat Tardif à Paul Gouin, 11 octobre 1957. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/11, causerie Kiwanis, 30 janvier 1957.
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d’œuvre d’architecture religieuse, nous avons détruit, brûlé des sculptures magnifiques, nous avons vendu à des prix dérisoires, pour s’en débarrasser, des objets d’art sacré de toute beauté qui font maintenant l’orgueil de certains musées et des collectionneurs63 ». Paul Gouin a lui-même fait le commerce de ces objets auprès d’autres collectionneurs64 (figure 23). Dès lors, un paradoxe émerge
Figure 23 Paul Gouin dans son entrepôt d’antiquités, probablement en compagnie d’une acheteuse. Lida Moser, 1950. BAnQ-Q, Fonds Lida Moser (P728, S1, DQ17, P35).
63. 64.
Paul Gouin (1950a), « “À la recherche du temps perdu”... en art sacré », Les Carnets viatoriens, vol. XV, no 2 (avril), p. 132-139. Par exemple, une croix de fer forgé provenant de l’église de Sainte-Croix de Lotbinière qu’il a vendue à William H. Coverdale. BAnQ-Q, FMAC (E6), 198000-025/10, « Sale and disposition of Collections Material - 1950-1951 », Correspondance entre Abigail Love et Victor Tremblay, 2 février 1951.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » dans ses actions en faveur de la conservation patrimoniale. Il est clair que la conservation de ces biens d’églises le préoccupe. Sa collection d’objets d’art religieux est suffisamment importante pour qu’il affirme que sa maison a souvent été comparée à une chapelle : parce qu’on y trouve, en grand nombre, des vases sacrés, des statues, des sculptures provenant de nos vieilles églises. Ai-je collectionné ces objets parce que je m’intéressais à l’art sacré ou suis-je devenu un fervent de cet art parce que je possédais ces objets ? […] Comment se fait-il que ces objets, destinés au culte, soient ici dans une maison privée ? Par quoi les a-t-on remplacés dans les églises où ils se trouvaient ? Que sont devenues ces églises65 ?
Il est fort probable que Gouin se considère comme un sauveteur de ces biens, qu’il croit ainsi assurer la conservation au Québec de cet art religieux qui constitue « le plus beau fleuron de notre patrimoine artistique et culturel ». De nombreux objets de ce fleuron ont été vendus au Musée de la province de Québec par Paul Gouin en 1951. Les pièces provenaient de plusieurs églises anciennes de la province : Saint-Vallier de Bellechasse, Saint-Martin de l’île Jésus, Saint-Denis-sur-Richelieu, Saint-Jean-Baptiste de Rouville, Sainte-Croix-de-Lotbinière, Saint-Titedes-Caps, Château-Richer, Sainte-Geneviève-de-Pierrefonds, Cabano, Maskinongé, Saint-Laurent (Montréal), Saint-Sulpice, Sainte-Marie de Beauce, Sault-au-Récollet, Saint-Roch, l’ancienne chapelle des Jésuites de Québec, le cimetière de Beauharnois, etc.66 Ces actes individuels de « sauvetage » sont toutefois bien insuffisants, et Gouin propose au clergé d’adopter « des mesures rigoureuses pour empêcher que l’on ne dilapide les trésors du passé ». Il dénonce « le vandalisme qui s’exerce toujours dans certaines de nos vieilles églises67 ». Citant l’exemple français, il propose la création d’une commission « composée d’hommes compétents », prêtres et laïcs, « qui aurait plein pouvoir de contrôler et diriger non seulement la conservation de nos églises d’autrefois mais aussi la construction de nos nouveaux temples ». Il voit là un « moyen d’assurer la survivance et le plein épanouis-
65. 66. 67.
Paul Gouin (1950a), « “À la recherche du temps perdu”... en art sacré », p. 132. Musée de la civilisation, « Livre d’accession de la Province de Québec, 1955 ». Paul Gouin (1950a), « “À la recherche du temps perdu”... en art sacré », p. 137.
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sement de notre art religieux ancien et moderne68 ». Cette idée de créer des « commissions diocésaines d’art sacré pour la conservation des œuvres anciennes et le choix des œuvres nouvelles » avait été suggérée quelques années plus tôt par Jean-Marie Gauvreau, qui réitère cette proposition lors du Congrès d’art religieux en 195269. La Commission des monuments historiques se préoccupe aussi de cette situation, et c’est en tant que président de cette organisation que Paul Gouin rencontre les évêques de la province à ce sujet. Diverses solutions sont envisagées, dont le classement d’un certain nombre d’églises et de leur contenu en tant que monuments historiques. Il estime qu’il faut former les prêtres dans ce domaine et les informer davantage, car même si « Nos Seigneurs les Archevêques et Évêques n’ont jamais cessé de s’intéresser à l’art religieux […] les sages avertissements qu’ils donnent à ce sujet ne sont pas toujours suivis70 ». Le président de la CMH fait aussi pression sur le premier ministre pour qu’il intervienne personnellement auprès de l’épiscopat afin d’inciter les évêques à accepter ces procédures. Les évêques proposent pour leur part la réalisation d’un inventaire des œuvres d’art de toutes les églises de la province, l’application d’un sceau sur les objets pour les identifier et en indiquer la valeur ; l’« affichage dans les sacristies de la liste des œuvres d’art qui y sont contenues, avec leur valeur, et les sanctions légales en cas de vente illicite » ; enfin, l’établissement d’une liste des œuvres d’art disparues ou vendues depuis les dernières années71. Au cours des années 1940 et 1950, les membres du clergé n’ont pas échappé à l’attrait de la nouveauté. Plusieurs ont choisi de renouveler le mobilier liturgique et ont vendu aux collectionneurs et antiquaires les objets anciens : « Tout le monde sait que nos curés n’ont aucun scrupule à vendre les objets d’art de leurs églises72. » Ces objets ont été
68. 69. 70. 71. 72.
Ibid., p. 139. Jean-Marie Gauvreau (1946), « Pour un renouveau de l’art sacré au Canada », Mémoires de la Société royale du Canada, Société royale du Canada, p. 27-28 ; L’Art religieux contemporain au Canada (1952), Québec, [s.n.], p. 52. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/78, « commission d’art sacré », Paul Gouin à Mgr Alexandre Vachon, 7 septembre 1950. BAnQ-Q, FCBC (E52), 1993-12-005/31, Procès-verbal de la treizième réunion de la CMSHA (4 octobre 1956), 18 octobre 1956, p. 48 ; procès-verbal de la quatrième réunion de la CMH (16 septembre 1955), p. 16. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/96, « B – divers », Paul Gouin à Paul Frenette, 20 décembre 1952.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » remplacés par ce que Gérard Morisset décrivait comme du pastiche ou de la pacotille. Pour contrer cette situation, il faut assurer le renouveau de l’art religieux en faisant appel aux artistes et artisans pour la décoration des églises et lieux de pèlerinage. Quelques artistes sont particulièrement actifs dans ce domaine : Sylvia Daoust, Médard et Jean-Julien Bourgault, Léo Arbour, Marius Plamondon, Elzéar Soucy et Simone Hudon-Beaulac, pour n’en nommer que quelques-uns des plus connus. Des regroupements visant la promotion de cet art se forment, dont « L’Atelier » à Québec et « Le Retable » à Joliette. « L’Atelier » a été fondé par le directeur de l’École des beaux-arts de Québec, Jean-Baptiste Soucy, avec l’appui du Secrétariat de la province et du ministère de l’Industrie et du Commerce. Professeurs et élèves y réalisent des œuvres « qui attestent d’un goût sûr et digne de notre époque73 ». Quant au groupe « Le Retable », créé en 1946 par André Lecoutey et le Père Wilfrid Corbeil, il se donne pour mission de « regrouper des artistes ayant à cœur d’offrir au culte liturgique des œuvres d’art authentiques, simples et empreintes de liberté74 ». Quelques années plus tard, Lecoutey participe à la fondation de la revue Arts et pensée, consacrée à la vie artistique canadienne. Le premier numéro traite amplement d’art religieux. L’équipe de rédaction y justifie la naissance de cette publication et explique l’orientation qu’elle souhaite lui donner. [...] malgré le développement intéressant d’une élite d’artistes, le niveau moyen du bon goût est déplorablement bas. Ainsi en est-il pour l’art profane. Et le domaine de l’art religieux, bien loin de faire exception, présente un cas encore plus alarmant ; car, devant remplir une mission plus haute, sa vocation même nous invite à être plus exigeant envers lui. Et pourtant, que de vulgarités, que de niaiseries dans la plupart de nos temples ! Telles sont les principales raisons qui font naître la revue « Arts et pensée ». [...] [Elle] est née de l’impatience de réagir contre l’invasion de la laideur et du zèle audacieux à propager la beauté. Son programme sera pratiquement limité aux arts plastiques75.
Comme c’est le cas dans bien d’autres domaines, la France constitue un modèle pour l’art religieux. « Continuons d’aller puiser en France les éléments nécessaires à notre culture ! » insiste Jean-Marie Gauvreau, qui souligne que l’influence « fut française à ses origines, et 73. 74. 75.
Jean-Marie Gauvreau (1946), « Pour un renouveau de l’art sacré au Canada », p. 32. Paul Gouin (1950a), « “À la recherche du temps perdu”... en art sacré », p. 40. Arts et pensée (1951), Montréal, Éditions Chantecler, no 1.
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qu’elle continue de l’être par ses disciples canadiens des maîtres français76 ». Outre Dom Paul Bellot, ces « maîtres français » sont des professeurs rattachés aux « Ateliers d’Art Sacré » de Paris, tel que Maurice Denis, le père Marie-Alain Couturier et l’abbé André Lecoutey, qui séjournent tour à tour au Québec, où ils ont une certaine influence. Ainsi, le père Couturier, défenseur de l’art moderne contemporain, se montre très critique face à la situation de l’art sacré au Canada français77. Dans le cadre de son enseignement à l’École du meuble, en 1940-1941, il dirige les étudiants dans la production de projets d’ameublement religieux que le public peut examiner lors d’une exposition en juin 1941. Une fois encore, ces manifestations apparaissent comme un outil didactique essentiel. Dès 1938, une première exposition d’art religieux contemporain avait été présentée au Musée de la province de Québec. Le centenaire de l’Université Laval et de sa faculté de théologie en 1952 offre une nouvelle occasion d’exhiber des productions d’art religieux contemporain. Avec la collaboration du Secrétariat de la province et celle de Jean-Marie Gauvreau de l’École du meuble, Paul Gouin organise une exposition au Café du Parlement à Québec. L’objectif de cette présentation est de démontrer la transformation de l’art religieux depuis le début des années 1930 et d’assurer l’évolution de cet art. L’exposition comporte deux sections. La première présente les pièces sélectionnées dans le cadre d’un concours organisé par l’Office provincial de l’artisanat et de la petite industrie. Paul Gouin semble craindre que le fait que le concours soit chapeauté par un organisme voué à l’artisanat rebute les artistes. Si l’Office Provincial de l’Artisanat et de la Petite Industrie a pris l’initiative de la chose, il ne faudrait pas que nos artistes se sentent diminués par le fait même. Des juges compétents et cultivés décerneront les prix. D’autre part, je sais que nos artisans, surtout ceux qui, à la fois, créent et exécutent leurs propres œuvres, sont susceptibles d’être stimulés. S’ils restent toujours dans les mêmes sillons, leur production deviendra, à la longue, banale et peu appréciée du public.
76. 77.
Jean-Marie Gauvreau (1946), « Pour un renouveau de l’art sacré au Canada », p. 26 et 35. Ibid.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » J’ai donc confiance que nos peintres, nos sculpteurs, nos céramistes, nos tisserands, nos décorateurs, nos dessinateurs vont se donner le mot pour que ce concours prenne une tournure vraiment nationale78.
La deuxième section de l’exposition est consacrée aux créations des élèves de l’École du meuble et des écoles des beaux-arts de Montréal et de Québec. Les visiteurs peuvent y admirer une chapelle et son mobilier, des meubles, des tableaux, des statues et bas-reliefs, des plans et divers projets, ainsi que des agrandissements photographiques. L’événement est aussi l’occasion de tenir un congrès d’art religieux afin de discuter des tendances et des théories sur le sujet. Une publication accompagne l’exposition. En plus des récentes directives pontificales en matière d’art sacré, on y trouve des réflexions de Gérard Morisset sur l’architecture religieuse moderne, la reprise du texte de Jean-Marie Gauvreau intitulé « Le renouveau de l’art sacré au Canada », et enfin un article d’André Lecoutey sur l’art sacré et le commerce79. En parallèle à l’exposition du Café du Parlement, le Musée de la province présente l’« Exposition rétrospective de l’art au Canada français ». Peintures, orfèvrerie et divers travaux d’artisanat y côtoient des agrandissements photographiques montrant l’architecture du Canada français. Malgré cette diversité, un fait saute aux yeux selon le directeur du musée, Gérard Morisset : le grand nombre de fragments de sculptures d’église qui y figurent, comme des épaves. Il faut donc qu’à une certaine époque la nation n’ait vu, dans le décor de nos vieilles églises, que des ouvrages frustes, grossiers, dénués de style, en somme des ensembles d’une valeur douteuse. Elle s’en est débarrassée en reléguant dans des hangars et des greniers ou en vendant à des antiquaires, qui les guettaient d’ailleurs depuis longtemps, des statues en bois doré, des bas-reliefs, des fragments de retables et de voûtes, même des tabernacles, des chaires et des bancs d’œuvre –en somme les œuvres les plus parfaites et les plus précieuses de nos ancêtres, celles où ils avaient mis le meilleur de leur âme, de leur talent et de leur sensibilité80.
78. 79. 80.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/9, règlements du concours d’art religieux contemporain, 8 avril 1952. L’Art religieux contemporain au Canada (1952). Gérard Morisset (1952), « Avant-propos », dans Exposition rétrospective de l’art au Canada français / The Arts in French Canada, Québec, Secrétariat de la province.
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Ces trésors anciens ont été remplacés par ce que Jean-Paul Lemieux appelle la « camelote étrangère » et que Gérard Morisset désigne comme « de la pacotille fabriquée en série à l’usine, […] une marchandise médiocre, dont se contente la médiocrité moderne81 ». La volonté de moderniser la décoration se manifeste plus particulièrement dans le cas des nouvelles églises, et c’est avec cet objectif que Paul Gouin invite les étudiants en sculpture et en arts décoratifs de l’École des beauxarts de Montréal à participer de nouveau à un concours d’art religieux contemporain à l’occasion du Congrès de la refrancisation en 195782. Le recours à la tradition et la tendance au régionalisme dans le renouveau de l’art sacré ont été favorisés par les recommandations du pape Pie XI, qui ouvraient la porte à l’enrichissement de l’art religieux par le recours aux particularités régionales83. L’un des exemples les plus remarquables du recours aux traditions locales se trouve dans la chapelle Notre-Dame de Clermoutier, aménagé par Wilfrid Corbeil vers 1936. L’autel est fait de bois rond, tout comme les murs du bâtiment ; le sol et les bancs sont recouverts de catalognes. André Lecoutey résume très simplement les principes nécessaires à la création d’œuvres d’art sacré pour les lieux de culte : adaptation à la fonction, au lieu, au milieu humain et à la technique propre à chaque art. Lecoutey prône la vérité dans l’emploi des matériaux et des formes, car « la vérité de la matière oblige à la qualité », qui à son tour, « amène à une autre règle : la simplicité ». Autre élément essentiel, le recours aux artistes et artisans locaux, qui seuls peuvent produire des œuvres « vraiment vivantes, des Œuvres qui ont une âme84 ». Paul Gouin adhère à cette recommandation : seuls les artisans d’ici pourront « donner à nos sanctuaires un cachet national dans toute l’acception du mot85 » (figure 24).
81. 82. 83. 84. 85.
Jean-Paul Lemieux (1951), « La camelote étrangère », Arts et pensée, no 1 (janvier), p. 28-29 ; Morisset (1952), « Avant-propos ». Paul Gouin (1959), « L’architecture », p. 34 Ginette Laroche, et autres (1999), Le renouveau de l’art religieux au Québec, 1930-1965, Québec, Musée du Québec, p. 21. André Lecoutey (1949), « Pour la beauté des églises », L’Action nationale, vol. XXXIII, no 3 (mars-avril), p. 157-169. MNBAQ, « Gouin, Paul, 1898-1976 », Causerie radiophonique à CKAC, 18 décembre 1949.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir »
Figure 24 Paul Gouin, dans un atelier d’art religieux contemporain. Lida Moser, 1950. BAnQ-Q, Fonds Lida Moser (P728, S1, DQ17, P35).
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Fêtes populaires et spectacles de folklore Les fêtes commémoratives et les festivals de toutes sortes sont depuis longtemps considérés comme d’extraordinaires occasions de mettre en valeur les traditions du Canada français. Outre les divers projets de présentation de spectacles de folklore dans des villagesmusées, les expositions d’artisanat, comme celle de l’île Sainte-Hélène en 1951, sont aussi des lieux propices aux spectacles de folklore. Elles offrent simultanément « une magnifique leçon de choses pour notre population et une attraction touristique de grande envergure86 ». Le folklore doit être exploité en tant que source d’inspiration pour la création contemporaine, car c’est la seule façon assurer la survie de cet héritage : Nous n’avons pas le droit de laisser dormir cette richesse ; nous devons l’exploiter, la faire fructifier, nous en servir pour redonner à notre province son caractère, son visage français. […] Il ne s’agit donc pas de lutter contre le progrès mais bien au contraire de nous en faire un allié, de nous servir des inventions modernes pour assurer la survivance de nos traditions. Il n’y a plus, par exemple, de conteurs d’histoires ou de légendes, mais il y a la radio, la presse, le théâtre, l’école avec ses manuels de lecture ou de composition et ses livres de récompenses. Nous devons utiliser davantage ces merveilleux moyens de propagande et d’éducation que la science moderne met à notre disposition. Nous devons sortir notre folklore des archives pour le transposer dans la littérature, la sculpture, la musique, la peinture ; nous devons le faire revivre au théâtre, à la radio, au cinéma, sur la place publique. Nous devons nous en inspirer pour créer des sketchs radiophoniques, des fééries, des ballets, des festivals. Personnages, décors, musique, danses, n’attendent que l’auteur qui saura utiliser ces richesses pour créer d’autres richesses c’est-à-dire des spectacles à la portée de nos esprits modernes, spectacles qui nous procureront un grand plaisir intellectuel et serviront en même temps à attirer davantage le touriste chez nous87.
86. 87.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/63, dossier « R – divers », Paul Gouin à Antoine Rivard, 29 mai 1950. Paul Gouin (1951), « Au pays de Québec rien ne doit mourir et rien ne doit changer », p. 48.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » En France, affirme Paul Gouin, on a su utiliser le folklore dans l’art et le spectacle88. Gouin tentera d’en faire autant dans le cadre des activités de la Société des Festivals de Montréal, en 1952. Cet organisme sans but lucratif a été fondé en 1936 par Antonia David, épouse d’Athanase David, et le chef d’orchestre Wilfrid Pelletier. Madame David en assume la présidence jusqu’en 1952, moment où elle est remplacée par Paul Gouin qui tient ce rôle jusqu’en 195689. La Société avait pour but la diffusion des chefs-d’œuvre de la musique : oratorio de musique sacrée et profane, œuvres inédites de musique symphonique, opéra et concerts de musique de chambre. Elle cherche aussi des moyens pour encourager les artistes et auteurs canadiens, en faisant connaître leurs œuvres et leurs talents dans des conditions exceptionnelles. La Société des Festivals de Montréal s’est fixé comme objectif d’offrir au public montréalais et aux touristes l’occasion d’assister à des spectacles et à des concerts de haute qualité, à des prix abordables. Elle prend pour modèle le Festival de musique et de théâtre d’Edinburgh, dont elle espère devenir l’équivalent en Amérique du Nord90. Dès qu’il assume la présidence de la Société des Festivals de Montréal, Gouin insuffle ses idées dans la programmation. Conçu comme « une éclatante manifestation culturelle et une attraction touristique vraiment remarquable », le festival de 1952 propose un mois d’activités caractérisées par l’introduction du folklore dans plusieurs des événements. Le tout « dans une tendance avouée et fort louable de lui donner un caractère canadien soit par le genre des œuvres soit par le choix des interprètes, soit encore par l’ambiance qu’on entend y créer91 ». Fidèle à ses habitudes, le festival présente des œuvres d’auteurs canadiens jouées par des artistes canadiens. Une grande fête populaire animée par Roger Varin et l’Ordre de Bon Temps est organisée au Parc Lafontaine. Après des danses autour de l’étang, un conteur entre en scène et 88. 89. 90. 91.
MNBAQ, « Gouin, Paul, 1898-1976 », causerie radiophonique à CBF, 11 février 1951. Fernand Harvey (2003), « La politique culturelle d’Athanase David » ; BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/60, « Festival 53 – publicité », Almanach du peuple 1954. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/60, « Société des Festivals- historique, 1945 » ; « Festivals de Montréal 1954 Recettes », lettre de sollicitation pour la campagne de souscription 1951-1952. Paul Gouin (1952b), « Nous danserons dans l’île... de Montréal », La Revue moderne, vol. 34, no 3, (juillet), p. 26.
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récite des légendes canadiennes. La foule est invitée à participer aux danses traditionnelles qui se déroulent tout au long de la soirée. Par ailleurs, une exposition d’artisanat est organisée par l’Office provincial de l’artisanat et de la petite industrie dans un nouveau pavillon du Parc Lafontaine. Enfin, au Musée des beaux-arts de Montréal une exposition intitulée « Les Arts du Québec » traite de sculpture, de peinture et d’arts appliqués. Les œuvres ont été choisies par le président du musée, Cleveland Morgan, le directeur de l’École des beaux-arts, Roland Charlebois et, bien sûr, Paul Gouin. Paul Gouin considère ce festival comme « le plus canadien et le plus considérable jamais présenté au Canada ». Le programme de 1952 était ambitieux et les années suivantes semblent revenir aux activités habituelles des Festivals de Montréal, à savoir principalement les concerts de musique classique, l’opéra et le théâtre. Lorsque Vincent Massey propose la tenue d’un festival d’envergure pour la ville d’Ottawa en 1953, Gouin défend la valeur du travail accompli à Montréal, et réclame l’appui du gouvernement pour éponger le déficit et assurer la tenue de l’événement en 1953. « En annonçant dès maintenant que la province a réglé notre déficit de cet été et qu’elle nous donnera un octroi substantiel pour le festival de 1953, M. Duplessis damerait le pion à M. Massey92 ». Le festival de 1953 revient à la formule des grands classiques. Les organisateurs cherchent à plaire autant aux communautés anglophone que francophone de Montréal en présentant King Lear de Shakespeare et Le bourgeois gentilhomme de Molière. Une pièce de Marcel Dubé est aussi montée. Ces festivités sont cependant onéreuses et la Société des Festivals accumule les déficits. Paul Gouin demande donc 50 000 $ au premier ministre Duplessis, qui lui en accorde 40 000 $ en insistant que cette somme sera « définitivement la dernière subvention du gouvernement de la province93 ». Afin de financer les activités du Festival, Gouin a sollicité l’appui des riches Montréalais. Mais il est avant tout le programmateur de l’événement. Pour 1956, il a choisi Athalie, de Racine, mettant en vedette Denise Pelletier ; l’opéra Le mariage de Figaro ; La messe en SI mineur de Bach ; et la présentation en plein air du ballet l’Oiseau Phénix du compositeur Clermont Pépin
92. 93.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/60, « Festival 52 – bilan », Paul Gouin à Georges Léveillée, 22 décembre 1952. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/91, « D- Spécial », Paul Gouin à Maurice Duplessis, 17 mai 1955 ; Maurice Duplessis à Paul Gouin, 14 juin 1955.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » dans le parc Lafontaine. Pour 1957, il planifie des pièces de Shakespeare, en français et en anglais94. En 1957, en plus d’organiser les Festivals de Montréal, Gouin planifie des activités culturelles dans le cadre du Congrès de la refrancisation. L’événement offre une nouvelle occasion de rencontre entre tradition et modernité. Ainsi, la soirée de clôture et le défilé de la SaintJean-Baptiste ont pour thème l’évolution de la civilisation canadiennefrançaise, sujet pour le moins conventionnel. Paul Gouin propose cependant de lui donner une touche contemporaine. Par exemple, pour le défilé : « [...] un char allégorique évoquera une maison québécoise d’autrefois, le char suivant l’adaptation moderne de cette même maison ; un autre char évoquera un roman d’autrefois, le suivant un téléroman et ainsi de suite. » De même, pour le spectacle, « [...] on interprétera des chansons anciennes et contemporaines ; on dansera des danses de folklore et un ballet canadien moderne. » De plus, les concours organisés dans les écoles spécialisées de la province, tous inspirés par le thème « la culture canadienne-française d’hier et d’aujourd’hui », traduisent cette volonté de puiser à la tradition pour créer un art qui reflète le meilleur de la culture canadienne-française. Ainsi, les étudiants de l’École du meuble ont préparé « des maquettes de décoration intérieure à la québécoise pour hôtels, motels et restaurants ». L’École des beaux-arts de Montréal était pour sa part responsable du concours d’architecture. Le défi proposé aux participants était d’élaborer un « projet d’hôtel moderne s’harmonisant avec des constructions de style ancien dans une rue donnée du Vieux-Québec ». On reconnaît là l’intérêt de Paul Gouin pour le développement d’hôtels originaux, ainsi que sa volonté de voir se développer une architecture adaptée aux besoins du jour. Enfin, comme nous l’avons évoqué plus haut, les étudiants en sculpture et en arts décoratifs de l’École des beaux-arts de Montréal ont participé à un concours d’art religieux contemporain. Une dizaine d’années plus tard, en 1968, Gouin s’investit de nouveau dans des projets d’organisation de festivités dans le Vieux-Montréal. La Corporation du Village du Vieux-Montréal veut attirer un million de visiteurs annuellement, grâce à un programme d’activités dans le quartier ancien de la ville. Parmi les attractions possibles, Gouin envisage des parties de sucre, des festivals de chansons et de folklore, des
94.
« Festival for the Arts », Time, 20 août 1956, p. 12, 14.
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r econstitutions historiques et des spectacles son et lumières. La première activité prévue serait un festival d’hiver, présentant des concours variés –dont la sculpture sur glace –, des randonnées en raquettes, des bals costumés, des expositions artistiques et du vaudeville. Le comité souhaite que les rues du Vieux-Montréal soient décorées de façon à recréer l’esprit des débuts de la colonie et les marchands, tout comme les visiteurs, seront invités à se costumer. Les restaurants et auberges sont pour leur part priés d’offrir des menus d’époque95. Une fois encore, ce projet rappelle le concept du village-musée que proposait Paul Gouin pour le Vieux-Montréal trente ans plus tôt. Vers la mise en place d’une politique culturelle Les multiples axes de développement culturel auxquels s’intéresse Paul Gouin font de lui un intervenant majeur dans le domaine. Fort de ses observations et interventions depuis les années 1930, il élabore un « projet de loi concernant la conservation et le développement de notre patrimoine artistique et culturel96 » qu’il soumet au premier ministre Duplessis au tournant des années 1950. Ce document constitue en quelque sorte une synthèse de la pensée de Paul Gouin dans le domaine de la conservation et de la gestion de la culture. Tous les axes discutés jusqu’ici s’y trouvent de façon plus ou moins développée. Ce projet de loi proposé par Gouin est sans conteste une tentative précoce de politique culturelle, type de politique se caractérisant, selon le politologue Vincent Lemieux, par ses objectifs éducatifs et identitaires97. Cette ébauche de politique culturelle trouve sa source lointaine dans les projets élaborés par Paul Gouin et Paul Lavoie dès le début des années 1930, alors qu’ils souhaitaient la création d’un Institut de la Nouvelle-France qui aurait pour but l’« action intellectuelle, économique,
95. 96. 97.
Dusty Vineberg (1968), « Festivities for Old Montreal », The Montreal Star (3 décembre), p. 12. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/35, « Conseil culturel du Québec », Projet de loi concernant la conservation et le développement de notre patrimoine artistique et culturel, s.d. Vincent Lemieux (1996), « Des politiques publiques comme les autres ? », dans Florian Sauvageau (dir.), Les politiques culturelles à l’épreuve : la culture entre l’état et le marché, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » sociale et politique98 ». Les documents soumis à Maurice Duplessis et au solliciteur général de la province, Antoine Rivard, à l’automne 1952, reprennent ce nom parmi les appellations suggérées : « Conseil culturel », « Conseil Supérieur des Beaux-Arts » ou « Institut de la NouvelleFrance », « pour rappeler l’institut de France dont il est inspiré en partie ». Dans une lettre datée du 5 septembre 1952, Paul Gouin demande à Maurice Duplessis de le nommer à la présidence d’un « conseil des beaux-arts » qu’il doit créer sous peu. Il est urgent, en effet, et je suis sûr que cela sera très bien vu de notre population tout entière, de faire échec à la Commission Massey en coordonnant, en mettant en vedette les nombreuses et très belles initiatives culturelles de la province. […] Vous m’avez nommé Conseiller culturel du Conseil Exécutif dès 1948. Ma tâche, jusqu’à date, a été de faire des enquêtes, d’établir des contacts, de recueillir des suggestions, de coordonner nos activités artistiques et culturelles. Le gouvernement crée maintenant un conseil qui est le prolongement naturel et logique de ma nomination, un organisme qui a pour but de m’aider dans ma tâche, organisme qui avait été prévu lors de ma nomination. Et voilà ! En procédant de la sorte, et cela est un point primordial, le gouvernement ne pourrait être accusé de faire le jeu centralisateur d’Ottawa, ou encore, suivant les diverses tendances politiques, d’avoir été forcé d’agir par suite de l’intervention d’Ottawa dans le domaine des arts.
Réagir aux propositions de la Commission Massey, considérées comme des intrusions du gouvernement fédéral dans le domaine culturel, voilà une fois encore l’argument de Paul Gouin. C’est là le premier objectif qu’il donne au conseil culturel : « faire échec au rapport de la Commission Massey en mettant en évidence les nombreuses et très belles institutions culturelles qui ont été établies dans la province bien avant la création de cette Commission ». Un document présentant le projet plus en détails est envoyé à Antoine Rivard. Gouin y précise la composition du Conseil, qui regrouperait les directeurs de tous les organismes gouvernementaux touchant de près ou de loin à la culture, ainsi que les directeurs des écoles techniques et des écoles spécialisées.
98.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/5, « Lavoie, Paul, dossier no 1 », Paul Lavoie à Paul Gouin, 3 février 1930.
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La mission du Conseil culturel serait de coordonner les actions de différents ministères et organismes concernés par les questions culturelles. Le mandat proposé est vaste : favoriser les recherches, donner des bourses d’études et de recherche, voir à la formation et au recrutement de professeurs compétents dans les écoles d’arts et les écoles techniques, multiplier les concours artistiques, acquérir des œuvres d’arts et des archives, préparer la publication d’ouvrages de référence, favoriser l’établissement de musées régionaux. Un objectif non négligeable est de « poursuivre dans les différentes classes de notre société une campagne d’éducation et de propagande, afin que notre population soit plus en mesure d’apprécier et d’encourager nos artistes (entr’autre dans le domaine de l’art religieux contemporain), afin aussi qu’elle comprenne mieux l’importance de conserver nos monuments historiques ». Enfin, le conseil culturel devrait permettre à Paul Gouin « de mener à bonne fin la tâche qui [lui] a été confiée en [l]’entourant de collaborateurs et de spécialistes99 ». Le Conseil devrait étudier « au point de vue artistique » les plans des édifices gouvernementaux à construire, afin de s’assurer que l’architecture soit adaptée « aux exigences de la vie moderne tout en lui conservant un caractère qui lui soit propre. […] Il s’agirait tout simplement, en somme, d’accorder au Conseil un droit de regard en matière d’architecture publique, de lui permettre de faire des recommandations, de tenter des démarches auprès des parties intéressées, à qui il appartiendrait évidemment de décider en dernier ressort ». Gouin insiste sur le fait que le Conseil culturel doit avoir pour mission d’étudier les programmes d’enseignement. Les écoles spécialisées devraient opter pour un enseignement basé sur les traditions, comme le fait par exemple l’École du meuble, qui est désormais « en mesure de créer un style de mobilier moderne d’inspiration canadiennefrançaise ». L’enseignement de l’histoire de l’art et de l’archéologie devrait être développé dans les grands séminaires « afin d’assurer la conservation de nos églises historiques et l’évolution de notre art sacré ». Des cours devraient être donnés dans les chaires de civilisation canadienne-française de l’Université Laval et de l’Université de Montréal. Pour favoriser l’éducation populaire, le Conseil devrait assurer la publication de reproductions d’œuvres d’art et d’ouvrages « de documenta99.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/53, « Tourisme », Paul Gouin à Maurice Duplessis, 25 octobre 1952.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » tion et de vulgarisation sur le meuble, le costume, les légendes, les contes, les chansons, l’artisanat et les us et coutumes du Canadafrançais ». La radio et la télévision naissante devront aussi être utilisées afin « de rallier du côté provincial le monde artistique que le fédéral cherche actuellement à accaparer » et afin de ne pas « abandonner au fédéral ces merveilleux moyens de propagande que constituent la radio et la télévision ». En ce qui concerne les musées, le projet propose que le Conseil culturel soit responsable d’accepter ou de refuser les dons individuels. On précise qu’il est temps d’ajouter une collection « d’œuvres étran gères » à la collection d’œuvres canadiennes. Il est par ailleurs urgent d’établir de petits musées dans les régions, en utilisant à cette fin de vieux manoirs ou de vielles maisons, ce qui assurerait du même coup la conservation de ces bâtiments. Autre proposition importante, la création d’un Office d’urbanisme, responsable de l’étude des problèmes d’urbanisme. Il aurait aussi pour tâche de collaborer à la préparation des plans d’édifice gouvernementaux et d’organiser un service de renseignements et de documentation à l’usage des architectes et des urbanistes100. Enfin, le projet de conseil culturel recommande la mise sur pied d’un Office de la linguistique et de la refrancisation, tel que l’avait proposé la Société du Parler français lors du Troisième Congrès de la langue française, en juin 1952. Cet office de linguistique était déjà réclamé lors du Deuxième Congrès de langue française en 1937 et de nombreuses associations l’appellent de leurs vœux101. Il serait présidé par Paul Gouin lui-même. Le conseiller technique reçoit semble-t-il de plus en plus de demandes à ce sujet, et souhaite constituer une équipe pour l’assister : un secrétaire, un dessinateur qui préparerait des projets d’enseignes et de décoration intérieure ; un folkloriste qui pourrait conseiller les organisateurs de manifestations festives ; un spécialiste de
100. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/35, « Conseil culturel du Québec », Paul Gouin à Antoine Rivard, 27 octobre 1952. 101. Le rapport de la Commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels mentionne une proposition similaire de la part de l’Académie canadiennefrançaise. Canada, Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, lettres et sciences (1951), Rapport de la Commission Royale d’enquête sur l’avancement des arts, lettres et sciences au Canada, p. 274-275.
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la langue qui pourrait donner des traductions acceptables de termes anglais. La consolidation des relations avec la France apparaît essentielle au développement et au bon fonctionnement du Conseil culturel. Puisque le gouvernement fédéral a nommé un attaché culturel en France, et qu’il s’apprête à faire de même en Belgique et en Uruguay, le Québec doit aussi créer un tel poste, afin d’affirmer son autonomie. La province devrait donc nommer un attaché culturel à Paris, qui serait chargé de diriger les étudiants et boursiers, de faire connaître la culture canadienne-française, d’amasser de la documentation pour le service d’urbanisme et l’Office de linguistique et de refrancisation, d’acquérir des œuvres d’arts et des archives et enfin, d’enquêter sur les mérites des professeurs français embauchés par la province pour ses écoles spécialisées. Gouin espère bien sûr être nommé à la tête de ce Conseil culturel, qui coordonnerait toutes ces activités. Je veux attacher mon nom, celui dont j’ai hérité de mon grand-père et de mon père, celui que je transmettrai à mon fils et à mes petits-fils, à une œuvre nationale. À cette œuvre, qui sera la continuation de celle que nous avons entreprise ensemble en 1934, je veux aussi attacher votre nom. Je ne doute pas que vous saurez m’accorder cette occasion de servir à la fois le Canada français, mes traditions familiales, notre amitié et l’admiration que je vous porte102.
La proposition ne semble pas avoir d’écho chez Duplessis, en tout cas, pas suffisamment pour que le Conseil culturel soit créé. Néanmoins, plusieurs des propositions qu’on y trouve apparaissent dans les recommandations du rapport de la Commission Tremblay103 : création d’une Commission de la langue française, d’un Conseil des arts et lettres et d’une Commission de la culture canadienne-française. Il ne s’agit pas ici d’attribuer ces recommandations à une influence prépondérante de Paul Gouin, mais de montrer que ces propositions sont dans l’air du
102. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/53, « Tourisme », Paul Gouin à Maurice Duplessis, 25 octobre 1952. 103. Créée par Maurice Duplessis en 1953, la Commission d’enquête sur les problèmes constitutionnels vise entre autres à étudier les interventions fédérales dans la gestion de l’éducation.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » temps. Les recommandations de la Commission Tremblay resteront, elles aussi, lettres mortes à l’époque, mais on y trouve, « au niveau des énoncés de principe certaines affirmations fondamentales justifiant pour les années à venir, la pertinence de politiques culturelles distinctes pour le Québec104 ». Au fil des ans, le projet de Conseil culturel est soumis à différentes instances. Ainsi, le Congrès de la refrancisation de 1957 fera sienne les recommandations que l’on trouve dans le projet de loi proposé en 1952. Nous nous attarderons ici à trois des vœux adoptés par le congrès, plus directement en rapport avec les sujets dont nous avons traités, et qui prendront tous trois forme au début des années 1980. Il est proposé : « Que nos artistes soient invités le plus souvent possible à décorer nos édifices publics, religieux et profanes, et à apporter ainsi leur collaboration à l’œuvre de nos architectes105. » Une suggestion en ce sens avait été faite en 1955 par Jean-Baptiste Soucy, directeur de l’École des beaux-arts de Québec, dans une lettre à Paul Gouin. Soucy mentionne qu’« en Europe c’est maintenant une pratique commune pour les gouvernements, à des niveaux variés de mettre de côté un pourcentage sur le coût de l’édifice (en France, ce pourcentage est de ½ de 1 %) lequel est consacré à la peinture murale, à la sculpture monumentale ou aux deux à la fois.106 » Cette proposition prendra forme au Québec dans la Politique d’intégration des arts à l’architecture adoptée en 1981, qui prévoit qu’une partie du budget de construction ou d’agrandissement d’un bâtiment ou d’un site public soit consacré à l’intégration d’œuvres d’art107. 104. Fernand Harvey (1998), « Les politiques culturelles au Canada et au Québec : perspectives de recherche », dans Colloque du Réseau canadien de recherche culturelle, Ottawa (juin). 105. Congrès de la refrancisation (1959), « Voeux adoptés par le Congrès de la refrancisation, le 23 juin 1957 », dans Congrès de la refrancisation, Le Congrès de la refrancisation, Québec, Ferland, vol. 1, p. 44. 106. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/35, « Conseil culturel du Québec », JeanBaptiste Soucy à Paul Gouin, 13 décembre 1955. 107. Le pourcentage varie selon les coûts du projet, de 1,25 à 1,75 %. Décret concernant la politique d’intégration des arts à l’architecture et à l’environnement des bâtiments et des sites gouvernementaux et publics, http ://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/, site consulté le 5 juillet 2007 ; Secrétariat à l’intégration des arts à l’architecture ; Direction des communications, Politique d’intégration des arts à l’architecture et à l’environnement des bâtiments et des sites gouvernementaux et publics - Guide d’application, mars 2004, 33 p.
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Autre proposition adoptée lors du Congrès de la refrancisation : « Que le Conseil de la vie française étudie ou fasse étudier par un organisme qualifié, la loi concernant les affiches émise en 1925 et présentement inopérante, et qu’il fasse ensuite les démarches nécessaires pour faire respecter cette loi et la faire améliorer au besoin108. » Les actions en faveur de la conservation de la langue et de l’affichage en français sont nombreuses depuis les années 1930, mais l’adoption de la Charte de la langue française en 1977 constitue certainement un moment clé dans l’histoire de la promotion du français au Québec. Bien que cette loi ait des visées plus larges, il s’agit de l’aboutissement de plusieurs décennies de promotion de la langue française et de réclamations en faveur de l’affichage en français. Une autre proposition vise la conservation des biens culturels : « Considérant que quelques meubles de style français et canadiensfrançais ont déjà été réunis au Musée Provincial et que l’espace pour leur conservation semble trop restreint ; Le Congrès de la Refrancisation émet le vœu : Que le Musée de la province de Québec soit agrandi et qu’une partie de l’immeuble soit consacrée aux meubles historiques et aux meubles de style109. » Le Musée possède alors une part importante de la collection Gouin. Des expositions de mobilier sont présentées à la maison Chevalier dès sa restauration. Et lorsque le Musée du Québec deviendra dépositaire de la collection Coverdale achetée par le ministère des Affaires culturelles en 1968, la question de l’agrandissement de l’institution deviendra incontournable, donnant ainsi naissance au Musée de la civilisation en 1980, responsable de la conservation des collections d’ethnographie. Au terme du Congrès de la refrancisation de 1957, Paul Gouin constate : « tous [les vœux] ou presque, relèveraient dans leur fin et leur exécution, d’un Office culturel provincial. Par conséquent, il nous semble important de demander la création de cet office110 ». Le Congrès de la refrancisation adopte donc le vœu que le gouvernement « établisse au plus tôt un Office culturel du Canada français en le nantissant des ressources financières et de l’autorité requises, pour conserver et 108. Congrès de la refrancisation (1959), « Voeux adoptés par le Congrès de la refrancisation, le 23 juin 1957 », p. 46. 109. Ibid. 110. AVQ, FCVFA (P52), P52-02B/1518-02, procès-verbal de la 21e session du Conseil de la vie française, 24 octobre 1957
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » enrichir notre culture française dans la province de Québec et la faire rayonner à l’extérieur111 ». En tant que président du Conseil de la vie française en Amérique, Paul Gouin transmettra au gouvernement une demande de création de cet office112. Sans succès. À l’été de 1956, Paul Gouin tente de nouveau d’obtenir la direction d’un « sous-ministère » ou d’une « commission du tourisme113 ». Sans doute déçu du peu de pouvoirs dont il dispose pour appliquer ses recommandations, Gouin, qui préside la CMH depuis trois ans et occupe le poste de conseiller technique depuis dix ans, fait de nouveau part de ses réclamations au premier ministre Duplessis deux ans plus tard. Lors d’une rencontre tenue le 13 janvier 1958, les deux hommes discutent « d’amendements nécessaires, impérieux à la loi de la Commission des monuments historiques », et de « la création non moins nécessaire, non moins impérieuse d’un nouveau sous-ministère dont je serais le titulaire ». Dans l’éventualité où ni l’un ni l’autre de ces projets ne se réaliseraient, Gouin précise ses intentions : « [...] je serai alors obligé d’orienter mes activités vers une nouvelle sphère dont j’aimerais vous causer (politique, t.v., conseil législatif, permis BR)114 ». Selon Paul-Émile Gosselin, le projet de conseil culturel de Gouin aurait finalement obtenu l’appui du premier ministre : « Celui-ci se montra favorable mais mourut avant d’y donner suite115. » Le décès de Maurice Duplessis marque la fin du règne de l’Union nationale, rapidement remplacée par le Parti libéral en 1960. Le gouvernement de Jean Lesage lance alors une série de réformes en vue de la modernisa111. Congrès de la refrancisation (1959), « Voeux adoptés par le Congrès de la refrancisation, le 23 juin 1957 », p. 49. 112. Paul Gouin (1957), « Traduction et refrancisation », p. 84. 113. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/91, « D- Spécial », Paul Gouin à Maurice Duplessis, 30 avril 1957. 114. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/91, « D- Spécial », Paul Gouin à Maurice Duplessis, 5 février 1958. À cette époque, la télévision devient un nouveau moyen de communication privilégié par Paul Gouin. Depuis 1956, il travaille en effet à une série télévisée intitulée « Mon pays, mes amours », qui sera diffusée par Radio-Canada en 1958. Cette série de treize émissions est consacrée à la vallée du Richelieu. Elle a pour objectif de faire connaître les richesses historiques et artistiques de la province aux Québécois et de les inciter à la visiter davantage. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/61, « Télévision programmes divers », Paul Gouin à Raymond David, 27 août 1957. 115. Paul-Émile Gosselin (1967), Le Conseil de la vie française, Québec, Éditions Ferland, p. 108.
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tion de l’État québécois, déclenchant ce qui est aujourd’hui connue sous le nom de « Révolution tranquille ». Cette « révolution » constitue en fait, sous plusieurs aspects, un aboutissement. Plusieurs des propositions incluses dans le projet de conseil culturel élaboré par Paul Gouin sont repérables dans le document d’orientation du programme du Parti libéral, rédigé par Georges-Émile Lapalme en 1959116. Bien que le ton diffère de celui employé par Gouin, l’argumentaire présente de nombreuses similarités. Lapalme place en priorité la création d’un Office de la linguistique, « véritable défenseur et créateur de la langue ». L’Office aurait la responsabilité d’organiser des concours de français, de donner des noms français aux nouvelles municipalités, et d’inciter les individus, les corporations et les établissements hôteliers à afficher en français. Aux côtés de l’Office de la linguistique doit se ranger un Bureau provincial d’urbanisme, doté de pouvoirs sur « l’architecture officielle » : édifices gouvernementaux, municipaux et scolaires, ainsi que construction d’ouvrages de voirie. Le Bureau aurait aussi le pouvoir de classer les sites. Lapalme ajoute comme argument : « Je pense au Vieux Québec dont il faudrait faire de tout l’ensemble un site classé117. » Le Bureau d’urbanisme serait fusionné avec la Commission des monuments historiques « de façon à ce qu’une action commune préserve les reliques, ressuscite le passé, guide le présent et laisse à l’avenir le soin de suivre la voie tracée. » Rappelons que la création d’un Bureau d’urbanisme et d’un ministère du Tourisme étaient réclamées par Paul Gouin dès 1949-1950. Lapalme aborde ensuite les arts, le théâtre et le film. Il demande la mise en place d’une structure appropriée : « Pour coordonner et activer tout cet ensemble, le parti devra instituer un MINISTÈRE DES AFFAIRES CULTURELLES et mettre à la direction de ce ministère un homme de culture doublé d’un organisateur de la vie française sur tous les plans ci-dessus mentionnés et sur tous ceux dont il est question ci-après. » Grâce à ce ministère, le Canada français « retrouverait à chaque pas non seulement le sens du passé mais le sens du devenir118 ». L’influence de Paul Gouin et du programme de l’Action libérale nationale sur Georges-Émile Lapalme est attestée par Gérard Brady, qui 116. Georges-Émile Lapalme (1988), Pour une politique. Voir en particulier les pages 86 à 98. 117. Ibid., p. 94 118. Ibid., p. 95- 96.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » a vécu dans l’entourage politique de chef libéral119. Lapalme reconnaît que certaines des idées qu’il avance relativement à l’organisation économique de la province prennent leur source dans les orientations de l’Action libérale nationale : C’est l’Action libérale nationale qui la première lança dans le public l’idée d’un Conseil d’orientation économique. Cette idée eut le sort de beaucoup d’autres, c’est-à-dire qu’elle servit d’appât à un parti politique et qu’elle fut ensuite délaissée lorsque le parti fut au pouvoir. [...] Le Parti libéral doit s’engager à abolir le Conseil législatif et à le remplacer par un Conseil d’orientation économique. Le nouveau Conseil, composé de techniciens, de statisticiens, de sociologues, d’économistes, de pédagogues, de syndicalistes, d’industriels, etc., serait en quelque sorte le grand planificateur de notre politique, c’est-à-dire de notre vie économique et industrielle. Il serait le conseiller de la politique, l’enquêteur perpétuel, le créateur d’un bureau de l’économique, le surveillant des tendances. Il serait l’expert qu’on appelle en consultation120.
Lapalme insiste aussi sur l’importance de créer un ministère du Tourisme, qui « devrait aider celui des Affaires culturelles mais aussi se faire aider par celui-ci ». Pensant à un détail, je verrais ce ministère passer commande à nos peintres, à nos caricaturistes, à nos artisans du fer et du bois pour placer aux carrefours stratégiques de la province, d’immenses panneaux publicitaires, tant sur le plan historique que sur le plan de la sécurité routière. Toulouse-Lautrec a signé des affiches immortelles. Les nôtres ne pourraient-ils pas faire servir leur talents à créer ici une propagande artistique qui serait unique au monde ?
Cette proposition de collaboration entre ministère du Tourisme et ministère des Affaires culturelles se trouve dans un document intitulé « Mémoire sur le tourisme » daté du 16 janvier 1961, document sans doute soumis à Jean Lesage par Paul Gouin121. Gouin y réclame la création d’un ministère du Tourisme qui regrouperait tourisme et affai-
119. Gérard Brady (1988), « Georges-Émile Lapalme, tel que je l’ai connu », dans Jean-François Léonard (dir.), Georges-Émile Lapalme, Sillery, Presses de l’Université du Québec. 120. Georges-Émile Lapalme (1988), Pour une politique, p. 141-142. 121. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/105, « Jean Lesage », « Mémoire sur le tourisme », 16 janvier 1961.
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res culturelles. Les mesures qu’il réclame sont multiples et relèvent davantage des questions touristiques que culturelles : préparation d’un programme d’attractions touristiques ; élaboration d’un plan de refrancisation ; réorganisation du service d’hôtellerie ; aménagement d’un réseau de terrains de camping ; création d’une commission d’urbanisme ; augmentation des pouvoirs de la Commission des monuments historiques ; création d’un Conseil du tourisme ; multiplication des musées dans la province ; extension de la Centrale d’artisanat ; création d’un réseau de centres d’art ; réorganisation de la Commission de Géographie ; publication d’itinéraires touristiques ; révision des responsabilités de l’Office provincial de publicité ; aménagement de bureaux d’informations touristiques ; amélioration de la signalisation routière ; développement du Service de Cinéphotographie provincial. Gouin conclut ce mémoire en affirmant : Je ne saurais trop insister sur l’importance de confier les Affaires culturelles et le Tourisme à un même ministre, et également sur l’importance de créer ce nouveau Ministère le plus tôt possible afin de satisfaire l’opinion publique. Je me permettrai d’ajouter ici une note personnelle : Je considérerais la création de ce Ministère comme une sorte de couronnement de ma carrière. Il y a déjà plus de trente ans que je m’occupe de ces questions dont je me suis fait le propagandiste auprès de toutes les classes de notre population et de nos divers gouvernements. C’est dire combien je suis anxieux de me mettre à l’œuvre pour aider à la réalisation de ces idées qui me tiennent tant à cœur.
Lors de la prise de pouvoir des libéraux en juin 1960, l’article un du programme du parti concerne la création d’un ministère des Affaires culturelles. La loi instituant ce ministère entre en vigueur le 1er avril 1961. Il aura sous sa juridiction un Office de la langue française, le département du Canada français d’outre-frontières, un Conseil des arts, la Commission des monuments historiques et un Bureau d’urbanisme. On reconnaît là plusieurs idées défendues par Paul Gouin, par le Conseil de la vie française en Amérique et les Sociétés Saint-Jean-Baptiste, et par d’autres organismes depuis de nombreuses années122. C’est donc le gouvernement libéral qui, en créant le ministère des Affaires culturelles (MAC) qu’il confie à Georges-Émile Lapalme, met en place les outils culturels réclamés depuis longtemps par Paul Gouin à l’Union nationale de Maurice Duplessis. 122. Paul-Émile Gosselin (1967), Le Conseil de la vie française, p. 108.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Au moment de la création du MAC, le Conseil de la vie française en Amérique se voyait comme le porteur d’une mission culturelle d’envergure et espérait jouer un rôle de coordonnateur ou de « sousministère » auprès du ministère nouvellement créé. Le comité suggère que le Conseil ait une attitude bien positive à l’égard de ce ministère. Il devrait accepter les faits et surtout ne pas laisser voir de désappointements parce que le Ministère ne semble pas accepter sa proposition de jouer en quelque sorte un rôle de sous-ministère des Affaires culturelles. Le Conseil devrait, selon la commission établir des relations très cordiales avec le Ministère en le mettant au courant des problèmes des minorités en lui fournissant des rapports sur ce que fait le Conseil et en lui transmettant les demandes d’aides auxquelles le Conseil ne peut répondre. Le Conseil sera appelé croyons-nous à jouer le rôle très précieux de coordonnateur123.
Si les liens entre les propositions de Paul Gouin et les orientations du MAC sont évidents, certaines de ses idées n’ont toutefois aucun écho au ministère des Affaires culturelles : tout ce qui relève des traditions ou du folklore. Comme le souligne Harold Hyman dans son étude sur la création du MAC, « dans tout cela il n’y a aucune trace d’activités de style folklorique, comme la danse et l’artisanat populaires. [...] Durant les deux mandats de Jean Lesage, le MAC ne diffusait que la culture dite classique124 ». L’intérêt pour le patrimoine et les traditions populaires trouvera cependant une place au Ministère à la fin des années 1970 et au début des années 1980, alors que se déroulent de nombreux inventaires touchant au patrimoine.
123. AVQ, FCVFA (P52), P52-02B/1519-02, procès-verbal de la 25e session du Conseil de la vie française, 15 septembre 1961, p. 2260. 124. Harold Hyman (1988), « L’idée d’un Ministère des affaires culturelles du Québec des origines à 1966 », mémoire de maîtrise, Montréal, Université de Montréal, p. 111.
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Conclusion
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’objectif de cette recherche était de cerner l’évolution des valeurs sociales données au patrimoine au cours de la période allant de 1930 à 1960, à travers l’analyse de l’œuvre d’un acteur majeur du domaine, Paul Gouin. Nous avons tenté de saisir sa pensée en retraçant ses actions et en analysant ses discours sur l’héritage culturel. Paul Gouin était en relation avec la plupart des institutions et des acteurs intéressés aux questions patrimoniales au cours de la période étudiée (musées et organismes gouvernementaux, collectionneurs et experts). Son rôle dans l’orientation et la mise en place de diverses institutions culturelles apparaît clairement à travers ses multiples interventions dans les domaines des arts et de l’artisanat ainsi que dans la conservation des monuments historiques et des objets anciens.
Du début des années 1930, alors qu’il organise des rencontres de réflexions et de discussions avec un groupe d’intellectuels à sa résidence montréalaise, jusqu’à son décès dans sa maison ancienne de la rue Saint-Vincent à Montréal, en 1976, la conservation et la mise en valeur de l’héritage culturel canadien-français resteront au cœur de ses préoccupations. Cela se manifeste à travers des interventions et de la propagande dans de multiples secteurs : la promotion du corporatisme et des petites industries ; la refrancisation et la défense de la langue française ; la valorisation de l’artisanat et du folklore ; la conservation des « signes tangibles de la patrie » que sont les objets et monuments anciens ; la mise en place d’établissements hôteliers reflétant la culture canadienne-française ; la modernisation des traditions artistiques et artisanales. Ces interventions apparemment disparates relèvent d’un souci nationaliste qui se manifeste dans la volonté de conserver et d’afficher les particularités culturelles canadiennes-françaises et de les utiliser comme levier économique. Ce rôle économique apparaît essentiel 171
« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » lors de la crise des années 1930, et deviendra un argument majeur dans le contexte du développement touristique qui suivra. Les arguments économiques sont d’ailleurs fondamentaux lors de la création de l’Action libérale nationale, en pleine période de crise économique. Les éléments culturels semblent moins présents dans les discours du parti politique, bien que l’importance donnée à la culture par Paul Gouin transparaisse clairement dans le journal La Province au moment où il en prend lui-même la direction. Le journal démontre l’intérêt de Paul Gouin pour les traces matérielles de la culture canadienne-française. L’hebdomadaire donne des conseils pour décorer les intérieurs domestiques en intégrant des meubles anciens ou des pièces artisanales, il suggère des modèles de vêtements faits de textiles domestiques et encourage la population à opter pour une architecture canadienne-française. Pour Paul Gouin, il ne fait aucun doute que la conservation et la revitalisation de l’héritage culturel sous ses diverses formes jouent un rôle politique important, qu’elles tiennent une place essentielle dans les enjeux identitaires, dans la « survivance de la race canadienne-française », pour employer les mots de l’époque. Doit-on voir Paul Gouin comme un conservateur tourné vers le passé ? La question mérite une réponse nuancée. « Notre maître le passé, notre maître l’avenir », a-t-il écrit à quelques reprises, en s’inspirant de Lionel Groulx. En fait, sa position face au passé et à l’avenir peut être résumée dans cette citation : Je ne prétends pas restaurer toutes et chacune de nos antiques traditions encore que quelques-unes me paraissent d’une haute valeur, et d’un haut mérite […]. Je ne préconise pas qu’on ressuscite les modes anciennes du vêtement, du logement, de la vie, de l’amusement. Je ne pense pas qu’on doive s’étrangler dans le carcan d’un passé à jamais révolu, mais je crois de toute mon âme que notre avenir ne peut être fait que de notre fidélité au passé. L’objectif des grands ancêtres et leurs vertus doivent rester nos modèles et servir, adaptés aux conditions modernes de notre vie1.
Bien que Paul Gouin montre une grande ouverture à moderniser la production artisanale et artistique en s’inspirant des objets et des techniques anciennes, il insiste néanmoins sur l’importance de la conser1.
Paul Gouin (1959d), « Mission et avenir de la famille canadienne-française », dans Semaines sociales du Canada. Section française. (dir.), Mission et droits de la famille : compte rendu des cours et conférences, Montréal, Secrétariat des Semaines sociales du Canada, p. 244.
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Conclusion
vation des traces du passé. Seule la conservation de l’héritage ancien permettra de continuer à créer en mettant en valeur la personnalité canadienne-française. S’il faut le préserver, c’est pour qu’il serve d’outil pour se propulser vers l’avenir. Nous pourrons toujours […] faire revivre, en les adaptant aux exigences modernes, notre folklore, nos traditions et nos coutumes qui ont été heureusement consignés dans nos archives. Mais nous ne pourrons jamais remplacer les vieilles églises et maisons que nous démolissons, les meubles et les objets d’arts anciens que nous brûlons ou dilapidons, les villes, les villages, les paysages que nous sommes en train de défigurer à tout jamais. Si nous ne prenons dès maintenant les moyens d’assurer leur préservation, nous perdrons pour toujours ces richesses, ces incompa rables richesses de notre patrimoine artistique et culturel2.
Bref, cela rappelle la formule en apparence contradictoire prononcée par le ministre des Finances Onésime Gagnon lors de son discours du budget en 1949 : « Restons traditionnels et progressifs3 ». Puisons dans la tradition pour mieux faire face au progrès. Le patrimoine : de l’héritage du père à l’héritage culturel Notre intérêt pour l’œuvre de Paul Gouin est venu de son implication dans le domaine de la conservation du patrimoine, au sens le plus large du terme. Cependant, un risque d’anachronisme a rapidement fait surface : force est de constater que chez Gouin, le terme patrimoine est peu utilisé. Cette recherche nous a toutefois permis de détecter des changements significatifs dans l’usage du mot entre les années 1920 et 1960. Ainsi, au cours des années 1920, les mots employés pour désigner les objets à conserver sont multiples. La première législation québécoise visant la protection des témoignages du passé s’intitule : Loi relative à la conservation des monuments et des objets d’art ayant un intérêt historique ou artistique. Les premiers rapports de la Commission des monuments historiques, créée par cette loi, utilisent les termes « vieilles choses », « reliques », « souvenirs de notre passé », « vieux 2. 3.
MNBAQ, « Gouin, Paul, 1898-1976 », causerie radiophonique à CKAC, 26 mars 1950. Gilles Bourque et Jules Duchastel (1988), « Le discours économique duplessiste », dans Jean-François Léonard (dir.), Georges-Émile Lapalme, Sillery, Presses de l’Université du Québec, (coll. Leaders politiques du Québec contemporain), p. 133-141.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » meubles et vieux souvenirs de toutes sortes », « choses de l’ancien temps », « richesses historiques », « choses disparues », etc. pour désigner les éléments à protéger. Sans oublier les « monuments commémoratifs historiques », les « vieux manoirs et vieilles maisons », bref toutes « les vieilles choses qui méritent de vivre4 ». Le dépouillement du journal La Province a révélé que des significations diverses étaient attribuées au terme patrimoine au cours des années 1930. Le mot y est utilisé dans au moins trois sens différents. Tout d’abord, dans le sens le plus ancien du mot, qui fait référence à ce qui est transmis par le père, à l’héritage familial. Le terme patrimoine, du latin patrimonium, renvoie à l’origine à l’« héritage du père », et plus largement aux biens hérités des ascendants. Dans plusieurs articles du journal La Province, les auteurs affirment que Paul Gouin a « sacrifié sa tranquillité et une partie de son patrimoine » pour défendre les principes auxquels il croit5. La seconde acception se trouve dans le contexte où l’on réclame une reprise de contrôle des ressources naturelles, alors largement sous contrôle étranger : « Si le commerce et l’industrie sont entre les mains des étrangers, qu’adviendra-t-il de notre patrimoine national6. » Le terme désigne alors ces ressources naturelles (eau, forêts, mines), perçues comme une richesse collective. Enfin, on remarque l’apparition graduelle d’une signification davantage liée à l’héritage culturel. Dans un article traitant de littérature, on souligne que la littérature nationale est celle « qui nous forcera à prendre conscience de nous-mêmes, qui redressera un peu notre fierté abattue en nous découvrant les beautés de notre histoire, tout notre patrimoine national enfin7 ». Peu à peu, le mot en vient à faire aussi référence aux objets matériels, aux « biens culturels ». À la fin des années 1930, la notion de patrimoine artistique et culturel semble devenir plus présente dans les documents, entre autres en référence à l’Inventaire des œuvres d’art mis sur pied par Gérard Morisset en 1937. La première utilisation du terme par Paul Gouin que nous avons repérée et qui se 4.
5. 6. 7.
Commission des monuments historiques de la province de Québec (1925), Deuxième rapport de la Commission des Monuments historiques ; Commission des monuments historiques de la province de Québec (1926), Troisième rapport de la Commission des monuments historiques. Philippe Ferland (1937a), « Questions d’actualité ». Paul Daignault (1937a), « Toujours de l’éducation », La Province (7 août), p. 6. Jules Léger (1936), « Littérature et Sens National », La Province (14 mars), p. 5.
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Conclusion
rapporte explicitement aux biens culturels date de 1938. À cette époque déjà, Gouin manifeste, dans ses écrits et conférences, son souci de conserver le patrimoine matériel en tant que richesse collective : [...] le jour où nos entrepreneurs comprendront qu’une vieille maison, par exemple, constitue une richesse inappréciable, digne d’être entretenue et restaurée, le jour où cessant d’abattre pour nous mettre résolument à conserver, notre patrimoine national s’augmentera de tout le déjà fait à côté du nouveau, nous aurons accompli ce jour-là, croyez-moi, un grand pas dans la connaissance de notre pays ; nous aurons appris à l’aimer et à le bien servir8.
À compter des années 1940, outre le sens juridique toujours existant d’héritage familial, le mot patrimoine fait de plus en plus fréquemment référence aux objets artistiques et à l’héritage culturel à conserver et à transmettre. Bien que Paul Gouin utilise rarement le terme patrimoine, il mentionne souvent l’héritage culturel, notion englobante qui recouvre, comme on l’a vu, autant la langue française que les traditions artisanales, autant les objets anciens et les monuments que le folklore. Cette conception n’est, en fait, pas si éloignée de la compréhension actuelle du concept de patrimoine9. Ces remarques sur la terminologie ont un intérêt certain et révèlent les valeurs véhiculées par le concept de patrimoine, qui passe d’un héritage personnel à un bien collectif, avant de faire référence aux aspects culturels de cet héritage. On note, par ailleurs, que les volontés de conservation et de revitalisation de l’héritage culturel oscillent entre deux pôles : le passé et l’avenir. Ces deux concepts sont en interaction constante dans la pensée et les actions de Paul Gouin. D’une part, l’héritage est un refuge : il importe de conserver les signes du passé, le legs des ancêtres, cet héritage qui témoigne des racines françaises. D’autre part, l’héritage culturel est une base sur laquelle prendre pied 8. 9.
Paul Gouin (1938), Servir, p. 207. Tel que défini par le Groupe-conseil sur la politique du patrimoine culturel du Québec : « Peut être considéré comme patrimoine tout objet ou ensemble, matériel ou immatériel, reconnu et approprié collectivement pour sa valeur de témoignage et de mémoire historique et méritant d’être protégé, conservé et mis en valeur. » Groupe-conseil sur la politique du patrimoine culturel du Québec et Roland Arpin (2000), « Notre patrimoine, un présent du passé : proposition présentée à madame Agnès Maltais par le Groupe-conseil sous la présidence de monsieur Roland Arpin », Québec, ministère de la Culture et des Communications, p. 33.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » pour avancer, un élément utile au progrès de la nation canadiennefrançaise. L’héritage culturel et la mise en valeur des identités nationales La volonté de conserver et de transmettre l’héritage culturel témoigne d’un désir de mettre en évidence les particularités nationales. Au cours de l’entre-deux-guerres, cette mise en valeur des identités se manifeste dans de nombreux mouvements politiques, en Amérique du Nord comme en Europe. Le Canada français ne fait pas exception. [...] depuis plusieurs mois et même depuis plusieurs années, on retrouve chez nous, dans certains journaux, dans certaines revues et dans certains discours, ces mots : esprit national, réveil national. Des associations et des ligues s’efforcent de répandre un peu partout la même idée par le contact individuel. Est-ce un écho lointain des mouvements nationalistes d’outre-mer ou l’une des conséquences de la crise qui, dans tous les pays du monde, a vulgarisé, si je puis dire, l’étude des problèmes économiques et sociaux ? Peut-être10.
Certains axes d’interventions et quelques discours de Gouin ne sont pas sans rappeler le plan d’organisation culturelle du Régime de Vichy en France (la création du Musée des arts et traditions populaires, les chantiers intellectuels, la propagande folkloriste, la rénovation des arts populaires et de l’artisanat, de l’architecture, etc.). Sans doute Paul Gouin connaît-il ces projets français, bien qu’il n’y fasse pas référence. Les orientations proposées ne sont pas non plus sans évoquer les projets américains lancés dans le contexte du New Deal, comme l’Index of American Design. Dans chacun de ces cas, les arts, l’artisanat ou le folklore servent à mettre en valeur les particularités de l’identité nationale. Par ailleurs, la sauvegarde de cette identité distincte et l’offre de produits culturels différents visent à assurer une part du développement économique de la province. La mise en valeur du visage français de la province de Québec et de ses caractéristiques distinctives est un argument essentiel dans la volonté de développer un marché touristique en émergence. La campagne de refrancisation que Paul Gouin appuie dès son lancement au début des années 1930, et dont il deviendra le pro10.
BAC, FPG, MG27-IIID1, vol. 18, Causerie sur la petite industrie, 10 mai 1937.
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Conclusion
pagandiste gouvernemental à la fin des années 1940, vise à conserver et à revitaliser l’héritage culturel sous toutes ses formes. Trésors artistiques et artisanaux du Québec ancien ou moderne, langue, folklore et traditions, bâtiments, monuments anciens et quartiers historiques trouvent place dans ses interventions. Bref, dans la pensée de Paul Gouin, la conservation de l’héritage culturel est justifiée tout autant par des arguments économiques que patriotiques. « Le fils récolte ce que le père a semé » Paul Gouin restera toujours fidèle à ses convictions politiques et à sa passion pour l’histoire. En mai 1976, il confiait au journaliste Michel Roy que de tous les partis politiques de la province, celui dont il se sentait le plus près était le Parti québécois, « et sans doute y aurait-il adhéré publiquement il y a déjà longtemps s’il n’y avait eu à son programme l’engagement en faveur de l’indépendance11 ». Paul Gouin finira ses jours dans l’oubli. « Vivant seul dans sa retraite, rue Saint-Vincent du Vieux Montréal, la maladie ne tarda pas à le visiter. Il fut atteint d’un cancer de la gorge qui lui enleva l’usage de la parole. Il entra à l’hôpital au milieu de l’été et décéda le 4 décembre 1976 dans son sommeil. Exposé dans une maison historique du Vieux Montréal, ses funérailles dans le sanctuaire de Notre Dame du Bon Secours terminaient une carrière tout à l’honneur de la vie française en Amérique12. » L’avis de décès, publié dans La Presse le 7 décembre 1976, témoigne de la passion de Paul Gouin pour l’histoire et les monuments historiques : son corps est exposé à la Maison du Calvet, maison du Vieux-Montréal acquise par la compagnie Joseph A. Ogilvy en 1963, restaurée et aménagée en musée de meubles à partir de 196613. La notice invite à faire des dons à l’Institut d’histoire de l’Amérique française, œuvre de l’abbé Lionel Groulx. Les obsèques se déroulent à la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, dans le Vieux-Montréal14.
11. 12. 13. 14.
Michel Roy (1976a), « La mort de Paul Gouin », Le Devoir (7 décembre), p. 34. Adrien Verrette (1977), « Paul Gouin 1898-1976 », Vie française, vol. 31, nos 1011-12 (juin-juillet-août), p. 123-124. « Maison Du Calvet » (2005), Vieux-Montréal, http ://www.vieux.montreal. qc.ca/inventaire/hall.htm. Site consulté le 11 juillet 2007. Philippe Ferland (1991), Paul Gouin, p. 583-584.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » Le rôle important qu’a joué Paul Gouin dans l’orientation et la mise en place de diverses institutions culturelles qui ont lentement émergé au cours du xxe siècle est passé relativement inaperçu. Son projet de politique culturelle, document synthétisant l’essentiel des propositions qu’il a répétées pendant vingt ans, trouve pourtant des échos lors de la création du ministère des Affaires culturelles, comme nous l’avons vu précédemment. Fernand Dumont a parlé des années 1930 comme d’une première révolution tranquille, une révolution des idéologies, à laquelle Paul Gouin a participé15. D’autres chercheurs l’ont constaté bien avant nous : « La Révolution tranquille ne plongerait-elle pas ses racines dans les expériences tentées tout d’abord au sein de l’Action libérale nationale16 ? » De nombreuses institutions créées au cours de la Révolution tranquille trouvent leurs fondements bien avant, et cette « révolution » ne constitue, sous certains aspects, qu’un aboutissement, qu’une concrétisation d’éléments réclamés de longue date. C’est en tout cas le regard que Paul Gouin porte sur les bouleversements des années 1960. Dans un discours prononcé en 1964 à Manchester, il affirme : [...] j’ai choisi de vous entretenir, ce soir, de la Belle Province, où il se passe actuellement beaucoup de choses qui, vues de l’extérieur, peuvent paraître parfois assez déroutantes. […] Dans la presse étrangère, lorsqu’on parle du Québec, on parle de révolution tranquille. C’est là un assemblage de mots plutôt contradictoires. Je ne vois pas comment une révolution peut être tranquille puisque, d’après sa définition même, une révolution, c’est un changement brusque et violent dans la structure économique, sociale et politique d’un État. Si l’on fait exception de la crise que subit actuellement notre jeunesse, crise qui ne lui est pas particulière, mais mondiale, si l’on fait exception de certains actes de terrorisme ou de violence qui ne sont pas non plus particuliers au Québec puisqu’il s’en produit et, de beaucoup plus graves, dans tous les pays du monde, y compris le vôtre, il n’y a pas de révolution tranquille ou non dans la Belle Province. Ce qui s’y passe est plus simple, trop simple sans doute au gré des partisans et artisans d’une publicité tapageuse et ronflante. Après un long, pénible parfois, mais nécessaire travail latent, Québec s’épanouit brusquement dans tous les domaines comme nos
15. 16.
Fernand Dumont (1978), « Les années 30 : La première révolution tranquille », dans Fernand Dumont, et autres (dir.), Idéologies au Canada français 1930-1939, Québec, Presses de l’Université Laval. Paul-André Comeau (1982), Le bloc populaire : 1942-1948, p. 442.
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Conclusion
érables dont les bourgeons débordant de sève éclatent tout à coup au printemps et qui revêtent, en l’espace d’une nuit, leur magnifique frondaison estivale. Mais, révolution ou non, il n’y a pas de doute que ça bouge au Québec. Des problèmes dont on a parlé pendant cent ans, des problèmes qui ont été le thème de tous nos discours depuis le temps qu’on en fait, des problèmes qui ont figuré au programme de toutes nos sociétés patriotiques et de presque tous nos partis politiques aussi loin qu’on remonte dans notre histoire, reçoivent actuellement des solutions ou des tentatives de solutions grâce aux outils et aux compétences qui ont été forgés ou façonnées par les générations qui nous ont précédés. […] Ce qui est certain, c’est que l’on trouve actuellement des solutions ou des tentatives de solutions à tous nos problèmes anciens ou nouveaux17.
Bref, la modernisation se déroulant au cours des années 1960, cette « révolution tranquille », ne serait que l’aboutissement d’années d’efforts et de propagande continue de la part d’acteurs engagés, politiciens et intellectuels, qui réclamaient depuis longtemps des changements. Lors d’une seconde conférence à Manchester quelques jours plus tard, Paul Gouin réitère le rôle de sa génération dans les mutations en cours : « [...] nous avons fait tout ce qui était possible, que rien de plus n’était possible, que tout ce que nous avons fait était dans la ligne traditionnelle de notre politique de survivance nationale et que, enfin, notre bout de rôle a été essentiel aux développements que la génération actuelle réalise ou tente de réaliser de si éblouissante façon. Ici encore se vérifie l’adage : le fils récolte ce que le père a semé18. »
17. 18.
BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/11, Causerie à l’Association canado-américaine, 6 septembre 1964, publiée dans Le Canado-américain sous le titre « La Belle Province », 1964, p. 25-26. BAnQ-M, FPG (P190), 1983-03-038/11, Conférence au Congrès de l’Association canado-américaine, 9 septembre 1964.
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Page laissée blanche intentionnellement
Annexe Chronologie
1898, 20 mai 1905
1916-1919
1920 1922 1922 -1929 1925, 28 janvier
1927 1929 1929 -1930
Naissance de Paul Gouin, à Montréal Il a 7 ans lorsque son père, Lomer Gouin, devient premier ministre du Québec, fonction qu’il occupera jusqu’en 1920. Au cours de ces 15 années, la famille habite à Québec, d’abord dans une maison située près du Château Frontenac, connue plus tard sous le nom « Château Jardin du gouverneur », puis rue des Remparts, dans la maison occupée par Montcalm en 1759. Au cours de la Première Guerre mondiale, Paul Gouin est lieutenant d’un régiment de chars d’assaut dans le « 1st Canadian Tank Battallion », lequel était à l’entraînement en Angleterre au moment de l’Armistice Admis au barreau, après des études en droit à l’Université Laval et à l’Université de Montréal. Mariage avec Gabrielle Garneau Création du Musée de la province de Québec Loi relative à la conservation des monuments et des objets d’art ayant un intérêt historique ou artistique Création des École des beaux-arts de Montréal et de Québec Paul Gouin exerce sa profession d’avocat au cabinet Beaulieu, Gouin, Marin & Mercier puis Beaulieu, Gouin, Mercier & Tellier. Causerie de Paul Gouin à la Société des conférences de l’École des hautes études commerciales, intitulée « Sabretaches et ceintures fléchées ». Publication de Médailles anciennes Crash de la Bourse de New York et début de la crise économique Décès de Lomer Gouin Abandonne le droit et devient président et directeur général de la maison d’édition Louis Carrier & Co. Ltd. Voyage de quelques mois en Europe à l’automne (à compter d’octobre 1929 ; il est au Québec en février 1930) Fermeture de la maison d’édition
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » 1930
Création de l’École des arts domestiques Paul Gouin collectionne des livres et des tableaux canadiens. Paul Gouin sollicite le poste de conservateur du Musée de la province de Québec auprès du premier ministre Taschereau Paul Gouin et Paul Lavoie veulent mettre sur pied l’« Institut de la Nouvelle-France », inspiré de l’Institut de France. 1930 à 1936 Membre de l’Association des auteurs canadiens 1930 -1934 Rencontres hebdomadaires chez Paul Gouin 1931 Paul Gouin envisage de préparer une thèse en histoire sous la direction d’Aegidius Fauteux. Paul Gouin tente de nouveau sa chance auprès du premier ministre Taschereau pour obtenir un emploi au Musée de la province de Québec. Il s’agit cette fois-ci du poste d’assistant-conservateur. 1933 Enquête de Jean-Marie Gauvreau et de Paul Gouin sur l’artisanat dans le comté de Charlevoix École sociale populaire, Programme de restauration sociale Lancement de la campagne de refrancisation par la Société des Arts, Sciences et Lettres de Québec 1933, automne Création d’un comité de colonisation par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Paul Gouin est choisi comme président. 1933-1934 Paul Gouin est membre du Conseil du tourisme 1934 Lancement de la campagne d’éducation nationale par la revue L’Action nationale. Fondation de la Société Jean-Talon, pour promouvoir la petite industrie. Paul Gouin fait construire sa résidence inspirée des maisons canadiennes du xviiie siècle, à Saint-Sulpice. Paul Gouin aurait acheté son premier meuble ancien, une chaise, acquise de Jean Palardy. 1934, 27 juillet Fondation officielle de l’Action libérale nationale (ALN) par un groupe de jeunes libéraux dissidents. Paul Gouin est choisi comme chef de la nouvelle formation. Le programme du parti s’inspire du Programme de restauration sociale. 1934, automne Congrès de colonisation 1935 Création de l’École du meuble 1935, avril Gouin fonde le journal hebdomadaire La Province, qui sera l’organe du nouveau parti. 1935, 7 novembre Alliance stratégique Duplessis-Gouin (Union nationale Duplessis-Gouin) 1935, 25 novembre Paul Gouin député de l’Assomption 1936-1961 (au moins) Membre de la Société historique de Montréal 1936, juin Démission du gouvernement Taschereau Rupture de l’alliance Duplessis-Gouin Duplessis retient le nom « Union nationale ».
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Annexe • Chronologie
1936, 17 août 1937, octobre 1937 -1938 1938, 5 février 1938 1939 1941 1942 1942, juillet-août 1942, septembre
1944 1945 1946
1946, avril 1948
Élections. L’ALN ne présente aucun candidat. Inauguration des dîners causeries de La Province. Installation par Paul Gouin d’un comptoir de produits artisanaux à la pharmacie Sarrazin et Choquette, à Montréal Début de l’Inventaire des œuvres d’art par Gérard Morisset Deuxième Congrès de la langue française au Canada. Création du Comité permanent de la Survivance française en Amérique Paul Gouin dirige La Province. Parution du dernier numéro du journal La Province. Exposition d’art religieux contemporain au Musée de la province de Québec. Publication de Servir : la cause nationale, recueil d’articles et de causeries de Paul Gouin. Jean-Marie Gauvreau, Rapport général sur l’artisanat Albert Tessier, Rapport sur le tourisme Exposition d’artisanat à l’île Sainte-Hélène L’ALN tente une nouvelle percée, mais tous ses candidats sont défaits. Une partie de la collection Gouin est entreposée et exposée au Château Ramezay Paul Gouin est cofondateur du parti Bloc populaire canadien Vente d’une partie de la collection Gouin Une partie de la collection Gouin est installée à l’École du meuble de Montréal, créant ainsi un musée offrant une collection de référence aux étudiants de l’établissement. Ce musée est toujours en place en 1945. Création d’une chaire de folklore à l’Université Laval, ainsi que des Archives de folklore Congrès de colonisation organisé par les Semaines sociales du Canada. Fondation de L’Aide à la colonisation. Paul Gouin se présente comme candidat indépendant dans le comté de l’Assomption. Il est défait. Paul Gouin, Philippe Hamel et René Chaloult quittent le Bloc populaire canadien et forment le comité Gouin Chaloult Hamel. Création de l’Office de l’artisanat et de la petite industrie Ouverture de Beaumanoir L’Aide à la colonisation tient un congrès national, sous la présidence de Paul Gouin Prêt d’objets de la collection Gouin pour l’exposition « The Arts of French Canada » au Detroit Institute of Arts, aux États-Unis. L’établissement acquiert alors 27 objets de la collection Gouin. Exposition des œuvres de Edmundo Chiodini à Beaumanoir Paul Gouin est nommé conseiller technique auprès du Conseil exécutif de la province, poste qu’il occupera jusqu’en 1968.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » 1948 -1963 1949
1949, 30 avril 1949-1950 1949-1951 1950 1950-1951 1951 1952
Membre de l’Office de l’artisanat et de la petite industrie (de sa création à son abolition) Aménagement d’une suite canadienne au Ritz-Carlton, par Paul Gouin. La pièce est décorée de meubles anciens, de pièces de textiles artisanales et de gravures. Fermeture de Beaumanoir. Série de causeries radiophoniques à CKAC Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, lettres et sciences au Canada (Commission Massey) Paul Gouin devient membre du Comité de la Survivance française en Amérique Concours de refrancisation de la publicité de l’hôtellerie, par le truchement de Radio-Canada et en collaboration avec le Service d’éducation hôtelière. Exposition d’artisanat à Ottawa, organisée par l’Office de l’artisanat et de la petite industrie Ouverture de la Centrale d’artisanat, au 72 rue Sherbrooke ouest, à Montréal Voyage au Québec de la photographe américaine Lida Moser Série de causeries radiophoniques à Radio-Canada Exposition d’artisanat à l’île Sainte-Hélène Salon de l’hôtellerie, organisé par Paul Gouin en collaboration avec le ministère de l’Industrie et du Commerce Paul Gouin collabore à l’aménagement de l’hôtellerie gouvernementale de l’Étape, dans le parc des Laurentides. Vente d’une partie de la collection Gouin au Musée de la province de Québec Décoration dans le style « à la canadienne » de la salle du Chalet MontRoyal lors de la visite de la princesse Élizabeth à Montréal. Troisième Congrès de la langue française Remise d’un doctorat honoris causa ès lettres à Paul Gouin, par l’Université Laval Congrès d’art religieux. Exposition d’art religieux contemporain au Café du Parlement, organisée en collaboration avec le Secrétariat de la province, à l’occasion du centenaire de l’Université Laval. « Exposition rétrospective de l’art au Canada français » présentée au Musée de la province de Québec Révision de la Loi sur les monuments historiques, sous l’influence de Paul Gouin, désormais connu sous le nom Loi relative aux monuments, sites et objets historiques ou artistiques. Maurice Duplessis offre le poste de conservateur du Musée de la province de Québec à Paul Gouin, qui appuie plutôt la candidature de Gérard Morisset.
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Annexe • Chronologie
1952, vers septembre ou octobre – Paul Gouin soumet un « Projet de loi concernant la conservation et le développement de notre héritage artistique et culturel » au premier ministre Duplessis. 1952 -1956 Président de la Société des Festivals de Montréal 1953 Officier de l’ordre académique « Honneur et mérite » de la Société du bon parler français Récipiendaire de la médaille du couronnement de la reine Élizabeth II Création de la Commission d’enquête sur les problèmes constitutionnels (Commission Tremblay) 1955 Nommé Acadien honoraire de la Louisiane par le gouverneur de cet État Vente d’une partie de la collection Paul Gouin par l’antiquaire Samuel Breitman. 1955-1958 Membre du comité de décoration du Queen Elizabeth Hotel à Montréal. Pendant ce temps, un mouvement de protestation lancé par L’Action nationale réclame que l’hôtel porte un nom français. 1955 -1961 Président du Conseil de la vie française en Amérique, dont il est membre de 1950 à 1975. Il s’agit du nouveau nom adopté en 1955 par le Comité permanent de la Survivance française en Amérique 1955 -1968 Président de la Commission des monuments et sites historiques du Québec. Paul Gouin préside officieusement la CMH entre 1952 et 1955. 1956 Membre fondateur de la société Vie des Arts 1957 Organise et préside le Congrès de la refrancisation, sous les auspices du gouvernement provincial et du Conseil de la vie française en Amérique. Paul Gouin s’occupe aussi de l’organisation des activités culturelles du Congrès, dont l’exposition artistique et artisanale présentée au Café du Parlement à cette occasion. 1957-1958 Paul Gouin participe à des jurys de concours de danses folkloriques au Salon national de l’Agriculture à Montréal. c. 1957-1964 Membre de la Corporation Sir Georges-Etienne Cartier chargée de la construction et de l’aménagement de la Place des Arts à Montréal 1958 Paul Gouin admis à la Société Royale du Canada Sous le titre « Mon pays, mes amours », Paul Gouin présente une série d’émissions à la télévision de Radio-Canada, traitant de l’histoire de la Vallée du Richelieu. 1959 Exposition d’art religieux canadien, ancien et moderne, organisée en collaboration avec Jean-Marie Gauvreau. Présentée au parlement du Québec par le gouvernement de la province pour commémorer le troisième centenaire de l’arrivée de monseigneur de Laval. Doctorat honoris causa ès lettres de l’Université Saint-Joseph de Moncton Georges-Émile Lapalme rédige un document d’orientation pour le Parti libéral, intitulé Pour une politique.
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« Notre maître le passé, notre maître l’avenir » 1959, 7 septembre Décès de Maurice Duplessis 1960, juin Élection du Parti libéral, dirigé par Jean Lesage 1961 Création du Comité international pour la restauration des Sites et Monuments historiques. Création du ministère des Affaires culturelles du Québec 1962 Création de la Commission Jacques-Viger, présidée par Paul Gouin. Cette commission a été créée par la Ville de Montréal pour assurer la conservation et la mise en valeur du Vieux-Montréal. Paul Gouin est nommé membre à vie de l’Héritage canadien du Québec 1963 La Loi des monuments historiques inclut désormais la notion d’arrondissement. 1964 Paul Gouin nommé membre honorifique de l’Association canadoaméricaine à Manchester 1965 Ouverture de la Maison Chevalier au public. Exposition des collections d’arts décoratifs du Musée du Québec. 1967 Exposition internationale de Montréal Ouverture de la galerie Le Pigeonnier dans le Vieux-Montréal 1968 Paul Gouin est membre de la Corporation du Village du Vieux-Montréal, qui souhaite organiser des activités dans le quartier ancien de la ville. 1969-1971 Ouverture en 1969 de la galerie restaurant Le Saint-Vincent dans le Vieux-Montréal 1974 Paul Gouin nommé membre honoraire de l’Association des artisans de la ceinture fléchée du Québec 1976, 4 décembre Décès de Paul Gouin 1992 Dix-huit objets de la collection Gouin acquis par le Detroit Institute of Arts en 1946 sont mis à l’encan par Sotheby’s à Toronto.
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