WILLIAM E. SIMON préface de Milton Friedman avant·propos de F.A. Hayek
L'HEURE DElA -YERI.,E Hal.e aux dél!enses pulil...
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WILLIAM E. SIMON préface de Milton Friedman avant·propos de F.A. Hayek
L'HEURE DElA -YERI.,E Hal.e aux dél!enses puliliques'
ECONOMICA 49, rue Héricart, 75015 Paris
1981
Cet ouvrage est une traduction du livre publié par Reader's Digest Press, McGraw-Hill Book Company, New York, N.Y., sous le titre: A Time for Truth. Traduction: Jacques Tournier. Maquette de couverture: Jérôme Lo Monaco.
Copyright © 1978 by William E. Simon. Copyright © Economica, 1981, pour la traduction française. Tous droits réservés. Imprimé aux Etats-Unis d'Amérique. Aucune partie de cet ouvrage ne peut être reproduite, enregistrée ou retransmise sous aucune forme ni par aucun procédé - électronique, mécanique, photographique ou autre - sans l'autorisation préalable de l'éditeur.
A mon épouse Carol, qui est toujours à mes côtés dans tous mes combats, et à mes enfants, afm qu'ils ne puissent jamais dire un jour: « Pourquoi ne nous a-t-on rien dit? »
REMERCIEMENTS
Qu'il me soit permis d'exprimer ma profonde gratitude à Edith Efron pour l'aide qu'elle m'a apportée à chaque étape de cet ouvrage, depuis sa conception jusqu'à sa rédaction. La passion que je voue à la liberté et qui anime ses pages, elle la partage aussi. J'ai aussi une grande dette envers Kenneth Gilmore et William Schulz, respectivement rédacteur en chef et correspondant à Washington du Reader's Digest. Tous deux ont consacré d'innombrables heures à ce projet, et leurs conseils, leurs critiques et leurs suggestions m'ont été extrêmement précieux. Ce sont eux qui m'ont conseillé, fort sagement, de me limiter dans cet ouvrage à l'examen des questions d'intérêt national. Enfin, je souhaite remercier DeWitt Wallace et Hobart Lewis, du Reader's Digest. Sans leur inspiration, ce projet n'aurait peutêtre jamais vu le jour.
PREFACE Voici un ouvrage brillant et plein de passion, écrit par un homme brillant et passionné. C'est une analyse profonde de la voie suicidaire sur laquelle s'est engagé ce pays, que nous aimons tous. C'est un ouvrage rédigé dans un style si clair et si simple, écrit avec tant d'éloquence et d'évidente sincérité, si bien documenté et si solidement étayé d'une expérience personnelle, qu'il ne peut qu'emporter la conviction de tous les hommes raisonnables qui veulent du bien à leurs concitoyens. Et pourtant je sais, pour avoir longtemps fréquenté des intellectuels comme moi, que beaucoup d'entre eux ne seront guère convaincus. Il est peu d'actes qui soient aussi difficiles à accomplir que de dire « mea culpa » et de regarder la réalité bien en face, lorsque les faits ne cadrent pas avec des opinions philosophiques auxquelles on est resté longtemps attaché. On s Ji résout seulement lorsque cette persistance dans l'erreur entraîne un grave préjudice personnel. C'est pourquoi les hommes d'affaires, qui risquent la faillite s'ils refusent de tenir compte des réalités, sont une des seules catégories sociales à acquérir l 'habitude de le faire. C'est pourquoi l'homme d'affaires qui réussit accepte plus volontiers des idées nouvelles que l'universitaire, pourtant si fier de sa prétendue liberté individuelle. Il le fait même si cela va à l'encontre des idées qu'il a souvent soutenues en public. Cela, je l'ai souvent constaté. Les socialistes et les partisans de l'interventionnisme, qui ont confisqué, à tort, le noble épithète de «libéral» aux Etats-Unis, et qui ont été les théoriciens de la voie suicidaire sur laquelle nous nous trouvons, ne subiront aucun préjudice personnel important - du moins pas dans un avenir proche -, s'ils ne reconnaissent pas leurs errements. Bien au contraire, beaucoup ("entre eux n'auraient rien à gagner à vouloir le faire. Leurs idées sc vendent bien et il se peut qu'ils aient beaucoup de mal à mettre sur le marché un autre produit qui se vendrait aussi bien. L'idée selon laquelle le seul moyen de résoudre un problème ou de surmonter une difficulté consiste à voter une loi, à créer un organisme public (dont feront partie, bien sûr, les intellectuels favorables à cette solution) et à utiliser le pouvoir policier de l'Etat, est une idée séduisante mais superficielle. W.E. Simon le démontre fort bien. C'est une solution simpliste, naïve, et ql ' satisfait notre tendance naturelle à prendre à notre comp
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PREFACE
le bien qui se fait, tout en accusant ~ le diable» lorsque c'est le contraire qui se produit. Cette tendance existe et W.E. Simon nous en apporte des preuves saisissantes dans son ouvrage, lorsqu'il relate les diverses occasions où le ~ diable », c'était lui. D'autre part, l'idée selon laquelle gouverner, c'est poser problème et non guérir et que la main invisible de la coopération privée est beaucoup plus efficace que la main visible des bureaucrates, est une idée plus complexe, plus subtile et plus difficile à faire partager. Comprendre cette idée exige de la réflexion, et non de la sensibilité. C'est une idée qui n'a que faire des expressions ronflantes, des grands sentiments, des promesses faites à telle personne ou à telle catégorie' sociale. De plus, le marché n'a pas d'agents de publicité pour proclamer ses succès à son de trompe et parler à mi-voix de ses échecs .. les bureaucrates, eux, en ont. L'existence de toutes ces forces amène beaucoup d'intellectuels à adopter, par intérêt personnel, une philosophie favorable à l'étatisme, à l'interventionnisme. L'intérêt personnel est un facteur aussi puissant sur le marché intellectuel que sur le marché strictement économique. L'intérêt personnel se trouve renforcé par l'instinct grégaire qui sévit chez tant d'intellectuels, par le fait de vivre dans un milieu protégé où ils ont tendance à converser seulement entre eux, au prix d'un renforcement de leurs préjugés, et à ignorer pratiquement tous les arguments de leurs adversaires. n en résulte une telle communauté d'opinions parmi les intellectuels, qu'on a peine à y croire. Je suis certain qu'on n'aurait pas pu trouver dans le Chicago administré par Daley, une circonscription dont les résultats électoraux et l'orientation politique étaient plus prévisibles que ceux de Hyde Park, circonscription de l'université de Chicago. Et pourtant cette université occupe une place exceptionnelle parmi les universités américaines par son ouverture d'esprit, sa tolérance à l'égard des opinions les plus divergentes et par le fait que celles-ci sont fortement représentées au sein du corps professoral. A court terme, les intellectuels ont peut-être intérêt à prêcher le socialisme et l'interventionnisme. n n'en va pas de même à long terme. Si les tendances actuelles se poursuivent et si notre société de liberté est remplacée par une société collectiviste, les intellectuels qui auront tant contribué à nous conduire sur cette pente ne seront pas les dirigeants de la nouvelle société. Ce qui les attend, c'est la prison, l'hôpital psychiatrique ou la mort. Car après tout, d'après le mot de Lénine, les capitalistes ne sont pas les seuls à vendre à leurs ennemis la corde qui servira à les pen'dre. Les expériences russe, yougoslave et chinoise sont extrêmement révélatrices à cet égard.
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PREFACE
Fort heureusement, des tendances contraires se sont développées et t'ouvrage de W.E. Simon contribue singulièrement à les fortifier. L'inefficacité et les échecs de l'Etat sont devenus si manifestes et ont pris de telles proportions que même les aveugles les plus notoires pourraient difficilement ne pas les constater. Les bureaucrates ont même tourné leur regard vers les écoles et les universités; c'est ainsi que la communauté des intellectuels a commencé à subir leurs assauts sur son propre terrain - juste châtiment dont on pourrait se réjouir s'il n'impliquait pas de graves conséquences pour la préservation de nos valeurs fondamentales. Un des effets a été qu'un nombre croissant d'intellectuels s'est enfin rendu compte du danger que représente la croissance de l'Etat, pour la sauvegarde de la liberté humaine. Un autre effet, dont la portée sera plus grande en fin de compte, a été la prise de conscience par le grand public, de la situation, de sorte que les remèdes miracles du socialisme ne se vendent plus aussi bien qu'auparavant. n faut espérer que l'ouvrage méritoire de w.E. Simon touchera un nombre important de lecteurs. Il se peut qu'il n'emporte pas la conviction de l'intellectuel engagé. Mais les jeunes intellectuels qui n'ont pas encore les idées bien arrêtées y trouveront ample matière à réflexion. L'ouvrage de Simon va également contribuer puissamment à modifier la réflexion philosophique sur l'individualisme. Je suis peut-être trop optimiste et je manque peut-être d'objectivité, mais j'estime que ce changement a déjà commencé à se manifester. Enfin, cet ouvrage donnera au grand public, dont les valeurs sont demeurées saines, des raisons de raviver sa confiance en ces mêmes valeurs. W.E. Simon a été un excellent secrétaire au Trésor. Cependant, j'estime qu'avec ce livre, il apportera à son pays une meilleure contribution que celle qu'il a apportée lorsqu'il était un secrétaire au Trésor soumis à de trop fréquentes frustrations. Nous avons trop de technoCrates efficaces. Nous n'avons pas assez de visionnaires clairvoyants. Milton FRIEDMAN
Ely, Vermont, le 2 mai 1977
AVANT-PROPOS
C'est grâce à un ami commun que j'ai eu l'occasion de lire le manuscrit de cet ouvrage. Si j'avais su alors que c'était l'œuvre d'un des derniers secrétaires au Trésor, je ne sais si j'aurais manifesté le moindre empressement à le lire. Me rappelant seulement qu'il s'agissait de l'ouvrage d'un homme jeune que cet ami estimait promis à un brillant avenir, j'en commençai la lecture et en fus aussitôt si séduit que je le lus d'une traite jusqu'à la dernière page. Je ne sais toujours pas grand-chose sur le rôle que l'auteur a joué dans l'histoire récente des Etats-Unis. Ce que je sais, je l'ai appris en lisant son ouvrage. Mais ce dont je suis sûr, c'est que le récit de son expérience personnelle et la leçon qu'il en a tirée sont d'une importance capitale. J'ai encore du mal à comprendre comment un homme qui professe les opinions de W.E. Simon a pu devenir secrétaire au Trésor. Il n'est pas courant, en effet, que ce genre d'opinions se forment chez celui qui exerce de telles fonctions. L'explication en est, peut-être, que W.E. Simon était suffisamment jeune pour être vraiment troublé par l'expérience qui fut la sienne et pour qu'il apprît ce que les politiciens chevronnés ne sont plus en âge d'apprendre, à savoir que dans notre système de démocratie sans limites, ceux qui se trouvent au gouvernement agissent sous la contrainte et sont donc obligés d'adopter des politiques qu'ils savent laxistes. Ils y sont contraints, sous peine de devoir abandonner des fonctions où ils peuvent encore espérer faire un peu de bien. Si telle est la leçon qu'un jeune esprit d'élite a tirée d'une cruelle expérience personnelle, espérons que l'opinion publique américaine et occidentale trouvera en lui un guide; elle en a bien besoin. Ce que nous dit W.E. Simon dans cet ouvrage devrait, tout au moins, éclairer de nombreuses personnes sur la nature des obstacles qui s'opposent à la mise en œuvre par les pouvoirs publics d'une politique raisonnable. Je n'avais jamais imaginé que les pouvoirs publics aient pu avoir de bonnes raisons de se montrer hostiles aux si nombreux projets qui devaient finalement se réaliser.
XIV
AVANT-PROPOS
Je puis assurer le lecteur que l'ouvrage de W.E. Simon n'est pas exagérément alarmiste. Si nous tirons profit de ce que nous enseignent l'auteur et ceux qui partagent ses idées, il est encore possible de conjurer le danger qui nous menace: l'effondrement de notre système économique et politique. Je recommande surtout la lecture de cet ouvrage - hélas! sans grand espoir -, à mes collègues économistes, qui pourraient y apprendre plus de choses que n'enseigne leur discipline. F.A.HAYEK
CHAPITRE PREMIER
MONSIEUR LE PRESIDENT!
... méme dans la meilleure des hypothèses, l'Etat n'est qu'un mal nécessaire ; dans la pire des hypothèses, c'est un mal intolérable. Thomas Paine
Si vous projetez d'aller en voiture de Virginie à Washington, c'est en avril qu'il faut le faire. L'air est plein de senteurs; d'innombrables cerisiers bordent le Potomac, et les grands temples blancs qui abritent les statues de Lincoln et de Jefferson sont baignés d'une lumière douce et sereine. Ce voyage en voiture, je l'ai fait un jour, en avril. Je savais que ce spectacle était là, derrière la vitre, mais je ne l'ai pas vu. Enfermé dans une voiture, j'étudiais une montagne de statistiques et dans mon esprit, il n'y avait pas la moindre place pour de tels plaisirs. C'était en 1976 et j'étais secrétaire au Trésor. Les Etats-Unis commençaient à se relever d'une grave récession et je me rendais à Washington pour témoigner devant une sous-commission du Congrès. Je n'exerce plus aucune fonction officielle et lorsque je me penche sur le passé, j'ai parfois le sentiment que, durant les quatre années où j'étais en poste à Washington, j'ai passé le plus clair de mon temps à courir çà et là pour témoigner devant divers groupes de sénateurs et de députés. Je me suis laissé dire que je détenais le record absolu dans ce domaine et je suis tout prêt à le croire. De fait, s'il m'arrive, le jour du jugement dernier, de revendiquer une seule vertu, ce sera celle d'être resté stoïquement patient pendant ces incessantes comparutions. J'étais d'une courtoisie à toute épreuve, comme l'exige la tradition à Washington, mais, bien souvent, il me venait l'envie de lancer quelque objet à la tête de certains de ces messieurs, que j'ai traités, un jour où j'avais perdu mon sang-froid, de « vieilles badernes de Capitol Hill ». Cependant, je dois reconnaître, en toute équité, que si j'ai fini par devenir allergique à ces messieurs du Congrès, ils n'en sont pas entièrement responsables. En effet, il n'est pas du tout normal que l'on soit contraint de témoigner si souvent sur les mêmes questions, et souvent de la même façon, devant de petits groupe~
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de politiciens rivaux. Selon mes derniers calculs, j'ai témoigné près de 400 fois à Capitol Hill. C'était inévitable, étant donné la situation exceptionnelle dans laquelle je me trouvais. En effet, le hJlsard a voulu que ma carri,ère politique commence au moment même où se déchaînaient les deux tempêtes économiques qui ont secoué les Etats-Unis pendant que j'étais au gouvernement. D'une part, j'ai été secrétaire au Trésor à une époque où notre pays était frappé par l'inflation la plus forte et la récession la plus grave depuis 40 ans, et, d'autre part, j'ai été responsable de la politique énergétique des Etats-Unis au moment de l'embargo décidé par les pays de l'OPEP, qui fit prendre conscience aux Américains, pour la première fois et de façon dramatique, de la perte de leur indépendance énergétique. Etant donné que la situation économique des Etats-Unis, ainsi que le problème de leurs sources d'approvisionnement en énergie, étaient des questions d'intérêt général, les responsabilités que j'exerçais dans ces deux domaines avaient donné à presque toutes les commissions et sous-commissions du Sénat et de la Chambre des représentants le désir de m'interroger à intervalles réguliers pendant près de quatre ans. La plupart de ces séances constituaient une perte de temps considérable. Je ne pense pas me tromper en affirmant que la majeure partie des membres du Congrès et des journalistes présents n'ont pratiquement rien appris lors de ces enquêtes publiques. Le fait de répondre aux milliers de questions posées par les membres du Congrès n'a servi à rien, ou presque, étant donné que ceux qui m'interrogeaient désiraient rarement obtenir une réponse, ou bien ne me croyaient pas. D'ailleurs, la majorité des questions étaient rédigées par des conseillers techniques et transmises aux membres du Congrès à la dernière minute. Les deux crises évoluaient au fil des mois, mais le message que j'adressais aux membres du Congrès était, en substance, toujours le même. Ce message,à la fois fondamental et désagréable, était le suivant: le gouvernement, en général, et le Congrès, en particulier, étaient pleinement responsables de la crise économique et de celle de l'énergie, ainsi que des dangers qui y étaient associés. Celà ne m'empêcha pas d'accepter avec beaucoup de patience les invitations du Congrès. J'ai toujours saisi les occasions qui m'étaient offertes d'apporter à ces messieurs, avec dossiers 1. 1'appui, la preuve du caractère irresponsable de leur politique passée. Je ne jouissais pas d'une très grande popularité à Washington, ni, souvent, au sein même de l'administration. C'était inévitable. Au cours des années, les républicains, comme les démocrates, avaient contribué à 1'établissement des contraintes politiques et juridiques
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qui pesaient sur notre système productif, et, comme les démocrates, ils se montraient souvent incapables de comprendre les dommages qu'ils avaient causés, et causaient encore. Le manque de sympathie que je décelais dans mon entourage immédiat me peinait profondément, mais je n'y pouvais rien. J'étais pleinement convaincu, . comme le disait Dickens, que dans le domaine économique « légiférer est stupide ». A Washington, cette position relevait de l'hérésie philosophique. C'était aussi une hérésie politique, au sens étroit du terme. Le meilleur moyen de réussir en politique ne consistait pas à critiquer ouvertement les décisions économiques du Président, qui était aussi le chef de votre propre parti. C'est pourtant ce que je fis, à plusieurs reprises. En 1974, je me vis contraint d'avertir le président Nixon que sa politique budgétaire était « insensée» et qu'il fallait à tout prix rétablir l'équilibre du budget. Un an plus tard, je tins des propos extrêmement critiques à l'égard de certaines propositions du président Ford, qui visaient à « libérer» la production d'énergie aux Etats-Unis en renforçant la mainmise de l'Etat sur les industries du secteur énergétique. _ Lorsque je me penche sur ce passé, il m'est difficile d'imaginer la raison pour laquelle ces deux présidents m'ont maintenu dans mes fonctions de secrétaire au Trésor, plutôt que de me remercier. Comme il serait agréable de penser qu'ils l'ont fait parce qu'ils croyaient, en leur for intérieur, que j'avais raison ! Voilà, me semble-t-il, l'explication, à peu de chose près, car il est certain que j'ai, à maintes reprises et par des propos tenus en public, mis les deux présidents dans une situation embarrassante. Les années que j'ai passées au gouvernement ont été ponctuées de bruits émanant des « milieux autorisés », en l'occurrence la Maison Blanche, selon lesquels j'étais sur le point d'être remercié, parce que j'étais un personnage excessivement gênant, abrupt et trop enclin à la controverse. Le surnom qu'on m'a donné dans les milieux politique - William le terrible -, correspond à ce portrait. Néanmoins, je fus maintenu dans mes fonctions. Jusqu'au dernier jour de l'exercice de mes fonctions, je me suis efforcé sans relâche de faire comprendre au gouvernement que c'était lui l'artisan de nos malheurs. Alors que ce jour d'avril 1976 je roulais vers Washington pour être entendu par le Congrès, je me suis penché sur mon passé et je me suis demandé comment j'avais bien pu aboutir à la situation complexe dans laquelle je me trouvais. Il n'y avait dans mon' enfance, hormis peut-être le fait que j'étais animé d'un fort esprit de compétition, vraiment rien qui eût pu laisser présager une future carrière ministérielle, et surtout au Trésor, où, dans le rôle d'un
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secrétaire très « discuté », j'allais m'efforcer de desserrer l'étreinte de l'Etat sur notre économie menacée d'asphyxie. Je suis né à Paterson, dans le New Jersey, le 27 novembre 1927. Ma famille, d'origine française et catholique, perdit toute sa fortune pendant la crise de 1929. J'avais 8 ans à la mort de ma mère. Mon père devint courtier en assurances, avec un salaire modeste. Nous n'étions pas dans le besoin, mais cet homme bon et d'un naturel aimable était comme hanté par le sentiment de l'échec. Très tôt, je pris la décision de lutter contre les difficultés de la vie, sans jamais baisser les bras. C'est alors, me semble-t-il, qu'est né « William le terrible ». Pendant l'adolescence, j'ai mené des combats dans des domaines divers; il ne s'agissait pas de combats philosophiques. J'ai fréquenté la Newark Academy et, après un bref séjour à l'armée,je suis entré au Lafayette College. Durant toutes ces années d'études, mes ambitions et la capacité que j'avais de m'imposer une discipline personnelle très stricte, se sont portées sur le sport. Je pratiquais le «surf », éprouvant une grande joie physique à triompher des énormes vagues qui déferlaient sur les plages du New Jersey dans un bouillonnement d'écume; je prenais part à des compétitions de natation et je réalisais de véritables exploits aux cartes. Voici ce à quoi j'employais toute l'énergie de ma jeunesse. Je ne fus pas sensible aux attraits de l'enseignement supérieur; je ne pensais pas alors qu'il pouvait être « à côté de la question ». Je récoltai une belle collection de C, rehaussée de quelques B. J'éprouvais des remords d'avoir si médiocrement réussi à l'université, mais je devais découvrir, des dizaines d'années plus tard, que l'intelligentsia américaine préférait, et de loin, des docteurs désargentés occupés à détruire l'économie américaine, à des financiers prospères, non munis de doctorats, qui luttaient pour la sauver. C'est alors que j'ai commencé à comprendre pourquoi le milieu universitaire m'avait paru sans attrait. Mes remords disparurent. C'est seulement plus tard, au contact des difficultés de la vie, que je me suis engagé sérieusement dans une voie qui s'est avérée très stimulante au point de vue intellectuel et qui devait finalement me mener au poste que j'ai occupé à Washington. J'étais étudiant de troisième année quand j'ai épousé Carol Girard, une amie d'enfance. Puis, nos enfants sont nés. Nous en avons eu sept. Les responsabilités que j'avais, ainsi que la dette de 5 000 dollars contractée pour régler soins et honoraires médicaux relatifs à plusieurs maladies dans la famille, m'ont rapidement transformé en citoyen sérieux. En 1952, je suis allé travailler à Wall Street comme stagiaire en management chez Union Securities, pour un salaire hebdomadaire de 75 dollars. Je me suis aperçu que le monde de" la finance me fascinait. Je me suis donné au travail avec la disci-
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pline et la précision que j'avais seulement utilisées auparavant pour affronter les vagues géantes, et j'y prenais un immense plaisir. J'ai immédiatement été pris par le virus du travail, et cela dure encore. Je réussis pleinement, car trois ans après mon stage, je fus nommé vice-président adjoint et directeur du Municipal Trading Department de la société. En 1957, je suis entré chez Weeden and Company, comme vice-président. En 1964, j'ai été engagé par la firme Salomon Brothers, de New York, dont je devins un des principaux associés et membre du conseil d'administration. Au début des années 70, ma part des bénéfices dépassait tout ce que j'avais pu espérer dans ma jeunesse. Cette réussite sur le plan professionnel s'accompagnait d'une autre richesse, invisible celle-là : je commençais à mieux comprendre le fonctionnement de certains secteurs de l'économie américaine. C'est pendant les années passées dans la firme Salomon Brothers que j'ai commencé à participer de plus en plus activement aux affaires publiques. J'avais quelques activités d'ordre culturel : j'étais, par exemple, un des administrateurs du Mannes Conservatory of Music et membre du U.S. Olympie Committee. Mais la voie dans laquelle je m'étais engagé me rapprochait sans cesse de Washington. Je rencontrais régulièrement des fonctionnaires du Trésor auxquels je donnais des conseils en matière de finances publiques. Il en fut de même pour la Federal National Mortgage Association (