Paul Tillich
L'ê tre no uv eau
Tradui t de l'anglais par Jean-M arc SAINT.
Originally published in English under the ...
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Paul Tillich
L'ê tre no uv eau
Tradui t de l'anglais par Jean-M arc SAINT.
Originally published in English under the title THE NEW BEING
© by Charles Scribner's sons cfo Curtis Brown Ltd, London ' ' 1955.: , . © Editions Planète, Ig6g.
L'EXPÉRIENCE INTÉRIEURE Collection dirigée par Roger MUNIER
Table .' des mat1eres
AVERTISSÉMENT PRÉFACE
du traducteur.
de l'auteur.
II 15
PREMIÈRE P A.RTIE
'
~
AMOUR
'
I. II. III. IV. V. VI. VII.
«Il sera beaucoup pardonné... JJ L'être nouveau. La puissance de l'amour. La règle d'or. De la guérison (I et II). Un saint gaspillage. Les principautés et les puissances.
rg
33 45 51 57 75 81 9
Table des matières
Avertissement
DEUXIÈME PARTIE
LIBERTÉ VIII. IX. X. XI. XII. XIII. XIV. XV. XVI. XVII. XVIII.
« Qu'est-ce que la vérité? >> Foi et incertitude. > Jean 13 : 34-35· Deux mille ans après, sommes-nous encore Dieu capables de comprendre ce que veut dire : « de e épîtr ière est Amour »? ~'auteu_r de la prem car ait écriv Jean con:prenalt certamement ce qu'il ure Il en a tlré les conséquences : «Cel ui qui deme ure deme Dieu et Dieu dans l'amour, demeure en nt sa en lui~ >> Dieu dem eura nt en nous, Dieu faisa chose e mêm la nous demeure en nous, c'est pour notre que demeurer dans l'am our, faire de l'am our tés réali deux pas sont ne our dei?-eure. Dieu et l'am ' té. réali e mêm et seule maJ.s une L'êtr e de Dieu est l'être de l'am our et en Dieu ie la puissance infinie de l'être est la puissance infin être re de l'am~ur.. C'est pourquoi celui qui décla ure attac hé a D1eu peut demeurer en Dieu s'il deme s'il Dieu èn dans l'am our, mais il ne demeure pas 46
parle ne demeure. pas dans l'am our. Celui qui ne eure dem s'il pas de Dieu peut demeurer en Dieu Dieu de tion festa dans l'amour. Du fait que la mani s le en tant qu'am our est s~ manifestation en Jésu ceux de coup beau Christ, Jésus peut affirmer que que qui ne lè connaissent pas lui appa rtien nent et rappa lui ne , obéir lui t beaucoup d'autres, qui disen our. l'am c'est if, décis re tiennent pas. Le seul critè euCar Dieù est amour et l'am our de Dieu est glori fié. cruci le st Chri sement manifeste en e Permettez-moi de vous raco nter l'lùstoire d'un vie la dont es, anné ues quelq a y il femme, décédée Elle s'est déroulée en dem eura nt dans l'am our. l'a elle is prononçait rarem ent le mot Dieu, si jama n qu'u quel si prononcé. Sa surprise aura it été gran de juge qui celui lui avait dit qu'elle appa rtena it à our tous les hommes parce qu'il est amo ur et que l'am t. est le seul critère de son jugemen Cette femme s'appelait Elsa Brandstrom. Elle e était la fille d'un ancien ambassadeur de Suèd de ers milli de he bouc en Russie. Mais dans la re prisonniers de guerre, pend ant la Première Guer Elle rie. Sibé de e l'Ang : mondiale, son nom était vérité fut le témoin vivant et irréfutable de cette e mêm , l'être de e ultim ance puiss que l'am our est la les i parm te comp qui noirs plus en un siècle des enplus destructifs et les plus .cruels depuis le comm cement de l'hum anité . , Au débu t de la Première Guerre mondiale ans, tre t-qua quan d Elsa Brandstrom avai t ving e elle vit dans la rue, par la fenêtre de l'ambassad de s nnier priso des de Suède à Saint-Petersbourg, rie. guerre allemands qui s'acheminaient vers la Sibé de e ssibl impo fut lui il A parti r de ce moment,
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Amour
supporter les fastes de la vie diplomatique dont elle avait été jusqu'alors l'un des points d'attraction les plus charmants. Elle se fit infirmière, et visita les camps de prisonniers. Elle y vit des horreurs indescriptibles. Cette jeune fille de vingt-quatre ans commença presque seule la batàille de l'amour contre la cruauté et elle fut victorieuse. Elle combattit la résistance et la méfiance des autorités, et elle fut victorieuse. Elle combattit la brutalité et la bassesse des geôliers et elle fut victorieuse. Elle devait combattre le froid, la faim, la saleté et la maladie au milieu des conditions de vie difficiles d'un pays sans développement et au cours d'une guerre destructrice. Elle remporta la victoire. L'amour lui donnait la sagesse avec l'innocence et l'audace avec la prudence. Où apparaissait Elsa Brandstréim, le. désespoir était vaincu, et la douleur soulagée. Elle visitait les affamés et elle leur donnait à manger. Elle voyait des assoiffés et elle leur donnait à boire. Elle accueillait les étrangers, donnait un vêtement à ceux qui étaient nus, · et réconfortait les malades. Elle tomba malade. Elle fut mise en prison. Dieu demeurait en elle. La puissance irrésistible de l'amour était en elle. Elle n'a jamais cessé d'être conduite par cette puissance. Après la guerre, elle a créé une œuvre pour ·les orphelins des prisonniers de guerre allemands et russes. La voir parmi des enfants dont elle était le soleil toujours radieux a dû marquer bien des gens d'une empreinte religieuse décisive. Avec l'avènement des nazis, son mari et elle durent quitter l'Allemagne et ils se rendirent aux États-Unis. Là, elle est venue en aide à d'innombrables réfugiés européens. Pendant dix ans, j'ai pu voir le génie 48
créateur de son amour. Nous n'avons jamais parlé ensemble de théologie. Ce n'était pas nécessaire. Elle rendait Dieu transparent à chaque instant. Dieu, qui est amour, demeurait en elle et elle en Dieu. Elle fut aimée de millions de gens et, par elle, ils ont aimé ce qui transparaissait en elle : Dieu, qui est amour. Elle reçut à son lit de mort un délégué du roi de Suède et du peuple suédois venu au nom d'une multitude d'Européens l'assurer qu'elle ne serait jamais oubliée de ceux à qui elle avait rendu une raison de vivre. C'est un grand privilège que de rencontrer un être humain en qui l'amour (c'est-à-dire Dieu) est manifeste d'une manière aussi irrésistible. Cela sape toute arrogance théologique et toute possibilité d'isolement pieux. C'est plus que la justice. C'est plus grand que la foi et l'espérance. C'est la présence de Dieu. Dieu est amour. A chaque instant d'amour authentique nous demeurons en Dieu et Dieu demeure en nous.
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IV La règle d'or
« Dieu est Amour : celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui. Dieu, personne ne l'a jamais contemplé. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, en nous son amour est accompli. » I Jean 4 : I-6-et---LZ. n. - ! ? « Ainsi, tout ce que vous désirez que les autres fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : voilà la Loi et les Prophètes. >~, Matthieu 7 :t-H?.
J'ai eu l'oçeasion, dernièrement, de réfléchir au rapport de l'amour et de la justice, et mon attention a été retenue par le fait gue, dans les paroles de Jésus, on trouve une version de ce qu'on appelle la «Règle d'or ». La règle d'or était bien connue des Juifs et des Grecs, mais, il est vrai, le plus souvent,
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Amour
sous sa forme négative : « Ne faites pas aux autres ce que vous ne voulez pas qu'ils vous fassent. » Sous sa forme positive, la règle d'or est certainement plus riche de sens et plus proche de l'amour, mais elle n'est pas une expression de l'amour. Elle exprime une justice calculatrice. Quel est son rapport avec l'amour? Comment s'accorde-t-elle avec l'annonce du Royaume de Dieu et de sa justice, tel qu'il est décrit dans le Sermon sur la Montagne, texte où se trouve la règle d'or? · Pensons à une journée ordinaire de notre vie et aux occasions qu'elle nous o:ffi-e d'appliquer la règle d'or. Nous nous rencontrons dès le matin. Nous attendons un visage ou une parole amicale et nous sommes prêts à l'offrir à d'autres, bien que déjà nos esprits soient remplis par les préoccupations, les soucis et les fardeaux de la journée. Quelqu'un demande un peu de notre temps limité, nous le lui donnons, car nous avons déjà demandé à quel. qu'un d'autre un péu de son temps.Nousavons besoin d'aide et nous en donnons si l'on nous èn demande, bien que cela comprenne une part de sacrifice. Nous sommes francs envers les autres en espérant qu'ils seront francs à notre égard, même si cela peut nous blesser. Nous sommes loyaux à l'égard de ceux qui luttent contre nous en espérant qu'ils seront loyaux à notre égard. Nous participons au chagrin d'autrui, certain qu'il prendra part au nôtre. Tout cela peut arriver au cours d'une seule journée. Tout cela, c'est la règle d'or. Si quelqu'un viole consciemment ou inconsciemment cette règle, nous voulons bien lui pardonner comme nous espérons être pardonnés. Il n'est donc pas étonnant que beaucoup .de gens considèrent la règle d'or
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comme le vrai contenu du christianisme. Il n'est pas surprenant non plus de constater qu'avec la règle d'or, on en vienne à supprimer la critique, à décourager l'action indépendante, à éviter les problèmes sérieux. Il est même compréhensible que les hommes d'État demandent à d'autres nations de se comporter à l'égard de la leur conformément à la règle d'or. Jésus lui-même ne déclare-t~il pas que la règle d'or, c'est toute la Loi et les Prophètes? Pourtant, nous savons que telle n'est pas la réponse du Nouveau Testament. Le grand commandement tel que Jésus le réitère, la description de l'amour chez Paul, et l'affirmation stupéfiante de Jean : «Dieu est amour », transcendent infiniment la règle d'or. Elle doit être transcendée parce qu'elle ne nous dit pas ce que nous devrions souhaiter que les autres nous fassent. Nous souhaitons être libérés des tâches trop. lourdes. Nous so~~~,~P.!~ }~, . accorder cette liberté aux autres. !Mais cehu _qui \ ·:n.ous aime refuse de nous· doDiier~cette liberté et il 3 · se refuse à la demander pour lui-même. S'il ne s'y t refusait pas, il nous faudrait la lui refuser parce que l cela freinerait notre croissance et violerait la loi i ·..9-!trfi.fupur ,.rNüùitd.ésfroris·-recêvofr ·ûn:e ·fôrfU."iîê 'Ciiif assurerait notre sécurité et notre indépendance. Nous serions prêts, si nous l'avions, à donner une fortune à un ami qui nous la demanderait. Dans ces deux cas, l'amour serait violé. Le don nous ruinerait l'un et l'autre. Nous voulons être pardonnés et nous sommes prêts à pardonner.. Dans ces deux cas, il s'agit peut-être d'une tentative pour échapper au sérieux d'un problème personnel et, par conséquent, cela irait contre l'amour. La mesure de ce que nous devons faire aux
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Amour
autres n'est pas ce que nous souhaitons qu'ils nous fassent, parce que nos désirs ne sont pas seulement l'expression du bien, mais aussi du mal, et bien plus de notre folie que de notre sagesse. Voilà la limite de la règle d'or. C'est la limite de la justice calculatrice. La règle d'or n'est valable d'une manière décisive que pour celui qui sait ce qu'il doit souhaiter et qui le souhaite effectivement. Seul l'amour peut transformer la justice calculatrice en justice créatrice. l:l·arn.ou:JY-"rend.,juste-la".JustiGe. Sans l'amour, la justice n'est qu'injustice parce qu'elle ne rend justice ni au prochain, ni à soi, ni à la situation où nous nous rencontrons. A tel endroit, à tel moment, l'autre et moi, nous sommes l'occasion unique et irréitérable qui appelle une manifestation irréitérable de l'amour qui unit. Si cet appel n'est pas entendu par l'amour à l'écoute, s'il n'est pas obéi par le génie créateur de l'amour, l'injustice est faite. Cela est vrai même pour soi. Celui qui aime entend l'appel de son centre le plus intime. Il obéit à cet appel, il fait justice à son propre être. L'amour ne supprime pas la justice. L'amour fonde la justice. Il n'ajoute rien à ce que fait la justice mais il montre à la justice ce qu'elle doit faire. Il rend la règle d'or possible. Nous ne plaidons pas la cause d'un amour qui anéantirait la justice: Il n'en sortirait que chaos et destructions. Nous plaidons la cause d'un amour où la justice est la structure et la forme de l'amour. Nous plaidons la cause d'un amour qui respecte le droit de l'autre à être reconnu tel qu'il est, et le droit que nous avons d'être reconnus tels que nous sommes, c'est-à-dire avant tout comme des personnes. Seul un amour faussé, simple masque à l'hostilité et au dégoût de
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soi, peut renier ce que l'amour unit. L'amour r.e.FJ.~ justice. L'amour de Dieu est un amour qu1 justifie, accepte et accomplit celui .qui devrait être rejeté d'après la justice calculatrice. La justification de celui qui est injuste est l'accomplissement _de la justice créatrice de Dieu et de son amour réurufiant.
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v De la guérison (Ire partie)
«Ayant appelé ses douze disciples, il leur donna autorité sur les esprits impurs, avec pouvoir de les expulser et de guérir n'importe quelle maladie ou langueur. >> Matthieu ro : r. <x~ '=' ,l" Il y a quelque temps, j'ai passé trois mois en . Allemagne et ce que j'y ai vu, c'est un peuple malade: malade en chacun de ses membres et malade dans ·son ensemble. Le visage des Allemands m'a paru buriné par des fardeaux trop lourds et par des chagrins trop profonds pour être oubliés. Ce que les visages laissaient paraitre était confirmé par les paroles. On m'a fait des récits horribles de douleurs et de désespoirs, d'angoisses, de contradictions et de confusions dans les esprits. Si vous regardez en eux plus au fond, vous trouvez un sentiment de culpa-, bilité, tantôt exprimé, tantôt réprimé. Il se cache;:
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Amour
sous le rejet passionné de la culpabilité, sous· les excuses qu'on se donne, et sous l'accusation des autres, dans un mélange d'hostilité et d'humilité, de compassion de soi et de haine de soi. La nation est déchirée extérieurement par le conflit entre l'Est et l'Ouest qui divise politiquement et spirituellement toute l'human ité. Elle est aussi divisée intérieurement. D'anciennes animosités couvent et de nouvelles animosités croissent. Il n'y a pas de paix. Voilà une nation malade. J'ai trouvé aussi dans cette nation des gens en pleine santé. Certes, la maladie était aussi inscrite sur leurs visages. Mais en eux il y avait encore autre chose. Une puissance de guérison les rendait sains en dépit de leurs déchirements, .les rendait sereins en dépit de leurs chagrins. Cette puissance de guérison en fait des exemples de ce qui peut et devrait nous arriver! Nous arriver *! Ne sommes-nous pas une nation en pleine santé? C'est certainement ce que nous croyons, quand d'Allemagne et d'Europ e nous revenons aux États-Unis! Le visage des gens d'ici est façonné par le sourire et non par les larmes. On se montre bienveillant les uns à l'égard des autres, et même envers les ennemis. Les gens veulent bien admett re des erreurs comme la discrimina tian raciale, l'exploitation et la compétition destructrices. Ils ont l'habitu de d'agir spontanément, et non pas sous la contrai nte imposée par un tyran ou par des conquérants, et même, ce qui peut être est plus difficile, sous la contrai nte des journaq x, de la radio, des sondages d'opini on publique, ces tyrans de la
* L'auteur prend ici le point de vue du citoyen des ÉtatsUnis qu'il est devenu après son départ d'Allemagne en I933· (N.d.T.)
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démocratie moderne. Voilà une nation en bonne santé! Mais nous apprenons que, dans cette nation, près de quaran te pour cent des jeunes gens exemptés du service militaire le sont pour troubles mentau x et en raison de leur inadapt ation. Nous apprenons également que, de toutes les maladies, les maladies mentales sont les plus répandues dans ce pays. Qu'est-ce que cela veut dire? C'est le symptôme d'un danger sérieux qui menace notre santé. Il y a peutêtre dans la structu re de nos institutions quelqu e chose qui rend malades de plus en plus de gens. Il se peut, par exemple, que le sentime nt d'insécurité provoqué par la compétition impitoyable et sans frein rende de plus en plus malades, dans notre nation en pleine santé, ceux qui sont les victimes de la compétition comme ceux qui réussissent le mieux. II se passe quelque chose de surpren ant : nous avons lutté victorieusement contre de nombreuses maladies physiques. Nous avons découvert des remèdes presque miraculeux. La longueu r moyenne de la vie s'est allongée au-delà de toute attente. Dans notre pays beaucoup ne suppor tent pas cette santé. Ils cherchent dans la maladie un refuge où échapper à la dureté d'une vie sans sécurité. Du fait que le contrôle médical rend difficile l'évasion dans la maladie physique, on choisit la maladie mentale. Mais, dira-t-on, les souffrances, l'inconfort et l'insécurité qui accompagnent la maladi e ne sont-ils pas détestés par tout le monde ? Bien sûr, une partie de nous-même la déteste, mais d'autre s s'y complaisent, souvent d'une manière inconsciente, et parfois d'une manière consciente. Il est impossible de guérir d'une maladie, et en particu lier des maladies
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Amour
et des désordres mentaux, sans désirer de tout son cœur la guérison. Voilà pourquoi ces maladies sont devenues presque épidémiques dans ce pays. Les gens cherchent une évasion dans des situations où d'autres doivent s'occuper d'eux, et où ils peuvent manifester leur puissance dans leur faiblesse; ou bien se créer un monde imaginaire où vivre agréablement, tant que la vie réelle ne les touche pas. N.e sousestimez pas cette tentation. L'insécurité fondamentale de l'existence humaine et son accompagnement d'angoisses se font sentir partout et chez tout le monde. C'est un héritage de l'homme, et il se trouve largement accru dans le monde actuel, même dans des pays en pleine vigueur et en pleine santé. Au temps de Jésus, comme en notre temps, on parlait beaucoup de maladie et de guérison. Les Juifs et les Grecs ont beaucoup écrit sur ce sujet. Les gens avaient l'impression de vivre dans un siècle malade. Ils l'appelaient : uperstitieuses.L'abussurvientlàoùle bon usage a disparu. La superstition apparait là où la foi est devenue faible. Voilà des problèmes sérieux. Une bonne théologie et une bonne pratique peuvent les résoudre. Mais le problème le plus sérieux est toujours le problème de notre propre existence. Sommes-nous guéris? Avons-nous reçu ici et maintenant de la puissance de l'image de Jésus le Sauveur un pouvoir de guérir? Sommes-nous saisis par cette puissance? Est-elle suffisamment forte pour surmonter nos tendances névrotiques, la révolte de nos poussées
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Amour
inconscientes, les scrss1ons de notre être conscient, les maladies qui désintègrent et ·notre esprit et notre corps? Avons-nous surmonté en des instants de grâce rangoisse qui torture les profondeurs de notre cœur, l'agitation qui jamais ne cesse de nous mouvoir et de nous fouetter, les désirs désordonnés et les répressions cachées qui reviennent ensuite sous forme de haine empoisonnée, d'animosité envers nous-même, envers autrui et envers la vie? Avonsnous surmonté cette secrète volonté de mort! Avons-nous fait l'expérience de temps en temps, à des instants de grâce, que nous so;rn:mes rendus intègres, que les esprits destructeurs nous ont quittés, que les contraintes psychiques se sont dissoutes, que les mécanismes tyranniques de notre âme sont remplacés par la liberté, que le désespoir (la plus dangereuse des divisions intérieures) qui est la maladie qui mène à la mort vient d'être guéri et que nous sommes sauvés de l'autodestruction? Est-ce que cela nous est arrivé grâce à la puissance de l'image de Jésus le Sauveur? Voilà le vrai problème, le vrai problème christologique (pour parler théologiquement), la question de vie et de mort (pour parler humainement) pour tous les chrétiens et pour la chrétienté d'aujourd'hui. Pour être guéri, allons-nous seulement chez le médecin, chez .le psychanalyste, chez le psychologue? De temps en temps nous allons les voir. Mais allons-nous aussi voir- pour parler précisément - recevons-nous la puissance curative de l'image de Jésus le Christ qu'on appeUe le Sauveur? Voilà une question qui se pose à nous, et la réponse nous est donnée par ceux qui peuvent nous dire qu'ils ont fait l'expérience de sa puissance curative, que l'être nouveau a saisi leur corps et leur âme et qu'ils
sont redevenus intègres et sains, que le salut est venu à eux. Non pas sans cesse, mais en ces instants qui sont des instants de grâce et où s'anticipe l'intégrité parfaite, l'intégrité de l'être de Dieu en tous. Pouvonsnous adopter cette réponse?
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VI
Un saint gaspillage
« Comme Jésus se trouvait à Béthanie, che;; Simon le lépreux, alors qu'il était à table, une femme vint avec un flacon d'albâtre contenant un nard pur, de grand prix. Brisant le flacon, elle le lui versa sur la t~te. Or il y en elit qui s'indignèrent entre eux : «A quoi bon ce gaspillage de paifum t Ce paifum pouvait ~tre vendu plus de trois cents deniers et donné aux pauvres. » Et ils la rudoyaient. Mais Jésus dit : mplexrté-d~s-moti
--va1ie>ns-h:umaines} Mais cela ne doit pas nous empêcher d'accepter le gaspillage d'un abandon sans
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calcul ni nous empêcher de nous gaspiller nousmêmes au-delà des limites de la loi et de la raison. L'histoire de l'humanité est l'histoire d'hommes et de femmes qui se sont donnés sans crainte. Ils n'ont pas craint le gaspillage des autres, d'euxmêmes et des choses au service d'une création nouvelle. Ils ont été justifiés parce qu'ils ont gaspillé tout cela d'abondance de cœur, comme Dieu luimême dans la nature et dans l'histoire, dans la création et dans le salut. Ces monstres de la nature que Yahvé mentionne dans sa réponse à Job, que sont-ils sinon des signes de l'abondance divine? Le Dieu de Luther, qui agit avec héroïsme et sans règle, n'est-ce pas ce Dieu gaspilleur qui crée et puis détruit pour recréer? Le protestantisme n'a-t-il pas beaucoup perdu en perdant l'abandon généreux des saints et des mystiques? Ne sommes-nous pas menacés par un utilitarisme religieux et moral toujours en train de poser la question raisonnable du « pourquoi », la question des disciples à Béthanie? Il n'y a pas de création divine ou humaine sans une abondance de cœur créatrice qui, elle, ne demande pas : > Alors ils répondirent ne pas savoir d'où il venait. Et Jésus leur dit : « Moi· non plus, je ne vous dis pas par .quelle autorité je fais cela. >) Luc 20 : I-8.
L'histoire que nous venons de lire a eu une
Liberté
grande importance pour les premiers chrétiens qui nous l'ont conservée. Si nous la lisons d'une manière superficielle, nous comprenons mal comment elle a eu cette importance. Des chefs juifs s'efforcent de tendre un piège àJ ésus au moyen d'une question sub~ tile et Jésus ~es prend-au piège d'une autre question tout aussi subtile. Voilà une anecdote plaisante. Mais qu'y a~t~il de plus? Bien davantage, en vérité! Elle nous fait voir quelque. chose de surprenant. Elle répond à la question fondamentale de la religion prophétique en ne lui donnant aucune réponse. Jésus refuse de donner une réponse à la question de l'autorité et son refus de répondre est la réponse. Imaginons qu'il ait répondu à la question des chefs religieux concernant sa propre autorité en leur posant la question des sources de leur autorité! Ils auraient pu répondre facilement et d'une manière convaincante. Les prêtres auraient pu dire : « La source de notre autorité, c'est notre consécration d'après une tradition qui remonte sans interrup~ tion à Moïse et à Aaron. Cette tradition sacrée, dont nous sommes un maillon entre le passé et le futur, nous donne autorité. » Les scribes auraient pu répondre:« La source de notre autorité, c'est notre connaissance des Écritures ~ plus grande que celle de n'importe qui. Nous les avons étudiées jour et nuit depuis notre enfance comme c'est le devoir de tous ceux qui sont à l'école de la Parole de Dieu. Notre autorité est celle d'experts dans l'interprétation des Saintes Écritures. » Les anciens auraient pu répondre : « La source de notre autorité est notre acquisition de la sagesse pendant de nombreuses années et l'expérience que nous avons acquise en l'appliquant aux questions II6
du jour. Notre sagesse et notre expérience nous donnent autorité. » Tous ensemble, ils auraient pu dire à Jésus : < nous appartenons et qui est une partie de nous-mèmes. Il dément que ces au~orités pré!llables puissent '?iv,_oir une signification ~ume. Il rejette tous ceux .qui 'P[~tendent être des Images d~ sa p:opre autonté et qui transforment son autonté d1vme en pouvoir d'oppression exercé par un tyran céleste. Le Dieu qui ne répond pas à la question de
l'autorité ultime transforme ·toute autorité préala,Pfe en moyens et en instruments de son autorité' de Dieu, qui est Esprit. L'autorité parentale n'est pas sur la terre l'image consacrée d'une autorité parentale qui existerait dans les cieux, mais c'est le premier instrument avec lequel les qualités spirituelles d'ordre, de maîtrise de soi et d'amour nous sont communiquées. C'est pourquoi les parents doivent être honorés, bien qu'ils n'aient pas d'autorité inconditionnelle. Si Dieu,. notre Père céleste, ne peut répondre à la question de l'autorité, comment des parents le pourraient-ils? L'autori!é de la sagesse et de la connaissance n'est pas sur la terre l'image consacrée de l'autorité d'une omniscience céleste, mais c'est l'instrument avec lequel les qualités spirituelles d'humilité, de sagesse et de connaissance nous sont communiquées. En conséquence, si le sage doit être honoré, il ne peut être accepté comme ,une autorité incondition, nelle. Les autorités d'une. communauté, d'une société, d'une nation ou d'un État ne sont pas les images consacrées d'une puissance et d'une justice célestes, mais des instruments par lesquels les qualités spirituelles de solidarité, de compréhension, de justice et de courage peuvent nous être communiquées. En conséquence, les autorités .de la. société peuvent être acceptées comme garantissant l'ordre extérieur, mais non pas comme des autorités déterminant le sens de notre vie. · . L'auto:dté de l'Église n'est pas l'image cpnsacrée d~un gouvernement céleste de l'Église, mais·le 1 moyen par lequel la substance spirituelle de notre vie est préservée, protégée et renouvelée. 127
XI ~"'"'
Mê~\ l'autorité de Jésus le Christ n'est pas l'image consacrée d'un homme qui gouvernerait en dictateur : il a l'autorité de celui qui s'est vidé lui-même de toute autorité, il a l'autorité de l'homme sur la croix. C'est une seule et même chose que de dire : Dieu est Esprit et Dieu est manifeste sur la Croix. Vous qui luttez contre les autorités, et vous qui militez pour les aùtorités, écoutez l'histoire qui nous relate que Jésus a combattu contre les autorités et qu'il a établi une autorité qui ne peut être établie! Vous y trouvez la réponse qu'aucune réponse ne peut être donnée, sauf celle-ci : au-delà de toute au_torité préalable, vous devez vous maintenir ouverts à la puissance de celui qui est le fond et la négation de tout ce qui a autorité dans les cieux et sur la terre!. ..
Le Messie est-il venu ?
« Or il y avait à Jérusalem un homme du nom de Siméon. Cet homme était juste et pieux; il attendait la consolation d'Israël et l'Esprit Saint reposait sur lui. Et il lui avait été révélé par l'Esprit Saint qu'il ne verrait pas la mort avant d'avoir vu le Christ du Seigneur. Il vint donc au Temple poussé par l'Esprit, et quand les parents apportèrent le petit enfant Jésus pour accomplir à son égard les prescriptions de la loi, il le reyut dans ses bras, bénit Dieu et dit : « Maintenant, 6 Maître, tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s'en aller en paix; car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé à la face de tous les peuples, lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël. » Luc 2 : 25-32. 129 5
Liberté
> jean I2 : 44-50.
> Voilà bien qui est à la fois « oui » et « non », et pourtant, il ajoute : « En Christ, il n'y a pas un « oui >> et un « non ». >> Vraiment? N'allons-nous pas de Vendredi Saint à Pâques, c'est-à-dire du « non >> le plus bas au « oui » le plus haut, le « non >> et le « oui >> de la mort et de la vie du Christ? «Oui et non! »Telle est sans doute la loi de toute vie. Jamais «oui » tout seul, ni > tout seul; Le > tout seul exprime une confiance tromp~use bien vite brisée par le tout seul, ni « non >> tout seul. Le « oui >> tout seul montre l'arrogance de celui qui prétend que sa vérité partielle est l'ultime vérité. Derrière cette affirmation fanatique de soi se cachent tous les « non >> enfouis dans les profondeurs. Le « oui » tout seul laisse voir la résignation de celui qui rejette , toute vérité fondamentale. Il montre par son ironie complaisante à l'égard de toute parole
* II Corinthiens 6 140
: g.
où la vérité montre son emprise combien le « oui » à soi-même est ce qui se cache sous ces « non >> sans cesse réaffirmés. La vérité unit comme la vie un « oui » et un «non >>. C'est le courage d'accepter la tension infinie du « oui >> et du > ne peut s'imposer comme la vérité ultime. Quand elle y prétend une autre philosophie ou une autre théologie vient la contester. Le message du « oui » et du « non· » proclamé par Kierkegaard, par Luther ou même par Paul n'échappe pas non plus à ce « non ». Il n'y a qu'une seule réalité qui ne soit pas « oui » et « non », mais « oui » seulement : Jésus, en tant qu'il est le Christ. Pourtant, il se trouve lui aussi tout d'abord sous un« non »,comme ·tous les êtres humains. C'est le sens de la croix. Tout ce qui en lui est expression de la vie finie et de la vérité finie se trouve sous le «non >> avec. toute vie et toute vérité. C'est pourquoi il ne nous est pas · demandé de nous soumettre à lui comme à un maître infaillible ou comme à un exemple toujours adéquat. II nous est dit qu'en lui toutes les promesses de Dieu sont devenues effectives, qu'en lui une vie et une vérité au-delà du de la vie est transcendé par ce -qui est apparu en lui. Une vie dont la mort, une vtrité dont l'erreur ne sont plus le contrepoids sont visibles dans son être. Il nous montre le «oui » final qui n'est suivi d'aucun et du « non >> dans tout le fini, même dans ce qui se réclame de la religion ou du christianisme. Paul rappelle que les chrétiens disent : «Amen, par Jésus-Christ*. >> On ne peut dire «amen.» qu'à une seuk réalité : le Christ. Le mot > marque la confirmation et exprime la certitude ultime. Il n'y a pas d'àutre certitude que la vie qui a vaincu la mort et que la vérité qui a vaincu l'erreur : le « oui >> au-delà de tout « oui >> et de tout « non >>. Paul indique ce qui nous donne cette certitude : ce n'est pas une information historique, c'est une participation au Christ en qui nous sommes affermis et qui a mis dans nos cœurs les arrhes de l'Esprit. Quand nous participons au « oui » au-delà de tout « oui >> et de tout « non », nous pouvons supporter le>et le« non »de la vie et de la vérité. Nous tenons ferme, parce que nous sommes en lui et lui en n?us. Participant à s> ultime l'amen au-delà de TUJs Les termes utilisés pour décrire l'éclatement démoniaque de la
* Luc 2 : 41-52. ** Luc 14 : 26.
* Michée 7 : 6 d'après le texte grec de Marc ** Marc 13 : 13.
13 : 12.
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Libert é
famille servent à décrite son· éclatement sous la pression de la puissance di;ine .inévitable..