L'ELITE BYZANTINE DEVANT L'AVANCE TURQUE A L'EPOQUE DE LA GUERRE CIVILE DE 1341 A 1354
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L'ELITE BYZANTINE DEVANT L'AVANCE TURQUE A L'EPOQUE DE LA GUERRE CIVILE DE 1341 A 1354
L'ELITE BYZANTINE DEVANT L'AVANCE TURQUE A L'EPOQUE DE LA GUERRE CIVILE DE 1341 A 1354 PAR
EVA DE VRIES - VAN DER VELDEN
J.t. GIEBEN, EDITEUR AMSTERDAM 1989
Ouvrage publié avec le concours desfondations suivantes: Amsterdamse Universiteits-Vereniging M.A.O.C. Gravin van Bylandt Stichting Fonds voor de Geld- en Effectenhandel Rens-Holle S tichting
No part of this book m. photoprint, microfilm, aiT/v D' av Kai tv tx8pmv TErayj1ÉVov j1oipq. ( ...) Tr,v yàp rfiç ",vxfiç oj1ovozav TE Kai avyyÉVElaV oùXi 'l'à YEVOÇ, àÀÀ' r1 rfiç YVeOj1T/ç DEiKVVaz ravrorT/ç. 'Dç yàp tv roiç j1ovazKoiç apyavOlç ... oùx r1 rmv r01fwv tyyvrT/ç rr,v rfiç apj10viaç DT/j1lOVpyEi aVj1 q>W via v, aÀÀ' r1 rfiç qJwvijç tj1j1EÀr,Ç oj1ozorT/ç ... 12. Cant. III, cap. 56, Bonn II, p. 346. 13. XIII, cap. 4, Bonn II, p. 650-51: ... Éq>T/aEv elvaz aaq>mç rmv à r01fwra rwv, tv aÀÀorp{q. Kai v1fEpopiy YÜ aKÀT/porT/Tl 1fÀdary 1fpOarErT/KorOç 'l'OÙ q>iÀov, DzayEzv tv Eù1fa8Eiazç aÙTov. D'ailleurs Grégoras se contredit en mentionnant une demi-page plus loin la faim dont souffraient les habitants de Didymoteichon. Comment Irène aurait-elle pu fournir des vivres à Umur dans ces circonstances?
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défendre contre lui qu'en suivant son exemple. 14 Après avoir porté Umur aux nues, Grégoras ne peut plus à la fin fermer les yeux sur les ravages commis par les Turcs. Il se tire d'affaire en y faisant à peine allusion. 1 5 Quand Orkhan devient l'allié de Cantacuzène à la place d'Umur, Grégoras change de ton. Il ne se cache plus que les alliances turques deviennent désastreuses pour l'empire. Toutefois il tâche, tant bien que mal, de justifier l'alliance entre Cantacuzène et Orkhan (plus que ne l'avait fait Cantacuzène lui-même). Grégoras ne trouve pas nécessaire de blanchir la personne d'Orkhan. D'une manière réaliste il présente le Turc comme un barbare puis14. V. le discours que Grégoras fait prononcer par Cantacuzène au moment où il fut assiégé par Apokaukos (p. 661-666). 15. Grégoras atténue délibérement les méfaits des Turcs sous le commandement de Cantacuzène ou bien il les passe sous silence; p.e. XIII, cap. 10, p. 677: 'EfJSo/laioz /ltv ouv iovrse; È,œi8sv 'l'à 7Œpi Xpzarou1l'0Àzv a1l'0V1]rl SztfJ11aav arsva (Cantacuzène et Umur)·KaKsi8sv au8ze; roe; Szà qJlÀ{ae; 1l'0pSVO/lSVOZ nDv Èvrav8a Szïara/lBVCiJV a1l's1l'szprovro 1l'oÀSCiJv. Kai 1'0 /ltv cp8zvo1l'CiJpOV Èv rouroze; ÈrsÀsura ... ; XIV, cap. 1, p. 692: (au printemps suivant) THv S' r11l'spi 'l'à 'l'fie; Xpzarov1l'oÀsCiJe; arsvà rov KavraKov~11vOV SzafJaaze; o/lOV np 'A/loup, rij) rrov nsparov ÈKdvcp aarpa1l'7J . .1zafJav'l'l yàp tSoçs 1l'sipav 1l'poaayszv 'l'aie; 1l'oÀsaz Kai Ole; /ltv Kar' O/loÀoy{av 1l'apaSzSovaz ol acpàe; auroue; È8sÀovràe; 1l'pOe; fJovÀr1asCiJe; Û11 'l'fi ÈKdvov xszp{, rrov 1l'pOa11KOVrCiJV ysprov açzovv, Ole; St rouvavr{ov, rouroze; St rouvavrlov. L'historien s'indigne par contre des horreurs qu'auraient perpétrées les Turcs d'Apokaukos (XIII, cap. 9, p. 671): "Oaaz /ltv ouv ap1l'aya{ rs Kai avSpa1l'0Sza/loi 'l'oie; Èva1l'0Àszcp8siazv Èy{vovro nBpaaZe; ÈKsi Karà rrov suasfJrov Kai oaaz Karà rrov lsprov ar01l'{az Karà 1'0 acpszSte; ÈroÀ/lrovro, Pfj.Szov OUK av û11 SzsçzBvaz, fJoVÀO/lBVOZe; Ècp' Ërspa rpB1l'SZV rov ÀOYov rov SPO/lOV r1/liv. "laaaz S' ouv ol 1l'a8ovrse; Kai oaoz rrov rozourCiJv ou /laÀa 1l'scpuKaalv aSasie; a1l'0avÀ{lv siKaa/lOUe; Kaç cbv ys rs8Bavraz çV/lfJaÀÀszv Kai li. /l11 rs8Bavraz. Plus tard il s'étend sur les atro-
cités commises par les Turcs de l'impératrice Anna (XV, cap. 5, p. 763-65) [En 1346 Georges Tagaris - fils de Manuel Tagaris, l'ancien gouverneur de Philadelphie - réussit à persuader l'émir de Saruhan, qu'il connaissait dès sa jeunesse, de fournir des troupes à l'impératrice, v. Cantacuzène II, cap. 96, Bonn II, p. 591-92.] Toutefois, il lui faut finalement admettre que la Thrace était entièrement dévastée vers 1345. Des Turcs d'Anatolie traversaient l'Hellespont sans cesse, soit comme des brigands ou bien se donnant pour alliés de Cantacuzène. La population de la Macédoine se rendit plutôt à Etienne Dusan qu'à Cantacuzène et ses Turcs. Grégoras lui-même nous l'apprend (XV, cap. 1, p. 746 sqq.). Voir infra, p. 211.
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sant qui peut contraindre Cantacuzène à s'allier à lui. Cantacuzène se serait adressé par lettre au patriarche Kalékas, afin de le convaincre de la nécessité absolue de faire la paix et éviter ainsi la perte sûre de l'empire. 16 L'impératrice Anne ne voulut pas en entendre parler. Elle espérait plutôt tirer Orkhan à soi. Alors Cantacuzène se décida à la devancer en offrant à Orkhan sa fille en mariage. C'est ce qu 'Orkhan dési~ait ardemment depuis longtemps. Il avait déjà menacé Cantacuzène de le ruiner si robjet de son amour lui était refusé. C'était chose miraculeuse que ce barbare, homme d'un âge avancé, aimant, uniquement à cause de ce qu'i! avait entendu sur elle, une jeune fille belle et noble, vivant loin de lui. 17 Enfin il poussa Cantacuzène à se déclarer pour lui. L'alliance conclue, il épousa Théodora et rompit avec l'impératrice Anna. Or khan négociait en réalité depuis longtemps avec Cantacuzène: celui-ci de son côté écrit tout ingénument que le mariage de sa fille avec Orkhan eut lieu bien longtemps après l'alliance avec celui-ci. 18
*** A travers la jungle de l'Histoire Rhoméenne, on parvient toutefois à discerner un développement historique.
16. Selon Grégoras, Cantacuzène n'avait plus de ressources matérielles. Aussi il se serait montré très soumis dans ses lettres au patriarche Kalékas. Comme nous l'avons vu, Cantacuzène lui-même parle de lettres de menace (v. notre texte, p. 105). Il se peut qu'il ait voulu effacer l'impression fâcheuse laissée par le récit de Grégoras. Mais ce n'est pas toute l'histoire. Grégoras s'étend sur les lettres de Cantacuzène afin de relever ses dispositions pacifiques et justifier son alliance avec Orkhan. Il ne faut donc pas trop se fier à la version de Grégoras (XV, cap. 3, p. 754-58). 17. XV, cap. 5, p. 762-63: ... naÂal 1'001'0 'TfroOvra (sc. Orkhan) aùv aqJo~PCP Kai qJÂtyOV1'l 'l'cp n6(Jcp npèJç roùç Èaxarovç KlV~VVOVç, El Jlr, rfjç ÈpWJlÉVTfÇ Èm1'Vxr,ç rÉvolro, aqJo~proç ànElÂoOvra. Où ràp 7}v nov rrov EiK6rwv, roç noppwrarw nov ~laluiJJlEVOV, navv rOl vÉaç ovaTfç Kai Eùnpoaamov rfjç K6pTfç Kai rsvovç Eù~a{JlOvoç, Èpaarr,v ÈK Jl6VTfÇ rEvÉa(Jar rfjç àKOfjÇ, li.v~pa napTff3TfK6ra Kai f3apf3apov.
18. III, cap. 81, Bonn II, p. 498; III, cap. 95, p. 585-86.
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L'année 1347 est évidemment de grande importance pour Grégoras. Cantacuzène montait enfin sur le trône de Constantinople. Grégoras formait de grandes espérances. Les Serbes, les Bulgares et surtout les Turcs seraient refoulés. Dieu serait avec Cantacuzène, mais à une condition: que le nouvel empereur mette fin aux dissensions au sein de l'Eglise, lesquelles en même temps menaçaient l'Etat. Pour la première fois on aperçoit quelque chose qui fait tache dans la glorification insensée de Cantacuzène. 19 Grégoras avait lieu de s'inquiéter. Au mois de juillet 1341 Cantacuzène avait déjà donné son approbation aux thèses de Palamas en matière dogmatique. Elles constituaient aux yeux de Grégoras une hérésie monstrueuse. Pendant les années 1347-51 celui-ci discuta à plusieurs reprises avec Cantacuzène sur leur délicat différend. Grégoras espérait toujours détourner l'empereur de ses sympathies palamites. Bien que dans l' Histoire Rhoméenne son adulation devient graduellement moins exubérante, il reste pendant cette période fidèle à Cantacuzène, ne se distanciant pas pour le moment de l'empereur dans le domaine politique. Tandis que les Turcs, bien loin d'être refoulés, menacent l'empire de plus en plus, Grégoras continue à couvrir les échecs de Cantacuzène, en les passant sous silence ou en défigurant le cours des événements. L'alliance avec Orkhan, dont Cantacuzène s'était promis de grands avantages, s'avérait une catastrophe au cours de l'année 1347. Cantacuzène, s'étant décidé à attaquer le roi serbe Etienne Dusan, afin de reconquérir la Macédoine byzantine, demanda des auxiliaires à Orkhan. En dépit de son appel, les troupes turques s'arrêtèrent dans la région de Mygdonie, le peu de territoire macé19. Si au moins nous faisons abstraction du jugement de Grégoras sur la stratégie de Cantacuzène manquant selon lui d'énergie et de fermeté (XV, cap. 3, p. 754). Grégoras estime apparemment que de nouveaux massacres n'étaient pas un grand mal. D'ailleurs l'historien ne comprenait pas pourquoi Umur était incapable de prendre Thessalonique ou d'autres villes fortifiées. Cantacuzène aurait renoncé au siège de Thessalonique par respect de Saint Demetrios. Umur aurait sermonné Cantacuzène à cause de sa superstition et l'aurait prévenu des conséquences fatales de son attitude pour ses partisans dans la ville. Sans doute Grégoras fait allusion au massacre de 1345 à Thessalonique. Il est bien curieux de lire les pages consacrées par Grégoras à une discussion imaginaire sur un article de foi entre deux hommes n'ayant rien en commun en matière de religion (XIII, cap. 10, p. 676-77).
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donien toujours en possession de l'empire. Sans se soucier des ordres des commandants byzantins ils mirent toute la région à feu et à sang, puis s'en retournèrent chex eux. Dans ses mémoires Cantacuzène se donne au moins la peine de parler du chagrin qu'il souffrit de cette trahison qui avait fini par coûter la vie à tant de sujets;, c'était justement dans l'intérêt de ceux-ci qu'il avait entrepris la guerre. 20 Grégoras ne dit mot sur tout l'épisode, mais s'étend en revanche longuement sur une campagne contre les Serbes qui aurait dû avoir lieu l'année suivante (1348), mais fut abandonnée pour des raisons diverses, entre autres la mort d'Umur. Cette fois Cantacuzène se taît sur son projet, Grégoras en bavarde, déplorant la mort du fidèle Umur, pour masquer la misère de l'alliance avec Orkhan. 21 Mais la fantaisie de l'auteur n'est pas encore épuisée. Il insère, dans le récit des événements de ces années, un beau discours de Cantacuzène, adressé à son fils aîné Matthieu à l'occasion du don qu'il lui avait fait d'une province en Thrace occidentale, en qualité de territoire autonome. Le père avertit le fils dans un style des plus nobles des difficultés qui l'attendent dans son nouveau domaine, harcelé continuellement par les Serbes et les Turcs. Le père espère que son fils se conduira en homme d'honneur dans ces circonstances. 22 Il s'agissait en fait d'un rachat puisque Matthieu nourrissait le projet de prendre les armes contre son père. Cantacuzène lui-même et Grégoras nous l'apprennent; un autre exemple de la naîveté et du primitivisme qui se cachent sous les grands airs que se donnent les auteurs byzantins de la décadence, borgnes au royaume des aveugles. Mais Grégoras est enfin à même de raconter quelque chose d'agréable sur la lutte contre les Turcs. Au début de l'été de l'année 1348 une grande armée turque débarqua en Thrace. Elle se divisa alors en deux forces. L'infanterie marcha vers l'ouest, en direction du territoire de Matthieu, la cavalerie partit pour Bitzyne. Selon Grégoras, Matthieu se montra un capitaine courageux et très capable. Aucun Turc ne survécut pour faire le récit de l'héca-
20. Cantacuzène, IV, cap. 4, Bonn III, p. 32. 21. Grégoras, XVI, cap. 7, Bonn II, p. 834 sqq. 22. XVI, cap. 14, ibid., p. 814-19.
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tombe. 23 En même temps Cantacuzène vainquit la cavalerie turque, dont une partie se sauva dans le désordre. Grégoras entonne un chant de louange: Les Rhoméens y virent un signe favorable; ils formèrent de grandes espérances, car celui qui réussit à arrêter une attaque inattendue et à refouler un ennemi en position offensive, fait preuve d'une plus grande vigueur que celui qui attaque de son côté le territoire d'un adversaire, y érigeant un trophée ... etc. etc. 24 Dans tout son récit Grégoras ne dit pourtant pas quels étaient les Turcs auxquels on avait porté un coup si dur. Il s'agissait des Turcs d'Orkhan, revenus en Grèce de leur propre gré. Il ressort d'ailleurs des mémoires de Cantacuzène que sa victoire ne fut pas si éclatante que ne le décrit Grégoras. 25
Ici finit l'éloge de Cantacuzène dans l' Histoire Rhoméenne de Grégoras. Un changement soudain, complet et inouï a lieu. La défaite des Byzantins dans la guerre contre les Génois de Galata (1348/9) est interprétée comme un signe de la colère de Dieu. C'est que Cantacuzène a toujours refusé de condamner la doctrine de Palamas, malgré les admonestations répétées de Grégoras. Il est clair que l'empereur ne tiendra pas la promesse faite en 1347, de transférer à l'avenir le pouvoir impérial à Jean Paléologue, mais qu'il veut au contraire se faire succéder par son fils Matthieu. Le tournant définitif survient en 1351. Cantacuzène a réussi à reprendre Thessalonique (automne 1350). De retour à Constantinople il se décide enfin à convoquer un autre synode qui reconnaîtra définitivement la doctrine de Palamas. Et Cantacuzène, brusquement, paraît dans l' Histoire Rhomét!nne de Grégoras sous les traits d'un assassin horrible et d'un tyran, ce qu'il était, selon lui, depuis le début de la guerre civile. Grégoras écrit qu'il s'était adressé à l'usurpateur comme suit:
23. XVI, cap. 7, ibid., p. 838. 24. ibid., p. 838 Touro 'ProJlaiOlç Ét50l;EV àra(Joç oirovoç Kai JlaKpiiJv ÈÀlrit5rov lrpOOiJllOV. TD JlÈv ràp È1rlouaav t5él;aa(Jar, lrpiv fi lrpoat5oKfjaar, Kai àlrOKpOvaaa(Jar r1jv riiJv lroÀEJlirov ÉqJot5ov, JlaKpéjJ nVl KparalorEpov fi lroÀEJlirov xwpav avrov Tlva Karat5paJlovra aT11aaa(Jal rpolralov.
25. Cantacuzène, IV, cap. 10, Bonn III, p. 63-68.
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Puisque vous dédaignez les canons de l'Eglise, vous serez détruit par l'Eglise, ou plutôt par Dieu qui en est la tête; peut-être pas immédiatement, mais en tous cas bientôt. Vous devez savoir que vous avez été le premier - de concert avec votre mère - à soutenir l'impiété de Palamas, et ainsi vous avez causé le désarroi au sein de l'Eglise. La vengeance de Dieu ne s'est pas fait attendre. Votre magnificence vous a été ôtée, et vous avez dû vous exiler. Votre mère a porté la peine de ses méfaits en mourant d'une manière terrible, épuisée par la faim et le froid, loin de vous, son fils bien-aimé. Vous vous êtes égaré sur de faux chemins, errant par la Thrace, par la Macédoine, en Serbie, et à la fin vous avez été obligé de partager les moeurs et les idées des satrapes perses, de sorte que vous êtes devenu cruel, aliéné de toute pitié à l'égard de vos semblables, rejeté de Dieu, écrasant sous vos pas les corps des prisonniers de guerre Rhoméens et les corps de leurs enfants agonisants, les foulant aux pieds, dur comme pierre, au moment où ils pleuraient encore, ne vous gênant pas de la lumière du soleil qui sustente tous les êtres vivants, ni craignant la tonnerre et le foudre de Dieu, comme le ferait un homme qui ne serait pas dénaturé ... 26
26. XVIII, cap. 4, p. 886-87: 'Em;i ro{vvv Kai aù roïç rijç EKKÂ17a{aç Kavoazv OVX É7rfl, ialh KaraÂv(J17aOj.lSVOç (mà rijç EKKÂ17a{aç, ij j.làÂÂov (mà rou rijç EKKÂ17a{aç r,YOVj.ltvov (Jsou, Kai si j.lr, aVrlKa j.laÂa, àÂÂ' ovv oVD' slç j.laÂa j.laKpav. O[a(Ja yàp wç aù 7rproroç avco(Jsv 7rpOarar17ç ySVOj.lSVOç rijç rou llaÂaJ.là Dvaasf3daç Oj.lOU rf1 j.l17rpi rou roaovrov (Jopvf3ov rf1 EKKÂ17a{fl, Kartar17ç ainoç. dlà Kai J.l17v{aavroç rou (Jsou, rijç SVDalj.lov{aç Kai DOÇ17Ç EKdVT/ç YVJ.lvàç KarsÂsüp(J17Ç ahpv{DLOv, Kai ytyovaç sv(Jùç U7rSpOPlOÇ 7rarp{Doç éij.la Kaïytvovç. Kai r, j.lÈv ar, J.l'Tjr17P alax{ar17v Énas rou f3{ov rSÂsvr'Tjv, Âlj.lij'J Kai II'VXSl Da7raVT/(Jsi'aa Kai aov rou qnÂrarov rr,v artp17azv 7rlKpàv Evraqnov EvsYKaj.ltVT/· aù DÈ 7roÂÂoùç Kai 7rOlKiÂovç àvaj.lsrp'Tjaaç f3iov 7rÂavovç Kara rs @pfjK17v Kai MaKsDoviav Kai Tplf3aÂÂovç, llSpazKOïç É7rSlra Kai aarpa7rlKoïç U7r' àvayK17ç É(Jsai rs Kai DOyj.laaz KSKOlVWVT/Kaç, wç Kaz roaourov 7rspi rà ytvoç àyvwJ.lova Karaarijval Kai oiKrov 7ravràç àÂÂorpLOv, EyKaraÂsup(Jtvra as 7rpàç (Jsou, wars Kai roùç rrov alXj.laÂwrcov 'Pcoj.laicov VSKPOÙÇ Kai rrov Én KÂav(Jj.lVplÇOVrcov f3psqJrov rà aWj.lara aVJ.l7rarsïv, Kai àvaÂy'Tjrcoç E7rlf3a rsvsl v, Kai j.l17DÈ rr,v rà 7ravra f3oaKovaav r,Mov qJÂoya alDsi'a(Jal, j.l17DÈ roùç aWspiovç TOU (Jsou Kspavvof3oÂovç 7rP17arijpaç, wç rà siKoç, DSlÂl(Ïv.
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Il est peu probable que Grégoras ait vraiment prononcé cette tirade en présence de Cantacuzène, peu avant le début du synode, comme le veut l'Histoire Rhoméenne. Cantacuzène fait mention de la défection politique de Grégoras, disant qu'il en avait' trouvé les preuves dans la correspondance de celui-ci. 27 Quoi qu'il en soit, quelques jours après la fin du synode (le 9 juin 1351), Grégoras fut enfermé dans le couvent qu'il habitait. Toute communication avec l'extérieur lui fut interdite. 28 Plus tard, après son abdication, Cantacuzène prit connaissance des accusations qui se trouvent dans l'Histoire Rhoméenne. Il eut alors un entretien avec Grégoras lui rappelant les louanges exubérantes dont l'historien l'avait comblé pendant toute la période de 27. Cantacuzène, IV, cap. 24, p. 171. A la page 172 Cantacuzène écrit: 'ElrEi ôt ÈKwilvETO (sc. Gregoras) Tà KaTà YVoJJ.LT1V lrPclTTE1V, OUX rlTTOV KaTà {3aarilÉwç, fi TijÇ ÈKKilT1aiaç ÈKJ.LavEiç, ËypaqJE KaT' âJ.LqJOTÉPWV. A
la page suivante, 173, Cantacuzène décrit les accusations de Grégoras dans l'Histoire Rhoméenne: BaalilÉwç ôt ÈlrEi J.Lr, aUTOlrpoaoJlrwç ElXE KaTaqJÉpEa()al, TWV TE llailaloil6ywv {3aarilÉwv lrPOÇ âililJjilovç lr6ilEj.lOV ÈvaTT1aclJ.LEVOç Vlr6()Earv TOU il6yov ( ...), ËlrE1Ta Kai Ka()' E{PJ.LOV Èlri TOV ÈqJ' J}J.LWV lrpOÇ KaVTaKov~T1vOV TOV {3aarilÉa lr6ilEJ.LOV KEK1VT1J.LÉvOV lrpoi'wv, lroililà J.Ltv aUTou Kai ailila KaTT1yopEl, ûvÔpalrOÔlaJ.LOÙç Kai qJ6vovç Kai aqJayàç Kai ilET1ilaaiaç Kai oaa ôvaXEpij Èv Tep TOU lroilÉJ.Lov Xp6vqJ aVj.llrÉlrTWKE 'PWj.laiOlç, aUTcp lrpOacllrTWV, Kaz ôlà qJlilapxiav Kaz TlJ.Lijç {3aalillKijç Èm()vJ.Liav TWV ÔE1VWV ÈKEiVWV ouôÉva ilÉywv lrElrOlija()al il6yov. Il ressort pourtant du contexte (v. p. 185) que Cantacuzène ne prit connaissance des chapitres ultérieurs de l'Histoire Rhoméenne qu'après son
abdication. Les ch. 18-27 furent écrits par Grégoras pendant la première année de sa captivité (v. Beyer, Chronologie, p. 143-44). 28. Cantacuzène, ibid., p. 172; Grégoras, XXI, cap. 4, p. 1013. Grégoras ne fut détenu que pour des raisons politiques. On laissa tranquilles les autres antipalamites (v. notre chapitre sur Matthieu d'Ephèse, note 41). Grégoras énumère lui-même les motifs de l'empereur, appuyant nommément sur son intention d'extirper l'antipalamisme (XXV, Bonn III, p. 61-67). Grégoras parle toutefois également de l'aspect politique. Il écrit que beaucoup de ses élèves d'autrefois, maintenant revêtus de hautes fonctions, seraient prêts à déclencher dans son intérêt une insurrection populaire contre Palamas et Cantacuzène. Cependant, une telle action lui répugnait: ... Kaz qJo{3Ela()al (sc. Cantacuzène et Palamas c.s.) J.Ltv ôlà TaUTa Kaz aTclarv ÔT1J.LOTlKJjv, aoz (sc. Grégoras) j.ltv ouôaJ.Lfi lrpoaJjKovaav, ou j.lailil6v yE fi ill()ivovç TE Kaz xailKouç âVôplclVTaç OiKO()EV KEKlvija()ar lrpOÇ olrila Kaz J.LclXaÇ qJaiT1 T1Ç av, aqJiar ôt J.Lclila ÔJjlrOV()EV lrpoaJjKovaav qJo{3Ela()ar.
TOÙÇ
(p. 65; c'est Agathangelos qui parle; v. infra, p. 138-39, n. 45 et 50).
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la guerre civile. 29 Grégoras aurait nié avoir jamais couché par écrit les passages accusateurs, promettant de jeter au feu des papiers contenant des calomnies pareilles, si jamais il les trouvait. Cantacuzène aurait répondu que ce désaveu était peine perdue. Il croyait que Grégoras avait espéré se couvrir de gloire en écrivant ces infamies, mais en cela celui-ci se trompait. Lui, Cantacuzène, s'en moquait. Et pour Grégoras une fois mort, ce qui ne saurait tarder, que signifieraient alors le blâme ou l'éloge? Il ferait bien pourtant de penser au compte qu'il aurait à rendre au Jugement Dernier des mensonges et de la trahison dont il s'était rendu coupable à l'égard de son empereur, rien que par haine injustifiée. 30 Il est bien possible que Grégoras ait défailli dans la situation pénible où il se trouvait; qu'il ait en effet nié ce qui était indéniable. N'oublions pas que Cantacuzène continuait à jouer un rôle politique dans la coulisse et qu'en conséquence Grégoras avait toute raison de s'inquiéter des menaces de l'ex-empereur. Mais nous ne possédons que l'assertion de Cantacuzène. D'autre part il est certain que Grégoras, dans le reste de son Histoire Rhoméenne a attaqué Cantacuzène encore plus furieusement qu'il ne l'a fait dans l'accusation que nous venons de citer. En tout état de cause, l'historien moderne reste interdit devant la volte-face de Grégoras. L'auteur de l'Histoire Rhoméenne luimême a compris qu'il devait une explication au lecteur. Elle est 29. Cantacuzène, IV, cap. 24, p. 183: ... OVx iirrov 8è K'ai Tp71yopâç avroç 0 vvvi rOlaura ÈyK'aÀwv, napà navra rov rou nOÀÉj.LOV Xpovov ov j.LOVOV ÈyK'Wj.Lla noÀÀà 8lt:ÇlWV Èj.LOU (Cantacuzène; cela est vrai) àÀÀà K'ai rà laxara vnoj.LÉv~lV vnèp rfjç Eiç Èj.Lè ~vvo(aç UP71j.LÉVOÇ (celan'est pas vrai, nous l'avons vu), or~ rà avrà ÈqJpovovv ora K'ai vvv( (c'est à dire, à l'égard du palamisme; ici Cantacuzène dit la vérité).· Cap. 25, à la même page: TOlaura j.Lèv {3aalÀ~ùç 0 KavraK'oV~71VOÇ ri a r ~ p 0 v, Èn~i ~iç x~fpaç avrcp rà Tp71yopâ avyypaj.Lj.Lara iiK'~l, àn~Àoy~fro n~pi tavrou, K'ai lJI~v8fj K'ai àn(f)ava avyy~ypaqJÉval àn~8ûK'vv~v ÈK'~fvov. Pour la date de l'entre-
tien v. p. 185. Cf J. Draseke, Kantakuzenos' Urteil über Gregoras dans BZ 10(1901), p. 107-27. 30. ibid., p. 183-85. L'assertion de Cantacuzène selon laquelle il aurait fait condamner Grégoras au cours d'une séance de notables (donc en 1355 !)mérite peu de foi. Par contre la relation ironique de l'entretien qu'il aurait eu avec Grégoras, rend un son authentique. Grégoras en fait mention à son tour, mais touche seulement aux discussions théologiques (Bonn III, p. 375 sqq.).
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tortueuse à l'extrême et fait violence à la verité (nous le montrerons plus loin). Ecoutons Grégoras:
Je trouve qu'aucun lecteur ne doit dresser sa langue pour me reprocher d'avoir tu, dans presque toute mon histoire, des accusations qu'on pourrait porter contre l'empereur à cause de son caractère et de sa mentalité, lui ayant montré au contraire de la bienveillance en le louant par amitié. (J'ai fait cela) parce que je le considérais comme un collaborateur et un soutien dans la lutte pour la religion, parce qu'il était l'empereur et avait le pouvoir de remporter une victoire complète... (Quant à son amitié avec l'empereur) Tous ceux qui ont passé par de pareilles tribulations avoueront qu'on peut être amené à mentir. Cependant, si le conflit dans lequel on se trouve, implique Dieu Luimême, je suis d'opinion que celui qui voudrait déguiser la vérité sera injurié à juste titre par tous. Celui qui est probe dans toutes choses, mais refuse de dire franchement la vérité s'il faut condamner un homme impie, le ménageant au contraire, se précipiterait, à ce que je crois, dans l'abîme de la honte ... 31
31. XVIII, cap. 7, Bonn II, p. 902-04: 'Açu:o 8' Éycoys, jl1J8Éva rwv Èvrvyxavovrcov npoxslpov siç ràç Ka(}' 1]jlwv Â0l8op{aç ÉXSlv r7]v yÂwTTav, si n a p' 0 Â 1J v jl l K P 0 V r 7] v i a r 0 p { a v, oaa jlÈv qJuasl rs Kai npoalpÉasl npoaijv ÈYKÂr1jlara rijJ f3aarÂsi, aryu KpUlJlaVrsç, Èna{volç rD nÂsiov 8là qJlÂ{av Èxaplaajls(}a, Kai {ijla 8là rD auvspyov Kai aVÂÂr1nropa rwv rijç svasf3daç ÉxslV àywvcov avrov f3aarÂÉa rs ovra Kai rD miv Èv ru XSlpi rijç V{K1JÇ KapnOUjlsvov 8là r7]v àpXr1v' vvv 8' àvaKaÂvnrr1pra napà nâaav npoa{psarv (}USlV, wç sinsiv, ijKlara navrcov OKVOVjlSV. ( ...) ... si qJlÂ{f!, rrç xap{~sa(}al (}ÉÂcov, Énslr' Èviors Kai Èvraxov IJIsv8ojlsvoç qJa{volro, avyxcopo{1J av o{jla{ rrç iacoç, oarrç ojlo{arç ÈjlnÉnrcoKs ruxalç Kai nelparç' où 8È (}soç ro KlV8vvsvojlSVOV, si ÈYKaÂunrsa(}a{ rrç onwanors f3ouÂOlro, navrcov o{jlal raiç yÂwTTarç r,KOV1JjlÉvarç Èç avrojlarov npoç ràç avrov Â0l8op{aç Èvrvyxavslv' Kai navra niÂÂa È7l'lSlKÉararoç, si jl7] ÂaÂoç Èvrav(}a f3ouÂolro riyvsa(}ar Kai yÂwrralç oÂarç ràv8pi vSjlsaç,v, aÂÂà qJs{8olro ÂOl8op{aç 1]arrvoaovv, (}aVjla~Oljl' av avroç, si jl7] Èç àf3uaaovç aiaxuV1Jç Kai nV(}jlÉvaç y{volro vnof3puXloç, oarrç norÈ av Ù, xaÂsnov àsi ySlrOV1Jjla rov rov avvsl8oroç Kr1Jaajlsvoç nÉÂsKvv.
o
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C'est pour cette raison que Grégoras ne s'est plus adonné aux flatteries dans ses entretiens avec l'empereur, qu'il a abandonné toute lâcheté et a même consenti à mourir pour la vérité. 32 On n'a pas le droit de lui faire des reproches parce qu'il va dorénavant blâmer celui qu'il avait loué dans le passé. Ses louanges avaient concerné un domaine dans lequel (un mensonge) ne peut pas nuir (à l'âme de) ceux qui rentendent. 33 On sait que (pour nous borner au monde chrétien) la morale dans la vie quotidienne de la plupart des hommes n'a presque jamais répondu aux exigences de la foi. On sait également qu'un mensonge officieux est souvent inévitable. Mais il est très rare (peut-être unique) de voir un chrétien poser en principe la dissociation de la foi et de l'éthique d'une manière si éhontée. Ce chrétien fanatique à la folie ignorait, semble-t-il, que son Dieu Luimême dit: Vous ne vous mentirez pas run à rautre (Lév. 19, 11). Mais il y a plus. Dans le fragment apologétique que nous venons de résumer, Grégoras, contrairement à ce qu'il dit, a menti sans aucun doute à propos de la rigueur qu'il aurait toujours observée dans le domaine de la religion, au risque de son salut éternel (selon ses propres convictions), sinon au risque du salut de ses lecteurs. Revenons en arrière jusqu'à l'année 1341. Au moins de juin, un synode sous la présidence d'Andronic III avait rejeté les accusations de Barlaam contre les moines de l'Athos et contre Grégoire Palamas en particulier et déclaré que les pratiques des moines, ainsi que les écrits de Palamas, étaient au-dessus de tout soup32. ibid., p. 904: "Erl K'ai rovro roiç EipT1I.lévOlÇ npoaK'Eia8al XPEWV Èvrav80i. O[llal yàp rmv amlvn.ov ouôéva ÔlK'a[coç Èlloi VEIlEaf1.V, Ei nEpi 8EOV K'ai rmv narp{cov rfiç ciÀ,T/8Eiaç ôOYllarcov K'lVÔVVEv6vrcov àno rov iaov ôraÂEyo{llT/V rcp {JaazÂEi, navraç K'a8anaç ànoK'pOVaallEvoç K'oÂaK'E{aç Â6yovç, K'ai IlT/ÔElllf1. rov rfiç ôravo{aç K'aÂallov {Ja"nrElv ÔEIÂÜ~ K'ai avaroÂ!1 {JovÂT/8Eiç IlT/Ô' vqJEival IlT/Ôallfi rov r6vov lléXPI rEÂEvrfiç aurfiç. 33. ibid., p. 904: Tourov ô' ovrcoç Ëxovroç, OUK' av ÔIK'a{coç airiav qJEpo{IlE8a, Ei rfiç àÂT/8Eiaç K'ai r,IlEiç Èv r!1ôE r!1 {J{{JÂqJ 1'11V {JE r{arT/v EiaayovrEç np6volav rovç aurovç vvv IlÈV roiç Èna[vorç Èça{pollEv, onT/ Il'Î'/ rovç àK'ouovraç {JÂanrEa8al nEp 1y[vor 1'0, vvv ôÈ ràvavrlwrara l)pmvrEç qJalvo{IlE8a.
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çon. 34 Au mois de juillet de la même année un deuxième synode, présidé par Cantacuzène, avait confirmé cette décision, condamnant implicitement Grégoire Akindynos qui avait succédé à Barlaam comme accusateur de Palamas. 3S Grégoras ne parle pas du deuxième synode, disant seulement qu' Andronic III eût bientôt mis fin à l'hérésie de Palamas, s'il était resté en vie. 36 Beaucoup plus loin dans l'Histoire Rhoméenne l'auteur s'étend sur les troubles dans l'Eglise, coïncidant avec le début de la guerre civile. Bien qu'il s'abstienne de nommer la personne de Palamas, il vise indubitablement le conflit palamite, puisqu'il fait allusion aux palamites (il les désigne par le mot naÂaJ.l,VaïOl (malfaiteurs), en vogue chez les antipalamites).37 Lui, Grégoras, décide alors de s'effacer complètement, craignant d'aggraver la situation par son intervention. 38 La vérité est autre. Cantacuzène avait, au mois de juillet 1341, approuvé la doctrine de Palamas. Deux ans plus tard le patriarche Kalékas agit pourtant d'une toute autre manière. Il fit emprisonner Palamas et permit aux antipalamites de défendre leur opinion en toute liberté. Parmi le petit nombre de ceux qui se prévalurent de l'occasion, Grégoire Akindynos fut le plus actif. Il se plaignait de ce que presque tout le monde se tint coi par pusillanimité ou par intérêt. 39 En vain il poussa Grégoras à se prononcer. 40 Celui-ci le nomme à peine dans son Histoire Rhoméenne. Il savait très bien que Cantacuzène réhabiliterait Palamas après sa victoire et 34. Darrouzès, Reg. 2209-2214. 35. Darrouzès, Reg. 2214. Cf A. Constantinides-Hero, Letters of Gregory Akindynos, Washington D.C. 1983, Introduction p. XVI-XXII. V. notre chapitre sur Grégoire Palamas. 36. XI, cap. JO, Bonn l, p. 558. 37. XIV, cap. 8, p. 722. Cf. van Dieten, op.cit. t. 3, Anm. 319, cap. 329. 38. ibid., p. 721. 39. Dans son septième traité contre Palamas, Akindynos écrit à leur propos: ... Oüç 8t ra lÏÀ7]lJtç ÀavlJavEl J.l,tv où8aJ.l,wç, ÉVEKa 8t rfiç ElrE 8ol;7]ç lÏvlJpw7riV7]ç, Elr' Eipr,V7]ç Kai r,ovxiaç, EirE qJo!3ov rfiç E:K rmv 8vooE!3ovvrwv rovrwv Û!3PEWÇ Kai Ka Kovpy(aç, EifJ' lmapl;ao7]ç 7rpaç ÈKEiVOVÇ qJlÂiaç, EirE xpEiaç r,onvovv ÉrÉpaç alW7rr, KarÉXEl. (Monac.
r,
gr. 223, f. 349V). 40. ep. 43, ibid., p. 186-88, ep. 44, p. 188-92; v. aussi le poème qu'Akindynos adressait à Grégoras (Boivin, op.cit. p. LXXIII, cf Beyer, Antirrhetika 1, p. 110).
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persécuterait les antipalamites. Puisqu'il est certain que Grégoras détestait Palamas dès le moment où celui-ci avança ses théories nouvelles en matière dogmatique, qu'est-ce qui l'empêchait de se prononcer contre Cantacuzène? Il l'aurait fait, si vraiment il n'avait agi que selon sa conscience. Mais en ce cas il aurait dû se ranger du côté de Kalékas et d'Akindynos, ce qui l'aurait obligé de devenir l'ami du c5fjJ.loç qu'il haïssait, de pair avec presque toute l'élite sociale avec laquelle il avait partie liée. 41 Devant ce dilemme, il préféra s'effacer, se présentant comme le sage qui sait se taire pendant un "symposium" sans perspective. 42 A la fin il fut toutefois contraint de se prononcer. Après la mort d'Apokaukos, l'impératrice Anna voulut écarter le patriarche, selon toute probabilité parce qu'il était prêt à conclure un compromis avec Cantacuzène. 43 Pour effectuer cette déposition elle enjoignit à Grégoras de dire son opinion sans déguisement. Grégoras n'eut alors d'autre possibilité que de défendre le patriarche antipalamite. Juste au moment où il avait tout à craindre du courroux de l'impératrice, Cantacuzène entra dans Constantinople. 44 Grégoras n'eut donc pas à payer le prix de sa tricherie 41. Les palamites, voire Palamas lui-même (nonobstant sa sainteté) insultaient Akindynos à cause de sa basse extraction (Palamas, LVYYP., éd. Chrestou, t. II, p. 348; v. Hero-Constantinides, Introduction, p. IX). Dans une réfutation d'un traité de l'antipalamite Jean Gabras, le palamite Joseph Kalothetos voyait un rapport entre l'antipalamisme de Gabras et son amitié pour les masses rebelles et sanguinaires: Bi 8t rD avvt:rDv Iltv Kai rD rfjç Kpdrrovoç ÔV Ilolpaç où8allÙ eiç Àoyov ijKEl aOl, aÀÀà rD eiç lwÀÀà 8lEa1raapÉvov 1rÀfj(Joç, rD 8TfPlOvpYlKDv OXÀov, àraçlaç, araaEcoç, rD qJOVlKOV, rD TUqJCOVlKOV, rouro eiç t1pvvav ÈydpElÇ, ia(Jl 01r0l KaKou rD 1rpiiypa xcopEï, 01rOl aE qJÉpov Èpf3aÀÀEl (LVYYP. éd. D.G. Tsames, Thessa-
lonique 1980, p. 271-72). Akindynos avait l'appui de quelques dignitaires auliques, appartenant .au cercle d'Eulogia Choumnaina (fille de Nicéphore Choumnos). Cependant, en générall'antipalamisme à la cour revêtait un caractère politique. V. aussi notre chapitre sur Grégoire Palamas. 42. XIV, cap. 8, p. 721. Grégoras vise aussi bien le conflit politique que le conflit ecclésiastique, ce qui ressort du contexte. Cf supra note 7. 43. XV, cap. 4, p. 758-62. 44. XV, cap. 7, p. 772-73. Anna réussit à faire déposer, à cause de son antipalamisme, Kalékas avec l'aide des métropolites palamites qui ne s'etaient jamais montrés cantacuzénistes, mais l'étaient de tout coeur (Cant. III,
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avec les choses saintes. Sa conscience, à ce qu'il paraît, ne l'accusait pas. Les années suivantes, il devint le panégyriste de Cantacuzène, l'ennemi juré du DijJ.lOÇ, se suggérant qu'il arriverait à détacher l'empereur du palamisme. Au moment où il devait se dire que c'était peine perdue, il se tourna vers Jean Paléologue (qui ne pouvait le mettre en liberté qu'après la chute de Cantacuzène). Lors de sa captivité il remplit son His/Dire Rhoméenne de dissertations théologiques interminables. Il apprenait assez, d'une manière ou d'une autre, sur ce qui se passait hors du couvent pour écrire aussi sur les événements politiques et militaires. Il commença à vilipender Cantacuzène depuis ce temps-Ià. 45 Il débute par la guerre entre Venise et Gênes (1350-55). On est frappé tout de suite par le sans-gêne avec lequel le rôle d'Orkhan dans ce conflit est décrit. Le Turc est l'allié de Gênes contre Venise et Cantacuzène. Les dévastations de la Thrace par les troupes d'Orkhan sont traitées sans retenue. 46 L'insuccès de Cantacuzène, qui n'a pu repousser Orkhan, donne lieu à un intermède remarquable. Grégoras intercale un dialogue fictif entre Cantacuzène et son épouse Irène, où perce sa propre obsession religieuse. Les époux désespérés se demandent quelle peut être la cause de leur infortune. Irène se souvient que Grégoras avait prédit que la protection de Palamas par l'empereur serait suivie de la punition de Dieu. Cantacuzène n'en veut rien entendre. On ne peut pas attribuer toutes les vicissitudes de la vie humaine à l'intervention directe de Dieu. C'est la TUX17 qui est toute-puissante. C'est elle qui régit les choses terrestres en tvtpyêla éternelle, agissant arbitrairement. 47 Grégoras rend ainsi cap. 98, Bonn II, p. 604). Grégoras critiqua plus tard ces gens, les tn~itant de fourbes (v. infra note 54). 45. L'historien dit avoir été renseigné par un certain Agathangelos, qui lui aurait rendu, par cinq fois, des visites nocturnes. Il est à présumer qu'il s'agit de Manuel AngeIos, KaBoÂzKàç Kpznjç. V. pour cette identification Beyer, Chronologie, p. 145. Cf van Dieten, op.cit. t. l, p. 26-30. 46. XXVI, Bonn III, p. 91-22, 99-100, 116-19. 47. XXVI, ibid., p. 96: Tavra rOlvuv Kai 'l'à rozavra c5zeçzova1]ç ÈKelV1]Ç, "dj yvvaz" qJ1]aiv 0 fJaazÂevç, "où navra KaBanaç xpewv àvanBtvaz Beij'J. E[vaz yap rzva Kai rVX1]V rvpavvov, Karà 'l'à aùr6J.larov Èmovaav roiç nov àvBpwnillv
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l'empereur coupable à la fois de l'hérésie palamite et de superstition païenne. Cantacuzène perd le fil de son raisonnement en ajoutant qu'il était devenu empereur juste après sa décision en faveur de Palamas. 48 Irène ne démord pas. Toute leur misère a été causée par l'abus du pouvoir impérial, qui a mené aux persécutions de ceux qui étaient restés fidèles à la foi des ancêtres. 49 En continuant le récit historique Grégoras change - temporairement - de méthode. Au lieu de critiquer la politique de Cantacuzène des années '50, il commence à récrire l'histoire à partir de 1341, c'est-à-dire depuis l'usurpation du titre impérial par Cantacuzène. Cela signifie que l'historien va contredire point par point ce qu'il avait écrit antérieurement ,sur la guerre civile. A cette fin il compose un long discours politique, censé avoir été prononcé par Jean Paléologue. 50 Dans ce discours Cantacuzène est présenté sans ambages comme un usurpateur qui a aspiré au pouvoir impérial longtemps avant la mort d'Andronic III. SISes alliances avec Umur, le satrape barbare et impie de Lydie, n'avaient jamais eu d'autre but que npaYllaal, KàK TOV npoaExovç avn]v llàÀÀov Tàv8pwnElU DlOlKovaav fi TOV 8dJV, ÈVÉPYElUV IlÈv KaÀovIlÉVT/V aKTlaTOV, DEanonKoùç DÈ xapaKTfjpaç qJÉpovaav TE Kai DEanOTlKWç roîç npaYllamv È7rlaTpaTEvovaav KaTà n]v TOV aVTOllaTOV qJopav TE Kai KlVT/alv ...
48. ibid., p. 96-97. 49. ibid., p. 97-99. Selon Grégoras le fils du couple impérial, Matthieu Cantacuzène, aurait également cru à l'àvaYK17 et à la TVX17. Aussi Grégoras l'aurait instruit de la doctrine orthodoxe concernant le libre arbitre (ibid., p. 205-19). 50. ibid., p. 154-71. Il nous semble d'ailleurs que le contenu de ce discours, adressé vers le printemps 1352 à l'impératrice Irène, ne soit pas trop différent de ce que Jean Paléologue pensait en réalité. Le Ka8oÀlKoÇ Kplnlç Manuel Angelos (v. supra note 45), selon toute probabilité identique à Agathangelos, le visiteur nocturne de Grégoras, avait accompagné l'impératrice Irène pendant sa mission de paix chez Jean Paléologue. Si l'identification est juste, il n'est pas étonnant que Grégoras était au courant. Pour un résumé du discours v. Parisot, op.cit. p. 313-320. 51. ibid., p. 158: Tovvolla IlÈv yàp ÈKêÎVOÇ ÛXE TfjÇ f3aalÀdaç, TfjÇ D' Èçovalaç aVÀÀr1f3D17v oihoç anaa17ç ânêÎv IlETa yE TfjÇ aVTov KaTETpvqJa Il 17TPOÇ. Kai 7}V Èni TOVTOlÇ ÈKdvcp (Andronic III) TO aK07rlllwTaTov qJvÀaKfjç ÉVEKa TfjÇ Eiç n]v f3aalÀdav DlUDoXfjÇ Kai DlUllovfjÇ TfjÇ ÈllfjÇ (Jean Paléologue). ( ... ) 'EKÀa8ollEvoÇ (Cantacuzène) yàp Ev8ùç Tàç TOV
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de s'assurer d'un appui en vue de ses desseins criminels. Il sacrifia sans scrupules ses compatriotes chrétiens à son ambition effrénée, en leur faisant souffrir les sauvageries des barbares. L'auteur donne maintenant des détails jamais mentionnés dans la partie de l' Histoire Rhoméenne qui traite de la guerre civile. Par exemple: pendant l'hiver les Turcs d'Umur auraient éventré leurs victimes pour se chauffer les mains et les pieds dans leurs entrailles. Cantacuzène, du haut de son cheval, aurait contemplé l'agonie des malheureux sans le moindre signe de pitié ou d'émoi. 52 Mécontent des résultats obtenus, il se tourna vers le satrape de Bithynie, Orkhan, habitant tout près des Rhoméens, et lui donna sa fille en mariage afin d'exterminer la race chrétienne plus vite et plus radicalement. 53 Il se montra en outre partisan de Palamas et des ecclésiastiques palamites qui cachaient leur impiété et leur scélératesse sous les robes noires, trompant la mère de Jean ... 54 Etc. etc. Grégoras, espérant de Jean la restauration de l'orthodoxie, devient alors l'ami politique de l'empereur Paléologue. Celui-ci défend passionnément ses alliances avec Etienne Dusan: le roi des Serbes n'est pas un barbare, mais au contraire un chrétien dévot et orthodoxe. Jean ne veut pas se conduire comme Cantacuzène, qui Èj.WV 1farpoç avv8r1ICaç ÈICe(vaç, ijv tIC" 1foÂÂOV f3aalÂeiav mvelpo1f6Âel, ravrT/ç tJ.lÉJ.lVTJro J.l6VTJç, av ÈIC 1foÂÂOV çT/rrov, fic5T/ ICUlpOV Âaf36J.levoç Cf
notre chapitre sur Jean Cantacuzène, note 10. 52. ibid., p. 160: Kaz ro rfiç rpaycpc5(aç {3apvrarov, on rrov aiXJ.laÂwrwv ÈÂeelvroç àyoJ.lÉvwv ax(Çovreç ràç yaarÉpaç ol {3ap{3apol raç re xefpaç Èavrrov ICaz roùç 1f6c5aç elafiyov àÂÉaç J.lerp(aç lveICa, ro nJ.llWrarOv ICrfjJ.la 8eov rov av8pw1fov qJ8eipovreç ma1fep Èv 1fUlc5liiç axr1J.laTl. "0 c5' oure ÈICaJ.l1frero f3ÂÉ1fWV riIV rrov 0J.loqJvÂwv ÈÂeelVr}v rpaycpc5{av ÈICe(VT/V, our' EiK6va yovv rlvoç {3paxe(aç qJelc50vç Èverv1fwaev oÂwç "rcf> rfiç IJIvxfiç avvêlc56n, àÂÂ' r,J.ll8vfjraç ln Kaz àa1fa(povraç ÉqJl1f1fOÇ Kaz auroç Èmrov Kaz aVJ.l1farrov, rr}v rwv Â(8wv àvaÂma(av Èvrav8a 1fWÇ ÈqJlÂove(Kel J.llJ.leia8al, ro rfiç Kapc5(aç, roç ËOlKe, 8T/plroc5eç àaKrov Kaz YVJ.lvaÇwv, J.lr} Âa87J rr}v lÇlV OlJlt c5lUqJ8efpav rfiç qJvaewç. 53. ibid., p. 162: ... È1fêlc5r} Kaz IYpKavov rov rfiç Bl8vv(aç twpa aarpa1fT/v f3apf3apwv tl1favrwv, 01f6aOl rr}v aXPl 8aÂarrT/ç 'Aa(av KeKÂr1PWvral, 1f6ÂêWV rfjç J.ley(arT/ç ÉYYlara 1fOlOVJ.levov ràç c5larplf3aç, roç 7feVreKa(c5eKa 1fOV arac5(wv elVUl ro J.leraçv, 1fÉJ.l IJIaç rr}v 8vyarÉpa roùç àÂÂoqJvÂovç ÈKe(vovç ItVTJareVel yaJ.lovç aurcf>, iv' ÈK rov axec50v reÂewrepov ro rwv XPlanavrov tKrpilJl7J ytvoç, c5l' aurov J.làÂÂov fi Kar' ÈKeiVOV rov rrovAvc5rov aarpa1fT/v 1f6ppw 1fOV rfiç KaieaÂarrT/ç olKovvra.
54. ibid., p. 163-164.
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s'est entouré de païens barbares. 55 En réalité Jean Paléologue ne s'intéressait nullement aux questions théologiques. Il est possible qu'il envisageait en effet une guerre commune des souverains chrétiens contre les musulmans au moment où Grégoras le fait parler de son nouveau projet d'alliance avec les Serbes. S6 Il est également vrai que peu après il ne s'allia pas seulement au roi serbe, mais encore au roi bulgare. Nous savons déjà que les forces chrétiennes réunies essuyèrent une grave défaite contre les Turcs sous les ordres de Cantacuzène (octobre 1352). Pendant la marche de Jean Paléologue sur Constantinople, qui fut donc interrompue par les Turcs, Cantacuzène aurait adjuré les habitants de la capitale de refuser à l'empereur Paléologue l'entrée d~ns la ville. Cantacuzène aurait été alors au bord de la démence, ce qui ressort de la manière dont il aurait menacé les C~nstantinopolitains:
Qu'il ne vous prenne pas fantaisie d'ouvrir les portes à Paléologue! Je vous livrerais tous, tant que vous êtes, vous et votre ville, les grands et les petits, les notables et les obscurs, hommes, femmes et enfants, aux barbares. Vous savez que dans les deux grandes citadelles près des Portes Dorées se trouve ma garde étrangère, occupant le bastion le plus fort de Constantinople, de sorte que, si je veux, je puis vous inonder en un moment de plus de 20.000 barbares et vous exterminer tous. Cela sera plus terrible que le sort d'Andrinople que je n'ai pas tout à fait détruite, plus habile ou philanthrope qu'Alexandre le Grand, détruisant Thèbes jusqu'aux fondements, éteignant la lumière d'Hellas. Moi, j'ai dépeuplé la ville, laissant debout les murs qui avertissent les autres villes du malheur qui les attend si ellesfont la même chose. La colère d'un empereur, excité par 55. ibid., p. 169: ... Ka1" ÉJlav1'ov ouv ÉJloi yevoJlévep Kai çvvveV071K01'l JlT/ elvaz Jlr11'e f3tipf3apov Jlr11" àaef3fj 1'OV ràç oDuvaç È8T/aaUplaa rauraç . àvri rwv aÙ-twv K'ai rwv K'p6rcov K'ai rwv f3DE-tVPWV fjaj.J.arcov ràç f30àç Éxco K'ai ràç oij.J.coyàç K'ai rovç rou naqJ-taçovroç nvpoç Èn' Èj.J.t qJplK'QJDEararovç 1J16qJovç, àvri rwv 1jDÉQJV oaj.J.wv rov rou nvpoç àrj.J.6v, àvri rwv nEplrrwv f3pcoj.J.t1.rQJv K'ai nOj.J.arcov K'ai rfjç nEpi raura rpvqJfjç rr,v uno rou nvpoç rourov l;T/parvoj.J.ÉVT/v Èaxarwç Y-twaaav K'ai rr,v j.J.ÉXPl aray6voç ÉVDElav, àvri rwv nOpVlK'WV nvpwaEcov o-tov ro aWj.J.a K'araqJ-tÉYEl ro nup». OÙK' ElnE raura, à-t-tà ràç oDuvaç ànOK'-ta{Ero j.J.6vov.
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V. par contre l'exégèse orthodoxe de Jean Chrysostome, De Lazaro Concio 6, PO 48, col. 1036, 1039; De Lazaro Concio 7, ibid., col. 1050. 91. ibid., p. 79: 'OplÏrEon K'ai aùroç 0 'Af3paàj.J. où Duvaral, K'liv È8É-t1J, f30T/8fjaal rOlç ÈK'El K'araK'plrorç; àDla{3arov yàp Elvai qJT/al navri ro
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Nous sommes sûre qu'il ne s'agit pas ici d'un enfantillage ou d'une argutie de rhétoricien ne tirant pas à conséquence. Bien au contraire. En falsifiant le texte de la parabole, l'intention de Palamas est très précise. Lisons l'homélie 13, dans laquelle Palamas exhorte encore une fois les riches à la charité, en évitant de les trop presser. A cette fin, il s'étend sur la coutume du jeûne, citant Esaïe 58, 9-10. 92 Après cela, il en vient à parler du Jugement Dernier et sur ce qui attend les riches à cette occasion:
Si donc vous ne voulez pas donner de ce qui vous appartient, abstenez-vous au moins de saisir ce qui ne vous appartient pas, en vous enrichissant aux dépens des pauvres, tels des injustes et des voleurs (... ) car le Christ, le seigneur de tous, maudissant les malfaiteurs et les condamnant au feu, ne jugera pas ces riches comme des voleurs, mais (seulement) comme des hommes qui n 'ont pas donné aux indigents. Les voleurs et Hies ouvriers d'iniquité" ne ressusciteront même pas au Jugement Dernier. Ils seront jugés auparavant de manière beaucoup plus terrible (que les riches avares), car dans le monde ils ne se sont jamais soumis à Dieu de toute leur âme: Hils dévorent mon peuple comme on mange du pain, ils n'invoquent point réterner' (Ps; 13 (14), 4). L 'homme riche qui s'est vêtu Hde pourpre et de fin lin" (Luc. 16, 19) sera jugé non pas comme quelqu'un ayant été injuste à régard de son prochain, mais (seulement) comme
J.l.BTaçV xaaJ.l.a, wç Kai TOVÇ BÉÀovTaç Dla/lfjvar J.l.'r, DvvaaBal. «M11Dt oi tKeiBBv, CP11az, 1fpOÇ T,J.l.iiç Dra 1fBptiJar v». "EOlKev tVDoTÉpm Tfiç cpÀoyoç ûval TOVÇ aÀÀovç TtiJV KOÀa~OJ.l.Évmv, ovç 0 'A{3paàJ.l. tKBiBev ûvaz CP11alV, àÀÀà Kai acpoDpoTÉpOV 1fBlpiiaBal TOU KoÀaanKOU 1fvp6ç, wç J.l.11Dt DvvaaBar ÀaÀeïv <jÀ,mç. OUTOl D'aV ÛBV oi J.l.eTà TOU àJ.l.eTaD6TOV Tp61fOV Kai Dl' ap1faYfiç 1fÀOVTOUVTBÇ tv Tep vuv aitiJvl (p.e. les Zélotes, v. Hom. 1), KaB' D vuv 0 1fÀovalOç OUTOÇ OUK flnaB11 . ou yàp wç ap1faç Kai aDlKoç, àÀÀ' wç aa1fÀayxvoç Kai cplÀ7]DOVOÇ KaTaKpzvBTal J.l.6vov. IIpoç DV CP11aiV 0 'A{3paàJ.l. wç t1fBi TOV à1foÀavanKov Kai aVBTov Kai DrappÉovTa {3(OV TOU tyKpaTouç 1fPOBTZJ.l.11aaç, ODVV17 Kai BÀZl/flÇ Kai aTBvoxmp(a VUV aB 1fBplÉaxe DlKazmç ...
92. Ces vers d'Esaïe concernant les véritables jeûnes furent cités régulièrement par les théologiens byzantins afin d'appeler l'attention des croyants sur leurs devoirs; v. par exemple Théodore Balsamon, Ep. de jejuniis, PO 138, col. 13;7.
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quelqu'un n'ayant pas donné aux pauvres une portion de ce qu'i! possédait. 93 Il Y a une tradition ancienne selon laquelle certaines catégories d'hommes ne seront pas présentes au Jugement Dernier. Les saints d'une part iront tout droit au Paradis, les infidèles et les pires des pécheurs (les lic5lKOl) d'autre part seront dès leur mort soumis aux tortures de l'Enfer. Au Jugement Dernier paraîtra la vaste majorité des hommes. Ceux, ayant fait pendant leur vie le bien comme le mal, seront mis dans la balance. La philanthropie de Dieu assure le pardon à beaucoup d'hommes. En outre ils disposent eux-mêmes d'un grand nombre de moyens de fléchir le Tout-Puissant; par exemple des donations à l'Eglise, les messes des morts etc. 94 Dans ce cadre, la différence élaborée entre les lic5lKOl et les riches qui n'ont pas donné aux pauvres, est décidément hétérodoxe. Palamas se réfère de nouveau à la parabole de Lazare et l'homme riche. Toutefois, dans l'évangile, nous l'avons déjà dit, le riche, prototype de l'homme riche qui ne donne pas au pauvre, va tout droit en Enfer. En conséquence, l'homme riche de la parabole est chez les Pères de l'Eglise lic5lKOÇ. 93. Hom. 13, col. 161 D-164 A: Bi ~t Jlil rà oiKeia ~l~oval {3ouÀel, KtÏV nov àÀÀorp{rov ànÉXov Kai Jlil Karexe napà aeavrcp rà Jlil aa, Ka(}apmiÇrov Kai nÀovrrov ËaTlV ore Kai napà rrov nevearÉprov à~{KroÇ ( ...) Bi Jlil ~{~roç ro{vvv ÈK rrov arov nÉVT/Tl, Kai raura neplrrrov ovrrov, KtÏV Jlil Krro raura Karà rou nÉVT/roç . Ka{rol 0 mlvrrov ~eanorT7ç Xplaroç roDç rfiç àplarepàç Jlep{~oç Biç rD nup ànonÉJlnrov Kai KarapWJlevoç, ou Kara~lKaÇel rourovç chç apnaraç, àÀÀ' chç Jlil Jlera~ovraç rcp ~eoJlÉvqJ. OUKOUV ol apnareç Kai a~lKol ou~t àvaanjaovral elç napaaraalv Kai Kp{alv, àÀÀ' Biç Kara~{KT7v eu(}Dç Jlelçova Kai Karaxplalv, Ènei Kàvrav(}' chç ËOlKev ourol oU~Énore oÀroç ÈK IJIvxfiç rcp Becp napÉarT7aav. «Ol ràp Èa(}{ovreç», qJT7a{, «rov Àaov JlOV Èv {3pwael aprou, rov Beov OUK ÈneKaÀÉaavro». tO nÀoualOç ou eUqJoPT7aev r1 xwpa Kai 0 nopqJupav Kai {3uaaov Èv~e~vJlÉvoç, oux chç à~lKJjaavrÉç Tl va, àÀÀ' chç Jlil Jlera~ovreç rrov ÈKelVOlÇ KrT70Évrrov ~lKa{roç Kara~lKaÇovral . K01Và ràp ÈK KOlVrov raJlelrov rrov rov Beou KTlaJlarrov rà 0T7aavp{aJlara. 94. Consulter DTC, s.v. Jugement (Dernier); M. Jugie, La Doctrine des Fins Dernières dans l'Eglise Gréco-Russe dans Echos d'Orient 17(1914), p. 7-22, p. 209-228, 402-21. V. encore notre Théodore Métochite. Une réévaluation, p. 98-99.
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Il semble que Palamas ait abusé d'une manière inadmissible de certains passages des Pères de l'Eglise. Jean Chrysostome dit en effet que les voleurs seront punis plus sévèrement que les riches manquant de charité, mais cela n'empêche pas que les uns comme les autres iront incontinent en Enfer. 9S Même si le saint ne condamne pas chaque riche individuellement96, l'à8zKia est toujours à l'origine des richesses. L'homme riche, même s'il est juste, demeure toute sa vie l'héritier d'un ti8zKOÇ.97 Jean Chrysostome a beaucoup réfléchi sur le sujet. Dans sept oraisons sur Lazare, il donne une analyse de la différence entre la richesse et le vol. Palamas y a lu sans doute ce qui suit:
Tous ceux auxquels nous avons fait tort et qui ont souffert de notre injustice, paraîtront alors devant nous (comme Lazare devant l'homme riche). Il est vrai que l'homme riche de la parabole n'avait pas commis une injustice bien définie contre Lazare. Il ne l'avait pas dépouillé, seulement il ne lui avait rien donné de ce qu'il possédait. Si même celui qui n'a pas donné du sien est accusé par la personne à laquelle il a manqué de charité, comment pourrait être pardonné celui qui a dépouillé d'autres hommes qui l'entoureront alors?98 C'est déjà toute autre chose que l'énoncé de Palamas. Mais il y a plus. Chrysostome en arrive à la conclusion suivante:
. .. ne pas donner de ses possessions équivaut au vol. Vous vous étonnerez peut-être de ce que je dis, mais ne soyez pas 95. In Ep. ad Cor. (Hom. 16), PO 61, col. 138. 96. Enarratio in Ps. 44 (Hom. de capto Eutropio et de divitiarum vanitate) PO 52, col. 399. Dans cette homélie Chrysostome se montre plus indul-
gent envers les riches qu'en d'autres occasions. 97. In Ep. 1 ad Tim. (Hom. 13), PO 62, col. 562-63. 98. De Lazaro Concio 2, PO 48, col. 987: 'Ano rovnL)v j.lavOci:voj.lSV on nci:vrsç oi nap' 1]j.lrov ÈnTfPsaÇ6j.lSVOl Kaz àDlKOVj.lSVOl Karà np6aronov 1]j.lrov aT71aovral r6rs. Ka{rOl ovroç oÙDtv rlD{KTfrO napà rou nÂ.ova{ov . où yàp rà ÈKs{VOV élaf3s XPr1j.lara 0 nlovaroç, àllà rrov Éavrou où j.lSréDroKsv. Bi Dt rrov Éavrou j.lil j.lSraDlDoùç Karr1Yopov éxsl rov OÙK ÈlsTfOévra, 0 Kaz rà àll6rpza apnci:çaç no{aç rsvçsral avyyvwj.lTfÇ, navrax60sv aùrov nsplsarwrrov rrov rlDlKTfj.lévrov;
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étonnés, car je vous vais offrir un témoignage de rEcriture Sainte ... 99 Grégoire de Nazianze n'a pas écrit de longues dissertations sur le sujet. L'homme riche de la parabole est èit5lKOÇ et quiconque l'imite brûlera pour l'éternité. loo Si, comme Chrysostome, Basile le Grand parle parfois des différences entre les riches et les ac5lKol, il s'étend beaucoup plus sur ce qui fait ressembler les uns aux autres:
Celui qui dérobe les vêtements de quelqu'un, sera appelé un voleur. Mais celui qui ne vêt pas le prochain qui est nu, alors qu'i! pourrait le faire, quel autre nom mérite-t-i/? Le pain que vous mangez appartient au pauvre, le vêtement que vous gardez dans votre armoire appartient à celui qui est nu, les chaussures qui s'usent chez vous, elles appartiennent aux nu-pieds, l'argent que vous enfouissez appartient aux indigents. Ainsi faites-vous tort à autant de gens que vous pouviez en aider. 101 Aussi Basile conclut-il, en citant Matthieu 25, 41 (Allez loin, de moi, maudits, dans le feu éternel etc): Non, ce n'est pas votre rapacité que ron condamne ici, mais votre refus de partage. 102 99. ibid. ,: '/80ù yap, qrl1a{v, IiV(JPWlroÇ Kai 'l'à lpya aù'l'où . Kai yàp Kai roùro apnaYil ra J.lil J.lEra80ùval nov ovrwv. Kai 'l'axa vJ.liv (JaVJ.laarav Elval 80KEi ra ÂEyOJ.lEVOV, àÂÂà J.lil (JaVJ.laaryrE . J.laprvp{av yàp vJ.liv àna nov (JEiwv napÉç0J.lal rpaq){JJv ÂÉyovaav, on où ra 'l'à àÂÂo'l'pra apnaÇElV J.lOVOV, àÂÂà Kai ra rmv tavroù J.lil J.lEra8l8oval trÉpolç Kai 'l'oùro apnaYil Kai nÂEovEç{a Kai ànoa'l'ÉpT/a{ç tarl. C'est le passage qu'Antonios (lIe siècle) insérait plus tard dans sa Melissa (PO 136, col. 900 B). Chrysostome répète son jugement à la fin du discours (col. 992). Il se réfère à Mal. 3, 10 et Sir. 4, 1. 100. De pauperum amore (Or. 14), PO 35, col. 904 B-C. 101. Hom. in divites, PO 31, col. 276 C-277 A: Ev 8t où nÂEovÉKrl1ç; av 8t OÙK ànOarEpT/rryç; li npaç OlKOVOJ.l{av t8Éçw, raù'l'a i8la aEavroù nOlOVJ.lEVOÇ; 'H 0 J.ltv tV8E8vJ.lÉvov Âwn08vrT/ç ovoJ.laaOr1aEral, 0 8t 'l'aV yvJ.l vav J.l il tv8vwv, 8VVaJ.lEVOÇ roùro nOlEiv, IiÂÂT/ç nv6ç tan npoaT/yop{aç IiÇlOÇ; Toù nElvmvroç tanv 0 liproç, 0 av qJVÂaaaElÇ tv àno(JryKalç . 'l'OÙ àvmro8Érov ra vm58T/J.la, 0 napà aoi KaraarynE'l'al . 'l'OÙ xptKovroç ra àpyVPlOV, 0 Karopvçaç lXElÇ. "Da'l'E roaovrovç à 8 l K E i ç, oaolç napÉXElv t8vvaao. 102. ibid., col. 277 C: Où8t yàp tKEÏ 0 tipnaç tYKaÂEiral, àÂÂ' 0
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Nous verrons qu'il y avait encore du temps de Palamas des gens qui pensaient comme les Pères l'Eglise. Le patriarche Athanase va jusqu'à dire que celui qui ne donne rien aux pauvres doit être censé ravoir tué. 103 Palamas a rassuré sans aucun doute explicitement les riches sur leurs chances de salut éternel, ce qui va à l'encontre de toute la tradition orthodoxe concernant les devoirs des riches. Il les a laissés faire simplement ce qu'ils voulaient dans leur vie terrrestre. Il est d'ailleurs inouï qu'un évêque théologien donne des informations rassurantes sur le Jugement Dernier à une certaine section de ses ouailles. Dans une seule homélie, Palamas sévit contre les autorités parce qu'ils insultent et exploitent les pauvres impitoyablement, en leur imposant des impôts excessifs. Il s'agit pourtant des intérêts de l'Eglise. Il s'avère que les injustes percepteurs du fisc dont Palamas se plaint si passionnément, n'ont même pas épargné les moinespo 4 C'est une des plaintes innombrables de toutes les EgliàKOlVWVTrroç Kara Kplvsral. Cf Hom. de jejuniis, ibid., col. 177 A: t.Pof3rjOl1Tl rD vn68slYjla rov nÀovalov. 'EKSîvov napt&iJKS np nvpi 1] 8là f3lov rpvqJrj. Où yàp à8lKiav, àÀÀà rD àf3po8ialrov ÈyKÀ110siç ànsrl1yavi(sro Èv rfi qJÀoyi rijç Kajllvov. N'oublions pas, par ailleurs, qu'en
réalité les Pères de l'Eglise ne firent pas grand'chose pour mettre une bride à la rapacité des riches de leur temps, parmi lesquels les ecclésiastiques se distinguaient par leur insatiabilité. Dès le 4e siècle "the huge army of clergy and monks were for the most part idle mouths, living upon offerings, endowments and state subsidies" (A.H.M. Jones dans The Later Roman Empire, Oxford 1964, 1. 2, p. 933; pour des détails sur la rapacité du clergé séculier et des moines voir le même volume, particulièrement p. 771, 894-937). Toutefois, les Pères de l'Eglise avertissaient les riches et non pas les pauvres des dangers auxquels il exposaient leurs âmes, se tenant en cela plus proches de l'évangile que Palamas qui parfois va même à son encontre pour des raisons toutes mondaines. 103. Vat. gr. 2219, f. 103 r , cité d'après J.L. Boojamra, Social Thought and Reforms of Athanasios of Constantinople dans Byzantion 55(1985), p. 332-82, ici p. 372-73. Athanase se réfère à Sir. 34, 22. V. en outre notre
chapitre sur Alexios Makrembolites, p. 254. 104. Hom. 63, éd. Oikonomos, p. 287. C'est le seul passage des homélies de Palamas cité par Meyendorff in extenso (op. cil. , p. 156). Les passages de l'homélie 4 que nous venons de signaler ont été remplacés par Meyendorff par des points (ibid., p. 397); ceux des homé191
ses chrétiennes chaque fois que l'Etat saisissait des biens ecclésiastiques. l05
*** Les riches et les puissants de Thessalonique savaient évidemment très bien se débrouiller sans Palamas. S'il s'évertua à les cajoler, il resta pourtant pour eux un "outsider", sans utilité dans leurs affaires. Jean Paléologue, sans manifester de véritable intérêt à son égard, l'employa au besoin comme médiateur dans sa lutte avec Cantacuzène, qui de son côté se méfiait de l'archevêque. 106 Le peuple de Thessalonique le haïssait, les moines de lies 13 et 31 ont été simplement omis. Meyendorff appelle même l'homélie 4 "un véritable éloge de la pauvreté" (ibid.) Il veut en outre que l'homélie 45 (éd. Oikonomos, p. 40-49) "s'attaque aux excès commis par les prêteurs" (ibid., p. 396-7). Palamas prêche à cette occasion sur les paroles bibliques: Et comme vous voulez que les hommes vous fassent, vous aussi faites-leur de même (Luc. 6, 31-32). Sans doute il y réprouve les usuriers, mais il se déchaîne beaucoup plus contre le mécontentement et l'ingratitude du peuple rebelle! Voir supra, note 83, où nous avons cité à notre tour ce passage in extenso. Ajoutons enfin à notre analyse des homélies de Palamas une remarque d'A.E. Laiou-Thomadakis: "Even in their performance of miracles, the saints of Philotheos [Kokkinos] favored the aristocracy: the great majority of their miracles were performed for members of the upper class. This is particularly the case with Saint Gregory Palamas and Saint Isidore, both of whom served as high members of the secular clergy, lived in cities, and were in close contact with the Byzantine aristocracy. Saint Gregory Palamas performed a number of miracles - mostly cures - for aristocratic families from Thessaloniki and from the rest of Macedonia, Adrianople, and Thessaly; one particularly rich and powerful family from Veroia, that of Tzimiskes, was honored with three miracles. Only in one case was the recipient of the Saint's benevolence a poor woman" (Saints and Society in the Late Byzantine Empire dans Charanis Studies (Essays in Ronor of Peter Charanis), New Brunswick, 1980, p. 84-114, citation p. 104). 105. Cf le discours de Nicolas Cabasilas édité par I. Sevcenko, Nicolas Cabasilas' PlKc:08EGTaTOV fJ1jJ.laTOç EyyVÇ OVTOÇ fj8T/· 128. ibid.: 8l' fiv OiKOVoJ.liav, ciJç à1CO TilJV EKfJavTC:Ov ÉGn Gvvopav, Kai 7]J.lEïç 1CapE868T/J.lEV Taïç TOVTC:OV XEpGiv, aJ.la Kai 1CpOÇ J.llKpàv ÉKnGlV TilJV
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ment de ses nombreux péchés, il ose croire que c'est aussi pour son salut car ceux qui sont éprouvés maintenant sont livrés à un feu qui du moins s'éteindra. Ceux, par contre, qui font le mal sans se repentir brûleront éternellement à cause de leur ù7rlaria et leur ()T7plwôia. 128 C'est un peu fort et trop tortueux, mais Palamas n'a probablement pas du tout pensé au problème de la conscience ou du manque de conscience des pécheurs en général. Il s'est demandé surtout comment expliquer au grand public la calamité qui avait frappé l'archevêque de Thessalonique. La deuxième addition à la Lettre à son Eglise, l'épilogue, ne cadre pas, nous l'avons dit, avec le reste. En plus, elle n'a pas son égale dans toute l'oeuvre homilétique de Palamas. Avec une ferveur inaccoutumée il exhorte ses lecteurs à l'exercice des vertus pratiques, alors qu'en général il appuie plutôt sur la dévotion intérieure et la prière. Maintenant il affirme que la foi doit se prouver par les oeuvres et les bonnes actions. L'adhésion au dogme n'a pas de valeur si l'on ne vit pas vertueusement. Bref, la foi est morte sans les oeuvres. Le ton passionné de l'épilogue est unique chez Palamas. 129 Nous sommes assez terre à terre pour sentir dans cette exaltation inattendue des bonnes oeuvres rien d'autre qu'un appel au rachat de Palamas, de la publicité visant à persuader le lecteur de mettre la main à la poche. Finalement c'est le sens de toute la Lettre à son Eglise, le cri d'alarme d'un homme au désespoir, se rendant compte de sa perte sûre s'il n'est pas racheté.
*** 1l'OÂÂWV dç (JEOV TlI.lErÉpwv aj.laprruuzrwv, o[6v rzvz 1l'vpi 1l'apa~z~oj.lÉvwv rwv VVV 1l'EZpaÇOj.lÉvwv àÂÂà O!3EWVj.lÉVrp, rwv È1l'lqJEp6vrwv ràç È1l'17pEiaç, d J.l'r, j.lEraj.lEÂov oXOïEV rfiç rE à1l'lor{aç K'ai rfiç (J17Pzw8{aç, rcp ào!3Éorrp ÈK'Eivrp r17pOVj.lÉVwv 1l'Vp(. La notion nous semble bien primitive. On se de-
mande si cette conception arithmétique concernant la doctrine du salut n'a rien d'étonnant pour des croyants orthodoxes. 129. Palamas évidemment recommande régulièrement dans ses homélies les bonnes oeuvres aux croyants. Comparez toutefois le ton sec de l'homélie 30, traitant spécialement des bonnes oeuvres, au ton passionné de l'épilogue de la Lettre à son Eglise. Dans l'épilogue, Palamas s'étend sur les paroles de l'Epître de Jacques: Car la foi sans les oeuvres est morte (Jac 2, 17; 2, 20; 2, 26), parole célèbre qu'on retrouve nulle part ailleurs dans les homélies de Palamas. V. notre chapitre sur Alexios Makrembolites, p. 264-66.
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Personne ne prêta attention à la Lettre à son Eglise. D'une manière toute inattendue la délivrance vint de l'extérieur. Les "Serbes" (c'est ainsi que s'exprime Philothée) payèrent la rançon. Les "Serbes", c'est-à-dire selon toute probabilité le roi Etienne Dusan. 13o A notre tour, nous nous cassons la tête sur une question; pourquoi le roi serbe a-t-il racheté Palamas? Nous ne le saurons jamais. On peut se perdre en conjectures. Palamas s'est peut-être tourné lui-même vers le roi, puissant et orthodoxe dévot à la fois. Ou bien Philothée et ses amis prirent cette initiative. Ou enfin les Athonites, qui étaient les amis du roi, s'étaient-ils, malgré tout, souvenus de leur dette envers Palamas. S'ils n'étaient pas prêts à vendre leurs propres biens afin de le libérer, ils pouvaient au moins prier le roi. Celui-ci avait peut-être toujours l'espoir de gagner Palamas à sa cause; Encore une fois, nous ne le saurons jamais. Le seul qui aurait pu nous renseigner, Etienne Dusan, mourut au mois de décembre 1355, quelques mois après la délivrance de Palamas.
*** Palamas retourna à Thessalonique pendant l'été 1355, mais il ne joua plus de rôle dans les affaires politiques. Au cours des années qui lui restaient il exerça ses fonctions ecclésiastiques sans faire d'éclat en continuant à écrire des traités contre Grégoras. Durant l'été 1359 il tomba malade. Il mourut le 14 novembre de la même année. Philothée, devenu en 1364 pour la seconde fois patriarche de Constantinople, canonisa Palamas en 1368. Parmi les saints reconnus par bon nombre d'Eglises chrétiennes, il y en a beaucoup qui sont, pour une raison ou une autre, peu sympathiques aux yeux d'un incrédule. Toutefois, nous n'avons pas réussi à nous rappeler un saint égoïste et louche, indulgent aux infidèles à ses heures, comme Palamas.
130. Eloge de Palamas, PO 151 col. 267 B; éd. Tsames, ch. 103, p. 552.
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CHAPITRE IV Un haut dignitaire aulique: Démétrius Cydonès
Démétrius Cydonès, un des plus célèbres intellectuels byzantins du 14e siècle, était surtout connu pour ses sympathies à l'égard de la civilisation occidentale. Il avait particulièrement un penchant pour la religion catholique et finit par s'y convertir. Il nous a laissé, entre autres, une traduction en grec de la Summa contra Gentiles et de fragments de la Summa Theologiae de Thomas d'Aquin. Au service de Jean V Paléologue, il entreprit plusieurs voyages à Rome, en vue de l'Union des Eglises, dont une alliance militaire dirigée contre les Turcs aurait dû résulter. Il défendit cette politique dans des discours passionnés, adressés à tous ses compatriotes. Cependant, ceux-ci se méfiaient de lui à cause de ses tendances catholiques. Se basant sur la scolastique occidentale, Démétrius rejetait en outre le palamisme. Ses convictions lui valurent à la fin l'inimitié de presque toute l'élite byzantine. Il mourut en 1396 ou 1397 dans un couvent catholique de l'île de Crète, excommunié par l'Eglise orthodoxe. Un petit groupe d'esprits congénères continua de l'admirer jusqu'à la fin. L'empereur Manuel II Paléologué ne sut jamais se refuser à le respecter, bien qu'évidemment il ne pouvait pas approuver son attitude à l'égard de l'Eglise orthodoxe et la manière dont il finit par se dégager des liens qui l'attachaient à l'empire byzantin (v. plus loin). Toutefois, il ne faut pas oublier que ce résumé n'a de rapport qu'avec la seconde moitié de la vie de Cydonès, ses origines et son ascension étant restées dans l'ombre. C'est justement cette première moitié de son existence, à peine traitée par ses biographes, qui nous intéresse du point de vue de notre sujet. 1 1. La vie de Cydonès nous est surtout connue par ses propres oeuvres,
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Démétrius Cydonès, né vers 1322 à Thessalonique, appartenait à une riche famille aristocratique. Son père était revêtu de hautes fonctions au service des empereurs. Il fit entre autres un important voyage d'ambassade chez les Mongols. Lorsqu'il mou~ut vers 1340, le jeune Démétrius devint le chef de la famille. Pendant la guerre civile cette familie vécut au palais ancestral à Thessalonique dans des conditions très pénibles. Cydonès se rangea sans hésiter du côté de Cantacuzène. Il lui écrivit des lettres l'assurant de sa fidélité et l'exhortant à continuer sa lutte pour le trône impérial. Ces lettres sont caractérisées par une rhétorique excessive, surenchérissant considérablement sur ce qui est de coutume dans le style épistolaire des Byzantins. Aucup des r07rOl de l'idéologie impériale traditionnelle ne manque. Quand plus tard Cydonès passa au service de Jean Paléologue, il ne combla jamais cet empereur de louanges comparables à celles dont il avait honoré Cantacuzène. En d'autre mots, même en tenant compte de ce qui est traditionnel dans le style des lettres à Cantacuzène, on peut être sûr que Cydonès fut vraiment son partisan enthousiaste pendant toute la période de la guerre civile, du début jusqu'à la fin en 1354. Comment Cydonès réussit à survivre au régime des Zélotes n'est pas clair. Dans son premier discours adressé à Cantacuzène, datant de 1347, il donne une idée de l'état des esprits dans la ville pendant la guerre. Il y dit qu'on emprisonnait immédiatement tous ceux qui osaient prononcer de manière positive le nom de Cantacuzène. Les Zélotes se seraient dits: Faut-il qu'une personne, approuvant les atrocités commises en dehors de nos murs, souhaitant le succès de Cantacuzène, enrageant à notre vue, fautil qu'une telle personne vive et respire? Aussi beaucoup d'aristoparticulièrement par la correspondance (449 lettres), quelques discours, trois écrits apologétiques et un testament religieux. Les lettres ont été éditées par R.-J. Loenertz, Démétrius Cydonès, Correspondance, 2 t., Vatican 1956 (Studi e Testi, nr. 186,208). Toujours utile est la traduction française d'une cinquantaine de lettres par G. Cammelli, Démétrius Cydonès, Correspondance, Paris 1930. Le premier tome d'une traduction allemande par F. Tinnefeld, avec introduction et commentaire exhaustif, a paru à Stuttgart 1981/82 (138 lettres). On y trouve en outre un aperçu biographique ainsi qu'une bibliographie complète de l'oeuvre de Cydonès. Pour les éditions des discours et des écrits apologétiques v. infra notes 2, 7, 19,21,33. Une biographie critique de Cydonès reste à faire.
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crates firent semblant de se lier avec les Zélotes pour avoir la vie sauve. On conseilla à Cydonès de suivre cet exemple, mais il ne voulut pas en entendre parler, craignant se couvrir de honte pour le reste de sa vie. Souvent il aurait même crié le nom de Cantacuzène en public à seule fin de vexer les Zélotes. 2 On a de la peine à croire à ces assertions après les renseignements qu'il fournit lui-même sur la punition entraînée par une pareille audace. Quoi qu'il en soit, il est sûr qu'il ne fut jamais emprisonné. Il est plus probable qu'il se tenait coi. Dans un alinéa qui précède de peu les lignes que nous venons de citer, Cydonès nous raconte en effet une toute autre histoire. Il avait perdu ses possessions en dehors de la ville, les Serbes (alliés des Zélotes) les occupaient: Comment aurions-nous pu les conserver? (...) Nous n'avions que les murs de la ville pour nous protéger, et de ces murs mêmes il nous fallait assister en spectateurs impuissants aux pillages de nos propriétés par les barbares (sc les Serbes). Nous n'osions même pas verser des larmes, parce que celui qui avait la mort dans râme, était nécessairement censé se ranger du côté des Mèdes (sc les Turcs de Cantacuzène). S'il soufflait mot de ses souffrances, il devait s'attendre à être emprisonné et tué. 3 Auprintemps de 1345 Cydonès réussit à s'échapper de la ville. Nous ignorons les circonstances de sa fuite. Selon toute probabilité il a simplement attendu un moment favorable pour se sauver. 2. Oralio J, adressée à Cantacuzène, éd. Loenertz dans Corr. J, p. 1-10; éd. Cammelli dans Byzantinisch-Neugriechische Jahrbücher 3(1922), p. 67-76. Citation resp. p. 4 ou p. 71: "Tourov ôt 1rpoa1jK~l çfjv, ava1rv~iv ôt oÂcoç,oç l~co {3Ât1r~l Kai rà rou ô~ivoç (Javllaç~l KaK~{vQJ (sc Cantacuzène) Iltv ~lhvx{av avv~vx~ral, r,lléiç ô' ax(J~ral Kai 1rpoa{3Ât1rcov;" raura Âéyovr~ç KOUqJOV a1réqJalVov olç t1ro{ovv ra Ô~aIlCOr1}p{ov. ( ...) 1roÂÂaKlç
ôt Kai roüvolla ra aav iv' tK~ivOl lléiÂÂov aÂywalv t{3ocov, d&oç Iltv KlVÔVVOV ytllov ra pijlla, tllavrav ôt t1rlax~iv oux oloç r~ c.Ov, t1ri raura Il~ rijç ~uvo{aç ayova1}ç. 3. ibid., p. 3-4 ou p. 70: 'Ev ôt rfi KOlvfi aVllqJOpi), {3aal~u, Kai r,lltr~pa 1rpoaa1rdJÂ~To . 1rpaç r{ 1ror~ yàp av nç 1rpwrov avrtax~; 1rpwrov Iltv yàp 01rO~1l0Ç rà rElX1} 1l0VOV r,lliv V1r~Â~(1r~ro, aqJ' cbv rovç {3ap{3apovç (sc les Serbes) 6pwvr~ç ayovraç rà r,lltr~pa oür~ KCOÂV~lV êÏxoll~v oür~ ôaKpuaar youv troÂllwll~V . rav yàp 1rpaç raura 1ra(Jovra n'Iv lJIVX7}v Kai r7}v ÂV1r1}V tv p1jllan ô~{~avra, rourov ryv ~u(Jvç avaYK1} Il1}Ô{ç~IV Kai lÔ~1 ô~ô~llévov a1ro(Jav~iv.
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Quoi qu'il en soit, il partit et ne revint plus, abandonnant sa mère, ses soeurs et son frère cadet Prochoros. 4 Il se rendit à Berrhoia, prise par Cantacuzène trois années auparavant. Manuel, le fils de celui-ci, était à ce moment gouverneur de la ville. Manuel et Cydonès, étant du même âge, devinrent des amis pour la vie. A Berrhoia, Cydonès apprit que les aristocrates de Thessalonique, guidés par un fils d'Apokaukos, avaient réussi à regagner leur suprématie Uuin 1345). Il en félicita Cantacuzène de la manière suivante:
Ajourd'hui la félicité de Platon nous est échue, je crois, car à celui qui l'emporte en tout sur tous, dont râme est nourrie de philosophie (sc Cantacuzène), Dieu a rendu le soin de veiller au bien public, mettant à la tête des affaires une intelligence à la place des Telchines précédents, qui remplissaient tout de carnage et de troubles (...) Avec vous (Cantacuzène) les peuples, les villes, les îles et les continents se réjouissent de votre gouvernement;. ils célèbrent votre caractère, ils chantent vos victoires sur tous, ils nous estiment heureux d'avoir pour ami rempereur, ils nous prédisent à quel haut point parviendra notre destinée: tous les peuples seront défaits, toutes les villes recevront de vous des lois, tous ne connaîtront qu'un seul maître: la vertu fleurira, la sagesse parlera librement et rempereur donnera à ses sujets rexemple de toutes choses nobles ... S 4. ibid., p. 5 ou 72. Ce que Cydonès raconte ici de son évasion de la ville mérite peu de foi. Sous les menaces des Zélotes il aurait accepté de persuader son oncle de retourner à Thessalonique. Il caractérise lui-même cette mission de ridicule et impossible, puisqu'en ce cas son oncle y trouverait certainement la mort. Cydonès veut croire que Dieu a choisi cette chance de salut inattendue pour lui sauver la vie, sous l'apparence d'une punition. 5. ep. 6, éd. Loenertz, p. 31. La traduction a été empruntée en grande partie à Cammelli, nr. 4, p. 8. Nuv r,J.llV nêprrjKêlv r7)v rou nÂa'u.ovoç êV~alJ.lOv{av VOI.tit;ro, 011 rep niial navraç napêvêYKOV11 Kai J.lêarfi qJlÂoaoqJ{aç IfIvxfi eêOÇ ràç unÈp nov oÂrov qJpovr{~aç ànÉ~ro,œ Kaz roîç npaYJ.laazv ÉnÉarTlaê vouv, àvrz nov nporÉprov ÉKEiVroV TêÂX{VroV, oi' navra qJovrov Kaz rapax7)ç ÉJ.l7rlnÂavrêç ( ...) Ka{ aOl avyxa{poval rfiç àpxfiç Kaz U}VT7 Kaz nOÂêlç Kaz vijaol Kaz ftnêlpol, Kai r7)v J.lÈv a7)v qJualv UJ.lVOUal Kai oaov navrrov KêKparTlKaç (i~ovalv . r,J.laç ~. o[ç Éa11v 0 !3aazÂêvç OiKêlOÇ êV~alJ.lOv{t;oval Kaz npoÂÉyovalv êiç oaov iil;êl rà r,J.lÉrêpa rUXTlç Kaz navra J.lÈV r,rrTl(Jr,aêral Ë(JVT7, naaal ~7) napà aou
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La joie fut de courte durée. Les Zélotes se ressaisirent du pouvoir et un massacre de c5vvaroi et de JlSOOZ s'ensuivit (août 1345). La maison de Cydonès fut pillée et démolie; sa mère et son frère cadet échappèrent tout juste à la mort, en payant une grande rançon. Les serviteurs fuirent ou se joignirent aux pillards parce que la plupart des domestiques appelle liberté la ruine de leurs maîtres. 6 La catastrophe inspira à Cydonès un Thrène sur les victimes de Thessalonique. 7 Cet écrit est un document très intéressant en tant que réaction personnelle d'un c5vvar6ç à un épisode de la guerre civile, bien qu'elle soit écrite dans un style très abstrait et factice. Il y a peu de renseignements précis sur les événements, mais la manière d'envisager la situation est fort significative. Thessalonique avait été de tout temps un modèle de piété, un centre de culture, le siège des littérateurs et des philosophes. Toutes ces vertus avaient été largement récompensées, grâce à l'intervention de St Démétrius, par le bienfait d'un gouvernement clément, qui se manifestait particulièrement par un système fiscal très raisonnable. 8 Sans aucun sentiment de gratitude, ni de compréhension pour toutes ces valeurs et acquisitions spirituelles, les masses s'étaient insurgées (Cydonès réfère ici à l'insurrection des Zélotes de 1342 qui les porta au pouvoir jusqu'au mois de juin 1345). Après avoir résumé à vol d'oiseau les tribulations de Thessalonique pendant la période 1342-45, il en vient enfin aux événements qui aboutiVOJlOVç 8tçovral nOÀelç, Eva 8t yvroaovral mlvreç 8eanorT/v Kai cbç àperr, Jltv àvOrjael, nappT/auiaerar 8t 7] aOqJ{a, mlvrmv 8t KaÀwv 6 !3aarÀeùç Earal roiç àPXOJltVOlÇ napa8elYJla ... 6. Oratio l, éd. Loenertz, p. 5; éd. Cammelli, p. 72: '" rwv yàp 8ol.J."-mv ro nÀeiarov rr,v rwv 8eanorwv aVJlqJopàv èÀevOep{av KaÀouarv. Dans cet
alinéa Cydonès ne parle pas du sort des autres membres de la famille; on sait pourtant qu'il avait au moins deux soeurs (Tinnefeld, lntr., p. 58-59). 7. Occisorum Thessalonicae Monodia, PO 109, col. 640-52. Traduction anglaise par J.W. Barker dans MeÀerrjJlara arr, Jlvr1JlT/ BaalÀelOV Aaovp8a, Thessalonique 1975, p. 285-300. Cf Ch. Diehl, Journées révolutionnaires byzantines dans Revue de Paris 35(1928), fasc. 6, p. 151-72. 8. col. 644 A: Où rouro 8t JlOVOV, àÀÀà Kai !3acnÀtaç Jltv 7]Jltpovç rfj nOÀlrela KaO{arT/ar (sc St Démétrius) ra re aÀÀa Kai rà rwv qJopmv àVltvraç ru nOÀel, EV re roiç npoç roùç Eçm nOÀtJlOlç aùroç arparT/Ywv Kai qJo!3epov roiç nÀeovaÇoval KaOlaràç Klveiv onÀa Karà rijç nOÀemç. Ovrmç av ernOl rrç iaraaOar KOlVOV rr,v nOÀlv eùae!3e{aç napa8elYJla.
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rent aux massacres d'août 1345. La situation dans la ville était restée instable. Cydonès laisse transparaître qu'une grande partie de l'élite s'était rangée du côté des Zélotes, sans se rendre compte suffisamment du danger auquel elle exposait son propre intérêt. 9 A la fin un groupe d'aristocrates pensa avoir trouvé un moyen effectif de mettre un terme définitif à l'agitation des Zélotes. Ils se tournèrent vers un homme plus fort qu'Hercule, plus modéré que Pélée, plus sage que Thémistocle, bref, vers Cantacuzène, qui savait manier ses sujets comme un autre Cyrus. Cependant, il était un législateur sévère pour ceux qui ne savaient se tenir tranquille; le peuple ne voulut pas de lui, sachant quelle punition l'attendait. Les aristocrates qui avaient sollicité l'aide de Cantacuzène, occupèrent l'acropole. 10 A l'approche de l'armée cantacuzéniste, la fureur du pe~ple éclata par des actes de violence sans précédent. Des pillages et des tueries énormes eurent lieu par toute la ville. L'acropole fut assiégée et prise. Les aristocrates qui se trouvaient là furent égorgés tous sans exception et leurs corps jetés pardessus les remparts. Il est à noter que Cydonès est très précis dans la description de cet épisode par contraste avec tout le reste de sa monodie. On a en effet du mal à comprendre cette dernière sans l'aide d'autres sources historiques, tant l'auteur se plaît en général aux tournures abstraites et quasi-incompréhensibles. Maintenant il se délecte à donner des détails concrets des plus horribles. Nous sommes régalés de têtes tranchées, de membres découpés, de cer9. ibid., col. 644 D: Oüç ~È; ~vaXEpalvElv Ë~El, roç aqJlar rfjç apxfjç nEplKonroJ.l.éVT/ç, ÈyéÀmv, wanEp npoanfJévrEç roiç ovar. Ta ~È; qJapJ.l.aKOV rwv KaKwv J.l.T/VVaal J.l.6vov rà nafJT/ roiç raur" ÈyévEro fJvovar. 10. ibid., col. 644 D: "Oaol~' ÈK rwv nap6vrmv olç rEÀEvT11aEl rà KaKà raiç n6ÀEalv ÈJ.l.aVrEvOvro, È~7jrovv i[J rwv anoÀÀvJ.l.évmv J.l.EÀ7jaEl . Kaz EVPOV 'HpaKÀéovç J.l.È;v av~pEl6rEpov, aVJ.l.qJpovéarEpov ~È; IIT/Àémç, eEJ.l.laroKÀéovç ~È; avvErwrEpov . rà Kvpov ~È; Kaz aurav npaç rouç apxoJ.l.évovç J.l.EJ.l.lJ.l.T/J.l.évov. 'AÀÀà 7rlKpàç VOJ.l.ofJérl1Ç roiç r1avxa~Elv OUK ÈyvmK6al Kaz r7jv apx7jv È~vaxépalvov r7jv ÈKElVOV, ol aqJlarv auroiç nOVT/pà avvEl~6rEç. Kaz ~là raura aKp6noÀ{ç rE ~7j napà rwv vouv tx6vrmv KarEÀaJ.l.f3avEro, roç f3{~ rav ÈçT/arT/K6ra ~ijJ.l.OV fJEpanEva6vrmv.
on
La personne indiquée ici par les métaphores de Cydonès doit être Cantacuzène. Barker est d'opinion qu'il s'agit de Jean Apokaukos, fils d'Alexios Apokaukos (art. cit., p. 291) mais à notre avis le passage en question devient tout à fait incompréhensible si l'on accepte cette identification.
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veaux qui s'éclatent, de corps éventrés etc. etc. Il L'intention du document est en effet très simple: rhomme qui hier bêchait le sol pour un obole, s'enrichit tout d'un coup en retournant à la bêche toute la ville!12 ( ... ) Ô ville, plus traître que la mer! Ô citoyens, plus traîtres que ceux qui sont nés barbares! s'écrie Cydonès. 13 Et il finit sur les mots: C'étaient des hommes qui détruisaient la ville, d'autres la quitteront pleins de haine. 14 La haine du c5fjJloç continua en effet longtemps à influencer la vie de.Cydonès. Les lettres adressées à Cantacuzène tout au long 11. ibid., col. 649. 12. ibid., col. 648 A: Bor, S' bri ràe; oiK{ae; Kai 0 aKanrwv xOte; OfJOAOV, aTjJlepov KaraaKanrwv rr,v nOAlv tnAoûrel. 13. ibid., col. 645 C-D: "[2 nOAlre{ae;, OaAarrl1e; 1rlial1e; àmaroripae;! "[2 nOAluov, ouSiv rI rrov qJûael fJapfJapwv àmaroripwv! 14. ibid., col. 652 D: 'AvOpwnwv St oi Jltv àvirpelJlav aurTjv, ol St JllaTjaavree; ànoqJeûçovrar.
Il faut ajouter ici quelques mots sur la position de Thomas Magistros. Son discours Toie; BeaaaAovlKevar nepi 0Jlovo{ae;, éd. B. Laourdas, dans 'En. 'Ener. LXOA. NOJl. BeaaaA., 12(1969), p. 257-75, est pour une grande partie de caractère rhétorique, plein d'allusions à l'antiquité grecque. Cependant, à travers sa phraséologie, on voit quelle est son attitude à l'égard des événements de l'époque. L'auteur évoque le souvenir du passé glorieux des Hellènes, exhortant les partis aux prises à restaurer la paix et la concorde, afin qu'ils puissent - comme leur ancêtres - remplir la tâche la plus importante: la lutte contre les "Perses" . Athènes sert d'exemple. Tant que la concorde régnait, elle remportait des succès extraordinaires; les luttes intestines, par contre, la perdirent. Laourdas, se ralliant à l'avis de Sevcenko, croyait que le texte datait des années '20 et se rapportait au conflit dynastique entre Andronic II et Andronic III. Toutefois, les allusions à la araare;, au SijJloe; araara~wv et à l'effusion de sang ne peuvent référer qu'au massacre de 1345. Il nous semble que Thomas, savant célèbre alors et d'âge avancé (il naquit vers 1270), antipalamite convaincu, voulait faire tout ce qui était en son pouvoir pour cajoler les Zélotes sans se compromettre aux yeux des Svvaro{. En bon chrétien il déplore les pillages et l'effusion de sang, mais en parle sobrement, ajoutant même qu'il aurait préféré se taire sur le sujet (p. 759). Regardons plutôt vers l'avenir, telle est son opinion: l'essentiel, c'est la lutte contre les "Perses", qui doit commencer et à laquelle tous les partis prendront part. Les Zélotes, ennemis acharnés des Turcs, ne pouvaient prendre ombrage de tant de circonspection. C'est surtout par la différence entre la description détaillée et horrible du carnage commis par les Zélotes de Cydonès et la manière dont Thomas y tire le voile, que l'on reconnaît dans quelle mesure ce dernier a rampé devant le parti qu'il désapprouvait.
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de la guerre civile le montrent inconditionnellement partisan de la politique de l'usurpateur. Bien qu'il s'exprime avec prudence quant aux alliances turques, il n'y a pas de doute qu'il les approuve. Les Serbes sont toujours appelés des "barbares" (bien que nominalement des chrétiens), tandis que les alliés turcs de Cantacuzène sont désignés par le mot neutre de "Perses" ou par des termes vagues. Pendant son séjour à Berrhoia (jusqu'au mois de mars 1346) Cydonès se tourmente de la conquête de la Macédoine byzantine par les Serbes. En même temps il glorifie Cantacuzène d'avoir "libéré" la Thrace à l'aide des "Perses". En Thrace, écrit-il, règnent à nouveau l'ordre et la concorde. La terre est labourée comme autrefois, les portes des villes sont ouvertes, la population se montre reconnaissante à l'empereur de son pardon et de sa générosité. Cydonès supplie l'empereur de faire pour les Macédonieris ce qu'il a fait pour les Thraces. ls En cas de besoin, ceux-ci peuvent maintenant même passer la nuit en rase campagne, puisque les ennemies d'hier (les Turcs) sont à présent leurs protecteurs, rempereur les contenant par les armes et par la diplomatie la plus prudente. En revanche, en Macédoine, il n'y a que douleur, souffrances et un tas d'autres épreuves. Beaucoup de villes sont aux mains des barbares (sc les Serbes), dans les autres la rébellion fait rage; les lois n'y sont que des phrases et l'homicide, par contre, a force de loi. Cantacuzène est le dernier espoir des bons citoyens. 16 Cydonès fait appel à l'empe15. ep. 7, éd. Loenertz, p. 33: ... fiv KaZ qJvyouaav (sc la prospérité d'autrefois) 7}j.l{iç 7rp6repov vuv qJaa( (sc les villes reprises par Cantacuzène) ae (Cantacuzène) Karayayûv, ruare Kai 7re7rava(}al j.ltv fic5T/ araaelç, Oj.l6VOlUV c5t 7roÂlrevea(}al KaZ mJÂaç j.ltv àvo(yea(}al 7roÂvv fic5T/ XP6vov KeKÂelaj.lBVaç U7rO nov 7roÂej.l(wv, yewpyûa(}al c5t r17v yijv U7rO nov Èx6vrwv ( ..) "Aye c517 Kai 7}j.l{iç li Bp{iKaç 7ro(el Kai roïç OÂOlÇ à7relpT/K6raç rcp qJavijval j.l6vov 7rapaaKevaaov 7raÂlv àvaf3uJJVal . 01 f3apf3apol (les Serbes) c5t 7rarayriaovalv are 7rrT/vmv àYBÂal j.lByav aiyv7rlov u7roc5efaavreç ... Sur cette métaphore, v. infra, note 24. 16. ep. 8, éd. Loenertz, p. 34-35: Dl c5' àc5emç à7roÂavelv apxovral rmv ic5(wv Kai KOlj.lT/(}ijval c5eijaav Èv àypoïç Kai rouro 7rOlOUal, c5ec5o(Kaal c5t oùc5Bva. Tovç yàp 7rpiv 7roÂej.l(ovç vuv Èv qJvÂaKwv lxoval raçel, rou f3aalÂBwç aùrovç n(}aaevovroç 07rÂOlÇ re Kai aVVBaSl ( ...) Tà j.ltv ÈKe(vwv rOlaura, rà c5' 7}j.lBrepa, j.l6yoç re K67roç re Kai aÂÂwv l(}vea KT/pmv. Tmv re yàp 7r6Âewv al j.ltv U7rO roïç f3apf3apolç (les Serbes), raïç c5' àvri ÂOlj.lOU KaZ j.lT/xaVT/J1.arwv 7} araalç V6j.l0l re Âijpoç Kai ro qJovevelv fic5T/
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reur, lui assurant que les barbares (les Serbes) n'ont pas oublié le temps d'Alexandre le Grand: Montrez, empereur, qu'il y a toujours des Macédoniens et un empereur qui ne se distingue d'Alexandre que par le temps qui s'est écoulé entre leurs règnes; montrez-vous et sauvez nos villes!l? Notons que même Grégoras, à ce moment encore du côté de Cantacuzène, admet que toutes les terres labourables de la Thrace ont été dévastées par les Turcs et que les dégâts qu'ils ont causés sont irrémédiables, parce qu'ils ont enlevé tout le bétail et tous les outils. lB Cantacuzène récompensa royalement Cydonès de sa fidélité. Il le nomma )lsoaçwv malgré son jeune âge. Cydonès fut dédommagé de ses pertes matérielles, bien que pas entièrement; Cantacuzène n'en avait pas les moyens. Aussi Cydonès se plaindrait-il sa vie durant, du peu d'importance de ses possessions, comme de l'arriéré des sommes qui lui étaient dues. 19 Dans son premier discours à l'empereur, datant de 1347, dont nous avons déjà parlé V~VOJlla'ral ( ... )
'EMriç Dt Jlla av, Kai roïç 1fpaYJlaazv tvr~vO~v JlOVOV ra awOijval ... 17. ibid., p. 35: 'AÀÂà yàp MaK~Doviaç Kai rovvoJla JlOVOV lfJP{KllV èJl1folEï roïç {Jap{JapOlç 'AÀt~avDpov èVOVJlOVJlSVOlÇ Kai MaK~DovwV roùç oÀ{yovç roùç aùv èKâvcp ars~avraç T7]V 'Aa{av. L1~ï~ov ro{vvv èKâvOlÇ, èÀ1fl~~ral
m
{JaalÀ~v, roç ~iai Kai MaK~Dov~Ç Kai {JaalMùç 'AÂ~~avDpov Jlovcp DZUlfJSPWV rcf> xpovcp. lPaVijOl DJj, Kai ràç 1fOÀ~lÇ J]Jlïv àyaOfi rvxu ,Jvov. 18. XV, cap. 1, Bonn II, p. 747-48: II~pazKai Dt DVVaJl~lç, è~ 'Aalaç Dl' 'EÂÀlla1fovrov 1fiiaav wpav Dla1f~palOVJl~Val, KaOa1f~p è~ OiKâwv èç oiKâaç vOJlàç Kai è1faVMlç, avxvàç è1fOlOVVrO vVKrwp Kai Jl~O' J]Jlspav ràç 01lPlWD~lÇ èlfJODOVÇ Karà rwv epÇlKlK6Jv 1foÀ~wv, vvv Jltv aurovoJl{Çl XPWJl~VOl ÀuarplKfi, vvv Dt aVJlJlaxsïv 1fpOa1fOlOVJl~VOl KavraKOV~llvcf>. "D1fwç D' lipa Tjv, èvoaovv ai 1fOÀ~lÇ Kai JlaÀa 1fOvrlPWÇ ElXOV 'PWJlalOlç mjaz rà 1fpaYJlara . oi5r~ yàp V1fO~vy{wv, oi5r~ 1fOlJl viwv oUDtv roïç raÀal1fWpOlç epÇl~iv èÂ.ÉÀ~l1fro, oi5r~ fJo6Jv àporJjpwv OVDâç, Dl' cOv oi y~wpyoi ràç rijç yijç àvaJlox~vovr~ç aVÀaKaç rav r,Jl~pJjalOv Kai àvayKaïov èK1fOp{~ovral DaaJlaV ru yaarp{. Kàvr~vO~v àa1fopov r~ KaraÂ~À~lJlJlSVijÇ rijç yijç Kai àvOpW1fwV èpllJlOV 1faVra1faal, Kai ra oÀov El1f~ïv 01lPlWDOVÇ, à1fop{a XPllJlarwv èJlaan~~ Jltv iKav6Jç rav {Jaaûsa j(avraKOV~llVav 1f~plÏovra ep~KllV, èJlaan~~ D' oux Tjnov Kai Bv~avriovç ... Voir supra, p. 126. 19. DraUo, adressée à Jean Paléologue, éd. Loenertz dans Corr., l,
p. 10-23, ici p. 17-18; ep. 70, éd. Loenertz. Voir Tinnefeld, [ntr., p. 59-60.
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ci-dessus, il parla tout de suite de dédommagements. Si l'empereur se montre tellement généreux envers les adversaires et les ennemis vaincus, que ne méritait pas son partisan fidèle, qui n'avait pas hésité à le louer à haute voix dans des conditions des plus dangereuses?20 Dans le deuxième discours à l'empereur (il s'agit plutôt d'un éloge à l'occasion de l'entrée définitive de l'usurpateur dans Constantinople) Cydonès ne reste plus dans le vague à l'égard des Turcs. Ils ont aidé à sauver l'empire de l'anarchie où les masses populaires l'avaient plongé. Quand celles-ci, aimant vivre dans le désordre, confièrent la gestion des affaires à celui qui les cajolait (Apokaukos), elles fermèrent les portes à celui qui les réprimandait, comme des enfants désobéissants se soustrayant au regard de leur instituteur. 21 Cet homme, l'empereur (Cantacuzène), dut s'enfuir de l'empire et chercher de la protection chez les barbares. Ces barbares étaient encore les Serbes, mais cette fois ils se montrèrent de nobles sauvages. Ils comprirent tout de suite lequel des deux partis avait le droit de son côté. Le roi des Serbes reçut Cantacuzène chez lui et le traita selon ses mérites. 22 Apokaukos et ses compagnons se montrèrent par contre les véritables barbares. Ils volèrent le fisc impérial et des trésors de l'Eglise pour combattre Cantacuzène, lequel en réalité était plus généreux envers ses sujets qu'un père à l'égard de ses enfants. 23 Mais ce père noble retourne vers ses enfants, soutenu encore une fois par des barbares nobles, à savoir les "Perses". Si noble était le seigneur de ces derniers, qu'il se sentait plus honoré par le servi20. Oralio l, adressée à Cantacuzène, éd. Loenertz, p. 9; éd. Cammelli, p.76. 21. Oralio II, adressée à Cantacuzène, éditée par Cammmelli dans Byzanlinisch-Neugriechische lahrbücher 4(1932), p. 78-83. V. p. 79. 22. ibid., p. 79: Kai 8là ravra aÈ /lÉv, W f3aarÀëv, f7 Tplf3aÀÀIDv g8ÉXëro K'ai nalovwv, /lërà rov K'arciJrrvarov gK'ÛVOV K'ai navra np08ë8wK'ora roïç f3apf3apolç à1l'oaroÀov, li npoaTjK'ël f3aarÀëvar 8d;a/lëvOv K'ai 1l'apà roïç aùrolh . rryv yàp aryv àpërryv Kav f3apf3apov ai8ëa()dT/ ... 23. ibid., p. 80: Tavra aV/lf3ovÀëvovrëç lëpà /lÈv gavÀwv, où /lÉXPlÇ àv()pd)7fwv, mç SOlKëV, àVëXO/lëVOl rryv Vf3PlV op{aar, gK{VOVV 8È ravra WV Kai f3apf3apwv ùpdaavro XÛpëÇ ( ... ) ovrw 8lÉ()T/KaV xûpov ràç nOÀëlç ~ â rovç 1l'ëPlf30ÀOVÇ àq>ëÀovrëç uno roïç f3apf3apolç ràç nOÀëlç gno{ovv.
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ce de l'empereur que par la puissance qu'il avait en propre, s'adaptant aux exigences de celui qui lui était supérieur. Cydonès parle ici d'Umur, sans le nommer, et fait de nouveau allusion à la modération que Cantacuzène lui aurait imposée, ainsi qu'à ses compagnons, adoucissant leurs tendances naturelles. 24 Quand plus tard, Cantacuzène eut encore une fois besoin de l'aide turque les choses - Cydonès doit l'avouer - allèrent moins bien. Orkhan (qui n'est pas non plus nommé) porta la tête plus haute. En concluant une alliance avec Cantacuzène, il se laissa récompenser par un titre d'importance, un mariage princier et de l'or. Cydonès est d'ailleurs d'avis que Cantacuzène serait parveilU à ses fins sans Orkhan. Dieu lui procura la victoire inopinément. 25 Tout ce que nous venons de résumer en termes simples est 24. ibid., p. 80: Kai 11 bravoDoç Kpê{rrwv ll'aaT/ç ll'OJ1ll'ijç Kaz ra ll'avraç on ràç uov qJvaêl ll'OÀ.êJ1{WV 0 fJaatÀ.êùç ll'pOalpÉaêlç 11J1ÉpOV Kai rwv flêpawv apxovn aêJ1VOrêpOv rijç àpxijç ra up fJaalÀ.û DOVÀ.êVêIV lDOKêl, Kaz êïll'êrO OÙDÈ:V tÀ.arrw aOl rwv àVDpall'ODWV ll'apêXOJ1êVOÇ rryv DlUKov{av . rOlç D' tçijç "OJ1T/POV ËDêl ll'apÛVal ~ rwv nva Movawv aç lKêlvoç eiç rà rOlUvra KaÀ.êl, [va lçlaw(}walv oi À.OYOI roïç rwv ll'paYJ1urwv J1êy{arolç . cbç yàp aiyv7l'lov qJavÉvroç ll'rT/vwv où ll'arayovatv àyÉÀ.al, . rovro Di, ra rov EOqJOKÀ.ÉOVÇ, ourw rwv lx(}pwv OÙDêiç oanç lfJovÀ.êro J1ÉVêIV rov fJaalÀ.Éwç qJavÉvroç ... Cydonès cite ici Sophocle, Aias 168-69. Juste comme des volées d'oiseaux cessent de gazouiller à l'approche du vautour, ainsi aucun ennemi n'osait rester sur place à l'apparition de l'empereur. Cydonès s'était déjà servi de cette métaphore - mais d'une façon erronée - dans une lettre écrite deux années auparavant (ep. 7, éd. Loenertz, v. supra, note 15; cf le commentaire de Tinnefeld, nr. 8, p. 125, note 20). Cette fois la métaphore est formellement correcte, sinon très belle. Aias est hideux dans sa fureur et peut donc être comparé à un vautour, ainsi que le fait Sophocle. L'aigle, symbole de la majesté impériale, n'est pourtant pas hideux comme le vautour, mais terrible et c'est cela ce que veut dire Cydonès de Cantacuzène. Bref, Cydonès continue à s'empêtrer dans son allusion aux vers de Sophocle. Nous appuyons sur ce détail parce qu'il est significatif de la maladresse des auteurs de l'ère des Paléologues à se servir de l'héritage de l'Antiquité. Aucun humaniste italien de l'époque n'aurait commis une telle faute. 25. ibid., p. 81: 'A À. À. à qJIÀ.OVêIKOV 1j KaK{a Kai XaÀ.êll'aV aVêv KêqJaÀ.ijç lKll'À.ijrrov,
àll'ODÛÇal T1jV vDpav . ll'aÀ.lv yàp ll'PêafJâa aVJ1J1ax{aç l:K rov fJapa(}pov Kai 0 fJapfJapoç r}Kê ll'avra àll'êlÀ.WV àVaall'aaêlV Kai J1la(}aÇ rijç l}Jl'êpT/qJaviaç àl;iwJ1a aêJ1VaV Kai yaJ10ç J1êrà XPT/J1arwv. 'A À. À. à KàKêlvoç l J.l.srà @sov rpsnoJ.l.ÉvQ) rovç Èmovraç. Constatons que ces mots ne peuvent être dits de
la conquête de la Thrace, qui précédait l'entrée à Constantinople. 26. ibid., p. 81-82: ~JJ VVKrC>Ç ÈKEiV71Ç, fi ràç àKrivaç miÂlv ISsiv noÂÂoiç Èv aKorQ) Ka81lJ.l.ÉVOlÇ napÉaxsv! ~ü vVKroç miallç ÂaJ.l.nporÉpaç à Krivoç! 'ü KÂonfjç Kai roiç napaKpova8Elal avvsvsyKoVallç! 'ü KpEirrovoç miallç àÂ1l8Eiaç àmlrllç! 'H J.l.èv QJ71J.1.l1 6noarpÉqJElv rov {3aalÂÉa rr,v nOÂlV ànsyvWKora Kat Karrinslys rr,v eçoSov {3s{3aulJv rr,v Soçav roiç nOÂSJ.l.iOlÇ . oi S' àVÉnvsvaav, noppw ysvoJ.l.Évov rou {3aalÂÉwç . Sè XSlJ.l.WVOÇ J.l.saovvroç, IJ7rsp{3àç ràç QmlVrWV ÈÂniSaç, arparsvJ.l.a tiywv 7]KSV Èni rovç éopraÇovraç rr,v ànoSllJ.l.iav . Kai oi J.l.llSèv àyvoovvrsç ÈKElVOl o8sv EiasÂ8slv ËSSl rr,v ÈÂsv8spiav ~yvollaav, Kai /JÉawv vVKrwv 0 {3aalÂsvç Èv J.l.safi rfi noÂsl, Kai ai aaÂmyysç auroiç Èari/Jalvov rà SSlvà Kai KOlJ.l.WJ.l.Évovç àqJvnvlÇov '" 27. Tinnefeld, Intr., p. 11-12; Apologie l, éd. Mercati, p. 360 sqq.
o
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n'aurait pas dû reconnaître sur le trône de Constantinople un empereur qu'il tenait pour hérétique. Il est pourtant évident qu'il considérait Cantacuzène comme un sauveur qui, par la grâce de Dieu, sut tenir en échec les masses populaires et cela lui suffisait. Il n'éprouvait aucune sympathie pour Jean Paléologue. S'il n'en avait tenu qu'à lui, Jean aurait été certainement éliminé dès 1347. Il n'approuvait pas les compromis de Cantacuzène avec les Paléologues. La nomination de Jean Paléologue comme co-empereur et son mariage avec une fille de Cantacuzène lui répugnèrent particulièrement. 28 On peut dire que Cydonès fut "plus royaliste que le roi", puisque Cantacuzène lui-même reconnaissait encore dans ses mémoires les droits de Jean Paléologue, rendant honneur à la doctrine de la légitimité familiale. Même quand Cantacuzène défendit son droit de succession, il renonça à en appeler au choix divin, qui serait confirmé par les événements mêmes. Bien au contraire, il invoqua les sentiments fraternels qui l'avaient toujours lié à Andronic III, le père du co-empereur, devenu son gendre. C'est Cydonès qui invoqua la volonté divine. A la reprise de la guerre civile, Cydonès se réjouit de tout son coeur des défaites de Jean Paléologue, s'indignant de ses alliances honteuses avec les "barbares" (Serbes et Bulgares) et louant l'emploi de troupes "Perses" par Cantacuzène. 29 Après la bataille de 28. Cela ressort nettement de la lettre 64 (éd. Loenertz, t. 1, p. 96-98); cf Tinnefeld, nr 27, p. 195-205. 29. ep. 13, éd. Loenertz, t. 1, p. 41: JIoù yàp r1 uov Mvarov qJlÀovElK{a J.!Erà n)v iiHav; JIoù rrov Tplf3a).)"rov r1 8paavrT/ç, f1nç aùroîç tK rrov r1J.!ErÉpwv nOÀEwv Kai rfjç EùSalJ.!ov{aç T/ùçIj8T/; ( ...) mUlv St riç 0 rov JIÉpaT/v rovrolç ànavuywv; ( ...) Kai J.l'Î1v tvraù8a J.!uÀlara SE{KvVral ro rfjç S{KT/Ç, Kai on rrov roîç napoùal KaKoîç aVV11ywvlaJ.!Évwv oùSEfç tan aroç, àÀÀ' anawEç J.!Erà rfjç rrov f3apf3upwv tyÉvovro rVXT/ç J.!E8' WV avroùç raîç yvwJ.!alç rUHElv Upoùvro. Voir également le passage suivant, ep. 15, éd. Loenertz, t. 1, p. 43: 'AÀÀ' q) (sc Dieu) rfjç àpErfjç J.!ÉÀEl Kai rrov SlKa{wv, ovroç aOl (Cantacuzène) aVJ.!J.!axoç àvri mlvrwv KarEÀE{nEro, f3aarÀEù. Kai n{nroval J.!tv ol n)v èiSlKOV aVJ.!J.!ax{av tnT/rYEÀJ.!ÉVOl, n{nTEl St ro qJpoV11J.!a roù f3apf3upov, iaxvpàv vOJ.!{(ovroç rf1 nap' aùroù aVJ.!J.!ax{ç. n)v KaK{av nOlIjaElv. 4>Evyovar St ol KarayÉÀaarol ep{jKEÇ, roîç St Mapa8wvoJ.!uXOlç aiaxpov tSOKEl roù ÀOlnoù qJVÀUHElV n)v ruçlv. Cydonès trouve que Cantacuzène, prenant exemple sur David et MoÏ-
se(?!), s'est montré fort clément en repoussant ses ennemis. Ceux qui font preuve d'une pareille mansuétude, sont toujours vengés par Dieu; le cas de
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Didymoteichon, Cydonès s'étonne de la magnanimité de l'empereur qui a de la pitié pour ceux qui ne désirent que sa mort. Le J.lêOaÇmV se montre beaucoup moins indulgent que son maître, voire franchement sanguinaire. 30 Quand Jean Paléologue pénétra enfin dans Constantinople au mois de novembre 1354, Cydonès conseilla même de faire venir les Turcs de Gallipoli dans la capitale afin d'en chasser l'empereur Paléologue. Cantacuzène nous raconte longuement ce qui se passa pendant la séance au palais impérial lors des discussions sur les mesures à prendre dans la situation extrême du moment. Il fait mention de l'argument que le J.lêOaÇmV aurait allégué en faveur d'une continuation de la guerre. Cydonès aurait fait valoir qu'on avait commis un très grand péché en engageant une lutte qui avait coûté tant de sang et causé tant d'autres terribles maux. Il plaidait pourtant pour la persévérance puisqu'en cas d'abandon de la partie, les remords et la peur de l'enfer ne seraient pas amoindris, tandis que tout profit matériel s'évanouirait. 31 Le contexte rend évident que Cantacuzène veut présenter Cydonès comme un homme noble et pieux à la fois, aux prises avec sa conscience. Voilà une jolie idée d'un trouble de consciencep2 Il est pourtant possible que Cydonès n'ait pas dit des choses tellement insensées. Après tout on sait que la .religion fut pour lui un objet de réflexion sérieuse sa vie durant. Il est plus important pour nous de savoir s'il a pensé laisser entrer les Turcs dans la capitale. S'il a vraiment fait cette suggestion, il aurait défendu pour la dernière fois une
on
Cantacuzène le prouve encore une fois: Kai 1'0 naVTae; ÈKnÂi'jrrov, Kai nepi Ti'je; aCùT11P{ae; avnov fJovÂev1J Kai Tàe; T'COV ÈXBprov Kai qJovÉCùv Tvxae; c5aKpvele; ( ...) aù c5t MCùaÉa Kai ..1avic5 ÈÂoy{Çov Kai ei ne; aÂÂoe; JleTà npaoT11TOe; 1]JlVVaTO TOÛe; ÈxBpove;, vntp cOv manep vvv BeDe; ànUTel T11v c5{K11V. (ep. 13, t. 1, p. 41-42). 30. ep. 15, éd. Loenertz, t. 1, p. 43: "EfJpcp c5t vvv manep LKaJlavc5pcp Ti'je; 'OJl1jpov c5eï JlOVarKi'je; ( ...) c5t TroV 1l'lnTOVTCùv qJovoe; nOÂûe; JleTà TOV peVJlaTOe; Ëppel. TOlOVTOle; Kai TOV TIJlÉTepov lWTaJlOV àn1jyyeÂÂov KeKOaJli'jaBal fJÉÂTlOV fi Toïe; napaneqJvKoar c5Évc5pear Kai 'l'aïe; JleTà TOVTCùV àJlnÉÂOle;. 31. Cantacuzène, IV, cap. 39, Bonn III, p. 285-86. 32. On pense plutôt à Macbeth (III, sc. iv, 135-37): . .. 1 am in blood Stepp'd in sofar, that should 1 wade no more, Returning were as tedious as go o'er.
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alliance turque en présence de témoins et mieux encore une alliance qui aurait mis fin à l'existence de l'empire et aurait perdu tous les chrétiens byzantins.
*** Il faut dire que dans les apologies et les lettres officielles, écrites par Cydonès ultérieurement, il n'y a pas une trace des tourments que lui auraient causés l'emploi de forces turques et l'effusion de sang qui en avait résulté. Ses trois Apologies n'ont d'autre but que la défense de ses sympathies catholiques et de sa conversion au catholicisme. 33 La correspondance de Cydonès vaut une mise au point. Il ne faut pas perdre de vue qu'elle consiste en deux catégories toutes différentes. D'un côté il y a des lettres "officielles", au nombre de 319, choisies et copiées par Cydonès lui-même et réunies par lui en un corps. Ces lettres datent presque toutes de la deuxième moitié de sa vie. Une seule d'entre elles est adressée à Cantacuzène, elle contient des objurgations à se désister du palamisme. 34 Dans les autres lettres de cette catégorie Cantacuzène est à peine nommé. 3s D'autre part nous avons une collection des lettres rassemblées par des savants modernes, trouvées dans les bibliothèques et les archives. Ces lettres datent pour la plus grande partie d'une période antérieure. 36 On voit quelle a été la cause de cette répartition. 33. Les apologies ont été éditées par G. Mercati dans Notizie di Procoro e Demetrio Cidone, Manuele Caleca e Teodoro Meliteniota, Vatican 1931 (Studi e Testi 56), p. 359-435. 34. ep. 400, éd. Loenertz, t. 2, p. 355-56. Cydonès y déplore la publication ainsi que l'insignifiance intellectuelle du traité de Cantacuzène contre Prochoros (le frère de Cydonès). 35. Les lettres 71 et 241 (éd. Loenertz, t. 1, p. 102-2 et t. 2, p. 144-45), adressées respectivement à Asanes et à Matthieu Cantacuzène, contiennent encore des passages élogieux sur Cantacuzène. 36. La source pour la correspondance officielle est le Vaticanus Urbinus 133 (U), une copie fidèle du Vatican us graecus 101 (A), qui est mutilé. Les autres lettres se trouvent surtout dans le Burneyanus 75 (B) et l'Oratorianus (0). Voir l'introduction de Loenertz à son édition, p. II-V.
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Dans la correspondance officielle Cydonès se présente comme un homme tout d'une pièce, qui n'a jamais changé d'opinion. Tous les souvenirs désagréables des temps passés sont supprimés. Il évoque sans doute ses tourments d'esprit, mais ceux-ci concernent les calamités dont sa patrie a été frappée et presque toujours ils vont de pair avec des lamentations sur les conquêtes turques. Il ne parle que rarement de péchés de nous tous comme cause de la situation malheureuse de l'empire. 37 Et nulle part on rencontre des remords de sa propre participation aux événements douloureux du passé. Bien au contraire. Sa vie passée a été sans tache. Certains, cependant, ne se laissèrent pas prendre à ces protestations d'innocence. Nous le savons par une lettre de la deuxième catégorie, probablement écrite vers 1375 et adressée à Jean Paléologue, où Cydonès se défend contre des insinuations de la part de certains courtisans: (l'empereur a défendu Cydonès de se rendre à Mitylène) ... tant d'autres se sont même rendus chez les Turcs, se sont unis à eux contre vous, ont festoyé avec eux, leur ont fait des cadeaux et en ont reçu puis sont revenus, sans se cacher; et personne, au moment de leur départ, ne les a retenus, ni blâmés à leur retour, ni taxés d'infidélité, ni cru qu'ils méritaient d'être notés d'infamie. A moi on ne permet même pas d'aller chez un Chrétien (...) Qui donc a jamais pu m'accuser de fautes aussi graves? Est-ce qu'on craint, pensant au passé, que je nuirais à vos affaires? Il faut, j'imagine, attendre avec confiance l'avenir en jugeant d'après mon passé, mes actes ne m'ayant pas condamné. Si donc, dans ma vie passée j'avais eu le front de commettre quelque acte semblable (c'est-à-dire condamnable), qu'on me le présente! (...) Mais si jusqu'à présent ma vie s'est écoulée sans blâme, au moins quant à ma conduite envers vous, pourquoi suis-je suspect aujourd 'hui? Quoi! Dans ma jeunesse j'ai été sage et je me serais gâté avec l'âgef3 8
*** 39. ep. 309, éd. Loenertz, t. 2, p. 233; ep. 436, t. 2, p. 394. 38. ep. 117, éd. Loenertz, t. 1, p. 155-57. Nous avons emprunté la traduction en grande partie à Cammelli, nr. 38, p.102-03. ·AÂ.Â.· OIU:OÇ oÎJôt rrov
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On a toujours hautement loué le discours de Cydonès connu sous le titre De Admittendo Latinorum Subsidio, mais à la lumière de sa carrière au service de Cantacuzène c'est un document scandaleux. 39 Cydonès rappelle à ses compatriotes que seuls les barbares turcs menacent l'empire de ruine. Il ne veut parler que des pertes subies pendant les dernières quarante années. Il se tait pourtant entièrement sur la guerre civile, donnant ainsi une fausse idée des circonstances dans lesquelles ces pertes ont eu lieu. 40 Suit une criKOlvorarwv Dr, rourwv Kai 1CiiCJl avyxwpovlJévwv JjDvV1j811v rVXEiv, Kairol 1Coililoùç iaIJEV 1CPOÇ roùç TOUpKOVÇ Kai a1CODl1IJJjaavraç, Kai Karà aoü aVYYEVoIJéVOVç tKE:iVOlÇ Kai avvDEl1CV1jaavraç, Kai Dropa 'l'à IJtv D6vrai; 'l'à Dt ilafJ6vraç cpavEproç t1CaV1jKovraç oûç oUDEiç our' a1Cl6vraç tKlù.:lvaEv, our' t1Cavloüalv tIJéIJlJlaro, oUDt 1CpOJjVEYKE a 1Claria V, OUD' aTlIJiaç açiovç 1)yJjaaro . tIJoi Dt 1Capà XplaTlaVOV acplKéa8al, Kai aOl cpiilov rE Kai EUVOVV, 11Klara aVYKExroPl1ral ( ...) fi riç 1Cro1C08' ÉrEpoç rOlourwv KaKrov rov tIJOV fJiov ypalJlalJEVOç dilE; Kai Déoç IJr, rrov 1Cporépwv aVaIJV71a8Eiç fJilafJoç roiç aoiç 1CpaYIJaal yéVWIJal; ..1Ei yàp DJj1COV ràç rrov IJEilil6vrwv 1C{arElç tK rrov 1CapEill1ilv86rwv ilaIJfJavElv, orav TlÇ OUK a1Co rrov 1CpaYIJarwv ailiaKl1ral' Ei IJtv roivvv t1Ci roü cp8aaavroç fJiov rOloür6v ri IJOl rEr6ilIJl1ral, Éarw 1Cprorov IJtv tKEivo, 0 Dé TlÇ vüv IJaVrEUEral DEurEpov, Kai KailE:irw IJE 'Duavovv 0 fJovil6IJEVOÇ a1C' tKE:iVOV' Ei tKEivoç IJtv IJéXPl vüv avéYKill1rOÇ ÉIJElVE, yE Eiç aé, 1CroÇ av ÉXEl il6yov 1) vüv V1ColJlia; Ou yàp DJj1COV tv VE6rl1'l'l IJtv t1ClaraIJl1V aWCPPovEiv, rfjç Dt 1)illKiaç 1Cpoi'oual1ç DlEcp8apl1v rr,v yvroIJl1V.
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39. PO 154, col. 962-1008. 40. col. 964 sqq. Dans ces pages Cydonès suggère que les provinces byzantines suivantes avaient été perdues au cours des quarante années qui venaient de s'écouler: la Bithynie, l'Ionie, la Carie, la Pamphilie, la Phrygie, la Paphlagonie, bref toute la partie de l'Anatolie byzantine en réalité déjà conquise par les Turcs vers 1300. Il continue: et alors je ne parle pas de la Thrace et de la Rhodope, de la Thessalie et de la Macédoine (col. 964 C-D). La témérité des barbares (sc les Turcs) était arrivée à son comble quand ils traversèrent l'Hellespont, commençant la conquête de la Thrace (col. 965 C). Cydonès reproche à ses compatriotes leur impuissance, voir leur insensibilité en face de toutes ces calamités (col. 965 D-968 B): Taüra ro{vvv Ei IJtv OUK acp6pl1ra TlÇ 1)YEiral Kai roiç 1CE1Cov86alv oux {Kavà Karà rrov JjDlKl1K6rwV opyr,v Kai 1CapOçVaIJov tIJ1ColfjaUl, 8avIJa(w roürov tyciJ rfjç Eiaa1Cav availYl1aiaç Kai OUD' av8pw1CiV71Ç cpJjaalIJ' av aurcp IJErEival IJIVxfjç. Ti yàp av Eil1 ilOl1COV V1Ctp orov TlÇ aIJvvEiral, Ei raüra IJr, DaKvEl; "H rourwv aVEx6IJEvoç, rivaç av rlç IJlaJjaElE DlKal6rEpov; La fausseté de
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tique des alliances serbes et bulgares. Ces peuples sont trop pauvres et trop mal organisés pour être d'utilité aux Byzantins. En outre ils essaient toujours de s'emparer des territoires appartenant à l'empire. 41 Mais voilà que Cydonès entonne un chant de louange sur les nations occidentales. En réalité elles n'ont jamais été moins avides de territoire byzantin que les nations slaves. Par conséquent tout ce que Cydonès dit d'elles est de pure invention. Les croisés en Syrie et en Palestine auraient rendu aux Byzantins les villes prises par les infidèles, sans demander de récompense. Grâce à eux les Grecs en Asie auraient récupéré la liberté politique et religieuse. 42 Cependant, les Byzantins se sont toujours montrés ingrats à leur égard, leur nuisant de toute manière. 43 Ainsi il en vient à parler du bienfait le plus récent que les occidentaux ont procuré aux Byzantins:
Ceux qui ont attaqué Smyrne il y a peu de temps, occupant le port, où était réunie la flotte entière des barbares qui avait dépeuplé notre pays; ceux qui ont tué le barbare qui y défendait les murs de la ville et du vivant de qui on devait attendre tous les malheurs - d'où venaient-ils et pour qui? Ni les Scythes, ni les Mysiens auraient osé une telle entreprise. Mais eux venaient juste pour nous aider. Et bien, ils venaient des Alpes. Vous savez tous quelles vagues de malheur nous ont été portées
tous ses dires n'a pas pu échapper à ceux qui écoutaient ou lisaient le discours. Il nous semble impossible que personne ne se soit rendu compte du rôle joué par Cydonès lui-même pour favoriser les invasions turques. Voir plus loin, note 59. 41. ibid., col. 972 C-977 A. 42. ibid., col. 980 C-D. 43. ibid., col. 980 D: Tivee; yap eialv Dl J.léXPI Lupiae; Kaz naÂala'riVT/e; untp T,J.lrov roDe; f3apf3apoue; tSloJKovree; Kaz tSéKa J.ltv J.lUplaar veKprov 1'0 nepz rov 'OpOV1'1]V netSiov KaÂVIJfavree;, T,J.liv tSt npoiK' ànotSetSroKoree;, lie; àqJ1.1p7]J.le(Ja noÂele; . Kaz roDe; J.ltv novoue; avrrov nOIT/aaJ.leVOI, rà tS' a(JÂa roie; T,J.lerépOle; tSetSroKoree; Kapnova(Jar, 1'17V tS' ÈÂeu(Jepiav Kai r1jv evaef3eiav miar roie; r1jv 'Aaiav oiKovarv "EÂÂT/arv roanep 1'lva qJuyatSa Karayayovree; . Kaz ravra rrov ev naaxovrrov ovtSt xaplv avroie; rfie; evepyeaiae; eitSorrov, àÂÂà Kaz nOÂeJ.lelv OVK oKvovvrrov Kai navra rponov KaKOVV1'rov rove;, onep J.l1j rav(J' T,J.leie; uno rrov nOÂeJ.lirov nela0J.le(Ja, navra nOleiv ÉÂoJ.lévoue;;
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par le port de Smyrne. Combien de sacrifices en hommes et en argent ont-ils fait et font-ils encore chaque année? Ce sont eux qui ont couru les dangers, le gain a été pourtant pour nous, qui n'avions pas remué par impuissance. 44 Cydonès ajoute qu'il n'y avait pas d'esclaves italiens à Ephèse et à Magnésie, mais seulement des esclaves byzantins. 45 Il est· clair que Cydonès parle de la croisade contre Smyrne, commencée en 1343. Le barbare de Smyrne est donc Umur, qui avait assuré la victoire aux cantacuzénistes. Vingt ans plus tôt Cydonès avait chanté ses louanges. Les desseins des croisés étaient tout autres que ceux que Cydonès leur attribue. Ils combattaient la piraterie turque afin de protéger la navigation des nations occidentales dans la Mer Egéenne. Ils ne se souciaient aucunement du sort de Byzance. On répondit à une délégation de citoyens de Philadelphie envoyée à cette époque à Avignon afin d'implorer du secours, que les Byzantins devaient commencer par abjurer leur hérésie; ils feraient mieux de penser à leur salut éternel qu'à leur profit matériel ... 46 Cydonès arrive enfin au sujet véritable de son discours. Le 44. ibid., col. 981 A-B: Oi 8' o)dycp npoTepov 7:71V L/lUpVaV KaTa).,afJovTeç Kai TOV ).,l/lÉva /ltv Ka Taaxovr:eç, OV Tà niiaav 7:11V ~/leTÉpav àO{KTlTOV nenOlTlKOTa n).,oia nov fJapfJaprov aVVTIBpo{~eTo, TOV 8t fJapfJapov aVToBl npoç Toiç Telxeal /laxo/levov KTelVaVTeç, ov ~cOVTOÇ ov8tv TcOV KaKcOv àvÉ).,maTov J]v, noBev WP/lâ'Jvr:o Kai ûal xapl~O/leVOl TOUTO &no{ovv; OUTe yàp LKVBcOv Tlveç fi MvacOv Tà TOlauTa &TO).,/lroV OUT' a).,).,Olç n).,Tjv ~/lcOV fJOTlBrjaovTeç J]KOV. Oi ye yàp &).,BOVTeç &K TcOV "A).,nerov én).,eov. Kai 0 TroV L/lVpva{rov ).,l/lTjV raTe naVTeç ola niialv ~/liv iiyelpe KU/laTa. lloaov 8' vntp TOUTOV Kai aro/laTrov Kai XPTl/laTrov nM'iBoç Kai npoTepov àVTI).,ouaBal 80KûTe Kai vuv àva).,ouaBal KaT' éTOÇ; llavTroç âv éaTTI Kai nTlyàç éxov àpxrjv. KàKelVroV /ltv ol Klv8vvol Kai Tà àva).,W/laTa . ~/liv 8t KaBTI/lÉvOlÇ Tà &vr:euBev npoaylveTal KÉp8T1. 45. ibid., col. 981 C: ... ovB' evpOl nç âv ']Ta).,lKov àv8pano8ov &V 'EcpÉacp Kai MaYVTIaIÇl, à)"),, ~ ~/leiç &a/ltv ol 8ov).,euovTeç navTaxou . vntp WV &KeivOl napoçvvBÉvTeç, oMyalç TplrjpealV &mn).,euaavTeç, KaTÉ).,afJov TOVÇ fJapfJapovç eiKOal Kai tKaTov n).,olOlç àv8pano8l~O/lÉVOvç 7:71V "]/lfJpov. 46. E. Déprez, Innocent VI (1352-1363), Lettres closes, patentes et curiales, Paris, s.a., nr. 38, p. 22-25.Cf Lemerle, L'émirat d'Aydin ... , p. 236-37.
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comte Amédée VI de Savoie, l'un des chefs désignés d'une croisade générale qui avait été annulée définitivement par le pape Urbain V le 6 janvier 1366, avait organisé une croisade "privée" pour se dédommager de ses attentes de profit. Pour des raisons diverses il se dirigeait vers les Balkans. 47 Cydonès était tout à fait au courant des projets des puissances occidentales. Dans une lettre de 1364 il s'était montré très sceptique à l'égard de la croisade générale. 48 Mais voilà qu'Amédée conquérait en très peu de temps Gallipoli sur les Turcs (août 1366); C'est pour Cydonès tout d'un coup une raison de louer hautement les prouesses des armées de l'Occident. Il élève maintenant jusqu'aux nues la politique des puissances occidentales en général; le tout, croyons-nous, en vue de ses intérêts personnels, lesquels auraient été grandement servis par un renforcement de l'influence occidentale en Orient, en l'aidant à se maintenir comme catholique dans le milieu byzantin (v. plus loin). A vrai dire, il continuait à espérer qu'un jour les puissances occidentales viendraient en aide à Byzance. Il ne voulait jamais plus des Turcs. _ Le changement de l'attitude de Cydonès à l'égard des masses populaires est encore plus surprenant que son éloignement à l'égard des Turcs. On pourrait dire qu'il s'agit en ce cas d'une évolution inverse. Un certain rapprochement s'est accompli. Il se demandait de plus en plus si la soumission aux Turcs signifierait vraiment un grand changement pour le peuple, compte tenu de sa situation actuelle. Quand dans les années '80 Thessalonique fut assiégée par les Turcs, Cydonès conseilla à son ami Rhadenos de quitter la ville avant qu'il ne soit trop tard. On sait par expérience, écrit-il, ce que les Turcs font des villes qu'ils ont prises: ils les dévastent et les dépeuplent ou bien ils commettent envers la population les atrocités les plus horribles. Ceux qui ont consacré leur vie aux Â6YOl et à la nalôeza doivent fuir encore plus que les autres, puisqu'on ne peut pas cultiver les lettres et la philosophie 47. Le comte était un cousin de l'empereur byzantin. Il lui semblait que des conquêtes dans ces contrées seraient plus faciles à faire qu'en Palestine. Voir E.L. Cox, The Green Count of Savoy. Amadeus VI and Transalpine Savoy in the XIVth Century, Princeton 1967. 48. ep. 93, éd. Loenertz, t. 1, p. 126-28 (Cammelli, nr. 13, p. 29 sqq).
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sans liberté. Quant aux masses populaires, c'est autre chose: On ne peut reprocher au 7rÀ:ij8oç de vouloir rester sur place et supporter l'esclavage, puisqu'il est accoutumé de temps immémorial à une vie de servitude et de misère. 49 Vers 1373 Cydonès adressait déjà une lettre à un dignitaire aulique à Constantinople dans laquelle il condamnait l'exploitation des pauvres par les fonctionnaires impériaux. Il n'y voit pas seulement injustice, mais aussi imprévoyance politique. Les pauvres constituent la vaste majorité des citoyens. Leur ruine entraîne donc la ruine de l'Etat. Cydonès craint la révolte des pauvres. S'imaginant que les ennemis sont moins cruels que leurs maîtres, ils passeront peut-être aux Turcs, remplissant la ville de pillages et de tueries, au lieu de contribuer au maintien de l'Etat. 50 Le même ton se fait entendre dans une lettre à l'empereur Manuel II Paléologue, à l'occasion du siège de Thessalonique par les Turcs (1383-88):
Dieu nous accordera peut-être la délivrance, si seulement nous persévérons dans la piété, si nous nous conduisons avec modération et en bons citoyens envers nos sujets et que nous 49. ep. 332, éd. Loenertz, t. 2,p. 264 (Cammelli,nr. 31, p. 89):L'vrrVWJl71 f>t Kai d nv~ç roù 1l'À.Jj8ovç {3oVÀ.718û~v auroù JlÉV~lV Kai rijç f>ovÀ.Eiaç àVÉx~a8al, U1l'D f>~a1l'6ralç avw8~v 6vr~ç Kai rfi raÀ.al1l'wp{q. avv~l8laJlÉvol ... Cydonès continue: et puis les masses populaires, à cause de leur ignorance, ne prévoient pas les maux qui les attendent (tiJla f>t f>l' à1l'arf>~va{av Jl71f>t f>vVciJl~VOl rà KaraÀ.7111f6Jl~va rourovç KaKà 1l'pOrlVwaK~lv).
Cette considération rehausse encore l'élément d'insincerité dans la remarque précédente, laquelle suggère d'une manière odieuse que la population aurait pu s'éloigner si elle avait voulu. Tout cela n'empêche pas que, dans la lettre citée, il se fait jour une certaine pitié à l'égard du peuple que nous n'avons trouvée nulle part ailleurs dans la littérature de l'époque. 50. ep. 114, éd. Loenertz, t. 1, p. 152-53. Cydonès écrivit cette lettre au moment où toute la Thrace était déjà conquise par Murad. Il est donc permis de conclure du passage cité que les masses ne passèrent pas aux Turcs. Cydonès en aurait certainement fait mention. Ce sont des masses de Constantinople et de Thessalonique dont il se méfie. La population de la Thrace fut en grande partie déportée en Anatolie. Voir Ostrogorsky, Staat, p. 443; F. Babinger, Beitrage zur Frühgeschichte. der Türkenherrschaft in Rumelien (14-15 Jht) Brünn/Munich/Vienne 1944.
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utilisons rEtat non pas pour l'avantage particulier de quelquesuns, mais avant tout dans rintérêt général. 51 Les craintes de Cydonès ne se confirmèrent pas. Les masses populaires ne firent nulle part cause commune avec les Turcs. Apparemment elles se rappelaient mieux que Cydonès ce qui les attendait sous la domination turque. 52 L'histoire se répétait d'une autre manière qu'il ne l'avait prévu. L'élite se divisa comme au temps de la guerre civile et de nouveau les partis invoquèrent le secours des Turcs. 53 Cydonès s'en indigna, déplorant surtout les inimitiés au sein de la famille impériale. En 1391 il écrit à Théodore Paléologue, despote de Mistra:
51. ep. 299, éd. Loenertz, t. 2, p. 218 (Cammelli nr. 48, p. 124): ... 0 K'ai r,j.lïv iacoç &oaEl BE6ç, av j.l6vov, o8iK'alOV, TT}V j.lÈv EuaE{JEiav rl1PWj.lEV aur(jJ, roïç 8' vqJ' r,j.làç j.lErp{coç K'ai 7l'OÀ.lTlKWÇ Oj.llÀ.Wj.lEV K'ai roïç 7l'apEj.l7l'{7l'rOval rwv 7l'payj.lurcov OUX mç av TlVEÇ i8{fl. (JEpa7l'EVOlVrO XPWj.lE(Ja, àÀ.À.' roç av 7l'PD 7l'uvrcov rD KOlVDV wqJEÀ.oïro ... Sur ces années voir G.T. Dennis, The Reign of Manuel II Palaeologus in Thessalonica, 1382-1387, Rome 1960. 52. Il est clair que les habitants de Thessalonique ne se sont pas insurgés ouvertement contre Manuel, le chef de la résistance contre les Turcs. Cependant, plusieurs notables avaient désapprouvé le combat, refusant de faire des sacrifices. Après la prise de la ville en 1387 Cydonès se montra très content de la conduite de la population, disant que seule la faim la contraignit à se soumettre à l'ennemi (ep. 332, éd. Loenertz, p. 264). L'empereur Manuel ne partagea pas cette opinion. Il savait très bien que parmi l'aristocratie des traîtres avaient continuellement intrigué contre lui (ep. 67, éd. Dennis, p. 187). Cf Dennis, op.cit., p. 85-88. Pendant le dernier siège par les Turcs (1423-30) les masses devinrent apathiques. Elles souffraient de faim et de soif au point de désirer ardemment la fin du siège comme une délivrance (les riches disposaient eux toujours de provisions considérables). V. la relation de Symeon, métropolite de Thessalonique, dans D. Balfour, Politico-Historical Works of Symeon, Archbishop of Thessalonica (1416-7 to 1429), Vienne, p. 55-56 (trad. p. 157-58). 53. Sur cet épisode v. P. Charanis, The Strife among the Palaeologi and the Ottoman Turks 1370-1402 dans Byzantion 16(1942/3), p. 286-3145. Pour la période en général Ostrogorsky, Staat, p. 440-56; J.W. Barker, Manuel II Palaeologus (1391-1425). A Study in Late Byzantine Statesmanship, New Brunswick/New Jersey 1969.
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L'ancien mal destructeur, la lutte des empereurs (Manuel Il et Jean VII) pour l'ombre de la puissance, ne cesse plus. Tous ceux qui s'y mêlent, sont contraints de servir les barbares pour ne pas perdre haleine. On sait que seul gouvernera celui qu'ils soutiennent. Ainsi les empereurs sont devenus leurs esclaves ... S4 Après la prise de Thessalonique (1387) Cydonès déconseilla avec insistance à son ami Rhadenos de suivre Manuel Il, qui s'était rendu chez Murad:
Prends garde à toi, ne trahis pas ton honneur ni ta liberté et, bien entendu, ton âme à laquelle tu nuirais en premier en vivant avec les Turcs. Il n) a rien à gagner chez les impies, des ennemis qui profitent de notre misère. Comment peux-tu supporter la vue de ceux qui ont dévasté ta patrie, réduit en esclavage tes parents et tous les autres qui te sont chers; qui ont jait de toimême un vagabond et un expatrié? Quelle personne de bon sens peut espérer des esclavagistes la liberté? Il est insensé de penser (... ) que la ruine de tous peut nous sauver personnellement. 55 54. ep. 442, éd. Loenertz, t. 2, p. 407: MévEl Dt npoç rovrOlç Kaz ro àpXaiov KaKOV Kaz 0 ncivra à nWÀEaE v, 1] T(OV {3aarÀüJJv nEpz rou rfjç àpxfiç ravT11ç EiDWÀOV DlXOVOlU Kaz ro Dlà raVTTlV àJuporépOlç àvciY K17 V ElVal 8EpanEVElV rov {3cip{3apov, chç ovrw youv JlOVWç tvov àvanvEiv . onorépcp yàp av npoa80lro, rourov Ev8vç TOU ÀOlnou KpaT."aElV nciVTEç OJloÀoyouarv . cOaT' àvciYK17 npo rrov nOÀlrrov rovç f3aarÀéaç aVTovç tKElVcp DOVÀEVElV Kaz ~fjv npàç ràç tKEivov napaYYEÀiaç . Kaz VUV aJlqJw no {3aarÀéE tKcirEpoç JlErà TfjÇ nEplÀElqJ8Eia17ç DVVliJlEWÇ KEÀEva8évrEç €novrUl rovrcp, ràç tv tPpvyiÇJ. Kaz llovrcp nOÀElç avvEçalpouvTEÇ avrcp ... 55. ep. 355, éd. Loenertz, t. 2, p. 298: av8pwnE, qJEiaUl aavrou, Kaz Jlr, rr,v TlJl"'V rE éiJla Kaz Tr,V tÀEv8Epiav npoDcpç OKVro yàp EinEiv rr,v lJIVX"'V, ijv npwr17 V {3ÀcilJlElÇ r'fi avvovaiÇJ. TlOV TOVpKWV. OVK ÉaTlv 6vaa8ai Tl rmv àaE{3mv, OVK ÉaTl rmv nOÀEJl{WV, OVK ÉaTl rmv àno rmv 1]JlErépwv aVJlqJopmv 17 vç17JlévwV. llroç OlJlEl TOVÇ àvaaT"'aavrciç aOl rr,v narpiDa; llmç rovç rr,v avyyévElUV Kaz rovç qJlÀrcirovç DovÀwaaJlévovç, nmç rovç nÀavTjr17v Kaz anoÀiv aE tpyaaaJlévovç; "H ri av TlÇ napà rmv àVDpanoDlarmv tÀEv8Ep{aç l tXOJlEVOV vouv ÉXwv tÀniaal; Ma via, Jlr, {3ovÀEa8al aWqJpovEiv, Toaovrwv 1]Jliv rfjç tKElVWV V{3PEWÇ tarwrwv napaDElYJl ci rwv, àÀÀ' oiEa8al rovç KOlVOVÇ oÀé8povç K17DEJlOVaç Kaz npoçévovç 1]Jliv ÉaEa8Ul aWT17piaç.
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Le revirement de sa pensée se montre achevé dans une des ses dernières lettres, écrite en 1391 à Constantinople et adressée à Manuel II, qui se trouvait alors chez les troupes de Bayezid en campagne en Anatolie. Déplorant le séjour de l'empereur chez les barbares, Cydonès en vient à parler des troubles dans la capitale bloquée par les Turcs. Il s'indigne surtout de l'élite, qui, de manière sanglante, réprime la juste colère du peuple:
Au moment qu'un tel malheur afflige la ville et, bien entendu, ses habitants, ceux-ci, au lieu de s'unir, prennent les armes les uns contre les autres. Il est impossible de corriger ceux qui nagent jusqu'à présent dans le mal et attribuent toute la misère actuelle à la rébellion. En vérité l'indigence des masses et l'opulence injuste d'un petit nombre.doit exciter, chez les pauvres, l'envie à l'égard des possédants. Si la pauvreté s'accroît et l'insatiabilité des riches reste impunie, il peut bien arrriver que les rôles des deux partis soient renversés (les excès ne durant jamais longtemps). Le pire est la faim qui frappe sans distinction. Si elle commence à affliger les gens aisés, elle détruit les pauvres. D'ailleurs elle pousse les indigents à l'attaque contre les gens fortunés. La faim fomente les luttes intestines, car on ne saurait imaginer les masses tolérant que d'autres se bourrent quand, elles, doivent se mettre au lit affamées. Les puissants, à leur tour, inquiets pour leur sort, s'apprêtent à repousser ceux qui leur dressent des embûches. 56 56. ep. 432, éd. Loenertz, t. 2, p. 390: "0 noaov KaKov Taic; noÂt:arv Kai eStoc; 'mic; nOÂlTaic; ÈJ1.f3aÂÂov Kai T1'1V nOÂlv aVTi J1.lac; nOÂÂàc; TauTac; Èpyat;t:Tal Èn' aÂÂTlÂovc; TWV qJiÂmv DnÂlt;oJ1.tvmv, J1.aTalOv eSleSaaKt:lv TOÙC; J1.tXPl VVV ÈvvtovTac; Tep KaKep Kai nov napOVTmv eSt:lVWV J1.0VOV T1'1V aTaarv aiTlmJ1.tvovc;. Kai J1.r,v Kai 1] nov J1.tv nÂt:iaTmv lveSt:la TWV eS' oÂiymv aeSlKoc; nt:plTTOTl1C; J1.tXPl J1.tv VVV TOÙC; ÈveSt:t:iC; ToiC; lxovarv avayKat;t:l J1.0VOV qJ(}ovt:iv. ''A v eSt ToiC; J1.tv 1] nt:via auçl1Tal, ToiC; eSt TO anÂl1aTOV ov KOÂat;l1Tal, eStoc; J1.r, npoc; TovvavTiov Tà Tfic; TUXl1C; aJ1.qJoiv aJ1.t:iqJ(}1J . TO yàp ayav OVK È(}tÂt:l J1.tXPl noÂÂov napaJ1.tVt:lV. llUJ1.aTOV eSt KaKov 0 ÂiJ1.0C;, ifeSl1 J1.tv navTmv 1]J1.J1.tvoc;, J1.aÂÂov eSt TOÙC; J1.tv deSpOTtpOVC; r,PYJ1.tvoc; Âvnt:iv, TOÙC; eSt ntV17Tac; Kai ÈKTpif3mv, av eS' ÈmTa(}fi ÂaJ1.npWc; Kai ToiC; t:vnopOlC; J1.t:Tà TWV anopwv Èm(}l1a0J1.t:VOC; Kai naVTac; KaT' aÂÂTlÂmv m(}Tlamv, Ènt:i J1.11eSt eSvvaTov aÂÂmv ÈJ1.mnÂaJ1.tvmv OUTt: TOÙC; nOÂÂOÙC; avtçt:a(}ar, OUTE: TOÙC; nOÂÂoùc; aVTOÙC; Èni Tr,V t:vvr,v WC;
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Dégoûté sur ses vieux jours du spectacle que lui présentait le milieu byzantin où il vivait, Cydonès se retira plusieurs fois en Italie. La nostalgie l'empêcha d'y rester, mais il trouva enfin à l'île de Crète un refuge dont l'atmosphère n'était pas trop différente de celle de sa patrie et où il pouvait vivre en toute tranquillité selon ses convictions catholiques. L'empereur Manuel l'accusa de désertion. 57 Cydonès lui avait écrit auparavant qu'il ne pouvait plus être d'aucune utilité à l'Etat byzantin. 58 En outre, son catholicisme l'isolait entièrement.
*** Nous avouons que nous sommes en difficulté pour porter un jugement définitif sur la personne de Cydonès. On ne peut douter de la sincérité de sa conversion au catholicisme puisqu'elle ne lui a causé que des ennuis qui ne l'ont pas empêché de persévérer dans la foi. D'autre part il est certain qu'il n'était pas sincère en attribuant aux puissances catholiques de son époque un désintéressement allant à l'encontre de tout ce que nous savons de leur politique. Nous ne pouvons nous empêcher de soupçonner du calcul dans son soutien, à une époque ultérieure, des activités des puissances occidentales en Orient. Aurait-il espéré un jour pouvoir rompre son isolement et devenir une espèce de "Gauleiter" (sil venia verbo) d'un empire byzantin à la merci d'une coalition d'états catholiques? Si ce n'est qu'un soupçon, il n'est toutefois pas sans fondement. 59 lrt:lvrovraç iéval Kai rovç ôvvarovç àvaYK17 'l'aura qJvÀarroJ.lévovç 7r6ppm(}~v rovç e7rlf3ovÀ~vaovraç ~ipY~lv. 57. ep. 36, éd. Dennis, p.62. Voir Barker, op.cit. supra, note 53, p. 418-19 .... at ôi] Àéym 'l'av ri]v àÀÀorpiav (}éJ.l~vOV 7rpa rfiç 7rarpiôoç, rynvl Kai finç a~ 7rÀ~ov~Krouaa vvv tX~l, f3017(}~iv 7r~lpiia(}Ul 7raaalç J.l17xavaiç à~lOi' 0 a~ mivrmç ÀaJ.l7rproç eÀéYX~l J.li] ri]v eV~yKaJ.léV1Jv wç xpi] qJlÀouvra. M17ôt yàp oiov r{j) ravr17v eKrpaycpôûv t~m f3~Àrov a~ Ka(}rjJ.l~VoV rfiô~ 'l'à ylyv6J.l~v· à7ro7rÀ17POVV, àÀÀà ôûv a~ KaKroç 7rparrovau rrov r~ Klvôvvmv J.l~pir17V elval Kai tpYOlÇ âç ÔVVaJ.llV f3017(}~iv, ~i ri aOl J.léÀ~l ô~i~al 'l'av arpanciJr17 v À~l7rora~iov ypaqJfiç v"'17À6r~pov.
L'empereur l'avait déjà admonesté souvent de ne pas quitter la patrie. 58. ep. 309, éd. Loenertz, t. 2, p. 233. 59. Si Cydonès avait l'habitude de décrire des événements historiques
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Quant à la contradiction flagrante entre son attitude accommodante à l'égard des Turcs pendant la première période de sa vie et sa haine pendant la seconde moitié, il est possible qu'encore une fois il s'agit d'une conversion. La manière dont il a escamoté ses opinions et ses activités quant à la période où il était solidaire de Cantacuzène, n'est pourtant pas admirable. Toutefois, on peut dire qu'il n'a pas commis la bêtise des personnages passés en revue jusqu'ici, en plaçant côte à côte des énoncés qui s'excluent l'un l'autre. Il a été sans doute plus intelligent que ses compatriotes contemporains. Mais une autre contradiction découle de cette constation. S'il est vrai que le style c'est tout l'homme, comment expliquer qu'un homme intelligent et sincère a utilisé un style sinueux et ridiculement hyperbolique, souvent chaotique, qui fait d'une manière très subjective, en les enveloppant en outre - en accord avec la tradition byzantine - de circonlocutions rhétoriques les rendant quasi méconnaissables, on ne peut pas dire qu'il était enclin à falsifier tout bonnement l'histoire. C'est pourtant ce qu'il fit dans l'oraison De Admittendo Latinorum Subsidio. Présenter les activités politiques et militaires des puissances de l'Occident comme des exemples d'un altruïsme surhumain, c'est déjà aller à l'encontre de toute véridicité. Mais en outre il faut constater qu'il se réfère à des événements ayant eu lieu récemment, de sorte que ses auditeurs ont dû remarquer tout de suite qu'il faisait violence à la vérité d'une manière excessive. Et comment l'empereur et les hauts dignitaires de l'empire ont-ils pu tolérer être humiliés par une exhortation à la gratitude envers les puissances occidentales? Elles qui depuis des siècles n'avaient fait que s'emparer des territoires byzantins? Comment auraient-ils avalé sans broncher l'accusation de n'avoir pas reconquis eux-mêmes, par lâcheté ou impuissance, des villes ou des territoires perdus, et de se les faire ensuite restituer par leurs supérieurs, guerriers plus valeureux? Bref, nous sommes portée à croire que Cydonès n'a pas prononcé le discours en question devant l'empereur et son entourage, mais que ce playdoyer en faveur des puissances catholiques de l'Occident fut écrit par l'auteur pour se rassurer lui-même. Il trahit le désir d'être du côté des occidentaux, ce qui correspond à son éloignement mental - et souvent physique - de Byzance. Si Cydonès n'a jamais fait le pas décisif, il peut avoir rêvé à une incorporation des derniers lambeaux de l'empire byzantin dans une communauté politique occidentale où il serait mieux en place que dans un empire orthodoxe, ne constituant qu'une masse de faillite du point de vue politique. Encore une fois, nous n'avançons que des suppositions, mais ce qui est sûr, c'est que Cydonès a quitté l'empire à plusieurs reprises, qu'il est allé mourir en pays "étranger" et que Manuel II l'a accusé de désertion.
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de Cydonès un des auteurs les plus difficiles à comprendre de toute la littérature byzantine? Il reste pourtant à considérer le changement remarquable de son attitude à l'égard des masses populaires; il suppose en effet un grand effort d'esprit. La haine et le mépris à leur envers au cours des années 1341-54 contrastent avec la compréhension qu'il leur manifeste lors d'une période ultérieure. Certes, Cydonès ne devint jamais un ami du peuple, chose dont on ne peut lui faire reproche. Toutefois, les documents que nous avons cités font preuve d'une certaine pitié de la misère du peuple et d'une notion des tort de ses oppresseurs, ce qui est rare, sinon unique chez l'élite de l'époque (et n'aurait pas été malséant chez le saint évêque Grégoire Palamas). Nous pourrions proposer une solution facile à toutes les difficultés mises en avant, en présentant l'esprit de Cydonès simplement comme un reflet du désarroi màtériel et spirituel de son milieu. Cela ne suffit pourtant pas à déterminer la psychologie individuelle d'un personnage aussi compliqué et exceptionnel, par ses convictions religieuses, que celui de Cydonès. Avouons plutôt que sur ce point il faut conclure par un non tiquet. Si les secrets de son âme nous échappent, nous espérons toutefois avoir réussi à comprendre sa situation historique autant que les sources le permettent.
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CHAPITRE V Un .Homme d'Eglise: Matthieu, métropolite d'Ephèse
Manuel Gabalas, métropolite d'Ephèse à partir de 1329, sous le nom de Matthieu, naquit en 1270 ou 1271 à Philadelphie. l Quand la guerre civile éclata c'était donc un vieillard. A la différence des personnages dont nous avons parlé dans les chapitres précédents, qui n'avaient pas de souvenirs distincts de la période en question ou même étaient nés plus tard, il avait été témoin, à l'âge adulte, de la conquête de l'Anatolie occidentale par les Turcs. Gabalas vécut des dizaines d'années dans sa ville natale dans un climat constant de guerre. Du grade de diacre et protonotaire, il accéda au rang de chartophylax du métropolite de son diocèse. Philadelphie fut assiégée plusieurs fois par les Turcs. Elle ne tomba définitivement entre leurs mains qu'en 1391, longtemps après la mort de Matthieu. Cette circonstance est de grande importance pour la pleine compréhension de la vie de Matthieu et requiert en soi une explication. 1. Sur la vie de Matthieu voir M. Treu, Matthaios Metropo/it von Ephesos. Ueber sein Leben und seine Schriften (Programm des Viktoria-Gymnasiums zu Potsdam, Ostern 1901), Potsdam 1901; S. Kuruses, Mavovi])" Ta{3a)"àç dra Mar(}aïoç /lT/rpo1fo),,{rT/ç 'EqJùJOv (1271/2-1355-60), A' Tà {3lOypaqJlKa, Athènes 1972. La correspondance de Matthieu est la source la plus importante pour la connaissance de sa vie. Les lettres conservées dans le Vindob. Theol. Gr. 174 ont été décrites et analysées par Kuruses, op. cit., p. 192-292, plus tard éditées et traduites en allemand par D. Reinsch, Die Briefe des Matthaios von Ephesos im Codex Vindobonensis Theo 1. Gr. 174 Berlin 1974. Les lettres qui se trouvent dans le Par. gr. 2022 ne sont pas encore éditées, mais v. la description par J. Gouillard, Après le schisme arsénite. La correspondance inédite du Pseudo-Jean Chi/as dans Académie Roumaine, Bulletin de la sect. hist. 25(1944), p. 174-211; et S. Kuruses (qui a découvert que le Pseudo-Jean
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Philadelphie (actuellement Ala~ehir) est située au pied du massif du Tmolos (Boz Dagi) dans la vallée de la Kogamo (Gediz Nehri), un affluent de l'Hermos. La ville était ceinte d'immenses ouvrages de fortification, défendant toute la superficie construite de la vallée. De nos jours, les ruines en sont toujours visibles. En outre des facteurs d'ordre géo-politique garantirent Philadelphie jusqu'à la fin du 14e siècle d'une occupation turque. Le Tmolos formait le point de rencontre des émirats de Germian, Saruhan et Aydin. Puisque les émirs de Germian étaient des ennemis jurés des émirs de Saruhan et d'Aydin, les gouverneurs byzantins de Philadelphie étaient à même de jouer les Turcs les uns contre les autres, d'autant plus qu'il y avait souvent des conflits entre Saruhan et Aydin. Les turcs de leur côté, impuissants à s'emparer de Philadelphie, se contentèrent à plusieurs occasions de se faire payer des tributs par les habitants en échange d'une trêve. De cette situation résulta un modus vivendi entre la ville et les émirats environnants. Des relations de commerce se développèrent, les textiles de Philadelphie devenant l'un des produits des plus recherchés par les Turcs. Tout cela prit fin au début de la conquête de l'Anatolie par les Turcs ottomans. Ils s'emparèrent de Philadelphie à peu près en même temps que de Germian, de Saruhan et d'Aydin. 2 Cheilas est Matthieu) op.cit. supra, p. 122-39. L. Previale a édité deux oraisons funèbres de Matthieu, dont une sur la mort de Théolepte, métropolite de Philadelphie, dans BZ 41(1941), p. 4-39. Matthieu a écrit quelques traités de philosophie morale dont la plupart n'ont pas été édités. On trouve deux de ses commentaires sur Homère chez P. MatrangaAnecdota Graeca ... , Rome 1850, p. 520-24 (= PG 149, col. 663-67) et A. Westermann, MyeOrPAlPOI, Scriptores Poeticae Historiae Graeci, Brunsvic 1843, p. 329-44. Pour notre sujet il n'est pas sans intérêt de noter que Matthieu philosophe préfère la praxis à la theorie. Il est d'opinion que l'étude de la philosophie n'a pas de sens si l'on ne voue pas sa vie au service de ses prochains. V. entre autres une lettre, adressée à son ami Nicéphore Grégoras (35, éd. Reinsch, p. 143-47) une autre lettre, adressée à Philippe Logaras (B 56, éd. Reinsch, p. 179-82) et son Discours 18, traitant des méfaits d'un mauvais capitaine ... et de la Providence Divine ... (éd. Reinsch, p. 205-20). En général les thèses principales de la philosophie de Matthieu cadrent avec son antipalamisme. 2. Sur Philadelphie voir P. Schreiner, Zur Geschichte Philadelpheias im 14.Jahrhundert (1293-1390) dans OrientaUa Christian a Periodica 35(1969), p. 375-431; H. Ahrweiler, La région de Philadelphie au XIVe siècle
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Gabalas jeune se trouva donc dans une situation qui lui permit de faire sa carrière sans être gêné outre mesure par les troubles secouant le reste de l'Anatolie. La communication avec Constantinople était toujours restée possible, même si le voyage entraînait des risques. Ainsi rien ne semblait s'opposer à son ambition de succéder comme métropolite de Philadelphie à son maître et bienfaiteur Théolepte. A la mort de celui-ci en 1322, les espérances de Gabalas s'avéraient pourtant vaines. Sa propension à l'intrigue et son ambition même l'avaient perdu. Un conflit avec Théolepte pendant les années 1310-20 nous indique déjà la voie dans laquelle il allait s'égarer. En vue de mettre fin au schisme arsénite, l'empereur avait convoqué une conférence à Constantinople (1309). Gabalas s'y présenta comme délégué de Théolepte. En 1310 on parvint à un compromis qui mit en effet fin au schisme, mais dont Théolepte, antiarsénite acharné, s'indigna. 3 Il reprocha à Gabalas d'y avoir consenti et rompit avec lui. Théolepte était un homme d'un esprit indépendant supportant mal l'ascendance du pouvoir de l'empereur et du patriarche de Constantinople. S'il se montra obstiné dans le cas présent, les torts de Gabalas n'étaient pourtant pas moindres. Il est plus que probable qu'il a tout simplement trahi l'homme auquel il devait tout. Pendant son séjour à Constantinople - le premier de sa vie, semble-t-il, - il fit la connaissance des hauts dignitaires ecclésiastiques et auliques. Cajolant les ôvvarol, entre autres Théodore Métochite, Nicéphore Choumnos et Jean Glykys, il s'introduisit grâce à leur influence dans des cercles littéraires distingués (il cultivait lui-même les lettres helléniques). Bref, Gabalas avait vraiment partie liée avec tous ceux que l'âpre Théolepte avait pris en aversion. La seule excuse qu'on peut trouver à l'attitude de Gabalas, c'est que le schisme arsénite paraissait aux
(1290-1390) dernier bastion de l'Hellénisme en Asie Mineure. dans Comptes Rendus de l'Acad. d'[nscr. et Bell. Lettr., t. 1983, p. 175-197; H. Ahrweiler e.a., Philadelphie et autres études, Paris 1984. 3. Voir V. Laurent, Les grandes crises religieuses à Byzance. La fin du schisme \arsénite dans Académie Roumaine, Bulletin de la sect. hist. 26(1945), p. 61-89; Id., Les crises religieuses à Byzance. Le schisme antiarsénite du métropolite de Philadelphie Théolepte dans Revue des Etudes Byzantines 18(1960), p. 45-54 (révisé par Darrouzès, Reg. 2003 et 2082).
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yeux de la jeune génération une chose du passé avec laquelle il fallait finir le plus vite possible. Cela n'empêche que Gabalas a manqué à la confiance que lui accordait Théolepte et qu'il continua à le trahir après son retour à Philadelphie. Entre 1310 et 1317, il adressa à de hauts personnages de Constantinople, un grand nombre de lettres écrites en faveur de citoyens de Philadelphie, venant tenter la fortune dans la capitale. 4 Gabalas s'allia même à Manuel Tagaris, gouverneur impérial de Philadelphie, ennemi juré de Théolepte. Théolepte, qui détestait Tagaris à cause de sa dureté à l'égard de la population de la ville,5 essaya de le faire relever de sa fonction par les autorités à Constantinople. Gabalas allait contrecarrer Théolepte, en prenant la défense de Tagaris auprès de ses amis dans la capitale. 6 Au cours du conflit avec son protonotaire, Théolepte ôta à celui-ci ses revenus ecclésiastiques. Alors Gabalas osa citer Théolepte devant le synode. 7 Il obtint une fin de non-recevoir. Théolepte, malgré son obstination et ses idées désuètes, était en effet
4. Ces lettres se trouvent dans le Par. gr. 2022, v. supra, note 1. 5. V. un passage du A.oyoç napazvcnKoç ... (Scor. gr. cP-III-lI, f. 223r-v). selon toute vraisemblance écrit par Théolepte (v. Laurent dans REB 18(1960), p. 50; Kuruses, op.cit. supra, p. 317-18). L'auteur y accuse les fonctionnaires impériaux en général d'une avidité excessive et de vexation envers la population, en citant Ps. 13(14), 4, comme il est d'usage dans des cas pareils (v. notre chapitre sur Palamas, p. 187 et sur Makrembolites, p. 263). Pour l'aversion de Théolepte à l'égard de Tagaris lui-même, v. infra, note 6). 6. Cela ressort de la confession de Gabalas lui-même dans son Discours 18. Il s'y montre plein de remords d'avoir aidé Tagaris et de s'être opposé à la volonté de Théolepte. Citons le passage en question (éd. Reinsch p. 211): 'AÀÀà ri Ilil ÀÉyw ra IlÛÇOV; Ta yàp r1lliiÇ t5ŒVrtvÉx8az nporcpov rcp (cpij) ÈKcivqJ t5canoru (Théolepte) ainWIlÉVqJ t5zKaiwç, on Il il noppw rovrovi rav À,VKOV (Tagaris) rfjç aqJcrÉpaç noillV1Jç llaÀa ÈÀa8fjvaz napr,Kallcv, rovvavriov IlÈV OVV Kai iaxvpmç llaÀa àvnKarÉarT/llcv roiç ÈçcÀmazv avrov, ûra Kai ciç roaoùrov rà rfjç t5zuqJopiiç npoxwpfjaaz mç Kai J.laKpàv SKt5T/lliav arciÀaa8az, fiv t5il navrwç én Kai vùv ncnÀavr,llc8a, Kai !3aazÀÉwç avroù Karat5cT/8fjvaz t5zuKpz8fjvaz rfjç épzt5oç, OÛ t5z' avrav navra ncnov8allcv; Ei Il il rÉ8V1JKÉ nç Ka8anaç fi Ilcrà rmv wrwv Kai rilv yÀ,mrrav àqJ7jpT/raz, aVllqJr,acŒv av r1lliv, li navrcç iaaazv, sKûva t5il À,Éyovazv.
7. Outre les lettres dans le Par. gr. 2022, v. sa lettre au patriarche dans le
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un homme hautement respecté que personne ne voulait humilier à un tel point. 8 Gabalas s'établit ensuite à Constantinople et y vécut pendant quelques années (ca. 1317-1321). Peu de temps avant sa mort, Théolepte, ayant fait la paix avec l'Eglise et l'Etat, se réconcilia avec Gabalas. Nous ne savons rien des circonstances. Il ordonna prêtre son ancien protégé et le nomma chartophylax. Tout de suite après son décès, Gabalas prit le froc; il avait été marié, mais sa femme était morte en 1312. Bref, il était fin prêt à monter sur le trône archiépiscopal de Philadelphie. Cependant, un homme moins noble que Théolepte s'opposait à ses desseins. Gabalas, ayant pris le nom de Matthieu lors de son entrée au couvent, provoqua un 'conflit avec Manuel Tagaris, peu de temps après la mort de Théolepte. Il pensait mener Tagaris à la douceur par une opposition plus modérée que celle du métropolite décédé,9 et ainsi se montrer supérieur à Théolepte. Il commettait là une faute énorme. Dès qu'il se tourna contre le gouverneur, celui-ci se fâcha terriblement. Il chassa tout simplement Matthieu de Philadelphie. Matthieu se rendit à Constantinople, mais ne s'avouait pas vaincu, bien au contraire. Il envenima le conflit, accusant publiquement Tagaris d'opprimer impitoyablement la population de Philadelphie et d'être de connivence avec les Turcs. Le gouverneur se serait montré un capitaine lâche et incapable de protéger le plat pays autour de Philadelphie, ayant d'ailleurs abandonné traîtreusement à l'ennemi quelques citadelles dans la région. Il Vindob. (B 62, éd. Reinsch, p. 189-90). Le ton de cette lettre dénonciatrice abjecte contraste d'une façon frappante avec le ton très respectueux dont Matthieu parlera de Théolepte plus tard dans sa monodie sur la mort de celui-ci et dans le Discours 18. V. encore Darrouzès, Reg. 2003, 2082. 8. Sur Théolepte v. les publications de V. Laurent mentionnées supra, note 3 et son article Une princesse byzantine au cloître. Irène-Eulogie Choumnos Paléologine, fondatrice du couvent de femmes 'l'OÛ tPzÀ.av()pwnov LW'l'fjpOÇ dans Echos d'Orient 29(1930), p. 29-60. Nicéphore Choumnos, malgré ses relations souvent tendues avec Théolepte, composa Un éloge funèbre du bienheureux et très saint métropolite de Philadelphie, Théolepte ... , éd. J.F. Boissonade, Anecdota Graeca, t. 5, Paris 1833,p. 183-239. Cf Verpeaux, Nicéphore Choumnos ... , p. 48 avec bibliographie. 9. Discours 18, éd. Reinsch, p. 211-12.
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aurait évité de propos délibéré de combattre les Turcs pendant le siège de ces années (1321-24), s'alliant enfin à eux en secret, dans l'intention de se ruer sur ses compatriotes. IO Il est à présumer que les accusations de Matthieu ont contribué à faire remplacer Tagaris par Alexios Philanthropenos en tant que chef d'armée pendant le siège de Philadelphie par les Turcs en 1324. 11 Philanthropenos réussit en effet à refouler l'ennemi. Tagaris était sans doute coupable de la plupart des méfaits dont il avait été accusé, mais il n'était pas homme à céder sans lutter. Il se rendit à son tour à Constantinople dans le but de se disculper devant l'empereur, et en même temps de se venger de ses accusateurs parmi lesquels Matthieu avait particulièrement suscité sa haine. Entre temps le chartophylax avait su se faire nommer métropolite de Philadelphie (été 1324). Cependant, la consécration n'avait pas encore eu lieu au moment de l'entrée de Tagaris dans la capitale. Le point faible de la position sociale de Matthieu se révélait alors. D'humble extraction, il n'avait pas su compenser ce handicap en amassant des richesses, comme tant d'autres de ses contemporains. Il a dû se méprendre fâcheusement sur la valeur de son amitié avec des gens en place. I l Ils n'avaient rien à redouter de lui et n'avaient absolument pas besoin de son support. Toute autre était la position de Tagaris. Ses origines étaient également modestes, mais il avait su accéder assez vite aux hautes fonctions dans la hiérarchie impériale, finissant par épouser une fille appartenant à une famille aristocratique. Ainsi il n'avait rien à craindre de sérieux des autorités. Bien au contraire, rejetant avec indignation toutes les accusations portées contre lui, il calomnia de son 10. V. une lettre adressée à son ami Michel Gabras (B 16( = 66), éd. Reinsch, p. 106-09), une lettre adressée au philosophe Joseph (B 65, éd. Reinsch, p. 202-04) et Discours 18, éd. Reinsch, p. 205 sqq. 11. Cf Schreiner, art. cit. supra, note 2, p. 388-93. 12. Bien que Matthieu n'eût pas besoin de la charité des c5vvaro{ on voit, par le ton obséquieux des lettres qu'il leur adressait, qu'il leur était très inférieur du point de vue social. Il est significatif qu'un de ses meilleurs amis était Michel Gabras, le type parfait de l'homme de lettres-quémandeur. Dans les nombreuses lettres que Matthieu et Gabras échangèrent, ils se traitent toujours sur un pied d'égalité. Voir B 1,2,6,16,20,21,24 et 24 dans l'édition de Reinsch et les vingt-huit lettres écrites par Gabras à Matthieu dans l'édition de G. Fatouros, Die Briefe des Michael Gabras (ca 1290-nach 1350), 2 t., Vienne 1973.
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côté Matthieu à la cour. 13 Tagaris obtint bientôt le pardon de l'empereur, 14 tandis qu'il se faisait en outre des amis dans le synode. Il l'emporta facilement sur Matthieu. Le synode annula la nomination de ce dernier au siège de Philadelphie. 15 Matthieu avait définitivement le dessous. On ignore s'il avait perdu la confiance des 8vvaroi par sa duplicité, ou s'ils s'étaient tout simplement désintéressés de lui. 16 13. V. une lettre adressée à Nicéphore Choumnos (B 5, éd. Reinsch, p. 88) et surtout B 65, adressée au philosophe Joseph, p. 203, v. infra, note 15. Cantacuzène nous renseigne également sur Tagaris. Il ne dit rien de sa trahison et de sa désertion aux Turcs (v. infra note 16), mais fait l'éloge de son génie militaire, entre autres à l'occasion de la bataille de Pelekanon en 1329 (Matthieu parlait avec sarcasme de ces sortes d'éloges: . .. qJvyfi xpijral vVKrrop 0 nsplfJà11roÇ arpar11yoç avroOsv ÈK rov nvpyov ÀiVU KaraxaÀaaOdç ... (B 65, p. 202-03». De même que Matthieu, Cantacuzène fait mention des humbles origines de Tagaris et de la rapidité de son ascension sociale. C'est encore par Cantacuzène que nous apprenons le nom de l'épouse de Tagaris: Théodora Asanina. C'était une nièce d'Andronic II (l, cap. 18, Bonn l, p. 91; II, cap. 6, Bonn l, p. 349). Tagaris l'avait épousée en secondes noces; sa première femme appartenait à la famille Doukas. 14. B 16, éd. Reinsch, p. 107, B 65, ibid. p. 203. 15. Matthieu lui-même nous renseigne d'une manière indirecte sur ses revers de fortune. Après son échec il adressa des lettres supplicantes à Joseph en le priant d'intervenir en son faveur auprès de l'empereur et du patriarche. Dans une de ces lettres il écrit: OÙKOVV vvv J.Ltv ÀaOpaialç ÈmfJovÀafç Èyxs1psf (Tagaris), vvv 8' anslÀsf rà 8SlVà mivraç 8paaslv, si olov rs, â 8' OtJK, aÀÀ' anorvxwv Éavrov afJirora çijv 1]yOVJ.LSVOç . 1'0 8t vvv txov UfJPSIÇ ÈJ.LOV Karaxsf, liç 1] nOV17pà yÀwrra Èçr,J.Lsas nporspov, Kai {spaç rs Kai Odaç anOIJl11qJiÇsral lJIr,qJovç, iv' aVl{Ï Èni nÀéov npoç ÈJ.LOV oioJ.Lsvoç aVlliaOal, où nap' Èavrov ... (B 65, p. 203. Voir sur ce point Kuruses, op.cit., p. 283 et 341). 16. Quelques temps après (vers 1326) Tagaris se retira de nouveau en Anatolie et s'y établit près de Philadelphie. Il y devint chevalier brigand, et passa aux Turcs ouvertement. Il maria une de ses filles à un émir turc et se convertit lui-même à l'Islam, obtenant en conséquence le commandement de toutes les forces turques de la région. Les années suivantes il sévit furieusement contre les Byzantins. Il nous importe de noter que Matthieu, en nous renseignant d'une manière détaillée sur la vie de Tagaris après sa défection, insiste sur le fait que ce dernier avait dû se convertir à l'Islam afin de se maintenir dans le milieu turc: TtfJ yàp ySlroVOVV1'l fJapfJapcp rafç· noÀsal (noÀÀoi 8' 0151'01 KarsaKS8aaJ.LévOI rijç xropaç) 1'7)v Ovyarépa J.LV17arSvaaç nporspov, iv', chç tOIKS, KaraqJvyr,v aùrov axoi11 , Ènsl8àv 'ProJ.LaiOlç
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Au cours des années suivantes Matthieu resta à Constantinople, probablement dans un couvent. Sa fonction de chartophylax continua sans doute à lui assurer quelques revenus. Sa carrière semblait pourtant finie. Toutefois, il ne semblait pas avoir perdu courage. na dû se lier avec les partisans du petit-fils d'Andronic II et finit par jouir de la protection de Syrgiannes, l'un des Duvaroi soutenant le futur Andronic III dans le conflit avec son grand-père. Après l'avènement d'Andronic III, Syrgiannes lui procura enfin la récompense de ses peines. En 1329 Matthieu fut élu et consacré métropolite d'Ephèse. 17
*** La récompense était maigre en comparaison des fruits que Matthieu s'était promis de cueillir dans le diocèse de Philadelphie. Le diocèse d'Ephèse était incorporé dans l'émirat d'Aydin. Le métropolite qui n'y siégeait pas n'en recevait pas de revenus. Celui qui s'y rendait devait s'attendre à partager le sort cruel des chrétiens sous la domination turque. Matthieu avait donc vraiment à se plaindre. Le synode lui donna en 1332 le siège métropolitain de Brysis en Thrace, Karà À,6yov t7CzD6asruç (en guise de support matériel, comme c'était l'habitude dans des cas semblables). Matthieu devenait de plus en plus un homme aigri, 18 mais il n'avait
èm{3oVÀEvafl, mlaaç 'fàç au'fOV t5vVaJ.lEZç ayEZ K'ai qJéPEZ K'a'f' èçova{av . K'ai 8vva'faz J.lÈv 'fOV'fO K'ai 'fU aVyyEVEZ{l 'fOV K'7]t5ovç, t5vva'faz t5È nÀéov 'fCp t5ZEÀEÏV unoaxéaOaz tav'fijJ 'fE aJ.la K'ai 'foiç aaE{3éaz XP7]J.la'fa 'fE K'ai aa'fEa, éJ1l'6aa av lÀoz, ou J.lr,v aÀÀà K'ai J.lE'fa'façEaOaz 'fr,v Op71aK'EZaV, EÏ J.lr, ËqJ071 J.lE'fa'façaJ.lEVoç. Eiç 'fOZOV'fOV oÀEOpov 'fà uno 'fr,v lm Ëa'fl K'ai r{VE'faZ. Tav'fa npoéqJ71V èyw K'ai np0J.lEJ.l7]VVK'a ... (B 16, p. 107). Plus tard, après
la chute d'Andronic II, Tagaris se convertit de nouveau, semble-t-il. Il réussit à regagner la confiance du gouvernement byzantin (v. supra note 13; cf Kuruses, op.cit., p. 289). Sur le rôle joué par son fils Georges dans la guerre civile, v. notre chapitre sur Grégoras, note 15. 17. V. sa lettre de remerciement à Syrgiannes (B 34, p. 141-42); cf MM l, Dr. 69, p. 149. 18. V. la lettre adressée au grand chartophylax dans laquelle Matthieu donne un récit mouvementé de son voyage à Brysis. Il lui fallait traverser une région sauvage infestée par des brigands. Il se plaint amèrement d'avoir
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pas encore bu le calice jusqu'à la lie. En 1339, à l'âge de presque soixante-dix ans, il devait se rendre à Ephèse. En 1335 Andronic III avait conclu un accord avec Umur d'Aydin. Formellement cette alliance permettait au métropolite d'entrer librement dans son diocèse et y exercer ses fonctions. Cependant, Matthieu ne se serait certainement pas prévalu de cette occasion~ s'il n'y avait pas été contraint par Jean Kalékas, alors patriarche de Constantinople. Kalékas était, après Athanase, le premier patriarche à se vouer de nouveau sérieusement à sa tâche pastorale. Entre autres il prit à coeur le sort de la population chrétienne d'Anatolie, pratiquement délaissée par ses prédécesseurs. 19 Il décida de ne plus nommer des métropolites en territoire devenu turc, si ceux-ci ne s'engageaient pas sous serment à se rendre dans leur diocèse aussitôt que l'occasion se présentait. 20 S'il ne pouvait pas exiger le serment de ceux qui étaient déjà métropolites, sa grande puissance suffisait à forcer également à l'obéissance cette catégorie. Jugeant que l'alliance entre Andronic III et Umur rendait possible la présence d'un métropolite à Ephèse, il ordonna à Matthieu de s'y rendre. Ici commence l'épisode de la vie de Matthieu qui nous intéresse particulièrement. La présence de Matthieu dans l'émirat d'Aydin nous fournit un tableau réaliste de la situation d'un ecclésiastique orthodoxe en Anatolie occidentale sous la domination turque peu de temps après la conquête. Les lettres écrites par Matthieu à ses amis de Constantinople sont notre source. Ces lettres sont purement descriptives. Elles n'ont pas d'intentions cachées, comme celles de Palamas. On dispose aussi, d'autre part, de documents officiels - actes synodaux, accusant Matthieu - qui révèlent de quels crimes envers ses coreligionnaires un prélat chrétien était capable lorsqu'il croyait avoir une bonne chance d'améliorer sa situation matérielle en pays turc, tout en haïssant les Turcs ainsi qu'il convenait à un croyant orthodoxe. On est frappé de voir comment le contenu de ces documents forme pour ainsi dire un échoué dans un désert. La population chrétienne de son diocèse - des paysans pour la plupart - n'ont aucune idée des notions les plus élémentaires de la religion chrétienne (B 64, p. 198-99). 19. V. ch. 1 de la première partie de ce livre, notes 48 et 49. 20. Cf MM l, nr. 81, p. 182-83; Darrouzès, Reg. 2184.
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sommaire de toutes les vilenies du clergé orthodoxe sous la TOvpKoKparia des siècles à venir. La première lettre de Matthieu, écrite juste après l'arrivée à Ephèse, témoigne de la colère qu'il éprouvait à l'égard du patriarche et donne tout de suite une idée de sa situation terrible. 21 Umur et Hizir, les émirs d'Aydin, respectent formellement le traité, mais leurs sujets - et particulièrement le clergé islamique - n'acceptent pas la présence de Matthieu. Tout comme Palamas, Matthieu est amené à disputer avec les prêtres islamiques, mais, par contraste avec Palamas, il ne subsiste pas un vestige de bienveillance de part et d'autre. On n'entend parler que de rage, insultes, mépris. Les Turcs jettent même des pierres à la cabane où Matthieu passe les nuits. Ils le tueraient sans doute, si leurs seigneurs ne les en empêchaient. Bref, le séjour équivaut à une "condamnation". Matthieu finit sa lettre en exprimant l'espoir que le temps change toutes choses: Si ceux, qui disposent de mon sort, ne révoquent pas leur décision, que Dieu, qui, à son tour, dispose de leur sort, révoque la sienne. 22 Dans la seconde lettre (adressée comme la première au sni rrov àVaJ,lvrjoêwv Logaras), Matthieu décrit son voyage à Aydin et ses premières excursions dans le pays même. 23 Après une traversée pleine de dangers, il avait débarqué à Clazomènes. Deux jours plus tard il arriva à Smyrne pour y présenter ses respects à l'émir, Umur beg. Les larmes lui vinrent aux yeux en voyant qu'il n'y avait plus de chrétiens à Smyrne; la ville était presque déserte, il n'y avait que des brigands et des pirates, des païens venus des limites extrêmes de la terre. 24 Son chagrin tourna au désespoir 21. B 54, éd. Reinsch, p. 173-74. Cf Vryonis, Decline, p. 342-48. 22. Bi ll1i jlEra!3ovÂEvaawro raxtwç oi oürw rà Ka8' r,jliiç ôra8tvrEç, jlEra!3ovÂEvaalro BEDÇ oiô' on rà Kar' aùrovç, wç Ëxovm, ôra8dç (p. 174). Allusion à la Lettre aux Ephésiens 6, 9. Sur Philippe Logaras, également ami de Michel Gabras, v. Fatouros, op.cit. supra, note 12, p. 60. 23. B 55, éd. Reinsch, p. 175-78. 24 .... ôaKpvovrEç ... Xplanav6Jv alcolKlav Kai jlErOlKlav t8v6Jv tK r6Jv rijç rijç nov taxan6Jv (p. 175). Reinsch traduit anolKla par "Kolonie" (p. 344), donc selon la signification classique (et moderne) du mot. Cependant, Matthieu emploie ici le mot anOlKla par opposition à jlErOlKla, ce qui veut dire qu'anolKla doit être compris en rapport avec le verbe anOlKtw (partir, émigrer). Un peu plus loin dans la même lettre Matthieu se sert du
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quand Umur refusa de le voir, ne se souciant nullement de la lettre de recommandation de l'empereur et ne lui permettant pas non plus de continuer son voyage vers Ephèse. Que faire? Un Grec de Chio, qui avait accompagné Matthieu de son île à Smyrne, le savait. Il connaissait les Turcs. Le Grec fit savoir à Umur que le métropolite apportait des présents très précieux (ce qui était vrai). Quand le barbare l'apprit, il se ramollit et daigna me voir. Il regarda avec toutes les marques de bienveillance les hommes qui lui remirent les présents, s'entretint avec moi, me posant toutes sortes de questions. Après cette audience, qui avait duré plus longtemps que d'habitude, il nous permit de nous rendre à Ephèse, nous donnant une lettre de recommandation écrite de sa propre main. 2s La lettre devait servir d'introduction chez Hizir, le frère d'Umur qui gouvernait la province d'Ephèse. Matthieu combla Hizir également de présents dans l'espoir que celui-ci lui procurerait une église, une maison et d'autres choses nécessaires à son établissement, ne serait-ce que pour lui avoir apporté des présents si précieux. 26 Nous ne pouvons nous empêcher de citer le témoignage d'un grand savant, écrit deux siècles plus tard, qui confirme d'une manière frappante les expériences de Matthieu:
Celui, qui veut visiter la Turquie, doit être préparé à ouvrir sa bourse dès le moment qu'il passe la frontière pour ne la fermer verbe à1Cozrdçro au sens de "faire partir" (p. 178, ligne 1077). La traduction erronée de Rejnsch rend le texte incompréhensible. Il aurait pu trouver une traduction correcte chez Vryonis, Decline, p. 345. Le témoignage de Matthieu cadre avec celui d'Ibn Battuta qui écrit que la plus grande partie de la ville était en ruines (éd. Defrémery/Sanguinetti, p. 312). 25. Ourro D' ovv 0J.lroç ovrrov t:v ~aÀ-fI Kai lJoprJfjcp 1COÀ-À-q) 01COlJfllJVp{~El nç rrov (maDorJvrrov r,J.lïv t:K Xiov Dropa r,J.làç up fjapfjapcp KOJ.l{~ElV, Kai Dropa 1COÀ-À-OV nvoç, cfJa1CEp 1] v, iiçra.Olç, côç il KovaEV, t:KEïvoç t:mKÀ-aalJEiç J.lOylÇ 7]J.làç Eiç rpirr,v r,J.lÉpav à1Caçlwaaç 1CporEpov iDEïv àçwï . li Dr, Kai 1CP01CE1COJ.lqJoraç avrq), dO' r,J.làç 1CapaYEyovoraç op~ r,DÉroç, roç yE ÉDElçE, Kai avvrvyxavEl Kai àva1CvvlJavErar, li rE Kai 1CEpi wv fjorJÀ-olro. "EVlJEV 1Capareivaç rr,v oJ.llÀiav 1CÀ-ÉOV fi 1CpoafjKEv à1COÀÉÀVKEV É1CElra iDiolÇ avrov ypaJ.lJ.laarv à1CŒvar t:1Ci rr,v "EqJEaov
(p. 176). 26 .... Ei J.lr, Dl' iiÀÀo n, Dl' li yovv 1CapÉaX0J.lEV Dropa 1COÀÀOV nJ.lWJ.lEVa (ibid.).
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qu'au moment de quitter le pays. Entre-temps il lui faut continuellement semer de rargent d'une main prodigue et rendre grâce à son étoile si la semence veut germer. (...) C'est le seul moyen de ramollir le dégoût et le préjugé que les Turcs nourrissent à l'égard de tout le reste du monde. L'argent est le seul moyen apte à endormir ces sentiments chez le Turc. Sans cette ressource leur pays serait aussi inaccessible que les pays censés être généralement inhabitables de toute éternité à cause de chaleur ou de froid excessifs. 27
Voyons maintenant ce que Matthieu gagnait par ses présents. Hizir lui permettait d'abord l'usage d'une petite chapelle au bord de la ville. Elle devait lui servir à la fois d'église et d'habitation. L'émir lui promit de l'installer mieux bientôt, mais il n'en fut rien. La Grande Eglise d'Ephèse (St Jean) avait été changée depuis longtemps en mosquée, lui expliqua plus tard l'émir. On avait donné le palais archiépiscopal au grand imam d'Ephèse, les terres ecclésiastiques et les revenus en dépendant étaient la propriété de Hizir par droit de conquête, comme il le déclara luimême. A la fin l'emir attribua quand même à Matthieu une petite maison misérable près de l'ancienne Gr~nde Eglise et quelques arpents de terre de peu de valeur, loin de la ville. Encore une fois Hizir lui promettait six églises, mais avant de les avoir données il les reprit, regrettant ses promesses, et leva les impôts reposant sur elles. 28 Matthieu abandonna de son propre gré la terre qui lui 27. A.G. Busbequius, Itinera Constantinopolitanum et A masianum , Anvers 1581, p. 41-42: ... neque aliter rationem instituere oportet eum qui sit cum Turcis versaturus, quam ut simul ac eorum fines ingressus sit, aperiat marsupium, neque ante c1audat quam iam illinc egressus; interea perpetuam nummorum sementem faciat, utinam ne infrugeram. Sed tamen, ut alius fructus desit, haec una ratio est Turcarum ingenia, fera alioqui et a reliquis aversa gentibus, mitigandi; hoc, veluti cantu, Turcae consopiuntur, alioqui non futuri tractabiles, absque hoc foret, non magis ea loca externis hominibus frequentari possent, quam quae propter nimium aestum aut frigus esse perpetuae solitudini damnata creduntur. 28. ibid. p. 178: 'Eni 8t Tou-rorç Kai IEpEïç TOÙÇ oUJjnavTaç Éç, ouç 7] TfjÇ 'Ao{aç Jj17TponoÂ.rç Kai où nÂ.E{ovç aÙXEï, àÂ.Â.à TOlJrOVÇ Jjtv Kai npiv rp8fjvar 80üvar ÈK JjETavo{aç à vaÂ.aJj{3a VEr Kai TOV ÈmKElJjEvoV aÙToïç rpopov EionpaTTETar. Nous avons traduit IEpEïç par "églises" au lieu de "prêtres". Il nous semble
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avait été accordée, puisqu'il n'avait pas envie de faire la récolte de larmes au lieu d'épis de blé. 29 Par nécessité il conserva la petite maison. Toutefois, le vacarme, produit par les prêtres islamiques sur le toit de l'ancienne Grande Eglise, le tourmentait continuellement. On ne cessait de lapider sa maison, ce qui créa maintes fois une situation vraiment dangereuse. Il n'avait plus de revenus, vivait au jour le jour, craignant de manquer de nourriture à tout moment. Il ne survivait que par miracle. En outre il se sentait totalement inutile face à la masse énorme d'esclaves chrétiens; des milliers, parmi lesquels d'anciens prêtres et moines. Il représentait à leurs yeux l'ancre de l'espoir, mais en réalité il n'avait qu'à leur offrir ses larmes en échange de leurs lamentations. Matthieu finissait sa lettre à Logaras en se demandant si jamais dans l'histoire tant d'êtres humains avaient été réduits à l'esclavage au cours de guerres et de conquêtes. Matthieu allait saisir sans nul doute toute occasion de se venger du patriarche qui l'avait ruiné. D'ailleurs, il appartenait déjà avant son départ pour Ephèse au cercle du j.lÉraç c50j.lÉanKoç Cantacuzène. Une fois établi à Ephèse il continua à se rappeler au souvenir de Cantacuzène. En lui envoyant une pierre précieuse et sacrée, il formait des voeux pour une prompte arrivée de Cantacuzène, accompagné de l'empereur en personne, afin de restaurer l'empire sur le territoire byzantin, occupé par les barbares. 30
qu'autrement le texte de Matthieu reste incompréhensible. A notre avis, Matthieu a voulu dire qu'il n'y avait que six prêtres chrétiens dans le territoire ressortissant au gouvernement de Hizir, autorisés à exercer leur fonction contre le paiement d'une taxe. Matthieu exige l'annulation de cette taxe (ou bien qu'elle lui soit payée) afin que les prêtres soient à même de subvenir à son entretien. Mais c'est seulement en qualité de desservants d'une église que les prêtres en question constituent une source de revenus. Matthieu avait donc une raison spécifique de dire que Hizir lui avait "promis" et "repris" des "prêtres". L'individu vivant devient un objet de valeur par son association à l'église dans laquelle il assure le service divin. C'est là, croyons-nous, la cause du quiproquo. Nous admettons que notre solution du problème est conjecturale, mais, encore une fois, nous ne voyons pas d'autre moyen de comprendre le texte de Matthieu. 29. ibid.: TfjC; Dt rfjc; J}Jleïc; éKovrec; vneçunaJle(Ja Da Kpua napalrOVJleVOl (Jep{(elv, àÂÂ' où Jltv ovv araxuac;.
30. B 57, éd. Reinsch, p. 183.
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Entre-temps Matthieu ne tardait pas à faire lui-même le nécessaire afin de se tirer d'embarras. Des actes patriarcaux et synodaux de 1342 et 1343 nous renseignent sur ce chapitre. L'histoire.commence par la nomination d'un personnagè, dont le nom reste inconnu jusqu'ici, à l'échêvé de Pyrgion, non loin d'Ephèse (en turc Birgi, autrefois la résidence de Mehmed, le père d'Umur et Hizir). Matthieu n'avait pas le droit de faire cette nomination, puisque Pyrgion dépendait directement du patriarche de Constantinople (le siège n'avait plus été occupé depuis le début du 14e siècle). 31 Le dessein de Matthieu était évident. Plus le territoire sous la juridiction d'un métropolite était étendu, plus grands étaient ses revenus, ce qui importait surtout aux métropolites d'Anatolie. Le nombre de chrétiens décroissant toujours, il leur fallait proportionnellement plus de territoire pour vivre. Matthieu entra presque immédiatement en conflit avec le nouvel évêque, selon toute probabilité pour la même raison qu'il l'avait nommé. L'évêque devait une partie de ses revenus à Matthieu et a dû refusé de payer ses redevances. Quoi qu'il en soit, Matthieu déposa l'évêque peu de temps après sa nomination. Celui-ci se rendit à Constantinople afin de se plaindre auprès du synode. Matthieu le suivit (fin 1341-début 1342). Il se présenta devant le synode, ajoutant des accusations beaucoup plus graves à celles qu'il avait alléguées pour justifier la déposition. Il accusait l'évêque maintenant de parjure et d'assassinat. Le patriarche ordonna par lettre au métropolite de Laodicée d'examiner l'affaire sur place. 32 Cependant, ni le patriarche, ni le synode n'attendirent le résultat de l'investigation. Ils rendirent à Pyrgion son ancien rang de métropole, de sorte que l'évêque devint métropolite, indépendant du siège d'Ephèse (août 1342).33 Le dessein de Matthieu était ainsi déjoué. Au printemps de 1343 le rapport du métropolite de Laodicée arriva à Constantinople. Il donna lieu, par un acte synodal, à l'acquittement du métropolite de Pyrgion. 34 Le résultat des 31. MM l, nr. 101, p. 228-30 (= PO 152, col. 1262-64); Darrouzès, Reg. 2235. Sur ce qui suit, voir Wachter, Verfall, p. 39-44; Vryonis, Decline, p. 327-29 et 332. 32. Le cours des événements est tracé dans un acte synodal d'avril 1343, MM l, nr. 106, p. 235-37 (= PO 152, col. 1267-69); Darrouzès, Rég. 2243. 33. acte synodal, mentionné supra, note 31. 34. acte synodal, mentionné supra, note 32. Il est à noter que la situation
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recherches portait une grave atteinte à la réputation de Matthieu, mais celui-ci refusa de comparaître devant le synode pour s'excuser. Le rapport du métropolite de Laodicée explique ce refus. L'évêque de Pyrgion avait prêté serment, dans une situation désespérée - que ne précise pas l'acte synodal-, devant Umur beg, sauvant par cette action la vie de vingt-cinq chrétiens. Après ces événements pénibles un homme qui avait été alors enchaîné était tombé malade et était mort de mort naturelle (Matthieu avait dit que l'homme avait été pendu par suite du parjure de l'évêque de Pyrgion). Il y avait pire encore. Le métropolite de Laodicée avait su saisir un certain nombre de lettres de Matthieu d'un caractère très compromettant pour ce dernier. Matthieu avait prié Umur d'expulser l'évêque de Pyrgion, parce que celui-ci était un impie et avait été déposé par lui, Matthieu. Dans la même lettre Matthieu s'était adressé à Umur comme à son fils, se nommant luimême son père. 35 du métropolite de Laodicée devait être assez favorable pour pouvoir enquêter en territoire turc. Laodicée et Kotyaion (Kutahia) furent les seuls sièges métropolitains à se maintenir jusqu'au début du I5e siècle dans la partie de l'Anatolie dont nous parlons à présent (Wachter, Verfall, p. 37-39). Laodicée (actuellement Denizli) était située dans une vallée latérale du Méandre, où se trouvaient encore deux autres métropoles, Hierapolis et Chonai (le Colossai biblique). Ce territoire était à la fois exigu et densément peuplé. La population chrétienne restait relativement nombreuse après la conquête turque. Il y avait une importante industrie textile. Ibn Battuta la mentionne avec admiration, remarquant que la main-d'oeuvre était formée en grande majorité de femmes grecques, qui payaient toutes sortes d'impôts à l'émir de Menteshe, dont elles étaient les sujets. 35. MM i, p. 236: (le métropolite de Laodicée) ... ro ypiiJlJla rije; èç~rcla~COe; 1Œ1rDJlqJWe; ~ie; rr,v avvo8ov avv~çantarelÂE Kai ypaJlJlara 8lclqJopa rou 'EqJtaov, li 8r, Kai avv08lKWe; àvayvcoaBtvra, rà Jltv nOÂÂr,v èJlqJa{vovra ~ÜPTlral rr,v Karà rou IIvpy{ov KaraqJopav, 8150 8t nva, rD Jltv KaBa{p~alv Kar~lJITlqJ{Ç~ro rou IIvpy{ov Jl~rà rr,v avv081Kr,V EçtraalV, aVJllJlrjqJove; r~ Kai TÎJliie; 81' avrou Âaf3~iv ëÂ~y~v 0 'EqJtaov JlTl8' oÂcoe; àÂTlB~vcov, rD 8t Jjç{ov rov 'AJlr,p 'AJlrjpn~K1v, EqJ' cP ora 8r, KaBUPTlJltvov Kai àv{~pov rov IIvpy{ov ànontJllJl~ra1, EV cP Kai KaÂOV v{ov avrou rourov ëÂ~y~ Kai Éavrov avrou nartpa, nana8ae; r~ avrou roùe; rou IIvpy{ov np~af3vrtpove;, ov8tv 8tov, napaqJvÂarr~aBal yàp ~iKOe; rà r01aura Eni npoarono1e; rOlovro1e; roùe; àpX1~panKov àç{coJla n~p1K~lJltvove; Kai Jlr, roie; avroie; OJlo{coe; xpijaBa1 ax~nKoie; ovoJlaal n~p{ r~ roùe; marove;, roùe; èBv1KOVe; r~ Kai àn{arove;, 8~i yàp dva{ nva navrcoe; Kai EV raie;
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Résumons; malgré ses lamentations sur le sort des chrétiens sous la domination turque (il faut remarquer par ailleurs qu'elles sont, comme dans le cas de Palamas, couvertes par les lamentations sur son propre sort), Matthieu a tout d'abord cherché à atteindre à un modus vivendi avec le tyran turc, au besoin par le sacrifice de ses frères et soeurs. en Christ. Nous l'avons déjà dit: c'est toute l'histoire du clergé orthodoxe sousla TOvpKOKparia. 36
*** Matthieu vivait à une époque où un métropolite pouvait faire encore mieux que de cajoler un seigneur turc: il pouvait prendre soin de rester hors de sa portée. Tout porte à croire qu'une fois à Constantinople, Matthieu n'ait pas voulu retourner à Aydin, quoi qu'il arrivât. Mais il est également possible qu'il fût enfermé dans un couvent juste après l'affaire de 1342/3. Nous le trouvons dans cette situation en 1346. Un document de septembre 1346 prouve qu'il était détenu en compagnie de cinq autres métropolites. Nous savons que les cinq ecclésiastiques étaient des partisans de Cantacuzène, ce qui était cause de leur détention. 37 Il est bien possible que Matthieu ait été emprisonné en même temps qu'eux, mais, encore une fois, il se peut qu'il ait été écroué dès 1343. D'ailleurs, les deux raisons ne s'excluent pas l'une l'autre; le lecteur se souvient que Cantacuzène venait de s'allier avec Umur. En tout cas, Matthieu s'associa avec ses compagnons d'infortune en signant une petition adressée à l'impératrice Anna. Les signataires portaient de graves accusations contre le patriarche et demandaient sa déposition:
Suprême et Sainte Souveraine et impératrice, nous, (les métropolites) d'Ephèse, Cyzique, Alanie, Ch ristoupolis, Apros et K'À~aBaz 'l'11V 8zaa'l'ÉÀÀovaav 8zaqJopav, roanBp K'ai Èni 'l'oiç aÀÀozç anaaz.
Darrouzès croit à tort que les lettres à Umur ont été écrites par l'évêque de pyrgion. En réalité le texte devient inintelligible si l'on accepte cette interpré~ tation (Reg. 2243, p. 191). 36. Pour des exemples datant de quelques dizaines d'années plus tard, v. Vryonis, Decline, p. 332. 37. Cantacuzène III, cap. 98, Bonn II, p. 604.
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Lopadion, enfermés dans nos cellules, ayant reçu par la grâce du Saint-Esprit la charge de sauvegarder les préceptes de rEvangile, étant obligés de combattre les démons corporels et spirituels se dressant contre rEvangiie du Christ, et suppliant votre très pieuse et Sainte Majesté de mettre en oeuvre votre amour de Dieu pour détruire tout ce qui s'élève et se rebelle contre Dieu, nous rapportons que le patriarche actuel, pris par une avidité de richesses terrible et irrationnelle, est gravement coupable d'amasser de rargent pour ses fils et ses filles, de vendre les postes de métropolite, d'exarque et d'higoumène, d'exercer la justice tant en matière ecclésiastique que civile au point de rendre des jugements contradictoires sur la même affaire, de trafiquer des objets sacrés à son profit, d'établir sa résidence au palais impérial, tandis que la très Grande Eglise de Dieu est devenue une pitoyable ruine. Qui pourrait exposer toute sa duplicité, toute sa fausseté, tous les mensonges qui sortent de sa bouche chaque jour? Nous-mêmes sommes réduits à l'indigence, invoquant Dieu pour qu'il entre dans le coeur de votre Sainte Majesté et révèle les oeuvres de cet homme... 38 38.
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151, col. 767-69: KpaTlarT7 K'ai ayza T/J.Ui'lV K'vpza K'ai 8sanozva,
~Jlefç oi àpxzepefç oi K'a(JeçoJlevoz Èv
rofç K'eÂÂzozç ~Jlii)V ànoK'eK'ÂezaJlsvoz, 'EqJsaov, 0 KvÇzK'ov, 0 'AÂavzaç, 0 XpzarovnoÂeCiJç,o "AnpCiJ, 0 Aona8zov, 8eçaJlevoz napà rijç xapzroç rou navayzov IIvevJlaroç rov rou EùayyeÂzov çvyov K'ai Xpsoç Ëxovreç àvnrarrea(Jaz rofç àvnK'ezJlsvozç rcfJ EùayyeÂzcp rou Xpzarou vOT7rofç re K'ai ala(JT7rofç 8a(Jloaz K'ai vnoJlzJlV1jaK'ezv rû eùaefJearar7J K'ai ayzf!. fJaazÂelf!. aov K'ai napaK'zveïv ro qJlÂevaefJtç aùrijç eiç ro K'a(Jazpezv nàv v'l/CiJJla K'arà rou Beou ÈnazpoJlevov, vnoJlzJl V1jaK'oJlev fi8T7 K'ai àvaqJspoJlev, 0 vuv narpzapxevCiJv, aÂouç rcf> rijç qJzÂapyvp(aç 8ezvcf> K'ai àÂoy(arcp na(Jez, roç Jlza(JCiJroç àvearpaqJT7 Èv rû 'EK'K'ÂT7aZf!. rou Xpzarou, avvayCiJv àpyvpzov K'ai xpvazov vntp nov virov K'ai (JvyarspCiJv aùrou, napà rouç opovç rrov ayzCiJv K'ai rouç iepoùç K'avovaç rijç ayzaç rou Xpzarou 'EK'K'ÂT7azaç, nCiJÂrov ràç Éçapx(aç, K'anT7ÂeVCiJV ràç r,yovJlevefaç, 68cf> npofJazvCiJv Èni ro Xefpov K'ai ro 8zK'azov 8zK'aÇCiJv K'ai K'PZVCiJV Èv8zaarpoqJCiJç ràç ŒVaK'Vnrovaaç ÈK'K'Â'TlazaanK'aç re K'ai nOÂznK'àç vno(Jsaezç, roç K'ai 8znÂaç aT7JleUOaezç àvn(Jsrovç Èni noÂÂrov elvaz rou aùrou, ID qJeu rijç rOÂJlTlç! varepov K'ai Èni rijç eùaefJefaç qJaveproç Èno17jae nepi rrov ieprov K'eZJlT7ÂfCiJV Tl Xpr, Âsyezv; IIoÂÂà yàp K'ai rrov K'a(JzepCiJJlSVCiJV rcf> Becf> aK'evrov, rOÂJlT7pij K'ai xezpi K'ai YVeOJl7J à8eroç àqJeÂoJlevoç, eiç i8 zo v, fJaf3az, nopzaJlov K'ai K'arsÂvae K'ai ÈmiJÂT7aev. 'Eni 8t rovrozç nàaz
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La pétition accusait le patriarche en outre d'anti-palamisme, en alléguant des preuves circonstanciées. Ayant l'intention de ruiner le patriarche par tous les moyens, Matthieu ne fit aucune réserve personnelle sur ce point, bien qu'il fût antipalamite convaincu luimême. Toutefois, la vengeance, qui ne se fit pas attendre longtemps, fut réservée à d'autres. La victoire de Cantacuzène mit définitivement fin à la puissance de Jean Kalékas. Hélas, Matthieu n'eut pas le bonheur de porter le coup lui-même. Il ne figurait pas parmi les métropolites palamites qui déposèrent Kalékas en février 1347. 39 Mais il était libre enfin. Sa fidélité à Cantacuzène avait payé. Sous le règne de Cantacuzène, Matthieu resta antipalamite. Une seule fois il défaillit. Après la mort du patriarche Isidore il rétracta ses "erreurs", approuvant la doctrine palamite dans une déclaration couchée par écrit, pleine de protestations de remords (22 avril 1350).40 Après la nomination du patriarche palamite Calliste, quelques semaines plus tard (10 juin 1350), il passa de nou- . veau au camp antipalamite. Avec Grégoras, son grand ami, il combattit le palamisme pendant le synode de 1351. Sur le terrain ecclésiastique et théologique le palamisme avait pourtant définitivement remporté la victoire. La protection de Cantacuzène ne pouvait plus sauver Matthieu. Il fut déposé en tant que métropolite à l'âge de plus de quatre-vingt ans. Il mit bas les armes, se retirant dans un couvent. 41 Jusqu'à sa mort (entre 1355 et 1360) il se
KaTÉÂl7rS 81à qJlÂo8o/;,{aç tmspf30Âryv Kai TryV 'EKKÂ7]a{av TOV XP10TOV Kai xpoviaç KaTallovàç bro{7]oS cpOpT1KtiJÇ tv Toïç f3aozÂ&{olÇ. 10 8t TOV e&OV IlÉY10TOÇ vaoç à7rpOV07]TOÇ Kai àv&mIlÉÂ7]TOÇ 7rSP1ÂSlcp()siç tyÉV&TO 7rTCOlla tÂSS1VOV. Tàç 8t l/fsv8oÂoy{aç Kai Tàç aÂÂaç aVTOV 7rÂavaç Kai V7rOKp{OSlÇ, liç t7ri TtiJV OlllÂOVVTCOV avTCp Ka()' ÉKaOT7]V tm8dKVVTal TryV r1IlÉpav, 7ro{a 817]y7ja&Tal YÂtiJooa; OV yàp ol8s TO oTolla aVTOV àÂ7]()dav Kai r1xpdmTal KaT' aVTOV TO IlÉya TijÇ àpX1&pmaVV7]ç à/;'{mlla. IHIlEÏÇ 8t tv tv8dfl. Kai aTsvdJasl Ka()7jIl&VOl 7rapaKaÂovllsvTovE)&OV, ivatllf3aTsvou âç TryV Kap8{av rijç ay{aç f3aozÂdaç aov Kai à7rOKaÂvcp()fi Tà lpya aVTov ...
Nous avons emprunté la paraphrase en partie à Darrouzès, Reg. 2263. 39. Darrouzès, Reg. 2270. 40. PO 151, col. 772 D-774 A. 41. Matthieu et les autres antipalamites ne furent jamais exilés ou emprisonné, ainsi que le dit Orégoras (XXI, cap. 3 Bonn II, p. 1011-12). Le té-
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plut à la conversation avec son ami Grégoras.
moignage de Joseph Kalothetos semble plus digne de foi (A6roç 9, Contre Nicéphore Grégoras, Evrrp. éd. Tsames, p. 306-07). Cantacuzène n'éliminait que ses ennemis politiques, entre autres Grégoras lui-même. V. sur ce point Kuruses, op.cit., p. 352-53.
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Chapitre VI Un porte-parole des victimes: Alexios Makrembolites
La vie d'Alexios Makrembolites nous est presque inconnue. , Ses écrits - sans lesquels nous ne saurions même pas qu'il a existé - ne contiennent que des renseignements rares et vagues à ce sujet. Personne ne parle de lui. Tout ce que nous savons c'est qu'il habitait à Constantinople, qu'il y écrivit la plus grande partie de son oeuvre pendant les années '40 et '50, qu'il était marié, qu'il avait des enfants et qu'il vivait dans une grande indigence. 2 De quelle manière il gagnait le peu d'argent dont il disposait n'est pas clair. Il enseignait, dit-il, le Verbe de Dieu,3 mais nous ignorons 1. Sevcenko a consacré quelques pages d'introduction à Makrembolites dans son édition du Dialogue des Riches et des Pauvres (dans ZR VI 6(1960) p. 187-228; introduction aux pages 187-202. Réimpr. dans Society and Intellectual Life in Late Byzantium, Londres 1981). Ce qui a été écrit plus tard sur Makrembolites par d'autres historiens, surtout les historiens marxistesWerner, Matschke, Poljakovskaja -, se base sur l'essai de Sevcenko. Malheureusement le commentaire de celui-ci fourmille d'erreurs, trouvant leur origine dans une interprétation superficielle (parfois entièrement fausse) d'a1.!tres textes de Makrembolites édités ou inédits, v. par exemple son interprétation à la page 196 des ff. 22v , 32v , 37 v-38 r du Sabb. 417; cf l'appendice de ce livre, p. 270. En outre Sevcenko n'a rien compris au personnage de Makrembolites. Il croyait que cet ennemi acharné des t5vvaro{ et du haut clergé fut partisan de Cantacuzène et de Palamas; l'attitude de Makrembolites à l'égard des Turcs n'aurait pas été tout à fait négative. Nous montrerons que cela estfin pleine contradiction avec les faits. 2. Sftr sa pauvreté v. le Sabb. 417 (Discours sur ses péchés), f.126 v , 127r . Un poème où il prie pour sa femme et ses enfants a été publié par E. Miller, Manuelis Philae Carmina, t.l, Paris 1855, p. 215. 3. Sabb. 417, f.12~: ... roa t5t Beoa ànayopevovroç aJ.laprwl.,ov t5l11yeïa8al rà aùroa t5l KalWJ.l ara, ëyw Kai roaro KararOI.,J.lID Kai
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si, employant ce terme, il fait allusion à une fonction ecclésiastique. Il se peut qu'il était attaché à l'école patriarcale ou à une école appartenant à un couvent, mais il est également possible qu'il donnait des cours d'instruction religieuse dans les maisons de familles riches de Constantinople. Vers 1341/42 il adressa un traité à l'tc;ZGroT11C; Patrikiotes, un ami de Cantacuzène. 4 A-t-il été quelque temps au service de ce 8vvaroc;? Encore une fois, nous l'ignorons. Ce qui est sûr, c'est ce qu'il ne se sentit pas obligé d'écrire un thrène sur la mort de Patrikiotes, assassiné par le 8ijJ1oC; en automne 1342. s Makrembolites n'avait sans aucun doute pas d'accès auprès des cercles littéraires aristocratiques. Un auteur à peine capable de s'exprimer correctement n'y aurait pas été accepté. Mais il n'appartenait pas non plus au milieu des pauvres auteurs de littérature mercenaire. Ses sujets sont toujours trop élevés et trop sérieux pour cela. Son propre témoignage nous apprend qu'il appartenait à un cercle d'hommes simples, se réunissant afin de cultiver le Verbe Divin. Ils écrivaient eux-mêmes, s'en inspirant, des traités pieux à la mesure de leurs possibilités limitées. 6 Le ton et le contenu des écrits de Makrembolites font penser aux tirades d'un évangéliste populaire de nos jours. La langue de Makrembolites est très simple, sa grammaire maladroite. On a l'impression que ses lectures se limitaient
c51c5aa,alÂov Taçlv È1réxw. f.133: TOVTWV (sc nov ÂOy(WV TOU Beou) c51c5aaK'aÂoc; yeyovc:iJc; aTeva~w TWV aWJ.LanK'wv oTepOVJ.Levoc;. 4. ibid., f.8 r . 5. Cantacuzène III, cap. 50, Bonn II, p. 298. Sur Patrikiotes, v. Ch. II de la première partie de ce livre, p. 63 n. 28, p. 71 n. 47. 6. Sabb. 417, f.125 r (v. infra, note 29); au f.125 v commence le Discour.s sur ses péchés, adressé à l' 'EpJ.Lijc; TOU ÂOY{OV OVVTpOrpOl. La péroraison de la Lamentation sur Sainte-Sophie fait également penser que Makrembolites l'a prononcée devant un public: L1eup' iTe TO{VVV K'ÂavaaTe oùv 7}J.Lïv oi (br' aiwvoc; K'eK'olJ.L1}J.LévOI aJ.LapTwÂo(, K'ai 1rlK'pWC; oÂoÂvçaTe, È1reï 1CapijÂ(Jev 7) vvç, 7} TOU 1Cap6vTOC; {3(OV c51}Âov6n c5laywyry, K'ai 7} K'6Âamc; ÉrpéaT1}K'eV f1c51} 7} ÉK'c5e X0 J.LéV1J 7}J.LiiC;. 'AÂaÂaçaTe Év evrppoavV1J K'ai aK'lpTryaaTe, 1CavTeç c5(K'alOl, K'ai TOV c5ea1C6T1}V Épx6J.Levov lJ1Coc5éçaa(Je ... (éd. S. Kuruses dans Ai aVTIÂry'ltelC; 1Cepi TWV ÉaxaTWV TOU K'60J.LOV K'ai 7) K'aTà 1'0 ÉTOC; 1346 1CTwmc; TOU TpOVÂÂOV TijC; ay(ac; Eorp(ac; dans EEBE 37(1969-70), p.
213-50, citation p. 239-40.
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presqu'exclusivement à la Bible, et que cela lui suffisait. 7 Sa familiarité avec le Verbe Divin est vrajment étonnante. A vrai dire, beaucoup de ses écrits sont essentiellement des enchaînements de citations bibliques, choisies selon les exigences du sujet qu'il veut traiter et liées les unes aux autres par des réflexions surgies en association avec les textes sacrés. L'ensemble des écrits de Makrembolites manque de logique et de cohérence stylistique et lasse par des répétitions interminables. Toujours plein d'amertume à l'égard des puissants quand il condamne la situation politique, sociale et morale de son temps en général, il ne sait pas s'exprimer avec vigueur dès qu'il essaie de se passer des paroles terrifiantes et véhémentes dont se servent les auteurs bibliques pour flageller l'injustice et la méchanceté des hommes et leur annoncer de terribles châtiments. S'il ose parfois critiquer directement des personnes vivantes, il se montre très circonspect et emploie des locutions énigmatiques. L'oeuvre de Makrembolites est donc surtout d'intérêt historique. Sous cet aspect elle mérite pourtant plus d'attention que l'on y a prêté jusqu'ici. Le milieu de Makrembolites est manifestement tout l'opposé de celui de l'élite byzantine de l'époque, et cette raison seule suffit à le mettre en relief. Par contraste on gagne une meilleure vue d'ensemble de la société byzantine. Nous avons parlé à plusieurs reprises de la masse du peuple byzantin et de sa misère. Mais c'est seulement dans les oeuvres de Makrembolites qu'on entend sa voix, bien faible et d'une manière bien imparfaite sans doute, pourtant assez distincte pour nous donner une idée de ce que ressentaient les hommes se trouvant au-dessous du niveau où se heurtaient les intérêts opposés des protagonistes. Ce qui nous frappe dans l'oeuvre de Makrembolites est son manque total d'élan révolutionnaire sur le plan social. Tout le mépris et la haine envers les oppresseurs sont exprimés en termes religieux. Il lui est simplement impossible de voir les choses dans une perspective séculière. En cela il se situe dans la tradition biblique.
*** 7. V. pourtant son interprétation allégorique d'un texte de Lucien (éd. Papadopoulos-Kerameus, Zurnal Ministerstva narodnago prosvescenija 321 (1899), p. 19-23) et quelques citations d'autres auteurs, se trouvant dans le Deuxième Discours (v. les notes de l'appendice).
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La position de Makrembolites dans la guerre civile est nette; il est du côté du peuple. Le problème millénaire pourquoi les méchants prospèrent, tandis que les justes et les pieux sont dans la misère, l'obséda tout au long de son oeuvre. 8 Les pauvres ont toujours sa sympathie, sa haine des riches est inaltérable. Les pauvres labourent la terre, bâtissent les maisons et les navires, bref, produisent ce qui est utile et nécessaire au commun des hommes. 9 Les riches par contre sont presque toujours des parasites qui récompensent le travail des pauvres d'un salaire de famine. Certains d'entre eux ne paient même pas les services que les pauvres leur rendent, ce qui équivaut au meurtre. 10 Makrembolites est ahuri de constater que non seulement des laïques mais même des prêtres pauvres perdent la foi en conséquence de leur misère. Il en vint ainsi à adresser une lettre d'admonestation à un prêtre qui lui avait confessé que, sous le poids de sa propre misère et de celle autour de lui, il faillit perdre la croyance en l'existence d'un Dieu juste. Le malheureux lui avait dit qu'il s'éveillait souvent au milieu de la nuit, baignant son lit de larmes, au désespoir de comprendre les horreurs dont il était témoin. I l Makrembolites fait de son mieux pour le persuader que ce n'est pas Dieu qui est injuste. La lumière du soleil, de la lune et des étoiles, l'eau, l'air, le feu, la terre, bref, toute la Création a été destinée par Dieu à la jouissance de tous. Mais des hommes tyranniques et pleins de cupidité ont volé la plus grande partie de ces trésors et s'en sont appropriés. 12 Dans d'autres écrits, Makrembolites pleure sur le sort des 8. Deuxième Discours, f.23 v sqq; Discours sur la justesse de Dieu,
f.102 v-105 v .
9. Dialogue, éd. Sevcenko, p. 210. 10. ibid., Le patriarche Athanase dit la même chose (Vat. Gr. 2219, f.103 r , cité par J. Boojamra, Social Thoughts and Reforms of Athanasios of Constantinople dans Byzantion 55(1985), p. 332-82, ici p. 372-73. Cf Sir. 34,22. 11. Sabb. 417, f.103 v . 12. ibid., f.104r : Kozvoç Âoroç nâaz K'ai vovç K'ai IJfVxlj, K'ozvà J.LVCl'rljpza, K'ozvr, n{a'rfç, K'0lvr, çmlj, K'OlVOÇ ovpavoç 'l'oiç nâazv ÈçljnÂm'l'az. Kozvà 'l'à K'a'l" ovpavov anav'l'a, JjÂ{ov cptiJç K'ai m:ÂljV11ç K'ai àa'l'Épmv t5zavrsza . K'OZVOç àiip 'l'oiç anaaz nspzK'Éxv'l'az, K'ozvr, xpfiazç nvpoç K'ai 8aÂaaaT]ç K'ai nO'l'{/Jov iJt5a'l'oç. Bi t5t navra K'ozva, t5fiÂov O'rf K'ai rfi K'ai 'l'à Èç aV'l'fiç anav'l'a, K'av Jj ànÂT]a'l'{a K'ai Jj 'l'vpavviç tcp' éav'l'iiv
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grandes masses d'hommes tués, faits prisonniers ou déportés en esclaves par les Turcs au cours de la guerre civile. 13 Ce que nous venons de dire à propos des opinions et des sentiments de Makrembolites en général, n'empêche pas que, pendant la première phase de la guerre civile, son attitude a été sous le signe d'un dilemme. Il est invraisemblable qu'il se soit enrôlé dans le parti que les 8vvaroi considéraient comme celui du 8ijf.Loç, c'est-à-dire celui conduit par le patriarche Jean Kalékas et par Alexios Apokaukos. Makrembolites voyait très bien, semble-t-il, que ce parti ne défendait pas effectivement les intérêts du 8ijf.Loç. Il écrivit son fameux Dialogue des Riches et des Pauvres au moment précis où Kalékas et Apokaukos étaient tout-puissants à Constantinople (automne 1343). L'oeuvre justifie notre conclusion selon laquelle Makrembolites fut loyal à l'égard du patriarche, mais qu'il considérait les partisans des Paléologues et de Cantacuzène en général comme des gens de la même farine. Les uns et les autres sont fauteurs de troubles; ils ruinent l'Etat et augmentent la misère des pauvres. Le palais impérial est peuplé de méchants qui ne prennent même pas soin de leurs propres OiKSlOl. Makrembolites est d'avis que le protecteur de l'Etat doit chasser ces gens du palais pour ne pas être souillé lui-même par le mal. 14 Puisque dans des écrits d'une date ultérieure Makrembolites désigne l'empereur (Cantacuzène) simplement comme f3aolÀsvç ou avaç, on peut être sûr qu'en octobre/novembre 1343 (date du Dialogue) il vise Kalékas en employant le terme protecteur de l'Etat (npoorar'1ç nov KOlVroV).IS Si donc Makrembolites à ce moment ne s'attendait pas à ce que le conflit apmioaoa rà trÂdm sOqJereploaro, ,uàÂÂov 8t 17 rijc; qJvoemc; ÉKrpOtrr, Kai trapa/lÂayij, trpOC; ijv aù8lC; stravayovoa 17,uàc; 17 ror} 8T/,ulOVpyor} svroÂij. 13. Deuxième Discours, publié ci-dessous; Lamentation sur Sain teSophie, éd. Kuruses (v. supra, note 6), p. 237. 14. Dialogue, éd. Sevcenko, p. 210: sI; v,urov 8' avrrov r{vec;; - pT/rÉov yàp Kai ror}ro, ei Kai v,uïv Étrax8ÉC; - Kvpevrai Kai rpvqJT/rai Kai oi ràc; KOlVàC; ov,uqJopàC; ÉI; atrÂT/or{ac; trpay,ua revo,uevol Kai oi· ràc; troÂelC; ovyXÉovrec; Kai rr,v treVlav avl;avovrec; . Kexaplo,uÉva yàp âv ë8ol;e rep 8eijj 8paoac; Kai 0 ror} KOlVor} trpoorarT/C;, roùc; ,uT/8t rrov oiKelmv trpovoov,uÉVOVC; ei ror} apxdov sl;w8T/oev/ iva SK rijc; oqJrov KaKlac; Kai avroc; âv ,uoÂvvolro.
,ur,
15. flpoorarT/C; signifie souvent, selon le contexte, un dirigeant d'affaires, temporelles ou ecclésiastiques (v. Lampe, Patristic Greek Lexicon, s.v.).
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amenât une amélioration du sort du ôfjj.lOç, il avait encore une autre raison pour ne pas prendre parti. Ses convictions religieuses impliquaient la désapprobation de toute rébellion, ceci en accord avec la doctrine sociale adoptée par l'Eglise dès le début. Cependant, Makrembolites dans son for intérieur n'était pas satisfait du rigorisme doctrinal, ce qui est très remarquable pour son temps. Dans son Dialogue il considère comme le pire de tout la doctrine selon laquelle le pauvre sera exclu du Royaume des Cieux s'il ne supporte pas patiemment toute sa misère, tandis que le riche y entrera facilement s'il s'intéresse tant soit peu au sort des pauvres. 16 Il ya là une énorme différence entre Makrembolites et Grégoire Palamas, lequel approuve la doctrine de l'Eglise sans hésitation, s'ingéniant même à démontrer que le riche avare est essentiellement différent du voleur et pour cette raison sera puni plus légèrement en Enfer, si Enfer et punition il y a pour lui. 17 Makrembolites lui, ne doute pas que les riches avares iront en Enfer et y brûleront. Toutefois, il est clair qu'au début Makrembolites n'assume pas toutes les conséquences de son dissentiment. C'est qu'à ce moment il accepte toujours comme une vérité révélée, donc indiscutable, l'injonction au pauvre de suppo~ter sa misère avec patience, même s'il ne peut s'empêcher de l'éprouver comme très cruelle. Aussi ne faut-il pas s'étonner de l'absence totale d'idées révQlutionnaires dans le Dialogue. Le pauvre y accuse assurément le riche, mais ses projets en vue d'une réforme de la société sont très simplistes. Il demande au riche de partager ses biens avec les pauvres; il propose des. mariages entre eux comme un moyen simple et efficace d'en finir avec la pauvreté à jamais. La pauvreté n'a jamais cessé d'exister parce que les riches et les pauvres se marient toujours dans leur propre milieu. lB Les violences du ôijj.lOç sont aux yeux de Makrembolites siplement oTaozç et condamnées comme telles. L'ambiguité de ses pensées et de ses sentiments se fait jour dans quelques lignes qu'il 16. Dialogue, éd. Sevcenko, p. 209: To ~t xaÀE7u!)"rspov, on K'ai trÉpa nç K'oÀaazç à7rapalr11rOç r,Jlâç à7rEK'~ÉXEral, tàv Jlil 7rpOÇ raDra EvxaplarWJlEV, UJlïv ~t K'ai {JaazÀE{a tÀ7r{~Eral, tàv 7rPOÇ r,Jlâç iÀECOV {JÀÉ7r11rE.
17. V. notre chapitre sur Palamas, p. 185-88. 18. Dialogue, éd. Sevcenko, p. 208.
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écrivit, l'été de 1345, en forme de canon, au plus chaud de la guerre civile, comme il le dit lui-même,19 après les massacres des 8vvaro{ par le 8fillOÇ de Constantinople et de Thessalonique. Makrembolites ne s'attriste pas du sort des victimes. Les hommes qui faisaient de la guerre leur métier ont été tués eux-mêmes par le glaive, parce qu'ils avaient violé la charité universelle, l'impératrice de toutes les vertus. 20 A un autre endroit du canon il écrit: Les impies haïssaient la paix, ils chérissaient la guerre; s'étant rangés du mauvais côté, ils périrent à juste titre. 21 Cependant, les responsables des massacres sont aux yeux de Makrembolites également des criminels, de sorte que la GraGzç a simplement détruit toute la gloire des Rhoméens. 22 Seul celui qui ne se met pas en colère à cause d'outrages, de mauvais traitements, de spoliations et de mépris, est rhomme qui aime vraiment la charité.23 Seule la charité chrétienne résout tous les problèmes. Voilà la morale des pages que nous venons de résumer. C'est la dernière fois que Makrembolites embrasse 8vvaro{ et 8fillOÇ dans une même répudiation du Mal. Quelques années plus tard sa haine des riches prend le dessus. Ils figurent seuls désormais dans ses écrits comme les vrais malfaiteurs. Leurs crimes ont enfoncé les digues de sa piété. Il va sans dire qu'un homme tel que Makrembolites ne pensa pas s'opposer à Cantacuzène à l'entrée de celui-ci dans Constantinople en 1347. Cependant, il ne manqua pas d'exprimer de sa manière particulière son opinion sur la victoire de l'usurpateur. Il croyait la fin du monde arrivée. Les tremblements de terre et les 19. Sabb. 417, f.106 v (in margine): TauTa sypaqJl1 dç nlv aKJ.lr,v TfjÇ EJ.lqJVÂiOV J.laXl1ç KaTà aVJ.l!3ovÀ-r,v Kai 1Capa{v~alv. 20. ibid., f.107 v , ode 6: EiqJl1 TOUÇ EV J.laxfi ~cOvTaç livSpaç KaTÉKTav~v aBÂicoç chç 6!3p{aavTaç Tr,V !3aalÂiSa TcOV ap~TcOv a1CaacOv aya1Cl1a1v Tr,V avvÉxovaav Tà aVJ.l1CavTa. Cf Deuxième Discours, f. 4S v: ol aSpoi TOU À-aou Kat 1CpOÉXOVT~Ç EK TfjÇ TOVTCOV (sc les sujets) aqJayfjç aVJ.l1CaVT~ç ax~Sov Tr,V 1Ciiaav V1Cap~lV lxovaz. 21. ibid., f.lOS v-109r : .Aaoç 6 Svaa~!3r,ç SJ.l{al1a~v ~ipr,V11V, 1ja1CaaaTo St J.laXl1V Kai W~TO eiK6TCOÇ KaKcOç SlaTa~aJ.l~Voç. Insistons sur le fait que À-a6ç n'est pas synonyme de SfjJ.l0ç. Cf l'usage du mot À-a6ç dans le Deuxième Discours. 22. ibid., ode 3, f.107 r : Nuv 1Ciiaav Tr,V TcOV 'PcoJ.la{cov ~ÜKÀ-~zaV 1] aTaazç wÀ-~a~ Kai Tà KaÀ-à lqJB~lP~V oaa 1] aya1Cl1 sKTr,aaTo. 23. ibid., f.109 r : "Ov V!3P~lÇ Kai 1CÀ-l1yai Kai ap1Cayai Kai qJB6vOl a6pYl1ToV Tl1Poualv, oVT6ç sanv 0 aTÉpycov YV11a{coç Tr,V aya1Cl1azv.
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raz de marée de 1343, les famines, la misère de la guerre civile, les grands massacres et les déportations de ses compatriotes par les Turcs, enfin l'écroulement d'une partie de la coupole de Sainte-Sophie (le 19 mai 1346),24 tout lui semblait déjà annoncer la catastrophe finale. Quand deux calamités succédèrent immédiatement à l'avènement de Cantacuzène, Makrembolites ne douta plus du rapport direct entre ces événements; il en augurait mal quant au proche avenir. La grande peste de 1347/48 fut suivie d'une catastrophe qui par ses aspects miraculeux semblait indiquer l'intervention directe de Dieu. Au cours de la guerre entre les Génois de Galata et Byzance (1348/49), la flotte byzantine périt inopinément sans coup férir. Devant les yeux d'une foule de spectateurs (Makrembolites et Grégoras étaient présents) l'équipage de la flotte impériale fut pris de panique de façon inexplicable, les Génois n'ayant encore opéré aucun mouvement. Les marins se jetèrent à l'eau afin de gagner la côte en nageant, mais se noyèrent presque tous à cause du poids de leurs armes. C'était un spectacle effrayant. Dans son Récit historique sur les relations entre les Génois et Byzance,25 Makrembolites fait entrer en scène la Justice personnifiée (BéJ.lu;) qui répond aux questions d'un autre personnage, le L1la7l'OpmV (celui qui est dans la perplexité). BéJ.llÇ explique les événements en condamnant l'empereur et l'ensemble de la société byzantine. Dieu a donné la victoire aux Génois parce que ceux-ci maintiennent la justice dans leur Etat. Bien qu'au cours des siècles ils aient commis de nombreux crimes contre les Byzantins, ils sont justes à l'égard de leurs propres sujets. Les Byzantins par contre se haïssent, se volent les uns les autres, se maudissent et s'entretuent. Depuis longtemps Dieu les a avertis, mais ils n'ont pas voulu
24. Sur l'étendue de l'écroulement v. les renseignements de Grégoras, XXVIII, Bonn III, p. 198-99 et de Cantacuzène IV, cap. 4, Bonn III, p. 29-30. Voir 1. Sevcenko, Notes on Stephen, The Novgorodian Pilgrim to Constantinople in the XIV Century dans Südostforschungen 12(1953), p. 165-75, ici p. 171-72; C. Mango, Materials for the Study of the Mosaics of St Sophia at Istanbul, Washington D.C. 1962, p. 66-67. 25.Sabb. 417, f.139 v-153 r , A6yoç la-roplK6ç ... éd. A. PapadopoulosKerameus dans 'AvaIlEK-ra 'rifç 'IepoaoÂvJ.ll'rlKfiç L-raXvoÂoy{aç, t.l, St Pétersbourg 1891, p. 144-59.
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L'entendre. Dieu s'est maintenant décidé à les prévenir d'une manière évidente; ils croiront plutôt leurs yeux que leurs oreilles. Depuis longtemps il leur a été dit que nul empereur peut être sauvé par sa propre puissance, ni un géant par sa vigueur corporelle maintenant ils l'ont vu de leurs yeux. 26 Pour Makrembolites le moment est venu d'abandonner tout espoir quant à la possibilité d'une solution pacifique des problèmes de l'Etat byzantin. Dans ses oeuvres il change de ton. On ne trouve plus chez lui les propositions anodines du Dialogue des Riches et des Pauvres. Désormais il tonne ainsi que les Prophètes de l'Ancien Testament et essaie de causer de l'effroi à ses lecteurs par des tableaux apocalyptiques. Le Récit historique donne un premier éhantillon de cette méthode. Ecoutons eéJ,lu;: S'Il veut, Dieu peut aisément humilier les superbes et élever les humbles, ainsi faisant droit aux justes, comme au temps de Sanhérib de Babylone, de Joram roi des Amorites, d'Achab, d'Amman, de Mardouk et de tous les autres rois (méchants), dont nous parle la Sainte Ecriture, qui mentionne en outre la défaite des onze tribus par une seule, grâce à la faveur de Dieu-Juge. Les Rhoméens ont vu maintenant que celui qui met son espoir en la flèche et le glaive est vraiment un sot, et que celui qui tire vanité de sa sagesse, de sa force et de ses richesses, n'a pas le droit de se vanter si ces avantages ne sont pas accompagnés de la vraie foi et d'oeuvres impeccables. Maintenant ils ont appris que le fort qui se fie à sa force est impuissant si le Seigneur n'affaiblit pas son adversaire. Car quand Dieu est le capitaine, même des femmes peuvent accomplir de grands exploits dans la lutte contre des forces redoutables, comme le montrent les exemples de Judith, Deborah et Jaël. Des essaims de guêpes assistèrent même les Hébreux dans leur efforts pour détruire leur ennemis, puisque ceux-ci ne méritaient pas d'être battus par des hommes. 27 26. ibid., p. 153-56; cit. p. 155; Kai ràp fjKOVOV roe; où awÇsral {3amÂeùe; c5là 1l'oÂÂr,v c5VVajllV, oùc5t r{rae; tv 1l'ÂJj(JSl iaxvoe; aùroü - vvvi c5t roüro Kai roie; aqJiiJv éwpaKaalv oqJ(JaÂjloie;. 27. ibid., p. 155-56: '0 ràp BSDe; ors {3ovJ..,eral pq.c5{we; rà vlJITlÂà ra1l'elvoi Kaf rà ra1l'slvà àvvlJloi roü c5lKa{ov àVrl1l'OlOVjleVOe;, c5{KalOe; wv, roe; t1l'f roü {3a{3vÂwv{ov EevaXTlPefjl Kaf roü '[wpàjl {3amÂÉwe; 'Ajlopa{wv, Kaf roü 'Axaà{3 Kaf roü 'Ajlàv Kaf Mapc5oxa{ov Kaf riiJv aÂÂwv wv al (JEi'al {3{{3ÂOl 1l'apac5sc5wKaal, jle(J' WV Kaf Jj rlrra riiJv Ëvc5eKa qJvÂiiJv 1l'apà
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De cette manière et pour ces raisons Dieu a donné la victoire aux Génois.
*** Il ressort du passage que nous venons de citer que, pour Makrembolites, foi orthodoxe (plus exactement: doctrines orthodoxes) et bonnes oeuvres sont inséparables. Cantacuzène, à son avis, ne manque pas seulement aux bonnes oeuvres, mais également à l'àK:plf3Eza 50YJ.uirrov. Il est clair que Makrembolites communique ainsi implicitement son opinion sur la doctrine nouvelle de Grégoire Palamas concernant les SVÉpYEzaz divines. Cette opinion nous est connue par un discours de sa main où il donne un exposé technique sur les ÈVÉpYEzaz sans faire mention de l'interprétation de Palamas. Cependant, le titre du discours en dit assez: Que celui qui ne croit pas aux énergies divines comme il convient, ne reconnaît pas Dieu Lui-même; et que Dieu est vu par les hommes bien-pensants dans Ses créatures; et que pour cette raison rexpérience physique des énergies est impossible. 28 MaJ.lliiç avayéypa1rTal ycvéo(Jal È1ri BcéjJ c51KaoTfi. Nuv yàp J.lCJ.la(Jr7Kaol 'PWJ.laiOl roç aÂ..17(Jmç J.laTaui'ovTa TOV È1ri T6çov Kal {JOJ.lqJa{av ÈÂ..1r{'ovTa Kai roç J.lil Èv oOqJ{q. Kai c5VVaJ.lCl Kai 1rÂ..ovnp TOV KaVXWJ.lCvOV Kavxiio(Jal, ci J.lil È1r' a KP1{3Elq. c50YJ.laTWV Kai épy01Ç aVC1rlÂ..r71rTOlÇ. "EJ.la(Jov J.lil iOXVC1V TOV ioxvovTa Èv TU iOXVl aUTou, ci J.lil KVPlOÇ ao(Jevfj TOV avTic51Kov aUTou 1r0lr70U . Kai yàp Bcou OTpaT17YOUVTOç J.lcyaÂ..a Kai yvvaiKcç KaTà J.lcyaÂ..wv apxmv EipyaoavTo, roç 'Iovc5iO Kai t1c{3wppa Kai ·Iar7Â... ·AÂ..Â..à Kai OJ.lr7V77 OVVCOTpaTr7Yovv 'E{3pa{Olç OqJ17Kmv TOÙÇ ÈvavT{ovç Tpc1r6J.lcva, oinvcç av(Jpw1r{Vijç ijTT17Ç avaçlol ÈKp{(J17oav. (Les derniers mots de cette Tfiç
tirade ont été empruntés à Philon d'Alexandrie, De praemiis et poenis, v. l'appendice, note 37). Il va sans dire que les paroles de Themis rendent les sentiments de Makrembolites. Celui-ci venait de louer quelques pages auparavant, en peu de mots et de piètre façon, en comparaison avec l'exubérance d'usage chez les auteurs byzantins, l'empereur Cantacuzène (p. 150). Makrembolites pensait peut-être se couvrir par ces compliments. En ce cas il n'a pas été très habile. Qui peut prendre au sérieux les louanges à l'adresse de l'empereur en raison de sa sagesse et de son courage, lorsque peu après l'auteur argumente que ces qualités ne valent rien si elles ne sont pas accompagnées de vertus d'ordre religieux et moral? 28. Sabb. 417, f.113 v-125 r : Tou aUTou. "On 6 Tàç TOU Bcou Èvcpydaç
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krembolites ne parle pas du tout de la lumière de Thabor, ni ne se demande si les énergies sont créées ou incréées. Bref, il rejette sans façon la doctrine de Palamas. Il a prononcé, dit-il, le discours en question dans une réunion d'amis laïques qui l'avaient souvent prié de leur faire savoir son opinion à ce sujet. Il n'a accédé à leurs demandes que par peur d'être blâmé par eux. 29 Makrembolites craignait peut-être de se prononcer catégoriquement et en public. A ce moment en effet le patriarche Isidore Bucheiras (occupant le trône patriarcal de 1347 à 1350) sévissait contre les prêtres séditieux et antipalamites à Constantinople, sans négliger les prêcheurs laïques. 30 Dès le début de l'effondrement du régime de Cantacuzène sous la menace de la reprise des hostilités par Jean V Paléologue (1351/52), Makrembolites osa avouer franchement qu'il considérait le palamisme comme une hérésie. Il l'a fait dans sa Lamentation sur Sainte-Sophie, écroulée par suite d'un grand nombre de
on
J..171 maù;vcov roç ~û ou~t roûrov {)j.1oÀ,0YEi K'ai K'av roiç auroû nOl'T]j.1aalV {) Bâ'ç K'aBopiiral roiç voûv €xovalv, OBEV ou~' 1) rovrcov K'araÀ,17lJ1lç aÀ,17nroç. Makrembolites distingue et traite l'une après l'autre quatre énergies: ~VVaj.1lç, ayaBor17ç, qJlÀ,avBpcon{a, npoyvcoazç. Chaque
fois il en arrive à la copclusion que l'énergie qu'il vient de traiter se dérobe à la perception sensible. Donnons en exemple la conclusion sur la ~VVaj.1lç (f.116v): Elyoûv rD nOlK'{À,ov rfjç auroû cpvaEcoç j.1ovov {) npocp'Tjr17ç ouroç (sc David, cf Ps. 103,24) K'aravo'Tjaaç Èv nVEVj.1an j.1Er' ÈK'nÀ,'TjçEcoç EuBuç anEn'Tj~17aE TO aVÉcplK'rOV rpavwç {)j.1oÀ,oy'Tjaaç TfjÇ K'araÀ,'TjIJlEcoç, miJç OUx untp K'arciÀ.17lJ1lv 1) K'ai TaÀ,À,a navra ~17j.1lOvpyriaaaa ~VVaj.1lç ourco j.1ÉYlara rE ovra K'ai anElpa, Ècp' o[ç K'ai auroç, roç yÉypanTal, ÈnEvcppa{vETal. El ~t aunl navranaalv aÀ,17nroç, noacp j.1iiÀ,À,ov K'ar' oua{av auroç {) mzvrcov ~17j.1lOvPyoç, ou j.117~t ovoj.1a 1) K'rialç ÈyvwplaEv oua{aç ~17À,conK'OV; 29. ibid., f. 125r : Taûra j.1tv oll~lwral 1)j.1Eiç rD K'aBoÀ,ov K'ai rfjç BEiaç rD napanav aj.1ÉroxOl xaplroç nEpi rwv ~l' 1)j.1iiç ÈK' BEOÛ nap17Yj.1ÉvCOV K'ai rwv alr{cov aurwv roç ÈcplK'rOV ~lEÇ7jElj.1EV ÈK' rfjç BE{aç ypacpfjç rov €pavov nOl17aaj.1EVol. nA K'ai nporEpov anD Çwa17Ç cpcovfjç npoç TOUÇ avv~lalrCOj.1Évovç 1)j.1iv l~lwraç nOÀ,À,aK'lç Elp'TjK'aj.1EV napOpj.117BÉvTEç un' aurwv K'ai ~Eiaav'l"Eç rD rfjç napaK'ofjç Èmrij.1lOv. Kai yàp rD nEpi rovrcov K'ai j.1aB17ràç K'ai ~l~aaK'aÀ,ovç roç ÈcplK'rOV aEi ~laÀ,ÉyEaBal K'ai BEi[J cp{À,ov Èan K'ai EuapEarov. Il est clair que Makrembolites défend ici le droit des laï-
ques de lire la Sainte Ecriture et de se former eux-mêmes un jugement indépendent. 30. Philothée Kokkinos, Vita Isidori, cap. 54, éd. Tsames, p. 396.
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tremblements de terre successifs. 31 On ne sait pas si l'oeuvre a été lue en public. Le texte qui nous est parvenu ne date pas de 1346, mais de quelques années plus tard, selon toute probabilité de l'hiver de 1353/54; il fut écrit (ou ré-écrit) à l'occasion des travaux de réparation ordonnés par Cantacuzène pendant cette période. 32 31. Bic; rr,v ayiav Locpiav 7reaoüaav U7rD 7roÀ.À.cOv Karà avvÉxelav yevoJ,lÉvrov aelaJ,l cO v , éd. Kuruses dans son article cité supra, note 6,
p. 235-40. 32. Le texte de la Lamentation sur Sainte-Sophie dans la forme qui nous est parvenue, présente des problèmes. A première vue il semble avoir été rédigé peu de temps après le mois de mai 1346, immédiatement après l'accident, considéré par beaucoup de Byzantins - parmi lesquels Makrembolites - comme un signe précurseur de la fin du monde. En effet, Sevcenko ne doute pas que la date de la Lamentation soit 1346 (Dialogue, p. 191-92, v. également son article Notes on Stephen, cité supra, note 24, p. 170). Il y a pourtant des indices suggérant une date bien ultérieure. En premier lieu, il faut tenir compte des allusions aux épidémies de peste de 1347-49. Kuruses, divergeant de Sevcenko, ajoute deux autres arguments prouvant à son avis que la composition de la Lamentation doit être datée bien après 1346. Ceuxci nous semblent beaucoup moins convaincants (v. son article cité supra, note 6, p. 230-32). Cependant, selon nous, un indice important dans le texte confirme malgré tout la datation de Kuruses. Un passage, appuyant sur l'antithèse entre la maison de Dieu, faite de mains d'hommes (la Sainte-Sophie) et la maison vivante de Dieu (l'homme même) est identique à un passage du Deuxième Discours, dont nous publions une grande partie dans l'appendice. Ce discours a été écrit certainement sous le règne de Cantacuzène, vers 1351/52 (v. infra, p. 269). La question se pose si Makrembolites a écrit le discours dans l'intention de développer le thème de la Lamentation, ou bien s'il a inséré un fragment du discours dans la Lamentation. La réponse nous semble claire. Le fragment cadre parfaitement avec tout le reste du discours, tandis qu'il ne s'accorde pas avec le ton rhétorique de la Lamentation. Il trahit sa provenance d'une oeuvre qui a le caractère d'une dissertation. Dans la Lamentation le fragment se présente même comme un passage incohérent et difficile à comprendre, ce qui ne s'explique que partiellement par l'existence d'une lacune entre les ff.Ill v et Il2r . Quoi qu'il en soit, le ton du passage contraste avec le style du reste de la Lamentation, tandis qu'il n'offre aucune difficulté dans le contexte du discours. Ajoutons la correction, dans la Lamentation, de quelques passages maladroits figurant dans le discours (v. l'appendice, note 22). Nous en concluons que le texte de la Lamentation parvenu jusqu'à nous est une deuxième version d'une Lamentation originale, écrite, elle, en réaction directe à l'accident arrivé à SainteSophie et égarée. L'auteur a révisé alors le texte dans son entier, ce qui est prouvé par la men-
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Makrembolites le prend sur un ton très acerbe. C'est une absurdité de restaurer la maison de Dieu et de détruire en même temps ceux qui la sanctifient, à savoir des hommes - les temples et les icônes vivants de Dieu. On ne peut plus douter de la proximité de la fin du monde: Et puis, n'avons nous pas perdu nos âmes avant la destruction de nos corps - ·par de multiples parjures et excommunications? N'a-t-on pas introduit des hérésies, qui ont trouvé leur origine dans rélite de notre société? Et je ne parle pas du fait que nous avons abandonné Dieu à la légère en mettant souvent notre espoir dans celui qui sans pitié nous dévore quotidiennement et dans son protecteur misérable. 33 Qui nous dévore quotidiennement constitute une allusion aux Ps. 13(14),4; employée, au pluriel, traditionnellement par Makrembolites et d'autres auteurs byzantins pour désigner des représentants criminels du pouvoir impérial. 34 Dans le cas présent Makrembolites vise sans doute l'empereur lui-même, Cantacuzène. Il est à présumer que son protecteur misérable est Orkhan. 3S
*** tion de la grande peste et de ses conséquences catastrophiques (éd. Kuruses, p. 236). Des travaux de réparation eurent lieu en 1346, donc sur l'ordre de l'impératrice Anna, mais furent suspendus; ils furent repris de décembre 1353 à février 1354, sur l'ordre de Cantacuzène (v. la bibliographie citée supra, note 24.) La critique des autorités dans la Lamentation dont nous disposons est donc dirigée contre Cantacuzène, ce qui est parfaitement en concordance avec le Récit Historique et avec le discours que nous allons citer. La Lamentation a dû être écrite peu de temps après le discours. 33. éd. Kuruses, p. 237: ov Kai ràç I/fvXàç 7rPO rwv aWJlarwv Tep 7r).,1jOEl rwv èmopK{WV Kai nov àqJoplaJlWV à7rw).,ÉaaJlEV; OVXi Kai a{pÉaElç èVÉKVl/faV èK TOU KpElrrOVOç JlÉpovç r,JlWV; èw yàp Ei7rEïv OT! Kai eEOV Kara).,l7rOVrEç è~ àf30vMaç Tep KarEaO{OVTl r,Jliiç àqJElcSWÇ OaTIJlÉpal Kai Tep rOIJrov cSvar1jvlp 7rpoarar7] ràç è).,7r{cSaç 7ro).,).,aKlç rijç awrl1P{aç èOÉJlEOa.
34. Cf Deuxième Discours, appendice, p. 278; Athanase (éd. MaffreyTalbot), ep.35, p. 72; ep. 59, p. 130; Vat.Gr. 2219, f.65, cité par Boojamra dans son article cité supra, note 10, p. 354; Théolepte de Philadelphie, Aoyoç 7rapalVETlKOÇ, cité par Kuruses dans son livre sur Manuel Gabalas, p. 318. 35. L'identification des personnes visées par Makrembolites dépend évidemment de la datation du texte. Sevcenko, croyant à tort que la Lamentation datait de 1346, pensait que celui qui nous dévore quotidiennement était
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Peu de temps avant la Lamentation sur Sainte-Sophie, Makrembolites avait écrit un traité assez long sur le désarroi spirituel et moral de la société de son époque. L'oeuvre est, en quelque sorte, un résumé de ses pensées sur la guerre civile. L'auteur est d'avis que la cause profonde des massacres et des déportations des Byzantins par les Turcs est à chercher dans les péchés des victimes mêmes; leur foi ne s'accompagne pas de bonnes oeuvres. Cette conception est traditionnelle en soi, banale même, mais elle acquiert une signification exceptionnelle par l'interprétation que Makrembolites lui confère. Il s'avère qu'il n'attribue pas à tous les Byzantins la responsabilité des calamités qui les frappent, comme il est d'usage dans des traités de ce genre. 36 Les coupables, ce sont les riches et les aristocrates, les autorités laïques et ecclésiastiques. Bien sûr, Makrembolites écrit que le monde entier est malade, à commencer par les plus pauvres jusqu'à l'empereur luimême. Un peu plus loin, toutefois, il considère que le plus grand péché des pauvres est leur propension au suicide; ils y sont portés sous le fardeau de l'injustice dont ils souffrent sans répit. 37 Makrembolites estime que le suicide est un péché plus grave que le meurtre mais il finit quand même dans une certaine mesure par disculper la masse du peuple, en accusant avec une grande véhémence les vrais coupables, c'est-à-dire ceux qui le réduisent au désespoir. Il est à noter ensuite que Makrembolites insiste d'une manière frappante sur le point de doctrine selon lequel la foi est morte sans les oeuvres, dans la formulation succincte qui lui est donnée Alexios Apokaukos et son protecteur misérable Kalekas (Dialogue, p. 191-92). Cependant, Apokaukos fut assassiné le Il juin 1345, comme l'a déjà signalé Kuruses (art. cité, p. 232). npoaTllTQC; désigne selon Sevcenko souvent un patriarche, mais le mot peut bien avoir une autre signification (v. supra, note 15). Kuruses pense respectivement à Orkhan et à Mahomet (art. cité, p. 232). Cette conjecture est également inacceptable. Makrembolites parle en effet de la situation présente dans laquelle les Byzantins ont mis leur espoir dans des hommes vivants. 36. Voir C. J . G. Turner, Pages from Late Byzantine Philosophy of History dans BZ 57(1964), p. 346-73; J.-L. van Dieten, Politische Ideologie und Niedergang im Byzanz der Palaiologen dans Zeitschrift für Historische Forschung 6(1979), p. 1-35, particulièrement p. 26, note 91 avec bibliographie. 37. Deuxième Discours, f. 45 r , v. appendice, p. 283.
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dans l'Epître de Jacques (2,17;26). Quelques décennies plus tôt le patriarche Athanase s'était souvent prévalu de ces paroles apostoliques. 38 Les théologiens du milieu du siècle les négligent et ce n'est pas par hasard s'ils se soucient le moins du monde des maux sociaux de leur temps. Nulle part dans les oeuvres de théologiens palamites tels Philothée Kokkinos et Joseph Kalothetos le passage célèbre de l'Epître de Jacques est cité. Palamas y fait allusion dans la Lettre à son Eglise, mais par pur intérêt personnel, nous l'avons montré ailleurs. 39 A ce propos il est intéressant de comparer les deux vitae d'Athanase parvenues jusqu'à nous, celle de Théoktistos, un moine du couvent de Studios, qui l'écrivit peu de temps après la mort d'Athanase, et celle de Joseph Kalothetos, d'une date ultérieure. Théoktistos s'étend avec enthousiasme sur les lettres écrites par Athanase à l'empereur et à d'autres autorités dans l'intention de combattre l'injustice sociale de son temps. Il recommande à ses lecteurs de les lire à leur tour. Rien de tout cela chez Kalothetos. Appartenant à une famille aristocratique, il était palamite à outrance. 40 Makrembolites a été, semble-t-il, seul à obéir au conseil de Théoktistos. Il a d'ailleurs beaucoup en commun avec le patriarche par la manière dont il se sert des textes bibliques. Ce qui le distingue d'Athanase c'est qu'il s'identifie vraiment aux pauvres, en puisant à cette fin aux sources peu citées de son temps, particulièrement les livres prophétiques d'Habakuk, de Zacharie et de Malachie. Makrembolites rédigea le traité dont nous venons de parler à l'occasion de rumeurs inquiétantes qu'il entendait autour de lui. Certains se demandaient si les victoires des Turcs pouvaient s'expliquer par la possibilité que leur religion soit vraie. Prenant son 38. ep. 110, p. 274 (éd. Maffrey Talbot); Vat. Gr. 2219, f.133 r , cité par Boojamra, art.cité supra, note 10, p. 345. Athanase insiste dans toutes ses lettres sur l'importance des oeuvres: ep. 25-28,35,47-50,61,71-4,82,83, 110. 39. v. notre chapitre sur Palamas, p. 201. 40. Théoktistos, Vita Athanasii, éd. Papadopoulos-Kerameus dans Zapiski istoriko-filologitsjeskago fak. Imp. S-Pet. Univ., 76(1905), p. 1-51, ici p. 24-26. Joseph Kalothetos, Vita Athanasii dans Evyyp., éd. Tsames, p. 453-502. Kalothetos ne peut éviter de parler de la charité d'Athanase, mais il le fait en passant (p. 484, lignes 1027-29; p. 496, cap. 32 sur la famine de 1306/7).
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point de départ du Ps. 72 (73) Makrembolites commence par poser que Dieu est juste. Les Turcs ne sont qu'un fléau de Dieu par lequel Il punit les Byzantins de leurs péchés. Il y a là un parallèle avec les nations païennes dont Dieu s'était servi pour châtier Israël. On peut imaginer que la religion des Turcs soit vraie quand on voit leur fermeté inébranlable, le fanatisme qui les inspire à s'accrocher avec tenacité à leur maudite doctrine d'erreur, à la propager même par des efforts physiques inouïs, couronnés par des succès matériels spectaculaires, tandis qu'au même moment les Byzantins changent leur dogmes et négligent les oeuvres qui sont le supplément indispensable à leur foi. Cependant, quand on reprend ses esprits, on voit tout de suite qu'il est absurde et impie de penser que les Turcs peuvent avoir la vraie foi. 41 Nous abordons à présent la partie du traité qui en forme le noyau. Sur un point essentiel, l'auteur adopte un point de vue plus tempéré sur une thèse que, dès le début, il n'avait pas défendue conséquemment. Ce n'est pas l'état de péché où se trouve l'ensemble de la société qui a causé sa misère; c'est l'état de péché où se trouve l'élite qui a excité le courroux de Dieu. Encore une fois, l'opinion orthodoxe de Makrembolites croule sous son indignation toute humaine. Il en vient à parler· des alliances turques de l'empereur. Bien qu'il se serve de circonlocutions, sa critique ne souffre pas de doute. D'autre part ses attaques contre l'élite en général deviennent mordantes comme nulle part ailleurs dans ses écrits. Si Makrembolites méprise surtout les autorités ecclésiastiques et théologiques, c'est parce que leurs crimes ne sont pas moins graves que ceux des autorités temporelles. Pendant que les dernières massacraient et dévoraient inhumainement le peuple qui leur était soumis, celles-là se tenaient, indifférentes, impassibles et lâches, à l'écart du carnage, se refusant à voir ce qui se passait devant leurs yeux. La religion de l'élite - laïques aussi bien que prêtres - est toute formelle. L'élite n'accorde aucune valeur à la vie des simples. Elle ne songe pas qu'eux aussi sont des icônes vivantes et des temples de Dieu. Qui dégrade l'homme dégrade Dieu. A quoi servent dans cette situation le culte des icônes et les autres rites de l'Eglise? Les membres de l'élite ne font que faire accroire aux autres qu'ils croient. La fin du monde est proche. Le 41. Deuxième Discours, f.32 v-34f , v. appendice, p. 273.
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Seigneur, veillant sur Son troupeau, va punir les puissants et les évêques. L'auteur leur prédit des châtiments terribles, citant Jérémie 23, 1-2: Malheur aux pasteurs qui détruisent et dispersent le troupeau de ma pâture! Vous avez dispersé mon troupeau et vous l'avez chassé, et vous ne l'avez pas visité; voici, je visite sur vous l'iniquité de vos actions.
*** Nous ne croyons pas que le traité en question a été rendu public. Makrembolites n'y aurait probablement pas servécu. Peu importe à l'historien. L'essentiel pour lui c'est qu'au moins une voix lui soit parvenue lui faisant oublier un moment les bassesses qui doivent nécessairement retenir son attention dans l'étude d'une époque de l'histoire byzantine négligée à tort. N'exagérons pourtant pas la valeur intrinsèque des écrits de Makrembolites. Ils témoignent en soi d'une incapacité intellectuelle et littéraire (celleci vraiment ahurissante) rachetée par une parfaite rectitude morale et religieuse. Mais c'est justement l'insignifiance de Makrembolites sous les autres aspects qui nous aide à voir clairement que l'élite byzantine a pu écraser le peuple sans avoir à craindre de sa part une opposition vraiment dangereuse, enracinée dans des motifs nettement politiques.
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APPENDICE
Extrait du Deuxième Discours d'Alexios Makrembolites
Les écrits d'Alexios Makrembolites parvenus jusqu'à nous (sauf quelques poèmes conservés dans le Laur. 32,19) sont contenus dans le Sabbaiticus 417, reposant dans la Bibliothèque Patriarcale de Jérusalem. Le Deuxième Discours (Aoyoç ocvrcpoç) comprend les feuilles 22 v-51 v du manuscrit. Les fragments que nous publions ici, forment un peu plus de la moitié du texte entier. Les parties omises ne constituent que des répétitions presque inchangées de l'argumentation générale, entrelardées de citations bibliques, n'ajoutant rien d'essentiel à l'ensemble. Notre transcription a été faite d'après un microfilm du manuscrit, se trouvant dans la Library of Congress, Washington D.C. Quelques détails dans le texte nous permettent une datation approximative. Il est question de tremblements de terre et d'épidémies de peste (f.45 V). L'auteur fait allusion à un empereur lié à des gens impies parlant une langue barbare (f. 36C 36V ). La guerre civile fait toujours rage (f.51 r -51 v), mais la masse du peuple est devenue totalement apathique (f.45 V). Le mot orcxozç n'est jamais employé, ni un autre suggérant une insurrection ou une révolte populaire. D'autre part, Dieu a déjà frappé les autorités temporelles de punitions terribles (f.49 r ) Il semble, tout compte fait, que le discours a été écrit pendant les dernières années du règne de Cantacuzène, après la reprise des hostilités par Jean V Paléologue. Dans notre transcription nous avons rectifié, sans les signaler dans les notes, quelques petites fautes d'orthographe et erreurs de plume.
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f. 22v
f. 23 r
Tou aùrou Âoyoç c5evrepoç* ~Anoc5elçlç on c5là ràç ujlaprzaç 7]jlmv eiç npovojl'iW K~i aiXjlaÂmazav roïç ë8vealv eçec5087]jlev Kai on àc5vvarov àno nzaremç jloV7]ç am8fjvaz nva, roanep Kai Çfjaal xmpiç nvevjlaroç . nzanç yàp xmpiç ëpymv veKpa, roç Kai ëpya xmpiç nzaremç. 1 '0 ràç àÂÂenaÂÂ7]Âovç 8avjlaÇmv enlc5pojlàç rrov e8vrov Kai r7}v Ka8~ r,jlrov enz roaourov aùrrov eÙc50KZjl7]alv Kaj c5là rouro Kai eùaefJeïv aùroùç iamç oiojlevoç, roïç rovrmv ëpYOlÇ napafJaÂÂérm nporepov rà r,jlérepa Kai jlav8avérm oaov raura eKezvmv ànoÂljlnaVOvral. 2 EIra Kaz ràç Karà ~Iovc5azmv ecpoc5ovç eçeraÇérm jlaÂlara Kai rov rovrmv oparm eiç réÂoç àqJavlajlOV, enei Kai r,jleïç Biç r7}v aùrrov eKezvmv pzÇav eveKevrpza87]jlev Kai fjv naÂal nort c50çav eIxov aùroi jler' eKezvovç r,jleiç aaqJroç nenÂoVr7]Kajlev. Kai ei rrov Karà (fJValV / KÂac5mv àya8rov jl7} eveyKovrmv Kapnov OÙK e(fJezaaro, 3 àÂÂ' eçéKO'lfe réÂeov, nOÂÂep jlàÂÂov r,jlrov où (fJezaeral Kapnov jl7} eveyKovrmv; "Ov aùroç OÙK e(fJzeral, enei jl7]c5~ àyyéÂmv Ujlapr7]aavrmv e(fJezaaro jl7]c5~ aùrrov r,jlrov rep OjlOÜp un' aùrrov aVÂÂaymy7]8évrmv Kai unoneaovrmv eyKÂ7]jlan, àÂÂ' àjl(fJorépovç aùrzKa raïç àV7]KOVaalç jlaarlçlv erpaVjlarlae . Kai oan(ç Ii)plaroç iarpoç ro aea7]noç eKKO'lfaç ànwaaro, iva jl7} Kai ro uyzaïvov avvc5laqJ8ezp7]ral Kai ànoÂéau, Karà ro yeypajljlévov, 0 àaefJ7}ç rov c5zKalov. 4 L\lO Kai ràç Kar' eKezvmv
* in margine: npoç nva àVnpp7]rl(Koç) rov ràç u(yzaç e) iKovaç aiXjlaÂwrovç ic50vra Kai unD rou ÂOYlajlOU evoXÂ7]8fjval roç ëÂeye op8oveIval ro c50yjla ô oi rfjç .,Ayap npeaf3evovalv. 1. Jac. 2, 17; 2, 20; 2, 26. 2. Il faut se garder de croire que Makrembolites, en comparant les épya des Turcs à ceux des chrétiens, veuille égaler les épya des Turcs à ce que les chrétiens entendent par "bonnes oeuvres" et dire que les Turcs seraient moralement supérieurs aux Byzantins. Il pose seulement que les Byzantins font beaucoup moins pour leur religion que les Turcs pour la leur. Il faut lire ce passage d'introduction en rapport avec les ff. 27-28,32-34 et 46-47. V. aussi infra, note Il. 3. Rom. 11, 21. 4. Cf Gen. 18, 23; Matth. 7, 19; Luc. 3, 9.
270
à1l'SlÀàç Ëni ,uâÀÀov av nç sinol Kai Ka(J' r,,uWV, Ë1l'si Kai ,uâÀÀov ËKsivrov ,usTà T11v XaplV r,,uSlÇ a,uapTllvo,usv. 'AÀÀ' ËKsivrov ,utv oi SÙ(JSlÇ Tfi Kap8i~ «wç àya(Joç 0 (Jsoç 'IopaijÀ»5 Kai TooaUTa 1l'UOXOVTsç lÀsyov, onsp T11V unsp{3oÀijv 8siKVVOl Tfiç àya(JOT1]TOÇ TOU (JSOU . ÀéYSl 8t on 1l'OÀÀijv / 0 (Jsoç TOU 'IopaijÀ 1l'OlSlTal K1]8s,uoviav. 'AÀÀà TOUTO Où nUVTsç ioaOlV, àÀÀ' 'Op(JOlÇ Kai uYléol XpdJ,uSVOl ÀOylO,uOlÇ . oi 8t ,ulKPOIJIVXOUVTSÇ Ëep' olç oi 1l'OV1]poi sùnpaYOUOl Kai 8VOTVXOUOlV oi àya(Joi 81],uooi~ TijV ÇUÀ1]V ÀOYlO,uWV ànoqJaivoVTSÇ. ( ...)
f. 23 v
[Ici suit un exposé dans lequel Makrembolites pose qu'un homme pieux ne se demande pas pourquoi Dieu le punit. Il est d'ailleurs évident que les Byzantins sont châtiés parce que leurs péchés sont terribles, beaucoup plus terribles que ceux des Hébreux. Quand le moment du châtiment est venu, les instruments ne lui font jamais défaut.]
"OTS ovv 8slTal KoÀaoTwv 0 (Jsoç, xpfiTal VUV ,utv àysÀuPXalç àKpi8rov 8ai,uool, vuv 8t tpya Àl,uoi . Kai vuv ,utv l(JVSl {3ap{3up({J, vuv 8t apxovn 1l'OV1]pcp, Ka(JU1l'aç si1l'slv, Talç Ë1l'lT1]8siolÇ siç TO nOlfioal KaKà 81],uoola qJUOSOl. MlOSl8' o,uroç aÙTuç, on npoç TOUTO ysyovaolv Ë1l'lT1j8slOl . où yàp Ënoi1]osv 0 (Jsoç 6pyava ov,uepopwv, àÀÀ' uqJ' éavTwv siç TOUTO Tax(JslolV éTOi,uroç Ëxp1joaTo . TWV,uSVTOi KOÀaÇo,uévrov 0 (Jsoç K1j8sTal, où8tyàp où8t TOUTO ,ulKpOVË1l'lOK01l'fiç àçlro(Jfival (Jsou Kai Ka(J1jpao(Jal 8là 8iK1]Ç Tà a,uapT1j,uaTa. Ai 8t n,uropoi qJUOSlÇ sioiv ai / nUVT' à1l'OOTpOqJOl TOU (JSOU . TO yàp àepaVlonKov Tep 81],ulOVPYCP 81jnov 1l'OÀé,ulOV. ( ...)
rov
LilroKO,uévrov yàp uno Tfiç a,uapTiaç TWV àPSTWV Kai r, sùos{3sia ovvavaxropSl TO 1l'apSlVal Ëv Tep ,uij1l'apSlVal lxovoa. OUTroÇ «vioi 'HÀsi, vioi ÀOl,uoi Kai OÙK si80Tsç TOV (JSOV»,6 OÙK Ëv Tep àpvslo(Jal aÙTov 8là oTo,uaToç, àÀÀ' Ëv Tep Tàç aloxpovpyiaç TSÀslv Ëv Tfi oK1]vfi. Kai oi TOKiÇoVTSÇ TOV (JSOV OÙK oi8aOlV . aÙToç ÀéYSl . «TOKOÇ Ë1l'i TOK({J Kai 8oÀoç Ëni
5. Ps. 72 (73), 1. 6. 1 Rois 2, 12 (1 Sam. 2, 12). 271
(f. 27 V)
f. 28 r
(f. 32r )
8oÀQ) . OÙK ijOÉÀl1aav d8ÉvaI /lS»,7 ÀÉYSI KVPlOÇ, rov dnovra . «tàv sK8avs{a7]ç àpyVplOV rep à8sÀepep Tep nSVIXPep, OÙK taft
f. 32V
aùrov KarSTCS{YroV, OÙK tTCI01jasIç aùrep».8 IIav yàp a tàv nOI1ja7] nç· dç rov nÀl1a{ov, sirs àyaOov tanv sirs Kai roùvavrlov, roûro dç tavrov XpIaroç àva8Éxsral, av tepopsas 8Ià roû !3aTCr{a/laroç . «tep' oaov yap, »qJl1a{v,« tTCol1jaars rovrrov nov à8sÀeprov /lOV rrov tÀax{arrov, t/loi tTCol1jaars».9 'ETCsi yoûv oaa dç rov TCÀl1a{ov tçap,apraVO/lSv dç aùrov a/lapraVO/lSv, /l'il OaV/lasro/lSv / TCroÇ dç aiX/laÀroa{av navav8i naps80011/lSV Kai VTCO rrov !3ap!3aprov àei Karaarparl1yoV/lsOa. M118t ÀÉyro/lSV TCroÇ OÀ{YOI rrov tvavr{rov nÀs{ovç Karà TCOÀÙ rrov r,/lsrÉprov tKparl1aav . rrov yàp ",vxrov r,/lrov vno rrov vOl1rrov 8va/lsvrov ùX/laÀrona/lÉvrov dKorroç Kai rà aW/lara roiç aiaOl1roiç tçs80011aav, orl OÙK tv Tep nÀ1jOsl ro vIKav Kai rrov nOÀS/l{rov Kparsiv, àÀÀ' tv Tep sùas!3siv Kai 8{Kala nparrSIv . «où yàp roiç KOVepOIÇ 0 8po/loç», qJl1a{v, «où8t roiç 8vvaroiç 0 TCoÀS/lOç».IO @aV/lasro/lSv 8t /laÀÀov d Ka{ nors r,/lsiç aùrrov rOlOûrOl ovrsç TCSPIysVO/lSOa, tTCsi Kai tç aùrrov noÀÀoi /lsO'r,/lrov sia{v, oaOl Tep rponQ) rr,v n{arIv epOavoval Kai 8ÉovraI roû OVO/laroç ro épyov éxovrsç, mç Kai TCoÀÀoi rrov r,/lsrÉprov où /lsO' r,/lrov da {v, oüç 0 !3{oç àÀÀorplOi roû KOIVOÛ aW/laroç. Il 7. Jér. 9,5. 8. Ex. 22,25. 9. Matth. 25, 40. 10. Eccl. 9, 11. Il. Quand Makrembolites parle des Turcs qui se conduisent en vrais chrétiens, il pense sans doute aux individus qu'il connaît personnellement et non pas aux armées d'Umur ou d'Orkhan. N'oublions pas qu'il y avait à Constantinople une mosquée, centre d'un quartier islamique (v. Athanase, ep. 41, p. 82, éd. Maffrey Talbot; pour d'autres sources, voir le commentaire de l'éditrice avec bibliographie, p. 350). Makrembolites se sert ici d'une tournure rhétorique. En écrivant beaucoup d'eux sont avec nous, il fait allusion à ceux qui sont chez nous; quand il continue: beaucoup des nôtres, par contre, ne sont pas avec nous, il vise les méchants byzantins et fauteurs de troubles dont il va énumérer les péchés. Il est inadmissible de considérer ce passage comme un témoignage de sympathie envers les Turcs en général. Le texte du discours tout entier exprime le contraire. Tout en les employant comme Ses instruments, Dieu hait les Turcs parce qu'ils incarnent ce qui est destructif (Ta atpaVlOTlKOV) V. f.27 v-28 r . Cf aussi f. 46v .
272
Kai 01UÙÇ aKOVê napêÀa{30J-LêV JjJ-Lêiç tK (}êOU 8oYJ-Lara Kai KaVOVaç, nzarzv 811Àovorz àÀl1(}fj Kai ëpya tvwnLOv nov àv(}pwnmv cbç qJwç / 8zaÀaJ-Lnovra Kai r7}v nzarzv arl1pz'ovra Kai rà ë(}V1] npoç r7}v rfjç àÀ1j(}êzaç tnzyvmazv ÉÀKovra. Kai r7}v J-Ltv tnznoÀazmç Kai 8zà lJIzÀou Àoyov J-LOVOV KêKr1jJ-Lê(}a cbç Kai rà 8azJ-Lovza . rà 8t àVêrptlJlaJ-Ltv rê Kai Jj(}êr1jaaJ-LêV Kai onzam rwv optçêmv JjJ-LWV tnopêv(}l1J-LêV Kai àJ-Lêraarpênri nOpêV0J-Lê(}a. 'EKêivoz 8t uno rzvoç àvoazov Kai naÀaJ-L vazov àv8poç12 {3ÀaaqJl1J-L0v Kai nênÀaVl1J-Ltvov 8za8êçaJ-LêVOZ 8oYJ-La, rouro Kai J-Ltxpz navroç àJ-LêraKzv1jrmç navru Kai àJ-Lêra(}trmç npêa{3êvovaz Kai aêJ-LVVVOvazv. "Epya 8t rozaura qJvazKwç Karà rov ànoaroÀov 13 êÏç OiK08oJ-L7}v rou aa(}pou Kai à(}tov rovrovi 8oYJ-Laroç trêKr1jvavro, roarê 8vvaa(}az 8zà ro iaxvpov avrwv nêïaaz roùç àv(}pwnovç Kai ro rOLOurov uyzwç ëXêZV unorona'êzv, r7}v 8t JjJ-Lêrtpav nzarzv, ijv tç avrou rou (}êOU Kaz rwv avrou êvaywv napêÀa{30J-LêV J-La(}l1rwv, tK rfjç qJavÀorl1roç rwv JjJ-Lêrtpmv ëpymv rovvavrzov / unovoêiv. 'Dç yàp tnz nl1Àzvcp rzç Kaz aa(}pcp (}êJ-LêÀZCP aa(}porêpov àVOZK08oJ-L1jaaç rêzxzov, ëçm(}êv 8t KOVZfJ, nêpzxpwaaç Kai KaÀÀmnzaaç avro iaxvpov tK rou qJazVOJ-Ltvov Kai ro KpVnrOJ-LêVOV roiç opwazv unovoêiv 8z8mazv, ovrm Kaz 8zà r7}v tnozKo8oJ-L11(}êiaav tv iaxvpcp (}êJ-LêÀZCP VÀl1V aa(}pàv rOLOurov KàKêivo âKormç unoÀaJ-L{3avêraz Kai ro àvanaÀzv. '0 yàp àlJlêV87}ç Àoyoç rou (}êOU Kaz (}êOÇ ovrm J-Ltxpz rfjç rou aiwvoç avvrêÀêzaç êlvaz J-Lê(}' JjJ-LWV tnl1YYêzÀaro, êÏ rà avrou 8ZKaZWJ-Lara navra roiç ànoaroÀozç tnzal1ç rl1P1jaaZJ-Lêv. "Orav 8t raura navrêÀwç Jjyvo1jaaJ-LêV Kaz napà yVWJ-Ll1v (}êOU Jj rou tvavrzov J-LêPZÇ unêprêpêi Kar' àJ-LqJorêpa, noamv aKl1nrwv taJ-Ltv açLOz tn' àJ-LqJortpazç ovrm raiç iyvvazç xmÀazvovrêç,14 Karanar1jaavrêç navra aVÀÀ1j{3811v Kaz à(}êr1jaavrêç, li tK (}êOU napêÀa{30J-LêV Kaz rwv êvaywv avrou J-La(}l1rwv Kaz avrov rov (}êOV 8z' avrwv. 'Enêz ov8t àyanWJ-LêV avrov ov8t / nZarêVOJ-LêV, cbç àno8t8êzKraz, tv youv roiç rOLOvrozç tK nêpLOvazaç vZKwvrêç Kparwaz
12. Sc Mahomet. Il s'agit peut-être d'une association avec Palamas. Pour l'emploi du mot naÂa/lvaïoç v. H.-V. Beyer, Nikephoros Gregoras, Antirrhetika J, p. 160-61. 13. Cf Eph. 4, 12. 14. 3 Rois 18, 21.
273
f. 33 f
f. 33 V
f. 34 f
Kal ev raiç IU1xalç fIJulJv Tep Kparel nov lpVOlKmV 81JÂa8r, nÂeoveKr1JJ.larmv, aÂÂ' où ru t1ClKOVp{fl, TOU Olpmv 8oYJ.laroç (rD yàp J.l1J8tv a8lKeiv laxvpà 8UVaJ.llç). Touro yàp oÂmç tni vouv avaÂa{3eiv oqJo8pa aronov tan Kai aoe{3Éç . Kai rD nfiv tvrau(}a rfjç aùrmv tpyaa{aç alpmrlarOlç 'oùalv 0 (}eoç an08{8malv, r,J.liv 8t rD nÂt:iov il Kai rD nfiv tv rep J.lÉÂÂovn raJ.llt:ueral. ( ...) IIepi 8t TOU J.lr, 8vam1Ceia(}al ru ovvexei npea{3e{fl, Kai 1CoÂvnÂ1J(}ei rov qJlÂav(}pm1COv, o1Cep 1COÂÂOÙÇ a Koum 1Cpore{vovraç vuv Kai (}aVJ.laÇovraç, OKrm rà airla r{(}eJ.lal. IIpmrov J.ltv 80K1JOlV e{val rouro J.lfiÂÂov OlJ.J.al, aÂÂ' OÙK aÂij(}elav, t1Ce{nep 8là noÂÂmv (}Â{IJ/emv rr,v {3aalÂe{av TOU (}eou e{val elOlr1Jrr,v J.leJ.la(}ijKaJ.leV, IS Kai (}Â{lJ/lV tçelv tv rep KOaJ.llp Kai {3aaavov Kai unD navrmv J.llaeia(}al8là rD TOU nÂaaavroç / r,J.lfiç OVOJ.la . où yàp roç r,J.leiç (}ÉÂ0J.lev il {3ÂÉnOJ.lev il VOOUJ.lev ourm rà r,J.lÉrepa tKeivoç OlKOVOJ.lei (