AUTRES OUVRAGES DE GILLES DELEUZE
Aux Éditions de Minuit PRÉSENTATION DE SACHER MASOCH, 1967 SPINOZA ET LE PROBLÈME DE ...
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AUTRES OUVRAGES DE GILLES DELEUZE
Aux Éditions de Minuit PRÉSENTATION DE SACHER MASOCH, 1967 SPINOZA ET LE PROBLÈME DE L'EXPRESSION, 1968 LoGIQUE DU SENS, 1969 SPINOZA - PmLOSOPHIE PRATIQUE, 1981 CINÉMA 1 - L'IMAGE-MOUVEMENT, 1983 CINÉMA 2 - L'IMAGE-TEMPS, 1985 FOUCAULT, 1986 PÉRIcLÈs ET VERDI. La philosophie de François Châtelet,
1988
En collaboration avec Félix Guattari : L'ANTI-CEDIPE, 1972 KAFKA - POUR UNE LITTÉRATURE MINEURE, RHIZOME, 1976 MILLE PLATEAUX, 1980
1975
En collaboration avec Carmelo Bene : SUPERPOSITIONS,
1979 Aux
EMPIRISME ET SUBJECTIVITÉ, 1953 NIETZSCHE ET LA PHILOSOPHIE, 1962 LA PHILOSOPHIE DE KANT, 1963 MARCEL PROUST ET LES SIGNES, 1964 NIETZSCHE, 1965 LE BERGSONISME, 1966 DIFFÉRENCE ET RÉPÉTITION, 1969
P. u.F.
-
éd. augmentée,
1970
Aux Éditions Flammarion DIALOGUES (en collaboration avec Claire Parned,
1977
Aux Éditions de la Dzfférence FRANCIS BACON : LOGIQUE DE LA SENSATION
(2
VOL.),
1981
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GILLES DELEUZE
LE PLI LEIBNIZ ET LE BAROQUE
© 1988 by LEs ÉDmONS DE MINUIT 7, rue Bernard-Palissy, 75006 Paris La loi du Il mars 19�7 interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pUW.
ISBN 2-7073- 1 182-0
I. LE PLI chapitre 1
les replis de la matière
Le Baroque ne renvoie pas à une essence, mais plutôt à une fonction opératoire, à un trait . TI ne cesse de faire des plis. TI n'invente p as la chose : il y a tous les plis venus d'Orient, les plis grecs, romains, romans, gothiques, classiques . . . Mais il courbe et recourbe les plis, les pousse à l'infini, pli sur pli, pli selon pli . L� trait du Baroque, c'est le pli qui va à l'infini. Et d'abord il les différencie suivant deux directions, suivant deux infinis, comme si l'infini avait deux étages : les replis de la matière, et les plis dans l'âme, En bas, la matière est amassée, d'après un premier genre de plis, puis organisée d'après un second genre, pour autant que ses parties constituent des organes « pliés différemment et plus ou moins développés » 1 En haut, l'âme chante la gloire de Dieu pour autant qu'elle parcourt ses propres plis, sans arriver à les développer entière ment, « car ils vont à l'infini » 2. Un labyrinthe est dit multiple, étymologiquement , parce qu'il a beaucoup de plis. Le multiple, ce n'est p as seulement ce qui a beaucoup de parties, mais ce qui est plié de beaucoup de façons . Un labyrinthe correspond précisément à chaque étage : le labyrinthe du continu dans la matière et ses parties, le labyrinthe de la liberté dans l' âme et ses prédicats 3. Si Descartes n'a pas su les résoudrp., c'est parce qu'il a cherché le secret du continu dans des parcours rectili gnes, et celui de la liberté dans une rectitude de l'âme, ignorant l'inclinaison de l' âme autant que la courbure de la matière. TI •
1 . Système nouveau de la Nature et de la communication des substances, § 7. 2. Monadologie, § 61. Et Principes de la Nature et de la Grâce fondés en raison, § 13. 3 . D e l a liberté ( Foucher de Careil, Nouvelles lettres et opuscules l.
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LE PLI
faut une « cryptographie » qui, à la fois, dénombre la nature et déchiffre l'âme, voit dans les replis de la matière et lit dans les plis de l'âme 4 . Il est certain que les deux étages communiquent (ce pourquoi le continu remonte dans l' âme ), Il y a des âmes en b as, sensitives, animales, ou même un étage d'en bas dans les âmes, et les replis de la matière les entourent, les enveloppent . Lorsque nous apprendrons que les âmes ne peuvent avoir de fenêtre sur le dehors, il faudra, du moins en premier lieu, le comprendre des âmes d'en haut, raisonnables, montées à l'autre étage ( , 85. des « bienheureux », Professon
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LA NOUVELLE HARMONIE
successivement ou horiwntalement en chantant, mais l'âme chante d'elle-même parce que toute la tablature du livre y a été gravée venicalement, vinuellement, « dès le commencement de l'existence de l'âme » (première analogie musicale de l'hannonie 26. leibnizienne) TI y a un second aspect de l'hannonie : les monades ne sont pas seulement des expressions, mais elles expriment le même monde qui n'existe pas hors de ses expressions. « Toutes les substances simples auront toujours une hannonie entre elles, parce qu'elles représentent toujours le même univers » ; les monades ont beau être closes, elles ne sont pas monacales, ce ne sont pas des cellules de moines, puisqu'elles incluent le même monde, solidaires et non solitaires 21. Nous pouvons appeler concertation ce deuxième aspect, beaucoup de musico logues préférant parler de style concenant plutôt que de musique baroque. Cette fois, en tant que l'exprimé est un seul et même monde, il s'agit d'un accord des spontanéités elles mêmes, d'un accord entre les accords. Mais entre quoi y a-t-il accord au juste ? L'hannonie préétablie a beaucoup de fonnules chez Leibniz, suivant l'endroit où l'on fait passer le pli : tantôt c'est entre des principes, mécanisme et finalité, ou bien conti nuité et indiscernables ; tantôt entre des étages, entre la Nature et la Grâce, entre l'univers matériel et l'âme, ou entre chaque âme et son corps organique ; tantôt entre des substances, les substances simples et les substances corporelles ou composées. Mais il est facile de voir que, de toute façon, l'harmonie est toujours entre les âmes elles-mêmes ou monades : les corps organiques sont inséparables de monades prises en foule, et l'hannonie se fait entre les perceptions internes de ces monades et celles de leur dominante. Et même les corps inorganiques sont inséparables de monades instantanéisées entre lesquelles il y a harmonie ". Mais, s'il y a accord préétabli entre toutes ces monades qui expriment un seul et même monde, ce n'est plus
26. Ecillircisumeni des dtlficulJés. .. (GPh, IV, p. 549), On se rappelle comment Raymond Ruyer insistait sur la position verticale des monades ou formes vraies. 27. Correspondance avec Clarke, '0 écrit, S 91. Et Lettre à Wagner, mars 1698 (Grua, p. 395) : « sunt monades, non monachae ». a. André Robinet, Archtiec/oni· que. . Ed. Vrin, p. 361. 28. Guerouh. Dynamique et métaphysique /ribniziennes, Les Belles Lettres, p. 176 : la dynamique « n'implique nullement quelque chose de plus qu'une simple coordina tion des spomané:ités internes, c'est-à·dire J'hannorue préétablie ». _,
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LE PLI
en tant que les accords de r une pourraient se transformer dans les accords d'une autre, ou qu'une monade pourrait produire des accords dans l'autre : les accords et leurs transformations sont strictement intérieurs à chaque monade, les « formes » verticales absolues qui constituent les monades restent sans communication, et l'on ne passe pas de l'une à l'autre de proche en proche, par résolution ou modulation. D'apres une seconde analogie musicale proprement baroque, Leibniz invoque les conditions d'un concert où deux monades chantent chacune sa partie sans connaître celle de l' autre � l'entendre, et pourtant « s'accordent parfaitement » 29. En quoi consiste cette concertation ? Nous savons que le fond d'une monade est comme un clapotement d'infiniment petits, qu'elle ne peut pas tirer au clair ou dont elle ne tire pas d'accords : sa région claire en effet est très partielle, sélective, et ne constitue qu'une petite zone du monde qu'elle inclut . Seulement, cette zone variant d'une monade à une autre, il n'y a rien d'obscur dans une monade donnée dont on ne puisse se dire : c'est pris dans la région claire d'une autre monade, c'est pris dans un accord qui s'inscrit sur une autre surface verticale. TI y a donc une sorte de loi des inverses : ce que des monades expriment obscurément, il y a au moins une monade pour l'exprimer clairement . Toutes les monades exprimant le même monde, on dira que celle qui exprime clairement un événement est cause tandis que celle qui l'exprime obscurément est effet : causalité d'une monade sur l'autre, mais purement « idéale », et sans action réelle, puisque ce que chacune des deux monades exprime ne renvoie qu'à sa propre spontanéité. Toutefois, il faudrait que cette loi des inverses soit moins vague, et s'éta blisse entre des monades mieux déterminées . S'il est vrai que chaque monade se définit par une zone claire et distinguée, cette zone aussi n'est pas immuable, mais a tendance a varier pour chaque monade, c'est-à-dire à augmenter ou diminuer suivant le moment : à chaque instant, la zone privilégiée présente des vecteurs spatiaux et des tenseurs temporels d 'augmentation ou de diminution. Un même événement peut donc être exprimé clairement par deux monades, la différence n'en subsiste pas moins a chaque instant, car l'une exprime l'événement plus clairement ou moins confusément que l'autre, 29. Lettre à Arnauld, avril 1687 .
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LA NOUVELLE HARMONIE
suivant un vecteur d'augmentation, tandis que l'autre l'exprime suivant un vecteur de diminution. Revenons au niveau des corps ou des substances corporelles : quand un navire avance sur l'eau, nous disons que le mouvement du vaisseau est cause des mouvements de l'eau qui vient remplir la place qu'il a quittée. C'est une cause seulement idéale, parce que la proposi tion « la proue fend l'eau » est plus claire que la proposition « l'eau pousse la poupe ». Toujours la causalité va, non seule ment du clair à l'obscur, mais du plus-clair au moins-clair ou plus-confus . Elle va du plus stable au moins stable. C'est l'exigence de la raison suffisante : l'expression claire est ce qui augmente dans la cause, mais aussi ce qui diminue dans l'ef fet 30 . Quand notre âme éprouve une douleur, nous disons que ce qui se passe dans le corps est cause, parce que c'est une expression plus claire et stable à laquelle la douleur dans l'âme ne fait que ressembler. Inversement, c'est l'âme qui est cause quand notre corps fait un mouvement dit volontaire. La concer tation est l'ensemble des rapports idéaux de causalité. La causalité idéale est la concertation même, et à ce titre se concilie parfaitement avec la spontanéité : la causalité idéale va du plus-clair au moins-clair) mais ce qui est plus-clair dans une substance, cette substance le produit en vertu de sa propre spontanéité, et le moins-clair dans l'autre, l'autre substance le produit en vertu de la sienne 3 1 . Les deux aspects d e l'harmonie s'enchaînent parfaitement . La spontanéité, c'est la production des accords intérieurs à chaque monade sur sa surface absolue. La concertation, c'est la correspondance d'après laquelle zl n 'y a pas d'accord majeur et
parfait dans une monade sans qu 'Il y ait accord mineur, ou dissonant dans une autre) et inversement. Toutes les combinai
sons sont possibles, sans qu'il y ait jamais le même accord sur
30. Sur les exemples du. navire, de la douleur et du mouvement volontaire, cf. Projet de lettre, et Lettre à Arnauld, novembre 1686. Sillvant le cas, « l'expression distincte » d'une su.btance sera dite « s'augmenter » ( action) ou « se diminuer » (passion) . Cf.
Discours de mé/ophysique, § 15 . 3 1 . Lettre à Arnauld, septembre 1687
: « Ma main se remue non pas à cause que je le veux . . . mais parce que je ne le pourrais vouloir avec succès si ce n'était justement dans le moment que les ressorts de la main se vont débander comme il faut pour cet effet . . . L'un accompagne toujours l'autre en vertu de la correspondance établie ci-dessus, mais chacun a sa cause immédiate chez soi. » Et Projet, novembre 1686 : « Une âme ne change rien dans le cours des pensées d'une autre âme, et en général une substance panicu.lière n'a point d'influence physique sur l'autre . . . »
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LE PU
deux monades : chaque monade produit spontanément ses accords, mais en correspondance avec ceux de l'autre. La spontanéité, c'est la raison interne ou suffisante appliquée aux monades. Et la concertation, c'est cette même raison appliquée aux relations spatio-temporelles qui découlent des monades : si l'espace-temps n'est pas un milieu vide, mais l'ordre de coexis tence et de succession des monades elles-mêmes, il faut que cet ordre soit fléché, orienté, vectorisé, et qu'on aille dans chaque cas de la monade relativement plus-claire à la monade relative ment moins-claire, ou de l'accord plus parfait à l'accord moins parfait, car le plus clair ou plus parfait est la raison même. Dans l'expression