Le destin des générations Structure sociale et cohortes en France au xx' siècle
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Le destin des générations Structure sociale et cohortes en France au xx' siècle
Le Lien social Collection dirigée par Serge Paugam
LOUIS
CHAUVEL
Le destin des générations Structure sociale et cohortes en France au xx e siècle
Avant-propos à la deuxième édition
MA~RiE DE PAR~3 BIBLIOTHÈQUE-DISCOTHÈQUE ANDRÉ MALRAUX 78, Boulevard Raspail - 75006 PARIS Tél. : 01 45445385 Fax: 01 42 84 01 42
PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE
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- et christianisme en France et en Europe, Revue fratl(aise de sociologie, XXXIV, 1995, p. 525-555. Voir aussi: L. Chauvel, La religion des sans-religions, ill L. Dirn, Tendances de la société française, Revue de l'OFCE, nO 53, 1995a, p. 260-267.
Introduction
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pratiques et des normes qui furent celles de la France de naguère. Ainsi, d'année en année, l'apparition de nouvelles cohortes socialisées dans un monde sécularisé et la mort d'anciennes cohortes pour lesquelles chaque semaine, et chaque saison de la vie, était scandée par les rites religieux, et qui ont conservé une partie de leur pratique de naguère, produisent un déclin presque mécanique de l'assistance à la messe dominicale et aux cultes. Si, le dimanche, les églises sont généralement fréquentées par des personnes âgées, ce n'est pas parce qu'avec l'âge les individus retournent à la religion, mais parce que les plus de 60 ans ont été socialisés dans le monde d'hier ou d'avant-hier, aux temps où la plupart des enfants étaient tenus, bon gré mal gré, d'accompagner leurs parents au rituel dominical. Dans les années cinquante, près de 50 % d'une cohorte de jeunes de 15 ans et moins de 5 % aujourd'hui. C'est un véritable effondrement qui, au cours du temps, va continuer de porter une érosion des pratiques, sauf si l'on assiste à un radical changement de régime, imprévisible aujourd'hui. De la même façon, la perception d'actes qui étaient hier condamnés ou réprouvés par l'Église catholique, comme le divorce, l'avortement, l'homosexualité, distinguent nettement les anciennes cohortes des nouvelles; pour les premières, ces actes sont des manquements à l'égard des normes de leur jeunesse, et conservent une image négative, alors que pour les plus jeunes, ce sont des choix de vie ne touchant que la sphère privée, banalisés par le quotidien de la société, que la loi ne condamne ou ne restreint plus depuis des lustres, et qui ne concernent guère que la responsabilité de ceux qui s'y adonnent. Leur condamnation sociale ne ferait ainsi plus sens. Galland, Drouin, mais aussi Schweisguth 1 ont montré l'importance du phénomène dans différents domaines des valeurs, des opinions et des comportements politiques. L'ensemble de ces résultats fait apparaître la génération - « sociologique » - née au milieu des années quarante comme une population en rupture avec ses aînées : celles nées avant sont caractérisées par une plus forte pratique, des normes plus traditionnelles, une moindre tolérance, une moindre incidence du vote de gauche. Les enfants nés en 1945 - le début du baby-boom, qui se prolonge jusque dans les années soixante-dix - et leurs cadets apparaissent comme nettement moins enclins au respect des normes anciennes, plus déliés des pratiques reli1. 0. Galland, Ages et valeurs, in H. Riffault (dir.) , Les valeurs des Français, Paris, PUF, 1994, p. 251-296; V. Drouin, Enquêtes sur les générations et la politique, Paris, L'Harmattan, 1995; E. Schweisguth, Le mythe du néoconservatisme : vote Front national et évolution des valeurs, Futuribles, nO 227, 1997, p. 21-34.
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Le destin des générations
gieuses, etc. Ainsi, le conflit des generations de la fin des années soixante, corollaire de l'agitation née de 1968, peut-il s'interpréter rétrospectivement comme le mouvement d'une nouvelle génération opposée aux anciennes dont les référents normatifs étaient peu compatibles. En revanche, les cohortes nées après les années quarante sont plus nettement homogènes du point de vue de leurs valeurs: il n'existe guère, pour ce qui est des mentalités, de conflit de génération entre ceux nés en 1945 et leurs cadets venus au monde trente ans plus tard - leurs propres enfants, pour la plupart. Autrement dit, les cohortes nées à partir de 1945 portent en elles-mêmes les normes sociales et idéologiques qui ont marqué la fameuse « seconde révolution française» de Mendras ' . Ce premier aspect, celui des valeurs, ne doit pas en faire oublier le second, celui des structures sociales. L'homogénéité idéologique des cohortes nées à partir de 1945 dissimule des différences profondes de situations sociales et de chances d'accès aux différentes positions. C'est là un aspect central que ce livre va développer. Il consiste dans le lien entre cohorte et position sociale, et plus largement, modes de vie, consommation, et comportements économiques. Aujourd'hui, les aînés, nés en 1945 et qui s'approchent de la retraite, et les cadets, venus au monde dix ans après ou plus encore, connaissent le ralentissement économique, vivent dans le même monde de l' « après Trente glorieuses » et partagent sans nul doute une partie du fardeau qui en résulte : chômage de masse, ralentissement de la croissance du revenu, incertitudes et diflicultés à se construire des perspectives de vie, etc. Pour autant, ce qui distingue les uns des autres est que le début de carrière des premiers s'est déroulé naguère dans une société nettement différente de celle d'aujourd'hui. En 1970, les salaires d'embauche des jeunes étaient assez comparables au salaire des plus anciens 2 , attirant ainsi les sortants de l'école dans le monde de la production ; le plein emploi impliquait pour tous la possibilité de trouver une place dans la société, à la simple condition de le vouloir, et le salarié choisissait son patron plus que l'inverse, impliquant une mobilité professionnelle plus volontaire que subie; plus globalement, la société était nettement projetée dans un avenir positif, en rapide croissance et caractérisée par de forts investissements de toutes sortes. Pour ceux qui commencent leur
1. H. Mendras, La se«>/lde ... , "p. cit. 2. C. Bauddat et M. Gallae, Le salaire du trentenaire: question d'âge ou de génération ?, ÉcotlDlllie et statistiqlle, 304-305,1997, p. 17-35.
Introduction
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vie professionnelle en 1980, 1990 ou 2000, la situation est bien difIerente. Le chômage est devenu pour beaucoup une étape « normale» de l'entrée dans la vie adulte; les salaires d'embauche sont nettement plus faibles que celui des anciens; la mobilité est généralement la conséquence du choix de l'employeur et non celle du salarié, et s'appelle flexibilité; la dynamique sociale, marquée par des incertitudes fortes, produit un avenir au visage menaçant, et tout rappelle aux acteurs sociaux que l'âge d'or était hier. Il en résulte un affaiblissement du revenu des jeunes par rapport à celui des aînés, et une moindre indépendance financière, un moindre développement de l'équipement automobile, une baisse du taux d'équipement en lavelinge, etc. Autant de signes d'une différence de perspectives de vie. En réalité, naître en 1945 ou en 1975 change beaucoup de choses et confronte les individus à une socialisation au travail, à des situations et plus généralement à des perspectives de vie bien difIerentes'. La génératiotl 1945 et les cohortes nées autour de 1975 rencontrent donc des destins sociaux bien distincts. C'est une hypothèse centrale que ce livre va étayer.
PENSER GÉNÉRATIONS ET CLASSES
Le péril majeur des réflexions sur les générations consiste en la réduction de tous les éléments de structuration sociale à la seule année de naissance. Tel pourrait être le désir de ceux qui, pour bouter hors toute réflexion en termes de classe sociale, voudraient faire de la génération le nouvel acteur hégémonique de l'histoire humaine. Certes, les cohortes qui se succèdent peuvent être confrontées à des perspectives de vie nettement différentes, certaines plus favorables et d'autres moins: nous avons vu que naître en 1850 ou bien un siècle plus tard confrontent à des destins distincts. Pourtant, il faut rappeler avec force que la génération n'est pas la classe et la cohorte n'est pas la strate. Pourtant, de nombreux débats contemporains, celui qui a pour objet la retraite notamment, ont une Îacheuse tendance à l'oublier pour tout ramener à la seule génération. 1.J.-P. Terrail, LA dYtlamique des générations: activité individuelle et changemetlt social (1958-1993), Paris, L'Harmattan, 1995.
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Le destin des générations
En effet, toutes les inégalités sociales ne se réduisent pas à une différence de date de naissance: au sein de toute cohorte se trouvent des cadres et des ouvriers, des gens aisés et d'autres qui le sont moins, des individus en position d'obtenir le consentement de ceux qui servent leurs fins et des masses qui peu ou prou sont soumises à ce qu'elles ne souhaiteraient spontanément. Aujourd'hui, comme hier, il existe une hiérarchie sociale au sein de chaque cohorte. Ainsi, il s'agit de penser strates et cohortes, non dans un rapport de substitution, mais de complémentarité. Certes, les ouvriers de la seconde moitié du XIX' siècle et de la fin du xx' ont des destins distincts, comme en définitive les ingénieurs des deux époques: ce sont là deux paires de destins sociaux, et donc quatre entités bien différentes. L'une des catégories et l'autre ont connu des évolutions sociales distinctes, mais l'une continue de se situer' à un échelon hiérarchique supérieur à l'autre. « Leurs conditions se sont-elles rapprochées ou éloignées ? » est une question pertinente; « les modes de vie des ouvriers ont-ils connu des évolutions plus importantes que ceux des ingénieurs ? » en est une autre. L'exemple des ouvriers et ingénieurs des deux siècles signale la complémentarité des deux aspects: d'une part, les catégories les plus modestes des cohortes rencontrant les destins moins favorables risquent bien de connaître le sort collectif le moins enviable. D'autre part, la « hauteur» de la hiérarchie sociale peut varier d'une cohorte à l'autre. Enfin, il se peut, plus profondément, que la nature et la forme de la structure sociale d'une cohorte lui soit propre au long de la vie. Peut-être est-ce pour cela qu'il fallut attendre les années soixante pour que s'affaiblissent des rapports sociaux nettement hiérarchiques qui avaient caractérisé la société française du début du siècle, pour donner naissance à la société contemporaine marquée par une importante classe moyenne salariée. Il se peut aussi que la nouve_lle structure sociale française émergente, fondée sur la coexistence et la polarisation entre, d'une part, des cadres et des indépendants aisés et bien intégrés et, d'autre part, des catégories modestes subissant une forte précarité, confrontées à une incertitude nouvelle (pas si nouvelle, en réalité, si l'on a une perspective de plus de cinquante ans) et risquant de tàçon récursive de connaître le destin de surnuméraire et d' « inutile au monde »1, n'apparaisse finalement dans toute son évidence que dans quelques années, le temps que disparaissent du monde du travail, par la retraite, les générations qui ont connu 1. R. Castel. Le, /IIétalllorphoses de 1,/ 'l/u'srio/l sociale: 'Hle ("rol/iqlle .III salariar, Paris, Fayard, 1995.
Introduction
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dans toute son extension le modèle de la société salariale stable des Trente glorieuses. Ces trois rapports de complémentarité - cumul des handicaps et des avantages de strate et de cohorte, caractère cohortal de la forme de la stratification, construction progressive d'un rapport social global par le vieillissement de cohortes nouvelles porteuses d'une structure originale - doivent rester perpétuellement présents à l'esprit, sans quoi le risque est fort de se fourvoyer dans une idée infondée de la cohorte comme seul acteur social, homogène et autonome, historiquement hégémonique. La cohorte ne fait qu'enrichir la vision de la structure sociale pour révéler d'autres clivages ou d'autres communautés potentielles d'intérêt, d'autres processus de décision, de contraintes, ou de domination. Surtout, elle met au jour un processus essentiel du changement social, même s'il ne faut pas lui attribuer trop de vertus. Ainsi, la génération née en 1945 ne s'est pas dans son entier révoltée en 1968, pour rentrer ensuite, de façon fracassante, dans les institutions où elle a négocié l'obtention rapide des meilleures places, pour vivre toute sa carrière le destin du cadre supérieur, hautain et maître de son destin, pour consentir à ses aînées des retraites plus précoces et meilleures pour les évincer plus vite des postes de décision, puis pour détourner à son profit la crise économique et s'assurer les meilleures positions de domination dans un contexte où les plus jeunes, que la menace du chômage de masse rend dociles, sont moins en mesure de faire valoir leurs intérêts. Ce serait une caricature inutile des faits: ponctuellement vraie, l'idée négligerait pourtant l'ensemble des quinquagénaires qui, suite à un accident de carrière, se retrouvent recyclés dans le système de précarisation et de mal-intégration que connaissent plus nettement les cadets. Elle oublierait aussi dans ses décomptes les plus jeunes qui, ayant traversé avec succès les embûches des systèmes de sélection de l'excellence, s'apprêtent à connaître une carrière non moins enviable que celle des prédécesseurs. Enfin, elle ferait l'économie, un peu rapidement, d'une réflexion sur les plus âgés qui, faute de cotisations suffisantes, suite à différentes particularités de leur vie professionnelle - longue maladie, périodes de travail non déclaré, migration, etc. -, ne vivent qu'avec le minimum vieillesse, allocation qui, bien que généreuse lorsqu'elle est comparée au revenu minimum d'insertion - qui est un tiers moindre -, ne signifie pas pour autant l'accès à l'opulence, tant s'en faut. La génération n'est pas appelée à faire disparaître les classes.
BIBLIOTHEQUE
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Le destin des générations
LE TEMPS DES GÉNÉRATIONS
Je m'emploie dans ce livre à mettre en évidence le fait que des changements sociaux massifs qui affectent la structure sociale - élévation de la proportion de cadres, croissance de la scolarité, du salaire, du pouvoir d'achat, accroissement de la mobilité sociale ascendante, etc. - concernent moins la société dans son entier que certaines cohortes seulement, et non d'autres. Il s'agit alors de prendre la mesure des conséquences de, et de comprendre, les processus sousjacents qui jouent sur le partage entre les cohortes des progrès sociaux, dont les unes arrivent au moment propice pour bénéficier des changements favorables, et les autres non. Les unes et les autres tendent alors à voir au long de leur vie se prolonger les avantages et handicaps qui les caractérisent précocement. Il faut d'abord mettre en évidence un certain nombre de faits concernant la structure sociale et ses mutations; c'est l'objet de la première partie. Je montre ainsi que la croissance de la proportion des cadres et des professions intermédiaires relève moins d'un phénomène partagé par l'ensemble des cohortes qui se succèdent que par une croissance brutale des chances d'accès à ces catégories pour les générations nées lors des années quarante par rapport aux précédentes. Suit un palier, ou une stagnation. Ainsi, la croissance de la proportion de cadres dans l'ensemble de la population active depuis vingt ans provient pour l'essentiel du remplacement des cohortes nées avant la Libération par celles nées après. La cohorte apparaît alors comme une clef de lecture et, en quelque sorte, un vecteur du changement social. Il faut situer, en deuxième partie, les explications possibles de ce processus. Sans nul doute, les variations du système éducatif que les cohortes successives ont rencontré au temps de leur jeunesse ont joué un grand rôle dans cette mutation. Il faut compléter néanmoins cette explication avec les variations de conjoncture au moment du recrutement des cohortes, les unes rencontrant à l'entrée dans la vie professionnelle un marché du travail favorable, et d'autres une dégradation durable. Les processus internes de fonctionnement des entreprises contribuent alors à la conservation des avantages et des handicaps précocement rencontrés à l'entrée dans le monde du travail. En l'état actuel du fonctionnement du système social, le destin d'une cohorte
Introduction
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se joue pour l'essentiel avant l'âge de 30 ans, en tout cas pour les chances collectives d'accès aux différentes catégories sociales. Ainsi, une fois une cohorte lancée dans la vie, les cartes sont relativement peu redistribuées. L'essentiel des perspectives de vie d'une cohorte se précise donc précocement, et les conditions spécifiques de son entrée dans le monde adulte ont une influence sur la façon dont, pendant les trente ans qui suivront, elle participera au monde de la production. Cette influence a toutes chances de durer plus longtemps encore, puisque l'étendue des droits à la retraite correspond peu ou prou au destin rencontré pendant la vie professionnelle. Je montre ainsi comment les différentes cohortes engagées dans le monde peuvent connaître des destins tranchés, et même si ce sont des contemporains immédiats, un cloisonnement étrange implique que leurs dynamiques peuvent être nettement divergentes. En troisième partie, j'identifie certaines conséquences et quelques corollaires du fonctionnement générationnel du changement social. L'évolution des chances d'accès aux différentes catégories socioprofessionnelles par cohorte s'accompagne .en effet de modifications de la répartition des salaires et des revenus. Non seulement les chances d'accès aux catégories moyennes et supérieures du salariat stagnent pour les enfants nés après 1950 - enfants dont les plus âgés approchent la cinquantaine, et ne sont plus des gamins -, mais en outre, ils ont vu régresser leur revenu relatif, c'est-à-dire comparé à celui de leurs aînés de même catégorie sociale. Cette contraction de l'accès aux ressources marchandes signale ainsi une modification importante de la valorisation des âges de la vie au cours du ralentissement économique qui suit les Trente glorieuses: en quelque sorte, le « jeune» vaut moins, économiquement et socialement. Un grand nombre de phénomènes peuvent être reliés à ce changement de la répartition des ressources économiques et sociales entre les cohortes. Conséquence de la modification des niveaux de vie, la consommation connaît aussi des évolutions importantes. L'état de santé et la mortalité soulignent des changements de même nature, et peuvent être reliés au changement de nature de la valorisation des âges de la vie et des chances d'intégration sociale selon la cohorte, c'est-à-dire aux perspectives de vie individuelles et collectives. Un autre effet de la croissance rapide de la proportion des cadres au sein des cohortes nées dans le courant des années quarante est prévisible, qui doit concerner les cohortes nées autour de 1975, qui verront apparaître un changement important des chances de mobilité
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Le destin des générations
ascendante et descendante par rapport à leur parents. Les propres enfants de cette génération née autour de 1945, qui a connu une brutale croissance de la proportion des cadres et professions intermédiaires, entrent aujourd'hui sur le marché de l'emploi alors que la situation est moins favorable que celle qui prévalait à la fin des années soixante. Selon toute vraisemblance, au vu de deux scénarios contrastés d'évolution des proportions de cadres et de professions intermédiaires, ces nouvelles cohortes devraient connaître une intensification des déclassements sociaux, phénomène neuf auquel la société française va devoir se confronter. Ces résultats posent question sur la capacité de la société française à créer son propre avenir, et sur la façon dont elle fut amenée, par de multiples processus, à répartir le ralentissement économique et social d'une façon inégale selon la cohorte. L'intuition est bien que l'avenir ne ressemblera pas au passé des cinquante dernières années, tant les déséquilibres entre générations ont des chances de s'accumuler encore, avant de leur trouver une solution.
Première partie Bouleversements de la structure sociale et générations
Introduction
La société française de la première moitié du siècle et celle d'aujourd'hui sont radicalement différentes: les bouleversements de la structure sociale depuis cinquante ans en ont radicalement transformé les contours. Pourtant, ce ne sont que quelques décennies, et nos anciens conservent encore le souvenir du monde d'alors, celui de leur enfance et de leur jeunesse, et de l'ensemble des changements intervenus depuis. Aussi ont-ils connu une succession de mondes, entre la structure sociale agricole, industrielle, pauvre et inégale d'hier, et celle d'aujourd'hui, marquée par un fort développement du secteur tertiaire et des emplois mieux qualifiés. Les cohortes successives ont ainsi rencontré à leur entrée dans le monde du travail une structure sociale comptant plus de cadres et moins d'ouvriers. Il serait possible d'avoir l'intuition d'une croissance progressive et continue d'une cohorte à l'autre des chances d'accéder aux catégories moyennes et supérieures du salariat. Un examen plus attentif montre qu'il n'en est rien: les cohortes nées jusque dans les années trente n'ont rencontré à peu près aucun progrès, dont l'essentiel fut échu à celles venues au monde autour de la Deuxième Guerre mondiale. Depuis, pour les cohortes nées après 1950, il n'existe plus de progression. La croissance des chances d'accès au salariat moyen et supérieur ne fut donc pas une progression linéaire et sans à-coup, mais bien une transition brutale, une rupture. Il résulte de cet examen la nécessité de nuancer les notions devenues classiques de la sociologie de la stratification sociale contemporaine que sont la « moyennisation », ou expansion des catégories intermédiaires, et V« aspiration vers le haut », c'est-à-dire l'élévation univoque dans la hiérarchie sociale de la population. En réalité, ces mouvements cor-
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Bouleversements de la structure sociale et générations
respolldent partàitement à la tendance connue par la generation née dans le courant des années quarante, mais les cohortes suivantes ne rencontrent plus guère d'évolution, si ce n'est la croissance continue des risques de rencontrer le chômage en début de vie active, puis tout au long de la carrière. Un tel examen permet alors de comprendre que le ralentissement économique depuis le milieu des années soixante-dix a bien eu des conséquences importantes sur la structure sociale. Si, globalement, en analysant les données de l'ensemble de la population active, les évolutions sont en demi-teinte, ni extraordinaires, ni catastrophiques, une fois prises en considération les cohortes, les conséquences de la « crise» apparaissent nettement.
1 L'écartèlement des catégories populaires et les convulsions du salariat moyen et supérieur
La transformation de la structure sociale est un des objets centraux de la sociologie du changement, peut-être parce que toutes les autres questions, d'une façon ou d'une autre, en dépendent. Depuis le XIX· siècle, les changements ont été considérables: d'un côté, nous avons la France de naguère, où l'essentiel des rapports sociaux opposaient une paysannerie encore majoritaire, une classe ouvrière émergente et une bourgeoisie prenant progressivement la place laissée vacante par l'aristocratie; de l'autre, nous trouvons celle d'aujourd'hui, où le salariat tertiaire représente plus de la moitié de l'emploi, où les contours de la bourgeoisie et des élites sont difterents de ceux de naguère, le titre scolaire prenant progressivement le pas sur les titres nobiliaires et sur ceux de la propriété des biens de production l, où la classe ouvrière, dont la dynamique démographique et d'emploi, dont les modèles culturels, idéologiques ainsi que politiques sont devenus problématiques. Les représentations de la structure sociale deviennent sinon complexes, en tout cas difficiles. En effet, sans parler d'une « accélération de l'histoire », que l'on ne saurait trop définir, certains éléments intervenus depuis plaidant plutôt pour son ralentissement depuis vingt ans, les changements sociaux que nous avons traversé lors des Trente glorieuses, et ceux que nous subissons depuis les années soixante-dix, se combinent et se composent avec trop de fluctuations et de contradictions apparentes pour qu'une image stable puisse s'en dégager au premier regard. Il s'agit ici de porter un
1. Plus exactement, où certains titres scolaires sont de plus en plus une condition sine qI/a 110/1 de l'accès aux titres de propriété, notamment par l'accès aux fonctions d'encadrement stratégique des grandes entreprises privées.
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Bouleversements de la structure sociale et générations
diagnostic sur les évolutions numériques, d'expansion et d'involution, des différents groupes socioprofessionnels (csP, voir l'annexe 1) composant la société française; évidemment, de nombreuses critiques se sont élevées contre l'usage des catégories socioprofessionnelles comme révélateur du changement, en raison de la complexification des statuts et des positions dans ou hors de l'emploi, mais l'instrument reste essentiel, à condition de le manier avec quelque regard critique.
MOYENNISATION ET ASPIRATION VERS LE HAUT COMME CLEFS DE LECTURE
Deux concepts restent des clefs de lecture utiles à l'analyse des évolutions de la structure sociale en France, même si elles sont mal ajustées au monde contemporain 1, elles indiquent comment regarder le social pour en tirer un certain nombre d'enseignements. La première est la « moyennisation» ou « centration sur les classes moyennes», voire d' « expansion de la constellation centrale»2; la seconde est l' « aspiration vers le haut» (up-grading). Le premier terme renvoie à l'hypothèse d'un rapprochement des extrémités supérieures et inférieures de la société et le développement des catégories intermédiaires, amoindrissant ainsi l'écart entre les extrémités de la hiérarchie sociale. L'idée est donc celle de l'expansion du poids numérique comme social des « classes moyennes )}. Ces dernières étant tout sauf très bien délimitées, chacun allant de sa définition, implicite plus souvent qu'explicite3, il est bien difficile d'en vérifier clairement le bienfondé. Si l'on a l'idée d'une « nouvelle classe moyenne salariée», c'est-à-dire non plus l'ensemble des paysans, boutiquiers et fonctionnaires comme on les concevait naguère, mais l'ensemble de ceux dont 1. D'autres l'ont déjà souligné. On citera à titre d'exemple Tenzer (1994) annonçant la ,fin du
modèle français de la cl..se moyenne " et argumentant le déclin des illusions de la période antérieure. La note de Todd est complémentaire, en annonpnt le retour des classes et du peuple sur la scène sociale ct politique (cf. E. Todd, Aux origines du malaise politique français, '\"Oles de la Jê",dûlù>tJ Saillt-Si"",,,, 67, 1994). 2. Y. Leme!, Moyennisation: centration progressive sur les classes moyennes, if. L. Dim, La société frallçaise ell te"dallces, Paris, l'UF, 1990, p. 158-165; H. Mendras, La seco"de... , op. cit., p.46-66. 3. Voir l'article de 13ernstein (S. 13ernstein, Les classes moyennes devant l'histoire, Villgtième siècle, 37, 1993, p. 3-12), ainsi que l'ensemble du numéro 37 de la revue Villgtième siècle consacré à l'histoire de la notion de classes moyennes.
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le salaire est proche de la moyenne et dont la position dans le système de production n'est ni celle d'encadrant, ni celle d'expert, ni celle d'exécutant, l'examen du devenir de la catégorie des « professions intermédiaires» de l'INSEE est bien utile. Le second terme, l' « aspiration vers le haut », renvoie à une hypothèse de mouvement ascendant de la structure sociale. Ainsi, ce terme est à la hiérarchie sociale ce que celui d'enrichissement serait à la hiérarchie économique: les échelons les plus élevés de la société se développeraient, alors que les plus bas entreraient en involution, impliquant un décalage progressif de l'ensemble de la population vers des positions plus élevées. L'argumentation empirique de cette seconde hypothèse serait plus aisée: si les cadres, et à un moindre titre les professions intermédiaires, se développent alors que les ouvriers et, parmi les employés, ceux dont la qualification est moindre, déclinent, il y a effectivement aspiration vers le haut.
2 - Évolution des grandes masses de la population par an 1866-1997. 60
%dela population active
50
40
30
20
Patrons industrie 10
0 1860
1880
1900
1920
1940
1960
1980 Année 2000
Source: Marchand et Thélot (1997, annexe 9) ; prolongé avec les enquêtes emploi 1982-1997. Champ: population active hommes et femmes.
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Bouleversements de la structure sociale et générations
L'évolution sur la longue durée des proportions relatives des difièrents groupes professionnels dans la structure sociale des actifs tàit typiquement partie des questions auxquelles Marchand et Thélot l répondent, permettant d'argumenter en partie la validité de ces hypothèses (graphique 2). Pour autant, avant 1954, le repérage des groupes professionnels était moins détaillé que ne l'exigeraient les représentations contemporaines, parce que la tripartition du tertiaire salarié" entre « cadres », « professions intermédiaires» et « employés » n'avait pas encore émergé des représentations savantes ou statistiques, si ce n'est dans les réalités du monde social. Le suivi des grandes masses est ainsi repérable sur 150 ans. Du point de vue des grandes catégories de la population suivies sur le temps long, trois tàits doivent être notés. En premier lieu, la disparition des deux grandes masses que furent les paysans-agriculteurs et leurs salariés est saisissante, les premiers connaissant un déclin continu, mais qui devient nettement plus prononcé à partir de 1954, les seconds subissant une diminution sur toute la période. Ce déclin est à tel point consommé que, depuis 1975, l'agriculture représente moins du dixième de l'emploi. Ce n'est plus seulement la « fin des paysans »3, mais aussi celle des enfants d'agriculteurs: en 1970, 30 % des hommes de 40 à 59 ans avaient pour père un paysan~ ; en 1997, ils ne sont plus que 18 %; ceux qui naissent aujourd'hui ne sont plus que 3 % à peine. A mesure que le temps passe, les racines agricoles de la société française se délitent. Au-delà de ces évolutions quantitatives, il faut prendre en compte des éléments qualitatifs qui leur sont liés, comme le fait que la disparition des « paysans » est associée à une modification fondamentale des contours de la catégorie agricole, caractérisée par une « déprolétarisation »0, qui correspond pour Goux et Maurin b à la modernisation ou rationalisation de la catégorie, associée à une élévation du niveau scolaire des enfants plus rapide que pour ceux de toute autre catégorie de la population. 1. 0. Marchand et C. Thélot, Le travail lllent : p. 113-136, p. 232-239.
et!
France (1800-2000), Paris, Nathan, 1997. Notam-
2. Parler de triade salariée est un abus de langage, puisque les professions libérales sont intégrées à la catégorie des "cadres ». Ce terme sera pourtant utilisé ici, faute d'expression plus concise.
3. -1. 5. 6.
H. Mendras. La fil/ dcs paysal/s. Paris, SEDEIS, 1967 (réédition, 1984, Arles, Actes Sud). C. Thélot, 'Iè/ père, t"'.fils? Positiol/ sociale et origillefallliliale, Paris, Dunod, 1982, p. 47. 0. Marchand et C. Thélot, Le travail ... , op. cit., p. 117. D. Goux et E. Maurin, Origine sociale et destinée scolaire, Revue française de soci()!t\~ie, XXXVI, 1995, p. 81-121, particulièrement p. 86.
Catégories populaires et salariat moyen et supérieur
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En deuxième lieu, la population ouvnere a cru Jusqu'en 1975, mais connaît ensuite un déclin. Lors de la crise des années trente, les ouvriers avaient déjà connu un recul, mais il ne fut pas durable. Depuis 1975, le retrait est plus marqué et se prolonge sur 22 ans, au point qu'en 1997 la proportion d'ouvriers dans l'emploi est comparable à celle de 1910. Ce mouvement s'accompagne d'une diminution de la part des ouvriers sans qualification au sein de la population ouvrière, ce qui implique une recomposition de la catégorie. Pour autant, cette diminution est moins importante lorsque l'on prend en compte les chômeurs plutôt que la seule population en emploi, un quart des non-qualifiés étant au chômage. Au rythme actuel, en prolongeant linéairement la tendance qui s'esquisse depuis 1975, il convient d'attendre encore quatre-vingts ans pour voir le terme de la catégorie des ouvriers, qui représentent tout de même le tiers de la population active. Annoncer ainsi la « disparition du monde ouvrier » tient donc plus de la prophétie que de la prospective. En troisième lieu, l'émergence des salariés du tertiaire que sont la triade employés/professions intermédiaires/cadres, dont la population explose lors des Trente glorieuses. Cette croissance provient d'un passé lointain, de plus de cinquante ans, mais en fait, pour être très précis, l'expansion ne commence vraiment qu'à partir de la « décade dorée », et se prolonge très nettement après 1975. La période du ralentissement, qui suit 1975, est certes marquée par une décélération du mouvement de tertiarisation, mais ce bloc massif des salariés tertiaires apparaît alors comme le seul grand groupe social en expansion, les ouvriers étant alors entrés en déclin. Par ailleurs, les indépendants non agricoles (les « patrons ») connaissent une évolution plus nuancée, légèrement déclinante lors des Trente glorieuses. Au même titre que les agriculteurs, elle dissimule une recomposition du groupe social, où les plus modestes, les petits « boutiquiers », disparaissent au profit des chefs d'entreprise de plus de dix salariés. Ces évolutions illustrent la justesse des hypothèses formulées au sortir de la guerre par Fourastié!, selon qui le développement économique s'accompagne nécessairement d'un baisse de l'emploi agricole, et si, dans une première phase d'industrialisation, l'emploi ouvrier croît, son déclin doit apparaître dans une seconde phase où le secteur 1. J. Fourastié, La civilisation de 1960, PUF, Paris, 1947, p. 25;J. Fourastié, Le grand espoir du XX siècle: progrès technique, progrès économique, progrès social, Paris, PUF, 1949, p. 74-80.
38
Bouleversements de la structure sociale et générations
tertiaire devient majoritaire, comme c'était le cas aux États-Unis dès les années trente. C'était là une prophétie remarquable et audacieuse pour un auteur des années quarante dans une France ruinée par deux guerres mondiales : du point de vue de ces grandes catégories sociales en emploi, l'augure s'est réalisé. Les agriculteurs, tout particulièrement les plus modestes, et les ouvriers ont connu peu à peu un déclin. La triade tertiaire salariée continue en revanche de se développer pour représenter la majorité absolue de la population active à partir des années quatre-vingt. Il en découlerait une modification progressive de la structure sociale, où les « manuels » tendent à décliner au profit des « intellectuels », généralement mieux rétribués. Ces hypothèses sont un peu rapides, pourtant.
LES PROBLÈMES DE LA MOYENNISATION ET DE L'ASPIRATION VERS LE HAUT
Passer de ce constat empirique à un diagnostic en termes d'aspiration vers le haut, et plus encore de moyennisation, pose quelques problèmes. C'est négliger trois faits: d'une part, que les emplois tertiaires ne sont pas tous bien rétribués, puisque les salaires des employés sont très proches, voire inférieurs, à ceux des ouvriers; d'autre part, que les emplois tertiaires ne sont pas tous des emplois de « bureau » ni d'une nature « intellectuelle », au sens de « non manuelle », ce que la restauration rapide nous apprend tous les jours, même si la composante relationnelle de l'emploi y est peut-être plus importante que dans le travail à la chaîne en usine; enfin, qu'entre la rétribution de l'ouvrier en emploi et celle de l'ouvrier chômeur, ne trouvant pas d'emploi dans le tertiaire, la différence peut être de taille - il faudra s'intéresser ultérieurement à cette autre population en croissance, les chômeurs, maintenant plus nombreux que les cadres, et ce qu'elle implique pour la structure sociale. C'est pourquoi l'hypothèse selon laquelle la tertiarisation implique mécaniquement une mobilité ascendante de celui qui la subit paraît infondée. C'est pourquoi il est nécessaire de se concentrer sur une période plus récente où il est possible de considérer avec plus de détails ce bloc massif des « salariés tertiaires », en l'éclatant en trois groupes nettement hiérarchisés (cadres, professions intermédiaires et employés) dont
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3 - Évolution des GSP dans la population en emploi. 40
%
30%
20%
10%
Agriculteurs Année
O%+------r-----+------~----~----~----_;----~~--~
1960
1965
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1975
1980
1985
1990
1995
2000
Source: compilation FQi'-Emploi. Challlp : population en t!l11ploi honuIlt!s t!t fenunes 20 il 59 ans.
la construction est précisée en annexe 1. Il en résulte une image nettement plus nuancée (graphique 3). L'expansion reste le lot commun de toutes les catégories tertiaires: les employés s'apprêtent ainsi à représenter un groupe plus important que les ouvriers, les professions intermédiaires progressent encore, même si c'est à un rythme nettement moindre que lors de la décade dorée. Pour autant, depuis 1993, les évolutions de cette catégorie, comme de toutes les autres, sont modestes, même en 1997, la reprise tardant à venir vraiment. Pour les ouvriers, la courbe présentée ici ne met pas en évidence le pic de 1975 qui se repère dans les données de Marchand et Thélot. Cette différence est liée à ce que les salariés agricoles sont inclus ici au sein des ouvriers, et que leur décroissance tout au long des Trente glorieuses fut rapide, et l'ensemble de la population ouvrière stagne donc dès 1964. En réalité, il apparaît que les catégories populaires que forment les ouvriers et les employés, pris ensemble, représentent une population parfaitement stable sur la période: la crise n'a fait que prolonger le
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Bouleversements de la structure sociale et générations
courant de tertiarisation, sans réduire la part globale dans la population en emploi de ce peuple industriel et tertiaire. D'autre part, alors que les cadres ont connu une croissance assez importante en passant de 9,0 à 12,6 % de la population en emploi entre 1983 et 1997 (+ 3,6 points), les professions intermédiaires ont crû nettement plus lentement: 1,6 point (17,2% en 1983 et 18,8% en 1997). Par ailleurs, les catégories populaires (employés et ouvriers) connaissent une léger retrait (- 1,5 point). Si l'aspiration vers le haut peut être argumentée ici, puisque plus une catégorie est hiérarchiquement élevée et plus elle croît en nombre, la moyennisation est en revanche discutable, sans quoi les professions intermédiaires auraient dû constituer la population en plus forte expansion. Pour résumer, les indépendants agricoles et autres connaissent un déclin, les catégories populaires stagnent, les protessions intermédiaires connaissent une crOlssance ralentie et les cadres ont la dynamique la plus favorable.
CHÔMAGE ET ECARTÈLEMENT DES CATEGORIES POPULAIRES LES OUBLIES DE LA STRUCTURE SOCIALE
Ces évolutions globales - de la population en emploi, il convient de le préciser avec une grande insistance - peuvent donner lieu à une lecture simple en termes d' « aspiration par le haut» (up-grading) de la population globale. Ce serait négliger un peu vite le fait que la population en emploi à la population active, il existe une population interstitielle dont la proportion va croissant: celle au chômage. L'argument a longtemps prévalu selon lequel les chômeurs ne constituent pas une catégorie en tant que telle: le chômage serait une expérience transitoire, un point de passage entre deux situations durables, entre deux emplois, entre études et exercice d'un métier, ou encore entre travail et retraite. Pour autant, des évidences de plus en plus lourdes à mesure que le chômage de masse a une histoire plus longue laissent place à une autre interprétation dont le mouvement des chômeurs de janvier 1998 a révélé la pertinence. Le chômage étant devenu permanent (chômage de longue durée) ou répétitif (retour au chômage des travailleurs précaires ou intermittents) pour une partie croissante de la population, il tend à se stabiliser dans une catégorie spécifique, celle des « chômeurs chroniques ».
Catégories populaires et salariat moyen et supérieur
41
Ces chômeurs ont en commun certaines caractéristiques fortes, même s'ils ne forment pas une strate au même degré, ni de même nature, ni sur le même plan, que les catégories sociales fondées sur la profession. Ces chômeurs ne forment pas une strate sociale au sens le plus strict du terme - parce que s'il est normal de faire une carrière d'ouvrier, une carrière de chômeur est plus difficile à concevoir -, mais un groupe flou, instable, sans permanence. Pourtant, d'une façon paradoxale, dans la mesure où il y a stabilisation par le chômage de longue durée, ou par une situation permanente de retour au chômage après des emplois précaires, sa stabilité peut justement résider dans son instabilité. Il est en outre un groupe plus cohérent qu'on a coutume de le supposer: il ne définit pas une identité et n'est guère propice à la socialisation mais il est la privation d'une identité et d'une socialisation professionnelle! ; pourtant le chômeur se sait, a conscience d'être chômeur, et qu'il n'est pas seul dans sa situation, devenue banale; il a la particularité d'être transversal à l'ensemble des catégories sociales, mais il touche plus particulièrement les catégories populaires ; il ne se transmet pas réellement de génération en génération, comme le fait d'être agriculteur, cadre ou ouvrier, mais parmi les jeunes actifs habitant chez leurs parents, la proportion d'enfants chômeurs lorsque le chef de ménage est au chômage est plus élevée, montrant que le chômage est une caractéristique qui tend à se léguer des parents aux enfants. Ces arguments ne permettent pas de trancher définitivement sur le chômage comme strate sociale, mais ils induisent l'idée de l'émergence d'une catégorie, celle des chômeurs chroniques, inexistante voilà encore vingt ans, mais dont les sociologues du début du siècle avaient déjà rendu compte de l'existence 2 • Il ne fait guère de doute que si un fort taux de chômage se perpétue quelques années encore, et surtout s'il continue son ascension, ces quatre arguments auront des chances de se renforcer mutuellement, dans le sens d'une cohérence et d'une structuration croissante de l'ensemble encore flou du chômage chronique et de la constellation qui gravite autour (comme les contractuels précaires ou aidés, les allocataires du RMI, préretraités, sta1. D. Schnapper. L'épreuve dtl chômage. Paris. Gallimard. 1994 (1981). p. 51-93. 2. Voir l'enquête de Booth reportée par Halbwachs (M. Halbwachs. Remarques sur le problème.... op. cit .• notanunent p. 895).
42
Bouleversements de la structure sociale
et
générations
giaires, les chômeurs dispensés de recherche d'emploi). Cette structuration pourrait compléter alors la stratification sociale classique - en tout cas, celle héritée de la société salariale des Trente glorieuses - par un nouvel ensemble, stable dans son instabilité, situé en deçà des catégories populaires, groupe social qui en constitue le plus souvent l'origine. En effet, ce groupe fluctuant a certaines caractéristiques de strate sociale (participation spécifique à la répartition des ressources sociales, potentialités d'évolutions différentes du reste de la population); en outre, s'il se dotait d'une identité collective - on sent poindre déjà l'identité temporelle, voire l'identité culturelle fondée sur la conscience de la médiocrité de son sort, entre des aspirations de consommation de classes moyennes et une réalité qui n'y correspond pas l - , en émergerait alors une classe, préfigurant une under-class à la française. Que devient l'évolution des groupes sociaux dans la population active lorsque les chômeurs sont considérés comme formant un
4 - Évolution des CSP dans la population active. 40
%
30
Professions intermédiaires
20
10
o 1960
1965
1970
1975
1980
1985
1990
1995
2000
Source: compilation fQP-Emploi. Challlp . population active honmles ct lemmes 20 à 59 ans, chômeurs séparés.
1. A. VillecllJise, La banlieue sans qualités ... , op. cit.
Catégories populaires et salariat moyen et supérieur
43
groupe autonome ? En fait, le groupe des chômeurs, depuis 1977, est animé de la dynamique la plus vive, malgré une pose lors de la reprise de la fin des années quatre-vingt (graphique 4). Il constitue un ensemble disparate qui mord peu à peu sur les autres catégories, même si les catégories populaires sont nettement plus touchées. Une fois que l'on considère les chômeurs, il faut réévaluer les évolutions en part de la population active: celle des cadres en emploi n'est plus que de 2,5 points depuis 1983, celle des professions intermédiaires de 0,3, une véritable stagnation, les employés et ouvriers pris ensemble connaissent une baisse de 5,1 et les chômeurs une croissance de 6,5 points. Le portrait est donc singulièrement distinct de celui qui résultait de l'analyse de la seule population en emploi. En fait, ces évolutions sont bien différentes de celles de 1964-1977: alors, la croissance des professions intermédiaires était la plus intense, ce qui pouvait justifier l'argument de la moyennisation, même si le chômage était déjà en expansion, mordant sur les catégories populaires. En fait, le seul groupe qui connaît une· évolution à peu près identique, de la période 1964-1977 à celle de 1983-1997, est celui des cadres, qui prolongent globalement leur expansion avec la même intensité. Au total, sur la période 1983-1997 (table 5), la théorie de l' « aspiration par le haut » serait fondée si l'on ignorait la croissance du groupe des chômeurs. Celui-ci tend évidemment à « tirer vers le bas » les catégories populaires, en créant pour ceux en âge de travailler des situations plus défavorables et incertaines qu'à l'époque du plein emploi, où la ressource du SMIC était dans les faits ouverte à toute personne se présentant sur le marché du travail. Une fois pris en compte le chômage, l'aspiration vers le haut impliquée par la croissance des cadres a son pendant depuis vingt ans au bas de la structure sociale: l'aspiration vers le bas des membres des couches salariées qui ne trouvent ou ne retrouvent pas d'emploi. L'un et l'autre existent simultanément, ce qui va dans le sens d'un écartèlement. En réalité, comme les professions intermédiaires stagnent depuis 1983, il n'est guère possible non plus de parler de « démoyennisation » - phénomène appelé shrinking middle class par les Anglo-Saxons l - mais plutôt d'écartèlement des catégories populaires entre celles qui ont accès à un emploi stable et les autres qui, si le chômage de masse doit encore durer, risqueraient bien de composer une nouvelle strate. Pour autant, l'arrêt 1. Voir par exemple le numéro 47 de la Revue .française d'études américaines, mais aussi D. B. Papadimitriou et E. N. Wolff, Poverty and Prospeliry in lire USA in tire Lue Twetttielh CClltury, New York, St Martin's Press, 1993.
44
5 - Évolutioll des GSP dans la population active sur la période 1964-1977 et 1983-1997. 1964-1977
1983-1997
+2,~
Cadres* Professions intermédiaires* catégories populaires (ouvriers et employés)* Chômeurs
+3,3 % +1,1 % +1,7 %
+3,1 +0,6 - 5,8 +6,3
% % %
(Agriculteurs) (Patrons) (Employés)* (Ouvriers)*
- 6,1 % - 2,8 % +3,6 % - 2,6 %
- 3,2 - 1,0 +0,9 - 6,7
% % % %
%
%
Note: Les cadre!s ont connu de! 1964 à 1977 une croissance de 2,8 points (en passant de 5,2 à H,O % de la population actiw). (*) : catégories salariées en e!mploi. Source: compilation FQP-Emploi. Champ: population active hommes e!t femmes 20 à 59 ans, chômeurs séparés.
de l'expansion de la catégorie moyenne du salariat implique une situation nouvelle, vraisemblablement moins favorable à la mobilité ascendante des catégories populaires par promotion ou mobilité intergénérationnelle.
CONJONCTURE SOCIO-ÉCONOMIQUE ET STRUCTURE SOCIALE: LES PROBLÈMES D'AUJOURD'HUI
Ce changement dans le changement, autrement dit cette variation dans les rythmes d'évolution des groupes sociaux, doit être souligné. Contrairement à l'idée commune, le poids des groupes sociaux dans la structure sociale ne varie pas de façon linéaire, mais nettement saccadée: l'observation fine de la courbe d'évolution des cadres montre que le rythme d'expansion n'est pas identique sur toute la période 1964 à 1997 (graphique 6). Linéaire à un rythme rapide de 1964 à 1977, il ralentit ensuite nettement jusqu'en 1985. Sa progression s'accélère nettement de 1985 à 1991, mais il stagne de nouveau après 1991. Cette série de séquences n'est pas sans évoquer la conjoncture économique, qui est aussi sociale.
Catégories populaires et salariat moyen et supérieur
45
DifIerents indicateurs économiques et sociaux ont connu des rythmes proches, par rapport à la tendance de longue durée. Même si les années sont données ici à titre indicatif, des décalages de deux ou trois ans pouvant exister, de nombreux indicateurs sont marqués par une dégradation de 1975 à 1985, une pose ou rémission de 1985 à 1991, et une nouvelle aggravation de 1991 à 1994, voire au-delà, comme le chômage des jeunes, la croissance économique, ou l'opinion des ménages sur l'évolution du niveau de vie telle qu'elle est mesurée par les enquêtes de conjoncture auprès des ménages de l'INSEE, voire même la délinquance ou le suicide!. Évidemment, ce lien ne doit en aucun cas être interprété en termes de causalité, mais il invite à relier ces faits, même s'ils sont de natures difIerentes et situés sur des plans distincts. Tous ces phénomènes variant simultanément dans le même sens d'une amélioration ou d'une aggravation, avec des avances et des retards variables, se bouclant éventuellement les uns les autres selon des cercles vicieux que les économètres ont quelques difficultés à quantifier, nous pouvons douter de ce qu'un jour le processus causal qui relie la conjoncture économique et ces indicateurs puisse être statistiquement élucidé. Néanmoins, les fluctuations de la croissance des cadres suivent peu ou prou la qualité de la conjoncture économique. Pour les cadres, en faisant d'abord l'hypothèse d'un besoin stable, donné une fois pour toutes, de salariés plus qualifiés, et plus coûteux, que la moyenne, une reprise économique est propice à leur recrutement, simplement parce que les disponibilités financières nécessaires à leur embauche existent et semblent pérennes aux entrepreneurs; ensuite, pour prendre en compte les variations du besoin de cadres, on peut supposer qu'il est plus élevé en période de reprise, puisque les entreprises commencent alors à projeter leur expansion à venir, ce qu'elles ne font généralement pas en période de stagnation, et éprouvent alors le besoin d'étoffer leurs services d'expertise et d'encadrement. Ces deux arguments concourent simultanément à l'explication du surcroît d'embauche de cadres lors des améliorations de la conjoncture économique. Cette variation se retrouve aussi pour les patrons et les ouvriers, et bien évidemment, inversée, pour les chômeurs qui se développent lorsque la conjoncture se dégrade. Les candidats à l'installation comme chefS de leur propre entreprise ont des chances de se montrer plus 1. H. Lagrange, Violence, chômage et involution des mœurs, Cahiers de l'OSC, nO 20, 1998; L. Chauvel, L'uniformisation du taux de suicide masculin selon l'âge: effet de génération ou recomposition du cycle de vie?, Revuefratlfaise de sociologie, XXXVIII-4, 1997a, p. 681-734.
46
6 - ÉVOllltiOIi annuelle de la part des GSP dam la population active
par période. 1,0 % 0,8
0,6
0,4
0,2 0,0
-0,2 -0,4
-0,6 1964-1977
1977-1985
1985-1991
Année 1991-1997
SOl/rce: compilation FQP-Emploi. Cha",p: population active hommes et femmes 20 à 59 ans, chômeurs séparés.
IV,,[t': le groupe des chômeurs a vu croître sa part dans la population de + 0,66 % par an de 1')
Deuxième partie Les causes de la rupture
Introduction
La « transltlon cohortale », c'est-à-dire cette dynamique générationnelle, en marche d'escalier, de la proportion des cadres comme des professions intermédiaires, apparaît comme un phénomène majeur de l'histoire sociale contemporaine. Tout se présente comme si, lors des vingt premières années des Trente glorieuses, au-delà de l'implosion continue de la paysannerie, très peu de choses avaient réellement changé dans la structure de la société française. Il faut alors attendre la « décade dorée » pour qu'une génération sociale spécifique apparaisse, caractérisée par une expansion brusque du salariat moyen et supérieur, dès son recrutement, puis tout au long de sa vie. Les suivantes ne connaissent quasiment plus de changement, à l'exception d'une croissance inédite du chômage. Le fait que ce phénomène ne ressemble pas à un changement progressif et tendanciel, mais plutôt à une rupture, pose question. Pourquoi les enfants des années quarante ont-ils connu cette expansion ? Pourquoi les prédécesseurs ont-ils si peu bénéficié de la croissance des Trente glorieuses, dont ils furent pourtant les contemporains tout au long de leur vie professionnelle? Pourquoi les successeurs ont-ils tant de peine à connaître une situation meilleure que, voire semblable à, celle de leurs aînés ? L'explication en est complexe et dépend de plusieurs facteurs. D'abord, les cohortes nées dans le courant des années quarante ont bénéficié d'une expansion scolaire qui tranche avec les restrictions de l'enseignement connues par les prédécesseurs, voire aussi par les successeurs immédiats, ce qui implique une modification des handicaps et avantages relatifs des cohortes. La croissance du nombre de titulaires de diplômes élevés et l'expansion des catégories sociales supérieures et
100
Les causes de la rupture
moyennes qui correspondent traditionnellement à ces titres scolaires, peuvent ne pas avoir le même rythme: si la dynamique de la première dépasse celle de la seconde, une certaine proportion des nouveaux titulaires ne trouvera pas sa place au même niveau que ses prédécesseurs. Il s'ensuit alors une dévalorisation sociale des titres scolaires: la fameuse « dévaluation du diplôme ». Ensuite, les recrutements dépendent d'une demande spécifique qui peut varier considérablement dans le temps. Ceux arrivés à l'âge adulte lors de la décade dorée ont ainsi rencontré une situation exceptionnelle d'embauches de cadres et de professions intermédiaires. Enfin, les processus du marché de l'emploi ne correspondent pas à l'idée simple d'un équilibre permanent entre une offre et une demande où l'excès d'encadrement se résoudrait par la rétrogradation des cadres recrutés hier, et devenus surnuméraires. L'ajustement se fait essentiellement sur le flux et non le stock, pour parler comme les économistes, c'est-à-dire sur les derniers arrivés plutôt que sur l'ensemble de la population: la crise frappe avant tout les générations les plus récentes, celles qui sont à la recherche d'un emploi et d'une position dans la hiérarchie sociale, comme les expansions économiques bénéficient en premier lieu aux nouveaux entrants dans le monde du travail.
3 Les deux exp/osions scolaires
Sans nul doute, l'un des changements majeurs de ce siècle consiste dans le niveau d'éducation. Entre les générations du premier tiers du siècle, qui comptaient environ 5 % de bacheliers, et celles qui sortent aujourd'hui des études secondaires, où plus de la moitié d'une cohorte atteint ce niveau, une révolution a eu lieu. Pourtant, ces révolutions du niveau d'éducation ne sont pas linéaires. Comment l'expansion du salariat moyen et supérieur de la génération des années quarante at-elle eu lieu? Les évolutions du niveau d'éducation offrent une partie de l'explication: en ouvrant brusquement l'accès aux études supérieures pour une proportion nettement plus importante de la population à partir de la cohorte 1940, une nouvelle donne scolaire s'est mise en place. Le déficit d'encadrement des Trente glorieuses s'est brusquement résorbé par une multiplication de la population adéquatement formée dans certaines cohortes, particulièrement pour celles nées dans le courant des années quarante. Un des éléments déterminants de cette transition cohortale consiste donc en la mutation du système éducatif. « Le niveau monte »1, sans cesse. Fourastiél faisait de l'expansion de la population ayant suivi des études secondaires et supérieures une caractéristique spécifique de la société moderne et un facteur essentiel du changement des genres de vie. Marchand et Thélot3 montrent l'intensité de la dynamique au sein de la population active: jusqu'en 1955, le niveau d'études moyen s'élevait au rythme d'un an tous les c. Baudelot
et R. Establet, Le niveau lIIot/te. Réfutatio'l d'une vieille idée COtlcertlallt la prétendue décadence de nos écoles, Paris, Seuil, 19H9. 2. F. Fourastié, La civilisation ... , op. cit. 3. O. Marchand et C. Thélor. Le travail ...• op. cit., p. 94, 225-227. 1.
102
Les causes de la rupture
25 ans. La moyenne des âges de fin d'étude passe ainsi de moins de 12 ans à la fin du XIX' siècle à 14 ans dans les années cinquante. Ensuite, le rythme s'accélère vigoureusement, cet âge croissant d'un an tous les dix ans, pour atteindre plus de 18 ans aujourd'hui (graphique 23).
23 - Age moyetl dej/Il d'études de la population active par an (1896-1996). 19
Age de fin d'éludes
18 17 16
15 14 13
12 Il
Année 10+------+------~----~----~~----~----~
1880
1900
1920
1940
1960
1980
2000
Sot/rer: Marchand et Thdot (1997).
Cette croissance moyenne au sein de la population active, globalement linéaire, avec une rupture de rythme en 1955, dissimule pourtant des fluctuations plus importantes que cet indicateur ne veut bien le laisser croire: d'où peut provenir en effet l'accélération que l'on repère au début des années soixante, sinon du fait de l'apparition de nouvelles générations nettement mieux formées que les prédécesseurs? En effet, la population active inclut des populations fort hétérogènes: des jeunes formés de plus en plus longuement et des âgés qui connurent au temps de leur formation initiale un état nettement moins développé du système scolaire. Pour forcer le trait, lorsque les uns connaissent la banalisation du baccalauréat, les autres sont contemporains de la période où le certificat d'études était un titre envié.
Les deux exp/osions seo/aires
103
LA CROISSANCE DU NIVEAU D'ÉDUCATION PAR COHORTE
En réalité, en analysant de plus près l'évolution, selon la cohorte de naissance, le niveau monte, certes, mais par vagues successives. Certaines cohortes connaissent ainsi une vive accélération et d'autres un ralentissement. L'âge médian de fin d'études (celui qui sépare la moitié la plus longuement formée de celle dont les études furent les plus courtes) a connu ainsi deux envolées successives: une première phase de croissance pour les cohortes nées au début des années quarante, et une seconde pour celles venues au monde à l'orée des années soixante-dix (graphique 24). Clairement, contrairement à l'intuition générale, le mouvement par cohorte n'est pas continu et progressif, mais bien saccadé, des périodes d'emballement étant séparées par d'autres, de relative stagnation, liées clairement aux deux « cycles de croissance » du système d'enseignement en ce siècle 1 • La rupture de
24 - Age médian de fin d'études initiales par cohorte. 22
Age de fin d'études
20
18
16
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10+---~
1900
____
1910
~
____
1920
~
1930
__
~
____+-__
1940
1950
Cohone
~
____
1960
~
__
1970
~
1980
Sources; Enquêtes Emploi INSEE 1982-1997.
1. A. Prost, L'Éducation nationale depuis la Libération, Les Cahiers français, dossier; Le système éducatif, nO 285, p. 1-12, 1998.
104
Les causes de la rupture
tendance au début des années soixante, reperee sur la moyenne de l'âge de tin de scolarité de la population active, est ainsi la conséquence de l'arrivée sur le marché de l'emploi de ceux nés au début des années quarante, scolarisés au milieu des années cinquante et au début des années soixante, caractérisés par un niveau d'éducation nettement plus élevé. Pour la cohorte née en 1900, l'âge médian de fin d'études était de moins de 14 ans l ; il s'élève alors progressivement et lentement jusqu'à 15 ans pour la cohorte 1937, au rythme de six mois par décennie. Il atteint ensuite, au terme d'une brusque accélération, 17 ans pour la cohorte 1947: une élévation de deux ans en une décennie, soit un rythme quatre fois plus rapide que pour les cohortes précédentes. Pour celle de 1958, il est de 18 ans et de 19 ans pour la cohorte 1968 : le ralentissement est clair. Il s'accélère alors et atteint près de 22 ans pour la cohorte 1975, soit trois années de formation en plus en l'espace de sept ans, plus qu'en trente ans du régime de croissance précédent, qu'en soixante ans au rythme des cohortes du début du siècle; de quoi élever au niveau du 3' cycle universitaire 50 % des enfants nés en 1990, si la tendance se prolongeait à l'identique. Pour la population « moyenne », la politique d'éducation de la première partie de la IV' République semble avoir été restrictive, en formant relativement peu les cohortes nées autour de 1930, qui ont donc 15 ans en 1945. La proposition Langevin-Wallon de 19462, qui émettait l'idée d'une planification de l'extension progressive de l'école obligatoire jusqu'à l'âge de 18 ans, faisant ainsi preuve d'une clairvoyance historique de long terme, aurait pu être des plus favorables, si elle avait été adoptée. Ainsi, l'objectif de 18 ans ne semble atteint pour 90 % de la population que depuis 1993, donc depuis cinq ou six ans, pour les dernières cohortes sorties de l'école. Or, cet âge minimal est quasiment appliqué aux États-Unis depuis près de 30 ans. Quant au caractère progressif de cette élévation, elle apparaît rétrospectivement comme un vœu pieux: la croissance scolaire fut réalisée en deux explosions successives au milieu desquelles se trouve une longue L Cette évaluation porte sur l'enquête emploi de 1982, donc sur des personnes âgées d'environ 82 ans. En fait, malgré le différentiel de mortalité selon le sexe ou la catégorie sociale (cf. G. Desplanques, L'inégalité sociale devant la mort, i .. INSEE, Dot/nées sociales 1993, Paris, INSEE, 1993, p. 251-:~58), qui pourrait laisser craindre des biais importants pour les plus âgés, la confrontation des différentes enquêtes Emploi 1982-1997, à 15 ans d'intervalle, fait voir que le changement est très tàible. 2. Voir par exemple: A. Prost, Histoire de /'enseignemem '" France: 1800·/967, Paris, Armand Colin, 1968.
Les deux explosions scolaires
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stagnation. C'est ainsi que les cohortes nées entre 1937 et 1947 ont bénéficié d'une accélération extraordinaire, celles nées de 1950 à 1965 ont connu un retour à une croissance lente de l'âge de fin d'études, celles venant ensuite vivent actuellement une seconde expansion, qui ne semble pas achevée aujourd'hui. Cette croissance oscillatoire n'est peut-être pas sans poser de problèmes sur le long terme: l'âge de fin d'études initiales marque généralement pour la vie entière le niveau de scolarité d'un individu, puisque la formation au cours de la vie active est relativement peu développée en France. En effet, à peu d'années de distance, certaines cohortes vont ainsi disposer de bons atouts scolaires et d'autres non, simplement parce qu'elles ne sont pas nées la bonne année. Évidemment, il faut se féliciter de l'avancée du savoir, de la meilleure préparation intellectuelle à la complexité de la vie, et de toutes sortes de choses que l'éducation peut apporter tant aux individus qu'à la collectivité. Il est nécessaire inversement de conserver un minimum d'esprit critique, puisqu'il n'est pas possible non plus de tout en attendre: l'essentiel de l'expansion des Trente glorieuses fut réalisé avec une population de très faible niveau de formation, alors que le ralentissement économique suit de peu l'émergence d'une génération nettement mieux formée ... Il n'existe donc pas de lien mécanique immédiat entre croissance économique et formation scolaire. Surtout, il faut voir que toute accélération sans modération est suivie d'un freinage, dont pâtiront peu ou prou les successeurs. Il faut certainement se réjouir pour toutes les cohortes qui se situent sur la crête de l'une de ces vagues montantes du niveau d'éducation, mais toute crête a sa contrepartie: les creux de vague que sont les cohortes nées au milieu des années trente, ou celles venues au monde pendant les années soixante, et, de nouveau, on peut le craindre, les enfants nés lors des années quatre-vingt, qui ne suivront vraisemblablement pas la tendance de croissance rapide de leurs aînés immédiats, sauf à amener la moitié de la population au niveau du DEA. La dynamique du niveau d'éducation, depuis la cohorte 1940, est ainsi un jeu d'accordéon où, faute de programmer au long terme le développement de l'enseignement, certaines cohortes ont toutes chances de bénéficier de brusques améliorations, parce qu'elles sont nées la bonne année, et d'autres d'être relativement privées d'avantages scolaires en subissant un ralentissement. Celles-ci n'auront donc pas, dans leur jeunesse, d'avantage scolaire sur leurs aînées, qui, elles, sont pourvues de plus d'expérience. Ensuite, parvenues en milieu de carrière,
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Les causes de la rupture
elles connaîtront la concurrence de nouvelles cohortes bénéficiant d'une nouvelle accélération scolaire. Ainsi, par rapport à la tendance linaire de la cohorte 1920 à celle de 1950, la cohorte 1936 a cessé ses études un an trop tôt. De même, les cohortes nées de 1961 à 1968 ont un an de retard par rapport à ce qu'eût donné une crOIssance linéaire entre la cohorte 1950 et celle de 1974.
DES COHORTES PLUS INÉGALES?
Une autre conséquence de ces sauts mal prévisibles consiste en l'écart très variable entre le sommet et la base des niveaux de scolarité. En effet, au-delà de la médiane, il faut voir qu'il existe toute une diversité au sein de la population des sortants de l'école, entre ceux qui devancent de diverses façons l'âge de l'école obligatoire et ceux qui prolongent leurs études indéfiniment. Chacune de ces extrémités de la répartition ayant sa dynamique et ses fluctuations propres, le haut et le bas de la répartition des niveaux de formation initiale ne varient pas de façon proportionnelle, ni même articulée. Évidemment, c'est là un autre champ d'action de la politique éducative: au-delà des objectifs d'avenir - l'expansion du savoir -, la répartition des diplômes entre les personnes a des implications essentielles sur la configuration et l'évolution des structures sociales (graphique 25). La répartition du « capital scolaire» entre les membres de la société crée ainsi, relativement tôt dans l'existence d'une cohorte, une hiérarchie suite à laquelle découleront des chances variables de parvenir en différents niveaux dans la hiérarchie des professions et des positions sociales. Pour la cohorte 1900, le premier et le dernier déciles étaient séparés de 7 ans, et celui-ci déclinait progressivement à 6 ans pour la cohorte 1932. Ensuite, l'écart s'élève brusquement jusqu'à la cohorte 1944 à près de 9 années d'écart entre le bas et le haut de la hiérarchie des études initiales, où il se stabilise. L'écart se contracte ensuite à 7,5 ans pour la cohorte 1960, puis rebondit pour atteindre 9 ans pour la cohorte 1971 sans que l'on voie une hypothétique stabilisation - il faut en effet que 90 % des individus d'une cohorte aient quitté l'école pour pouvoir mesurer le 9< décile, qui est maintenant à 26 ans, pour la cohorte 1971. La suite est difficilement prévisible. Les enfants nés dans les années soixante-dix pourraient ainsi être inégaux devant la
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25 - Croissance des déciles de l'âge defin d'études par cohorte. 26
Age de tin d'études
24
22
20 18 16
14
12 Cohorte 10+----+----+----+----~--~----~--~--~
1900
1910
1920
1930
1940
1950
1960
1970
Sources: Enquêtes Emploi
1980 INSEE
1982-1997.
Nore: 1« décile: niveau en deçà duquel se situent les 10 % moins longuement scolarisés de leur cohorte; médiane: niveau séparant des 50 % les moins et les plus formés; 9' décile: niveau en deçà duquel se situent les 90 % les plus longuement instruits.
durée de la scolarité à un degré inédit. Le niveau monte, certes, mais pas pour tous de façon égale. Ainsi, Baudelot et Establet sont fondés dans leur diagnostic selon lequel : « L'écart se creuse entre un peloton de tête plus étoffé qu'hier, plus performant que jamais, et les autres, moins nombreux qu'hier, mais plus démunis que jamais »1. Comment expliquer ces soubresauts? Ici se révèle l'insuffisance de la démarche consistant à supposer que la cohorte est un tout homogène: au-delà de la médiane, chaque cohorte porte en elle-même une hiérarchie scolaire qui lui est propre. Ainsi, il semble que chaque cohorte soit caractérisée par une hiérarchie des capitaux scolaires spécifique, mais aussi par une répartition interne des ressources économiques qui lui est propre, mais encore par un degré spécifique d'inégalité du prestige des positions, du revenu, de l'accès à la culture, etc. Entre la cime et l'abîme, l'écart peut varier, c'est-à-dire que la « hauteur » de la hiérarchie pourrait être propre à chaque cohorte, et non constituer une donnée universelle. C'est particulièrement vrai pour 1. C. Baudelot et R. Establet, Le "iveau monre... , op. cir., quatrième de couverture.
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Les causes de la rupture
l'éducation où, entre les premiers et les derniers sortis du système d'enseignement, la distance a varié au long de ce siècle, ce dont rend compte l'évolution de l'écart entre les déciles de l'âge de fin d'études selon la cohorte. Les évolutions sont alors non linéaires, mais par palier ou en « marches d'escalier », aussi bien pour le haut que pour le bas de la répartition, à des rythmes variables, et ce pour des raisons différentes. L'âge minimal de fin d'études, d'abord, correspond depuis plus d'un siècle à une norme légale. Il est donc tout à fait normal qu'une évolution en marche d'escalier soit la conséquence de la modification de la législation. En 1882, la scolarité obligatoire passe de 12 ans à 13 ans, objectif légal qui ne semble atteint réellement que pour la cohorte née en 1920, scolarisée donc dans le courant des années trente. Le passage aux 14 ans est décidé en 1936, norme que ne connaîtront vraiment que les cohortes nées à partir de 1937 - avec donc un retard de 15 ans sur la décision. La réforme Berthoin de 1959 1, qui prolonge la scolarité obligatoire à 16 ans pour les cohortes nées à partir de 1953 est un objectif réellement atteint pour les cohortes nées à partir de 1960, et n'est donc totalement à l'œuvre que pour les sortants du système scolaire de 1976, alors même que 1971 fut la date à laquelle l'Éducation nationale décida de son application pleine et entière. Un écart temporel assez considérable sépare donc les objectifs légaux de leur réalisation. En revanche, alors que le législateur ne s'est plus prononcé, depuis longtemps, sur une élévation de l'âge de l'école obligatoire, alors même que les jeunes de moins de vingt ans ont quasiment disparu de la population en emploi (8,5 % de la population âgée de 18 ans travaillaient en 1997, et 2,9 % étaient chômeurs), il semble que l'objectif d'un âge minimal de fin d'études à 18 ans soit effectivement réalisé pour 90 % de la population. Tel est le paradoxe des comportements : ils peuvent suivre avec retard la législation, comme ils peuvent la devancer de loin. Pour autant, la norme minimale de scolarité semble rester le parent pauvre des préoccupations de la politique éducative, les écarts 1. La réforme de l'école obligatoire du 6 janvier 1\/5\/ - voilà près de quarante ans - qui a reporté cet âge à 16 ans. Les ,ùveaux supérieurs d'éducation s'étaient déjà nettement développés, et la réforme des 16 ans ressemble plus à un tardif rattrapage qu'à une mesure volontariste d'accès minimum à l'éducation. L'analyse de Prost est juste lorsqu'il affirme que • l'école ne devance pas le mouvement des mœurs, elle le suit péniblement» (A. Prost, Histoire de 1'('lIseigllelllenl ... , "p. cil., p. 440). Voir aussi: A. Prost, Histoire générale de l'etlseignemetlt el de l'édllealiotl l'II France, vol. 4. L'école et la famille dam lllle société en /lmtation, Paris, Nouvelle librairie de France, 1981, p. 254.
Les deux exp/osions seo/aires
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allant croissant, et le « SMIC culturel » suggéré par Baudelot et Establet l , qui proposaient une politique d'élévation de la norme minimale reste une question actuelle: l'école ne doit pas simplement avoir un objectif de formation de l'excellence, mais aussi de diffusion à tous de connaissances nécessaires à l'intégration de chacun. Évidemment, il s'agit là d'une population qui concentre les problèmes sociaux les plus aigus, et il reste à concevoir le système d'enseignement en mesure de l'intégrer - le risque étant alors de créer un système « à l'américaine» où l'enseignement secondaire de la fraction la plus démunie de la population serait assimilable à une garderie pour adolescents à problèmes. Pour les cohortes nées entre 1940 et 1955, cesser ses études précocement, entre l'âge de 14 et 15 ans, n'était pas dirimant, au temps de leur jeunesse, puisqu'il ne conduisait pas à l'échec social et à l'exclusion: les individus concernés trouvaient à se placer dans le système productif sans trop de difficultés, entre les années 1955 et 1970. Plein emploi oblige, ils pouvaient ainsi obtenir rapidement une insertion professionnelle avec le SMIC comme filet de protection minimale2 de leur revenu; en revanche, pour les suivants, même avec une scolarité obligatoire à 16 ans, voire à 18 ans pour 90 % des sortants de l'école de 1997, la lutte pour les places est vive et fort inégale, et une scolarité courte est un handicap majeur, qui rend peu probable la découverte rapide du monde du travail, sauflorsque les relations familiales permettent d'entrer dans le système de l'apprentissage; pour tous ceux qui connaissent le chômage, le SMIC annuel à plein temps comme revenu minimum est tout théorique. Les plus bas niveaux d'éducation commencent en définitive à s'insérer en majorité dans le monde professionnel vers l'âge de 24 ans, à peu près au même âge que les sortants de grande école3, ce qui laisse pour beaucoup la perspective de passer cinq ou dix ans dans une situation de hors-jeu social, avant que de connaître pour beaucoup la précarité à perpétuité. En définitive, l'enjeu de 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat pourrait signifier bien autre chose: que les 20 % les plus prématurément sortis de l'école sont laissés à leur sort, ou à la seule
1. C. Baudclot et R. Establet, Le niveau monte... , op. cil., chapitre 15. 2. Il peut sembler étrange de parler du SMIC (ou SMIG, jusque dans les années soixante) comme filet de protection, mais telle était pourtant la situation pour les personnes d'âge actif, dans la période où le droit au travail était réalisé dans les faits. Le chômage de masse a profondément remis en cause la capacité du SMIC à réguler les revenus au sein de la population active. 3. L. Chauvel, La frontière entre jeunesse et âge adulte s'estompe, in L. Dirn, Tendances de la société française, Revue de l'OFCE, nO 58, 1996b, p. 178-188.
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Les causes de la rupture
solidarité tàmiliale, lorsqu'elle existe, et pour le temps où elle peut encore exister. Ce type de progression en marche d'escalier s'observe aussi à l'opposé de la répartition pour la tranche supérieure des âges de fin d'études. C'est en tant que tel surprenant, puisque, si le législateur peut changer l'âge minimal, l'âge maximal ne dépend, lui, que de la volonté des individus de prolonger leurs études, et des contraintes auxquelles ils sont cotifrontés du fait des restrictions formelles ou implicites d'accès à l'université. En supposant que les volontés et les contraintes varient les unes et les autres de façon linéaire dans le temps (élévation continue de l'aspiration à plus d'éducation et croissance progressive des investissements publics), l'âge de fin d'études du décile le plus élevé devrait croître, nécessairement, de façon progressive aussi. Toutes les observations indiquent le contraire. En fait, cet âge reste stable entre 18 et 19 ans de la cohorte 1900 jusqu'à celle de 1932, puis il s'élance pour atteindre à 23 ans pour la cohorte 1944 - une élévation de quatre ans en douze années - où il se stabilise alors de la cohorte 1945 à celle de 1963. Il reprend alors son essor, jusqu'à l'âge de 26 ans ou presque pour la cohorte 1971. Le mouvement est en cours aujourd'hui encore, et les données consultées ne permettent pas de voir la tin de cette seconde explosion de l'enseignement. Même si la décision d'un âge maximal de tin d'études échappe au législateur, le fait de débloquer des fonds pour construire de nouvelles universités ou les agrandir, pour assurer ainsi l'accueil des étudiants, pour multiplier les tllières de baccalauréat, pour développer la protection sociale et les allocations de logement, ou encore pour créer des bourses de l'enseignement supérieur, permet d'ouvrir à un plus grand nombre l'accès aux études. Ne rien faire permet en revanche de geler la situation, voire de refermer l'accès à l'éducation, si le coût de la vie s'élève. ÉvidenUl1ent, une conjoncture économique déprimée peut jouer aussi dans le sens d'une incitation à rester en étude lorsque le chômage s'accroît - d'où le thème des « universités parking », idée dont il est difficile d'évaluer la réelle pertinence. Si elle était seule en jeu, les enfants nés entre 1955 et 1965, qui eurent 20 ans en une période assez néfaste du chômage des jeunes, entre 1975 et 1985, auraient dû connaître des prolongations scolaires. Or, ce n'est absolument pas le cas, et la demande de scolarité, ici, ne crée certainement pas à elle seule l' otTre; l'inverse, en revanche, pourrait être plus envisageable. Si la demande d'éducation peut varier dans le temps, l'offre publique a des chances d'être tout aussi déterminante, et ses évolu-
Les deux exp/osions scolaires
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tions sont de nature à perturber le jeu social par de rapides à-coups. Moins aisée à repérer que la norme minimale d'éducation - réglementée par un âge de scolarité obligatoire -, elle n'agit pas moins de façon contraignante sur les différentes cohortes désireuses de continuer leurs études. L'expansion brutale de la scolarité des cohortes nées autour de 1940 correspond ainsi à la politique de l'élévation spécifique de l'enseignement supérieur décrite par Lévy-Garboua ' , à l'effort public d'investissement, aux aides aux étudiants, qui marquèrent la grandeur de la démocratisation de l'enseignement supérieur des années soixante, puis sa décadence dans les années soixante-dix2 • Aux deux extrémités de l'échelle des niveaux d'éducation, les mouvements sont donc brutaux, en accordéon, et à quelques années de distance, les destins scolaires bifurquent nettement.
LES DEUX EXPLOSIONS UNIVERSITAIRES
Les conséquences sur la proportion de ceux qui, au sein d'une cohorte, atteignent ou dépassent 22 ans d'âge de fin d'études, mais aussi 25 ans, en sont déterminantes. Les cohortes nées autour de 1940 ont effectivement connu une croissance extraordinaire: de la cohorte 1930 à celle de 1945, il Y eut un triplement de ceux dont les études se prolongèrent au-delà de 22 ans, et une stabilisation s'ensuivit (graphique 26). Il Y eut ensuite une longue stagnation de la cohorte 1945 à celle de 1963, qui pourtant est confrontée à son entrée dans le
1. L. Lévy-Garboua, Les demandes de l'étudiant ou les contradictions de l'université de masse, Revue française de sociologie, XVII, 1976, p. 53-80. 2. Les évaluations ministérielles publiées par Baudelot et Establet (cf. C. Baudelot et R. Establet, L'école capitaliste en Fra/ue, Paris, Maspero, 1971, p. 26) font apparaître de la même façon une transition importante entre 1960 et 1966 sur les âges élevés de fin d'étude. Gratineyer repère de même le choc des années soixante, où la croissance du nombre d'étudiants dépasse très largement l'ampleur du choc démographique du baby-bMm (cf. Y. Gratineyer, Un enseignement supérieur en quête d'universités, in J. D. Raynaud et Y. Gratineyer (dir.) , Français, qui êtesVOliS?, Paris, La documentation française, 1981, p. 421-423). Elles correspondent aussi à ce que Cherkaoui appelle l' • arythmie de la croissance scolaire» (cf. M. Cherkaoui, Les c1.al/getIIe/lts du système éducatif etI France 1950-1980, Paris, PUF, 1982) ; voir tout particulièrement le graphique de l'évolution du nombre des érudiants, qui décolle magistratement de 200 000 en 1962 à 600 000 en 1969 (la taille des cohortes avant et après le baby boom passe de 650 000 pour celles d'avant-guerre à 850000 après), puis reprend une croissance linéaire plus modérée à partir de 1970 (ibid., p. 47, fig. 1.3).
112
26 - Proportion d'individus d'âge de fin d'études supérieur ou égal à 22 ans par cohorte. 40
35 30 25 20 15 10
5 0 1915
1925
1935
1945
1955
1965
Sources: Enquêtes Emploi
1975 INSEE
1982-1997.
monde du travail au chômage de masse, et qui eût pu, déjà, éprouver le besoin d'une éducation plus complète. Après la cohorte 1963 ou 1964, le mouvement repart: 15 % de cessation des études après 22 ans pour la cohorte 1961, 26 % pour celle de 1968, 49 % pour celle de 1974 ! Lorsque l'on compare les femmes et les hommes, le ralentissement des cohortes 1945-1963 apparaît en définitive comme une stagnation absolue pour les hommes et un rattrapage lent pour les femmes, qui dépassent les hommes pour les cohortes plus récentes. Les âges de fin d'étude supérieurs à 25 ans (graphique 27) connaissent des mouvements semblables, un échelon au-dessous, et avec un léger retard. Le phénomène saillant est que les dernières années sont marquées par la seconde explosion scolaire du siècle, qui bénéficie aux cohortes nées à la fin des années soixante. Il est impossible de savoir où se situera la crête de cette seconde vague, mais il est très vraisemblable, déjà, qu'elle sera suivie, comme la précédente, d'une stagnation. La distinction entre les deux phases d'expansion scolaire est pourtant celle-ci: ceux qui bénéficièrent de la première arrivèrent sur le marché de l'emploi dans un environnement économique autrement plus favorable que ceux de la seconde.
113
27 - Proportion d'individus d'âge de fin d'études supérieur ou égal à 25 ans par cohorte. 18
%
16 14 12 \0
8 6 4 2 0
1915
1925
1935
1945
1955
1965
Sources: Enquêtes Emploi
1975 INSEE
1982-1\197.
LA MOINDRE CROISSANCE DES TITRES
Qu'en est-il des titres scolaires accumulés? L'élévation de la durée des études initiales et la croissance de la proportion de titulaires de titres universitaires ne correspondent pas à des courbes identiques. La reprise des études après une première expérience professionnelle peut élever le niveau de diplôme d'un individu au cours de son cycle de vie, alors que son âge de fin d'études initiales ne varie pas. Il se peut inversement que la multiplication des redoublements, ou des diplômes acquis en plusieurs années pour les étudiants travaillant à temps partiel, induit une scolarité plus longue pour parvenir au même titre. Certaines réformes, comme la création de la maîtrise au début des années soixante-dix, alors que la licence était l'aboutissement des études pour la plupart des disciplines universitaires, impliquent de la même façon une intensification de la formation et non une diffusion à une population plus large des titres. De plus, il est difficile, dans les enquêtes, d'accorder un crédit total aux dires des répondants. Est-ce par forma-
114
Les causes de la rupture
tion continue que, au sein de la cohorte née en 1945, la proportion de titulaires d'un diplôme au moins égal à un titre de premier cycle universitaire passe de 15 à 17 % entre 1989 et 1995, alors qu'ils atteignent environ cinquante ans? En effet, alors que les réponses sur l'âge de fin d'études sont structurellement stables dans le temps, pour le diplôme déclaré, en revanche, comme l'a noté BaudelotI, il existe une tendance à l'élévation du niveau: «l'âge rend-il plus instruit?». Si « niveau bac» peut devenir « bac» dans la déclaration d'un individu, 18 ans peut rester ce qu'il est, sans révéler d'incohérence de la réponse. Bien au contraire, la précocité de l'obtention d'un diplôme est socialement valorisée. A partir de la cohorte 1950, la diffusion des diplômes fut pourtant plus restrictive que ne l'aurait laissé supposer l'élévation de l'âge de fin d'études par cohorte (graphique 28). 28 - Proportion de diplômés par cohorte 25
%
femmes
20
15
10
5
L-.-..--Cohorte
o+----+----+----+----~--_+----~--~--~
1925
1930
1935
1940
1945
1950
1955
1960
Sollrces: Enquêtes Emploi
1965 INSEE
1995-1997.
l\"Ole: Passé l'âge de 30 ans, les diplômes sont acquis pour l'essentid ; on constate ainsi la forte diffusion des titres pour les cohortes nées autour de 1940. L'essentiel de la seconde phase d'expansion scolaire a lieu après la cohorte 1965.
1. C. 13auddot, L'âge rend-il plus savant? Un exemple de biais de réponse dans les enquêtes, in INSEE, Les méllûges. Alé/a/lges ell /'/lomaeur deJtJCIlues Desabie, Paris, INSEE, 1989, p. 159-173.
Les deux exp/osions scolaires
11 5
Ainsi, le rythme du développement des titres délivrés ne correspond pas exactement à l'expansion des études longues, ni non plus à l'intensité des réformes subies par l'université: la réforme de 1969, qui fut mise en œuvre en 1970-1971, qui a donné lieu à la formation de nombreux centres universitaires en province et à l'éclatement de l'Université de Paris, ne précède pas le mouvement, mais le suit. Cette réforme modère plutôt le processus de la diffusion des diplômes, puisque la proportion d'individus continuant leurs études au-delà de 21 ans (la réforme touchant donc les cohortes nées à partir de 1950) stagne quasiment après le choc des cohortes des années quarante. Une des composantes de cette réforme fut l'allongement des études avec la création de la maîtrise!. Au-delà de 1970, la prolongation de la croissance des effectifs des étudiants provenait de l'allongement du séjour dans le deuxième cycle plus que d'une diffusion à une population plus large de l'enseignement supérieur. Ce furent des politiques intensives d'allongement des séjours des étudiants dans les cycles universitaires, et non une politique extensive de démocratisation de cet enseignement. Elles furent ainsi nettement restrictives visà-vis des effectifs de diplômés. Il est clair, donc, que le « capital scolaire » reconnu par un diplôme ne fut pas linéairement croissant, mais bien animé d'évolutions instables de cohorte en cohorte. Celles nées dans le courant des années quarante ressortent ainsi nettement, en ayant bénéficié, par rapport à leurs prédécesseurs et leurs successeurs immédiats, d'une accélération exceptionnelle de l'enseignement comme des diplômes. Puisqu'en outre, elles ont rencontré, à leur entrée sur le marché du travail, entre 1965 et 1975, une situation économique d'expansion prodigieuse, leurs chances de mobilité ascendante furent historiquement privilégiées. En revanche, les bénéficiaires de la seconde explosion universitaire pourraient trouver à leur entrée sur le marché du travail une configuration nettement moins enviable.
LA DÉVALORISATION DES TITRES
Ainsi, au cours de la « décade dorée» 1965-1975, des jeunes nés dans le courant des années quarante, chez qui les diplômés de l'uni1. A. Prost, His/oire générale ... , op. ci/., p. 270.
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Les causes de la rupture
versité étaient en proportion double, se présentèrent sur le marché du travail, en plein développement économique, où l'on anticipait 5 % de croissance annuelle, ce à quoi les deux premières décennies écoulées depuis la Libération étaient régulièrement parvenues. Les cohortes en question ont bénéficié d'une expansion scolaire sans précédent, mais aussi d'un marché de l'emploi spécifiquement favorable. Les précédentes bénéficiaient d'un marché de l'emploi peut-être aussi propice, mais avec des conditions plus restrictives d'accès à l'éducation, pesant ainsi sur leurs chances d'accès à des fonctions élevées. Les suivantes, nées au moins jusque dans les années soixante, subissent le ralentissement de l'expansion des diplômes, et leur accès au marché du travail est moins favorable. L'un dans l'autre, comment a fonctionné l'équilibre entre acquis scolaire et position professionnelle de chacun de ces ensembles de cohortes ? Pour le comprendre, il faut mettre en relation cette croissance scolaire et la modification par cohorte de la structure sociale (chapitre 2). L'équilibre entre acquis scolaire et position professionnelle se fait essentiellement au cours de l'installation des jeunes dans la vie professionnelle, lorsque, dans un jeu concurrentiel, se mettent en relation, d'une part, des candidats disposant de titres scolaires et de compétences professionnelles reconnues et, d'autre part, des emplois proposés à difIerents niveaux de la hiérarchie professionnelle: il en résulte une position dans la hiérarchie des professions qui, sans devenir définitive, fixe pourtant assez nettement l'éventail des carrières possibles, généralement avant l'âge de 30 ans. Dans cette mise en relation, il est possible de voir le diplôme comme un filtre de présélection: les candidats étant trop nombreux pour les mettre tous à l'épreuve, le titre scolaire est utilisé comme un « signal » des compétences potentielles d'un individu, comme l'argumentent Spence et Albrechtl. Lorsque les emplois de jeunes cadres se multiplient, alors que la scolarité des nouveaux sortants de l'école ne suit pas le rythme, les employeurs sont obligés de se montrer moins exigeants sur les titres accumulés. En revanche, lorsque le nombre des places de jeunes cadres est plus restreint, alors que les diplômes qui, hier pouvaient encore correspondre à ces emplois se multiplient, les chances d'y accéder pour un candidat d,mt le diplôme eût été tangent dans des conditions plus favorables, pourraient alors s'effondrer, en raison d'une concurrence accrue. of Ecot/omies, 87, 1973, p. 355-374; A Procedure for Testing the Signalling Hypothesis, JO/m,al of Public Ecot/omies, 12, 1981, p. 123-132.
1. M. Spence, Job Market Signalling, QI/arlerly JOl/mal
J. W. Albrecht,
Les deux exp/osions scolaires
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Le bon sens pose que « ce qui est rare, et désiré par tous, est cher ». Il est évident, certes, au long terme, qu'un titre scolaire banalisé comme le baccalauréat n'a pas la même valeur lorsqu'il est attribué à moins de 4 000 personnes par an, comme au milieu du XIX' siècle, ou à la moitié d'une classe d'âge, comme aujourd'hui. De la même façon, un premier cycle de l'enseignement supérieur ne correspond plus aujourd'hui au même rang, ni donc aux mêmes chances de réussite professionnelle que naguère: c'est le vingtième supérieur de la cohorte 1920, et le quart de celle de 1965. Seuls les systèmes de titres régulés par un numerus clausus ou différentes formes de concours - qui permettent le cas échéant, c'est-à-dire le plus souvent, une gestion malthusienne, en tous cas restrictive - sont en mesure de conserver la valeur de leur titre, tout particulièrement lorsqu'ils ont une fonction de monopole sur le recrutement d'une profession protégée; le même emploi est alors nécessairement au bout du chemin. C'est l'un des avantages des études de médecine, une fois passé le concours de 2' année, et d'autres encore, comme les écoles d'insénieur, et spécifiquement celles qui ouvrent l'accès à un corps d'Etat, qui fixent parfois dès l'âge de vingt ans un destin. Pour les autres, quand le titre est plus répandu, les concurrents sont plus nombreux, et la lutte est soit plus âpre, soit rejetée à plus tard, à un niveau de scolarité plus élevé, lorsqu'il est nécessaire d'avoir un diplôme d'études approfondies là où naguère une licence suffisait. Ce phénomène de déclin de la valeur d'un titre scolaire donné, se diffusant à des couches plus larges de la population, est couramment appelé dévalorisation, dévaluation, ou encore inflation du diplôme, et fut particulièrement étudié du point de vue du rendement salarial par Baudelot et Glaude 1 ; ici la valorisation des titres scolaires sera une valorisation « sociale », en termes de chances d'accès à un emploi correspondant aux catégories moyennes et supérieures du salariat. Qu'en est-il des expansions scolaires? Cette diminution de la valeur de la scolarité est-elle un processus continu, ou bien est-elle spécifique à certaines cohortes seulement? Est-elle, comme le suggère la métaphore de l'inflation, directement et immédiatement liée à la diffusion des titres, ou bien à des phénomènes plus complexes ? Ces questions sont centrales, puisqu'elles pourraient avoir de fortes implications pour la « valorisation» des différentes cohortes qui se 1. C. Baudelot et M. Glaude, Les diplômes se dévaluent-ils en se multipliant ?, Éco/lolllie et statistique, 225, 1989, p. 3-16.
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Les causes de la rupture
succèdent, entendue comme le tàit qu'à diplôme donné, certaines d'entre elles verront leur investissement scolaire mieux reconnu que celui d'autres, en termes de chances d'accès aux différentes catégories sociales. Pour prendre un exemple précis, de cohorte en cohorte, les chances d'avoir trouvé entre 35 et 39 ans sa place au sein de la catégorie des cadres et professions intermédiaires pour ceux qui cessèrent leurs études entre l'âge de 18 et 19 ans déclinent effectivement. De 1964 à 1977, ils avaient respectivement 40 et 41 % de chances d'être situés dans le salariat moyen ou supérieur, 36 % en 1983, 30 % en 1989 et 24 % en 1995. De plus en plus, les individus concernés devront trouver place dans d'autres situations, généralement moins enviables - employés ou ouvriers. Évidemment, les 35 à 39 ans de ces diffèrentes périodes ne sont pas les mêmes: ils appartiennent à des cohortes diffèrentes. En 1977, ce sont ceux nés entre 1938 et 1942; en 1983, ils vinrent au monde entre 1944 et 1948 ; en 1995, ce sont les cohortes 1956-1960. Pour ceux nés entre les deux guerres, cesser ses études autour de 19 ans assure une position élevée dans la hiérarchie scolaire: ils s'approchaient du dixième le mieux formé de leur cohorte. Pour ceux venus au monde à la fin des années cinquante, il sont situés un peu plus bas dans la hiérarchie de leur génération, autour du tiers supérieur; un peu plus tard, pour les cohortes nées au début des années soixante-dix, cesser ses études entre 18 et 19 ans correspond sinon aux « bas niveaux de qualification », en tout cas au tiers inférieur de la hiérarchie scolaire, pour qui l'accès au salariat moyen ou supérieur est clairement compromis. Sauf à imaginer une croissance semblable des échelons moyens et élevés de la hiérarchie sociale, caractérisée par deux tiers de cadres et professions intermédiaires, une partie devra trouver place au sein des catégories populaires. Réfléchir en termes d'âges de fin d'études est néanmoins problématique, comme on l'a vu, et risque de susciter différents paradoxes: des études prolongées peuvent ne pas correspondre à des niveaux de diplômes plus élevés mais simplement à une multiplication des redoublements ou des changements de filière universitaire sans équivalence de titre, ou encore à l'accumulation de diplômes de même niveau dans diffèrentes disciplines. Il est possible de s'en réjouir, puisque cela va dans le sens d'un moindre cloisonnement des spécialités. Inversement, l'interprétation peut en être moins favorable, puisqu'elle peut signifier la fin du modèle des années soixante, où l'obtention d'une licence - le plus haut titre du 2· cycle universitaire de l'époque - suf-
Les deux explosions scolaires
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fisait à obtenir un poste de cadre. Ainsi, le titulaire d'un diplôme de 2" ou 3" cycle universitaire de la cohorte 1947 avait obtenu son titre en arrêtant ses études à 24 ans, et son cadet de vingt ans, né en 1967, a fini ses études initiales à près de 26 ans. Considérons alors les niveaux de diplôme. On a vu que les changements considérables de l'âge de fin d'études se retrouvent moins intensément pour les titres. C'est tout particulièrement vrai pour les diplômes inférieurs au baccalauréat, sauf pour la toute dernière période. En effet, 35 % des cohortes nées avant 1935 sortaient de l'école sans diplôme, 20 % pour la cohorte de la fin des années quarante, tout comme pour celle de la fin des années soixante. Pendant vingt ans, rien ne fut fait pour les titres scolaires les plus modestes, laissant ainsi un élève sur cinq sortir sans certification aucune, alors même que la situation de l'emploi pour les moins qualifiés ne cessait de se dégrader. Les diplômes les moins élevés (Certificat d'étude primaire - CEP, Certificat d'aptitude professionnelle - CAP, Brevet d'études du premier cycle - BEPC) concernent une moitié de la population, 48 % pour la cohorte 1915, 55 % de celles de 1920 à 1950,42 % pour celle de 1965. Ainsi, au milieu de la pyramide des diplômes, qui correspondent pour l'essentiel à cette grande masse qui s'arrête avant le baccalauréat, il y eut peu de mouvement!. Il semble ainsi que la certification par un titre des niveaux d'étude en deçà du baccalauréat a longtemps rencontré peu d'intérêt. Le phénomène le plus remarquable est en revanche la croissance des bacheliers et plus - dont la filière professionnelle, technique, sociale et santé bénéficie de la dynamique la plus forte - qui passent de 11 à 37 % de la population de la cohorte 1920 à celle de 1965, et bientôt, selon toute vraisemblance, à plus de 50 % à partir de la cohorte 1972, mouvement extraordinaire résultant d'une explosion en deux temps dont on a vu le principe. Cette diffusion va de pair avec une baisse du rendement social du diplôme, en termes de chances d'accès aux catégories les plus élevées de la société. Ainsi entre 25 et 27 ans inclus, ceux qui, parmi les titulaires d'un diplôme de 2" ou 3e cycle universitaire ayant cessé leurs études, sont devenus cadres passe de 50 % en 1983 (cohortes 19561958) à 32 % en 1997 (cohortes 1970-1972); les autres doivent se contenter de positions plus modestes. Les employés voient ainsi passer leur part au sein de cette population de 10 % à 16 %. Pour la même 1. L. Chauvel, L'élévation de l'âge de fin d'études depuis trente ans, société française, Revue de l'OFCE, na 54, 1995(, p. 152-157.
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L. Dien, Tendances de la
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Les causes de la rupture
tranche d'âge, pour les titulaires d'un premier cycle univemtalre classique» (hors instituts de technologie ou autre formation professionnelle du supérieur court), les chances d'accès aux professions intermédiaires passent de 75 % à 42 %, et celles de se situer parmi les employés de 9 à 38 % ; pour eux, les promotions précoces en cadres sont rares. Pour les filières technologiques, sociales et paramédicales de l'enseignement supérieur, la proportion des employés passe de 18 à 30 %, et celle des ouvriers (dont contremaîtres) de 5 à 8 %. Parmi les bacheliers des filières générales qui ne prolongent pas leurs études, on passe de 35 % de professions intermédiaires à 22 %, alors que c'était le destin à cet âge pour trois quarts des bacheliers en 1970 (cohortes 1943-1945). Le même niveau de diplôme vaut clairement moins pour la cohorte 1970 que pour celle de 1958, voire avant. Comme l'échelle scolaire s'est déplacée vers le haut à une vitesse plus rapide que la hiérarchie socioprofessionnelle ne s'est élevée, ceux qui ne s'attendent pas à la dévalorisation de leur diplôme pourraient être controntés à de dures déconvenues. Jusqu'où ira cette dévalorisation reste une question sans réponse, puisqu'elle dépend des titres qu'accumuleront les nouveaux bacheliers d'aujourd'hui et de demain; il en résulte une incertitude majeure. Évidemment, si les places de cadres et professions intermédiaires connaissaient la même expansion numérique que les diplômes, la scolarité connaîtrait un rendement invariable, et les nouvelles cohortes, au rythme de cette seconde phase de croissance des titres, seraient appelées à ne quasiment plus compter ni employés ni ouvriers. Mais comme la hiérarchie sociale se modifie trop lentement, il faut sans cesse des études plus longues pour accéder à la même position dans la hiérarchie professionnelle, pour résister à la concurrence des titres accumulés par les contemporains. Sur le long terme, ce serait là un effet fort logique, et même mécanique. Mais cela est-il aussi clair dans le court terme? Les cohortes qui connaissent .une subite expansion de la scolarité ne peuvent-elles pas bénéficier temporairement d'un jeu favorable? Ce peut être le cas lorsque la conjoncture socio-économique est particulièrement dynamique, lors de la décade dorée ou des trois années de reprise de la fin des années quatre-vingt, par exemple. Ce peut être le cas aussi tant que les employeurs subissent un effet de surprise, n'ayant pas anticipé la croissance scolaire. Par exemple, aux yeux d'un employeur potentiel à qui se présentent des jeunes porteurs d'acquis scolaires rares selon une échelle de valeur encore récente - alors qu'en réalité ce niveau se diffuse à des couches plus larges - il pourrait sembler urgent de profiter
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Les deux explosions scolaires
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de l'aubaine dès qu'un jeune se présente à lui. Il peut même succomber à l'effet de mode qui pourrait s'ensuivre: si tous ses confrères embauchent des cadres - ce qu'ils ne pouvaient faire avant, faute de diplômés -, c'est certainement pour de bonnes raisons, qui peuvent en partie échapper à cet employeur; celui-ci participe à son tour au jeu de spéculation qui peut en résulter et qui continue de se créer luimême par une boucle circulaire de causalité, pendant un certain temps, mais dont le retournement finit par advenir inéluctablement, et dont les puînés seront les victimes. Il se peut donc que la baisse de la valeur socialement accordée à un titre ne suive pas immédiatement sa banalisation, mais advienne un peu plus tard. Autrement dit, il se peut que la dévalorisation liée à l'expansion scolaire connue par des prédécesseurs soit subie par leurs successeurs, qui, eux, ne connaissent plus une croissance scolaire aussi rapide. Ainsi, les bénéficiaires d'une croissance des titres scolaires peuvent bénéficier quelque temps de la rente de rareté de leurs prédécesseurs, chez qui les titres sont plus rares, voire même d'un effet de mode; les successeurs, même plus fortement sélectionnés, peuvent très bien subir une érosion de leur titres, les aînés ayant bénéficié avant eux des nouvelles places disponibles, qui sont ensuite occupées pour une période assez longue. C'est un peu ce qui arrive aux jeunes médecins d'aujourd'hui, lors de leur installation: bien que deux fois moins nombreux par promotion que leurs aînés de vingt ans, ils ne bénéficient pourtant d'aucune rente de rareté. Dit d'une autre façon, il se peut fort bien que ce qui est rare ne soit pas si cher, et que ce qui se banalise ne perde pas sa valeur, immédiatement, c'est-à-dire que les avantages de la rareté puissent bénéficier à d'autres, et que les inconvénients de la banalisation ne soient pas subis par ceux qui la connaissent, mais par les successeurs. Ce serait là une double aubaine pour les cohortes qui se situent sur la crête d'une vague d'expansion de la scolarité, et une double peine pour celles qui sont au creux. C'est un peu l'histoire qui s'est jouée pour les cohortes nées de 1930 à 1960. Comment la valeur sociale de ces titres scolaires a-t-elle varié selon la cohorte ? Autrement posée, la question est: comment les titulaires des différents titres scolaires parviennent-ils à les rentabiliser en acquérant une position sociale ? Pour en faire une évaluation globale, il faut comprendre que les chances d'accéder aux positions moyennes ou élevées dépendent avant tout de deux paramètres: d'une part, du titre scolaire, dont les plus prisés permettent d'envisager l'accès précoce à une catégorie sociale élevée; d'autre part, de
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Les causes de la rupture
l'âge ou de l'ancienneté ou encore de l'expérience, par le jeu des promotions au cours de la carrière. Évidemment, sauf à attendre trente ans avant de connaître la position finale à laquelle sont parvenues les cohortes les plus récentes, il faut mesurer aujourd'hui le point auquel les plus récentes sont parvenues et les comparer à leurs devancières. Il faut en outre faire l'hypothèse de la stabilité des carrières et de la nature du déroulement du cycle de vie, ce que le chapitre 2 corrobore largement. Ainsi, une partie de ceux dont les titres sont en deçà de la norme pour accéder à une position moyenne ou élevée dès leur entrée dans le monde du travail vont se voir ouvrir des places, progressivement, par promotion. De cette façon, le diplôme agit en quelque sorte comme un coupe-file, permettant à son titulaire de se voir accorder un avancement sur la carrière de moins diplômés que lui, lesquels attendent plus longtemps. Évidemment, un troisième paramètre peut jouer dans l'accès: l'année de naissance, puisque certaines cohortes, par rapport aux autres, bénéficient d'une meilleure etlicacité du coupe-file que représente leur diplôme. Certaines cohortes, pour un niveau de diplôme donné, feront moins longtemps la queue et d'autres plus longtemps, c'est-à-dire qu'au même âge, certains auront eu leur promotion, et non d'autres; il est possible de comprendre alors la variation de la valeur des diplômes en regardant le degré auquel, au même âge, pour une structure de diplômes identique, le coupe-file fut efficace. Très concrètement, on peut en exprimer la qualité en analysant, à structure de diplômes identique et pour un même âge, l'avance ou le retard (graphique 29) de la cohorte par rapport à l'ensemble des autres (voir annexe 3). Il est clair que la dévalorisation des diplômes ne suit pas exactement le rythme de la diffusion des titres scolaires. Pour l'accès à l'ensemble des positions du salariat moyen et supérieur, le rendement du diplôme s'est accru jusqu'aux cohortes nées dans le courant des années quarante, pour ne décroître qu'ensuite. Autrement dit, les cohortes des années quarante ont connu une diffusion intense des diplômes mais n'ont pas subi leur dévalorisation, qui fut supportée en fait par leurs successeurs: par rapport à un individu né en 1945 et pourvu d'un diplôme tangent pour accéder au salariat moyen ou supérieur, celui né en 1955 devra patienter en moyenne 10 ans de plus pour avoir les mêmes chances d'accéder à la catégorie des professions intermédiaires. C'est souligner ainsi un autre élément de la « crise des classes moyennes ) : les positions moyennes dans la hiérarchie sociale ont cessé de devenir plus nombreuses, alors que les
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29 - Années d'avance ou de retard par rapport à la moyenne de la population par cohorte. cadres 6
Années
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professions intermédiaires et cadres ensemble 15
Cohone
-12 1910
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-15 1910
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Cohorte
1920
1930
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Sources: Enquêtes Emploi
1950 INSEE
1960
1970
1995-1997.
Note: les pointillés sont les limites de l'incertitude statistique au seuil de 95 %. Plus cet indicateur prend des valeurs élevées, plus les chances d'une cohorte, pour une structure donnée de diplômes, sont grandes d'accéder à la catégorie. Voir annexe 3 pour les calculs.
diplômes qui naguère permettaient d'y accéder sont le plus fortement diffusés. Les mouvements sont moins importants pour les cadres, ce qui peut être lié à une moindre expansion des diplômes les plus élevés - grandes écoles et 2< cycles universitaires, ou plus - que de ceux de niveau baccalauréat ou 1" cycle universitaire, au moins jusqu'à la cohorte 1965. Ainsi, pour ceux nés dans l'entre-deux-guerres, et jusqu'à la cohorte 1945, il y eut progressivement plus de chances de devenir cadre. Ensuite, on repère des fluctuations connues: retrait pour les cohortes nées autour des années cinquante, retour pour celle de 1965 - expansion qui est liée à la croissance retrouvée de la fin des années quatre-vingt - puis de nouveau un retrait. La dévalorisation des diplômes ne correspond donc pas à une véritable « inflation du diplôme résultant mécaniquement de la diffusion des titres: un diplôme dont les titulaires sont plus nombreux peut, dans un terme assez court, de l'ordre de la décennie, conserver sa valeur sociale en termes de chances d'accès à une catégorie donnée, et se dévaluer pour une série de cohortes suivantes, qui connaissent une moindre diffusion des titres. La valeur sociale des diplômes des 1)
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Les causes de la rupture
cohortes nées dans les années quarante culmine alors qu'ils se diffusent à une, vitesse inédite, et la dévalorisation n'apparaît qu'ensuite, pour ceux qui arrivent après la première explosion scolaire, lorsque la progressionscolaire se ralentit. Les cohortes qui connaissent l'expansion de la scolarité et celles qui en subissent les conséquences, c'est-à-dire la dévalorisation, ne coïncident pas. C'est une profonde ironie de l'histoire de la structure sociale. Pour les générations nées dans le courant des années soixante-dix, le prolongement de la dévalorisation scolaire est très probable l , mais on en ignore pour l'instant l'ampleur. Une évaluation fait apparaître ainsi que les titulaires d'un diplôme compris entre le baccalauréat et le premier cycle, technique ou non, verront fléchir assez nettement leurs chances d'accès au salariat moyen et supérieur. Les cycles universitaires longs continueraient d'être cadres dans plus de la moitié des cas, mais les chances d'accéder aux catégories du salariat moyen et supérieur des cycles courts continueraient de se fermer: alors que pour la cohorte 1967, le baccalauréat général est situé à la frontière exacte entre catégories populaires et professions intermédiaires (à peu près autant de chances de se retrouver au sein des catégories employés et ouvriers qu'au sein du salariat moyen ou supérieur), cette limite se rapprocherait nettement des premiers cycles du supérieur (les diplômes techniques un peu au-dessus, les diplômes généraux un peu en dessous). A l'âge de 30 ans, de la cohorte 1967 à celle de 1972, les bacheliers ne continuant pas leurs études au-delà de ce titre verraient ainsi passer de 54 % à 64 % les risques de trouver un emploi au sein des catégories populaires, les premiers cycles universitaires de 29 % à 41 %. C'est donc la forte présomption d'un prolongement de la dévalorisation des titres « intermédiaires ». Clairement, le système éducatif permet d'expliquer une partie de la rupture dans le rythme d'amélioration du destin des cohortes successives. Mais ce n'est pas le seul facteur explicatif.
l, L Chauvel, La seconde e"l'losion scolaire: diffusion des diplômes, structure sociale et valeur des titres, Revue de /'OFCE, nO 66, 1998(,
4 Le fonctionnement du monde productif
Au-delà de l'accès différencié des générations à l'éducation et aux diplômes, il est clair que la conjoncture économique et l'état du marché de l'emploi sont déterminants pour accéder précocement à un poste valorisé et rencontrer ainsi au long de sa vie des perspectives favorables. Clairement, pour de nombreuses professions, il est possible de repérer des mouvements d'accordéon du recrutement, qui engendrent ainsi des perspectives d'accès différenciés pour les différentes cohortes. Pour autant, ces mouvements d'accordéon du recrutement ne concernent pas simplement des professions particulières, mais aussi des groupes sociaux entiers. Intuitivement, on pourrait croire que ces différences de chances d'accès précoces aux professions et aux groupes sociaux, avec le temps et des processus complexes de « brassage» de la population active - mobilité en cours de carrière, formation et promotion, voire accidents de carrière et rétrogradations -, pourraient s'effacer au cours du cycle de vie. Cette intuition est peu fondée, puisque ces facteurs touchent de façon peu différenciée les différentes cohortes engagées dans la population active. Par conséquent, l'inégalité des chances d'accès aux catégories socioprofessionnelles tend à se conserver au long de la vie.
LES RECRUTEMENTS
LA SOCIÉTÉ EN ACCORDÉON
Les recrutements professionnels sont animés de mouvements d'accordéon. Des médecins aux agrégés du secondaire, des ouvriers de
BIBLIOTHEQUE
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Les causes de la rupture
l'automobile aux agents de l'État, de nombreuses professions sont caractérisées par des emballements et des fermetures des flux d'embauches. Si la croissance du nombre de médecins en activité semble être une régularité tendancielle 1, les recrutements furent nettement plus accidentés (graphique 30), au point que l'on pourrait dire que nous sommes soignés par la génération née entre 1948 et 1958, et le médecin-type a 45 ans en 1998, 55 ans en 2008. La profession de médecin est gérée de façon très spécifique: pour être médecin en exercice, il convient de disposer du diplôme de médecin. Or, depuis 1971, celui-ci est régulé essentiellement par un numents clausus régulant ]' entrée en 2' année. Dès lors, puisque les études médicales sont longues et séparées de l'ensemble des autres cursus universitaires, le destin de médecin se fixe tôt, vers l'âge de 20 ans, exceptionnellement au-delà de 22 ans. Médecin un jour, médecin toujours. Le tIlllnerus clausus institué en 1971 était devenu nécessaire en raison de l'intense accélération de la production de médecins par les
30 - Elltrées en 2' anllée de médecine (l'lue pJr la possibilité de probabiliser l'avenir, et par l'évaluation des chances favorables ou défavorables. Les configurations possibles pour demain sont aléatoires mJis l'acteur peUl en dire les probabilités, et peut donc prendre des risques tout en s'assurant contre les mauvais ,orts. En SItuation d'incertitude, au contraire, l'avenir est non probabilisable (une série de questions simples révélant l'incertitude pourrait être la suivante; «Quelles seront les modalités de fonctionnement du système de retraite en 2027 ? ", «Y aura-t-il d'ici ta un krach boursier' ", .. Quel sera le taux de croissance dans tœnte ans ? ", «Quelles en seraient les conséquences? »). Le risque induit la possibilité d'anticipations rationnelles, permettant la maximi,ation de l'utilité espérée. L'incertitude au sens de Knight, en revanche, confronte, l'acteur à une impossible raison calculatrice, ct le condamne à l'action .. sans risque li, à savoir la Illoindre action, l'inaction, qui coruporte un coût social et éconon1Îque décuplé - l'absence de projet donc de croissance -, voin: même à l'action salIS SetlS /Ii raisotl (cf. F. H. Knight, Risk, Ullccrtaillty atld Pr'!ftt, Boston, Houghton Mifllin Company, 1921). Ainsi, lorsque Mayol (cf. P. Mayol, Les elljatlls de la liberté, Paris, L'Harmattan, 1997) conclut son chapitre sur l'emploi par la phrase; .. Il est sans doute difficile d'être jeune aujourd'hui, mais ce n'est pas, non plu;, risqué" (p. 114, italique dans l'original), il avait amplement raison, puisqu'ici, «risqué Il doit être rClllplacé par « incertain 1), 2. E. Durkheim, Le suicide ... , "p. cit. ; M. Halbwachs, Les causes du suicide, Paris, Félix Alcan, 1930.
Les genres de mort
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maux suscitaient une large inditIerence sociale; les jeunes des années quatre-vingt-dix, acculés au loisir sans indépendance financière des études ou du chômage - et en cela bien distinct du loisir sans dépendance du troisième âge - sont rejetés dans les limbes d'un avenir sans devenir ni projet. Parmi les jeunes, les plus démunis peuvent bien craindre en cas de chute de ne pas trouver leur seconde chance - le jeune chômeur de longue durée est acculé à la dépendance de la parentèle, lorsqu'elle existe, ou au RMI, pourvu qu'il ait au moins 25 ans -, alors qu'un consensus fort soutient des institutions sociales destinées aux travailleurs vieillissants telles que la préretraite ou le chômage avec dispense de pointage complétant les annuités de retraite et assurant le maintien de l'indépendance financière de l'intéressé en attente de l'ouverture de ses pleins droits. Ne doit-on pas voir dans ce traitement du chômage distinct selon l'âge une différence de légitimité socialement construite des ditIerents âges de la vie? Mais si le changement de la valeur socialement construite des âges épouse le contour de la succession des cohortes, si les jeunes privilégiés d'un temps deviennent les âgés favorisés du suivant, il convient alors de s'interroger sur la nature générationnelle du changement. Si, comme Halbwachs, on se représente le suicide comme une manifestation de la fermeture des perspectives de vie, les évolutions de celui-ci, par âge et génération, trouvent une lecture particulièrement adaptée. Son hypothèse est collective et systémique: « Ce n'est pas que la misère des ouvriers qui chôment, les banqueroutes, les faillites et les ruines, soient la cause immédiate de beaucoup de suicides. Mais un sentiment obscur d'oppression pèse sur toutes les âmes, parce qu'il y a moins d'activité générale, que les hommes participent moins à une vie économique qui les dépasse, et que leur attention n'étant plus tournée vers le dehors se porte davantage non seulement sur leur détresse ou leur médiocrité matérielle, mais sur tous les motifs individuels qu'ils peuvent avoir de désirer la mort »1. Si, à « tournée vers le dehors », un « projetée vers le lendemain» était ajouté, l'interprétation serait particulièrement juste : le suicide semble révéler les indices de la capacité des individus à construire leur avenir social, mais cette capacité est peu ou prou la conséquence de ce que les équilibres sociaux leur offrent. Ainsi, au moindre accès à l'emploi, au statut, au revenu des cohortes nées après 1950 correspond aussi un taux de suicide double par rapport à leurs prédécesseurs. Ainsi, la belle démonstration 1. M. Halbwachs, Les callses du suicide, "p. dt., p. 394.
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Les cOllséquences de la rupture
de Durkheim, selon qui l'acte le plus individuel et solitaire qui soit - le suicide - révèle des déterminismes collectifs que le sociologue peut ainsi mettre au jour, conserve un siècle après sa validité. Le genre de mort suit aussi les contours du niveau de vie et de ses perspectives. Il révèle aussi le cloisonnement entre les générations, la vie des unes et celles des autres ne s'améliorant pas en parallèle. Ces questions renvoient à d'autres, notamment à celle de ce que l'on veut bien sib'11ifier par jeunesse. A quel âge cesse-t-on d'être « jeune» ? Autrement posée, la question est: le mot « jeune» a-t-il une quelconque utilité pour comprendre la société, ou n'est-il pas totalement ambivalent, au point d'être nuisible à toute appréhension de certains phénomènes sociaux? Les « jeunes» de la fin des Trente glorieuses, ou de mai soixante-huit, le sont restés, en bénéficiant à plein des opportunités que leurs aînés leurs ont offertes dans l'ensemble des domaines économiques et des avancées sociales, et en inaugurant, à tout âge de leur vie, des situations tàvorables à un point inédit depuis le début de l'humanité, en profitant de la mobilité sociale ascendante, de l'enrichissement, de nouveaux modes de vie. A l'abord de la retraite, maintenant, un monde nouveau de loisir s'ouvre. Les « jeunes» du début du ralentissement économique le sont restés, dans la mesure de leur moindre intégration sociale prolongée, de leurs plus faibles chances d'accès à la catégorie des cadres ou simplement à l'emploi, de leur instabilité généralisée dans la sphère de la production ou de la famille; ils le sont restés jusqu'à présent, alors qu'ils atteignent ou dépassent la quarantaine d'années. Pourtant, les cohortes correspondantes ont rencontré plus tôt que les précédentes la « maturité suicidaire », c'est-à-dire le fait d'atteindre un taux élevé de risque suicidaire; les quadragénaires d'aujourd'hui se suicident même autant que les personnes de 70 ans. Inversement, les cohortes d'avant 1920, d'un certain point de vue, ont aussi conservé toute leur vie les aspects de cette « jeunesse » définie par une moindre intégration, dans la société salariale, dans la sphère économique, dans la possibilité de trouver la reconnaissance politique de leur droit à un revenu décent, le système de retraite des années soixante dissuadant nettement les travailleurs âgés de quitter leur travail, continuer étant alors la seule solution pour échapper à la pauvreté de leur retraite, alors même que leurs employeurs souhaitaient s'en défaire au plus vite l . Au total, seules les cohortes nées entre 1920 et 1935 ou 1940, furent « adultes» la quasi-totalité de leur existence, !. A.-M. GuillclllJrJ. LI.' déclill du social ... , "p. cil., p. 147-14 des honunes de 45 à 59 ans, enfants de cadres, sont cadres à leur tour; en 1995, ils sont 67,3 'y.,. En 1995, si le régime de fluidité de 1970 avait été conservé, 73,3 % des enfànts de cadres seraient devenus cadres. (C : cadre; PI : profession intermédiaire; E : employé; 0 : ouvrier).
depuis la période de croissance rapide pour l'égalité des chances à la naissance serait très importante. En fait, la structure sociale ayant connu un changement formidable pour les cohortes des années quarante, les chances d'accéder aux catégories moyennes et supérieures se sont améliorées pour tous, assez uniformément. En effet, le développement prodigieux de l'enseignement - l'âge de fin d'études passe en effet de moins de 14 ans à 18 ans des cohortes des années vingt à celles des années quarante - n'a guère affaibli le système d'avantages et de handicaps relatifs des enfants de cadres et d'ouvriers pour parvenir à la position de cadres, et n'a guère modifié le degré relatif d'inégalité des chances à la naissance des enfants des différentes catégories telle qu'elle existait au premier tiers du siècle. Ce constat d'inertie, dont Erikson et Goldthorpe 1 proposent de nombreux exemples, donne le 1. R. Erikson et J. H. Goldthorpe. n,e Constant Flux ... , op. cit.
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Les conséquences de la rupture
sentiment que, du point de vue de la fluidité, rien n'a vraiment changé. Mais est-ce à dire qu'à peu près rien n'a changé dans la mobilité? Non, comme nous l'avons vu ci-dessus. Les tables de 1970 et de 1995 le montrent bien: les taux de mobilité ascendante ont nettement crû, et la révolution de la structure sociale a impliqué celle des chances d'ascension, faute d'avoir été celle de la fluidité. En définitive, ce double résultat ne présente aucune contradiction, comme l'explique Goldthorpe: « On ne note aucun changement d'importance dans le degré global de fluidité sociale, c'est-à-dire dans la force du lien entre le niveau professionnel des pères et des fils, si l'on tient compte des changements structurels; mais le développement numérique des positions de niveau élevé, en relation avec la croissance économique continue, a toutefois rendu possible un accroissement de la mobilité verticale inter- et intragénérationnelle et ce pour des personnes de toutes origines sociales. Professions libérales et cadres supérieurs en leur ensemble (si l'on ne parle pas de leurs franges les plus élevées) sont aujourd'hui fort hétérogènes quant à l'origine sociale de leurs membres et beaucoup moins closes »1. Le bon en avant fut celui, en réalité, de la mobilité structurelle des cohortes nées dans les années quarante. Pourtant, les cohortes en présence dans la fenêtre d'observation de 1970-1995 auraient eu de bonnes raisons de connaître un changement intense de la fluidité, en toute logique, puisque d'un côté sont les cohortes antérieures à la transition cohortale et caractérisées par une tàible formation scolaire, alors que de l'autre sont les cohortes des années quarante qui ont bénéficié de la première croissance massive de la scolarité. Si vraiment il avait dû y avoir un changement dans les régimes de fluidité, c'est bien entre cet « avant .) et cet « après ». Évidemment, la mission du système d'éducation n'est pas simplement de « fluidifier.) la société, c'est-à-dire de donner à tous des chances de succès égales, indépendamment de ses origines, mais aussi d'ouvrir l'accès au savoir, à la culture, d'apporter le sens des responsabilités et de la citoyenneté, le développement de la raison, plus de connaissances à la population, une main-d' œuvre mieux qualifiée à la nation, etc. Pour autant, le surcroît de mobilité sociale que l'école était censée induire n'est pas venu, ou bien si peu. Autrement dit, en donnant des avantages à tous, il se peut que l'on n'en donne relativement à 1. J. H. Goldthorpé. The Study of Social StrJtification in Great Britain, Soci,,1 Scier/ce Ir!l',mldlio", 34, 19HO. Traduction dé Lautl11an, dans H. Mendras, 1980, LA s'l~essf... , op. cil., p. 88.
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personne, et les avantagés et handicapés relatifs d'hier restent ceux de demain. Voilà un premier mythe des Trente glorieuses un peu mis à mal. L'argument de Boudonl, pour qui la croissance de l'école n'a aucune raison, à elle seule, de faire croître la fluidité sociale, est parfaitement fondé. Celui de Bourdieu et Passeron 2 , selon qui l'école a une fonction de légitimation sociale de la reproduction des catégories aisées, en donnant l'apparence de l'épreuve et du succès scolaire individuel à des formes de reproduction collectives validant les privilèges de naissance des enfants des catégories aisées, ne constitue pas non plus une dénonciation totalement infondée. Pourtant, l'école n'est pas seule en cause: lors du recrutement, comme tout au long de la carrièrel, les enfants des catégories sociales les plus élevées tendent à mieux rentabiliser leurs diplômes que les enfants des catégories les plus modestes. L'inégalité des chances à la naissance ne s'arrête donc pas à la sortie de l'école, mais l'embauche et les carrières dans les entreprises semblent compléter le processus. L'argument de la fin de la prégnance des classes sociales pour l'analyse de la société française se voit opposé du même coup un contre argument assez cruel : les frontières entre les niveaux de la hiérarchie socioprofessionnelle sont dans leurs grandes lignes aussi peu poreuses dans le monde d'aujourd'hui que dans celui de l'entre-deuxguerres, à peu de choses près. Pourtant, si de nombreux sociologues acceptent de bon gré de parler de société de classe pour l'entre-deuxguerres, les mêmes, souvent, refusent d'analyser le monde d'aujourd'hui en ces termes, alors que les rigidités réelles sont globalement les mêmes. La seule différence est que ces rigidités sont moins présentes dans la conscience des acteurs sociaux d'aujourd'hui, ce qui n'empêche l'étanchéité des frontières entre classes d'exister avec une intensité assez identique. Ainsi, pour utiliser une typologie héritée de Marx', si la classe « pour soi », en termes de conscience sociale de ses membres et d'action collective, semble affaiblie, la classe « en soi », qui se juge aux conditions objectives d'inertie et d'étanchéité des fron1. R. Boudon, L'il/égalité des chal/ces. La mobilité sociale da/lS les sociétés il/dustrielles, Paris, Armand Colin, 1973. 2. Notanmlent: P. Bourdieu et J.-c. Passeron, Les héritiers, Paris, les Éditions de Minuit, 1964 ; P. Bourdieu et J.-c. Passeron, La reproductiotl, Paris, les Éditions de Minuit, 1970. 3. 0. Galland et D. Rouault, Des études supérieures inégalement rentables selon les milieux sociaux, INSEE Première, 469, 1996; M. Forsé, La dinùnution de l'inégalité des chances scolaires ne suffit pas à réduire l'inégalité des chances sociales, Revue de l'OFCE, 63, 1997. 4. K. Marx, Misère de la pllilosophie, coll. Pléiade, vol. Écononùe J, Paris, Gallimard, 1963 (1847), p. 134-135.
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Les conséquences de la rupture
tières sociales, continue bel et bien d'exister auj ourd'hui comme hier, avec une intensité peu différente. Le retour de la classe « pour soi », par conséquent, n'est en rien exclue par les situations objectives connues: si la conscience de classe s'en fut, rien ne l'empêche totalement de revenir, sous ces conditions. Mais pourquoi la conscience de l'étanchéité des frontières sociales semble-t-elle avoir fléchi? Peut-être en raison de la mobilité structurelle enregistrée par les premiers enfants du baby-boom, induite par le fait qu'ils accédèrent nettement plus souvent aux catégories moyennes et supérieures du salariat que ne le purent les générations précédentes, donnant ainsi l'impression d'une situation radicalement neuve d'accès des catégories populaires en des proportions inédites aux classes moyennes. Cette impression, qui est même devenue une représentation sociale majoritaire, celle selon laquelle le chemin social « normal f) était l'ascension, pouvait aussi laisser supposer à l'ensemble des catégories populaires que leur avenir était tôt ou tard de connaître l'ascension sociale, pour eux-mêmes ou pour leurs enfants. Cette impression avait plus qu'une ombre de réalité: beaucoup montaient et peu redescendaient, mais cette histoire-là pouvait ne pas être le fait de la société tout entière et pour toujours, mais simplement l'histoire d'une génération.
LA MOBILITÉ SOCIALE DES ENFANTS DE LA CRISE
Il est rare que la sociologie puisse se permettre des vues sur l'avenir. Il faut pour cela que ies processus d'évolution soient stables, chose assez rare, et que les paramètres déterminant ces processus soient marqués par une forte inertie. La mobilité sociale a ces qualités-là, précisément. La fluidité sociale a bien peu varié d'une cohorte à l'autre. En définitive, cette propriété de forte inertie conduit à voir la mobilité sociale comme la conséquence presque exclusive des modifications des structures sociales des pères et des fils, qui induisent peu ou prou l'évolution des marges des tables de mobilité, et donc l'intensité des déplacements entre les catégories sociales. Or, aujourd'hui, la structure sociale des pères des cohortes successives qui entrent en ce moment dans la vie professionnelle connaît un profond changement, ce que l'on comprend sans difficulté: il existe en effet un écart moyen peu variable d'une trentaine d'années entre le père et ses enfants.
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En effet, la cohorte 1915 était caractérisée par une structure sociale où les catégories modestes étaient plus massivement représentées. Celle de 1945, généralement leurs enfants, a bénéficié d'une expansion sans précédent du salariat moyen et supérieur, et celle de 1975 pourrait bien connaître - malgré la deuxième explosion scolaire - une structure sociale assez similaire à celle de ses propres parents. Les premiers enfants du baby-boom furent massivement des enfants de parents de condition modeste: même en recrutant comme cadres tous les enfants de cadres, toutes les positions de cadres ne pouvaient être pourvues, et il fallait ouvrir des places aux enfants dont les parents avaient une position professionnelle plus modeste. Pour leurs enfants, nés dans les années soixante-dix, au contraire, s'il n'y a pas dans le court terme d'expansion nouvelle du salariat moyen et supérieur, le besoin pourrait décliner de faire appel aux enfants des catégories modestes pour pourvoir les places nouvelles, faute d'expansion suffisante de la génération des pères des années quarante à celle des enfants nés dans les années soixante-dix. Ou alors faudra-t-il libérer plus de places au sein des catégories moyennes et supérieures, en déclassant plus d'enfants des strates moyennes et aisées de la société. C'est là un raisonnement assez schématique, qu'il s'agit d'évaluer de façon plus fiable. Cette démarche permet de comprendre que, quoi qu'il arrive, les cohortes nées dans les années soixante-dix ont de fortes chances de connaître des taux de mobilité descendante inédits. Les enfants de la génération des années quarante ont donc aujourd'hui une vingtaine d'années et vont bientôt commencer leur carrière. La catégorie sociale de leur père est déjà connue 1 par les enquêtes actuelles qui montrent que la proportion d'enfants de cadres et de professions intermédiaires croît massivement. En effet, les pères de la cohorte née en 1960 étaient pour 8 % des cadres (parmi l'ensemble des catégories d'origine, dont les indépendants) ; pour ceux nés en 1970, la proportion est de Il % ; pour ceux de 1980, 15 %. Les 1. L'évolution des marges d'origine sont peu hypothétiques: les cohortes de 1975 et de 1980
sont nées depuis longtemps, ayant ainsi 20 ans et 15 ans en 1995. Ainsi, elles apparaissent déjà dans les enquêtes Emploi, et la profession de leur père est ainsi connue. La cohorte 198U n'a pas encore quitté l'école, ce qu'elle devrait faire en moyenne dans sept ans au moins; par conséquent, la déclaration de la profession du père est un peu anticipée au regard de la date traditiOlmelle - à la sortie de l'école. Aussi la cohorte 1980 comporte-t-e1k vraisemblablement un peu moins d'enfants de cadres et de professions intermédiaires et un peu plus d'employés et d'ouvriers (les professions les plus sujettes à un etret d'âge) que lorsqu'elle aura fini ses études. Il y a Jonc surestimation Jes pères d'origine modeste, ct sous-Lostimation des pères appartenant au haut de la hiérarchie sociale.
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Les conséquences de la rupture
pères membres des professions intermédiaires enregistrent parallèlement une nette progression. A quinze ans de distance, le changement est important, et implique une seconde révolution de la mobilité, descendante celle-là. Il est donc intéressant de suivre ce que pourrait être l'évolution de la mobilité sociale globale selon 11 l'évolution observée et COf/nue des catégories sociales des pères, et 2/ l'évolution envisageable et supposée des marges des destinées (ici à 40 ans, mais c'est par convention). Pour l'heure, la solution à la seconde question ne saurait être qu'hypothétique: la vraie situation sera connue dans vingt ans. Il faut alors proposer deux scénarios contrastés. Il est possible, sous l'hypothèse de constance de la fluidité, de constituer la table de mobilité intergénérationnelle pour chacune des cohortes considérées, conséquence de l'évolution des marges des pères et des fils, et d'en déduire les taux de mobilité ascendante et descendante. D'une façon générale, ce constat de fixité de la fluidité est plutôt l'aboutissement d'une recherche, et non une hypothèse de départI. Il peut être intéressant, pourtant, d'inverser les termes. Pour l'essentiel, la mobilité observée varie parce que les marges des origines et des destinées changent, la fluidité, à peu près fixe, ayant un impact très secondaire. Cette hypothèse de fixité de la fluidité est, au reste, très opératoire, et l'on peut aussi bien réaliser des variantes où celle-ci serait amenée à changer plus ou moins modérément: si elle s'accroît dans la même mesure - modeste - qu'entre 1970 et 1995, elle entraînera une légère hausse de la mobilité ascendante tout autant que de la mobilité descendante, simultanément, impliquant ainsi plus de brassages, et les conclusions ci-dessous en seront renforcées. Il s'agira alors de comparer ces destins potentiels à celui des cohortes nées à partir des années vingt. Quels sont les deux scénarios contrastés à l'horizon de 2020 pour les cohortes nées jusqu'en 1980 ? Le premier scénario est l'optimisme, qui se fonde sur des hypothèses qui ne le sont pas moins. La première hypothèse est que la proportion de cadres et des autres catégories de la population poursuivra sa tendance au même rythme que sur les 1. Ce retour 'l'" l'intérêt en soi de l'analyse de l'évolution des marges fit l'objet de ditférentes contributlolls: M. E. Sobd, M. Hout et 0. D. Duncan, Exchange, Structure, and Symmctry.... op. cil., pré~èn(l!n( ces Il effets 111Jrginaux d'évolution)I conuue l'un des phénol1'1ènes essentiels. Ce ne sont pas les seuls à en souligner l'inlportJl1CC, en taisant du challgeluent des
marges
Uil
phénomène complémcmaire de la fluidité (cL R. Erikson ct J. H. Goldthorpe, Tïœ
C'l/sr,lIIr FIl/X ... , IAG\1.AMME DE LEXIS
L'usage de la cohorte en démographie est de longue date structuré, notamment .Ivec le " diagramme de Lexis» ou de " Lexis-Becker-Verweij-Pressat " en 18742 , destiné à représenter simultanément les trois dimensions que sont le temps (ou période), l'âge (position dans le cycle de vie), et la cohorte de naissance. Ces diagranunes (schéma 56) permettent d'organiser l'information portant sur une population suivie sur plusieurs années. Lexis propose de mettre en abscisse l'année de naissance, en 1. R. Girod. ll/(:~ali/(', i,,~~.,lilés. Paris, l'Ut" 1')77 ; R. Girod, évol!41i,," des revetJlIs cl mobililé sociale là Ge"ève 1950-19I1U). Genève-Paris. Droz. I,)H6. 2. Pour la genèse conlùsc et laborieuse du diagramme et la difficile détermination de sa paternité, voir C. Vandeschrick, Le diagramme de Lexis revisité, Populali"", .p (5), 19')2, p. 12411262.
Annexe 2
267
ordonnée les âges, la période d'observation apparaissant alors sur la diagonale principale. Pressat l simplifie le diagramme en mettant l'année d'observation en abscisse, l'âge en ordonnée, l'année de naissance (la cohorte) apparaissant dès lors sur une des diagonales: c'est la forme moderne et standard de la représentation. Ainsi, pour des enquêtes ou des exploitations annuelles de fichiers, chaque nouvelle colonne à droite du diagramme apporte de nouvelles informations. Cette représentation permet de prendre simplement en compte cette relation de base entre les trois dimensions : si un individu parvient à l'âge a l'année t, il aura, un an plus tard, en t + 1, l'âge a + 1 ; il est né en c = t - a. Cette relation exprime la parfaite colinéarité des trois dimensions, qui fait toute la difficulté méthodologique. 56 - Le diagramme de Lexis-Becker- Venveij-Pressat (présewatiotl type Pressat).
Isochrone: observation en 1945
Age 30
Ligne de vie :
cohorte née en 1935
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Période
Pour le reste, le diagramme de Lexis et ses variantes ne sont pas une révolution scientifique, mais une astuce très ingénieuse de présentation permettant d'imbriquer les trois temps: en ligne se lit le devenir des âges au cours des diflerentes périodes, en colonne, le « cycle de vie apparent ,,2 pour une année donnée en colonne (appelée aussi isochrone), et le « cycle de vie réel », celui que connaît une cohorte donnée, en diagonale (appelée aussi ligtle de vie). La technologie offerte par le diagramme de Lexis permet de mesurer des comportements ou caractéristiques col/ectives de cohortes sans faire appel à des données de panel - contrairement à une idée répandue>. 1. R. Pressat, L'allalyse démographique, Paris, PUF, 1961, p. 1-30. 2. « Apparent" au sens où il ne décrit pas le devenir des individus d'une cohorte, mais la position relative des ditrerents âges pour une année donnée, c'est-à-dire celui qu'observe un chercheur faisant une enquête à une date spécifique. L'un des premiers exemples d'analyse par cohorte, qui remonte à l'article de l'épidémiologue Frost, montre l'inadaptation des raisonnements en termes de « cycle de vie apparent ". Frost mit ainsi en évidence que si, dans les années trente du xx' siècle, la mortalité par tuberculose augmentait appareml/letlt avec l'âge pour une année de mesure donnée, elle était la conséquence d'une baisse de l'incidence de la tuberculose au sein des nouvelles générations, mieux protégées par les méthodes de prévention que ne le furent leurs aînés venus au monde vers 1870 (cf. W. H. Frost, Age Selection of Mortaliry trom Tuberculosis Mortaliry Races in Successive Decades, Al/lerical/ Joumal of H)~~ietle, 30, 3, section A, 1939, p. 91-96). 3. A. Deaton, Panel Data from Time Series of Cross-Sections, Journal of Ecol/ometries, 30, 1985, p. 109-126.
268
Le destin des générations
LES TKOIS EFFETS DU DIAGRAMME DE LEXIS
En raison de la liaison linéaire entre les trois dimensions temporelles que sont l'âge, la période et la cohorte, on peut représenter ces trois variables sur un plan. L'astuce de la représentation consiste en ce que tonte cohorte pourra être suivie selon la direction de la diagonale principale. En outre, les mouvements de succession des âges au long du temps de la vie personnelle (le vieillissement), de succession des périodes (le temps du calendrier), de succession des cohortes (qui peut être vu comme le grain du sablier social), trouvent ainsi une représentation simultanée, mouvements correspondant pour le sociologue à des composantes distinctes des processus de changement social, les trois temps humains et sociaux, pouvant chacun connaître des évolutions spécifiques 1. Il est alors possible de reconnaître des phénomènes proprement liés à chacun de ces temps (schéma 57). Un phénomène rencontré uniformément par la population à 57 - Exemples d'~Oèts d'4~e, de période. de whorte et de recompositio/l d11 cycle de vie
dans le diagramme de Lexis. Effet typique d'âge' apparition d'un phénomène entre les âges de 15 et 20 ans
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WONG
MA~RIE DE PAR;S BIBLIOTHÈQUE-OISCOïHÈQUE ANDRÉ MALRAUX 78, Boulevûrd Raspail - 75006 PARIS Tél. 01 454453 S5
INDEX DES AUTEURS
Adonis A., 12, 285. Agresti A., 213, 285. Albrechr J W, 116, 285. Allain O., 156, 275, 285. Andrian J, 191, 285. Aristote, 17, 51, 237. Aron R., 11, 14, 216, 285. Atkinson A. B., 161, 236, 285. Attias-Donfut c., 16, 18, 19, 81, 169, 277, 285. Bailly A., 17, 285. Bakounine M. A., 5, 285. Barry C. de, 169, 285. Baudelot c., 22, 78, 90, 91, 101, \07, 109, 111, 114, 117, 156, 157, 161,285. Bayet A., 2, 157,286. Beaud 5., 92, 286. Bechhofer E, 3, 288. Bénétan P, 88, 286. Berle A. A., 5, 286. Bernstein 5., 34, 286. Berry L. G., 89, 289. Bertaux o., 89, 286. Besnard P, 230, 286. Bidou c., 4, 10, 286. Blau PM., 50, 286. Bloom D. E., 274, 286. Blossfeld H. P, 274, 286. Bodier M., 172, 286. Boltanski L., 5, 260, 286. Boudon R., 219, 286. Bouffartigue P, 230, 286. Bourdieu P, 92, 219, 286.
Brooks c., 12, 289. Bücher K., 13, 286. Bui 0. H. o., 127, 286. Burlan o., 181, 287. Burnham J, 5, 286. Cacheux J le, 76, 290. Cain L. D., 90, 286. Carleton R. O., 50, 289. Castel R., 24, 76, 286. Cézard M., 10, 286. Chambaz c., 161,286. Chamboredon J-c., 251, 286. Chauvel L., 20, 34, 45, 80, \09, 119, 124, 134, 155, 166, 178, 190, 216, 235, 240, 269, 275, 286, 287, 290. Chenu A., 10, 287. Cherkaoui M., 111, 287. Chesnais J-c., 189, 287. Choquet o., 161, 285. Clark T. N., 12, 287. Clément L., 165, 167, 177, 179,287. Clogg C. c., 274, 287. Dahrcndorf R., 13, 287. Deaton A., 267, 287. DéchauxJ-H., 7, 287. Delaporte E, 126, 287. Desplanques G, 104, 185, 287. Desrosières A., 260, 287. Destandau 5., 165, 167, 287. Drouin v., 21, 276, 287. Dumontier E, 183, 287. Duncan 0. o., 50, 214, 222, 286, 292.
296
Le destin des générations
Duriez il., 261, 2!l7. Durkheim E., l, lM, 'Il, IMM, l'lM, 200, 262, 2tl5, 287. Dutailly J-C" 181, 2M7. Outriez L., 129, 2M7. Eastcrlin R. A., 139, 2MB. Eisenstadt S. M., 90, 2MM. Eneau o., 165, 167, 169,285, 2M7. Erikson E., 21-l, 217, 222, 2bb. Esping-Andcr>en G., 173, 2M8. Establet R., 91,101,107,109,111, 2M5. EVJIl W M., 265, 2H8. Fienbérg S. E., 89, 290. Foncr A., 90, 268, 2bM, 291. Fors.' M., 219, 288. Fourastié J,l, 2, 11,37, 101,288. Frost WH., 267, 2MH. Galland 0.,19,21,90,219, 2M8. Ganzeboolll H. il. G., 2H, 288. Gaulle J. de, H6, 288. Girod R., 266, 2HH. GIJSS D., 50, 2M8. Glaude M., 117, 2tl5. Glenn N. D., 274, 2!Hl. Goldthorpe J H., 3, 12, 89, 2H, 217, 21H, 222, 288. Gollac M" 22, 7M, 156, 157,285. Goodman L. A., 2 H, 2M8. Gottdy J., 126, 287. Goux o., 36, 213, 288. Goy A., 260, 287. Gratineyer Y, 111, 129,289,291. Grange c., 230, 2M6. Grusky 0. B., 12, 289. Guillelllard A.-M., 163, 1M7, 200, 289. Halbwachs M" 2, 13, -lI, 78, 19t1, 199, 206, 2B9.
Hall J R., 50, 2MH. H,.lli 5. 5., 2N, 289. Hanoeh G., 27-l, 289. Hassenteufc1 P, 237, 289. Hastings 0. W, 89, 289. Hauser R. M., 2H, 215, 289. Héran F, 73, 173,261,289. Honig M., 274, 289. HourriezJ-M., 161, 169,285, 2M6, 2M9. Hout M., 12, 213, 214, 215, 222, 2M9, 292. Inglehart R., 20, 289. Ion J., 261, 287.
Jatte A. J., 50, 289. Johnson A., 50, 90, 291. Jonas H., 233, 258, 2M9. Jones H., 12, 214, 289. Jonsson A., 275, 289. Julhès M., 157, 286. Kaufinan R. L., 51, 289. Kertzer 0. 1., 19, 289. Kessler D., 90, 256, 285, 289. Klevmarken N. A., 274, 275, 2M9, 290. Knight F H., 198, 290. Koeka J, 261, 290. Lagrange H., 45, 290. Lambert Y, 20, 90, 290. Lautman J., 218, 290. Lechevalier A., 168, 290. Lee D. J, 12, 290. Légaré J, 186, 290. Legris B., 161, 162, 163, 165, 166, 290. Lemaire M., 251, 286. Leme! Y., 10, 34, 290. Lévy-Garboua L., 111, 290. Lillard L. A., 275, 292. Lipset S. M., 12, 287. Lockwood o., 3, 288. Lollivier S., 161, 162, 163, 165, 166, 290. Longman l', 12, 250, 290. Luijkx R., 213, 2H, 288, 290. Mannheim K., 18, 290. Mama J, 12, 289. Marchand O., 35, 36, 39, Ml, 101, 102, 290. Marshall G., 12, 2M8, 290. Marx K., 10, 14,219,290. Mason K. O., 89, 274, 290. Masson A., 90, 197,256,285,289,290. Massot L., 129, 287. Maurin E., 36, 161,213, 2M6, 2M8. Mayol l', 198,290. Mendras H., 2, 11,22,34,36,76,218,290. Merllié o., 89, 205, 290. Molinié A., 51, 290. Monteiro S., 175, 177,290. Moutardier M., 165, 167, 177, 179,291. Mucchielli L., 92, 164, 291. Nisbet R., 10, 291. Oberti M., JO, 290. Olier L., 161, 289. Ossowski 5., JO, 291.
Index des auteurs
297
Padioleau J-G., 90, 291. Pakulski J, 12, 291. Palmore E., 274, 291. Papadimitriou 0. B., 43, 291. Passeron J-c., 197, 219, 286, 290. Paugam S., 74, 135, 170, 291. Percheron A., 90, 291. Pialoux M., 92, 286. Pinçon-Charlot M., 261, 287. Platt J, 3, 288. Pollard S., 12, 285. Poole W. H., 274, 290. Portocarero L., 205, 291. Pressat R., 90, 266, 267, 291. Prost A., 103, 104, 108, 115, 126,291.
S0rensen A. B., 12, 289, 292. Spence M., 116, 292. Spilerman 5.,51,289. 5urault P., 191, 192, 193, 194,272,292.
Raftery A. E., 279, 291. Rainwater L., 161,285. Rao K. V., 274, 289. Raynaud J-D., 111, 129, 289, 291. Riley M. w., 50, 90, 268, 288, 291. Rodgers W. L., 274, 291. Rouault D., 219, 288. Roux P. le, 175, 290. Ryder N. B., 89, 265, 266, 292.
Valdelièvre H., 183, 287. Vallet L.-A., 205, 215, 278, 292. Vandeschrick c., 266, 292. Veblen T., 174, 292. Villechaise A., 10, 42, 292. Vincent P., 187, 292.
Schmoller G. von, 13, 292. Schnapper O., 41, 292. Schumpeter J, 88, 91, 292. Schwartz O., 10, 292. Schweisguth E., 21, 292. Sen A., 13, 292. Seys B., 263, 264, 292. Simmel G., 65, 292. Smeeding T. M., 161, 236, 285. Smith J., 51, 292. Sobel M. E., 214, 222, 292.
Terrail J-P., 23, 292. Thélot c., 35, 36, 39, 50,81, 101, 102, 205, 290,292. Thévenot L., 260, 287. Tholllion o., 243, 292. Thurow L. c., 250, 292. Todd E., 34, 292. Touraine A., 10, 292. Trdman 0. J, 214, 288. Turner B. 5., 12, 290.
Waring J., 268, 291. Waters J, 12, 291. Weber M., 10, 15, 248, 292 .. Weiss Y., 275, 292. Whelpton P. K., 16, 89, 292. Winsborough H. H., 274, 290. Wolff E. N., 13,43, 291, 292. Wong R. 5. K., 215, 293. Wright E. O., 12, 293. Xie Y., 215, 293. ZigheraJ, 51,147,293. Zoyem J-P., 170, 291.
MA~R;E DE PAR~S 818L!OTHÈQUE-DISCOïHÈQUE ANDRÉ MALRAUX ï8. Bouievard Raspail· 75006 PARIS Tél. : 01 45 44 53 85 C,.,v . f\i AI) CA f\1 AI)
TABLE DES ILLUSTRATIONS
1 - Taux de croissance moyen du pouvoir d'achat du salaire net moyen ouvrier par an . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 - Évolution des grandes masses de la population par an 1866-1997 .... 3 - Évolution des GSP dans la population en emploi . . . . . . . . . . . . . . . . 4 - Évolution des GSP dans la population active . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 - Évolution des GSP dans la population active sur la période 1964-1977 et 1983-1997 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 - Évolution annuelle de la part des GSP dans la population active par période. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 - Proportion de cadres dans la classe d'âge des 26-30 ans et des 20-59 ans 1964-1997 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 - Proportion de cadres en emploi (diagramme cohortal) . . . . . . . . . . . . 9 - Pyramides des âges des cadres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 - Proportion de professions intermédiaires dans la classe d'âge des 2630 ans et des 20-59 ans 1964-1997 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Il - Proportion de protèssions intermédiaires (diagramme cohortal) . . . . . . 12 - Proportion de cadres et professions intermédiaires (diagramme cohortal) 13 - Deux scénarios pour demain: proportion de cadres et professions intermédiaires (diagrammes cohortaux) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 - Part des catégories populaires au sens large dans la population totale (diagranmle cohortal) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 - Part des ouvriers au sens large dans la population totale (diagramme cohortal) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 - Taux de chômage (diagranmle cohortal) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 - Proportion d'agriculteurs (diagranmle cohortal) . . . . . . . . . . . . . . . . 18 - Proportion de patrons (diagramme cohortal) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 - Taux d'inactivité feminine et de feminisation de l'emploi (diagrammes cohortaux) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 - Taux de feminisation des cadres en emploi (diagramme cohortal) .... 21 - Taux de feminisation des professions intermédiaires et des catégories populaires en emploi (diagrammes cohortaux) . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 - Indicateurs de « moyennisation » et d'« aspiration vers le haut » (diagramnles cohortaux) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 - Age moyen de fin d'études de la population active par an (1896-1996)
3 35 39 42 44 46 54 59 62 64 65 67 68 72 73 75 77 79 82 83 85 87 102
300
Le destin des générations
24 - Age médian de fin d'études irùtiales par cohorte . . . . . . . . . . . . . . . 25 - Croissance des déciles de l'âge de fin d'études par cohorte. . . . . . . . . 26 - Proportion d'individus d'âge de fin d'études supérieur ou égal à 22 ans par cohorte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 - Proportion d'individus d'âge de fin d'études supérieur ou égal à 25 ans par cohorte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 - Proportion de diplômés par cohorte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 - Années d'avance ou de retard par rapport à la moyenne de la population par cohorte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 - Entrées en 2" année de médecine (numenls clausus) et diplômes de médecins par an . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 - Places ouvertes aux agrégations externes par an . . . . . . . . . . . . . . . . 32 - Proportion d'agents titulaires de l'État en 1982 et 1997 par âge ..... 33 - Risque moyen entre 1990 et 1997 de chômage par licenciement dans les douze mois des groupes socioprofessionnels par âge . . . . . . . . . . . . . 34 - Salaire annuel moyen (francs 1995) de la population salariée en 1977 et 1995 par âge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 - Niveau de vie (francs 1995) par âge du chef de ménage . . . . . . . . . . 36 - Niveau de vie absolu et relatif par cohorte du chef de ménage (diagramme cohortal) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 - Taux de départ en vacances pendant les douze mois précédents par an. 38 - Taux d'équipement automobile par âge du chef de ménage . . . . . . . . 39 - Dépense annuelle moyenne (en francs 1995) d'achat automobile par âge du chef de ménage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4U - Dépense annuelle (en francs 1995) de logement (locations et remboursements de prêts) pour disposer d'une pièce d'habitation par âge du chef de ménage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41 - Taux de propriétaires selon l'âge du chef de ménage par an . . . . . . . . 42 - Pratiques de loisir et de sociabilité 1967-1988 (%) .............. 43 - Évolution du taux de suicide (1950-1995) aux différents âges par an .. 44 - Profil du taux de suicide masculin en 1965 et en 1995 par âge . . . . . . 45 - Évolution entre 1965 et 1995 (rùveau 100: 1965) du taux de suicide masculin par âge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 - Schéma des mobilités ascendantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 - Tables des destinées observées 1970 et 1995 des hommes de 45 à 59 ans (% ligne) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 - Taux de mobilité ascendante (l/IIa) et descendante (tmd) des 45-59 ans et des 35-44 ans par an . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 Taux de mobilité ascendante et descendante (diagrammes cohortaux) . . 50 - Tables des destinées observées et théoriques 1970 et 1995 des hommes de 45 à 59 ans (% ligne) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 - Destinées à 40 ans et origines dans la population salariée - scénario optimiste (%) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 - Destinées à 40 ans dans la population salariée - scénario pessirrùste (%) 53 - Taux de mobilité ascendante et descendante au sein des catégories salariées à 40 ans par cohorte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 - Tables de mobilité à 40 ans pour les cohortes 1945 et 1975 (pessimiste et optimiste), en 'J{, . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . • • . • • • • • . . . . • • •
103 107 112 113 114 123 126 129 131 137 159 165 167 175 177 177
179 181 183 190 193 194 207 208 209 211 217 224 225 226 227
Table des illustrations 55 - Table de passage des codes CSl' et l'CS au code des GSP . . . . . . . 56 - Le diagramme de Lexis-Becker-Verweij-Pressat (présentation type Pressat) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 - Exemples d'effets d'âge, de période, de cohorte et de recomposition du cycle de vie dans le diagramme de Lexis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58 - Proportion de cadres et professions intermédiaires en emploi par âge et année (diagramme de Lexis) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 - Proportion de cadres et professions intermédiaires en emploi par âge et année (diagramme de Lexis tridimensionnel) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60 - Proportion de cadres et professions intermédiaires en emploi . . . . . . . 61 - Proportion de cadres et professions intermédiaires en emploi. Lexis Cohorte/ Age (diagramme cohortal) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62 - Age médian de fin d'études . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 - Proportion de cadres et professions intermédiaires en emploi (femmes et hommes). Transformation T représentée en courbes de niveau ...... 64 - Élimination hiérarchique des interactions du modèle loglinéaire à partir du modèle saturé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65 - Coefficients de la régression logistique des chances d'accès à la catégorie des cadres en fonction du diplôme, de l'âge et de l'année de naissance. 66 - Coefficients de la régression logistique des chances d'accès à la catégorie des cadres et professions intermédiaires en fonction du diplôme, de l'âge et de l'année de naissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
301 262 267 268 269 271 271 272 273 276 279 283
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