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Une nouvelle façon d'élever vos enfants
LEE LOZOWICK
Américain d'origine, Lee Lozowick vit en Arizona où il tran...
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Lee
Une nouvelle façon d'élever vos enfants
LEE LOZOWICK
Américain d'origine, Lee Lozowick vit en Arizona où il transmet au sein de la Hohm Community l'enseignement spirituel reçu de son maître indien Yogi Ramsuratkhumar. Écrivain, musicien, conférencier, il anime de nombreux séminaires en Europe, au Canada et aux États-Unis. Toujours soucieux de partager sa dynamique de développement personnel, il permet aux femmes et aux hommes de découvrir la sagesse par une transformation intérieure authentique dans le cadre de leur vie quotidienne. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages publiés aux Éditions du Relié : L'alchimie du réel (2000), Le courage d'éduquer (200 1), L'alchimie de J'amour et de la sexualité (2003) et, plus récemment, l'Éloge de la folle sagesse.
Le courage d'éduquer
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Evolution Des livres pour vous faciliter la vie!
Allen CARR La méthode simple pour en finir avec la cigarette Marie-Josèphe CHALLAMEL Mon enfant dort mal Marie-Hélène COLSON Réaliser sa sexualité Jocelyne DAHAN Se séparer sans se déchirer Luce JANIN-DEVILLARS Changer sa vie Françoise DOLTO La cause des enfants Hugues LAGRANGE Les adolescents, le sexe et l'amour Gérard POUSSIN Rompre ces liens qui nous étouffent Stéphane SZERMAN Le guide du bien-être Maryse VAILLANT L'adolescence au quotidien Judith VIORST Les renoncements nécessaires Jane B. BURKA et Lenora M. YUEN Comment ne plus être en retard
Lee Lozowick
Le courage d'éduquer Traduction de Sian et Jean-Pierre Bouyou, et Jean Bouchart d 'Orval
Les Éditions du Relié
Titre original : Conscious Parenting
Le Code de la propriété intellectuelle n' autorisant, aux termes de l' article L. 122-5 (2° et 3° a), d'une part, que les > qui lui dit : «Je suis un garçon. Je n 'ai pas la même empreinte que Maman. Je ne suis pas sûr que j'aime ça. Ce que je veux : c'est être Dieu, Être, Être. » 172
Le manque d'éducation dans ce domaine est à l'origine de nombreuses souffrances et d 'actes de violence inavoués, sans parler des déséquilibres excessifs qui caractérisent notre société à tous les niveaux : mental, social, psychologique, psychique et spirituel. C'est à partir de ce manque que les hommes sont dressés à être Dieu par réaction patriarcale au fait indéniable et organique que c'est la femme qui est Dieu. Paradoxalement, cependant, les hommes sont élevés à être Dieu alors qu'en leur for intérieur ils se disent : « Je ne suis pas Dieu, c'est la femme qui est Dieu. » Quel genre de réaction pensez-vous que cela provoque ? La colère, la frustration, la culpabilité, le doute, le fait d'être sur la défensive et bien d'autres réactions de ce genre. Ces conflits intérieurs entraînent à leur tour douleur, violence, abus et aveuglement. Les hommes rabaissent les femmes en abusant d'elles, en les brutalisant, en les avilissant. Autant de façons de réagir qu'ils utilisent pour tenter d'ignorer ou pour oublier ce que la mémoire de leur corps reconnaît comme étant la vérité. La réaction infantile contre la déesse prend la forme d11 déni de son existence. Il se trouve sûrement parmi nous des hommes faisant preuve de plus de sensibilité que ceux que je viens de décrire. Pourtant, même chez ceux-là, un bon nombre ne soupçonne pas tous les ressorts subtils qui s 'insinuent dans les failles de leur comportement. Toute la dynamique psychologique masculine est une réaction contre le conflit intérieur provoqué par le fait d'avoir été élevé pour être Dieu en sachant qu'il ne l'est pas. 173
Du point de vue de la rhétorique, évidemment, et pour utiliser un langage non dualiste, nous sommes tous Dieu : hommes, femmes , toute la création. Et la rhétorique est belle et bonne mais qu'en est-il de la réalité ? Cette réalité qui nous meut. Qu'en est-il de nos vingt-cinq ou cinquante années de déni et d 'autres stratégies inconscientes qui ont littéralement formé notre corps, notre santé, et déterminé toutes nos réactions et convictions ? Un homme ne peut tout simplement pas se contenter de dire : « Oui, nous sommes tous Dieu», et s 'attendre à être guéri, même si cette perspective serait assurément plaisante et merveilleuse. Ça ne marche pas. Nous devons déraciner les motivations inconscientes à travers le démantèlement de nos habitudes négatives et les transcender à la lumière de notre compréhension. C'est le travail d'une vie. L 'enjànt vit et grandit grâce à la nourriture qu'il reçoit de Maman. Il n y a pas de raison pour que ça change. Les hommes ne peuvent pas produire une substance alimentaire qui leur serait propre, c 'est-à-dire allaiter le bébé comme c'est le cas pour la femme, même si l'homme peut certes donner le biberon. (Peutêtre en est-il autrement sur une autre planète, mais ici, sur terre, aussi longtemps que l'homo sapiens fera partie du décor, les enfants téteront leur maman.) La marque du nourricier, celui qui est source de vie, restera Femme. Dans les grandes traditions spirituelles, la Mère divine a toujours été considérée comme la Mère nourricière à l 'échelle de l'univers et, d'un point de vue plus restrictif, à l'échelle de l'humanité. En sanscrit, le nom de la Déesse 174
est « Ma ». Kali Ma (une forme de la Mère divine) était la déité favorite de Ramakrishna. Il l'aimait tellement qu'il en vint à être une femme dans son être. Pendant une période de sa vie, il s'habilla avec des habits de femme, vécut parmi les femmes et se comporta comme elles. À leur tour, les femmes l'aimèrent, l'acceptèrent comme l'une d'elles, car il traitait chacune comme si elle était la Mère divine ; même lorsqu 'une mendiante sale venait au temple, Ramakrishna se jetait à ses pieds et la servait, considérant qu 'elle était Kali Ma. Chaque femme était Kali. Ce n'était pas parce qu'elle était différente ou par opposition à 1'homme qu'il aimait la femme, mais par amour pour la Déesse. Ne serait-il pas merveilleux que les hommes puissent grandir avec l'empreinte de la vénération pour la Mère divine, la vénération qui lui revient en tant que Mère nourricière de l'univers ? Sans Shakti nous ne serions pas ici (sans Shiva 1 nous n'y serions pas non plus, et sans Shakti, ce qui est une supposition purement gratuite, un concept admettant seulement l'existence du vide, la vie serait bien terne). Ne serait-il pas intéressant que les hommes soient tellement naturels et mûrs dans leur masculinité qu'une véritable empreinte masculine deviendrait également transmissible ? Il est difficile d'imaginer une telle société, car il n y a pas d'équivalent dans notre société à la mentalité petite bourgeoise. Pour 1'instant, 1. Shiva/Shakti : dans 1' hindouisme, ils représentent les aspects mâle et femelle de la divinité, Shiva représentant le contexte ou la conscience, Shakti, la forme et la manifestation.
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nous ne pouvons savoir à quoi ressemblerait une société dans laquelle les hommes honoreraient les femmes comme étant La Femme (Shakti) et où les femmes honoreraient les hommes pour ce qu'ils sont intrinsèquement. J'aimerais beaucoup rencontrer un groupe de personnes vivant ensemble, habitées par la reconnaissance sincère de cette réalité, sans se soucier des mécanismes psychologiques qui poussent les hommes à diminuer les femmes et les femmes à réagir au comportement des hommes par des mécanismes de peur ou de colère. Franchement, j'aimerais beaucoup.
Le problème aujourd'hui Une grande partie de l'affection maternelle instinctive s'est vue ensevelie dans le monde moderne au cours des cinquante dernières années, à cause de la toute-puissante obsession technologique de la plupart des gens dans leur maison. Le micro-ondes, la télévision, les vidéos et les deux parents au travail : tout cela a conduit à 1' ensevelissement presque complet de 1'instinct maternel archétypal. Les femmes d'aujourd'hui possèdent encore cet instinct, bien sûr (ille faut), mais elles n'y ont pas vraiment accès : elles ne peuvent ni ne veulent offrir à 1'enfant ce dont il a besoin de la part de sa mère. Elles sont devenues incapables de mettre de côté leur égoïsme, leur fascination pour les gadgets et la magie technologiques, de résister à la tentation d'une vie de shopping, d'amusement et de distractions sociales pour être simplement la Mère de leurs enfants. Il s'agit d'une perte profonde, choquante et triste pour les générations modernes. Ce qu'il faut pour être mère, c'est une attention hors de 1'ordinaire 176
envers l'enfant et, évidemment, la capacité d'exécuter les tâches quotidiennes qui doivent 1'être (faire à manger, tenir la maison, etc.) Ce qui veut dire qu'il faut laisser de côté les distractions mondaines habituelles, comme par exemple prendre deux heures pour se lever le matin, prendre son bain, s'occuper de ses cheveux, se maquiller, etc. Une mère doit d'abord et avant tout être présente. Quand l'enfant passe toute la journée devant la télévision, il n'y a pas de mère. Même si elle se trouve dans la cuisine, il n'y a pas de mère avec l'enfant pour lui prodiguer tendresse, contentement et plaisir, et cet enfant manque de l'affection maternelle normale. Les « héroïnes » des feuilletons télévisés, Bugs Bunny ou quelque superhéros ne constituent pas vraiment des modèles qui puissent se substituer à la Mère. L'épidémie de comportement social négatif dont nous sommes témoins dans le monde occidental vient de ce que personne, en tant qu'enfant, n'a reçu de tendresse, de contentement et de plaisir. Quand la mère se rue dans la chambre, s'empare de son enfant, court dehors, le jette sur un siège automobile, le reprend, court dans le supermarché, virevolte dans ses allées sans porter la moindre attention à l'enfant, s'arrête pour bavarder avec un voisin tandis que l'enfant hurle, jette un regard vers lui en disant : «Je parle à mon ami, je t'en prie ! » et poursuit sa conversation avec le voisin, pourquoi se surprendre de 1'épidémie de comportement social négatif dans le monde ? Comme 1' enfant apprend presque tout lors de ses deux premières années, si une femme se donne vraiment à son rôle de mère, son attention sera, lors de ces deux années, sérieusement concentrée sur 1' enfant et ses besoins, même si cela fait entorse à son propre confort. Je recommande donc que la mère n'ait pas de vie personnelle durant les deux premières années, et qu'elle appartienne entièrement à l'enfant. 177
Cinq minutes de conversation apparaissent comme un cadeau de Dieu à la mère d'un jeune enfant; il arrive donc souvent que cette femme se sente tellement frustrée de conversations adultes que, quel que soit 1' amour qu'elle porte à son enfant (cela n'est pas en cause), elle consentira à le négliger pour s'offrir dix ou quinze minutes de conversation ininterrompue avec un adulte. Nous n'en recommandons pas moins que pendant deux ans on mette de côté ses préférences et ses petites joies personnelles, afin de concentrer sa réceptivité et sa joie sur la croissance, le développement et l'épanouissement de l'enfant. De toute façon , un tel dévouement est recommandé quand on veut servir de façon désintéressée. Les besoins fondamentaux de la vie, comme la nourriture, le repos (peut-être pas autant que le désire la mère ou ce à quoi elle est habituée, mais suffisamment) et autres trouveront leur place de façon naturelle dans les habitudes de vie de la mère.
Étouffer nos garçons De nos jours, les garçons ont tendance à être généralement plus agressifs que les filles, car la plupart ont été« étouffés» au lieu d'être maternés. On les a tellement contrôlés qu'ils n'ont pu être eux-mêmes. Cela ne veut pas dire que les petits garçons devraient être des animaux sauvages, et les petites filles toujours délicates, réservées et polies. Mais on a longtemps confiné les garçons à certaines conventions, du genre : « Les enfants on devrait les voir, mais pas les entendre. » Ils blâment leur mère pour cela, et les femmes en général, car pour l'enfant la Mère est toutes les femmes, elle est la Femme. On rn' a demandé si les hommes éprouvent une haine viscérale pour les femmes et s'il faut conserver 178
quelque espoir en ce qui concerne la façon dont les garçons ne cessent de taquiner les filles. Sur le plan culturel, tous les hommes tendent à avoir peur des femmes : ils cherchent donc à les dominer, souvent par la violence et l'assujettissement. Mais les garçons n'ont pas forcément à grandir sous cette influence ; en fait ils ne le devraient pas. Avec une éducation parentale appropriée, ils ne la subiront pas. Les personnes qui assument le rôle de modèles pour un garçon devraient être assez lucides pour ne pas pérenniser ces comportements dépassés. Celles qui font office de modèles féminins ne devraient pas être hypersensibles au point de voir des montagnes là où il n'y a qu'un petit tas de terre et des hommes diaboliques - de ces satanés cochons de mâles chauvins - derrière chaque brin d'herbe ou chaque regard persistant. Il est vrai que cette dynamique intervient si tôt dans la vie que, rendus à l'âge adulte, la haine de la présumée «force de répression féminine » est profondément inscrite en nous. Les hommes apprécient la compagnie des femmes et développent en effet une sorte de conscience sociale. Les hommes et les femmes apprennent à s'accepter mutuellement en société. Les hommes éprouvent certes encore le goût de la chasse et de la conquête (c'est un réflexe primaire) et ils recherchent la compagnie des femmes afin de faire étalage de leurs prouesses de chasseurs. Mais ils aiment 1'énergie féminine à un autre niveau : le confort doux et réceptif de leur nature féminine. Ils veulent être entourés d'amour et d'affection véritable. Voilà ce dont les petits garçons ont besoin de la part de leur mère. Ils ont, bien sûr, besoin de limites, mais dans un contexte de douceur, d'accueil et d'amour. Dès l'instant où mon divorce fut prononcé, ma mère déclara : « Viens vivre avec moi. » (Cela voulait dire 179
qu'elle me donnerait tout ce que je voulais : « Je ferai ta lessive. Viens vivre avec moi, tu auras ton ancienne chambre.» Nombre d'entre nous aimeraient être ainsi pris en charge. Bien sûr, nous désirons être des hommes ou des femmes adultes, mais comme nous n'avons jamais été maternés de la bonne façon (maternés et non pas étouffés), c'est ce que nous recherchons. Notre mère demeure toujours notre mère, à n'importe quel âge. (J'ai cependant réussi à conserver une vie indépendante malgré la tentation de redevenir petit !)
L'importance des remarques Quand, dans notre communauté, nous sentons qu'une mère a perdu de vue un aspect particulier de son rôle, nous lui faisons partager nos observations. Dans « le monde », bien sûr, on ne pourrait exprimer la vérité pure vis-à-vis de quelqu'un qui manque d'assurance, qui vit dans la honte, qui est orgueilleux et refuse de se voir tel qu'il est, tant sur le plan psychique que sur celui de la personnalité. Une amie qui vient d'avoir son premier enfant peut demander à une mère de trois enfants (tous en bonne santé, heureux et sains) comment stériliser le biberon, comment soigner la jaunisse, etc. Mais si la mère expérimentée s'assied près de son amie et lui dit : «Peut-être devrais-tu examiner le fait que tu évites d'être affectueuse et intime avec ton enfant », celle-ci sera furieuse envers la mère expérimentée et refusera désormais de jouer au ma-jong avec elle. Il est exceptionnel qu'une mère soit assez ouverte pour s'enquérir sérieusement auprès d'une autre mère de son propre comportement. Il y a pourtant quelque chose à faire pour élever nos enfants selon les principes dont nous avons parlé. 180
Les pères sont évidemment tout aussi concernés. Il ne faut pas hésiter à demander l'avis et l'assistance d'autres parents s'il sont sains, sages et expérimentés (on pourrait même dire « efficaces ») dans le domaine de l'éducation clairvoyante. Mais demander : « Comment est-ce que je m'en tire?» peut représenter une menace. Si l'on étouffe son enfant, croyant l'aimer et lui prodiguer une affection, une intimité et une compréhension authentiques, il y a le risque de s'entendre répondre par 1'autre parent : « C'est une forme d' étouffement, ton affection est artificielle. Tu ne fais que fournir à ton enfant ce que toi tu sens ne pas avoir obtenu, ce que toi tu veux. C'est trop, c'est vide, c'est fabriqué, ce n'est pas réel, ce n'est pas clair, c'est une motivation malsaine. » On est alors anéanti et en colère contre ce donneur de leçon. Il n'est pas une seule mère novice (la deuxième fois, c'est différent), rayonnante de la beauté de cette nouvelle expérience, qui désire s'entendre dire qu'elle mutile son enfant psychologiquement depuis le premier jour. Elle ne veut même pas entendre le plus infime soupçon. Mais si nous désirons sérieusement élever nos enfants en accord avec ces principes, il nous faut accepter des remarques.
Conseils des femmes en communauté Élever les enfants, dans notre communauté, est avant tout un dialogue, pas une formule. Nous posons sans cesse des questions et nous nous intéressons aux détails. Où trouve-t-on la vision et en quoi est-elle enracinée ? Où trouve-t-on les principes sousjacents qu'on peut vérifier et développer ? Les pratiques spirituelles auxquelles on s'adonne, 181
quelle que soit la voie suivie, peuvent les fournir. Chaque femme devrait accueillir en elle les profonds conseils portés par sa tradition. En ce qui nous concerne, cela consiste d'abord et avant tout à nous tourner vers notre instructeur, notre tradition et notre pratique, qui incarnent la sagesse. Bien en place, consciemment installé comme priorité, cela s'avère être une source. Il y aura des erreurs, c'est certain, mais elles ne seront pas fatales et les conseils monteront de l'intérieur. Par l'amour de Dieu, de l'enfant et du conjoint, la mère discernera le fondement de toute son action. Nous ne saurions trop insister sur 1'importance pour une femme de cultiver l'énergie féminine, de fréquenter des amies qui la soutiennent et auxquelles elle peut se référer car toute mère traverse des moments « d'enfer » où elle s'arrache les cheveux et sent qu'à moins de tout quitter elle deviendra folle. Élever des enfants est extrêmement exigeant. Si nous l'abordons en tant que partie intégrante de notre vie et de notre pratique, cela deviendra mille fois plus exigeant que pour ceux qui sont attachés aux valeurs du « monde conventionnel», pour qui 1'éducation des enfants est une affaire secondaire. L'éducation des enfants sera alors beaucoup plus contraignante et mettra en lumière certains aspects de nousmême que nous n'avions pas éclaircis jusqu 'alors. Le rôle de mère va alimenter le feu, notre conscience, d'une manière que nous ne pouvons prévoir. C'est pourquoi nous avons besoin du soutien de femmes avec qui nous 182
puzssrons échanger. Les mères ont besoin d'être maternées : que d'autres femmes les prennent parfois dans leurs bras. Mais ne vous découragez pas. Vous serez surprise de la rapidité avec laquelle la mère se révèle dans votre corps. Ce qu'une femme est en tant que mère, instinctivement, organiquement, ne peut que se révéler !
L'honnêteté sans compromis de la femme élimine les résidus qui pourraient empêcher son instinct de se manifester. Elle saura toujours quoi faire et fera preuve de créativité ; elle n'aura pas à se battre pour y arriver. Ce genre de pratique, 1'honnêteté sans compromis, ouvre généralement la porte à l'instinct et constitue une intarissable source bouillonnante pour 1'éducation de l'enfant.
Le rôle du père Pour grandir, un enfant doit s'adapter à deux forces. L'une est généralement représentée par la mère : c'est la force du plaisir de l'amour et de l'intimité. L'autre est la force d'obligation, ou l'exigence d'un approfondissement de 1'apprentissage, de 1'adaptation et du changement de comportement. C'est généralement le père qui représente cette force. Malheureusement, un lien étroit avec le parent mâle, tant pour un garçon que pour une fille, est rare dans les familles modernes. Papa prendra bien le petit, un peu, mais il est plus courant de voir un père décontenancé devant un enfant, incapable de changer une couche et de toute façon trop occupé par d'autres projets. Ce fut certainement le cas pour la plupart de nos parents. 183
Voilà pourquoi un jeune enfant devrait recevoir beaucoup d'attention masculine. Le père devrait prendre son nouveau-né fréquemment, sinon celui-ci se liera uniquement à la mère. Ce déséquilibre interne s'exprimera plus tard sous forme d'aberration psychologique. Une fois relié au masculin autant qu'au féminin, l'enfant, garçon ou fille, pourra faire face à sa nature masculine, ce qui demeure impossible autrement. La santé d'une culture dépend en partie de la nature des liens développés par les enfants. L'enfant est automatiquement relié à la mère, du simple fait d'avoir été porté, nourri et maintenu en vie par elle durant neuf mois. La mère n'a pas besoin de déployer de grands efforts pour approfondir et élargir cette liaison. Mais papa doit y prendre une part active. Cette unique cellule de son sperme, qui est sa contribution dans le miraculeux processus de création, ne suffit pas à maintenir un lien une fois l'enfant mis au monde. Dans notre communauté, bien que cela puisse paraître arriéré, la plupart des pères mettent la main à la pâte de façon égale, en prenant soin du bébé quand il est malade par exemple. Quand notre père a-t-il fait cela avec nous? Mon Dieu! s'occuper d'un enfant fiévreux, avec une diarrhée et qui vomit, c'était là tâche de femme! De façon idéale, le développement des liens commence par le lien avec les deux parents et se poursuit ensuite de façon naturelle par la compagnie masculine : amis, modèles, etc. Nous ne devrions pas laisser la mère tout faire dès que 1' enfant marche et montre une certaine autonomie. La présence, l'influence et le jeu de l'énergie masculine devraient être continus. Nous tenons pour acquis ici, bien sûr, que la compagnie masculine d'un enfant, garçon ou fille, est parfaitement saine, positive, prodigue et mature. L'homme qui caresse les petites filles (ou les garçons) au lieu de 184
leur offrir de l'affection, le père qui exige que ses enfants « fassent bonne impression » (créer de force des personœ sur le plan social, obliger un fils à devenir une vedette de foot-ball à l'âge de trois ans, par exemple) dénotent, en tant que modèle pour les enfants, leur manque de confiance et de maturité face à leur propre masculinité et face aux autres hommes. Certains pères veulent faire de leurs petits garçons des guerriers et estiment que c'est seulement par la douleur qu'on peut en faire des «hommes». Voilà une bonne formule pour anéantir l'innocence et la joie. J'ai vu des gens frapper en public leur enfant en pleurs, en leur disant : « Si tu pleures encore, je te frappe plus fort. » C'est ainsi qu'ils viennent à bout des pleurs : par la peur. Ce n'est pas le genre d'éducation qui forme des adultes productifs et libres de conflits. D'un autre côté, si l'on désire inculquer à 1' enfant un sain dynamisme masculin, on ne peut s'en remettre à une bande de lavettes sentimentales ou à des hommes sans cesse .en train de flirter avec les femmes. Il faut des hommes confiants dans leur masculinité, solidement établis avec leur partenaire, satisfaits, qui travaillent dans le cadre d'une relation ... bref, des hommes. Les femmes, elles, doivent être des mères, non des ogresses hyperprotectrices qui minaudent. Un père profondément aimant et suffisamment lié à son enfant peut compenser un certain manque de lien et d'amour maternels. Nous recommandons aux couples que les pères soient « là », si possible, pour cinquante pour cent du temps, et qu'ils sachent eux aussi se sacrifier pendant deux ans. Pour quelques rares individus, la présence attentionnée n'est pas un sacrifice. C'est admirable : ils sont tellement émerveillés par leur enfant qui grandit qu'en regard de cela tout le reste pâlit. C'est l'idéal, bien sûr: quand le père veut être avec son enfant. L'enfant, lui, désire être avec son père de toute façon. 185
Les hommes, autant que les femmes, se doivent d'être authentiques, solides, compréhensifs, gentils, généreux et aimants dans un contexte de sagesse et d'équilibre mental. Ni trop mous et dans l'insécurité, ni trop durs et sans cœur.
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Savoir fixer les limites Le défi des limites responsables
Le besoin Si nous aimons nos enfants, nous devons faire davantage pour eux que leur servir de quelconques modèles ou enseignants. Ils ont certes besoin d'être en contact avec des hommes et des femmes patients, honnêtes, justes, doux, etc. Mais comme corollaire, il faut avant tout établir les assises de la discipline : non pas nécessairement une discipline punitive, mais une discipline qui puisse établir des limites fermes et justes. Les enfants ont besoin d'apprendre la nature, 1'étendue et les limites de leur monde et du monde. Un enfant élevé sans limites fiables grandira dans la confusion et dans l'incertitude sur lui-même et sur son propre comportement ; il agira souvent négativement, dans sa tentative désespérée de se voir imposer des limites. Les limites élémentaires sont inaliénables et touchent par exemple à la santé physique : ne pas boire le liquide servant à déboucher l'évier, ne pas traverser une rue pleine de voitures sans regarder s'il vient des véhicules, ne pas sauter dans le feu, etc. Les limites secondaires dépendent des circonstances et peuvent varier selon la situation : elles se modifient au fur et à 187
mesure que l'enfant grandit et développe ses compétences et capacités. Sans limites appropriées, la meilleure instruction est inutile. Certains de mes plus proches amis (mais aussi des personnes que vous connaissez, j'en suis sûr) sont des adultes très instruits, raffinés et informés : ce sont néanmoins de complets fiascos aux niveaux psychologique et émotionnel, presque incapables de relations et, semble-t-il parfois, tout juste humains. L' instruction est donc importante, mais elle n'est même pas secondaire. Il y a d' abord les limites justes, puis notre présence auprès des enfants, c'est-à-dire notre manière d'être auprès d'eux ; enfin viennent les éléments formels de 1'instruction, les données pour ainsi dire. L'auteur et éducateur John Holt soutenait une pensée similaire à celle du « concept du continuum » de Jean Liedloff, selon laquelle un enfant qui peut croître en étant ce qu'il est, sans expectatives et sans peurs, grandira dans 1'innocence. (Le fruit de cette approche serait ce qu'on pourrait appeler une sage innocence.) Cette approche est contestée par ceux qui estiment que les enfants ont besoin d'être contrôlés, dirigés et surveillés de près. Mon point de vue se situe à mi-chemin entre ces deux idées. Un enfant dont la liberté vient de la négligence - lorsque les parents sont trop occupés - devient très névrotique. En revanche, «l'étouffer» par besoin de domination, de contrôle et de manipulation anéantit très vite 1'innocence et occasionne des dommages psychologiques. Les parents lucides doivent définir des limites sensées, des limites qu'ils peuvent faire comprendre à leurs enfants. On pourrait croire que c'est ainsi que les parents agissent, mais en réalité beaucoup ne disciplinent pas leurs enfants de manière rationnelle. En résumé, il s'agit de maintenir des limites honnêtes, 188
intelligentes et explicables, mais en même temps d'être attentif, d'orienter avec douceur, selon les besoins.
Tous les enfants savent ce que c'est que d'être heureux ou malheureux, et c'est pourquoi ils demandent des limites. Ils pousseront ces limites pour reconnaître par eux-mêmes ce qu'elles sont. Un enfant qui connaît ses limites et qui sait qu'il peut avoir confiance en elles sera heureux et confiant. C'est entre deux et quatre ans que les enfants reçoivent leurs plus importantes leçons en la matière : il est donc crucial de répondre immédiatement aux circonstances avec une discipline juste, sans arbitraire. Il est important d'expliquer les conséquences d'une transgression des limites. Il nous faut savoir quoi faire, quand le faire, et vite. Si les conséquences surviennent une semaine après coup, elles ne sont d'aucune utilité pour un jeune enfant car son univers a complètement changé entre-temps. Les conséquences devraient être appropriées à la désobéissance et immédiates, de sorte que l'enfant sache à quoi s'en tenir. Nous sommes tellement obnubilés par l'idée d'être doux et aimants avec nos enfants, de ne les humilier en aucune façon, que nous manquons souvent le bateau quand vient le temps de leur fournir le genre de discipline dont ils ont soif. Entre deux et quatre ans, les enfants se mettent souvent à agir de façon négative quand ils ne perçoivent pas les limites dont ils ont besoin. Ils nous font savoir qu'ils ont besoin d'être rassurés par un amour responsable et intelligent sous forme de limites fermes mais établies dans l'amour. Un enfant - souvent le frère ou la sœur - témoin d'un manque de rigueur des parents envers un enfant qui a transgressé les règles établies leur demandera 189
souvent: «Vous n'allez pas le punir?» Exprimant par là : « Si j'avais fait ça, j'aurai voulu que vous me punissiez plus sévèrement. » Les enfants nous disent clairement : «J'ai besoin que vous me fixiez des limites. » Cette attente d'un monde sur lequel ils peuvent compter est inconsciente. Pour preuve : il suffit d'observer 1'affection instantanée d'un enfant pour qui on vient d'établir des limites, parce que ses parents ne savent pas le faire ; dans sa gratitude, il va nous suivre et s'accrocher à nous. C'est pour lui un tel soulagement d'avoir enfin un adulte digne de ce nom en face de lui. Bien sûr, passé un certain âge, tout cela change. S'ils ont été élevés en croyant que la colère est la seule réponse à l'adversité, il est possible qu'ils réagissent aux limites sans subtilité et sans affection. Avec un adolescent, il est peutêtre trop tard pour le b.-a.-ba.
La volonté et l'autonomie Développer l'aspect masculin Au début, tout est maternel : nos perceptions et notre trame même sont féminines. Ensuite, en vue du sain développement de notre ego et pour que notre humanité prenne forme et fleurisse, nous commençons à développer en nous l'aspect masculin. Cela peut se manifester par une résistance face aux demandes de la mère, par exemple lutter avec elle ou se déplacer seul sans vérifier si elle est toujours là. Ce qui est normalement sain. (On présume, bien sûr, que la mère est suffisamment attentive à son enfant et veille à ce qu'il ne se perde pas.) Les parents ont tendance à interpréter les moindres signes de développement de leur enfant comme des caractéristiques désormais permanentes, et à se plaindre 190
alors de son indépendance : « Quelle erreur avons-nous commise ? Pourquoi ne nous écoute-t-il pas ? Pourquoi ne revient-il pas quand on l'appelle, et continue-t-il à courir?» C'est pourtant le cours normal de sa vie. Il faut des limites, cela ne fait pas de doute, mais tôt ou tard les enfants, garçons ou filles, vont naturellement développer leur indépendance. Ils traversent d'innombrables étapes au cours de leur croissance, qui peuvent être intenses et de courte durée : ils expérimentent une chose pendant quelques jours et ensuite soit ils la laissent tomber pour ne plus y revenir, soit l'intègrent à leur répertoire. Une étape organique, contrairement à une étape liée au comportement, peut durer des semaines, voire des mois. Si, terrorisée à chaque léger changement, la mère tente d'étouffer sous ses soins maternels le besoin de l'enfant de se distinguer en tant qu'individu séparé, les résultats peuvent être très préjudiciables et paralyser l'évolution naturelle, personnelle et psychologique de ce dernier. Ces changements n'impliquent en rien un manque d'amour envers la mère ou un rejet de sa compagnie, de son attention et de son affection. C'est simplement que l'affirmation de l'individu est une étape normale du développement humain. Ce qui aggrave les choses, c'est que bien des thérapeutes ne connaissent rien aux enfants (étant donné qu'ils ont reçu une formation en psychopathologie). Pour eux, une manifestation mineure de l'enfant- une petite expérience, une part d'expérience ou une étape du développement qui dure deux mois - sera traitée comme un symptôme problématique alors qu'il s'agit d'une phase du développement normal qui passera en son temps et à son heure.
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S'en remettre à une puissance supérieure Les enfants ont besoin de s'abandonner avec grâce, d'abandonner leurs souhaits et leurs préférences à une puissance supérieure. Ils l'apprendront ou non, selon la capacité des adultes qui les entourent de s'abandonner eux-mêmes et la manière dont ils se positionnent par rapport à Dieu et aux nécessités socio-politiques. Ainsi, que cela nous plaise ou non, il existe des limites de vitesse adaptées à chaque situation de conduite. Le fait que les adultes les observent ou les transgressent en se plaignant a un impact important sur les enfants qui en sont témoins. C'est un aspect du bon exemple à donner. Un autre exemple : lorsque nous emmenons nos enfants au restaurant. Le goût de la nourriture, le service et autres contingences échappent totalement à notre contrôle. Nous pouvons cependant choisir une attitude gracieuse et adaptée, ou bien nous lamenter et faire une scène. Les enfants apprennent à accepter les situations qui ne peuvent être changées, et aussi à faire des efforts lorsqu'elles peuvent l'être. Ce sont les adultes qui établissent pendant un certain temps les limites de l'enfant. Si celui-ci est incapable de s'abandonner facilement à une puissance supérieure (pas nécessairement sur le plan extérieur, où il argumentera et pleurera un peu, mais en lui-même), tout ce qu'on exigera de lui fera l'objet d'une lutte, même si c'est pour son bien. Un enfant qui ne peut s'abandonner à une force supérieur (les parents, les lois de son pays, etc.) sera un adulte malheureux. C'est le manque de confiance qui provoque cela chez un enfant. Ce manque a pour origine une relation primale déficiente, c'est-à-dire une relation parentenfant où l'amour, la confiance, la responsabilité des parents sont absents, ou si 1' enfant a le sentiment de ne pas être aimé. 192
Mettre les limites à l'épreuve Même si les enfants reconnaissent 1' importance des limites ainsi que le confort, la sécurité et l'amour qu'ils y sentent, ils essaieront de les mettre à l'épreuve. Le besoin de limites peut survenir en même temps qu'une sorte de panique causée par le fait qu'une fois la limite fixée, les règles du jeu changent. Pour 1' enfant, ce n'est pas un jeu, c'est une question de survie ! Il n'apprécie pas nécessairement tout de suite les vertus de la limite imposée. Un enfant de trois ans peut ne pas changer une habitude en un jour et se mettre à considérer Maman d'une manière différente, lui parler sur un ton moins exigeant et moins critique. Une mère m'a raconté sa difficulté quand son enfant mettait constamment ses limites à l'épreuve. Quand venait le temps de partir pour l'école, il refusait de s'habiller. La mère essayait toutes sortes de stratégies pour y parvenir, mais sans succès. « Si vous êtes claire et ferme quant aux limites que vous imposez et aux conséquences d'une transgression, votre enfant suivra. C'est difficile, mais vous devez le faire», lui ai-je conseillé. En grandissant, les enfants cherchent à définir leurs limites, à connaître celles de leur environnement, de leurs pairs et des adultes, enfin à définir qui ils sont et ce qu'ils font. Cela se manifeste souvent par de la désobéissance, mais n'est pas dirigé contre les parents. Ils ne prennent pas plaisir à manipuler leurs parents, ils y viennent par nécessité. Ce sont les parents, par leur indigence et leur manque de fiabilité, qui leur apprennent à manipuler. Si nous nous plions à tout ce que nos enfants de trois ans disent, ils deviennent les parents et nous les enfants, ce qui est un désastre pour eux. (Même s'ils s'en plaignent, devenus de jeunes adultes, au moment de quitter la maison, ils nous seront extrêmement reconnaissants de ne pas les avoir laissés nous manipuler.) 193
La discipline peut contraindre un enfant, et ce n'est pas une mauvaise chose en soi. La contrainte juste est un facteur de force et de clarté. La plupart d'entre nous avons eu la chance de grandir à travers des situations contraignantes : à notre insu, cela nous a permis de prendre les décisions qui s'imposaient et d'adopter un fonctionnement rigoureux. Le monde est rempli de contraintes. C'est un grand don que celui de pouvoir gérer la contrainte dans la dignité et l'équanimité. Dans notre communauté, notre manière d'éduquer les enfants vise ostensiblement au minimum de contraintes. Nous nous efforçons d'offrir une grande liberté à nos enfants. On a appelé cette pratique la permissivité, mais ce n'est pas le mot juste. Nous ne sommes pas des parents permissifs, contrairement à ceux, nombreux, qui ont peur d'établir des limites fermes et de les maintenir, et deviennent trop permissifs. Les limites appropriées créent des contraintes pour l'enfant. Chez lui, c'est son état d'être équilibré, non sa personnalité psychologique, qui réclame des limites appropriées et qui est immensément reconnaissant envers quiconque les lui fournit. Les jeunes enfants ne comprennent pas encore intellectuellement le pourquoi d'une certaine limite, même si profondément ils la veulent, ils en ont besoin et en sont reconnaissants. Créer correctement des limites justes, non pas des limites arbitraires, engendre des contraintes naturelles et inévitables pour l'enfant et permet à ses instincts profonds d'entrer en jeu. De telles limites représentent un nécessaire entraînement en vue d'une vie fructueuse, tant dans l'enfance qu'à l'âge adulte. Un exemple de contrainte malsaine serait d'envoyer l'enfant dans une école pour surdoués dès qu'il manifeste une quelconque inclination pour le sport, la musique ou quoi que ce soit : l'entraîner à être un pro194
dige musical, par exemple. Les parents se livreraient de la sorte à des projections et des manipulations de leur enfant pour leur propre gratification. Cela engendre un stress d'un autre ordre. On déracine même certains enfants de leur foyer pour les envoyer dans des écoles spécialisées, déchirant le tissu de la relation entre les parents et l'enfant. Il est normal d'instruire et d'entraîner un enfant dans un domaine pour lequel il possède une profonde inclination, mais les modalités sont cruciales pour sa santé. Les interactions avec d'autres enfants fournissent aussi une bonne dose de contraintes constructives. Prendre part à n'importe quel processus de groupe ou travailler à tout effort collectif amène l'enfant à gérer de nombreux types de limites ; certes cela engendre des contraintes, mais c'est d'une très grande valeur.
Comment établir les limites La simplicité Moins il y a de limites, mieux c'est. J'ai déjà souligné 1'existence des limites élémentaires : « Si tu mets ta main sur un poêle brûlant, tu peux te faire très mal», ou bien : «Ne joue pas avec ce chaudron d'eau bouillante», etc. Je ne laisserais pas un enfant s'amuser avec des lames de rasoir... Pour ce qui est du bruit et de la vigueur déployée dans les jeux, je n'établis cependant que très peu de limites, sauf pour ce qui a trait à la sécurité physique et à la cruauté envers les autres. Si les parents sont bien dans leur peau et vivent dans une intégrité parfaite, les enfants n'ont pas besoin de beaucoup de discipline : les parents parviennent à transmettre un modèle. Tout ce que les enfants ont besoin de savoir, en fin de compte, c'est que les voi195
tures nous écrasent si nous courons vers elles. C'est très simple. Si on saute dans le feu, on se brûle. C'est tout. Ils n'ont pas besoin qu'on leur dise que le feu est chaud. Laissez-les y passer leur doigt et, croyez-moi, ils le retireront bien avant de se brûler : ils sauront une fois pour toutes que le feu est chaud. Bien des adultes prêtent si peu d'intelligence aux enfants qu'ils estiment que si on ne le leur disait pas ils mettraient leur main dans les flammes et attendraient là, dans des douleurs atroces, pour décider si oui ou non le feu est chaud. Ils ne le feront pas ! Il leur faudra une fraction de seconde pour sentir la chaleur du feu et en tirer la leçon. Autre exemple : à la mer, il faut définitivement surveiller les enfants, car le reflux, même avec des vagues modérées, est plus fort qu'un enfant d'un an et demi. Il faut les surveiller, tout simplement. Nous n'avons pas à accourir à chaque grosse vague en hurlant « Mon Dieu! Cette vague a failli t'emporter au milieu de l'océan et tu serais mort noyé. Je t'aime tellement; que ferais-je sans toi? On n'aurait jamais pu retrouver ton corps et un requin t'aurait mangé ... » J'ai entendu ces inepties à la mer. Rien de cela n'est nécessaire. Demeurez simples.
Cela dépend Un jour, nous voyagions en voiture. Alors que la fenêtre était ouverte, un des enfants jouait avec une balle et parlait de la lancer par la fenêtre, « par-dessus les montagnes ». Sa mère lui expliqua : « Si tu la lances par la fenêtre, elle roulera au bas de la montagne et nous ne pourrons pas la récupérer. » Ce à quoi l'enfant répondit : « Si elle roule en bas de la montagne, nous descendrons la chercher. » Sa mère rétorqua : «Non, nous ne le pourrons pas ; la balle sera perdue. » J'ajoutai qu'il y avait une autre raison. 196
En fait, nous aurions pu arrêter la voiture, descendre au bas de la montagne et, au bout de deux ou trois heures, la retrouver. À mon avis, ce n'était pas la raison pour laquelle, il ne fallait pas lancer la balle par la fenêtre. J'expliquais : «Nous allons d'un endroit à un autre et nous avons un temps limité pour le faire, car j'ai un rendez-vous important. Nous n'arrêterions pas la voiture, car si on a un rendez-vous, il est très mal élevé de ne pas être à J'heure.» Ma raison n'avait rien à voir avec la possibilité de récupérer la balle ou non, bien qu'il eût été tout à fait irréaliste de le faire, vu l'effort requis et la facilité de s'en procurer une autre. Je poursuivis : «Tu dois comprendre qu'aujourd'hui, à l'occasion de ce périple du point A au point B, je n'arrêterai pas la voiture. Si tu lances la balle par la fenêtre , elle est perdue ; c'est tout. Si nous nous promenions dans notre quartier, nous arrêterions la voiture pour la récupérer. » Cette limite s'appliquait à cette circonstance particulière. On ne sait pas ce qu'est la vérité tant qu'on ne met pas la voiture en marche. Tout dépend ! Nous prenons les choses comme elles viennent. Un autre jour, nous pouvons dire : « Si tu lances la balle par la fenêtre, je ne t'aiderai pas à la chercher; mais j'arrêterai la voiture et tu pourras la chercher. D'accord? » Bien sûr, un enfant ajoutera en général : « Je veux que ce soit toi qui la trouves » . Nous pouvons alors dire oui ou non, c'est selon. Il est également important pour un enfant de savoir jusqu'où chacun de ses parents fera les choses à sa place - c'est un signe de l'attention qu'on leur porte-, et jusqu'où ils doivent être personnellement responsables de leurs actes. De toute évidence, cela change de façon importante avec l'âge. Un enfant d'un an assis dans une chaise haute et qui lance à répétition des objets par terre, comme une cuillère, ressent un grand sentiment de sécurité de 197
savoir que ses parents vont la ramasser à chaque fois. Cela démontre qu'il peut leur faire confiance. Mais si l'enfant a dix ans, vous avez un problème ! On n'attend pas d'un enfant de deux ans qu'il fasse sa lessive et prépare ses repas, mais un adolescent de quatorze ans peut le faire, selon les circonstances. Les enfants doivent apprendre que toutes les circonstances sont différentes et sont parfois dictées par d'autres. Un enfant peut donc avoir un ensemble de limites chez lui et un ensemble complètement différent ailleurs, où les règles sont différentes. Même à l'intérieur de sa propre demeure, les règles peuvent différer selon qu'il s'a~it de leur propre chambre ou du reste de la maison. A douze ans, on peut lui permettre de garder sa chambre en désordre s'il le désire, mais il n'en irait pas ainsi en ce qui concerne le salon ou la cmsme. Parce que nous voulons moins nous occuper des enfants, ou plutôt parce que nous voulons nous occuper davantage d'autre chose, ou en raison d'un désir inconscient qu'il grandisse vite, nous avons facilement tendance à relâcher les limites et à supposer qu'un enfant de deux ans peut se faire à manger comme un enfant de douze. Il n'en est pas ainsi. Les parents doivent veiller à ce que leurs enfants évoluent : bien des adultes établissent une règle pour un enfant de deux ans et la maintiennent lorsqu'il en a quatre, alors qu'elle est devenue absurde, simplement parce qu'ils 1' ont établie et ne savent comment expliquer à leur enfant qu'elle a changé. Il se peut aussi que ce soit parce que eux-mêmes sont trop rigides et qu'ils veulent complètement dominer et manipuler leurs enfants, les règles étant 1'une de leurs armes. C'est vraiment très simple. Quand un enfant dit : «Je veux couper ma viande avec mon couteau», nous pouvons répondre : « Tu le pourras quand tu seras plus 198
grand. Ce couteau est trop aiguisé pour un enfant de trois ans. » Il est important que les enfants sachent qu'avec l'âge, à mesure qu'ils grandissent, bien des règles changent. C'est essentiellement une question de bon sens. Certaines règles ne changent pas, comme les « commandements » : ne pas mentir, ne pas tricher, ne pas voler, ne pas faire de mal, entre autres. Quand un enfant apprend à se servir d'un couteau aiguisé, n'attendez pas de lui qu'il découpe sa nourriture en parfait accord avec votre sens de 1' esthétique. En général, dans notre manière d'éduquer les enfants, la reconnaissance des différences d'âge et de compétence compte beaucoup. Pour le dire autrement: ne donnez pas aux enfants davantage d'espace qu'ils n'en peuvent gérer efficacement. Il est également vrai que les enfants n'évoluent pas tous au même rythme : une règle ou une limite s'appliquant à un enfant de trois ans peut ne pas s'appliquer à un autre enfant de trois ans.
Évitez l'arbitraire Je me trouve souvent incapable de savoir comment parler aux enfants, car je manque de créativité ; mais je n'établirai jamais de limite ou de discipline arbitraires. C'est là un point capital. Nous devrions toujours être capables d'expliquer à l'enfant, en un langage qu'il comprenne, pourquoi nous fixons une limite et l'importance de celle ci. Les réponses du genre : « Ça donne de bonnes vibrations », « Mon père a toujours fait ainsi», ou encore : «C'est parce que c'est moi qui commande », sont tout à fait inacceptables et même grotesques. L'un des moments les plus lumineux que j'aie vécu avec les enfants m'a été donné par ma fille. J'avais décidé de l'emmener en vacances à Disneyworld, en Floride, pour une semaine environ : juste elle et moi. Elle avait quatre ou cinq ans. 199
Quand je sortais avec mes enfants, il leur arrivait de pleurnicher et de faire des chichis ; il ne m'était jamais venu à l'idée que les enfants n'avaient pas besoin de faire ça de temps en temps. Lors de ces vacances en Floride, il n'y eut aucune dispute, aucun désaccord, aucune tension, rien. Elle n'a pas pleuré, ne s'est pas lamentée, n'a même pas froncé les sourcils une seule fois. Il n'y a eu aucune contrariété. Avant le départ, je lui avais dit : « Tu sais, nous allons être ensemble pendant longtemps. Ta mère se trouve à des milliers de kilomètres. Je ne suis pas toujours patient, je t'aime beaucoup et je veux passer de belles vacances. Tu dois comprendre une chose : je n'essaie pas de jouer les durs, mais ce que je dis, je le pense vraiment. » Je savais qu'elle savait que je ne plaisantais pas et que mes limites étaient justes et fermes. Il n'y a pas eu le moindre problème ! Ce fut une complète révélation ! Nous avons vécu tous deux des moments magnifiques. Quand un enfant transgresse une limite trois fois de suite, je ne passe pas mon temps à répéter : «Tu sais, je suis sérieux dans ce que je te dis. » Je lance un avertissement clair et j'applique le règlement, mais pas dans la violence, dans la colère, abruptement ou de façon démesurée : simplement de manière fonctionnelle et ferme. J'attends que l'enfant reconnaisse avoir bien compris mes paroles, même si je sais qu'il a compris. Je lui accorde en plus le respect d'un regard face à face. Il ne faut pas marmonner une quelconque règle à un enfant et s'attendre à ce qu'il la saisisse. Exprimez-vous clairement, regardez-le dans les yeux et demandez-lui s'il vous a bien compris. Ne supposez rien à leur place ! Laissez-les prendre leurs décisions, même si la décision qu'ils prennent va dans votre sens. Si, alors que je leur parle, ils tournent la tête ou se bouchent les oreilles, je leur dis : « Nous allons continuer jusqu'à ce que vous me laissiez termi200
ner. Il ne faut que quelques secondes. » Dès qu'ils me regardent, je dis : « Je suis sérieux quand je parle et je ne serai pas arbitraire ; je veux entendre ce que vous avez à me dire sur le sujet. Mais j'ai plus d'expérience que vous en la matière, alors c'est moi qui ai le dernier mot.» Aucun enfant ne m'a jamais demandé le sens du mot « arbitraire » : ils le savent. Je leur dis aussi : «Il peut m'arriver de commettre une erreur, et si cela se produit, je ferai de mon mieux pour la corriger ; mais c'est encore moi qui fixe les limites.» Voilà le genre d'entente que je souhaite avec des enfants. Si je commets une erreur et deviens trop lourd, je m'en excuse. Mais je leur explique aussi : «Vous êtes sous ma responsabilité et tant qu'il en est ainsi, c'est la règle du jeu. Je suis sérieux. C'est moi qui gère les situations. Dès que vous serez capables de vous occuper de vos affaires, croyez-moi, vous aurez ma bénédiction. Mais tant que vous êtes sous ma responsabilité, c'est le genre d'entente qui doit exister entre nous. » Lorsque vous êtes habitué à maintenir coûte que coûte la discipline avec vos enfants et qu'ils y sont aussi habitués, vous pouvez un jour vous rendre compte que vous tombez vraiment dans l'arbitraire sur un point particulier ; vous avez peut-être observé que si vous relâchez alors quelque peu la discipline, ils vont vous demander pourquoi. Ils veulent savoir : « Pourquoi as-tu laissé passer ça ? » Votre point de vue doit alors être très clair. Une bonne réponse serait : «Parce que j'ai pensé que la discipline était devenue arbitraire dans ces circonstances et que vous êtes assez mûrs pour faire telle et telle chose sans que je sois sans cesse sur vos talons.» Ne dites pas simplement : «Oh! c'est parce que je suis de bonne humeur.» De la même manière, si vous observez un régime alimentaire particulier, 201
végétarien ou autre, et que vous allez à 1'occasion au restaurant, vous allez peut-être laisser les enfants prendre un hot-dog, comme nous le faisons. S'ils demandent pourquoi, nous répondons qu'il s'agit d'une occasion spéciale, pour laquelle nous pouvons relâcher les restrictions sur le régime. Mais en temps normal, vous vous en tenez à la règle. Les enfants veulent participer intégralement à leur environnement. Quand ils posent de telles questions, il ne s'agit pas d'une colle ; ils désirent vraiment savoir comment participer à leur environnement. Ils veulent connaître les règles, de façon à ne pas les transgresser. Un enfant intelligent commence à poser des questions dès qu'il peut parler. Même avant, il questionne avec ses yeux, il veut savoir ce qui se passe. Encore une fois, ce n'est pas qu'il remette notre autorité en question; c'est sa manière de connaître son univers. Il veut savoir pourquoi certaines choses lui sont interdites et d'autres pas. La grande règle est d'éviter l'hypocrisie.
En grandissant, 1'enfant découvre que tout le monde n'a pas les mêmes exigences. Un enfant revient par exemple du terrain de jeu et fait une certaine chose. Nous lui disons : «Ne fais pas ça. » Il prend alors une attitude un peu défiante et dit quelque chose comme : « Marie, elle, me le laisse faire. » À quoi je réponds : «Les adultes n'ont pas tous les mêmes limites, les mêmes règles. Tu dois écouter l'adulte actuellement responsable. » C'est mieux que de dire : « Je pense que Marie est un peu trop souple : je vais en parler avec elle. » L'enfant peut argumenter : «Comment se fait-il qu'on me laisse faire là-bas et pas ici?» (Ce qu'ils demandent à coup sûr...) Si je crois en la justesse de la limite que j'ai fixée, je répondrai : 202
«C'est ce que je crois et, de toute évidence, Marie pense différemment. C'est son droit. Mais tu dois tenir compte de l'autorité telle qu'elle se présente. » Il faut se souvenir de ne pas aller à l'encontre de la discipline de l'autre parent. Aussi est-il bon de s'entendre au préalable, en l'absence de l'enfant, sur certaines limites, de façon à ce qu'il ne vienne pas dire à l'un des parents: «Puis-je avoir un morceau de chocolat?» alors qu'il sait très bien que l'autre n'est pas d'accord. Nous devrions toujours nous efforcer de soutenir notre conjoint, et surtout de ne pas édulcorer sa discipline en sa présence et celle de l'enfant. Celui-ci prendrait alors l'habitude de manipuler ses parents pour obtenir ce qu'il veut. Alors, si un enfant vous demande : « Puis-je avoir un morceau de chocolat ? - As-tu demandé à maman ? - Ouiiii ... - Qu'a-t-elle dit? - Elle a dit non », mieux vaut trancher : «Dans ce cas, la réponse est non», au lieu de jeter un coup d'œil sournois en disant : « Allez, va pour cette fois ! », ce qui établirait une dynamique très malsaine, comme on peut le supposer. Je suggère donc aux parents (et à tous, si possible) d'essayer de s'entendre au préalable, s'ils y pensent, et de maintenir entre eux fermeté et unité, comme le doit une famille. Établissez des distinctions importantes pour les enfants Par leur silence, certains adultes se montrent trop libéraux par rapport au genre de comportement qu'ils tolèrent. Il n'est pas nécessaire de constamment faire la morale à vos enfants, mais vous pouvez leur indiquer quelques précisions importantes en établissant cer203
taines limites et dire : « Les fenêtres ne sont pas faites pour y jeter des objets. » C'est le genre de discours que je préconise. Ou encore : « Il existe une différence entre un jouet et un fauteuil ancien. » C'est là un fait. Il est très agréable de sauter sur les fauteuils et il n'y a parfois aucun inconvénient à ce qu'un enfant le fasse. Mais le fait demeure : un fauteuil n'est pas un jouet, cela fait partie des meubles. J'ai noté que bien des adultes ne peuvent ou ne veulent pas dire : « Le robot ménager n'est pas un jouet. Ce n'est donc pas une bonne idée d'y mettre des pierres et de le faire démarrer.» Si l'adulte dit cela, il se fera toujours répondre par l'enfant: «Mais je m'amuse, j'aime faire ça.» La bonne réponse est : « Nous ne pouvons pas toujours faire ce que nous voulons. » Les enfants n'ont pas besoin de nous entendre leur dire quatre-vingts fois par jour : « Ça ne se fait pas ». Établissez simplement une claire distinction pour eux : «Ça, c'est un jouet, mais ça, ce n'en est pas un», «Ceci n'est pas un jouet, mais tu peux jouer avec», «Ce n'est pas un jouet et ça ne convient pas à ce genre de jeu », etc. Ils demanderont peut-être : « Mais à quel genre de jeu cela sert-il?» Vous devez alors expliquer : «Tu peux prendre les coussins du fauteuil pour en faire un château fort, mais si tu sautes sans arrêt sur le fauteuil alors qu'il n'y a qu'un simple canevas et des sangles en tissu, tu vas le défoncer ». Il n'y a pas de « peutêtre», il est clair qu'il défortcerait le siège. Si l'enfant de trois ans fait cela, celui de sept ans ne tardera pas à le faire aussi et le fauteuil ne résistera pas longtemps. Mettez donc les choses à leur niveau : « Ce n'est pas un jouet. Une chaise est un meuble : ça n'a pas la même fonction qu'un jouet.»
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Soyez sérieux quand vous parlez - soyez fiable Avec les enfants, il est sage de ne pas énoncer des menaces qu'on n'est pas disposé à mettre à exécution, et de vérifier que les conséquences sont adaptées à la situation. En allant à Disneyland, je ne disais jamais : « Si tu n'arrêtes pas d'agacer ta sœur, nous n'irons pas. » Un voyage à Disneyland ne devrait pas miroiter au yeux d'un enfant comme un prix de bonne conduite. Cela devrait être indépendant. J'utiliserais autre chose : « Tu n'auras pas de glace, tu n'auras pas de frites, tu n'auras pas de Coca ... », quelque chose de modeste, qui veuille dire quelque chose pour l'enfant, jamais une énormité apocalyptique. Je ne ferais jamais de grosses menaces, de peur d'être forcé de les exécuter alors que je n'y serais évidemment pas disposé. Il se trouve d'ailleurs que les enfants ne font jamais des choses assez graves pour justifier l'annulation d'un grand voyage. Ça ne serait pas de la discipline, mais de la cruauté. Il faut cependant qu'ils nous prennent au sérieux quand nous parlons. La perte de crédibilité auprès d'un enfant est irréversible. Vivre dans la clarté et la tendresse avec nos enfants implique qu'ils ne nous croient pas hypocrites. Si nous annulons un voyage à Disneyland, ils s'en souviendront toute leur vie. Nous pouvons interdire la glace vingt fois, ils finiront par oublier, bien que sur le coup ces petites choses constituent un levier disciplinaire aussi efficace que l'annulation d'un voyage à Disneyland. Je n'utiliserais jamais comme levier quelque chose que j'ai personnellement envie de faire. Je m'amuse quand les enfants vont au zoo, parce qu'ils s'y amusent tellement; alors, je n'utiliserai jamais cela comme menace. Il ne servirait à rien de me punir moi-même alors que l'idée est de faire sentir à l'enfant la conséquence d'une transgression. 205
Si nous partons pour un voyage qu'ils souhaitent ardemment depuis des semaines et qu'ils traînent les pieds le moment venu de s'habiller, je ne dirai jamais : «Voulez-vous y aller oui ou non?» Jamais ! Que faire si un enfant déclare, dans un moment d'irascibilité, qu'il ne veut pas y aller? Que ferons-nous , alors que les valises sont prêtes et que le moteur de la voiture tourne ? Allons-nous leur avouer que nous n'étions pas sérieux ? Si oui, nous perdrons toute crédibilité. Je pourrais néanmoins dire : «Nous n'y allons pas» s'il s'agit d'un déplacement personnel, comme une heure de courses non essentielles et que leur « salaire » pour m'accompagner est un brownie ou un cookie aux brisures de chocolat (deux choses que nous n'avons pas à la maison, de sorte qu'il s'agit d'une sérieuse gâterie !) S'ille faut, je créerai un précédent: je les porterai dans la voiture alors qu'ils hurlent et gesticulent. Car en général, au bout de trois minutes ils sont prêts à s'habiller et sont parfaitement heureux. Je ferai cela plutôt que dire : «Voulez-vous aller en Californie? Si vous ne voulez pas y aller, alors ne vous habillez pas. » On ne peut facilement réarranger un voyage lointain. Si la sortie n'est pas d'une importance capitale et que vous êtes disposé à l'annuler, vous pouvez dire à l'enfant : «Eh bien nous ne sommes pas forcés d'y aller. Si tu ne veux vraiment pas y aller, restons à la maison. » On pourrait, bien sûr, toujours les attirer avec une glace au chocolat ou un nouveau jouet, mais nous leur enseignerions alors à soudoyer, à nous faire chanter, à nous rançonner : « Bon, maman, achète-moi mon nouveau skate-board, sinon c'est papa qui va en subir les conséquences. » Ne dites non que si vous êtes prêt à donner suite. Si vous savez que vous ne donnerez pas suite, ne le dites pas et remettez-vous-en à des faux-fuyants ! Car une fois que vous avez établi des limites fermes et qu'ils
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vous ont eus, ils ne vous croiront plus jamais ; pour certains enfants, une seule fois suffit. Ils pourront respecter votre autorité, parce que vous êtes plus grand, plus fort, et que vous pouvez les priver de choses qu'ils aiment ; mais ils ne vous respecteront plus. Alors, maintenez les limites établies. Si vous avez dit non de façon impulsive, vous devriez vous y tenir, pour que les enfants sachent qu'ils peuvent se fier à vous, que vous êtes dignes de confiance et qu'on peut se fier à votre parole. Avant que vous ne vous en doutiez, ils auront une petite amie, conduiront et iront dans un centre commercial avec des copains : il serait bon, à ce moment-là, qu'ils puissent avoir confiance en votre parole. J'estime qu'on devrait mettre la menace d'une punition à exécution uniquement si l'enfant a vraiment dépassé les limites. Mais nous devons nous assurer que la menace est adaptée aux circonstances. Bien sûr, il est préférable de faire régner la discipline sans avoir recours aux menaces ainsi qu'à leur exécution, d'autant que celle-ci s'avère parfois extrêmement compliquée. Mais si nous menaçons, il faut aller jusqu'au bout. Nous pouvons certes nous excuser après avoir proféré une menace sous le coup de la colère et décidé, plus tard, que ce n'était pas approprié. Il serait alors préférable de ne pas menacer du tout. Pensez-y donc. N'agissez pas impulsivement ou aveuglément, sans prévoir les implications et les conséquences. Ne proférez pas de menaces à long terme, du genre : « Pas de glace pendant un mois. » Il nous est déjà difficile de nous en souvenir pendant toute une semaine, alors un mois ... c'est à peu près impossible. Si nous disons : « Pas de baignade pour une journée », ou deux, ou trois, passe encore. Mais si cela doit durer plus longtemps, nous allons oublier et nous amollir, car nous nous sentirons désolés pour l'enfant. Nous pour-
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rons nous dire : «J'étais fâché contre lui, c'est une punition trop dure ... », et nous trahirons notre parole. La discipline devrait, si possible, s'appliquer immédiatement, afin que l'enfant sache à quoi elle se réfère. Les enfants ne comprennent pas pourquoi ils sont punis deux semaines plus tard : cela entraîne de la confusion. Je parle évidemment ici de jeunes enfants. Un adolescent de quinze ou seize ans a une notion du temps différente de celle d'un enfant de trois ans. Ne dites jamais : «Bon, je pars ; si tu ne veux pas venir avec moi, reste ici ! » Ne quittez jamais votre enfant ainsi. Jamais ! Vous devriez faire marche arrière et cela ne servirait pas 1'enfant : vous lui fourniriez un levier névrotique contre vous. Il faut tenir votre parole. Évidemment, si vous êtes à la maison et lui commandez de rester dans sa chambre tandis que vous êtes à la cuisine, ce n'est pas la même chose que de partir faire les courses ou vous promener dans un parc, loin de la maison. Un enfant est terrifié à l'idée d'être abandonné par ses parents. Vous pouvez vous éloigner à une certaine distance et dire : « Allez, viens ! » ; presque toujours, il accourra à toutes jambes pour vous rejoindre. Bien sûr, il se montrera parfois têtu et voudra savoir jusqu'où vous allez. Dans un cas semblable, je dirais quelque chose du genre : « Bon, je voudrais que tu marches parce que tu es trop lourd à porter partout. » Généralement, il coopère. S'il n'a que deux ou trois ans, je le prendrai dans mes bras et le porterai. Si l'adulte reste patient et calme, s'il ne se montre pas abusif et demeure dans 1'amour, il est très rarement nécessaire d'avoir à exécuter les menaces après avoir expliqué aux enfants les conséquences. Mais, je Je répète, ne les quittez jamais comme si vous alliez vraiment les abandonner.
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Si possible, il est préférable de toujours laisser une porte de sortie aux enfants. Ainsi, s'ils demandent à être portés, nous pouvons dire : «Tu marches jusqu'à tel endroit et ensuite je te porterai. » Il est utile de savoir négocier avec eux. Donnez-leur la chance de sauver la face, pour s'ajuster à une exigence parentale. Sinon, vous aurez bien des batailles sur les bras, ou un enfant très névrotique qui ne s'adapte pas au changement. Vous pouvez négocier avec eux, mais pas revenir sur votre parole. Entraînez vos enfants à se sortir élégamment d'une situation qu'ils n'ont pas vraiment désirée. La durée d'attention des enfants est limitée : un moment ils se montrent défiants et quelques minutes plus tard ils sont tout autres. Nous devrions donc leur fournir une chance de se tirer d'embarras sans qu'ils se sentent mal et sans qu'ils soient punis.
Établissez des limites sans porter de jugements de valeur Il peut être malaisé d'enseigner aux enfants ce qui est approprié et ce qui ne l'est pas sans se référer aux concepts de bien et de mal et sans les encombrer de morale plutôt que de faire appel au bon sens et à la réflexion éclairée. Il existe cependant des moyens d'y parvenir. Supposons qu'un enfant se montre d'humeur exécrable au dîner et que nous sachions très bien qu'il joue la comédie. Nous pouvons dire : «La table n'est pas un lieu approprié pour ce genre de manifestation. » Ils en demanderont certainement la raison et nous pourrons leur répondre : «Parce que la table est l'endroit où tout le monde se réunit pour manger et jouir de la compagnie des autres, et cette manifestation dérange bien des gens. Si tu étais seul à table avec moi,
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peut-être pourrais-tu le faire, ce serait acceptable. Mais tu n'es pas seul, il y a d'autres personnes. Tu dois prendre en considération les circonstances et les gens avec qui tu es. » Je n'utiliserais pas ce discours avec des enfants, car il fait un peu trop adulte et prêchi-prêcha; mais l'important est que nous puissions adapter notre discours aux circonstances, ne jamais le fonder sur les notions de bien et de mal ou dire aux enfants qu'ils sont bons ou mauvais. Nous parlons de leur comportement, pas de ce qu'ils sont essentiellement en tant qu'êtres humains. Dans la même veine, certaines personnes font respecter une discipline à leurs enfants, mais le ton de leur voix anéantit ses bienfaits, car il diminue, abaisse et humilie. Je n'encourage pas l'usage d'un ton qui leur fasse sentir qu'ils sont mauvais. D'autres personnes ne disent rien - et c'est probablement la meilleure attitude -, mais en matière de discipline il est souvent nécessaire de dire quelque chose.
Les limites fondées sur le protocole Les enfants doivent apprendre à s'adapter aux circonstances, y compris aux règles appliquées dans divers contextes. Nous nous efforçons - du moins je rn' efforce - de prendre en considération le protocole de la situation. Bien des adultes sont terrifiés à l'idée de dire non à leurs enfants, craignant de les priver de quelque chose. Quand ceux-ci comprennent combien il leur est facile de dominer leurs parents, ils le font : non par goût, mais parce que, dans le cadre de leurs expériences sur les limites, ils tiennent pour acquis que ce qu'ils peuvent faire est juste. Un enfant ne va jamais supposer que le parent est faible ou fautif. Cela lui 210
deviendra évident plus tard - trop tard, car il sera alors devenu dominateur et manipulateur, et ce dans toutes les situations . Il arrive par exemple qu'un enfant, à l'occasion d'un dîner formel, s'approche de la table ou des plateaux et se mette à se goinfrer de petits canapés. Nombreux sont les parents qui ne savent pas dire non, parce que chez eux il peut manger n'importe quoi n'importe quand. Mais on ne se comporte pas de la même façon à un banquet de mariage ou avec un vendeur de hot-dog dans la rue, du moins je l'espère. Voici un meilleur exemple. Supposons qu'un enfant fasse im1ption dans une pièce où a lieu une discussion particulière. S'il peut y évoluer sans déranger la discussion, pas de problèmes. Sinon, nous lui dirons : « lei, la discussion a la priorité ; tu peux rester si tu respectes cela. Sinon, tu dois aller jouer là où tu pourras crier et où ça ne dérangera personne. Je ne veux pas que tu restes ici où tu n'es pas libre de jouer à ton aise et où je dois t'empêcher de t'amuser comme tu l'entends. Si tu veux rester ici, telle est la règle. Si tu ne veux pas, allons jouer ailleurs. » Très souvent, pour bien des raisons, 1' enfant préférera rester et apprendra ainsi à respecter les limites de cet espace. Nous pouvons également dire quelque chose du genre : « Ici, ce n'est pas chez nous et nous ne faisons pas les règlements. Il est très important pour toi d'apprendre qu'il faut le plus souvent respecter les règles des autres. » Mais nous préférons en général qu'un enfant apprenne à respecter l'espace des autres en nous observant plutôt que grâce à des efforts de rhétorique. Au début, bien sûr, on peut commencer l'apprentissage en établissant des limites appropriées. Une fois ces limites fixées, si nous les observons, ils le font d'eux-mêmes. [On trouvera ici quelques exemples précis de limites en différentes occasions. Je ne prétends pas à l'exhaustivité; il s'agit simplement de montrer comment on 211
peut appliquer quelques-uns des pnnc1pes généraux mentionnés jusqu'ici.]
À table Au cours de ses deux premières années, un enfant ne devrait pas être tenu de demeurer à table. S'il désire sortir, un adulte peut l'accompagner. Dès que les enfants sont capables de s'exprimer, à deux ans ou deux ans et demi, nous pouvons leur dire : «J'aimerais m'asseoir un petit moment à table avec tout le monde et le mieux est que tu restes ici avec moi ; mais tu peux aussi jouer dans la cuisine où je peux te surveiller, ou apporter ta boîte de jouets ici et jouer. Mais je veux voir nos invités, car je ne les ai pas vus de la journée. J'ai été avec toi tout la matinée ; tu peux me laisser m'asseoir à table.» On lui dit ce qui est adapté aux circonstances. Je ne passerais pas mon temps à quitter la table, mais tout dépend de 1'enfant et des circonstances. Quand nous étions en visite, lorsque j'étais enfant, dès que le dîner était terminé je quittais la table, je ne restais pas soixante secondes de plus, et on me le permettait. Je n'étais pas du tout sociable. Mais après avoir pris l'exemple de mes parents, tout a changé :je savoure les échanges à table, même longtemps après la fin du repas. Les échanges sociaux autour des repas font partie de la culture de plusieurs familles : le temps du dîner et la compagnie des convives représentent quelque chose de spécial. J'estime que le dîner devrait être un moment de communion douce et intime, et que les enfants devraient découvrir eux-mêmes que« c'est à table que ça se passe ». S'ils choisissent de demeurer à table et de participer aux échanges, on ne devrait pas constamment les réduire au silence. Laissons-les faire à leur niveau. Petits, ils préfèrent jouer le plus souvent : s'ils 212
dérangent, il n'est pas nécessaire de les garder à table. Comme «c'est à table que ça se passe», leur demander de quitter la table revient à leur demander d'abandonner la source nourricière, ni plus ni moins. Ils peuvent saisir l'occasion d'aller jouer, mais au bout d'un moment ils réalisent que la source nourricière est à table. Nous ne pouvons guère expliquer ces choses aux enfants et ils n'ont certainement pas envie d'écouter d'incessants sermons. Mais comme ils sont très sensibles, cela leur permettra de tirer leurs propres conclusions. Pour un enfant qui devient trop turbulent et dérangeant, qui veut capter toute 1'attention, quitter la table est une discipline nécessaire. On peut dire : « Si tu ne peux rester à table avec tout le monde en étant agréable, tu peux quitter la table. » On ne dit pas : « Tais-toi ou sors ! » On ne devrait pas écraser 1'enthousiasme d'un enfant, mais si cela conduit à des débordements, on devrait 1'inviter à exercer son exubérance un peu plus loin. Ma stratégie consiste à expliquer pourquoi les choses sont ce qu'elles sont et non de faire de l'enfant une mauvaise personne parce qu'il doit quitter la table. Ce dont il est question, c'est évidemment du protocole de la circonstance. Au lieu de dire à l'enfant qu'il est méchant, dites-lui que les gens aiment converser à table, tout simplement. C'est certainement un mode de communication beaucoup plus plaisant que de porter de sévères accusations envers un enfant qui est seulement un peu déplaisant. « Déplaisant» inclut le fait d'être de mauvaise humeur. N'accusez pas l'enfant d'être méchant ou affreux. Surveillez votre langage. Après tout, nous aussi sommes parfois irritables et cela n'implique pas que nous soyons mauvais : nous traversons simplement un accès de mauvaise humeur. Il est important de traiter les enfants à table comme 213
des adultes. Si on les oblige à rester, ils ne voudront jamais. On devrait les inclure dans la conversation, puisqu'ils sont à table et ont des choses intéressantes à dire. Tous les enfants ont des choses intéressantes à dire. Si nous ne trouvons pas leur conversation intéressante, c'est nous qui avons un problème. Quand nous parlons, au lieu de regarder seulement les adultes, nous devrions aussi regarder dans la direction des enfants et les inclure dans la conversation, de façon à ce qu'ils se sentent bienvenus à table. Savoir qui établit la discipline à table (l'un des parents ou un autre adulte) est une question de circonstances. La patience devrait toujours donner le ton à nos échanges avec les enfants, même si nous sommes d'un naturel impatient. Mais chacun doit user de son propre jugement pour décider quel genre de comportement est excessif et si une situation exige la simple patience et la parole douce, ou si elle a dégénéré au point qu'il devient nécessaire de négocier et de conclure une entente. Il nous arrive cependant de discipliner nos enfants trop vite, ou alors pas assez. Mais finalement, c'est ainsi qu'on apprend. Quand il y a plusieurs enfants à table, frères, sœurs et amis, et que l'un d'eux domine la conversation, soit en parlant fort soit en monopolisant la parole, nous pouvons dire : « Tu sais, Jean aimerait aussi dire quelque chose. Tu pourras poursuivre après que d'autres auront parlé. » Les enfants imitent toujours les adultes, pour quoi que ce soit: si nous essayons d'atteindre le sel à l'autre bout de la table, hurlons à l'adresse de quelqu'un assis de l'autre côté et parlons la bouche pleine, ils feront de même. Une fois l'habitude prise, elle demeure habituellement pour la vie ; plus tard, il faut déployer de grands efforts pour la briser. 214
Au lit Normalement, les enfants adoptent facilement des habitudes de sommeil. Nous commençons par les mettre au lit à huit ou neuf heures, et ils gardent cette habitude pendant plusieurs années, sauf lorsqu'ils sont trop excités par les soirées d'adultes auxquelles ils participent. Ils restent alors éveillés jusqu'à une heure ou deux du matin, car ils se branchent sur l'énergie et se laissent emporter. Après avoir acquis une routine, ils ont tendance à demeurer très réguliers, sauf quelques exceptions naturelles. Lorsqu'il est plus âgé, je laisse un enfant jouer seul s'il ne peut dormir. Il y a quelques années, nous sommes allés en Inde et trois des fillettes du voyage avaient cinq ans. À deux ou trois reprises, elles ne purent trouver le sommeil alors que nous-mêmes étions épuisés d'avoir marché entre quinze et vingt-cinq kilomètres et par tout ce que nous avions fait dans la journée. Je les laissais jouer dans la chambre jusqu'à ce qu'elles aient envie de dormir, à onze heures, minuit ou même une heure, la seule restriction étant 1'interdiction de sortir seules de la chambre. Cela fonctionnait merveilleusement bien. Les enfants sont très responsables quand on leur fait confiance sur quelque chose qu'ils peuvent gérer. Il est utile que l'adulte participe à un rituel de mise au lit avec les enfants, comme leur raconter ou leur lire une histoire, jouer à quelque chose avec eux. Mais ne dépassez pas trop 1'heure, même si 1'histoire est bonne, tout en étant capable de faire exception à 1'occasion.
Règles sociales en public Pour les adultes qui manquent de confiance en eux et ne pensent qu'à eux-mêmes, le comportement habituel avec les enfants semble indiquer que tout ce qu'ils peuvent faire en dehors de « rester assis et en silence » va 215
déranger les autres. Le vieux refrain : « Les enfants, on devrait les voir et non pas les entendre » est l'héritage d'une culture terriblement archaïque, rigide, patriarcale et négative à l'égard des enfants. Ce n'est pas une bonne ligne de conduite pour les éduquer de façon lucide. À mon avis, la véritable culture est rare dans le monde moderne : il faut donc que cela commence ici, avec nos enfants. Si nous allons au cinéma avec un petit enfant, par exemple, nous pouvons lui permettre de poser des questions sur ce qu'il ne comprend pas ; si les voisins sont excédés, ils changeront de place. Je suis allé dans de nombreuses salles de cinéma où les enfants criaient et parlaient ; si cela me dérangeait trop, je m'éloignais. Car les enfants sont des enfants ! On ne peut attendre d'eux qu'ils n'en soient pas, on ne devrait pas les forcer à agir comme de petits adultes. Il est vrai que bien des couples sortent pour être ensemble sans leurs enfants, pour avoir un peu de calme, il peut donc sembler injuste de leur imposer nos enfants. Mais tout dépend si ceux-ci agissent innocemment, s'ils font du bruit pour attirer l'attention ou jouent à contrôler les parents (même si cette habitude est devenue inconsciente). Quand ils posent une question, on y répond, qu'elle ait été chuchotée ou parlée. Il ne leur est pas nécessaire de hurler et nous pouvons leur demander de chuchoter. Mais combien de temps peuvent-ils se souvenir de quelque chose de ce genre ? Trente secondes ? Nous pouvons donc leur dire à chaque fois : « Demande-moi, mais parle plus bas, pour ne pas déranger les autres. » Paniquer et dire d'une voix sèche à l'enfant de ne plus parler n'est pas payant, même si les voisins apprécient. Si vos enfants agissent innocemment, laissez-les continuer. Mais si les voisins ne le voient pas du même œil, vous avez toujours la possibilité d'aller vous 216
asseoir là où on ne les regardera pas comme des marmots pourris gâtés. Qu'est-ce qui est le plus important : le développement de votre enfant ou le fait qu'un inconscient ne puisse supporter son comportement naturel ? Bien sûr, il peut parfois être plus approprié d'aller parler avec 1'enfant à l'extérieur pour lui laisser dire ce qu'il a à dire. Comme toujours, tout dépend des circonstances. Le comportement responsable et mûr est celui qui consiste à reconnaître que les autres existent, et que les circonstances imposent une forme de respect. Je ne suggère certainement pas d'être insensible aux préférences des autres et d'être aussi égoïste qu'eux : «C'est mon enfant et il peut faire ce qu'il veut. » Pas du tout! Évidemment, si l'enfant s'ennuie et ne désire pas suivre le reste du film, s'agite et commence à faire du bruit, il est juste de sacrifier votre désir personnel de regarder le film et de sortir jouer avec l'enfant. Au milieu du xx< siècle, un gourou indien allait au cinéma avec ses élèves et sortait toujours (avec eux) juste au moment où tout le monde commençait à être captivé par le film (et tenait à voir la fin). On peut laisser les enfants faire un peu de bruit au restaurant : après tout, ils ont le droit d'être excités à l'occasion d'un événement spécial ! Certaines personnes s'offusquent de ce qu'un enfant observe les gens assis à une autre table. Ces gens sont pris dans leur propre marécage de négativité et de haine envers eux-mêmes ; avec ou sans « aide », ils y restent. Il faut avoir pitié d'eux (avec compassion, bien sûr), et comprendre que dans les lieux publics nous sommes souvent en contact avec des gens pour qui les enfants semblent ne pas exister. Nous donnons des coups de pied aux cailloux et nous ne nous en soucions pas, n'est-ce pas? Pour la plupart des gens assis à côté de nous au restaurant, les enfants sont de simples cailloux. Impossible de raisonner avec de telles personnes. Il est donc préférable de 217
ne pas soumettre les enfants à leur colère et à leur intolérance. Il n'est pas nécessaire pour autant de déranger inutilement les gens. On ne devrait permettre à aucun enfant d'être turbulent au point d'interférer, voire même détruire l'atmosphère environnante. Rappelezvous que la maison avec sa culture et le restaurant avec la sienne, plus formelle, sont des lieux différents. Nous devrions accorder aux enfants l'espace pour s'enthousiasmer et se laisser un peu aller à des comportements de leur âge. Après tout, le serveur ou la serveuse reçoivent justement un pourboire pour essuyer la table quand un enfant renverse accidentellement du jus de fruits. Un enfant de quatre ans peut se comporter comme un adulte dans un restaurant chic, mais seulement en réprimant sa nature d'enfant de quatre ans. Ne l'emmenez pas là où on attend de lui qu'il soit autre chose que ce qu'il est. Le prix qu'il paye est trop élevé. Chaque espace particulier nous impose des responsabilités sociales particulières. Si nous emmenons notre enfant à l'épicerie, il est de notre responsabilité de veiller à ce qu'il ne coure pas dans les allées en jetant par terre tout ce qu'il peut saisir. C'est tout. Il ne s'agit pas de le réduire au silence et de le bâillonner de notre main pour qu'il ne dérange pas quelqu'un en parlant. Comme l'a dit Jim Morrison, les gens sont étranges et, où que l'on se trouve, quelqu'un risque de s'offusquer de quelque chose ! Nous devons protéger l'enfant et, comme il a déjà été dit : on peut parfois plaire à quelques personnes, mais on ne peut plaire à tout le monde tout le temps. Nous ne devrions pas nous attendre à ce que notre enfant plaise à tout le monde tout le temps. Après tout, il devrait être évident que nous n'y arrivons pas nous-même, même si notre psychologie tordue nous force à essayer. Il est dans la nature des enfants de pousser des cris aigus, de chanter et de pleurer. Les gens qui vont dans 218
des lieux publics, où ils sont susceptibles de rencontrer des enfants, devraient comprendre que ce sont des enfants. Aucun adulte ne devrait s'aventurer là où l'on trouve des enfants, à moins de consentir au délice du bruit qu'ils font. Je parle, bien sûr, d'un niveau de bruit raisonnable. Les enfants sont pleins d'énergie ; nous n'avons pas à en faire des poupées qui émettent un son uniquement quand on le leur demande. Il nous incombe en revanche de veiller à ce qu'ils ne mettent pas l'épicerie sens dessus dessous. L'adulte doit aider l'enfant à définir sa responsabilité par rapport à son environnement. Il devrait y avoir un temps où les enfants peuvent faire tout le bruit qu'ils veulent, et un autre où la tranquillité est de mise. Il ne s'agit pas de dire aux enfants de garder le silence, mais de les aider à reconnaître les circonstances et les réponses appropriées. Plus ils apprennent à reconnaître une large palette de circonstances, plus ils apprennent à «changer de vitesse» rapidement et en douceur, et plus, devenus adultes, ils seront en mesure de gérer la vie de façon détendue et adroite. Mais si papa frappe son enfant en disant : « Encore un mot et ton compte est bon», je dirais qu'il n'agit de manière responsable ni envers 1'environnement ni envers 1'enfant. Combien d'entre nous, si nous examinons notre passé, se sont fait enseigner les bonnes manières ? Mais cela avait rarement quelque chose à voir avec un discernement objectif. Nous avons donc appris que les hommes traitent toujours les femmes de telle manière, ou que les femmes traitent toujours leur mari de telle manière. Ou on nous a appris que « les petits garçons sont toujours ... » ou que « les petites filles font toujours ... », bref le b.-a.-ba du «tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil». Tout dépend des circonstances. À 1' intérieur de la maison, si les enfants font trop de bruit, nous pouvons leur dire que c'est le genre 219
de bruit qui convient à 1' extérieur et ils comprennent. Nous devons voir quand vient le moment de dire : « Ici et en ce moment, telle chose est déplacée, mais si vous voulez sortir de la chambre ... » C'est ainsi qu'ils apprennent, en plus de 1' exemple que nous leur donnons, bien sûr, ce qui demeure 1' enseignement le plus puissant.
Dans les espaces sacrés Dans des occasions très solennelles, la ligne directrice est : l'enfant dérange-t-il? Il ne s'agit pas de savoir si nous pensons, ou si l'enfant pense, qu'il dérange ou que les autres sont affectés. Les parents s'identifient souvent à l'impression que va donner leur enfant. Dans des circonstances solennelles, ils sont tellement terrorisés - le moindre écart de conduite de leur enfant risquant de rejaillir sur leur image - qu'ils le surveillent comme des faucons. Cela provoque toujours de l'agitation et crée une atmosphère irréelle, ajoutant une tension extrême entre les parents et 1'enfant. Ne culpabilisez pas vos enfants et ne les impliquez pas dans vos propres insécurités, vos fantaisies et vos névroses. Quelle est la véritable situation ? Si 1'enfant tourne autour de son père ou de sa mère ou grimpe sur lui , cela peut exiger beaucoup d'énergie de la part de ce dernier, mais ne crée pas nécessairement un dérangement dans l'espace. C'est quelque chose que je permettrais. Il s'agit de déterminer ce qui crée vraiment un dérangement dans 1' environnement, et non dans notre mental suspicieux. Voilà où il faut diriger l'attention. Dans une occasion solennelle, je ferais comprendre à 1'enfant qu'il serait bien d'être attentif pendant le récital , par exemple. Mais je ne forcerais rien, à moins que 1'enfant ne se roule sur six personnes, donne des coups de pied à qui n'en veut pas ou dérange de façon 220
évidente toute 1' atmosphère. Évidemment, si j'emmène un enfant dans une célébration très formelle et ritualisée, je tâcherai de m'asseoir en périphérie et non en plein centre de l'attention. La sécurité et le sacré influent sur l'établissement des limites. Si vous croyez que l'enfant a toutes les chances d'être turbulent, asseyez-vous à l'arrière ou près de l'allée, de façon à pouvoir vous éclipser facilement. Les enfants recherchent 1'action. Les rituels touchent plusieurs niveaux de leur conscience, mais leur niveau énergétique de petit enfant qui veut jouer reste inchangé. Si vous leur dites : « Nous allons sortir si tu ne peux pas rester tranquille », ils veulent presque toujours rester. Mais vouloir rester et se calmer de façon à pouvoir rester sont deux choses bien différentes. Demeurer complètement tranquille est très éprouvant pour un enfant. Il arrive toujours un point où, malgré son désir de rester, il préférera se trouver dehors en train de jouer et il le fera sentir. À ce moment-là je n'essaierais pas de le forcer par l'argumentation, encore moins par la menace. Bien sûr, si les gens étaient plus sensibles aux enfants, ils accepteraient généreusement de voir leur espace sacré quelque peu envahi par eux. La plupart des adultes sont beaucoup trop égoïstes pour permettre aux enfants de ricaner ou chuchoter un peu ; les enfants ne bénéficieront donc pas d'un combat psychique ou verbal sans importance mené en leur nom. Je les emmènerais dehors et laisserais les adultes offensés macérer dans leur petit jus, qu'ils en soient conscients ou non.
Agir de façon responsable signifie pouvoir reconnaître, en toute circonstance, ce qui est approprié, et sacrifier nos préférences rigides de façon à agir selon 221
l'intelligence de la situation générale. Ce principe transcende toutes les limites. Il est très utile aux enfants d'apprendre à respecter les espaces, d'apprendre que chaque espace a ses caractéristiques et sa raison d'être et qu'une personne sage - un adulte sage - sait être sensible et respecter les différents espaces, sait «se mettre au diapason de 1'espace tel qu'il se présente à lui ». Tout est question de circonstances dans une culture où tout événement est perçu exactement pour ce qu'il est, sans attente subjective, sans projection. Quand on ne reconnaît pas les événements pour ce qu'ils sont et qu'on n'en discerne pas les différentes textures, on aborde tout selon la même attitude rigide et ce n'est pas juste. C'est cela qui amène les ënfants à étouffer leur sensibilité, leur discernement, le raffinement de leur goûts et leurs particularismes. Les limites et la discipline doivent dépendre de notre capacité de reconnaître la vérité de chaque circonstance telle qu'elle se présente au moment où elle se présente. Cela ne peut jamais être une action valable à tous les niveaux et une fois pour toutes !
Faire face à l'insatisfaction des enfants La plupart des enfants sont insatisfaits de quelque chose dans leur vie : 1'herbe est toujours plus verte dans la cour du voisin (il peut y avoir du vrai dans les vieux clichés). Les enfants qui se plaignent d'avoir à vivre dans un milieu qui n'est pas totalement saturé de jeux vidéo, de télévision, d'avidité et de compétition, et d'avoir à entendre les adultes discourir sur la « conscience », ne sont pas différents de ce que nous étions. La plupart d'entre nous nous plaignions de notre milieu, alors que 222
nous VIVIons comme nos enfants prétendent vouloir vivre. Enfant unique, plutôt gâté, j'ai fait la même chose et j'ai rouspété autant que quiconque. Rétrospectivement, je peux dire que je jouissais d'une situation familiale très enviable (mes parents étaient très doux, ils me criaient rarement après et leurs exigences étaient très justes, comparées à celles des familles de mes amis) ; mais cela ne rn' empêchait pas d'ergoter et de vouloir d'autres choses, comme du chocolat et du Coca-Cola tout les jours, gourmandises qu'on ne me permettait qu'occasionnellement. Les parents ressentent un pincement quand leurs enfants leur demandent : « Pourquoi devons-nous vivre ici ? » ou encore : « Pourquoi ne puis-je pas être comme tous les autres enfants ? » Pourtant, où que nous vivions et quoi que nous fassions, ils revendiqueront : « Pourquoi ne puis-je pas avoir un chien ? » ou quoi que ce soit d'autre qu'ils n'ont pas et dont ils se sentent privés. Si nous répondons : « Écoute, nous vivons dans un appartement, qui est tout ce que nous pouvons nous permettre, et le règlement interdit les chiens », ils rétorqueront : « Pourquoi ne déménageons-nous pas ? » Il peut être difficile de tracer des limites intelligentes et de s'en tenir à nos principes quand il n'y a que décadence et chaos autour de nous. Mais pour le bien de notre enfant - pour sa santé physique et mentale, pour 1'équilibre de sa personnalité - nous nous devons de «garder le cap», comme hurle le capitaine à ses matelots au milieu de la tempête. Il est crucial que nous puissions montrer à nos enfants que nous les aimons assez pour leur offrir autre chose que 1'horreur et les sévices habituels qui tiennent lieu de vie familiale dans le monde moderne. Ils peuvent peut-être souhaiter vivre n'importe où ailleurs (à cause du milieu social ou de je ne sais quel égoïsme),
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mais ça vaut la peine de les aimer assez pour leur offrir une autre vie : ils en apprécieront plus tard les bienfaits, qu'ils soient consciemment d'accord ou non au moment où ils grandissent. Aller à contre-courant leur transmet quelque chose d'important au niveau du ressenti. Bien des enfants nous verront aller à l'encontre du courant actuel d'une forme d'éducation dommageable et humiliante, à contre-courant d'un environnement qui porte à l'autodestruction et aux drogues, même si cela semble attirant pour un temps. Quand ils auront suffisamment grandi pour réaliser ce qu'ils ont acquis à travers nous, ils nous en seront extrêmement reconnaissants. Dans quinze ans, ils nous remercieront et nous loueront de les avoir éduqués avec un peu de conscience, de justice, de clarté et d'honnêteté, et de leur avoir offert une véritable relation.
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La violence envers les enfants tolérance zéro
L'épidémie Quiconque envisage d'élever des enfants doit absolument lire Alice Miller. La clarté nécessaire pour les éduquer correctement veut que nous fassions honnêtement face à notre propre labyrinthe psychologique. Quand je confronte ses idées avec ce qui se passe habituellement en société, je crois être victime d'hallucinations. Je vois effectivement, comme elle l'a exprimé si intelligemment et si passionnément, les gens soumettre leurs enfants à tant de violences que c'en est grotesque, et montre en outre combien ils sont incapables de voir la réalité. Cela m'a ouvert les yeux. Je n'avais aucune idée de l'étendue de la violence envers les enfants, sous une forme ou une autre, dans notre société. C'est réellement incroyable, et se situe aux antipodes de la consctence. Avez-vous remarqué ces parents qui maltraitent leurs enfants dans un magasin ? Celui-ci pleure, ils le frappent en disant : «Arrête de pleurer ou je vais te frapper pour de bon.» Comme il continue à se plaindre, ils le frappent à nouveau. Bientôt, l'enfant se recroqueville, tremblant et gémissant comme un chien 225
battu. La peur ne constitue pas un moyen de dissuasion juste pour contenir un enfant. Un jour, une femme s'est tournée vers son petit garçon- il devait avoir environ deux ans- et s'est mise à hurler qu' il était« une petite merde». Elle m'a ensuite regardé en souriant, sous-entendant par là qu'un autre adulte comprendrait son comportement et le tolérerait, ou serait d'accord pour penser que tous les enfants sont de parfaits enquiquineurs. Voilà le degré d'ignorance auquel nous sommes arrivés ! Pas étonnant que le monde soit si rempli de violence, de crimes et de dépravations : devenu adulte, un enfant maltraité doit inconsciemment percevoir tous les adultes comme ces personnes qui lui ont autrefois fait violence. Il est aujourd'hui inconfortable de se retrouver en société, compte tenu de la manière dont les gens traitent en général leurs enfants. Les innombrables faits de violence à leur encontre sont Je symptôme caricatural d'un malaise qui s'étend à la société tout entière, d'un monde devenu fou. La plupart d'entre nous sont des naïfs, ou alors ils ferment les yeux de honte pour ne pas voir l'horreur de cette pratique généralisée. Bien peu parmi nous ont échappé à la violence sous une forme ou une autre pendant leur enfance, y compris 1'humiliation verbale, la violence émotionnelle et physique. Bien peu d'entre nous sont prêts à reconnaître que la violence à 1' égard des enfants - appelons cela ignorance ou aveuglement, si vous voulez - constitue la maladie la plus pernicieuse de notre civilisation. Il est temps de cesser de faire 1'autruche, de sortir notre tête du sable. Nous devons nous engager à ne pas entretenir cette violence dans nos propres familles, à ne pas faire ce qu'on nous a fait. Il est bien possible que la survie même de 1'humanité en dépende. Pour des adultes suffisamment mûrs, au cœur déjà ouvert, la venue d'un premier enfant sera probablement
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1'occasion de leur offrir un traitement sage et sans violence. Mais souvent, les jeunes adultes sont égoïstes et ont le cœur fermé à double tour. Pour de tels adultes immatures, les enfants ne sont qu'une plume de plus à leur chapeau, un autre accomplissement, encore « un truc» qu'ils peuvent manipuler, dominer, exhiber, et dont ils peuvent se vanter. Impossible de dire à de tels adultes ce qu'ils doivent faire avec leurs enfants : papa est au boulot toute la journée et maman peut bien faire ce qu'elle veut avec ses gosses ... personne ne viendra lui reprocher quoi que ce soit. Maman sort avec ses copines et papa en profite pour bousculer 1'enfant sans qu'elle en sache rien. Bien des adultes ont un comportement secret, sombre et pervers vis-à-vis de leurs enfants, et cela conduit à des tragédies. Pour les femmes, l'enfant peut devenir l'ultime jouet à manipuler, le plus charmant objet lui permettant d ' être complimentée, une vraie poupée vivante. Pour les hommes, il constitue souvent une flèche de plus dans leur carquois de masculinité, de pouvoir. Quand un homme déclare : « C ' est mon enfant», il faut en fait traduire par : «J'ai une queue. » (Comme si cela n' était pas déjà évident, franchement. Ce devrait l'être, si l'on en juge par les dix premières années passées à presque l'arracher avec sa main. Heureusement qu'elle est bien attachée, je vous jure !) Certains d'entre nous sont sortis de 1'enfance en bonne santé, mais beaucoup (la plupart, en fait) n'ont pas eu cette chance. Nous sommes les exemples ambulants de la banalisation de la violence envers les enfants. Je crois en l'adage : «Si vous ne faites pas partie de la solution, vous faites partie du problème. » (C'est une déclaration que vous avez peut-être vue entourée de fleurs et de beaux oiseaux sur 1'un de ces posters qui pullulent dans les magasins new age.) Et c'est vrai ! Ne pas faire face à la prolifération et à la 227
banalisation de la violence dans notre civilisation constitue un sérieux péché d'omission. Ne pas travailler à son éradication, c'est soutenir sa propagation. Cela doit cesser si nous voulons éviter la destruction complète de notre civilisation. La plupart des gens ne se donnent même pas la peine d'essayer de corriger leurs erreurs et la violence qu'ils ont infligée à leurs enfants. Soit ils nient totalement soit ils concluent : «Ce qui est fait est fait. C'est trop tard ; passons à autre chose ... » Ils font comme si tout allait bien, en espérant que tout restera confortablement caché dans le placard et ne surgira pas tout à coup pour venir les sortir de leur torpeur. On ne s'en sort pas si facilement. Il n'est pas juste de négliger aujourd'hui les devoirs que nous avons envers nos enfants en refusant de faire face à ce que nous avons subi. Si nous ne regardons pas en face les mauvais traitements qu'on nous a infligés, il est à peu près certain que nous les infligerons à nos enfants. Peut-être ne perpétrerons-nous pas ces crimes en usant de la même violence (dans bien des cas, elle sera plus subtile), mais nous le ferons . Il suffira que les circonstances soient propices, que la pression monte, que nous finissions par craquer pour nous transformer en de véritables tortionnaires. C'est possible! Un bon nombre d'entre nous le seraient déjà (si ce n'est le cas en ce moment) s'ils n'avaient eu recours à l'avortement à quatorze, quinze, dix-neuf, vingt-trois ans, ou par chance, parce qu'ils n'ont pas réussi à mettre une fille enceinte ou que celle-ci n'est pas tombée enceinte avant d'être assez mûre pour faire face aux conséquences. Pour moi, la vie consciente ne consiste pas en une sorte de relation sentimentale, romantique et aveugle avec les réalités de nos motifs névrotiques. Il faut devenir, de pied en cap (dans notre personnalité, notre
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psychologie et nos sensibilités), des être humains élégants et sages, pleins de dignité et de compassion pour nous-mêmes et pour les autres. Dès avant sa naissance, passés les premiers mois, un fœtus apprend la cruauté ou la gentillesse ; la violence peut démarrer dès ce très jeune âge. À l'origine, il peut y avoir l'attitude de la mère envers le fœtus ou le son de la voix du père qui vocifère contre la mère. Il n'est donc jamais trop tôt pour reconsidérer notre discernement, ou notre conscience de nous-même, et pour nous atteler à un vrai changement de perspective.
Comment les enfants perçoivent la violence à leur égard Un enfant victime de maltraitance considère toujours que c'est de sa faute. Il ne peut concevoir qu'un adulte le torture de façon arbitraire : il en arrive à la conclusion qu'il le mérite, qu'il est foncièrement mauvais ou qu ' il a fait quelque chose de vraiment épouvantable. C'est ainsi que l'enfant concevra une image de luimême tissée d'humiliation , d ' insécurité et d ' autodépréciation, image qui pourra demeurer toute sa vie. Une mère ou un père bat son enfant. Au début, 1'enfant panique : son instinct de survie est sollicité, car il considère que son existence est en danger. Si 1'enfant accepte la violence parce qu'il croit en être la cause, il pense que les parents lui permettront de continuer à être leur enfant, de demeurer dans la famille. Tel est le mécanisme. Il n'entre pas dans son entendement qu'un être aimé puisse faire ce qu'il lui fait, à moins qu'il (l'enfant) ne soit fautif. C'est la seule conclusion à laquelle peut parvenir un jeune enfant. En revanche, si la violence commence à l'âge de douze ans (l'œuvre d'un beau-père, d'une belle-mère ou d'un professeur 229
vicieux, par exemple), alors que la personnalité de l'enfant est déjà formée, celui-ci a la capacité de comprendre que la violence appartient à l'adulte, non à lui-même. Les enfants ne jugent pas le comportement en termes de bon et mauvais : ils ne tracent pas de tels clivages moraux. Pour un bébé, il n'y a ni bon ni mauvais. Si on le frappe, il ne ressent que de la douleur, il ne raisonne pas : « Papa est mauvais, maman est mauvaise », mais a le sentiment d'être la cause ou la source de cette expérience. Nous avons probablement tous entendu des histoires d'enfants terriblement négligés et maltraités, mais qui ne veulent pas quitter les parents qui les maltraitent. Ils aiment leur maman et leur papa ! Il existe des cas où les enfants sont continuellement battus, traités de manière vraiment épouvantable. Quand l'assistante sociale arrive et leur annonce qu'elle va les envoyer dans une famille gentille, les enfants refusent de partir. Ils sont certes maltraités, mais leur famille est la seule réalité qu'ils connaissent et ils y sont très attachés : ils sentent qu'ils appartiennent à cette famille, même si elle est sordide. En grandissant, il arrive même que nous oubliions la violence qui a pu nous être infligée dans notre enfance. Nous avons seulement une vague sensation de «malaise». Quand quelqu'un parle de notre père, aussitôt nous le défendons : « Oh ! il était très bon pour moi, il m'aimait. Il n'a fait que ce qui était bon pour moi. » Pourtant, quelque chose nous travaille à l'intérieur : il y a quelque chose d'autre dans la profondeur, mais nous nous rappelons uniquement combien il y avait d'amour, même s'il faut fantasmer pour tout blanchir, même s'il faut tout inventer. Pourquoi se donner du mal à se souvenir du reste? C'est trop atroce. Même dans les pires familles, de bonnes choses peu230
vent parfois arriver, comme lorsque nous a été donné le rôle principal dans la pièce de théâtre de la classe de Terminale. Ah, comme nos parents étaient fiers de nous ! Comme c'était formidable ! «C'est mon enfant ! », avons-nous entendu notre père dire à la personne assise à côté de lui, dans la quatrième rangée. Alors, peu importe tout ce qui se passait par ailleurs au sein de la famille, certains faits suffisaient à nous convaincre que c'était une bonne famille, un environnement plein d'amour. Il y avait là une forme de gratification : nous pouvions prétendre être des personnes confiantes, utiles, fortes , satisfaites, positives, désirées, et prétendre que nous apportions une contribution positive. Voilà ce qu'on appelle l' ignorance aveugle, qui est au cœur du mandala de la dénégation psychologique. Où cela commence-t-il ? Directement aux niveaux élémentaires. Cette ignorance est au cœur de l'ego : elle est le centre même de ce mandala, le mandala de 1'illusion. Ce n'est pas parce que nous n'avons pas gagné le prix Nobel que nous manquons d'estime personnelle. C'est parce que nous pensons être foncièrement mauvais, essentiellement tarés en tant qu'êtres humains. Ce manque d'estime de soi ne vient pas d'un manque de génie créatif : cela n' a rien à voir avec ça. C'est la violence patente de nos parents, ou leur négligence inconsciente, qui nous a inculqué l'idée que nous n'étions pas voulus, que nous n'étions pas nécessaires dans la famille. Parfois même, nous avons cru n'être pas au bon endroit, ni dans la bonne famille, et que la cigogne (ou Dieu) avait commis une grossière erreur.
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La dénégation de la violence faite aux enfants Mon ex-femme est infirmière. Un jour, durant son internat (elle était en stage dans un hôpital du comté de Westchester, NY, qui accueillait beaucoup de gens n'ayant ni assurance ni ressources financières), une grosse femme de cent soixante kilos arriva en se plaignant de crampes. Elle hurlait et donnait du fil à retordre à tous les médecins, se montrant particulièrement difficile. L'un des docteurs, qui devait l'examiner, lui demanda de se dévêtir. Juste comme elle enlevait sa jupe, un enfant sortit. Les crampes s'arrêtèrent. Elle regarda le bébé et s'exclama : «D'où ça sort ? » Elle refusa complètement de reconnaître sa maternité. Presque hystérique, elle assurait ne pas savoir d'où venait l'enfant. Deux ou trois choses me frappent dans cette histoire. La première est qu'un tel poids sert de paravent, de masque protecteur contre le monde, mais il peut aussi insensibiliser, s'il est d'origine psychologique. Derrière son poids, cette femme s'abritait non seulement de la douleur mais aussi de la réalité. Elle ressentait probablement des indispositions d'ordre digestif lors des neuf mois précédents. Elle ne devait pas ressentir une très grande douleur puisqu'elle s'est rendue à l'hôpital en invoquant un problème mineur : elle n'avait que «des crampes». De toute évidence, le travail d'accouchement ne la touchait pas ; elle ne le sentait même pas ! La deuxième chose qui me frappe dans cette histoire est caractéristique de ce que font bien des gens. Cette femme obèse qui prétendait ne pas savoir comment le bébé était arrivé là, outre le fait qu'elle ne s'était pas sentie en travail, avait probablement été maltraitée dans son enfance, fréquemment battue. Qui sait ? Cela semble en tout cas un scénario très plausible, « un pari facile ». Sans doute a-t-elle anesthésié non seulement 232
son corps mais aussi son mental, pour ne pas voir la réalité de son enfance au point de feindre ignorer d'où venait le bébé. Un cas extrême. Pour bien des gens, la souffrance va totalement à l'encontre de l'idée qu'ils se font du monde, elle est tellement proscrite que quelques petites souffrances suffisent à un moment donné à les porter à se couper d'une certaine intensité. Pour ne pas sentir la souffrance, ils sacrifieront des plaisirs de même intensité à l'autre extrémité de l'échelle des sensations. Nous avons tous un seuil au-delà duquel nous nous coupons de la réalité, à cause de la terrible peur de l'extinction, de la destruction, issue de la violence subie dans notre enfance. En deçà du seuil, nous ressentons la douleur, mais au-delà, nous nous coupons. Dans des cas graves, certains vont se couper presque totalement, de façon à ne rien ressentir. Ils deviennent vides, complètement sourds à toute intrusion, y compris la douleur, l'amour, l'affection et la tendresse. Une perspective claire nous permet de voir la souffrance incroyable qu'ils ont dû endurer (et qu'ils endurent toujours intérieurement), mais dont ils se sont complètement coupés, étant étrangers à tout ressenti ou même reconnaissance. Il suffit de regarder leur visage. Une telle souffrance ne peut qu'affecter leur apparence physique, l'expression de leur visage, leur santé, leur voix et leur comportement. Bien sûr, ces gens expliquent toujours tout par des causes extérieures. En les observant, on pourrait se dire : « Mon Dieu ! ils souffrent.» Nous nous imaginons qu'ils le ressentent, qu'il est impossible qu'ils ne le sentent pas, mais tel n'est pas le cas. S'ils le ressentaient, ils auraient une autre apparence. Ils se sont coupés de toute association consciente, de toute connexion avec la souffrance que nous sentons en eux. À l'âge adulte, nous rationalisons la violence éprou233
vée dans notre enfance. N'avons-nous pas tous entendu des phrases du genre : «Mon père m'a battu, mais cela ne faisait pas mal du tout. J'ai appris la discipline et le courage. Si je mettais mes coudes sur la table, ma mère me donnait une bonne fessée ; mais c'est ainsi que j'ai acquis de bonnes manières. Cela ne fait pas mal. D'ailleurs il faut avoir de bonnes manières. » Et pourquoi avons-nous besoin de bonnes manières? Voyez la civilisation américaine : pourquoi avons-nous besoin que de bonnes manières soient apprises de la manière forte ? Nous sommes des créatures tellement frustres et grossières comparées au reste du monde, y compris aux pays du tiers monde ! La culture ? Nous ne savons même pas ce que ce mot veut dire ! Un peu de véritable culture ne ferait sûrement pas de tort, mais nous ne l'apprendrons pas par la violence au nom d'une éducation à la politesse. JAMAIS, AU GRAND JAMAIS! Il existe une différence entre défouler sa colère sur un enfant et simplement être une personne passionnée, ou très enflammée, mais foncièrement bonne. Il n'est jamais approprié de déverser nos colères et nos frustrations sur un enfant comme s'il en était la cause. Cela ne signifie pas ne pas pleurer ou se mettre en colère devant lui. Simplement, nous ne le blâmons pas lorsqu' il est à 1'évidence innocent. Avez-vous assisté au spectacle d'un enfant sans défense devant un parent, un frère ou une sœur plus âgés qui le frappe et le bat ? Il ne se défend pas. Mais plus tard, il trouve quelqu'un ou quelque chose, un chat ou un chien, qui ne peut ou ne veut se défendre, et il lui donne la volée. Nous ne devrions pas nous retenir d'exprimer des émotions et des sentiments très intenses, mais à condition que l'enfant n'en soit pas l'objet, voilà tout.
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Aujourd'hui, je vais jàire quelque chose de parfaitement inusité :je vais me plaindre, pester contre vous. Je sais que vous allez trouver ça inhabituel par rapport à ce qui précède, mais quelque chose m 'a finalement fait sortir de mes gonds. Vous serez peut-être choqués que l'expert que je prétends être ne puisse se contenir à ce point, qu'il ait si peu de patients, pardon, si peu de patience, au point de vomir toute cette bile sur vous, gentils lecteurs, mais il me faut confesser que c'est bien le cas. Ce qui me fait bouillir - comme s'il était besoin de le dire après le premier paragraphe ! -, c'est que des adultes ne puissent faire face à une situation, un problème, une crampe, un nœud en rapport avec un autre adulte ; qu 'un adulte ne puisse pas (pour quelque raison difficile à concevoir) ou ne veuille pas (pour des raisons aussi difficiles à concevoir) échanger avec un autre adulte, directement, ouvertement et honnêtement, et que, sous le coup de la frustration et incapable de faire face avec maturité à son poison, il transporte ses conflits sur les enfants innocents de l'autre, qui n'en veulent certainement pas. Je suis sûr, pour faire une petite agression -je veux dire une digression-, que vous comprendrez pourquoi je me suis retrouvé dans le domaine de la transformation personnelle et non dans le domaine légal. Mais retournons à notre sujet et répétons-le, pour plus de clarté : utiliser les enfants de quelqu'un pour faire mal à ses parents, dans le cadre d 'un conflit, est parfaitement méprisable. Ces gens-là ont besoin d'une douche froide de réalité, et je souhaite qu'ils la reçoivent le plus tôt possible. 235
C'en est déjà assez que les parents blâment leurs propres enfants pour leur merde (celle des parents), sans que ces enfants aient à subir davantage de blâmes et d'humiliations à cause des échecs relationnels de leurs parents. En fait, les parents qui blâment leurs enfants pour leur propres échecs devraient aussi recevoir la même douche, et très vite si vous n y voyez pas d'inconvénients. Dans tous les cas, et particulièrement celui dont nous parlons avec tant de passion en ce moment Oe prends cela à cœur et j'espère que vous y mettez la même passion, que vous soyez d'accord ou non), il serait utile qu'un adulte qui se considère ouvert, mûr et conscient règle ses problèmes avec un autre adulte directement. Ça vaut mieux que de s'adonner aux ragots et d'empoisonner l'innocence et le bonheur des enfants, parce que la plupart d'entre eux ne se défendront pas, ils ne pourront éclairer le nœud ou le problème de l'agresseur, ou parce qu'ils sont petits et jàciles à battre, contrairement à leurs parents. Le comportement juste et sain pour un adulte consiste à régler directement son désaccord avec la personne concernée. Se tourner vers les enfants de celle-ci - c 'est certes plus facile et plus sûr - pour soulager ses frustrations et fitir ses responsabilités est à la fois lâche et infâme. Voilà pour la mauvaise nouvelle. Et voici la bonne maintenant. Il arrive également qu'un individu normalement constitué, à qui ne viendrait jamais l'idée de déverser ses problèmes sur un enfant en temps ordinaire, éprouve parfois un moment de faiblesse et perde sa lucidité. Dans ce cas, il s'en rend compte en
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considérant ce qu'il vient de faire, laissant le remords réduire les probabilités d'une récidive à peu près à zéro. Voilà qui est dit, et je dois avouer que me sens nettement mieux à présent! Journal, 9 juillet 1990
Les résultats La violence faite à des enfants engendre des adultes au comportement inadapté. C'est bien connu, la violence physique, particulièrement de nature sexuelle, peut mener - et mène souvent - à la prostitution, ou à son opposé, la frigidité. Je ne parle pas seulement de la prostitution pour de l'argent, mais de la prostitution de nos idéaux, de notre intégrité et de notre responsabilité personnelle. La violence émotionnelle peut également être assez puissante pour engendrer de tels comportements : «Dieu que j'aurais préféré que tu ne sois pas né ! lâche-moi, veux-tu ? Je rentre juste du boulot ; laisse-moi le temps de décompresser. Je vais au travail toute la journée pour toi et dès que je mets le pied dans la maison, tu viens pleurnicher. Fous-moi la paix ! »Ce genre de violence anéantit l'image de soi d'un jeune enfant, qui a besoin de l'attention bienveillante, du soutien et de l'affection de sa mère ou de son père. Tous les enfants sont faibles, parce que plus petits et plus facilement dominés ; ils deviennent donc facilement victimes d'adultes inconscients et hargneux. Avez-vous déjà observé un petit enfant d'un ou deux ans qu'on lance dans les airs, rigolant, poussant des cris de joie aigus, et qui en redemande? Les enfants ne connaissent pas la peur, à moins que des facteurs biologiques ne les rendent allergiques à l'acrobatie aérienne. Dans ce cas, un père, un oncle ou un grand 237
frère violent qui mène le jeu suppose qu'un enfant qui n'apprécie pas ce genre d'activité est un faible, une poule mouillée, et il croit que l'enfant a besoin d'être endurci, alors que celui-ci hurle de terreur. Certains enfants ont une propension pour l'activité physique déchaînée, d'autres pas. Ceux qui ont cette propension ne connaissent pas la peur. Vous vous en êtes peut-être émerveillés et avez pensé : «Dieu, qu'ils sont confiants. » Bien sûr qu'ils sont confiants. Pourquoi ne le seraient-ils pas? Après tout, en ce qui les concerne, ils sont dans les bras de Dieu ! La confiance est naturelle chez un enfant, jusqu'à ce qu'on lui enseigne le contraire. Le tissu psychologique d'un enfant (les traits de sa future personnalité résultant des conditionnements de son milieu, qui détermineront ses rapports dominants avec la vie) n'est pas entièrement tissé à l'âge d'un an et demi ou deux ans. Les traits commencent à émerger, mais ils ne sont pas encore complètement installés. C'est à ce niveau que se développe la peur. Quand un enfant atteint l'âge de deux ans, on entend souvent affirmer avec orgueil : « Le petit Pierre se révèle soudain une vraie personnalité », l'air de dire : «Comme c'est formidable ! » On ignore que le petit Pierre vient juste d'arrêter de grandir. La vie s'arrête pratiquement là pour un individu, car il cesse de vivre la plénitude pour laquelle il a été créé. Les enfants font naturellement confiance. À 1'âge d'un an et demi, ils vont manger tout ce qu'on leur propose, ou du moins vont-ils y goûter. Certains adultes trouvent cela tellement incroyable (car autant qu'ils se souviennent, jamais personne ne leur a montré une telle confiance) qu'ils font mal à leur enfant par une sorte de méchanceté rancunière. Ils vont continuellement tester l'enfant en le battant, en l'enfermant dans un placard fermé à clef, en lui hurlant dessus, en lui mentant, en 238
lui donnant à manger du poivre de Cayenne, du jus de citron ou de la moutarde forte. Vous êtes peut-être allés dans un restaurant chinois où quelqu'un (les pères ont souvent cette tendance) prend de la moutarde forte et en donne au bébé, et quand l'enfant se met à hurler, ça les fait rire. Cette forme de violence transforme un enfant non seulement en un individu névrotique, mais en un parfait psychopathe qui pourtant continue en général à aimer ses parents et va même jusqu'à leur démontrer son amour. N'est-ce pas inimaginable? Il y en a, c'est vrai , mais fort rares, qui sont tellement en contact avec leur haine d'avoir été maltraités qu'ils réagissent, et même violemment, contre ceux qui ont abusé d'eux; mais ce n'est pas courant. Le plus souvent, l'adulte s'en tire et la rage de l'enfant se tourne vers d'autres, à moins qu'elle ne se transforme en haine de soi et en autodestruction. Un enfant peut inconsciemment conclure que s'il est assez mauvais et indésirable pour que ses parents bien-aimés le traitent de façon si vicieuse, il ferait mieux de disparaître (c'est-à-dire mourir). Certains enfants se mettent alors en tête d'accomplir ce travail par eux-mêmes, en s' adonnant à des drogues dures, à des activités dangereuses, ou bien en développant des maladies psychosomatiques qui peuvent aller jusqu'au suicide. Une fille dont le père a abusé sexuellement, à moins que ce ne soit la mère (en introduisant des objets dans les orifices de l'enfant) tendra à rechercher des partenaires qui lui feront la même chose. Peu importe qu'il ait été si mal traité, l'enfant aime encore ce parent qui pour lui représente le modèle du genre (masculin ou féminin). Une fille dont le père a abusé aborde ses rapports avec la polarité masculine de façon tordue et aberrante et éprouve de grandes difficultés à vivre avec quelqu'un qui ne soit pas comme elle. Il peut arriver qu'elle ait une relation avec un homme qui ne la mal239
traite ni physiquement ni verbalement : il lui sera très difficile de vivre avec un tel homme. Elle tendra à provoquer la violence en lui disant : « Mets-toi en colère de temps en temps ! », parce qu'elle ne comprend pas que quelqu'un puisse l'aimer sans violence et sans reproduire l'environnement de son enfance. Elle sent : «S'il n'est pas violent, c'est qu'il ne m'aime pas, car papa m'aimait et il était violent. Comment un papa pourrait-il ne pas aimer son enfant ? » Voilà, c'est comme ça.
Une relation profondément bouleversée Un enfant dont la relation primordiale est profondément bouleversée, remplie de névroses et de psychoses, la ressent surtout comme un manque d'amour. Ce genre de relation existe souvent dans le cas où la mère est tellement bourrée de cocaïne ou d'héroïne qu'elle est incapable de s'occuper de son bébé. Ce n'est pas tant la drogue elle-même qui fait tous ces ravages que l'incapacité de la mère d' aimer son enfant d'une manière que celui-ci ressente comme étant de l'amour. Bien sûr, l'instinct de survie nous fait souvent voir de telles situations comme de l'amour, comme si le fait d'être battu était une marque d'amour. En même temps, il existe en nous une faculté cognitive primordiale - appelons-la conscience, âme, être, peu importe - qui nous donne la capacité de ressentir s'il y a réellement de l'amour ou s'il n'y en a pas, de même qu'elle est capable de reconnaître s'il y a violence ou s'il n'y en a pas. Les relations premières profondément bouleversées seront donc nombreuses parmi les toxicomanes et les alcooliques qui ont des enfants, surtout s'ils sont très intoxiqués. Dans le cas d'un alcoolique qm conserve assez de conscience pour accorder .un 240
véritable amour attentionné à son enfant, sa dépendance à l'alcool passera relativement inaperçue jusqu'à ce que l'enfant soit assez âgé pour en prendre conscience. Le même problème peut surgir si la mère est sérieusement malade durant les deux premières années de l'enfant, et que celui-ci est pris en charge par des parents qui n'en ont pas vraiment envie. Il va de soi que la même situation malsaine va se développer si la mère se rend complice de sévices constants envers l'enfant, ou si elle n'essaie pas de l'en protéger. L'impression première de ne pas être aimé, qui généralement s'enracine dans l'inconscient quand l'enfant grandit, s'accompagne souvent d'une espérance insatiable et insaisissable. Cela constitue le fondement de bien des névroses. Ainsi, la plupart des psychologues et des psychiatres affirment qu'il n'existe rien de tel que la nymphomanie : ce qu'on prend pour de la nymphomanie n'est qu'une tentative de compenser le sentiment de ne pas avoir été aimé durant l'enfance. Certaines personnes ont besoin qu'on les complimente constamment, sinon elles se sentent abattues, déprimées et sans valeur. Cela aussi remonte à la carence primordiale. Je suis sûr que la plupart d'entre vous êtes entrés en relation (et pas seulement quand vous aviez quinze ans) avec quelqu'un qui vous demandait constamment : «Est-ce que tu m'aimes? Dis-moi que tu m'aimes.» Quel que soit le nombre de fois où vous lui disiez que vous l'aimiez, ce n'était jamais assez, parce que son besoin était bien plus profond dans 1'inconscient que tous les sentiments d'amour qu'elle pouvait percevoir par les sens et l'intellect. Ce besoin premier ne peut être comblé par des interactions ordinaires. Ces personnes ont besoin d'être constamment rassurées pour seulement demeurer un peu fonctionnelles. Le mécanisme de compensation ne fonctionne pas et, bien sûr, la blessure ne guérit jamais. 241
Mais, heureusement, on peut guérir une telle blessure d'une autre manière, en s'adressant au lieu secret d'où émane le sentiment de ne pas être aimé. [Nous examinerons certaines de ces méthodes dans le paragraphe intitulé «Aider les victimes».]
Aller trop loin Ces temps-ci, avec toutes les accusations et les peurs d'abus sexuels à la maternelle et autres endroits de ce genre, de plus en plus d'écoles exigent que les professeurs ne touchent jamais aux enfants. C'est à mon avis aller trop loin. Les enseignants décents se retrouvent complètement handicapés par les quelques malades qui ne devraient pas enseigner du tout. On pouvait lire dans Playboy un article sur cet homme qui, à la fois père remarquable et formidable avocat pour enfants, était engagé dans une âpre et amère bataille pour son divorce et la garde de son enfant. Sa femme l'accusa d'abus sexuels envers leur fillette de cinq ans. Aussitôt, la cour se retourna contre lui et refusa la garde partagée, ajoutant qu'il ne devait pas se trouver en présence de sa fille à moins d'être accompagné d'une personne de l'assistance sociale désignée par la cour. C'était l'objet de sa bataille juridique. Il passa le test du détecteur de mensonge, trois assistantes sociales l'accompagnèrent lors de ses visites à sa fille et tout le monde fut d'accord pour confirmer qu'il était sain d'esprit. Mais son ex-femme n'en démordait pas. Un jour qu'il allait chercher sa fille, le père de son ex-femme tira sur lui et le tua, alors que la fillette était dans la maison. Notre société perd la raison. Nous sommes passés d'une indifférence totale et d'abus légalisés (les règles de discipline d'il y a cent ans recommandaient de 242
battre les enfants régulièrement) à la paranoïa complète et la peur des abus sexuels là où il n'y a qu'une affection honnête, non envahissante, et qui fait cruellement défaut. Même les enseignants, qui devraient également nourrir les enfants sur ce plan-là, marchent sur des œufs, car n'importe qui peut porter des accusations d'abus sexuels sur les données les plus futiles. Avezvous entendu parler du cas McMartin ? En rentrant de l'école, un petit Califomien raconta quelque chose que ses parents prirent pour un abus sexuel. Ils en vinrent à accuser le professeur d'abus sexuels envers plusieurs enfants de sa classe et d'incitation à faire des choses ensemble. Ce fut un immense scandale : dès la première accusation, vingt ou trente autres parents prirent le train en marche. Le FBI s'en mêla : les enfants (plusieurs avaient trois ou quatre ans) furent soumis à des contre-interrogatoires sévères, avec des lampes vives et deux individus derrière le dos, leur posant des questions. Parlez-moi d'abus ! Le professeur fut finalement innocenté U'ignore les détails). Même après ce constat d'innocence, les parents n'en restèrent pas là, voulant crucifier cet homme pour le tort qu'eux-mêmes avaient fait subir à leurs enfants, alléguant que ce professeur était la cause de tous leurs problèmes. Qui peut dire s'il y eut abus sexuel ou non dans ce cas ? Mais le manque évident de sensibilité envers les enfants dans la façon de mener cette affaire fut un cauchemar. Les chasseurs de sorcières ne se soucient pas des enfants de la soi-disant sorcière. Ils ne veulent que la «justice » Ue veux dire : « du sang »).
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Aider les victimes Réduire les risques au minimum En cas d'abus, les priorités d'un adulte sain devraient être claires. Si le père rentre soûl et cherche à battre la première personne qui lui tombe sous la main, il est impératif que la mère s'enfuie avec son bébé, au lieu d'engager le duel avec le père : «Dieu du ciel, Bruno, faut-il que tu rentres encore une fois beurré? C'est toujours pareil : je ne peux même pas acheter une laitue et toi tu bois ton salaire tous les vendredis soirs ... » Bing, bang, bing, et le bébé reste étendu en pleurs sur le divan tandis que la mère se prend une raclée. Si la mère ne protège pas son enfant, un autre adulte, s'il y en a un sur place, devrait l'empêcher d'assister au combat ou d'y être mêlé. Il incombe aux parents d'éloigner un enfant d'un tel environnement, afin de réduire au minimum les retombées négatives, quelles que soient les circonstances ! Quand une fillette est battue presque jusqu'à l'inconscience par son père et qu ' elle va le raconter à sa mère, celle-ci ne devrait en aucun cas tolérer ou justifier un tel traitement. Elle doit lui accorder beaucoup d'affection, la prendre contre elle, la caresser et la rassurer avec douceur : cela rétablit l'équilibre. Tl ne s'agit pas de dire : «Oh ! mon enfant, pauvre petite, je suis tellement désolée, mais tu sais, papa est terriblement sous tension ces temps-ci . » Ce genre de bêtises n'a aucun sens et n'aide en rien 1'enfant. Beaucoup d'affection, avec des caresses : voilà une des meilleures manières de réduire le traumatisme d'un enfant en présence d'une influence négative importante dans sa vie. La première fois qu'un tel traitement a lieu, bien sûr, la meilleure chose à faire est de sortir et de rester à l'extérieur. N'importe qui est assez lucide pour voir 244
venir ce genre de choses. On peut donc avoir recours à une assistance professionnelle ou une thérapie avec Je conjoint, ou mettre fin à la relation avant que les enfants ne soient impliqués. L'une des pires (et des plus stupides) choses qu'une femme puisse faire dans ces cas-là est de tomber enceinte pour tenter d'adoucir ou de réparer les dommages causés à la relation par un homme abusif, cruel et violent. Ce sujet étant aujourd'hui plus largement connu du public, ainsi que les dangers qu'il comporte, davantage de femmes acceptent de quitter leur mari pour épargner leurs enfants, et davantage de pères demandent la garde de leurs enfants pour les sauver d'une mère qui leur fait subir des sévices. Autrefois, bien des mères enduraient des situations très malsaines et n ' auraient jamais soutenu publiquement leur enfant contre leur mari : ce n'était pas socialement acceptable pour une femme dépendante. Dieu merci, les temps ont changé et ils continuent de changer.
Briser le cycle L'une des choses les plus importantes dont parle Alice Miller dans ses ouvrages est que si les parents se réconcilient avec les sévices dont, enfants, ils ont été victimes, ou avec ceux qu'ils ont eux-mêmes infligés à leurs enfants, ceux-ci seront moins affectés par les conditionnements de leurs parents. Il s'agit là d'un point crucial, car si (comme certains Je suggèrent) la seule manière de recouvrer la santé psychologique est de reconstruire, reprogrammer sainement chacune des tares psychologiques venues de 1'enfance, s'attendre à une aide psychologique est absurde. On n'y arriverait pas, car on ne pourrait jamais mettre complètement à jour et remodeler 1'immense réservoir d'expériences de l'enfance : il est trop vaste. Certains pratiquent la « thérapie primale » : ils 245
régressent dans leur tendre enfance jusqu'à réintégrer le ventre maternel, collectionnant les expériences primales (or vous ne pouvez régresser plus loin que votre naissance ou lorsque vous aviez quelques mois dans le sein de votre mère). Quand ils sont lassés des « expériences primales », ils se lancent dans l'analyse transactionnelle ou quelque autre thérapie transpersonnelle, toujours à cause de ce sentiment de ne pas être aimé. C'est sans fin, parce les événements à se remémorer, à revivre et à reconditionner sont innombrables. Répétons-le donc : quand un père ou une mère se réconcilie avec sa responsabilité dans les sévices infligés à leur enfant (selon le sens qu'Alice Miller donne au terme de «sévices»), celui-ci va immédiatement cesser d'être limité par la dynamique psychologique et pathologique qui le relie à ses parents. D'après cette dynamique, les parents conditionnent l'enfant d'une certaine manière et celui-ci continue à se référer à ce conditionnement (que cela ait du sens ou non) jusqu'à l'âge de cinquante ans, alors qu'il y a bien longtemps que les parents sont morts et enterrés ! Cette grâce qui vient aux parents - le sentiment de faire sienne sa propre tendance à infliger des sévices et, plus profondément, des abus dont ils ont été victimes et qu'ils ont refoulés durant leur enfance - permet un espace, donne une chance à leurs enfants de ne plus être à la merci des schémas passés : les enfants peuvent commencer à vivre libres des chaînes et des liens des vieilles habitudes chroniques. J'effectue beaucoup de travail psychologique avec mes étudiants, mais, occasionnellement, dans le contexte d'une démarche plus globale orientée sur la santé, la guérison et la véritable salubrité mentale, plutôt que comme solution à un problème spécifique. Un peu de travail psychologique peut aider de façon très simple les gens à vivre ensemble dans le cadre de rela246
ti ons intimes. Alléger la rancune, 1'avidité, la possession, les sentiments liés au territoire, entre autres, peut rendre la vie infiniment plus gracieuse. La transformation personnelle, la libération des entraves que sont les problèmes et les conflits psychologiques, passe par une vision claire et intransigeante de la dynamique psychologique qui nous rend impuissants. Si nous suivons les brillants principes d'Alice Miller en matière de nettoyage et de purification, nous pouvons brûler notre passé et l'oublier. À quoi sert-il? Que nous rappelle-t-il ? Tout le plaisir que nous avons eu lors de notre fête d'anniversaire? Oui. Mais viennent aussi les souvenirs où notre père nous a battus. Souvent, nous ne nous rappelons pas consciemment cet aspect, mais il agit sur nous de manière bien plus conséquente que le souvenir de notre fête d'anniversaire. Passer son temps à ressortir de la cave les mêmes événements est non seulement ennuyeux - une totale perte de temps, d'énergie et de ressources - , mais perpétue aussi quelque chose qui mérite d'être mort et enterré. Notre passé appartient à 1' histoire, il appartient aux biographes, non à la vie, qui est créatrice, délicieuse, excitante, sans cesse en mouvement et recèle d'infinies possibilités.
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Dire la vérité La parole et l'honnêteté
Le langage Les enfants ne réagissent pas aux divers stimuli de la même façon que les adultes. N'étant pas intellectuellement mûrs et n'ayant pas l'expérience de la vie, ils ne peuvent tirer des conclusions comme le font les adultes. Supposons par exemple que nous racontions cette plaisanterie à un ami : « Dis donc, ce tee-shirt est vraiment moche; mais où l'as-tu dégoté? Aux puces?» Un adulte sait qu'il s'agit d'un jeu, d'une innocente taquinerie, alors que les enfants prennent tout au pied de la lettre. Les adultes ne comprennent pas qu'un enfant puisse être marqué pour la vie par un commentaire innocent. Un de mes amis d'autrefois avait l'habitude d'accueillir un camarade en lui disant : « Hé ! Salut, tu ressembles à une merde aujourd'hui ! » Il disait ça avec un sourire, avec de la chaleur dans le cœur et il prenait la personne dans ses bras. Il était très amical, exubérant, du genre à vous donner sa chemise. Mais son langage était terrible et ses enfants en portaient la marque. À leur adolescence, leur comportement en était clairement imprégné. Autre exemple : quand leur enfant atteint l'âge de 248
deux ou trois ans, beaucoup de gens disent : « Je préfère nettement les enfants de trois ans aux bébés. Ils sont vraiment comme des personnes maintenant. » Il faut savoir que ce n'est pas une remarque innocente pour un enfant. Beaucoup d'enfants sont traités comme s'ils n'étaient pas des êtres humains durant les six ou neuf premiers mois de leur existence. Croyez-le ou non, ils sont sensibles à cette opinion. Ils entendent tous les mots prononcés en leur présence, qu'ils leurs soient destinés ou non. Il est donc impératif que nous soyons très clairs quant à ce que nous disons en leur présence. Souvent, ils ne nous demandent pas de leur expliquer ce qu'ils entendent : ils tirent leurs propres conclusions et les enregistrent. Lorsqu'ils ressortiront cette conclusion et que nous entendrons ce qu'elle a d'étrange, nous tenterons de la corriger, mais il sera trop tard : l'idée est trop fortement engrammée dans leur comportement et leur conscience. J'ai souvent entendu un enfant de quatre ou cinq ans me raconter ce qu'il avait entendu de la bouche d'un autre enfant en le prenant pour un fait véridique. Et quand j'essayais de faire valoir l'information correcte, il était tellement certain que j'étais mal informé qu'il y avait très peu de chances qu'il me fasse confiance et accepte un « ajustement ». Les enfants entendent tout. Un enfant peut être en train de jouer dans un coin de la salle à manger, tandis que dans un autre coin les adultes sont en train de discuter d'un sujet qu'on ne devrait pas évoquer devant lui; bien évidemment, l'enfant entend. Il peut ne pas le montrer sur le coup, mais deux ou trois jours plus tard, quand on mentionnera le nom de quelqu'un, l'enfant rapportera un racontar, ou donnera un commentaire qu'il a de toute évidence entendu alors que nous croyions qu'il n'écoutait pas. Si nous lui demandons alors : «Où as-tu entendu ça?» l'enfant aura l'air 249
embêté, comme s'il ne savait pas. Les adultes doivent donc être conscients de leurs paroles, surtout quand ils bavardent et médisent alors qu'il y a des enfants aux alentours.
Les recommandations de base La première chose à se rappeler quand on parle à de jeunes e·nfants, c'est de reconnaître qu'ils sont parfaitement compétents, qu'ils méritent le genre de respect que nous aimerions recevoir en tant qu'adultes et avec lequel nous irions vers d'autres adultes que nous respectons. Je recommande donc fortement de bannir l'usage du langage de bébé, le gnagnagna, le ton affecté et toutes ces choses que les parents novices ont tendance à dire et à faire. J'imagine que nous avons été tellement témoins d'une telle approche à la télévision que nous tenons pour acquis que c'est la bonne façon de s'adresser à eux. Je recommande d'utiliser un langage d'adulte, y compris avec un enfant dans le ventre de sa mère. Les idées exprimées par les mots utilisés vont être traduites littéralement à l'enfant, de sorte qu'il prendra l'habitude, déjà dans la matrice, d'associer langage et sensations. Comme je l'ai dit précédemment, on peut très bien raconter à un enfant dans le ventre de sa mère combien on est heureux à 1'idée de 1'accueillir. Ne dites pas des choses comme : « Si tu es un garçon, nous irons jouer au football» Dites simplement à l'enfant : «Nous voulons être les meilleurs parents possibles. Nous avons vraiment hâte de t'accueillir en ce monde », des choses de ce genre. Tant par le ton que par 1'inflexion des mots, nous devrions parler aux enfants comme à des adultes et non comme à des inférieurs. Si nous voulons qu'ils nous accompagnent, nous pouvons tout simplement dire : «Bon, allons-y. » Ne dites pas d'une voix sirupeuse : 250
« Maman part faire des courses ; veux-tu venir avec moi, mon petit ange ? » Aussi mignon soit-il et quelle que soit notre envie de le dorloter, inutile de le rendre infirme avec notre jargon. L'un des garçons de notre communauté parlait toujours comme un bébé. Un jour que nous étions en train de préparer un repas, il demanda s'il pouvait nous aider. Comme il utilisait une voix de bébé avec moi, je lui demandai quel âge il avait. « Huit ans », réponditil. « Pourrais-tu utiliser une voix de huit ans pour me parler?», lui demandai-je. (C'est autre chose que de lui dire : « Oublie ce langage tu veux », ou bien : «Arrête de faire le bébé».) On peut penser que c'est du simple bon sens, mais il semble que les adultes en aient malheureusement très peu avec les enfants. Cet enfant m'a répondu : «Bien sûr», et il n'a jamais plus parlé comme un bébé. J'ai constaté, la fois suivante où je me suis trouvé avec lui, qu'il n'était pas inhibé et n'avait pas l'impression que j'étais en colère contre lui. Une seule rencontre brève avait été suffisante pour qu'il se souvienne. De toute évidence, il sentait qu'avec moi il serait entendu comme un enfant de huit ans, il n'avait donc plus besoin de se faire petit et mignon pour obtenir de l'attention et se sentir reconnu. Je n'utiliserais jamais de menaces du genre : «Je vais te frapper, je vais t'arracher la tête, je vais ... » Ni pour plaisanter ni sous le coup de la colère et de la frustration ! Je ne me souviens pas avoir utilisé de telles menaces une seule fois dans ma vie, et il m'est pourtant arrivé d'éprouver une grande colère envers un enfant. Je crois qu'on ne devrait jamais menacer de violence. Certains parents le font en blaguant, pour jouer. C'est leur concept de l'humour. Certains pères le font continuellement, frappant leurs enfants sur le côté de la tête, boxant légèrement leurs oreilles. Je suppose que c'est correct pour certains, mais je recom251
manderais de ne jamais le faire. Ma fureur dure dix secondes, mais dix secondes, c'est suffisant pour dire des choses regrettables. On peut vraiment sortir des insanités en dix secondes et il ne le faut à aucun prix. Nous devons toujours être plus grands que notre colère, surtout avec les enfants. Ne parlez pas de l'enfant comme s'il s'agissait d'un tas de matière inerte, ou comme s'il n'était pas là. Dire par exemple, quand un bébé couché dans son berceau regarde autour de lui : «Y a-t-il quelqu'un ? Pourquoi ne sourit-il pas? » Ou, quand Jean, qui a trois ans, se tient à côté de nous : « Que devrions-nous faire à propos des habitudes de Jean? » J'ai entendu toutes ces choses dites à des enfants et j'ai noté ou senti leur réaction. Ne critiquez jamais 1'un des parents (ou les deux) devant l'enfant quand celui-ci peut entendre. J'estime que dès la conception, et à chaque instant, il existe une conscience de 1'environnement qui englobe tous les sens. Ne dites pas aux enfants qu'ils sont malpropres s'ils font leurs besoins dans leur culotte, et ne vous permettez pas toutes sortes de commentaires désobligeants que les gens estiment drôles. Quand 1'enfant pète : «Mon Dieu que ça pue ! », ou bien : «Tu devrais t'engager dans une fanfare. » Certaines personnes supposées mûres ou intelligentes n'ont même pas assez de cervelle pour savoir ça ! En ce qui concerne le langage, j'appliquerais la même règle en présence d'un enfant de sept ans ou d'un bébé, qu'ils dorment ou non. Chacun sait que même dans le sommeille mental continue d'enregistrer les données captées par les sens dans l'environnement. On ne devrait donc pas se quereller au sujet de l'enfant dans sa chambre quand il dort. Ne faites pas le crâneur en présence d'un enfant. Il
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ne saura pas avant longtemps à quel point papa et maman sont brillants, aussi n'est-il pas nécessaire d'en rajouter devant lui, ce qu'au fond nous tentons de faire avec tout cet exhibitionnisme, ces cris et ces blagues. Les gens sont si pleins d'orgueil, à cause de leur insécurité et de leur immaturité fondamentales ! Sur trois milliards d'hommes sur la planète, pratiquement tous peuvent avoir des enfants à quelques exceptions près. Mais chaque homme qui en a un croit avoir accompli quelque chose de génial. Cette attitude est évidemment poussée à l'extrême dans les cultures occidentales prétendues « civilisées ». On voit des hommes gonflés d' orgueil faire les intéressants en disant des inepties à leur enfant, l'affublant souvent de noms ridicules. Même quand nous reconnaissons qu'une action est nécessaire et que notre attitude est appropriée, si nous parlons à l'enfant comme à un inférieur plutôt que de lui fournir les indications appropriées d'une manière naturelle et non affectée, il demeure un sentiment de malaise attaché à la communication et l'enfant ne manque pas d'en reconnaître la fausseté. Les hommes surtout tendent à parler de haut à leurs enfants et à être vraiment condescendants. Il y a une qualité particulière dans la voix de bien des hommes qui veut dire : « Tu ferais mieux de ne pas être insolent, car tu n'es qu'un petit enfant et je peux te forcer à faire ce que je veux ; alors fais ce que je te demande ! » N'importe qui peut humilier un enfant et à peu près tout le monde peut le réprimander et le battre pour le soumettre. Nous pouvons humilier un enfant et modifier son comportement pour en faire un bon petit garçon ou une bonne petite fille (bon ou bonne selon notre idée). Si nous fixons la limite au bon endroit, mais avec la mauvaise attitude ou avec trop de force, c'est fondamentalement mauvais. Nous recommandons de s'abstenir d'utiliser tout 253
surnom bizarre, comme « mon petit singe » ou « ma petite cacahuète ». Reconnaissez que les enfants prennent tout au pied de la lettre. Il n'y a là aucun principe ésotérique profond, c'est de la psychologie élémentaire. Ne faites pas de plaisanteries à propos de leurs odeurs corporelles ou de leurs excréments, du genre : « Comme ton vomi sent mauvais » ou « Eh bien ! que de merde pour une si petite chose ! » Pour les enfants, ce qui sort de leur corps fait partie d'eux, alors «Ton vomi sent mauvais » signifie : « Tu sens mauvais et c'est mauvais. Par conséquent tu es mauvais. » Soyez donc extrêmement délicat dans le choix du langage. Au lieu de dire : «Ne ferme pas la porte», vous pouvez dire : « Pourquoi ne pas laisser la porte ouverte ? » Essayez toujours des suggestions positives pour l'enfant au lieu d'ordres négatifs. Si l'on n'est pas créatif, il est parfois difficile d'y penser sur le coup. En tout cas, nous devrions faire de notre mieux dans cet esprit-là. Laissons donc les enfants de huit ans avoir huit ans et les enfants de dix ans en avoir dix. Quand ils en ont douze et désirent à tout prix en avoir quatorze, laissons-les s'étirer un peu. Mais plaisanter à propos d'un rendez-vous amoureux avec un enfant de neuf ans est déplacé. Par exemple, quand un enfant revient d'une manifestation à son école, pourquoi lui dire : « Alors, tu as déniché une poulette pulpeuse ? » Parler ainsi à un enfant de neuf ans est horrible. Il n'est pas approprié de plaisanter avec les enfants sur ce qui dépasse leur expérience de vie. Ne faites pas de mots d'esprit provocants avec un enfant de treize ans sur les sorties amoureuses. Croyez-moi, quand ils seront prêts pour ça, ce ne sera pas drôle. Ce sera vraiment sérieux, comme plusieurs d'entre nous s'en souviennent. Ne plaisantez pas sur la condition de la peau et les seins avec des enfants ou de jeunes ados. Traitez les enfants, même quand ils sont complètement mûrs et qu'ils ont
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leurs propres enfants, avec honneur, respect, dignité et camaraderie. Les paroles peuvent anéantir 1'innocence Les enfants apprennent à se couper de leur innocence dès le plus jeune âge, soit à cause du langage que nous utilisons en leur présence, soit à cause de sévices corporels. Comme je l'ai dit précédemment, des commentaires prétendument innocents du genre : «Oh ! n'est-elle pas délicieuse?», ou : «Tu es tellement mignonne ! », peuvent faire comprendre à l'enfant qu'être mignonne ou délicieuse peut servir à manipuler les adultes afin d'obtenir un certain type d'attention. Les enfants ont alors tendance à mettre l'accent sur ces manifestations extérieures et leurs manières deviennent affectées. Pendant longtemps nous avons reconnu les effets négatifs de commentaires du genre : « Oh ! ton frère n'a pas marché avant l'âge de trois ans, mais toi, je parie que tu marcheras à neuf mois », « Dieu que tu es maigre; on dirait que ta mère t'a laissé mourir de faim », ou encore : « Tes cousins obtiennent tous des 20 sur 20 en classe, pourquoi n'en fais-tu pas autant?» Ce genre de commentaires est fréquent dans la bouche d'adultes irréfléchis. Tous ceux d'entre nous qui ont des enfants les ont un jour emmenés au supermarché ou en quelque lieu public et, sous une forme ou une autre, nous avons entendu des remarques négatives à leur propos. Il est important que nous contrecarrions ces remarques. Un de mes amis m'a raconté qu'à son premier enfant il n'avait aucune idée de l'importance de ce problème (cette constante négativité), jusqu'à ce qu'il emmène son enfant rencontrer ses grands-parents. Ça n'arrêtait pas, c'était à chaque instant des critiques désobligeantes comme : « Pourquoi n'habilles-tu pas ce 255
pauvre gosse. Pour l'amour du ciel, mais il va mourir de froid ! » À mon avis, bien des familles ressemblent à ça : sûrement bien intentionnées, mais non éduquées et inconscientes. Nous recommandons par conséquent de parler à l'enfant tranquillement et discrètement, de façon à éliminer cette négativité. Par exemple, si quelqu'un dit, au supermarché : «Oh ! elle est rondelette, n'est-ce pas ? », on peut, sans provoquer le commentateur inconscient, dire doucement à l'enfant quelque chose comme : «Cette personne ne sait pas ce qu'elle dit. Elle ne comprend pas beaucoup les enfants. Elle est tout simplement inconsciente. Tu n'as pas à t'en occuper. Tu es parfaite. » Autre exemple courant : un enfant devient un peu difficile et un adulte dit : « Peut-être que tu es malade?» Nous recommandons alors qu'un adulte responsable dise aussitôt à 1'enfant : «Cette personne ne sait pas ce qu'est la maladie.» Il ne faut pas remettre cette remarque à plus tard, car les enfants vivent surtout dans le moment présent et plus tard ils ne feront plus le lien. Utiliser le mot « malade » de façon inadéquate peut faire d'un enfant un genre de malade imaginaire, ou qui se complaît dans la maladie ; cela peut encore le porter à penser : « Bah ! ce n'est rien. » Bien des choses apparemment inoffensives pour les adultes peuvent en fait se révéler assez troublantes et source de confusion pour les enfants. Comme nous l'avons mentionné précédemment, ils ne saisissent pas le double sens des surnoms. Ils apprennent le sens littéral des mots. Quand nous parlons au sens figuré, ils continuent de comprendre au sens littéral et accordent leur comportement sur ce qu'ils comprennent, non sur ce que nous voulons dire. Un bébé de un ou quatre mois peut ne pas comprendre le langage, mais il saisit l'intention, le sentiment et l'humeur. La plupart des 256
enfants comprennent Je langage bien avant de pouvoir le parler: nous serions étonnés de réaliser tout ce qu'un enfant de six ou sept mois peut comprendre si nous lui parlons clairement et correctement. Il est pratiquement impossible d'éliminer toutes les dissonances de 1' environnement. Ce n'est pas ce que nous cherchons de toute façon. Mais nous voulons certainement implanter des habitudes de vie positives, saines et conscientes, qui serviront à nos enfants leur vie durant. Choisir ses mots judicieusement Choisir nos mots judicieusement en présence des enfants ne signifie pas retirer la couleur et la poésie du langage. En fait, les enfants sont sensibles aux métaphores. De façon instinctive, ils comprennent la métaphore et la poésie. Je ne parle pas ici de l'usage de mots dans un sens autre que leur sens original, mais de 1'usage de la parole de façon non métaphorique. Par exemple, si je dis que je meurs de faim, je ne fais pas une métaphore, je dis quelque chose de faux. Nous voulons que le langage ait une force, c'est pourquoi nous disons la vérité. «J'ai très faim et cette nourriture a très bon goût », voilà une phrase qui communique un sens vivant. Dire : «Je meurs de faim» ou «Je suis affamé » quand ce n'est pas le cas émousse le sens du vivant car c'est faux ; cela enseigne aux enfants J'exagération, laquelle les coupe de la réalité de leur expérience. En général, notre langage laisse tellement à désirer qu'il est rien de moins qu'horrible. Un de mes amis, voulant organiser une partie de basket entre les employés de sa société et les commerçants du quartier, dit, en présence des enfants : «Nous n'avons pas encore reçu de réponse de ces gars-là; ce sont des poules mouillées. » Ce genre de discours est non seule257
ment porteur de confusion pour les enfants, mais il met aussi en avant une attitude d'agressivité compétitive et une tendance à rabaisser les amis, que les enfants ne saisissent pas, même si les adultes le disent pour rire. Dans leur inconscience, les adultes rient automatiquement à de telles remarques. En fait, la majorité d'entre nous avons ri à l'époque, transmettant ainsi un double message aux enfants. Ils se demandent : « Ces gens de l'autre équipe sont-ils des amis ou des ennemis?» Un autre exemple : un homme parlait travail avec un autre adulte et disait : « Les républicains nous étranglent. » Immédiatement, un des enfants demande, sur un ton angoissé : « Ils étranglent qui ? » Plus tard, cet homme me demanda si son langage avait été déplacé ; je lui ai répondu que oui, que c'était porteur de confusion. Notre langage courant est truffé d'expressions qui peuvent faire réagir les enfants, même si le ton de notre voix n'est ni menaçant ni humiliant. Quand j'ai commencé à enseigner, je donnais une conférence sur la façon dont le langage génère des maladies psychosomatiques. Ainsi, si on a l'habitude de constamment utiliser l'expression «mon cul ! », cela nous prédispose littéralement aux hémorroïdes. Il en est ainsi de tout langage qui se réfère au corps. « Mes pieds me font atrocement mal » : cela peut entraîner une chute. J'essaie même de ne pas utiliser le mot« malade». Pour moi, avoir un rhume, ce n'est pas être «malade». Prétendre être «malade» alors qu'on a un rhume et prétendre avoir besoin de garder le lit pendant des jours est une complaisance scandaleuse. Savez-vous pourquoi nous faisons ça? Parce que nous avons appris que nous sommes malades quand nous attrapons un rhume : c'est un conditionnement, une pensée erronée. Pour moi, être malade veut dire être vraiment malade : avoir les oreillons, plus de 40° de 258
fièvre, un empoisonnement alimentaire, quelque chose qui nous empêche vraiment de fonctionner ; mais pas un rhume. Nous attrapons un rhume et nous nous rendons malade. C'est quelque chose que nous cultivons par association d'idées durant notre enfance, et nous nous déclarons malades par pur espoir de recevoir de 1' attention. Ce qu'il y a de bien dans ces exemples, c'est qu'ils nous permettent de mettre à jour nos mécanismes, de voir à quel point nous sommes mécaniquement inconscients. L'observer permet de retourner les circonstances à notre avantage. Quand on le voit vraiment, quand on est ébranlé par cette vision, on arrête de fonctionner de façon mécanique, ou du moins cela diminue. li se peut même que nous parlions moins, et cela n'est pas si terrible.
« Méchant » est un mot à surveiller. Même les gens conscients et sensibles aux enfants peuvent avoir tendance à les présenter plutôt agressifs, comme de « méchants » enfants. Les enfants, surtout les plus jeunes, ne sont pas malveillants. Au lieu de nous en tenir à cette idée qu'ils sont méchants, pourquoi ne pas observer leurs activités et nous demander quelle est la meilleure façon d'y faire face? Parfois ils s'ennuient, tout simplement. Peut-être imitent-ils la violence de leurs parents ou réagissent-ils au fait d'avoir été diminués ou d'avoir subi des sévices. Nous devrions nous efforcer de ne pas étiqueter leurs actes ni de les couler dans un moule inventé par notre propre mental. Nous pouvons plutôt tenter de voir ce qu'il y a derrière leurs actes et découvrir ce dont ils ont besoin pour être différents. Il importe d'utiliser avec eux un langage élégant. 259
« Sale » est un autre mot dont on abuse. Le goudron est sale ; la peinture à 1'huile qui sèche sur la peau est sale. La terre, le pus, les substances visqueuses des insectes : cela n'est pas sale. Sale veut dire quelque chose qu'il faut vraiment nettoyer. Si on nous a roulés dans le goudron et aspergés de plumes, alors nous sommes sales ; mais si nous sommes couverts de boue de la tête aux pieds, nous ne sommes pas sales, parce que tout ce qu'il y a à faire c'est de sauter dans l'eau et la boue disparaît. Un tissu sale est celui qui comporte des taches qui ne partent pas. Ce qui disparaît aussitôt que nous le mettons dans la machine à laver n'est pas sale. Quand un enfant s'entend appeler «sale», sa logique lui dicte qu'il est lui-même fondamentalement sale. Les enfants sont extrêmement sensibles aux noms dont on les affuble. Récemment, un enfant que je connais appela une adulte par un sobriquet. Celle-ci lui dit : «Ce n'est pas correct; je ne t'affuble pas de sobriquets. » Ce à quoi l'enfant rétorqua : « Si, tu le fais. Tu m'a appelé pelote. » Il sentait là une connotation négative. La conclusion de cette anecdote est que nous devrions appeler les enfants par leur nom, parce que c'est ainsi qu'ils se reconnaissent et veulent être appelés. Par ailleurs, j'estime qu'il y a de la place pour des expressions de tendresse. C'est un sujet qui demande à chacun d'agir selon son ressenti, et non de s'en tenir à une attitude rigide. C'est l'esprit du principe qui doit animer notre action, et cela à partir du cœur, non à partir d'un ensemble de lois rigides. On peut toujours contourner la chose en se contentant d'appeler les enfants par leur nom de baptême et ne s'inquiéter de rien. Mais ce serait abandonner un aspect de la relation. Le langage est une façon pour les êtres humains de se témoigner de l'amour. Alors, appeler un enfant« mon 260
chéri » dans un esprit clair (sans prétention, affectation ou parti pris) peut être une façon chaleureuse d'entrer en contact avec lui. Mais constamment appeler un enfant «mon amour» dans un esprit d'hypocrisie sentimentale n'est pas recommandable. Veillez à dire aux enfants des choses qu'ils peuvent comprendre en fonction de leur âge et non en fonction de ce que nous comprenons. Les adultes peuvent facilement lire entre les lignes, pas les enfants. Par exemple, si nous sommes en route pour une certaine destination et disons à un adulte que nous mangerons une fois arrivés, il demandera quelle est la distance. Si nous lui disons : trois cents kilomètres, il en déduira que nous mangerons dans environ deux heures. Si nous disons la même chose à un enfant, ça ne veut rien dire. S'il est très jeune, «deux heures» ne veut rien dire non plus, car son attention ne dépasse pas quinze minutes, et quand il a faim, il veut manger maintenant. Si nous disons que ça va prendre beaucoup de temps, c'est différent de trois heures, mais il faudra probablement le lui rappeler souvent et l'encourager pour qu'il puisse contenir sa faim. Nous ne voulons certainement pas qu'il se sente mal, juste parce que nous sommes ennuyés par sa question qui revient toutes les dix minutes : « Quand allons-nous arriver ? » Après tout, c'est nous qui sommes les adultes, n'est-ce pas? Nous devrions par conséquent être capables de faire preuve de patience, d'amour et de confiance. Mais si, mais si !
Comment ils apprennent Les enfants apprennent à parler correctement en écoutant les gens parler, non quand on les corrige. Une fillette ne pouvait prononcer la lettre Y : elle disait « les œufs » au lieu de « les yeux ». Je la laissais dire et elle a appris en grandissant. Pourquoi une fillette se sentirait elle mal à cause de son innocence ? Je ne 1'ai 261
jamais corrigée et ne me suis jamais penché sur elle pour le prononcer «correctement». Tous ceux qui entendaient « les œufs » savaient ce qu'elle voulait dire. Si elle est la seule à dire « les œufs » au milieu d'une classe où tout le monde dit «les yeux», elle se mettra à dire « les yeux » dès qu'elle sera prête ; elle ne perd rien. Les enfants n'ont aucun besoin de quelqu'un pour leur faire remarquer leurs particularismes de langage ou pour s'en moquer. Nous ne devrions pas trop corriger les enfants qui apprennent à parler. Ils apprendront à parler en écoutant les autres. Je me souviens avoir appris à parler et à me comporter en imitant les gens de mon entourage. Leur intention a porté ses fruits, tout autant que leurs actions. Si nous oublions un peu notre idée de tout faire à la perfection, les enfants seront touchés par notre intention : articuler et parler et agir à partir du cœur. Les enfants ressentent la sincérité et 1' authenticité, même si les actes sont quelque peu maladroits ou excentriques. De plus, nous ne pouvons connaître leur réaction à notre intention dans le court terme, il faut des années. Complimentez avec naturel Ceci est probablement un truisme pour bon nombre d'entre vous : on devrait apprécier les réalisations des enfants sans être sirupeux ou verbeux. Beaucoup de parents ont cette idée qu'il doivent complimenter leur enfant, mais ils tartinent tellement épais que 1'exercice devient contre-productif. Quand un enfant nous apporte un gribouillage, nous devrions éviter de dire : «Oh! quel artiste tu es. Je vais l'encadrer; c'est tellement extraordinaire ! Tu es un petit Picasso. » Car lorsqu'il aura grandi, il reconnaîtra notre hypocrisie et 1'affectation de nos compliments. Il a fait de son mieux, mais il sait qu'il n'est ni Picasso ni Chagall. Il désire seulement que nous soyons reconnaissant pour 262
ce qu'il nous offre, à cause de l'amour qu'il partage avec nous; il n'est pas nécessaire d'en rajouter et de trouver fantastique chaque petite fleur qu'il a peinte. Accordez-lui votre pleine attention quand il vous apporte quelque chose : faites-lui un sourire, une caresse, dites-lui que vous aimez son dessin, c'est tout ! Vous étendre sur les mêmes éloges encore et encore ne lui donne pas plus confiance ; au contraire, cela ternit la joie et la spontanéité de l'échange. Évitez donc de telles erreurs de jugement. Tout dépend aussi de la manière dont nous complimentons nos enfants et 1' effet que cela produit sur eux. Nous ne voulons certainement pas passer la journée à complimenter la moindre petite chose qu'ils font ! Si le compliment est authentique, au lieu d'être une tentative d'augmenter leur confiance, c'est une réponse parfaite. S'ils grimpent sur un tabouret, nous n'allons pas leur dire : « Oh ! comme tu montes bien sur le tabouret ! » Quand tout ce qu'un enfant accomplit est récompensé, il développe l'habitude de tout faire en vue d'une récompense. Il peut se perdre totalement et réprimer son originalité afin d'accomplir ce qu'un adulte important désire qu'il fasse, de façon à récolter le prix, la louange. Il devient totalement malléable, pour utiliser un mot courant dans le langage psychologique. Certains éducateurs avancent même qu'il est malsain de complimenter la création artistique d'un enfant, car il ajustera alors sa créativité naturelle de façon à mériter l'approbation de son professeur : il dessinera toujours l'arbre de la même façon. Un compliment authentique, en accord avec ce que nous sommes, ne produira pas cet effet pervers. Si nous sommes habituellement réservés et que nous entrons soudain en transe quand nous complimentons nos enfants, ils rechercheront cela et se demanderont en même temps pourquoi nous sommes si différents avec eux.
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Il va sans dire que la création des enfants, dont ils sont si fiers, ne devrait jamais être qualifiée de « nulle », « minable », « épouvantable », etc. Bien sûr, si nous sommes nous-même un amoncellement névrotique d'insécurités et de frustrations tortueuses, l'éducation en profondeur à laquelle vise ce livre vous mettra peut-être sur la voie du naturel avec nos enfants. Donc, avant d'ouvrir la bouche, nous devrions réfléchir un instant et, seulement alors, parler consciemment. Normalement, cela suffit à deviner ce qui convient le mieux à un enfant.
L'honnêteté N 'essayez pas d 'être parfait avec eux (personne ne l'est) Il est vraiment sain que les enfants sachent que les adultes sont humains. Après tout, nous le sommes. Nous ne leur donnerons le change que pour un certain temps ; ils ne marcheront pas aux tentatives des adultes de paraître infaillibles. Ils s'aperçoivent assez tôt que nous commettons des erreurs : de jugement par exemple. Si nous ne sommes pas honnêtes, ils n'auront pas confiance en nous. En revanche, s'ils savent que nous faisons de notre mieux, que nous sommes plus âgés, que nous avons plus d'expérience et donc une certaine sagesse (que nous sommes prêts à partager avec eux), alors ils feront confiance à notre statut de commandant : ils étudieront comment nous nous y prenons et apprendront autant de nos succès que de nos échecs. Sinon, ils deviendront hermétiques à tout. Quand un enfant fait une crise, nous pouvons lui dire par exemple : « Tu sais, moi aussi je me fâche parfois et c'est drôlement difficile. Je te comprends.» Nous pouvons sympathiser avec lui. Bien sûr, cette 264
réponse repose sur le fait que nous sympathisons de fait ; faire semblant ne suffit pas, il nous faut vraiment le comprendre. Les enfants nous regardent alors comme s'ils n'avaient jamais cru que nous puissions ressentir les mêmes choses qu'eux. A ce moment, nous pouvons dire : «Je sais comment tu te sens. Je passe par là moi aussi. Quand rien ne semble fonctionner, c'est aussi difficile pour moi que pour toi. Je tâche d'y voir clair et de bien le gérer. » Les enfants sont fâchés après eux-mêmes quand les choses ne vont pas comme ils veulent ; ils ne savent comment gérer la contrariété. Je me suis exprimé en ces termes à quelques reprises avec mes deux aînés : ils interrompaient toujours ce qu'ils faisaient et écoutaient. Si mon fils disait : «Alors là, c'est une véritable arnaque, ce jouet vient de se casser», je répondais : «Eh ! oui, ça ne semble pas juste, n'est-ce pas?» Alors, il arrêtait et écoutait. Une fois qu'ils sont disposés à nous écouter, nous pouvons leur expliquer des choses. Je ne dirais jamais : «Arrête ça. Grandis un peu, c'est la vie ! », mais plutôt : « Je sens aussi que les choses sont parfois injustes, mais il arrive que nous n'y puissions rien. » Et sûrement pas : «Mais je t'avais bien dit de ne pas jouer trop fort avec ce truc ! » Nous devrions tâcher de ne pas trébucher sur nos propres problèmes et demeurer objectifs avec les enfants. Si nous perdons notre sang froid en leur présence, nous pouvons dire, après nous être calmés : « Oh ! je me suis emporté cette fois-ci. Je ferai mieux la prochaine fois. » Il faut leur faire comprendre que nous n'essayons pas de faire semblant d'être ce que nous ne sommes pas. Parfois, ils vous donneront une petite tape dans le dos et diront : « C'est bon, papa. C'est bon. »
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Si l'un de nos enfants a le don de nous exaspérer, il n'est pas interdit de nous effondrer en larmes, si nous en éprouvons le besoin. C'est souvent tout ce dont il a besoin pour entrevoir les choses différemment. Un enfant de quatre ans qui a 1'habitude de manipuler tout l'environnement n'a aucune idée des difficultés que cela occasionne pour les autres. Pour lui, ce n'est qu'un comportement habituel. La manipulation constitue sa stratégie en matière de relations et elle est déjà inconsciente. Voyant sa mère en larmes, il demandera : «Qu'est-ce qui se passe, maman? Pourquoi pleurestu ? » Il est sincère. Les enfants ont de la compassion pour nous et ils désirent améliorer les choses. Il n'y a rien qui les surprenne davantage que de voir un adulte pleurer à la suite de ce qu'ils ont dit ou fait. Aucune parole ne saurait les faire réfléchir davantage à leurs actes ou leurs paroles. Quand ils découvrent à quel point nous prenons les choses sérieusement et combien nous sommes affectés, cela leur permet d'observer une pause et de réfléchir, dans la mesure où leur âge le leur permet. Il leur est si pénible de penser qu'ils peuvent faire pleurer leur mère que le choc peut amener une transformation en eux. J'ai vraiment vu un renversement complet (et de toute évidence permanent) de comportement le jour où la mère, n'en pouvant plus, s'est mise à pleurer. Mais n'en faites pas une habitude et ne blâmez pas les enfants pour les limites de votre tolérance. Bien sûr, en vieillissant ils réalisent leur pouvoir de blesser ou de guérir les autres. Mais en ce qui concerne les tout petits, il s'agit d'un comportement acquis. Il n'est pas désirable de feindre les pleurs ou la peine (ils s'en rendraient compte), mais il arrive que les larmes se manifestent, à cause de notre propre sentiment d'incompétence, de frustration ou d'impuissance.
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Des excuses sincères Supposons que nous soyons des êtres conditionnés, ligotés par nos propres mécanismes. Supposons que notre enfant nous fasse sortir de nos gonds et que nous ne puissions plus nous contenir : alors nous le frappons. Que faire lorsque nous reprenons nos esprits ? Nous devrions le prendre dans nos bras, lui dire que nous l'aimons, nous excuser. Nous pouvons dire : «Maman (papa) a perdu la tête et ce n'était pas correct de te frapper. J'ai de mauvaises habitudes que je ne peux pas toujours contrôler. » Nous lui expliquons que nous avons commis une erreur et lui prodiguons beaucoup d'affection : voilà ce que nous faisons. Et nous ne justifions plus jamais les coups en disant que c'est parce que nous 1'aimons encore ! Un aspect essentiel du don d'affection est de ne pas nous imposer à 1' enfant ; même le prendre dans nos bras peut être une forme subtile de violence, si nous le retenons tandis qu'il essaie de s'éloigner. Prodiguer de l'affection à un enfant consiste à lui offrir 1'attention et les caresses qu'il permet et avec lesquelles il se sent à l'aise. Le saisir sans avertissement et le rudoyer au nom de l'affection, tandis qu'il hurle pour qu'on le laisse, ne fait que compliquer les problèmes. Les enfants ont grand besoin de l'affection des adultes et des autres enfants; mais il s'agit d'une affection offerte librement et non forcée ou opprimante. Après avoir perdu le contrôle de soi et hurlé, ou frappé, les excuses sont nécessaires ; immédiatement après, pas le jour suivant, car le jour suivant est un autre univers pour les enfants, surtout les plus jeunes. Tout de suite après, tandis qu'ils sont recroquevillés dans leur coin, craignant d'être à nouveau frappés, nous devons aller au devant d'eux, respirer profondément, les prendre dans nos bras, les serrer contre nous, leur faire sentir notre attention et nous excuser en
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disant par exemple : « Les adultes ne sont pas parfaits, Je suis vraiment désolé. Les adultes ne sont pas parfaits. »
Dire la vérité aux enfants Je suis tout à fait favorable au fait de dire la vérité aux enfants, mais pas pour s'en servir comme d'une arme pour les maintenir dans le rang. Supposons par exemple que nous offrions à l'enfant un jouet délicat, fragile , comme de la porcelaine, et que nous lui disions : «Attention, c ' est très fragile. Si tu le fais tomber par terre ou le cognes contre quelque chose de dur, ça peut se casser. » L'enfant prendra note de ce qu'on lui a dit, mais dans un moment d'enthousiasme il peut cogner son jouet contre le mur. Si le jouet se casse, il va se mettre à pleurer : « Maman, répare-le. » Dans ce cas particulier, la vérité est celle-ci : «Je t'ai dit que c'était fragile et que le fait de le cogner contre le mur risquait de le casser.» C'est la vérité. Nous pouvons ajouter : «Voyons maintenant ce que nous pouvons faire avec de la colle ... » Il va de soi que vous ne les blâmerez pas d'avoir oublié la réalité, vous allez simplement souligner de façon factuelle la réalité phySique. Nous avons cependant tendance à distraire l'enfant et tenter de diriger son attention ailleurs, en lui disant, si cela à 1'air d'un accident : «Bon, on peut toujours aller en acheter un autre. » Nous ne voulons pas imaginer que notre enfant a fracassé l'objet contre le mur juste pour vérifier sa fragilité. Mais souvent, les parents se comportent avec leurs enfants comme s'il s'agissait d'un accident alors que c'était clairement délibéré. L'enfant le sait et si nous essayons de déguiser l'événement en accident, nous l'acquittons de la responsabilité de son acte intentionnel, en lui disant par exemple : « On pourra en trouver un autre. Nous allons
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en ville samedi pour la foire et nous y verrons peutêtre quelque chose qui te plaira. » Ou bien : « De toute façon, je n'aimais pas ce jouet.» Il est bon d'essayer de réconforter l'enfant, mais il importe aussi de lui présenter la vérité, quelle qu'elle soit ! Il faut le faire de façon simple, directe, en évitant la sentimentalité dithyrambique. Rappelez-vous que souvent les enfants n'en veulent pas « un autre » ; ils veulent revoir celui-ci et seulement celui-ci. Nous devrions donc nous montrer compréhensifs et patients. Si certains enfants n'ont pas besoin qu'on leur rappelle souvent la réalité, d'autres en revanche ont besoin qu'on la leur rappeJJe régulièrement. Par exemple:« Si tu frappes Thomas, voilà ce qui va se passer. .. » Les petits enfants pardonnent et oublient facilement ; alors quand un enfant ne veut pas jouer avec un autre, c'est qu'il a ses raisons. Si nous lui disons : «Ah! Thomas n'était pas de bonne humeur aujourd'hui», nous ne lui présentons pas la réalité, qui est : « Tu sais, durant ces deux dernières années, chaque fois que tu as rencontré Thomas tu l'as bousculé, frappé en lui donnant des coups de poing. Voilà pourquoi il ne veut pas jouer avec toi . » Quoi de plus simple ? Alors il pleure et dit : « J'voulais pas vraiment lui faire de mal. » Alors il convient de lui dire : «C'est merveilleux que tu aies bon cœur ; après avoir frappé quelqu'un, tu ne te sens pas bien ; mais si vraiment tu ne voulais pas lui faire de mal, alors tu dois d'abord apprendre à ne pas le frapper. » Si l'enfant avoue : «Mais je ne sais pas comment m'en empêcher», alors nous devons l'y aider. Notre propos n'est pas de rejeter ou d'isoler un enfant simplement parce qu'il faut lui «dire les choses comme elles sont ». Nous essayons parfois de protéger nos enfants comme si la vérité risquait de leur faire du mal. Si nous
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leur présentons la vérité de façon appropriée, elle ne leur fera jamais de mal, même si en l'entendant ils en sont bouleversés. Un enfant qu'il faut ramener à la réalité est habituellement déjà sous l'emprise d'un conditionnement : la vérité va le bouleverser et provoquer un stress. Mais en même temps, il peut toujours avoir le désir d'être plus sociable. Il n'est pas nécessaire de rappeler la vérité très souvent à un enfant qui agit en toute innocence. L'une des raisons d'établir des limites justes est de l'aider à vivre le plus possible libre de manipulations. Aucun enfant (ni aucun adulte) ne vit ainsi tout le temps, mais nous pouvons sûrement l'aider à demeurer dans l' innocence autant que possible, de façon à ce qu'il conserve des relations justes avec les autres et avec son environnement.
Il y a aussi les rêves de grandeur d'un enfant, qui s'imagine par exemple être un meilleur joueur de basket que Michael Jordan et pouvoir accomplir des exploits extraordinaires. Certains parents croient que ramener leur enfant à la réalité pourrait blesser son estime de soi, car il est sain qu ' il exerce son imagination. Je pense qu'en ce cas la vérité est subjective; peut-être sera-t-il effectivement très bon, dans vingt ans. Quand un enfant croit pouvoir arrêter une voiture en se tenant devant elle, comme Superman, mieux vaut intervenir. Mais s'il ne fait que se laisser aller à ses fantasmes à propos d'une de ses passions, je laisserais faire. Cette distinction est importante. Les enfants vivent beaucoup dans leur imagination et il revient au bon sens des parents de les ramener à la réalité ou de les laisser vivre dans leur monde imaginaire et magique sans faire de commentaire, en y participant 270
même. Si nous choisissons le mauvais moment pour dire à un enfant que le Père Noël n'existe pas, cela peut être néfaste. C'est la vérité sur un plan, mais pas sur l'autre. Pour ce qui est du royaume de l'imaginaire, il est impérieux de respecter le sens du fantastique des enfants. Une grande partie de ce que nous estimons être la réalité de ce monde n'est que notre réalité rationnelle, qui n'est pas nécessairement la réalité. Où serions-nous si on avait dit à C.S. Lewis ou J.R.R. Tolkien que leur monde imaginaire n'était que ridicule illusion? C'est nous qui avons présenté le Père Noël aux enfants, ils ne l'ont pas inventé, tel un compagnon de jeu imaginaire que nous pourrions apprécier. C'est nous qui leur avons transmis l'idée, alors il nous faut garder l'esprit ouvert et non trop terre à terre et zélé pour les ramener à des critères adultes de la réalité.
Ne vous montrez pas résignés avec les enfants. Si un enfant veut jouer dehors et que vous n'avez aucune envie de jouer avec lui ou même de l'emmener dehors, le fait de soupirer, de vous plaindre en levant les yeux au ciel, alors que de toute façon vous allez l'accompagner, n'est pas la meilleure attitude. Si vous devez vous résigner à vous faire constamment mener par le bout du nez par les enfants, vous ne devriez pas en avoir mais envisager la ligature des trompes ou la vasectomie : faites quelque chose ! Si vous êtes trop occupé, dites-le directement à l'enfant : «Je suis trop occupé maintenant. Je dois terminer ce projet. Je jouerai avec toi plus tard. »Mais alors, jouez vraiment avec lui plus tard. Si vous êtes toujours trop occupé, vous avez un sérieux problème... et il vous faut affronter votre refus ! 271
Avoir une seule parole Nous ne devrions avoir qu'une seule parole. Pour d'autres adultes, une telle fiabilité n'existe peut être nulle part, mais les enfants assimilent un principe vital de l'existence en côtoyant des adultes dignes de confiance. Ils apprennent à respecter leur parole, à être dignes de confiance et clairs. Bien sûr, à nous de savoir ce que vaut notre parole ! Nous devons « savoir qui nous sommes » avant de fixer des limites réalistes et susceptibles d'être respectées. Comme je l'ai dit plus tôt, je ne vais pas forcer l'enfant et ne lui ferai pas non plus subir de sévices ; je ne dirai donc pas : «Écoutemoi bien, si tu ne changes pas, je vais te tirer les oreilles, te tordre le nez. Je vais te botter le derrière et tu auras tellement mal que tu ne pourras plus t'asseoir pendant une semaine, c'est clair, tu m'as bien compris?» Je sais que je ne ferai pas ce genre de choses, alors inutile de bluffer, dans l'espoir qu'une menace suffisamment puissante réduira l'enfant à la SOUmiSSIOn.
Nous ne devrions rien promettre à un enfant (jouer avec lui, des gourmandises, une raclée) si nous ne pensons pas ou ne pouvons pas remplir cette promesse. Pourquoi étions-nous incrédules quand nos parents nous disaient ce qu'ils croyaient être bon pour nous? Nous savions tout, nous étions si intelligents. Nous avons appris à ne jamais les croire parce qu'ils ne respectaient pas leur parole la plupart du temps. Ils n'étaient pas fiables sur le coup, donc pas dignes de confiance à long terme. Si un enfant demande : «Peuton aller au cirque?» et que nous répondons par l'affirmative, il nous demande quand. Si nous répondons : «Un des ces jours» et qu'il acquiesce, la confusion s'installe. «Un de ces jours» n'existe pas pour un enfant. Il le définira comme la semaine prochaine, par exemple, et si nous ne l'amenons pas à ce moment-là, 272
il nous accusera de mentir, et aucune explication de notre part ne le convaincra qu'il ne nous a pas compris. Réfléchissez donc avant de parler et surveillez vos paroles ; sinon, même si vous êtes sincère, vous perdrez votre crédibilité.
Si nous organisons quelque chose avec les enfants, quelque chose qu'ils planifient pour un moment précis, et que nous faisons défection, notre crédibilité s'effondre. Malheureusement, certaines personnes sont merveilleuses quand eUes tiennent leurs promesses, mais épuisantes pour parvenir enfin à les réaliser. Je me souviens d'une femme qui enseignait l'équitation ici. J'imagine qu'eUe n'a jamais été témoin de la déception d'un enfant impatient qui toute la semaine a attendu la leçon promise et qu'eUe n'est pas venue. EUe avait toujours de bonnes excuses : sa voiture avait eu des pépins, les freins avaient lâché ... Vous n'avez pas idée de ce qui pouvait arriver à cette femme pour 1' empêcher de se présenter régulièrement pour la leçon d'équitation. Nous avons dû cesser d'avoir recours à elle parce que les enfants étaient trop souvent déçus. Dommage, car c'était un professeur exceptionnel, quand elle voulait bien consentir à venir. De teUes déceptions sont dramatiques pour les enfants. II y en a évidemment qui estiment que les enfants doivent apprendre la spontanéité et accueillir les situations inévitables avec calme et philosophie. Ces gens disent : «C'est la vie et les enfants doivent apprendre à faire avec. » Pour ma part, je considère inacceptable d'anéantir la confiance et l'espoir d'un enfant innocent qui adore une activité particulière. D'un côté, il est vrai qu'ils doivent apprendre la spontanéité et accepter de bonne grâce les changements de plans, mais d'un autre 273
côté, l'adulte doit se montrer digne de la confiance des enfants et des autres adultes. Il est plus important qu'un enfant apprenne à être fiable qu'à faire face aux déceptions de façon philosophique et sans émotion. Les adultes ne devraient donc jamais promettre ou accepter de faire quelque chose pour ou avec un enfant s'ils ne sont pas prêts à le faire. Même si les enfants n'ont pas spécialement hâte que la chose promise se réalise, les faire attendre est irresponsable. Nous ne devrions pas nous impliquer si nous ne sommes pas prêts à respecter nos promesses et nos engagements, et... à l'heure dite ! Quand les enfants sont un peu plus grands, nous pouvons leur confier honnêtement : «Je n'ai pas bien réfléchi quand j'ai dit ça et je n'avais pas prévu que les circonstances allaient changer; il nous faudra peutêtre changer le moment ou faire autre chose. » Mais les très jeunes enfants sont incapables d'imaginer qu'un adulte tout-puissant ne puisse accomplir ce qu'il a promis de faire : ils nous font naturellement confiance jusqu'à ce que nous leur prouvions qu'ils ont tort. Il serait préférable, pour leur maturation et leur éducation, qu'ils puissent avoir confiance en nous. Il serait également préférable qu'ils apprennent que personne n'est digne de confiance en observant des situations qui ne les mettent pas en cause eux-mêmes, mais plutôt la vie et les amis d'autres enfants, ou en observant des personnes moins proches d'eux que papa et maman. Les enfants demeureraient ainsi fondamentalement innocents, c'est-à-dire qu'ils feraient confiance mais sans être naïfs, et percevraient bien la nature humaine. Cependant ils ne sentiraient pas le besoin, inconscient ou non, de devenir eux-mêmes indignes de confiance de façon à pouvoir survivre parmi les adultes indignes. « Mensonge pour mensonge » (ou hypocrisie pour hypocrisie) ne constitue pas un modèle. 274
L'honnêteté envers nous-mêmes Aucune personne de ma connaissance n'a atteint un état de sainteté tel qu'il lui permette de ne jamais être contrarié ou mis en colère par un enfant de temps à autre. Si notre mental est immature, incontrôlable, nous songerons sérieusement à frapper un enfant qui nous tape sur les nerfs ou à crier après lui. Les gens ont des pensées violentes ; tout le monde en a et il n'y a rien de mal à ça. Mais si nous ne cessons de répéter d'une voix éthérée combien nos enfants sont merveilleux, combien nous les aimons et ne sommes jamais dérangés par eux alors qu'intérieurement nous refoulons notre rage, ce n'est sain ni pour les enfants ni pour nous. Les enfants sont parfois difficiles et il arrive qu'ils nous mettent à l'épreuve. Nous pouvons admettre qu'ils le soient, tant vis-à-vis de nous que visà-vis d'eux-mêmes (en temps et lieu appropriés). Cela n'entache en rien notre amour pour eux : c'est seulement qu'ils sont plus énergiques que ce que peuvent supporter nos nerfs. L'enfant le plus merveilleux, le plus beau, le plus aimant et le plus parfait peut à 1' occasion faire des chichis et mettre nos nerfs à vif. Les enfants ont constamment besoin d'attention ... et ils font du bruit... et tout ce qui s'ensuit. Et non seulement ils ont besoin d'une attention constante, mais en plus ils la réclament. Ils ignorent nos règles et nos seuils de tolérance. Si nous admettons qu'ils nous tapent sur les nerfs, qu'ils dérangent notre tranquillité habituelle, mais que nous reconnaissons que cela n'a rien à voir avec notre amour pour eux, que c'est plutôt notre manque de patience, alors cela ne créera aucune difficulté. Ça passera, sans plus. Nous ne serons pas piégés par des pensées du genre : « Quel monstre je suis. Je suis épouvantable, je déteste mon enfant. » Non. Quand nous nous disons la vérité sur la manière dont nos enfants nous tapent sur les nerfs, nous accep275
tons simplement la responsabilité de notre jeu mental égocentrique. Bien des gens le refusent. Il est facile de constater combien certaines personnes sont poussées à bout par leurs enfants tout en refusant de l'admettre : elles font porter toute la responsabilité sur l'enfant et refusent d'accepter une quelconque responsabilité personnelle. Il est bien préférable d'admettre notre impatience et notre frustration. Mais nous n'avons pas à le dire aux enfants à moins de le faire avec amour, sans menaces, car ils ne comprendraient pas. Dire : « Maintenant j'ai envie de te frapper» est très déplacé. Mais dire : « Je suis en colère parce que je pense que tu n'aurais pas dû déchirer la couverture de mon nouveau livre» n'engage aucune menace et transmet le message voulu. Si nous sommes vraiment fâché envers un enfant, nous ne devrions jamais lui dire que nous ne le sommes pas. Vous pouvez dire : «Là je suis vraiment fâché, mais je t'aime quand même. Simplement, je veux que tu arrêtes de jeter ton lait par terre ». Quand je suivais le cours EST 1, l'instructeur a abordé le thème des enfants en tout juste deux minutes. Il a dit : «Nous allons parler des enfants », et tous ceux qui avaient des enfants attendaient impatiemment. Puis il a continué : « Vous devez admettre que les enfants sont parfois des emmerdeurs royaux. Vraiment. » Bien des gens qui suivaient ce cours et avaient essayé de toujours aimer leurs enfants en toutes circonstances, de ne jamais se fâcher contre eux ni d'être dérangés par eux, eurent un mouvement de recul et se rebellèrent : «Alors c'est ça la solution de Werner 1. Le cours EST (Erhard Seminar Training) a été mis au point par Werner Erhard au début des années soixante-dix. Il contient de puissantes méthodes de confrontation pour nous aider à cesser de nier la réalité.
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pour 1'éducation des enfants ? Deux minutes ? » Les enfants sont parfois des emmerdeurs royaux. Vraiment. «Juste des emmerdeurs? Rien d'autre? Qu'en est-il de la joie, de la beauté, de la tendresse ? » En fait, nous ne nions pas la joie, la beauté et la tendresse. Nous ne nions que ce que nous ne voulons pas voir, non ce que nous aimons voir. Rien dans la vie n'est tout blanc ou tout noir. Rien n'est toujours ou jamais, sauf ceci : la vie n'estjamais tout blanc ou tout noir. La vie a toujours deux aspects : la douleur et le plaisir, la laideur et la beauté, la joie et la souffrance. Si nous pouvions admettre qu'il arrive des moments, même s'ils sont peu fréquents, où nous sommes à court de patience, et des moments où nos enfants ne font rien pour nous mettre hors de nous (ce qui représente la majeure partie du temps) , nous pouvons leur donner tout ce que nous avons à leur offrir, librement, sans restriction ni calcul. Si, lorsqu'ils sont «des emmerdeurs » nous nous obstinons à prétendre que tout va bien, que nous sommes parfaitement sereins, non affectés (ces enfants étant après tout notre chair et notre sang) nous allons nous couper d'eux et rendre la relation fausse . Or, si elle est fausse en ces moments, elle l' est également en d'autres, quand nous essayons de rendre la relation « réelle » autrement. Nous nous coupons d'eux parce que nous établissons une équation dans laquelle notre agacement équivaut de notre part à un manque d'amour. Nous sentant menacés par l'éventualité de ne pas aimer nos enfants, nous n'arrivons pas à réconcilier le fait que nous les aimons toujours en toutes circonstances et le fait que nous perdons parfois patience et nous fâchons contre eux. Voilà pourquoi tant de sévices sont imposés aux enfants. Les gens «essaient d'aimer» leurs enfants tout le temps, quoi qu'il arrive. Quand ils n'y arrivent pas, ils se détestent ; il se produit alors une explosion 277
de violence qui s'abat sur ce qui est le plus proche, les enfants eux-mêmes le plus souvent, puisque, selon une logique tordue, les enfants sont la cause de cette crise de haine envers soi-même. Ces adultes essaient de blâmer ce ou plutôt, ici, « ceux » qu'ils croient être la cause de leur échec. Il s'agit bien sûr d'une explication simpliste et n'identifiant qu'une des multiples causes d'abus envers les enfants; mais c'est une cause qu'il convient certainement de prendre en considération.
La nécessité de porter littéralement toute notre attention à chaque élément de notre relation avec notre enfant est une formidable pratique vers laquelle il faut tendre. Il nous incombe d'offrir aux enfants un langage approprié, un environnement émotionnel approprié ainsi qu'un large éventail de stimuli ; cela sera du plus grand profit pour leur croissance vers la maturité, le bonheur et la santé à l'âge adulte.
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Une éducation pour la vie
Le continuum 1 de la vie L'un des points fondamentaux de la thèse de Liedloff établit le fait que les enfants qu'on entoure de soins de façon inconditionnelle, et qui bénéficient de contacts corporels étroits avec leurs parents et les proches jusqu'à ce qu'ils soient prêts à explorer d'euxmêmes leur environnement, reçoivent l'attention nécessaire et établissent les liens énergétiques qui leur assurent joie et aisance dans le présent ainsi qu'un sain développement dans l'avenir. Dans ce chapitre, je me fonde sur ces principes pour examiner la valeur et les moyens pratiques d'une intégration des enfants à «la vie telle qu'elle est», dans la société dans laquelle ils sont nés, cherchant à accroître leur confiance en soi et leur indépendance, tout en encourageant leur bonté naturelle et leur confiance inhérente en leur instinct. Pour que le concept de continuum fonctionne dans notre vie, il faut pleinement intégrer les enfants à la société, en commençant avant la naissance. Dès qu'une 1. Note de l' éditeur américain : Le terme « continuum» est ici utilisé dans le sens que lui donne Jean Liedloff dans son livre novateur, The Continuum Concept, NY, Penguin, 1975, fondé sur sa vie parmi les Indiens Yekwana de 1' Amérique du Sud.
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femme se sait enceinte, elle peut entreprendre d'aider cet autre membre à part entière de la société à s'intégrer à divers niveaux, par la célébration de la joie qui précède la naissance. Il y a bien sûr plus que cela, mais je n'exprime ici que le thème principal. Outre qu'ils sont sensés, les principes de Liedloff font écho à un sens inné de droiture et de justice, même si le monde actuel semble bien éloigné de ces notions. Je n'ai vu nulle part en Occident ces principes parfaitement appliqués, même dans des situations idéales. Néanmoins, les parents les plus sincères et les plus dévoués peuvent les mettre en pratique pour le plus grand bien de leurs enfants, pour leur propre bien ainsi que celui de la société. Nous devons simplement effectuer les transpositions nécessaires de ces principes dans notre société. Avant qu'un enfant ne marche, il est sain qu'il soit témoin de tout ce que nous faisons dans notre vie quotidienne : c'est ainsi qu'il apprend. Tl est important qu'un des parents le porte et garde un contact physique ininterrompu avec lui au cours de son activité quotidienne. Dans les communautés autochtones, c'est plus facile et naturel que dans le monde technologique pressé de notre civilisation occidentale. Ces sociétés respectent la venue en ce monde d'un enfant comme un événement miraculeux : il est dès le début pleinement désiré et aimé, de façon tacite et sans question. L'idée d'accorder de l'attention à l'enfant, telle que nous 1' exposons dans cet ouvrage, est ici redondante, car déjà enracinée dans ces sociétés au sein desquelles existe vraiment une communauté distincte des femmes et des enfants, où de tels liens sont davantage encouragés. Le parent poursuit une vie normale et productive que les enfants n'interrompent pas, sauf pour des raisons organiques et évidentes : se nourrir, prendre un bain, jouer, etc. Les enfants sont alors les témoins de 280
la vie telle qu'elle se déroule, à son rythme et dans sa variété. Selon ces principes, lors de la phase « dans les bras» (jusqu'à ce qu'un enfant ait deux ou trois ans) nous recommandons de maintenir un contact physique. Les porte-bébés guatémaltèques sont parfaits, tant que l'enfant s'y sent confortable; quand il commence à s'intéresser activement au monde environnant, une étape naturelle de son développement, nous le laissons explorer à volonté. Au cours de cette phase, les parents devraient vaquer à leurs occupations habituelles (écrire, travailler, etc.) tandis que l'enfant les observe. Je préfère que le bébé soit porté à l'avant plutôt qu'à l'arrière ou sur le côté, de façon à ce qu'il puisse assister à notre vie et garder un contact oculaire avec nous. En grandissant, il essaiera de nous amener à faire ce qu'il veut, plutôt que ce que nous voulons. Il s'agit alors moins d'une question de compromis de la part des adultes par rapport à leur vie que d'un ajustement qui prenne en considération 1' indépendance grandissante de 1'enfant et son besoin de stimuli variés (c'est-à-dire davantage orientés vers lui-même).
Voir les enfants nous aider dans nos tâches quotidiennes est vraiment formidable. Plus ils obtiennent d'encouragements, mieux c'est. Dès qu'ils sont capables de mettre un pied devant 1'autre, ils peuvent certainement porter une serviette humide sur la corde à linge ou une assiette sale jusqu'à 1' évier. Les enfants adorent aider maman et papa. Si nous leur en laissons le loisir et leur accordons la liberté d'apprendre sans rester suspendu au-dessus d'eux pour guider leur moindre mouvement, ils continueront à aider. Les 281
petites filles aiment cuisiner, nettoyer et exécuter les tâches qu'accomplit leur maman, prendre soin des plus jeunes enfants aussi, ce qu'elles voient faire surtout par les femmes adultes. À quatre ou cinq ans, les petits garçons commencent à être intégrés dans la société des hommes. Ils vont au garage, scient un morceau de bois, nettoient le moteur de la voiture et, de temps à autre, aident à déboucher l'évier. C'est ainsi qu'ils apprennent, en participant aux activités. Dans une société saine, les garçons apprennent aussi à cuisiner, à coudre, à accompagner les plus jeunes enfants, tandis que les fillettes apprennent à se servir d'outils, etc.; mais certaines activités semblent traditionnellement échoir à un sexe plutôt qu'à l'autre. Liedloff décrit surtout la complète intégration des enfants : au lieu d'être dépendants des adultes, ils sont des membres à part entière de la société, et utiles. Dans la société occidentale, les gens en contact avec les enfants voient très souvent ceux-ci comme des êtres dépendants, comme s'il fallait s'occuper d'eux jusqu'à ce qu'ils puissent remplir leurs obligations contractuelles. C'est cela qui les empêche de remplir leurs obligations : si nous ne reconnaissons pas un enfant de trois ans pour ce qu'il est et le traitons comme s'il avait six mois, il ne tiendra pas la place qu'il devrait dans la cellule familiale. Si les enfants sont traités en êtres dépendants, ils travailleront avec cette mentalité à l'arrière-plan et seront alors ce qu'on attend d'eux : des êtres démunis et incompétents. Joseph Chilton Pearce [auteur de Magical Child (NY, E.P. Dutton, 1977) et d'autres livres éclairés sur le développement des enfants] avance que tout ce que les enfants font constitue leur travail. Même quand un enfant joue avec des blocs et tape dessus, c'est son travail, dans le sens de gagner sa vie, tout comme un adulte salarié ou qui effectue des travaux dans la mai-
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son. Les enfants prennent leur travail très au sérieux. Sortir les souliers du placard de rangement et les mettre ailleurs, un par un, constitue un travail des plus sérieux: pour eux, ce n'est pas un jeu. Que l'on trouve cela « mignon ! » ou que ça nous dérange et qu'on leur demande d'arrêter et de tout remettre en place immédiatement, pour eux, c'est un travail, et ils sont résolus à l'accomplir; nous devrions le respecter et reconnaître qu'ils font un bon travail, même s'il nous faut ensuite ranger tous les souliers à leur place. Avec un minimum d'encouragement, ils les remettront d'ailleurs en place eux-mêmes, parce qu'eux aussi aiment terminer ce qu'ils entreprennent.
Les aptitudes des enfants se révèlent dès leur plus jeune âge. Dès qu'ils peuvent bouger, ils montrent des inclinations particulières. Ainsi, bien des enfants aimeraient cuisiner, or les adultes doivent savoir qu'un enfant qui veut faire la cuisine parce qu'il y trouve du plaisir ne sera pas nécessairement d'une grande utilité, ou du moins ne faut-il pas s'attendre à ce qu'il montre le même niveau de compétence. Quand un jeune enfant apprend à cuisiner, il faut s'attendre à retrouver des choses par terre, à ce que les carottes ne soient pas toutes exactement comme nous les souhaitons et à balayer beaucoup de farine et de sucre, mais c'est parfait ! Je ne m'attends pas à ce qu'un enfant concentre son esprit sur l'épluchage des légumes pendant des heures. Mais il devrait au moins pouvoir écouter un adulte, le servir et participer un peu : couper, pétrir, épicer, faire des galettes, mettre en forme des biscuits. On devrait pleinement encourager un enfant qui montre une réelle aptitude pour la cuisine. Mais s'il ne veut vraiment pas aider, s'il doit se montrer facétieux,
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entêté, ou saboter le travail, ce n'est pas la peine de le forcer, sous peine de tout centrer sur la confrontation avec l'adulte. Je vous suggère plutôt de les laisser jouer comme ils le veulent et de remettre à plus tard ce que vous avez à faire , à moins qu'ils ne jouent à vos côtés. Si vous ne pouvez remettre votre travail à plus tard, ils doivent comprendre que tout le monde a des responsabilités et que la leur consiste à jouer, mais qu'ils sont avec vous et que vous devez terminer quelque chose : leur responsabilité est donc de rester avec vous tant que vous n'avez pas terminé. Plus ils vous faciliteront la tâche, plus tôt vous pourrez jouer avec eux. Avec un peu de créativité, on arrive aisément à une entente avec la plupart des enfants. Les menaces ne sont pas créatives - soit dit en passant ! Quand un adulte cuisine et qu'il tient à tout prix à ce que les choses soient faites d'une certaine manière, se faire aider par un enfant dans ces conditions de tension n'est pas une bonne idée, car cette tension annule les bienfaits de la confiance qu'ils acquièrent en aidant.
Un grand débat fait rage entre les experts en éducation des enfants : faut-il faire travailler les enfants ou non ? Doivent-il nettoyer la table, dégager la neige à la pelle, tondre le gazon et prendre part aux autres responsabilités ? « Tu vis ici, donc tu dois assumer ta part de responsabilités ! » J'ignore la réponse, mais je n'ai pas envie de traîner les enfants pour faire la lessive, ou faire la chaîne autour de 1'évier jusqu'à ce que la vaisselle soit terminée. Il nous faut certes être créatifs, mais 1'exagération est contre-productive. L'idéal est d'établir des environnements adaptés aux enfants, dans lesquels il n'est pas irréaliste de les in té-
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grer à notre vie : ils peuvent y jouer pendant que nous accomplissons les tâches nécessaires. S'ils veulent participer, ils le font ; sinon, ils restent en contact de façon saine, dans le respect de leur statut d'enfants et dans l'amour. Un tel environnement repose sur une définition claire de ce qui est jeu et de ce qui ne l'est pas, de ce qui est éducation et de ce qui ne 1'est pas, de ce qui est sain et de ce qui ne l'est pas. C'est ainsi que l'éducation devrait, et peut, réussir. Si les adultes travaillent dur et sont responsables, s'ils vivent en accord avec eux-mêmes, même si l'enfant n'est pas mis au travail à la maison, il travaillera dur et vivra en accord avec lui-même. Je ne crois pas qu'on puisse prendre un enfant de douze ans et faire en sorte qu'il soit satisfait, ou que vous-mêmes le soyez, des efforts fournis. Il y a bien des années, nous avons visité un temple des Rare Krishna, en Virginie de l'Ouest. Un groupe de jeunes, dont l'un de treize ans, devait accomplir une dure tâche. L'un des étudiants plus âgés (des Rare Krishna) était engagé dans un bras de fer avec l'adolescent : il le dominait ou du moins tentait de le faire. Le garçon était comme les autres de son âge, avec des habitudes déjà bien établies. Il était entré chez les Rare Krishna à l'âge de dix ou onze ans avec ses parents et ne voulait pas effectuer ce genre de travail, car il ne l'avait jamais fait. Mais dans le système Rare Krishna, on travaille ! On travaille et on chante ; une heure ou deux par jour, on va dans les champs et on joue. Ce jeune garçon refusait de s'y plier. Il voulait aller marcher et faire ce que fait un jeune de treize ans en Virginie de l'Ouest : alors il se disputait sans cesse avec les swâmis, il sortait et ne faisait pas son travail. La question n'est pas de savoir si la société des Rare Krishna est saine ou pas; l'idée est que l'enseignement par l'exemple devrait prévaloir sur la lourdeur des jugements, de la rhétorique et des exigences des adultes. 285
Il en est ainsi dans toutes les sociétés. Élever les enfants veut dire les élever en tant que partie intégrante de la culture, de façon à ce qu'ils accomplissent ce que font les adultes. Notre société, en général, semble éprouver de la difficulté à y parvenir. Nous sommes passablement étrangers à un système enfants-parents complètement intégré. Dans notre société technologiquement avancée, les adultes sont coupés des jeunes. S ' impliquer avec les jeunes exige une somme considérable de temps, d'énergie, de patience et de participation à leur vie et à leurs intérêts. Il s'agit d'un travail d'équipe. On ne peut simplement pas larguer un enfant devant la télévision, le laisser tout le temps avec la garde d'enfants et s'attendre à ce qu'il ne soit pas aliéné par rapport aux adultes et à leur société. En général, la première phase importante de la vie va d'un an à sept ans. Il y a plusieurs étapes mineures à l'intérieur de cette période comprenant le développement de la coordination motrice des mouvements, du corps et des sentiments. La deuxième étape, qui va de sept à quatorze ans avec, ici aussi, des sous-étapes, voit le développement émotionnel de 1'enfant et un approfondissement des rapports avec les autres et le monde extérieur. Dans toutes les sociétés, c'est l'âge de la maturité sexuelle, au cours de laquelle les jeunes gens passent à l'âge adulte par des rites d'initiation. La confirmation chez les chrétiens, les Bar Mitzvah et Bas Mitzvah chez les juifs sont des exemples de rites de passage. Vient ensuite la troisième étape majeure, au cours de laquelle se développent l' intellect, les idées, la logique, bref toutes les facultés de pensée et d'analyse. Lorsque les jeunes atteignent douze ou quatorze ans, nous ne devrions pas les contrôler, les conduire et les entourer à la manière de geôliers ; or certains adultes établissent une équation entre éducation et contrôle rigide. Les enfants devraient être assez mûrs pour 286
prendre soin d'eux-mêmes en grande partie, travailler de façon responsable avec les adultes, ainsi que comprendre certaines limites évidentes, inhérentes au fait qu'ils n'ont pas encore traversé la troisième étape. Mais au sortir des deux premières étapes, ils devraient être essentiellement mûrs. Il nous faut donc les éduquer à s'intégrer de plus en plus à la société des adultes et à y jouer leur rôle. Par conséquent, plus nous travaillons, jouons et vivons pleinement avec nos enfants - plus nous faisons et créons avec eux -, plus ils seront intégrés, heureux, dévoués et naturellement impliqués. Ils participeront lorsqu'ils seront prêts. Ils le voudront, ils y prendront plaisir. Mais si nous nous plaignons de notre travail et de notre manque de temps et d'énergie, ils ne voudront jamais aider. Pourquoi le feraient-ils ? Ils vont capter les messages que nous leur envoyons.
Les attentes Jean Liedloff décrit ainsi la nature fondamentale des attentes : L'attente est profondément enfouie dans l'homme, dans sa nature. On peut dire que ses poumons ont non seulement besoin d'air mais qu'ils attendent l'air. Ses yeux attendent les rayons de lumière, ses oreilles les vibrations causées par les événements susceptibles de les concerner, y compris la voix des autres et la sienne propre 1• Nos corps fonctionnent donc dans un contexte d'attentes. Nous pourrions aussi appeler ça l'instinct. Dans 1. Jean Liedloff, op. cit., p. 35.
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l'éducation des enfants, il est extrêmement utile d'avoir une idée de ce qui est «attendu», de façon à connaître l'objectif. C'est mieux que de voir les trente adultes d'une communauté errant de-ci de-là en se demandant ce que sont les enfants, ce qu'ils font là, ce que sont les responsabilités des adultes, etc. Il est extrêmement important de définir le plus clairement possible en quoi consistent la santé et la maturité psychologique et spirituelle, ainsi que les diverses étapes de développement que traversera naturellement un enfant. Nous, les adultes, devons nous considérer les uns les autres avec grâce et courtoisie, de façon à ce que les enfants en fassent autant entre eux et avec nous. Je veux souligner 1'importance de donner 1'exemple, sinon ils ne le feront pas ; intuitivement ils sentiront la rectitude d'un tel comportement, mais l'exemple que nous leur montrerons prévaudra. Notre comportement constitue une exigence pour que tous les autres agissent de même. Nous ne pouvons forcer les adultes à agir comme nous, mais notre pouvoir est beaucoup plus fort avec les enfants, même si nous l'ignorons et ne l'exerçons pas de façon autoritaire. Les enfants réagissent aux attentes des adultes qui les entourent. Jean Liedloff citait les Indiens yekwanas, qui laissaient souvent leurs enfants se traîner librement par terre : ils n'allaient pas dans le feu ou la rivière, car on attendait d'eux qu'ils prennent soin d'euxmêmes pour ce qui est des aspects fondamentaux de l'existence. On permettait même aux enfants de jouer avec des couteaux extrêmement aiguisés et ils ne se coupaient pas, car on attendait d'eux qu'ils sachent manier de tels instruments ; et ils y arrivaient. Contrairement aux Yekwanas, face aux enfants, la plupart d'entre nous sommes entraînés à être conscients du danger inhérent à de nombreux objets au
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lieu de nous tourner vers leur utilité. Afin de contrecarrer cette tendance, nous recommandons, en matière de sécurité des enfants, que si la situation ne menace pas leur vie ou ne présente pas de danger important les parents n'interviennent pas trop rapidement. Laissez les enfants couper leurs concombres et leurs bananes pour manger avec leurs céréales et comme ils le veulent, selon leur niveau d'habileté et leur perspective. Laissez-les aider et en tirer de la fierté. Quel est le problème d'avoir des tranches de banane de grosseur inégale ? Elles ont le même goût. Cependant, je ne donne pas aux enfants de petits objets coupants ou dangereux, ou trop faciles à avaler, du moins pas avant qu'ils ne soient capables de bien avaler de la nourriture solide et qu'ils puissent maîtriser les mouvements de leur langue de façon à ne pas avaler toutes sortes de choses. Sur le plan pratique, chaque situation est différente. Si un enfant avale une petite bille de verre, rien de grave : elle passe tout droit. Mais il en va autrement d'un trombone ou d'une punaise. Quand les enfants commencent à se battre entre eux, nous avons tendance à les surprotéger. Nous ne voulons pas qu'ils se fassent mal physiquement ou moralement, mais il est inutile de les surprotéger. Ils règlent étonnamment bien leurs affaires entre eux, si nous respectons leur intelligence à y arriver. Simplement, ne les laissez pas blesser un autre enfant : balancer un teeshirt à la tête d'un camarade est une chose, lui balancer un jouet métallique en est une autre. Il faut que l'adulte chargé de la sécurité des enfants soit confiant, digne de confiance et doué de sens pratique. Si quelque accident peu sérieux survient, qui entraîne des pleurs et un peu de sang, cela n'affectera pas un enfant car il comprendra qu'un adulte fiable contrôle la situation. Sous le coup de la surprise d'une chute inattendue, il peut pleurer, mais il se sentira en sécurité.
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Qu'est-ce que «se faire mal» de toute façon? Estce se casser le bras ? Il est bien possible que la plus sûre manière de se faire mal soit de s'imprégner de préjugés, de fausse piété, de cruauté et d'égoïsme plutôt que d'avoir une fracture ou des égratignures. Car ces blessures physiques guérissent vite et ne laissent pas de séquelles profondes. Se faire mal, c'est passer le reste de sa vie dans l'antagonisme par rapport à une autre religion, une autre race ou une autre croyance. Ces haines ne guérissent pas facilement ; non seulement elles laissent des cicatrices sur celui qui s'y adonne, mais aussi sur ceux qui en sont l'objet. Enseigner aux enfants la peur, la paranoïa et la violence : voilà la véritable blessure. En matière de sécurité des enfants des autres, il nous faut être fidèle à nous-mêmes au lieu de nous inquiéter de ce que les autres mères diront. Nous ne devrions pas être insensibles aux souhaits des autres familles, mais devons nous montrer responsables pour les enfants qui sont sous notre garde, même si leurs parents agissent différemment. Une des grandes difficultés des parents consiste à gérer le mécontentement des autres face à leur manière d'agir : proches amis en particulier, famille et autres personnes que nous rencontrons souvent. Il est étonnant de constater combien les amis intimes réagissent quand un de leurs points sensibles est touché qui ne 1'est pas habituellement. Il leur est difficile d'accepter que les autres élèvent leurs enfants autrement qu'ils le font eux-mêmes.
Escompter des enfants qu'ils soient en bonne santé, intelligents et habiles, c'est penser qu'ils peuvent accomplir tout ce que nous souhaitons qu'ils accomplissent. Beaucoup d'entre nous associons leur refus
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d'accomplir quelque chose à une incapacité de leur part. Il ne faut pas les pousser tant qu'ils sont jeunes. Ils y arriveront à leur rythme, quand ils seront prêts, si nous y croyons. Nombre d' entre nous pensons, devant le refus d' un enfant, qu'il en est incapable, ou qu'il ne le veut vraiment pas. C'est parfois le cas, mais souvent complètement subjectif. Ce qu'ils disent en fait, c'est qu'ils ne veulent pas le faire à la leur. Leur réaction dépend de la manière dont 1'adulte interagit avec eux. C'est le contexte de nos attentes qui est important pour eux plus que les modalités changeantes qui font perdre de vue 1'essentiel. S'occuper des modalités, ce n'est pas considérer l'espace mais le contenu. Pour considérer le contenu il faudrait trop de temps, ce ne serait ni réaliste ni pratique.
En général, un enfant à qui on aura accordé toute l'attention nécessaire dans son jeune âge, avec l'amour, la douceur et le soutien nécessaires, aura confiance en lui et ressentira du bien-être. À quatre, cinq ou six ans, 1'insécurité ne le poussera pas à constamment essayer d'attirer l'attention des adultes. Il sera bien en luimême. S'il ne reçoit pas l'attention dont sa saine croissance a vraiment besoin, si on le néglige tôt dans la vie, il n'aura de cesse de vouloir attirer 1'attention sur lui (même si le père joue pleinement son rôle, ce sera surtout la mère qui devra veiller à tout ça). L'expérience me démontre que plus on met en avant les principes énoncés dans ce livre, plus l'enfant développe sa confiance en lui-même : on n'aura pas, alors, à le surveiller constamment. Les enfants élevés en accord avec les principes de base du continuum deviennent très indépendants et ils sont désireux d' expérimenter et d'explorer; ils sont en outre compétents et fiables. 291
L'arrière-plan de l'éducation On m'a un jour demandé combien de générations il faudrait pour créer une société fondée sur la conscience et qui pourrait durer des siècles. La discussion porta sur le genre d'éducation nécessaire : faut-il enseigner aux enfants les idées et la philosophie, ou bien les choses pratiques ? Quel système d'éducation faut- il mettre au point ? Je reviens souvent au livre de Idries Shah 1, Learning how to Learn, car le plus beau cadeau pour un enfant, si nous pouvons le lui donner, est de lui enseigner le discernement par rapport au processus même de 1'apprentissage, plutôt que de nous égarer dans une montagne de faits. Un enfant qui a appris à apprendre saura facilement trier les données utiles. Avec le discernement, il peut choisir l'information la plus appropriée à chaque situation donnée. Les petits enfants veulent toujours accomplir davantage qu'ils ne le peuvent : leur mental précède leur corps. Certains d'entre nous ont probablement observé leurs propres enfants ou ceux des autres voulant lire à tout prix mais n'y arrivant pas. Ce désir intense constitue 1'outil le plus puissant dans leur apprentissage. Presque tous les enfants que j'ai vus veulent accomplir des choses techniques ou mécaniques bien au-delà de leurs capacités. Ils apprennent en essayant, même si leurs premières tentatives sont décevantes. Il nous faut donc leur offrir la chance d'expérimenter des choses que nous croyons un peu au-dessus de leurs capacités, tout en demeurant du côté du simple bon sens. Laisser un enfant de trois ans couper sa banane peut produire des tranches inégales et écrasées, mais il apprendra l. Shah, Idries, Learning how to Learn, New York, Penguin, Arkana, 1978.
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vite. Laisser un enfant de cet âge démonter une montre et la remonter est tellement loin de sa compréhension et de ses talents en mécanique que la déception inévitable serait contre-productive dans son apprentissage. Des résultats encourageants le galvanisent, mais l'incapacité totale lui ôte toute envie d'apprendre. Les enfants n'ont pas besoin d'être attentifs pour apprendre, que ce soit à 1'école ou à la maison. Ils peuvent absorber en étant simplement plongés dans 1'atmosphère, même pour des matières faisant particulièrement appel au cerveau gauche comme les mathématiques et la grammaire. Il s peuvent sembler ne pas s'y intéresser, et pourtant ils apprennent. Je l'ai même remarqué chez les plus jeunes, en jouant avec eux. Ainsi semblaient-ils complètement ignorer 1'histoire que j'essayais de leur raconter: ils se précipitaient sur les murs, criaient, n'entendaient pas un mot et voulaient faire autre chose. Mais dès que nous étions dehors pour une autre activité, ils étaient capables de raconter l'histoire mot pour mot. Ils en avaient absorbé chaque partie, mais de façon non linéaire. Même si les enfants ne prêtent pas attention à la musique classique, par exemple, et déclarent la détester, ils en absorbent probablement beaucoup plus qu'on ne croit. L'attention périphérique ou inconsciente d'un enfant est étonnante. Nous n'avons donc aucun besoin de contrôler leur attention de la façon linéaire qui nous est si coutumière à nous, adultes. Laissons-les jouer et rêvasser tout en continuant à leur enseigner ce que nous voulons qu'ils apprennent. Ils 1'absorberont à leur manière et l'utiliseront à volonté quand le moment sera venu. Une grande partie de l'éducation n'est qu'informations à absorber. Ils sont comme des éponges sèches dans une bassine d'eau : ils s'imbibent de ces informations; c'est leur nature, après tout. Dans cette ligne de pensée, je voudrais souligner à tous ceux qui ense1293
gnent aux enfants, ne serait-ce qu'une heure par semaine, qui en ont, qui en désirent ou qui ont quoi que ce soit à faire avec eux à quelque niveau que ce soit, l'importance de lire certains livres fondamentaux de John Holt 1 et de Joseph Chilton Pearce 2 , qui sont des études aussi importantes que celles nécessaires à la pratique de toute profession ou activité spécialisée. Essayer d'éduquer des enfants dans la conscience sans d'abord étudier John Holt serait aussi fou que de tenter de voler sans ailes. Malheureusement, le système scolaire actuel est complètement orienté vers le succès matériel. Après tout, pourquoi le succès ? Pour voyager, posséder une belle maison, payer les factures , avoir une voiture, toutes ces « valeurs » matérielles ? Rien de tout cela ne saura pleinement satisfaire notre monde émotionnel et mental, ni celui des sentiments profonds dont nous, humains, sommes capables. De même qu'à de rares exceptions près nous n'avons pas été éduqués en vue d'une appréciation esthétique ou d'une expression créatrice raffinée. Le ressenti est en fait la première dimension qui se développe chez un enfant. C'est cela qui devrait être mis en avant à l'école, surtout dans les premières années, pour poser les fondements d'un apprentissage futur fructueux. Mais aujourd'hui, pour ce qui est de l'éducation, on s'en remet surtout à un verbiage dépourvu de sens, on mise sur le langage et la pensée. S'il est vrai que le champ de la pensée et du langage doit être développé, de façon à ce que l'enfant ne soit pas isolé dans son seul « corps du ressenti », il ne faut 1. Holt, John, Why Children Fait, Escape From Childhood et How Children Learn. 2. Chilton Pearce, Joseph, The Magical Child, The Magical Child Returns.
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pas pour autant perdre de vue un certain équilibre et une certaine perspective. Pour les enfants qui auront grandi et mûri en recevant un enseignement strictement intellectuel, les convictions qu'ils auront acquises dans leur première éducation n'auront plus de poids parce que c'était des convictions intellectuelles et non des convictions ressenties. Il s'agit donc d'intégrer leur corps à leur éducation dès la première phase de leur développement. Ma conception en matière d ' éducation des enfants consiste à mettre au premier plan leur santé émotionnelle, physique et peut-être spirituelle ; les matières académiques sont secondaires. Elles ne sont pas négligeables, mais doivent être mises en place en leur temps. Enseignées sur une base de névrose ou de psychose, elles ne peuvent porter les mêmes fruits qu'enseignées à des enfants qui ont établi un rapport heureux, innocent et ouvert avec la vie. Les enseignants entraînés uniquement aux matières académiques, coupés de la vie intérieure, mettent trop l' accent sur l'enseignement de faits et de chiffres au détriment des véritables besoins de leurs élèves dans la vie. L'un des rôles d'un bon professeur consister à établir les bases de l'éducation, de sorte que les matières académiques puissent pousser en terre fertile. Mais il est frustrant de constater combien peu de professeurs sont formés dans ces deux domaines. Il me semble qu'enseigner les matières académiques est un don, ou alors qu'il y faut beaucoup d'entraînement. Mais même avec 1' entraînement, tout le monde n'y arrive pas. Nombre d'entre nous sont sans doute fort bien intentionnés, mais ils ne savent pas comment s'y prendre. En revanche, enseigner les fondements d'une attitude saine au niveau des émotions et de la psyché vient naturellement à quiconque les vit de manière authentique. Des parents conscients facilitent grandement la tâche des professeurs. 295
Je sens parfois une très grande appréhension quand des adultes, ne sachant pas ce qu'est une éducation consciente, prennent des décisions et édictent des règles concernant la meilleure manière d'élever leurs enfants. Le problème ne consiste pas à améliorer d'anciennes règles ou à en édicter de nouvelles ; le problème vient de ce que des adultes ignorent ce que c'est que d'avoir quatre, neuf, douze ou treize ans. Si nous sentions ce que sont les enfants, à n'importe quel âge, leurs valeurs, leur vision du monde, leurs préférences et aversions, au lieu de penser à ce qu'ils devraient être en tant qu'adultes, la situation serait tout autre. On ne peut absolument pas enseigner aux enfants sans être au fait de leurs besoins et de leurs états d'âme. Je le répète : sans avoir d'abord établi une relation avec eux (compris leur vision), il est déraisonnable de leur demander de nous suivre, même si nous sommes doux et justes. Ce n'est pas qu'ils ne le voudront pas, mais plutôt qu'ils ne le pourront pas. Si les enfants sentent que d'une certaine façon nous les comprenons, il y aura sûrement des discussions, ils seront parfois en désaccord avec nous, mais ils comprendront ce que nous voulons leur dire et respecteront les limites que nous établissons car celles-ci leur sembleront sensées. Si nous ne comprenons pas leur point de vue, nous édictons des règles strictement académiques et vides, nous établissons des règles de comportement pour chaque occasion et les faisons appliquer de gré ou de force . Cela ne conduit qu'à les rendre obéissants mais insatisfaits, souvent amers et rebelles. Le problème ne vient pas des enfants, de leurs désirs, de leurs besoins et de leur enthousiasme. C'est
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à nous en tant qu'adultes de ressentir leur point de vue afin de pouvoir définir au mieux les limites à établir. Une adolescente de treize ans qui vit une rupture avec son premier petit ami ne représente peut-être pas un problème pour nous; en fait, ce peut être un soulagement. Nous avons eu nos histoires d'amour, nous sommes passés par là et avons tendance à penser : « Tu t'en remettras, tu es jeune. Un de perdu dix de retrouvés .. . » Nous jouissons d'une perspective qui leur échappe. Pour un adolescent, une rupture, c'est vraiment très important. Sa vie sociale tout entière repose sur cette situation pour les six années à venir. Si nous n'arrivons pas à ressentir la position des enfants, nous échouerons : nous ne pourrons être bienveillants ni gérer leurs émotions de façon satisfaisante. Quand un enfant a besoin de quelque chose, il n'est pas nécessaire de tout laisser tomber et d'accourir, mais si nous ne savons pas ressentir leur point de vue, nous ne pourrons gérer leurs besoins de façon satisfaisante, pour eux et pour nous, et ils seront probablement de plus en plus frustrés. Avez-vous déjà vu un petit garçon assister à un mariage ou un enterrement, en complet cravate, habillé comme un petit adulte ou, pire, dont on attend qu'il se conduise comme un adulte coincé de quarante ans, tandis que maman le regarde : «N'est-ce pas la plus belle petite chose que vous ayez vue ? Il est tellement adorable ! »Pour ma part j'ai toujours envie de le débarrasser de son complet, de déchirer sa cravate et de l'habiller avec de vieux pantalons usagés. De tels parents disent toujours : «C'est mon petit homme. » Et dire qu'on parle de comprendre ce que ressent un enfant ! Il est très injuste d'attendre des enfants qu'ils soient de petits adultes ou quoi que ce soit d'autre que ce qu'ils sont. Une certaine éducation formelle est sans doute utile
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pour apprendre à se comporter en société : J'élégance, le protocole, la manière de se conduire avec les humains : il nous faut une base. C'est comme pour lire une carte du ciel astrologique ou des cartes de tarot : les cartes fournissent une certaine base, qui ouvre la porte à la perception d'informations diverses, mais ces images déclenchent aussi quelque chose. Il en va ainsi de 1'éducation formelle : apprendre à dire « merci », «s'il vous plaît», «de rien» et autres choses fondamentales constitue une base essentielle. Manger avec une fourchette, ne pas s'empiffrer et en mettre partout sur nos vêtements, tout en parlant et postillonnant, constitue la base des bonnes manières à table. Il vaut la peine d'établir un fondement de courtoisie dans nos rapports, tant formels qu'intimes. C'est beaucoup une question de respect que nous nous vouons les uns aux autres en diverses circonstances. Encore une fois, on ne peut l'imposer, mais le respect ne saurait être passé sous silence dans toute éducation formelle, toute formation personnelle. Celle-ci mettrait l'accent sur le respect essentiel libre de toute subjectivité psychologique. Mais cela doit d'abord procéder d'une sorte de communication organique, d'un ressenti envers les autres et les divers espaces. Par exemple, en ce qui concerne la manière de prendre soin des outils, on devrait apprendre à les remettre à leur place et dans le même état qu'au moment où ils ont été pris. Il n'est pas question d'apprendre à se servir d'un marteau et ensuite de se rappeler qu'il faut en prendre soin. Il s'agit d'apprendre que se servir d'un marteau et en prendre soin sont une seule et même chose. Ranger les choses devient alors automatique. On ne devrait faire aucune distinction entre se servir des outils et les entretenir : les deux choses sont interdépendantes. Voilà pour les outils. Chacun des aspects de la vie pratique - s'habiller,
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se laver, cuisiner, étudier, même jouer - contient son mode de fonctionnement propre et son contexte. La manière appropriée de se comporter fait partie intégrante de la vie humaine. Il est difficile de montrer cela aux enfants plus âgés, car il sont souvent déjà cristallisés dans une forme préalable. Il est en revanche beaucoup plus facile pour les jeunes enfants de grandir en résonance avec le respect essentiel envers toutes choses, pour autant que 1'adulte qui sert de modèle le soit lui aussi. Cuisiner signifie prendre soin des casseroles, des poêles et de la cuisinière. Cela signifie aussi ne pas oublier d'éteindre le four, de régler la flamme à bonne hauteur de manière à ne pas faire brûler la casserole, ne pas laisser le gruau bouillir au point qu'il se renverse partout sur la cuisinière en laissant le soin à un autre de la nettoyer, ou ne pas laisser cuire trop longtemps l'œuf que vous voulez manger à la coque. Cuisiner, c'est établir un certain rapport avec les ustensiles de la cuisine en se souciant de la préparation et du soin apporté à la nourriture elle-même. Faire de la gymnastique, c'est établir un certain rapport avec l'équipement du gymnase et avec sa propre musculature, tout en gardant à l'esprit la sécurité à l'intérieur de cet espace. Et ainsi de suite. L'apprentissage des enfants dans la cuisine devrait souligner l'importance de la nourriture en tant que substance vitale, et le fait que l'esprit avec lequel on cuisine exerce une influence sur la nourriture tout autant que le savoir-faire technique. L'aspect sacré de la nourriture, les combinaisons alimentaires, les couleurs, l'apparence de la nourriture dans l'assiette : un tel rapport raffiné à la nourriture peut être transmis par les adultes conscients. Quand les enfants aident à la cuisine, tout cela devrait entrer en ligne de compte et se poursuivre quand on sert, mange et nettoie après le
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repas. Sinon, les enfants apprendront probablement à avaler ce qu'il y a dans leur assiette sans faire aucune distinction, ralentissant à peine pour goûter, postillonnant partout, pour enfin quitter la table à toute vitesse dès qu'ils en ont terminé, laissant à peine à leur corps le temps de commencer à digérer. Couper les carottes au petit bonheur la chance n'a rien à voir avec le fait de les découper en petits cubes avec intention et attention. C'est le genre de sensibilité que les enfants doivent développer en toutes choses, de sorte que tout soit relié et important pour eux. Nous pouvons commencer cet apprentissage avec un bébé. Avec les plus âgés, déjà coincés dans leurs habitudes, on fait le mieux possible. JI faut trouver une voie médiane entre expérimenter un peu et trouver une formule qui fonctionne : voilà l'approche que tout parent devrait adopter. Alors nous pouvons être doux et pleins d'aisance avec nos enfants au lieu d'être de zélés réformateurs dont la mission est de redresser tous les torts, ce qui constitue une approche très violente et habituellement pleine d'hypocrisie et d'abus. Si les enfants apprennent à se relier à toutes choses à travers une approche globale, leur développement intellectuel sera diversifié et établi sur une base large ; ils seront détendus par rapport à la vie, raffinés et cultivés. Nous oublions de faire certaines choses, d'aller jusqu'au bout de certains gestes (comme éteindre la lumière en quittant une pièce, par exemple) parce que nous ne vivons pas dans la totalité. Nous ne faisons pas le lien avec la facture d'électricité, celle de l'eau et le fait qu'un évier qui déborde crée une fuite qui va s'infiltrer dans le plancher. Nous ne considérons pas l'endroit où nous vivons et notre manière de vivre comme les modalités d'une seule vie. JI s'agit là d'un point essentiel de l'éducation des enfants : ne pas considérer les choses séparément mais de façon holis300
tique. Si nous apprenions à reconnaître ce principe en toute chose, les enfants l'apprendraient à travers nous. Si nous avions grandi dans cet esprit-là, si c'était notre manière d'envisager la vie, imaginez l'importance que cela aurait dans nos relations, y compris la relation sexuelle. Cela voudrait dire que nous aurions des relations ouvertes et une expansion totale de notre expérience de vie.
Conserver la meilleure image Deux jeunes enfants qui sont amis, ou qui s'aiment, peuvent connaître de furieux désaccords et s'invectiver : « Je ne jouerai plus jamais avec toi. » Pourtant, dix minutes plus tard, parfois moins, les revoilà en train de jouer ensemble. Dans leur innocence, ils ne gardent aucune rancune. Ils ne se sont pas coupés de leur connaissance instinctive ou essentielle : c'est donc le schéma sous-jacent, leur amour ou leur amitié, qui prédomine constamment. Mais de toute évidence, les adultes ne fonctionnent pas de la sorte. Ils tendent davantage à s'égarer dans les détails plutôt que de s'occuper de l'arrière-plan; ils s'identifient aux réalités moins fondamentales de leur conscience. Dans le mariage, par exemple, il est courant que la relation s'affaiblisse à cause de l'insécurité d'une des personnes par rapport à l'amour que l'autre lui porte. Elle réagira constamment au moindre signe de mécontentement ou d'ennui de son partenaire, comme s'il y avait là un affaiblissement de l'amour, au lieu d'y voir simplement une petite onde de surface sans conséquence pour 1'océan de la réalité profonde. Cela peut venir à bout de l'amour de l'autre personne et conduire à la rupture. Nous réagissons constamment de façon dramatique à ce qui est temporaire et superficiel, parce que nous ne sommes pas habitués à considérer les schémas plus 301
vastes et les principes profonds de l'existence. Si nous y étions incités dès 1'enfance, à 1'âge adulte nous ne serions pas réduits à de tels destins. Les gens connaissent des cycles de comportement souterrains, outre les fluctuations d'humeur à plus court terme. Nous tendons à réagir davantage au contenu, c'est-à-dire aux détails de surface de l'humeur de quelqu'un plutôt qu'à sa dynamique interne. La mauvaise humeur passe, c'est un fait établi. Il nous faut alors garder à 1'esprit le fondement de notre relation avec la personne de mauvaise humeur. Il serait bon que les éducateurs, dans tous les domaines, apprennent à communiquer aux enfants la vision des schémas universels de la vie - comment considérer les choses avec une perspective vaste - au lieu de s' en tenir aux détails spécifiques et mondains. Si nous étions tous éduqués à observer les schémas dynamiques des choses, la vie serait infiniment plus facile.
Encourager les passions des enfants Comment avons-nous été encouragés dans notre enfance? En d'autres termes, quand nous avions une passion, comme le piano, les percussions ou la trompette, nos parents nous ont-ils ridiculisés en disant : «Ah non, je ne veux pas de ce genre de bruit ici . Ne me dérange pas, va ailleurs » ? Ou bien ont-ils dit : «C'est vraiment ridicule, tu ne gagneras jamais ta vie avec ce genre d'activité ! » Ou nous ont-ils encouragés et soutenus dans nos passions ? lis ne 1'ont probablement pas fait, surtout s'il s'agissait de quelque chose de sale ou de bruyant. Mais nous devons comprendre, en élevant nos enfants, que nous ne sommes pas nos parents, même si nous pouvons agir, parler et même penser comme eux. Nous ne sommes pas nos parents ! Quand nous appliquons à nos enfants des principes 302
d'éducation consciente avec diligence et amour, ils ressentent l'amour malgré tous nos défauts. Aucun d'entre nous ne sera un parent parfait, mais nos enfants peuvent néanmoins se sentir aimés, contrairement à certains d'entre nous quand nous étions enfants. Notre volonté d'encourager les passions de nos enfants devrait leur être évidente, même si nous devons fixer des limites inhérentes à leur âge, leur niveau d'habileté et autres facteurs. Voici quelques exemples. L'une de nos filles adore l'équitation : pour elle, c'est naturel, elle s'y sent à 1'aise, n'a pas peur et aime vraiment ces animaux. Pour moi, les chevaux sont de gros animaux stupides pour lesquels je n'ai décidément aucune sympathie. Mais je n'essaie pas d'inculquer mon parti pris évident aux autres. Quand elle a commencé à monter à cheval, à l'âge de trois ou quatre ans, nous l'avons complètement encouragée. Nous avons trouvé des professeurs, et chaque fois qu'elle en montrait le désir nous étions prêts à changer nos plans afin de l'encourager. Nous avons même acquis deux chevaux. Bien des adultes ayant ma névrose à propos des chevaux auraient dit : « Quoi, des chevaux ? Tu veux monter sur ces grosses bêtes stupides et têtues ? Elles devraient être jetées en pâture aux chiens. Pourquoi ne pas faire quelque chose de délicat : comme peindre, écrire, méditer?» Mais nous l'avons laissé faire ce qu'elle voulait, en rendant grâce au ciel qu'elle n'ait pas voulu jouer de la cornemuse ou des percussions ; mais si c'était ce qu'elle avait voulu, nous aurions fait de même, nous lui aurions procuré de quoi satisfaire sa passiOn. Un des adolescents voulait jouer de la guitare et il s'obstinait à pratiquer quatre à cinq heures par jour. Au début, à peine était-il capable de jouer trois notes d'affilée. Chaque jour, pendant des heures, il s'achar303
nait sur le pauvre instrument... Puis, il en a eu assez de jouer sur une simple guitare acoustique et s'est procuré un petit ampli - petit, mais très puissant. Il poussait le volume de ce truc au maximum. Ensuite il s'est procuré ce truc « fuzz » : on aurait dit un ouragan dans la maison. Plus il faisait de bruit, plus il aimait ça. Et c'était tellement sain pour lui ! Il a appris en pratiquant toutes ces heures chaque jour, tout seul. Après un certain temps, il devint, et est resté, un excellent guitariste, un musicien accompli : la musique le remplit. Cela fait plus que compenser le « bruit » initial. Oui, ça vaut la peine de supporter beaucoup de bruit afin de ne pas étouffer un talent naturel et lui permettre de s'épanouir. Nous parlons ici de la vie d'un jeune homme. Je suis prêt à supporter autant de bruit qu'ille faut pour la vie d'un jeune homme. C'est ce que nous faisons quand nous voulons encourager la liberté et l'épanouissement de quelqu'un. Il peut, bien sûr, y avoir des limites raisonnables, comme pratiquer le jour plutôt que la nuit, quand tout le monde a besoin de dormir. Mais il y a moyen d'ajuster ces limites de façon réaliste sur la passion en question sans en faire des outils de répression arbitraire de façon à ce que nous, adultes, conservions le contrôle et la domination. Il n'est pas nécessaire de montrer aux enfants «qui commande ici» et de faire dans l'autoritarisme dur; il s'agit plutôt, grâce à des conseils avisés, de l' amour et du bon sens, de les aider à participer à la vie familiale en tenant compte de tous.
Les enfants devraient être encouragés, dès qu'ils peuvent comprendre, à rechercher des guides éclairés. Ils devraient réaliser le besoin de conseils experts dans leur vie dans tous les domaines. Ainsi, un enfant doué 304
dans un art précis aura beaucoup de difficulté à le maîtriser sans le concours sérieux de quelqu'un qui a déjà maîtrisé cette forme d'art (même s'il est vrai que certains y sont arrivés). Il existe beaucoup d'excellents musiciens qui ne peuvent lire la musique et qui, dans une certaine mesure, ont appris seul ; mais la plupart ont appris grâce aux autres (et ont été désireux d' apprendre grâce aux autres), surtout pour affiner lèur technique. Nous voulons que nos enfants apprennent à bien mettre à profit leurs talents, avec sagesse, et non à se faire inculquer un comportement appris par cœur, tout cpmme la plupart d'entre nous ont eu a mémoriser des vers de Molière ou des poésies de Lamartine à l'école. Ce que nous voulons, c'est qu'ils apprennent avec sensibilité et profondeur.
L'école à la maison : défis et joies Pour des parents, c'est tout un art que de faire 1'école à leurs propres enfants. Car si une autorité hors de la famille exige un travail pour le lendemain, l'enfant le fera; mais si c'est la mère ou le père, l'enfant utilise tout son arsenal habituel pour ne pas faire ce qui lui est demandé. Si nous ne sommes pas tout à fait clairs, enseigner à la maison, c'est ouvrir la porte aux chamailleries et à un combat incessant. Bien sûr, ce peut être aussi une grande joie, si les parents sont prêts à accepter tout ce que cela comporte. Il faut établir des limites fermes et s'y tenir avec amour et humour, sans perdre le sens de la mesure. Faire l'école à la maison implique que les enfants soient parfaitement intégrés à ce qui se passe dans la maison, avec les gens qui s'y trouvent, ce qui se passe dans la cuisine, le lavage, les rénovations, en plus des projets de créations artistiques et académiques. L'ap305
prentissage suit davantage les horaires de l'enfant que celui des parents. Certains enfants n'aiment pas commencer à faire des mathématiques avant huit ou neuf heures du soir, par exemple, ou avant d'avoir atteint l'âge de neuf ou dix ans. Le matin, il se peut qu'ils préfèrent 1'art, ou, au contraire, à cinq ans ils peuvent avoir le goût des mathématiques. Accepter de se plier à ces besoins est une des différences majeures entre l'école privée et l'école à la maison. Un parent doit donc demeurer très souple dans son horaire, afin de répondre parfaitement aux schémas d'apprentissage et aux intérêts de 1'enfant. Il se peut que nous sentions ne pas pouvoir accorder aux enfants tout ce dont ils ont besoin et ce qu'ils désirent, s'il y a à la maison des frères et des sœurs d'âges et de niveaux différents, avec des degrés de développement émotionnel et intellectuel inégaux. Cela peut représenter une énorme charge, qui n'a rien à voir avec le fait d'envoyer les enfants à l'école chaque matin et de les accueillir après leur journée, sans autre implication que de leur demander ce qu'ils ont appris à 1'école aujourd'hui et les entendre répondre : « Rien. » Faire l'école à la maison peut être difficile, mais comporte aussi d'immenses gratifications, tant pour les parents que pour les enfants.
Quand je dirigeais l'école à la maison, un des enfants refusait ni plus ni moins de faire quoi que ce soit dans quelque matière que ce soit, sauf en artisanat et ce pendant deux ans. Je me débattis amèrement dans cette situation, paniquée en pensant à l'avenir de cette enfant. Elle est maintenant au collège et réussit bien. Il n y eut aucun problème et son père me répétait constamment : « Tout ce qui m'intéresse, c'est qu'elle aille à l'école heureuse et qu'elle en revienne de même. » Et ce fut fait. 306
Ce fut une grande leçon pour moi dans l'éducation des enfants, car j'étais une maniaque, certaine de représenter le bien de cette enfant. Je le faisais, dans un sens. J'ai vraiment pu réaliser que tout ce qui se passait autour de l'apprentissage s 'était imprégné en elle, qu'il y ait eu apparence d'engagement ou non de sa part. Tout ce que les autres enfants avaient appris, elle l'avait absorbé. Cette enfant qui semblait à un niveau de cinquième passa en seconde dans une école publique, et c'était extraordinaire de voir comme elle possédait toutes les habiletés dont elle avait besoin, obtenant de très bonnes notes dès le début de l'année. Ce fut une grande expérience : cela a changé beaucoup de choses pour moi. Professeur à la maison Si 1'on opte pour 1'école à la maison, je préconise de ne pas adopter d'emblée le programme de l'école publique, ce qui semblerait pourtant le plus simple. L'école à la maison différera beaucoup selon l'environnement. Pour bien des parents, 1'école publique est avant tout un moyen de faire garder les enfants : ils sont heureux de ne pas avoir à s' en occuper toute la journée. Pour eux, l'école est une récréation, une pause quotidienne. Ceci est très courant et de tels parents sont très frustrés à la moindre tentative d'enseigner quoi que ce soit à leurs enfants à la maison. L'école à la maison représente beaucoup de travail : c'est une décision que 1'on ne doit pas prendre à la légère. D'un autre côté, quand je regarde le genre d'éducation prodigué dans une famille ordinaire inconsciente, je ne puis imaginer que l'enfant rencontre à l'école des problèmes qu'il ne rencontre déjà à la maison. Les
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parents conscients trouveront à juste titre que l'école publique ne convient pas à leurs enfants. Il serait certes merveilleux de voir de meilleures écoles publiques, tant sur le plan académique que sur le plan pratique. J'aimerais voir des programmes pratiques, de l'art culinaire, de 1'artisanat, de la construction, toutes sortes de choses qu'ils n'obtiennent actuellement qu'au comptegouttes. D'autre part, quand le programme public est pauvre, c'est l'encouragement et le respect témoignés par les professeurs à la maison et à l'école qui stimuleront les enfants à chercher et à obtenir ce qu'ils veulent. S'ils se sentent respectés, ils exigeront ce dont ils ont besoin et effectueront beaucoup de recherches par eux-mêmes, ce qui est très sain.
Conclusion : Une éducation pour la vie La plupart des parents élèvent leurs enfants en leur transmettant les principes avec lesquels ils ont grandi, sous prétexte que ce qui était pour bon pour eux l'est pour leurs enfants. Ces principes les maintiennent cependant dans de telles limitations et les forcent à percevoir et ressentir de façon tellement étroite que devenus adultes ils sont complètement tordus, ce qui est la norme aujourd'hui. Tant que nous élèverons nos enfants comme nous l'avons été ils commettront les mêmes erreurs que nous, même si nous cherchons à les en protéger. Élevez-les de façon à ce qu'ils puissent gérer les problèmes et les erreurs que nous n'avons pas su, et ne savons peut-être toujours pas gérer. Je prends pour acquis que notre éducation n'était pas en résonance avec la conscience, pas idéale, qu'elle était d'une certaine manière abusive, diminuante, manipulatrice ... La 308
question se pose alors : comment élever nos enfants différemment si nous sommes encore le produit d'une éducation inconsciente et enchaînés à des méthodes abusives ? Si nous sommes totalement honnêtes par rapports aux abus que nous avons pu subir sur les plans physique, sexuel, psychique, émotionnel ou psychologique, il y a des chances pour que nous nous comportions de façon à ne pas reproduire de tels abus chez nos enfants. Mais si nous nous mentons, il y a toutes les chances pour que nous les traitions comme nous 1'avons été. Nous devons tous ensemble être conscients de 1'échec de nos parents en ce qui nous concerne, et nous efforcer d'être différents avec nos enfants et ceux avec qui nous sommes en contact. C'est la seule manière de briser le cercle. Nos enfants craqueront de temps à autre : c'est la vie. Nous pouvons les y préparer, leur montrer comment gérer les difficultés inattendues et le stress normal associé à la croissance ; nous pourrons aussi leur montrer comment trouver leur chemin à travers la puberté, à travers les relations intimes et professionnelles et la découverte de soi. À mon sens, la chose la plus précieuse que nous puissions léguer à nos enfants, c'est la volonté, l'aisance et la faculté d'être attentifs lorsque cela se révèle nécessaire, la capacité d'apprendre à apprendre et d'être bienveillants et sensibles tant à l'égard des autres que des situations et de 1'environnement. S'ils y parviennent, ils pourront connaître le succès n'importe où, avec n'importe quoi , et comprendre immédiatement tout ce qu'ils auront besoin d'apprendre.
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Les jeux d'enfants Les émotions, la gestion del 'énergie, les disputes
Les émotions Cela vous semblera probablement évident, mais il ne faut jamais essayer de culpabiliser les enfants par rapport à leurs émotions ; nous devrions au contraire les laisser généreusement exprimer la peur, la peine, la colère, la frustration, la fierté, l'avidité, etc. Ces émotions ne sont pas mauvaises. On peut les exagérer, s'y vautrer ou les dramatiser, mais elles sont aussi des manifestations très naturelles de l'enfant par rapport à son environnement. Un enfant qui veut pleurer va pleurer et cela est très sain. Pourquoi lui dire : «Tu n'as pas besoin de pleurer. »Peut-être en a-t-il vraiment besoin, qu'en savons-nous? Les enfants passent par toute une palette d'états d'âme, certains malheureux, et il est important de garder à l'esprit que même si nous leur donnons tout, ils ne seront satisfaits que s'ils décident de l'être. Même si nous sommes heureux nous-mêmes, et si l'enfant sait qu'il lui est possible de l'être, il ne le sera que s'il le choisit. Nous aurons beau lui suggérer : « Tu peux être heureux », il nous regardera et dira : « Je ne veux pas. »Quand ille voudra, ille sera. S'il ignore qu'il peut 310
être heureux, nous pouvons lui suggérer de façon directe, mais douce, qu'il jouit de divers niveaux de contrôle sur ses humeurs et ses états d'âme. Il arrive qu'un enfant ne se rende pas compte de ce qu'il ressent. Dans ce cas, si un adulte sent objectivement cette émotion que l'enfant a de la difficulté à définir et à gérer, il peut lui dire : «Tu as l'air triste : est-ce exact ? » ou : « On dirait que tu es en colère : c'est bien ça?», plutôt que : «Tu es triste ... ou en colère. » Il est préférable de ne pas lui dire quelle émotion nous croyons qu ' il éprouve, mais d'établir un dialogue avec lui, si cela s'avère nécessaire. Il existe en fait deux approches. Si l' enfant à pris 1'habitude de se laisser facilement entraîner à répondre de façon émotive et à être submergé au point de perdre toute lucidité, certaines indications lui seront utiles. Tl suffit parfois qu'il quitte la pièce ou déplace son attention pour immédiatement se calmer. On peut alors demander : « Est-ce que cela te fait peur ? » « Es-tu en colère à cause de ça ? », « On dirait que ça te rend triste ; y a-t-il quelque chose que je puisse faire ? » Généralement, il répondra : « Non », mais se sentira néanmoins rassuré et content de savoir que nous sommes à son écoute et disponible s'il veut venir à nous. Nous ne devrions pas le forcer à venir cependant, soit en le harcelant pour le faire parler soit en le prenant dans nos bras alors qu'il n'en a pas envie. Poser des questions est une chose, énoncer des affirmations sur un ton cassant en est une autre : « Tu es fâché parce que Katie a pris ton jouet, pas vrai ? Je sais que c'est ça.» Extorquer une confession peut difficilement être considéré comme une grande preuve d'amour. Fondamentalement, nous devrions éviter de dire aux enfants qui ils sont. En leur disant : « Il semble que tu sois fâché ; y a-t-il quelque chose que je puisse faire?», on leur laisse la possibilité de 311
répondre : «Non». Nous répliquerons alors : «D'accord», mais s'il répond : «Bien sûr que je suis fâché. Sinon, pourquoi aurais-je cassé trois jouets ? Je suis très en colère», nous répliquerons encore : «D'accord.» Il est sain d'encourager les enfants à être authentiques avec eux-mêmes. Nous connaissons tous le « déni», comme on l'appelle couramment en thérapie ces temps-ci. Plus les enfants se montrent capables de reconnaître et d'exprimer leurs sentiments sainement, sans dramatisation ni manipulation, plus ils seront des adultes sains.
Se montrer d'humeur égale Il y a deux manières de réagir à la chute d'un enfant et à la surprise qui en découle. Nous pouvons bondir et le saisir, ajoutant un deuxième choc du fait de la rapidité et de 1'intensité de notre réaction, surtout si cette explosion d'énergie s'accompagne de peur et de tremblements dans la voix. Hurler d'une voix stridente est une façon sûre de l'apeurer, de le faire pleurer et de 1'amener à réagir de façon exagérée, même si nous disons des choses aussi simples que : « Est-ce que tu t'es fait mal? Est-ce que tu vas bien?» Nous pouvons aussi prendre l'enfant calmement et lui dire : «As-tu mal? Ça a l'air d'aller», ou : « Quelle surprise, dis donc ! » Bien sûr, si 1' enfant s'est vraiment fait mal - un genou ou un coude écorché - il faut prendre les mesures nécessaires, mais s'il s'agit d'une petite égratignure, c'est notre réaction qui déterminera si l'enfant reprendra son jeu après un bref moment de réconfort ou si l'affaire deviendra un événement majeur. Quand je vois un enfant tomber, je me fie à ma propre sensibilité et à mon expérience pour savoir s'il s'est vraiment fait mal. Un jour, quand j'étais enfant, 312
je jouais avec un ami : nous poussions chacun de notre côté d'une porte, en riant et nous amusant. Sa main dérapa alors sur le bois et traversa la vitre, ce qui lui fit une blessure profonde de près d'un centimètre. Cela faisait peur. Enfants, nous avons beaucoup brisé de verre sans nous faire mal de façon sérieuse. Mais dès que sa main eut traversé la vitre, nous savions instinctivement que c'était sérieux. La blessure ne saigna pas tout de suite, mais en la voyant je dis : « Allons à la maison, vite ! », alors que je disais d'habitude : «Ça va, ce n'est rien», et on continuait à jouer. Il courut chez lui, sa mère s'en occupa immédiatement et tout rentra dans 1'ordre ; la blessure guérit rapidement et il n'y eut aucun dommage sérieux. Notre égalité d'humeur dans différentes situations enseigne cette égalité d'humeur à nos enfants. Au contraire, si nous réagissons trop vivement, par la panique ou, à 1' opposé, par 1'hystérie, nous développerons chez eux l'incertitude et l'incapacité de réagir promptement de manière calme et appropriée. Nous devrions donc être pour eux des modèles d'équanimité. Évitez de paniquer pour des peccadilles : par exemple, si en mangeant ils ont les mains poisseuses et renversent de la nourriture partout, y compris sur leurs vêtements, ou si leur jus de fraise atterrit sur notre corsage ou notre chemise. Si je prévois d'emmener les enfants manger des glaces, je mets des vêtements auxquels je ne tiens pas trop. Je ne porte pas mon plus beau pantalon, ce qui m'obligerait à faire de l'acrobatie pour éviter leurs cornets de glace au chocolat et leurs mains s'agitant dangereusement dans ma direction. Il vaut la peine de prévoir de petites choses comme celle-là. Il existe aussi des manières de communiquer l'émerveillement, comme lorsque l'enfant montre un jouet précieux ou un trésor qu'il a trouvé; mais il n'est pas nécessaire d'en mettre trois couches. Ne sommes-nous 313
pas parfois ravis sans qu'il y ait des gestes et des manifestations cosmiques pour le souligner ? Je dirais que oui. Il arrive que nous soyons authentiquement ravis de la grande joie de quelqu'un d'autre, que nous soyons en résonance avec lui sans avoir besoin de lui sauter au cou, de le prendre dans nos bras, de l'embrasser et de lui taper dans le dos. Nous restons tranquillement assis, dans le ravissement, rayonnant de joie. Généralement, un hochement de la tête, un son de reconnaissance suffisent largement. Nous pouvons aussi faire preuve d'égalité d'humeur quand un enfant nous demande de ne pas oublier quelque chose. Nous disons alors : «D'accord», au lieu de : «Oui ! oui ! je n'oublierai pas, ne t'inquiète pas, je vais m'en rappeler! M'arrive-t-il d'oublier? Inutile de me le rappeler.» Nous n'avons pas non plus besoin de leur crier après d'une voix tonitruante. Si nous apprenons à communiquer dans la simplicité, la clarté et la confiance, les enfants auront confiance en nos communications. Bien sûr, pour conserver leur confiance, il nous faut demeurer dignes de confiance.
Les crises En ce qui concerne le comportement des enfants, on utilise souvent 1'expression « agression enfantine » pour décrire un comportement apparemment problématique. Les cris et 1'agitation d'un bébé ou d'un enfant sont parfaitement normaux quand les parents ne répondent pas à leurs besoins. Nous devrions peut-être appeler les choses par leur vrai nom et parler d'« agression adulte ». Cela ne signifie pas que nous ne devrions pas répondre de façon adulte et mûre à ce comportement et ne rien faire ; mais nous ne condamnons pas 1'enfant psychiquement, émotionnellement ou verbalement, comme si ces manifestations étaient le signe de quelque chose de déficient en lui. Il peut crier, s'agiter, 314
mordre, pincer, donner des coups de pied, cracher. (Bien que, normalement, quand ils mordent, pincent ou crachent, les enfants ne soient plus des bébés.) Dans les cas de crise, je préconise de tenir 1' enfant contre soi avec le plus de contact physique possible, tout en lui parlant doucement et avec amour. Tenez-le avec tendresse mais fermeté. Dites-lui que vous l'aimez beaucoup, dites-lui de respirer profondément et que les choses peuvent être réglées autrement. Ceci vaut particulièrement si la crise le met en danger ou menace l'environnement. S'il n'y a ni danger ni menace, laissez-le faire, en lui disant que vous êtes là pour lui avec votre aide, votre affection et vos caresses autant qu'il veut... Le plus important est de ne pas se fâcher contre lui, de ne pas le rejeter et l'isoler à cause de quelque chose qui a souvent dépassé sa capacité de le gérer. Le plus souvent, tenir l'enfant et lui parler le calmera suffisamment pour qu'il réalise ce qui se passe, respire profondément et envisage différemment ce qui est à l'origine de la crise. Par crise, je veux dire plus qu'un simple accès de colère : un état dans lequel il est submergé par ce qui arrive. Il se peut que nous sentions que 1'enfant utilise la crise pour attirer notre attention. Il peut avoir pris 1'habitude de faire des crises sans se rendre compte de sa manipulation de 1' énergie intense de ces moments-là. Nous lui dirons alors : «Je t'aime et chaque fois que tu as besoin de quelque chose, demande-le moi. » Beaucoup d'enfants ne demandent pas ce qu'ils désirent, soit qu'ils n'aient pas appris, soit qu'ils ignorent qu'ils peuvent le faire, soit qu'un adulte inconscient leur ait dit que ça ne sert à rien de demander parce qu'il n'y aura pas de réponse. Si nous leur faisons sentir qu'ils peuvent obtenir ce qu'ils veulent, ils comprendront. (Je parle ici d'un père, ou d'une mère, qui veut 315
vraiment le meilleur pour le développement de ses enfants. Je présume qu'un parent colérique, moralisateur et abusif ne lit pas ceci.) Un enfant peut piquer une crise parce qu'il est frustré. Il arrive souvent que les enfants se fassent une idée de ce qu'ils veulent faire bien avant d'avoir les capacités motrices de le réaliser. Ils ont beau essayer, ils ne peuvent arriver à manifester leur concept. On peut comprendre leur frustration. Si nous croyons que c'est la cause de leur crise, nous pouvons dire : «Je pense que ce que tu veux faire dépasse pour 1'instant tes capacités, tu grandis et bientôt, sans même t'en rendre compte, tu pourras y arriver. » Rassurez-les, aidezles à trouver une façon imaginative d'accomplir ce qu'ils veulent, en essayant toujours de ne pas tout faire à leur place. Bien que ça nous soit facile avec notre motricité, ce n'est pas vraiment ce qu'ils veulent. Ce qu'ils veulent, c'est savoir comment y arriver par euxmêmes. Il existe une autre façon de gérer une crise que de dire : «Ne fais pas une crise», en espérant qu'ils vont vous écouter et cesser. Comme je l'ai déjà mentionné, le plus important est 1'aspect corporel : ils sont contre vous et vous leur parlez avec amour et tendresse. Maintenez le contact physique avec le plus de constance possible, en leur tenant les bras et les jambes, afin que dans leur rage aveugle ils ne puissent vous donner un coup de pied ou vous griffer. Même s'ils vous repoussent et hurlent, maintenez-les d'une manière qui les réconforte. S'ils réussissent malgré tout à vous donner une bonne claque, ne répliquez pas, ne les repoussez pas : votre colère ne ferait qu'exacerber leur désespoir et leur frustration. Après tout, leur crise n'est pas dirigée contre vous; vous êtes simplement sur leur chemin. Ne les blâmez donc pas pour quelque chose qui échappe à leur contrôle. Ne les retenez pas 316
avec, sur le visage, le regard d'un geôlier ou d'un bourreau, mais dans un esprit de caresse et d'affection. Normalement, à moins qu'il n'y ait eu une quelconque déficience dans son éducation, un enfant ne pique pas de crise. En revanche, la colère ou les réactions vives sont saines : elles sont 1'illustration de 1'étendue de la gamme des sentiments et des sensations. Une fillette de deux ans venue dans notre communauté avec ses parents avait 1'habitude de piquer des crises. Chaque fois, les hommes comme les femmes répondaient en la prenant dans leurs bras et en lui parlant : cela fit une grande différence. Elle est aujourd'hui une jeune femme exceptionnelle, qui se contrôle très bien, forte, confiante et très intelligente. En fait, elle était très sage même à 1'âge de deux ans (très brillante, très intuitive); j'estime que beaucoup de ce qui arrivait venait de ce qu'elle prenait conscience des abus subtils et non subtils, ainsi que de l'inconscience de tant d'adultes dans son entourage familial. Cela, ajouté au fait que les adultes ne la comprenaient pas, la mettait hors d'elle.
Gérer l'énergie Toute chose possède son contraire, son pôle opposé. Les enfants peuvent faire la démonstration de comportements contradictoires à différents moments : parfois ils ont trop de yin, parfois trop de yang 1• 1. Le taoïsme appelle «yin » et « yang >> les deux forces en jeu dans l' univers. On décrit parfois la force yin, ou force intérieure, comme l'énergie féminine, la noirceur, l'humide, le lunaire, le centripète, alors qu'on décrit le yang, ou force extérieure, comme le masculin, la lumière, le sec, le terrestre, le centrifuge. Dans le présent exemple, quand un enfant faisait l' expérience du yin pendant un certain temps, il était réservé, intériorisé, concentré, alors que l'énergie du yang le rendait extériorisé, dynamique et expansif.
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Un jour, lors d'un voyage en Inde, nous sommes allés en voiture visiter un temple hindou qui se trouvait à 500 kilomètres. La plus jeune enfant n'avait pas dormi dans la voiture. Arrivée au temple, elle se mit à courir en décrivant des cercles aussi vite qu'elle le pouvait, des cercles de plus en plus grands. C'était un véritable tourbillon. Le guide qui nous faisait visiter fit preuve d'une grande sensibilité en disant : «Cette enfant a sûrement fait une longue route, il faut la laisser décompresser.» Il s'agissait bien de cela. Pour équilibrer ses six heures de yin, il fallait un moment de yang. C'est ce qu'elle fit pendant dix minutes; après avoir bien pris l'air, elle fut prête à manger quelque chose et à se calmer. Cette dynamique peut parfois se produire, elle est tout à fait appropriée et naturelle. Il est judicieux de reconnaître ces polarités, de les permettre et d'aider au retour à l'équilibre. Il faut savoir reconnaître la nature positive ou négative, en termes d'énergie, des choses et des situations que nous traversons, surtout avec les enfants : cela peut nous aider à comprendre beaucoup de forces apparemment confuses et contradictoires.
Si on donne à l'énergie toute latitude pour se «déchaîner», se libérer sans contraintes, c'est ce qu'elle fera. Les enfants débordent d'énergie : ils sont branchés directement sur le générateur universel, si 1'on peut dire. Quand ils sont trop « remontés » et que leur énergie devient incontrôlable, ils peuvent souvent relâcher la pression par eux-mêmes. Ils le font généralement en pleurant, se chamaillant, en faisant des simagrées, en s'épuisant, pour finalement tomber de sommeil. Ils sont souvent ainsi quand ils sont très excités à propos de quelque chose, au point d'en être 318
saturés, comme à l'occasion d'une fête ou d'une visite à Disneyland ou à un bon vieux parc d'attractions, ou pour quelque autre raison. Ce que nous croyons, ce que nous espérons, c'est que lorsque l'énergie incontrôlée conduit à la frustration, aux larmes et aux querelles avec d'autres enfants, ils vont apprendre par leur propre expérience et par des directives dépourvues de menaces. Nous les laissons faire l'apprentissage tout seuls, avec une aide bienveillante et, ce qui est très important, en leur permettant de nous observer gérer notre énergie : c'est ainsi qu'ils peuvent intégrer une gestion optimale de leur propre énergie. Ce n'est pas avec un discours académique qu'on peut enseigner ce genre de choses, il s'agit d'un processus expérimental. Il serait également très compliqué de mettre au point un programme efficace en ce domaine, car il faut maintenir un équilibre délicat entre trop de contrôle et pas assez. C'est peut-être relativement aisé d'y arriver pour un ou deux parents en présence d'un ou deux enfants, mais très difficile à une plus grande échelle, comme par exemple pour un professeur ou un surveillant dans une salle remplie d'enfants. S'il est vrai que tous les enfants vont répondre (même si ce n'est pas toujours positivement) face à un représentant de 1'autorité qui fait suffisamment régner la terreur ou la menace, ce n'est sûrement pas la bonne manière. Apprendre à gérer 1'énergie peut commencer sur le plan verbal avec les plus jeunes enfants ; on leur en explique toute la dynamique de manière simple et directe, en parlant brièvement de la respiration profonde, en prenant une pause de temps à autre : des choses élémentaires qui pourront être mises en pratique quand ils sont surexcités. À mesure qu'ils grandissent, on s'étendra plus longuement sur les principes, en expliquant encore et toujours, en mettant en pratique 319
cette façon de gérer l'énergie dans notre propre vie -car l'exemple constitue toujours le fondement de tout enseignement efficace. Je ne veux pas dire qu'ils devraient toujours apprendre silencieusement et qu'il nous faudrait toujours faire comme si on ne voyait rien. Notre intervention, si elle est certes nécessaire, doit se faire sous la forme d'unfeed-back, pas sous la forme d'un sermon ou d' une interdiction face à une activité ou un comportement innocents. Quand les enfants courent et crient dans la maison, par exemple, j'interviendrais en expliquant le principe de règles de conduite qui conviennent en fonction des différentes circonstances, ce que nous avons largement évoqué dans les chapitres précédents. Je leur dirais : « Ce niveau de bruit ne convient pas à cet endroit, mais vous pouvez très bien aller dehors et faire encore davantage de bruit. » Lorsqu'un enfant a beaucoup d'énergie agressive qui ne soit pas spécialement dirigée contre quelqu'un, il est utile de lui suggérer une autre activité (à part aller frapper un autre enfant), comme par exemple sortir et briser des cailloux, ou construire un château. Parfois, les adultes organisent un jeu énergique et certains enfants peuvent y participer sans que le bruit ne devienne assourdissant. Il s'agit de sentir quand les choses commencent à échapper à tout contrôle et de dire simplement : « Prenez une bonne respiration ; nous commençons à faire un peu trop de bruit. Voulezvous aller jouer dehors, jouer à chat perché, courir ? » Ou encore : « Jouons à quelque chose de plus tranquille pendant un certain temps. » Nous devons être à même de sentir 1' atmosphère sans nous perdre dans l'intensité croissante du jeu des enfants au point d'oublier les autres et 1' espace où nous nous trouvons.
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Les disputes et autres «jeux d'enfants» Idéalement, en présence des enfants, les adultes seront l'exemple même de la gentillesse, de la générosité et de la compassion. Mais il convient également de se poser la question : que peut-on raisonnablement attendre d'enfants d'âge scolaire, qu'apprendront-ils vraiment ? Si 1' on peut effectivement attendre de leur part une gentillesse ou une bonne volonté générale, on ne peut pas l'espérer dans chaque interaction en particulier. Il y a plus de chances que les enfants soient gentils, généreux et compatissants avec les étrangers et les enfants qu'ils ne connaissent pas qu'avec leurs intimes (amis, famille, surtout les frères et sœurs, avec qui ils peuvent se laisser aller). Se chamailler et taquiner les plus petits semble universel. Les coup de becs ne sont pas seulement affaire de poules. Ma naïveté m'amène à croire qu'il doit bien y avoir une société dans laquelle les grands n'ont pas besoin de harceler les petits. Dans des circonstances ordinaires, il convient de savoir si les enfants sont bons amis et s'ils s'amusent bien ensemble. Si c'est le cas, ils vont probablement se chamailler âprement de temps à autre et être déplaisants les uns envers les autres, surtout s'ils veulent impressionner un nouvel ami, s'ils sont en compétition, ou pour quelque autre raison. Mais en gros, si les enfants sont de proches amis, leur amitié peut souffrir quelques égratignures, car l'amour, ou 1'affection, est à 1' arrière-plan de leurs relations. En tant qu'adulte responsable, nous pouvons avec douceur et constance évoquer la « morale » aux enfants, sans les forcer à entrer dans ce moule : ils nous entendront. Même si le prix à payer pour devenir gentils, généreux et compatissants exige qu'ils partent et soient livrés à eux-mêmes (au collège, ou pour un travail dans une autre ville), tant que c'est notre res321
ponsabilité, 1' important est qu'ils le deviennent. Il faut parfois mettre de la distance entre eux et la famille pour que s'établisse ce comportement, mais le jeu en vaut la chandelle. Il est plus naturel pour un enfant d'être ouvert aux autres que cruel et étroit d'esprit. Nous n'avons pas à rôder autour des enfants qui jouent afin de nous assurer qu'ils se comportent correctement et ne se maltraitent pas. De temps à autre, une querelle éclate, mais le plus souvent ils règlent cela eux-mêmes quand ils sentent que les adultes les soutiennent dans leur action et s'ils ont confiance en eux et sont authentiques avec eux-mêmes. Il se peut qu'un enfant prenne le dessus et domine tout le monde, s'assurant que tout fonctionne toujours selon ses désirs, mais après un certain temps, les autres cesseront de l'écouter. Les enfants se débrouillent très bien. Si nous ne leur laissons pas 1'espace et ne leur accordons pas notre soutien pour qu'ils règlent leurs différends eux-mêmes, ils n'apprendront pas à gérer les relations entre personnes. Évidemment, si la sécurité d'un enfant est en jeu, nous devons intervenir sur-le-champ. Je ne laisserais pas les plus âgés tabasser les plus jeunes. Si le plus âgé commence à brandir le petit train en bois, je l'arrêterais tout de suite. S'il y a un risque réel de dommage physique, j'interviens; sinon, il est étonnant de voir combien les enfants se débrouillent bien tout seuls. Ils ont surtout besoin de savoir d'une part qu'un adulte est disponible si nécessaire - s'ils ne peuvent régler une situation eux-mêmes -, et d'autre part que s'ils hurlent au secours nous accourons. S'il y a un risque de dommage psychologique, comme lorsqu'un enfant plus grand traite un plus petit de laid, gros ou stupide, je tends à intervenir, surtout si celui qui est 1' objet de tels quolibets ne sait pas encore parler. Je dirai au plus âgé : « Si tu veux lui 322
parler ainsi, attends qu'il sache parler pour te répondre. Alors vous pourrez régler ça ensemble. Si tu veux 1'insulter, il pourra t'insulter à son tour et tu verras si tu apprécies. Mais pour le moment, il est sans défense, alors calme un peu tes ardeurs. » Tl peut être difficile de ne pas humilier inconsciemment un enfant agressif qui se querelle, surtout si nous protégeons de façon évidente notre enfant contre celui de quelqu'un d'autre. Souvent, quand deux enfants se battent, j'interpose mon corps entre les deux. Sans dire un mot, j'arrête le combat pour une petite pause. Je peux alors dire : «Les gens ne sont pas plus faits pour être frappés que les chaises pour avoir leur pieds sciés», ou quelque chose de ce genre, sans les culpabiliser. Les enfants sont très sensibles à la culpabilité, à moins qu'ils ne soient déjà tellement enfermés dans leur coquille et conditionnés que ça ne les dérange plus, et cela peut arriver, même à quatre ans. L'image de soi d'un jeune enfant innocent est très fragile. Quand elle est encore en voie de formation, il faut être très prudent par rapport à ce qui nous semble un usage ordinaire de la langue, mais peut se révéler dévastateur pour 1' enfant. J'essaie de ne pas moraliser et de choisir soigneusement mes mots et mon langage quand je m'adresse aux enfants. Quand je leur parle et fais référence à eux ou à d'autres, je n'utilise pas le mot «méchant». Je ne dirai jamais : « Ne sois pas méchant », mais plutôt : « Tu pourrais être plus patient, ou gentil, ou moins exigeant. » Je pourrais dire quelque chose comme : «Vous devrez jouer chacun de votre côté si la bagarre commence.» S'ils ne font que se bousculer, je n'interviens pas tout de suite; j'attends qu'ils en viennent aux morsures ou aux égratignures. Les trois quarts du temps ils s'arrêtent avant. Mais s'ils en viennent aux morsures, je dis à l'agresseur : «Tu peux me mordre. » 323
Ça m'est d'ailleurs arrivé. Ils peuvent mordre un peu, mais le cœur n'y est pas et en général ils passent à autre chose de plus intéressant, à une forme de jeu plus bénigne. Ils ne veulent pas vraiment me mordre, ils veulent mordre l'autre enfant; alors, après quelques secondes ils abandonnent. Nous devons prendre en considération qui sont les enfants en question, quel âge ils ont et quel est l'objet de leur litige. Si un enfant de dix ans taquine celui de cinq ans, c'est le plus souvent innocent, mais il peut quand même arriver qu'il faille intervenir. Si cela se passe entre des enfants de neuf et huit ans, il est plus que probable qu'ils pourront régler leur différend euxmêmes. S'il semble y avoir escalade, nous pouvons détourner l'attention, mettre un terme à ce qui se déroulait et faire usage de créativité pour les ramener au Jeu.
Les groupes du même âge et la préséance Les enfants apprennent en se mêlant à un groupe d'amis du même âge, mais ils trouvent aussi important d'être accueillis par d'autres dans des situations de groupe. Si les enfants ont neuf ans et que le meneur du groupe en a onze, il peut arriver qu'ils soient impliqués dans des comportements violents ; mais en général, ce ne sera que pour une fois : car, en y réfléchissant plus tard et en se connectant à leur conscience naturelle, cela leur aura servi de leçon. Certains enfants sont tellement forts et idéalistes qu'ils feront bande à part s'ils sentent que le groupe est « à côté de la plaque » ou injuste. Mais la plupart du temps, il faut une mauvaise expérience pour convaincre quelqu'un de changer radicalement de comportement. Quand j'étais jeune, entre neuf et onze ans, tous mes 324
amis allaient à la chasse aux petits animaux avec des pierres, des bâtons ou des arcs et des flèches. J'avais un arc pour enfant et des flèches dont le bout était émoussé. Je me souviens - je ne l'oublierai jamais avoir tiré joyeusement sur n'importe quelle petite bête à poil à quatre pattes, des souris aux écureuils en passant par les chats. Une fois, j'avais réussi à atteindre un écureuil à la patte et je le surveillais, étendu, sonné, puis je le vis tenter de se relever en boitant, souffrant à l'évidence. J'étais tellement sonné moi-même (car je n'avais pas songé à la souffrance d'un petit animal que j ' aimais) que je fis le serment de ne plus jamais recommencer. Ce fut une leçon très forte pour la naïveté de mon jeune âge. Dès lors, je décidai simplement de ne pas accompagner mes amis lorsqu'ils partaient à la chasse, même plus tard, à l'adolescence et à l'âge adulte (avec des fusils).
Bien que les enfants soient capables d'aimer, les plus jeunes se retrouvent presque toujours au bas de la hiérarchie. Les plus grands dominent, confiant les besognes ingrates aux petits, même s'ils les aiment et les protègent au besoin : « Va faire ceci, va faire cela. Apporte-moi ceci, apporte-moi cela. » Et voici les petits en route, tout heureux en général, fiers d'avoir une mission et excités d'être inclus. Certains parents s'en offensent profondément, estimant que tout devrait toujours être égal et partagé équitablement. Mais si notre enfant est le plus petit du groupe, ou bien si nous en avons d'âges différents, ils ne seront pas égaux et ce n'est pas de la cruauté : c'est l'ordre de préséance universel, c'est animal; même entre deux jumeaux il existe une préséance subtile. Le plus jeune sert les autres, il est le commiSSIOnnaire. 325
C'est le plus âgé qui établit les règles et commande aux plus petits. Cela peut être très sain. Le comportement naturel le plus sain peut être bien sûr perverti, mais cela n'infirme en rien le principe de fond. Taquiner Un enfant en accord avec lui-même, qui a traversé l'enfance dans l'amour et le respect, ne sera jamais celui qui commence à taquiner les autres. Il supportera facilement aussi d'être taquiné. Il peut ne pas aimer cela, mais il sera plus compréhensif, moins susceptible de «prendre cela au sérieux». De plus, un enfant qui n'aime pas prendre l'initiative de taquiner les autres, quand il fait partie d'un groupe qui taquine un autre groupe, s'intégrera, mais le plus souvent en silence. Cela vient d'un profond besoin d'appartenir à un groupe et d'être accepté par ses pairs, mais aussi du manque d'expérience pour gérer de tels événements, c'est-à-dire savoir refuser diplomatiquement les taquineries ou simplement se retirer de la situation avec grâce, sans devenir lui-même un objet de taquineries. La plupart des taquineries viennent du besoin d'avoir raison face à des différences évidentes d'apparence, de comportement ou d'opinions marquées : un mental mal assuré ressent les différences comme le signe qu'il est peut-être dans l'erreur; un enfant qui a confiance en lui n'aura probablement pas besoin d'un motif si faible. Les mimiques On devrait encourager le réel talent des enfants à imiter, mais pas nécessairement la tendance à le faire en toute occasion. C'est pour eux une forme de jeu, de découverte, même quand ils imitent des choses désagréables qu'ils ont vues. Ainsi, le spectacle d'un autre enfant qui joue au méchant leur procure une grande 326
joie : c'est seulement un jeu, comme essayer des déguisements. Si nous leur disons: «Ce n'est pas plaisant», ils sont surpris et demandent pourquoi, car ils s'amusent à cette simple imitation autant qu'à tout autre jeu. Nous sommes ravis de les voir essayer les souliers à talons hauts de maman : nous sourions et leur parlons gentiment. Alors ils ne comprennent pas que nous soyons ennuyés parce qu'ils jouent le rôle du «mauvais garçon » ; ils n'y voient aucune méchanceté. Ils ont observé quelqu'un d'autre, enfant ou adulte, se comporter de façon étrange pour eux et ils l'imitent afin de le connaître davantage : c'est une exploration, une aventure. Il nous faut expliquer aux enfants assez tôt comment les événements affectent diversement les gens, tantôt dans un sens positif, tantôt dans un sens négatif. Mais nous devrions toujours encourager leur talent pour exprimer toutes sortes de choses, car ils approfondissent ainsi leur réservoir de connaissances, de sentiments et d'états d'être. Nous pouvons leur dire: «Agir ainsi est parfait quand on joue, mais à table, ce n'est pas l'endroit approprié. Je trouve cependant que c'est formidable d'être capable de le faire quand tu le désires, c'est une autre corde à ton arc. Formidable.» Résoudre les difficultés Les enfants finiront par Imlter notre manière de résoudre nos différends avec les autres, même s'ils n'agissent pas comme nous au début. Peut-être leur faudra-t-il attendre de quitter la maison, et même d'avoir trente ans; peu importe, ils y arriveront. L'exemple que nous donnons est primordial. Si nous passons notre temps à crier après notre conjoint, nous ne pouvons pas espérer que les enfants qui en sont les témoins ne trouvent pas cela normal et sain. Après tout, ne faut-il pas habituer nos enfants à 327
voir jusqu'à quel point nous sommes névrosés? Au début, ils nous croient parfaits et sains de A à Z. Il nous incombe donc d'être ainsi, afin qu'ils apprennent à être ainsi, en gardant pour nous-même, le plus longtemps possible, nos excentricités névrotiques. Cela nous concerne nous, pas eux. En ce qui me concerne, l'élément clé est la capacité à résoudre les différends ; nous ne sommes pas tous experts en matière de médiation. L'important est que les enfants voient que nous résolvons nos différends l'un avec l'autre. Il y a parfois des désaccords : l'un de nous sort en claquant la porte, le ton monte ; mais en nous voyant le lendemain marcher bras dessus bras dessous avec la personne objet de notre agressivité, en constatant que nous l'aimons encore, que nous sommes bien ensemble, ils apprendront la résolution des conflits. Ce sont les résolutions positives qui ont l'impact le plus puissant sur eux. Notre manière de faire a également une influence : ce serait par conséquent encore mieux d'arriver à la solution sans explosions indues sur les plans émotionnel et physique. Si nous ne savons pas comment résoudre un conflit, les enfants peuvent nous servir d'exemple. À un moment donné, un enfant jure qu'il ne jouera jamais plus avec un autre ; l'instant suivant, il n'en reste aucune trace : les voilà à nouveau les meilleurs amis du monde, jouant comme si de rien n'était. La plupart d'entre nous seraient bien inspirés de profiter d'une telle leçon ! C'est leur innocence qui leur permet d'être ainsi ; et c'est en nous voyant agir différemment - ne pas résoudre les conflits et garder des rancœurs- qu'ils perdent leur innocence. Il est très facile de surimposer sur des enfants notre version de la gestion de l'énergie en cas de désaccord. Très souvent, discuter est approprié. Il n'est pas nécessaire de s'assommer verbalement ou physiquement. Il 328
est rare que des adultes soient à même d'y parvenir avec retenue, pour la bonne raison qu'ils n'ont pas eu de modèles en ce domaine. Les enfants géreront l'énergie différemment selon leur âge et leur tempérament : ne tenez pas pour acquis qu'ils doivent tous régler leurs différends de la même manière ; il est parfaitement irréaliste de s'attendre à ce que des enfants d'âges différents se comportent pareillement. A priori, l'idée qu'ils en viennent aux mains ne nous paraît pas bonne; il m'apparaît pourtant de plus en plus que c'est un moyen adéquat et très sain. Le fait d'apprendre à résoudre un différend à l'âge de six, sept ou huit ans est un atout certain par rapport à un adulte de trente ou trente-cinq ans qui dans une situation de conflit n'a ni moyens ni savoir-faire.
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Le corps et 1' âme Nourriture, santé, sexe et Dieu
La nourriture La meilleure manière d'aider un enfant à établir un rapport sain avec la nourriture, c'est, comme d'ailleurs dans tous les autres domaines, de nous en tenir à une perspective neutre et saine, de façon à ce qu'il comprenne ce qu'est une nourriture qualitative et nourrissante, et ce qui au contraire est malsain ou toxique ; cela tout en lui laissant une certaine liberté pour faire, à l'occasion, ses propres expériences. Où, de toute façon, allez-vous trouver des aliments totalement naturels et purs ? Nulle part ! Pensez-vous que les endroits où poussent tous ces légumes biologiques sont cent pour cent vierges de toute pollution ? Pensez-vous que l'air soit absolument pur? Quand vous croquez dans une pomme, non seulement vous absorbez la cire et le colorant sur la peau, mais aussi l'air du verger et tout ce qu'il y a dans l'eau. Alors, inutile d'être trop puriste ou dogmatique ; mangez des aliments sains et vivants, sans chercher la perfection. Sinon, si vous vous en inquiétez et vous plaignez, vous transformerez vos enfants en fanatiques de l'alimentation saine. Laissez-les un peu respirer et vous aussi. 330
Fiez-vous au simple bon sens, procurez-vous les meilleurs aliments possibles et détendez-vous. Quand j'étais enfant, on me servait la même chose six soirs par semaine : du steak (le meilleur qui soit disponible), des légumes brûlés et de la salade. Six soirs par semaine ! Je ne mangeais jamais la salade, je détestais ça. Quant aux légumes brûlés, j'en prenais le moins possible, sauf pour les épinards ou les asperges, que j'aimais : là, j'en mangeais beaucoup (mais si c'était du chou-fleur, pas question !). Mon petit déjeuner aussi fut le même pendant vingt ans : un demipamplemousse, des toasts, des œufs, du bacon, un verre de lait et des céréales en boîte. Toujours dans le même ordre. Seul changement au programme, j'ai pris des Cheerios pendant dix ans, puis des Wheaties pendant cinq ans et à nouveau des Cheerios pendant cinq ans ; occasionnellement je remplaçais le demi-pamplemousse par un jus d'orange frais. Environ une fois par semaine, parfois plus, nous allions manger à l'extérieur et essayions alors toutes sortes de nourriture. Même si notre alimentation de base à la maison était limitée, simple et prévisible, mes parents m'encourageaient à essayer tout ce que je pouvais trouver, et ma mère rapportait toujours à la maison des fruits exotiques et des gourmandises. De ce fait, je n'avais de parti pris contre aucune nourriture. L'impression prédominante était que ce qu'on nous servait était propre et frais. Quelle est mon alimentation aujourd'hui? De la salade, des fruits, des légumes : tout ce que je ne mangeais pas enfant, mais qui était disponible et sain. Je mangeais ce que mes parents me servaient, tout le pain que je voulais, avec autant de beurre que je désirais mettre dessus, sans plus. Comme on ne m'a pas conditionné à jeter l'anathème sur certains aliments quand j'étais jeune, je me suis senti libre, par la suite, d'effectuer des choix fondés sur une ouverture d'esprit. J'opte 331
maintenant pour une alimentation végétarienne (avec quelques exceptions) faite d'aliments sains, frais et complets. Mais il m'arrive de prendre de la nourriture industrielle, selon les convives avec qui nous mangeons et selon les circonstances. Je me souviens m'être trouvé à table avec une fillette de cinq ans qui voulait un morceau de beurre de plus de cent grammes ; je lui ai dit d'accord. Elle le mangea en entier. Savez-vous ce qui est arrivé ? Rien. Certains d'entre vous vont penser : «Vous mentez, elle a bien été malade, j'en suis certaine, vous ne l'avez peut-être pas remarqué, mais elle a couru jusqu'à sa chambre pour vomir; il est impossible qu'il ne se soit rien passé. » Mais non, il n'est rien arrivé. Et vous savez quoi ? Elle n'a jamais voulu recommencer. Elle a développé une attitude très conservatrice avec le beurre Uuste ce qui correspond aux besoins de 1' organisme). Alors qu'elle venait de dévorer le beurre, je lui demandai, les yeux écarquillés : «Alors, comment c'était?- Oh, c'était bon», répondit-elle. Ce fut tout. De toute évidence, nous devrions faire preuve de bon sens : un enfant n'abusera de la crème glacée guère plus d'une ou deux fois. Les enfants élevés sainement ne tombent pas dans les abus comme nombre d'entre nous. Ils sont malades une bonne fois et retiennent la leçon. Dans le même ordre d'idée, certains enfants vont manger la même chose pendant un bon moment. Ma fille a traversé une telle période : pendant des mois elle n'a mangé pratiquement que des bananes, cinq ou six bananes congelées par jour; cela n'occasionna aucune problème. Laissez les enfants manger ce qu'ils désirent. De temps à autre, vous pouvez dire : «N'aimerais-tu pas un peu de salade ou de riz?» L'organisme des enfants, s'il n'est pas programmé par des adultes «vertueux» et bornés, demandera ce qu'il veut. S'ils ont besoin de légumes verts et de carottes, et que cela est disponible, ils en mangeront avec délice. 332
Vous ne souhaitez sûrement pas bourrer vos enfants de préjugés ; alors, si vous n'aimez pas un certain type de nourriture, laissez-les se faire leur propre opinion. Je me souviens d'une période où je préparais du gruau pour l'une de mes filles, qui était alors plus jeune et le mangeait sans problème; jusqu'au jour ou sa mère y goûta et déclara : «Mais il n'y a pas de sel dans ce gruau ! » Sa voix portait un tel affect par rapport au sel, qu'après cet épisode, chaque fois ma fille demandait s'il y avait du sel dans le gruau. Elle avait été impressionnée par 1' intensité du préjugé concernant le sel. Elle mangeait son gruau sans sel et l'aimait, mais chaque fois que sa mère était présente, elle allait chercher la salière : une seule réaction avait suffi. Tel que, le gruau avait bon goût pour elle. L'addition de sel devint une simple habitude : il y avait une attente gustative psychosomatique qui n'avait rien à voir avec ses papilles gustatives à l'état naturel. Nous transmettons nos préjugés à nos enfants de bien des manières. Supposons qu'un enfant d'un an goûte à l'ail, au poivre de Cayenne, aux épinards, aux betteraves ... et qu'il n'aime pas ça. Sa mère en déduira non seulement que l'enfant n'aime pas ça, mais encore qu'il ne l'aimera jamais ... à moins qu'il ne s'agisse de l'un des aliments qu'elle-même préfère. Dans ce cas, chaque fois qu'il y en a sur la table, la mère en offrira à 1' enfant. Mais si elle ne 1' aime pas, ou si elle a décidé (sur la foi du seul rejet initial) que l'enfant ne l'aime pas, elle supposera à l'avenir que l'enfant ne l'aimera jamais. Et pendant les vingt prochaines années, chaque fois que quelqu'un offrira des betteraves à l'enfant, la mère interviendra en disant : « Il n'aime pas ça. » C'est automatique. 333
Quiconque fonctionne sous la coupe de l'ego considère le passé comme une entité réelle, vivante, sensée, sans aucun changement possible. Le passé étant une réalité pour l'ego, celui qui fonctionne à partir de cette prétendue réalité entretient un rapport linéaire avec toutes les choses. L'ego se protège et soutient son hégémonie indépendante et autonome en établissant une continuité entre la mémoire du passé et la projection du futur. Il se protège en présumant qu'il survivra toujours dans le futur et en déterminant son comportement à venir à l'aide des expériences passées. Il ne veut jamais s'investir dans Je moment présent, car le moment présent est Je seul qui soit libre. Un comportement fondé sur une liberté authentique ne prend en considération que le moment présent : il est une réponse spontanée aux stimuli de ce moment. Un comportement complètement libre se manifeste de bien des manières, mais le principe est toujours le même. Nous devrions donc laisser beaucoup d'espace à nos enfants, afin qu'ils puissent aimer quelque chose un jour, ne pas l'aimer un autre jour et l'aimer à nouveau plus tard. À mesure qu'ils grandissent, leur goût va changer, parfois de façon spectaculaire. Dans le domaine de l'alimentation comme dans tous les domaines, nous ne devrions pas les enfermer dans des idées ou des goûts arrêtés une fois pour toutes.
Avoir confiance dans la nourriture Il est primordial pour un enfant d'avoir confiance dans la nourriture que lui présentent ses parents. Si nous faisons sans arrêt des commentaires à propos de ce qu'ils mangent comme par exemple : «Oh ! là tu sais, tu n'as pas ta ration quotidienne de protéines. Tu as besoin de protéines et de vitamines. N'oublie pas tes vitamines C et B. Ah! et la Bl2! n'oublie pas 334
qu'il te faut de la B 12 et n'oublie pas le calcium, et gnagnagna ... » nous risquons fort de les transformer en marionnettes obsédées et névrotiques. Nous n'avons pas à leur bourrer le crâne avec des principes de nutrition. Nous ne sommes pas tenus de leur donner à choisir entre du riz brun de culture biologique et un cheeseburger industriel graisseux ou des bâtonnets de poulet frit ; il suffit de leur offrir une variété d'aliments naturels et frais et de les laisser choisir ce qu'ils veulent. Laissez-les manger ce qu'ils désirent sur la table, autant qu'ils veulent. S'ils s'empiffrent vraiment, vous pouvez tout simplement leur dire : «Je pense que tu en as eu assez. » Ma considération première est que les enfants ont besoin de limites qui leur paraissent raisonnables, ainsi qu'aux adultes qui les entourent, et qu'elles ne soient jamais arbitraires. En ce qui concerne la nourriture, cela signifie ne pas prendre nos propres convictions à cœur au point de devenir des gendarmes. Inutile donc de dire : « Mais ne mange donc pas tant de frites. Astu idée de la quantité de graisse que tu absorbes? Ton foie gnagnagna ... » ou encore : « Sais-tu le mal que peut te faire le sucre ? Sais-tu que si tu manges des gâteaux à cette heure ci, tu vas grimper aux rideaux : tu seras réveillé jusqu'à trois heures du matin et je ne réussirai pas à te coucher, et blablabla et blablabla ... » Ce ne sont pas là des limites raisonnables, c'est de l'hystérie nutritionnelle, dont nous avons de nombreux exemples autour de nous. Quand un enfant demande des beignets, nous pouvons lui dire : « Nous avons déjà pris beaucoup de sucre aujourd'hui, il est préférable de s'en tenir là; mais on va bientôt se mettre à table. » Si 1'enfant demande pourquoi il est bon d'en rester là, il nous incombe de connaître 1'ABC de 1' alimentation (et de nous y tenir), au lieu de tomber dans des réflexions du genre : « Sucre, mauvais mauvais mauvais. Caféine,
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mauvais mauvais mauvais. Viande, mauvais mauvais mauvais.» Ce n'est pas la bonne manière d'éduquer un enfant en matière de vitamines et de nutrition en général, c'est plutôt le meilleur moyen de l'en dégoûter. Nourrissez-le de façon adéquate et offrez-lui des petites gâteries en abondance, en supplément de la nourriture habituelle juste, diététique et holistique. Plus tard, quand il sera prêt et voudra apprendre, si nous sommes compétents en matière de nutrition, nous pourrons répondre à ses questions. Ne dites jamais aux enfants que ce qu'ils mangent coûte cher. Prenez soin de les encourager dans leur amour d'aliments véritablement nourrissants. Comment y arriver? En ne regardant pas sans cesse par-dessus leur épaule tout en vous inquiétant de leur alimentation épouvantable et de ce qu'il faut absolument leur faire absorber des vitamines et des légumes verts. N'en doutez pas, ils seront de toute façon en bonne santé. Leur énergie vitale les portera naturellement vers ce dont ils ont besoin ; de plus, les enfants peuvent manger à peu près n'importe quoi. Ce sont les adultes qui sont coincés. De toute évidence, nous n'allons pas nourrir notre enfant de chocolat à tous les repas ; je suppose qu'un adulte intelligent a suffisamment de bon sens (oh je sais, je sais, un tel présupposé pourrait me conduire à l'échafaud).
La variété : le piment de la vie Il est utile de varier un peu l'alimentation des enfants, car s'ils ont une alimentation rigide ils développeront des habitudes extrêmement étroites, exclusives, et auront les pires difficultés à accueillir les possibilités qui s'offriront à eux plus tard. La question du sucre et des friandises soulève la passion de beaucoup de parents. Personnellement, j'introduirais le 336
sucre dans leur nourriture le plus tard possible, mais je suis favorable au fait de permettre aux enfants élevés en végétariens stricts de consommer de temps en temps de la viande ou du sucre ; pas souvent, mais de temps à autre, de façon à ce que leur corps ne grandisse pas sans avoir reconnu ces autres aliments. Il ne s'agit pas de le prévoir une fois par semaine ou par mois, mais dans un intervalle de quelques mois ; un peu de bonne viande, un peu de poisson, de poulet, de pudding au chocolat permettent au corps de connaître une variété de substances. Il convient de ne pas enfermer la constitution chimique du corps dans un modèle si pur qu'il en devient incapable d'assimiler quoi que ce soit d'autre. Dans notre communauté, nous sommes essentiellement végétariens et mangeons très peu d ' aliments précuisinés, d'additifs chimiques et de produits de substitution ; mais nous faisons de nombreuses exceptions, tant à 1' occasion des jours fériés que des anniversaires. En voyage, ou si nous mangeons à l'extérieur, nous offrons de la crème glacée aux enfants, ainsi que les spécialités locales et des desserts en abondance. J'ai toujours été plus strict à la maison et plus « relax » à 1'extérieur. Quand nous voyageons avec les enfants, en Europe ou ailleurs, nous recherchons donc les aliments que nous ne consommerions pas normalement, ou les spécialités locales qui élargiront 1'horizon des enfants. Ils peuvent manger tout ce qu'ils veulent, dans des limites raisonnables. Après tout, il s'agit de vacances, d'aventure. Ils savent que de retour à la maison, fini le Bratwurst (comme en Allemagne), fini le lapin (comme en France), fini le chèvre (comme au Mexique), fini le sucre (comme partout). Les voyages ne devraient pas être un devoir pour les enfants. Ils doivent être agréables, ils doivent être une découverte remplie d'émerveillements et de délices. 337
Les adultes végétariens dont les parents et la famille ne le sont pas peuvent certainement tolérer un petit morceau de viande quand ils vont leur rendre visite. Un tel comportement constitue aussi un excellent enseignement en matière d'hospitalité : manger ce qu'on nous sert quand nous sommes invités, y compris dans notre ancienne demeure. Si maman sert un potau-feu ou du jambon, comme nous l'aimions, nous devrions en manger et lui faire plaisir. La joie d'une mère passe ici avant la vertu d'un végétarien confirmé. Si les enfants ont pris de saines habitudes alimentaires à la maison, ils peuvent prendre des libertés à l'âge de dix-huit ou vingt ans, ou quand ils vont au collège ; quoi qu'ils fassent, ils reviendront plus tard à leurs habitudes de base. Voilà mon expérience, en résumé. Bien souvent, nous ne pourrons voir les résultats de notre manière d'élever nos enfants avant qu'ils aient trente ans et commencent à élever leurs propres enfants.
Nourriture et amour Une manière infaillible d'handicaper nos enfants consiste à établir pour eux une équation entre nourriture et amour. J'ai connu bien des gens pour qui leur régime alimentaire est synonyme d'amour. S'ils doivent se priver de leurs suppléments nutritionnels, s'ils sont punis par la privation de nourriture ou que les circonstances les empêchent de manger le genre et la quantité de nourriture qu'ils estiment nécessaires, leur corps panique et réagit. Ils se croient indignes d'être des humains, indignes même de marcher sur la terre ; ils croient qu'ils ne sont pas aimés et qu'il en sera toujours ainsi, à moins d'avoir leur dose de fer, leur dessert de crème glacée ou leur troisième portion. Beaucoup d'adultes utilisent la nourriture au lieu de 1'affection et du respect pour amener les enfants à faire 338
ce qu'ils veulent, ce qui est une manière de les rendre dépendants. « Ou tu vas te laver, ou tu ne manges pas » et d'autres phrases de ce genre deviennent des substituts d'étreintes et de baisers, alors qu'il serait très simple de demander à un enfant de se laver les mains avant de manger son sandwich, lorsqu'il est allé jouer dans l'égout. La nourriture devient un salaire, la rétribution d'un «bon» comportement : 1'enfant reçoit une glace au lieu d'attention affectueuse. Il apprend rapidement que nourriture égale amour, surtout la nourriture exceptionnelle. Il s'agit généralement d'aliments sucrés et les enfants savent combien l 'amour est suave. Ils sont en manque d'amour. Nous les habituons donc, parfois involontairement, à ne plus pouvoir se passer des sucreries. Bien sûr, dans les cas graves, c'est la nourriture elle-même qui est l'objet de la dépendance. Certains adultes sont tellement réprimés, tellement coincés et incapables d'offrir de l'affection librement, que les gourmandises deviennent une tentative de dire aux enfants qu'ils sont aimés. Mais ceux-ci ne comprennent pas ces subtilités psychologiques. Ils ont besoin de beaucoup de contact physique, d'étreintes, de baisers, de bagarres amicales ; aussi bien des contacts doux et affectueux que des contacts plus virils, qui inspirent la confiance. Alors, ne leur remplissez pas la bouche de friandises quand tout ce qu'ils demandent c'est un sourire, un éloge, une reconnaissance ou un câlin.
Les « en-cas », ou « casse-croûte », sont pour les enfants une façon de prendre soin de leurs besoins organiques. Passer à l'âge adulte requiert énormément d'énergie : il faut beaucoup de combustible varié. Ces collations sont bonnes tant qu'elles n'empiètent pas sur 339
les repas. Mais nous devrions veiller à ce qu'elles ne deviennent pas une habitude névrotique (un passetemps, par exemple). Les enfants y mettront fin quand ils seront prêts, à condition toutefois que nous ne leur offrions pas ce genre de chose chaque fois qu'ils s'ennuient, pour passer le temps. Je ne recommanderais pas de leur servir uniquement des chips, des biscuits et des produits laitiers noyés de «boissons aux fruits» («fabriquées à partir de véritable jus de fruits » ). Les en-cas peuvent consister en un large éventail d'aliments, allant des crudités aux sandwichs, fruits, céréales et autres bonnes et saines nourritures.
Le protocole des repas Quand ils ont l'âge de prendre des décisions, les enfants devraient pouvoir décider de leurs préférences alimentaires, particulièrement si le repas est servi sous forme de buffet. On peut aussi attendre d'eux qu'ils fassent preuve de sensibilité dans leurs choix et ne prennent pas par exemple toutes les olives, ou ne noient pas leur l'assiette sous une montagne de ketchup. Mais même si nous emmenons un enfant manger dans un bon restaurant et que tout ce qu'il mange c'est une pleine assiette d'olives, il n'y aura pas de mal. Il ne faut pas les forcer à manger sous prétexte que nous sommes au restaurant, si tout ce qu'ils veulent c'est manger des cornichons et des biscuits salés. Les enfants n'ont pas à toujours être servis les premiers. Les adultes s'en tiennent souvent à cet automatisme, prétendant de la sorte «protéger les jeunes». Nos enfants ne sont pas démunis et n'ont pas besoin d'être traités comme si on risquait de manquer de nourriture pour eux s'ils ne sont pas servis en premier. Je ne ferais pas attendre inutilement un enfant de deux ans et demanderais au garçon ou à la serveuse d'un 340
restaurant de lui apporter son repas le plus tôt possible. Mais s'il s'agit d'un enfant de sept ans, il doit comprendre qu'au restaurant il n'a pas à être servi de manière spéciale et exclusive. Je ne voudrais certes pas lui imposer une attente interminable, mais un peu de patience n'a rien de déplacé. Toujours exiger que son enfant soit servi en premier crée une atmosphère de pénurie névrotique. Intégrez tout simplement l'enfant au déroulement normal du repas. Cela ne demande pas de gros efforts. Si dans la famille il est d'usage que chacun apporte sa vaisselle à la cuisine pour être lavée, les enfants devraient aussi le faire . Si un enfant aide à débarrasser la table et qu'en apportant son assiette à la cuisine il fait tomber par terre un peu de salade, ou le morceau de chou-fleur qu'il n'a pas mangé, il devrait au moins le ramasser et nettoyer le sol, s'il est assez grand. Mais n'attendez pas d' un enfant de trois ans la performance et le sens des responsabilités d'un enfant de douze ans. Les enfants adorent aider au nettoyage : cela leur permet de se faire à l'idée d'être responsables, même si très jeunes ils montrent plus de zèle que d'habileté. Laissez-les aider à nettoyer et à réparer les dégâts commis dans leur enthousiasme à faire partie intégrante de la vie familiale . (Évitez cependant de nettoyer leurs oublis en leur présence.) Si nous faisons toujours pour les enfants ce qu'ils peuvent faire eux-mêmes, ils finiront par cultiver une stratégie d'incapacité qui les transformera en parasites. Une fois adulte, ils auront les pires difficultés, car ils s'attendront à ce que leur conjoint ou leurs amis, ou même leur patron, accomplisse ce qu'ils pourraient et devraient faire facilement eux-mêmes. Cela devient de la manipulation, un moyen de domination extrêmement déplaisant. Nous pouvons laisser les enfants jouer un peu avec 341
leur nourriture : c'est souvent une sorte d'histoire d'amour. À six mois, ils prennent un grand plaisir à le faire : il ne faut pas confondre cette joie avec une tentative délibérée et malicieuse de nous déranger, car il n'en est absolument rien. Mais si à trois ans, en toute lucidité, ils lancent délibérément des cuillerées de nourriture par terre, je les arrêterais. Chaque individu mange selon un style unique. Vouloir que nos enfants mangent comme nous, dans leurs gestes comme dans leurs attitudes, ce serait étouffer leur personnalité. La nourriture est un domaine plus primaire et plus important que le sexe. Une relation malsaine par rapport au fait de manger, d'ingérer, et par rapport au caractère nourricier de la nourriture constitue une maladie fondamentale et peut facilement s'étendre à tous les domaines de la vie adulte. Alors, établissez une claire distinction entre le style personnel de chacun et le fait d'utiliser la nourriture comme instrument de malice. Un enfant de sept ans dans la lune peut accidentellement renverser son assiette sur la table, au milieu d'une conversation enjouée ou dans 1'égarement de son rêve éveillé : un simple et doux rappel de faire plus attention suffira. Il n'est pas nécessaire de lui faire un sermon sur les manières de se tenir à table !
La santé Il y a aussi un aspect négatif dans notre souci d'élever les enfants dans la conscience : c'est une espèce d'étouffement maternant par lequel nous sommes si tournés vers la santé et l'innocence des enfants que nous les habituons en fait à être effectivement malades, à perdre leur innocence afin que nous restions à leurs petits soins. 342
L'autre jour, quelqu ' un a fait cette remarque : «Ne devrions-nous pas empêcher les enfants d'entretenir cette idée qu'ils doivent systématiquement prendre quelque chose chaque fois qu'ils sont malades?» J'ai répondu : «Tu veux rire : ils l'ont déjà cette idée ! » Pendant des années, les femmes d'ici se pâmaient au moindre incident. Elles portaient sur elles leur étui - comme ceux qu'on portait dans le Far West pour y mettre le revolver à six coups - rempli de Rescue Remedy 1, patrouillant, à 1'affût. Dès qu'un enfant tombait sur le court de tennis, elles se ruaient à la vitesse de 1'éclair, il fallait voir comment ! Ah si nous avions pu les faire bouger de la sorte quand il s'agissait de laver la vaisselle ou de partir en voyage ! Nous -avions des concours à celle qui dégainerait le plus vite son médicament. Elles couvaient littéralement l'enfant : Rescue Remedy sur la tête, dans la bouche, dans le derrière ... là où vous voulez : il y en avait pour tout. À deux ans, les enfants avaient appris que le moindre petit bobo devait être traité avec du Rescue Remedy, des petites pilules blanches et un gros bandage. C'était déjà à la mode. Maintenant, dès qu'ils se font une petite coupure d'à peine un millimètre et que vous sortez un pansement, ils vous disent : « Ah non, ce n'est pas assez gros. » Ce qu'ils veulent, ce sont de GROS pansements, quatre gros pansements, pour que cela ressemble à une grosse étoile, avec des couleurs et des images dessus. C'est à la mode et ça le restera jusqu'à la fin de leur vie. Et c'est comme ça qu'ils élèveront leurs enfants. Dès qu'un enfant tombe et s'égratigne les genoux, nous devenons hystériques. J'étais ravi la première fois que ma fille est tombée et s'est égratigné : «Merci 1. Il s'agit des teintures de fleurs de Bach, utilisées pour rééquilibrer l' organisme après tout traumatisme.
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mon Dieu : elle saigne, elle est normale. » Enfin, j' exagère un peu. Mais ne faisons pas de nos enfants des petites choses délicates, des petits anges, des poupées de porcelaine. Nous devrions adopter la perspective suivante : ils grandissent, ils tombent, ils se font des bosses, des bleus, des coupures. Et alors ? Les enfants récupèrent avec une facilité étonnante. Soignez les symptômes directement; n'en rajoutez pas, juste ce qu'il faut et un point c'est tout. Je n'ai jamais eu d'infection, sauf en Inde, il y a des années, et je ne prends pas toutes ces choses. Une coupure est une coupure : nettoyez-la et au boulot. Sinon, voilà ce que ça donne : « Oh ! mon Dieu, mon Dieu, ça va s'infecter ! Mettez-lui tout de suite ça dans la bouche, et ça dans les yeux, et ça dans le derrière ... » Un jour, l'équipe saignante reconnaîtra la validité de ce que je dis et n'encouragera plus personne à se laisser aller à son besoin de recevoir de l'attention ou de l'amour parce qu'il est malade. Certains tombent parfois malades parce que c'est la seule manière de recevoir de l'attention et des soins exceptionnels. Vous êtes probablement familiers de cette dynamique : beaucoup d'enfants ne voient leurs parents rester à la maison et faire vraiment attention à eux que lorsqu'ils sont malades. C'est ainsi que nous développons chez eux l'habitude de tomber malade pour obtenir de l'attention. Bien des professionnels de la santé savent cela : beaucoup de patients viennent les consulter parce que c'est là qu'on leur accorde le plus d'attention dans leur vie. Les gens s'agglutinent autour d'un médecin qui a des manières bienveillantes. Tout médecin compte parmi ses patients un certain nombre d'hypocondriaques, souffrant uniquement de maladies psychosomatiques. Ils vont voir un thérapeute, quel qu'il soit, pour recevoir l'attention dont ils ont besoin. Je me situe plutôt à l'opposé. Une fois, une personne 344
de ma connaissance fut opérée de l'appendice. Deux jours plus tard, comme on ne voulait pas la laisser rentrer chez elle, je me rendis à 1'hôpital (je sais que je ne devrais pas faire ce genre de choses) et dis à la «patiente» de s'habiller pour partir, puisque tel était son désir. Alors que nous nous dirigions vers la sortie, l'infirmière vint s'interposer: « Que faites-vous ? - Que voulez-vous dire par là? C'est une prison ici, ou un hôpital ? » Sans doute n'aurais-je pas dû dire cela, mais j'étais chauffé à blanc, très contrarié qu'on ne veuille pas la laisser sortir. J'ai ajouté : « Est-ce la loi ? La police va-t-elle intervenir? Doitelle rester à 1'hôpital ? - Non, mais elle n'a pas totalement récupéré. [À trois mille dollars par jour, évidemment...] - Elle est en bonne santé, elle va bien : nous rentrons à la maison. - Vous devez signer une décharge ; nous ne pouvons prendre la responsabilité de ce départ. - Eh bien cessez d'essayer de prendre la responsabilité et laissez-la sortir d'ici. » Elle courut chercher un médecin, qui répondit avec un haussement d'épaules : «Faites-leur signer le papier. Détendez-vous. C'est leur problème. » Nous avons donc signé la décharge (ils auraient voulu la gar~ der trois ou quatre jours de plus). Elle était en parfaite santé : rien de grave n'est arrivé. Rien ne pouvait arriver. Si elle était restée, elle aurait simplement avalé plus de gelée de fruits, de purées instantanées et de lait chocolaté en guise de repas.
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• N'enseignez pas aux enfants à se plaindre à tout bout de champ. Si un de leurs doigts pend, uniquement retenu par le tendon, d'accord, c'est le moment de s'inquiéter. Mais s'ils tombent et se cognent légèrement la tête, rien de grave, lâchez-les un peu. Donnez-leur un baiser, compatissez et laissez-les retourner à leurs jeux. • Vous allez rétorquer: «Comment savoir qu'il n'y a pas de problème?» Je l'ignore, mais j'imagine qu'une mère doit savoir si son enfant s'est fait mal, si c'est son orgueil ou son corps qui est atteint. Quand il s'égratigne le genou, c'est son orgueil qui est touché, pas son corps. Vous mettez quelque chose dessus et vous lui dites que tout va bien. « Mais non, ça fait mal. - Oui, je sais. Ça va faire mal un petit moment, et puis ce sera fini. » • De temps à autre, il faut savoir être un peu exigeant avec nos enfants. « Tu vas bien. Je sais que se couper avec une feuille de papier ou s'érafler le genou est douloureux; mais tu vas bien, vraiment. Ça va guérir vite. Ce n'est pas SI grave. - Mais si, c'est grave, ça fait vraiment mal. - Oui ... je sais que ça fait mal. Moi aussi ça me fait mal quand ça m'arrive. Mais ce n'est pas grave, tu peux supporter ça. » Une telle attitude est saine. Mais n'en faites pas trop : ne vous attendez pas à ce qu'ils fassent héroïquement fi de la douleur et des réactions de choc ou de surprise quand ils se font mal ou qu'ils sont malades, comme s'ils étaient Rambo ou quelque autre surhomme. Rappelez-vous par-dessus tout que les enfants sont des enfants, non des adultes : ils ont besoin de beaucoup de compréhension, de soins, d'affection et d'acceptation. 346
Nos croyances peuvent être très nocives La plus grande partie de ce que nous disons sur la nourriture peut s'appliquer à la santé. Nos croyances peuvent devenir abusives. Beaucoup de mères branchées aliments naturels, vie naturelle, sont radicalement attachées au processus naturel de guérison (dont je suis); mais mon expérience m'amène à penser que différer la guérison d'un enfant parce qu'il« n'a qu'un virus et en viendra à bout tout seul » et que nous ne voulons pas qu'il dépende des médicaments - même des remèdes homéopathiques, car après tout « les pilules sont des pilules » - constitue une très subtile forme de manipulation, qui pourrait facilement se transformer en forme plus lourde d'abus de l'enfant. Laisser un enfant souffrir parce que nous sommes des puristes est assurément une forme d'abus. Ce n'est peut-être pas aussi grave que ces fanatiques qui laissent mourir leur enfant parce qu'ils refusent de l'amener à l'hôpital pour une transfusion sanguine, mais c'est quand même prendre la responsabilité de la santé de l'enfant entre nos mains, alors qu'il serait peut-être mieux de consulter un naturopathe ou tout autre médecin. Il nous incombe de veiller sur la santé de l'enfant tant qu'il n'est pas en âge de le faire. Un enfant d'un an ne peut apprendre la guérison naturelle par la souffrance sans avoir recours à des médicaments. Notre tâche ne consiste pas à essayer de le convaincre que «la souffrance n'existe pas», que «les maladies sont toutes psychosomatiques » ou de le laisser souffrir sans raison alors qu'il existe des moyens de remédier au stress immédiat d'une maladie. Il ne peut y avoir d'excuse à notre manque de clarté à cet égard. Il est de notre devoir de prendre soin de nos enfants et, si nos principes de vie sont authentiques et véridiques, ils les assimileront. Si nous vivons de façon saine, c'est ce 347
qu'ils apprendront en nous observant et en pratiquant ce mode de vie. Peu importe le nombre de cachets d'aspirine pour enfant que nous leur donnons, si nous n'en prenons pas nous-même ils cesseront d'en prendre lorsqu'ils seront en âge de communiquer et de nous observer. Comme je l'ai souligné maintes fois , nos enfants ne demandent rien de plus que d'être exactement comme nous : c'est leur premier objectif dans la vie. Leurs parents sont leurs idoles et ils seront comme nous ! Vous en doutez peut-être parfois, mais croyez-moi, vous avez plus d'impact dans leur vie, sur leurs croyances et leur comportement que Luke Skywalker, Hans Solos ou la Princesse Leia, même si les apparences paraissent contraires. Si nous vivons de façon authentique avec nous-même, c'est cela qu'ils assimileront. Il ne faut pas nous inquiéter de ce qu'ils seront corrompus par une aspirine prise à 1'âge de deux ans, alors qu'ils souffrent.
Le sexe J'ai lu dans Playboy un article sur les «Topographies de l'amour». L'auteur y déclarait que chacun de nous possède son agenda caché dans sa relation, « son propre tableau de l'amour» : l'amoureux idéal, la scène d'amour idéale, le programme des activités érotiques. Ces topographies personnelles de 1' amour sont celles qui nous guideront à travers notre vie sexuelle d'adulte. Il affirmait que ces schémas sont établis durant la petite enfance, peut-être dès l'âge de trois ans. Cela est important, surtout pour ceux d'entre nous qui ont des enfants. Nous sommes déjà rivés à notre «tableau de l'amour», qu'il soit sain ou non. Mais nous pouvons encore offrir à nos enfants des « tableaux 348
de 1'amour » qui soient sains, naturels et libres, en ne mettant pas l'accent sur nos perversités. Le cinéma a une influence, car il capte l'attention des enfants. C'est pourquoi nous ne les emmenons pas voir des films dans lesquels de nombreuses scènes associent la violence et le sexe ; sinon, plus tard, si les impressions les marquent assez profondément dans leur affectivité, ils pourraient en venir à ne pas être capables de faire l'amour sans violence. Généralement, le «tableau de l'amour» qu'un enfant établit dépend du rapport au sexe et au corps qu'entretiennent ses parents et les adultes autour d'eux. Ainsi, si vous êtes un homme, que vous êtes sous la douche et qu'un enfant - garçon ou fille - survient par accident et que vous vous cachiez comme si la nudité était une chose honteuse, cela leur envoie un message clair et négatif; cela sera intégré dans leur rapport au corps et à la sexualité. Bien sûr, il y a aussi des hommes qui marchent partout «en l'exhibant», autre démonstration malsaine de manque de confiance et de clarté sexuelle. Il existe un espace intermédiaire, dans lequel nous pouvons être nus devant nos enfants, sans exhibitionnisme ni peur d'être vulnérables. Il est très sain pour les enfants d'observer le rapport neutre et aisé de leurs parents avec leur corps, tant nu qu'habillé. La santé globale du sexe et de la sexualité (deux choses distinctes) dépend de l'image que nous avons de notre corps et des sensations associées au plaisir corporel (et de notre joie à faire plaisir aux autres) ou de notre suppression ou notre dégoût des fonctions et sensations corporelles. Ces impressions nous sont enseignées très tôt dans la vie, bien avant que les relations sexuelles ne deviennent à l'ordre du jour. Je me souviens être un jour entré sans avertissement dans la salle de bains de mes parents, et avoir vu une serviette se déplacer si rapidement que j'ai crû qu'elle
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avait lévité. En fait, c'était ma tante qui l'avait saisie sur le porte-serviettes, pour couvrir son anatomie inférieure. Cette serviette s'est déplacée à une vitesse supersonique ! Le résultat est que lorsque je suis avec une femme, s'il n'y a pas une serviette entre nous, je suis en difficulté. Vous pourrez me trouver en train de rôder autour de la corde à linge : je mets une heure et demie à y étendre quatre ou cinq serviettes. Je dois prendre mon temps, jouer avec les épingles à linge, regarder les serviettes en me demandant ce qu'il y a derrière. Intellectuellement, je sais qu'il n'y a rien : je sais qu'il s'agit de serviettes sur la corde à linge et que derrière il n'y a rien d'autre que le paysage. Mais quand vous avez un «tableau de l'amour», vous avez bel et bien un « tableau », et moi je veux savoir ce qu'il y a derrière ! Même si en tant qu'adulte je sais qu'il n'y a que de l'air, en tant qu'enfant je savais qu'il y avait quelque chose et je voulais savoir quoi. C'est fascinant, c'est comme un mystère. C'est un territoire interdit. Je veux l'examiner et satisfaire la curiosité que j'ignorais avoir jusqu'à ce qu'on me refuse la vision de ... , de quoi? Je l'ignore encore. Mais il y a quelque chose de vraiment intéressant derrière cette serviette. L'auteur de cet article sur les «tableaux de l'amour » affirme que ce sont les attitudes répressives et non les permissives qui engendrent les comportements aberrants. Je suis d'accord. Il est préférable pour notre enfant, quand il fait irruption dans notre chambre et nous trouve en train de faire l'amour et demande ce que nous faisons, que nous nous retournions simplement et lui disions : «Nous faisons l'amour. Pourraistu sortir et fermer la porte ; nous te parlerons quand nous aurons terminé. » C'est bien mieux que de tirer les couvertures en hurlant : « Fous le camp de là. Ne t'ai-je pas dit cent fois de frapper, nom de Dieu?» C'est probablement ce que certains d'entre nous se 350
sont fait servir, plus jeunes, après être innocemment entrés dans la chambre à coucher de nos parents alors qu'ils faisaient «la chose». Si nous avons élevé nos enfants avec bon sens, avec humour, et qu'ils surgissent accidentellement dans notre chambre, ils diront : « Eh ! papa, t'as un bouton sur les fesses. » Restez cool. Autre exemple : des petits enfants qui veulent voir le pénis de leur père créent un conflit pour bien des hommes. Si un homme est gêné par leur curiosité (ses enfants peuvent très bien quand même vouloir voir la chose se trémousser et se dandiner dans la salle de bains), il peut régler ça de façon ferme, mais sans engendrer un traumatisme pour l'enfant. Il n'y a pas moyen d'expliquer comment faire : il faut «jouer à l'oreille». Plus nous sommes avec les enfants, mieux nous savons gérer ces situations sans nous énerver. Ne cachez pas votre corps et ne l'exhibez pas. La clé consiste à être naturel, sans affectation. La masturbation Les enfants jouent avec leurs organes sexuels. Si nous sommes refoulés et facilement embarrassés, cela peut provoquer une confusion en nous, à savoir comment gérer ce genre de situation. Car ils jouent vraiment avec, ils ne font pas qu'y toucher. Ils sont étendus là et se sentent bien, en se caressant, en poussant, tirant et quoi encore. Après tout, ces organes sont localisés de façon pratique, faciles d'accès pour les doigts. Les petites filles se procurent autant de plaisir à jouer avec leur petit appareil que les garçons avec le leur. Si nous nous montrons vraiment coincés et que nous balayons leur main nerveusement, ils apprennent que c'est mal d'une certaine façon; c'est l'amorce d'une image négative du corps. Moins nous faisons dans la 351
morale, mieux ils traverseront les étapes de leur croissance. Alors, quoi faire? Rien. Laissez-les jouer. Certains parmi nous ont très honte d'avoir des organes génitaux. Voir nos enfants caresser les leurs nous met dans un tel embarras que nous ne savons pas si nous devons faire dans notre froc ou virer au vert. Nous ne pouvons croire à l'innocente liberté dont ils font preuve ! Bien sûr, quand ils ont treize ans, nous n'avons aucune envie de les voir se masturber devant les invités ; mais leur enlever les mains de leurs parties génitales quand ils sont petits n'est pas génial non plus. Si nous les laissons suivre leurs inclinations naturelles, ils vont cultiver un comportement social adéquat et naturel. C'est quand nous brimons leurs instincts naturels qu'apparaît la sexualité aberrante. Quand j'étais petit, on a dû attacher mes mains derrière mon dos. Je ne me souviens de rien - il y a un blanc - , mais j'ai réussi à m'en sortir. (Eh! souriez, voulez-vous? C'est une blague. Il n'est ici question que d'une branlette, pas d'une vivisection. Détendezvous les amis !)
Le sexe et le lit familial Quand votre conjoint et vous êtes au lit avec un jeune enfant, je vous recommande de faire l'amour quand l'enfant dort profondément. Mais vous pouvez faire l'amour dans le même lit si vous le désirez. Si c'est inconfortable, placez provisoirement 1'enfant sur un tapis, par terre, pour le ramener dans le lit plus tard. Ou encore, laissez-le dormir dans le lit et allez sur le plancher vous-mêmes (ou sur le bureau). Un peu de variété vous ferait peut-être du bien ! Je ne ferais pas l'amour sous les yeux de l'enfant, mais je ne vois aucun problème à le faire quand il dort dans la même chambre. C'est naturel, après tout. Parlez 352
régulièrement à l'enfant à ce sujet, de sorte que son inconscient soit détendu et confortable. Je n'irais pas jusqu'à lui expliquer les lois de la procréation. Je dirais plutôt : «Papa et maman vont faire l'amour; alors si tu entends du bruit, ou si le matelas rebondit partout dans la chambre, c'est normal. » Cela crée une impression dans 1'enfant, grâce à laquelle il sera expressif en faisant l'amour, plutôt qu'étriqué et renfermé. Cela pourrait lui épargner des années de thérapie. D'autre part, une fois que l'enfant a sa propre chambre, s'il a été tenu à l'écart du sujet de l'acte sexuel, il faut savoir que lorsqu'il entendra sa mère crier comme un diable (peu importe ce qu'est le diable !), il supposera presque sûrement qu'elle a de gros ennuis et il aura peur pour elle. Soyez donc conscients de l'état de veille ou de sommeil de votre enfant quand vous faites l'amour. Si vous ne criez pas, par respect pour 1'espace de 1' enfant, très bien ; mais si vous ne pouvez pas crier, tant pis, vous ne savez pas ce que vous perdez (et votre partenaire aussi).
S'exprimer sans censure Les enfants élevés dans un environnement conscient, ouvert et chaleureux peuvent aller poser aux adultes des questions qui leur tiennent à cœur sans aucune peur ni gêne. Cette clarté et cette simplicité étonnent les adultes qui sont eux-mêmes renfermés et refoulés. Avez-vous observé des fillettes élevées sans préjugés ni rigidité jouer à l'accouchement? Elles écartent les jambes, retirent la poupée de dessous leur robe. Je gage que certains d'entre vous seraient plutôt inquiets à l'idée d'emmener ces enfants en visite chez grandmaman, hein ? Que ferait grand-maman si elle voyait une fillette de trois ans écarter les jambes et en tirer une poupée? Probablement ferait-elle une crise d'apoplexie. Ce serait la fin de sa tranquillité d'esprit; à moins qu'elle ne rugisse de joie. 353
De toute façon, c'est merveilleux d'observer des enfants pour qui les choses naturelles de la vie (la naissance, la mort, les états d'âme, faire pipi et caca, posséder des organes génitaux) représentent des choses normales. Il est très libérateur de constater que nos enfants ne sont pas aussi coincés, ou psychologiquement constipés, que la plupart d'entre nous sur des sujets tels que la naissance, le sexe et la mort. Les enfants sont naturellement curieux et enthousiastes à 1' idée de partager leurs découvertes et il est sain d'accepter ces qualités en eux. De plus, dès qu'on leur en donne un tant soit peu la chance, les enfants font de fabuleux interlocuteurs : ils se montrent fascinants et avenants.
Dieu, la religion et la spiritualité Claudio Naranjo a écrit un livre 1 dans lequel il expose ses concepts sur 1' éducation et la culture idéales, fondées sur la relation idéale entre le père, la mère et l'enfant. En gros, il affirme qu'un bon nombre des acquis de notre éducation sont destinés à être abandonnés au cours de notre vie : nous les aurions de toute façon appris au cours de notre existence et peut-être de meilleure manière et plus efficacement. Une formation holistique ne requiert que deux choses en matière d'éducation formelle : les mathématiques et la musique. Le professeur Naranjo relève plusieurs expériences qui montrent que la musique et les mathématiques enseignées très tôt dans la vie sont les pierres angulaires permettant de devenir compétent dans bien d'autres domaines. 1. Claudio Naranjo, The End of Patriarchy and the Dawning of a Tri-un e Society, Oakland, CA, Amber Lotus, 1994.
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À son avis, on ne devrait pas enseigner la religion de façon formelle avant la puberté : un enfant vivant dans un environnement religieux, si la demeure est religieuse par nature, héritera certes de cette qualité, mais inutile de donner un enseignement religieux avant la puberté. À la puberté, on se libère de la dépendance, de la sécurité du refuge familial, pour entrer vraiment en soi en tant qu'adulte. C'est le moment idéal pour enseigner la religion, car c'est essentiellement cela que recherchent les gens qui acquièrent l'indépendance de l'adulte : des réponses universelles. S'ils n'ont reçu aucun enseignement jusque-là, les enfants n'auront pas été exposés aux dangers très réels que la religion devienne une sorte de credo appris par cœur étant petits ; car intérieurement ils ne ressentent pas ces credo, sauf sous une forme intuitive et très subtile (mais ce sens subtil est universel, non pas religieux au sens des religions organisées). La capacité de ces jeunes gens à vraiment s'immerger dans les vrais principes de la religion n'aura donc pas été endommagée par des conditionnements dogmatiques et doctrinaires se situant bien au-delà de leur capacité de compréhension lorsqu'ils sont jeunes. C. Naranjo est très critique à l'égard de ce qui se passe à l'intérieur des religions organisées, où l'on conditionne les enfants à des pratiques mécaniques plutôt que de les initier aux vraies réalités religieuses. Ceci ne peut vraiment se produire avant la puberté, car la conscience n'est pas encore suffisamment élaborée et ne peut saisir la réalité. Avant la puberté, nous en sommes encore au stade formateur dans des domaines moins subtils. Voilà pourquoi, dans la plupart des cultures autochtones, les expériences d'initiation se font à la puberté. Plus tôt dans la vie de 1'enfant, la famille peut discuter des rêves, entre autres, et impliquer l'enfant dans le 355
déroulement normal de la vie familiale, y compris la spiritualité, sans essayer de lui donner l'expérience de la réalité transcendantale ; elle permet simplement à l'enfant de percevoir à son niveau de développement, tout en répondant à ses questions et sans les bourrer d'informations préfabriquées. Quand nous enseignons à des enfants de trois, quatre ou cinq ans qui était Jésus ou Bouddha, nous essayons de les instruire d'une réalité transcendantale qui doit être expérimentée et, pour ce faire, nécessite toutes les facultés de l'adulte. Il faut alors nécessairement que cela soit artificiel, car à cet âge ils n'en sont qu'au stade du développement de leurs capacités physiques fondamentales. Ensuite, jusqu'à dix ans, ils font l'expérience des réalités émotionnelles. Le centre de la pensée n'est pas encore développé et c'est un ingrédient indispensable pour une compréhension complète de la réalité spirituelle. Il en va autrement des histoires. En effet, lorsqu'on raconte des histoires à l'enfant, on n'attend pas de lui qu'il incarne la morale ou la réalité transcendantale, si ce n'est peut-être par intermédiaire. Cela est donc sain, surtout s'il peut suivre l'histoire et l'imaginer, au lieu d'être quelque chose qu'il lui faut apprendre avant de pouvoir en apprécier, par sa propre expérience, la dimension morale. Nous pouvons faire en sorte que l'enfant intègre graduellement des vérités supérieures, mais nous ne devrions pas attendre de lui qu'il comprenne ces choses de façon pratique alors que son expérience est purement intuitive et instinctuelle.
Il devrait être naturel de parler à nos enfants de Dieu, si nous y croyons. Répondre à leurs questions ne devrait pas poser de problèmes : c'est juste une ques356
tion de vocabulaire approprié. La compréhension abstraite, philosophique de Dieu qu'a l'adulte dépasse de beaucoup ce qu'un enfant peut savoir. Mais la compréhension de Dieu, ou quel que soit le nom que nous lui donnons, n'est pas hors de leur portée. Nous n'avons qu'à parler un langage qu'ils comprennent, en traduisant notre connaissance en termes de ressenti de la réalité telle qu'elle est. Nos explications sont trop complexes pour eux.
C'est en observant les adultes vivre de façon spirituelle ou holistique que les enfants en viendront à vivre ainsi. L'endoctrinement est parfaitement inefficace. Il existe une grosse différence entre éducation et endoctrinement : même enseigner des choses comme lire et écrire peut être de 1'éducation ou de 1'endoctrinement, selon que les professeurs enseignent vraiment ou font simplement avaler de force des informations à leurs élèves. L'endoctrinement est souvent contre-productif. Approcher avec lourdeur des sujets qui se réfèrent normalement à la joie intense et à la liberté porte généralement l'endoctriné à rejeter les doctrines. Nous n'avons pas vraiment à initier en bonne et due forme nos enfants à nos pratiques spirituelles. J'estime personnellement que leur montrer quelques minutes de méditation, ou toute autre pratique, suffit, jusqu'à ce qu'ils se demandent ce que nous en retirons et qu'ils décident de l'essayer eux-mêmes. Le plus important, c'est qu' ils nous voient méditer. De toute façon, jusqu'à la puberté, les enfants sont naturellement là où nous sommes quand nous pratiquons la méditation. Ils n'ont pas besoin de méditer comme nous, parce qu'ils sont la méditation, qu'ils soient tranquillement assis ou jouent bruyamment. La dynamique que cette pratique 357
crée en nous se trouve déjà en eux. Alors, tant qu'ils conservent un tant soit peu leur innocence, ils méditent. Ils font automatiquement ce pour quoi nous méditons. Les enfants n'ont pas besoin qu'on leur apprenne à ressentir la bénédiction éternelle de la Présence divine dans leur vie ou dans toute vie. L'important, c'est la manière dont on leur permet d'en prendre conscience. Ils prennent conscience de cette Présence par les adultes qui en sont conscients et dont la vie elle-même repose sur cette Présence, voilà tout. Si les adultes le vivent, le langage peut venir se superposer, pour donner des explications, mais les enfants sauront déjà de quoi il est question. Tout effort acharné au niveau d'une explication ne ferait que refléter notre propre confusion et notre propre inconfort par rapport à cette vie consciente. Se faire sa propre idée J'ai pensé à Dieu pour la première fois à 1'âge de dix-sept ans. Avant, je pensais aux animaux. Je collectionnais toutes sortes de choses : insectes, serpents, tortues, lézards, poissons, oiseaux, chats, mais je ne pensais jamais à Dieu. Mon père était un de ces types qui ont réponse à tout. En fait, quand j'allais à l'école, je n'utilisais jamais ma grosse encyclopédie, car quand je voulais savoir quelque chose, par exemple l'orthographe d'un mot, je le lui demandais. Puis il m'a dit : «Pourquoi ne vas-tu pas consulter ton dictionnaire ? » Il a compris que s'il continuait à me donner l'orthographe, je n'apprendrais jamais à utiliser un dictionnaire. Un jour, à dix-sept ans, j'ai pensé à Dieu et je me suis dit : « Je me demande ce que mon père pense de Dieu, étant donné qu'il est une sorte de Dieu. » Je lui ai donc demandé s'il croyait en Dieu : «J'ai mes
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croyances, répondit-il, mais je pense que dans ce domaine il est important que tu en viennes à tes propres conclusions et que tu prennes tes propres décisions. » Il ne voulut pas m'en dire plus que : « Si tu veux savoir s'il y a un Dieu, si tu veux en savoir davantage à ce propos, tu dois mener ta propre recherche.» Je ne l'ai fait que six ou sept ans plus tard. Je pensais que je n'étais pas prêt. Après m'être intéressé à ma propre forme de spiritualité, étant passionné par toutes ces questions, je pensais : «Mon père est un artiste; je gage que c'est là un aspect de la vie qui lui est complètement inconnu. » Alors, je suis allé le trouver : « Connais-tu quoi que ce soit en matière d'ésotérisme et de mysticisme?» Il se mit à énumérer des noms:« Tu sais, quand j'avais une vingtaine d'années, en Europe, j'ai étudié en long et en large la théosophie de Mme Blavatsky et d'Annie Besant, et aussi toutes les religions contemporaines, l'hindouisme, le bouddhisme ... » J'étais sidéré, parce qu'il n'avait jamais soufflé mot de telles études, n'avait littéralement jamais dit un seul mot là-dessus, sauf pour parler des injustices de l'homme envers l'homme. Il m'a laissé faire mes propres découvertes. Si je regarde en arrière, je me souviens que mes parents étaient passionnément impliqués dans des mouvements sociaux. Il y a longtemps, c'était en ... était-ce la guerre de Corée? Je n'en suis pas sûr - il y avait des défilés à la lueur des bougies dans notre coin, dans le New Jersey. Ils ne m'ont jamais demandé d'y aller. La baby-sitter venait me chercher et je demandais à mes parents où ils allaient. Ils répondaient qu'ils allaient à une marche contre la guerre, c'est tout. C'est tout ce dont j'aie jamais entendu parler. Quand il y avait des invités à table, nous ne discutions que de la famille, de la vie, d'art et d'autres sujets de ce genre. Pour la politique, les hommes passaient dans une pièce 359
et les femmes allaient dans l'autre : tout ce qu'il y a de plus traditionnel. Les hommes parlaient politique, les femmes politique, potins ou autres sujets. Les enfants pouvaient entrer et sortir, et s'ils avaient envie d'écouter ils étaient les bienvenus. Je n'ai jamais été endoctriné, on ne m'a jamais gavé d'opinions. On m'a laissé me développer par moimême. On ne m'a jamais dit : «La guerre est mauvaise.» Seulement, quand je leur demandais où ils allaient le soir, ils répondaient qu'ils allaient marcher contre la guerre. Je n'en ai jamais demandé plus et ils n'ont jamais pris l'initiative de le faire, à moins que je ne demande spécifiquement ce qui se passait. On ne m'a jamais abreuvé d'idéologie, même en ce qui concerne la religion. Dans la ville où j'ai grandi, il y avait beaucoup de préjugés contre les Juifs : nous ne pouvions aller au Country Club, ni à la piscine, car c'était interdit aux Juifs (mais je l'ignorais). Nous vivions dans le quartier pauvre de la ville et à mon école, il y avait des Noirs, des Orientaux et un peu de tout : des catholiques, des épiscopaliens, des presbytériens et moi. J'étais ami avec tous et ils étaient tous amis avec moi. Avant l'âge de onze ans, j'ignorais l'existence des préjugés, je n'imaginais même pas qu'on puisse avoir des préjugés. Une fois l'an, nous célébrions la Pâque juive avec les religieux : c'était l'aspect religieux de la famille. À quatorze ans, j'ai demandé à mon père ce que cela signifiait: juif, chrétien, qu'est-ce que ça voulait dire? Comment se faisait-il que nous n'allions pas dans un temple ? « Si tu veux étudier la religion juive, me répondit-il, tu peux aller voir celui qui donne des cours de culture juive aux enfants qui ne sont pas allés à l'école de la synagogue. Tu peux y aller et étudier si tu veux ; tu peux aussi aller au temple si tu préfères. » J'y suis donc allé, pendant six mois, cela n'a pas duré 360
plus. Il y avait dans le cours la plus belle fille que j'aie jamais vue dans ma vie - elle était même plus belle que mes chats, c'est tout dire ; quand elle a arrêté d'y aller, j'ai arrêté aussi. Mes parents rn' ont laissé me faire ma propre idée, ce qui était très sain. À ce moment de mon existence, j'ai choisi les filles. Ils n'étaient pas inquiets ; enfin, pas trop. En temps et lieu, j'en suis venu à me faire une vision du monde en résonance avec les vues humanitaires de mes parents.
En ce qui concerne la religion et bien d'autres sujets, nous pouvons avoir confiance en nos enfants et les laisser développer leur propre sensibilité des choses. Nous pouvons bien sûr les guider avec douceur; mais c'est bien autre chose que de les réduire de force à des croyances ou des expériences étroites et exclusives. Nous vivons dans un monde extrêmement politisé, de bien des manières. Il s'y trouve de nombreuses injustices, de formidables inégalités sociales et des comportements inhumains, comme les tortures, les crimes et les mesquineries. Il est important que les enfants apprennent ces choses par 1' observation et non en étant entraînés comme des fanatiques, des sadiques, des bigots, des sexistes, des new agers, des racistes, des « classicistes », etc. Les enfants sont fondamentalement innocents, et en cela fondamentalement bons. Ils aiment vraiment les autres, les animaux et 1' environnement, jusqu'à ce qu'on leur enseigne à être égoïstes, avides, hostiles et méfiants les uns envers les autres. Il est néanmoins important de les laisser se faire leur propre opinion, plutôt que d'en faire des radicaux plein d'insultes enflammées. À ce propos, il est très étrange, aux États361
Unis, de voir des enfants de cinq et six ans devant des cliniques d'avortement, en train de tenir des pancartes disant : « Assassins ! Les fœtus sont aussi des personnes.» Ce sont des enfants ! Ils n'ont aucune idée de ce qu'il y a derrière ce brouhaha. Ils répètent comme des perroquets ce que leurs parents disent, seulement désireux de contribuer. Quelle contribution ! Nous pouvons mettre à la disposition des enfants notre information et notre expérience sur les religions et d'autres sujets, laissant ensuite s'épanouir leur propre sensibilité et leur nature. Si on laisse les enfants se faire leur opinion, ils réaliseront que le monde est rempli d'injustices. Ils ressentiront la souffrance des affamés et des torturés, ils feront leur part de travail pour éliminer de telles horreurs. Ils le feront ! Mais ils sentiront ces choses depuis leur être intérieur, non dans le caractère superficiel d'une attitude dont les adultes et l'environnement les auront nourris de force.
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Pratique spirituelle pour les parents
Si l'on s y consacre vraiment, l'éducation des enfants est une pratique qui se révèle plus ardente et plus dévorante que celle d'un moine zen assis en sesshin. Cela ne dure pas trois jours ou un mois, mais près de vingt ans, jour et nuit, sans interruption. Une fois commencée, on ne peut y renoncer ni l'oublier. Comme le travail de l'enfantement ou le travail luimême : une fois le processus engagé, il n y a d'autre choix que de continuer jusqu 'au bout, de traverser l'océan. Seuls une quête et un engagement de plus en plus profonds peuvent nous aider à faire face tant à la douleur qu'à la pure joie que l'éducation des enfants apporte par moments. C'est ainsi que l'éducation consciente des enfants peut nous ouvrir à la profonde transformation du cœur. Une fois acceptée, cette pratique s 'entretient d'ellemême et exige l'approfondissement constant de notre attention, de notre vulnérabilité, de notre dévouement, de notre sens du sacrifice et de notre abandon.
Dans notre communauté, nous tentons d'offrir aux enfants quelque chose d'idéal, mais nous nous sentons 363
en même temps frustrés, car nous ne sommes pas parfaits et la vie non plus. Bien sûr, si notre vie était fondée sur un profond rapport au Divin, particulièrement en tant que manifestation de la nature de la vie ellemême, nous n'aurions pas à nous inquiéter de savoir si nous couvrons les demandes de nos enfants ou non. Cette question ne se poserait même pas. Dans ce domaine, que j'appelle celui du pratiquant spirituel, la relation que nous entretenons avec 1'enfant est naturellement et spontanément juste ; quand nous ne vivons pas dans cet espace, cette relation peut l'être ou pas, selon 1' état de santé de notre psychisme, la profondeur et la largeur de notre éducation, de notre sagesse et de notre créativité. Un psychisme malsain induit inévitablement une relation malsaine avec les enfants. Si notre psychisme est sain et que nous n'avons pas de pratique spirituelle, cette relation peut encore être excellente et respirer l'authenticité et la chaleur. En revanche, si nous avons une pratique spirituelle, il n'y a d'autre façon d'entrer en contact avec les enfants que dans une attention où nous les aimons tels qu'ils sont. Les enfants nous révéleront si nous participons vraiment ou non à ce travail. Ils sont des révélateurs instantanés par rapport à la résonance ou la dissonance de notre relation avec eux, avec la vérité, la Réalité, la Vie juste et la justice objective. La venue des enfants peut bouleverser les relations, y compris celle que nous avons avec nos habitudes de vie. Le hic, c'est qu'il faut élever un enfant tout en apprenant à pratiquer au cœur de cette énorme exigence. Éduquer des enfants constitue donc une précieuse opportunité pour apprendre comment « pratiquer » sans se fourvoyer dans une spirale de confusion et d'insécurité. Cela ne veut pas dire aligner six heures de méditation formelle et de prière chaque 364
jour, par exemple, car c'est impossible quand on élève des enfants. Nous apprenons plutôt à pratiquer intérieurement, c'est-à-dire à l'intérieur de cette relation priorztazre avec notre enfant, relation qui exige extérieurement du temps, de l'énergie, de l'attention et de constants ajustements. Dans un couple qui a plusieurs enfants, le plus souvent l'homme travaille à temps plein, de sorte que la femme doit se charger d'importantes responsabilités parentales. Celles-ci dévorent le temps et l'énergie, aucun doute là-dessus, et la femme va souvent arrêter d' étudier, de méditer ou de pratiquer des exercices, selon sa pratique spirituelle. Elle aura l'impression de perdre sa connexion avec le Divin. Mais c'est là pur non-sens. Si nous vivons simplement la vie telle qu'elle est, dans la juste perspective, si nous accomplissons ce qui est attendu de nous maintenant sans maugréer ou pleurer sur notre style de vie passé, Dieu est bien servi. Nous n'avons pas à chercher à accomplir des actes propres à nous rendre plus séduisants pour le Divin. Telle est notre action : simplement vivre la vie telle qu'elle est. Si notre vie elle-même est un ferment de transformation, alors, tout aussi banal que cela puisse paraître, cela suffit : on se lève le matin, on mange, on va travailler et on en revient pour être en famille, ou on demeure à la maison, on y travaille et on joue avec les enfants toute la journée, on vaque à ses occupations, puis on va se coucher. On peut occasionnellement avoir le temps de faire une prière ou un rituel. Pour un parent, ce quotidien peut se révéler être une sadhana (pratique spirituelle) aussi valable et précieuse qu'instruire les masses pour quelqu'un d'autre, ou qu'un métier prestigieux et excitant, comportant de nombreuses responsabilités - bref, le genre d'activité qui fait qu'on a son nom et sa photo dans le journal. Beaucoup de gens ont l'impression qu'ils sont hors365
jeu, que la grâce les évite, qu'ils ne pratiquent plus quand les circonstances de la vie les empêchent de prendre part aux pratiques formelles auxquelles ils étaient habitués et qu'ils aimeraient continuer. Mais il n'en est pas ainsi, du moins pas automatiquement, surtout pour les parents ayant de jeunes enfants. Simplement être un bon parent, avec la bonne attitude, est une pratique qui sert Dieu de façon profonde et directe. Il est, bien sûr, très sain pour un enfant d'observer ses parents dans une atmosphère de prière et d'adoration, d'observer en eux la discipline, le discernement, la fiabilité et 1'authenticité, mais ces qualités peuvent être vécues à travers 1'éducation même de 1'enfant : celuici en prend exemple et il pourra plus tard les intégrer à sa propre pratique spirituelle. Les pratiques recommandées à l'école (méditation, étude, exercices quotidiens, etc.) demeurent secondaires par rapport à l'attention et aux soins appropriés accordés aux enfants. Il n'est pas non plus nécessaire de délaisser des qualités subtiles (ce qui éclaire les relations, la générosité, la compassion, la patience, la gentillesse) pour un enfant : il n'y a qu'à les appliquer à l'éducation. La discipline (le yoga ou autres exercices, la méditation, etc.) a un impact profond sur la vie spirituelle, mais la plus haute discipline consiste à élever un enfant dans l'amour et la responsabilité. La responsabilité spirituelle de la mère est donc d'offrir à l'enfant un environnement dans lequel il maintiendra une relation avec Dieu. Une mère qui faillirait à cette responsabilité et s'enorgueillirait de sa méditation quotidienne et de ses exercices tout en négligeant son enfant, et en le refilant à une baby-sitter, sombrerait dans le ridicule. La mère (et le père) crée essentiellement un être qui viendra ajouter aux souffrances de Dieu ou au contraire les soulager. En ce sens, la mère est presque comme Dieu, 366
en créant quelque chose qui servira le processus de la vie sur Terre, et même à travers l'univers, ou au contraire qui le déformera et le détournera.
Perdre quelque chose Quand vous avez un enfant, à moins d'être vraiment mûr, d'avoir complètement développé vos quatre premiers chakras 1, vous donnez essentiellement quelque chose de vous-même (vous abandonnez quelque chose) au profit de l'éducation de cet enfant. Même mûr, vous donnez quelque chose : mais alors, vous jouissez d'une compréhension claire et lucide de cela, et vous ne « perdez » pas ce que vous donnez, pour ainsi dire. Au contraire, vous y gagnez, par la maturité de votre enfant sur le plan humain. Avant d'avoir un enfant, il se peut que vous fonctionniez bien en tant que pratiquant solitaire, que vous estimiez savoir ce qu'est la non-dualité 2 • Puis, vous avez un enfant et la non-dualité s'évapore ... à moins que vous ne la connaissiez vraiment. Elle s'évanouit et vous « perdez » quelque chose : 1'attachement que vous offrez à votre enfant. Vous devez rapatrier cette vision, pour peu que vous l'ayez eue auparavant, en permettant à vos enfants d'être complètement ce qu'ils sont en tant qu'êtres humains et non «vos» enfants. D'un autre côté, caricaturer le non-attachement en appelant votre enfant « 1'enfant » serait ridicule. Certains en ont fait leur mécanisme de survie. Ils ne peu1. Les chakras : plexus énergétiques tel que définis dans la physiologie et la métaphysique orientales. 2. Non-dualité : de «non duel», c'est-à-dire non deux. C'est le principe objectif de la nature de la réalité, par lequel tout est un. En termes de réalisation spirituelle, c'est la compréhension que tout est un, que tout est Dieu.
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vent même pas prononcer « mon enfant » : être aussi intime, connecté et responsable est trop menaçant. On dit « 1' enfant » comme dans : « Chéri, 1' enfant vient de renverser son lait. » C'est une façon de renier et même de rejeter la relation. Aucun enfant n'est assez endormi pour ne pas le saisir : c'est dévastateur. Les enfants tiennent la relation avec leurs parents pour un acquis : c'est une constante tacite de la réalité de la vie. Réaliser qu'un parent les rejette est un choc qui anéantit leur vision et les encourage à vivre dans le mensonge. On peut très bien posséder inconsciemment un être humain, à travers l'attachement. Nos enfants sont donc les nôtres, mais ils ne sont pas des objets. Une femme dont la chair et le sang auront nourri l'enfant pendant neuf mois trouvera très difficile de ne pas percevoir, même inconsciemment, « cela » comme sien dans un sens de possession plutôt que de reconnaissance. N'entretenir aucun sentiment que c'est sa« possession, son «territoire», sa «chose» (sauf au sens ultime où chacun est tout !) constitue la seule manière par laquelle une femme peut recouvrer ce qu'elle a un jour donné quand elle a enfanté. Nos enfants sont à nous dans le même sens que nous sommes à eux - non dans un sens exclusif qui voudrait dire qu'ils sont nos objets et que nous sommes les leurs -, mais parce que nous sommes mère, père et enfant et que cette réalité est totalement naturelle, organique, telle qu'elle est.
Que voulons-nous ? De toutes les communautés que j'ai connues, c'est dans la nôtre que les enfants sont le plus à même de participer à des événements formels, de dire ce qu'ils pensent et de recevoir des gourmandises en dehors de l'alimentation habituelle, entre autres choses. Je ne 368
désire pas modifier cela. C'est dans le domaine de 1' éducation des enfants que mes étudiants éprouvent le plus de difficultés dans leur sadhana par rapport aux personnes des autres communautés. Dans la plupart des communautés, les enfants ne participent pas aux séances formelles de méditation et de prière (à moins qu'ils aient un comportement que les parents allemands, du moins ceux de la dernière génération, appellent« bon»). Nous faisons beaucoup de compromis en ce domaine et à bon droit, selon moi. Il est très difficile pour une communauté sensible aux enfants comme la nôtre de maintenir en même temps, comme nous le faisons, le respect des espaces sacrés. Il n'est pas facile d'offrir à nos enfants la liberté d'expression sans qu'ils deviennent des tyrans. Cette gestion est très ardue et provoque parfois de la confusion. Évidemment, à long terme nous bénéficions, de même que nos enfants, du fait de prévoir ce qu'il faut pour qu'ils grandissent dans la confiance, la sagesse et la courtoisie. Mais ce n'est pas tout de prévoir, encore faut-il pouvoir le gérer sur le terrain. J'ai connu une autre communauté dans laquelle les règles étaient très strictes : quiconque ne les observait pas était exclu. Tout était fixé. On n'y rencontrait aucune subjectivité, aucune tolérance : on vient à la salle de méditation, on s'assied, on reste immobile, on ne tousse pas, on ne fait pas de bruit, on ne bouge pas un seul muscle. La règle, très précise, ne laissait aucune place à l'interprétation. Un jour, un enfant de deux ans et demi péta : le responsable de l'espace demanda à la mère de sortir avec l'enfant. Selon moi, cette façon de faire enseigne la constipation et sousentend que l'enfant est mauvais parce qu'il a« fait un prout». Dans une telle école, les exigences sont peut-être dures, irréalistes et même cruelles, mais en fait bien 369
plus faciles à mettre en œuvre que dans une école comme la nôtre où il faut tout découvrir par soi-même, où il y a tant de décisions à prendre selon les circonstances, où l'on doit gérer six choses à la fois après avoir fait ces découvertes. Il faut s'occuper de ses enfants, maintenir son attention sur l'espace et se rappeler de toutes les règles de bienséance inhérentes à cet espace. Nous sommes appelés à quelque chose de très inhabituel, de beaucoup plus difficile qu'un adulte moyen ne peut l'imaginer. Il arrive souvent que nous nous sentions comme devant un «parent critique 1 » en présence d'autres adultes fouineurs ou vertueux, surtout dans des endroits publics et mondains où si peu de gens essaient d'élever les enfants dans la conscience. Ces personnes désapprouveront nos choix en matière d'éducation et sentiront qu'il est de leur droit souverain de nous corriger et d'intervenir. Il faut donc nous montrer particulièrement patients, diplomates et habiles en négociant les espaces que nous partageons avec ces personnes. De plus, si nous nous sentons ainsi critiqués, nous ne devrions pas réagir comme un adolescent insolent, dans un esprit «d'œil pour œil, dent pour dent», dans une rancœur renfrognée ou pleine d'agressivité. Nous devrions comprendre combien il est ardu de faire les choix que nous faisons et difficile de les mettre en pratique ; il nous faut puiser au plus profond de notre courage et de notre santé mentale. Car la tâche à accomplir est difficile et ne concerne pas uniquement les parents, car tous les adultes sont responsables de tous les enfants. Ce n'est donc pas seulement aux parents de 1. Parent critique : expression inventée par le fondateur de l'analyse transactionnelle, le psychologue Éric Berne, faisant référence à l'aspect négatif du parent-ego en chacun, qui juge tout et trouve généralement matière à désapprobation.
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s'occuper de leurs enfants en exclusivité, sans 1'aide de personne : nous devons tous nous engager à les élever, à les instruire et à maintenir 1'environnement avec conscience, de façon à ce qu'ils puissent grandir pleinement dans la liberté d'être ce qu'ils sont, qu'ils soient aimés, respectés et qu'on s'occupe d'eux. L'adulte est le plus souvent trop terrifié par une telle innocence, trop handicapé dans sa vitalité et son expression pour ne pas jeter l'anathème sur cette façon de traiter ainsi les autres, y compris les enfants.
Conclusion Une relation grandit dans le jeu mutuel des renonciations et des consentements. Dans le mariage, nous renonçons à tous les autres partenaires possibles pour épouser celui avec qui nous avons choisi de passer le reste de notre vie. Par les choix et les engagements - des modalités de l'amour - nous nourrissons cette relation de façon à la faire croître et qu'elle devienne un outil sacré de dévouement et d'abandon dans notre travail. Dans la vie spirituelle, nous renonçons à beaucoup de distractions mondaines, de façon à engager notre attention et notre énergie au service du Divin. En choisissant d'ouvrir notre cœur aux enfants, en tant que parents et amis, nous renonçons à beaucoup d'autres projets possibles. Ce choix holistique nous permet d'épouser une pratique qui place les enfants au centre de notre travail. Au cœur de ces épousailles, nous découvrons quelles autres formes de dévouement peuvent se marier avec notre travail et notre jeu avec les enfants. Dès lors, donc, que la sadhana exige que nous délaissions les attachements, petits et grands, qui (bien qu'ils semblent rendre la vie plus douce) nous dis371
traient en fait de la vraie vie, nous faisons de la place dans le champ de notre attention à ce qui est réel. Quand nous renonçons à une nuit de sommeil ininterrompue, à des moments réguliers pour faire l'amour avec notre partenaire, ou aux films et aux divertissements auxquels nous étions habitués, tout cela pour répondre de façon adéquate aux besoins de nos enfants, nous nous libérons de fait et nous retrouvons notre innocence désencombrée en nous reliant à la leur. En sacrifiant les attachements, les séductions, les divertissements et les fascinations qui nous distraient et nous coupent de nos enfants, de nos partenaires et de nos intimes, nous découvrons la pure joie des relations objectives et authentiquement humaines, la réalité incommensurable de l'amour dans ses possibilités infinies et suprêmes.