l’allem ande
Rémi Tougas
l’allemande la scandaleuse histoire d’une fille du roi 1657-1722
septentrion
Les édition...
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l’allem ande
Rémi Tougas
l’allemande la scandaleuse histoire d’une fille du roi 1657-1722
septentrion
Les éditions du Septentrion remercient le Conseil des Arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour le soutien accordé à leur programme d’édition, ainsi que le gouvernement du Québec pour son Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres. Nous reconnaissons également l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.
Illustration de la couverture : Cornelius Krieghoff, J. B. Jolifou, aubergiste, 1871. Révision : Solange Deschênes Mise en pages : Folio infographie
Si vous désirez être tenu au courant des publications des ÉDITIONS DU SEPTENTRION vous pouvez nous écrire au 1300, av. Maguire, Sillery (Québec) G1T 1Z3 ou par télécopieur (418) 527-4978 ou consultez notre catalogue sur Internet : www.septentrion.qc.ca © Les éditions du Septentrion 1300, av. Maguire Sillery (Québec) G1T 1Z3
Diffusion au Canada : Diffusion Dimedia 539, boul. Lebeau Saint-Laurent (Québec) H4N 1S2
Dépôt légal – 2e trimestre 2003 Bibliothèque nationale du Québec ISBN 2-89448-360-0
Ventes en Europe : Librairie du Québec 30, rue Gay-Lussac 75005 Paris
Avant-propos
L
’histoire de la première Allemande à Montréal au xviie siècle commence par une énigme. Son patronyme véritable demeure inconnu. Les archives religieuses, notariales et judiciaires de Montréal en donnent une vingtaine de variantes françaises. Ce nom cause des tracas aux ministres du culte et aux hommes de loi du temps. Le sulpicien Gilles Pérot, curé de Montréal, écrit PHANSEQUE dans l’acte de mariage de l’Allemande. Le notaire Bénigne Basset hésite entre FANNEXE, VANNEXE et FANEXE ; le greffier Pierre Cabazié choisit VANDZAIGUE et le notaire Anthoine Adhémar, VANDEZZEGUE, VANDEZEGUE ou VANDEZEQUE. Au fil des ans, on retrouve toutes sortes de variantes de ce nom de famille : ANCQUEZAINE, FANEZEQUE, FANSEQUE, FANSESQUE, FANTESEQUE, PHANSECQUE, VANNESY, FANNEZETTS, VANDZAIQUE, VANDSEQUE, etc. Les germanophones ou germanophiles ne courent pas les rues à Montréal au xviie siècle. La seule fois où l’Allemande signe son nom au bas d’un acte notarié, elle couche sur papier une signature malhabile qui ressemble à FANQUZEQUE ou FANGUZEGUE. Les paléographes savent bien que la lettre « g » et la lettre « q » s’écrivent souvent d’une façon presque identique au xviie siècle. Quel est le patronyme allemand correspondant à toutes ces graphies ? VON ZEIG, VAN ZEIGT, VAN DIEK, VON GESECK, VON SECK, VAN DE SEEK ou autre ? Nul ne le
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sait vraiment. Mais il a fallu adopter un façon d’écrire le nom de famille de l’Allemande pour la rédaction de la présente histoire. En faisant la synthèse ou la moyenne des graphies connues et en tenant compte de possibilités de noms allemands correspondants, on a choisi FANESÈQUE comme patronyme francisé de l’Allemande. Ses prénoms causent moins de difficulté. Anne Marie en français correspond sans doute à Anna Maria en allemand. Dans le présent récit, Anne Marie Fanesèque revit dans son temps et dans son espace. À l’occasion, des extraits de documents d’archives sont reproduits afin de montrer la candeur et la saveur des écrits de l’époque. Ces lignes de français brut des greffiers et notaires des xviie et xviiie siècles ne devraient pas causer de difficultés insurmontables au lecteur. Voici l’histoire véritable d’Anne Marie Fanesèque racontée à partir des traces qu’elle a laissées dans les archives de la Nouvelle-France.
chapitre premier
Fille de Hambourg, fille du Roi
À
partir de 1663, le roi de France Louis XIV intervient directement dans les affaires de la Nouvelle-France. Insatisfait de l’état du peuplement de la colonie jusqu’alors, il conçoit, avec son ministre et grand administrateur Colbert, un plan simple qui a des garanties de succès. Le trésor royal s’engage, à partir de cette année-là, à payer le coût de la traversée de jeunes femmes qui partiront au Canada et à doter ces émigrantes de quelques biens essentiels : un petit coffre, quelques vêtements et des accessoires pour la couture. À ce petit bagage, s’ajoutent un peu d’argent pour la longue traversée, et 50lt* à leur mariage qui sera béni le plus tôt possible après leur arrivée en Nouvelle-France. Le premier contingent de ces émigrantes, qu’on en vient bientôt à appeler les « filles du Roi », arrive à Québec le 22 septembre 1663 et le dernier, en septembre 1673. Ces jeunes femmes proviennent de plusieurs provinces de France, mais on estime que la maison de charité parisienne de la Salpêtrière * Dans le présent ouvrage, les deux lettres lt sont utilisées pour designer la « livre tournois », la livre de Tours, qui supplante la « livre parisis » (de Paris) au xvie siècle. 1 livre tournois (lt) = 20 sols (s) et 1 sol = 12 deniers (d). Le système monétaire en vigueur en Nouvelle-France a pour monnaie de compte la livre tournois.
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fournit environ 50 % d’entre elles. Par la suite, les dépenses militaires de Sa Majesté (pour sa guerre de Hollande) le contraignent à mettre fin à ce programme visant un peuplement plus rapide de la Nouvelle-France. De 1663 à 1673, quelque 800 femmes traversent ainsi l’Atlantique pour venir fonder une famille et peupler la colonie. Dans une lettre qu’il expédie au ministre Colbert le 10 novembre 1670, l’intendant Talon décrit clairement les principales qualités que doivent posséder les filles du Roi émigrées en Nouvelle-France : « Il serait bon de recommander fortement que celles qui seront destinées pour ce pays ne soient aucunement disgraciées de la Nature, qu’elles n’aient rien de rebutant à l’extérieur, qu’elles soient saines et fortes, pour le travail de campagne, ou du moins qu’elles aient quelques industries pour les ouvrages de main. » Le dernier contingent de filles du Roi arrive à Québec le 3 septembre 1673 sur le navire La Nouvelle-France commandé par le capitaine Laurent Poulet. Après une longue et éprouvante traversée dans une coquille de noix de peut-être 25 à 30 mètres avec un pont à ciel ouvert où s’entassent dans l’entrepont, dans une exiguïté difficilement supportable, équipage, passagers, cargaison, animaux et... vermine, les 60 filles du Roi débarquent enfin à Québec (figure 1). La jeune Anne Marie Fanesèque, les vêtements crassés mais heureuse d’être encore en vie, foule la terme ferme et, sur la plage de sable au bas de la falaise, entrevoit les premiers hommes venus observer ces dernières arrivantes, avec une politesse empressée ! Les jeunes femmes sont accueillies à leur arrivée par les religieuses et des bienfaiteurs de la ville. La plupart demeurent à Québec mais quelques-unes, dont Marie Anne Beaumont, Denise Colin, Denise Marié et Anne Marie Fanesèque, sont acheminées vers Ville-Marie où les Filles de la Congrégation Notre-Dame les accueillent avec joie. Anne Marie Fanesèque est née probablement en 1657 dans la ville libre et hanséatique de Hambourg (Freie und Hansestadt Hamburg) en Allemagne ; ni rois ni princes n’ont
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Figure 1 : Une flûte à La Rochelle dans les années 1670-1680. [planche 10 de Deux albums des bâtiments de l’Atlantique et de la Méditerranée par Jean Jouve (1679), Éditions Neptunia des Amis des Musées de la Marine, Paris, 1971] La flûte sert régulièrement « pour les voyages des Isles de l’Amérique, Canada et pour la pesche de poisson sec » à la fin du xviie siècle. Elle est un navire de charge à fond plat, à poupe arrondie. Elle peut jauger de 150 à 300 tonneaux. C’est probablement à bord d’un bâtiment semblable à celui illustré ci-dessus qu’Anne Marie Fanesèque et les filles du Roi font le voyage de La Rochelle à Québec en 1673.
jamais régi Hambourg, ce sont toujours les bourgeois qui ont gouverné leur ville. Anne Marie est la fille d’un capitaine de cavalerie des Troupes impériales nommé Christian Vannexelle (suivant le notaire Bénigne Basset) ou Christin Phanseque (suivant le curé Gilles Pérot) et d’Anne Catherine Fannanque (au contrat de mariage) ou Anne Catherine Phananque (dans l’acte religieux de mariage), une Prussienne originaire de Dorsten. On ne peut espérer trouver l’acte de baptême d’Anne Marie car les enregistrements de baptêmes catholiques de Hambourg ne commencent qu’en 1683 aux archives de cette ville-État.
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Hambourg est la capitale d’un État libre et indépendant qui a souvent eu autant de sympathie pour la France que pour l’Allemagne. Au xviie siècle, Hambourg — fameuse pour sa bière — est l’un des ports d’importation les plus importants pour la France. Transitent par cette ville de la mer du Nord, céréales, étoffes, fourrures, harengs, épices, bois et métaux. Hambourg est une métropole commerciale et des familles de cette ville entretiennent des relations avec des familles homologues en France. Ces relations particulières entre Hambourg et la France seraient peut-être à l’origine de l’arrivée d’Anne Marie Fanesèque en France après la mort de son père. Quelques filles du Roi se marient très rapidement à leur arrivée en Nouvelle-France. Ainsi, par exemple, Barbe Rotteau, qui passe son contrat de mariage à Québec, le 9 septembre 1673 — six jours après son arrivée — devant le notaire Pierre Duquette, avec Pierre Moisant, un pilote de La Nouvelle-France. Cette idylle a dû se nouer au cours de la traversée ! Le 13 novembre suivant, le gouverneur Buade de Frontenac est heureux d’annoncer au ministre Colbert que les nouvelles arrivantes sont toutes mariées « à la réserve de deux ». De plus, en ce qui concerne les « demoiselles », le gouverneur déclare : « Il ne faudrait jamais envoyer de ces sortes de filles en ce pays qui n’est bon que pour ceux qui peuvent travailler de leurs mains. » On ne peut être plus clair. À leur arrivée à Montréal sur la petite plage qui donne sur la Commune, après sept ou huit jours de navigation difficile en remontant le courant, Anne Marie Fanesèque et ses compagnes sont recueillies par Marguerite Bourgeoys et ses sœurs à la métairie de la Pointe-Saint-Charles. Ces bonnes religieuses deviennent leurs confidentes et savent les initier à la vie rude qui les attend en Nouvelle-France, apaiser leurs appréhensions et même les conseiller sur le choix de leur futur mari. Marguerite Bourgeoys pense avoir trouvé un bon parti pour la jeune et vigoureuse Allemande de 16 ans qui vient d’arriver. Hubert Le Roux, un Champenois, ne ferait-il pas un
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bon mari pour Anne Marie ? Homme d’âge mur, posé, commerçant gérant bien ses affaires et scolarisé, il saurait sûrement donner de bonnes assises à cette jeune femme débordante de vie. Avec l’accord d’Anne Marie — fille de la ville et non de la campagne —, Marguerite Bourgeoys organise une rencontre avec Hubert Le Roux. Anne Marie trouve cet homme intéressant... d’autant plus qu’il possède déjà une petite maison à Montréal. Tout se passe bien et on parle rapidement de mariage. N’est-ce pas là d’ailleurs l’objectif ultime d’une fille du Roi, se marier le plus rapidement possible et ainsi contribuer au peuplement de la Nouvelle-France ? Hubert Le Roux est baptisé « Humbert » Le Roux le 2 juillet 1639 (figure 2) dans l’église Notre-Dame de Vitry-leFrançois, petite ville de la Champagne, située au nord-est de la France, dans le diocèse de Châlons (figure 3). Il reçoit sans doute le baptême dans l’église en bois construite sur la place d’Armes en 1557. La construction de l’actuelle église en pierre commence en 1629 mais progresse si lentement qu’il faut 30 ans pour élever deux étages de la tour nord et 75 ans pour achever la nef. Dans les premières années du xviie siècle, la Champagne connaît une certaine prospérité avec son industrie du textile et celle de la métallurgie, sans oublier, bien sûr, ses vins qui sont connus dans tout le royaume. Vitry-leFrançois bénéficie de ces bonnes conditions économiques mais, en 1631, se déclare une épidémie de peste et la ville perd une partie importante de sa population. Hubert Le Roux est le fils de Hubert (Humbert) Le Roux, « notaire royal héréditaire » au bailliage de Vitry-le-François et de Magdeleine Varnier. Le minutier de ce notaire couvre la période de 1620 à 1652, année présumée de son décès. Les minutes du notaire Hubert Le Roux sont malheureusement perdues durant la Deuxième Guerre mondiale alors que les incendies et les bombes détruisent plus de 90 % de Vitry-leFrançois. Hubert Le Roux père et Magdeleine Varnier se marient à Vitry-le-François en octobre 1626, après avoir
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passé leur contrat de mariage le 8 octobre 1626 devant le notaire Champagne. Hubert Le Roux père est le fils d’Anthoine Le Roux, marchand à Vitry-le-François, et de Margueritte Nollet. Magdeleine Varnier, de son côté, est la fille de Jacob Varnier, notaire royal à Vitry-le-François. La famille du notaire Hubert Le Roux fait partie de la petite bourgeoisie vitryate. Hubert Le Roux fils passe sa jeunesse dans une famille autour de laquelle gravitent marchands, bourgeois, chirurgiens, notaires et un prêtre, messire Jacques Varnier, « bachelier en théologie ». Hubert apprend les bonnes manières, fréquente l’école et signe élégamment son nom. Après plusieurs années d’apprentissage et de compagnonnage dans des ateliers de pelletier et de fourreur à Vitry-le-François, Hubert fils devient pelletier et maître fourreur. Avec les orfèvres, les merciers, les épiciers, les bonnetiers et les drapiers, les pelletiers font partie d’une des six corporations les plus importantes et influentes de l’époque. Avec le temps, les pelletiers de Paris ont réussi à s’approcher du pouvoir et de la cour où se trouve principalement leur clientèle, et les artisans de la Champagne bénéficient de ce statut privilégié. Hubert Le Roux passe en Nouvelle-France vraisemblablement vers la fin des années 1660, moins de 30 ans après la fondation de Montréal, s’établit dans cette petite ville frontière et ouvre aussitôt son atelier de pelletier et de fourreur. Hubert y travaille comme un artisan et un marchand qui prépare des peaux et vend des articles fourrés. Cette occupation est certainement vouée au succès dans une ville comme Ville-Marie, plaque tournante du commerce de la fourrure en Nouvelle-France. Pourquoi émigre-t-il au Canada ? Nul ne le sait exactement, mais il est permis de penser que sa décision a pu être inspirée par le fait que trois Champenois bien connus dans sa province travaillent avec enthousiasme et conviction dans cette belle et folle aventure qu’est Ville-Marie : Paul Chomedey de Maisonneuve, natif de Neuville-surVanne, qui fonde Montréal en 1642, Marguerite Bourgeoys,
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Figure 2 : Acte de baptême d’Hubert Le Roux, le 2 juillet 1639. (Registre de la paroisse Notre-Dame de Vitry-le-François, en Champagne.)
Figure 3 : Aspect de la ville et des fortifications de Vitry-le-François à la fin du xvie siècle. [Site Web officiel de la ville de Vitry-le-François (novembre 2002) : http ://vitrynet.free.fr/histoire.htm]
originaire de Troyes, éducatrice hors de l’ordinaire et fondatrice de la Congrégation Notre-Dame de Montréal, et Jeanne Mance, née à Langres en novembre 1606, fondatrice de l’Hôtel-Dieu de Montréal. Le 4 mars 1672, Hubert Le Roux achète du Breton Julien Talua de Boucherville une « habitation » dans cette seigneurie, soit une terre de 2 arpents sur 25 donnant sur le fleuve SaintLaurent et une petite maison qui y est bâtie. Trop occupé à Montréal par ses travaux de pelletier et de fourreur, il n’a pas le temps de mettre cette terre en valeur et encore moins de
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l’habiter. Il la vend le 4 octobre 1673 à Mathurin Martin de Montréal. Au moindre petit conflit entre deux personnes, les Français de Montréal à la fin du xviie siècle ont tendance à présenter leur différend devant le bailli. Dans bien des cas, il s’agit de vétilles et le bailli met alors sommairement les parties « hors de cour et de proces ». C’est le cas, par exemple, d’Étienne Campot et d’Hubert Le Roux qui se chicanent à propos d’un manchon et d’un bonnet le 17 octobre 1673. Ils sont tout simplement renvoyés... « sans despens ». Le mariage d’Hubert Le Roux et d’Anne Marie Fanesèque aura lieu avant la fin de l’année 1673.
chapitre 2
Le mariage d’Anne Marie Fanesèque et Hubert Le Roux
C
omme en France à l’époque, la plupart des futurs mariés de la Nouvelle-France passent devant le notaire avant d’aller faire bénir leur union par le curé de la paroisse. Cet acte juridique revêt une importance particulière dans un pays neuf comme le Canada pour régler les rapports pécuniaires entre les futurs époux en leur procurant une première sécurité. Le temps fort de la nuptialité à Montréal arrive en novembre : les soldats démobilisés prennent épouse après leur engagement, les gros travaux d’automne sont terminés, les revenus d’appoint tirés de la traite des fourrures se matérialisent. Hubert Le Roux et Anne Marie Fanesèque entrent dans le courant et décident de passer leur contrat de mariage le 7 novembre 1673 (un mardi), ce qui donnera assez de temps pour publier les trois bans avant le temps de l’Avent. Au tout début du contrat, il y a d’abord la présentation du tabellion (notaire seigneurial qui ne peut instrumenter qu’à l’intérieur de la seigneurie), des futurs époux et de leurs « amis » présents : Pardevant Benigne Basset Greffier Tabellion de la Ville et Seigneurie de L’Isle de montreal en la Nouvelle france et tes-
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l’allemande moins soubsignes furent presens hubert Le Roux, pelletier, fils de deffunt Hubert Le Roux vivant no[tai]re royal a Vitry le françois et Mag[delei]ne Varnier, ses pere et Mere, demeurant aud Montreal en son nom, d’une part, Et Anne Marie Vannexelle, fille de deffunt noble homme Christian Vannexelle, vivant Cap[itai]ne de Cavallerie dans les Troupes Imperialles demeurant a hambourg et d’anne Catherine fannanque, ses pere et mere, demeurant a present en la Maison des filles de la Congrégation de ce lieu aussy en son nom, d’autre part. Lesquelles parties en la presence et du Consentement de leurs amis pour ce assembles de part et d’autre, Sçavoir de la part dud[it] hubert Le Roux, M[essi]re Gilles Perot, prestre Curé de la par[ois]se dud[it] montreal, Zachary Dupuy escuyer Major de lad[ite] Isle et le sieur Pierre Caillé M[aîtr]e tailleur d’habit y demeurant, et de la part de lad[ite] Anne Marie fannexelle, M[essi]re Gabriel Souart aussy prestre et ancien Curé de lad[ite] par[ois]se Jean Vincent Philippe escuyer sieur de hautmesnyl damoiselle Catherine de Bausin son espouse damoiselle Elisabeth Soüart Le sieur Jean Martinet de fondsblanche Chirurgien Margueritte prudhomme sa femme, damoiselle Anne Angélique harteur de Sailly et Denise Maryé tous demeurant aud[it] Montreal [...]
Quand un homme est qualifié de « noble homme » dans un acte officiel, cela ne signifie pas qu’il soit de la noblesse. Dans le cas présent, le notaire utilise ce qualificatif comme un simple terme de politesse et de respect envers le père d’Anne Marie Fanesèque. Toutes les personnes mentionnées se retrouvent dans le parloir de la maison des Filles de la Congrégation, située rue Saint-Paul (figure 4) pour la passation du contrat de mariage. Dans la société de Montréal où tout le monde connaît tout le monde, la signature d’un contrat de mariage constitue un événement. Comme en France, parents, amis et protecteurs viennent entourer les futurs époux. La qualité des personnages présents témoigne sûrement aussi de la considération dont jouit Marguerite Bourgeoys auprès de la population et des autorités civiles et religieuses de Montréal ; c’est une façon
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Figure 4 : L’emplacement de la maison d’Hubert Le Roux et d’Anne Marie Fanesèque, rue Saint-Jacques, en 1674. En 1672, les habitants de Ville-Marie sont dispersés ici et là et n’ont accès les uns avec les autres que par des pistes et des sentiers. Cette année-là, le sulpicien Dollier de Casson, supérieur du Séminaire, accompagné du notaire et arpenteur Bénigne Basset, commence à fixer le tracé des premières rues, pour qu’à l’avenir les habitants suivent leur alignement lors de la construction des maisons. On représente ici schématiquement le centre de Montréal montrant la position relative de la maison des Le Roux, de l’église paroissiale, de l’Hôtel-Dieu et de la Maison de la Congrégation. La population civile de Montréal en 1674 (n’incluant pas les Amérindiens) est d’environ 300 personnes.
de la remercier pour sa charitable contribution au développement de la colonie. On note aussi la présence de Denise Marié, l’amie et compagne de voyage d’Anne Marie Fanesèque sur le navire La Nouvelle-France au cours de l’été précédent.
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Vient ensuite l’engagement de mariage des fiancés : [...] Reconnaissant & Confessant avoir fait et accordé les traittés et promesses de mariage qui ensuivent : C’est a scavoir Led[it] hubert Le Roux auroit promis prendre lad[i]te Anne Marie Fannexelle, en sa femme et legitime Espouse, Comme aussy, lad[i]te Anne Marie fannexelle auroit promis prendre led[it] le Roux a son Mary et legitime Espoux et le Mariage fait et Sollemnise en face de Sainte Eglise Catholique, apostolique et Romaine le plus tost que faire se pourra, et quil sera advisé et deliberé entre eux et leurs amis Si Dieu et N[ot]re Mere sainte Eglise sy consentent [...]
Et le notaire enchaîne avec la description de la communauté de biens suivant la Coutume de Paris, officiellement en vigueur depuis 1664 : [...] et accordent pour estre uns et communs en tous biens meubles acquests et consquests Immeubles suivant la coustume de paris suivie et gardées en ce pays en laquelle Communauté la future espouse a promis apporter, en habit et linge, la somme de cinq cent livres pais Ne seront tenus des debtes hypotheques lun de lautre, faits et créés avant la sollennité de leur mariage, mais sy Aucun il y a, seront payés et acquité par Celuy qui les aura faite et Créé sur son bien, prendra le futur Espoux Lad[it]e future espouse avec tous ses droicts Noms, raisons et actions, en quelques lieux et endroits quils puissent estre scis, scitués et assis ; sera douée Laditte future espouse de la somme de Cinq Cent Livres de doüaire préfix pour une fois paye ou du doüaire Coustumier suivant Ladite Coustume a son choix, et en faveur et Contempla[ti]on du futur mariage Le futur espoux a fait par ces presentes, don entre vifs au survivant d’un deux, de tous et chacun les biens de leur Communauté, en quelque lieux et endroit quils seront assis deubs et trouvés pour en Joüir par Le survivant Comme de ses et faits et propres choses pourvu qu’au jour de la dissolution de led[i]t mariage il n’y ait aucun enfan vivant d’un deux, et pour faire Insinuer et advenant la dissolu[ti]on de lad[ite] Communauté ; sera loisible a la future espouse de renoncer et en ce
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faisant reprendre tout ce quelle aura apporté avec sond futur espous, et son doüaire tel que dessus et tout ce que pendant et constant led[it] mariage luy sera advenu et escheu soit par succession, donna[ti]on ou autrement, Le tout franchement et quittement sans payer aucune debte a lad[ite] Communauté encore bien quelle y fut obligée et Condamné...
Dans ce contrat, Hubert Le Roux déclare prendre sa femme « avec tous ses droicts, Noms, raisons et actions, en quelques lieux et endroits quils puissent estre scis, scitués et assis ». Cette formulation plutôt vague laisse probablement entendre qu’Anne Marie Fanesèque ne possède pas grandchose, voire rien du tout. Pour mieux pourvoir à sa subsistance lorsqu’elle deviendra veuve, le cas échéant, Anne Marie pourra choisir le douaire préfix ou le douaire coutumier : le douaire coutumier est un droit de jouissance viager sur la moitié des propres du mari, tandis que le douaire préfix se prend sur n’importe quel de ses biens. Dans le présent contrat, il n’y a pas de clause de préciput, mais une clause de donation entre vifs est insérée pour le cas où ils décéderaient sans enfant. Les signatures terminent le contrat de mariage : [...] Car ainsy &ca [...] fait et passé aud[it] Montreal en la Maison des filles de la Congregation L’an xviC soixante treize le Septie[esme] Jour de Nevembre apres midy en presen[ce] des sieurs Jean Gervaise et francois Bailly tesmoins y demeurant et soub[signe]z avec led[it] futur espoux et leurs amis cy dessus des nommés et lad[i]te future espouse et lad[i]te Maryé pour ne sçavoir de ce faire Enquis suivant Lord[onnan]ce.
Hubert Le Roux signe avec le notaire Bénigne Basset, les témoins et les « amis ». Jean Gervaise agit comme substitut au bailliage de Montréal et François Bailly y est sergent. « Les trois bans publiez auparavant sans opposition », la bénédiction du mariage d’Anne Marie Fanesèque et Hubert Le Roux a lieu le lundi 20 novembre 1673. Durant la période de construction de l’église Notre-Dame (de 1672 à 1683), les
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fidèles de Montréal utilisent la chapelle de l’Hôtel-Dieu. La chapelle Saint-Joseph est située rue Saint-Paul, du côté nord, à l’intersection de la rue Saint-Joseph (rue Saint-Sulpice actuelle) (figure 4). Anne Marie franchit résolument les quelque 15 mètres de dallage jaune et brun entre la porte donnant sur la rue Saint-Paul et le pied de l’autel où elle s’agenouille près d’Hubert. La cérémonie est de courte durée et le curé Gilles Pérot « fait et solemnise » leur mariage en présence d’à peu près les mêmes personnes qui ont assisté à la passation du contrat de mariage le 7 novembre précédent. On remarquera la belle et large signature d’Hubert Le Roux au bas de l’acte de mariage (figure 5). Hubert a 34 ans, et Anne Marie, 16. Les nouveaux époux vont habiter une petite maison qu’Hubert possède sur la rue Saint-Jacques, pas très loin de l’église paroissiale dont la construction vient de commencer (figure 4).
Figure 5 : Signatures au bas de l’acte de mariage d’Anne Marie Fanesèque et d’Hubert Leroux, le 20 novembre 1673. (Registre de la paroisse Notre-Dame de Montréal.)
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Même si la récolte de 1673 est généralement mauvaise dans l’île de Montréal et les environs, les Le Roux se débrouillent assez bien au cours de leur premier hiver. En effet, cette saison correspond à un temps fort pour Hubert. Son atelier bourdonne d’activité pour préparer et confectionner les articles fourrés qui seront en grande demande durant l’automne et la saison froide. Il en sera ainsi jusque vers la fête de Pâques prochaine. Le commerce d’Hubert semble rapporter suffisamment. Dans la froidure de janvier 1674, Anne Marie Fanesèque se rend avec plaisir assister à la signature du contrat de mariage de son amie Denise Marié avec Jean Quesneville. Cet heureux événement se déroule dans la maison du chirurgien Jean Martinet de Fondblanche et sa femme Marguerite Prudhomme, située pas très loin de celle d’Anne Marie (figure 4). C’est le notaire Bénigne Basset qui rédige l’acte en présence d’Anne Marie et de son époux Hubert, de Paul Prudhomme, de Jean Gervaise et de Jean Fournier, cousin du futur. Voilà une autre fille du Roi bien mariée : Jean Quesneville est tailleur d’habits. Denise Marié devient enceinte en avril 1674 et Anne Marie Fanesèque, elle aussi, attend un enfant à la même époque.
chapitre 3
Pelletier et fourreur
L
e pelletier est l’artisan qui apprête les fourrures et les transforme en pelleteries. Le fourreur est celui qui transforme les pelleteries en biens vendus à la clientèle. Dans les villes de France, où le volume de production le justifie, les pelletiers et les fourreurs forment deux corps de métier bien distincts, mais forcément liés entre eux. En Nouvelle-France, l’artisan se doit d’être polyvalent et le pelletier se présente aussi comme fourreur et même chapelier ou gantier. Une inscription au registre des audiences du bailliage de Montréal en date du 20 février 1674 nous permet de lever un coin du voile en ce qui a trait à la production du pelletierfourreur Hubert Le Roux. En effet, ce jour-là, la veuve Lecler lui réclame « un manchon de loutre ou cens sols » qu’il admet lui devoir et qu’il lui paiera dans huit jours. Hubert Le Roux vend des bonnets, des mitaines, des capes, des gants mais aussi des manchons, qui sont très populaires. Les manchons, sortes de tubes que l’on porte sur l’avant-bras et que l’on déplace sur les mains pour se mettre à l’abri du froid, remplacent souvent les gants et les mitaines. Thomas Frérot sieur de LaChesnaye, greffier de la juridiction de Boucherville (il en est le notaire seigneurial), procureur du seigneur Pierre Boucher de Boucherville, se présente devant le bailli de Montréal le 20 novembre 1674 et réclame d’Hubert Le Roux les montants et articles suivants :
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1) 6lt 13s 4d « de lods et vente » (1/12 de 80lt, prix payé par Hubert Le Roux lors de l’achat de la terre de Boucherville le 4 mars 1672) 2) 10lt pour l’« entretien » du prêtre desservant la cure de Boucherville 3) un manchon pour la demoiselle Boucher À ces demandes, Hubert Le Roux « réplique » de la façon suivante. En ce qui a trait aux 6lt 13s 4d de « lods et vente » (sorte de taxe de vente du régime seigneurial, payable par l’acheteur, lors de la vente d’une terre déjà concédée), Hubert Le Roux prétend qu’il n’a pas à payer cette taxe car il n’a pas demeuré sur cette terre qu’il a vendue un peu plus d’un an après l’avoir achetée. De la même façon, il fait valoir qu’il n’a rien à payer pour l’entretien du curé de Boucherville, vu son absence des lieux durant tout le temps qu’il a possédé cette terre. Quant au manchon de la demoiselle Boucher, il sera prêt le lendemain. Après avoir entendu les deux parties, le bailli Charles d’Ailleboust se doit d’appliquer la loi. Hubert Le Roux doit payer les 6lt 13s 4d de « lods et vente » au sieur Boucher faute de « lavoir notiffié dans le temps ». En ce qui a trait à la redevance au prêtre desservant Boucherville, Hubert Le Roux devra produire un document ou acte appuyant ses dires selon lesquels il n’aurait pas à payer la somme de 10lt demandée. Le 6 juillet 1675, Hubert Le Roux fait baptiser son premier enfant, une fille nommée Anne Charlotte, dans la chapelle Saint-Joseph de l’Hôtel-Dieu, tenant lieu d’église paroissiale. Le parrain est Pierre Caillé, tailleur d’habits, et la marraine, Marie-Charlotte de Coppequesne, la femme du maçon Jean Gateau. Le curé Gilles Pérot administre le sacrement de baptême au premier enfant d’Anne Marie Fanesèque. Elle a alors 18 ans. Hubert Le Roux est foncièrement honnête. Quand Hubert Caillé lui réclame devant le bailli 40 livres en vertu d’une promesse de sa part et 6 livres « d’ailleurs », Le Roux reconnaît bien devoir ces sommes et promet de les payer
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avant la fête de Noël suivante « en bled froment, pelleterie ou argent monnoyé ». L’argent demeurant toujours rare, il arrive souvent que les dettes soient payées en nature ou en services. L’hiver passe sans histoire, Hubert Le Roux toujours à l’œuvre dans son atelier apprêtant les fourrures et confectionnant les divers articles fourrés commandés par les clients de la ville et des environs. Le 26 avril 1676, sans doute pour améliorer son quotidien, et en particulier son approvisionnement en blé, Hubert achète une terre au Sault-SaintLouis. Ce jour-là, il se rend à l’étude du notaire Claude Maugue et y rencontre le vendeur, François Prud’homme, pour y signer le contrat de vente. Le prix convenu est de 50lt qu’Hubert paiera de la façon suivante : 30lt à la Saint-Martin d’hiver de 1676 (le 11 novembre) et 20lt à la fête de Noël suivante. Encore une fois, à cause de la rareté d’argent évoquée précédemment, le paiement pourra se faire en blé froment, en pelleteries, en argent monnayé ou en « Marchandise de france ». Fait peu courant dans la population en général à cette époque, et le vendeur et l’acheteur signent au bas de l’acte avec le notaire. Le 10 décembre 1678, Hubert Le Roux et Anne Marie Fanesèque font baptiser leur deuxième enfant, un fils nommé Jean. Le parrain est le marchand Jean Bazot et la marraine, Magdeleine-Thérèse Sallé, femme du menuisier Claude Raimbaud, un ami des Le Roux. C’est le curé Gilles Pérot qui administre le baptême au nouveau-né. On se rend parfois chez le bailli pour des sommes minimes. On ne peut se permettre de perdre quoi que ce soit. À preuve, cette demande de Jean Le Duc, le 16 janvier 1680, pour la somme de 3lt 15s à l’encontre d’Hubert Le Roux. Celui-ci réplique en disant que, de cette somme, il faut déduire 40s pour avoir « passé » (c’est-à-dire traité) quelques peaux de castor au demandeur au cours des dernières années. Le Duc conteste ce fait et affirme que les 3lt 15s lui sont dues pour de la viande à cinq sols la livre. Hubert n’aura pas le choix, il devra payer la somme réclamée.
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À la fin de l’année 1680, le 30 décembre, Anne Marie Fanesèque agit comme marraine au baptême du cinquième enfant de Jean Auzou et d’Isabelle (ou Élisabeth) Martin, à qui elle donne ses prénoms, Marie Anne. Jean Auzou dit Grosjean est un scieur de long qui demeure rue Saint-Joseph, pas très loin des Le Roux. Le parrain est le marchand Alexandre Turpin, de la rue Saint-Pierre. Pour s’assurer d’un meilleur et plus sûr quotidien à un moindre coût, les habitants de Montréal vont s’acheter ou louer une terre pas trop loin de la ville et garder des animaux domestiques (porcs, vaches, poules, etc.) en ville ou dans la commune prévue à cet effet, le long du fleuve. Bien occupé par son travail, Hubert confie la garde d’une vache à Catherine Lorion, femme de Pierre Desautels, mais la lui retire après un certain temps disant que la vache n’est pas convenablement hébergée, qu’il n’y a pas assez d’herbe dans la commune et qu’elle produit trois fois moins de lait qu’auparavant. Catherine Lorion n’est pas contente et réclame devant le bailli, le 17 juin 1681, la somme de 10lt pour la garde de la vache et 25s « de reste de garde de la mesme vache ». Même enceinte de huit mois, Anne Marie Fanesèque se présente elle-même à l’audience pour dire qu’elle ne veut payer que pour le temps de la garde et, quant au 25s, ce sera pour payer la corde que le fils de Catherine a perdue en amenant la vache ! Le bailli Gervaise écoute bien les deux parties et condamne Anne Marie Fanesèque à payer 4lt et les 25s, plus les dépens fixés à 10s. Un autre épisode dans la lutte constante de la survie. Le 8 juillet 1681, Anne Marie Fanesèque donne naissance à son troisième enfant, Jeanne, qui est baptisée le jour-même par le curé Jean Frémont, en présence du père, Hubert Le Roux, du parrain Pierre Moreau, et de la marraine, Jeanne Gervaise, épouse de Jean Dupuis. Le 12 octobre 1681, la vie d’Anne Marie Fanesèque bascule. En ce jour de début d’automne, Hubert Le Roux, son mari, s’éteint doucement dans leur maison à l’âge de 42 ans.
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Figure 6 : Le quartier d’Hubert Le Roux au moment de son décès, en octobre 1681. Le cimetière de Montréal est alors situé tout près de chez lui.
Il est décédé « en la communion de n[ot]re Mere Ste Eglise » après avoir reçu l’absolution et le sacrement de l’ExtrêmeOnction qui lui est administré par monsieur Dollier de Casson, grand vicaire de monseigneur l’évêque de Québec. Il est inhumé le même jour dans le cimetière situé tout près de chez lui (figure 6) en présence, entre autres, de sa veuve et d’un ami de la famille, Claude Raimbault, maître menuisier. Le curé Frémont, qui a baptisé son troisième enfant en juillet, préside aujourd’hui à son inhumation. Anne Marie Fanesèque est restée seule avec trois jeunes enfants : Anne Charlotte (âgée de 6 ans et 3 mois), Jean (âgée d’un peu moins de 3 ans) et Jeanne (âgée de 3 mois). Anne
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Marie et ses enfants sont recueillis temporairement par un voisin charitable, Jean Moreau dit Jolicœur, qui est célibataire (figure 6). Anne Marie n’a pas de parents en Nouvelle-France et, dans un pays où il n’existe pas de services sociaux, une seule solution s’offre à elle, le remariage. Elle devra y penser dans peu de temps. La vie doit continuer. Anne Marie a du cran et s’occupe sans délai de ses affaires. Un inventaire de la communauté Le Roux–Fanesèque est rapidement établi le lendemain de l’enterrement d’Hubert et « se monte a la somme de cent quarante neuf livres quinse sols quy se trouvent p[rése]ntem[en]t en Natture ». Malheureusement, cet inventaire reste à ce jour introuvable. Hubert Le Roux avait commencé à faire construire une maison sur sa terre de Lachine par Alexis Buet et René Orieu. Le 31 octobre, ces deux hommes s’entendent avec Anne Marie Fanesèque devant le notaire Claude Maugue pour désigner les charpentiers Rouillé et Lacroix « pour estimer le juste prix des travaux qui sy trouvent faits jusques a ce jour ». Les deux arbitres se rendent sur les lieux et font leur rapport devant les parties le 2 novembre suivant. Ils évaluent les travaux réalisés à 25lt, somme que les deux entrepreneurs déclarent avoir déjà reçue et en donnent quittance à la veuve Le Roux. Le 10 janvier 1682, le sergent Jean Paré de la garnison de Montréal vient réclamer à Anne Marie Fanesèque devant le bailli « une peau de bœuf quil avoit cy devant vendu a deffunt hubert le Roux pour et moyennant trois paires de souliers sauvages a son usage et de bœuf ». Anne Marie va défendre son point de vue. Elle affirme avoir livré à Lafontaine, serviteur de monsieur le gouverneur de Montréal, deux paires de souliers et une au demandeur, Jean Paré, ce qui fait le compte. Jean Paré conteste cette version, mais Anne Marie réaffirme clairement qu’elle en a livré deux paires à Lafontaine « par ordre de Mond Sieur le gouverneur ». Jean Paré demeure dans la maison du gouverneur ; l’affaire devient délicate, on se
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rapproche du gouverneur. Le bailli, prudent, ordonne que les parties « Iront Suplier Mond Sieur pour esclaircir le faict en question ». On s’en remet donc à la version du gouverneur. Il aurait été très intéressant de consulter le dossier de la cause « Anne Marie Vendezegue vs Élisabeth Martin » de février 1682, mais il ne nous en reste que des bribes. Le 12 février, Anne Marie fait une plainte auprès du bailli « tendant a ce qu’Elisabeth martin luy fit repara[ti]on des calomnies et injures y exprimées et quil nous plut luy permettre de faire informer ». Qu’est-ce qu’Élisabeth Martin a pu dire à son amie Anne Marie pour déchaîner une telle colère ? Nul ne le sait, mais le jugement, tel qu’il est inscrit dans le registre des audiences, est sévère : « [...] avons condamné ladite martin de demander excuse à la premiere aud[ien]ce et en la chambre de justice a lad vandezegue desd injures et calomnies et quelle se repent de ce quelle a dit par emportement, et outre a l’amende de trois livres envers l’eglise et aux despens du procez par nous taxez a cinquante six livres onze sols et onze deniers a payer conjointement et solidairement avec Jean Ozou son mary qui a pris son fait et cause suivant la requeste quil nous a presentée... »
Au cours de l’hiver, Anne Marie Fanesèque s’est laissé courtiser par le jeune et fringant Gabriel Cardinal qui lui parle bientôt de mariage. Anne Marie Fanesèque sait-elle vraiment qui est Gabriel Cardinal ?
chapitre 4
Gabriel Cardinal
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imon Cardinal et sa femme Michelle Garnier sont engagés à La Rochelle par Jeanne Mance le 5 juin 1659 pour l’Hôtel-Dieu de Montréal. Ils s’embarquent à La Rochelle le 2 juillet 1659 sur le Saint-André et arrivent à Montréal le 29 septembre suivant, en même temps que deux sœurs de Michelle, Marie Garnier, mariée avec Olivier Charbonneau, et Louise Garnier, épouse de Pierre Goguet ou Goyer, aussi engagés de Jeanne Mance. Simon Cardinal et Michelle Garnier sont originaires de Marans, près de La Rochelle. Ils se marient vers 1652. Leurs deux premiers enfants naissent dans cette petite ville en pays d’Aunis et sont baptisés dans l’église Saint-Étienne, dont les ruines sont aujourd’hui classées monument historique : Jacques y est baptisé le 23 février 1656 et Jean, le 5 mars 1658. Gabriel, le premier enfant de Simon Cardinal et Michelle Garnier à naître au Canada, est baptisé à Montréal le 12 février 1661. Le quatrième enfant, encore un garçon, Étienne, reçoit le sacrement de baptême à Montréal le 16 septembre 1663. Le cinquième garçon de la famille, Pierre, est baptisé le 31 mai 1665, et le sixième, Simon, le 11 septembre 1667, toujours à Montréal. Après ces six garçons, naît une fille le 4 mai 1670, Cécile, qui meurt au mois de novembre 1671. Simon Cardinal père meurt le 9 août 1679 à Lachine et Michelle Garnier se remarie à Lachine avec Jean Chevalier le 23 avril 1680.
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À part Étienne, aveugle et de santé fragile (il meurt à 38 ans), les cinq autres garçons Cardinal sont forts, costauds et parfois turbulents. Anne Marie Fanesèque connaît-elle vraiment ce jeune homme de 21 ans qui souhaite devenir son mari ? Lui a-t-il raconté son aventure survenue deux ans auparavant ? Au cours de l’après-midi du dimanche 26 mai 1680 — les vêpres sonnées —, Gabriel Cardinal, qui a un coup dans le nez, dort appuyé contre la maison de Jean Milot (figure 7). À un moment donné, son frère Jacques, lui aussi éméché, sort de la maison de Milot et essaie de le réveiller, sans succès. Jacques Cardinal prend alors les grand moyens et gifle son frère à quelques reprises pour le secouer ; celui-ci revient à la surface et se met alors à jurer le « St nom de Dieu » en disant « mort et teste » (c’est-à-dire odieusement avec menace) à son frère : « Est ce a cause que tu mas presté de largent que tu me dis Viens avec moy Je vays te le faire rendre » ? Et tout en marchant, il recommence à blasphémer et à injurier son frère en l’appelant coquin, bougre et « plusieurs autres paroles deshonnestes et infames » et le menace de le faire mettre en prison. L’armurier René Fezeret, homme de bien qui marche derrière les deux frères en s’en allant aux vêpres, croit bien faire en s’approchant de Gabriel Cardinal pour lui reprocher ses jurements et son comportement envers son frère aîné. Gabriel ne fait ni un ni deux et lui demande de quoi il se mêle et lui « décharge » un coup de poing à la tête. Surpris, Fezeret recule de deux ou trois pas et donne à Gabriel Cardinal quelques coups de sa canne pour se défendre. Furieux, Cardinal se jette au cou de Fezeret, lui donne une jambette, le projette par terre, lui met le genou sur l’estomac, le roue de coups de poing au visage et à la tête et lui frappe la tête sur les roches, continuant de jurer et de blasphémer de plus belle. Jean Paré, un soldat de la garnison qui demeure chez le gouverneur Perrot (figure 7), observe la scène du pas de la porte de la maison de celui-ci et décide alors d’aller chercher son épée. Il dit auparavant à Jacques Cardinal d’empêcher son frère de
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Figure 7 : L’altercation entre les frères Cardinal et René Fezeret, le 26 mai 1680, commence près de la maison de Jean Milot pour se terminer sur le terrain de la Commune de Ville-Marie.
battre Fezeret et l’avertit de ne pas lui toucher. Faisant la sourde oreille, Jacques Cardinal se jette sur Fezeret, le saisit par la cravate qu’il sert dangereusement tout en lui criant des « paroles infames et deshonnettes ». De retour avec son épée, Paré entend crier la femme d’Étienne Truteau qui essaie de dégager le pauvre Fezeret ; pas assez forte pour réussir, elle fait appel à quelques personnes qui se rassemblent autour des trois hommes. Les deux frères sont en train d’étrangler le pauvre Fezeret qui tire la langue et qui a le visage qui noircit. Paré menace les frères Cardinal de les charger s’ils ne lâchent pas Fezeret. Paré se voit obligé de donner du pommeau de son épée à Gabriel pour qu’il laisse les cheveux de Fezeret.
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Furieux, Gabriel Cardinal se rue alors sur Paré qui menace de le « pointer » s’il ne s’en va pas. Gabriel Cardinal se retire en jurant pendant qu’on sépare son frère et Fezeret. Les deux frères Cardianl se mettent alors à se battre l’un contre l’autre « en jurant tous les deux le st nom de Dieu ». Le sergent Bailly veut saisir Jacques Cardinal qui résiste, demande de l’aide à plusieurs personnes qui l’entourent et tous refusent. Pourquoi ? Parce qu’aux yeux des habitants Jacques Cardinal « estoit plus fort queux ». Quand un archer arrive, Jacques malmène le sergent Bailly et l’archer et les jette par terre en les prenant par la bandoulière ! Ensuite, Jacques s’en va « en se mettant a l’eau en chantant et se mocquant ». Enfin libéré de ses agresseurs, René Fezeret retourne chez lui et on mande le chirurgien Anthoine Forestier qui vient lui panser ses blessures. Vers quatre heures de l’après-midi, l’armurier Fezeret se présente chez le bailli Jean Baptiste Migeon Sr de Branssat pour déposer une plainte contre Jacques et Gabriel Cardinal. Le bailli ordonne alors une « information » et, le soir même, les frères Cardinal sont emprisonnés et les interrogatoires commencent le lendemain matin. Défilent alors devant le bailli un certain nombre de témoins oculaires qui viennent donner leur version des faits : Louis Doyon (16 ans), apprenti chez l’armurier Claude de Xaintes ; Simone Côté (42 ans), femme du taillandier Pierre Soumande de Québec, en visite chez son gendre François Hazeur ; Martin Massé (31 ans), serrurier ; Pierre Niel (49 ans), bourgeois de Québec, de passage à Montréal ; Denis Guyon (50 ans), bourgeois de Québec, aussi de passage à Montréal ; Mathurine Thibault (49 ans), femme du marchand Jean Milot ; Adrienne Barbier (29 ans), femme du charpentier Étienne Truteau ; Jean Paré (25 ans), soldat de la garnison de Montréal. Dans presque tous ces témoignages, on situe l’événement en se référant aux vêpres « sonnées » et plusieurs témoins, hommes et femmes, mentionnent qu’ils s’en allaient aux vêpres. La pratique religieuse est toujours présente dans la vie
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quotidienne des habitants de Montréal. Un autre signe en est la mention fréquente, dans les témoignages, que les frères Cardinal jurent le « Saint nom de Dieu ». D’autre part, la pudique Simone Côté déclare dans son témoignage que Gabriel Cardinal injurie René Fézeret « en luy disant que cestoit un celuy cy un celuy la[quelle] ne peut exprimer » ! Un autre aspect révélateur des témoignages est le fait que deux des témoins sont des marchands de Québec venus à Montréal pour exercer leur négoce. Pierre Niel est le propriétaire de la barque Le Saint Jean « mouillée de present en cette rade ». Les barques à fond plat, d’environ 40 pieds sur 13, assurent la liaison commerciale entre Québec et Montréal. D’un tirant d’environ cinq pieds, elles viennent mouiller, en 1680, sur la commune, entre les rues Saint-Joseph et SaintFrançois (figure 7). L’autre témoin demeurant à Québec est Denis Guyon, propriétaire de la barque Le Saint François. Au cours de l’après-midi du 27 mai, c’est au tour de Gabriel Cardinal d’être interrogé et, comme on peut s’y attendre, il a des trous de mémoire ou il nie à peu près tout ce qu’on peut lui reprocher. Quand on lui demande s’il y a un différend entre son frère et lui, il répond que non « mais quils jouoient seulement comme Il leur arrive souvent n’ayant jamais eu de dispute ensemble ». Gabriel affirme aussi que c’est Fezeret qui est responsable, c’est lui qui lui a donné un coup de canne ! L’interrogatoire de Jacques Cardinal n’a lieu que le matin du 29 mai 1680. Jacques admet alors candidement qu’après avoir entendu la messe le dimanche précédent il boit une chopine d’eau-de-vie avec des amis chez le Sieur Le Ber et une pinte de vin avec d’autres amis chez Lespérance. Lui aussi a beaucoup de trous de mémoire et affirme qu’il lui arrive de badiner et de se chamailler avec ses frères sans vouloir se faire mal. L’interrogatoire n’ajoute rien de neuf au dossier sinon de confirmer que Jacques a bien bu avant la bagarre. Le 30 mai 1680, Fezeret et les Cardinal en viennent à une entente dans le bureau de la prison de Montréal. Pour éviter
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un procès et « affin de nourrir paix et amitié ensemble », les frères Cardinal et le procureur de René Fezeret, Charles Guillebourg, s’entendent sur un dédommagement de 50 livres. En effet, les frères Cardinal s’engagent à payer cette somme dès le lendemain, de même que tous les frais de cour déjà encourus, un tiers par Jacques et les deux tiers par Gabriel. Cette entente donne lieu à un acte notarié passé devant le notaire Claude Maugue avec le substitut Jean Gervaise et l’huissier François Bailly comme témoins. Le lendemain, 31 mai, forte de cette entente, Michelle Garnier, la mère de Jacques et Gabriel Cardinal, présente une requête au bailli pour faire libérer ses deux fils qui ne peuvent faire leurs semences, ce qui risque de « les mettre a la mandicité ». Vu l’entente signée la veille, le bailli Migeon de Branssat ordonne que les frères Cardinal « seront eslargis satisfaisant par eux aux conventions portées au compromis et transaction faite entre lesd[ites] partyes ». L’affaire Fezeret vs Jacques et Gabriel Cardinal vient d’être classée. On retient de cet incident que les frères Cardinal sont de costauds jeunes hommes, qu’ils aiment prendre un coup et se bagarrer, qu’ils ne se gênent pas pour scandaliser les bonnes gens et blasphémer en public. C’est ce Gabriel Cardinal qui souhaite épouser Anne Marie Fanesèque qu’on a certainement mise au courant du tempérament fougueux de son futur époux.
chapitre 5
Un deuxième mariage
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e dimanche de la Passion 1682, le 15 mars, le notaire Claude Maugue se rend à la maison d’Anne Marie Fanesèque pour la passation de son contrat de mariage avec Gabriel Cardinal, âgé de 21 ans. Se retrouvent là, au cours de l’avant-midi, en plus des futurs mariés, Jean Chevalier et Michelle Garnier, beau-père et mère de Gabriel, Denise Garnier, tante du futur, Pierre Cardinal, son frère, Pierre Tabault, André Merlot et Jean Roy, cousins de Gabriel, en plus de Pierre Jousset, Jean Moriaux dit Jolicœur, Estienne Pothier dit Laverdure et sa femme Michelle de Lahaye, amis communs des futurs époux, auxquels se sont ajoutés Pierre Cabazié et Pierre Nepveu dit Laverdure. Anne Marie Fanesèque prend à cœur le bien-être de ses enfants dans la rédaction de cet important document. Après la prose juridique habituelle qui stipule, entre autres, que les futurs époux seront « Uns et communs En tous biens meubles et immeubles suivant la Coustume de paris », le notaire rédige avec soin les engagements suivants : « seront lesd[its] futturs Espoux tenus et obligés de Nourrir Et Ellever les enfans Mineurs de lad[ite] future Espouse et dud[it] deffunt leroux son premier mary sur les biens de la Com[munau]té et suivant la coutume de paris lesquels dits enfans Mineurs se nomment Anne Charlotte aagee de sept ans Jean Baptiste aage de trois ans Cinq mois, et Jeanne Le Roux
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l’allemande aagee de huit mois [...] et apres lecture de la clause cy dessus led[it] futtur espoux a adopté par ces presentes lesd[its] enfans mineurs comme les siens propres quy pourroient estre issus deux pour partager et estre Esleves egalement. »
Après la publication de deux bans et la dispense du troisième donnée par monsieur Dollier, grand vicaire de monseigneur l’évêque de Québec, ne s’étant découvert aucun empêchement, le curé Jean Frémont de la paroisse de Montréal leur donne la bénédiction nuptiale le 7 avril 1682. Les nouveaux mariés vont demeurer dans la maison d’Anne Marie, rue Saint-Jacques (figure 7). Le jeune Gabriel Cardinal est journalier. Il prend tout travail qui passe et est souvent embauché comme ouvrier agricole par les habitants de l’île de Montréal. Bientôt, lui et sa femme commencent à vendre de l’eau-de-vie dans leur maison. Commerce clandestin, certes, mais pratiqué par plusieurs et qui permet d’arrondir les fins de mois. Anne Marie et Gabriel prennent pitié d’Étienne Cardinal, le frère de Gabriel, qui est aveugle. Il a 19 ans. Le 29 juin 1682, ils se rendent chez le notaire Maugue et Gabriel lui donne devant la loi « sa part et portion [de la succession] de l’habit[ati]on que led[it] deffunt [son père] possedoit au lieu de Lachine », et où sa mère demeure alors. Simon Cardinal, le père de Gabriel, est décédé à Lachine en septembre 1679. Michelle Garnier est bien d’accord avec ce don fait à Étienne par Gabriel et sa femme « en consideration de laffliction que dieu luy a envoyée de l’aveuglement du corps et incapable de gagner sa vie ». Ces quelques mots reflètent la croyance populaire du temps qui veut que Dieu soit la cause première des afflictions et qu’il les envoie aux humains pour exercer sa souveraine puissance. Il est toutefois prévu qu’après la mort d’Étienne cette part et portion d’héritage reviendra de plein droit à Gabriel. Anne Marie Fanesèque et son mari sont victimes d’une sauvage agression le dimanche 6 septembre 1682 vers 10 heures du soir. Pour mieux comprendre le fil des événements
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Figure 8 : Les lieux de la batterie du dimanche 6 septembre 1682.
qui sont racontés par divers témoins, le plan de la figure 8 permet de mieux suivre le déroulement de l’action. Il n’existe pas de carte qui représenterait Ville-Marie avec précision en 1682. Les rues alignées par le sulpicien Dollier de Casson et l’arpenteur et notaire Bénigne Basset en 1672 et les années subséquentes demeurent toujours des pistes ou chemins de terre aux bordures imprécises et les piétons peuvent encore déambuler avec liberté entre les maisons plus ou moins distancées les unes des autres. Même si la carte de la figure 8 n’est pas très précise, elle permet quand même de mieux se représenter le déroulement de cet événement malheureux. Alexandre Turpin, marchand maître d’armes et cabaretier à ses heures, reçoit beaucoup de monde à souper dans sa maison de la rue Saint-Pierre le dimanche 6 septembre 1682.
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Il a besoin d’aide et demande à Gabriel Cardinal et Anne Marie Fanesèque, qu’il connaît bien, de venir l’aider à servir ses hôtes, ce qu’ils acceptent volontiers. Le repas est servi dans la « chambre haute », c’est-à-dire à l’étage. Au rez-dechaussée, des jeunes hommes prennent un verre et s’amusent. Comme Anne Marie et Gabriel s’apprêtent à partir, Jean Baptiste Cavelier dit Deslauriers (23 ans) et son frère Louis (18 ans), qui ont déjà passablement bu, veulent s’amuser aux dépens de Cardinal et de sa femme. On parle de tout et de rien. À un moment donné, les frères Cavelier se vantent de couper du blé beaucoup mieux que Gabriel Cardinal peut le faire. Jean Baptiste dit alors à son frère, en parlant de Gabriel Cardinal : « Ne vois-tu pas bien que c’est un sot ? » Gabriel entend ces paroles et rétorque : « Est-ce toi qui m’a [sic] fait sot ? » Alexandre Turpin entend cet échange bruyant, descend au rez-de-chaussée et demande fermement aux deux frères Cavelier de partir ; son établissement est respectable et il ne veut pas de bruit dans sa maison. Alexandre Turpin ne veut plus servir de vin à Jean Baptiste et Louis Cavelier. Ceux-ci injurient et invectivent de bêtises Alexandre Turpin et quittent les lieux tout en continuant de harceler Cardinal. Gabriel Cardinal demande à Alexandre Turpin de lui prêter une lanterne pour retourner chez lui, rue Saint-Jacques. Aussitôt sorti de la maison de Turpin, Cardinal entend Louis Cavelier qui dit à son frère Jean Baptiste : « Va t’en l’attendre chez nous et je te suivray après ». Jean Baptiste court alors jusque derrière la maison de son père, Robert Cavelier. Là, il attend Gabriel et Anne Marie, qui porte sur son dos sa fille Jeanne Le Roux, âgée de 14 mois. À leur passage, Jean Baptiste les attaque et les frappe avec un bâton avec tellement de force qu’il le brise. Au même moment, Louis Cavelier et un autre jeune arrivent et rouent de coups de poing et de pied Gabriel, Anne Marie et l’enfant. Anne Marie crie au secours : « On assomme mon mary », « On assassine mon mary ». Apeurés, les Cardinal réussissent à retourner sur leurs pas pour aller se réfugier chez Alexandre Turpin.
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Le lendemain matin, le lundi 7 septembre, Gabriel Cardinal porte plainte à « Monsieur Gervaise exercant la justice pour l’absence de monsieur le Baillif » et affirme que sa femme et son enfant sont « extremmement incommodés », alités et risquent de mourir, comme a pu le constater le chirurgien Anthoine Forestier qui les a examinées. La justice est rapide. Le substitut Jean Petit ordonne l’emprisonnement immédiat des frères Cavelier et l’interrogatoire des témoins se fait le jour même. Le premier à témoigner est Jean Baptiste Basset (23 ans), le fils du notaire Bénigne Basset. La veille, vers 9 ou 10 heures, il s’adonne à passer devant la maison du « bonhomme » Cavelier dit Deslauriers qui voisine celle du chirurgien Jean Martinet de Fondblanche. Cette appellation « bonhomme » utilisée par le jeune Basset n’a rien d’irrespectueux ; à cette époque, un « bonhomme » se dit tout simplement d’un homme de bien ou d’un vieillard qui ne peut faire de mal. Jean Baptiste Basset entend alors clairement frapper à coups de bâton derrière la maison et des gens crier, en particulier Anne Marie Fanesèque qui crie qu’on assomme son mari. N’écoutant que son sens civique, Basset court vers l’arrière de la maison et aperçoit Jean Baptiste Cavelier qui tient à la gorge Cardinal qui est couché sous lui. Basset réussit à dégager Cardinal, Jean Baptiste Cavelier se relève et le frappe encore avec un bâton et lui donne des coups de pied. Cardinal réussit à se dégager et court avec sa femme se réfugier dans la maison de Turpin. Par ailleurs, Basset prend la peine de mentionner que Cardinal n’a frappé personne dans cette altercation. Jean Baptiste Cavelier se sauve vers la maison de Folleville — un cabaret toujours achalandé — d’où sortent quelques personnes qui se dirigent vers la maison de Turpin. Comme Louis Cavelier se mêle au groupe, Jean Baptiste Basset s’approche de lui et lui dit que c’est malhonnête de battre une femme et son enfant ; Cavelier ne peut que lui répondre de se taire. Étienne Pothier dit Laverdure, un boulanger âgé de 40 ans qui habite chez Turpin, et Alexandre Turpin lui-même viennent ensuite
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raconter leur version de l’incident et corroborer le témoignage du jeune Basset. L’apprenti chirurgien François Tardif (17 ans), qui demeure chez son maître Jean Martinet, témoigne enfin que, ce soir-là, il entend du bruit, « estant a prier dieu [...] pour saller coucher » et qu’il sort avec Martinet et voit Cardinal et sa femme courir et entend Anne Marie Fanesèque dire qu’on a jeté son enfant dans la marre près de chez Deslauriers. Le lendemain, 8 septembre, le père des jeunes Cavelier vient supplier la cour de libérer ses deux fils. Robert Cavelier prétend en effet qu’ils n’ont rien fait d’illégal (!) et se porte garant de leur présence en cour lorsque ce sera requis. Autres raisons invoquées, de pressants travaux de récolte et la sauvegarde de la réputation de la famille. En effet, la réputation et l’honneur sont deux qualités inestimables qu’il faut protéger à tout prix. Le juge accepte de libérer les deux frères à condition que Robert Cavelier dépose au greffe une caution de 60 livres « pour la seureté des frais et dédommagement des parties ». Le chirurgien Anthoine Forestier est prompt à venir réclamer devant le bailli à Gabriel et sa femme la somme de 40lt « pour travaux de chirurgie » et, dans la même requête, il effectue une saisie sur Robert Cavelier « comme débiteurs » de Cardinal et sa femme. On est le 10 septembre 1682. Anne Marie Fanesèque va défendre sa cause elle-même et dit qu’elle ne doit qu’environ quatre livres d’un compte passé. Forestier n’est pas d’accord, produit son livre de comptes et dit qu’elle lui doit encore 20lt 5s. Le bailli écoute attentivement et condamne Anne Marie à payer cette somme et maintient la saisie sur Robert Cavelier qui a déjà promis de payer les dommages causés par ses fils à Gabriel Cardinal et à sa femme. Au xviie siècle, il est pratiquement impossible de suivre la trace des gens sans histoire, surtout s’ils ne passent pas devant un notaire pour une vente, une obligation ou toute autre transaction. Par ailleurs, quand les documents judiciaires parlent des habitants de Montréal, ils ne mettent en évidence que leurs travers, leurs excès ou leurs fautes. Il y a bien les
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comparutions portées aux registres des audiences qui parfois lèvent le voile sur leur vie de tous les jours, mais elles sont trop souvent incomplètes pour bien suivre un différend. Malgré tout, on réussit quand même à saisir des instants de la vie quotidienne des habitants de Montréal. Il y a aussi des événements heureux dans la vie des habitants de Montréal à la fin du xviie siècle, par exemple les mariages. Jacques Cardinal (30 ans), le beau-frère d’Anne Marie Fanesèque, va épouser Claude-Louise Arrivé (17 ans), fille de défunt Jacques Arrivé dit Delisle, de son vivant marchand à Québec, et de Renée de Laporte. La jeune fille est alors « en service » chez Catherine Colombiers, femme de Josias Boisseau, « directeur des fermes du Roy ». Catherine Colombiers demeure dans la maison de Marie Par, la veuve du marchand Pierre Picoté de Belestre, rue Saint-Paul. C’est là que, le 13 octobre 1682, se rassemblent une trentaine de personnes pour la passation du contrat de mariage devant le notaire Claude Maugue. En plus de Marie Par, sa fille Françoise de Belestre, Catherine Colombiers et le marchand Alexandre Turpin, de la part de Claude-Louise Arrivé, on retrouve dans la maison, de la part de Jacques Cardinal, plusieurs amis et membres de sa famille : Michelle Garnier et Jean Chevalier, sa mère et son beau-père ; ses frères Jean et Gabriel, ce dernier accompagné de sa femme Anne Marie Fanesèque ; ses oncles et tantes Olivier Charbonneau et Marie Garnier, de même que Pierre Goguet et Louise Garnier ; ses cousins Guillaume Labelle, Jean Grou, Jean Charbonneau, Joseph Charbonneau, Pierre Goguet, André Sire, Pierre Merlot, Pierre Tabault, Alexis Buet et Martin Massé ; ses amis Étienne Truteau, Jean Rouleau, Louis Juillet, François Pelletier et Jean Lacroix. Quelle belle occasion pour Anne Marie Fanesèque, nouvellement arrivée dans la famille Cardinal, de rencontrer plusieurs membres de cette famille rochelloise. Devant cette nombreuse assemblée, Jacques Cardinal pose un geste affectueux inhabituel. Pour sceller ses
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promesses de mariage, il donne à Claude-Louise Arrivé une « bague d’or » qu’elle accepte « pour un gage dud[it] futur mariage ». Monsieur Jean Frémont, un prêtre du Séminaire, reçoit leur engagement de mariage le 23 novembre 1682, « apres les fiancailles et la publication de deux bans », monsieur Dollier ayant donné dispense du troisième. Monsieur Gabriel Souart, un autre prêtre du Séminaire, leur donne la bénédiction nuptiale. Le 23 février 1683, Louis Ducharme réclame 13lt à Gabriel Cardinal pour argent prêté et blanchissage ; le bailli donne raison au demandeur. Le 22 juin 1683, Jean Marmande soumet au bailli que Gabriel lui doit 12lt ; Gabriel n’est pas d’accord, affirmant qu’il faut déduire 3lt pour une journée de travail qu’il a donnée au demandeur ; Gabriel paiera la différence en journées de travail. Ces deux exemples montrent bien la nature des préoccupations principales de Gabriel Cardinal : comment retarder le plus possible le paiement de sommes dues ; non seulement l’argent est-il rare, mais aussi parfois le travail, surtout pour un journalier. Le 24 juin, en la fête de la Saint-Jean-Baptiste, Anne Marie Fanesèque met au monde un fils que Gabriel Cardinal va immédiatement faire baptiser par le curé Guyotte. Il portera le prénom de son parrain Jean Martinet de Fondblanche, chirurgien à l’Hôtel-Dieu et Marie (probablement Marguerite) Bouat agit comme marraine. Cette fois-ci, le 11 août 1683, Gabriel Cardinal est le demandeur. Mathurin Langevin lui doit 4lt pour une « journée de faucherie ». Tout comme Cardinal, Langevin est serré, il n’a pas d’argent. Il reconnaît sa dette, mais demande un délai. Voilà la vie de tous les jours des habitants de Montréal. On vit au jour le jour et on tâche de retarder le plus possible les échéances. Et ce qui est le plus regrettable, c’est qu’en plus de payer sa dette Mathurin Langevin devra payer les « depens de l’exploit taxé ix sols ». Neuf sols représentent tout de même 11,25 % de la somme à payer.
chapitre 6
La sœur de la belle-sœur
C
laude-Louise Arrivé dite Delisle, la belle-sœur d’Anne Marie Fanesèque, a un frère et deux sœurs dont Marie Magdeleine, âgée de 14 ans en 1683. Anne Marie et Marie Magdeleine sont à couteaux tirés depuis un certain temps et, par un moment d’étourderie peut-être aussi teinté de méchanceté, la jeune fille accuse Anne Marie, en présence du gouverneur de Montréal, François-Marie Perrot, de son lieutenant Antoine Lafresnaye de Brucy et de plusieurs autres personnes, de lui avoir volé huit francs. On est à la fin d’août 1683. Pour éviter le scandale et la prison à sa femme, Gabriel Cardinal remet huit livres entre les mains du gouverneur Perrot et « pour Justiffier linnocence de sad[ite] femme », porte plainte contre Marie Magdeleine Arrivé devant le bailli pour l’accusation qu’elle a portée « mal a propos » contre son épouse. La jeune Marie Magdeleine doit comparaître le 30 août 1683 mais celle-ci, assistée de sa sœur, belle-sœur d’Anne Marie, prévoyant qu’un procès sur ce différend « leur porterait grand presjudice et a lhonneur et reputa[ti]on de leur famille » décide de négocier une entente à l’amiable avec Anne Marie Fanesèque et Gabriel Cardinal. Les deux sœurs et le couple Cardinal se rencontrent donc chez le notaire et greffier Pierre Cabazié à cet effet le 4 septembre 1683. Dans un premier temps, Marie Magdeleine Arrivé déclare en présence
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des Cardinal, du notaire et des témoins Gilles Carré, cabaretier, et Guillaume Vanier que « cest mal a propos et sans raison quelle a dit et accuzé lad Vandezegue d’avoir recellé et pris delle huit livres en argent [...] et lui demande excuze de lui avoir dit ces paroles présence de plusieurs personnes et sen dedit et la tient pour femme de bien et d’honneur ». Dans un deuxième temps, les sœurs Arrivé rembourseront à Gabriel Cardinal les huit francs qu’il a remis au gouverneur et paieront tous les frais de justice. Voilà que tout se tasse. Les Cardinal passent l’éponge et arrêtent toutes les procédures judiciaires en marche. Et la vie continue comme avant. L’hiver est bien engagé. Le bailli de Montréal, conscient des dangers d’incendie plus élevés durant les mois de grand froid et soucieux de la sécurité des habitants de la ville, fait lire à l’issue de la grand-messe dominicale du 12 décembre 1683 et afficher aux endroits coutumiers une ordonnance obligeant tous les paroissiens à ramoner leurs cheminées au moins deux fois durant l’hiver et d’avoir deux échelles en permanence sur le toit. De plus, il est interdit d’entreposer plus de dix livres de poudre dans les maisons. C’est ainsi que, dans la semaine du 12 décembre 1683, Gabriel Cardinal et Anne Marie Fanesèque reçoivent la visite du bailli Migeon de Branssat accompagné du substitut délégué Bailly, du sergent Cabazié et du greffier Claude Maugue, qui leur explique l’importance de cette ordonnance et des amendes prévues pour les contrevenants. Ces quatre personnes visitent toutes les maisons de Montréal et en dressent le procès-verbal le 17 décembre 1683 (figure 9). Les semaines et les mois passent et les Cardinal ne figurent qu’occasionnellement dans les archives pour le règlement habituel de petites créances que les gens retardent toujours le plus possible d’acquitter. Par exemple, le 7 avril 1684, Anne Marie Fanesèque réclame quatre livres à Marie Carlier, femme de René Fezeret, devant le bailli de Montréal. Marie Carlier proteste, prétendant qu’Anne Marie lui doit une
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Figure 9 : « verbal de visitte pr les poudres et eschelles — 17 xbre 1683. » (greffe Claude Maugue, ANQM.)
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martre qu’elle n’a pas payée. Tactique habituelle qui ne perturbe pas le bailli qui donne raison à Anne Marie Fanesèque. Le 28 mai suivant, le marchand Jean Aubuchon signe une quittance de 30 livres à Gabriel Cardinal. Le 17 octobre 1685, Pierre Cardinal, le beau-frère d’Anne Marie Fanesèque, prend pour épouse Marie, la fille de Philippe Matou et de Marguerite Doucinet. Marie a 17 ans et Pierre, 20 ans. Le mariage est béni par le curé Étienne Guyotte après la dispense de deux bans. En 1685, Montréal change dramatiquement d’allure. La palissade, commencée en 1685, va profondément marquer l’évolution de la ville. Cette construction, rendue nécessaire par le déclenchement de la guerre contre les Iroquois en 1684, va conditionner le développement de la ville au cours des années à venir. C’est aussi au cours de l’année 1685 que monsieur Dollier de Casson érige le séminaire de la rue Notre-Dame. Le 10 septembre 1686, Gabriel Cardinal vend à son frère Pierre la partie de la terre que son père possédait à Lachine et qui lui reviendra lorsque la succession sera réglée (Simon Cardinal, le père de Gabriel, est décédé le 11 août 1679 à Lachine). Anne Marie Fanesèque, dûment autorisée par son mari, est présente dans l’étude du notaire Bénigne Basset pour la passation du contrat de vente ; le montant de la transaction, 30lt, est payé « en loüis d’argent ayant cours en ce pays ». Cet acte est particulièrement important car une signature d’Anne Marie Fanesèque (figure 10) y apparaît avec celles des témoins et du notaire. Il semble bien que cette signature, apposée par une main incertaine et malhabile, soit le seul exemplaire que nous ayons aujourd’hui de l’écriture d’Anne Marie Fanesèque. En cet automne 1686, la nature reprend son spectacle grandiose, les feuilles d’érable, de chêne et de noyer enflamment la montagne et tout le paysage environnant. Mais cette tranquille splendeur multicolore recèle des dangers mortels. Des Amérindiens hostiles rôdent toujours autour de Montréal
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Figure 10 : La signature d’Anne Marie Fanesèque au bas de l’acte du 10 septembre 1686 (gr. Bénigne Basset). C’est la seule signature connue d’Anne Marie. On devine une main malhabile qui a de la difficulté à manipuler la plume d’oie. Anne Marie a alors 29 ans.
et l’huissier Jean Quesneville appose sur la porte de l’église paroissiale l’ordonnance du Conseil souverain obligeant toutes les maisons à s’armer pour leur défense. Le chef de famille, ses domestiques et ses fils, à partir de 14 ans, doivent posséder un mousquet, et il est interdit de se défaire de ses armes. En 1687, l’enceinte devant servir avant tout à protéger les habitants de Montréal des attaques iroquoises n’est que partiellement réalisée. Elle est constituée d’une simple série de pieux de cèdre d’environ 5 mètres de hauteur et d’à peu près 35 centimètres de diamètre. Ces pieux sont plantés en terre et chevillés les uns aux autres. La palissade, réparée à plusieurs reprises et prolongée deux fois, restera en place plus de 30 ans. Au printemps de 1687, Gabriel Cardinal effectue une voyage au fort de Cataracoui (aujourd’hui Kingston, Ontario). Sa réputation d’homme souvent violent qui aime bien boire le suit partout où il va. La plupart du temps, ses écarts de conduite n’ont pas de conséquences importantes, mais celui de juillet 1687 est beaucoup plus grave.
chapitre 7
L’affaire Moriaux
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n incident banal déclenche l’altercation entre Jean Moriaux dit Jolicœur et Gabriel Cardinal. Le dimanche 20 juillet 1687, vers cinq heures de l’après-midi, Moriaux sort de chez Bailly dit Lafleur, qu’il est allé visiter, se présente à la maison des Cardinal et demande à Anne Charlotte Le Roux, la fille adoptive de Gabriel Cardinal — la fille d’Anne Marie Fanesèque —, de lui prêter un poêlon, ce qu’elle refuse. Gabriel Cardinal et Jean Lemarché dit Laroche, deux amis, « voiturier[s] au fort de Katarakoui », sont témoins de la scène et voient Moriaux sortir en adressant « quelque sotise » à la jeune fille. Gabriel Cardinal se lève et dit à Moriaux : « Sy tu ne te tayes je te bailleray sur les oreilles. » Jolicœur va s’asseoir sur une pierre qui est vis-à-vis de sa maison, voisine de celle de Gabriel (figure 11), et met celui-ci au défi de venir le frapper. C’est mal connaître Gabriel qui le rejoint rapidement, lui donne une taloche sur la tête et lui fait sauter la perruque et le chapeau. Moriaux se lève aussitôt, giffle Gabriel Cardinal qui réplique sur-le-champ en le jetant par terre et en le frappant sur le dos et à la tête avec un manche de pelle. Moriaux essaie en vain d’éviter les coups et de se défendre, Cardinal est « quatre fois plus fort que luy ». La blessure à la tête de Moriaux saigne abondamment. Lemarché, Simon Cardinal (le frère de Gabriel), le soldat François Parenteau et quelques autres témoins de cette dispute sanglante se précipitent alors pour séparer les deux voisins qui ont tous les deux
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un petit verre dans le nez. Ils obligent Gabriel, qui se met « a jurer & blasphemer le St nom de Dieu », à retourner dans sa maison et Moriaux se dirige illico chez le chirurgien Jean Martinet de Fondblanche pour se faire panser. Le soir même, Jean Moriaux se rend chez le bailli de Montréal pour déposer une plainte contre Gabriel Cardinal qui, suivant le libellé du document, l’aurait tué sans l’intervention rapide de plusieurs personnes charitables. Comme Gabriel Cardinal est un homme « accoustumé a faire de tels attentats et voyes de fait », Moriaux demande au bailli de le mettre sous la « sauvegarde du Roy et de justice ». Le bailli acquiesce à la demande de Moriaux et ordonne une enquête immédiate sur cet incident violent. Les nouvelles courent vite à Montréal. Le lundi matin 21 juillet, vers huit heures, alors que le notaire et greffier Anthoine Adhémar se rend chez monsieur le Bailli « pour affaires », il passe devant la maison du marchand Jacques Leber, rue Saint-Paul (figure 11), où loge pour lors François Provost, gouverneur intérimaire de Montréal, en l’absence du gouverneur en titre Louis-Hector de Callière. Provost l’aperçoit de sa fenêtre, lui demande de s’approcher et l’enjoint de dire au bailli de « cesser touttes les poursuites que Jolicœur faisoit contre led[it] Cardinal et de nen faire aucunes dhores en avant contre luy pour cette affaire parce quil avoit besoin de cest home ». Interloqué par cette intervention intempestive de la part de la plus haute autorité de Montréal, Adhémar ne peut que répondre qu’il en informera le bailli. Tel que prévu dans l’ordonnance de la veille, les interrogatoires commencent cependant le jour même. Sept témoins sont entendus au cours de la matinée : François Parenteau, soldat ; Anne Lemire, femme de Laurent Tessier ; Catherine Delavaux, femme de Gilbert Barbier dit LeMinime ; Marie Fonteneau, femme de l’huissier François Bailly ; Jean Lemarché dit Laroche, voiturier au fort de Cataracoui ; Louise Jeanne Bailly, femme de Pierre Chesne dit Saint-Onge ; Catherine Gendron, femme d’Anthoine Poudret.
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Figure 11 : Le centre de Montréal en juillet 1687 est témoin de l’altercation entre Gabriel Cardinal et Jean Moriaux.
À deux heures de l’après-midi, François Provost fait irruption dans l’étude du notaire Adhémar où se trouvent alors les huissiers Jean Quesneville et Louis Gillet. Le commandant de Montréal, accompagné du sieur de Crusel, capitaine d’une compagnie des Troupes de la Marine, et de Pierre Denis, sieur de Saint-Pierre, lance, en colère : « Vous voila trois sergents je vous fais deffenses de ne faire aucunes poursuittes Contre Gabriel Cardinal pour Laffaire de Jolicœur et sy japrends que vous enfassiez aucune je vous feray metre es prisons avec les Irokois » et, brandissant sa canne, il poursuit : « Je vous apprendray a pousser de telles affaires. » Anthoine Adhémar répond calmement en faisant
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au commandant Provost une petite leçon d’administration judiciaire : « Je ne suis que greffier au bailliage de cette isle pour escrire soubs Monsieur le Baillif toutes les sentences ordonnances et autres actes de justice Et lesd[its] quesneville et Gillet sont des huissiers pour Mettre lesd[ites] sentences ordonnances et autres actes a Execu[ti]on. » Provost interrompt Adhémar, se dirige vers la porte et répète qu’il a besoin de Gabriel Cardinal et menace de nouveau Adhémar et les deux huissiers de les faire mettre « dans les prisons ou sont les Irokois ». Conscients de la gravité de cette entrave à la justice, Adhémar et les deux huissiers rédigent sur-le-champ un procès-verbal de l’incident « pour servir et valloir a quy & ainsy quil app[artiend]ra Ce que de raison ». Ces menaces et cette obstruction à la justice de la part de François Provost surprennent d’autant plus que son biographe, dans le Dictionnaire Biographique du Canada (DBC), le décrit comme un « fonctionnaire très consciencieux » et y affirme que « l’esprit de justice et de probité » ont toujours été placés à la base de son administration, alors qu’il était major de Québec. De plus, le gouverneur Denonville dit de lui que « c’est le plus honnête homme, le plus droit et le moins intéressé que j’aie trouvé dans le pays ». L’incident du 21 juillet 1687 à Montréal suggérerait certainement une révision de la biographie de Provost dans le DBC. D’autre part, à deux reprises, Provost dit qu’il a besoin de Gabriel Cardinal. Pourquoi le gouverneur de Montréal aurait-il besoin du bagarreur « voiturier au fort de KataraK8i » Gabriel Cardinal ? On peut penser que le gouverneur apprécie la fougue de ce costaud de jeune homme qui serait capable, le cas échéant, d’affronter les Iroquois avec succès. Le 22 juillet, « le jour de la Madelaine », alors que Moriaux se retrouve chez le chirurgien Martinet pour faire panser ses blessures, Simon Cardinal, le frère de Gabriel, fait irruption dans la maison et injurie Moriaux : « Tu poursuis mon frere Gabriel en justice sy sçavoit esté moy tu nen aurois pas esté quitte a sy bon marché & prix [...] je te baillerois
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autant de coups que tu en pourrois porter. » Marguerite Prudhomme, la femme de Jean Martinet, lui dit de ne pas venir menacer Moriaux chez elle. Simon sort, mais ne s’en va pas. Il va allumer son calumet dans la boulangerie de Marguerite et revient en continuant de menacer Moriaux en lui disant que, s’il le rencontrait, il n’aurait pas besoin de chirurgien ! Simon traite Moriaux de médisant et de calomniateur et lui dit : « Tu poursuis mon frere en justice Il ten cuira. » Marguerite Prudhomme et Jean Baptiste Cathalogne, assistant chirurgien de Jean Martinet, craignant que Simon Cardinal, qui a pris un bon coup, ne frappe Moriaux l’invitent fortement à quitter la maison, ce qu’il fait de mauvaise grâce en continuant ses menaces et en blasphémant. Gabriel Cardinal est toujours en liberté le 22 juillet et vers les dix heures du soir, alors que l’huissier et geôlier Jean Quesneville est à discuter avec les huissiers Jean Bailly et François Lory « en la chambre de laudiance », on frappe violemment à la porte de la prison. Quelqu’un veut dire un mot à Quesneville. Celui-ci va ouvrir la porte et se trouve alors en face de Gabriel Cardinal « quy [luy] Dressa une querelle dallemand en Jurant le St nom de Dieu ». (« Faire une querelle d’allemand à quelqu’un » est une ancienne expression qui signifie l’attaquer sans sujet et de gaieté de cœur.) Il le menace de lui faire un mauvais parti. Sortent alors de l’ombre un dénommé Le Polonais qui tient à la main un couteau de table « a manche blanc dos ou divoire » de même qu’un jeune homme non identifié. Alertés par la commotion, Bailly et Lory dévalent l’escalier et trouvent les trois hommes « entre la porte du guichet et la porte de la Rue ». Constatant que Quesneville n’est pas seul, Cardinal et ses comparses n’osent le maltraiter et se retirent aussitôt. Le geôlier et les deux huissiers trouvent cette visite à une heure aussi tardive et indue suffisamment grave pour en dresser un procès-verbal. Deux jours plus tard, au cours de la matinée, il y a « repetition » des trois huissiers sur leur procès-verbal devant le bailli Jean Baptiste Migeon sieur de Branssat.
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Immédiatement après, c’est la « repetition » d’Adhémar, Quesneville et Gillet sur leur procès-verbal dressé à la suite de la visite inacceptable que le commandant de Montréal leur a faite le lundi précédent. Les trois huissiers confirment le contenu de ce document qui est communiqué au substitut « pour requerir & conclure ce quil appartiendra ». Le lendemain, il requiert que « le tout soit envoyé à Monsieur l’Intendant et A Monsieur le procureur général pour estre ordonné par eux ce quil Leur plaira ». Le juge est d’accord avec cette recommandation et envoie le tout à Québec pour faire cesser « le trouble qui a esté fait à la poursuitte du[dit] accusé mutin et séditieux quy avec cinq autres de ses freres ce veulent rendre redoutables a un chascun pour Loprimer maltraiter ou outrager ». Les frères Cardinal ont réellement mauvaise réputation à Montréal en 1687. Le juge n’accepte pas qu’ils terrorisent la population et, d’un ton sévère, stipule que « la justice fera ses fonctions en toutte liberté sans vexa[ti]on ny Empeschem[en]t au desus des ord[onnan]ces de sa Majesté ». Le procès de Gabriel Cardinal continuera donc et le gouverneur intérimaire de Montréal devra répondre de ses actes devant l’intendant de la Nouvelle-France. Le 30 juillet 1687, Jean Moriaux porte plainte au sujet de l’incident du 22 juillet précédent chez le chirurgien Martinet. Au cours de l’après-midi du même jour, se déroulent les interrogatoires de Marguerite Prudhomme, femme du chirurgien Jean Martinet de Fondblanche, et de Jean-Baptiste Cathalogne, chirurgien demeurant chez Fondblanche. Gabriel Cardinal est par la suite emprisonné et interrogé par le bailli le 10 septembre 1687. Gabriel Cardinal vient donner sa version des faits. Quelque temps après être revenu du fort « Katarak8y », Jean Moriaux vint chez lui, un dimanche, pour emprunter un poêlon à faire cuire des œufs. Sa femme, Anne Marie Fanesèque, étant absente, sa fille Anne Charlotte refusa en lui disant que sa mère lui avait dit de ne rien prêter. Jean Moriaux, toujours suivant Gabriel, l’a alors traité de petite
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putain et dit, en apercevant Anne Marie Fanesèque et sa bellesœur qui revenaient : « Voilà les deux putains quy sen viennent Elles ont fait leurs affaires. » Gabriel s’approcha alors de Moriaux qui avait bu et « luy donna de la main sur la teste et luy fit tomber son chappeau et sa perruque ». Le reste de l’histoire ne correspond pas tout à fait à la version des témoins ; c’est plutôt Moriaux qui se frappe sur le manche de pelle et qui l’agresse ! Quant à l’incident à la prison le soir du 22 juillet, Gabriel dit qu’il voulait tout simplement savoir si Moriaux avait porté plainte contre lui ! Le 11 septembre 1687, Jean Moriaux adresse une requête au bailli de Montréal pour faire exécuter le décret d’emprisonnement de Gabriel Cardinal, ce qui n’a pas été fait « a cause des deffences que Monsieur Prevost major de québec et pour lors commandant dudit montréal avoit faites au greffier et huissiers du baillage dudit montreal quy despuis nont hosé faire aucunes poursuites crainte quils ne fussent emprisonnes avec les Iroquois ». Gabriel Cardinal se sent coincé, il va négocier. Les parties s’entendent rapidement. D’une part, Moriaux consent à ce que « les informations decret de prise de corps poursuitte et procedures soient et demeurent nulles et de nul Effect pour led[it] Cardinal ». En contrepartie, Gabriel Cardinal « paiera tous les fraix de justice et le chirurgien quy la traitté et nourry pend[an]t sa blessure ». De plus, Cardinal et Moriaux déclarent dans cette entente passée devant le notaire Anthoine Adhémar le 11 septembre 1687 qu’ils se tiennent pour des gens de bien et d’honneur et se promettent d’oublier tout le passé. Et même si l’acte est silencieux sur la vente suivante, il semble certain qu’elle fait partie de l’entente. Le lendemain, 12 septembre, Jean Moriaux vend à Gabriel Cardinal et Michel Leblond (qui doit se marier avec Anne Charlotte Le Roux dans deux semaines) son emplacement, voisin de celui de Gabriel (figure 11). Le prix de vente est fixé à 700lt que les deux acquéreurs paieront en parts égales. Lors de la passation du contrat de vente devant le
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notaire Anthoine Adhémar, Michel Leblond verse la somme de 250lt « en Escus blancs pieces de quarante sols piastres et autres bonne monnoye » ; pour sa part, Gabriel Cardinal verse 100lt. Il est de plus stipulé que le solde sera payé le jour de la fête de Saint-Jean-Baptiste de 1688. Que s’est-il passé ? Est-ce que Jean Moriaux vend son emplacement parce qu’il sent sa mort venir ? Célibataire, Moriaux dicte son testament au notaire Bénigne Basset le 29 septembre 1687 dans l’une des salles de l’hôpital à sept heures du soir et désigne le bedeau Pierre Chantereau comme son exécuteur testamentaire. Moriaux meurt le lendemain, le 30, à l’âge de 45 ans, « appres avoir este muny de tous les sacrements » ; il est enterré le même jour. Aurait-il été emporté par l’épidémie de rougeole qui sévit à Montréal en 1687 ? Ou serait-il décédé à la suite des blessures reçues de Gabriel Cardinal ? Jean Moriaux dit Jolicœur était un soldat de la compagnie de La Varenne au régiment de Carignan, arrivé au Canada le 17 août 1665.
chapitre 8
Le mariage d’Anne Charlotte
L
’affaire Moriaux bien classée, au grand soulagement d’Anne Marie Fanesèque, celle-ci peut maintenant préparer le mariage de sa fille Anne Charlotte Le Roux, promise à Michel Leblond dit LePicard, originaire de Noyon, en Picardie. Ce menuisier de 38 ans se présente comme un bon parti pour la jeune Anne Charlotte qui semble d’accord. Le 16 septembre 1687, Anne Marie Fanesèque, Gabriel Cardinal et Anne Charlotte Le Roux se rendent donc chez le notaire Anthoine Adhémar pour la signature du contrat de mariage. Ils y retrouvent Jean Cardinal, le frère de Gabriel, et Charlotte de Coppequesne, veuve du maçon Jean Gateau et marraine d’Anne Charlotte, de même que Michel Leblond et ses amis François Bailly, Jean Quesneville et Jean Bareau. Le notaire Adhémar inscrit au contrat qu’Anne Charlotte Le Roux est « aage denviron treize ans ». Anne Marie Fanesèque force la note en fournissant cet âge au notaire ; en effet, son aînée n’a que 12 ans et 2 mois, étant née le 6 juillet 1675. Personne ne s’est soucié de vérifier l’âge de la future. Dans ce contrat, Anne Marie Fanesèque et Gabriel Cardinal offrent à Anne Charlotte « en advance dhoirie de Leurs succession future La moitié d’Une maison & emplacement scize en cette ville » que Cardinal et Leblond ont acquise de Jean Moriaux dit Jolicœur quatre jours auparavant et que les futurs époux pourront habiter à compter « du jour de la
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benediction nuptiale & de la en avant et a tous jours ». Et il est bien spécifié que cette moitié d’emplacement « demeurera propre à lad[ite] future Espouse et aux siens de son estoc coté et ligne ». Le douaire — préfix ou coutumier, au choix de la future — est fixé à 500lt et le préciput sera « Esgal et reciproque de la somme de quatre cens livres ». Le mariage d’Anne Charlotte Le Roux et Michel Leblond est béni dans l’église paroissiale de Montréal le 25 septembre 1687 et le couple emménage aussitôt dans la maison voisine des Cardinal, l’ancienne maison de Moriaux (figure 11). Michel Leblond est un bon menuisier et le travail ne lui manque pas. Ainsi, le 24 décembre 1687, il accepte la responsabilité de la construction « de la voute & les ronds points des chapelles et du cœur de l’Esglise parroissiale de cette ville de ville marie ». Leblond verra à s’adjoindre les ouvriers nécessaires à la réalisation de ces importants travaux dont le devis commence ainsi : « Premierement blanchir les planches dun costé les embouffeter & poser, faire une corniche qut regnera tout autour de lad[ite] Esglise de deux pieds de large afin quun homme puisse passer dessus, Mettre des tringles ronds a tous les abouts des planches Et en faisant lad[ite] voute metre des planches sur les sabliers de lad[ite] esglise qui portent la neige et les eaux hors de lad[ite] Eglise. »
Ces travaux de menuiserie sur l’église paroissiale occuperont Michel Leblond durant plusieurs mois. Le mercredi 25 février 1688, Charlotte de Coppequesne, originaire de Picardie, l’amie de longue date d’Anne Marie Fanesèque, va passer son contrat de mariage. Celle-ci se fait un devoir et un plaisir d’assister à la signature du contrat de mariage de Charlotte avec Jacques Brault, un domestique du Séminaire ; Michel Leblond est aussi présent avec sa bellemère, ainsi que le chirurgien Jean Martinet de Fondblanche. Dans le dernier quart du xviie siècle, Montréal joue un rôle clé bien connu comme centre du commerce des fourrures en Nouvelle-France. Ce commerce oriente l’activité et le
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développement de la ville et inspire la vocation de ses marchands. Ville-Marie est le quartier général des « voyageurs », des « marchands-voyageurs » et des « marchandséquipeurs ». C’est à un de ceux-ci, François de Boisguillot, que les frères Cardinal, Jean et Gabriel, s’engagent le 31 juillet 1688 « pour monter aux pais des 8ta8ois [le pays des Outaouais] et nations voisines ». François de Boisguillot fait partie d’une « communauté », c’est-à-dire d’un groupe de particuliers qui ont mis leurs biens ensemble pour faire valoir leurs expéditions dans les pays d’en Haut et leur commerce des fourrures. Les frères Cardinal, Jean (30 ans) et Gabriel (27 ans), sont de solides gaillards très résistants à l’effort. Bien constitués physiquement, les frères Cardinal sont cependant analphabètes, ils manipulent mieux l’aviron que la plume. Ils sont robustes, résolus et capables de supporter longtemps et avec patience les rigueurs de la fatigue et de la privation. Il faut en effet être bougrement fort et en santé pour pagayer pendant des semaines — sans jour de repos — de 14 à 16 heures par jour dans des canots d’écorce assez fragiles, qui peuvent se déchirer à tout moment sur une roche coupante ou chavirer au moindre faux mouvement. Et le voyageur doit se contenter d’une nourriture à base de légumes secs, soit de maïs lessivé additionné de graisse ou de soupe aux pois. Et que dire des nombreux portages que comporte chaque voyage au cours desquels il faut non seulement porter le canot mais aussi des ballots pouvant peser jusqu’à 200 livres, portés sur le dos au moyen d’une courroie faisant le tour de la tête. Et, beau temps mauvais temps, il faut coucher dehors, autant que possible à l’abri des intempéries. Les marchandises et l’équipement sont emballés avec soin pour les protéger de l’eau et des dommages possibles lors de leur manipulation durant les portages. On a raconté aux frères Cardinal toutes ces difficultés et ils se sentent capables de les affronter. D’autre part, l’équipeur croit qu’ils possèdent les qualités requises pour effectuer un voyage vers l’Ouest, les pays d’en Haut. François de
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Boisguillot engage donc Jean et Gabriel Cardinal qui partiront dans les jours qui suivent pour ne revenir qu’à l’automne 1689. L’engagement fait l’objet d’un contrat en bonne et due forme passé devant le notaire Anthoine Adhémar dans son étude alors située du côté nord de la rue Saint-Paul, entre les rues Saint-Pierre et Saint-François-Xavier. Les frères Cardinal seront nourris par la « communauté » « suivant lusage des voiageurs » et le tabac leur sera aussi fourni. Ils recevront chacun « la Somme de Cinq Cens Livres en Castors au prix du bureau de quebec [...] pour leurs gages Et salaires » à leur retour à Montréal. Les frères Cardinal auront le droit d’apporter chacun un fusil, qu’ils achèteront à leurs frais et qu’ils « traicteront a Leurs proffits ». Les deux témoins qui assistent à la passation de l’acte et qui signent avec le notaire Anthoine Adhémar sont l’huissier Pierre Cabazié et Sylvain Guérin, cordonnier et « cabaretier » de la rue Saint-Paul, et ami du notaire. Il est intéressant de noter que Sylvain Guérin est le premier mari de Marie Brazeau, une flamboyante femme du quartier de la chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours. On retrouve la signature de Sylvain Guérin au bas d’une centaine d’actes d’Anthoine Adhémar entre janvier et octobre 1688. Anne Marie Fanesèque se retrouvera donc seule à Montréal avec ses quatre enfants et devra se débrouiller pour vivre sans son mari. Le cabaret qu’elle ouvre ensuite constituera sa principale source de revenu. Le 11 août 1688, Michel Leblond paie à Pierre Chantereau, l’exécuteur testamentaire de Jean Moriaux, la somme de 100lt qui correspond au solde dû à Jean Moriaux pour sa part du prix d’achat de sa maison le 12 septembre 1687. Il est intéressant de noter que Chantereau a versé ce montant à la Fabrique de Montréal « pour un don quil [Moriaux] avoit fait a lad Esglise par son testament ». À la même occasion, Anne Marie Fanesèque, en l’absence de son mari, verse à Chantereau la somme de 100lt comme deuxième paiement de sa quote-part du prix d’achat de la maison acquise conjoin-
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tement avec Michel Leblond. Célibataire, Moriaux avait aussi légué cette somme à l’Hôtel-Dieu de Montréal ; Pierre Chantereau s’empresse de la verser à la « Sœur Morin religieuse hospitaliere de l’Hostel Dieu de cette ville et procureure des pauvres dud hospital ».
chapitre 9
Les cabarets de Ville-Marie en 1688
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ans son acception moderne, le mot « cabaret » désigne principalement un établissement qui présente un spectacle où les clients peuvent boire ou se restaurer. À la fin du xviie siècle, un cabaret est essentiellement un modeste débit de boissons. À Montréal, on y sert surtout du vin et de l’eau-de-vie, mais aussi parfois de la bière et du cidre. En Nouvelle-France, comme en l’« ancienne », les cabarets ont bien souvent mauvaise réputation. L’Église et l’État les ont toujours à l’œil et essaient de réglementer ces établissements où hommes et femmes se livrent souvent à des réjouissances de moralité douteuse, pour dire le moins. VilleMarie, l’avant-poste le plus avancé du pays et le centre de commerce des fourrures en Nouvelle-France, est une véritable ville frontière où explorateurs, voyageurs, coureurs des bois, marchands et soldats s’arrêtent, se reposent et s’approvisionnent avant de partir pour les pays d’en Haut. Les hommes, la plupart célibataires, recherchent, presque irrésistiblement, les cabarets où chacun boit, chante et s’adonne aux jeux de hasard. Privés de compagnie féminine — à Montréal, à cette époque, il y a encore un fort excédent de population masculine, environ 120 hommes pour 100 femmes — ces jeunes hommes recherchent ainsi des cabarets où l’hôtesse est particulièrement accueillante.
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Dans une atmosphère qui frise souvent le libertinage et dans laquelle un rien mène parfois à la violence physique, il ne faut pas se surprendre que l’autorité policière tente, avec des succès bien mitigés, d’assurer une vigilance active sur les cabarets. En principe, nul ne peut tenir de cabaret sans une permission du roi et des juges du lieu, et le nombre des cabarets et auberges est théoriquement limité. Normalement, seules obtiennent cette permission les personnes de grande probité pouvant fournir de leur curé un certificat de bonnes mœurs. Les cabarets doivent fermer leurs portes à 9 heures du soir et, dans la pièce où l’eau-de-vie et le vin sont servis, le tenancier doit afficher bien en vue les articles du règlement concernant les bonnes mœurs, l’interdiction des jurements, des blasphèmes et autres désordres. De plus, il est interdit aux clients de s’enivrer et on ne doit pas servir les domestiques, de même que les ouvriers et artisans durant les heures de travail. Les cabarets doivent être fermés durant les messes et les vêpres les jours de fêtes et les dimanches. Enfin, il est interdit de servir à boire à crédit. La réalité montréalaise se situe à des lieues de cette vie bien rangée des cabarets, souhaitée par les autorités civiles et religieuses. Très tôt dans la vie de Montréal, les autorités déplorent les désordres et excès qui surviennent régulièrement dans les cabarets. Tenir cabaret est une occupation attirante qui procure des profits faciles, surtout lorsqu’on n’est pas trop scrupuleux et qu’on dépouille Amérindiens, soldats et domestiques et qu’on laisse ses portes ouvertes le dimanche pour attirer les ruraux qui viennent à la messe. On retrouve de tout dans ce métier : anciens voyageurs, notaires, huissiers, artisans, marchands et beaucoup de veuves. Comme le cabaretier et l’aubergiste exercent leur activité dans leur maison privée, obligation leur est faite de signaler leur établissement par un « bouchon » ou une enseigne pour le distinguer des autres maisons. Un « bouchon » est un signe qu’on met à une maison pour montrer qu’on y vend des boissons alcooliques « à pot et à pinte ». Il est fait de lierre, de houx, de cyprès et quelquefois de chou, suivant la
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définition du dictionnaire Furetière de 1690. Le cabaretier ou la cabaretière exerçant dans sa maison particulière, l’espace d’accueil est forcément restreint ; c’est principalement dans la « grande » pièce de la maison, la pièce principale, que tout se passe. La « grande » pièce n’est cependant pas très grande car les dimensions des maisons sont relativement faibles, de l’ordre de 20 sur 25 pieds. L’occupation de cabaretier n’est souvent pas une occupation à temps plein ; on exerce ce métier à temps partiel, pour s’assurer d’un revenu d’appoint. Le bouchon est le signe que celui qui l’arbore est autorisé à tenir cabaret. C’est le cas de la minorité de cabarets. Les habitués connaissent les bonnes adresses, bouchon ou pas ! Malgré les nombreuses ordonnances des années 1670 et 1680, la situation ne s’améliore pas à Montréal. Les cabarets illégaux pullulent, « ce qui donne lieu aux desordres et aux desbauches ». Suivant une ordonnance de septembre 1684, Montréal est alors « plutôt un enfer qu’un lieu policé ». Les autorités religieuses se plaignent. En 1688, les désordres empirent, il y a même deux morts à la suite de rixes. Le substitut va expliquer la situation au « procureur fiscal au bailliage de montréal tenant le siège pour l’absence de Monsieur le Baillif » le 22 octobre 1688 et lui demande la permission de faire aviser par un huissier tous ceux qui vendent vin et eau-de-vie en détail à Montréal à avoir à comparaître à la prochaine audience, qui se tiendra après la Toussaint, et d’y apporter, le cas échéant, leurs permissions de tenir cabaret. Et le lendemain, le substitut dresse la liste de 30 personnes qui, à cette date, vendent vin et eau-de-vie en détail à Ville-Marie et qui ne se soucient guère d’afficher, dans leur établissement, les règlements régissant les cabarets, et encore moins d’avertir ceux qui jurent et blasphèment le saint nom de Dieu ! (À cette époque, on utilise encore indifféremment Montréal ou Ville-Marie dans les documents notariés ou judiciaires.) Les cabarets légaux et illégaux de la ville sont donc bien connus des autorités.
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Plusieurs lecteurs reconnaîtront peut-être des noms d’ancêtres ou d’alliés d’ancêtres dans la liste suivante des 30 personnes qui reçoivent la visite de l’huissier Pierre Cornellier dit Grandchamp qui les convoque officiellement à se présenter à l’audience du 3 novembre suivant. Et bien sûr que le nom d’Anne Marie Fanesèque se retrouve dans cette liste. Comme son mari, Gabriel Cardinal, s’est engagé à « monter aux pais des 8ta8ois » au mois de juillet précédent (avec son frère Jean), elle est donc seule à Montréal avec ses jeunes enfants. Pour assurer leur subsistance et la sienne jusqu’à l’automne 1689, date prévue du retour de son mari, Anne Marie vend du vin et de l’eau-de-vie en détail dans sa maison. 1. Marie Aly (la femme de Simon Guillory, marchand de fourrures) 2. Charlotte Roussel (la femme de Pierre Gauthier) 3. Madeleine Chrétien (la femme de Pierre Chicoine) 4. Pierre Boisseau 5. Pierre Lagarde 6. Jean Petit sieur de Boismorel (sergent) 7. Sylvain Guérin (cordonnier, le mari de Marie Brazeau, du quartier de la chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours) 8. Antoine Hattanville (marchand et huissier royal) 9. Marguerite Sédilot (la veuve de Jean Aubuchon dit Lespérance) 10. Jean Duchesne 11. Marie Pacreau (veuve d’Antoine Pichou dit Duvernay, charpentier) 12. François Bleau (boulanger) 13. Françoise Roy (femme de Vincent Dugas dit Lafontaine, domestique) 14. Le Sieur Gillet (probablement Antoine Gillet) 15. Mathurin Guillet (marchand) 16. Alexandre Turpin (maître d’armes) 17. Pierre Busson dit Subtil (soldat) 18. Claude Pothier (marchand)
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19. Louise Leblanc (veuve de Michel Lecours) 20. Abraham Bouat (aubergiste et marchand) 21. Anne Marie Fanesèque (femme de Gabriel Cardinal) 22. Anne Lemire (veuve de Laurent Tessier) 23. Mathurin Charpentier 24. Isaac Nafrechou (marchand) 25. René Fezeret (armurier, arquebusier et marchand) 26. Jacques Passard, sieur de la Bretonnière 27. Jean Soumande (marchand) 28. Robert Cavelier (arquebusier) 29. Pierre Cornellier dit Grandchamp (huissier et sergent royal) 30. Claude Lamothe (marchand) Montréal, en 1688, compte approximativement 130 maisons et une population civile (ne comprenant pas les Amérindiens) d’environ 800 personnes, incluant hommes, femmes et enfants. Il y a donc 23 % des maisons de Montréal qui sont des cabarets, presque une maison sur quatre ! Dit autrement, il y a un cabaret pour 27 personnes à Ville-Marie en 1688. Il n’est donc pas surprenant que les autorités dénoncent cette situation qui engendre continuellement des désordres et des abus de toutes sortes, y compris la prostitution. D’autant plus qu’il y a beaucoup de jeunes hommes à Montréal à cette époque : on peut estimer que l’âge médian est alors de 16,5 ans, c’est-à-dire que plus de la moitié de la population a moins de 16,5 ans. À titre de comparaison, l’âge médian de l’agglomération urbaine de Montréal en 2001 est de 37,9 ans. Des 30 personnes nommées dans le rapport de l’huissier du 23 octobre 1688, seulement 21 se présentent effectivement à l’audience du 3 novembre suivant, à deux heures de l’aprèsmidi, les autres ne jugeant pas utiles de comparaître. Certains montrent une permission écrite de tenir cabaret, d’autres prétendent avoir une permission verbale et un bon nombre admettent n’avoir aucune permission. Le substitut explique de nouveau à la cour la gravité de la situation et de l’urgence
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d’agir pour tenter de régler les nombreux problèmes causés par un trop grand nombre de cabarets à Montréal, « ce quy cause la Ruyne de quantité de familles ». Il est non seulement intéressant mais émouvant de constater que, ce jour-là, sont réunies dans la même salle deux femmes fortes, colorées et bien connues à Montréal, à savoir Anne Marie Fanesèque (dont le mari est parti pour les pays d’en Haut) et Marie Brazeau (dont le mari, Sylvain Guérin, vient de s’embarquer pour la France). Femme extraordinaire, Marie Brazeau marque la vie du quartier de la chapelle Notre-Dame-deBonsecours durant une cinquantaine d’années*. Mis au courant de la démarche du substitut, le curé Rémy de Lachine expédie au procureur fiscal une lettre lui indiquant que la situation déplorable constatée à Montréal existe aussi dans sa paroisse et se plaint des « desbauches extraordinaires tant de Jour que de nuict et pendant le service divin » qui se passent dans les cabarets illégaux de Lachine. En conséquence, il demande au bailli d’étendre la portée de l’ordonnance qu’il s’apprête à promulguer à la grandeur de l’île de Montréal. Après avoir écouté attentivement les recommandations du substitut et tout considéré, le bailli décrète la suppression de toutes les permissions accordées à ce jour à Ville-Marie et dans toute l’île de Montréal, défend à toute personne de débiter des boissons alcooliques « à pot et à pinte » avant d’avoir obtenu une permission écrite du bailli de l’île de Montréal et cette permission ne pourra être accordée que sur présentation d’un certificat de bonnes mœurs du curé de la paroisse ou des seigneurs. De plus, tous ceux qui auront obtenu une permission devront accrocher à leurs maisons des enseignes ou « bouchons » pour les distinguer clairement des autres maisons. Ceux qui enfreindront cette ordonnance * La vie de Marie Brazeau est racontée dans Marie Brazeau — Femme en Nouvelle-France, par l’auteur du présent ouvrage, publié par les éditions du Septentrion en 2001.
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verront leurs boissons confisquées et devront payer une amende de 10lt. Afin que cette ordonnance soit bien connue de la population de Ville-Marie, le juge ordonne qu’elle sera lue en public et affichée partout « au besoin ». Cette sévère ordonnance refroidit les ardeurs des cabaretiers clandestins pour une courte période seulement. Comme nous le verrons plus loin, ce lucratif commerce clandestin réapparaît rapidement, causant les mêmes problèmes déjà dénoncés par les autorités. La nature humaine étant ce qu’elle est, il est à peu près impossible de réglementer d’une façon efficace la vie des cabarets dans une ville frontière comme Montréal à la fin du xviie siècle. Pendant l’absence de son mari, Anne Marie Fanesèque doit bien surveiller la gestion financière du foyer. On sait que joindre les deux bouts à l’époque relève pratiquement de l’exploit et quelques inscriptions au registre des audiences du bailliage de Montréal nous montrent qu’Anne Marie, comme à peu près tous les habitants de Montréal, retarde le plus possible le paiement de ses dettes et tente parfois sa chance en réclamant de l’argent que ses débiteurs ont déjà payé. Ainsi, Anne Marie, le 14 décembre 1688, réclame 5lt 15s à Jean Campot « pour nourritture & argent presté », mais il semble bien que celui-ci s’est déjà acquitté de cette dette. Huit jours plus tard, c’est au tour de Vincent Dugas de venir réclamer à Gabriel Cardinal le paiement des « cens & rentes seigneurialles ». Des seigneurs au simple habitant, on passe beaucoup de temps à venir réclamer son dû devant le bailli. Anne Charlotte Le Roux et Michel Leblond ne sont mariés que depuis un an et demi, mais on découvre que le torchon brûle entre Anne Marie Fanesèque et son gendre quand, le 1er février 1689, il demande au bailli de condamner sa belle-mère à lui rendre un coffre, une chemise de toile blanche valant six livres, un volet de fer et une masse qu’elle est allée dérober chez lui, en pleine nuit, après avoir brisé une porte et une fenêtre de sa maison. Le menuisier de 40 ans n’a pas réussi à apprivoiser sa jeune épouse qui est trois fois plus
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jeune que lui. Apeurée, la jeune Anne Charlotte est retournée vivre avec sa mère depuis quelques mois. Impressionnable et comme fascinée par sa mère, elle aime l’atmosphère pour le moins détendue qui règne dans la petite maison maternelle où les jeunes hommes peuvent relaxer, y prendre un pot de vin ou d’eau-de-vie, et plus, s’ils le souhaitent, et ce, à toute heure du jour ou de la nuit.
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ichel Leblond n’en peut plus. Il est la risée de Montréal. Il veut protester contre la vie dissolue de sa femme et de sa belle-mère et ramener dans le droit chemin Anne Charlotte, qui vit chez sa mère depuis sept à huit mois. Vers une heure et demie de l’après-midi du 4 mars 1689, Michel Lebond se rend donc chez le curé de la paroisse pour lui demander d’intervenir auprès d’Anne Marie Fanesèque, sa belle-mère, pour faire en sorte qu’elle n’empêche plus Anne Charlotte Le Roux, sa femme, de réintégrer le toit familial. Le curé prend conscience de la gravité de la situation et se rend sur-le-champ chez Anne Marie Fanesèque pour la supplier de demander à sa fille de retourner avec son mari. Anne Marie répond sèchement qu’elle ne veut pas qu’Anne Charlotte retourne avec Michel Leblond parce qu’il est « un coquin & quil sen repentiroit ». Coquin, à l’époque, est une injure utilisée pour désigner un homme louche, peu fiable. Courroucée par cette intervention commandée du curé, Anne Charlotte lance même qu’elle est prête à passer le reste de ses jours en prison plutôt que de retourner avec son mari. Après cet échec du curé, Michel Leblond ne voit pas d’autre solution pour régler le problème que d’avoir recours à la justice. L’après-midi même, il porte plainte devant le bailli de Montréal pour qu’Anne Charlotte soit obligée de revenir vivre avec lui et saisit l’occasion pour dénoncer sa belle-mère
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concernant son commerce clandestin de boissons alcooliques et porter de graves accusations à son endroit. Toutes sortes de personnes vont dans sa maison où se commettent « bien des desordres & dyvrogneries pendant le jour et presque touttes les nuicts » et Anne Charlotte, à cause de sa jeunesse, se laisse influencer par les mauvais conseils de sa mère. De plus, Michel Leblond affirme que sa belle-mère lui profère des menaces tous les jours et qu’elle a même voulu le faire tuer par un soldat qu’elle et sa fille avaient saoulé. Le lendemain, 5 mars, à 6 heures du matin, le bailli, accompagné du procureur fiscal, du greffier du bailliage et des sergents Bailly et Cornellier, se rend chez Anne Marie Fanesèque pour l’obliger à laisser Anne Charlotte retourner avec Michel Leblond qui promet de la traiter avec douceur et affection et ainsi l’éloigner de sa mère et de ses mauvais conseils qui n’ont d’autre effet que de détruire leur vie commune. Le bailli fait valoir à la fille et à sa mère que leur conduite cause un grand scandale à Montréal et enjoint Anne Charlotte de retourner avec son mari ; et, à cet effet, « lavons Menée chez Luy quy la Recuë avec une Grande ouverture de cœur et promis de la traicter doucement & affectueusement ». Le bailli et sa suite reviennent ensuite chez Anne Marie Fanesèque et lui défendent formellement de « souffrir sad[ite] fille dans sa maison » sans la permission de son mari. Suit ensuite une scène presque surréaliste ! Le bailli fait venir Michel Leblond dans la maison de sa belle-mère et lui conseille de demander pardon à sa belle-mère et de promettre de vivre en harmonie avec elle et de lui rendre tout le respect qu’il lui doit. Michel Leblond répond à cette invitation, demande pardon à sa belle-mère, l’embrasse et promet de tout faire pour que persiste leur amitié ! Et comme le cabaret d’Anne Marie Fanesèque est un « puissant obstacle » à la quiétude de la vie du jeune couple, défense est faite par le bailli à la maîtresse de maison de vendre « a pot et a pinte ». Il fait descendre les sergents dans la cave et ils y découvrent trois barriques de vin et deux demi-barriques d’eau-de-vie
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presque pleines. Défense est faite à Anne Marie Fanesèque de continuer de vendre ces boissons sous peine de 50lt d’amende et de confiscation des barriques. Le bailli lui donne huit jours pour se départir de ce vin et de cette eau-de-vie. La paix, ou plutôt la trêve, entre Anne Marie Fanesèque et Michel Leblond ne dure pas longtemps. Anne Marie, toujours sans mari, reprend de plus belle ses « activités ». Elle incite de nouveau sa fille Anne Charlotte à revenir vivre avec elle « luy insinuant de la hayne contre sond[it] mary et la laisse vivre dans le dernier Libertinage ». Les portes de la maison d’Anne Marie sont en effet toujours ouvertes et la jeune Anne Charlotte sert d’appât aux hommes, jeunes et moins jeunes, qui viennent prendre un verre. On sert à boire à n’importe qui et les deux femmes de la maison boivent et mangent avec eux, bien souvent jusqu’à deux ou trois heures du matin. Pas surprenant que, dans telles conditions, ces beuveries dégénèrent parfois en bagarres et désordres de toutes sortes. Michel Leblond ne sait plus à quel saint se vouer. Un jour, au cours de l’été, il fait doucement valoir à Anne Charlotte que ce qu’elle fait n’est pas bien, qu’elle doit abandonner sa vie scandaleuse et revenir avec lui. Il ajoute qu’elle ne doit pas faire confiance à sa mère et même qu’elle « perdroit son ame & son honneur de se prostituer de la sorte aux desbauches dont le siecle nest que trop corrompu ». Cinglante, Anne Charlotte lui rétorque qu’elle se moque de tout cela et qu’elle veut suivre les « sentiments » de sa mère. Anne Charlotte rapporte cette intervention de Michel à sa mère qui le traite aussitôt de « coquin et de fripon » et que sa fille fait « meilleur cher chez elle que chez luy » et que sa vie est plus divertissante chez elle. Anne Marie le menace ensuite de le faire « Rouer de coups de bastons » par des officiers qui demeurent chez elle s’il n’arrête pas de harceler sa fille. À bout de force et de ressources, Michel Leblond se sent donc obligé d’avoir de nouveau recours au bailli de Montréal pour obtenir justice. Le 22 août 1689, il demande à la cour,
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en désespoir de cause, d’être « separé avec sad[ite] femme de corps et de biens veu la mauvaise vie q[ue] sad[ite] femme mene ». Le bailli communique cette requête le jour même au procureur fiscal pour recommandation. Le lendemain, il requiert qu’Anne Marie Fanesèque « soit prise au corps et conduitte a la prison destinée pour les femmes et filles de mauvaise vie » et qu’il soit fait enquête sur les « faits circonstances et dependances » de la plainte et requête de Michel Leblond. L’audition des témoins commence le même jour, 23 août 1689, à neuf heures du matin. Le premier témoin à être entendu est François Bailly, âgé de 62 ans. Comme voisin, il lui a été donné de constater qu’Anne Charlotte couchait plutôt par terre qu’avec son mari et que, malgré les ordonnances de la cour, elle était tous les jours chez sa mère « a boire et a manger ». Bailly ne sait pas si la jeune Anne Charlotte se conduit mal, mais il a entendu dire à plusieurs personnes « quelle et sa mere ne valoint Rien & que leur maison estoit un bordel, Et quil y a plusieurs jeunes gens quy y logent Et quelle vend des boissons a pot et a pinte », malgré toutes les défenses de la cour. François Bailly dit aussi qu’à plusieurs reprises il a entendu Anne Marie Fanesèque et sa fille dire de gros mots à Michel Leblond et menacer de le faire maltraiter, et cela à une heure indue, à dix ou onze heures du soir. Il a même entendu Anne Marie Fanesèque dire à son gendre qu’il « nestoit pas capable de cognoistre sa femme » ! Vient ensuite témoigner Isabelle Renaud, âgée de 36 ans, femme de Jean Olivier, demeurant alors à Montréal « a cause de la guerre ». Son témoignage, particulièrement incriminant et cru, vaut la peine d’être cité en entier : « Depose [...] que l’authomne passé la femme dud[it] picard luy declara que sy le fils de Jacques Morin quy logeoit comme pentionnaire chez la Gabriel Cardinal sa mere luy prometoit de lespouser quelle empoisonneroit led[it] picard son mary ; quelle et lad[ite] Cardinal sa mere avoient gaigne et fait boire quelques soldats pour l’assassiner dans sa ma[is]on Et quils y
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vinrent Environ les onse heures du soir a ce dessein, quils heurteroient a sa porte et le contraignirent de louvrir de la part du Roy Ce quelle vit a travers le logis ou elle demeuroit alors quy est vis a vis la ma[is]on dud[it] picard, lesquels senfuirent sans luy rien faire a cause du bon aceuil que Leur fit led[it] picard Et quelle a veu laditte picard venir chercher led[it] morin chez la deposante ou Il estoit et le baisoit autant de fois quil vouloit en Ce moquant des reprimandes quelle luy faisoit de ses actions Et traictant son mary de chastré, et ne se cachoit point de dire quelle naymoit point led[it] picard son mary, Et quelle aymoit mieux led[it] morin quy la veue lembrasser chez lad[ite] Cardinalle sa mere ou il est en pention despuis quil est de retour des 8ta8ois despuis six semaines. Depose de plus que lad[ite] Cardinal donna souvent a boire a des soldats ou autres p[endant] toutte la nuit a faire des exces que lesd[ites] femmes auroient un jour tuer lesd[it] picard contre lequel elles vinrent l’une avec un batton et lautre avec une chaudiere pour luy Casser la teste, Et elle et olivier son mary les en empescherent. »
Le témoignage de Jean Quesneveille, sergent et huissier, est percutant. Il a entendu Anne Marie Fanesèque dire de Michel Leblond que, s’il continuait à maltraiter sa femme, « quelle luy feroit metre ses os dans un sac apres lavoir fait assasiner, En le traictant de cheline [chenille], de bougre de chien de Diable, Et qu’il feroit mieux de Ce taire ». Pour une Allemande, le vocabulaire français d’Anne Marie est bien vaste ! De plus, Quesneville affirme qu’Anne Charlotte Le Roux a fait écrire des lettres à un nommé Laverdure, un soldat de Langloiserie qui est en prison, qu’elle appelait « son tres cher cœur », qu’elle l’attendait avec impatience « pour Executter Ce qu[il]s sestoient promis mutuelle[ment] », c’està-dire de coucher avec lui quand il voudrait. La fin du témoignage de Quesneville est particulièrement cruel envers Anne Charlotte et sa mère. Il affirme qu’il a entendu plusieurs soldats dire que « lad[ite] femme dud[it] picard estoit une puttain publique aussy bien que sa mere et quelles se servoient de maquerelle lune a lautre, Et que leur maison estoit
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une bordel, que Mr le curé de la paroisse de cette ville avoit des letres quy justifioit la meschante conduite desd[ites] femmes ». Comme si les témoignages précédents ne sont pas suffisamment accablants, vient s’ajouter, le 22 août suivant, celui de Mathieu Renaud, tailleur d’habits, âgé de 30 ans. Il raconte qu’il y a environ un mois, alors qu’il était chez la Cardinal, ne voyant personne dans la pièce du rez-dechaussée et voulant aller sur la galerie « du coste du bois », il voit sortir du dessous de l’escalier montant au grenier le nommé Anthoine Morin qui est avec Anne Charlotte Le Roux, qui fait alors semblant de chercher quelque chose dans le linge sale qui est sous l’escalier. Morin suit Renaud sur la galerie et l’informe qu’il n’y a personne à la maison. Par la suite, Anne Charlotte sert une pinte de vin à quelques soldats qui viennent d’arriver. Quelques jours plus tard, Mathieu Morin revient chez la Cardinal et voit Morin qui rit avec la femme de Picard et l’embrasse, et ce, en présence de quelques personnes. Ce même jour, le bailli prend connaissance de l’ensemble de la recommandation du procureur fiscal et de l’ensemble du dossier et ordonne qu’Anne Charlotte Le Roux « sera conduite ez prisons destinees aux femmes de meschante vie pour y estre Interrogée sur les charges quy sont contenues dans lad[ite] Information ». Comme il n’y a pas d’autres pièces au dossier, on ne connaîtra jamais les questions et réponses de cet interrogatoire. Sept mois après l’ordonnance du bailli de Ville-Marie, ordonnance en apparence très sévère, les cabarets illégaux continuent de proliférer et de fonctionner comme auparavant, jour et nuit ! Presque à tour de rôle, les cabaretiers clandestins de Montréal sont assignés à comparaître devant le bailli pour répondre à des accusations de vente illégale de boissons alcooliques. Le 14 juin 1689, le procureur fiscal sévit de nouveau et fait assigner Madeleine Chrétien (la femme de Pierre Chicoine) et Anne Marie Fanesèque à comparaître à l’audience tenue ce jour-là pour « representer la permission quelles ont [...] de
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debiter des boissons », en conformité avec l’ordonnance. Les deux cabaretières, comme on peut s’y attendre, n’ont pas de permis de tenir cabaret, mais font valoir avec aplomb qu’elles vendent vin et eau-de-vie « comme tous les autres font sans permission ». La cause est vite entendue et le bailli ne peut que défendre de nouveau aux deux femmes de débiter du vin ou de l’eau-de-vie « a pot et a pinte & par assiette » (c’est-à-dire avec des repas) sans l’accord des seigneurs de Montréal et sa permission écrite, « a peyne de cent sols damande » ! La menace d’une si faible amende est presque un encouragement pour les deux femmes, et pour tous les autres cabaretiers et cabaretières, à continuer leur commerce illégal. Durant la nuit 4 au 5 août 1689, de violents orages ont tenu éveillés les habitants de Montréal. Ils ne se doutent pas que sous ces pluies torrentielles se déroule un drame à Lachine. Le matin, ils apprennent avec stupéfaction l’horreur de cette nuit. Quelque 1 500 Iroquois investissent les demeures de Lachine et des environs, brûlent les maisons et se livrent aux pires atrocités sur les hommes, les femmes et les enfants. Un grand choc pour la population de Montréal qui l’a échappé belle. En toute équité pour les Iroquois, toutefois, il faut dire qu’il ne s’agit pas de pure barbarie de leur part. En fait, il s’agit probablement d’une riposte bien méritée. En effet, à l’automne 1687, le gouverneur de Denonville a expédié aux galères en France une quarantaine d’Iroquois capturés après avoir été attirés dans un guet-apens au fort Frontenac (Cataracoui). On les a convoqués à une assemblée de paix qui doit être suivie d’un festin ! Le village de Lachine paie cher la supercherie de Denonville. Heureuse d’être encore en vie, la population de Montréal continue son aventure avec confiance, comptant sur la forte garnison de la ville pour la protéger. Anne Marie Fanesèque ne peut se permettre de s’attarder sur ce cruel événement. Toujours seule, elle est occupée à assurer la vie de sa famille. Environ 25 familles utilisent quotidiennement le puits qui est situé près du Séminaire, en face de l’église (figure 12). Ce
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Figure 12 : Le puits (T) en face de l’église paroissiale de Montréal dans le dernier quart du xviie siècle. [« Concession de la place de l’église, chapelle des morts et cimetière par Mre Dollier à M. le Curé et les marguillers de Ville-Marie, et quittance réciproque », greffe Anthoine Adhémar, le 15 avril 1693 (ANQM).]
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Figure 13 : Première page de la requête pour la réfection du puits de l’église à Montréal à l’automne 1689 : « Liste de ceux quy ont promis de contribuer po[ur] f[aire] raccomoder le puits de l’esglise ». (Archives du Séminaire de Québec.)
puits a besoin d’entretien. En Nouvelle-France, les habitants ne paient pas d’impôts, mais ne bénéficient d’aucun service. Quelques habitants du quartier demandent à l’intendant Bochart de Champigny d’émettre une ordonnance pour obliger ceux qui sont voisins du puits à payer leur quotepart du coût de sa réparation et, pour appuyer leur requête et
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démontrer leur sérieux, ils lui font parvenir « la liste de ceux quy ont promis de contribuer po[ur] f[air]e raccomoder le puits de l’esglise » (figure 13). Le nom de Gabriel Cardinal figure au quatrième rang après ceux de Boüat, Demers et Guillet. L’intendant Bochart de Champigny signe une ordonnance à cet effet le 21 octobre 1689 et Gabriel Cardinal, pour sa part, devra contribuer 6lt. Les jours passent. Gabriel Cardinal revient de son voyage chez les « 8ta8ois » à l’automne 1689 et retrouve sa femme toujours aux commandes de son cabaret. La clientèle est régulière chez Anne Marie et Anne Charlotte, la vie est trépidante dans la maison et les francs entrent bien. Il n’aime pas trop ce genre d’activité qui le met mal à l’aise, même s’il n’est pas lui-même un modèle de conduite. En novembre 1689, Anne Marie Fanesèque et Gabriel Cardinal s’affairent à entasser des provisions pour l’hiver qui vient et les nombreux jours de jeûne qu’il comprendra. Ils achètent donc de Jean Hamel, habitant de Lotbinière, dont la barque mouille près de la Commune, une barrique et demie d’anguilles, poisson qui foisonne dans le Saint-Laurent, aux alentours de Québec. Jean Hamel et Anne-Marie s’entendent pour 42lt et trois pintes de vin pour cette barrique et demie d’anguilles. Anne Marie se fait tirer l’oreille pour payer mais, en fin de compte, doit s’exécuter. Anguille à l’étuvée : « Coupez-la par morceaux & la mettez en façon d’étuvée avec persil, capres, vin blanc & beurre frais, le tout bien assaisonné. »
chapitre 11
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usqu’à très récemment, l’histoire officielle a presque toujours négligé les Amérindiens en Nouvelle-France. On les considère comme des êtres inférieurs et simplement comme des éléments du décor ou comme des figurants dans le déroulement des événements. C’est peut-être la raison pour laquelle on connaît mal aujourd’hui leur participation dans la vie de tous les jours à Ville-Marie à la fin du xviie siècle et l’influence qu’ils exercent sur la façon de vivre et la culture des premiers habitants de la ville. Et pourtant, en 1689, si l’on ne compte pas les soldats, il y a presque autant d’Amérindiens établis à Montréal et dans la région qu’il y a de Français. Ils construisent des maisons — certains disent des cabanes — de branches et d’écorces, ensemencent les terres que les Français veulent bien leur allouer, et non pas leur vendre, et élèvent quelques animaux domestiques. Comme nous allons le constater dans le déroulement des événements suivants, en apparence sans importance, les Amérindiens sont nombreux à partager leur vie de tous les jours avec les Français, mais, malheureusement, quand les documents officiels parlent d’eux, c’est la plupart du temps d’une façon négative, les présentant comme des éléments perturbateurs de la société montréalaise. Le vendredi 2 décembre 1689, la veille de la fête de SaintFrançois-Xavier, second patron du pays, l’Amérindiennne
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Marie — la « Sauvagesse » Marie, suivant le vocabulaire de l’époque — et son mari Amiko sont arrêtés pour ivresse et jetés en prison. Portant un prénom français, on peut supposer que Marie a été baptisée ; elle a environ 40 ans. Le lendemain, 3 décembre, le bailli Jean-Baptiste Migeon de Branssat et son greffier se rendent « en la chambre de la geolle » pour interroger Marie. Migeon veut absolument savoir qui a vendu à Marie l’eau-de-vie qui l’a saoulée. Pour ce faire, il a recours aux services de Pierre d’Ailleboust d’Argenteuil (âgé de 30 ans) qui lui sert d’interprète. D’Ailleboust a fait de nombreux voyages dans le région de Michillimakinac et connaît bien la langue algonquine. Les relations sont bonnes entre l’Algonquine Marie et les Français de Montréal. Elle en connaît plusieurs et ceux-ci la connaissent bien. La tournée de Marie et Amiko commence le vendredi matin chez le cabaretier Pothier où ils boivent, à jeun, une roquille (1/8 pinte ou 116 ml) d’eau-de-vie (voir encadré), après quoi ils vont visiter plusieurs maisons des environs où on leur « donne » un coup à boire. Au cours de l’après-midi, Assaré, Amérindien de la nation des Loups, apporte une chopine (1/2 pinte) d’eau-de-vie qu’ils boivent avec l’Amérindien Occhipa. Par la suite, Marie boit deux coups de vin que lui offre un homme qui lui donne « une robe de castor a passer ». Dans le vocabulaire de la tannerie, « passer » veut dire préparer, traiter des peaux dans des huiles, des graisses, des parfums (dictionnaire Furetière, 1690). Marie affirme qu’à ce moment-là elle n’est pas saoule. Mais, par la suite, elle va boire dans d’autres maisons dont elle ne se souvient pas, ou qu’elle ne veut pas nommer. Pressée par l’interprète d’Ailleboust de dire la vérité, Marie avoue que c’est chez Pothier qu’elle a bu la dernière fois avec son mari pour « trois sols marqués » (un sol marqué est un sol valant 16 deniers). Ensuite, Marie va « escornifler de Costé et dautre ». Marie admet enfin que des soldats ou des officiers l’ont fait boire chez Lagarde.
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Les mesures de volume en Nouvelle-France En Nouvelle-France, les mesures de volume, tout comme les mesures de poids, de longueur et de surface, souffrent de manque de normalisation et prêtent parfois à confusion. Voici tout de même l’essentiel des équivalences courantes : 1 2 2 2 2
roquille = 116,4 millilitres (5 onces anglaises) roquilles = 1 demiard demiards = 1 chopine chopines = 1 pinte (de Paris) pintes = 1 pot
Il y a aussi le « misérable », une toute petite mesure de volume qui équivaudrait à environ 1/4 roquille.
Pas entièrement satisfait du témoignage du 3 décembre de l’Amérindienne Marie, le bailli la fait venir dans son « auditoire » le surlendemain, 5 décembre 1689, et l’interroge de nouveau avec l’aide de Pierre-Charles Le Sueur comme interprète. Comme on le sait déjà, les portes de la maison de Gabriel Cardinal et Anne Fanesèque sont toujours grandes ouvertes, et c’est dans cette maison que Marie est aussi allée pour boire une chopine d’eau-de-vie en échange de « quatre charges de bois ». Après avoir bu cette chopine, Marie et d’autres Amérindiens se rendent dans une maison, non identifiée, et vendent une ceinture pour trois sols marqués qu’ils boivent dans une autre maison dont elle ne se souvient pas ! Comme on le voit, un système de troc est bien établi entre les Amérindiens et les Français. Le bailli insiste et demande à Amiko où il a « traicté » les trois sols marqués ; c’est chez François Cousturier, que le bailli fait venir surle-champ et qui est tout de suite reconnu par le couple
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algonquin. Marie dit enfin, et on peut facilement le comprendre, qu’elle ne se souvient plus de ce qu’elle a fait par la suite parce qu’elle était saoule. Le bailli a tout ce qu’il lui faut : deux témoins reconnaissent Cousturier comme étant celui qui a vendu au couple amérindien pour trois sols marqués l’eau-de-vie « quy a parachevé denyvrer lad[ite] feme ». Le bailli, en conformité avec les ordonnances en vigueur, condamne Cousturier à 30lt d’amende en l’avertissant bien qu’en cas de récidive l’amende sera de 100lt. Cet incident mettant en cause Marie et Amiko n’est pas un cas isolé. Le même jour, un autre Amérindien, un Iroquois « de la Montagne » cette fois, est arrêté pour cause d’ivresse publique. La mission de la Montagne des sulpiciens accueille des familles amérindiennes depuis environ 1675. Par ce regroupement formé à peu de distance de la ville, les sulpiciens essaient de tenir les Amérindiens loin des leurres de la ville, mais la réussite n’est pas complète. Au cours de la matinée du 4 décembre 1689, un dimanche, le bailli veut interroger cet Amérindien. Charles Delaunay, qui « scait Les Langues Irokoises », et qui est convoqué pour agir comme interprète, refuse carrément de jouer ce rôle. Migeon de Branssat, courroucé, le jette sur-le-champ en prison, pour « desobeissance et rebellion » ! On ne badine pas avec la justice. Quelques minutes plus tard, l’interrogatoire débute avec l’aide, cette fois, de Jean Le Gras, interprète du roi des langues iroquoises. À la première question du bailli qui lui demande son nom, la réponse savoureuse de l’Iroquois fait apparaître une différence évidente de culture. « A dit quil estoit de la montagne & na pas voulu dire son Nom disant quil estoit assez Cogneu » ! En effet, pourquoi donnerait-il son nom dans ces circonstances ? On apprend aussi par cet interrogatoire que les Français adoptent des habitudes alimentaires des Amérindiens. En effet, si l’Iroquois peut acheter de la veuve Duvernay deux roquilles d’eau-de-vie pour six sols marqués, c’est qu’il vient de lui vendre « un demi Minot
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de bled d’Inde » pour douze sols marqués. La pauvre veuve Duvernay écope d’une amende de 50lt et est menacée d’une amende de 100lt si elle récidive. Ces deux incidents du début de décembre 1689 mettent en évidence des réalités quotidiennes qu’il ne faut pas sousestimer. Les Amérindiens sont omniprésents dans Montréal, et au hasard des interrogatoires qui ont lieu ce jour-là on y révèle la présence d’Algonquins, de Loups et d’Iroquois. Les Amérindiens connaissent bien les habitants de Montréal, vont boire chez eux — l’eau-de-vie est très facile à trouver — et échangent biens et services avec eux. Le mode de vie des Français est certainement influencé par cette présence qui contribue par ailleurs, dans une certaine mesure, à la sécurité de la ville. Anne Marie Fanesèque et Gabriel Cardinal côtoient des Amérindiens tous les jours et jouent le jeu de la cohabitation malgré de grandes différences culturelles.
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ichel Leblond ne peut plus supporter la vie dans la rue Saint-Jacques, près d’Anne Charlotte Le Roux et de sa belle-mère Anne Marie Fanesèque. Il décide donc de partir. René Cullerier, qui demeure rue Saint-Paul, est d’accord pour échanger sa maison de pièce sur pièce, couverte de bardeaux, située sur un terrain de 30 pieds de large, contre la maison de Michel Leblond, aussi de pièce sur pièce, située sur un emplacement de 30 pieds de large sur la rue Saint-Jacques. On se souviendra qu’il s’agit de la maison qu’il a achetée moitié-moitié avec Gabriel Cardinal le 12 septembre 1687. La moitié achetée par Gabriel Cardinal et Anne Marie Fanesèque a été donnée à Anne Charlotte Le Roux par son contrat de mariage. La maison de Cullerier vaut plus cher que celle de Michel Leblond et celui-ci doit payer 200lt en plus de sa maison. Leblond verse cette somme comptant « en petites pieces de quatre sols huit deniers » ! La transaction est conclue devant le notaire Hilaire Bourgine le 25 juillet 1690. De quel droit Michel Leblond dispose-t-il de la moitié de la maison qui a été donnée à sa femme ? Quand il s’agit d’argent, on joue toujours très serré devant le bailli. Ainsi, le 13 février 1691, le tailleur de pierres Urbain Bouvier réclame 9lt à Gabriel Cardinal « pour un cartier de vache ». Gabriel affirme que c’est là un marché fait par sa femme. On envoie chercher Anne Marie Fanesèque qui
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confirme qu’un tel marché a été conclu avec Bouvier, mais qu’elle devait « passer » (traiter) la peau de la bête d’où provenait le quartier pour la somme de 6lt. Pour la différence, elle devait faire un manchon. La version est contestée par Bouvier et, après le serment prêté par Anne Marie, le juge accepte les deux marchés, oublie le manchon et les Cardinal devront payer 3lt à Urbain Bouvier. La somme est minime, mais tellement importante quand la subsistance se négocie au jour le jour. En 1691, Callière fait creuser un fossé au pied de l’enceinte de bois de Montréal commencée en 1685. Les semaines de 1691 s’égrènent toutes de la même façon. Anne Marie Fanesèque et sa fille Anne Charlotte sont les joyeuses et complaisantes hôtesses de leur petit cabaret de la rue SaintJacques, Gabriel Cardinal prend toujours un petit coup, ne refuse jamais une bagarre et travaille où il peut comme journalier. Ces conditions de vie ne favorisent pas l’harmonie du couple Cardinal qui se désagrège graduellement. Anne Marie et Gabriel se présentent occasionnellement devant le bailli de Montréal soit pour réclamer des sommes dues, soit pour se voir condamner à payer des sommes dues : le 30 mars 1691 pour réclamer 4lt 10s de Pierre Ducharme ; le 24 avril 1691 pour réclamer 5lt 6s 6d de Jacques Barré. Le différend apporté en cour le 6 juin 1691 mérite qu’on s’y attarde quelques instants car il constitue un reflet de vie qui aide à mieux comprendre le mode de vie de tous les jours à Montréal dans la dernière décennie du xviie siècle. Marie Paquereau, veuve d’Anthoine Pichou dit Duvernay, vient demander au juge de condamner Gabriel Cardinal à lui « rendre et restituer » un cochon qu’elle a acheté pour six ou sept livres de la femme de Nicolas Lemoyne l’automne précédent. Gabriel Cardinal proteste et affirme que le cochon lui appartient. Marguerite Jasselin, la femme de Nicolas Lemoyne, intervient pour déclarer que le cochon appartient à Marie Paquereau et qu’elle reconnaît le cochon chez Gabriel Cardinal comme celui qu’elle a vendu à Marie Paquereau, qui
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demande à Cardinal de déclarer combien de cochons il a achetés et combien il en a tué. Cardinal dit qu’il a acheté deux cochons d’Eustache Prévost et un petit d’une « Sauvagesse » (il y a beaucoup d’Amérindiens qui vivent en périphérie de Montréal et qui commercent régulièrement avec les Français alors). Ensuite, il en a tué deux et il lui en reste deux ! Gabriel devra donc rendre son cochon à Marie Paquereau. Le 19 juin 1691, Jacques Faubert poursuit Gabriel Cardinal pour se faire payer « trois mois de ses gages quil a servy led[it] Cardinal cest hiver dernier [...] et a luy rendre ses hardes outils servant a son mestier de maçon et autres choses quil a en son pouvoir ». La version de Cardinal est aux antipodes de celle de Faubert. En effet, il affirme qu’il n’a pas engagé Faubert, qui a passé une partie de l’hiver chez lui, et que c’est lui qui lui doit sa pension et plusieurs autres choses qu’il lui a fournies. En conséquence, il demande au juge que Faubert soit tenu de « compter avec luy », c’est-à-dire de s’entendre avec lui sur les sommes qui lui sont dues. Le bailli est d’accord avec cette suggestion et ordonne que deux amis communs de Faubert et Cardinal serviront comme arbitres et établiront leurs comptes en présence du greffier de la cour ; Faubert choisit Jean Quesneville et Gabriel Cardinal, Maximilien Chefdeville dit La Garenne. Jacques Faubert et Gabriel Cardinal, accompagné de sa femme Anne Marie Fanesèque, sont présents devant le bailli le 17 juillet 1691 pour régler ce différend. Dans leur rapport, les arbitres mentionnent que Cardinal doit payer 70lt 10s à Faubert, mais Cardinal affirme que Faubert ne lui a jamais donné les 60lt en argent qu’il dit avoir remis à Anne Marie Fanesèque — Anne Marie auraitelle caché ce versement à son mari ? — et dit qu’il faut demander à sa femme si elle a reçu cette somme et à Faubert quand et comment il a versé cette somme. Faubert répond avoir donné à la femme de Gabriel Cardinal « peu apres la St martin [le 11 novembre] quil y avoit demy pied de neige » 40lt reçues de Mr Duchesne, 12lt, de Mr de Belmont et 8lt, de Mr Duchesneau. Le juge tranche en faveur de Faubert et
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Gabriel Cardinal devra lui verser les 70lt 10s contenues dans le rapport d’arbitrage... et s’arranger avec sa femme concernant les 60lt qu’elle a reçues. Rien pour améliorer les relations entre ces deux conjoints. Le 1er octobre 1691, Gabriel Cardinal, Anne Marie Fanesèque et Anne Charlotte Le Roux demandent au bailli de Montréal de « separer de biens lad[ite] Le roux davec michel Leblond dit picard menuisier quand aux biens seulle[ment] » et que soit fait un inventaire des biens de la communauté de la manière accoutumée. Raison invoquée : les débauches continuelles de Michel Leblond et le peu de soin qu’il apporte à « l’entretien » de sa femme. Michel Leblond, qui est aussi présent, dit qu’au contraire, si sa femme et lui font mauvais ménage, c’est à cause de sa belle-mère « quy retient chez elle sad[ite] femme et lempesche daller demeurer avec luy ». En conséquence, il demande, encore une fois, que le juge ordonne à sa femme de revenir avec lui. Le bailli acquiesce à cette requête et défend au couple Cardinal de « retenir ny donner retraicte » à Anne Charlotte Le Roux sous peine d’une amende de 150lt et enjoint Michel Leblond de traiter sa jeune épouse humainement. Est-ce que cette nouvelle ordonnance donnera de meilleurs résultats que les précédentes ? Rien ne fonctionne. Les injures et les accusations réciproques continuent comme avant. Le 16 octobre 1691, Anne Charlotte Le Roux revient dire au juge qu’elle ne peut plus vivre avec Michel Leblond car il est un débauché qui dissipe les biens de la communauté et qui ne la fait pas vivre correctement, ce qui l’oblige à se réfugier chez sa mère. Michel Leblond répète que ce n’est pas de sa faute si son ménage va mal, « toutesfois Il consent a la Separa[ti]on de biens ». À l’examen du dossier, le bailli voit bien qu’il n’y a plus rien à faire, accorde la séparation de biens et il en sera fait « bon et fidel inventaire & partage », dont le procès-verbal ne nous est pas parvenu. Enfin, le bailli défend à Leblond « sous peyne damande arbitraire doutrager lad[ite] Le Roux en sa personne & biens » mais aussi à Anne Charlotte « de lInduire et pro-
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voquer a Ce faire ». Le juge voit bien que les torts ne sont pas tous du même côté. Jean-François Musmach sieur de Mingault a vendu son fonds de commerce à Montréal dans l’intention de retourner en France avec toute sa famille. Gabriel Cardinal a vent de l’affaire et se dépêche d’aller devant le bailli pour réclamer les 39lt 1s que lui doit le marchand, moins 6lt 18s qu’il doit au marchand. Cette démarche est urgente car le marchand doit s’embarquer ce jour-là, le 5 novembre 1691, « dans un canot decorce avec sa femme et Enfants », sans le payer. Le juge empêche le marchand de partir, l’oblige à consigner la somme due entre les mains d’un marchand ou chez le greffier pour en garantir le paiement, « A quoy faire Il y sera constraint par prise et saisie de ses biens & Effects a luy app[artenan]ts Jusques a concourrance de lad[ite] somme de 32lt 3s ». De plus, le marchand devra payer les frais de cour qui s’élèvent à 4lt 7s. Le marchand Musbach ne quitte pas Montréal en 1691 car, ce jour-là, 5 novembre, sa femme donne naissance à une fille, leur quatrième enfant, qui est baptisée le même jour. Cette enfant meurt et est inhumée à Boucherville le 5 décembre 1691. Compte tenu de la séparation de biens entre Michel Leblond et Anne Charlotte Le Roux et des relations tendues entre ces conjoints et les Cardinal, il n’est pas surprenant que le contrat d’échange qui est intervenu le 25 juillet dernier entre Michel Leblond et René Cuillerier « sera nul resolu & comme non fait ny passé », suivant une entente signée le 7 décembre 1691 devant le notaire Anthoine Adhémar entre René Cuillerier, d’une part, et Gabriel Cardinal et Anne Marie Fanesèque au nom d’Anne Charlotte Le Roux, d’autre part. René Cuillerier achète alors tout simplement la maison de la rue Saint-Jacques et Gabriel Cardinal se charge de faire acquiescer Michel Leblond, ce qui est fait deux jours plus tard. Le 18 décembre 1691, Jean Vincent Philippe, écuyer du sieur de Hautmenil, « comparant par la demoiselle sa femme »,
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requiert devant le bailli de Montréal qu’Anne Marie Fanesèque lui rende une peau de vache « passée » (c’est-à-dire traitée) offrant de lui payer trois pintes de vin qui restent des deux pots qu’elle doit lui donner pour effectuer ce travail (1 pot = 2 pintes). Lorsqu’on appelle sa cause, Anne Marie Fanesèque sort de la salle d’audience. Pourquoi ? Ce geste la rend « deffaillante » ; elle devra donc rendre la peau de vache, tel que l’exige la demoiselle Hautmenil. Depuis plus d’un an, Gabriel Cardinal coupe son bois de chauffage dans la forêt des seigneurs de l’île, sans leur permission. Il se fait prendre. Le 18 décembre 1691, Jacques Cauchois, le gardien de la forêt seigneuriale, demande à la cour de faire déclarer sous serment à Gabriel Cardinal combien de cordes de bois il a prises dans la forêt l’an passé et au cours de la présente année. Gabriel prête serment et déclare que l’année dernière, il a enlevé de la forêt, 41/2 cordes de bois et cette année, 31/2 cordes ; de plus, il dit qu’il y a encore 2 cordes de bois de faites dans la forêt, soit un total de 10 cordes. Intervient alors le substitut qui explique que, d’une façon plus générale, des personnes font du bois dans la forêt sans permission, ne coupent pas les fardoches « et choisissent les bois et ne prennent pas a toutte main ». Le substitut demande donc à la cour d’intervenir pour redresser cette situation. Le juge règle d’abord le cas de Gabriel Cardinal qui devra payer 100 sols pour les dix cordes de bois, « dix sols par corde ainsy quon est accoutume de paier ». Le bailli décrète ensuite qu’il fait défense à toute personne de couper du bois dans la forêt seigneuriale sans la permission écrite des seigneurs ou de leur mandataire à peine de 20lt d’amende et de confiscation du bois qui se trouvera fait dans la forêt. De plus, ceux qui auront la permission de couper du bois « seront tenues dabattre les ferdoches & prendre le bois a toutte main ». Cette ordonnance sera lue, publiée et affichée partout où ce sera nécessaire. Et Gabriel Cardinal devra payer 17s de frais de cour. Gabriel Cardinal n’a pas de chance avec son bois. Dans la nuit du 20 au 21 décembre, il se fait voler une corde de bois
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par Jean Auger dit Baron. Gabriel s’en plaint au tribunal le 22. Heureusement qu’un voisin d’Auger, qui s’est rendu compte de l’arrivée du bois vers trois heures du matin, est venu témoigner en faveur de Gabriel. Le voleur est condamné à rendre à Gabriel une corde de bois (ou une valeur équivalente) et à 3lt d’amende. Le juge le prévient qu’en cas de récidive l’amende sera beaucoup plus forte, sans toutefois en préciser le montant.
chapitre 13
La séparation
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es relations deviennent de plus en plus mauvaises entre Anne Marie Fanesèque et Gabriel Cardinal. Anne Marie ne cache pas les activités de son cabaret qui causent scandale à Montréal. Elle défie les autorités et vend des boissons alcooliques à sa guise dans sa maison qui, on ne peut le cacher, ressemble à un bordel. Gabriel, de son côté, ne dédaigne pas les bagarres et se montre parfois violent, même à la maison. L’abcès aboutit le 18 janvier 1692 quand Gabriel Cardinal dépose devant le bailli une requête en séparation de biens d’avec Anne Marie Fanesèque. Curieusement, les raisons invoquées pour obtenir cette séparation sont surtout d’ordre économique plutôt que moral. En effet, Gabriel demande au bailli d’accorder la séparation « tant a cause des emprunts quelle a faits et fait tous les jours sans son sus ny consentem[en]t, que de la dissipa[ti]on quelle fait mal a propos des biens du demand[eu]r du tres mauvais menage quelle fait quy le reduiroit a la derniere misere ». De son côté, Anne Marie affirme « quelle se trouve bien de son mary et soppose a lad[ite] separa[ti]on et ny veut nullement entendre et dit quelle ne fait mauvais mesnage » ! Elle saisit toutefois l’occasion pour demander que son mari lui remette l’inventaire et autres papiers qu’il lui a pris et qui concernent la succession d’Hubert Le Roux, son premier mari. Le juge, prudent, demande plus ample justification à Gabriel Cardinal avant de
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donner suite à sa requête. En d’autres termes, des témoignages seront nécessaires pour appuyer son point de vue. La cause sera entendue par « Jacques Alexis de fleury Escuyer Sieur deschambault Licentié es loix advocat au parlement de paris et baillif juge civil et criminel de lisle de Montreal en la chambre de [l’]auditoire ». Gabriel Cardinal fera entendre les témoins suivants : Marie Magdeleine Lalonde (femme de Guillaume Daoust, demeurant rue SaintJacques), Alexandre Benoît et sa femme Catherine Garnier (demeurant rue Saint-Jacques), Jean Baptiste Texier dit Lavigne et son frère Jean (demeurant rue Saint-Jacques), Marguerite Jasselin et son mari Nicolas Lemoyne (demeurant rue Saint-Joseph), Mathurin Guillet et sa femme Charlotte Lemoyne (demeurant rue Saint-Jacques). Les témoins sont assermentés le 23 janvier 1692, en l’absence remarquée et notée d’Anne Marie Fanesèque, et les témoignages commencent à deux heures de l’après-midi. Ils tournent tous autour du fait que les époux Cardinal se querellent, se battent fréquemment et causent du vacarme dans le quartier, et qu’Anne Marie Fanesèque, souvent ivre, crie dans la rue et sur tous les toits que son mari, Gabriel Cardinal, couche avec sa fille Anne Charlotte Le Roux. Anne Marie a même dit aux frères Texier que Gabriel Cardinal couchait avec leur mère. Le 26 janvier 1692, Gabriel Cardinal et Anne Marie Fanesèque se retrouvent devant le bailli pour sa décision finale. Anne Marie dit « quelle a pris conseil de ses amis sur la sépara[ti]on de biens demandée par led[it] cardinal son mary, a dit que le mauvais ménage que son mary et elle font ne provient pas de sa fautte et que cest plustot par la faute de son mary, néansmoins a consenty et consent volontiers a lad[ite] separation ». Tout considéré, le juge décrète la séparation « quant aux biens seulement » de Gabriel Cardinal et d’Anne Marie Fanesèque et leur ordonnent de faire « bon et fidel Inventaire et partages » de leurs biens. En fait l’inventaire est déjà commencé. Après plusieurs tentatives de la part d’Anne Marie pour le retarder, il débute
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le 24 janvier en présence du bailli et du greffier de la cour qui se sont rendus dans la petite maison des Cardinal sur la rue Saint-Jacques. Il permet de constater que ce couple possède non seulement des articles et ustensiles nécessaires à la vie quotidienne, mais aussi des objets qui témoignent d’une certaine aisance, en particulier de l’argenterie, qui n’est pas commune dans la maison des habitants. « Dans la chambre a feu, du coste et joignant Le Sr Cuillerier a esté trouvé un chalit de merisier entouré d’un tour de lict de serge de Caen verte, trois couvertes deux vertes et une blanche, deux draps toille de meslis demy usés, un lict de plume neuf, deux oreillers plaine de plume couverts d’une test de toille, une paillasse de Grosse toille et un traverssin » de même que tables, tapis, chaises, chenets, crémaillère, huche, « une tasse d’argent ou Il y a des armoiries d’Un coste avec un JC & de l’autre coste GC » et une autre tasse « en croisillée marque d’un C & dUn G ». La vocation de cabaret de la maison se reconnaît par la variété de mesures (« une roquille, un demyar, deux choppines, une pinte et un pot, un miserable ») et de plats (« Deux moyens plats, deux Grands bassins, deux escuelles à oreille, vingt cinq assiettes, quatre Grands plats, deux petits, trois mazarines, un bassin et une assiette, deux pots à l’eau [...] un vinaigrier [...] deux porte plats, trois salières, trois pots de chambre, le tout d’Estain ») qu’on y retrouve. Des chaudières, deux fromagers de ferblanc, des seaux ferrés, des marmites et un gril complètent le contenu de cette pièce principale de la maison. Dans un cabinet situé à côté de la pièce principale, il y a « une couchette en pavillon, Garny de deux Couvertes blanches usées, une courtepointe, un matela de layne avec une pailliasse, le pavillon dune grosse ratine verte » de même qu’une table carrée en merisier, deux chaises et une armoire à deux portes fermées à clé et scellées par le bailli. Sur les murs, un miroir et un « tableau ou est un crucifix a quadre doré ». À la cave, il n’est pas surprenant de trouver une barrique d’eau-de-vie pleine et une contenant environ six pots, une
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barrique de vin d’Espagne contenant environ vingt pots et « un rolle de tabac du pais pesant Environ quarante cinq livres ». Au grenier, une scie de long, quatre quenouilles de lit et une barrique d’avoine. Enfin, dans la pièce à côté de la pièce principale où il y a une cheminée, on inventorie un « chalit en merisier Entouré d’un tour de lit Jaune, une table carrée avec un tapis jaune, une table En pliant couverte d’un tapis de bergame », un moulin à poivre, une paire de chenets, une bassinoire, deux lèchefrites, une tourtière, deux poêlons, une passoire, deux cuillères à pot, un entonnoir, une chaudière jaune, cinq grandes terrines, huit bouteilles de verre (une de cinq chopines, quatre d’une pinte et deux d’une chopine et une d’un demiard). Tous les objets et articles inventoriés restent, avec l’accord de Gabriel Cardinal, dans la maison de la rue Saint-Jacques « au pouvoir et Garde » d’Anne Marie Fanesèque. Deux jours plus tard, on procède au partage de tous les « meubles » inventoriés : Premierement de tout lestaing Inventoriez aud[it] Inventaire led[it] Cardinal en auroit fait deux lots les plus juste quil Luy a esté possib[le] Ensuite a donné a Choisir a lad[ite] vendezeque Laquelle auroit pris un desd[its] lots & led[it] Cardinal l’autre dont ils se seroient teneus Comptants & satisfaits. Item a esté Conveneu entre lesd[its] Cardinal et vendezeque sa femme que led[it] Cardinal aura la tasse dargent croiselle & la petitte tasse dargent moyenne Et lad[ite] vendezzeque aura la tasse d’argent ou Il y a des armoiries d’un costé avec un J :C et de l’autre costé G :C Et led[it] Cardinal en consideration de Ce a quitte a lad[ite] vendezzeque sa femme La part & moitié des Terrines Inventoriées ausdit Inventaire dont lesd[ites] parties sont demeurez comptant et Chacun sest contenté desd[its] partages. I : a esté conveneu entre lesd[ites] parties que la femme dud[it] Cardinal aura les chenets quy sont au foyer de la cheminée de la ma[is]on vielle, La cremalliere et une pesle a feu & led[it]
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Cardinal aura un petit paire de chenets quy ont de petites pointes au bout Et Comme le lot de lad[ite] vendezeque est plus fort que celui dud[it] Cardinal Lad[ite] vendezeque a promis payer aud[it] Cardinal huit livres a quoy led[it] Cardinal a consenti. I : Touttes les chaudieres Inventoriées ausd[it] Inventaire ont été partagées entre Lesd[ites] parties dont sen sont contentes. I : a esté séparé entre lesd[its] Cardinal et sa femme deux seaux ferrés deux martinets deux marmittes de fer et une de Cuivre un meschant gril trois faucilles, un moulin a poivre, une bassinoire, une leschefritte une Tourtiere deux poislons une passoire deux cullliers a pot une Escumoire et un Chandellier de letton jaune et du tout a esté fait deux lots par Led[it] cardinal et Ensuitte lad[ite] vendezeque a choisy & En a pris un et led[it] Cardinal l’autre.
Et un peu plus tard dans l’après-midi : En premier lieu led[it] Cardinal auroit propose a lad[ite] vendezzeque de prendre lun des deux morceaux de serge de caën verte, le miroir, le crucifix avec son cadre doré, le tappis vert ainsy quest porte aud[it] Inv[entair]e cy dessus par nous fait le lict et la couchette quy sont dans la vielle ma[is]on garnis la garniture de la (chambre) qui est a la maison vielle avec la courte pointe, Et que led[it] Cardinal prendroit Le chalit et lict Jaune quy est a La ma[is]pon neufve joignant la susd[ite] avec la table, et le tapis jaune et la garniture du [...], Et que lad[ite] vendezeque metroit aud[it] lit jaune deux draps et un oreiller lui rendroit seize Livres, laquelle proposition lad[ite] vendezeque auroit accepte et promis payer aud[it] Cardinal Lesd[ites] seize Livres & de metre aud[it] lict jaune deux draps et un oreiller. Touttes les chezzes ont été separées Entre lesd[ites] partie par moitié A este concleu que la husche demeurera a lad[ite] vendezeque a la charge quelle baillera trois livres aud[it] Cardinal. Les courroyes et peaux passées en blanc ont este separez par moitié & led[it] Cardinal a Ceddé à lad[ite] femme la corde
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de bois que lavigne luy doibt. Déclarent lesd[its] Cardinal et sa femme que la barrique deaudevie plaine quy est a la Cave quil en Est deubt de rester au S[ieu]r Millot quatre vingts seize livres que le surplus a esté payé des deniers de marie charlotte le Roux fille de lad[ite] vendezzeque quils consentent que lad[ite] le Roux prenne lad[ite] Eaudevie en payant lesd[ites] quatre vingts seize livres aud[it] Sr millot, Ce que lad[ite] le Roux a accepté et promis payer aud[it] Sr millot lesd[ites 96lt]. A esté conveneu entre lesd[its] Cardinal et sa femme que Le vin quy reste dans la barique environ vingt pots demeurera a lad[ite] vendezzeque en payant par Elle aud[it] Cardinal pour sa part & moitié du vin six livres. Conveneu aussi que le tabac du pais quy est inventorié par led[it] Inv[entai]re que lesd[ites] presentes ont estimé entre eux a quarante quatre Livres pesant & a vingt sols la livre demeurera a lad[ite] vendezzeque En payant par elle aud[it] Cardinal vingt deux livres pour Sa part et moitié dud[it] tabac.
On ouvre ensuite l’armoire à deux portes qui avait été scellée, on trouve dans celle-ci plusieurs nappes, serviettes et draps de même qu’une cassette « rompue liée et garrottée avec une corde » qui contient 114lt 4s 8d « en cinq escus blancs neufs, dix Escus blancs vieux, quatre pièces de quarante sols Vielles, cinq pieces de vingt sols, 16lt 14s 8d en sols marqués & en petittes pieces 20lt 14s ». Un partie de cet argent servira à payer les coûts de la séparation. Le 30 janvier 1692, c’est le partage des bestiaux et autres « meubles ». Gabriel a le cheval, ses harnais, un cabrouet et un minot d’avoine, tandis qu’Anne Marie garde les deux vaches, un veau, un cochon et « tout le fourrage quy est à la maison, Cinquante bottes de foin quy sont a bouchairville, le fourrage et les gerbes de bled quy sont a la grange de lavigne le reste de lavoine quy est a la maison ». Anne Marie garde aussi la grande armoire et, à la fin, on équilibre le partage au moyen de sommes d’argent savamment calculées.
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Le 21 février 1692, le marchand Charles de Couagne consent un billet de 35lt 2s 8d à Gabriel Cardinal. Fait pas courant, il s’agit d’un billet sous seing privé signé par les témoins Janvrin Dufresne et René Cuillerier. Gabriel Cardinal est toujours à court d’argent. Maison à louer. Gabriel Cardinal et Anne Marie Fanesèque ont fait poser « des billets à la porte de l’Esglise de cette paroisse et autres lieux accoutumés Et fait a sçavoir à tous quil app[artiend]ra que les maison emplac[emen]t et deppendances quils ont en cette ville rue St. Jacques estoient a Louer pour un an ». Ce jour-là, le 9 avril 1692, sera déterminé à l’enchère le montant du bail judiciaire qui sera homologué par le bailli. Le loyer de départ est de 200lt pour l’année, c’est l’offre de Gabriel Cardinal ; Anne Marie Fanesèque renchérit, 202lt ; Gabriel, 203lt ; Lory, le tuteur des enfants Le Roux, 204lt ; Gabriel, 205lt ; Anne Marie, 206lt. Comme personne d’autre ne renchérit, la maison lui est adjugée par bail judiciaire à payer de la façon suivante : un tiers à Gabriel Cardinal, un tiers aux enfants mineurs Le Roux, l’autre tiers lui revenant. Pour un an, Anne Marie conserve la maison de la rue Saint-Jacques et pourra ainsi continuer ses « activités » habituelles. Le loyer est payable trimestriellement. Gabriel Cardinal a besoin d’argent car il doit bientôt partir pour les « 8ta8ois ». En effet, le 11 avril 1692, devant le notaire Anthoine Adhémar, il « promet et soblige daller aux pais des 8ta8ois » pour le sieur Le Sueur « pour revenir Lauthomne prochain et dayde en revenant à dessendre un canot chargé de castors et pelleteries desd[its] jusques en cette ville ». Pour sa peine, Gabriel Cardinal recevra à son retour à Montréal 150 livres « en castors au prix du bureau de quebec ». Le 30 avril suivant, les frères Louis et Jacques Tétreault, Pierre Cadieu et Gabriel Cardinal s’obligent solidairement envers le marchand Janvrain Dufresne pour la somme de 236lt 1s « pour lequipement de leur voyage » des « 8ta8ois ». Au cours de 1691, Anne Marie Fanesèque a loué une prairie de Pierre Gadois pour huit livres, somme qu’elle n’a pas
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payée. Le 15 juillet 1692, Gadois se doit de l’amener devant le bailli pour tâcher de se faire payer. Anne Marie admet bien qu’elle a effectivement joui de la prairie en question « mais quon ne luy a pas monstré les tenants et aboutissants » ! Le juge la condamne quand même à payer Gadois plus les frais taxés à huit sols. Le 29 janvier 1693 suivant, Gadois revient encore en cour pour tâcher de se faire payer. Décidément, Anne Marie Fanesèque se fait encore tirer l’oreille. La séparation de biens est réglée. Anne Marie Fanesèque voit à ses affaires et à celle de ses enfants mineurs. Le 26 février 1692, elle fait assigner son mari devant le bailli et lui demande d’abord de rendre compte aux enfants mineurs de la gestion et de l’administration qu’il a faites de leurs biens et de « rendre tous les papiers et tiltres quil a Emporte Concernant les Immeubles desd[its] mineurs provenant de leur deffunt pere ». Dans un deuxième temps, Anne Marie demande au juge de « créer une curatelle ausd[its] mineurs pour régir & gouverner leurs biens et affaires ». Gabriel fait savoir par son procureur Lory qu’il n’a emporté aucun titre ou papier appartenant aux enfants mineurs d’Anne Marie et que, d’autre part, il n’a aucune objection à ce qu’on procède à l’élection de tuteurs à ces enfants. Le juge autorise donc Anne Marie à organiser une assemblée de parents et d’amis communs pour procéder à cette élection. À cet effet, le 11 mars suivant, elle réunit dans la « chambre dauditoire », Gabriel et Jean Cardinal, Abraham Bouat, Jean Martinet de Fondblanche, Gilles Galipeau, Guillaume Goyau dit Lagarde, François Lory, Jean Quesneville et Pierre Perthuis. Après avoir prêté serment de « donner bon & fidel avis », les personnes présentes élisent unanimement, d’une part, Gabriel Cardinal comme tuteur de son fils Jean (8 ans et 9 mois) avec Jean Martinet comme subrogé tuteur et, d’autre part, François Lory comme tuteur d’Anne Charlotte (16 ans et 8 mois) et de Jean Baptiste Le Roux (13 ans et 3 mois) et Abraham Bouat, comme subrogé tuteur. Le bailli accepte ces choix et leur fait prêter serment de faire leur devoir à cet égard.
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Le même jour, au cours de l’après-midi, Gabriel Cardinal signe une obligation de 379lt 15s envers Paul Lemoyne de Maricourt pour des marchandises qui lui ont été précédemment livrées à lui et à sa femme, Anne Marie Fanesèque. Cardinal s’engage à payer cette somme à demande « en bon castors au prix du bureau de quebec » et prend la peine d’ajouter à la fin de l’acte qu’il se réserve le droit de se faire rembourser la moitié du montant de l’obligation par sa femme, Anne Marie Fanesèque ! Et, à l’instant, il verse un premier acompte de 120lt. Le 26 mars 1692, André Rapin réclame à Gabriel Cardinal et à Anne Marie Fanesèque « dix sept chats sauvages a douze sols piece & cinq Livres en argent ». Ils reconnaissent bien cette dette et paieront dès que possible. Le grand moment de vérité est arrivé. Le 1er avril 1692, Gabriel Cardinal et Anne Marie Fanesèque se présentent devant le bailli pour faire reconnaître officiellement ou homologuer les dettes de leur communauté et se répartir ces dettes. On apprend qu’à cette date Gabriel Cardinal n’habite plus sa maison de la rue Saint-Jacques, mais bien l’auberge d’Isaac Nafrechoux, rue Notre-Dame. D’autre part, Anne Marie est assistée de son procureur et ami Jean Quesneville et de François Lory comme tuteur d’Anne Charlotte et Jean Baptiste Le Roux, mineurs. Il semble bien qu’à cette date Jeanne, la dernière fille d’Anne Marie, est décédée, à une date inconnue. Les deux parties, papiers en mains, établissent la liste des dettes de leur communauté et le juge déclare qu’il lui est apparu « quil est deub a plusieurs particuliers et marchants de cette ville » la somme de 821lt 2s, somme considérable pour un journalier et sa femme. Voici comment sera redistribué le remboursement de ces dettes : Tout d’abord, Gabriel s’engage au paiement des sommes suivantes : au Sieur de Maricourt au Sieur dufresne marchant
379lt 4lt
15s
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l’allemande Sieur Soumande marchant Sieur Guillet Sieur Guillory Sueur
50lt 4lt 1lt 8lt
16s
pour un total de 447lt 11s, qui représente plus de la moitié des dettes de la communauté. Gabriel, bon joueur malgré tout, prend à sa charge plus de 50 % des dettes quand, en principe, il n’aurait qu’à payer le tiers, c’est-à-dire la part qui « revient » à chacun des trois enfants mineurs. Gabriel Cardinal prend sans doute en considération le fait que sa femme n’a pas beaucoup de ressources à sa disposition et que lui, qui doit bientôt s’engager pour l’Ouest, a la possibilité de gagner une bonne somme d’argent. Anne Marie Fanesèque, de son côté, aura à payer 373lt 11s, à savoir : a Monsieur Leber a Monsieur Soumande au Sieur Malhiot au Sieur Juchereau au Sieur Dupré au Sieur Perthuys au Sieur de Couagne au Sieur Charron au nommé Rapin a mademoizelle St George
97lt 127lt 10lt 49lt 40lt 35lt 15lt 2lt
1s
6d
3lt 13s 3lt
5s 3s
10s
Il ne fait aucun doute qu’Anne Marie Fanesèque devra redoubler d’ardeur dans son cabaret pour réussir à payer cette grosse somme d’argent. Qu’elle soit dans la légalité ou dans l’illégalité, elle n’a pas le choix. Le bailli donne acte aux parties de cet arrangement et lui donne force de loi. Il ne reste à Gabriel Cardinal et Anne Marie Fanesèque qu’à s’exécuter. À cause de tous ces événements des dernières semaines, Anne Marie a les nerfs à fleur de peau, elle est nerveuse et irritable. Au cours d’un échange avec sa belle-sœur, Louise Arrivé, elle se laisse emporter et lui lance par la tête qu’elle « avoit eu le fouet et la fleurdelys &
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quelle avoit esté attachée au carcan ». Quelles paroles atroces et injurieuses à prononcer à l’endroit d’une personne au xviie siècle ! Avoir la fleur de lys veut dire être marqué au fer rouge d’une fleur de lys. Cette flétrissure, une peine afflictive et infamante, désigne un délinquant comme tel pour la vie. Cette peine accessoire n’est imposée que pour des offenses jugées très graves. On comprend Louise Arrivé, dans les circonstances, d’amener Anne Marie Fanesèque devant le bailli pour lui faire déclarer qu’elle a prononcé ces injures « malicieusement & contre toutte veritté ». De plus, elle demande au bailli la permission de faire publier partout où bon lui semblera la sentence qui sera prononcée. Tout cela se passe encore le 1er avril 1692. Deux causes dans la même journée, c’est beaucoup pour Anne Marie. Pour toute défense, Anne Marie Fanesèque ne peut que dire « quelle na pas Creu dire Cella sen desdit & tient [Louise Arrivé] et repette pour femme dhonneur ». Malgré ces paroles de repentir, le bailli la condamne à déclarer, séance tenante, devant toutes les personnes présentes, « que Malicieusement & sans subject elle a dit que lad[ite] demand[eres]se avoit eu le fouet La fleurdelys et quelle avoit est mise au carcan dont sen repent et En demande pardon à Dieu au Roy a justice et a lad[ite] Arrivé ». Par trois fois, le bailli demande à Anne Marie de « satisfaire a [la] senten[ce] », ce qu’elle refuse « avec mespris ». Devant un tel comportement inacceptable dans une cour de justice, le bailli ordonne aux huissiers de mettre Anne Marie Fanesèque « dans la chambre de la Geolle et luy f[aire] passer le guichet », c’est-à-dire de l’écrouer, de l’inscrire au registre de la prison. L’ordre est exécuté sur-le-champ. On ne badine pas avec la justice. La nuit porte conseil. Le lendemain, Anne Marie adresse une requête au bailli et le supplie humblement de la libérer car elle est alors prête à satisfaire à la sentence prononcée la veille. Le bailli accepte sa demande et Anne Marie, à trois heures de l’après-midi, dans la salle d’audience et en présence de Louise Arrivé, Pierre Perthuys, Isaac Nafrechoux et
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La rue Saint-Jacques, à Montréal, au nord de la place d’Armes (2003). La petite maison de bois qu’habitait Anne Marie Fanesèque dans le dernier quart du xviie siècle était située un peu à gauche de l’imposant portique corinthien du siège social de la Banque de Montréal. Cet édifice néo-classique date du xixe siècle.
Gabriel Cardinal, demande tous les pardons imposés par le tribunal. Il faut vite tourner la page, il reste beaucoup d’autres choses à régler.
chapitre 14
Grosvin
L
es Amérindiens sont omniprésents dans Montréal à la fin du xviie siècle. Ce sont, pour la plupart, des Amérindiens dits domiciliés de la mission des jésuites du SaultSaint-Louis ou de la mission des sulpiciens de la Montagne. Ils fréquentent la ville et entretiennent des relations généralement amicales avec les Français. Ils vendent aux Blancs des canots, des mocassins, des raquettes, du maïs, des animaux domestiques, des peaux, etc. Ils fréquentent inévitablement les nombreux cabarets de la ville qui, malgré toutes les défenses des autorités, les hébergent souvent pour la nuit. On y voit aussi des Amérindiens de passage qui campent un peu partout le long des fortifications. Anne Marie Fanesèque devient de plus en plus osée dans ses agissements. Avec sa fille, elles sont des hôtesses carrément scandaleuses suivant les critères du temps — et probablement aussi suivant les critères d’aujourd’hui — accueillant à toute heure du jour ou de la nuit aussi bien Amérindiens que Blancs. Le mardi 24 mars 1693, un Amérindien du Sault nommé Grosvin arrive chez Anne Marie Fanesèque vers sept heures du matin et fait festin d’un chien avec sept ou huit autres Amérindiens tant du Sault que de la Montagne. Ce chien, c’est Anne Marie qui lui a vendu. Ils le font cuire chez Anne Marie et le mangent sur la galerie. Anne Marie et Anne
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Charlotte donnent à leurs invités un ou deux demiards d’eaude-vie qu’Anne Charlotte va chercher chez monsieur St-Germain. On fait la navette quelques fois pour fournir les Amérindiens en eau-de-vie. Grosvin et ses amis finissent de manger leur chien vers midi et vont ensuite se promener dans les environs où ils trouvent facilement des âmes charitables qui remplissent leurs gourdes d’eau-de-vie. Sauf un qui couche sur la galerie, les autres s’en vont à la fin de la journée. Au cours de l’après-midi, deux Amérindiennes viennent à l’heure des vêpres et font de la sagamité avec le bouillon du chien. [La sagamité est une sorte de soupe faite à partir de farine de maïs enrichie de légumes (courges ou fèves rouges, par exemple), de viande (orignal, ours, chien, castor, etc.) ou de poisson, suivant les disponibilités du moment.] Un incident grave survient toutefois au cours de l’après-midi. « Grosvin prit querelle avec un autre sauvage auquel il donna un coup de casse teste par la temple de loeuil avec lequel il lestendit a demy mort dans la place. » La commotion attire des gens, même un des prêtres du Séminaire qui vient s’enquérir de l’endroit où se trouve l’Amérindien qui est mort. Anne Marie Fanesèque lui montre un Amérindien couché près du feu à qui elle tâche de faire avaler de l’eau. L’Amérindien reste là, comme mort et sans parole, « pendant un ave maria » — expression savoureuse — avec un pouls très faible. Voyant cela, Anne Marie, qui est certainement une femme costaude, le transporte dans une autre chambre. S’adressant alors à Grosvin, elle lui demande pourquoi il a frappé cet homme. Il répond : « Il a vendu mon capot. » Un quart d’heure plus tard, miracle, l’Amérindien se relève et va s’asseoir avec des soldats près du feu. Devant la gravité des événements, les autorités judiciaires prennent l’affaire en main et le jeudi 26 mars, au cours de l’après-midi, on interroge Anne Charlotte Le Roux sur les événements du 24, de même qu’Anne Marie Fanesèque, qu’on fait emprisonner pour s’assurer de sa présence en cour. Les réponses sont assez évasives sur la provenance et la
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quantité de l’eau-de-vie qu’ont bue les Amérindiens. Comme dit Anne Marie à un moment donné : « ...elle ne prend point Garde a des choses dont elle na que faire » ! Anne Marie est « remise ez mains du Geollier pour la Radmener en sa prison » en attendant le jugement de la cour. Depuis des mois, Anne Marie Fanesèque fait fi des ordonnances judiciaires et continue toujours de garder ouvert son cabaret bien spécial de la rue Saint-Jacques. Elle est peutêtre allée trop loin. Le long jugement du 31 mars 1693 montre la gravité de la situation pour Anne Marie cette foisci. Voici des extraits de ce jugement : « Veu par nous Jacques Alexis de fleury Deschambault advocat en parlement baillif Juge civil et criminel de lisle de monreal, Linterrog[atoi]re par nous fait et les reponses sur yceluy rendues en justice par anne charlotte Le roux fille de marie anne vandezeque sa mere cabaretiere en cette ville ; Ensemble celuy que nous avons aussi extraordinairement fait de la ditte marie anne vandezeque femme à pr[ése]nt separé de biens davec gabriel cardinal son mary accusée et emprisonnée es prizons de nostre bailliage du 26e du mois dernier par lordre de Monsieur de chevallier de Calliere nostre gouverneur pour cause de scandalle quelle fait actuellement, par le debit d’eau devie Et quelle Cauze Journellement dans sa maison par les Sauvages quelle a Enyvres par plusieurs fois avec exces et particullierement la derniere feste de pasques dernier 24e du mois dernier qui cauza entre les dits sauvages des querelles tres sanglantes et les obligea de sentrebattre Jusques a pres de mort dhomme a cauze de lyvresse ou ils estoient par de leau de vie que ladite vandezeque leur auroit traitté et fait boire dans sa maison avec excez et au mespris de tout reglement, et contre touttes desfances a elle cydevant faites par Nos seigneurs les gouverneur et lintendant dans ce pais ; et notamment le 22e daoust dernier de l’année 1692 par Monseigneur le Conte de frontenac nostre gouverneur general [...] Et tout considéré, nous baillif susdit avons declaré et déclarons la ditte marie anne vandezeque dhuement atteinte et convaincue de l’exces du debit quelle a fait deau de vie aux dits sauvages le 24e
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dernier de ce mois et davoir par yceluy cauzé le scandalle et les batteries arrivées en sa maison entre les dits sauvages le mesme jour au soir par lyvresse, dans laquelle ils estoient, et les avoit seduit par ladite eau de vie quelle leur y avoit traittés, et fait boire dans la ditte maison ; pour reparation de quoy nous avons ordonné et ordonnons que la ditte vandezeque accuzée et emprizonnee sera mandee ensemble la ditte charlotte Le roux sa fille en la chambre de nostre audiance ; y estants estre blasmees a genoux davoir commis tels excez ; leurs faizons defances de recidiver sur peine du bang [...] sera lad presente sentence lue publiée et affichée partout ou de besoing sera a la diligence de nostre dit procureur fiscal en ce bailliage, et quand a present, et pour le cas arrivé en laditte vandezeque, la condamnons en 15lt damande [...]. »
À la fin du dictum de la sentence, l’huissier Pruneau rédige ces mots : « Leu publié et affiché la presente sentence contre la porte et principalle entree leglise parroissiale de cette ville de ville marie issue de grand messe y ditte et cellebree ainsy comme les parroissiens sortoient dIcelle en grand nombre a la requeste de Mr le procureur fiscal en ced[it] bailliage par moi huissier Im[matricu]lé aud[it] bailliage residant aud[it] ville marie ce dimanche douziesme jour davril mil six cens quatre vingt treize ». La situation devient critique pour Anne Marie Fanesèque. Elle est menacée de ban, de bannissement, en cas de récidive. Elle risque alors d’être bannie pour toujours ou un certain temps, soit de la colonie, soit de la ville et de son gouvernement. De plus, l’infamie reliée au bannissement n’est pas sans la faire réfléchir. Que fera Anne Marie ? Osera-t-elle encore défier les autorités de Montréal et risquer le bannissement ? Depuis sa séparation d’avec Anne Marie Fanesèque, Gabriel Cardinal demeure à l’auberge d’Isaac Nafrechoux. Le 3 avril 1693, il se présente chez le notaire Anthoine Adhémar pour signer en faveur de l’aubergiste une obligation de 124lt pour « touttes Les nourritures, gistes et logements que Led[it] Sr Nafrechoux Luy a fournis En sa maison en cette ville de tout Le passé Jusques a ce jourd’huy ». Optimiste, Gabriel
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Cardinal s’engage à payer cette somme dans trois mois en argent ou à la prochaine fête de Saint-Michel (le 29 septembre) « en Bons Castors au prix du bureau », à son retour des pays d’en Haut. Il se propose en effet de bientôt s’engager de nouveau comme voyageur. Ils sont nombreux à se retrouver chez Anne Marie Fanesèque au cours de l’avant-midi du 16 avril 1693 en présence du notaire Anthoine Adhémar et des témoins Mathurin Guillet et Georges Pruneau. En plus de la maîtresse de céans, on y voit Gabriel Cardinal, comme tuteur de Jean Baptiste Cardinal, Jean Martinet de Fondblanche, subrogé tuteur, de même que Jean Lory et Abraham Bouat, respectivement tuteur et subrogé tuteur des enfants mineurs d’Hubert Le Roux et d’Anne Marie Fanesèque. Les parties s’entendent d’abord pour que Pierre Perthuys et René Cuillerier procèdent à l’estimation de la valeur du terrain et des deux maisons qui y sont construites. Le terrain mesure 60 pieds sur la rue SaintJacques sur la profondeur qui va de la rue jusqu’aux pieux de la ville (figure 14, p. 125). Deux maisons sont construites sur ce terrain. Celle du côté est (achetée de Jean Moriaux) mesure environ 18 pieds de large sur 22 pieds de long et est couverte de planches ; elle comprend « un cabinet chambre a feu cheminée de pierre a chaux & sable [...] sur le devant de laquelle ma[is]on est une gallerie de la longueur de lad[ite] ma[is]on couverte de planches » ; la cour est entourée d’une muraille sur deux côtés et de pieux de cèdre sur les deux autres. Les parties reconnaissent que cette maison est construite sur un terrain de 20 pieds de front et qu’en conséquence elle empiète de deux pieds sur le terrain de 40 pieds à l’ouest. Perthuys et Cuillerier évaluent cette bande de terrain à 15lt et la maison et le reste de l’emplacement à 1 085lt, pour un total de 1 100lt. La maison du côté ouest, mesurant environ 18 pieds de côté, et le terrain qui l’entoure ne sont évalués qu’à 500lt. Les parties conviennent que la maison du côté ouest ira à Gabriel Cardinal et celle du côté est, à Anne Marie Fanesèque qui devra « tenir compte ausd[its] mineurs » de la somme de
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533lt 6s 8d pour leur tiers des 1 600lt, c’est-à-dire de l’évaluation totale des deux maisons et emplacements. De plus, Gabriel laisse à Anne Marie la roche qui est sur l’emplacement qui est allé à celle-ci. On se perd en conjecture sur la signification ou l’importance de cette roche. Le 19 avril 1693, Gabriel Cardinal, Pierre Auzou, Simon Guillory et Laurent Arnaud s’engagent comme voyageurs auprès de Claude Greysolon sieur de LaTourette pour « dessendre [...] vingt paquets de castors Dans chacun des deux canots quils dessendront du pais des 8ta8ois quils prendront au Sault Ste marie ». Gabriel Cardinal fera équipe avec Pierre Auzou dans un des canots. Le surplus qu’ils chargeront dans leur canot sera à leur profit. À leur retour à Montréal, ils recevront 250lt chacun « en Castors et sur les castors qu’ils dessendront ». La clause suivante du contrat passé devant le notaire Anthoine Adhémar incite certainement les voyageurs à la prudence : « En cas que lesd[its] paquets de castors fussent perdus en dessendant Lesd[its] voiageurs ne pourront pretendre aucun pay[men]t de leurd[it] retour » Pour s’équiper pour ce voyage, Cardinal et Auzou ont dû faire appel au crédit du marchand Charles de Couagne pour la somme de 85lt 15s 4d ; l’obligation est passée devant le notaire Claude Maugue le 3 mai 1693. Ils se sont obligés « sollidairement lun pour lautre » et comptent payer le marchand à leur retour, vers la fin de juillet prochain, « en castor bon et marchand au prix du bureau du Roy a quebec ». Le 28 avril 1693, Anne Charlotte Le Roux et son frère Jean Baptiste se rendent devant le bailli de Montréal accompagnés de Michel Leblond et de François Lory, « tuteur desd[its] mineurs demandeurs » pour requérir que « division et partages soient faits des biens des successions dud[it] deffunt hubert leroux ». Anne Marie Fanesèque et Gabriel Cardinal consentent à ce partage et les deux parties s’entendent pour désigner le charpentier Mathurin Parent et le maçon Jean Sarault « pour voir et visitter les biens de la succession » afin d’en estimer la valeur.
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Le règlement de la succession ne se déroule pas toujours calmement. Un jour de mai 1693, un voisin va dans la maison de Gabriel Cardinal pour servir de témoin à la remise de vêtements que celui-ci et Anne Marie Fanesèque doivent rendre à Anne Charlotte Le Roux par ordre du bailli de Montréal. Une autre dispute éclate entre ces trois personnes ; aucune surprise. Les sieurs Bailly, Bouat, Fondblanche, Lory et Quesneville, aussi présents dans la maison, sont alors témoins de virulents échanges verbaux entre Anne Charlotte et sa mère et son beau-père et, à un moment donné, entendent tous Anne Charlotte dire que son confesseur lui a ordonné de déclarer publiquement que son beau-père et sa mère « avoient trouvé et friponné largent du sieur lacroix » et qu’à cause de cela lui a toujours refusé l’absolution, ce qui explique « quelle n’avoit fait ses devotions » (il s’agit ici de Pierre Babin dit Lacroix). Anne Marie rétorque que c’est faux, mais sa fille répète à plusieurs reprises que c’est la vérité. Que ne fait-on pas pour obtenir de l’argent ? Il faut trouver d’autres moyens de subsistance car les comptes à payer arrivent dru : 140lt 17s 9d au marchand Jean Arnaud en septembre 1693 et 134lt 18s 8d à la même époque à Jacques Millot. Malgré tous ses écarts de conduite, Anne Marie Fanesèque s’est occupée de son fils, l’a envoyé à l’école pour apprendre à lire, écrire et compter et a permis qu’il soit engagé à Michel Leblond pour quatre ans afin de lui apprendre le métier de menuisier. Jean Le Roux signe avec assurance le contrat d’engagement à son beau-frère passé devant le notaire Anthoine Adhémar le 23 avril 1694. Michel Leblond et Anne Charlotte Le Roux se retrouvent pour un temps car, le 7 juin 1694, celle-ci donne naissance à une fille, qui est nommée Marie-Madeleine, en l’honneur de sa marraine Marie-Madeleine Lemoine. Anne Marie Fanesèque devient ainsi grand-mère à l’âge de 37 ans. Probablement le signe d’une brouille qui se prolonge, Anne Marie n’est pas présente au baptême de sa première petitefille.
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Le mois d’août 1694, comme tous les mois d’août depuis 1690, est un mois bien spécial pour les habitants de Montréal ; c’est le mois de la grande foire annuelle des fourrures qui accueille plusieurs centaines d’Amérindiens de toutes les nations. Elle se tient sur la Commune entre la rue Saint-Paul et le fleuve, et entre la rue Saint-Pierre et la chapelle NotreDame-de-Bonsecours ; en principe, aucune traite n’est autorisée ailleurs. Les visiteurs campent un peu partout aux alentours hors de l’enclos urbain. Des commerçants montent de Québec pour la circonstance. N’importe qui peut acheter des fourrures. Comme les marchés sont parfois conclus sans témoins et sans interprètes, des désordres s’ensuivent parfois. Après avoir vendu toutes leurs pelleteries, les Amérindiens s’attardent à Montréal et dans les environs et, durant plusieurs jours, les cabaretiers de la ville font de bonnes affaires !
chapitre 15
À la Baie d’Hudson
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ierre Le Moyne d’Iberville, soldat, explorateur, trafiquant et capitaine de vaisseau bien connu pour ses raids contre les Anglais à la baie d’Hudson, est nommé, en 1694, pour la quatrième fois de suite, à la tête d’une expédition contre le fort York. Au début des années 1670, les Anglais établissent des postes de traite à l’embouchure des rivières et les Amérindiens de la région trouvent plus pratique d’apporter leurs fourrures aux Anglais plutôt que d’aller les vendre aux Français à la lointaine Montréal. En réaction, un groupe de marchands fondent la Compagnie du Nord pour tâcher d’arrêter ce commerce avec les Anglais. L’expédition de 1694 confiée à d’Iberville s’inscrit dans ce contexte de la lutte contre les Anglais dont l’enjeu est le monopole du commerce des fourrures à la « baie du Nord », la baie d’Hudson. Parti de Rochefort à la mi-mai 1694, d’Iberville arrive à Québec le 11 juillet avec son frère Joseph Le Moyne de Serigny : ils commandent respectivement Le Poli et La Salamandre. Les deux frères Le Moyne entreprennent alors de recruter des Canadiens pour cette expédition. Il est bien évident qu’ils recherchent des gaillards dans la force de l’âge que l’aventure, le danger et la vie dure n’effraient pas. Gabriel Cardinal, qui a l’expérience de plusieurs voyages dans les pays d’en Haut (les deux derniers en 1692 et 1693), entend parler de cette expédition vers le nord et offre ses
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services aux frères Le Moyne qui l’acceptent. Les Le Moyne engagent ainsi 110 Canadiens dont les contrats d’engagement sont passés devant le notaire Louis Chambalon de Québec le 8 août 1694. Les contrats individuels d’engagement sont manquants, mais le document intitulé « Conventions que Messrs d’Iberville et de Cerigny font avec les Canadiens qui s’engagent a aller avec eux pour prendre les postes que les anglois ont dans la baye du nord », document conservé dans les archives coloniales françaises, nous apprend, entre autres, que les Canadiens se sépareront également entre eux la moitié de toutes les prises qui seront faites tant par mer que par terre depuis le départ de Québec jusqu’au mois de juillet 1697, de même que la moitié de tous les profits de la traite durant cette même période. De plus, d’Iberville et Serigny font une avance de 40lt à chacun des Canadiens avant le départ et ceux-ci pourront apporter avec eux 100 livres de marchandises pour traiter à leur profit particulier. En cas de décès durant le voyage, il est prévu que la part du participant sera remise à ses héritiers. Gabriel Cardinal règle certaines affaires avant de partir. Le 2 août 1694, dans l’étude du notaire Chambalon à Québec, il reconnaît devoir au marchand montréalais Pierre Lamoureux, sieur de Saint-Germain, la somme de 142lt 15s pour « des marchandises et autres affaires quils ont eue ensemble » jusqu’à ce qu’il quitte Montréal pour Québec. Gabriel promet de rembourser cette somme dans un an, en « Castors au prix du bureau de québec ». Gabriel croit pouvoir facilement honorer cette obligation, et les autres qui suivent, compte tenu des conditions d’engagement avantageuses offertes pour cette expédition à la baie d’Hudson. Le 6 août 1694, Gabriel Cardinal et ses amis Paul Boyer et Louis Faucher vont solidairement reconnaître devant le notaire Chambalon qu’il doivent à Nicolas Pinault, marchand à Québec, la somme de 300lt pour des marchandises qui servent à les équiper « pour leur voyage du Nord ». Toujours optimistes, les trois hommes promettent de payer le
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marchand au retour des premiers vaisseaux qui reviendront du Nord en 1695. Et le 7 août, toujours devant Chambalon, Gabriel Cardinal reconnaît devoir au marchand québécois Pierre Du Roy la somme de 52lt 4s pour des marchandises « pour son voyage et séjour quil va faire à la baye du Nord », somme qu’il promet de remettre au retour des bateaux du Nord en 1695. Gabriel Cardinal s’est donc engagé, en quelques jours, pour des sommes considérables. À titre individuel, il devra remettre 198lt 19s et, solidairement avec deux amis, la somme de 300lt. Les deux frégates des frères Le Moyne lèvent l’ancre le 10 août 1694 et font voile vers la baie d’Hudson. Le vent est bon. Dix jours plus tard, ils arrivent dans le détroit de BelleIsle et Gabriel Cardinal peut y admirer un spectacle inaccoutumé et grandiose : des icebergs. Le 24 septembre, le blocus du fort commence et, le 13 octobre, d’Iberville somme les Anglais de se rendre, sinon ils seront soumis à un bombardement impitoyable. Le gouverneur Thomas Walsh se rend lâchement, suivant ses patrons de la Hudson’s Bay Company. Le 14 octobre 1694, à 15 heures, le fort York est occupé par un détachement de Canadiens. L’expédition et ses prisonniers passent l’hiver au fort York, rebaptisé fort Bourbon. Malgré la splendeur des aurores boréales, l’hiver nordique est dur, cruel et sans pitié. Le scorbut tue nombre d’Anglais dans le fort conquis, de même que des marins français et une dizaine de Canadiens. Gabriel Cardinal meurt durant cet hiver 1694-1695 ; on ne connaît pas la date précise de son décès. Les frères Le Moyne, qui attendent vainement pour saisir des navires anglais, qui ne se présentent pas, décident de quitter la baie d’Hudson en septembre et arrivent à La Rochelle en octobre 1695. Compte tenu des modes de communication de l’époque, on peut penser qu’Anne Marie Fanesèque n’apprend la mort de son mari, « séparé de biens », qu’à l’été 1696, à l’arrivée des premiers navires de France. Il semble bien que les héritiers
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de Gabriel Cardinal n’ont jamais touché quoi que ce soit des profits réalisés au cours de cette expédition ; au cours de l’hiver 1694-1695, les Amérindiens apportent 450 canots remplis de fourrures au fort Bourbon. Pendant ce temps, à Montréal, Anne Marie Fanesèque se débat toujours pour subsister, repousse autant que possible les échéances des comptes à payer, mais les bras de la justice la rejoignent toujours. Ainsi, le 18 mars 1695, elle est condamnée à payer à Maximilien Chefdeville dit La Garenne la somme de 10lt 9s 4d, qui représente le solde d’un compte pour des « meubles » achetés il y a un certain temps.
chapitre 16
Un autre scandale
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e vendredi 13 mai 1695, messire François Dollier de Casson, supérieur du Séminaire et curé de la paroisse de Montréal, dénonce dans l’église paroissiale, lors du Salut au Saint-Sacrement, des adultères qui ont été commis publiquement « par trois ou quatre fois et Lieux differend » à la vue de plusieurs personnes dignes de foi, « honteuzement et comme par bravades et en depit de toutte honte pudeur et honnesteté publique ». À la suite d’une dénonciation, le procureur du roi s’empare de l’affaire et adresse une requête au juge de Montréal le 19 mai suivant pour lui permettre de faire enquête sur ces adultères publics et les personnes visées, à savoir Anne Charlotte Le Roux et ses « complices », Laferté et Lagirofflée, respectivement officier et soldat de la compagnie de Charles-Henri Aloigny, marquis de LaGroix, en garnison à Montréal. Le bailli lui accorde cette permission et au début de l’après-midi du même jour commence l’interrogatoire des témoins. Les témoignages entendus ce jour-là, compte tenu de leur nature exceptionnelle, valent la peine d’être reproduits, afin de pouvoir en saisir les nuances, la précision et la naïveté. Marie Valade, femme de Philippe Boudier, âgée de 40 ans, témoigne en premier lieu. Elle raconte que, la semaine précédente, « Le premier Jour qu’on Exposa Le St sacrement pour Les quarante heures ne pouvant préciser & dire Le tempz
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Allant voir a du Linge quelle avoit Estendu sur des perches Le Long de la Closture de la ville, Elle Entendit parler quelqu’un Et aprehendant que Ce ne fut quelque personne quy fusse Venus a Cet Endroit pour tascher de desrober au travers des pieudz quelque piece dud[it] Linge Elle voulut scavoir quy Cestoit & ayant Regardé par une Cannonniere Elle apercut La femme du Nommé Picard menuisier de Cette ville Couchée dans Le fossé de La ville ; avec un homme couché sur elle dans La posture ordinaire du Cohit, Lad[ite] femme ayant ses Juppes Levées, Et que Led[it] homme Cestant Levé un autre Revint Ce mettre Dans La mesme posture sur Lad[ite] femme pendant que Lautre sestoit Retiré a Lescart, Et firent La mesme Chose Environ pendant une heure, Declare Lad[ite] depposante quelle Ne cognoist pas Lesd[its] hommes mais que seulle[men]t elle Croit que Ce sont plustot deux hommes des trouppes que des habitans que Lun deux avoit un Justecotrpz blanc une bourse de taffetas Noir derrière La teste dans Laquelle Estoient ses Cheveux, Et que Lautre avoit aussy un Justecorpz blanc avec une veste bleue Et que Cestoit Environ quatre heures dapres midy q[ue] Ce quelle deppose est Arrivé dans Lad[ite] fosse de laville derrière de Lemplace[men]t du Sr Dargenteuil » (figure 14). Vient ensuite témoigner Catherine Quesneville, fille de Jean Quesneville, âgée de 17 ans. Elle déclare que le vendredi précédent « sortant de Chez perthuys et allant du Coste de la Closture de La Ville pour chercher quelques Escorces Elle monta sur un bastion quy est vis a vis du Jardin du sr Dargenteuil pour en arracher, dou Elle vit La femme du picard menuisier de Cette ville couchée sur Le dos dans Le fossé de lad[ite] ville Quy estoit troussée ; Et le sr Laferté officier des troupes couché sur Elle Ce quayant veu Elle dessendit Incontinent de dessus Led[it] bastion Et dit navoir veu au[tre] Chose sinon quelle aperçut un homme vestu dUn Justecorpz blanc quy Ce promenoit Entre Le fossé de la ville & Les pieudz quy lentourent prez de La Gueritte quy est vis a vis la ma[is]on du Nommé Bouvier maçon ».
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Figure 14 : La partie est de Montréal en 1695. La ligne pointillée indique la position des fortifications. Ce plan schématique de Montréal permet de mieux saisir la réalité des témoignages recueillis au cours de l’ information qui suit les « adultères publics » de mai 1695.
Enfin, le témoignage de Marie Anne Quesneville, une autre fille de Jean Quesneville, qui dit que le vendredi précédent, « Sur Les trois heures de Relevé Elle Rencontra La femme de picard menuisier de Cete ville devant Lanclos du Nomme patenostre Avec Monsieur Deschambeault procur[eu]r du Roy quy parloient Ensemble, Et quayant Continué son Chemin vers La Chapelle de Nostre Dame de bonsecours Lad[ite] femme du picard vint apres elle & La Joignoit pres la La ma[is]on du Nomme Sanser Cordonnier, Et que Continuant Ensemble Leur Chemin pour aller a La petite Chapelle Et estant proche du Jardin de Brazeau Elle vit Le sr de la ferte & la Giroflé soldat quy Ce promenoient dans Le grand Chemin Et que La femme dud[it] picard Les ayant aussy appercus appela Led[it] sr de la ferté & luy dit de venir avec elle en luy disant Ca Nallez pas plus Loin & nayez pas de honte, Et que Led sr de la ferté estant venu Jusques a lad Chapelle, Ils y entrerent tous deux, Et quen estantz sortis
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aussy tous deux en mesme temps Ils furent de[rrièr]e Laditte Chapelle du Coste de la Riviere, ou La deposante estant allée peu de temps apres Elle y trouva Lad[ite] femme de picard Couchée sur lherbe a la Renverse & quelle Creut Entendre Led[it] sr de la ferté parler dans Le mesme Lieu Et que Lad[ite] femme autant quelle peut discerner La voix disait a quelqu’un Courage Courage a plusi[eur]s fois Ensuite de quoy elle vit Rentrer dans Lad[ite] Chapelle Led[it] sr de la ferté & Lad[ite] femme, Lesquelz Ensuite vinrent Ensemb[le] du Coste de la ville En montant vers la ma[is]on des Reverendz peres Jesuitez ». La figure 14 permet de mieux saisir la réalité du témoignage de Marie Anne Quesneville. À la suite de tels témoignages, il n’est pas surprenant que le bailli ordonne qu’Anne Charlotte Le Roux, femme de Michel Leblond dit Lepicard, « sera prise au corps & conduite ez prisons de cette Cour pour en estre ouye et interrogée sur les faicts resultants desd[ites] charges et informations ». Le lendemain, le 20, les huissiers royaux Quesneville, Lory et Pruneau se présentent au domicile de Lebond pour arrêter Anne Charlotte, mais celle-ci est disparue sans laisser d’adresse. Michel Leblond informe les huissiers qu’il n’a pas vu sa femme depuis la veille au soir et qu’il ne sait pas où elle se trouve. Ils font le tour de la maison, de la cave au grenier, et ne trouvent pas Anne Charlotte. Irrités d’avoir ainsi été déjoués, les huissiers ratissent les environs, allant d’abord chez Jean Cousineau et ensuite chez Anne Marie Fanesèque, sa mère, qui affirme évidemment ne rien savoir des allées et venues de sa fille. Les huissiers font aussi la perquisition de plusieurs autres maisons du voisinage, mais Anne Charlotte demeure introuvable, et ils doivent rapporter au procureur du roi que leur démarche est demeurée vaine. Anne Charlotte Le Roux est alors assignée à comparaître quinze jours plus tard. Sans doute pris de remords après les témoignages accablants des témoins, Michel Leblond, prenant conscience de peines que pourrait encourir sa femme, demande à l’huissier Lory de livrer au procureur du roi une courte requête qu’il
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signe à six heures du matin, le 20 mai, dans laquelle il dit « quil se desiste de la plainte par luy faite contre sa femme le dixhuitieme de ce mois declarant quil na pretendu faire qune denonciation simple » et souhaiterait une entente qui sauvegarderait les intérêts de Sa Majesté et du public plutôt que la continuation du procès. La requête et les regrets de Michel Leblond semblent bien avoir été reçus favorablement car on n’entend plus parler de cette affaire par la suite. Anne Charlotte s’en tire à bon compte. Revenue à de meilleurs sentiments et sans doute pour faire oublier ses aventures de l’année précédente, Anne Charlotte Le Roux présente à son mari un fils, Jean Baptiste, qui est baptisé à Montréal le jour de sa naissance, le 16 mai 1696. Michel Leblond est présent au baptême, mais l’absence d’Anne Marie Fanesèque est remarquée. Le parrain est Jean Baptiste Le Roux, le frère d’Anne Charlotte, et la marraine, une voisine, Jeanne Bénard, la femme de Jean Cousineau. Jean Baptiste est le deuxième enfant du couple, la première, Marie-Madeleine, étant née le 7 juin 1694. Même si les Iroquois et les Français entretiennent de vagues négociations de paix à la fin du xviie siècle, les deux camps ne cessent de s’attaquer et de se livrer à des actes révoltants et barbares sur leurs prisonniers. Les Iroquois torturent des Français et des Autochtones alliés quand ils le peuvent. En représailles, les Français font de même. Ainsi, en avril 1696, la population de Montréal est invitée à un spectacle macabre qui se tient sur la place Royale. Quatre Onnontagués, attachés à des poteaux, sont brûlés par des Amérindiens alliés et plusieurs Français.
chapitre 17
La solitude
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e beau-frère d’Anne Marie Fanesèque, Jean Cardinal, et sa femme, Marguerite Plumereau, mariés depuis le 10 novembre 1689, se présentent devant le notaire Bénigne Basset le 1er juin 1698 pour passer leurs « conventions de mariage » ! Cas pour le moins inusité. Sans enfant et « voulant s’assurer l’un l’autre », Jean Cardinal et Marguerite Plumereau « sont convenus [...] de ce qui suit... » et suivent alors tous les articles d’un contrat de mariage usuel suivant la coutume de Paris. Le 8 août 1698, Anthoine Hattanville remplace Jean Quesneville comme « geollier et concierge » des prisons de Montréal. Il est intéressant de noter que, le 9 juin 1698, Hattanville, très pauvre, obtient de l’aide du Bureau des pauvres de Montréal (trois minots de blé froment) qui lui propose en même temps de bien vouloir accepter une charge d’huissier à Montréal, « pour luy ayder a subsister ». Deux membres du Bureau « luy faciliteront tous Les moiens possibles pour Lobtenir de Monseigneur Lintendant ». De toute évidence, la recommandation du Bureau a produit les résultats escomptés. Le changement de garde est consigné dans un procès-verbal et l’aspect quelque peu lugubre de ce lieu apparaît quand Jean Quesneville « représente » à Jacques Alexis de Fleury Deschambault, lieutenant général de la Juridiction royale de Montréal, ce qui suit : « quatre Registres
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des Escrous & des charges des personnes quy ont cy devant Entre & sorti esd[ites] prisons, quil a remis en mains dud[it] Sr hatanville plus une table, deux bancs, une chaize, deux meschants chalits, cinq paires de fers cinq paires de menottes Deux cadenats avec leurs Clefs servant aux deux cachots a la porte de chacun desquels Il y a une serrure avec sa Clef, Ensemble Les Clefs de toutes les portes quy sont dans le corps desd[ites] prisons toutes en estat de servir. » Ensuite, Quesneville déclare qu’il y a, ce jour-là en prison, quatre Iroquois, un habitant de Boucherville nommé Léger Bourgery qui est prisonnier depuis le dimanche précédent et — surprise — Anne Marie Fanesèque, la veuve de Gabriel Cardinal, emprisonnée le jour même, mais non écrouée, c’est-à-dire non encore inscrite dans les registre des écrous. Pourquoi Anne Marie Fanesèque est-elle en prison ce jour-là ? Combien de fois peut-on penser qu’Anne Marie est emprisonnée au cours de ces années ? On ne le saura jamais puisque les registres des écrous n’existent plus. À l’époque, on emprisonne, pas tellement pour punir, mais pour s’assurer de la présence d’un accusé qui doit être interrogé. En 1699, Anne Marie Fanesèque aurait certainement besoin du secours du Bureau des pauvres de Montréal qui a été établi l’année précédente, après plusieurs années de retard sur les ordonnances du Conseil souverain. Mais, hélas, Anne Marie ne fait pas partie des « bons » pauvres car, pour obtenir de l’aide, il faut avoir subi avec succès l’enquête de « moralité » d’un directeur du Bureau qui a pour mission d’examiner « a fond la pauvreté » du demandeur. Encore une fois, Anne Marie Fanesèque doit se débrouiller seule. L’année 1700 débute sur une note triste pour Ville-Marie. Marguerite Bourgeoys, doyenne de Montréal, qui a si charitablement accueilli Anne Marie Fanesèque lors de son arrivée à Montréal en 1673, meurt, presque octogénaire, le 12 janvier. Au fil des mois, Anne Marie Fanesèque se fait de plus en plus discrète, on n’entend plus parler d’elle dans les dossiers judiciaires de Montréal. En fait, elle semble s’éloigner
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de Montréal pour un certain temps car, le 10 février 1700, elle loue sa maison de la rue Saint-Jacques à Pierre Brault dit Lafleur à compter du 1er mai 1700 jusqu’à la Saint-Michel suivante (29 septembre) pour la somme de six livres par mois. Elle est peut-être déjà partie le 10 février car c’est son gendre qui s’occupe de la location à sa place. Les liens ne sont donc pas rompus entre elle et Michel Leblond. Elle doit se sentir ostracisée, sinon rejetée, par la population de Montréal qui n’oublie pas ses frasques. Le xviiie siècle s’ouvre dans un climat de paix. Les grandes nations amérindiennes signent une paix générale avec la France. La grande assemblée préparée par Callière et Vaudreuil s’ouvre le 25 juillet 1701. Treize cents Autochtones appartenant à plus de trente nations (Abénaquis, Outaouais, Hurons, Tsonnontouans, Miamis, Sauteux, Kaskaskias, etc.) campent aux abords de la petite rivière Saint-Pierre, à l’extérieur de la palissade de Montréal, et déambulent dans les rues de la ville durant une douzaine de jours. Les Amérindiens et les Français se partagent Montréal durant cette période. Tout se déroule sans accrochage. L’impressionnante cérémonie de signature du traité de paix a lieu le 4 août 1701, par une splendide journée chaude d’été. La population de Montréal, devenue le centre politique névralgique du Nord-Est américain, fait la pause pour assister à ce spectacle unique et coloré qui se déroule sur la pointe de la Petite Rivière ou rivière Saint-Pierre (Pointe-à-Callière actuelle). Les Le Roux et les Cardinal se joignent certainement aux très nombreux Montréalais qui se rendent sur les lieux pour être témoins de cette cérémonie sans pareille. Cet accord, qui met fin à plus d’un demi-siècle de conflits, permet l’instauration d’une nouvelle ère de paix entre les Français, leurs alliés au sein des Amérindiens et les Iroquois. Après ces événements mémorables du 4 août 1701, Montréal, dernière ville avant les pays d’en Haut, retrouve graduellement son visage plus quotidien, mais la longue visite que viennent d’y effectuer les plénipotentiaires des nations
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amérindiennes y laisse une empreinte historique. Même si la paix s’est installée, la misère continue toutefois de régner. L’argent est rare et les aliments, chers. Le 12 février 1702, Jean-Baptiste Le Roux, le fils d’Anne Marie Fanesèque et de son premier mari Hubert Le Roux, passe son contrat de mariage avec Louise Chaussé devant le notaire Anthoine Adhémar à Montréal. On note la présence de son frère utérin, Jean Cardinal, mais non celle de sa mère, qui est probablement rendue à Québec. Le mariage est béni le lendemain dans l’église paroissiale de Montréal. En 1703, Anne Marie Fanesèque, qui a alors 46 ans, demeure à l’Hôpital Général de Québec. Cette institution, fondée par monseigneur de Saint-Vallier, accueille ses premiers « pauvres » le 9 décembre 1692. L’hôpital doit servir d’assistance aux personnes abandonnées et sans ressources. On distingue alors plusieurs sortes de pauvres, ceux qui manquent d’argent, ceux qui n’ont pas de famille capable d’intervenir et ceux qui sont dans l’incapacité de travailler. Il y a aussi, à l’Hôpital Général de Québec, des cas de « pauvreté conceptuelle », surtout des femmes victimes de la morale du temps. Anne Marie Fanesèque doit se réfugier à Québec parce qu’elle peut difficilement continuer de vivre à Montréal à cause de sa mauvaise réputation de tenancière d’un cabaret aux activités louches et de prostituée. Pratiquement sans ressources, elle se réfugie à l’Hôpital Général de Québec, qui sert bel et bien de maison de bienfaisance pour loger et entretenir les personnes les plus démunies de la société. Le 23 juin 1703, Anne Marie Fanesèque reconnaît, devant le notaire Louis Chambalon de Québec, devoir la somme de 68lt 4s à Pierre Du Roy, marchand de Québec. Il s’agit d’une somme que le marchand avait avancée à Gabriel Cardinal en 1694 avant son voyage à la baie d’Hudson. Même séparée de biens d’avec Gabriel Cardinal, elle reconnaît cette dette. Une affaire d’honneur ? Anne Marie Fanesèque revient à Montréal en décembre 1704 pour une affaire relativement importante qui nécessite
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son témoignage. « Sur la requeste & sommation verballe » de Jean Paré, du Sault-Saint-Louis, paroisse de Lachine, elle vient déclarer sous serment « quelle a bonne & parfaite Cognoissance et se souvient tres bien quil y a environ vingt un an quelle et Led[it] Cardinal son deffunt mary ont vendu aud[it] paré une concession sçize aud[it] Sault St. Loüis... » Jean Paré a besoin de ce témoignage pour bien établir son droit de propriété sur cette terre, car Jean-Baptiste Le Roux prétend qu’elle lui appartient. Toujours à Montréal, Anne Marie Fanesèque signe une procuration qui donne à Jacques Milot le pouvoir « en son Nom Bailler a tiltre de loyer et ferme la maison quelle a scize En cette ville rue St. Jacques » aux conditions qu’il jugera appropriées et bonnes. L’acte de procuration est passé devant le notaire Anthoine Adhémar le 6 avril 1705. Un long silence archivistique enveloppe Anne Marie Fanesèque pour les 14 années subséquentes. Rien à Montréal, rien à Québec. Demeure-t-elle toujours à l’Hôpital Général de Québec ? Aucun document ne permet de l’établir. Elle réapparaît à Montréal le 18 avril 1719 pour la vente de sa maison de la rue Saint-Jacques. Elle vend sa maison qui « tombe en ruyne » au tanneur Jean Louis Plessis dit Bélair pour « la somme de six cens livres en Cartes et monoye du pais faisant deux cens vingt cinq livres Monoye de France en cartes reduites suivant lord[onnan]ce ». Cette équivalence n’est pas évidente à première vue. D’abord, on distingue « argent du pays » et « argent de France », distinction en principe disparue depuis 1717 alors que le roi met les deux monnaies au même niveau. Cela dit, comme la monnaie de France, c’est la monnaie du Canada « diminuée et destituée du quart en sus dont on l’avait enflée et fait valoir au Canada », 225 livres de France équivalent à 300 livres du Canada. La monnaie de cartes étant rachetée à moitié de sa valeur nominale depuis 1713, on en arrive au chiffre de 600 livres ! Le système monétaire de l’époque ne pèche pas par simplicité. De plus, le contrat passé devant le notaire Pierre Raimbault, dans son
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étude, prévoit que Plessis versera à Anne Maire Fanesèque 20lt « pour Epingles » et 60lt « en hardes et chaussure lad[ite] Vendezeque etant Nue pied » ; triste constatation de l’état de dénuement dans lequel se trouve Anne Marie. Durant son séjour à Montréal, Anne Marie Fanesèque est accueillie par son beau-frère Pierre Cardinal, rue Saint-Gabriel, chez qui elle réside. Plessis veut faire construire une nouvelle maison sur l’emplacement qu’il vient d’acheter, mais Jean Baptiste Le Roux, le fils d’Anne Marie Fanesèque, se vante d’avoir certains « droits et prétentions » sur une petite partie du terrain vendu par sa mère, mais il ne veut pas préciser ses prétentions. Plessis se voit obligé, le 3 juillet 1719, de demander à la cour de contraindre le jeune Le Roux de déclarer et de déposer les titres qui appuieraient ses prétentions. Le 18 juillet, Le Roux vient dire au bailli qu’il s’oppose pour sept pieds de terrain qui appartiendraient à son défunt père Hubert Le Roux. La procédure est longue et complexe avec requêtes, expertises, contre-expertises et oppositions de certains créanciers. Anne Marie Fanesèque ne s’en mêle pas et laisse son fils Jean-Baptiste Le Roux, qui demeure à Lachine, se débrouiller tout seul dans cette affaire dont l’issue demeure inconnue, les dossiers judiciaires étant incomplets. Anne Marie Fanesèque va finir ses jours loin de Montréal. Elle ne réside pas chez son fils Jean-Baptiste Le Roux, qui demeure à Lachine. Sa fille Anne Charlotte et son mari Michel Leblond ont quitté Montréal depuis belle lurette. Destination et destinée inconnues. Jeanne Le Roux, sa dernière, semble être décédée vers 1690. Son seul fils Cardinal, Jean, a quitté Montréal vers l’âge de 20 ans. D’autre part, ses beaux-frères Cardinal ne lui offrent pas de gîte pour ses vieux jours. Anne Marie Fanesèque meurt dans la soirée du 4 décembre 1722 dans la maison de « Kenoche La Jeunesse » (probablement Clément Charles dit Lajeunesse) de SaintFrançois-de-Sales, dans l’île Jésus. La lecture de l’acte de
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sépulture d’Anne Marie Fanesèque rend triste ; le prêtre y écrit qu’il a enterré dans le cimetière paroissial « le corps d’une veille femme agée d’environ soixante et dix ans, Irlandaise de nation, dont je n’ay put sçavoir ny le nom de bapteme ny celui de famille, sinon qu’elle etoit connu dans les costes sous le nom de La bonne femme Cardinal ». Anne Marie a plutôt 65 ans, mais peut-on le savoir à l’époque ? Anne Marie Fanesèque n’a pas encore complètement perdu son accent allemand ; les gens décelant un accent « étranger » croient qu’elle est Irlandaise. On ne sait pas reconnaître un accent allemand à l’époque en Nouvelle-France. Anne Marie Fanesèque est morte « sans avoir put recevoir aucun sacrement, mais apres avoir demandé un prestre, dit chappellet, demandé pardon a dieu ».
Épilogue
L
’histoire de l’Allemande commence par une énigme. Son nom véritable demeure inconnu. On a dû lui en attribuer un aux fins de la rédaction de cette histoire. L’histoire de l’Allemande finit par une autre énigme. Son nom, même approximatif, est oublié. De l’inconnu à l’oubli, quel triste sort à accorder à un nom. Comment bien connaître une personne quand on ne connaît pas son nom ? Avec le nom, on est « au cœur de l’intimité, au centre de l’identité ». Pour toute personne, le nom représente un héritage, une continuité, il fait partie intégrante de la personnalité. Tout comme un certain mystère entoure l’origine d’un nom de famille, un certain mystère aussi entoure la personne dont on ne connaît pas le nom. Arrivée en Nouvelle-France dans des circonstances mystérieuses, l’Allemande de Hambourg, seule de sa nation au Canada à la fin du xviie siècle, ne peut compter que sur ellemême pour vivre sa vie dans un environnement rude et primitif. Après un départ qui augure bien, Anne Marie Fanesèque sombre dans un mode de vie qui la met au ban de la société montréalaise. Une hors-la-loi qui entraîne sa fille dans sa chute aux enfers. Elle doit quitter Montréal pour échapper à l’opprobre et aux sarcasmes de la population et finit sa vie dans le plus grand dénuement. Quel destin tragique que celui de cette fille du Roi qui vient sans doute au Canada pour fuir une vie difficile dans
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son pays d’origine ! Malgré tout, plusieurs centaines de Canadiens et d’Américains lui doivent aujourd’hui la vie. C’est ainsi que se bâtit une population. Avant de mourir, l’Allemande Anne Marie Fanesèque a tout simplement demandé pardon à Dieu. Der HERR ist mein Hirte, mir wird nichts mangeln. Er weidet mich auf einer grünen Aue und führet mich zum frischen Wasser. Er erquicket meine Seele. Er führet mich auf rechter Straße um seines Namens willen. [Le Seigneur est mon berger : je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre. Il me conduit par le juste chemin pour l’honneur de son nom. (Ps. 22(23) : 1-3)]
annexe 1
La descendance d’Anne Marie Fanesèque
Anne Marie Fanesèque a trois enfants avec Hubert Le Roux : 1. Anne Charlotte : baptisée à Montréal le 6 juillet 1675 ; elle se marie avec Michel Leblond, à Montréal, le 25 septembre 1687 ; elle et son mari semblent quitter la colonie au début du xviiie siècle ; les deux seuls enfants connus d’Anne Charlotte Le Roux et Michel Leblond sont nés à Montréal en 1694 et 1696 ; date de décès inconnue ; 2. Jean (ou Jean-Baptiste) : baptisé à Montréal le 2 décembre 1678 ; prend pour épouse, à Montréal, Louise Chaussé le 13 février 1702 ; ce couple, qui demeure à Lachine, a 12 enfants entre 1702 et 1727 ; Jean décède à Lachine le 2 juillet 1759 ; 3. Jeanne : née et baptisée à Montréal le 8 juillet 1681 ; date de décès inconnue, mais probablement vers 1690. Avec Gabriel Cardinal, Anne Marie Fanesèque a un seul enfant, Jean, baptisé à Montréal le 24 juin 1683. Il semble être allé s’installer dans les pays d’en Haut (peut-être à Detroit) vers l’âge de 20 ans. Hubert Charbonneau estime qu’Anne Marie Fanesèque a 113 descendants avant 1766 (Mémoires de la Société généalogique canadienne-française, vol. 47, no 2, été 1996, p. 129).
annexe 2
La justice à Montréal sous le régime français
Voici l’essentiel de l’organisation de la justice à Montréal sous le régime français : a) Le bailliage de Montréal est le tribunal seigneurial de la seigneurie de Montréal. Ce tribunal est constitué d’un juge (bailli), d’un procureur fiscal (l’équivalent d’un procureur du roi dans une Justice royale) et d’un greffier. Ce tribunal semble avoir été effectivement établi en 1648. À compter de 1683, le champs de compétence de ce tribunal s’étend à l’ensemble du gouvernement de Montréal. Un procès criminel se déroule d’une façon semblable à celle qui est décrite dans le tableau de la figure A2-1 pour la juridiction royale, qui est établie en 1693. b) Les « gens de justice » du tribunal royal sont les suivants : Lieutenant général civil et criminel (juge) ; parfois assisté d’un suppléant ou adjoint qui s’appelle lieutenant particulier ; Procureur du roi : « Gardien de la vaindicque publique » ; son rôle se rapproche du celui d’un procureur de la Couronne d’aujourd’hui ; Greffier : il tient un registre où il inscrit tous les actes de la cour, leur date, le nom et la qualité du juge et de la
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partie, de même que toutes les pièces qui lui sont apportées pour être déposées au greffe ; assisté par des commisgreffiers ; Huissier : il signifie les sentences, les décrets d’assignation « à être ouïs » ou de prise de corps et il procède aux saisies ; l’huissier exerce aussi souvent la fonction de notaire ; Il n’y a pas d’avocats en Nouvelle-France.
Figure A2-1 : Schéma du déroulement d’un procès criminel dans la Juridiction royale de Montréal lorsque la matière est légère (insultes, diffamation, la plupart des cas de voie de fait) ; le règlement est dit « ordinaire ».
Annexe
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La cour d’appel, le tribunal royal suprême en NouvelleFrance, est le Conseil supérieur de Québec. L’appel au Conseil privé du Roi (en France) est théoriquement possible ; en pratique, cette procédure n’est utilisée que dans de très rares cas. Pour de plus amples renseignements : LACHANCE, André, La Justice criminelle du Roi au Canada au XVIIIe siècle, Les Presses de l’Université Laval, Québec, 1978 (chapitres II et IV).
Sources documentaires
L
’ALLEMANDE est une histoire vraie. L’auteur n’a pas eu à inventer un seul personnage, ni situation ou événement. Tous les renseignements relatifs à Anne Marie Fanesèque proviennent essentiellement des riches archives notariales, judiciaires et religieuses de la Nouvelle-France conservées aux Archives nationales du Québec. Ces faits ont toutefois été liés entre eux et mis en situation au moyen d’éléments provenant en grande partie des ouvrages énumérés dans la bibliographie. Presque toutes les données relatives aux baptêmes, mariages et sépultures mentionnés dans le présent récit ont été puisées dans la banque de données du Programme de recherche en démographie historique de l’Université de Montréal. Au besoin, les microfilms correspondant aux renseignements utilisés ont été consultés. D’autre part, tous les documents judiciaires utilisés (Bailliage de Montréal et Juridiction royale de Montréal) sont conservés dans le dépôt de Montréal des Archives nationales du Québec. La riche banque de données ADHÉMAR du Centre canadien d’architecture a été souvent consultée pour localiser diverses résidences de Montréal à la fin du xviie siècle. L’extraordinaire banque de données PARCHEMIN (ArchivHisto, Archives nationales du Québec et Chambre de notaires du Québec) a grandement facilité les recherches dans les archives notariales. Par la suite, tous les actes notariés ont pu être consultés sur microfilm. L’essentiel des renseignements provient des greffes des notaires suivants :
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Anthoine Adhémar dit Saint-Martin (1668-1714) Bénigne Basset dit Deslauriers (1657-1699) Claude Maugue (1674-1696) Pierre Cabazié (1673-1693) Louis Chambalon (1692-1716) Hilaire Bourgine (1685-1690) Thomas Frérot de Lachesnaye (1669-1678) Pierre Raimbault (1697-1727) Les sources suivantes ont été utilisées dans les différents chapitres du récit : Chapitre premier DUMAS [1972] ; Site Web officiel de la ville de Hambourg [octobre 2002] ; Rapports de l’Archiviste de la Province de Québec et Rapports des Archives nationales du Québec [cédérom] ; Site Web officiel de la ville de Vitry-le-François [octobre 2002] ; CHICOINE, [1986] ; Staatsarchiv Hamburg ; Bistumsarchiv Münster ; Dictionnaire biographique du Canada ; LAHAISE [1980] ; Cercle généalogique et héraldique de la Marne.
Chapitre 2 CHICOINE [1986] ; LAHAISE [1980] ; Site Web du Centre de recherche en droit public (Université de Montréal) [septembre 2002] ; ALLAIRE [1999].
Chapitre 3 ALLAIRE [1999].
Chapitre 4 Fichier ORIGINE ; Dictionnaire biographique du Canada [volumes I et II] ; SÉGUIN [1967].
Sources documentaires
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Chapitre 5 LANDRY [1992].
Chapitre 6 LANDRY [1692] ; DECHÊNE [1974] ; DÉPATIE [1998].
Chapitre 7 Dictionnaire biographique du Canada [volume II].
Chapitre 8 DECHÊNE [1974] ; AUDET [2001] ; TOUGAS [2001].
Chapitre 9 AUDET [2001] ; SÉGUIN [1967] ; LANDRY [1992] ; TOUGAS [2001] ; DECHÊNE [1974].
Chapitre 10 SÉGUIN [1967] ; AUDET [2001].
Chapitre 11 LACHANCE [1996] ; DECHÊNE [1974] ; Dictionnaire biographique du Canada [volume II].
Chapitre 12 LACHANCE [1996] ; LANDRY [1992].
Chapitre 13 LACHANCE [1996] ; BOYER[1966].
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Chapitre 14 DECHÊNE [1974] ; LACHANCE [1996].
Chapitre 15 FRÉGAULT [1944] ; Dictionnaire biographique du Canada [volume II].
Chapitre 16 Dictionnaire biographique du Canada [volume II].
Chapitre 17 LACHANCE [1969] ; OURY [1993] ; LAMBERT [2001] ; Le Bureau des pauvres (TL4, S35, 22 fév. 1698, ANQM) ; BEAULIEU [2001].
INDE X DES NOMS DE PERSONNES
(Le nom d’Anne Marie Fanesèque, qui revient continuellement dans le texte, n’a pas été inclus dans le présent index.) Adhémar, Anthoine, 7, 54-61, 64, 82, 95, 105, 114-117, 132, 133, 146 Aloigny marquis de La Groix, Charles-Henri, 123 Aly, Marie, 70 Amiko (Amérindien), 86-88 Ancquezaine, 7 Arnaud, Jean, 117 Arnaud, Laurent, 116 Arrivé dit Delisle, Claude-Louise, 45-47, 108, 109 Arrivé dit Delisle, Jacques, 45 Arrivé, Marie Magdeleine, 47 Assaré (Amérindien), 86 Aubuchon dit Lespérance, Jean, 50, 70 Auger dit Baron, Jean, 97 Auzou dit Grosjean, Jean, 28, 31 Auzou, Pierre, 116 Babin dit Lacroix, Pierre, 117 Bailly dit Lafleur, 53 Bailly, François, 21, 36, 38, 48, 54, 61, 76, 78, 117 Bailly, Jean, 57 Bailly, Louise Jeanne, 54 Barbier, Adrienne, 36
Barbier dit Le Minime, Gilbert, 54 Bareau, Jean, 61 Baron, v. Auger dit Baron Barré, Jacques, 92 Basset, Bénigne, 7, 11, 17, 18, 21, 23, 41, 43, 50, 60, 129, 146 Basset, Jean Baptiste, 43, 44 Bausin, Catherine de, 18 Bazot, Jean, 27 Beaumont, Marie Anne, 10 Belair, v. Plessis dit Belair Belestre, v. Picoté de Belestre Belmont, 93 Bénard, Jeanne, 127 Benoît, Alexandre, 100 Bleau, François, 70 Bochart de Champigny, 83, 84 Boisguillot, François de, 63, 64 Boismorel, v. Petit de Boismorel Boisseau, Josias, 45 Boisseau, Pierre, 70 Bouat (sieur), 84, 117 Bouat, Abraham, 71, 106, 115 Bouat, Marie (Marguerite), 46 Boucher (demoiselle), 26 Boucher, Pierre, 25 Boudier, Philippe, 123
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Bourgeoys, Marguerite, 12-14, 18, 130 Bourgery, Léger, 130 Bourgine, Hilaire, 91, 146 Bouvier, Michel, 124, 125 Bouvier, Urbain, 91, 92 Boyer, Paul, 120 Branssat, v. Migeon de Branssat Brault, Jacques, 62 Brault dit Lafleur, Pierre, 131 Brazeau, 125 Brazeau, Nicolas, 125 Brazeau, Marie, 64, 70, 71 Bretonnière, v. Passard de la Bretonnière Brucy, v. Lafresnaye de Brucy Buade de Frontenac, 12, 113 Buet, Alexis, 30, 45 Busson dit Subtil, Pierre, 70 Cabazié, Pierre, 7, 39, 47, 48, 64, 146 Cadieu, Pierre, 105 Caillé, Hubert, 26 Caillé, Pierre, 18, 26 Callière, Louis-Hector de, 54, 92, 113, 131 Campot, Étienne, 16 Campot, Jean, 73 Cardinal, Cécile, 33 Cardinal, Étienne, 33, 34, 40 Cardinal, Gabriel, 31, 33-48, 50, 51, 53-64, 70, 71, 73, 78, 84, 87, 89, 91-110, 114-117, 119122, 125, 130, 132, 133, 139 Cardinal, Jacques, 33-38, 45 Cardinal, Jean, 33, 45, 61, 63, 64, 70, 106, 129, 132, 134, 139 Cardinal, Jean Baptiste, 115 Cardinal, Pierre, 33, 39, 50, 135 Cardinal, Simon, 33, 40, 50, 53, 56, 57 Carlier, Marie, 48
Carré, Gilles, 48 Casson, v. Dollier de Casson Cathalogne, Jean Baptiste, 57, 58 Cauchois, Jacques 96 Cavelier dit Deslauriers, Jean Baptiste, 42, 43 Cavelier dit Deslauriers, Louis, 42, 43 Cavelier dit Deslauriers, Robert, 42, 44, 71 Chambalon, Louis, 120, 121, 132, 146 Champagne (notaire), 14 Champigny, v. Bochart de Champigny Chanterai, Pierre, 60, 64, 65 Charbonneau, Hubert, 139 Charbonneau, Jean, 45 Charbonneau, Joseph, 45 Charbonneau, Olivier, 33, 45 Charles dit Lajeunesse, Clément, 134 Charpentier, Mathurin, 71 Charron (sieur), 108 Chaussé, Louise, 132, 139 Chefdeville dit La Garenne, Maximilien, 93, 122 Chesne dit St-Onge, Pierre, 54 Chevalier, Jean, 33, 39, 45 Chicoine, Pierre, 70, 80 Chomedey de Maisonneuve, Paul, 14 Chrétien, Madeleine, 70, 80 Colbert (ministre), 9, 10, 12 Colin, Denise, 10 Colombiers, Catherine, 45 Coppequesne, Marie Charlotte de, 26, 61, 62 Cornelier dit Grandchamp, Pierre, 70, 71, 76 Côté, Simone, 36, 37 Cousineau, Jean, 126, 127 Cousturier, François, 87, 88 Crusel (sieur de), 55
Index des noms de personnes Cullerier, René, 91, 95, 101, 105, 115 D’Ailleboust, Charles, 26 D’Ailleboust d’Argenteuil, Pierre, 86, 124, 125 D’Argenteuil, v. D’Ailleboust d’Argenteuil Daoust, Guillaume, 100 De Couagne, Charles, 105, 108, 116 De Lahaye, Michelle, 39 De Laporte, Renée, 45 Delaunay, Charles, 88 Delavaux, Catherine, 54 Delisle, v. Arrivé dit Delisle Demers, 84 Denis de St-Pierre, Pierre, 55 Denonville (gouverneur), 56, 81 Desautels, Pierre, 28 Deschambault, v. Fleury Deschambault Deslauriers, v. Cavelier dit Deslauriers Dollier de Casson (sulpicien), 19, 29, 40, 41, 46, 50, 82, 123 Doucinet, Marguerite, 50 Doyon, Louis, 36 Ducharme, Louis, 46 Ducharme, Pierre, 92 Duchesne, 93 Duchesne, Jean, 70 Duchesneau, 93 Dugas dit Lafontaine, Vincent, 70, 73 Dupré (sieur), 108 Dupuis, Jean, 28 Dupuy, Zachary, 18 Duquette, Pierre, 12 Du Roy, Pierre, 121, 132 Duvernay, v. Pichou dit Duvernay Duvernay (veuve), 88, 89
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Fanesèque, Anne Marie (v. note au début de l’index) Fanexe, 7 Fanezeque, 7 Fanguzegue, 7 Fannanque, Anne Catherine, 11, 18 Fannexe, 7 Fannexelle, Anne Marie, 20 Fannezetts, 7 Fanquzeque, 7 Fanseque, 7 Fansesque, 7 Fanteseque, 7 Faubert, Jacques, 93 Faucher, Louis, 120 Ferron dit Sancerre, Jean, 125 Fezeret, René, 34-38, 48, 71 Fleury Deschambault, Jacques Alexis, 100, 113, 125, 129 Folleville, v. Testard de Folleville Fondblanche, v. Martinet de Fondblanche Fontenau, Marie, 54 Forestier, Anthoine, 36, 43, 44 Fournier, Jean, 23 Frémont, Jean, 28, 29, 40, 46 Frérot de La Chesnaye, Thomas, 25, 146 Frontenac, v. Buade de Frontenac Gadois, Pierre, 105, 106 Galipeau, Gilles, 106 Garnier, Catherine, 100 Garnier, Denise, 39 Garnier, Louise, 33, 45 Garnier, Marie, 33, 45 Garnier, Michelle, 33, 38-40, 45 Gateau, Jean, 26, 61 Gauthier, Pierre, 70 Gendron, Catherine, 54 Gervaise (bailli), 28, 43 Gervaise, Jean, 21, 23, 38 Gervaise, Jeanne, 28
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Gillet, Antoine, 70 Gillet, Louis, 55, 56, 58 Goguet, Pierre, 33, 45 Goyau dit Lagarde, Guillaume, 86, 106 Goyer, v. Goguet Greysolon de La Tourette, Claude, 116 Grosjeau, v. Auzou dit Grosjean Grosvin (Amérindien), 111, 112 Grou, Jean, 45 Guérin, Sylvain, 64, 70, 72 Guillebourg, Charles, 38 Guillet (sieur), 84, 108 Guillet, Mathurin, 70, 100, 115 Guillory, Simon, 70, 108, 116 Guyon, Denis, 36, 37 Guyotte (curé), 46 Guyotte, Étienne, 50 Hamel, Jean, 84 Harteur de Sailly, Anne Angélique, 18 Hattanville, Antoine, 70, 129, 130 Hautmesnil, v. Philippe de Hautmesnil Hazeur, François, 36 Iberville, v. Le Moyne d’Iberville Janvrin Dufresne, 105, 107 Jasselin, Marguerite, 92, 100 Jolicœur, v. Moriaux dit Jolicœur Jousset, Pierre, 39 Juillet, Louis, 45 Juchereau (sieur), 108 Labelle, Guillaume, 45 Lachance, André, 143 La Chesnaye, v. Frérot sieur de la Chesnaye Lacroix (charpentier), 30 Lacroix, v. Babin dit Lacrois Lacroix, Jean, 45
Laferté, 123-126 Lafleur, v. Bailly dit Lafleur Lafleur, v. Brault dit Lafleur Lafontaine (serviteur), 30 Lafontaine, v. Dugas dit Lafontaine Lafresnaye de Brucy, Antoine, 47 Lagarde, v. Goyau dit Lagarde Lagarde, Pierre, 70 La Garenne, v. Chefdeville dit La Garenne Lagirofflée, 123, 125 La Groix, v. Aloigny, marquis de La Groix Lahaye, v. De Lahaye Lajeunesse, v. Charles dit Lajeunesse Lajeunesse, Kénoche, 134 Lalonde, Marie Magdeleine, 100 Lamothe, Claude, 71 Lamoureux dit St-Germain, Pierre, 120 Langevin, Mathurin, 46 Langloiserie, 79 Laroche, v. Lemarché dit Laroche La Tourette, v. Greysolon dit La Tourette La Varenne, 60 Laverdure (nommé), 79 Laverdure, v. Pothier Laverdure, v. Nepveu Laverdure, v. Texier Le Ber (sieur), 37, 108 Leber, Jacques, 54, 55 Leblanc, Louise, 71 Leblond, Jean Baptiste, 127 Leblond, Marie Madeleine, 117, 127 Leblond dit Le Picard, Michel, 5962, 64, 65, 73, 75-79, 91, 94, 95, 116, 117, 124-127, 131, 134, 139 Lecavelier dit Deslauriers, Robert, 41, 55
Index des noms de personnes Leclerc (veuve), 25 Lecours, Michel, 71 Le Duc, Jean, 27 Le Gras, Jean, 88 Lemarché dit Laroche, Jean, 53, 54 Le Minime, v. Barbier dit Le Minime Lemire, Anne, 54, 71 Lemoine, Marie Magdeleine, 117 Lemoyne, Charlotte, 100 Lemoyne, Nicolas, 92, 100 Lemoyne d’Iberville, Pierre, 119121 Lemoyne de Serigny, Joseph, 119, 120 Lemoyne de Maricourt, Paul, 107 Le Picard, v. Leblond dit Le Picard Le Polonais, 57 Le Roux, Anne Charlotte, 26, 29, 39, 53, 58-62, 73-80, 91, 92, 94, 95, 100, 104, 106, 107, 112-117, 123, 125-127, 134, 139 Le Roux, Anthoine, 13 Le Roux, Hubert, 12-23, 25-30, 99, 115, 116, 132, 134, 139 Le Roux, Humbert, v. Le Roux, Hubert Le Roux, Jean, 27, 29, 139 Le Roux, Jean Baptiste, 39, 106, 107, 116, 127, 132-134, 139 Le Roux, Jeanne, 28, 29, 39, 42, 107, 134, 139 Lespérance, 37 Le Sueur, Pierre-Charles, 87, 105, 108 Lorion, Catherine, 28 Lory, François, 57, 105-107, 116, 117, 126 Lory, Jean, 115 Louis XIV (roi de France), 9
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Maisonneuve, v. Chomedey de Maisonneuve Malhiot (sieur), 108 Mance, Jeanne, 15, 33 Maricourt, v. Le Moyne de Maricourt Marie (Amérindienne), 86-88 Marié, Denise, 10, 18, 19, 21, 23 Marmande, Jean, 46 Martin, Élisabeth, 28, 31 Martin, Isabelle, 28 Martin, Mathurin, 16 Martinet de Fondblanche, Jean, 18, 19, 23, 29, 35, 41, 43, 44, 46, 54-58, 62, 106, 115, 117, 125 Massé, Martin, 36, 45 Matou, Marie, 50 Matou, Philippe, 50 Maugue, Claude, 27, 30, 38-40, 45, 48,116, 146 Merlot, André, 39 Merlot, Pierre, 45 Migeon de Branssat, Jean Baptiste, 36, 38, 48, 57, 86, 88 Millot (sieur), 104 Millot, Jacques, 117 Milot, Jacques, 133 Milot, Jean, 34-36 Maingault, v. Musmach de Maingault Moisant, Pierre, 12 Moreau, Pierre, 28 Moreau dit Jolicœur, Jean, 30 Moriaux dit Jolicœur, Jean, 29, 35, 39, 53-61, 64, 65, 115 Morin, Anthoine, 80 Morin, Jacques, 78, 79 Morin (sœur), 65 Musmach de Maingault, JeanFrançois, 95 Nafrechou, Isaac, 71, 107, 109, 114 Nepveu dit Laverdure, Pierre, 39
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Niel, Pierre, 36, 37 Nollet, 14 Occhipa (Amérindien), 86 Olivier, Jean. 78, 79 Orieu, René, 30 Ozou, v. Auzou Pacreau, Marie, 70 Paquereau, Marie, 92, 93 Par, Marie, 45 Paré, Jean, 30, 34-36, 133 Parent, Mathurin, 116 Parenteau, François, 53, 54 Passard de la Bretonnière, Jacques, 71 Patenaude, Pierre, 125 Pelletier, François, 45 Pérot, Gilles, 7, 11, 18, 22, 26, 27 Perrot, François-Marie, 34, 35, 41, 47, 55, 56, 12 Perthuis, Pierre, 106, 108, 109, 115, 125 Petit de Boismorel, Jean, 70 Petit, Jean, 43 Phananque, Anne Catherine, 11 Phansecque, 7 Phanseque, Christin, 11 Phansèque, 7 Philippe de Hautmesnil, Jean Vincent, 18, 95 Picard, v. Leblond dit Picard Pichou dit Duvernay, Antoine, 70, 92 Picoté de Belestre, Françoise, 45 Picoté de Belestre, Pierre, 45 Pinault, Nicolas, 120 Plessis dit Belair, Jean Louis, 133, 134 Plumereau, Marguerite, 129 Pothier (cabaretier), 86 Pothier, Claude, 70 Pothier dit Laverdure, Estienne, 39, 43
Poudret, Anthoine, 54 Poulet, Laurent, 10 Prévost, Eustache, 93 Provost, François, 54, 55, 59 Prudhomme, François, 27 Prudhomme, Marguerite, 18, 23, 57, 58 Prudhomme, Paul, 23 Pruneau, Georges, 114, 115, 126 Quesneville, Catherine, 123 Quesneville, Jean, 23, 51, 55-58, 61, 79, 93, 106, 107, 117, 124-126, 129, 130 Quesneville, Marie-Anne, 125, 126 Raimbaud, Claude, 27, 29 Raimbault, Pierre, 133, 146 Rapin, André, 107, 108 Rémy (curé), 72 Renaud, Isabelle, 78 Renaud, Mathieu, 80 Rotteau, Barbe, 12 Rouillé (charpentier), 30 Rouleau, Jean, 45 Roussel, Charlotte, 70 Roy, Françoise, 30 Roy, Jean, 39 Sailly, v. Harteur de Sailly Saint-Vallier (Monseigneur de), 132 Sallé, Magdeleine Thérèse, 27 Sarault, Jean, 116 Sédilot, Marguerite, 70 Serigny, v. Le Moyne de Serigny Sire, André, 45 Souart, Élisabeth, 18 Souart, Gabriel, 18, 46 Soumande, Jean, 71 Soumande, Pierre, 36, 108 St-Georges, 108 St-Germain, 112
Index des noms de personnes St-Germain, v. Lamoureux de StGermain St-Onge, v. Chesne dit St-Onge St-Pierre, v. Denis de St-Pierre Subtil, v. Busson dit Subtil Tabault, Pierre, 39, 45 Talon (intendant), 10 Talua, Julien, 15 Tardif, François, 44 Tessier, Laurent, 54, 71 Testard de Folleville, Charles, 41, 43, 55 Tétreault, Jacques, 105 Tétreault, Louis, 105 Texier dit Lavigne, Jean, 100 Texier dit Lavigne, Jean Baptiste, 100 Thibault, Mathurine, 36 Truteau, Étienne, 35, 36, 45 Turpin, Alexandre, 28, 41-43, 45, 55, 70
Vandezegue, 7, 48 Vandezegue, Anne Marie, 31, 113 Vandezeque, 102, 103, 114 Vandezzeque, 7 Vandseque, 7 Vandzaigue, 7 Van Diek, 7 Vanier, Guillaume, 48 Vannesy, 7 Vannexe, 7 Vannexelle, Christian, 11, 18 Van Zeigt, 7 Varnier, Jacques, 14 Varnier, Jacob, 14 Varnier, Magdeleine, 13, 14, 18 Vaudreuil, 131 Von Geseck, 7 Von Seck, 7 Von Zeig, 7 Walsh, Thomas, 121 Xaintes, Claude de, 36
Valade, Marie, 123 Van De Seek, 7
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INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
ALLAIRE, Bernard, Pelleteries, manchons et chapeaux de castor — Les fourrures nord-américaines à Paris 1500-1632, Septentrion et Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, Sillery et Paris, 1999. AUDET, Bernard, Se nourrir au quotidien en Nouvelle-France, Les Éditions GID, Sainte-Foy, 2001. BEAULIEU, Alain et Roland VIAU, La Grande Paix — Chronique d’une saga diplomatique, Éditions Libre Expression, Montréal, 2001. BOYER, Raymond, Les Crimes et châtiments au Canada français, Le Cercle du livre de France, Montréal, 1966. CHARLEVOIX, père de, Histoire de la Nouvelle France, tome II (réédition de l’édition de 1744), Éditions Elysée, Montréal, 1976. CHICOINE, Emilia, La Métairie de Marguerite Bourgeoys à la PointeSaint-Charles, Fides, Montréal, 1986. CROIX, Alain et Didier GUYVARC’H, Guide de l’histoire locale, Éditions du Seuil, Paris, 1990. DECHÊNE, Louise, Habitants et marchands de Montréal au Plon, Paris et Montréal, 1974.
XVIIe
siècle,
DÉPATIE, Sylvie et al., Vingt ans après — Habitants et marchands, McGillQueen’s University Press, Montréal et Kingston, London, Buffalo, 1998. Dictionnaire biographique du Canada, Les Presses de l’Université Laval. Volume I : François-Marie Perrot. Volume II : René Fezeret, Antoine Forestier, François Provost, Pierre D’Ailleboust d’Argenteuil, Pierre Le Moyne d’Iberville, Denis-Joseph Juchereau de la Ferté, Jean Quesneville. DUMAS, Silvio, Les Filles du Roi en Nouvelle-France, La Société historique de Québec (Cahier d’histoire no 24), Québec, 1972.
158
l’allemande
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XVIIIe
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Indications bibliographiques
159
LESSARD, Michel et Gilles VILLANDRÉ, La maison traditionnelle au Québec, Les Éditions de l’Homme, Montréal, 1974. LESSARD, Rénald, Se soigner au Canada aux canadien des civilisations, Hull, 1989.
XVIIe
et
XVIIIe
siècles, Musée
MARSAN, Jean-Claude, Montréal en évolution, Fides, Montréal, 1974. McCULLOUGH, A.B., La Monnaie et le change au Canada des premiers temps jusqu’à 1900, Environnement Canada – Parcs, Ottawa, 1987. MITCHELL, Estelle, Le Vrai Visage de Marguerite d’Youville, Beauchemin, Montréal, 1973. MOOGK, Peter N., Building a House in New France, McClelland and Stewart, Toronto, 1977. MOORE, Christopher, Louisbourg Portraits, Macmillan of Canada, Toronto, 1982. MORIN, Sœur, Annales de l’Hôtel-Dieu de Montréal, Mémoire de la Société historique de Montréal, 12e livraison, Montréal, 1921. OURY, Guy-Marie, Monseigneur de Saint-Vallier et ses pauvres (16531727), Les Éditions La Liberté, Sainte-Foy, 1993. PROULX, Gilles, Entre France et Nouvelle-France, Éditions Marcel Broquet, La Prairie, 1984. Recherches amérindiennes au Québec, numéro thématique, « Le temps des alliances — La Grande Paix de Montréal de 1701 », vol. XXXI, no 2, 2001. RUMILLY, Robert, Histoire de Montréal, Fides, Montréal, 1970. SÉGUIN, Robert-Lionel, La Civilisation traditionnelle de l’« habitant » aux XVIIe et XVIIIe siècles, Fides, Montréal, 1967. SÉGUIN, Le Costume civil en Nouvelle-France, Musée national du Canada, Bulletin no 215, Imprimeur de la Reine et Contrôleur de la Papeterie, Ottawa, 1968. SÉGUIN, Robert-Lionel, La Sorcellerie au Québec du Leméac, Montréal, 1971.
XVIIe
au
XIXe
siècle,
SÉGUIN, Robert-Lionel, La Vie libertine en Nouvelle-France au dixseptième siècle, Leméac, Montréal, 1972. SIMPSON, Patricia et Louise POTHIER, Notre-Dame-de-Bon-Secours — Une chapelle et son quartier, Musée Marguerite-Bourgeoys et Fides, Montréal, 2001. TOUGAS, Rémi, Marie Brazeau — Femme en Nouvelle-France, Les éditions du Septentrion, Sillery, 2001.
Table des matières
Avant-propos
7
chapitre premier
Fille de Hambourg, fille du Roi
9
chapitre 2
Le mariage d’Anne Marie Fanesèque et Hubert Le Roux
17
chapitre 3
Pelletier et fourreur
25
chapitre 4
Gabriel Cardinal
33
chapitre 5
Un deuxième mariage
39
chapitre 6
La sœur de la belle-sœur
47
chapitre 7
L’affaire Moriaux
53
chapitre 8
Le mariage d’Anne Charlotte
61
chapitre 9
Les cabarets de Ville-Marie en 1688
67
chapitre 10
L’éclatement
75
chapitre 11
Une présence amérindienne
85
chapitre 12
1691
91
chapitre 13
La séparation
99
chapitre 14
Grosvin
111
chapitre 15
À la baie d’Hudson
119
chapitre 16
Un autre scandale
123
chapitre 17
La solitude
129
Épilogue
137
Annexe 1
La descendance d’Anne Marie Fanesèque
139
Annexe 2
La justice à Montréal sous le régime français
141
Sources documentaires
145
Index
149
Indications bibliographiques
157
composé en sabon corps 11 selon une maquette réalisée par josée lalancette et achevé d’imprimer en juin 2003 sur les presses de l’imprimerie gauvin à hull, québec pour le compte de denis vaugeois éditeur à l’enseigne du septentron