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Idées romalnes •
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!.L �-.- -, � GEORGES DUMEZIL
Idées romalnes •
GA L L I M A R D
REMA R Q UES P RÉ LIMI NAI RES S U R LA D I GN I TÉ E T L 'ANTI Q UI TÉ D E LA P E N S É E R OMA I N E
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Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction réservés pour tous les pays, y compris l'U.R.S.S. © Éditions Gallimard, 1969.
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)
A Marcel Renard
La pensée des plus anciens Romains regagne l'estime qu'elle mérite. On n'en est plus au temps - proche cependant: 1955où, dans un manuel collectif, le responsable de la religion romaine ouvrait son exposé sur le spectacle navrant de la « confusion » et du « désordre » de sa matière, puis, contraint, ne fût-ce que par le férial, à parler des dieux, choisissait au nom de la prudence et de la raison un parti plus navrant encore : Plutôt que de chercher à hiérarchiHer ou à classer ces divinités 1l0UA nVOll1l vu 1eR incertitude!! et les difficultés d'un classe ment de cr genre -- le plu!! simple, et peut être aussi le plus rlitiCllllld, t'Mt de le!! pll!lHt'r en revue dans l'ordre alphabétique... -
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Et t'on vOYllit ainsi Angerona ouvrir le défilé, avec une notice efret rcmplic Jc confusions, suivie d'Anna Perenna, de Car Illcntia, dc Caroa. Ce n'est qu'en treizième, quatorzième et
cil
quinzième position, après Furrina, qu'apparaissaient les pre miers grands dieux, que seule rapprochait l'identité de leurs initiales, Janus, Junon, Juppiter, auxquels succédaient Larenta, les Lares, les Lémures, Liber, Mars, etc., jusqu'au serre-file Volturous. Que penserait-on d'un exposé de la doctrine chré tienne qui commencerait par les Anges et où Jésus ne se présen terait qu'au dixième ou au quinzième rang, loin derrière l'Esprit, loin devant le Père, encadré par les deux saints Jean et par saint Joseph ? Les dieux n'étaient pas seuls à pâtir. Dix ans plus tôt, un romaniste voulait nous persuader que le mot ius avait d'abord signifié « rite magique » et, dans le « dynamisme romain » d'un autre auteur, des notions comme imperium, grauitas, maiestas perdaient à la fois leurs contours et leur ossature. Plus rapidement qu'on n'osait l'espérer, les études se trouvent aujourd'hui purgées du primitivisme et du confusionnisme
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Idées romatnes
sous leurs diverses formes, et aussi de tout ce que les conduc teurs et les manœuvres de la recherche latine avaient tiré des « enseignements de l'ethnographie », - d'une ethnographie qui, suivant les tempéraments, irritait, consternait ou divertissait les ethnographes. Le plus récent exposé de la religion romaine ancienne, celui que MM. Jean Beaujeu et Henri Le Bonniec ont donné dans Le Trésor spirituel de l' humanité (Les Grecs et les Romains, 1967, p. 2 1 3-394), témoigne avec éclat de cet assainis sement. On ne pressent pas pour l'instant, encore qu'il soit sage de l'attendre, quelle nouvelle sorte de délire le compromettra à nouveau pour un temps. Cette restauration est due à des efforts divers, mais conver gents. Pour ne parler que de la France, de bonnes monogra phies ont été consacrées par des latinistes, en dehors de tout système préconçu, à des divinités comme Liber, Vénus, Cérès : l'observation minutieuse des faits les plus anciens a ainsi dessiné des figures d'un type plausible, d'ailleurs conformes à l'image traditionnelle. Des mots clés de la religion et généralement de la pensée romaine ont été étudiés avec la même attention et la même indépendance : ratio, ritus, pietas, profanus, etc., et, en 1963, l'ensemble du vocabulaire du sacré. Parallèlement, les études comparatives indo-européennes ouvertes il y a trente ans n'ont cessé de progresser et ont abouti aux premiers bilans que consti tuent, pour la théologie et pour le culte, La. 1!-eligion romaine archaïque ( 1966) et, pour les légendes des ongmes, la seconde partie de Mythe et EpoPée, l ( 1 968) . L' « idéologie » romaine ancienne qui s'est dégagée de ces enquêtes est d'une bonne qualité intellectuelle. Si ceux qui la pratiquaient, aux premiers siècles de la ville et jusqu'assez avant dans les temps républicains, n'ont pas éprouvé le besoin ou n'ont pas eu le talent de lui donner une expression littéraire du niveau des hymnes védiques, elle n'en était pas moins riche, nuancée, structurée, habile à la distinction et à l'agencement, apte à fournir à l'organisme social une justification déjà philoso phique de lui-même et aussi du monde, dans la mesure limitée où le monde l'intéressait. Il faut souligner que pendant long temps, en dépit de profondes influences étr�� ques et su:tout grecques et après de grands changements pohtlques et sO�laux, cette idéologie a conservé, tout en évoluant, de larges·provmces, et d'abord la province centrale définie par le groupement de Juppiter, de Mars et �e Qu!ri�us, où les principa�x tr!li�s de « l'héritage indo-europeen » etment non seulement mtelhglbles, mais actifs sur les esprits et explicatifs des événements de l'actualité.
Remarques préliminaires
II
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Peut-o? �étermine� à 9uelle . époque la pensée romaine, par , tage mdo-e r péen et des produits la comb �n�lson de 1 her � �� son geme propre, !l pns la forme ongmale que nous lui con de . naissons dès les premIers textes littéraires et qui, jusqu'au temps d' J\uguste, . n'a guère. vari� ? En partic,:lie� � quelle époque le d;�It romal� , .- drOl� rehgleux et droIt CIvIl et aussi, par les fetlaux, drOlt mternatlOnal - qui paraît bien être l'ouvrage le plus caractéristique de Rome quand on la compare aux autres sociétés indo-européennes, s'est-il constitué avec sa casuistique déliée, ses règles raisonnées, colorant de pr�che en proche toute activité publique et privée ? Deux hasards heureux ont conservé j �s9u'à .nos jou;s deux documents épigraphiques, les deux plus VIeIlles mscnptlOns de Rome, qui permettent de répondre : dès la fin des temps royaux, et sans doute plus tôt encore. Le premier, trouvé en 1899, a été expliqué en 1955. Il établit qU' ';1ne. des règles de l'art augural, impliquant l'essentiel de l'or gamsatlOn et du service des prêtrcs qui l'cxerçaient n'a pas va;ié� à travers les siècles répuhlicains, dcpuis les au�ures des rOIs Jusqu'au cons ul-aug ure qu'était Cicéron. Lc dcrnier état de l'ét �ldc a été donnt: danR 1,(1 RdiKion romaine archaïque, p. 9398, ct JC nw horne il l'n rappelcr l ' arg u mcnt principal. J ,l'S fragml'Ilts d'inscription qui sc liscnt Rur lc tronçon de cipPl' dhl'IT{' ail Lapis N ig cr , près du Comitium sur le Forum !lont n'latifs il la règle qu'énoncc Cicéron dans s� n traité sur I� divination, I l 36, 77 . Sui�ant cette règle, aux calatores qui mar . ch ent dcvant cux quand ds sont en serVIce, les augures « pres . c �lvent d ' ?rdonner que l'on retire du joug, sur leur passage, les bctes de Joug » (nos augures praecipimus... ut iumenta iubeant diiungere), et cela pour éviter que ne se produise malencontreu s�ment /ne obueniatl un iuge(s) auspi�ium, c'est-à-dire qu'une bete de Joug, so �s l� Joug, fasse �e� excrements (en effet, explique Paul, p. 226 L , luge(s) ausplclum est cum iunctum iumentum ste�cus fecit). On peut discuter sur le sens, sur l'origine de cette cramte .et de cette précau.tion, .mais seul le fait importe ici. Or, sur le Clpp� du Foru.m, mIS au JOur non loin du « uicus iugarius », de la rue dite « des Jougs », laquelle est la première transversale que rencontrai.ent le� aupures q�and, descendant de l' augura culum du Capitole, ds s engageaIent sur la Sacra uia on lit après une form�le d� �alédi�tion qui sem?le destinée à protége; le support de 1 mscnptlOn, d abord, a, la hgne 4, le nom du roi ' au datif (RECEl, « rëg i » ) , puis, aux lignes 8-10 :
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Idées romaznes ...M KALATO 1 REM HAl... ...O D : 10 : VXMEN I TAKAP IA : D ...
ce qui peut être complété [ ... iubet suu]m caliitorem hae[c *caliire ...], et [ex ... iug]o (ou subiugi] 0, ou iugari]o) iümenta capiat..., et, en tout cas, contient en clair les éléments essentiels de la règle du iuge(s) auspicium: l'intervention du calator et l'ordre, orienté par un ablatif, de « prendre les bêtes de joug ». La suite de l'inscription se laisse expliquer dans le même sens et la fin (1. 1 5 - 1 6), . . .OD: IOVESTOD 1 LOI(V)QVIOD, est sans doute à comprendre -0 iüsto *liquido, c'est-à-dire juxtapose deux adjectifs qui sont, beaucoup plus tard encore, employés techni quement pour qualifier les auspices : pris selon la règle, sans vice (iustus), et favorables (liquidus). Le second document épigraphique prouve parallèlement qu'un usage du droit civil qui suppose l'organisation classique de la famille, notamment la puissance et les engagements des
Remarques préliminaires
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mâles dans la convention matrimoniale, était déjà pratiqué au début de la République ou dès la fin des temps royaux. Prête depuis une quinzaine d'années, l'explication vient seulement d'en être donnée dans l'Hommage publié en l'honneur de l'actif ministre des études latines qu'est, à Bruxelles, M. Marcel Renard. Il est utile de la reproduire ici, avec quelques modifications. L'inscription dite de DVENOS, qui paraît dater de la fin du V Ie siècle ou du début du ve avant notre ère, est tracée en trois lignes sans séparation de mots autour d'un vase à triple bouche, ou plutôt de trois vases artificiellement réunis. Trouvé en 1 880 dans un « dépôt votif » sur le versant méridional du Quirinal, à côté de plusieurs autres de même type mais non inscrits, cet objet, avec son message, a donné lieu jusqu'à ce jour à un très grand nombre d'études, qu'on supposera ici connues 1. 1. Les interprétations antérieures à 1925 sont recensées par E. Goldmann, Die Duenos-Inschrift (lndogermanische Bibliothek de H. Hirt et W. Streitberg, III, 8) 1926, p. 1-18. L'étude de Goldmann a donné lieu à un important compte rendu de E. Vetter, Gnomon, III, 1928, p. 7°7-714 (p. 709-710, expli cation probable de quelques singularités graphiques de l'inscription : écri ture de droite à gauche, trait vertical entre H et A dans le premier mot... ). Les travaux des années 1926-IC)34 sont reeenséH dans V. Pisani, L'ltalia Dialettale, XI, HJ35, p. II)H-HJ9; ('e\lx deH nnn{,es 1<J35-I'J45 pa r T. Bolelli, Studi l ta/ian i di Fi/"/"I(ia C/m siw, XXI, l'H(', p. 117-123. Depuis: D. St. Ma rin, « L'iscriziom, di ])UCIlOH �, A fti d. Arad. d�j Linai , Memorit' , Cl. di Scienze Mo r.' Sior. t' [·'i/% l(ie},,,, Ht,r. VIII,II, fliRt'. H, J'HI) (1950), p. 417-469; E. Gjer stlld, � Th" 1 )u"noH VUHC " , S',/'lelltriona/ia el orictlla/ia ( St l/ dia 11. Karlgretl t/('t/ifllla), KI/Ill(/. Villl'rhets J listorie oeil Anli/mitels Alwdemiens Handlingar, Ikl 1)1, Stockholm, 1959, p. 133-143, résumé dans Early Rome, III, 1960, p. 1(,1-1('5; V. Pisani, (, Altlateinisch opetoi und die D�enos-Inschrift '> Rlwillisch es Museum, CIl, 1959, p. 303-308. Pour la datatIOn, A. Degrassl, Inscriptiones Latinae Liberae Rei Publicae, l, 1957, p. 4, écrit : (, Alteri parti sace. V plerique viri docti tribuerunt, sed vascula eiusdem formae inventa sunt una cum vasis quae dicuntur protocorinthia saec. VII (1. Q. Giglioli, Not. scavi, 1935, p. 239 ss.; cfr. etiam P. Ducati, Rendic. Ace. Bologna, ser. IV, vol. II, 1938-39, p. II ss.), unde, nisi titulum antiquiori vasculo inscriptuf? esse concedas [ce qui paraît exclu: Dressel, Lommatzsch...], saec. VII adscn bas oportet. 1) E. Gjerstad, art. cit., p. 142-143 : « Late Corinthian pyxides show a much closer similarity in shape to the Duenos vase [formé de la réunion de trois pyxides]. Sorne of these Corinthian pyxides have a slightly different shape in that their body is somewhat less depressed than that of the Duenos vase but others are identical in shape (Figs. 8, 9) : the depressed body with a tendency to a biconical shape, the flat rim and the low base-ring are exactly the same (cf. Figs. 10, II). These late Corinthian pyxides date from the latter part of the 6th cent. B. C. Thus the Duenos inscription belongs to the Rome of the Kings. It is the oldest Latin inscription hitherto found in Rome and offers us an unexpected insight into the witty and humorous mentality of Archaic Rome. 1) Cette dernière réflexion fait référence à l'interprétation de l'auteur : le vase aurait été utilisé « as a container for cosmetics and other toilet articles 1) (p. 137) et l'inscription signifierait (p. 136): � He who puts me on the
Idées romaines Le graveur a été à la fois soigneux et màladroit. « Litterae tam accurate scriptae sunt, ut de lectt'one vix ulla dubitatio sit », dit E. Lommatzsch (CIL l, Ill, 1918, p . 371, nO 4). Le tracé des « bonnes II lettres est en effet très clair, mais les « mauvaises il, que le graveur lui-même a corrigées, sont relativ�ment nom breuses 1; le résultat de son repentir n'est pas toujours évident et il faut aussi réserver la possibilité que certaines fautes n'aient pas été corrigées·. Les propositions qui suivent reposent sur le postulat que la langue de l'inscription est le latin, le latin que nous connaissons, simplement dans un état phonétique, orthographique et gramma tical plus ancien. On s'est interdit par exemple d'interpréter des groupes de lettres en fabriquant du pseudo-latin à partir du sanscrit (tesiai traduit d'après tdsytÏ� « de celle-là ll) ou de l'osco ombrien (einom traduit d'après ombrien e(n)nom « tum II ou pélignien inim « et l') 2. . Voici ce texte : I. IOVESAT D E I VOSQOIME DMITAT NE I.T EDENDOCOSM ISV I ;É
RcosIim 2. AST EDNOISI OP ETOITESIAIPA�A RIVOIS 3· DVENOSMEDFE�EDENMANOMEINOMDyENOINEME DMA? OSTATOD o? Les deux parties de la première ligne sont aujourd'hui sans mystère. Elles se liraient, en latin classique : 1° iürat deos qui më mittit. On s'autorise de [p]ermitat (ou [m]ed mitat) au début d'une inscription de Tibur, à vrai dire market swears by the gods: 'Thy girl shall not be amiable to thee, shall not stand by thee, unless thou wilt befriend her by using (my) assistance (ope [OPET comme forme ancienne de ope!] utens)'. Good-man has made me for a good purpose and for the benefit of a good man; may a bad man not present mel >l 1. L. 1 : dans IOVES AT, A est corrigé en surcharge sur un E, - faute éton nante en soi, et dans le premier mot. - L. 2 et 3 : les K de PAKARI et de FEKE D paraissent résulter d'une correction. - L. 3 : le V de DVENOI a été ajouté après omission dans un intervalle trop étroit et porte, en haut à droite, un trait supplémentaire qui le fait ressembler à un Z impossible ici. - L. 3 : la troisième lettre de MA?OST ATOD a été certainement retouchée,« uidetur fuisse A paululum inclinata, deinde superior tractus abrasus >l (Lomwatzsch) ; MAAO est impossible, MALO probable; on a proposé aussi MANO et même MADO. Pour EINOM, v. ci-dessous, p. 24. n. 1. 2. On s'est aussi interdit ici la fabrication de portenta comme astednoi ad) id ütens >l (Thurneysen, � ast(e) + gr.) Félîvo->l (Dirichs), op et oites « ob ( Kretschmer), iopet « iubet >l (Sievers), tai datif enclitique de tü (Pisani, 1 927, 1935), iapetoi « fututioni >l (Pisani, 1959, d'après sanscrit ydbhati « futuit »), ei(t)nam « usage » (Krogmann), etc. =
Remarques préliminaires très obscure (publiée en 1926; E. Vetter, Handbuch der italischen, Dialekte, l, 1953, nO 512) pour admettre U ? verbe e � a� ql!l n'aurait pas survécu, avec une 3 sg. du prese ?-t �e � �ndlcat�f mittat doublet de mittit 1. Le sens est : « CelUl qUl m enVOle (ou re �et) jure (par) les dieux. » Que jure-t-il ? Ce qui s�it et qui est à comprendre comme .une ph��s: nouv�lle, �ntre gUlllemets, ' lurare seralt SUlVl. d , une propo puisque, si la phrase contmualt, sition infinitive. 20 ni in té comis uirgo sil... « S'il arrive que la jeune fille ne soit pas, envers toi, de bon caractèr�, de relations f�ciles �. .. II Il n'y a pas à contes�e �, mais à e �reglstrer, cet emplOl �e nt au sens « si . . . ne . . . pas ", a epoque anClenne et en dehors de 1 expres sion symétrique si... ni où l'on veut en voir l'origine : de m�me que PAKARI, à la deux.ième ligne, . a prouvé q�e le -ri de A nitifs passifs n'est pas lSSU de ""-sel par rho �a�lsme, d