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Gilles Deleuze, l'épreuve du temps
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Jean-Marc GABAUDE, La philosophie de la culture grecque, 2005. Jean-Marc GABAUDE, Pour la philosophie grecque, 2005. Agnès CASSAGNE, Une idée d'un « système de la liberté» : Fichte et Schelling, 2005. V. M. TIRADO SAN JUAN, Husserl et Zubiri. Six études pour une controverse, 2005. Xavier ZUBIRI, L 'homme et Dieu, 2005. Xavier ZUBIRI, L'intelligence sentante - Intelligence et réalité, 2005. Ariane BILHERAN, La Maladie, critère des valeurs chez Nietzsche, 2005. Florence BERNARD DE COURVILLE, Nietzsche et l'expérience cinématographique. Le savoir désavoué, 2005," Thomas ROUSSOT, Marc-Aurèle et l'empire romain, 2005. Michel FATTAL (sous la dir.), La philosophie de Platon. Tome 2,2005. Marina GRZINIC, Une fiction reconstruite, 2005. Arno MÜNSTER, Sartre et la praxis, 2005. Dominique LÉVY-EISENBERG, La pensée des moyens, 2005. Joseph JUSZEZAK, Invitation à la philosophie, 2005. Franck ROBERT, Phénoménologie et ontologie. Merleau-Ponty lecteur de Husserl et Heidegger, 2005.
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Une collection d'ouvrages qui se propose d'accueillir des travaux originaux sans exclusive d'écoles ou de thématiques. Il s'agit de favoriser la confrontation de recherches et des réflexions qu'elles soient le fait de philosophes "professionnels" ou non. On n'y confondra donc pas la philosophie avec une discipline académique; elle est réputée être le fait de tous ceux qu'habite la passion de penser, qu'ils soient professeurs de philosophie, spécialistes des sciences humaines, sociales ou naturelles, ou ... polisseurs de verres de lunettes astronomiques.
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Ouverture Philosophique Collection dirigée par Dominique Château, Agnès Lontrade et Bruno Péquignot
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Ibid., p. 79. 41 Ibid., p. 198. 42 Ibid., p. 196.
Pour autant alors que « la maladie et la mort sont l'événement lui-même, comme tel justiciable d'une double causalité »43, c'est finalement par cette double causalité que l'événement va pouvoir se sauver, par le double que s'opère une libération engageant une véritable éthique du mime où l'événement n'est plus copie mais simulacre, pur infinitif de l'événement assurant sa fondation à la pointe d'un effondement, «être le mime de ce qui arrive effectivement, doubler l'effectuation d'une contreeffectuation, (... ] c'est donner à la vérité de l'événement la chance unique de ne pas se confondre avec son inévitable effectuation, (... ]. Autant que l'événement pur s'emprisonne chaque fois à jamais dans son effectuation, la contre-effectuation le libère, toujours pour d'autres fois »44. Ce "double et impersonnel en son double" par lequel l'événement figurait comme la mort laisse donc poindre en définitive à la lisière de l'apparition de cette impersonnalité pré-individuelle le surgissement de la splendeur du «on ». C'est l'écho de la plus pure singularité qui devient comme tel le point où « la mort se retourne contre la mort [... ] figure que prend la vie la plus singulière »45, une ligne de l'événement qui est que «jamais personne ne meurt, mais vient toujours de mourir et va touj ours mourir, dans le présent vide de l' Aiôn, éternité »46. Et la crainte d'une perte du gain de l'advenir se dissout par l'Aiôn. Aiôn qui se nomme aussi "joueur idéal" et dont le jeu est d'affirmer le hasard à tous les coups et pour tous les coups, événement unique et singulier distribuant aléatoirement sous la flèche du temps
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nous faire comprendre cette incartade moribonde? Sous quels signes de quelles cicatrices est-il déchiffrable? C'est semble-t-il sous la marque du secret de l'événement que Deleuze entrevoit la possibilité de sauver sa fondation: « Voilà le secret de l' événenlent : qu' il soit sur l' Aiôn et pourtant ne le relnplisse pas. Conlnlent l'incorporel renlplirait-il l'incorporel, et l'impénétrable l'ilnpénétrable ? Seuls les corps se pénètrent, seul Chronos est relnpli par les états de choses et les nlouvelnents d'objets qu'il mesure. Mais fonne vide et déroulée du tenlps, l'Aiôn subdivise à l'infini ce qui le hante sans jalnais l'habiter, Événement pour tous les événenlents; c'est pourquoi l'unité des événenlents ou des effets entre eux est d'un tout autre type que l'unité des causes corporelles entre elles. 40 » De la même manière que se distinguent deux tenlps selon lesquels l'événenlent se diftt'acte à l'infini, il existe une double causalité distincte, entre l'intériorité des causes et l'extériorité des effets, entre l'ordre des profondeurs conlnle rapports des causes entre les corps et celui des effets incorporels entre eux et qui se répartissent à la surface comme quasi-cause, Cette rupture de la relation causale est pour Deleuze « une des plus grandes audaces de la pensée stoïcienne »41. Elle inaugure une disjonction entre le présent de l'effectuation comme cause dans l'incarnation des corps et celui de la contre-effectuation comme quasi-cause qui n'est plus présent de l'incorporation mais de l'opération pure, « encore que la quasi-cause elle-même manque à sa propre identité »42.
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Véronique Bergen, L'ontologie de Gilles Deleuze, Paris, Ed. L'Harmattan, 2001, p. 274. 52 Sur le thème de la bouche et de l'oralité dans Logique du sens, nous ème renvoyons notamment à la 27 série jusqu'à la 3ime série (pp. 217267), ainsi qu'à l'article de Michel Foucault, « Theatrum Philosophicum », op. cit. 51
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la pensée définissant bon sens et sens commun qui se présuppose elle-même et le "vouloir-obtenir" d'une image du temps se redoublant dans le phénomène du regard au travers de la vision dans le cristal de temps, cela force à s'arrêter à l'inspiration bergsonienne de la philosophie deleuzienne, et plus précisément à ce couple conceptuel actuel-virtuel, affirmant désormais la philosophie comme théorie des multiplicités que Deleuze inaugure principalement avec l'ouvrage sur Bergson, qu'il commente, ramifie et développe, pour ne pas dire reproduit 58 •
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Logique du sens, op. cit., p. 81. 54 Deleuze citant Mallarmé, « Mimique », Œuvres, Paris, Gallimard, ~. 310, in Logique du sens, op. cit., p. 80. 5 Logique du sens, op. cit., p. 176. 56 Ibid., p. 19. 57 Gilles Deleuze, « L'actuel et le virtuel », in Gilles Deleuze - Claire Pamel, Dialogues, Paris, Ed. Flammarion, 1996 (1 ère éd., 1977), p.
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des deux, la ligne droite qui les sépare, mais également surface plane qui les articule, vitre ou glace impénétrable »53. « Tel opère le Mime, dont le jeu se borne à une allusion perpétuelle sans briser la glace »54. Au-delà d'une îtnage pratique de la réflexion pernlettant de réfléchir l' événelnent des deux côtés de la ligne du temps selon « un présent vide n'ayant pas plus d'épaisseur que la glace »55, s'annonce déjà le motif de la figuration d'un gernle cristallin, puisque « les événenlents sont comnle les cristaux, ils ne deviennent et ne grandissent que par les bords, sur les bords 56 ». Cette apparition cristalline, tenninologique et conceptuelle, est précisélnent celle par laquelle Deleuze tente de voir le temps dans son opération la plus fondanlentale, celle par laquelle il serait possible de saisir l'image d'un telnps pur dans sa fondation, où s'opère la distinction du virtuel et de l'actuel, correspondant «à la scission la plus fondamentale du tenlps, quand il avance en se diftërenciant suivant deux grandes voies: faire passer le présent et conserver le passé »57. Cette saisie d'une image directe du temps ne peut que rester pour le moment dans l'intrication d'un montage temporel tardant à se laisser appréhender. Mais elle doit s'éclairer notamment par rapport à la grande cOll1plexité du statut de l'image dans la philosophie deleuzienne. Entre la critique de l'orthodoxie du dogmatisme d'une image de 53
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La reproduction de Bergson ainsi évoquée ne peut .. 'l'Iltendre comme simple "copie de" mais plutôt comme llllllivement de différenciation, à la manière dont "C\'l~nen1ent, éternellement, vient redoubler la doublure ,ur la ligne infinie de l' Aiôn, affirmant un procédé Jhlll\'ant s'entendre sous le nom d'histoire de la pllliosophie: «L'histoire de la philosophie, c'est la r l'JH"oduction de la philosophie même. Il faudrait que le ~Illllptc rendu en histoire de la philosophie agisse comme 1111 véritable double, et comporte la modification maxima pl"llpre au double. [... ] Alors la répétition la plus exacte, la plus stricte a pour corrélat le maximum de différence. [... ] Si hicn qu'ils (les comptes rendus) ont une existence douhlc, et, pour double idéal, la pure répétition du texte ancien et du texte actuel l'un dans l'autre »59. Cette proposition depuis laquelle la philosophie deleuzienne s'inscrit, résonne en effet de façon tout à fait singulière quant à ce qui ressortirait d'un «cas Bergson »60. Car si l" est notamment depuis le couple actuel-virtuel bergsonien li ue Deleuze appuie toutes échappées de son système philosophique en immanence, couple aux conséquences majeures puisque c'est avec lui qu'il peut aussi débouter la théorie platonicienne des Idées, il n'en reste pas moins que l'intrication philosophique bergso-deleuzienne occupe une place à part dans le montage conceptuel. En effet, la tentative de se déprendre du mouvement quantitatif d'une dialectique historique pour y préférer une nouvelle lecture ra¡
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Gilles Deleuze in Jean-Clet Martin, Variations-La philosophie de Gilles Deleuze, op. cit., préface, p. 7. 90 « L'actuel et le virtuel », op. cit., p. 179. 91 Ibid. 92 DttTérence et répétition, op. cit., p. 274.
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validité d'une saisie philosophique, tout risque en vittualité entraîne avec lui à se perdre peu à peu à l'indistinction fondamentale augurant de l'hétérogène. C'est précisément à ce point que le virtuel qualifie du même fait un type particulier de multiplicité pouvant tenter Phétérogenèse (projet définissant la tentative deleuzienne) et son échappée, rencontre d'un milieu par lequel va s'actualiser le virtuel dans la conflagration d'un autre enselnble de virtualités: « [... ] le système ne doit pas seulenlent être en perpétuelle hétérogénéité, il doit être une hétérogenèse, ce qui, il nle semble, n'a jamais été tenté »89. Ce déploiement du système comme hétérogenèse s'inscrit en droite ligne d'une théorie des multiplicités et d'une philosophie bergsonienne de la diffërence. C'est ainsi que si « la philosophie est la théorie des multiplicités »90, chaque nlultiplicité « inlplique des éléments actuels et des élénlents virtuels »91. Retenant donc toujours de Bergson le principe de la division où le tenlps en tant qu'il est une grandeur intensive ne se divise pas sans changer de nature, Deleuze impulse aux séries du système la nécessité d'une refonte de la pensée de l'Un et du Multiple. En effet, l'effectuation propre au virtuel induit dans sa traîne la notion nlênle de multiplicité selon le procédé de l'intensification: « s'actualiser, pour un potentiel ou un virtuel, c'est toujours créer les lignes divergentes qui correspondent sans ressenlblance à la multiplicité virtuelle »92. Ce qu'à tout prix la Inultiplicité tente de résorber est donc les faux décalques d'une
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Ibid., p. 13. Ibid., p. 18. 105 Mille plateaux-Capitalisme et schizophrénie 2, op. cit., p. 36. 106 Mireille Buydens, « La forme dévorée. Pour une approche deleuzienne d'Internet », in Thierry Lenain (dir.), L'image: Deleuze, Foucault, Lyotard, Paris, Ed. Vrin, 1997, p. 54. \03
Gilles Deleuze, « L'immanence: une vie ... », in Philosophie nO 47, Paris, Minuit, 1995, p. 6. 100 Afille plateaux-Capitalisme et schizophrénie 2, op. cit., p. 13. lOI Ibid., p. 14. 102 Ibid., p. 31.
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L'actuel et le virtuel, l'Un et le Multiple
lnêlne voix pour tout le multiple aux mille voies, [... ] une seule clameur de l'Être pour tous les étants »97, cependant que « l'Être, ou le Temps, est une multiplicité; mais précisénlent, il n'est pas ""multiple", il est Un, conformélnent à son type de multiplicité98 » puisque P« Un est toujours l'indice d'une multiplicité »99. À ce point de divergence, seul garant de toute véritable hétérogenèse, pensant contre toute hiérarchie et dichotonlie, il fàut se pencher sur le concept de rhizome que forge Deleuze avec Guattari dans Jvfille plateaux. Car le lnultiple ne doit pas simplement se dire, il ne doit pas être un nOln, nlais toujours un substantif, multiplicité; il fàut l'effectuer et le faire, non pas en y ajoutant des dilnensions mais toujours par soustraction, toujours à sa dimension n-l: « Un tel système pourrait être nOlnlné rhizonle lOo .» Les nlultiplicités sont rhizomatiques « et dénoncent les pseudo-multiplicités arborescentes »101. En effet, pour défaire l'ordre péremptoire de la structure classique des grands systèmes dialectiques se développant selon une verticale arborescente, toujours le mênle schénla séculaire, tronc, arbre, racine, qui induit indéfiniInent des dualismes apostasiés, le rhizonle, à son encontre, se présente comlne une tige dont la progression est horizontale. Il est sans comnlencement ni tin, nlais « toujours un milieu, par lequel il pousse et déborde »102. Ne se laissant ramener ni à l'Un ni au Multiple, n'importe
98 Le bergsonisme, op. cit., p. 87.
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112 Pour cette partie nous renvoyons principalement à la lecture de Véronique Bergen, L'ontologie de Gilles Deleuze, Part. Il, Chap. « Du t~mps subordonné au mouvement au temps se subordonnant le mouvement », op. cit., pp. 209-227, ainsi qu'à l'ouvrage d'Eric Alliez, !'es temps capitaux, Tome l, Récits de la conquête du temps, Paris, Ed. du Cerf, 1991, Chap. 2, « Le temps de l'audace - Plotin», pp. 63-
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113 Véronique Bergen citant R. Schürman, Des hégémonies brisées, Toulouse, T.E.R, 1997, p. 197, in L'ontologie de Gilles Deleuze, op. cit., p. 210. 114 Platon, Timée - De la Nature, (37d) in Œuvres Complètes, Vol. Il, (trad. Léon Robin), Paris, Ed. Gallimard, 1950, p. 452. 115 Eric Alliez, Les temps capitaux, T.l, op. cil., p. 70. 116 Ibid., p. 64.
mouvement »117. Ainsi, malgré que le temps reste toujours entaché d'une valeur numéraire, la contre-effectuation plotinienne du temps aristotélicien déplace néanmoins la conception physicaliste d'un temps originaire nombré au mouvement local d'un point mobile, à une subsumption spiritualiste qui le rattache désormais à une vie de l'esprit. Cependant, l'éternité comme principe d'immutabilité et de permanence reste souveraine et dans un au-delà du temps. La subordination de la pensée à l'éternel n'enregistre encore ni véritable changement, ni profonde transformation. Qu'elle soit donc antique ou classique, la conception du temps reste toujours prisonnière d'un vice numéraire. Chez Aristote, elle endure la séquence linéaire d'un maintenant, césure suivant laquelle le philosophe envisage le paradoxe de la constitution de l'existence et du passage du temps. Chez Augustin, elle demeure entravée ct subit l'ordre de la succession des présents, « anciens, actuels et à venir selon l'ordre de l'avant et de l'après »118, même si la conception augustinienne inaugure une première version de l'appréhension d'une simultanéité avec ce qu'il nomme les « présents de présent, présents de futur et présents de passé »"9. Or, si l'inspiration augustinienne présente un cadre généalogique cohérent et satisfaisant à une triple temporalité s'actualisant sur le fil de son présent sans se départir des dimensions virtuelles de son passé proche et de son futur immédiat 120, il apparaît chez Deleuze que cette
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la triple temporalité faite "Une" des trois synthèses de Différence et répétition. 121 Véronique Bergen, L'ontologie de Gilles Deleuze, op. cil., p. 210. 122 L'Image-temps, op. cil., pp. 354-355.
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« prééminence du présent comme temps de la présence »121 conditionnant une genèse des dimensions respectives du passé et du futur à partir de ce présent prédéterminant, ne fournit définitivenlent qu'une représentation empirique ou nlétaphysique d'une inlage du temps s'éclairant dans L'Image-temps: «Tout ce qu'on peut dire, c'est que 1,Ïtnage-lnouvement ne nous donne pas une image-temps. [... ] D'une part, l'image-mouvement constitue le temps sous sa force empirique, le cours du tenlps : un présent successif suivant un rapport extrinsèque de l'avant et de l'après, tel que le passé est un ancien présent, et le futur, un présent à venir. [... ] d'autre palt, l'inlage-nl0uvenlent suscite déjà une inlage du temps qui s'en distingue par excès ou par défaut, par-dessus ou par-dessous le présent conlme cours empirique: cette fois, le temps n'est plus mesuré par le nlouvement, Inais est lui-Inême le nombre ou la mesure du mouvement (représentation métaphysique). [... ] sous l'un ou l'autre aspect, le temps ne se distingue ainsi du nlouvement que comme représentation indirecte»122. Le tenlps est finalement toujours saisi d'une façon indirecte, c'est-à-dire indéfiniment enclin à être une mesure du mouvement ou bien le lnesuré du mouvement, nombrant ou nombré demeurant conlme double détermination reconduite de tous les ratages à envisager le temps dans sa "chair". Qu'il soit donc un temps extériorisé dans un dehors du cosmos et du monde ou bien qu'il subodore le dedans d'une intériorité de l'âme et du mouvement de son expansion, il n'en reste pas moins subordonné à la géométrie cardinale
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"difficulté" de Plotin à saisir l'idée que la mesure est dans la chose mesurée et entraîne un rapport de réciprocité. En ddinitive, c'est l'être du temps qui échappera à la ddinition, comme on le disait déjà du mouvement réel, ce temps dont on affirme tour à tour qu'il est ce qui mesure et ce qui est mesuré, alors que ce sont là de toute évidence deux propositions inverses (enhellagmenos) l'une de l'autre »126. Cette double référence conceptuelle, sous-tendant l'inversion des valeurs théoriques d'une raison enclavée à tlne représentation physique du monde, résonne comme le revers propositionnel inhérent à la duplicité des concepts de l'actuel et du virtuel. Ceux-ci restaient effectivement dans une certaine mesure fondamentalement "bloqués" dans une « analytique de l'indiscernable »127, au creuset de l' indistinction. Hérités et répercutés de la même manière de l' Aiôn au Chronos stoïcien tant qu'à l'actuel-virtuel hergsonien et que nous envisagions précédemment en l'espèce de la possibilité d'une critique formulée par 1\adiou comme défaillance fonctionnelle. Cependant, audelà de cette hyperbole théorétique voyant s'accomplir la "répétition du même" au niveau de schème précurseur de l'intellect, condamnant d'emblée toute révolution possible de la pensée en son sein en scellant le mouvement réflexif ;'l s'arc-bouter aux limites des mêmes points nodaux souffrant à la pensée du paradoxe, c'est toutefois depuis cette "défaite" que Deleuze se tourne vers Kant. Celui-ci inaugure à son sens le véritable renversement d'une temporalité éparpillant littéralement à l'aune de sa révolution copernicienne ce temps qui restait coudé et crucifié comme temps de la représentation et de la or
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C'est par le truchement de la formule du Hamlet de Shakespeare « the time is out of joint! » ou « le temps est hors de ses gonds»128 que Deleuze exprime le grand renversement opéré par Kant. En sa poétique kantienne, cette formule souligne le dérèglement d'un temps affolé et délivré du mouvement lui permettant de libérer ses puissances et de s'affranchir des formes majeures l'assignant jusqu'alors à une virulente dépendance, Dieu, Moi, Monde; formes dans lesquelles il restait jusqu'alors enclavé et prisonnier. L'emploi de la formule dont l'usage est cher à Deleuze ne sert pas à faire dire autre chose au texte que ce qu'il dit, mais à révéler différemment ce qu'il sous-tend fondamentalement. C'est la puissance d'une image à l'allure travestissante qui use comme d'un masque et dont l'énoncé se fait double des virtualités qu'il recèle, formant ainsi que l'écrit Jean-Clet Martin cette «lignée souterraine avec d'autres textes» comme « série de lignées propres à reformuler les concepts» et qui « creuse une zone d' indiscernabilité entre tous les usages d'un terme en variation continue »129. Le temps sort de ses gonds signifie donc littéralement que l'axe de l'éternel selon lequel le temps demeurait courbé se déplie. Déroulant et déployant la cardinalité le long d'une pure ligne droite brisant le cercle, le temps se lance à la conquête d'un régime ordinal. Il n'est ainsi plus dérivé ni E
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rédemption sous les fonnes d'une dépendance physique, psychique et divine.
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128 Gilles Deleuze, « Sur quatre formules poétiques qui pourraient résumer la philosophie kantienne », in Critique et Clinique, Paris, Minuit, 1993, p. 40. Cf. aussi Différence et répétition, op. cit., p. 119. 129 Jean-Clet Martin, Variations - La philosophie de Gilles Deleuze, op. cit., pp. 75-76. Sur la formule, consulter également le texte de Deleuze, « Bartleby ou la formule », in Critique et Clinique, op. cit., pp. 89-115.
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Illl"mclle suivant laquelle l'esprit s'affecte lui-même, [... ]. l' n'est pas le temps qui nous est intérieur, [... ] c'est nous qlli sommes intérieurs au temps, et à ce titre toujours ,.l'parés par lui de ce qui nous détermine en l'affectant »140 ct. « la seule subjectivité, c'est le temps, le temps nonlltl"onologique saisi dans sa fondation, et c'est nous qui \ommes intérieurs au temps, non pas l'inverse. [... ] Le tl'mps n'est pas l'intérieur en nous, c'est juste le contraire, "intériorité dans laquelle nous sommes, nous nous Illouvons, vivons et changeons. [... ] La subjectivité n'est l;tmais la nôtre, c'est le temps, [... ] lui-même, pure \ irtualité qui se dédouble en affectant et affecté, "l'affection de soi par soi" comme définition du tl'mps »141. Pris dans un double jeu autour d'un sujet scindé ct creusé au-dedans avec le temps comme seule forme ddcnninable de ce qui peut exprimer mon existence Indéterminée, "Je" flirtant aux bords d'une scission tl'mporelle comme forme même de l'intériorité et l'onditionnant le seuil de notre fêlure, le sujet transcendantal kantien ayant cassé la chaîne des divisions spatiales qui épuisait en la figure d'un dualisme cartésien un "'Moi" s'équivalant dans le temps en définissant le rebut exigu d'une subjectivité passive, me sépare de moimême dans l'acte de synthèse transcendantale sous le fil du temps. L'affinnation deleuzienne d'une séparation moïque sous l'égide formelle du temps réitère donc la ditférenciation capitale d'un sujet d'inspiration kantienne pris entre la passivité d'un Moi emporté dans la fonne du changement et l'activité d'un Je assurant sous la fonne de l'immuabilité l'action synthétique d'une conscience effectuant la synthèse entre passé, présent et futur : « Le Je (
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leurs concaténations vassalisantes par crucifiaient le temps à l'autel d'une ombre rl'dcmptrice, elles réapparaissent néanmoins sous l'effigie de la représentation au secours de la nécessité d'une loi pratique pour réhabiliter le Dieu mort et le Je fêlé qui ressuscitent plus intégrés et certains que jamais [... ] dans l'intérêt pratique ou moral »146. Le renversement kantien apparaît alors plus comme momentané et résonne comme un hoquet transcendantal dont le balbutiement s()uligne singulièrement la déficience kantienne. À l'abandon de la philosophie transcendantale de Kant en sa butée pratique d'une raison législatrice, la r~prise deleuzienne d'une subjectivité séparée par la prirnauté du temps qui se scinde et nous scinde en s'élançant dans l'écheveau d'un futur inconditionné, initiant le long d'un cercle déroulé les pourtours d'un Moi dissous et d'un Je fêlé en tant qu"'égoité non-égologique", ne lasse pas d'esquisser l'archétype de son plan de pensée comme sol de toute ontologie. Remerciant ce Kant schizoïde en sa défaillance sous la formule de l'Autre qui pourrait en dernière instance n'être dans une forme schizophrénique qu'un "encore moi" contre lequel pointe malgré tout le désagrégement de l'être dans toutes ses impersonnalités, elle échoue peut-être cependant à « dériver l'Ego d'un non-Ego» nous obligeant en définitive, ainsi que le note Jacob Rogozinski, à « penser ensemble l'usage affirmatif-différentiel des synthèses pour qui "je est un autre" - et leur usage négatif-identitaire - qui fait que cet autre, c'est encore moi »147. Ainsi, I~squelles elles
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142 « Sur quatre formules poétiques qui pourraient résumer la philosophie kantienne », op. cit., p. 43. 143 L'Image-temps, op. cit., p. 174. 144 Diffërence et répétition, op. cit., p. 178. 145 Ibid., p. 180.
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Le long d'une ligne de fuite creusant les écarts et distendant les problèmes, Deleuze reconnaît donc et assigne à Kant la découverte du "prodigieux" domaine du transcendantal, ce en quoi il fait précisément figure de «l'analogue d'un grand explorateur »151. Découvrant la forme d'un Je fêlé subsumée à celle d'un Moi passif comme résultat de l'opération même du temps sur le sujet, le plus haut mérite que constitue ce moment décisif pour la pensée qu'est la philosophie transcendantale réside dans l'inauguration de cette profonde exigence consistant à «introduire la forme du temps dans la pensée comme telle »152. Cette intromission affecte définitivement l'ontologie qui ne peut plus depuis son tournant transcendantal que s'éprouver comme indissolublement liée à cette conquête d'une temporalité dont l'être nous scinde, à l'épreuve de la fêlure du Je. Mais alors que pour Deleuze, «Kant semblait armé [... ] pour renverser l'Image de la pensée »15\ il retombe, de fait, dans le gouffre d'une illusion représentative en ses présupposés doxiques implicites et ne fait que démultiplier l'usage d'un sens commun dont la philosophie reste prisonnière. Il ne peut tenir les promesses du transcendantal, à savoir se départir de la représentation et infléchir le renversement d'une image de la pensée séculaire qui se présuppose ellenlême. Aussi cette tentative aboutit-elle finalement à n'atteindre qu'un quasi-transcendantal décalqué sur l'empirique et enchaîné à un archétype identitaire. Elle 4 g
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nonobstant cet écueil kantien aboutissant finalement à inféoder toute libération entre-aperçue au joug d'une pensée représentative, cette défaillance n'apparaît-elle pas finalenlent comme «le paradignle de toute défaillance philosophique »148 7 En effet, si la décardinalisation rompue d'une temporalité désonnais "hors de ses gonds" réapparaît plus tardivement au cinélna dans L 'lmagetemps pour désigner la présentation d'un temps à l'état pur d'une inlage-tenlps « "transcendantale" au sens que Kant donne à ce mot »149, comment retrouver l'axe de la luéthode de Deleuze 7 De quelle manière l'usage du transcendantal se justifie-t-il 7 Quelle est donc cette singulière puissance d'un temps rhizomatique ranlifiant les envolées du système deleuzien et les délocalisant par suite cornille un retour concentrique illimitatif schizoïde en cette « dérive généralisée »150 7
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164 Cf. David Lapoujade, « Du champ transcendantal au nomadisme ouvrier. William James », in Gilles Deleuze, une vie philosophique, op. cit., p. 264. 165 « L'immanence: une vie ... », op. cit., p. 4. 166 Logique du sens, op. cit., p. 120 (note 5), 128.
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Un empirisme transcendantal
soubassement Ïlnnlanent de l'ontologie deleuzienne, il s'affirme nettement la césure du champ transcendantal congédiant toute assimilation à une quelconque objectité, tant bien qu'il ne puisse se prévaloir d'aucune appartenance à une subjectivité. Qualifiant par suite le processus opératoire de l'empirisme transcendantal, ce chanlp transcendantal d'inspiration sartrienne défini conl1ne "pur plan d'immanence" est donc, comme l'a précisé David Lapoujade l64 , ce qui sert la visée d'une libération de l'immanence en la rendant à son propre JnOUVelnent puisque le plan d'imnlanence «c'est quand l'inlmanence n'est plus Ïlnmanence à autre que soi »165. L'influence décisive que constitue la philosophie de Sartre pour la pensée du chalnp transcendantal chez Deleuze réside dans un texte de 1937, La transcendance de l'Ego. C'est en efTet Sartre le premier qui définit l'idée d'un champ impersonnel et pré-individuel nlême si, note Deleuze, celui-ci ne parvient pas à développer toutes les conséquences qu'il aurait pu en tirer car encore prisonnier de la détem1ination d'une conscience s'unifiant par « un jeu d'intentionnalités ou de rétentions pures »166. L'importance de l'idée d'une soustraction d'une conscience non-révélée réitère donc les objections fondamentales que Deleuze énonce à l'endroit de toute conscience comme détermination du transcendantal, puisque encore une fois, cette tentation répond d'un même vice de forme élaborant les conditions depuis son conditionné, à la ressemblance et à l'image de ce qu'il est
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hallucinatoire toujours passé et à venir. Comme cette vie indéfinie présentant « l'immensité du temps vide où l'on voit l'événement encore à venir et déjà arrivé »262, l'œuvre d'art à son tour s'institue comme l'invention de «ces nappes paradoxales, hypnotiques, hallucinatoires, dont le propre est à la fois d'être un passé, mais toujours à venir »263. D'une pédagogie de la perception œuvrant à révéler la mesure d'un œil fou s'immisçant partout dans la faille d'une entre-image cristalline comme lieu de l'échange inégal et dissymétrique de l'actuel et du virtuel à la révélation de cette vision qu'impose l'image-temps directe comme présentation du temps en personne où les connexions spatiales sont refondues sous les défantes du temps, c'est tout le schéma du temps qui s'inverse, transformant sa considération quantitative en une vision qualitative. Dès lors, c'est aussi bien sa forme qui est bouleversée inclinant à en percevoir plus précisément sa force. Et s'il faut se perdre et se sauver, s'il faut sortir du cristal après y avoir été happé, c'est peut-être en suivant cette force commandant plus profondément une mise en crise de la notion de vérité. Ainsi, au plus profond du temps, à sa plus infime pointe surgissent l'usage et la révélation d'une véritable puissance du faux. Des relations non-localisables d'un temps non-chronologique dans le creux de cette zone d'indiscernabilité aux relations noncausales d'une production immanente d'effets d'effets destituant la suprême origine causale, apparaît donc l'entre-moment d'un travestissement de la notion de Vrai ne pouvant plus s'effectuer selon les prédicats logiques de la représentation mais qui se métamorphose par la puissance des masques du reflet d'un miroir cristallin,
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À l'aube minérale d'un cristal de temps révélant la présentation d'une image-temps directe, où l'on aperçoit ce temps pur et cristallin comme le jaillissement dissymétrique en deux jets simultanés entre passé et présent, chacun scindés tout autant que liés, con-espond le saisissement coextensif de la révélation de la force du temps. Entre le renvoi dans le circuit actuel-virtuel s'effectuant à la surface double du cristal en ses deux faces indiscernables quoique distinctes, une opaque et une limpide, la temporalité éclatée qu'il nous est donné de percevoir par un état de voyance à la lisière de l'opérateur réflexif cristal emprunte la voie des linéaments récusant tout modèle de vérité, expectant même à la levée d'une véritable puissance du faux qui caractérise encore mieux l'apparition d'un faussaire. Mais comment parvient-on à destituer la notion même de vérité? Et pourquoi est-ce cette force du temps qui promeut l'avènement de la crise sévère que va connaître la vérité? Comment le faux enfin, compris en tant que puissance, permet-il d'assurer la transition métamorphosante de cette affection logique? Car pour Deleuze, ce que recèle plus profondément l'état de crise du temps est la remise en cause du Vrai et du modèle qu'il soutient, tant que de celui qui le soutient; somme toute, cet état de crise temporelle est bien plus aussi signe d'une crise de la vérité que celle-ci porte avec elle cependant qu'elle se refuse encore à l'observer tant qu'à l'admettre. Ainsi, contre la fausse évidence que l'image-temps soit strictement au présent, si ce n'est du présent, elle révèle néanmoins à la pointe de l'extrême "déjà-là" son existence comme constitution du passé le plus infiniment contracté. L'image-cristal comme image-
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2. Puissance du faux, crise de la vérité: force du temps.
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augurant en cela d'un terrible art du jàussaire, ou comme le dit Véronique Bergen, « le dispositif deleuzien met en scène une perception projective, narcissique, traçant les coordotmées de son champ d'exercice, et dont le nliroir nlatériel n'est que le reflet d'un simulacre percevant, Oll1bre d'une ombre, où le ressemblé (physique) s'inféode au tllodèle (psychique) du perçu, où percevant et perçu se confondent dans les tllétamorphoses arlequines d'un éternel travestissement »264. Et si la disjonction fait tressauter la langue par l'affirmation sans cesse renouvelée de cette distance positive de la divergence, ce bégaiement porté par la perception hallucinatoire pousse à la défaillance des modèles de vérité, insufflée par une in-épressible poussée d'Archimède mais dont la portance serait à son tour devenue folle, fausse, travestissante et déguisée.
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régime de description sous-tend lui-même un régime de narration qui est puissamment affecté par cette transformation. C'est donc tout à la fois que pour Deleuze, la temporalisation de l'image promouvant le seuil de certaines abolitions non moins que de révolutions, inversant l'ordre de vassalisation du temps au mouvement et rompant la subordination assujettissante qui en faisait une conséquence indirecte et timorée sous-tendant de fait le régime de la représentation, poursuit la lecture de cette grande crise de l'image action. En ramifiant l'opération des faux mouvements aberrants voir abusifs, où la cohérence lâche prise à la folie des situations et des faux raccords, il la conduit jusqu'à la rupture décisive et radicale d'une temporalité devenue folle et justiciable des effets de vérité, qui ne suppriment pas la narration mais lui donnent une nouvelle valeur. Dès lors, si le cristal de temps flirte à la limite de l'impersonnel cependant qu'il révèle le temps en personne, la conjugaison inextricable de la frontière entre nappes de passé et pointes de présent, rendant l'univers entier indécidable, ne lasse pas d'envoûter toute prétention à la vérité dans la robe fantomale de l'indétrônable croyance en l'existence et à la promotion d'une puissance du faux. Elle conjure ainsi tout spectre du vrai à la dissipation des masques des reflets cristallins, puisque ce qu'on voit ainsi désormais dans le cristal, « c'est le faux ou plutôt la puissance du faux. La puissance du faux, c'est le temps en personne, non pas parce que les contenus du temps sont variables, mais parce que la forme du temps comme devenir met en question tout modèle formel de vérité »267. C'est donc en même temps que la narration devient temporelle et falsifiante, inaugurant ainsi une véritable
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dite vérité ni moins de ce que la pensée peut en soi la posséder formellement, encore moins la mériter, dut-elle la découvrir. Car cette découverte, de toujours, recouvre la même terminologie de tout le système de la récognition, présupposant donc et hypostasiant l'existence d'un monde transcendant, idéal et valable: un monde des essences. Mais fondamentalement, rien ne présuppose ni ne prédispose la pensée à la plate adéquation avec la forme du Vrai. La seule vérité temporelle impose bien au contraire, dit Deleuze sous l'inspiration proustienne, à constater que «nous ne cherchons la vérité que dans le temps, contraints et forcés »271 et que les essences, bien loin de descendre d'un ciel des Idées, ne « vivent que dans les zones obscures »272. Toute recherche s'affirme donc comme temporelle, et toute vérité est nécessairement vérité du temps. Aussi, tout présupposé philosophique d'une volonté dite bonne, apte à découvrir le vrai ou même à en recevoir les fruits comme opération de déchiffrage des vérités abstraites, ne renforce encore une fois que le tort de la philosophie d'être victime d'une longue erreur parcourant la pensée, erreur assimilée au négatif et la déterminant à son insu. En fait, affirme Deleuze, « la vérité se trahit, s'interprète, est involontaire »273. Il y a toujours quelque chose qui force à penser et qui, dans la violence même de son signe, destitue déjà la suprême vérité comprise comme dépendante du système du jugement. Car ce qui nous force à penser s'assimile toujours au non-reconnaissable, au méconnu, à l'inconnu, repoussant plus avant l'effondrement consommé de la pensée sur elle-même et en révélant plus
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versions que nous avons de l'éternel retour restent dans la part sombre du texte, dans les coulisses du théâtre nietzschéen, aux bords de cette rue lugubre qu'évoque Zarathoustra énonçant sa vision au nain 30I • Et tant l'éternel retour est la grande révélation et intuition nietzschéenne, tant paradoxalement il demeure quasiment absent de son œuvre. C'est-à-dire que l'éternel retour ne s'écrit pas, pas plus qu'il ne se dit ou s'énonce. Et quand il se dit, c'est négativement. Ce que l'on sait principalement de l'éternel retour, c'est ce qu'il n'est pas, résistant ainsi à toute détermination positive. L'éternel retour n'est pas et ne saurait être ni retour du Même, du semblable ou de l'identique. Ainsi, dans l'éternel retour, «ce n'est pas l'être qui revient, mais le revenir lui-même constitue l'être en tant qu'il s'affirme du devenir et de ce qui passe. Ce n'est pas l'un qui revient, mais le revenir lui-même est l'un qui s'affirme du divers et du multiple. En d'autres termes, l'identité dans l'éternel retour ne désigne pas la nature de ce qui revient, mais au contraire le fait de revenir pour ce qui diffère. C'est pourquoi l'éternel retour doit être pensé comme une synthèse : synthèse du temps et de ses dimensions, synthèse du divers et de sa reproduction, synthèse du devenir et de l'être qui s'affirme du devenir, synthèse de la double affirmation »302. L'ultime répétition que représente l'éternel retour permet dès lors de valider tout ce qui revient mais surtout d'assurer le devenir; c'est-à-dire qu'il sert à authentifier et non à identifier, et qu'il est l'unique sens authentique que revêt ce futur inconditionné à l'épreuve de toute réelle pensée s'affirmant en tant que telle. Il est donc pur devenir
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Le paradoxe parodique de l'éternel retour
Gilles Deleuze, l'épreuve du temps
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les uns aux autres les articule, pas même de l'intention qui présida au choix des objets et à la clôture du système, mais seulement d'un style qui, puisqu'il n'a plus à exprimer une intention, que le voici en quelque sorte vidé de toute signification, doit pouvoir être mécaniquement imité »348. C'est dans ce paradoxe du jàussaire que l'historien infiltre ses propres thèses, « l'entrislTIe »349, opération dans laquelle la réussite ne s'évalue que dans une nonévaluation, une contre-effectuation invalidante comme le 1110uvement du teillps stoïcien, laissant l'art du faussaire dans sa propre négation, «dans l'indiscernabilité de l'authentique et de la copie. Une histoire de la philosophie pastichante est nécessairement une histoire de la philosophie pastichée: imitation à la deuxième puissance »350. Mais la simulation con1n1e propre du double ne dépendant plus du systèn1e de la représentation, s'affinne non plus comme copie non lTIoins qu'elle destitue l'idée Inême de toute origine, et assure alors à cette deuxième puissance la répétition différenciante de l'éten1el retour sélectif qui ne fait revenir que ce qu'il a élu, que ce qui revient dans l'excès laissant dans sa traînée la ruine de cette contre-effectuation. Ainsi, tout pastiche qu'elle soit ou qu'elle puisse être, c'est par l'instance promotion du règne des masques et des simulacres. À l'ombre de ce théâtre productif, ce qui advient, c'est le nouveau. Mais le nouveau s'étant déjà paradoxalement essayé, simulant un récit ne se rapportant « plus à un idéal du vrai qui en constitue la véracité, mais devient un pseudo-récit, un poème, un récit simulant ou plutôt une
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357
Dans la voie clairsemée de repères diffus, nous pouvons nous en remettre à la destitution du logos travaillé par le temps, travaillé par le style, et que déjà Deleuze laissait avec lui à l'invite de Proust: « Peut-être est-ce cela le temps: l'existence ultime de parties de tailles et de formes différentes qui ne se laissent pas adapter, qui ne se développent pas au même rythme, et que le fleuve du style n'entraîne pas à la même vitesse. L'ordre du cosmos s'est effondré, émietté dans des chaînes associatives et des points de vue non communicants. [... ] c'est dans les méandres et les anneaux d'un style Anti-Iogos qu'elle fait autant de détours qu'il faut pour ramasser les morceaux ultimes, entraîner à des vitesses différentes tous les fragments dont chacun renvoie à un ensemble différent, ou ne renvoie à aucun ensemble du tout, ou ne renvoie à aucun autre ensemble que celui du style »362. C'est ainsi que résonne maintenant la terrifiante nouvelle: «il n'y a pas de logos, il n'y a que des hiéroglyphes »363. Face à l'Anti-Iogos propositionnel préconisé se répand, dans l'attente mue d'un désir éconduit, la lente observation d'un déchiffrage en devenir, de l'écriture hiéroglyphique dont il faut prendre patience pour en déchiffrer les signes et que le sens se trahisse. Car il n'y a pas de vérité qui se dévoile puisque toute vérité est productive, se trahissant au défaut d'un dépareillement, d'un travestissement, sous l'ombre d'un masque se faisant son effigie, étant double et original. De même qu'il n'y a plus de copies non moins que des modèles, si ce n'est des simulacres qui se simulent. Entre le signe et le sens, deux versions différées d'un même temps les traversant, les animant, et qui nous force à penser. À la reconduite de la
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«Le devenir est toujours double, et c'est ce double devenir qui constitue le peuple à venir et la nouvelle terre. Le philosophe doit devenir non-philosophe, pour que la non-philosophie devienne la terre et le peuple de la philosophie )),
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Qu'est-ce que la philosophie ?, p. 105.
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Zébrant le plan d'immanence, orage intempestif, l'éclair deleuzien aura donc bien eu lieu. Sur la voie contestant toute analogie justificative, Deleuze en son ombre libère les puissances d'un temps arraisonné en son centre depuis l'antiquité. Que pouvaient nous promettre les forces libératrices du temps des séries disruptives? De se saisir, et de se déprendre. Double promesse qui, on le comprend désormais, laisse miroiter dans le prisme du cristal, le risque éternel d'une chute idéale-réelle dans le sans-fond de l'être, de la pensée et du temps. Et dans la mise au tombeau de toute vérité catégorielle que permettait l'affolement du temps, nous ne savions plus si, en définitive, l'être travaillé à même le mot par la montée d'un style reculant les limites de l'observable ne donnait pas finalement en son usage l'exact inverse de ce qu'il prétendait inaugurer. L'exact inverse? C'est là tout l'inextricable dessein de la critique quand elle se heurte à
Gilles Deleuze, L'épuisé, postface à Samuel Beckett, Quad, Paris, Minuit, 1992, pp. 71-72.
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unité de mesure et à cette différence de différence, coalescence par laquelle, non-dialectiquement, chaque point du texte s'échange avec un autre selon un point indiscernable et fuyant, n'arrêtant en rien le mouvement mais tuant le tenlps à l'itllpersonnel et retournant l'événement en son double conlme à la mort, eventum tantum, un événelnent unique et indivisible au cas duquel ce temps mort du vivant incline à procéder en sa contreeffectuation à un retournement de ce dont il procède, et émane pour jouir enfin insupportablelnent, en une attitude contemplative, de sa propre inlage. Et que peut l'art si ce n'est toujours ça aussi, «tenter de faire une image de tenlps »370.
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Gilles Deleuze, l'épreuve dUlemps
croyance qui pour un temps au moins, aurait nécessairement conduit son auteur à emprunter le chemin improbable d'une résolution différée de la connaissance de l'Être du temps, sans pour autant sombrer dans la mort promise que lui impose le sens qu'il s'en est donné par le jeu du multiple, inscrivant en cela au cœur même du système l'ultime doute de toute viabilité. Si la philosophie de Deleuze ne résiste pas à jouer contre elle-même, tant et si bien qu'il ne reste peut-être plus qu'au philosophe de ramasser ces miettes philosophiques et de les offrir aux vents incrédules de toutes disséminations artificielles, récolter les fruits épars de ce qui pourrait nous en donner une connaissance et peut-être, à l'instar de toute préconisation nietzschéenne du devenir-artiste, se tourner vers l'art, c'est que c'est dans la mesure de cette résistance qu'elle distille justement ce quelque chose exprimant peutêtre la philosophie même, au bout de tout épuisement, perte, risque et défaillance, subtile et suprême fièvre faisant l'effet du chevauchement de ce balai de sorcière de l'homme de Kiev lisant l'Éthique de Spinoza. Et que précisément, elle soit la résistance même éprouvant à la pointe de son effort ce qu'est un style. Si c'est toujours depuis un point de vue qu'il nous est donné d'effectuer une lecture, la différence interne que nous avons pu croire nous aveugler suit le perspectivisme des lignes de fuites deleuzienne, en leur origine ombragée et orageuse, de tomber comme émanant de ces lignes de lumières plotiniennes. Tout se double sans se redoubler encore cependant que le retour de l'affirmation annonce à la joie de sa vue que tout soit simulation. De calque et de carte, toute géographie nous reconduit à son orient. De là à entendre la pensée de Gilles Deleuze à l'empire du milieu, c'est peut-être qu'elle nous convoque à l'orient de
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Cependant, dans la percolation d'un style à l'épreuve d'un temps, nous saisissons tout de même quelques menus fragments, pertes et défaillances, décelant alors sous cette philosophie fragmentaire, le menu moyen de peut-être faire un tant soit peu dévier le survol de tous les aplombs. Il semble que définitivement, hormis l'épreuve du changement dans le cours empirique des choses, la compréhension du temps dans sa réalité pure échappe à toute réelle saisie philosophique, se consumant dans l'âtre du sens qui résiste, à n'apercevoir que l'impuissance dernière d'un système se bouclant sur luinlême, se condatnnant dans l'ouvert à n'être dans tous ses devenirs qu'un concept fuyant de la tenlporalité qui se heurte à la limite de tous les montages possibles. L'énigme réservée que protnettait le début de cette étude apparaît alors devoir se consumer d'elle-même dans l'enchevêtrement d'un jeu de concepts et d'un discours qui abattent la figure du maître sur l'autel de ses représentations, n'avoir pas su se détacher du besoin d'une 174
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une pensée du multiple tentant l'hétérogenèse. Car, tout à la fois que nous conjecturions pouvoir déborder le sens donné des concepts, dans la farandole d'une danse s'engageant dans l'ultitne ritournelle des circuits inassignables et indiscernables, tout à la fois il selnble que nous nous heurtions néanmoins à l'échappée du faussaire qui s'offre ensenlble toutes les portes de sortie; car une seule les contient toutes mais différenciées, augurant que tout abandon s'évalue à la rupture qu'il initie, et qu'avec Deleuze précisélnent, tout risque du temps concorde à la reconduite de l'échec de la représentation, par laquelle il faut rOlnpre tnais dont tout saut dans ce nouveau tarde à s'effectuer.
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Gilles Deleuze, l'épreuve du temps
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