Christian Robin
DU PAGANISME AU MONOTHÉISME
1. Les religions pa'iennes du Yémen préislamique 11 serait intéressant de ...
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Christian Robin
DU PAGANISME AU MONOTHÉISME
1. Les religions pa'iennes du Yémen préislamique 11 serait intéressant de pouvoir comparer les dispositions qui régissent les pratiques religieuses et les normes qui organisent la société avant et apres l'Islam. En fait, ce n'est guere possible : pour la période préislamique, nous savons beaucoup de choses sur le Yémen antique mais presque rien sur les grandes oasis du J:lijãz ; apres I'Islam, c'est l'inverse. Or, s'il existe une certaine communauté culturelle entre les diverses parties de I' Arabie, les différences sont également fort importantes entre les négociants des oasis et les montagnards du Yémen. II faut se résigner à ne tenter que de fugitifs rapprochements, dont la validité n' est pas toujours assurée. Mais ii convient de brosser auparavant, en quelques mots, ce que nous savons du paganisme préislamique. Le trait dominant est la sécheresse de nos sources. En ~ehors de I' Arabie du Sud, les inscriptions ne contiennent guere que de laconiques invocations aux divinités, qui ne nous éclairent ni sur la nature, ni sur les fonctions de celles-ci. Certains noms sont encore familiers parce qu'ils sont mentionnés dans le Coran, comme ceux d'al->, 'rmy (arami), vient de Syrie ; on le trouve également en éthiopien classique. II dérive de l'ethnique «araméen» : dans la Syrie byzantine, Jes gens de la campagne, de langue araméenne, tardaient à se convertir au christianisme, à I'opposé des citadins, en majorité hellénisés. Quant aux banü Yaz'an, grands seigneurs d'une vaste principauté qui englobait tout le Yémen oriental, leur conversion au judalsme n'est assurée qu'à partir du regne du roi Yüsuf As'ar Yath'ar. Les traditions aralres ont d'ailleurs conservé le souvenir que Sayf Ibn dhi-Yaz' an (ou Yazan), qui fit appel aux Perses pour chasser les Abyssins du Yémen vers 575, était de confession juive.
Du paganisme au monothéisme / 147 Malgré les succes du judalsme, la dynastie ~imyarite maintint une politique religieuse prudente : aucune inscription royale, jusqu'au regne de Yüsuf, ne laisse entrevoir une préférence pour le judaYsme. Deux raisons peuvent justifier cette réserve. La premiere, sans doute décisive, est la pression byzantine, dans un contexte intemational agité. La seconde est le souci de ne pas heurter les ijimyarites convertis au christianisme, nombreux dans les iles, les régions côtieres et en bordure du désert. Cette politique ~imyarite rappelle évidemment l'attitude ambigue des rois abyssins chrétiens, vers la même époque. Dans leurs inscriptions en langue grecque, que seuls les étrangers et quelques lettrés pouvaient comprendre, ils claironnent une inébranlable orthodoxie trinitaire mais, dans les textes en langue locale, d'un acces plus facile à la population. ils se montrent réservés, avec des formules monothéismes parfaitement neutres et acceptables parles di verses obédiences. II est possible, d'ailleurs, qu'un courant monothéiste autochtone se soit progressivement organisé, renvoyant dos-à-dos juifs, chrétiens et d' autres peut-être ; ii n' aurait retenu que les dogmes sur lesquels les divers compétiteurs s' accordaient. Les /:lanif des traditions arabes pourraient en être l'illustration. Le judai·sme ne s'est pas diffusé qu'en Arabie du sud. On sait qu'il était tres bien implanté dans le nord du I:lijãz, notamment à Yathrib et à Taymã'. Plusieurs poetes arabes préislamiques, de confession juive, ont laissé un nom : le plus célebre est certainement asSamaw'al (c'est-à-dire Samuel). A Yathrib (appelée ensuite Médine), au moment de l'hégire, coexistaient principalement cinq tribus arabes, deux non-juives, les Aws et les Khazraj, et trois juives, les Quray~a. les an-Na~ir et les Qaynuqac. II est vraisemblable que Ia plupart de ces juifs étaient des convertis, même s'il se trouvait sans doute parmi eux des descendants de juifs palestiniens qui avaient fui les persécutions grecques et romaines. La diffusion du christianisme en Arabie n 'est guere attestée que par des sources étrangeres ou relativement tardives. En Arabie du sud, au début du VI• siecle, on sait que les chrétiens dominaient à Najrãn (voir ci-dessous, pp. 150 et suiv.) et dans l'ile de Suqutra ; on en trouvait également à Ma' rib, au I:Ja~ramawt et probablement dans Ies régions côtieres qui faisaient face à 1' Abyssinie. Mais ces communautés n'ont pas laissé devestiges identifiables, sinon quelques croix gravées surdes rochers. Apres la conquête abyssine du Yémen, en 525 semble-t-il, le christianisme est imposé au pays. On possede trois inscriptions, toutes royales, qui affirment explicitement une foi trinitaire. La premiere a pour auteur un ~imyarite nommé Sumyafa< Ashwa", un fantoche placé sur Ie trône parles occupants. Elle se termine par l'invocation : «au nom de Ral).manãn e.t de son fils Christ vainqueur.[ .... ]» (b-s 1m R~mn" w-bn-hw Kr:r1ts3 Glb" .[. .... ]). Les deux autres sont dues à l'Abyssin Abrahã, qui s'empara du trône et se dégagea de la tutelle du négus. Voici comment débute la plus intéressante, CIH 541 : "Avec Ia puissance, l'aide et la miséri- 2corde de Ral).manãn, de son Mes- \ie et de I'Esprit de Sainteté, on a écrit ~cette inscription, moi, Abrahã -> dans I' Encyclopédie de l'lslam2). En arabe, le substantif mi/:lrãb (racine l:fRB) est três probablement un emprunt: sa
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signification s'écarte notablement de celle des autres mots formés sur cette racin~. On a interprété en conséquence mi~rãb par les racines sémitiques KRB ou }:iRM, possibles doublets de l:IRB, et on a rapproché mibrãb du guêze m'k.,rãb ou m'~rãm, en soulignant 1'identité de sclfeme. II n'est pas nécessaire d'aller si loin. Le mot miJ:rrãb est bien attesté dans la littérature arabe ancienne, surtout en rapport avec le Yémen, comme l'ont noté depois longtemps les lexicographes arabes et européens. Quatre acceptions principales se dégagent : un lieu élevé ; un lieu noble ; un lieu d'isolement ; enfio un lieu de priere, ou l'on se prosterne. C'est donc un endroit réservé, protégé, d'acces difficile, éventuellement une construction présentant ces caracteres. L' origine yéménite du mot mif:trãb se confirme quand on observe que le scheme mifãl est utilisé comme nom de lieu en arabe yéménite (voir miblãf, «province» ou mi'qãb, «magasin»), alors qu'il n'est employé en arabe que comme nom d'instrument ou comme adjectif intensif. De plus, les attestations de miJ:rriib remontent bien avant I' lslam : dans les inscriptions sudarabiques, nous en avons désormais cinq, dont trois découvertes tout récemment. L'une daterait du début du VI" siecle ; les autres semblent un peu antérieures (IVe et v• siecles). Dans ces documents, tous l;aimyarites comme l'implique la date, deux acceptions peuvent être distinguées :
a. Le terme mibrâb désignant un édifice Dans trois inscriptions, un édifice qualifié de mi/:rrãb est particularisé par un nom propre. C'est donc une réalisation de prestige. II ne semble pas que ce soit une simple piece dans un bâtiment ; les contextes suggerent plutôt une construction indépendante.
1) Ir 71 de Nã''i! (à 45 km au nord de $ancã') (fig. 42): 1 'l[Wb Ydbq w-bn-hw 'yf Yrm 'Lht Fw= 4 monogramrnes I 'l[Wb I s1lwm I H#b" I 'yf I 2 qm" w-Jjfnm w-