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le mercantilisme
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,.. pierre deyon maître de conférences à la facilité des lettres et sciences humaines de Lille
le mercantilisme
questions d'histoire
Sur la couverrure : De Bry: Emblemata, «Le Marchand *, 1953,
British Museum. Cliché J. R. Freeman. © Weidenfeld
and Nicolson.
collection dirigée par marc ferro
flammarion lIBRARY
r
CHRONOLOGIE
QUELQUES FAITS ESSENTIELS OU SIGNIFICATIFS
1492 15°2 15°3 15°5 1511 1519 ~
;
1529 1533 1536 1545 1549 1554 1557 © FLAMMARION,
1558
1969.
l
Christophe Colomb découvre les
Antilles.
Christophe Colomb débarque au
Honduras.
Organisation du commerce hispano
américain (Casa de contratacion à
Séville).
Les Portugais au Mozambique.
Les Portugais à Malacca et aux
Moluques.
Cortez au Mexique. Départ de Magel
lan. N. Copernic : Discours sur la
frappe des monnaies. Pizarre au Pérou.
Prise de Cuzco.
Almagro au Chili.
Ouverture des mines du Potosi.
Rédaction du Campendious or brief
examinations of certain ordinary cam plaints...
Invention de l'amalgame pour extraire
l'argent du minerai.
Banqueroutes et crise financière inter
nationale.
Ortiz adresse au roi d'Espagne son
p LE MERCANTILISME
6
1581 1587 1588
1600
à
1613 1615 1618
1619
1620
1621
7
mémoire Pour que les monnaies ne sortent pas du royaume. Response de Jean Bodin au Paradoxe de M. de Malestroit sur le fait des monnaies.
Edit de Louis XIII permettant aux
nobles le commerce de mer et l'arme
ment maritime sans risque de déro
geance.
La Gomberdière : Nouveau règlement
Théâtre d'agriculture.
rable.
Révolte des gueux aux Pays Bas.
général sur toutes sortes de marchan Drake attaque la Carrera d;S In~es.
dises.
Edit royal en France pour genérahser
1635 Fondation d'une compagnie française
des îles d'Amérique.
le système des jurandes.
1637 Création en Suède du Collège des
Drake bloque Cadix.
Davanzati : Lezione delle Monete.
Mines.
1638 Botero : Cause della grandezza e magni
Fermeture du Japon aux étrangers.
ficenza della citta. Défaite et dispersion
1640 Début de la Révolution d'Angleterre.
1644 dans la Manche et la Mer du Nord de
Tarif protecteur français concernant
les textiles.
l'Armada espagnole.
Création de la Compagnie anglaise des
16 46 Eon (en religion le père Mathias
Indes orientales. Olivier de Serres : de Saint Jean) : Le Commerce hono
1572
1600
CHRONOLOGIE
1610
Rédaction et édition des principaux Mémoires et traités de B. de Laffe
mas.
Compagnie néerlandaise des Indes
orientales.
Création de la Banque d'Amsterdam,
et trêve de 12 ans entre l'Espagne et
les Provinces-Unies.
Serra : Breve trattato delle cause que
La Fronde. Les traités de Westphalie. Premier acte de navigation en Angle terre. Création en Suède du Collège du Commerce. Première guerre ang1o-hollandaise. Les Néerlandais enlèvent Le Cap aux Portugais. Ruine de l'Empire hollan dais du Brésil. Fin de la Fronde. fan abondare i regni d'oro e d'argento.
Les Anglais à la Jamaïque. A. de Montchrétien : Traité de l'Eco
Traité des Pyrénées. Taxe française de 50 sous par tonneau sur les vais nomie politique.
Débuts de la guerre de Trente Ans.
seaux étrangers. 1660 Fondation de Batavia.
Deuxième acte de navigation anglais. Les pèlerins du « Mayflower » en
Traité d'Oliva et de Copenhague. 1661 Création du Board of trade and plan Amérique.
Compagnie néerla!1daise des In~es
tations. La Banque de Palmstruch occidentales et repnse de la guerre hlS
émet en Suède et pour la première fois en Europe une monnaie de pano-hollandaise.
Th. Mun: A Discourse of trade to the
papier. Réforme monétaire anglaise. Pierre de 1662 east Indies.
Misselden : Free trade.
La Court: Van Interest van Holland. Les Hollandais chassent les Anglais
Nouveau tarif français. Création des Compagnies françaises des Indes d'Amboine.
LE MERCANTILISME
8
F CHRONOLOGIE
occidentales et orientales. Les Anglais tennent La Nouvelle Amsterdam. h. Mun : England' s treasure by
foreign trade.
1665-1667 1665 1667-1668 1667 1668
17°3 1707
.
1710 17IZ
Deuxième guerre anglo-hoilandaise. Les Français à Saint-Domingue. Guerre de Dévolution. . Nouveau tarif français. .J. Child : Brief observations concermng trade and interest of money. J. Becher:
1713
Discours des causes des progrès ou de la décadence des empires, des villes, des républiques.
1669 1670 1672 1674 1673 1675 1681 1682 1685 1688 1690 1691 1694 1695 1695 à 1704 1699 1700 17°2-1714
Règlement de Colbert concernant la draperie. Compagnie française du Levant. . Troisième guerre anglo-hollandaIse; 1672-1678 guerre de Hollande. . Edit pour le commerce des négOCIants en gros et en détail. Edit renouvelant les décisions de 1581 et 1587 sur la généralisation des jurandes. J. Savary: Le parfait négociant. Ouverture du canal du Midi. Pierre le Grand est proclamé Ts~r. Cavelier de La Salle descend le Mis sissipi. Révocation de l'Edit de Nantes. Seconde révolution d'Angleterre. Débuts de la guerre de la Ligue d'Augsbourg. J. Child : A Discourse about trade. W. Petty L'Arithmétique politique. D. North: Discourse upon trade. Création de la Banque d'Angleterre. Boisguilbert : Le Détail de la Fra.nce. Publications de plusieurs essaIS de C. Davenant. Traité commercial franco-hollandais. Acceptation Kar Louis XIV du tes tament de C arles II. Guerre de succession d'Espagne.
1716 1717 1720 1722 1724 1725 1729 1732 1736 t
1742 1744 1748 1752 1754 1755 1758 1763
9
Traité commercial anglo-portugais de Methuen. Vauban: La Dîme royale. Boisguilbert : Le Factum de la France. Compagnie anglaise de la mer du Sud. Boisguilbert: Traité des grains et Dis
sertation sur la nature des richesses. Traités d'Utrecht. L'Espagne accorde à l'Angleterre le vaisseau de permis sion et le privilège de l'asiento concer nant l'importation des esclaves noirs dans les colonies espagnoles. Création de la banque de Law. Saint-Pétersbourg, capitale de Pierre le Grand. Création de la Compagnie française d'Occident. Faillite et fuite de Law. Fondation aux Pays-Bas de la Compa gnie d'Ostende. La Bourse de Paris. Possochkov : Le Livre sur la pauvreté
et la richesse. Colonies anglaises des Carolines. Fondation de la Georgie. Création de la Banque de Copen bague. Dupleix gouverneur général de l'Inde française. Débuts de la guerre franco-anglaise. Traité d'Aix-Ia-Chapelle. D. Hume: Discours politiques. Rappel de Dupleix et traité de Gode heu, recul français en Inde. Nouvelle guerre franco - anglaise. R. Cantillon : Essai sur la nature du
commerce en général. Quesnay : Tableau économique. Véron de Forbonnais : Recherches et consi
dérations sur les finances de la France. Traité de Paris. Liberté d'exporta dons des céréales françaises.
10
1765 1774-1776 1776
LE MERCANTILISME
r
i
Frédéric II crée la Banque de Berlin. Tentatives réformatrices de Turgot. Déclaration d'indépendance des É~ats Unis d'Amérique du nord. A. Smith:
La Richesse des nations.
INTRODUCTION
A LA RECHERCHE D'UN MYTHE
Le mercantilisme a été défini et baptisé par ses adver saires. Comment s'étonner. qu'ils l'aient mal nommé? Pour mieux le discréditer, ils ont feint de ne retenir que son aspect commercial, et ils ont réussi à donner à l'ad jectif mercantile une nuance péjorative et odieuse. Dénonçant dans le mercantilisme le triomphe des inté rêts égoïstes des marchands, ils ont ignoré qu'il était aussi un système manufacturier, agricole, et toute une concep tion de la puissance étatique. Leur choix parait d'autant plus discutable que les marchands se sont presque tou Jours méfiés de l'intervention de l'Etat dans le négoce, et que bien des mercantilistes ont dénoncé leur égoïsme ou leur étroitesse d'esprit. A. Smith et le marquis de Mirabeau ne parlaient en vérité que de « système mer cantile ». Les historiens économistes allemands de la seconde moitié du XlXe siècle crurent donner à ce« sys tème II une plus grande dignité philosophique en sub stantivantet idéalisant l'adjectif. Ils célébrèrentleMerkan tilismus, lui rendant ainsi un bien mauvais service. Des grands mots en « isme ll, on attend en effet une certaine cohérence, un certain niveau d'abstraction philoso phique; or le mercantilisme ne constitue pas, n'a jamais constitué une doctrine sociale organisée avec sa Bible, son Eglise et ses prophètes. Du XVIe au xvm e siècle, per sonne ne s'est déclaré mercantiliste, et il n'existe aucune profession de foi permettant de classer par comparaison
12
LE MERCANTIUSMB
les écrits et les pratiques économiq,ues du teIll;ps. Cette situation a introduit une certame confUSIon dans l'histoire des théories économiques. n n'existe pas de définition commune du mercantilisme et de ses carac tères fondamentaux. Ceux-ci retiennent le nationalisme autarcique, ceux-là l'interventionnis1I!-e de l~tat, d'au~es encore attachent une importance prlffiordlale au .bulho nisme, c'est-à-dire à la croyance que l'acc~ulatlon des métaux précieux est la seule forme de la nchesse. Sel?n les auteurs, tels économistes de l'époque clas~que, C.hild ou Cantillon par exemple, ~ont c1as,ses tantot par~l1 les mercantilistes, tantôt parml les precurseurs. ~u l;~éra lisme. Selon les critères que chacun a ChOISIS, 1 ecole s'enrichit de nouvelles recrues, ou voit désertet ses rangs. Là où certains célèbrent sa féconde diversité, d'autres signalent avec complaisance les oppositions et les rés~ves suscitées par son fétichisme de l'or. Le grand livre d'E. F. Heckscher Le Mercantilisme, paru en 193 1 en su.é dois, traduit en 1932 en allemand, et dès. 1935 en angll!ls, n'a pas dissipé toutes les incertitudes, bIen au contrarre. Heckscher considère le mercantilisme comme un sys tème d'idées, comme le programme d'une politique, mais il lui dénie toute aptitude à rendre c01I!-pte des mé~ nismes économiques du t~pS, et n,~ghge .tout à faIt l'influence des faits économlques sur 1evolunon de cette politique. En dépit de son immense érudition historique et de sa science de l'économie politique, le livre d'Heck scher n'est donc pa~ p~enu à ét~blir une sy~!hèse satisfaisante entre l'histOIre, les théones et les polinques
économiques. Certains ~e ses critiqu~s e~ O~lt conclu
que le mercantilisme étatt un syst~m~ ~~arre et une
notion inutile ou dangereuse et qu'Il etaIt vam de recher
cher l'unité de pensées fort diverses ou de politiques dis
parates et circonstancielles *.
La parution même de notre livre prouve que nous
n'avons pas cédé à cette tentation de l'hypercritique.
Nous accueillerons donc, à titre d'hypothèse, une notion
sanctionnée par un long usage. Nous considérerons pro
r
INTRODUCTION
13
visoirement le mercantilisme comme l'ensemble des théories et des pratiques d'intervention économique qui se sont développées dans l'Europe moderne depuis le Inilieu du xve siècle. Recherchant une éventuelle unité d'inspiration et de méthodes, nous étudierons, avec l'em pirisme qui caractérise souvent l'historien, les doctrines et les politiques des Etats européens de la Renaissance jusqu'au début de la Révolution industrielle. Sur les ruines des particularismes urbains et féodaux, nous rechercherons si les monarchies nationales ont su pro mouvoir de nouvelles formes d'activité économique. Sur les ruines des idéaux médiévaux d'universalité et de pauvreté évangélique, nous rechercherons si les hommes ont trouvé dans le service du Prince, et en attendant le triomphe de l'individualisme libéral, des justifications nouvelles à leur soif de richesse. Si l'histoire confirme la légitimité de l' « hypothèse mercantiliste », il nous restera deux problèmes à résoudre, celui des rapports du sys tème avec les faits, la conjoncture économique les réa lités sociales, et celui de son influence sur l'avènement du capitalisme moderne.
,
* T. H. MARSHALL, Economicjournal, 1935; A. V. JUDGl!S, Trans
actions of the royal mstoncal society, 1939 et D. C. COLl!lIlAN, Scan
dinavian economic history Rll'lliew, 1957·
r
PREMIÈRE PARTIE: Les
CHAPITRE PREMIER
POLITIQUES ET PRATIQUES
DU MERCANTILISME
1. - LES ANTÉCÉDENTS MÉDIÉVAUX
La commune. médiévale a légué à l'Etat moderne une solide tradition d'intervention dans la vie écono mi9ue et sociale. Elle ne restait indifférente à aucune des actIvités professionnelles et commerciales de ses bour geois, et elle exerçait sur les étrangers une surveillance sans indulgence. Les Etats monarchiques des )(Vil et XVIe siècles ont donc trouvé dans ce trésor d'expériences et de règle ments, les premiers éléments de leur politique écono mique; dans une certaine mesure le mercantilisme qui commence à s'affirmer en France et en Angleterre dans la seconde moitié du xv e siècle a étendu aux limites des jeunes monarchies nationales les préoccupations et les pratiques des cités du Moyen Age *. La réglementation de ces économies urbaines obéissait à certains impératifs que nous retrouvons dans la poli tique économique des monarchies européennes. Les échevins et les magistrats municipaux veillaient au ravi taillement de la ville en produits alimentaires et en matières premières, base de toute son activité écono mique. Ils cherchaient à lui réserver un certain nombre de fabrications et de négoces en combattant les concur " H. PIRl!NNl!,
1951, p. 356.
Histoire économique de l'Occidmt médiéval, Bruges,
16
LE MERCANTILISME
rences du plat pays et des autres cités. Enfin ils contrai gnaient les étrangers, venus en ville, à passer par les inter médiaires indigènes. Nous allons retrouver dans le cadre d'une politique intéressant cette fois l'ensemble d'un Etat les mêmes soucis et les mêmes attitudes. La similitude est particulièrement nette dans le cas des principautés italiennes, nées aux XIVe et xve siècles autour d'une ville. Les Sforza à Milan, les Médicis à Florence, les Bentivoglio à Bologne protègent les communautés professionnelles urbaines, encouragent et subvention nent les inventeurs, les entrepreneurs d'avant-garde, citadins ou étrangers. Ils s'intéressent avec la même sollicitude aux armuriers, aux bronziers, aux verriers, aux drapiers et aux artistes. L'amour de l'art, le goût du prestige, les soucis militaires ou financiers expliquent au même titre cet interventionnisme étatique. Les prmces aux origines bourgeoises, parfois même obscures, connais sent bien la solidarité du pouvoir et de la richesse, ils soignent la prospérité des citoyens qu'ils asservissent. Mais les linutes d'une ville et de son contado, celles d'une principauté même sont bien étroites et les principats sou vent trop éphémères. Les grandes monarchies occiden tales bénéficint d'autres avantages et d'autres possibi lités. Dès le milieu du XIIIe siècle, le Parlement et la Couronne d'Angleterre prennent des mesures favorables à l'industrie lainière britannique. En 1258 le Parlement d'Oxford prohibe temporairement les exportations de laine brute. Au siècle suivant les exportations sont auto risées, mais les droits de sortie pour la laine sont consi dérablement augmentés. Sans doute des préoccupations diplomatiques, fiscales justifient aussi ces dispositions; le souci protectionniste est cependant déterminant dans les déciSions de 1455, 1463 et 1464, qui prohibent les lainages et les soieries étrangères. Autre anticipation mercantiliste: le souci d'éviter les sorties de numéraire et les exportations d'or et d'argent. Dès 1381 le Parlement sollicite l'avis des experts à ce sujet, sur leur recommandation, on oblige les marchands étrangers à réemployer en acllats sur le marché anglais la moitié puis la totalité de leurs ventes. En 1419, pour éviter la fuite des espèces précieuses, le Parlement décide que les fournitures et le ravitaillement de l'armée en
I - I T l Q V E S ET PRATlQVl!S DU Ml!ItCANTlLlSMB
! .
17
France pro~iendraient d'Angleter~e, et que la so~de des soldats serait payée sur le prodwt des exportations de laine vers la Normandie. Mesures temporaires sans doute, mais combien significatives. Les marchands étrangers sont les vicitimes toutes désignées de ce nationalisme écono- mique en gestation et, en 1439 puis 1455, les Londoniens pillent les demeures et les comptoirs des Italiens. La monarchie Tudor a repris, systématisé toutes ces initiatives, elle a substitué à des velléités désordonnées une véritable politique nationale. D'un même élan, elle a défini le programme de l'absolutisme monarchique et celui du mercantilisme. Mais alors que le premier sus citait des difficultés entre le Parlement et la Couronne, le programme économique, lui, bénéficiait dans une large mesure des suggestions et de l'appui des Communes, au sein desquelles parvenaient à s'exprimer les intérêts des grandes villes et des marchands. En France aussi, les progrès du Pouvoir central au lendemain de la guerre de Cent Ans, et les nécessités financières incitent le sou verain à intervenir plus régulièrement dans la vie éco nomique. A plusieurs reprises, Louis XI a exprimé son inquiétude à propos des sorties d'or et d'argent, « d'où peut s'ensuivre la totale ruine et destruction du royaume)). Pour éviter cette hémorragie, il accorde des privilèges nouveaux aux foires de Lyon, il essaie de contrôler les transferts destinés à la cour de Rome. Pour diminuer le prix des importations du Levant, il accorde son aide à la Compagnie des Galées de France, lui donne tem~orai rement un monopole d'importation des droguerIes et épices du Levant. Il encourage la production minière en France, et favorise les manufactures de draperie légère ou sayetterie. En introduisant le travail et le tis sage de la soie, il cherche à diminuer les achats de pro duits de luxe à l'étranger, et à établir une meilleure balance commerciale. Cet interventionnisme répond à la fois aux intérêts de quelques grands marchands et aux besoins financiers du souverain, conscient de l'étroite solidarité entre la :euissance monarchique et la prospérité nationale. En habile politique, Louis XI a pris soin de s'assurer des conseils et de l'approbation de plusieurs assemblées de notables. Il a ainsi créé une tradition, et tout au long du siècle suivant, des Etats généraux de
18
LE MERCANTILISME
1484 à ceux de 1614, en passant par les assemblées de Blois, d'Orléans, etc., la monarchie pourra trouver, dans les cahiers du Tiers et souvent dans les cahiers communs des trois Ordres, les mêmes propositions concernant le commerce, les manufactures, le mouvement des espèces, les encouragements nécessaires à la marine, c'est-à-dire toutes les justifications et les principaux articles d'une grande politique mercantiliste. II. - DANS LA FASCINATION DES TRÉSORS AMÉRICAINS. L'ÉBAUCHE AU XVIe SIÈCLE D'UN PREMIER MERCANTILISME
La conscience d'une communauté d'intérêt, le projet d'une politique économique supposaient naturellement un progrès du sentiment national et un renforcement de l'Etat. Toutes les grandes monarchies européennes du XVI'! siècle, avec plus ou moins de bonheur, plus ou moins de continuité, se sont engagées dans cette voie de l'in terventionnisme économique. Parmi leurs conseillers, leurs officiers de finance, les préoccupations relatives à la balance commerciale, au développement des manufac tures, et aux mouvements internationaux des espèces devenaient de plus en plus obsédantes. Ainsi peu à peu se constituait, à travers bien des tâtonnements et des contradictions, une première science des richesses qui exprime à sa façon le volontarisme humaniste de la Renaissance. L'auteur an~lais des dialogues, rédigés au milieu du siècle, et pubhés en IS8I, sous le titre A Compendious or brie! examination of certain ordinary com plaints *, met dans la bouche de l'un de ses personnages des recommandations bien significatives : « Par l'arrêt de l'importation des marchandises fabriquées à l'étran ger, et qui pourraient l'être chez nous, par la restriction de l'exportation à l'état brut de nos laines, peaux et autres produits, par la venue sous le contrôle des cités d'artisans habitant au-dehors, fabriquant des marchan dises susceptibles d'être eXl?ortées par l'examen de ces marchandises, et par l'appOSition sur elles, avant qu'elles puissent être vendues, du sceau de la ville, je pense que * J.-Y. LB BRANCHU. Ecrits notables sur la monnaie, .•• Paris. t. II, p. 188.
1934.
rOLITIQUES ET PRATIQUES DU MERCANTILISME
r i
19
nos cités pourraient bientôt retrouver leur ancienne richesse. )) Dans La grande monarchie de France, Claude de Seys sel déclare en ISIS que la puissance du pays réside dans ses r~erves d'or et d'arg~nt. L,e royaume, pense-t-il, doit pro~b~r toutes les sortIes d espèces, sans crainte de represailles, car .seul en Europe, grâce à ses richesses naturelles, il peut se passer de ses voisins. Quelques mois plus tard, devant le Parlement de Paris, le chancelier Duprat p.résente les mêmes. propositions. En Espagne, LUlS OrtlZ dans son mémOIre Pour que la monnaie ne sorte ./Ja! du royaume veut remettre au travail son pays, mul~~pher les !llanufact';U'es, interdire l'exportation des matlc:res premtères tendes. Nous étudierons plus loin la naissance de la théorie économique, qui a inspiré et soutenu les efforts des monarques, soucieux de l'état de leurs financ~ e! des besoins ~es armées et des diplomates. On pourraIt cIter de multIples témoignages de cette co~vergence des pensées et des plans des hommes d'Etat, malS !1?US n'avons pas l'intention d'étudier par le détail la poltuque éconOmIque de chaque souverain du XVIe siècle europ~n, nous allons surtout tenter d'en dégager les caracteres communs. C'est aux mouvements monétaires que les gouverne ments attachèrent peut-être le plus d'attention. Partout on veut mettre fin aux sorties de numéraire. En France, des déclarations royales renouvellent en 1 s06 1 S40 15,48, IS74 cette prohibition. En Angleterre, on ~a plu~ lorn et pour m,ettre en échec les fraudeurs, et tous les trafics c1~destrns sur les lettres de change, on essaie à deux repnses, en 1546 et en 1576, de soumettre tout ce négoce des changes au contrôle d'agents gouvernemen t~ux, c'est un échec. Echec aussi de toutes les disposi tIons concernant le transport à l'étranger du numéraire. Comment surveille~ les ~rontièr~, les ports, alors que le gouvernement dISpOSait de SI peu d'agents et de si lents moyens de transmission; comment ne pas admettre enfin les !"r~ents d~ marc:hru:ds, invoquant la nécessité ~e certames lmportatIons mdispensables aux fabrica tIons françaises ou préalables à certaines réexportations. Le caractère élémentaire de la théorie de la bafance com merciale condamnait à l'impuissance les velléités gou
20
LE MERCANTILISME
vernementales. Pour se convaincre de l'inefficacité totale de tous ces règlements, il suffit d'évoquer le cas de l'Es pagne d'où l'or et l'argent ne pouvaient pas théorique ment sortir, et dont cependant les pistoles d'or et les réaux d'argent circulaient dans toute l'Europe occidentale*. Il était plus facile de susciter de nouvelles productions et de leur accorder des privilèges contre les concurrents étrangers. En An~leterre, en France, la Couronne accorde ainsi des subventlons aux manufacturiers qui inaugurent des fabrications. La reine Elizabeth distribue généreuse ment des monopoles temporaires à tous ceux qui intro duisent dans l'île de nouvelles activités : les industries de l'alun, du salpêtre, du savon, des glaces et de la faïence, la fabrication des canons ou le raffinage du sucre de canne. C'est peut-être en France que cette interven tion directe du pouvoir monarchique s'est faite la plus multiforme et la plus systématique, annonçant déjà la pratique des manufactures royales de l'époque d'Henri IV ou de Louis XIV. François 1er crée à Fontainebleau une manufacture royale de tapisserie. Henri II confie à un Bolonnais, avec un monopole de 10 ans, la fabrication des glaces à la vénitienne, et Catherine de Médicis conti nue à protéger la soierie d'Orléans et de Tours. Ce sont là bien entendu des créations fragiles souvent éphémères, ent trop de l'appui d'un trésor royal sou car elles d vent vide. ais à côté des subventions en numéraire, les souverains disposent maintenant de tout un arsenal de mesures prohibitionnistes et de taxations pour mettre les fabrications nationales à l'abri de la compétition étran gère. Charles Quint défend sévèrement l'exportation du lin, du chanvre et soumet les lainages étrangers à des règlements et à des contrôles tatillons. Cosme de Médicis interdit l'entrée à Florence des draps étrangers et l'exportation des soies brutes. En France, les restric tions imposées à la libre importation concernèrent tout d'abord les produits de luxe, draps d'or et d'argent, satins
~ITIQUES
ET PRATIQUES DU MERCANTILISME
21
! guedoc, ~~amas.François Puis en 1538, à la demande des Etats de Lan 1 interdit l'entrée des draps de Cata er
logne et de Castille. Aux Etats généraux de 1576, le Tiers demande l'exclusion de tous les manufacturés étrangers. En 1581, pour la première fois un tarif général d'entrée fut imposé à toutes les frontières, et l'assemblée des Notables de 1583 réitéra les demandes de l'assem blée de 1576. Il est un dernier earactère de l'intervention étatique dans l'éconorilie du XVIe siècle qui mérite de reterur l'attention. E. Heckscher a insisté dans son livre classique sur ce caractère uni1lcateur du mercantilisme (ein emheitsbildendes System). C'est vrai pour l'Espagne de Philippe II, pour la France d'Henri III, où l'édit de 1581 tente d'imppser une organisation uniforme des communautés de métier. C'est vrai pour l'Angleterre, où le statut des artisans réglemente en 1563 l'apprentis sage et la procédure de fixation des salaires, tandis que les Poor Laws établissent un système uniforme d'assis tance. Dans toute l'Europe occidentale, les princes s'ef forcent, avec un succès mégal, de faciliter les relations à l'intérieur de leurs Etats, de réduire les péages et les tonlieux, d'organiser les postes. Il ne faudrait cependant pas pécher par anachronisme, et exagérer le caractère moderne de l'administration royale au XVIe siècle. Les entraves à la libre circulation des hommes et des marchandises demeurent innombrables dans chaque Etat. Les taxes levées aux frontières sur les marchandises étrangères conserVent encore souvent le caractère de simples droits fiscaux, et il n'est pas toujours facile de savoir si la fixation des tarifs correspond à des considérations financières ou protectionnistes. Pour de nombreuses marchandises, y compris des manufacturés, le tarif français demeure au début du XVIIe siècle plus élevé à la sortie qu'à l'entrée, la crainte de la famine, de l'interruption de l'approvisionnement, ou de la cherté justifient sans doute ce paradoxe. Pour les mêmes motifs, le roi d'Espagne interdit de 1552 à 15591'exportation des tissus espagnols, espérant ainsi freiner la hausse des prix castillans! Nulle part les idées et les « recettes » ne constituent encore une doctrine cohérente. Les plus p:ands esprits du siècle hésitent entre la théorie quantitatlviste de la mon
.. Dès le début du XVI" siècle, les rois catholiques ont cependant établi tout un système de prohibitions et de monopoles : interdiction d'exporter l'or et l'argent sous peine de mort, obligation pour les mar chands étrangers de faire leurs retours en marchandises espagnoles contrôle des importations de métaux précieux et droit de quinto pour le roi, monopole de pavillon entre Séville et l'Amérique, etc.
l
LE MERCANTILISME
22
naie et celle de la balance commerciale. En période de hausse européenne des prix, le protectionnisme manufac turier et le bullionisme ne risquent-ils pas d'accélérer l'inflation, nul n'est capable de percevoir clairement le problème et de résoudre l'apparente contradiction. L'ir régularité des récoltes, l'insécurité, la lenteur des rela tions maritimes et terrestres entretiennent l'obsession médiévale de la pénurie. Les théoriciens de l'intérêt national, les apologistes du profit colonial et maritime demeurent embarrassés par les arguments des théolo giens sur l'usure, le juste prix et le droit des gens, et partout les querelles religieuses obscurcissent le sens de la Real Politik. Nulle part l'Etat n'est assez puissant, l'appareil de gouvernement assez bien organisé à la base comme au sommet, les finances assez saines pour donner à l'inter vention princière l'indispensable continuité. Ce ne sont encore que mesures de circonstances, entreprises tem poraires, mais leur convergence, leur inspiration domi nante crée peu à peu une tradition, dégage progressivement les éléments d'un plan d'ensemble et annonce les grands projets économiques de l'Europe classique. III. -
LE MERCANTILISME AU XVIIe SIÈCLE.
L'EXEMPLE FRANÇAIS
En vérité, seules de tous les états européens, la France et l'Angleterre furent capables de mener au XVIIe siècle une politique économique cohérente et d'une relative efficacité; sans doute l'Espagne était trop affaiblie poli tiquement, trop embarrassée par son empire et ses pos sessions européennes, l'Italie et le Saint Empire trop divisés et trop dévastés par la guerre, la Suède trop liée à l'économie des Provinces-Unies, qui suivaient au même moment avec bonheur une voie originale. Plusieurs circonstances ont contribué à l'épanouisse ment du mercantilisme dans la France des Bourbons et l'Angleterre d'Elizabeth à Guillaume II 1. L'âpreté des compétitions internationales dans les quelles se trouvèrent engagés les deux pays excitèrent leur jeune nationalisme économique. L'enjeu était d'abord l'exploitation des richesses de l'Empire espagnol, que le
~
OLITIQUES
ET PRATIQUES DU MERCANTILISME
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pouvoir débile du souverain de Madrid et l'apathie de ses sujets ne parvenaient plus à animer; c'était encore le monopole des réexportations des drogueries et des épices orientales, le marché des manufacturés textiles, le béné fice de la navigation de la Baltique à la Méditerranée. L'Angleterre, avec méthode, après avoir dirigé ses coups contre la « Carrera des Indes )) et ses comptoirs améri cains, se tourna successivement contre la République néerlandaise, à laquelle l'opposèrent trois guerres mari times, puis contre la France louis-quatorzienne. La France elle aussi s'était inquiétée du trafic et de la pros périté des Hollandais. Le rôle que jouaient dans nos ports et dans nos régions atlantiques les marchands des Pro vinces-Unies paraissait à Colbert scandaleux, et la guerre de 1672 ne fut à ses yeux que le couronnement de toute une persévérante contre-offensive industrielle et commer ciale. L'épisode décisif de ces rivalités se déroula de 17°1 à 1713, quand1es deux puissances maritimes coalisées se dressèrent contre les prétentions françaises à recueil lir, d'un coup et par succession dynastique, l'héritage de Charles II d'Espagne. Toutes ces luttes présentèrent à côté de leurs aspects militaires, des aspects tarifaires, et commerciaux. Les efforts financiers imposés aux deux Etats français et anglais justifièrent davantage l'interven tion du gouvernement dans le domaine des activités éco nomiques, et le service de l'égoïsme national. La modernisation de l'appareil d'Etat a également contribué aux progrès de la pratique mercantiliste. En Angleterre le développement du service des douanes a permis d'établir une comptabilité plus exacte des échanges internationaux, tandis que le contrôle parle mentaire fournissait aux intérêts du négoce les moyens de se faire plus clairement entendre. De la même façon en France, la réforme tarifaire de 1664, aux frontières du territoire des cinq grosses fermes autorise une vision plus nette de la balance commerciale, et les bureaux qui se constituent peu à peu sous l'autorité du Contrôleur général peuvent suivre mieux les fluctuations de nos échanges. Les progrès de la réflexion théorique guident aussi plus sûrement les administrateurs et les ministres. Les œuvres de Mun, Child, Davenant et Petty jalonnent les premiers pas de l'économie politique; en France, Laffe
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mas, Montchrétien, Richelieu lui-même, inspirent direc tement Colbert. Une certaine laïcisation de la pensée politique sous l'influence du machiavélisme et des principes de la raison d'Etat justifie la science et la pra tique des richesses. Aux yeux de Colbert, les· moines sont presque des oisifs suspects, et les scrupules des théo logiens en ce qui concerne le prêt à intérêt entravent inutilement le commerce. Les circonstances conjoncturelles constituent un dernier élément favorable, elles apportent une justifi cation supplémentaire aux thèses mercantilistes. La baisse prolongée des prix or et argent, surtout au-delà de 1630, entretient une sorte d'angoisse monétaire. Partout, en Europe occidentale, manquent les espèces d'or et d'ar gent. Les échanges en sont gênés, les crises périodiques en deviennent plus redoutables, et les trésoreries pu bliques en souffrent, au moment même où les besoins des armées et des flottes exigent en quantités accrues l'or et l'argent, nerfs de la guerre. Le ralentissement de la production des mines américaines, la thésaurisation uni verselle sous forme de joyaux et de vaisselle, le déséqui libre des balances avec le Levant et l'Extrême-Orient expliquent sans doute cette pénurie. Mais l'Angleterre et la France ne peuvent s'en accommoder. Elles soup çonnent les Provinces-Unies d'accaparer une part crois sante du stock euroféen. Les financiers et les ministres sont contraints de s intéresser à l'équilibre des échanges commerciaux, qui conditionne la prospérité et la circu lation des espèces, intermédiaire indispensable du prélè vement fiscal. Ils ne peuvent ignorer non plus la longue récession qui affecte beaucoup de négoces et de manu factures au milieu du siècle. Le chômage et la misère entretiennent et multiplient les risques de séditions popu laires. Hier comme aujourd'hui, la crise économique pour des raisons politiques et sociales provoque l'intervention de l'Etat, et l'effort de Colbert est un plan de reconstruc tion, de relèvement national, tout autant qu'un service du Roi. Colbert a mis dans l'exposé de ses idées une clarté, une force de conviction et dans la réalisation de ses projets une énergie qui auraient mérité souvent un meilleur succès. Mais il a peu innové. C'est Barthélemy de Laffe-
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mas qui, le premier, au lendemain du désastre national que ~urent les guerres de Religion, se fit l'apologiste du tr~vatl cré~teur et ~'adversaire de cette léthargie écono Inlque qUI menaçaIt la France. Dans une douzaine de pamphlets, il exposé les idées que la commission du Çomm~rce,. cré~e en 1601 par Henri IV, adopta en par tie. Il lDSpIra egalement les mesures prises par le sou verain et son Conseil en faveur des manufactures de tapisseries, de soieries, et la tentative avortée de créer en 1604 une grande Compagnie française des Indes orientales. Pa,r l'intermédiair.e de son fils Isaac, auteur d'une His tmre du commerce de France, et par les écrits de Mont chrétien, La Gomberdière, et d'autres, ses idées ache vèrent d'entrer dans le domaine public où l'assemblée des Notables de 1627, Richelieu lui-même, puis Colbert n'eurent qu'à les relever. On retrouve souvent dans les écrits de Richelieu l'idée bru:mIe que l'argent es(~e nerf de la guerre; obsédé par la pUIssance d'Espagne, Il convoite les métaux précieux q~e.les flottes d'Amérique apportent chaque année à Sevdle. Pour détourner vers le royaume une partie de ce pactole, il imagine avec ses Conseillers le plan d'une vaste entreprise commerciale et coloniale. Grand maître de l'amirauté, gouverneur de Bretagne, il consacre à la renaissa?-ce de la marine et ~es po~ts de persévérants efforts, 11 encourage les tentatIVes faItes pour constituer en France de grandes compagnies de navigation: Com pagnie du Morbihan, Compagnie de la nouvelle France Compagnie de la nacelle de Saint-Pierre fleurdelisée, etc.*:. La diplomatie, la guerre, les révoltes intérieures, la maladIe et la mort l'empêchèrent de poursuivre l'exécu tion de ses projets, mais l'importance qu'il accorde à ces questions économiques dans son Testament politique, et les papiers divers qui constituent ses Mémoires disent assez ses intentions et le sens de la mission qu'il laissait à ses successeurs. Colbert n'eut donc pas le mérite de l'invention, mais personne ne lui conteste celui de la continuité et de la persévérance dans l'exécution, au long des 22 années dé son ministère; las, il n'était maître ni * H. HAUSER, La pensée et l'action économiques du Cardinal de Richelieu, Paris, 1944.
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de la conjoncture, ni de la bourse de son roi. Colbert a formulé dans sa correspondance et à plusieurs reprises les principes du plus strict mercantilisme. « On demeu rera facilement d'accord, écrit-il en 1664, qu'il n'y a que l'abondance d'argent dans un Etat qui fasse la différence de sa grandeur et de sa puissance »; il précise quelques années plus tard: « Il n'y a qu'une même quantIté d'ar gent qui roule dans toute l'Europe... on ne peut aug menter l'argent dans le royaume, qu'en même temps l'on en ôte la même quantité dans les Etats voisins. » On peut lire encore dans son mémoire de 1670 sur les finances : « Il faut augmenter l'argent dans le commerce public en l'attirant des pays d'où il vient, en le conser vant au-dedans du royaume, empêchant qu'il n'en sorte et en donnant des moyens aux hommes d'en tirer pro fit... il n'y a que le commerce seul et tout ce qui en dépend qui puisse produire ce grand effet *. Ainsi la prospérité d'un Etat ne pouvait être bâtie qu'aux dépens de ses voisins; à cette « guerre d'argent)) Colbert conviait la France et incitait son souverain. C'est peut-être l'aspect le plus curieux du colbertisme que ce pessimisme écono mique, qui refuse de croire à la possibilité d'un progrès d'ensemble, et cette conception statique du commerce mondial **. On retrouve ce même pessimisme dans la méfiance méticuleuse de bien des textes réglementaires et dans les propos du ministre qui attribuent à la fraude et à la mauvaise qualité de nos fabrications nos déboires commerciaux à l'étranger. Pour mener à bien cette guerre d'argent, Colbert a procédé à un nouvel aménagement des tarifs douaniers, il faut, dit-il, « décharger les entrées des marchandises, qui servent aux manufactures du dedans du royaume, charger celles qui demeurent manu facturées, décharger entièrement les marchandises du dehors, qui ayant payé l'entrée, sortent pour le dehors, et soulager les droits de sortie des marchandises manu l)
* P. CLÉMENT, Lettres et Mémoires de Colbert, Paris, 1861-186:2, t. VII, p. :239 et 55. ** Même argumentation dans une lettre de 1669 (P. CLÉMENT, Lettres, Introduction et Mémoires de Colbert, VI, p. :260 et 55.). Le com merce mondial est assuré par :20 000 bateaux et ce nombre ne peut être augmenté, car la population dans chaque Etat demeure stable et la consommation de même!
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facturées au-dedans du royaume ». Mais l'arme essentielle de cette cO!flpétition in~er!lat~onale, c'est le développement de la marIne, la multiplIcation des manufactures et des cO!flpagnies. de comme~ce, auxquelles Colbert voue des S~InS attentifs. Il pour~wt ~n cette matière l'œuvre esquis see par Laffemas, RichelIeu et Fouquet. Il veille à la levée de la taxe de 50 sous par tonneau Sur les vaisseaux étrangers fréquentant nos ports. Dès 1664 il accorde des pr~mes à la construction maritime et ces répliques fran çaISes des Actes de navigation britanniques lui per mettent de porter à la fin de sa vie les marines de guerre et de commerce à un niveau inégalé jusque-Ià. Il n'est p~s un se~e~r de !a production ma~ufacturière, pas un negoce lOIntaIn qUI échappe à son Intervention. Arse naux, fonderies de canons, manufactures de dentelle de bonnet.eri~, de bas de lain~ et de soie, draperie de lux~ ou dr~perle legère, C0I!lpagnte des Indes orientales, Compa gnte .des Indes occldentales, Compagnie du Nord, Com pagme ?U Levant ~é!léficient ~our à tour de son exigeante protectlOn. Il SollICIte ou exIge les concours, organise, subventionne, ~urveille et s'inquièt!!. Plus de 150 règle p.ents. de fabnque ch~rchent à faue de la production Irançatse une productlon de qualité sans pareille en Europe. Ils précisent la proportion des teintures, la lar geur des étoffes, le nombre de fils dans la chaîne les outils et les façons de tous les corps de métier. So~s le contrôle des intendants, un corps nouveau d'inspecteurs des manufactures est chargé de surveiller les fabrica tions et de constater les contraventions. Faute d'informations statistiques il est souvent diffi c.ile d'appréc:ier l'efficacité de ces entreprises et l'incer tItude entretIent encore les débats entre historiens. Bien des manufactures, bien des compagnies disparurent avant même la mort du ministre, et 1écart est grand entre les ambitions et les résultats. L'amertume marque souvent la correspondance de Colbert dans les dernières années de sa vie. Trop d'obstacles se sont opposés à ses entre prise~ : la réticence des marchands à participer à des com pagnIes semi-publiques, leur goût excessif pour les pla cements dans les affaires de finance, les offices ou la terre, l'insuffisance du système de crédit en France l'in digence de la paysannerie et l'absence d'un vaste ~rché
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intérieur la déflation internationale des activités et des prix. Le' tragique dans l'existence d~ Colbert naît ~out autant des caprices coûteux de LoUls XIV que dune conjoncture défavorable et de l'absten~ion partielle d~ la bourgeoisie française. Et pourtant le bdan n'est certalJ?e ment pas totalement négatif. Il reste ~ sa mo~t une m~rme reconstituée, une législation commerClale moms archruque, une draperie à nouveau prospère et une manufacture des toiles de lin et de chanvre qui est devenue la première d'Europe. Les Compagnies coloniales ont bien périclité, mais les Antilles et le Canada ont reçu de nouveaux colons, et tous les ports de l'Atlantique ont retrouvé une activité nouvelle. , La personnalité et l'œuvre de Co~bert ont SUSC1~~ de son vivant, puis après s~ mort d,e VIOlentes Opposltlons et d'âpres polémiques. Cible de bien des pamphlets clan destins il fut dès le lendemain de sa mort publique ment C::itiqué, puis dénoncé par l,es physiocrates et par les économistes libéraux, Il lUl fallut attendre près de deux siècles sa réhabilitation. List dans son Système d'économie nati07UÙe le célèbre comme un précurseur, E, Lavisse vante son esprit philosophique et ,:oit dans ~0!l œuvre la première m:inifestation ~u despotlsme ~cl!ure, P Boissonnade identifie le colbertlsme et le soclahsme d;Etat et R. Gonnard dans son Histoire des doctrines écono";'iques proclame le {( génie » de Colbert, ~écusant,la légende dor~ tout a!ltant que la légende, nOlre~ les his toriens d'aUJourd'huI cherchent surtout a expliquer les caractères et les limites de son œuvre, en fonctIOn des institutions et des idées de son temps. Boisguilbert et les économistes français du XVIIIe ont reproché à ~olbert d'avoir négligé l'agriculture, source de toute rIchesse, voire de l'avoir sacrifiée au profit des manufactures, Col bert aurait soutenu une politique de pain à bon ~arché, pour abaisser nos prix de revient. Rien n'est plus mexact, la baisse exceptionnelle d,es prix agricoles ~n Fran~ de 1662 à 1687 correspond a un ~ouvement IJ?ternauonal, sensible sur tous les marchés d Europe OCCidentale. Ce qui est vrai, c'est que Colbert n'a ?as su, ou n:~ pas pU,se dégager des traditions régleme~tal[es en ma~lere de ~lr culation et de négoce des gralDS, alors qu à la meme époque, en Angleterre les {( corn laws )) permettaient tour
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à tour d'approvisionner le marché national, puis d'écou ler avantageusement les. surplus de la production. Col bert a pensé que le développement des manufactures rurales remédierait au paupérisme des campagnes. En dehors de quelques mesures circonstancielles en faveur des paysans, abaissement temporaire des tailles, protection du bétail, la France de Louis XIV n'a pas de politique agricole. Non moins fondées que les critiques formulées par les représentants des intérêts agrariens, nous paraissent les réticences de certains négociants à l'égard du colbertisme. A côté des marchands xénophobes qui réclament et approuvent le protectionnisme douanier, il existe incon testablement dans la France du XVIIe siècle, des hommes d'affaires qui connaissent la solidarité complexe des échanges internationaux et craignent les représailles étrangères. Déjà, les Six grands corps des marchands de Paris avaient plaidé pour la liberté du commerce et l'abais sement des tarifs institués en 1654. Plus fortement encore un pamphlet anonyme de 1668 déclare: « Monsieur Col bert ne prend pas garde qu'en voulant mettre les Fran ~s en état de se pouvoir passer de tous les autres peuples, 11 les conduit à faire la même chose de leur côté. » Le même attachement à la liberté du commerce suscite la méfiance à l'égard des compagnies de navigation et de colonisation à caractère serni-public, ou à l'égard de la réglementation minutieuse des fabrications. On a reproché à Colbert cette « manie réglementaire )). Utile là où elle présidait à l'introduction d'une technique nou velle, elle a souvent effectivement gêné l'adaptation de nos manufactures textiles aux fluctuations de la mode et de la demande étrangère. Il n'a pas bien compris le caractère multilatéral des échanges, il n'a pas cru non plus aux lois du marché, sa pensée demeure celle d'un administrateur minutieux, non celle d'un économiste. Son attachement aux systèmes des jurandes, dont il essaie en 1673 de généraliser l'institution, révèle bien le caractère traditionnaliste de sa pensée. Il multiplie les contrôles de fabrication, renforce le petit atelier routi nier au moment où l'Angleterre post-révolutionnaire se débarrasse pour l'essentiel des vestiges du système médié val d'organisation du travail. Pour lui comme pour les juristes qui l'entourent et l'assistent, l'organisation cor
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porative apparait un peu comme d'institution naturelle ou divine. Les manufactures privilégiées ne sont dans son esprit que des expédients temporaires. Le régime normal d'organisation du travail doit être celui des jurandes et l'édit de mars 1673 tente d'en généraliser l'institution dans tout le royaume. En matière de politique monétaire, le même tradition nalisme lui inspire le 7 décembre 1665 une réévaluation peu heureuse de la livre tournois, qui constitue une véri table déflation en pleine crise économique, et qu'il faut rapporter l'année suivante devant les protestations des marchands et des banquiers. Plus grave son incompré hension, et il faut bien le dire celle de beaucoup de ses compatriotes, devant les réformes monétaires anglaises de 1662, qui introduisent, comme aux Provinces-Unies, une liberté plus grande de la circulation des espèces et des lingots. A la lumière de ces comparaisons, les limites du colbertisme reflètent avec évidence le retard de la pensée économique et des institutions sociales en France par rapport au voisin anglo-saxon. Colbert : un génie ou un médiocre malfaisant? ni l'un ni l'autre, mais un homme de son temps et de son pays, un ministre de cette puissante monarchie administrative, dont la gran deur ne pouvait s'accommoder de la décadence commer ciale et industrielle. Dans un moment et dans un pays où tout conspirait à détourner les fils de la bourgeOIsie des activités économiques : les préjugés nobiliaires ou para nobiliaires, le snobisme de l'oisiveté, la suspicion de la Réforme catholique à l'égard des formes modernes du crédit et des techniques commerciales, le prestige de la carrière des offices, enfin la conjoncture défavorable, contre une telle coalition d'intérêts, d'habitudes et de difficultés économiques, il a essayé de donner au pays le sens du labeur, de l'efficacité et de l'entreprise. Ce n'est pas sa faute si certaines de ses propositions n'ont pas été retenues, si l'opposition de la Faculté de théologie et de la Sorbonne ont empêché d'établir dans les princi pales villes du royaume ces t( négociants de prêt » qui auraient distribué le crédit commercial. Ce n'est pas sa faute, si le roi a finalement sacrifié la vocation mari time du royaume, et choisi la « gloire », la guerre conti nentale et l'intransigeance romaine.
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SYSTÈME MERCANTILE )) EN ANGLETERRE
En Angleterre plus encore qu'en France, le mercan tilisme est une création continue empirique et nationale. Nous avons déjà évoqué certaines décisions du XIIIe siècle, conCernant la protection de l'industrie lainière. De la même façon au XIVe et au xve siècle, esquissant déjà le système des Actes de navigation, la Couronne a mis obs tacle à la libre circulation et au libre trafic des navires étrangers dans les ports britanniques. Comme en France, c'est entre 1580 et la. fin du XVIIe siècle que le mercan tilisme s'est imposé avec le plus de force et de cohérence. Les menaces extérieures ont contribué à son succès, et à deux reprises, il est apparu comme un élément essentiel de la défense nationale. La lutte que les marins et les corsaires d'Elizabeth menaient contre les flottes et les col~~es de Ph!-lippe II était tou~ à la fois une entreprise religieuse, nationale et mercarude, et un siècle plus tard l'offensive commerciale contre la France de Louis XIV s'inscrivait également dans un plan plus général de défense protestante. Cette coïncidence a donné au programme mercantiliste l'appui d'une grande partie de l'opinion britannique. Le caractère systématique de l'intervention étatique au x.VIIe siècle s'explique aussi par la nécessité de faire face à la grande dépression économique, dont les premiers signes se manifestent en Angleterre en 1620. Inquiet de la gravité de cette crise, le conseil privé s'ad joignit en 1622 une commission d'experts, de marchands et de banquiers pour discuter des causes de la mévente textile. Leurs conclusions et leurs propositions consti tuent un résumé de toutes les pratiques mercantilistes *. Les grandes compagnies commerciales, de leur côté, ont préparé et favorisé l'adoption des Actes de navigation **. C'est peut-être là le caractère le plus original de la poli tique économique anglaise, grâce à l'existence du Parle ment, elle est le plus souvent concertée et ratifiée. Pas plus sous les Stuarts que sous le Protectorat, l'Etat n'est aux ordres des marchands, mais il consulte, s'inspire
* Le texte est dans G. D. RAMsAY, The wiltshire woollen industry, London, 1964. ** M. P. AsHLEY, Finances andcommercialpolicyunder theProtecto~ rate, London, 1934.
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avant de décider ou d'arbitrer. En matière économique, comme en matière politique, la situation de l'Angleterre paraît intermédiaire entre celle des Provinces-Unies et celle de la France: Les Provinces-Unies où l'impuissance du pouvoir fédéral laisse souvent libre cours aux intérêts particuliers voire antinationaux, et la France où le zèle d'un ministre suppléant mal à l'effacement des corps intermédiaires, l'intervention de l'Etat prend un carac tère autoritaire ou répressif. Le mercantilisme anglais bénéficie de la précocité des institutions politiques et sociales, de la qualité de l'information et de la réllexion théorique dans le pays, il évolue, s'adapte, se perfec tionne, et aide l'Angleterre à s'emparer en Europe d'une véritable suprématie maritime et commerciale et peut être déjà de la suprématie industrielle. Comme dans tous les autres pays d'Europe le mercan tilisme a revêtu en Angleterre trois formes essentielles : protection de la monnaie et des stocks de métaux pré cieux, protection de la production, encouragements et faveurs à la marine et au commerce national. L'exportation des espèces avait été au Moyen Age, en Angleterre comme presque partout ailleurs, très régulière ment prohibée. A plusieurs reprises le gouvernement d'Elizabéth, puis celui de Jacques 1er envisagèrent de remettre en vigueur ces anciennes dispositions, mais ces projets furent vite abandonnés, et un système de licences permit de tourner les stipulations trop rigou reuses de certains textes. Marchands, économistes et politiques prirent progressivement conscience tout au long du siècle du caractère illusoire ou néfaste de ces réglementations. Ils savaient que la poursuite du com merce en Baltique et aux Indes orientales exigeait des sorties d'argent, et que le solde global des mouvements en métaux précieux dépendait de l'activité économique générale du royaume et de l'équilibre de son commerce. L'échec des tentatives faites pour contrôler et stabiliser arbitrairement le marché des changes acheva de prouver que les mouvements commerciaux déterminaient à la fois les fluctuations des cours et le mouvement des espèces. Th. Mun tira le bilan de ces expériences dans son livre England 's Treasure by foreign Trade, publié en 1664, où il donnait une formulation classique de la théorie de
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la balance du commerce, et prenait en considération les exportations et les importations invisibles : « Le moyen ordinaire d'accroître notre richesse et nos espèces, c'est le commerce extérieur, pour lequel il nous faut toujours observer cette règle, vendre plus aux étrangers que nous leur achetons pour notre consommation. » A cette date d'ailleurs, l'Angleterre s'était déjà débarrassée de l'es sentiel des vieilles réglementations bullionistes S'ins pirant des exemples donnés par Venise et la H~llande un acte de 1663 autorisa l'exportation des monnaie~ étrangère.s et des matières d'or et d'argent. Réforme impor tante, qUI devait contribuer à la stabilité de la livre ster lin~, permettre certaines adaptations automatiques des priX et des changes, elle témoignait déjà de la prospérité d.u commerce britannique et préparait ses progrès ulté rieurs. La tâche du gouvernement n'était plus de régle menter le mouvement des espèces, mais d'orienter et de diriger les courants du commerce pour en assurer le solde positif. Cette théorie de la balance commerciale dictait les autres aspects de la politique mercantiliste. Pour assurer dans la mesure du possible sa propre subsistance, le royaume dev~it développer certaines productions, réser ver à sa marme et à ses marchands le contrôle de ses échanges extérieurs, encourager certains trafics par des allègements douaniers, en décourager d'autres par des tarifs prohibitionnistes. Le protectionnisme anglais au XVIIe est à la fois indus triel et agricole. Les deux premiers Stuarts ont une très haute idée des responsabilités économiques et sociales de la monarchie, ils distribuent les privilèges et les mono poles, multiplient les réglements et confient à une nuée d'officiers le contrôle des fabrications. L'industrie tex tile, la plus importante des activités exportatrices du pays, bénéficie de l'attention particulière de la Couronne et du Parlement. A la fin du règne de Jacques 1er, les exportations de laine SOnt définitivement interdites, ce qui, rése.rve faite de la contreban~e, donne .aux tisse rands anglaiS le monopole d'une matière première excel lente et bon marché. Cela ne suffit pas, pour faire face aux difficultés nées de la crise du milieu du siècle, on élève les douanes frappant les tissus français et hollanLE MERCANTILISME
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dais, on s'efforce même d'imposer le port des étoffes de laine de fabrication nationale. Pour les vêtements de deuil, pour les linceuls, des actes du Parlement stipulent l'usage obligatoire de draps de laine. Puis comme les cotonnades indiennes concurrencent les draperies légères, le gouver nement interdit en 1700 les soieries et les calicots orien taux, il va même plus loin en 1721 et proscrit l'usage des indiennes importées écrues et teintes en Angleterre. Un peu plus tôt, le gouvernement français avait pris des mesures identiques, prolongeant lui aussi d'un siècle l'activité des petites draperies-sayeteries. Identique en matière industrielle, la politique des deux royaumes diffère radit:alement en matière agricole. Sa situation maritime aida l'Angleterre à se libérer un siècle plus tôt que la France de la crainte obsidionale de la pénurie et de la famine. En osant favoriser l'exporta tion des grains, et en limitant les importations, elle sut encourager son agriculture et entretenir ses progrès. Dès les xv e et XVIe siècles, le principe avait été posé de la liberté d'exportation quand les pnx intérieurs des blés n'excédaient pas un certain niveau: Au lendemain de la Restauration, un acte de 1670 supprima toutes condi tions et toutes restrictions. Mieux en 1674, des primes furent accordées aux exportateurs pour éviter en période d'abondance l'effondrement des cours. A la même époque, le Parlement en 1663 et 1670 institua une échelle mobile des droits à l'importation : douanes élevées quand les prix des blés demeuraient bas, et tarifs moins s.évères quand ces prix s'élevaient. Grâce à ce système, les pro ducteurs anglais bénéficièrent pendant près d'un siècle d'une protection presque complète. Moms accablés par le système fist:al que les paysans français, ils furent encore mieux protégés contre la grande dépression des prix céréa liers. Ils conservèrent un niveau de vie plus décent, et la capacité d'absorption du marché intérieur, source de tout développement ultérieur, fut ainsi sauvegardée. Le troisième élément essentiel du système mercanti liste anglais au XVIIe est constitué par les Actes de navi gation. Comme l'agriculture et les manufactures, la marine nationale bénéficie d'un régime hautement pro tecteur. En ce domaine aussi l'Etat mercantiliste tente d'assurer seul sa subsistance et ses services. C'est la
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marine et le commerce hollandais, redoutables concur rents qui sont visés par les Actes de navigation. Les déci sions de 1651 et 1660 codifient et systématisent une poli tique maritime, que des mesures partielles sous Eli zabeth et les deux premiers Stuarts avaient déjà esquissée. D'après le texte de 1651, les marchandises européennes ne pouvaient être transportées en Angleterre que sur les bateaux anglais ou sur les navires du pays d'origine; de la même façon les produits d'Asie, d'Amérique ou d'Mrique ne pouvaient être importés que par la marine britannique ou coloniale. En 1660, pour éviter certaines fraudes il fut précisé que l'équipage d'un navire britan nique devait être commandé par un capitaine anglais, et composé pour les trois quarts de sujets britanniques. Pendant les premières années de la Restauration, d'autres dispositions achevèrent la constitution du système, en réservant à la métropole l'essentiel du commerce colonial. Le régime de l'exclusif contribua lui aussi à la prospérité de la marine britannique. Ce protectionnisme rigoureux suscita naturellement l'hostilité des pays voisins. Les Actes de navigation contri buèrent au déclenchement des trois guerres maritimes anglo-hollandaises, et le conflit tarifaire avec la France aboutit progressivement à un régime de quasi-prohibition. Au cours des négociations, qui aboutirent à la paix d'Utrecht, une tentative fut faite pour mettre fin à cette situation, et un traité commercial fut négocié entre les deux pays. Ce projet provoqua en Angleterre une intéressante polémique, on commençait en effet dans ce pays, comme en France, à s'interroger sur la légitimité des tarifs pro hibitionnistes. Des éconoInistes, Coke, Child, Davenant s'étaient efforcés d'en montrer les dangers: risques de représailles et de guerre, disparition de la compétition stImulatrice, rupture des équilibres multilatéraux du commerce international. Leurs arguments repris en 1713 par les tories et De Foe ne furent cependant pas entendus. La pensée théorique anticipait sur les mœurs voire sur les faits, et le traité ne fut pas ratifié par les Communes. Sans doute les bénéfices que l'Angleterre avait su tirer de l'organisation égoïste de son économie nationale étaient trop évidents, pour autoriser dès le début du XVIIIe siècle
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une quelconque modification du système mercantile. Débarrassé, pour l'essentiel des anciennes réglementa* tions corporatives, de l'interdiction du prêt à intérêt et des particularismes urbains et régionaux, l'économie anglaise af.Iirn;tait dans une conjoncture européenne pourtant bien diffiClle son dynamisme. Des manufactures bien protégées mais libres de toute réglementation autoritaire des fabri~ cat~ons et des techniques, une marine puissante, une agrIculture prospère et rentable, des institutions parle* mentaires et politiques favorisant la consultation et la confrontation des intérêts, l'Angleterre était prête pour la grande aventure industrielle. Les deux révolutions poli* tiques qu'elle avait traversées au XVIIe siècle avaient liquidé ayec les confréries, les guildes, les privilèges, bien des vestIges, des obstacles et des préjugés hérités du passé, elles contribuèrent à faire du mercantilisme un moyen très efficace de puissance et de progrès national. L'exemple de la Suède, comme celUI de la France et de l'Angleterre pourrait illustrer les histoires parallèles du mercantilisme et de l'absolutisme. Monarchie natio* nale et un moment ~rande puissance européenne, la Suède de la reine ChrIstine et de Charles XI a cherché à développer ses exportations et sa marine. Elle a même tenté,. elle aussi, sur les rives de la Delaware, l'entreprise coloruale. Ses sc;>uyerains accordèrent des privilèges aux manufact~res lalruères de Stockholm et Norrkoping, aux compagrues du goudron et du sel. Pour intensifier la produ~ion et les échanges,.ils créèrent en 1637 le Collège des mmes et en 1651 celw du commerce. ns établirent aux frontières des droits de douane protecteurs, tandis que la fl~tte suédoise jo~ait un rôle commercial important en Ba}.tlque et comptait en 1690 plus de 750 navires. L'exc~~ent de la ~alance commerciale, que célébraient le; mtrustr.es, cac~a1t cepe~dant !me faiblesse. Beaucoup ~ exportations. étaIc:nt destm~ a rembourser les capita* lIstes hollandaiS qw contrôlaient en partie la métallurgie du fer et du cuivre, les fabrications d'armes, et voulaient en redistribuer les produits sur le marché d'Amsterdam. Pour as~urer l'autonomie de son développement, la Suède dut retirer aux sociétés à participation hollandaise les monopoles qu'elles s'étaient assurés dans certains secteurs de la production et du commerce, elle dut surtout renon*
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cer définitivement, après les entreprises chimériques de Charles XII, aux ambitions européennes et à la guerre. Au moment où ce pays commence à mettre en valeur la S~ni:e, rétablit son équilibre agraire. en limitant les pro prIétes nobles par la grande « Réduction Il, repousse l'aide mtéressée des financiers d'Amsterdam, abandonne ses prétenti~~s i~périales dans la mer :Saltique, l'effort mercantIliste illustre à sa façon une prIse de conscience nationale et la naissance de la Suède moderne. V. -
LES AUTRES ÉTATS EUROPÉENS
Nulle part en Europe, on ne trouve au XVIIe siècle d'interventionnisme aussi cohérent aussi systématique qu'en France, en Angleterre ou dans une moindre mesure en Suède. Pourtant les projets mercantilistes sont univer sels et on retrouve partout, dans les délibérations des Conseils de gouvernement, les mêmes décisions, les mêmes propositions et tous les arguments que la littérature écono miq~e de l'époque popularisait. Le Danemark comme la ~av.Ier~, les Etats des H:tbsbourgs comme les principau tes ttahennes ou germanIques connaissent les compagnies à monopole~.Ies .m~ufactures priyilégiées, les tarifs pro tecteurs et 1 mStItution des ConSeils ou Collèges du com merce. Ce ne sont il est vrai souvent que velléités, projets sans suite, mesures temporaires ou décisions vames. Il n'y a de politique mercantiliste efficace aux XVIIe et XVIII~ siècles, que là où un pouvoir central est capable de dommer les particularismes et les égoïsmes, d'imposer un arbitrage aux intérêts opposés, de concilier les revendica tions des négociants et des producteurs. Il n'y a de poli tique mercantiliste efficace que là où des entrepreneurs sont capables de répondre aux propositions du gouverne ment, là où existe un embryon de bourgeoisie nationale l'esquisse au moins pour certains produits d'un marché national, et les bases géographiques d'une relative autar cie. C'est ce que démontre un rapide examen de la poli tique économique de quelques Etats européens. . Il ~onvient ~'évoq~er .~out d'abord, parce que leur SItuatIOn est tres parucullere le cas des Provinces-Unies et surtout de la Hollande. n n'y a pas dans ce pays à
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l'âge classique d'école ni de théoricien mercantiliste, c'est déjà révélateur. Mais la République se singularise encore par la liberté qu'elle accorde, presque dès sa cons titution, aux mouvements internationaux des espèces et des monnaies. Jamais la Hollande, au temps de son apogée commerciale n'a hésité à exporter du numéraire. Elle frappait même des monnaies de négoce pour entretenir ses trafics, monnaies de grande réputation, qui avaient cours dans les pays étrangers : les rixdales en Baltique, les écus au lion au Levant, les ducatons d'arq;ent aux Indes et en Chine. Le rôle d'intermédiaires mantimes que jouaient les Hollandais, la fonction d'entrepôt international d'Amsterdam supposaient aussi une grande liberté com merciale. Les Provinces-Unies répugnaient aux prohibi tions, et contre les Anglais elles défendirent le principe de la liberté des mers. En pleine guerre, la Hollande a très souvent maintenu la liberté pour ses sujets de com mercer avec les pays ennemis. Pendant la ~erre d'Indé pendance, des négociants d'Amsterdam n hésitent pas à fournir aux Espagnols des navires et des munitions. La pratique est la même pendant les guerres contre la France. En 1674, les hostilités n'empêchent p'as la reprise du négoce franco-hollandais sous des pavIllons de complai sance. Durant toute la guerre de Succession d'Espagne, sauf du 1 er juin 1703 au 1er juin 1704, la liberté du trafic demeure, et le marché d'Amsterdam, par l'intermédiaire de Samuel Bernard et de ses correspondants, reste ouvert aux opérations du Trésor français. Les banquiers hollan dais fournissent à crédit la solde des armées de Louis XIV! Ces marchands, ces banquiers, ces directeurs de la Com pagnie des Indes orientales s'intéressaient souvent davan tageauxtrafics internatio~aux, a~ transits, et aux rée~r tations qu'à la productIon natIonale. Dans les conflits qui les opposèrent aux agriculteurs zélandais et aux manufacturiers de Leyde ou Harlem, partisans de hauts tarifs, ils l'emportèrent maintes fois, car par l'intermé diaire des régents des villes, ils dominaient la Hollande et influençaient les Etats généraux. Ils ne récusaient cepen dant pas tous les moyens et tous les principes du mercan tilisme. Aux tarifs anglais et français, la Hollande répon dit par des prohibitions et des droits de douane aussi rigou reux. La production n'y était pas libre, les manufactures
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rurales se heurtaient à l'hostilité des villes, et les fabri cations urbaines étaient soumises à des rèq;iements et d~ contrôles. Tous les artisans ~e la drapene de Leyde étalent regroupés dans des « nermgen ». Chaque nering correspondait à un type de tissus, mais était dirigé en fait par les marchands exportateurs de ces tissus. Les capitalistes hollandais participaient aussi aux entreprises des Compagnies des Indes orientales et occidentales, compagnies à privilèges et véritables puissances publiques. Pour mieux contrôler les marchés et réussir sans trop de risques leurs spéculations, ils réalisaient sans cesse accaparements et monopoles. Ce mercantilisme évolué, modéré et incomplet s'exprime dans l'œuvre de Pierre de La Court, marchand de Leyde, L'Intérêt de la Hollande. Dans ce livre exceptionnel, traduit en français sous le titre trompeur de Méttwires de Jean de Witte, on découvre déjà certains thèmes de l'école libérale. L'auteur défend la liberté de fabrication et de commerce. Il propose un tarif douanier d'inspiration mercantiliste, mais dont la modération devait ménager les intérêts du négoce: « On pourrait encore charger un peu plus que les nôtres, les marchandises étrangères que l'on peut faire et avoir dans le pays ... , de même quand ces marchandises sortent du pays pour être menées par nos rivières, mais non pas d'une manière qu'elles puissent être menées à meilleur marché par une autre route... Les manufactures faites dans le pays ne doivent pas être chargées du tout en sor tant, mais les étrangères en entrant et en sortant, autant qu'elles pourront porter, sans courir risque d'en perdre le COmmerce *. » Cette modération des tarifs hollandais, que les fraudes sur le transit permettaient même souvent d'esquiver, tout autant que les prêts et les investisse ments à l'étranger ont certainement nui à la longue aux manufactures ·des Provinces-Unies, mais cette politique s'explique fort bien par la prépondérance des intérêts commerciaux et financiers. Si les Provinces-Unies cons tituent dans une certaine mesure une exception dans l'Europe du XVIIe siècle, c'est aussi parce qu'elles y exercent longtemps une sorte d'hégémonie maritime et commerciale. Leur puissance financière, leur système '" Mémoires de Jean de Witte, Ratisbonne, 1709, p. 58.
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de crédit et le faible intérêt de l'argent, la compétitivité de leur marine leur permettaient de contrôler bien des marchés, de défier bien des concurrents. Le libéralisme convient bien aux économies dominantes, et leurs plai doieries en faveur de la liberté des échanges et de la liberté des mers ne surprennent qu'à demi. La richesse de la République lui donnait force politique et militaire. Le mercantilisme perdait donc en partie sa nécessité, n'existait-il pas en outre un accord naturel entre les institutions républicaines, bourgeoises et le régime semi., libéral des échanges ? Le caractère confédéral des institutions centrales se serait mal accommodé d'un interventipnnisme autori taire et bureaucratique. Les Etats généraux, dominés en partie par les bourgeoisies urbaines et de négoce, limi tés dans leurs pouvoirs par l'autonomie des provinces n'étaient pas en mesure d'imposer un arbitrage au nom de l'intérêt général. Ce fut une situation sans danger tant que dura la supériorité de la marine et du commerce hollandais, mais ce fut une situation de plus en plus exposée dès lors que la France et l'Angleterre se donnèrent une marine, des colonies, étendirent leur négoce étran ger sans sacrifier leurs productions nationales. Toute l'histoire de l'Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles illustre cette incapacité d'un état faible, dépendant ou trop petit à mener une politique efficace d'intervention et de développement économique. L'empire germanique demeure un conglomérat disparate de souverainetés et d'économies juxtaposées. En 1685 un chargement de bois, acheminé sur l'Elbe, de Dresde à Hambourg, paie en taxes et péages les neuf dixièmes de sa valeur d'achat, tandis que la durée du voyage est quadruplée par les for malités douanières. La création par l'empereur Lé0l'0ld d'un Collège ou Conseil du commerce et l'octroi de dIvers privilèges de manufactures en Autriche n'avaient pas grande signification et efficacité dans une telle situation de morcellement politique. L'autre Empire chrétien, l'Empire espagnol manifeste la même faiblesse économique. Face aux entreprises des Etats nationaux, mieux unifiés les grands empires hérités du Moyen Age ou de la découverte du XVIe siècle résistent mal. Pour l'Espagne, la politique mercantiliste
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d'autosubsistance paraît dénuée de signification. L'Es pagne où sévissent les préjugés aristocratiques, où les professions commerciales et manufacturières jouissent d'une piètre considération, a besoin de ses voisins pour subvenir aux nécessités de son empire. Le régime officiel de l'exclusif, le monopole de Séville et Cadix sont tour nés de mille façons; les draps, les toiles d'Angleterre, de Hollande et de France chargent les vaisseaux de la Car rera des Indes. Réduit aux abois par le mauvais état de ses finances, le gouvernement n'hésite pas à surcharger de taxes le commerce intérieur, et impose lourdement ses propres exportations. Après la disgrâce d'Olivarès, le pouvoir royal est trop faible pour répondre aux sollici tations des écrivains qui l'invitent à imiter la France et l'Angleterre *. Chacune des grandes négociations du XVIIe siècle est même l'occasion pour Madrid de nou velles capitulations économiques devant ses concurrents de l'Europe du Nord et de l'Ouest. Le traité des Pyré nées accorde au commerce français d'importants avan tages dans la péninsule, les traités d'Utrecht livrent en partie aux Anglais l'exploitation de l'empire. Malheur dans ces tractations aux provinces périphériques encore plus allégrement sacrifiées. Milan et Naples entrent en décadence économique. Le morcellement territorial voue à l'impuissance les efforts que les princes italiens et les vice-rois espagnols tentent à travers le pays pour protéger les manufactures. Les Italies de la seconde Renaissance ont dans une certaine mesure anticipé sur l'œuvre col bertiste, mais dans des limites si étroites, que l'échec final était inévitable. Dès la fin du XVIe siècle, les prix de revient trop élevés et le carcan corporatiste disqualifient l'indus trie italienne. Le désordre fiscal et monétaire qui carac térise l'administration espagnole achève de ruiner les manufactures. L'inflation, la mauvaise répartition des impôts découragent l'entreprise, et les douanes intérieures paralysent au sud tout le commerce. Pour lutter contre la hausse des prix, que provoquent les dévaluations et les
* Les plus lucides d'entre eux mesurent les effets néfastes du mono pole de Séville et de l'importation désordonnée des trésors américains. L'école de Salamanque leur a enseigné dès la fin du XVIe la théorie quantitative de la monnaie et des prix. M. GRICE HUTCHINSON, The schoolof Salamanca, Oxford, 1952.
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frappes de monnai~ de cuivre,_ le vice-roi de ~aples prohibe les exportauons, c'est bIen pour cette régl0l!- de l'Italie l'heure du repliement et le début de la stagnatlonl L'exemple belge est plus éloquent encore. Dan~ .les Pays-Bas méridionaux, demeurés espagno~s, la tradltion manufacturière était particulièrement anClenne et pres tigieuse. Au lendemain de la reconquête ~pagnole, et en dépit de la fermetll;re de l'E~caut, ces provmces recons tituèrent leur prospérlté maté[lelle. Bruges, Gand, Anvers et Bruxelles, souvent grâce à la sollicitude de leurs éche vinage, des archiducs, voire des gouverneurs ~pagnols, se donnèrent de nouvelles manufactures; rep[lrent leurs ventes à l'étranger. Leurs progrès s'affirmèrent jusqu~au milieu du siècle. Mais lorsque au-delà de 1650, la déflauon des :p'rix, la crise européenne, l'âpreté de .la ?Oncurrence textile suscitèrent un peu partout et particullèr7mel!-t en France et en Angleterre des mesures protectlonrustes, l'économie de la Flandre et du Brabant se trouva ~enac~. Les provinces ~ges se t~urnère~t vetS Mad[ld, solli citèrent son appw, et n'obtmrent [len. Le gouvernement espagnol était trop affaibli, trop em~arrassé dans les intrigues diplomatiques pour compliguer encore ses dossiers. De 1660 à 1711, les exportations de dentelles des Pays-Bas à destination des Iles Britanniques cessèr~t progressivement, celles de toiles passèrent ?e trente Inille à deux mille pièces, alors que selon le tarIf de 1680, les étoffes anglaises ne devaient à leur entrée aux Pays-Bas que 4 à 6 'Ii de leur valeur. Rien n'y fit, ni les remon trances des °Etats de Flandre, ni les protestations dt;S marchands, les provinces prirent conscien~ d'avolr abandonné avec leur indépendance une parue de leurs possibilités écon?In;igues. A deux reprises, ~us le gouver nement de Max1mihen Emmanuel de· Bavlere, en 1698, 1699, puis sous l'occupation française, le pays tenta de sauvegarder ses chances. Le comte de Bergeyck fi~ adop ter de nouveaux tarifs, prohiber même en ~699, l'lm~r tation des draps étrangers. Les protestauons ~nglal~es et hollandaises, les particularismes locaux, les JalOUSIes entre Brabançons et Flamands, l'égoïsme d'Anvers le contraignirent à démissionnet et firent abandonner toutes ses réformes. En 1713 et 1714, les traités d'Utrecht et de Rastadt confièrent la Belgique à l'Empereur, non sans
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lui avoir interdit toute liberté tarifaire et donc toute grande vocation commerciale et manufacturière. Dans le monde difficile des années 1650-1750, alors que la stagnation de la demande et des prix exaspère la concur rence, la prospérité des manufaCtures suppose un rigou reux protectionnisme douanier, et donc un pouvoir poli tique capable de résister aux pressions des. diplomates et des marchands étrangers. VI. -
L'ACTUALITÉ DU MERCANTILISME POUR LES DESPOTES ÉCLAIRÉS DU XVIIIe SIÈCLE
De cette liaison étroite entre politique et économie, l'histoire du despotisme éclairé nous fournit une der nière illustration. Lorsque au XVIIIe siècle, les Etats socialement arriérés par rapport à l'Europe nord occi dentale, tentèrent de combler une partie de leur handi cap, ils empruntèrent tous au mercantilisme ses recettes de puissance économique. Partout de l'Europe méditer ranéenne à l'Europe centrale et orientale, oh vit en quel que sorte se renouveler l'entreprise colbertiste et se mul tlplier au même rythme les réformes administratives et les initiatives mercantilistes. A l'effort entrepris pour moderniser l'administration, supprimer les particula rismes, les coutumes locales, correspondirent les entre prises de défrichement, de colonisation intérieure, de dévelo)'pement manufacturier et d'unification douanière. L'histoire de la Russie de Pierre le Grand à Cathe rine II illustre bien, par-delà les diversités géographiques et conjoncturelles, cette relation entre la politique, l'éco nomie et la nation. Les premiers théoriciens mercantilistes russes apparaissent dans la seconde moitié du XVIIe siècle, alors que s'affermit la dynastie des Romanoff et que se dessinent ses ambitions. Le chancelier Ordine Natcho kine propose la création de grandes compagnies privi légiées, pour contrÔler le commerce international et les manufactures. Pour combattre l'emprise des grands négo ciants étrangers, Krijanitch prÔne lui aussi l'industrialisa tion du pays. Le tsar Alexis essaya de multiplier les fabriques sur son domaine et à Moscou, mais c'est Pierre le Grand qui vraiment sortit la Russie de sa torpeur. n
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avait autour de lui des conseillers et quelques hommes d'affaires, imbus des principes mercantilistes, ~altyko,:" le chevalier de Luberas, Possochkov et Menchikov lw même, mais bien plus que les conceptions idéologiques, les circonstances exigeaient cette politique de dévelop pement économique *. La constitution d'une puiss~nte armée, l'équilibre de la balance co~erciale supposaI~nt la naissance d'un secteur commerCIal et manufactUrIer moderne. Pour suppléer le manque de capitaux et de cadres, l'Etat dut engager des techniciens étrangers, créer lui-même des usines, subventionner les manufactures textiles et les fonderies de canons, protéger cette pro duction par le tarif douanier ~e 1724, faire cre';lser !es canaux reliant la Volga et la Neva, le centre de 1empIre et la Baltique. Le mercantilisme russe apparaît bien comme un élément de la formation d'un Etat centralisé et unifié, une étape de l'histoire de l'économie nationale. Pierre le Grand, est déjà, à sa façon barbare, un despote éclairé, Frédéric II en est le modèle parfait. De tous les souverains de l'Europe centrale et orientale de la seconde partie du XVIIIe siècle, il est probablement celui d0!lt.l'ad ministration économique rappelle le plus le mmlstère de Colbert. Il écrit dans son Essai sur les formes de gou vernement que pour prospérer un pays doit avant tout posséder une balance commerciale favorable, et il ajoute qu'il lui faut utiliser ses propres matières premières dans des manufactures nationales, fonder d'autres industries spécialisées pour travailler les matières premières de l'étranger, et pro?uire à bon mru:ché pour ~ontrÔler .les marchés internatIonaux. TI prohibe donc 1exportatIon des laines, et l'importation des objets de luxe, favorise par des subventions et des monopoles l'installation dans ses Etats de nouvelles manufactures de velours, de por celaine, de draps, fait assécher des marais, creuser des canaux, et aménage l'économie de la Silésie conquise : « son nouveau Pérou ». Ainsi alors que la France et l'Angleterre, dans de nou .. L'article de H. CHAMBRB, PossochkO'U et le mercantilisme, Cahiers du monde russe et soviétique, I963, évoque l'influence possible des économistes polonais du XVI', N. COPERNIC et FRYCZ-MODRZl!WSKI et signale l'existence en Russie de traductions d'ouvrages occidentaux. Mais il insiste sur l'originalité de Possochkov.
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velles conditions économiques, commencent à s'inter roger sur l'opportunité de prolonger ou d'interrompre les pratiques mercantilistes, et envisagent une nouvelle légis lation du commerce et de nouvelles méthodes pour sti muler la production et les échanges, l'Europe au sud des montagnes alpines et à l'est de l'Elbe reprend à son compte le mercantilisme. Le despotisme éclairé emprunte à l'Europe occidentale les idées et les méthodes qui y avaient triomphé un siècle plus tôt; cette inspiration ancienne, ce prolongement absolutiste ou mercantiliste dans les conseils des princes philosophes contribuent à l'ambiguïté de leurs personnages et de leur œuvre *. Au terme de ce trop rapide survol de l'histoire écono mique des Etats européens, est-il possible de dégager certains caractères communs des politiques mercantilistes que nous avons évoquées? Reprenant une formulation célèbre d'E. F. Heckscher, nous constatons tout d'abord, au cœur du système, une volonté d'unification et de puissance : unification territoriale et administrative que les souverains des XVIIe et XVIIIe siècles ne purent qu'ébau cher, et qu'achevèrent la révolution bourgeoise et le libéralisme; mais aussi entreprise de puissance monar chique et par voie de conséquence nationale. Le mer cantilisme est d'abord un service de la politique, une administration du trésor royal, un instrument de gran deur politique et militaire. Le dirigisme économique de l'Etat classique correspond à des motivations financières, c'est un système de production, de richesse et non de distribution. Des préoccupations profanes, une philo sophie laïque de l'Etat l'inspirent. Le machiavélisme a chassé pour une large part tout scrupule paternaliste, religieux ou moral, et la politique sociale n'apparaît, au XVIIe siècle tout au moins, que sous la forme d'une police intérieure, d'une sécurité contre l'insurrection. La monarchie scelle son alliance temporaire et intéressée avec les classes possédantes. Ce service exclusif et abs trait de l'Etat explique certaines conséquences interna tionales du mercantilisme. S'il est souvent à l'origine, .. Pas plus dans la Russie de Pierre Ce Grand que dans la Prusse de Frédéric II, il n'est commode de concilier l'existence du servage dans les campagnes et les besoins de main-d'œuvre des manufactures.
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réponse à un défi .de l'étranger ou de la conjon~ure, ~ contribue très rapIdement à exaspérer les confhts poli tiques, suscite les guerres commerciales et coloniales, les annexions arbitraires. Mais le déroulement des rivalités éconolniques prouve, qu'avec leur indépendance ~li tique, les jeunes nations jouent leur prospérité matérIelle etleur avenir.
CHAPITRE Il
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Nous retrouvons dès l'abord les problèmes que nous évoquions dans l'introduction. Aucun ministre ne s'est proclamé mercantiliste, mais aucun éconolniste non plus n'a eu le sentiment d'appartenir à une école, d'adhé rer à une doctrine cohérente, définie par des maîtres et codifiée dans une bible. Le mercantilisme en tant que système de pensée et d'intervention a été défini par les libéraux de la fin du XVIIIe siècle, pour désigner et dis qualifier ceux dont ils répudiaient les arguments et les pratiques. Cette particularité crée une certaine confusion dans la polémique et l'historiographie. Tel auteur ancien est classé tantôt parmi les mercantilistes, tantôt parmi les isolés ou les précurseurs du libéralisme. Il n'existe d'accord universel ni sur la nature de la théorie ni sur les caractéristiques de l'interventionnisme qu'elle justifie. Pour les uns sont mercantilistes ceux qUI identifient la richesse nationale et le volume des espèces en circulation, pour d'autres sont mercantilistes ceux qui proclament la nécessité de l'autosubsistance nationale et entretiennent la xénophobie contre les marchands et les produits étrangers. Pour d'autres encore, sans doute les lnieux ins pirés, la doctrine repose sur cette idée que l'intervention de l'Etat doit assurer l'équilibre indispensable de la balance commerciale. Selon les choix plus ou moins arbitraires, selon les critères retenus, l'importance his torique, la légitilnité scientifique du système varient bien '"l
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entendu. Pour sortir de cette ambiguïté, nous allons exa miner, en refusant tout classement à priori, l'évolution de la pensée économique, des grandes découvertes au milieu du XVIIIe siècle, et dégager, s'il yen a, les éléments d'unité, les thèmes communs. Alors seulement nous serons en mesure de répondre à la question posée. Nous pourrons dire si la notion même est utile et nécessaire dans l'histoire de la pensée économique, si les écrivains et les experts se sont inspirés plus ou moins consciem ment de cette théorie, nulle part formulée comme telle, mais présente partout dans les esprits. Le Moyen Age a peu écrit sur les questions d'é~ono mie et de finances. Son apport semble se rédwre à quelques commentaires de théo~ogie morale et à q~elq~es écrits anonymes sur les monnaies. Les docteurs d Eghse ont certes commenté abondamment les passages de la Somme Théologique, où saint Thomas traite du vol, de la fraude commerciale et du prêt à intérêt, mais sans vraiment rien lui ajouter. Les conseillers des princes ont discuté des monnaies et des mutations, mais sans rien expliquer des mécanismes des changes et des prix. Seul le livre de Nicolas Oresme, son Traité de la première invention des monnaies semble avoir conservé une vie posthume, et inspiré quelques théoriciens de l'ép~que moderne. C'est seulement avec les transformations économiques du XVIe siècle, q?e. naît une. réflexi0X: féconde. Les phénomènes monetalres et SOCiaux, qw affectent alors l'Europe, sont siétonnants,qu'iIsinquiètent les contemporains, entretiennent leur imagination spé culative. C'est d'abord l'élargissement prodigieux des limites du monde habité, puis l'ouverture de ces nou veaux marchés aux entreprises de l'économie européenne, c'est la croissance sur le vieux continent de nouvelles métropoles financières, et bientÔt pour certaines popu lations une modification brutale de leurs conditions de vie. Les nouveautés du XVIe siècle, ce sont encore ces monarchies puissantes, fastueuses, mais toujours à court d'argent, ces Etats et ces Empires engagés dans des guerres plus coûteuses, ces princes sollicitant les ban quiers. Comment ne pas s'interroger sur ces fabuleuses cargaisons, que l'on débarque à Séville, sur la grandeu~ et la fragilité de l'empire de Philippe II, sur les chemms
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secrets qu'empruntent l'or et l'argent qui échappent à l'Espagne? Comment ne pas se préoccuper d'apaiser l'insatiable soif du Léviathan, et négliger les profits que l~ !rés~r royal et le Fisc pourraient tirer de la prospé nte nationale. La crise économique, la baisse, des prix qui atteignent l'Europe dans le courant du xvue siècle n'ont pas inter rompu ce mouvement intellectuel, bien au contraire. L'exaspération des concurrences commerciales, la baisse de beaucoup de revenus, la misère entretiennent l'inquié tude, sollicitent les conseillers des princes, justifient les mémoires des marchands, les doléances des compagnies. Ainsi se constitue un immense corpus de traités et de réflexions, une première bibliothèque d'Economie Poli tique. L'Europe moderne en politique et en économie commence à croire en l'efficacité de la pensée rationnelle, elle commence plus ou moins consciemment à profes ser que la richesse est une valeur suprême. 1.
PUBLICISTES, THÉORICIENS, ADMINISTRATEURS HOMMES D'AFFAIRES
ET
En France, des magistrats, des officiers des monnaies et des finances, des hommes politiques ont participé
plus nombreux que les négociants et les manufacturiers à ce premier effort de réflexion théorique. C'est d'abord en 1566-1568 la polémique fameuse à propos de la hausse des prix entre De Malestroit, conseiller du roi, maître ordinaire de ses comptes et le grand Jean Bodin, puis les mémoires et. les livres de Barthélemy de Laffemas, conseiller d'Henri IV, et défenseur infatigable des manu factures du royaume. Les écrits dûs à la plume ou à l'inspiration de Richelieu ont en partie leur place dans cette littérature, au demeurant peu originale et souvent aussi monotone que bavarde. Citons encore le Traité des Monnaies d'Henri Poullain, paru en 1621, le Règlement général sur toutes sortes de manufactures qui sont utiles et nécessaires dans le royaume du marquis de La Gomber dière, daté de 1634, et Le Commerce honorable de Jean Eon, religieux de Nantes, publié dans èette ville en 1646. Au milieu de cette galerie de serviteurs de l'Etat, An
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toine de Montchrétien fait exception. Homme d'épée et homme de lettres, il fut aussi manufacturier et di~igea des fabriques de quincaillerie à qus0ru:'~ et Cha~illon sur Loire. Son Traité de l'Bconom,e polmque, dédié en 1615 à Louis XIII et à Marie de. Mé~icis, p~opose détà un système cohérent d'intervention economtque. MalS l'écrivain mercantiliste le plus prolixe, le plus éloquent, c'est certainement Colbert lui-même, dont les longs mémoires sont de véritables ouvrages de vulgarisation, à l'intention de ses collaborateurs, intendants et magistrats. C'est en fonction de son administration et de ses écrits, que s'expriment les économistes francrais j us 9u 'à 13; fin du règne de Louis XV. Il a ses adversalres, malS aussI ses disciples fidèles. Tandis que le Contrôleur général Orry (1730 - 1745) reprend sa politique, renforce la réglemen tation industrielle, orchestre le progrès du commerce, dans une conjoncture soudain plus favorable, J. F. Mel Ion et Dutot répètent les arguments de l'école. Plus tard encore, au moment où les grands physiocrate:> attirent l'attention du public, Véron de Forbonnais contmue dans ses Principes et Observations économiques (1767) à expo ser les règles essentielles du dirigisme économique et de la balance commerciale. En Angleterre l'abondante littérature économique pré sente le même aspect à la fois pratique et théorique, ~ais la participation des hommes d'affaires à cette réfleXIon collective est plus fréquente et plus régulière. Les grands noms de l'économie politique naissante y sont presque tous intéressés aux activités maritimes ou coloniales. C'est le cas de Thomas Mun, directeur de la Compagnie des Indes orientales, et auteur d'un fameux Bngland's Treasure by foreign Trade, de Josiah Child, directeur de la même compagnie, de Charles Davenant, de Dudley North marchand en Turquie, puis maire· de Londres, de William Petty, savant, médeci~, :nais au~si spéc:ula teur heureux. Cette richesse de la litterature economtque en France et en A e ne surprend pas, ce sont les deux pays où la mercantiliste a revêtu le plus de cohérence et de continuité. La Suède aussi possède aux XVIIe et xvm e siècles une école mercantiliste. De Johan Classon Risingh, secré taire du Kommerskollegium, créé en 1651, à Anders Berch
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titulaire de la première chaire d'économie à l'Université d'Upsala, elle évolue du bullionnisme le plus élémentaire vers des formulations beaucoup plus élaborées de la théorie de la balance du commerce. Les idées qui sont celles des publicistes français, anglais et suédois se sont répandues dans bien d'autres pays. Ici les princes sollicitaient les donneurs d'avis et les experts, là l'indifférence ou l'impuissance des gou vernements excitaient la verve et la réflexion des réfor mateurs. Parmi les mercantilistes espagnols il faut citer Luis Ortiz, qui prédit dès 1557 la décadence de l'Espagne et dont le Mémorial pour que la monnaie ne sorte pas du rOJ!aume invite tous les oisifs, hidalgos et letrados com pns, à se remettre au travail créateur et à la production. Un siècle et demi plus tard, on retrouve dans la Théorie et pratique du commerce et de la marine de Geronimo de Uztariz la même analyse de la ruine nationale et les mêmes propositions. C'est le même poignant intérêt pour la patrie, ou le même refus de la régression écono mique qui inspire les premiers mercantilistes italiens : Botero, auteur d'un célèbre Traité de la raison d'Btat, et prédécesseur de Malthus dans son livre Des causes de la grandeur et de la magnificence des cités, Antonio Serra qui publie en 1613 un Bref traité des causes qui font abonder l'or et l'argent dans un pays où il n'y a pas de mines, puis au siècle suivant, l'abbé Ferdinando Galiani et Antonio Genovesi, traducteur de Thomas Mun et premier titu laire d'une chaire d'économie à l'Université de Naples. Un napolitain n'était-il pas indiqué pour enseipter à l'Italie cette science, capable selon son expresSIon de rendre à une nation diminuée sa puissance, sa popula tion, et sa civilisation? En Allemagne, les premiers économistes se sont sur tout préoccupés de l'administration des trésors princiers et de la reconstruction du pays, ravagé par la guerre de Trente Ans. Parmi ces « caméralistes » comptent surtout Johann Becher, entrepreneur malheureux de manufac tures à Vienne et Munich, et auteur en 1668 d'un Dis cours des causes des progrès ou de la décadence des empires, des villes et des républiques. Son successeur à la direction de la manufacture de Vienne, Von Schroeder et son gendre Von Horneck restèrent fidèles à son enseignement, et le
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second proposa à l'Empereur un véritable plan colber tiste. Son livre au titre significatif L'Autriche au-dessus de tout, pourvu seulement qu'elle le veuille popularisa son projet et lui conserva jusqu'à l'époque du gouvernement réformateur de Joseph II une grande notoriété. II. -
UNE VOLONTÉ DE PUISSANCE, UN SERVICE DU PRINCE ET DE L'ÉTAT
De l'examen de cette littérature cosmopolite se dégage à l'évidence un certain nombre d'idées communes et permanentes, que nous allons définir avant d'étudier le développement et les progrès de la théorie économique. Le mercantilisme exprime dans tous les pays une double volonté de puissance, recherche de grandeur et de richesse. Il n'y a plus dans l'Europe moderne de place honorable pour les Etats incapables de mobiliser des armées et des flottes nombreuses. Il n'y a plus de place pour les princes sans le sou, et les Etats ascéti~ues. C'est la prospérité du royaume qui permet au Fisc d alimenter le Trésor royal; c'est la prospérité commerciale qui fait circuler les espèces r,récieuses, mesures et conditions de toute puissance. L impôt se paie en monnaies d'or et d'argent, parce qu'ainsi se paient les soldats, les muni tions, les espions et les alliés. « Il est impossible de faire la guerre sans hommes, d'entretenir des hommes sans solde, de fournir à leur solde sans tributs, de lever des tributs sans commerce») écrit Antoine de Montchrétien *. Cette solidarité de fait intéresse plus que par le passé la monarchie aux entreprises des marchands et des manu facturiers. Sans rompre les solidarités anciennes, l'Etat admet et sanctionne un nouvel équilibre des groupes sociaux. La politique et la doctrine mercantilistes révèlent tout à la fois une évolution des institutions administratives, des volontés politiques et un progrès de la société. La communauté d'intérêt entre l'Etat et les principaux agents du développement économique constitue un puissant facteur d'unification nationale, elle donne à la chose publique, à la raison d'Etat une dimension supplé * Traité de l'Economie politique, édit. Funck-Bentano, 1889, p. 14::.
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53 mentaire. La .pensée de Montchrétien prolonge ici celle de. Jean Bodm. Le lien ~~tre les in~i~idus n'est plus uruquement de nature pohtlque ou rehg.teuse mais aussi de nature économique et cette recherche d'u~e concilia tio~ ent~e l'intérê~ ét~tique et celui des sujets ou tout au IIl:?~ns ? une partIt; d entr~ eux révèle déjà une certaine laÏCIsatIon de la VIe publIque. C'est le thème essentiel du dialogue, rédigé en 1549 et publié à Londres en 1581 sou~ le titre Cl!.mpen~ie~ ou bref examen de quelque; plmntes coutUtmeres a d,vers de nos compatriotes. De l'affrontement des revendications contradictoires du doc teur, d!l gt;ntilhomme, du fermier, du marchand et du bonnetIer, Il tente de dégager l'intérêt collectif. c'est-à dire aussi cC;lui de la re~e, puisque Sa Majesté : ne peut manquer d arg~nt au~sl. lon~emps que ses sujets en possèdent » malS serait ImpUlSSante et désarmée « s'ils n'en avaient point, ils ne l'0urraient d'ailleurs en avoir ajoute le docteur, s'il ne CIrculait plus d'espèces dans l~ royaume * ". Cette volonté de puissance et d'unité entretenue par la ~
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Pour mettre une valeur à toute chose, pour assurer les échanges et mettre en mouvement l'économie, un stock fluide et abondant d'espèces monétaires doit circuler à travers le pays. Les limites, les contradictions de l'école mercantiliste sont aussi celles de son époque. Elles expliquent l'importance que les théoriciens accordent à la balance commerciale. Cette notion permet de réunir et de concilier l'obsession monétaire et le volontarisme du développement, les soucis du Prince et l'ambition matérielle des sujets. Nous sommes là au cœur de la doctrine mercantiliste. Toutes les considérations, toutes les propositions que nous avons rappelées jusqu'ici, soli darité autour du souverain, autosubsistance de la nation, xénophobie, créations manufacturières et commerciales, bullionisme, prennent selon les auteurs plus ou moins d'importance. En Angleterre, on insiste davantage sur. les intérêts mercantiles, en France le service du Prince, la richesse et la gloire de l'Etat l'emportent souvent sur les autres préoccupations. Mais l'élément commun, l'élément essentiel c'est la théorie de la balance commerciale, ou plus exactement cette conviction qu'une action concertée, dirigée par l'Etat doit permettre l'équilibre positif de cette balance : source de prospérité et de puissance. Cette permanente préoccupation de l'équilibre des impor tations et des exportations fait la réalité et l'unité de la pensée mercantiliste. La notion même est ancienne, déjà à la fin du XIVe siècle un officier de la Monnaie anglaise, R. Aylesbury, expli quait que l'excédent des exportations assurerait l'abon dance des espèces. L'idée est tout à fait banale dès le milieu du XVIe siècle, elle figure en bonne place dans le Compendieux (1549?) dont l'auteur, comme Jean Bodin dans La République, préconise. l.es mesures ntrt bue à discipliner la jeune main-d'œuvre, issue des ,Vlllages en pleine mutation foncière, et fournit aux clothiers des ouvriers au meilleur prix. La monarchie française se préoccupe aussi à la même époque des vagabonds et des indigents: ils sont trop nom breux aux portes des villes, dans les faubourgs et sur les grands chemins. On les craint, ils portent avec eux les germes de la sédition et de l'épidémie. Peu à peu la mendicité devient un crime d'Etat. Les ordonnances de 1680 1685, 1700 condamnent aux galères les vagabonds sans' domicile et les mendiants récidivistes; pour les femmes la loi prévoit la flétrissure, le bannissement et le fouet. Aux fils de paysans chassés de leurs terres par la surpopulation, les enclosures ou la guerre, les règlements de manufacture cherchent à donner un sens nouveau de la discipline. Le travail industriel ne tolère plu~ les fantaisies et les libertés du labeur des champs. Les regle ments fixent les horaires, les amendes pour le retard et les fautes professionnelles. Le régime de la manufac ture Van Robais évoque un peu celui d'une caserne ou d'un couvent. En 1667, les échevins de Lyon organisent le travail de la manufacture de bas de soie au métier : prières en commun le matin et le soir, travail de 4 heures à 20 heures ou de 6 à 22, avec 2 heures et demie d'inter ruption pour les repas, interdiction de blasphémer, de fumer, de fréquenter les tavernes. Le règlement de la
PROBLÈMES ET INTERPRÉTATIONS
manufacture lainière d'Amiens, rédigé en 1666, dispose « qu'aucun maître ne prendra un ouvrier venant d'un autre maître pour travailler en sa maison, qu'il ne sache si le y,remier maître se tient content de l'ouvrier », C'est déjà 'idée du livret ouvrier, et il faut bien reconnaître que la réglementation mercantiliste de l'emploi retire à tous les artisans qui n'appartiennent pas à une com munauté de métier et à tous les compagnons le moyen de discuter leurs salaires et leurs conditions de travail. Il est vrai aussi que la même politique tend à 'multiplier les possibilités d'emploi, et nous avons vu que dès le début du XVIIIe siècle certains théoriciens anglais, Child, Dave nant, Brewster considèrent le volume de l'emploi comme le plus sûr baromètre de la prospérité. Au profit des manufacturiers, le mercantilisme a ébau ché un service national et obligatoire du travail; il leur accorde encore monopoles et subventions, suscitant l'appa rition de l'entrepreneur moderne, là où les communautés de métier entretenaient la routine et la stagnation. Ses deux préoccupations essentielles, la puissance et la richesse correspondent bien au caractère complexe des Etats et des monarchies européennes, entre la Renais sance et la Révolution de 1789, L'absolutisme français favorise les entreprises des marchands et des manufac turiers, mais utilise une partie de ses ressources accrues à entretenir une cour et une armée, encore large ment aristocratique, et une administration coûteuse de robins et de semi-oisifs. La monarchie anglaise pour sa part concilie tant bien que mal, et plutôt bien les ~ntérêts de la propriété foncière et du, négoce, et; A. Sffilth n~>n sans sévérité s'amuse à décrtre le systeme mercantile comme le résultat d'une association entre des princes, des nobles et des propriétaires fonciers, qu~ n:entend~t rien au commerce, et des commerçants qUl n entendaient rien à la politique. On pourrait déceler les mêm? com promis et les mêmes équivoques dans la p~atl.que .du despotisme éclairé. Mais au-delà de cette signification de classe le mercantilisme traduit encore une certaine laîcisation de la vie sociale. Il est par sa conception du commerce international et de l'intérêt de l'Etat, amoral et a-religieux, il ~ten~ le domaine ,d'.appl!ca~o~ ,d,:" plus froid des machiavéhsmes. Il conSidere 1 actlVlte econo
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LE MERCANTILISME
mique, uniquement comme une source de richesse et de puissance, et il dépouille les rapports entre les indi vidus de tout idéalisme chrétien. Il ignore la notion du juste prix, combat ce qui demeure de l'interdiction médié vale du prêt à intérêt. Ainsi Colbert au moment de la rédaction de son code de commerce essaie de vaincre l'opposition des théologiens et docteurs de la Sorbonne, qui continuaient à affirmer la stérilité de l'argent et condamnaient la circulation intérieure des lettres de change et des billets de commerce, en raison des erélè vements d'intérêt qu'elle comportait. Le mercantilisme ignore ou néglige dans le choix de ses objectifs et de ses moyens les préoccupations religieuses. Le même Colbert s'irrite du trop grand nombre des moines oisifs, ses repré sentants au Canada encoura~ent le commerce des eaux de-vie, en dépit de l'opposition et des scrupules des Pères jésuites. Défiant l'mtransigeance des Assemblées du Clergé de France, il ménage les protestants, non par esprit de tolérance, mais parce qu'ils animent le négoce et l'artisanat de certaines provinces. Les mêmes calculs valent aux juifs la protection des princes allemands du XVIIIe siècle, et aux jésuites l'hospitalité ironique de Frédéric n. On trouve souvent dans la littérature mercantiliste des comparaisons empruntées à l'anatomie et à la physio logie du corps humain. Les espèces monétaires sont le sang, dont la circulation donne la vie à tout ~'organisme, et les différentes classes ou ordres de la société sont les membres du Léviathan. Ces analogies préparent l'éveil de la pensée scientifique. L'étude des lois dans le domaine des phénomènes naturels prépare la recherche des cau salités dans l'ordre social. Le mercantilisme représente bien la première ébauche d'une science des sociétés. En s'appuyant sur les métaux précieux, mesures et véhicules de toutes les valeurs d'échange, la pensée classique tente d'élaborer une physique et une représentation algébrique de la richesse. Aspect d'un moment de la science et de l'histoire, le mercantilisme a rapidement vieilli au rythme du XVIIIe siè cle européen. La réduction du rôle des métaux précieux dans les échanges intérieurs, le développement des mon naies de papier l'a condamné en tant que système écono
PROBLÈMŒS ET INTERPRÉTATIONS
mique, tandis que l'idéologie des « lumières» mettait en accusation l'égoïsme de la raison étatique. Près de deux siècles après la sentence théâtrale rendue par A. SInith, le problème de la survivance du mercan tilisme demeure cependant posé. Il a bien fallu constater dès la fin du XIXe siècle une renaissance du protection nisme douanier, et surtout l'expérience a prouvé, depuis la fin de la PreInière Guerre mondiale, l'insuffisance des théories libérales des coûts comparés, de la division inter nationale du travail et de l'équilibre automatique des balances de paiement. De grands Etats, l'Angleterre en particulier, ont vu leur balance s'obstiner dans le déficit, les relations entre les pays développés et le Tiers Monde ne sont pas parvenues à s'équilibrer, en raison de la dété rioration des « termes de l'échange ». Les Etats nationaux ont dû procéder de nouveau à de multiples interventions sur le marché des chan~es, et combattre par le gonfle ment des dépenses publiques les menaces de crise. Sous l'effet de ces événements, la théorie quantitative de la monnaie et celle de l'équilibre automatique des balances, qui lui est liée, ont été de plus en plus sévèrement criti quées, et l'école keynésienne, tout autant que l'école marxiste, ont rejeté la conception libérale des échanges internationaux. Peut-on pour autant parler d'un néo mercantilisme? Nous ne le pensons pas. Keynes lui même, qui a voulu réhabiliter ou tout au moins justifier historiquement les doctrines de Mun, de Child et de leurs contemporains était violemment antimétalliste, et réprouvait le système de l'étalon-or. Il y voyait la cause économique res : « Dans une économie, soumise à des contrats és en monnaie... et où le stock de monnaie et le taux d'intérêt intérieur dépendent surtout de la balance des paiements, comme c'était le cas avant guerre, les autOrItés n'ont à leur disposition qu'un seul moyen de lutter contre le chômage, c'est de créer un excédent d'exportation et d'importer le métal monétaire... On n'a jamais inventé au cours de l'histoire un système plus efficace que celui de l'étalon-or, pour dresser les intérêts des différentes nations les unes contre les autres *. » Keynes a donc pensé et espéré que la disparition de *
KEYNES,
Théon'e généra.le •••, p.
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l'étalon-or mettrait fin aux rivalités économiques et à la lutte pour les débouchés. Son argumentation, scienti fiquement fort discutable, montre bien en tout cas la dis tance qui sépare toutes les théories du mercantilisme et la monarchie absolutiste de l'impérialisme contempo rain; parti d'une analyse voisine de celle des mercan tilistes, Keynes est forcé d'en tirer pour le vingtième siècle des conclusions inverses. C'est une des raisons parmi d'autres, pour lesquelles il semble préférable de limiter l'usage du concept de mercantilisme, afin de ne pas brouiller les notions et les définitions claires, néces saires à l'histoire économique comme à tout autre science. Il convient donc de donner au mercantilisme une signi fication théorique et historique précise. C'est la doctrine et la pratique économiques des Etats nationaux dans la période du xv e au XVIIIe siècle. Elle cherche à assurer un excédent des exportations en biens et en services sur les importations, parce que c'est le seul moyen pour un pays dépourvu de minerais argentifère et aurifère d'at tirer les métaux précieux, indispensables à la prospérité de la nation et à la puissance de l'Etat. C'est une étape historique du développement des économies nationales, à l'époque du capitalisme commercial. Marx évoque le temps de l'accumulation primitive du capital et de la manufacture. « L'économie politique, dit-il, ne prend rang de science particulière qu'avec la période manufacturière. » La manufacture, selon lui, est la forme caractéristique du mode de production capitaliste, du milieu du XVIe siècle au début de la Révolution industrielle. Ses progrès sont facilités par l'expansion du marché mondial et par le système colonial. Elle permet, grâce à la division du travail ou à l'exploitation du travailleur à façon, de dimi nuer le prix de revient des marchandises, et accélère l'accumulation du capital. Avec moins de précision et moins de profondeur, Rostow voit aussi dans la période mercantiliste et manufacturière la préparation du {( démarrage )). « C'est en Europe occidentale, à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe, que les conditions préalables au démarrage ont commencé à se créer de façon indis cutable, à mesure que les conquêtes de la science don naient naissance à de nouvelles fonctions de production, et pendant que l'expansion des marchés mondiaux et la
PROBLÈMES ET INTERPRÉTATIONS
concurrence internationale, dont ils étaient l'enjeu, imprimaient un dynamisme nouveau à l'économie *. » Au-delà des oppositions théoriques fondamentales, rele vons ces points de convergence. Entre le Moyen Age et l'époque contemporaine, le mercantilisme prépare bien l'avènement du capitalisme et de l'industrie modernes. Du Moyen Age, il conserve une croyance quasi reli gieuse dans la toute puissance de l'or et la conception d'un univers statique où chaque royaume ne peut pros pérer qu'aux dépens de ses voisins. Mais il renie l'in ternationalisme chrétien, et annonce par son volonta risme les conquêtes de l'économie contemporaine. Ce n'est pas encore une science, mais déjà un système indé pendant de toute morale religieuse, qui traite des choses économiques avec l'objectivité et le détachement d'un naturaliste. Le mercantilisme évoque déjà par ses ambi tions le dynamisme des sociétés industrielles. Il ne pos sède ni leurs moyens techniques, ni l'énergie collective, libérée par les révolutions bourgeoises, mais il contri bue à la naissance de leur ambitieux dessein.
* w. W. I963. p. 18.
ROSTOW.
Les étapes de la croissance économique, Paris.
DOCUMENTS ET TÉMOIGNAGES .
, ,,
PRATIQUES ET THÉORIES ANCIENNES DU MERCANTILISME ::.
Obsession bullioniste et politique douanière. 2. Rapport au Conseil privé de la commission sur la draperie. 3. La nécessité d'être puissant sur mer et le rôle des grandes compagnies de commerce, selon le cardinal de Richelieu. 4. L'Acte anglais de navigation de 1660. 5. Privilège accordé au sieur Guichard pour la manufacture des
basins de Saint-Quentin.
6. Instruction générale pour l'exécution des règlements géné raux des manufactures et teintures, 1670.
7. Les importations" inutiles» et la protection du travail national. 8. Ambitions et illusions mercantilistes. 9. Le Mercantilisme selon Colbert. 10. Finances royales et prospérité du royaume, la guerre d'argent. II. L'opposition à Colbert. 12. Les objections de D. Hume. 13. L'opinion de Turgot. 1.
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14. Le jugement d'A. Smith sur le mercantilisme. 15. Le jugement de J.-B. Say.
,.. ' iJ
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mérites du système industriel, improprement appelé système mercantile, selon F. List. La manufacture, le protectionnisme et le marché extérieur selon Marx. Quelques-unes des conclusions de E. F. Heckscher. Le jugement d'un grand historien anglais contemporain. Aux origines du protectionnisme (graphiques). Deux des causes de la contraction du XVIIe siècle (graphiques). Un exemple des contradictions de l'historiographie: Colbert. Le panégyrique. La mise au point d'un historien contemporain.
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Document